Paolo Passaglia
La réception des décisions des juridictions
constitutionnelles par les pouvoirs constitués*
1. Introduction
Le sujet que l’on va aborder nécessite quelques
précisions, tant en ce qui concerne les définitions que la méthodologie.
Tout d’abord, une définition des notions qui figurent
dans le titre de cette intervention s’impose.
Par «réception» l’on entend l’impact réel des décisions
des juges constitutionnels sur les autres pouvoirs ou sujets de l’ordre
juridique (la définition est de G. Drago).
La référence aux «juridictions constitutionnelles» n’est
pas technique, puisqu’elle embrasse tous les juges qui ont le monopole ou qui
exercent en dernière instance la justice constitutionnelle (et donc, non
seulement les cours ou les tribunaux constitutionnels, mais aussi les cours
suprêmes).
La délimitation du sujet aux «pouvoirs constitués»
exclut, tout d’abord, le pouvoir constituant, tant originaire que dérivé
(toutefois, des références au pouvoir constituant dérivé – la révision
constitutionnelle – se révèlent nécessaires) ; en outre, la notion de
«pouvoir» exclut que l’on doive aborder le thème de la réception des décisions
par l’opinion publique (quelques remarques à cet égard seront quand même
nécessaires). Parmi les pouvoirs constitués, l’on prendra en considération
principalement le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir
judiciaire, même si dans certains systèmes le peuple peut se manifester comme
un pouvoir constitué (c’est le cas, par exemple, de l’Italie, mais pas de la
France).
Il s’agit d’une recherche de droit comparé :
toutefois, une étude «à large spectre», s’avère impossible, de ce fait un choix
des expériences s’est imposé. Pour cette raison, des expériences diverses ont
été choisies, parmi celles qui peuvent compter sur une histoire assez longue
et/ou qui peuvent susciter un intérêt particulier (seront donc principalement
pris en considération les systèmes des États-Unis, de l’Allemagne, de l’Italie,
de la France et de l’Espagne).
2. Le juge constitutionnel :
un instituteur (plutôt qu’un prêcheur ou un gardien de phare)
Étant donné que toute réception
implique au préalable une perception,
afin de mesurer l’impact des décisions des juges constitutionnels, il sera
utile d’évaluer la manière dont les juges constitutionnels sont perçus par les
destinataires des décisions.
À cet égard, trois métaphores différentes peuvent être
proposées : le juge constitutionnel peut être perçu comme un prêcheur,
comme un instituteur ou comme un gardien de phare.
En ce qui concerne le prêcheur, ses sermons peuvent être
inspirés ou modestes, écoutés ou inaperçus ; le trait commun (du moins
hors des théocraties) est que les obligations qu’ils posent sont dépourvues de
sanctions.
Le rôle d’un gardien de phare est de porter la lumière,
de guider le marin, qui a besoin de son œuvre pour que son navire n’aille pas
se briser contre la falaise ; aucune sanction n’est prévue pour qui ne
prête pas attention à son œuvre, mais tout bon marin sait qu’il ne doit pas
défier le sort et se conforme spontanément à ce que le gardien du phare lui
suggère.
La catégorie des instituteurs est très peu homogène, les
instituteurs étant très différents les uns des autres ; la mission
pédagogique et l’autorité, variablement soutenues par un pouvoir disciplinaire,
sont néanmoins les deux éléments qui semblent ne pas pouvoir faire défaut.
Pour ce qui est du juge constitutionnel, en principe, les
soucis de légitimité nous conduisent à le définir comme un gardien de phare
(cette approche vaut surtout pour l’Europe ; aux États-Unis, l’on est,
évidemment, beaucoup plus pragmatique) ; la pratique, notamment dans
certains pays et dans certaines situations, risque toutefois de le faire
devenir un prêcheur. Il en résulte que le compromis entre théorie et pratique
implique alors de retenir la qualification d’instituteur comme étant la plus
adéquate.
Or, la qualification du juge constitutionnel comme un
instituteur est une définition évocatrice, mais qui n’a pas d’effet concret à
elle seule, car la perception des instituteurs varie remarquablement selon les
cas, et, en conséquence, la réception même de leurs actions.
Dans une tentative de simplification, l’on pourrait
indiquer quatre facteurs majeurs qui influencent particulièrement la réception
des actions des instituteurs : le système scolaire, la personne de
l’instituteur, la conduite de l’instituteur et l’attitude des élèves.
Ensuite, l’on utilisera la métaphore instituteur / juge
constitutionnel, analysant chacun des facteurs afin de saisir certains aspects
de la réception des décisions du juge constitutionnel.
3. Le système scolaire
Le système peut avoir une réputation excellente, bonne ou
mauvaise ; il peut être basé sur la distance entre instituteur et élèves
ou bien sur leur proximité, voir même sur leur quasi-parité ; il peut
donner à l’instituteur un certain choix dans les sanctions du comportement
irrégulier des élèves, ou au contraire être très tolérant.
Ces trois variables sont à reprendre et à analyser dans
le cadre de la métaphore que l’on a proposée ; dans ce cas, le système
scolaire correspond au système où l’instituteur-juge constitutionnel agit,
c’est-à-dire l’ordre constitutionnel.
3.1. La réputation du système
scolaire
La Constitution et les lois qui la complètent (voire qui
intègrent la constitution matérielle) peuvent être perçues comme la réalisation
d’un pacte fondateur incontournable, la concrétisation du droit naturel, de la
raison, des valeurs suprêmes qui inspirent toute société humaine. Une telle
perception est largement majoritaire dans les systèmes européens et américains,
pour la simple raison qu’elle est strictement liée à la philosophie du constitutionnalisme
(du moins dans la tradition libérale-démocratique).
Historiquement, la France constituait l’exception la plus
importante – il s’agit ici d’une opinion tout à fait personnelle –, puisque,
encore en 1981, un député pouvait affirmer (quoique d’une position
d’arrière-garde) : «Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes
politiquement minoritaires» (Laignel, PS). Depuis, l’influence du jacobinisme,
après une longue décadence, paraît avoir disparu, malgré le maintien en vigueur
de l’article 6 de la Déclaration de 1789. À ce propos, l’on doit remarquer,
d’un côté, que le Conseil constitutionnel n’a pas hésité à préciser que «la loi votée […] n’exprime la volonté générale
que dans le respect de la Constitution» (décision n° 85-197 DC), et, de l’autre,
face aux incertitudes engendrées par la première cohabitation (1986), le
Président de la République Mitterrand (qui avait crié, en 1964, au «coup d’État
permanent») résumait ainsi ses propos pour l’avenir : «La Constitution,
toute la Constitution, rien que la Constitution».
Le respect que l’on doit (et que l’on rend) à la
Constitution est la base de toute réception des décisions des juges
constitutionnels, puisque ceux-ci tirent leur légitimité – premièrement et
principalement – de la Constitution, la branche de l’arbre sur laquelle la Cour
est assise (la formule, très éloquente, est du Professeur Silvestri, juge de la
Cour constitutionnelle italienne).
En général, et pour ce qui intéresse spécialement cette
intervention, l’on peut considérer la conscience de la valeur de la
Constitution comme acquise, même si les risques de crises ne sont pas exorcisés
à jamais. Par exemple, la valeur reconnue à la Constitution italienne s’est
considérablement affaiblie depuis que les forces politiques qui avaient participé
à sa rédaction ont été effacées par la crise des années 1992-1993 et que
d’autres forces (qui ont critiqué une Constitution définie comme «soviétique»
et ont contesté même l’unité de la République) ont acquis un poids considérable
(jusqu’à devenir majoritaires).
3.2. La structure des rapports
entre l’instituteur et les élèves (le problème du «dernier mot»)
L’alternative entre le magistère et la quasi-parité
évoquée pour illustrer les rapports de l’instituteur avec les élèves se
traduit, en ce qui concerne les rapports entre le juge constitutionnel et les
autres pouvoirs de l’ordre juridique, dans l’alternative entre la
reconnaissance ou le refus du dernier mot du juge constitutionnel, en tant que
gardien suprême de la Constitution.
À ce propos, l’on peut constater une divergence, à
certains égards surprenante. Une sentence vient tout de suite à l’esprit, celle
que Charles Evans Hughes, futur Chief Justice de
la Cour suprême des États-Unis, prononça en 1907 : «We are under a Constitution, but the
Constitution is what the judges say it
is». Il n’y a pas de manière plus claire et nette
pour reconnaître le dernier mot au juge de dernière instance.
Cependant, si l’on se penche sur l’histoire et la
doctrine (surtout la plus récente : cf., notamment, Louis Fisher) américaines,
l’on s’aperçoit que le dernier mot est loin d’être acquis au profit de la Cour
suprême : les rapports entre la Cour suprême fédérale et le Congrès sont
de plus en plus décrits en référence au «dialogue», à la «concurrence» ou même
encore à l’«affrontement».
Nul n’est prophète dans sa patrie, M. Hughes non
plus : en se tournant vers l’Europe, l’idée du juge constitutionnel comme
gardien suprême de la Constitution, et – en tant que tel – titulaire du dernier
mot, semble avoir plus de partisans.
En effet, l’on constate que l’attribution du dernier mot
au juge constitutionnel semble acquise pour les Tribunaux constitutionnels
d’Allemagne et (avec quelques nuances) d’Espagne, où la reconnaissance de leur
rôle d’interprète suprême de la Constitution est incontestée et incontestable,
au regard du droit positif.
Le débat sur le «dernier mot» ne passionne guère les
italiens (l’expression figure dans les médias, plutôt que dans les écrits
scientifiques) même si, on le verra peu après, certains rapprochements avec le
système allemand ne sont pas négligeables.
La situation française paraît différente, du moins pour
l’instant : le contrôle a priori,
trait caractéristique du système français pendant de longues années, n’a pas
aidé à enraciner l’idée selon laquelle un Conseil qui, statuant dans le cadre
de la procédure législative, détient le dernier mot. Et le nombre de révisions
constitutionnelles, joint au refus du Conseil de contrôler la
constitutionnalité d’une loi constitutionnelle, a fini par dissocier la fonction
de gardien suprême de la Constitution (propre du Conseil) de la prononciation
du dernier mot (qui appartient souvent au Parlement). Cela dit, l’on ne saurait
plus s’attacher à l’idée d’un Conseil constitutionnel «aiguilleur» (Louis Favoreu, 1982), une idée qui est devenue démodée au fil des
années et désuète avec la question prioritaire de constitutionnalité.
Or, le cas français est révélateur du fait qu’il n’est
pas si utile de s’attarder sur l’attribution – possible, souhaitable ou
répugnante qu’elle soit – du dernier mot, en général : la nature et la
consistance du «dernier mot» changent de manière spectaculaire selon les points
de vue que l’on adopte.
L’on peut déceler au moins deux perspectives
fondamentales : celle qui a trait au dernier mot contingent, c’est-à-dire
à l’objet spécifique de la décision du juge constitutionnel (a), et celle qui a
trait au dernier mot absolu, concernant la portée des affirmations faites par
le juge constitutionnel (b).
(a) Le dernier mot du juge constitutionnel à l’égard du
litige ou de la question spécifique est une règle qui ne connaît presque pas
d’exceptions.
Tous les systèmes prévoient que les décisions de la cour
ou du tribunal constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours ; ils
ont donc l’autorité de la chose jugée. Le problème, à l’évidence, ne se pose
même pas aux États-Unis, où les décisions de la Cour suprême sont définitives
en raison de la position de celle-ci au sein de l’ordre judiciaire.
Les exceptions sont difficiles à trouver : les seuls
exemples que l’on peut mentionner sont ceux qui concernent les cas où une
décision de la juridiction constitutionnelle peut être surmontée par la
délibération d’un autre organe. Il s’agit de cas exceptionnels, néanmoins
remarquables, qui brisent de manière significative l’autorité du juge
constitutionnel. L’on peut citer l’exemple du Portugal, où la décision rendue a priori par le Tribunal constitutionnel
peut être dépassée par un vote à la majorité des deux tiers des députés de
l’Assemblée de la République qui participent au vote (article 279 de la
Constitution)
(b) L’attribution au juge constitutionnel du dernier mot
absolu évoque des questions de toute autre nature, qui imposent un certain
nombre de précisions.
I. Un premier élément à considérer est l’existence ou non
de normes ou principes qui priment sur toute manifestation du pouvoir autre que
le pouvoir constituant originaire : c’est ce que les Français appellent la
théorie de la supraconstitutionnalité. En Allemagne (article 79, paragraphe 3,
du Grundgesetz)
et en Italie (décision n° 1146 de 1988), la révision constitutionnelle n’est
pas l’expression d’un pouvoir illimité. En France, par sa décision n° 2003-469
DC, qui a exclu tout contrôle des lois constitutionnelles, le Conseil
constitutionnel a apparemment dit son dernier mot (pour le moment). En ce qui
concerne les États-Unis, la décision de principe Myers v. Anderson (1915), qui a exclu la compétence de la Cour à
contrôler les amendements à la Constitution, n’a pas été démentie, jusqu’à
présent ; les décisions où la Cour s’est livrée à une ébauche d’examen des
amendements ont toujours abouti au constat de la compatibilité entre un
amendement et le système constitutionnel en général. Enfin, le Tribunal constitutionnel
espagnol a exclu, dès la décision n° 122/1983, sa compétence à contrôler le
contenu d’une réforme constitutionnelle, refusant ainsi la validité en Espagne
de la théorie de la supraconstitutionnalité.
Or, dans les systèmes où la supraconstitutionnalité est
reconnue, le juge constitutionnel, en tant que gardien de la Constitution (et
de ses principes suprêmes), aura effectivement le «dernier mot» : si
l’enjeu concerne le «noyau dur» de la Constitution, le pouvoir constituant
dérivé devra s’incliner face au pouvoir constituant originaire (ceci vaut, bien
évidemment, sur le plan de la théorie juridique ; dans la pratique,
quelques problèmes bien peuvent se poser …).
Par contre, dans les systèmes où la
supraconstitutionnalité n’est pas reconnue, le juge constitutionnel n’aura
jamais le «dernier mot», puisque le pouvoir constituant dérivé est à tout
moment en mesure d’éluder n’importe quel de ses principes.
