Corte europea dei diritti dell’uomo
(Sezione II), 31 marzo 2009
(requête n. 22644/03)
AFFAIRE SIMALDONE c.
ITALIE
30/06/2009
Cet arrêt peut
subir des retouches de forme.
En l’affaire Simaldone c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième
section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après
en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 mars 2009,
Rend
l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A
l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22644/03) dirigée
contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat,
M. Francesco Simaldone
(« le requérant »), a saisi la Cour le 21 juillet 2003 en vertu de
l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le
requérant est représenté par Me G. Romano, avocat à Bénévent.
Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté
successivement par ses agents, MM. I.M. Braguglia, R. Adam et Mme E. Spatafora,
et ses coagents, MM. V. Esposito et F. Crisafulli, ainsi que par son
coagent adjoint, M. N. Lettieri.
3. Le
20 novembre 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement.
Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre décidé que
seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le
requérant est né en 1929 et réside à Bénévent.
A. La
procédure principale
5. Le
6 octobre 1992, le requérant assigna le service local de santé publique
(« Unità Sanitaria Locale », ci-après « U.S.L. »),
dont il était salarié, devant le tribunal administratif régional (« le
TAR ») de Campanie (RG no 9633/92), afin d’obtenir le remboursement
du prix des repas quotidiens (4,13 euros [EUR] par jour) auquel il estimait
avoir droit à partir du 1er janvier 1991.
6. Le
21 octobre 1992, le requérant présenta une demande de fixation d’audience.
7. Les
parties n’ont fourni aucune information sur les développements de la procédure,
qui demeurait pendante à la date de la décision « Pinto », le
27 janvier 2003 (paragraphe 9 ci-dessous).
B. La
procédure « Pinto »
8. Le
17 avril 2002, le requérant saisit la cour d’appel de Rome au sens de la loi
« Pinto » et demanda la constatation d’une violation de
l’article 6 § 1 de la Convention et, notamment,
10 846 EUR à titre de dommage moral.
9. Par
une décision du 27 janvier 2003, dont le texte fut déposé au greffe le 26 mars
2003, la cour d’appel considéra la procédure jusqu’à la date de la décision et
constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle accorda 700 EUR en équité
au requérant comme réparation du dommage moral ainsi que 1 000 EUR à
son avocat pour frais et dépens, y compris ceux relatifs à la procédure devant
la Cour. Non notifiée, cette décision devint définitive le 10 mai 2004.
10. La
somme accordée en exécution de la décision Pinto, y compris les intérêts, fut
payée le 6 avril 2004, à la suite d’une saisie. Le requérant reçut 723 EUR.
II. LE
DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le
droit et la pratique interne pertinents relatifs à la loi « Pinto »
11. Le
droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89
du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » figurent dans l’arrêt Cocchiarella
c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-...).
12. Notamment,
la loi « Pinto » dispose entre autres :
Article 2 – Droit à une
satisfaction équitable
« 1. (...)
3. Le juge détermine le montant de la réparation
conformément à l’article 2056 du code civil, en respectant les dispositions
suivantes :
a) seul le préjudice qui peut se rapporter
à la période excédant le délai raisonnable indiqué au paragraphe 1 peut être
pris en compte ;
(...) »
Article 3 – Procédure
« 1. (...)
6. La cour prononce, dans les quatre mois
suivant la formation du recours, une décision susceptible de pourvoi en
cassation. La décision est immédiatement exécutoire.
7. Le paiement des indemnités aux ayants
droit a lieu, dans la limite des ressources disponibles, à compter du 1er
janvier 2002. »
Article 5 – Communication
« La décision qui fait droit à la demande est
communiquée par le greffe, non seulement aux parties, mais aussi au procureur
général près la Cour des comptes afin de permettre l’éventuelle instruction
d’une procédure en responsabilité, et aux titulaires de l’action disciplinaire
des fonctionnaires concernés par la procédure. »
13. La Cour de cassation plénière (Sezioni
Unite), saisie de recours contre des décisions rendues par des cours
d’appel dans le cadre de procédures « Pinto », a rendu le 27 novembre
2003 quatre arrêts de cassation avec renvoi (nos 1338, 1339, 1340 et
1341), dont les textes furent déposés au greffe le 26 janvier 2004 et dans lesquels
elle a affirmé que « la jurisprudence de la Cour de Strasbourg s’impose
aux juges italiens en ce qui concerne l’application de la loi no 89/2001 ».
Elle a notamment affirmé dans son arrêt no
1340 le principe selon lequel :
« la détermination du dommage extrapatrimonial
effectuée par la cour d’appel conformément à l’article 2 de la loi
nº 89/2001, bien que par nature fondée sur l’équité, doit intervenir dans
un environnement qui est défini par le droit puisqu’il faut se référer aux
montants alloués, dans des affaires similaires, par la Cour de Strasbourg, dont
il est permis de s’éloigner mais de façon raisonnable. »
B. Le droit interne pertinent en
matière de publication, communication, notification et exécution des décisions
judiciaires en matière civile
14. Les dispositions du code de
procédure civile en la matière se lisent ainsi dans leurs parties
pertinentes :
Article 133 – Publication et
communication de l’arrêt
« L’arrêt est rendu public par son dépôt auprès
du greffe de la juridiction qui l’a rendu.
