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Corte europea dei diritti dell’uomo (Sezione II), 8 dicembre 2009

(requĂŞte n. 45291/06)

 

DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête présentée par Cesare PREVITI contre l’ITALIE

 

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (deuxième section), siĂ©geant le 8 dĂ©cembre 2009 en une chambre composĂ©e de :

Françoise Tulkens, présidente,

Ireneu Cabral Barreto,

Danutė Jočienė,

Dragoljub Popović,

András Sajó,

Işıl Karakaş,

Kristina Pardalos, juges,

et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 2 novembre 2006,

Après en avoir dĂ©libĂ©rĂ©, rend la dĂ©cision suivante :

EN FAIT

1. Le requĂ©rant, M. Cesare Previti, est un ressortissant italien nĂ© en 1934 et rĂ©sidant Ă  Rome. Il est reprĂ©sentĂ© devant la Cour par Mes N. Zanon et A. Saccucci, avocats exerçant respectivement Ă  Milan et Ă  Rome.

A. Les circonstances de l’espèce

2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

1. Le diffĂ©rend civil entre la banque IMI (Istituto Mobiliare Italiano) et la sociĂ©tĂ© SIR (ci-après le « diffĂ©rend civil IMI/SIR Â») ainsi que les versements effectuĂ©s sur les comptes bancaires du requĂ©rant et de ses coaccusĂ©s

3. D’après le jugement rendu par le tribunal de Milan le 29 avril 2003 (voir ci-après), les principaux faits relatifs au différend civil IMI/SIR, qui est à l’origine des vicissitudes judiciaires du requérant, se déroulèrent comme suit.

4. Le 11 mars 1982, la société SIR, active dans le secteur de la chimie et appartenant à M. Angelo Rovelli, engagea contre la banque IMI une procédure civile en dédommagement. Elle alléguait que, selon un protocole d’entente signé entre les parties, elle avait droit au versement d’une somme d’argent en contrepartie du transfert de certaines actions.

5. Par des jugements rendus en 1986 et 1988, le tribunal et la cour d’appel de Rome dĂ©clarèrent que M. Rovelli avait droit Ă  une somme Ă  titre de rĂ©paration des dommages. Il fut en outre dĂ©cidĂ© que le montant de cette somme serait fixĂ© dans une procĂ©dure civile sĂ©parĂ©e, dite « procĂ©dure sur le quantum Â» ; une expertise fut rĂ©alisĂ©e afin d’établir la valeur patrimoniale de la sociĂ©tĂ© SIR.

6. L’audience dans le cadre de la procĂ©dure sur le quantum fut fixĂ©e au 4 avril 1989. La chambre du tribunal devait ĂŞtre prĂ©sidĂ©e par M. Minniti. Celui-ci fut cependant convoquĂ© le jour mĂŞme au ministère de la Justice pour une rĂ©union portant sur les bâtiments judiciaires (edilizia giudiziaria). Il tenta, en vain, d’ajourner l’audience et fut donc remplacĂ© par Mme Campolongo, laquelle, malgrĂ© la demande de M. Minniti, dĂ©cida d’examiner le fond de l’affaire. Par un jugement rendu le mĂŞme jour et dĂ©posĂ© au greffe le 13 mai 1989, le tribunal de Rome, prĂ©sidĂ© par Mme Campolongo, fixa Ă  environ 771 milliards de lires italiennes (ITL – soit 398 188 269 euros (EUR)) le montant du dĂ©dommagement dĂ» Ă  M. Rovelli.

7. Toutefois, le 7 juillet 1989, la Cour de cassation annula la dĂ©cision de la cour d’appel de Rome concernant le droit Ă  dĂ©dommagement de M. Rovelli et l’IMI fit appel du jugement du 4 avril 1989. Les procĂ©dures sur l’existence d’une crĂ©ance et sur le quantum de celle-ci, pendantes devant la cour d’appel de Rome, furent jointes. En octobre 1989, M. Vittorio Metta fut dĂ©signĂ© comme juge rapporteur. De fĂ©vrier Ă  dĂ©cembre 1990, il effectua de nombreux versements d’argent liquide sur son compte courant pour constituer un total de 464 000 000 ITL (soit 239 636 EUR).

8. Le 26 novembre 1990, le texte de l’arrĂŞt de la cour d’appel de Rome, rĂ©digĂ© par M. Metta, fut dĂ©posĂ© au greffe. L’IMI fut condamnĂ©e Ă  verser Ă  M. Rovelli environ 528 485 000 000 ITL (soit 272 939 724 EUR), somme Ă  laquelle s’ajoutaient les intĂ©rĂŞts lĂ©gaux.

9. Le 30 décembre 1990, M. Angelo Rovelli décéda. Ses héritiers étaient son épouse, Mme Battistella, et son fils, M. Felice Rovelli.

10. En 1991, Me Attilio Pacifico, avocat inscrit au barreau de Rome, prit contact avec les hĂ©ritiers de M. Rovelli et sollicita le paiement de 30 000 000 000 ITL (soit 15 493 706 EUR) en vertu d’une dette que M. Angelo Rovelli aurait eue envers lui. Il ne produisit aucun document Ă  l’appui de sa demande mais prĂ©cisa que deux autres avocats romains, le requĂ©rant (qui revendiquait 20 milliards) et Me Acampora (qui en rĂ©clamait 12), Ă©taient titulaires de crĂ©ances analogues. Le paiement aurait dĂ» avoir lieu une fois que l’arrĂŞt de la cour d’appel de Rome du 26 novembre 1990 avait acquis l’autoritĂ© de la chose jugĂ©e. Le 24 juin 1991, Mme Battistella versa, par virement bancaire, 1 000 000 000 ITL (soit 516 456 EUR) Ă  Me Pacifico. Celui-ci transmit ensuite au requĂ©rant et Ă  M. Renato Squillante, juge Ă  Rome, la somme de 133 000 000 ITL (soit 68 688 EUR) chacun.

11. Entre-temps, l’IMI s’était pourvue en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Rome du 26 novembre 1990.

12. Le 29 janvier 1992, lors des plaidoiries devant la Cour de cassation, les représentants de la famille Rovelli excipèrent de l’absence dans le dossier d’une procuration valable par laquelle l’IMI donnait mandat à ses avocats. Le lendemain, le président de l’IMI, M. Arcuti, porta plainte, alléguant que la procuration, régulièrement déposée, avait été égarée.

13. L’affaire fut attribuĂ©e Ă  une chambre prĂ©sidĂ©e par M. Mario Corda. Celui-ci rĂ©digea Ă  l’attention des juges siĂ©geant dans la chambre une note contenant des observations sur la question juridique de l’absence de procuration. En mars 1993, une lettre anonyme renfermant des rĂ©fĂ©rences Ă  la note de M. Corda fut adressĂ©e Ă  la Cour de cassation. En consĂ©quence, M. Corda se dĂ©porta.

14. L’audience devant la chambre de la Cour de cassation, prĂ©sidĂ©e par un autre haut magistrat, se tint le 27 mai 1993. Le 1er juin 1993, le greffe de la Cour de cassation reçut une lettre anonyme contenant l’original de la procuration que l’IMI avait donnĂ©e Ă  ses conseils. Cependant, la partie sur laquelle aurait dĂ» figurer le tampon du greffe attestant la date du dĂ©pĂ´t avait Ă©tĂ© coupĂ©e. Le 14 juillet 1993, la Cour de cassation dĂ©posa au greffe le texte de sa dĂ©cision, adoptĂ©e le 27 mai. Elle dĂ©cida de dĂ©clarer le pourvoi de l’IMI irrecevable, faute de procuration. La dĂ©cision de la cour d’appel de Rome du 26 novembre 1990 devint ainsi dĂ©finitive.

15. En janvier 1994, l’IMI versa aux hĂ©ritiers de M. Angelo Rovelli 980 351 147 815 ITL (soit 506 309 113 EUR), Ă  titre de dĂ©dommagement et intĂ©rĂŞts lĂ©gaux. Entre mars et juin 1994, M. Felice Rovelli et Mme Battistella transfĂ©rèrent par virement bancaire au requĂ©rant et Ă  Mes Pacifico et Acampora respectivement 18 millions de francs suisses (CHF), 28 850 000 CHF et 10 850 000 CHF.

16. En 1994, le requĂ©rant, qui avait rejoint le parti politique Forza Italia, devint ministre de la DĂ©fense dans le premier gouvernement prĂ©sidĂ© par M. Silvio Berlusconi.

2. Les accusations portées contre le requérant

a) Les déclarations de Mme Ariosto

17. En juillet 1995, Mme Stefania Ariosto fit des déclarations aux magistrats du parquet de Milan. Elle affirmait en substance que le requérant entretenait des rapports douteux avec certains juges romains et avait donné de l’argent liquide à M. Squillante. En outre, le requérant se serait vanté de pouvoir influer sur l’issue des procès grâce à ses relations avec les juges.

b) L’ouverture des poursuites

18. Des poursuites pour corruption dans des actes judiciaires (corruzione in atti giudiziari, infraction punie par l’article 319ter du code pĂ©nal – paragraphe 166 ci-après) furent ouvertes contre, entre autres, le requĂ©rant, Mes Pacifico et Acampora, M.M. Metta et Squillante, ainsi que M. Felice Rovelli et Mme Battistella.

19. Les investigations conduisirent Ă  la dĂ©couverte d’un autre contentieux judiciaire (affaire « Lodo Mondadori Â»), oĂą certains Ă©lĂ©ments amenaient Ă  soupçonner qu’un arrĂŞt de la cour d’appel de Rome, officiellement rĂ©digĂ© par le juge Metta, avait en rĂ©alitĂ© Ă©tĂ© Ă©crit par un tiers non identifiĂ© pour favoriser des intĂ©rĂŞts privĂ©s, et cela grâce au rĂ´le d’intermĂ©diaire rĂ©munĂ©rĂ© du requĂ©rant et de Mes Pacifico et Acampora.

20. Dès que leur teneur fut connue de la presse, les poursuites eurent un retentissement médiatique tout à fait exceptionnel en Italie. Les différentes phases du procès du requérant et de ses coïnculpés furent relatées en détail par la presque totalité des médias italiens et un ample débat politique éclata au sujet de certains projets de loi susceptibles d’influer sur l’issue des débats. Une partie considérable de la gauche italienne estimait en effet qu’il s’agissait de lois ad personam, faites pour protéger le Premier ministre et le requérant. Cette thèse était rejetée par les partis et l’opinion publique de centre droit.

21. Plusieurs questions de droit, de déontologie et de procédure surgirent au cours des investigations préliminaires et des débats en première instance. Elles furent discutées non seulement au cours du procès, mais également dans les médias. Les paragraphes qui suivent visent à donner un aperçu de chacune d’elles, dans la mesure où elles se révèlent pertinentes pour les griefs soulevés par le requérant devant la Cour.

3. Les investigations préliminaires

a) La question de la compétence ratione loci

22. Le tribunal de Milan fut désigné comme juridiction compétente ratione loci pour l’affaire IMI/SIR. La question de la compétence de cette juridiction fit l’objet d’une longue querelle.

23. Aux termes de l’article 8 du code de procĂ©dure pĂ©nale (ci-après le « CPP Â»), est compĂ©tent ratione loci le tribunal du lieu oĂą l’infraction a Ă©tĂ© commise. L’article 9 du CPP prĂ©voit des règles complĂ©mentaires (regole supplettive) pour les cas oĂą ce lieu ne peut pas ĂŞtre Ă©tabli ; sont compĂ©tents ratione loci, successivement, le tribunal

a) du lieu oĂą s’est dĂ©roulĂ©e une partie de l’action ou de l’omission criminelle (article 9 § 1) ;

b) du lieu oĂą le prĂ©venu a sa rĂ©sidence ou son domicile (article 9 § 2) ;

c) du lieu où se trouve le parquet qui, en premier, a procédé à l’inscription de l’avis d’infraction (notitia criminis) dans le registre prévu à cet effet (article 9 § 3).

24. Estimant que les lieux de commission des infractions et de résidence des prévenus ne pouvaient pas être établis, les autorités milanaises appliquèrent la règle complémentaire prévue au paragraphe 3 de l’article 9 du CPP (paragraphe 23 c) ci-dessus).

25. Le requĂ©rant contesta cette approche Ă  maintes reprises, faisant observer qu’il Ă©tait accusĂ© d’avoir corrompu un juge de Rome par des intermĂ©diaires rĂ©sidant dans cette ville. Quoi qu’il en soit, et Ă  supposer mĂŞme que les lieux indiquĂ©s aux articles 8 et 9 §§ 1 et 2 du CPP ne puissent pas ĂŞtre Ă©tablis, le critère posĂ© par l’article 9 § 3 du CPP aurait dĂ» conduire Ă  dĂ©signer comme compĂ©tents ratione loci les tribunaux de Rome ou de PĂ©rouse. En effet, d’après l’intĂ©ressĂ©, il ressortait de certains documents dĂ©couverts par la dĂ©fense, et dont le parquet de Milan avait connaissance, que le parquet de PĂ©rouse avait en premier ouvert les poursuites dans le cadre de la procĂ©dure civile IMI/SIR. A l’appui de sa thèse, le requĂ©rant attire l’attention de la Cour sur les faits suivants.

26. En avril 1994, M. Arcuti, prĂ©sident de l’IMI, adressa une dĂ©nonciation au PrĂ©sident de la RĂ©publique en sa qualitĂ© de PrĂ©sident du Conseil supĂ©rieur de la magistrature (ci-après le « CSM Â»). De l’avis du requĂ©rant, les faits dĂ©noncĂ©s par le prĂ©sident de l’IMI en avril 1994 Ă©taient les mĂŞmes que ceux dont il fut successivement accusĂ© dans le cadre de la procĂ©dure pĂ©nale devant le tribunal de Milan. Le dossier fut transfĂ©rĂ© au parquet de Rome, qui, estimant que deux magistrats du district de Rome semblaient impliquĂ©s dans les faits, en transmit une copie au parquet de PĂ©rouse.

27. En outre, en 1992, l’IMI avait portĂ© plainte contre X pour la disparition de la procuration donnĂ©e Ă  ses avocats, allĂ©guant que ce document avait Ă©tĂ© dĂ©robĂ©. Le parquet de Rome avait ouvert des poursuites contre X. Par la suite, ces poursuites furent inscrites Ă  l’encontre des deux avocats de l’IMI. Le parquet de Rome demanda le classement sans suite de la plainte de l’IMI ; cette demande fut accueillie le 13 mai 1996.

28. Cependant, le 21 mai 1996, le parquet de Rome sollicita l’autorisation de rouvrir les investigations, observant qu’il Ă©tait utile d’obtenir une copie des actes accomplis par le parquet de Milan. Le 24 mai 1996, le juge des investigations prĂ©liminaires (giudice per le indagini preliminari – ci-après le « GIP Â») de Rome fit droit Ă  cette demande.

29. Par la suite, le requĂ©rant apprit que le parquet de PĂ©rouse avait ouvert un autre dossier concernant les « anomalies de la procĂ©dure dans le cadre du diffĂ©rend civil IMI/hĂ©ritiers Rovelli Â». Le 20 octobre 1994, le parquet de PĂ©rouse avait interrogĂ© M. Arcuti, qui avait dĂ©posĂ© des documents. Le 25 octobre 1994, le parquet avait ouvert un nouveau dossier, qui concernait l’infraction prĂ©vue et punie par l’article 326 du CP (divulgation d’informations couvertes par le secret), relativement, en particulier, Ă  la question de l’abstention de M. Corda. Les pièces avaient Ă©tĂ© transmises au parquet de Rome, puis Ă  celui de Milan.

30. Le requérant soutient que, au-delà de la différence de qualification juridique, les faits qui lui furent reprochés à Milan et dans les dossiers ouverts par les parquets de Rome et de Pérouse étaient en substance identiques. Il note également que les poursuites pour corruption dans des actes judiciaires ne furent officiellement ouvertes contre lui par le parquet de Milan que le 10 mai 1996.

31. Le requérant affirme que le parquet de Milan ne l’a jamais informé des mesures prises à Pérouse, et ce alors que les pièces y relatives avaient été versées au dossier le concernant et à la disposition du parquet de Milan à partir de novembre 1996. Ses avocats n’eurent connaissance qu’en 2002 de l’existence du dossier incriminé, qui avait été annexé à celui d’une autre procédure pendante à Pérouse.

32. Le requĂ©rant et ses coĂŻnculpĂ©s excipèrent Ă  plusieurs reprises de l’incompĂ©tence ratione loci du tribunal de Milan. Ils allĂ©guèrent que, bien qu’il ressortĂ®t des documents qu’un autre parquet avait ouvert des investigations sur les mĂŞmes faits Ă  une date antĂ©rieure, le parquet de Milan s’était arbitrairement dĂ©clarĂ© compĂ©tent ratione loci, au mĂ©pris de la règle contenue Ă  l’article 9 § 3 du CPP.

33. Ces exceptions furent rejetĂ©es par des ordonnances Ă©mises les 14 juillet 2000 et 24 mars 2003. D’après le tribunal de Milan, les critères d’établissement de la juridiction compĂ©tente Ă©taient liĂ©s Ă  des donnĂ©es formelles et objectives. Etant donnĂ© que deux accusĂ©s rĂ©sidaient Ă  l’étranger et que le lieu de commission des infractions n’était pas connu (on ignorait oĂą l’accord de corruption s’était finalisĂ© et oĂą, sur le territoire italien, la rĂ©munĂ©ration de la corruption avait Ă©tĂ© versĂ©e), il y avait lieu d’appliquer la règle fixĂ©e Ă  l’article 9 § 3 du CPP. Or celle-ci exigeait l’existence d’un fait objectif : l’inscription dans le registre ad hoc du nom des accusĂ©s et de l’infraction pour laquelle ils seraient jugĂ©s. En l’espèce, seul le parquet de Milan avait inscrit le nom du requĂ©rant et de ses coĂŻnculpĂ©s relativement Ă  l’infraction de corruption dans des actes judiciaires. A cet Ă©gard, il y avait lieu d’observer que les parquets de Rome et de PĂ©rouse avaient ouvert des poursuites contre des tiers ou contre X et pour des infractions diffĂ©rentes (soustraction de documents et divulgation d’informations couvertes par le secret). Par ailleurs, le parquet de PĂ©rouse, compĂ©tent pour des faits dont Ă©taient accusĂ©s des magistrats du district de Rome, avait transmis les pièces au parquet de la capitale, ce qui prouvait, implicitement mais sans Ă©quivoque, qu’il avait estimĂ© que les auteurs prĂ©sumĂ©s des infractions n’étaient pas des magistrats romains, contrairement Ă  ce qui Ă©tait le cas dans la procĂ©dure pendante Ă  Milan.

34. Le tribunal confirma également dans la partie introductive de son jugement sur le fond de l’affaire ses conclusions sur sa compétence ratione loci. Il observa notamment que l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation dans des affaires similaires (inscription par deux parquets différents des poursuites pour association de malfaiteurs et association de malfaiteurs de type mafieux) confirmait l’exactitude de son approche.

35. Les accusés demandèrent par ailleurs la production, par les parquets de Milan et de Rome, de nouveaux documents afin de mieux évaluer la question de la compétence ratione loci. Par une ordonnance du 26 mars 2003, le tribunal de Milan rejeta cette demande, estimant, compte tenu du caractère objectif de la règle posée par l’article 9 § 3 du CPP, qu’il disposait de tous les documents nécessaires pour trancher la question litigieuse.

b) La question du secret de l’instruction concernant le dossier no 9520/95

36. Le requĂ©rant soutient que plusieurs Ă©lĂ©ments favorables aux accusĂ©s se trouvaient dans le dossier no 9520/95, ouvert par le parquet de Milan et auquel il n’a pas eu accès. Il s’agirait notamment de pièces indiquant que le parquet de PĂ©rouse avait ouvert des poursuites avant le parquet de Milan, que celui-ci avait « gĂ©rĂ© Â» Mme Ariosto et que la crĂ©dibilitĂ© de ce tĂ©moin avait Ă©tĂ© mise en doute par les dĂ©clarations d’un autre. De plus, le requĂ©rant considère qu’il est très probable que le dossier no 9520/95 contenait l’original de l’enregistrement relatif aux Ă©coutes effectuĂ©es dans le bar « Mandara Â» (paragraphes 48-55 ci-après).

37. Ce dossier Ă©tait inscrit au « module 21 Â» (concernant les infractions commises par des personnes identifiĂ©es) et avait pour origine les dĂ©clarations de Mme Stefania Ariosto (paragraphe 17 ci-dessus). Les pièces de la procĂ©dure IMI/SIR et d’autres procĂ©dures similaires furent successivement versĂ©es dans d’autres dossiers, mais le dossier no 9520/95 ne fut pas supprimĂ©. Selon les dires du requĂ©rant, le parquet de Milan l’a utilisĂ© pour pouvoir continuer sine die les investigations contre lui et y verser des documents favorables Ă  la dĂ©fense. En effet, pour autant qu’un dossier se trouve dans la phase de l’instruction, les pièces qu’il renferme sont couvertes par le secret et la dĂ©fense ne peut y avoir accès. Le requĂ©rant demanda Ă  maintes reprises l’accès au dossier litigieux, mais il se heurta donc Ă  chaque fois Ă  un refus.

38. Par ailleurs, le requĂ©rant prĂ©cise que, selon le CPP, les investigations prĂ©liminaires durent six mois ; ce dĂ©lai peut ĂŞtre prorogĂ© trois fois au maximum pour des pĂ©riodes successives de six mois, ce qui signifie que la durĂ©e des investigations ne peut en aucun cas dĂ©passer deux ans (articles 405-407 du CPP). Dès lors, les investigations concernant le dossier n9520/95, ouvert en 1995, n’auraient pas dĂ» se poursuivre après 1997. Cependant, le parquet indiqua que les investigations menĂ©es dans le cadre du dossier no 9520/95 visaient Ă  l’identification d’autres fonctionnaires impliquĂ©s dans les faits ou dans d’éventuels dĂ©lits de faux et de divulgation d’informations couvertes par le secret. S’agissant d’investigations contre des personnes dont l’identitĂ© n’était pas connue, le dĂ©lai maximum de deux ans ne trouvait pas Ă  s’appliquer.

39. Le 31 mars 2003, le requĂ©rant se plaignit au ministre de la Justice de l’impossibilitĂ© d’accĂ©der aux pièces contenues dans le dossier no 9520/95. Le 28 mai 2003, le ministre de la Justice demanda aux inspecteurs du ministère de se procurer une copie des documents figurant dans le dossier no 9520/95 et d’établir s’il y avait eu des conduites rĂ©prĂ©hensibles sur le plan disciplinaire ou susceptibles de donner lieu Ă  une incompatibilitĂ© tenant au lieu et/ou Ă  la fonction (incompatibilitĂ  ambientale e/o funzionale).

40. Dans leur rapport du 19 juin 2003, les inspecteurs du ministère indiquaient que leur enquĂŞte avait notamment pour but d’établir s’il y avait eu violation de l’article 416 § 2 du CPP, lequel Ă©nonce que le parquet doit transmettre au GIP toutes les pièces relatives aux investigations contenues dans son dossier (paragraphe 161 ci-dessous). Le parquet avait le droit incontestĂ© de sĂ©parer la position de certains accusĂ©s de celle des autres ; il n’en demeurait pas moins qu’il devait produire devant le GIP (et donc mettre Ă  la disposition de la dĂ©fense) toutes les pièces concernant l’accusĂ© dont il demandait le placement en dĂ©tention provisoire ou le renvoi en jugement. Par ailleurs, d’après l’article 13 du « code des magistrats Â» (un recueil de normes dĂ©ontologiques approuvĂ©es par l’association nationale des magistrats), le parquet devait rechercher la vĂ©ritĂ©, recueillir, entre autres, les preuves favorables Ă  l’accusĂ© et ne pas les dissimuler au juge.

41. Les inspecteurs faisaient Ă©galement observer que, dans son arrĂŞt no 1295 du 14 janvier 2003, la Cour de cassation avait rejetĂ© l’approche prĂ©cĂ©demment majoritaire selon laquelle, dans les poursuites ouvertes contre X, une fois obtenue une première autorisation de continuer les investigations, le parquet n’était pas censĂ© demander d’autorisations ultĂ©rieures. Il s’agissait cependant d’une question encore controversĂ©e, car il semblait que, dans un arrĂŞt dont la motivation n’avait pas encore Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e au greffe, la Cour de cassation avait une nouvelle fois modifiĂ© sa jurisprudence en la matière. Dans ces conditions, le non-respect des principes Ă©noncĂ©s par la Cour de cassation dans son arrĂŞt no 1295 de 2003 ne rĂ©vĂ©lait aucune infraction disciplinaire.

42. Selon les explications fournies par le parquet de Milan, le dossier no 9520/95 visait certaines personnes dont l’identitĂ© Ă©tait connue ainsi que des personnes non identifiĂ©es. Le 4 novembre 1996, le parquet y avait joint les dossiers nos 3897/96 et 3899/96 concernant des personnes non identifiĂ©es. Le 30 janvier 1997, il avait demandĂ© au GIP – avec succès – l’autorisation de continuer les investigations contre ces inconnus dans le cadre des dossiers nos 3897/96 et 3899/96. Sur la base de ces indications, les inspecteurs parvinrent Ă  la conclusion que le GIP avait autorisĂ© la poursuite des investigations seulement pour les infractions dĂ©jĂ  prescrites, qui faisaient l’objet des dossiers nos 3897/96 et 3899/96 (faux et divulgation d’informations couvertes par le secret), et non pour les infractions poursuivies dans le cadre du dossier no 9520/95.

43. Dans leur rapport, les inspecteurs notaient qu’ils n’avaient pas pu avoir accès au dossier no 9520/95, le parquet de Milan s’étant prĂ©valu du secret de l’instruction. Ils estimaient cependant que le secret avait Ă©tĂ© invoquĂ© Ă  tort, car le dossier litigieux contenait des pièces destinĂ©es Ă  ne jamais ĂŞtre utilisĂ©es puisqu’elles concernaient des infractions prescrites. De l’avis des inspecteurs, on ne pouvait invoquer le secret de l’instruction relativement Ă  une enquĂŞte qui semblait se poursuivre au-delĂ  du dĂ©lai lĂ©gal, sans autorisation du GIP.

44. Le requĂ©rant porta plainte contre les magistrats du parquet de Milan pour les irrĂ©gularitĂ©s prĂ©tendument commises dans le cadre de la gestion du dossier no 9520/95. Le 31 juillet 2004, le GIP de Brescia classa cette plainte sans suite. Le parquet de Brescia ouvrit contre le requĂ©rant des poursuites pour calomnie.

45. Le 18 avril 2005, le dossier no 9520/95 fut classĂ© sans suite.

46. Le 29 juillet 2005, le requérant demanda l’autorisation de consulter ce dossier, qui n’était plus couvert par le secret de l’instruction.

47. Le 17 aoĂ»t 2005, le GIP de Milan rejeta la demande du requĂ©rant. Il observa qu’en vertu de l’article 116 du CPP toute personne ayant un intĂ©rĂŞt pouvait obtenir, Ă  ses frais, une copie de pièces spĂ©cifiquement indiquĂ©es (singoli atti). Il s’agissait d’une facultĂ© et non d’un droit. Or, en l’espèce, le requĂ©rant n’avait pas indiquĂ© les pièces dont il souhaitait une copie ; par ailleurs, son intĂ©rĂŞt Ă  obtenir ces copies n’était pas Ă©tabli : il n’était pas accusĂ© dans le cadre du dossier no 9520/95 (ouvert contre X) et ses craintes que le parquet de Milan n’ait commis des irrĂ©gularitĂ©s avaient Ă©tĂ© Ă©cartĂ©es par l’autoritĂ© judiciaire de Brescia. En autorisant le requĂ©rant Ă  consulter le dossier dans son ensemble pour lui permettre d’établir quels documents pouvaient l’intĂ©resser, on lui aurait donnĂ© accès Ă©galement Ă  des pièces concernant des tiers, ce qui aurait emportĂ© violation du droit de ces derniers au respect de leur vie privĂ©e et du secret de l’instruction relativement Ă  des investigations susceptibles d’être rouvertes.

c) Les Ă©coutes effectuĂ©es dans le bar « Mandara Â» et leur utilisation au procès du requĂ©rant

48. Alors que la procĂ©dure dirigĂ©e contre le requĂ©rant Ă©tait pendante au stade des investigations prĂ©liminaires, le 2 mars 1996, deux officiers de la police de Rome interceptèrent dans un bar (le « Snack-bar Mandara Â») une conversation entre M. Renato Squillante, juge et coĂŻnculpĂ© du requĂ©rant, et M. Francesco Misiani, magistrat du ministère public romain. La teneur de cette conversation fut l’un des Ă©lĂ©ments qui permit de demander et d’obtenir le placement en dĂ©tention provisoire de M. Squillante. Elle fut en outre mentionnĂ©e comme l’un des Ă©lĂ©ments Ă  l’appui du placement en dĂ©tention provisoire du requĂ©rant (mesure qui ne fut pas exĂ©cutĂ©e, faute d’autorisation du Parlement) et de son renvoi en jugement.

49. La conversation en question fit l’objet de deux rapports de la police de Rome. Dans le premier, l’inspecteur Vardeu indiquait s’être assis derrière les deux magistrats, ce qui lui avait permis d’écouter une partie de leur conversation et de prendre des notes Ă©crites Ă  ce sujet. Selon ce rapport, les deux hommes auraient Ă©changĂ©, entre autres, les propos suivants :

« Squillante (S) : (...) le fait que mes enfants puissent ĂŞtre appelĂ©s me rend presque fou.

Misiani (M) : ils ne peuvent pas dire qu’ils ont pris l’argent !

S : c’est moi qui leur ai donnĂ© l’argent. Tout ce qu’il me reste Ă  faire, c’est d’aller chez un avocat.

M : mais Ă  propos du compte ?

S : ils sont en train de le chercher (...) ils ne le trouvent pas (...)

M : mais Ă  l’avocat, tu dois lui dire qu’il existe (...) combien il y a et comment tu l’as partagĂ©.

S : il y a quatre signatures.

M : parmi lesquelles Pacifico (...) et mĂŞme celle de ta femme.

