Corte
europea dei diritti dell’uomo
(Quinta
Sezione)
28 giugno 2012
Requêtes nn. 15054/07 et 15066/07
AFFAIRE RESSIOT ET AUTRES
c. FRANCE
STRASBOURG
Cet arrêt
deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2
de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
Dans l’affaire Ressiot et autres c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Dean Spielmann, président,
Mark Villiger,
Karel Jungwiert,
Boštjan
M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
Angelika
Nußberger,
André Potocki, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 juin 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine
de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos
15054/07 et 15066/07) dirigées contre la République française et dont cinq ressortissants de cet Etat, M. Damien Ressiot et Mme
Dominique Issartel et MM. Labbé et Decugis et Mme Recasens
(« les requérants »), ont saisi la Cour le 27 mars 2007 en
vertu de l’article 34 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la
Convention »).
2. Les requérants sont représentés respectivement par Me B.
Ader et Me R. Le Gunehec, avocats à
Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par
son agent, Mme E. Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère
des Affaires étrangères.
3. Les
requérants alléguent en particulier une violation de l’article 10 de la
Convention et notamment du principe du secret des sources des journalistes.
4. Le 18
mars 2010, le président de la cinquième section
a décidé de communiquer les requêtes au
Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1
de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se
prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
5. Tant les
requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la
recevabilité et le fond de la requête. En outre, une contribution commune a été
reçue de deux organisations non gouvernementales, le syndicat national des
journalistes et la fédération internationale des journalistes, représentés
devant la Cour par Me A. Guedj, avocat à
Paris, qui avaient été autorisés par le président à intervenir dans la
procédure écrite en tant que tierces parties (articles 36 § 2 de la Convention
et 44 § 2 du règlement de la Cour alors en vigueur).
EN FAIT
I. LES
CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Les requérants sont nés respectivement en 1964,
1967, 1967, 1963 et 1970. Les deux premiers requérants résident à
Ormesson-sur-Marne et à Meudon respectivement. Les trois autres requérants sont
domiciliés au siège de l’hebdomadaire Le
Point, à Paris.
7. Ces
requêtes portent sur des investigations menées dans les locaux des journaux L’Équipe (quotidien sportif) et Le Point (hebdomadaire). Les requérants
sont cinq journalistes écrivant dans ces journaux à l’époque des faits.
8. En 2004,
une instruction judiciaire fut diligentée concernant le dopage éventuel de
coureurs cyclistes appartenant à l’équipe « Cofidis ».
9. L’hebdomadaire
Le Point daté du 22 janvier 2004, publia
un article signé des troisième, quatrième et cinquième requérants. Cet article
reprenait in extenso certains
passages des procès-verbaux de transcriptions d’écoutes téléphoniques
pratiquées dans le cadre de l’enquête diligentée par la brigade des stupéfiants
pour usage de substances prohibées mettant en cause un soigneur et des coureurs
cyclistes ayant appartenu ou appartenant à l’équipe « Cofidis ».
10. Le 29 janvier,
un nouvel article parut dans Le Point
sous la signature des mêmes journalistes. Il donnait la liste des produits
découverts chez un ancien coureur cycliste lors d’une perquisition effectuée le
13 janvier précédent.
11. Le 2
février 2004, une enquête préliminaire fut ouverte par l’Inspection générale
des services (IGS) de la police nationale à la suite à cette publication.
12. Le 4
février 2004, le parquet de Nanterre demanda à l’IGS une enquête visant les
mêmes faits.
13. Le chef de
la brigade des stupéfiants, entendu sur ces faits le 3 février 2004, donna
les noms des six fonctionnaires chargés de l’enquête sur les faits de dopage et
ceux de deux autres fonctionnaires qui avaient eu des contacts avec les
journalistes du Point, début 2003,
dans le cadre d’un reportage sur la brigade.
Un autre fonctionnaire de police, entendu le 9 février suivant, remit à
cette occasion le relevé détaillé de ses communications téléphoniques. Ce
relevé permit d’établir, dès cette date, que ce lieutenant de police avait eu
des contacts répétés avec le troisième requérant.
14. Le 11
février 2004, l’IGS adressa des réquisitions notamment aux opérateurs
téléphoniques afin d’obtenir les factures détaillées des appels sortants et
entrants à partir des vingt-huit postes utilisés par les dix policiers en cause.
Les réponses des opérateurs furent fournies les 16 et 20 février 2004.
15. Les 5 et 10 mars 2004, des demandes
identiques furent faites concernant les numéros de téléphone des trois
journalistes et le numéro du standard du Point.
Les réponses furent apportées les 9 et 17 mars 2004.
16. Un tableau
général des conversations téléphoniques entre les policiers et les journalistes
fut dressé le 31 mars 2004 à partir de l’ensemble des communications des
policiers concernés.
17. Au vu de
ces éléments, la procédure fut transmise au procureur de la République de
Nanterre à une date non précisée.
18. Le 8 avril
2004, les sociétés Cofidis et Cofidis
compétition délivrèrent une assignation en référé concernant un article qui
devait paraître le lendemain dans le journal l’Équipe. Elles invoquaient le caractère injurieux des propos,
une atteinte portée à la présomption d’innocence et au secret de l’instruction.
Par ordonnance du 13 avril 2004, le tribunal de grande instance de Nanterre
débouta les demanderesses de leur action.
19. Les 9 et 10
avril 2004, le quotidien L’Équipe
publia une série d’articles portant sur le même sujet et reproduisant in extenso des parties des
procès-verbaux et des pièces de procédure.
20. Le 15 avril
2004, les sociétés Cofidis et Cofidis
compétition portèrent plainte avec constitution de partie civile contre X du
fait de violation du secret de l’information et recel.
21. Le juge d’instruction
chargé du dossier de dopage fut entendu le 3 octobre 2004. Il fournit aux
enquêteurs diverses pièces de procédure dont des interrogatoires, auditions et
retranscriptions d’écoutes téléphoniques.
22. Le 22
septembre 2004, le magistrat instruisant les faits de violation du secret de l’instruction
et recel délivra une commission rogatoire à l’IGS pour poursuivre l’enquête
concernant l’article paru dans Le Point
le 22 janvier 2004.
Le 24 septembre 2004, le juge d’instruction délivra une commission
rogatoire concernant les faits reprochés aux journalistes de l’Équipe, en exécution de laquelle les
deux premiers requérants ainsi qu’un autre journaliste et le directeur adjoint
de la rédaction furent entendus par la brigade criminelle.
Par commission rogatoire du 5 octobre 2004, il fit mettre sous surveillance
les téléphones portables de trois policiers et du troisième requérant pour une
durée d’un mois.
23. Les deux
premiers requérants furent entendus les 7 et 9 octobre 2004 et fournirent les numéros
de téléphone et de télécopies qu’ils utilisaient respectivement au journal. Sur
réquisition adressée à l’opérateur en décembre 204, les enquêteurs obtinrent le
listing des appels émis et reçus sur ces lignes entre le 29 mars et le 8 avril
2004.
24. L’enquête
menée par l’IGS fut jointe à la procédure le 22 octobre 2004.
25. Entre le 20
octobre et le 25 novembre 2004, des auditions de douze policiers, des trois
requérants journalistes au Point et
du directeur du Point eurent lieu.
26. Le 10
janvier 2005, le juge d’instruction rendit une ordonnance de transport sur les
lieux des sièges des journaux L’Équipe
et Le Point afin de procéder à une
perquisition pour retrouver la trace de procès-verbaux « détournés ».
Ces deux perquisitions eurent lieu simultanément le 13 janvier 2005 et
furent conduites par deux juges différents.
Des perquisitions furent effectuées le même jour aux domiciles des deux
premiers requérants. Aucune précision n’a été apportée à leur sujet.
27. Dans les
locaux du journal Le Point, il fut
décidé de ne pas procéder sur le champ à une recherche des fichiers de l’ordinateur
du troisième requérant pour ne pas bloquer le serveur informatique du journal. Celui-ci
fut donc saisi et placé sous scellés en vue d’une étude des fichiers et fut
restitué dans les heures qui suivirent. La liste de la messagerie du quatrième
requérant fut éditée et également placée sous scellés. Son ordinateur fut saisi
dans les mêmes conditions et aux mêmes fins que celui du troisième requérant.
28. A une date qui n’a pas été précisée,
les numéros de télécopie des premier et deuxième requérants, ainsi que celui du
journal L’Équipe firent ensuite l’objet
de réquisitions en vue de l’établissement de listings des appels entrants et
sortants.
29. Le 1er
février 2005, un coureur cycliste mis en cause dans l’affaire de dopage se
constitua partie civile du fait des violations du secret de l’instruction qui
avaient entraîné, selon lui, une atteinte à la présomption d’innocence dont il
aurait dû bénéficier.
30. Le 9 mars
2005, la continuation de la commission rogatoire du 22 septembre 2004 fut
adressée au juge d’instruction. Elle comportait de nombreuses recherches
téléphoniques et des auditions supplémentaires, notamment de quinze policiers
dont les noms étaient apparus à l’occasion des investigations les plus
récentes.
31. Le 1er
juillet 2005, le juge d’instruction transmit le dossier au parquet pour que
celui-ci fasse ses réquisitions en vue de la mise en examen des cinq requérants
pour recel de violation du secret de l’instruction.
