ARRÊT DE LA COUR (assemblée plénière)
16 février 2022 (*)
Table des matières
I. Le cadre juridique
A. Le règlement (CE) no 1049/2001
B. Le règlement intérieur du Conseil
C. Les consignes relatives au traitement des
documents internes du Conseil
D. Le règlement (UE, Euratom)
no 883/2013
E. Le règlement financier
II. Le règlement attaqué
III. Les conclusions des parties et la
procédure devant la Cour
IV. Sur la demande de ne pas prendre en
compte certains passages de la requête de la République de Pologne
A. Argumentation des parties
B. Appréciation de la Cour
V. Sur le recours
A. Sur les premier, deuxième, cinquième,
sixième et onzième moyens, tirés de l’incompétence de l’Union pour adopter le
règlement attaqué
1. Argumentation des parties
2. Appréciation de la Cour
a) Sur la base juridique du règlement attaqué
b) Sur le contournement de l’article 7 TUE et
de l’article 269 TFUE
B. Sur le troisième moyen, tiré de la
violation du protocole no 2
1. Argumentation des parties
2. Appréciation de la Cour
C. Sur le quatrième moyen, tiré de la
violation de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE
1. Argumentation des parties
2. Appréciation de la Cour
D. Sur le septième moyen, tiré de la
violation de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 4,
paragraphe 2, deuxième phrase, et de l’article 5, paragraphe 2,
TUE
1. Argumentation des parties
2. Appréciation de la Cour
E. Sur le huitième moyen, tiré de la
violation du principe d’égalité des États membres devant les traités et du
non-respect de leur identité nationale, prévus à l’article 4,
paragraphe 2, première phrase, TUE
1. Argumentation des parties
2. Appréciation de la Cour
F. Sur le neuvième moyen, tiré d’une
violation du principe de sécurité juridique
1. Argumentation des parties
2. Appréciation de la Cour
G. Sur le dixième moyen, tiré de la violation
du principe de proportionnalité
1. Argumentation des parties
2. Appréciation de la Cour
VI. Sur les dépens
« Recours en annulation – Règlement
(UE, Euratom) 2020/2092 – Régime général de conditionnalité pour la protection
du budget de l’Union européenne – Protection du budget de l’Union en cas
de violation des principes de l’État de droit dans un État membre – Base
juridique – Article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE – Article 311 TFUE –
Article 312 TFUE – Contournement allégué de
l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE – Violations
alléguées de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 5,
paragraphe 2, de l’article 13, paragraphe 2, TUE, de
l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, du protocole (no 2) sur
l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité ainsi que
des principes d’attribution, de sécurité juridique, de proportionnalité et
d’égalité des États membres devant les traités – Allégation d’un détournement
de pouvoir »
Dans l’affaire C‑157/21,
ayant pour objet un recours en annulation au titre de
l’article 263 TFUE, introduit le 11 mars 2021,
République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna et Mme S. Żyrek,
en qualité d’agents,
partie requérante,
soutenue par :
Hongrie, représentée par M. M. Z. Fehér et Mme M. M. Tátrai,
en qualité d’agents,
partie intervenante,
contre
Parlement européen, représenté par MM. R. Crowe, F. Drexler,
U. Rösslein et T. Lukácsi ainsi que par Mme A. Pospíšilová
Padowska, en qualité d’agents,
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. de Gregorio Merino,
E. Rebasti et A. Tamás ainsi que par Mme A. Sikora-Kalėda,
en qualité d’agents,
parties défenderesses,
soutenus par :
Royaume de Belgique, représenté par Mmes M. Jacobs,
C. Pochet et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,
Royaume de Danemark, représenté initialement par Mme M. Søndahl Wolff
et M. J. Nymann-Lindegren, puis par Mmes M. Søndahl Wolff
et V. Pasternak Jørgensen, en qualité d’agents,
République fédérale
d’Allemagne, représentée par
MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,
Irlande, représentée par Mmes M. Browne et
J. Quaney ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents,
assistés de M. D. Fennelly, BL,
Royaume d’Espagne, représenté initialement par M. J. Rodríguez de
la Rúa Puig et Mme S. Centeno Huerta, puis par
M. J. Rodríguez de la Rúa Puig et Mme A. Gavela
Llopis, en qualité d’agents,
République française, représentée par Mmes A.-L. Desjonquères
et A.–C. Drouant ainsi que par M. E. Leclerc, en qualité
d’agents,
Grand-Duché de
Luxembourg, représenté initialement par
MM. A. Germeaux et T. Uri, puis par M. A. Germeaux, en
qualité d’agents,
Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme M. K. Bulterman
et M. J. Langer, en qualité d’agents,
République de Finlande, représentée par Mme H. Leppo et
M. S. Hartikainen, en qualité d’agents,
Royaume de Suède, représenté par MM. O. Simonsson et
J. Lundberg ainsi que par Mmes C. Meyer-Seitz,
A. Runeskjöld, H. Shev, M. Salborn Hodgson, H. Eklinder et
R. Shahsavan Eriksson, en qualité d’agents,
Commission européenne, représentée par MM. D. Calleja Crespo,
J.–P. Keppenne et J. Baquero Cruz ainsi que par Mme K. Herrmann,
en qualité d’agents,
parties intervenantes,
LA COUR (assemblée plénière),
composée de M. K. Lenaerts, président,
M. L. Bay Larsen, vice‑président, M. A. Arabadjiev
(rapporteur), Mmes A. Prechal, K. Jürimäe,
MM. C. Lycourgos, E. Regan, S. Rodin, I. Jarukaitis,
N. Jääskinen, Mme I. Ziemele et
M. J. Passer, présidents de chambre, MM. M. Ilešič,
J.–C. Bonichot, M. Safjan, F. Biltgen, P. G. Xuereb,
N. Piçarra, Mme L. S. Rossi,
MM. A. Kumin, N. Wahl, D. Gratsias, Mme M. L. Arastey Sahún,
MM. M. Gavalec et Z. Csehi, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffiers : M. M. Aleksejev, chef d’unité, et
M. I. Illéssy, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 11
et 12 octobre 2021,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience
du 2 décembre 2021,
rend le présent
Arrêt
1 Par
sa requête, la République de Pologne demande à la Cour d’annuler le règlement
(UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du
16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la
protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433I, p. 1, et
rectificatif JO 2021, L 373, p. 94, ci-après le
« règlement attaqué »).
I. Le
cadre juridique
A. Le
règlement (CE) no 1049/2001
2 L’article 2
du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du
Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du
Parlement européen, du Conseil et de la Commission
(JO 2001, L 145, p. 43), prévoit, à son
paragraphe 1 :
« Tout citoyen de l’Union et toute
personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a
un droit d’accès aux documents des institutions, sous réserve des principes,
conditions et limites définis par le présent règlement. »
3 Aux
termes de l’article 4 de ce règlement :
« [...]
2. Les
institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation
porterait atteinte à la protection :
[...]
– des
procédures juridictionnelles et des avis juridiques,
[...]
à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la
divulgation du document visé.
3. L’accès
à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une
institution et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore
pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement
atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt
public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.
L’accès à un document contenant des avis
destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de
consultations préliminaires au sein de l’institution concernée est refusé même
après que la décision a été prise, dans le cas où la divulgation du document
porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution, à moins
qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.
[...]
5. Un État
membre peut demander à une institution de ne pas divulguer un document émanant
de cet État sans l’accord préalable de celui-ci.
6. Si une
partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs des
exceptions susvisées, les autres parties du document sont divulguées.
7. Les
exceptions visées aux paragraphes 1, 2 et 3 s’appliquent uniquement au
cours de la période durant laquelle la protection se justifie eu égard au
contenu du document. [...] »
4 L’article 5
dudit règlement dispose :
« Lorsqu’un État membre est saisi d’une
demande relative à un document en sa possession, émanant d’une institution, à
moins qu’il ne soit clair que le document doit ou ne doit pas être fourni,
l’État membre consulte l’institution concernée afin de prendre une décision ne
compromettant pas la réalisation des objectifs du présent règlement.
L’État membre peut, au lieu de cela,
soumettre la demande à l’institution. »
B. Le
règlement intérieur du Conseil
5 Le
1er décembre 2009, le Conseil de l’Union européenne a adopté la
décision 2009/937/UE, portant adoption de son règlement intérieur (JO 2009,
L 325, p. 35). L’article 6 de ce règlement intérieur (ci-après
le « règlement intérieur du Conseil »), intitulé « Secret
professionnel et production en justice de documents », prévoit, à son
paragraphe 2 :
« Le Conseil ou le [Comité des
représentants permanents des gouvernements des États membres (Coreper)] peut
autoriser la production en justice d’une copie ou d’un extrait des documents du
Conseil qui n’ont pas déjà été rendus accessibles au public conformément aux
dispositions relatives à l’accès du public aux documents. »
6 Aux
termes de l’article 10 dudit règlement intérieur, intitulé « Accès du
public aux documents du Conseil » :
« Les dispositions particulières
concernant l’accès du public aux documents du Conseil figurent à
l’annexe II. »
7 L’annexe II
du même règlement intérieur, intitulée « Dispositions particulières
concernant l’accès du public aux documents du Conseil », contient un
article 5, relatif aux « [d]emandes soumises par les États
membres », qui énonce :
« Lorsqu’un État membre soumet une
demande au Conseil, elle est traitée conformément aux articles 7 et 8 du
[règlement no 1049/2001] et aux dispositions pertinentes de la
présente annexe. Lorsque l’accès est totalement ou partiellement refusé, le
demandeur est informé de ce que toute demande confirmative doit être adressée
directement au Conseil. »
C. Les
consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil
8 Par
la note 7695/18, du 10 avril 2018, le Conseil a adopté des consignes
relatives au traitement des documents internes du Conseil. Les points 1,
2, 20 et 21 de ces consignes sont ainsi libellés :
« 1. Le présent document contient
des consignes relatives au traitement des documents non classifiés du Conseil
dont la diffusion est interne au Conseil, à ses membres, à la Commission, au
Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et, en fonction de leur objet,
à certaines autres institutions (par exemple, le Parlement européen, la Cour de
justice et la Banque centrale européenne) et organes de l’[Union européenne]
(par exemple, le Comité des régions et le Comité économique et social
européen). La divulgation publique inopportune de ces documents pourrait avoir
un effet préjudiciable sur les processus décisionnels au sein du Conseil.
2. Les consignes ont une incidence
directe sur le fonctionnement du Conseil et doivent par conséquent être
respectées par les États membres en tant que membres du Conseil, conformément
au principe de coopération loyale régissant les relations entre les
institutions de l’[Union] et les États membres.
[...]
20. Les documents “LIMITE” ne doivent
pas être rendus publics à moins qu’une décision n’ait été prise à cet effet par
des fonctionnaires du Conseil dûment habilités, par l’administration nationale
d’un État membre (voir point 21) ou, le cas échéant, par le Conseil,
conformément au [règlement no 1049/2001] et au règlement
intérieur du Conseil.
21. Les membres du personnel des
institutions ou organes de l’[Union] autres que le Conseil ne peuvent décider de rendre publics des documents “LIMITE”
sans avoir préalablement consulté le Secrétariat général du Conseil (SGC). Les
membres du personnel de l’administration nationale d’un État membre
consulteront le SGC avant de prendre une telle décision, sauf s’il est clair
que le document peut être rendu public, conformément à l’article 5 du
[règlement no 1049/2001]. »
D. Le
règlement (UE, Euratom) no 883/2013
9 L’article 2,
point 1, du règlement (UE, Euratom) no 883/2013 du
Parlement européen et du Conseil, du 11 septembre 2013, relatif aux
enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et
abrogeant le règlement (CE) no 1073/1999 du Parlement européen et
du Conseil et le règlement (Euratom) no 1074/1999 du Conseil
(JO 2013, L 248, p. 1), définit, aux fins de ce dernier, les
« intérêts financiers de l’Union » comme étant « les recettes,
dépenses et avoirs couverts par le budget de l’Union européenne, ainsi que ceux
qui sont couverts par le budget des institutions, organes et organismes, et les
budgets gérés et contrôlés par ceux-ci ».
E. Le
règlement financier
10 Aux
termes de l’article 2 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement
européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières
applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013,
(UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013,
(UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014,
(UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE,
et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012
(JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement
financier »), intitulé « Définitions » :
« Aux fins du présent règlement, on
entend par :
[...]
7. “exécution budgétaire” : la
réalisation des activités liées à la gestion, au suivi, au contrôle et à
l’audit des crédits budgétaires conformément aux modes prévus à
l’article 62 ;
[...]
19. “contrôle” : toute mesure prise
pour fournir des assurances raisonnables en ce qui concerne l’efficacité,
l’efficience et l’économie des opérations, la fiabilité de l’information, la
protection des actifs et de l’information, la prévention, la détection et la
correction de la fraude et des irrégularités ainsi que leur suivi et la gestion
appropriée des risques concernant la légalité et la régularité des transactions
sous-jacentes, en tenant compte du caractère pluriannuel des programmes et de
la nature des paiements concernés. Les contrôles peuvent donner lieu à
différentes vérifications ainsi qu’à la mise en œuvre de toutes politiques et
procédures destinées à réaliser les objectifs visés à la première phrase ;
[...]
42. “organisation d’un État
membre” : une entité établie dans un État membre sous la forme d’un
établissement de droit public, ou d’une entité de droit privé investie d’une
mission de service public et dotée de garanties financières suffisantes par
l’État membre ;
[...]
59. “bonne gestion financière” :
l’exécution du budget conformément aux principes d’économie, d’efficience et
d’efficacité ;
[...] »
11 L’article 56
de ce règlement, intitulé « Exécution budgétaire conformément au principe
de bonne gestion financière », prévoit :
« 1. La
Commission exécute le budget en recettes et en dépenses conformément au présent
règlement, sous sa propre responsabilité et dans la limite des crédits alloués.
2. Les
États membres coopèrent avec la Commission pour que les crédits soient utilisés
conformément au principe de bonne gestion financière. »
12 L’article 62
dudit règlement, intitulé « Modes d’exécution budgétaire », dispose,
à son paragraphe 1, premier alinéa :
« La Commission exécute le budget :
a) en mode direct (ci-après dénommé
“gestion directe”), comme prévu aux articles 125 à 153, dans ses services,
y compris par l’intermédiaire de son personnel dans les délégations de l’Union,
placé sous la responsabilité du chef de délégation concerné, conformément à
l’article 60, paragraphe 2, ou par l’intermédiaire des agences
exécutives visées à l’article 69 ;
b) en gestion partagée avec les États
membres (ci-après dénommée “gestion partagée”), comme prévu aux
articles 63 et 125 à 129 ;
c) en mode indirect (ci-après dénommé
“gestion indirecte”), comme prévu aux articles 125 à 149 et 154 à 159,
lorsque ce mode d’exécution est prévu dans l’acte de base ou dans les cas visés
à l’article 58, paragraphe 2, points a) à d), en confiant des tâches
d’exécution budgétaire :
[...] »
13 L’article 63
du même règlement, intitulé « Gestion partagée avec les États
membres », énonce, à son paragraphe 2 :
« Lorsqu’ils effectuent des tâches liées
à l’exécution budgétaire, les États membres prennent toutes les mesures
législatives, réglementaires et administratives qui sont nécessaires à la
protection des intérêts financiers de l’Union, à savoir :
a) veiller à ce que les actions
financées sur le budget soient correctement et effectivement exécutées,
conformément à la réglementation sectorielle applicable ;
b) désigner les organismes responsables
de la gestion et du contrôle des fonds de l’Union, conformément au
paragraphe 3, et superviser ces organismes ;
c) prévenir, détecter et corriger les
irrégularités et la fraude ;
d) coopérer, conformément au présent
règlement et à la réglementation sectorielle, avec la Commission, l’[Office européen de lutte antifraude (OLAF)], la [Cour des
comptes européenne] et, dans le cas des États membres participant à une
coopération renforcée en application du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil[,
du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant
la création du Parquet européen (JO 2017, L 283, p. 1)], avec le
Parquet européen.
Pour protéger les intérêts financiers de
l’Union, les États membres procèdent, dans le respect du principe de
proportionnalité et conformément au présent article et à la réglementation
sectorielle concernée, à des contrôles ex ante et ex post, y compris, le cas
échéant, des contrôles sur place sur des échantillons d’opérations
représentatifs et/ou fondés sur le risque. Ils récupèrent également les fonds
indûment versés et engagent des poursuites judiciaires si nécessaire à cet
égard.
Les États membres imposent des sanctions
effectives, dissuasives et proportionnées aux destinataires lorsque la
réglementation sectorielle ou des dispositions spécifiques du droit national le
prévoient.
Dans le cadre de son évaluation du risque et
conformément à la réglementation sectorielle, la Commission assure la
surveillance des systèmes de gestion et de contrôle établis dans les États
membres. Dans le cadre de ses audits, la Commission respecte le principe de
proportionnalité et tient compte du niveau de risque évalué conformément à la
réglementation sectorielle. »
14 L’article 135
du règlement financier, intitulé « Protection des intérêts financiers de
l’Union par la détection des risques, l’exclusion et l’imposition de sanctions
financières », dispose :
« 1. Afin
de protéger les intérêts financiers de l’Union, la Commission met en place et
exploite un système de détection rapide et d’exclusion.
L’objectif de ce système est de
faciliter :
a) la détection rapide des personnes ou
entités visées au paragraphe 2, qui constituent un risque pour les
intérêts financiers de l’Union ;
[...]
3. La
décision d’inscription d’informations concernant une détection rapide de
risques visés au paragraphe 1, deuxième alinéa, point a), du présent
article, d’exclusion de personnes ou d’entités visées au paragraphe 2
et/ou d’imposition d’une sanction financière à un destinataire est prise par
l’ordonnateur compétent. Les informations relatives à ces décisions sont
enregistrées dans la base de données visée à l’article 142,
paragraphe 1. Lorsque de telles décisions sont prises sur la base de
l’article 136, paragraphe 4, les informations enregistrées dans la
base de données comprennent les informations relatives aux personnes visées
audit paragraphe.
4. La
décision d’exclusion de personnes ou d’entités visées au paragraphe 2 du
présent article ou d’imposition d’une sanction financière à un destinataire se
fonde sur un jugement définitif ou, dans les situations d’exclusion visées à
l’article 136, paragraphe 1, sur une décision administrative
définitive, ou sur une qualification juridique préliminaire par l’instance
visée à l’article 143 dans les situations visées à l’article 136,
paragraphe 2, afin d’assurer une évaluation centralisée de ces situations.
Dans les cas visés à l’article 141, paragraphe 1, l’ordonnateur
compétent écarte un participant d’une procédure d’attribution déterminée.
Sans préjudice de l’article 136,
paragraphe 5, l’ordonnateur compétent ne peut prendre une décision
d’exclure un participant ou un destinataire et/ou d’imposer une sanction
financière à un destinataire et de publier les informations correspondantes que
sur la base d’une qualification préliminaire visée à l’article 136,
paragraphe 2, après avoir obtenu une recommandation de l’instance visée à
l’article 143. »
II. Le
règlement attaqué
15 Il
ressort des visas du règlement attaqué que celui-ci a été adopté sur le
fondement du « traité [FUE], et notamment [de] son article 322,
paragraphe 1, point a), » ainsi que du « traité [CEEA],
et notamment [de] son article 106 bis ».
16 Les
considérants 2, 3, 5 à 10, 12 à 19 et 26 du règlement attaqué énoncent :
« (2) Dans ses conclusions du
21 juillet 2020, le Conseil européen a déclaré que les intérêts financiers
de l’Union doivent être protégés conformément aux principes généraux inscrits
dans les traités, en particulier les valeurs énoncées à l’article 2 [TUE].
Il a également souligné l’importance que revêt la protection des intérêts
financiers de l’Union et l’importance que revêt le respect de l’État de droit.
(3) L’État de droit exige que toutes les
autorités publiques agissent dans les limites fixées par la loi, conformément
aux valeurs que sont la démocratie et le respect des droits fondamentaux,
consacrées dans la [charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
(ci-après la « Charte »] et d’autres instruments applicables, et sous
le contrôle de juridictions indépendantes et impartiales. Il requiert, en
particulier, que les principes de légalité ([arrêt du 29 avril 2004,
Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236,
point 63]), supposant l’existence d’un processus législatif transparent,
responsable, démocratique et pluraliste, de sécurité juridique ([arrêt du
12 novembre 1981, Meridionale Industria Salumi e.a., 212/80 à 217/80,
EU:C:1981:270, point 10]), d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir
exécutif ([arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et
227/88, EU:C:1989:337, point 19]), d’une protection juridictionnelle effective,
incluant l’accès à la justice, par des juridictions indépendantes et
impartiales ([arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes
Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, points 31, 40 et 41, ainsi que
du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du
système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, points 63 à
67]), et de séparation des pouvoirs ([arrêts du 22 décembre 2010, DEB, C‑279/09,
EU:C:2010:811, point 58 ; du 10 novembre 2016, Poltorak, C‑452/16 PPU,
EU:C:2016:858, point 35, et du 10 novembre 2016, Kovalkovas, C‑477/16 PPU,
EU:C:2016:861, point 36]) soient respectés ([Communication de la
Commission intitulée “Un nouveau cadre de l’[Union] pour renforcer l’[É]tat de
droit”, COM(2014) 158 final, annexe I]).
[...]
(5) Une fois qu’un pays candidat devient
un État membre, il adhère à une construction juridique qui repose sur la
prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les
autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de
valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à
l’article 2 [TUE]. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la
confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces
valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre
([avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 168]). Les droits et pratiques
des États membres devraient continuer de respecter les valeurs communes sur
lesquelles l’Union est fondée.
(6) S’il n’existe pas de hiérarchie
entre les valeurs de l’Union, le respect de l’État de droit est essentiel à la
protection des autres valeurs fondamentales sur lesquelles l’Union est fondée,
telles que la liberté, la démocratie, l’égalité et le respect des droits de
l’homme. Le respect de l’État de droit est intrinsèquement lié au respect de la
démocratie et des droits fondamentaux. Il ne peut y avoir de démocratie et de
respect des droits fondamentaux sans respect de l’État de droit, et
inversement.
(7) Chaque fois que les États membres
exécutent le budget de l’Union, y compris les ressources allouées par
l’intermédiaire de l’instrument de l’Union européenne pour la relance établi
par le règlement (UE) 2020/2094 [du Conseil, du 14 décembre 2020,
établissant un instrument de l’Union européenne pour la relance en vue de
soutenir la reprise à la suite de la crise liée à la COVID-19 (JO 2020,
L 433I, p. 23)], et au moyen de prêts et d’autres instruments
garantis par le budget de l’Union, et quelle que soit la méthode d’exécution
utilisée, le respect de l’État de droit est une condition essentielle au
respect des principes de la bonne gestion financière consacrés par
l’article 317 [TFUE].
(8) Les États membres ne peuvent
garantir une bonne gestion financière que si les autorités publiques agissent
en conformité avec le droit, si les cas de fraude, y compris la fraude fiscale,
l’évasion fiscale, la corruption, les conflits d’intérêts ou d’autres
violations du droit sont effectivement poursuivis par les services d’enquête et
de poursuites judiciaires, et si les décisions arbitraires ou illégales des
autorités publiques, y compris les autorités répressives, peuvent faire l’objet
d’un contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes et par
la Cour de justice de l’Union européenne.
(9) L’indépendance et l’impartialité du
pouvoir judiciaire devraient toujours être garanties et les services d’enquête
et de poursuites judiciaires devraient être en mesure de remplir correctement
leurs fonctions. Le pouvoir judiciaire et les services d’enquête et de
poursuites judiciaires devraient être dotés des ressources humaines et
financières suffisantes ainsi que de procédures leur permettant d’agir de
manière efficace et dans le strict respect du droit d’accéder à un tribunal
impartial, y compris le respect des droits de la défense. Les jugements
définitifs devraient être effectivement exécutés. Ces conditions sont requises
à titre de garantie minimale contre les décisions arbitraires et illégales
d’autorités publiques susceptibles de léser les intérêts financiers de l’Union.
(10) L’indépendance du pouvoir
judiciaire présuppose, notamment, que l’instance judiciaire concernée soit en
mesure d’exercer ses fonctions juridictionnelles, tant en vertu des règles
applicables que dans la pratique, en toute autonomie, sans être soumise à aucun
lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir
d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, et qu’elle soit
ainsi protégée d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de
porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer
leurs décisions. Les garanties d’indépendance et d’impartialité postulent
l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de
l’instance et la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes de récusation
et de révocation de ses membres, afin d’écarter tout doute légitime, dans
l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à
l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts en
présence.
[...]
(12) L’article 19 [TUE], qui
concrétise la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 [TUE],
impose aux États membres de prévoir une protection juridictionnelle effective
dans les domaines couverts par le droit de l’Union, y compris ceux concernant
l’exécution du budget de l’Union. L’existence même d’un contrôle juridictionnel
effectif destiné à assurer le respect du droit de l’Union est inhérente à
l’État de droit et exige des juridictions indépendantes ([arrêt du
27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16,
EU:C:2018:117, points 32 à 36]). La préservation
de l’indépendance des juridictions est primordiale, ainsi que le confirme
l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte ([arrêt du 27 février
2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, points 40 et 41]). Cette exigence vaut,
en particulier, pour le contrôle juridictionnel de la régularité des actes,
contrats ou autres instruments générateurs de dépenses ou de dettes publiques,
notamment dans le cadre des procédures de passation de marchés publics dont les
juridictions peuvent être également saisies.
(13) Il existe donc un lien manifeste
entre le respect de l’État de droit et la bonne exécution du budget de l’Union,
conformément aux principes de bonne gestion financière.
(14) L’Union a mis au point un éventail
d’instruments et de processus qui promeuvent l’État de droit et son
application, y compris un soutien financier en faveur des organisations de la
société civile, le mécanisme européen de protection de l’État de droit et le
tableau de bord de la justice dans l’[Union], et qui permettent aux
institutions de l’Union d’apporter une réponse efficace aux violations de
l’État de droit, au moyen de procédures d’infraction et de la procédure prévue
à l’article 7 [TUE]. Le mécanisme prévu dans le présent règlement complète
ces instruments en protégeant le budget de l’Union contre les violations des
principes de l’État de droit qui portent atteinte à sa bonne gestion financière
ou à la protection des intérêts financiers de l’Union.
(15) Les violations des principes de
l’État de droit, en particulier celles qui portent atteinte au bon
fonctionnement des autorités publiques et au caractère effectif du contrôle
juridictionnel, peuvent nuire gravement aux intérêts financiers de l’Union. Tel
est le cas des violations individuelles des principes de l’État de droit et
encore plus des violations qui sont répandues ou résultent de pratiques ou
d’omissions récurrentes des autorités publiques ou encore de mesures générales
adoptées par ces autorités.
(16) La détection de violations des
principes de l’État de droit requiert que la Commission procède à une
évaluation qualitative approfondie. Cette évaluation devrait être objective,
impartiale et équitable et prendre en compte des informations pertinentes
provenant de sources disponibles et d’institutions reconnues, parmi lesquelles
les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, les rapports de la Cour
des comptes, le rapport annuel de la Commission sur l’État de droit et le
tableau de bord de la justice dans l’[Union], les rapports de l’[OLAF] et du
Parquet européen, le cas échéant, ainsi que les conclusions et recommandations
formulées par les organisations et réseaux internationaux pertinents, y compris
les organes du Conseil de l’Europe, tels que le Groupe d’États contre la
corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe et la [Commission européenne pour la
démocratie par le droit (Commission de Venise)], en particulier sa liste des
critères de l’État de droit, le réseau européen des présidents des cours
suprêmes judiciaires et le réseau européen des conseils de la justice. La
Commission pourrait, au besoin, consulter l’Agence des droits fondamentaux de
l’Union européenne et la Commission de Venise afin de préparer une évaluation
qualitative approfondie.