(...)

M : les dĂ©lais expireraient en mars ... ils n’ont pas intĂ©rĂŞt Ă  faire une prorogation.

 S : et si rien ne se passe, moi je n’en ai rien Ă  foutre ... si les choses se corsent, je prends ma famille et je m’en vais sous les tropiques ... je dis au revoir Ă  tout le monde (...). Â»

50. Dans un deuxième rapport, M. Ragone, un autre officier de police chargé de surveiller M. Squillante, affirma que la conversation en question avait été enregistrée. Le requérant conteste la véracité de ces affirmations.

51. Etant donnĂ© que, selon le rapport de M. Vardeu, M. Misiani avait rĂ©vĂ©lĂ© Ă  M. Squillante des informations couvertes par le secret, le CSM avait entamĂ© une procĂ©dure disciplinaire. La question de la responsabilitĂ© disciplinaire de M. Misiani fut abordĂ©e au cours d’une sĂ©ance tenue le 23 janvier 1997. Le procès-verbal de celle-ci renferme, entre autres, le passage suivant :

« Par ailleurs, il convient d’ajouter qu’une partie de la conversation qui s’est dĂ©roulĂ©e entre M. Squillante et M. Misiani au bar Mandara le 2 mars 1996 n’a pas Ă©tĂ© enregistrĂ©e mais a fait l’objet d’une simple Ă©coute par un agent de police, qui a Ă©tabli un rapport Ă  ce sujet et en a confirmĂ© [le contenu] au cours de son audition (...). Or cette partie de la conversation, mĂŞme sans tenir compte de celle interceptĂ©e Ă  l’aide d’un microphone (microspia), est plus que suffisante pour dĂ©montrer ce qu’on vient de dire quant au comportement de M. Misiani Ă  l’égard de M. Squillante. Â»

52. Le 10 octobre 1996, M. Vardeu avait dĂ©clarĂ© Ă  une commission du CSM qu’une partie de la conversation litigieuse avait Ă©galement Ă©tĂ© enregistrĂ©e et que la bobine relative Ă  cet enregistrement avait Ă©tĂ© transmise au parquet.

53. Le requĂ©rant souligne que le GIP de Rome n’a reçu une copie de l’original des notes relatives Ă  la conversation litigieuse prises par M. Vardeu que le 5 septembre 1996, après avoir ordonnĂ© le placement en dĂ©tention provisoire de M. Squillante. Or, dans l’ordonnance de placement en dĂ©tention du 11 mars 1996, le GIP certifiait avoir vĂ©rifiĂ© que le rapport de M. Vardeu correspondait « aux originaux Â» et avait qualifiĂ© l’épisode du bar d’« interception Â», alors que, contrairement Ă  ce que le parquet laissait entendre, aucune vĂ©ritable Ă©coute hertzienne n’avait eu lieu. Par ailleurs, le GIP n’avait jamais reçu la bobine des enregistrements et n’avait donc pas vĂ©rifiĂ© si les propos consignĂ©s par M. Vardeu correspondaient Ă  ceux qui avaient Ă©tĂ© enregistrĂ©s. Le requĂ©rant y voit un manque d’impartialitĂ© de la part du GIP. De plus, M. Vardeu aurait mal retranscrit certaines phrases anodines prononcĂ©es par MM. Squillante et Misiani de manière Ă  corroborer les thèses du parquet.

54. Le 27 janvier 1999, le requĂ©rant demanda au GIP de Rome de fixer une audience ad hoc (incidente probatorio) en vue de l’audition de MM. Vardeu, Ragone, Squillante et Misiani sur les circonstances de l’écoute de la conversation du 2 mars 1996 et sur la teneur de celle-ci.

55. A l’audience prĂ©liminaire du 17 mai 1999, le requĂ©rant invita le GIP Ă  s’abstenir, au motif qu’il avait certifiĂ© Ă  tort l’exactitude du rapport de M. Vardeu. Par une ordonnance rendue le mĂŞme jour, le GIP rejeta cette demande. Le 13 octobre 1999, le GIP fit droit Ă  la demande d’audition de MM. Vardeu, Ragone, Squillante et Misiani prĂ©sentĂ©e par le requĂ©rant. Une audience ad hoc se tint le 22 octobre 1999. A cette occasion, MM. Vardeu et Ragone se prĂ©valurent de la facultĂ© de garder le silence que la loi italienne leur reconnaissait du fait de leur qualitĂ© de personnes accusĂ©es dans une procĂ©dure connexe.

4. L’audience préliminaire

a) La question de l’incompatibilité entre les fonctions de GIP et celles de GUP

56. Jusqu’en 1999, le système juridique italien n’établissait aucune incompatibilitĂ© entre le rĂ´le du GIP, juge chargĂ© de surveiller le dĂ©roulement des investigations prĂ©liminaires, et celui du GUP, juge de l’audience prĂ©liminaire (giudice dell’udienza preliminare), au cours de laquelle, sauf adoption de procĂ©dures simplifiĂ©es, la question Ă  trancher Ă©tait celle de savoir si les Ă©lĂ©ments recueillis par la police, par le parquet ou par le GIP Ă©taient suffisants pour justifier le renvoi en jugement de l’accusĂ©. La mĂŞme personne pouvait dès lors remplir, au cours de la mĂŞme procĂ©dure, les fonctions de GIP et celles de GUP. Au cours des investigations, le GIP pouvait Ă©galement ĂŞtre appelĂ© Ă  ordonner une mesure de prĂ©caution, qui pouvait ĂŞtre adoptĂ©e seulement s’il existait de « graves indices de culpabilitĂ© Â» concernant l’accusĂ©.

57. L’article 171 du dĂ©cret lĂ©gislatif no 51 du 19 fĂ©vrier 1998 introduisit, Ă  l’article 34 du CPP, un paragraphe 2bis, qui, dans ses parties pertinentes en l’espèce, est ainsi libellĂ© :

« Le juge qui, au cours de la mĂŞme procĂ©dure, a exercĂ© les fonctions de GIP ne peut [pas] (...) tenir l’audience prĂ©liminaire. Â»

58. Le dĂ©cret lĂ©gislatif no 51 de 1998 prĂ©voyait l’entrĂ©e en vigueur de la rĂ©forme le 2 juin 1999. Cependant, le Parlement approuva la loi no 234 du 22 juillet 1999. L’article 3bis § 1 de celle-ci prĂ©voyait que jusqu’au 2 janvier 2000 le nouveau paragraphe 2bis de l’article 34 du CPP ne s’appliquerait pas aux procĂ©dures dans lesquelles l’audience prĂ©liminaire Ă©tait en cours.

59. En vertu de cette disposition, M. Rossato, qui avait exercé les fonctions de GIP dans la procédure dirigée contre le requérant et demandé au Parlement l’autorisation d’exécuter contre l’intéressé une mesure de précaution privative de liberté, put continuer à tenir les audiences préliminaires jusqu’au 2 janvier 2000.

60. Le requérant souligne que trente audiences préliminaires se sont déroulées dans son affaire entre le 5 novembre 1998 et le 15 novembre 1999. Au cours des neuf premiers mois, c’est-à-dire jusqu’au 6 juillet 1999, dix-huit ont eu lieu, dont huit ont été ajournées en raison d’empêchements des accusés ou de leurs conseils. Après les vacances judiciaires, à partir de septembre 1999, le calendrier des audiences a été beaucoup plus serré (douze audiences) et aucun ajournement n’a été accordé en raison d’empêchements similaires. Le requérant y voit une volonté de terminer la phase de l’audience préliminaire avant le 2 janvier 2000, ce qui serait révélateur d’un manque d’impartialité.

b) L’impossibilité pour le requérant de participer aux audiences préliminaires des 17 et 22 septembre et des 5 et 6 octobre 1999 en raison de son mandat parlementaire

61. A l’époque des audiences prĂ©liminaires, le requĂ©rant Ă©tait dĂ©putĂ©. Il demanda donc plusieurs ajournements des audiences pour pouvoir participer aux dĂ©bats parlementaires. Jusqu’en septembre 1999, ses demandes furent accueillies ; en particulier, les audiences des 25 novembre 1998 et 23 avril, 24 mai, 15, 16 et 28 juin 1999 furent reportĂ©es. A partir de septembre 1999, des demandes similaires concernant les audiences des 17 et 22 septembre et 5 et 6 octobre 1999 furent rejetĂ©es.

62. En particulier, par une ordonnance du 17 septembre 1999, le GUP observa qu’il avait estimĂ© par le passĂ©, de manière explicite ou implicite, que la participation aux dĂ©bats parlementaires constituait un empĂŞchement lĂ©gitime Ă  la comparution Ă  l’audience. Cependant, Ă©tant donnĂ© qu’il y avait des dĂ©bats au Parlement presque tous les jours, la procĂ©dure risquait d’être paralysĂ©e, puisque, comme indiquĂ© par le conseil du requĂ©rant, il Ă©tait impossible d’envisager un calendrier des audiences permettant de tenir compte des engagements parlementaires de l’intĂ©ressĂ©. Dans ces conditions, les engagements en question – et la nĂ©cessitĂ© qui en dĂ©coulait pour le requĂ©rant de remplir son mandat parlementaire – Ă©taient en conflit avec les exigences de respect du « dĂ©lai raisonnable Â» et d’efficacitĂ© de la justice. Les deux intĂ©rĂŞts en conflit correspondaient Ă  des valeurs (activitĂ© parlementaire et activitĂ© juridictionnelle) protĂ©gĂ©es par la Constitution. Le texte de celle-ci ne permettait pas de dire que l’une devait prĂ©valoir sur l’autre.

63. En l’espèce, l’empĂŞchement allĂ©guĂ© par le requĂ©rant Ă©tait lĂ©gitime, mais il ne constituait pas, aux yeux du GUP, une « impossibilitĂ© absolue de comparaĂ®tre Â», ce qui justifiait le rejet de la demande d’ajournement de l’audience.

64. Le 18 novembre 1999, la Chambre des députés saisit la Cour constitutionnelle d’un conflit entre pouvoirs de l’Etat. Estimant qu’il n’appartenait pas au GUP d’affirmer que la participation aux débats parlementaires n’entraînait pas une impossibilité absolue de comparaître, elle demanda l’annulation de l’ordonnance du 17 septembre 1999 et de toute autre décision ayant un contenu similaire.

65. Par son arrêt no 225 du 4 juillet 2001, la Cour constitutionnelle déclara qu’il n’appartenait pas au GUP, dans le cadre de l’évaluation de la nature et de l’importance des empêchements invoqués par le requérant, d’affirmer que l’intérêt de la Chambre des députés au déroulement des activités parlementaires devait s’effacer devant l’exigence de respect du délai raisonnable. Elle annula par conséquent les ordonnances du GUP de Milan.

66. La Cour constitutionnelle observa qu’il ne lui appartenait pas d’interprĂ©ter le CPP et de dire si l’existence d’autres obligations institutionnelles de l’accusĂ© avait un caractère « absolu Â» et Ă©tait donc de nature Ă  constituer une cause de force majeure, cette apprĂ©ciation relevant des diffĂ©rentes juridictions compĂ©tentes. L’objet du conflit entre pouvoirs de l’Etat Ă©tait uniquement d’établir si le GUP avait lĂ©sĂ© les prĂ©rogatives constitutionnelles de la Chambre des dĂ©putĂ©s. Or, en mĂ©connaissant l’importance de l’empĂŞchement invoquĂ© par le requĂ©rant, le GUP n’avait pas tenu compte des intĂ©rĂŞts, protĂ©gĂ©s par la Constitution, du Parlement. De plus, il avait rĂ©itĂ©rĂ© sa dĂ©cision Ă  l’occasion des audiences suivantes, sans la motiver, ce qui dĂ©montrait qu’il n’avait pas apprĂ©ciĂ© les circonstances particulières entourant chaque demande d’ajournement.

67. La Cour constitutionnelle souligna Ă©galement que le calendrier des activitĂ©s des chambres lĂ©gislatives Ă©tait sans doute chargĂ©, mais qu’il n’était a priori pas incompatible avec tout autre engagement des membres du Parlement. Il Ă©tait vrai que le respect du « dĂ©lai raisonnable Â» avait une importance particulière lorsque, comme en l’espèce, la procĂ©dure Ă©tait complexe et concernait plusieurs parties, ce qui augmentait les probabilitĂ©s d’un empĂŞchement de l’une d’elles. C’était pour cette raison que le CPP avait prĂ©vu des dispositions prĂ©cises en matière d’empĂŞchement des accusĂ©s. Cependant, en principe, il Ă©tait possible d’établir le calendrier des audiences en accord avec les parties afin de tenir compte des engagements parlementaires de certaines d’entre elles. Au lieu d’ignorer les engagements du requĂ©rant, le GUP aurait dĂ» rechercher s’il y avait un moyen de les concilier avec la participation de l’accusĂ© aux audiences prĂ©liminaires.

c) Le renvoi en jugement du requérant

68. Entre-temps, par une ordonnance du 15 novembre 1999, le GUP de Milan avait renvoyĂ© le requĂ©rant et ses sept coĂŻnculpĂ©s (Mes Pacifico et Acampora, MM. Metta, Squillante, Verde et Rovelli, et Mme Battistella) en jugement devant le tribunal de Milan.

5. Les débats devant le tribunal de Milan

a) L’ordonnance du 21 novembre 2001

69. L’arrĂŞt de la Cour constitutionnelle fut prononcĂ© après le renvoi en jugement du requĂ©rant, pendant le dĂ©roulement des dĂ©bats devant le tribunal de Milan. Le requĂ©rant demanda Ă  cette juridiction de dire qu’en consĂ©quence de l’arrĂŞt en question tous les actes accomplis après le 17 septembre 1999 devaient ĂŞtre considĂ©rĂ©s comme nuls et non avenus.

70. Par une ordonnance du 21 novembre 2001, le tribunal de Milan rejeta la demande du requĂ©rant. Il observa tout d’abord que, dans le cadre d’un conflit entre pouvoirs, la Cour constitutionnelle n’annulait pas une loi, mais se prononçait sur l’éventuelle atteinte aux attributions constitutionnelles d’une institution (en l’espèce la Chambre des dĂ©putĂ©s) ; en effet, en l’occurence, elle ne s’était prononcĂ©e ni sur l’interprĂ©tation des dispositions du CPP en matière d’empĂŞchement lĂ©gitime de l’accusĂ© ni sur la question de savoir si la demande d’ajournement du requĂ©rant Ă©tait bien fondĂ©e.

71. Le tribunal repoussa la thèse du requĂ©rant selon laquelle l’arrĂŞt de la Cour constitutionnelle entraĂ®nait automatiquement la nullitĂ© de l’audience prĂ©liminaire (ce qui aurait impliquĂ© un retour de la procĂ©dure Ă  la phase antĂ©rieure). En effet, la Cour constitutionnelle n’avait pas censurĂ© le rejet des demandes d’ajournement, mais la motivation ayant amenĂ© le GUP Ă  une telle conclusion. Certes, l’ordonnance du GUP du 17 septembre 1999 et toutes les autres dĂ©cisions similaires avaient Ă©tĂ© annulĂ©es par la Cour constitutionnelle. Il n’en demeurait pas moins qu’il appartenait au tribunal d’établir si l’empĂŞchement du requĂ©rant Ă©tait lĂ©gitime et justifiĂ© ; dans l’affirmative seulement, l’audience prĂ©liminaire et le renvoi en jugement seraient nuls et non avenus. Il n’y aurait violation des droits de la dĂ©fense que si l’accusĂ© avait effectivement le droit d’obtenir un ajournement des audiences auxquelles il n’avait pas participĂ©.

72. Le tribunal estima qu’il appartenait Ă  l’accusĂ© de prouver l’existence d’un empĂŞchement et le caractère absolu de celui-ci, et que le juge n’avait aucune obligation de vĂ©rification Ă  cet Ă©gard (voir Cour de cassation, sixième section, arrĂŞt no 9712 du 19 septembre 1995, ainsi que cinquième section, arrĂŞt no 11667 du 16 dĂ©cembre 1997). Lorsque l’accusĂ© Ă©tait empĂŞchĂ© en raison de sa participation aux dĂ©bats parlementaires, il ne lui suffisait pas de produire la convocation informelle Ă  la sĂ©ance Ă©mise par le chef d’un groupe parlementaire (comme le requĂ©rant l’avait fait), mais il lui fallait joindre les documents officiels relatifs aux travaux parlementaires et une preuve de sa prĂ©sence au sein de l’assemblĂ©e lĂ©gislative au moment de l’audience, comme cela ressortait d’un arrĂŞt de la Cour de cassation du 3 dĂ©cembre 1980. Or le requĂ©rant n’avait pas produit de tels documents et/ou preuves. Ce n’est que le 13 novembre 1999, et donc tardivement, que ses conseils ont soumis un document Ă©manant de la Chambre des dĂ©putĂ©s et indiquant, entre autres, qu’il avait siĂ©gĂ© au sein de l’assemblĂ©e lĂ©gislative les 22 septembre et 5 et 6 octobre 1999. Au demeurant, selon les dispositions en vigueur Ă  l’époque des faits, l’empĂŞchement d’un accusĂ© Ă  comparaĂ®tre Ă  l’audience prĂ©liminaire entraĂ®nait la nullitĂ© de celle-ci seulement s’il s’agissait de la première audience (celle oĂą les parties se constituent dans la procĂ©dure). Or les audiences des 17 et 22 septembre et 5 et 6 octobre 1999 n’avaient pas Ă©tĂ© les premières audiences prĂ©liminaires de la procĂ©dure en cause.

73. Le requĂ©rant souligne que, le 22 octobre 2001, avant le prononcĂ© de l’ordonnance litigieuse, M. Carfì, prĂ©sident de la chambre du tribunal de Milan chargĂ©e du procès, avait adressĂ© une lettre au prĂ©sident de la Chambre des dĂ©putĂ©s, demandant une copie du calendrier des travaux parlementaires. Le prĂ©sident de la Chambre des dĂ©putĂ©s avait rĂ©pondu en exprimant ses regrets relativement Ă  la divulgation du contenu du courrier en question Ă  la presse ; il prĂ©cisa que les dĂ©cisions concernant l’organisation des travaux de la Chambre des dĂ©putĂ©s Ă©taient publiĂ©es sur le site Internet de celle-ci.

74. Par ailleurs, Ă  l’audience du 21 novembre 2001, le conseil du requĂ©rant demanda un ajournement au motif que son client Ă©tait en train de voter sur la conversion en lois de certains dĂ©crets-lois. Le prĂ©sident du tribunal, observant qu’il ne ressortait pas du calendrier des travaux parlementaires dont il disposait que des votes devaient avoir lieu Ă©galement l’après-midi, ordonna la suspension de l’audience pour une durĂ©e d’une heure et invita le conseil du requĂ©rant Ă  produire un document officiel indiquant les activitĂ©s en cours Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s et la prĂ©sence de son client au sein de l’assemblĂ©e. Après la suspension, l’avocat du requĂ©rant dĂ©clara qu’il n’avait pas pu joindre son client ou obtenir les documents que le tribunal sollicitait, les travaux parlementaires Ă©tant en cours. Le tribunal donna lecture de deux ordonnances concernant respectivement la demande du requĂ©rant tendant Ă  l’annulation de son renvoi en jugement (paragraphes 70-72 ci-dessus) et la question de savoir si les Ă©lĂ©ments obtenus par commission rogatoire pouvaient ĂŞtre utilisĂ©s. Le reprĂ©sentant du parquet demanda la fixation de dates pour deux audiences qui avaient Ă©tĂ© annulĂ©es. Le tribunal rĂ©serva sa dĂ©cision et ajourna la procĂ©dure au 23 novembre 2001.

b) La nomination d’avocats d’office pour représenter le requérant

75. Par une lettre du 22 novembre 2001, le requĂ©rant rĂ©voqua le mandat qu’il avait confiĂ© aux deux avocats qu’il avait choisis (Mes Sammarco et Saponara ; ce dernier, par ailleurs, n’avait pas participĂ© Ă  la procĂ©dure et avait dĂ©signĂ©, dès le dĂ©but, Me Perroni pour le remplacer). Il prĂ©cisa qu’il ne souhaitait pas que ses conseils fussent obligĂ©s de subir des humiliations dans le cadre d’un procès oĂą les droits de la dĂ©fense et le principe de la prĂ©Ă©minence du droit n’étaient pas respectĂ©s.

76. A l’audience du 23 novembre 2001, le tribunal prit acte de la lettre du requĂ©rant et nomma Me Crea avocate d’office de l’intĂ©ressĂ©. Me Crea prĂ©cisa ne rien connaĂ®tre de l’affaire et sollicita un ajournement « d’au moins six mois Â» pour se familiariser avec le dossier. Le prĂ©sident du tribunal rĂ©pliqua que l’ajournement devait ĂŞtre plus bref ; il expliqua que l’audience suivante Ă©tait consacrĂ©e Ă  l’interrogatoire d’un tĂ©moin Ă  charge, Mme Ariosto, qui avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© entendue par le ministère public et, au cours de deux audiences consĂ©cutives (24 mai et 1er juin 2001), par les avocats du requĂ©rant. Dès lors, la prĂ©sence de Mme Ariosto Ă  l’audience suivante devait principalement permettre aux autres accusĂ©s de lui poser des questions. La procĂ©dure fut ajournĂ©e au 1er dĂ©cembre 2001.

77. A cette date, Me Crea rĂ©itĂ©ra sa demande d’ajournement de la procĂ©dure. Le prĂ©sident du tribunal observa que, le 30 novembre 2001, il avait informĂ© les avocats choisis par le requĂ©rant qu’au cas oĂą un nouvel ajournement serait demandĂ© et obtenu par Me Crea, avocate d’office de leur ancien client, l’article 107 §§ 3 et 4 du CPP trouverait Ă  s’appliquer. Aux termes de cette disposition, la rĂ©vocation du mandat confiĂ© Ă  un avocat ne prenait effet qu’à partir du moment oĂą un nouvel avocat reprĂ©sentait l’accusĂ© et oĂą le dĂ©lai octroyĂ© Ă  ce dernier pour se familiariser avec le dossier avait expirĂ©. Le tribunal rendit une ordonnance par laquelle il octroya Ă  Me Crea un dĂ©lai expirant le 12 janvier 2002 pour se familiariser avec le dossier. Il releva en outre que les avocats choisis par le requĂ©rant, dont la rĂ©vocation n’avait pas encore pris effet, avaient Ă©tĂ© informĂ©s de la date de l’audience et n’étaient pas prĂ©sents. Il nomma donc Me Totis avocate d’office du requĂ©rant pour l’audience en cours.

78. Me Totis, qui dĂ©fendait dĂ©jĂ  le juge Metta, releva un motif d’incompatibilitĂ© et demanda Ă  ĂŞtre dĂ©chargĂ©e du mandat. Le tribunal repoussa cette demande. Mme Ariosto fut interrogĂ©e par les reprĂ©sentants d’autres accusĂ©s. Me Totis dĂ©clara qu’en tant que reprĂ©sentante de M. Metta elle ne souhaitait poser aucune question Ă  Mme Ariosto ; en sa qualitĂ© d’avocate d’office du requĂ©rant, elle considĂ©ra qu’interroger ce tĂ©moin serait contraire Ă  la dĂ©ontologie professionnelle.

79. A l’audience du 12 janvier 2002, Me Crea demanda une prorogation du dĂ©lai qui lui avait Ă©tĂ© octroyĂ© pour Ă©tudier le dossier ; cette demande fut rejetĂ©e. Une discussion s’ensuivit au sujet des demandes du parquet tendant Ă  la production de certains documents bancaires et Ă  l’audition de nouveaux tĂ©moins. Me Crea dĂ©clara ne pas pouvoir intervenir car elle ne connaissait pas assez bien le dossier. Elle dĂ©posa en revanche des documents attestant un empĂŞchement parlementaire du requĂ©rant. La discussion continua Ă  l’audience suivante, qui se tint le 14 janvier 2002. MCrea ne fit aucune dĂ©claration.

80. Par une lettre du 28 janvier 2002, Mes Sammarco, Saponara et Perroni informèrent le tribunal que leur client leur avait demandé de continuer à le défendre. A partir de ce moment-là, le requérant fut représenté par les avocats de son choix.

81. A l’audience du 8 avril 2002, les avocats du requérant sollicitèrent une nouvelle audition de Mme Ariosto, observant que cette dernière avait été entendue seulement comme témoin à charge, et non comme témoin à décharge. Cette demande fut rejetée.

c) L’exception tirée par le requérant du manque de précision des chefs d’inculpation

82. A l’issue des investigations prĂ©liminaires, le parquet de Milan demanda le renvoi en jugement du requĂ©rant et de ses coĂŻnculpĂ©s. Dans la mesure oĂą ils concernaient le diffĂ©rend IMI/SIR, les chefs d’inculpation Ă©taient rĂ©digĂ©s comme suit en leurs passages pertinents :

« [Les prĂ©venus] sont accusĂ©s de l’infraction prĂ©vue et punie par les articles 81, 110, 112 no 1, 319, 319ter, 321 du CP car, au moyen de plusieurs actions en exĂ©cution d’un mĂŞme plan criminel, violant plusieurs fois par chacune d’elles la mĂŞme disposition et agissant de concert (in concorso) avec Rovelli Nino, dĂ©cĂ©dĂ©, et avec d’autres personnes, dont des magistrats – non identifiĂ©s – appartenant au district de la cour d’appel de Rome et des agents de la fonction publique ou [des personnes] chargĂ©es d’un service public de l’administration judiciaire, ils ont promis ou versĂ© des sommes d’argent pour faire commettre aux agents de la fonction publique une violation de leurs devoirs d’impartialitĂ©, de confidentialitĂ©, d’indĂ©pendance et de probitĂ© dans l’exercice de leurs fonctions, dans le but de favoriser Rovelli Nino et ses hĂ©ritiers aux diffĂ©rents stades de la procĂ©dure civile entre ces derniers et l’IMI – affaire traitĂ©e au fond d’abord par le tribunal puis par la cour d’appel de Rome (affaires jointes nos 3176/89 et 3250/89) et tranchĂ©e par un arrĂŞt ayant acquis l’autoritĂ© de la chose jugĂ©e Ă  la suite de la dĂ©claration d’irrecevabilitĂ© du pourvoi de l’IMI par la Cour de cassation. En particulier :

(...)

– ils ont versĂ©, en 1994, Ă  Acampora Giovanni, Pacifico Attilio et Previti Cesare, par virement bancaire, les sommes suivantes :

(...)

b) Previti, 18 000 000 CHF (21 019 140 000 ITL), SBS Genève, en faveur du compte 136183, rĂ©f. Filippo, transfert du 21.3.1994.

(...)

Acampora Giovanni, Pacifico Attilio et Previti Cesare ont reçu, d’un commun accord, les sommes indiquées ci-dessus, les destinant en partie à Metta Vittorio, à Squillante Renato, à Verde Filippo et à d’autres agents de la fonction publique ou [personnes] chargées d’un service public, non identifiés.

(...)

Metta Vittorio, en sa qualité d’agent de la fonction publique en tant que magistrat en service auprès de la cour d’appel de Rome, membre de la chambre qui a tranché les affaires jointes nos 3176/89 et 3250/89, a d’abord accepté puis reçu des sommes d’argent pour statuer sur ces affaires d’une manière favorable à la partie Rovelli et défavorable à la partie IMI, en violation des devoirs d’impartialité, de probité et d’indépendance inhérents à l’exercice de la fonction judiciaire.

(...)

Accords finalisĂ©s dans un lieu non prĂ©cisĂ© Ă  partir de 1986 et paiements effectuĂ©s dans des banques au Luxembourg, [dans la] ConfĂ©dĂ©ration helvĂ©tique, [au] Liechtenstein, [au] Royaume-Uni au moins jusqu’en 1994. Â»

83. Le GUP prononça le renvoi en jugement sur la base des chefs d’inculpation rédigés par le parquet.

84. A l’audience du 29 mai 2000 devant le tribunal de Milan, le requĂ©rant excipa d’un manque de prĂ©cision des chefs d’inculpation. Le 14 juillet 2000, le tribunal Ă©carta cette exception, estimant que les chefs d’inculpation indiquaient d’une manière suffisamment claire le schĂ©ma de l’activitĂ© de corruption et les rĂ´les jouĂ©s par les diffĂ©rents accusĂ©s.

d) La production des relevés téléphoniques et la jonction des procédures

85. Pendant les investigations préliminaires, le parquet obtint les relevés des appels émis et reçus sur les lignes téléphoniques de certains des accusés, parmi lesquels le requérant. A l’audience du 30 octobre 2000, il demanda que ces relevés fussent versés au dossier du juge.

86. Par une ordonnance du 15 janvier 2001, le tribunal de Milan annula, pour défaut de motivation, les décisions par lesquelles le parquet avait ordonné l’obtention des documents litigieux. S’agissant des décisions concernant les preuves, il estima que l’article 185 § 2 du CPP imposait de les renouveler. Par une ordonnance séparée, il ordonna donc la production des relevés en question, les jugeant utiles pour clarifier la nature des relations entre les accusés.

87. A l’audience du 28 janvier 2002, la procĂ©dure relative Ă  l’affaire IMI/SIR fut jointe Ă  celle concernant l’affaire Lodo Mondadori (paragraphe 19 ci-dessus).

6. Le jugement de première instance

88. Par un jugement du 29 avril 2003, le tribunal de Milan condamna le requérant à onze ans d’emprisonnement et à la peine accessoire d’interdiction permanente d’exercer une fonction publique (interdizione perpetua dai pubblici uffici).

89. Le requĂ©rant fut dĂ©clarĂ© coupable relativement aux faits de la procĂ©dure IMI/SIR et Ă  ceux de l’affaire Lodo Mondadori. Dans le cadre de la procĂ©dure IMI/SIR, les juges de première instance l’estimèrent responsable d’un Ă©pisode de corruption dans des actes judiciaires (ci-après l’« Ă©pisode Metta Â») et d’un Ă©pisode de corruption simple (ci-après l’« Ă©pisode Squillante Â»). Des peines d’emprisonnement furent Ă©galement infligĂ©es Ă  Mes Pacifico et Acampora, MM. Metta, Squillante et Rovelli et Ă  Mme Battistella. Le requĂ©rant et ses coĂŻnculpĂ©s furent en outre condamnĂ©s Ă  la rĂ©paration des dommages qu’ils avaient provoquĂ©s et qui, pour deux des parties civiles, s’élevaient au total Ă  896 000 000 EUR.