32. Dans son numéro daté des 2-3 octobre
2005, le quotidien Le Monde publia un
entretien avec le juge ayant instruit cette affaire. Il s’y exprimait notamment
comme suit :
« Le
parquet m’a peu épaulé dans cette enquête. П a surtout été suiveur. Pour le ministère de la
justice, Cofidis n’était pas une affaire prioritaire.
Ce qui est important dans un parquet aujourd’hui est ce qui touche à l’ordre
public et qui est de nature à déranger l’establishment.
Aussi
médiatique fût-elle, l’affaire Cofidis n’intéressait
personne sur le plan judiciaire. Elle posait pourtant un vrai problème de santé
publique dans le sport. » ...
A la
question « Des complications particulières ont-elles émaillé l’enquête ? »
le juge d’instruction répondit :
« Le vrai problème de cette enquête est que je n’ai pas pu m’appuyer sur des
services de police de pointe. Le groupe surdose et dopage de la brigade des
stupéfiants de Paris manquait d’expérience. La politique pénale générale de la
préfecture de police privilégie les affaires de stupéfiants sur voie publique
et autres. Je n’avais jamais eu un dossier avec autant de problèmes de
procédures ou de management. Aucune perquisition n’a été faite ni chez Cédric
Vasseur ni chez Philippe Gaumont ! Il y a eu ensuite les fausses signatures de
procès-verbaux, les cheveux mélangés, les scellés placés dans une mauvaise enveloppe...
Au bout du compte, le groupe a été dissous et plus personne ne voulait terminer
les investigations. Le dossier était devenu un brûlot pour la préfecture. Pour
leur défense, les services de police manquaient terriblement de moyens : trois
ou quatre personnes seulement travaillaient sur le dossier. Le ministre de l’intérieur
n’a pas mis les moyens sur cette affaire. »
Dans cet
entretien, le juge d’instruction ne mentionna pas les articles publiés par les
requérants.
33. La mise en
examen des requérants intervint le 12 octobre 2005 pour les troisième,
quatrième et cinquième requérants et le 13 octobre suivant pour les deux
premiers requérants.
34. Le 2
février 2006, les deux premiers requérants demandèrent l’annulation de l’ensemble
des actes relatifs à la perquisition opérée le 13 janvier 2005 au siège du
journal L’Équipe et des actes
subséquents, de l’ensemble des actes relatifs aux perquisitions opérées aux
domiciles des requérants et des actes subséquents et de l’ensemble des actes
relatifs à la mise sous scellés des listings de leurs appels et des actes
subséquents.
35. Le 13
février 2006, les trois autres requérants firent les mêmes demandes concernant
la perquisition du 13 janvier 2005 au siège du journal Le Point, l’interception de la ligne du téléphone portable du
troisième requérant et les autres interceptions dans lesquelles seraient apparues
des conversations avec l’un des journalistes requérants et l’ensemble des actes
relatifs à l’analyse de leurs appels téléphoniques.
Tous les requérants invoquaient notamment les textes de droit interne
protégeant les sources des journalistes, l’article 10 de la Convention et la
jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme ainsi qu’une atteinte
généralisée au secret des sources des journalistes.
36. La chambre
de l’instruction de la cour d’appel de Versailles rendit son arrêt le 26 mai
2006.
37. Elle rappela
tout d’abord le principe de la liberté d’expression dont découlent ceux de la
liberté de la presse et de la protection des sources d’information des
journalistes. Elle souligna que ces principes sont essentiels dans une société
démocratique garantissant à tout citoyen la liberté de recevoir, communiquer ou
exprimer par écrit ou oralement des opinions ou informations.
38. Elle se
référa ensuite notamment aux articles 9-1 du code civil et 11 du code de
procédure pénale qui protègent le respect de la présomption d’innocence et le
secret de l’instruction.
La cour d’appel constata tout d’abord que la publication de nombreuses
informations couvertes par le secret de l’enquête avait causé une « gêne
considérable » dans l’organisation du travail du juge d’instruction en
charge du dossier qui avait indiqué que « d’ores et déjà, la
quasi-totalité des personnes qui étaient sous enquête ou auraient pu être
entendues comme témoins, non seulement sont averties de nos intentions, mais
encore connaissent par le détail les mises en cause dont elles font l’objet ».
Il avait également estimé que la parution dans le journal L’Équipe de larges extraits des interrogatoires qu’il avait menés
avait « torpillé » l’instruction en cours en ayant empêché la suite
des recherches, en ajoutant qu’aucune ramification ne s’ouvrirait aux
enquêteurs. Il avait encore fait remarquer qu’à la date de la parution de l’article
du Point le 22 janvier 2004, aucune
des écoutes téléphoniques retranscrites dans cet article ne lui avait encore
été communiquée.
39. La chambre
de l’instruction constata enfin que, pour les personnes visées dans les
articles publiés, la violation reprochée du secret de l’instruction avait
entraîné une atteinte à la présomption d’innocence et que la publication de
certaines de leurs conversations téléphoniques enregistrées constituait aussi
une atteinte à leur vie privée.
40. Sur le fond,
la chambre de l’instruction constata qu’il existait à l’évidence en l’espèce
une ingérence de l’autorité publique dans le fonctionnement de la presse du
fait des actes d’enquête et d’instruction accomplis aux sièges des journaux et
à l’encontre de certains de leurs journalistes, ainsi que de certaines
réquisitions et interceptions téléphoniques. Elle releva que les enquêteurs,
puis le magistrat instructeur, cherchaient à identifier les personnes à l’origine
de la violation du secret de l’instruction et celles l’ayant recelée.
41. Elle nota
par ailleurs que la violation du secret de l’instruction et le recel de cette
infraction avaient compromis le déroulement de l’enquête ainsi dévoilée et
avaient généré une atteinte à la présomption d’innocence des personnes visées
dans ces articles, ainsi qu’une atteinte à leur vie privée par la publication
de certaines de leurs conversations téléphoniques.
42. La cour d’appel déclara nulles les
réquisitions visant le standard du journal Le
Point et celles visant les lignes des troisième, quatrième et cinquième
requérants, ainsi que les pièces de l’instruction « faisant
allusion » aux éléments recueillis dans le cadre de ces réquisitions.
43. Elle
constata en effet qu’à la date où les réquisitions avaient été faites, aucun
des journalistes visés n’avait été entendu, certains des policiers dont les
auditions pouvaient être utiles n’avaient pas encore été entendus et l’identification
des contacts téléphoniques entretenus par les policiers était en cours. Elle
estima que de telles investigations n’étaient pas, au regard de l’article 10 de
la Convention, des mesures nécessaires à ce stade de la procédure.
44. Elle ajouta
que ces réquisitions avaient permis aux enquêteurs de disposer d’informations
sur la totalité des correspondants, à titre personnel ou professionnel, de ces
journalistes et que de telles recherches constituaient à ce stade de la
procédure une ingérence disproportionnée au regard des nécessités de l’enquête
en cours. Il en allait a fortiori de
même s’agissant des informations identiques recueillies dans le cadre des
réquisitions visant le standard commun du magazine Le Point.
45. La même décision fut prise concernant
la surveillance de la ligne du téléphone portable du troisième requérant. La
cour releva que la commission rogatoire du 5 octobre 2004 était intervenue
avant l’audition du journaliste concerné, qui avait eu lieu le 20 octobre
suivant. Elle ajouta que, pendant que la surveillance de sa ligne téléphonique
était effective, les enquêteurs avaient procédé à l’audition de nombreux
policiers ainsi qu’à celle d’autres journalistes. Elle estima que, de ces
auditions, pouvaient ressortir des éléments utiles et même déterminants pour l’enquête,
comme en particulier les identités des auteurs des violations du secret de l’instruction
et que ces éléments pouvaient par ailleurs se cumuler à ceux recueillis dans le
cadre de l’exécution des recherches téléphoniques visant les policiers.
Elle en conclut que cette mise sous surveillance de la ligne téléphonique
du troisième requérant, bien que légale, n’était pas, au moment où elle avait
été décidée et à ce stade de l’information, une mesure nécessaire au sens de l’article
10 de la Convention.
46. La cour d’appel
rejeta en revanche la demande concernant la mise sous surveillance de la ligne
téléphonique d’un policier, estimant que cette mesure n’avait pas à être
accompagnée des précautions relatives au respect des sources journalistiques,
même si son exécution avait révélé des conversations entre ce policier et le
troisième requérant.
47. Pour ce qui
est de la saisie et du placement sous scellés des listings des appels des
premier et deuxième requérants, la cour releva qu’elles étaient intervenues
après leurs auditions, que les recherches et investigations déjà faites, comme
des auditions du juge d’instruction et des policiers, des auditions d’autres
journalistes, des réquisitions et interceptions téléphoniques visant des
policiers, s’étaient révélées insuffisantes pour permettre d’identifier les
personnes ayant violé le secret de l’instruction. Elle estima dès lors que les
saisies et mises sous scellés étaient légitimes, nécessaires, adaptées au but
recherché et constituaient une ingérence proportionnée au regard des exigences
relatives au respect des sources d’information. Elle rejeta donc les demandes
sur ce point.