Le greffier atteste le dépôt au bas de la décision et
y appose la date et sa signature; dans les cinq jours, il en informe les
parties par un avis contenant le dispositif. (...) »
Article 136 – Communications
« Le greffier, par billet de greffe (biglietto
di cancelleria) en papier non timbré, fait les communications prescrites
par la loi ou par le juge au Parquet, aux parties, à l’expert, aux autres
auxiliaires du juge et aux témoins, et donne connaissance des décisions pour
lesquelles la loi prescrit telle forme abrégée de communication. (...) »
Article 137 – Notifications
« Les notifications, quand il n’est pas prévu
autrement, sont exécutées par l’huissier de justice, sur demande (istanza)
de la partie ou sur requête (richiesta) du Parquet ou du greffier.
(...) »
Article 475 – Apposition de la
formule exécutoire
« Les arrêts et les autres décisions de
l’autorité judiciaire (...), pour valoir titre pour l’exécution forcée, doivent
être munis de la formule exécutoire, sauf si la loi dispose autrement. (...) »
Article 479 – Notification du titre exécutoire et de la mise en demeure (precetto)
« A moins que
la loi n’en dispose autrement, l’exécution forcée doit être précédée par la
notification du titre revêtu de la formule exécutoire et de la mise en demeure.
(...) »
15. L’article
14 de la loi no 30 du 28 février 1997 dispose entre autres :
Article 14 – Exécution forcée
contre les administrations publiques
« 1. Les administrations de l’Etat et
les organismes publics à caractère non économique accomplissent les procédures
d’exécution des décisions judiciaires et des sentences arbitrales exécutoires
comportant l’obligation de payer des sommes d’argent dans les cent-vingt jours
suivant la notification du titre revêtu de la formule exécutoire. Avant l’échéance
de ce délai, le créancier n’a pas le droit d’entamer de procédure d’exécution
forcée ni de notifier la mise en demeure. (...) »
EN DROIT
I. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
16. Le
requérant se plaint de la durée de la procédure civile. Après avoir épuisé la
voie de recours « Pinto », il considère que le montant accordé par la
cour d’appel à titre de dommage moral n’est pas suffisant pour réparer le
préjudice causé par la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
17. Le
Gouvernement s’oppose à cette thèse.
18. L’article
6 § 1 est ainsi libellé dans sa partie pertinente :
Article 6 § 1
« Toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai
raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur
ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur
la recevabilité
1. Qualité
de « victime »
19. Selon
le Gouvernement, le requérant n’est plus « victime » de la violation de
l’article 6 § 1 car il a obtenu de la cour d’appel de Rome un constat de
violation et un redressement approprié et suffisant par rapport au très faible
enjeu du litige.
20. Il
affirme que la cour d’appel de Rome a tranché l’affaire en conformité avec les
paramètres indemnitaires dégagés des précédents disponibles à l’époque dans la
jurisprudence de la Cour. Il souligne qu’il serait inapproprié d’apprécier
l’évaluation de la cour d’appel, faite quelques mois après l’entrée en vigueur
de la loi « Pinto », sur la base des paramètres introduits par la
Cour lors des arrêts de la Grande Chambre du 29 mars 2006 (ex
pluribus, Cocchiarella c. Italie, précité). Selon le Gouvernement, les indemnisations qui
résulteraient de l’application à des « affaires du passé » de ces
critères, conçus pour l’époque actuelle, seraient au moins doubles et parfois
triples par rapport à celles accordées dans des requêtes italiennes de durée
tranchées par la Cour auparavant.
21. Les paramètres établis par la
Grande Chambre, formulés de façon apodictique, parviendraient, selon le
Gouvernement, à des résultats déraisonnables, injustes et incompatibles avec
l’esprit et les buts de la Convention. Les indemnisations que la Cour octroie
dans les requêtes italiennes de durée en application de ces critères seraient
doubles ou triples par rapport à celles accordées auparavant dans des affaires
similaires d’autres pays qui ne disposeraient même pas d’un remède interne
contre la durée excessive des procédures.
22. Le Gouvernement précise enfin qu’aux
termes de la loi « Pinto », ce ne sont que les années dépassant la
durée « raisonnable » qui peuvent être prises en compte pour
déterminer le montant de l’indemnisation à octroyer par la cour d’appel.
23. Le requérant estime qu’il est
toujours « victime » de la violation dans la mesure où la procédure
« Pinto » a eu une durée excessive. En outre, la somme allouée à
titre d’indemnisation est dérisoire et a été versée en retard. Selon lui,
l’enjeu du litige ne serait pas pertinent pour évaluer sa qualité de
« victime », car toute personne a droit à ce que sa cause soit
examinée dans un délai raisonnable, indépendamment de l’enjeu de la procédure
nationale.
24. La Cour rappelle que, selon
l’article 34 de la Convention, elle « peut être saisie d’une requête par
toute personne physique (...) qui se prétend victime d’une violation par l’une
des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses
Protocoles. (...) ». A cet égard, elle reconnaît qu’il appartient en
premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la
Convention. Il s’ensuit que la question de savoir si un requérant peut se prétendre
victime du manquement allégué se pose à tous les stades de la procédure au
regard de la Convention (Bourdov c. Russie, no 59498/00,
§ 30, CEDH 2002-III).
25. Toutefois,
une décision ou mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui
retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont
reconnu, explicitement ou en substance, et réparé la violation de la Convention
(voir, par exemple, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, §§ 69 et
suiv., série A no 51 ; Amuur c. France, 25 juin
1996, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1996-III ; Dalban
c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH
1999-VI ; Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99,
CEDH 2001-X).
