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ARRÊT DE LA COUR (assemblée plénière)

16 février 2022 (*)

Table des matières

 

I. Le cadre juridique

A. Le règlement (CE) no 1049/2001

B. Le règlement intérieur du Conseil

C. Les consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil

D. Le règlement (UE, Euratom) no 883/2013

E. Le règlement financier

II. Le règlement attaqué

III. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

IV. Sur la demande de ne pas prendre en compte certains passages de la requête de la Hongrie et de l’annexe A.3 de celle-ci

A. Argumentation des parties

B. Appréciation de la Cour

V. Sur le recours

A. Sur les conclusions principales tendant à l’annulation du règlement attaqué dans son ensemble

1. Sur les premier et deuxième moyens, tirés de l’incompétence de l’Union pour adopter le règlement attaqué

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

1) Sur la base juridique du règlement attaqué

2) Sur le contournement de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE

2. Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

B. Sur les conclusions subsidiaires tendant à l’annulation partielle du règlement attaqué

1. Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

2. Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

3. Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

4. Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement attaqué

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

5. Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

6. Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

VI. Sur les dépens

 

« Recours en annulation – Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 – Régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union européenne – Protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre – Base juridique – Article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE – Contournement allégué de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE – Violations alléguées de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 5, paragraphe 2, et de l’article 13, paragraphe 2, TUE ainsi que des principes de sécurité juridique, de proportionnalité et d’égalité des États membres devant les traités »

Dans l’affaire C‑156/21,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 11 mars 2021,

Hongrie, représentée par M. M. Z. Fehér et Mme M. M. Tátrai, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par :

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna et Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. F. Drexler, R. Crowe, U. Rösslein et T. Lukácsi ainsi que par Mme A. Pospíšilová Padowska, en qualité d’agents,

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. de Gregorio Merino, E. Rebasti et A. Tamás ainsi que par Mme A. Sikora-Kalėda, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

soutenus par :

Royaume de Belgique, représenté par Mmes C. Pochet, M. Jacobs et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,

Royaume de Danemark, représenté initialement par Mme M. Søndahl Wolff et M. J. Nymann-Lindegren, puis par Mmes M. Søndahl Wolff et V. Pasternak Jørgensen, en qualité d’agents,

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

Irlande, représentée par Mmes M. Browne et J. Quaney ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de M. D. Fennelly, BL,

Royaume d’Espagne, représenté initialement par M. J. Rodríguez de la Rúa Puig et Mme S. Centeno Huerta, puis par M. J. Rodríguez de la Rúa Puig et Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agents,

République française, représentée par Mmes A.-L. Desjonquères et A.‑C. Drouant ainsi que par M. E. Leclerc, en qualité d’agents,

Grand-Duché de Luxembourg, représenté initialement par MM. A. Germeaux et T. Uri, puis par M. A. Germaux, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme M. K. Bulterman et M. J. Langer, en qualité d’agents,

République de Finlande, représentée par Mme H. Leppo et M. S. Hartikainen, en qualité d’agents,

Royaume de Suède, représenté par MM. O. Simonsson et J. Lundberg ainsi que par Mmes C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, H. Shev, M. Salborn Hodgson, H. Eklinder et R. Shahsavan Eriksson, en qualité d’agents,

Commission européenne, représentée par MM. D. Calleja Crespo, J.–P. Keppenne, J. Baquero Cruz et A. Tokár, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LA COUR (assemblée plénière),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, M. A. Arabadjiev (rapporteur), Mmes A. Prechal, K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Regan, S. Rodin, I. Jarukaitis, N. Jääskinen, Mme I. Ziemele et M. J. Passer, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, J.–C. Bonichot, M. Safjan, F. Biltgen, P. G. Xuereb, N. Piçarra, Mme L. S. Rossi, MM. A. Kumin, N. Wahl, D. Gratsias, Mme M. L. Arastey Sahún, MM. M. Gavalec et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffiers : M. M. Aleksejev, chef d’unité, et M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 11 et 12 octobre 2021,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 décembre 2021,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Hongrie demande à la Cour d’annuler, à titre principal, le règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433I, p. 1, et rectificatif JO 2021, L 373, p. 94, ci-après le « règlement attaqué »), et, à titre subsidiaire, l’article 4, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous h), l’article 5, paragraphe 2 et paragraphe 3, avant‑dernière et dernière phrases, ainsi que l’article 6, paragraphes 3 et 8, de ce règlement.

I.      Le cadre juridique

A.      Le règlement (CE) no 1049/2001

2        L’article 2 du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), prévoit, à son paragraphe 1 :

« Tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, sous réserve des principes, conditions et limites définis par le présent règlement. »

3        Aux termes de l’article 4 de ce règlement :

« [...]

2.      Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :

[...]

        des procédures juridictionnelles et des avis juridiques,

[...]

à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

3.      L’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

L’accès à un document contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’institution concernée est refusé même après que la décision a été prise, dans le cas où la divulgation du document porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

[...]

5.      Un État membre peut demander à une institution de ne pas divulguer un document émanant de cet État sans l’accord préalable de celui-ci.

6.      Si une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs des exceptions susvisées, les autres parties du document sont divulguées.

7.      Les exceptions visées aux paragraphes 1, 2 et 3 s’appliquent uniquement au cours de la période durant laquelle la protection se justifie eu égard au contenu du document. [...] »

4        L’article 5 dudit règlement dispose :

« Lorsqu’un État membre est saisi d’une demande relative à un document en sa possession, émanant d’une institution, à moins qu’il ne soit clair que le document doit ou ne doit pas être fourni, l’État membre consulte l’institution concernée afin de prendre une décision ne compromettant pas la réalisation des objectifs du présent règlement.

L’État membre peut, au lieu de cela, soumettre la demande à l’institution. »

B.      Le règlement intérieur du Conseil

5        Le 1er décembre 2009, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2009/937/UE, portant adoption de son règlement intérieur (JO 2009, L 325, p. 35). L’article 6 de ce règlement intérieur (ci-après le « règlement intérieur du Conseil »), intitulé « Secret professionnel et production en justice de documents », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Le Conseil ou le [Comité des représentants permanents des gouvernements des États membres (Coreper)] peut autoriser la production en justice d’une copie ou d’un extrait des documents du Conseil qui n’ont pas déjà été rendus accessibles au public conformément aux dispositions relatives à l’accès du public aux documents. »

6        Aux termes de l’article 10 dudit règlement intérieur, intitulé « Accès du public aux documents du Conseil » :

« Les dispositions particulières concernant l’accès du public aux documents du Conseil figurent à l’annexe II. »

7        L’annexe II du même règlement intérieur, intitulée « Dispositions particulières concernant l’accès du public aux documents du Conseil », contient un article 5, relatif aux « [d]emandes soumises par les États membres », qui énonce :

« Lorsqu’un État membre soumet une demande au Conseil, elle est traitée conformément aux articles 7 et 8 du [règlement no 1049/2001] et aux dispositions pertinentes de la présente annexe. Lorsque l’accès est totalement ou partiellement refusé, le demandeur est informé de ce que toute demande confirmative doit être adressée directement au Conseil. »

C.      Les consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil

8        Par la note 7695/18, du 10 avril 2018, le Conseil a adopté des consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil. Les points 1, 2, 20 et 21 de ces consignes sont ainsi libellés :

« 1.      Le présent document contient des consignes relatives au traitement des documents non classifiés du Conseil dont la diffusion est interne au Conseil, à ses membres, à la Commission, au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et, en fonction de leur objet, à certaines autres institutions (par exemple, le Parlement européen, la Cour de justice et la Banque centrale européenne) et organes de l’[Union européenne] (par exemple, le Comité des régions et le Comité économique et social européen). La divulgation publique inopportune de ces documents pourrait avoir un effet préjudiciable sur les processus décisionnels au sein du Conseil.

2.      Les consignes ont une incidence directe sur le fonctionnement du Conseil et doivent par conséquent être respectées par les États membres en tant que membres du Conseil, conformément au principe de coopération loyale régissant les relations entre les institutions de l’[Union] et les États membres.

[...]

20.      Les documents “LIMITE” ne doivent pas être rendus publics à moins qu’une décision n’ait été prise à cet effet par des fonctionnaires du Conseil dûment habilités, par l’administration nationale d’un État membre (voir point 21) ou, le cas échéant, par le Conseil, conformément au [règlement no 1049/2001] et au règlement intérieur du Conseil.

21.      Les membres du personnel des institutions ou organes de l’[Union] autres que le Conseil ne peuvent décider de rendre publics des documents “LIMITE” sans avoir préalablement consulté le Secrétariat général du Conseil (SGC). Les membres du personnel de l’administration nationale d’un État membre consulteront le SGC avant de prendre une telle décision, sauf s’il est clair que le document peut être rendu public, conformément à l’article 5 du [règlement no 1049/2001]. »

D.      Le règlement (UE, Euratom) no 883/2013

9        L’article 2, point 1, du règlement (UE, Euratom) no 883/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 septembre 2013, relatif aux enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et abrogeant le règlement (CE) no 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (Euratom) no 1074/1999 du Conseil (JO 2013, L 248, p. 1), définit, aux fins de ce dernier, les « intérêts financiers de l’Union » comme étant « les recettes, dépenses et avoirs couverts par le budget de l’Union européenne, ainsi que ceux qui sont couverts par le budget des institutions, organes et organismes, et les budgets gérés et contrôlés par ceux-ci ».

E.      Le règlement financier

10      Aux termes de l’article 2 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier »), intitulé « Définitions » :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

7.      “exécution budgétaire” : la réalisation des activités liées à la gestion, au suivi, au contrôle et à l’audit des crédits budgétaires conformément aux modes prévus à l’article 62 ;

[...]

42.      “organisation d’un État membre” : une entité établie dans un État membre sous la forme d’un établissement de droit public, ou d’une entité de droit privé investie d’une mission de service public et dotée de garanties financières suffisantes par l’État membre ;

[...]

59.      “bonne gestion financière” : l’exécution du budget conformément aux principes d’économie, d’efficience et d’efficacité ;

[...] »

11      L’article 61 de ce règlement, intitulé « Conflit d’intérêts », prévoit :

« 1.      Les acteurs financiers au sens du chapitre 4 du présent titre et les autres personnes, y compris les autorités nationales à tout niveau, intervenant dans l’exécution budgétaire en gestion directe, indirecte ou partagée, y compris les actes préparatoires à celle-ci, ainsi que dans l’audit ou le contrôle, ne prennent aucune mesure à l’occasion de laquelle leurs propres intérêts pourraient être en conflit avec ceux de l’Union. Ils prennent en outre les mesures appropriées pour éviter un conflit d’intérêts dans les fonctions relevant de leur responsabilité et pour remédier aux situations qui peuvent, objectivement, être perçues comme un conflit d’intérêts.

2.      Lorsqu’il existe un risque de conflit d’intérêts impliquant un agent d’une autorité nationale, la personne concernée en réfère à son supérieur hiérarchique. Lorsqu’un tel risque existe pour un agent soumis au statut, la personne concernée en réfère à l’ordonnateur délégué compétent. Le supérieur hiérarchique ou l’ordonnateur délégué compétent confirme par écrit si l’existence d’un conflit d’intérêts a été établie. Lorsque l’existence d’un conflit d’intérêts a été établie, l’autorité investie du pouvoir de nomination ou l’autorité nationale compétente veille à ce que la personne concernée cesse toutes ses activités en rapport avec la matière concernée. L’ordonnateur délégué compétent ou l’autorité nationale compétente veille à ce que toute mesure supplémentaire appropriée soit prise conformément au droit applicable.

3.      Aux fins du paragraphe 1, il y a conflit d’intérêts lorsque l’exercice impartial et objectif des fonctions d’un acteur financier ou d’une autre personne, visés au paragraphe 1, est compromis pour des motifs familiaux, affectifs, d’affinité politique ou nationale, d’intérêt économique ou pour tout autre intérêt personnel direct ou indirect. »

12      L’article 62 dudit règlement, intitulé « Modes d’exécution budgétaire », dispose, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« 1.      La Commission exécute le budget :

a)      en mode direct (ci-après dénommé “gestion directe”), comme prévu aux articles 125 à 153, dans ses services, y compris par l’intermédiaire de son personnel dans les délégations de l’Union, placé sous la responsabilité du chef de délégation concerné, conformément à l’article 60, paragraphe 2, ou par l’intermédiaire des agences exécutives visées à l’article 69 ;

b)      en gestion partagée avec les États membres (ci-après dénommée “gestion partagée”), comme prévu aux articles 63 et 125 à 129 ;

c)      en mode indirect (ci-après dénommé “gestion indirecte”), comme prévu aux articles 125 à 149 et 154 à 159, lorsque ce mode d’exécution est prévu dans l’acte de base ou dans les cas visés à l’article 58, paragraphe 2, points a) à d), en confiant des tâches d’exécution budgétaire :

[...] »

13      L’article 63 du même règlement, intitulé « Gestion partagée avec les États membres », énonce, à ses paragraphes 2 et 8 :

« 2.      Lorsqu’ils effectuent des tâches liées à l’exécution budgétaire, les États membres prennent toutes les mesures législatives, réglementaires et administratives qui sont nécessaires à la protection des intérêts financiers de l’Union, à savoir :

a)      veiller à ce que les actions financées sur le budget soient correctement et effectivement exécutées, conformément à la réglementation sectorielle applicable ;

b)      désigner les organismes responsables de la gestion et du contrôle des fonds de l’Union, conformément au paragraphe 3, et superviser ces organismes ;

c)      prévenir, détecter et corriger les irrégularités et la fraude ;

d)      coopérer, conformément au présent règlement et à la réglementation sectorielle, avec la Commission, l’[Office européen de lutte antifraude (OLAF)], la Cour des comptes [européenne] et, dans le cas des États membres participant à une coopération renforcée en application du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil[, du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (JO 2017, L 283, p. 1)], avec le Parquet européen.

Pour protéger les intérêts financiers de l’Union, les États membres procèdent, dans le respect du principe de proportionnalité et conformément au présent article et à la réglementation sectorielle concernée, à des contrôles ex ante et ex post, y compris, le cas échéant, des contrôles sur place sur des échantillons d’opérations représentatifs et/ou fondés sur le risque. Ils récupèrent également les fonds indûment versés et engagent des poursuites judiciaires si nécessaire à cet égard.

Les États membres imposent des sanctions effectives, dissuasives et proportionnées aux destinataires lorsque la réglementation sectorielle ou des dispositions spécifiques du droit national le prévoient.

Dans le cadre de son évaluation du risque et conformément à la réglementation sectorielle, la Commission assure la surveillance des systèmes de gestion et de contrôle établis dans les États membres. Dans le cadre de ses audits, la Commission respecte le principe de proportionnalité et tient compte du niveau de risque évalué conformément à la réglementation sectorielle.

[...]

8.      Afin de garantir que les fonds de l’Union sont utilisés conformément aux règles applicables, la Commission :

a)      procède à l’examen et à l’approbation des comptes des organismes désignés, de façon à vérifier l’exhaustivité, l’exactitude et la véracité des comptes ;

b)      exclut des dépenses de l’Union correspondant à des financements les paiements qui ont été réalisés en violation du droit applicable ;

c)      interrompt le délai de paiement ou suspend les versements lorsque la réglementation sectorielle le prévoit.

La Commission lève tout ou partie de l’interruption des délais de paiement ou de la suspension des paiements après qu’un État membre a présenté ses observations et dès qu’il a pris toutes mesures nécessaires. Le rapport annuel d’activités visé à l’article 74, paragraphe 9, rend compte de toutes les obligations au titre du présent paragraphe. »

14      L’article 129 du règlement financier, intitulé « Coopération aux fins de la protection des intérêts financiers de l’Union », prévoit :

« 1.      Toute personne ou entité qui reçoit des fonds de l’Union coopère pleinement à la protection des intérêts financiers de l’Union et, avant de pouvoir recevoir ces fonds, accorde à l’ordonnateur compétent, au Parquet européen dans le cas des États membres participant à une coopération renforcée [...], à l’OLAF, à la Cour des comptes et, le cas échéant, aux autorités nationales compétentes, les droits et accès nécessaires au plein exercice de leurs compétences respectives. Dans le cas de l’OLAF, ces droits incluent le droit d’effectuer des enquêtes, y compris des contrôles et vérifications sur place, conformément au règlement [sur les enquêtes effectuées par l’OLAF].

2.      Toute personne ou entité qui reçoit des fonds de l’Union dans le cadre de la gestion directe ou indirecte s’engage par écrit à accorder les droits nécessaires visés au paragraphe 1 et à veiller à ce que tout tiers participant à l’exécution des fonds de l’Union accorde des droits équivalents. »

15      Aux termes de l’article 131 du règlement financier, intitulé « Suspension, résiliation et réduction » :

« 1.      Lorsqu’une procédure d’attribution est entachée d’irrégularités ou de fraude, l’ordonnateur compétent la suspend et peut prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l’annulation de la procédure. L’ordonnateur compétent informe immédiatement l’OLAF des cas présumés de fraude.

[...]

3.      L’ordonnateur compétent peut suspendre des paiements ou l’exécution de l’engagement juridique, lorsque :

[...]

b)      il est nécessaire de vérifier si le soupçon d’irrégularités, de fraude ou de violation d’obligations est fondé ;

c)      toute irrégularité, fraude ou violation d’obligations remet en question la fiabilité ou l’efficacité des systèmes de contrôle interne de la personne ou de l’entité qui exécute des fonds de l’Union en vertu de l’article 62, paragraphe 1, premier alinéa, point c), ou la légalité et la régularité des opérations sous-jacentes.

[...] »

16      L’article 135 de ce règlement, intitulé « Protection des intérêts financiers de l’Union par la détection des risques, l’exclusion et l’imposition de sanctions financières », dispose :

« 1.      Afin de protéger les intérêts financiers de l’Union, la Commission met en place et exploite un système de détection rapide et d’exclusion.

L’objectif de ce système est de faciliter :

a)      la détection rapide des personnes ou entités visées au paragraphe 2, qui constituent un risque pour les intérêts financiers de l’Union ;

[...]

3.      La décision d’inscription d’informations concernant une détection rapide de risques visés au paragraphe 1, deuxième alinéa, point a), du présent article, d’exclusion de personnes ou d’entités visées au paragraphe 2 et/ou d’imposition d’une sanction financière à un destinataire est prise par l’ordonnateur compétent. Les informations relatives à ces décisions sont enregistrées dans la base de données visée à l’article 142, paragraphe 1. Lorsque de telles décisions sont prises sur la base de l’article 136, paragraphe 4, les informations enregistrées dans la base de données comprennent les informations relatives aux personnes visées audit paragraphe.

4.      La décision d’exclusion de personnes ou d’entités visées au paragraphe 2 du présent article ou d’imposition d’une sanction financière à un destinataire se fonde sur un jugement définitif ou, dans les situations d’exclusion visées à l’article 136, paragraphe 1, sur une décision administrative définitive, ou sur une qualification juridique préliminaire par l’instance visée à l’article 143 dans les situations visées à l’article 136, paragraphe 2, afin d’assurer une évaluation centralisée de ces situations. Dans les cas visés à l’article 141, paragraphe 1, l’ordonnateur compétent écarte un participant d’une procédure d’attribution déterminée.

Sans préjudice de l’article 136, paragraphe 5, l’ordonnateur compétent ne peut prendre une décision d’exclure un participant ou un destinataire et/ou d’imposer une sanction financière à un destinataire et de publier les informations correspondantes que sur la base d’une qualification préliminaire visée à l’article 136, paragraphe 2, après avoir obtenu une recommandation de l’instance visée à l’article 143. »

II.    Le règlement attaqué

17      Il ressort des visas du règlement attaqué que celui-ci a été adopté sur le fondement du « traité [FUE], et notamment [de] son article 322, paragraphe 1, point a), » ainsi que du « traité [CEEA], et notamment [de] son article 106 bis ».

18      Les considérants 2, 3, 5 à 10, 12 à 16, 18 à 20 et 26 du règlement attaqué énoncent :

« (2)      Dans ses conclusions du 21 juillet 2020, le Conseil européen a déclaré que les intérêts financiers de l’Union doivent être protégés conformément aux principes généraux inscrits dans les traités, en particulier les valeurs énoncées à l’article 2 [TUE]. Il a également souligné l’importance que revêt la protection des intérêts financiers de l’Union et l’importance que revêt le respect de l’État de droit.

(3)      L’État de droit exige que toutes les autorités publiques agissent dans les limites fixées par la loi, conformément aux valeurs que sont la démocratie et le respect des droits fondamentaux, consacrées dans la [charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »)] et d’autres instruments applicables, et sous le contrôle de juridictions indépendantes et impartiales. Il requiert, en particulier, que les principes de légalité ([arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 63]), supposant l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste, de sécurité juridique ([arrêt du 12 novembre 1981, Meridionale Industria Salumi e.a., 212/80 à 217/80, EU:C:1981:270, point 10]), d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ([arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 19]), d’une protection juridictionnelle effective, incluant l’accès à la justice, par des juridictions indépendantes et impartiales ([arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, points 31, 40 et 41, ainsi que du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, points 63 à 67]), et de séparation des pouvoirs ([arrêts du 22 décembre 2010, DEB, C‑279/09, EU:C:2010:811, point 58 ; du 10 novembre 2016, Poltorak, C‑452/16 PPU, EU:C:2016:858, point 35, et du 10 novembre 2016, Kovalkovas, C‑477/16 PPU, EU:C:2016:861, point 36 ]) soient respectés ([Communication de la Commission intitulée “Un nouveau cadre de l’[Union] pour renforcer l’[É]tat de droit”, COM(2014) 158 final, annexe I]).

[...]

(5)      Une fois qu’un pays candidat devient un État membre, il adhère à une construction juridique qui repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 [TUE]. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre ([avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 168]). Les droits et pratiques des États membres devraient continuer de respecter les valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée.

(6)      S’il n’existe pas de hiérarchie entre les valeurs de l’Union, le respect de l’État de droit est essentiel à la protection des autres valeurs fondamentales sur lesquelles l’Union est fondée, telles que la liberté, la démocratie, l’égalité et le respect des droits de l’homme. Le respect de l’État de droit est intrinsèquement lié au respect de la démocratie et des droits fondamentaux. Il ne peut y avoir de démocratie et de respect des droits fondamentaux sans respect de l’État de droit, et inversement.

(7)      Chaque fois que les États membres exécutent le budget de l’Union, y compris les ressources allouées par l’intermédiaire de l’instrument de l’Union européenne pour la relance établi par le règlement (UE) 2020/2094 [du Conseil, du 14 décembre 2020, établissant un instrument de l’Union européenne pour la relance en vue de soutenir la reprise à la suite de la crise liée à la COVID‑19 (JO 2020, L 433I, p. 23)], et au moyen de prêts et d’autres instruments garantis par le budget de l’Union, et quelle que soit la méthode d’exécution utilisée, le respect de l’État de droit est une condition essentielle au respect des principes de la bonne gestion financière consacrés par l’article 317 [TFUE].

(8)      Les États membres ne peuvent garantir une bonne gestion financière que si les autorités publiques agissent en conformité avec le droit, si les cas de fraude, y compris la fraude fiscale, l’évasion fiscale, la corruption, les conflits d’intérêts ou d’autres violations du droit sont effectivement poursuivis par les services d’enquête et de poursuites judiciaires, et si les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques, y compris les autorités répressives, peuvent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes et par la Cour de justice de l’Union européenne.

(9)      L’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire devraient toujours être garanties et les services d’enquête et de poursuites judiciaires devraient être en mesure de remplir correctement leurs fonctions. Le pouvoir judiciaire et les services d’enquête et de poursuites judiciaires devraient être dotés des ressources humaines et financières suffisantes ainsi que de procédures leur permettant d’agir de manière efficace et dans le strict respect du droit d’accéder à un tribunal impartial, y compris le respect des droits de la défense. Les jugements définitifs devraient être effectivement exécutés. Ces conditions sont requises à titre de garantie minimale contre les décisions arbitraires et illégales d’autorités publiques susceptibles de léser les intérêts financiers de l’Union.

(10)      L’indépendance du pouvoir judiciaire présuppose, notamment, que l’instance judiciaire concernée soit en mesure d’exercer ses fonctions juridictionnelles, tant en vertu des règles applicables que dans la pratique, en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, et qu’elle soit ainsi protégée d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions. Les garanties d’indépendance et d’impartialité postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance et la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes de récusation et de révocation de ses membres, afin d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts en présence.

[...]

(12)      L’article 19 [TUE], qui concrétise la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 [TUE], impose aux États membres de prévoir une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, y compris ceux concernant l’exécution du budget de l’Union. L’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du droit de l’Union est inhérente à l’État de droit et exige des juridictions indépendantes ([arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, points 32 à 36]). La préservation de l’indépendance des juridictions est primordiale, ainsi que le confirme l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte ([arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, points 40 et 41]). Cette exigence vaut, en particulier, pour le contrôle juridictionnel de la régularité des actes, contrats ou autres instruments générateurs de dépenses ou de dettes publiques, notamment dans le cadre des procédures de passation de marchés publics dont les juridictions peuvent être également saisies.

(13)      Il existe donc un lien manifeste entre le respect de l’État de droit et la bonne exécution du budget de l’Union, conformément aux principes de bonne gestion financière.

(14)      L’Union a mis au point un éventail d’instruments et de processus qui promeuvent l’État de droit et son application, y compris un soutien financier en faveur des organisations de la société civile, le mécanisme européen de protection de l’État de droit et le tableau de bord de la justice dans l’[Union], et qui permettent aux institutions de l’Union d’apporter une réponse efficace aux violations de l’État de droit, au moyen de procédures d’infraction et de la procédure prévue à l’article 7 [TUE]. Le mécanisme prévu dans le présent règlement complète ces instruments en protégeant le budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit qui portent atteinte à sa bonne gestion financière ou à la protection des intérêts financiers de l’Union.

(15)      Les violations des principes de l’État de droit, en particulier celles qui portent atteinte au bon fonctionnement des autorités publiques et au caractère effectif du contrôle juridictionnel, peuvent nuire gravement aux intérêts financiers de l’Union. Tel est le cas des violations individuelles des principes de l’État de droit et encore plus des violations qui sont répandues ou résultent de pratiques ou d’omissions récurrentes des autorités publiques ou encore de mesures générales adoptées par ces autorités.

