Corte europea dei diritti dell’uomo
(Sezione V), 29 ottobre 2009
(requête n 29137/06)
AFFAIRE SI AMER c. FRANCE
DÉFINITIF
10/05/2010
Cet arrêt deviendra définitif
dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il
peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Si Amer c. France,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième
section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Renate Jaeger,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Zdravka Kalaydjieva, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après
en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 octobre 2009,
Rend
l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A
l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 29137/06) dirigée
contre la République française et dont un ressortissant algérien, M. Youcef Si
Amer (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 juin 2006 en vertu de
l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le
requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est
représenté par Me A. de Brossin de Mere, avocate à Paris. Le gouvernement français (« le
Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Edwige
Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires
étrangères.
3. Le requérant, qui réside en Algérie
et qui avait, avant l'indépendance de ce pays, volontairement souscrit une
assurance retraite complémentaire auprès d'une caisse complémentaire française,
se dit victime d'une discrimination résultant du rejet de sa demande de
liquidation, au motif qu'il ne réside pas en France ou à Monaco. Il invoque à cet
égard l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole
no 1, voyant dans les causes de ce refus un « critère de
nationalité déguisé ».
4. Le
18 octobre 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement.
Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été
décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le
fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le
requérant est né en 1939 et réside à Alger.
6. Du
1er janvier 1953 au 17 décembre 1962, le requérant (de nationalité
française jusqu'au 31 décembre 1962) était employé en Algérie, alors territoire
français jusqu'au 5 juillet 1962, par une filiale d'une société de droit
français. Il a volontairement souscrit durant cette période une assurance
complémentaire « décès, invalidité, vieillesse » auprès d'une caisse
complémentaire française, la Caisse Interprofessionnelle de Prévoyance des
Salariés (« CIPS ») ; il a dûment et régulièrement versé ses
cotisations et la CIPS les a encaissées.
7. Après
l'accession à l'indépendance de l'Algérie, l'ensemble des régimes de retraite,
y compris le régime complémentaire, furent absorbés par le régime général
algérien, qui fut lui-même dissous en 1983.
8. En
1998, le requérant sollicita auprès de la caisse française le bénéfice de ses
droits à retraite complémentaire. Celle-ci rejeta cependant sa demande, au
motif qu'il ne résidait pas en France au moment où elle était formulée. L'association des régimes de retraites complémentaires
(« ARRCO ») confirma ce refus par des lettres des 18 juin 1998 et
22 février 2002. La première de ces lettres est rédigée comme il suit :
« (...)
L'accord national de retraite du 8 décembre 1961, en application duquel l'ARRCO
a été créée, vise sans condition de nationalité la quasi-totalité des salariés
des entreprises du secteur privé qui exercent leur activité en Métropole ou
dans les départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Des dispositions ont cependant été prises pour
permettre, sous certaines conditions, la validation des services accomplis en
Algérie, au Maroc et en Tunisie.
S'agissant des
périodes d'emploi effectuées en Algérie, leur prise en compte par une
institution de retraite complémentaire membre de l'ARRCO est subordonnée à la
condition que le participant réside en France ou à Monaco au moment de la
formulation de la demande de retraite.
Cette condition de
résidence figurait dans le protocole franco-algérien du 16 décembre 1964,
publié par décret du 21 janvier 1965, qui précisait les droits des personnes
françaises résidant en France et ayant acquis des droits en Algérie auprès
d'une caisse membre de l'OCIP.
Cette condition de
résidence a toujours été maintenue, notamment par l'annexe IV à l'accord du 8
décembre 1961, conclue le 20 novembre 1974 et agréée par le Ministre du Travail
en date du 21 août 1975 (Journal Officiel du 5 septembre 1975).
L'accord du 8
décembre 1961 a été codifié le 15 mars 1988. Dans cette codification,
l'ancienne annexe IV est devenue l'annexe C.
L'accord du 8
décembre 1961 codifié le 15 mars 1988 a été agréé et étendu, ainsi que ses
annexes, par arrêté ministériel du 21 juin 1988 paru au Journal Officiel du
30 juin 1988.