48. S’agissant
des perquisitions et saisies opérées le 13 janvier 2005 aux sièges des journaux
Le Point et L’Équipe, la cour d’appel releva qu’elles s’étaient déroulées
postérieurement aux auditions du magistrat instructeur, des policiers et des
journalistes auteurs des articles litigieux, ainsi qu’à d’autres investigations
techniques visant les policiers. Elle considéra que toutes les mesures d’instruction
effectuées antérieurement n’avaient pas permis de réunir des éléments
suffisants pour permettre des mises en examen des personnes ayant violé le
secret de l’instruction. Ainsi, des recherches au sein des organes de presse
ayant publié les informations violant le secret de l’instruction devenaient,
selon elle, la seule mesure utile à la manifestation de la vérité. En outre,
elles avaient été menées rapidement, conformément au droit interne et dans le
respect des principes tirés de l’article 10 de la Convention. Ces demandes
furent donc également rejetées.
49. Pour ce qui
est enfin des perquisitions opérées aux domiciles des deux premiers requérants,
la cour d’appel considéra que les prescriptions de l’article 56-2 du code de
procédure pénale ne s’appliquent qu’aux locaux des entreprises de presse ou de
communication audiovisuelle et ne s’appliquent pas aux investigations menées
aux domiciles personnels des journalistes. Elle releva encore que ces
perquisitions avaient été opérées alors que l’information se trouvait dans le
même état d’avancement qu’avant la perquisition au siège de L’Équipe et conclut que ces
perquisitions constituaient une ingérence nécessaire et proportionnée au regard
des exigences relatives au respect des sources journalistiques et poursuivaient
un but légitime. Elle rejeta donc les demandes de nullité concernant ces mesures.
50. Les
requérants se pourvurent en cassation contre cet arrêt. Ils invoquaient l’article
10 de la Convention et soulignaient que la protection des sources
journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse et
que, dès lors, les perquisitions menées dans les locaux professionnels des journalistes dans le but de découvrir la source de leurs
informations, constituent un acte d’une extrême gravité s’analysant en une
ingérence dans leurs droits garantis par l’article 10 de la Convention, qui ne
peut être tolérée dans une société démocratique que si elle est strictement
nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi. Ils ajoutaient qu’il
résultait des propres constatations de l’arrêt attaqué que la perquisition
menée le 13 janvier 2005 au siège social du journal L’Équipe avait pour but d’identifier les éventuels policiers
auteurs de violations du secret de l’instruction, alors qu’il existait selon
eux d’autres moyens de recherche des auteurs des faits poursuivis
51. La Cour de
cassation rejeta le pourvoi par arrêt du 30 octobre 2006.
Elle reprit les motifs retenus par la cour d’appel et en conclut que l’ingérence
était nécessaire et proportionnée au but légitime visé, la chambre de l’instruction
ayant justifié sa décision au regard des exigences de l’article 10 de la
Convention européenne des droits de l’homme. Elle ajouta que l’accomplissement
d’actes d’instruction postérieurement aux perquisitions diligentées n’impliquait
pas que ces dernières n’aient pas été indispensables au moment où elles avaient
été effectuées et que la nécessité et la proportionnalité d’un acte sont
indépendantes de son résultat.
52. Elle estima
par ailleurs qu’aucune disposition n’impose de rechercher l’auteur de l’infraction
de violation du secret de l’instruction avant de tenter d’identifier les
auteurs d’un éventuel recel.
53. Elle ajouta
que les mesures critiquées avaient été mises en œuvre en raison de la
divulgation du contenu, devant légalement demeurer secret, de pièces issues d’une
information en cours et constituaient des mesures justifiées, tant par les
impératifs d’intérêt public de protection des droits d’autrui, au nombre
desquels figure la présomption d’innocence, que par la préservation d’informations
confidentielles, ainsi que par la nécessité de se prémunir contre des
agissements de nature à entraver la manifestation de la vérité. Enfin, la Cour
de cassation estima que le droit reconnu à un journaliste de ne pas révéler l’origine
de ses informations n’interdit pas de retranscrire la conversation qu’il peut
avoir avec une personne dont la ligne téléphonique fait l’objet d’une
surveillance lorsque, comme en l’espèce, la mesure est nécessaire à la
recherche d’une infraction et proportionnée au but à atteindre.
54. Le 26 mai
2009, la juge d’instruction du tribunal de grande instance de Nanterre rendit
une ordonnance de renvoi et de non-lieu partiel. Elle considéra que les
requérants n’avaient pas commis le délit de violation du secret de l’instruction,
mais avaient commis celui de recel de pièces, notamment des procès-verbaux ou
des retranscriptions d’interceptions téléphoniques du dossier de l’instruction.
55. Le 11 mai 2010, le tribunal de grande
instance de Nanterre rendit son jugement dans cette affaire.
Les requérants arguaient notamment du fait que la qualification de recel
qui leur était opposée était incompatible avec la loi du 4 janvier 2010 et avec
l’article 10 de la Convention.
Le tribunal ne répondit toutefois pas à cet argument et, se fondant
uniquement sur le fait qu’aucun procès-verbal ou extrait de procès-verbal n’avait
été retrouvé au cours des diverses perquisitions, en déduisit que l’infraction
de recel reprochée aux requérants n’était pas établie et les relaxa. Aucun
appel n’a été interjeté contre ce jugement.
II. LE DROIT
INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT
56. L’article 9-1
du code civil se lit comme suit :
« Chacun
a droit au respect de la présomption d’innocence.
Lorsqu’une
personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant
coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction
judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du
dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l’insertion d’une
rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte
à la présomption d’innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou
morale, responsable de cette atteinte. »
57. Le code
pénal dispose notamment :
Article 321-1
« Le
recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de
faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose
provient d’un crime ou d’un délit.
Constitue
également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout
moyen, du produit d’un crime ou d’un délit.
Le
recel est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. »
Article 226-13
« La
révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est
dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une
mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
58. Le code
de procédure pénale se lit ainsi dans ses parties pertinentes :
Article 11
« Sauf
dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la
défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète.
Toute
personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans
les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
Toutefois,
afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour
mettre fin à un trouble à l’ordre public, le procureur de la République peut, d’office
et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, rendre publics
des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation
sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en
cause. »
Article 109
« Tout
journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice
de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine. »
Article 56-2 (tel qu’en vigueur avant la loi du 4 janvier 2010)
« Les
perquisitions dans les locaux d’une entreprise de presse, d’une entreprise de
communication audiovisuelle, d’une entreprise de communication au public en
ligne, d’une agence de presse, dans les véhicules professionnels de ces
entreprises ou agences ou au domicile d’un journaliste lorsque les
investigations sont liées à son activité professionnelle ne peuvent être
effectuées que par un magistrat.
Ces
perquisitions sont réalisées sur décision écrite et motivée du magistrat qui
indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les
investigations, ainsi que les raisons justifiant la perquisition et l’objet de
celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la
perquisition à la connaissance de la personne présente en application de l’article
57.
Le
magistrat et la personne présente en application de l’article 57 ont seuls le
droit de prendre connaissance des documents ou des objets découverts lors de la
perquisition préalablement à leur éventuelle saisie. Aucune saisie ne peut
concerner des documents ou des objets relatifs à d’autres infractions que
celles mentionnées dans cette décision.
Ces
dispositions sont édictées à peine de nullité.
Le
magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations
conduites respectent le libre exercice de la profession de journaliste, ne
portent pas atteinte au secret des sources en violation de l’article 2 de la
loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et ne constituent pas un
obstacle ou n’entraînent pas un retard injustifié à la diffusion de l’information.
(...) »
59. Le 21
décembre 2009, l’Assemblée Nationale a adopté en deuxième lecture un projet de
loi sur la protection du secret des sources des journalistes. Celui-ci prévoit
dans son article 2 :
« Le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du
public.
Est
considéré comme journaliste au sens du premier alinéa
toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de
presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou
une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué,
le recueil d’informations et leur diffusion au public.
Il
ne peut être porté atteinte directement ou indirectement
au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le
justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et
proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste
de révéler ses sources.
Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources
au sens du troisième alinéa le fait de chercher à découvrir les sources d’un
journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison
de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des
renseignements permettant d’identifier ces sources.
Au
cours d’une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité
de l’atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l’importance de l’information
recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait
que les mesures d’investigation envisagées sont indispensables à la
manifestation de la vérité. »
La loi a été promulguée le 4 janvier 2010 et la loi de 1881 sur la liberté
de la presse et plusieurs dispositions du code de procédure pénale s’en sont
trouvées modifiées.
60. Le 8 mars
2000, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation
R(2000)7 sur le droit des journalistes à ne pas révéler leurs sources d’information.
L’annexe à cette recommandation dispose notamment :
« Principe
1 (Droit de non-divulgation des journalistes)
Le droit et la pratique
internes des États membres devraient prévoir une protection explicite et claire
du droit des journalistes de ne pas divulguer les informations identifiant une
source, conformément à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des Droits
de l’Homme et des Libertés fondamentales (ci-après dénommée: la Convention) et
aux présents principes, qui doivent être considérés comme des normes minimales
pour le respect de ce droit.