Dans la pratique, les cas où le législateur
constitutionnel est intervenu pour surmonter une décision de la juridiction
constitutionnelle sont très nombreux. Ceux que le Doyen Vedel a appelés, en se
référant à l’Ancien régime, les «lits de justice» sont présents, en effet, dans
toutes les expériences.
En Espagne, la révision du 1er août 1992, jusqu’à
présent la seule révision de la Constitution de 1978, a été justement adoptée
pour faire face à la déclaration n° 1 de 1992, par laquelle le Tribunal
constitutionnel avait constaté l’incompatibilité avec la Constitution de
l’attribution aux citoyens de l’Union européenne du droit à être élus
dirigeants des collectivités locales.
En France, plusieurs révisions ont été adoptées à la
suite d’une déclaration d’incompatibilité entre la Constitution et le traité
international à ratifier. Mais, à proprement parler, les véritables «lits de
justice» sont ceux par lesquels le pouvoir constituant dérivé introduit dans la
Constitution des dispositions qui étaient auparavant contenues au sein d’une
loi ordinaire, mais ont été déclarées inconstitutionnelles. Le cas le plus
intéressant à ce propos est celui de la révision du 25 novembre 1993 sur le
droit d’asile, visant à surmonter une décision du Conseil du mois d’août. La
révision du 8 juillet 1999 est aussi à mentionner, puisqu’elle a permis de
dégager la voie aux quotas par sexe dans les listes électorales, censurées par
le Conseil dans une décision de décembre 1982. Enfin, l’attribution aux
collectivités locales d’un pouvoir expérimental de dérogation aux dispositions
législatives, qui avait été exclue par le Conseil constitutionnel dans une
décision du janvier 2002, a été rendue possible grâce à la révision du 28 mars
2003.
De telles révisions peuvent même être mentionnées en
Allemagne : le cas le plus récent est celui de la révision du 27 juillet
2010, qui a introduit un article 91e de la Loi fondamentale, afin de
dépasser une décision du Tribunal constitutionnel qui avait jugé contraire à la
Constitution l’obligation faite par la loi aux communes de gérer en coopération
avec la Fédération certains services sociaux pour les personnes à la recherche
d’emploi.
En Italie aussi le législateur constitutionnel a parfois
pris soin de modifier la Constitution afin de vaincre des décisions de la Cour
constitutionnelle. La réforme du 18 octobre 2001 et celle du 30 mai 2003 ont
introduit des dispositions visant a surmonter une décision de la Cour de 1995,
par laquelle les quotas par sexe dans les listes électorales avaient été
déclarés inconstitutionnels. De même, la réforme du 23 novembre 1999 a
constitutionnalisé certains principes de la procédure pénale, dans le but de
réagir à une jurisprudence constitutionnelle (et notamment à la décision n° 361
de 1998) qui avait été critiquée parce que n’offrant pas assez de garanties.
L’histoire des États-Unis est encore plus riche à cet
égard, puisque plusieurs amendements à la Constitution fédérale s’inscrivent,
en réalité, comme des réponses à des décisions de la Cour suprême. Le XIe,
de 1795, fut adopté pour réagir à la première grande décision de la Cour, la Chisolm v. Georgia, de 1793, dans laquelle la
Cour avait rejeté l’argument de la Géorgie selon lequel la Cour n’avait pas de
compétence à juger un litige dont une partie était un État membre de la
Fédération. Les XIIIe et XIVe, de 1865 et de 1868, en
abolissant l’esclavage et en reconnaissant comme citoyens tous ceux qui sont
nés sur le territoire américain ou qui ont été naturalisés, sont, évidemment,
une conséquence de la fin de la guerre civile, mais il sont aussi un désaveu de
la décision Dred Scott v. Sandford, de 1857. Le XVIe,
de 1913, sur la perception au niveau fédéral des impôts sur les revenus,
contredit la décision Pollock v. Farmers’ Loan and Trust Co.,
de 1895. Enfin, le XXVIe amendement, de 1971, sur l’interdiction
faite aux États membres de restreindre le droit de vote, a été adopté pour
surmonter la décision Oregon v. Mitchell,
de 1970. Au total, cinq amendements sur les dix-sept qui ont suivi les dix
premiers (constituant le Bill of Rights) – et donc presque un tiers du total –
illustrent une contestation de la jurisprudence de la Cour suprême.
II. Un autre aspect à analyser est celui de l’attribution
d’une force normative aux décisions des juges constitutionnels. Il ne s’agit
pas là d’un axiome.
Il convient tout d’abord de laisser de côté le cas des
États-Unis : le système de common law se fonde, en effet, sur l’attribution d’une valeur
normative au précédent, et partant ce qui est une prémisse aux États-Unis, doit
être acquis dans les autres systèmes.
Dans les systèmes européens, la force normative des
décisions des juges constitutionnels est une exception aux principes régissant
le pouvoir judiciaire. En général, dans tous les systèmes, une force normative
leur est reconnue, mais les solutions qui permettent d’y parvenir sont loin
d’être uniformes. La différence fondamentale concerne le contenu de la
décision, et notamment l’alternative entre la déclaration
d’inconstitutionnalité et le rejet du recours ou de la question. Par ailleurs,
d’autres aspects seront à prendre en considération.
II.A. La force normative d’une décision d’inconstitutionnalité
résulte des conséquences qu’elle implique dans l’ordre juridique : peu
importe qu’elle déclare la nullité (Allemagne, Espagne) ou qu’elle annule
(Italie) la disposition ou l’acte objet de son contrôle.
À proprement parler, l’on ne saurait étendre cette
qualification aux décisions d’inconstitutionnalité prononcées dans le cadre du
contentieux a priori, puisque dans ce
cas aucun acte n’est en vigueur, et donc l’ordre juridique n’étant donc pas
modifié : les décisions d’inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel
français rendues sur la base de l’article 61 de la Constitution n’ont pas, en
elles-mêmes, les mêmes effets d’un acte normatif, mais l’on peut accepter
l’assimilation aux autres décisions d’inconstitutionnalité du moment qu’elle
opèrent comme si elles les avaient ; du reste, l’intervention du Conseil
empêche qu’un changement – autrement inévitable – de l’ordre juridique se
produise.
II.B. Un cas particulier est celui des déclarations
d’incompatibilité, très utilisées par le Tribunal constitutionnel allemand, sur
la base desquelles les dispositions sont déclarées contraires à la
Constitution, mais dont les effets sont provisoirement entérinés, dans
l’attente d’une nouvelle intervention du législateur qui devrait corriger la
situation inconstitutionnelle (la modulation dans le temps des effets de
l’inconstitutionnalité, qui est propre aussi au système autrichien et qui a été
adoptée, quoique de façon moins structurée, en Italie et en Espagne, et a
récemment fait son apparition dans le système français aussi, avec
l’introduction d’un contrôle a posteriori).
Ce genre de déclaration implique des effets obligatoires,
mais – contrairement à ce que l’on peut constater pour les décisions
d’inconstitutionnalité simple – implique en même temps l’activité du
législateur ; dès lors, le problème majeur consiste à vérifier les remèdes
dont dispose le juge constitutionnel pour pallier l’omission législative.
II.C. Les décisions qui ne déclarent pas la nullité d’une
norme ou bien qui ne prononcent pas son annulation ou, encore, qui se sont pas
un obstacle à son entrée en vigueur ont un statut différent selon les pays.
En Allemagne, la force normative caractérise n’importe
quelle décision du Tribunal constitutionnel.
Il en va de même en France, où les décisions de rejet
confèrent aux dispositions objet du contrôle un «brevet de constitutionnalité»,
et ont, de ce fait, comme effet de conditionner les sujets qui pourraient par
la suite contester leur constitutionnalité (notamment après l’introduction de
la question prioritaire de constitutionnalité).
En Espagne, aucun brevet de constitutionnalité n’est
délivré avec les décisions de rejet ; la question de constitutionnalité
peut donc à nouveau se proposer ; la seule limite consiste dans l’impossibilité
de contester une seconde fois une disposition dans le cadre du contrôle par le
biais d’un recours au principal (mais la duplication ou même la multiplication
des questions peut bien se produire par le biais de l’exception
d’inconstitutionnalité).
Le droit italien est encore moins généreux, du moment
que, d’une part, les décisions de rejet n’ont pas comme effet de donner aux
dispositions soumises au contrôle un chrisme de la constitutionnalité et,
d’autre part, une disposition ayant fait l’objet d’un tel contrôle de la Cour
(dans l’exercice de n’importe quelle compétence) qui est abouti à un rejet
peut, à tout moment et selon toute forme prévue par le système, faire l’objet
d’une nouvelle saisine.
II.D. Une fois la force normative conférée, il est alors
nécessaire de préciser la position des décisions du juge constitutionnel dans
la hiérarchie des normes. En général, l’on a la tendance à attribuer à la
décision le même rang que l’acte qui est annulé ou qui est déclaré nul. Cette
solution permet(trait), en principe, au législateur d’adopter à nouveau les
dispositions déclarées inconstitutionnelles, sans pour autant porter atteinte à
l’autorité de la chose jugée ne soit portée. L’atteinte à la chose jugée se
produit uniquement dans l’hypothèse de ce que l’on peut qualifier de validation
de la disposition déclarée inconstitutionnelle ; l’adoption de la même
disposition pour le futur n’est, toutefois, pas une validation, et donc
n’engendre pas de problème (du moins sur le plan théorique) en ce qui concerne
les rapports entre juge constitutionnel et législateur (sur ce point l’on aura
l’occasion de revenir).
Or, si une telle solution implique un «abaissement» de
l’autorité des décisions, il est aussi vrai qu’une solution différente n’a pas
moins d’inconvénients : l’attribution aux décisions d’un rang plus élevé
(par exemple, le rang d’une loi constitutionnelle) assurerait pour le futur le
respect de la chose jugée, mais le prix serait celui d’une «pétrification» du
droit positif, puisque aucun pouvoir constitué, à l’exception du pouvoir
constituant dérivé, n’aurait la possibilité de surmonter une telle décision
qui, par exemple, pourrait se révéler inappropriée ou pourrait être dépassée.
Il n’est donc pas surprenant que la reconnaissance d’une force constitutionnelle
aux décisions du juge constitutionnel reste une exception dans le droit
comparé. Un des exemples les plus significatifs est celui des décisions de la
Cour constitutionnelle colombienne : l’art. 243, alinéa Ier, de
la Constitution de 1991, prévoit que «los
fallos que la Corte dicte en ejercicio
del control jurisdiccional hacen tránsito a cosa juzgada constitucional».
II.E. Un autre élément qui doit être pris en considération est
l’étendue de la force obligatoire reconnue aux décisions des juges constitutionnels.
La question est notamment relative à la possibilité ou non d’étendre aux motifs
(ou à une partie des motifs) la force qui est conférée au dispositif.
En Allemagne, la force obligatoire des décisions (de
toutes les décisions) s’étend aux motifs qui en sont le fondement (les tragenden Entscheidungsgründen
dont l’on parle dès la décision du 23 octobre 1951, 2 BvG
1/51).
Pareillement, en France, le Conseil constitutionnel, dans
une décision de 1962 (n° 62-18 L), a précisé que «l’autorité de [ses] décisions
[…] s’attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont
le soutien nécessaire et en constituent le fondement même».
En Espagne les motifs qui fondent la décision s’imposent
aux pouvoirs publics (article 87 de la Loi organique sur le Tribunal
constitutionnel), mais par le biais de l’attribution au Tribunal
constitutionnel du rôle d’interprète suprême de la Constitution (cf. infra).
Un modèle tout à fait différent est celui qui a été
adopté en Italie, où les motifs n’ont jamais d’effet obligatoire, même dans le
cas de décisions interprétatives où les motifs qui fondent le rejet ne lient
que le juge qui a soulevé la question.
III. Un aspect strictement lié à la force (normative voire obligatoire)
des décisions des juges constitutionnels concerne les obligations qui en
découlent pour les pouvoirs publics. Ce point pourrait sembler comme étant
résolu après avoir traité la question de la force obligatoire des
décisions ; en réalité, des précisions non négligeables doivent être
apportées.
Dans le système français, l’article 62, alinéa 3, de la
Constitution affirme que les décisions «s’imposent aux pouvoirs publics et à
toutes les autorités administratives et juridictionnelles» : il s’agit d’une
disposition fondamentales qui permet de fonder l’autorité (des décisions) du
Conseil constitutionnel, surtout si l’on fait référence aux débuts de
l’institution et à la méfiance vis-à-vis de celle-ci manifestée par plusieurs
acteurs politiques (et juridictionnels).
Cependant, c’est dans le système allemand qu’une telle
disposition (l’article 31 de la Loi sur le Tribunal constitutionnel) a eu les
conséquences les plus intéressantes. Le Tribunal allemand est, en effet, perçu
comme l’interprète authentique de la Constitution ; de ce fait, les autres
pouvoirs constitués s’inclinent à son magistère, tant en ce qui concerne la
décision concrète qu’il adopte que pour l’interprétation des dispositions
constitutionnelles qu’il dégage : vue la position privilégiée qui est la
sienne, le Tribunal constitutionnel s’est attribué la possibilité d’édicter des
régimes transitoires lors des décisions d’incompatibilité qui imposent au
législateur d’adopter une nouvelle réglementation (même si la doctrine a émis
quelques critiques sur ce point) ; de même, le Tribunal s’est attribué la
possibilité de formuler (au sein de décisions qui ne déclarent pas la nullité
d’une disposition) des invitations, des avertissements voire même des ordres au
législateur, afin d’assurer la cohérence du droit positif avec la Constitution.
En outre, dans le cadre de décisions qui constatent
l’inconstitutionnalité d’une disposition de loi, lorsque une intervention du
législateur s’avère nécessaire, le Tribunal (depuis sa décision du 14 janvier
1981, sur la pollution sonore produite des avions) a déduit, de l’article 20,
alinéa 3, de la Loi fondamentale («Le pouvoir législatif est lié par l’ordre
constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le
droit») une véritable obligation de
réforme (Nachbesserungspflicht),
qui est très significative sur la plan de la théorie, même si dans la pratique
l’on a du mal à sanctionner son non-respect de la part du législateur.