Cette annexe C (...) fait toujours état de l'obligation
de résidence en France ou à Monaco.
Au cas
particulier, dès lors que vous résidez en Algérie, aucun droit ne peut vous
être accordé par un régime de retraite membre de l'ARRCO, au titre de la
période d'activité que vous avez accomplie au sein de la société [susévoquée].
(...) »
9. En
conséquence, le requérant assigna la CIPS devant le tribunal en vue
essentiellement de l'attribution d'une retraite complémentaire.
10. Le
4 mars 2004, le tribunal de grande instance de Paris rejeta ses demandes.
11. Le
requérant interjeta appel de ce jugement, dénonçant notamment une
discrimination contraire au droit français et au droit international, et
soulignant en particulier que la condition, dite de « résidence », ne
constituait qu'une condition de nationalité déguisée.
12. Par
un arrêt du 11 mai 2005, la cour d'appel de Paris confirma le jugement
entrepris. Après avoir relevé que l'accord interprofessionnel du
8 décembre 1961 prévoit, en son annexe C, des dispositions particulières
en faveur des salariés, quelle que soit leur nationalité, pour la validation
des services accomplis en Algérie, à la condition de résider en France ou à
Monaco au moment de la formulation de leur demande, la cour d'appel releva que
les règles relatives au régime général de la sécurité sociale ne peuvent, à
défaut de dispositions le prévoyant, être étendues aux régimes complémentaires
de retraite et de prévoyance des salariés, d'origine conventionnelle. Par
ailleurs, elle jugea que la condition de résidence en France exigée par l'accord
interprofessionnel du 8 décembre 1961 ne crée aucune discrimination entre les
salariés de nationalité algérienne et les autres salariés ressortissants des
Etats membres de la CEE ayant travaillé en Algérie, dès lors qu'elle est
imposée quelle que soit leur nationalité.
13. Le
requérant déposa une demande d'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir en
cassation contre cet arrêt.
14. Le
7 mars 2006, après avoir relevé que le montant des ressources de l'intéressé
était inférieur au plafond légal, le bureau d'aide juridictionnelle de la Cour
de cassation rejeta la demande, au motif qu'aucun moyen de cassation sérieux ne
pouvait être relevé contre la décision critiquée. Le 1er juin
2006, le premier président de la haute juridiction, saisi par le requérant,
confirma cette décision.
II. LE
DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT
15. A
la suite de l'accession de l'Algérie à l'indépendance, le gouvernement de la
République française et le gouvernement de la République algérienne
démocratique et populaire ont signé, le 16 décembre 1964, un « accord
relatif aux régimes complémentaires de retraites » (publié par décret du
21 janvier 1965) dont l'objet est de régler les rapports entre les deux
pays en cette matière. Les articles 2, 4
et 5 de cet accord sont libellés comme suit :
Article 2
« Les ressortissants algériens occupés en Algérie
et relevant à ce titre, en vertu du statut qui leur est applicable, d'une
institution française de retraites complémentaires seront affiliés de plein
droit à une institution algérienne.
Les droits acquis ou en cours d'acquisition vis-à-vis
des institutions françaises en cause seront maintenues. Des conventions entre
institutions françaises et algériennes intéressées préciseront les modalités du
maintien de ces droits. »
Article 4
« Les personnes relevant, à la date d'effet du
présent accord, au titre de services accomplis en Algérie, d'une institution
algérienne membre de l'O.C.I.P. [Organisation commune des institutions de
prévoyance] ou d'une institution française agissant pour son compte, sont
reprises en charge dans les conditions suivantes :
a) En ce qui concerne les personnes de nationalité
française résidant en France et titulaires de droits acquis, en cours
d'acquisition ou éventuels auprès d'institutions algériennes de retraites
complémentaires, au titre de périodes d'emploi salarié en Algérie,
antérieurement au 1er juillet 1962, elles recevront, le cas échéant, des
allocations ou se verront valider des droits par des institutions françaises.
b) En ce qui concerne les ressortissants français
demeurés en Algérie, les institutions algériennes continuent à assumer leurs
obligations à leur égard.
c) Les autres personnes relevant des institutions
algériennes sont de la compétence de ces institutions.