(...)
Principe 3 (Limites au
droit de non-divulgation)
(...)
b. La divulgation des
informations identifiant une source ne devrait être jugée nécessaire que s’il
peut être établi de manière convaincante:
i. que des mesures
raisonnables alternatives à la divulgation n’existent pas ou ont été épuisées
par les personnes ou les autorités publiques qui cherchent à obtenir la
divulgation, et
ii. que l’intérêt légitime
à la divulgation l’emporte clairement sur l’intérêt public à la
non-divulgation, en conservant à l’esprit que:
- un impératif
prépondérant quant à la nécessité de la divulgation est prouvé;
- les circonstances
présentent un caractère suffisamment vital et grave;
- la nécessité de la divulgation
est considérée comme répondant à un besoin social impérieux, et
- les États membres
jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de cette nécessité,
mais cette marge est sujette au contrôle de la Cour européenne des Droits de l’Homme.
c. Les exigences précitées
devraient s’appliquer à tous les stades de toute procédure où le droit à la
non-divulgation peut être invoqué.
Principe 4 (Preuves
alternatives aux sources des journalistes)
Dans une procédure légale
à l’encontre d’un journaliste aux motifs d’une atteinte alléguée à l’honneur ou
à la réputation d’une personne, les autorités compétentes devraient, pour
établir la véracité de ces allégations, examiner toute preuve à leur
disposition en application du droit procédural national et ne devraient pas
pouvoir requérir à cette fin la divulgation par un journaliste des informations
identifiant une source.
Principe 5 (Conditions
concernant la divulgation)
a. La proposition ou
demande visant à introduire une action des autorités compétentes en vue d’obtenir
la divulgation de l’information identifiant une source ne devrait pouvoir être
effectuée que par les personnes ou autorités publiques ayant un intérêt
légitime direct à la divulgation.
b. Les journalistes
devraient être informés par les autorités compétentes de leur droit de ne pas
divulguer les informations identifiant une source, ainsi que des limites de ce
droit, avant que la divulgation ne soit demandée.
c. Le prononcé de
sanctions à l’encontre des journalistes pour ne pas avoir divulgué les
informations identifiant une source devrait seulement être décidé par les
autorités judiciaires au terme d’un procès permettant l’audition des
journalistes concernés conformément à l’article 6 de la Convention.
d. Les journalistes
devraient avoir le droit que le prononcé d’une sanction pour ne pas avoir
divulgué leurs informations identifiant une source soit soumis au contrôle d’une
autre autorité judiciaire.
e. Lorsque les
journalistes répondent à une demande ou à une injonction de divulguer une information
identifiant une source, les autorités compétentes devraient envisager de
prendre des mesures pour limiter l’étendue de la divulgation, par exemple en
excluant le public de la divulgation, dans le respect de l’article 6 de la
Convention lorsque cela est pertinent, ainsi qu’en respectant elles-mêmes la
confidentialité de cette divulgation.
Principe 6 (Interceptions
des communications, surveillance et perquisitions judiciaires et saisies)
a. Les mesures suivantes
ne devraient pas être appliquées si elles visent à contourner le droit des
journalistes, en application des présents principes, de ne pas divulguer des
informations identifiant leurs sources:
i. les décisions ou
mesures d’interception concernant les communications ou la correspondance des
journalistes ou de leurs employeurs,
ii. les décisions ou
mesures de surveillance concernant les journalistes, leurs contacts ou leurs
employeurs, ou
iii. les décisions ou
mesures de perquisition ou de saisie concernant le domicile ou le lieu de
travail, les effets personnels ou la correspondance des journalistes ou de
leurs employeurs, ou des données personnelles ayant un lien avec leurs
activités professionnelles.
b. Lorsque des
informations identifiant une source ont été obtenues de manière régulière par
la police ou les autorités judiciaires à travers l’une quelconque des actions
précitées, même si cela pourrait ne pas avoir été le but de ces actions, des
mesures devraient être prises pour empêcher l’utilisation ultérieure de ces
informations comme preuve devant les tribunaux, sauf dans le cas où la
divulgation serait justifiée en application du Principe 3. »
61. Le 10 juillet 2003,
le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation Rec(2003)13 sur la diffusion d’informations par les médias en
relation avec les procédures pénales. Dans l’annexe à cette recommandation
figurent notamment les principes suivants :
« Principe
1 - Information du public par les médias
Le
public doit pouvoir recevoir des informations sur les activités des autorités
judiciaires et des services de police à travers les médias. Les journalistes
doivent en conséquence pouvoir librement rendre compte de et effectuer des
commentaires sur le fonctionnement du système judiciaire pénal, sous réserve
des seules limitations prévues en application des principes qui suivent.
Principe
2 - Présomption d’innocence
Le
respect du principe de la présomption d’innocence fait partie intégrante du
droit à un procès équitable.
En
conséquence, des opinions et des informations concernant les procédures pénales
en cours ne devraient être communiquées ou diffusées à travers les médias que
si cela ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence du suspect ou de l’accusé.
Principe 3 - Véracité de l’information
Les
autorités judiciaires et les services de police ne devraient fournir aux médias
que des informations avérées ou fondées sur des présomptions raisonnables. Dans
ce dernier cas, cela devrait être clairement indiqué aux médias.
(...) »
EN DROIT
I. JONCTION
DES REQUÊTES
62. Compte tenu
de la connexité des requêtes quant aux faits et aux questions de fond qu’elles
posent, la Cour juge approprié de les joindre, en application de l’article 42 §
1 de son règlement.
II. SUR LA
VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
63. Les requérants allèguent que les investigations
menées en l’espèce étaient contraires aux dispositions de l’article 10 de la
Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute
personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion
et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans
qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de
frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les
entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice
de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis
à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la
loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à
la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la
défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou
de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour
empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité
et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
64. Le
Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
65. La Cour
constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article
35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à
aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Argumentation
des requérants
a) Les
requérants Ressiot et Issartel
66. Les
deux premiers requérants soulignent qu’au terme d’une instruction de cinq ans,
seuls les cinq journalistes requérants dans la présente affaire ont été
renvoyés devant le tribunal et ce, pour recel de pièces du dossier d’instruction.
67. Ils
soulignent que le délit de recel n’est pas un délit de presse et que, dans un
jugement du 14 novembre 2006 qui est définitif, le tribunal de grande instance
de Paris a estimé que les journalistes ne peuvent être poursuivis pour recel du
secret de l’instruction, alors que dans leur propre cas, le tribunal s’est
fondé sur l’absence de preuve d’une détention matérielle de copies de
procès-verbaux pour les relaxer. Ils en concluent que l’ingérence n’était pas
prévue par la loi.
68. En ce qui
concerne le but légitime, les requérants font observer que le respect des
droits d’autrui est garanti par de nombreuses infractions de presse, que la
protection des informations confidentielles est également assurée par la loi
sur la presse et que l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire sont
protégées par de nombreuses dispositions du code pénal.
69. Pour ce qui
est de la nécessité et de la proportionnalité de l’ingérence, ils contestent l’argument
du Gouvernement selon lequel les saisies et perquisitions ont été décidées
« en dernier recours » et ils n’auraient été ni sanctionnés, ni
affectés dans leur droit à la liberté d’expression.
Ils exposent que des mesures d’instruction préalables auprès des auteurs
possibles de la violation du secret de l’instruction n’ont pas été prises avant
la saisie des listings de leurs appels téléphoniques.
Ils ajoutent que les perquisitions, en l’occurrence effectuées au petit
matin, et la saisie des listings téléphoniques ont nécessairement affecté les
deux journalistes, tout comme la rédaction qui, le temps d’une matinée, dut
interrompre partiellement son travail, alors que celui-ci consiste à
confectionner et éditer un journal quotidien.
70. Pour ce qui
est du refus d’accorder aux domiciles personnels des journalistes le bénéfice
des dispositions spéciales protectrices posées par l’ancien article 56-2 du
code de procédure pénale, les requérants font valoir que pour nombre de
journalistes, notamment tous ceux qui effectuent leur travail en qualité de pigiste,
le domicile est effectivement leur lieu de travail, c’est-à-dire l’endroit où
ils stockent leurs informations et archives.
Ils soutiennent que le Gouvernement ignore ainsi l’esprit de la loi du 4 janvier
1993, qui avait instauré ce régime particulier pour la protection des sources
des journalistes, et non pas seulement pour les entreprises qui les emploient.
En outre, le législateur français a ensuite étendu ses garanties notamment
au domicile des journalistes, et même à toute personne qui travaille habituellement
avec des journalistes.
71. Ils
considèrent que le dispositif légal applicable désormais en droit français, qui
a été adopté pour une mise en conformité avec les règles conventionnelles, n’était
certes pas applicable au moment où les faits litigieux se sont produits, mais
constitue, pour autant, l’aveu de leur non-conformité avec l’article 10 de la
Convention, déjà au moment où ils furent commis.
b) Les requérants Labbé,
Decugis et Recasens
72. Les
requérants soutiennent que, si le code de procédure pénale en son article 56-2
alors applicable prévoyait bien, en l’encadrant, la possibilité de procéder à
une perquisition dans les locaux d’une entreprise de presse, il n’en résultait
pas pour autant qu’une perquisition pouvait être diligentée dans le seul but d’identifier
les sources des journalistes. Ils ajoutent que le recel, qualification sous
laquelle l’instruction a été menée, n’est pas un délit de presse mais un délit
de droit commun. Ils en concluent que la perquisition litigieuse ne pouvait,
dans son objet, être considérée comme « prévue par la loi ».
