Corte europea dei diritti dell’uomo
(Seconda Sezione)
29 marzo 2011
AFFAIRE ALIKAJ c. ITALIA
(Requête
no 47357/08)
15/09/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 c) de la Convention.
Il peut subir
des retouches de forme.
En l’affaire
Alikaj et autres c. Italie,
La Cour européenne des droits de
l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu
Cabral Barreto,
David Thór
Björgvinsson,
Dragoljub
Popović,
Giorgio Malinverni,
András
Sajó,
Guido Raimondi, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en
chambre du conseil le 8 mars 2011,
Rend l’arrêt que voici, adopté à
cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une
requête (no 47357/08) dirigée contre la République italienne et dont
quatre ressortissants albanais,
Mme Antoneta Alikaj, M. Bejko Alikaj, Mme Vojsava Alikaj et Mme Anita Alikaj (« les
requérants »), ont saisi la Cour le 12 septembre 2008 en vertu de l’article
34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (« la Convention »). Les deux premiers sont les parents
et les deux autres les sœurs de Julian Alikaj.
2. Les requérants ont été représentés
devant la Cour par Mes di Pardo et Scialandrone, avocats à Milan. Le
gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son
agente, Mme E. Spatafora, et par son coagent,
M. N. Lettieri.
3. Tant les requérants que le
Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires
(article 59 § 1 du règlement).
4. Le
gouvernement albanais a été invité à intervenir dans la procédure en vertu de l’article 36 § 1 de
la Convention et 44 du règlement de la Cour. La lettre de la Cour étant restée
sans réponse, il y a lieu de considérer que ce dernier n’entend pas se
prévaloir de son droit d’intervention.
5. Se prévalant de l’article
29 § 3 de la Convention, la chambre a décidé que seraient examinés en même
temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Les requérants, Mme Antoneta Alikaj, M. Bejko Alikaj, Mme Vojsava Alikaj et Mme Anita Alikaj, sont nés
respectivement en 1951, 1948, 1977 et 1982 et ont élu domicile chez leur avocat
à Milan.
7. Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1997,
Julian Alikaj et trois autres jeunes hommes
circulaient sur l’autoroute entre Milan et Bergame. Peu après minuit, ils
croisèrent une voiture de police qui leur intima l’ordre de s’arrêter. Les
policiers ont affirmé que la vitesse de la voiture leur avait paru suspecte.
La voiture s’arrêta, ses quatre
occupants en sortirent en courant, sautèrent par-dessus la glissière latérale
de sécurité et s’enfuirent par un chemin de terre en pente longeant l’autoroute
qui était délimitée par un mur. Ils sautèrent par-dessus une barrière
métallique.
8. Le sol était glissant à cause de la
pluie.
9. Les policiers tirèrent deux coups de
feu en l’air à titre d’avertissement. A.R. se lança à la poursuite des jeunes
gens et tira une balle qui atteignit Julian Alikaj au
cœur. Le jeune homme décéda sur le coup.
10. Les autres occupants, après avoir vu l’ambulance
arriver sur les lieux, s’enfuirent.
L’enquête menée
par les autorités nationales
a)
Les actes d’enquête
11. A 00 h 12, A.R. appela les secours.
12. Une inspection des lieux aux fins de
la recherche d’indices fut effectuée par des agents appartenant à la même unité
administrative que le policier A.R.
13. G.Z., supérieur hiérarchique des
agents et inspecteur de la police routière, arriva sur les lieux, de même que l’ambulance.
14. Les policiers découvrirent que la
voiture des fugitifs avait été volée quelques heures auparavant.
15. Les deux armes furent contrôlées par
le supérieur hiérarchique des policiers, lequel constata qu’il manquait deux cartouches
dans le chargeur d’A.R. Les douilles ne furent pas retrouvées sur la scène du
crime et ne furent pas recherchées à l’aide d’un détecteur de métaux.
16. Les armes, ainsi que le pantalon du
policier A.R., furent ensuite mis sous scellés par un autre policier, G.F.
17. Par la suite, vers 1 h 30 du matin, le
procureur de Bergame, un médecin légiste et la police scientifique arrivèrent
sur les lieux. Le légiste ne put que constater le décès de Julian Alikaj.
18. Le rapport d’autopsie releva que le
projectile avait atteint la région dorsale droite et était ressorti par la
région thoracique gauche. Selon le médecin, le projectile avait suivi une
trajectoire de bas en haut sur une distance supérieure à 50 centimètres.
19. Le projectile avait d’abord fracassé
une côte puis atteint le cœur après avoir traversé l’œsophage. Le décès de Julian
Alikaj était dû à une défaillance cardio-respiratoire.
20. Le policier A.R. déclara qu’il avait entamé
la poursuite, sans lampe-torche, en donnant aux quatre fugitifs l’ordre de s’arrêter,
qu’il avait tiré un coup en l’air, que, au moment où ceux-ci s’apprêtaient à enjamber
l’enceinte, il avait entendu un bruit métallique, qu’il s’était baissé pour se
protéger, qu’il avait glissé, qu’il était tombé sur le côté gauche et que le
coup était parti accidentellement. Il ajouta qu’il ignorait à ce moment que la
voiture avait été volée et qu’il ne l’avait appris que par la suite.
21. Le 3 décembre 1997, les trois autres occupants
de la voiture furent interrogés.
22. M.B. déclara qu’il avait glissé lors
de la fuite et que, après avoir sauté par-dessus la barrière, il avait vu les
deux policiers avec des lampes-torches, l’un d’eux un pistolet à la main. Il
déclara avoir entendu six coups de feu. Il déclara également avoir attendu Julian
Alikaj, avec ses amis, pendant une demi-heure et
avoir vu les voitures de la police arriver sur les lieux.
23. B.M. déclara que, alors qu’il s’apprêtait
à enjamber la barrière, il avait entendu six ou sept coups de feu tirés par les
policiers qui se trouvaient à côté de la glissière latérale de sécurité. Il
affirma que, après avoir vu arriver l’ambulance, lui et ses amis s’étaient enfuis
et avaient pris un train pour Milan.
24. B.A. déclara que, au moment où il
franchissait la barrière, Julian Alikaj se trouvait
devant lui. Il dit avoir ensuite entendu cinq coups de feu tirés par les
policiers qui étaient restés à côté de la voiture.
b) La mise en examen d’A.R.
25. A une date non précisée, le parquet
mit A.R. en examen pour homicide volontaire. L’audience préliminaire fut fixée
et les requérants se constituèrent parties civiles.
26. Par un jugement déposé au greffe le
21 décembre 1999, le juge de l’audience
préliminaire (« il giudice dell’udienza preliminare », le « GUP ») acquitta A.R.,
pour défaut de fait délictueux
constitué (perché il fatto non costituisce
reato). Il estimait en particulier qu’il n’y
avait pas assez d’éléments permettant d’affirmer qu’A.R. avait tué
intentionnellement la victime. Les preuves recueillies montraient que A.R.
avait glissé et que le coup était parti accidentellement.
