PASQUALE COSTANZO
LA “FRANCISATION” DE LA JUSTICE CONSTITUTIONNELLE ITALIENNE: DANS QUEL
SENS?[1]
1.
A première vue, il semble ne faire aucun doute que le fait de vouloir réfléchir
sur la “francisation” de la justice constitutionnelle italienne pourrait
sembler une emphase ou bien un expédient rhétorique, voulu par un désir de
symétrie avec les autres thèmes de notre rencontre.
Il me semble d’ailleurs
que la direction contraire soit plus convaincante, puisque c’est aujourd’hui
Par contre, on pourrait
tout à fait considérer la saisine sur les lois du Pays de la Nouvelle-Calédonie
comme une italianisation de la justice constitutionnelle française, tandis
qu’avec la révision constitutionnelle qui a eu lieu en Italie en 2001, on a mis
fin à l’unique expérience de contrôle “à la française” -c’est-à-dire ayant un
caractère préventif existant- à savoir l’expérience relative aux lois
approuvées par les Régions.
J’essaierai quand même,
toutefois, de ne pas décevoir vos attentes, pourvu que vous me permettiez
d’élargir plus amplement le cadre du raisonnement.
Je suivrai précisément
trois différentes perspectives.
(I). La première sera
consacrée aux tentatives de “francisation” de la justice constitutionnelle
italienne, qui se sont réellement développées au fil du temps en Italie.
(II). La seconde
perspective concernera au contraire une
“francisation” souhaitable, faisant ainsi
allusion à certains aspects de l’expérience française dont l’importation
en Italie devrait, selon moi, constituer un sérieux motif de réflexion.
(III). Enfin, je ferai
allusion à certains aspects du système actuellement en vigueur en Italie et
dans lequel, effectivement, il me semble que l’on pourrait -sans emphases
particulières- identifier des analogies avec l’expérience française.
Mais avant d’entrer dans le cœur du discours (que j’essaierai de
concentrer dans les quinze minutes qui me sont allouées), j’aimerais mettre en
évidence le fait que -même si elles ont été rares- quelques occasions où la
Cour constitutionnelle italienne a senti le besoin de se confronter directement
avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel n’ont pas manqué. Ayant en
effet été appelée à vérifier la constitutionnalité du
cadre juridique national, qui étendait aux membres du Parlement européen les
immunités prévues pour les parlementaires nationaux,
2.
Quoi qu’il en soit, pour traiter tout de suite la première perspective (I), il
convient de rappeler comment, effectivement, il y a eu en Italie une phase où
la justice constitutionnelle française a représenté un modèle de référence
prépondérant. Il s’agissait alors d’une tentative de procéder à une révision
organique de la Partie Seconde de la Constitution italienne, expérimentée en
1997 et fondée sur les travaux d’une commission bicamérale spéciale dont la
mission était, entre autres, de réorganiser le système des garanties.
La tentative échoua,
surtout à cause de l’attitude adoptée à l’époque par les forces de
centre-droit. Mais l’on avait pu produire à temps un projet structuré et
organique, dans lequel apparaissaient, entre autres, les propositions
d’attribuer à la Cour constitutionnelle le contrôle, aussi bien des élections
présidentielles que des élections parlementaires, et reconnaître également aux
minorités parlementaires la saisine à l’égard d’une loi pour la sauvegarde des
droits fondamentaux.
À vrai dire, en ce qui
concerne le contrôle des élections présidentielles, cette prévision
n’apparaissait que partiellement en accord avec celle de l’article 58 de la
Constitution française, étant donné que l’on attribuait à la Cour
constitutionnelle la compétence de décider des recours en matière d’élection et
en matière d’inéligibilité et d’incompatibilité : il ne s’agit donc que d’une
fonction contentieuse et non pas totalement organisatrice, comme cela est le
cas en France.
En ce qui concerne le contentieux électoral législatif également, le
modèle français ne semblait pas complètement suivi, non seulement parce qu’en premier lieu la Chambre aurait
de toute façon dû se prononcer par des décisions susceptibles de recours devant
la Cour constitutionnelle, mais aussi parce que la limitation de l’intervention
de la Cour constitutionnelle comme « extrema
ratio » -qui est évidente- aurait difficilement offert à celle-ci la
possibilité également de développer, comme le Conseil constitutionnel, une
jurisprudence analogue à celle du cas “Delmas”,
qui a permis au juge constitutionnel français de s’attribuer aussi un rôle préventif
par rapport à la phase plus proprement contentieuse.