90. Dans la motivation de son jugement, qui comptait 536 pages, le tribunal examina les différentes irrégularités qui avaient été établies au cours des procédures civiles IMI/SIR et Lodo Mondadori et étudia en détail les transferts d’argent qui avaient eu lieu entre le requérant et ses coïnculpés. Ces transferts furent établis, entre autres, sur la base des documents bancaires reçus par commission rogatoire des autorités suisses et que le tribunal considéra comme fiables. Les explications données par les accusés ne furent pas jugées crédibles, au motif notamment que ni le requérant ni Mes Pacifico et Acampora n’avaient officiellement exercé une activité professionnelle dans le cadre des procédures civiles incriminées. Le versement d’honoraires exorbitants était donc injustifié. Le tribunal parvint à la conclusion que les mouvements d’argent en question constituaient, en réalité, la rémunération du requérant et de Mes Pacifico et Acampora pour leur rôle illicite d’intermédiaire ainsi que celle des juges corrompus impliqués dans les affaires.

91. Concernant le tĂ©moignage de Mme Ariosto, le tribunal observa que celle-ci n’avait rien relatĂ© quant aux faits spĂ©cifiques qui Ă©taient l’objet des chefs d’inculpation ; cependant, ses dĂ©clarations, bien qu’en partie contradictoires, dĂ©crivaient les relations entre certains accusĂ©s et constituaient donc un indice supplĂ©mentaire, mĂŞme s’il n’était pas dĂ©cisif, quant Ă  l’existence des accords de corruption.

92. Pour ce qui est du moment de la commission de l’infraction de corruption dans des actes judiciaires, le tribunal estima qu’il devait ĂŞtre fixĂ© Ă  une date postĂ©rieure au 17 mars 1992 (date d’entrĂ©e en vigueur de la loi no 181 de 1992 – paragraphe 167 ci-après) car le juge Metta avait Ă©tĂ© rĂ©munĂ©rĂ© après cette date pour ses actes de corruption.

7. Le comportement du président du tribunal de Milan au cours du procès de première instance et après le prononcé du jugement

93. La chambre du tribunal de Milan qui condamna le requérant était présidée par M. Carfì. Le requérant soutient que ce juge a fait preuve d’un comportement révélateur d’un manque d’impartialité. A cet égard, il s’appuie sur les éléments suivants.

94. Un article paru dans le quotidien L’UnitĂ  du 1er juin 2002 indiquait que M. Carfì Ă©coutait « avec un malaise (insofferenza) comprĂ©hensible les plaidoiries des avocats de Previti Â» et que face Ă  une question de la dĂ©fense visant Ă  savoir si la procĂ©dure aurait Ă©tĂ© suspendue dans l’attente d’une dĂ©cision de la Cour constitutionnelle, il avait rĂ©pondu : « MaĂ®tre, voulez-vous que je vous dise Ă©galement quand on prononcera le jugement et peut-ĂŞtre aussi que je vous [en] rĂ©vèle [le contenu] ? Â». M. Carfì aurait Ă©galement ironisĂ© sur le retard avec lequel Ă©tait arrivĂ©e une commission rogatoire.

95. Il ressort d’articles parus dans les quotidiens Il Giornale du 11 juillet 2002, La Stampa et Il Corriere della Sera du 21 juillet 2002, La Repubblica du 30 juillet 2002, et Il Corriere della Sera du 20 septembre 2002 que lors d’audiences publiques M. Carfì fit les dĂ©clarations suivantes :

« Les accusĂ©s qui souhaitent ĂŞtre interrogĂ©s sont invitĂ©s Ă  se prĂ©senter le 20 juillet pour donner leur accord (...). Lorsqu’ils l’auront donnĂ©, je commencerai leur audition. Il y a un an, j’étais disposĂ© Ă  conclure un accord quant aux interrogatoires. Maintenant, c’est moi qui dĂ©cide. Â»

« Le parquet de PĂ©rouse continue Ă  demander des pièces que nous n’avons pas. Il le sait car nous le lui avons expliquĂ© par un courrier du 7 juin. MalgrĂ© cela, il nous a prĂ©sentĂ© un ordre de production ad horas. Voici la lettre par laquelle j’ai rĂ©pondu que ces pièces ne font pas partie de ce procès, qu’elles ne l’ont jamais fait et que, compte tenu de nos ordonnances, elles ne le feront jamais dans le cadre de ces dĂ©bats. Â»

« Y a-t-il un autre empĂŞchement ? Comme on est passĂ© de un Ă  deux par jour, je me demandais s’il y en avait d’autres (...) Â»

« Tant qu’on y est, comme j’entends dire qu’il y aurait une « compĂ©tition Â» entre la chambre de ce tribunal et les autres institutions et que je lis que selon certains chroniqueurs on est en train de faire une course, je veux Ă©viter toute Ă©quivoque : nous ne ferons pas de « course Â». Nous ne prononcerons absolument aucun jugement avant la dĂ©cision de la Cour constitutionnelle. Certes, si la loi qu’on sait [la loi Cirami – voir ci-après] intervient entre-temps, on ne va rien prononcer du tout. Et attention : en l’état actuel de la lĂ©gislation, nous estimons avoir tout Ă  fait la lĂ©gitimitĂ© [nĂ©cessaire] pour prononcer un jugement. C’est pour des raisons de respect des institutions que nous ne prononcerons pas de jugement avant que la Cour constitutionnelle ait statuĂ©. Â»

96. Selon le quotidien L’UnitĂ  du 30 juillet 2002, M. Carfì avançait « tĂŞte baissĂ©e (a testa bassa), dĂ©cidĂ© Ă  ne rien accorder face aux manĹ“uvres dilatoires Â» ; le quotidien Il Messaggero du 6 aoĂ»t 2003 relata que face Ă  la demande des chroniqueurs visant Ă  savoir si dans la motivation du jugement de première instance il « s’était Ă´tĂ© une Ă©pine du pied Â», M. Carfì aurait rĂ©pondu « Je dirais que oui Â».

97. Le requĂ©rant note Ă©galement que le jugement de première instance commence par le prĂ©ambule suivant, qui montrerait l’hostilitĂ© des juges Ă  son Ă©gard :

« Ce tribunal a fait l’objet, ces deux dernières annĂ©es en particulier, des critiques les plus âpres et des accusations les plus graves – car c’est de cela qu’il s’agit – dans la salle d’audience et surtout en dehors, allant jusqu’à l’attaque, la plus infâme (infamante) qui soit pour un juge, accusant celui-ci d’être non pas au service de la loi mais aux ordres d’un parti politique ; des accusations que jamais, qu’il soit permis de le dire, un organe judiciaire n’a eu Ă  supporter en cours de procès. Il est inutile de rappeler tous ces propos, car ils sont totalement dĂ©pourvus de pertinence et n’ont pas troublĂ© la sĂ©rĂ©nitĂ© avec laquelle ce tribunal a accompli son travail pendant ces annĂ©es ; d’ailleurs, quiconque souhaitait en prendre connaissance pour les lire ou les entendre pouvait le faire. Le tribunal, comme il est de son devoir absolu, n’a jamais estimĂ© devoir rĂ©pondre, mĂŞme lorsque les rumeurs (vociare) autour du procès dĂ©passaient toute limite, y compris celle du droit de critique le plus contraignant et sacrĂ©, rumeurs qui oubliaient Ă©galement les règles minimales du respect dĂ» Ă  quiconque, mĂŞme Ă  un juge. Pour un magistrat, le cadre institutionnel pour rĂ©pondre Ă  des critiques et Ă  des accusations est la motivation du jugement, elle seule (qu’elle soit partagĂ©e ou non) pouvant rendre compte de l’honorabilitĂ© d’un tribunal de la RĂ©publique que, Ă  vrai dire, il y a lieu de prĂ©sumer jusqu’à preuve du contraire – pour protĂ©ger non le magistrat Ă  titre individuel mais d’autres intĂ©rĂŞts supĂ©rieurs. Â»

98. InterrogĂ© au sujet de ce prĂ©ambule, M. Carfì dĂ©clara que « les deux premières pages du jugement sont un accès d’orgueil (scatto d’orgoglio) après trois annĂ©es pendant lesquelles notre tribunal a fait l’objet de toutes sortes d’insultes, sans pouvoir rĂ©pondre Â» (voir l’entretien paru dans le quotidien Il Corriere della Sera du 8 aoĂ»t 2003).

99. Le requĂ©rant met Ă©galement en cause la partie du jugement de première instance dans laquelle le tribunal fixe la peine. Les passages incriminĂ©s se lisent comme suit :

« Il s’agit peut-ĂŞtre de moralisme, comme d’aucuns le prĂ©tendront sĂ»rement, mais ce tribunal estime qu’aucune excuse (scusante) ne peut ĂŞtre avancĂ©e par des accusĂ©s auxquels rien ni personne (ni leur situation familiale ni leur situation sociale ou financière) n’imposait de vendre ainsi leur impartialitĂ©, leur honnĂŞtetĂ© et leur professionnalisme. Ajoutons que les intĂ©ressĂ©s ont eu au cours du procès un très mauvais comportement (pessimo), et ce n’est pas peu dire, niant toute circonstance, mĂŞme la plus Ă©vidente, et montrant ainsi un manque absolu de « reconsidĂ©ration Â» (ripensamento), aussi minime soit-elle, de leur conduite. Un comportement qui – non seulement s’agissant de l’accusĂ© Previti mais aussi des autres accusĂ©s qui se sont souvent alignĂ©s sur sa conduite, aussi bien pendant le procès qu’en dehors de celui-ci – s’est traduit par une sĂ©rie de tentatives visant exclusivement Ă  empĂŞcher le dĂ©roulement du procès, par l’utilisation dĂ©tournĂ©e (strumentalmente) des moyens prĂ©vus par le code (...). Ils sont allĂ©s jusqu’à envoyer quelqu’un filmer en cachette deux « extraits Â» du Corriere della Sera affichĂ©s dans les locaux du greffe, dans un lieu oĂą le public n’avait pas accès. Â»

100. Par ailleurs, appelĂ© Ă  se prononcer sur un projet de loi destinĂ© Ă  rĂ©duire les dĂ©lais de prescription, M. Carfì s’exprima comme suit : « Que voulez-vous que je dise ? Que j’ai eu deux infarctus pour rien ? Peut-ĂŞtre [dire ça] serait humain. Cependant, je dois rester serein, on m’a dit de ne pas trop y penser. J’ai fait mon devoir de juge. Et je ferais Ă  nouveau exactement ce que j’ai fait Â». En fĂ©vrier 2006, il signa un « appel pour la justice Â», oĂą « l’abrogation des principales lois qui ont Ă©tĂ© adoptĂ©es presque exclusivement pour servir les intĂ©rĂŞts personnels de quelques personnes Â» Ă©tait indiquĂ© comme Ă©tant une « prioritĂ© absolue Â».

8. La procédure d’appel

a) L’appel du requérant

101. Le requérant interjeta appel du jugement du tribunal de Milan. Il demanda sa relaxe et réitéra pour l’essentiel les exceptions soulevées en première instance.

102. Il observa entre autres que les éléments de preuve à charge comportaient une note anonyme, trouvée dans le cabinet de Me Pacifico et dont le contenu correspondait en grande partie à certaines pages de l’arrêt civil concernant le différend IMI/SIR. Les juges de première instance avaient estimé que cette note prouvait que l’arrêt en question avait été rédigé par des personnes qui ne faisaient pas partie de l’ordre judiciaire. Or cette pièce ne figurait pas parmi les éléments de preuve à charge mentionnés dans les chefs d’inculpation.

b) La réouverture de l’instruction

103. La cour d’appel ordonna la réouverture de l’instruction afin que les accusés fussent entendus sur la question de la valeur probatoire des documents trouvés chez Me Pacifico.

c) L’arrêt de la cour d’appel

104. Par un arrĂŞt du 23 mai 2005, dont la motivation comptait 856 pages, la cour d’appel de Milan confirma la condamnation du requĂ©rant dans l’affaire IMI/SIR, le considĂ©rant coupable des Ă©pisodes « Metta Â» et « Squillante Â». Ayant Ă©cartĂ© une circonstance aggravante, elle ramena la peine infligĂ©e Ă  sept ans d’emprisonnement. Appliquant le rĂ©gime de « l’infraction continue Â» (reato continuato), elle indiqua que l’infraction la plus grave Ă©tait l’épisode « Metta Â», punissable d’une peine d’emprisonnement de six ans, qu’il y avait lieu de majorer d’un an pour la deuxième infraction (Ă©pisode « Squillante Â»). Elle relaxa le requĂ©rant dans le cadre de l’affaire Lodo Mondadori.

105. Pour ce qui Ă©tait de l’impossibilitĂ©, pour la dĂ©fense, d’avoir accès au dossier no 9520/95 (paragraphes 36-47 ci-dessus), la cour d’appel observa que l’éventuelle insuffisance de l’instruction menĂ©e par le parquet concernait une question qui touchait le fond de l’affaire et n’entraĂ®nait donc pas la nullitĂ© de la demande de renvoi en jugement. Par ailleurs, si le requĂ©rant souhaitait produire de nouvelles preuves, il pouvait demander la rĂ©ouverture de l’instruction. La possibilitĂ© hypothĂ©tique que le dossier no 9520/95 comportât des preuves Ă  dĂ©charge ne justifiait pas, Ă  elle seule, une telle rĂ©ouverture. Quoi qu’il en soit, un Ă©ventuel comportement fautif du parquet, qui n’aurait pas versĂ© au dossier prĂ©vu Ă  l’article 416 § 2 du CPP tous les documents concernant les faits de la cause, n’était sanctionnĂ© par aucune disposition du CPP et n’entraĂ®nait aucune nullitĂ©.

106. La cour d’appel rejeta les allĂ©gations du requĂ©rant concernant le dĂ©faut allĂ©guĂ© de prĂ©cision des chefs d’inculpation (paragraphe 102 ci-dessus). Elle observa que le principe de la correspondance entre l’accusation et la sentence n’empĂŞchait pas le juge d’attacher de l’importance Ă  des Ă©lĂ©ments que le parquet n’avait pas mentionnĂ©s dans les chefs d’inculpation ou dans ses conclusions, tels que la note manuscrite trouvĂ©e chez Me Pacifico.

107. Quant à la production des relevés téléphoniques (paragraphes 85-87 ci-dessus), la cour d’appel estima, eu égard au défaut de motivation des décisions du parquet à cet égard, que le tribunal n’aurait pas dû conclure à la nullité de cette mesure, mais aurait dû interdire l’utilisation des relevés en question. Par ailleurs, afin de remédier au vice constaté, le tribunal aurait dû, à la fin de la production des preuves, ordonner la saisie des relevés. Cependant, le fait que le tribunal eût choisi une voie différente, à savoir le prononcé d’une décision ordonnant la production d’office des éléments de preuve litigieux, s’analysait en une simple irrégularité qui n’entraînait aucune nullité.

108. Quant Ă  la question de savoir si le requĂ©rant, en tant que corrupteur, pouvait ĂŞtre puni en vertu des articles 319ter et 321 du CP, cette dernière disposition ayant Ă©tĂ© modifiĂ©e par la loi no 181 de 1992 (paragraphes 164-167 ci-après), la cour d’appel estima que l’accord de corruption requis par ces dispositions pouvait intervenir soit avant soit après l’accomplissement de l’acte judiciaire incriminĂ©. Il s’ensuivait que, pour les faits antĂ©rieurs au 17 mars 1992 (date d’entrĂ©e en vigueur de la loi no 181 de 1992), le requĂ©rant devait ĂŞtre puni pour corruption simple (infraction prĂ©vue par l’article 319 du CP) ; pour les faits postĂ©rieurs, il devait ĂŞtre condamnĂ© pour corruption dans des actes judiciaires (infraction prĂ©vue par l’article 319ter du CP).

109. La cour d’appel considĂ©ra en outre que la somme versĂ©e au juge Metta dans l’affaire IMI/SIR en rĂ©munĂ©ration des actes de corruption s’élevait, en rĂ©alitĂ©, Ă  400 000 000 ITL, somme qui, dans les chefs d’inculpation, Ă©tait mentionnĂ©e comme ayant Ă©tĂ© payĂ©e dans le cadre de l’affaire Lodo Mondadori. Le juge du fond appelĂ© Ă  se prononcer sur l’existence d’une corruption devait Ă©valuer correctement les faits concernant le paiement des sommes litigieuses, sans ĂŞtre liĂ© par les thèses de l’accusation Ă  cet Ă©gard. Une telle approche ne violait pas les droits de la dĂ©fense des accusĂ©s car ceux-ci avaient eu la possibilitĂ© de se dĂ©fendre sur « la substance Â» des chefs d’inculpation, c’est-Ă -dire sur le fait que M. Metta disposait de sommes incompatibles avec ses revenus lĂ©gaux, ce qui laissait supposer l’existence d’un accord de corruption.

9. Le deuxième conflit entre pouvoirs de l’Etat

110. Dans l’intervalle, le 11 janvier 2005, la Chambre des députés avait soulevé un nouveau conflit entre pouvoirs de l’Etat. Elle alléguait que certaines ordonnances rendues dans les procédures judiciaires dirigées contre le requérant, notamment celle du 21 novembre 2001 relative à la procédure IMI/SIR (paragraphes 70-72 ci-dessus), ainsi que les jugements de condamnation prononcés en première instance contre l’intéressé avaient violé les prérogatives constitutionnelles du Parlement.

111. Par l’arrĂŞt no 451 du 12 dĂ©cembre 2005, la Cour constitutionnelle accueillit en partie le recours de la Chambre des dĂ©putĂ©s. Elle dĂ©clara qu’il n’appartenait pas au tribunal de Milan d’affirmer : a) que le GUP n’était pas tenu de prendre des mesures pour obtenir la preuve de l’empĂŞchement du requĂ©rant et que la lettre de convocation du chef du groupe parlementaire n’était pas pertinente Ă  cet Ă©gard ; b) qu’il y avait empĂŞchement lĂ©gitime seulement lorsque des votes Ă©taient prĂ©vus au sein de l’assemblĂ©e lĂ©gislative et que la prĂ©sence effective de l’accusĂ© aux dĂ©bats parlementaires Ă©tait prouvĂ©e.

112. La Cour constitutionnelle observa que le tribunal de Milan avait rejeté les allégations du requérant, notamment sur la base de l’argument selon lequel il pouvait y avoir nullité de l’audience préliminaire seulement si l’absence de l’accusé concernait la première audience, et non les audiences ultérieures. Le tribunal avait en outre estimé que l’arrêt no 225 de 2001 n’entraînait pas automatiquement la nullité de tous les actes accomplis par le GUP. Il s’agissait là d’interprétations des dispositions internes qui ne pouvaient pas être censurées dans le cadre d’un conflit entre pouvoirs.

113. La Cour constitutionnelle considéra en outre que les jugements de condamnation prononcés contre le requérant ne contenaient aucune affirmation portant atteinte aux attributions et prérogatives constitutionnelles du Parlement.

114. Quant aux consĂ©quences de son arrĂŞt, la Cour constitutionnelle prĂ©cisa que l’atteinte aux prĂ©rogatives du Parlement entraĂ®nait l’annulation de l’ordonnance du 21 novembre 2001 et d’autres ordonnances similaires dans la mesure oĂą la motivation de ces mesures Ă©tait constitutive d’une telle atteinte. Il appartenait aux juges du fond d’évaluer les consĂ©quences Ă©ventuelles de cette annulation du point de vue procĂ©dural.

115. La cour d’appel de Milan et la Cour de cassation rejetèrent les allégations du requérant selon lesquelles l’audience préliminaire devait être déclarée nulle et non avenue en conséquence de l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 451 de 2005.

10. La procédure en cassation

a) Les pourvois du requérant, du parquet et de la partie civile

116. Le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Milan. Il réitéra, en substance, les exceptions formulées en première et deuxième instances.

117. Le parquet et l’une des parties civiles se pourvurent en cassation contre la relaxe du requérant dans l’affaire Lodo Mondadori.

b) L’entrée en vigueur de la loi no 251 de 2005 et le recours incident de constitutionnalité formé par le requérant

118. Alors que le pourvoi du requĂ©rant Ă©tait pendant en cassation, le Parlement adopta la loi no 251 du 5 dĂ©cembre 2005, qui entra en vigueur le 8 dĂ©cembre 2005. Ce texte modifiait, entre autres, le dĂ©lai de prescription pour les infractions pĂ©nales ; en particulier, le dĂ©lai de prescription pour l’infraction de corruption dans des actes judiciaires passa de quinze Ă  huit ans ; il pouvait ĂŞtre prorogĂ© jusqu’à dix ans. La date de la commission de l’infraction reprochĂ©e au requĂ©rant pouvant ĂŞtre fixĂ©e en dĂ©cembre 1993, ses Ă©lĂ©ments constitutifs auraient donc Ă©tĂ© prescrits fin 2003.

119. Cependant, l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005 Ă©nonçait :

« Si, en consĂ©quence des nouvelles dispositions, les dĂ©lais de prescription sont plus courts, ces dispositions s’appliquent aux procĂ©dures et aux procès en cours Ă  la date d’entrĂ©e en vigueur de la prĂ©sente loi, exception faite des procès pendants en première instance oĂą il y a eu dĂ©claration d’ouverture des dĂ©bats, ainsi que des procès [qui sont] pendants en deuxième instance ou devant la Cour de cassation Â».

En vertu de cette disposition, le requérant, dont le procès était pendant en cassation, ne put bénéficier des modifications relatives au régime de prescription.

120. Le 13 avril 2006, observant qu’un recours incident de constitutionnalitĂ© concernant l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005 Ă©tait pendant devant la Cour constitutionnelle, le requĂ©rant demanda Ă  la Cour de cassation d’ajourner l’examen de son pourvoi dans l’attente de la dĂ©cision de la Cour constitutionnelle. A l’audience du 19 avril 2006, la Cour de cassation rejeta la demande d’ajournement prĂ©sentĂ©e par le requĂ©rant. Le 28 avril 2006, l’avocat du requĂ©rant excipa de l’inconstitutionnalitĂ© de l’article 10 de la loi no 251 de 2005, demandant la suspension de la procĂ©dure et le renvoi du dossier Ă  la Cour constitutionnelle.

c) L’arrêt de la Cour de cassation

i. Le dispositif

121. Par un arrĂŞt du 4 mai 2006, dont le texte fut dĂ©posĂ© au greffe le 5 octobre 2006, la sixième section de la Cour de cassation, prĂ©sidĂ©e par M. Ambrosini et composĂ©e de quatre autres juges, cassa, sans ordonner un renvoi, l’arrĂŞt d’appel concernant l’un des Ă©pisodes de corruption reprochĂ©s au requĂ©rant – l’épisode « Squillante Â». Elle estima que les faits en question ne s’étaient pas produits (perchĂ© il fatto non sussiste). Dès lors, la peine infligĂ©e Ă  l’intĂ©ressĂ© fut ramenĂ©e Ă  six ans d’emprisonnement, après dĂ©duction de l’annĂ©e de dĂ©tention que la cour d’appel de Milan avait infligĂ©e pour l’épisode « Squillante Â» (paragraphe 104 ci-dessus). Elle dĂ©bouta le requĂ©rant de son pourvoi pour le surplus.

122. La Cour de cassation accueillit en revanche les pourvois du parquet et de la partie civile relatifs à l’affaire Lodo Mondadori. Elle cassa la relaxe du requérant dans cette dernière affaire et renvoya l’affaire devant la cour d’appel de Milan.

ii. La question de la constitutionnalitĂ© de la loi no 251 de 2005

123. La Cour de cassation prit acte de ce que le requĂ©rant contestait la constitutionnalitĂ© de l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005 ; cependant, cette disposition ne violait pas l’égalitĂ© des citoyens devant la loi car elle traitait diffĂ©remment les accusĂ©s sur la base d’un fait objectif, Ă  savoir l’incidence de la prescription sur les diffĂ©rentes phases du procès. Par ailleurs, la Constitution n’imposait pas la rĂ©troactivitĂ© de la loi pĂ©nale la plus favorable et le lĂ©gislateur jouissait d’une large marge d’apprĂ©ciation lorsqu’il rĂ©glementait l’application dans le temps des modifications Ă  la loi pĂ©nale. Seules des règles manifestement dĂ©raisonnables Ă©taient inconstitutionnelles.

124. En l’espèce, l’article 10 § 3 n’était pas entachĂ© d’arbitraire. Cette disposition visait Ă  garantir la sĂ©curitĂ© juridique dans le cadre de procès qui se trouvaient Ă  un stade avancĂ©. Certes, la ligne de dĂ©marcation choisie par l’article 10 § 3 n’était pas idĂ©ale, mais elle n’était pas discriminatoire et ne constituait pas une source d’abus.

125. A la lumière de ce qui précède, et conformément à la jurisprudence d’autres sections de la Cour de cassation (voir les arrêts de la cinquième section nos 9589 du 20 janvier 2006 et 9601 du 25 janvier 2006, ainsi que les arrêts de la même section des 12 et 13 avril 2006 dans les affaires Chizzola et Di Primio), la sixième section jugea manifestement mal fondée la question de constitutionnalité soulevée par le requérant.

iii. La compétence ratione loci du tribunal de Milan

126. Quant Ă  la question de la compĂ©tence ratione loci, la Cour de cassation souligna que lorsque, comme en l’espèce, une exception Ă  cet Ă©gard avait Ă©tĂ© soulevĂ©e avant la clĂ´ture des plaidoiries de l’audience prĂ©liminaire, elle pouvait ĂŞtre rĂ©itĂ©rĂ©e devant les juges du fond ; cependant, ces derniers ne devaient utiliser que les Ă©lĂ©ments disponibles au moment de l’audience prĂ©liminaire, sans se livrer Ă  des actes d’instruction. En l’espèce, il Ă©tait vrai que le parquet de PĂ©rouse avait ouvert Ă  une date antĂ©rieure des poursuites sur la base de la dĂ©nonciation de M. Arcuti (paragraphe 26 ci-dessus) mais, aux fins de la dĂ©termination de la compĂ©tence ratione loci, il fallait examiner non le contenu de cette dĂ©nonciation mais l’avis d’infraction inscrit par le ministère public dans le registre officiel. Or les poursuites entamĂ©es par le parquet de PĂ©rouse concernaient l’infraction de divulgation d’informations couvertes par le secret, et non des Ă©pisodes de corruption comme les poursuites ouvertes Ă  Milan.

iv. Les questions liées au dossier no 9520/95

127. Concernant l’impossibilitĂ© pour la dĂ©fense d’avoir accès au dossier no 9520/95, la Cour de cassation observa que le CPP ne prĂ©voyait aucun contrĂ´le visant Ă  Ă©tablir si le parquet avait versĂ© toutes les pièces pertinentes au dossier prĂ©vu Ă  l’article 416 § 2 du CPP ; la violation de cette disposition Ă©tait sanctionnĂ©e uniquement par l’impossibilitĂ© d’utiliser les pièces non versĂ©es au dossier et n’entraĂ®nait pas la nullitĂ© de l’audience prĂ©liminaire ou de l’ordonnance de renvoi en jugement. Cette façon de procĂ©der aurait pu soulever la question d’une atteinte potentielle au droit de l’accusĂ© de participer Ă  son procès (diritti partecipativi dell’imputato) ; il n’en demeurait pas moins qu’elle n’emportait aucune violation automatique des droits de la dĂ©fense. Celle-ci aurait par contre dĂ» prouver, Ă©ventuellement Ă  l’aide d’élĂ©ments obtenus au moyen de ses propres investigations, qu’il existait des pièces pertinentes qui n’avaient pas Ă©tĂ© transmises au GUP.

v. L’allégation de manque de précision des chefs d’inculpation

128. Quant Ă  cette allĂ©gation, la Cour de cassation estima que les chefs d’inculpation Ă©taient clairs et complets ; ils ne se bornaient pas Ă  Ă©noncer les infractions, mais en prĂ©cisaient, quand bien mĂŞme de manière synthĂ©tique, les modalitĂ©s d’exĂ©cution et le rĂ´le jouĂ© par les diffĂ©rents accusĂ©s en vue de l’obtention d’un certain rĂ©sultat dans la procĂ©dure civile IMI/SIR. Il n’y aurait violation du principe de la corrĂ©lation entre l’accusation et la sentence que si la conduite pour laquelle un prĂ©venu Ă©tait condamnĂ© Ă©tait totalement diffĂ©rente, en ses Ă©lĂ©ments constitutifs, de celle Ă©noncĂ©e dans les chefs d’inculpation. En revanche, une simple modification concernant les modalitĂ©s d’exĂ©cution de l’action criminelle n’entraĂ®nait aucune mĂ©connaissance des droits de la dĂ©fense. Le fait que la somme de 400 000 000 ITL dont disposait le juge Metta Ă©tait liĂ©e non pas Ă  l’affaire Lodo Mondadori mais Ă  l’affaire IMI/SIR n’avait pas modifiĂ© le « noyau central Â» de l’accusation, c’est-Ă -dire l’accord de corruption conclu entre des particuliers et le juge Metta.

vi. L’obtention des relevés téléphoniques

129. Quant à la question de l’obtention des relevés téléphoniques, la Cour de cassation estima ne pas pouvoir accepter l’argument de la défense selon lequel le tribunal de Milan aurait dû ordonner non la production des documents litigieux en possession du parquet mais leur saisie chez l’opérateur téléphonique concerné. Elle observa que la provenance et l’authenticité de ces documents ne faisaient aucun doute et que le tribunal n’avait pas régularisé a posteriori la conduite du parquet, mais avait, de manière autonome, ordonné l’obtention des relevés là où ils étaient disponibles.

vii. Le moment de la commission de l’infraction de corruption dans des actes judiciaires

130. Quant au moment de la commission de l’infraction prĂ©vue par l’article 319ter du CP (corruption dans des actes judiciaires), la Cour de cassation prĂ©cisa que l’accord de corruption devait en principe prĂ©cĂ©der l’accomplissement de l’acte judiciaire incriminĂ©. Cependant, le versement effectif de la rĂ©munĂ©ration de la corruption, effectuĂ© jusqu’en dĂ©cembre 1993 en exĂ©cution de l’accord entre les corrupteurs et l’agent de la fonction publique corrompu, avait « absorbĂ© Â» cet accord et opĂ©rĂ© un « dĂ©placement en avant dans le temps Â» (sposatamento in avanti nel tempo) du moment de la perpĂ©tration de l’infraction. Il s’ensuivait que le requĂ©rant pouvait ĂŞtre condamnĂ© en tant que corrupteur aux termes des articles 319ter et 321 du CP (paragraphes 164-167 ci-après).