27. Le 11 janvier 2000, le
ministère public interjeta appel de ce jugement. Il plaidait en particulier
que, d’après des expertises balistiques, il était impossible que le coup parte
lors d’une chute, d’autant qu’une distance de trente mètres séparait A.R. de Julian
Alikaj.
28. Le 26 octobre 2000, la cour
d’appel de Brescia accueillit partiellement l’appel du ministère public et
renvoya A.R. en jugement devant le tribunal de Bergame pour homicide par
imprudence.
29. Par un jugement du
25 mai 2002, estimant que les éléments recueillis permettaient de
conclure à un acte intentionnel mais non fautif de la part d’A.R., le tribunal
de Bergame se déclara incompétent et indiqua que la juridiction compétente
était la cour d’assises de Bergame. En conséquence, il ordonna le transfert du
dossier au ministère public.
30. Le ministère public requalifia le chef
d’inculpation en homicide volontaire et demanda au GUP le renvoi en jugement.
Par une décision du 26 avril 2004, le GUP renvoya A.R. en jugement
pour le délit d’homicide par imprudence.
31. La partie civile se pourvut en
cassation, tirant argument de la contradiction entre la décision du tribunal de
Bergame et celle du GUP. La Cour de cassation accueillit le recours et annula
la décision du
26 avril 2004.
32. Le 14 février 2005, A.R. fut
renvoyé en jugement devant la cour d’assises de Bergame pour homicide
volontaire.
33. Par un arrêt du 20 avril 2006,
la cour d’assises modifia la qualification juridique des faits. Elle jugea qu’A.R.
était coupable d’homicide par imprudence et que des circonstances atténuantes
devaient être retenues en l’espèce à cause de son jeune âge et de son appartenance
à la police. Elle prononça un non-lieu au motif que les faits constitutifs de l’infraction
étaient prescrits.
34. Le passage pertinent de l’arrêt était
ainsi libellé :
(...) A.R. est coupable d’homicide par imprudence étant
donné que, pendant la poursuite des quatre fugitifs, il s’est engagé imprudemment
sur un talus en pente, sans lumière et avec son pistolet à la main, prêt à
tirer et qu’il a glissé et tiré un coup de feu qui a atteint la victime au dos,
causant ainsi son décès (...)
35. Selon la cour d’assises, A.R. avait
agi par imprudence dès lors qu’il avait décidé de faire usage de son arme. Les quatre hommes à bord de la voiture n’avaient
pas commis de crime violent, n’étaient pas dangereux et rien dans leur comportement
ne pouvait laisser penser qu’ils constituaient une menace pour les deux
policiers. De plus, les policiers ne savaient pas que la voiture avait été
volée. La cour d’assises en conclut que le comportement d’A.R. avait été
imprudent et dangereux.
36. La cour d’assises releva que les
déclarations des trois autres occupants de la voiture n’étaient pas crédibles et étaient contredites par de nombreux autres éléments, en
particulier par les déclarations
des policiers, par l’expertise balistique ainsi que par les taches de boue sur
le pantalon d’A.R. De plus, les trois passagers n’avaient pas participé au
procès. La cour d’assises rejeta la thèse des parties civiles et du ministère
public selon laquelle la scène où les faits s’étaient déroulés avait été altérée
par les deux policiers avant l’arrivée de l’ambulance. Pour elle, il était
invraisemblable que les policiers aient eu le temps de tirer à bout portant sur
les quatre fugitifs et de déplacer tout de suite, avec l’aide de son collègue,
le corps de Julian Alikaj.
37. Quant à la thèse du ministère public
selon laquelle les agents chargés des investigations avaient dissimulé les
preuves et modifié la scène du crime d’une manière favorable à leur collègue,
la cour d’assises jugea que ces accusations n’étaient fondées sur aucun
élément objectif.
38. Tout d’abord, la cour d’assises releva
que, s’agissant du nombre de coups de feu tirés, les déclarations des policiers
arrivés sur les lieux concordaient avec le nombre de cartouches restantes dans
les armes des deux policiers. Le fait que les douilles n’aient pas été retrouvées
était dû, selon les juges, à la structure du terrain qui était en forte pente
et à la dimension des douilles des pistolets automatiques. Quant à la
trajectoire du projectile mortel, la cour d’assises rappela que, selon les
experts nommés par elle et par les requérants, il était impossible de
déterminer la distance entre A.R. et Julian Alikaj.
De plus, elle releva qu’A.R. n’avait pas pu tirer sur Julian Alikaj à partir de l’autoroute, car le projectile avait
suivi une trajectoire du bas en haut.
39. Quant à l’état et à la position du
cadavre, la cour d’assises releva que, alors que certaines des photographies
prises montraient des taches de sang sur la bouche, ni le docteur qui confirma
le décès, ni le médecin qui pratiqua l’autopsie ne relevèrent une fracture des
dents. Elle expliqua en outre que l’absence de traces de sang sur les lieux du
crime était due au fait que le coup de feu avait provoqué une hémorragie pulmonaire.
Pour ce qui est des incohérences entre les photographies de la scène du crime et
le parcours emprunté par A.R. lors de la poursuite, elle rappela que la police
scientifique était arrivée en retard sur les lieux et qu’il était vraisemblable
que les policiers aient photographié des traces à un autre endroit que celui où
A.R. avait glissé.
40. Quant aux habits d’A.R. qui avaient
été saisis après les faits, la cour d’assises souligna que plusieurs témoins
avaient affirmé qu’à leur arrivée sur les lieux, la veste et le pantalon d’A.R.
étaient tachés de boue sur le côté gauche.
41. Toutefois, la cour d’assises considéra
que le choix de confier l’enquête à des agents appartenant à la même unité administrative
qu’A.R. n’était pas judicieux et était critiquable.
42. Le ministère public se pourvut en
cassation. Il tirait moyen de ce que la cour d’assises n’avait pas retenu
contre A.R. la circonstance aggravante d’un délit commis dans l’exercice des fonctions de policier.
43. Par un arrêt du
20 mars 2008, la Cour de cassation, estimant que la cour d’assises
avait motivé de façon logique et correcte tous les points controversés, déclara
le pourvoi irrecevable.
44. A une date non précisée, les
requérants déposèrent une plainte à l’encontre des médecins légistes pour faux.
Cette plainte fut classée sans suite.
45. Le 21 août 2008, les
requérants saisirent la cour d’appel de Venise,
demandant le dédommagement des préjudices que la durée de la procédure pénale
leur avait causés.
46. Par une décision du 31 mars 2010, la cour d’appel constata le
dépassement d’une durée raisonnable et accorda aux requérants conjointement
15 000 EUR pour dommage moral.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
1. Usage légitime des armes
47. L’article 53 du code pénal (« CP »)
prévoit que ne peut être sanctionné « l’officier public qui, dans l’exercice
d’un devoir relevant de sa fonction, fait usage ou ordonne de faire usage d’une
arme ou de tout autre moyen de coercition physique, quand il y est obligé par
la nécessité de repousser une violence ou de vaincre une résistance à l’autorité
et, en tout cas, s’il s’agit d’empêcher l’accomplissement de faits délictueux
tels que massacre, naufrage, submersion, désastre aéronautique, désastre
ferroviaire, homicide volontaire, vol
à main armée et enlèvement de personne (...). La loi prévoit d’autres
cas où l’usage des armes ou de tout autre moyen de coercition physique est
autorisé ».