(16)      La détection de violations des principes de l’État de droit requiert que la Commission procède à une évaluation qualitative approfondie. Cette évaluation devrait être objective, impartiale et équitable et prendre en compte des informations pertinentes provenant de sources disponibles et d’institutions reconnues, parmi lesquelles les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, les rapports de la Cour des comptes, le rapport annuel de la Commission sur l’État de droit et le tableau de bord de la justice dans l’[Union], les rapports de l’[OLAF] et du Parquet européen, le cas échéant, ainsi que les conclusions et recommandations formulées par les organisations et réseaux internationaux pertinents, y compris les organes du Conseil de l’Europe, tels que le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe et la [Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise)], en particulier sa liste des critères de l’État de droit, le réseau européen des présidents des cours suprêmes judiciaires et le réseau européen des conseils de la justice. La Commission pourrait, au besoin, consulter l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Commission de Venise afin de préparer une évaluation qualitative approfondie.

[...]

(18)      Le principe de proportionnalité devrait s’appliquer lors de la détermination des mesures à adopter, notamment par la prise en considération de la gravité de la situation, du temps écoulé depuis le début du comportement en cause, de la durée et de l’éventuel caractère récurrent du comportement, de l’intention de l’État membre concerné de mettre un terme aux violations des principes de l’État de droit et de son degré de coopération en ce sens, ainsi que des effets sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou les intérêts financiers de l’Union.

(19)      Il est essentiel que les intérêts légitimes des destinataires finaux et des bénéficiaires soient dûment préservés lorsque des mesures sont adoptées en cas de violation des principes de l’État de droit. Lorsqu’il est envisagé d’adopter des mesures, la Commission devrait tenir compte de leur incidence potentielle sur les destinataires finaux et les bénéficiaires. Compte tenu du fait que, dans le cadre de la gestion partagée, les paiements de la Commission aux États membres sont juridiquement indépendants des paiements effectués par les autorités nationales aux bénéficiaires, les mesures appropriées adoptées au titre du présent règlement ne devraient pas être considérées comme affectant la disponibilité de fonds aux fins des paiements en faveur des bénéficiaires dans les délais de paiement fixés par la réglementation sectorielle et financière applicable. Les décisions adoptées en vertu du présent règlement et les obligations à l’égard des destinataires finaux ou des bénéficiaires énoncées dans le présent règlement font partie du droit de l’Union applicable en ce qui concerne l’exécution des financements en gestion partagée. Les États membres concernés par les mesures devraient régulièrement faire rapport à la Commission sur le respect de leurs obligations à l’égard des destinataires finaux ou des bénéficiaires. Les rapports sur le respect des obligations de paiement à l’égard des bénéficiaires énoncées dans la réglementation sectorielle et financière applicable devraient permettre à la Commission de vérifier que les décisions adoptées au titre du présent règlement n’ont aucune incidence, directement ou indirectement, sur les paiements à effectuer en vertu de la réglementation sectorielle et financière applicable.

Pour renforcer la protection des destinataires finaux ou des bénéficiaires, la Commission devrait fournir des informations et des orientations par l’intermédiaire d’un site Internet ou d’un portail Internet, ainsi que des outils adéquats permettant de l’informer de toute violation de l’obligation légale qui incombe aux entités publiques et aux États membres de continuer à effectuer les paiements après que des mesures ont été adoptées en vertu du présent règlement. La Commission devrait assurer le suivi de ces informations afin de vérifier si les règles applicables ont été respectées, en particulier l’article 69, l’article 74, paragraphe 1, point b), et l’article 104 du règlement (UE) 2021/1060 [du Parlement européen et du Conseil, du 24 juin 2021, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen plus, au Fonds de cohésion, au Fonds pour une transition juste et au Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture, et établissant les règles financières applicables à ces Fonds et au Fonds “Asile, migration et intégration”, au Fonds pour la sécurité intérieure et à l’instrument de soutien financier à la gestion des frontières et à la politique des visas (JO 2021, L 231, p. 159)]. Si nécessaire, afin de veiller à ce que tout montant dû par des entités publiques ou des États membres soit effectivement versé aux destinataires finaux ou aux bénéficiaires, la Commission devrait recouvrer les paiements effectués ou, selon le cas, procéder à une correction financière en réduisant le soutien de l’Union à un programme conformément à la réglementation sectorielle et financière applicable.

(20)      Afin d’assurer des conditions uniformes d’exécution du présent règlement, et compte tenu de l’importance des incidences financières des mesures adoptées en vertu de celui-ci, il convient de conférer des compétences d’exécution au Conseil, qui devrait statuer sur proposition de la Commission.

[...]

(26)      La procédure d’adoption et de levée des mesures devrait respecter les principes d’objectivité, de non-discrimination et d’égalité de traitement des États membres, et devrait être menée selon une approche non partisane et fondée sur des éléments concrets. Si, exceptionnellement, l’État membre concerné estime qu’il existe de graves violations de ces principes, il peut demander au président du Conseil européen de saisir le prochain Conseil européen de la question. Dans de telles circonstances exceptionnelles, aucune décision concernant les mesures ne devrait être prise jusqu’à ce que le Conseil européen ait débattu de la question. Ce processus ne devrait, en principe, pas durer plus de trois mois après que la Commission a présenté sa proposition au Conseil. »

19      L’article 1er du règlement attaqué dispose :

« Le présent règlement établit les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre. »

20      Aux termes de l’article 2 de ce règlement :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a)      “État de droit” : la valeur de l’Union consacrée à l’article 2 [TUE]. Il recouvre le principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que les principes de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi. L’État de droit s’entend eu égard aux autres valeurs et principes de l’Union consacrés à l’article 2 [TUE] ;

b)      “entité publique” : une autorité publique à tout niveau de gouvernement, incluant les autorités nationales, régionales et locales, ainsi que les organisations d’un État membre au sens de l’article 2, point 42, du règlement [financier]. »

21      L’article 3 du règlement attaqué, intitulé « Violations des principes de l’État de droit », prévoit :

« Aux fins du présent règlement, peuvent être indicatifs de violations des principes de l’État de droit :

a)      la mise en péril de l’indépendance du pouvoir judiciaire ;

b)      le fait de ne pas prévenir, corriger ou sanctionner les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques, y compris des autorités répressives, la retenue de ressources financières et humaines affectant leur bon fonctionnement ou le fait de ne pas veiller à l’absence de conflits d’intérêts ;

c)      la limitation de la disponibilité et de l’effectivité des voies de recours, notamment sous l’effet de règles de procédure restrictives et l’inexécution des décisions de justice, ou la limitation de l’effectivité des enquêtes, des poursuites ou des sanctions relatives à des violations du droit. »

22      L’article 4 de ce règlement, intitulé « Conditions d’adoption des mesures », énonce :

« 1.      Des mesures appropriées sont prises lorsqu’il est établi, conformément à l’article 6, que des violations des principes de l’État de droit dans un État membre portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de l’Union, d’une manière suffisamment directe.

2.      Aux fins du présent règlement, les violations des principes de l’État de droit concernent un ou plusieurs des points suivants :

a)      le bon fonctionnement des autorités exécutant le budget de l’Union, y compris des prêts et d’autres instruments garantis par le budget de l’Union, en particulier dans le contexte de procédures de passation de marchés publics ou d’octroi de subventions ;

b)      le bon fonctionnement des autorités chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financiers, ainsi que le bon fonctionnement de systèmes efficaces et transparents de gestion et de responsabilité financières ;

c)      le bon fonctionnement des services d’enquête et de poursuites judiciaires dans le cadre des enquêtes et poursuites relatives à la fraude, y compris la fraude fiscale, à la corruption ou à d’autres violations du droit de l’Union concernant l’exécution du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union ;

d)      le contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes d’actes ou d’omissions des autorités mentionnées aux points a), b) et c) ;

e)      la prévention et la sanction de la fraude, y compris la fraude fiscale, de la corruption ou d’autres violations du droit de l’Union concernant l’exécution du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union, ainsi que l’imposition de sanctions effectives et dissuasives aux destinataires par les juridictions nationales ou par les autorités administratives ;

f)      le recouvrement de fonds indûment versés ;

g)      la coopération effective et en temps utile avec l’OLAF et, sous réserve de la participation de l’État membre concerné, avec le Parquet européen à leurs enquêtes ou poursuites en vertu des actes de l’Union applicables conformément au principe de coopération loyale ;

h)      d’autres situations ou comportements des autorités qui sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union. »

23      L’article 5 dudit règlement, intitulé « Mesures de protection du budget de l’Union », prévoit, à ses paragraphes 1 à 4 :

« 1.      Pour autant que les conditions énoncées à l’article 4 du présent règlement soient remplies, une ou plusieurs des mesures appropriées suivantes peuvent être adoptées conformément à la procédure prévue à l’article 6 du présent règlement :

a)      lorsque la Commission exécute le budget de l’Union en gestion directe ou indirecte, en application de l’article 62, paragraphe 1, points a) et c), du règlement financier, et lorsqu’une entité publique est le destinataire :

i)      une suspension des paiements ou de l’exécution de l’engagement juridique ou une résiliation de l’engagement juridique, conformément à l’article 131, paragraphe 3, du règlement financier ;

ii)      une interdiction de contracter de nouveaux engagements juridiques ;

iii)      une suspension du décaissement des tranches, en tout ou partie, ou un remboursement anticipé de prêts garantis par le budget de l’Union ;

iv)      une suspension ou une réduction de l’avantage économique découlant d’un instrument garanti par le budget de l’Union ;

v)      une interdiction de conclure de nouveaux accords relatifs à des prêts ou d’autres instruments garantis par le budget de l’Union ;

b)      lorsque la Commission exécute le budget de l’Union en gestion partagée avec les États membres conformément à l’article 62, paragraphe 1, point b), du règlement financier :

i)      une suspension de l’approbation d’un ou de plusieurs programmes ou une modification de cette suspension ;

ii)      une suspension des engagements ;

iii)      une réduction des engagements, notamment au moyen de corrections financières ou de transferts vers d’autres programmes de dépenses ;

iv)      une réduction du préfinancement ;

v)      une interruption des délais de paiement ;

vi)      une suspension des paiements.

2.      Sauf disposition contraire de la décision portant adoption des mesures, l’imposition de mesures appropriées est sans incidence sur les obligations des entités publiques visées au paragraphe 1, point a), ou des États membres visés au paragraphe 1, point b), d’exécuter le programme ou le fonds touché par la mesure, et notamment les obligations qui leur incombent à l’égard des destinataires finaux ou des bénéficiaires, y compris l’obligation d’effectuer les paiements conformément au présent règlement et à la réglementation sectorielle ou financière applicable. Lorsqu’ils exécutent des fonds de l’Union européenne en gestion partagée, les États membres concernés par des mesures adoptées en vertu du présent règlement font rapport à la Commission, tous les trois mois à compter de l’adoption desdites mesures, sur la manière dont ils respectent ces obligations.

La Commission vérifie si le droit applicable a été respecté et, au besoin, prend toutes les mesures appropriées pour protéger le budget de l’Union, conformément à la réglementation sectorielle et financière.

3.      Les mesures prises sont proportionnées. Elles sont déterminées en fonction de l’incidence réelle ou potentielle des violations des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de l’Union. La nature, la durée, la gravité et la portée des violations des principes de l’État de droit sont dûment prises en compte. Les mesures ciblent, dans la mesure du possible, les actions de l’Union auxquelles les violations portent atteinte.

4.      La Commission fournit des informations et des orientations à l’intention des destinataires finaux ou des bénéficiaires en ce qui concerne les obligations des États membres visées au paragraphe 2 par l’intermédiaire d’un site Internet ou d’un portail Internet. La Commission fournit également, sur le même site Internet ou portail Internet, des outils adéquats permettant aux destinataires finaux ou aux bénéficiaires de l’informer de toute violation de ces obligations qui, selon ces destinataires finaux ou bénéficiaires, leur porte directement atteinte. Le présent paragraphe s’applique de manière à assurer la protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union, conformément aux principes énoncés dans la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil[, du 23 octobre 2019, sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union (JO 2019, L 305, p. 17)]. Les informations fournies par les destinataires finaux ou les bénéficiaires conformément au présent paragraphe sont accompagnées d’une preuve indiquant que le destinataire final ou le bénéficiaire a introduit une plainte formelle auprès de l’autorité compétente de l’État membre concerné. »

24      Aux termes de l’article 6 du même règlement, intitulé « Procédure » :

« 1.      Lorsque la Commission constate qu’il existe des motifs raisonnables de considérer que les conditions énoncées à l’article 4 sont remplies, à moins qu’elle ne considère que d’autres procédures prévues par la législation de l’Union lui permettraient de protéger le budget de l’Union d’une manière plus efficace, elle adresse une notification écrite à l’État membre concerné exposant les éléments factuels et les motifs précis sur lesquels reposent ses constatations. La Commission informe le Parlement européen et le Conseil sans tarder de cette notification et de son contenu.

2.      À la lumière des informations reçues en application du paragraphe 1, le Parlement européen peut inviter la Commission à prendre part à un dialogue structuré sur ses constatations.

3.      Lorsqu’elle évalue si les conditions énoncées à l’article 4 sont remplies, la Commission prend en compte des informations pertinentes provenant de sources disponibles, y compris les décisions, conclusions et recommandations des institutions de l’Union, d’autres organisations internationales pertinentes et d’autres institutions reconnues.

4.      La Commission peut demander toute information supplémentaire dont elle a besoin pour effectuer l’évaluation visée au paragraphe 3, tant avant qu’après avoir adressé la notification écrite visée au paragraphe 1.

5.      L’État membre concerné fournit les informations nécessaires et peut formuler des observations sur les constatations figurant dans la notification visée au paragraphe 1 dans un délai à fixer par la Commission, qui doit être d’au moins un mois et ne pas excéder trois mois à compter de la date de la notification des constatations. Dans ses observations, l’État membre peut proposer l’adoption de mesures correctives pour répondre aux constatations exposées dans la notification de la Commission.

6.      La Commission tient compte des informations reçues et des éventuelles observations formulées par l’État membre concerné, ainsi que du caractère adéquat des éventuelles mesures correctives proposées, lorsqu’elle décide de l’opportunité de présenter une proposition de décision d’exécution arrêtant des mesures appropriées. La Commission procède à son évaluation dans un délai indicatif d’un mois à compter de la réception de toute information de la part de l’État membre concerné ou de ses observations ou, à défaut d’information ou d’observations, à compter de l’expiration du délai fixé conformément au paragraphe 5 et, en tout état de cause, dans un délai raisonnable.

7.      Lorsque la Commission a l’intention de soumettre une proposition en vertu du paragraphe 9, elle donne préalablement à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations, en particulier sur la proportionnalité des mesures envisagées, dans un délai d’un mois.

8.      Lorsqu’elle évalue la proportionnalité des mesures à imposer, la Commission tient compte des informations et orientations visées au paragraphe 3.

9.      Lorsque la Commission considère que les conditions énoncées à l’article 4 sont remplies et que les mesures correctives proposées, le cas échéant, par l’État membre au titre du paragraphe 5 ne répondent pas de manière satisfaisante aux constatations figurant dans la notification de la Commission, elle présente au Conseil, dans un délai d’un mois à compter de la réception des observations de l’État membre, une proposition de décision d’exécution arrêtant les mesures appropriées ou, dans le cas où aucune observation n’est présentée, sans retard injustifié et, en tout état de cause, dans un délai d’un mois à compter du délai fixé au paragraphe 7. La proposition indique les motifs précis et les éléments concrets sur lesquels la Commission a fondé ses constatations.

10.      Le Conseil adopte la décision d’exécution visée au paragraphe 9 du présent article dans un délai d’un mois à compter de la réception de la proposition de la Commission. En cas de circonstances exceptionnelles, le délai pour l’adoption de ladite décision d’exécution peut être prolongé de deux mois au maximum. Pour faire en sorte qu’une décision soit prise en temps utile, la Commission fait usage des droits qui lui sont conférés par l’article 237 [TFUE], lorsqu’elle le juge approprié.

11.      Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut modifier la proposition de la Commission et adopter le texte modifié au moyen d’une décision d’exécution. »

25      L’article 7 du règlement attaqué, intitulé « Levée des mesures », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      L’État membre concerné peut, à tout moment, adopter de nouvelles mesures correctives et présenter à la Commission une notification écrite comprenant des éléments visant à démontrer que les conditions énoncées à l’article 4 ne sont plus remplies.

2.      À la demande de l’État membre concerné ou de sa propre initiative et, au plus tard, après une période maximale d’un an suivant l’adoption des mesures par le Conseil, la Commission réévalue la situation dans l’État membre concerné, en tenant compte de tout élément présenté par celui-ci ainsi que de l’adéquation de toutes nouvelles mesures correctives adoptées par l’État membre concerné.

Lorsque la Commission considère que les conditions énoncées à l’article 4 ne sont plus remplies, elle présente au Conseil une proposition de décision d’exécution levant les mesures adoptées.

Lorsque la Commission considère qu’il a été remédié en partie à la situation ayant conduit à l’adoption des mesures, elle présente au Conseil une proposition de décision d’exécution adaptant les mesures adoptées.

Lorsque la Commission considère qu’il n’a pas été remédié à la situation ayant conduit à l’adoption des mesures, elle adresse une décision motivée à l’État membre concerné et en informe le Conseil.

Lorsque l’État membre concerné présente une notification écrite en vertu du paragraphe 1, la Commission présente sa proposition ou adopte sa décision d’exécution dans un délai d’un mois à compter de la réception de cette notification. Ce délai peut être prolongé dans des circonstances dûment justifiées, auquel cas la Commission informe sans tarder l’État membre concerné des motifs de cette prolongation.

La procédure prévue à l’article 6, paragraphes 3, 4, 5, 6, 9, 10 et 11, s’applique par analogie ainsi qu’il y a lieu. »

III. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

26      La Hongrie demande à la Cour :

        à titre principal, d’annuler le règlement attaqué ;

        à titre subsidiaire, d’annuler l’article 4, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous h), l’article 5, paragraphe 2 et paragraphe 3, avant-dernière et dernière phrases, ainsi que l’article 6, paragraphes 3 et 8, de ce règlement, et

        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

27      Par ailleurs, la Hongrie a demandé à la Cour, au titre de l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de juger la présente affaire en grande chambre.

28      Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour de rejeter le recours et de condamner la Hongrie aux dépens.

29      Par requête du 12 mai 2021, le Parlement a demandé que la présente affaire soit soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 133 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de cette demande, le Parlement a fait valoir que l’adoption du règlement attaqué était une condition politique essentielle à son approbation du règlement (UE, Euratom) 2020/2093 du Conseil, du 17 décembre 2020, fixant le cadre financier pluriannuel pour les années 2021 à 2027 (JO 2020, L 433I, p. 11) et que, au vu de l’urgence économique, les fonds disponibles au titre du plan de relance COVID-19 intitulé « Next Generation EU » devront être mis à la disposition des États membres dans des délais extrêmement brefs. Il a notamment précisé à cet égard que, conformément à l’article 3, paragraphe 4, du règlement 2020/2094, au moins 60 % des engagements juridiques devront être contractés au plus tard le 31 décembre 2022 et que la totalité des engagements juridiques devra l’être le 31 décembre 2023 au plus tard. Par ailleurs, le Parlement a souligné que, à la suite de l’entrée en vigueur de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil, du 14 décembre 2020, relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom (JO 2020, L 424, p. 1), la Commission lancera dès l’été 2022 ses emprunts sur les marchés de capitaux pour financer le plan de relance précité. Selon le Parlement, l’emprunt et la mise à disposition de fonds extrêmement importants, dans des délais très brefs, entraîneront inévitablement des risques pour le budget de l’Union que le règlement attaqué vise à protéger. Une telle protection serait importante, car une incapacité à protéger de manière effective ce budget risquerait d’entraîner des répercussions néfastes, notamment pour la solidarité au sein de l’Union à long terme.

30      L’article 133, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande soit de la partie requérante, soit de la partie défenderesse, le président de la Cour peut, l’autre partie, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre une affaire à une procédure accélérée lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

31      En l’occurrence, le 9 juin 2021, le président de la Cour a décidé, les autres parties, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de faire droit à cette demande. Cette décision a été motivée par l’importance fondamentale de la présente affaire pour l’ordre juridique de l’Union, notamment dans la mesure où elle a trait aux compétences de l’Union pour défendre son budget et ses intérêts financiers contre des atteintes pouvant découler de violations des valeurs que contient l’article 2 TUE.

32      Par décision du président de la Cour du 25 juin 2021, le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil.

33      Par décision du président de la Cour du même jour, la République de Pologne a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la Hongrie.

34      Par requête du 11 mai 2021, le Conseil a demandé à la Cour de ne pas prendre en compte les passages de la requête de la Hongrie et de ses annexes, en particulier ceux de son annexe A.3, faisant référence à l’avis no 13593/18 de son service juridique du Conseil, du 25 octobre 2018, concernant la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’État de droit dans un État membre [(COM/2018) 324 final), à l’origine du règlement attaqué (ci-après l’« avis juridique no 13593/18 »), ou reproduisant le contenu ou le raisonnement de cet avis juridique. Le 29 juin 2021, la Cour a décidé de joindre cette demande au fond.

35      Le 7 septembre 2021, estimant que la présente affaire revêt une importance exceptionnelle, la Cour a décidé, l’avocat général entendu, de renvoyer l’affaire devant l’assemblée plénière, conformément à l’article 16, dernier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

IV.    Sur la demande de ne pas prendre en compte certains passages de la requête de la Hongrie et de l’annexe A.3 de celle-ci

A.      Argumentation des parties

36      À l’appui de sa demande tendant à ce que ne soient pas pris en compte les points 21, 22, 164 et 166 de la requête de la Hongrie ainsi que l’annexe A.3 de celle-ci, en ce qu’ils font référence à l’avis juridique no 13593/18, en reproduisent le contenu ou en reflètent l’analyse, le Conseil fait valoir que cet avis juridique constitue un document interne non classifié portant le marquage « LIMITE ». Partant, il serait couvert par le secret professionnel et sa production en justice serait subordonnée aux conditions prévues notamment à l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil ainsi qu’aux points 20 et 21 des consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil.

37      Selon l’article 6, paragraphe 2, de ce règlement intérieur, seuls le Conseil ou le Coreper peuvent autoriser la production en justice d’une copie ou d’un extrait des documents du Conseil qui n’ont pas déjà été rendus accessibles au public conformément aux dispositions du droit de l’Union relatives à l’accès du public aux documents. Par ailleurs, conformément aux points 20 et 21 de ces consignes, un document « LIMITE » ne doit pas être rendu public à moins qu’une décision ne soit prise à cet effet par un fonctionnaire du Conseil dûment habilité, par l’administration nationale d’un État membre, après consultation du SGC, ou, le cas échéant, par le Conseil, conformément au règlement no 1049/2001 et au règlement intérieur du Conseil.

38      Or, en l’espèce, à ce jour, le Conseil n’aurait rendu publics, au titre du règlement no 1049/2001, que les huit premiers points de l’avis juridique no 13593/18 et n’aurait pas non plus autorisé la Hongrie à le produire dans le cadre de la présente procédure juridictionnelle.

39      Selon une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, il serait contraire à l’intérêt public, selon lequel les institutions doivent pouvoir bénéficier des avis de leur service juridique, donnés en toute indépendance, d’admettre que la production de tels documents internes puisse avoir lieu dans le cadre d’un litige devant la Cour sans que ladite production ait été autorisée par l’institution concernée ou ordonnée par cette juridiction.

40      Le Conseil fait observer que, s’il n’a donné que partiellement accès à l’avis juridique no 13593/18 à la suite de demandes fondées sur le règlement no 1049/2001, c’est en raison, en particulier, du risque que, dans le cadre d’un litige portant sur la validité du règlement attaqué, une partie requérante puisse le confronter aux arguments exprimés par son propre service juridique dans ledit avis juridique, en violation des exigences d’un procès équitable et de l’égalité des armes entre les parties à une procédure juridictionnelle. Du reste, ces risques se seraient matérialisés avec l’introduction du présent recours.

41      D’ailleurs, selon le Conseil, la Hongrie a toujours voté, sur la base de ces arguments, en faveur des décisions refusant l’accès du public à l’avis juridique no 13593/18. Si cet État membre avait souhaité que cet avis juridique soit rendu public, il aurait dû introduire une demande en ce sens au titre du règlement no 1049/2001 ou solliciter une autorisation conformément au règlement intérieur du Conseil et aux consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil.

42      Le Conseil fait valoir que si la Hongrie était autorisée à utiliser l’avis juridique no 13593/18 dans la présente affaire, alors qu’elle n’a pas suivi la procédure prévue à cet effet et que la question n’a pas été soumise à un contrôle juridictionnel effectif, les procédures prévues par le règlement no 1049/2001 et par le règlement intérieur du Conseil seraient contournées. Il rappelle à cet égard la jurisprudence constante de la Cour qui fait droit aux demandes des institutions visant à obtenir le retrait de leurs documents internes du dossier dont dispose la Cour lorsqu’elles n’en ont pas autorisé la production en justice et estime qu’il en découle que l’avis juridique no 13593/18 ne saurait être utilisé dans la présente affaire.

43      En outre, le Conseil fait valoir que, si la production de l’avis juridique no 13593/18 dans la présente procédure était admise, il se verrait contraint de porter des appréciations devant le juge de l’Union sur un avis destiné à un usage interne et rendu par son propre service juridique lors de l’élaboration du règlement attaqué, ce qui méconnaîtrait les exigences d’un procès équitable et affecterait la possibilité pour le Conseil de recevoir des avis francs, objectifs et complets.