12. L’arrêt de la Cour constitutionnelle no 393 de 2006

131. Par l’arrĂŞt no 393 du 23 octobre 2006, la Cour constitutionnelle dĂ©clara inconstitutionnel l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005 en ce qui concerne les termes suivants : « pour les procès pendants en première instance oĂą il y a eu dĂ©claration d’ouverture des dĂ©bats, ainsi que Â» (limitatamente alle parole « dei processi giĂ  pendenti in primo grado ove vi sia stata la dichiarazione di apertura del dibattimento, nonchĂ© Â»).

132. Elle observa que se posait en l’espèce la question de savoir si le choix de fixer au moment de la dĂ©claration d’ouverture des dĂ©bats le dĂ©lai pour bĂ©nĂ©ficier des dispositions plus favorables de la loi no 251 de 2005 Ă©tait raisonnable. La Cour constitutionnelle pencha pour la nĂ©gative. En effet, l’ouverture des dĂ©bats n’avait aucun lien significatif avec la prescription. Elle n’existait pas dans tous les procès de première instance et, Ă  la diffĂ©rence du jugement de condamnation, ne pouvait pas interrompre le dĂ©lai de prescription.

13. La requĂŞte no 35201/06

133. Le 22 aoĂ»t 2006, le requĂ©rant introduisit une requĂŞte devant la Cour (no 35201/06). Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention ainsi que l’article 2 du Protocole no 7, il se plaignait du refus de la Cour de cassation d’ajourner la date de l’audience dans l’attente de la dĂ©cision de la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalitĂ© de l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005 et du rejet du recours incident de constitutionnalitĂ© prĂ©sentĂ© par son avocat Ă  l’audience du 28 avril 2006.

134. Par une décision du 12 avril 2007, la Cour (deuxième section) déclara cette requête irrecevable, en partie pour défaut manifeste de fondement et en partie pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention.

14. Le comportement du président de la sixième section de la Cour de cassation

a) La lettre de M. Ambrosini à la ministre de l’Education nationale

135. En 2003, alors que le procès du requĂ©rant Ă©tait pendant en première ou deuxième instance, M. Ambrosini, prĂ©sident de la sixième section de la Cour de cassation, adressa une lettre Ă  la ministre de l’Education nationale, dans laquelle il critiqua un projet de rĂ©forme de l’ordre judiciaire, qu’il considĂ©ra hostile Ă  la magistrature dans son ensemble et portant atteinte Ă  son indĂ©pendance. Il cita ensuite l’affaire d’un certain Muccioli, une personnalitĂ© publique qui « luttait dans le procès et non contre le procès afin que son innocence fĂ»t reconnue Â». De l’avis de M. Ambrosini, M. Muccioli « avait eu raison, les juges n’étant pas fous et la bataille procĂ©durale ayant abouti Ă  une solution Ă©quitable Â». Selon le requĂ©rant, ce passage constituait une rĂ©fĂ©rence implicite Ă  sa situation. En effet, il avait souvent Ă©tĂ© accusĂ© de « se dĂ©fendre du procès Â» (difendersi dal processo – expression italienne signifiant que l’accusĂ© utilise les moyens de procĂ©dure pour Ă©viter d’être jugĂ©). Ainsi, il estimait que M. Ambrosini souhaitait opposer sa conduite, jugĂ©e incorrecte, Ă  celle, jugĂ©e irrĂ©prochable, de M. Muccioli.

b) Les idées politiques de M. Ambrosini

136. Le requĂ©rant rappelle Ă©galement que M. Ambrosini Ă©tait connu pour ses opinions d’extrĂŞme gauche. Il Ă©tait membre de l’association de magistrats Magistratura Democratica (paragraphe 141 ci-après) et, en 1979, s’était portĂ© candidat aux Ă©lections lĂ©gislatives pour le Parti communiste italien. Le requĂ©rant attire l’attention de la Cour sur certains extraits des publications de M. Ambrosini, qui dĂ©montreraient que celui-ci prenait ses fonctions de juge comme un vĂ©ritable engagement politique. Il se rĂ©fère, notamment, Ă  un ouvrage publiĂ© en 1970 intitulĂ© « Rapport sur la rĂ©pression Â», Ă  un article intitulĂ© « Une vieille loi pour de nouveaux criminels Â» paru dans la revue Quale Giustizia en janvier 1975, Ă  un article paru dans la revue Nuova societĂ  du 27 octobre 1979 et au livre « La Constitution expliquĂ©e Ă  ma fille Â», publiĂ© en 2004.

15. Le « contexte politique Â» du procès IMI/SIR

137. Dans son formulaire de requête, le requérant a longuement insisté sur le contexte politique du procès pénal IMI/SIR, qui expliquerait l’acharnement judiciaire dont il aurait été victime.

138. Il soutient que de 1996 Ă  2006 la vie publique italienne fut caractĂ©risĂ©e par le conflit entre la magistrature et une partie de la classe politique. Aux yeux des magistrats, le requĂ©rant n’était pas un prĂ©venu quelconque, mais l’un des principaux collaborateurs de M. Berlusconi. En 1994, le requĂ©rant avait exposĂ© son projet de rĂ©forme du CSM, consistant Ă  sĂ©parer la carrière des juges de celle des magistrats du parquet. Ce projet suscita des rĂ©actions très vives et mille magistrats du parquet, parmi lesquels ceux qui furent ensuite chargĂ©s du dossier du requĂ©rant, signèrent un document critiquant la « rĂ©forme Previti Â».

139. Le requĂ©rant se rĂ©fère Ă©galement aux dĂ©clarations faites par le procureur gĂ©nĂ©ral adjoint du tribunal de Milan, M. Gerardo D’Ambrosio, qui avait parlĂ© de l’existence d’un « conflit entre pouvoir politique et pouvoir judiciaire Â» et d’une « attaque systĂ©matique contre la magistrature Â» (voir entretien au Corriere della sera du 27 juin 2002), et aux vicissitudes de la loi no 367 de 2001 concernant « la ratification et l’application de l’accord entre l’Italie et la Suisse en vue de complĂ©ter la Convention europĂ©enne d’entraide judiciaire en matière pĂ©nale du 20 avril 1959 et d’en faciliter l’application, fait Ă  Rome le 10 septembre 1998, ainsi que les modifications pertinentes au CP et au CPP Â». Cette loi aurait dĂ» ĂŞtre appliquĂ©e dans le cadre du procès IMI/SIR, Ă©tant donnĂ© que plusieurs preuves Ă  la charge du requĂ©rant se fondaient sur des documents transmis depuis l’étranger. Or les magistrats de Milan se sont opposĂ©s Ă  cette loi, ont envisagĂ© une grève et ont mĂŞme organisĂ© des rĂ©unions en vue de trouver un subterfuge pour ne pas l’appliquer. M. Borrelli, procureur en chef de Milan, la critiqua ouvertement (voir entretien au quotidien La Repubblica du 13 juin 2002). Le requĂ©rant soutient que les juges du procès IMI/SIR se sont ralliĂ©s Ă  ses vues et ont, en substance, refusĂ© d’appliquer la loi no 367 de 2001.

140. Le requĂ©rant relate aussi les vicissitudes de la loi no 248 du 7 novembre 2002 (dite « loi Cirami Â»), qui a modifiĂ© l’article 45 du CPP en rĂ©introduisant la possibilitĂ©, dĂ©jĂ  prĂ©vue dans le CPP de 1930, de demander le transfert du procès Ă  un autre tribunal (rimessione del processo) pour des raisons de « suspicion lĂ©gitime Â» (legittimo sospetto) de manque d’impartialitĂ© du juge. De l’avis du requĂ©rant, la loi no 248 de 2002 ne faisait qu’introduire un progrès juridique. Cependant, elle fut critiquĂ©e par de nombreux magistrats. Le requĂ©rant attire en particulier l’attention de la Cour sur les dĂ©clarations faites par M. Gerardo D’Ambrosio et relatĂ©es, entre juillet et dĂ©cembre 2002 par les quotidiens La Repubblica, Il Corriere della Sera, La Stampa, Il Messaggero, L’UnitĂ  et Il Giornale. M. D’Ambrosio soutenait, pour l’essentiel, que la loi « Cirami Â» poursuivait non pas l’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral, mais le but de soustraire le requĂ©rant et M. Berlusconi Ă  la juridiction du tribunal de Milan.

141. Le requĂ©rant allègue Ă©galement qu’un courant de la magistrature, Magistratura Democratica, a exercĂ© des pressions sur le procès IMI/SIR, en dĂ©signant le requĂ©rant comme un ennemi, en critiquant ses stratĂ©gies dĂ©fensives et en le qualifiant d’« accusĂ© plus Ă©gal que d’autres devant la loi Â». De nombreux articles furent publiĂ©s sur les nos 2 et 4 de 2002 de la revue Questione Giustizia, Ă©ditĂ©e par l’association de magistrats en question.

142. A la suite de la publication de ces articles, le requĂ©rant demanda Ă  M. Pepino, prĂ©sident de l’association Magistratura Democratica, de lui transmettre la liste des membres de l’association en vue de l’obtention d’informations utiles dans le cadre de ses recours en rĂ©cusation ou de ses demandes de transfert du procès. M. Pepino rĂ©pondit par la nĂ©gative, observant que la loi sur la protection de la vie privĂ©e (loi no 675 de 1996) ne permettait pas la communication des donnĂ©es sans l’accord prĂ©alable des personnes concernĂ©es. M. Pepino accusa ensuite le requĂ©rant de « maccarthysme Â», d’avoir pour but « de se dĂ©fendre du procès et non pas dans le procès Â» (voir l’entretien paru dans le quotidien La Repubblica du 9 juillet 2002) et de construire une « chasse aux sorcières hors du temps Â» basĂ©e sur la dĂ©formation de la rĂ©alitĂ© (voir l’article publiĂ© dans le no 5 de 2002 de la revue Questione Giustizia).

143. La question de la liste des membres de Magistratura Democratica fut abordĂ©e Ă©galement par M. D’Ambrosio, qui, dans un entretien rapportĂ© par le quotidien La Repubblica du 13 juillet 2002, affirma que la demande du requĂ©rant s’analysait en une « provocation Â» inscrite dans le cadre d’une campagne visant Ă  priver de lĂ©gitimitĂ© la magistrature.

144. Dans un document du 13 juillet 2002, l’Association nationale des magistrats (ci-après l’« ANM Â») dĂ©clara qu’elle aurait rĂ©pondu Ă  toute question concernant l’appartenance des magistrats Ă  un ou Ă  plusieurs courants de la magistrature en dĂ©clarant que tous ses membres appartenaient aux courants en question.

16. L’affaire Lodo Mondadori

145. A la suite de l’annulation par la Cour de cassation de la relaxe du requĂ©rant relativement aux infractions qui lui Ă©taient reprochĂ©es dans le cadre de l’affaire Lodo Mondadori (paragraphe 122 ci-dessus), cette affaire fut renvoyĂ©e devant la cour d’appel de Milan. Par un arrĂŞt du 23 fĂ©vrier 2007, celle-ci condamna le requĂ©rant pour corruption dans des actes judiciaires Ă  un an et six mois d’emprisonnement. Selon cet arrĂŞt, la somme de 400 000 000 ITL dont le juge Metta disposait lui avait Ă©tĂ© versĂ©e pour le corrompre. Aux yeux de la cour d’appel, rien n’excluait que cette somme reprĂ©sentait la rĂ©munĂ©ration de ce juge, tant pour l’affaire IMI/SIR que pour l’affaire Lodo Mondadori.

146. Le requĂ©rant se pourvut en cassation, mais il fut dĂ©boutĂ© par un arrĂŞt du 13 juillet 2007. La Cour de cassation estima, entre autres, que la cour d’appel n’avait pas violĂ© le principe ne bis in idem, car l’augmentation des ressources financières de M. Metta et l’établissement de leur provenance constituaient des preuves de l’infraction. La somme utilisĂ©e par M. Metta pour acheter un immeuble ne constituait pas la rĂ©munĂ©ration de la corruption, mais reprĂ©sentait un indice significatif de la commission de l’infraction. L’utilisation de cet indice dans l’affaire Lodo Mondadori n’était pas incompatible avec les dĂ©cisions dĂ©finitives adoptĂ©es dans l’affaire IMI/SIR.

147. Le requérant s’est plaint du manque d’équité de la procédure Lodo Mondadori dans le cadre de la requête no 1845/08, introduite devant la Cour le 21 décembre 2007. A ce jour, la Cour n’a adopté aucune décision dans le cadre de cette requête.

17. Les différentes procédures pénales menées contre le requérant

148. Le requĂ©rant fut poursuivi pour plusieurs Ă©pisodes de corruption. Outre les procĂ©dures IMI/SIR et Lodo Mondadori, deux autres procès, « Ariosto Â» et « SME Â», furent dirigĂ©s contre lui. Il attire l’attention de la Cour sur les faits suivants.

149. Du 5 novembre 1998 au 15 novembre 1999, vingt-sept audiences prĂ©liminaires eurent lieu dans le cadre de l’affaire IMI/SIR ; pendant les six premiers mois, l’intervalle moyen entre les audiences fut de vingt jours ; cet intervalle s’est rĂ©duit, dans les six mois suivants, Ă  dix jours. En outre, trois audiences eurent lieu pour la collecte des preuves (incidente probatorio) sollicitĂ©es par la dĂ©fense.

150. Les débats en première instance du procès IMI/SIR eurent lieu du 11 mai 2000 au 29 avril 2003 et se déroulèrent au cours de 108 audiences (séparées par des intervalles moyens de dix jours). Dans cette même période, la Cour de cassation tint cinq audiences pour l’examen des demandes de transfert du procès des accusés, et la Cour constitutionnelle en tint une, le 22 octobre 2002.

151. Du 28 fĂ©vrier au 19 juin 2000, onze audiences prĂ©liminaires eurent lieu dans le cadre de l’affaire Lodo Mondadori ; elles furent suivies par neuf audiences consacrĂ©es aux dĂ©bats qui se terminèrent le 28 janvier 2002, date Ă  laquelle cette affaire fut jointe Ă  l’affaire IMI/SIR (paragraphe 87 ci-dessus).

152. Le procès en appel dans le cadre des affaires jointes IMI/SIR et Lodo Mondadori eut lieu du 7 février au 23 mai 2005 et compta trente-trois audiences, soit en moyenne une audience tous les trois jours.

153. La procédure en cassation dans ces affaires se déroula du 16 janvier au 4 mai 2006, et huit audiences eurent lieu.

154. La procédure de renvoi dans le cadre de l’affaire Lodo Mondadori eut lieu du 18 décembre 2006 au 23 février 2007 et sept audiences furent tenues.

155. L’audience prĂ©liminaire dans l’affaire Ariosto dĂ©buta le 29 juin 1998 ; neuf autres audiences et six audiences pour l’obtention des preuves eurent lieu.

156. Dans le cadre de l’affaire SME, sept audiences prĂ©liminaires se tinrent Ă  partir du 12 janvier 1999. Le 24 mai 1999, les affaires SME et Ariosto furent jointes ; seize autres audiences prĂ©liminaires eurent lieu jusqu’au 26 novembre 1999.

157. Les dĂ©bats du procès SME/Ariosto se dĂ©roulèrent du 9 mars 2000 au 22 novembre 2003 et furent rĂ©partis sur 125 audiences (en moyenne une audience tous les dix jours). La procĂ©dure d’appel (dix-sept audiences) se tint du 18 juin au 2 dĂ©cembre 2005, et celle en cassation eut lieu du 24 au 30 novembre 2006 (cinq audiences).

158. Si l’on considère toutes les procĂ©dures pendantes contre le requĂ©rant, 340 audiences se tinrent dans la pĂ©riode de 1998 Ă  2003, et soixante-dix eurent lieu de fĂ©vrier 2005 Ă  fĂ©vrier 2007. Le requĂ©rant souligne qu’il y a eu, en moyenne, une audience tous les cinq jours (ou bien une audience tous les deux-trois jours si l’on soustrait les vacances judiciaires – du 1er aoĂ»t au 15 septembre – les jours fĂ©riĂ©s et les week-ends).

159. Il note Ă©galement que dans le cadre des affaires IMI/SIR, Lodo Mondadori, SME et Ariosto, il fut reprĂ©sentĂ© par les deux mĂŞmes avocats, Mes Sammarco et Saponara (ce dernier ayant Ă©tĂ©, par ailleurs, constamment remplacĂ© par Me Perroni – paragraphe 75 ci-dessus). En effet, aux termes de l’article 96 du CPP, un accusĂ© ne peut pas nommer « plus de deux avocats de son choix Â» ; ceux-ci ont la facultĂ© de nommer un remplaçant en cas d’empĂŞchement (article 101 du CPP).

160. Dans le procès IMI/SIR, il y avait quatre parties civiles, notamment l’IMI, la société CIR, le ministère de la Justice et la Présidence du Conseil des Ministres. Les sociétés IMI et CIR furent représentées par un avocat de leur choix, alors que les deux autres parties civiles étaient représentées par les avocats de l’Etat (Avvocatura distrettuale dello Stato). La cour d’appel de Milan exclut le ministère de la Justice du procès, observant que ce dernier n’avait pas fourni la preuve d’un préjudice patrimonial. Le requérant fut condamné à la réparation des dommages subis par les parties civiles et au paiement de leurs frais de procédure, représentant des montants très importants.

B. Le droit interne pertinent

1. La constitution du dossier du parquet

161. Aux termes de l’article 416 § 2 du CPP, s’il demande le renvoi en jugement de l’accusĂ©, le parquet doit transmettre au greffe du GIP « le dossier contenant l’inscription de l’avis d’infraction (notizia di reato), les pièces relatives aux investigations accomplies et les procès-verbaux des actes effectuĂ©s au cours de la procĂ©dure devant le GIP Â». L’accusĂ© est informĂ© qu’il a la facultĂ© d’avoir accès aux actes et aux objets transmis aux termes de l’article 416 § 2 (voir l’article 419 § 2 du CPP).

162. L’article 130 § 1 des dispositions d’exĂ©cution du CPP prĂ©voit que, si les actes d’investigation concernent plusieurs personnes ou plusieurs chefs d’inculpation, « le parquet constitue le dossier prĂ©vu Ă  l’article 416 § 2 du [CPP] en y insĂ©rant les pièces y indiquĂ©es pour la partie qui se rĂ©fère aux personnes ou aux chefs d’inculpation pour lesquels l’action pĂ©nale est entamĂ©e Â».

163. ConformĂ©ment Ă  l’article 358 du CPP, le parquet doit accomplir tout acte nĂ©cessaire Ă  l’exercice de l’action pĂ©nale ainsi que des « vĂ©rifications quant aux faits et circonstances favorables Ă  l’accusĂ© Â».

2. L’infraction de corruption dans des actes judiciaires (corruzione in atti giudiziari)

164. Jusqu’en avril 1990, l’article 319 du CP relatif Ă  l’infraction de corruption se lisait comme suit en ses parties pertinentes :

« Tout agent de la fonction publique qui (...) pour accomplir un acte contraire Ă  ses devoirs, reçoit, pour lui-mĂŞme ou pour un tiers, de l’argent ou tout autre avantage (utilitĂ ) (...) ou bien en accepte la promesse, est puni (...). La peine est augmentĂ©e s’il en dĂ©coule : (...) 2) un avantage ou un prĂ©judice pour une partie Ă  un procès civil, pĂ©nal ou administratif. Â»

165. L’article 321 du CP renfermait en outre le passage suivant : « [l]es peines indiquĂ©es dans les articles 318, première partie, 319 et 320 s’appliquent Ă©galement Ă  celui qui donne ou promet Ă  l’agent de la fonction publique (...) de l’argent ou un autre avantage Â».

166. La loi no 86 du 26 avril 1990 a abrogĂ© le paragraphe 2 de l’article 319 du CP, sans cependant modifier l’article 321. L’article 9 de la loi no 86 a en outre introduit un article 319ter, punissant l’infraction de corruption dans des actes judiciaires, ainsi libellĂ© :

« Si les faits indiquĂ©s dans les articles 318 et 319 sont commis pour crĂ©er un avantage ou un prĂ©judice pour une partie Ă  un procès civil, pĂ©nal ou administratif, la peine d’emprisonnement est de trois Ă  huit ans. Â»

167. L’article 321 a Ă©tĂ© modifiĂ© par la loi no 181 du 7 fĂ©vrier 1992, entrĂ©e en vigueur le 17 mars 1992. Dans ses parties pertinentes, le nouveau texte se lit comme suit :

« Les peines indiquĂ©es au premier paragraphe de l’article 318, Ă  l’article 319, Ă  l’article 319bis, Ă  l’article 319ter [1] et Ă  l’article 320 s’appliquent Ă©galement Ă  la personne qui donne ou promet Ă  un agent de la fonction publique (...) de l’argent ou un autre avantage Â».

3. Les règles en matière de fixation de la peine

168. Aux termes de l’article 132 du CP, « dans les limites fixĂ©es par la loi, le juge applique la peine de manière discrĂ©tionnaire ; il doit indiquer les motifs qui justifient l’utilisation de ce pouvoir discrĂ©tionnaire Â». L’article 133 du CP prĂ©voit que, dans l’exercice du pouvoir susmentionnĂ©, le juge doit tenir compte de la gravitĂ© de l’infraction (qui dĂ©pend, entre autres, des modalitĂ©s de l’action criminelle) et des potentialitĂ©s criminelles (capacitĂ  a delinquere) du coupable. Ces dernières sont Ă©tablies sur la base : a) du mobile et du caractère de l’accusĂ© ; b) de ses antĂ©cĂ©dents ; c) de sa conduite au moment de l’infraction ou après la commission de celle-ci ; d) de ses conditions de vie individuelles, familiales et sociales.

4. Les dispositions en matière d’écoutes téléphoniques

169. Les dispositions internes en matière d’écoute des conversations et des communications sont dĂ©crites dans l’arrĂŞt Panarisi c. Italie (no 46794/99, §§ 36-39, 10 avril 2007).

GRIEFS

170. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requĂ©rant se plaint, Ă  diffĂ©rents Ă©gards, d’un manque d’équitĂ© de la procĂ©dure pĂ©nale IMI/SIR. Il allègue en outre qu’il y a eu mĂ©connaissance du principe de la prĂ©somption d’innocence, que les juridictions internes n’étaient pas impartiales et que le tribunal de Milan n’était pas un « tribunal Ă©tabli par la loi Â».

171. Sous l’angle de l’article 7 de la Convention, seul et combiné avec l’article 14, le requérant allègue avoir été condamné pour une action qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national, et ne pas avoir bénéficié des dispositions plus favorables en matière de prescription introduites par la loi no 251 de 2005.

172. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requĂ©rant soutient que l’obtention de ses relevĂ©s tĂ©lĂ©phoniques n’était pas « prĂ©vue par la loi Â».

173. Sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 7, il se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un double degré de juridiction en matière pénale.

EN DROIT

A. Griefs tirés de l’article 6

174. Le requérant se plaint, à différents égards, de l’iniquité de la procédure pénale IMI/SIR, d’un manque d’impartialité des tribunaux nationaux et d’une méconnaissance du principe de la présomption d’innocence. Il invoque l’article 6 de la Convention.

Dans ses parties pertinentes, cette disposition se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit Ă  ce que sa cause soit entendue Ă©quitablement, (...), par un tribunal indĂ©pendant et impartial, Ă©tabli par la loi qui dĂ©cidera (...) du bien-fondĂ© de toute accusation en matière pĂ©nale dirigĂ©e contre elle. (...)

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusĂ© a droit notamment Ă  :

a) ĂŞtre informĂ©, dans le plus court dĂ©lai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière dĂ©taillĂ©e, de la nature et de la cause de l’accusation portĂ©e contre lui ;

b) disposer du temps et des facilitĂ©s nĂ©cessaires Ă  la prĂ©paration de sa dĂ©fense ;

c) se dĂ©fendre lui-mĂŞme ou avoir l’assistance d’un dĂ©fenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rĂ©munĂ©rer un dĂ©fenseur, pouvoir ĂŞtre assistĂ© gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intĂ©rĂŞts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les tĂ©moins Ă  charge et obtenir la convocation et l’interrogation des tĂ©moins Ă  dĂ©charge dans les mĂŞmes conditions que les tĂ©moins Ă  charge (...). Â»

175. La Cour rappelle que les exigences des paragraphes 2 et 3 de l’article 6 de la Convention reprĂ©sentent des aspects particuliers du droit Ă  un procès Ă©quitable garanti par le paragraphe 1 de cette disposition. Partant, elle examinera les griefs du requĂ©rant sous l’angle de ces textes combinĂ©s (voir, parmi beaucoup d’autres, Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999-I).

1. Grief relatif à l’impossibilité d’avoir accès au dossier no 9520/95

a) Allégations du requérant

176. D’après le requĂ©rant, la non-communication Ă  la dĂ©fense des actes contenus dans le dossier no 9520/95 (paragraphes 36-47 ci-dessus) a violĂ© l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention, ainsi que la loi italienne. De plus, il Ă©tait selon lui illĂ©gitime d’invoquer le secret de l’instruction s’agissant d’investigations pour lesquelles aucune prorogation n’avait Ă©tĂ© demandĂ©e et qui concernaient des infractions dĂ©jĂ  prescrites. De plus, mĂŞme après le classement sans suite du dossier litigieux (paragraphe 45 ci-dessus), ses demandes pour y avoir accès se seraient heurtĂ©es Ă  un refus motivĂ© par un « manque d’intĂ©rĂŞt Â» (paragraphe 47 ci-dessus). L’obstination avec laquelle les autoritĂ©s italiennes continueraient Ă  refuser l’accès Ă  ce dossier ne pourrait s’expliquer que par le fait que son contenu est favorable Ă  la dĂ©fense et susceptible d’engager la responsabilitĂ© des reprĂ©sentants du parquet de Milan.

177. MĂŞme s’il est actuellement accusĂ© de calomnie devant le tribunal de Brescia pour les critiques qu’il a formulĂ©es Ă  l’encontre des membres du parquet de Milan (paragraphe 44 ci-dessus), le requĂ©rant indique que les autoritĂ©s judiciaires nationales n’ont pas ordonnĂ© la production du dossier no 9520/95, dont le contenu est essentiel pour dĂ©cider du bien-fondĂ© de cette accusation. Par ailleurs, la Cour de cassation aurait utilisĂ© des pièces qui Ă©taient contenues dans le dossier no 9520/95 lorsqu’elle a tranchĂ© la question de la compĂ©tence ratione loci.

b) Appréciation de la Cour

178. La Cour rappelle que tout procès pĂ©nal doit revĂŞtir un caractère contradictoire et garantir l’égalitĂ© des armes entre l’accusation et la dĂ©fense : c’est lĂ  un des aspects fondamentaux du droit Ă  un procès Ă©quitable. Le droit Ă  un procès pĂ©nal contradictoire implique, pour l’accusation comme pour la dĂ©fense, la facultĂ© de prendre connaissance des observations ou Ă©lĂ©ments de preuve produits par l’autre partie (Brandstetter c. Autriche, 28 aoĂ»t 1991, §§ 66-67, sĂ©rie A no 211). De surcroĂ®t, l’article 6 § 1 exige que les autoritĂ©s de poursuite communiquent Ă  la dĂ©fense toutes les preuves pertinentes en leur possession, Ă  charge comme Ă  dĂ©charge (Edwards c. Royaume-Uni, 16 dĂ©cembre 1992, § 36, sĂ©rie A no 247-B).

179. Le droit Ă  la divulgation des preuves pertinentes n’est cependant pas absolu. Dans une procĂ©dure pĂ©nale donnĂ©e, il peut y avoir des intĂ©rĂŞts concurrents – tels que la sĂ©curitĂ© nationale ou la nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger des tĂ©moins risquant des reprĂ©sailles ou de garder secrètes des mĂ©thodes policières de recherche des infractions – qui doivent ĂŞtre mis en balance avec les droits de l’accusĂ© (Doorson c. Pays-Bas, 26 mars 1996, § 70, Recueil des arrĂŞts et dĂ©cisions 1996-II, et Rowe et Davis c. Royaume-Uni, no 28901/95, § 61, CEDH 2000-II). Dans certains cas, il peut ĂŞtre nĂ©cessaire de dissimuler certaines preuves Ă  la dĂ©fense, de façon Ă  prĂ©server les droits fondamentaux d’un autre individu ou Ă  sauvegarder un intĂ©rĂŞt public important. La Cour a, par exemple, estimĂ© que l’exigence de traiter de manière confidentielle des informations concernant des enquĂŞtes pĂ©nales en cours correspondait Ă  un intĂ©rĂŞt public important (Papalia c. Italie (dĂ©c.), no 38261/03, 23 juin 2005). Toutefois, seules sont lĂ©gitimes au regard de l’article 6 § 1 les mesures restreignant les droits de la dĂ©fense qui sont absolument nĂ©cessaires (Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 58, Recueil 1997-III). De surcroĂ®t, si l’on veut garantir un procès Ă©quitable Ă  l’accusĂ©, toutes difficultĂ©s causĂ©es Ă  la dĂ©fense par une limitation de ses droits doivent ĂŞtre suffisamment compensĂ©es par la procĂ©dure suivie devant les autoritĂ©s judiciaires (Rowe et Davis prĂ©citĂ©, § 61 in fine).

