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Corte europea dei diritti dell’uomo

(GRANDE CAMERA)

 

 

27 agosto 2015

 

AFFAIRE PARRILLO c. ITALIE

 

(RequĂȘte no 46470/11)

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

STRASBOURG

 

 

 

Cet arrĂȘt est dĂ©finitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Parrillo c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme, siĂ©geant en une Grande Chambre composĂ©e de :

          Dean Spielmann, président,
          Josep Casadevall,
          Guido Raimondi,
          Mark Villiger,
          Isabelle Berro,
          Ineta Ziemele,
          George Nicolaou,
          Andrås Sajó,
          Ann Power-Forde,
          NebojĆĄa Vučinić,
          Ganna Yudkivska,
          Vincent A. De Gaetano,
          Julia Laffranque,
          Paulo Pinto de Albuquerque,
          Helen Keller,
          Faris Vehabović,
          Dmitry Dedov, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

AprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ© en chambre du conseil le 18 juin 2014 et 22 avril 2015,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette derniĂšre date :

PROCÉDURE

1.  Ă€ l’origine de l’affaire se trouve une requĂȘte (no 46470/11) dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et dont une ressortissante de cet État, Mme Adelina Parrillo (« la requĂ©rante Â»), a saisi la Cour le 26 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  La requĂ©rante a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©e par Mes NicolĂČ Paoletti, Claudia Sartori et Natalia Paoletti, avocats Ă  Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement Â») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par ses co-agents, Mme Paola Accardo et M. Gianluca Mauro Pellegrini.

3.  La requĂ©rante allĂ©guait en particulier que l’interdiction, Ă©dictĂ©e par l’article 13 de la loi no 40 du 19 fĂ©vrier 2004, de donner Ă  la recherche scientifique des embryons conçus par procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e Ă©tait incompatible avec son droit au respect de sa vie privĂ©e et son droit au respect de ses biens, protĂ©gĂ©s respectivement par l’article 8 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 Ă  la Convention. Elle se plaignait Ă©galement d’une violation de la libertĂ© d’expression garantie par l’article 10 de la Convention, dont la recherche scientifique constitue Ă  ses yeux un aspect fondamental.

4.  La requĂȘte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă  la deuxiĂšme section de la Cour (article 52 Â§ 1 du rĂšglement de la Cour).

5.  Le 28 mai 2013, les griefs tirĂ©s de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 Ă  la Convention ont Ă©tĂ© communiquĂ©s au Gouvernement et la requĂȘte a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e irrecevable pour le surplus.

6.  Le 28 janvier 2014, une chambre de la deuxiĂšme section composĂ©e de Işıl Karakaş, prĂ©sidente, Guido Raimondi, Peer Lorenzen, Dragoljub Popović, AndrĂĄs SajĂł, NebojĆĄa Vučinić et Paulo Pinto de Albuquerque, juges, ainsi que de Stanley Naismith, greffier de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y Ă©tant opposĂ©e (article 30 de la Convention et article 72 du rĂšglement).

7.  La composition de la Grande Chambre a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e conformĂ©ment Ă  l’article 26 §§ 4 et 5 de la Convention et Ă  l’article 24 du rĂšglement.

8.  Tant la requĂ©rante que le Gouvernement ont dĂ©posĂ© un mĂ©moire sur la recevabilitĂ© et sur le fond de l’affaire.

9.  Le Centre europĂ©en pour la justice et les droits de l’homme (l’« ECLJ Â»), les associations « Movimento per la vita Â», « Scienza e vita Â», « Forum delle associazioni familiari Â», « Luca Coscioni Â», « Amica Cicogna Onlus Â», « L’altra cicogna Onlus Â», « Cerco bimbo Â», « VOX – Osservatorio italiano sui Diritti Â», « SIFES – Society of Fertility, Sterility and Reproductive Medicine Â» et « Cittadinanzattiva Â» ainsi que quarante-six membres du Parlement italien se sont vu accorder l’autorisation d’intervenir dans la procĂ©dure Ă©crite (article 36 § 2 de la Convention et article 44 § 3 du rĂšglement).

10.  Une audience s’est dĂ©roulĂ©e en public au Palais des droits de l’homme, Ă  Strasbourg, le 18 juin 2014 (article 59 § 3 du rĂšglement).

