ARRÊT DE LA COUR (assemblée plénière)
16 février 2022 (*)
Table des matières
I. Le cadre juridique
A. Le règlement (CE) no 1049/2001
B. Le règlement intérieur du Conseil
C. Les consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil
D. Le règlement (UE, Euratom) no 883/2013
E. Le règlement financier
II. Le règlement attaqué
III. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
IV. Sur la demande de ne pas prendre en compte certains passages de la
requête de la Hongrie et de l’annexe A.3 de celle-ci
A. Argumentation des parties
B. Appréciation de la Cour
V. Sur le recours
A. Sur les conclusions principales tendant à l’annulation du règlement
attaqué dans son ensemble
1. Sur les premier et deuxième moyens, tirés de
l’incompétence de l’Union pour adopter le règlement attaqué
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
1) Sur la base juridique du règlement attaqué
2) Sur le contournement de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE
2. Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité
juridique
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
B. Sur les conclusions subsidiaires tendant à l’annulation partielle du
règlement attaqué
1. Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 1,
du règlement attaqué
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
2. Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 2,
sous h), du règlement attaqué
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
3. Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 2,
du règlement attaqué
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
4. Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 3,
troisième phrase, du règlement attaqué
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
5. Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 3,
quatrième phrase, du règlement attaqué
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
6. Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 6, paragraphes 3
et 8, du règlement attaqué
a) Argumentation des parties
b) Appréciation de la Cour
VI. Sur les dépens
« Recours en annulation – Règlement (UE, Euratom)
2020/2092 – Régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union
européenne – Protection du budget de l’Union en cas de violation des principes
de l’État de droit dans un État membre – Base juridique – Article 322,
paragraphe 1, sous a), TFUE – Contournement allégué
de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE – Violations
alléguées de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 5, paragraphe 2, et de
l’article 13, paragraphe 2, TUE ainsi que des principes de sécurité juridique,
de proportionnalité et d’égalité des États membres devant les traités »
Dans l’affaire C‑156/21,
ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 11 mars 2021,
Hongrie, représentée
par M. M. Z. Fehér et Mme M. M. Tátrai, en qualité d’agents,
partie requérante,
soutenue par :
République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna et Mme
S. Żyrek, en qualité d’agents,
partie intervenante,
contre
Parlement européen, représenté par MM. F. Drexler, R. Crowe, U. Rösslein et T. Lukácsi ainsi que par Mme A. Pospíšilová
Padowska, en qualité d’agents,
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. de Gregorio Merino, E.
Rebasti et A. Tamás ainsi que par Mme A. Sikora-Kalėda, en qualité d’agents,
parties défenderesses,
soutenus par :
Royaume de Belgique, représenté par Mmes C. Pochet, M.
Jacobs et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,
Royaume de Danemark, représenté initialement par Mme M. Søndahl
Wolff et M. J. Nymann-Lindegren, puis par Mmes
M. Søndahl Wolff et V. Pasternak Jørgensen,
en qualité d’agents,
République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,
Irlande, représentée
par Mmes M. Browne et J. Quaney ainsi que
par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de M. D. Fennelly,
BL,
Royaume d’Espagne, représenté initialement par M. J. Rodríguez de la
Rúa Puig et Mme S. Centeno
Huerta, puis par M. J. Rodríguez de la Rúa Puig et Mme A. Gavela
Llopis, en qualité d’agents,
République française, représentée par Mmes A.-L. Desjonquères
et A.‑C. Drouant ainsi que par M. E. Leclerc,
en qualité d’agents,
Grand-Duché de Luxembourg, représenté initialement par MM. A. Germeaux et T.
Uri, puis par M. A. Germaux, en qualité d’agents,
Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme M. K. Bulterman et
M. J. Langer, en qualité d’agents,
République de Finlande, représentée par Mme H. Leppo et M. S. Hartikainen, en qualité d’agents,
Royaume de Suède, représenté par MM. O. Simonsson et J. Lundberg ainsi que par Mmes C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, H. Shev, M. Salborn Hodgson, H. Eklinder et
R. Shahsavan Eriksson, en qualité d’agents,
Commission européenne, représentée par MM. D. Calleja Crespo, J.–P. Keppenne, J. Baquero Cruz et A. Tokár, en qualité d’agents,
parties intervenantes,
LA COUR (assemblée plénière),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen,
vice‑président, M. A. Arabadjiev (rapporteur),
Mmes A. Prechal, K. Jürimäe,
MM. C. Lycourgos, E. Regan,
S. Rodin, I. Jarukaitis, N. Jääskinen,
Mme I. Ziemele et M. J. Passer, présidents
de chambre, MM. M. Ilešič, J.–C. Bonichot, M. Safjan, F. Biltgen, P. G. Xuereb, N. Piçarra, Mme L. S. Rossi, MM. A. Kumin, N. Wahl, D. Gratsias, Mme
M. L. Arastey Sahún, MM. M.
Gavalec et Z. Csehi, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffiers : M. M. Aleksejev, chef
d’unité, et M. I. Illéssy, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 11 et 12 octobre 2021,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 décembre
2021,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa
requête, la Hongrie demande à la Cour d’annuler, à titre principal, le
règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16
décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la
protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433I, p.
1, et rectificatif JO 2021, L 373, p. 94, ci-après le « règlement attaqué »),
et, à titre subsidiaire, l’article 4, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous h),
l’article 5, paragraphe 2 et paragraphe 3, avant‑dernière et dernière
phrases, ainsi que l’article 6, paragraphes 3 et 8, de ce règlement.
I. Le cadre juridique
A. Le règlement (CE) no
1049/2001
2
L’article 2 du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement
européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents
du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43),
prévoit, à son paragraphe 1 :
« Tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou
ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents des
institutions, sous réserve des principes, conditions et limites définis par le
présent règlement. »
3 Aux
termes de l’article 4 de ce règlement :
« [...]
2. Les institutions refusent l’accès
à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection
:
[...]
– des
procédures juridictionnelles et des avis juridiques,
[...]
à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du
document visé.
3. L’accès à un document établi par une
institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à
une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision est refusé
dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus
décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne
justifie la divulgation du document visé.
L’accès à un document contenant des avis destinés à l’utilisation interne
dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de
l’institution concernée est refusé même après que la décision a été prise, dans
le cas où la divulgation du document porterait gravement atteinte au processus
décisionnel de l’institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne
justifie la divulgation du document visé.
[...]
5. Un État membre peut demander
à une institution de ne pas divulguer un document émanant de cet État sans
l’accord préalable de celui-ci.
6. Si une partie seulement du
document demandé est concernée par une ou plusieurs des exceptions susvisées,
les autres parties du document sont divulguées.
7. Les exceptions visées aux
paragraphes 1, 2 et 3 s’appliquent uniquement au cours de la période durant
laquelle la protection se justifie eu égard au contenu du document. [...] »
4
L’article 5 dudit règlement dispose :
« Lorsqu’un État membre est saisi d’une demande relative à un document en
sa possession, émanant d’une institution, à moins qu’il ne soit clair que le
document doit ou ne doit pas être fourni, l’État membre consulte l’institution
concernée afin de prendre une décision ne compromettant pas la réalisation des
objectifs du présent règlement.
L’État membre peut, au lieu de cela, soumettre la demande à l’institution.
»
B. Le règlement intérieur du
Conseil
5 Le 1er
décembre 2009, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision
2009/937/UE, portant adoption de son règlement intérieur (JO 2009, L 325, p.
35). L’article 6 de ce règlement intérieur (ci-après le « règlement intérieur
du Conseil »), intitulé « Secret professionnel et production en justice de
documents », prévoit, à son paragraphe 2 :
« Le Conseil ou le [Comité des représentants permanents des gouvernements
des États membres (Coreper)] peut autoriser la production en justice d’une
copie ou d’un extrait des documents du Conseil qui n’ont pas déjà été rendus
accessibles au public conformément aux dispositions relatives à l’accès du
public aux documents. »
6 Aux
termes de l’article 10 dudit règlement intérieur, intitulé « Accès du public
aux documents du Conseil » :
« Les dispositions particulières concernant l’accès du public aux documents
du Conseil figurent à l’annexe II. »
7
L’annexe II du même règlement intérieur, intitulée « Dispositions
particulières concernant l’accès du public aux documents du Conseil », contient
un article 5, relatif aux « [d]emandes soumises par
les États membres », qui énonce :
« Lorsqu’un État membre soumet une demande au Conseil, elle est traitée
conformément aux articles 7 et 8 du [règlement no 1049/2001] et aux
dispositions pertinentes de la présente annexe. Lorsque l’accès est totalement
ou partiellement refusé, le demandeur est informé de ce que toute demande
confirmative doit être adressée directement au Conseil. »
C. Les consignes relatives au
traitement des documents internes du Conseil
8 Par la
note 7695/18, du 10 avril 2018, le Conseil a adopté des consignes relatives au
traitement des documents internes du Conseil. Les points 1, 2, 20 et 21 de ces
consignes sont ainsi libellés :
« 1. Le
présent document contient des consignes relatives au traitement des documents
non classifiés du Conseil dont la diffusion est interne au Conseil, à ses
membres, à la Commission, au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et, en fonction de leur objet, à certaines autres
institutions (par exemple, le Parlement européen, la Cour de justice et la
Banque centrale européenne) et organes de l’[Union européenne] (par exemple, le
Comité des régions et le Comité économique et social européen). La divulgation
publique inopportune de ces documents pourrait avoir un effet préjudiciable sur
les processus décisionnels au sein du Conseil.
2. Les
consignes ont une incidence directe sur le fonctionnement du Conseil et doivent
par conséquent être respectées par les États membres en tant que membres du
Conseil, conformément au principe de coopération loyale régissant les relations
entre les institutions de l’[Union] et les États membres.
[...]
20. Les
documents “LIMITE” ne doivent pas être rendus publics à moins qu’une décision
n’ait été prise à cet effet par des fonctionnaires du Conseil dûment habilités,
par l’administration nationale d’un État membre (voir point 21) ou, le cas
échéant, par le Conseil, conformément au [règlement no 1049/2001] et
au règlement intérieur du Conseil.
21. Les
membres du personnel des institutions ou organes de l’[Union] autres que le
Conseil ne peuvent décider de rendre publics des
documents “LIMITE” sans avoir préalablement consulté le Secrétariat général du
Conseil (SGC). Les membres du personnel de
l’administration nationale d’un État membre consulteront le SGC
avant de prendre une telle décision, sauf s’il est clair que le document peut
être rendu public, conformément à l’article 5 du [règlement no
1049/2001]. »
D. Le règlement (UE, Euratom) no
883/2013
9 L’article
2, point 1, du règlement (UE, Euratom) no 883/2013 du Parlement
européen et du Conseil, du 11 septembre 2013, relatif aux enquêtes effectuées
par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et abrogeant le règlement (CE)
no 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil et le règlement
(Euratom) no 1074/1999 du Conseil (JO 2013, L 248, p. 1), définit,
aux fins de ce dernier, les « intérêts financiers de l’Union » comme étant «
les recettes, dépenses et avoirs couverts par le budget de l’Union européenne,
ainsi que ceux qui sont couverts par le budget des institutions, organes et
organismes, et les budgets gérés et contrôlés par ceux-ci ».
E. Le règlement financier
10 Aux
termes de l’article 2 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement
européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières
applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no
1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no
1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no
223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE,
et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193,
p. 1, ci-après le « règlement financier »), intitulé « Définitions » :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
7.
“exécution budgétaire” : la réalisation des activités liées à la
gestion, au suivi, au contrôle et à l’audit des crédits budgétaires
conformément aux modes prévus à l’article 62 ;
[...]
42.
“organisation d’un État membre” : une entité établie dans un État membre
sous la forme d’un établissement de droit public, ou d’une entité de droit
privé investie d’une mission de service public et dotée de garanties
financières suffisantes par l’État membre ;
[...]
59. “bonne
gestion financière” : l’exécution du budget conformément aux principes
d’économie, d’efficience et d’efficacité ;
[...] »
11 L’article
61 de ce règlement, intitulé « Conflit d’intérêts », prévoit :
« 1. Les acteurs financiers au
sens du chapitre 4 du présent titre et les autres personnes, y compris les
autorités nationales à tout niveau, intervenant dans l’exécution budgétaire en
gestion directe, indirecte ou partagée, y compris les actes préparatoires à
celle-ci, ainsi que dans l’audit ou le contrôle, ne prennent aucune mesure à
l’occasion de laquelle leurs propres intérêts pourraient être en conflit avec
ceux de l’Union. Ils prennent en outre les mesures appropriées pour éviter un
conflit d’intérêts dans les fonctions relevant de leur responsabilité et pour
remédier aux situations qui peuvent, objectivement, être perçues comme un
conflit d’intérêts.
2. Lorsqu’il existe un risque de
conflit d’intérêts impliquant un agent d’une autorité nationale, la personne
concernée en réfère à son supérieur hiérarchique. Lorsqu’un tel risque existe
pour un agent soumis au statut, la personne concernée en réfère à l’ordonnateur
délégué compétent. Le supérieur hiérarchique ou l’ordonnateur délégué compétent
confirme par écrit si l’existence d’un conflit d’intérêts a été établie.
Lorsque l’existence d’un conflit d’intérêts a été établie, l’autorité investie
du pouvoir de nomination ou l’autorité nationale compétente veille à ce que la
personne concernée cesse toutes ses activités en rapport avec la matière
concernée. L’ordonnateur délégué compétent ou l’autorité nationale compétente
veille à ce que toute mesure supplémentaire appropriée soit prise conformément
au droit applicable.
3. Aux fins du paragraphe 1, il
y a conflit d’intérêts lorsque l’exercice impartial et objectif des fonctions
d’un acteur financier ou d’une autre personne, visés au paragraphe 1, est
compromis pour des motifs familiaux, affectifs, d’affinité politique ou
nationale, d’intérêt économique ou pour tout autre intérêt personnel direct ou
indirect. »
12 L’article
62 dudit règlement, intitulé « Modes d’exécution budgétaire », dispose, à son
paragraphe 1, premier alinéa :
« 1. La Commission exécute le
budget :
a) en mode
direct (ci-après dénommé “gestion directe”), comme prévu aux articles 125 à
153, dans ses services, y compris par l’intermédiaire de son personnel dans les
délégations de l’Union, placé sous la responsabilité du chef de délégation
concerné, conformément à l’article 60, paragraphe 2, ou par l’intermédiaire des
agences exécutives visées à l’article 69 ;
b) en
gestion partagée avec les États membres (ci-après dénommée “gestion partagée”),
comme prévu aux articles 63 et 125 à 129 ;
c) en mode
indirect (ci-après dénommé “gestion indirecte”), comme prévu aux articles 125 à
149 et 154 à 159, lorsque ce mode d’exécution est prévu dans l’acte de base ou
dans les cas visés à l’article 58, paragraphe 2, points a) à d), en confiant
des tâches d’exécution budgétaire :
[...] »
13 L’article
63 du même règlement, intitulé « Gestion partagée avec les États membres »,
énonce, à ses paragraphes 2 et 8 :
« 2. Lorsqu’ils effectuent des
tâches liées à l’exécution budgétaire, les États membres prennent toutes les
mesures législatives, réglementaires et administratives qui sont nécessaires à
la protection des intérêts financiers de l’Union, à savoir :
a) veiller
à ce que les actions financées sur le budget soient correctement et
effectivement exécutées, conformément à la réglementation sectorielle
applicable ;
b)
désigner les organismes responsables de la gestion et du contrôle des
fonds de l’Union, conformément au paragraphe 3, et superviser ces organismes ;
c)
prévenir, détecter et corriger les irrégularités et la fraude ;
d)
coopérer, conformément au présent règlement et à la réglementation
sectorielle, avec la Commission, l’[Office européen de
lutte antifraude (OLAF)], la Cour des comptes [européenne] et, dans le cas des
États membres participant à une coopération renforcée en application du
règlement (UE) 2017/1939 du Conseil[, du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une
coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (JO 2017, L
283, p. 1)], avec le Parquet européen.
Pour protéger les intérêts financiers de l’Union, les États membres
procèdent, dans le respect du principe de proportionnalité et conformément au
présent article et à la réglementation sectorielle concernée, à des contrôles
ex ante et ex post, y compris, le cas échéant, des contrôles sur place sur des
échantillons d’opérations représentatifs et/ou fondés sur le risque. Ils
récupèrent également les fonds indûment versés et engagent des poursuites
judiciaires si nécessaire à cet égard.
Les États membres imposent des sanctions effectives, dissuasives et
proportionnées aux destinataires lorsque la réglementation sectorielle ou des
dispositions spécifiques du droit national le prévoient.
Dans le cadre de son évaluation du risque et conformément à la
réglementation sectorielle, la Commission assure la surveillance des systèmes
de gestion et de contrôle établis dans les États membres. Dans le cadre de ses
audits, la Commission respecte le principe de proportionnalité et tient compte
du niveau de risque évalué conformément à la réglementation sectorielle.
[...]
8. Afin de garantir que les
fonds de l’Union sont utilisés conformément aux règles applicables, la
Commission :
a) procède
à l’examen et à l’approbation des comptes des organismes désignés, de façon à
vérifier l’exhaustivité, l’exactitude et la véracité des comptes ;
b) exclut
des dépenses de l’Union correspondant à des financements les paiements qui ont
été réalisés en violation du droit applicable ;
c)
interrompt le délai de paiement ou suspend les versements lorsque la
réglementation sectorielle le prévoit.
La Commission lève tout ou partie de l’interruption des délais de paiement
ou de la suspension des paiements après qu’un État membre a présenté ses
observations et dès qu’il a pris toutes mesures nécessaires. Le rapport annuel
d’activités visé à l’article 74, paragraphe 9, rend compte de toutes les
obligations au titre du présent paragraphe. »
14 L’article
129 du règlement financier, intitulé « Coopération aux fins de la protection
des intérêts financiers de l’Union », prévoit :
« 1. Toute personne ou entité
qui reçoit des fonds de l’Union coopère pleinement à la protection des intérêts
financiers de l’Union et, avant de pouvoir recevoir ces fonds, accorde à
l’ordonnateur compétent, au Parquet européen dans le cas des États membres
participant à une coopération renforcée [...], à l’OLAF, à la Cour des comptes
et, le cas échéant, aux autorités nationales compétentes, les droits et accès
nécessaires au plein exercice de leurs compétences respectives. Dans le cas de
l’OLAF, ces droits incluent le droit d’effectuer des enquêtes, y compris des
contrôles et vérifications sur place, conformément au règlement [sur les
enquêtes effectuées par l’OLAF].
2. Toute personne ou entité qui
reçoit des fonds de l’Union dans le cadre de la gestion directe ou indirecte
s’engage par écrit à accorder les droits nécessaires visés au paragraphe 1 et à
veiller à ce que tout tiers participant à l’exécution des fonds de l’Union
accorde des droits équivalents. »
15 Aux
termes de l’article 131 du règlement financier, intitulé « Suspension,
résiliation et réduction » :
« 1. Lorsqu’une procédure
d’attribution est entachée d’irrégularités ou de fraude, l’ordonnateur
compétent la suspend et peut prendre toutes les mesures nécessaires, y compris
l’annulation de la procédure. L’ordonnateur compétent informe immédiatement
l’OLAF des cas présumés de fraude.
[...]
3. L’ordonnateur compétent peut
suspendre des paiements ou l’exécution de l’engagement juridique, lorsque :
[...]
b) il est
nécessaire de vérifier si le soupçon d’irrégularités, de fraude ou de violation
d’obligations est fondé ;
c) toute
irrégularité, fraude ou violation d’obligations remet en question la fiabilité
ou l’efficacité des systèmes de contrôle interne de la personne ou de l’entité
qui exécute des fonds de l’Union en vertu de l’article 62, paragraphe 1,
premier alinéa, point c), ou la légalité et la régularité des opérations
sous-jacentes.
[...] »
16 L’article
135 de ce règlement, intitulé « Protection des intérêts financiers de l’Union
par la détection des risques, l’exclusion et l’imposition de sanctions
financières », dispose :
« 1. Afin de protéger les
intérêts financiers de l’Union, la Commission met en place et exploite un
système de détection rapide et d’exclusion.
L’objectif de ce système est de faciliter :
a) la
détection rapide des personnes ou entités visées au paragraphe 2, qui
constituent un risque pour les intérêts financiers de l’Union ;
[...]
3. La décision d’inscription
d’informations concernant une détection rapide de risques visés au paragraphe
1, deuxième alinéa, point a), du présent article, d’exclusion de personnes ou
d’entités visées au paragraphe 2 et/ou d’imposition d’une sanction financière à
un destinataire est prise par l’ordonnateur compétent. Les informations
relatives à ces décisions sont enregistrées dans la base de données visée à
l’article 142, paragraphe 1. Lorsque de telles décisions sont prises sur la
base de l’article 136, paragraphe 4, les informations enregistrées dans la base
de données comprennent les informations relatives aux personnes visées audit
paragraphe.
4. La décision d’exclusion de
personnes ou d’entités visées au paragraphe 2 du présent article ou
d’imposition d’une sanction financière à un destinataire se fonde sur un
jugement définitif ou, dans les situations d’exclusion visées à l’article 136,
paragraphe 1, sur une décision administrative définitive, ou sur une
qualification juridique préliminaire par l’instance visée à l’article 143 dans
les situations visées à l’article 136, paragraphe 2, afin d’assurer une
évaluation centralisée de ces situations. Dans les cas visés à l’article 141,
paragraphe 1, l’ordonnateur compétent écarte un participant d’une procédure
d’attribution déterminée.
Sans préjudice de l’article 136, paragraphe 5, l’ordonnateur compétent ne
peut prendre une décision d’exclure un participant ou un destinataire et/ou
d’imposer une sanction financière à un destinataire et de publier les
informations correspondantes que sur la base d’une qualification préliminaire
visée à l’article 136, paragraphe 2, après avoir obtenu une recommandation de
l’instance visée à l’article 143. »
II. Le règlement attaqué
17 Il
ressort des visas du règlement attaqué que celui-ci a été adopté sur le
fondement du « traité [FUE], et notamment [de] son
article 322, paragraphe 1, point a), » ainsi que du « traité [CEEA], et notamment
[de] son article 106 bis ».
18 Les
considérants 2, 3, 5 à 10, 12 à 16, 18 à 20 et 26 du règlement attaqué énoncent
:
« (2) Dans
ses conclusions du 21 juillet 2020, le Conseil européen a déclaré que les
intérêts financiers de l’Union doivent être protégés conformément aux principes
généraux inscrits dans les traités, en particulier les valeurs énoncées à
l’article 2 [TUE]. Il a également souligné l’importance que revêt la protection
des intérêts financiers de l’Union et l’importance que revêt le respect de
l’État de droit.
(3) L’État
de droit exige que toutes les autorités publiques agissent dans les limites fixées
par la loi, conformément aux valeurs que sont la démocratie et le respect des
droits fondamentaux, consacrées dans la [charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne (ci-après la « Charte »)] et d’autres instruments
applicables, et sous le contrôle de juridictions indépendantes et impartiales.
Il requiert, en particulier, que les principes de légalité ([arrêt du 29 avril
2004, Commission/CAS Succhi di Frutta,
C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 63]),
supposant l’existence d’un processus législatif transparent, responsable,
démocratique et pluraliste, de sécurité juridique ([arrêt du 12 novembre 1981, Meridionale Industria Salumi
e.a., 212/80 à 217/80, EU:C:1981:270, point 10]),
d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ([arrêt du 21 septembre
1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, EU:C:1989:337,
point 19]), d’une protection juridictionnelle effective, incluant l’accès à la
justice, par des juridictions indépendantes et impartiales ([arrêts du 27
février 2018, Associação Sindical
dos Juízes Portugueses, C‑64/16,
EU:C:2018:117, points 31, 40 et 41, ainsi que du 25
juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18
PPU, EU:C:2018:586, points
63 à 67]), et de séparation des pouvoirs ([arrêts du 22 décembre 2010, DEB, C‑279/09,
EU:C:2010:811, point 58 ; du 10 novembre 2016, Poltorak, C‑452/16 PPU, EU:C:2016:858, point 35, et du 10 novembre 2016, Kovalkovas, C‑477/16 PPU, EU:C:2016:861, point 36 ]) soient respectés ([Communication
de la Commission intitulée “Un nouveau cadre de l’[Union] pour renforcer
l’[É]tat de droit”, COM(2014) 158 final, annexe I]).
[...]
(5) Une
fois qu’un pays candidat devient un État membre, il adhère à une construction
juridique qui repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État
membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci
partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est
fondée, comme il est précisé à l’article 2 [TUE]. Cette prémisse implique et justifie
l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la
reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui
les met en œuvre ([avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre
2014, EU:C:2014:2454, point
168]). Les droits et pratiques des États membres devraient continuer de
respecter les valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée.
(6) S’il
n’existe pas de hiérarchie entre les valeurs de l’Union, le respect de l’État
de droit est essentiel à la protection des autres valeurs fondamentales sur
lesquelles l’Union est fondée, telles que la liberté, la démocratie, l’égalité
et le respect des droits de l’homme. Le respect de l’État de droit est
intrinsèquement lié au respect de la démocratie et des droits fondamentaux. Il
ne peut y avoir de démocratie et de respect des droits fondamentaux sans
respect de l’État de droit, et inversement.
(7) Chaque
fois que les États membres exécutent le budget de l’Union, y compris les
ressources allouées par l’intermédiaire de l’instrument de l’Union européenne
pour la relance établi par le règlement (UE) 2020/2094 [du Conseil, du 14
décembre 2020, établissant un instrument de l’Union européenne pour la relance
en vue de soutenir la reprise à la suite de la crise liée à la COVID‑19
(JO 2020, L 433I, p. 23)], et au moyen de prêts et
d’autres instruments garantis par le budget de l’Union, et quelle que soit la
méthode d’exécution utilisée, le respect de l’État de droit est une condition
essentielle au respect des principes de la bonne gestion financière consacrés
par l’article 317 [TFUE].
(8) Les
États membres ne peuvent garantir une bonne gestion financière que si les
autorités publiques agissent en conformité avec le droit, si les cas de fraude,
y compris la fraude fiscale, l’évasion fiscale, la corruption, les conflits
d’intérêts ou d’autres violations du droit sont effectivement poursuivis par
les services d’enquête et de poursuites judiciaires, et si les décisions
arbitraires ou illégales des autorités publiques, y compris les autorités
répressives, peuvent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif par
des juridictions indépendantes et par la Cour de justice de l’Union européenne.
(9)
L’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire devraient
toujours être garanties et les services d’enquête et de poursuites judiciaires
devraient être en mesure de remplir correctement leurs fonctions. Le pouvoir
judiciaire et les services d’enquête et de poursuites judiciaires devraient
être dotés des ressources humaines et financières suffisantes ainsi que de
procédures leur permettant d’agir de manière efficace et dans le strict respect
du droit d’accéder à un tribunal impartial, y compris le respect des droits de
la défense. Les jugements définitifs devraient être effectivement exécutés. Ces
conditions sont requises à titre de garantie minimale contre les décisions
arbitraires et illégales d’autorités publiques susceptibles de léser les
intérêts financiers de l’Union.
(10)
L’indépendance du pouvoir judiciaire présuppose, notamment, que
l’instance judiciaire concernée soit en mesure d’exercer ses fonctions
juridictionnelles, tant en vertu des règles applicables que dans la pratique,
en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de
subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou
d’instructions de quelque origine que ce soit, et qu’elle soit ainsi protégée
d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à
l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions. Les
garanties d’indépendance et d’impartialité postulent l’existence de règles,
notamment en ce qui concerne la composition de l’instance et la nomination, la
durée des fonctions ainsi que les causes de récusation et de révocation de ses
membres, afin d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables,
quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et
à sa neutralité par rapport aux intérêts en présence.
[...]
(12) L’article
19 [TUE], qui concrétise la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2
[TUE], impose aux États membres de prévoir une protection juridictionnelle
effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, y compris ceux
concernant l’exécution du budget de l’Union. L’existence même d’un contrôle
juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du droit de l’Union est
inhérente à l’État de droit et exige des juridictions indépendantes ([arrêt du
27 février 2018, Associação Sindical
dos Juízes Portugueses, C‑64/16,
EU:C:2018:117, points 32 à
36]). La préservation de l’indépendance des juridictions est primordiale, ainsi
que le confirme l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte ([arrêt du 27
février 2018, Associação Sindical
dos Juízes Portugueses, C‑64/16,
EU:C:2018:117, points 40 et
41]). Cette exigence vaut, en particulier, pour le contrôle juridictionnel de
la régularité des actes, contrats ou autres instruments générateurs de dépenses
ou de dettes publiques, notamment dans le cadre des procédures de passation de
marchés publics dont les juridictions peuvent être également saisies.