73. Ils se
réfèrent au même jugement du tribunal de grande instance de Paris du 14
novembre 2006 que leurs confrères et en concluent que, dans des juridictions
limitrophes, l’incrimination de recel n’est pas prévisible et que les
perquisitions n’étaient donc pas « prévues par la loi ».
74. En ce qui
concerne le but légitime, les requérants font valoir les mêmes arguments que
leurs confrères et renvoient aux mêmes textes et soulignent qu’aucun de ces
textes n’a été mis en œuvre à leur encontre par les parties civiles, les
magistrats en charge du dossier, ou le ministère public.
Ils ajoutent encore que le Gouvernement ne démontre pas en quoi l’enquête
ou l’instruction sur les faits de dopage auraient été entravées par les
articles publiés par l’hebdomadaire Le
Point.
Les requérants concluent que l’ingérence dans leur liberté d’expression ne
poursuivait pas un but légitime.
75. Ils
soutiennent par ailleurs que l’ingérence dans leur liberté d’expression n’était
pas nécessaire dans une société démocratique.
Ils exposent que les mesures de saisie et de perquisition effectuées dans
les locaux du journal Le Point et les
autres mesures critiquées n’ont pas été prises « en dernier recours »,
contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement.
76. Ils
soulignent que le Gouvernement ne répond pas à l’argument tiré du fait que,
postérieurement aux mesures d’investigation en cause et notamment à la
perquisition du 13 janvier 2005, des investigations conséquentes ont été
effectuées sur des personnes soupçonnées d’avoir commis le délit principal de
violation du secret de l’instruction.
77. Ils citent
plusieurs procès-verbaux de recherches et d’auditions de fonctionnaires de
police qui ont eu lieu entre janvier 2004 et avril 2005. Ils font observer que
ces investigations ne découlaient pas de la perquisition effectuée le 13
janvier 2005 dans les locaux du journal Le
Point, puisque celle-ci fut infructueuse. Ils en concluent qu’à l’époque
des perquisitions dans les locaux du Point
et de l’Équipe, des investigations
sur la téléphonie des journalistes, et des écoutes téléphoniques visant les
conversations du troisième requérant, les solutions alternatives n’étaient ni
inexistantes ni épuisées.
78. Les
requérants contestent l’affirmation du Gouvernement selon laquelle la
protection du secret journalistique ne saurait interdire à l’autorité
judiciaire d’exécuter les mesures coercitives nécessaires à la manifestation de
la vérité, dès lors que celles-ci ne tendent pas à faire à la personne
astreinte une injonction de révélation.
Ils soutiennent qu’au contraire une perquisition, au cours de laquelle des
enquêteurs disposant de pouvoirs d’investigation très étendus surprennent des
journalistes sur leur lieu de travail, est un acte plus grave et plus coercitif
qu’une simple sommation de divulguer ses sources ou a fortiori une simple question posée en ce sens à un journaliste.
79. Ils font
encore observer que dans la présente affaire, les journalistes ont été seuls
renvoyés et poursuivis devant le tribunal correctionnel, ce qui revient à leur
reprocher indirectement la violation du secret de l’instruction auquel ils ne
sont pas tenus.
80. Ils
estiment enfin qu’une perquisition est, en soi, une entrave à la mission et au
travail des journalistes et, de surcroît, un acte de nature à dissuader leurs
sources et constitue donc une atteinte disproportionnée à leur droit à la
liberté d’expression.
Ils soulignent que la loi votée le 4 janvier 2010 prévoit que les
correspondances avec un journaliste permettant d’identifier une source ne
peuvent être transcrites.
2. Argumentation du Gouvernement
81. Le
Gouvernement souligne d’emblée que les requérants n’ont subi aucune sanction
pénale et ont été relaxés par le tribunal.
82. Il ne
conteste pas que les mesures prises ont constitué une ingérence dans l’exercice
de la liberté d’expression des requérants au sens de l’article 10 de la
Convention. Il soutient toutefois qu’elle poursuivait des buts légitimes :
la recherche des indices et preuves du délit de violation du secret de l’instruction
afin d’en identifier les auteurs et de caractériser l’infraction de recel,
ainsi que d’empêcher de nouvelles divulgations ; la nécessité de garantir
le respect des droits des personnes qui n’étaient pas encore jugées et enfin
une bonne administration de la justice en évitant toute influence extérieure notamment
sur le déroulement des investigations.
83. Le
Gouvernement estime également que l’ingérence était nécessaire dans une société
démocratique.
Il ne conteste pas que les articles publiés concernaient une question d’intérêt
général, toutefois, il considère que les requérants ont porté atteinte à la
présomption d’innocence et au secret de l’instruction en publiant des documents
qui n’avaient jamais été publiés et dont certains n’avaient pas encore été
transmis au juge d’instruction.
84. Le
Gouvernement estime que les actes litigieux n’étaient pas contraires au
principe du secret des sources des journalistes. Il expose que ces mesures étaient
destinées à établir la preuve des délits de violation du secret de l’instruction
et de recel. Elles étaient donc justifiées par les nécessités de l’enquête et
constituaient les seuls moyens à la disposition du magistrat pour parvenir à la
manifestation de la vérité.
Il rappelle qu’à la suite de la publication de l’article du Point, le 22 janvier 2004, les
premières investigations ont consisté en l’audition des policiers susceptibles
d’être mis en cause et ayant pu avoir des contacts avec les journalistes.
Plusieurs policiers ont fait l’objet de mesures de surveillance technique de
leur ligne téléphonique. L’interception de la conversation téléphonique
survenue entre le troisième requérant et un fonctionnaire de police est intervenue
dans ce cadre et non suite à la surveillance de la ligne téléphonique du
journaliste.
85. Le
Gouvernement souligne par ailleurs qu’à la date de la saisie litigieuse des
listings des appels téléphoniques des deux premiers requérants, ceux-ci avaient
déjà été entendus par le magistrat instructeur, les 7 et 9 octobre 2004. Une
série d’auditions concertant des journalistes et des policiers avait eu lieu
entre le 20 octobre et le 25 novembre 2004 et des interceptions téléphoniques
visant des policiers avaient été ordonnées.
Néanmoins, le caractère insuffisant des éléments recueillis dans ce cadre
rendait nécessaire de poursuivre les diligences en accomplissant les saisies
contestées afin d’identifier les auteurs de l’infraction pénale.
86. Il fait observer que, dans la présente affaire, les actes
contestés ont été précédés de mesures d’instruction préalables et ne peuvent
être regardés comme des opérations massives ou excessives, notamment au regard
du nombre des objets saisis.
Il ajoute que les perquisitions aux sièges des
journaux Le Point et L’Équipe ont été limitées dans le temps (respectivement
une heure trente et deux heures vingt) et ont conduit à la saisie de seulement
deux ordinateurs, une liste de messagerie et de numéros de télécopie.
87. Le Gouvernement insiste sur le fait qu’en l’espèce, les
mesures incriminées n’ont été effectuées qu’en dernier recours et constituaient
les seuls moyens à la disposition du juge d’instruction pour parvenir à la
manifestation de la vérité. En effet, les faits se rapportant à une violation
du secret de l’enquête, les investigations ont d’abord concerné les policiers
en charge de l’affaire et il s’agissait, pour les autorités judiciaires, d’identifier
les fonctionnaires de police ayant sciemment transmis des actes de procédure à
des journalistes.
88. Il expose qu’à la suite des publications de janvier 2004, une
enquête a été ouverte par l’Inspection Générale des Services (IGS) pour
violation du secret de l’enquête et qu’elle visait uniquement les forces de l’ordre.
Parallèlement, le parquet a demandé l’ouverture
d’une information judiciaire qui a conduit à l’audition des policiers en charge
du dossier dont certaines pièces confidentielles avaient été diffusées. Des
réquisitions ont été adressées aux opérateurs téléphoniques afin d’obtenir les
listes détaillées des appels sortants et entrants à partir des postes utilisés
par les policiers suspectés. Des demandes de même nature ont ensuite été formulées
au sujet des requérants.
89. Ce n’est qu’à l’issue de la deuxième série d’articles
publiés les 9 et 10 avril 2004 qu’une plainte a été déposée pour violation du
secret de l’enquête et recel. Des surveillances téléphoniques visant les
policiers et les requérants ont ainsi été opérées; des auditions ont également
eu lieu. Toutefois, ces mesures d’investigation n’ayant
pas permis l’identification des auteurs du recel mais surtout de la divulgation
de pièces d’instruction, le magistrat instructeur a alors ordonné les
perquisitions litigieuses. Ces dernières ont été opérées le 13 janvier 2005, soit
près d’un an après le début de l’enquête et après de nombreuses auditions, réquisitions
et surveillances téléphoniques.