Les dossiers des personnes visées au présent article
seront transférés sous le contrôle des autorités administratives compétentes
des deux pays, par les institutions qui les détiennent, aux institutions visées
à l'article ci-dessous. »
Article 5
« Les gouvernements français et algérien
prendront toutes mesures réglementaires en vue de définir le niveau des
avantages accordés aux personnes rattachées aux institutions de leur pays, et
de désigner les institutions d'accueil. »
16. L'accord
national interprofessionnel de retraite complémentaire du 8 décembre 1961,
dans sa version applicable au moment où le requérant a fait valoir ses droits,
s'accompagne notamment d'une « Annexe IV », conclue le 20 novembre
1974, agréée par le ministre du Travail le 21 août 1975 (Journal Officiel du 5
septembre 1975), et devenue l'annexe C suite à la codification de cet accord le
15 mars 1988. Celle-ci précise les
conditions de « validation des services accomplis en Algérie », et
son article 1er est ainsi libellé :
« Les salariés ayant travaillé en Algérie
bénéficient quelle que soit leur nationalité [de la validation – sous certaines
réserves – des services accomplis en Algérie avant le 1er juillet
1962] à condition de résider en France ou à Monaco au moment de la formulation
de leur demande. »
17. Conformément à l'avenant no
48 à l'accord, signé le 18 juin 1998, cette condition de résidence a été
étendue à l'ensemble de l'Espace économique européen pour les demandes de
liquidation présentées à compter du 1er janvier 2000. Elle a
ensuite été supprimée le 22 septembre 2005 pour les personnes dont
l'allocation prenait effet à partir du 1er octobre 2005.
EN DROIT
18. Le
requérant se plaint du rejet de sa demande de liquidation de retraite complémentaire,
au motif qu'il ne réside pas en France ou à Monaco, ce qui constituerait une
discrimination prohibée par l'article 14 de la Convention dans l'exercice de
son droit patrimonial garanti par l'article 1 du Protocole no
1. Dans ses observations, le requérant s'en plaint également sous l'angle de
l'article 8 de la Convention et de l'article 2 du Protocole no 4.
La
Cour indique d'emblée qu'elle examinera ce grief sous l'angle de l'article 14
de la Convention, combiné à l'article 1 du Protocole no 1, seules
dispositions pertinentes en l'espèce, qui se lisent comme suit :
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus
dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée
notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les
opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale,
l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute
autre situation. »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au
respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause
d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes
généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte
au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent
nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général
ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des
amendes. »
I. SUR
LA RECEVABILITÉ
A. Sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par le
Gouvernement
19. Le Gouvernement soulève une
exception d'irrecevabilité tirée de l'absence d'épuisement des voies de recours
internes. Il considère que le requérant n'a pas explicitement soulevé le grief tiré
de la violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du
Protocole no 1. Il souligne en outre que le requérant n'a fait état,
devant les juridictions nationales, que d'une discrimination liée à sa
nationalité et non, comme devant la Cour, de la condition de résidence
proprement dite.
20. Le requérant estime avoir épuisé
les voies de recours disponibles et suffisantes. Il rappelle à cet égard que si la
Cour de cassation ne s'est pas prononcée sur le litige, c'est parce que sa
demande d'aide juridictionnelle devant cette juridiction a été rejetée. Il
ajoute que son recours était en tout état de cause voué à l'échec, compte tenu
de la jurisprudence de la Cour de cassation. Il précise également avoir mis les
juridictions nationales en présence d'arguments relatifs à la violation d'une
discrimination interdite, notamment par la Convention, même si les juges n'ont
ensuite appliqué que la loi française.
21. La
Cour rappelle que la finalité de l'article 35 § 1 de la Convention est de
ménager aux Etats contractants l'occasion de prévenir ou de redresser les
violations alléguées contre eux avant qu'elles ne soient soumises à la Cour. Si cette disposition doit s'appliquer « avec une
certaine souplesse et sans formalisme excessif », il faut pour autant que le
grief dont on entend saisir la Cour soit d'abord soulevé, au moins en
substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les
juridictions nationales appropriées (voir, notamment, Cardot c. France,
arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, p. 18,
§ 34).