(13) Il
existe donc un lien manifeste entre le respect de l’État de droit et la bonne
exécution du budget de l’Union, conformément aux principes de bonne gestion
financière.
(14)
L’Union a mis au point un éventail d’instruments et de processus qui
promeuvent l’État de droit et son application, y compris un soutien financier
en faveur des organisations de la société civile, le mécanisme européen de protection
de l’État de droit et le tableau de bord de la justice dans l’[Union], et qui
permettent aux institutions de l’Union d’apporter une réponse efficace aux
violations de l’État de droit, au moyen de procédures d’infraction et de la
procédure prévue à l’article 7 [TUE]. Le mécanisme prévu dans le présent
règlement complète ces instruments en protégeant le budget de l’Union contre
les violations des principes de l’État de droit qui portent atteinte à sa bonne
gestion financière ou à la protection des intérêts financiers de l’Union.
(15) Les
violations des principes de l’État de droit, en particulier celles qui portent
atteinte au bon fonctionnement des autorités publiques et au caractère effectif
du contrôle juridictionnel, peuvent nuire gravement aux intérêts financiers de
l’Union. Tel est le cas des violations individuelles des principes de l’État de
droit et encore plus des violations qui sont répandues ou résultent de
pratiques ou d’omissions récurrentes des autorités publiques ou encore de mesures
générales adoptées par ces autorités.
(16) La
détection de violations des principes de l’État de droit requiert que la
Commission procède à une évaluation qualitative approfondie. Cette évaluation
devrait être objective, impartiale et équitable et prendre en compte des
informations pertinentes provenant de sources disponibles et d’institutions
reconnues, parmi lesquelles les arrêts de la Cour de justice de l’Union
européenne, les rapports de la Cour des comptes, le rapport annuel de la
Commission sur l’État de droit et le tableau de bord de la justice dans
l’[Union], les rapports de l’[OLAF] et du Parquet européen, le cas échéant,
ainsi que les conclusions et recommandations formulées par les organisations et
réseaux internationaux pertinents, y compris les organes du Conseil de
l’Europe, tels que le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) du Conseil de
l’Europe et la [Commission européenne pour la démocratie par le droit
(Commission de Venise)], en particulier sa liste des critères de l’État de droit,
le réseau européen des présidents des cours suprêmes judiciaires et le réseau
européen des conseils de la justice. La Commission pourrait, au besoin,
consulter l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et la
Commission de Venise afin de préparer une évaluation qualitative approfondie.
[...]
(18) Le
principe de proportionnalité devrait s’appliquer lors de la détermination des
mesures à adopter, notamment par la prise en considération de la gravité de la
situation, du temps écoulé depuis le début du comportement en cause, de la
durée et de l’éventuel caractère récurrent du comportement, de l’intention de
l’État membre concerné de mettre un terme aux violations des principes de
l’État de droit et de son degré de coopération en ce sens, ainsi que des effets
sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou les intérêts financiers
de l’Union.
(19) Il
est essentiel que les intérêts légitimes des destinataires finaux et des
bénéficiaires soient dûment préservés lorsque des mesures sont adoptées en cas
de violation des principes de l’État de droit. Lorsqu’il est envisagé d’adopter
des mesures, la Commission devrait tenir compte de leur incidence potentielle
sur les destinataires finaux et les bénéficiaires. Compte tenu du fait que, dans
le cadre de la gestion partagée, les paiements de la Commission aux États
membres sont juridiquement indépendants des paiements effectués par les
autorités nationales aux bénéficiaires, les mesures appropriées adoptées au
titre du présent règlement ne devraient pas être considérées comme affectant la
disponibilité de fonds aux fins des paiements en faveur des bénéficiaires dans
les délais de paiement fixés par la réglementation sectorielle et financière
applicable. Les décisions adoptées en vertu du présent règlement et les
obligations à l’égard des destinataires finaux ou des bénéficiaires énoncées
dans le présent règlement font partie du droit de l’Union applicable en ce qui
concerne l’exécution des financements en gestion partagée. Les États membres concernés
par les mesures devraient régulièrement faire rapport à la Commission sur le
respect de leurs obligations à l’égard des destinataires finaux ou des
bénéficiaires. Les rapports sur le respect des obligations de paiement à
l’égard des bénéficiaires énoncées dans la réglementation sectorielle et
financière applicable devraient permettre à la Commission de vérifier que les
décisions adoptées au titre du présent règlement n’ont aucune incidence,
directement ou indirectement, sur les paiements à effectuer en vertu de la
réglementation sectorielle et financière applicable.
Pour renforcer la protection des destinataires finaux ou des bénéficiaires,
la Commission devrait fournir des informations et des orientations par
l’intermédiaire d’un site Internet ou d’un portail Internet, ainsi que des
outils adéquats permettant de l’informer de toute violation de l’obligation
légale qui incombe aux entités publiques et aux États membres de continuer à
effectuer les paiements après que des mesures ont été adoptées en vertu du
présent règlement. La Commission devrait assurer le suivi de ces informations
afin de vérifier si les règles applicables ont été respectées, en particulier
l’article 69, l’article 74, paragraphe 1, point b), et l’article 104 du
règlement (UE) 2021/1060 [du Parlement européen et du Conseil, du 24 juin 2021,
portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement
régional, au Fonds social européen plus, au Fonds de cohésion, au Fonds pour
une transition juste et au Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche
et l’aquaculture, et établissant les règles financières applicables à ces Fonds
et au Fonds “Asile, migration et intégration”, au Fonds pour la sécurité
intérieure et à l’instrument de soutien financier à la gestion des frontières
et à la politique des visas (JO 2021, L 231, p. 159)]. Si nécessaire, afin de
veiller à ce que tout montant dû par des entités publiques ou des États membres
soit effectivement versé aux destinataires finaux ou aux bénéficiaires, la
Commission devrait recouvrer les paiements effectués ou, selon le cas, procéder
à une correction financière en réduisant le soutien de l’Union à un programme
conformément à la réglementation sectorielle et financière applicable.
(20) Afin
d’assurer des conditions uniformes d’exécution du présent règlement, et compte
tenu de l’importance des incidences financières des mesures adoptées en vertu
de celui-ci, il convient de conférer des compétences d’exécution au Conseil,
qui devrait statuer sur proposition de la Commission.
[...]
(26) La
procédure d’adoption et de levée des mesures devrait respecter les principes
d’objectivité, de non-discrimination et d’égalité de traitement des États
membres, et devrait être menée selon une approche non partisane et fondée sur
des éléments concrets. Si, exceptionnellement, l’État membre concerné estime
qu’il existe de graves violations de ces principes, il peut demander au
président du Conseil européen de saisir le prochain Conseil européen de la
question. Dans de telles circonstances exceptionnelles, aucune décision
concernant les mesures ne devrait être prise jusqu’à ce que le Conseil européen
ait débattu de la question. Ce processus ne devrait, en principe, pas durer
plus de trois mois après que la Commission a présenté sa proposition au
Conseil. »
19 L’article
1er du règlement attaqué dispose :
« Le présent règlement établit les règles nécessaires à la protection du
budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un
État membre. »
20 Aux termes
de l’article 2 de ce règlement :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) “État
de droit” : la valeur de l’Union consacrée à l’article 2 [TUE]. Il recouvre le
principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent,
responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que les principes de sécurité
juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection
juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des
juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les
droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et
d’égalité devant la loi. L’État de droit s’entend eu égard aux autres valeurs
et principes de l’Union consacrés à l’article 2 [TUE] ;
b) “entité
publique” : une autorité publique à tout niveau de gouvernement, incluant les
autorités nationales, régionales et locales, ainsi que les organisations d’un
État membre au sens de l’article 2, point 42, du règlement [financier]. »
21 L’article
3 du règlement attaqué, intitulé « Violations des principes de l’État de droit
», prévoit :
« Aux fins du présent règlement, peuvent être indicatifs de violations des
principes de l’État de droit :
a) la mise
en péril de l’indépendance du pouvoir judiciaire ;
b) le fait
de ne pas prévenir, corriger ou sanctionner les décisions arbitraires ou
illégales des autorités publiques, y compris des autorités répressives, la
retenue de ressources financières et humaines affectant leur bon fonctionnement
ou le fait de ne pas veiller à l’absence de conflits d’intérêts ;
c) la
limitation de la disponibilité et de l’effectivité des voies de recours,
notamment sous l’effet de règles de procédure restrictives et l’inexécution des
décisions de justice, ou la limitation de l’effectivité des enquêtes, des
poursuites ou des sanctions relatives à des violations du droit. »
22 L’article
4 de ce règlement, intitulé « Conditions d’adoption des mesures », énonce :
« 1. Des mesures appropriées
sont prises lorsqu’il est établi, conformément à l’article 6, que des
violations des principes de l’État de droit dans un État membre portent
atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion
financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de
l’Union, d’une manière suffisamment directe.
2. Aux fins du présent
règlement, les violations des principes de l’État de droit concernent un ou
plusieurs des points suivants :
a) le bon
fonctionnement des autorités exécutant le budget de l’Union, y compris des
prêts et d’autres instruments garantis par le budget de l’Union, en particulier
dans le contexte de procédures de passation de marchés publics ou d’octroi de
subventions ;
b) le bon
fonctionnement des autorités chargées du contrôle, du suivi et de l’audit
financiers, ainsi que le bon fonctionnement de systèmes efficaces et
transparents de gestion et de responsabilité financières ;
c) le bon
fonctionnement des services d’enquête et de poursuites judiciaires dans le
cadre des enquêtes et poursuites relatives à la fraude, y compris la fraude
fiscale, à la corruption ou à d’autres violations du droit de l’Union
concernant l’exécution du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers
de l’Union ;
d) le
contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes d’actes ou
d’omissions des autorités mentionnées aux points a), b) et c) ;
e) la
prévention et la sanction de la fraude, y compris la fraude fiscale, de la
corruption ou d’autres violations du droit de l’Union concernant l’exécution du
budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union, ainsi
que l’imposition de sanctions effectives et dissuasives aux destinataires par
les juridictions nationales ou par les autorités administratives ;
f) le
recouvrement de fonds indûment versés ;
g) la
coopération effective et en temps utile avec l’OLAF et, sous réserve de la
participation de l’État membre concerné, avec le Parquet européen à leurs
enquêtes ou poursuites en vertu des actes de l’Union applicables conformément
au principe de coopération loyale ;
h)
d’autres situations ou comportements des autorités qui sont pertinents
pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des
intérêts financiers de l’Union. »
23 L’article
5 dudit règlement, intitulé « Mesures de protection du budget de l’Union »,
prévoit, à ses paragraphes 1 à 4 :
« 1. Pour autant que les
conditions énoncées à l’article 4 du présent règlement soient remplies, une ou
plusieurs des mesures appropriées suivantes peuvent être adoptées conformément
à la procédure prévue à l’article 6 du présent règlement :
a) lorsque
la Commission exécute le budget de l’Union en gestion directe ou indirecte, en
application de l’article 62, paragraphe 1, points a) et c), du règlement
financier, et lorsqu’une entité publique est le destinataire :
i) une
suspension des paiements ou de l’exécution de l’engagement juridique ou une
résiliation de l’engagement juridique, conformément à l’article 131, paragraphe
3, du règlement financier ;
ii) une
interdiction de contracter de nouveaux engagements juridiques ;
iii) une suspension
du décaissement des tranches, en tout ou partie, ou un remboursement anticipé
de prêts garantis par le budget de l’Union ;
iv) une
suspension ou une réduction de l’avantage économique découlant d’un instrument
garanti par le budget de l’Union ;
v) une
interdiction de conclure de nouveaux accords relatifs à des prêts ou d’autres
instruments garantis par le budget de l’Union ;
b) lorsque
la Commission exécute le budget de l’Union en gestion partagée avec les États
membres conformément à l’article 62, paragraphe 1, point b), du règlement
financier :
i) une
suspension de l’approbation d’un ou de plusieurs programmes ou une modification
de cette suspension ;
ii) une
suspension des engagements ;
iii) une
réduction des engagements, notamment au moyen de corrections financières ou de
transferts vers d’autres programmes de dépenses ;
iv) une
réduction du préfinancement ;
v) une
interruption des délais de paiement ;
vi) une
suspension des paiements.
2. Sauf disposition contraire de
la décision portant adoption des mesures, l’imposition de mesures appropriées
est sans incidence sur les obligations des entités publiques visées au
paragraphe 1, point a), ou des États membres visés au paragraphe 1, point b),
d’exécuter le programme ou le fonds touché par la mesure, et notamment les
obligations qui leur incombent à l’égard des destinataires finaux ou des
bénéficiaires, y compris l’obligation d’effectuer les paiements conformément au
présent règlement et à la réglementation sectorielle ou financière applicable.
Lorsqu’ils exécutent des fonds de l’Union européenne en gestion partagée, les
États membres concernés par des mesures adoptées en vertu du présent règlement
font rapport à la Commission, tous les trois mois à compter de l’adoption
desdites mesures, sur la manière dont ils respectent ces obligations.
La Commission vérifie si le droit applicable a été respecté et, au besoin,
prend toutes les mesures appropriées pour protéger le budget de l’Union,
conformément à la réglementation sectorielle et financière.
3. Les mesures prises sont
proportionnées. Elles sont déterminées en fonction de l’incidence réelle ou
potentielle des violations des principes de l’État de droit sur la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de
l’Union. La nature, la durée, la gravité et la portée des violations des
principes de l’État de droit sont dûment prises en compte. Les mesures ciblent,
dans la mesure du possible, les actions de l’Union auxquelles les violations
portent atteinte.
4. La Commission fournit des
informations et des orientations à l’intention des destinataires finaux ou des
bénéficiaires en ce qui concerne les obligations des États membres visées au
paragraphe 2 par l’intermédiaire d’un site Internet ou d’un portail Internet.
La Commission fournit également, sur le même site Internet ou portail Internet,
des outils adéquats permettant aux destinataires finaux ou aux bénéficiaires de
l’informer de toute violation de ces obligations qui, selon ces destinataires
finaux ou bénéficiaires, leur porte directement atteinte. Le présent paragraphe
s’applique de manière à assurer la protection des personnes signalant des
violations du droit de l’Union, conformément aux principes énoncés dans la
directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil[,
du 23 octobre 2019, sur la protection des personnes qui signalent des
violations du droit de l’Union (JO 2019, L 305, p. 17)]. Les informations
fournies par les destinataires finaux ou les bénéficiaires conformément au
présent paragraphe sont accompagnées d’une preuve indiquant que le destinataire
final ou le bénéficiaire a introduit une plainte formelle auprès de l’autorité
compétente de l’État membre concerné. »
24 Aux
termes de l’article 6 du même règlement, intitulé « Procédure » :
« 1. Lorsque la Commission
constate qu’il existe des motifs raisonnables de considérer que les conditions
énoncées à l’article 4 sont remplies, à moins qu’elle ne considère que d’autres
procédures prévues par la législation de l’Union lui permettraient de protéger
le budget de l’Union d’une manière plus efficace, elle adresse une notification
écrite à l’État membre concerné exposant les éléments factuels et les motifs
précis sur lesquels reposent ses constatations. La Commission informe le
Parlement européen et le Conseil sans tarder de cette notification et de son
contenu.
2. À la lumière des informations
reçues en application du paragraphe 1, le Parlement européen peut inviter la
Commission à prendre part à un dialogue structuré sur ses constatations.
3. Lorsqu’elle évalue si les
conditions énoncées à l’article 4 sont remplies, la Commission prend en compte
des informations pertinentes provenant de sources disponibles, y compris les
décisions, conclusions et recommandations des institutions de l’Union, d’autres
organisations internationales pertinentes et d’autres institutions reconnues.
4. La Commission peut demander
toute information supplémentaire dont elle a besoin pour effectuer l’évaluation
visée au paragraphe 3, tant avant qu’après avoir adressé la notification écrite
visée au paragraphe 1.
5. L’État membre concerné
fournit les informations nécessaires et peut formuler des observations sur les
constatations figurant dans la notification visée au paragraphe 1 dans un délai
à fixer par la Commission, qui doit être d’au moins un mois et ne pas excéder
trois mois à compter de la date de la notification des constatations. Dans ses
observations, l’État membre peut proposer l’adoption de mesures correctives
pour répondre aux constatations exposées dans la notification de la Commission.
6. La Commission tient compte
des informations reçues et des éventuelles observations formulées par l’État
membre concerné, ainsi que du caractère adéquat des éventuelles mesures
correctives proposées, lorsqu’elle décide de l’opportunité de présenter une
proposition de décision d’exécution arrêtant des mesures appropriées. La
Commission procède à son évaluation dans un délai indicatif d’un mois à compter
de la réception de toute information de la part de l’État membre concerné ou de
ses observations ou, à défaut d’information ou d’observations, à compter de
l’expiration du délai fixé conformément au paragraphe 5 et, en tout état de
cause, dans un délai raisonnable.
7. Lorsque la Commission a
l’intention de soumettre une proposition en vertu du paragraphe 9, elle donne préalablement
à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations, en
particulier sur la proportionnalité des mesures envisagées, dans un délai d’un
mois.
8. Lorsqu’elle évalue la
proportionnalité des mesures à imposer, la Commission tient compte des
informations et orientations visées au paragraphe 3.
9. Lorsque la Commission
considère que les conditions énoncées à l’article 4 sont remplies et que les
mesures correctives proposées, le cas échéant, par l’État membre au titre du paragraphe
5 ne répondent pas de manière satisfaisante aux constatations figurant dans la
notification de la Commission, elle présente au Conseil, dans un délai d’un
mois à compter de la réception des observations de l’État membre, une
proposition de décision d’exécution arrêtant les mesures appropriées ou, dans
le cas où aucune observation n’est présentée, sans retard injustifié et, en
tout état de cause, dans un délai d’un mois à compter du délai fixé au
paragraphe 7. La proposition indique les motifs précis et les éléments concrets
sur lesquels la Commission a fondé ses constatations.
10. Le Conseil adopte la
décision d’exécution visée au paragraphe 9 du présent article dans un délai
d’un mois à compter de la réception de la proposition de la Commission. En cas
de circonstances exceptionnelles, le délai pour l’adoption de ladite décision
d’exécution peut être prolongé de deux mois au maximum. Pour faire en sorte
qu’une décision soit prise en temps utile, la Commission fait usage des droits
qui lui sont conférés par l’article 237 [TFUE],
lorsqu’elle le juge approprié.
11. Le Conseil, statuant à la
majorité qualifiée, peut modifier la proposition de la Commission et adopter le
texte modifié au moyen d’une décision d’exécution. »
25 L’article
7 du règlement attaqué, intitulé « Levée des mesures », prévoit, à ses
paragraphes 1 et 2 :
« 1. L’État membre concerné
peut, à tout moment, adopter de nouvelles mesures correctives et présenter à la
Commission une notification écrite comprenant des éléments visant à démontrer
que les conditions énoncées à l’article 4 ne sont plus remplies.
2. À la demande de l’État membre
concerné ou de sa propre initiative et, au plus tard, après une période
maximale d’un an suivant l’adoption des mesures par le Conseil, la Commission
réévalue la situation dans l’État membre concerné, en tenant compte de tout
élément présenté par celui-ci ainsi que de l’adéquation de toutes nouvelles
mesures correctives adoptées par l’État membre concerné.
Lorsque la Commission considère que les conditions énoncées à l’article 4
ne sont plus remplies, elle présente au Conseil une proposition de décision
d’exécution levant les mesures adoptées.
Lorsque la Commission considère qu’il a été remédié en partie à la
situation ayant conduit à l’adoption des mesures, elle présente au Conseil une
proposition de décision d’exécution adaptant les mesures adoptées.
Lorsque la Commission considère qu’il n’a pas été remédié à la situation
ayant conduit à l’adoption des mesures, elle adresse une décision motivée à
l’État membre concerné et en informe le Conseil.
Lorsque l’État membre concerné présente une notification écrite en vertu du
paragraphe 1, la Commission présente sa proposition ou adopte sa décision
d’exécution dans un délai d’un mois à compter de la réception de cette
notification. Ce délai peut être prolongé dans des circonstances dûment
justifiées, auquel cas la Commission informe sans tarder l’État membre concerné
des motifs de cette prolongation.
La procédure prévue à l’article 6, paragraphes 3, 4, 5, 6, 9, 10 et 11,
s’applique par analogie ainsi qu’il y a lieu. »
III. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
26 La
Hongrie demande à la Cour :
– à
titre principal, d’annuler le règlement attaqué ;
– à titre
subsidiaire, d’annuler l’article 4, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous h),
l’article 5, paragraphe 2 et paragraphe 3, avant-dernière et
dernière phrases, ainsi que l’article 6, paragraphes 3 et 8, de ce
règlement, et
– de
condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.
27 Par
ailleurs, la Hongrie a demandé à la Cour, au titre de l’article 16, troisième
alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de juger la
présente affaire en grande chambre.
28 Le
Parlement et le Conseil demandent à la Cour de rejeter le recours et de
condamner la Hongrie aux dépens.
29 Par
requête du 12 mai 2021, le Parlement a demandé que la présente affaire soit
soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 133 du règlement de
procédure de la Cour. À l’appui de cette demande, le Parlement a fait valoir
que l’adoption du règlement attaqué était une condition politique essentielle à
son approbation du règlement (UE, Euratom) 2020/2093 du Conseil, du 17 décembre
2020, fixant le cadre financier pluriannuel pour les années 2021 à 2027 (JO
2020, L 433I, p. 11) et que, au vu de l’urgence
économique, les fonds disponibles au titre du plan de relance COVID-19 intitulé
« Next Generation EU » devront être mis à la
disposition des États membres dans des délais extrêmement brefs. Il a notamment
précisé à cet égard que, conformément à l’article 3, paragraphe 4, du règlement
2020/2094, au moins 60 % des engagements juridiques devront être contractés au
plus tard le 31 décembre 2022 et que la totalité des engagements juridiques
devra l’être le 31 décembre 2023 au plus tard. Par ailleurs, le Parlement a
souligné que, à la suite de l’entrée en vigueur de la décision (UE, Euratom)
2020/2053 du Conseil, du 14 décembre 2020, relative au système des ressources propres
de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom (JO 2020, L
424, p. 1), la Commission lancera dès l’été 2022 ses emprunts sur les marchés
de capitaux pour financer le plan de relance précité. Selon le Parlement,
l’emprunt et la mise à disposition de fonds extrêmement importants, dans des
délais très brefs, entraîneront inévitablement des risques pour le budget de
l’Union que le règlement attaqué vise à protéger. Une telle protection serait
importante, car une incapacité à protéger de manière effective ce budget
risquerait d’entraîner des répercussions néfastes, notamment pour la solidarité
au sein de l’Union à long terme.
30 L’article
133, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande soit de
la partie requérante, soit de la partie défenderesse, le président de la Cour
peut, l’autre partie, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider
de soumettre une affaire à une procédure accélérée lorsque la nature de
l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.
31 En
l’occurrence, le 9 juin 2021, le président de la Cour a décidé, les autres
parties, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de faire droit à cette
demande. Cette décision a été motivée par l’importance fondamentale de la
présente affaire pour l’ordre juridique de l’Union, notamment dans la mesure où
elle a trait aux compétences de l’Union pour défendre son budget et ses
intérêts financiers contre des atteintes pouvant découler de violations des
valeurs que contient l’article 2 TUE.
32 Par
décision du président de la Cour du 25 juin 2021, le Royaume de Belgique, le
Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume
d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume
des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission
ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du
Conseil.
33 Par décision
du président de la Cour du même jour, la République de Pologne a été admise à
intervenir au soutien des conclusions de la Hongrie.
34 Par
requête du 11 mai 2021, le Conseil a demandé à la Cour de ne pas prendre en
compte les passages de la requête de la Hongrie et de ses annexes, en
particulier ceux de son annexe A.3, faisant référence
à l’avis no 13593/18 de son service juridique du Conseil, du 25
octobre 2018, concernant la proposition de règlement du Parlement européen et
du Conseil relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance
généralisée de l’État de droit dans un État membre [(COM/2018) 324 final), à
l’origine du règlement attaqué (ci-après l’« avis juridique no
13593/18 »), ou reproduisant le contenu ou le raisonnement de cet avis
juridique. Le 29 juin 2021, la Cour a décidé de joindre cette demande au fond.
35 Le 7
septembre 2021, estimant que la présente affaire revêt une importance
exceptionnelle, la Cour a décidé, l’avocat général entendu, de renvoyer
l’affaire devant l’assemblée plénière, conformément à l’article 16, dernier
alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
IV. Sur la demande de ne pas
prendre en compte certains passages de la requête de la Hongrie et de l’annexe A.3 de celle-ci
A. Argumentation des parties
36 À l’appui
de sa demande tendant à ce que ne soient pas pris en compte les points 21, 22,
164 et 166 de la requête de la Hongrie ainsi que l’annexe A.3
de celle-ci, en ce qu’ils font référence à l’avis juridique no 13593/18,
en reproduisent le contenu ou en reflètent l’analyse, le Conseil fait valoir
que cet avis juridique constitue un document interne non classifié portant le
marquage « LIMITE ». Partant, il serait couvert par le secret professionnel et
sa production en justice serait subordonnée aux conditions prévues notamment à
l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil ainsi qu’aux
points 20 et 21 des consignes relatives au traitement des documents internes du
Conseil.
37 Selon
l’article 6, paragraphe 2, de ce règlement intérieur, seuls le Conseil ou le
Coreper peuvent autoriser la production en justice d’une copie ou d’un extrait
des documents du Conseil qui n’ont pas déjà été rendus accessibles au public
conformément aux dispositions du droit de l’Union relatives à l’accès du public
aux documents. Par ailleurs, conformément aux points 20 et 21 de ces consignes,
un document « LIMITE » ne doit pas être rendu public à moins qu’une décision ne
soit prise à cet effet par un fonctionnaire du Conseil dûment habilité, par
l’administration nationale d’un État membre, après consultation du SGC, ou, le cas échéant, par le Conseil, conformément au
règlement no 1049/2001 et au règlement intérieur du Conseil.
38 Or, en
l’espèce, à ce jour, le Conseil n’aurait rendu publics, au titre du règlement no
1049/2001, que les huit premiers points de l’avis juridique no
13593/18 et n’aurait pas non plus autorisé la Hongrie à le produire dans le
cadre de la présente procédure juridictionnelle.
39 Selon une
jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, il serait contraire à
l’intérêt public, selon lequel les institutions doivent pouvoir bénéficier des
avis de leur service juridique, donnés en toute indépendance, d’admettre que la
production de tels documents internes puisse avoir lieu dans le cadre d’un
litige devant la Cour sans que ladite production ait été autorisée par
l’institution concernée ou ordonnée par cette juridiction.
40 Le
Conseil fait observer que, s’il n’a donné que partiellement accès à l’avis
juridique no 13593/18 à la suite de demandes fondées sur le
règlement no 1049/2001, c’est en raison, en particulier, du risque que,
dans le cadre d’un litige portant sur la validité du règlement attaqué, une
partie requérante puisse le confronter aux arguments exprimés par son propre
service juridique dans ledit avis juridique, en violation des exigences d’un
procès équitable et de l’égalité des armes entre les parties à une procédure
juridictionnelle. Du reste, ces risques se seraient matérialisés avec
l’introduction du présent recours.
41
D’ailleurs, selon le Conseil, la Hongrie a toujours voté, sur la base de
ces arguments, en faveur des décisions refusant l’accès du public à l’avis
juridique no 13593/18. Si cet État membre avait souhaité que cet
avis juridique soit rendu public, il aurait dû introduire une demande en ce
sens au titre du règlement no 1049/2001 ou solliciter une
autorisation conformément au règlement intérieur du Conseil et aux consignes
relatives au traitement des documents internes du Conseil.
42 Le
Conseil fait valoir que si la Hongrie était autorisée à utiliser l’avis
juridique no 13593/18 dans la présente affaire, alors qu’elle n’a
pas suivi la procédure prévue à cet effet et que la question n’a pas été
soumise à un contrôle juridictionnel effectif, les procédures prévues par le
règlement no 1049/2001 et par le règlement intérieur du Conseil
seraient contournées. Il rappelle à cet égard la jurisprudence constante de la
Cour qui fait droit aux demandes des institutions visant à obtenir le retrait
de leurs documents internes du dossier dont dispose la Cour lorsqu’elles n’en
ont pas autorisé la production en justice et estime qu’il en découle que l’avis
juridique no 13593/18 ne saurait être utilisé dans la présente
affaire.
43 En outre,
le Conseil fait valoir que, si la production de l’avis juridique no
13593/18 dans la présente procédure était admise, il se verrait contraint de
porter des appréciations devant le juge de l’Union sur un avis destiné à un
usage interne et rendu par son propre service juridique lors de l’élaboration
du règlement attaqué, ce qui méconnaîtrait les exigences d’un procès équitable
et affecterait la possibilité pour le Conseil de recevoir des avis francs,
objectifs et complets.