44      Enfin, selon la jurisprudence de la Cour, le fait que l’avis juridique no 13593/18 a été divulgué sans autorisation du Conseil sur le site Internet d’un organe de presse et que son contenu a ainsi été révélé au public serait sans incidence sur ces considérations. De plus, le préjudice causé au Conseil et aux institutions de l’Union résultant de l’utilisation non autorisée de cet avis juridique dans le cadre de la présente procédure excéderait largement celui causé par la publication dudit avis juridique dans la presse. En effet, le fait de permettre à la Hongrie de se fonder sur le même avis juridique menacerait l’intérêt public consistant à ce que les institutions puissent bénéficier des avis de leur service juridique en toute indépendance et réduirait à néant l’efficacité des procédures visant à la protection de cet intérêt.

45      La Hongrie conteste l’argumentation du Conseil.

B.      Appréciation de la Cour

46      Par son argumentation, le Conseil soutient en substance que la Hongrie, en ayant inclus, aux points 21, 22, 164 et 166 de la requête ainsi que dans l’annexe A.3 de celle-ci, des références à l’avis juridique no 13593/18 et des analyses du contenu de celui-ci, premièrement, a violé l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil, deuxièmement, a enfreint les points 20 et 21 des consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil, troisièmement, a méconnu le règlement no 1049/2001, quatrièmement, a méconnu l’intérêt public consistant à ce que le Conseil puisse bénéficier des avis de son service juridique, donnés en toute indépendance, et, cinquièmement, a placé le Conseil dans une situation susceptible de le conduire à se prononcer dans la procédure principale sur les analyses de son propre service juridique, violant ainsi le principe de l’égalité des armes.

47      S’agissant de l’allégation d’une violation de l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil, il convient de rappeler que, aux termes de cette disposition, « [l]e Conseil ou le Coreper peut autoriser la production en justice d’une copie ou d’un extrait des documents du Conseil qui n’ont pas déjà été rendus accessibles au public ».

48      À cet égard, il convient de constater, tout d’abord, que la requête et l’annexe A.3 de celle-ci font référence à des points de l’avis juridique no 13593/18 autres que les huit points que le Conseil a rendu publics en application du règlement no 1049/2001, ensuite, que la Hongrie n’a pas demandé au Conseil l’autorisation de produire en justice une copie ou des extraits de cet avis juridique et, enfin, que cet État membre n’a pas joint à sa requête une copie dudit avis juridique.

49      Partant, il y a lieu de déterminer si, en ayant visé dans sa requête et dans l’annexe A.3 de celle-ci des passages de l’avis juridique no 13593/18, la Hongrie doit être regardée comme ayant produit en justice des extraits de celui-ci, au sens de l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil.

50      À cet égard, il convient de relever que les points 22 et 164 de la requête ainsi que l’annexe A.3, deuxième à septième et neuvième alinéas, de celle-ci comportent une argumentation propre de la Hongrie dont cet État membre allègue qu’elle reflète l’analyse effectuée dans cet avis juridique, tandis que les points 21 et 166 de la requête comportent, également dans le cadre d’une argumentation propre de la Hongrie, de simples références audit avis juridique. Ainsi, de telles argumentations assorties de simples allégations de concordance avec l’avis juridique no 13593/18 et de références à celui-ci, dont le Conseil conteste d’ailleurs l’exactitude, ne sauraient être regardées comme constituant des extraits de cet avis juridique.

51      En revanche, l’annexe A.3 de la requête, en ce que son quatrième alinéa cite l’avis juridique no 13593/18, doit être considéré comme comportant un « extrait » de cet avis juridique, au sens de l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil. Par ailleurs, la présentation d’un tel extrait dans l’annexe d’une pièce de procédure constitue une « production en justice », au sens de cette disposition.

52      En conséquence, la Hongrie était en principe tenue, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil, d’obtenir l’autorisation du Conseil aux fins de produire devant la Cour l’extrait de l’avis juridique no 13593/18 figurant à l’annexe A.3 de la requête.

53      À cet égard, il ressort certes, comme le relève le Conseil, de la jurisprudence constante de la Cour qu’il serait contraire à l’intérêt public qui veut que les institutions puissent bénéficier des avis de leur service juridique, donnés en toute indépendance, d’admettre que la production de tels documents internes puisse avoir lieu dans le cadre d’un litige devant la Cour sans que ladite production ait été autorisée par l’institution concernée ou ordonnée par cette juridiction (ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non publiée, EU:C:2019:438, point 8 et jurisprudence citée, ainsi que arrêt du 31 janvier 2020, Slovénie/Croatie, C‑457/18, EU:C:2020:65, point 66).

54      En effet, par la production non autorisée d’un tel avis juridique, le requérant confronte, comme le soutient le Conseil, l’institution concernée, dans la procédure portant sur la validité d’un acte attaqué, à un avis rendu par son propre service juridique lors de l’élaboration de cet acte. Or, en principe, le fait d’admettre que ce requérant puisse verser au dossier un avis juridique d’une institution dont la divulgation n’a pas été autorisée par cette dernière méconnaît les exigences d’un procès équitable et revient à contourner la procédure de demande d’accès à un tel document, mise en place par le règlement no 1049/2001 (voir, en ce sens, ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non publiée, EU:C:2019:438, point 14 et jurisprudence citée, ainsi que arrêt du 31 janvier 2020, Slovénie/Croatie, C‑457/18, EU:C:2020:65, point 68).

55      Toutefois, il convient de tenir compte du principe de transparence, inscrit à l’article 1er, deuxième alinéa, et à l’article 10, paragraphe 3, TUE ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1, et à l’article 298, paragraphe 1, TFUE, qui permet, notamment, de garantir une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique (voir, en ce sens, ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non publiée, EU:C:2019:438, point 13 et jurisprudence citée). En permettant que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues, la transparence contribue, en outre, à augmenter la confiance de ces citoyens (arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 75 et jurisprudence citée).

56      Il est vrai que ce n’est qu’à titre exceptionnel que le principe de transparence est susceptible de justifier une divulgation dans le cadre d’une procédure juridictionnelle d’un document d’une institution qui n’a pas été rendu accessible au public et qui comporte un avis juridique. C’est pourquoi la Cour a jugé que le maintien, dans le dossier d’une affaire, d’un document comportant un avis juridique d’une institution n’est justifié par aucun intérêt public supérieur lorsque, d’une part, cet avis juridique n’est pas relatif à une procédure législative pour laquelle s’impose une transparence accrue et, d’autre part, l’intérêt de ce maintien consiste seulement, pour l’État membre concerné, à être en mesure de se prévaloir dudit avis juridique dans le cadre d’un litige. En effet, selon la Cour, la production d’un tel avis juridique apparaît guidée par les propres intérêts du requérant à étayer son argumentation, et non par un quelconque intérêt public supérieur, tel que celui de rendre publique la procédure ayant abouti à l’acte attaqué (voir, en ce sens, ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non publiée, EU:C:2019:438, point 18, et arrêt du 31 janvier 2020, Slovénie/Croatie, C‑457/18, EU:C:2020:65, point 71).

57      En l’espèce, il convient de constater que, à la différence des affaires ayant donné lieu à la jurisprudence citée au point précédent, l’avis juridique no 13593/18 se rapporte à une procédure législative.

58      À cet égard, la Cour a considéré que la divulgation des documents contenant un avis du service juridique d’une institution sur des questions juridiques surgissant lors du débat sur des initiatives législatives est de nature à accroître la transparence et l’ouverture du processus législatif et à renforcer le droit des citoyens européens de contrôler les informations qui ont constitué le fondement d’un acte législatif. Elle en a déduit qu’il n’existe pas de besoin général de confidentialité en ce qui concerne les avis du service juridique du Conseil relatifs à un processus législatif et que le règlement no 1049/2001 impose, en principe, une obligation de les divulguer (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, points 67 ainsi que 68).

59      En effet, c’est précisément la transparence à cet égard qui, en permettant que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues, contribue à réduire les doutes dans l’esprit des citoyens non seulement quant à la légalité d’un acte législatif isolé, mais également quant à la légitimité du processus législatif dans son entièreté (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 59), et contribue à renforcer les principes de la démocratie et le respect des droits fondamentaux tels qu’ils sont définis à l’article 6 TUE et dans la Charte, ainsi que le rappelle le considérant 2 du règlement no 1049/2001.

60      Cette transparence ne fait toutefois pas obstacle à ce que la divulgation d’un avis juridique spécifique, rendu dans le contexte d’un processus législatif déterminé mais ayant un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au-delà du cadre de ce processus législatif, puisse être refusée au titre de la protection des avis juridiques, auquel cas il incombe à l’institution concernée de motiver le refus de façon circonstanciée (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 69).

61      Or, en l’espèce, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 70 à 72 de ses conclusions, le Conseil n’a pas démontré que l’avis juridique no 13593/18 a un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au-delà du cadre du processus législatif y afférent.

62      Partant, ni l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil ni la jurisprudence rappelée au point 53 du présent arrêt ne faisait obstacle à ce que la Hongrie divulgue cet avis juridique en tout ou en partie dans sa requête.

63      Cette constatation n’est pas infirmée par le fait que la Hongrie a un intérêt propre à ce que les passages litigieux de sa requête et de l’annexe A.3 de celle-ci soient pris en compte par la Cour. En effet, une telle prise en compte étant également de nature à contribuer à réduire les doutes dans l’esprit des citoyens non seulement quant à la légalité du règlement attaqué, mais également quant à la légitimité du processus législatif dans son entièreté, elle sert en tout état de cause l’intérêt public supérieur rappelé aux points 58 et 59 du présent arrêt.

64      En conséquence, et sans qu’il soit besoin de se prononcer séparément sur les moyens pris de la violation des points 20 et 21 des consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil, du règlement no 1049/2001 et du principe de l’égalité des armes, ces moyens ne pouvant, en tout état de cause, prospérer, eu égard aux appréciations effectuées aux points 55 à 63 du présent arrêt, la demande du Conseil tendant à ce que ne soient pas pris en compte les passages de la requête de la Hongrie et de ses annexes, en particulier ceux de son annexe A.3, en ce qu’ils font référence à l’avis juridique no 13593/18, en reproduisent le contenu ou en reflètent l’analyse, doit être rejetée comme étant non fondée.

V.      Sur le recours

65      Par son recours, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, demande, à titre principal, l’annulation du règlement attaqué dans son ensemble et, à titre subsidiaire, l’annulation partielle de celui-ci, à savoir de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 4, paragraphe 2, sous h), de l’article 5, paragraphe 2, de l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, de l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, ainsi que de l’article 6, paragraphes 3 et 8, de ce règlement.

A.      Sur les conclusions principales tendant à l’annulation du règlement attaqué dans son ensemble

66      Au soutien des conclusions principales tendant à l’annulation du règlement attaqué dans son ensemble, la Hongrie soulève trois moyens. Il convient d’examiner, en premier lieu et de manière conjointe, les premier et deuxième moyens, tirés, en substance, de l’incompétence de l’Union pour adopter le règlement attaqué.

1.      Sur les premier et deuxième moyens, tirés de l’incompétence de l’Union pour adopter le règlement attaqué

a)      Argumentation des parties

67      Par le premier moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que la base légale du règlement attaqué fait défaut. Elle rappelle à cet égard que l’article 322, paragraphe 1, sous a) et b), TFUE autorise le législateur de l’Union à adopter, respectivement, des « règles financières qui fixent notamment les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget et à la reddition et à la vérification des comptes » et des « règles qui organisent le contrôle de la responsabilité des acteurs financiers, et notamment des ordonnateurs et des comptables ». Elle ajoute que, selon l’article 322, paragraphe 2, TFUE, le Conseil fixe les modalités et la procédure selon lesquelles les recettes budgétaires prévues par le régime des ressources propres de l’Union sont mises à la disposition de la Commission et définit les mesures à appliquer pour faire face aux besoins de trésorerie.

68      Ces dispositions auraient déjà servi, en tout ou en partie, de base légale à de nombreux actes juridiques liés effectivement au budget annuel de l’Union ou à son cadre financier pluriannuel, tels que le règlement financier, le règlement (UE) 2020/558 du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2020, modifiant les règlements (UE) no 1301/2013 et (UE) no 1303/2013 en ce qui concerne des mesures spécifiques visant à offrir une flexibilité exceptionnelle pour l’utilisation des Fonds structurels et d’investissement européens en réaction à la propagation de la COVID‐19 (JO 2020, L 130, p. 1), qui permet l’application d’un taux de cofinancement exceptionnel dans le cadre des fonds structurels et d’investissement, ou encore le règlement (UE) 2020/2221 du Parlement européen et du Conseil, du 23 décembre 2020, modifiant le règlement (UE) no 1303/2013 en ce qui concerne des ressources supplémentaires et des modalités d’application afin de fournir un soutien pour favoriser la réparation des dommages à la suite de la crise engendrée par la pandémie de COVID-19 et de ses conséquences sociales et pour préparer une reprise écologique, numérique et résiliente de l’économie (JO 2020, L 437, p. 30), qui fixe des règles d’exécution en vue de favoriser la réparation des dommages causés par la pandémie et prévoit, à titre exceptionnel, des ressources supplémentaires en vue d’aider à la cohésion sociale et à la reprise économique.

69      Ainsi, s’agissant du règlement financier, celui-ci fixerait, dans sa première partie, de manière générale et complète, les principes et les procédures pour l’établissement et la mise en œuvre du budget de l’Union ainsi que pour le contrôle de ses fonds. Ces principes et ces procédures constitueraient des « règles financières » qui fixent les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget, au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE. Il en irait de même des règlements 2020/558 et 2020/2221, dont les règles seraient effectivement et directement liées au budget de l’Union, au cadre financier pluriannuel et aux aides fournies issues des différents fonds de l’Union.

70      En revanche, les éléments essentiels des dispositions du règlement attaqué, comme la définition de la notion d’« État de droit » ou les formes possibles de violation des principes de l’État de droit, ne pourraient être considérés objectivement comme des règles financières fixant les modalités relatives à l’exécution du budget, au sens de cette disposition. Le caractère inapproprié de l’article 322, paragraphe 1, TFUE en tant que base juridique de ce règlement ressortirait en particulier de la comparaison des règles en matière de conflit d’intérêts contenues respectivement dans ledit règlement et dans le règlement financier.

71      À cet égard, il découlerait de l’article 61 du règlement financier que l’obligation d’éviter les conflits d’intérêts s’applique à tous les modes d’exécution des fonds de l’Union, y compris aux autorités des États membres agissant dans le cadre de l’exécution de ces fonds, de sorte que ces États seraient tenus d’adopter une réglementation adéquate en ce sens. À cette fin, le règlement financier contiendrait des règles procédurales appropriées permettant de mettre fin à des conflits d’intérêts.

72      Or, il ressortirait de l’article 3, sous b), du règlement attaqué que le fait de ne pas veiller à l’absence de conflits d’intérêts peut être indicatif d’une violation des principes de l’État de droit, alors même que ce règlement ne fixerait aucune règle procédurale relative aux mesures que pourraient adopter les États membres afin de prévenir de tels conflits ou d’y remédier. Cette disposition permettrait donc que des mesures soient prises à l’égard des États membres sur la base d’attentes non précisées, allant au-delà des exigences fixées dans le règlement financier.

73      De manière plus générale, la Hongrie considère que les dispositions du règlement attaqué ne sauraient être considérées comme étant des règles financières fixant une procédure pour l’exécution du budget de l’Union. En effet, selon son article 1er, l’objet de ce règlement serait d’établir les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre. À cette fin, l’article 2 dudit règlement définirait la notion d’« État de droit » et l’article 3 du même règlement exposerait, à titre indicatif, des cas de violations des principes de l’État de droit. Les éléments essentiels du règlement attaqué seraient ainsi la définition de la notion d’« État de droit » et des formes possibles de violation de l’État de droit.

74      Or, l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE n’autoriserait pas l’Union à définir les cas dans lesquels l’État de droit est enfreint ni même à fixer les éléments constitutifs de la notion d’« État de droit ». Ainsi, cette disposition ne constituerait pas une base juridique permettant d’examiner ou d’établir des violations des principes de l’État de droit ou de prévoir les conséquences juridiques s’attachant à de telles violations, puisque de telles règles ne pourraient être considérées objectivement comme étant des règles financières fixant les modalités relatives à l’exécution du budget.

75      Le seul fait que les règles de fond et de procédure fixées dans le règlement attaqué présentent un lien avec le budget de l’Union ne saurait suffire à les qualifier de « règles financières », au sens de l’article 322, paragraphe 1, TFUE. Une interprétation de la notion de « règles financières » à ce point extensive qu’elle couvrirait les dispositions du règlement attaqué aurait pour effet d’étendre cette notion à la quasi-totalité du droit de l’Union ainsi qu’à des parties très larges des systèmes juridiques des États membres, puisqu’il serait difficile de trouver une disposition pour laquelle il est impossible d’établir un effet au moins indirect sur une ressource budgétaire de l’Union.

76      Le caractère inapproprié de la base juridique du règlement attaqué résulterait également du fait que son article 5, paragraphe 2, ne comporte pas de règles financières déterminant la procédure d’exécution du budget de l’Union. En effet, l’obligation de continuer à mettre en œuvre un programme donné après que des irrégularités, des infractions ou des défaillances affectant la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union ont été identifiées ne relèverait pas des obligations de contrôle ou d’audit qui pèsent sur les États membres dans l’exécution du budget en application de l’article 317 TFUE et ne découlerait pas non plus des règles financières qui fixent les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget et à la reddition et à la vérification des comptes, prévues à l’article 322 TFUE, en vue d’assurer le respect des principes budgétaires et, en particulier, des principes de bonne gestion financière, de transparence et de non-discrimination.

77      De telles règles financières n’obligeraient pas les États membres à continuer à mettre en œuvre un programme donné après que de telles irrégularités, infractions ou défaillances ont été identifiées. Au contraire, l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE permettrait l’adoption de règles financières, telles que la suspension des paiements pour un programme donné, qui seraient précisément destinées à garantir que l’État membre se conforme aux conditions fixées par les règles financières pertinentes en vue d’assurer la protection des intérêts financiers de l’Union et la réalisation effective des objectifs poursuivis dans le cadre du programme donné.

78      Or, irait à l’encontre de la logique sous-tendant ces règles financières le fait que des règles financières de l’Union puissent imposer à un État membre de continuer à mettre en œuvre un programme même si la Commission a établi des irrégularités concernant la mise en œuvre de ce programme qui porte préjudice aux intérêts financiers de l’Union et au principe de bonne gestion financière ou qui met en péril la réalisation des objectifs visés.

79      Il en découle, selon la Hongrie, que l’objectif poursuivi par l’imposition d’une telle obligation est non pas d’assurer la protection des intérêts financiers de l’Union, mais de sanctionner un État membre en cas de violation des principes de l’État de droit, ce qui serait incompatible avec la base juridique retenue. En outre, l’obligation pour un État membre de financer entièrement sur son propre budget des programmes pour la définition desquels il n’a qu’une marge de manœuvre limitée restreindrait son droit d’utiliser son propre budget et établirait une exigence qui pèse non pas sur le budget de l’Union, mais sur celui de l’État membre concerné.

80      Par son deuxième moyen, la Hongrie soutient que le règlement attaqué méconnaît, premièrement, l’article 7 TUE, deuxièmement, l’article 4, paragraphe 1, et l’article 5, paragraphe 2, TUE ainsi que, troisièmement, l’article 13, paragraphe 2, TUE et l’article 269 TFUE.

81      Elle fait valoir, en premier lieu, que l’article 7 TUE est le seul article sur la base duquel le risque de violation grave par un État membre des valeurs que contient l’article 2 TUE peut être constaté. Le règlement attaqué instaurerait, dans un domaine déterminé, une procédure parallèle ayant la même finalité que celle prévue à cet article 7, en méconnaissance de ce dernier.

82      En effet, premièrement, les traités ne prévoiraient pas que l’article 7 TUE puisse être mis en œuvre par des actes législatifs portant sur le constat d’une violation des valeurs que contient l’article 2 TUE et sur la détermination des conséquences juridiques d’une telle violation.

83      Deuxièmement, la procédure prévue par le règlement attaqué impliquerait que la Cour dispose de la compétence pour contrôler les décisions adoptées par le Conseil sur la base de ce règlement et, partant, pour apprécier la violation par un État membre des principes de l’État de droit, et ce alors même que la réglementation ou la pratique nationales à l’origine de cette violation ne relèveraient pas du droit de l’Union et que la Cour ne serait, par conséquent, pas compétente pour les examiner. Le règlement attaqué étendrait ainsi, en violation des traités et en contournant en particulier les limitations prévues à l’article 269 TFUE, les compétences non seulement du Conseil et de la Commission, mais également de la Cour.

84      Troisièmement, dans le système des traités, seul l’article 7 TUE conférerait aux institutions de l’Union la compétence pour examiner, constater et, le cas échéant, sanctionner les violations des principes de l’État de droit dans un État membre.

85      De façon analogue à cette disposition, le règlement attaqué prévoirait que la Commission doit se prononcer sur trois éléments avant de soumettre sa proposition de décision d’exécution au Conseil et que celui-ci doit ensuite se prononcer sur chacun de ces éléments par trois décisions successives. Ainsi, tout d’abord, la Commission devrait constater, conformément aux articles 3 et 4 de ce règlement, une violation des principes de l’État de droit. Ensuite, il conviendrait de rechercher, au regard de l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement, si cette violation présente un lien suffisamment étroit avec le budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union. Enfin, il y aurait lieu de déterminer s’il faut adopter, en vertu de l’article 5 du même règlement, une décision déterminant les mesures de protection du budget de l’Union jugées nécessaires.

86      Or, parmi ces trois décisions, les première et troisième relèveraient de l’article 7 TUE. En effet, la constatation d’une violation des principes de l’État de droit, prévue à l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, lu conjointement avec l’article 3 de celui-ci, serait dans sa substance identique à la constatation qu’il appartient au Conseil et au Conseil européen d’effectuer au titre de l’article 7, paragraphes 1 et 2, TUE, tandis que l’adoption des mesures au titre de l’article 5 de ce règlement serait une option parallèle à celle de la suspension de certains droits de l’État membre concerné, prévue à l’article 7, paragraphe 3, TUE, cette suspension pouvant porter sur les ressources budgétaires dues à l’État membre concerné.

87      Le fait que les mesures susceptibles d’être adoptées en vertu du règlement attaqué sont liées à la violation d’une des valeurs que contient l’article 2 TUE serait étayé par l’article 5, paragraphe 3, et l’article 6, paragraphe 8, de ce règlement, dont il découle que la nature, la durée, la gravité et l’étendue de la violation des principes de l’État de droit ainsi que les sources pertinentes doivent être dûment prises en compte lors de l’appréciation de la proportionnalité des mesures. Partant, tant la Commission que le Conseil seraient tenus d’apprécier de manière approfondie l’existence et l’étendue d’une telle violation, alors qu’il ne pourrait être procédé à cette appréciation que sur la base de l’article 7 TUE.

88      La Hongrie, soutenue par la République de Pologne, ajoute que l’article 7 TUE prévoit une procédure de sanction à caractère constitutionnel dirigée contre un État membre en particulier. Par ailleurs, les États membres auraient, en tant que pouvoir constituant, fixé de manière exhaustive cette procédure dans le traité UE, en raison de la dimension politique des domaines relevant de cette procédure, domaines qui n’entreraient pas nécessairement dans le champ d’application du droit de l’Union, tels que ceux relatifs au fonctionnement des autorités et des institutions des États membres.

89      Le caractère exclusif de la procédure prévue à l’article 7 TUE s’agissant de la violation des principes de l’État de droit serait confirmé par les points 18 et 24 de l’avis du service juridique du Conseil no 10296/14, du 27 mai 2014, portant sur la compatibilité avec les traités de la communication de la Commission intitulée « Un nouveau cadre de l’[Union] pour renforcer l’État de droit ». Si le règlement attaqué s’efforce de lier l’examen de l’existence éventuelle de violations des principes de l’État de droit à l’exécution du budget de l’Union, son objectif réel, tel qu’il ressortirait de l’exposé des motifs de la proposition de la Commission qui a conduit à l’adoption dudit règlement, serait d’examiner le respect des principes de l’État de droit et d’appliquer des sanctions lorsqu’il est constaté qu’un État membre ne respecte pas ces principes.

90      En deuxième lieu, la Hongrie estime que le règlement attaqué viole les principes de répartition et d’attribution des compétences, tels que garantis à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphe 2, TUE, dès lors qu’il permet aux institutions de l’Union de procéder à un examen des situations et des institutions nationales qui ne relèvent pas du champ d’application du droit de l’Union. En effet, ce règlement ne ferait pas apparaître clairement que l’examen des violations des principes de l’État de droit est limité aux domaines qui relèvent de la compétence de l’Union, certaines des situations exposées dans ses articles 3 et 4 pouvant d’ailleurs se rapporter à des violations qui ne sont pas limitées à ces domaines.

91      Or, eu égard à ces principes de répartition et d’attribution des compétences, un tel examen en dehors des compétences de l’Union ne serait possible qu’aux fins de, et selon la procédure fixée par, une disposition du droit primaire, telle que l’article 7 TUE. Le règlement attaqué ne pourrait en revanche se fonder sur une telle disposition de droit primaire, de sorte que ce règlement doit être considéré comme instituant une dérogation au régime général de répartition des compétences entre l’Union et les États membres tel que consacré dans les traités. De plus, alors que la procédure prévue à l’article 7, paragraphes 1 et 2, TUE ne viserait que les situations témoignant d’un risque manifeste de violation grave des valeurs que contient l’article 2 TUE et d’une violation grave et persistante de ces valeurs, la procédure prévue par le règlement attaqué serait possible même lorsque les violations alléguées ne sont ni graves ni persistantes.

92      La Hongrie, soutenue par la République de Pologne, expose enfin que, si l’examen effectué en application du règlement attaqué peut présenter, à certains égards, un lien avec la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection de ses intérêts financiers, cette circonstance ne signifie toutefois pas que les situations examinées doivent nécessairement être considérées comme relevant du champ d’application du droit de l’Union en vertu de ce seul lien. Elle souligne que l’analyse de l’existence d’une violation de l’État de droit intervient lors de la première étape de l’examen tandis que le lien avec le budget de l’Union ne peut être établi qu’à l’issue de la deuxième étape. Le règlement attaqué permettrait par conséquent de constater qu’un État membre a violé l’État de droit dans des situations qui ne relèvent pas du champ d’application du droit de l’Union.