22. En l'espèce, la Cour relève d'abord
qu'il ne peut être reproché au requérant de ne pas avoir préalablement saisi la
Cour de cassation de son grief. En effet, il a déposé une demande d'aide juridictionnelle
qui a été rejetée par le bureau d'aide juridictionnelle, puis par le
premier président, au motif qu'aucun moyen de cassation sérieux ne pouvait être
relevé (Gnahoré c. France, no 40031/98, §§ 46-48,
CEDH 2000-IX). La Cour note ensuite qu'il ressort des pièces produites par le
requérant, et plus spécialement de ses conclusions devant la cour d'appel de
Paris, qu'il contestait explicitement le fait de se voir opposer sa résidence
comme obstacle à la liquidation de sa retraite, le cotisant de nationalité
française résidant en Algérie n'étant pas quant à lui, selon les termes de ses
conclusions, privé de son droit ; il ajoutait que son droit à liquidation
lui était refusé parce qu'il résidait en Algérie ; il mentionnait enfin,
entre autres développements à ce sujet, et dans des termes analogues à ceux de
la présente requête, que la condition dite de « résidence », ne
constitue qu'une condition de nationalité déguisée. Dès lors, s'il n'a pas
explicitement invoqué l'interdiction de discrimination consacrée par la
Convention, le requérant a entendu dénoncer, devant les juges d'appel, une
discrimination résultant du rejet de sa demande de liquidation de retraite
complémentaire au motif qu'il ne réside pas en France ou à Monaco. Il a par
conséquent soulevé en substance, et sans qu'il soit contesté qu'il l'ait fait
dans les formes et délais prescrits par le droit interne, le grief invoqué à
l'appui de sa requête devant la Cour.
23. Dans ces conditions, le requérant
ayant, de l'avis de la Cour, épuisé les voies de recours internes, il convient
de rejeter l'exception soulevée par le Gouvernement.
B. Sur
l'applicabilité de l'article 14 de la Convention combiné à l'article 1 du
Protocole no 1
24. Le
Gouvernement précise d'abord qu'il n'entend pas, compte tenu de la
jurisprudence de la Cour (Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], no 65731/01,
décision du 6 juillet 2005, CEDH 2005-X), soutenir que la pension de
retraite complémentaire litigieuse se situerait hors du champ de l'article 1 du
Protocole no 1. Il conteste en revanche, outre le fait que le
montant des cotisations n'a pas été produit aux débats, l'existence d'une
espérance légitime au profit du requérant, dans la mesure où celui-ci ne
satisfait pas aux conditions fixées par le droit interne qui soumet le bénéfice
de la pension à une condition de résidence. Il ajoute que le requérant ne
dispose d'aucun bien actuel, compte tenu du temps écoulé entre sa cessation de
fonctions, ainsi que la conclusion des accords régissant la matière, et sa
demande de liquidation.
25. Le
requérant soutient qu'il tire du contrat d'assurance complémentaire en cause un
droit patrimonial constitutif d'un « bien » au sens de l'article 1 du
Protocole no 1. Il précise à cet effet qu'il bénéficie d'une
espérance légitime, dès lors que la réalité des versements de cotisations n'a
été contestée, ni par la caisse de retraite, ni par son organisme de tutelle,
l'ARRCO, qui a même adressé au requérant un relevé de carrière, avant de
motiver son refus de liquidation de la pension par le seul critère de
résidence, toutes les autres conditions légales étant satisfaites. Il ajoute
que la créance litigieuse présente un caractère certain dont il résulte, même
dans l'hypothèse où des droits ne lui seraient pas ouverts, un dommage causé
par l'inobservation de la convention le liant à la caisse de retraite
complémentaire, en contravention au principe légal de sauvegarde des droits
acquis à une prestation de retraite. Il fait enfin valoir qu'il dispose d'un
droit actuel, les cotisations ayant été versées au patrimoine de la caisse.
26. D'après la jurisprudence constante
de la Cour, les principes qui s'appliquent généralement aux affaires concernant
l'article 1 du Protocole no 1 gardent toute leur pertinence
dans le domaine des prestations sociales (Stec et autres, précitée, §
54).