180. Lorsque des preuves ont Ă©tĂ© dissimulĂ©es Ă  la dĂ©fense au nom de l’intĂ©rĂŞt public, il n’appartient pas Ă  la Cour de dire si pareille attitude Ă©tait absolument nĂ©cessaire car, en principe, c’est aux juridictions internes qu’il revient d’apprĂ©cier les preuves produites devant elles (Edwards prĂ©citĂ©, § 34). La Cour a quant Ă  elle pour tâche de contrĂ´ler si le processus dĂ©cisionnel appliquĂ© dans un cas donnĂ© a satisfait autant que possible aux exigences du contradictoire et de l’égalitĂ© des armes et Ă©tait assorti de garanties aptes Ă  protĂ©ger les intĂ©rĂŞts de l’accusĂ© (Rowe et Davis prĂ©citĂ©, § 62, Jasper c. Royaume-Uni [GC], no 27052/95, §§ 52-53, 16 fĂ©vrier 2000, et Milan c. Italie (dĂ©c.), no 32219/02, 2 dĂ©cembre 2004).

181. La Cour note tout d’abord que le requérant n’affirme pas que le dossier no 9520/95 contenait des preuves à charge contre lui dont il n’aurait pas pu avoir connaissance. En effet, il ne conteste pas que tous les éléments sur lesquels les juridictions nationales ont fondé sa condamnation ont été produits lors des débats publics de la procédure IMI/SIR. L’intéressé soutient par contre que le dossier incriminé contenait des preuves à décharge ou, plus généralement, des éléments favorables à la défense (paragraphe 36 ci-dessus).

182. La Cour observe cependant que le contenu du dossier no 9520/95 n’est pas connu et que toute spéculation à l’égard des pièces qui s’y trouveraient est vouée à demeurer une hypothèse invérifiable. Il en va de même de l’affirmation du requérant selon laquelle la Cour de cassation se serait fondée sur des pièces qui étaient contenues dans ce dossier lorsqu’elle a tranché la question de la compétence ratione loci (paragraphe 177 ci-dessus).

183. La Cour considère en revanche que les Ă©lĂ©ments Ă  sa disposition amènent Ă  penser que le dossier incriminĂ© ne concernait point le requĂ©rant. Initialement ouvert Ă  l’encontre de personnes identifiĂ©es, ce dossier a ensuite eu pour objet des investigations contre X, notamment d’autres fonctionnaires impliquĂ©s dans les faits ou dans d’éventuels dĂ©lits de faux et de divulgation d’informations couvertes par le secret (paragraphes 37-38 ci‑dessus). Faisant usage de son droit de sĂ©parer la position de certains accusĂ©s de celle des autres, le parquet a dĂ©cidĂ© de verser les pièces de la procĂ©dure IMI/SIR concernant le requĂ©rant et ses coĂŻnculpĂ©s dans d’autres dossiers. Rien ne prouve que ce choix discrĂ©tionnaire ait Ă©tĂ© dictĂ© par l’intention de cacher des documents Ă  la dĂ©fense ; Ă  cet Ă©gard, en l’absence d’indices clairs d’une telle intention, la Cour ne peut que prĂ©sumer la bonne foi des magistrats du ministère public.

184. L’approche consistant Ă  refuser Ă  un tiers l’accès Ă  un dossier relatif Ă  une enquĂŞte en cours concernant l’identification de suspects potentiels est conforme Ă  la jurisprudence de la Cour et ce, Ă  plus forte raison, lorsqu’aucun Ă©lĂ©ment objectif autre que les affirmations de l’intĂ©ressĂ© ne permet de penser que ce dossier puisse contenir des preuves dissimulĂ©es Ă  la dĂ©fense. Il est vrai que les inspecteurs du ministère de la Justice ont critiquĂ© le parquet de Milan pour ne pas avoir demandĂ© au GIP l’autorisation de poursuivre les investigations entamĂ©es dans le cadre du dossier no 9520/95 et pour avoir invoquĂ© le secret de l’instruction au sujet de pièces concernant des infractions dĂ©jĂ  prescrites (paragraphes 42-43 ci-dessus). Cependant, la Cour estime ne pas avoir Ă  se pencher sur des questions de droit interne (telle que celle de savoir jusqu’à quel moment le secret de l’instruction pouvait couvrir les pièces contenues dans le dossier no 9520/95) qui n’ont pas Ă©tĂ© soumises aux tribunaux nationaux. Sa tâche Ă©tant de s’assurer du respect des droits et libertĂ©s garantis par la Convention, elle se borne Ă  observer que le secret de l’instruction a en tout Ă©tat de cause Ă©tĂ© levĂ© le 18 avril 2005, lors du classement sans suite du dossier litigieux.

185. A partir de cette date, il a Ă©tĂ© loisible au requĂ©rant de s’adresser Ă  un juge indĂ©pendant et impartial, Ă  savoir le GIP de Milan, qui s’est penchĂ© sur la question de savoir s’il avait un intĂ©rĂŞt Ă  l’accès au dossier en question. Après avoir examinĂ© les circonstances de l’affaire, le GIP a rĂ©pondu par la nĂ©gative, observant que le requĂ©rant n’était pas accusĂ© dans le cadre du dossier no 9520/95 et que ses craintes d’irrĂ©gularitĂ©s commises par le parquet de Milan avaient Ă©tĂ© Ă©cartĂ©es par l’autoritĂ© judiciaire de Brescia ; de plus, permettre au requĂ©rant de consulter le dossier dans son ensemble aurait violĂ© le secret de l’instruction au sujet d’investigations susceptibles d’être rouvertes ainsi que le droit au respect de la vie privĂ©e des tiers ayant fait l’objet de ces investigations (paragraphe 47 ci-dessus). De l’avis de la Cour, cette dĂ©cision s’inscrit dans la logique de la protection d’intĂ©rĂŞts publics importants au sens de sa jurisprudence et ne saurait ĂŞtre constitutive d’une violation des principes du procès Ă©quitable. Par ailleurs, le fait que le GIP ait rejetĂ© la demande du requĂ©rant ne saurait, en soi, rendre insatisfaisant ou inĂ©quitable le processus dĂ©cisionnel relatif Ă  la facultĂ© d’accès au dossier no 9520/95.

186. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le rejet des demandes du requérant visant à obtenir une copie des pièces contenues dans le dossier no 9520/95 n’a pas porté atteinte au caractère contradictoire de la procédure IMI/SIR ni au principe de l’égalité des armes. De plus, toute restriction éventuelle et hypothétique aux droits de la défense était nécessaire pour préserver le droit au respect de la vie privée des tiers impliqués dans les enquêtes menées dans le cadre de ce dossier et/ou pour sauvegarder l’intérêt public voulant que des informations concernant une enquête pénale en cours soient traitées de manière confidentielle. Le requérant a, par ailleurs, bénéficié d’un contrôle juridictionnel apte à protéger ses intérêts.

187. Enfin, dans la mesure oĂą les allĂ©gations du requĂ©rant pourraient ĂŞtre comprises comme signifiant que l’impossibilitĂ© d’avoir accès aux pièces contenues dans le dossier no 9520/95 serait de nature Ă  faire obstacle Ă  la prĂ©paration de sa dĂ©fense dans le cadre de la procĂ©dure pour calomnie pendante devant le tribunal de Brescia, la Cour rappelle que cette procĂ©dure Ă©tait, Ă  la date des dernières informations, encore pendante en première instance. Dans ces conditions, aucune apparence de violation de l’article 6 de la Convention ne saurait ĂŞtre dĂ©celĂ©e.

188. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Grief relatif à l’absence aux audiences en raison d’empêchements parlementaires

a) Allégations du requérant

189. Le requĂ©rant considère que les principes du procès Ă©quitable ont Ă©galement Ă©tĂ© violĂ©s en ce que sa participation aux dĂ©bats parlementaires n’a pas Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme constituant un empĂŞchement absolu par le GUP (paragraphes 62-63 ci-dessus) et par le tribunal de Milan (paragraphes 70-72 ci-dessus). Il rappelle de plus que, en dĂ©pit des arrĂŞts de la Cour constitutionnelle (paragraphes 65-67 et 111-114 ci-dessus), les juridictions du fond et la Cour de cassation ont rejetĂ© ses demandes d’annulation de l’audience prĂ©liminaire et du renvoi en jugement. Le requĂ©rant observe Ă©galement que la Cour de cassation ne s’est pas penchĂ©e sur son absence Ă  l’audience du 21 novembre 2001 oĂą, pendant qu’il participait aux dĂ©bats parlementaires, le tribunal de Milan a d’abord exigĂ© la preuve de son empĂŞchement puis continuĂ© les dĂ©bats (paragraphe 74 ci-dessus).

b) Appréciation de la Cour

190. Quoique non mentionnĂ©e en termes exprès au paragraphe 1 de l’article 6, la facultĂ© pour l’« accusĂ© Â» de prendre part Ă  l’audience dĂ©coule de l’objet et du but de l’ensemble de l’article (Sejdovic c. Italie [GC], n56581/00, § 81, CEDH 2006-II).

191. Si une procĂ©dure se dĂ©roulant en l’absence du prĂ©venu n’est pas en soi incompatible avec l’article 6 de la Convention, il n’en demeure pas moins qu’un dĂ©ni de justice est constituĂ© lorsqu’un individu condamnĂ© in absentia ne peut obtenir ultĂ©rieurement qu’une juridiction statue Ă  nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondĂ© de l’accusation en fait comme en droit, alors qu’il n’est pas Ă©tabli qu’il a renoncĂ© Ă  son droit de comparaĂ®tre et de se dĂ©fendre (Somogyi c. Italie, n67972/01, § 66, CEDH 2004-IV), ou qu’il a eu l’intention de se soustraire Ă  la justice (Medenica c. Suisse, n20491/92, § 55, CEDH 2001‑VI).

192. Il faut qu’il n’incombe pas Ă  l’accusĂ© de prouver qu’il n’entendait pas se dĂ©rober Ă  la justice, ni que son absence s’expliquait par un cas de force majeure (Colozza c. Italie, 12 fĂ©vrier 1985, § 30, sĂ©rie A n89). En mĂŞme temps, il est loisible aux autoritĂ©s nationales d’évaluer si les excuses fournies par l’accusĂ© pour justifier son absence Ă©taient valables ou si les Ă©lĂ©ments versĂ©s au dossier permettaient de conclure que son absence Ă©tait indĂ©pendante de sa volontĂ© (Medenica prĂ©citĂ©, § 57, et Sejdovic prĂ©citĂ©, § 88).

193. La comparution d’un prĂ©venu revĂŞt une importance capitale en raison tant du droit de celui-ci Ă  ĂŞtre entendu que de la nĂ©cessitĂ© de contrĂ´ler l’exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les dires de la victime et des tĂ©moins. Dès lors, le lĂ©gislateur doit pouvoir dĂ©courager les absences injustifiĂ©es, Ă  condition que les sanctions ne se rĂ©vèlent pas disproportionnĂ©es dans les circonstances de la cause et que l’accusĂ© ne soit pas privĂ© du droit Ă  l’assistance d’un dĂ©fenseur (Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 35, sĂ©rie A no 277-A, et Van Geyseghem prĂ©citĂ©, § 34).

194. Par ailleurs, la Cour a opĂ©rĂ© une distinction entre la participation de l’accusĂ© aux dĂ©bats devant le juge du fond et sa participation Ă  l’audience prĂ©liminaire. En effet, mĂŞme si en droit italien, le GUP peut, dans certains cas, se pencher sur le bien-fondĂ© des charges (De Lorenzo c. Italie (dĂ©c.), n69264/01, 12 fĂ©vrier 2004), en règle gĂ©nĂ©rale la seule question tranchĂ©e au cours de pareille audience est celle de savoir si l’accusĂ© doit, ou non, ĂŞtre renvoyĂ© en jugement. Or, si l’article 6 de la Convention peut jouer un rĂ´le avant la saisine du juge du fond, cette disposition a pour finalitĂ© principale, au pĂ©nal, d’assurer un procès Ă©quitable devant un « tribunal Â» compĂ©tent pour dĂ©cider « du bien-fondĂ© de l’accusation Â» (Brennan c. Royaume-Uni [GC], n39846/98, § 45, CEDH 2001-X, et Berlinski c. Pologne, nos 27715/95 et 30209/96, § 75, 20 juin 2002). La Cour, soulignant que le but de l’audience prĂ©liminaire est exclusivement de dĂ©cider si le requĂ©rant doit ĂŞtre jugĂ© par un « tribunal Â» et non d’examiner son innocence ou sa culpabilitĂ©, a estimĂ© que l’absence de l’intĂ©ressĂ© Ă  cette audience ne pouvait, Ă  elle seule, compromettre l’équitĂ© de la procĂ©dure considĂ©rĂ©e dans son ensemble (Hany c. Italie (dĂ©c.), no 17543/05, 6 novembre 2007).

195. Or, le requĂ©rant se plaint tout d’abord de ne pas avoir pu participer aux audiences des 17 et 22 septembre et 5 et 6 octobre 1999. Cependant, il s’agissait d’audiences prĂ©liminaires au cours desquelles le GUP de Milan Ă©tait uniquement appelĂ© Ă  examiner les Ă©lĂ©ments pertinents pour la question de savoir si le requĂ©rant et ses coĂŻnculpĂ©s devaient, ou non, ĂŞtre renvoyĂ©s en jugement (paragraphe 56 ci-dessus). Elles n’impliquaient donc pas un examen du fond de l’accusation et le prononcĂ© d’un verdict de culpabilitĂ©. Il s’ensuit que l’absence de l’intĂ©ressĂ© Ă  ces audiences n’entraĂ®ne aucune apparence de violation de l’article 6 de la Convention. Il en va de mĂŞme en ce qui concerne la dĂ©cision de ne pas annuler l’audience prĂ©liminaire et/ou le renvoi en jugement en raison de la non-participation du requĂ©rant aux audiences litigieuses.

196. Pour ce qui est de la phase de jugement, la Cour relève que les dĂ©bats se sont dĂ©roulĂ©s pendant de nombreuses audiences : selon les informations fournies par le requĂ©rant lui-mĂŞme, 108 audiences se sont tenues devant le tribunal de Milan, 33 devant la cour d’appel et 8 devant la Cour de cassation (paragraphes 150, 152 et 153 ci-dessus). Or l’intĂ©ressĂ© ne dĂ©nonce que son absence Ă  l’une d’entre elles, et prĂ©cisĂ©ment celle du 21 novembre 2001. La Cour estime que lorsque, comme en l’espèce, un nombre considĂ©rable d’audiences a lieu dans un procès, c’est seulement dans des circonstances tout Ă  fait exceptionnelles que la non-participation du prĂ©venu Ă  l’une d’entre elles peut compromettre l’équitĂ© de la procĂ©dure dans son ensemble.

197. Or de telles circonstances exceptionnelles ne se trouvent pas rĂ©unies en l’espèce. En effet, aucune activitĂ© exigeant la prĂ©sence de l’accusĂ© en personne – telle que, par exemple, la production de moyens de preuve – n’a eu lieu au cours de l’audience incriminĂ©e. Le tribunal s’est au contraire bornĂ© Ă  donner lecture de deux ordonnances adoptĂ©es en chambre du conseil portant sur des questions techniques (Ă  savoir la validitĂ© du renvoi en jugement et la possibilitĂ© d’utiliser les pièces obtenues par commission rogatoire) et Ă  rĂ©server toute dĂ©cision quant Ă  une demande du parquet visant Ă  la fixation de deux audiences. Par ailleurs, la Cour estime que les vĂ©rifications faites par le tribunal de Milan afin de contrĂ´ler la rĂ©alitĂ© de l’empĂŞchement parlementaire allĂ©guĂ© par les conseils du requĂ©rant (paragraphe 74 ci-dessus) ne sauraient s’analyser en une conduite abusive ou arbitraire ; au contraire, elles s’inscrivaient dans une logique consistant Ă  Ă©valuer si les excuses fournies par l’accusĂ© pour justifier son absence Ă©taient valables et Ă  dĂ©courager les absences injustifiĂ©es. Elles poursuivaient donc des buts lĂ©gitimes au titre de l’article 6 de la Convention.

198. Dans ces conditions, aucune apparence de violation de cette disposition ne saurait être décelée du fait de l’absence du requérant à l’audience du 21 novembre 2001.

199. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Grief relatif à un manque de précision des chefs d’inculpation

a) Allégations du requérant

200. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir été informé de manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui.

201. Il allègue que les chefs d’inculpation (paragraphe 82 ci-dessus) manquaient de prĂ©cision et que les autoritĂ©s judiciaires avaient modifiĂ© certaines caractĂ©ristiques essentielles de la conduite qui lui Ă©tait reprochĂ©e. Il se rĂ©fère en particulier Ă  la circonstance que l’accord de corruption aurait Ă©tĂ© finalisĂ© Ă  un endroit et Ă  une Ă©poque qui n’étaient pas prĂ©cisĂ©s et que les versements sur des comptes ouverts dans des banques Ă©trangères Ă©taient mentionnĂ©s sans autre indication que le pays oĂą se trouvait la banque en question. En outre, les chefs d’inculpation mentionnaient les articles 319 (corruption) et 319ter (corruption dans des actes judiciaires) du CP, sans spĂ©cifier quelle Ă©tait l’infraction qui lui Ă©tait reprochĂ©e. Le requĂ©rant conteste Ă©galement l’utilisation Ă  charge, par les juges de première instance, de la note manuscrite trouvĂ©e dans le cabinet de Me Pacifico (paragraphe 102 ci-dessus), Ă©lĂ©ment qui n’avait pas Ă©tĂ© mentionnĂ© par le parquet et qui changeait la nature de la conduite qui lui Ă©tait reprochĂ©e : non seulement un rĂ´le « d’intermĂ©diaire Â» pour la conclusion de l’accord de corruption, mais Ă©galement la participation Ă  la rĂ©daction de l’arrĂŞt incriminĂ©.

202. De plus, la cour d’appel aurait considĂ©rĂ© que la somme de 400 000 000 ITL, dont le juge Metta disposait, ne constituait pas la rĂ©munĂ©ration de la corruption pour l’affaire Lodo Mondadori, comme initialement indiquĂ© par le parquet, mais un « paiement anticipĂ© Â» dans le cadre de l’affaire IMI/SIR (paragraphe 109 ci-dessus). Cela serait par ailleurs en contradiction avec les conclusions Ă©mises par la cour d’appel de Milan, agissant en tant que juridiction de renvoi pour l’affaire Lodo Mondadori, dans son arrĂŞt du 23 fĂ©vrier 2007 (paragraphe 145 ci-dessus). Enfin, la Cour de cassation aurait donnĂ© Ă  l’infraction prĂ©vue par l’article 319ter du CP une qualification juridique diffĂ©rente de celle retenue par les juges du fond, estimant que l’accord de corruption devait nĂ©cessairement prĂ©cĂ©der l’accomplissement de l’acte judiciaire incriminĂ© (paragraphe 146 ci-dessus).

b) Appréciation de la Cour

203. L’acte d’accusation joue un rĂ´le dĂ©terminant dans les poursuites pĂ©nales : Ă  compter de sa signification, la personne mise en cause est officiellement avisĂ©e de la base juridique et factuelle des reproches formulĂ©s contre elle (Kamasinski c. Autriche, 19 dĂ©cembre 1989, § 79, sĂ©rie A n168). Par ailleurs, l’article 6 Â§ 3 a) reconnaĂ®t Ă  l’accusĂ© le droit d’être informĂ© non seulement de la cause de l’accusation, c’est-Ă -dire des faits matĂ©riels qui sont mis Ă  sa charge et sur lesquels se fonde l’accusation, mais aussi, d’une manière dĂ©taillĂ©e, de la qualification juridique donnĂ©e Ă  ces faits (PĂ©lissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 51, CEDH 1999-II).

204. Certes, l’étendue de l’information « dĂ©taillĂ©e Â» visĂ©e par cette disposition varie selon les circonstances particulières de la cause ; toutefois, l’accusĂ© doit en tout cas disposer d’élĂ©ments suffisants pour comprendre pleinement les charges portĂ©es contre lui en vue de prĂ©parer convenablement sa dĂ©fense. A cet Ă©gard, le caractère adĂ©quat des informations doit s’apprĂ©cier en relation avec l’alinĂ©a b) du paragraphe 3 de l’article 6, qui reconnaĂ®t Ă  toute personne le droit de disposer du temps et des facilitĂ©s nĂ©cessaires Ă  la prĂ©paration de sa dĂ©fense (Mattoccia c. Italie, no 23969/94, § 60, CEDH 2000-IX). La Cour rappelle Ă©galement que l’information visĂ©e par l’article 6 § 3 a) de la Convention ne doit pas nĂ©cessairement mentionner les Ă©lĂ©ments de preuve sur lesquels est fondĂ©e l’accusation (X c. Belgique, no 7628/76, dĂ©cision de la Commission du 9 mai 1977, DĂ©cisions et Rapports (DR) 9, pp. 169-171).

205. En ce qui concerne les griefs portant sur le caractère « vague Â» du libellĂ© des chefs d’inculpation, la Cour rappelle que, dans une affaire de corruption, elle a estimĂ© suffisante une information indiquant que le parquet considĂ©rait que l’accusĂ© avait reçu des sommes d’argent de la part de personnes, spĂ©cifiquement indiquĂ©es, agissant pour le compte de certaines entreprises pharmaceutiques, et ce en Ă©change de l’accomplissement par le ministre de la SantĂ© publique d’actes contraires aux devoirs de sa charge et visant Ă  apporter des avantages indus aux corrupteurs (De Lorenzo, dĂ©cision prĂ©citĂ©e ; voir aussi, mutatis mutandis, Dallos c. Hongrie, no 29082/95, §§ 49-53, CEDH 2001-II, D.C. c. Italie (dĂ©c.), no 55990/00, 28 fĂ©vrier 2002, et Feldman c. France (dĂ©c.) n53426/99, 6 juin 2002).

206. La Cour a examinĂ© les chefs d’inculpation sur la base desquels le parquet a demandĂ© et obtenu le renvoi en jugement du requĂ©rant et de ses coĂŻnculpĂ©s. Ce document spĂ©cifiait que la conduite reprochĂ©e aux prĂ©venus Ă©tait d’avoir conclu et exĂ©cutĂ© un accord par lequel des agents de la fonction publique auraient violĂ©, dans l’exercice de leurs fonctions, leurs devoirs d’impartialitĂ© et d’indĂ©pendance afin de favoriser M. Nino Rovelli et ses hĂ©ritiers dans le diffĂ©rend civil IMI/SIR. Il Ă©tait indiquĂ© que les faits en question tombaient sous l’empire des articles 319 et 319ter du CP et que certains des magistrats impliquĂ©s n’avaient pu ĂŞtre identifiĂ©s. De plus, le parquet a mentionnĂ© la somme reçue par le requĂ©rant, le numĂ©ro du compte bancaire utilisĂ© pour le transfert d’argent, la date de ce dernier et les personnes auxquelles cette somme aurait ensuite Ă©tĂ© destinĂ©e en Ă©change d’un verdict favorable dans l’affaire IMI/SIR. Enfin, le parquet a pris le soin d’informer les prĂ©venus que les accords de corruption avaient Ă©tĂ© perfectionnĂ©s Ă  partir de 1986 et que les paiements avaient Ă©tĂ© effectuĂ©s sur des comptes en banque Ă  l’étranger au moins jusqu’en 1994.

207. Aux yeux de la Cour, les éléments mentionnés ci-dessus constituent une information suffisante au sens de l’article 6 § 3 a) de la Convention et étaient de nature à permettre au requérant de comprendre pleinement les charges portées contre lui et de préparer de manière adéquate sa défense. A titre surabondant, il convient de noter que l’intéressé était un avocat inscrit au barreau de Rome et donc une personne rompue aux arcanes du langage judiciaire.

208. Certes, les chefs d’inculpation n’indiquaient pas tous les éléments de preuve à charge, et ne précisaient pas le lieu et la date exacts de l’accord de corruption ni les noms et adresses de tous les établissements bancaires par lesquels l’argent avait transité. Toutefois, de par leur nature même, les chefs d’inculpation sont rédigés de manière synthétique et les précisions relatives à la conduite reprochée résultent normalement des autres documents du procès, tels que l’ordonnance de renvoi en jugement et les pièces contenues dans le dossier du parquet mis à la disposition de la défense. De plus, il ne saurait être exclu que certains détails – tels que, par exemple, le lieu où un accord oral a été conclu – demeurent obscurs même à l’issue de la procédure judiciaire interne. Quoi qu’il en soit, le requérant n’a pas allégué qu’il n’avait pas pu avoir connaissance de toutes les données techniques essentielles concernant les opérations bancaires qui lui étaient imputées et qu’il n’avait pas eu la possibilité de présenter sa défense sur tous les éléments de preuve à charge, et notamment la note manuscrite trouvée dans le cabinet de Me Pacifico. A cet égard, il convient de noter que la cour d’appel de Milan a ordonné la réouverture de l’instruction afin d’entendre les accusés sur la question de la valeur probatoire de la note litigieuse (paragraphe 103 ci-dessus).

209. La Cour note de surcroĂ®t que la Convention n’interdit pas aux juridictions internes de prĂ©ciser, sur la base des Ă©lĂ©ments produits lors des dĂ©bats publics et portĂ©s Ă  la connaissance de l’accusĂ©, les modalitĂ©s d’exĂ©cution de l’infraction qui lui est reprochĂ©e. Cela a Ă©tĂ© le cas, en l’espèce, quant Ă  l’utilisation de la somme de 400 000 000 ITL que les tribunaux internes ont estimĂ© avoir Ă©tĂ© versĂ©e par le requĂ©rant Ă  M. Metta. La Cour voit mal, enfin, comment la circonstance que la Cour de cassation, remplissant sa fonction de juge du droit, a donnĂ© une interprĂ©tation de l’article 319ter du CP diffĂ©rente de celle retenue par les juges du fond aurait pu mĂ©connaĂ®tre le droit du requĂ©rant Ă  ĂŞtre informĂ© de la nature et de la cause de l’accusation.

210. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4. Grief relatif au défaut de compétence ratione loci du tribunal de Milan

a) Allégations du requérant

211. Le requérant allègue qu’il s’est vu dénier le droit à être jugé par le tribunal compétent ratione loci. Il souligne que le parquet de Milan a omis de déposer les documents qui auraient rendu juridiquement impossible la tenue de son procès à Milan. La Cour de cassation aurait par ailleurs estimé que la question de la compétence ratione loci devait être tranchée sur la base des actes disponibles lors de l’audience préliminaire (paragraphe 126 ci-dessus), oubliant de considérer qu’à l’époque litigieuse la défense ne pouvait pas avoir accès à toutes les informations pertinentes à cause des omissions du parquet.

212. Le requĂ©rant souligne qu’il rĂ©side Ă  Rome et qu’il a Ă©tĂ© accusĂ© d’avoir corrompu des juges romains dans le cadre d’un procès qui a eu lieu Ă  Rome. MalgrĂ© cela, il aurait Ă©tĂ© jugĂ© par un tribunal – celui de Milan – qui n’avait aucun lien avec les faits qui lui Ă©taient reprochĂ©s. Il conteste le critère de rĂ©partition de la compĂ©tence fixĂ© Ă  l’article 9 § 3 du CPP (paragraphe 23 c) ci-dessus) ; celui-ci ne satisferait pas Ă  l’exigence de prĂ©visibilitĂ© du tribunal compĂ©tent et ferait dĂ©pendre la compĂ©tence ratione loci de circonstances liĂ©es au hasard et aux choix discrĂ©tionnaires du parquet. Enfin, interprĂ©tant de manière formaliste les dispositions de l’article 9 § 3 du CPP, les juges internes auraient attribuĂ© de l’importance uniquement Ă  la qualification juridique donnĂ©e par le parquet aux infractions, et non Ă  la circonstance que les faits poursuivis Ă  Milan et ceux exposĂ©s dans la dĂ©nonciation de M. Arcuti Ă©taient en substance identiques. Le requĂ©rant souligne que, dans une autre affaire le concernant, la Cour de cassation a refusĂ© d’appliquer le critère prĂ©vu Ă  l’article 9 § 3 du CPP.

b) Appréciation de la Cour

213. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 6 § 1 un « tribunal Â» doit toujours ĂŞtre « Ă©tabli par la loi Â». Cette expression reflète le principe de l’état de droit, inhĂ©rent Ă  tout le système de la Convention et de ses protocoles. L’expression « Ă©tabli par la loi Â» concerne non seulement la base lĂ©gale de l’existence mĂŞme du tribunal, mais encore la composition du siège dans chaque affaire (Lavents c. Lettonie no 58442/00, § 114, 28 novembre 2002). Le non-respect par un tribunal des dispositions susvisĂ©es emporte en principe violation de l’article 6 § 1. La Cour a donc compĂ©tence pour se prononcer sur le respect des règles du droit interne sur ce point. Toutefois, vu le principe gĂ©nĂ©ral selon lequel c’est en premier lieu aux juridictions nationales elles-mĂŞmes qu’il incombe d’interprĂ©ter la lĂ©gislation interne, la Cour estime qu’elle ne doit mettre en cause leur apprĂ©ciation que dans des cas de violation flagrante de cette lĂ©gislation (CoĂ«me et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 98 in fine, CEDH 2000‑VII, et Lavents prĂ©citĂ©, § 114).

214. La Cour note tout d’abord que la loi italienne prĂ©voit (Ă  l’article 8 du CPP – paragraphe 23 ci-dessus) que le tribunal compĂ©tent ratione loci est celui du lieu oĂą l’infraction a Ă©tĂ© commise. Elle Ă©tablit donc, en principe, une connexion entre le siège d’un parquet et les faits de la cause. C’est seulement lorsque les juridictions internes ne s’estiment pas en mesure d’établir le lieu oĂą les infractions ont Ă©tĂ© commises que des règles complĂ©mentaires – prĂ©vues Ă  l’article 9 du CPP – trouvent Ă  s’appliquer. Or tel est le cas en l’espèce ; Ă  cet Ă©gard, il convient de rappeler que les infractions dont le requĂ©rant et ses coĂŻnculpĂ©s Ă©taient accusĂ©s ne concernaient pas seulement les dĂ©cisions prises dans le cadre du diffĂ©rend judiciaire IMI/SIR mais aussi la conclusion d’accords de corruption et le transfert de sommes d’argent et que, au moment de la dĂ©cision sur la compĂ©tence ratione loci, le lieu oĂą ces actions avaient Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es demeurait inconnu. En outre, les prĂ©venus avaient des lieux de rĂ©sidence ou de domicile diffĂ©rents, ce qui empĂŞchait d’appliquer la règle complĂ©mentaire prĂ©vue au paragraphe 2 de l’article 9 du CPP (paragraphes 23 b) et 33 ci-dessus). Dans ces circonstances, l’utilisation par les juridictions italiennes de la dernière règle complĂ©mentaire inscrite au paragraphe 3 de l’article 9 prĂ©citĂ© ne saurait passer pour arbitraire ou dĂ©raisonnable.