93      En troisième lieu, la Hongrie soutient que le règlement attaqué enfreint l’équilibre institutionnel tel qu’établi à l’article 7 et à l’article 13, paragraphe 2, TUE ainsi qu’à l’article 269 TFUE, de même que les droits découlant pour l’État membre concerné de la première de ces dispositions.

94      À cet égard, contrairement à l’article 7 TUE, le règlement attaqué accorderait à la seule Commission le droit d’initiative pour faire constater une violation des principes de l’État de droit. Il exigerait, pour le vote du Conseil, une majorité différente de celle prévue à l’article 7 TUE. En outre, ce règlement ne prévoirait qu’une obligation d’information au Parlement alors qu’un droit d’approbation lui est reconnu en vertu de l’article 7, paragraphes 1 et 2, TUE, et ne conférerait aucune compétence au Conseil européen. Une décision du Conseil prévoyant des mesures au titre du règlement attaqué étant adoptée à la majorité qualifiée, la position procédurale de l’État membre concerné serait amoindrie, compte tenu en particulier du fait que, dans le cadre de l’article 7, paragraphes 2 et 3, TUE, l’adoption de mesures en application de cette disposition suppose une décision du Conseil européen prise à l’unanimité.

95      Le règlement attaqué répondrait ainsi à l’intention du législateur de l’Union, reflétée dans l’exposé des motifs de la proposition de la Commission qui a conduit à l’adoption de ce règlement, de fournir une voie « plus facile », « plus rapide » et « plus efficace » pour constater et sanctionner des violations des principes de l’État de droit. Ce faisant, par dérogation à l’article 7 TUE, ledit règlement conférerait de nouvelles compétences au Conseil, à la Commission et à la Cour, permettant notamment à cette dernière, en violation de l’article 269 TFUE, d’examiner le bien-fondé des décisions constatant des violations des principes de l’État de droit. Le même règlement irait, par conséquent, à l’encontre de la volonté expresse des États membres, en tant qu’auteurs des traités, de limiter la compétence de la Cour à des questions procédurales, s’agissant de recours visant un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 TUE.

96      Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent cette argumentation.

b)      Appréciation de la Cour

97      Par ses premier et deuxième moyens, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir, en substance, d’une part, que ni l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE ni aucune autre disposition du traité FUE ne pouvait constituer une base juridique appropriée pour l’adoption du règlement attaqué, en particulier de ses articles 2 à 4 ainsi que de son article 5, paragraphe 2. Elle ajoute, d’autre part, que la procédure instituée par ledit règlement contourne celle prévue à l’article 7 TUE, laquelle revêt pourtant un caractère exclusif pour la protection des valeurs que contient l’article 2 TUE, et porte atteinte à la limitation des compétences de la Cour prévue à l’article 269 TFUE.

1)      Sur la base juridique du règlement attaqué

98      À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, le Parlement et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, et après consultation de la Cour des comptes, adoptent par voie de règlements « les règles financières qui fixent notamment les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget et à la reddition et à la vérification des comptes ».

99      Or, de telles règles ont vocation à régir l’ensemble des aspects liés à l’exécution du budget de l’Union couverts par le titre II, intitulé « Dispositions financières », de la sixième partie du traité FUE, relative aux « [d]ispositions institutionnelles et financières » et, partant, cette exécution au sens large.

100    En effet, outre le fait que l’article 322 TFUE figure au chapitre 5, intitulé « Dispositions communes », de ce titre II, il y a lieu de relever que font référence à cette disposition l’article 310, paragraphes 2 et 3, TFUE, qui figure dans la partie introductive dudit titre II, l’article 315, premier et deuxième alinéas, et l’article 316, premier et deuxième alinéas, TFUE, qui figurent au chapitre 3 du même titre II, intitulé « Le budget annuel de l’Union », ainsi que l’article 317 TFUE, qui figure au chapitre 4 de celui-ci, intitulé « L’exécution du budget et la décharge ».

101    Or, les articles 310 et 315 à 317 TFUE présentent tous des liens avec l’exécution du budget de l’Union.

102    En effet, l’article 310 TFUE énonce, à son paragraphe 1, que toutes les recettes et les dépenses de l’Union doivent faire l’objet de prévisions pour chaque exercice budgétaire et être inscrites au budget, et prévoit, à son paragraphe 3, que l’exécution de dépenses inscrites au budget requiert l’adoption préalable d’un acte juridiquement contraignant de l’Union qui donne un fondement juridique à son action et à l’exécution de la dépense correspondante en conformité avec le règlement visé à l’article 322 TFUE, sauf exceptions prévues à celui-ci. Enfin, cet article 310 requiert, à son paragraphe 5, que ledit budget soit exécuté conformément au principe de la bonne gestion financière, les États membres et l’Union devant coopérer pour que les crédits inscrits à celui-ci soient utilisés conformément à ce principe.

103    S’agissant de l’article 315 TFUE, celui-ci prévoit, à son premier alinéa, que, si, au début d’un exercice budgétaire, le budget n’a pas encore été définitivement adopté, des dépenses peuvent être effectuées mensuellement par chapitre, d’après les dispositions du règlement pris en exécution de l’article 322 TFUE, dans la limite du douzième des crédits ouverts au chapitre en question du budget de l’exercice précédent, sans pouvoir dépasser le douzième des crédits prévus au même chapitre dans le projet de budget. L’article 316 TFUE concerne, pour sa part, le report à l’exercice suivant de crédits inutilisés à la fin d’un exercice budgétaire.

104    Quant à l’article 317 TFUE, il énonce notamment que la Commission exécute le budget en coopération avec les États membres, conformément aux dispositions des règlements pris en exécution de l’article 322 TFUE, sous sa propre responsabilité et dans la limite des crédits alloués, conformément au principe de la bonne gestion financière. Il exige également que les États membres coopèrent avec la Commission pour faire en sorte que les crédits soient utilisés conformément à ce principe et précise qu’un règlement pris en exécution de l’article 322 TFUE prévoit les obligations de contrôle et d’audit des États membres dans l’exécution du budget ainsi que les responsabilités qui en découlent.

105    Il s’ensuit que les règles financières qui fixent « notamment les modalités relatives à » l’exécution du budget ainsi qu’à la reddition et à la vérification des comptes, au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, lu à la lumière des dispositions visées au point 101 du présent arrêt, couvrent non seulement les règles définissant la manière dont sont, en tant que telles, exécutées les dépenses inscrites à ce budget, mais également, notamment, les règles fixant les obligations de contrôle et d’audit incombant aux États membres lorsque la Commission exécute le budget en coopération avec eux, ainsi que les responsabilités qui en découlent. En particulier, il apparaît clairement que ces règles financières ont vocation, notamment, à assurer le respect, lors de l’exécution du budget de l’Union, du principe de la bonne gestion financière, y compris par les États membres.

106    C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner, en l’espèce, si l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE pouvait constituer la base juridique appropriée pour l’adoption du règlement attaqué.

107    À cet égard, il est de jurisprudence constante que le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit être fondé sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte (arrêts du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 31 ; du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 38, ainsi que du 8 décembre 2020, Pologne/Parlement et Conseil, C‑626/18, EU:C:2020:1000, point 43).

108    En outre, peut être pris en compte, pour déterminer la base juridique appropriée, le contexte juridique dans lequel s’inscrit une nouvelle réglementation, notamment en ce qu’un tel contexte est susceptible de fournir un éclairage sur l’objectif poursuivi par cette réglementation (arrêts du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 32 ; du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 39, ainsi que du 8 décembre 2020, Pologne/Parlement et Conseil, C‑626/18, EU:C:2020:1000, point 44).

109    En l’espèce, s’agissant en premier lieu du point de savoir si le règlement attaqué est susceptible, eu égard à sa finalité, de relever de la base juridique de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que l’objectif ultime de ce règlement consiste à permettre tant l’examen par la Commission et le Conseil du respect par les États membres des principes de l’État de droit que l’application, en cas de constatation de violations de ces principes, de sanctions au moyen du budget de l’Union, cet objectif ressortant également de l’exposé des motifs accompagnant la proposition de la Commission qui a conduit à l’adoption dudit règlement.

110    À cet égard, premièrement, l’article 1er du règlement attaqué énonce que celui-ci établit « les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre ». Il ressort ainsi des termes de cette disposition que ledit règlement vise à protéger le budget de l’Union contre les atteintes à ce dernier susceptibles de découler de violations des principes de l’État de droit dans un État membre.

111    Deuxièmement, il résulte d’une lecture d’ensemble de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement attaqué que la procédure prévue aux fins de l’adoption de « mesures appropriées » de protection du budget de l’Union ne peut être engagée par la Commission que lorsque cette institution constate qu’il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.

112    De plus, il ressort de l’article 5, paragraphes 1 et 3, de ce règlement que ces mesures appropriées consistent, pour l’essentiel, en des suspensions de paiements, de l’exécution d’engagements juridiques, du décaissement de tranches, d’un avantage économique découlant d’un instrument garanti, de l’approbation de programmes ou d’engagements, en des résiliations d’engagements juridiques, en des interdictions de contracter de nouveaux engagements juridiques ou de conclure de nouveaux accords, en des remboursements anticipés de prêts garantis, en des réductions d’un avantage économique découlant d’un instrument garanti, d’engagements ou de préfinancements, et en des interruptions des délais de paiement, et qu’elles doivent être proportionnées, c’est‑à‑dire limitées à ce qui est strictement nécessaire au regard de l’incidence réelle ou potentielle de violations des principes de l’État de droit sur la gestion financière du budget de l’Union ou sur ses intérêts financiers.

113    En outre, selon l’article 7, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement attaqué, la Commission propose au Conseil la levée des mesures adoptées lorsque les conditions prévues à l’article 4 de ce règlement ne sont plus remplies et, partant, notamment lorsqu’il n’existe plus d’atteinte ou de risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, de sorte que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 185 de ses conclusions, ces mesures doivent être levées lorsque l’incidence sur l’exécution budgétaire cesse, alors même que les violations des principes de l’État de droit qui ont été constatées peuvent persister.

114    Or, les types de mesures susceptibles d’être adoptées, les critères relatifs au choix et à l’étendue de celles-ci ainsi que les conditions d’adoption et de levée desdites mesures, en ce qu’ils se rattachent tous à une atteinte ou à un risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de l’Union, corroborent le constat selon lequel le règlement attaqué a pour finalité de protéger le budget de l’Union lors de son exécution.

115    Par ailleurs, il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué, lu à la lumière du paragraphe 4 de cet article ainsi que du considérant 19 de ce règlement, que cette disposition vise non pas, comme le fait valoir la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, à sanctionner un État membre pour la violation d’un principe de l’État de droit, mais à préserver les intérêts légitimes des destinataires finaux et des bénéficiaires lorsque des mesures appropriées sont adoptées au titre dudit règlement à l’égard d’un État membre. Cette disposition fixe ainsi les conséquences de telles mesures à l’égard des tiers. Partant, ladite disposition n’est pas de nature à étayer l’allégation selon laquelle le règlement attaqué viserait, plutôt qu’à protéger le budget de l’Union, à sanctionner, en tant que telles, des violations de l’État de droit dans un État membre.

116    Troisièmement, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 130 de ses conclusions, les considérants du règlement attaqué corroborent la finalité poursuivie par ce règlement, telle qu’elle ressort de son article 1er, consistant à protéger le budget de l’Union. En effet, les considérants 2 et 7 à 9 dudit règlement énoncent, en particulier, que le Conseil européen a déclaré que les intérêts financiers de l’Union doivent être protégés conformément aux valeurs que contient l’article 2 TUE, que, chaque fois que les États membres exécutent le budget de l’Union, le respect de l’État de droit est une condition essentielle au respect des principes de la bonne gestion financière consacrés à l’article 317 TFUE, que les États membres ne peuvent garantir une bonne gestion financière que si les autorités publiques agissent en conformité avec le droit, si les violations du droit sont effectivement poursuivies et si les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques peuvent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif, et que l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire ainsi que des services d’enquête et de poursuites judiciaires sont requises à titre de garantie minimale contre les décisions arbitraires et illégales d’autorités publiques susceptibles de léser les intérêts financiers de l’Union. Le considérant 13 du même règlement expose que, dans ce contexte, il existe donc « un lien manifeste entre le respect de l’État de droit et la bonne exécution du budget de l’Union, conformément aux principes de bonne gestion financière », le considérant 15 de celui-ci précisant, quant à lui, que « [l]es violations des principes de l’État de droit, en particulier celles qui portent atteinte au bon fonctionnement des autorités publiques et au caractère effectif du contrôle juridictionnel, peuvent nuire gravement aux intérêts financiers de l’Union ».

117    Quant au considérant 14 du règlement attaqué, s’il énonce que le mécanisme prévu par celui-ci « complète » les instruments qui promeuvent l’État de droit et son application, il précise que ce mécanisme contribue à cette promotion « en protégeant le budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit qui portent atteinte à sa bonne gestion financière ou à la protection des intérêts financiers de l’Union ».

118    Quatrièmement, dans l’exposé des motifs accompagnant sa proposition qui a conduit à l’adoption du règlement attaqué, la Commission a certes indiqué que des souhaits avaient été exprimés en faveur d’une intervention de l’Union pour qu’elle protège l’État de droit et, partant, adopte des mesures visant à garantir son respect. Toutefois, dans ce même exposé des motifs, la Commission a justifié sa proposition par la nécessité « de protéger les intérêts financiers de l’Union contre le risque de perte financière causé par des défaillances généralisées de l’État de droit dans un État membre ».

119    Au regard des considérations qui précèdent, il convient de constater que, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, la finalité du règlement attaqué consiste à protéger le budget de l’Union contre des atteintes à ce dernier découlant de manière suffisamment directe de violations des principes de l’État de droit dans un État membre, et non pas à sanctionner, en soi, de telles violations.

120    Or, cette finalité est cohérente avec l’exigence selon laquelle le budget de l’Union doit être exécuté conformément au principe de bonne gestion financière, posée en particulier à l’article 310, paragraphe 5, TFUE, cette exigence étant applicable à l’ensemble des dispositions du titre II de la sixième partie du traité FUE relatives à l’exécution du budget de l’Union et ainsi, notamment, à l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.

121    En second lieu, s’agissant de la question de savoir si, par son contenu, le règlement attaqué est susceptible de relever de la base juridique de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, soutient, en substance, que tel ne saurait être le cas en particulier des articles 2 à 4 et de l’article 5, paragraphe 2, de ce règlement. Premièrement, l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE ne permettrait de définir ni la notion d’« État de droit » ni celle de « violations des principes de l’État de droit ». Deuxièmement, le lien entre les violations des principes de l’État de droit et le budget de l’Union serait trop large et permettrait, s’il était retenu, de rattacher à celui-ci tout domaine du droit de l’Union ainsi que d’importants aspects des systèmes juridiques des États membres. Troisièmement, ledit article 5, paragraphe 2, ne concernerait pas le budget de l’Union ni son exécution, mais viserait les budgets des États membres. Quatrièmement, lesdits articles 2 à 4 permettraient aux institutions de l’Union de procéder à un examen de situations et d’institutions nationales qui ne relèvent pas du champ d’application du droit de l’Union.

122    À cet égard, premièrement, les parties à la procédure s’accordent à considérer qu’un « mécanisme de conditionnalité », qui subordonne le bénéfice de financements issus du budget de l’Union au respect de certaines conditions, est susceptible de relever de la notion de « règles financières », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.

123    Toutefois, tandis que la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, considère qu’une telle condition doit être étroitement liée soit à l’un des objectifs d’un programme ou d’une action spécifique de l’Union, soit à la bonne gestion financière du budget de l’Union, le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, estiment qu’un tel mécanisme peut également revêtir le caractère d’une « conditionnalité horizontale », en ce sens que la condition en cause peut être liée à la valeur de l’État de droit que contient l’article 2 TUE, qui doit être respectée dans tous les domaines d’action de l’Union.

124    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 2 TUE, l’Union est fondée sur des valeurs, dont l’État de droit, qui sont communes aux États membres et que, conformément à l’article 49 TUE, le respect de ces valeurs constitue une condition préalable à l’adhésion à l’Union de tout État européen demandant à devenir membre de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, points 160 et 161 ainsi que jurisprudence citée).

125    En effet, ainsi qu’il est relevé au considérant 5 du règlement attaqué, lorsqu’un État candidat devient un État membre, il adhère à une construction juridique qui repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, les valeurs communes que contient l’article 2 TUE, sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse relève des caractéristiques spécifiques et essentielles du droit de l’Union, tenant à sa nature propre, qui résultent de l’autonomie dont jouit ledit droit à l’égard des droits des États membres ainsi que du droit international. Elle implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre [voir, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, points 166 à 168 ; arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 30, et du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 62]. Ce considérant précise également que les droits et les pratiques des États membres devraient continuer de respecter les valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée.

126    Il en découle que le respect par un État membre des valeurs que contient l’article 2 TUE constitue une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à cet État membre (arrêts du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 63 ; du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 162, ainsi que du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 162). En effet, le respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion.

127    Les valeurs que contient l’article 2 TUE ont été identifiées et sont partagées par les États membres. Elles définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun. Ainsi, l’Union doit être en mesure, dans les limites de ses attributions prévues par les traités, de défendre lesdites valeurs.

128    Il en découle que, conformément au principe d’attribution des compétences consacré à l’article 5, paragraphe 2, TUE, ainsi qu’au principe de cohérence des politiques de l’Union prévu à l’article 7 TFUE, la valeur commune à l’Union et aux États membres que constitue l’État de droit, laquelle relève des fondements mêmes de l’Union et de son ordre juridique, est susceptible de fonder un mécanisme de conditionnalité couvert par la notion de « règles financières », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.

129    À cet égard, il convient de relever, d’une part, que le budget de l’Union est l’un des principaux instruments permettant de concrétiser, dans les politiques et les actions de l’Union, le principe de solidarité, mentionné à l’article 2 TUE, lequel constitue lui-même l’un des principes fondamentaux du droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 15 juillet 2021, Allemagne/Pologne, C‑848/19 P, EU:C:2021:598, point 38), et, d’autre part, que la mise en œuvre de ce principe, au moyen de ce budget, repose sur la confiance mutuelle entre les États membres dans l’utilisation responsable des ressources communes inscrites audit budget. Or, cette confiance mutuelle repose elle-même, ainsi qu’il a été rappelé au point 125 du présent arrêt, sur l’engagement de chacun des États membres de se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union et de respecter de manière continue, comme le relève d’ailleurs le considérant 5 du règlement attaqué, les valeurs que contient l’article 2 TUE, parmi lesquelles figure la valeur de l’État de droit.

130    En outre, ainsi qu’il est relevé au considérant 13 du règlement attaqué, il existe un lien manifeste entre le respect de la valeur de l’État de droit, d’une part, et la bonne exécution du budget de l’Union, conformément aux principes de bonne gestion financière, ainsi que la protection des intérêts financiers de l’Union, d’autre part.

131    En effet, cette bonne gestion financière et ces intérêts financiers sont susceptibles d’être gravement compromis par des violations des principes de l’État de droit commises dans un État membre, dès lors que ces violations peuvent avoir pour conséquence, notamment, l’absence de garantie que des dépenses couvertes par le budget de l’Union satisfont à l’ensemble des conditions de financement prévues par le droit de l’Union et, partant, répondent aux objectifs poursuivis par l’Union lorsqu’elle finance de telles dépenses.

132    En particulier, le respect de ces conditions et de ces objectifs, en tant qu’éléments du droit de l’Union, ne saurait être pleinement garanti en l’absence d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du droit de l’Union, étant précisé que l’existence d’un tel contrôle, tant dans les États membres qu’au niveau de l’Union, par des juridictions indépendantes, est inhérente à un État de droit (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, points 219 ainsi que 222).

133    Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu’allègue la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, un mécanisme de conditionnalité peut également relever de la notion de « règles financières », visée à l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, lorsqu’il institue, pour bénéficier de financements issus du budget de l’Union, une conditionnalité horizontale qui est liée au respect par un État membre de la valeur de l’État de droit, que contient l’article 2 TUE, et qui se rapporte à l’exécution du budget de l’Union.

134    Or, l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué institue un tel mécanisme de conditionnalité horizontale, dès lors qu’il prévoit que des mesures appropriées sont prises lorsqu’il est établi que des violations des principes de l’État de droit dans un État membre portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.

135    En effet, il résulte de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement que cette disposition prévoit de manière exhaustive les « mesures appropriées » pouvant être adoptées, qui sont résumées au point 112 du présent arrêt et qui se rapportent effectivement toutes à l’exécution du budget de l’Union.

136    S’agissant de la condition prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, tenant à l’existence de « violations des principes de l’État de droit », l’article 2, sous a), de celui-ci énonce que la notion d’« État de droit » s’entend, au sens de ce règlement, comme étant la « valeur de l’Union consacrée à l’article 2 [TUE] » et précise que cette notion recouvre les principes de légalité, de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, de séparation des pouvoirs ainsi que de non‑discrimination et d’égalité devant la loi. La même disposition souligne, néanmoins, que la notion d’« État de droit », telle que définie pour les besoins de l’application dudit règlement, « s’entend eu égard aux autres valeurs et principes de l’Union consacrés à l’article 2 TUE ». Il s’ensuit que le respect de ces valeurs et de ces principes, en ce qu’ils participent à la définition même de la valeur de l’« État de droit », que contient l’article 2 TUE, ou, ainsi qu’il ressort de la seconde phrase de cet article, sont intimement liés à une société respectueuse de l’État de droit, peut être exigé dans le cadre d’un mécanisme de conditionnalité horizontale, tel que celui institué par le règlement attaqué.

137    En outre, l’article 3 du règlement attaqué, qui cite des cas qui peuvent être indicatifs de violations de ces principes, au nombre desquels figure le fait de ne pas veiller à l’absence de conflits d’intérêts, vise, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 152 et 280 de ses conclusions, à faciliter l’application de ce règlement.

138    Quant à l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, il découle de celui-ci que, pour relever du mécanisme de conditionnalité horizontale institué au paragraphe 1 de cet article, les violations des principes de l’État de droit doivent concerner les situations ou les comportements des autorités qui sont énumérés aux points a) à h) de ce paragraphe 2, pour autant qu’ils sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection des intérêts financiers de l’Union.

139    Il résulte de ce qui précède que l’article 2, sous a), l’article 3, l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5, paragraphe 1, du règlement attaqué sont des éléments constitutifs du mécanisme de conditionnalité horizontale institué à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, en énonçant les définitions nécessaires à sa mise en œuvre, en précisant son champ d’application et en prévoyant les mesures auxquelles il est susceptible d’aboutir. Ces dispositions font ainsi partie intégrante de ce mécanisme et relèvent, dès lors, de la notion de « règles financières », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.

140    Deuxièmement, cette constatation n’est pas infirmée par l’argumentation de la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, selon laquelle les articles 2 à 4 du règlement attaqué permettraient aux institutions de l’Union de procéder à un examen de situations dans les États membres qui ne relèvent pas du champ d’application du droit de l’Union.

141    En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 111 du présent arrêt, il résulte d’une lecture d’ensemble de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement attaqué que la procédure qu’il prévoit aux fins de l’adoption de « mesures appropriées » de protection du budget de l’Union ne peut être engagée par la Commission que lorsque cette institution constate qu’il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont eu lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.

142    De plus, ainsi qu’il a été constaté au point 138 du présent arrêt, il découle de l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué que, pour relever du mécanisme de conditionnalité horizontale institué au paragraphe 1 de cet article, les violations des principes de l’État de droit doivent concerner les situations ou les comportements des autorités qui sont énumérés à ses points a) à h) de ce paragraphe 2, pour autant qu’ils sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union.

143    Or, cette pertinence peut être présumée s’agissant de l’activité des autorités exécutant le budget de l’Union et chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financier, visées aux points a) et b) dudit paragraphe 2. Quant aux services d’enquête et de poursuites judiciaires, leur bon fonctionnement n’est visé, au point c) de celui-ci, que pour autant qu’il concerne des violations du droit de l’Union portant sur l’exécution du budget de l’Union ou sur la protection des intérêts financiers de l’Union. Il en va de même s’agissant de la prévention et de la sanction, par les juridictions nationales ou les autorités administratives, des violations du droit de l’Union mentionnées au point e). S’agissant du contrôle juridictionnel énoncé au point d), il n’est visé que dans la mesure où il concerne le comportement des autorités mentionné auxdits points a) à c). Le recouvrement de fonds indûment versés, prévu au point f), ne vise que des fonds provenant du budget de l’Union, ce qui est également le cas de la coopération avec l’OLAF et le Parquet européen, mentionnée au point g). Enfin, le point h) vise expressément toute autre situation et tout autre comportement des autorités pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection de ses intérêts financiers.

144    Il s’ensuit que, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, d’une part, le règlement attaqué ne permet aux institutions de l’Union de procéder à un examen de situations dans les États membres que pour autant que celles-ci sont pertinentes pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union et, d’autre part, des mesures appropriées ne peuvent être adoptées au titre de ce règlement que lorsqu’il est établi que de telles situations comportent une violation de l’un des principes de l’État de droit qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à cette bonne gestion financière ou à la protection de ces intérêts financiers.

145    Or, ces situations, qui sont pertinentes pour l’exécution du budget de l’Union, non seulement entrent dans le champ d’application du droit de l’Union, mais peuvent également, ainsi qu’il a été constaté au point 133 du présent arrêt, relever d’une règle financière, au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, prenant la forme d’un mécanisme de conditionnalité horizontale lié au respect par un État membre de la valeur de l’État de droit.

146    Troisièmement, contrairement à ce qu’allègue la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, le fait qu’un mécanisme de conditionnalité horizontale répondant aux critères identifiés au point 133 du présent arrêt, tenant au respect par un État membre de la valeur de l’État de droit que contient l’article 2 TUE et se rapportant à l’exécution du budget de l’Union, peut relever de la notion de « règles financières qui fixent notamment les modalités relatives [...] à l’exécution du budget », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, n’étend pas la portée de cette notion au-delà de ce qui est nécessaire pour la bonne exécution du budget de l’Union.