(17) Des mesures au titre du présent
règlement sont nécessaires en particulier dans les cas où d’autres procédures
prévues par la législation de l’Union ne permettraient pas de protéger le
budget de l’Union d’une manière plus efficace. La législation financière de
l’Union et la réglementation sectorielle et financière applicable prévoient
divers moyens de protéger le budget de l’Union, y compris des interruptions,
des suspensions ou des corrections financières, en cas d’irrégularités ou
d’insuffisances graves dans les systèmes de gestion et de contrôle. Il convient
de définir les mesures à adopter en cas de violation des principes de l’État de
droit ainsi que la procédure à suivre pour leur adoption. Parmi ces mesures
devraient figurer la suspension des paiements et des engagements, la suspension
du décaissement des tranches ou le remboursement anticipé de prêts, une
réduction du financement au titre d’engagements existants et une interdiction
de contracter de nouveaux engagements avec des destinataires ou de conclure de
nouveaux accords relatifs à des prêts ou d’autres instruments garantis par le
budget de l’Union.
(18) Le principe de proportionnalité
devrait s’appliquer lors de la détermination des mesures à adopter, notamment
par la prise en considération de la gravité de la situation, du temps écoulé
depuis le début du comportement en cause, de la durée et de l’éventuel
caractère récurrent du comportement, de l’intention de l’État membre concerné
de mettre un terme aux violations des principes de l’État de droit et de son
degré de coopération en ce sens, ainsi que des effets sur la bonne gestion
financière du budget de l’Union ou les intérêts financiers de l’Union.
(19) Il est essentiel que les intérêts
légitimes des destinataires finaux et des bénéficiaires soient dûment préservés
lorsque des mesures sont adoptées en cas de violation des principes de l’État
de droit. Lorsqu’il est envisagé d’adopter des mesures, la Commission devrait
tenir compte de leur incidence potentielle sur les destinataires finaux et les
bénéficiaires. Compte tenu du fait que, dans le cadre de la gestion partagée,
les paiements de la Commission aux États membres sont juridiquement
indépendants des paiements effectués par les autorités nationales aux
bénéficiaires, les mesures appropriées adoptées au titre du présent règlement
ne devraient pas être considérées comme affectant la disponibilité de fonds aux
fins des paiements en faveur des bénéficiaires dans les délais de paiement
fixés par la réglementation sectorielle et financière applicable. Les décisions
adoptées en vertu du présent règlement et les obligations à l’égard des
destinataires finaux ou des bénéficiaires énoncées dans le présent règlement
font partie du droit de l’Union applicable en ce qui concerne l’exécution des
financements en gestion partagée. Les États membres concernés par les mesures
devraient régulièrement faire rapport à la Commission sur le respect de leurs
obligations à l’égard des destinataires finaux ou des bénéficiaires. Les
rapports sur le respect des obligations de paiement à l’égard des bénéficiaires
énoncées dans la réglementation sectorielle et financière applicable devraient
permettre à la Commission de vérifier que les décisions adoptées au titre du
présent règlement n’ont aucune incidence, directement ou indirectement, sur les
paiements à effectuer en vertu de la réglementation sectorielle et financière
applicable.
Pour renforcer la protection des destinataires finaux ou
des bénéficiaires, la Commission devrait fournir des informations et des
orientations par l’intermédiaire d’un site Internet ou d’un portail Internet,
ainsi que des outils adéquats permettant de l’informer de toute violation de
l’obligation légale qui incombe aux entités publiques et aux États membres de
continuer à effectuer les paiements après que des mesures ont été adoptées en
vertu du présent règlement. La Commission devrait assurer le suivi de ces
informations afin de vérifier si les règles applicables ont été respectées, en
particulier l’article 69, l’article 74, paragraphe 1, point b),
et l’article 104 du règlement (UE) 2021/1060 [du Parlement européen et du
Conseil, du 24 juin 2021, portant dispositions communes relatives au Fonds
européen de développement régional, au Fonds social européen plus, au Fonds de
cohésion, au Fonds pour une transition juste et au Fonds européen pour les
affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture, et établissant les règles
financières applicables à ces Fonds et au Fonds “Asile, migration et
intégration”, au Fonds pour la sécurité intérieure et à l’instrument de soutien
financier à la gestion des frontières et à la politique des visas (JO 2021,
L 231, p. 159)]. Si nécessaire, afin de veiller à ce que tout montant
dû par des entités publiques ou des États membres soit effectivement versé aux
destinataires finaux ou aux bénéficiaires, la Commission devrait recouvrer les
paiements effectués ou, selon le cas, procéder à une correction financière en
réduisant le soutien de l’Union à un programme conformément à la réglementation
sectorielle et financière applicable.
[...]
(26) La procédure d’adoption et de levée
des mesures devrait respecter les principes d’objectivité, de
non-discrimination et d’égalité de traitement des États membres, et devrait
être menée selon une approche non partisane et fondée sur des éléments
concrets. Si, exceptionnellement, l’État membre concerné estime qu’il existe de
graves violations de ces principes, il peut demander au président du Conseil
européen de saisir le prochain Conseil européen de la question. Dans de telles
circonstances exceptionnelles, aucune décision concernant les mesures ne
devrait être prise jusqu’à ce que le Conseil européen ait débattu de la
question. Ce processus ne devrait, en principe, pas durer plus de trois mois
après que la Commission a présenté sa proposition au Conseil. »
17 L’article 1er du
règlement attaqué dispose :
« Le présent règlement établit les
règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des
principes de l’État de droit dans un État membre. »
18 Aux
termes de l’article 2 de ce règlement :
« Aux fins du présent règlement, on
entend par :
a) “État de droit” : la valeur de
l’Union consacrée à l’article 2 [TUE]. Il recouvre le principe de
légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent,
responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que les principes de sécurité
juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection
juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des
juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les
droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et
d’égalité devant la loi. L’État de droit s’entend eu égard aux autres valeurs
et principes de l’Union consacrés à l’article 2 [TUE] ;
b) “entité publique” : une autorité
publique à tout niveau de gouvernement, incluant les autorités nationales,
régionales et locales, ainsi que les organisations d’un État membre au sens de
l’article 2, point 42, du règlement [financier]. »
19 L’article 3
du règlement attaqué, intitulé « Violations des principes de l’État de
droit », prévoit :
« Aux fins du présent règlement, peuvent
être indicatifs de violations des principes de l’État de droit :
a) la mise en péril de l’indépendance du
pouvoir judiciaire ;
b) le fait de ne pas prévenir, corriger
ou sanctionner les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques,
y compris des autorités répressives, la retenue de ressources financières et
humaines affectant leur bon fonctionnement ou le fait de ne pas veiller à
l’absence de conflits d’intérêts ;
c) la limitation de la disponibilité et
de l’effectivité des voies de recours, notamment sous l’effet de règles de
procédure restrictives et l’inexécution des décisions de justice, ou la
limitation de l’effectivité des enquêtes, des poursuites ou des sanctions
relatives à des violations du droit. »
20 L’article 4
de ce règlement, intitulé « Conditions d’adoption des mesures »,
énonce :
« 1. Des
mesures appropriées sont prises lorsqu’il est établi, conformément à
l’article 6, que des violations des principes de l’État de droit dans un
État membre portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte
à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des
intérêts financiers de l’Union, d’une manière suffisamment directe.
2. Aux
fins du présent règlement, les violations des principes de l’État de droit
concernent un ou plusieurs des points suivants :
a) le bon fonctionnement des autorités
exécutant le budget de l’Union, y compris des prêts et d’autres instruments
garantis par le budget de l’Union, en particulier dans le contexte de
procédures de passation de marchés publics ou d’octroi de subventions ;
b) le bon fonctionnement des autorités
chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financiers, ainsi que le bon
fonctionnement de systèmes efficaces et transparents de gestion et de
responsabilité financières ;
c) le bon fonctionnement des services
d’enquête et de poursuites judiciaires dans le cadre des enquêtes et poursuites
relatives à la fraude, y compris la fraude fiscale, à la corruption ou à
d’autres violations du droit de l’Union concernant l’exécution du budget de
l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union ;
d) le contrôle juridictionnel effectif
par des juridictions indépendantes d’actes ou d’omissions des autorités
mentionnées aux points a), b) et c) ;
e) la prévention et la sanction de la
fraude, y compris la fraude fiscale, de la corruption ou d’autres violations du
droit de l’Union concernant l’exécution du budget de l’Union ou la protection
des intérêts financiers de l’Union, ainsi que l’imposition de sanctions
effectives et dissuasives aux destinataires par les juridictions nationales ou
par les autorités administratives ;
f) le recouvrement de fonds indûment
versés ;
g) la coopération effective et en temps
utile avec l’OLAF et, sous réserve de la participation de l’État membre
concerné, avec le Parquet européen à leurs enquêtes ou poursuites en vertu des
actes de l’Union applicables conformément au principe de coopération
loyale ;
h) d’autres situations ou comportements
des autorités qui sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de
l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union. »
21 L’article 5
dudit règlement, intitulé « Mesures de protection du budget de
l’Union », prévoit, à ses paragraphes 1 à 4 :
« 1. Pour
autant que les conditions énoncées à l’article 4 du présent règlement
soient remplies, une ou plusieurs des mesures appropriées suivantes peuvent
être adoptées conformément à la procédure prévue à l’article 6 du présent
règlement :
a) lorsque la Commission exécute le
budget de l’Union en gestion directe ou indirecte, en application de
l’article 62, paragraphe 1, points a) et c), du règlement financier,
et lorsqu’une entité publique est le destinataire :
i) une suspension des paiements ou de
l’exécution de l’engagement juridique ou une résiliation de l’engagement
juridique, conformément à l’article 131, paragraphe 3, du règlement
financier ;
ii) une interdiction de contracter de
nouveaux engagements juridiques ;
iii) une suspension du décaissement des
tranches, en tout ou partie, ou un remboursement anticipé de prêts garantis par
le budget de l’Union ;
iv) une suspension ou une réduction de
l’avantage économique découlant d’un instrument garanti par le budget de
l’Union ;
v) une interdiction de conclure de
nouveaux accords relatifs à des prêts ou d’autres instruments garantis par le
budget de l’Union ;
b) lorsque la Commission exécute le
budget de l’Union en gestion partagée avec les États membres conformément à
l’article 62, paragraphe 1, point b), du règlement financier :
i) une suspension de l’approbation d’un
ou de plusieurs programmes ou une modification de cette suspension ;
ii) une suspension des
engagements ;
iii) une réduction des engagements,
notamment au moyen de corrections financières ou de transferts vers d’autres
programmes de dépenses ;
iv) une réduction du
préfinancement ;
v) une interruption des délais de
paiement ;
vi) une suspension des paiements.
2. Sauf
disposition contraire de la décision portant adoption des mesures, l’imposition
de mesures appropriées est sans incidence sur les obligations des entités
publiques visées au paragraphe 1, point a), ou des États membres visés au
paragraphe 1, point b), d’exécuter le programme ou le fonds touché par la
mesure, et notamment les obligations qui leur incombent à l’égard des
destinataires finaux ou des bénéficiaires, y compris l’obligation d’effectuer
les paiements conformément au présent règlement et à la réglementation sectorielle
ou financière applicable. Lorsqu’ils exécutent des fonds de l’Union européenne
en gestion partagée, les États membres concernés par des mesures adoptées en
vertu du présent règlement font rapport à la Commission, tous les trois mois à
compter de l’adoption desdites mesures, sur la manière dont ils respectent ces
obligations.
La Commission vérifie si le droit applicable
a été respecté et, au besoin, prend toutes les mesures appropriées pour
protéger le budget de l’Union, conformément à la réglementation sectorielle et
financière.
3. Les
mesures prises sont proportionnées. Elles sont déterminées en fonction de
l’incidence réelle ou potentielle des violations des principes de l’État de
droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts
financiers de l’Union. La nature, la durée, la gravité et la portée des
violations des principes de l’État de droit sont dûment prises en compte. Les
mesures ciblent, dans la mesure du possible, les actions de l’Union auxquelles
les violations portent atteinte.
4. La
Commission fournit des informations et des orientations à l’intention des
destinataires finaux ou des bénéficiaires en ce qui concerne les obligations
des États membres visées au paragraphe 2 par l’intermédiaire d’un site
Internet ou d’un portail Internet. La Commission fournit également, sur le même
site Internet ou portail Internet, des outils adéquats permettant aux
destinataires finaux ou aux bénéficiaires de l’informer de toute violation de
ces obligations qui, selon ces destinataires finaux ou bénéficiaires, leur
porte directement atteinte. Le présent paragraphe s’applique de manière à
assurer la protection des personnes signalant des violations du droit de
l’Union, conformément aux principes énoncés dans la directive (UE) 2019/1937 du
Parlement européen et du Conseil[, du 23 octobre
2019, sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de
l’Union (JO 2019, L 305, p. 17)]. Les informations fournies par les
destinataires finaux ou les bénéficiaires conformément au présent paragraphe
sont accompagnées d’une preuve indiquant que le destinataire final ou le
bénéficiaire a introduit une plainte formelle auprès de l’autorité compétente
de l’État membre concerné. »
22 Aux
termes de l’article 6 du même règlement, intitulé
« Procédure » :
« 1. Lorsque
la Commission constate qu’il existe des motifs raisonnables de considérer que
les conditions énoncées à l’article 4 sont remplies, à moins qu’elle ne
considère que d’autres procédures prévues par la législation de l’Union lui
permettraient de protéger le budget de l’Union d’une manière plus efficace,
elle adresse une notification écrite à l’État membre concerné exposant les
éléments factuels et les motifs précis sur lesquels reposent ses constatations.
La Commission informe le Parlement européen et le Conseil sans tarder de cette
notification et de son contenu.
2. À la
lumière des informations reçues en application du paragraphe 1, le
Parlement européen peut inviter la Commission à prendre part à un dialogue
structuré sur ses constatations.
3. Lorsqu’elle
évalue si les conditions énoncées à l’article 4 sont remplies, la
Commission prend en compte des informations pertinentes provenant de sources
disponibles, y compris les décisions, conclusions et recommandations des
institutions de l’Union, d’autres organisations internationales pertinentes et
d’autres institutions reconnues.
4. La
Commission peut demander toute information supplémentaire dont elle a besoin
pour effectuer l’évaluation visée au paragraphe 3, tant avant qu’après
avoir adressé la notification écrite visée au paragraphe 1.
5. L’État
membre concerné fournit les informations nécessaires et peut formuler des
observations sur les constatations figurant dans la notification visée au paragraphe 1
dans un délai à fixer par la Commission, qui doit être d’au moins un mois et ne
pas excéder trois mois à compter de la date de la notification des
constatations. Dans ses observations, l’État membre peut proposer l’adoption de
mesures correctives pour répondre aux constatations exposées dans la
notification de la Commission.
6. La
Commission tient compte des informations reçues et des éventuelles observations
formulées par l’État membre concerné, ainsi que du caractère adéquat des
éventuelles mesures correctives proposées, lorsqu’elle décide de l’opportunité
de présenter une proposition de décision d’exécution arrêtant des mesures
appropriées. La Commission procède à son évaluation dans un délai indicatif
d’un mois à compter de la réception de toute information de la part de l’État
membre concerné ou de ses observations ou, à défaut d’information ou
d’observations, à compter de l’expiration du délai fixé conformément au
paragraphe 5 et, en tout état de cause, dans un délai raisonnable.
7. Lorsque
la Commission a l’intention de soumettre une proposition en vertu du
paragraphe 9, elle donne préalablement à l’État membre concerné la
possibilité de présenter ses observations, en particulier sur la
proportionnalité des mesures envisagées, dans un délai d’un mois.
8. Lorsqu’elle
évalue la proportionnalité des mesures à imposer, la Commission tient compte
des informations et orientations visées au paragraphe 3.
9. Lorsque
la Commission considère que les conditions énoncées à l’article 4 sont
remplies et que les mesures correctives proposées, le cas échéant, par l’État
membre au titre du paragraphe 5 ne répondent pas de manière satisfaisante
aux constatations figurant dans la notification de la Commission, elle présente
au Conseil, dans un délai d’un mois à compter de la réception des observations
de l’État membre, une proposition de décision d’exécution arrêtant les mesures
appropriées ou, dans le cas où aucune observation n’est présentée, sans retard injustifié
et, en tout état de cause, dans un délai d’un mois à compter du délai fixé au
paragraphe 7. La proposition indique les motifs précis et les éléments
concrets sur lesquels la Commission a fondé ses constatations.
10. Le
Conseil adopte la décision d’exécution visée au paragraphe 9 du présent
article dans un délai d’un mois à compter de la réception de la proposition de
la Commission. En cas de circonstances exceptionnelles, le délai pour
l’adoption de ladite décision d’exécution peut être prolongé de deux mois au
maximum. Pour faire en sorte qu’une décision soit prise en temps utile, la
Commission fait usage des droits qui lui sont conférés par l’article 237
[TFUE], lorsqu’elle le juge approprié.
11. Le
Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut modifier la proposition de la
Commission et adopter le texte modifié au moyen d’une décision
d’exécution. »
23 L’article 7
du règlement attaqué, intitulé « Levée des mesures », prévoit, à ses
paragraphes 1 et 2 :
« 1. L’État
membre concerné peut, à tout moment, adopter de nouvelles mesures correctives
et présenter à la Commission une notification écrite comprenant des éléments
visant à démontrer que les conditions énoncées à l’article 4 ne sont plus
remplies.
2. À la
demande de l’État membre concerné ou de sa propre initiative et, au plus tard,
après une période maximale d’un an suivant l’adoption des mesures par le
Conseil, la Commission réévalue la situation dans l’État membre concerné, en
tenant compte de tout élément présenté par celui-ci ainsi que de l’adéquation
de toutes nouvelles mesures correctives adoptées par l’État membre concerné.
Lorsque la Commission considère que les
conditions énoncées à l’article 4 ne sont plus remplies, elle présente au
Conseil une proposition de décision d’exécution levant les mesures adoptées.
Lorsque la Commission considère qu’il a été
remédié en partie à la situation ayant conduit à l’adoption des mesures, elle
présente au Conseil une proposition de décision d’exécution adaptant les
mesures adoptées.
Lorsque la Commission considère qu’il n’a pas
été remédié à la situation ayant conduit à l’adoption des mesures, elle adresse
une décision motivée à l’État membre concerné et en informe le Conseil.
Lorsque l’État membre concerné présente une
notification écrite en vertu du paragraphe 1, la Commission présente sa
proposition ou adopte sa décision d’exécution dans un délai d’un mois à compter
de la réception de cette notification. Ce délai peut être prolongé dans des
circonstances dûment justifiées, auquel cas la Commission informe sans tarder
l’État membre concerné des motifs de cette prolongation.
La procédure prévue à l’article 6,
paragraphes 3, 4, 5, 6, 9, 10 et 11, s’applique par analogie ainsi qu’il y
a lieu. »
III. Les conclusions des
parties et la procédure devant la Cour
24 La
République de Pologne demande à la Cour d’annuler le règlement attaqué et de
condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.
25 Le
Parlement et le Conseil demandent à la Cour de rejeter le recours et de
condamner la République de Pologne aux dépens.
26 Par
requête du 12 mai 2021, le Parlement a demandé que la présente affaire
soit soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 133 du règlement
de procédure de la Cour. À l’appui de cette demande, le Parlement a fait valoir
que l’adoption du règlement attaqué était une condition politique essentielle à
son approbation du règlement (UE, Euratom) 2020/2093 du Conseil, du
17 décembre 2020, fixant le cadre financier pluriannuel pour les années
2021 à 2027 (JO 2020, L 433I, p. 11, ci-après le « cadre
financier pluriannuel 2021-2027 ») et que, au vu de l’urgence économique,
les fonds disponibles au titre du plan de relance COVID-19 intitulé « Next
Generation EU » devront être mis à la disposition des États membres
dans des délais extrêmement brefs. Il a notamment précisé à cet égard que,
conformément à l’article 3, paragraphe 4, du règlement 2020/2094, au
moins 60 % des engagements juridiques devront être contractés au plus tard
le 31 décembre 2022 et que la totalité des engagements juridiques devra
l’être le 31 décembre 2023 au plus tard. Par ailleurs, le Parlement a
souligné que, à la suite de l’entrée en vigueur de la décision (UE, Euratom)
2020/2053 du Conseil, du 14 décembre 2020, relative au système des ressources
propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom (JO
2020, L 424, p. 1), la Commission lancera dès l’été 2022 ses emprunts
sur les marchés de capitaux pour financer le plan de relance précité. Selon le
Parlement, l’emprunt et la mise à disposition de fonds extrêmement importants,
dans des délais très brefs, entraîneront inévitablement des risques pour le
budget de l’Union que le règlement attaqué vise à protéger. Une telle
protection serait importante, car une incapacité à protéger de manière
effective ce budget risquerait d’entraîner des répercussions néfastes,
notamment pour la solidarité au sein de l’Union à long terme.
27 L’article 133,
paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande soit de
la partie requérante, soit de la partie défenderesse, le président de la Cour
peut, l’autre partie, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider
de soumettre une affaire à une procédure accélérée lorsque la nature de
l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.
28 En
l’occurrence, le 9 juin 2021, le président de la Cour a décidé, les autres
parties, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de faire droit à
cette demande. Cette décision a été motivée par l’importance fondamentale de la
présente affaire pour l’ordre juridique de l’Union, notamment dans la mesure où
elle a trait aux compétences de l’Union pour défendre son budget et ses
intérêts financiers contre des atteintes pouvant découler de violations des
valeurs que contient l’article 2 TUE.
29 Par
décision du président de la Cour du 25 juin 2021, le Royaume de Belgique,
le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le
Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le
Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la
Commission ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Parlement
et du Conseil.
30 Par
décision du président de la Cour du même jour, la Hongrie a été admise à
intervenir au soutien des conclusions de la République de Pologne.
31 Par
requête du 11 mai 2021, le Conseil a demandé à la Cour de ne pas prendre
en compte les passages de la requête de la République de Pologne et des annexes
de celle-ci faisant référence à l’avis no 13593/18 de son
service juridique, du 25 octobre 2018, concernant la proposition de
règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection du budget
de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’État de droit dans un État membre
[(COM/2018) 324 final), à l’origine du règlement attaqué (ci-après
l’« avis juridique no 13593/18 ») ou reproduisant le
contenu ou le raisonnement de cet avis juridique. Le 29 juin 2021, la Cour
a décidé de joindre cette demande au fond.
32 Le
7 septembre 2021, estimant que la présente affaire revêt une importance
exceptionnelle, la Cour a décidé, l’avocat général entendu, de renvoyer
l’affaire devant l’assemblée plénière, conformément à l’article 16,
dernier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
IV. Sur
la demande de ne pas prendre en compte certains passages de la requête de la
République de Pologne
A. Argumentation
des parties
33 À l’appui
de sa demande tendant à ce que ne soient pas pris en compte les points 53,
75, 126, 133 et 139 de la requête de la République de Pologne, en ce qu’ils
font référence à l’avis juridique no 13593/18, en reproduisent
le contenu ou en reflètent l’analyse, le Conseil fait valoir que cet avis
juridique constitue un document interne non classifié portant le marquage
« LIMITE ». Partant, il serait couvert par le secret professionnel et
sa production en justice serait subordonnée aux conditions prévues notamment à
l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil ainsi
qu’aux points 20 et 21 des consignes relatives au traitement des documents
internes du Conseil.
34 Selon
l’article 6, paragraphe 2, de ce règlement intérieur, seuls le
Conseil ou le Coreper peuvent autoriser la production en justice d’une copie ou
d’un extrait des documents du Conseil qui n’ont pas déjà été rendus accessibles
au public conformément aux dispositions du droit de l’Union relatives à l’accès
du public aux documents. Par ailleurs, conformément aux points 20 et 21 de
ces consignes, un document « LIMITE » ne doit pas être rendu public à
moins qu’une décision ne soit prise à cet effet par un fonctionnaire du Conseil
dûment habilité, par l’administration nationale d’un État membre, après
consultation du SGC, ou, le cas échéant, par le Conseil, conformément au
règlement no 1049/2001 et au règlement intérieur du Conseil.
35 Or, en
l’espèce, à ce jour, le Conseil n’aurait rendu publics, au titre du règlement no 1049/2001,
que les huit premiers points de l’avis juridique no 13593/18 et
n’aurait pas non plus autorisé la République de Pologne à le produire dans le
cadre de la présente procédure juridictionnelle.
36 Selon une
jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, il serait contraire à
l’intérêt public, selon lequel les institutions doivent pouvoir bénéficier des
avis de leur service juridique, donnés en toute indépendance, d’admettre que la
production de tels documents internes puisse avoir lieu dans le cadre d’un
litige devant la Cour sans que ladite production ait été autorisée par
l’institution concernée ou ordonnée par cette juridiction.
37 Le
Conseil fait observer que, s’il n’a donné que partiellement accès à l’avis
juridique no 13593/18 à la suite de demandes fondées sur le
règlement no 1049/2001, c’est en raison, en particulier, du
risque que, dans le cadre d’un litige portant sur la validité du règlement
attaqué, une partie requérante puisse le confronter aux arguments exprimés par
son propre service juridique dans ledit avis juridique, en violation des
exigences d’un procès équitable et de l’égalité des armes entre les parties à
une procédure juridictionnelle. Du reste, ces risques se seraient matérialisés
avec l’introduction du présent recours.
38 D’ailleurs,
selon le Conseil, la République de Pologne a toujours voté, sur la base de ces
arguments, en faveur des décisions refusant l’accès du public à l’avis
juridique no 13593/18. Si cet État membre avait souhaité
que cet avis juridique soit rendu public, il aurait dû introduire une demande
en ce sens au titre du règlement no 1049/2001 ou solliciter une
autorisation conformément au règlement intérieur du Conseil et aux consignes
relatives au traitement des documents internes du Conseil.
39 Le
Conseil fait valoir que si la République de Pologne était autorisée à utiliser
l’avis juridique no 13593/18 dans la présente affaire,
alors qu’elle n’a pas suivi la procédure prévue à cet effet et que la question
n’a pas été soumise à un contrôle juridictionnel effectif, les procédures
prévues par le règlement no 1049/2001 et par le règlement
intérieur du Conseil seraient contournées. Il rappelle à cet égard la
jurisprudence constante de la Cour qui fait droit aux demandes des institutions
visant à obtenir le retrait de leurs documents internes du dossier dont dispose
la Cour lorsqu’elles n’en ont pas autorisé la production en justice et estime
qu’il en découle que l’avis juridique no 13593/18 ne
saurait être utilisé dans la présente affaire.
40 En outre,
le Conseil fait valoir que, si la production de l’avis juridique no 13593/18
dans la présente procédure était admise, il se verrait contraint de porter des
appréciations devant le juge de l’Union sur un avis destiné à un usage interne
et rendu par son propre service juridique lors de l’élaboration du règlement
attaqué, ce qui méconnaîtrait les exigences d’un procès équitable et
affecterait la possibilité pour le Conseil de recevoir des avis francs,
objectifs et complets.
41 Enfin,
selon la jurisprudence de la Cour, le fait que l’avis juridique no 13593/18
a été divulgué sans autorisation du Conseil sur le site Internet d’un organe de
presse et que son contenu a ainsi été révélé au public serait sans incidence
sur ces considérations. De plus, le préjudice causé au Conseil et aux
institutions de l’Union résultant de l’utilisation non autorisée de cet avis
juridique dans le cadre de la présente procédure excéderait largement celui
causé par la publication dudit avis juridique dans la presse. En effet, le fait
de permettre à la République de Pologne de se fonder sur le même avis juridique
menacerait l’intérêt public consistant à ce que les institutions puissent
bénéficier des avis de leur service juridique en toute indépendance et
réduirait à néant l’efficacité des procédures visant à la protection de cet
intérêt.
42 La
République de Pologne conteste l’argumentation du Conseil.
B. Appréciation
de la Cour
43 Par son
argumentation, le Conseil soutient en substance que la République de Pologne,
en ayant reproduit, aux points 53, 126, 133 et 139 de la requête, des
passages de l’avis juridique no 13593/18 et en ayant reformulé,
au point 75 de cette requête, le contenu de cet avis, premièrement, a
violé l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil,
deuxièmement, a méconnu l’intérêt public consistant à ce que le Conseil puisse
bénéficier des avis de son service juridique, donnés en toute indépendance, troisièmement,
a placé le Conseil dans une situation susceptible de le conduire à se prononcer
dans la procédure principale sur les analyses de son propre service juridique,
violant ainsi le principe de l’égalité des armes, quatrièmement, a enfreint les
points 20 et 21 des consignes relatives au traitement des documents
internes du Conseil et, cinquièmement, a méconnu le règlement no 1049/2001.