44 Enfin,
selon la jurisprudence de la Cour, le fait que l’avis juridique no
13593/18 a été divulgué sans autorisation du Conseil sur le site Internet d’un
organe de presse et que son contenu a ainsi été révélé au public serait sans
incidence sur ces considérations. De plus, le préjudice causé au Conseil et aux
institutions de l’Union résultant de l’utilisation non autorisée de cet avis
juridique dans le cadre de la présente procédure excéderait largement celui
causé par la publication dudit avis juridique dans la presse. En effet, le fait
de permettre à la Hongrie de se fonder sur le même avis juridique menacerait
l’intérêt public consistant à ce que les institutions puissent bénéficier des
avis de leur service juridique en toute indépendance et réduirait à néant
l’efficacité des procédures visant à la protection de cet intérêt.
45 La
Hongrie conteste l’argumentation du Conseil.
B. Appréciation de la Cour
46 Par son
argumentation, le Conseil soutient en substance que la Hongrie, en ayant
inclus, aux points 21, 22, 164 et 166 de la requête ainsi que dans l’annexe A.3 de celle-ci, des références à l’avis juridique no
13593/18 et des analyses du contenu de celui-ci, premièrement, a violé
l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil, deuxièmement, a
enfreint les points 20 et 21 des consignes relatives au traitement des
documents internes du Conseil, troisièmement, a méconnu le règlement no
1049/2001, quatrièmement, a méconnu l’intérêt public consistant à ce que le
Conseil puisse bénéficier des avis de son service juridique, donnés en toute
indépendance, et, cinquièmement, a placé le Conseil dans une situation
susceptible de le conduire à se prononcer dans la procédure principale sur les
analyses de son propre service juridique, violant ainsi le principe de
l’égalité des armes.
47
S’agissant de l’allégation d’une violation de l’article 6, paragraphe 2,
du règlement intérieur du Conseil, il convient de rappeler que, aux termes de
cette disposition, « [l]e Conseil ou le Coreper peut autoriser la production en
justice d’une copie ou d’un extrait des documents du Conseil qui n’ont pas déjà
été rendus accessibles au public ».
48 À cet égard, il convient de constater, tout
d’abord, que la requête et l’annexe A.3 de celle-ci
font référence à des points de l’avis juridique no 13593/18 autres
que les huit points que le Conseil a rendu publics en application du règlement
no 1049/2001, ensuite, que la Hongrie n’a pas demandé au Conseil
l’autorisation de produire en justice une copie ou des extraits de cet avis
juridique et, enfin, que cet État membre n’a pas joint à sa requête une copie
dudit avis juridique.
49 Partant,
il y a lieu de déterminer si, en ayant visé dans sa requête et dans l’annexe A.3 de celle-ci des passages de l’avis juridique no
13593/18, la Hongrie doit être regardée comme ayant produit en justice des
extraits de celui-ci, au sens de l’article 6, paragraphe 2, du règlement
intérieur du Conseil.
50 À cet
égard, il convient de relever que les points 22 et 164 de la requête ainsi que
l’annexe A.3, deuxième à septième et neuvième
alinéas, de celle-ci comportent une argumentation propre de la Hongrie dont cet
État membre allègue qu’elle reflète l’analyse effectuée dans cet avis
juridique, tandis que les points 21 et 166 de la requête comportent, également
dans le cadre d’une argumentation propre de la Hongrie, de simples références
audit avis juridique. Ainsi, de telles argumentations assorties de simples
allégations de concordance avec l’avis juridique no 13593/18 et de
références à celui-ci, dont le Conseil conteste d’ailleurs l’exactitude, ne
sauraient être regardées comme constituant des extraits de cet avis juridique.
51 En
revanche, l’annexe A.3 de la requête, en ce que son
quatrième alinéa cite l’avis juridique no 13593/18, doit être
considéré comme comportant un « extrait » de cet avis juridique, au sens de
l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil. Par ailleurs, la
présentation d’un tel extrait dans l’annexe d’une pièce de procédure constitue
une « production en justice », au sens de cette disposition.
52 En conséquence,
la Hongrie était en principe tenue, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, du
règlement intérieur du Conseil, d’obtenir l’autorisation du Conseil aux fins de
produire devant la Cour l’extrait de l’avis juridique no 13593/18
figurant à l’annexe A.3 de la requête.
53 À cet
égard, il ressort certes, comme le relève le Conseil, de la jurisprudence
constante de la Cour qu’il serait contraire à l’intérêt public qui veut que les
institutions puissent bénéficier des avis de leur service juridique, donnés en
toute indépendance, d’admettre que la production de tels documents internes
puisse avoir lieu dans le cadre d’un litige devant la Cour sans que ladite
production ait été autorisée par l’institution concernée ou ordonnée par cette
juridiction (ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non
publiée, EU:C:2019:438, point 8 et jurisprudence
citée, ainsi que arrêt du 31 janvier 2020, Slovénie/Croatie, C‑457/18, EU:C:2020:65, point 66).
54 En effet,
par la production non autorisée d’un tel avis juridique, le requérant
confronte, comme le soutient le Conseil, l’institution concernée, dans la
procédure portant sur la validité d’un acte attaqué, à un avis rendu par son
propre service juridique lors de l’élaboration de cet acte. Or, en principe, le
fait d’admettre que ce requérant puisse verser au dossier un avis juridique
d’une institution dont la divulgation n’a pas été autorisée par cette dernière
méconnaît les exigences d’un procès équitable et revient à contourner la
procédure de demande d’accès à un tel document, mise en place par le règlement
no 1049/2001 (voir, en ce sens, ordonnance du 14 mai 2019,
Hongrie/Parlement, C‑650/18, non publiée, EU:C:2019:438,
point 14 et jurisprudence citée, ainsi que arrêt du 31 janvier 2020, Slovénie/Croatie,
C‑457/18, EU:C:2020:65, point 68).
55
Toutefois, il convient de tenir compte du principe de transparence,
inscrit à l’article 1er, deuxième alinéa, et à l’article 10,
paragraphe 3, TUE ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1, et à l’article 298,
paragraphe 1, TFUE, qui permet, notamment, de
garantir une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de
l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique (voir, en
ce sens, ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non
publiée, EU:C:2019:438, point 13 et jurisprudence
citée). En permettant que les divergences entre plusieurs points de vue soient
ouvertement débattues, la transparence contribue, en outre, à augmenter la
confiance de ces citoyens (arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission,
C‑57/16 P, EU:C:2018:660,
point 75 et jurisprudence citée).
56 Il est
vrai que ce n’est qu’à titre exceptionnel que le principe de transparence est
susceptible de justifier une divulgation dans le cadre d’une procédure
juridictionnelle d’un document d’une institution qui n’a pas été rendu
accessible au public et qui comporte un avis juridique. C’est pourquoi la Cour
a jugé que le maintien, dans le dossier d’une affaire, d’un document comportant
un avis juridique d’une institution n’est justifié par aucun intérêt public
supérieur lorsque, d’une part, cet avis juridique n’est pas relatif à une
procédure législative pour laquelle s’impose une transparence accrue et,
d’autre part, l’intérêt de ce maintien consiste seulement, pour l’État membre
concerné, à être en mesure de se prévaloir dudit avis juridique dans le cadre
d’un litige. En effet, selon la Cour, la production d’un tel avis juridique
apparaît guidée par les propres intérêts du requérant à étayer son argumentation,
et non par un quelconque intérêt public supérieur, tel que celui de rendre
publique la procédure ayant abouti à l’acte attaqué (voir, en ce sens,
ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non publiée, EU:C:2019:438, point 18, et arrêt
du 31 janvier 2020, Slovénie/Croatie, C‑457/18, EU:C:2020:65,
point 71).
57 En
l’espèce, il convient de constater que, à la différence des affaires ayant
donné lieu à la jurisprudence citée au point précédent, l’avis juridique no
13593/18 se rapporte à une procédure législative.
58 À cet
égard, la Cour a considéré que la divulgation des documents contenant un avis
du service juridique d’une institution sur des questions juridiques surgissant
lors du débat sur des initiatives législatives est de nature à accroître la
transparence et l’ouverture du processus législatif et à renforcer le droit des
citoyens européens de contrôler les informations qui ont constitué le fondement
d’un acte législatif. Elle en a déduit qu’il n’existe pas de besoin général de
confidentialité en ce qui concerne les avis du service juridique du Conseil
relatifs à un processus législatif et que le règlement no 1049/2001
impose, en principe, une obligation de les divulguer (voir, en ce sens, arrêt
du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05
P, EU:C:2008:374, points 67
ainsi que 68).
59 En effet,
c’est précisément la transparence à cet égard qui, en permettant que les
divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues,
contribue à réduire les doutes dans l’esprit des citoyens non seulement quant à
la légalité d’un acte législatif isolé, mais également quant à la légitimité du
processus législatif dans son entièreté (voir, en ce sens, arrêt du 1er
juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 59), et contribue à renforcer les
principes de la démocratie et le respect des droits fondamentaux tels qu’ils
sont définis à l’article 6 TUE et dans la Charte, ainsi que le rappelle le
considérant 2 du règlement no 1049/2001.
60 Cette
transparence ne fait toutefois pas obstacle à ce que la divulgation d’un avis
juridique spécifique, rendu dans le contexte d’un processus législatif
déterminé mais ayant un caractère particulièrement sensible ou une portée
particulièrement large allant au-delà du cadre de ce processus législatif,
puisse être refusée au titre de la protection des avis juridiques, auquel cas
il incombe à l’institution concernée de motiver le refus de façon
circonstanciée (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05
P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 69).
61 Or, en
l’espèce, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 70 à 72 de ses
conclusions, le Conseil n’a pas démontré que l’avis juridique no
13593/18 a un caractère particulièrement sensible ou une portée
particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif y
afférent.
62 Partant,
ni l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil ni la
jurisprudence rappelée au point 53 du présent arrêt ne faisait obstacle à ce
que la Hongrie divulgue cet avis juridique en tout ou en partie dans sa
requête.
63 Cette
constatation n’est pas infirmée par le fait que la Hongrie a un intérêt propre
à ce que les passages litigieux de sa requête et de l’annexe A.3 de celle-ci soient pris en compte par la Cour. En
effet, une telle prise en compte étant également de nature à contribuer à
réduire les doutes dans l’esprit des citoyens non seulement quant à la légalité
du règlement attaqué, mais également quant à la légitimité du processus
législatif dans son entièreté, elle sert en tout état de cause l’intérêt public
supérieur rappelé aux points 58 et 59 du présent arrêt.
64 En
conséquence, et sans qu’il soit besoin de se prononcer séparément sur les
moyens pris de la violation des points 20 et 21 des consignes relatives au
traitement des documents internes du Conseil, du règlement no
1049/2001 et du principe de l’égalité des armes, ces moyens ne pouvant, en tout
état de cause, prospérer, eu égard aux appréciations effectuées aux points 55 à
63 du présent arrêt, la demande du Conseil tendant à ce que ne soient pas pris
en compte les passages de la requête de la Hongrie et de ses annexes, en
particulier ceux de son annexe A.3, en ce qu’ils font
référence à l’avis juridique no 13593/18, en reproduisent le contenu
ou en reflètent l’analyse, doit être rejetée comme étant non fondée.
V. Sur le recours
65 Par son
recours, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, demande, à titre
principal, l’annulation du règlement attaqué dans son ensemble et, à titre
subsidiaire, l’annulation partielle de celui-ci, à savoir de l’article 4,
paragraphe 1, de l’article 4, paragraphe 2, sous h), de l’article 5, paragraphe
2, de l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, de l’article 5, paragraphe
3, quatrième phrase, ainsi que de l’article 6, paragraphes 3 et 8, de ce
règlement.
A. Sur les conclusions
principales tendant à l’annulation du règlement attaqué dans son ensemble
66 Au
soutien des conclusions principales tendant à l’annulation du règlement attaqué
dans son ensemble, la Hongrie soulève trois moyens. Il convient d’examiner, en
premier lieu et de manière conjointe, les premier et deuxième moyens, tirés, en
substance, de l’incompétence de l’Union pour adopter le règlement attaqué.
1. Sur les
premier et deuxième moyens, tirés de l’incompétence de l’Union pour
adopter le règlement attaqué
a) Argumentation des parties
67 Par le
premier moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir
que la base légale du règlement attaqué fait défaut. Elle rappelle à cet égard
que l’article 322, paragraphe 1, sous a) et b), TFUE
autorise le législateur de l’Union à adopter, respectivement, des « règles
financières qui fixent notamment les modalités relatives à l’établissement et à
l’exécution du budget et à la reddition et à la vérification des comptes » et
des « règles qui organisent le contrôle de la responsabilité des acteurs
financiers, et notamment des ordonnateurs et des comptables ». Elle ajoute que,
selon l’article 322, paragraphe 2, TFUE, le Conseil
fixe les modalités et la procédure selon lesquelles les recettes budgétaires
prévues par le régime des ressources propres de l’Union sont mises à la
disposition de la Commission et définit les mesures à appliquer pour faire face
aux besoins de trésorerie.
68 Ces
dispositions auraient déjà servi, en tout ou en partie, de base légale à de
nombreux actes juridiques liés effectivement au budget annuel de l’Union ou à
son cadre financier pluriannuel, tels que le règlement financier, le règlement
(UE) 2020/558 du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2020, modifiant
les règlements (UE) no 1301/2013 et (UE) no 1303/2013 en
ce qui concerne des mesures spécifiques visant à offrir une flexibilité
exceptionnelle pour l’utilisation des Fonds structurels et d’investissement
européens en réaction à la propagation de la COVID‐19 (JO 2020, L 130, p.
1), qui permet l’application d’un taux de cofinancement exceptionnel dans le
cadre des fonds structurels et d’investissement, ou encore le règlement (UE)
2020/2221 du Parlement européen et du Conseil, du 23 décembre 2020, modifiant
le règlement (UE) no 1303/2013 en ce qui concerne des ressources
supplémentaires et des modalités d’application afin de fournir un soutien pour
favoriser la réparation des dommages à la suite de la crise engendrée par la
pandémie de COVID-19 et de ses conséquences sociales et pour préparer une
reprise écologique, numérique et résiliente de l’économie (JO 2020, L 437, p.
30), qui fixe des règles d’exécution en vue de favoriser la réparation des
dommages causés par la pandémie et prévoit, à titre exceptionnel, des
ressources supplémentaires en vue d’aider à la cohésion sociale et à la reprise
économique.
69 Ainsi, s’agissant
du règlement financier, celui-ci fixerait, dans sa première partie, de manière
générale et complète, les principes et les procédures pour l’établissement et
la mise en œuvre du budget de l’Union ainsi que pour le contrôle de ses fonds.
Ces principes et ces procédures constitueraient des « règles financières » qui
fixent les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget, au
sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.
Il en irait de même des règlements 2020/558 et 2020/2221, dont les règles
seraient effectivement et directement liées au budget de l’Union, au cadre
financier pluriannuel et aux aides fournies issues des différents fonds de
l’Union.
70 En
revanche, les éléments essentiels des dispositions du règlement attaqué, comme
la définition de la notion d’« État de droit » ou les
formes possibles de violation des principes de l’État de droit, ne pourraient
être considérés objectivement comme des règles financières fixant les modalités
relatives à l’exécution du budget, au sens de cette disposition. Le caractère
inapproprié de l’article 322, paragraphe 1, TFUE en
tant que base juridique de ce règlement ressortirait en particulier de la
comparaison des règles en matière de conflit d’intérêts contenues
respectivement dans ledit règlement et dans le règlement financier.
71 À cet
égard, il découlerait de l’article 61 du règlement financier que l’obligation
d’éviter les conflits d’intérêts s’applique à tous les modes d’exécution des
fonds de l’Union, y compris aux autorités des États membres agissant dans le
cadre de l’exécution de ces fonds, de sorte que ces États seraient tenus
d’adopter une réglementation adéquate en ce sens. À cette fin, le règlement
financier contiendrait des règles procédurales appropriées permettant de mettre
fin à des conflits d’intérêts.
72 Or, il
ressortirait de l’article 3, sous b), du règlement attaqué que le fait de ne pas
veiller à l’absence de conflits d’intérêts peut être indicatif d’une violation
des principes de l’État de droit, alors même que ce règlement ne fixerait
aucune règle procédurale relative aux mesures que pourraient adopter les États
membres afin de prévenir de tels conflits ou d’y remédier. Cette disposition
permettrait donc que des mesures soient prises à l’égard des États membres sur
la base d’attentes non précisées, allant au-delà des exigences fixées dans le
règlement financier.
73 De
manière plus générale, la Hongrie considère que les dispositions du règlement
attaqué ne sauraient être considérées comme étant des règles financières fixant
une procédure pour l’exécution du budget de l’Union. En effet, selon son
article 1er, l’objet de ce règlement serait d’établir les règles
nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des
principes de l’État de droit dans un État membre. À cette fin, l’article 2
dudit règlement définirait la notion d’« État de droit
» et l’article 3 du même règlement exposerait, à titre indicatif, des cas de
violations des principes de l’État de droit. Les éléments essentiels du
règlement attaqué seraient ainsi la définition de la notion d’«
État de droit » et des formes possibles de violation de l’État de droit.
74 Or,
l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE
n’autoriserait pas l’Union à définir les cas dans lesquels l’État de droit est
enfreint ni même à fixer les éléments constitutifs de la notion d’« État de droit ». Ainsi, cette disposition ne constituerait
pas une base juridique permettant d’examiner ou d’établir des violations des
principes de l’État de droit ou de prévoir les conséquences juridiques
s’attachant à de telles violations, puisque de telles règles ne pourraient être
considérées objectivement comme étant des règles financières fixant les
modalités relatives à l’exécution du budget.
75 Le seul
fait que les règles de fond et de procédure fixées dans le règlement attaqué
présentent un lien avec le budget de l’Union ne saurait suffire à les qualifier
de « règles financières », au sens de l’article 322, paragraphe 1, TFUE. Une interprétation de la notion de « règles
financières » à ce point extensive qu’elle couvrirait les dispositions du
règlement attaqué aurait pour effet d’étendre cette notion à la quasi-totalité
du droit de l’Union ainsi qu’à des parties très larges des systèmes juridiques
des États membres, puisqu’il serait difficile de trouver une disposition pour
laquelle il est impossible d’établir un effet au moins indirect sur une
ressource budgétaire de l’Union.
76 Le
caractère inapproprié de la base juridique du règlement attaqué résulterait
également du fait que son article 5, paragraphe 2, ne comporte pas de règles
financières déterminant la procédure d’exécution du budget de l’Union. En
effet, l’obligation de continuer à mettre en œuvre un programme donné après que
des irrégularités, des infractions ou des défaillances affectant la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts
financiers de l’Union ont été identifiées ne relèverait pas des obligations de
contrôle ou d’audit qui pèsent sur les États membres dans l’exécution du budget
en application de l’article 317 TFUE et ne
découlerait pas non plus des règles financières qui fixent les modalités
relatives à l’établissement et à l’exécution du budget et à la reddition et à
la vérification des comptes, prévues à l’article 322 TFUE,
en vue d’assurer le respect des principes budgétaires et, en particulier, des
principes de bonne gestion financière, de transparence et de
non-discrimination.
77 De telles
règles financières n’obligeraient pas les États membres à continuer à mettre en
œuvre un programme donné après que de telles irrégularités, infractions ou
défaillances ont été identifiées. Au contraire, l’article 322, paragraphe 1,
sous a), TFUE permettrait l’adoption de règles
financières, telles que la suspension des paiements pour un programme donné,
qui seraient précisément destinées à garantir que l’État membre se conforme aux
conditions fixées par les règles financières pertinentes en vue d’assurer la
protection des intérêts financiers de l’Union et la réalisation effective des
objectifs poursuivis dans le cadre du programme donné.
78 Or, irait
à l’encontre de la logique sous-tendant ces règles financières le fait que des
règles financières de l’Union puissent imposer à un État membre de continuer à
mettre en œuvre un programme même si la Commission a établi des irrégularités
concernant la mise en œuvre de ce programme qui porte préjudice aux intérêts
financiers de l’Union et au principe de bonne gestion financière ou qui met en
péril la réalisation des objectifs visés.
79 Il en
découle, selon la Hongrie, que l’objectif poursuivi par l’imposition d’une
telle obligation est non pas d’assurer la protection des intérêts financiers de
l’Union, mais de sanctionner un État membre en cas de violation des principes
de l’État de droit, ce qui serait incompatible avec la base juridique retenue.
En outre, l’obligation pour un État membre de financer entièrement sur son
propre budget des programmes pour la définition desquels il n’a qu’une marge de
manœuvre limitée restreindrait son droit d’utiliser son propre budget et
établirait une exigence qui pèse non pas sur le budget de l’Union, mais sur
celui de l’État membre concerné.
80 Par son
deuxième moyen, la Hongrie soutient que le règlement attaqué méconnaît,
premièrement, l’article 7 TUE, deuxièmement, l’article 4, paragraphe 1, et
l’article 5, paragraphe 2, TUE ainsi que, troisièmement, l’article 13,
paragraphe 2, TUE et l’article 269 TFUE.
81 Elle fait
valoir, en premier lieu, que l’article 7 TUE est le seul article sur la base
duquel le risque de violation grave par un État membre des valeurs que contient
l’article 2 TUE peut être constaté. Le règlement
attaqué instaurerait, dans un domaine déterminé, une procédure parallèle ayant
la même finalité que celle prévue à cet article 7, en méconnaissance de ce
dernier.
82 En effet,
premièrement, les traités ne prévoiraient pas que l’article 7 TUE puisse être
mis en œuvre par des actes législatifs portant sur le constat d’une violation
des valeurs que contient l’article 2 TUE et sur la détermination des
conséquences juridiques d’une telle violation.
83
Deuxièmement, la procédure prévue par le règlement attaqué impliquerait
que la Cour dispose de la compétence pour contrôler les décisions adoptées par
le Conseil sur la base de ce règlement et, partant, pour apprécier la violation
par un État membre des principes de l’État de droit, et ce alors même que la
réglementation ou la pratique nationales à l’origine de cette violation ne
relèveraient pas du droit de l’Union et que la Cour ne serait, par conséquent,
pas compétente pour les examiner. Le règlement attaqué étendrait ainsi, en violation
des traités et en contournant en particulier les limitations prévues à
l’article 269 TFUE, les compétences non seulement du
Conseil et de la Commission, mais également de la Cour.
84
Troisièmement, dans le système des traités, seul l’article 7 TUE
conférerait aux institutions de l’Union la compétence pour examiner, constater
et, le cas échéant, sanctionner les violations des principes de l’État de droit
dans un État membre.
85 De façon
analogue à cette disposition, le règlement attaqué prévoirait que la Commission
doit se prononcer sur trois éléments avant de soumettre sa proposition de
décision d’exécution au Conseil et que celui-ci doit ensuite se prononcer sur
chacun de ces éléments par trois décisions successives. Ainsi, tout d’abord, la
Commission devrait constater, conformément aux articles 3 et 4 de ce règlement,
une violation des principes de l’État de droit. Ensuite, il conviendrait de
rechercher, au regard de l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement, si cette
violation présente un lien suffisamment étroit avec le budget de l’Union ou la
protection des intérêts financiers de l’Union. Enfin, il y aurait lieu de
déterminer s’il faut adopter, en vertu de l’article 5 du même règlement, une
décision déterminant les mesures de protection du budget de l’Union jugées
nécessaires.
86 Or, parmi
ces trois décisions, les première et troisième relèveraient de l’article 7 TUE.
En effet, la constatation d’une violation des principes de l’État de droit,
prévue à l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, lu conjointement avec
l’article 3 de celui-ci, serait dans sa substance identique à la constatation
qu’il appartient au Conseil et au Conseil européen d’effectuer au titre de
l’article 7, paragraphes 1 et 2, TUE, tandis que l’adoption des mesures au
titre de l’article 5 de ce règlement serait une option parallèle à celle de la
suspension de certains droits de l’État membre concerné, prévue à l’article 7,
paragraphe 3, TUE, cette suspension pouvant porter sur les ressources
budgétaires dues à l’État membre concerné.
87 Le fait
que les mesures susceptibles d’être adoptées en vertu du règlement attaqué sont
liées à la violation d’une des valeurs que contient l’article 2 TUE serait
étayé par l’article 5, paragraphe 3, et l’article 6, paragraphe 8, de ce
règlement, dont il découle que la nature, la durée, la gravité et l’étendue de
la violation des principes de l’État de droit ainsi que les sources pertinentes
doivent être dûment prises en compte lors de l’appréciation de la
proportionnalité des mesures. Partant, tant la Commission que le Conseil
seraient tenus d’apprécier de manière approfondie l’existence et l’étendue
d’une telle violation, alors qu’il ne pourrait être procédé à cette
appréciation que sur la base de l’article 7 TUE.
88 La
Hongrie, soutenue par la République de Pologne, ajoute que l’article 7 TUE
prévoit une procédure de sanction à caractère constitutionnel dirigée contre un
État membre en particulier. Par ailleurs, les États membres auraient, en tant
que pouvoir constituant, fixé de manière exhaustive cette procédure dans le
traité UE, en raison de la dimension politique des domaines relevant de cette
procédure, domaines qui n’entreraient pas nécessairement dans le champ
d’application du droit de l’Union, tels que ceux relatifs au fonctionnement des
autorités et des institutions des États membres.
89 Le
caractère exclusif de la procédure prévue à l’article 7 TUE s’agissant de la
violation des principes de l’État de droit serait confirmé par les points 18 et
24 de l’avis du service juridique du Conseil no 10296/14, du 27 mai
2014, portant sur la compatibilité avec les traités de la communication de la
Commission intitulée « Un nouveau cadre de l’[Union] pour renforcer l’État de
droit ». Si le règlement attaqué s’efforce de lier l’examen de l’existence
éventuelle de violations des principes de l’État de droit à l’exécution du
budget de l’Union, son objectif réel, tel qu’il ressortirait de l’exposé des
motifs de la proposition de la Commission qui a conduit à l’adoption dudit
règlement, serait d’examiner le respect des principes de l’État de droit et
d’appliquer des sanctions lorsqu’il est constaté qu’un État membre ne respecte
pas ces principes.
90 En
deuxième lieu, la Hongrie estime que le règlement attaqué viole les principes
de répartition et d’attribution des compétences, tels que garantis à l’article
4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphe 2, TUE, dès lors qu’il permet aux
institutions de l’Union de procéder à un examen des situations et des
institutions nationales qui ne relèvent pas du champ d’application du droit de
l’Union. En effet, ce règlement ne ferait pas apparaître clairement que
l’examen des violations des principes de l’État de droit est limité aux
domaines qui relèvent de la compétence de l’Union, certaines des situations
exposées dans ses articles 3 et 4 pouvant d’ailleurs se rapporter à des
violations qui ne sont pas limitées à ces domaines.
91 Or, eu
égard à ces principes de répartition et d’attribution des compétences, un tel
examen en dehors des compétences de l’Union ne serait possible qu’aux fins de,
et selon la procédure fixée par, une disposition du droit primaire, telle que
l’article 7 TUE. Le règlement attaqué ne pourrait en revanche se fonder sur une
telle disposition de droit primaire, de sorte que ce règlement doit être
considéré comme instituant une dérogation au régime général de répartition des
compétences entre l’Union et les États membres tel que consacré dans les
traités. De plus, alors que la procédure prévue à l’article 7, paragraphes 1 et
2, TUE ne viserait que les situations témoignant d’un risque manifeste de
violation grave des valeurs que contient l’article 2 TUE et d’une violation
grave et persistante de ces valeurs, la procédure prévue par le règlement
attaqué serait possible même lorsque les violations alléguées ne sont ni graves
ni persistantes.
92 La
Hongrie, soutenue par la République de Pologne, expose enfin que, si l’examen
effectué en application du règlement attaqué peut présenter, à certains égards,
un lien avec la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection
de ses intérêts financiers, cette circonstance ne signifie toutefois pas que
les situations examinées doivent nécessairement être considérées comme relevant
du champ d’application du droit de l’Union en vertu de ce seul lien. Elle
souligne que l’analyse de l’existence d’une violation de l’État de droit
intervient lors de la première étape de l’examen tandis que le lien avec le
budget de l’Union ne peut être établi qu’à l’issue de la deuxième étape. Le
règlement attaqué permettrait par conséquent de constater qu’un État membre a
violé l’État de droit dans des situations qui ne relèvent pas du champ
d’application du droit de l’Union.
93 En
troisième lieu, la Hongrie soutient que le règlement attaqué enfreint
l’équilibre institutionnel tel qu’établi à l’article 7 et à l’article 13,
paragraphe 2, TUE ainsi qu’à l’article 269 TFUE, de
même que les droits découlant pour l’État membre concerné de la première de ces
dispositions.