27. Certes,
le droit à pension n'est pas comme tel garanti par la Convention. Dès lors
toutefois qu'un Etat met en place une législation créant un régime de
prestations ou de pensions, cette législation doit être considérée comme
engendrant un intérêt patrimonial relevant du champ d'application de l'article
1 du Protocole no 1 pour les personnes remplissant ses conditions (ibidem,
ainsi que, mutatis mutandis, Koua Poirrez c. France, no
40892/98, § 42, CEDH 2003-X).
28. En
outre, le régime créé doit l'être d'une manière compatible avec l'article 14 de
la Convention (Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], no 65731/01,
12 avril 2006, § 53, CEDH 2006-VI).
29. Par
conséquent, lorsque, comme dans les circonstances de l'espèce, le requérant
formule sur le terrain de l'article 14 combiné avec l'article 1 du Protocole no
1 un grief aux termes duquel il a été privé, en tout ou en partie et pour un
motif discriminatoire visé à l'article 14, d'une prestation donnée, le critère
pertinent consiste à rechercher si, n'eût été la condition d'octroi litigieuse,
l'intéressé aurait eu un droit, sanctionnable devant les tribunaux internes, à
percevoir la prestation en cause (Stec, décision précitée, § 55, et
Gaygusuz c. Autriche, 16 septembre 1996, § 40, Recueil des arrêts et
décisions 1996-IV)
30. La
Cour relève que si le Gouvernement admet en l'espèce l'existence d'une base
légale susceptible de faire entrer la pension de retraite complémentaire
litigieuse dans le champ de l'article 1 du Protocole no 1, il
soutient toutefois que le requérant n'en tirerait aucun intérêt patrimonial
faute de satisfaire à la condition de résidence exigée par le droit français.
La Cour ne peut souscrire à cette analyse dès lors qu'en l'espèce, le requérant
s'est vu refuser le bénéfice de la prestation du seul fait de ce motif qui est,
précisément, l'objet de son grief. La Cour ajoute que, dans la mesure où
l'existence d'une créance du requérant est admise, le fait que son montant soit
inconnu ne saurait atteindre cette créance dans sa substance. Le moment de
présentation de la demande, lequel correspond, logiquement, à l'âge du départ à
la retraite, ne saurait pour sa part compromettre le caractère actuel de la
créance.
31. Il
s'ensuit que la situation du requérant entre dans le champ d'application de
l'article 1 du Protocole no 1 et du droit au respect des biens qu'il
garantit et que, partant, l'article 14 de la Convention trouve à s'appliquer en
l'espèce.
32. La
Cour relève par ailleurs que la requête ne se heurte à aucun autre motif
d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
II. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 1
DU PROTOCOLE No 1
A. Thèse des comparants
1. Le requérant
33. Selon le requérant, aucun critère
objectif et raisonnable ne vient justifier la différence de traitement dont il
expose faire l'objet. Il y voit un déséquilibre entre l'objectif d'intérêt
général de sauvegarde de l'équilibre financier des régimes de retraite
complémentaire et le respect de ses propres droits fondamentaux.
34. Il
précise que la condition de résidence exigée pour bénéficier de sa retraite
complémentaire dissimule en fait une discrimination fondée sur la nationalité.
Il estime ainsi que les ressortissants français résidant en Algérie auraient,
pour leur part, le choix de faire liquider leur pension de retraite en France,
du fait des règles posées, selon lui, par le droit communautaire, notamment la
jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes relative au
bénéfice par des travailleurs migrants de pensions de retraite ou d'allocations
sociales. Le travailleur algérien travaillant en Algérie serait en revanche
toujours pénalisé.
35. Le
requérant conteste enfin disposer d'une possibilité effective d'obtenir la
liquidation de sa pension de retraite complémentaire par une institution
algérienne. Il explique que le régime général de retraite algérien a absorbé
tous les régimes de retraite, jusqu'à la dissolution de cette caisse unique
algérienne en vertu d'une loi de 1983. Il précise encore que l'ARRCO, dans ses
réponses au requérant quant à son droit à liquidation, n'a jamais mentionné la
possibilité de faire valoir ce droit auprès d'une institution algérienne.