44 S’agissant
de l’allégation d’une violation de l’article 6, paragraphe 2, du
règlement intérieur du Conseil, il convient de rappeler que, aux termes de
cette disposition, « [l]e Conseil ou le Coreper peut autoriser la
production en justice d’une copie ou d’un extrait des documents du Conseil qui
n’ont pas déjà été rendus accessibles au public ».
45 À cet
égard, il convient de constater, tout d’abord, que la requête fait référence à
des points de l’avis juridique no 13593/18 autres que les huit
points que le Conseil a rendu publics en application du règlement no 1049/2001,
ensuite, que la République de Pologne n’a pas demandé au Conseil l’autorisation
de produire en justice une copie ou des extraits de cet avis juridique et,
enfin, que cet État membre n’a pas joint à sa requête une copie dudit avis
juridique.
46 Partant,
il y a lieu de déterminer si, en ayant reproduit ou reformulé dans sa requête,
en les citant, des passages de l’avis juridique no 13593/18, la
République de Pologne doit être regardée comme ayant produit en justice des
extraits de celui-ci, au sens de l’article 6, paragraphe 2, du
règlement intérieur du Conseil.
47 À cet
égard, il convient de relever que les points 53, 126 et 133 de la requête
comportent des citations de cet avis, tandis que les points 75 et 139 de
cette requête, mais également le point 126 de celle-ci, comportent une argumentation
propre de la République de Pologne dont cet État membre allègue qu’elle reflète
l’analyse effectuée dans ledit avis juridique. Or, de telles argumentations
propres assorties de simples allégations de concordance avec l’avis juridique no 13593/18,
dont le Conseil conteste d’ailleurs l’exactitude, ne sauraient être regardées
comme constituant des extraits de cet avis juridique.
48 Dans ces
conditions, il y a lieu de considérer que seuls les points 53, 126 et 133
de la requête peuvent être considérés comme comportant des
« extraits » de l’avis juridique no 13593/18, au sens
de l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil. Par
ailleurs, la présentation de tels extraits dans une pièce de procédure
constitue une « production en justice », au sens de cette
disposition.
49 En
conséquence, la République de Pologne était en principe tenu, en vertu de
l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil,
d’obtenir l’autorisation du Conseil aux fins de produire devant la Cour les
extraits de l’avis juridique no 13593/18 figurant aux
points 53, 126 et 133 de la requête.
50 À cet
égard, il ressort certes, comme le relève le Conseil, de la jurisprudence
constante de la Cour qu’il serait contraire à l’intérêt public qui veut que les
institutions puissent bénéficier des avis de leur service juridique, donnés en
toute indépendance, d’admettre que la production de tels documents internes
puisse avoir lieu dans le cadre d’un litige devant la Cour sans que ladite
production ait été autorisée par l’institution concernée ou ordonnée par cette
juridiction (ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18,
non publiée, EU:C:2019:438, point 8 et jurisprudence citée, ainsi que
arrêt du 31 janvier 2020, Slovénie/Croatie, C‑457/18, EU:C:2020:65,
point 66).
51 En effet,
par la production non autorisée d’un tel avis juridique, le requérant confronte
l’institution concernée, dans la procédure portant sur la validité d’un acte
attaqué, à un avis rendu par son propre service juridique lors de l’élaboration
de cet acte. Or, en principe, le fait d’admettre que ce requérant puisse verser
au dossier un avis juridique d’une institution dont la divulgation n’a pas été
autorisée par cette dernière méconnaîtrait les exigences d’un procès équitable
et reviendrait à contourner la procédure de demande d’accès à un tel document,
mise en place par le règlement no 1049/2001 (voir, en ce sens,
ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non publiée,
EU:C:2019:438, point 14 et jurisprudence citée, ainsi que arrêt du
31 janvier 2020, Slovénie/Croatie, C‑457/18, EU:C:2020:65,
point 68).
52 Toutefois,
il convient de tenir compte du principe de transparence, inscrit à
l’article 1er, deuxième alinéa, et à l’article 10,
paragraphe 3, TUE ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1, et
à l’article 298, paragraphe 1, TFUE, qui permet, notamment, de
garantir une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de
l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique (voir, en
ce sens, ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non
publiée, EU:C:2019:438, point 13 et jurisprudence citée). En permettant
que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues,
la transparence contribue, en outre, à augmenter la confiance de ces citoyens
(arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 75 et jurisprudence citée).
53 Il est
vrai que ce n’est qu’à titre exceptionnel que le principe de transparence est
susceptible de justifier une divulgation dans le cadre d’une procédure
juridictionnelle d’un document d’une institution qui n’a pas été rendu
accessible au public et qui comporte un avis juridique. C’est pourquoi, la Cour
a jugé que le maintien, dans le dossier d’une affaire, d’un document comportant
un avis juridique d’une institution n’est justifié par aucun intérêt public
supérieur lorsque, d’une part, cet avis juridique n’est pas relatif à une
procédure législative pour laquelle s’impose une transparence accrue et, d’autre
part, l’intérêt de ce maintien consiste seulement, pour l’État membre concerné,
à être en mesure de se prévaloir dudit avis juridique dans le cadre d’un
litige. En effet, selon la Cour, la production d’un tel avis juridique apparaît
guidée par les propres intérêts du requérant à étayer son argumentation, et non
par un quelconque intérêt public supérieur, tel que celui de rendre publique la
procédure ayant abouti à l’acte attaqué (voir, en ce sens, ordonnance du
14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non publiée, EU:C:2019:438, point 18, et arrêt du 31 janvier
2020, Slovénie/Croatie, C‑457/18, EU:C:2020:65, point 71).
54 En
l’espèce, il convient de constater que, à la différence des affaires ayant
donné lieu à la jurisprudence citée au point précédent, l’avis juridique no 13593/18
se rapporte à une procédure législative.
55 À cet
égard, la Cour a considéré que la divulgation des documents contenant un avis
du service juridique d’une institution sur des questions juridiques surgissant
lors du débat sur des initiatives législatives est de nature à accroître la
transparence et l’ouverture du processus législatif et à renforcer le droit des
citoyens européens de contrôler les informations qui ont constitué le fondement
d’un acte législatif. Elle en a déduit qu’il n’existe pas de besoin général de
confidentialité en ce qui concerne les avis du service juridique du Conseil
relatifs à un processus législatif et que le règlement no 1049/2001
impose, en principe, une obligation de les divulguer (voir, en ce sens, arrêt
du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P
et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, points 67
ainsi que 68).
56 En effet,
c’est précisément la transparence à cet égard qui, en permettant que les
divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues,
contribue à réduire les doutes dans l’esprit des citoyens non seulement quant à
la légalité d’un acte législatif isolé mais également quant à la légitimité du
processus législatif dans son entièreté (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet
2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P,
EU:C:2008:374, point 59), et contribue à renforcer les principes de la
démocratie et le respect des droits fondamentaux tels qu’ils sont définis à
l’article 6 TUE et dans la Charte, ainsi que le rappelle le
considérant 2 du règlement no 1049/2001.
57 Cette
transparence ne fait toutefois pas obstacle à ce que la divulgation d’un avis
juridique spécifique, rendu dans le contexte d’un processus législatif
déterminé mais ayant un caractère particulièrement sensible ou une portée
particulièrement large allant au–delà du cadre de ce processus législatif,
puisse être refusée au titre de la protection des avis juridiques, auquel cas
il incombe à l’institution concernée de motiver le refus de façon
circonstanciée (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et
Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374,
point 69).
58 Or, en
l’espèce, ainsi que l’a relevé l’avocat général Campos Sánchez-Bordona aux
points 70 à 72 de ses conclusions dans l’affaire Hongrie/Parlement et
Conseil (C‑156/21, EU:C:2021:974), le Conseil
n’a pas démontré que l’avis juridique no 13593/18 a un caractère
particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au–delà
du cadre du processus législatif y afférent.
59 Partant,
ni l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil ni la
jurisprudence rappelée au point 50 du présent arrêt ne faisait obstacle à ce
que la République de Pologne divulgue cet avis juridique en tout ou en partie
dans sa requête.
60 Cette
constatation n’est pas infirmée par le fait que la République de Pologne a un
intérêt propre à ce que les passages litigieux de sa requête soient pris en
compte par la Cour. En effet, une telle prise en compte étant également de
nature à contribuer à réduire les doutes dans l’esprit des citoyens non
seulement quant à la légalité du règlement attaqué, mais également quant à la
légitimité du processus législatif dans son entièreté, elle sert en tout état
de cause l’intérêt public supérieur rappelé aux points 55 et 56 du présent
arrêt.
61 En
conséquence, et sans qu’il soit besoin de se prononcer séparément sur les moyens
pris de la violation des points 20 et 21 des consignes relatives au
traitement des documents internes du Conseil, du règlement no 1049/2001
et du principe de l’égalité des armes, ces moyens ne pouvant, en tout état de
cause, prospérer, eu égard aux appréciations effectuées aux points 52 à 60 du
présent arrêt, la demande du Conseil tendant à ce que ne soient pas pris en
compte les passages de la requête de la République de Pologne, en ce qu’ils
font référence à l’avis juridique no 13593/18, en reproduisent
le contenu ou en reflètent l’analyse, doit être rejetée comme étant non fondée.
V. Sur
le recours
62 À l’appui
de son recours, la République de Pologne soulève onze moyens. Il convient
d’examiner, en premier lieu et de manière conjointe, les premier, deuxième,
cinquième, sixième et onzième moyens, qui sont tirés,
en substance, de l’incompétence de l’Union pour adopter le règlement attaqué.
A. Sur
les premier, deuxième, cinquième, sixième et onzième moyens, tirés de
l’incompétence de l’Union pour adopter le règlement attaqué
1. Argumentation
des parties
63 Par le
premier moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir
que la nature et l’étendue des compétences attribuées à l’Union par les traités
ne permettent pas au Conseil d’instituer un mécanisme tel que celui prévu par
le règlement attaqué, qui confère aux institutions de l’Union le contrôle du
respect par les États membres des principes de l’État de droit et subordonne au
respect de ces principes le versement des fonds provenant du budget de l’Union.
64 Certes,
le législateur de l’Union pourrait légalement instituer, sur le fondement de
l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, un mécanisme subordonnant
les versements provenant du budget de l’Union au respect par les États membres
du principe de la bonne gestion financière. Toutefois, il découlerait de ce
principe tel que défini à l’article 2, point 59, du règlement
financier et des précisions figurant à l’article 56, paragraphe 2, de
ce règlement que les obligations incombant aux États membres en vertu dudit
principe doivent être concrètes et résulter de dispositions juridiques
spécifiques démontrant le lien direct entre les exigences instaurées et le
principe de la bonne gestion financière des fonds de l’Union ainsi que de la
protection de ses intérêts financiers.
65 Or, par
le règlement attaqué, le législateur de l’Union aurait, ainsi qu’il
ressortirait de l’article 1er de celui-ci, créé un
mécanisme qui subordonne les versements provenant du budget de l’Union non pas
au respect par les États membres d’obligations concrètes prévues par le droit
de l’Union, liées au respect du principe de la bonne gestion financière, mais
au respect des principes de l’État de droit.
66 La
République de Pologne estime que l’institution d’un tel mécanisme ne relève pas
des pouvoirs conférés au législateur de l’Union par l’article 322,
paragraphe 1, sous a), TFUE, même si l’article 4, paragraphe 1,
du règlement attaqué prévoit que la violation des principes de l’État de droit
qui est constatée doit porter atteinte ou présenter un risque sérieux de porter
atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection
de ses intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.
67 En premier
lieu, le législateur de l’Union ne pourrait, dans un règlement adopté en
application de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, ni définir
la notion d’« État de droit » ni déterminer
les éléments permettant de constater une violation des principes constitutifs
de cette notion.
68 Tout
d’abord, les principes de l’État de droit seraient issus des traditions
constitutionnelles ainsi que politiques des États membres et leur contenu
serait précisé dans la jurisprudence des juridictions constitutionnelles. S’il
est vrai que les organisations internationales, notamment le Conseil de
l’Europe, ont élaboré certains critères d’appréciation quant au respect de ces
principes, la concrétisation desdits principes se serait cantonnée, dans le
droit de l’Union, à la mention des buts qu’ils poursuivent. Or, eu égard aux
différences existant entre les États membres quant à leurs identités
nationales, leurs systèmes constitutionnels et juridiques ainsi que leurs
traditions juridiques, le législateur de l’Union ne pourrait préciser, pour
l’ensemble des principes de l’État de droit, les moyens par lesquels les
objectifs qu’ils poursuivent peuvent être atteints. Partant, l’obligation pour
les États membres de respecter ces principes se limiterait à la nécessité d’en
garantir le contenu essentiel.
69 Ensuite,
bien que l’Union soit fondée sur les valeurs que contient
l’article 2 TUE, les traités n’en préciseraient pas le contenu et ne
conféreraient aucune compétence au législateur de l’Union pour en définir la
portée dans des actes de droit dérivé, pas même au titre de
l’article 19 TUE. Cette dernière disposition n’imposerait en effet
aucune obligation concrète quant à l’organisation de la justice dans les États
membres, laquelle relèverait de la compétence exclusive de ces derniers.
70 Enfin,
outrepassant les compétences qui lui ont été conférées par l’article 322,
paragraphe 1, sous a), TFUE, le législateur de l’Union aurait défini à
l’article 2, sous a), du règlement attaqué la notion d’« État
de droit », en élargissant sa portée à d’autres valeurs également que
contient l’article 2 TUE. De même, outre le fait que l’article 3
de ce règlement énoncerait des critères pouvant être « indicatifs de
violations des principes de l’État de droit », l’article 4,
paragraphe 2, dudit règlement dresserait une liste des situations ou des
comportements des autorités qui doivent être concernés par une violation des
principes de l’État de droit aux fins du même règlement, sans toutefois que le
législateur de l’Union précise la relation existant entre ces dispositions et
que cette liste soit exhaustive, eu égard au point h) de celle-ci.
71 Ce
faisant, le législateur de l’Union aurait également conféré à la Commission et
au Conseil le pouvoir de préciser davantage, lors de l’application du règlement
attaqué, les exigences liées au respect de l’État de droit. De plus, un tel
pouvoir s’exercerait ex post, par l’évaluation d’une situation existante dans
un État membre, leur permettant ainsi d’adapter lesdites exigences à la violation
reprochée à l’État membre concerné et de les appliquer avec effet rétroactif à
la situation examinée.
72 En
deuxième lieu, la République de Pologne considère que le législateur de l’Union
ne pouvait pas, sur le fondement de l’article 322, paragraphe 1, sous
a), TFUE, établir une procédure alternative à celles prévues respectivement à
l’article 7 TUE et à l’article 258 TFUE, en confiant à la
Commission et au Conseil le pouvoir de constater des violations des principes
de l’État de droit par les États membres.
73 En effet,
une telle violation ne pourrait être constatée que par le Conseil européen, en
application de l’article 7 TUE. Il ne pourrait être dérogé à ce
pouvoir exclusif du Conseil européen qu’en application de l’article 19,
paragraphe 1, TUE, et de l’obligation qu’il prévoit d’assurer, dans
les domaines couverts par le droit de l’Union, une protection juridictionnelle
effective, la violation de cette obligation pouvant alors être constatée par la
Cour à l’occasion d’une procédure engagée au titre de
l’article 258 TFUE.
74 Le
pouvoir exclusif du Conseil européen de constater, en application de
l’article 7 TUE, des violations des principes de l’État de droit
serait justifié par le fait que le contrôle du respect de cette valeur a un
caractère discrétionnaire et peut être tributaire de considérations politiques.
Ainsi, selon les traités, il incomberait aux représentants des gouvernements
des États membres d’effectuer de telles constatations et celles-ci seraient
soustraites à tout contrôle juridictionnel sur le fond. En effet, en l’absence
d’exigences claires, la Cour ne pourrait apprécier la conformité des
constatations du Conseil européen aux exigences découlant de cette valeur. Pour
cette raison, l’article 269 TFUE cantonnerait le contrôle juridictionnel
effectué par la Cour au seul respect des « prescriptions de
procédure » définies à l’article 7 TUE, ce contrôle ne pouvant
porter sur la constatation par le Conseil européen d’« une
violation grave et persistante » par un État membre de ladite valeur.
75 Se
poserait ainsi la question de savoir si une décision d’exécution du Conseil
constatant, conformément au règlement attaqué, la violation par un État membre
des principes de l’État de droit pourrait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel
sur le fond sans qu’il soit porté atteinte à la compétence exclusive du Conseil
européen, résultant de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE,
pour apprécier le respect par les États membres des valeurs que contient
l’article 2 TUE.
76 En troisième
lieu, la République de Pologne estime que, en instituant un mécanisme
permettant d’imposer des sanctions financières aux États membres, le
législateur de l’Union a outrepassé les compétences que lui confère
l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.
77 À cet
égard, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, rappelle que, dans le
système juridique de l’Union, un mécanisme horizontal et sectoriel de conditionnalité
concernant le versement de fonds qui proviennent du budget de l’Union doit
remplir trois exigences. Tout d’abord, il devrait définir précisément les
conditions d’obtention des fonds de l’Union et les éléments d’appréciation du
respect de ces conditions. Ensuite, les conditions d’obtention des versements
fixées dans le cadre du mécanisme devraient présenter un « lien
suffisamment direct » avec l’objectif du mécanisme, de sorte que le
non–respect de la condition menace directement l’objectif du financement, la
bonne gestion financière ou les intérêts financiers de l’Union. Enfin,
l’existence d’un lien réel entre le non–respect de la condition et la perte du
financement devrait être prouvée, en particulier aux fins de l’appréciation de
la proportionnalité de la mesure de protection du budget de l’Union.
78 Il
ressort de ces exigences qu’un mécanisme de conditionnalité ne pourrait servir
à sanctionner des infractions au droit de l’Union dépourvues d’incidence
directe sur la réalisation de l’objectif du financement ou sur la bonne
utilisation des fonds.
79 Or, la
première exigence ne serait pas satisfaite en l’espèce. En effet, les principes
de l’État de droit ne sauraient relever d’un tel mécanisme de conditionnalité
dès lors que ni les traités ni le droit dérivé ne précisent ces principes ou
les obligations concrètes que les États membres doivent respecter à ce titre.
80 L’Union
ne disposerait, au demeurant, d’aucune compétence à l’égard de nombreux aspects
de l’État de droit tel qu’il est défini à l’article 2, sous a), du
règlement attaqué, dont l’exigence d’un processus législatif transparent,
responsable, démocratique et pluraliste. De plus, l’article 3 et
l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement étant formulés en des
termes très généraux, la constatation de la violation par un État membre des
principes de l’État de droit ne nécessiterait pas non plus de démontrer la
violation d’obligations concrètes et relèverait d’une appréciation
discrétionnaire. Partant, il ne pourrait être exclu que cette appréciation soit
tributaire de considérations politiques, qu’elle soit arbitraire ou qu’elle
soit effectuée en violation du principe d’égalité des États membres devant les
traités.
81 La
deuxième exigence ne serait pas non plus satisfaite. En effet, les cas de
violation des principes de l’État de droit par un État membre, tels qu’ils sont
énoncés à l’article 3 et à l’article 4, paragraphe 2, du
règlement attaqué, seraient formulés en termes généraux, figureraient dans une
liste qui ne présente pas un caractère exhaustif et ne fixeraient aucune
obligation juridique précise. Ces différentes caractéristiques rendraient sans
objet l’obligation de démontrer « l’existence d’un lien suffisamment
direct » entre la violation constatée et le risque pour la bonne gestion
financière des fonds de l’Union. Ainsi, selon la République de Pologne, cette
exigence qui sera, selon l’hypothèse retenue, soit automatiquement remplie,
soit impossible à démontrer, fera nécessairement l’objet d’une appréciation politique
et offrira toute latitude à la Commission et au Conseil pour restreindre
l’accès des États membres aux financements de l’Union.
82 La
troisième exigence d’un mécanisme de conditionnalité ferait tout autant défaut,
dès lors qu’il serait impossible de démontrer, dans le contexte d’une
appréciation exclusivement politique, l’existence d’un lien réel entre le
non–respect de la condition d’obtention du financement, c’est-à-dire la
violation des principes de l’État de droit, et la perte du financement
provenant du budget de l’Union. La limitation du financement et la portée de
cette limitation ne pouvant résulter que d’une appréciation politique, la
décision du Conseil ne pourrait pas être proportionnée et méconnaîtrait les
exigences de l’article 5, paragraphe 3, et du considérant 18 du
règlement attaqué.
83 À titre
subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que le législateur était
compétent pour adopter le règlement attaqué, la République de Pologne, soutenue
par la Hongrie, estime, par le deuxième moyen, que ce règlement aurait dû être
fondé sur l’article 311, troisième alinéa, TFUE, relatif au système des
ressources propres de l’Union, ou sur l’article 312, paragraphe 2,
TFUE, relatif au cadre financier pluriannuel.
84 À cet égard,
cet État membre relève que ledit règlement s’appliquera, notamment selon son
considérant 7, non seulement à l’ensemble des engagements budgétaires pris au
titre du cadre financier pluriannuel 2021-2027, mais également aux ressources
allouées par le règlement 2020/2094, ainsi qu’aux prêts et aux autres
instruments garantis par le budget de l’Union. Partant, ce règlement serait
étroitement lié à la décision 2020/2053 et au cadre financier pluriannuel
2021-2027, et non pas aux différents budgets annuels de l’Union.
85 Le
règlement attaqué ayant vocation à s’appliquer aux budgets annuels ultérieurs
de l’Union, seuls l’article 311, troisième alinéa, TFUE ou
l’article 312, paragraphe 2, TFUE, lequel serait la base juridique
des cadres financiers pluriannuels, pourraient constituer une base juridique
appropriée de ce règlement.
86 Partant,
l’adoption du règlement attaqué sur la base de l’article 322,
paragraphe 1, sous a), TFUE au moyen de la procédure législative ordinaire
aurait permis de contourner les exigences procédurales découlant des
articles 311 et 312 TFUE, ces dernières dispositions prévoyant en effet
des procédures législatives spéciales.
87 Par le
cinquième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir
que le règlement attaqué établit un nouveau mécanisme de contrôle du respect
des principes de l’État de droit par les États membres, non prévu par les
traités et contournant la procédure prévue à l’article 7 TUE.
88 En effet,
ce mécanisme, qui ne serait pas un mécanisme de conditionnalité, aurait un
objet analogue à celui de la procédure prévue à l’article 7 TUE,
cette dernière et la procédure prévue par le règlement attaqué visant toutes
deux à contrôler le respect des principes de l’État de droit par les États
membres et à imposer des sanctions en cas de non–respect de ces principes. Ces
deux procédures seraient également indépendantes l’une de l’autre, le mécanisme
institué par ce règlement n’étant pas subordonné à l’ouverture d’une procédure
au titre de l’article 7 TUE.
89 Ainsi,
tout d’abord, alors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, est
compétent pour constater l’existence d’une violation des principes de l’État de
droit en vertu de l’article 7, paragraphe 2, TUE, le règlement
attaqué prévoirait qu’il appartient d’abord à la Commission de constater
l’existence d’une telle violation, la décision du Conseil imposant les mesures
étant adoptée à la majorité qualifiée et reflétant l’appréciation de la
Commission.
90 Ensuite,
alors que l’article 7 TUE requiert le constat d’une violation
« grave et persistante » des principes de l’État de droit, le
règlement attaqué se contenterait de l’existence d’une violation simple et
isolée, ainsi qu’il ressortirait de son article 4, paragraphe 1, lu à
la lumière de son considérant 15.
91 Enfin, la
procédure de l’article 7 TUE comporterait deux décisions, la
première, du Conseil européen, portant sur la constatation d’une violation et,
la seconde, du Conseil, portant sur l’adoption des sanctions, de sorte que la
constatation d’une violation ne conduirait pas nécessairement à l’infliction
d’une sanction. À l’inverse, le règlement attaqué prévoirait l’adoption d’une
seule décision, par le Conseil, portant tant sur l’existence d’une violation
que sur les mesures de protection du budget de l’Union à adopter.
92 Or, le
règlement attaqué, en fixant des exigences procédurales moins contraignantes
que celles prévues à l’article 7 TUE, tout en permettant d’atteindre
le même objectif que ce dernier, priverait celui-ci de tout effet utile.
93 La
République de Pologne précise, dans ce contexte, que la procédure actuellement
engagée à son égard au titre de l’article 7 TUE n’a pas encore donné
lieu à la constatation, par le Conseil européen, d’une « violation grave
et persistante [...] des valeurs visées à l’article 2 [TUE] », sur le
fondement du paragraphe 2 de cet article, de sorte que le Conseil ne peut,
en l’état, adopter une sanction en application du paragraphe 3 dudit
article. Ainsi, l’institution du mécanisme prévu par le règlement attaqué
aurait pour finalité de contourner la procédure prévue à
l’article 7 TUE.
94 En
l’absence d’une révision des traités en vertu de l’article 48 TUE,
l’introduction d’un mécanisme de contrôle du respect des engagements
internationaux, qui n’a pas de fondement dans les traités, constituerait un
abus flagrant du droit et une violation des principes fondamentaux du droit
international, notamment des principes de l’égalité souveraine des États et de
la non–ingérence dans leurs affaires intérieures, codifiés dans la charte des
Nations unies et dans la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des
Nations unies, du 24 octobre 1970, intitulée « Déclaration relative
aux principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les États conformément à la [c]harte des Nations
unies ». En vertu de ces principes, les procédures permettant d’engager la
responsabilité des États pour des violations de leurs engagements
internationaux ne pourraient découler que de normes du droit international
librement acceptées par ceux-ci.
95 Par le
sixième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, allègue que
la Cour, en méconnaissance de l’article 7 TUE et de
l’article 269 TFUE, pourrait être appelée à examiner sur le fond des
violations des principes de l’État de droit alléguées par la Commission, lors
d’un contrôle juridictionnel des décisions du Conseil adoptées au titre du
règlement attaqué. En effet, afin de pouvoir procéder à un tel contrôle, la
Cour serait amenée à élaborer des critères concernant la valeur de l’État de
droit, sur le fondement d’une définition de cette valeur qui résulte d’un acte
de droit dérivé, critères appelés à être ensuite appliqués dans le cadre d’une
procédure engagée au titre de l’article 7 TUE, alors même que la Cour
n’est pas compétente pour apprécier sur le fond des griefs soulevés contre un
État membre au titre de cette procédure.
96 Or,
l’article 7 TUE jouerait un rôle très spécifique dans le système des
voies de recours prévu par les traités, car il autoriserait exceptionnellement
les institutions de l’Union à contrôler le respect par les États membres des
valeurs fondamentales de l’Union dans les domaines qui relèvent de la
compétence exclusive des États membres.
97 Par le
onzième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, allègue que
le règlement attaqué est entaché d’un détournement de pouvoir. Il découlerait
de la jurisprudence qu’un acte de l’Union est entaché de détournement de
pouvoir ou de procédure lorsqu’il apparaît, sur la base d’indices objectifs,
pertinents et concordants, qu’il a été pris dans le but exclusif ou, à tout le
moins, déterminant d’atteindre des fins autres que celles qu’il énonce ou
d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité.
98 En
l’espèce, certes, le règlement attaqué aurait pour objectif déclaré, ainsi que
cela ressort de l’intitulé de celui-ci, la protection du budget de l’Union et
son considérant 7 énoncerait que, aux fins d’atteindre cet objectif, il
est nécessaire de respecter le principe de la bonne gestion financière, ce qui
présupposerait de respecter les valeurs de l’État de droit. De même, selon son
article 1er, ledit règlement établirait les règles nécessaires
à la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de
l’État de droit dans un État membre.