94 À cet
égard, contrairement à l’article 7 TUE, le règlement attaqué accorderait à la
seule Commission le droit d’initiative pour faire constater une violation des
principes de l’État de droit. Il exigerait, pour le vote du Conseil, une
majorité différente de celle prévue à l’article 7 TUE. En outre, ce règlement
ne prévoirait qu’une obligation d’information au Parlement alors qu’un droit
d’approbation lui est reconnu en vertu de l’article 7, paragraphes 1 et 2, TUE,
et ne conférerait aucune compétence au Conseil européen. Une décision du
Conseil prévoyant des mesures au titre du règlement attaqué étant adoptée à la
majorité qualifiée, la position procédurale de l’État membre concerné serait
amoindrie, compte tenu en particulier du fait que, dans le cadre de l’article
7, paragraphes 2 et 3, TUE, l’adoption de mesures en application de cette
disposition suppose une décision du Conseil européen prise à l’unanimité.
95 Le
règlement attaqué répondrait ainsi à l’intention du législateur de l’Union,
reflétée dans l’exposé des motifs de la proposition de la Commission qui a
conduit à l’adoption de ce règlement, de fournir une voie « plus facile », «
plus rapide » et « plus efficace » pour constater et sanctionner des violations
des principes de l’État de droit. Ce faisant, par dérogation à l’article 7 TUE,
ledit règlement conférerait de nouvelles compétences au Conseil, à la
Commission et à la Cour, permettant notamment à cette dernière, en violation de
l’article 269 TFUE, d’examiner le bien-fondé des
décisions constatant des violations des principes de l’État de droit. Le même
règlement irait, par conséquent, à l’encontre de la volonté expresse des États
membres, en tant qu’auteurs des traités, de limiter la compétence de la Cour à
des questions procédurales, s’agissant de recours visant un acte adopté par le
Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 TUE.
96 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent
cette argumentation.
b) Appréciation de la Cour
97 Par ses
premier et deuxième moyens, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne,
fait valoir, en substance, d’une part, que ni l’article 322, paragraphe 1, sous
a), TFUE ni aucune autre disposition du traité FUE ne pouvait constituer une base juridique appropriée
pour l’adoption du règlement attaqué, en particulier de ses articles 2 à 4
ainsi que de son article 5, paragraphe 2. Elle ajoute, d’autre part, que la
procédure instituée par ledit règlement contourne celle prévue à l’article 7
TUE, laquelle revêt pourtant un caractère exclusif pour la protection des
valeurs que contient l’article 2 TUE, et porte atteinte à la limitation des
compétences de la Cour prévue à l’article 269 TFUE.
1) Sur la base juridique du
règlement attaqué
98 À titre liminaire,
il convient de rappeler que, aux termes de l’article 322, paragraphe 1, sous
a), TFUE, le Parlement et le Conseil, statuant
conformément à la procédure législative ordinaire, et après consultation de la
Cour des comptes, adoptent par voie de règlements « les règles financières qui
fixent notamment les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du
budget et à la reddition et à la vérification des comptes ».
99 Or, de
telles règles ont vocation à régir l’ensemble des aspects liés à l’exécution du
budget de l’Union couverts par le titre II, intitulé « Dispositions financières
», de la sixième partie du traité FUE, relative aux «
[d]ispositions institutionnelles et financières » et,
partant, cette exécution au sens large.
100 En effet,
outre le fait que l’article 322 TFUE figure au
chapitre 5, intitulé « Dispositions communes », de ce titre II, il y a lieu de
relever que font référence à cette disposition l’article 310, paragraphes 2 et
3, TFUE, qui figure dans la partie introductive dudit
titre II, l’article 315, premier et deuxième alinéas, et l’article 316, premier
et deuxième alinéas, TFUE, qui figurent au chapitre 3
du même titre II, intitulé « Le budget annuel de l’Union », ainsi que l’article
317 TFUE, qui figure au chapitre 4 de celui-ci,
intitulé « L’exécution du budget et la décharge ».
101 Or, les
articles 310 et 315 à 317 TFUE présentent tous des
liens avec l’exécution du budget de l’Union.
102 En effet,
l’article 310 TFUE énonce, à son paragraphe 1, que
toutes les recettes et les dépenses de l’Union doivent faire l’objet de
prévisions pour chaque exercice budgétaire et être inscrites au budget, et
prévoit, à son paragraphe 3, que l’exécution de dépenses inscrites au budget
requiert l’adoption préalable d’un acte juridiquement contraignant de l’Union
qui donne un fondement juridique à son action et à l’exécution de la dépense
correspondante en conformité avec le règlement visé à l’article 322 TFUE, sauf exceptions prévues à celui-ci. Enfin, cet
article 310 requiert, à son paragraphe 5, que ledit budget soit exécuté
conformément au principe de la bonne gestion financière, les États membres et
l’Union devant coopérer pour que les crédits inscrits à celui-ci soient
utilisés conformément à ce principe.
103 S’agissant
de l’article 315 TFUE, celui-ci prévoit, à son
premier alinéa, que, si, au début d’un exercice budgétaire, le budget n’a pas
encore été définitivement adopté, des dépenses peuvent être effectuées
mensuellement par chapitre, d’après les dispositions du règlement pris en
exécution de l’article 322 TFUE, dans la limite du
douzième des crédits ouverts au chapitre en question du budget de l’exercice
précédent, sans pouvoir dépasser le douzième des crédits prévus au même
chapitre dans le projet de budget. L’article 316 TFUE
concerne, pour sa part, le report à l’exercice suivant de crédits inutilisés à
la fin d’un exercice budgétaire.
104 Quant à
l’article 317 TFUE, il énonce notamment que la
Commission exécute le budget en coopération avec les États membres, conformément
aux dispositions des règlements pris en exécution de l’article 322 TFUE, sous sa propre responsabilité et dans la limite des
crédits alloués, conformément au principe de la bonne gestion financière. Il
exige également que les États membres coopèrent avec la Commission pour faire
en sorte que les crédits soient utilisés conformément à ce principe et précise
qu’un règlement pris en exécution de l’article 322 TFUE
prévoit les obligations de contrôle et d’audit des États membres dans
l’exécution du budget ainsi que les responsabilités qui en découlent.
105 Il s’ensuit
que les règles financières qui fixent « notamment les modalités relatives à »
l’exécution du budget ainsi qu’à la reddition et à la vérification des comptes,
au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE,
lu à la lumière des dispositions visées au point 101 du présent arrêt, couvrent
non seulement les règles définissant la manière dont sont, en tant que telles,
exécutées les dépenses inscrites à ce budget, mais également, notamment, les
règles fixant les obligations de contrôle et d’audit incombant aux États
membres lorsque la Commission exécute le budget en coopération avec eux, ainsi
que les responsabilités qui en découlent. En particulier, il apparaît
clairement que ces règles financières ont vocation, notamment, à assurer le
respect, lors de l’exécution du budget de l’Union, du principe de la bonne
gestion financière, y compris par les États membres.
106 C’est à la
lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner, en
l’espèce, si l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE
pouvait constituer la base juridique appropriée pour l’adoption du règlement
attaqué.
107 À cet
égard, il est de jurisprudence constante que le choix de la base juridique d’un
acte de l’Union doit être fondé sur des éléments objectifs susceptibles de
faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité
et le contenu de cet acte (arrêts du 3 décembre 2019, République
tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035,
point 31 ; du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 38, ainsi que du 8 décembre 2020,
Pologne/Parlement et Conseil, C‑626/18, EU:C:2020:1000,
point 43).
108 En outre,
peut être pris en compte, pour déterminer la base juridique appropriée, le
contexte juridique dans lequel s’inscrit une nouvelle réglementation, notamment
en ce qu’un tel contexte est susceptible de fournir un éclairage sur l’objectif
poursuivi par cette réglementation (arrêts du 3 décembre 2019, République
tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035,
point 32 ; du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 39, ainsi que du 8 décembre 2020,
Pologne/Parlement et Conseil, C‑626/18, EU:C:2020:1000,
point 44).
109 En
l’espèce, s’agissant en premier lieu du point de savoir si le règlement attaqué
est susceptible, eu égard à sa finalité, de relever de la base juridique de
l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, la
Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que l’objectif
ultime de ce règlement consiste à permettre tant l’examen par la Commission et
le Conseil du respect par les États membres des principes de l’État de droit
que l’application, en cas de constatation de violations de ces principes, de
sanctions au moyen du budget de l’Union, cet objectif ressortant également de
l’exposé des motifs accompagnant la proposition de la Commission qui a conduit
à l’adoption dudit règlement.
110 À cet
égard, premièrement, l’article 1er du règlement attaqué énonce que
celui-ci établit « les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union
en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre ». Il
ressort ainsi des termes de cette disposition que ledit règlement vise à
protéger le budget de l’Union contre les atteintes à ce dernier susceptibles de
découler de violations des principes de l’État de droit dans un État membre.
111
Deuxièmement, il résulte d’une lecture d’ensemble de l’article 4,
paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement attaqué que la
procédure prévue aux fins de l’adoption de « mesures appropriées » de
protection du budget de l’Union ne peut être engagée par la Commission que
lorsque cette institution constate qu’il existe des motifs raisonnables de
considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit
ont lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte
ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion
financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers,
d’une manière suffisamment directe.
112 De plus, il
ressort de l’article 5, paragraphes 1 et 3, de ce règlement que ces mesures
appropriées consistent, pour l’essentiel, en des suspensions de paiements, de
l’exécution d’engagements juridiques, du décaissement de tranches, d’un
avantage économique découlant d’un instrument garanti, de l’approbation de
programmes ou d’engagements, en des résiliations d’engagements juridiques, en
des interdictions de contracter de nouveaux engagements juridiques ou de
conclure de nouveaux accords, en des remboursements anticipés de prêts
garantis, en des réductions d’un avantage économique découlant d’un instrument
garanti, d’engagements ou de préfinancements, et en des interruptions des
délais de paiement, et qu’elles doivent être proportionnées, c’est‑à‑dire
limitées à ce qui est strictement nécessaire au regard de l’incidence réelle ou
potentielle de violations des principes de l’État de droit sur la gestion
financière du budget de l’Union ou sur ses intérêts financiers.
113 En outre,
selon l’article 7, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement attaqué, la
Commission propose au Conseil la levée des mesures adoptées lorsque les
conditions prévues à l’article 4 de ce règlement ne sont plus remplies et,
partant, notamment lorsqu’il n’existe plus d’atteinte ou de risque sérieux
d’atteinte à la bonne gestion du budget de l’Union ou à la protection de ses
intérêts financiers, de sorte que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au
point 185 de ses conclusions, ces mesures doivent être levées lorsque
l’incidence sur l’exécution budgétaire cesse, alors même que les violations des
principes de l’État de droit qui ont été constatées peuvent persister.
114 Or, les
types de mesures susceptibles d’être adoptées, les critères relatifs au choix
et à l’étendue de celles-ci ainsi que les conditions d’adoption et de levée
desdites mesures, en ce qu’ils se rattachent tous à une atteinte ou à un risque
sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la
protection des intérêts financiers de l’Union, corroborent le constat selon
lequel le règlement attaqué a pour finalité de protéger le budget de l’Union
lors de son exécution.
115 Par
ailleurs, il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 2, du règlement
attaqué, lu à la lumière du paragraphe 4 de cet article ainsi que du
considérant 19 de ce règlement, que cette disposition vise non pas, comme le
fait valoir la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, à sanctionner un
État membre pour la violation d’un principe de l’État de droit, mais à
préserver les intérêts légitimes des destinataires finaux et des bénéficiaires
lorsque des mesures appropriées sont adoptées au titre dudit règlement à
l’égard d’un État membre. Cette disposition fixe ainsi les conséquences de
telles mesures à l’égard des tiers. Partant, ladite disposition n’est pas de
nature à étayer l’allégation selon laquelle le règlement attaqué viserait,
plutôt qu’à protéger le budget de l’Union, à sanctionner, en tant que telles,
des violations de l’État de droit dans un État membre.
116
Troisièmement, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 130 de
ses conclusions, les considérants du règlement attaqué corroborent la finalité
poursuivie par ce règlement, telle qu’elle ressort de son article 1er,
consistant à protéger le budget de l’Union. En effet, les considérants 2 et 7 à
9 dudit règlement énoncent, en particulier, que le Conseil européen a déclaré
que les intérêts financiers de l’Union doivent être protégés conformément aux
valeurs que contient l’article 2 TUE, que, chaque fois que les États membres
exécutent le budget de l’Union, le respect de l’État de droit est une condition
essentielle au respect des principes de la bonne gestion financière consacrés à
l’article 317 TFUE, que les États membres ne peuvent
garantir une bonne gestion financière que si les autorités publiques agissent
en conformité avec le droit, si les violations du droit sont effectivement
poursuivies et si les décisions arbitraires ou illégales des autorités
publiques peuvent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif, et que
l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire ainsi que des services
d’enquête et de poursuites judiciaires sont requises à titre de garantie
minimale contre les décisions arbitraires et illégales d’autorités publiques
susceptibles de léser les intérêts financiers de l’Union. Le considérant 13 du
même règlement expose que, dans ce contexte, il existe donc « un lien manifeste
entre le respect de l’État de droit et la bonne exécution du budget de l’Union,
conformément aux principes de bonne gestion financière », le considérant 15 de
celui-ci précisant, quant à lui, que « [l]es violations des principes de l’État
de droit, en particulier celles qui portent atteinte au bon fonctionnement des
autorités publiques et au caractère effectif du contrôle juridictionnel,
peuvent nuire gravement aux intérêts financiers de l’Union ».
117 Quant au
considérant 14 du règlement attaqué, s’il énonce que le mécanisme prévu par
celui-ci « complète » les instruments qui promeuvent l’État de droit et son
application, il précise que ce mécanisme contribue à cette promotion « en
protégeant le budget de l’Union contre les violations des principes de l’État
de droit qui portent atteinte à sa bonne gestion financière ou à la protection
des intérêts financiers de l’Union ».
118
Quatrièmement, dans l’exposé des motifs accompagnant sa proposition qui
a conduit à l’adoption du règlement attaqué, la Commission a certes indiqué que
des souhaits avaient été exprimés en faveur d’une intervention de l’Union pour
qu’elle protège l’État de droit et, partant, adopte des mesures visant à
garantir son respect. Toutefois, dans ce même exposé des motifs, la Commission
a justifié sa proposition par la nécessité « de protéger les intérêts
financiers de l’Union contre le risque de perte financière causé par des
défaillances généralisées de l’État de droit dans un État membre ».
119 Au regard
des considérations qui précèdent, il convient de constater que, contrairement à
ce que fait valoir la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, la
finalité du règlement attaqué consiste à protéger le budget de l’Union contre
des atteintes à ce dernier découlant de manière suffisamment directe de
violations des principes de l’État de droit dans un État membre, et non pas à
sanctionner, en soi, de telles violations.
120 Or, cette
finalité est cohérente avec l’exigence selon laquelle le budget de l’Union doit
être exécuté conformément au principe de bonne gestion financière, posée en
particulier à l’article 310, paragraphe 5, TFUE,
cette exigence étant applicable à l’ensemble des dispositions du titre II de la
sixième partie du traité FUE relatives à l’exécution
du budget de l’Union et ainsi, notamment, à l’article 322, paragraphe 1, sous
a), TFUE.
121 En second
lieu, s’agissant de la question de savoir si, par son contenu, le règlement
attaqué est susceptible de relever de la base juridique de l’article 322, paragraphe
1, sous a), TFUE, la Hongrie, soutenue par la
République de Pologne, soutient, en substance, que tel ne saurait être le cas
en particulier des articles 2 à 4 et de l’article 5, paragraphe 2, de ce
règlement. Premièrement, l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE ne permettrait de définir ni la notion d’« État de droit » ni celle de « violations des principes de
l’État de droit ». Deuxièmement, le lien entre les violations des principes de
l’État de droit et le budget de l’Union serait trop large et permettrait, s’il
était retenu, de rattacher à celui-ci tout domaine du droit de l’Union ainsi
que d’importants aspects des systèmes juridiques des États membres.
Troisièmement, ledit article 5, paragraphe 2, ne concernerait pas le budget de
l’Union ni son exécution, mais viserait les budgets des États membres.
Quatrièmement, lesdits articles 2 à 4 permettraient aux institutions de l’Union
de procéder à un examen de situations et d’institutions nationales qui ne
relèvent pas du champ d’application du droit de l’Union.
122 À cet
égard, premièrement, les parties à la procédure s’accordent à considérer qu’un «
mécanisme de conditionnalité », qui subordonne le bénéfice de financements
issus du budget de l’Union au respect de certaines conditions, est susceptible
de relever de la notion de « règles financières », au sens de l’article 322,
paragraphe 1, sous a), TFUE.
123 Toutefois,
tandis que la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, considère qu’une
telle condition doit être étroitement liée soit à l’un des objectifs d’un
programme ou d’une action spécifique de l’Union, soit à la bonne gestion financière
du budget de l’Union, le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de
Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne,
l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de
Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de
Suède et la Commission, estiment qu’un tel mécanisme peut également revêtir le
caractère d’une « conditionnalité horizontale », en ce sens que la condition en
cause peut être liée à la valeur de l’État de droit que contient l’article 2
TUE, qui doit être respectée dans tous les domaines d’action de l’Union.
124 À cet
égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 2 TUE, l’Union est
fondée sur des valeurs, dont l’État de droit, qui sont communes aux États
membres et que, conformément à l’article 49 TUE, le respect de ces valeurs
constitue une condition préalable à l’adhésion à l’Union de tout État européen
demandant à devenir membre de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre
2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19,
C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034,
points 160 et 161 ainsi que jurisprudence citée).
125 En effet,
ainsi qu’il est relevé au considérant 5 du règlement attaqué, lorsqu’un État
candidat devient un État membre, il adhère à une construction juridique qui
repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage
avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec
lui, les valeurs communes que contient l’article 2 TUE, sur lesquelles l’Union
est fondée. Cette prémisse relève des caractéristiques spécifiques et
essentielles du droit de l’Union, tenant à sa nature propre, qui résultent de
l’autonomie dont jouit ledit droit à l’égard des droits des États membres ainsi
que du droit international. Elle implique et justifie l’existence de la
confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces
valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre
[voir, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre
2014, EU:C:2014:2454, points
166 à 168 ; arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117,
point 30, et du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19,
EU:C:2021:311, point 62]. Ce considérant précise
également que les droits et les pratiques des États membres devraient continuer
de respecter les valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée.
126 Il en
découle que le respect par un État membre des valeurs que contient l’article 2
TUE constitue une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de
l’application des traités à cet État membre (arrêts du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311,
point 63 ; du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19,
C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19,
EU:C:2021:393, point 162, ainsi que du 21 décembre
2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19,
C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034,
point 162). En effet, le respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une
obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et
dont il pourrait s’affranchir après son adhésion.
127 Les valeurs
que contient l’article 2 TUE ont été identifiées et sont partagées par les
États membres. Elles définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre
juridique commun. Ainsi, l’Union doit être en mesure, dans les limites de ses
attributions prévues par les traités, de défendre lesdites valeurs.
128 Il en découle
que, conformément au principe d’attribution des compétences consacré à
l’article 5, paragraphe 2, TUE, ainsi qu’au principe de cohérence des
politiques de l’Union prévu à l’article 7 TFUE, la
valeur commune à l’Union et aux États membres que constitue l’État de droit,
laquelle relève des fondements mêmes de l’Union et de son ordre juridique, est
susceptible de fonder un mécanisme de conditionnalité couvert par la notion de
« règles financières », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.
129 À cet
égard, il convient de relever, d’une part, que le budget de l’Union est l’un
des principaux instruments permettant de concrétiser, dans les politiques et
les actions de l’Union, le principe de solidarité, mentionné à l’article 2 TUE,
lequel constitue lui-même l’un des principes fondamentaux du droit de l’Union
(voir, par analogie, arrêt du 15 juillet 2021, Allemagne/Pologne, C‑848/19
P, EU:C:2021:598, point 38), et, d’autre part, que la
mise en œuvre de ce principe, au moyen de ce budget, repose sur la confiance
mutuelle entre les États membres dans l’utilisation responsable des ressources
communes inscrites audit budget. Or, cette confiance mutuelle repose elle-même,
ainsi qu’il a été rappelé au point 125 du présent arrêt, sur l’engagement de chacun
des États membres de se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu du
droit de l’Union et de respecter de manière continue, comme le relève
d’ailleurs le considérant 5 du règlement attaqué, les valeurs que contient
l’article 2 TUE, parmi lesquelles figure la valeur de l’État de droit.
130 En outre,
ainsi qu’il est relevé au considérant 13 du règlement attaqué, il existe un
lien manifeste entre le respect de la valeur de l’État de droit, d’une part, et
la bonne exécution du budget de l’Union, conformément aux principes de bonne
gestion financière, ainsi que la protection des intérêts financiers de l’Union,
d’autre part.
131 En effet,
cette bonne gestion financière et ces intérêts financiers sont susceptibles
d’être gravement compromis par des violations des principes de l’État de droit
commises dans un État membre, dès lors que ces violations peuvent avoir pour
conséquence, notamment, l’absence de garantie que des dépenses couvertes par le
budget de l’Union satisfont à l’ensemble des conditions de financement prévues
par le droit de l’Union et, partant, répondent aux objectifs poursuivis par
l’Union lorsqu’elle finance de telles dépenses.
132 En
particulier, le respect de ces conditions et de ces objectifs, en tant
qu’éléments du droit de l’Union, ne saurait être pleinement garanti en
l’absence d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du
droit de l’Union, étant précisé que l’existence d’un tel contrôle, tant dans
les États membres qu’au niveau de l’Union, par des juridictions indépendantes,
est inhérente à un État de droit (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021,
Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19
et C‑840/19, EU:C:2021:1034, points 219 ainsi
que 222).
133 Il résulte
de ce qui précède que, contrairement à ce qu’allègue la Hongrie, soutenue par
la République de Pologne, un mécanisme de conditionnalité peut également
relever de la notion de « règles financières », visée à l’article 322,
paragraphe 1, sous a), TFUE, lorsqu’il institue, pour
bénéficier de financements issus du budget de l’Union, une conditionnalité
horizontale qui est liée au respect par un État membre de la valeur de l’État
de droit, que contient l’article 2 TUE, et qui se rapporte à l’exécution du
budget de l’Union.
134 Or,
l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué institue un tel mécanisme de
conditionnalité horizontale, dès lors qu’il prévoit que des mesures appropriées
sont prises lorsqu’il est établi que des violations des principes de l’État de
droit dans un État membre portent atteinte ou présentent un risque sérieux de
porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la
protection de ses intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.
135 En effet,
il résulte de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement que cette disposition
prévoit de manière exhaustive les « mesures appropriées » pouvant être
adoptées, qui sont résumées au point 112 du présent arrêt et qui se rapportent
effectivement toutes à l’exécution du budget de l’Union.
136 S’agissant
de la condition prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué,
tenant à l’existence de « violations des principes de l’État de droit »,
l’article 2, sous a), de celui-ci énonce que la notion d’« État de droit » s’entend,
au sens de ce règlement, comme étant la « valeur de l’Union consacrée à
l’article 2 [TUE] » et précise que cette notion recouvre les principes de
légalité, de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir
exécutif, de protection juridictionnelle effective, de séparation des pouvoirs
ainsi que de non‑discrimination et d’égalité devant la loi. La même
disposition souligne, néanmoins, que la notion d’«
État de droit », telle que définie pour les besoins de l’application dudit
règlement, « s’entend eu égard aux autres valeurs et principes de l’Union
consacrés à l’article 2 TUE ». Il s’ensuit que le respect de ces valeurs et de
ces principes, en ce qu’ils participent à la définition même de la valeur de l’« État de droit », que contient l’article 2 TUE, ou, ainsi
qu’il ressort de la seconde phrase de cet article, sont intimement liés à une
société respectueuse de l’État de droit, peut être exigé dans le cadre d’un
mécanisme de conditionnalité horizontale, tel que celui institué par le règlement
attaqué.
137 En outre,
l’article 3 du règlement attaqué, qui cite des cas qui peuvent être indicatifs
de violations de ces principes, au nombre desquels figure le fait de ne pas
veiller à l’absence de conflits d’intérêts, vise, ainsi que l’a relevé M.
l’avocat général aux points 152 et 280 de ses conclusions, à faciliter
l’application de ce règlement.
138 Quant à
l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, il découle de celui-ci que,
pour relever du mécanisme de conditionnalité horizontale institué au paragraphe
1 de cet article, les violations des principes de l’État de droit doivent
concerner les situations ou les comportements des autorités qui sont énumérés
aux points a) à h) de ce paragraphe 2, pour autant qu’ils sont pertinents pour
la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection des
intérêts financiers de l’Union.
139 Il résulte
de ce qui précède que l’article 2, sous a), l’article 3, l’article 4,
paragraphe 2, et l’article 5, paragraphe 1, du règlement attaqué sont des
éléments constitutifs du mécanisme de conditionnalité horizontale institué à
l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, en énonçant les définitions
nécessaires à sa mise en œuvre, en précisant son champ d’application et en
prévoyant les mesures auxquelles il est susceptible d’aboutir. Ces dispositions
font ainsi partie intégrante de ce mécanisme et relèvent, dès lors, de la
notion de « règles financières », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous
a), TFUE.
140
Deuxièmement, cette constatation n’est pas infirmée par l’argumentation
de la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, selon laquelle les
articles 2 à 4 du règlement attaqué permettraient aux institutions de l’Union
de procéder à un examen de situations dans les États membres qui ne relèvent
pas du champ d’application du droit de l’Union.
141 En effet,
ainsi qu’il a été relevé au point 111 du présent arrêt, il résulte d’une
lecture d’ensemble de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe
1, du règlement attaqué que la procédure qu’il prévoit aux fins de l’adoption
de « mesures appropriées » de protection du budget de l’Union ne peut être
engagée par la Commission que lorsque cette institution constate qu’il existe
des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des
principes de l’État de droit ont eu lieu dans un État membre, mais surtout que
ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter
atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection
de ses intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.
142 De plus,
ainsi qu’il a été constaté au point 138 du présent arrêt, il découle de
l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué que, pour relever du mécanisme
de conditionnalité horizontale institué au paragraphe 1 de cet article, les
violations des principes de l’État de droit doivent concerner les situations ou
les comportements des autorités qui sont énumérés à ses points a) à h) de ce
paragraphe 2, pour autant qu’ils sont pertinents pour la bonne gestion
financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de
l’Union.
143 Or, cette
pertinence peut être présumée s’agissant de l’activité des autorités exécutant
le budget de l’Union et chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financier,
visées aux points a) et b) dudit paragraphe 2. Quant aux services d’enquête et
de poursuites judiciaires, leur bon fonctionnement n’est visé, au point c) de
celui-ci, que pour autant qu’il concerne des violations du droit de l’Union
portant sur l’exécution du budget de l’Union ou sur la protection des intérêts
financiers de l’Union. Il en va de même s’agissant de la prévention et de la
sanction, par les juridictions nationales ou les autorités administratives, des
violations du droit de l’Union mentionnées au point e). S’agissant du contrôle
juridictionnel énoncé au point d), il n’est visé que dans la mesure où il
concerne le comportement des autorités mentionné auxdits points a) à c). Le
recouvrement de fonds indûment versés, prévu au point f), ne vise que des fonds
provenant du budget de l’Union, ce qui est également le cas de la coopération
avec l’OLAF et le Parquet européen, mentionnée au point g). Enfin, le point h)
vise expressément toute autre situation et tout autre comportement des
autorités pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou
pour la protection de ses intérêts financiers.
144 Il s’ensuit
que, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, soutenue par la République
de Pologne, d’une part, le règlement attaqué ne permet aux institutions de
l’Union de procéder à un examen de situations dans les États membres que pour
autant que celles-ci sont pertinentes pour la bonne gestion financière du
budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union et,
d’autre part, des mesures appropriées ne peuvent être adoptées au titre de ce
règlement que lorsqu’il est établi que de telles situations comportent une
violation de l’un des principes de l’État de droit qui porte atteinte ou présente
un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à
cette bonne gestion financière ou à la protection de ces intérêts financiers.
145 Or, ces
situations, qui sont pertinentes pour l’exécution du budget de l’Union, non
seulement entrent dans le champ d’application du droit de l’Union, mais peuvent
également, ainsi qu’il a été constaté au point 133 du présent arrêt, relever
d’une règle financière, au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, prenant la forme d’un mécanisme de conditionnalité
horizontale lié au respect par un État membre de la valeur de l’État de droit.