Le système espagnol partage, avec le système allemand,
l’attribution au Tribunal constitutionnel du rôle d’interprète suprême de la
Constitution, un rôle qui se traduit, vis-à-vis du législateur, comme posant
l’interdiction de toute validation des dispositions déclarées
inconstitutionnelles et (surtout), vis-à-vis des juges, comme l’obligation de
respecter la doctrina constitucional
du Tribunal. À cet égard, l’article 40, alinéa 2, de la Loi organique sur le
Tribunal constitutionnel précise que «la jurisprudence des tribunaux relative
aux lois, aux dispositions, aux actes ayant fait l’objet du contrôle de la part
du Tribunal constitutionnel devra être tenue pour corrigée par la doctrine
dérivée des arrêts et des décisions qui trancheront les procès
constitutionnels» ; de manière encore plus claire, l’article 5, alinéa Ier,
de la Loi organique sur le pouvoir judiciaire établit que «la Constitution est
la norme suprême su système juridique et lie tous les Juges et Tribunaux, qui
interprèteront et appliqueront les Lois et les Règlements selon les préceptes
et les principes constitutionnels, conformément à l’interprétation de ceux-ci
telle que découlant des décisions rendues par le Tribunal constitutionnel dans
toute sorte de procès».
Ce que l’on peut constater à propos des systèmes espagnol
et allemand confirme que la définition de M. Hughes précitée peut bien y être
appliquée, notamment pour ce qui est de la détermination du sens des
dispositions constitutionnelles.
En Allemagne, la théorie de la supraconstitutionnalité
renforce ultérieurement le rôle du Tribunal, en le rapprochant en quelque sorte
à un véritable «oracle constitutionnel» : l’expression est certainement
exagérée, mais elle paraît assez évocatrice du respect qui entoure le Tribunal
constitutionnel, un respect qui demeure tel malgré les critiques de la doctrine
et de la classe politique vis-à-vis de telle ou telle décision.
La comparaison entre l’Allemagne et les États-Unis fait
émerger un paradoxe. Dans le système américain, que les comparatistes citent
souvent comme celui où la justice constitutionnelle s’est développée au degré
maximal, en raison aussi de l’enracinement de la Constitution, la Cour suprême
n’est pas (et n’a jamais été) un «oracle constitutionnel» : sa mission de
garant de la Constitution a toujours été conciliée avec le principe de la séparation
des pouvoirs, qui implique – aux États-Unis – l’impossibilité pour un pouvoir
de primer sur les autres. De ce fait, les exemples de concurrence entre Cour
suprême et Congrès (et Président) sont nombreux (tout au long de l’histoire des
États-Unis, jusqu’à présent), puisqu’aucun organe n’accepte de reconnaître à un
autre la mission exclusive de gardien de la Constitution. Il est vrai que
parfois dans l’histoire américaine une décision de la Cour suprême a permis de
sortir d’une impasse (l’on peut faire référence en particulier à la décision
sur les privilèges de l’exécutif, United
States v. Nixon, de 1974, ou bien à la décision sur les élections
présidentielles de 2000, Bush v. Gore);
mais dans ces cas, son intervention n’a pas tant été considérée comme l’intervention
du suprême arbitre, cas l’on doit souligner que son autorité a pesé comme
permettant d’attribuer des atouts supplémentaires et décisifs à l’une des
parties en conflit.
3.3. Le pouvoir de sanction de
l’instituteur
L’utilisation de la métaphore avec le système scolaire
permet de se pencher sur un aspect important que l’on a indiqué : la
possibilité pour l’instituteur de sanctionner les comportements irréguliers des
élèves. Le sujet est cependant très délicat lorsqu’il s’agit d’analyser les systèmes
de justice constitutionnelle.
Un juge du Tribunal fédéral allemand a écrit : «le
seul organe existant qui puisse donner exécution à la décision du tribunal est
son autorité morale, la conscience des intéressés et, en dernière analyse, le
respect que le peuple a pour le droit […]. C’est principalement cette
limitation qui rend moins discutable le fait de laisser à un tribunal la
mission de décider sur des questions juridiques strictement liées à la
politique interne et internationale» (Hans Georg Rupp, 1960).
De manière plus synthétique et, peut-être, encore plus
efficace, le Président Andrew Jackson, en 1832, à propos d’un arrêt très
contesté de la Cour suprême, affirma : «Well, John Marshall has made his decision, now let him enforce it».
D’ailleurs, déjà Alexander Hamilton avait remarqué que «le Judiciaire […] n’a
influence ni sur l’épée, ni sur la bourse ; il ne dirige ni la force, ni
la richesse de la société ; et il ne peut prendre aucune résolution
active» (Federalist Papers, n°
78).
Ces trois citations nous permettent-elles de dégager un
régime commun de l’exécution des décisions des juges constitutionnels ?
Et, si la réponse est affirmative, s’agit-t-il d’un régime fondé sur leur
impossibilité de gérer la phase successive au moment où la décision a été
rendue ?
À la première question, l’on ne saurait donner une
réponse nette. Un point commun consiste sans doute dans l’absence, pour les
cours suprêmes et/ou constitutionnelles, d’un appareil répressif propre :
les cours ne sont pas dotées de leur police (sauf, parfois, à l’intérieur de
leur siège), ce qui implique la nécessité de confier le respect de leurs
décisions à d’autres autorités, notamment à celles qui relèvent du pouvoir
exécutif.
Cette limitation n’est pas des moindres : dans ce
qui peut paraître un excès de cynisme (voire même un exercice iconoclaste), une
partie de la doctrine (Fisher, 2001) a même pu affirmer que la célèbre décision
Marbury v. Madison trouve son origine non dans
une certaine conception de la Constitution mais dans la crainte de se voir
confrontés au le refus probable de l’administration Jefferson d’exécuter une
décision favorable à l’aspirant juge de paix Marbury.
Or, s’il est vrai que les cours sont toutes dépourvues
d’un appareil policier, il n’est pas pour autant vrai qu’elles sont toutes
dépourvues de moyens pour faire respecter leurs décisions.
Il est tout d’abord nécessaire de distinguer les systèmes
dans lesquels les cours ont le pouvoir d’éliminer les dispositions ou actes
inconstitutionnels et ceux dans lesquels les déclarations
d’inconstitutionnalité n’ont pas de tels effets, en engendrant uniquement
l’obligation de ne plus appliquer la disposition ou l’acte déclaré
inconstitutionnel.
Lorsque la décision de la Cour a un effet erga omnes,
l’élimination de la disposition ou de l’acte n’a pas besoin d’une procédure
visant à exécuter la décision, puisque la décision s’impose simplement grâce à
sa publication sur le journal officiel. Il en résulte que, dans le système
américain, les déclarations d’inconstitutionnalité engendrent des difficultés
qui ne sont pas connues dans les systèmes européens.
Les problèmes qui caractérisent le système américain se
manifestent en Europe lorsque les décisions requièrent une exécution, soit
parce qu’elles tranchent un litige et donc les parties doivent se soumettre,
soit parce qu’elles impliquent l’action du législateur (surtout, les décisions
d’incompatibilité) ou l’action ou l’omission de l’administration ou des juges
(par exemple, certaines décisions de rejet, les décisions interprétatives,
etc.) : par exemple, lorsque le Tribunal constitutionnel allemand adopte
une décision d’incompatibilité, les effets de celle-ci dépendent du
législateur, qui doit se conformer – sur la base de son devoir de réforme – en
adoptant une nouvelle réglementation, mais ses effets dépendent aussi de
l’administration, qui doit provisoirement ne pas appliquer les dispositions
déclarées incompatibles avec la Loi fondamentale, et des juges, qui doivent
omettre toute application et qui ont l’obligation de suspendre les procès en
cours jusqu’à la réforme législative.
Lorsque la décision ne s’impose pas à elle seule,
nombreuses sont les juridictions constitutionnelles qui sont obligées de faire
confiance aux organes et fonctionnaires externes : à cet égard, l’on peut
mentionner, parmi beaucoup d’autres, la Cour suprême des États-Unis, la Cour
constitutionnelle italienne et le Conseil constitutionnel français.
Dans certains systèmes, l’on a cherché à résoudre le
problème, en adoptant une réglementation spécifique à l’exécution des décisions
du juge constitutionnel.
L’exemple le plus intéressant est, sans doute, celui du
Tribunal constitutionnel allemand.
Sous l’empire de la Constitution de Weimar, l’exécution
des décisions de la Haute Cour constitutionnelle était confiée au Président de
la République. Dans le système actuel, l’article 35 de la Loi sur le Tribunal
constitutionnel a renforcé considérablement l’autonomie du Tribunal, en
prévoyant, d’une part, qu’il puisse indiquer, au sein de sa décision,
l’autorité qui exécutera cette décision et, d’autre part, qu’il puisse aussi
spécifier, dans des cas particuliers, quels en sont les modes d’exécution.
Dans une décision du 21 mars 1957 (BVerfGE
6, 300), le pouvoir ainsi attribué a été interprété d’une manière extensive,
c’est-à-dire comme incluant toutes les mesures «qui sont nécessaires pour
mettre en place une situation de fait telle qu’elle est nécessaire pour la
réalisation du droit tel qu’il a été interprété par le Tribunal constitutionnel
fédéral»; et parmi ces mesures, figurent celles «qui permet[ent]
d’aboutir de la manière la plus adéquate, rapide, utile, simple et efficace au
résultat qui s’impose».
Concrètement, la mise en œuvre de l’exécution s’est
traduite par l’adoption de dispositions transitoires. Le recours au choix de
l’organe chargé de l’exécution d’une décision a été très rare ;
vraisemblablement, cela s’explique en raison du respect qui entoure le Tribunal
et ses décisions ; il est toutefois à noter que, si la situation
changeait, le Tribunal disposerait d’instruments supplémentaires à jouer pour
s’imposer face à des pouvoirs constitués désobéissants.
L’exemple allemand a inspiré les rédacteurs de la Loi
organique sur le Tribunal constitutionnel espagnol, dont l’article 92, alinéa Ier,
accorde au Tribunal le pouvoir d’établir, dans sa décision ou dans des actes
successifs, à qui reviendra l’obligation de l’exécution.
Le Tribunal est aussi compétent pour trancher les
incidents d’exécution. Cette dernière compétence a été exercée – quoique de façon
assez limitée – afin de préciser les modalités par lesquelles la décision
devait être exécutée, surtout lors de la résolution de conflits
constitutionnels ou de recours d’amparo. Même en Espagne, donc, le Tribunal constitutionnel,
bien que dépourvu d’un pouvoir d’exécution directe, dispose de moyens non
négligeables pour influencer la phase de l’exécution de ses propres décisions,
ce qui permet d’en assurer le respect, surtout dans les cas les plus
controversés.
4. La personne de l’instituteur
L’instituteur a une vie privée et un passé qui peuvent
être à l’origine de la contestation de son autorité. En outre, les décisions et
les procédures par lesquelles l’instituteur est affecté à une classe peuvent
susciter la méfiance des élèves (ou des parents). La personne de l’instituteur
peut être assimilée à l’ensemble des membres de la juridiction
constitutionnelle et à la personne de chacun des membres.
4.1. Le passé et la vie privée de
l’instituteur
L’autorité de la juridiction constitutionnelle peut être
affaiblie en raison du passé (a) de l’organe ou (b) de ses membres
(a) La référence au passé de l’organe est essentiellement
liée à sa jurisprudence : une cour dont la jurisprudence s’est révélée
inadéquate peut devoir constater la perte ou la réduction de sa capacité
d’influencer les autres acteurs institutionnels. Les exemples sont très
nombreux, si bien que l’on aurait du mal à indiquer une juridiction
constitutionnelle qui n’a pas été confrontée à une crise (plus ou moins
importante) de légitimité.
Parmi les nombreux exemples, deux peuvent être mentionnés
comme particulièrement intéressants.
Le premier est celui du Conseil constitutionnel français
dans les premières années de son activité. Le tournant jurisprudentiel de 1971,
avec la décision du 16 juillet sur la liberté d’association (n° 71-44 DC), a
été décisif pour la vie même de l’institution, qui a montré son indépendance
après une décennie de tutelle présidentielle. Une tutelle que même le Président
Palewsky a admis, dans une interview de 1987 (J. Boudant),
en plaidant coupable devant l’accusation faite ou Conseil d’être le béni
oui-oui du Général de Gaulle : la pratique et en particulier certaines
décisions (l’on rappellera, notamment, celle sur le référendum de 1962 ou même
l’avis de l’année précédente sur l’exercice des pouvoirs de crise par le
Président en application de l’article 16 de la Constitution) avaient
considérablement contribué à affaiblir considérablement l’autorité du Conseil
(surtout pendant la Présidence de Léon Noël).
L’évolution du Conseil constitutionnel vers son statut
actuel a donc commencé par un manque de confiance et d’autorité que seules de
grandes décisions ont pu combler ; et ce manque de confiance, du moins au
début, doit avoir eu des conséquences non négligeables même sur l’impact des
décisions.
Le second exemple est peut-être celui qui est le plus
cité par les comparatistes. Il s’agit du conflit qui a opposé la Cour suprême
américaine et le Président Roosevelt lors de son premier mandat. Le New Deal du Président, c’est-à-dire
l’ensemble des mesures interventionnistes dans l’économie et dans la société
adoptées afin de faire face aux effets de la crise de 1929, a été confronté à
la forte opposition de la part de la Cour suprême, dont la jurisprudence était
inspirée du principe du laissez-faire. Le Président, au sommet de sa
popularité, avait même pensé à proposer des amendements visant à surmonter la
jurisprudence de la Cour suprême ; mais, après avoir constaté la
difficulté pour les adopter (la procédure requise étant longue et difficile et
le résultat étant loin d’être acquis), celui-ci avait choisi l’alternative du
changement de la composition de la Cour suprême, afin de bouleverser ses
équilibres et assurer ainsi son homologation à la politique présidentielle (le
célèbre Court-Packing
Plan). La menace a été évidemment efficace, puisque la Cour suprême, dans
l’espace de quelques mois, a changé sa jurisprudence en éliminant ainsi les
raisons du conflit.