99 Toutefois,
cet objectif déclaré ne correspondrait pas au but réel du règlement attaqué. La
République de Pologne relève, à cet égard, que la proposition ayant conduit à
l’adoption du règlement attaqué soulignait que « plusieurs événements
récents » avaient mis au jour des « faiblesses généralisées dans
l’équilibre des pouvoirs de certains États membres », avaient
« montré en quoi le mépris de l’[É]tat de droit [pouvait] devenir un sujet
commun de vive préoccupation au sein de l’Union européenne » et avaient
incité des « institutions telles que le Parlement européen, ainsi que les
citoyens [à s’exprimer] clairement [...] en faveur d’une intervention de l’[Union
européenne] pour qu’elle protège l’[É]tat de droit ».
100 En
outre, cet État membre soutient, à l’instar de ce qu’il a déjà allégué dans le
cadre de son premier moyen, que le mécanisme institué par le règlement attaqué
est non pas un mécanisme de conditionnalité visant à protéger le budget de
l’Union, mais un mécanisme punitif visant à sanctionner les violations des
principes de l’État de droit. Ce constat serait corroboré tant par le Biuro
Analiz Sejmowych Kancelarii Sejmu RP (Bureau d’analyses parlementaires de la
Chancellerie de la Diète de la République de Pologne) que par les rapports
annuels de la Cour des comptes, selon lesquels l’exécution du budget de l’Union
et la gestion des finances de l’Union seraient en voie d’amélioration. En
effet, le pourcentage d’erreurs, qui s’établissait à 4,4 % au cours de
l’année 2014, aurait diminué pour atteindre 3,8 % puis 3,1 % au cours
des années 2015 et 2016. Ainsi, la nécessité de protéger le budget de l’Union
n’aurait pas justifié l’adoption du règlement attaqué.
101 Partant,
la République de Pologne souscrit à l’opinion du service juridique du Conseil
exprimé dans son avis juridique no 13593/18 selon laquelle le
mécanisme prévu par la proposition ayant conduit à l’adoption du règlement
attaqué « ne montre pas de quelle manière le respect de l’État de droit
[...] est lié à une bonne exécution du budget de l’Union et à la protection des
intérêts financiers de l’Union ». Si, dans certains considérants de ce
règlement, l’existence d’un tel lien est évoquée, ce lien ne serait toutefois
pas explicité et encore moins démontré.
102 La
République de Pologne en déduit que l’objectif réel de cette proposition n’est
pas tant de protéger le budget de l’Union que de protéger l’État de droit au
moyen de mesures portant sur le budget de l’Union. Du reste, une opinion
similaire aurait été exprimée par les parlements nationaux et par le Comité
économique et social européen, celui-ci ayant indiqué qu’il considérait
« davantage la proposition à l’examen comme un instrument possible
pour protéger l’ensemble des valeurs visées à l’article 2 TUE par le
truchement du budget de l’Union ». Cette opinion serait corroborée, en
outre, par le considérant 14 du règlement attaqué, qui ferait figurer le
mécanisme prévu par ce règlement parmi les instruments de protection de l’État
de droit.
103 L’objectif
de ce mécanisme devrait donc être considéré comme étant identique à celui de la
« procédure de contrôle politique » prévue à
l’article 7 TUE. À cet égard, ni l’article 7, paragraphe 3,
TUE ni aucune autre disposition des traités ne comportant de limites
matérielles quant aux droits d’un État membre qui peuvent être suspendus en cas
de violation grave et persistante des valeurs que contient
l’article 2 TUE, les mesures de protection du budget de l’Union
susceptibles d’être imposées à un État membre en vertu de l’article 5,
paragraphe 1, du règlement attaqué pourraient également correspondre à
celles que le Conseil peut prendre en vertu de l’article 7,
paragraphe 3, TUE lorsqu’il décide de suspendre « certains des
droits découlant de l’application des traités ».
104 Dès
lors que des mesures de la nature de celles prévues à l’article 5,
paragraphe 1, du règlement attaqué pouvaient être prononcées avant même
l’entrée en vigueur de ce règlement, en application de la procédure prévue à
l’article 7 TUE, ce serait à tort que le considérant 14 dudit
règlement affirme que le mécanisme qu’il institue complète les instruments
juridiques existant destinés à lutter contre les violations des principes de
l’État de droit.
105 Par
ailleurs, l’article 7, paragraphe 4, TUE et l’article 7,
paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement attaqué, relatifs à la
modification et à la levée des mesures adoptées, indiqueraient que l’objectif
de ces mécanismes est d’inciter l’État membre concerné au respect de la valeur
de l’État de droit. Or, en n’exigeant pas une décision unanime du Conseil
européen, ledit règlement fixerait une procédure d’adoption des sanctions bien
moins contraignante que celle prévue à l’article 7 TUE, privant ainsi
cette dernière de son effet utile.
106 Dans
un avis du 27 mai 2014, le service juridique du Conseil aurait indiqué,
d’une part, que l’article 7 TUE définit à dessein un cadre de
contrôle précis, structuré en différentes phases, un seuil théorique élevé pour
engager les procédures, une majorité renforcée au sein du Conseil et du Conseil
européen, ainsi qu’un ensemble de garanties procédurales pour l’État membre
concerné, y compris la possibilité d’un contrôle juridictionnel limité par la
Cour et, d’autre part, que cet article ne prévoit pas une base juridique
permettant de développer ou de modifier cette procédure. Cette position aurait
été explicitement réitérée dans l’avis juridique no 13593/18,
celui-ci indiquant, en outre, que le droit dérivé ne peut modifier ou compléter
ladite procédure, ni avoir pour conséquence de priver celle-ci de son effet
utile.
107 Partant,
du fait de l’identité de l’objectif, des principes et des mesures applicables,
le mécanisme institué par le règlement attaqué constituerait un contournement
manifeste et délibéré de la procédure prévue à l’article 7 TUE.
108 La
République de Pologne fait valoir que la présente affaire présente des
analogies avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 décembre 2020,
Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (C‑354/20 PPU
et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033,
points 57 à 60). Elle rappelle que, dans cet arrêt, la Cour, s’appuyant
sur le considérant 10 de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du
13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de
remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que
modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009
(JO 2009, L 81, p. 24), a jugé que des défaillances systémiques
ou généralisées en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire de
l’État membre d’émission d’un mandat d’arrêt européen, aussi graves
soient–elles, ne justifient pas une suspension dans les faits de la mise en
œuvre du mécanisme du mandat d’arrêt européen à l’égard de cet État membre tant
que le Conseil européen et le Conseil n’ont pas adopté les décisions envisagées
à l’article 7 TUE.
109 Or,
ce considérant 10 ne ferait que refléter les conséquences juridiques
découlant de l’article 7 TUE. Il ressortirait dès lors de l’arrêt
cité au point précédent que les droits découlant des traités ne peuvent être
suspendus à l’égard d’un État membre, en raison de la violation par ce dernier
des valeurs que contient l’article 2 TUE, que par le Conseil en
application de l’article 7, paragraphe 3, TUE.
110 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand–Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent le
bien-fondé de cette argumentation.
2. Appréciation
de la Cour
111 Par
ses premier, deuxième, cinquième, sixième et onzième moyens, la République de
Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir, en substance, d’une part, que ni
l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE ni aucune autre
disposition du traité FUE ne pouvait constituer une base juridique
appropriée pour l’adoption du règlement attaqué, en particulier de ses
articles 2 à 4. Elle précise, à titre subsidiaire, que, si la Cour devait
considérer que le législateur de l’Union était compétent pour adopter le
règlement attaqué, celui-ci aurait dû être adopté sur le fondement de
l’article 311, troisième alinéa, TFUE ou de l’article 312,
paragraphe 2, TFUE. Elle ajoute, d’autre part, que la procédure instituée
par ledit règlement contourne celle prévue à l’article 7 TUE,
laquelle revêt pourtant un caractère exclusif pour la protection des valeurs
que contient l’article 2 TUE, et porte atteinte à la limitation des
compétences de la Cour prévue à l’article 269 TFUE.
a) Sur
la base juridique du règlement attaqué
112 À
titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 322,
paragraphe 1, sous a), TFUE, le Parlement et le Conseil, statuant
conformément à la procédure législative ordinaire, et après consultation de la
Cour des comptes, adoptent par voie de règlements « les règles financières
qui fixent notamment les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution
du budget et à la reddition et à la vérification des comptes ».
113 Or,
de telles règles ont vocation à régir l’ensemble des aspects liés à l’exécution
du budget de l’Union couverts par le titre II, intitulé « Dispositions
financières », de la sixième partie du traité FUE, relative aux
« [d]ispositions institutionnelles et financières » et, partant,
cette exécution au sens large.
114 En
effet, outre le fait que l’article 322 TFUE figure au
chapitre 5, intitulé « Dispositions communes », de ce
titre II, il y a lieu de relever que font référence à cette disposition
l’article 310, paragraphes 2 et 3, TFUE, qui figure dans la partie
introductive dudit titre II, l’article 315, premier et deuxième
alinéas, et l’article 316, premier et deuxième alinéas, TFUE, qui figurent
au chapitre 3 du même titre II, intitulé « Le budget annuel de
l’Union », ainsi que l’article 317 TFUE, qui figure au chapitre
4 de ce même titre, intitulé « L’exécution du budget et la
décharge ».
115 Or,
les articles 310 et 315 à 317 TFUE présentent tous des liens avec
l’exécution du budget de l’Union.
116 En
effet, l’article 310 TFUE énonce, à son paragraphe 1, que toutes
les recettes et les dépenses de l’Union doivent faire l’objet de prévisions
pour chaque exercice budgétaire et être inscrites au budget, et prévoit, à son
paragraphe 3, que l’exécution de dépenses inscrites au budget requiert
l’adoption préalable d’un acte juridiquement contraignant de l’Union qui donne
un fondement juridique à son action et à l’exécution de la dépense
correspondante en conformité avec le règlement visé à
l’article 322 TFUE, sauf exceptions prévues à celui-ci. Enfin, cet
article 310 requiert, à son paragraphe 5, que ledit budget soit
exécuté conformément au principe de la bonne gestion financière, les États
membres et l’Union devant coopérer pour que les crédits inscrits à celui-ci soient
utilisés conformément à ce principe.
117 S’agissant
de l’article 315 TFUE, celui-ci prévoit, à son premier alinéa, que,
si, au début d’un exercice budgétaire, le budget n’a pas encore été
définitivement adopté, des dépenses peuvent être effectuées mensuellement par
chapitre, d’après les dispositions du règlement pris en exécution de
l’article 322 TFUE, dans la limite du douzième des crédits ouverts au
chapitre en question du budget de l’exercice précédent, sans pouvoir dépasser
le douzième des crédits prévus au même chapitre dans le projet de budget.
L’article 316 TFUE concerne, pour sa part, le report à l’exercice
suivant de crédits inutilisés à la fin d’un exercice budgétaire.
118 Quant
à l’article 317 TFUE, il énonce notamment que la Commission exécute
le budget en coopération avec les États membres, conformément aux dispositions
des règlements pris en exécution de l’article 322 TFUE, sous sa
propre responsabilité et dans la limite des crédits alloués, conformément au
principe de la bonne gestion financière. Il exige également que les États
membres coopèrent avec la Commission pour faire en sorte que les crédits soient
utilisés conformément à ce principe et précise qu’un règlement pris en
exécution de l’article 322 TFUE prévoit les obligations de contrôle
et d’audit des États membres dans l’exécution du budget ainsi que les
responsabilités qui en découlent.
119 Il
s’ensuit que les règles financières qui fixent « notamment les modalités
relatives à » l’exécution du budget ainsi qu’à la reddition et à la
vérification des comptes, au sens de l’article 322, paragraphe 1,
sous a), TFUE, lu à la lumière des dispositions visées au point 115 du présent
arrêt, couvrent non seulement les règles définissant la manière dont sont, en
tant que telles, exécutées les dépenses inscrites à ce budget, mais également,
notamment, les règles fixant les obligations de contrôle et d’audit incombant
aux États membres lorsque la Commission exécute le budget en coopération avec
eux, ainsi que les responsabilités qui en découlent. En particulier, il
apparaît clairement que ces règles financières ont vocation, notamment, à
assurer le respect, lors de l’exécution du budget de l’Union, du principe de la
bonne gestion financière, y compris par les États membres.
120 C’est
à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner, en
l’espèce, si l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE pouvait
constituer la base juridique appropriée pour l’adoption du règlement attaqué.
121 À
cet égard, il est de jurisprudence constante que le choix de la base juridique
d’un acte de l’Union doit être fondé sur des éléments objectifs susceptibles de
faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité
et le contenu de cet acte (arrêts du 3 décembre 2019, République
tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035,
point 31 ; du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18,
EU:C:2020:1001, point 38, ainsi que du 8 décembre 2020,
Pologne/Parlement et Conseil, C–626/18, EU:C:2020:1000, point 43).
122 En
outre, peut être pris en compte, pour déterminer la base juridique appropriée,
le contexte juridique dans lequel s’inscrit une nouvelle réglementation,
notamment en ce qu’un tel contexte est susceptible de fournir un éclairage sur
l’objectif poursuivi par cette réglementation (arrêts du 3 décembre 2019,
République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035,
point 32 ; du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18,
EU:C:2020:1001, point 39, ainsi que du 8 décembre 2020,
Pologne/Parlement et Conseil, C‑626/18, EU:C:2020:1000, point 44).
123 En
l’espèce, s’agissant en premier lieu du point de savoir si le règlement attaqué
est susceptible, eu égard à sa finalité, de relever de la base juridique de
l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, la République de Pologne,
soutenue par la Hongrie, fait valoir, en substance, que l’objectif réel de ce
règlement consiste à permettre l’application, en cas de constatation de
violations des principes de l’État de droit, de sanctions au moyen du budget de
l’Union, objectif qui ressortirait, en particulier, de l’article 7,
paragraphe 2, deuxième alinéa, dudit règlement, de son considérant 14,
mais aussi de l’absence de démonstration d’un lien entre le respect de l’État de
droit et la bonne gestion financière du budget de l’Union, de l’exposé des
motifs accompagnant la proposition qui a conduit à l’adoption du règlement
attaqué ainsi que de statistiques dont il découlerait que, lors de l’adoption
de ce règlement, il n’existait aucun besoin de protéger le budget de l’Union.
124 À
cet égard, premièrement, l’article 1er du règlement
attaqué énonce que celui-ci établit « les règles nécessaires à la
protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de
droit dans un État membre ». Il ressort ainsi des termes de cette
disposition que ledit règlement vise à protéger le budget de l’Union contre les
atteintes à ce dernier susceptibles de découler de violations des principes de
l’État de droit dans un État membre.
125 Deuxièmement,
il résulte d’une lecture d’ensemble de l’article 4, paragraphe 1, et
de l’article 6, paragraphe 1, du règlement attaqué que la procédure
prévue aux fins de l’adoption de « mesures appropriées » de
protection du budget de l’Union ne peut être engagée par la Commission que
lorsque cette institution constate qu’il existe des motifs raisonnables de
considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit
ont lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte
ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion
financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers,
d’une manière suffisamment directe.
126 De
plus, il ressort de l’article 5, paragraphes 1 et 3, de ce règlement
que ces mesures appropriées consistent, pour l’essentiel, en des suspensions
des paiements, de l’exécution d’engagements juridiques, du décaissement de
tranches, d’un avantage économique découlant d’un instrument garanti, de
l’approbation de programmes ou d’engagements, en des résiliations d’engagements
juridiques, en des interdictions de contracter de nouveaux engagements
juridiques ou de conclure de nouveaux accords, en des remboursements anticipés
de prêts garantis, en des réductions d’un avantage économique découlant d’un
instrument garanti, d’engagements ou de préfinancements, et en des
interruptions des délais de paiement, et qu’elles doivent être proportionnées,
c’est-à-dire limitées à ce qui est strictement nécessaire au regard de
l’incidence réelle ou potentielle de violations des principes de l’État de
droit sur la gestion financière du budget de l’Union ou sur ses intérêts
financiers.
127 En
outre, selon l’article 7, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement
attaqué, la Commission propose au Conseil la levée des mesures adoptées lorsque
les conditions prévues à l’article 4 de ce règlement ne sont plus remplies
et, partant, notamment lorsqu’il n’existe plus d’atteinte ou de risque sérieux
d’atteinte à la bonne gestion du budget de l’Union ou à la protection de ses
intérêts financiers, de sorte que, ainsi que l’a relevé l’avocat général Campos
Sánchez-Bordona au point 185 de ses conclusions dans l’affaire
Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21, EU:C:2021:974), ces mesures
doivent être levées lorsque l’incidence sur l’exécution budgétaire cesse, alors
même que les violations des principes de l’État de droit qui ont été constatées
peuvent persister.
128 Or,
les types de mesures susceptibles d’être adoptées, les critères relatifs au
choix et à l’étendue de celles-ci ainsi que les conditions d’adoption et de
levée desdites mesures, en ce qu’ils se rattachent tous à une atteinte ou à un
risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou
à la protection des intérêts financiers de l’Union, corroborent le constat
selon lequel le règlement attaqué a pour finalité de protéger le budget de
l’Union lors de son exécution.
129 Par
ailleurs, il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 2, du
règlement attaqué, lu à la lumière du paragraphe 4 de cet article ainsi
que du considérant 19 de ce règlement, que cette disposition vise non pas,
comme le fait valoir la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, à sanctionner
un État membre pour la violation d’un principe de l’État de droit, mais à
préserver les intérêts légitimes des destinataires finaux et des bénéficiaires
lorsque des mesures appropriées sont adoptées au titre dudit règlement à
l’égard d’un État membre. Cette disposition fixe ainsi les conséquences de
telles mesures à l’égard des tiers. Partant, ladite disposition n’est pas de
nature à étayer l’allégation selon laquelle le règlement attaqué viserait,
plutôt qu’à protéger le budget de l’Union, à sanctionner, en tant que telles,
des violations de l’État de droit dans un État membre.
130 Troisièmement,
ainsi que l’a relevé l’avocat général Campos Sánchez-Bordona au point 130
de ses conclusions dans l’affaire Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21,
EU:C:2021:974), les considérants du règlement attaqué
corroborent la finalité poursuivie par ce règlement, telle qu’elle ressort de
son article 1er, consistant à protéger le budget de l’Union. En
effet, les considérants 2 et 7 à 9 dudit règlement énoncent, en
particulier, que le Conseil européen a déclaré que les intérêts financiers de
l’Union doivent être protégés conformément aux valeurs que contient
l’article 2 TUE, que chaque fois que les États membres exécutent le
budget de l’Union, le respect de l’État de droit est une condition essentielle
au respect des principes de la bonne gestion financière consacrés à
l’article 317 TFUE, que les États membres ne peuvent garantir une
bonne gestion financière que si les autorités publiques agissent en conformité
avec le droit, si les violations du droit sont effectivement poursuivies et si
les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques peuvent faire
l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif, et que l’indépendance et
l’impartialité du pouvoir judiciaire ainsi que des services d’enquête et de
poursuites judiciaires sont requises à titre de garantie minimale contre les
décisions arbitraires et illégales d’autorités publiques susceptibles de léser
les intérêts financiers de l’Union. Le considérant 13 du même règlement expose
que, dans ce contexte, il existe donc « un lien manifeste entre le respect
de l’État de droit et la bonne exécution du budget de l’Union, conformément aux
principes de bonne gestion financière », le considérant 15 de celui-ci
précisant, quant à lui, que « [l]es violations des principes de l’État de
droit, en particulier celles qui portent atteinte au bon fonctionnement des
autorités publiques et au caractère effectif du contrôle juridictionnel,
peuvent nuire gravement aux intérêts financiers de l’Union ».
131 Quant
au considérant 14 du règlement attaqué, s’il énonce que le mécanisme prévu par
celui-ci « complète » les instruments qui promeuvent l’État de droit
et son application, il précise que ce mécanisme contribue à cette promotion
« en protégeant le budget de l’Union contre les violations des principes
de l’État de droit qui portent atteinte à sa bonne gestion financière ou à la
protection des intérêts financiers de l’Union ».
132 Quatrièmement,
dans la mesure où la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait
valoir que les considérants 7 à 9, 13 et 15 du règlement attaqué se réfèrent à
l’existence d’un lien entre le respect de l’État de droit et la bonne gestion
financière du budget de l’Union sans toutefois le démontrer, il convient de
relever que le législateur de l’Union a pu déduire les constatations effectuées
auxdits considérants d’expertises dont il a disposé au cours de la procédure
législative, au nombre desquelles figure l’avis no 1/2018 de la
Cour des comptes sur la proposition de règlement du Parlement européen et du
Conseil du 2 mai 2018 relatif à la protection du budget de l’Union en cas
de défaillance généralisée de l’État de droit dans un État membre
(JO 2018, C 291, p. 1), qui a abouti au règlement attaqué. Il
ressort en effet des points 10 et 11 de cet avis que cette institution a
approuvé « le point de vue de la Commission sur le fait que les décisions
arbitraires et illégales d’autorités publiques responsables de la gestion des
fonds sont susceptibles de léser les intérêts financiers de l’Union » et a
reconnu que « l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire sont
indispensables pour garantir la bonne gestion financière et la protection du
budget de l’Union [...], notamment en ce qui concerne l’exercice des droits en
justice, la lutte contre la fraude et les autres intérêts légitimes de
l’Union ».
133 De
même, aux points 1.3 et 1.4 de son avis du 18 octobre 2018 sur
cette proposition de règlement (JO 2019, C 62, p. 173), le
Comité économique et social européen a précisé que « le respect effectif
de l’[É]tat de droit est une condition indispensable pour que les citoyens
aient confiance en l’assurance que les dépenses de l’Union dans les États
membres sont suffisamment protégées », que « la proposition [qui a
conduit à l’adoption de ce règlement] renforcera [...] la protection des
intérêts financiers de l’Union » et qu’« une menace sérieuse,
persistante et systématique sur l’[É]tat de droit, [...] par sa nature même,
pourrait constituer un risque immédiat pour les intérêts financiers de
l’Union ».
134 Cinquièmement,
dans l’exposé des motifs accompagnant sa proposition qui a conduit à l’adoption
du règlement attaqué, la Commission a certes indiqué que des souhaits avaient
été exprimés en faveur d’une intervention de l’Union pour qu’elle protège
l’État de droit et, partant, adopte des mesures visant à garantir son respect.
Toutefois, dans ce même exposé des motifs, la Commission a justifié sa
proposition par la nécessité « de protéger les intérêts financiers de
l’Union contre le risque de perte financière causé par des défaillances
généralisées de l’État de droit dans un État membre ».
135 Sixièmement,
s’agissant des statistiques démontrant qu’il n’aurait existé, lors de
l’adoption du règlement attaqué, aucun besoin objectif de protéger le budget de
l’Union, il y a lieu de relever que ces statistiques portent, selon la
République de Pologne elle-même, sur le pourcentage d’erreurs constatées au
cours des années 2014 à 2016. Or, ce règlement vise à pallier non pas les
erreurs pouvant être commises lors de l’exécution du budget de l’Union, mais
les atteintes et les risques sérieux d’atteintes à ce budget ou à la protection
des intérêts financiers de l’Union pouvant résulter de violations des principes
de l’État de droit.
136 En
tout état de cause, l’argumentation de la République de Pologne visant à
remettre en cause l’opportunité même du règlement attaqué, au motif que ce
dernier ne répondrait pas à un besoin objectif, ne saurait suffire à démontrer
que le législateur de l’Union a outrepassé les limites de ses compétences.
137 Au
regard des considérations qui précèdent, il convient de constater que,
contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, soutenue par la
Hongrie, la finalité du règlement attaqué consiste à protéger le budget de
l’Union contre des atteintes à ce dernier découlant de manière suffisamment
directe de violations des principes de l’État de droit dans un État membre, et
non pas à sanctionner, en soi, de telles violations.
138 Or,
cette finalité est cohérente avec l’exigence selon laquelle le budget de
l’Union doit être exécuté conformément au principe de bonne gestion financière,
posée en particulier à l’article 310, paragraphe 5, TFUE, cette
exigence étant applicable à l’ensemble des dispositions du titre II de la
sixième partie du traité FUE relatives à l’exécution du budget de l’Union et
ainsi, notamment, à l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.
139 En
second lieu, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait, en
substance, valoir que le règlement attaqué ne peut légalement, eu égard à son
contenu, relever de la base juridique de l’article 322, paragraphe 1,
sous a), TFUE, en particulier en ce qui concerne ses articles 2 à 4. En
effet, l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE ne permettrait
ni de préciser les valeurs que contient l’article 2 TUE, ni, partant,
de définir la notion d’« État de droit »,
d’élargir cette notion aux autres valeurs que contient
l’article 2 TUE ou encore de constater des violations de l’État de
droit, quel que soit leur lien avec le budget de l’Union. En outre, aucune
compétence ne serait attribuée à l’Union pour régler certains aspects de la
notion d’« État de droit », tels que les
caractéristiques du processus législatif. La République de Pologne souligne que
le mécanisme institué par le règlement attaqué subordonne les versements
provenant du budget de l’Union au respect par les États membres non pas
d’obligations concrètes, en rapport avec le principe de la bonne gestion
financière, mais des principes de l’État de droit. Or, un mécanisme de
conditionnalité devrait définir précisément les conditions d’obtention des
fonds, lesquelles devraient présenter un lien suffisamment direct avec les
objectifs du financement. Le lien entre la violation de l’une de ces conditions
et la perte du financement devrait être prouvé et une sanction ne pourrait être
prononcée que lorsqu’il est établi que la violation en cause a une incidence
sur la réalisation des objectifs ou sur la bonne utilisation des fonds.
L’article 3 et l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement
seraient néanmoins formulés en des termes très généraux, ne fournissant pas de
critères concrets d’appréciation du respect de l’État de droit. En particulier,
l’article 4, paragraphe 2, sous h), de celui-ci permettrait
d’appréhender des situations et des comportements non encore identifiés,
ouvrant ainsi la voie à l’élaboration ex post des critères visant à apprécier
des violations des principes de l’État de droit et, partant, à conférer au
mécanisme institué par le règlement attaqué le caractère d’un mécanisme de
sanction.
140 À
cet égard, premièrement, les parties à la procédure s’accordent à considérer
qu’un « mécanisme de conditionnalité », qui subordonne le bénéfice de
financements issus du budget de l’Union au respect de certaines conditions, est
susceptible de relever de la notion de « règles financières », au
sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.
141 Toutefois,
tandis que la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, considère qu’une
telle condition doit être étroitement liée soit à l’un des objectifs d’un
programme ou d’une action spécifique de l’Union, soit à la bonne gestion
financière du budget de l’Union, le Parlement et le Conseil, soutenus par le
Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale
d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le
Grand–Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande,
le Royaume de Suède et la Commission, estiment qu’un tel mécanisme peut
également revêtir le caractère d’une « conditionnalité horizontale »,
en ce sens que la condition en cause peut être liée à la valeur de l’État de
droit que contient l’article 2 TUE, qui doit être respectée dans tous
les domaines d’action de l’Union.
142 À
cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de
l’article 2 TUE, l’Union est fondée sur des valeurs, dont l’État de
droit, qui sont communes aux États membres et que, conformément à
l’article 49 TUE, le respect de ces valeurs constitue une condition
préalable à l’adhésion à l’Union de tout État européen demandant à devenir
membre de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box
Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19
et C‑840/19, EU:C:2021:1034, points 160 et 161 ainsi que
jurisprudence citée).
143 En
effet, ainsi qu’il est relevé au considérant 5 du règlement attaqué, lorsqu’un
État candidat devient un État membre, il adhère à une construction juridique
qui repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre
partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent
avec lui, les valeurs communes que contient l’article 2 TUE, sur
lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse relève des caractéristiques
spécifiques et essentielles du droit de l’Union, tenant à sa nature propre, qui
résultent de l’autonomie dont jouit ledit droit à l’égard des droits des États
membres ainsi que du droit international. Elle implique et justifie l’existence
de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces
valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre
[voir, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du
18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, points 166
à 168 ; arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes
Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 30, et du 20 avril
2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 62]. Ce considérant
précise également que les droits et les pratiques des États membres devraient
continuer de respecter les valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée.