147    En effet, l’article 4 du règlement attaqué limite, à son paragraphe 2, le champ d’application du mécanisme de conditionnalité institué par ledit règlement aux situations et aux comportements d’autorités qui présentent un lien avec l’exécution du budget de l’Union et exige, à son paragraphe 1, que l’adoption de mesures appropriées soit subordonnée à l’existence de violations des principes de l’État de droit qui portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers d’une manière suffisamment directe. Cette dernière condition exige ainsi qu’un lien réel soit établi entre ces violations et une telle atteinte ou un tel risque sérieux d’atteinte.

148    Il y a lieu de souligner, à cet égard, que l’application de l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement attaqué est soumise aux exigences procédurales spécifiées à l’article 6, paragraphes 1 à 9, de ce règlement, lesquelles impliquent, ainsi que le relève le considérant 26 dudit règlement, l’obligation pour la Commission de se fonder, lorsqu’elle examine si l’adoption de mesures appropriées est justifiée, sur des éléments concrets et de respecter les principes d’objectivité, de non‑discrimination et d’égalité des États membres devant les traités.

149    En ce qui concerne plus particulièrement la détection et l’évaluation de violations des principes de l’État de droit, le considérant 16 du règlement attaqué précise que cette évaluation doit être objective, impartiale et équitable. En outre, le respect de l’ensemble de ces obligations est soumis à un contrôle juridictionnel entier par la Cour.

150    Quatrièmement, en ce qui concerne le point de savoir si l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué est susceptible de relever de la base juridique de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, il a été constaté au point 115 du présent arrêt que la première disposition a pour objectif de préserver les intérêts légitimes des destinataires finaux et des bénéficiaires lorsque des mesures appropriées sont adoptées au titre dudit règlement à l’égard d’un État membre. Il s’ensuit que ladite disposition porte sur des effets juridiques et financiers liés à des mesures de protection du budget de l’Union, au sens de cet article 5, lesquelles portent elles-mêmes sur l’exécution du budget de l’Union, ainsi qu’il a été précisé aux points 112 et 135 du présent arrêt.

151    En outre, ainsi qu’il a été constaté au point 99 du présent arrêt, les règles financières qui fixent « notamment les modalités relatives à » l’exécution du budget, au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, ont vocation à régir l’ensemble des aspects liés à l’exécution du budget de l’Union couverts par le titre II de la sixième partie du traité FUE et donc cette exécution au sens large.

152    Or, une disposition qui, comme l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué, porte sur des effets juridiques et financiers liés à des mesures de protection du budget de l’Union, au sens de cet article 5, lesquelles sont des mesures portant sur l’exécution du budget de l’Union, doit être considérée comme se rapportant elle-même à cette exécution et peut ainsi être regardée comme fixant une modalité relative à l’exécution de ce budget.

153    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, les allégations de la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, tirées d’un défaut de base juridique du règlement attaqué, en ce que ce dernier n’établirait pas de règles financières au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, doivent être écartées.

154    Cela étant, il convient encore de vérifier si, comme le fait valoir, en substance, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, des règles financières telles que celles prévues par le règlement attaqué ne sauraient être adoptées par le législateur de l’Union, du fait qu’elles contournent l’article 7 TUE et l’article 269 TFUE.

2)      Sur le contournement de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE

155    En premier lieu, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir, en substance, que seule la procédure prévue à l’article 7 TUE confère aux institutions de l’Union la compétence pour examiner, constater et, le cas échéant, sanctionner les violations des valeurs que contient l’article 2 TUE dans un État membre, dès lors, notamment, qu’une telle compétence couvre des domaines qui ne relèvent pas du champ d’application du droit de l’Union, tel le fonctionnement des autorités et des institutions des États membres, et que les États membres ont, en tant qu’auteurs des traités, réglé tous les aspects de cette procédure dans le cadre du traité UE. Les traités ne prévoyant aucune délégation de pouvoir législatif au titre de l’article 7 TUE, ni cette disposition ni aucune autre disposition desdits traités n’autoriserait le législateur de l’Union à instituer une procédure parallèle à celle prévue à l’article 7 TUE, portant sur la constatation de la violation des valeurs que contient l’article 2 TUE et définissant les conséquences juridiques qui en découlent.

156    À cet égard, premièrement, il convient de rappeler que les valeurs fondatrices de l’Union et communes aux États membres, que contient l’article 2 TUE, comprennent celles du respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit et du respect des droits de l’homme, dans une société caractérisée notamment par la non-discrimination, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.

157    Le préambule de la Charte rappelle, notamment, que l’Union repose sur les principes de la démocratie et de l’État de droit et reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans ladite Charte. Les articles 6, 10 à 13, 15, 16, 20, 21 et 23 de celle-ci précisent la portée des valeurs de la dignité humaine, de la liberté, de l’égalité, du respect des droits de l’homme, de la non-discrimination et de l’égalité entre les femmes et les hommes, que contient l’article 2 TUE. L’article 47 de la Charte ainsi que l’article 19 TUE garantissent notamment le droit à un recours effectif et le droit d’accéder à un tribunal indépendant et impartial préalablement établi par la loi, s’agissant de la protection des droits et des libertés garantis par le droit de l’Union.

158    Par ailleurs, les articles 8 et 10, l’article 19, paragraphe 1, l’article 153, paragraphe 1, sous i), et l’article 157, paragraphe 1, TFUE précisent la portée des valeurs d’égalité, de non-discrimination et d’égalité entre les femmes et les hommes et permettent au législateur de l’Union d’adopter des normes de droit dérivé visant à mettre en œuvre ces valeurs.

159    Il résulte des deux points précédents que, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, outre la procédure prévue à l’article 7 TUE, de nombreuses dispositions des traités, fréquemment concrétisées par divers actes de droit dérivé, confèrent aux institutions de l’Union la compétence d’examiner, de constater et, le cas échéant, de faire sanctionner des violations des valeurs que contient l’article 2 TUE commises dans un État membre.

160    S’agissant en particulier de la valeur de l’État de droit, certains aspects de celle-ci sont protégés par l’article 19 TUE, comme le reconnaît d’ailleurs la Hongrie. Il en va de même des articles 47 à 50 de la Charte, figurant au titre VI de celle-ci, intitulé « Justice », et qui garantissent, respectivement, le droit à un recours effectif et le droit d’accéder à un tribunal impartial, la présomption d’innocence et les droits de la défense, les principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines et le droit à ne pas être jugé ou puni deux fois pour une même infraction.

161    Plus spécifiquement, la Cour a dit pour droit que l’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit que contient l’article 2 TUE, requiert des États membres, conformément au paragraphe 1, second alinéa, dudit article 19, qu’ils prévoient un système de voies de recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 108 et 109 ainsi que jurisprudence citée]. Or, le respect de cette exigence peut être contrôlé par la Cour, notamment lors d’un recours en manquement introduit par la Commission au titre de l’article 258 TFUE [voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, points 58 et 59, ainsi que du 5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun), C‑192/18, EU:C:2019:924, points 106 et 107].

162    La Cour a en outre dit pour droit que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, interprété à la lumière de l’article 47 de la Charte, met à la charge des États membres une obligation de résultat claire et précise et qui n’est assortie d’aucune condition en ce qui concerne l’indépendance devant caractériser les juridictions appelées à interpréter et à appliquer le droit de l’Union, de sorte qu’il appartient à une juridiction nationale d’écarter toute disposition du droit national enfreignant l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, le cas échéant après avoir obtenu de la Cour une interprétation de cette dernière disposition dans le cadre d’une procédure de renvoi préjudiciel [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 142 à 146].

163    Il découle ainsi des considérations figurant aux points 159 à 162 du présent arrêt que l’argumentation de la Hongrie selon laquelle la valeur de l’État de droit ne peut être protégée par l’Union que dans le seul cadre de la procédure prévue à l’article 7 TUE doit être écartée.

164    Deuxièmement, en ce qui concerne les allégations de la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, selon lesquelles seul l’article 7 TUE permettrait aux institutions de l’Union de contrôler le respect par les États membres de l’État de droit dans les domaines qui ne relèvent pas du champ d’application du droit de l’Union, au nombre desquels figurerait le fonctionnement des autorités et des institutions des États membres, il suffit de rappeler que le règlement attaqué n’habilite ni la Commission ni le Conseil à procéder à un tel contrôle en dehors d’un comportement d’une autorité d’un État membre ou d’une situation imputable à une telle autorité qui se rapporte à l’exécution du budget de l’Union et qui relève, partant, du champ d’application du droit de l’Union.

165    En effet, ainsi qu’il a été constaté aux points 141 à 145 du présent arrêt, d’une part, le règlement attaqué ne permet aux institutions de l’Union de procéder à un examen de situations dans les États membres que pour autant que celles-ci sont pertinentes pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union et, d’autre part, des mesures appropriées ne peuvent être adoptées au titre de ce règlement que lorsqu’il est établi que de telles situations comportent une violation de l’un des principes de l’État de droit qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à cette bonne gestion financière ou à la protection de ces intérêts financiers.

166    En second lieu, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle le règlement attaqué aurait pour effet de contourner la procédure prévue à l’article 7 TUE et d’élargir les compétences de la Cour fixées à l’article 269 TFUE, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir, en substance, que la procédure instituée par ce règlement concrétise, dans des cas déterminés, la procédure visée à l’article 7 TUE et institue de ce fait une procédure parallèle permettant de constater, au terme d’une analyse approfondie, des violations des principes de l’État de droit par les États membres. Ledit règlement permettrait d’attacher à de telles violations des conséquences juridiques identiques à celles prévues à l’article 7 TUE, alors même que ni cette disposition ni aucune autre disposition des traités n’habiliterait le législateur de l’Union à le faire. Ce faisant, le même règlement enfreindrait l’équilibre institutionnel tel qu’établi à l’article 7 TUE, à l’article 13, paragraphe 2, TUE ainsi qu’à l’article 269 TFUE, en accordant de nouvelles compétences au Conseil, à la Commission et à la Cour.

167    À cet égard, premièrement, il y a lieu de relever que le législateur de l’Union ne saurait instaurer, sans violer l’article 7 TUE, une procédure parallèle à celle prévue à cette disposition, qui aurait, en substance, le même objet, poursuivrait le même objectif et permettrait l’adoption de mesures identiques, tout en prévoyant l’intervention d’autres institutions ou des conditions matérielles et procédurales différentes de celles prévues à ladite disposition.

168    Toutefois, il est loisible au législateur de l’Union, lorsqu’il dispose d’une base juridique à cette fin, d’instituer, dans un acte de droit dérivé, d’autres procédures portant sur les valeurs que contient l’article 2 TUE, au nombre desquelles figure l’État de droit, pour autant que ces procédures se distinguent tant par leur but que par leur objet de la procédure prévue à l’article 7 TUE (voir, par analogie, arrêt du 7 février 1979, France/Commission, 15/76 et 16/76, EU:C:1979:29, point 26 ; ordonnance du 11 juillet 1996, An Taisce et WWF UK/Commission, C‑325/94 P, EU:C:1996:293, point 25, ainsi que arrêt du 11 janvier 2001, Grèce/Commission, C‑247/98, EU:C:2001:4, point 13).

169    En l’espèce, s’agissant des finalités respectives de la procédure visée à l’article 7 TUE et de celle prévue par le règlement attaqué, il résulte de l’article 7, paragraphes 2 à 4, TUE que la procédure prévue à cet article permet notamment au Conseil, lorsque le Conseil européen a constaté des violations graves et persistantes par un État membre des valeurs que contient l’article 2 TUE, de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à cet État membre, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au Conseil, et que le Conseil peut décider par la suite de modifier les mesures qu’il a prises ou d’y mettre fin pour répondre à des changements de la situation qui l’a conduit à imposer ces mesures.

170    La procédure prévue à l’article 7 TUE a ainsi pour finalité de permettre au Conseil de sanctionner des violations graves et persistantes des valeurs que contient l’article 2 TUE, en vue, notamment, d’enjoindre à l’État membre concerné de mettre un terme à ces violations.

171    En revanche, ainsi qu’il ressort des points 110 à 120 du présent arrêt, il résulte de la nature des mesures susceptibles d’être adoptées en vertu du règlement attaqué ainsi que des conditions d’adoption et de levée de ces mesures que la procédure instituée par ce règlement a pour finalité d’assurer, conformément au principe de bonne gestion financière énoncé à l’article 310, paragraphe 5, et à l’article 317, premier alinéa, TFUE, la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre et non pas de sanctionner, au moyen du budget de l’Union, des violations des principes de l’État de droit.

172    Il s’ensuit que la procédure prévue par le règlement attaqué poursuit une finalité différente de celle de l’article 7 TUE.

173    En ce qui concerne l’objet de chacune de ces deux procédures, il y a lieu de relever que le champ d’application de la procédure prévue à l’article 7 TUE porte sur l’ensemble des valeurs que contient l’article 2 TUE, tandis que celui de la procédure instituée par le règlement attaqué ne porte que sur l’une de ces valeurs, à savoir l’État de droit.

174    De plus, l’article 7 TUE permet d’appréhender toute violation grave et persistante d’une valeur que contient l’article 2 TUE, tandis que le règlement attaqué n’autorise l’examen des violations des principes de l’État de droit mentionnés à son article 2, sous a), que pour autant qu’il existe des motifs raisonnables de considérer qu’elles ont une incidence budgétaire.

175    Quant aux conditions d’engagement des deux procédures, il convient de relever que la procédure prévue à l’article 7 TUE peut être engagée, aux termes de son paragraphe 1, lorsqu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs que contient l’article 2 TUE, le droit d’initiative appartenant à un tiers des États membres, au Parlement ou à la Commission, le seuil requis étant initialement celui d’un risque clair d’une violation grave de ces valeurs, puis, s’agissant de la suspension, en vertu de l’article 7, paragraphes 2 et 3, TUE, de certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre concerné, d’une violation grave et persistante par celui-ci de ces valeurs. En revanche, la procédure instituée par le règlement attaqué peut être engagée par la seule Commission, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont eu lieu dans un État membre, mais aussi et surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.

176    Par ailleurs, la seule condition matérielle requise pour l’adoption de mesures au titre de l’article 7 TUE réside dans la constatation, par le Conseil européen, de l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs que contient l’article 2 TUE. En revanche, ainsi qu’il a été relevé au point 147 du présent arrêt, selon l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement attaqué, des mesures au titre de ce règlement ne peuvent être prises que lorsque deux conditions sont réunies. D’une part, il doit être établi qu’une violation des principes de l’État de droit dans un État membre concerne au moins l’une des situations ou l’un des comportements des autorités visés à ce paragraphe 2, pour autant qu’ils sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union. D’autre part, il doit également être démontré que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à cette bonne gestion financière ou à ces intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe, cette condition impliquant ainsi d’établir l’existence d’un lien réel entre ces violations et une telle atteinte ou un tel risque sérieux d’atteinte.

177    Quant à la nature des mesures pouvant être adoptées sur le fondement de l’article 7, paragraphe 3, TUE, celles-ci consistent en la suspension de « certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au Conseil » et peuvent, partant, porter sur tout droit découlant de l’application des traités à l’État membre en question. En revanche, les mesures pouvant être adoptées en vertu du règlement attaqué sont, pour leur part, limitées à celles énumérées à son article 5, paragraphe 1, et résumées au point 112 du présent arrêt, qui sont toutes de nature budgétaire.

178    Enfin, l’article 7 TUE n’envisage la modification et la levée des mesures adoptées que pour répondre à des changements de la situation ayant conduit à leur adoption. En revanche, l’article 7, paragraphe 2, deuxième et troisième alinéas, du règlement attaqué rattache la levée et la modification des mesures adoptées aux conditions d’adoption des mesures visées à l’article 4 de ce règlement. Partant, ces mesures peuvent être levées ou modifiées non seulement dans l’hypothèse où il est mis fin, au moins en partie, aux violations des principes de l’État de droit dans l’État membre concerné, mais surtout dans celle où ces violations, quoique perdurant, n’ont plus d’incidence sur le budget de l’Union. Tel peut notamment être le cas lorsqu’elles ne concernent plus au moins l’une des situations ou l’un des comportements des autorités visés au paragraphe 2 de cet article, lorsque ces situations ou ces comportements ne sont plus pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union, lorsque la violation ne porte plus atteinte ou ne présente plus un risque sérieux de porter atteinte à cette bonne gestion ou à ces intérêts financiers, ou lorsque le lien entre la violation d’un principe de l’État de droit et une telle atteinte ou un tel risque sérieux ne présente plus un caractère suffisamment direct.

179    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de constater que la procédure prévue à l’article 7 TUE et celle instituée par le règlement attaqué poursuivent des buts différents et ont chacune un objet nettement distinct.

180    Il s’ensuit que, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, le règlement attaqué ne saurait être regardé comme instituant une procédure parallèle contournant l’article 7 TUE.

181    Deuxièmement, s’agissant de l’argumentation de la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, selon laquelle le règlement attaqué porte atteinte à l’équilibre institutionnel tel qu’établi à l’article 7 TUE et à l’article 13, paragraphe 2, TUE, d’une part, il a été constaté aux deux points précédents du présent arrêt que la procédure prévue à l’article 7 TUE et celle instituée par le règlement attaqué poursuivent des finalités différentes et ont chacune un objet distinct, de sorte que le règlement attaqué ne saurait être regardé comme instituant une procédure parallèle contournant cette disposition.

182    Dans ces conditions, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, n’est pas fondée à soutenir que le règlement attaqué enfreint l’équilibre institutionnel établi à l’article 7 TUE.

183    D’autre part, s’agissant des exigences de l’article 13, paragraphe 2, TUE, aux termes duquel « [c]haque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, conditions et fins prévues par ceux-ci », il ressort de l’article 6 du règlement attaqué que la Commission conduit cette procédure et que le Conseil adopte, le cas échéant, sur proposition de la Commission, une décision d’exécution arrêtant les mesures appropriées, étant précisé que, malgré la référence, au considérant 26 de ce règlement, au Conseil européen, ledit article 6 ne confère aucun rôle à celui-ci dans le cadre de la procédure instituée par ledit règlement.

184    À cet égard, tout d’abord, conformément à l’article 317, premier alinéa, TFUE, la Commission exécute le budget de l’Union en coopération avec les États membres sous sa propre responsabilité, conformément au principe de la bonne gestion financière, de sorte que son rôle dans la procédure instituée par le règlement attaqué est conforme aux attributions qui lui sont conférées par cette disposition.

185    Ensuite, ainsi que l’a fait valoir à bon droit le Conseil, l’intervention de ce dernier peut être fondée sur l’article 322, paragraphe 1, sous a), et l’article 291, paragraphe 2, TFUE, de sorte qu’elle n’enfreint pas la compétence dont est investie la Commission en vertu de l’article 317, premier alinéa, TFUE.

186    En effet, d’une part, comme il a été constaté au point 99 du présent arrêt, les règles financières qui fixent « notamment les modalités relatives à l’exécution du budget », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, ont vocation à régir l’ensemble des aspects liés à l’exécution du budget de l’Union couverts par le titre II de la sixième partie du traité FUE et donc cette exécution au sens large.

187    Ainsi, le mécanisme de conditionnalité horizontale institué par le règlement attaqué relève d’une conception de l’exécution budgétaire excédant celle qui, définie à l’article 2, point 7, du règlement financier comme étant la réalisation des activités liées à la gestion, au suivi, au contrôle et à l’audit des crédits budgétaires, relève, selon l’article 317, premier alinéa, TFUE, des attributions de la Commission en coopération avec les États membres.

188    D’autre part, l’article 291, paragraphe 2, TFUE permet, dans des cas spécifiques dûment justifiés, de conférer au Conseil des compétences d’exécution lorsque des conditions uniformes d’exécution d’actes juridiquement contraignants de l’Union sont nécessaires. À cet égard, il ressort de l’article 6, paragraphes 9 à 11, du règlement attaqué que les mesures susceptibles d’être adoptées par le Conseil au titre de ce règlement sont des décisions d’exécution, le considérant 20 dudit règlement précisant que ces compétences d’exécution sont conférées au Conseil afin d’assurer des conditions uniformes d’exécution dudit règlement, compte tenu de l’importance des incidences financières de telles mesures.

189    Ces éléments suffisent pour considérer que l’attribution au Conseil d’une compétence aux fins de l’adoption des mesures appropriées visées à l’article 5, paragraphe 1, du règlement attaqué est dûment justifiée.

190    Enfin, l’absence de compétence attribuée au Conseil européen dans le cadre de la procédure instituée à l’article 6 du règlement attaqué est conforme aux attributions qui lui sont conférées par l’article 15, paragraphe 1, TUE, aux termes duquel le Conseil européen, sans exercer de fonction législative, donne à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les orientations et les priorités politiques générales.

191    S’il est vrai que le considérant 26 du règlement attaqué prévoit que le Conseil européen peut, à la demande de l’État membre faisant l’objet de la procédure menée en vertu de l’article 6 de ce règlement, débattre de la question de savoir si, au cours de cette procédure, les principes d’objectivité, de non-discrimination et d’égalité des États membres devant les traités sont respectés, il suffit de relever qu’une telle intervention, à titre exceptionnel, du Conseil européen n’est pas prévue audit article 6 ni dans aucune autre disposition dudit règlement. Dans ces conditions, compte tenu de ce que le préambule d’un acte de l’Union n’a pas de valeur contraignante (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Puppinck e.a./Commission, C‑418/18 P, EU:C:2019:1113, point 76 ainsi que jurisprudence citée), ce considérant 26 ne saurait être invoqué pour déroger aux dispositions mêmes du règlement attaqué ni pour interpréter ces dispositions dans un sens contraire à leur libellé.

192    Troisièmement, pour autant que la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que la Cour sera appelée à apprécier, dans le cadre du contrôle juridictionnel d’une décision adoptée par le Conseil au titre de l’article 6, paragraphe 10, du règlement attaqué, l’existence de violations par un État membre des principes de l’État de droit et considère que la compétence qui lui est ainsi attribuée constitue une violation de l’article 13, paragraphe 2, TUE et de l’article 269 TFUE, il importe de relever que ce dernier article ne vise, selon son libellé, que le contrôle de légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 TUE.

193    Dans ces conditions, et eu égard aux constatations effectuées aux points 179 et 180 du présent arrêt, le contrôle de légalité que la Cour peut être amenée à opérer, en particulier lors d’un recours en annulation introduit sur le fondement de l’article 263 TFUE, sur des décisions du Conseil prises au titre de l’article 6, paragraphe 10, du règlement attaqué ne relève pas du champ d’application de l’article 269 TFUE et n’est dès lors pas soumis aux règles spécifiques prévues à ce dernier.

194    Il s’ensuit que le règlement attaqué n’attribue aucune nouvelle compétence à la Cour.

195    Enfin, il a été constaté au point 165 du présent arrêt que, d’une part, le règlement attaqué ne permet aux institutions de l’Union de procéder à un examen de situations dans les États membres que pour autant que celles-ci sont pertinentes pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union et, d’autre part, des mesures appropriées ne peuvent être adoptées au titre de ce règlement que lorsqu’il est établi que de telles situations comportent une violation de l’un des principes de l’État de droit qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à cette bonne gestion financière ou à la protection de ces intérêts financiers.

196    Or, de telles situations se rapportant à l’exécution du budget de l’Union et relevant ainsi du champ d’application du droit de l’Union, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, ne saurait faire valoir que la Cour est incompétente pour examiner les appréciations du Conseil figurant dans des décisions adoptées au titre de l’article 6, paragraphe 10, du règlement attaqué.

197    Il s’ensuit que les allégations de la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, tirées d’un contournement de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE, doivent être écartées comme étant non fondées.

198    Il résulte des considérations qui précèdent que les premier et deuxième moyens doivent être rejetés comme étant non fondés.

2.      Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique

a)      Argumentation des parties

199    Par le troisième moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que le règlement attaqué méconnaît les principes de sécurité juridique et de clarté des normes, reconnus en tant que principes généraux de droit de l’Union, au motif que les notions figurant dans ce règlement, sur la base desquelles il peut être constaté qu’un État membre a violé les principes de l’État de droit, ne font l’objet d’aucune définition uniforme dans les États membres. Elle considère en particulier que la notion d’« État de droit », telle qu’elle est définie à l’article 2, sous a), dudit règlement, fait apparaître de graves incertitudes conceptuelles et de graves incohérences qui pourraient mettre en péril l’interprétation des valeurs de l’Union et conduire à une application du même règlement qui serait contraire à ces valeurs.

200    En premier lieu, la Hongrie expose que l’État de droit est un idéal ou, tout au plus, un point d’orientation, qui n’est jamais pleinement atteint et dont le respect devrait dès lors être apprécié en termes relatifs, aucun État ne pouvant prétendre y adhérer de manière parfaite. Cet idéal, qui caractérise la démocratie moderne, se serait développé selon un cheminement complexe au cours des siècles, aboutissant, comme il ressortirait de l’étude no 512/2009, du 28 mars 2011, de la Commission de Venise, intitulé « Rapport sur la prééminence du droit », à une conception complexe échappant à une définition précise et dont la substance est en constante évolution.

201    Cette conception de l’État de droit résulterait également de l’étude no 711/2013, du 18 mars 2016, de la Commission de Venise établissant une « liste des critères de l’État de droit », étude à laquelle le considérant 16 du règlement attaqué fait d’ailleurs référence. En effet, selon les points 12 et 18 de cette étude, les éléments essentiels de la notion d’« État de droit » ne définiraient pas cette notion et seraient eux-mêmes des catégories théoriques et des principes pouvant être subdivisés à leur tour en plusieurs autres principes. En outre, il ressortirait des points 29 et 30 de ladite étude que les critères de l’État de droit qu’elle définit ne seraient pas exhaustifs et ne pourraient pas être transformés en règles.

202    À cet égard, la Hongrie rappelle que l’Union respecte, selon l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’identité nationale des États membres, dont leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles font partie. Or, le mécanisme mis en place par le règlement attaqué ne serait pas conforme à cette garantie fondamentale, dès lors que la procédure qu’il établit permettrait d’examiner la législation ou la pratique d’un État membre même lorsque celle-ci ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union.