Or, le conflit entre la Cour suprême et le Président Roosevelt
pourrait apparaître un enchainement de rébellions politiques à la décision
judiciaire : sous cet angle, l’exemple pourrait prêter à confusion, le
conflit n’étant pas fondé sur le passé, mais sur le présent. On ne peut
cependant pas nier le bien-fondé de cette objection sur le plan formel ;
il semble en effet plus correct de souligner que le conflit déclenchait de
chaque décision (et était donc fondé sur le présent), l’objet des critiques
politiques n’était pas la décision en tant que telle, mais plutôt l’orientation
générale dont la décision était la manifestation ; de ce fait, le
Président Roosevelt et les Démocrates contestaient moins la décision que la
jurisprudence de la Cour suprême, et donc les orientations que celle-ci avait
élaborées au fil des précédentes décennies. C’était donc le passé de la Cour
qui était à l’origine de la de rébellion.
(b) L’autorité des décisions de la juridiction
constitutionnelle peut être mise à mal même par l’action de ses membres.
Il est clair que certains actes ou certaines déclarations
des membres d’une cour peuvent porter atteinte à son indépendance ou à son
autorité. Là aussi les exemples sont nombreux, mais il est inutile et
certainement indélicat d’en fournir quelques-uns.
Quelques mots doivent plutôt être consacrés sur
l’influence sur la Cour même du passé de ses membres et de leur vie en dehors
de celle-ci.
Dans certains pays, le droit positif tend à exclure que
les juges de la cour ou du tribunal constitutionnel puissent être soumis au
régime général de l’abstention ou de la récusation : le cas italien est
emblématique car l’article 29 des Normes complémentaires relatives au procès
devant la Cour constitutionnelle exclut toute possibilité d’abstention ou de
récusation (il en résulte que leur application n’est possible que lors des
éventuels procès pénaux devant la Cour, c’est-à-dire ceux dans lesquels le
Président de la République est poursuit pour haute trahison ou attentat à la
Constitution).
Dans l’ensemble des systèmes, toutefois, le régime
juridique de l’abstention et de la récusation n’est pas laissée uniquement à la
discrétion d’un juge, mais est souvent le même que celui des juges ordinaires
(c’est le cas des États-Unis, bien évidemment, mais aussi de l’Espagne, où
l’article 80 de la Loi organique sur le Tribunal constitutionnel fait renvoi, à
ce sujet, à la Loi organique sur le pouvoir judiciaire); par contre, certains
pays ont opté pour une règlementation spécifique (cf. les articles 18 et 19 de
la Loi sur le Tribunal constitutionnel allemand). Le sujet est d’actualité en
France, puisqu’à la suite de l’entrée en vigueur de la réforme introduisant la
question prioritaire de constitutionnalité, la récusation est devenue
envisageable, en faisant référence à l’article 6 de la Convention européenne
des droits de l’homme ; les premières instances en ce sens datent de la
fin du mois de mai 2011.
Or, la question de l’abstention et (surtout) de la
récusation est très importante afin d’éviter qu’une décision ne soit perçue
comme le produit d’intérêts inconfessables ; de ce fait, la possibilité
d’empêcher un juge de participer au vote peut assurer une meilleure réception
de la décision, qui se présente comme étant autant objective que possible.
Cela dit, on doit aussi remarquer que l’abus de la
récusation ou un rejet critiquable d’une instance de récusation peuvent
entrainer des soupçons sur la réelle objectivité d’une décision. Partant, les
normes concernant l’abstention et la récusation doivent être appliquées avec
une très grande prudence, afin d’éviter que ses avantages théoriques ne se
traduisent en un affaiblissement concret de l’autorité de la décision : à
cet égard, on peut mentionner, par exemple, la procédure relative à la décision
du Tribunal constitutionnel espagnol sur le Statut de la Catalogne (STC 31/2010),
où la récusation du Juge Pérez Tremps a suscité de
nombreuses critiques qui ont contribué à alimenter une lecture «politique» de
la décision.
4.2. L’investiture de
l’instituteur (renvoi)
Les modalités par lesquelles l’instituteur est assigné à
une classe évoquent, à l’évidence, les modes de composition des juridictions
constitutionnelles.
On touche, à cet égard, un thème central du débat sur la
légitimité du juge constitutionnel. D’ailleurs, l’importance du sujet est
proportionnée au nombre de questions qui se posent lorsque l’on s’interroge sur
la validité des modes de désignation choisis et sur l’efficacité de ceux-ci
afin de garantir l’indépendance et l’autorité des juridictions
constitutionnelles.
On ne peut traiter ce sujet en quelques mots, on renvoie
donc à d’autres études qui se sent penchées sur la question. On se contentera
seulement d’évoquer les rapports entre la composition de la Cour et la
légitimité du juge constitutionnel en ce qu’ils sont fondamentaux en ce qui
concerne la réception des décisions, plus l’ensemble des membres sera perçu
comme indépendant et qualifié, plus la décision en sortira renforcée.
On se contentera de rappeler que, parmi les systèmes
objets de notre étude, hormis les États-Unis, qui ont un modèle tout à fait
particulier, le cas le plus délicat est, semble-t-il, celui du Conseil
constitutionnel français, notamment pour la présence des anciens Présidents de
la République comme membres de droit (à ce propos même le Comité Balladur, lors
de la réforme constitutionnelle de 2008, avait soulevé des réserves), mais
aussi pour l’absence d’exigence de connaissances juridiques pour accéder à la
qualité de membres de l’institution et, enfin, pour l’empreinte très marquée du
bloc majoritaire lors du processus de nomination.
5. La conduite de l’instituteur
La réception des enseignements de l’instituteur dépend,
en grande partie, du contenu du message et des modalités par lesquelles
celui-ci est communiqué. En particulier, parmi les variables les plus
significatives de la réception on peut citer : l’exactitude de
l’enseignement (le message de l’instituteur n’est pas forcement parfait,
puisqu’il peut contenir des erreurs qui peuvent avoir des répercussions
négatives sur la réception de la part des élèves) ; la faisabilité de ce que
l’instituteur demande aux élèves (les élèves se conforment aux préceptes de
l’instituteur autant qu’ils le peuvent et ne peuvent s’y conformer lorsque les
sacrifices requis deviennent excessifs) ; le précepte doit être clair
(pour que les élèves s’y conforment, il est nécessaire qu’ils aient
connaissance de ce à quoi ils doivent se conformer) ; le message de
l’instituteur doit être communiqué de manière efficace (afin qu’il ne soit pas
altéré).
Les variables de la réception des enseignements de
l’instituteur peuvent être aisément proposées pour les décisions du juge
constitutionnel.
5.1. Les erreurs
Les juges constitutionnels sont des êtres humains :
ils ne sont donc pas à l’abri de l’erreur. À cet égard, l’opinion concurrente
du Juge Jackson dans la décision Brown v.
Allen, de 1953, est des plus illustrative : «We are not final because we
are infallible, but we are infallible only because we are final».
Il serait absurde de nier l’absence de mauvaises
décisions dans toutes les jurisprudences constitutionnelles.
En Italie, par exemple, la Cour constitutionnelle, dans
la décision n° 64 de 1961, a exclu l’inconstitutionnalité de la disposition du
Code pénal qui sanctionnait uniquement l’adultère de la femme (et non pas de
son mari) ; il s’agit d’une méconnaissance flagrante du principe d’égalité
constituant évidemment une très grave erreur. Sept ans plus tard, la Cour même
l’a admis, quoique de façon anodine (et notamment en se référant à une
évolution intervenue dans la société), lors de sa décision n° 126 de 1968, qui
a déclaré l’inconstitutionnalité de cette disposition.
Aux États-Unis, l’on rappelle souvent la jurisprudence
relative à la condition des citoyens d’origine japonaise au cours de la Seconde
Guerre mondiale, à propos de laquelle le Juge Warren, en 1962, eut l’occasion
de reconnaître l’erreur, en affirmant que «the
fact that the Court rules in a case like Hirabayashi that a given program is constitutional, does not necessarily answer the question whether, in a
broader sense, it actually is».
C’est encore aux États-Unis que l’on repère l’erreur la
plus grave du point de vue juridique, mais aussi sans doute la plus connue,
surtout en ce qui concerne ses conséquences : l’on fait référence, bien
sûr, à la décision Dred Scott v. Sandford, de 1857, qui a entériné
l’esclavage quelques années avant le déclenchement de la guerre civile.
Le risque de faillibilité du juge constitutionnel anime
toujours les débats concernant la jurisprudence constitutionnelle, car c’est
souvent lors de la contestation d’une décision perçue comme étant erronée d’où
les tentatives pour l’écarter. Les États-Unis offrent, à nouveau, un exemple
emblématique : en novembre 1956, la Constitution de l’Arkansas fut amendée
afin de s’opposer «par toute voie constitutionnelle aux décisions inconstitutionnelles sur la
déségrégation des 17 mai 1954 et 31 mai 1955 rendues par la Cour suprême des
États-Unis».
Cet exemple montre combien l’erreur peut devenir à tout
moment un argument contre le respect d’une décision ; en fait – il faut
bien le reconnaître – la grande partie des erreurs n’est pas à chercher dans
les décisions, mais plutôt dans ses critiques et en particulier dans celles qui
sont formulées pour des fins politiques.
5.2. La faisabilité de ce que
l’on commande
La décision du juge constitutionnel doit se confronter
avec la société où elle va s’appliquer.
Certes, les argumentations juridiques doivent primer sur
toute autre considération pour un juge constitutionnel ; cependant, pour
qu’une décision soit respectée, elle ne doit pas non plus trop s’éloigner des
usages de ses destinataires.
Partant, force est de constater que les juges des
juridictions constitutionnelles ne sont pas (et ne peuvent pas être) enfermés
dans une «tour d’ivoire» : la juridiction constitutionnelle doit s’exercer
en tenant compte des effets que ses propres décisions produisent, tant au sein
des institutions qu’à l’égard de l’opinion publique et de la vie quotidienne.
Autrement dit, le juge constitutionnel doit savoir élaborer une politique
jurisprudentielle qui soit, à la fois, cohérente avec la mission conférée par
la Constitution et susceptible d’être acceptée sans difficulté excessive par le
système politique et par la société tels qu’ils sont. À ce propos, les exemples
sont difficiles à détecter, mais l’on ne saurait déduire de cette difficulté la
rareté des cas où une décision n’a pas été suivie parce que trop projetée vers
le futur ou trop éloignée des usages et des traditions.
Dans la doctrine américaine, l’exemple que l’on cite le
plus souvent est celui de la décision Engel
v. Vitale, de 1962 (et d’autres qui l’on suivie), qui a déclaré
inconstitutionnelle la pratique de la prière dans les écoles publiques. La
décision était tout à fait rationnelle et en ligne avec le principe de
laïcité ; cependant, la pratique des prières était très ancrée dans la
coutume et, de ce fait, le degré d’application du précepte élaboré par la Cour
est resté très faible pendant de longues années (et même aujourd’hui les
prières n’ont pas complètement disparu dans les écoles publiques).
5.3. La clarté du message
La clarté est une condition indispensable pour la
réception de tout message : les décisions des cours ou des tribunaux
constitutionnels ne peuvent être une exception à ce principe.
À cet égard, le Professeur Denninger
à souligné, en 1999, que le Tribunal constitutionnel allemand doit expliciter
«de la façon la plus précise possible et avec le langage le plus compréhensible
ce qu’il a délibéré et ce qu’il n’a pas délibéré et quelles en sont les
conséquences : du reste, il doit résister à la tentation, qui se présente
à tout moment, d’écrire des livres de doctrine».
Quoique le Tribunal allemand ne semble pas toujours
accepter cette invitation (un exemple récent peut être cité avec la décision,
très longue et complexe, relative à la ratification du Traité de Lisbonne, de
2009), le souci que le Professeur Denninger rend
manifeste est partagé par la majorité de la doctrine de n’importe quel pays.
Le plus souvent il s’agit de faire face à la prolixité
des juges constitutionnels : à titre illustratif, l’on peut sans doute
mentionner la décision «monstre» du Tribunal espagnol sur le statut de la
Catalogne. Parfois, le problème se pose à l’inverse : la structure des
décisions du Conseil constitutionnel français ne révèle pas toujours un modèle
de clarté ; du reste, le schéma «vis-con-dis» s’adapte très bien à une
vision traditionnelle du juge comme «bouche de la loi», mais cette vision est,
bien évidemment, tout à fait incompatible avec la mission de la juridiction
constitutionnelle.
La doctrine américaine, à cet égard aussi, paraît avoir
pris un peu l’avantage sur les collègues européens, puisque l’on y trouve des
études très détaillées et suggestives sur ce qui caractérise la clarté d’une
décision (parmi les plus récents, cf. L. Fisher, 2009, et Unah,
2010).
En particulier, trois variables sont considérées (par M. Unah) comme étant fondamentales afin de mesurer la clarté
de la décision : (a) la complexité
du sujet, (b) le consensus parmi les
juges et (c) l’usage d’un langage
univoque ou ambigu. À ces variables l’on pourrait en ajouter une quatrième,
concernant (d) le style des
décisions.
(a) La complexité du sujet a évidemment des incidences sur
la réception des décisions, puisqu’elle a des conséquences importantes sur le niveau
de compréhension, de la part des citoyens, mais aussi de la classe politique et
– quoique de manière moins considérable, vues leurs compétences – des
juges : une décision concernant le droit à l’interruption volontaire de la
grossesse ou le mariage entre personnes du même sexe est une décision dont la
portée peut être assez aisément saisie ; il n’en va pas de même pour une
décision sur certains types de rapports bancaires ou sur le droit fiscal.
Autant la complexité du sujet s’accroît, autant le public
capable de saisir la portée de la décision s’amenuise ; et une telle
réduction comporte des risques pour le respect des préceptes élaborés par le
juge constitutionnel.
(b) Le consensus parmi les juges est une variable qui
s’applique uniquement aux cours ou aux tribunaux qui permettent à leurs membres
de rédiger des opinions dissidentes ou concurrentes.