144 Il
en découle que le respect par un État membre des valeurs que contient
l’article 2 TUE constitue une condition pour la jouissance de tous
les droits découlant de l’application des traités à cet État membre (arrêts du
20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311,
point 63 ; du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul
Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19,
C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393,
point 162, ainsi que du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19,
C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19,
EU:C:2021:1034, point 162). En effet, le respect de ces valeurs ne saurait
être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue
d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion.
145 Les
valeurs que contient l’article 2 TUE ont été identifiées et sont
partagées par les États membres. Elles définissent l’identité même de l’Union
en tant qu’ordre juridique commun. Ainsi, l’Union doit être en mesure, dans les
limites de ses attributions prévues par les traités, de défendre lesdites
valeurs.
146 Il
en découle que, conformément au principe d’attribution des compétences consacré
à l’article 5, paragraphe 2, TUE, ainsi qu’au principe de cohérence
des politiques de l’Union prévu à l’article 7 TFUE, la valeur commune
à l’Union et aux États membres que constitue l’État de droit, laquelle relève
des fondements mêmes de l’Union et de son ordre juridique, est susceptible de
fonder un mécanisme de conditionnalité couvert par la notion de « règles
financières », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a),
TFUE.
147 À
cet égard, il convient de relever, d’une part, que le budget de l’Union est
l’un des principaux instruments permettant de concrétiser, dans les politiques
et les actions de l’Union, le principe de solidarité, énoncé à
l’article 2 TUE, lequel constitue lui–même l’un des principes
fondamentaux du droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 15 juillet
2021, Allemagne/Pologne, C‑848/19 P, EU:C:2021:598, point 38),
et, d’autre part, que la mise en œuvre de ce principe, au moyen de ce budget,
repose sur la confiance mutuelle entre les États membres dans l’utilisation
responsable des ressources communes inscrites audit budget. Or, cette confiance
mutuelle repose elle-même, ainsi qu’il a été rappelé au point 143 du présent
arrêt, sur l’engagement de chacun des États membres de se conformer aux
obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union et de respecter de
manière continue, comme le relève d’ailleurs le considérant 5 du règlement
attaqué, les valeurs que contient l’article 2 TUE, parmi lesquelles
figure la valeur de l’État de droit.
148 En
outre, ainsi qu’il est relevé au considérant 13 du règlement attaqué, il existe
un lien manifeste entre le respect de la valeur de l’État de droit, d’une part,
et la bonne exécution du budget de l’Union, conformément aux principes de bonne
gestion financière, ainsi que la protection des intérêts financiers de l’Union,
d’autre part.
149 En
effet, cette bonne gestion financière et ces intérêts financiers sont
susceptibles d’être gravement compromis par des violations des principes de
l’État de droit commises dans un État membre, dès lors que ces violations
peuvent avoir pour conséquence, notamment, l’absence de garantie que des
dépenses couvertes par le budget de l’Union satisfont à l’ensemble des
conditions de financement prévues par le droit de l’Union et, partant,
répondent aux objectifs poursuivis par l’Union lorsqu’elle finance de telles
dépenses.
150 En
particulier, le respect de ces conditions et de ces objectifs, en tant
qu’éléments du droit de l’Union, ne saurait être pleinement garanti en
l’absence d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du
droit de l’Union, étant précisé que l’existence d’un tel contrôle, tant dans
les États membres qu’au niveau de l’Union, par des juridictions indépendantes,
est inhérente à un État de droit (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre
2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19,
C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, points 219 ainsi que
222).
151 Il
résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu’allègue la République de
Pologne, soutenue par la Hongrie, un mécanisme de conditionnalité peut
également relever de la notion de « règles financières » visée à
l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE lorsqu’il institue, pour
bénéficier de financements issus du budget de l’Union, une conditionnalité
horizontale qui est liée au respect par un État membre de la valeur de l’État
de droit, que contient l’article 2 TUE, et qui se rapporte à
l’exécution du budget de l’Union.
152 Or,
l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué institue un tel
mécanisme de conditionnalité horizontale, dès lors qu’il prévoit que des
mesures appropriées sont prises lorsqu’il est établi que des violations des
principes de l’État de droit dans un État membre portent atteinte ou présentent
un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de
l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, d’une manière
suffisamment directe.
153 En
effet, il résulte de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement que cette
disposition prévoit de manière exhaustive les « mesures appropriées »
pouvant être adoptées, qui sont résumées au point 126 du présent arrêt et qui
se rapportent effectivement toutes à l’exécution du budget de l’Union.
154 S’agissant
de la condition prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement
attaqué, tenant à l’existence de « violations des principes de l’État de
droit », l’article 2, sous a), de celui-ci énonce que la notion
d’« État de droit » s’entend, au sens de ce règlement, comme étant la
« valeur de l’Union consacrée à l’article 2 [TUE] » et précise
que cette notion recouvre les principes de légalité, de sécurité juridique,
d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection
juridictionnelle effective, de séparation des pouvoirs ainsi que de
non-discrimination et d’égalité devant la loi. La même disposition souligne,
néanmoins, que la notion d’« État de
droit », telle que définie pour les besoins de l’application dudit
règlement, « s’entend eu égard aux autres valeurs et principes de l’Union
consacrés à l’article 2 TUE ». Il s’ensuit que le respect de ces
valeurs et de ces principes, en ce qu’ils participent à la définition même de
la valeur de l’« État de droit » que
contient l’article 2 TUE ou, ainsi qu’il ressort de la seconde phrase
de cet article, sont intimement liés à une société respectueuse de l’État de
droit, peut être exigé dans le cadre d’un mécanisme de conditionnalité
horizontale, tel que celui institué par le règlement attaqué.
155 En
outre, l’article 3 du règlement attaqué, qui cite des cas qui peuvent être
indicatifs de violations de ces principes, au nombre desquels figure le fait de
ne pas veiller à l’absence de conflits d’intérêts, vise, ainsi que l’a relevé
l’avocat général Campos Sánchez-Bordona aux points 152 et 280 de ses
conclusions dans l’affaire Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21, EU:C:2021:974), à faciliter l’application de ce règlement.
156 Quant
à l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, il découle de
celui-ci que, pour relever du mécanisme de conditionnalité horizontale institué
au paragraphe 1 de cet article, les violations des principes de l’État de
droit doivent concerner les situations ou les comportements des autorités qui
sont énumérés aux points a) à h) de ce paragraphe 2, pour autant qu’ils
sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour
la protection des intérêts financiers de l’Union.
157 Il
résulte de ce qui précède que l’article 2, sous a), l’article 3,
l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5, paragraphe 1, du
règlement attaqué sont des éléments constitutifs du mécanisme de
conditionnalité horizontale institué à l’article 4, paragraphe 1, de
ce règlement, en énonçant les définitions nécessaires à sa mise en œuvre, en
précisant son champ d’application et en prévoyant les mesures auxquelles il est
susceptible d’aboutir. Ces dispositions font ainsi partie intégrante de ce
mécanisme et relèvent, dès lors, de la notion de « règles
financières », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a),
TFUE.
158 Deuxièmement,
cette constatation n’est pas infirmée par l’argumentation de la République de
Pologne, soutenue par la Hongrie, selon laquelle aucune compétence n’aurait été
attribuée à l’Union pour adopter une réglementation concernant des aspects
spécifiques de la notion d’« État de
droit », tels qu’un processus législatif responsable, démocratique et
transparent.
159 En
effet, ainsi qu’il a été relevé au point 125 du présent arrêt, il résulte d’une
lecture d’ensemble de l’article 4, paragraphe 1, et de
l’article 6, paragraphe 1, du règlement attaqué que la procédure
qu’il prévoit aux fins de l’adoption de « mesures appropriées » de
protection du budget de l’Union ne peut être engagée par la Commission que
lorsque cette institution constate qu’il existe des motifs raisonnables de
considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit
ont eu lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent
atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion
financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers,
d’une manière suffisamment directe.
160 De
plus, ainsi qu’il a été constaté au point 156 du présent arrêt, il découle de
l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué que, pour relever du
mécanisme de conditionnalité horizontale institué au paragraphe 1 de cet
article, les violations des principes de l’État de droit doivent concerner les
situations ou les comportements des autorités qui sont énumérés aux points a) à
h) de ce paragraphe 2, pour autant qu’ils sont pertinents pour la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts
financiers de l’Union.
161 Or,
cette pertinence peut être présumée s’agissant de l’activité des autorités
exécutant le budget de l’Union et chargées du contrôle, du suivi et de l’audit
financier, visées aux points a) et b) dudit paragraphe 2. Quant aux
services d’enquête et de poursuites judiciaires, leur bon fonctionnement n’est
visé, au point c) de celui-ci, que pour autant qu’il concerne des violations du
droit de l’Union portant sur l’exécution du budget de l’Union ou sur la
protection des intérêts financiers de l’Union. Il en va de même s’agissant de
la prévention et de la sanction, par les juridictions nationales ou les
autorités administratives, des violations du droit de l’Union mentionnées au
point e). S’agissant du contrôle juridictionnel énoncé au point d), il n’est
visé que dans la mesure où il concerne le comportement des autorités mentionné
auxdits points a) à c). Le recouvrement de fonds indûment versés, prévu au
point f), ne vise que des fonds provenant du budget de l’Union, ce qui est
également le cas de la coopération avec l’OLAF et le Parquet européen,
mentionnée au point g). Enfin, le point h) vise expressément toute autre
situation et tout autre comportement des autorités pertinents pour la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection de ses intérêts
financiers.
162 Il
s’ensuit que, contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne,
soutenue par la Hongrie, d’une part, le règlement attaqué ne permet aux
institutions de l’Union de procéder à un examen de situations dans les États
membres que pour autant que celles-ci sont pertinentes pour la bonne gestion financière
du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union et,
d’autre part, des mesures appropriées ne peuvent être adoptées au titre de ce
règlement que lorsqu’il est établi que de telles situations comportent une
violation de l’un des principes de l’État de droit qui porte atteinte ou
présente un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment
directe, à cette bonne gestion financière ou à la protection de ces intérêts
financiers.
163 Or,
ces situations, qui sont pertinentes pour l’exécution du budget de l’Union, non
seulement entrent dans le champ d’application du droit de l’Union, mais peuvent
également, ainsi qu’il a été constaté au point 151 du présent arrêt, relever
d’une règle financière, au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous
a), TFUE, prenant la forme d’un mécanisme de conditionnalité horizontale lié au
respect par un État membre de la valeur de l’État de droit.
164 Troisièmement,
contrairement à ce qu’allègue la République de Pologne, soutenue par la
Hongrie, le fait qu’un mécanisme de conditionnalité horizontale répondant aux
critères identifiés au point 151 du présent arrêt, tenant au respect par un
État membre de la valeur de l’État de droit que contient
l’article 2 TUE et se rapportant à l’exécution du budget de l’Union,
peut relever de la notion de « règles financières qui fixent notamment les
modalités relatives [...] à l’exécution du budget », au sens de
l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, n’étend pas la portée de
cette notion au-delà de ce qui est nécessaire pour la bonne exécution du budget
de l’Union.
165 En
effet, l’article 4 du règlement attaqué limite, à son paragraphe 2,
le champ d’application du mécanisme de conditionnalité institué par ledit
règlement aux situations et aux comportements d’autorités qui présentent un
lien avec l’exécution du budget de l’Union et exige, à son paragraphe 1,
que l’adoption de mesures appropriées soit subordonnée à l’existence de
violations des principes de l’État de droit qui portent atteinte ou présentent
un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de
l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers d’une manière
suffisamment directe. Cette dernière condition exige ainsi qu’un lien réel soit
établi entre ces violations et une telle atteinte ou un tel risque sérieux
d’atteinte.
166 Il
y a lieu de souligner, à cet égard, que l’application de l’article 4,
paragraphes 1 et 2, du règlement attaqué est soumise aux exigences
procédurales spécifiées à l’article 6, paragraphes 1 à 9, de ce
règlement, lesquelles impliquent, ainsi que le relève le considérant 26 dudit
règlement, l’obligation pour la Commission de se fonder, lorsqu’elle examine si
l’adoption de mesures appropriées est justifiée, sur des éléments concrets et
de respecter les principes d’objectivité, de non-discrimination et d’égalité
des États membres devant les traités.
167 En
ce qui concerne plus particulièrement la détection et l’évaluation de
violations des principes de l’État de droit, le considérant 16 du règlement
attaqué précise que cette évaluation doit être objective, impartiale et
équitable. En outre, le respect de l’ensemble de ces obligations est soumis à
un contrôle juridictionnel entier par la Cour.
168 Quatrièmement,
en ce qui concerne les objections selon lesquelles le mécanisme de
conditionnalité institué par le règlement attaqué ne subordonnerait pas les
versements provenant du budget de l’Union au respect par les États membres
d’obligations concrètes définies précisément, l’article 3 et
l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement emploieraient des termes
généraux ne fixant pas des critères concrets d’appréciation du respect de
l’État de droit et l’article 4, paragraphe 2, sous h), de celui-ci
permettrait d’appréhender des situations et des comportements non encore
identifiés, il convient de relever, tout d’abord, qu’il résulte de
l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement que la condition relative
à l’État de droit vise le respect des principes énoncés à l’article 2, sous
a), du même règlement.
169 Or,
le respect des principes de l’État de droit constitue une obligation de
résultat pour les États membres, qui découle directement, ainsi qu’il a été
rappelé aux points 142 à 145 du présent arrêt, de leur appartenance à l’Union.
Le considérant 3 du règlement attaqué souligne que ces principes ont fait
l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour, tandis que les considérants 8
à 10 et 12 de ce règlement énoncent les principales exigences découlant de
ceux-ci. Lesdits principes sont encore précisés à l’article 3 dudit
règlement, par l’exposé de cas qui peuvent être indicatifs de violations de
ceux-ci, ainsi qu’à l’article 4, paragraphe 2, du même règlement, par
l’identification de situations et de comportements des autorités susceptibles de
donner lieu à l’adoption de mesures appropriées lorsque les conditions énoncées
au paragraphe 1 de cet article 4 sont satisfaites.
170 Ensuite,
le caractère général des termes employés à l’article 3 et à
l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué n’est pas de nature à
remettre en cause le choix de l’article 322, paragraphe 1, sous a),
TFUE en tant que base juridique de ce règlement.
171 D’une
part, en ce qui concerne l’article 3 du règlement attaqué, sans préjudice
de la question de savoir si les éléments d’appréciation du respect des
principes de l’État de droit fixés à cet article satisfont aux exigences du
principe de sécurité juridique, ce qui fait l’objet du neuvième moyen, il ne
saurait être exigé du législateur de l’Union qu’il précise, dans le cadre d’un
tel mécanisme de conditionnalité, toutes les hypothèses de violation des
principes constitutifs de l’État de droit, une telle violation se caractérisant
par la méconnaissance d’exigences connues de manière suffisamment concrète et
précise par les États membres. Dès lors que, ainsi qu’il a été relevé au point
155 du présent arrêt, ledit article 3 se borne à citer des cas qui peuvent
être indicatifs de violations des principes constitutifs de l’État de droit,
afin de faciliter l’application de ce mécanisme, ce même article se rattache,
ainsi qu’il a été relevé au point 157 du présent arrêt, de manière
indissociable audit mécanisme et n’est ainsi pas de nature à remettre en cause
le choix de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE en tant que
base juridique du règlement attaqué.
172 D’autre
part, en ce qui concerne l’article 4, paragraphe 2, du règlement
attaqué, ainsi qu’il a été rappelé au point 156 du présent arrêt, cette
disposition précise que, pour pouvoir relever du mécanisme de conditionnalité
horizontale institué au paragraphe 1 de cet article, les violations des
principes de l’État de droit doivent concerner des situations ou des
comportements des autorités qui y sont visés, pour autant qu’ils sont
pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la
protection des intérêts financiers de l’Union.
173 Or,
contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, soutenue par la
Hongrie, cette disposition, en particulier le point h) de celle-ci, n’est ni de
nature à rendre non exhaustifs les cas de figure appréhendés par le mécanisme
de conditionnalité institué par le règlement attaqué ni insuffisamment précise
pour faire partie de celui-ci.
174 En
effet, il découle d’une lecture combinée de l’article 4,
paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du
règlement attaqué que des mesures appropriées sont prises lorsqu’il est établi
qu’une violation de l’un des principes mentionnés à l’article 2,
sous a), de ce règlement a été commise et concerne une situation imputable
à une autorité d’un État membre ou un comportement d’une telle autorité, pour
autant que cette situation ou ce comportement est pertinent pour la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou la protection de ses intérêts financiers,
et que ladite violation porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter
atteinte, de manière suffisamment directe, à cette bonne gestion financière ou
à ces intérêts financiers.
175 Par
ailleurs, l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, en ce
qu’il vise, à ses points a) à g), certaines autorités, dont les
« autorités exécutant le budget de l’Union », les « autorités
chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financiers » ou encore les
« autorités administratives », fournit des indications sur les
autorités auxquelles se réfère son point h).
176 De
plus, il peut être déduit de la définition de la notion d’« entité
publique » figurant à l’article 2, sous b), du règlement attaqué que
sont visées les autorités publiques à tout niveau de gouvernement, incluant les
autorités nationales, régionales et locales, ainsi que les établissements de
droit public, voire les entités de droit privé investies d’une mission de
service public et dotées de garanties financières suffisantes par l’État membre.
Cette constatation est corroborée par les considérants 3, 8, 9, 15 et 19 de ce
règlement ainsi que par l’article 3, sous b), de celui-ci qui visent
exclusivement des « autorités publiques », des « autorités
répressives » et des « autorités nationales ».
177 Ainsi,
dès lors qu’il résulte sans équivoque des termes de l’article 4,
paragraphe 2, du règlement attaqué que sont visés exclusivement des
situations ou des comportements imputables à une autorité d’un État membre pour
autant que ces situations ou ces comportements sont pertinents pour la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection des intérêts
financiers de l’Union, l’argumentation de la République de Pologne tirée de ce
qu’elle ne peut identifier, sur le fondement de ces critères, de manière
suffisamment concrète et précise, les situations et les comportements visés et
de ce que, partant, cette disposition ne saurait être un élément constitutif du
mécanisme de conditionnalité institué par le règlement attaqué sur le fondement
de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE doit être rejetée.
178 Cinquièmement,
s’agissant des critiques dirigées contre la prétendue absence d’exigence de
démontrer l’existence d’un lien suffisamment direct entre la violation d’un
principe de l’État de droit et la protection du budget ou des intérêts
financiers de l’Union, il convient de rappeler que l’article 4,
paragraphe 2, du règlement attaqué subordonne l’adoption de mesures
appropriées au titre du paragraphe 1 de cet article à l’existence d’une
violation des principes de l’État de droit qui concerne des situations ou des
comportements des autorités qui sont pertinents pour la bonne gestion
financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de
l’Union. De plus, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de ce
règlement, seules des violations de ces principes qui portent atteinte
« d’une manière suffisamment directe » à cette bonne gestion
financière ou à ces intérêts financiers ou qui présentent un risque sérieux d’y
porter atteinte « d’une manière suffisamment directe » peuvent
justifier l’adoption de mesures au titre dudit règlement.
179 Partant,
l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement attaqué exige que soit
systématiquement établi un lien suffisamment direct entre une telle violation
et une atteinte ou un risque sérieux d’atteinte à cette bonne gestion ou à ces
intérêts financiers, ce lien devant, ainsi qu’il a été relevé au point 165 du
présent arrêt, présenter un caractère réel. Il résulte par ailleurs des points
168 à 170 du présent arrêt que ce lien s’attache à la méconnaissance par un
État membre de l’une des obligations de résultat qui relèvent de la valeur de
l’État de droit que contient l’article 2 TUE et qu’il s’est engagé,
par son adhésion à l’Union, à assumer pleinement.
180 Dès
lors, et compte tenu également de ce qui a été exposé au point 166 du présent arrêt,
c’est à tort que la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir
qu’un tel lien pourrait être automatiquement constaté.
181 Sixièmement,
en ce qui concerne l’allégation selon laquelle le pouvoir d’appréciation
conféré par le règlement attaqué au Conseil et à la Commission permettrait à
ces institutions d’utiliser le mécanisme de conditionnalité institué par ce
règlement comme un mécanisme de sanction de violations des principes de l’État
de droit, en se fondant sur des appréciations de nature politique, celle-ci ne
saurait davantage prospérer.
182 En
effet, à la lumière des exigences rappelées aux points 166 et 167 du présent
arrêt, il ne saurait être présumé, comme le fait la République de Pologne, que
le pouvoir d’appréciation conféré à la Commission et au Conseil permettrait à
ces institutions d’appliquer le mécanisme de conditionnalité institué par le
règlement attaqué comme un mécanisme de sanction de violations des principes de
l’État de droit.
183 Septièmement,
c’est à tort que la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir
que le règlement attaqué aurait dû être fondé sur l’article 311, troisième
alinéa, TFUE, relatif au système de ressources propres, ou sur
l’article 312, paragraphe 2, TFUE, relatif au cadre financier
pluriannuel.
184 En
effet, d’une part, aux termes de l’article 311, troisième alinéa, TFUE, le
Conseil « adopte une décision fixant les dispositions applicables au
système des ressources propres de l’Union », étant précisé qu’il lui
« est possible, dans ce cadre, d’établir de nouvelles catégories de
ressources propres ou d’abroger une catégorie existante ».
185 Or,
ainsi que l’a fait valoir à bon droit le Conseil, le règlement attaqué
n’établit pas de nouvelle catégorie de ressources propres de l’Union et n’en
abroge aucune. De plus, il ne régit pas l’interaction entre les différents
types de ressources propres et n’établit pas de modalités d’application
relatives à la perception desdites ressources propres.
186 S’il
est vrai que ce règlement peut également porter sur des violations des
principes de l’État de droit ayant une incidence sur la perception des
ressources propres de l’Union, il n’en demeure pas moins qu’il a pour objet non
pas de moduler ou d’adapter la perception de ces ressources en fonction des
violations constatées, mais d’adopter des mesures appropriées concernant des
dépenses à effectuer à partir du budget de l’Union lorsque lesdites violations
portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts
financiers de l’Union. Il s’ensuit qu’il porte non pas sur la perception des
ressources propres de l’Union mais sur l’exécution de son budget.
187 D’autre
part, l’article 312, paragraphe 2, TFUE dispose que le Conseil
« adopte un règlement fixant le cadre financier pluriannuel ».
188 Or,
le règlement attaqué n’a nullement pour objet, ainsi que le Conseil l’a relevé
à bon droit, de planifier les dépenses de l’Union sur une période donnée en
fixant les montants des plafonds annuels des crédits d’engagement et des
crédits de paiement. Ce règlement est, en outre, conçu comme un mécanisme
permanent de conditionnalité s’appliquant au–delà des limites d’un cadre
financier pluriannuel donné.
189 Eu
égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, les allégations de la
République de Pologne, soutenue par la Hongrie, tirées d’un défaut de base
juridique du règlement attaqué, en ce que ce dernier n’établirait pas de règles
financières au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE,
doivent être écartées.
190 Cela
étant, il convient encore de vérifier si, comme le fait valoir, en substance,
la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, des règles financières
telles que celles prévues par le règlement attaqué ne sauraient être adoptées
par le législateur de l’Union, du fait qu’elles contournent l’article 7 TUE et
l’article 269 TFUE.
b) Sur
le contournement de l’article 7 TUE et de
l’article 269 TFUE
191 En
premier lieu, s’agissant du caractère exclusif de la procédure prévue à
l’article 7 TUE pour la protection des valeurs que contient
l’article 2 TUE, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie,
fait valoir, en substance, qu’une violation des principes de l’État de droit ne
peut être constatée que par le Conseil européen, en application de
l’article 7, paragraphe 2, TUE. Seule cette institution pourrait, en
raison de sa composition, assurer le contrôle du respect de la valeur de l’État
de droit, lequel présenterait un caractère discrétionnaire et serait
susceptible d’être tributaire de considérations politiques. La seule exception
à ce pouvoir exclusif du Conseil européen résulterait de l’obligation pour les
États membres, découlant de l’article 19, paragraphe 1, TUE,
d’assurer un contrôle juridictionnel effectif. Ce pouvoir exclusif serait
confirmé par l’arrêt du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie
(Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (C‑354/20 PPU et
C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033,
points 57 à 60), par lequel la Cour a jugé que, lorsque des défaillances
systémiques sont constatées en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir
judiciaire d’un État membre, le mécanisme du mandat d’arrêt européen ne peut
être suspendu que par le Conseil, en application de l’article 7,
paragraphe 3, TUE.
192 À
cet égard, premièrement, il convient de rappeler que les valeurs fondatrices de
l’Union et communes aux États membres, que contient l’article 2 TUE,
comprennent celles du respect de la dignité humaine, de la liberté, de la
démocratie, de l’égalité, de l’État de droit et du respect des droits de
l’homme, dans une société caractérisée notamment par la non-discrimination, la
justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.
193 Le
préambule de la Charte rappelle, notamment, que l’Union repose sur les
principes de la démocratie et de l’État de droit et reconnaît les droits, les
libertés et les principes énoncés dans ladite Charte. Les articles 6, 10 à
13, 15, 16, 20, 21 et 23 de celle-ci précisent la portée des valeurs de la
dignité humaine, de la liberté, de l’égalité, du respect des droits de l’homme,
de la non-discrimination et de l’égalité entre les femmes et les hommes, que
contient l’article 2 TUE. L’article 47 de la Charte ainsi que
l’article 19 TUE garantissent notamment le droit à un recours
effectif et le droit d’accéder à un tribunal indépendant et impartial
préalablement établi par la loi, s’agissant de la protection des droits et des
libertés garantis par le droit de l’Union.
194 Par
ailleurs, les articles 8 et 10, l’article 19, paragraphe 1,
l’article 153, paragraphe 1, sous i), et l’article 157,
paragraphe 1, TFUE précisent la portée des valeurs d’égalité, de
non-discrimination et d’égalité entre les femmes et les hommes et permettent au
législateur de l’Union d’adopter des normes de droit dérivé visant à mettre en
œuvre ces valeurs.
195 Il
résulte des deux points précédents que, contrairement à ce que fait valoir la
République de Pologne, soutenue par la Hongrie, outre la procédure prévue à
l’article 7 TUE, de nombreuses dispositions des traités, fréquemment
concrétisées par divers actes de droit dérivé, confèrent aux institutions de
l’Union la compétence d’examiner, de constater et, le cas échéant, de faire
sanctionner des violations des valeurs énoncées à l’article 2 TUE
commises dans un État membre.
196 S’agissant
en particulier de la valeur de l’État de droit, certains aspects de celle-ci
sont protégés par l’article 19 TUE, comme le reconnaît d’ailleurs la
République de Pologne. Il en va de même des articles 47 à 50 de la Charte,
figurant au titre VI de celle-ci, intitulé « Justice », et qui
garantissent, respectivement, le droit à un recours effectif et à accéder à un
tribunal impartial, la présomption d’innocence et les droits de la défense, les
principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines et le
droit à ne pas être jugé ou puni deux fois pour une même infraction.
197 Plus
spécifiquement, la Cour a dit pour droit que l’article 19 TUE, qui
concrétise la valeur de l’État de droit que contient l’article 2 TUE,
requiert des États membres, conformément au paragraphe 1, second alinéa,
dudit article 19, qu’ils prévoient un système de voies de recours et de
procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection
juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union
[voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination
des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153,
points 108 et 109 ainsi que jurisprudence citée]. Or, le respect de cette
exigence peut être contrôlé par la Cour, notamment lors d’un recours en
manquement introduit par la Commission au titre de l’article 258 TFUE
[voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne
(Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531,
points 58 et 59, ainsi que du 5 novembre 2019, Commission/Pologne
(Indépendance des juridictions de droit commun), C‑192/18, EU:C:2019:924,
points 106 et 107].