26. Il
appartient à la Cour de vérifier, a posteriori, d’une part, s’il y a eu
reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit
protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement opéré peut être
considéré comme approprié et suffisant (voir, notamment, Normann c. Danemark
(déc.), no 44704/98, 14 juin 2001 ; Jensen et
Rasmussen c. Danemark (déc.), no 52620/99, 20 mars
2003 ; Nardone c. Italie (déc.), no 34368/02,
25 novembre 2004).
27. La
première condition, à savoir la reconnaissance par les autorités nationales
d’une violation de la Convention, ne prête pas à controverse.
28. Quant
à la seconde condition, à savoir que le requérant ait bénéficié d’un
redressement approprié et suffisant, la Cour a déjà indiqué que, même si un
recours doit être regardé comme « effectif » dès lors qu’il permet
soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de
fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés,
cette conclusion n’est valable que pour autant que l’action indemnitaire
demeure elle-même un recours efficace, adéquat et accessible permettant de
sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire (Paulino
Tomas c. Portugal (déc.), no 58698/00, CEDH
2003-VIII).
29. La
Cour note d’abord que la procédure « Pinto » devant la cour d’appel a
duré du 17 avril 2002 au 26 mars 2003, soit onze mois pour un degré
de juridiction, ce qui constitue une durée excessive, eu égard à la nature de
la voie de recours « Pinto ».
30. Elle
estime en outre qu’en se bornant à octroyer une somme de 700 EUR au
requérant pour dommage moral, la cour d’appel de Rome n’a pas réparé la
violation en cause de manière appropriée et suffisante. Se référant aux
principes dégagés dans sa jurisprudence (voir, entre autres, Cocchiarella
c. Italie, précité, §§ 69-98), la Cour relève en effet que la somme en
question ne représente guère plus que 7,8 % de ce qu’elle octroie
généralement dans des affaires italiennes similaires. Quant à l’incidence de
l’enjeu du litige, elle observe que celui-ci représente sans nul doute l’un des
critères consacrés par sa jurisprudence, comme la complexité de l’affaire et le
comportement de la partie requérante et des autorités compétentes, dans
l’appréciation du dépassement du délai raisonnable ainsi que du dommage moral
subi (voir Aragosa c. Italie, no 20191/03, § 22,
18 décembre 2007). Toutefois, elle rappelle que, même lorsque cet
enjeu est de faible importance, les procédures en matière de droit du travail,
telles la présente, ainsi que les procédures en matière d’état et de capacité
des personnes, doivent être menées de manière particulièrement rapide.
Néanmoins, l’enjeu du litige pourra éventuellement justifier une réduction du
montant à allouer aux termes de l’article 41 de la Convention (voir, mutatis
mutandis, Aragosa c. Italie, précité, § 22). Quant à la
circonstance que la loi « Pinto » ne permet pas d’indemniser le requérant
pour la durée globale de la procédure mais prend en compte le seul préjudice
qui peut se rapporter à la période excédant le « délai raisonnable »
(article 2, alinéa 3, lettre a) de ladite loi) (paragraphe 12 ci-dessus), la
Cour rappelle qu’un Etat partie à la Convention dispose d’une marge
d’appréciation pour organiser une voie de recours interne de façon cohérente
avec son propre système juridique et ses traditions, en conformité avec le
niveau de vie du pays (Cocchiarella c. Italie, précité, § 80).
La circonstance que la méthode de calcul de l’indemnisation prévue en droit
interne ne correspond pas exactement aux critères énoncés par la Cour n’est pas
décisive pourvu que les juridictions « Pinto » parviennent à octroyer
des sommes qui ne soient pas déraisonnables par rapport à celles allouées par
la Cour dans des affaires similaires (Cocchiarella c. Italie, précité, §
105).
31. Enfin,
la Cour observe que l’indemnité allouée au requérant ne lui a été effectivement
versée que le 6 avril 2004, soit douze mois après le dépôt au greffe de la
décision de la cour d’appel.
32. Quant aux observations du
Gouvernement relatives à une prétendue incohérence entre, d’une part, les
paramètres indemnitaires dégagés dans les arrêts de la Grande Chambre du 29
mars 2006 et, d’autre part, ceux suivis dans les requêtes italiennes de durée
précédemment tranchées par la Cour ainsi que dans les affaires similaires
d’autres pays, la Cour rappelle qu’elle a rejeté une exception semblable dans
l’arrêt Aragosa c. Italie (précité, §§ 17-24). Après avoir procédé
à l’analyse de sa jurisprudence aussi bien antérieure que postérieure au
29 mars 2006 et à un examen comparatif des sommes allouées à titre de
satisfaction équitable respectivement dans les affaires italiennes de durée de procédure
et les affaires similaires concernant d’autres Etats Contractants, la Cour
avait observé que les sommes octroyées dans des affaires italiennes
postérieures au 29 mars 2006 sont loin d’être triples, ou même doubles, par
rapport à celles allouées auparavant dans des affaires comparables d’autres
pays citées par le Gouvernement à titre d’exemple. La Cour n’aperçoit aucune
raison de déroger à ses précédentes conclusions et rejette donc l’exception.
33. La Cour considère donc qu’eu égard
aux insuffisances du redressement opéré, le requérant peut toujours se
prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.
2. Conclusion
34. La
Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de
l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif
d’irrecevabilité. Il doit partant être déclaré recevable.