2. Légitime défense
48. L’article 52 du CP prévoit que ne peut
être sanctionné « quiconque a commis une infraction pour y avoir été
contraint par la nécessité de défendre son droit ou le droit d’autrui contre le
danger actuel d’une atteinte injuste, à condition que la réaction de défense
soit proportionnée à l’atteinte ».
3. Excès involontaire
49. Aux termes de l’article 55 du CP, en
cas notamment de légitime défense ou d’usage légitime des armes, lorsque l’intéressé
a par imprudence (« colposamente ») dépassé
les limites établies par la loi, par la hiérarchie ou par la nécessité, son
comportement est punissable comme comportement involontaire, dans la mesure où
la loi le prévoit.
4. Délai de prescription
50. Aux termes de l’article 157 § 1, alinéa 4, du code pénal, tel qu’il était
formulé avant l’entrée en vigueur de la loi no 251 du 5 décembre
2005, le délai de prescription était de cinq ans si le délit était puni d’une peine de
réclusion inferieure à cinq ans. Il pouvait être prorogé de moitié du fait des
diverses interruptions de nature procédurale pouvant survenir au cours du
procès, mais il ne pouvait en aucun cas dépasser sept ans et demi à compter de la date du fait
délictueux.
Selon le deuxième paragraphe de ce même article,
pour déterminer le délai légal de la prescription, il fallait tenir compte de la peine maximale
prévue et des circonstances aggravantes et atténuantes, en appliquant, pour
celles-ci, l’augmentation maximale et la diminution minimale.
III. TEXTES
INTERNATIONAUX PERTINENTS
Principes de base de l’ONU sur le recours à la force
et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois
51. Adoptés le 7 septembre 1990 par le
huitième Congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement
des délinquants, ces principes disposent, en leurs parties pertinentes :
« 1. Les pouvoirs publics et les
autorités de police adopteront et appliqueront des réglementations sur le recours
à la force et l’utilisation des armes à feu contre les personnes par les
responsables de l’application des lois. En élaborant ces réglementations, les
gouvernements et les services de répression garderont constamment à l’examen
les questions d’éthique liées au recours à la force et à l’utilisation des
armes à feu.
2. Les gouvernements et les autorités de
police mettront en place un éventail de moyens aussi large que possible et
muniront les responsables de l’application des lois de divers types d’armes et
de munitions qui permettront un usage différencié de la force et des armes à
feu. Il conviendrait à cette fin de mettre au point des armes non meurtrières
neutralisantes à utiliser dans les situations appropriées, en vue de limiter de
plus en plus le recours aux moyens propres à causer la mort ou des blessures.
Il devrait également être possible, dans ce même but, de munir les responsables
de l’application des lois d’équipements défensifs tels que pare-balles, casques
ou gilets antiballes et véhicules blindés afin qu’il
soit de moins en moins nécessaire d’utiliser des armes de tout genre.
(...)
9. Les responsables de l’application des
lois ne doivent pas faire usage d’armes à feu contre des personnes, sauf en cas
de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de
mort ou de blessure grave, ou pour prévenir une infraction particulièrement
grave mettant sérieusement en danger des vies humaines, ou pour procéder à l’arrestation
d’une personne présentant un tel risque et résistant à leur autorité, ou l’empêcher
de s’échapper, et seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont
insuffisantes pour atteindre ces objectifs. Quoi qu’il en soit, ils ne
recourront intentionnellement à l’usage meurtrier d’armes à feu que si cela est
absolument inévitable pour protéger des vies humaines.
10. Dans les circonstances visées au
principe 9, les responsables de l’application des lois doivent se faire
connaître en tant que tels et donner un avertissement clair de leur intention d’utiliser
des armes à feu, en laissant un délai suffisant pour que l’avertissement puisse
être suivi d’effet, à moins qu’une telle façon de procéder ne compromette
indûment la sécurité des responsables de l’application des lois, qu’elle ne
présente un danger de mort ou d’accident grave pour d’autres personnes ou qu’elle
ne soit manifestement inappropriée ou inutile vu les circonstances de l’incident.
11. Une réglementation régissant l’usage
des armes à feu par les responsables de l’application des lois doit comprendre
des directives aux fins ci-après :
a) Spécifier les circonstances dans
lesquelles les responsables de l’application des lois sont autorisés à porter
des armes à feu et prescrire les types d’armes à feu et de munitions
autorisés ;
b) S’assurer que les armes à feu ne sont
utilisées que dans des circonstances appropriées et de manière à minimiser le
risque de dommages inutiles ;
c) Interdire l’utilisation des armes à feu
et des munitions qui provoquent des blessures inutiles ou présentent un risque injustifié ;
d) Réglementer le contrôle, l’entreposage
et la délivrance d’armes à feu et prévoir notamment des procédures conformément
auxquelles les responsables de l’application des lois doivent rendre compte de
toutes les armes et munitions qui leur sont délivrées ;
e) Prévoir que des sommations doivent être
faites, le cas échéant, en cas d’utilisation d’armes à feu ;
f) Prévoir un système de rapports en cas d’utilisation
d’armes à feu par des responsables de l’application des lois dans l’exercice de
leurs fonctions.
(...)
18. Les pouvoirs publics et les autorités
de police doivent s’assurer que tous les responsables de l’application des lois
sont sélectionnés par des procédures appropriées, qu’ils présentent les
qualités morales et les aptitudes psychologiques et physiques requises pour le
bon exercice de leurs fonctions et qu’ils reçoivent une formation
professionnelle permanente et complète. Il convient de vérifier périodiquement
s’ils demeurent aptes à remplir ces fonctions.
19. Les pouvoirs publics et les autorités
de police doivent s’assurer que tous les responsables de l’application des lois
reçoivent une formation et sont soumis à des
20. Pour la formation des responsables de l’application
des lois, les pouvoirs publics et les autorités de police accorderont une
attention particulière aux questions d’éthique policière et de respect des
droits de l’homme, en particulier dans le cadre des enquêtes, et aux moyens d’éviter
l’usage de la force ou des armes à feu, y compris le règlement pacifique des conflits,
la connaissance du comportement des foules et les méthodes de persuasion, de
négociation et de médiation, ainsi que les moyens techniques, en vue de limiter
le recours à la force ou aux armes à feu. Les autorités de police devraient
revoir leur programme de formation et leurs méthodes d’action en fonction d’incidents
particuliers.
(...) »
EN DROIT
52. Les requérants allèguent que le décès de
Julian Alikaj est dû à un usage excessif de la force.
Ils estiment que, les faits dénoncés étant survenus dans le cadre d’un contrôle
routier, la conduite du policier n’était pas « proportionnée au danger »
et que le recours à une arme à feu n’était pas « nécessaire ». Pour
eux, l’enquête conduite n’a pas été conforme aux exigences procédurales
découlant des articles 6 et 13 de la Convention. En particulier, elle n’aurait
pas été effective ni indépendante car, alors qu’elle concernait un policier,
A.R., plusieurs de ses actes auraient été confiés à certains collègues de cette
personne.