En principe, les opinions particulières n’affectent pas
la clarté de la décision ; toutefois, il se peut que le consensus soit
tellement faible qu’il n’est pas possible d’arriver à une décision majoritaire,
la majorité étant le résultat des concurrences : le dispositif est donc
soutenu par des motivations diverses (dans les pays de common law, c’est ce que l’on appelle la plurality opinion). Par exemple, dans la décision
Baze v. Rees de 2008, concernant l’emploi de
l’injection létale pour exécuter un condamné à la peine de mort, la majorité de
la Cour suprême s’est formée grâce à l’opinion du Chief Justice Roberts, à laquelle les Juges Kennedy et Alito ont adhéré, à l’opinion concurrente du Juge Alito, à la concurrence pour la seule décision finale du
Juge Stevens, à l’opinion concurrente du Juge Scalia
à laquelle le Juge Thomas a adhéré, à l’opinion concurrente du Juge Thomas à
laquelle le Juge Scalia a adhéré, à la concurrence
pour la seule décision finale du Juge Breyer. La
minorité a été représentée par le Juge Ginsburg, qui
a rédigé une opinion dissidente à laquelle le Juge Souter
a adhéré.
Cet exemple est tellement significatif qu’il n’apparaît
pas nécessaire d’en citer d’autres, même plus complexes (l’on peut se référer,
notamment, à la décision Planned Parenthood of Southeastern Pennsylvania v.
Casey, sur le droit à l’avortement, de 1992).
À l’évidence, devant une telle foire aux opinions, il
n’est pas aisé de saisir les motifs qui fondent la décision finale.
L’usage des opinions particulières est pour ainsi dire
naturel dans les pays de common law, où les
décisions sont, en principe, le résultat de la pluralité des opinions des
membres de la cour. Dans certains pays de droit romanique,
où la décision est collégiale, la juridiction constitutionnelle représente une
exception. Cette exception, toutefois, peut connaître des pratiques
différentes : il suffit de comparer le nombre très réduit des opinions
particulières rédigées par les juges constitutionnels du Tribunal fédéral
allemand et le nombre bien plus élevé de votos particulares relatifs aux décisions du
Tribunal constitutionnel espagnol.
En France et en Italie, aucune opinion particulière n’est
admise, ce qui rend les décisions plus simples ou, pour mieux dire, apparemment plus simples ; la
pluralité des opinions qui doit nécessairement converger afin de parvenir à une
seule décision peut en effet affecter (et parfois affecte) la motivation, la
rendant moins logique et plus ambigüe. Autrement dit, là où le consensus n’est
pas un problème, le risque d’un manque de clarté lié à l’univocité du langage
s’accroît : c’est presque un jeu à somme nulle, du moins pour ce qui est
de la réception des décisions.
(c) Afin qu’une décision soit respectée, il est
indispensable que ce que la cour ou le tribunal constitutionnel a décidé soit
clair ; la clarté est évidemment brisée lorsque le contenu de la décision
n’est pas saisissable à cause des ambigüités qui l’affectent.
Parfois le langage équivoque affecte uniquement la
motivation : il s’agit là d’un vice qui ne doit pas être sous-estimé,
puisqu’il peut avoir des conséquences non négligeables, en effet même ces
difficultés de compréhension peuvent se répercuter sur les pouvoirs publics
lorsqu’ils agissent afin de se conformer à la jurisprudence de la cour.
Les risques les plus graves sont, néanmoins, ceux qui
dérivent des défauts de clarté affectant le dispositif d’une décision ;
deux exemples, tirés, à nouveau, de l’expérience américaine, paraissent très
intéressants.
Une des décisions les plus importantes de la Cour suprême
est la Brown v. Board
of Education of Topeka, de 1954, par laquelle la Cour a déclaré le régime
de ségrégation raciale contraire au principe d’égalité.
On connaît les résistances farouches que cette décision a
rencontrées dans les États du Sud. La confusion engendrée par les décisions des
cours inférieures chargées de la mettre en œuvre est souvent omise : or
celle-ci s’explique en raison de l’absence de mesures précises édictées par la
Cour suprême et du renvoi à l’appréciation des considérations locales, à
l’origine de disparités considérables dans sa mise en œuvre et d’un désordre
normatif qui a fait prévaloir nombre de résistances.
Le second exemple est (presque) autant connu. Les films
et les téléfilms américains nous ont appris l’importance attachée à la formule
prononcée lors de l’arrestation d’un suspect concernant ses droits au silence
et à un avocat («You have the right to remain silent. Anything you say
or do can and will be held against
you in a court of law. You
have the right to speak to an attorney. If you cannot afford
an attorney, one will be appointed for you. Do you understand these rights as they have been read to you?»). Or, cette formulation est une synthèse de ce
qui a été reconnu dans la décision Miranda
v. Arizona, de 1966 (les droits énoncés sont, en effet, dénommés les «Miranda rights»).
La précision extrême de cette décision est une réponse à la pratique très
instable déclenchée par la décision Escobedo
v. Illinois, de 1964, qui avait affirmé le droit à l’avocat pendant les
interrogatoires de police d’une façon telle que les agents de police et les
cours inférieures avaient adopté des pratiques très variées. La décision Escobedo, tout en ayant établi un droit
très important, n’avait donc pas eu une réception adéquate à cause de son
ambigüité : la Cour suprême a dû y remédier par une nouvelle intervention.
(d) Au-delà de la structure des décisions, à laquelle l’on a
déjà fait référence, l’on doit évoquer, parmi les variables qui incident sur la
clarté de la décision, le style même qui caractérise le(s) texte(s) rédigé(s)
par le(s) juge(s) constitutionnel(s).
L’on aurait du mal à trouver un écrivain contemporain
disponible à répéter pour les décisions de n’importe quelle juridiction
constitutionnelle ce que Stendhal avait écrit, dans une lettre, à Honoré de
Balzac (1840) : «En composant la
Chartreuse, pour prendre le ton, je lisais chaque matin deux ou trois pages
du code civil, afin d’être toujours naturel».
Il serait utopique d’espérer que le souci de lisibilité
des décisions soit aussi fort que celui d’assurer une logique à la
motivation ; cela dit, des efforts supplémentaires seraient appréciés
d’autant plus qu’ils auraient inévitablement des effets positifs en termes de
réception des décisions.
5.4. La communication
Le message du juge constitutionnel est souvent difficile
à véhiculer : les risques d’une simplification excessive ou même d’une
déformation sont assez élevés, surtout en raison du rôle central joué par les
médias, qui se montrent généralement (ce qui est tout à fait normal) plus
attentifs aux décisions et aux passages qui peuvent faire la une, plutôt qu’aux
affirmations juridiquement fondamentales.
Afin d’éviter que les médias soient le seul moyen de
diffusion (et de connaissance) des décisions pour les citoyens et la classe
politique (la question se pose évidemment de manière très différente pour les
juges, qui sont en mesure de lire et de comprendre parfaitement les décisions),
il s’avère particulièrement utile que la juridiction constitutionnelle prenne
soin d’élaborer des techniques qui lui permettent d’offrir à l’opinion publique
une information dont l’exactitude serait garantie par la provenance de
l’institution.
La pratique montre que, bien que de manière différente,
la grande partie des juridictions constitutionnelles se confronte à de telles
difficultés.
En tête de presque toutes les décisions de la Cour
suprême des États-Unis l’on trouve le syllabus,
qui est la synthèse de l’opinion of the
Court préparée par le Reporter of Decisions. Le syllabus
ne fait pas partie de la décision, mais il a la fonction de faire connaître sur
la base de la lecture de quelques pages le contenu essentiel de ce que la Cour
a écrit en des dizaines de pages : les bénéfices en termes de diffusion de
la décision sont évidents.
En Allemagne, le choix a été celui de rédiger, pour les
décisions les plus importantes, des communiqués de presse (en allemand et,
parfois, en anglais), afin de permettre au public de saisir les contenus de
décisions qui sont souvent très longues.
Les communiqués de presse sont aussi de temps en temps
rédigés par la Cour constitutionnelle italienne ; il s’agit, toutefois, du
moins dans la pratique récente, de communiqués qui se limitent à donner
l’information que la Cour a tranché un litige très important ou qu’elle a
délibéré sur une question fondamentale : à la différence des communiqués
allemands, ils n’offrent donc pas aux lecteurs un aperçu fiable de la décision.
Compte tenu de cette limite, la situation italienne
n’apparaît guère différente de celle du Tribunal constitutionnel espagnol, où
le recours aux communiqués de presse est réservé à d’autres activités que celle
juridictionnelle (il est toutefois à noter que le Tribunal envoie aux médias
des communiqués de presse concernant les dispositifs des décisions principales,
ce qui rapproche cette pratique de celle de la Cour italienne).
Un cas tout à fait particulier est celui du Conseil
constitutionnel français, qui accompagne toutes ses décisions d’un communiqué
de presse, mais surtout publie sur les Cahiers
un Commentaire de la décision,
parfois indispensable pour saisir la portée effective d’une décision souvent
rédigée de manière très synthétique, peut-être même trop synthétique : il
est à noter que le Commentaire
s’adresse à un public spécialisé, et a donc comme fonction de permettre une
réception correcte de la part de ceux qui, en principe, peuvent (et devraient)
comprendre la logique de l’argumentation et la décision finale ; le Commentaire est donc un instrument dont
l’importance dérive du style des décisions du Conseil, qui requiert au lecteur
un effort considérable afin d’être en mesure de comprendre toutes les
implications d’un considérant.
6. L’attitude des élèves
Les enseignements de l’instituteur s’adressent à des
élèves dont l’attitude à apprendre et à se conformer aux préceptes est très
variable. La réception des mots de l’instituteur peut être conditionnée,
notamment, par la confusion dans la classe, qui peut rendre difficile ou même
empêcher la perception de sa voix, et par la volonté de se conformer aux
préceptes de l’instituteur.
Ces variables peuvent aussi être utilisées pour décrire
l’attitude des pouvoirs publics vis-à-vis d’une décision de la juridiction
constitutionnelle.
6.1. Les conditions dans
lesquelles les enseignements sont dispensés
La confusion dans la classe correspond à la situation
dans laquelle le juge constitutionnel intervient à propos d’un thème
politiquement particulièrement débattu : plus que le débat est animé, plus
les risques pour la réception de la décision augmentent.
Les juges constitutionnels tendent à ne pas entrer dans
le débat politique, se cantonnant dans le domaine purement juridique : la
technique consiste à refuser de traiter les political questions, selon la formule américaine, ou celle de respecter la
marge d’appréciation du législateur, selon les formules européennes.
Or, même si les cours n’entrent pas dans les political questions, elles ne peuvent éviter les political cases, c’est-à-dire les questions qui
ont une portée politique : lorsque la Cour suprême fédérale a rendu sa
décision Bush v. Gore, de 2000, elle
a en fait établi lequel des deux candidats allait devenir le Président des
États-Unis. Il s’agit d’un cas particulier, mais l’histoire des juridictions
constitutionnelles est marquée par des cas «politiques» très importants :
pour ne s’en tenir qu’aux dernières années, l’on peut mentionner la décision
espagnole sur le Statut de la Catalogne ou le Lissabon Urteil du Tribunal allemand ou encore
les décisions de la Cour italienne sur la suspension des procès pour les
titulaires des hautes charges de l’État.
Il est clair qu’une décision concernant un sujet
politiquement (très) sensible se prête à être utilisée afin d’en tirer
parti : la décision devient une composante du débat politique plus général
et, de ce fait, risque d’être plus exploitée que respectée. En d’autres termes,
la confusion du débat donne aux arguments juridiques une faible voix, qui a du
mal à se faire entendre lorsque la tendance est celle d’hurler le plus fort
possible.
Dans un tel contexte, la volonté des destinataires finit
par jouer un rôle décisif : il s’agit, là, de la volonté d’écouter ;
mais il est difficile de distinguer cette volonté de celle qui consiste à se
conformer aux mots du juge constitutionnel, puisque la première est le
fondement nécessaire de la seconde.
Pour conclure sur ce point, l’on pourrait constater que la
volonté des destinataires étant une variable qui influence la réception des
décisions, lorsque les décisions ont trait à un sujet politiquement débattu, la
volonté devient encore plus importante, puisqu’elle demande un effort
supplémentaire, tant sur le plan de la perception (écouter la voix faible) que
sur celui de sa mise en œuvre (vigoureusement contestée par les opposants).
6.2. La volonté de se conformer
Les remarques que l’on vient de faire nous permettent
aisément de déduire que la volonté des pouvoirs publics de se conformer à la
décision du juge constitutionnel est fondamentale.
À propos de cette variable, une distinction fondamentale
est à faire : jusqu’à présent, l’on a assimilé tous les destinataires des
décisions, nous référant seulement à ceux qui ont une compétence juridique et à
ceux qui n’en ont pas ou qui peuvent ne pas en avoir ; désormais, une
distinction supplémentaire entre (a) les juges et (b) les pouvoirs politiques
s’impose, car pour ces deux catégories, la volonté de se conformer aux
décisions a une portée très différente.
(a) En ce qui concerne les rapports entre le juge
constitutionnel et les (autres) juges, la diversification entre le modèle
américain et le modèle européen de justice constitutionnelle est, à l’évidence,
fondamentale.
Aux États-Unis, la distinction entre la juridiction
constitutionnelle et les autres juridictions n’a pas de sens, puisque le modèle
diffus implique de considérer tout juge comme un juge constitutionnel.
La question de la réception des décisions de la Cour
suprême se pose donc sur la base, non pas de la compétence exercée (la justice
constitutionnelle), mais plutôt sur la base du respect de la règle du
précédent, qui est propre aux systèmes de common law. Les cours inférieures sont donc
liées par la décision de la Cour suprême en application du principe qui leur
impose de stare decisis ;
lorsque un juge s’écarte du précédent il manque à ses obligations et il est par
conséquent susceptible (en théorie) de subir un impeachment : la pratique montre que la coutume judiciaire est
généralement suffisante pour assurer le respect des décisions.
Un cas particulier se présente lorsque le modèle
américain trouve à s’appliquer dans un pays de civil law, comme par exemple en
Argentine. Les décisions de la Cour suprême argentine n’ont pas, à proprement
parler, la force du précédent ; cependant, le fait que la Cour soit au
sommet de l’ordre judiciaire permet de garantir de façon adéquate le respect de
ses décisions. Autrement dit, et en général, lorsque la justice constitutionnelle
n’est pas conférée à des juges spécialisés, le respect des décisions est lié à
la position du juge qui exerce concrètement la mission de faire assurer la
primauté de la Constitution vis-à-vis des actes des pouvoirs publics.