B. Sur
le fond
35. En
ce qui concerne le premier volet du grief, la Cour estime que la période
litigieuse s’étend du 6 octobre 1992, jour de l’assignation de
l’U.S.L. devant le TAR de Campanie, jusqu’au 27 janvier 2003, date prise en
considération par la cour d’appel « Pinto » et à laquelle, selon les
informations contenues dans le dossier de la requête, la procédure principale
était pendante. Elle avait donc déjà duré un
peu plus de dix ans et trois mois pour un degré de juridiction.
36. Après avoir examiné les faits à la
lumière des informations fournies par les parties et compte tenu de sa
jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce, la durée de la procédure
litigieuse a été excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai
raisonnable ».
37. Quant à l’autre volet, la Cour
observe qu’elle vient de juger que le montant accordé ne permettait pas de considérer
le redressement offert en l’occurrence comme suffisant, d’autant plus que la
durée de la procédure « Pinto » a été excessive et le paiement de
l’indemnisation « Pinto » s’est avéré tardif.
38. En
conclusion, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES
ARTICLES 6 § 1 DE LA CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE No 1 DU FAIT
DU RETARD DANS LE PAIEMENT DE L’INDEMNISATION « PINTO »
39. Le
requérant affirme que le retard mis par les autorités nationales à se conformer
à la décision « Pinto » de la cour d’appel de Rome a entraîné la
violation de l’article 6 § 1 de la Convention, précité, et l’article 1 du
Protocole no 1 ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« Toute personne physique ou morale a droit au
respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause
d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes
généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte
au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent
nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général
(...) »
40. Le Gouvernement conteste cette
thèse.
A. Sur la recevabilité
1. Non-épuisement des voies de recours
internes
41. Excipant du non-épuisement des
voies de recours internes, le Gouvernement soutient que le retard litigieux ne
saurait être considéré comme un refus ou une carence grave de remplir
l’obligation d’exécuter une décision de justice mais devrait être qualifié
uniquement sous l’angle du respect du délai raisonnable. Il estime que le
requérant aurait dû entamer une nouvelle procédure « Pinto » afin de
se plaindre de la durée de l’exécution de la décision « Pinto ».
42. En
ce qui concerne l’ article 6 § 1 de la Convention, la Cour rappelle que le
droit à un tribunal garanti par cette disposition inclut le droit à l’exécution
d’une décision judiciaire définitive et obligatoire et que l’exécution d’un
jugement doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès »
au sens de l’article 6 (voir, notamment, Hornsby c. Grèce,
19 mars 1997, § 40 et suiv., Recueil 1997-II ; Metaxas c. Grèce,
no 8415/02, § 25, 27 mai 2004). L’exécution
étant la seconde phase de la procédure au fond, le droit revendiqué ne trouve
sa réalisation effective qu’au moment de l’exécution (voir, entre autres, les
arrêts Di Pede c. Italie et Zappia c. Italie, 26 septembre
1996, respectivement §§ 22, 24, 26 et 18, 20, 22, Recueil 1996-IV ;
mutatis mutandis, Silva Pontes c. Portugal, 23 mars 1994,
§ 33, série A no 286-A).
43. Dans
l’arrêt Cocchiarella c. Italie précité (§§ 36-107), la Cour a
pris en considération le retard dans le paiement de l’indemnisation
« Pinto » afin d’évaluer le caractère approprié et suffisant du
redressement offert par ce remède pour la violation du droit au « délai
raisonnable ». Maîtresse de la qualification juridique des faits de la
cause (voir, en premier lieu, Guerra et autres c. Italie, 19 février
1998, § 44, Recueil 1998-I), la Cour estime qu’il y a lieu
d’analyser ce grief sous l’angle du droit du requérant à un tribunal tel que
garanti par l’article 6 § 1 de la Convention et notamment de
l’obligation de l’Etat de se conformer à une décision judiciaire exécutoire.
44. Enfin,
la Cour considère qu’exiger du requérant un nouveau recours « Pinto »
pour se plaindre de la durée de l’exécution de la décision « Pinto »,
comme le suggère le Gouvernement, reviendrait à enfermer le requérant dans un
cercle vicieux où le dysfonctionnement d’un remède l’obligerait à en entamer un
autre. Une telle conclusion serait déraisonnable et constituerait un obstacle
disproportionné à l’exercice efficace par le requérant de son droit de recours
individuel, tel que défini à l’article 34 de la Convention (voir en ce sens Vaney
c. France, no 53946/00, § 53, 30 novembre 2004 et, mutatis
mutandis, Kaić c. Croatie, no 22014/04, § 32, 17
juillet 2008).
45. Quant
à l’article 1 du Protocole no 1, la Cour rappelle que
l’impossibilité pour une personne d’obtenir l’exécution d’un jugement rendu en
sa faveur constitue une ingérence dans son droit au respect de ses biens, qui
relève de la première phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no
1 (voir Bourdov c. Russie, précité, § 40).
46. Le
grief du requérant pouvant être analysé aussi sous l’angle de cette
disposition, la Cour estime que l’exception du Gouvernement tirée du
non-épuisement de la voie de recours « Pinto » n’est pas pertinente
en l’espèce et doit donc être rejetée.
2. Conclusion
47. La
Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de
l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurtent à aucun autre motif
d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
B. Sur
le fond
48. En
ce qui concerne l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour rappelle avoir déjà
statué (voir, en premier lieu, Cocchiarella c. Italie, précité, § 89)
que s’il est admissible qu’une administration puisse avoir besoin d’un certain
laps de temps pour procéder à un paiement, néanmoins, s’agissant d’un recours
indemnitaire visant à redresser les conséquences de la durée excessive de
procédures, ce laps de temps ne devrait généralement pas dépasser six mois à
compter du moment où la décision d’indemnisation devient exécutoire.