146
Troisièmement, contrairement à ce qu’allègue la Hongrie, soutenue par la
République de Pologne, le fait qu’un mécanisme de conditionnalité horizontale
répondant aux critères identifiés au point 133 du présent arrêt, tenant au
respect par un État membre de la valeur de l’État de droit que contient
l’article 2 TUE et se rapportant à l’exécution du budget de l’Union, peut
relever de la notion de « règles financières qui fixent notamment les modalités
relatives [...] à l’exécution du budget », au sens de l’article 322, paragraphe
1, sous a), TFUE, n’étend
pas la portée de cette notion au-delà de ce qui est nécessaire pour la bonne
exécution du budget de l’Union.
147 En effet,
l’article 4 du règlement attaqué limite, à son paragraphe 2, le champ
d’application du mécanisme de conditionnalité institué par ledit règlement aux
situations et aux comportements d’autorités qui présentent un lien avec
l’exécution du budget de l’Union et exige, à son paragraphe 1, que l’adoption
de mesures appropriées soit subordonnée à l’existence de violations des
principes de l’État de droit qui portent atteinte ou présentent un risque
sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union
ou à la protection de ses intérêts financiers d’une manière suffisamment
directe. Cette dernière condition exige ainsi qu’un lien réel soit établi entre
ces violations et une telle atteinte ou un tel risque sérieux d’atteinte.
148 Il y a lieu
de souligner, à cet égard, que l’application de l’article 4, paragraphes 1 et
2, du règlement attaqué est soumise aux exigences procédurales spécifiées à
l’article 6, paragraphes 1 à 9, de ce règlement, lesquelles impliquent, ainsi
que le relève le considérant 26 dudit règlement, l’obligation pour la
Commission de se fonder, lorsqu’elle examine si l’adoption de mesures
appropriées est justifiée, sur des éléments concrets et de respecter les
principes d’objectivité, de non‑discrimination et d’égalité des États
membres devant les traités.
149 En ce qui
concerne plus particulièrement la détection et l’évaluation de violations des principes
de l’État de droit, le considérant 16 du règlement attaqué précise que cette
évaluation doit être objective, impartiale et équitable. En outre, le respect
de l’ensemble de ces obligations est soumis à un contrôle juridictionnel entier
par la Cour.
150
Quatrièmement, en ce qui concerne le point de savoir si l’article 5,
paragraphe 2, du règlement attaqué est susceptible de relever de la base
juridique de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE,
il a été constaté au point 115 du présent arrêt que la première disposition a
pour objectif de préserver les intérêts légitimes des destinataires finaux et
des bénéficiaires lorsque des mesures appropriées sont adoptées au titre dudit
règlement à l’égard d’un État membre. Il s’ensuit que ladite disposition porte
sur des effets juridiques et financiers liés à des mesures de protection du
budget de l’Union, au sens de cet article 5, lesquelles portent elles-mêmes sur
l’exécution du budget de l’Union, ainsi qu’il a été précisé aux points 112 et
135 du présent arrêt.
151 En outre,
ainsi qu’il a été constaté au point 99 du présent arrêt, les règles financières
qui fixent « notamment les modalités relatives à » l’exécution du budget, au
sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE,
ont vocation à régir l’ensemble des aspects liés à l’exécution du budget de
l’Union couverts par le titre II de la sixième partie du traité FUE et donc cette exécution au sens large.
152 Or, une
disposition qui, comme l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué, porte sur
des effets juridiques et financiers liés à des mesures de protection du budget
de l’Union, au sens de cet article 5, lesquelles sont des mesures portant sur
l’exécution du budget de l’Union, doit être considérée comme se rapportant
elle-même à cette exécution et peut ainsi être regardée comme fixant une
modalité relative à l’exécution de ce budget.
153 Eu égard à
l’ensemble des considérations qui précèdent, les allégations de la Hongrie,
soutenue par la République de Pologne, tirées d’un défaut de base juridique du
règlement attaqué, en ce que ce dernier n’établirait pas de règles financières
au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE,
doivent être écartées.
154 Cela étant,
il convient encore de vérifier si, comme le fait valoir, en substance, la
Hongrie, soutenue par la République de Pologne, des règles financières telles
que celles prévues par le règlement attaqué ne sauraient être adoptées par le
législateur de l’Union, du fait qu’elles contournent l’article 7 TUE et
l’article 269 TFUE.
2) Sur le contournement de
l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE
155 En premier
lieu, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir, en
substance, que seule la procédure prévue à l’article 7 TUE confère aux
institutions de l’Union la compétence pour examiner, constater et, le cas
échéant, sanctionner les violations des valeurs que contient l’article 2 TUE
dans un État membre, dès lors, notamment, qu’une telle compétence couvre des
domaines qui ne relèvent pas du champ d’application du droit de l’Union, tel le
fonctionnement des autorités et des institutions des États membres, et que les
États membres ont, en tant qu’auteurs des traités, réglé tous les aspects de
cette procédure dans le cadre du traité UE. Les traités ne prévoyant aucune
délégation de pouvoir législatif au titre de l’article 7 TUE, ni cette
disposition ni aucune autre disposition desdits traités n’autoriserait le
législateur de l’Union à instituer une procédure parallèle à celle prévue à
l’article 7 TUE, portant sur la constatation de la violation des valeurs que
contient l’article 2 TUE et définissant les conséquences juridiques qui en
découlent.
156 À cet
égard, premièrement, il convient de rappeler que les valeurs fondatrices de
l’Union et communes aux États membres, que contient l’article 2 TUE,
comprennent celles du respect de la dignité humaine, de la liberté, de la
démocratie, de l’égalité, de l’État de droit et du respect des droits de
l’homme, dans une société caractérisée notamment par la non-discrimination, la
justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.
157 Le
préambule de la Charte rappelle, notamment, que l’Union repose sur les
principes de la démocratie et de l’État de droit et reconnaît les droits, les
libertés et les principes énoncés dans ladite Charte. Les articles 6, 10 à 13,
15, 16, 20, 21 et 23 de celle-ci précisent la portée des valeurs de la dignité
humaine, de la liberté, de l’égalité, du respect des droits de l’homme, de la
non-discrimination et de l’égalité entre les femmes et les hommes, que contient
l’article 2 TUE. L’article 47 de la Charte ainsi que l’article 19 TUE
garantissent notamment le droit à un recours effectif et le droit d’accéder à
un tribunal indépendant et impartial préalablement établi par la loi,
s’agissant de la protection des droits et des libertés garantis par le droit de
l’Union.
158 Par
ailleurs, les articles 8 et 10, l’article 19, paragraphe 1, l’article 153,
paragraphe 1, sous i), et l’article 157, paragraphe 1, TFUE
précisent la portée des valeurs d’égalité, de non-discrimination et d’égalité
entre les femmes et les hommes et permettent au législateur de l’Union
d’adopter des normes de droit dérivé visant à mettre en œuvre ces valeurs.
159 Il résulte
des deux points précédents que, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie,
soutenue par la République de Pologne, outre la procédure prévue à l’article 7
TUE, de nombreuses dispositions des traités, fréquemment concrétisées par
divers actes de droit dérivé, confèrent aux institutions de l’Union la
compétence d’examiner, de constater et, le cas échéant, de faire sanctionner
des violations des valeurs que contient l’article 2 TUE commises dans un État
membre.
160 S’agissant
en particulier de la valeur de l’État de droit, certains aspects de celle-ci
sont protégés par l’article 19 TUE, comme le reconnaît d’ailleurs la Hongrie.
Il en va de même des articles 47 à 50 de la Charte, figurant au titre VI de
celle-ci, intitulé « Justice », et qui garantissent, respectivement, le droit à
un recours effectif et le droit d’accéder à un tribunal impartial, la
présomption d’innocence et les droits de la défense, les principes de légalité
et de proportionnalité des délits et des peines et le droit à ne pas être jugé
ou puni deux fois pour une même infraction.
161 Plus
spécifiquement, la Cour a dit pour droit que l’article 19 TUE, qui concrétise
la valeur de l’État de droit que contient l’article 2 TUE, requiert des États
membres, conformément au paragraphe 1, second alinéa, dudit article 19, qu’ils
prévoient un système de voies de recours et de procédures assurant aux
justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle
effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union [voir, en ce sens,
arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême –
Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 108
et 109 ainsi que jurisprudence citée]. Or, le respect de cette exigence peut
être contrôlé par la Cour, notamment lors d’un recours en manquement introduit
par la Commission au titre de l’article 258 TFUE
[voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de
la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531,
points 58 et 59, ainsi que du 5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance
des juridictions de droit commun), C‑192/18, EU:C:2019:924,
points 106 et 107].
162 La Cour a
en outre dit pour droit que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE,
interprété à la lumière de l’article 47 de la Charte, met à la charge des États
membres une obligation de résultat claire et précise et qui n’est assortie
d’aucune condition en ce qui concerne l’indépendance devant caractériser les
juridictions appelées à interpréter et à appliquer le droit de l’Union, de
sorte qu’il appartient à une juridiction nationale d’écarter toute disposition
du droit national enfreignant l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE,
le cas échéant après avoir obtenu de la Cour une interprétation de cette
dernière disposition dans le cadre d’une procédure de renvoi préjudiciel [voir,
en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour
suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153,
points 142 à 146].
163 Il découle
ainsi des considérations figurant aux points 159 à 162 du présent arrêt que
l’argumentation de la Hongrie selon laquelle la valeur de l’État de droit ne
peut être protégée par l’Union que dans le seul cadre de la procédure prévue à
l’article 7 TUE doit être écartée.
164
Deuxièmement, en ce qui concerne les allégations de la Hongrie, soutenue
par la République de Pologne, selon lesquelles seul l’article 7 TUE permettrait
aux institutions de l’Union de contrôler le respect par les États membres de
l’État de droit dans les domaines qui ne relèvent pas du champ d’application du
droit de l’Union, au nombre desquels figurerait le fonctionnement des autorités
et des institutions des États membres, il suffit de rappeler que le règlement
attaqué n’habilite ni la Commission ni le Conseil à procéder à un tel contrôle
en dehors d’un comportement d’une autorité d’un État membre ou d’une situation
imputable à une telle autorité qui se rapporte à l’exécution du budget de
l’Union et qui relève, partant, du champ d’application du droit de l’Union.
165 En effet,
ainsi qu’il a été constaté aux points 141 à 145 du présent arrêt, d’une part,
le règlement attaqué ne permet aux institutions de l’Union de procéder à un
examen de situations dans les États membres que pour autant que celles-ci sont
pertinentes pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la
protection des intérêts financiers de l’Union et, d’autre part, des mesures
appropriées ne peuvent être adoptées au titre de ce règlement que lorsqu’il est
établi que de telles situations comportent une violation de l’un des principes
de l’État de droit qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter
atteinte, d’une manière suffisamment directe, à cette bonne gestion financière
ou à la protection de ces intérêts financiers.
166 En second
lieu, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle le règlement attaqué
aurait pour effet de contourner la procédure prévue à l’article 7 TUE et
d’élargir les compétences de la Cour fixées à l’article 269 TFUE,
la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir, en substance,
que la procédure instituée par ce règlement concrétise, dans des cas
déterminés, la procédure visée à l’article 7 TUE et institue de ce fait une
procédure parallèle permettant de constater, au terme d’une analyse
approfondie, des violations des principes de l’État de droit par les États
membres. Ledit règlement permettrait d’attacher à de telles violations des
conséquences juridiques identiques à celles prévues à l’article 7 TUE, alors
même que ni cette disposition ni aucune autre disposition des traités
n’habiliterait le législateur de l’Union à le faire. Ce faisant, le même
règlement enfreindrait l’équilibre institutionnel tel qu’établi à l’article 7
TUE, à l’article 13, paragraphe 2, TUE ainsi qu’à l’article 269 TFUE, en accordant de nouvelles compétences au Conseil, à
la Commission et à la Cour.
167 À cet
égard, premièrement, il y a lieu de relever que le législateur de l’Union ne
saurait instaurer, sans violer l’article 7 TUE, une procédure parallèle à celle
prévue à cette disposition, qui aurait, en substance, le même objet,
poursuivrait le même objectif et permettrait l’adoption de mesures identiques,
tout en prévoyant l’intervention d’autres institutions ou des conditions
matérielles et procédurales différentes de celles prévues à ladite disposition.
168 Toutefois, il
est loisible au législateur de l’Union, lorsqu’il dispose d’une base juridique
à cette fin, d’instituer, dans un acte de droit dérivé, d’autres procédures
portant sur les valeurs que contient l’article 2 TUE, au nombre desquelles
figure l’État de droit, pour autant que ces procédures se distinguent tant par
leur but que par leur objet de la procédure prévue à l’article 7 TUE (voir, par
analogie, arrêt du 7 février 1979, France/Commission, 15/76 et 16/76, EU:C:1979:29, point 26 ; ordonnance du 11 juillet 1996, An Taisce et WWF UK/Commission, C‑325/94 P, EU:C:1996:293, point 25, ainsi que arrêt du 11 janvier
2001, Grèce/Commission, C‑247/98, EU:C:2001:4,
point 13).
169 En
l’espèce, s’agissant des finalités respectives de la procédure visée à
l’article 7 TUE et de celle prévue par le règlement attaqué, il résulte de
l’article 7, paragraphes 2 à 4, TUE que la procédure prévue à cet article
permet notamment au Conseil, lorsque le Conseil européen a constaté des
violations graves et persistantes par un État membre des valeurs que contient
l’article 2 TUE, de suspendre certains des droits découlant de l’application
des traités à cet État membre, y compris les droits de vote du représentant du
gouvernement de cet État membre au Conseil, et que le Conseil peut décider par
la suite de modifier les mesures qu’il a prises ou d’y mettre fin pour répondre
à des changements de la situation qui l’a conduit à imposer ces mesures.
170 La
procédure prévue à l’article 7 TUE a ainsi pour finalité de permettre au
Conseil de sanctionner des violations graves et persistantes des valeurs que
contient l’article 2 TUE, en vue, notamment, d’enjoindre à l’État membre
concerné de mettre un terme à ces violations.
171 En
revanche, ainsi qu’il ressort des points 110 à 120 du présent arrêt, il résulte
de la nature des mesures susceptibles d’être adoptées en vertu du règlement
attaqué ainsi que des conditions d’adoption et de levée de ces mesures que la
procédure instituée par ce règlement a pour finalité d’assurer, conformément au
principe de bonne gestion financière énoncé à l’article 310, paragraphe 5, et à
l’article 317, premier alinéa, TFUE, la protection du
budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un
État membre et non pas de sanctionner, au moyen du budget de l’Union, des
violations des principes de l’État de droit.
172 Il s’ensuit
que la procédure prévue par le règlement attaqué poursuit une finalité
différente de celle de l’article 7 TUE.
173 En ce qui
concerne l’objet de chacune de ces deux procédures, il y a lieu de relever que
le champ d’application de la procédure prévue à l’article 7 TUE porte sur
l’ensemble des valeurs que contient l’article 2 TUE, tandis que celui de la
procédure instituée par le règlement attaqué ne porte que sur l’une de ces
valeurs, à savoir l’État de droit.
174 De plus,
l’article 7 TUE permet d’appréhender toute violation grave et persistante d’une
valeur que contient l’article 2 TUE, tandis que le règlement attaqué n’autorise
l’examen des violations des principes de l’État de droit mentionnés à son
article 2, sous a), que pour autant qu’il existe des motifs raisonnables de
considérer qu’elles ont une incidence budgétaire.
175 Quant aux
conditions d’engagement des deux procédures, il convient de relever que la
procédure prévue à l’article 7 TUE peut être engagée, aux termes de son
paragraphe 1, lorsqu’il existe un risque clair de violation grave par un État
membre des valeurs que contient l’article 2 TUE, le droit d’initiative
appartenant à un tiers des États membres, au Parlement ou à la Commission, le
seuil requis étant initialement celui d’un risque clair d’une violation grave
de ces valeurs, puis, s’agissant de la suspension, en vertu de l’article 7,
paragraphes 2 et 3, TUE, de certains des droits découlant de l’application des
traités à l’État membre concerné, d’une violation grave et persistante par
celui-ci de ces valeurs. En revanche, la procédure instituée par le règlement
attaqué peut être engagée par la seule Commission, lorsqu’il existe des motifs
raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de
l’État de droit ont eu lieu dans un État membre, mais aussi et surtout que ces
violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte
à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses
intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.
176 Par
ailleurs, la seule condition matérielle requise pour l’adoption de mesures au
titre de l’article 7 TUE réside dans la constatation, par le Conseil européen,
de l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des
valeurs que contient l’article 2 TUE. En revanche, ainsi qu’il a été relevé au
point 147 du présent arrêt, selon l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement
attaqué, des mesures au titre de ce règlement ne peuvent être prises que
lorsque deux conditions sont réunies. D’une part, il doit être établi qu’une
violation des principes de l’État de droit dans un État membre concerne au
moins l’une des situations ou l’un des comportements des autorités visés à ce
paragraphe 2, pour autant qu’ils sont pertinents pour la bonne gestion
financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de
l’Union. D’autre part, il doit également être démontré que ces violations
portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à cette
bonne gestion financière ou à ces intérêts financiers, d’une manière
suffisamment directe, cette condition impliquant ainsi d’établir l’existence
d’un lien réel entre ces violations et une telle atteinte ou un tel risque
sérieux d’atteinte.
177 Quant à la
nature des mesures pouvant être adoptées sur le fondement de l’article 7,
paragraphe 3, TUE, celles-ci consistent en la suspension de « certains des
droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question, y
compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au
Conseil » et peuvent, partant, porter sur tout droit découlant de l’application
des traités à l’État membre en question. En revanche, les mesures pouvant être
adoptées en vertu du règlement attaqué sont, pour leur part, limitées à celles
énumérées à son article 5, paragraphe 1, et résumées au point 112 du présent
arrêt, qui sont toutes de nature budgétaire.
178 Enfin,
l’article 7 TUE n’envisage la modification et la levée des mesures adoptées que
pour répondre à des changements de la situation ayant conduit à leur adoption.
En revanche, l’article 7, paragraphe 2, deuxième et troisième
alinéas, du règlement attaqué rattache la levée et la modification des
mesures adoptées aux conditions d’adoption des mesures visées à l’article 4 de
ce règlement. Partant, ces mesures peuvent être levées ou modifiées non
seulement dans l’hypothèse où il est mis fin, au moins en partie, aux
violations des principes de l’État de droit dans l’État membre concerné, mais
surtout dans celle où ces violations, quoique perdurant, n’ont plus d’incidence
sur le budget de l’Union. Tel peut notamment être le cas lorsqu’elles ne
concernent plus au moins l’une des situations ou l’un des comportements des
autorités visés au paragraphe 2 de cet article, lorsque ces situations ou ces
comportements ne sont plus pertinents pour la bonne gestion financière du
budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union, lorsque
la violation ne porte plus atteinte ou ne présente plus un risque sérieux de
porter atteinte à cette bonne gestion ou à ces intérêts financiers, ou lorsque
le lien entre la violation d’un principe de l’État de droit et une telle
atteinte ou un tel risque sérieux ne présente plus un caractère suffisamment
direct.
179 Eu égard
aux considérations qui précèdent, il convient de constater que la procédure
prévue à l’article 7 TUE et celle instituée par le règlement attaqué
poursuivent des buts différents et ont chacune un objet nettement distinct.
180 Il s’ensuit
que, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, soutenue par la République
de Pologne, le règlement attaqué ne saurait être regardé comme instituant une
procédure parallèle contournant l’article 7 TUE.
181
Deuxièmement, s’agissant de l’argumentation de la Hongrie, soutenue par
la République de Pologne, selon laquelle le règlement attaqué porte atteinte à
l’équilibre institutionnel tel qu’établi à l’article 7 TUE et à l’article 13,
paragraphe 2, TUE, d’une part, il a été constaté aux deux points précédents du
présent arrêt que la procédure prévue à l’article 7 TUE et celle instituée par
le règlement attaqué poursuivent des finalités différentes et ont chacune un
objet distinct, de sorte que le règlement attaqué ne saurait être regardé comme
instituant une procédure parallèle contournant cette disposition.
182 Dans ces
conditions, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, n’est pas fondée
à soutenir que le règlement attaqué enfreint l’équilibre institutionnel établi
à l’article 7 TUE.
183 D’autre
part, s’agissant des exigences de l’article 13, paragraphe 2, TUE, aux termes
duquel « [c]haque institution agit dans les limites
des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux
procédures, conditions et fins prévues par ceux-ci », il ressort de l’article 6
du règlement attaqué que la Commission conduit cette procédure et que le
Conseil adopte, le cas échéant, sur proposition de la Commission, une décision
d’exécution arrêtant les mesures appropriées, étant précisé que, malgré la
référence, au considérant 26 de ce règlement, au Conseil européen, ledit
article 6 ne confère aucun rôle à celui-ci dans le cadre de la procédure
instituée par ledit règlement.
184 À cet
égard, tout d’abord, conformément à l’article 317, premier alinéa, TFUE, la Commission exécute le budget de l’Union en
coopération avec les États membres sous sa propre responsabilité, conformément
au principe de la bonne gestion financière, de sorte que son rôle dans la
procédure instituée par le règlement attaqué est conforme aux attributions qui
lui sont conférées par cette disposition.
185 Ensuite,
ainsi que l’a fait valoir à bon droit le Conseil, l’intervention de ce dernier
peut être fondée sur l’article 322, paragraphe 1, sous a), et l’article 291,
paragraphe 2, TFUE, de sorte qu’elle n’enfreint pas
la compétence dont est investie la Commission en vertu de l’article 317,
premier alinéa, TFUE.
186 En effet,
d’une part, comme il a été constaté au point 99 du présent arrêt, les règles
financières qui fixent « notamment les modalités relatives à l’exécution du
budget », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE,
ont vocation à régir l’ensemble des aspects liés à l’exécution du budget de
l’Union couverts par le titre II de la sixième partie du traité FUE et donc cette exécution au sens large.
187 Ainsi, le
mécanisme de conditionnalité horizontale institué par le règlement attaqué
relève d’une conception de l’exécution budgétaire excédant celle qui, définie à
l’article 2, point 7, du règlement financier comme étant la réalisation des
activités liées à la gestion, au suivi, au contrôle et à l’audit des crédits
budgétaires, relève, selon l’article 317, premier alinéa, TFUE,
des attributions de la Commission en coopération avec les États membres.
188 D’autre
part, l’article 291, paragraphe 2, TFUE permet, dans
des cas spécifiques dûment justifiés, de conférer au Conseil des compétences
d’exécution lorsque des conditions uniformes d’exécution d’actes juridiquement
contraignants de l’Union sont nécessaires. À cet égard, il ressort de l’article
6, paragraphes 9 à 11, du règlement attaqué que les mesures susceptibles d’être
adoptées par le Conseil au titre de ce règlement sont des décisions
d’exécution, le considérant 20 dudit règlement précisant que ces compétences
d’exécution sont conférées au Conseil afin d’assurer des conditions uniformes
d’exécution dudit règlement, compte tenu de l’importance des incidences
financières de telles mesures.
189 Ces
éléments suffisent pour considérer que l’attribution au Conseil d’une
compétence aux fins de l’adoption des mesures appropriées visées à l’article 5,
paragraphe 1, du règlement attaqué est dûment justifiée.
190 Enfin,
l’absence de compétence attribuée au Conseil européen dans le cadre de la
procédure instituée à l’article 6 du règlement attaqué est conforme aux
attributions qui lui sont conférées par l’article 15, paragraphe 1, TUE, aux
termes duquel le Conseil européen, sans exercer de fonction législative, donne
à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les
orientations et les priorités politiques générales.
191 S’il est
vrai que le considérant 26 du règlement attaqué prévoit que le Conseil européen
peut, à la demande de l’État membre faisant l’objet de la procédure menée en
vertu de l’article 6 de ce règlement, débattre de la question de savoir si, au
cours de cette procédure, les principes d’objectivité, de non-discrimination et
d’égalité des États membres devant les traités sont respectés, il suffit de
relever qu’une telle intervention, à titre exceptionnel, du Conseil européen
n’est pas prévue audit article 6 ni dans aucune autre disposition dudit
règlement. Dans ces conditions, compte tenu de ce que le préambule d’un acte de
l’Union n’a pas de valeur contraignante (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre
2019, Puppinck e.a./Commission, C‑418/18 P, EU:C:2019:1113, point 76 ainsi que
jurisprudence citée), ce considérant 26 ne saurait être invoqué pour déroger
aux dispositions mêmes du règlement attaqué ni pour interpréter ces
dispositions dans un sens contraire à leur libellé.
192
Troisièmement, pour autant que la Hongrie, soutenue par la République de
Pologne, fait valoir que la Cour sera appelée à apprécier, dans le cadre du
contrôle juridictionnel d’une décision adoptée par le Conseil au titre de
l’article 6, paragraphe 10, du règlement attaqué, l’existence de violations par
un État membre des principes de l’État de droit et considère que la compétence
qui lui est ainsi attribuée constitue une violation de l’article 13, paragraphe
2, TUE et de l’article 269 TFUE, il importe de
relever que ce dernier article ne vise, selon son libellé, que le contrôle de
légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de
l’article 7 TUE.
193 Dans ces
conditions, et eu égard aux constatations effectuées aux points 179 et 180 du
présent arrêt, le contrôle de légalité que la Cour peut être amenée à opérer,
en particulier lors d’un recours en annulation introduit sur le fondement de
l’article 263 TFUE, sur des décisions du Conseil
prises au titre de l’article 6, paragraphe 10, du règlement attaqué ne relève
pas du champ d’application de l’article 269 TFUE et
n’est dès lors pas soumis aux règles spécifiques prévues à ce dernier.
194 Il s’ensuit
que le règlement attaqué n’attribue aucune nouvelle compétence à la Cour.
195 Enfin, il a
été constaté au point 165 du présent arrêt que, d’une part, le règlement
attaqué ne permet aux institutions de l’Union de procéder à un examen de
situations dans les États membres que pour autant que celles-ci sont
pertinentes pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la
protection des intérêts financiers de l’Union et, d’autre part, des mesures
appropriées ne peuvent être adoptées au titre de ce règlement que lorsqu’il est
établi que de telles situations comportent une violation de l’un des principes
de l’État de droit qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter
atteinte, d’une manière suffisamment directe, à cette bonne gestion financière
ou à la protection de ces intérêts financiers.
196 Or, de telles
situations se rapportant à l’exécution du budget de l’Union et relevant ainsi
du champ d’application du droit de l’Union, la Hongrie, soutenue par la
République de Pologne, ne saurait faire valoir que la Cour est incompétente
pour examiner les appréciations du Conseil figurant dans des décisions adoptées
au titre de l’article 6, paragraphe 10, du règlement attaqué.
197 Il s’ensuit
que les allégations de la Hongrie, soutenue par la République de Pologne,
tirées d’un contournement de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE, doivent être écartées comme étant non fondées.
198 Il résulte
des considérations qui précèdent que les premier et deuxième
moyens doivent être rejetés comme étant non fondés.
2. Sur le troisième moyen, tiré
de la violation du principe de sécurité juridique
a) Argumentation des parties
199 Par le
troisième moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir
que le règlement attaqué méconnaît les principes de sécurité juridique et de
clarté des normes, reconnus en tant que principes généraux de droit de l’Union,
au motif que les notions figurant dans ce règlement, sur la base desquelles il
peut être constaté qu’un État membre a violé les principes de l’État de droit,
ne font l’objet d’aucune définition uniforme dans les États membres. Elle
considère en particulier que la notion d’« État de
droit », telle qu’elle est définie à l’article 2, sous a), dudit règlement,
fait apparaître de graves incertitudes conceptuelles et de graves incohérences
qui pourraient mettre en péril l’interprétation des valeurs de l’Union et
conduire à une application du même règlement qui serait contraire à ces
valeurs.
200 En premier lieu,
la Hongrie expose que l’État de droit est un idéal ou, tout au plus, un point
d’orientation, qui n’est jamais pleinement atteint et dont le respect devrait
dès lors être apprécié en termes relatifs, aucun État ne pouvant prétendre y
adhérer de manière parfaite. Cet idéal, qui caractérise la démocratie moderne,
se serait développé selon un cheminement complexe au cours des siècles,
aboutissant, comme il ressortirait de l’étude no 512/2009, du 28
mars 2011, de la Commission de Venise, intitulé « Rapport sur la prééminence du
droit », à une conception complexe échappant à une définition précise et dont
la substance est en constante évolution.
201 Cette
conception de l’État de droit résulterait également de l’étude no
711/2013, du 18 mars 2016, de la Commission de Venise établissant une « liste
des critères de l’État de droit », étude à laquelle le considérant 16 du
règlement attaqué fait d’ailleurs référence. En effet, selon les points 12 et
18 de cette étude, les éléments essentiels de la notion d’«
État de droit » ne définiraient pas cette notion et seraient eux-mêmes des
catégories théoriques et des principes pouvant être subdivisés à leur tour en
plusieurs autres principes. En outre, il ressortirait des points 29 et 30 de
ladite étude que les critères de l’État de droit qu’elle définit ne seraient
pas exhaustifs et ne pourraient pas être transformés en règles.