215. Aux termes de cette disposition, le tribunal compĂ©tent ratione loci est celui du lieu oĂą se trouve le parquet qui, le premier, a procĂ©dĂ© Ă  l’inscription de l’avis d’infraction dans le registre prĂ©vu Ă  cet effet. Faisant usage de leur droit d’interprĂ©ter le droit interne, le tribunal de Milan et la Cour de cassation ont estimĂ© que la règle en question devait ĂŞtre appliquĂ©e sur la base de donnĂ©es formelles et objectives, telles que le nom des accusĂ©s et la qualification juridique des infractions rĂ©sultant des inscriptions faites par le parquet. Sans se pencher sur l’exactitude, en droit italien, d’une telle interprĂ©tation, la Cour observe qu’elle satisfait Ă  une exigence de clartĂ© et de sĂ©curitĂ© juridique. Elle note de surcroĂ®t que l’approche de la Cour de cassation selon laquelle seuls les documents disponibles au moment de l’audience prĂ©liminaire doivent ĂŞtre pris en compte pour trancher la question de la compĂ©tence ratione loci est Ă©galement conforme Ă  cette exigence. Il peut en effet ĂŞtre souhaitable que le tribunal compĂ©tent soit Ă©tabli au moment du renvoi en jugement et que la possibilitĂ© de dĂ©couvrir des Ă©lĂ©ments nouveaux, Ă  un stade ultĂ©rieur de la procĂ©dure, n’entraĂ®ne pas un retour de celle-ci Ă  la phase antĂ©rieure au renvoi en jugement. A cet Ă©gard, il convient de souligner que la Cour a rappelĂ©, Ă  maintes reprises, l’importance du droit Ă  un jugement dans un dĂ©lai raisonnable et la nĂ©cessitĂ© qui en dĂ©coule d’un traitement rapide des affaires inscrites au rĂ´le (voir, par exemple et mutatis mutandis, Jan Ă…ke Andersson c. Suède, 29 octobre 1991, § 27, sĂ©rie A no 212‑B, Hoppe c. Allemagne, n28422/95, § 63, 5 dĂ©cembre 2002, et Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 80, CEDH 2006-XII).

216. En l’espèce, il ressortait des documents disponibles lors de l’audience prĂ©liminaire que seul le parquet de Milan avait inscrit dans son registre le nom du requĂ©rant et de ses coĂŻnculpĂ©s en ce qui concerne l’infraction de corruption dans des actes judiciaires. Compte tenu de ce qui prĂ©cède, ainsi que du libellĂ© de l’article 9 du CPP, la Cour estime que l’interprĂ©tation suivie par les juridictions italiennes ne saurait passer pour arbitraire ou dĂ©raisonnable et que l’attribution de la compĂ©tence ratione loci au tribunal de Milan n’a pas constituĂ© une violation flagrante de la lĂ©gislation nationale.

217. Dans ces conditions, la Cour ne saurait conclure que la chambre du tribunal de Milan qui a prononcĂ© la condamnation du requĂ©rant en première instance n’était pas un « tribunal Ă©tabli par la loi Â» au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

218. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

5. Grief relatif à l’audition de Mme Ariosto

a) Allégations du requérant

219. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, le requĂ©rant se plaint de ne pas avoir pu interroger Mme Ariosto dans les mĂŞmes conditions que celles dont ont bĂ©nĂ©ficiĂ© les reprĂ©sentants du parquet. Cette personne, admise par le tribunal comme tĂ©moin Ă  charge et comme tĂ©moin Ă  dĂ©charge, aurait Ă©tĂ© interrogĂ©e comme tĂ©moin Ă  charge lors des audiences des 21 mai, 1er juin et 1er dĂ©cembre 2001 ; la dĂ©fense du requĂ©rant lui aurait posĂ© des questions seulement pendant les deux premières audiences, la troisième audience ayant eu lieu en prĂ©sence d’une avocate commise d’office (MTotis) qui n’avait aucune connaissance du dossier (paragraphe 78 ci-dessus). De l’avis du requĂ©rant, la dĂ©fense aurait dĂ» entendre Mme Ariosto en dernier ; de plus, une partie de ses dĂ©clarations faites n’aurait pas Ă©tĂ© mise Ă  la disposition des accusĂ©s, ayant Ă©tĂ© au contraire Ă©tĂ© dissimulĂ©e dans le dossier no 9520/95.

b) Appréciation de la Cour

220. En règle gĂ©nĂ©rale, les paragraphes 1 et 3 d) de l’article 6 commandent d’accorder Ă  l’accusĂ© une occasion adĂ©quate et suffisante de contester un tĂ©moignage Ă  charge et d’en interroger l’auteur, au moment de la dĂ©position ou plus tard (Van Mechelen et autres prĂ©citĂ©, § 51, et Bracci c. Italie, no 36822/02, § 54, 13 octobre 2005). En particulier, les droits de la dĂ©fense sont restreints de manière incompatible avec les garanties de l’article 6 lorsqu’une condamnation se fonde, uniquement ou dans une mesure dĂ©terminante, sur des dĂ©positions faites par une personne que l’accusĂ© n’a pu interroger ou faire interroger ni au stade de l’instruction ni pendant les dĂ©bats (A.M. c. Italie, no 37019/97, § 25, CEDH 1999-IX, et LucĂ  c. Italie, n33354/96, § 40, CEDH 2001-II).

221. En ce qui concerne les tĂ©moins Ă  dĂ©charge, la Cour rappelle qu’il revient en principe aux juridictions nationales d’apprĂ©cier les Ă©lĂ©ments rassemblĂ©s par elles et la pertinence de ceux dont les accusĂ©s souhaitent la production (BarberĂ , MesseguĂ© et Jabardo c. Espagne, 6 dĂ©cembre 1988, § 68, sĂ©rie A no 146). Plus particulièrement, l’article 6 § 3 d) leur laisse, toujours en principe, le soin de juger de l’utilitĂ© d’une offre de preuve par tĂ©moins (Asch c. Autriche, 26 avril 1991, § 25, sĂ©rie A no 203). Cette disposition n’exige pas la convocation et l’interrogation de tout tĂ©moin Ă  dĂ©charge : ainsi que l’indiquent les mots « dans les mĂŞmes conditions Â», elle a pour but essentiel une complète « Ă©galitĂ© des armes Â» en la matière (Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, § 89, sĂ©rie A no 158). Il appartient Ă  la Cour de contrĂ´ler si l’accusĂ© a eu une occasion adĂ©quate et suffisante de contester les soupçons qui pesaient sur lui (Kajolli c. Italie (dĂ©c.), no 17494/07, 29 avril 2008).

222. La Cour note tout d’abord que la Convention ne consacre pas le droit, pour la dĂ©fense, d’interroger les tĂ©moins en dernier lieu. Elle observe de surcroĂ®t que le requĂ©rant a eu le loisir, par l’intermĂ©diaire des avocats de son choix, de poser Ă  Mme Ariosto les questions qu’il a estimĂ©es utiles pour sa dĂ©fense au cours des audiences publiques des 24 mai et 1er juin 2001 (paragraphe 76 ci-dessus). Il a ainsi eu une occasion adĂ©quate et suffisante de mettre en doute la crĂ©dibilitĂ© de ce tĂ©moin. Par ailleurs, l’allĂ©gation du requĂ©rant selon laquelle une partie des dĂ©clarations faites par Mme Ariosto au parquet n’aurait pas Ă©tĂ© mise Ă  la disposition des accusĂ©s ne se fonde sur aucun Ă©lĂ©ment objectif. Sur ce point, la Cour ne peut que rĂ©itĂ©rer que rien ne permet d’établir le contenu du dossier no 9520/95 et que toute spĂ©culation Ă  cet Ă©gard est destinĂ©e Ă  demeurer une hypothèse invĂ©rifiable.

223. A titre surabondant, la Cour observe que les dĂ©clarations de Mme Ariosto n’étaient ni le seul Ă©lĂ©ment de preuve sur lequel les juges du fond ont appuyĂ© la condamnation du requĂ©rant, ni un Ă©lĂ©ment dĂ©terminant Ă  cet Ă©gard (voir, mutatis mutandis et parmi beaucoup d’autres, Raniolo c. Italie (dĂ©c.), no 62676/00, 21 mars 2002 ; De Lorenzo, dĂ©cision prĂ©citĂ©e ; Jerinò c. Italie (dĂ©c.), n27549/02, 7 juin 2005 ; Bracci prĂ©citĂ©, §§ 57 ; Carta c. Italie, no 4548/02, § 52, 20 avril 2006). Bien au contraire, il ne s’agissait que d’un des Ă©lĂ©ments ayant servi Ă  corroborer les autres preuves Ă  charge, lesquelles ont Ă©tĂ© produites au cours de dĂ©bats publics et contradictoires (voir, mutatis mutandis, Sofri et autres c. Italie (dĂ©c.), n37235/97, CEDH 2003-VIII).

224. Parmi ces preuves, les juges nationaux ont attribuĂ© un poids considĂ©rable aux irrĂ©gularitĂ©s qui se sont produites au cours de la procĂ©dure IMI/SIR et aux transferts d’argent entre les coĂŻnculpĂ©s tels qu’ils ressortent des documents bancaires pertinents. Il n’appartient pas Ă  la Cour de substituer sa propre apprĂ©ciation des preuves Ă  celle des juridictions nationales ni de se prononcer sur la culpabilitĂ© du requĂ©rant (GarcĂ­a Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I, et Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000-V). La Cour se borne Ă  observer que, compte tenu des Ă©lĂ©ments indiquĂ©s ci-dessus, on ne saurait conclure que les juridictions nationales ont fondĂ© la condamnation du requĂ©rant uniquement, ou dans une mesure dĂ©terminante, sur les dĂ©clarations de Mme Ariosto. Le tribunal de Milan a en effet notĂ© que cette dernière n’avait rien relatĂ© quant aux faits spĂ©cifiques qui faisaient l’objet des chefs d’inculpation et que ses dĂ©clarations, bien qu’en partie contradictoires, constituaient simplement des indices supplĂ©mentaires, mĂŞme s’ils n’étaient pas dĂ©cisifs, de l’existence des accords de corruption (paragraphe 91 ci-dessus).

225. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

6. Grief relatif aux difficultés rencontrées par la défense

a) Allégations du requérant

226. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention, le requérant allègue ne pas avoir disposé du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense. Il critique notamment le grand nombre d’audiences qui ont eu lieu à de brefs intervalles dans le cadre de la procédure IMI/SIR et des autres procédures dans lesquelles il était accusé (paragraphes 148-158 ci-dessus) et la circonstance qu’il n’a pu nommer que deux avocats (qui le représentaient aussi dans les procédures Lodo Mondadori, Ariosto et SME – paragraphe 159 ci-dessus), alors qu’il devait faire face à plusieurs autres parties (le ministère public et les parties civiles, parmi lesquelles figuraient deux organes de l’Etat – paragraphe 160 ci-dessus). De plus, les tribunaux internes n’auraient pas dûment tenu compte du fait que ses procès avaient lieu à Milan, et donc loin de l’endroit (Rome) où il exerçait son activité professionnelle de député.

227. Le requĂ©rant souligne en outre que la motivation de l’arrĂŞt de la cour d’appel du 23 mai 2005 (paragraphes 104-109 ci-dessus) Ă©tait particulièrement prolixe et confuse : elle comptait 856 pages et Ă©tait, en substance, une « espèce de roman judiciaire Â» manquant de clartĂ© et mĂ©langeant les arguments avec des donnĂ©es diverses et des hypothèses. Cela l’aurait empĂŞchĂ© de comprendre les raisons de sa condamnation et de prĂ©parer de manière efficace, dans le dĂ©lai de 45 jours prĂ©vu Ă  cet effet, ses moyens de pourvoi en cassation.

228. Le requĂ©rant se plaint Ă©galement du peu de temps accordĂ© Ă  ses avocats d’office pour se familiariser avec le dossier, ce qui selon lui les a empĂŞchĂ©s de garantir une dĂ©fense efficace aux audiences des 1er dĂ©cembre 2001 et 12 et 14 janvier 2002 (paragraphes 76-79 ci-dessus).

b) Appréciation de la Cour

229. La Cour rappelle que, dans l’affaire Craxi c. Italie (no 34896/97, §§ 66-74, 5 dĂ©cembre 2002), elle s’est penchĂ©e sur la question de savoir si le caractère rapprochĂ© des dates des audiences et la fixation simultanĂ©e d’audiences dans les autres affaires pendantes contre le requĂ©rant avaient portĂ© atteinte au droit de celui-ci Ă  disposer du temps et des facilitĂ©s nĂ©cessaires Ă  la prĂ©paration de sa dĂ©fense. Après avoir examinĂ© les circonstances particulières du cas d’espèce, elle a conclu que le caractère rapprochĂ© des dates des audiences (trente-huit au cours d’une pĂ©riode d’un peu plus de quatre mois, auxquelles se sont ajoutĂ©es de nombreuses audiences concernant d’autres affaires contre le mĂŞme accusĂ©) n’avait pas privĂ© d’efficacitĂ© la dĂ©fense dont le requĂ©rant avait bĂ©nĂ©ficiĂ©.

230. La présente requête porte uniquement sur l’iniquité alléguée de la procédure IMI/SIR. La Cour n’est donc pas appelée à se prononcer sur les difficultés rencontrées par le requérant pour la préparation de sa défense dans le cadre des autres procédures judiciaires engagées à son encontre (notamment les affaires Ariosto et SME – voir, mutatis mutandis, Craxi précité, § 66).

231. Or il ressort des documents soumis par le requérant que, pendant une période d’un peu plus d’un an (du 5 novembre 1998 au 15 novembre 1999), vingt-sept audiences préliminaires ont eu lieu dans le cadre de la procédure IMI/SIR, séparées en moyenne par des intervalles de vingt jours pendant les six premiers mois et de dix jours pendant les six mois suivants. Les débats de première instance ont compté 108 audiences au cours d’une période de près de trois ans (du 11 mai 2000 au 29 avril 2003), avec un intervalle moyen d’environ dix jours. En appel, trente-trois audiences se sont déroulées sur une période de trois mois et quinze jours (du 7 février au 23 mai 2005), soit un intervalle moyen de trois jours. Pour ce qui est, enfin, de la procédure en cassation, huit audiences ont eu lieu du 16 janvier au 4 mai 2006, soit en moyenne une audience tous les treize jours.

232. Aux yeux de la Cour, un intervalle Ă©gal ou supĂ©rieur Ă  dix jours entre deux audiences successives dans le cadre d’une longue procĂ©dure pĂ©nale doit normalement ĂŞtre largement suffisant pour permettre au prĂ©venu et Ă  ses conseils d’examiner le matĂ©riel produit par les autres parties et prĂ©parer la dĂ©fense en consĂ©quence. Dès lors, aucune apparence de violation du droit du requĂ©rant Ă  un procès Ă©quitable ne saurait ĂŞtre dĂ©celĂ©e en raison du caractère rapprochĂ© des audiences prĂ©liminaires ou des audiences tenues en première instance puis en cassation. Il est vrai que, dans des circonstances exceptionnelles, un intervalle moyen de trois jours seulement, comme dans la procĂ©dure d’appel de l’affaire IMI/SIR, pourrait poser un problème sous l’angle de l’article 6 de la Convention. Or il n’y a eu aucune circonstance exceptionnelle en la prĂ©sente espèce. En effet, mĂŞme si l’affaire Ă©tait d’une extrĂŞme complexitĂ©, la procĂ©dure d’appel ne portait que sur des questions amplement discutĂ©es lors de l’audience prĂ©liminaire et en première instance et que le tribunal de Milan avait de surcroĂ®t Ă©voquĂ©es dans son jugement du 29 avril 2003. Elles Ă©taient donc bien connues de l’accusĂ© et ses conseils, Mes Sammarco et Perroni, qui, sauf pour la pĂ©riode allant du 22 novembre 2001 au 28 janvier 2002, l’ont assistĂ© tout au long de la procĂ©dure judiciaire IMI/SIR et n’avaient donc pas besoin de se familiariser avec le dossier. Par ailleurs, le requĂ©rant n’a pas allĂ©guĂ© que des Ă©lĂ©ments nouveaux, non mentionnĂ©s dans le jugement de première instance et exigeant, pour la dĂ©fense, un travail supplĂ©mentaire de recherche et vĂ©rification, aient Ă©tĂ© produits en appel.

233. La Cour a Ă©galement pris en considĂ©ration la circonstance, invoquĂ©e par le requĂ©rant, qu’à partir du 29 juin 1998 d’autres audiences le concernant se sont tenues dans le cadre des affaires Ariosto, SME et Lodo Mondadori. En consĂ©quence, le requĂ©rant et ses avocats ont Ă©tĂ© contraints de prendre part Ă  un nombre très Ă©levĂ© d’audiences (selon les calculs de l’intĂ©ressĂ©, en moyenne une tous les cinq jours). Cependant, il ne ressort pas du dossier que la dĂ©fense qu’ils ont assurĂ©e ait Ă©tĂ© dĂ©fectueuse ou autrement dĂ©pourvue d’efficacitĂ©. Au contraire, les tĂ©moins Ă  charge ont Ă©tĂ© interrogĂ©s lors des audiences publiques par les conseils du requĂ©rant qui, dans les diffĂ©rentes phases du procès IMI/SIR, ont prĂ©sentĂ© de nombreuses demandes et des arguments factuels et juridiques concernant des questions tant de procĂ©dure que de fait. Par ailleurs, l’exposĂ© des faits que le requĂ©rant a fourni Ă  la Cour n’indique pas que lui-mĂŞme ou ses conseils aient attirĂ© l’attention des autoritĂ©s nationales sur les difficultĂ©s qu’ils rencontraient dans la prĂ©paration de la dĂ©fense. Leurs demandes d’ajournement des audiences ont Ă©tĂ© motivĂ©es par les empĂŞchements parlementaires de leur client et non par l’impossibilitĂ© de se familiariser avec les pièces produites au cours de la procĂ©dure dans l’intervalle entre les audiences. Enfin, la Cour note que, s’il est vrai que l’article 96 du CPP prĂ©voit que l’accusĂ© ne peut nommer « plus de deux Â» conseils de son choix dans chaque procĂ©dure pĂ©nale le concernant, rien n’empĂŞchait le requĂ©rant de recourir aux services de conseils diffĂ©rents dans les affaires autres que l’affaire IMI/SIR.

234. Dans ces conditions, la Cour ne saurait conclure que les modalités temporelles du déroulement de la procédure IMI/SIR révèlent une apparence de violation de l’article 6 de la Convention.

235. Pour autant que le requĂ©rant critique la longueur de la motivation de l’arrĂŞt d’appel, la Cour rappelle qu’elle n’est pas appelĂ©e Ă  rechercher si les arguments ont Ă©tĂ© adĂ©quatement traitĂ©s dans la motivation d’une dĂ©cision judiciaire interne (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, sĂ©rie A n° 288). Il incombe aux juridictions de rĂ©pondre aux moyens essentiels, sachant que l’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la dĂ©cision et doit donc s’analyser Ă  la lumière des circonstances de l’espèce (Hiro Balani c. Espagne, 9 dĂ©cembre 1994, § 27, sĂ©rie A n° 303-B). La Cour ne saurait donc spĂ©culer sur l’étendue de la rĂ©ponse qu’un juge national doit accorder aux arguments en faveur ou au dĂ©triment des accusĂ©s en s’acquittant de l’obligation de motiver imposĂ©e par l’article 6 § 1 de la Convention (Sofri et autres, dĂ©cision prĂ©citĂ©e ; voir Ă©galement, mutatis mutandis, M.D.U. c. Italie (dĂ©c.), no 58540/00, 28 janvier 2003, oĂą la Cour a exclu l’existence d’une apparence de partialitĂ© du fait, entre autres, de l’ampleur de la motivation d’un arrĂŞt de la Cour de cassation).

236. De l’avis de la Cour, l’arrĂŞt incriminĂ© expose d’une manière qui n’est pas manifestement illogique ou arbitraire les Ă©lĂ©ments qui ont amenĂ© les juges d’appel Ă  condamner le requĂ©rant et Ă  rejeter les questions de procĂ©dure qu’il avait soulevĂ©es. L’étendue de la motivation se justifie par la complexitĂ© de l’affaire et par le nombre des accusĂ©s. Au demeurant, la Cour rappelle que, dans l’affaire Ortolani c. Italie (no 46283/99, dĂ©cision du 31 mai 2001), elle a estimĂ© qu’un dĂ©lai de 40 jours pour interjeter appel d’un jugement de 4 392 pages n’avait pas entravĂ© le plein exercice par le requĂ©rant du droit Ă  disposer du temps et des facilitĂ©s nĂ©cessaires Ă  la prĂ©paration de sa dĂ©fense. Elle ne peut que parvenir Ă  la mĂŞme conclusion en l’espèce, oĂą le dĂ©lai pour prĂ©senter le pourvoi en cassation Ă©tait de 45 jours et la motivation de l’arrĂŞt incriminĂ© Ă©tait bien moins longue. A titre surabondant, la Cour relève qu’il ne ressort pas du dossier que le requĂ©rant ait demandĂ© une prorogation dudit dĂ©lai.

237. Il reste Ă  examiner si le dĂ©lai accordĂ© aux avocats commis d’office pour reprĂ©senter le requĂ©rant afin de se familiariser avec le dossier a Ă©tĂ© suffisant pour leur permettre d’assurer une dĂ©fense efficace. A cet Ă©gard, la Cour rappelle que l’article 6 § 3 c) de la Convention laisse aux Etats contractants le choix des moyens propres Ă  permettre Ă  leur système judiciaire de garantir le droit de tout accusĂ© Ă  « se dĂ©fendre lui-mĂŞme ou avoir l’assistance d’un dĂ©fenseur (...) Â» ; la tâche de la Cour consiste Ă  rechercher si la voie qu’ils ont empruntĂ©e cadre avec les exigences d’un procès Ă©quitable (Quaranta c. Suisse, 24 mai 1991, § 30, sĂ©rie A no 205). La nomination d’un conseil n’assure pas Ă  elle seule l’effectivitĂ© de l’assistance qu’il peut procurer Ă  l’accusĂ© (Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, sĂ©rie A n37, et Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, sĂ©rie A no 275).

238. On ne saurait pour autant imputer Ă  un Etat la responsabilitĂ© de toute dĂ©faillance d’un avocat d’office ou choisi par l’accusĂ©. L’article 6 § 3 c) n’oblige les autoritĂ©s nationales compĂ©tentes Ă  intervenir que si la carence de l’avocat d’office apparaĂ®t manifeste ou si on les en informe suffisamment de quelque autre manière (Sannino c. Italie, no 30961/03, § 49, 27 avril 2006). La Cour a abordĂ© la question du temps dont un avocat d’office doit pouvoir disposer pour se familiariser avec le dossier dans l’affaire Twalib c. Grèce (9 juin 1998, §§ 40-43, Recueil 1998-IV) oĂą, Ă  l’une des deux audiences qui eurent lieu devant elle, la juridiction de première instance avait dĂ©signĂ©, pour dĂ©fendre le requĂ©rant, l’avocat de l’un des coaccusĂ©s, et avait ordonnĂ© « une courte pause Â» pour lui permettre de consulter le dossier. La Cour a estimĂ© que ces faits s’analysaient en des carences graves de la procĂ©dure de première instance, qui avaient pu nuire Ă  la situation du requĂ©rant ; elle a cependant considĂ©rĂ© que la procĂ©dure d’appel, au cours de laquelle s’était tenue une audience avec la participation du requĂ©rant et de son conseil, avait remĂ©diĂ© Ă  ces dĂ©faillances.

239. En l’espèce, le 22 novembre 2001, le requĂ©rant a rĂ©voquĂ© de son plein grĂ© le mandat qu’il avait confiĂ© aux deux avocats de son choix. Etant donnĂ© que l’intĂ©ressĂ© n’avait chargĂ© de sa dĂ©fense aucun autre conseil, le tribunal a Ă©tĂ© contraint de nommer un avocat d’office pour le reprĂ©senter. Le tribunal a choisi Me Crea, qui a demandĂ© un ajournement « d’au moins six mois Â» pour se familiariser avec le dossier. Le tribunal lui a octroyĂ© un dĂ©lai bien plus court – une semaine – et a ajournĂ© la procĂ©dure au 1er dĂ©cembre 2001 (paragraphe 76 ci-dessus). A cette date, MCrea a obtenu un nouveau dĂ©lai expirant le 12 janvier 2002 ; comme elle n’avait pas encore commencĂ© Ă  exĂ©cuter son mandat au cours des dĂ©bats, une autre avocate d’office, MTotis, a Ă©tĂ© nommĂ©e pour reprĂ©senter le requĂ©rant Ă  l’audience du 1er dĂ©cembre 2001, consacrĂ©e Ă  la nouvelle audition d’un tĂ©moin (paragraphes 77-78 ci-dessus). Me Crea a reprĂ©sentĂ© le requĂ©rant aux audiences des 12 et 14 janvier 2002, qui portaient sur les demandes du parquet en vue de la production de certains documents bancaires et de l’audition de nouveaux tĂ©moins (paragraphe 79 ci-dessus). Enfin, le 28 janvier 2002, le tribunal a Ă©tĂ© informĂ© que le requĂ©rant avait renouvelĂ© le mandat des avocats de son choix (paragraphe 80 ci-dessus).

240. Il ressort des faits exposĂ©s ci-dessus que Me Crea a disposĂ© d’un dĂ©lai global de quarante-neuf jours (du 23 novembre 2001 au 12 janvier 2002) pour se familiariser avec le dossier, ce qui ne saurait passer pour insuffisant. Quant Ă  Me Totis, elle a invoquĂ© une incompatibilitĂ© mais n’a demandĂ© aucun ajournement ; elle Ă©tait par ailleurs la reprĂ©sentante d’un coĂŻnculpĂ© accusĂ© d’avoir Ă©tĂ© corrompu par le requĂ©rant, et connaissait les pièces du dossier. Il est vrai que Me Totis a dĂ©cidĂ©, pour des raisons dĂ©ontologiques, de ne poser aucune question au tĂ©moin qui a Ă©tĂ© entendu Ă  l’audience du 1er dĂ©cembre 2001 ; il n’en demeure pas moins que le tĂ©moin en question, Mme Ariosto, avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© interrogĂ©e par les avocats choisis par le requĂ©rant.

241. En tout Ă©tat de cause, la première audience de la procĂ©dure IMI/SIR a eu lieu le 5 novembre 1998 ; l’affaire s’est terminĂ©e le 4 mai 2006, avec l’adoption de l’arrĂŞt de la Cour de cassation. Au cours de cette pĂ©riode de sept ans et six mois, le requĂ©rant a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par des avocats d’office pendant un bref laps de temps de deux mois et six jours (du 22 novembre 2001 au 28 janvier 2002). L’incidence que l’assistance prodiguĂ©e par ces derniers a eue sur la procĂ©dure considĂ©rĂ©e dans son ensemble n’a pu ĂŞtre qu’extrĂŞmement modeste, et toute dĂ©faillance Ă©ventuelle ayant pu nuire au requĂ©rant a Ă©tĂ© rĂ©parĂ©e par la participation des conseils de son choix aux très nombreuses audiences qui ont eu lieu après celle du 14 janvier 2002 (voir, mutatis mutandis, Twalib prĂ©citĂ©, §§ 40-43), ainsi qu’aux procĂ©dures d’appel et de cassation.

242. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

7. Griefs relatifs au manque allégué d’impartialité des juridictions internes et à la méconnaissance du principe de la présomption d’innocence

a) Allégations du requérant

243. Le requĂ©rant se plaint d’un manque d’impartialitĂ© des juridictions chargĂ©es de son affaire. Il soutient que son procès a Ă©tĂ© caractĂ©risĂ© par l’opposition d’une grande partie de la magistrature au parti politique dont il Ă©tait membre, comme le montreraient de nombreux comportements « anormaux Â» (dĂ©ni d’accès au dossier no 9520/95, circonstances entourant les Ă©coutes dans le bar « Mandara Â» et refus d’accepter les empĂŞchements parlementaires de l’accusĂ©). Cela serait symptomatique tant du parti pris des juges et des magistrats du parquet Ă  son Ă©gard que d’une violation du principe de la prĂ©somption d’innocence. Les juges du fond se seraient fondĂ©s non pas exclusivement sur les preuves produites au cours du procès mais aussi sur les convictions qu’ils se seraient forgĂ©es sur la base d’élĂ©ments extĂ©rieurs et sur les consĂ©quences nĂ©gatives de l’exercice par lui-mĂŞme du droit de garder le silence, et ils n’auraient pas fait jouer le bĂ©nĂ©fice du doute en sa faveur. De plus, le tribunal de Milan a fixĂ© le quantum de la peine en tenant compte, parmi d’autres facteurs, de sa conduite au cours du procès. Ainsi, il a Ă©tĂ© pĂ©nalisĂ© pour avoir fait usage des instruments lĂ©gaux que le droit national mettait Ă  sa disposition.