Les requérants considèrent que l’enquête menée a été déficiente.
Ils précisent que le dossier de l’enquête ne comportait aucun compte rendu d’un
quelconque examen de l’arme de service d’A.R., de ses munitions et de la
cartouche usagée ; que les photographies de la scène du crime ne semblaient
pas coïncider avec le parcours emprunté par A.R. lors de la poursuite ;
que cinquante-neuf photos n’avaient pas été versées au dossier ; que le
rapport d’expertise ne faisait pas état des blessures à la bouche et aux dents pourtant
visibles sur les photos prises du cadavre ; que la position de celui-ci ne
cadre pas avec le déroulement des faits tel que décrit par les juges ; qu’aucune
trace de sang n’a été retrouvée sur les lieux du crime et qu’il n’y a pas eu de
reconstitution des faits, avec mise en situation des parties impliquées. Les
requérants se plaignent également de la longueur de la procédure, qui aurait conduit
à la prescription du délit.
Les requérants voient une
violation de l’article 6 § 3 d) dans le refus par la cour d’assises de produire
certaines expertises de la partie civile en audience et d’entendre certains
témoins qui auraient pu at
Eu égard à la formulation des
griefs des requérants, la Cour décide de les examiner sous l’angle de l’article
2 de la
Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« 1. Le droit de toute personne à la
vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque
intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un
tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2. La mort n’est pas considérée comme
infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un
recours à la force rendu absolument nécessaire :
b) pour effectuer une arrestation régulière
(...)
53. Le Gouvernement combat cette thèse.
A. Sur
la recevabilité
54. La Cour constate que les griefs ne
sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.
Elle relève par ailleurs que la requête ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
a) Sur le volet matériel de l’article 2 de la Convention
1. Arguments des parties
i) Les requérants
55. Selon les requérants, les policiers en
cause ont utilisé leurs armes sans aucune nécessité. En effet, ils l’auraient
fait dans le cadre d’un contrôle routier normal et les quatre jeunes gens auraient
pris la fuite sans mettre en danger la sécurité des agents. Les requérants
rappellent que l’usage des armes de la part de la police ne peut être excessif
et incompatible avec les principes d’une société démocratique, et ne peut donc
trouver aucune justification valable qui le rende compatible avec la norme
conventionnelle qui protège le droit à la vie.
ii) Le Gouvernement
56. Le Gouvernement rappelle que le
policier A.R. a été mis en examen pour homicide volontaire et reconnu coupable
d’homicide par imprudence à l’issue d’une procédure judiciaire très complexe.
En l’espèce, les éléments factuels ont été vérifiés à suffisance. Toutefois, à
supposer qu’un doute puisse subsister quant à certains d’entre eux, en matière
pénale c’est à l’accusé et non à la victime que le doute doit profiter (in dubio pro reo). Ce principe
ne peut pas être remis en cause par une interprétation forcée de l’article 2.
En tout état de cause, il n’appartient pas à la Cour de se substituer aux
juridictions nationales pour apprécier le caractère concluant de tel ou tel
élément de preuve.
57. Le Gouvernement rappelle que la Cour
ne peut sans de bonnes raisons assumer le rôle de juge des faits incombant à la
première instance lorsque cela n’est pas rendu inévitable par les circonstances
de l’affaire dont elle se trouve saisie. Certes, lorsque des allégations sont
formulées sur le terrain de l’article 2 de la Convention, elle doit se livrer à
un examen particulièrement attentif, quand bien même certaines procédures et
investigations auraient déjà été menées au plan interne (Ramsahai et autres c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, § 357, CEDH
2007‑...).
Dans le cas d’espèce, le
Gouvernement est d’avis que l’enquête officielle a été menée de manière
approfondie et les conclusions de celle-ci sont détaillées.
58. D’après cette enquête, la mort n’a pas
été infligée intentionnellement, le coup de feu mortel étant la conséquence d’une
glissade avec l’arme chargée. De plus, s’agissant de la poursuite des fugitifs
avec les armes chargées, le Gouvernement soutient que, d’après les déclarations
de M.B., l’un des fugitifs, les policiers avaient découvert que la voiture
avait été volée, et qu’ils devaient donc poursuivre les quatre hommes en fuite.
Selon lui, un principe élémentaire de prudence exige de pouvoir disposer d’une
arme prête à l’usage lorsqu’on poursuit des suspects en terrain inconnu, où ces
derniers peuvent se cacher dans l’obscurité totale alors que les policiers sont
facilement repérables grâce à l’éclairage des feux de la route et des voitures.
59. Le Gouvernement estime que le recours,
involontaire, à la force par le policier A.R. a été rendu « absolument
nécessaire » pour assurer sa propre défense et effectuer une arrestation
régulière. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour (Bubbins c. Royaume-Uni, no 50196/99, § 139, CEDH
2005‑II (extraits)), il soutient
que celle-ci ne saurait substituer sa propre appréciation de la situation à
celle de l’agent qui a dû réagir, dans le feu de l’action, à ce qu’il percevait
sincèrement comme une situation dangereuse. A cet égard, il souligne que dans l’arrêt
Ramsahai
(précité), aucune violation n’a été constatée concernant un cas de mort causée intentionnellement,
alors même qu’aucun des témoins n’avait déclaré avoir vu la victime menacer le
policier avec un pistolet.
60. En conclusion, dans les circonstances
de la cause, l’action de l’agent A.R., bien que regrettable, ne peut pas tomber
dans le champ d’application de l’article 2 de la Convention, d’autant plus que
ce comportement a déjà été sanctionné au niveau interne.
2) Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
61. L’article 2, qui garantit le droit à
la vie, compte au nombre des articles primordiaux de la Convention et consacre
l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le
Conseil de l’Europe. La Cour doit examiner de façon extrêmement attentive les
allégations de violation de cette disposition. Dans les cas où des agents de l’Etat
font usage de la force, elle doit prendre en considération non seulement les
actes des agents ayant effectivement eu recours à la force mais également l’ensemble
des circonstances les ayant entourés, notamment le cadre juridique ou
réglementaire en vigueur ainsi que leur préparation et le contrôle exercé sur
eux (Makaratzis c. Grèce [GC], no
50385/99, §§ 56-59, CEDH 2004-XI).
62. Comme le montre le texte de l’article
2 § 2 lui-même, le recours à la force meurtrière par les policiers peut se
justifier dans certaines conditions. Tout usage de la force doit cependant être
rendu « absolument nécessaire », c’est-à-dire être strictement
proportionné dans les circonstances. Le droit à la vie revêtant un caractère
fondamental, les circonstances dans lesquelles il peut être légitime d’infliger
la mort appellent une interprétation stricte (Andronicou
et Constantinou c. Chypre, arrêt du 9 octobre
1997, §§ 171, 181, 186, 192 et 193, Recueil des arrêts et décisions
1997-VI, et McKerr c. Royaume-Uni, no
28883/95, §§ 108 et suiv., CEDH 2001-III).