Les rapports entre la juridiction constitutionnelle et
les (autres) juges sont moins nets lorsque la justice constitutionnelle est
exercée par un organe spécialisé.
Aucun problème ne surgit lorsque l’on fait référence aux
décisions qui annulent ou qui déclarent la nullité de l’acte législatif (ou
réglementaire) puisque sa disparition de l’ordre juridique empêche toute
application, garantissant ainsi en soi le respect de la décision du juge
constitutionnel.
Dans les systèmes où les autres types de décisions sont
dotées de la même force normative, le respect des préceptes de la juridiction
constitutionnelle est tout aussi garanti.
Par contre, des problèmes surgissent dans les systèmes où
les décisions de rejet sont en quelque sorte disponibles par les juges
communs : l’on peut mentionner, à ce propos, les cas italiens et
espagnols.
En principe, les questions les plus significatives se
posent en ce qui concerne les rapports entre la juridiction constitutionnelle
et les organes juridictionnels situés au sommet de la hiérarchie de l’ordre
judiciaire, et plus particulièrement pour la détermination de la répartition de
leurs domaines d’intervention respectifs. La fonction d’interprétation des
dispositions constitutionnelles est reconnue sans équivoque aux juridictions
constitutionnelles et les organes juridictionnels s’y soumettent ; au
contraire, lorsque les juridictions constitutionnelles cherchent à interpréter
les dispositions législatives, un conflit inévitable surgit, puisque cette
interprétation est considérée par les cours suprêmes comme appartenant aux
juridictions judiciaires (ou administratives). Les conflits de ce type
impliquent que les juges judiciaires revendiquent alors une compétence à
laquelle la juridiction constitutionnelle aurait porté atteinte : de ce
fait, il n’est pas surprenant que les juges ordinaires s’écartent de
l’interprétation prônée par la juridiction constitutionnelle et suivent
l’interprétation adoptée par les cours suprêmes.
De telles conflits se sont produits tant en Italie qu’en
Espagne.
En Italie, où le système de justice constitutionnelle
italienne est axé sur l’exception d’inconstitutionnalité et requiert une
coopération constante entre les juges et la Cour constitutionnelle. Les
premiers sont considérés – selon la formulation de Piero Calamandrei
– comme les «concierges» du Palais de la Consulta (siège de la seconde),
puisqu’ils ont le pouvoir d’ouvrir une porte qui autrement resterait fermée (le
système italien n’ayant pas un recours direct des particuliers) : ainsi
pour que le système de justice constitutionnelle soit efficace, le dialogue et
les rapports cordiaux entre les deux catégories d’organes est donc
indispensable.
Cependant, les années soixante ont été marquées par ce
qui a été appelé la «guerre des Cours», qui a opposé la Cour constitutionnelle
et la Cour de cassation, et qui a eu comme principal objet l’étendue du pouvoir
interprétatif de la première.
Le conflit s’est terminé lorsque le juge constitutionnel
s’est retranché, et a accepté de se conformer au «droit vivant», c’est-à-dire à
l’interprétation consolidée d’une disposition. Lorsqu’une disposition est
interprétée et appliquée constamment d’une certaine manière, la Cour
constitutionnelle ne se sent pas libre de prôner une interprétation différente,
mais accepte l’interprétation courante ; elle a alors deux options :
la déclaration d’inconstitutionnalité (si la disposition, telle qu’elle est
interprétée, n’est pas conforme à la Constitution) ou le rejet de la question
(si aucune atteinte à la Constitution n’est constatée).
Depuis ce retrait de la Cour constitutionnelle, et malgré
quelques rares confrontations ces années, les rapports entre les différents
juges sont à nouveau plutôt cordiaux. On a même pu donc constater que, une fois
le danger d’empiètements évité, les juges communs (y compris la Cour de
cassation) sont devenus de fidèles exécuteurs des décisions de la Cour
constitutionnelle ; du reste, lorsque des doutes surgissent à l’égard de
l’exactitude d’une décision de rejet, les juges peuvent à nouveau soulever une
exception d’inconstitutionnalité, afin de solliciter une deuxième réflexion de
la Cour sur cette question.
En Espagne, la confrontation entre le Tribunal
constitutionnel et le Tribunal suprême est l’un des sujets classiques de
justice constitutionnelle. La raison de cet intérêt réside dans la persistance
de la tension qui oppose les deux organes.
La similitude avec le cas italien concerne l’origine du
conflit, soit la dénonciation des empiètements du Tribunal constitutionnel dans
le domaine réservé des juges de l’ordre judiciaire en matière d’interprétation
des dispositions législatives (la doctrina
constitucional du Tribunal constitutionnel
n’étant évidemment pas en cause).
Les différences entre les deux droits sont, quant à
elles, plus marquées. Le système italien se fonde sur la coopération entre les
deux catégories de juges, tandis que le système espagnol confère au Tribunal
constitutionnel une suprématie qui se manifeste de manière évidente lorsque les décisions des juges
de l’ordre judiciaire font l’objet d’un recours d’amparo : si la Cour
italienne a besoin des juges pour être saisie d’une question, le Tribunal
espagnol est souvent saisi contre les
décisions des juges, ce qui n’encourage ni le dialogue ni la coopération, et ce
d’autant plus lorsque la juridiction constitutionnelle n’hésite pas à annuler
une décision du Tribunal suprême (cf., par exemple, le cas «de los Albertos»,
dans lequel le STC 29/2008 a annulé une condamnation pénale prononcée par le
Tribunal suprême, adoptant une interprétation différente de la disposition sur
la prescription des délits). Il est donc inévitable que les rapports entre les
juges et le Tribunal constitutionnel soient, en Espagne, beaucoup plus tendus
que ceux qui caractérisent le système italien : des juges dont les décisions
sont toujours susceptibles d’être annulées par un organe externe à la
hiérarchie judiciaire sont naturellement plus attentifs à leurs propres
compétences et aux atteintes particulières de l’organe externe. Ainsi, dès
qu’ils le peuvent, ils cherchent à réaffirmer leur autorité, résistant
fermement vis-à-vis de tout empiètement (soit-il effectif ou non) et même
censurant, le cas échéant, l’œuvre du Tribunal constitutionnel (comme cela a
été le cas lorsque le Tribunal suprême a retenu la responsabilité civile des
juges du Tribunal constitutionnel pour rejet d’un recours d’amparo sans motivation, les
condamnant à payer 500 euros à titre de dédommagement : STS 51/2004).
L’introduction, en France, de la question prioritaire de
constitutionnalité pourrait, en théorie, engendrer des conflits semblables.
L’on peut même déjà citer l’attitude de la Cour de cassation vis-à-vis des
rapports entre l’exception d’inconstitutionnalité et la question préjudicielle
devant la Cour de justice de l’Union européenne : les doutes soulevés par
la Cour de cassation, toutefois, visaient en premier lieu la loi organique
mettant en œuvre de la réforme constitutionnelle, même si ils touchaient en
quelque sorte à la jurisprudence du Conseil constitutionnel ; de ce fait,
bien qu’il s’agisse d’un moment de tension considérable, le conflit du
printemps 2010 ne rentre pas, à proprement parler, dans le champs d’intérêt de
la présente intervention.
D’ailleurs, la situation française ne paraît pas
assimilable à celle de l’Espagne ou de l’Italie, puisqu’en France les décisions
de rejet confèrent un brevet de constitutionnalité aux dispositions
législatives et que – contrairement à ce qui se produit en Italie – les motifs
de la décision du Conseil s’imposent au même titre que le dispositif.
(b) N’importe quelle décision d’un juge constitutionnel
nécessite, on l’a vu, de la compliance, c’est-à-dire l’acceptation des destinataires et
leur attitude à la mettre en œuvre. Or, les institutions politiques peuvent, à
cet égard, adopter des positions très différentes. Il est possible d’établir
une liste, assez synthétique, des réactions de la classe politique vis-à-vis
d’une décision ; le sujet sort, en large mesure, du domaine strictement
juridique, ce qui amènera à ne pas aller trop loin dans l’analyse. On se
contentera toutefois d’indiquer les catégories de réaction proposant, le cas
échéant, quelques exemples.
I. La règle générale est – fort heureusement – celle du
respect de la décision, un respect qui ne fait toutefois pas obstacle à la
formulation de critiques à l’encontre de la décision, quelles soient
circonscrites au débat scientifique ou se traduisent par un échange d’idées au
niveau politique et institutionnel.
Le respect se manifeste, le plus souvent, par la
passivité, ceci vaut non seulement pour une décision de rejet mais aussi pour
une décision comportant une déclaration d’inconstitutionnalité puisque les
pouvoirs politiques, et notamment le législateur, n’essaient pas de
réintroduire la disposition censurée.
Dans certains cas, la décision du juge constitutionnel
implique une activité : c’est le cas, par exemple, des décisions
d’incompatibilité allemandes ou espagnoles (ou même françaises ou italiennes),
des invitations au législateur à modifier le droit positif ; il en va
ainsi pour les décisions qui déclarent l’incompatibilité entre la Constitution
et le traité international à ratifier ou pour les décisions qui tranchent des
conflits d’attribution constitutionnelles, ou encore pour les décisions qui
censurent l’omission du législateur.
II. Le degré maximal du respect des décisions est atteint
lorsque les pouvoirs politiques font emploi de la décision (A) afin de trancher
des conflits de manière définitive ou (B) afin d’adopter des réformes (non
imposées en tant que telles – dans ce cas, il s’agirait du respect pur et
simple de la décision –, mais simplement) suggérées ou rendues possibles.
II.A. Un exemple du premier cas a été déjà évoqué ; celui
de la décision United States v. Nixon,
de 1974, perçue comme le moment le plus critique dans la controverse entre le
Président Nixon et ses opposants et qui a de ce fait, eu un rôle très important
dans la décision du premier à donner ses démissions.
Un autre exemple, toujours tiré de l’expérience
américaine, est celui de la décision Cooper
v. Aaron, de 1958, par laquelle la Cour suprême a mis fin aux résistances
contre les décisions imposant la déségrégation dans les écoles du Sud.
Enfin, on peut mentionner le cas de l’impôt sur la
fortune, dont les normes ont été déclarées inconstitutionnelles par le Tribunal
constitutionnel allemand (décision du 22 juin 1995, 2 BvL
37/91), qui a aussi fixé le délai du 31 décembre 1996 pour adopter une nouvelle
loi ; la majorité au Bundestag
visait à éliminer l’impôt sur la fortune, ce qui n’avait pas été possible en
raison de l’opposition de la majorité au Bundesrat.
De ce fait, la décision du Tribunal constitutionnel, une fois que le délai fixé
s’est écoulé, a fini par résoudre le conflit entre les deux assemblées, privant
de base légale l’impôt sur la fortune et donc en empêchant son prélèvement.
II.B. À maintes reprises, les décisions des juridictions
constitutionnelles ont joué un rôle fondamental dans l’évolution du droit
positif, au-delà même de ce qu’elles ont affirmé.
L’on pourrait mentionner les décisions de la Cour
italienne concernant le code de la procédure pénale, adopté pendant la
dictature fasciste, qui a subi d’innombrables déclarations
d’inconstitutionnalité, avant que le législateur, en 1988, n’adopte un nouveau
code, afin de se conformer à la philosophie du procès pénal que la Cour
constitutionnelle, au fils des ans, avait fini par dégager.
En Espagne, une situation semblable s’est produite à la
suite de la décision 128/1995, par laquelle avait été déclaré
l’inconstitutionnalité du régime de la détention provisoire ; en l’absence
d’une réforme générale de la part du législateur, plusieurs décisions, les
années successives, ont admis la recevabilité du recours amparo sur le fondement de ces
déclarations d’inconstitutionnalité sans que le législateur n’intervienne ;
mais lorsque le Tribunal constitutionnel, dans sa décision 47/2000, a soulevé
devant lui-même la question de constitutionnalité de la matière, la réforme a
finalement été adoptée (en 2003).
Récemment, un exemple particulièrement révélateur est celui
de la décision n° 359/2009 du juillet 2009, rendue par le Tribunal
constitutionnel portugais, qui a exclu que le mariage homosexuel dispose
nécessairement d’un fondement constitutionnel explicite mais qui a aussi
affirmé qu’il n’était pas en soi contraire à la Constitution. Le législateur en
a tiré profit et a adopté, au mois de février 2010, un texte de loi
introduisant le mariage homosexuel ; celui-ci a été soumis au contrôle du
Tribunal constitutionnel, qui a rendu, au mois d’avril suivant, une décision de
rejet de toutes les questions de constitutionnalité soulevées par le Président
de la République (décision n° 121/2010).
III. Les décisions des juges constitutionnels ne sont pas
toujours si bien accueillies : dans certains cas, les critiques sont très
fortes, si fortes que le juge constitutionnel même revient sur ses pas.
La décision Uphaus v. Wyman, de 1959, est un exemple assez éloquent : la
Cour suprême a opéré un distinguishing,
qui était en réalité une neutralisation de la décision Pennsylvania v. Nelson, de 1956, dans laquelle la législation contre la
sédition avait fait l’objet d’une preemption de la part de la Fédération par le biais du Smith Act. Une
fois que le membre du Congrès qui avait été le proposant de cette loi fédérale
a contesté l’interprétation de la portée de la loi qui portait son nom faite
par la Cour suprême, celle-ci a implicitement admis son erreur et a fait un pas
en arrière.
IV. La portée d’une décision peut aussi être neutralisée par
les pouvoirs politiques mêmes, sans qu’aucune contestation formelle ne soit
formulée : ceci se produit lorsque bien que respectant l’autorité de la
chose jugée la pratique affiche une indifférence à son égard.
Une des grandes décisions de la Cour suprême américaine a
déclaré, en 1983, l’inconstitutionnalité du legislative veto pour l’atteinte portée à la séparation des pouvoirs (Immigration and Naturalization
Service v. Chadha) : personne, aux
États-Unis, ne conteste le bien-fondé de cette décision, cependant l’analyse de
la pratique permet de compter, depuis 1983, plus de quatre-cent cas de legislative vetoes (Rossum et Alan Tarr, 2007).