49. En
outre, une autorité de l’Etat ne saurait prétexter du manque de ressources pour
ne pas honorer une dette fondée sur une décision de justice (voir Cocchiarella
c. Italie, précité, § 90 ; Bourdov c. Russie, précité,
§ 35).
50. La
Cour note que la somme octroyée par la juridiction « Pinto » n’a été
versée que le 6 avril 2004, soit douze mois après le dépôt au greffe de la
décision de la cour d’appel. Ce paiement a donc
largement dépassé les six mois à compter du moment où la décision d’indemnisation
devint exécutoire.
51. Le Gouvernement soutient que le
délai de six mois pour procéder au paiement de l’indemnisation
« Pinto » devrait être calculé à partir du moment où la décision de
la cour d’appel « Pinto » est communiquée à l’Administration par le
greffe au sens de l’article 136 du code de procédure civile ou à compter de la
notification à l’Administration par le requérant aux termes des articles 137,
475 et 479 du même code (paragraphe 14 ci-dessus).
52. Quant à l’exception relative à la
communication de la décision « Pinto » par le greffe de la cour
d’appel, la Cour note d’abord qu’aux termes des articles 5 de la loi
« Pinto » et 133 du code de procédure civile (paragraphes 12 et 14
ci-dessus), ladite communication doit être faite dans les cinq jours suivant le
dépôt au greffe de la décision. Or, même en calculant le délai de six mois
établi dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie au plus tard cinq jours après
le dépôt au greffe de la décision « Pinto », cette circonstance ne
serait pas déterminante. Par ailleurs, une communication tardive de la décision
« Pinto » par le greffe de la cour d’appel ne saurait être mise à la
charge du requérant, puisque le retard serait en tout cas imputable à l’Etat
défendeur.
53. Quant
à la prétendue nécessité de notification de la décision « Pinto » par
les soins du requérant, la Cour constate qu’aux termes de l’article 3 alinéa 6
de la loi « Pinto » (paragraphe 12 ci-dessus), la décision rendue par
la cour d’appel est immédiatement exécutoire. Il s’ensuit que l’Administration
est tenue de la mettre à exécution dès son dépôt au greffe, en versant au
bénéficiaire l’indemnisation « Pinto » octroyée par la cour d’appel.
La notification n’est nécessaire qu’aux fins d’entamer une procédure
d’exécution forcée (article 479 du code de procédure civile). En l’espèce,
la Cour rappelle avoir jugé inopportun de demander à une personne qui a obtenu
une créance contre l’Etat à l’issue d’une procédure judiciaire d’engager par la
suite une procédure d’exécution forcée afin d’obtenir satisfaction (Metaxas
c. Grèce, précité, § 19 ; Karahalios c. Grèce, no 62503/00,
§ 23, 11 décembre 2003) et que, dans le cadre du recours
« Pinto », les intéressés n’ont pas d’obligation d’entamer une
procédure d’exécution (voir Delle Cave et Corrado c. Italie, no 14626/03,
§§ 23-24, 5 juin 2007, CEDH 2007-...).
54. A
la lumière de ces considérations, la thèse du Gouvernement quant au dies a
quo pour le calcul du retard dans le paiement de l’indemnisation
« Pinto » ne saurait être accueillie et, partant, le délai de six
mois pour effectuer ce paiement court, conformément à la jurisprudence Cocchiarella c.
Italie, à partir de la date où la décision devient exécutoire, c’est-à-dire
la date du dépôt au greffe de la décision « Pinto », non attaquée en
l’espèce devant la Cour de cassation par aucune des parties à la procédure.
55. Dès
lors, en s’abstenant pendant douze mois de prendre les mesures nécessaires pour
se conformer à la décision de la cour d’appel « Pinto » rendue en
l’espèce, les autorités italiennes ont privé les dispositions de l’article 6 §
1 de la Convention de tout effet utile.
56. Partant, il y a eu violation de
l’article 6 § 1, sous l’angle du droit à l’exécution des décisions judiciaires.
57. Sur le terrain de l’article 1 du
Protocole no 1, le Gouvernement soutient que cette disposition n’a
pas été violée en l’espèce au motif que le retard dans l’exécution de la
décision « Pinto » serait négligeable et compensé par l’octroi
d’intérêts moratoires.
58. Le
requérant affirme que le dommage moral découlant de la violation du
« délai raisonnable » ne saurait être compensé par l’octroi
d’intérêts moratoires, qui visent à neutraliser le dommage matériel découlant
de la non-disponibilité d’une somme d’argent.
59. La
Cour estime qu’à la lumière de sa jurisprudence (voir Bourdov c. Russie,
précité, § 40), le retard litigieux s’analyse en une ingérence dans le
droit au respect des biens du requérant. Or, dans la présente
affaire, le Gouvernement n’a fourni aucune justification pour cette ingérence,
et la Cour estime qu’un éventuel manque de ressources ne saurait légitimer une
telle omission (Bourdov c. Russie, précité, § 41).