198 La
Cour a en outre dit pour droit que l’article 19, paragraphe 1, second
alinéa, TUE, interprété à la lumière de l’article 47 de la Charte, met à
la charge des États membres une obligation de résultat claire et précise et qui
n’est assortie d’aucune condition en ce qui concerne l’indépendance devant
caractériser les juridictions appelées à interpréter et à appliquer le droit de
l’Union, de sorte qu’il appartient à une juridiction nationale d’écarter toute
disposition du droit national enfreignant l’article 19, paragraphe 1,
second alinéa, TUE, le cas échéant après avoir obtenu de la Cour une
interprétation de cette dernière disposition dans le cadre d’une procédure de
renvoi préjudiciel [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021,
A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18,
EU:C:2021:153, points 142 à 146].
199 Il
découle ainsi des considérations figurant aux points 195 à 198 du présent arrêt
que l’argumentation de la République de Pologne selon laquelle la valeur de
l’État de droit ne peut être protégée par l’Union que dans le seul cadre de la
procédure prévue à l’article 7 TUE doit être écartée.
200 Deuxièmement,
à supposer même que le contrôle, par les représentants des États membres au
sein du Conseil européen et du Conseil, du respect de la valeur de l’État de
droit dans le cadre d’une procédure au titre de l’article 7 TUE
puisse être fondé sur des considérations politiques, en tout état de cause, il
n’en découle pas pour autant que toute appréciation du respect de cette valeur
au titre d’une autre disposition du droit de l’Union serait nécessairement de
même nature, ce que la République de Pologne reconnaît, d’ailleurs, lorsqu’elle
se réfère à l’article 19 TUE.
201 Or,
s’agissant du règlement attaqué, ainsi qu’il a été relevé aux points 168, 169
et 179 du présent arrêt, l’obligation de respecter les principes énoncés à son
article 2, sous a), constitue une obligation de résultat pour les États
membres, qui découle directement, ainsi qu’il a été rappelé aux points 142 à
145 du présent arrêt, de leur appartenance à l’Union, en vertu de
l’article 2 TUE. Par ailleurs, le considérant 3 du règlement attaqué
rappelle que ces principes ont fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la
Cour, tandis que les considérants 8 à 10 et 12 de ce règlement énoncent les
principales exigences découlant de ceux-ci et que lesdits principes sont encore
précisés tant à l’article 3 dudit règlement, par l’exposé de cas qui
peuvent être indicatifs de violations de ceux-ci qu’à l’article 4,
paragraphe 2, du même règlement, par l’identification de situations et de
comportements des autorités susceptibles de donner lieu à l’adoption de mesures
appropriées lorsque les conditions énoncées au paragraphe 1 de cet
article 4 sont satisfaites.
202 En
outre, il a été relevé aux points 166 et 167 du présent arrêt que les
appréciations de la Commission et du Conseil sont soumises aux exigences
procédurales spécifiées à l’article 6, paragraphes 1 à 9, du
règlement attaqué.
203 Or,
dans ces conditions, c’est à tort que la République de Pologne allègue que les
principes mentionnés à l’article 2, sous a), du règlement attaqué sont de
nature uniquement politique et que le contrôle de leur respect n’est pas
susceptible de faire l’objet d’une appréciation strictement juridique.
204 Troisièmement,
contrairement à ce que soutient la République de Pologne, l’arrêt du
17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité
judiciaire d’émission) (C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU,
EU:C:2020:1033), n’a aucunement consacré le caractère exclusif de
l’article 7 TUE, mais s’est borné à déterminer les cas dans lesquels
des défaillances systémiques et généralisées concernant l’indépendance du
pouvoir judiciaire dans l’État membre d’émission d’un mandat d’arrêt européen
peuvent justifier que ce mandat ne soit pas exécuté.
205 En
second lieu, en ce qui concerne le prétendu contournement par le règlement
attaqué tant de la procédure prévue à l’article 7 TUE que de la limitation
des compétences de la Cour prévue à l’article 269 TFUE, la République
de Pologne, soutenue par la Hongrie, allègue, en substance, que le mécanisme de
conditionnalité institué par ce règlement et la procédure prévue à
l’article 7 TUE coïncident en termes d’objectifs, de principes et de
mesures auxquelles leur mise en œuvre est susceptible d’aboutir. Or, ledit
règlement fixerait des règles procédurales plus souples que celles prévues à
l’article 7 TUE et ledit mécanisme de conditionnalité aurait une
portée plus étendue et pourrait être mis en œuvre plus rapidement que la
procédure prévue à cet article, de sorte qu’il priverait de tout effet utile
cette procédure, conduisant à un contournement manifeste de celle-ci. Seul
l’article 7 TUE autoriserait en effet le Conseil européen et le
Conseil à contrôler le respect de l’État de droit dans les domaines relevant de
la compétence exclusive des États membres. En conséquence, la Cour ne
disposerait pas de modèles de contrôle suffisants lui permettant d’apprécier,
lors du contrôle juridictionnel d’une décision du Conseil adoptée au titre du
règlement attaqué, la conformité de l’action d’un État membre aux obligations
qui lui incombent en vertu du droit de l’Union. La définition de l’État de
droit figurant à l’article 2, sous a), de ce règlement deviendrait ainsi,
de manière générale, contraignante, tant dans le cadre d’une procédure engagée
au titre de l’article 7 TUE ayant pour objet une violation de cette
valeur ou un risque sérieux de violation de celle-ci, que dans celui d’un
contrôle juridictionnel effectué par la Cour sur une décision instituant des
mesures appropriées au titre dudit règlement, en violation de
l’article 269 TFUE.
206 À
cet égard, premièrement, il y a lieu de relever que le législateur de l’Union
ne saurait instaurer, sans violer l’article 7 TUE, une procédure
parallèle à celle prévue à cette disposition, qui aurait, en substance, le même
objet, poursuivrait le même objectif et permettrait l’adoption de mesures
identiques, tout en prévoyant l’intervention d’autres institutions ou des
conditions matérielles et procédurales différentes de celles prévues à ladite
disposition.
207 Toutefois,
il est loisible au législateur de l’Union, lorsqu’il dispose d’une base
juridique à cette fin, d’instituer, dans un acte de droit dérivé, d’autres
procédures portant sur les valeurs que contient l’article 2 TUE, au
nombre desquelles figure l’État de droit, pour autant que ces procédures se
distinguent tant par leur but que par leur objet de la procédure prévue à
l’article 7 TUE (voir, par analogie, arrêt du 7 février 1979,
France/Commission, 15/76 et 16/76, EU:C:1979:29, point 26 ;
ordonnance du 11 juillet 1996, An Taisce et WWF UK/Commission, C‑325/94 P,
EU:C:1996:293, point 25 , ainsi que arrêt du 11 janvier 2001,
Grèce/Commission, C‑247/98, EU:C:2001:4, point 13).
208 En
l’espèce, s’agissant des finalités respectives de la procédure visée à
l’article 7 TUE et de celle prévue par le règlement attaqué, il
résulte de l’article 7, paragraphes 2 à 4, TUE que la procédure
prévue à cet article permet notamment au Conseil, lorsque le Conseil européen a
constaté des violations graves et persistantes par un État membre des valeurs
que contient l’article 2 TUE, de suspendre certains des droits découlant
de l’application des traités à cet État membre, y compris les droits de vote du
représentant du gouvernement de cet État membre au Conseil, et que le Conseil
peut décider par la suite de modifier les mesures qu’il a prises ou d’y mettre
fin pour répondre à des changements de la situation qui l’a conduit à imposer
ces mesures.
209 La
procédure prévue à l’article 7 TUE a ainsi pour finalité de permettre
au Conseil de sanctionner des violations graves et persistantes des valeurs que
contient l’article 2 TUE, en vue, notamment, d’enjoindre à l’État
membre concerné de mettre un terme à ces violations.
210 En
revanche, ainsi qu’il ressort des points 124 à 137 du présent arrêt, il résulte
de la nature des mesures susceptibles d’être adoptées en vertu du règlement attaqué
ainsi que des conditions d’adoption et de levée de ces mesures que la procédure
instituée par ce règlement a pour finalité d’assurer, conformément au principe
de bonne gestion financière énoncé à l’article 310, paragraphe 5, et
à l’article 317, premier alinéa, TFUE, la protection du budget de l’Union
en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre et non
pas de sanctionner, au moyen du budget de l’Union, des violations des principes
de l’État de droit.
211 Il
s’ensuit que la procédure prévue par le règlement attaqué poursuit une finalité
différente de celle de l’article 7 TUE.
212 En
ce qui concerne l’objet de chacune de ces deux procédures, il y a lieu de
relever que le champ d’application de la procédure prévue à l’article 7 TUE
porte sur l’ensemble des valeurs que contient l’article 2 TUE, tandis
que celui de la procédure instituée par le règlement attaqué ne porte que sur
l’une de ces valeurs, à savoir l’État de droit.
213 De
plus, l’article 7 TUE permet d’appréhender toute violation grave et
persistante d’une valeur que contient l’article 2 TUE, tandis que le
règlement attaqué n’autorise l’examen des violations des principes de l’État de
droit mentionnés à son article 2, sous a), que pour autant qu’il existe
des motifs raisonnables de considérer qu’elles ont une incidence budgétaire.
214 Quant
aux conditions d’engagement des deux procédures, il convient de relever que la
procédure prévue à l’article 7 TUE peut être engagée, aux termes de
son paragraphe 1, lorsqu’il existe un risque clair de violation grave par
un État membre des valeurs que contient l’article 2 TUE, le droit
d’initiative appartenant à un tiers des États membres, au Parlement ou à la
Commission, le seuil requis étant initialement celui d’un risque clair d’une
violation grave de ces valeurs, puis, s’agissant de la suspension, en vertu de
l’article 7, paragraphes 2 et 3, TUE, de certains des droits
découlant de l’application des traités à l’État membre concerné, d’une
violation grave et persistante par celui-ci de ces valeurs. En revanche, la
procédure instituée par le règlement attaqué peut être engagée par la seule
Commission, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de considérer non
seulement que des violations des principes de l’État de droit ont eu lieu dans
un État membre, mais aussi et surtout que ces violations portent atteinte ou
présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière
du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, d’une
manière suffisamment directe.
215 Par
ailleurs, la seule condition matérielle requise pour l’adoption de mesures au
titre de l’article 7 TUE réside dans la constatation, par le Conseil
européen, de l’existence d’une violation grave et persistante par un État
membre des valeurs que contient l’article 2 TUE. En revanche, ainsi
qu’il a été relevé au point 165 du présent arrêt, selon l’article 4,
paragraphes 1 et 2, du règlement attaqué, des mesures au titre de ce
règlement ne peuvent être prises que lorsque deux conditions sont réunies.
D’une part, il doit être établi qu’une violation des principes de l’État de
droit dans un État membre concerne au moins l’une des situations ou l’un des
comportements des autorités visés à ce paragraphe 2, pour autant qu’ils
sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la
protection des intérêts financiers de l’Union. D’autre part, il doit également
être démontré que ces violations portent atteinte ou présentent un risque
sérieux de porter atteinte à cette bonne gestion financière ou à ces intérêts
financiers, d’une manière suffisamment directe, cette condition impliquant
ainsi d’établir l’existence d’un lien réel entre ces violations et une telle
atteinte ou un tel risque sérieux d’atteinte.
216 Quant
à la nature des mesures pouvant être adoptées sur le fondement de
l’article 7, paragraphe 3, TUE, celles-ci consistent en la suspension
de « certains des droits découlant de l’application des traités à l’État
membre en question, y compris les droits de vote du représentant du
gouvernement de cet État membre au Conseil » et peuvent, partant, porter
sur tout droit découlant de l’application des traités à l’État membre en
question. En revanche, les mesures pouvant être adoptées en vertu du règlement
attaqué sont, pour leur part, limitées à celles énumérées à son article 5,
paragraphe 1, et résumées au point 126 du présent arrêt, qui sont toutes
de nature budgétaire.
217 Enfin,
l’article 7 TUE n’envisage la modification et la levée des mesures
adoptées que pour répondre à des changements de la situation ayant conduit à
leur adoption. En revanche, l’article 7, paragraphe 2, deuxième et troisième alinéas, du règlement attaqué rattache
la levée et la modification des mesures adoptées aux conditions d’adoption des
mesures visées à l’article 4 de ce règlement. Partant, ces mesures peuvent
être levées ou modifiées non seulement dans l’hypothèse où il est mis fin, au
moins en partie, aux violations des principes de l’État de droit dans l’État
membre concerné, mais surtout dans celle où ces violations, quoique perdurant,
n’ont plus d’incidence sur le budget de l’Union. Tel peut notamment être le cas
lorsqu’elles ne concernent plus au moins l’une des situations ou l’un des
comportements des autorités visés au paragraphe 2 de cet article, lorsque
ces situations ou ces comportements ne sont plus pertinents pour la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts
financiers de l’Union, lorsque la violation ne porte plus atteinte ou ne
présente plus un risque sérieux de porter atteinte à cette bonne gestion ou à
ces intérêts financiers, ou lorsque le lien entre la violation d’un principe de
l’État de droit et une telle atteinte ou un tel risque sérieux ne présente plus
un caractère suffisamment direct.
218 Eu
égard aux considérations qui précèdent, il convient de constater que la
procédure prévue à l’article 7 TUE et celle instituée par le
règlement attaqué poursuivent des buts différents et ont chacune un objet
nettement distinct.
219 Il
s’ensuit que, contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne,
soutenue par la Hongrie, le règlement attaqué ne saurait être regardé comme
instituant une procédure parallèle contournant l’article 7 TUE.
220 Deuxièmement,
s’agissant de l’argumentation selon laquelle seul l’article 7 TUE
autoriserait les institutions de l’Union à contrôler le respect de l’État de
droit dans les domaines relevant de la compétence exclusive des États membres,
il a été constaté aux points 162 et 163 du présent arrêt, d’une part, que le
règlement attaqué ne permet aux institutions de l’Union de procéder à un examen
de situations dans les États membres que pour autant que celles-ci sont
pertinentes pour l’exécution du budget de l’Union, conformément au principe de
bonne gestion financière, ou la protection des intérêts financiers de l’Union
et, d’autre part, que des mesures appropriées ne peuvent être adoptées au titre
de ce règlement que lorsqu’il est établi que de telles situations comportent
une violation de l’un des principes de l’État de droit qui porte atteinte ou
présente un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment
directe, à cette bonne gestion financière ou à la protection de ces intérêts
financiers.
221 Or,
de telles situations se rapportant à l’exécution du budget de l’Union et
relevant ainsi du champ d’application du droit de l’Union, la République de
Pologne, soutenue par la Hongrie, ne saurait faire valoir que seul
l’article 7 TUE permettrait leur examen par les institutions de
l’Union.
222 Troisièmement,
s’agissant de l’argumentation selon laquelle il n’existerait pas de modèles de
contrôle suffisants permettant à la Cour d’apprécier, lors d’un contrôle
juridictionnel portant sur une décision du Conseil, la conformité de l’action
d’un État membre aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de
l’Union, cette argumentation doit être écartée pour les motifs exposés aux
points 201 et 203 du présent arrêt.
223 Quatrièmement,
pour autant que la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir
que la notion d’« État de droit » telle qu’elle est définie à
l’article 2, sous a), du règlement attaqué, deviendrait, de manière
générale, contraignante, tant dans le cadre d’une procédure engagée au titre de
l’article 7 TUE que lors du contrôle juridictionnel effectué par la
Cour sur une décision instituant des mesures appropriées au titre de ce
règlement, en violation de l’article 269 TFUE, tout d’abord, il
découle des points 144 et 154 du présent arrêt que, sans préjudice de la
question de savoir si cette définition satisfait aux exigences du principe de
sécurité juridique, ce qui fait l’objet du neuvième moyen, la notion
d’« État de droit » visée à cet article 2, sous a), s’entend
comme étant la valeur que contient l’article 2 TUE, que les principes
qui y sont identifiés participent à la définition même de cette valeur ou sont
intimement liés à une société respectueuse de l’État de droit et que, par leur
adhésion à l’Union, les États membres se sont engagés à respecter et à
promouvoir les valeurs que contient l’article 2 TUE, leur respect
constituant une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de
l’application des traités aux États membres.
224 Il
en résulte que le respect des principes de l’État de droit mentionnés à l’article 2,
sous a), du règlement attaqué s’impose déjà aux États membres, indépendamment
dudit règlement.
225 Ensuite,
il importe de relever que l’article 269 TFUE ne vise, selon son
libellé, que le contrôle de légalité d’un acte adopté par le Conseil européen
ou par le Conseil en vertu de l’article 7 TUE.
226 Dans
ces conditions, et eu égard aux constatations effectuées aux points 218 et 219
du présent arrêt, le contrôle de légalité que la Cour peut être amenée à
opérer, en particulier lors d’un recours en annulation introduit sur le
fondement de l’article 263 TFUE, sur des décisions du Conseil prises
au titre de l’article 6, paragraphe 10, du règlement attaqué ne
relève pas du champ d’application de l’article 269 TFUE et n’est, dès
lors, pas soumis aux règles spécifiques prévues à ce dernier.
227 Il
s’ensuit que le règlement attaqué n’attribue aucune nouvelle compétence à la
Cour.
228 Enfin,
des arrêts de la Cour statuant sur des recours introduits contre des décisions
du Conseil prises au titre de l’article 6, paragraphe 10, de ce
règlement pourraient être pris en compte dans le cadre d’une procédure engagée
au titre de l’article 7 TUE, sans toutefois qu’une telle prise en
compte constitue un quelconque contournement de l’article 269 TFUE.
229 Eu
égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient d’écarter
comme étant non fondées les allégations de la République de Pologne, soutenue
par la Hongrie, tirées d’un contournement de l’article 7 TUE et de
l’article 269 TFUE, de sorte que les premier, deuxième, cinquième, sixième et onzième moyens doivent être rejetés comme étant
non fondés.
B. Sur
le troisième moyen, tiré de la violation du protocole no 2
1. Argumentation
des parties
230 À
titre subsidiaire par rapport au premier moyen, la République de Pologne,
soutenue par la Hongrie, fait valoir que le règlement attaqué a été adopté en
violation de l’obligation de consultation découlant du protocole (no 2)
sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité
(ci-après le « protocole no 2 »).
231 Le
principe de subsidiarité, qui s’appliquerait dans les domaines qui ne relèvent
pas de la compétence exclusive de l’Union, exigerait que l’Union n’intervienne
que si, et dans la mesure où, les objectifs poursuivis ne peuvent pas être
atteints de manière suffisante par une action des États membres. Selon le
protocole no 2, les parlements nationaux veilleraient au
respect du principe de subsidiarité conformément à la procédure prévue audit
protocole.
232 Toutefois,
la protection du budget de l’Union relèverait non pas de la compétence
exclusive de l’Union, mais des compétences partagées avec les États membres. En
effet, d’une part, cette protection ne serait pas mentionnée à l’article 3,
paragraphe 1, TFUE et, d’autre part, l’article 325,
paragraphe 1, TFUE énoncerait une obligation commune pesant sur l’Union et
sur les États membres de lutter contre la fraude et contre toute activité
illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.
233 Ce
serait ainsi à tort que la Commission a estimé, dans sa proposition de
règlement qui a abouti au règlement attaqué, que la protection du budget de
l’Union fait partie des domaines relevant de la compétence exclusive de
celle-ci, de sorte que cette institution n’aurait pas satisfait aux obligations
qui lui incombent en vertu du protocole no 2. En particulier,
ladite institution n’aurait pas transmis cette proposition aux parlements
nationaux dans toutes les langues officielles de l’Union, contrairement aux
prescriptions de l’article 6, premier alinéa, de ce protocole. Ce faisant,
la Commission aurait également méconnu l’article 7, premier alinéa, dudit
protocole, aux termes duquel cette institution tient compte des avis motivés adressés
par les parlements nationaux.
234 La
République de Pologne, soutenue par la Hongrie, considère que de telles
violations doivent être traitées de manière analogue à celles des droits du
Parlement dans les procédures législatives. À cet égard, la Cour aurait indiqué
que la participation du Parlement au processus législatif est le reflet du
principe démocratique fondamental selon lequel les peuples participent à
l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative, de
sorte que la consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le
traité FUE constituerait une formalité substantielle dont le non-respect
entraîne la nullité de l’acte concerné. Le protocole no 2
visant, selon son préambule, à assurer que les décisions soient prises le plus
près possible des citoyens, la violation de l’obligation de consultation des
parlements nationaux qu’il prévoit devrait donc, en l’espèce, donner lieu à
l’annulation du règlement attaqué.
235 Cette
annulation serait également justifiée par la circonstance que la Commission ne
s’est pas pleinement acquittée de son obligation énoncée à l’article 4,
premier alinéa, du protocole no 2, selon laquelle elle doit
transmettre ses projets d’actes législatifs ainsi que ses projets modifiés aux
parlements nationaux. Certes, elle aurait transmis sa proposition initiale de
règlement à ces parlements, mais celle-ci aurait été remaniée de manière
significative aux stades ultérieurs de la procédure législative, sans que
lesdits parlements aient été mis en mesure de procéder à un nouvel examen. Or,
il découlerait de la jurisprudence de la Cour qu’une nouvelle consultation du
Parlement est nécessaire à chaque fois que le texte finalement adopté,
considéré dans son ensemble, s’écarte dans sa substance de celui sur lequel le
Parlement a déjà été consulté, cette nouvelle consultation constituant une
formalité substantielle prescrite à peine de nullité.
236 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent
cette argumentation.
2. Appréciation
de la Cour
237 Il
résulte de l’article 5, paragraphe 3, TUE que les dispositions du
protocole no 2 relatives au principe de subsidiarité ne
s’appliquent que dans les « domaines qui ne relèvent pas de [la]
compétence exclusive » de l’Union.
238 Or,
en premier lieu, contrairement à ce que prétend la République de Pologne,
soutenue par la Hongrie, l’article 325, paragraphe 1, TFUE n’est pas
pertinent en vue de déterminer si le règlement attaqué relève d’un tel domaine.
239 En
effet, il découle des points 112 à 189 du présent arrêt que le règlement
attaqué est, à juste titre, fondé sur une autre base juridique, à savoir
l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, dès lors que ledit
règlement vise à protéger le budget de l’Union contre des situations ou des
comportements imputables aux autorités des États membres qui résultent de
violations des principes de l’État de droit et qui portent atteinte ou
présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière
du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, d’une
manière suffisamment directe.
240 En
second lieu, c’est à bon droit que la proposition de règlement qui a conduit à
l’adoption du règlement attaqué précise, sous le titre « Subsidiarité (en
cas de compétence non exclusive) », que les « règles financières
régissant le budget de l’Union visées à l’article 322 [TFUE] ne pourraient
pas être adoptées au niveau des États membres ».
241 À
cet égard, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 40 et 45
de ses conclusions, un règlement tel que le règlement attaqué, qui comporte des
règles financières fixant les modalités relatives à l’établissement et à
l’exécution du budget de l’Union, au sens de l’article 322,
paragraphe 1, sous a), TFUE, relève de l’exercice d’une compétence de
l’Union relative à son fonctionnement, qui ne peut, par sa nature, être exercée
que par l’Union elle-même. Dès lors, le principe de subsidiarité ne saurait
s’appliquer.
242 En
conséquence, l’argumentation de la République de Pologne tirée d’une
méconnaissance par la Commission des obligations procédurales lui incombant en
vertu des dispositions du protocole no 2 n’est pas fondée, de
sorte que le troisième moyen doit être écarté.
C. Sur
le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 296, deuxième
alinéa, TFUE
1. Argumentation
des parties
243 La
République de Pologne, soutenue par la Hongrie, allègue que la motivation du
règlement attaqué, telle qu’elle figure dans la proposition qui a abouti à ce
règlement, ne respecte pas les exigences prévues à l’article 296, deuxième
alinéa, TFUE, qui imposerait que tous les actes de l’Union contiennent un
exposé des raisons qui ont conduit à leur adoption.
244 En
effet, les raisons pour lesquelles il aurait été nécessaire d’adopter le
règlement attaqué ne ressortiraient pas des motifs figurant dans cette
proposition.
245 En
outre, si l’exposé des motifs de ladite proposition a visé l’article 322,
paragraphe 1, sous a), TFUE comme étant la base juridique du
règlement attaqué, ce choix n’aurait été ni « expliqué ni justifié »,
contrairement aux exigences prévues au point 25, premier alinéa, de
l’accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union
européenne et la Commission européenne « Mieux légiférer » (JO 2016,
L 123, p. 1). Partant, il ne serait pas possible de vérifier si ce
règlement a été adopté au titre d’une compétence exclusive de l’Union ou de ses
compétences partagées avec les États membres, ce qui constituerait une
violation des formes substantielles et justifierait l’annulation dudit
règlement.
246 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand–Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent
cette argumentation.
2. Appréciation
de la Cour
247 La
République de Pologne a confirmé, lors de l’audience, que le quatrième moyen
vise la motivation de la proposition qui a abouti à l’adoption du règlement
attaqué et non pas celle de ce règlement lui-même, telle que reflétée dans ses
considérants.
248 Or,
dès lors que le présent recours vise à l’annulation non pas de cette proposition,
mais du règlement attaqué, l’argumentation avancée au soutien de ce moyen est
dépourvue de pertinence, comme l’ont souligné à bon droit le Parlement et le
Conseil et que l’a relevé M. l’avocat général au point 58 de ses
conclusions.
249 En
effet, la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle la motivation d’un
acte de l’Union, exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, doit
faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur
de l’acte concerné de manière à permettre aux intéressés de connaître les
justifications de la mesure prise et à la Cour d’exercer son contrôle (arrêt du
11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000,
point 31 ainsi que jurisprudence citée), vise la motivation de l’acte dont
la légalité est examinée.
250 Si
le respect de l’obligation de motivation doit, par ailleurs, être apprécié au
regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte ainsi que
de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du
11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000,
point 33 ainsi que jurisprudence citée), ce contexte, dont relève
notamment la proposition de l’acte concerné, ne saurait justifier, à lui seul
et indépendamment de la motivation figurant dans cet acte, l’annulation de ce
dernier.
251 En
tout état de cause, à supposer même qu’ils se rapportent à la motivation
figurant dans le règlement attaqué, les griefs de la République de Pologne tels
que résumés aux points 244 et 245 du présent arrêt devraient être rejetés au
regard des considérations exposées notamment aux points 124, 130, 131, 134,
149, 159, 162, 163 et 165 du présent arrêt.
252 Il
s’ensuit que le quatrième moyen doit être écarté comme étant inopérant.
D. Sur
le septième moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 1,
de l’article 4, paragraphe 2, deuxième phrase, et de
l’article 5, paragraphe 2, TUE
1. Argumentation
des parties
253 La
République de Pologne, soutenue par la Hongrie, estime qu’aucune disposition
des traités ne conférait au législateur de l’Union de compétence pour adopter
le règlement attaqué, de sorte que celui-ci aurait enfreint, en l’adoptant, le
principe d’attribution énoncé à l’article 4, paragraphe 1, et à
l’article 5, paragraphe 2, TUE. Ce faisant, il aurait également violé
l’obligation, prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième phrase,
TUE, de respecter les fonctions essentielles des États membres.
254 Les
éléments sur la base desquels il conviendrait d’apprécier si les États membres
ont violé des principes de l’État de droit visés à l’article 3 et à
l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué concerneraient des
domaines qui relèvent de la compétence exclusive des États membres et qui
seraient fondamentaux pour l’exercice de leurs fonctions essentielles,
notamment celles qui ont pour objet de sauvegarder l’intégrité territoriale, de
maintenir l’ordre public et d’assurer la sécurité nationale. En effet, seraient
visés non seulement le fonctionnement d’organes étatiques, tels que les
juridictions nationales, les autorités chargées de l’octroi des marchés publics
et de contrôle financier ainsi que les services d’enquête et de poursuites
judiciaires, mais également leur organisation, dont la fourniture de ressources
financières et humaines nécessaires au bon fonctionnement de ces autorités, et
les règles de procédure qui leur sont applicables.
255 Contrairement
à ce que suggère le considérant 7 du règlement attaqué, aucune compétence du
législateur de l’Union à cet égard ne saurait être déduite du caractère
important des principes de l’État de droit pour l’ordre juridique de l’Union,
en particulier du principe de la bonne gestion financière relevant de celui-ci,
établi à l’article 317 TFUE.