L’indifférence est le moyen le plus souvent employé pour
ne pas se conformer aux décisions qui déclarent la non conformité d’une
disposition législative avec la Constitution ou qui laissent au législateur le
temps de remédier à une inconstitutionnalité.
Les cas où le législateur italien n’a pas répondu aux
sollicitations de la Cour constitutionnelle sont très nombreux. L’inertie
législative a été à maintes reprises censurée par la Cour constitutionnelle,
soit en répétant l’invitation, renforcée par un avertissement ou même par une
véritable injonction, soit en arrivant, finalement, à une déclaration
d’inconstitutionnalité. Parmi les exemples que l’on pourrait fournir, le plus
récent est probablement celui qui a concerné la révision des arrêts définitifs
de condamnation déclarés contraires à la Convention européenne des droits de
l’homme par la Cour de Strasbourg. La Cour constitutionnelle, dans sa décision
n° 129 de 2008, a adressé au législateur une «invitation péremptoire» à
introduire des normes permettant, dans ces cas, la révision du procès
pénal ; malgré cette invitation et malgré l’importance du sujet, le
législateur est resté inactif, confirmant ainsi une situation juridiquement
intolérable : celle de condamnations déclarées contraires aux droits
fondamentaux non susceptibles de révision. Face à une telle anomalie, la Cour
constitutionnelle, saisie à nouveau de l’affaire, n’a pas eu d’autre choix que
d’adopter une déclaration d’inconstitutionnalité modifiant le texte de
l’article du Code de procédure pénale relatif à la révision des arrêts
définitifs (décision n° 113 de 2011). Désormais, grâce à la Cour, la révision
est donc devenue possible.
L’atmosphère est, semble-t-il, assez différente en
Allemagne, où la coopération entre les pouvoirs publics et la position du
Tribunal constitutionnel dans le système assurent, généralement, l’action du
législateur afin de se conformer aux décisions du juge constitutionnel, du
moins à celles qui déclarent l’incompatibilité d’une disposition ou d’un acte
(en ce qui concerne les invitations ou les avertissements, la pratique n’est
vraisemblablement pas aussi claire).
La disponibilité du législateur est, certes, due à sa déférence
vis-à-vis de l’autorité morale du Tribunal constitutionnel ; il ne faut
pas oublier, cependant, que celui-ci a un atout considérable afin de
«convaincre» le législateur : l’exécution d’office. Par exemple, le
Tribunal, après deux invitations à modifier le montant de l’indemnité attribuée
aux fonctionnaires ayant au moins trois enfants, a fixé (dans une décision de
1998 : 2 BvL 26/91, 5, 6, 7, 8, 9, 10/96, 3, 4,
5, 6/97) un délai définitif, à l’expiration duquel le montant aurait été
augmenté selon les indications du Tribunal même ; devant une telle menace
le législateur a fini par s’incliner et a adopté une norme conforme aux
indications du Tribunal.
Or, le Tribunal allemand peut même déclarer
l’incompatibilité d’une disposition sans donner au législateur un délai pour
s’y conformer. Dans ce cas, le législateur est libre dans le choix du moment,
il abuse parfois de cette liberté : par exemple, la décision de 1982 qui a
déclaré l’incompatibilité avec la Constitution de l’article 622 II du Code
civil n’a été exécutée que onze ans plus tard.
Les problèmes liés à l’action du législateur destinée à
se conformer à une décision du juge constitutionnel ne sont pas absents dans le
système français, où le Conseil constitutionnel a souvent fait référence au législateur
en l’invitant à adopter une nouvelle loi ou à modifier certaines dispositions.
Bien évidemment, la modulation dans le temps des effets des décisions rendues
dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité a sensiblement
augmenté les occasions de dialogue entre le juge constitutionnel et le
Parlement. Si l’on s’en tient aux premiers cas, le dialogue paraît se diriger
vers une coopération loyale : par exemple, la première décision QPC
imposait au législateur de remédier à l’inconstitutionnalité qui avait été
déclarée avant le 1er janvier 2011, le législateur est intervenu
avec la loi de finances pour 2011, soit quelques jours avant l’expiration du
délai imparti.
V. L’opposition vis-à-vis d’une décision de la juridiction
constitutionnelle peut aussi se manifester dans la forme d’une atteinte à
l’autorité de la chose jugée. Il s’agit d’une situation qui se produit assez
rarement, puisqu’elle implique un conflit déclaré entre les pouvoirs publics
qui ont, naturellement, bien de réserves à le déclencher.
Un cas très intéressant est celui relatif au recouvrement
des taxes dans les ports espagnols, considérés comme portant atteinte, en vertu
d’une décision du Tribunal constitutionnel de 1995 (STC 185/1995), à la réserve
de loi en matière fiscale. Le législateur, à plusieurs reprises, a tenté
d’éviter que les autorités portuaires ne soient obligées de rembourser les
sommes perçues sous le régime déclaré inconstitutionnel. Et le Tribunal
constitutionnel, par plusieurs décisions de 2009 et de 2010, a déclaré
l’inconstitutionnalité de cette tentative de réduire la portée de la décision
de 1995.
En principe, l’atteinte à l’autorité de la chose jugée
est le corollaire de la portée rétroactive d’une loi qui cherche à confirmer
une disposition déclarée inconstitutionnelle ou, du moins, qui cherche à
préserver une partie de ses effets. À ce propos, la Cour constitutionnelle
italienne est allée, semble-t-il, plus loin : en effet, dans sa décision n° 350 de
2010, elle a constaté la violation de l’article 136 de la Constitution
(l’article qui fonde l’autorité de la chose jugée des décisions
d’inconstitutionnalité de la Cour constitutionnelle) puisque la disposition
soumise au contrôle représentait, pour l’essentiel, «une simple reproduction
d’une disposition déclarée inconstitutionnelle» quelques semaines auparavant.
VI. La décision de la Cour constitutionnelle italienne que
l’on vient de mentionner pose des problèmes à l’égard de la distinction entre
l’atteinte à l’autorité de la chose jugée et l’opposition aux décisions des
juges constitutionnels qui se produit à la suite – non pas d’une atteinte
formelle à la chose jugée, mais – d’une nouvelle adoption pour le futur de
dispositions déclarées inconstitutionnelles.
Exception faite de la décision italienne précitée,
l’autorité de la chose jugée n’est en principe pas en cause : l’œuvre du
législateur sera vouée à l’échec, mais ceci en raison de la validité des
raisons qui ont conduit à la précédente déclaration d’inconstitutionnalité. Il
est à remarquer, toutefois, qu’une telle règle ne s’applique évidemment pas
lorsque l’inconstitutionnalité est due à des vices de forme, qui peuvent être
dépassés sans porter aucune atteinte à la chose jugée, au contraire en se
conformant à celle-ci. Et même hormis cette exception, la règle n’est toujours
pas absolue, puisque le changement des circonstances peut rendre
constitutionnelle une norme qui ne l’était pas auparavant, ainsi la réitération
de l’adoption de la disposition inconstitutionnelle peut ne pas encourir une
nouvelle sanction de la part du juge constitutionnel.
Dans la pratique des systèmes que l’on a pris en
considération, on a du mal à trouver des cas où le législateur aurait répété
son erreur : cette conclusion vaut pour l’Allemagne, où un conflit de
jurisprudence entre les deux chambres du Tribunal constitutionnel a justement
concerné l’existence d’une «interdiction de répétition» (que la doctrine a,
toutefois, la tendance à exclure), mais aussi à l’Espagne, pour laquelle on n’a
cependant pas trouvé de cas particulier.
Dans les autres systèmes, la répétition est acceptée,
tant par la doctrine que par la jurisprudence, ce qui n’empêche pas que la
répétition pure et simple reste un cas d’école : le législateur tend
souvent à introduire quelques modifications, même minimales, afin d’essayer
d’éviter une nouvelle censure (le Conseil constitutionnel français a censuré
une telle tentative à l’égard d’une Loi d’amnistie en 1989, dans la décision n°
89-258 DC).
VII. Cette dernière constatation finit par rapprocher la
nouvelle adoption de la disposition inconstitutionnelle à une démarche quelque
peu différente, c’est-à-dire celle par laquelle le législateur essaie de
contourner la décision du juge constitutionnel.
En principe, la décision contournée (A) contient une
déclaration d’inconstitutionnalité, mais il se peut aussi que la décision (B)
soit une décision de rejet.
VII.A. Pour la première, l’on peut citer deux cas italiens qui semblent
très intéressants d’autant plus qu’ils ont trait à des sujets politiquement
très sensibles.
L’un concerne les normes relatives à la radiotélévision.
En 1988, la Cour avait invité le législateur à fixer des limites concernant les
concessions des émissions radiotélévisées, afin d’éviter tout risque de
position dominante, incompatible avec la garantie du droit à la libre
expression de la pensée (décision n° 826 de 1988). En toute réponse, la loi n°
223 de 1990 avait validé la situation de fait, permettant à un seul sujet de
posséder trois chaînes de télévision. Cette réglementation avait été confirmée
par le décret-loi n° 323 de 1993, converti par la loi n° 422 de 1993, relatif à
la procédure de délivrance des concessions. La Cour constitutionnelle avait été
alors saisie afin de contrôler la conformité du décret-loi à la Constitution
et, dans sa décision n° 420 de 1994, elle avait déclaré son
inconstitutionnalité ; cependant, puisque l’annulation de la discipline
aurait produit des effets encore plus négatifs que son maintien, la Cour avait
confirmé, à titre purement provisoire, les concessions en vigueur, et donc la
concentration de trois chaînes dans les mains d’un seul sujet. En toute
réponse, juste avant que le délai fixé pour la validité provisoire des
concessions ne s’écoule, le Gouvernement a adopté le décret-loi n° 444 de 1996,
converti par la loi n° 650 de 1996, qui, «afin de se conformer à la décision de
la Cour constitutionnelle du 7 décembre 1994» (!), l’a encore prolongé.
Celui-ci a ensuite été à nouveau prolongé par la loi n° 249 de 1997, qui a été
soumise au contrôle de constitutionnalité. Dans la décision n° 466 de 2002, la
Cour a renouvelé la déclaration d’inconstitutionnalité, mais, à l’instar de ce
qui avait été fait précédemment, elle a différé les effets de la déclaration,
fixant le terme définitif du 31 décembre 2003 pour adopter une nouvelle
réglementation. Ce délai n’a pas été respecté par le législateur, mais en 2004
une nouvelle loi (la n° 112 de 2004) a réformé le système de la radiotélévision
(seize ans après la première invitation de la Cour) confirmant la possibilité
pour un seul sujet de détenir trois chaînes de télévision. Toutefois, pendant
ces seize ans, la technologie a avancé, désormais les trois
chaînes qui transmettent par voie hertzienne sont en concurrence avec celles qui
transmettent en numérique ; de ce fait, les exigences du pluralisme sont
respectées, semble-t-il, en référence à la totalité des chaînes disponibles
(aucun problème ne dérivant, apparemment, du fait que le sujet qui détient les
trois chaînes hertziennes possède aussi bon nombre de chaînes numériques). Le
progrès technologique ainsi qu’un certain adoucissement des esprits les plus critiques ont donc permis au législateur
de contourner les décisions du juge constitutionnel.
L’autre exemple a un final opposé (du moins pour le
moment). Le sujet concerne l’immunité des titulaires des hautes charges de
l’État. La Constitution italienne ne prévoit plus, depuis 1993, la nécessité
pour l’autorité judiciaire, afin de pouvoir poursuivre un parlementaire, de
demander une autorisation de l’assemblée à laquelle il appartient. En l’absence
de cette autorisation, l’actuel Président du Conseil des ministres, qui a aussi
le statut de parlementaire, n’a pas de protection vis-à-vis des poursuites
fondées sur des délits qu’il aurait commis en dehors de l’exercice de ses
fonctions gouvernementales (et notamment avant qu’il ne soit investi de ces
fonctions). Le législateur a donc pris le soin d’éviter que le Président du
Conseil ne soit poursuivi : à cette fin la loi n° 140 de 2003 a été
adoptée, elle prévoyait la suspension des procès en cours contre les titulaires
des hautes charges de l’État pendant leurs mandats. La Cour constitutionnelle,
par sa décision n° 24 de 2004, a déclaré inconstitutionnelle cette norme,
soulignant certains aspects la rendant non conforme à la Constitution. Il est à
noter que dans le procès constitutionnel italien, lorsque l’on constate
l’inconstitutionnalité d’une loi ou d’une disposition pour l’atteinte portée à
une disposition de la Constitution, il n’est pas nécessaire d’examiner les
griefs ultérieurs éventuellement évoqués.
La déclaration d’inconstitutionnalité a engendré une
tension notoire entre la majorité politique et l’autorité judiciaire lorsque le
Président du Conseil à l’origine de la loi de 2003 est retourné ou pouvoir, en
2008, après une période de deux ans à l’opposition. En effet, le Parlement a
adopté la loi n° 124 de 2008, qui n’était autre qu’une répétition corrigée de
la loi n° 140 de 2003 : les corrections correspondaient aux suggestions de
la décision n° 24 de 2004, ce qui semblait suffisant (à la majorité) pour
éviter une nouvelle déclaration d’inconstitutionnalité. Saisie de la question à
propos de la nouvelle loi, la Cour constitutionnelle, dans sa décision n° 262
de 2009, a toutefois réitéré la déclaration de non-conformité, précisant que la
réglementation des immunités des hautes charges de l’Etat ne pouvait être
adoptée par une simple loi ordinaire mais nécessitait une loi constitutionnelle
(l’argument n’avait pas été exposé dans la décision de 2004 en raison du
principe d’économie processuelle mentionné ci-dessus). Or, l’adoption d’une
telle loi constitutionnelle n’était pas envisageable aux vues du contexte
politique ; ainsi pour suspendre les procès contre le Président du
Conseil, a été adoptée la loi n° 51 de 2010 qui permettait aux membres du
Gouvernement d’opposer leur empêchement à être présents aux audiences en raison
de leur agenda, l’opposition ayant pour effet d’imposer au juge le renvoi des
audiences faisant durer, dans le temps, le procès (selon les opposants de cette
loi, le temps devait jouer pour la prescription, puisque, en Italie, la
prescription continue à courir même lors du déroulement du procès). Il s’agissait
à l’évidence d’une démarche visant à contourner les décisions précédentes de la
Cour ; et la Cour, saisie encore de cette nouvelle loi, l’a déclaré
partiellement inconstitutionnelle dans sa décision n° 23 de 2011. Les effets de
la décision ont eu comme principale conséquence de permettre au juge
d’apprécier les raisons mêmes de l’empêchement, et de décider, le cas échéant,
de l’opportunité ou non du renvoi de l’audience. Le référendum du mois de juin
2011 a, ensuite, abrogé la loi (ou, pour mieux dire, ce qu’il restait de la
loi), mettant fin, ainsi, à la confrontation entre le législateur et la Cour,
confrontation qui a imposé au législateur de s’incliner aux raisons de la
Constitution.