202 À cet
égard, la Hongrie rappelle que l’Union respecte, selon l’article 4, paragraphe
2, TUE, l’identité nationale des États membres, dont leurs structures
fondamentales politiques et constitutionnelles font partie. Or, le mécanisme
mis en place par le règlement attaqué ne serait pas conforme à cette garantie
fondamentale, dès lors que la procédure qu’il établit permettrait d’examiner la
législation ou la pratique d’un État membre même lorsque celle-ci ne relève pas
du champ d’application du droit de l’Union.
203 Les
incertitudes conceptuelles qui affectent la notion d’«
État de droit » seraient encore aggravées par le fait que les représentants de
la Commission ont indiqué à plusieurs reprises que les constatations figurant
dans le rapport annuel de la Commission sur l’État de droit seraient utilisées
dans le cadre de l’application du règlement attaqué, alors même que ce
règlement ne comporte aucune référence à ce rapport. Par ailleurs, la
Commission aurait examiné dans ledit rapport l’application des exigences de
l’État de droit dans des domaines qui ne correspondraient ni aux notions
employées dans le règlement attaqué en relation avec les principes de l’État de
droit ni à la liste des critères de l’État de droit dégagés par la Commission
de Venise dans son étude mentionnée au point 201 du présent arrêt.
204 La Hongrie
considère que la Commission a une perception des éléments constitutifs de
l’État de droit différente de celle de la Commission de Venise et de celle dont
procèdent les notions figurant dans le règlement attaqué, de sorte que
l’application de ce règlement par cette institution peut devenir imprévisible
au point d’être incompatible avec le principe de sécurité juridique, lequel
constitue lui-même un aspect de l’État de droit.
205 En deuxième
lieu, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, estime que le
législateur de l’Union a vainement tenté, à l’article 2, sous a), du règlement
attaqué, d’expliciter les éléments constitutifs de la notion d’« État de droit ». En effet, cette disposition se bornerait
à reprendre des éléments parallèles figurant à l’article 2 TUE et qui
présentent un même niveau d’abstraction, comme le respect des droits
fondamentaux, l’interdiction de toute discrimination et le principe de la
protection juridictionnelle effective, lesquels seraient également garantis
distinctement dans les traités. Cette circonstance confirmerait ainsi le fait
que les valeurs de l’article 2 TUE inspirent la coopération politique au sein
de l’Union, mais ne revêtent pas de contenu juridique propre. En définissant la
notion d’« État de droit » dans une réglementation
sectorielle et en permettant ainsi que d’autres actes de droit dérivé recourent
à une conception différente de cette notion, le législateur de l’Union saperait
l’interprétation de celle-ci en tant que valeur commune de l’Union, telle que
définie par la communauté des États membres au titre de l’article 2 TUE.
206 De plus,
après avoir défini, à son article 2, sous a), la notion d’«
État de droit », le règlement attaqué présenterait, à son article 3, à titre
indicatif, des cas de « violations des principes de l’État de droit » qui
n’auraient, en réalité, qu’un lien marginal avec la définition de cette notion.
De même, la relation entre, d’une part, l’article 4, paragraphe 2, dudit
règlement, qui précise les situations et les comportements sur lesquels doivent
porter les violations de ces principes, et, d’autre part, les notions d’« État de droit » ainsi que de « principes de l’État de
droit », ne serait pas clairement déterminable. Ainsi, l’examen conjoint des
cas de violations des principes de l’État de droit, figurant à titre indicatif
à l’article 3 du règlement attaqué, avec la définition de la notion d’« État de droit », figurant à l’article 2, sous a), de
celui-ci, ne permettrait pas d’exclure que des situations qui ne sont pas liées
à la bonne gestion des ressources du budget de l’Union fassent l’objet de
sanctions.
207 La Hongrie,
soutenue par la République de Pologne, fait valoir que le fait, pour les
autorités publiques, d’adopter un comportement fondé sur le droit, dépourvu
d’arbitraire et susceptible de faire l’objet d’un recours devant une juridiction
répond aux éléments constitutifs de l’État de droit. Elle considère, en
revanche, que « le fait de ne pas prévenir [...] la retenue de ressources
financières et humaines affectant [le] bon fonctionnement [des autorités
publiques] », « le fait de ne pas veiller à l’absence de conflits d’intérêts »
ou encore « le fait de ne pas prévenir [...] les décisions[...] illégales »,
visés à l’article 3, sous b), du règlement attaqué, ne présentent qu’un lien
éloigné et indirect avec la notion d’« État de droit », entraînant une rupture
du lien entre la finalité et le contenu de cette norme. Or, si le législateur
de l’Union avait entendu pénaliser de telles défaillances, qui sont
essentiellement de nature administrative, au motif qu’elles portent atteinte au
budget de l’Union, il aurait pu les sanctionner sans recourir à cette notion.
208 En
troisième lieu, la Hongrie relève qu’il ressort d’une étude réalisée par le
Parlement au cours de l’année de 2015, intitulée « The General Principles of
EU Administrative Procedural Law » (Les principes
généraux du droit de la procédure administrative de l’Union européenne), que la
notion d’« État de droit » est à ce point générale que son contenu précis ne
peut être établi que par ses éléments constitutifs, parmi lesquels figure le
principe de sécurité juridique, lequel exige que les règles de droit soient
claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés
puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de
l’ordre juridique de l’Union. Ces exigences devraient donc également être
satisfaites lorsqu’un mécanisme de sanction est institué pour des manquements à
l’État de droit.
209 Or, outre
la divergence entre la notion d’« État de droit » et
les « principes de l’État de droit », le règlement attaqué se référerait, à son
article 3 ainsi qu’à son article 4, paragraphe 2, à des expressions qu’il ne
définirait pas de façon suffisamment précise pour qu’il soit possible
d’anticiper les conditions dans lesquelles une violation des principes de
l’État de droit peut être constatée. Il en irait ainsi du « bon fonctionnement
[des autorités] », du « contrôle juridictionnel effectif par des juridictions
indépendantes [...] des autorités », de « la coopération effective et en temps
utile avec l’OLAF » et « d’autres situations ou comportements des autorités qui
sont pertinents [...] ». Aussi, la Commission et le Conseil se verraient-ils
accorder une marge d’appréciation à ce point étendue qu’elle serait
incompatible avec une procédure susceptible de mener à des sanctions.
210
Conformément à une jurisprudence constante des juridictions de l’Union,
la législation de l’Union devrait être certaine et son application prévisible
pour les justiciables, cet impératif s’imposant avec une rigueur particulière
dans le cas d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences
financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude
l’étendue des obligations qu’elle leur impose. Cet impératif s’étendrait à la
prévisibilité des modes de preuve et des méthodes utilisés dans les procédures
de sanction.
211 La Hongrie
expose que le principe de sécurité juridique ne s’oppose certes pas à ce que la
loi réglemente une question de manière générale et abstraite, les juridictions
étant alors chargées, lors de l’application de celle-ci, de procéder à son
interprétation. Elle estime néanmoins que, eu égard à l’obligation de «
protéger » l’identité nationale des États membres, l’État de droit et les
principes de l’État de droit doivent pouvoir faire l’objet d’une appréciation
différente dans chacun des États membres, ce d’autant plus que les institutions
de l’Union n’apprécient pas toujours de manière uniforme les différentes
situations juridiques. Or, un élément fondamental de l’État de droit et de la
sécurité juridique consisterait dans le fait que le droit doit être formulé de
telle sorte que des situations semblables soient traitées de façon semblable.
En raison des défaillances conceptuelles du règlement attaqué et de
l’impossibilité de définir la notion d’« État de droit
» avec précision, ce règlement ne satisferait pas à cette condition de base
d’une application uniforme de la loi.
212 La Hongrie
indique, à titre d’exemple, que la Commission n’a pas, dans ses rapports
annuels sur l’État de droit, regardé comme étant constitutif d’un abus le fait
que le parquet puisse, dans certains États membres, recevoir des instructions
de l’exécutif, alors que la Cour a exprimé de sérieuses préoccupations à cet
égard dans des affaires où était en cause l’exécution d’un mandat d’arrêt
européen. Ainsi, il serait difficile de déterminer si, dans un pareil cas, il
est satisfait ou non à l’exigence du bon fonctionnement des autorités chargées
des poursuites. Quant au degré requis de coopération avec l’OLAF, cet État
membre se demande, tout d’abord, s’il pourrait être mesuré par rapport aux
poursuites engagées sur la base des recommandations de l’OLAF, ensuite, si,
pour se conformer au règlement attaqué, il y aurait lieu de fixer un
pourcentage de poursuites sur la base de ces recommandations et, enfin, si,
afin d’atteindre ce seuil, il conviendrait de pouvoir donner des instructions
au parquet dans des affaires individuelles, alors même que l’existence de
telles instructions permettrait de s’interroger sur l’impartialité et la
légalité des poursuites ainsi que sur l’indépendance du parquet. La Hongrie
relève également qu’un seuil de condamnations sur la base de telles
recommandations mettrait en doute l’indépendance du pouvoir judiciaire. Compte
tenu de ces interrogations, la Hongrie craint qu’une contradiction puisse se
produire entre les conditions examinées par la Commission dans le cadre du
mécanisme institué par le règlement attaqué, d’une part, et les exigences
fondamentales posées par la Cour et par les dispositions constitutionnelles
nationales, d’autre part.
213 En
quatrième lieu, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir
que certaines dispositions du règlement attaqué violent le principe de sécurité
juridique et que ces violations devraient entraîner l’annulation de ce
règlement dans son ensemble.
214
Premièrement, l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, en ce
qu’il autorise l’adoption de mesures dès qu’il existe un « risque » d’atteinte
au budget de l’Union, permettrait l’adoption de sanctions dans des situations
incertaines ou non démontrées. En effet, en l’absence d’atteinte concrète à ce
budget, l’application de sanctions serait arbitraire et enfreindrait le
principe de sécurité juridique, la détermination objective, technique et
factuelle par la Commission des conditions d’adoption de mesures étant alors
impossible. Dans une telle situation, les seuls critères objectifs pour
justifier l’adoption de mesures seraient la gravité et la nature de la
violation de l’État de droit, ce qui serait toutefois incompatible avec la base
juridique du règlement attaqué.
215
Deuxièmement, serait contraire au principe de sécurité juridique, selon
lequel une norme permettant l’adoption de sanctions doit énumérer de manière précise
et exhaustive les comportements susceptibles de faire l’objet de sanctions, le
fait que l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué permettrait, à son
point h), en dehors des cas visés à ses points a) à g), l’adoption de mesures
en présence « d’autres situations ou comportements des autorités », qui ne sont
pas définis. Ce point h) aurait pour seule spécificité, par rapport au contenu
de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, d’indiquer que la situation ou
le comportement incriminé doit être imputable à « des autorités », mais il
n’apporterait, contrairement à d’autres dispositions dudit règlement, aucune
précision quant à la nature de ces « autorités ». Cette notion pourrait, dès
lors, couvrir tout groupe d’individus ayant des responsabilités officielles
pour un domaine d’activité donné, car, selon une jurisprudence constante, la
notion d’« autorité » est entendue au sens large dans
les différents actes de droit de l’Union.
216 En outre,
il ne ressortirait pas clairement de la comparaison entre les versions en
langues allemande, anglaise et française du règlement attaqué que, dans
l’expression « andere Umstände
oder Verhaltensweisen von Behörden », « other
situations or conduct of authorities
» ou « autres situations ou comportements des autorités », le mot « situations
» est ou non lié au mot « autorités ». Certes, à première vue, l’expression « Umstände von Behörden
», « situations of authorities » ou «
situations des autorités » ne semblerait pas avoir de sens, mais la version en
langue hongroise de cette disposition lierait le mot « situation » à celui d’« autorités », de sorte que ladite disposition ne
satisferait pas à l’exigence de clarté de la norme.
217 La Hongrie
en déduit que le point h) de l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué
prive de sens l’énumération figurant aux points a) à g) de cette disposition,
en lui conférant un caractère non exhaustif, qui est incompatible avec le
principe de sécurité juridique.
218
Troisièmement, l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement
attaqué, en ce qu’il se borne à prévoir que les mesures à adopter doivent
prendre en compte la nature, la durée, la gravité et la portée des violations
des principes de l’État de droit, sans définir précisément la nature et
l’étendue de ces mesures, enfreindrait également le principe de sécurité
juridique. Cette disposition ne fixerait, en effet, aucun critère concret aux
fins d’apprécier le caractère justifié, nécessaire ou proportionné d’une mesure
ni ne préciserait le type de violation des principes de l’État de droit qui
peut servir de base pour déterminer la nature et l’étendue d’une mesure de
sanction.
219
Quatrièmement, la Hongrie considère que l’article 5, paragraphe 3,
dernière phrase, du règlement attaqué, en ce qu’il indique que les mesures à
adopter doivent cibler « dans la mesure du possible » les actions de l’Union
auxquelles les violations portent atteinte, ne permet pas de garantir
l’existence d’un lien direct entre la violation des principes de l’État de
droit qui a été constatée et l’adoption des mesures de protection du budget de
l’Union. Cette disposition rendrait ainsi possible l’adoption de mesures en
rapport avec un programme de l’Union avec lequel la violation des principes de
l’État de droit qui a été constatée est dépourvue de tout lien réel, ce qui
méconnaîtrait, outre le principe de proportionnalité, le principe de sécurité
juridique. En outre, cette méconnaissance confirmerait le fait que le règlement
attaqué est un instrument non pas de protection du budget de l’Union, mais de
sanction de l’État de droit non couvert par la base juridique de l’article 322,
paragraphe 1, sous a), TFUE.
220
Cinquièmement, l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué, en
ce qu’il permet à la Commission de prendre en compte, lors des différentes
étapes de l’évaluation qui lui incombe d’effectuer, « des informations
pertinentes provenant de sources disponibles, y compris les décisions,
conclusions et recommandations des institutions de l’Union, d’autres
organisations internationales pertinentes et d’autres institutions reconnues »,
ne définirait pas de manière suffisamment précise les sources d’information
admissibles dans ce cadre, puisqu’il ne ferait pas apparaître sur quelle base
la Commission doit examiner et apprécier l’existence ou le risque d’une
violation des principes de l’État de droit.
221 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent
cette argumentation.
b) Appréciation de la Cour
222 Par le
troisième moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait
valoir, en substance, en premier lieu, que la notion d’«
État de droit » ne se prête pas à une définition précise et ne peut faire
l’objet d’une interprétation uniforme, en raison de l’obligation de respecter
l’identité nationale de chacun des États membres. L’article 2, sous a), du
règlement attaqué inclurait des valeurs parallèles que contient l’article 2
TUE, présentant le même niveau d’abstraction, qui seraient également garanties
distinctement dans les traités, confirmant ainsi que ces valeurs seraient de
nature politique et non juridique. En outre, en définissant la notion d’« État de droit » dans une réglementation sectorielle, le
législateur de l’Union saperait l’interprétation de cette notion en tant que
valeur commune de l’Union. En deuxième lieu, le rapport entre l’article 2, sous
a), l’article 3, et l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué ne serait
pas clairement déterminable et leur application conjointe ne permettrait pas
d’exclure que des situations qui ne sont pas liées à la bonne gestion
financière des ressources du budget de l’Union ou à la protection de ses
intérêts financiers fassent l’objet de sanctions. De même, les termes employés
à l’article 3, sous b), de ce règlement ne présenteraient qu’un lien éloigné avec
la notion d’« État de droit », ce qui entraînerait une
rupture du lien entre la finalité et le contenu de cette norme. En troisième
lieu, ledit règlement se référerait, à son article 3 et à son article 4,
paragraphe 2, à des expressions trop imprécises pour permettre d’anticiper les
conditions sur la base desquelles une violation des principes de l’État de
droit peut être établie. De ce fait, la Commission et le Conseil disposeraient
d’une marge d’appréciation excessive dans le cadre d’une procédure susceptible
de mener à des sanctions. En quatrième lieu, la notion de « risque », employée
à l’article 4, paragraphe 1, du même règlement, induirait l’existence d’une
présomption qui ne permettrait d’établir aucun lien, sous l’angle juridique,
entre l’État de droit et une atteinte au budget de l’Union ou à ses intérêts
financiers, et qui permettrait donc d’infliger des sanctions dans des
situations où une telle atteinte n’est pas démontrée. De surcroît, l’article 4,
paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué serait rédigé dans des termes peu
clairs et la liste dressée par ce paragraphe 2 ne serait pas exhaustive, alors
qu’il sert de fondement à l’adoption de sanctions. En cinquième lieu, l’article
5, paragraphe 3, troisième phrase, de ce règlement ne définirait pas
suffisamment, la nature et l’étendue des mesures pouvant être adoptées. En
sixième lieu, les termes « dans la mesure du possible », figurant à l’article
5, paragraphe 3, quatrième phrase, dudit règlement, rompraient le lien entre la
violation qui a été constatée et l’adoption des mesures de protection. En
septième lieu, l’article 6, paragraphes 3 et 8, du même règlement ne définirait
pas de manière suffisamment précise les sources d’information sur lesquelles la
Commission peut s’appuyer.
223 Selon une
jurisprudence constante de la Cour, le principe de sécurité juridique exige,
d’une part, que les règles de droit soient claires et précises et, d’autre
part, que leur application soit prévisible pour les justiciables, en
particulier lorsqu’elles peuvent avoir des
conséquences défavorables. Ledit principe exige notamment qu’une réglementation
permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations
qu’elle leur impose et que ces derniers puissent connaître sans ambiguïté leurs
droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt
du 29 avril 2021, Banco de Portugal e.a., C‑504/19, EU:C:2021:335, point 51 ainsi que jurisprudence
citée).
224 Pour
autant, ces exigences ne sauraient être comprises comme s’opposant à ce que le
législateur de l’Union, dans le cadre d’une norme qu’il adopte, emploie une
notion juridique abstraite, ni comme imposant qu’une telle norme abstraite
mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible
de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être
déterminées à l’avance par le législateur (voir, par analogie, arrêt du 20
juillet 2017, Marco Tronchetti Provera
e.a., C‑206/16, EU:C:2017:572, points 39 ainsi
que 40).
225 En
conséquence, le fait qu’un acte législatif confère un pouvoir d’appréciation
aux autorités chargées de sa mise en œuvre ne méconnaît pas en soi l’exigence
de prévisibilité, à la condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un
tel pouvoir soient définies avec une netteté suffisante, eu égard au but
légitime en jeu, pour fournir une protection adéquate contre l’arbitraire
(voir, en ce sens, arrêts du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08
P, EU:C:2010:346, point 94, ainsi que du 18 juillet
2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522,
point 57).
226 C’est au
regard de ces considérations qu’il convient d’apprécier les arguments invoqués
par la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, à l’appui de son moyen
tiré d’une violation du principe de sécurité juridique, en examinant, en
premier lieu, ceux tirés de ce que la notion d’« État de droit » échappe à
toute définition précise et ne peut faire l’objet d’une interprétation
uniforme, en raison de l’obligation de « protéger » l’identité nationale de
chacun des États membres, ceux pris de ce que la notion d’État de droit définie
à l’article 2, sous a), du règlement attaqué inclut d’autres valeurs que
contient l’article 2 TUE, toutes ces valeurs étant de nature politique et non
juridique, et ceux tirés de ce que cette dernière disposition a pour effet de
saper l’interprétation de la notion d’« État de droit » comme valeur commune de
l’Union.
227 À cet
égard, premièrement, l’article 2, sous a), du règlement attaqué ne vise pas à
définir de manière exhaustive cette notion, mais se borne à spécifier, aux
seules fins de ce règlement, plusieurs des principes que celle-ci recouvre et
qui sont, selon le législateur de l’Union, les plus pertinents au regard de
l’objet dudit règlement, qui consiste à assurer la protection du budget de
l’Union.
228
Deuxièmement, ainsi qu’il a été précisé au point 136 du présent arrêt,
la notion d’« État de droit » visée à l’article 2,
sous a), du règlement attaqué s’entend comme étant « la valeur de l’Union
consacrée à l’article 2 [TUE] », cette notion recouvrant les principes
mentionnés audit article 2, sous a). Il s’ensuit que cette disposition n’a pas
pour effet de saper l’interprétation de la notion d’«
État de droit » comme valeur commune de l’Union telle qu’elle découle de
l’article 2 TUE.
229
Troisièmement, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, soutenue
par la République de Pologne, les principes énoncés à l’article 2, sous a), du
règlement attaqué n’excèdent pas les limites de la notion d’«
État de droit ». En particulier, la référence à la protection des droits
fondamentaux n’est effectuée qu’à titre d’illustration des exigences du
principe de protection juridictionnelle effective, également garantie à
l’article 19 TUE et dont la Hongrie reconnaît elle-même qu’elle fait partie de
cette notion. Il en va de même de la référence au principe de
non-discrimination. En effet, si l’article 2 TUE mentionne de manière distincte
l’État de droit en tant que valeur commune aux États membres et le principe de
non-discrimination, force est de constater qu’un État membre dont la société
est caractérisée par la discrimination ne saurait être considéré comme assurant
le respect de l’État de droit, au sens de cette valeur commune.
230 Cette constatation
est corroborée par le fait que, dans l’étude mentionnée au point 201 du
présent arrêt et à laquelle fait référence le considérant 16 du règlement
attaqué, la Commission de Venise a indiqué notamment que la notion d’« État de
droit » repose sur un droit sûr et prévisible, dans lequel toute personne a le
droit d’être traitée par les décideurs de manière digne, égale et rationnelle,
dans le respect du droit existant, et de disposer de voies de recours pour
contester les décisions devant des juridictions indépendantes et impartiales,
selon une procédure équitable. Or, ces caractéristiques sont précisément
reflétées à l’article 2, sous a), de ce règlement.
231
Quatrièmement, l’obligation tenant au respect de l’État de droit et dont
la méconnaissance est susceptible de relever du mécanisme de conditionnalité
horizontale institué à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, lu à la
lumière des principes énoncés à l’article 2, sous a), de ce règlement, est une
expression spécifique des exigences résultant, pour les États membres, de leur
appartenance à l’Union, en vertu de l’article 2 TUE. En effet, cette obligation
constitue une obligation de résultat qui, ainsi qu’il a été rappelé aux points
124 à 127 du présent arrêt, découle directement des engagements pris par les
États membres les uns vis-à-vis des autres ainsi qu’à l’égard de l’Union.
232 À cet
égard, il importe de rappeler que l’article 2 TUE ne constitue pas une simple
énonciation d’orientations ou d’intentions de nature politique, mais contient
des valeurs qui relèvent, ainsi qu’il a été relevé au point 127 du présent
arrêt, de l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun, valeurs
qui sont concrétisées dans des principes contenant des obligations
juridiquement contraignantes pour les États membres.
233 Or, même
si, ainsi qu’il ressort de l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’Union respecte
l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures
fondamentales politiques et constitutionnelles, de sorte que ces États
disposent d’une certaine marge d’appréciation pour assurer la mise en œuvre des
principes de l’État de droit, il n’en découle nullement que cette obligation de
résultat peut varier d’un État membre à l’autre.
234 En effet,
tout en disposant d’identités nationales distinctes, inhérentes à leurs
structures fondamentales politiques et constitutionnelles, que l’Union
respecte, les États membres adhèrent à une notion d’«
État de droit » qu’ils partagent, en tant que valeur commune à leurs traditions
constitutionnelles propres, et qu’ils se sont engagés à respecter de manière
continue.
235 Partant, et
nonobstant la circonstance selon laquelle la Commission et le Conseil doivent
effectuer leurs appréciations en tenant dûment compte des circonstances et des
contextes spécifiques à chaque procédure menée au titre du règlement attaqué
et, en particulier, en prenant en considération les particularités du système
juridique de l’État membre en cause et la marge d’appréciation dont cet État
membre dispose pour assurer la mise en œuvre des principes de l’État de droit,
cette exigence n’est aucunement incompatible avec l’application de critères
d’appréciation uniformes.
236 Ensuite,
s’il est vrai que l’article 2, sous a), du règlement attaqué ne détaille pas
les principes de l’État de droit qu’il mentionne, il n’en demeure pas moins que
le considérant 3 de ce règlement rappelle que les principes de légalité, de
sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de
protection juridictionnelle effective et de séparation des pouvoirs, visés à
cette disposition, ont fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour.
Il en va de même des principes d’égalité devant la loi et de
non-discrimination, également mentionnés, ainsi qu’il ressort notamment des
points 94 et 98 de l’arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement (C‑650/18, EU:C:2021:426), ainsi que des
points 57 et 58 de l’arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en
cas de violence domestique) (C‑930/19, EU:C:2021:657).
237 Ces principes
de l’État de droit, tels que développés sur le fondement des traités de l’Union
dans la jurisprudence de la Cour, sont ainsi reconnus et précisés dans l’ordre
juridique de l’Union et trouvent leur source dans des valeurs communes
reconnues et appliquées également par les États membres dans leurs propres
ordres juridiques.
238 En outre,
les considérants 8 à 10 et 12 du règlement attaqué mentionnent les principales
exigences découlant de ces principes. En particulier, ils fournissent un
éclairage sur les cas qui peuvent être indicatifs de violations des principes
de l’État de droit, figurant à l’article 3 de ce règlement, ainsi que sur les
situations et les comportements que doivent concerner ces violations, décrits à
l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement, pour être susceptibles de justifier
l’adoption de mesures appropriées, au sens de l’article 4, paragraphe 1, du
même règlement.
239 Enfin, les
appréciations de la Commission et du Conseil sont soumises aux exigences
procédurales spécifiées à l’article 6, paragraphes 1 à 9, du règlement attaqué.
Ces exigences impliquent en particulier, ainsi que le relève le considérant 26
de ce règlement, l’obligation pour la Commission de se fonder sur des éléments
concrets et de respecter les principes d’objectivité, de non-discrimination et
d’égalité des États membres devant les traités lorsqu’elle mène des procédures
au titre de cette disposition. S’agissant de la détection et de l’évaluation
des violations des principes de l’État de droit, lesdites exigences doivent
être comprises à la lumière du considérant 16 dudit règlement, selon lequel
cette évaluation doit être objective, impartiale et équitable.
240 Dans ces
conditions, la Hongrie ne saurait alléguer que les États membres ne sont pas à
même de déterminer avec suffisamment de précision le contenu essentiel ainsi
que les exigences découlant de chacun des principes énumérés à l’article 2,
sous a), du règlement attaqué ni que ces principes sont de nature uniquement
politique et que le contrôle de leur respect n’est pas susceptible de faire
l’objet d’une appréciation strictement juridique.
241 En deuxième
lieu, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que le
rapport entre l’article 2, sous a), l’article 3 et l’article 4, paragraphe 2,
du règlement attaqué ne serait pas clairement déterminable, que l’application
conjointe de ces dispositions ne permettrait pas d’exclure que des situations
qui ne sont pas liées à la bonne gestion des ressources du budget de l’Union
fassent l’objet de sanctions et que des notions visées à l’article 3, sous b),
de ce règlement ne présenteraient qu’un lien éloigné avec la notion d’« État de
droit ».
242 À cet
égard, tout d’abord, il a été relevé aux points 136 à 138 et 147 du présent
arrêt que l’article 2, sous a), du règlement attaqué définit cette notion, aux
seules fins de celui-ci, comme recouvrant les principes de légalité, de
sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de
protection juridictionnelle effective, de séparation des pouvoirs, de
non-discrimination et d’égalité devant la loi, que l’article 3 de ce règlement,
en citant des cas qui peuvent être indicatifs de violations de ces principes,
vise à faciliter l’application dudit règlement, en explicitant les exigences
inhérentes à ces principes, et que l’article 4 du même règlement prévoit, à son
paragraphe 2, le champ d’application du mécanisme de conditionnalité
horizontale institué à son paragraphe 1, lequel exige que les violations des
principes de l’État de droit concernent les situations ou les comportements des
autorités qui sont énumérés à ses points a) à h), pour autant qu’ils sont
pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la
protection de ses intérêts financiers.
243 Il découle
de ce qui précède que l’article 2, sous a), l’article 3 et l’article 4,
paragraphe 2, du règlement attaqué présentent entre eux des liens suffisamment
précis au regard du principe de sécurité juridique.