244. Le requĂ©rant soutient, en particulier, que sa condamnation ne reposait pas sur les preuves recueillies par le parquet mais plutĂ´t sur l’insuffisance allĂ©guĂ©e des Ă©lĂ©ments produits par la dĂ©fense afin de dĂ©montrer son innocence. Cela aurait inversĂ© la charge de la preuve. Comme il ressortirait d’une lecture de l’arrĂŞt de la Cour de cassation, les seuls indices Ă  son encontre Ă©taient : a) les irrĂ©gularitĂ©s de la procĂ©dure civile IMI/SIR ; b) la note trouvĂ©e dans le cabinet de Me Pacifico, Ă  partir de laquelle le juge Metta aurait copiĂ© son arrĂŞt rendu dans la procĂ©dure civile IMI/SIR ; c) les disponibilitĂ©s monĂ©taires anormales du juge Metta après le prononcĂ© dudit arrĂŞt ; d) la circonstance que les hĂ©ritiers Rovelli avaient versĂ© sur le compte bancaire Ă  l’étranger du requĂ©rant une importante somme d’argent en 1994 ; e) le fait qu’en 1992, soit deux ans après l’arrĂŞt litigieux, il y avait eu des contacts tĂ©lĂ©phoniques entre M. Metta et lui. Or rien n’aurait prouvĂ© qu’il avait versĂ© de l’argent au juge Metta ; cependant, les juges internes auraient prononcĂ© un verdict de culpabilitĂ© car le requĂ©rant n’avait pas dĂ©montrĂ© qu’il n’avait pas rĂ©munĂ©rĂ© ce juge.

245. Le requérant souligne aussi avoir été la victime d’une virulente campagne de presse tendant à affirmer sa culpabilité, et soutient que le fait que la Présidence du Conseil des Ministres et le ministère de la Justice se soient constitués parties civiles dans la procédure pénale dirigée contre lui pourrait être, en soi, contraire à l’article 6 § 2 de la Convention.

246. Le requérant conteste en particulier l’impartialité de trois des juges chargés de son affaire, à savoir MM. Rossato (le GUP de Milan), Carfì (le président du tribunal de Milan) et Ambrosini (le président de la sixième section de la Cour de cassation).

247. En ce qui concerne M. Carfì, le requĂ©rant critique son comportement au cours du procès de première instance, les dĂ©clarations faites Ă  la presse et le contenu du prĂ©ambule et de la partie relative Ă  la fixation de la peine du jugement de tribunal de Milan (paragraphes 94-100 ci-dessus). Le manque d’impartialitĂ© de M. Carfì ressortirait Ă©galement du contenu de l’ordonnance du tribunal de Milan du 21 novembre 2001 (paragraphes 70-72 ci-dessus) et de la lettre du 22 octobre 2001 adressĂ©e au PrĂ©sident de la Chambre des dĂ©putĂ©s (paragraphe 73 ci-dessus). De l’avis du requĂ©rant, cette lettre dĂ©montre que M. Carfì avait l’intention de continuer les dĂ©bats en dĂ©pit de la dĂ©cision de la Cour constitutionnelle. En outre, le requĂ©rant dĂ©nonce le comportement de M. Carfì Ă  l’audience du 21 novembre 2001 (paragraphe 74 ci-dessus) et souligne que celui-ci aurait pu vĂ©rifier que les dĂ©bats parlementaires Ă©taient en cours en regardant la tĂ©lĂ©vision ou en consultant Internet.

248. Quant Ă  M. Ambrosini, son manque d’impartialitĂ© ressortirait tant du contenu de sa lettre Ă  la ministre de l’Education nationale que de ses idĂ©es politiques (paragraphes 135-136 ci-dessus).

b) Appréciation de la Cour

249. La Cour note tout d’abord qu’elle ne voit pas en quoi le fait que le ministère de la Justice et la PrĂ©sidence du Conseil des Ministres se soient constituĂ©s parties civiles dans la procĂ©dure IMI/SIR pourrait ĂŞtre constitutif d’une violation du principe de la prĂ©somption d’innocence (voir, mutatis mutandis, Kamasinski prĂ©citĂ©, § 93). En l’espèce, le ministère de la Justice et la PrĂ©sidence du Conseil des Ministres ont estimĂ© que les Ă©pisodes de corruption incriminĂ©s avaient portĂ© atteinte aux intĂ©rĂŞts des administrations qu’ils reprĂ©sentaient. Leur constitution de partie civile ne prĂ©jugeait en rien de l’apprĂ©ciation par les tribunaux internes de l’innocence ou de la culpabilitĂ© du requĂ©rant.

250. Pour autant que le requĂ©rant soutient que, contrairement Ă  la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, BarberĂ , MesseguĂ© et Jabardo prĂ©citĂ©, § 77, John Murray c. Royaume-Uni, 8 fĂ©vrier 1996, § 54, Recueil 1996-I, et Telfner c. Autriche, no 33501/96, § 15, 20 mars 2001), dans son cas, la charge de la preuve a Ă©tĂ© dĂ©placĂ©e de l’accusation sur la dĂ©fense, il y a lieu de noter que la condamnation de l’intĂ©ressĂ© a Ă©tĂ© prononcĂ©e sur la base d’un faisceau d’indices jugĂ©s prĂ©cis, graves et concordants. La circonstance que les juridictions internes n’aient pas pu trouver la preuve comptable de tous les transferts d’argent qui, selon le parquet, ont eu lieu entre les corrupteurs et les magistrats corrompus n’implique pas une mĂ©connaissance de la prĂ©somption d’innocence, car il Ă©tait loisible aux juges nationaux de dĂ©duire l’existence de tels transferts de la conduite des accusĂ©s, de leurs disponibilitĂ©s financières et des autres opĂ©rations comptables antĂ©rieures ou postĂ©rieures.

251. La Cour a Ă©galement examinĂ© les allĂ©gations du requĂ©rant concernant la prĂ©tendue opposition d’une grande partie de la magistrature au parti dont il Ă©tait membre et la campagne de presse dont il aurait Ă©tĂ© victime. Elle observe qu’au moment oĂą les accusations de corruption dans des actes judiciaires ont Ă©tĂ© formulĂ©es Ă  son encontre, le requĂ©rant, ancien ministre, Ă©tait un membre du Parlement et une personnalitĂ© Ă©minente du parti politique Forza Italia. Compte tenu de la gravitĂ© des faits dont il Ă©tait accusĂ©, il Ă©tait inĂ©vitable, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, que son procès attire l’attention des mĂ©dias et de l’opinion publique. De plus, les vicissitudes du procès et, notamment, l’adoption de lois telles que la loi « Cirami Â», la loi en matière de commissions rogatoires et la loi no 251 de 2005 n’ont pu qu’augmenter l’intĂ©rĂŞt des mĂ©dias et le dĂ©bat public au sujet de la procĂ©dure pĂ©nale IMI/SIR.

252. A cet égard, il convient de rappeler que dans son arrêt Craxi (précité, §§ 102-108), la Cour a écarté les allégations du requérant en observant qu’il est loisible à la presse d’exprimer des commentaires parfois sévères sur une affaire sensible concernant une personnalité éminente et que la condamnation litigieuse avait été prononcée à l’issue d’une procédure contradictoire. Des considérations analogues s’appliquent en la présente espèce.

253. La Cour a pris connaissance des déclarations faites par plusieurs magistrats à la presse et des articles, produits par le requérant, parus dans la revue Questione Giustizia, ainsi que du document de l’ANM du 13 juillet 2002 (paragraphes 139-144 ci-dessus). Dans leur ensemble, ces textes contiennent des critiques du climat politique entourant le procès, des réformes législatives proposées par le gouvernement et de la stratégie défensive du requérant. Ils n’affirment cependant en rien la culpabilité de ce dernier. Toujours sans se pencher sur la question de savoir si l’intéressé avait, ou non, commis les faits qu’on lui reprochait, l’ANM a en outre montré son opposition à la possibilité, pour un accusé, d’avoir accès à la liste des magistrats ayant adhéré à un courant de la magistrature. Aux yeux de la Cour, la circonstance que, en application des principes de la démocratie et du pluralisme, certains magistrats ou groupes de magistrats puissent, en leur qualité d’experts en matière juridique, exprimer des réserves ou des critiques à l’égard des projets de loi du gouvernement ne saurait nuire à l’équité des procédures judiciaires auxquelles ces projets pourraient s’appliquer. Il convient également d’observer que les juridictions appelées à connaître de la cause du requérant étaient entièrement composées de juges professionnels jouissant d’une expérience et d’une formation leur permettant d’écarter toute influence extérieure au procès (voir, mutatis mutandis, D’Urso et Sgorbati c. Italie (déc.), no 52948/99, 3 avril 2001, et Priebke c. Italie (déc.), n48799/99). Par ailleurs, il était loisible à des juges autres que ceux qui siégeaient dans l’affaire de formuler des commentaires sur la stratégie défensive, largement relatée et discutée par les médias, d’un personnage éminent.

254. A la lumière de ce qui prĂ©cède, la Cour ne saurait conclure que les commentaires Ă©mis dans le cadre de la procĂ©dure IMI/SIR ont rĂ©duit les chances du requĂ©rant de bĂ©nĂ©ficier d’un procès Ă©quitable (voir, mutatis mutandis, Pullicino c. Malte (dĂ©c.), no 45441/99, 15 juin 2000, Papon c. France (dĂ©c.), no 54210/00, 19 novembre 2001, et Akay c. Turquie (dĂ©c.), no 34501/97, 19 fĂ©vrier 2002).

255. Pour ce qui est des allĂ©gations du requĂ©rant concernant la partialitĂ© de M. Rossato, la Cour rappelle que ce juge Ă©tait uniquement chargĂ© de dĂ©cider, Ă  l’issue de l’audience prĂ©liminaire, si les accusĂ©s devaient ou non ĂŞtre renvoyĂ©s en jugement. Or, aux termes de la jurisprudence de la Cour, les garanties d’indĂ©pendance et d’impartialitĂ© propres au procès Ă©quitable fixĂ©es par l’article 6 § 1 de la Convention concernent essentiellement les juridictions appelĂ©es Ă  dĂ©cider du fond d’une accusation en matière pĂ©nale et ne s’appliquent pas au reprĂ©sentant du parquet – ce dernier Ă©tant notamment l’une des parties Ă  une procĂ©dure judiciaire contradictoire (Priebke, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, et Forcellini c. Saint Marin (dĂ©c.) n34657/97, 28 mai 2002) – ou Ă  l’organe qui, sans se pencher sur son innocence ou sa culpabilitĂ©, est chargĂ© de dĂ©cider si l’accusĂ© doit ĂŞtre jugĂ© par un « tribunal Â» (De Lorenzo, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, pp. 26-27).

256. Il reste à déterminer si les craintes du requérant concernant un éventuel manque d’impartialité de M. Carfì, président du tribunal de Milan, et de M. Ambrosini, président de la sixième section de la Cour de cassation, étaient objectivement justifiées.

257. Les principes gĂ©nĂ©raux concernant les dĂ©marches pour Ă©valuer l’impartialitĂ© d’un « tribunal Â» sont exposĂ©s, entre autres, dans les arrĂŞts suivants : Padovani c. Italie, 26 fĂ©vrier 1993, § 20, sĂ©rie A no 257-B ; Thomann c. Suisse, 10 juin 1996, § 30, Recueil 1996-III ; Ferrantelli et Santangelo c. Italie, 7 aoĂ»t 1996, § 58, Recueil 1996-III ; Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil 1998-VIII ; Wettstein c. Suisse, no 33958/96, § 44, CEDH 2000-XII ; Morel c. France, no 34130/96, § 42, CEDH 2000-VI ; Cianetti c. Italie, no 55634/00, § 37, 22 avril 2004. Il convient en outre de rappeler que la plus grande discrĂ©tion s’impose aux autoritĂ©s judiciaires lorsqu’elles sont appelĂ©es Ă  juger, afin de garantir leur image de juges impartiaux. Cette discrĂ©tion doit les amener Ă  ne pas utiliser la presse, mĂŞme pour rĂ©pondre Ă  des provocations. Ainsi le veulent les impĂ©ratifs supĂ©rieurs de la justice et la grandeur de la fonction judiciaire. Faisant application de ces principes, la Cour a, par exemple, conclu Ă  la violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans une affaire oĂą le prĂ©sident du tribunal avait employĂ© publiquement des expressions sous-entendant une apprĂ©ciation nĂ©gative de la cause du requĂ©rant avant de prĂ©sider l’organe judiciaire appelĂ© Ă  la trancher (Buscemi c. Italie, no 29569/95, §§ 67-69, CEDH 1999-VI).

258. La Cour a cependant eu l’occasion de souligner que des craintes quant Ă  un manque d’indĂ©pendance et d’impartialitĂ© des juges nationaux se fondant uniquement sur le contenu des dĂ©cisions judiciaires prononcĂ©es contre un requĂ©rant (Bracci prĂ©citĂ©, § 52) ou sur les simples circonstances qu’une juridiction interne a commis des erreurs de fait ou de droit et que sa dĂ©cision a Ă©tĂ© annulĂ©e par une instance supĂ©rieure (Sofri et autres, dĂ©cision prĂ©citĂ©e) ne sauraient passer pour objectivement justifiĂ©es. De plus, elle a estimĂ© que le fait qu’un juge ait des convictions politiques diffĂ©rentes de celles de l’accusĂ© ne saurait, en soi, donner lieu Ă  un conflit d’intĂ©rĂŞts de nature Ă  justifier le dĂ©sistement du juge en question (M.D.U. c. Italie, dĂ©cision prĂ©citĂ©e). Cela est d’autant plus vrai lorsqu’aucune raison objective ne permet de soupçonner que le magistrat mis en cause n’a pas regardĂ© le serment qu’il a prĂŞtĂ© lors de son entrĂ©e en fonctions comme prioritaire par rapport Ă  tout autre engagement social ou politique (voir, mutatis mutandis, Salaman c. Royaume-Uni (dĂ©c.), no 43505/98, 15 juin 2000). En particulier, la Cour a jugĂ© manifestement mal fondĂ©es des craintes relatives Ă  un manque d’impartialitĂ© fondĂ©es sur les opinions politiques des juges dans des circonstances oĂą aucun lien n’existait entre l’objet de la procĂ©dure nationale (qui, en l’espèce, concernait des infractions fiscales et ne mettait donc pas en cause les idĂ©es politiques du prĂ©venu), et les propos ou l’engagement politique des juges concernĂ©s (M.D.U. c. Italie, dĂ©cision prĂ©citĂ©e).

259. Selon les allĂ©gations du requĂ©rant, M. Carfì aurait montrĂ© au cours du procès une attitude hostile Ă  l’égard de la dĂ©fense et, après le prononcĂ© du jugement de première instance, se serait livrĂ© Ă  des considĂ©rations inappropriĂ©es dans des entretiens accordĂ©s Ă  la presse. La Cour a examinĂ© les dĂ©clarations faites pendant les dĂ©bats par M. Carfì (paragraphes 94-96 ci-dessus) sans y dĂ©celer le moindre signe de partialitĂ©. Il est vrai que, dans le prĂ©ambule de la motivation du jugement de première instance dont il a revendiquĂ© la paternitĂ©, M. Carfì a, pour l’essentiel, rĂ©pondu aux accusations selon lesquelles le tribunal qu’il prĂ©sidait Ă©tait « aux ordres d’un parti politique Â» (paragraphes 97-98 ci-dessus). Bien qu’à la rigueur superflu, un tel prĂ©ambule avait pour but de rassurer quant Ă  la sĂ©rĂ©nitĂ© de jugement du tribunal en dĂ©clarant que celui-ci, en dĂ©pit des attaques dont il avait fait l’objet, Ă©tait au service de la loi et n’avait pas Ă©tĂ© influencĂ© par les rumeurs entourant le procès. Partant, il ne saurait ĂŞtre constitutif d’une violation des principes du procès Ă©quitable, qu’il visait au contraire Ă  rĂ©affirmer.

260. Selon un article paru après le prononcĂ© du jugement de première instance dans le quotidien Il Messaggero, lorsque les chroniqueurs ont demandĂ© Ă  M. Carfì si, dans le cadre de la rĂ©daction du jugement de première instance, il s’était « Ă´tĂ© une Ă©pine du pied Â», l’intĂ©ressĂ© aurait rĂ©pondu : « Je dirais que oui Â» (paragraphe 96 ci-dessus). La Cour observe d’emblĂ©e qu’à l’époque de l’entretien litigieux, M. Carfì avait terminĂ© l’examen de l’affaire du requĂ©rant. En tout Ă©tat de cause, la rĂ©ponse donnĂ©e par M. Carfì aux journalistes se prĂŞte Ă  des interprĂ©tations diffĂ©rentes car la question elle-mĂŞme Ă©tait ambiguĂ«. On ne savait pas clairement, en effet, quelles Ă©taient les « Ă©pines Â» fichĂ©es dans le pied du magistrat mis en cause et d’oĂą elles provenaient. On ne saurait, dès lors, interprĂ©ter ses affirmations comme un signe d’hostilitĂ© envers le requĂ©rant ou la dĂ©fense.

261. Il en va de mĂŞme pour ce qui est de la lettre adressĂ©e par M. Ambrosini Ă  la ministre de l’Education nationale (paragraphe 135 ci-dessus). De l’avis du requĂ©rant, cette lettre se rĂ©fĂ©rait Ă  lui et contenait des reproches implicites Ă  son Ă©gard. Il convient d’observer, cependant, que la lettre incriminĂ©e a Ă©tĂ© Ă©crite au moins un an et sept mois avant le dĂ©but de la procĂ©dure en cassation. De plus, elle contient pour l’essentiel une critique d’un projet de rĂ©forme de l’ordre judiciaire. Ces propos ne rĂ©vèlent, en tant que tels, aucun parti pris Ă  l’égard du requĂ©rant et ne sous-entendent pas une apprĂ©ciation nĂ©gative de sa cause.

262. Pour ce qui est du passage dans lequel M. Ambrosini se rĂ©fĂ©rerait implicitement au requĂ©rant, la Cour estime que la rĂ©fĂ©rence en question est loin d’être Ă©tablie. M. Ambrosini s’est en effet bornĂ© Ă  citer l’affaire d’un certain Muccioli, une personnalitĂ© publique qui « luttait dans le procès et non contre le procès afin que son innocence fĂ»t reconnue Â». Or le requĂ©rant affirme qu’il a souvent Ă©tĂ© accusĂ© de « se dĂ©fendre du procès Â» et que le passage incriminĂ© visait Ă  opposer sa conduite, jugĂ©e incorrecte, Ă  celle, jugĂ©e irrĂ©prochable, de M. Muccioli. La Cour ne dispose cependant pas d’élĂ©ments objectifs suffisants pour souscrire Ă  cette thèse et considère que, dans ces circonstances, il ne lui appartient pas de se lancer dans des spĂ©culations quant Ă  l’interprĂ©tation pouvant ĂŞtre donnĂ©e aux termes utilisĂ©s par M. Ambrosini.

263. Le requĂ©rant allègue Ă©galement que ce juge Ă©tait un extrĂ©miste politique de gauche car il s’était portĂ© candidat pour le Parti communiste aux Ă©lections lĂ©gislatives de 1979 et avait prĂ´nĂ©, dans des articles Ă©crits entre 1970 et 1979, une lecture critique de la loi par les magistrats « engagĂ©s Â». M. Ambrosini aurait Ă©galement montrĂ© sa sympathie pour les luttes ouvrières et son animositĂ© envers les « fascistes Â» et il aurait, en 2004, critiquĂ© les rĂ©formes de la justice proposĂ©es par le centre droit. Dès lors, il ne pouvait qu’être hostile envers le requĂ©rant, porteur d’une idĂ©ologie opposĂ©e.

264. La Cour estime qu’en ce qui concerne cet aspect la prĂ©sente affaire s’apparente Ă  l’affaire M.D.U. c. Italie, prĂ©citĂ©e. Tout comme dans l’affaire M.D.U., aucune raison objective ne permet en l’espèce de penser que M. Ambrosini n’a pas considĂ©rĂ© le serment qu’il a prĂŞtĂ© lors de son entrĂ©e en fonctions comme prioritaire par rapport Ă  tout autre engagement social ou politique ; de plus, il n’existe aucun lien entre l’objet de la procĂ©dure nationale (qui concernait des Ă©pisodes de corruption et ne mettait donc pas en cause les idĂ©es politiques du prĂ©venu) et les propos ou l’engagement politique du juge concernĂ©. Enfin, l’engagement politique et les articles politiquement engagĂ©s de M. Ambrosini remontent aux annĂ©es 1970, soit environ vingt-cinq ans avant le dĂ©but de la procĂ©dure en cassation.

265. La Cour est d’avis qu’il aurait Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rable que les magistrats impliquĂ©s dans l’affaire du requĂ©rant eussent fait preuve d’une plus grande discrĂ©tion dans leurs commentaires publics. Cependant, elle estime que MM. Carfì et Ambrosini n’ont ni montrĂ© un parti pris Ă  l’encontre du requĂ©rant ni employĂ© publiquement des expressions sous-entendant une apprĂ©ciation nĂ©gative de sa cause ; dès lors, les craintes de l’intĂ©ressĂ© quant Ă  un manque d’impartialitĂ© de ces deux juges de ne sauraient passer pour objectivement justifiĂ©es (voir, a contrario, Buscemi prĂ©citĂ©, §§ 67-69, et Olujić c. Croatie, no 22330/05, §§ 56-68, 5 fĂ©vrier 2009).

266. Enfin, pour autant que la partialitĂ© des juridictions internes rĂ©siderait dans les dĂ©cisions prises par ces organes (comme, par exemple, l’ordonnance du tribunal de Milan du 21 novembre 2001 – paragraphes 70-72 ci-dessus), la Cour ne saurait accepter, en tant que telles, les allĂ©gations du requĂ©rant. Elle a par ailleurs examinĂ© les questions liĂ©es au dĂ©ni d’accès au dossier no 9520/95 et au refus d’accepter les empĂŞchements parlementaires de l’accusĂ© sans dĂ©celer la moindre apparence de violation des principes du procès Ă©quitable. Au demeurant, elle ne voit pas en quoi la circonstance que le tribunal de Milan a demandĂ© au PrĂ©sident de la Chambre des dĂ©putĂ©s le calendrier des travaux parlementaires afin de fixer les audiences suivantes sans interfĂ©rer avec le mandat parlementaire du requĂ©rant (paragraphe 73 ci-dessus) pourrait s’analyser en un signe d’hostilitĂ© envers l’intĂ©ressĂ©. Quant Ă  l’épisode des Ă©coutes effectuĂ©es dans le bar « Mandara Â» (paragraphes 48-55 ci-dessus), le requĂ©rant met en cause, pour l’essentiel, les modalitĂ©s d’acquisition d’une preuve, et donc une matière dont la règlementation incombe, au premier chef, Ă  la loi nationale, tout comme la bonne foi des agents de police ayant effectuĂ© les enregistrements litigieux. La Cour ne dispose d’aucun Ă©lĂ©ment permettant d’étayer ces allĂ©gations ou de donner Ă  penser que lesdits agents auraient menti au sujet du contenu des conversations qu’ils ont Ă©coutĂ©es. En tout Ă©tat de cause, les Ă©coutes en question ne concernaient pas le requĂ©rant mais l’un de ses coĂŻnculpĂ©s, et il appartient aux juridictions nationales de dĂ©cider de la crĂ©dibilitĂ© d’un tĂ©moignage fait devant elles.

267. Il convient Ă©galement de rappeler que la Convention n’interdit pas au juge national de fixer le quantum de la peine en ayant Ă©gard Ă  la personnalitĂ© de l’accusĂ© (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 90, sĂ©rie A no 22). Par ailleurs, l’article 133 du CP prĂ©voit que, dans l’exercice de son pouvoir discrĂ©tionnaire dans ce domaine, le juge doit tenir compte des potentialitĂ©s criminelles du coupable, Ă©tablies, entre autres, sur la base de sa conduite après la commission de l’infraction, et donc aussi pendant son procès (paragraphe 168 ci-dessus). Dès lors qu’il a Ă©tĂ© dĂ»ment prouvĂ© que l’accusĂ© est coupable de l’infraction en cause, l’article 6 § 2 ne peut s’appliquer en rapport avec les allĂ©gations Ă©noncĂ©es au sujet de la personnalitĂ© et du comportement de l’intĂ©ressĂ© dans le cadre de la procĂ©dure d’infliction de la peine, Ă  moins que ces allĂ©gations soient d’une nature et d’un degrĂ© tels qu’elles s’analysent en la formulation d’une nouvelle « accusation Â», au sens autonome que possède cette notion dans le cadre de la Convention (Phillips c. Royaume-Uni, n41087/98, § 35, CEDH 2001‑VII). Or aucune nouvelle accusation n’a Ă©tĂ© formulĂ©e contre le requĂ©rant en raison de son comportement dans le cadre de la procĂ©dure judiciaire IMI/SIR.

268. Compte tenu de l’ensemble des éléments soulignés ci-dessus, la Cour ne décèle aucune apparence de violation des garanties d’indépendance et d’impartialité voulues par l’article 6 de la Convention ou des principes du procès équitable et de la présomption d’innocence.

269. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Griefs tirés de l’article 7

270. Le requĂ©rant considère que sa condamnation pour corruption dans des actes judiciaires et le fait qu’il n’a pas pu bĂ©nĂ©ficier des dĂ©lais de prescription introduits par la loi no 251 de 2005 ont violĂ© l’article 7 de la Convention, ainsi libellĂ© :

« 1. Nul ne peut ĂŞtre condamnĂ© pour une action ou une omission qui, au moment oĂą elle a Ă©tĂ© commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De mĂŞme il n’est infligĂ© aucune peine plus forte que celle qui Ă©tait applicable au moment oĂą l’infraction a Ă©tĂ© commise.

2. Le prĂ©sent article ne portera pas atteinte au jugement et Ă  la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment oĂą elle a Ă©tĂ© commise, Ă©tait criminelle d’après les principes gĂ©nĂ©raux de droit reconnus par les nations civilisĂ©es. Â»

1. Grief relatif Ă  la condamnation pour corruption dans des actes judiciaires

a) Allégations du requérant

271. Le requérant conteste tout d’abord sa condamnation à six ans d’emprisonnement pour corruption dans des actes judicaires.

272. Il observe qu’étant donnĂ© que la loi no 86 de 1990 n’a pas modifiĂ© l’article 321 du CP (paragraphe 166 ci-dessus), Ă  partir d’avril 1990 le corrupteur ne pouvait pas ĂŞtre puni aux termes de l’article 319ter, mais seulement aux termes des articles 318 et 319, qui sanctionnent l’infraction de corruption et prĂ©voient des peines plus lĂ©gères. Ce n’est qu’à partir du 17 mars 1992, date de l’entrĂ©e en vigueur de la loi no 181 de 1992 (paragraphe 167 ci-dessus), que le corrupteur – et non pas seulement l’agent de la fonction publique corrompu – serait devenu punissable pour l’infraction prĂ©vue Ă  l’article 319ter du CP.

273. Or la Cour de cassation aurait indiquĂ© que cette infraction Ă©tait constituĂ©e si l’accord de corruption avait eu lieu avant l’accomplissement de l’acte judiciaire incriminĂ©, la rĂ©munĂ©ration d’actes antĂ©rieurs n’étant pas punissable. Selon les juges du fond, l’accord de corruption avec le juge Metta pour l’affaire IMI/SIR n’avait pas Ă©tĂ© conclu « avant dĂ©cembre 1989 Â», date de l’assignation de l’affaire au magistrat en question, qui a rendu son jugement le 26 novembre 1990. Il est vrai que, selon la thèse des juges nationaux, le versement de la rĂ©munĂ©ration de la corruption se serait poursuivi jusqu’en 1993 ; cependant, il s’agirait de faits postĂ©rieurs Ă  la rĂ©alisation des Ă©lĂ©ments constitutifs de l’infraction prĂ©vue Ă  l’article 319ter du CP.

274. Le requĂ©rant indique que, en dĂ©pit de ce qui prĂ©cède, il a Ă©tĂ© condamnĂ© en tant que corrupteur pour cette infraction, plus grave que la corruption simple, pour des faits nĂ©cessairement commis avant le prononcĂ© du jugement du 26 novembre 1990, et donc avant l’entrĂ©e en vigueur de la loi no 181 de 1992 (17 mars 1992). Il estime dès lors avoir Ă©tĂ© puni pour une action (intervention en tant que « corrupteur Â» afin d’influencer l’issue d’un diffĂ©rend judiciaire) qui, au moment oĂą elle a Ă©tĂ© commise, n’était pas constitutive en droit national de l’infraction sanctionnĂ©e par l’article 319ter du CP. Les conclusions auxquelles est parvenue la Cour de cassation seraient le fruit d’une interprĂ©tation extensive de la loi pĂ©nale au dĂ©triment de l’accusĂ©.

b) Appréciation de la Cour

275. La garantie que consacre l’article 7, Ă©lĂ©ment essentiel de la prĂ©Ă©minence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention. On doit l’interprĂ©ter et l’appliquer de manière Ă  assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et les sanctions arbitraires (S.W. c. Royaume-Uni et C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 34 et § 32 respectivement, sĂ©rie A nos 335-B et 335-C, et Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 137, 12 fĂ©vrier 2008).

276. L’article 7 § 1 de la Convention ne se borne pas Ă  prohiber l’application rĂ©troactive du droit pĂ©nal au dĂ©triment de l’accusĂ©. Il consacre aussi le principe de la lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege). S’il interdit en particulier d’étendre le champ d’application des infractions existantes Ă  des faits qui, antĂ©rieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pĂ©nale de manière extensive au dĂ©triment de l’accusĂ©, par exemple par analogie (voir, parmi d’autres, CoĂ«me et autres prĂ©citĂ©, § 145). Le justiciable doit pouvoir savoir, Ă  partir du libellĂ© de la disposition pertinente et, au besoin, Ă  l’aide de l’interprĂ©tation qui en est donnĂ©e par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilitĂ© pĂ©nale (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 52, sĂ©rie A no 260-A, Achour c. France [GC], no 67335/01, § 41, CEDH 2006-IV, et Sud Fondi Srl et autres c. Italie, no 75909/01, § 107, 20 janvier 2009).

277. La tâche qui incombe Ă  la Cour est donc de s’assurer que, au moment oĂą un accusĂ© a commis l’acte qui a donnĂ© lieu aux poursuites et Ă  la condamnation, il existait une disposition lĂ©gale rendant l’acte punissable et que la peine imposĂ©e n’a pas excĂ©dĂ© les limites fixĂ©es par cette disposition (CoĂ«me et autres prĂ©citĂ©, § 145, et Achour prĂ©citĂ©, § 43).