De telles confrontations ne sont pas une prérogative du
système italien : même l’histoire américaine (entre autres) offre des
exemples assez intéressants.
Pour citer un des cas les plus importants, l’on peut
mentionner la succession des décisions de la Cour suprême à l’égard des lois
visant à protéger le travail des mineurs : la décision Hammer v. Dagenhart, de 1918, a déclaré
inconstitutionnelle une loi qui s’appuyait sur la commerce clause ; le Congrès avait réintroduit un régime de
protection en se fondant sur le power to tax, la Cour suprême a confirmé son inconstitutionnalité
dans la décision Bailey v. Drexel Forniture Co., de
1922. L’on a donc essayé, en 1924, de surmonter l’opposition de la Cour par
voie d’amendement à la Constitution, mais celui-ci n’a pas été ratifié. La
jurisprudence inspirée du laissez-faire ayant vécu, en 1938 le Congrès a adopté
le Fair Labor Standards Act,
qui a enfin été «accepté» par la Cour suprême lors de la décision United States v. Darby, de 1941.
Un exemple semblable concerne le conflit qui a eu lieu,
pendant les années quatre-vingt-dix, à propos de la liberté religieuse.
Celui-ci a été déclenché par deux décisions de la Cour suprême : dans le
cas Lyng v. Northwestern Cemetery Association, de 1989, il avait été affirmé que
la construction d’une route sur un territoire sacré pour les Américains natifs
ne portait pas atteinte au libre exercice de la religion ; dans le cas Employment Division of Oregon v. Smith, de 1990,
il avait été exclu que le Ier amendement à la Constitution puisse
protéger l’usage du peyotl dans une cérémonie religieuse. En s’opposant à ces
décisions, le Congrès a adopté, en 1993, le Freedom Restoration Act,
qui imposait aux cours de mettre toujours en balance l’intérêt public et les
droits des fidèles, de façon à ce que les pouvoirs publics ne puissent limiter
ceux-ci qu’en présence d’un intérêt public impératif. Quelques mois plus tard,
le American Indian
Religious Freedom Act a été modifié afin d’éliminer toute discrimination
fondée sur l’usage du peyotl lors des cérémonies religieuses ; par contre,
un autre projet de loi qui avait été présenté, visait à protéger les
territoires sacrés des Américains natifs, il n’a cependant pas été adopté. Sur
la première loi, la Cour suprême a eu l’occasion de se prononcer et elle l’a
déclarée inconstitutionnelle au motif qu’elle portait atteinte à la séparation
des pouvoirs (décision Boerne v. Flores, de 1997). Le Congrès a donc
réagi en adoptant le Religious Liberty Protection Act
de 2000, qui a limité la portée de la protection assurée par la loi de 1993,
mais qui a, en fait, largement reproduit ses dispositions.
VII.B. Les confrontations entre le législateur et la Cour
suprême, aux États-Unis, ont parfois eu lieu en réaction à des décisions de
rejet.
Le cas le plus célèbre est peut-être celui du Président
Jackson, qui, en 1832, a opposé sont véto à la loi de réforme du statut de la
Banque fédérale contestant sa légitimité, indépendamment du fait que celle-ci
avait été affirmée, treize ans auparavant, par la Cour suprême dans sa décision
McCulloch v. Maryland.
Un autre cas a trait à l’accès des femmes à la profession
d’avocat, qui était interdit par une loi que la Cour suprême, dans la décision Bradwell v. State of Illinois, de 1873, avait
déclaré non contraire à la Constitution, mais que le Congrès, en 1879, a
changé, éliminant ainsi les limites qui existaient en droit positif.
Plus récemment, en 1986, la Cour suprême a exclu
l’inconstitutionnalité d’une loi interdisant l’usage de la kippa pour un militaire en service (décision Goldman v. Weinberger). S’opposant à
cette décision, l’année suivante, le Congrès en a autorisé l’usage, à condition
qu’il n’interfère pas avec l’activité du militaire.
VIII. Parmi les hypothèses que l’on peut faire à l’égard de la
réception des décisions du juge constitutionnel de la part des pouvoirs
politiques, le cas le plus extrême consiste à refuser totalement la décision. À
ce propos, une distinction fondamentale s’impose, puisque le refus (A) peut
être encadré dans une confrontation tout à fait légitime entre législateur et
juridiction constitutionnelle ou (B) peut, au contraire, avoir une portée
éversive.
VIII.A. Du refus légitime on a déjà eu l’occasion de parler,
lorsque l’on a fait référence aux «lits de justice», c’est-à-dire aux révisions
constitutionnelles adoptées afin de surmonter les décisions des juges
constitutionnels. L’on ne peut donc ici que renvoyer à ce que l’on a pu dire
plus haut.
VIII.B. Le refus éversif est, hélas, une pratique qui tourmente
les juges constitutionnels de nombreux pays, même à l’heure actuelle. Même les
systèmes de justice constitutionnelle les plus consolidés ne sont toutefois pas
à l’abri de l’éversion. L’histoire de la déségrégation dans les écoles des
États-Unis pendant les années cinquante est en effet un exemple de l’opposition
qui peut se manifester vis-à-vis d’une décision rendue par une Cour opérante
depuis presque deux siècles.
La Cour suprême, du reste, a connu d’autres refus, même
si ceux-ci remontent en grande partie aux premières décennies de son histoire.
Le cas qui est peut-être un des exemples les plus parlants est celui de la
décision Worchester v. Georgia, de 1832, dans laquelle la
Cour avait constaté que la Géorgie avait porté atteinte aux droits de la tribu
Cherokee en s’emparant de territoires (riches en or) que les traités
reconnaissaient comme appartenant à la tribu. La Géorgie avait simplement
refusé de s’incliner et avait longtemps été soutenue à ce sujet par le
Président Jackson (c’est d’ailleurs dans ce cadre qu’il avait affirmé qu’il
revenait au Chief Justice Marshall d’exécuter la décision
de la Cour). L’opposition s’est prolongée jusqu’au moment où le Président
Jackson, craignant que l’exemple géorgien offre des arguments aux autres États
pour contester de manière générale l’autorité de la Fédération, a menacé
d’envoyer l’armée. Mais la Géorgie et la Fédération se sont mis d’accord afin
d’exécuter la décision de la Cour suprême sans pour autant se conformer aux
fondements de celle-ci : insistant sur la condamnation d’un sujet se
trouvant sur les territoires occupés par les Géorgiens, on lui a accordé le
pardon, mais l’on a ignoré le principe qui avait conduit à déclarer
l’inconstitutionnalité de la condamnation, c’est-à-dire l’inconstitutionnalité
de l’occupation du territoire. La résolution définitive de l’affaire est
arrivée en 1835, lorsque la Fédération et des représentants de la tribu,
choisis par la Fédération sans ne même pas informer les représentants
officiels, ont stipulé un nouveau traité qui laissait aux États-Unis et à ses
composantes les territoires qui avaient été occupés.
7. Une ébauche de conclusion
Quelques remarques s’imposent afin de conclure cette
analyse. Des remarques concernent les variables prises en considération afin de
déterminer le degré de réception.
Or, les facteurs qui influencent la réception des
décisions des juges constitutionnels ont des portées diverses.
Les deux premiers facteurs que l’on a examinés ont une
portée générale car ils précèdent la décision et conditionnent, d’une manière
fondamentalement uniforme, n’importe quelle décision (la seule exception étant
celle de la mise en œuvre de la récusation ou de l’abstention, qui a trait
souvent à une décision spécifique).
Le premier facteur (correspondant au système scolaire)
est, pour ainsi dire, structurel, puisqu’il concerne principalement le système
de justice constitutionnelle, tel qu’il a été élaboré et tel qu’il s’est
développé au cours des années. À ce propos, la réception des décisions du juge
constitutionnel s’apprécie en termes d’obligation juridique : c’est au
droit positif (et jurisprudentiel) qu’il faut se référer afin d’encadrer les
impacts possibles des décisions.
Le deuxième facteur (correspondant à la personne de
l’instituteur) n’est pas structurel, mais revêt quand même une portée générale,
puisqu’il concerne l’attitude que l’on a vis-à-vis de l’institution. Cette
attitude ne doit pas être analysée en se fondant sur le droit positif, mais
plutôt en se référant à l’histoire de la cour ou du tribunal, aux membres qui
le composent et aux rapports de la cour ou du tribunal non seulement avec les
autres pouvoirs mais aussi avec l’opinion publique.
Par contre, les troisième et quatrième facteurs,
c’est-à-dire ceux qui correspondent à la conduite de l’instituteur et à
l’attitude des élèves, concernent l’actualité et plus spécifiquement chaque
décision du juge constitutionnel. Il s’agit donc de facteurs qui ne sont ni
structurels ni généraux, mais qui sont pour ainsi dire contingents.
Lorsque l’on parle de la réception des décisions, ce sont
précisément les deux derniers facteurs qui sont les plus intéressants, même
s’ils ne sont pas nécessairement décisifs. En effet, ce sont souvent les deux
premiers facteurs à déterminer en grande partie l’impact des décisions (par
exemple, les décisions du Tribunal constitutionnel allemand sont respectées en
conséquence du respect que l’on rend à l’institution, plutôt qu’en raison de
l’adhésion aux contenus de chaque décision). L’intérêt pour les deux facteurs
contingents consiste donc dans leur variabilité : c’est sur la base de la
réception de chaque décision et sur la base des différences que l’on évalue que
l’on peut apprécier la validité et l’efficacité de la solution apportée par la
cour ou le tribunal à un problème juridique d’ordre constitutionnel.
Ceci sans compter que la réception de chaque décision
est, en soi, un élément qui contribue à l’implantation de la juridiction
constitutionnelle dans le système et à son autorité. Autrement dit, les
facteurs généraux, qui influencent la réception des décisions, sont, à leur
tour, influencés par la réception même, puisqu’une décision qui fait l’objet
d’une bonne réception renforce l’autorité de la cour et que cette autorité ne
peut que s’accroître au fur et à mesure que les décisions bien reçues se
multiplient ; au contraire, une décision mal réceptionnée empiète le prestige
de l’institution, et si dans la pratique ces empiètement se multiplient, le
prestige finit par diminuer considérablement.
Un dernier point, d’envergure, reste à aborder :
peut-on établir, en général, une liste de priorités parmi les facteurs que l’on
a indiqués ? Y a-t-il un facteur qui prime sur les autres ?
La réponse est difficile car les facteurs sont souvent
imbriqués entre eux si bien qu’il est difficile de les discerner les uns des
autres. Cependant, l’expérience montre que l’attitude des élèves est le
fondement essentiel de la réception des enseignements de l’instituteur.
Pareillement, l’attitude des autres pouvoirs vis-à-vis de la décision du juge
constitutionnel (et notamment la volonté de se conformer) paraît être si
décisive, que dans certains cas (exceptionnels, peut-être, mais non pas
rarissimes), cet élément peut combler, à lui seul, les défauts des autres.
Un exemple vient à l’esprit : il s’agit de l’avis
rendu par la Cour suprême canadienne en 1998 sur la sécession unilatérale du
Québec. L’analyse du texte et du contexte suggère les remarques suivantes.
Sur le premier facteur, l’on peut dire qu’au Canada
l’autorité de la Constitution n’est pas un axiome, une province a en effet pu
s’opposer à son rapatriement de 1982 ; en outre, le sujet de l’avis est
assez révélateur des difficultés de cohésion autour du pacte fondateur (qui est
conçu, d’ailleurs, de manière différente par les québécois et par le reste du
Canada) ; enfin, l’avis, en tant que tel, n’a pas de force contraignante.
Sur le deuxième facteur, il faut constater que la Cour
suprême connaît des critiques assez virulentes, comme le montrent certains
articles et certains ouvrages parus dans les derniers lustres : il suffit
de citer le titre de deux ouvrages dédiés à la Cour, le premier de Ken Roach, The Supreme Court on Trial, est de 2001, l’autre, encore
plus emblématique, de Robert Ivan Martin, et a pour titre The most dangerous branch: how the Supreme Court of
Canada has undermined our law and our democracy
(2005).
Sur le troisième facteur, l’on ne peut pas omettre les
critiques qui ont frappé cet avis, surtout en ce qui concerne sa clarté et aux
exigences posées par la Cour suprême aux institutions politiques.
Malgré toutes ces difficultés, le législateur canadien
n’a pas hésité à mettre en œuvre les indications (parfois assez génériques) de
la Cour suprême en adoptant la «Loi donnant effet à l’exigence de clarté
formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la
sécession du Québec» (L.C. 2000, ch. 26).
La volonté politique a donc surmonté toutes les
difficultés.
Face à de telles évidences, le juriste est contraint de
s’arrêter : le Juge Breyer a récemment affirmé
que «history, not legal
doctrine, tells us how American came to follow the Supreme Court’s rulings». L’on pourrait proposer une formule assez
proche : la politique, qui a été saisie par le droit (tel que mis en
évidence par Louis Favoreu), est toujours en mesure
de prendre une revanche.
* Trascrizione
riveduta e corretta della lezione tenuta
nell’ambito del XXIIIe Cours international de
Justice constitutionnelle, svoltosi ad
Aix-en-Provence (8 settembre 2011).