256 Le
législateur de l’Union aurait ainsi adopté le règlement attaqué conformément à
la logique d’un effet d’entraînement (« spillover effect »), à
savoir un processus au terme duquel une action poursuivant un objectif précis
aboutit à une situation dans laquelle l’objectif initial ne peut être atteint
qu’au moyen de nouvelles actions. En l’espèce, cet effet d’entraînement
impliquerait de déduire de l’objectif légitime de protection du budget de
l’Union la nécessité de reconnaître la compétence de celle-ci en matière
d’évaluation tant des procédures que des besoins financiers et en personnel des
services d’enquête et de poursuites judiciaires des États membres, bien qu’une
telle compétence n’ait pas de fondement dans les traités.
257 Or,
la compétence des États membres pour organiser leurs services d’enquête et de
poursuites judiciaires serait indissociablement liée aux fonctions essentielles
de l’État, telles que le maintien de l’ordre public, que l’Union doit
respecter, et à la sécurité nationale, laquelle relève, selon l’article 4,
paragraphe 2, TUE, de la responsabilité exclusive de chacun des États
membres.
258 Le
service juridique du Conseil aurait d’ailleurs adopté une position similaire,
en indiquant dans l’avis juridique no 13593/18, tout d’abord,
que l’article 2 TUE ne confère pas de compétence matérielle à l’Union mais
énumère des valeurs que les institutions de l’Union et ses États membres
doivent respecter lorsqu’ils agissent dans les limites des attributions
conférées à l’Union par les traités, ensuite, qu’une violation des valeurs de
l’Union, y compris de l’État de droit, ne peut être invoquée à l’égard d’un
État membre que lorsque celui–ci agit dans un domaine dans lequel l’Union est
compétente et, enfin, que le respect de l’État de droit par les États membres
ne saurait, selon les traités, faire l’objet d’une action ou d’un contrôle de
la part des institutions de l’Union, indépendamment de l’existence d’une
compétence matérielle spécifique dans laquelle s’inscrit cette action, sous la
seule réserve de la procédure décrite à l’article 7 TUE.
259 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand–Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent
cette argumentation.
2. Appréciation
de la Cour
260 Par
le septième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait
valoir que le législateur de l’Union, en adoptant le règlement attaqué et en
instituant ainsi, sur le fondement du principe de la bonne gestion financière
établi à l’article 317 TFUE, un contrôle du respect par les États
membres des principes de l’État de droit dans des domaines de l’action
souveraine desdits États membres, qui relèvent de leur compétence exclusive et
sont fondamentaux pour leur permettre d’assumer leurs fonctions essentielles, a
privé d’effet utile tant le principe d’attribution énoncé à l’article 4,
paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphe 2, TUE, que
l’obligation, prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième phrase,
TUE, de respecter les fonctions essentielles des États membres.
261 À
cet égard, premièrement, ainsi qu’il a été constaté aux points 112 à 189 du
présent arrêt, le législateur de l’Union a valablement pu fonder le règlement
attaqué sur l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, de sorte que
l’argumentation de la République de Pologne selon laquelle, en adoptant ledit
règlement, le législateur de l’Union a erronément déduit sa compétence du
principe de bonne gestion financière établi à l’article 317 TFUE ne
saurait prospérer.
262 Deuxièmement,
ainsi qu’il a été précisé aux points 124 à 138, 152 à 157 et 208 à 219 du
présent arrêt, il ressort de la finalité et du contenu du règlement attaqué
que, contrairement à ce que soutient la République de Pologne, celui-ci
autorise le Conseil à adopter non pas des sanctions mais seulement des mesures
de protection du budget de l’Union et de ses intérêts financiers.
263 Troisièmement,
ainsi qu’il a été relevé aux points 142 à 145, 168, 169 et 179 du présent
arrêt, l’obligation de respecter les principes mentionnés à l’article 2,
sous a), du règlement attaqué constitue une obligation de résultat pour les
États membres, qui découle directement des engagements pris par ceux-ci les uns
vis-à-vis des autres ainsi qu’à l’égard de l’Union, et que ce règlement se
borne à mettre en œuvre s’agissant de l’action des autorités nationales
relative à des dépenses couvertes par le budget de l’Union.
264 À
cet égard, il importe de rappeler que l’article 2 TUE ne constitue
pas une simple énonciation d’orientations ou d’intentions de nature politique,
mais contient des valeurs qui relèvent, ainsi qu’il a été exposé au point 145
du présent arrêt, de l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique
commun, valeurs qui sont concrétisées dans des principes comportant des
obligations juridiquement contraignantes pour les États membres.
265 Or,
même si, ainsi qu’il ressort de l’article 4, paragraphe 2, TUE,
l’Union respecte l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs
structures fondamentales politiques et constitutionnelles, de sorte que ces
États disposent d’une certaine marge d’appréciation pour assurer la mise en œuvre
des principes de l’État de droit, il n’en découle nullement que cette
obligation de résultat peut varier d’un État membre à l’autre.
266 En
effet, tout en disposant d’identités nationales distinctes, inhérentes à leurs
structures fondamentales politiques et constitutionnelles, que l’Union
respecte, les États membres adhèrent à une notion d’« État
de droit » qu’ils partagent, en tant que valeur commune à leurs traditions
constitutionnelles propres, et qu’ils se sont engagés à respecter de manière
continue.
267 Quatrièmement,
l’argumentation de la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, selon
laquelle l’appréciation de la violation par les États membres des principes de
l’État de droit concerne des domaines qui relèvent de la compétence exclusive
des États membres, a déjà été écartée aux points 162, 163, 220 et 221 du
présent arrêt, au motif que ce règlement ne permet d’apprécier que des
situations et des comportements d’autorités qui se rapportent à l’exécution du
budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers.
268 Certes,
il n’est pas exclu que de tels situations ou comportements soient imputables à
une autorité dont un État membre considère qu’elle participe à son action
souveraine dans des domaines fondamentaux pour l’exercice de ses fonctions
essentielles. Il n’en demeure pas moins que, lorsqu’une telle situation ou un
tel comportement porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter
atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de
ses intérêts financiers, il ne saurait être reproché à l’Union de mettre en
œuvre, au titre de la défense de son identité, dont relèvent les valeurs que
contient l’article 2 TUE, les moyens nécessaires à la protection de
cette bonne gestion financière ou de ces intérêts financiers par l’adoption de
mesures appropriées qui, conformément à l’article 5, paragraphe 1, du
règlement attaqué, portent exclusivement sur l’exécution du budget de l’Union.
269 Il
importe de rappeler à cet égard que, selon une jurisprudence constante, si les
États membres sont libres d’exercer leurs compétences dans tous les domaines
qui leur sont réservés, il n’en demeure pas moins qu’ils sont tenus de les
exercer dans le respect du droit de l’Union, dès lors qu’ils ne peuvent s’affranchir
des obligations qui découlent, pour eux, de ce droit [voir, en ce sens, arrêts
du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, EU:C:2012:756, point 69
et jurisprudence citée ; du 19 septembre 2017, Commission/Irlande
(Taxe d’immatriculation), C‑552/15, EU:C:2017:698, points 71 et
86 ; du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311,
point 48 et jurisprudence citée, ainsi que du 15 juillet 2021,
Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19,
EU:C:2021:596, point 56 et jurisprudence citée].
270 En
outre, en exigeant des États membres qu’ils respectent ainsi les obligations
qui découlent, pour eux, du droit de l’Union, l’Union ne prétend aucunement exercer
elle-même ces compétences ni, partant s’arroger celles-ci [voir, en ce sens,
arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour
suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531,
point 52].
271 Au
regard de ces considérations, il convient de constater que sont dénuées de tout
fondement les allégations de la République de Pologne tirées d’une violation du
principe d’attribution ainsi que de l’obligation de respecter les fonctions
essentielles des États membres.
272 Par
conséquent, le septième moyen doit être écarté comme étant non fondé.
E. Sur
le huitième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité des États membres
devant les traités et du non-respect de leur identité nationale, prévus à
l’article 4, paragraphe 2, première phrase, TUE
1. Argumentation
des parties
273 La
République de Pologne, soutenue par la Hongrie, considère que l’application du
règlement attaqué sera à l’origine de violations de l’article 4,
paragraphe 2, première phrase, TUE, selon lequel l’Union respecte
l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité
nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et
constitutionnelles.
274 En
premier lieu, aux termes du considérant 16 du règlement attaqué, la
détection de violations des principes de l’État de droit requiert que la
Commission procède à une évaluation qualitative approfondie en s’appuyant sur
des informations pertinentes provenant de sources disponibles et d’institutions
reconnues, parmi lesquelles figurent les conclusions et les recommandations de
la Commission de Venise. Or, cette dernière aurait indiqué, dans son rapport
sur les nominations judiciaires, adopté lors de sa 70e session
plénière, qu’il convenait de distinguer les États qui font partie d’« anciennes démocraties » de ceux qui constituent
des « nouvelles démocraties », cette distinction pouvant générer un
risque sérieux que la Commission traite de manière différenciée les États
membres en application de ce règlement.
275 La
République de Pologne, soutenue par la Hongrie, souligne d’ailleurs que la Cour
des comptes a, dans son avis no 1/2018 sur la proposition de
règlement qui a abouti au règlement attaqué, critiqué le fait que cette
proposition ne fixait aucun critère précis en ce qui concerne, notamment, les
conditions d’engagement de la procédure ainsi que le choix et la portée des
mesures à adopter, ce qui ne permettrait pas d’assurer une application
cohérente des dispositions pertinentes de ce règlement et, partant, de garantir
l’égalité des États membres devant les traités.
276 En
second lieu, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que
l’instauration, dans le règlement attaqué, d’un mécanisme de sanction a
contraint le législateur de l’Union à choisir une procédure d’adoption des
mesures de protection du budget de l’Union qui enfreint directement le principe
d’égalité des États membres devant les traités. Il ressort, en effet, de
l’article 6, paragraphes 10 et 11, de ce règlement que les décisions
concernant ces mesures sont adoptées par le Conseil à la majorité qualifiée
définie à l’article 16, paragraphe 4, TUE, laquelle implique la
participation de l’État membre mis en cause.
277 Or,
l’adoption de telles mesures punitives à la majorité qualifiée, avec la
participation de l’État membre mis en cause, conduirait à une discrimination
directe des petits et des moyens États membres, dès lors que cette majorité
requiert le vote d’au moins quinze États membres qui représentent au moins
65 % de la population de l’Union. Les grands États membres, représentant
un plus grand pourcentage de la population de l’Union, seraient ainsi favorisés
lors des votes portant sur l’adoption des mesures de protection du budget de
l’Union, et notamment de celles qui les concernent directement, par rapport aux
petits et aux moyens États membres, représentant un pourcentage de population
plus faible. Si une telle corrélation ne saurait être
contestée s’agissant de l’adoption d’actes normatifs produisant des effets dans
l’ensemble des États membres, la situation serait différente s’agissant de
mesures de sanction destinées à produire des effets à l’égard d’un seul État
membre, à l’instar de celles pouvant être prises au titre du règlement attaqué.
278 Par
ailleurs, les dispositions des traités qui autorisent les institutions de
l’Union à imposer des sanctions aux États membres excluraient systématiquement
du vote les États membres qui sont visés par la proposition d’acte imposant des
sanctions. En particulier, tel serait le cas de l’article 126 TFUE,
relatif au déficit public excessif, ainsi que de l’article 7 TUE et
de l’article 354 TFUE, s’agissant de la procédure visée audit
article 7.
279 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent
cette argumentation.
2. Appréciation
de la Cour
280 Par
le huitième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, allègue
que l’application du règlement attaqué sera à l’origine de violations du
principe d’égalité des États membres devant les traités et de leur identité
nationale, que l’Union est tenue de respecter en vertu de l’article 4,
paragraphe 2, première phrase, TUE. Ces violations résulteraient, tout
d’abord, de la prise en compte par la Commission d’avis et d’études provenant
de la Commission de Venise, ensuite, du manque de précision des critères
relatifs, notamment, aux conditions d’engagement de la procédure prévue par ce
règlement ainsi qu’au choix et à la portée des mesures à adopter, et enfin, de
la règle de vote prévue à l’article 6, paragraphe 11, dudit règlement
s’agissant des décisions à prendre par le Conseil au titre de l’article 6,
paragraphe 10, du même règlement.
281 À
cet égard, en premier lieu, s’agissant de la prise en compte par la Commission
des informations pertinentes provenant de la Commission de Venise, il y a lieu
de rappeler que la valeur de l’État de droit qui est au cœur du mécanisme de
conditionnalité horizontale institué à l’article 4, paragraphe 1, du
règlement attaqué vise au respect des principes mentionnés à l’article 2,
sous a), de ce règlement.
282 Ainsi
qu’il a été rappelé en dernier lieu au point 263 du présent arrêt, cette
obligation de respecter ces principes constitue une obligation de résultat pour
les États membres, qui découle directement de leur appartenance à l’Union, en
vertu de l’article 2 TUE, qu’aucun État membre ne saurait ignorer et
que le règlement attaqué se borne à mettre en œuvre s’agissant de l’action des
autorités nationales relative à des dépenses couvertes par le budget de
l’Union.
283 Or,
il découle des points 265 et 266 du présent arrêt que, bien que la Commission
et le Conseil doivent effectuer leurs appréciations en tenant dûment compte des
circonstances et des contextes spécifiques à chaque procédure menée au titre du
règlement attaqué et, en particulier, en prenant en considération les
particularités du système juridique de l’État membre en cause et la marge
d’appréciation dont cet État membre dispose pour assurer la mise en œuvre des
principes de l’État de droit, cette exigence n’est aucunement incompatible avec
l’application de critères d’appréciation uniformes.
284 En
particulier, l’Union respectant l’identité nationale des États membres,
inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, il
incombe à ses institutions de tenir compte, lorsqu’elles vérifient si les États
membres satisfont aux obligations de résultat qui résultent directement de leur
appartenance à l’Union, en vertu de l’article 2 TUE, des
caractéristiques des systèmes constitutionnels et juridiques de ces États membres.
285 À
cet égard, la Commission doit veiller à la pertinence des informations qu’elle
utilise et à la fiabilité de ses sources, sous le contrôle du juge de l’Union.
En particulier, l’article 6, paragraphe 3, du règlement attaqué ne
confère pas de valeur probante spécifique ou absolue et n’attache pas d’effets
juridiques déterminés aux sources d’information qu’il mentionne, ni à celles
qui sont indiquées au considérant 16 de ce règlement, de sorte que cette
disposition ne dispense pas la Commission de son obligation de procéder à une
appréciation diligente des faits.
286 En
outre, ainsi qu’il a été rappelé au point 202 du présent arrêt, les
appréciations de la Commission et du Conseil sont soumises aux exigences
procédurales spécifiées à l’article 6, paragraphes 1 à 9, du
règlement attaqué. Ces exigences impliquent en particulier, ainsi que le relève
le considérant 26 de ce règlement, l’obligation pour la Commission de se fonder
sur des éléments concrets et de respecter les principes d’objectivité, de
non-discrimination et d’égalité des États membres devant les traités
lorsqu’elle mène des procédures au titre de cette disposition. S’agissant de la
détection et de l’évaluation des violations des principes de l’État de droit,
lesdites exigences doivent être comprises à la lumière du considérant 16
dudit règlement, selon lequel cette évaluation doit être objective, impartiale
et équitable, le respect de l’ensemble de ces obligations étant soumis à un
contrôle juridictionnel entier par la Cour.
287 La
Commission demeure ainsi responsable des informations qu’elle utilise et de la
fiabilité de ses sources. Par ailleurs, l’État membre concerné dispose de la
faculté, au cours de la procédure prévue à l’article 6, paragraphes 1
à 9, du règlement attaqué, de présenter des observations sur les informations
que la Commission entend utiliser en vue de proposer l’adoption de mesures
appropriées. Partant, il peut contester la valeur probante de chacun des
éléments retenus, le bien-fondé des appréciations de la Commission pouvant, en
tout état de cause, être soumis au contrôle du juge de l’Union dans le cadre
d’un recours introduit contre une décision du Conseil prise au titre de ce
règlement.
288 En
deuxième lieu, s’agissant du prétendu manque de précision des critères
applicables aux conditions d’engagement de la procédure ainsi qu’au choix et à
la portée des mesures à adopter, il résulte d’une lecture d’ensemble de
l’article 4 et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement
attaqué que, ainsi qu’il a été relevé au point 125 du présent arrêt, la
Commission ne peut engager cette procédure que lorsqu’elle constate qu’il
existe des motifs raisonnables de considérer que l’un au moins des principes de
l’État de droit mentionnés à l’article 2, sous a), de ce règlement a été
violé dans un État membre, que cette violation concerne l’une au moins des
situations imputables à une autorité d’un État membre ou l’un au moins des
comportements de telles autorités visés à l’article 4, paragraphe 2,
dudit règlement, pour autant que ces situations ou ces comportements sont
pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la
protection de ses intérêts financiers, et que cette violation porte atteinte ou
présente un risque sérieux de porter atteinte à cette bonne gestion ou à ces
intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe, par un lien réel entre
ces violations et cette atteinte ou ce risque sérieux d’atteinte.
289 S’agissant
de ces principes, il découle des constatations effectuées au point 169 du présent
arrêt que la République de Pologne ne saurait alléguer qu’elle n’a pas une
connaissance concrète et précise des obligations de résultat auxquelles elle
est tenue du fait de son adhésion à l’Union, s’agissant du respect de la valeur
de l’État de droit.
290 À
cet égard, s’il est vrai que l’article 2, sous a), du règlement
attaqué ne détaille pas les principes de l’État de droit qu’il mentionne, il
n’en demeure pas moins que le considérant 3 de ce règlement rappelle que les principes
de légalité, de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir
exécutif, de protection juridictionnelle effective et de séparation des
pouvoirs, visés à cette disposition, ont fait l’objet d’une jurisprudence
abondante de la Cour. Il en va de même des principes d’égalité devant la loi et
de non-discrimination, également mentionnés, ainsi qu’il ressort notamment des
points 94 et 98 de l’arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement (C‑650/18,
EU:C:2021:426), ainsi que des points 57 et 58 de
l’arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de
violence domestique) (C‑930/19, EU:C:2021:657).
291 Ces
principes de l’État de droit, tels que développés sur le fondement des traités
de l’Union dans la jurisprudence de la Cour, sont ainsi reconnus et précisés
dans l’ordre juridique de l’Union et trouvent leur source dans des valeurs
communes reconnues et appliquées également par les États membres dans leurs
propres ordres juridiques.
292 En
outre, les considérants 8 à 10 et 12 du règlement attaqué mentionnent les
principales exigences découlant de ces principes. En particulier, ils
fournissent un éclairage sur les cas qui peuvent être indicatifs de violations
des principes de l’État de droit, figurant à l’article 3 de ce règlement,
ainsi que sur les situations et les comportements que doivent concerner ces
violations, décrits à l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement,
pour être susceptibles de justifier l’adoption de mesures appropriées, au sens
de l’article 4, paragraphe 1, du même règlement.
293 Enfin,
les appréciations de la Commission et du Conseil sont soumises aux exigences
procédurales rappelées au point 286 du présent arrêt.
294 Quant
aux situations et aux comportements des autorités visés à l’article 4,
paragraphe 2, du règlement attaqué et à leur pertinence pour la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou pour ses intérêts financiers, il a
été relevé aux points 171 à 177 du présent arrêt qu’ils sont suffisamment
précis pour que la République de Pologne puisse identifier de manière
suffisamment concrète et prévisible les situations et les comportements visés à
cette disposition.
295 S’agissant
des notions de « bonne gestion financière » et de « protection
des intérêts financiers de l’Union », la première est également visée,
notamment, à l’article 310, paragraphe 5, TFUE ainsi qu’à l’article 317,
premier alinéa, TFUE et est définie à l’article 2, point 59, du
règlement financier comme étant l’exécution du budget conformément aux
principes d’économie, d’efficience et d’efficacité, tandis que la seconde
relève de l’article 325 TFUE et vise, selon l’article 63,
paragraphe 2, du règlement financier, toutes les mesures législatives,
réglementaires et administratives tendant, notamment, à prévenir, à détecter et
à corriger les irrégularités et la fraude lors de l’exécution du budget.
296 À
cet égard, l’article 2, point 1, du règlement no 883/2013
définit les « intérêts financiers de l’Union » comme étant « les
recettes, dépenses et avoirs couverts par le budget de l’Union, ainsi que ceux
qui sont couverts par le budget des institutions, organes et organismes, et les
budgets gérés et contrôlés par ceux-ci ». L’article 135,
paragraphes 1, 3 et 4, du règlement financier prévoit quant à lui que,
afin de protéger les intérêts financiers de l’Union, la Commission met en place
et exploite un système de détection rapide et d’exclusion.
297 La
Cour a, par ailleurs, jugé que la notion d’« intérêts
financiers » de l’Union, au sens de l’article 325, paragraphe 1,
TFUE, englobe non seulement les recettes mises à la disposition du budget de
l’Union mais également les dépenses couvertes par ce budget (arrêt du
21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19,
C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034,
point 183). Cette notion est donc pertinente non seulement dans le
contexte des mesures de lutte contre les irrégularités et la fraude visées à
cette disposition, mais également pour la bonne gestion financière de ce
budget, dès lors que la protection de ces intérêts financiers contribue
également à cette bonne gestion.
298 La
prévention d’atteintes telles que celles visées à l’article 4,
paragraphe 1, du règlement attaqué est, dès lors, un complément à la
correction de telles atteintes, qui est inhérent tant à la notion de
« bonne gestion financière » qu’à celle de « protection des
intérêts financiers de l’Union » et doit, partant, être considérée comme
étant une exigence constante et horizontale de la réglementation financière de
l’Union.
299 De
plus, cette disposition exige que les violations des principes de l’État de
droit qui sont constatées présentent un risque « sérieux » d’atteintes
à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à ses intérêts financiers
et requiert, par conséquent, de démontrer que la réalisation de ce risque
présente une probabilité élevée, en rapport avec les situations ou avec les
comportements des autorités visés à l’article 4, paragraphe 2, du
règlement attaqué, des mesures appropriées ne pouvant du reste être adoptées
qu’à la condition qu’un lien suffisamment direct, à savoir un lien réel, soit
établi entre une violation de l’un des principes de l’État de droit et ce
risque sérieux. En outre, lors de l’adoption de ces mesures, il convient
également de respecter les exigences procédurales rappelées en dernier lieu au
point 286 du présent arrêt.
300 S’agissant
du lien suffisamment direct entre une violation constatée d’un principe de
l’État de droit et la protection du budget ou des intérêts financiers de
l’Union, il suffit de renvoyer aux points 178 à 180 du présent arrêt.
301 Enfin,
le choix et la portée des mesures pouvant être adoptées au titre du règlement
attaqué sont limités, dans la mesure où, ainsi qu’il a été relevé au point 153
du présent arrêt, l’article 5, paragraphe 1, du règlement attaqué
énumère de manière exhaustive les différentes mesures de protection
susceptibles d’être adoptées.
302 Conformément
à l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, de telles mesures
doivent être proportionnées et déterminées en fonction de l’incidence réelle ou
potentielle des violations des principes de l’État de droit sur la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de
l’Union. La nature, la durée, la gravité et la portée des violations des
principes de l’État de droit doivent être dûment prises en compte et cibler,
dans la mesure du possible, les actions de l’Union auxquelles ces violations
portent atteinte. Il en résulte que les mesures prises doivent être strictement
proportionnées à l’incidence des violations constatées des principes de l’État
de droit sur le budget de l’Union ou sur ses intérêts financiers.
303 Au
regard des considérations qui précèdent ainsi que des exigences procédurales
rappelées en dernier lieu au point 286 du présent arrêt, l’argumentation de la
République de Pologne, soutenue par la Hongrie, tirée d’un manque de précision
des critères relatifs, notamment, aux conditions d’engagement de la procédure
ainsi qu’au choix et à la portée des mesures à adopter est dépourvue de tout
fondement.
304 En
troisième lieu, en ce qui concerne l’allégation tirée de la prétendue
incompatibilité avec le principe d’égalité des États membres devant les traités
de la règle de vote prévue à l’article 6, paragraphe 11, du règlement
attaqué pour l’adoption des décisions par le Conseil au titre de
l’article 6, paragraphe 10, de ce règlement, il importe de relever,
d’une part, que cette allégation repose, en partie, sur l’argumentation selon
laquelle les mesures pouvant être adoptées au titre de cet article 6,
paragraphe 10, présentent le caractère de sanctions, pour l’adoption
desquelles les traités excluraient du vote l’État membre mis en cause.
305 Or,
ainsi qu’il a été précisé aux points 112 à 229 du présent arrêt, les mesures
pouvant être adoptées en application du règlement attaqué visent non pas à
sanctionner un État membre en raison de violations des principes de l’État de
droit, mais exclusivement à protéger la bonne gestion financière du budget de
l’Union ou ses intérêts financiers.
306 Au
demeurant, un État membre ne saurait être exclu de la procédure de vote à la
majorité qualifiée que dans les hypothèses dans lesquelles les traités le
prévoient expressément et dans lesquelles, partant, la majorité qualifiée est
fixée conformément à l’article 238, paragraphe 3, TFUE.
307 D’autre
part, s’il est vrai que le législateur de l’Union dispose de la faculté de
faire arrêter les dispositions d’exécution des règlements de base selon une
procédure différente de celle suivie pour l’adoption du règlement de base
(voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 1996, Parlement/Conseil, C‑303/94,
EU:C:1996:238, point 23 et jurisprudence citée), il n’en demeure pas moins
que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 96 de ses
conclusions, la règle de vote prévue à l’article 6, paragraphe 11, du
règlement attaqué, à savoir celle de la majorité qualifiée avec participation
de l’ensemble des États membres, est celle dont l’article 16,
paragraphe 3, TUE prévoit l’application par défaut lors des délibérations
du Conseil, sauf dans les cas où les traités en disposent autrement.
308 Il
convient d’ajouter que cette règle de vote est non seulement prévue par les
traités eux-mêmes, mais également qu’elle ne viole pas le principe d’égalité
des États membres devant les traités.
309 En
particulier, le fait que les intérêts des États membres peuvent diverger et
que, selon que tous les États membres ou seulement certains d’entre eux
participent au vote au sein du Conseil, une minorité de blocage est plus ou
moins facile à atteindre à l’issue dudit vote, au sens de l’article 16,
paragraphe 4, TUE, n’est nullement spécifique à la procédure instituée par
le règlement attaqué et est pleinement compatible avec les choix posés par les
auteurs des traités. En effet, conformément à la valeur de démocratie que
contient l’article 2 TUE, cette disposition vise à assurer que les décisions
du Conseil sont fondées sur une représentativité suffisante tant des États
membres que de la population de l’Union.
310 Eu
égard aux considérations qui précèdent, le huitième moyen doit être écarté
comme étant non fondé.
F. Sur
le neuvième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique
1. Argumentation
des parties
311 La
République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que les
dispositions du règlement attaqué ne respectent pas les exigences de clarté et
de précision qui découlent du principe de sécurité juridique, dès lors que ce
règlement ne précise pas clairement les exigences devant être respectées par
les États membres pour pouvoir conserver les financements provenant du budget
de l’Union qui leur ont été accordés et qu’il confère à la Commission et au
Conseil un pouvoir d’appréciation trop étendu.
312 Poserait
difficulté à ce titre, premièrement, la notion d’« État
de droit », telle qu’elle est définie à l’article 2, sous a), du
règlement attaqué. Cette notion ne pourrait, par principe, faire l’objet d’une
définition universelle car elle comporterait un nombre non exhaustif de
principes dont le sens peut différer d’un État à l’autre, selon ses
caractéristiques constitutionnelles ou ses traditions juridiques propres. En
outre, cette définition élargirait indûment la portée de ladite notion en tant
que valeur de l’Union, laquelle ne serait que l’une des valeurs que contient
l’article 2 TUE, aux autres valeurs que contient cette disposition.