Ensuite,
quant à l’attribution aux minorités parlementaires de la saisine à l’égard
d’une loi spécifique pour la sauvegarde des droits, il s’agissait tout de même
d’un pouvoir résolument réduit, de type successif, par rapport au pouvoir
attribué aux minorités parlementaires françaises, avec la réforme
constitutionnelle française de 1974, qui a eu une bien plus grande portée. Il faut du reste préciser que la
proposition d’autoriser l’accès à la Cour constitutionnelle aux minorités parlementaires n’était pas une
nouveauté en Italie, puisqu’elle avait déjà fait l’objet de nombreux débats en
phase constituante, et avait ensuite été reproposée plusieurs fois -même si
cela s’est effectué sous plusieurs formes- dans les législatures suivantes,
sans toutefois jamais atteindre de résultat concret.
Toujours dans
la même perspective -c’est-à-dire celle de passer en revue les
tentatives de “francisation” réellement expérimentées dans notre système
juridique- il vaut la peine de porter une attention particulière à la lecture du projet dont on a déjà parlé, dans la
partie où l’on prévoyait l’hypothèse que les normes déclarées illégitimes par
la Cour constitutionnelle cesseraient leur effet, non pas à partir du
jour suivant la publication de la décision, mais même dans un délai différent,
même s’il n’est pas supérieur à un an, dans les cas établis par la Cour
elle-même, permettant ainsi à celle-ci d’avoir une certaine disponibilité des
effets de ses décisions. Même cette solution, qui
présentait une certaine proximité avec l’actuel article 62 de
3.
Si l’on arrive maintenant à la seconde perspective,
(II), il s’avère encore utile de se baser sur les travaux de la susdite
commission bicamérale, durant lesquels les propositions d’attribuer à la Cour
constitutionnelle -en imitant ainsi la France- le contrôle législatif in-itinere ou bien au Président de la
République la saisine à l’égard des lois approuvées, et encore le contrôle sur
les règlements parlementaires, n’avaient pas non plus manqué.
Et en effet, en regardant
également l’ensemble du débat doctrinal italien et la criticité de la pratique,
il y a encore aujourd’hui de nombreuses personnes qui considèrent souhaitable
une implication de la Cour constitutionnelle sur les points suivants :
A) La validation des élections; B) Le contrôle des règlements
des assemblées parlementaires; C) La
saisine des minorités parlementaires; D) La maîtrise de la part de la Cour constitutionnelle des effets de ses
décisions d’inconstitutionnalité.
A) La validation des élections;
Il s’agirait en effet, d’un côté, de rallier l’Italie
à des approches du constitutionnalisme
occidental désormais acquises (outre la France, le modèle est en effet présent en
Suède, au Royaume-Uni, au Portugal, en Espagne et en Autriche, tandis qu’en
Allemagne il existe un recours contre les délibérations des Chambres à la Cour
constitutionnelle, comme celui qui a été proposé en Italie pendant la
Commission bicamérale de 1997) et, de l’autre, de mettre fin à une pratique discutable d’arbitre de la
part des Chambres elles-mêmes qui, lors de certains épisodes, ont démontré
qu’elles agissaient plus selon des logiques partitocratiques qu’en conformité
aux règles du droit, rappelant en cela de très près certaines pratiques de la
Quatrième République, qui ont ensuite motivé la suppression, dans la
Constitution de la Cinquième République, de la validation parlementaire des
élections et la confìguration, selon l’article 59 de la Constitution française,
du Conseil constitutionnel comme juge
électoral. Une telle hypothèse de travail semble toutefois très distante d’une
réalisation, si l’on considère que, même dans le cadre d’une réforme
constitutionnelle avec des prétentions “palingénétiques” -comme celle qui a été rejetée par le référendum de juin 2006-
il n’y avait aucune trace de résipiscence à ce propos.
Il semble toutefois opportun de signaler que
-peut-être également à cause de quelques événements qui ont amplement remis en
lumière le problème- on a de nouveau récemment porté à l’attention de la
Chambre des députés une proposition de modification constitutionnelle de
l’article 66 de la Constitution italienne qui, sur les traces du projet de la
Bicamérale, repropose l’option du recours à la Cour constitutionnelle contre la
délibération de la Chambre d’appartenance, en réservant cependant une règlementation
accomplie de la matière à la loi. Un autre projet reprend au contraire
intégralement le texte déjà formulé lors de la bicamérale de 1997.