203    Les incertitudes conceptuelles qui affectent la notion d’« État de droit » seraient encore aggravées par le fait que les représentants de la Commission ont indiqué à plusieurs reprises que les constatations figurant dans le rapport annuel de la Commission sur l’État de droit seraient utilisées dans le cadre de l’application du règlement attaqué, alors même que ce règlement ne comporte aucune référence à ce rapport. Par ailleurs, la Commission aurait examiné dans ledit rapport l’application des exigences de l’État de droit dans des domaines qui ne correspondraient ni aux notions employées dans le règlement attaqué en relation avec les principes de l’État de droit ni à la liste des critères de l’État de droit dégagés par la Commission de Venise dans son étude mentionnée au point 201 du présent arrêt.

204    La Hongrie considère que la Commission a une perception des éléments constitutifs de l’État de droit différente de celle de la Commission de Venise et de celle dont procèdent les notions figurant dans le règlement attaqué, de sorte que l’application de ce règlement par cette institution peut devenir imprévisible au point d’être incompatible avec le principe de sécurité juridique, lequel constitue lui-même un aspect de l’État de droit.

205    En deuxième lieu, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, estime que le législateur de l’Union a vainement tenté, à l’article 2, sous a), du règlement attaqué, d’expliciter les éléments constitutifs de la notion d’« État de droit ». En effet, cette disposition se bornerait à reprendre des éléments parallèles figurant à l’article 2 TUE et qui présentent un même niveau d’abstraction, comme le respect des droits fondamentaux, l’interdiction de toute discrimination et le principe de la protection juridictionnelle effective, lesquels seraient également garantis distinctement dans les traités. Cette circonstance confirmerait ainsi le fait que les valeurs de l’article 2 TUE inspirent la coopération politique au sein de l’Union, mais ne revêtent pas de contenu juridique propre. En définissant la notion d’« État de droit » dans une réglementation sectorielle et en permettant ainsi que d’autres actes de droit dérivé recourent à une conception différente de cette notion, le législateur de l’Union saperait l’interprétation de celle-ci en tant que valeur commune de l’Union, telle que définie par la communauté des États membres au titre de l’article 2 TUE.

206    De plus, après avoir défini, à son article 2, sous a), la notion d’« État de droit », le règlement attaqué présenterait, à son article 3, à titre indicatif, des cas de « violations des principes de l’État de droit » qui n’auraient, en réalité, qu’un lien marginal avec la définition de cette notion. De même, la relation entre, d’une part, l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement, qui précise les situations et les comportements sur lesquels doivent porter les violations de ces principes, et, d’autre part, les notions d’« État de droit » ainsi que de « principes de l’État de droit », ne serait pas clairement déterminable. Ainsi, l’examen conjoint des cas de violations des principes de l’État de droit, figurant à titre indicatif à l’article 3 du règlement attaqué, avec la définition de la notion d’« État de droit », figurant à l’article 2, sous a), de celui-ci, ne permettrait pas d’exclure que des situations qui ne sont pas liées à la bonne gestion des ressources du budget de l’Union fassent l’objet de sanctions.

207    La Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que le fait, pour les autorités publiques, d’adopter un comportement fondé sur le droit, dépourvu d’arbitraire et susceptible de faire l’objet d’un recours devant une juridiction répond aux éléments constitutifs de l’État de droit. Elle considère, en revanche, que « le fait de ne pas prévenir [...] la retenue de ressources financières et humaines affectant [le] bon fonctionnement [des autorités publiques] », « le fait de ne pas veiller à l’absence de conflits d’intérêts » ou encore « le fait de ne pas prévenir [...] les décisions[...] illégales », visés à l’article 3, sous b), du règlement attaqué, ne présentent qu’un lien éloigné et indirect avec la notion d’« État de droit », entraînant une rupture du lien entre la finalité et le contenu de cette norme. Or, si le législateur de l’Union avait entendu pénaliser de telles défaillances, qui sont essentiellement de nature administrative, au motif qu’elles portent atteinte au budget de l’Union, il aurait pu les sanctionner sans recourir à cette notion.

208    En troisième lieu, la Hongrie relève qu’il ressort d’une étude réalisée par le Parlement au cours de l’année de 2015, intitulée « The General Principles of EU Administrative Procedural Law » (Les principes généraux du droit de la procédure administrative de l’Union européenne), que la notion d’« État de droit » est à ce point générale que son contenu précis ne peut être établi que par ses éléments constitutifs, parmi lesquels figure le principe de sécurité juridique, lequel exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union. Ces exigences devraient donc également être satisfaites lorsqu’un mécanisme de sanction est institué pour des manquements à l’État de droit.

209    Or, outre la divergence entre la notion d’« État de droit » et les « principes de l’État de droit », le règlement attaqué se référerait, à son article 3 ainsi qu’à son article 4, paragraphe 2, à des expressions qu’il ne définirait pas de façon suffisamment précise pour qu’il soit possible d’anticiper les conditions dans lesquelles une violation des principes de l’État de droit peut être constatée. Il en irait ainsi du « bon fonctionnement [des autorités] », du « contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes [...] des autorités », de « la coopération effective et en temps utile avec l’OLAF » et « d’autres situations ou comportements des autorités qui sont pertinents [...] ». Aussi, la Commission et le Conseil se verraient-ils accorder une marge d’appréciation à ce point étendue qu’elle serait incompatible avec une procédure susceptible de mener à des sanctions.

210    Conformément à une jurisprudence constante des juridictions de l’Union, la législation de l’Union devrait être certaine et son application prévisible pour les justiciables, cet impératif s’imposant avec une rigueur particulière dans le cas d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose. Cet impératif s’étendrait à la prévisibilité des modes de preuve et des méthodes utilisés dans les procédures de sanction.

211    La Hongrie expose que le principe de sécurité juridique ne s’oppose certes pas à ce que la loi réglemente une question de manière générale et abstraite, les juridictions étant alors chargées, lors de l’application de celle-ci, de procéder à son interprétation. Elle estime néanmoins que, eu égard à l’obligation de « protéger » l’identité nationale des États membres, l’État de droit et les principes de l’État de droit doivent pouvoir faire l’objet d’une appréciation différente dans chacun des États membres, ce d’autant plus que les institutions de l’Union n’apprécient pas toujours de manière uniforme les différentes situations juridiques. Or, un élément fondamental de l’État de droit et de la sécurité juridique consisterait dans le fait que le droit doit être formulé de telle sorte que des situations semblables soient traitées de façon semblable. En raison des défaillances conceptuelles du règlement attaqué et de l’impossibilité de définir la notion d’« État de droit » avec précision, ce règlement ne satisferait pas à cette condition de base d’une application uniforme de la loi.

212    La Hongrie indique, à titre d’exemple, que la Commission n’a pas, dans ses rapports annuels sur l’État de droit, regardé comme étant constitutif d’un abus le fait que le parquet puisse, dans certains États membres, recevoir des instructions de l’exécutif, alors que la Cour a exprimé de sérieuses préoccupations à cet égard dans des affaires où était en cause l’exécution d’un mandat d’arrêt européen. Ainsi, il serait difficile de déterminer si, dans un pareil cas, il est satisfait ou non à l’exigence du bon fonctionnement des autorités chargées des poursuites. Quant au degré requis de coopération avec l’OLAF, cet État membre se demande, tout d’abord, s’il pourrait être mesuré par rapport aux poursuites engagées sur la base des recommandations de l’OLAF, ensuite, si, pour se conformer au règlement attaqué, il y aurait lieu de fixer un pourcentage de poursuites sur la base de ces recommandations et, enfin, si, afin d’atteindre ce seuil, il conviendrait de pouvoir donner des instructions au parquet dans des affaires individuelles, alors même que l’existence de telles instructions permettrait de s’interroger sur l’impartialité et la légalité des poursuites ainsi que sur l’indépendance du parquet. La Hongrie relève également qu’un seuil de condamnations sur la base de telles recommandations mettrait en doute l’indépendance du pouvoir judiciaire. Compte tenu de ces interrogations, la Hongrie craint qu’une contradiction puisse se produire entre les conditions examinées par la Commission dans le cadre du mécanisme institué par le règlement attaqué, d’une part, et les exigences fondamentales posées par la Cour et par les dispositions constitutionnelles nationales, d’autre part.

213    En quatrième lieu, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que certaines dispositions du règlement attaqué violent le principe de sécurité juridique et que ces violations devraient entraîner l’annulation de ce règlement dans son ensemble.

214    Premièrement, l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, en ce qu’il autorise l’adoption de mesures dès qu’il existe un « risque » d’atteinte au budget de l’Union, permettrait l’adoption de sanctions dans des situations incertaines ou non démontrées. En effet, en l’absence d’atteinte concrète à ce budget, l’application de sanctions serait arbitraire et enfreindrait le principe de sécurité juridique, la détermination objective, technique et factuelle par la Commission des conditions d’adoption de mesures étant alors impossible. Dans une telle situation, les seuls critères objectifs pour justifier l’adoption de mesures seraient la gravité et la nature de la violation de l’État de droit, ce qui serait toutefois incompatible avec la base juridique du règlement attaqué.

215    Deuxièmement, serait contraire au principe de sécurité juridique, selon lequel une norme permettant l’adoption de sanctions doit énumérer de manière précise et exhaustive les comportements susceptibles de faire l’objet de sanctions, le fait que l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué permettrait, à son point h), en dehors des cas visés à ses points a) à g), l’adoption de mesures en présence « d’autres situations ou comportements des autorités », qui ne sont pas définis. Ce point h) aurait pour seule spécificité, par rapport au contenu de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, d’indiquer que la situation ou le comportement incriminé doit être imputable à « des autorités », mais il n’apporterait, contrairement à d’autres dispositions dudit règlement, aucune précision quant à la nature de ces « autorités ». Cette notion pourrait, dès lors, couvrir tout groupe d’individus ayant des responsabilités officielles pour un domaine d’activité donné, car, selon une jurisprudence constante, la notion d’« autorité » est entendue au sens large dans les différents actes de droit de l’Union.

216    En outre, il ne ressortirait pas clairement de la comparaison entre les versions en langues allemande, anglaise et française du règlement attaqué que, dans l’expression « andere Umstände oder Verhaltensweisen von Behörden », « other situations or conduct of authorities » ou « autres situations ou comportements des autorités », le mot « situations » est ou non lié au mot « autorités ». Certes, à première vue, l’expression « Umstände von Behörden », « situations of authorities » ou « situations des autorités » ne semblerait pas avoir de sens, mais la version en langue hongroise de cette disposition lierait le mot « situation » à celui d’« autorités », de sorte que ladite disposition ne satisferait pas à l’exigence de clarté de la norme.

217    La Hongrie en déduit que le point h) de l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué prive de sens l’énumération figurant aux points a) à g) de cette disposition, en lui conférant un caractère non exhaustif, qui est incompatible avec le principe de sécurité juridique.

218    Troisièmement, l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement attaqué, en ce qu’il se borne à prévoir que les mesures à adopter doivent prendre en compte la nature, la durée, la gravité et la portée des violations des principes de l’État de droit, sans définir précisément la nature et l’étendue de ces mesures, enfreindrait également le principe de sécurité juridique. Cette disposition ne fixerait, en effet, aucun critère concret aux fins d’apprécier le caractère justifié, nécessaire ou proportionné d’une mesure ni ne préciserait le type de violation des principes de l’État de droit qui peut servir de base pour déterminer la nature et l’étendue d’une mesure de sanction.

219    Quatrièmement, la Hongrie considère que l’article 5, paragraphe 3, dernière phrase, du règlement attaqué, en ce qu’il indique que les mesures à adopter doivent cibler « dans la mesure du possible » les actions de l’Union auxquelles les violations portent atteinte, ne permet pas de garantir l’existence d’un lien direct entre la violation des principes de l’État de droit qui a été constatée et l’adoption des mesures de protection du budget de l’Union. Cette disposition rendrait ainsi possible l’adoption de mesures en rapport avec un programme de l’Union avec lequel la violation des principes de l’État de droit qui a été constatée est dépourvue de tout lien réel, ce qui méconnaîtrait, outre le principe de proportionnalité, le principe de sécurité juridique. En outre, cette méconnaissance confirmerait le fait que le règlement attaqué est un instrument non pas de protection du budget de l’Union, mais de sanction de l’État de droit non couvert par la base juridique de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.

220    Cinquièmement, l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué, en ce qu’il permet à la Commission de prendre en compte, lors des différentes étapes de l’évaluation qui lui incombe d’effectuer, « des informations pertinentes provenant de sources disponibles, y compris les décisions, conclusions et recommandations des institutions de l’Union, d’autres organisations internationales pertinentes et d’autres institutions reconnues », ne définirait pas de manière suffisamment précise les sources d’information admissibles dans ce cadre, puisqu’il ne ferait pas apparaître sur quelle base la Commission doit examiner et apprécier l’existence ou le risque d’une violation des principes de l’État de droit.

221    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent cette argumentation.

b)      Appréciation de la Cour

222    Par le troisième moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir, en substance, en premier lieu, que la notion d’« État de droit » ne se prête pas à une définition précise et ne peut faire l’objet d’une interprétation uniforme, en raison de l’obligation de respecter l’identité nationale de chacun des États membres. L’article 2, sous a), du règlement attaqué inclurait des valeurs parallèles que contient l’article 2 TUE, présentant le même niveau d’abstraction, qui seraient également garanties distinctement dans les traités, confirmant ainsi que ces valeurs seraient de nature politique et non juridique. En outre, en définissant la notion d’« État de droit » dans une réglementation sectorielle, le législateur de l’Union saperait l’interprétation de cette notion en tant que valeur commune de l’Union. En deuxième lieu, le rapport entre l’article 2, sous a), l’article 3, et l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué ne serait pas clairement déterminable et leur application conjointe ne permettrait pas d’exclure que des situations qui ne sont pas liées à la bonne gestion financière des ressources du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers fassent l’objet de sanctions. De même, les termes employés à l’article 3, sous b), de ce règlement ne présenteraient qu’un lien éloigné avec la notion d’« État de droit », ce qui entraînerait une rupture du lien entre la finalité et le contenu de cette norme. En troisième lieu, ledit règlement se référerait, à son article 3 et à son article 4, paragraphe 2, à des expressions trop imprécises pour permettre d’anticiper les conditions sur la base desquelles une violation des principes de l’État de droit peut être établie. De ce fait, la Commission et le Conseil disposeraient d’une marge d’appréciation excessive dans le cadre d’une procédure susceptible de mener à des sanctions. En quatrième lieu, la notion de « risque », employée à l’article 4, paragraphe 1, du même règlement, induirait l’existence d’une présomption qui ne permettrait d’établir aucun lien, sous l’angle juridique, entre l’État de droit et une atteinte au budget de l’Union ou à ses intérêts financiers, et qui permettrait donc d’infliger des sanctions dans des situations où une telle atteinte n’est pas démontrée. De surcroît, l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué serait rédigé dans des termes peu clairs et la liste dressée par ce paragraphe 2 ne serait pas exhaustive, alors qu’il sert de fondement à l’adoption de sanctions. En cinquième lieu, l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, de ce règlement ne définirait pas suffisamment, la nature et l’étendue des mesures pouvant être adoptées. En sixième lieu, les termes « dans la mesure du possible », figurant à l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, dudit règlement, rompraient le lien entre la violation qui a été constatée et l’adoption des mesures de protection. En septième lieu, l’article 6, paragraphes 3 et 8, du même règlement ne définirait pas de manière suffisamment précise les sources d’information sur lesquelles la Commission peut s’appuyer.

223    Selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe de sécurité juridique exige, d’une part, que les règles de droit soient claires et précises et, d’autre part, que leur application soit prévisible pour les justiciables, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir des conséquences défavorables. Ledit principe exige notamment qu’une réglementation permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et que ces derniers puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt du 29 avril 2021, Banco de Portugal e.a., C‑504/19, EU:C:2021:335, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

224    Pour autant, ces exigences ne sauraient être comprises comme s’opposant à ce que le législateur de l’Union, dans le cadre d’une norme qu’il adopte, emploie une notion juridique abstraite, ni comme imposant qu’une telle norme abstraite mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être déterminées à l’avance par le législateur (voir, par analogie, arrêt du 20 juillet 2017, Marco Tronchetti Provera e.a., C‑206/16, EU:C:2017:572, points 39 ainsi que 40).

225    En conséquence, le fait qu’un acte législatif confère un pouvoir d’appréciation aux autorités chargées de sa mise en œuvre ne méconnaît pas en soi l’exigence de prévisibilité, à la condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir soient définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir une protection adéquate contre l’arbitraire (voir, en ce sens, arrêts du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, EU:C:2010:346, point 94, ainsi que du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 57).

226    C’est au regard de ces considérations qu’il convient d’apprécier les arguments invoqués par la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, à l’appui de son moyen tiré d’une violation du principe de sécurité juridique, en examinant, en premier lieu, ceux tirés de ce que la notion d’« État de droit » échappe à toute définition précise et ne peut faire l’objet d’une interprétation uniforme, en raison de l’obligation de « protéger » l’identité nationale de chacun des États membres, ceux pris de ce que la notion d’État de droit définie à l’article 2, sous a), du règlement attaqué inclut d’autres valeurs que contient l’article 2 TUE, toutes ces valeurs étant de nature politique et non juridique, et ceux tirés de ce que cette dernière disposition a pour effet de saper l’interprétation de la notion d’« État de droit » comme valeur commune de l’Union.

227    À cet égard, premièrement, l’article 2, sous a), du règlement attaqué ne vise pas à définir de manière exhaustive cette notion, mais se borne à spécifier, aux seules fins de ce règlement, plusieurs des principes que celle-ci recouvre et qui sont, selon le législateur de l’Union, les plus pertinents au regard de l’objet dudit règlement, qui consiste à assurer la protection du budget de l’Union.

228    Deuxièmement, ainsi qu’il a été précisé au point 136 du présent arrêt, la notion d’« État de droit » visée à l’article 2, sous a), du règlement attaqué s’entend comme étant « la valeur de l’Union consacrée à l’article 2 [TUE] », cette notion recouvrant les principes mentionnés audit article 2, sous a). Il s’ensuit que cette disposition n’a pas pour effet de saper l’interprétation de la notion d’« État de droit » comme valeur commune de l’Union telle qu’elle découle de l’article 2 TUE.

229    Troisièmement, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, les principes énoncés à l’article 2, sous a), du règlement attaqué n’excèdent pas les limites de la notion d’« État de droit ». En particulier, la référence à la protection des droits fondamentaux n’est effectuée qu’à titre d’illustration des exigences du principe de protection juridictionnelle effective, également garantie à l’article 19 TUE et dont la Hongrie reconnaît elle-même qu’elle fait partie de cette notion. Il en va de même de la référence au principe de non-discrimination. En effet, si l’article 2 TUE mentionne de manière distincte l’État de droit en tant que valeur commune aux États membres et le principe de non-discrimination, force est de constater qu’un État membre dont la société est caractérisée par la discrimination ne saurait être considéré comme assurant le respect de l’État de droit, au sens de cette valeur commune.

230    Cette constatation est corroborée par le fait que, dans l’étude mentionnée au point ‎201 du présent arrêt et à laquelle fait référence le considérant 16 du règlement attaqué, la Commission de Venise a indiqué notamment que la notion d’« État de droit » repose sur un droit sûr et prévisible, dans lequel toute personne a le droit d’être traitée par les décideurs de manière digne, égale et rationnelle, dans le respect du droit existant, et de disposer de voies de recours pour contester les décisions devant des juridictions indépendantes et impartiales, selon une procédure équitable. Or, ces caractéristiques sont précisément reflétées à l’article 2, sous a), de ce règlement.

231    Quatrièmement, l’obligation tenant au respect de l’État de droit et dont la méconnaissance est susceptible de relever du mécanisme de conditionnalité horizontale institué à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, lu à la lumière des principes énoncés à l’article 2, sous a), de ce règlement, est une expression spécifique des exigences résultant, pour les États membres, de leur appartenance à l’Union, en vertu de l’article 2 TUE. En effet, cette obligation constitue une obligation de résultat qui, ainsi qu’il a été rappelé aux points 124 à 127 du présent arrêt, découle directement des engagements pris par les États membres les uns vis-à-vis des autres ainsi qu’à l’égard de l’Union.

232    À cet égard, il importe de rappeler que l’article 2 TUE ne constitue pas une simple énonciation d’orientations ou d’intentions de nature politique, mais contient des valeurs qui relèvent, ainsi qu’il a été relevé au point 127 du présent arrêt, de l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun, valeurs qui sont concrétisées dans des principes contenant des obligations juridiquement contraignantes pour les États membres.

233    Or, même si, ainsi qu’il ressort de l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’Union respecte l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, de sorte que ces États disposent d’une certaine marge d’appréciation pour assurer la mise en œuvre des principes de l’État de droit, il n’en découle nullement que cette obligation de résultat peut varier d’un État membre à l’autre.

234    En effet, tout en disposant d’identités nationales distinctes, inhérentes à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, que l’Union respecte, les États membres adhèrent à une notion d’« État de droit » qu’ils partagent, en tant que valeur commune à leurs traditions constitutionnelles propres, et qu’ils se sont engagés à respecter de manière continue.

235    Partant, et nonobstant la circonstance selon laquelle la Commission et le Conseil doivent effectuer leurs appréciations en tenant dûment compte des circonstances et des contextes spécifiques à chaque procédure menée au titre du règlement attaqué et, en particulier, en prenant en considération les particularités du système juridique de l’État membre en cause et la marge d’appréciation dont cet État membre dispose pour assurer la mise en œuvre des principes de l’État de droit, cette exigence n’est aucunement incompatible avec l’application de critères d’appréciation uniformes.

236    Ensuite, s’il est vrai que l’article 2, sous a), du règlement attaqué ne détaille pas les principes de l’État de droit qu’il mentionne, il n’en demeure pas moins que le considérant 3 de ce règlement rappelle que les principes de légalité, de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective et de séparation des pouvoirs, visés à cette disposition, ont fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour. Il en va de même des principes d’égalité devant la loi et de non-discrimination, également mentionnés, ainsi qu’il ressort notamment des points 94 et 98 de l’arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement (C‑650/18, EU:C:2021:426), ainsi que des points 57 et 58 de l’arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique) (C‑930/19, EU:C:2021:657).

237    Ces principes de l’État de droit, tels que développés sur le fondement des traités de l’Union dans la jurisprudence de la Cour, sont ainsi reconnus et précisés dans l’ordre juridique de l’Union et trouvent leur source dans des valeurs communes reconnues et appliquées également par les États membres dans leurs propres ordres juridiques.

238    En outre, les considérants 8 à 10 et 12 du règlement attaqué mentionnent les principales exigences découlant de ces principes. En particulier, ils fournissent un éclairage sur les cas qui peuvent être indicatifs de violations des principes de l’État de droit, figurant à l’article 3 de ce règlement, ainsi que sur les situations et les comportements que doivent concerner ces violations, décrits à l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement, pour être susceptibles de justifier l’adoption de mesures appropriées, au sens de l’article 4, paragraphe 1, du même règlement.

239    Enfin, les appréciations de la Commission et du Conseil sont soumises aux exigences procédurales spécifiées à l’article 6, paragraphes 1 à 9, du règlement attaqué. Ces exigences impliquent en particulier, ainsi que le relève le considérant 26 de ce règlement, l’obligation pour la Commission de se fonder sur des éléments concrets et de respecter les principes d’objectivité, de non-discrimination et d’égalité des États membres devant les traités lorsqu’elle mène des procédures au titre de cette disposition. S’agissant de la détection et de l’évaluation des violations des principes de l’État de droit, lesdites exigences doivent être comprises à la lumière du considérant 16 dudit règlement, selon lequel cette évaluation doit être objective, impartiale et équitable.

240    Dans ces conditions, la Hongrie ne saurait alléguer que les États membres ne sont pas à même de déterminer avec suffisamment de précision le contenu essentiel ainsi que les exigences découlant de chacun des principes énumérés à l’article 2, sous a), du règlement attaqué ni que ces principes sont de nature uniquement politique et que le contrôle de leur respect n’est pas susceptible de faire l’objet d’une appréciation strictement juridique.

241    En deuxième lieu, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que le rapport entre l’article 2, sous a), l’article 3 et l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué ne serait pas clairement déterminable, que l’application conjointe de ces dispositions ne permettrait pas d’exclure que des situations qui ne sont pas liées à la bonne gestion des ressources du budget de l’Union fassent l’objet de sanctions et que des notions visées à l’article 3, sous b), de ce règlement ne présenteraient qu’un lien éloigné avec la notion d’« État de droit ».

242    À cet égard, tout d’abord, il a été relevé aux points 136 à 138 et 147 du présent arrêt que l’article 2, sous a), du règlement attaqué définit cette notion, aux seules fins de celui-ci, comme recouvrant les principes de légalité, de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi, que l’article 3 de ce règlement, en citant des cas qui peuvent être indicatifs de violations de ces principes, vise à faciliter l’application dudit règlement, en explicitant les exigences inhérentes à ces principes, et que l’article 4 du même règlement prévoit, à son paragraphe 2, le champ d’application du mécanisme de conditionnalité horizontale institué à son paragraphe 1, lequel exige que les violations des principes de l’État de droit concernent les situations ou les comportements des autorités qui sont énumérés à ses points a) à h), pour autant qu’ils sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection de ses intérêts financiers.

243    Il découle de ce qui précède que l’article 2, sous a), l’article 3 et l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué présentent entre eux des liens suffisamment précis au regard du principe de sécurité juridique.

244    Ensuite, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, l’application conjointe de ces dispositions n’implique nullement le risque que des situations qui ne sont pas liées à la bonne gestion des ressources du budget de l’Union puissent faire l’objet de mesures prises en application de l’article 4 du règlement attaqué. En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 147 du présent arrêt, cet article limite, à son paragraphe 2, le champ d’application du mécanisme de conditionnalité horizontale aux seuls situations et comportements des autorités des États membres qui sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection de ses intérêts financiers et exige, à son paragraphe 1, qu’un lien réel soit établi, dans tous les cas, entre des violations des principes de l’État de droit, d’une part, et des atteintes ou des risques sérieux d’atteintes à cette bonne gestion financière ou à la protection de ces intérêts financiers, d’autre part.