63. Par conséquent, et eu égard à l’article
2 § 2 b) de la Convention, le but légitime d’effectuer une arrestation
régulière ne peut justifier de mettre en danger des vies humaines qu’en cas de
nécessité absolue. La Cour estime qu’en principe il ne peut y avoir pareille
nécessité lorsque l’on sait que la personne qui doit être arrêtée ne représente
aucune menace pour la vie ou l’intégrité physique de quiconque et n’est pas
soupçonnée d’avoir commis une infraction à caractère violent, même s’il peut en
résulter une impossibilité d’arrêter le fugitif (voir la démarche adoptée par
la Cour dans l’arrêt McCann et autres,
précité, §§ 146-150 et §§ 192-214, et, plus récemment, dans l’arrêt Makaratzis, précité, §§ 64-66 ; voir également Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96,
35532/97 et 44801/98, §§ 87, 96 et 97, CEDH 2001-II, dans lequel la Cour a
condamné l’usage des armes à feu contre des personnes non armées et non
violentes qui tentaient de quitter la République démocratique allemande).
64. Outre qu’il énonce les circonstances
pouvant justifier d’infliger la mort, l’article 2 implique le devoir primordial
pour l’Etat d’assurer le droit à la vie en mettant en place un cadre juridique
et administratif approprié définissant les circonstances limitées dans
lesquelles les représentants de l’application des lois peuvent recourir à la
force et faire usage d’armes à feu, compte tenu des lignes directrices internationales
en la matière (voir l’arrêt Makaratzis
précité, §§ 57-59 notamment les dispositions pertinentes des Principes de base
des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu
par les responsables de l’application des lois, paragraphe 50 ci-dessus).
Conformément au principe susmentionné de stricte proportionnalité, qui est
inhérent à l’article 2 (McCann et autres,
précité, § 149), le cadre juridique national régissant les opérations d’arrestation
doit subordonner le recours aux armes à feu à une appréciation minutieuse de la
situation et, surtout, à une évaluation de la nature de l’infraction commise
par le fugitif et de la menace qu’il représente.
65. De surcroît, le droit national
réglementant les opérations de police doit offrir un système de garanties
adéquates et effectives contre l’arbitraire et l’abus de la force, et même
contre les accidents évitables (Makaratzis,
précité, § 58). En particulier, les représentants de la loi doivent être formés
pour être à même d’apprécier s’il est ou non absolument nécessaire d’utiliser
les armes à feu, non seulement en suivant la lettre des règlements pertinents
mais aussi en tenant dûment compte de la prééminence du respect de la vie
humaine en tant que valeur fondamentale (voir les critiques formulées par la
Cour relativement à la formation des militaires qui avaient pour instruction de
« tirer pour tuer », McCann et
autres, précité, §§ 211-214).
b) Application des principes précités en l’espèce
66. Julian Alikaj
a été tué par balles par un membre de la police qui tentait de l’arrêter après sa
fuite consécutive à un contrôle routier. Par conséquent, l’affaire doit être
examinée sous l’angle de l’article 2 § 2 b) de la Convention.
67. La Cour observe qu’elle se trouve
confrontée à des versions divergentes de certains éléments de fait, notamment
sur la position exacte de la victime et d’A.R. au moment où le coup de feu
mortel a été tiré. Elle note néanmoins que les faits de l’espèce ont été
établis judiciairement au niveau interne (paragraphes 33 et suivants ci-dessus)
et qu’aucun élément du dossier de l’affaire n’est de nature à mettre en cause
les constatations de la cour d’assises et à conduire la Cour à s’en écarter (Klaas c. Allemagne, arrêt du 22 septembre
1993, § 30, série A no 269).
68. Ainsi, même si plusieurs faits
demeurent incertains, la Cour considère, à la lumière de l’ensemble des
documents qui lui ont été présentés, qu’il existe suffisamment d’éléments
factuels lui permettant d’apprécier l’affaire, en prenant pour point de départ
les constatations de la juridiction nationale évoquées ci-dessus.
69. La Cour relève que les juridictions
internes ont reconnu le policier A.R. coupable d’homicide par imprudence au
motif que, pendant la poursuite des quatre fugitifs, il s’était engagé imprudemment
sur un talus en pente, sans lumière et avec son pistolet à la main, prêt à
tirer, avant de glisser et de tirer un coup de feu qui a atteint la victime au
dos, causant ainsi son décès. La
cour d’assises a jugé qu’A.R avait agi par imprudence dès lors qu’il avait
décidé de faire usage de son arme. Toutefois,
en raison de la prescription, elle a prononcé un non-lieu à l’encontre de l’accusé.
70. La Cour rappelle également que le
policier A.R. a entrepris de poursuivre Julian Alikaj
et les trois autres personnes puis a sorti son arme et tiré un coup d’avertissement
dans le but de les arrêter et de contrôler leur identité, ceux-ci ayant refusé d’obtempérer aux policiers et
pris la fuite.
71. La Cour note
ensuite qu’il ressort de l’arrêt de la cour d’assises que la voiture dans
laquelle les fugitifs se trouvaient avait été volée, mais que cette circonstance
n’était pas connue, au moment des faits, d’A.R. ni de son collègue. Néanmoins,
les deux policiers ont affirmé que la vitesse à laquelle roulait la voiture
conduite par Julian Alikaj leur avait parue suspecte.
72. Toutefois, il n’a pas été allegué en l’espèce que les policiers eussent des raisons
de penser que les personnes à bord de la voiture avaient commis des crimes
violents, qu’ils étaient dangereux ou que leur non-arrestation aurait eu des
conséquences néfastes irréversibles. Les quatre hommes n’étaient pas armés et
rien dans leur comportement ne pouvait laisser penser qu’ils constituaient une
menace pour les deux policiers.
73. La Cour estime que, dans de telles
circonstances, en courant à la poursuite des fugitifs le pistolet à la main,
sur un sol glissant à cause de la pluie, en pleine nuit, le policier mettait en
danger leur vie.
Comme elle l’a dit ci-dessus,
le recours à une force potentiellement meurtrière ne saurait passer pour « absolument
nécessaire » lorsque l’on sait que la personne qui doit être appréhendée
ne représente aucune menace pour la vie ou l’intégrité physique d’autrui et n’est
pas soupçonnée d’avoir commis une infraction à caractère violent.
De
surcroît, la Cour note que le Gouvernement ne s’est pas référé à des
dispositions détaillées réglementant l’usage des armes à feu pendant les
actions policières. Au comportement imprudent de l’agent de l’Etat responsable
de l’action meurtrière s’ajoute donc un manque de règlementation de l’usage des
armes - de la part de l’Etat défendeur - qui pose problème à l’égard de l’article
2 de la Convention.
74. La Cour attache une importance
particulière aux conclusions de la cour d’assises, qui a estimé que le policier
n’avait pas agi avec la précaution nécessaire lorsqu’il a poursuivi les
fugitifs son arme à la main.
75. En effet, la Cour estime qu’il n’était
pas strictement nécessaire qu’A.R. tienne son arme à la main et garde le doigt
sur la détente lors de cette poursuite. Elle considère que cet agent n’a pas
pris toutes les précautions suffisantes pour préserver la vie de Julian Alikaj. En particulier, elle ne saurait admettre qu’au vu
des circonstances de l’espèce, le policier ait pu raisonnablement penser que
les passagers de la voiture étaient dangereux et qu’il lui fallait dès lors
sortir son arme pour en faire éventuellement usage et empêcher leur fuite.