60. La
Cour rappelle aussi que, dans l’arrêt Shmalko c. Ukraine (no 60750/00,
§ 56, 20 juillet 2004), elle a conclu à une violation de l’article 1
du Protocole no 1 dans une affaire où la décision rendue en faveur
du requérant avait été mise en exécution quinze mois après son
prononcé. Dans une affaire où une décision d’indemnisation pour
détention illégale avait été mise à exécution douze mois après avoir été
rendue, la Cour a observé que, même si ce retard pouvait être considéré non
excessif per se, la nature de la décision devait être prise en compte (Lupacescu
et autres c. Moldova, nos 3417/02, 5994/02, 28365/02, 5742/03,
8693/03, 31976/03, 13681/03, et 32759/03, § 23, 21 mars 2006). La Cour a
souligné qu’un retard dans le paiement de la somme allouée devait avoir aggravé
pour le requérant la frustration résultant de sa détention illégale (ibidem).
Elle a, par conséquent, conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no
1 (Lupacescu, précité, § 24).
61. La
Cour estime tout d’abord que ce raisonnement doit être suivi, mutatis
mutandis, en l’espèce, car le requérant a entamé une procédure en
réparation (circonstance non contestée par le Gouvernement) afin d’être
dédommagé du préjudice découlant de la violation de son droit à un procès dans
un « délai raisonnable » et s’est ensuite retrouvé à subir la
frustration additionnelle résultant de la difficulté à obtenir le versement de
l’indemnisation.
62. Quant
au seuil susceptible d’entraîner une violation de l’article 1 du Protocole no
1, la Cour estime opportun de se référer là aussi à un délai de six mois à
partir du moment où la décision, non attaquée devant la Cour de cassation par
aucune des parties à la procédure, devient exécutoire.
63. Pour
ce qui est enfin de l’argument du Gouvernement selon lequel le retard aurait
été compensé par l’octroi d’intérêts moratoires, la Cour relève que le
requérant a reçu 23 EUR à titre d’intérêts pour un retard de douze mois dans le
paiement de la somme « Pinto ». Toutefois, eu égard à la nature de la
voie de recours interne et au fait que le requérant n’était pas tenu d’entamer
une procédure d’exécution, la Cour estime que le versement des intérêts ne
saurait être déterminant en l’espèce.
64. Partant,
il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
III. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES
ARTICLES 13 ET 53 DE LA CONVENTION DU FAIT DE L’INSUFFISANCE ET DU RETARD DANS
LE PAIEMENT DE L’INDEMNISATION « PINTO » OBTENUE PAR LE REQUERANT
65. Sur le terrain des articles 13 et
53 de la Convention, le requérant se plaint de l’ineffectivité du remède
« Pinto », en raison de l’insuffisance de la réparation octroyée
par la cour d’appel de Rome. Il se plaint en outre du retard dans le paiement
de l’indemnisation « Pinto ».
66. Les articles 13 et 53 de la
Convention sont ainsi libellés :
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus
dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours
effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été
commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions
officielles. »
Article 53
« Aucune des dispositions de la (...) Convention
ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et
aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois
de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette
Partie contractante est partie. »
A. Sur la recevabilité
67. La Cour estime d’abord que ces
griefs doivent être considérés uniquement sous l’angle de l’article 13 de la
Convention.
68. En ce qui concerne le volet du
grief relatif à l’insuffisance de l’indemnisation « Pinto », la Cour
rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit
interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés tels
qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Il implique que l’instance nationale
compétente soit habilitée, d’abord, à connaître du contenu du grief fondé sur
la Convention et, ensuite, à offrir un redressement approprié dans les cas qui
le méritent (voir Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00,
§ 17, ECHR 2002-VIII ; Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 77-79 ; Surmeli
c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 99, 8 juin 2006).
Cela étant, le droit à un recours effectif au sens de la Convention ne saurait
être interprété comme donnant droit à ce qu’une demande soit accueillie dans le
sens souhaité par l’intéressé (Surmeli c. Allemagne, précité,
§ 98).
69. La
Cour rappelle aussi qu’en janvier 2004, la Cour de cassation, par les arrêts nos 1338,
1339, 1340 et 1341, a posé le principe selon lequel « la détermination du
dommage extrapatrimonial effectuée par la cour d’appel conformément à l’article
2 de la loi nº 89/2001, bien que par nature fondée sur l’équité, doit
intervenir dans un environnement qui est défini par le droit puisqu’il faut se
référer aux montants alloués, dans des affaires similaires, par la Cour de
Strasbourg, dont il est permis de s’éloigner mais de façon raisonnable »
(voir paragraphe 13 ci-dessus, ainsi que Cocchiarella c. Italie,
précité, §§ 24-25). A la suite de ce revirement, la Cour a considéré qu’à
partir du 26 juillet 2004, date à laquelle ces arrêts, et notamment
l’arrêt no 1340 de la Cour de cassation, ne pouvaient plus être
ignorés du public, il devait être exigé des requérants qu’ils usent du recours
en cassation au sens de la loi « Pinto » aux fins de
l’article 35 § 1 de la Convention (Di Sante c. Italie
(déc.), no 56079/00, 24 juin 2004 ; Cocchiarella
c. Italie, précité, §§ 42-44).
70. La
règle de l’épuisement préalable des voies de recours internes établie par
l’article 35 § 1 de la Convention présentant d’étroites affinités avec
l’exigence d’effectivité des remèdes internes, inscrite dans l’article 13 (voir
en ce sens Scordino c. Italie (déc.), no 36813/97,
CEDH 2003-IV), dans la décision Di Sante c. Italie précitée, la Cour, en
considérant le recours en cassation au sens de la loi « Pinto » comme
une voie de recours à épuiser, a implicitement reconnu le caractère effectif du
remède « Pinto ».