245    Enfin, ne sauraient être retenues les allégations de la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, selon lesquelles les expressions « le fait de ne pas prévenir [...] la retenue de ressources financières et humaines affectant [le] bon fonctionnement [des autorités publiques] », « le fait de ne pas veiller à l’absence de conflits d’intérêts » ou encore le « fait de ne pas prévenir [...] les décisions[...] illégales », exposées à l’article 3, sous b), du règlement attaqué, ne présentent qu’un lien éloigné et indirect avec la notion d’« État de droit ». En effet, ainsi qu’il résulte des considérants 9 et 10 de ce règlement, ces situations peuvent conduire à la méconnaissance du principe de l’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ou de celui de la protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 210 à 214, ainsi que du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, points 195 à 213).

246    En troisième lieu, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, allègue que le règlement attaqué n’est pas conforme au principe de sécurité juridique en ce qu’il se réfère, à son article 3 ainsi qu’à son article 4, paragraphe 2, à des expressions trop imprécises – telles que « [le] bon fonctionnement [des autorités] », « le contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes [...] des autorités », « la coopération effective et en temps utile avec l’OLAF » et « d’autres situations ou comportements des autorités qui sont pertinents » – pour pouvoir anticiper les circonstances dans lesquelles une violation des principes de l’État de droit peut être constatée et en ce qu’il accorde à la Commission et au Conseil une marge d’appréciation excessive à cet égard.

247    La Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait également valoir, s’agissant en particulier de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué, que cette disposition est contraire aux exigences du principe de sécurité juridique. En effet, alors qu’une norme instituant une sanction devrait définir de manière précise et exhaustive le comportement répréhensible visé, cette disposition méconnaîtrait cette exigence puisqu’elle prévoirait, sans les définir, que « d’autres situations ou comportements des autorités » puissent justifier l’adoption de mesures. En outre, le libellé de cette disposition ne permettrait pas de savoir si le terme « situations » est ou non lié à celui d’« autorités ». Enfin, l’absence de précision de la notion d’« autorités » ferait naître une insécurité juridique.

248    À cet égard, premièrement, s’agissant du « bon fonctionnement » des autorités publiques, y compris répressives, exécutant le budget de l’Union et chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financiers ainsi que des services d’enquête et de poursuites judiciaires, visées à l’article 3, sous b), et à l’article 4, paragraphe 2, sous a) à c), du règlement attaqué, il découle des considérants 8 et 9 de ce règlement que cette expression vise la capacité de ces autorités à remplir correctement ainsi que de manière effective et efficace leurs fonctions pertinentes pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection de ses intérêts financiers.

249    Deuxièmement, la notion de « contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes » d’actes ou d’omissions des autorités exécutant le budget de l’Union, ou des autorités chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financiers ou encore des services d’enquête et de poursuites judiciaires, visée à l’article 4, paragraphe 2, sous d), du règlement attaqué, est non seulement précisée aux considérants 8 à 10 et 12 de ce règlement, mais a également fait l’objet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 132, 161 et 162 du présent arrêt, d’une jurisprudence abondante de la Cour au titre de l’article 19 TUE et de l’article 47 de la Charte.

250    Troisièmement, en ce qui concerne la « coopération effective et en temps utile avec l’OLAF », il y a lieu de relever que l’exigence d’une telle coopération ressort de la réglementation financière de l’Union. En effet, l’article 63, paragraphe 2, sous d), du règlement financier impose aux États membres, lorsqu’ils effectuent des tâches liées à l’exécution budgétaire, de prendre toutes les mesures législatives, réglementaires et administratives qui sont nécessaires à la protection des intérêts financiers de l’Union et, en particulier, leur fait obligation de coopérer, conformément à ce règlement et à la réglementation sectorielle, avec l’OLAF.

251    Cette exigence de coopération est spécifiée, notamment, à l’article 129 du règlement financier et inclut l’obligation d’accorder à l’OLAF les droits et les accès nécessaires au plein exercice par celui-ci de ses compétences, ces droits incluant celui d’effectuer des enquêtes, y compris des contrôles et des vérifications sur place, conformément au règlement no 883/2013. En outre, il résulte de l’article 131, paragraphe 1, du règlement financier que, lorsqu’une procédure d’attribution semble entachée de fraudes, la personne compétente doit informer immédiatement l’OLAF. Enfin, d’autres précisions portant sur la coopération requise peuvent être déduites de l’article 57, de l’article 91, paragraphe 2, de l’article 132, paragraphe 2, de l’article 187, paragraphe 3, sous b), ii), et de l’article 220, paragraphe 5, sous c), dudit règlement ainsi que du règlement no 883/2013.

252    Quatrièmement, l’expression « autres situations ou comportements des autorités », qui figure à l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué, doit être interprétée à la lumière de l’article 4, paragraphe 2, sous a) à g), ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement.

253    À cet égard, il découle d’une lecture combinée de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué que des mesures appropriées sont prises lorsqu’il est établi qu’une violation de l’un des principes identifiés à l’article 2, sous a), de ce règlement a été commise et concerne une situation imputable à une autorité d’un État membre ou un comportement d’une telle autorité, pour autant que cette situation ou ce comportement est pertinent pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection de ses intérêts financiers, et que ladite violation porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte, de manière suffisamment directe, à cette bonne gestion financière ou à ces intérêts financiers.

254    Or, l’application de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué, lu conjointement avec l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, est non seulement circonscrite par l’ensemble des critères relevés au point précédent, mais est également soumise aux exigences procédurales rappelées au point 239 du présent arrêt.

255    Il ne saurait donc être considéré que les « autres situations ou comportements des autorités » mentionnés à l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué, parce qu’ils sont définis en termes abstraits et généraux, ont pour conséquence de conférer un caractère non exhaustif à la liste des violations des principes de l’État de droit figurant à ce paragraphe 2.

256    Par ailleurs, l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, en ce qu’il vise, à ses points a) à g), certaines autorités, parmi lesquelles les « autorités exécutant le budget de l’Union », les « autorités chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financiers » ou encore les « autorités administratives », fournit des indications sur les autorités auxquelles se réfère son point h).

257    De plus, il peut être déduit de la définition de la notion d’« entité publique », figurant à l’article 2, sous b), du règlement attaqué, que sont visées les autorités publiques à tout niveau de gouvernement, incluant les autorités nationales, régionales et locales, ainsi que les établissements de droit public, voire les entités de droit privé investies d’une mission de service public et dotées de garanties financières suffisantes par l’État membre. Cette constatation est corroborée par les considérants 3, 8, 9, 15 et 19 de ce règlement ainsi que par l’article 3, sous b), de celui-ci qui visent exclusivement des « autorités publiques », des « autorités répressives » et des « autorités nationales ».

258    Enfin, ainsi qu’il a été précisé au point 164 du présent arrêt, le terme « situations » vise des situations imputables à une telle autorité.

259    Ainsi, au regard des considérations qui précèdent, la Hongrie ne saurait soutenir que les expressions critiquées de l’article 3 et de l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué ne permettraient pas à un État membre de déterminer avec une certitude suffisante leur portée ou leur sens, afin de lui permettre d’anticiper les conditions dans lesquelles une violation des principes de l’État de droit au sens dudit règlement peut être constatée.

260    Cinquièmement, à la lumière des considérations qui précèdent, selon lesquelles les expressions visées au point 246 du présent arrêt satisfont, en tant que telles, aux exigences du principe de sécurité juridique, ainsi que des motifs énoncés aux points 171 et 239 du présent arrêt, les objections de la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, relatives à une prétendue marge d’appréciation trop étendue qui serait accordée à la Commission et au Conseil par ces expressions doivent être écartées comme étant non fondées.

261    En quatrième lieu, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, allègue que la notion de « risque », figurant à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, enfreint le principe de sécurité juridique en ce qu’elle permettra d’infliger des sanctions arbitraires dans des situations incertaines ou non démontrées. Cette notion induirait en effet l’existence d’une présomption, dès lors qu’aucun lien ne peut être établi, sous l’angle juridique, entre l’État de droit et une atteinte au budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, et en raison de l’impossibilité de procéder à une détermination objective, technique et factuelle des conditions d’application de cette disposition.

262    À cet égard, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 311 de ses conclusions, il serait incompatible avec les exigences d’une bonne gestion financière du budget de l’Union et la protection de ses intérêts financiers de limiter l’adoption de mesures appropriées aux cas d’atteintes avérées à cette bonne gestion financière ou à ces intérêts financiers. En effet, cette limitation reviendrait à exclure l’adoption de mesures appropriées dans les cas où les atteintes, bien que n’étant pas encore avérées, peuvent néanmoins être raisonnablement anticipées, dès lors que leur réalisation présente une probabilité élevée. Ladite limitation serait, dès lors, de nature à compromettre la finalité du règlement attaqué, qui consiste, ainsi qu’il a été constaté au point 119 du présent arrêt, à protéger le budget de l’Union contre des atteintes à ce dernier susceptibles de découler de violations des principes de l’État de droit dans un État membre.

263    Quant aux notions de « bonne gestion financière » et de « protection des intérêts financiers de l’Union », la première est également visée à l’article 317, premier alinéa, TFUE et est définie à l’article 2, point 59, du règlement financier comme étant l’exécution du budget conformément aux principes d’économie, d’efficience et d’efficacité, tandis que la seconde relève également de l’article 325 TFUE et vise, selon l’article 63, paragraphe 2, du règlement financier, toutes les mesures législatives, réglementaires et administratives tendant, notamment, à prévenir, à détecter et à corriger les irrégularités et la fraude lors de l’exécution du budget.

264    Il y a également lieu de préciser que l’article 2, point 1, du règlement no 883/2013 définit les « intérêts financiers de l’Union » comme étant « les recettes, dépenses et avoirs couverts par le budget de l’Union, ainsi que ceux qui sont couverts par le budget des institutions, organes et organismes, et les budgets gérés et contrôlés par ceux-ci ». L’article 135, paragraphes 1, 3 et 4, du règlement financier prévoit, quant à lui, que, afin de protéger les intérêts financiers de l’Union, la Commission met en place et exploite un système de détection rapide et d’exclusion.

265    La Cour a, par ailleurs, jugé que la notion d’« intérêts financiers de l’Union », au sens de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, englobe non seulement les recettes mises à la disposition du budget de l’Union, mais également les dépenses couvertes par ce budget (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 183). Cette notion est donc pertinente non seulement dans le contexte des mesures de lutte contre les irrégularités et la fraude visées par cette disposition, mais également pour la bonne gestion financière de ce budget, dès lors que la protection de ces intérêts financiers contribue également à cette bonne gestion.

266    La prévention d’atteintes telles que celles visées à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué est, dès lors, un complément à la correction de telles atteintes, qui est inhérent tant à la notion de « bonne gestion financière » qu’à celle de « protection des intérêts financiers de l’Union » et doit, partant, être considérée comme étant une exigence constante et horizontale de la réglementation financière de l’Union.

267    Enfin, cette disposition exige que les violations des principes de l’État de droit qui ont été constatées présentent un risque « sérieux » d’atteintes à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à ses intérêts financiers et requiert, par conséquent, de démontrer que la réalisation de ce risque présente une probabilité élevée, en rapport avec les situations ou avec les comportements des autorités visés à l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, des mesures appropriées ne pouvant du reste être adoptées qu’à la condition qu’un lien suffisamment direct, à savoir un lien réel soit établi entre une violation de l’un des principes de l’État de droit et ce risque sérieux. En outre, lors de l’adoption de ces mesures, il convient également de respecter les exigences procédurales rappelées en dernier lieu au point 239 du présent arrêt.

268    Il s’ensuit que l’argumentation de la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, selon laquelle la notion de « risque », figurant à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, permet d’infliger des sanctions arbitraires dans des situations incertaines ou non démontrées doit être écartée comme étant non fondée.

269    En cinquième lieu, s’agissant de l’argumentation selon laquelle l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement attaqué ne définit pas de manière suffisante la nature et l’ampleur des mesures de protection du budget de l’Union pouvant être adoptées au titre de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, il y a lieu de rappeler, premièrement, que l’article 5, paragraphe 1, dudit règlement énumère de manière exhaustive les différentes mesures de protection susceptibles d’être adoptées, ainsi qu’il a été constaté au point 135 du présent arrêt.

270    Deuxièmement, le caractère justifié et nécessaire de l’adoption de l’une de ces mesures de protection résulte de la réunion des conditions énoncées à l’article 4 du règlement attaqué.

271    Troisièmement, s’agissant des critères à appliquer pour déterminer la ou les mesures qui doivent être adoptées dans une situation donnée, ainsi que leur étendue, l’article 5, paragraphe 3, première à troisième phrases, de ce règlement précise que les mesures prises doivent être proportionnées, qu’elles doivent être déterminées en fonction de l’incidence réelle ou potentielle des violations des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de l’Union et que la nature, la durée, la gravité et la portée des violations des principes de l’État de droit doivent être dûment prises en compte. Il en résulte que les mesures prises doivent être strictement proportionnées à l’incidence des violations constatées des principes de l’État de droit sur le budget de l’Union ou sur la protection de ses intérêts financiers.

272    Il découle de ce qui précède que l’argumentation selon laquelle l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement attaqué ne définit pas de manière suffisante la nature et l’étendue des mesures appropriées pouvant être adoptées doit être écartée comme étant non fondée.

273    En sixième lieu, s’agissant des arguments de la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, selon lesquels l’expression « dans la mesure du possible », figurant à l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué, viole le principe de sécurité juridique en ce qu’il rompt le lien entre la violation qui a été constatée et les mesures de protection qui sont adoptées, avec pour effet d’affecter la proportionnalité de ces mesures et de leur conférer un caractère de sanction, il convient, tout d’abord, de souligner que cette expression n’autorise pas à moduler les mesures susceptibles d’être adoptées au titre de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement au-delà ou en deçà de l’incidence de la violation qui a été constatée sur le budget de l’Union ou sur la protection de ses intérêts financiers.

274    En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 271 du présent arrêt, il résulte de l’article 5, paragraphe 3, première à troisième phrases, dudit règlement que les mesures prises doivent être strictement proportionnées à l’incidence des violations des principes de l’État de droit sur le budget de l’Union ou sur la protection de ses intérêts financiers qui ont été constatées, indépendamment du point de savoir si les mesures peuvent effectivement ou non cibler les actions de l’Union affectées par ces violations.

275    Ensuite, l’expression « dans la mesure du possible » n’autorise l’adoption de mesures portant sur des actions de l’Union autres que celles qui sont affectées par une telle violation que lorsque ces dernières actions ne peuvent pas ou ne peuvent plus être ciblées, ou encore ne peuvent l’être que de manière insuffisante en vue d’atteindre la finalité du règlement attaqué, qui consiste, ainsi qu’il ressort de son article 1er, à assurer la protection du budget de l’Union dans son ensemble, de sorte que ces mesures s’avèrent nécessaires pour atteindre cette finalité.

276    Ce n’est donc qu’à titre subsidiaire et, par conséquent, dérogatoire, dans des hypothèses que la Commission doit dûment établir, que les mesures prises peuvent cibler des actions de l’Union autres que celles affectées par ces violations.

277    Dès lors, l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué n’accorde à la Commission et au Conseil de marge d’appréciation quant au choix de l’action visée par la mesure à adopter que lorsque cela s’avère indispensable pour assurer une protection du budget de l’Union dans son ensemble. En outre, conformément à l’article 6, paragraphes 7 et 8, de ce règlement, la Commission est tenue d’évaluer, notamment, la proportionnalité des mesures envisagées et de donner à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations sur ces mesures et, en particulier, sur leur proportionnalité, ces exigences devant être comprises à la lumière du considérant 26 dudit règlement, ainsi qu’il a été rappelé en dernier lieu au point 239 du présent arrêt.

278    Il en découle que l’expression « dans la mesure du possible », au sens de l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué, ne rompt pas le lien entre la violation d’un principe de l’État de droit qui a été constatée et l’atteinte ou le risque sérieux d’atteinte au budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers qui en découle, dès lors que cette expression ne permet de cibler une action de l’Union autre que celle que cette violation affecte que lorsque la finalité de ce règlement consistant à assurer une protection du budget de l’Union dans son ensemble ne peut être atteint autrement. Il en découle également que ledit règlement encadre une telle possibilité d’exigences procédurales strictes et que ladite expression ne libère pas la Commission et le Conseil de leur obligation de respecter strictement la proportionnalité des mesures adoptées, au regard de l’incidence de la violation constatée sur le budget de l’Union.

279    Dans ces conditions, cette disposition n’a pas pour effet de conférer aux mesures de protection du budget de l’Union le caractère de mesure de sanction de violations de l’État de droit en tant que telles, de sorte que l’argumentation tirée de ce que l’expression « dans la mesure du possible », figurant à l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué, romprait, en violation du principe de sécurité juridique, le lien entre une violation constatée et les mesures adoptées doit être écartée comme étant non fondée.

280    En septième lieu, en ce qui concerne l’argumentation selon laquelle l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué ne définit pas de manière suffisamment précise les sources d’information sur lesquelles la Commission peut se fonder, dès lors qu’il n’expose pas la base sur laquelle cette institution doit examiner et apprécier l’existence d’une violation des principes de l’État de droit, il convient de rappeler que, aux termes de ladite disposition, lorsque la Commission examine si les conditions énoncées à l’article 4 de ce règlement sont remplies et évalue la proportionnalité des mesures à imposer, elle prend en compte les informations pertinentes provenant de sources disponibles, y compris les décisions, les conclusions et les recommandations des institutions de l’Union, d’autres organisations internationales pertinentes et d’autres institutions reconnues.

281    À cet égard, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, il incombe à la Commission d’établir que les conditions énoncées à l’article 4 de ce règlement sont remplies.

282    En outre, selon l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement, la Commission est tenue d’exposer, dans une notification écrite à l’État membre concerné, les éléments factuels et les motifs précis sur lesquels reposent ses constatations selon lesquelles il existe des motifs raisonnables de considérer que ces conditions sont remplies.

283    Il en résulte que la Commission est tenue de procéder à une appréciation diligente des faits à la lumière des conditions fixées à l’article 4 du règlement attaqué. Il en va de même, conformément à l’article 6, paragraphes 7 à 9, de ce règlement, en ce qui concerne l’exigence de proportionnalité des mesures, énoncée à l’article 5, paragraphe 3, de celui-ci.

284    Les considérants 16 et 26 dudit règlement énoncent d’ailleurs que la Commission doit procéder à une évaluation qualitative approfondie, qui doit être objective, impartiale et équitable, qui doit respecter les principes d’objectivité, de non-discrimination et d’égalité des États membres devant les traités et doit être menée selon une approche non partisane et fondée sur des éléments concrets.

285    Il en découle que la Commission est tenue de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’Union, de la pertinence des informations qu’elle utilise et de la fiabilité de ses sources. En particulier, ces dispositions ne confèrent pas de valeur probante spécifique ou absolue et n’attachent pas d’effets juridiques déterminés aux sources d’information qu’elles mentionnent, ni à celles qui sont indiquées au considérant 16 du règlement attaqué, de sorte qu’elles ne dispensent pas la Commission de son obligation de procéder à une appréciation diligente des faits qui satisfait pleinement aux exigences rappelées au point précédent.

286    À cet égard, le considérant 16 du règlement attaqué explicite le fait que les informations pertinentes provenant de sources disponibles et d’institutions reconnues comprennent, notamment, les arrêts de la Cour, les rapports de la Cour des comptes, le rapport annuel de la Commission sur l’État de droit et le tableau de bord de la justice dans l’Union, les rapports de l’OLAF, du Parquet européen et de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que les conclusions et les recommandations formulées par les organisations et les réseaux internationaux pertinents, y compris les organes du Conseil de l’Europe, tels que le GRECO et la Commission de Venise, en particulier sa liste des critères de l’État de droit, le réseau européen des présidents des cours suprêmes judiciaires et le réseau européen des conseils de la justice.

287    La Commission demeure ainsi responsable des informations qu’elle utilise et de la fiabilité de ses sources. Par ailleurs, l’État membre concerné dispose de la faculté, au cours de la procédure prévue à l’article 6, paragraphes 1 à 9, du règlement attaqué, de présenter des observations sur les informations que la Commission entend utiliser en vue de proposer l’adoption de mesures appropriées. Partant, il lui est possible de contester la valeur probante de chacun des éléments retenus, le bien-fondé des appréciations de la Commission pouvant, en tout état de cause, être soumis au contrôle du juge de l’Union dans le cadre d’un recours introduit contre une décision du Conseil prise au titre de ce règlement.

288    En particulier, la Commission doit communiquer, de manière précise, à l’État membre concerné, dès l’engagement de la procédure au titre de l’article 6, paragraphe 1, du règlement attaqué et, périodiquement, tout au long de cette procédure, les informations pertinentes provenant de sources disponibles sur lesquelles elle entend fonder la proposition de décision d’exécution arrêtant des mesures appropriées qu’elle présentera au Conseil.

289    Il s’ensuit que le troisième moyen doit être écarté comme étant non fondé.

290    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, les conclusions principales tendant à l’annulation du règlement attaqué dans son ensemble doivent être rejetées.

B.      Sur les conclusions subsidiaires tendant à l’annulation partielle du règlement attaqué

1.      Sur lesconclusions tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué

a)      Argumentation des parties

291    Par le quatrième moyen, soulevé à l’appui de ses conclusions subsidiaires tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir, en substance, que cette disposition est disproportionnée et viole les principes de sécurité juridique et de clarté de la norme, ainsi qu’il a été exposé dans le cadre du troisième moyen, dès lors qu’elle permet l’adoption de mesures de protection du budget de l’Union non seulement lorsqu’il est porté atteinte audit budget ou à la protection des intérêts financiers de l’Union de manière suffisamment directe, mais également lorsqu’il existe uniquement un risque sérieux d’une telle atteinte.

292    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, à titre principal, excipent de l’irrecevabilité du quatrième moyen et, à titre subsidiaire, contestent cette argumentation sur le fond.

b)      Appréciation de la Cour

293    Selon une jurisprudence constante, l’annulation partielle d’un acte du droit de l’Union n’est possible que pour autant que les éléments dont l’annulation est demandée sont séparables du reste de l’acte. Il n’est pas satisfait à cette exigence lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci, ce qui doit être apprécié sur le fondement d’un critère objectif et non d’un critère subjectif lié à la volonté politique de l’autorité qui a adopté l’acte en cause (arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 38 et jurisprudence citée).

294    À cet égard, le Parlement et le Conseil font valoir à bon droit que l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué aurait pour effet de modifier la substance de ce règlement, dès lors que cette disposition précise les conditions exigées pour permettre l’adoption des mesures énoncées à l’article 5, paragraphe 1, dudit règlement et constitue en ce sens le cœur même du mécanisme de conditionnalité horizontale institué par le même règlement. En effet, sans la disposition dont l’annulation est demandée, le règlement attaqué ne répondrait plus à l’objectif, énoncé à son article 1er, d’établir « les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre ».

295    Il s’ensuit que les conclusions tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué doivent être rejetées comme irrecevables, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner le bien-fondé du quatrième moyen, soulevé à l’appui de ces conclusions.

2.      Sur lesconclusions tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué

a)      Argumentation des parties

296    Par le cinquième moyen, soulevé à l’appui de ses conclusions subsidiaires tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que cette disposition est contraire à l’exigence selon laquelle une norme instituant une sanction doit définir de façon précise les comportements et les situations qu’elle vise à réprimer. Ainsi, l’absence d’énumération précise et exhaustive des situations concernées par le mécanisme de conditionnalité horizontale institué par ce règlement violerait le principe de sécurité juridique ainsi que l’article 7 TUE.

297    En premier lieu, la Hongrie fait observer que, dans son avis juridique no 13593/18, le service juridique du Conseil a relevé qu’une disposition prévoyant un mécanisme de conditionnalité doit indiquer de manière précise les conditions à remplir pour bénéficier d’un financement, lesquelles doivent être liées de manière suffisante à l’objectif du financement, de sorte que, si elles ne sont pas remplies, le financement devient incompatible avec une bonne gestion financière. Partant, le règlement attaqué, en énumérant de manière non exhaustive les cas dans lesquels le mécanisme de conditionnalité qu’il institue peut être engagé, ne permettrait pas de garantir l’existence d’un lien suffisamment direct avec la protection du budget de l’Union et des intérêts financiers de l’Union.

298    En second lieu, la Hongrie déduit de la formulation « extrêmement générale » de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué une violation des exigences de clarté, de précision et de prévisibilité et, partant, du principe de sécurité juridique, cette disposition n’énumérant pas de manière précise et exhaustive les situations dans lesquelles des mesures appropriées peuvent être adoptées au titre de ce règlement. Ladite disposition serait, en effet, au regard notamment de ses différentes versions linguistiques, vague, ambiguë, sans limites et insusceptible de faire l’objet d’une interprétation et d’une application uniformes. Il en résulterait un risque sérieux de violation du principe d’égalité des États membres devant les traités.

299    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent cette argumentation.

b)      Appréciation de la Cour

300    En premier lieu, il découle des points 244 et 253 du présent arrêt que, contrairement à ce que soutient la Hongrie, l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué ne déroge aucunement à l’exigence selon laquelle il doit toujours exister un lien suffisamment direct entre une violation d’un principe de l’État de droit et une atteinte ou un risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers.

301    De surcroît, il ressort des points 255 et 259 du présent arrêt que cette disposition, d’une part, n’a pas pour effet de conférer un caractère non exhaustif à la liste des situations et des comportements des autorités que les violations des principes de l’État de droit figurant à l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement concernent et, d’autre part, est suffisamment précise pour satisfaire au principe de sécurité juridique.

302    En deuxième lieu, s’agissant des arguments en rapport avec la finalité du règlement attaqué et le prétendu contournement de la procédure prévue à l’article 7 TUE, il suffit de renvoyer à l’analyse effectuée aux points 98 à 196 du présent arrêt.