B) Le contrôle des règlements des assemblées parlementaires
Il s’agirait ici aussi de
rétablir complètement la suprématie de la Constitution, comme cela est arrivé
en France, par rapport à ce que l’on appelle les « interna corporis ». Du reste, si, en France, la
prévision d’un contrôle
obligatoire des règlements des assemblées parlementaires peut avoir, au début,
correspondu à l’idée plus générale de configurer le Conseil comme un chien de
garde du Gouvernement, il ne fait également aucun doute, qu’au fil du temps, le
contrôle du Conseil se soit
étendu à contrôler tout attribut
de compatibilité de la réglementation interne des Chambres à la Constitution.
Sur ce point, il convient
de signaler le retard persistant du cadre constitutionnel italien, notamment à
cause de l’attitude de self-restraint
de
C) La saisine des minorités parlementaires
Un tel recours
-aujourd’hui plus que jamais- semblerait nécessaire, depuis que, avec la loi
électorale qui prévoit une prime de majorité considérable pour la cohalition
qui a obtenu le meilleur score électoral, on a mis en danger les valeurs de
garantie attribuées par le texte original de
Il convient par ailleurs
d’avertir que le problème -qui est de nouveau manifestement revenu d’actualité-
avait déjà été différemment remis en question devant l’Assemblée Constituante,
mais avait ensuite été abandonné.
D) La maîtrise de la part
de la Cour constitutionnelle des effets de ses décisions d’inconstitutionnalité
On en a déjà parlé. En ce
sens, le nouvel article 62 de la Constitution française a opportunément mis à
disposition du Conseil les instruments techniques pour moduler les effets des
décisions prononcées par la voie a
posteriori. Par conséquent, aujourd’hui,
4.
Pour conclure sur la dernière des trois perspectives annoncées au début du
discours, à savoir les véritables points de contact que l’on peut déjà
identifier entre les systèmes juridiques constitutionnels français et italien,
je porterai plus particulièrement l’attention sur un aspect par ailleurs
typiquement procédural, dans la mesure où il est relatif à l’introduction, par l’article 9 de la loi n° 131 de 2003, de
première application de la loi constitutionnelle n° 3 de 2001, de délais
temporels accélérateurs pour le déroulement du procès constitutionnel provenant
de la voie directe dans le contentieux entre l’Etat et les Régions.
En effet, pareillement à ce que dispose l’article 60, alinéa 3, de la
Constitution française, qui oblige le Conseil constitutionnel à délibérer dans
les trente jours qui suivent la saisine,
Un autre aspect, qui est
certainement commun aux deux systèmes, est de ne pas reconnaître de valeur
paramétrique aux règlements parlementaires, si ce n’est dans le rare cas où
ceux-ci reproduisent des normes de rang constitutionnel
(voir à ce propos, à titre d’exemple, la décision de la Cour constitutionnelle n° 9 de
1959, selon laquelle les règlements parlementaires n’entrent pas dans le
bloc de constitutionnalité), même si -comme on l’a déjà rappelé- une différence
fondamentale perdure par rapport aux règlements
parlementaires vus comme objet du jugement.
Par contre, on ne peut
plus considérer comme commune la position prise par les deux Cours, en ce qui
concerne le refus de pouvoir les considérer compétentes pour effectuer un
renvoi préjudiciel à la Cour de Justice.
Jusqu’à présent, on a
toutefois assisté, dans le système juridique italien, à un changement soudain
sur le thème - du moins en ce qui concerne le jugement en voie principale et
très probablement aussi en ce qui concerne la résolution des conflits d’attribution-
à partir du moment où, par l’ordonnance de la
Cour constitutionnelle n° 103/2008, on a justement mis en place un contrôle
préjudiciel, celle-ci se trouvant ainsi -dans le cadre d’un jugement en voie
principale- être l’unique juge d’un tel type de controverse.
Même après des
observations si rapides, on peut peut-être
conclure en disant qu’il n’est en fait pas très fructueux de parler d’une
“francisation” ou d’une
“italianisation”, mais qu’il semble plus productif de se référer à un processus
d’osmose réciproque, que ce soit au plan axiologique comme au plan procédural,
destiné à l’avenir à être soutenu par deux puissants catalyseurs constitués par
la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de Strasbourg, à qui la
récente entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a certainement inculqué une
accélération des développements que l’on ne peut, aujourd’hui encore,
totalement prévoir.
[1] Intervento all’incontro tenutosi presso l’Ambasciata italiana di Parigi, giovedì 3 dicembre 2009, sul tema “‘Francesizzazione’ della Costituzione italiana o ‘italianizzazione’ della Costituzione francese? Sguardi incrociati alla luce di mezzo secolo di esperienze e progetti di riforma” (in occasione della presentazione degli Atti del Convegno biennale dell’ADPCE per il Cinquantenario della V Repubblica francese – Bari, 2008).