76. La Cour considère que, au vu du
déroulement de l’opération en l’espèce, les autorités n’ont pas manifesté la
vigilance voulue pour que toute mise en danger de Julian Alikaj
comme des autres personnes qui se trouvaient sur les lieux de l’incident fût
réduite au minimum. Elles ont ainsi fait preuve de négligence dans le choix des
mesures prises (voir, a contrario, Bubbins
c. Royaume-Uni, précité, §§ 141-150), dans un contexte d’absence de règlementation précise sur l’usage des armes à
feu par les forces de maintien de l’ordre.
77. Il s’ensuit qu’il y a eu violation
de l’article 2 de la Convention
à cet égard.
b) Sur le volet procédural de l’article 2 de la Convention
1. Arguments des parties
i) Les requérants
78. Les requérants con
79. Les requérants font valoir que les
douilles ont disparu et que rien n’a été fait pour les retrouver. A l’appui de
leur thèse, ils produisent une copie de l’audition de l’inspecteur de la police
scientifique, lequel a affirmé qu’un détecteur était disponible, mais que les
policiers avaient jugé bon de ne pas l’utiliser parce que les douilles avaient
disparu et qu’il n’y avait aucune chance de les retrouver. Selon eux, il s’agit
d’une négligence de la part des enquêteurs.
80. Quant au fait que l’enquête a été conduite
par les agents appartenant au même service qu’A.R., les requérants se reportent
aux conclusions de la cour d’assises sur ce point.
81. S’agissant de la saisie des armes, les
requérants relèvent que le ministère public est arrivé sur les lieux environ
deux heures après les faits et que, bien qu’il ait ordonné la saisie des
pistolets, les deux armes n’ont jamais été déposées au bureau du tribunal.
82. Les requérants con
83. Quant à l’identification du cadavre,
les requérants disent ne pas avoir pu participer à l’autopsie parce que la sœur
de Julian Alikaj n’a été informée de son décès que le
lendemain et qu’elle n’avait pu nommer un médecin pour participer à l’autopsie.
Contrairement à ce que dit le Gouvernement, les requérants rappellent que
pendant l’audience du 23 septembre 2002, ils ont interrogé le médecin
légiste au sujet des blessures à la bouche. Ils affirment que l’autopsie a été conduite
de manière superficielle et incomplète.
84. S’agissant de l’endroit où se trouvait
le cadavre, les requérants disent qu’il n’y a aucun doute qu’il a été déplacé
par les deux agents, comme le montre la trajectoire du projectile, de bas en
haut, et par la position du cadavre.
85. Les requérants affirment que la scène
du crime a été altérée par les agents et par leur supérieur hiérarchique afin
de confirmer la thèse de la chute et de l’homicide par imprudence. Ils disent ne
pas avoir eu droit à un procès équitable.
ii) Le Gouvernement
86. Le Gouvernement soutient que les
agents qui ont conduit l’enquête n’appartenaient pas à la même unité
administrative que le policier A.R. Il affirme que les agents qui se sont
rendus sur la scène du crime pour effectuer les premiers actes d’investigation étaient
des membres de la brigade mobile de la préfecture de la police de Bergame et de
la section de la police scientifique de Bergame, des carabiniers de Grumello del Monte ainsi que le
procureur de la république de Bergame, alors que les policiers impliqués dans
le décès de Julian Alikaj appartenaient au bureau de
la police routière de Seriate.
87. Le Gouvernement affirme que l’enquête
de police a été menée sous la supervision du substitut du procureur de Bergame,
qui n’avait aucun lien avec le corps de police auquel le policier A.R. et son
collègue appartenaient. En effet, ces derniers faisaient partie de la police
routière, chargée de tâches de police administrative et non judiciaire. Selon
le Gouvernement, l’impartialité du procureur ne peut pas être mise en cause car
celui-ci a toujours soutenu la thèse de l’homicide volontaire et non celle de l’homicide
par imprudence, qui a été ensuite retenue par la cour d’assises.
88. Le Gouvernement soutient qu’un laps de
temps insignifiant de quelques minutes s’est écoulé entre le décès de Julian Alikaj et l’intervention des enquêteurs, comme le confirment
les déclarations des autres fugitifs, qui ont témoigné qu’ils avaient attendu
leur compagnon mais que, voyant arriver l’ambulance et les voitures de police,
ils avaient préféré s’enfuir. Dans ce laps de temps, les policiers n’ont pas eu
la possibilité de modifier l’état des lieux en traînant le corps de la victime,
en faisant disparaître les douilles et en salissant l’uniforme d’A.R.
89. Quant aux douilles qui n’ont jamais été
retrouvées, le Gouvernement affirme qu’à cette époque la police ne disposait
pas de détecteurs de métaux. De surcroît, il rappelle que la plainte pour faux déposée
à l’encontre des agents de la police scientifique a été ultérieurement classée.
A la lumière de ces éléments, il conclut que les investigations n’ont pas manqué
d’impartialité.
90. Quant à l’ampleur et au sérieux des
investigations et à l’exigence de célérité de celles-ci, le Gouvernement
observe que l’autorité judiciaire n’a fait l’économie d’aucun moyen pour
établir les faits et a eu recours dans ce but aux ressources technologiques les
plus avancées tout comme à des méthodes plus traditionnelles. Cette exigence aurait
également été respectée lors de la recherche des preuves, notamment au vu des
éléments suivants : immédiatement après les faits, la scène du délit a été
isolée et préservée ; des objets pertinents ont tout de suite été
identifiés et saisis ; l’autopsie a été pratiquée dans les vingt-quatre
heures ; les principaux acteurs et témoins ont été entendus immédiatement
(y compris les fugitifs qui se sont rendus à la police le lendemain) ; les
autres témoins ont été entendus ultérieurement ; de nombreuses expertises
– balistiques, médico-légales ou autres (par exemple sur les vêtements ou les
lieux) – ont été effectuées aussi bien pendant l’enquête qu’au cours des
débats. A cet égard, le Gouvernement rappelle que la cour d’assises a mandaté
deux experts afin d’examiner les actes et conclusions de la police
scientifique.
91. Quant aux douilles qui n’ont jamais été
retrouvées, le Gouvernement soutient que leur recherche était difficile et inutile
car leur éventuelle découverte n’aurait apporté aucune information
supplémentaire pertinente permettant de tirer une conclusion différente sur le
déroulement des faits. Il ajoute que, de toute manière, une telle recherche n’a
jamais été sollicitée par les requérants.
92. Les requérants auraient bénéficié d’un
accès aux informations et ils ont pu participer à la procédure de manière
effective en se faisant représenter par des avocats et experts de leur choix. Par
ailleurs, ils n’ont pas profité de la possibilité qu’ils avaient de participer
à l’autopsie et ils n’ont pas interrogé le médecin légiste lors de son audition
au cours des débats. Ils ont mandaté des experts en balistique et en médecine
légale dont les rapports ont été versés au dossier.
93. En conclusion, le Gouvernement estime
que l’enquête a été effective et que les obligations procédurales découlant de
l’article 2 de la Convention ont été respectées.
a) Principes généraux
94. Lorsqu’il y a eu mort d’une personne dans des circonstances
susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat, l’obligation de protéger le droit à la vie lui impose d’assurer, par tous les moyens dont
il dispose, une réaction adéquate – judiciaire ou autre – pour que le cadre
législatif et administratif mentionné ci-dessus soit effectivement mis en œuvre
et pour que, le cas échéant, les violations du droit en jeu soient réprimées et
sanctionnées (voir, mutatis mutandis, Paul et Audrey Edwards c.
Royaume-Uni, no
46477/99, § 54, CEDH 2002‑II).
Les exigences de l’article 2 s’étendent au-delà du stade de l’enquête
officielle, lorsqu’en l’occurrence celle-ci a entraîné l’ouverture de
poursuites devant les juridictions nationales : c’est l’ensemble de la
procédure, y compris la phase de jugement, qui doit satisfaire aux impératifs
de l’obligation positive de protéger la vie par la loi (Öneryıldız c.
Turquie [GC], no
48939/99, § 95, CEDH 2004‑XII).
95. L’article 2 ne peut pas être interprété comme impliquant,
en tant que tel, un droit pour un requérant de faire poursuivre ou condamner au
pénal des tiers, ou une obligation de résultat prévoyant que toute poursuite
doit se solder par une condamnation, voire par le prononcé d’une peine
déterminée. En revanche, les juridictions nationales ne doivent en aucun cas
laisser impunies des atteintes à la vie. Cela est indispensable pour maintenir
la confiance du public et assurer son adhésion à l’Etat de droit ainsi que pour
prévenir toute apparence de tolérance d’actes illégaux, ou de collusion dans
leur perpétration (Öneryıldız, précité, § 96, et Dölek
c. Turquie, n no 39541/98, § 75, 2 octobre 2007).
96. D’une manière générale, on peut considérer
que pour qu’une enquête sur une allégation d’homicide illicite commis par des
agents de l’Etat soit effective, il faut que les personnes qui en sont chargées
soient indépendantes des personnes impliquées (voir, par exemple, Güleç c. Turquie, arrêt du 27 juillet
1998, §§ 81-82, Recueil 1998-IV, et Oğur c. Turquie [GC],
no 21954/93, §§ 91-92, CEDH 1999-III). Cela suppose non seulement l’absence
de tout lien hiérarchique ou institutionnel mais également une indépendance
pratique (Ramsahai précité, § 325, McKerr
c. Royaume-Uni, no 28883/95, § 128, CEDH
2001-III ; Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no 24746/94,
§ 120, CEDH 2001-III ; Aktaş c.
Turquie, no 24351/94, § 301, CEDH 2003-V).
97. L’enquête doit également être
effective en ce sens qu’elle doit permettre de déterminer si le recours à la
force était justifié ou non dans les circonstances (Oğur c.
Turquie [GC], no
21594/93, § 87, CEDH 1999‑III,) et d’identifier
et de sanctionner les responsables. Les autorités doivent avoir pris les
mesures raisonnables dont elles disposaient pour assurer l’obtention des
preuves relatives aux faits en question, y compris, entre autres, les
dépositions des témoins oculaires et des expertises médicolégales. Les
conclusions de l’enquête doivent se fonder sur une analyse approfondie,
objective et impartiale de l’ensemble des éléments pertinents et doivent
appliquer un critère comparable à celui de la « nécessité absolue »
énoncé à l’article 2 § 2 de la Convention. Toute carence de l’enquête
affaiblissant sa capacité à établir les circonstances de l’affaire ou les
responsabilités risque de faire conclure qu’elle ne répond pas à la norme
requise d’effectivité (Kelly et autres c. Royaume-Uni, no 30054/96,
§§ 96-97, 4 mai 2001, et Anguelova c.
Bulgarie, no 38361/97, §§ 139 et 144, CEDH 2002‑IV).
98. Une exigence de célérité et de
diligence raisonnable est implicite dans ce contexte (Yaşa
c. Turquie, 2 septembre 1998, §§ 102-104, Recueil 1998-VI ; Cakıcı précité, §§ 80, 87 et
106 ; Tanrıkulu précité, §
109 ; Mahmut Kaya c. Turquie, no 22535/93, §§ 106-107,
CEDH 2000-III). Force est d’admettre qu’il peut y avoir des obstacles ou des
difficultés empêchant l’enquête de progresser dans une situation particulière.
Toutefois, une réponse rapide des autorités lorsqu’il s’agit d’enquêter sur le
recours à la force meurtrière peut généralement être considérée comme
essentielle pour préserver la confiance du public dans le respect du principe
de légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance
relativement à des actes illégaux.
99. La Cour rappelle que lorsqu’un agent
de l’Etat est accusé d’actes contraires aux articles 2 ou 3, la procédure ou la
condamnation ne saurait être rendue caduque par une prescription et l’application
de mesures telles que l’amnistie ou la grâce ne saurait être autorisée (voir, mutatis
mutandis, Abdülsamet Yaman c. Turquie, no
32446/96, § 55, 2 novembre 2004, Okkalı c.
Turquie, no 52067/99,
§ 76, CEDH 2006‑XII (extraits)).
b) Application des principes précités en l’espèce
100. Plusieurs dysfonctionnements de l’enquête
ont été signalés par les requérants. La Cour n’estime pas devoir se livrer à
une analyse de tous les points soulevés car, comme elle l’a rappelé plus haut,
toute déficience de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir la cause ou
les personnes responsables du décès risque de faire conclure qu’elle ne
satisfait pas à l’obligation procédurale découlant de l’article 2 (Aktaş précité, § 300).
101. La Cour souligne les points suivants. Les
premiers actes de l’enquête, à savoir l’examen technique du lieu de l’incident,
la recherche des douilles, ainsi que la vérification et la saisie des armes des
policiers, ont été effectués par le corps de police auquel l’agent A.R.
appartenait. En particulier, le premier policier à être arrivé sur les lieux était
le supérieur hiérarchique d’A.R. Il est évident qu’il existait donc un lien
hiérarchique entre les enquêteurs et le policier impliqué.
102. Après que le parquet eut assumé la
direction de l’enquête, d’autres investigations ont été menées par d’autres
corps de police. La Cour note à cet égard que le parquet est arrivé sur les
lieux environ deux heures après les faits.
103. La Cour a conclu, dans une affaire
précédente, à la violation de l’article 2 considéré sous son aspect procédural
au motif qu’une enquête au sujet d’un décès survenu dans des circonstances
engageant la responsabilité de l’autorité publique avait été menée par les
collègues directs des personnes soupçonnées d’être les responsables du décès (Aktaş,
précité, § 301). Dans d’autres affaires, elle a jugé que la supervision
par une autre autorité, quelque indépendante qu’elle fût, ne constituait pas
une garantie suffisante d’indépendance de l’enquête (Hugh Jordan,
précité, § 120, et McKerr, précité, §
128).
104. S’il est vrai qu’obliger la police
locale à demeurer passive jusqu’à l’arrivée d’enquêteurs indépendants risque d’entraîner
la perte ou la destruction de preuves importantes, le Gouvernement n’a mis en
exergue aucune circonstance spéciale qui, en l’espèce, aurait exigé de la
police locale une action immédiate au-delà de la sécurisation des lieux. Il n’est
toutefois pas nécessaire que la Cour se penche sur cette question dans l’abstrait.
105. La Cour note également que la cour d’assises
a condamné le choix de confier les premiers actes de l’enquête à des agents
appartenant à la même unité administrative qu’A.R. (paragraphe 41 ci-dessus).
106. A eux seuls, ces motifs sont
suffisants pour amener la Cour à conclure à la violation de l’article 2 de la
Convention à raison du caractère insuffisamment indépendant de l’enquête de
police.
107. La Cour note également que, onze ans
après la mort de Julian Alikaj, la cour d’assises, après
avoir reconnu A.R. coupable d’homicide par imprudence, a prononcé un non-lieu
au motif que les faits constitutifs de l’infraction étaient prescrits.
108. La Cour remarque que les démarches
entreprises en l’espèce par les autorités chargées de l’enquête préliminaire à
la suite de la mort de Julian Alikaj et par les juges
du fond pendant le procès ne prêtent pas à controverse. Cependant, compte tenu
de l’exigence de célérité et de diligence raisonnable, implicite dans le
contexte des obligations positives en cause (voir, parmi d’autres, McKerr, précité, §§ 113-114, et, mutatis mutandis,
Yaşa, précité, §§ 101-103), il suffit d’observer
que l’application de la prescription relève sans con
109. La Cour note toutefois que les
requérants se sont pourvus en cassation, tirant moyen de ce que, en
requalifiant les faits en homicide par imprudence, la cour d’assises avait appliqué
des circonstances atténuantes et non la circonstance aggravante du fait commis
dans l’exercice de la fonction de policier, mais que la Cour de cassation a
rejeté leur pourvoi.
110. Elle note en outre qu’aucune sanction
disciplinaire n’a été infligée au policier A.R.
111. En conséquence, la Cour estime que,
loin d’être rigoureux, le système pénal tel qu’il a été appliqué en l’espèce ne
pouvait engendrer aucune force dissuasive propre à assurer la prévention efficace
d’actes illégaux tels que ceux dénoncés par les requérants. Dans les
circonstances particulières de l’affaire, elle parvient ainsi à la conclusion
que l’issue de la procédure pénale litigieuse n’a pas offert un redressement
approprié de l’atteinte portée à la valeur consacrée à l’article 2 de la
Convention.
112. Dès lors, il y a eu violation de l’article
2 de la Convention en son volet procédural.
113. Ayant abouti à cette conclusion, la
Cour n’estime pas devoir examiner les autres défaillances de l’enquête
alléguées par les requérants.
c) Sur les autres violations alléguées
114. Les requérants voient
une violation de l’article 6 § 3 d) dans le refus par la cour d’assises de
produire certaines expertises de la partie civile en audience et d’entendre
certains témoins qui auraient pu at
115. Eu
égard aux circonstances de l’espèce et au raisonnement qui l’a conduite à
constater la violation de l’article 2 de la Convention, la Cour estime qu’il n’y
a pas lieu d’examiner la recevabilité et le fond de la requête sous l’angle de
ces articles.
III SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA
CONVENTION
116. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la
Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement
les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
117. Les requérants demandent 466 279, 95 EUR pour le préjudice matériel qu’ils
auraient subi. Ce montant se ventile comme suit :
– 399 187 EUR
du fait de la perte de l’exploitation agricole résultant du décès de Julian Alikaj ;
– 15 750 EUR du
fait de la perte de revenus pour la mère de Julian Alikaj ;
et
– 15 000 EUR pour
les dépenses funéraires ;
Les requérants réclament en outre
pour préjudice moral, 100 000 EUR pour le père de Julian Alikaj, 150 000 EUR pour la mère et 30 000 pour
chacune de ses sœurs.
118. Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions.
Il fait valoir qu’elles sont injustifiées et extravagantes et que les requérants
n’ont pas prouvé un quelconque lien de causalité entre la violation en question
et le dommage matériel et moral allégué. Selon lui, un éventuel constat de
violation constituerait en soi une satisfaction équitable.
119. S’agissant d’abord du préjudice qui
résulterait de la cessation d’une l’exploitation agricole et d’une perte de
revenu pour la mère de Julian Alikaj, la Cour n’aperçoit
pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel ainsi
allégué et rejette cette demande.
120. S’agissant du remboursement des
dépenses funéraires, en l’absence de pièces justificatives et statuant en
équité, la Cour accorde aux requérants conjointement 5 000 EUR à ce titre.
121. S’agissant du dommage moral, compte
tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, la Cour admet que les
requérants ont subi un préjudice moral que les constats de violation ne
sauraient réparer.
122. Statuant en équité, comme le veut l’article
41 de la Convention, et compte tenu des liens familiaux existants entre les
requérants et la victime, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer 50 000 EUR
à la première requérante Antoneta Alikaj,
50 000 EUR au deuxième requérant Bejko Alikaj et 15 000 EUR à chacune des requérantes Vojsava Alikaj et Anita Alikaj, pour dommage moral.
B. Frais et dépens
123. Les
requérants demandent également 24 138
EUR pour leurs frais et dépens engagés devant
les juridictions internes, 5 180 EUR pour leurs frais de séjour en Italie et 7 080 EUR pour frais de déplacement en Italie.
A titre de justificatifs, ils ont produit plusieurs billets de train et d’avion
ainsi que plusieurs quittances d’honoraires. Eu égard aux frais de
procédure devant la Cour, ils ne présentent aucune demande.
124. Le
Gouvernement s’oppose à ces prétentions et fait remarquer qu’elles ne
sont étayées par aucun justificatif.
125. Selon la jurisprudence de la Cour, un
requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la
mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère
raisonnable de leur taux. Compte tenu des documents en sa possession et des
critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’accorder aux requérants, conjointement,
la somme de 20 000 EUR, tous frais confondus.
C. Intérêts moratoires
126. La Cour juge approprié de calquer le
taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de
pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 sous son volet procédural ;
4. Dit
qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain des articles 6 et 13 de
la Convention ;
5. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser aux
requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu
définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les
sommes suivantes:
i. 5 000 EUR
(cinq mille euros) aux requérants conjointement plus tout montant pouvant être
dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage matériel ;
ii. 50 000 EUR
(cinquante mille euros) à la première requérante Antoneta
Alikaj, 50 000 EUR (cinquante mille euros) au
deuxième requérant Bejko Alikaj,
15 000 EUR (quinze mille euros) à chacune des requérantes Vojsava Alikaj et Anita Alikaj, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt
sur ces sommes, pour dommage moral ;
iii. 20 000 EUR (vingt
mille euros) conjointement, plus tout montant pouvant être dû par les
requérants à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration
dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt
simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque
centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points
de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction
équitable pour le surplus.
Fait en
français, puis communiqué par écrit le 29 mars 2011, en application de l’article
77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Françoise
Tulkens
Greffier Président