90. Le Gouvernement conclut que, pour l’ensemble de ces
considérations, et dès lors que les mesures d’enquête litigieuses n’ont pas
permis de découvrir les auteurs de l’infraction reprochée, les requérants n’ont
été ni sanctionnés, ni affectés dans leur droit à la liberté d’expression.
91. Pour ce qui est des perquisitions opérées aux domiciles de
deux des requérants, le Gouvernement expose que les juridictions internes ont
estimé que les domiciles des requérants ne relevaient pas du champ d’application
de l’article 56-2 du code de procédure pénale alors applicable. Il ajoute que
ces perquisitions répondaient aux mêmes nécessités de l’enquête que celles
effectuées aux sièges des journaux.
Il conclut que, si la loi du 4 janvier 2010 a
modifié l’article 56-2 du code de procédure pénale en étendant notamment les
garanties prévues aux domiciles des journalistes, ses dispositions offraient
déjà antérieurement une protection sérieuse des sources journalistiques.
3. Observations des tierces parties
92.
Les tiers intervenants sont le syndicat national des journalistes, dont l’un
des objets est la défense des intérêts communs à tous les journalistes, et la
fédération internationale des journalistes, dont les objectifs sont notamment la
protection et le renforcement des droits et libertés des journalistes et le
respect et la défense de la liberté d’information.
93. Ils
soulignent qu’il n’y a pas de journalisme sans « source », nécessaire à la
production d’une information de qualité. La presse ne remplirait pas sa
fonction et le droit du citoyen ne serait pas satisfait si, faute de
protection, la source était dissuadée d’informer le journaliste. Il n’y a donc
pas de liberté de la presse sans protection des sources.
94. Ils
ajoutent que la source est tout à la fois l’informateur du journaliste et l’information
que le journaliste reçoit de l’informateur. Il convient donc de protéger la
«source », prise dans son identité, et 1’information recueillie, sur support matériel
ou non. La protection de l’information est nécessairement limitée dans le temps,
jusqu’au moment où le journaliste décide de la révéler au public. La protection
de l’identité de l’informateur se doit, au contraire, d’être permanente, la
protection de l’information ne se posant que lorsque la source du journaliste a
commis une faute en lui communicant l’information, la faute étant le plus
souvent pénale. Ils en concluent que l’objet de la protection est toute
information permettant d’identifier la personne qui l’aura communiquée au
journaliste, quel que soit le support de cette information et où que cette
information se trouve. Protéger la source, c’est protéger l’identité d’un
informateur le plus souvent auteur d’une infraction pénale.
95. Ils
exposent par ailleurs les insuffisances du droit français en la matière avant
la loi du 4 janvier 2010. Ainsi, l’article 56-2 du code de procédure pénale ne
protégeait, en cas de perquisition, que le local de l’entreprise de presse et non
le domicile ou le véhicule du journaliste, pas plus que sa source. De même, l’article
100 du code de procédure pénale ne protégeait pas particulièrement la ligne téléphonique
d’un journaliste ou une conversation avec un journaliste. Enfin, la détention
seule d’une pièce couverte par un secret était constitutive du délit de recel
de violation de secret de l’instruction ou de secret professionnel.
96. Concernant
la loi du 4 janvier 2010, les tiers intervenants font observer que, s’agissant
des perquisitions et saisies, le nouvel article 56-2 du code de procédure
pénale étend le régime dérogatoire aux véhicules professionnels des entreprises
ou agences de presse et au domicile d’un journaliste lorsque les investigations
sont liées à son activité professionnelle. En outre, les perquisitions et
saisies doivent être désormais motivées a
priori sous le contrôle d’un magistrat qui veille à ce qu’elles ne portent
pas atteinte au secret des sources. Le journaliste peut s’opposer à la saisie d’un
document, lequel est placé sous scellés opaques.
97. Les
tiers intervenants se réfèrent ensuite à la situation dans différents États
européens. Ainsi, au Luxembourg, les perquisitions sont interdites dans les
rédactions et au domicile des journalistes dans un but d’identification des
sources. Au Royaume-Uni, la police doit démontrer que l’identité de la source a
une importance essentielle dans le cadre d’une affaire pénale et le juge peut
ensuite autoriser la recherche des preuves. En Allemagne, la Cour
constitutionnelle a jugé que des perquisitions dans des rédactions dans le
cadre de dossiers portant sur des secrets d’État violaient la liberté de la
presse. Toutefois, cette protection ne s’applique pas aux télécommunications.
Enfin, en Belgique, la loi du 7 mai 2005 protège les journalistes et les
personnes qui travaillent pour les rédactions de l’obligation de révéler leurs
sources ou de remettre tout document ou tout renseignement qui conduirait à
leur identification. La mise sous surveillance, les perquisitions, les
fouilles, les saisies sont interdites, et les journalistes ne peuvent être
poursuivis, en cas de refus de témoigner, pour recel d’informations volées ou
pour violation du secret professionnel.
Les tiers intervenants se réfèrent enfin à la recommandation R (2000) 7 du
Comité des Ministres sur le droit des journalistes à ne pas révéler leurs
sources d’information.
4. Appréciation de la Cour
a) Principes
généraux
98. La
liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société
démocratique et les garanties à accorder à la presse revêtent une importance
particulière (voir, entre autres, Worm
c. Autriche, 29 août 1997, Recueil
des arrêts et décisions 1997-V, pp. 1550-1551, § 47 ; Fressoz et Roire c. France
[GC], no 29183/95, CEDH 1999-I, § 45 et Dupuis c. France, no
1914/02, § 33, 7 juin 2007, CEDH 2007-...).
99. La
protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la
liberté de la presse. L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les
sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des
questions d’intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à
même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde », et son
aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en trouver
amoindrie (Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II,
§ 39 ; Roemen et Schmit
c. Luxembourg, no 51772/99, § 57, CEDH
2003-IV ; Ernst et autres c. Belgique,
no 33400/96, § 91, 15 juillet 2003 et Tillack c. Belgique, no20477/05, § 53, 27 novembre 2007).
100. La
presse joue un rôle essentiel dans une société démocratique ; si elle ne doit
pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la
réputation et aux droits d’autrui ainsi qu’à la nécessité d’empêcher la
divulgation d’informations confidentielles, il lui incombe néanmoins de
communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des
informations et idées sur toutes les questions d’intérêt général (De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 233-234, § 37 ;
Fressoz et Roire
précité, § 45).
101. D’une manière générale, la « nécessité » d’une quelconque restriction à l’exercice
de la liberté d’expression doit se trouver établie
de manière convaincante. Certes, il revient en premier lieu aux autorités
nationales d’évaluer s’il
existe un « besoin social impérieux » susceptible de justifier cette
restriction, exercice pour lequel elles bénéficient d’une
certaine marge d’appréciation. Lorsqu’il y va de la presse, comme en l’espèce,
le pouvoir d’appréciation national se heurte à l’intérêt de la société démocratique à assurer et à
maintenir la liberté de la presse. De même, il convient d’accorder
un grand poids à cet intérêt lorsqu’il s’agit de déterminer, comme l’exige
le paragraphe 2 de l’article 10, si la restriction
était proportionnée au but légitime poursuivi (voir, mutatis mutandis, Goodwin c. Royaume‑Uni,
précité, pp. 500-501, § 40, Worm c. Autriche,
précité, § 47 et Tillack c. Belgique, précité, § 55).
102. Par
ailleurs, comme la Cour l’a rappelé dans l’arrêt Dupuis et autres (précité, § 42), l’importance du rôle des médias
dans le domaine de la justice pénale est très largement reconnue.
De plus, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a d’ailleurs adopté
la Recommandation Rec(2003)13 sur la diffusion d’informations
par les médias en relation avec les procédures pénales ; celle-ci rappelle
que les médias ont le droit d’informer le public eu égard au droit de ce
dernier à recevoir des informations et souligne l’importance des reportages
réalisés sur les procédures pénales pour informer le public et permettre à
celui-ci d’exercer un droit de regard sur le fonctionnement du système de
justice pénale. En annexe à cette Recommandation figure notamment le droit du
public à recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires
et des services de police à travers les médias, ce qui implique pour les
journalistes le droit de pouvoir librement rendre compte du fonctionnement du
système de justice pénale voir paragraphe 61 ci-dessus). Ainsi, il convient d’apprécier avec la plus
grande prudence, dans une société démocratique, la nécessité de punir pour
recel de violation de secret de l’instruction ou de secret professionnel des
journalistes qui participent à un débat public d’une telle importance, exerçant
ainsi leur mission de « chiens de garde » de la démocratie.