313 Deuxièmement,
les éléments d’appréciation du respect des principes de l’État de droit, fixés
aux articles 3 et 4 du règlement attaqué, ne satisferaient pas aux
exigences de clarté et de précision car l’application de ces principes
supposerait qu’ils soient concrétisés au préalable. Or, en l’absence de
définition universelle desdits principes et eu égard aux compétences très
limitées de l’Union pour les concrétiser, ces derniers n’auraient pas de
contenu matériel concret en droit de l’Union. S’il est vrai que la Cour et la
Cour européenne des droits de l’homme ont clarifié certains aspects de la
valeur de l’État de droit, elles n’auraient toutefois pas encore précisé le
contenu des autres valeurs que contient l’article 2 TUE ni leur
relation avec le principe du respect de l’identité nationale des États membres
figurant à l’article 4, paragraphe 2, TUE.
314 Certes,
dans son arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes
Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117,
point 32), la Cour aurait fait référence à la valeur de l’État de droit
que contient l’article 2 TUE, mais elle aurait précisé que cette
valeur était concrétisée dans l’article 19 TUE. Partant, pour devenir
applicables, les valeurs que contient l’article 2 TUE devraient être
concrétisées dans d’autres dispositions des traités. Toutefois, dès lors que
les valeurs autres que l’État de droit, indûment incorporées dans cette
dernière notion par le règlement attaqué, ne seraient pas clairement définies,
la Cour serait appelée à préciser, notamment, les notions de
« pluralisme », de « non–discrimination », de
« tolérance », de « justice » et de
« solidarité ». L’interprétation contraignante de ces notions par la
Cour, lors du contrôle juridictionnel de décisions prises au titre de ce
règlement, excéderait ainsi les compétences attribuées à l’Union.
315 Le
manque de précision de l’article 3 et de l’article 4,
paragraphe 2, du règlement attaqué, en ce qu’ils ont recours à des
expressions telles que « le bon fonctionnement » des
« autorités » ou des « services » et « le bon
fonctionnement de systèmes efficaces et transparents de gestion et de
responsabilité financières », ainsi que le caractère non exhaustif des
énumérations figurant à ces dispositions vont donc permettre à la Commission et
au Conseil de les préciser lors de l’application de ce règlement, ce qui aura
pour effet, en substance, de rendre possible l’application rétroactive des
normes ainsi précisées.
316 Troisièmement,
parmi les sources d’information que la Commission est tenue d’utiliser en vertu
de l’article 6, paragraphe 3, du règlement attaqué, lors de la
constatation d’une violation des principes de l’État de droit, figurent les
« conclusions et recommandations » des institutions de l’Union,
d’autres organisations internationales pertinentes et d’autres institutions
reconnues, alors que, en vertu du droit de l’Union, ces sources ne lieraient
pas les États membres. Ce règlement ne saurait donc leur conférer de caractère
contraignant. Même la liste indicative figurant au considérant 16 dudit
règlement ne préciserait pas suffisamment les « décisions, conclusions et
recommandations » qui y sont visées.
317 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent
cette argumentation.
2. Appréciation
de la Cour
318 Par
le neuvième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait
valoir que le règlement attaqué viole le principe de sécurité juridique et
accorde une marge d’appréciation trop étendue à la Commission et au Conseil en
raison du manque de précision, tout d’abord, de la notion d’« État de
droit », telle qu’elle est définie à l’article 2, sous a), de ce
règlement, ensuite, des critères énoncés à l’article 3 et à
l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement et, enfin, des sources
d’information sur lesquelles la Commission est appelée à fonder ses
appréciations conformément à l’article 6, paragraphe 3, du même
règlement.
319 Selon
une jurisprudence constante de la Cour, le principe de sécurité juridique
exige, d’une part, que les règles de droit soient claires et précises et,
d’autre part, que leur application soit prévisible pour les justiciables, en
particulier lorsqu’elles peuvent avoir des
conséquences défavorables. Ledit principe exige notamment qu’une réglementation
permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations
qu’elle leur impose et que ces derniers puissent connaître sans ambiguïté leurs
droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt
du 29 avril 2021, Banco de Portugal e.a., C‑504/19, EU:C:2021:335, point 51 ainsi que jurisprudence citée).
320 Pour
autant, ces exigences ne sauraient être comprises comme s’opposant à ce que le
législateur de l’Union, dans le cadre d’une norme qu’il adopte, emploie une
notion juridique abstraite, ni comme imposant qu’une telle norme abstraite
mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est
susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent
pas être déterminées à l’avance par le législateur (voir, par analogie, arrêt
du 20 juillet 2017, Marco Tronchetti Provera e.a., C‑206/16,
EU:C:2017:572, points 39 ainsi que 40).
321 En
conséquence, le fait qu’un acte législatif confère un pouvoir d’appréciation
aux autorités chargées de sa mise en œuvre ne méconnaît pas en soi l’exigence
de prévisibilité, à la condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un
tel pouvoir soient définies avec une netteté suffisante, eu égard au but
légitime en jeu, pour fournir une protection adéquate contre l’arbitraire
(voir, en ce sens, arrêts du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P,
EU:C:2010:346, point 94, ainsi que du 18 juillet 2013, Schindler
Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 57).
322 C’est
au regard de ces considérations qu’il convient d’apprécier, en premier lieu,
l’argumentation tirée du caractère imprécis et trop large de la notion d’« État de droit » définie à l’article 2,
sous a), du règlement attaqué.
323 À
cet égard, premièrement, cette disposition ne vise pas à définir de manière exhaustive
cette notion, mais se borne à spécifier, aux seules fins de ce règlement,
plusieurs des principes que celle-ci recouvre et qui sont, selon le législateur
de l’Union, les plus pertinents au regard de l’objet dudit règlement, qui
consiste à assurer la protection du budget de l’Union.
324 Deuxièmement,
contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, soutenue par la
Hongrie, les principes mentionnés à l’article 2, sous a), du règlement
attaqué n’excèdent pas les limites de la notion d’« État
de droit ». En particulier, la référence à la protection des droits
fondamentaux n’est effectuée qu’à titre d’illustration des exigences du
principe de protection juridictionnelle effective, également garantie à
l’article 19 TUE et dont la République de Pologne reconnaît elle-même
qu’elle fait partie de cette notion. Il en va de même des références aux
principes de non-discrimination et d’égalité. En effet, si
l’article 2 TUE mentionne de manière distincte l’État de droit en
tant que valeur commune aux États membres et les principes d’égalité et de
non-discrimination, force est de constater qu’un État membre dont la société
est caractérisée par la discrimination ne saurait être considéré comme assurant
le respect de l’État de droit, au sens de cette valeur commune.
325 Cette
constatation est corroborée par le fait que, dans son étude no 711/2013,
du 18 mars 2016, établissant une « liste des critères de l’État de
droit », à laquelle fait référence le considérant 16 du règlement
attaqué, la Commission de Venise a indiqué notamment que la notion
d’« État de droit » repose sur un droit sûr et prévisible, dans
lequel toute personne a le droit d’être traitée par les décideurs de manière
digne, égale et rationnelle, dans le respect du droit existant, et de disposer
de voies de recours pour contester les décisions devant des juridictions
indépendantes et impartiales, selon une procédure équitable. Or, ces
caractéristiques sont précisément reflétées à l’article 2, sous a), de ce
règlement.
326 Troisièmement,
au regard de ce qui a été exposé aux points 289 à 293 du présent arrêt, doit
être écartée comme étant dénuée de tout fondement l’argumentation de la
République de Pologne, soutenue par la Hongrie, selon laquelle les principes de
l’État de droit mentionnés à l’article 2, sous a), du règlement attaqué
n’auraient pas de contenu matériel concret en droit de l’Union.
327 Quatrièmement,
s’agissant du rapport de ces mêmes principes de l’État de droit avec celui du
respect de l’identité nationale des États membres figurant à l’article 4,
paragraphe 2, TUE, il suffit de renvoyer aux points 282 à 286 du présent
arrêt.
328 Cinquièmement,
en ce qui concerne l’argumentation selon laquelle, pour devenir applicables,
les valeurs que contient l’article 2 TUE doivent être concrétisées
dans d’autres dispositions des traités, d’une part, il a été relevé aux points
192 à 199 du présent arrêt que les traités comportent de nombreuses
dispositions, fréquemment concrétisées par divers actes de droit dérivé, qui
confèrent aux institutions de l’Union la compétence d’examiner, de constater
et, le cas échéant, de sanctionner des violations des valeurs que contient
l’article 2 TUE commises dans un État membre. D’autre part, il a été
constaté aux points 112 à 189 du présent arrêt que l’article 322,
paragraphe 1, sous a), TFUE constitue une base juridique permettant au
législateur de l’Union d’adopter des dispositions portant sur la constatation
de violations de la valeur de l’État de droit et sur les conséquences juridiques
de ces violations, en vue de protéger le budget de l’Union et les intérêts
financiers de celle-ci lorsque de telles violations portent atteinte ou
présentent un risque sérieux de porter atteinte à ce budget et à ces intérêts.
329 Sixièmement,
à supposer que la Cour soit appelée à interpréter, dans le cadre d’un recours
en annulation dirigé contre une décision adoptée au titre du règlement attaqué,
les notions de « pluralisme », de « non–discrimination »,
de « tolérance », de « justice » ou de
« solidarité », que contient l’article 2 TUE, elle
n’exercerait, ce faisant, contrairement à ce que prétend la République de
Pologne, soutenue par la Hongrie, que les compétences qui lui ont été
attribuées par les traités, en particulier par l’article 263 TFUE.
330 En
deuxième lieu, quant au prétendu manque de précision des critères employés à
l’article 3 et à l’article 4, paragraphe 2, du règlement
attaqué, il résulte, premièrement, du point 155 du présent arrêt que cet
article 3 n’énonce pas d’obligations pour les États membres, mais se borne
à citer des cas qui peuvent être indicatifs de violations des principes de
l’État de droit et vise ainsi à faciliter l’application de ce règlement, en
explicitant les exigences inhérentes à ces principes.
331 Deuxièmement,
s’agissant des notions prétendument imprécises figurant à l’article 4,
paragraphe 2, dudit règlement, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que
celle « d’autorité » a été examinée aux points 175 et 176 du présent
arrêt et que celle de « services » recouvre les seuls « services
d’enquête et de poursuites judiciaires ».
332 Ensuite,
s’agissant du « bon fonctionnement » des autorités publiques, y
compris répressives, exécutant le budget de l’Union et chargées du contrôle, du
suivi et de l’audit financiers ainsi que des services d’enquête et de
poursuites judiciaires, visées à l’article 3, sous b), et à
l’article 4, paragraphe 2, sous a) à c), du règlement attaqué,
il découle des considérants 8 et 9 de ce règlement que cette expression vise la
capacité de ces autorités à remplir correctement ainsi que de manière effective
et efficace leurs fonctions pertinentes pour la bonne gestion financière du
budget de l’Union ou la protection de ses intérêts financiers.
333 Enfin,
l’expression « systèmes efficaces et transparents de gestion et de
responsabilité financières », employée à l’article 4,
paragraphe 2, sous b), du règlement attaqué, renvoie à la notion de
« gestion financière », laquelle relève de celle de « bonne
gestion financière », figurant dans les traités eux-mêmes, en particulier
à l’article 310, paragraphe 5, et à l’article 317, premier
alinéa, TFUE, et définie à l’article 2, point 59, du règlement
financier comme étant l’exécution du budget conformément aux principes
d’économie, d’efficience et d’efficacité. L’expression « responsabilité
financière » reflète, quant à elle, notamment les obligations de contrôle,
de suivi et de l’audit financiers mentionnées audit article 4, paragraphe 2,
sous b), tandis que l’expression « systèmes efficaces et
transparents » implique la mise en place d’un ensemble ordonné de règles
qui assurent de manière efficace et transparente lesdites gestion et
responsabilité financières.
334 Troisièmement,
l’argumentation fondée sur le caractère non exhaustif de l’énumération des
situations ou des comportements figurant à l’article 4, paragraphe 2,
du règlement attaqué a été écartée aux points 171 à 177 du présent arrêt et, en
ce qui concerne les cas qui peuvent être indicatifs de violations, cités à
l’article 3 de ce règlement, il a été relevé au point 171 du présent arrêt
qu’une définition particulière de la notion de « violation » ne
s’impose nullement pour les besoins d’un mécanisme de conditionnalité
horizontale tel que celui institué par ledit règlement.
335 Quatrièmement,
s’agissant de la marge d’appréciation accordée par ces dispositions à la
Commission et au Conseil, il résulte des considérations qui précèdent que les
expressions critiquées par la République de Pologne, soutenue par la Hongrie,
satisfont, en tant que telles, aux exigences du principe de sécurité juridique
rappelés aux points 319 à 321 du présent arrêt. En outre, aux fins de justifier
l’adoption de mesures appropriées au titre du règlement attaqué, ces
institutions doivent établir de manière concrète l’ensemble des conditions
relevées en dernier lieu aux points 286 et 288 du présent arrêt.
336 En
troisième lieu, en ce qui concerne l’argumentation selon laquelle
l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué ne définit pas
de manière suffisamment précise les sources d’information sur lesquelles la
Commission peut se fonder, dont certaines d’entre elles ne lieraient pas les
États membres et auxquelles ce règlement ne saurait conférer de caractère
contraignant, il convient de rappeler que, aux termes de ladite disposition,
lorsque la Commission examine si les conditions énoncées à l’article 4 de
ce règlement sont remplies et évalue la proportionnalité des mesures à imposer,
elle prend en compte les informations pertinentes provenant de sources disponibles,
y compris les décisions, les conclusions et les recommandations des
institutions de l’Union, d’autres organisations internationales pertinentes et
d’autres institutions reconnues.
337 À
cet égard, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué,
il incombe à la Commission d’établir que les conditions énoncées à
l’article 4 de ce règlement sont remplies.
338 En
outre, selon l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement, la Commission
est tenue d’exposer, dans une notification écrite à l’État membre concerné, les
éléments factuels et les motifs précis sur lesquels reposent ses constatations
selon lesquelles il existe des motifs raisonnables de considérer que ces
conditions sont remplies.
339 Il
en résulte que la Commission est tenue de procéder à une appréciation diligente
des faits à la lumière des conditions fixées à l’article 4 du règlement
attaqué. Il en va de même, conformément à l’article 6, paragraphes 7
à 9, de ce règlement, en ce qui concerne l’exigence de proportionnalité des
mesures, énoncée à l’article 5, paragraphe 3, de celui-ci.
340 Les
considérants 16 et 26 dudit règlement énoncent d’ailleurs que la Commission
doit procéder à une évaluation qualitative approfondie, qui doit être
objective, impartiale et équitable, qui doit respecter les principes
d’objectivité, de non-discrimination et d’égalité des États membres devant les
traités et doit être menée selon une approche non partisane et fondée sur des
éléments concrets.
341 Il
en découle que la Commission est tenue de s’assurer, sous le contrôle du juge
de l’Union, de la pertinence des informations qu’elle utilise et de la
fiabilité de ses sources. En particulier, ces dispositions ne confèrent pas de
valeur probante spécifique ou absolue et n’attachent pas d’effets juridiques
déterminés aux sources d’information qu’elles mentionnent, ni à celles qui sont
indiquées au considérant 16 du règlement attaqué, de sorte qu’elles ne
dispensent pas la Commission de son obligation de procéder à une appréciation
diligente des faits qui satisfait pleinement aux exigences rappelées au point
précédent.
342 À
cet égard, le considérant 16 du règlement attaqué explicite le fait que les
informations pertinentes provenant de sources disponibles et d’institutions
reconnues comprennent, notamment, les arrêts de la Cour, les rapports de la
Cour des comptes, le rapport annuel de la Commission sur l’État de droit et le
tableau de bord de la justice dans l’Union, les rapports de l’OLAF, du Parquet
européen et de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que
les conclusions et les recommandations formulées par les organisations et les
réseaux internationaux pertinents, y compris les organes du Conseil de l’Europe,
tels que le GRECO et la Commission de Venise, en particulier sa liste des
critères de l’État de droit, le réseau européen des présidents des cours
suprêmes judiciaires et le réseau européen des conseils de la justice.
343 La
Commission demeure ainsi responsable des informations qu’elle utilise et de la
fiabilité de ses sources. Par ailleurs, l’État membre concerné dispose de la
faculté, au cours de la procédure prévue à l’article 6, paragraphes 1
à 9, du règlement attaqué, de présenter des observations sur les informations
que la Commission entend utiliser en vue de proposer l’adoption de mesures
appropriées. Partant, il lui est possible de contester la valeur probante de
chacun des éléments retenus, le bien-fondé des appréciations de la Commission
pouvant, en tout état de cause, être soumis au contrôle du juge de l’Union dans
le cadre d’un recours introduit contre une décision du Conseil prise au titre
de ce règlement.
344 En
particulier, la Commission doit communiquer, de manière précise, à l’État membre
concerné, dès l’engagement de la procédure au titre de l’article 6,
paragraphe 1, du règlement attaqué et, périodiquement, tout au long de
cette procédure, les informations pertinentes provenant de sources disponibles
sur lesquelles elle entend fonder la proposition de décision d’exécution
arrêtant des mesures appropriées qu’elle présentera au Conseil. Du reste,
contrairement à ce qu’allègue la République de Pologne, soutenue par la
Hongrie, aucun caractère contraignant n’est conféré aux recommandations qui
peuvent être prises en compte par la Commission, conformément à
l’article 6, paragraphes 3 et 8, de ce règlement.
345 Eu
égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le neuvième moyen doit
être écarté comme étant non fondé.
G. Sur
le dixième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité
1. Argumentation
des parties
346 La
République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que le législateur
de l’Union a, par le mécanisme de conditionnalité institué par le règlement
attaqué, violé le principe de proportionnalité, dès lors qu’il existerait
d’autres dispositions du droit de l’Union destinées à protéger le budget de
l’Union. Elle relève que, selon l’article 6, paragraphe 1, de ce
règlement, la Commission applique ce mécanisme à moins qu’elle ne considère que
d’autres procédures prévues par la législation de l’Union lui permettent de
protéger le budget de l’Union d’une manière plus efficace. Elle ajoute que le
considérant 17 dudit règlement précise que la législation financière de
l’Union prévoit déjà divers moyens de protéger le budget de l’Union. Or, le
législateur de l’Union n’aurait pas exposé les raisons pour lesquelles ces
moyens seraient inefficaces ni la manière dont le même règlement comblerait de
prétendues insuffisances.
347 En
particulier, la raison pour laquelle la protection du budget de l’Union a été
subordonnée à la constatation de violations des principes de l’État de droit et
n’a pas été directement liée au respect du principe de la bonne gestion
financière, celle-ci étant déjà définie à l’article 2, point 59, du
règlement financier, précisé au chapitre 7 de ce règlement et érigé, à
l’article 56, paragraphe 2, de celui-ci, en obligation pour les États
membres, n’apparaîtrait pas clairement. Le législateur de l’Union aurait ainsi
pu préciser dans le règlement financier les obligations des États membres
concernant le respect du principe de la bonne gestion financière des fonds de
l’Union.
348 La
raison sous–tendant l’approche retenue par le règlement attaqué apparaîtrait
donc être la volonté du Parlement, du Conseil et de la Commission de contourner
les restrictions figurant dans les traités concernant leur compétence pour
examiner le respect des principes de l’État de droit par les États membres. Par
l’adoption de ce règlement, le législateur de l’Union aurait conféré au Conseil
et à la Commission un droit illimité pour apprécier, sous l’angle politique, le
respect des principes de l’État de droit et pour rattacher toute violation
constatée de ces principes, de manière générale, au principe de la bonne
gestion financière des fonds de l’Union.
349 En
omettant de démontrer la valeur ajoutée du mécanisme institué par le règlement
attaqué et de son lien avec les autres dispositions destinées à protéger le
budget de l’Union, le législateur de l’Union aurait donc violé le principe de
proportionnalité.
350 Par
ailleurs, la constatation des violations des principes de l’État de droit sur
la base d’éléments politiques et en l’absence de dispositions spécifiques
empêcherait le respect de l’exigence de proportionnalité des mesures prises en
vertu du règlement attaqué, prévue à l’article 5, paragraphe 3, de
celui-ci. Il en irait de même de l’examen de la nature, de la durée, de la
gravité et de la portée de ces violations. Le principe de proportionnalité
serait ainsi impossible à respecter, ce qui serait d’autant plus grave que les
violations des principes de l’État de droit à appréhender selon
l’article 3 et l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement seraient
systématiques dans leur nature. Il serait, en effet, difficile d’admettre en
pratique que le « bon fonctionnement des autorités » n’est pertinent
que pour les dépenses au titre d’un fonds ou d’un programme spécifique. Or, le
caractère systématique des violations constatées et l’absence de tout critère
guidant le choix et la portée des mesures à adopter permettraient à la
Commission et au Conseil de justifier aisément l’adoption de mesures étendues
aux conséquences financières lourdes.
351 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand–Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent
cette argumentation.
2. Appréciation
de la Cour
352 Par
le dixième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait
valoir que le règlement attaqué viole le principe de proportionnalité aux
motifs, tout d’abord, que le législateur de l’Union n’aurait pas démontré, eu
égard aux moyens de protection du budget de l’Union préexistant, la nécessité
de son adoption, ensuite, que cette adoption ferait apparaître la volonté de ce
législateur de contourner les limites posées par les traités à la compétence
des institutions de l’Union pour examiner le respect des principes de l’État de
droit par les États membres et, enfin, de l’imprécision des critères figurant,
notamment, à l’article 3, à l’article 4, paragraphe 2, et à
l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement.
353 À
titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante
de la Cour, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes
généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union
soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la
réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est
nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un
choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la
moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être
démesurés par rapport aux buts visés (arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie
et Hongrie/Conseil, C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:631,
point 206 ainsi que jurisprudence citée).
354 En
premier lieu, s’agissant de l’opportunité d’adopter le règlement attaqué, la
Cour a reconnu au législateur de l’Union un large pouvoir d’appréciation qui
s’applique non pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à
prendre dans les domaines où son action implique des choix de nature tant
politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des
appréciations et des évaluations complexes, mais aussi, dans une certaine
mesure, à la constatation des données de base, de sorte qu’il ne s’agit pas de
savoir si une mesure arrêtée dans un tel domaine était la seule ou la meilleure
possible, seul le caractère manifestement inapproprié de celle-ci par rapport à
l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre pouvant
affecter la légalité de cette mesure (arrêts du 3 décembre 2019,
République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035,
points 77 et 78, ainsi que du 8 décembre 2020, Pologne/Parlement et
Conseil, C‑626/18, EU:C:2020:1000, points 95 et 97).
355 En
l’occurrence, ainsi que l’a relevé la République de Pologne elle-même dans son
argumentation relative aux quatrième et onzième moyens, l’exposé des motifs
accompagnant la proposition qui a abouti au règlement attaqué relevait que
« plusieurs événements récents ont mis au jour des faiblesses généralisées
dans l’équilibre des pouvoirs de certains États membres et ont montré en quoi
le mépris de l’[É]tat de droit peut devenir un sujet commun de vive
préoccupation au sein de l’Union », notamment pour des « institutions
telles que le Parlement ».
356 En
outre, il résulte notamment des considérants 7, 8 et 17 du règlement attaqué
que le législateur de l’Union a estimé qu’il pouvait exister des situations
résultant de violations des principes de l’État de droit mentionnés à
l’article 2, sous a), de ce règlement, que la législation existante visant
à protéger la bonne gestion financière du budget de l’Union ou de ses intérêts
financiers ne pouvait pas appréhender de manière adéquate.
357 Or,
la République de Pologne n’a invoqué aucun élément susceptible de démontrer que
le législateur de l’Union aurait outrepassé le large pouvoir d’appréciation
dont il dispose à cet égard, lorsqu’il a ainsi estimé nécessaire de pallier, au
moyen du règlement attaqué, des atteintes ou des risques sérieux d’atteintes à
cette bonne gestion ou à la protection de ces intérêts financiers pouvant
résulter de violations des principes de l’État de droit.
358 En
deuxième lieu, s’agissant du prétendu contournement des compétences des
institutions de l’Union pour examiner le respect des principes de l’État de
droit par les États membres, il convient de constater que le législateur de l’Union
n’a nullement conféré au Conseil et à la Commission un droit illimité pour
apprécier, au regard de considérations politiques, le respect des principes de
l’État de droit ou pour rattacher toute violation constatée de ces principes,
de manière générale, au principe de la bonne gestion financière des fonds de
l’Union. En effet, il a soumis l’engagement de la procédure à l’ensemble des
critères exposés au point 288 du présent arrêt, lesquels assurent, comme il a
été relevé aux points 112 à 189 et 200 à 203 du présent arrêt, que les
appréciations de ces institutions relèvent du champ d’application du droit de
l’Union et sont de nature juridique et non politique.
359 En
troisième lieu, en ce qui concerne le prétendu défaut de précision des critères
déterminant le choix et la portée des mesures à adopter, prévus notamment à
l’article 5, paragraphe 3, du règlement attaqué, il a été relevé aux
points 301 à 303 du présent arrêt que ces critères sont suffisamment précis et
que, en particulier, il résulte des première à troisième phrases de ce
paragraphe que les mesures prises doivent être strictement proportionnées à
l’incidence des violations constatées des principes de l’État de droit sur le
budget de l’Union ou sur ses intérêts financiers.
360 En
effet, cette disposition précise, à sa première phrase, que les mesures prises
sont « proportionnées », à sa deuxième phrase, qu’elles sont
« déterminées en fonction de l’incidence réelle ou potentielle » des
violations des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du
budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de celle-ci et, à sa troisième
phrase, que la nature, la durée, la gravité et la portée des violations des
principes de l’État de droit sont « dûment prises en compte ».
361 Ainsi
que l’a relevé l’avocat général Campos Sánchez-Bordona, aux points 177 et
178 de ses conclusions dans l’affaire Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21,
EU:C:2021:974), il découle de l’ordre de ces phrases ainsi que des termes
employés que la proportionnalité des mesures à adopter est assurée, de manière
déterminante, par le critère de « l’incidence » des violations des
principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de
l’Union ou sur les intérêts financiers de celle-ci. Quant aux critères de la
nature, de la durée, de la gravité et de la portée de ces violations, ils ne
peuvent être « dûment pris en compte » qu’aux fins de déterminer
l’ampleur de cette incidence, celle-ci pouvant varier en fonction des
caractéristiques des violations constatées telles que mises en lumière par
l’application de ces critères.
362 En
dernier lieu, dans la mesure où la République de Pologne, soutenue par la
Hongrie, fait valoir que des violations constatées des principes de l’État de
droit sont susceptibles d’être systématiques dans leur nature, de sorte
qu’elles affectent également des domaines autres que ceux pertinents pour la
bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection de ses
intérêts financiers, il a été relevé aux points 267 à 270 du présent arrêt que,
lorsqu’une telle violation est également de nature à porter atteinte ou à
présenter un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du
budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, il ne saurait
être reproché à l’Union de mettre en œuvre les moyens nécessaires à la
protection de cette bonne gestion et de ces intérêts financiers.
363 Eu
égard aux considérations qui précèdent, il convient d’écarter le dixième moyen
et, partant, de rejeter le recours dans son ensemble.
VI. Sur
les dépens
364 Aux
termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure,
toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
365 Le
Parlement et le Conseil ayant conclu à la condamnation de la République de
Pologne aux dépens et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il convient
de la condamner au paiement de ceux-ci.
366 Conformément
à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, le Royaume de
Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne,
l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand–Duché de
Luxembourg, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le
Royaume de Suède et la Commission supporteront leurs propres dépens en tant que
parties intervenantes au litige.
Par ces motifs, la Cour (assemblée plénière)
déclare et arrête :
1) Le
recours est rejeté.
2) La
République de Pologne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux
exposés par le Parlement européen et par le Conseil de l’Union européenne.
3) Le
Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale
d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le
Grand–Duché de Luxembourg, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas, la République
de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission européenne supportent leurs
propres dépens.
Signatures
* Langue de procédure : le polonais.