71. D’ailleurs,
dans l’arrêt Delle Cave et Corrado c. Italie (précité, §§ 43-46) la
Cour a déjà estimé que la simple insuffisance du montant de l’indemnisation
accordée à un requérant dans le cadre de la procédure « Pinto » ne
constitue pas en soi un élément suffisant pour remettre en cause l’effectivité
du recours « Pinto ».
72. Au
vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a lieu de déclarer le volet du
grief tiré de l’article 13 et portant sur l’insuffisance de l’indemnisation
« Pinto » irrecevable pour défaut manifeste de fondement au sens de
l’article 35 § 3 de la Convention.
73. Pour
ce qui est du volet du grief tiré du retard dans le paiement de l’indemnisation
« Pinto », le Gouvernement soulève l’exception que la Cour vient de
rejeter aux paragraphes 41-46 ci-dessus.
74. Le requérant n’a pas pris position.
75. Ce
grief n’étant pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3
de la Convention et ne se heurtant à aucun autre motif d’irrecevabilité, il y a
donc lieu de le déclarer recevable.
B. Sur
le fond
76. Selon
le Gouvernement, un retard litigieux comme celui occasionné en l’espèce, de
plus compensé par l’octroi d’intérêts moratoires, ne saurait remettre en cause
le caractère effectif du recours « Pinto ». En outre, il serait
paradoxal que l’Italie, s’étant efforcée d’introduire un remède pour la
violation du droit au « délai raisonnable », puisse encourir un
constat de violation de l’article 13, alors que de nombreux Etats parties à la
Convention ne disposent pas de voie de recours interne en la matière et n’ont
pourtant pas été condamnés pour violation de cette disposition.
77. Le requérant n’a pas pris position.
78. La Cour a déjà eu l’occasion de
rappeler dans l’arrêt Kudła c. Pologne ([GC], no 30210/96,
§ 154, CEDH 2000-XI) que, dans le respect des exigences de la Convention,
les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la
façon de garantir aux individus le recours exigé par l’article 13 et de se
conformer à l’obligation que leur fait cette disposition de la Convention. Elle
a également insisté sur le principe de subsidiarité afin que les justiciables
ne soient plus systématiquement contraints de lui soumettre des requêtes qui
auraient pu être instruites d’abord et, selon elle, de manière plus appropriée,
au sein des ordres juridiques internes. La Cour a aussi estimé dans l’arrêt Cocchiarella c.
Italie (précité, § 80) que, lorsque les législateurs ou les juridictions
nationales ont accepté de jouer leur véritable rôle en introduisant une voie de
recours interne, la Cour doit en tirer certaines conséquences. Lorsqu’un Etat a
fait un pas significatif en introduisant un recours indemnitaire, la Cour se
doit de lui laisser une plus grande marge d’appréciation pour qu’il puisse
organiser ce recours interne de façon cohérente avec son propre système
juridique et ses traditions, en conformité avec le niveau de vie du pays (ibidem).
Les exigences de l’article 13 de la Convention ne sont toutefois respectées que
si le remède prévu par le droit national afin de se plaindre d’une
méconnaissance de l’article 6 § 1 demeure un recours efficace, adéquat et accessible
permettant de sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire (Paulino
Tomas c. Portugal, précité ; Vidas c. Croatie, no 40383/04,
§ 36, 3 juillet 2008).
79. Ainsi qu’il a été relevé au
paragraphe 31 ci-dessus, l’indemnité « Pinto » allouée au requérant
lui a été effectivement versée le 6 avril 2004, soit douze mois après le dépôt
au greffe de la décision de la cour d’appel. Ce paiement a donc largement
dépassé les six mois à compter du moment où la décision d’indemnisation devint
exécutoire (Cocchiarella c. Italie, précité, § 89).
80. De
surcroît, la Cour souligne que, dans huit des neuf arrêts de la Grande Chambre
du 29 mars 2006 (Cocchiarella c. Italie, précité,
§ 100 ; Musci c. Italie, no 64699/01,
§ 101, CEDH 2006-... ; Riccardi Pizzati c. Italie, no 62361/00,
§ 99 ; Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 1), no
64705/01, § 99 ; Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no
2), no 65102/01, § 98 ; Apicella c. Italie,
no 64890/01, § 98 ; Ernestina Zullo c. Italie,
no 64897/01, § 102 ; Giuseppina et Orestina
Procaccini c. Italie, no 65075/01, § 98),
elle a relevé que les sommes octroyées par les cours d’appel
« Pinto » avaient été versées tardivement aux requérants, voire
n’avaient pas été versées du tout.
81. En
outre, la Cour a rendu, depuis le 29 mars 2006, plus de 50 arrêts contre
l’Italie constatant la violation de l’article 6 § 1, du fait de la durée
excessive des procédures judiciaires nationales. Dans tous ces arrêts, elle a
relevé des retards dans le paiement des indemnisations « Pinto »
qu’elle a souvent considérés comme des circonstances aggravantes de la
violation du droit au délai raisonnable (voir Cocchiarella c. Italie,
précité, § 120) à prendre en compte dans la détermination de la somme à
octroyer aux requérants aux termes de l’article 41 de la Convention.