Par conséquent, les limitations apportées à la
confidentialité des sources journalistiques appellent de la part de la Cour l’examen
le plus scrupuleux (Roemen et Schmit,
précité, § 46, Goodwin, précité, §§ 39-40 et mutatis mutandis Nordisk Film & TV A/S c. Danemark (déc.), no
40485/02, CEDH 2005‑XIII), et une ingérence ne saurait se concilier avec l’article
10 de la Convention que si elle se justifie par un impératif prépondérant d’intérêt
public (Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC], no
38224/03, § 51, 14 septembre 2010).
b) Application
en l’espèce des principes susmentionnés
103. Les mesures
litigieuses s’analysent en une « ingérence » dans l’exercice par les
requérants de leur droit à la liberté d’expression, ce que reconnaît le
Gouvernement. Pareille immixtion enfreint l’article 10 de la Convention, sauf
si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou plusieurs des
buts légitimes énumérés au paragraphe 2 de l’article 10 et
« nécessaire » dans une société démocratique afin d’atteindre le ou
lesdits buts.
i. “Prévue
par la loi”
104. La Cour
rappelle que l’on ne peut considérer comme une « loi » au sens de l’article
10 § 2 qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen
de régler sa conduite ; en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il
doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de
la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé. Elles n’ont
pas besoin d’être prévisibles avec une certitude absolue. La certitude, bien
que souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or le
droit doit savoir s’adapter aux changements de situation. Aussi beaucoup de
lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins
vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique (Hertel c. Suisse, 25 août 1998, Recueil 1998-VI, § 35 et Chauvy et autres c. France, no
64915/01, § 43, CEDH 2004‑VI).
105. La
Cour rappelle également que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans
une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre
ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires (Cantoni c. France, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996‑V, p. 1629, § 35). La prévisibilité de la
loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des
conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances
de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (voir,
notamment, les arrêts Tolstoy Miloslavsky c.
Royaume-Uni, 13 juillet 1995,
série A no 316‑B, p. 71, § 37, et Grigoriades c. Grèce, 25 novembre 1997, Recueil
1997‑VII, p. 2587, § 37).
106. Il
en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une
grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils
mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (Cantoni, ibidem).
107. Dans
le cas d’espèce, en ce qui concerne plus précisément l’accessibilité et la
prévisibilité de la loi, la Cour constate que les requérants sont journalistes
et travaillent respectivement pour un quotidien et pour un hebdomadaire.
Elle note par ailleurs que le droit applicable et appliqué en l’espèce consistait
en un article du code de procédure pénale édictant le secret de l’instruction
(article 11) et en plusieurs articles du code pénal traitant de l’infraction de
recel (articles 321-1 et 226-13 notamment).
108. La
Cour considère dès lors que le fait qu’un autre tribunal de premier degré ait
tranché différemment dans une affaire portant également sur des faits de recel
du secret de l’enquête et de l’instruction ne suffit pas à établir que la loi
était imprévisible.
En conclusion, la Cour est d’avis que les requérants ne sauraient soutenir
qu’ils ne pouvaient prévoir « à un degré raisonnable » les
conséquences que la publication des articles en cause était susceptible d’avoir
pour eux sur le plan judiciaire. La Cour en déduit que l’ingérence litigieuse
était « prévue par la loi » au sens du second paragraphe de l’article 10
de la Convention.
ii. But
légitime
109. La
Cour a déjà considéré qu’une ingérence découlant du secret de l’instruction
tendait à garantir la bonne marche d’une enquête, donc à protéger l’autorité et
l’impartialité du pouvoir judiciaire (Weber
c. Suisse, arrêt du 22 mai 1990, série A no 177, § 45 et Ernst et autres, précité, § 45). Eu
égard aux circonstances particulières de l’affaire, la Cour estime que l’ingérence
visait à empêcher la divulgation d’informations confidentielles, à protéger la
réputation d’autrui et plus globalement à garantir l’autorité et l’impartialité
du pouvoir judiciaire.
iii. Nécessaire dans une société démocratique
110. La question
essentielle est celle de savoir si l’ingérence critiquée était
« nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre le but
poursuivi. Il y a donc lieu de déterminer si l’ingérence correspondait à un
besoin social impérieux, si elle était proportionnée au but légitime poursuivi
et si les motifs fournis par les autorités nationales pour la justifier sont
pertinents et suffisants.
111. L’article 10
protège le droit des journalistes de communiquer des informations sur des
questions d’intérêt général dès lors qu’ils s’expriment de bonne foi,
sur la base de faits exacts et fournissent des informations « fiables et
précises » dans le respect de l’éthique
journalistique (Colombani et autres c. France,
arrêt du 25 juin 2002, § 65, CEDH 2002-V et Masschelin c. Belgique (déc.), no
20528/05, 20 novembre 2007).
112. En
particulier, on ne saurait penser que les questions dont connaissent les
tribunaux ne puissent, auparavant ou en même temps, donner lieu à discussion
ailleurs, que ce soit dans des revues spécialisées, la grande presse ou le
public en général. A la fonction des médias consistant à communiquer de telles
informations et idées s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir.
Toutefois, il convient de tenir compte du droit de chacun de bénéficier d’un
procès équitable tel que garanti à l’article 6 § 1 de la Convention, ce qui, en
matière pénale, comprend le droit à un tribunal impartial (Tourancheau et July c. France, no
53886/00, § 66, 24 novembre 2005).
Comme la Cour l’a déjà souligné, il convient que les journalistes, qui
rédigent des articles sur des procédures pénales en cours, gardent ce principe
à l’esprit car les limites du commentaire admissible peuvent ne pas englober
des déclarations qui risqueraient, intentionnellement ou non, de réduire les
chances d’une personne de bénéficier d’un procès équitable ou de saper la
confiance du public dans le rôle tenu par les tribunaux dans l’administration
de la justice pénale (ibidem, et Worm,
précité, § 50). Enfin, il y a lieu de rappeler que toutes les personnes, y
compris les journalistes, qui exercent leur liberté d’expression assument des « devoirs et
responsabilités » dont l’étendue
dépend de la situation (Dupuis et autres, précité,
§ 43, et Campos Dâmaso c. Portugal, no 17107/05, § 35, 24 avril 2008).
113. En l’espèce,
il convient tout d’abord de relever que les requérants étaient soupçonnés de
recel de violation du secret de l’instruction car ils avaient publié dans
plusieurs articles des passages in
extenso de procès‑verbaux de transcriptions
d’écoutes téléphoniques, une liste de produits trouvés lors d’une perquisition
et des pièces de procédure concernant une enquête en cours sur l’usage de
substances prohibées dans le milieu du cyclisme.
114. La Cour
observe d’emblée que le thème des articles publiés, le dopage dans le sport
professionnel, en l’occurrence le cyclisme, et donc les problèmes de santé
publique en découlant, concernait un débat qui était d’un intérêt public très
important.
115. Elle rappelle que l’article
10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la
liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou des questions d’intérêt
général (Sürek c. Turquie (no 1) [GC], no
26682/95, § 61, CEDH 1999-IV).
116. A
la fonction de la presse qui consiste à diffuser des informations et des idées
sur des questions d’intérêt public, s’ajoute le droit, pour le public, d’en
recevoir (voir, parmi d’autres, Jersild, précité, § 31 ; De Haes et Gijsels, précité, §
39). Il en allait tout particulièrement ainsi en l’espèce,
s’agissant d’un problème de dopage dans le cyclisme professionnel. La
découverte de ces faits suscita un vif intérêt dans l’opinion publique. Les
articles en cause répondaient ainsi à une demande croissante du public désireux
de disposer d’informations sur les pratiques de dopage dans le sport et les
problèmes de santé qui en découlent. Le public avait dès lors un intérêt
légitime à être informé et à s’informer sur cette enquête.
117. Certes,
quiconque, y compris des journalistes, exerce sa liberté d’expression
assume des « devoirs et responsabilités » dont l’étendue
dépend de sa situation et du procédé technique utilisé (voir, mutatis mutandis, Handyside c. Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre 1976, série A no 24,
p. 23, § 49 in fine).
118. En l’occurrence, la chambre de l’instruction de la cour d’appel
de Versailles considéra que la publication de nombreuses informations couvertes
par le secret de l’enquête, avait causé une « gêne considérable » dans
l’organisation du travail du juge d’instruction et que celui-ci avait estimé
que cette publication avait « torpillé » l’instruction en cours.
119. Toutefois,
la Cour note que ce même juge d’instruction, interrogé dans le journal Le Monde
sur des complications éventuelles ayant émaillé l’enquête, répondit que cette
affaire n’était pas prioritaire pour le ministère de la Justice, que les
effectifs de police qui l’assistaient étaient en nombre insuffisant et que des
erreurs techniques avaient été commises. Il ne mentionna à aucun moment les
articles qui avaient été publiés et leur répercussion négative éventuelle sur l’enquête
en cours (voir paragraphe 32 ci-dessus).
120. Néanmoins, les
auteurs, journalistes expérimentés, ne pouvaient ignorer que lesdits documents
provenaient du dossier d’instruction et étaient couverts, selon les personnes à
l’origine de la remise des documents, par le secret de l’instruction ou par le
secret professionnel. Tout en reconnaissant le rôle essentiel qui revient à la
presse dans une société démocratique, la Cour souligne que les journalistes ne
sauraient en principe être déliés par la protection que leur offre l’article 10 de leur devoir de respecter les lois
pénales de droit commun. Le paragraphe 2 de l’article
10 pose d’ailleurs les limites de l’exercice de la liberté d’expression.
Il convient donc de déterminer si, dans les circonstances particulières de l’affaire, l’intérêt d’informer le public sur un sujet important tel que le
dopage des sportifs (voir paragraphes 114 et 116 ci-dessus) l’emportait sur les « devoirs et
responsabilités » pesant sur les requérants en raison de l’origine douteuse des documents qui leur avaient été
adressés (Dupuis et autres, précité,
§ 42).