 

Ont comparu :

 

–  pour le Gouvernement

Mme   P. Accardo                                                                          co-agente,
M.     G. Mauro Pellegrini                                                         co-agent,

Mme   A. Morresi, membre du Comité national
                                pour la bioéthique et professeur de chimie
                                physique au Département de chimie,
                                biologie et biotechnologie de l’universitĂ©
                                de Pérouse                                                        conseillÚre,
Mme   D. Fehily,    inspectrice et conseillÚre technique
                                auprÚs du Centre national de transplantation
                                de Rome                                                          conseillĂšre ;

–  pour la requĂ©rante

M.      N. Paoletti ;

Mme   C. Sartori ;

Mme   N. Paoletti, avocats,                                                            conseils,
M.     M. De Luca, professeur de biochimie et
                                directeur du Centre pour la médecine
                                rĂ©gĂ©nĂ©rative « Stefano Ferrari Â» de
                                l’universitĂ© de ModĂšne et Reggio Emilia,       conseiller.

 

La Cour a entendu en leurs dĂ©clarations Mme P. Accardo, Mme A. Morresi, M. N. Paoletti, M. M. De Luca et Mme C. Sartori, ainsi que Mme P. Accardo, M. G. Mauro Pellegrini, M. M. De Luca, Mme N. Paoletti et M. N. Paoletti en leurs rĂ©ponses aux questions posĂ©es par les juges.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

11.  La requĂ©rante est nĂ©e en 1954 et rĂ©side Ă  Rome.

12.  En 2002, elle eut recours aux techniques de la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e, effectuant une fĂ©condation in vitro avec son compagnon au Centre de mĂ©decine reproductive du European Hospital (« le centre Â») de Rome. Les cinq embryons issus de cette fĂ©condation furent cryoconservĂ©s.

13.  Avant qu’une implantation ne soit effectuĂ©e, le compagnon de la requĂ©rante dĂ©cĂ©da le 12 novembre 2003 lors d’un attentat Ă  Nasiriya (Iraq), alors qu’il rĂ©alisait un reportage de guerre.

14.  Ayant renoncĂ© Ă  dĂ©marrer une grossesse, la requĂ©rante dĂ©cida de donner ses embryons Ă  la recherche scientifique pour contribuer au progrĂšs du traitement des maladies difficilement curables.

15.  D’aprĂšs les informations fournies lors de l’audience devant la Grande Chambre, la requĂ©rante formula oralement plusieurs demandes de mise Ă  disposition de ses embryons auprĂšs du centre dans lequel ceux-ci Ă©taient conservĂ©s, en vain.

16.  Par une lettre du 14 dĂ©cembre 2011, la requĂ©rante demanda au directeur du centre de mettre Ă  sa disposition les cinq embryons cryoconservĂ©s afin que ceux-ci servent Ă  la recherche sur les cellules souches. Le directeur rejeta cette demande, indiquant que ce genre de recherches Ă©tait interdit et sanctionnĂ© pĂ©nalement en Italie, en application de l’article 13 de la loi no 40 du 19 fĂ©vrier 2004 (« la loi no 40/2004 Â»).

17.  Les embryons en question sont actuellement conservĂ©s dans la banque cryogĂ©nique du centre oĂč la fĂ©condation in vitro a Ă©tĂ© effectuĂ©e.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La loi no 40 du 19 fĂ©vrier 2004, entrĂ©e en vigueur le 10 mars 2004 (« Normes en matiĂšre de fĂ©condation mĂ©dicalement assistĂ©e »)

Article 1 – FinalitĂ©

« 1.  Afin de remĂ©dier aux problĂšmes reproductifs dĂ©coulant de la stĂ©rilitĂ© ou de l’infertilitĂ© humaines, il est permis de recourir Ă  la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e dans les conditions et selon les modalitĂ©s prĂ©vues par la prĂ©sente loi, qui garantit les droits de toutes les personnes concernĂ©es, y compris ceux du sujet ainsi conçu. Â»

Article 5 – Conditions d’accùs

« (...) [seuls] des couples [composĂ©s de personnes] majeur[e]s, de sexe diffĂ©rent, mariĂ©[e]s ou menant une vie commune, en Ăąge de procrĂ©er et vivantes peuvent recourir aux techniques de la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e. