ARRÊT DE LA COUR (grande
chambre)
18 mai
2021(*)
Table
des matières
Le cadre
juridique
Le droit
de l’Union
Le
traité d’adhésion
L’acte
d’adhésion
La
décision 2006/928
Le droit
roumain
La
Constitution roumaine
Le code
civil
Le code
de procédure civile
Le code
de procédure pénale
Les lois
sur la justice
– La loi
no 303/2004
– La loi
no 304/2004
– La loi
no 317/2004
Les
litiges au principal et les questions préjudicielles
Éléments
communs aux litiges au principal
Affaire
C 83/19
Affaire
C 127/19
Affaire
C 195/19
Affaire
C 291/19
Affaire
C 355/19
Affaire
C 397/19
Sur la
procédure devant la Cour
Sur les
questions préjudicielles
Sur la
compétence de la Cour
Sur
l’éventuel non-lieu à statuer et la recevabilité
Affaire
C 83/19
Affaires
C 127/19 et C355/19
Affaires
C 195/19 et C291/19
Affaire
C 397/19
Sur le
fond
Sur la
première question posée dans les affaires C 83/19, C127/19, C355/19, C291/19 et
C397/19
Sur la
première question posée dans l’affaire C 195/19, la deuxième question posée
dans les affaires C83/19, C127/19, C291/19, C355/19 et C397/19 ainsi que la
troisième question posée dans les affaires C127/19, C291/19 et C397/19
– Sur la
nature juridique, le contenu et les effets dans le temps de la décision
2006/928
– Sur
les effets juridiques de la décision 2006/928 et des rapports de la Commission
établis sur la base de cette décision
Sur la
quatrième question posée dans l’affaire C 83/19 et la troisième question posée
dans l’affaire C355/19
Sur la
troisième question posée dans l’affaire C 83/19
Sur les
quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C 127/19, la deuxième
question posée dans l’affaire C195/19, les quatrième et cinquième questions
posées dans l’affaire C291/19 ainsi que les troisième et quatrième questions
posées dans l’affaire C355/19
Sur les
quatrième à sixième questions posées dans l’affaire C 397/19
Sur la
troisième question posée dans l’affaire C 195/19
Sur les
dépens
« Renvoi
préjudiciel – Traité d’adhésion de la République de Bulgarie et de la
Roumanie à l’Union européenne – Acte relatif aux conditions d’adhésion à
l’Union de la République de Bulgarie et de la Roumanie – Articles 37
et 38 – Mesures appropriées – Mécanisme de coopération et de vérification
des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de
référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte
contre la corruption – Décision 2006/928/CE – Nature et effets
juridiques du mécanisme de coopération et de vérification et des rapports
établis par la Commission sur le fondement de celui-ci – État de
droit – Indépendance de la justice – Article 19,
paragraphe 1, second alinéa, TUE – Article 47 de la charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne – Lois et ordonnances
gouvernementales d’urgence adoptées en Roumanie au cours des années 2018 et
2019 en matière d’organisation du système judiciaire et de responsabilité des
juges – Nomination ad interim aux postes de direction de l’Inspection
judiciaire – Mise en place au sein du ministère public d’une section
chargée d’enquêter sur les infractions commises au sein du système judiciaire
– Responsabilité patrimoniale de l’État et responsabilité personnelle des
juges en cas d’erreur judiciaire »
Dans les
affaires jointes C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19,
C‑355/19 et C‑397/19,
ayant
pour objet six demandes de décision préjudicielle au titre de
l’article 267 TFUE, introduites, respectivement, par le Tribunalul
Olt (tribunal de grande instance d’Olt, Roumanie), par décision du
5 février 2019, parvenue à la Cour le 5 février 2019 (C‑83/19) ;
par la Curtea de Apel Piteşti (cour d’appel de Piteşti, Roumanie),
par décision du 18 février 2019, parvenue à la Cour le 18 février
2019 (C‑127/19) ; par la Curtea de Apel Bucureşti (cour
d’appel de Bucarest, Roumanie), par décision du 28 février 2019, parvenue
à la Cour le 28 février 2019 (C‑195/19) ; par la Curtea de Apel
Braşov (cour d’appel de Braşov, Roumanie), par décision du
28 mars 2019, parvenue à la Cour le 9 avril 2019 (C‑291/19) ;
par la Curtea de Apel Piteşti (cour d’appel de Piteşti, Roumanie),
par décision du 29 mars 2019, parvenue à la Cour le 6 mai 2019 (C‑355/19),
ainsi que par le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de
Bucarest, Roumanie), par décision du 22 mai 2019, parvenue à la Cour le
22 mai 2019 (C‑397/19), dans les procédures
Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România »
contre
Inspecţia
Judiciară (C‑83/19),
Asociaţia
« Forumul Judecătorilor din România »,
Asociaţia
« Mişcarea pentru Apărarea Statutului
Procurorilor »
contre
Consiliul
Superior al Magistraturii (C‑127/19),
PJ
contre
QK (C‑195/19),
SO
contre
TP
e.a.,
GD,
HE,
IF,
JG (C‑291/19),
Asociaţia
« Forumul Judecătorilor din România »,
Asociaţia
« Mişcarea pentru Apărarea Statutului
Procurorilor »,
OL
contre
Parchetul
de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie –
Procurorul General al României (C‑355/19),
et
AX
contre
Statul
Român – Ministerul Finanţelor Publice (C‑397/19),
LA COUR
(grande chambre),
composée
de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de
Lapuerta, vice–présidente, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal,
MM. M. Vilaras, L. Bay Larsen, N. Piçarra et A. Kumin,
présidents de chambre, MM. T. von Danwitz (rapporteur),
M. Safjan, D. Šváby, Mme K. Jürimäe,
M. P. G. Xuereb, Mme L. S. Rossi et
M. I. Jarukaitis, juges,
avocat général : M. M. Bobek,
greffiers : Mmes R. Şereş, V. Giacobbo,
administratrices et M. R. Schiano, administrateur,
vu la
procédure écrite et à la suite de l’audience des 20 et
21 janvier 2020,
considérant
les observations présentées :
– pour
l’Asociaţia « Forumul Judecătorilor din
România », par M. D. Călin ainsi que par Mmes A. Codreanu
et L. Zaharia,
– pour l’Asociaţia « Mişcarea
pentru Apărarea Statutului Procurorilor », par Mmes A. Diaconu
et A. C. Lăncrănjan ainsi que par M. A. C. Iordache,
– pour
OL, par M. B. C. Pîrlog,
– pour
l’Inspecția Judiciară, par M. L. Netejoru, en qualité d’agent,
– pour
le Consiliul Superior al Magistraturii, par Mme L. Savonea,
en qualité d’agent, assistée de Mes R. Chiriță
et Ş.–N. Alexandru, avocaţi,
– pour
le Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi
Justiţie – Procurorul General al României, par MM. B. D. Licu
et R. H. Radu, en qualité d’agents,
– pour
le gouvernement roumain, initialement
par MM. C.-R. Canţăr et C. T. Băcanu ainsi que
par Mmes E. Gane et R. I. Haţieganu, puis
par M. C. T. Băcanu ainsi que par Mmes E. Gane
et R. I. Haţieganu, en qualité d’agents,
– pour
le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs, L. Van den
Broeck et C. Pochet, en qualité d’agents,
– pour
le gouvernement danois, par MM. L. B. Kirketerp Lund et
J. Nymann-Lindegren, en qualité d’agents,
– pour
le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman,
M. L. Noort et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,
– pour
le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour
le gouvernement suédois, initialement par Mmes H. Shev, H. Eklinder,
C. Meyer-Seitz, J. Lundberg et A. Falk, puis par Mmes H. Shev,
H. Eklinder et C. Meyer-Seitz, en qualité d’agents,
– pour
la Commission européenne, initialement par MM. H. Krämer,
M. Wasmeier et I. Rogalski, puis par MM. M. Wasmeier et I. Rogalski,
en qualité d’agents,
ayant
entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 septembre
2020,
rend le
présent
Arrêt
1 Les
demandes de décision préjudicielle portent, en substance, sur l’interprétation
de l’article 2, de l’article 4, paragraphe 3, de
l’article 9 et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa,
TUE, de l’article 67, paragraphe 1, et de l’article 267 TFUE, de
l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
(ci-après la « Charte ») ainsi que de la décision 2006/928/CE de la
Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération
et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre
certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système
judiciaire et de lutte contre la corruption (JO 2006, L 354,
p. 56).
2 Ces
demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant :
– l’Asociaţia
« Forumul Judecătorilor din România »
(association « Forum des juges de Roumanie ») (ci-après le
« Forum des juges de Roumanie ») à l’Inspecţia Judiciară
(Inspection judiciaire, Roumanie) au sujet du refus de cette dernière de
fournir des informations d’intérêt public relatives à son activité (affaire C‑83/19) ;
– le
Forum des juges de Roumanie et l’Asociația « Mișcarea pentru
Apărarea Statutului Procurorilor » (association « Mouvement pour
la défense du statut des procureurs ») (ci-après le « Mouvement pour
la défense du statut des procureurs ») au Consiliul Superior al
Magistraturii (Conseil supérieur de la magistrature, Roumanie) au sujet de la
légalité de deux décisions portant approbation de règlements sur la nomination
et la révocation des procureurs exerçant des fonctions de gestion ou
d’exécution au sein de la section du ministère public chargée des enquêtes sur
les infractions commises au sein du système judiciaire (ci-après la
« SIIJ ») (affaire C‑127/19) ;
– PJ
à QK au sujet d’une plainte contre un juge pour abus de fonction (affaire C‑195/19) ;
– SO
à TP e.a., à GD, à HE, à IF et à JG au sujet de plaintes contre des procureurs
et des juges pour abus de fonction et appartenance à une organisation
criminelle (affaire C‑291/19) ;
– le
Forum des juges de Roumanie, le Mouvement pour la défense du statut des procureurs et
OL au Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi
Justiţie – Procurorul General al României (parquet près la Haute Cour
de cassation et de justice – Procureur général de la Roumanie) au sujet de
la légalité d’un arrêté du Procurorul General al României (Procureur général de
la Roumanie) (ci-après le « Procureur général ») portant sur
l’organisation et le fonctionnement de la SIIJ (affaire C‑355/19) ;
– AX
au Statul Român – Ministerul Finanţelor Publice (État roumain –
ministère des Finances publiques) au sujet d’une demande visant à la réparation
du préjudice matériel et moral résultant d’une erreur judiciaire alléguée
(affaire C‑397/19).
Le
cadre juridique
Le droit
de l’Union
Le traité
d’adhésion
3 L’article 2
du traité entre les États membres de l’Union européenne et la République de
Bulgarie et la Roumanie, relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et
de la Roumanie à l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 11,
ci-après le « traité d’adhésion »), qui a
été signé le 25 avril 2005 et est entré en vigueur le 1er janvier
2007, dispose, à ses paragraphes 2 et 3 :
« 2. Les conditions de l’admission
et les adaptations des traités sur lesquels l’Union européenne est fondée, que
[l’adhésion] entraîne et qui s’appliqueront à compter de la date d’adhésion
jusqu’à la date d’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour
l’Europe, figurent dans l’acte annexé au présent traité. Les dispositions de
cet acte font partie intégrante du présent traité.
3. [...]
Les
actes adoptés avant l’entrée en vigueur du protocole visé à l’article 1er,
paragraphe 3, sur la base du présent traité ou de l’acte visé au
paragraphe 2 restent en vigueur et leurs effets juridiques sont maintenus
jusqu’à la modification ou l’abrogation de ces actes. »
4 L’article 3
de ce traité est libellé comme suit :
« Les dispositions concernant les droits et obligations des États
membres ainsi que les pouvoirs et compétences des institutions de l’Union
telles qu’elles figurent dans les traités auxquels la République de Bulgarie et
la Roumanie deviennent parties s’appliquent à l’égard du présent traité. »
5 L’article 4,
paragraphes 2 et 3, dudit traité prévoit :
« 2. Le présent traité entre en
vigueur le 1er janvier 2007 à condition que tous les
instruments de ratification aient été déposés avant cette date.
[...]
3. Par
dérogation au paragraphe 2, les institutions de l’Union peuvent adopter
avant l’adhésion les mesures visées [...] aux articles 37 et 38 [...] du
protocole visé à l’article 1er, paragraphe 3. Ces mesures
sont adoptées au titre des dispositions équivalentes [...] des articles 37
et 38 [...] de l’acte visé à l’article 2, paragraphe 2, avant
l’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l’Europe.
Ces
mesures n’entrent en vigueur que sous réserve et à la date de l’entrée en
vigueur du présent traité. »
L’acte
d’adhésion
6 L’article 2
de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la
République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur
lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203,
ci-après l’« acte d’adhésion »), lequel est
entré en vigueur le 1er janvier 2007, prévoit :
« Dès l’adhésion, les dispositions des traités originaires et les actes
pris, avant l’adhésion, par les institutions et la Banque centrale européenne,
lient la Bulgarie et la Roumanie et sont applicables dans ces États dans les
conditions prévues par ces traités et par le présent acte. »
7 L’article 37
de cet acte est libellé comme suit :
« Si
la Bulgarie ou la Roumanie n’a pas donné suite aux engagements qu’elle a pris
dans le cadre des négociations d’adhésion, y compris les engagements à l’égard
de toutes les politiques sectorielles qui concernent les activités économiques
ayant une dimension transfrontalière, et provoque ainsi, ou risque de provoquer
à très brève échéance, un dysfonctionnement grave du marché intérieur, la
Commission peut, pendant une période pouvant aller jusqu’à trois ans à compter
de la date d’adhésion, à la demande motivée d’un État membre, ou de sa propre
initiative, adopter des mesures appropriées.
Ces
mesures sont proportionnées et le choix est donné en priorité à celles qui
perturbent le moins le fonctionnement du marché intérieur et, le cas échéant, à
l’application des mécanismes de sauvegarde sectoriels en vigueur. Ces mesures
de sauvegarde ne peuvent pas être utilisées comme moyen de discrimination
arbitraire ou de restriction déguisée des échanges commerciaux entre les États
membres. La clause de sauvegarde peut être invoquée même avant l’adhésion sur
la base de constatations établies dans le cadre du suivi et les mesures
adoptées entrent en vigueur dès la date d’adhésion, à moins qu’une date
ultérieure ne soit prévue. Les mesures sont maintenues pendant la durée
strictement nécessaire et, en tout état de cause, sont levées lorsque
l’engagement correspondant est rempli. Elles peuvent cependant être appliquées
au-delà de la période visée au premier alinéa tant que les engagements
correspondants n’ont pas été remplis. La Commission peut adapter les mesures
arrêtées en fonction de la mesure dans laquelle le nouvel État membre concerné
remplit ses engagements. La Commission informe le Conseil en temps utile avant
d’abroger les mesures de sauvegarde et elle prend dûment en compte les
observations éventuelles du Conseil à cet égard. »
8 L’article 38
dudit acte dispose :
« Si
de graves manquements ou un risque imminent de graves manquements sont
constatés en Bulgarie ou en Roumanie en ce qui concerne la transposition,
l’état d’avancement de la mise en œuvre ou l’application des décisions-cadres
ou de tout autre engagement, instrument de coopération et décision afférents à
la reconnaissance mutuelle en matière pénale adoptés sur la base du
titre VI du traité UE, et des directives et règlements relatifs à la
reconnaissance mutuelle en matière civile adoptés sur la base du titre IV
du traité CE, la Commission peut, pendant une période pouvant aller
jusqu’à trois ans à compter de la date d’adhésion et à la demande motivée d’un
État membre ou de sa propre initiative et après avoir consulté les États
membres, prendre les mesures appropriées en précisant les conditions et les
modalités de leur application.
Ces
mesures peuvent prendre la forme d’une suspension
temporaire de l’application des dispositions et décisions concernées dans les
relations entre la Bulgarie ou la Roumanie et un ou plusieurs autres États
membres, sans que soit remise en cause la poursuite de l’étroite coopération
judiciaire. La clause de sauvegarde peut être invoquée même avant l’adhésion
sur la base de constatations faites dans le cadre du suivi et les mesures
adoptées entrent en vigueur dès la date d’adhésion, à moins qu’une date
ultérieure ne soit prévue. Les mesures sont maintenues pendant la durée
strictement nécessaire et, en tout état de cause, sont levées dès que le
manquement constaté est corrigé. Elles peuvent cependant être appliquées
au-delà de la période visée au premier alinéa tant que ces manquements
persistent. La Commission peut, après avoir consulté les États membres, adapter
les mesures arrêtées en fonction de la mesure dans laquelle le nouvel État
membre corrige les manquements constatés. La Commission informe le Conseil en
temps utile avant d’abroger les mesures de sauvegarde et elle prend dûment en
compte les observations éventuelles du Conseil à cet égard. »
9 L’article 39,
paragraphes 1 à 3, de l’acte d’adhésion prévoit :
« 1. Si, sur la base du suivi
continu des engagements pris par la Bulgarie et la Roumanie dans le cadre des
négociations d’adhésion et notamment dans les rapports de suivi de la
Commission, il apparaît clairement que l’état des préparatifs en vue de
l’adoption et de la mise en œuvre de l’acquis en Bulgarie et en Roumanie est
tel qu’il existe un risque sérieux que l’un de ces États ne soit manifestement
pas prêt, d’ici la date d’adhésion du 1er janvier 2007, à
satisfaire aux exigences de l’adhésion dans un certain nombre de domaines
importants, le Conseil, statuant à l’unanimité sur la base d’une recommandation
de la Commission, peut décider que la date d’adhésion prévue de l’État concerné
est reportée d’un an, au 1er janvier 2008.
2. Nonobstant
les dispositions du paragraphe 1, le Conseil peut, statuant à la majorité
qualifiée sur la base d’une recommandation de la Commission, prendre la
décision visée au paragraphe 1 à l’égard de la Roumanie si de graves
manquements au respect par la Roumanie de l’un ou plusieurs des engagements et
exigences énumérés à l’annexe IX, point I, sont constatés.
3. Nonobstant
les dispositions du paragraphe 1, et sans préjudice de l’article 37,
le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur la base d’une recommandation
de la Commission, peut prendre, après une évaluation détaillée qui aura lieu à
l’automne 2005 sur les progrès réalisés par la Roumanie dans le domaine de la
politique de la concurrence, la décision visée au paragraphe 1 à l’égard
de la Roumanie si de graves manquements au respect par la Roumanie des obligations
prises au titre de l’accord européen ou de l’un ou plusieurs des engagements et
exigences énumérés à l’annexe IX, point II, sont constatés. »
10 L’annexe IX
de cet acte, intitulée « Engagements spécifiques
contractés par la Roumanie et exigences acceptées par celle‐ci lors de la
clôture des négociations d’adhésion le 14 décembre 2004 (visés à
l’article 39 de l’acte d’adhésion) », contient le passage
suivant :
« I. En liaison avec
l’article 39, paragraphe 2
[...]
3) Élaborer et
appliquer un plan d’action et une stratégie actualisés et intégrés de réforme
du système judiciaire, comprenant les principales mesures de mise en œuvre de
la loi sur l’organisation du système judiciaire, de la loi sur le statut des
magistrats et de la loi sur le Conseil supérieur de la
magistrature, entrées en vigueur le 30 septembre 2004. Il faut que
ces deux documents actualisés soient présentés à l’Union au plus tard en
mars 2005 ; des ressources financières et
humaines suffisantes doivent être dégagées pour la mise en œuvre du plan
d’action, qui doit être appliqué sans plus tarder et dans le respect des délais
fixés. Il faut en outre que la Roumanie démontre, pour mars 2005, que le
nouveau système de répartition aléatoire des affaires est pleinement
opérationnel.
4) Renforcer
considérablement la lutte contre la corruption et en particulier contre la
corruption de haut niveau en garantissant l’application rigoureuse de la
législation en matière de lutte contre la corruption ainsi que l’indépendance
réelle de l’Office national du ministère public chargé de la lutte contre la
corruption, et en présentant, à partir de
novembre 2005 et sur une base annuelle, un rapport convaincant sur
l’action menée par l’Office contre la corruption de haut niveau. Il faut que
l’Office reçoive les effectifs, les ressources budgétaires et en matière de
formation, ainsi que les équipements dont il a besoin
pour jouer son rôle capital.
5) Procéder à un
audit indépendant des résultats et des effets de la stratégie nationale de
lutte contre la corruption actuellement en vigueur ; tenir compte des
conclusions et des recommandations émises à l’issue de cet audit dans la
nouvelle stratégie pluriannuelle de lutte contre la corruption, qui doit
consister en un document unique, exhaustif, arrêté pour mars 2005 au plus
tard et accompagné d’un plan d’action prévoyant des critères d’évaluation
clairement définis et des résultats à atteindre, ainsi que des dispositions
financières adéquates ; la mise en œuvre de la stratégie et du plan d’action
doit être supervisée par un organe indépendant clairement défini et déjà
existant ; la stratégie doit inclure l’engagement de réviser, d’ici la fin
2005, la procédure criminelle, dont la durée est excessive, pour que les
affaires de corruption soient traitées d’une façon rapide et transparente et
que des sanctions adéquates ayant un effet dissuasif soient prises ;
enfin, elle doit prévoir des mesures visant à réduire considérablement, pour la
fin 2005, le nombre d’organes ayant des compétences en matière de prévention de
la corruption ou d’enquête dans ce domaine, de façon à éviter tout
chevauchement des responsabilités. »
La décision
2006/928
11 La
décision 2006/928 a été adoptée, ainsi qu’il ressort de ses visas, sur le
fondement du traité d’adhésion « et notamment
[de] son article 4, paragraphe 3 », ainsi que de l’acte
d’adhésion « et notamment [de] ses articles 37 et 38 ».
12 Les
considérants 1 à 6 et 9 de cette décision énoncent :
« (1) L’Union
européenne est fondée sur l’État de droit, un principe commun à tous les États
membres.
(2) L’espace de
liberté, de sécurité et de justice et le marché intérieur instaurés par le
traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne
reposent sur la conviction réciproque que les décisions et pratiques
administratives et judiciaires de tous les États membres respectent pleinement
l’État de droit.
(3) Cette
condition implique l’existence, dans tous les États membres, d’un système
judiciaire et administratif impartial, indépendant et efficace, doté de moyens
suffisants, entre autres, pour lutter contre la corruption.
(4) Le 1er janvier
2007, la Roumanie deviendra membre de l’Union européenne. Tout en saluant les
efforts considérables déployés par la Roumanie pour parachever ses préparatifs
d’adhésion à l’Union européenne, la Commission a recensé, dans son rapport du
26 septembre 2006, des questions en suspens, en particulier en ce qui
concerne la responsabilisation et l’efficacité du système judiciaire et des
instances chargées de faire appliquer la loi, domaines dans lesquels des
progrès sont encore nécessaires pour garantir la capacité de ces organes à
mettre en œuvre et à appliquer les mesures adoptées pour établir le marché
intérieur et l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
(5) L’article 37
de l’acte d’adhésion habilite la Commission à adopter des mesures appropriées
en cas de risque imminent de dysfonctionnement du marché intérieur lié au
non-respect, par la Roumanie, d’engagements qu’elle a pris. L’article 38
de l’acte d’adhésion habilite la Commission à prendre des mesures appropriées
en cas de risque imminent de manquements graves constaté en Roumanie en ce qui
concerne la transposition, l’état d’avancement de la mise en œuvre ou l’application
d’actes adoptés sur la base du titre VI du traité UE ou d’actes adoptés sur la
base du titre IV du traité CE.
(6) Les
questions en suspens portant sur la responsabilisation et l’efficacité du
système judiciaire et des instances chargées de faire appliquer la loi
justifient la mise en place d’un mécanisme de coopération et de vérification
des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de
référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte
contre la corruption.
[...]
(9) Il
conviendra de modifier la présente décision si l’évaluation de la Commission
indique qu’il y a lieu d’ajuster les objectifs de référence. La présente
décision sera abrogée lorsque tous les objectifs de référence auront été atteints ».
13 L’article 1er de
la décision 2006/928 prévoit :
« Chaque année, le 31 mars au plus tard, et pour la première fois le
31 mars 2007, la Roumanie fait rapport à la Commission sur les progrès
qu’elle a réalisés en vue d’atteindre chacun des objectifs de référence exposés
dans l’annexe.
La
Commission peut, à tout moment, apporter une aide
technique par différents moyens ou collecter et échanger des informations sur
les objectifs de référence. En outre, elle peut, à tout
moment, organiser des missions d’experts en Roumanie à cet effet. Les autorités
roumaines lui apportent le soutien nécessaire dans ce contexte. »
14 L’article 2
de cette décision dispose :
« La Commission transmettra, pour la première fois en juin 2007, au
Parlement européen et au Conseil ses propres commentaires et conclusions sur le
rapport présenté par la Roumanie.
La
Commission leur fera de nouveau rapport par la suite, en fonction de
l’évolution de la situation et au moins tous les six mois. »
15 L’article 3
de ladite décision prévoit :
« La présente décision n’entre en vigueur que sous réserve et à la
date de l’entrée en vigueur du traité d’adhésion. »
16 Aux
termes de l’article 4 de la même décision :
« Les États membres sont destinataires de la présente décision. »
17 L’annexe
de la décision 2006/928 est libellée comme suit :
« Objectifs de référence que la Roumanie doit atteindre, visés à
l’article 1er :
1) Garantir un
processus judiciaire à la fois plus transparent et
plus efficace, notamment en renforçant les capacités et la responsabilisation
du Conseil supérieur de la magistrature. Rendre compte de l’incidence des
nouveaux codes de procédure civile et administrative et l’évaluer.
2) Constituer,
comme prévu, une agence pour l’intégrité dotée de responsabilités en matière de
vérification de patrimoine, d’incompatibilités et de conflits d’intérêt
potentiels, mais aussi de la capacité d’arrêter des décisions impératives
pouvant donner lieu à la prise de sanctions dissuasives.
3) Continuer, en
se basant sur les progrès déjà accomplis, à mener des enquêtes professionnelles
et non partisanes sur les allégations de corruption de haut niveau.
4) Prendre des
mesures supplémentaires pour prévenir et combattre la corruption, en particulier
au sein de l’administration locale. »
Le droit
roumain
La
Constitution roumaine
18 L’article 115,
paragraphe 4, de la Constituția României (Constitution roumaine) prévoit :
« Le Gouvernement peut adopter des ordonnances d’urgence seulement
dans des situations extraordinaires dont la réglementation ne peut être
ajournée, en étant tenu de motiver l’urgence dans leur contenu. »
19 L’article 133,
paragraphes 1 et 2, de la Constitution dispose :
« (1) Le Conseil supérieur de la
magistrature est le garant de l’indépendance de la justice.
(2) Le
Conseil supérieur de la magistrature est composé de dix-neuf membres, dont :
a) quatorze
sont élus dans les assemblées générales des magistrats et sont validés par le Sénat ; ceux-ci font partie de deux sections, l’une
pour les juges et l’autre pour les procureurs ; la première section est
composée de neuf juges, et la seconde de cinq procureurs ;
b) deux
représentants de la société civile, spécialistes dans le domaine du droit,
jouissant de haute réputation professionnelle et morale, élus par le Sénat ; ceux-ci ne participent qu’aux séances
plénières ;
c) le
ministre de la Justice, le président de la Haute Cour de cassation et de
justice et le [Procureur général]. »
20 L’article 134
de la Constitution est libellé comme suit :
« (1) Le Conseil supérieur de la
magistrature propose au Président de la Roumanie la nomination dans leurs
fonctions respectives des juges et des procureurs, exception faite des
stagiaires, dans les conditions établies par la loi.
(2) Le
Conseil supérieur de la magistrature remplit le rôle
d’instance de jugement, par l’intermédiaire de ses sections, dans le domaine de
la responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs, conformément à la
procédure établie par sa loi organique. Dans ces situations, le ministre de la
Justice, le président de la Haute Cour de cassation et de justice et le
[Procureur général] n’ont pas droit de vote.
(3) Les
décisions du Conseil supérieur de la magistrature en
matière disciplinaire peuvent être attaquées auprès de la Haute Cour de
cassation et de justice.
(4) Le
Conseil supérieur de la magistrature remplit également d’autres attributions
établies par sa loi organique, dans l’accomplissement de son rôle de garant de
l’indépendance de la justice. »
21 L’article 148,
paragraphes 2 à 4, de la Constitution prévoit :
« (2) À la suite de l’adhésion,
les dispositions des traités constitutifs de l’Union européenne ainsi que les
autres réglementations communautaires contraignantes priment les dispositions
contraires de la législation nationale, dans le respect des dispositions de
l’acte d’adhésion.
(3) Les
dispositions des paragraphes 1 et 2 s’appliquent par analogie à l’adhésion
aux actes de révision des traités constitutifs de l’Union européenne.
(4) Le
Parlement, le Président de la Roumanie, le gouvernement et l’autorité
judiciaire garantissent le respect des obligations résultant de l’acte
d’adhésion et des dispositions du paragraphe 2. »
Le code
civil
22 Selon
l’article 1381, paragraphe 1, du Codul civil (code civil), « [t]out préjudice ouvre droit à réparation ».
Le code de
procédure civile
23 L’article 82,
paragraphe 1, du Codul de procedură civilă (code de procédure
civile) dispose :
« Lorsque la juridiction constate le défaut de preuve de la qualité de
représentant de la personne ayant agi au nom de la partie, elle accorde un bref
délai pour qu’il y soit remédié. À défaut, la demande est
annulée. [...] »
24 L’article 208
de ce code énonce :
« (1) Le mémoire en défense est
obligatoire, sauf disposition contraire prévue expressément par la loi.
(2) L’absence
de dépôt de mémoire en défense dans le délai prévu par la loi entraîne la
déchéance du défendeur de son droit de présenter des preuves et de soulever des
exceptions, sauf les exceptions d’ordre public, sous réserve de dispositions
contraires à la loi. »
25 L’article 248,
paragraphe 1, dudit code est libellé comme suit :
« La juridiction se prononce d’abord sur les exceptions de procédure,
ainsi que sur les exceptions de fond qui rendent inutiles, en tout ou en
partie, l’administration de la preuve ou, selon le cas, l’examen de l’affaire
sur le fond. »
Le code de
procédure pénale
26 L’article 539
du Codul de procedură penală (code de procédure pénale) dispose :
« (1) Toute personne qui, au cours
de la procédure pénale, a été illégalement privée de liberté a également droit
à réparation.
(2) La
privation illégale de liberté doit être établie, selon le cas, par décision du
procureur, par ordonnance définitive du juge des droits et libertés ou du juge
de chambre préliminaire, ainsi que par ordonnance définitive ou décision
définitive de la juridiction saisie de l’affaire. »
27 L’article 541,
paragraphes 1 et 2, de ce code prévoit :
« (1) L’action indemnitaire peut
être intentée par l’ayant droit en vertu des articles 538 et 539 et,
après le décès de celui-ci, elle peut être poursuivie ou intentée par les
personnes qui étaient à sa charge au moment du décès.
(2) L’action
peut être intentée dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la
décision juridictionnelle, la décision du procureur ou l’ordonnance des
autorités judiciaires constatant l’erreur judiciaire ou la privation illégale
de liberté est devenue définitive. »
Les lois sur
la justice
28 Dans
le but d’améliorer l’indépendance et l’efficacité de la justice, la Roumanie a
adopté, au cours de l’année 2004, dans le contexte des négociations en vue de
son adhésion à l’Union, trois lois, dites « lois
sur la justice », à savoir la Legea nr. 303/2004 privind statutul
judecătorilor și procurorilor (loi no 303/2004 sur le
statut des juges et des procureurs), du 28 juin 2004 (Monitorul Oficial
al României, partie I, no 826 du
13 septembre 2005), la Legea nr. 304/2004 privind organizarea
judiciară (loi no 304/2004 sur l’organisation judiciaire),
du 28 juin 2004 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 827
du 13 septembre 2005) et la Legea nr. 317/2004 privind Consiliul
Superior al Magistraturii (loi no 317/2004 sur le Conseil
supérieur de la magistrature), du 1er juillet
2004 (Monitorul Oficial al României, partie I, n° 827 du 13
septembre 2005). Au cours des années 2017 à 2019, des modifications ont été
apportées à celles-ci par des lois et des ordonnances gouvernementales
d’urgence adoptées sur le fondement de l’article 115, paragraphe 4,
de la Constitution roumaine.
– La
loi no 303/2004
29 La
loi no 303/2004 a été modifiée, notamment, par :
– la
Legea nr. 242/2018 (loi no 242/2018), du 12 octobre 2018 (Monitorul
Oficial al României, partie I, no 868 du
15 octobre 2018) ;
– l’Ordonanța
de urgență a Guvernului nr. 7/2019 (ordonnance d’urgence du
gouvernement no 7/2019), du 19 février 2019 (Monitorul
Oficial al României, partie I, no 137 du
20 février 2019, ci-après l’« ordonnance
d’urgence no 7/2019 »).
30 L’article 96
de la loi no 303/2004, telle qu’ainsi modifiée (ci-après la « loi no 303/2004 modifiée »), est
libellé comme suit :
« (1) La responsabilité
patrimoniale de l’État est engagée pour les préjudices causés par des erreurs
judiciaires.
(2) La
responsabilité de l’État est déterminée conformément à la loi et n’exclut pas
la responsabilité des juges et des procureurs qui, même s’ils ne sont plus en
fonction, ont exercé leurs fonctions de mauvaise foi ou avec négligence grave,
au sens de l’article 991.
(3) Une
erreur judiciaire est commise lorsque :
a) dans
le cadre de la procédure, la réalisation d’actes de procédure a été ordonnée en
violation manifeste des règles de droit matériel et procédural, lorsque ces
actes ont porté une atteinte grave aux droits, libertés et intérêts légitimes
de la personne concernée, causant ainsi un préjudice auquel une voie de recours
ordinaire ou extraordinaire n’a pas permis de remédier ;
b) une
décision juridictionnelle définitive manifestement non conforme à la loi ou aux
faits établis au regard des preuves administrées dans le cadre de l’instance a
été adoptée, lorsque cette décision a porté une atteinte grave aux droits,
libertés et intérêts légitimes de la personne concernée, causant ainsi un
préjudice auquel une voie de recours ordinaire ou extraordinaire n’a pas permis
de remédier.
(4) Le
code de procédure civile, le code de procédure pénale et d’autres lois
spéciales peuvent prévoir des cas spécifiques d’erreur judiciaire.
(5) Pour
la réparation du préjudice, la personne lésée ne peut agir que contre l’État,
représenté par le ministère des Finances publiques. L’action civile relève de
la compétence du tribunal de grande instance de la circonscription du domicile
du requérant.
(6) Le
paiement des sommes dues par l’État à titre d’indemnisation est effectué dans
un délai d’un an à compter de la notification de la décision juridictionnelle
définitive.
(7) Dans
un délai de deux mois à compter de la notification de la décision définitive
statuant sur l’action visée au paragraphe 6, le ministère des Finances
publiques saisit l’Inspection judiciaire afin de vérifier si l’erreur
judiciaire a été causée par le juge ou le procureur en exerçant ses fonctions
de mauvaise foi ou avec négligence grave, conformément à la procédure prévue à
l’article 741 de la loi no 317/2004,
republiée, telle que modifiée.
(8) L’État,
par l’intermédiaire du ministère des Finances publiques, exerce l’action
récursoire contre le juge ou le procureur si, à la suite du rapport consultatif
de l’Inspection judiciaire visé au paragraphe 7 et de sa propre
appréciation, il considère que l’erreur judiciaire a été causée par l’exercice
des fonctions du juge ou du procureur de mauvaise foi ou avec négligence grave.
L’action récursoire doit être intentée dans un délai de six mois à compter de
la communication du rapport de l’inspection judiciaire.
(9) La
compétence pour statuer en première instance sur l’action récursoire appartient
à la chambre civile de la Curtea de Apel [(cour d’appel)] du domicile du
défendeur. Si le juge ou le procureur contre lequel l’action récursoire est
dirigée exerce ses fonctions au sein de cette cour d’appel ou du parquet près
celle-ci, cette action est portée devant une cour d’appel voisine, au choix de
la partie requérante.
(10) La
décision rendue conformément au paragraphe 9 est susceptible de pourvoi
devant la chambre compétente de l’Înalta Curte de Casație şi Justiție
[(Haute Cour de cassation et de justice), Roumanie].
(11) Le
Conseil supérieur de la magistrature établit, dans un
délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, les
conditions, délais et procédures aux fins de l’assurance professionnelle
obligatoire des juges et procureurs. L’assurance est intégralement couverte par
le juge ou le procureur, et l’absence de celle-ci ne peut retarder, diminuer ou
écarter la responsabilité civile du juge ou du procureur pour erreur judiciaire
causée par l’exercice de ses fonctions de mauvaise foi ou avec négligence grave. »
31 L’article 991 de
la loi no 303/2004 modifiée dispose :
« (1) Un juge ou procureur fait
preuve de mauvaise foi lorsqu’il enfreint sciemment les règles de droit
matériel ou procédural dans le but ou en acceptant de porter préjudice à une
personne.
(2) Un
juge ou procureur commet une négligence grave lorsqu’il méconnaît de manière
fautive, grave, indubitable et inexcusable les règles de droit matériel ou
procédural. »
– La
loi no 304/2004
32 La
loi no 304/2004 a été modifiée, notamment, par :
– la
Legea nr. 207/2018 (loi no 207/2018), du 20 juillet
2018 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 636
du 20 juillet 2018), entrée en vigueur le 23 octobre 2018
conformément à son article III et qui a inséré au chapitre 2 du
titre III, intitulé « Ministère
public », de la loi no 304/2004 une section 21,
relative à la « SIIJ » et contenant les articles 881 à
8811 de cette dernière loi ;
– l’Ordonanța
de urgență a Guvernului nr. 90/2018 (ordonnance d’urgence du
gouvernement no 90/2018), du 10 octobre 2018 (Monitorul
Oficial al României, partie I, no 862 du 10 octobre
2018, ci-après l’« ordonnance d’urgence du gouvernement no 90/2018 »),
qui a, entre autres, modifié l’article 882, paragraphe 3,
de la loi no 304/2004 et institué une procédure dérogatoire aux
articles 883 à 885 de cette loi en vue de
la nomination provisoire du procureur en chef, du procureur en chef adjoint et
d’au moins un tiers des procureurs de la SIIJ ;
– l’Ordonanța
de urgență a Guvernului nr. 92/2018 (ordonnance d’urgence du
gouvernement no 92/2018), du 15 octobre 2018 (Monitorul
Oficial al României, partie I, no 874 du
16 octobre 2018), qui a, entre autres, inséré à l’article 882 de
la loi no 304/2004 un nouveau paragraphe 5 et a modifié
l’article 885, paragraphe 5, de cette loi ;
– l’ordonnance
d’urgence no 7/2019, qui a, entre autres, inséré un
paragraphe 6 à l’article 881 de la loi no 304/2004,
ainsi que des paragraphes 111 et 112 à
l’article 885 de cette loi, un point e) à
l’article 888, paragraphe 1, de la loi no 304/2004,
et modifié le point d) de l’article 888,
paragraphe 1, de cette loi ;
– l’Ordonanța
de urgență a Guvernului nr. 12/2019 pentru modificarea şi
completarea unor acte normative în domeniul justiţiei (ordonnance
d’urgence du gouvernement no 12/2019, modifiant et complétant
certains actes normatifs dans le domaine de la justice), du 5 mars 2019 (Monitorul
Oficial al României, partie I, no 185 du 7 mars
2019), qui a, entre autres, inséré dans la loi no 304/2004 les
articles 8810 et 8811 relatifs, notamment,
au détachement d’officiers et d’agents de police judiciaire au sein de la SIIJ.
33 Aux
termes de l’article 881 de la loi no 304/2004,
telle qu’ainsi modifiée (ci-après la « loi no 304/2004
modifiée ») :
« (1) Dans le cadre du [parquet
près la Haute Cour de cassation et de justice], il est institué la [SIIJ], qui
détient la compétence exclusive en matière de poursuites pénales pour les
infractions commises par des juges et procureurs, y compris les juges et
procureurs militaires et ceux qui ont qualité de membres du Conseil supérieur
de la magistrature.
(2) La
[SIIJ] demeure compétente pour les poursuites pénales dans le cas où d’autres
personnes sont poursuivies en sus de celles prévues au paragraphe 1.
[...]
(4) La
[SIIJ] est dirigée par un procureur en chef de la [SIIJ], assisté par un
procureur en chef adjoint, nommés dans ces fonctions par l’assemblée plénière
du Conseil supérieur de la magistrature, dans les
conditions prévues par la présente loi.
(5) Le
[Procureur général] règle les conflits de compétence entre la [SIIJ] et les
autres structures ou unités du ministère public.
(6) Lorsque
le code de procédure pénale ou d’autres lois spéciales se réfèrent au
“procureur hiérarchiquement supérieur” dans le cas des infractions relevant de
la compétence de la [SIIJ], il faut entendre le procureur en chef de la
section, y compris en cas de solutions concertées avant d’être opérationnelle. »
34 L’article 882 de
cette loi dispose :
« (1) La [SIIJ] exerce ses
activités en vertu des principes de légalité, d’impartialité et de contrôle
hiérarchique.
(2) Il est interdit de déléguer ou de détacher des procureurs
auprès de la [SIIJ].
(3) La
[SIIJ] exerce ses activités avec quinze postes de procureurs.
(4) Le
nombre de postes dans la [SIIJ] peut être modifié, en fonction du volume
d’activité, par ordonnance du [Procureur général], à la demande du procureur en
chef de la [SIIJ], sur avis conforme de l’assemblée plénière du Conseil
supérieur de la magistrature.
(5) Pendant
la durée de leurs fonctions au sein de la [SIIJ], les procureurs [...]
bénéficient des droits des procureurs détachés, dans les conditions prévues par
la loi. »
35 L’article 883,
paragraphe 1, de ladite loi prévoit :
« Le
procureur en chef de la [SIIJ] est nommé dans ses fonctions par l’assemblée
plénière du Conseil supérieur de la magistrature, à la suite d’un concours
consistant dans la présentation d’un projet relatif à l’accomplissement des
tâches spécifiques du poste de gestion en question, qui vise à évaluer les compétences
en matière de gestion, la gestion efficace des ressources, la capacité de
prendre des décisions et d’assumer des responsabilités, les compétences en
matière de communication et la résistance au stress, ainsi que l’intégrité du
candidat, son activité en tant que procureur et son rapport à des valeurs
spécifiques à cette profession, telles que l’indépendance de la justice ou le
respect des droits et libertés fondamentaux. »
36 L’article 884,
paragraphe 1, de la même loi énonce :
« Le procureur en chef adjoint de la [SIIJ] est nommé dans ses
fonctions par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature, sur
proposition motivée du procureur en chef de la [SIIJ], parmi les procureurs
déjà nommés à [la SIIJ]. »
37 L’article 885 de
la loi no 304/2004 est ainsi libellé :
« (1) La [SIIJ] emploie des
procureurs nommés par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la
magistrature, à la suite d’un concours, dans la limite des postes prévus au
tableau des effectifs, approuvé conformément à la loi, pour une période de
trois ans, avec la possibilité de renouvellement pour une période totale d’au
maximum neuf ans.
(2) Le
concours est passé devant la commission chargée de l’organisation du concours
composée conformément à l’article 883, paragraphe 2, dont
le procureur en chef de la [SIIJ] fait partie d’office.
[...]
(11) La
nomination au poste de procureur dans la [SIIJ] est faite par l’assemblée
plénière du Conseil supérieur de la magistrature, dans
la limite des postes vacants et dans l’ordre des points obtenus.
(111) Les
membres des commissions de concours prévues au présent article ne deviennent
pas incompatibles et votent à l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature.
(112) Les
commissions de concours prévues à l’article 883, respectivement
à l’article 885 exercent légalement l’activité en présence
d’au moins trois membres.
(12) Les
procédures de nomination, de poursuite des fonctions et de révocation des
fonctions de gestion et d’exécution dans la [SIIJ] seront détaillées dans un
règlement approuvé par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la
magistrature. »
38 Selon
l’article 887 de cette loi :
« (1) Les procureurs nommés à la
[SIIJ] peuvent être révoqués par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de
la magistrature, sur demande motivée du procureur en chef de la [SIIJ], en cas
d’accomplissement inapproprié des tâches spécifiques au poste, lorsqu’une
sanction disciplinaire a été appliquée.
(2) En
cas de révocation, le procureur revient à son parquet d’origine et retrouve le
grade et la rémunération correspondant à celui-ci qu’il avait antérieurement ou
qu’il a acquis à la suite d’une promotion, dans les conditions prévues par la
loi, pendant l’exercice de ses fonctions dans la [SIIJ]. »
39 L’article 888,
paragraphe 1, de ladite loi dispose :
« Les attributions de la [SIIJ] sont les suivantes :
a) exercer
les poursuites pénales, dans les conditions prévues par [le code de procédure
pénale], pour les infractions relevant de sa compétence ;
b) saisir
les juridictions afin que ces dernières prennent les mesures prévues par la loi
et jugent les affaires relatives aux infractions prévues sous a) ;
c) créer
et actualiser la base de données sur les infractions relevant de son domaine de
compétence ;
[…]
e) exercer
d’autres attributions prévues par la loi. »
40 Aux
termes de l’article II de l’ordonnance d’urgence no 90/2018 :
« (1) Par
dérogation aux articles 883 à 885 de la
loi no 304/2004 sur l’organisation du système judiciaire,
republiée, telle que modifiée et complétée ultérieurement, avant l’achèvement
des concours organisés pour l’attribution du poste de procureur en chef de la
[SIIJ] et des postes d’exécution de procureur de [la SIIJ] et la validation des
résultats de ces concours, les fonctions de procureur en chef et au moins un
tiers des fonctions d’exécution de procureur seront exercées provisoirement par
des procureurs qui remplissent les conditions prévues par la loi pour être nommés
à ces postes, sélectionnés par la commission chargée de l’organisation du
concours composée conformément à l’article 883,
paragraphe 2, de la loi no 304/2004, republiée, telle que
modifiée et complétée ultérieurement.
(2) La
sélection des candidats est effectuée par la commission chargée de
l’organisation du concours prévue au paragraphe 1, selon une procédure qui
se déroule dans cinq jours calendaires à compter de la date de son
déclenchement par le président du Conseil supérieur de la
magistrature. La commission chargée de l’organisation du concours exerce
ses activités en présence d’au moins trois membres.
[...]
(10) Afin
de rendre opérationnelle la [SIIJ], dans un délai de cinq jours calendaires à
compter de l’entrée en vigueur de la présente ordonnance d’urgence, le
[Procureur général] fournit les ressources humaines et matérielles nécessaires à son fonctionnement, y compris le personnel auxiliaire
spécialisé, des officiers et agents de la police judiciaire, des spécialistes
et d’autres catégories de personnel.
(11) À
compter de la date à laquelle la [SIIJ] devient opérationnelle, celle–ci
reprend les affaires relevant de sa compétence pendantes devant la direction
nationale anticorruption et devant d’autres branches du parquet, ainsi que les
dossiers des affaires relatives aux infractions prévues à l’article 881,
paragraphe 1, de la loi no 304/2004, republiée, telle que
modifiée et complétée ultérieurement, qui ont été clôturées avant la date à
laquelle [la SIIJ] est devenue opérationnelle. »
41 L’introduction
de cette procédure dérogatoire a été justifiée, conformément aux considérants
de l’ordonnance d’urgence no 90/2018, dans les termes suivants :
« Eu égard au fait que, en vertu de l’article III, paragraphe 1,
de la loi no 207/2018 modifiant et complétant la loi no 304/2004
sur l’organisation du système judiciaire, “[l]a [SIIJ] commence ses activités
dans un délai de trois mois après la date d’entrée en vigueur de la présente
loi”, à savoir le 23 octobre 2018,
étant
donné que, jusqu’à présent, le Conseil supérieur de la
magistrature n’a pas achevé dans le délai légal la procédure visant à
rendre opérationnelle la [SIIJ],
au
regard du fait que la loi prévoit expressément la compétence de cette section
pour poursuivre pénalement les infractions commises par des juges et
procureurs, y compris par des juges et procureurs militaires et par ceux ayant
qualité de membres du Conseil supérieur de la magistrature, ainsi qu’au fait
que, à compter du 23 octobre 2018, date fixée par la loi à laquelle la
section deviendra opérationnelle, la direction nationale anticorruption et les
autres parquets ne seront plus compétents pour poursuivre pénalement les
infractions commises par ces personnes, ce qui affecterait gravement les
procédures judiciaires dans les affaires relevant de la compétence de la
section et pourrait créer un blocage institutionnel,
compte
tenu du fait que la loi en vigueur ne contient pas de règles transitoires sur
les modalités concrètes selon lesquelles la [SIIJ] deviendra opérationnelle, en
cas de dépassement du délai fixé par la loi no 207/2018, et
qu’il est nécessaire d’adopter des mesures législatives urgentes réglementant
une procédure simple, dérogeant aux articles 883 à 885 de
la loi no 304/2004, republiée, telle que modifiée et complétée
ultérieurement, en vue de la nomination provisoire du procureur en chef, du
procureur en chef adjoint et d’au moins un tiers des procureurs de la section,
ce qui permettra à la section de devenir opérationnelle dans le délai fixé par
la loi, à savoir le 23 octobre 2018,
considérant
que la situation présentée ci-dessus est une situation extraordinaire dont la
réglementation ne saurait être différée ».
– La
loi no 317/2004
42 La
loi no 317/2004 a été modifiée, notamment, par :
– l’Ordonanța
de Urgență a Guvernului nr. 77/2018 (ordonnance d’urgence du
gouvernement no 77/2018), du 5 septembre 2018 (Monitorul
Oficial al României, no 767, du 5 septembre 2018,
ci-après l’« ordonnance d’urgence no 77/2018 »),
qui a inséré, en vertu de son article I, des paragraphes 7 et 8 à
l’article 67 de la loi no 317/2004 ;
– la
Legea nr. 234/2018 (loi no 234/2018), du 4 octobre
2018 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 850,
du 8 octobre 2018), qui a, entre autres, modifié les articles 65 et
67 de la loi no 317/2004 et inséré dans celle-ci un
article 741 ;
– l’ordonnance
d’urgence no 7/2019.
43 L’article 65,
paragraphes 1 à 3, de la loi no 317/2004, dans sa version
antérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° 234/2018, disposait :
« (1) L’Inspection judiciaire est
mise en place comme organe doté de la personnalité juridique, dans le cadre du
Conseil supérieur de la magistrature, ayant son siège à Bucarest, par
réorganisation de l’Inspection judiciaire.
(2) L’Inspection
judiciaire est dirigée par un inspecteur en chef, assisté d’un inspecteur en
chef adjoint, nommés à l’issue d’un concours organisé par le Conseil supérieur
de la magistrature.
(3) L’Inspection
judiciaire agit dans le respect du principe d’indépendance opérationnelle, en
remplissant, par l’intermédiaire des inspecteurs judiciaires nommés
conformément à loi, des fonctions d’analyse, de vérification et de contrôle
dans les domaines spécifiques d’activité. »
44 L’article 67
de cette loi était rédigé comme suit :
« (1) L’inspecteur
en chef et l’inspecteur en chef adjoint sont nommés par l’assemblée plénière du
Conseil supérieur de la magistrature parmi les inspecteurs judiciaires en
fonction, à la suite d’un concours consistant dans la présentation d’un projet
relatif à l’exercice des attributions spécifiques au poste de gestion en
question, dans une épreuve écrite testant les connaissances en matière de
gestion, de communication, de ressources humaines, la capacité du candidat de
prendre des décisions et d’assumer des responsabilités, sa résistance au
stress, ainsi que dans un test psychologique.
(2) Le
concours est organisé par le Conseil supérieur de la
magistrature, conformément au règlement approuvé par décision de
l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature [...].
(3) L’organisation
des concours pour les postes d’inspecteur en chef et d’inspecteur en chef
adjoint est annoncée au moins trois mois avant leur date.
(4) Le
mandat de l’inspecteur en chef et celui de l’inspecteur en chef adjoint sont de
trois ans et peuvent être renouvelés une seule fois, dans le respect des
dispositions du paragraphe 1.
(5) L’inspecteur
en chef et l’inspecteur en chef adjoint peuvent être révoqués de leurs
fonctions par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la
magistrature, dans le cas où ils ne remplissent pas ou remplissent de
manière inappropriée leurs attributions de gestion. La révocation est décidée
sur la base du rapport annuel d’audit prévu à l’article 68.
(6) La
décision de révocation prise par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature peut faire l’objet d’un pourvoi, dans un
délai de quinze jours après sa communication, auprès de la chambre du
contentieux administratif et fiscal de l’Înalta Curte de Casație și
Justiție [(Haute Cour de cassation et de justice)]. Le pourvoi suspend
l’exécution de la décision du Conseil supérieur de la
magistrature. La décision rendue sur pourvoi est irrévocable.
(7) Lorsque
le poste d’inspecteur en chef ou, selon le cas, d’inspecteur en chef adjoint de
l’Inspection judiciaire devient vacant à la suite de l’expiration du mandat, la
suppléance de ce poste est assurée par l’inspecteur en chef ou, selon le cas,
par l’inspecteur en chef adjoint dont le mandat a expiré, jusqu’à la date à laquelle ce poste est pourvu dans les conditions de la
loi.
(8) Lorsque
le mandat de l’inspecteur en chef prend fin pour une cause autre que
l’expiration du mandat, la suppléance de ce poste est assurée par l’inspecteur
en chef adjoint jusqu’à la date à laquelle ce poste
est pourvu dans les conditions de la loi. Lorsque le mandat de l’inspecteur en
chef adjoint prend fin pour une cause autre que l’expiration du mandat, la
suppléance de ce poste est assurée par un inspecteur judiciaire nommé par
l’inspecteur en chef jusqu’à la date à laquelle ce poste est pourvu dans les
conditions de la loi. »
45 Aux
termes de l’article 741 de la loi n° 317/2004, issu
de la loi n° 234/2018 :
« (1) Sur saisine du ministère des
Finances publiques, dans les cas et les délais prévus à l’article 96 de la
loi no 303/2004, telle que republiée, modifiée ultérieurement
et complétée, l’Inspection judiciaire effectue les vérifications pour
déterminer si l’erreur judiciaire causée par le juge ou le procureur était due
à l’exercice de ses fonctions de mauvaise foi ou avec une négligence grave.
(2) La
vérification prévue au paragraphe 1 sera achevée dans les 30 jours suivant
la date de la saisine. L’inspecteur en chef peut ordonner jusqu’à 30 jours de
prorogation de délai si de bonnes raisons le justifient. Le délai maximal de
vérification ne peut pas excéder 120 jours.
(3) La
vérification est assurée par une commission composée de trois juges, inspecteurs
judiciaires ou trois procureurs, inspecteurs judiciaires (selon la fonction
occupée par la personne concernée). Si une affaire concerne simultanément des
juges et des procureurs, deux commissions sont établies pour examiner les faits
différemment selon la fonction occupée par les personnes concernées.
(4) Au
cours des vérifications, les juges et les procureurs mis en cause sont tenus de
se présenter à l’audience ; tout refus de leur
part de participer ou de faire une déclaration sera dûment consigné dans les
procès-verbaux et n’entravera en rien la réalisation des vérifications. Le juge
ou le procureur concerné a le droit de connaître tous
les actes de la procédure de vérification et de demander des preuves à
décharge. Les inspecteurs peuvent entendre toutes les autres personnes
impliquées dans l’affaire qui exige ces vérifications.
(5) Un
rapport fera le bilan des vérifications réalisées et des preuves recueillies,
afin que l’Inspection judiciaire puisse déterminer si le juge ou le procureur a
commis des actes de mauvaise foi ou de négligence grave conduisant à une erreur
judiciaire.
(6) Les
vérifications prévues au paragraphe 1 seront également effectuées si le
juge ou le procureur n’est plus en exercice.
(7) Le rapport sera transmis au ministère des Finances publiques
et au juge ou procureur concerné.
(8) Le rapport prévu au paragraphe 5) est soumis à
confirmation par l’inspecteur en chef. Ce dernier peut ordonner une seule fois,
de manière motivée, une vérification complémentaire. Cette vérification
complémentaire est effectuée par la commission dans un délai de 30 jours à
compter de la date à laquelle elle a été ordonnée par l’inspecteur en chef. »
46 L’article II
de l’ordonnance d’urgence no 77/2018 précise ce qui suit :
« Les dispositions de l’article 67, paragraphe 7, de la loi no 317/2004
sur le Conseil supérieur de la magistrature, republiée, telle que modifiée
ultérieurement et telle que complétée par la présente ordonnance d’urgence,
s’appliquent également aux situations dans lesquelles le poste d’inspecteur en
chef ou, selon le cas, d’inspecteur en chef adjoint de l’Inspection judiciaire
est vacant à la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance
d’urgence. »
Les
litiges au principal et les questions préjudicielles
Éléments
communs aux litiges au principal
47 Les
litiges au principal s’inscrivent dans le prolongement d’une réforme
d’envergure en matière de justice et de lutte contre la corruption en Roumanie,
réforme qui fait l’objet d’un suivi à l’échelle de l’Union depuis l’année 2007
en vertu du mécanisme de coopération et de vérification institué par la
décision 2006/928 à l’occasion de l’adhésion de la Roumanie à l’Union
européenne (ci-après le « MCV »).
48 Au
cours des années 2017 à 2019, le législateur roumain a modifié à différentes
reprises les lois nos 303/2004, 304/2004 et 317/2004. Les
requérants au principal contestent la compatibilité avec le droit de l’Union de
certaines de ces modifications, en particulier de celles concernant l’organisation
de l’Inspection judiciaire (affaire C‑83/19), la mise en place au sein du
ministère public de la SIIJ (affaires C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19
et C‑355/19) ainsi que le régime de la responsabilité personnelle des
magistrats (affaire C‑397/19).
49 À
l’appui de leurs recours, les requérants au principal se réfèrent aux rapports
de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur les progrès réalisés
par la Roumanie au titre du mécanisme de coopération et de vérification, du
25 janvier 2017 [COM(2017) 44 final, ci-après le « rapport MCV de
janvier 2017 »], du 15 novembre 2017 [COM(2017) 751 final] et du
13 novembre 2018 [COM(2018) 851 final, ci-après le « rapport MCV de
novembre 2018 »], à l’avis no 924/2018 de la Commission
européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), du
20 octobre 2018, sur les projets d’amendements de la loi no 303/2004
sur le statut des juges et des procureurs, la loi no 304/2004
sur l’organisation judiciaire et la loi no 317/2004 sur le
Conseil de la magistrature [(CDL-AD(2018)017], au rapport du Groupe d’États
contre la corruption (GRECO) sur la Roumanie, adopté le 23 mars 2018
[Greco-AdHocRep(2018)2], à l’avis du Conseil consultatif de juges européens
(CCJE), du 25 avril 2019 [CCJE-BU(2019)4], ainsi qu’à l’avis du Conseil
consultatif de procureurs européens, du 16 mai 2019 [CCPE–BU(2019)3]. En
effet, selon les requérants, ces rapports et ces avis contiendraient des
critiques à l’égard des dispositions adoptées par la Roumanie au cours des années
2017 à 2019 au regard de l’efficacité de la lutte contre la corruption et de la
garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire et formuleraient des
recommandations aux fins de modification, de suspension ou de retrait de ces
dispositions.
50 Les
juridictions de renvoi s’interrogent, à cet égard, sur la nature et les effets
juridiques du MCV ainsi que sur la portée des rapports établis par la
Commission au titre de celui-ci. Elles font observer, en substance, que le MCV,
institué sur le fondement des articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion, vise
à remédier à l’insuffisance des réformes accomplies en Roumanie en matière
d’organisation de la justice et de lutte contre la corruption, afin que cet
État puisse remplir les obligations résultant du statut d’État membre. Elles
ajoutent que les rapports établis par la Commission au titre du MCV ont,
notamment, pour objectif d’orienter les efforts déployés par les autorités
roumaines et formulent des exigences et des recommandations spécifiques. Selon
lesdites juridictions, le contenu, la nature juridique et la durée dudit
mécanisme devraient être considérés comme relevant du champ d’application du
traité d’adhésion de sorte que les exigences formulées dans ces mêmes rapports
devraient avoir un caractère obligatoire pour la Roumanie.
51 Dans
ce contexte, les juridictions de renvoi font état de plusieurs arrêts de la
Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie) ayant
abordé ces questions, parmi lesquels l’arrêt no 104 du
6 mars 2018. Selon cet arrêt, le droit de l’Union ne primerait pas l’ordre
constitutionnel roumain et la décision 2006/928 ne pourrait pas constituer une
norme de référence dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité au titre
de l’article 148 de la Constitution, dès lors que cette décision a été
adoptée avant l’adhésion de la Roumanie à l’Union et n’a fait l’objet d’aucune
interprétation par la Cour en ce qui concerne la question de savoir si son
contenu, sa nature juridique et sa durée relèvent du champ d’application du
traité d’adhésion.
Affaire C‑83/19
52 Par
une demande enregistrée le 27 août 2018, le Forum des juges de Roumanie a
saisi l’Inspection judiciaire d’une demande de communication d’informations
d’ordre statistique portant sur l’activité de cette dernière au cours de la
période 2014-2018, en particulier sur le nombre de procédures disciplinaires
engagées, les motifs d’ouverture de celles-ci et l’issue de ces dernières,
ainsi que sur un accord de coopération passé entre l’Inspection judiciaire et le
Serviciul Român de Informaţii (service roumain de renseignement) et la
participation de ce service aux enquêtes menées.
53 Estimant
que l’Inspection judiciaire, en n’ayant répondu que partiellement à cette
demande qui portait sur des informations d’intérêt public, n’avait pas respecté
ses obligations légales, le Forum des juges de Roumanie a saisi, le
24 septembre 2018, le Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt,
Roumanie) d’une requête tendant à ce qu’il soit fait injonction à l’Inspection judiciaire
de communiquer les informations en cause.
54 Le
26 octobre 2018, l’Inspection judiciaire a déposé un mémoire en défense
devant cette juridiction, dans lequel elle affirmait que les droits subjectifs
que le Forum des juges de Roumanie tirait de la Lege nr. 544/2001 privind
liberul acces la informațiile de interes public (loi no 544/2001
sur le libre accès aux informations d’intérêt public), du 12 octobre 2001
(Monitorul Oficial al României, partie I, no 663 du
23 octobre 2001), n’avaient pas été violés et que la requête devait être
rejetée. Le mémoire en défense était signé par M. Lucian Netejoru,
présenté comme étant l’inspecteur en chef de l’Inspection judiciaire.
55 Dans
son mémoire en réplique, le Forum des juges de
Roumanie a soulevé une exception tirée de ce que le signataire du mémoire en
défense ne justifiait pas de sa qualité à représenter l’Inspection judiciaire.
Il a expliqué que, si M. Netejoru avait effectivement été nommé inspecteur
en chef de l’Inspection judiciaire par une décision de l’assemblée plénière du
Conseil supérieur de la magistrature du 30 juin
2015 à compter du 1er septembre 2015, son mandat, d’une durée
de trois ans, avait expiré le 31 août 2018, soit à une date antérieure à
celle du dépôt du mémoire en défense.
56 Certes,
selon le Forum des juges de Roumanie, les dispositions de l’article 67,
paragraphe 7, de la loi no 317/2004 prévoient que, dans le
cas où le poste d’inspecteur en chef devient vacant à la suite d’une expiration
de mandat, la suppléance de ce poste est assurée par l’inspecteur en chef dont
le mandat a expiré, jusqu’à la date à laquelle ce
poste est pourvu dans les conditions prévues par la loi. Toutefois, ces
dispositions, issues de l’ordonnance d’urgence no 77/2018,
seraient inconstitutionnelles, puisqu’elles porteraient atteinte aux
compétences du Conseil supérieur de la magistrature, découlant de son rôle de
garant de l’indépendance de la justice consacré à l’article 133,
paragraphe 1, de la Constitution, pour nommer l’inspecteur en chef et
l’inspecteur en chef adjoint de l’Inspection judiciaire et, dans le cas où ces
postes deviendraient vacants, pour désigner des personnes chargées d’assurer la
suppléance de ces fonctions. D’ailleurs, cette ordonnance d’urgence aurait été
adoptée aux fins de rendre possible la nomination de
personnes déterminées, ainsi qu’il ressortirait de l’exposé des motifs de
ladite ordonnance.
57 Le
Forum des juges de Roumanie a ajouté que, compte tenu des compétences étendues
dont disposent l’inspecteur en chef et l’inspecteur en chef adjoint de
l’Inspection judiciaire, l’ordonnance d’urgence no 77/2018
méconnaît le principe de l’indépendance des juges dont
la garantie est, conformément à la jurisprudence de la Cour, inhérente à leur
mission et requise en vertu de l’article 19 TUE, ce qui serait
confirmé par le rapport MCV de novembre 2018. En effet, l’inspecteur en chef et
l’inspecteur en chef adjoint seraient compétents en matière de contrôle de la
sélection des inspecteurs judiciaires, de nomination
des inspecteurs judiciaires chargés des fonctions de direction, de contrôle de
l’activité d’inspection, ainsi que d’exercice de l’action disciplinaire.
58 Le
Forum des juges de Roumanie en a conclu que le mémoire en défense, en ce qu’il
était signé par une personne nommée au poste d’inspecteur en chef de
l’Inspection judiciaire sur le fondement de dispositions inconstitutionnelles
et contraires au droit de l’Union, devait, conformément aux dispositions
pertinentes du code de procédure civile, être écarté du dossier.
59 L’Inspection
judiciaire a répondu que M. Netejoru était légalement habilité à la
représenter en vertu de la décision du 30 juin 2015 de l’assemblée
plénière du Conseil supérieur de la magistrature et de
l’article 67, paragraphe 7, de la loi no 317/2004.
60 Le
Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt) relève que les
considérations avancées par le Forum des juges de Roumanie soulèvent la
question de savoir si l’exigence d’indépendance de la justice impose aux États
membres de prendre les mesures nécessaires pour assurer une protection
juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union,
en particulier de garantir l’indépendance de la procédure disciplinaire
concernant les juges, en écartant tous les risques liés à l’influence politique
sur le déroulement d’une telle procédure, tels que ceux susceptibles de
résulter de la nomination directe par le gouvernement, même à titre
intérimaire, des membres dirigeants de l’organe chargé de conduire cette
procédure.
61 Dans
ce contexte, il importerait de clarifier le statut et les effets juridiques des
rapports établis par la Commission au titre du MCV afin que la juridiction de
renvoi puisse statuer sur l’exception procédurale tirée du défaut de qualité du
signataire du mémoire en défense à représenter la défenderesse au principal et
sur le sort à réserver audit mémoire ainsi qu’aux éléments de preuve et aux
exceptions invoqués par cette partie. Si la Cour devait juger que le MCV est
obligatoire et que le droit primaire de l’Union s’oppose à l’adoption de
dispositions telles que celles de l’ordonnance d’urgence no 77/2018,
la représentation de l’Inspection judiciaire aurait été, à la date de dépôt du
mémoire en défense, sans fondement légal, et ce nonobstant l’adoption
ultérieure d’une décision de l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la
magistrature portant nomination de M. Netejoru aux fonctions d’inspecteur
en chef de l’Inspection judiciaire.
62 C’est
dans ces conditions que le Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt) a
décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles
suivantes :
« 1) Le
[MCV], établi par la décision [2006/928], doit-il être considéré comme un acte
pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE,
pouvant être soumis à l’interprétation de la [Cour] ?
2) Le contenu,
le caractère et la durée du [MCV], établi par la décision [2006/928],
relèvent-ils du champ d’application du [traité d’adhésion] ?
Les exigences formulées dans les rapports établis dans le cadre dudit mécanisme
ont-elles un caractère obligatoire pour la Roumanie ?
3) L’article 19,
paragraphe 1, second alinéa, TUE doit-il être interprété en ce sens qu’il
oblige les États membres à établir les mesures nécessaires pour assurer une
protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit
de l’Union, à savoir des garanties d’une procédure disciplinaire indépendante
pour les juges roumains, en écartant tous les risques liés à l’influence
politique sur le déroulement de telles procédures, tels que la nomination
directe par le gouvernement de la direction de l’[Inspection judiciaire], même
à titre provisoire ?
4) L’article 2
TUE doit-il être interprété en ce sens que les États membres sont tenus de
respecter les critères de l’État de droit, exigés également par les rapports
établis dans le cadre du [MCV], établi par la décision [2006/928], dans le cas
des procédures de nomination directe par le gouvernement de la direction de l’[Inspection judiciaire], même à titre
provisoire ? »
63 Par
ordonnance du 8 février 2019, la Curtea de Apel Craiova (cour d’appel de
Craiova, Roumanie), sur demande de l’Inspection judiciaire, a renvoyé l’affaire
au principal au Tribunalul Mehedinţi (tribunal de grande instance de
Mehedinţi, Roumanie), tout en maintenant les actes de procédure effectués.
64 Dans
ces conditions, le Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt), par une
ordonnance du 12 février 2019, a décidé de se dessaisir de l’affaire au
principal, de transmettre le dossier au Tribunalul Mehedinţi (tribunal de
grande instance de Mehedinţi) et d’informer la Cour de cette circonstance,
tout en précisant que cette dernière demeurait saisie de la demande de décision
préjudicielle.
Affaire C‑127/19
65 Le
13 décembre 2018, le Forum des juges de Roumanie et le Mouvement pour la
défense du statut des procureurs ont saisi la Curtea de Apel Piteşti (cour
d’appel de Piteşti, Roumanie) d’un recours visant à l’annulation des décisions
nos 910 et 911 de l’assemblée plénière du Conseil supérieur de
la magistrature du 19 septembre 2018, approuvant, respectivement, le
règlement sur la nomination et la révocation des procureurs ayant des fonctions
de gestion dans la SIIJ, et le règlement sur la nomination, la poursuite des
fonctions et la révocation des procureurs ayant des fonctions d’exécution dans
cette section. À l’appui de leur recours, ces associations ont fait valoir que
lesdites décisions violent, notamment, l’article 148 de la Constitution
roumaine, selon lequel la Roumanie est tenue de respecter les obligations
découlant des traités auxquels elle est partie.
66 La
juridiction de renvoi fait observer que les décisions en cause au principal
constituent des actes administratifs à caractère normatif et qu’elles ont été
adoptées sur le fondement de l’article 885, paragraphe 12,
de la loi no 304/2004 modifiée, issu de la loi no 207/2018.
En ce qui concerne la création de la SIIJ, la Curtea Constituțională
(Cour constitutionnelle) aurait, dans son arrêt no 33 du
23 janvier 2018, rejeté les griefs visant à faire constater que cette
création serait contraire au droit de l’Union et, partant, aux obligations
découlant de l’article 148 de la Constitution roumaine, aucun acte
contraignant de l’Union ne pouvant être utilement invoqué à l’appui de ces
griefs.
67 Les
requérants au principal, qui se réfèrent aux rapports et aux avis visés au
point 49 du présent arrêt, considèrent toutefois que la création, en tant que
telle, de la SIIJ, de même que les modalités de son fonctionnement ainsi que de
nomination et de révocation des procureurs, sont
contraires au droit de l’Union, en particulier aux exigences découlant du MCV.
68 La
juridiction de renvoi relève que, si le MCV et les rapports établis par la
Commission dans le cadre de ce mécanisme font naître une obligation à laquelle
l’État roumain doit se conformer, une telle obligation incombe aussi aux
autorités administratives, telles que le Conseil supérieur de la magistrature lorsque celui-ci adopte une réglementation
dérivée telle que celle visée au point 65 du présent arrêt, ainsi qu’aux
juridictions nationales. Cependant, eu égard notamment à l’évolution de la
jurisprudence de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle),
mentionnée au point 66 de cet arrêt, la résolution du litige au principal
exigerait de clarifier la nature et les effets juridiques du MCV ainsi que des
rapports adoptés sur son fondement.
69 En
outre, la juridiction de renvoi éprouve des doutes sur le point de savoir si
les principes du droit de l’Union, notamment les principes de l’État de droit,
de coopération loyale et d’indépendance des juges, s’opposent à la
réglementation nationale relative à la SIIJ. En effet, celle-ci pourrait être
saisie à mauvais escient dans le but de soustraire aux parquets spécialisés
certains dossiers sensibles en cours en matière de lutte contre la corruption
et d’entraver ainsi l’efficacité de cette lutte.
70 C’est
dans ces conditions que la Curtea de Apel Piteşti (cour d’appel de
Piteşti) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les
questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le
[MCV], établi par la décision [2006/928], doit-il être considéré comme un acte
pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE,
pouvant être soumis à l’interprétation de la [Cour] ?
2) Le contenu,
le caractère et la durée du [MCV], établi par la décision [2006/928],
relèvent-ils du champ d’application du [traité d’adhésion] ?
Les exigences formulées dans les rapports établis dans le cadre dudit mécanisme
ont-elles un caractère obligatoire pour la Roumanie ?
3) L’article 2,
lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit-il être
interprété en ce sens que l’obligation pour la Roumanie de respecter les
exigences imposées par les rapports établis dans le cadre du [MCV], établi par
la décision [2006/928], relève de l’obligation de l’État membre de respecter
les principes de l’État de droit ?
4) L’article 2 TUE,
plus particulièrement l’obligation de respecter les valeurs de l’État de droit,
s’oppose-t-il à une législation par laquelle est créée et organisée la [SIIJ],
dans le cadre du [parquet près la Haute Cour de cassation et de justice], en
raison de la possibilité d’exercer une pression indirecte sur les magistrats ?
5) Le principe
d’indépendance des juges, consacré à l’article 19, paragraphe 1,
second alinéa, TUE et à l’article 47 de la [Charte], tel qu’interprété par
la jurisprudence de la Cour (arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical
dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117), s’oppose-t-il à la
création de la [SIIJ], dans le cadre du [parquet près la Haute Cour de
cassation et de justice], eu égard aux modalités de nomination/révocation des
procureurs faisant partie de [la SIIJ], aux modalités d’exercice des fonctions
dans le cadre de celle-ci ainsi qu’à la manière dont la compétence est établie,
en lien avec le nombre réduit de postes dans le cadre de cette
section ? »
71 Par
courrier du 15 juin 2020, parvenu à la Cour le 1er juillet
2020, la Curtea de Apel Piteşti (cour d’appel de Piteşti) a informé
cette dernière que, par ordonnance du 10 juin 2019, l’Înalta Curte de Casație
și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) avait renvoyé
l’affaire au principal, sur demande du Conseil supérieur de la
magistrature, à la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia,
Roumanie). Dans ce courrier, il était précisé que les actes de procédure
accomplis par la Curtea de Apel Piteşti étaient maintenus.
Affaire C‑195/19
72 PJ
a introduit auprès du parquet près la Curtea de Apel Bucureşti (cour
d’appel de Bucarest, Roumanie) une plainte contre QK pour abus de fonction. À
l’appui de cette plainte, PJ a allégué que QK avait, dans le cadre de ses
fonctions de juge, commis cette infraction pénale, en ayant rejeté comme
infondée une demande relative à un différend de nature
fiscale avec l’administration des finances publiques sans avoir respecté son
obligation légale de motiver sa décision dans le délai de 30 jours après le
prononcé de celle-ci. PJ a également prétendu que le défaut de motivation
l’avait empêché d’exercer des voies de recours contre cette décision.
73 Après
avoir, dans un premier temps, par une ordonnance du 28 septembre 2018, décidé
d’engager des poursuites pénales contre QK, le procureur chargé de traiter la
plainte a finalement, par une ordonnance du 1er octobre 2018,
classé l’affaire au motif que l’abus de fonction allégué n’était pas établi.
74 Le
18 octobre 2018, PJ a introduit une réclamation contre cette ordonnance.
75 Le
24 octobre 2018, conformément aux dispositions combinées de
l’article 881 de la loi no 304/2004
modifiée et de l’article III de la loi no 207/2018, le parquet près la Curtea de Apel București (cour
d’appel de Bucarest) a renvoyé la réclamation à la SIIJ, dans la mesure où
cette réclamation visait une personne ayant la qualité de magistrat.
76 Le
procureur en chef adjoint de cette section ayant rejeté la réclamation comme
infondée, PJ a introduit un recours devant la Curtea de Apel București
(cour d’appel de Bucarest).
77 La
juridiction de renvoi précise que, dans l’hypothèse où elle ferait droit au
recours de PJ, il lui appartiendrait de renvoyer l’affaire à la SIIJ, de sorte
que la question se pose de savoir si la réglementation nationale ayant institué
cette section est conforme au droit de l’Union. En cas de réponse négative à
cette question, il conviendra de constater la nullité de tous les actes établis
par la SIIJ dans l’affaire au principal. L’interprétation de la Cour devrait
également être prise en compte lors de la détermination de la future unité du
parquet compétente pour statuer sur la plainte de PJ.
78 Dans
ce contexte, il importerait, eu égard aux conclusions du rapport MCV de
novembre 2018, de s’interroger sur les effets juridiques du MCV, car, dans
l’hypothèse où ce mécanisme revêtirait un caractère obligatoire pour la
Roumanie, les dispositions du droit national relatives à la création de la SIIJ
devraient être suspendues. De manière plus générale, et indépendamment du
caractère obligatoire dudit mécanisme, la question se poserait de savoir si
l’article 67, paragraphe 1, TFUE, l’article 2, première phrase,
et l’article 9, première phrase, TUE s’opposent à la création d’une
section, telle que la SIIJ, qui est exclusivement compétente pour enquêter sur
tout type d’infraction commise par des procureurs ou des juges. À cet égard, la
juridiction de renvoi fait observer qu’elle partage pleinement les
appréciations figurant dans l’avis de la Commission de Venise visé au point 49
du présent arrêt.
79 Enfin,
la juridiction de renvoi relève que, compte tenu de la jurisprudence de la
Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) visée au point 51 du
présent arrêt, il existe un risque sérieux que les réponses de la Cour à ces
questions soient privées d’effet en droit interne.
80 C’est
dans ces conditions que la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de
Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions
préjudicielles suivantes :
« 1) Le
[MCV], établi par la décision [2006/928], et les exigences formulées dans les
rapports établis dans le cadre dudit mécanisme ont-ils un caractère obligatoire
pour la Roumanie ?
2) L’article 67,
paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 2, première phrase, et
l’article 9, première phrase, TUE s’opposent-ils à une réglementation
nationale instituant une section du parquet qui est exclusivement compétente
pour enquêter sur tout type d’infraction commise par des juges ou des procureurs ?
3) Le principe
de primauté du droit [de l’Union], tel que consacré par l’arrêt du
15 juillet 1964, Costa (6/64, EU:C:1964:66), et par la jurisprudence
ultérieure constante de la Cour, s’oppose-t-il à une réglementation nationale
permettant à une institution politico-juridictionnelle, telle que la Curtea
Constituțională [(Cour constitutionnelle)], de porter atteinte au
principe susmentionné par des décisions qui ne sont susceptibles d’aucune voie
de recours ? »
Affaire C‑291/19
81 Au
cours des mois de décembre 2015 et de février 2016, SO a déposé plainte contre
plusieurs procureurs et juges pour abus de fonction et appartenance à une
organisation criminelle. Ces plaintes ont été enregistrées par la section de
lutte contre les infractions assimilées aux infractions de corruption de la
Direcția Națională Anticorupție (DNA) (Direction nationale
anticorruption, Roumanie), qui dépend du parquet de l’Înalta Curte de Casație
și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice).
82 Par
ordonnance du 8 septembre 2017, le procureur compétent au sein de cette
section a ordonné le classement desdites plaintes. La réclamation introduite
contre cette ordonnance a été rejetée par une ordonnance du 20 octobre
2017 du procureur en chef de ladite section.
83 SO
a introduit un recours contre ces ordonnances devant la Curtea de Apel Constanța
(cour d’appel de Constanța, Roumanie). Celle-ci ayant décliné sa
compétence, le recours a été transmis à la Curtea de Apel Brașov (cour
d’appel de Brașov, Roumanie).
84 Dans
le cadre de cette procédure, le ministère public a été initialement représenté
par un procureur du service territorial de Braşov de la DNA. À compter du
1er mars 2019, en raison des modifications législatives
intervenues en relation avec la compétence en matière d’infractions commises au
sein du système judiciaire, la représentation du ministère public a été assurée
par un procureur du parquet près la Curtea de Apel Brașov (cour d’appel de
Brașov).
85 Cette
juridiction précise que la poursuite de la procédure au principal implique,
tant au stade des poursuites pénales qu’au stade juridictionnel, la
participation de procureurs de la SIIJ, dans la mesure où, si elle devait
considérer que le recours formé par SO est fondé, il lui incomberait de
renvoyer l’affaire à cette section, aux fins de l’exercice de poursuites
pénales. Ainsi, ladite juridiction considère qu’il est nécessaire d’examiner la
compatibilité des dispositions nationales ayant institué la SIIJ avec les dispositions
du droit de l’Union.
86 Or,
à cet égard, la juridiction de renvoi s’interroge, tout d’abord, sur la portée
juridique de la décision 2006/928 et du MCV institué par celle-ci. Elle fait en
outre observer que les rapports MCV de janvier 2017 et de novembre 2018 ainsi
que les autres rapports et avis auxquels il est fait
référence dans ceux-ci se sont montrés très critiques à l’encontre de la
création de la SIIJ. Ainsi, dans l’hypothèse où le MCV revêtirait un caractère
obligatoire pour la Roumanie, il lui appartiendrait de constater que les
dispositions nationales ayant institué cette section sont ou doivent être
suspendues.
87 Ensuite,
et en tout état de cause, la juridiction de renvoi se demande si la création de
la SIIJ est conforme aux principes qui fondent l’ordre juridique de l’Union,
tels que les principes de l’État de droit, de coopération loyale et
d’indépendance des juges. Sur ce dernier point, elle souligne que, étant donné
que l’ouverture d’une procédure pénale contre un magistrat peut conduire à la
suspension de celui-ci, l’existence de la SIIJ pourrait être perçue, eu égard à
son organisation et à son fonctionnement, comme étant
un facteur de pression de nature à affecter l’indépendance des juges.
88 En
outre, les modalités de nomination du procureur en
chef ainsi que des quatorze autres procureurs de la SIIJ ne présenteraient pas
suffisamment de garanties au regard de l’exigence d’impartialité, ce qui
pourrait avoir une incidence sur l’exercice de l’activité de la SIIJ. À cet
égard, les dernières modifications apportées à la loi no 304/2004
par l’ordonnance d’urgence no 7/2019 auraient pour effet
pratique de placer la SIIJ hors de l’autorité du Procureur général.
89 La
juridiction de renvoi ajoute que, alors que la SIIJ est composée seulement de
quinze procureurs, elle détient une compétence exclusive en matière de
poursuites pénales introduites non seulement contre les magistrats mais
également contre toute personne dans les affaires où est mis en cause un magistrat,
ce qui représente un nombre élevé d’affaires nécessitant un minimum d’enquête.
Or, jusqu’à la mise en place de la SIIJ, les plaintes susceptibles de donner
lieu à de telles poursuites auraient été examinées par plus de 150 procureurs
appartenant à plusieurs branches du parquet, telles que les parquets près les
différentes cours d’appel, le parquet près l’Înalta Curte de Casație și
Justiție (Haute Cour de cassation et de justice), la DNA et la Direcția
de Investigare a Infracțiunilor de Criminalitate Organizată și
Terorism (DIICOT) (direction des enquêtes sur la criminalité organisée et le
terrorisme, Roumanie). Il conviendrait donc de s’interroger sur la capacité de
cette section à traiter les affaires pendantes devant elle d’une manière
appropriée et dans un délai raisonnable.
90 C’est
dans ces conditions que la Curtea de Apel Brașov (cour d’appel de Brașov)
a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions
préjudicielles suivantes :
« 1) Le
[MCV], établi par la [décision 2006/928], doit-il être considéré comme un acte
pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE,
pouvant être soumis à l’interprétation de la [Cour] ?
2) Les exigences
formulées dans les rapports établis dans le cadre dudit mécanisme ont-elles un
caractère contraignant pour la Roumanie, notamment (mais pas uniquement) en ce
qui concerne la nécessité de procéder à des modifications législatives qui
soient conformes aux conclusions du [MCV] ainsi qu’aux recommandations
formulées par la Commission de Venise et par le [GRECO] ?
3) L’article 2,
lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit-il être
interprété en ce sens que l’obligation pour la Roumanie de respecter les
exigences imposées par les rapports établis dans le cadre du [MCV] institué par
la [décision 2006/928] relève de l’obligation de l’État membre de respecter les
principes de l’État de droit ?
4) Le principe
d’indépendance des juges, consacré à l’article 19, paragraphe 1,
second alinéa, TUE et à l’article 47 de la [Charte], tel qu’interprété par
la jurisprudence de la [Cour] (arrêt du 27 février 2018, Associação
Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117), s’oppose-t-il à
la création de la [SIIJ] dans le cadre du parquet près l’Înalta Curte de Casație
și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice), eu égard aux
modalités de nomination et de révocation des procureurs faisant partie de [la
SIIJ], aux modalités d’exercice des fonctions dans le cadre de celle-ci ainsi
qu’à la manière dont la compétence est établie, en lien avec le nombre réduit
de postes au sein de [la SIIJ] ?
5) L’article 47,
[deuxième alinéa], de la [Charte], relatif au droit à un procès équitable par
la résolution de l’affaire dans un délai raisonnable, s’oppose-t-il à la
création de la [SIIJ] dans le cadre du parquet près l’Înalta Curte de Casație
și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice), eu égard aux
modalités d’exercice des fonctions dans le cadre de [la SIIJ] ainsi qu’à la
manière dont la compétence est établie, en lien avec le nombre réduit de postes
au sein de [la SIIJ] ? »
Affaire C‑355/19
91 Le
23 janvier 2019, le Forum des juges de Roumanie, le Mouvement pour la
défense du statut des procureurs et OL ont saisi la Curtea de Apel Piteşti
(cour d’appel de Piteşti) d’un recours visant à l’annulation d’un arrêté
du Procureur général, du 23 octobre 2018, relatif à l’organisation et au
fonctionnement de la SIIJ. Cet arrêté, adopté en vue de la mise en œuvre de la
loi no 207/2018 et de l’ordonnance d’urgence no 90/2018,
concerne l’organisation et le fonctionnement de cette section.
92 À
l’appui de leur recours, les requérants au principal, qui se réfèrent aux
rapports et aux avis visés au point 49 du présent arrêt, considèrent que la
création de la SIIJ, en ce qu’elle est de nature à entraver la lutte contre la
corruption et qu’elle constitue un instrument d’intimidation des magistrats,
est contraire aux exigences découlant du MCV, portant sur le respect des
principes de l’État de droit, de coopération loyale et d’indépendance des
juges, ainsi que, plus généralement, aux exigences de l’article 2 et de
l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.
93 Après
avoir rappelé que la DNA était parvenue à des résultats significatifs en
matière de lutte contre la corruption, les requérants au principal font
observer que la mise en place de la SIIJ peut remettre en cause ces résultats,
puisque, désormais, toutes les affaires de corruption impliquant un magistrat
sont transférées à cette section, sans que les procureurs qui la constituent
disposent d’une compétente spécifique en la matière. En outre, ces transferts
pourraient créer des conflits de compétence avec les sections spécialisées en
ce domaine, à savoir la DNA et la DIICOT. Enfin, la limitation à quinze du
nombre de procureurs au sein de la SIIJ ne permettrait pas à celle-ci de
traiter l’ensemble des plaintes enregistrées chaque année contre des
magistrats. Le législateur roumain aurait ainsi créé une structure
particulièrement mal équipée par rapport aux compétences attribuées à celle-ci
et à l’importance des affaires qu’elle traite, ce qui fragiliserait le bon
fonctionnement et l’indépendance fonctionnelle de cette structure.
94 C’est
dans ces conditions que la Curtea de Apel Pitești (cour d’appel de Pitești)
a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions
préjudicielles suivantes :
« 1) Le
[MCV], établi par la décision [2006/928], doit-il être considéré comme un acte
pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE,
pouvant être soumis à l’interprétation de la [Cour] ?
2) Le contenu,
le caractère et la durée du [MCV], établi par la décision [2006/928],
relèvent-ils du champ d’application du [traité d’adhésion] ?
Les exigences formulées dans les rapports établis dans le cadre dudit mécanisme
ont-elles un caractère obligatoire pour la Roumanie ?
3) L’article 2 TUE
doit-il être interprété en ce sens que les États membres sont tenus de
respecter les critères de l’État de droit, exigés également par les rapports
établis dans le cadre du [MCV], établi par la décision [2006/928], en cas de
création d’urgence d’une section du parquet chargée d’enquêter exclusivement
sur les infractions commises par des magistrats, ce qui suscite une inquiétude
particulière en matière de lutte contre la corruption et qui peut faire office
d’instrument supplémentaire pour intimider les magistrats et faire pression sur
eux ?
4) L’article 19,
paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE doit-il être interprété en ce sens que
les États membres sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour assurer
une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le
droit de l’Union, à savoir en écartant tous les risques liés à l’influence
politique sur l’enquête pénale à l’encontre de juges, en cas de création
d’urgence d’une section du parquet chargée d’enquêter exclusivement sur les
infractions commises par des magistrats, ce qui suscite une inquiétude
particulière en matière de lutte contre la corruption et qui peut faire office
d’instrument supplémentaire pour intimider les magistrats et faire pression sur
eux ? »
Affaire C‑397/19
95 Le
3 janvier 2019, AX a saisi le Tribunalul București (tribunal de
grande instance de Bucarest, Roumanie) d’un recours fondé notamment sur
l’article 1381 du code civil ainsi que sur les articles 9 et 539 du
code de procédure pénale, tendant à ce que l’État roumain soit condamné à lui
payer des dommages et intérêts au titre des préjudices matériel et moral
résultant d’une condamnation pénale et de mesures de détention et de
restriction de liberté illégales.
96 À
l’appui de son recours, AX a exposé que, par un jugement du 13 juin 2017,
le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest) l’avait
condamné à une peine d’emprisonnement de quatre ans avec sursis pour fraude
fiscale continue ainsi qu’à une peine complémentaire et à une peine accessoire,
avait fixé à 1 642 970 lei roumains (RON) (environ 336 000
euros) le montant des dommages et intérêts à verser, à titre solidaire, à la
partie civile et avait ordonné une saisie conservatoire sur tous ses biens
mobiliers et immobiliers existants et futurs. En outre, du 21 janvier 2015
au 21 octobre 2015, AX avait été placé en garde à vue, en détention
provisoire puis assigné à résidence. Or, par la suite, la Curtea de Apel București
(cour d’appel de Bucarest) a constaté qu’il n’avait pas commis l’infraction
pour laquelle il avait été condamné et a levé la saisie conservatoire sur ses
biens.
97 La
juridiction de renvoi considère que le recours soulève des interrogations sur
le statut et les effets juridiques des rapports établis par la Commission dans
le cadre du MCV ainsi que sur le point de savoir si le droit primaire de
l’Union s’oppose à une législation nationale, telle
que celle en cause au principal, susceptible de porter atteinte à
l’indépendance des juges et des procureurs.
98 S’agissant
de l’indépendance des juges nationaux, la juridiction de renvoi relève que
celle-ci doit être garantie conformément à l’article 19, paragraphe 1,
second alinéa, TUE. Or, les règles relatives à l’indemnisation des
dommages causés par les erreurs judiciaires seraient, en raison des modalités
de la procédure d’indemnisation, de nature à porter atteinte au principe du
contradictoire et aux droits de la défense du magistrat en cause, dans la
mesure où l’existence d’une erreur judiciaire pourrait être établie dans le
cadre d’une première procédure, telle que celle en cause au principal, sans que
ce dernier soit entendu ni dispose du droit de remettre en cause l’existence
d’une telle erreur dans le cadre de la procédure initiée par l’action
récursoire subséquente introduite à son égard. En outre, la question de savoir
si cette erreur a été commise par ce magistrat de mauvaise foi ou en raison d’une
négligence grave serait laissée à l’appréciation de l’État, ledit magistrat
n’ayant qu’une possibilité limitée de s’opposer aux griefs de ce dernier ou de
l’Inspection judiciaire, ce qui serait susceptible de porter atteinte,
notamment, au principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire, lequel serait
l’un des fondements de l’État de droit.
99 C’est
dans ces conditions que le Tribunalul București (tribunal de grande
instance de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions
préjudicielles suivantes :
« 1) Le
[MCV], établi par la décision [2006/928], doit-il être considéré comme un acte
pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE,
pouvant être soumis à l’interprétation de la [Cour] ?
2) Le [MCV],
établi par la décision [2006/928], fait-il partie intégrante du [traité
d’adhésion] et doit-il être interprété et appliqué au regard de celui-ci ? Les exigences formulées dans les rapports établis
dans le cadre dudit mécanisme ont-elles un caractère obligatoire pour l’État
roumain et, dans l’affirmative, la juridiction nationale chargée de
l’application, dans le cadre de ses compétences, des dispositions du droit de
l’Union est-elle tenue d’assurer l’application de ces règles, le cas échéant, en
refusant d’office d’appliquer les dispositions de la législation nationale
contraires auxdites exigences ?
3) Les
dispositions combinées de l’article 2 et de l’article 4,
paragraphe 3, TUE doivent-elles être interprétées en ce sens que
l’obligation pour la Roumanie de respecter les exigences imposées par les
rapports établis dans le cadre du [MCV], établi par la décision [2006/928],
relève de l’obligation de l’État membre de respecter les principes de l’État de
droit ?
4) Les
dispositions combinées de l’article 2 et de l’article 4,
paragraphe 3, TUE et, plus particulièrement, la nécessité de respecter les
valeurs de l’État de droit, s’opposent-elles à une législation nationale telle
que l’article 96, paragraphe 3, sous a), de la [loi no 303/2004
modifiée], qui définit la notion d’« erreur judiciaire » de façon
lapidaire et abstraite comme la réalisation d’actes de procédure en violation
manifeste des règles de droit matériel et procédural, sans préciser la nature
des règles enfreintes, le champ d’application ratione materiae et ratione
temporis de ces règles dans le cadre de la procédure, les modalités, le délai
et la procédure de constatation de la violation desdites règles de droit, ni
l’organe compétent pour constater cette violation, permettant ainsi de faire
indirectement pression sur les magistrats ?
5) Les
dispositions combinées de l’article 2 et de l’article 4,
paragraphe 3, TUE et, plus particulièrement, la nécessité de respecter les
valeurs de l’État de droit, s’opposent-elles à une législation nationale telle
que l’article 96, paragraphe 3, sous b), de la [loi no 303/2004
modifiée], qui définit la notion d’« erreur judiciaire » comme le
prononcé d’une décision juridictionnelle définitive manifestement non conforme
à la loi ou aux faits établis au regard des preuves administrées dans le cadre
de l’instance, sans préciser la procédure de constatation de la non-conformité
ni définir in concreto cette non-conformité de la décision juridictionnelle
avec la législation applicable et les faits, permettant ainsi de faire obstacle
à l’interprétation de la loi et des preuves par le magistrat (juge ou
procureur) ?
6) Les
dispositions combinées de l’article 2 et de l’article 4,
paragraphe 3, TUE et, plus particulièrement, la nécessité de respecter les
valeurs de l’État de droit s’opposent-elles à une législation nationale telle
que l’article 96, paragraphe 3, de la [loi no 303/2004
modifiée], en vertu de laquelle la responsabilité civile patrimoniale du
magistrat (juge ou procureur) est engagée à l’égard de l’État, sur la seule
base de la propre appréciation de ce dernier et, éventuellement, sur le
fondement du rapport consultatif de l’[Inspection judiciaire], concernant
l’intention du magistrat de commettre l’erreur matérielle ou sa négligence
grave à cet égard, sans que le magistrat soit en mesure d’exercer pleinement
ses droits de la défense, permettant ainsi d’engager et de mettre en œuvre
arbitrairement la responsabilité matérielle du magistrat envers l’État ?
7) L’article 2 TUE,
et, plus particulièrement, la nécessité de respecter les valeurs de l’État de
droit, s’oppose-t-il à une législation nationale telle que les dispositions
combinées de l’article 539, paragraphe 2, dernier membre de phrase,
et de l’article 541, paragraphes 2 et 3, du [code de procédure
pénale], en vertu de laquelle la personne mise en examen dispose, sine die et
implicitement, d’une voie de recours extraordinaire, sui generis, contre une
décision juridictionnelle définitive relative à la légalité d’une mesure de détention
provisoire, dans l’hypothèse où cette personne est acquittée sur le fond, voie
de recours relevant de la compétence exclusive d’une juridiction civile, alors
que l’illégalité de la détention provisoire n’a pas été constatée par décision
d’une juridiction pénale, ce qui méconnaît les principes de prévisibilité et
d’accessibilité de la loi, de spécialisation des juges et de sécurité des
rapports juridiques ? »
Sur
la procédure devant la Cour
100 Les
affaires C‑83/19, C‑127/19 et C‑195/19 ont, par décision du
président de la Cour du 21 mars 2019, été jointes aux fins des procédures
écrite et orale ainsi que de l’arrêt. Par décision du président de la Cour du
27 novembre 2020, les affaires C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19
ont été jointes à ces affaires aux fins de l’arrêt.
101 Les
juridictions de renvoi dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19,
C‑355/19 et C‑397/19 ont demandé à la Cour que les renvois
préjudiciels dans ces affaires soient soumis à une procédure accélérée en vertu
de l’article 105 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de leurs
demandes, ces juridictions ont fait valoir que les exigences de l’État de droit
nécessitaient la résolution des litiges au principal dans de brefs délais.
102 L’article 105,
paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la
juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la
Cour peut décider, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de
soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée dérogeant aux
dispositions de ce règlement lorsque la nature de l’affaire exige son
traitement dans de brefs délais.
103 Il
importe de rappeler, à cet égard, qu’une telle procédure accélérée constitue un
instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence
extraordinaire. Par ailleurs, il ressort également de la jurisprudence de la
Cour que la procédure accélérée peut ne pas être appliquée lorsque le caractère
sensible et complexe des problèmes juridiques posés par une affaire se prête difficilement
à l’application d’une telle procédure, notamment lorsqu’il n’apparaît pas
approprié d’écourter la phase écrite de la procédure devant la Cour [arrêt du
2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour
suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 48 et 49
ainsi que jurisprudence citée].
104 En
l’occurrence, par des décisions du 21 mars 2019 (affaires C‑83/19, C‑127/19
et C‑195/19), du 26 juin 2019 (affaire C‑397/19) et du
27 juin 2019 (affaire C‑355/19), le président de la Cour a
décidé, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, qu’il convenait de
rejeter les demandes des juridictions de renvoi visées au point 101 du présent
arrêt.
105 En
effet, si les questions posées, qui ont trait à des dispositions fondamentales
du droit de l’Union, sont a priori susceptibles de revêtir une importance
primordiale pour le bon fonctionnement du système juridictionnel de l’Union,
auquel l’indépendance des juridictions nationales est essentielle (voir, en ce
sens, ordonnance du président de la Cour du 11 décembre 2018, Uniparts, C‑668/18,
non publiée, EU:C:2018:1003, point 12), le caractère sensible et complexe
de ces questions, qui s’inscrivent dans le cadre d’une réforme d’envergure en
matière de justice et de lutte contre la corruption en Roumanie, se prêtait
difficilement à l’application de la procédure accélérée.
106 Toutefois,
eu égard à la nature des questions posées, le président de la Cour a, par
décision du 18 septembre 2019, accordé à l’ensemble des affaires visées au
point 100 du présent arrêt un traitement prioritaire, en vertu de
l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure.
Sur
les questions préjudicielles
Sur la
compétence de la Cour
107 Les
gouvernements polonais et roumain estiment que la Cour n’est pas compétente
pour répondre à certaines questions posées par les juridictions de renvoi.
108 Le
gouvernement polonais, qui s’est limité à formuler des observations concernant
la troisième question posée dans l’affaire C‑83/19, les quatrième et
cinquième questions posées dans l’affaire C‑127/19, la deuxième question
posée dans l’affaire C‑195/19, les quatrième et cinquième questions posée
dans l’affaire C‑291/19, la quatrième question posée dans l’affaire C‑355/19
et les quatrième à sixième questions posées dans l’affaire C‑397/19,
conteste la compétence de la Cour pour répondre à ces questions. En effet, les
interrogations soulevées par les juridictions de renvoi en ce qui concerne la
conformité de la législation roumaine au droit de l’Union porteraient, d’une
part, sur l’organisation de la justice, plus particulièrement sur la procédure
de nomination des membres de l’Inspection judiciaire et l’organisation interne
du ministère public, et, d’autre part, sur le régime de la responsabilité de
l’État pour les préjudices causés par les juges aux particuliers en raison
d’une violation du droit interne. Or, ces deux domaines relèveraient de la
compétence exclusive des États membres et, par suite, échapperaient au champ
d’application du droit de l’Union.
109 Quant au
gouvernement roumain, il fait valoir que la Cour n’est pas compétente pour
répondre à la quatrième question posée dans l’affaire C‑83/19, aux
quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑127/19, à la
deuxième question posée dans l’affaire C‑195/19, aux quatrième et
cinquième questions posées dans l’affaire C‑291/19, aux troisième et
quatrième questions posées dans l’affaire C‑355/19 ainsi qu’aux troisième
à sixième questions posées dans l’affaire C‑397/19, dans la mesure où ces
questions visent l’interprétation de l’article 2 et de l’article 4,
paragraphe 3, TUE, de l’article 67 TFUE ainsi que de
l’article 47 de la Charte. En effet, alors que ces dispositions auraient
nécessité, pour être applicables aux litiges au principal, que la Roumanie ait
mis en œuvre le droit de l’Union, il n’existerait aucun acte de l’Union qui
régirait les mesures en cause au principal. Seul l’article 19,
paragraphe 1, second alinéa, TUE serait susceptible, eu égard à la
jurisprudence issue de l’arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos
Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117), d’être pertinent au regard
des interrogations soulevées par les juridictions de renvoi dans ces questions.
En tout état de cause, lesdites questions auraient trait à l’organisation de la
justice, laquelle ne relèverait pas des compétences de l’Union.
110 À cet
égard, il y a lieu de constater que les demandes de
décision préjudicielle portent sur l’interprétation du droit de l’Union, qu’il
s’agisse de dispositions de droit primaire, en l’occurrence l’article 2,
l’article 4, paragraphe 3, l’article 9 et l’article 19,
paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 67 TFUE ainsi que
l’article 47 de la Charte, ou de dispositions de droit dérivé, à savoir la
décision 2006/928.
111 En outre,
l’argumentation des gouvernements polonais et roumain quant à l’absence de
compétence de l’Union en matière d’organisation de la justice et de
responsabilité de l’État en cas d’erreurs judiciaires a trait, en réalité, à la
portée même et, partant, à l’interprétation des dispositions du droit primaire
de l’Union visées par les questions posées, laquelle interprétation relève
manifestement de la compétence de la Cour au titre de l’article 267 TFUE.
En effet, la Cour a déjà jugé que, si l’organisation de la justice dans les
États membres relève de la compétence de ces derniers, ceux-ci n’en sont pas
moins tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations
qui découlent, pour eux, du droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars
2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême –
Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 68 et 69 ainsi que
jurisprudence citée]. Cette obligation vaut également dans le domaine de la
responsabilité patrimoniale des États membres et de la responsabilité
personnelle des juges en cas d’erreur judiciaire, en cause dans l’affaire C‑397/19.
112 Eu égard
à ce qui précède, la Cour est compétente pour répondre aux questions posées
dans les présentes affaires, y compris à celles visées aux points 108 et 109 du
présent arrêt.
Sur l’éventuel
non-lieu à statuer et la recevabilité
Affaire C‑83/19
113 L’Inspection
judiciaire et le gouvernement roumain soutiennent que la demande de décision
préjudicielle dans l’affaire C‑83/19 est irrecevable en raison de
l’absence de lien entre les questions posées et le litige au principal. En
particulier, l’interprétation du droit de l’Union sollicitée dans cette affaire
n’aurait pas d’incidence directe sur l’issue de ce litige, celui-ci devant être
tranché sur la seule base du droit national.
114 De son côté, la Commission fait valoir dans ses observations
écrites que les questions posées semblent avoir perdu leur pertinence pour le
litige au principal, dans la mesure où l’assemblée plénière du Conseil
supérieur de la magistrature a nommé, le 15 mai 2019, soit ultérieurement
à la saisine de la Cour, M. Netejoru aux fonctions d’inspecteur en chef de
l’Inspection judiciaire pour un nouveau mandat de trois ans sur le fondement de
la loi no 317/2004. Cette nomination ayant
mis fin à l’ingérence du pouvoir exécutif dans l’indépendance de la justice,
résultant de l’ordonnance d’urgence no 77/2018,
M. Netejoru serait désormais en mesure de justifier de sa qualité de
représentant de l’Inspection judiciaire, de sorte que, en principe, les
questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union ne se poseraient
plus et qu’il n’y aurait dès lors plus lieu pour la Cour de se prononcer sur
celles-ci. Lors de l’audience, la Commission a précisé que, conformément aux
règles du droit national, des vices de procédure de la nature de celui invoqué
par le requérant au principal pourraient être purgés en cours de procédure, ce
qu’il appartiendrait toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.
115 Selon
une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre
cette dernière et les juridictions nationales, instituée à
l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi
du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle
à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la
nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son
jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence,
dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de
l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer [arrêt du 24 novembre
2020, Openbaar Ministerie (Faux en écritures), C‑510/19, EU:C:2020:953,
point 25 et jurisprudence citée].
116 Il
s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une
présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question
préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il
apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de
l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal,
lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne
dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon
utile aux questions qui lui sont posées [arrêt du 24 novembre 2020,
Openbaar Ministerie (Faux en écritures), C‑510/19, EU:C:2020:953,
point 26 et jurisprudence citée].
117 En
particulier, comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE,
la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire »
pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement »
dans l’affaire dont elle se trouve saisie. Ainsi, la procédure préjudicielle
présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les
juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une
décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel [arrêt du
24 novembre 2020, Openbaar Ministerie (Faux en écritures), C‑510/19,
EU:C:2020:953, point 27 et jurisprudence citée].
118 En
l’occurrence, il découle sans équivoque de la décision de renvoi que la
juridiction nationale considère qu’une décision préjudicielle est nécessaire
pour qu’elle puisse statuer in limine litis sur l’exception de procédure
soulevée par le Forum des juges de Roumanie, tirée de ce que M. Netejoru,
signataire du mémoire en défense, n’a pas justifié de sa qualité de
représentant de l’Inspection judiciaire. Cette juridiction expose en effet
qu’il lui appartient, en application notamment de l’article 248,
paragraphe 1, du code de procédure civile, de se prononcer d’abord sur
cette exception, dans la mesure où, si celle-ci était accueillie, il
conviendrait d’écarter du dossier ce mémoire en défense ainsi que les preuves
et les exceptions invoquées par l’Inspection judiciaire.
119 Il
s’ensuit que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union répond à un besoin
objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre.
120 Par
ailleurs, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général au
point 95 de ses conclusions dans les affaires C‑83/19, C‑127/19,
C‑195/19, C–291/19 et C‑355/19, cette interprétation demeure
nécessaire nonobstant le fait que M. Netejoru a été entretemps nommé aux
fonctions d’inspecteur en chef de l’Inspection judiciaire par le Conseil
supérieur de la magistrature. En effet, d’une part,
aucun élément du dossier dont dispose la Cour n’indique que l’exception
procédurale soulevée dans l’affaire au principal ou la procédure au principal
elle–même aurait perdu son objet. D’autre part, alors que la capacité de
l’intéressé à représenter légalement l’Inspection judiciaire doit, en vertu du
droit national applicable, tel qu’exposé par la juridiction de renvoi, être
appréciée à la date de dépôt du mémoire en défense, il
est constant que cette nomination a eu lieu postérieurement à cette date. Dans
ces conditions, les interrogations soulevées par la Commission quant à la
persistance de la pertinence des questions posées en raison de cette nomination ultérieure ne sont pas de nature à remettre en
cause la présomption de pertinence dont bénéficient lesdites questions ni,
partant, à conduire à un non-lieu à statuer sur ces questions.
121 Il
résulte de ce qui précède que la demande de décision préjudicielle dans
l’affaire C‑83/19 est recevable et qu’il y a lieu de statuer sur
celle-ci.
Affaires C‑127/19
et C‑355/19
122 Le
Conseil supérieur de la magistrature soutient que la
demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑127/19 est irrecevable,
notamment en raison du fait que la décision 2006/928 ne constitue pas un acte
législatif de l’Union ayant force obligatoire pour la Roumanie et susceptible
d’être soumis à l’interprétation de la Cour au titre de
l’article 267 TFUE. En tout état de cause, les questions posées dans
cette affaire auraient trait non pas à l’application uniforme d’une disposition
du droit de l’Union, mais à l’applicabilité au litige au principal des
dispositions de ce droit visées par lesdites questions et ne pourraient, ainsi
formulées, faire l’objet d’une demande de décision préjudicielle.
123 Pour sa
part, le gouvernement roumain considère que les première à troisième questions
posées dans l’affaire C‑127/19 et l’ensemble des questions posées dans
l’affaire C‑355/19 sont irrecevables, faute pour les juridictions de
renvoi d’avoir établi un lien entre ces questions et les litiges au principal.
L’interprétation sollicitée n’aurait donc pas de rapport avec la réalité ou
l’objet de ces litiges.
124 En
premier lieu, il convient de relever que les considérations du Conseil
supérieur de la magistrature exposées au point 122 du
présent arrêt et relatives à la nature et aux effets de la décision 2006/928
ainsi qu’à l’applicabilité de cette décision dans le contexte du litige au
principal relèvent, en réalité, de l’examen au fond des questions posées dans
l’affaire C‑127/19 et non de celui de la recevabilité de ces questions.
125 S’agissant,
en second lieu, des objections du gouvernement roumain, il suffit de relever que
les litiges au principal dans les affaires C‑127/19 et C‑355/19
portent sur la légalité, respectivement, de deux décisions du Conseil supérieur
de la magistrature et d’un arrêté du Procureur général visant à mettre en œuvre
certaines des modifications issues de la loi no 207/2018, dont
la compatibilité avec le droit de l’Union, plus particulièrement avec la
décision 2006/928, avec l’article 2, l’article 4, paragraphe 3,
l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ainsi qu’avec
l’article 47 de la Charte, est contestée devant les juridictions de
renvoi. Ainsi, compte tenu des indications fournies à cet effet par lesdites
juridictions, il ne saurait être considéré que les questions posées dans ces
affaires ne présentent manifestement pas de rapport avec la réalité ou l’objet
des litiges au principal.
126 Dans ces
conditions, les demandes de décision préjudicielle dans les affaires C‑127/19
et C‑355/19 sont recevables.
Affaires C‑195/19 et
C‑291/19
127 Le
gouvernement roumain allègue l’irrecevabilité des questions posées dans les
affaires C‑195/19 et C‑291/19, en faisant valoir que les
juridictions de renvoi n’ont pas établi l’existence d’un lien entre les
questions posées et les procédures au principal. S’agissant, en particulier, de
la référence à l’article 9, première phrase, TUE et à
l’article 67, paragraphe 1, TFUE, figurant dans la deuxième question
posée dans l’affaire C‑195/19, le gouvernement roumain fait observer que
la demande de décision préjudicielle ne contient aucun élément expliquant en
quoi ces dispositions entretiendraient un quelconque rapport avec la réalité du
litige au principal. Quant à la troisième question posée dans cette même
affaire, il ajoute que cette question et, en particulier, les références à la
jurisprudence de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle)
et aux effets de celle-ci sont formulées de manière trop générale et n’ont
aucun rapport avec la réalité de ce litige.
128 À cet
égard, il convient de relever que les procédures en cause au principal dans les
affaires C‑195/19 et C‑291/19, relatives à la mise en cause de la
responsabilité pénale de juges et de procureurs, impliquent la participation de
procureurs de la SIIJ. Or, à la lumière des rapports et des avis visés au point
49 du présent arrêt, les juridictions de renvoi nourrissent des doutes quant à
la compatibilité de la réglementation relative à la création de la SIIJ avec
les dispositions du droit de l’Union visées par les questions préjudicielles.
En outre, il ressort des indications fournies par ces juridictions qu’il leur
appartient de statuer à titre incident sur cette question avant de pouvoir
décider de l’issue des recours dont elles sont saisies.
129 Il ne
saurait donc être considéré que les questions posées, dans la mesure où elles
portent sur la décision 2006/928, sur l’article 2, l’article 4,
paragraphe 3, et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE
ainsi que sur l’article 47 de la Charte, ne présentent pas de rapport avec
la réalité ou l’objet des litiges au principal ou qu’elles portent sur un
problème de nature hypothétique.
130 S’agissant,
en revanche, de la référence à l’article 9, première phrase, TUE et à
l’article 67, paragraphe 1, TFUE, figurant dans la deuxième question
posée dans l’affaire C‑195/19, la demande de décision préjudicielle ne
comporte aucun élément permettant de comprendre en quoi l’interprétation de ces
dispositions pourrait être utile à la juridiction de renvoi pour la solution du
litige au principal. Dans ces conditions, cette deuxième question est
irrecevable dans la mesure où elle porte sur l’article 9, première
phrase, TUE et l’article 67, paragraphe 1, TFUE.
131 En ce
qui concerne la recevabilité de la troisième question dans l’affaire C‑195/19,
il importe de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre les
juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il
appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui
permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans
cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les
questions qui lui sont soumises (arrêt du 14 mai 2020, Országos
Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU,
EU:C:2020:367, point 179 ainsi que jurisprudence citée). Ainsi, la
circonstance que la question en cause soit formulée, sur un plan formel, en des
termes généraux ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette
juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au
jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence
dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour
d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et
notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments de droit de
l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige
(voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao
Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 47
ainsi que jurisprudence citée).
132 En
l’occurrence, il suffit de relever que les précisions figurant dans la demande
de décision préjudicielle dans l’affaire C‑195/19 permettent de
comprendre la portée de la troisième question, par laquelle la juridiction de
renvoi cherche, en substance, à savoir si le principe de primauté du droit de
l’Union s’oppose à une disposition nationale de rang constitutionnel, telle
qu’interprétée par la Curtea Constituțională (Cour
constitutionnelle), en vertu de laquelle la juridiction de renvoi ne
disposerait pas du pouvoir d’appliquer les enseignements découlant de l’arrêt
de la Cour rendu dans la présente affaire et de laisser, le cas échéant,
inappliquée la réglementation nationale en cause au principal qui serait contraire
au droit de l’Union.
133 Or, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence
constante, l’article 267 TFUE confère aux juridictions nationales la
faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire
pendante devant elles soulève des questions exigeant une interprétation des
dispositions du droit de l’Union nécessaires au règlement du litige qui leur
est soumis (arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a., C‑234/17,
EU:C:2018:853, point 42). C’est ainsi, notamment, que la juridiction qui
ne statue pas en dernière instance doit être libre, si elle considère que
l’appréciation en droit effectuée par une juridiction de degré supérieur, même
de rang constitutionnel, pourrait l’amener à rendre un jugement contraire au
droit de l’Union, de saisir la Cour des questions qui la préoccupent (voir, en
ce sens, arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172,
point 52 et jurisprudence citée).
134 Dans ces
conditions, s’agissant de l’affaire C‑195/19, la première question, la deuxième
question en ce qu’elle vise l’article 2 TUE et la troisième question
sont recevables. Quant à l’affaire C‑291/19, l’ensemble des questions
posées sont recevables.
Affaire C‑397/19
135 Le
gouvernement roumain allègue l’irrecevabilité des trois premières questions
posées dans l’affaire C‑397/19, au motif qu’elles ne présentent
aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, dont les faits
ne relèvent pas du champ d’application du droit de l’Union. Il soutient à cet
égard que le lien entre ce litige et le MCV n’est qu’indirect de sorte qu’une
réponse à ces questions serait sans influence sur l’issue dudit litige.
S’agissant des quatrième à sixième questions, le gouvernement roumain fait
valoir que les dispositions du droit de l’Union visées par ces questions sont
également sans lien avec le litige au principal. Concernant, en particulier, la
sixième question, ce gouvernement considère que le problème juridique qu’elle
soulève dépasse l’objet de ce litige dès lors que la juridiction de renvoi est
saisie d’une action en responsabilité patrimoniale à l’encontre de l’État
roumain et non d’une action récursoire contre un juge. Quant à la septième
question, il considère que celle-ci est irrecevable, puisque les allégations y
figurant, outre qu’elles sont infondées, soulèvent un problème d’interprétation
hypothétique.
136 De son côté, la Commission expose ses doutes quant à la
recevabilité des première à sixième questions. En effet, si les modifications
apportées au régime de la responsabilité personnelle des juges et des
procureurs par la loi no 242/2018 ont été jugées
problématiques, en ce qui concerne leur conformité au droit de l’Union, par le
rapport MCV de novembre 2018 ainsi que par d’autres rapports et avis visés au
point 49 du présent arrêt, le litige au principal aurait pour objet
l’engagement de la responsabilité de l’État au titre d’une erreur judiciaire
alléguée, et non la mise en cause, dans le cadre d’une action récursoire, de la
responsabilité personnelle du juge à l’origine de cette erreur. Toutefois, lors
de l’audience, la Commission a précisé, à cet égard, que la recevabilité de ces
questions pourrait être admise pour autant que celles-ci soient reformulées
comme visant à ce qu’il soit procédé à un examen du régime de la responsabilité
pour erreur judiciaire dans son ensemble eu égard aux liens procéduraux
existant entre les deux procédures concernées et, en particulier, à la
circonstance que la première peut influencer l’issue de la seconde alors même
que le juge concerné n’est entendu qu’au stade de cette seconde procédure.
137 En
revanche, la Commission considère que la septième question est irrecevable.
Cette institution expose qu’il appartient, en principe, aux États membres de
déterminer les conditions dans lesquelles un recours peut être formé pour
contester la légalité d’une mesure de détention provisoire dans le cadre d’une
procédure pénale, afin d’obtenir réparation du préjudice subi, cet aspect
n’étant pas régi par le droit de l’Union. En outre, la juridiction de renvoi ne
fournirait pas la moindre explication permettant de mettre en doute la
conformité au droit de l’Union des dispositions des articles 539
et 541 du code de procédure pénale visées par cette septième question.
138 À cet
égard, s’agissant, tout d’abord, de la recevabilité des première à troisième
questions, relatives à la nature et à la portée du MCV
institué par la décision 2006/928, il suffit de constater que le régime de la
responsabilité personnelle des juges fait partie, comme l’a fait observer la
Commission, des lois régissant l’organisation de la justice en Roumanie et a
fait l’objet du suivi assuré à l’échelle de l’Union sur le fondement de ce
mécanisme. Il n’apparaît donc pas de manière manifeste que l’interprétation du
droit de l’Union visée par ces questions n’ait aucun rapport avec la réalité ou
l’objet du litige au principal.
139 Concernant,
ensuite, la recevabilité des quatrième à sixième questions, il convient de
rappeler que, selon la jurisprudence citée au point 131 du présent arrêt,
il appartient à la Cour, le cas échéant, d’extraire de l’ensemble des éléments
fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la
décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une
interprétation compte tenu de l’objet du litige.
140 Or, il
ressort du libellé de ces questions et des motifs y figurant que la juridiction
de renvoi éprouve des doutes quant à la conformité au droit de l’Union,
notamment à la valeur de l’État de droit et au principe d’indépendance des
juges, consacrés à l’article 2 et à l’article 19, paragraphe 1,
second alinéa, TUE, des règles nationales qui régissent la responsabilité
patrimoniale de l’État pour les préjudices causés par des erreurs judiciaires
ainsi que la responsabilité personnelle des juges dont l’exercice des fonctions
est à l’origine de ces erreurs, en raison, notamment, du caractère général et
abstrait de la définition de la notion d’« erreur judiciaire » et de
certaines modalités procédurales prévues.
141 À cet
égard, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’existence d’une
erreur judiciaire est établie de manière définitive dans le cadre d’une
procédure engagée à l’encontre de l’État, telle que celle en cause au
principal, à laquelle le juge dont l’exercice des fonctions est à l’origine de l’erreur judiciaire alléguée ne participe
pas. Dans le cas où il est constaté, à l’issue de
cette procédure, l’existence d’une erreur judiciaire, le ministère compétent
peut décider, selon les indications de la juridiction de renvoi, sur la seule
base de sa propre appréciation, d’engager ou non l’action récursoire à
l’encontre du juge concerné, celui-ci disposant alors d’une possibilité limitée
de s’opposer aux griefs soulevés par l’État.
142 Au
regard des liens substantiels et intrinsèques qui existent entre les règles
matérielles et procédurales régissant le régime de la responsabilité
patrimoniale de l’État et celles régissant le régime de la responsabilité
personnelle des juges, la juridiction de renvoi demande, en substance, par les
quatrième à sixième questions, si ces règles, prises dans leur ensemble, sont
susceptibles de porter atteinte aux principes du droit de l’Union dès le stade
de la procédure contre l’État, dans la mesure où le constat d’une erreur judiciaire
dans le cadre de cette procédure s’impose dans le cadre de la procédure contre
le juge en cause, alors que celui-ci n’a pas participé à la première procédure.
143 Dans ces
conditions, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation du
droit de l’Union visée par les quatrième à sixième questions n’ait aucun
rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ni que le problème
soulevé par ces questions soit de nature hypothétique.
144 Pour ce
qui est, enfin, de la recevabilité de la septième question, il convient de
relever que la demande de décision préjudicielle ne permet de comprendre ni la
portée exacte de cette question ni les raisons pour lesquelles la juridiction
de renvoi émet des doutes quant à la compatibilité des dispositions nationales
visées par ladite question avec l’article 2 TUE. La Cour ne disposant donc
pas des éléments nécessaires pour répondre à la septième question de manière
utile, celle-ci doit être déclarée irrecevable.
145 Il
s’ensuit que la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑397/19
est, à l’exception de la septième question, recevable.
Sur le
fond
146 Les
demandes de décision préjudicielle, en ce qu’elles sont recevables, portent :
– sur
la question de savoir si la décision 2006/928 et les rapports établis par la
Commission sur la base de cette décision constituent des actes pris par une
institution de l’Union, susceptibles d’être soumis à l’interprétation de la
Cour au titre de l’article 267 TFUE (première question dans les affaires
C‑83/19, C‑127/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19) ;
– sur
le point de savoir si la décision 2006/928 relève du champ d’application du
traité d’adhésion et, dans l’affirmative, sur les conséquences juridiques qui
en découlent pour la Roumanie (première question dans l’affaire C‑195/19,
deuxième question dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑291/19,
C‑355/19 et C‑397/19 ainsi que troisième question dans les affaires
C‑127/19, C‑291/19 et C‑397/19) ;
– sur
le point de savoir si les réglementations régissant l’organisation de la
justice en Roumanie relèvent du champ d’application de la décision 2006/928
(quatrième question dans l’affaire C‑83/19 et troisième question dans
l’affaire C‑355/19) ;
– sur
la conformité au droit de l’Union de la réglementation roumaine relative à la
nomination ad interim aux postes de direction de l’Inspection judiciaire
(troisième question dans l’affaire C‑83/19) ;
– sur
la conformité au droit de l’Union de la réglementation roumaine relative à la
création de la SIIJ (quatrième et cinquième questions dans l’affaire C‑127/19,
deuxième question dans l’affaire C‑195/19, quatrième et cinquième
questions dans l’affaire C‑291/19 ainsi que troisième et quatrième
questions dans l’affaire C‑355/19) ;
– sur
la conformité au droit de l’Union du régime roumain de la responsabilité
patrimoniale de l’État et de la responsabilité personnelle des juges en cas
d’erreur judiciaire (quatrième à sixième questions dans l’affaire C‑397/19) ;
– sur
le principe de primauté du droit de l’Union (troisième
question dans l’affaire C‑195/19).
Sur la
première question posée dans les affaires C‑83/19, C‑127/19,
C‑355/19, C‑291/19 et C‑397/19
147 Par leur
première question posée dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑291/19,
C‑355/19 et C‑397/19, qu’il convient d’examiner conjointement, les
juridictions de renvoi cherchent, en substance, à savoir si la décision
2006/928 ainsi que les rapports établis par la Commission sur la base de
celle-ci constituent des actes pris par une institution de l’Union,
susceptibles d’être interprétés par la Cour au titre de
l’article 267 TFUE.
148 À cet
égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante,
l’article 267 TFUE attribue à la Cour la compétence pour statuer, à
titre préjudiciel, sur la validité et l’interprétation des actes pris par les
institutions de l’Union, sans exception aucune [voir, en ce sens, arrêts du
13 juin 2017, Florescu e.a., C‑258/14, EU:C:2017:448, point 30,
ainsi que du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P,
EU:C:2018:79, point 44 et jurisprudence citée].
149 Or, la
décision 2006/928 est un acte adopté par une institution de l’Union, à savoir
la Commission, sur le fondement de l’acte d’adhésion, lequel relève du droit
primaire de l’Union, et constitue, plus particulièrement, une décision au sens
de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE. Quant aux rapports de la
Commission au Parlement européen et au Conseil, établis au titre du MCV
institué par cette décision, ils doivent également être regardés comme des
actes adoptés par une institution de l’Union, ayant pour base juridique le
droit de l’Union, à savoir l’article 2 de ladite décision.
150 Il
s’ensuit que la décision 2006/928 et les rapports de la Commission établis
sur la base de cette décision peuvent être soumis à l’interprétation de la Cour
au titre de l’article 267 TFUE, sans qu’il importe, à cette fin, de
savoir si ces actes sont revêtus, ou non, d’effets contraignants.
151 Il
convient donc de répondre à la première question posée dans les affaires C‑83/19,
C‑127/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19 que la
décision 2006/928 ainsi que les rapports établis par la Commission sur la base
de cette décision constituent des actes pris par une institution de l’Union,
susceptibles d’être interprétés par la Cour au titre de
l’article 267 TFUE.
Sur la
première question posée dans l’affaire C‑195/19, la deuxième
question posée dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑291/19,
C‑355/19 et C‑397/19 ainsi que la troisième question
posée dans les affaires C‑127/19, C‑291/19 et C‑397/19
152 Par la
première question posée dans l’affaire C‑195/19, la deuxième question
posée dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑291/19, C‑355/19
et C‑397/19 ainsi que la troisième question posée dans les affaires C‑127/19,
C‑291/19 et C‑397/19, qu’il convient d’examiner conjointement, les
juridictions de renvoi demandent, en substance, si les articles 2, 37 et
38 de l’acte d’adhésion, lus en combinaison avec les articles 2 et 49 TUE,
doivent être interprétés en ce sens que la décision 2006/928 relève, en ce qui
concerne sa nature juridique, son contenu et ses effets dans le temps, du champ
d’application du traité d’adhésion et, dans l’affirmative, quelles sont les
conséquences juridiques qui en découlent pour la Roumanie. En particulier, les
juridictions de renvoi s’interrogent sur le point de savoir si
et dans quelle mesure les exigences et les recommandations formulées dans les
rapports de la Commission adoptés sur le fondement de la décision 2006/928 sont
obligatoires pour la Roumanie.
– Sur
la nature juridique, le contenu et les effets dans le temps de la décision
2006/928
153 Ainsi
qu’il ressort de ses considérants 4 et 5, la décision 2006/928 a été adoptée,
dans le contexte de l’adhésion de la Roumanie à
l’Union, laquelle est intervenue le 1er janvier 2007, sur le
fondement des articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion.
154 Or, en
vertu de l’article 2, paragraphe 2, du traité d’adhésion, l’acte
d’adhésion, qui énonce les conditions de l’adhésion de la Roumanie à l’Union et fixe les adaptations des traités que cette
adhésion entraîne, fait partie intégrante de ce traité.
155 Ainsi,
la décision 2006/928 relève, en tant que mesure adoptée sur le fondement de
l’acte d’adhésion, du champ d’application du traité d’adhésion. La circonstance
que cette décision a été prise antérieurement à l’adhésion de la Roumanie à l’Union n’infirme pas cette conclusion, dans la mesure où
l’article 4, paragraphe 3, de ce traité, lequel a été signé le
25 avril 2005, a expressément habilité les institutions de l’Union à
adopter avant cette adhésion les mesures qui y sont énumérées, parmi lesquelles
figurent celles visées aux articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion.
156 S’agissant
de ces articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion, ceux-ci habilitent la
Commission à adopter des mesures appropriées en cas, respectivement, de risque
imminent de dysfonctionnement grave du marché intérieur lié au non-respect, par
la Roumanie, d’engagements pris dans le cadre des négociations d’adhésion et de
risque imminent de manquements graves de la Roumanie en ce qui concerne le
respect du droit de l’Union relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de
justice.
157 Or,
ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 134 et 135 de ses
conclusions dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19
et C‑355/19, la décision 2006/928 a été adoptée en raison de l’existence
de risques imminents de la nature de ceux visés aux articles 37 et 38 de
l’acte d’adhésion.
158 En
effet, comme il ressort du rapport de suivi de la Commission, du
26 septembre 2006, sur le degré de préparation à l’adhésion à l’Union
européenne de la Bulgarie et de la Roumanie [COM(2006) 549 final], auquel se
réfère le considérant 4 de la décision 2006/928, cette institution a constaté
la persistance en Roumanie de défaillances, notamment dans les domaines de la
justice et de la lutte contre la corruption, et a proposé au Conseil de
subordonner l’adhésion de cet État à l’Union à l’institution d’un mécanisme de
coopération et de vérification aux fins de faire face à ces défaillances. Ainsi
qu’il ressort notamment des considérants 4 et 6 de cette décision et comme l’a
souligné la Commission, ladite décision a institué le MCV et édicté les objectifs
de référence, visés à l’article 1er et à l’annexe de la
même décision, en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre
la corruption pour résoudre précisément lesdites défaillances et garantir la
capacité de ce système et des instances chargées de faire appliquer la loi à
mettre en œuvre et à appliquer les mesures adoptées pour contribuer au
fonctionnement du marché intérieur et de l’espace de liberté, de sécurité et de
justice.
159 À cet
égard, et comme l’énoncent les considérants 2 et 3 de la décision 2006/928, ce
marché et cet espace reposent sur la confiance réciproque entre les États
membres que leurs décisions et leurs pratiques administratives et judiciaires
respectent pleinement l’État de droit, cette condition impliquant l’existence,
dans tous les États membres, d’un système judiciaire et administratif
impartial, indépendant et efficace, doté de moyens suffisants, entre autres,
pour lutter contre la corruption.
160 Or,
l’article 49 TUE, qui prévoit la possibilité pour tout État européen de demander à devenir membre de l’Union, précise que celle-ci
regroupe des États qui ont librement et volontairement adhéré aux valeurs
communes actuellement visées à l’article 2 TUE, qui respectent ces
valeurs et qui s’engagent à les promouvoir. En particulier, il découle de
l’article 2 TUE que l’Union est fondée sur des valeurs, telles que
l’État de droit, qui sont communes aux États membres dans une société
caractérisée, notamment, par la justice. À cet égard, il convient de relever que
la confiance mutuelle entre les États membres et, notamment, leurs juridictions
est fondée sur la prémisse fondamentale selon laquelle les États membres
partagent une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée,
comme il est précisé à cet article (arrêt du
20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, points 61
et 62 ainsi que jurisprudence citée).
161 Ainsi,
le respect des valeurs visées à l’article 2 TUE constitue, comme
l’ont souligné la Commission ainsi que les gouvernements belge, danois et
suédois, une condition préalable à l’adhésion à l’Union de tout État européen
demandant à devenir membre de l’Union. C’est dans ce contexte que le MCV a été
institué par la décision 2006/928 afin que soit assuré le respect de la valeur
de l’État de droit en Roumanie.
162 Par
ailleurs, le respect par un État membre des valeurs consacrées à
l’article 2 TUE constitue une condition pour la jouissance de tous
les droits découlant de l’application des traités à cet État membre. Un État
membre ne saurait donc modifier sa législation de manière à entraîner une
régression de la protection de la valeur de l’État de droit, valeur qui est
concrétisée, notamment, par l’article 19 TUE. Les États membres sont
ainsi tenus de veiller à éviter toute régression, au regard de cette valeur, de
leur législation en matière d’organisation de la justice, en s’abstenant
d’adopter des règles qui viendraient porter atteinte à l’indépendance des juges
(arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311,
points 63 et 64 ainsi que jurisprudence citée).
163 Dans ce
contexte, il importe de relever que les actes pris, avant l’adhésion, par les
institutions de l’Union, au nombre desquels figure la décision 2006/928, lient
la Roumanie depuis la date de son adhésion à l’Union, en vertu de
l’article 2 de l’acte d’adhésion, et restent en vigueur, conformément à
l’article 2, paragraphe 3, du traité d’adhésion, jusqu’à leur
abrogation.
164 S’agissant
plus spécifiquement des mesures adoptées sur le fondement des articles 37
et 38 de l’acte d’adhésion, s’il est vrai que le premier alinéa de chacun de
ces articles a autorisé la Commission à adopter les mesures qu’ils visent
« pendant une période pouvant aller jusqu’à trois ans à compter de la date
d’adhésion », le second alinéa de chacun desdits articles a toutefois
expressément prévu que les mesures ainsi adoptées pourraient être appliquées
au-delà de ladite période tant que les engagements correspondants n’auraient
pas été remplis ou que les manquements constatés persisteraient, et qu’elles ne
seraient levées que lorsque l’engagement correspondant serait rempli ou le
manquement en cause corrigé. D’ailleurs, la décision 2006/928 précise
elle-même, à son considérant 9, qu’elle « sera
abrogée lorsque tous les objectifs de référence auront été atteints ».
165 La
décision 2006/928 relève donc, en ce qui concerne sa nature juridique, son
contenu et ses effets dans le temps, du champ d’application du traité
d’adhésion et continue à déployer ses effets tant qu’elle n’a pas été abrogée.
– Sur
les effets juridiques de la décision 2006/928 et des rapports de la Commission
établis sur la base de cette décision
166 Il y a
lieu de rappeler que l’article 288, quatrième alinéa, TFUE prévoit, à
l’instar de l’article 249, quatrième alinéa, CE, qu’une décision « est obligatoire dans tous ses éléments » pour
les destinataires qu’elle désigne.
167 Conformément
à son article 4, la décision 2006/928 a pour
destinataires l’ensemble des États membres, ce qui inclut la Roumanie à compter
de son adhésion. Cette décision présente par conséquent un caractère
contraignant dans tous ses éléments pour cet État membre dès son adhésion à
l’Union.
168 Ainsi,
ladite décision impose à la Roumanie l’obligation d’atteindre les objectifs de
référence figurant à son annexe et de faire chaque année, en vertu de son
article 1er, premier alinéa, rapport à la Commission sur les
progrès réalisés à cet égard.
169 S’agissant,
en particulier, de ces objectifs de référence, il convient d’ajouter que
ceux-ci ont été définis, ainsi qu’il ressort des points 158 à 162 du présent
arrêt, en raison des défaillances constatées par la Commission avant l’adhésion
de la Roumanie à l’Union dans les domaines, notamment, des réformes judiciaires
et de la lutte contre la corruption, et qu’ils visent à assurer le respect, par
cet État membre, de la valeur de l’État de droit énoncée à
l’article 2 TUE, condition pour la jouissance de tous les droits
découlant de l’application des traités audit État membre.
170 En
outre, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 152 de ses
conclusions dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19
et C‑355/19 et comme l’ont fait observer la Commission et le gouvernement
belge, lesdits objectifs de référence concrétisent les engagements spécifiques
contractés par la Roumanie et les exigences acceptées par celle‐ci lors
de la clôture des négociations d’adhésion le 14 décembre 2004, figurant à
l’annexe IX de l’acte d’adhésion, concernant notamment les domaines de la
justice et de la lutte contre la corruption.
171 Ainsi,
comme l’a souligné notamment la Commission et ainsi qu’il ressort des
considérants 4 et 6 de la décision 2006/928, la mise en place du MCV et la
fixation des objectifs de référence ont eu pour but de parachever l’adhésion de
la Roumanie à l’Union, afin de remédier aux
défaillances constatées par la Commission avant cette adhésion dans ces
domaines.
172 Il en
résulte que les objectifs de référence revêtent un caractère contraignant pour
la Roumanie, de sorte que cet État membre est soumis à l’obligation spécifique
d’atteindre ces objectifs et de prendre les mesures appropriées aux fins de la
réalisation de ceux-ci dans les meilleurs délais. De même, ledit État membre
est tenu de s’abstenir de mettre en œuvre toute mesure qui risquerait de
compromettre la réalisation de ces mêmes objectifs.
173 Quant
aux rapports établis par la Commission sur le fondement de la décision
2006/928, il convient de rappeler que, pour déterminer si un acte de l’Union
produit des effets obligatoires, il y a lieu de s’attacher à sa substance et
d’apprécier ses effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu de
cet acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce
dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (voir, en
ce sens, arrêt du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P,
EU:C:2018:79, point 32).
174 En
l’occurrence, il est vrai que les rapports établis sur
le fondement de la décision 2006/928 sont, en vertu de l’article 2,
premier alinéa, de celle-ci, adressés non pas à la Roumanie, mais au Parlement
et au Conseil. En outre, si ces rapports comportent une analyse de la situation
en Roumanie et formulent des exigences à l’égard de cet État membre, les
conclusions qui y figurent adressent des « recommandations »
audit État membre en s’appuyant sur ces exigences.
175 Il reste que ces rapports, ainsi qu’il ressort d’une lecture
combinée des articles 1er et 2 de ladite décision, sont
destinés à analyser et à évaluer les progrès réalisés par la Roumanie au regard
des objectifs de référence que cet État membre doit atteindre. S’agissant en
particulier des recommandations figurant dans ces rapports, celles-ci sont,
ainsi que l’a également fait observer la Commission, formulées en vue de la
réalisation de ces objectifs et afin de guider les réformes dudit État membre à
cet égard.
176 Sur ce
point, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la
Cour, il résulte du principe de coopération loyale, consacré à
l’article 4, paragraphe 3, TUE, que les États membres sont tenus de
prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du
droit de l’Union ainsi que d’effacer les conséquences illicites d’une violation
de ce droit, et qu’une telle obligation incombe, dans le cadre de ses
compétences, à chaque organe de l’État membre concerné [voir, en ce sens, arrêt
du 17 décembre 2020, Commission/Slovénie (Archives de la BCE), C‑316/19,
EU:C:2020:1030, points 119 et 124 ainsi que jurisprudence citée].
177 Dans ces
conditions, pour se conformer aux objectifs de référence énoncés à l’annexe de
la décision 2006/928, la Roumanie doit tenir dûment compte des exigences et des
recommandations formulées dans les rapports établis par la Commission au titre
de cette décision. En particulier, cet État membre ne saurait adopter ou
maintenir des mesures dans les domaines couverts par les objectifs de référence
qui risqueraient de compromettre le résultat qu’elles prescrivent. Dans le cas
où la Commission émet, dans un tel rapport, des doutes quant à la compatibilité
d’une mesure nationale avec l’un des objectifs de référence, il incombe à la
Roumanie de collaborer de bonne foi avec cette institution en vue de surmonter,
dans le plein respect de ces objectifs de référence et des dispositions des
traités, les difficultés rencontrées à l’égard de la réalisation desdits
objectifs de référence.
178 Eu égard
aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première
question posée dans l’affaire C‑195/19, à la deuxième question posée dans
les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19
ainsi qu’à la troisième question posée dans les affaires C‑127/19, C‑291/19
et C‑397/19 que les articles 2, 37 et 38 de l’acte d’adhésion, lus
en combinaison avec les articles 2 et 49 TUE, doivent être interprétés en
ce sens que la décision 2006/928 relève, en ce qui concerne sa nature
juridique, son contenu et ses effets dans le temps, du champ d’application du
traité d’adhésion. Cette décision est, aussi longtemps qu’elle n’a pas été
abrogée, obligatoire dans tous ses éléments pour la Roumanie. Les objectifs de
référence qui figurent à son annexe visent à assurer le respect, par cet État
membre, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE et
revêtent un caractère contraignant pour ledit État membre, en ce sens que ce
dernier est tenu de prendre les mesures appropriées aux fins de la réalisation
de ces objectifs, en tenant dûment compte, au titre du principe de coopération
loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, des rapports établis
par la Commission sur la base de ladite décision, en particulier des
recommandations formulées dans lesdits rapports.
Sur la
quatrième question posée dans l’affaire C‑83/19 et la troisième question
posée dans l’affaire C‑355/19
179 Par la
quatrième question posée dans l’affaire C‑83/19 et la troisième question
posée dans l’affaire C‑355/19, qu’il convient d’examiner conjointement,
les juridictions de renvoi demandent, en substance, si les réglementations
régissant l’organisation de la justice en Roumanie, telles que celles relatives
à la nomination ad interim aux postes de direction de l’Inspection judiciaire
et à l’institution de la SIIJ, relèvent du champ d’application de la décision 2006/928
et si elles doivent respecter les exigences découlant de la valeur de l’État de
droit, énoncée à l’article 2 TUE.
180 À cet
égard, il y a lieu de relever que la décision 2006/928
couvre, ainsi qu’il ressort de son considérant 6 et du libellé particulièrement
large des premier, troisième et quatrième objectifs de référence figurant en
annexe à celle-ci, et comme le confirme le rapport de la Commission visé au
point 158 du présent arrêt, le système judiciaire en Roumanie dans son ensemble
ainsi que la lutte contre la corruption dans cet État membre. À cet égard, au
point 3.1. de son rapport au Parlement européen et au Conseil, du
27 juin 2007, sur les progrès réalisés par la Roumanie en ce qui concerne
les mesures d’accompagnement depuis l’adhésion [COM(2007) 378 final], rapport
qui est visé à l’article 2 de cette décision, la Commission a constaté
que, dans la mesure où chacun des objectifs de référence contribuait à la mise
en place d’un système judiciaire et administratif indépendant et impartial,
ceux-ci devaient être considérés non pas séparément mais ensemble, comme
faisant partie intégrante de toute réforme du système judiciaire recherchée
ainsi que de la lutte contre la corruption tant que ces objectifs n’auraient
pas été atteints.
181 Or, en
l’occurrence, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général aux
points 178 et 250 de ses conclusions dans les affaires C‑83/19, C‑127/19,
C‑195/19, C‑291/19 et C‑355/19, les réglementations
nationales en cause au principal, issues des réformes intervenues au cours des
années 2018 et 2019, ont apporté des modifications aux différentes lois sur la
justice qui avaient été adoptées dans le cadre des négociations d’adhésion de
la Roumanie à l’Union en vue d’améliorer l’indépendance et l’efficacité du pouvoir
judiciaire et qui forment le cadre législatif régissant l’organisation du
système judiciaire dans cet État membre.
182 S’agissant,
plus particulièrement, de la réglementation nationale en cause dans l’affaire C‑83/19,
celle-ci porte sur la nomination ad interim aux postes de direction de
l’Inspection judiciaire, laquelle est un organisme doté de la personnalité
juridique au sein du Conseil supérieur de la magistrature dont la
responsabilité fait expressément l’objet du premier objectif de référence figurant
à l’annexe de la décision 2006/928, en tant que garantie d’un processus
judiciaire à la fois plus transparent et plus efficace. Cet organisme dispose
de compétences essentielles dans le cadre des procédures disciplinaires au sein
du pouvoir judiciaire ainsi que dans le cadre des procédures visant la
responsabilité personnelle des magistrats. Sa structure institutionnelle et son
activité, tout comme la réglementation en cause dans l’affaire C‑83/19,
ont d’ailleurs fait l’objet de rapports de la Commission établis en vertu de
l’article 2 de la décision 2006/928, notamment dans les années 2010, 2011
et 2017 à 2019.
183 Quant à
la réglementation nationale en cause dans les affaires C‑127/19, C‑195/19,
C‑291/19 et C‑355/19, celle-ci a trait à
la création de la SIIJ et aux modalités de désignation des procureurs devant y
exercer leurs fonctions. Or, comme l’a relevé M. l’avocat général aux
points 180 et 181 de ses conclusions dans ces affaires, la création d’une
telle section relève des premier, troisième et quatrième objectifs de référence
figurant à l’annexe de la décision 2006/928, relatifs à l’organisation du
système judiciaire et à la lutte contre la corruption,
et a, par ailleurs, fait l’objet des rapports de la Commission établis dans les
années 2018 et 2019 en vertu de l’article 2 de cette décision.
184 Il
s’ensuit que de telles réglementations relèvent du champ d’application de la
décision 2006/928 et que, ainsi qu’il ressort du point 178 du présent arrêt,
elles doivent respecter les exigences découlant du droit de l’Union et, en
particulier, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE.
185 Il
convient donc de répondre à la quatrième question posée dans l’affaire C‑83/19
et à la troisième question posée dans l’affaire C‑355/19 que les
réglementations régissant l’organisation de la justice en Roumanie, telles que
celles relatives à la nomination ad interim aux postes de direction de
l’Inspection judiciaire et à l’institution d’une section du ministère public
chargée des enquêtes sur les infractions commises au sein du système
judiciaire, relèvent du champ d’application de la décision 2006/928, de sorte
qu’elles doivent respecter les exigences découlant du droit de l’Union et, en
particulier, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE.
Sur la
troisième question posée dans l’affaire C‑83/19
186 Par sa
troisième question posée dans l’affaire C‑83/19, la juridiction de renvoi
demande, en substance, si l’article 2 et l’article 19,
paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent
être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale,
adoptée par le gouvernement d’un État membre, qui permet à ce dernier de
procéder à des nominations intérimaires aux postes de direction de l’organe
judiciaire chargé de mener des enquêtes disciplinaires et d’exercer l’action
disciplinaire à l’encontre des juges et des procureurs, sans que soit respectée
la procédure de nomination ordinaire prévue pour de tels postes par le droit national.
187 Ainsi
qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi
pose cette question en raison du fait que les missions dont est investi un
organe judiciaire tel que celui visé par la réglementation nationale en cause au
principal et, en particulier, l’étendue des compétences dont disposent, dans le
cadre de ces missions, les membres dirigeants de cet organe sont de nature à
soulever des interrogations au regard de l’exigence d’indépendance des juges.
188 À cet
égard, il importe de rappeler que l’article 19 TUE, qui concrétise la
valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie aux
juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine
application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la
protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit [arrêts du
25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du
système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586,
point 50 ; du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de
la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 47, ainsi que du
5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de
droit commun), C‑192/18, EU:C:2019:924, point 98].
189 L’existence
même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du
droit de l’Union est inhérente à un État de droit [arrêts du 27 février
2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117,
point 36, ainsi que du 25 juillet 2018, Minister for Justice and
Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU,
EU:C:2018:586, point 51].
190 À ce
titre, et ainsi que le prévoit l’article 19, paragraphe 1, second
alinéa, TUE, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de
recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à
une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le
droit de l’Union. Le principe de protection juridictionnelle effective des
droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, auquel se réfère
l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, constitue un principe
général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles
communes aux États membres, qui a été consacré aux articles 6 et 13 de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et qui est à présent affirmé à
l’article 47 de la Charte [arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a.
(Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18,
EU:C:2021:153, points 109 et 110 ainsi que jurisprudence citée].
191 Il
s’ensuit que tout État membre doit assurer que les instances relevant, en tant
que « juridiction », au sens défini par le droit de l’Union, de son
système de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union
satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective [arrêts du
27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16,
EU:C:2018:117, point 37, ainsi que du 25 juillet 2018, Minister for
Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU,
EU:C:2018:586, point 52].
192 Quant au
champ d’application matériel de l’article 19, paragraphe 1, second
alinéa, TUE, il y a lieu de rappeler que cette disposition vise les « domaines couverts par le droit de l’Union »,
indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre
ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte [arrêt
du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour
suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 111 ainsi
que jurisprudence citée].
193 Des
réglementations nationales, telles celles en cause au principal, s’appliquent à
la magistrature dans son ensemble et, donc, aux juges
de droit commun qui sont appelés, en cette qualité, à statuer sur des questions
liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union. Dans la mesure
où ces derniers relèvent ainsi, en tant que « juridictions »,
au sens défini par ce droit, du système roumain de voies de recours dans les
« domaines couverts par le droit de l’Union », au sens de
l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ils doivent
satisfaire aux exigences d’une protection juridictionnelle effective.
194 Or, il
importe de rappeler que, pour garantir que des instances qui peuvent être
appelées à statuer sur des questions liées à l’application ou à
l’interprétation du droit de l’Union soient à même d’assurer la protection
juridictionnelle effective requise par cette disposition, la préservation de
l’indépendance de celles-ci est primordiale, comme le confirme
l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui mentionne l’accès à
un tribunal « indépendant » parmi les exigences liées au droit
fondamental à un recours effectif [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021,
A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18,
EU:C:2021:153, point 115 ainsi que jurisprudence citée].
195 Cette
exigence d’indépendance des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger,
relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle
effective et du droit fondamental à un procès équitable, lequel revêt une
importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des
droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation
des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE,
notamment la valeur de l’État de droit. Conformément au principe de séparation
des pouvoirs qui caractérise le fonctionnement d’un État de droit,
l’indépendance des juridictions doit notamment être garantie à l’égard des
pouvoirs législatif et exécutif [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021,
A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18,
EU:C:2021:153, points 116 et 118 ainsi que jurisprudence citée].
196 Aux
termes d’une jurisprudence constante, les garanties d’indépendance et
d’impartialité requises en vertu du droit de l’Union postulent l’existence de
règles qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des
justiciables, quant à l’imperméabilité de l’instance en cause à l’égard
d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui
s’affrontent [voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2006, Wilson, C‑506/04,
EU:C:2006:587, point 53 et jurisprudence citée ; du 2 mars 2021,
A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18,
EU:C:2021:153, point 117, ainsi que du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19,
EU:C:2021:311, point 53].
197 À cet
égard, il importe que les juges se trouvent à l’abri d’interventions ou de
pressions extérieures susceptibles de mettre en péril leur indépendance. Les
règles applicables au statut des juges et à l’exercice de leur fonction de juge
doivent, en particulier, permettre d’exclure non seulement toute influence
directe, sous forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus
indirecte susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés, et
d’écarter ainsi une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de
ceux-ci qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit
inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit
[voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination
des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153,
points 119 et 139 ainsi que jurisprudence citée].
198 S’agissant
plus particulièrement des règles gouvernant le régime disciplinaire, l’exigence
d’indépendance impose, conformément à une jurisprudence constante, que ce
régime présente les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque
d’utilisation d’un tel régime en tant que système de contrôle politique du
contenu des décisions judiciaires. À cet égard, l’édiction de règles qui
définissent, notamment, tant les comportements constitutifs d’infractions
disciplinaires que les sanctions concrètement applicables, qui prévoient
l’intervention d’une instance indépendante conformément à une procédure
garantissant pleinement les droits consacrés aux articles 47 et 48 de la
Charte, notamment les droits de la défense, et qui consacrent la possibilité de
contester en justice les décisions des organes disciplinaires, constitue un
ensemble de garanties essentielles aux fins de la préservation de
l’indépendance du pouvoir judiciaire [arrêts du 25 juillet 2018, Minister
for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU,
EU:C:2018:586, point 67 ; du 24 juin 2019, Commission/Pologne
(Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531,
point 77, ainsi que du 5 novembre 2019, Commission/Pologne
(Indépendance des juridictions de droit commun), C‑192/18, EU:C:2019:924,
point 114].
199 En
outre, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 268
de ses conclusions dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19,
C‑291/19 et C‑355/19, la perspective d’ouverture d’une enquête
disciplinaire étant, en tant que telle, susceptible d’exercer une pression sur
ceux qui ont la tâche de juger, il est essentiel que l’organe compétent pour
conduire les enquêtes et exercer l’action disciplinaire agisse lors de
l’exercice de ses missions de manière objective et impartiale et qu’il soit, à
cet effet, à l’abri de toute influence extérieure.
200 Ainsi,
et dès lors que les personnes occupant les postes de direction au sein d’un tel
organe sont susceptibles d’exercer une influence déterminante sur l’activité de
celui-ci, les règles gouvernant la procédure de nomination à ces postes doivent
être conçues, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général au
point 269 de ses conclusions dans les affaires C‑83/19, C‑127/19,
C‑195/19, C‑291/19 et C‑355/19, de manière à ce qu’elles ne
puissent faire naître aucun doute légitime quant à l’utilisation des
prérogatives et des fonctions dudit organe comme instrument de pression sur
l’activité judiciaire ou de contrôle politique de cette activité.
201 C’est à
la juridiction de renvoi qu’il appartiendra, en dernière analyse, de se
prononcer à ce sujet après avoir procédé aux appréciations requises à cette
fin. Il importe, en effet, de rappeler que l’article 267 TFUE
habilite la Cour non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur
l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union.
Toutefois, conformément à une jurisprudence constante, la Cour peut, dans le
cadre de la coopération judiciaire instaurée à cet article 267 TFUE, à
partir des éléments du dossier, fournir à la juridiction nationale les éléments
d’interprétation du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles dans
l’appréciation des effets de telle ou telle disposition de celui-ci [arrêts du
19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre
disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18,
EU:C:2019:982, point 132, ainsi que du 2 mars 2021,
A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18,
EU:C:2021:153, point 96].
202 À cet
égard, il convient de relever que le seul fait que les dirigeants de l’organe
qui a pour mission d’effectuer des enquêtes disciplinaires et d’exercer
l’action disciplinaire à l’égard des juges et des procureurs sont nommés par le
gouvernement d’un État membre n’est pas de nature à faire naître des doutes
tels que ceux visés au point 200 du présent arrêt.
203 Il en va
de même de dispositions nationales qui prévoient que la suppléance d’un poste
de direction d’un tel organe est exercée, en cas de vacance de ce poste
consécutive à l’expiration du mandat en cause, par le dirigeant dont le mandat
a expiré, jusqu’à la date à laquelle ledit poste est
pourvu dans les conditions prévues par la loi.
204 Néanmoins,
il demeure nécessaire que les conditions de fond et les modalités procédurales
présidant à l’adoption des décisions de nomination de
ces dirigeants soient conçues de manière à satisfaire aux exigences rappelées
au point 199 du présent arrêt.
205 En
particulier, une réglementation nationale est susceptible d’engendrer des
doutes tels que ceux visés au point 200 du présent arrêt lorsqu’elle a, même à
titre provisoire, pour effet de permettre au gouvernement de l’État membre
concerné de procéder à des nominations aux postes de direction de l’organe qui
a pour mission d’effectuer les enquêtes disciplinaires et d’exercer l’action
disciplinaire à l’encontre des juges et des procureurs, en méconnaissance de la
procédure ordinaire de nomination prévue par le droit national.
206 Il
appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, en tenant compte de
l’ensemble des éléments pertinents du contexte juridico-factuel national, si la
réglementation nationale en cause au principal a eu pour effet de conférer au
gouvernement national un pouvoir direct de nomination pour ces postes et a pu
faire naître des doutes légitimes quant à l’utilisation des prérogatives et des
fonctions de l’Inspection judiciaire comme instrument de pression sur
l’activité des juges et des procureurs ou de contrôle politique de cette
activité.
207 Eu égard
aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième
question posée dans l’affaire C‑83/19 que l’article 2 et
l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision
2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une
réglementation nationale adoptée par le gouvernement d’un État membre, qui permet
à ce dernier de procéder à des nominations intérimaires aux postes de direction
de l’organe judiciaire chargé de mener des enquêtes disciplinaires et d’exercer
l’action disciplinaire à l’encontre des juges et des procureurs, sans que soit
respectée la procédure de nomination ordinaire prévue par le droit national,
lorsque cette réglementation est de nature à faire naître des doutes légitimes
quant à l’utilisation des prérogatives et des fonctions de cet organe comme
instrument de pression sur l’activité de ces juges et procureurs ou de contrôle
politique de cette activité.
Sur les
quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑127/19,
la deuxième question posée dans l’affaire C‑195/19, les quatrième
et cinquième questions posées dans l’affaire C‑291/19 ainsi que
les troisième et quatrième questions posées dans l’affaire C‑355/19
208 Par les
quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑127/19, la
deuxième question posée dans l’affaire C‑195/19, les quatrième et
cinquième questions posées dans l’affaire C‑291/19 ainsi que les
troisième et quatrième questions posées dans l’affaire C‑355/19, qu’il
convient d’examiner conjointement, les juridictions de renvoi demandent, en
substance, si l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second
alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens
qu’ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant la création d’une
section spécialisée du ministère public disposant d’une compétence exclusive
pour mener des enquêtes sur les infractions commises par les juges et les
procureurs.
209 Les
juridictions de renvoi considèrent que la création en Roumanie d’une telle
section, à savoir la SIIJ, à laquelle est attribuée cette compétence exclusive,
est susceptible d’exercer une pression sur les juges, incompatible avec les
garanties prévues à l’article 2 et à l’article 19, paragraphe 1,
second alinéa, TUE ainsi qu’à l’article 47 de la Charte. En outre, les
règles régissant la compétence et l’organisation de la SIIJ, les modalités de
son fonctionnement ainsi que la nomination et la
révocation des procureurs qui y sont assignés renforceraient cette crainte et
seraient, du reste, susceptibles d’entraver la lutte contre les infractions de
corruption. Enfin, eu égard au nombre limité de postes de procureurs au sein de
la SIIJ, celle-ci ne serait pas en mesure de traiter les affaires pendantes
devant elle dans un délai raisonnable.
210 À cet
égard, il doit être rappelé que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence
constante de la Cour visée au point 111 du présent arrêt, l’organisation de la
justice, en ce compris celle du ministère public, dans les États membres relève
de la compétence de ces derniers, dans le respect du droit de l’Union.
211 Ainsi,
il demeure essentiel, comme il a été indiqué aux
points 191, 194 et 195 du présent arrêt, que cette organisation soit conçue de
manière à assurer le respect des exigences découlant du droit de l’Union,
notamment de celle de l’indépendance des juridictions appelées à statuer sur
des questions liées à l’application ou à l’interprétation de ce droit, afin de
garantir aux justiciables la protection juridictionnelle effective de leurs
droits tirés dudit droit.
212 Conformément
à la jurisprudence visée aux points 196 et 197 du présent arrêt, le principe
d’indépendance des juges exige l’élaboration de règles permettant d’écarter
tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité
des juges à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier d’influences directes
ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif susceptibles d’orienter leurs
décisions, et d’exclure ainsi une absence d’apparence d’indépendance ou
d’impartialité de ces juges qui soit propre à porter atteinte à la confiance
que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et
un État de droit.
213 Lorsqu’un
État membre prévoit des règles spécifiques régissant les procédures pénales
contre des juges et des procureurs, telles que celles relatives à l’institution
d’une section spéciale du ministère public ayant la compétence exclusive pour
mener des enquêtes sur les infractions commises par les juges et les
procureurs, l’exigence d’indépendance impose, afin d’écarter, dans l’esprit des
justiciables, tout doute légitime tel que visé au point précédent, que ces
règles spécifiques soient justifiées par des impératifs objectifs et
vérifiables tenant à la bonne administration de la justice et que, à l’instar
des règles relatives à la responsabilité disciplinaire de ces juges et
procureurs, elles prévoient les garanties nécessaires assurant que ces
procédures pénales ne puissent pas être utilisées comme système de contrôle
politique de l’activité desdits juges et procureurs et qu’elles garantissent
pleinement les droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte.
214 De
telles règles spécifiques ne sauraient, en particulier, avoir pour effet
d’exposer aux éléments extérieurs visés au point 212 du présent arrêt les juges
et les procureurs en charge des affaires de corruption, ce sous peine de
méconnaître non seulement les exigences découlant de l’article 19,
paragraphe 1, second alinéa, TUE, mais également, en l’occurrence, les
obligations spécifiques incombant à la Roumanie en vertu de la décision
2006/928 en matière de lutte contre la corruption. Par ailleurs, elles ne
sauraient avoir pour conséquence de prolonger la durée des enquêtes concernant
les infractions de corruption ou d’affaiblir de quelque autre manière que ce
soit la lutte contre la corruption.
215 En
l’occurrence, premièrement, si le Conseil supérieur de la magistrature a
soutenu devant la Cour que la création de la SIIJ se justifiait par la
nécessité de protéger les juges et les procureurs contre des plaintes pénales
arbitraires, il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’exposé des motifs
de cette loi ne fait apparaître aucune justification liée à des impératifs
tirés de la bonne administration de la justice, ce qu’il appartient toutefois
aux juridictions de renvoi de vérifier, en tenant compte de l’ensemble des éléments
pertinents.
216 Deuxièmement,
une structure autonome au sein du ministère public, telle que la SIIJ, qui est
chargée d’enquêter sur les infractions commises par les juges et les
procureurs, en ce qu’elle pourrait, en fonction des règles régissant les
compétences, la composition et le fonctionnement d’une telle structure, ainsi
que du contexte national pertinent, être perçue comme visant à instituer un
instrument de pression et d’intimidation à l’égard des juges, et conduire ainsi
à une apparence d’absence d’indépendance ou d’impartialité de ces juges, est
susceptible de porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux
justiciables dans une société démocratique et un État de droit.
217 À cet
égard, il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’introduction auprès de
la SIIJ d’une plainte pénale contre un juge ou un procureur suffit pour que
celle-ci ouvre une procédure, y compris lorsque la plainte est introduite dans
le cadre d’une enquête pénale en cours concernant une personne autre qu’un juge
ou un procureur, cette dernière enquête étant alors transférée à la SIIJ,
quelle que soit la nature de l’infraction reprochée au magistrat et les preuves
invoquées contre lui. Même dans l’hypothèse où l’enquête en cours porte sur une
infraction qui relève de la compétence d’une autre section spécialisée du
ministère public, telle que la DNA, l’affaire est également transférée à la
SIIJ lorsqu’est mis en cause un juge ou un procureur. Enfin, la SIIJ peut
former des recours contre les décisions adoptées avant sa création ou retirer
un recours introduit par la DNA ou la DIICOT ou le Procureur général devant les
juridictions supérieures.
218 Selon
les indications fournies par les juridictions de renvoi, le système ainsi mis
en place permettrait que des plaintes soient introduites de manière abusive,
entre autres aux fins d’interférer dans des affaires sensibles en cours,
notamment des affaires complexes et médiatisées liées à la corruption de haut
niveau ou à la criminalité organisée, dès lors que, en cas de dépôt d’une telle
plainte, le dossier relèverait automatiquement de la
compétence de la SIIJ.
219 Il
ressort des éléments dont dispose la Cour et du rapport de la Commission au
Parlement européen et au Conseil, du 22 octobre 2019, sur les progrès
réalisés par la Roumanie au titre du mécanisme de coopération et de
vérification [COM(2019) 499 final, p. 5], que des exemples pratiques tirés
des activités de la SIIJ sont de nature à confirmer la réalisation du risque,
visé au point 216 du présent arrêt, que cette section s’apparente à un
instrument de pression politique et qu’elle exerce ses pouvoirs pour modifier
le déroulement de certaines enquêtes pénales ou de procédures judiciaires
concernant, entre autres, des faits de corruption de haut niveau d’une manière
suscitant des doutes quant à son objectivité, ce qu’il appartient aux
juridictions de renvoi d’apprécier, conformément à la jurisprudence rappelée au
point 201 de cet arrêt.
220 Dans ce
cadre, il appartient également à ces juridictions de vérifier si les règles
relatives à l’organisation et au fonctionnement de la SIIJ ainsi que celles
relatives à la nomination et à la révocation des
procureurs assignés à celle-ci ne sont pas, eu égard, notamment, aux
modifications qui leur ont été apportées par des ordonnances d’urgence
dérogeant à la procédure ordinaire prévue par le droit national, de nature à
rendre ladite section perméable aux influences extérieures.
221 Troisièmement,
s’agissant des droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte, il
importe, notamment, que les règles régissant l’organisation et le
fonctionnement d’une section spécialisée du ministère public, telle que la
SIIJ, soient conçues de manière à ne pas empêcher que la
cause des juges et des procureurs concernés puisse être entendue dans un
délai raisonnable.
222 Or, sous
réserve de vérification par les juridictions de renvoi, il ressort des
indications fournies par celles-ci que tel pourrait ne pas être le cas de la
SIIJ, notamment par l’effet conjugué du nombre apparemment considérablement
réduit de procureurs assignés à cette section, lesquels ne disposeraient en
outre ni des moyens ni de l’expertise nécessaires pour mener des enquêtes dans
des affaires complexes de corruption, et de la surcharge de travail découlant
pour ces procureurs du transfert de telles affaires depuis les sections
compétentes pour traiter celles-ci.
223 Eu égard
aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux quatrième et
cinquième questions posées dans l’affaire C‑127/19, à la deuxième
question posée dans l’affaire C‑195/19, aux quatrième et cinquième
questions posées dans l’affaire C‑291/19 ainsi qu’aux troisième et
quatrième questions posées dans l’affaire C‑355/19 que l’article 2
et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la
décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une
réglementation nationale prévoyant la création d’une section spécialisée du
ministère public disposant d’une compétence exclusive pour mener des enquêtes
sur les infractions commises par les juges et les procureurs, sans que la
création d’une telle section
– soit
justifiée par des impératifs objectifs et vérifiables tirés de la bonne
administration de la justice et
– soit
assortie de garanties spécifiques permettant, d’une part, d’écarter tout risque
que cette section soit utilisée comme un instrument de contrôle politique de
l’activité de ces juges et procureurs susceptible de porter atteinte à leur
indépendance et, d’autre part, d’assurer que cette compétence puisse être
exercée à l’égard de ces derniers dans le plein respect des exigences découlant
des articles 47 et 48 de la Charte.
Sur les
quatrième à sixième questions posées dans l’affaire C‑397/19
224 Par les
quatrième à sixième questions posées dans l’affaire C‑397/19, qu’il
convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en
substance, si l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second
alinéa, TUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une
réglementation nationale régissant la responsabilité patrimoniale de l’État et
la responsabilité personnelle des juges au titre des dommages causés par une
erreur judiciaire, dans le cas où cette réglementation,
– premièrement,
définit la notion d’« erreur judiciaire » en
des termes abstraits et généraux,
– deuxièmement,
prévoit que le constat de l’existence de l’erreur judiciaire, effectué dans le
cadre de la procédure visant à la mise en cause de la responsabilité patrimoniale
de l’État sans que le juge concerné ait été entendu, s’impose dans le cadre de
la procédure visant à la mise en cause de la responsabilité personnelle de
celui-ci,
– troisièmement,
attribue à un ministère la compétence pour ouvrir l’enquête destinée à vérifier
s’il y a lieu d’engager l’action récursoire contre le juge et pour exercer, sur
la base de sa propre appréciation, cette action récursoire.
225 À cet
égard, il convient d’emblée de relever que, selon la réglementation nationale en
cause au principal, l’existence d’une erreur judiciaire constitue l’une des
conditions à la fois de la responsabilité patrimoniale
de l’État et de la responsabilité personnelle du juge en cause. Au regard des
exigences découlant des principes de l’État de droit et, notamment, de la
garantie d’indépendance des juges, il convient d’examiner séparément le régime
permettant aux justiciables d’engager la responsabilité de l’État pour les
dommages qu’ils ont subis du fait d’une erreur judiciaire et le régime régissant
la responsabilité personnelle des juges en raison d’une telle erreur judiciaire
dans le cadre d’une action récursoire.
226 En ce
qui concerne, d’une part, la responsabilité de l’État pour des décisions
juridictionnelles contraires au droit de l’Union, la Cour a déjà jugé que la
possibilité de voir engagée, sous certaines conditions, cette responsabilité
n’apparaît pas comporter des risques particuliers de remise en cause de
l’indépendance d’une juridiction statuant en dernier ressort (arrêt du 30 septembre
2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 42).
227 Cette
appréciation est transposable, mutatis mutandis, à la possibilité de voir
engagée la responsabilité de l’État pour des décisions juridictionnelles qui
seraient, au regard du droit national, entachées d’une erreur judiciaire.
228 La
circonstance, mentionnée par la juridiction de renvoi, que les conditions de
fond relatives à l’engagement de la responsabilité de l’État, en particulier en
ce qui concerne la définition de la notion d’« erreur judiciaire »,
soient libellées dans la réglementation nationale en cause dans des termes
abstraits et généraux n’est pas non plus de nature, à elle seule, à mettre en
péril l’indépendance des juges, dès lors qu’une réglementation régissant cette
responsabilité doit, par sa nature même, prévoir, aux fins d’une telle
définition, des critères abstraits et généraux qui sont voués à être précisés
par la jurisprudence nationale.
229 En ce
qui concerne, d’autre part, la responsabilité personnelle des juges pour les
dommages résultant d’une erreur judiciaire de leur part, il convient de
souligner que ce régime de responsabilité relève de l’organisation de la
justice et, donc, de la compétence des États membres. En particulier, la
possibilité pour les autorités d’un État membre de mettre en cause, à travers
une action récursoire, cette responsabilité peut, selon le choix des États
membres, constituer un élément permettant de contribuer à la responsabilisation
et à l’efficacité du système judiciaire. Toutefois, dans l’exercice de cette
compétence, les États membres doivent respecter le droit de l’Union.
230 Partant,
et comme il a été rappelé aux points 191, 194 et 195 du présent arrêt, il
demeure essentiel que le régime de responsabilité personnelle des juges soit
conçu de manière à assurer le respect des exigences découlant du droit de
l’Union, notamment de celle d’indépendance des juridictions appelées à statuer
sur les questions liées à l’application ou à l’interprétation de ce droit, afin
de garantir aux justiciables la protection juridictionnelle effective requise à
l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.
231 Ainsi,
selon la jurisprudence visée aux points 196 et 197 du présent arrêt, le
principe d’indépendance des juges exige l’existence de garanties permettant
d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à
l’imperméabilité des juges à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier
d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif
susceptibles d’orienter leurs décisions, et d’exclure ainsi une absence
d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ces juges qui soit propre à
porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables
dans une société démocratique et un État de droit.
232 À cet
égard, la reconnaissance d’un principe de responsabilité personnelle des juges
pour les erreurs judiciaires qu’ils commettent comporte un risque d’ingérence
dans l’indépendance des juges en ce qu’elle est susceptible d’influer sur la
prise de décision par ceux qui ont pour tâche de juger.
233 Par
conséquent, il importe que la mise en cause, dans le cadre d’une action
récursoire, de la responsabilité personnelle d’un juge du fait d’une erreur
judiciaire soit limitée à des cas exceptionnels et encadrée par des critères
objectifs et vérifiables, tenant à des impératifs tirés de la bonne
administration de la justice, ainsi que par des garanties visant à éviter tout
risque de pressions extérieures sur le contenu des décisions judiciaires et à écarter
ainsi, dans l’esprit des justiciables, tout doute légitime tel que visé au
point 231 du présent arrêt.
234 À cet
effet, il est essentiel que soient prévues des règles
qui définissent de manière claire et précise, notamment, les comportements susceptibles
d’engager la responsabilité personnelle des juges, afin de garantir
l’indépendance inhérente à leur mission et d’éviter qu’ils soient exposés au
risque que leur responsabilité personnelle puisse être engagée du seul fait de
leur décision. Si, comme l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux
points 95 et 100 de ses conclusions dans l’affaire C‑397/19, la
garantie d’indépendance n’exige pas qu’il soit conféré aux juges une immunité
absolue pour les actes pris dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires,
leur responsabilité personnelle ne saurait néanmoins être engagée pour des
dommages causés dans l’exercice de leurs fonctions que dans des cas
exceptionnels, dans lesquels leur culpabilité individuelle grave a été établie.
À cet égard, le fait qu’une décision comporte une erreur judiciaire ne saurait,
à elle seule, suffire pour engager la responsabilité
personnelle du juge concerné.
235 S’agissant
des modalités afférentes à la mise en cause de la responsabilité personnelle
des juges dans le cadre d’une action récursoire, la réglementation nationale
doit prévoir de manière claire et précise les garanties nécessaires assurant
que ni l’enquête destinée à vérifier l’existence des conditions et des
circonstances susceptibles d’engager cette responsabilité ni l’action
récursoire n’apparaissent comme pouvant se muer en instruments de pression sur
l’activité juridictionnelle.
236 Afin
d’éviter que de telles modalités puissent déployer un effet dissuasif à l’égard
des juges dans l’exercice de leur mission de juger en toute indépendance,
notamment dans des domaines sensibles tels que celui de la lutte contre la
corruption, il est essentiel, comme l’a relevé en substance la Commission, que
les autorités compétentes pour ouvrir et mener l’enquête destinée à vérifier
l’existence des conditions et des circonstances susceptibles d’engager la
responsabilité personnelle du juge ainsi que pour exercer l’action récursoire
soient elles-mêmes des autorités qui agissent lors de l’exercice de leurs
missions de manière objective et impartiale et que les conditions de fond et
les modalités procédurales présidant à l’exercice desdites compétences soient
telles qu’elles ne puissent pas faire naître des doutes légitimes quant à
l’impartialité de ces autorités.
237 De même,
il importe que les droits consacrés à l’article 47 de la Charte, notamment
les droits de la défense du juge, soient pleinement respectés et que l’instance
compétente pour statuer sur la responsabilité personnelle du juge soit une
juridiction.
238 En
l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si les
exigences visées aux points 233 à 237 du présent arrêt sont respectées, en
tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents.
239 Parmi
ces éléments revêt une importance particulière le fait que, en l’occurrence,
ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, l’existence d’une erreur
judiciaire est constatée de manière définitive dans le cadre de la procédure en
responsabilité engagée contre l’État et que ce constat s’impose dans le cadre
de la procédure initiée par l’action récursoire visant à mettre en cause la
responsabilité personnelle du juge concerné, et ce alors que ce dernier n’a pas
été entendu dans le cadre de la première procédure. Une telle règle est non seulement
de nature à créer un risque de pressions extérieures sur l’activité des juges,
mais est également susceptible de porter atteinte à leurs droits de la défense,
ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
240 S’agissant,
par ailleurs, des autorités compétentes pour ouvrir et mener la procédure
d’enquête destinée à vérifier l’existence des conditions et des circonstances
susceptibles d’engager la responsabilité personnelle du juge concerné et pour
exercer l’action récursoire contre lui, il ressort du dossier dont dispose la
Cour que, en vertu de la réglementation nationale en cause au principal, le
rapport établi à cette fin par l’Inspection judiciaire n’a pas d’effet
contraignant et qu’il revient, en définitive, au seul ministère des Finances
publiques de décider, sur la base de sa propre appréciation, si ces conditions
et ces circonstances sont remplies aux fins de l’exercice de cette action
récursoire. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, en tenant
compte de l’ensemble des éléments pertinents du contexte juridico-factuel
national, si de tels éléments, eu égard notamment à ce pouvoir d’appréciation,
sont de nature à permettre que ladite action récursoire soit utilisée comme
instrument de pression sur l’activité juridictionnelle.
241 Eu égard
aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux quatrième à
sixième questions posées dans l’affaire C‑397/19 que l’article 2 et
l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doivent être
interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale
régissant la responsabilité patrimoniale de l’État et la responsabilité
personnelle des juges au titre des dommages causés par une erreur judiciaire,
qui définit la notion d’« erreur judiciaire » en des termes généraux
et abstraits. En revanche, ces mêmes dispositions doivent être interprétées en
ce sens qu’elles s’opposent à une telle réglementation lorsqu’elle prévoit que
le constat de l’existence d’une erreur judiciaire, effectué dans le cadre de la
procédure visant à la mise en cause de la responsabilité patrimoniale de l’État
et sans que le juge concerné ait été entendu, s’impose dans le cadre de la
procédure subséquente liée à une action récursoire visant à la mise en cause de
la responsabilité personnelle de celui-ci et lorsqu’elle ne comporte pas, d’une
manière générale, les garanties nécessaires pour éviter qu’une telle action
récursoire soit utilisée comme instrument de pression sur l’activité
juridictionnelle et pour assurer le respect des droits de la défense du juge
concerné afin que se trouve écarté tout doute légitime, dans l’esprit des
justiciables, quant à l’imperméabilité des juges à l’égard d’éléments
extérieurs susceptibles d’orienter leurs décisions et exclue une absence
d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ces juges de nature à porter
atteinte à la confiance que la justice doit inspirer à ces mêmes justiciables
dans une société démocratique et un État de droit.
Sur la
troisième question posée dans l’affaire C‑195/19
242 Par sa
troisième question posée dans l’affaire C‑195/19, la juridiction de
renvoi demande, en substance, si le principe de primauté du droit de l’Union
doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation de rang
constitutionnel d’un État membre, telle qu’interprétée par la juridiction
constitutionnelle de celui-ci, selon laquelle une juridiction de rang inférieur
n’est pas autorisée à laisser inappliquée, de sa propre autorité, une
disposition nationale relevant du champ d’application de la décision 2006/928,
qu’elle considère, à la lumière d’un arrêt de la Cour, comme étant contraire à
cette décision ou à l’article 19, paragraphe 1, second
alinéa, TUE.
243 La
juridiction de renvoi précise que cette question est liée à une jurisprudence
récente de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle), selon
laquelle le droit de l’Union, notamment la décision 2006/928, ne peut prévaloir
sur le droit constitutionnel national. Selon la juridiction de renvoi, il
existe un risque que le droit constitutionnel ainsi interprété par la Curtea
Constituțională (Cour constitutionnelle) fasse échec à l’application
des enseignements découlant de l’arrêt de la Cour à
intervenir dans l’affaire C‑195/19.
244 Conformément
à une jurisprudence constante de la Cour, le principe
de primauté du droit de l’Union consacre la prééminence du droit de l’Union sur
le droit des États membres. Ce principe impose dès lors à toutes les instances
des États membres de donner leur plein effet aux différentes normes de l’Union,
le droit des États membres ne pouvant affecter l’effet reconnu à ces
différentes normes sur le territoire desdits États (arrêt du 6 octobre
2020, La Quadrature du Net e.a., C‑511/18, C‑512/18 et C‑520/18,
EU:C:2020:791, point 214 ainsi que jurisprudence citée).
245 Ainsi,
en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, le fait pour un État
membre d’invoquer des dispositions de droit national, fussent-elles d’ordre
constitutionnel, ne saurait porter atteinte à l’unité et à l’efficacité du
droit de l’Union. En effet, conformément à une jurisprudence bien établie, les
effets s’attachant au principe de primauté du droit de l’Union s’imposent à
l’ensemble des organes d’un État membre, sans, notamment, que les dispositions
internes afférentes à la répartition des compétences juridictionnelles, y
compris d’ordre constitutionnel, puissent y faire obstacle [voir, en ce sens,
arrêts du 26 février 2013, Melloni, C‑399/11, EU:C:2013:107,
point 59, ainsi que du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination
des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153,
point 148 et jurisprudence citée].
246 À cet
égard, il y a lieu, notamment, de rappeler que le principe d’interprétation
conforme du droit interne, en vertu duquel la juridiction nationale est tenue de
donner au droit interne, dans toute la mesure du possible, une interprétation
conforme aux exigences du droit de l’Union, est inhérent au système des
traités, en ce qu’il permet à la juridiction nationale d’assurer, dans le cadre
de ses compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elle
tranche le litige dont elle est saisie (arrêt du 24 juin 2019,
Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, point 55 et jurisprudence
citée).
247 C’est
également en vertu du principe de primauté que, à défaut de pouvoir procéder à
une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences du
droit de l’Union, le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa
compétence, les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’assurer le
plein effet de celles-ci en laissant au besoin inappliquée, de sa propre
autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même
postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de
celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (arrêt
du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C‑511/18, C‑512/18
et C‑520/18, EU:C:2020:791, point 215 ainsi que jurisprudence
citée).
248 À cet
égard, tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a, en tant
qu’organe d’un État membre, plus précisément l’obligation de laisser
inappliquée toute disposition nationale contraire à une disposition de droit de
l’Union qui est d’effet direct dans le litige dont il est saisi [arrêts du
24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530,
point 61, ainsi que du 19 novembre 2019, A. K. e.a.
(Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18,
C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 161].
249 En
l’occurrence, s’agissant de la décision 2006/928, laquelle est plus précisément
visée par les considérations de la Curtea Constituțională (Cour
constitutionnelle) auxquelles se réfère la juridiction de renvoi, celle-ci
impose à la Roumanie, ainsi qu’il a été relevé au point 172 du présent arrêt,
d’atteindre dans les meilleurs délais les objectifs de référence qu’elle
énonce. Dans la mesure où ces objectifs sont formulés en des termes clairs et
précis et ne sont assortis d’aucune condition, ils sont d’effet direct.
250 Par
ailleurs, étant donné que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa,
TUE met à la charge des États membres une obligation de résultat claire et
précise et qui n’est assortie d’aucune condition en ce qui concerne
l’indépendance devant caractériser les juridictions appelées à interpréter et à
appliquer le droit de l’Union [arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a.
(Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18,
EU:C:2021:153, point 146], la juridiction de renvoi est également tenue de
garantir, dans le cadre de ses compétences, au regard des considérations
figurant aux points 208 à 223 du présent arrêt, le plein effet de cette
disposition en laissant au besoin inappliquée toute disposition nationale
contraire à celle-ci.
251 Ainsi,
en cas de violation avérée de l’article 19, paragraphe 1,
second alinéa, TUE ou de la décision 2006/928, le
principe de primauté du droit de l’Union exige que la juridiction de
renvoi laisse inappliquées les dispositions en cause, que celles-ci soient
d’origine législative ou constitutionnelle [voir, en ce sens, arrêt du
2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour
suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 150 ainsi
que jurisprudence citée].
252 Eu égard
aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question
posée dans l’affaire C‑195/19 que le principe de primautédu droit de
l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation de
rang constitutionnel d’un État membre, telle qu’interprétée par la juridiction
constitutionnelle de celui-ci, selon laquelle une juridiction de rang inférieur
n’est pas autorisée à laisser inappliquée, de sa propre autorité, une
disposition nationale relevant du champ d’application de la décision 2006/928,
qu’elle considère, à la lumière d’un arrêt de la Cour, comme étant contraire à
cette décision ou à l’article 19, paragraphe 1, second
alinéa, TUE.
Sur
les dépens
253 La
procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un
incident soulevé devant les juridictions de renvoi, il appartient à celles-ci
de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à
la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un
remboursement.
Par ces
motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
1) La
décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un
mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la
Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en
matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption,
ainsi que les rapports établis par la Commission européenne sur la base de
cette décision constituent des actes pris par une institution de l’Union,
susceptibles d’être interprétés par la Cour au titre de l’article 267 TFUE.
2) Les
articles 2, 37 et 38 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union
européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations
des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne, lus en combinaison avec
les articles 2 et 49 TUE, doivent être interprétés en ce sens que la
décision 2006/928 relève, en ce qui concerne sa nature juridique, son contenu
et ses effets dans le temps, du champ d’application du traité entre les États
membres de l’Union européenne et la République de Bulgarie et la Roumanie,
relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union
européenne. Cette décision est, aussi longtemps qu’elle n’a pas été abrogée,
obligatoire dans tous ses éléments pour la Roumanie. Les objectifs de référence
qui figurent à son annexe visent à assurer le respect, par cet État membre, de
la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE et revêtent un
caractère contraignant pour ledit État membre, en ce sens que ce dernier est tenu
de prendre les mesures appropriées aux fins de la réalisation de ces objectifs,
en tenant dûment compte, au titre du principe de coopération loyale énoncé à
l’article 4, paragraphe 3, TUE, des rapports établis par la
Commission sur la base de ladite décision, en particulier des recommandations
formulées dans lesdits rapports.
3) Les
réglementations régissant l’organisation de la justice en Roumanie, telles que
celles relatives à la nomination ad interim aux postes de direction de
l’Inspection judiciaire et à l’institution d’une section du ministère public
chargée des enquêtes sur les infractions commises au sein du système
judiciaire, relèvent du champ d’application de la décision 2006/928, de sorte
qu’elles doivent respecter les exigences découlant du droit de l’Union et, en
particulier, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE.
4) L’article 2
et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la
décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une
réglementation nationale adoptée par le gouvernement d’un État membre, qui
permet à ce dernier de procéder à des nominations intérimaires aux postes de
direction de l’organe judiciaire chargé de mener des enquêtes disciplinaires et
d’exercer l’action disciplinaire à l’encontre des juges et des procureurs, sans
que soit respectée la procédure de nomination ordinaire prévue par le droit
national, lorsque cette réglementation est de nature à faire naître des doutes
légitimes quant à l’utilisation des prérogatives et des fonctions de cet organe
comme instrument de pression sur l’activité de ces juges et procureurs ou de
contrôle politique de cette activité.
5) L’article 2
et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la
décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une
réglementation nationale prévoyant la création d’une section spécialisée du
ministère public disposant d’une compétence exclusive pour mener des enquêtes
sur les infractions commises par les juges et les procureurs, sans que la
création d’une telle section
– soit
justifiée par des impératifs objectifs et vérifiables tirés de la bonne
administration de la justice et
– soit
assortie de garanties spécifiques permettant, d’une part, d’écarter tout risque
que cette section soit utilisée comme un instrument de contrôle politique de
l’activité de ces juges et procureurs susceptible de porter atteinte à leur
indépendance et, d’autre part, d’assurer que cette compétence puisse être
exercée à l’égard de ces derniers dans le plein respect des exigences découlant
des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne.
6) L’article 2
et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doivent être
interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale
régissant la responsabilité patrimoniale de l’État et la responsabilité
personnelle des juges au titre des dommages causés par une erreur judiciaire,
qui définit la notion d’« erreur
judiciaire » en des termes généraux et abstraits. En revanche, ces mêmes
dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une
telle réglementation lorsqu’elle prévoit que le constat de l’existence d’une
erreur judiciaire, effectué dans le cadre de la procédure visant à la mise en
cause de la responsabilité patrimoniale de l’État et sans que le juge concerné
ait été entendu, s’impose dans le cadre de la procédure subséquente liée à une
action récursoire visant à la mise en cause de la responsabilité personnelle de
celui-ci et lorsqu’elle ne comporte pas, d’une manière générale, les garanties
nécessaires pour éviter qu’une telle action récursoire soit utilisée comme
instrument de pression sur l’activité juridictionnelle et pour assurer le
respect des droits de la défense du juge concerné afin que se trouve écarté
tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité
des juges à l’égard d’éléments extérieurs susceptibles d’orienter leurs
décisions et exclue une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de
ces juges de nature à porter atteinte à la confiance que la justice doit
inspirer à ces mêmes justiciables dans une société démocratique et un État de
droit.
7) Le
principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il
s’oppose à une réglementation de rang constitutionnel d’un État membre, telle
qu’interprétée par la juridiction constitutionnelle de celui-ci, selon laquelle
une juridiction de rang inférieur n’est pas autorisée à laisser inappliquée, de
sa propre autorité, une disposition nationale relevant du champ d’application
de la décision 2006/928, qu’elle considère, à la lumière d’un arrêt de la Cour,
comme étant contraire à cette décision ou à l’article 19,
paragraphe 1, second alinéa, TUE.
Signatures
* Langue de procédure : le roumain.