121. La Cour
doit plus particulièrement déterminer si, en l’espèce, l’objectif
de préservation du secret de l’instruction offrait une justification pertinente
et suffisante à l’ingérence.
En effet, comme elle l’a déjà établi, une ingérence ne saurait se concilier
avec l’article 10 de la Convention que si elle se justifie par un impératif
prépondérant d’intérêt public (voir Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 51, CEDH
1999‑I).
122. Elle note
que, dans la présente affaire, les mesures prises furent relativement tardives
puisqu’intervenant entre le 24 septembre 2004 et janvier 2005, alors que les
articles en cause avaient été publiés respectivement les 22 et 29 janvier et 9
et 10 avril 2004 et avaient été abondamment commentés entre temps.
Au moment où les perquisitions et les interceptions téléphoniques
litigieuses eurent lieu, il est évident qu’elles avaient pour seul but de
révéler la provenance des informations relatées par les requérants dans leurs
articles. En effet, les démarches entreprises par les enquêteurs précédemment n’avaient
pas permis de déterminer l’auteur ou les auteurs d’une éventuelle violation du
secret de l’instruction ou du secret professionnel.
123. Ces
informations tombaient ainsi, à n’en pas douter, dans le domaine de la
protection des sources journalistiques. L’absence de résultat apparent des
perquisitions et saisies opérées aux sièges des journaux et aux domiciles de
certains des requérants n’enlève pas à ces dernières leur objet, à savoir
trouver le responsable de la divulgation des informations confidentielles
(voir, mutatis mutandis, Ernst et autres c. Belgique précité, § 100).
124. La Cour
souligne que le droit des journalistes de taire leurs sources ne saurait être
considéré comme un simple privilège qui leur serait accordé ou retiré en
fonction de la licéité ou de l’illicéité des sources, mais un véritable
attribut du droit à l’information, à traiter avec la plus grande
circonspection. Cela vaut encore plus en l’espèce, où les requérants traitaient
d’un problème de santé publique et ne furent finalement pas condamnés (paragraphe
55 ci-dessus).
125. La Cour
constate par ailleurs l’ampleur des mesures ordonnées en l’espèce (voir
paragraphes 15 à 28 ci-dessus). Certaines d’entre elles ont certes été
annulées par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles (voir
paragraphes 42 à 45 ci-dessus). Toutefois, il convient de
souligner que, dans des circonstances comme celles de l’espèce, si des mesures
restreignant la liberté d’expression des journalistes ne peuvent être
envisagées qu’en dernier recours, le respect de cette seule exigence ne
dispense pas le Gouvernement d’établir l’existence d’un besoin social impérieux
propre à justifier l’ingérence litigieuse. Or, la saisie et le placement sous
scellés des listings des appels des premier et deuxième requérants, les
perquisitions et saisies opérées le 13 janvier 2005 aux sièges des journaux Le Point et L’Equipe et les perquisitions opérées aux
domiciles des deux premiers requérants furent validées par la chambre de l’instruction
sans que soit démontrée l’existence d’un besoin social impérieux. Lors de la
perquisition dans les locaux du journal Le
Point furent notamment saisis et placés sous scellés les ordinateurs des
troisième et quatrième requérant, la liste de la messagerie du quatrième
requérant étant, quant à elle, éditée et également placée sous scellés. Ces
perquisitions aux sièges de deux journaux, impressionnantes et spectaculaires,
ne pouvaient que marquer profondément les professionnels qui y travaillaient et
être perçues par eux comme une menace potentielle pour le libre exercice de
leur profession.
En effet, les enquêteurs qui, munis de mandats de perquisition, surprennent
des journalistes à leur lieu de travail ou à leur domicile, ont des pouvoirs d’investigation
très larges du fait qu’ils ont, par définition, accès à toute leur
documentation. La Cour, qui rappelle que « les limitations apportées à la
confidentialité des sources journalistiques appellent de la part de la Cour l’examen
le plus scrupuleux » (voir Goodwin c. Royaume-Uni,
précité, § 40), estime ainsi que les perquisitions et saisies litigieuses
avaient un effet encore plus important quant à la protection des sources
journalistiques que dans l’affaire Goodwin.
126. La Cour en
arrive à la conclusion que le Gouvernement n’a pas démontré qu’une balance
équitable des intérêts en présence a été préservée. A cet égard, elle rappelle
que « les considérations dont les institutions de la Convention doivent
tenir compte pour exercer leur contrôle sur le terrain du paragraphe 2 de
l’article 10 font pencher la balance des intérêts en présence en faveur de
celui de la défense de la liberté de la presse dans une société
démocratique » (voir Goodwin c. Royaume-Uni,
précité, § 45). En l’occurrence, même si l’on devait considérer que les motifs
invoqués étaient « pertinents », la Cour estime qu’ils n’étaient pas
en tout cas « suffisants » pour justifier des perquisitions et
saisies d’une telle envergure.
127. Elle
en conclut que les mesures litigieuses ne représentaient pas des moyens
raisonnablement proportionnés à la poursuite des buts légitimes visés compte
tenu de l’intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la
liberté de la presse. Il y a donc eu violation de l’article 10 de la
Convention.
II. SUR L’APPLICATION
DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
128. Aux
termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la
Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement
les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
1. Les requérants Ressiot et Issartel
129. Les
requérants estiment que le constat de violation de l’article 10 de la
Convention vaudra réparation du préjudice moral subi.
130. Le
Gouvernement ne se prononce pas sur ce point.
131. La Cour estime qu’en l’occurrence le constat de manquement figurant
dans le présent arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante (Paturel c. France, no
54968/00, § 55, 22 décembre 2005 et July et Sarl Libération c. France, no 20893/03, § 89, CEDH 2008
(extraits).
2. Les requérants Labbé, Decugis et Recasens
132. Les requérants
demandent au titre de la société un euro au titre du préjudice moral.
133. Le
Gouvernement estime qu’un constat de violation serait suffisant.
134. La Cour n’exclut pas que les requérants aient subi, du fait
de la violation de l’article 10, un certain dommage moral. Elle estime
toutefois qu’en l’occurrence le constat de manquement figurant dans le présent
arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante (ibidem).
B. Frais et dépens
1. Les requérants Ressiot et Issartel
135. Les
requérants demandent le remboursement des frais avancés par la société L’Équipe pour leur défense dans cette
affaire. Ils exposent que les frais directement liés à la violation constatée s’élèvent
à 18 896,80 EUR. Ils produisent cinq notes d’honoraires établies par leurs
avocats entre le 5 octobre 2005 et le 17 mars 2010 et correspondant à la
procédure devant les juridictions internes, y compris celle visant à faire
annuler les actes litigieux, et devant la Cour de cassation et la Cour.
136. Le
Gouvernement ne se prononce pas sur ce point.
137. Selon la
jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses
frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur
nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, lorsque la Cour
constate une violation de la Convention, elle n’accorde au requérant le
paiement des frais et dépens qu’il a exposés devant les juridictions nationales
que dans la mesure où ils ont été engagés pour prévenir ou faire corriger par
celles-ci ladite violation.
La Cour estime que tel a bien été le cas en l’espèce et constate que les
requérants produisent les factures et notes d’honoraires pertinentes, ainsi qu’un
tableau récapitulatif des sommes engagées. Partant, la Cour accordera aux
requérants, conjointement, la somme de 18 896,80 EUR, tous frais
confondus.
2. Les requérants Labbé, Decugis et Recasens
138. Les
requérants demandent le remboursement des frais avancés par la société Le
Point-Sebdo, éditrice de l’hebdomadaire Le Point pour prévenir ou faire corriger
la violation de la Convention pour un total de 25 064,78 EUR. Ils
produisent dix-huit factures accompagnées chacune d’un relevé détaillé des
actes effectués entre le 21 décembre 2004 et le 30 avril 2009 et couvrant
les démarches faites par leurs avocats
dans le cadre de la requête en nullité d’actes et devant la Cour.
139. Le
Gouvernement ne se prononce pas sur ce point.
140. La Cour
constate que les requérants produisent les factures et notes d’honoraires
pertinents, ainsi qu’un tableau récapitulatif des sommes engagées. Partant, la
Cour accordera aux requérants, conjointement, la somme de 25 064, 78 EUR, tous
frais confondus.
C. Intérêts moratoires
141. La Cour
juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt
de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de
trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare les
requêtes recevables ;
3. Dit qu’il y a eu
violation de l’article 10 de la Convention ;
4. Dit,
a) que
l’État défendeur doit verser :
- aux
deux premiers requérants conjointement 18896, 80 EUR (dix-huit mille huit cent
quatre-vingt-seize euros et quatre-vingt cents) pour frais et dépens, dans les
trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2
de la Convention, plus tout montant pouvant
être dû à titre d’impôt ;
- aux troisième, quatrième et
cinquième requérants conjointement 25 064, 78 EUR (vingt-cinq mille soixante-quatre euros et soixante-dix-huit cents) pour frais et
dépens, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif
conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au
versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à
celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne
applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 juin 2012, en application
de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Dean Spielmann
Greffière Président