278. La notion de « droit Â» (« law Â») utilisĂ©e Ă  l’article 7 correspond Ă  celle de « loi Â» qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle englobe le droit d’origine tant lĂ©gislative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles d’accessibilitĂ© et de prĂ©visibilitĂ© (Kokkinakis prĂ©citĂ©, §§ 40-41, Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 29, Recueil 1996‑V, CoĂ«me et autres prĂ©citĂ©, § 145, et E.K. c. Turquie, no 28496/95, § 51, 7 fĂ©vrier 2002).

279. En raison mĂŞme du caractère gĂ©nĂ©ral des lois, le libellĂ© de celles-ci ne peut prĂ©senter une prĂ©cision absolue. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprĂ©tation et l’application dĂ©pendent de la pratique (Cantoni prĂ©citĂ©, § 31, et Kokkinakis prĂ©citĂ©, § 40). Dès lors, dans quelque système juridique que ce soit, aussi clair que le libellĂ© d’une disposition lĂ©gale puisse ĂŞtre, y compris une disposition de droit pĂ©nal, il existe inĂ©vitablement un Ă©lĂ©ment d’interprĂ©tation judiciaire. Il faudra toujours Ă©lucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation.

280. La fonction de dĂ©cision confiĂ©e aux juridictions sert prĂ©cisĂ©ment Ă  dissiper les doutes qui pourraient subsister quant Ă  l’interprĂ©tation des normes (Kafkaris prĂ©citĂ©, § 141). D’ailleurs, il est solidement Ă©tabli dans la tradition juridique des Etats parties Ă  la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nĂ©cessairement Ă  l’évolution progressive du droit pĂ©nal (Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 29, sĂ©rie A no 176‑A). On ne saurait interprĂ©ter l’article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilitĂ© pĂ©nale par l’interprĂ©tation judiciaire d’une affaire Ă  l’autre, Ă  condition que le rĂ©sultat soit cohĂ©rent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prĂ©visible (Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 50, CEDH 2001‑II).

281. La portĂ©e de la notion de prĂ©visibilitĂ© dĂ©pend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualitĂ© de ses destinataires. La prĂ©visibilitĂ© d’une loi ne s’oppose pas Ă  ce que la personne concernĂ©e soit amenĂ©e Ă  recourir Ă  des conseils Ă©clairĂ©s pour Ă©valuer, Ă  un degrĂ© raisonnable dans les circonstances de la cause, les consĂ©quences pouvant rĂ©sulter d’un acte dĂ©terminĂ© (Achour prĂ©citĂ©, § 54, et Scoppola c. Italie [GC], no 10249/03, § 102, CEDH 2009‑...).

282. La Cour note tout d’abord que, en raison d’un dĂ©faut technique de la loi no 86 de 1990, qui a introduit dans le système juridique italien l’infraction de corruption dans des actes judiciaires, le corrupteur ne pouvait pas en 1990 ĂŞtre puni pour cette infraction (prĂ©vue Ă  l’article 319ter du CP), mais seulement pour corruption simple (prĂ©vue Ă  l’article 319 du CP). Ce n’est qu’à partir du 17 mars 1992, date d’entrĂ©e en vigueur de la loi no 181 de 1992, que ce dĂ©faut a Ă©tĂ© corrigĂ© (paragraphes 166-167 ci-dessus). Dès lors, pour dĂ©terminer si une personne accusĂ©e d’avoir corrompu un agent de la fonction publique pour favoriser une partie dans une procĂ©dure judiciaire doit ĂŞtre punie au titre de l’article 319 ou de l’article 319ter du CP, il est essentiel de dĂ©terminer la date Ă  laquelle l’infraction a Ă©tĂ© commise. Les juridictions italiennes ne peuvent appliquer l’article 319ter du CP – et les sanctions plus sĂ©vères qui y sont prĂ©vues – que si cette date est postĂ©rieure au 17 mars 1992.

283. Dans tout système juridique, il appartient aux tribunaux internes d’interpréter les dispositions de droit pénal matériel afin de déterminer, par rapport à la structure de chaque infraction, la date où, tous les éléments constitutifs de celle-ci étant réunis, il y a commission d’un acte punissable. Il s’agit là d’un élément d’interprétation judiciaire auquel la Convention ne saurait faire obstacle, à condition que les résultats auxquels les juridictions internes parviennent soient raisonnablement prévisibles au sens de la jurisprudence de la Cour.

284. En l’espèce, trois juridictions se sont penchĂ©es sur la question de l’applicabilitĂ© de l’article 319ter du CP. Le tribunal de Milan a d’abord estimĂ© que la date Ă  laquelle l’infraction de corruption dans des actes judiciaires avait Ă©tĂ© commise Ă©tait postĂ©rieure au 17 mars 1992 car le versement au juge Metta de la rĂ©munĂ©ration de la corruption avait eu lieu après cette date (paragraphe 92 ci-dessus). La cour d’appel est cependant revenue sur cette interprĂ©tation, concluant que le requĂ©rant devait ĂŞtre puni pour corruption simple pour les faits commis jusqu’au 17 mars 1992 et pour corruption dans des actes judiciaires pour les faits ultĂ©rieurs. Elle a rappelĂ© Ă  cet Ă©gard que l’accord de corruption pouvait avoir lieu soit avant, soit après l’accomplissement de l’acte judiciaire incriminĂ© (paragraphe 108 ci-dessus). Enfin, pour ce qui est de la Cour de cassation, tout en estimant que l’accord de corruption devait en principe prĂ©cĂ©der l’accomplissement de l’acte judiciaire incriminĂ©, elle a considĂ©rĂ© que le versement effectif de la rĂ©munĂ©ration de la corruption, effectuĂ© en exĂ©cution de cet accord, Ă©tait de nature Ă  opĂ©rer un « dĂ©placement en avant dans le temps Â» du moment de la commission de l’infraction. Puisque le paiement en question avait eu lieu jusqu’en dĂ©cembre 1993, c’est-Ă -dire après le 17 mars 1992, le requĂ©rant pouvait ĂŞtre condamnĂ© en tant que corrupteur aux termes des articles 319ter et 321 du CP (paragraphe 130 ci-dessus).

285. Aux yeux de la Cour, cette dernière interprĂ©tation, qui constitue le motif de dolĂ©ance du requĂ©rant, n’est pas en soi dĂ©raisonnable. En effet, puisqu’aux termes de l’article 321 du CP le corrupteur est celui qui « donne ou promet Ă  l’agent de la fonction publique (...) de l’argent ou un autre avantage Â» (paragraphe 165 ci-dessus), il n’est pas arbitraire de considĂ©rer le paiement des sommes convenues lors de l’accord de corruption comme l’un des Ă©lĂ©ments constitutifs de l’infraction de corruption dans des actes judiciaires. Au demeurant, il convient d’observer que le requĂ©rant n’a pas allĂ©guĂ© que l’interprĂ©tation litigieuse Ă©tait contraire Ă  une jurisprudence bien Ă©tablie ou qu’elle n’était pas prĂ©visible en recourant, si nĂ©cessaire, Ă  des conseils Ă©clairĂ©s.

286. Dans ces conditions, aucune apparence de violation de l’article 7 de la Convention ne saurait être décelée.

287. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Grief relatif à la non-application des nouveaux délais de prescription

a) Allégations du requérant

288. Invoquant l’article 7 § 1 de la Convention, seul ou combinĂ© avec les articles 14 et 6 § 2, le requĂ©rant se plaint de ne pas avoir pu bĂ©nĂ©ficier des nouveaux dĂ©lais de prescription prĂ©vus par la loi no 251 de 2005 (paragraphe 118 ci-dessus), qui auraient conduit Ă  sa relaxe.

L’article 14 de la Convention se lit ainsi :

« La jouissance des droits et libertĂ©s reconnus dans la (...) Convention doit ĂŞtre assurĂ©e, sans distinction aucune, fondĂ©e notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance Ă  une minoritĂ© nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. Â»

289. Le requĂ©rant soutient d’abord que l’article 7 § 1 de la Convention ne garantit pas seulement le principe de non-rĂ©troactivitĂ© des lois pĂ©nales plus sĂ©vères mais aussi le principe de rĂ©troactivitĂ© de la loi pĂ©nale la plus douce. De plus, les dispositions en matière de prescription des infractions seraient des dispositions de droit pĂ©nal substantiel et non procĂ©dural ; dès lors, elles devraient ĂŞtre appliquĂ©es en faveur de l’accusĂ© mĂŞme si elles sont entrĂ©es en vigueur après la commission des infractions, pourvu qu’aucune condamnation dĂ©finitive n’ait Ă©tĂ© prononcĂ©e. Or, lorsque la loi no 251 de 2005 est entrĂ©e en vigueur, pareille condamnation n’aurait pas encore Ă©tĂ© prononcĂ©e Ă  son encontre, puisque son procès Ă©tait pendant en cassation.

290. En tout état de cause, les choix du législateur devraient être raisonnables et ne pas se heurter à l’interdiction de la discrimination. En l’espèce, le requérant allègue avoir été traité de manière différente – et moins avantageuse – que les personnes accusées d’infractions analogues commises au même moment mais dont le procès n’avait pas encore atteint la phase d’appel à l’époque de l’entrée en vigueur de la loi no 251 de 2005. La disposition transitoire contenue à l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005 (paragraphe 119 ci-dessus) ferait dépendre l’application de la prescription d’un facteur – la rapidité du procès – qui échappe au contrôle de l’accusé et qui peut être influencé par la conduite du parquet. Il s’agirait donc d’un facteur imprévisible et aléatoire entraînant un risque d’arbitraire.

b) Appréciation de la Cour

291. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 2 b) de la Convention elle ne retient aucune requĂŞte individuelle lorsqu’elle est « essentiellement la mĂŞme qu’une requĂŞte prĂ©cĂ©demment examinĂ©e par la Cour (...), et si elle ne contient pas des faits nouveaux Â».

292. Elle observe que le requĂ©rant a dĂ©jĂ  contestĂ© devant elle la conduite de la Cour de cassation qui, malgrĂ© les doutes existant quant Ă  la constitutionnalitĂ© de la clause transitoire contenue dans la loi no 251 de 2005, a adoptĂ© un arrĂŞt rejetant en partie son pourvoi, ce qui a empĂŞchĂ© l’intĂ©ressĂ© de bĂ©nĂ©ficier des dĂ©lais de prescription introduits par les nouvelles dispositions. En particulier, dans le cadre de la requĂŞte no 35201/06 (paragraphe 133 ci-dessus), l’intĂ©ressĂ© se plaignait, entre autres, d’une violation de l’article 6 de la Convention « en raison du refus de la Cour de cassation d’ajourner la date de l’audience dans l’attente de la dĂ©cision de la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalitĂ© de l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005, ainsi qu’en raison du rejet [du recours] incident de constitutionnalitĂ© prĂ©sentĂ© par son avocat Ă  l’audience du 28 avril 2006 Â». Il allĂ©guait Ă©galement que le rejet de son recours incident Ă©tait constitutif d’une mĂ©connaissance de son droit Ă  un recours effectif tel que garanti par l’article 13 de la Convention et que, en violation de l’article 2 du Protocole no 7, la Cour de cassation avait Ă©tĂ© seul juge de la question fondamentale de l’applicabilitĂ© de la loi no 251 de 2005. La Cour a examinĂ© ces allĂ©gations et les a rejetĂ©es pour dĂ©faut manifeste de fondement et pour incompatibilitĂ© ratione materiae avec les dispositions de la Convention par une dĂ©cision du 12 avril 2007 dĂ©clarant la requĂŞte no 35201/06 irrecevable (paragraphe 134 ci‑dessus).

293. Dans le cadre de la prĂ©sente requĂŞte, le grief du requĂ©rant porte sur l’impossibilitĂ© de bĂ©nĂ©ficier des nouveaux dĂ©lais de prescription en raison de la clause transitoire contenue Ă  l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005. L’intĂ©ressĂ© y voit une violation des articles 7, 14 et 6 § 2 de la Convention. Aux yeux de la Cour, le requĂ©rant vise pour l’essentiel Ă  faire rĂ©examiner par elle sous l’angle d’autres clauses de la Convention les faits qui Ă©taient Ă  l’origine de la requĂŞte no 35201/06 et qui n’ont pas Ă©tĂ© jugĂ©s constitutifs d’une mĂ©connaissance des articles 6 et 13 de la Convention et 2 du Protocole no 7. A cet Ă©gard, il convient de rappeler que, maĂ®tresse de la qualification juridique des faits, la Cour ne se considère pas comme liĂ©e par celle que leur attribuent les requĂ©rants ou les gouvernements. Un grief se caractĂ©rise par les faits qu’il dĂ©nonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoquĂ©s (Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21 fĂ©vrier 1990, § 29, sĂ©rie A no 172, Guerra et autres c. Italie, 19 fĂ©vrier 1998, § 44, Recueil 1998-I, et Scoppola prĂ©citĂ©, § 54).

294. Il s’ensuit que ce grief est essentiellement le mĂŞme que celui soulevĂ© par le requĂ©rant sous l’angle des articles 6 et 13 de la Convention et 2 du Protocole no 7 dans le cadre de la requĂŞte no 35201/06, dĂ©clarĂ©e irrecevable par la Cour le 12 avril 2007. Puisque le requĂ©rant n’a portĂ© Ă  l’attention de la Cour aucun fait nouveau non examinĂ© dans le cadre de la dĂ©cision sur la recevabilitĂ© de la requĂŞte no 35201/06, ce grief doit ĂŞtre rejetĂ© en application de l’article 35 §§ 2 b) et 4 de la Convention.

C. Grief tiré de l’article 8

295. Le requĂ©rant se plaint de l’obtention de ses relevĂ©s tĂ©lĂ©phoniques, ordonnĂ©e par le tribunal de Milan. Il invoque l’article 8 de la Convention, ainsi libellĂ© :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privĂ©e et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingĂ©rence d’une autoritĂ© publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingĂ©rence est prĂ©vue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, est nĂ©cessaire Ă  la sĂ©curitĂ© nationale, Ă  la sĂ»retĂ© publique, au bien-ĂŞtre Ă©conomique du pays, Ă  la dĂ©fense de l’ordre et Ă  la prĂ©vention des infractions pĂ©nales, Ă  la protection de la santĂ© ou de la morale, ou Ă  la protection des droits et libertĂ©s d’autrui. Â»

1. Allégations du requérant

296. Le requĂ©rant observe que les relevĂ©s en question ont Ă©tĂ© d’abord obtenus par le parquet, qui s’est bornĂ© Ă  prendre contact par courrier avec l’opĂ©rateur tĂ©lĂ©phonique concernĂ©. Ce faisant, le parquet n’aurait pas respectĂ© les normes internes qui, telles qu’interprĂ©tĂ©es par la Cour de cassation (qui a fait application, par analogie, des dispositions en matière d’écoutes tĂ©lĂ©phoniques), exigeaient l’adoption d’une ordonnance motivĂ©e. Le requĂ©rant considère tout d’abord que les règles jurisprudentielles Ă©laborĂ©es par la Cour de cassation n’indiquent nullement les conditions, la durĂ©e et les modalitĂ©s d’exĂ©cution des dĂ©cisions en matière d’obtention de relevĂ©s tĂ©lĂ©phoniques. De plus, Ă  supposer mĂŞme que ces règles jurisprudentielles puissent constituer une base lĂ©gale suffisante pour une ingĂ©rence dans le droit au respect de la vie privĂ©e, il serait indĂ©niable que le parquet n’a pas respectĂ© la garantie minimale qu’elles exigent. Par ailleurs, comme notĂ© par la cour d’appel (paragraphe 107 ci-dessus), la procĂ©dure suivie par le tribunal de Milan n’aurait pas Ă©tĂ© correcte car la loi imposait d’ordonner la saisie des relevĂ©s auprès de l’opĂ©rateur tĂ©lĂ©phonique et non la simple production des documents illĂ©galement obtenus par le parquet. Le requĂ©rant en dĂ©duit que l’ingĂ©rence dans son droit au respect de sa vie privĂ©e n’était pas « prĂ©vue par la loi Â».

297. Il note, enfin, que les relevĂ©s litigieux ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour prouver l’existence de contacts tĂ©lĂ©phoniques entre lui et le juge Metta, contacts qui ont constituĂ© une « preuve dĂ©cisive Â» de sa participation Ă  l’accord de corruption. Il estime que l’utilisation Ă  charge de preuves obtenues au mĂ©pris des procĂ©dures lĂ©gales et acquises par le tribunal, qui a comblĂ© les lacunes du ministère public, a violĂ© les principes du procès Ă©quitable tels que garantis par l’article 6 de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

298. La Cour rappelle que, les communications tĂ©lĂ©phoniques se trouvant englobĂ©es dans les notions de « vie privĂ©e Â» et de « correspondance Â» au sens de l’article 8, leur interception peut s’analyser en une « ingĂ©rence d’une autoritĂ© publique Â» dans l’exercice d’un droit que le paragraphe 1 garantit Ă  un requĂ©rant (voir, entre autres et mutatis mutandis, Malone c. Royaume-Uni, 2 aoĂ»t 1984, § 64, sĂ©rie A no 82, et Valenzuela Contreras c. Espagne, 30 juillet 1998, § 47, Recueil 1998-V).

299. Par ailleurs, une ingĂ©rence mĂ©connaĂ®t l’article 8 sauf si, « prĂ©vue par la loi Â», elle poursuit un ou des buts lĂ©gitimes au regard du paragraphe 2 et, de plus, est « nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique Â» pour les atteindre (Panarisi prĂ©citĂ©, § 65).

300. Les mots « prĂ©vue par la loi Â», au sens de l’article 8 § 2, veulent d’abord que la mesure incriminĂ©e ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi Ă  la qualitĂ© de la loi en cause : ils exigent l’accessibilitĂ© de celle-ci Ă  la personne concernĂ©e, qui de surcroĂ®t doit pouvoir en prĂ©voir les consĂ©quences pour elle, et sa compatibilitĂ© avec la prĂ©Ă©minence du droit (Coban c. Espagne (dĂ©c.), no 17060/02, 25 septembre 2006).

301. Il incombe au premier chef aux autoritĂ©s nationales, et singulièrement aux cours et tribunaux, d’interprĂ©ter et d’appliquer le droit interne (voir, parmi beaucoup d’autres, Malone prĂ©citĂ©, § 79, et Eriksson c. Suède, 22 juin 1989, § 62, sĂ©rie A n156). Par ailleurs, on ne saurait faire abstraction d’une jurisprudence Ă©tablie. La Cour a en effet toujours entendu le terme « loi Â» dans son acception « matĂ©rielle Â» et non « formelle Â» ; dans un domaine couvert par le droit Ă©crit, la « loi Â» est le texte en vigueur tel que les juridictions compĂ©tentes l’ont interprĂ©tĂ© (Kruslin prĂ©citĂ©, § 29).

302. Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’apprĂ©ciation pour juger de l’existence et de l’étendue de la nĂ©cessitĂ© de l’ingĂ©rence, mais elle va de pair avec un contrĂ´le europĂ©en portant Ă  la fois sur la loi et sur les dĂ©cisions qui l’appliquent, mĂŞme quand elles Ă©manent d’une juridiction indĂ©pendante (voir, mutatis mutandis, Silver et autres c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, § 97, sĂ©rie A no 61, et Barfod c. Danemark, 22 fĂ©vrier 1989, § 28, sĂ©rie A no 149). Dans le cadre de l’examen de la nĂ©cessitĂ© de l’ingĂ©rence, la Cour doit notamment se convaincre de l’existence de garanties adĂ©quates et suffisantes contre les abus (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, §§ 50, 54 et 55, sĂ©rie A no 28).

303. En l’espèce les conversations tĂ©lĂ©phoniques du requĂ©rant n’ont pas Ă©tĂ© Ă©coutĂ©es, les autoritĂ©s s’étant bornĂ©es Ă  ordonner la production des relevĂ©s tĂ©lĂ©phoniques relatifs, entre autres, Ă  la ligne de l’intĂ©ressĂ©. Ces relevĂ©s ne divulguent pas le contenu des conversations tĂ©lĂ©phoniques du requĂ©rant, mais se limitent Ă  indiquer les appels Ă©mis ou reçus sur sa ligne, la durĂ©e de ces derniers et les numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone de ses correspondants. Il n’en demeure pas moins que la production de ces relevĂ©s au cours d’un procès public et leur utilisation Ă  l’encontre du requĂ©rant ont constituĂ© une « ingĂ©rence Â» d’une autoritĂ© publique dans le droit de l’intĂ©ressĂ© au respect de sa correspondance. Comme la Cour a eu l’occasion de l’affirmer, il n’est pas dĂ©cisif Ă  cet Ă©gard que le système utilisĂ© ait pris la forme d’un simple « comptage Â» effectuĂ© grâce Ă  un mĂ©canisme enregistrant les numĂ©ros composĂ©s sur un poste tĂ©lĂ©phonique donnĂ© ainsi que l’heure et la durĂ©e de chaque appel (Malone prĂ©citĂ©, § 87, et Valenzuela Contreras prĂ©citĂ©, § 47).

304. Quant Ă  la question de savoir si l’ingĂ©rence litigieuse Ă©tait « prĂ©vue par la loi Â», la Cour observe que le parquet n’a pas dĂ»ment motivĂ© la dĂ©cision d’obtenir les relevĂ©s tĂ©lĂ©phoniques. Cependant, le tribunal de Milan a remĂ©diĂ© Ă  ce vice de forme en annulant la dĂ©cision litigieuse pour absence de motivation (paragraphe 86 ci-dessus ; voir, mutatis mutandis, Craxi c. Italie (dĂ©c.), no 25337/94, 7 dĂ©cembre 2000). Estimant que ces Ă©lĂ©ments de preuve Ă©taient utiles pour clarifier la nature des relations entre les accusĂ©s, il a ordonnĂ© Ă  nouveau, cette fois avec une motivation adĂ©quate, la production des relevĂ©s. Il est vrai que la cour d’appel de Milan a estimĂ© que le tribunal aurait dĂ» ordonner non la production d’office des relevĂ©s, mais leur saisie (paragraphe 107 ci-dessus) ; il n’en demeure pas moins que la cour d’appel elle-mĂŞme a considĂ©rĂ© que cet Ă©ventuel vice de procĂ©dure s’analysait en une simple irrĂ©gularitĂ© n’entraĂ®nant aucune consĂ©quence sur le plan de la validitĂ© du moyen de preuve en question. De plus, la thèse selon laquelle le tribunal Ă©tait tenu de saisir les relevĂ©s chez l’opĂ©rateur tĂ©lĂ©phonique concernĂ© a Ă©tĂ© finalement Ă©cartĂ©e par la Cour de cassation, qui a observĂ© que les relevĂ©s ont Ă©tĂ© obtenus lĂ  oĂą ils Ă©taient disponibles et qu’aucun doute ne subsistait quant Ă  leur provenance et Ă  leur authenticitĂ© (paragraphe 129 ci-dessus).

305. La Cour observe ensuite que, comme l’admet le requérant lui-même, les juridictions internes ont appliqué par analogie à la production des relevés les dispositions en matière d’écoutes téléphoniques (paragraphe 169 ci-dessus). Or, rien ne prouve que ces dispositions n’offraient pas les garanties requises par l’article 8 de la Convention.

306. A la lumière de ce qui prĂ©cède, la Cour estime que l’ingĂ©rence litigieuse Ă©tait « prĂ©vue par la loi Â». De plus, elle visait Ă  permettre la manifestation de la vĂ©ritĂ© dans le cadre d’une procĂ©dure criminelle et tendait donc Ă  la dĂ©fense de l’ordre et Ă  la prĂ©vention des infractions pĂ©nales (Coban, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, et Panarisi prĂ©citĂ©, § 73).

307. Il reste Ă  examiner si l’ingĂ©rence Ă©tait « nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique Â» pour atteindre ces objectifs. A cet Ă©gard, il convient d’observer que la production des relevĂ©s a permis d’établir l’existence et la frĂ©quence des contacts tĂ©lĂ©phoniques entre certains accusĂ©s Ă  l’époque oĂą, selon le parquet, les infractions avaient Ă©tĂ© commises. Cette mesure a donc contribuĂ© Ă  l’établissement des faits dans une procĂ©dure pĂ©nale concernant des Ă©pisodes de corruption d’une gravitĂ© extrĂŞme. Par ailleurs, le requĂ©rant a bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un « contrĂ´le effectif Â» pour contester la production des relevĂ©s. En effet, le tribunal de Milan a examinĂ© – et censurĂ© – la lĂ©galitĂ© des mesures prises par le parquet, et la cour d’appel de Milan ainsi que la Cour de cassation se sont penchĂ©es sur les exceptions du requĂ©rant tirĂ©es de l’illĂ©galitĂ© de l’ordonnance Ă©mise par le tribunal (voir, mutatis mutandis, Panarisi prĂ©citĂ©, §§ 75-76).

308. Au vu de ce qui prĂ©cède, la Cour estime que l’intĂ©ressĂ© a bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un « contrĂ´le effectif Â» tel que voulu par la prĂ©Ă©minence du droit et apte Ă  limiter l’ingĂ©rence litigieuse Ă  ce qui Ă©tait « nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique Â». A la lumière des principes qui se dĂ©gagent de la jurisprudence des organes de la Convention, elle considère que rien dans le dossier ne permet de dĂ©celer une apparence de violation par les juridictions italiennes du droit au respect de la vie privĂ©e et de la correspondance tel que reconnu par l’article 8 de la Convention.

309. Dans ces conditions, l’utilisation des relevés comme élément de preuve à charge n’a pas porté atteinte à l’équité du procès (voir, mutatis mutandis, Panarisi précité, §§ 91-93).

310. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

D. Grief tiré de l’article 2 du Protocole no 7

311. Le requĂ©rant se plaint de ne pas avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un double degrĂ© de juridiction en matière pĂ©nale. Il invoque l’article 2 du Protocole no 7, ainsi libellĂ© :

« 1. Toute personne dĂ©clarĂ©e coupable d’une infraction pĂ©nale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supĂ©rieure la dĂ©claration de culpabilitĂ© ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut ĂŞtre exercĂ©, sont rĂ©gis par la loi.

2. Ce droit peut faire l’objet d’exceptions pour des infractions mineures telles qu’elles sont dĂ©finies par la loi ou lorsque l’intĂ©ressĂ© a Ă©tĂ© jugĂ© en première instance par la plus haute juridiction ou a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© coupable et condamnĂ© Ă  la suite d’un recours contre son acquittement. Â»

1. Allégations du requérant

312. Le requĂ©rant observe que, l’ayant relaxĂ© de l’infraction de corruption s’agissant de l’épisode « Squillante Â» (paragraphe 121 ci-dessus), la Cour de cassation aurait dĂ» renvoyer l’affaire aux juges d’appel afin de fixer le quantum de la peine pour l’épisode « Metta Â». En effet, selon la jurisprudence de la Cour de cassation elle-mĂŞme, la possibilitĂ© d’une cassation sans renvoi serait limitĂ©e aux cas oĂą, Ă  la suite d’une annulation partielle, le juge ne dispose d’aucun pouvoir discrĂ©tionnaire dans la fixation de la sanction Ă  infliger car elle est une consĂ©quence automatique du vice constatĂ©. Or, lorsqu’il y a acquittement de l’une des infractions relevant du rĂ©gime de l’infraction continue, le quantum de la peine pour les crimes restants se prĂŞterait Ă  une apprĂ©ciation discrĂ©tionnaire incombant au juge du fond et non Ă  la Cour de cassation. Le requĂ©rant cite Ă  cet Ă©gard l’arrĂŞt de la cinquième section de la Cour de cassation no 2844 du 21 janvier 1999 et souligne que les juges du fond auraient pu rĂ©Ă©valuer les Ă©lĂ©ments qui les ont conduits Ă  fixer Ă  six ans la peine pour l’épisode « Metta Â» et Ă  refuser l’octroi de circonstances attĂ©nuantes.

2. Appréciation de la Cour

313. Il ressort du texte de l’article 2 du Protocole no 7 que les Etats parties conservent la facultĂ© de dĂ©cider des modalitĂ©s d’exercice du droit Ă  rĂ©examen et peuvent restreindre l’étendue de celui-ci ; dans nombre de ces Etats, ledit rĂ©examen se trouve ainsi limitĂ© aux questions de droit (Loewenguth c. France (dĂ©c.), no 53183/99, CEDH 2000-VI, et Guala c. France (dĂ©c.), no 64117/00, 18 mars 2003).

314. La Cour a notamment rejeté les allégations d’un requérant qui soutenait que, ayant écarté une circonstance aggravante à son encontre, la Cour de cassation aurait dû renvoyer l’affaire devant une juridiction inférieure afin que celle-ci fixât à nouveau la peine globale à infliger. Elle a souligné que le requérant avait eu la possibilité de se pourvoir en cassation contre la décision d’appel et que la Cour de cassation avait procédé à un réexamen de la légalité de sa condamnation, ce qui excluait toute apparence de violation du droit à un double degré de juridiction en matière pénale (De Lorenzo, décision précitée).

315. Des considérations analogues s’appliquent en l’espèce. Le requérant, condamné en première instance, a eu le loisir d’interjeter appel et de se pourvoir en cassation contre le verdict de culpabilité. Deux juridictions ont donc réexaminé la pertinence des éléments à sa charge et la légalité de sa condamnation. En particulier, la Cour de cassation a conclu que, pour ce que concernait l’un des épisodes de corruption dont l’intéressé était accusé, les faits reprochés ne s’étaient pas produits (paragraphe 121 ci-dessus). Cela satisfait pleinement aux exigences de l’article 2 du Protocole no 7. Cette disposition n’impose pas à la Cour de cassation de renvoyer dans chaque cas de figure l’affaire devant une juridiction inférieure lorsqu’elle annule une partie de la décision attaquée. En effet, rien n’empêche la juridiction de dernière instance de fixer elle-même le quantum de la peine si elle estime, comme en l’espèce, que les éléments contenus dans le dossier lui permettent d’évaluer les répercussions qu’une annulation partielle a eues sur la sanction à infliger.

316. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

DĂ©clare la requĂŞte irrecevable.

Françoise Elens-Passos                              Françoise Tulkens

 Greffière adjointe                                             Présidente

 



[1]. Gras et soulignement ajoutés.