2. Le
Gouvernement
36. S'agissant
de la question de l'existence d'une discrimination à l'encontre du requérant,
le Gouvernement admet qu'il y a en l'espèce une différence de traitement entre
les personnes qui, en Algérie française, avaient cotisé dans les mêmes conditions
à une caisse complémentaire française. Il précise toutefois que ce critère de
différenciation repose sur la seule résidence des intéressés, toute référence à
la nationalité ayant été supprimée par l'annexe C de l'accord du
8 décembre 1961, et étant d'ailleurs proscrite par la jurisprudence
interne. Il en résulte selon lui une absence de discrimination, dès lors qu'un
ressortissant algérien résidant en France peut demander la liquidation de sa
retraite auprès d'une caisse française, tandis qu'un Français résidant en
Algérie ne peut le faire qu'auprès d'une institution algérienne.
37. Le
Gouvernement soutient que cette différenciation a un but légitime : elle
visait, suite à l'accession de l'Algérie à l'indépendance et aux mouvements de
personnes que cela avait occasionné, à régler les rapports entre ce pays et la
France en matière de régimes complémentaires de retraites, sur la base du
principe de territorialité des régimes ; elle s'inscrivait ainsi dans le
cadre d'une série de mesures adoptées dans le but de répartir de manière
cohérente et claire entre les deux pays le « règlement du passé ».
38. Le Gouvernement ajoute qu'un
« rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le
but visé » a été maintenu, dès lors que le critère de résidence a un
caractère objectif et réaliste, et qu'il s'accompagnait initialement de
dispositions énonçant les conditions de prise en charge des droits
complémentaires des résidents algériens par les caisses algériennes. Il
souligne à cet égard que les stipulations de l'accord franco-algérien du
16 décembre 1964, spécialement les articles 2 et 4 c), confèrent aux
ressortissants algériens employés en Algérie et relevant à ce titre d'une
caisse de retraite française l'affiliation de plein droit à une institution algérienne,
de la compétence de laquelle relève le requérant, et le maintien des droits
acquis.
B. Appréciation de la Cour
39. La Cour rappelle qu'une différence
de traitement constitue une discrimination, au sens de l'article 14, si elle
vise, sans justification objective et raisonnable, des personnes placées dans
des situations comparables. Le manque de justification objective et raisonnable
signifie que la distinction litigieuse ne poursuit pas un but légitime ou qu'il
n'y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés
et le but visé (voir, notamment, Karlheinz Schmidt c. Allemagne, 18
juillet 1994, § 24, série A no 291-B, Petrovic c. Autriche,
27 mars 1998, § 30, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, et D.H.
et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, §§ 175
et 196, CEDH 2007-XII). Par ailleurs, la Cour reconnaît aux Etats contractants
une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des
différences entre des situations à d'autres égards analogues justifie des
différences de traitement (Van Raalte c. Pays-Bas, 21 février 1997, §
39, Recueil 1997-I, et Gaygusuz, précité, § 42). L'étendue
de cette marge varie selon les circonstances, les domaines et le contexte. La
Cour rappelle néanmoins que seules des considérations très fortes peuvent
l'amener à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement
exclusivement fondée sur la nationalité (voir, notamment, Luczak c. Pologne,
no 77782/01, § 48, CEDH 2007-XIII, et Gaygusuz, précité,
§ 42).
40. En outre, une ample latitude est
d'ordinaire laissée à l'Etat pour prendre des mesures d'ordre général en
matière économique ou sociale (voir, par exemple, James et autres c.
Royaume-Uni, 21 février 1986, § 46, série A no 98, National
& Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et
Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni, 23 octobre 1997, § 80, Recueil
1997-VII, et Stec et autres, précité, § 52). Grâce à une
connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités
nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour
déterminer ce qui est d'utilité publique en matière économique ou en matière
sociale, et la Cour respecte en principe la manière dont l'Etat conçoit les
impératifs de l'utilité publique, sauf si son jugement se révèle
« manifestement dépourvu de base raisonnable » (ibidem).