244 Ensuite,
contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, soutenue par la République de
Pologne, l’application conjointe de ces dispositions n’implique nullement le
risque que des situations qui ne sont pas liées à la bonne gestion des
ressources du budget de l’Union puissent faire l’objet de mesures prises en
application de l’article 4 du règlement attaqué. En effet, ainsi qu’il a été
relevé au point 147 du présent arrêt, cet article limite, à son paragraphe 2,
le champ d’application du mécanisme de conditionnalité horizontale aux seuls
situations et comportements des autorités des États membres qui sont pertinents
pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection de
ses intérêts financiers et exige, à son paragraphe 1, qu’un lien réel soit
établi, dans tous les cas, entre des violations des principes de l’État de
droit, d’une part, et des atteintes ou des risques sérieux d’atteintes à cette
bonne gestion financière ou à la protection de ces intérêts financiers, d’autre
part.
245 Enfin, ne
sauraient être retenues les allégations de la Hongrie, soutenue par la
République de Pologne, selon lesquelles les expressions « le fait de ne pas
prévenir [...] la retenue de ressources financières et humaines affectant [le]
bon fonctionnement [des autorités publiques] », « le fait de ne pas veiller à
l’absence de conflits d’intérêts » ou encore le « fait de ne pas prévenir [...]
les décisions[...] illégales », exposées à l’article 3, sous b), du règlement
attaqué, ne présentent qu’un lien éloigné et indirect avec la notion d’« État de
droit ». En effet, ainsi qu’il résulte des considérants 9 et 10 de ce
règlement, ces situations peuvent conduire à la méconnaissance du principe de
l’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ou de celui de la protection
juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19,
C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393,
points 210 à 214, ainsi que du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19,
C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, points 195 à 213).
246 En
troisième lieu, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, allègue que
le règlement attaqué n’est pas conforme au principe de sécurité juridique en ce
qu’il se réfère, à son article 3 ainsi qu’à son article 4, paragraphe 2, à des
expressions trop imprécises – telles que « [le] bon fonctionnement [des
autorités] », « le contrôle juridictionnel effectif par des juridictions
indépendantes [...] des autorités », « la coopération effective et en temps
utile avec l’OLAF » et « d’autres situations ou comportements des autorités qui
sont pertinents » – pour pouvoir anticiper les circonstances dans lesquelles
une violation des principes de l’État de droit peut être constatée et en ce
qu’il accorde à la Commission et au Conseil une marge d’appréciation excessive
à cet égard.
247 La Hongrie,
soutenue par la République de Pologne, fait également valoir, s’agissant en
particulier de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué, que
cette disposition est contraire aux exigences du principe de sécurité
juridique. En effet, alors qu’une norme instituant une sanction devrait définir
de manière précise et exhaustive le comportement répréhensible visé, cette
disposition méconnaîtrait cette exigence puisqu’elle prévoirait, sans les
définir, que « d’autres situations ou comportements des autorités » puissent
justifier l’adoption de mesures. En outre, le libellé de cette disposition ne
permettrait pas de savoir si le terme « situations » est ou non lié à celui d’« autorités ». Enfin, l’absence de précision de la notion d’« autorités » ferait naître une insécurité juridique.
248 À cet
égard, premièrement, s’agissant du « bon fonctionnement » des autorités
publiques, y compris répressives, exécutant le budget de l’Union et chargées du
contrôle, du suivi et de l’audit financiers ainsi que des services d’enquête et
de poursuites judiciaires, visées à l’article 3, sous b), et à l’article 4,
paragraphe 2, sous a) à c), du règlement attaqué, il découle des considérants 8
et 9 de ce règlement que cette expression vise la capacité de ces autorités à
remplir correctement ainsi que de manière effective et efficace leurs fonctions
pertinentes pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la
protection de ses intérêts financiers.
249
Deuxièmement, la notion de « contrôle juridictionnel effectif par des
juridictions indépendantes » d’actes ou d’omissions des autorités exécutant le
budget de l’Union, ou des autorités chargées du contrôle, du suivi et de
l’audit financiers ou encore des services d’enquête et de poursuites
judiciaires, visée à l’article 4, paragraphe 2, sous d), du règlement attaqué,
est non seulement précisée aux considérants 8 à 10 et 12 de ce règlement, mais a
également fait l’objet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 132, 161 et 162 du
présent arrêt, d’une jurisprudence abondante de la Cour au titre de l’article
19 TUE et de l’article 47 de la Charte.
250 Troisièmement,
en ce qui concerne la « coopération effective et en temps utile avec l’OLAF »,
il y a lieu de relever que l’exigence d’une telle coopération ressort de la
réglementation financière de l’Union. En effet, l’article 63, paragraphe 2,
sous d), du règlement financier impose aux États membres, lorsqu’ils effectuent
des tâches liées à l’exécution budgétaire, de prendre toutes les mesures
législatives, réglementaires et administratives qui sont nécessaires à la
protection des intérêts financiers de l’Union et, en particulier, leur fait
obligation de coopérer, conformément à ce règlement et à la réglementation
sectorielle, avec l’OLAF.
251 Cette
exigence de coopération est spécifiée, notamment, à l’article 129 du règlement
financier et inclut l’obligation d’accorder à l’OLAF les droits et les accès
nécessaires au plein exercice par celui-ci de ses compétences, ces droits
incluant celui d’effectuer des enquêtes, y compris des contrôles et des
vérifications sur place, conformément au règlement no 883/2013. En
outre, il résulte de l’article 131, paragraphe 1, du règlement financier que,
lorsqu’une procédure d’attribution semble entachée de fraudes, la personne
compétente doit informer immédiatement l’OLAF. Enfin, d’autres précisions
portant sur la coopération requise peuvent être déduites de l’article 57, de
l’article 91, paragraphe 2, de l’article 132, paragraphe 2, de l’article 187,
paragraphe 3, sous b), ii), et de l’article 220, paragraphe 5, sous c), dudit
règlement ainsi que du règlement no 883/2013.
252
Quatrièmement, l’expression « autres situations ou comportements des
autorités », qui figure à l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement
attaqué, doit être interprétée à la lumière de l’article 4, paragraphe 2, sous
a) à g), ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement.
253 À cet
égard, il découle d’une lecture combinée de l’article 4, paragraphe 1, et de
l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué que des mesures
appropriées sont prises lorsqu’il est établi qu’une violation de l’un des
principes identifiés à l’article 2, sous a), de ce règlement a été commise et
concerne une situation imputable à une autorité d’un État membre ou un
comportement d’une telle autorité, pour autant que cette situation ou ce
comportement est pertinent pour la bonne gestion financière du budget de
l’Union ou la protection de ses intérêts financiers, et que ladite violation
porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte, de manière
suffisamment directe, à cette bonne gestion financière ou à ces intérêts
financiers.
254 Or,
l’application de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué, lu
conjointement avec l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, est non
seulement circonscrite par l’ensemble des critères relevés au point précédent,
mais est également soumise aux exigences procédurales rappelées au point 239 du
présent arrêt.
255 Il ne
saurait donc être considéré que les « autres situations ou comportements des
autorités » mentionnés à l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement
attaqué, parce qu’ils sont définis en termes abstraits et généraux, ont pour
conséquence de conférer un caractère non exhaustif à la liste des violations
des principes de l’État de droit figurant à ce paragraphe 2.
256 Par ailleurs,
l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, en ce qu’il vise, à ses points
a) à g), certaines autorités, parmi lesquelles les « autorités exécutant le
budget de l’Union », les « autorités chargées du contrôle, du suivi et de
l’audit financiers » ou encore les « autorités administratives », fournit des
indications sur les autorités auxquelles se réfère son point h).
257 De plus, il
peut être déduit de la définition de la notion d’«
entité publique », figurant à l’article 2, sous b), du règlement attaqué, que
sont visées les autorités publiques à tout niveau de gouvernement, incluant les
autorités nationales, régionales et locales, ainsi que les établissements de
droit public, voire les entités de droit privé investies d’une mission de service
public et dotées de garanties financières suffisantes par l’État membre. Cette
constatation est corroborée par les considérants 3, 8, 9, 15 et 19 de ce
règlement ainsi que par l’article 3, sous b), de celui-ci qui visent
exclusivement des « autorités publiques », des « autorités répressives » et des
« autorités nationales ».
258 Enfin,
ainsi qu’il a été précisé au point 164 du présent arrêt, le terme « situations
» vise des situations imputables à une telle autorité.
259 Ainsi, au
regard des considérations qui précèdent, la Hongrie ne saurait soutenir que les
expressions critiquées de l’article 3 et de l’article 4, paragraphe 2, du
règlement attaqué ne permettraient pas à un État membre de déterminer avec une
certitude suffisante leur portée ou leur sens, afin de lui permettre
d’anticiper les conditions dans lesquelles une violation des principes de
l’État de droit au sens dudit règlement peut être constatée.
260
Cinquièmement, à la lumière des considérations qui précèdent, selon
lesquelles les expressions visées au point 246 du présent arrêt satisfont, en
tant que telles, aux exigences du principe de sécurité juridique, ainsi que des
motifs énoncés aux points 171 et 239 du présent arrêt, les objections de la
Hongrie, soutenue par la République de Pologne, relatives à une prétendue marge
d’appréciation trop étendue qui serait accordée à la Commission et au Conseil
par ces expressions doivent être écartées comme étant non fondées.
261 En
quatrième lieu, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, allègue que
la notion de « risque », figurant à l’article 4, paragraphe 1, du règlement
attaqué, enfreint le principe de sécurité juridique en ce qu’elle permettra
d’infliger des sanctions arbitraires dans des situations incertaines ou non
démontrées. Cette notion induirait en effet l’existence d’une présomption, dès
lors qu’aucun lien ne peut être établi, sous l’angle juridique, entre l’État de
droit et une atteinte au budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts
financiers, et en raison de l’impossibilité de procéder à une détermination
objective, technique et factuelle des conditions d’application de cette
disposition.
262 À cet
égard, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 311 de ses
conclusions, il serait incompatible avec les exigences d’une bonne gestion
financière du budget de l’Union et la protection de ses intérêts financiers de
limiter l’adoption de mesures appropriées aux cas d’atteintes avérées à cette
bonne gestion financière ou à ces intérêts financiers. En effet, cette
limitation reviendrait à exclure l’adoption de mesures appropriées dans les cas
où les atteintes, bien que n’étant pas encore avérées, peuvent néanmoins être
raisonnablement anticipées, dès lors que leur réalisation présente une
probabilité élevée. Ladite limitation serait, dès lors, de nature à
compromettre la finalité du règlement attaqué, qui consiste, ainsi qu’il a été
constaté au point 119 du présent arrêt, à protéger le budget de l’Union contre
des atteintes à ce dernier susceptibles de découler de violations des principes
de l’État de droit dans un État membre.
263 Quant aux
notions de « bonne gestion financière » et de « protection des intérêts
financiers de l’Union », la première est également visée à l’article 317,
premier alinéa, TFUE et est définie à l’article 2,
point 59, du règlement financier comme étant l’exécution du budget conformément
aux principes d’économie, d’efficience et d’efficacité, tandis que la seconde
relève également de l’article 325 TFUE et vise, selon
l’article 63, paragraphe 2, du règlement financier, toutes les mesures
législatives, réglementaires et administratives tendant, notamment, à prévenir,
à détecter et à corriger les irrégularités et la fraude lors de l’exécution du
budget.
264 Il y a
également lieu de préciser que l’article 2, point 1, du règlement no
883/2013 définit les « intérêts financiers de l’Union » comme étant « les
recettes, dépenses et avoirs couverts par le budget de l’Union, ainsi que ceux
qui sont couverts par le budget des institutions, organes et organismes, et les
budgets gérés et contrôlés par ceux-ci ». L’article 135, paragraphes 1, 3 et 4,
du règlement financier prévoit, quant à lui, que, afin de protéger les intérêts
financiers de l’Union, la Commission met en place et exploite un système de
détection rapide et d’exclusion.
265 La Cour a,
par ailleurs, jugé que la notion d’« intérêts
financiers de l’Union », au sens de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, englobe non seulement les recettes mises à la
disposition du budget de l’Union, mais également les dépenses couvertes par ce
budget (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19,
C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034,
point 183). Cette notion est donc pertinente non seulement dans le contexte des
mesures de lutte contre les irrégularités et la fraude visées par cette
disposition, mais également pour la bonne gestion financière de ce budget, dès
lors que la protection de ces intérêts financiers contribue également à cette
bonne gestion.
266 La
prévention d’atteintes telles que celles visées à l’article 4, paragraphe 1, du
règlement attaqué est, dès lors, un complément à la correction de telles
atteintes, qui est inhérent tant à la notion de « bonne gestion financière »
qu’à celle de « protection des intérêts financiers de l’Union » et doit,
partant, être considérée comme étant une exigence constante et horizontale de
la réglementation financière de l’Union.
267 Enfin,
cette disposition exige que les violations des principes de l’État de droit qui
ont été constatées présentent un risque « sérieux » d’atteintes à la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou à ses intérêts financiers et
requiert, par conséquent, de démontrer que la réalisation de ce risque présente
une probabilité élevée, en rapport avec les situations ou avec les
comportements des autorités visés à l’article 4, paragraphe 2, du règlement
attaqué, des mesures appropriées ne pouvant du reste être adoptées qu’à la
condition qu’un lien suffisamment direct, à savoir un lien réel soit établi
entre une violation de l’un des principes de l’État de droit et ce risque
sérieux. En outre, lors de l’adoption de ces mesures, il convient également de
respecter les exigences procédurales rappelées en dernier lieu au point 239 du
présent arrêt.
268 Il s’ensuit que l’argumentation de la Hongrie,
soutenue par la République de Pologne, selon laquelle la notion de « risque »,
figurant à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, permet d’infliger
des sanctions arbitraires dans des situations incertaines ou non démontrées
doit être écartée comme étant non fondée.
269 En
cinquième lieu, s’agissant de l’argumentation selon laquelle l’article 5,
paragraphe 3, troisième phrase, du règlement attaqué ne définit pas de manière
suffisante la nature et l’ampleur des mesures de protection du budget de
l’Union pouvant être adoptées au titre de l’article 4, paragraphe 1, de ce
règlement, il y a lieu de rappeler, premièrement, que l’article 5, paragraphe
1, dudit règlement énumère de manière exhaustive les différentes mesures de
protection susceptibles d’être adoptées, ainsi qu’il a été constaté au point
135 du présent arrêt.
270
Deuxièmement, le caractère justifié et nécessaire de l’adoption de l’une
de ces mesures de protection résulte de la réunion des conditions énoncées à
l’article 4 du règlement attaqué.
271
Troisièmement, s’agissant des critères à appliquer pour déterminer la ou
les mesures qui doivent être adoptées dans une situation donnée, ainsi que leur
étendue, l’article 5, paragraphe 3, première à troisième phrases, de ce
règlement précise que les mesures prises doivent être proportionnées, qu’elles
doivent être déterminées en fonction de l’incidence réelle ou potentielle des
violations des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du
budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de l’Union et que la nature,
la durée, la gravité et la portée des violations des principes de l’État de
droit doivent être dûment prises en compte. Il en résulte que les mesures
prises doivent être strictement proportionnées à l’incidence des violations
constatées des principes de l’État de droit sur le budget de l’Union ou sur la
protection de ses intérêts financiers.
272 Il découle
de ce qui précède que l’argumentation selon laquelle l’article 5, paragraphe 3,
troisième phrase, du règlement attaqué ne définit pas de manière suffisante la
nature et l’étendue des mesures appropriées pouvant être adoptées doit être
écartée comme étant non fondée.
273 En sixième
lieu, s’agissant des arguments de la Hongrie, soutenue par la République de
Pologne, selon lesquels l’expression « dans la mesure du possible », figurant à
l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué, viole le
principe de sécurité juridique en ce qu’il rompt le lien entre la violation qui
a été constatée et les mesures de protection qui sont adoptées, avec pour effet
d’affecter la proportionnalité de ces mesures et de leur conférer un caractère
de sanction, il convient, tout d’abord, de souligner que cette expression n’autorise
pas à moduler les mesures susceptibles d’être adoptées au titre de l’article 5,
paragraphe 1, de ce règlement au-delà ou en deçà de l’incidence de la violation
qui a été constatée sur le budget de l’Union ou sur la protection de ses
intérêts financiers.
274 En effet,
ainsi qu’il a été relevé au point 271 du présent arrêt, il résulte de l’article
5, paragraphe 3, première à troisième phrases, dudit règlement que les mesures
prises doivent être strictement proportionnées à l’incidence des violations des
principes de l’État de droit sur le budget de l’Union ou sur la protection de
ses intérêts financiers qui ont été constatées, indépendamment du point de
savoir si les mesures peuvent effectivement ou non cibler les actions de
l’Union affectées par ces violations.
275 Ensuite,
l’expression « dans la mesure du possible » n’autorise l’adoption de mesures
portant sur des actions de l’Union autres que celles qui sont affectées par une
telle violation que lorsque ces dernières actions ne peuvent pas ou ne peuvent
plus être ciblées, ou encore ne peuvent l’être que de manière insuffisante en
vue d’atteindre la finalité du règlement attaqué, qui consiste, ainsi qu’il
ressort de son article 1er, à assurer la protection du budget de
l’Union dans son ensemble, de sorte que ces mesures s’avèrent nécessaires pour
atteindre cette finalité.
276 Ce n’est
donc qu’à titre subsidiaire et, par conséquent, dérogatoire, dans des
hypothèses que la Commission doit dûment établir, que les mesures prises
peuvent cibler des actions de l’Union autres que celles affectées par ces
violations.
277 Dès lors,
l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué n’accorde à la
Commission et au Conseil de marge d’appréciation quant au choix de l’action
visée par la mesure à adopter que lorsque cela s’avère indispensable pour
assurer une protection du budget de l’Union dans son ensemble. En outre,
conformément à l’article 6, paragraphes 7 et 8, de ce règlement, la Commission
est tenue d’évaluer, notamment, la proportionnalité des mesures envisagées et
de donner à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations
sur ces mesures et, en particulier, sur leur proportionnalité, ces exigences
devant être comprises à la lumière du considérant 26 dudit règlement, ainsi
qu’il a été rappelé en dernier lieu au point 239 du présent arrêt.
278 Il en
découle que l’expression « dans la mesure du possible », au sens de l’article
5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué, ne rompt pas le lien
entre la violation d’un principe de l’État de droit qui a été constatée et
l’atteinte ou le risque sérieux d’atteinte au budget de l’Union ou à la
protection de ses intérêts financiers qui en découle, dès lors que cette
expression ne permet de cibler une action de l’Union autre que celle que cette
violation affecte que lorsque la finalité de ce règlement consistant à assurer
une protection du budget de l’Union dans son ensemble ne peut être atteint
autrement. Il en découle également que ledit règlement encadre une telle
possibilité d’exigences procédurales strictes et que ladite expression ne
libère pas la Commission et le Conseil de leur obligation de respecter
strictement la proportionnalité des mesures adoptées, au regard de l’incidence
de la violation constatée sur le budget de l’Union.
279 Dans ces
conditions, cette disposition n’a pas pour effet de conférer aux mesures de
protection du budget de l’Union le caractère de mesure de sanction de
violations de l’État de droit en tant que telles, de sorte que l’argumentation
tirée de ce que l’expression « dans la mesure du possible », figurant à
l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué, romprait, en
violation du principe de sécurité juridique, le lien entre une violation
constatée et les mesures adoptées doit être écartée comme étant non fondée.
280 En septième
lieu, en ce qui concerne l’argumentation selon laquelle l’article 6,
paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué ne définit pas de manière suffisamment
précise les sources d’information sur lesquelles la Commission peut se fonder,
dès lors qu’il n’expose pas la base sur laquelle cette institution doit
examiner et apprécier l’existence d’une violation des principes de l’État de
droit, il convient de rappeler que, aux termes de ladite disposition, lorsque
la Commission examine si les conditions énoncées à l’article 4 de ce règlement
sont remplies et évalue la proportionnalité des mesures à imposer, elle prend
en compte les informations pertinentes provenant de sources disponibles, y
compris les décisions, les conclusions et les recommandations des institutions
de l’Union, d’autres organisations internationales pertinentes et d’autres
institutions reconnues.
281 À cet
égard, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, il
incombe à la Commission d’établir que les conditions énoncées à l’article 4 de
ce règlement sont remplies.
282 En outre,
selon l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement, la Commission est tenue
d’exposer, dans une notification écrite à l’État membre concerné, les éléments
factuels et les motifs précis sur lesquels reposent ses constatations selon
lesquelles il existe des motifs raisonnables de considérer que ces conditions
sont remplies.
283 Il en
résulte que la Commission est tenue de procéder à une appréciation diligente
des faits à la lumière des conditions fixées à l’article 4 du règlement
attaqué. Il en va de même, conformément à l’article 6, paragraphes 7 à 9, de ce
règlement, en ce qui concerne l’exigence de proportionnalité des mesures,
énoncée à l’article 5, paragraphe 3, de celui-ci.
284 Les
considérants 16 et 26 dudit règlement énoncent d’ailleurs que la Commission
doit procéder à une évaluation qualitative approfondie, qui doit être
objective, impartiale et équitable, qui doit respecter les principes
d’objectivité, de non-discrimination et d’égalité des États membres devant les
traités et doit être menée selon une approche non partisane et fondée sur des
éléments concrets.
285 Il en
découle que la Commission est tenue de s’assurer, sous le contrôle du juge de
l’Union, de la pertinence des informations qu’elle utilise et de la fiabilité
de ses sources. En particulier, ces dispositions ne confèrent pas de valeur
probante spécifique ou absolue et n’attachent pas d’effets juridiques
déterminés aux sources d’information qu’elles mentionnent, ni à celles qui sont
indiquées au considérant 16 du règlement attaqué, de sorte qu’elles ne
dispensent pas la Commission de son obligation de procéder à une appréciation
diligente des faits qui satisfait pleinement aux exigences rappelées au point
précédent.
286 À cet
égard, le considérant 16 du règlement attaqué explicite le fait que les
informations pertinentes provenant de sources disponibles et d’institutions
reconnues comprennent, notamment, les arrêts de la Cour, les rapports de la
Cour des comptes, le rapport annuel de la Commission sur l’État de droit et le
tableau de bord de la justice dans l’Union, les rapports de l’OLAF, du Parquet
européen et de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que
les conclusions et les recommandations formulées par les organisations et les
réseaux internationaux pertinents, y compris les organes du Conseil de
l’Europe, tels que le GRECO et la Commission de Venise, en particulier sa liste
des critères de l’État de droit, le réseau européen des présidents des cours
suprêmes judiciaires et le réseau européen des conseils de la justice.
287 La
Commission demeure ainsi responsable des informations qu’elle utilise et de la
fiabilité de ses sources. Par ailleurs, l’État membre concerné dispose de la
faculté, au cours de la procédure prévue à l’article 6, paragraphes 1 à 9, du
règlement attaqué, de présenter des observations sur les informations que la
Commission entend utiliser en vue de proposer l’adoption de mesures
appropriées. Partant, il lui est possible de contester la valeur probante de
chacun des éléments retenus, le bien-fondé des appréciations de la Commission
pouvant, en tout état de cause, être soumis au contrôle du juge de l’Union dans
le cadre d’un recours introduit contre une décision du Conseil prise au titre
de ce règlement.
288 En
particulier, la Commission doit communiquer, de manière précise, à l’État
membre concerné, dès l’engagement de la procédure au titre de l’article 6,
paragraphe 1, du règlement attaqué et, périodiquement, tout au long de cette
procédure, les informations pertinentes provenant de sources disponibles sur
lesquelles elle entend fonder la proposition de décision d’exécution arrêtant
des mesures appropriées qu’elle présentera au Conseil.
289 Il s’ensuit
que le troisième moyen doit être écarté comme étant non fondé.
290 Eu égard à
l’ensemble des considérations qui précèdent, les conclusions principales
tendant à l’annulation du règlement attaqué dans son ensemble doivent être
rejetées.
B. Sur les conclusions
subsidiaires tendant à l’annulation partielle du règlement attaqué
1. Sur lesconclusions
tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué
a) Argumentation des parties
291 Par le
quatrième moyen, soulevé à l’appui de ses conclusions subsidiaires tendant à
l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, la Hongrie,
soutenue par la République de Pologne, fait valoir, en substance, que cette
disposition est disproportionnée et viole les principes de sécurité juridique
et de clarté de la norme, ainsi qu’il a été exposé dans le cadre du troisième
moyen, dès lors qu’elle permet l’adoption de mesures de protection du budget de
l’Union non seulement lorsqu’il est porté atteinte audit budget ou à la
protection des intérêts financiers de l’Union de manière suffisamment directe,
mais également lorsqu’il existe uniquement un risque sérieux d’une telle
atteinte.
292 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, à titre
principal, excipent de l’irrecevabilité du quatrième moyen et, à titre
subsidiaire, contestent cette argumentation sur le fond.
b) Appréciation de la Cour
293 Selon une
jurisprudence constante, l’annulation partielle d’un acte du droit de l’Union
n’est possible que pour autant que les éléments dont l’annulation est demandée
sont séparables du reste de l’acte. Il n’est pas satisfait à cette exigence
lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la
substance de celui-ci, ce qui doit être apprécié sur le fondement d’un critère
objectif et non d’un critère subjectif lié à la volonté politique de l’autorité
qui a adopté l’acte en cause (arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 38 et jurisprudence citée).
294 À cet
égard, le Parlement et le Conseil font valoir à bon droit que l’annulation de
l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué aurait pour effet de modifier
la substance de ce règlement, dès lors que cette disposition précise les
conditions exigées pour permettre l’adoption des mesures énoncées à l’article
5, paragraphe 1, dudit règlement et constitue en ce sens le cœur même du
mécanisme de conditionnalité horizontale institué par le même règlement. En
effet, sans la disposition dont l’annulation est demandée, le règlement attaqué
ne répondrait plus à l’objectif, énoncé à son article 1er, d’établir
« les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de
violation des principes de l’État de droit dans un État membre ».
295 Il s’ensuit
que les conclusions tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, du
règlement attaqué doivent être rejetées comme irrecevables, de sorte qu’il n’y
a pas lieu d’examiner le bien-fondé du quatrième moyen, soulevé à l’appui de
ces conclusions.
2. Sur lesconclusions
tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement
attaqué
a) Argumentation des parties
296 Par le
cinquième moyen, soulevé à l’appui de ses conclusions subsidiaires tendant à
l’annulation de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué, la
Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que cette disposition
est contraire à l’exigence selon laquelle une norme instituant une sanction
doit définir de façon précise les comportements et les situations qu’elle vise
à réprimer. Ainsi, l’absence d’énumération précise et exhaustive des situations
concernées par le mécanisme de conditionnalité horizontale institué par ce
règlement violerait le principe de sécurité juridique ainsi que l’article 7
TUE.
297 En premier lieu,
la Hongrie fait observer que, dans son avis juridique no 13593/18,
le service juridique du Conseil a relevé qu’une disposition prévoyant un
mécanisme de conditionnalité doit indiquer de manière précise les conditions à
remplir pour bénéficier d’un financement, lesquelles doivent être liées de
manière suffisante à l’objectif du financement, de sorte que, si elles ne sont
pas remplies, le financement devient incompatible avec une bonne gestion
financière. Partant, le règlement attaqué, en énumérant de manière non
exhaustive les cas dans lesquels le mécanisme de conditionnalité qu’il institue
peut être engagé, ne permettrait pas de garantir
l’existence d’un lien suffisamment direct avec la protection du budget de
l’Union et des intérêts financiers de l’Union.
298 En second
lieu, la Hongrie déduit de la formulation « extrêmement générale » de l’article
4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué une violation des exigences de
clarté, de précision et de prévisibilité et, partant, du principe de sécurité
juridique, cette disposition n’énumérant pas de manière précise et exhaustive
les situations dans lesquelles des mesures appropriées peuvent être adoptées au
titre de ce règlement. Ladite disposition serait, en effet, au regard notamment
de ses différentes versions linguistiques, vague, ambiguë, sans limites et
insusceptible de faire l’objet d’une interprétation et d’une application
uniformes. Il en résulterait un risque sérieux de violation du principe
d’égalité des États membres devant les traités.
299 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent
cette argumentation.
b) Appréciation de la Cour
300 En premier
lieu, il découle des points 244 et 253 du présent arrêt que, contrairement à ce
que soutient la Hongrie, l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement
attaqué ne déroge aucunement à l’exigence selon laquelle il doit toujours
exister un lien suffisamment direct entre une violation d’un principe de l’État
de droit et une atteinte ou un risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion
financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers.
301 De
surcroît, il ressort des points 255 et 259 du présent arrêt que cette
disposition, d’une part, n’a pas pour effet de conférer un caractère non
exhaustif à la liste des situations et des comportements des autorités que les
violations des principes de l’État de droit figurant à l’article 4, paragraphe
2, de ce règlement concernent et, d’autre part, est suffisamment précise pour
satisfaire au principe de sécurité juridique.