303    En troisième lieu, en ce qui concerne les allégations tirées du manque de précision et des incohérences internes de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué, il suffit de renvoyer à l’analyse effectuée aux points 252 à 258 du présent arrêt.

304    En conséquence, le cinquième moyen doit être écarté comme étant non fondé, de sorte que les conclusions tendant à l’annulation de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué doivent être rejetées.

3.      Sur lesconclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué

a)      Argumentation des parties

305    Par le sixième moyen, soulevé à l’appui de ses conclusions subsidiaires tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, allègue que cette disposition impose, en méconnaissance de la base juridique de ce règlement et des dispositions du droit de l’Union relatives aux déficits publics, des contraintes sur les budgets des États membres concernés, puisqu’elle prévoit que, si des mesures appropriées sont prises à l’égard d’un État membre, ce dernier n’est pas libéré de son obligation de poursuivre le financement des programmes concernés auprès des bénéficiaires finaux.

306    À cet égard, la Hongrie relève que les aides de l’Union prévues par le cadre financier pluriannuel 2021-2027 fixé par le règlement no 2020/2093 et par le règlement 2020/2094 sont versées au titre de programmes de gestion conçus principalement, voire exclusivement, selon les priorités de l’Union. Or, si des mesures adoptées en vertu du règlement attaqué devaient suspendre en tout ou en partie ces aides, l’État membre concerné serait contraint, en vertu de cette disposition, de financer entièrement ces programmes.

307    Ce faisant, l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué restreindrait le droit de cet État membre d’utiliser son propre budget, rendrait la planification de sa politique économique imprévisible et risquerait de le contraindre à enfreindre les dispositions du droit de l’Union relatives aux déficits publics. Or, ces circonstances pourraient conduire à l’infliction de sanctions supplémentaires et à un endettement structurel de l’État membre concerné, en particulier lorsque celui-ci est doté d’un budget modeste, entraînant ainsi une violation du principe d’égalité des États membres devant les traités.

308    Par ailleurs, l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué remettrait en question le caractère approprié de la base juridique retenue pour ce règlement, étant donné que cette disposition fixerait des exigences destinées non au budget de l’Union mais à celui des États membres concernés, ce qui confirmerait le fait que les mesures de protection du budget de l’Union qui peuvent être adoptées au titre dudit règlement visent à sanctionner ces États membres pour des violations de l’État de droit.

309    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent cette argumentation.

b)      Appréciation de la Cour

310    Par le sixième moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir, en substance, que l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué impose des contraintes sur les budgets des États membres concernés, ce qui, tout d’abord, serait incompatible avec la base juridique de ce règlement, ensuite, violerait les dispositions du droit de l’Union relatives aux déficits publics et, enfin, enfreindrait le principe d’égalité des États membres devant les traités.

311    À cet égard, en premier lieu, en ce qui concerne le grief tiré de ce que l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué est incompatible avec la base juridique de ce règlement, il doit être écarté pour les motifs déjà exposés aux points 150 à 152 du présent arrêt.

312    En deuxième lieu, s’agissant du grief pris d’une prétendue violation des dispositions du droit de l’Union relatives aux déficits publics, il convient de relever que l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué se borne à préciser que l’adoption de mesures au titre de ce règlement ne modifie pas les obligations préexistantes, découlant notamment de « la réglementation sectorielle et financière applicable », de ces entités publiques et de ces États membres, de telles mesures ne pouvant, en particulier, constituer un motif permettant à ceux-ci de se libérer desdites obligations. Il s’ensuit que cette disposition n’impose aucune obligation nouvelle aux États membres.

313    Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 324 et 325 de ses conclusions, si l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué a pour conséquence que les États membres doivent assumer les coûts découlant des mesures imposées au titre de ce règlement, cette conséquence est sans préjudice de la possibilité dont ils disposent, dans les limites de leurs obligations découlant du droit de l’Union, de définir les moyens par lesquels ils atteignent les objectifs en matière de déficits publics fixés par les traités.

314    Ainsi, l’incidence que cette disposition est susceptible d’avoir sur le budget des États membres concernés ne se distingue pas de celle qui peut résulter d’autres obligations découlant du droit de l’Union.

315    En outre, si les États membres peuvent prendre en compte, lorsqu’ils établissent leurs budgets, les financements issus du budget de l’Union auxquels ils peuvent prétendre, dès lors que les conditions d’obtention de ces financements apparaissent réunies, il n’en demeure pas moins que, s’il est constaté par la suite que ces conditions n’étaient pas ou ne sont plus réunies, de sorte que les financements concernés ne sont pas versés ou font l’objet d’une correction financière, un État membre ne peut invoquer ses obligations relatives aux déficits publics pour échapper à l’application desdites conditions. Partant, un État membre ne saurait davantage prétendre que cette application rend la planification de sa politique économique imprévisible.

316    En troisième lieu, pour ce qui est de la méconnaissance alléguée du principe d’égalité des États membres devant les traités, il résulte de l’article 5, paragraphe 3, du règlement attaqué que les mesures appropriées prises au titre de ce règlement doivent être strictement proportionnées à l’incidence des violations des principes de l’État de droit qui ont été constatées sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur la protection des intérêts financiers de l’Union, cette exigence de proportionnalité s’appliquant de manière égale à l’égard de tout État membre. En outre, conformément à l’article 6, paragraphes 7 et 8, dudit règlement, la Commission est tenue d’évaluer, notamment, la proportionnalité des mesures à imposer et de donner à tout État membre concerné la possibilité de présenter ses observations sur les mesures envisagées et, en particulier, sur leur proportionnalité. Cette disposition devant être comprise à la lumière du considérant 26 du même règlement, il en résulte que la Commission doit se fonder, dans son évaluation, sur des éléments concrets et respecter les principes d’objectivité, de non-discrimination et d’égalité des États membres devant les traités.

317    Ces diverses exigences impliquent ainsi de réaliser une analyse individualisée à la fois objective et diligente de chaque situation faisant l’objet d’une procédure au titre du règlement attaqué, ainsi que des mesures appropriées nécessitées, le cas échéant, par cette situation, dans le strict respect du principe de proportionnalité, en vue de protéger efficacement le budget de l’Union et les intérêts financiers de l’Union contre les effets de violations des principes de l’État de droit, tout en assurant le respect du principe d’égalité des États membres devant les traités. Dans ces conditions, l’allégation de la Hongrie selon laquelle l’application de l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué impliquerait une violation de ce principe est dépourvue de fondement.

318    Eu égard aux considérations qui précèdent, le sixième moyen doit être écarté comme étant non fondé, de sorte que les conclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué doivent être rejetées.

4.      Sur lesconclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement attaqué

a)      Argumentation des parties

319    Par le septième moyen, soulevé à l’appui de ses conclusions subsidiaires tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement attaqué, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que les critères pour apprécier la proportionnalité des mesures pouvant être adoptées à l’égard d’un État membre, prévus à cette disposition, ne présentent aucun lien avec le budget de l’Union ou avec les intérêts financiers de celle-ci et visent à sanctionner des violations des principes de l’État de droit.

320    En effet, conformément aux termes mêmes de ladite disposition, la nature, la durée, la gravité et la portée des violations des principes de l’État de droit doivent être dûment prises en compte aux fins de la détermination des mesures à adopter. Le considérant 18 du règlement attaqué précise que l’examen de la proportionnalité à cette fin doit prendre en considération la gravité de la situation, le temps écoulé depuis le début du comportement en cause, la durée et l’éventuel caractère récurrent du comportement, l’intention de l’État membre concerné de mettre un terme aux violations des principes de l’État de droit et son degré de coopération en ce sens, ainsi que les effets sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou les intérêts financiers de celle-ci.

321    La Hongrie estime que ces critères remettent en cause, en méconnaissance de la base juridique du règlement attaqué et de l’article 7 TUE, le lien entre la violation constatée des principes de l’État de droit et l’incidence concrète de cette violation sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur la protection de ses intérêts financiers.

322    Premièrement, il ressortirait d’une lecture conjointe de l’article 5, paragraphe 3, du règlement attaqué et du considérant 18 de celui-ci que la Commission et le Conseil sont appelés à prendre en compte l’intention de l’« auteur de la violation ». À cet égard, ce règlement ne définirait pas l’auteur de la violation des principes de l’État de droit, les cas spécifiés aux articles 3 et 4 dudit règlement se référant à des situations et à des comportements qui peuvent être imputables soit à l’État membre concerné envisagé dans sa globalité, soit à certains de ses organes. Or, la Hongrie relève que ces derniers ne disposent pas de la capacité d’exercer un acte de volonté, de sorte que la manière dont il devrait être tenu compte de l’intention de « commettre » un acte lors de la détermination des mesures appropriées n’est pas précisée.

323    En outre, la prise en compte d’une telle intention aurait nécessairement une incidence sur la nature de la mesure. Si la proportionnalité d’une mesure est déterminée, ne serait-ce qu’en partie, par l’intention liée à la violation qui lui sert de fondement, cette circonstance conférerait un caractère punitif à cette mesure, laquelle ne viserait ainsi pas à corriger l’atteinte au budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de celle-ci. Cette prise en compte de l’intention serait donc une indication claire de ce que la finalité et l’objet premiers du règlement attaqué ne sont pas conformes à sa base juridique.

324    Deuxièmement, ce constat serait corroboré par la prise en compte de la durée et de la gravité de la violation des principes de l’État de droit ainsi que de l’étendue de la coopération de l’État membre concerné pour y mettre un terme, car ces critères seraient, eux aussi, sans rapport avec l’incidence sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de celle-ci.

325    Troisièmement, il découlerait d’une interprétation systématique du règlement attaqué que, étant donné que l’obligation pour les institutions de tenir compte de l’incidence réelle ou potentielle d’une violation des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur ses intérêts financiers est déjà prévue à la deuxième phrase de l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, la troisième phrase de cette disposition vise à tenir compte d’autres formes d’incidence.

326    La Hongrie estime qu’il en découle, tout d’abord, que l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement attaqué ne satisfait pas à l’exigence relative à l’existence d’un lien direct entre les mesures prises et la protection du budget de l’Union ou de ses intérêts financiers. Ensuite, la prise en compte des critères énoncés par cette disposition supposerait une appréciation approfondie de la violation de l’État de droit par la Commission et par le Conseil, ce qui ne pourrait être effectué que dans le cadre de la procédure prévue à l’article 7 TUE. Enfin, l’application de ladite disposition conduirait à ce que les mesures prises revêtent la nature de sanctions, alors même que des sanctions ne peuvent être infligées à un État membre que sur la base de l’article 7, paragraphe 3, TUE.

327    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent cette argumentation.

b)      Appréciation de la Cour

328    Par le septième moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir, en substance, que l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement attaqué, lu à la lumière du considérant 18 de celui-ci, est incompatible avec la base juridique de ce règlement et viole tant l’article 7 TUE que le principe de sécurité juridique, dès lors que les critères qu’il mentionne pour l’adoption de mesures appropriées, relatifs à la violation des principes de l’État de droit, ne présentent aucun lien avec le budget de l’Union ou avec la protection des intérêts financiers de celle-ci.

329    À cet égard, ainsi qu’il a été relevé au point 271 du présent arrêt, il résulte de l’article 5, paragraphe 3, première à troisième phrases, du règlement attaqué que les mesures prises doivent être strictement proportionnées à l’incidence des violations constatées des principes de l’État de droit sur le budget de l’Union ou sur ses intérêts financiers.

330    En effet, cette disposition précise, à sa première phrase, que les mesures prises sont « proportionnées », à sa deuxième phrase, qu’elles sont « déterminées en fonction de l’incidence réelle ou potentielle » des violations des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de celle-ci et, à sa troisième phrase, que la nature, la durée, la gravité et la portée des violations des principes de l’État de droit sont « dûment prises en compte ».

331    Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 177 et 178 de ses conclusions, il découle de l’ordre de ces phrases ainsi que des termes qui y sont employés que la proportionnalité des mesures à adopter est assurée, de manière déterminante, par le critère de « l’incidence » des violations des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur la protection des intérêts financiers de celle-ci. Quant aux critères tirés de la nature, de la durée, de la gravité et de la portée de ces violations, ils ne peuvent être « dûment pris en compte » qu’aux fins de déterminer l’ampleur de cette incidence, celle-ci pouvant varier en fonction des caractéristiques des violations constatées telles que mises en lumière par l’application de ces critères.

332    Certes, le considérant 18 du règlement attaqué, tout en énonçant les mêmes critères que ceux figurant à l’article 5, paragraphe 3, deuxième et troisième phrases, de ce règlement, mentionne ceux-ci dans un ordre différent. Ce considérant ne saurait toutefois conduire à une interprétation de cette disposition incompatible avec son libellé et sa structure, le préambule d’un acte de l’Union n’ayant pas, selon une jurisprudence constante de la Cour rappelée au point 191 du présent arrêt, de valeur juridique contraignante et ne pouvant ainsi être invoqué pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ou pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé. En outre, en faisant également référence à « l’intention de l’État membre concerné », ledit considérant vise non pas l’intention de violer les principes de l’État de droit, mais celle de « mettre un terme aux violations » qui ont été constatées. Or, cette intention, de même que le « degré de coopération » dont fait preuve cet État membre en ce sens, également mentionné par le même considérant, peuvent être pertinents, notamment, aux fins de déterminer la durée et la portée d’une violation, au sens des critères visés à l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, dudit règlement et, par conséquent, conformément à ce qui a été exposé au point précédent, en vue de mesurer l’incidence de cette violation sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de celle-ci.

333    Il s’ensuit que, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, si les critères visés à l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement attaqué supposent une appréciation approfondie par la Commission et par le Conseil des caractéristiques de la violation des principes de l’État de droit en cause, ils n’en présentent pas moins un lien avec la bonne gestion financière du budget de l’Union et la protection des intérêts financiers de celle-ci, de sorte qu’ils ne sauraient être regardés comme conférant aux mesures appropriées adoptées au titre dudit règlement la nature de sanctions s’attachant à des violations de l’État de droit en tant que telles.

334    Dans ces conditions, le septième moyen doit être écarté comme étant non fondé, de sorte que les conclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 3, troisième phrase, du règlement attaqué doivent être rejetées.

5.      Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué

a)      Argumentation des parties

335    Par le huitième moyen, soulevé à l’appui de ses conclusions subsidiaires tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, allègue que cette disposition viole les principes de proportionnalité et de sécurité juridique en ce qu’elle prévoit que ce n’est que « dans la mesure du possible » que les mesures adoptées doivent cibler les actions de l’Union auxquelles les violations portent atteinte.

336    Il découlerait, en effet, des termes de ladite disposition que ces mesures peuvent cibler des actions de l’Union auxquelles la violation des principes de l’État de droit ne porte pas atteinte, de sorte que de telles mesures pourraient être adoptées sans qu’un lien direct soit établi entre une telle violation et une action spécifique de l’Union visée par lesdites mesures. Or, le principe de sécurité juridique exigerait, de manière stricte, que l’application de règles emportant des conséquences financières soit certaine et prévisible, ce qui ne serait pas le cas en l’absence de lien effectif entre des violations des principes de l’État de droit et des mesures prises au titre du règlement attaqué.

337    L’absence de lien effectif emporterait également une violation du principe de proportionnalité. En effet, à supposer même que l’objectif du règlement attaqué consiste à définir les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre, l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, de ce règlement irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, puisqu’il autoriserait l’adoption de mesures en relation avec des programmes de l’Union qui ne sont pas affectés par une telle violation.

338    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent cette argumentation.

b)      Appréciation de la Cour

339    Par le huitième moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué viole les principes de proportionnalité et de sécurité juridique en ce qu’il permet, par l’emploi de l’expression « dans la mesure du possible », de cibler des actions et des programmes ne présentant aucun lien avec une violation constatée d’un principe de l’État de droit.

340    À cet égard, d’une part, s’agissant de la prétendue violation du principe de proportionnalité, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, ce principe, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil, C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:631, point 206 ainsi que jurisprudence citée).

341    En l’espèce, il suffit de relever, ainsi qu’il a été constaté aux points 273 à 279 du présent arrêt, que, tout d’abord, l’expression « dans la mesure du possible », figurant à l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué, n’autorise pas à moduler les mesures susceptibles d’être adoptées au titre de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement au‑delà ou en deçà de l’incidence de la violation qui a été constatée sur le budget de l’Union, ensuite, que ledit règlement vise à la protection du budget de l’Union dans son ensemble et, enfin, que cette expression ne permet de viser des actions de l’Union autres que celles qui sont affectées par une telle violation qu’à titre dérogatoire, lorsque ces actions ne peuvent pas ou ne peuvent plus être ciblées ou encore ne peuvent l’être que de manière insuffisante pour atteindre la finalité du même règlement consistant à assurer une protection de ce budget dans son ensemble, une telle démarche s’avérant ainsi indispensable pour atteindre cet objectif.

342    Il en découle que l’argumentation selon laquelle, par l’emploi de l’expression « dans la mesure du possible », l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif doit être écartée comme étant non fondée.

343    D’autre part, en ce qui concerne la prétendue violation du principe de sécurité juridique, tout d’abord, il résulte des constatations effectuées aux points 269 à 272 du présent arrêt que le type de mesures susceptibles d’être adoptées au titre du règlement attaqué est fixé à l’article 5, paragraphe 1, de celui-ci et que l’étendue des mesures est déterminée strictement, selon l’article 5, paragraphe 3, dudit règlement, en fonction de l’incidence de la violation sur le budget de l’Union qui a été constatée.

344    Ensuite, il a été précisé aux points 273 à 279 du présent arrêt que l’expression « dans la mesure du possible », figurant à l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué, ne rompt pas le lien entre une violation d’un principe de l’État de droit et l’atteinte ou le risque sérieux d’atteinte au budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de celle-ci. En outre, l’emploi de cette expression rend possible, à titre dérogatoire et dans la stricte mesure de ce qui est indispensable, l’application de mesures de protection du budget de l’Union à des actions autres que celles que la violation d’un principe de l’État de droit affecte, lorsque la finalité de ce règlement, qui est d’assurer une protection de ce budget dans son ensemble ou de ces intérêts, ne peut être atteinte autrement. L’article 6 dudit règlement encadre en outre une telle possibilité par des exigences procédurales strictes et ne libère pas la Commission et le Conseil de leur obligation de respecter strictement l’exigence de proportionnalité des mesures adoptées, en fonction de l’incidence de la violation sur le budget de l’Union ou sur la protection des intérêts financiers de celle-ci qui a été constatée.

345    Enfin, dès lors que le règlement attaqué précise la nature et l’étendue des mesures pouvant être adoptées, qu’il n’accorde à la Commission et au Conseil la faculté de cibler des actions autres que celles que la violation d’un principe de l’État de droit affecte que dans la mesure où elle est nécessaire pour assurer une protection du budget de l’Union dans son ensemble et des intérêts financiers de celle-ci, et que cette faculté est au demeurant strictement encadrée, notamment par le principe de proportionnalité, il ne saurait être considéré que l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué viole les principes de proportionnalité et de sécurité juridique.

346    Partant, le huitième moyen doit être écarté comme étant non fondé, de sorte que les conclusions tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 3, quatrième phrase, du règlement attaqué doivent être rejetées.

6.      Sur lesconclusions tendant à l’annulation de l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué

a)      Argumentation des parties

347    Par le neuvième moyen, soulevé à l’appui de ses conclusions subsidiaires tendant à l’annulation de l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir que l’article 6, paragraphe 3, du règlement attaqué viole le principe de sécurité juridique en ce qu’il permet à la Commission de prendre en compte, pour l’évaluation des conditions énoncées à l’article 4 de ce règlement, des « informations pertinentes provenant de sources disponibles, y compris les décisions, conclusions et recommandations des institutions de l’Union, d’autres organisations internationales pertinentes et d’autres institutions reconnues ». Il en irait de même de l’article 6, paragraphe 8, dudit règlement, qui renvoie audit article 6, paragraphe 3, s’agissant de l’évaluation de la proportionnalité des mesures à imposer.

348    En effet, l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué ne définirait pas de manière suffisamment précise les sources d’information pertinentes auxquelles il renvoie, puisqu’il ne ferait pas apparaître la base sur laquelle la Commission doit évaluer l’existence d’une violation des principes de l’État de droit.

349    En particulier, il ne serait pas exclu, compte tenu de l’expression « informations pertinentes provenant de sources disponibles », figurant à l’article 6, paragraphe 3, du règlement attaqué, que la Commission fonde son évaluation sur l’opinion individuelle exprimée par certaines personnes ou organisations dont l’objectivité n’est pas établie ou qu’elle la fonde sur un défaut de mise en œuvre de recommandations juridiquement non contraignantes et émises par des organisations internationales en dehors du cadre de l’Union. Or, de telles recommandations, de natures diverses, ne pourraient être considérées comme étant des indicateurs fiables d’une défaillance généralisée en matière d’État de droit.

350    L’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué n’indiquerait pas non plus la manière dont la Commission doit synthétiser ces sources. Compte tenu de la marge d’appréciation étendue accordée à cette institution par ces dispositions, tout document non contraignant utilisé par cette dernière pourrait être un instrument de preuve d’une violation, même lorsqu’il a été choisi arbitrairement.

351    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent cette argumentation.

b)      Appréciation de la Cour

352    Par le neuvième moyen, la Hongrie, soutenue par la République de Pologne, fait valoir, tout d’abord, que l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué ne satisfait pas, compte tenu du caractère imprécis de son libellé, à l’exigence découlant du principe de sécurité juridique, ensuite, que cette disposition permet à la Commission de fonder son évaluation sur des opinions dont l’objectivité n’est pas garantie et sur des recommandations non contraignantes émises en dehors du cadre de l’Union et, enfin, que ladite disposition ne précise pas la manière dont cette institution doit synthétiser les informations retenues ni en évaluer la pertinence au regard de la finalité du règlement attaqué.

353    À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que, contrairement à ce qu’allègue la Hongrie, le règlement attaqué vise non pas à sanctionner les violations de l’État de droit en tant que telles mais, ainsi qu’il a été constaté aux points 98 à 152 du présent arrêt, à assurer la protection du budget de l’Union, de sorte que l’argumentation selon laquelle ce règlement devrait satisfaire aux exigences prétendument applicables aux mesures de sanction ne saurait, en tout état de cause, prospérer.

354    En deuxième lieu, s’agissant du point de savoir si l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué permet à la Commission de fonder son évaluation sur des opinions dont l’objectivité pourrait être considérée comme étant douteuse et sur des recommandations non contraignantes émises en dehors du cadre de l’Union, tout d’abord, il importe de relever que cette disposition se réfère non pas à des « opinions », mais à des « décisions, conclusions et recommandations » ainsi qu’à des « orientations ».

355    En tout état de cause, la Hongrie n’invoque aucun élément précis susceptible de remettre en cause l’objectivité des organismes et des institutions visés au considérant 16 de ce règlement, de sorte que rien ne permet de suspecter que ceux-ci produiraient des opinions dont l’objectivité est douteuse.

356    Ensuite, l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué exige que la Commission prenne en compte, aux fins de l’évaluation des conditions énoncées à l’article 4 de ce règlement ainsi que de la proportionnalité des mesures appropriées à adopter, les informations « pertinentes » à ces fins, ce qui suppose nécessairement que ces informations soient en rapport avec les principes visés à l’article 2, sous a), dudit règlement, que recouvre la valeur de l’État de droit, commune aux États membres, que contient l’article 2 TUE.

357    Enfin, s’agissant du caractère non contraignant des recommandations qui peuvent être prises en compte par la Commission, il a été relevé au point 285 du présent arrêt que l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué ne confère pas de valeur probante spécifique ou absolue et n’attache pas d’effets juridiques déterminés aux sources d’information qu’il mentionne, ni à celles qui sont indiquées au considérant 16 de ce règlement, de sorte que cette disposition ne dispense pas la Commission de son obligation de procéder à une appréciation diligente des faits qui satisfasse pleinement aux exigences rappelées au point 284 du présent arrêt.

358    En outre, dès lors que, ainsi qu’il a été relevé au point 287 du présent arrêt, la Commission doit s’assurer de la pertinence des informations qu’elle utilise et de la fiabilité de ses sources, l’État membre concerné peut, au cours de la procédure prévue à l’article 6, paragraphes 1 à 9, du règlement attaqué, présenter ses observations sur ces informations et, partant, contester la valeur probante de chacun des éléments retenus par la Commission, le bien-fondé de ses appréciations pouvant, le cas échéant, être contrôlé par le juge de l’Union.

359    En troisième lieu, en ce qui concerne les arguments tirés de ce que l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué ne précise pas la manière dont la Commission doit synthétiser les informations retenues ni celle dont elle doit évaluer, à partir de ces informations, la gravité d’une violation d’un principe de l’État de droit ainsi que sa relation avec la protection de la bonne gestion financière du budget de l’Union ou de ses intérêts financiers, il a été rappelé aux points 357 et 358 du présent arrêt que la Commission est tenue de procéder à une appréciation diligente des faits et de respecter l’exigence de proportionnalité des mesures prises au titre de ce règlement, garantie à l’article 5, paragraphe 3, de celui-ci, la validité d’une décision prise par le Conseil au titre dudit règlement pouvant être contrôlée par le juge de l’Union.

360    Par conséquent, le neuvième moyen doit être écarté comme étant non fondé, de sorte que les conclusions tendant à l’annulation de l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué doivent être rejetées.

361    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours dans son ensemble doit être rejeté.

VI.    Sur les dépens

362    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

363    Le Parlement et le Conseil ayant conclu à la condamnation de la Hongrie aux dépens et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner au paiement des dépens exposés par ceux-ci.

364    Conformément à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission supporteront leurs propres dépens en tant que parties intervenantes au litige.

Par ces motifs, la Cour (assemblée plénière) déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Hongrie est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Parlement européen et par le Conseil de l’Union européenne.

3)      Le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission européenne supportent leurs propres dépens.

Signatures

Langue de procédure : le hongrois.