41. Enfin,
en ce qui concerne la charge de la preuve sur le terrain de l'article 14 de la
Convention, la Cour a rappelé que, « lorsqu'un requérant a établi
l'existence d'une différence de traitement, il incombe au Gouvernement de
démontrer que cette différence de traitement était justifiée » (Andrejeva
c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 84, CEDH 2009-.., et D.H.
et autres, précité, § 177).
42. Quant
à l'application de ces principes à la présente espèce, la Cour relève tout
d'abord que l'existence d'une différence de traitement entre les personnes
ayant cotisé, au titre de leurs périodes de travail en Algérie avant
l'indépendance, à une caisse de retraite complémentaire française, est avérée. Elle est d'ailleurs admise par le Gouvernement. La
Cour relève à cet égard que le requérant se trouvait dans une situation
objectivement analogue aux personnes ayant eu une carrière professionnelle
identique ou similaire mais ayant ensuite résidé en France ou à Monaco.
43. La
Cour estime que la différence litigieuse répond au but légitime d'assurer, par
le principe de la territorialité des régimes de retraite complémentaire, le
règlement des rapports en la matière entre la France et l'Algérie après
l'accession de celle-ci à l'indépendance. La Cour note, avec le Gouvernement,
que l'accord conclu par les deux pays le 16 décembre 1964 compte parmi les
mesures destinées à assurer une répartition cohérente et claire du règlement du
passé et des charges respectives incombant aux Etats. L'accord prend ainsi
expressément en compte, dans son préambule, un contexte marqué par les
mouvements de personnes résultant « des circonstances exceptionnelles qui
ont accompagné l'accession de l'Algérie à l'indépendance. » Il s'agissait
notamment d'assurer l'effectivité des droits des personnes rapatriées sur le
territoire français. La Cour ajoute que la nécessité de répartir la charge des
situations passées se justifie d'autant plus, au regard de la préservation de
l'équilibre financier du régime, que celui-ci repose sur le principe de la
répartition, les pensions étant financées non par les cotisations passées de
leur bénéficiaire mais par les cotisations présentes versées par les employeurs
et les salariés en activité.
44. Il
convient ensuite d'établir si les moyens employés l'ont été dans un rapport
raisonnable de proportionnalité au but légitime ci-dessus caractérisé. La Cour
relève à ce sujet que la différence de traitement visant le requérant résulte
d'abord de l'application combinée des articles 2 et 4 c) de l'accord
franco-algérien du 16 décembre 1964, qui prévoient l'affiliation de plein
droit des ressortissants algériens occupés en Algérie aux caisses de retraite
complémentaire de ce pays, et ce avec maintien des droits acquis.
45. La
Cour relève, pour autant, que cette différence de traitement ne concerne en
principe que les modalités de prise en charge du régime complémentaire en
question. En effet, dès son entrée en vigueur, les termes de l'accord donnaient
au requérant un droit à liquidation identique à ce qu'il était avant
l'indépendance de l'Algérie. Quant à l'effectivité de ce droit, elle découle de
l'exécution de l'accord franco-algérien précité, dont l'article 5 met à la charge
des gouvernements français et algériens la définition du niveau des prestations
servies aux personnes rattachées aux institutions de ces pays et la désignation
des institutions d'accueil. A cet égard, la Cour estime qu'aucun manquement ne
saurait être imputé à l'Etat français, auquel il appartenait uniquement de
s'assurer de la mise en œuvre de cet accord concernant les personnes rattachées
à ses institutions internes.
46. Dans
ces conditions, la différence de traitement en cause ne saurait donc être
regardée comme discriminatoire, quelles que soient par ailleurs les
conséquences alléguées de dispositions de droit communautaire qui n'étaient en
vigueur ni lors de l'entrée en vigueur de l'accord franco-algérien précité, ni
même lors de la demande de liquidation, antérieure à l'entrée des régimes de
retraite complémentaire dans le champ communautaire le 1er juillet
2000.
47. Il
s'ensuit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention combiné
avec l'article 1 du Protocole no 1.
PAR CES MOTIFS, LA
COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de
l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1.
Fait en français, puis
communiqué par écrit le 29 octobre 2009, en application de l'article 77 §§
2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen Greffière Président