302 En deuxième
lieu, s’agissant des arguments en rapport avec la finalité du règlement attaqué
et le prétendu contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE, il
suffit de renvoyer à l’analyse effectuée aux points 98 à 196 du présent arrêt.
303 En
troisième lieu, en ce qui concerne les allégations tirées du manque de
précision et des incohérences internes de l’article 4, paragraphe 2, sous h),
du règlement attaqué, il suffit de renvoyer à l’analyse effectuée aux points
252 à 258 du présent arrêt.
304 En
conséquence, le cinquième moyen doit être écarté comme étant non fondé, de
sorte que les conclusions tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 2,
sous h), du règlement attaqué doivent être rejetées.
3. Sur lesconclusions
tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué
a) Argumentation des parties
305 Par le
sixième moyen, soulevé à l’appui de ses conclusions subsidiaires tendant à
l’annulation de l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué, la Hongrie,
soutenue par la République de Pologne, allègue que cette disposition impose, en
méconnaissance de la base juridique de ce règlement et des dispositions du
droit de l’Union relatives aux déficits publics, des contraintes sur les
budgets des États membres concernés, puisqu’elle prévoit que, si des mesures
appropriées sont prises à l’égard d’un État membre, ce dernier n’est pas libéré
de son obligation de poursuivre le financement des programmes concernés auprès
des bénéficiaires finaux.
306 À cet égard, la Hongrie relève que les aides
de l’Union prévues par le cadre financier pluriannuel 2021-2027 fixé par le
règlement no 2020/2093 et par le règlement 2020/2094 sont versées au
titre de programmes de gestion conçus principalement, voire exclusivement,
selon les priorités de l’Union. Or, si des mesures adoptées en vertu du
règlement attaqué devaient suspendre en tout ou en partie ces aides, l’État
membre concerné serait contraint, en vertu de cette disposition, de financer
entièrement ces programmes.
307 Ce faisant,
l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué restreindrait le droit de cet
État membre d’utiliser son propre budget, rendrait la planification de sa
politique économique imprévisible et risquerait de le contraindre à enfreindre
les dispositions du droit de l’Union relatives aux déficits publics. Or, ces
circonstances pourraient conduire à l’infliction de sanctions supplémentaires
et à un endettement structurel de l’État membre concerné, en particulier
lorsque celui-ci est doté d’un budget modeste, entraînant ainsi une violation
du principe d’égalité des États membres devant les traités.
308 Par
ailleurs, l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué remettrait en
question le caractère approprié de la base juridique retenue pour ce règlement,
étant donné que cette disposition fixerait des exigences destinées non au
budget de l’Union mais à celui des États membres concernés, ce qui confirmerait
le fait que les mesures de protection du budget de l’Union qui peuvent être
adoptées au titre dudit règlement visent à sanctionner ces États membres pour
des violations de l’État de droit.
309 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent
cette argumentation.
b) Appréciation de la Cour
310 Par le
sixième moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir,
en substance, que l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué impose des
contraintes sur les budgets des États membres concernés, ce qui, tout d’abord,
serait incompatible avec la base juridique de ce règlement, ensuite, violerait
les dispositions du droit de l’Union relatives aux déficits publics et, enfin,
enfreindrait le principe d’égalité des États membres devant les traités.
311 À cet
égard, en premier lieu, en ce qui concerne le grief tiré de ce que l’article 5,
paragraphe 2, du règlement attaqué est incompatible avec la base juridique de
ce règlement, il doit être écarté pour les motifs déjà exposés aux points 150 à
152 du présent arrêt.
312 En deuxième
lieu, s’agissant du grief pris d’une prétendue violation des dispositions du
droit de l’Union relatives aux déficits publics, il convient de relever que
l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué se borne à préciser que
l’adoption de mesures au titre de ce règlement ne modifie pas les obligations
préexistantes, découlant notamment de « la réglementation sectorielle et
financière applicable », de ces entités publiques et de ces États membres, de
telles mesures ne pouvant, en particulier, constituer un motif permettant à
ceux-ci de se libérer desdites obligations. Il s’ensuit que cette disposition
n’impose aucune obligation nouvelle aux États membres.
313 Or, ainsi
que l’a relevé M. l’avocat général aux points 324 et 325 de ses conclusions, si
l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué a pour conséquence que les
États membres doivent assumer les coûts découlant des mesures imposées au titre
de ce règlement, cette conséquence est sans préjudice de la possibilité dont
ils disposent, dans les limites de leurs obligations découlant du droit de
l’Union, de définir les moyens par lesquels ils atteignent les objectifs en
matière de déficits publics fixés par les traités.
314 Ainsi,
l’incidence que cette disposition est susceptible d’avoir sur le budget des
États membres concernés ne se distingue pas de celle qui peut résulter d’autres
obligations découlant du droit de l’Union.
315 En outre,
si les États membres peuvent prendre en compte, lorsqu’ils établissent leurs
budgets, les financements issus du budget de l’Union auxquels ils peuvent
prétendre, dès lors que les conditions d’obtention de ces financements
apparaissent réunies, il n’en demeure pas moins que, s’il est constaté par la
suite que ces conditions n’étaient pas ou ne sont plus réunies, de sorte que
les financements concernés ne sont pas versés ou font l’objet d’une correction
financière, un État membre ne peut invoquer ses obligations relatives aux
déficits publics pour échapper à l’application desdites conditions. Partant, un
État membre ne saurait davantage prétendre que cette application rend la
planification de sa politique économique imprévisible.
316 En
troisième lieu, pour ce qui est de la méconnaissance alléguée du principe
d’égalité des États membres devant les traités, il résulte de l’article 5,
paragraphe 3, du règlement attaqué que les mesures appropriées prises au titre
de ce règlement doivent être strictement proportionnées à l’incidence des
violations des principes de l’État de droit qui ont été constatées sur la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou sur la protection des intérêts
financiers de l’Union, cette exigence de proportionnalité s’appliquant de
manière égale à l’égard de tout État membre. En outre, conformément à l’article
6, paragraphes 7 et 8, dudit règlement, la Commission est tenue d’évaluer,
notamment, la proportionnalité des mesures à imposer et de donner à tout État
membre concerné la possibilité de présenter ses observations sur les mesures
envisagées et, en particulier, sur leur proportionnalité. Cette disposition
devant être comprise à la lumière du considérant 26 du même règlement, il en
résulte que la Commission doit se fonder, dans son évaluation, sur des éléments
concrets et respecter les principes d’objectivité, de non-discrimination et
d’égalité des États membres devant les traités.
317 Ces
diverses exigences impliquent ainsi de réaliser une analyse individualisée à la
fois objective et diligente de chaque situation faisant l’objet d’une procédure
au titre du règlement attaqué, ainsi que des mesures appropriées nécessitées,
le cas échéant, par cette situation, dans le strict respect du principe de
proportionnalité, en vue de protéger efficacement le budget de l’Union et les
intérêts financiers de l’Union contre les effets de violations des principes de
l’État de droit, tout en assurant le respect du principe d’égalité des États
membres devant les traités. Dans ces conditions, l’allégation de la Hongrie
selon laquelle l’application de l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué
impliquerait une violation de ce principe est dépourvue de fondement.
318 Eu égard
aux considérations qui précèdent, le sixième moyen doit être écarté comme étant
non fondé, de sorte que les conclusions tendant à l’annulation de l’article 5,
paragraphe 2, du règlement attaqué doivent être rejetées.
4. Sur lesconclusions
tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du
règlement attaqué
a) Argumentation des parties
319 Par le septième
moyen, soulevé à l’appui de ses conclusions subsidiaires tendant à l’annulation
de l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement attaqué, la
Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que les critères
pour apprécier la proportionnalité des mesures pouvant être adoptées à l’égard
d’un État membre, prévus à cette disposition, ne présentent aucun lien avec le
budget de l’Union ou avec les intérêts financiers de celle-ci et visent à
sanctionner des violations des principes de l’État de droit.
320 En effet,
conformément aux termes mêmes de ladite disposition, la nature, la durée, la
gravité et la portée des violations des principes de l’État de droit doivent
être dûment prises en compte aux fins de la détermination des mesures à
adopter. Le considérant 18 du règlement attaqué précise que l’examen de la
proportionnalité à cette fin doit prendre en considération la gravité de la
situation, le temps écoulé depuis le début du comportement en cause, la durée
et l’éventuel caractère récurrent du comportement, l’intention de l’État membre
concerné de mettre un terme aux violations des principes de l’État de droit et
son degré de coopération en ce sens, ainsi que les effets sur la bonne gestion
financière du budget de l’Union ou les intérêts financiers de celle-ci.
321 La Hongrie
estime que ces critères remettent en cause, en méconnaissance de la base
juridique du règlement attaqué et de l’article 7 TUE, le lien entre la
violation constatée des principes de l’État de droit et l’incidence concrète de
cette violation sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur la
protection de ses intérêts financiers.
322
Premièrement, il ressortirait d’une lecture conjointe de l’article 5,
paragraphe 3, du règlement attaqué et du considérant 18 de celui-ci que la
Commission et le Conseil sont appelés à prendre en compte l’intention de l’« auteur de la violation ». À cet égard, ce règlement ne
définirait pas l’auteur de la violation des principes de l’État de droit, les
cas spécifiés aux articles 3 et 4 dudit règlement se référant à des situations
et à des comportements qui peuvent être imputables soit à l’État membre
concerné envisagé dans sa globalité, soit à certains de ses organes. Or, la
Hongrie relève que ces derniers ne disposent pas de la capacité d’exercer un
acte de volonté, de sorte que la manière dont il devrait être tenu compte de
l’intention de « commettre » un acte lors de la détermination des mesures
appropriées n’est pas précisée.
323 En outre,
la prise en compte d’une telle intention aurait nécessairement une incidence
sur la nature de la mesure. Si la proportionnalité d’une mesure est déterminée,
ne serait-ce qu’en partie, par l’intention liée à la violation qui lui sert de
fondement, cette circonstance conférerait un caractère punitif à cette mesure,
laquelle ne viserait ainsi pas à corriger l’atteinte au budget de l’Union ou à
la protection des intérêts financiers de celle-ci. Cette prise en compte de
l’intention serait donc une indication claire de ce que la finalité et l’objet
premiers du règlement attaqué ne sont pas conformes à sa base juridique.
324
Deuxièmement, ce constat serait corroboré par la prise en compte de la
durée et de la gravité de la violation des principes de l’État de droit ainsi
que de l’étendue de la coopération de l’État membre concerné pour y mettre un
terme, car ces critères seraient, eux aussi, sans rapport avec l’incidence sur
la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts
financiers de celle-ci.
325 Troisièmement, il découlerait d’une
interprétation systématique du règlement attaqué que, étant donné que
l’obligation pour les institutions de tenir compte de l’incidence réelle ou
potentielle d’une violation des principes de l’État de droit sur la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou sur ses intérêts financiers est déjà
prévue à la deuxième phrase de l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, la
troisième phrase de cette disposition vise à tenir compte d’autres formes
d’incidence.
326 La Hongrie
estime qu’il en découle, tout d’abord, que l’article 5, paragraphe 3, troisième
phrase, du règlement attaqué ne satisfait pas à l’exigence relative à
l’existence d’un lien direct entre les mesures prises et la protection du
budget de l’Union ou de ses intérêts financiers. Ensuite, la prise en compte
des critères énoncés par cette disposition supposerait une appréciation
approfondie de la violation de l’État de droit par la Commission et par le
Conseil, ce qui ne pourrait être effectué que dans le cadre de la procédure
prévue à l’article 7 TUE. Enfin, l’application de ladite disposition conduirait
à ce que les mesures prises revêtent la nature de sanctions, alors même que des
sanctions ne peuvent être infligées à un État membre que sur la base de l’article
7, paragraphe 3, TUE.
327 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent
cette argumentation.
b) Appréciation de la Cour
328 Par le
septième moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir,
en substance, que l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement
attaqué, lu à la lumière du considérant 18 de celui-ci, est incompatible avec
la base juridique de ce règlement et viole tant l’article 7 TUE que le principe
de sécurité juridique, dès lors que les critères qu’il mentionne pour
l’adoption de mesures appropriées, relatifs à la violation des principes de
l’État de droit, ne présentent aucun lien avec le budget de l’Union ou avec la
protection des intérêts financiers de celle-ci.
329 À cet
égard, ainsi qu’il a été relevé au point 271 du présent arrêt, il résulte de
l’article 5, paragraphe 3, première à troisième phrases, du règlement attaqué
que les mesures prises doivent être strictement proportionnées à l’incidence
des violations constatées des principes de l’État de droit sur le budget de
l’Union ou sur ses intérêts financiers.
330 En effet,
cette disposition précise, à sa première phrase, que les mesures prises sont «
proportionnées », à sa deuxième phrase, qu’elles sont « déterminées en fonction
de l’incidence réelle ou potentielle » des violations des principes de l’État
de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les
intérêts financiers de celle-ci et, à sa troisième phrase, que la nature, la
durée, la gravité et la portée des violations des principes de l’État de droit
sont « dûment prises en compte ».
331 Ainsi que
l’a relevé M. l’avocat général aux points 177 et 178 de ses conclusions, il
découle de l’ordre de ces phrases ainsi que des termes qui y sont employés que
la proportionnalité des mesures à adopter est assurée, de manière déterminante,
par le critère de « l’incidence » des violations des principes de l’État de
droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur la protection
des intérêts financiers de celle-ci. Quant aux critères tirés de la nature, de
la durée, de la gravité et de la portée de ces violations, ils ne peuvent être
« dûment pris en compte » qu’aux fins de déterminer l’ampleur de cette
incidence, celle-ci pouvant varier en fonction des caractéristiques des
violations constatées telles que mises en lumière par l’application de ces
critères.
332 Certes, le
considérant 18 du règlement attaqué, tout en énonçant les mêmes critères que
ceux figurant à l’article 5, paragraphe 3, deuxième et
troisième phrases, de ce règlement, mentionne ceux-ci dans un ordre
différent. Ce considérant ne saurait toutefois conduire à une interprétation de
cette disposition incompatible avec son libellé et sa structure, le préambule
d’un acte de l’Union n’ayant pas, selon une jurisprudence constante de la Cour
rappelée au point 191 du présent arrêt, de valeur juridique contraignante et ne
pouvant ainsi être invoqué pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte
concerné ou pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement
contraire à leur libellé. En outre, en faisant également référence à «
l’intention de l’État membre concerné », ledit considérant vise non pas
l’intention de violer les principes de l’État de droit, mais celle de « mettre
un terme aux violations » qui ont été constatées. Or, cette intention, de même
que le « degré de coopération » dont fait preuve cet État membre en ce sens,
également mentionné par le même considérant, peuvent être pertinents,
notamment, aux fins de déterminer la durée et la portée d’une violation, au
sens des critères visés à l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, dudit
règlement et, par conséquent, conformément à ce qui a été exposé au point
précédent, en vue de mesurer l’incidence de cette violation sur la bonne
gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de
celle-ci.
333 Il s’ensuit
que, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, soutenue par la République
de Pologne, si les critères visés à l’article 5, paragraphe 3, troisième
phrase, du règlement attaqué supposent une appréciation approfondie par la
Commission et par le Conseil des caractéristiques de la violation des principes
de l’État de droit en cause, ils n’en présentent pas moins un lien avec la
bonne gestion financière du budget de l’Union et la protection des intérêts
financiers de celle-ci, de sorte qu’ils ne sauraient être regardés comme
conférant aux mesures appropriées adoptées au titre dudit règlement la nature
de sanctions s’attachant à des violations de l’État de droit en tant que
telles.
334 Dans ces
conditions, le septième moyen doit être écarté comme étant non fondé, de sorte
que les conclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 3,
troisième phrase, du règlement attaqué doivent être rejetées.
5. Sur les conclusions tendant à
l’annulation de l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement
attaqué
a) Argumentation des parties
335 Par le
huitième moyen, soulevé à l’appui de ses conclusions subsidiaires tendant à
l’annulation de l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement
attaqué, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, allègue que cette
disposition viole les principes de proportionnalité et de sécurité juridique en
ce qu’elle prévoit que ce n’est que « dans la mesure du possible » que les
mesures adoptées doivent cibler les actions de l’Union auxquelles les
violations portent atteinte.
336 Il
découlerait, en effet, des termes de ladite disposition que ces mesures peuvent
cibler des actions de l’Union auxquelles la violation des principes de l’État
de droit ne porte pas atteinte, de sorte que de telles mesures pourraient être
adoptées sans qu’un lien direct soit établi entre une telle violation et une
action spécifique de l’Union visée par lesdites mesures. Or, le principe de
sécurité juridique exigerait, de manière stricte, que l’application de règles
emportant des conséquences financières soit certaine et prévisible, ce qui ne
serait pas le cas en l’absence de lien effectif entre des violations des
principes de l’État de droit et des mesures prises au titre du règlement
attaqué.
337 L’absence
de lien effectif emporterait également une violation du principe de
proportionnalité. En effet, à supposer même que l’objectif du règlement attaqué
consiste à définir les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union
en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre,
l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, de ce règlement irait au-delà de
ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, puisqu’il autoriserait
l’adoption de mesures en relation avec des programmes de l’Union qui ne sont
pas affectés par une telle violation.
338 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent
cette argumentation.
b) Appréciation de la Cour
339 Par le
huitième moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que
l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué viole les
principes de proportionnalité et de sécurité juridique en ce qu’il permet, par
l’emploi de l’expression « dans la mesure du possible », de cibler des actions
et des programmes ne présentant aucun lien avec une violation constatée d’un
principe de l’État de droit.
340 À cet
égard, d’une part, s’agissant de la prétendue violation du principe de
proportionnalité, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence
constante de la Cour, ce principe, qui fait partie des principes généraux du
droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes
à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et
ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces
objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures
appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les
inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés
(arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil, C‑643/15 et C‑647/15,
EU:C:2017:631, point 206 ainsi que jurisprudence
citée).
341 En
l’espèce, il suffit de relever, ainsi qu’il a été constaté aux points 273 à 279
du présent arrêt, que, tout d’abord, l’expression « dans la mesure du possible
», figurant à l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement
attaqué, n’autorise pas à moduler les mesures susceptibles d’être adoptées au
titre de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement au‑delà ou en deçà de
l’incidence de la violation qui a été constatée sur le budget de l’Union,
ensuite, que ledit règlement vise à la protection du budget de l’Union dans son
ensemble et, enfin, que cette expression ne permet de viser des actions de
l’Union autres que celles qui sont affectées par une telle violation qu’à titre
dérogatoire, lorsque ces actions ne peuvent pas ou ne peuvent plus être ciblées
ou encore ne peuvent l’être que de manière insuffisante pour atteindre la
finalité du même règlement consistant à assurer une protection de ce budget
dans son ensemble, une telle démarche s’avérant ainsi indispensable pour
atteindre cet objectif.
342 Il en
découle que l’argumentation selon laquelle, par l’emploi de l’expression « dans
la mesure du possible », l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du
règlement attaqué irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit
objectif doit être écartée comme étant non fondée.
343 D’autre
part, en ce qui concerne la prétendue violation du principe de sécurité
juridique, tout d’abord, il résulte des constatations effectuées aux points 269
à 272 du présent arrêt que le type de mesures susceptibles d’être adoptées au
titre du règlement attaqué est fixé à l’article 5, paragraphe 1, de celui-ci et
que l’étendue des mesures est déterminée strictement, selon l’article 5,
paragraphe 3, dudit règlement, en fonction de l’incidence de la violation sur
le budget de l’Union qui a été constatée.
344 Ensuite, il
a été précisé aux points 273 à 279 du présent arrêt que l’expression « dans la
mesure du possible », figurant à l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase,
du règlement attaqué, ne rompt pas le lien entre une violation d’un principe de
l’État de droit et l’atteinte ou le risque sérieux d’atteinte au budget de
l’Union ou à la protection des intérêts financiers de celle-ci. En outre,
l’emploi de cette expression rend possible, à titre dérogatoire et dans la
stricte mesure de ce qui est indispensable, l’application de mesures de
protection du budget de l’Union à des actions autres que celles que la
violation d’un principe de l’État de droit affecte, lorsque la finalité de ce
règlement, qui est d’assurer une protection de ce budget dans son ensemble ou
de ces intérêts, ne peut être atteinte autrement. L’article 6 dudit règlement
encadre en outre une telle possibilité par des exigences procédurales strictes
et ne libère pas la Commission et le Conseil de leur obligation de respecter
strictement l’exigence de proportionnalité des mesures adoptées, en fonction de
l’incidence de la violation sur le budget de l’Union ou sur la protection des
intérêts financiers de celle-ci qui a été constatée.
345 Enfin, dès
lors que le règlement attaqué précise la nature et l’étendue des mesures
pouvant être adoptées, qu’il n’accorde à la Commission et au Conseil la faculté
de cibler des actions autres que celles que la violation d’un principe de
l’État de droit affecte que dans la mesure où elle est nécessaire pour assurer
une protection du budget de l’Union dans son ensemble et des intérêts
financiers de celle-ci, et que cette faculté est au demeurant strictement
encadrée, notamment par le principe de proportionnalité, il ne saurait être
considéré que l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué
viole les principes de proportionnalité et de sécurité juridique.
346 Partant, le
huitième moyen doit être écarté comme étant non fondé, de sorte que les
conclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 3, quatrième
phrase, du règlement attaqué doivent être rejetées.
6. Sur lesconclusions
tendant à l’annulation de l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué
a) Argumentation des parties
347 Par le
neuvième moyen, soulevé à l’appui de ses conclusions subsidiaires tendant à
l’annulation de l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué, la
Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que l’article 6,
paragraphe 3, du règlement attaqué viole le principe de sécurité juridique en
ce qu’il permet à la Commission de prendre en compte, pour l’évaluation des
conditions énoncées à l’article 4 de ce règlement, des « informations
pertinentes provenant de sources disponibles, y compris les décisions,
conclusions et recommandations des institutions de l’Union, d’autres
organisations internationales pertinentes et d’autres institutions reconnues ».
Il en irait de même de l’article 6, paragraphe 8, dudit règlement, qui renvoie
audit article 6, paragraphe 3, s’agissant de l’évaluation de la
proportionnalité des mesures à imposer.
348 En effet,
l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué ne définirait pas de
manière suffisamment précise les sources d’information pertinentes auxquelles
il renvoie, puisqu’il ne ferait pas apparaître la base sur laquelle la
Commission doit évaluer l’existence d’une violation des principes de l’État de
droit.
349 En
particulier, il ne serait pas exclu, compte tenu de l’expression « informations
pertinentes provenant de sources disponibles », figurant à l’article 6, paragraphe
3, du règlement attaqué, que la Commission fonde son évaluation sur l’opinion
individuelle exprimée par certaines personnes ou organisations dont
l’objectivité n’est pas établie ou qu’elle la fonde sur un défaut de mise en
œuvre de recommandations juridiquement non contraignantes et émises par des
organisations internationales en dehors du cadre de l’Union. Or, de telles
recommandations, de natures diverses, ne pourraient être considérées comme
étant des indicateurs fiables d’une défaillance généralisée en matière d’État
de droit.
350 L’article
6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué n’indiquerait pas non plus la
manière dont la Commission doit synthétiser ces sources. Compte tenu de la
marge d’appréciation étendue accordée à cette institution par ces dispositions,
tout document non contraignant utilisé par cette dernière pourrait être un
instrument de preuve d’une violation, même lorsqu’il a été choisi
arbitrairement.
351 Le
Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de
Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne,
la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent
cette argumentation.
b) Appréciation de la Cour
352 Par le
neuvième moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir,
tout d’abord, que l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué ne
satisfait pas, compte tenu du caractère imprécis de son libellé, à l’exigence
découlant du principe de sécurité juridique, ensuite, que cette disposition
permet à la Commission de fonder son évaluation sur des opinions dont
l’objectivité n’est pas garantie et sur des recommandations non contraignantes émises
en dehors du cadre de l’Union et, enfin, que ladite disposition ne précise pas
la manière dont cette institution doit synthétiser les informations retenues ni
en évaluer la pertinence au regard de la finalité du règlement attaqué.
353 À cet égard,
en premier lieu, il convient de rappeler que, contrairement à ce qu’allègue la
Hongrie, le règlement attaqué vise non pas à sanctionner les violations de
l’État de droit en tant que telles mais, ainsi qu’il a été constaté aux points
98 à 152 du présent arrêt, à assurer la protection du budget de l’Union, de
sorte que l’argumentation selon laquelle ce règlement devrait satisfaire aux
exigences prétendument applicables aux mesures de sanction ne saurait, en tout
état de cause, prospérer.
354 En deuxième
lieu, s’agissant du point de savoir si l’article 6, paragraphes 3 et 8, du
règlement attaqué permet à la Commission de fonder son évaluation sur des
opinions dont l’objectivité pourrait être considérée comme étant douteuse et
sur des recommandations non contraignantes émises en dehors du cadre de
l’Union, tout d’abord, il importe de relever que cette disposition se réfère
non pas à des « opinions », mais à des « décisions, conclusions et
recommandations » ainsi qu’à des « orientations ».
355 En tout
état de cause, la Hongrie n’invoque aucun élément précis susceptible de
remettre en cause l’objectivité des organismes et des institutions visés au
considérant 16 de ce règlement, de sorte que rien ne permet de suspecter que
ceux-ci produiraient des opinions dont l’objectivité est douteuse.
356 Ensuite,
l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué exige que la Commission
prenne en compte, aux fins de l’évaluation des conditions énoncées à l’article
4 de ce règlement ainsi que de la proportionnalité des mesures appropriées à
adopter, les informations « pertinentes » à ces fins, ce qui suppose
nécessairement que ces informations soient en rapport avec les principes visés
à l’article 2, sous a), dudit règlement, que recouvre la valeur de l’État de
droit, commune aux États membres, que contient l’article 2 TUE.
357 Enfin,
s’agissant du caractère non contraignant des recommandations qui peuvent être
prises en compte par la Commission, il a été relevé au point 285 du présent
arrêt que l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué ne confère pas
de valeur probante spécifique ou absolue et n’attache pas d’effets juridiques
déterminés aux sources d’information qu’il mentionne, ni à celles qui sont
indiquées au considérant 16 de ce règlement, de sorte que cette disposition ne
dispense pas la Commission de son obligation de procéder à une appréciation
diligente des faits qui satisfasse pleinement aux exigences rappelées au point
284 du présent arrêt.
358 En outre,
dès lors que, ainsi qu’il a été relevé au point 287 du présent arrêt, la
Commission doit s’assurer de la pertinence des informations qu’elle utilise et
de la fiabilité de ses sources, l’État membre concerné peut, au cours de la
procédure prévue à l’article 6, paragraphes 1 à 9, du règlement attaqué,
présenter ses observations sur ces informations et, partant, contester la
valeur probante de chacun des éléments retenus par la Commission, le bien-fondé
de ses appréciations pouvant, le cas échéant, être contrôlé par le juge de
l’Union.
359 En
troisième lieu, en ce qui concerne les arguments tirés de ce que l’article 6,
paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué ne précise pas la manière dont la
Commission doit synthétiser les informations retenues ni celle dont elle doit
évaluer, à partir de ces informations, la gravité d’une violation d’un principe
de l’État de droit ainsi que sa relation avec la protection de la bonne gestion
financière du budget de l’Union ou de ses intérêts financiers, il a été rappelé
aux points 357 et 358 du présent arrêt que la Commission est tenue de procéder
à une appréciation diligente des faits et de respecter l’exigence de
proportionnalité des mesures prises au titre de ce règlement, garantie à
l’article 5, paragraphe 3, de celui-ci, la validité d’une décision prise par le
Conseil au titre dudit règlement pouvant être contrôlée par le juge de l’Union.
360 Par
conséquent, le neuvième moyen doit être écarté comme étant non fondé, de sorte
que les conclusions tendant à l’annulation de l’article 6, paragraphes 3 et 8,
du règlement attaqué doivent être rejetées.
361 Eu égard à
l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours dans son ensemble doit
être rejeté.
VI. Sur les dépens
362 Aux termes de
l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui
succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
363 Le
Parlement et le Conseil ayant conclu à la condamnation de la Hongrie aux dépens
et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner au
paiement des dépens exposés par ceux-ci.
364
Conformément à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, le Royaume
de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne,
l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de
Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, la République de
Finlande, le Royaume de Suède et la Commission supporteront leurs propres
dépens en tant que parties intervenantes au litige.
Par ces motifs, la Cour (assemblée
plénière) déclare et arrête :
1) Le
recours est rejeté.
2) La
Hongrie est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par
le Parlement européen et par le Conseil de l’Union européenne.
3) Le
Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale
d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le
Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne,
la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission européenne
supportent leurs propres dépens.
Signatures
Langue de
procédure : le hongrois.