82. Enfin,
la Cour observe qu’à partir de septembre 2007, un nombre très important de
nouvelles requêtes dirigées contre l’Italie portent exclusivement sur les
retards dans le paiement des indemnisations « Pinto ». Environ 500 de ces requêtes ont été récemment
communiquées au Gouvernement, ce qui révèle l’existence d’un problème dans le
fonctionnement du recours « Pinto ».
83. Cependant, la Cour relève qu’entre
2005 et 2007, les cours d’appel compétentes au sens de la loi
« Pinto » ont rendu environ 16 000 décisions, de sorte que le
nombre de requêtes introduites devant la Cour et concernant le retard dans le
paiement des indemnisations « Pinto », bien qu’important, ne décèle
pas, pour l’instant, une inefficacité structurelle du remède
« Pinto ».
84. Au vu de ce qui précède, la Cour
estime que le retard de douze mois dans le paiement de l’indemnisation
« Pinto » constaté en l’espèce, bien qu’entraînant la violation des
articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1, n’est pas
suffisamment important pour remettre en cause l’effectivité du remède
« Pinto ».
85. Cependant, la Cour estime opportun
d’attirer l’attention du Gouvernement sur le problème des retards dans le
paiement des indemnisations « Pinto » et sur la nécessité que les
autorités nationales se dotent de tous les moyens adéquats et suffisants pour
assurer le respect des obligations qui leur incombent en vertu de l’adhésion à
la Convention et pour éviter que le rôle de la Cour soit engorgé d’un grand nombre
d’affaires répétitives portant sur les indemnités accordées par des cours
d’appel dans le cadre de procédures « Pinto » et/ou le retard dans le
paiement des sommes en question, ce qui constitue une menace pour l’effectivité
à l’avenir du dispositif mis en place par la Convention (voir Cocchiarella c. Italie,
précité, §§ 69-107 et §§ 125-130 ; mutatis mutandis,
Scordino c. Italie (no 3) (satisfaction équitable), no
43662/98, §§ 14-15, CEDH 2007-... ; Driza c. Albanie, no
33771/02, § 122, CEDH 2007-... (extraits) ; Katz c
Roumanie, no 29739/03, § 9, 20 janvier 2009).
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41
DE LA CONVENTION
86. Aux termes de l’article 41 de la
Convention,
« Si la Cour
déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la
partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
87. Le
requérant réclame 15 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait
subi.
88. Le
Gouvernement conteste cette prétention.
89. La Cour estime qu’elle aurait pu
accorder au requérant, en l’absence de voies de recours internes et compte tenu
du fait que l’affaire concerne la matière du droit du travail sans pourtant en
toucher des aspects importants ou délicats tels, par exemple, un licenciement
abusif, la somme de 9 000 EUR. Le fait que la cour d’appel de Rome, à
l’issue d’une longue procédure, ait octroyé au requérant environ 7,8 % de
cette somme aboutit à un résultat manifestement déraisonnable, d’autant plus
que le paiement est intervenu douze mois après le dépôt au greffe de la
décision de la cour d’appel de Rome. Par conséquent, eu égard aux
caractéristiques de la voie de recours « Pinto » et au fait qu’elle
est tout de même parvenue à un constat de violation ainsi qu’à la constatation
des violations additionnelles de l’article 6 § 1, sous l’angle du droit à
l’exécution des décisions judiciaires, et de l’article 1 du Protocole no
1, la Cour, compte tenu de la solution adoptée dans l’arrêt Cocchiarella c.
Italie (précité, §§ 139-142 et 146) et statuant en équité, alloue au
requérant 3 950 EUR.
B. Frais et dépens
90. Justificatifs à l’appui, le
requérant demande 15 111 EUR pour les frais et dépens engagés devant
la Cour.
91. Le
Gouvernement conteste cette prétention.
92. Selon
la jurisprudence de la Cour, l’allocation des frais et dépens au titre de
l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et
le caractère raisonnable de leur taux (Can et autres c. Turquie, no
29189/02, § 22, 24 janvier 2008). La Cour observe que dans le cadre de la
préparation de la présente requête, certains frais ont été encourus. Elle
relève aussi que la cour d’appel de Rome a accordé à l’avocat du requérant
1 000 EUR pour frais et dépens, y compris ceux relatifs à la
procédure devant la Cour. Dès lors, statuant
en équité, la Cour estime raisonnable d’octroyer 1 000 EUR à ce
titre.
C. Intérêts moratoires
93. La Cour juge approprié de calquer
le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de
pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA
COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux
griefs tirés de la durée excessive de la procédure (article 6 § 1 de la
Convention) et du retard mis par les autorités nationales à se conformer à la
décision de la cour d’appel de Rome (articles 6 § 1, 13 et 1 du Protocole no
1) et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de
l’article 6 § 1 de la Convention, en raison de la durée excessive de la
procédure ;
3. Dit qu’il y a eu violation de
l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1,
en raison du retard mis par les autorités nationales à se conformer à la
décision de la cour d’appel de Rome ;
4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de
l’article 13 de la Convention, en raison du retard mis par les autorités
nationales à se conformer à la décision de la cour d’appel de Rome ;
5. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au
requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu
définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les
sommes suivantes :
(i) 3 950 EUR
(trois mille neuf cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à
titre d’impôt, pour dommage moral,
(ii) 1 000 EUR
(mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre
d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de
l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer
d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de
la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de
trois points de pourcentage ;
6. Rejette
la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis
communiqué par écrit le 31 mars 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3
du règlement.
Françoise Elens-Passos Françoise
Tulkens
Greffière adjointe de section Présidente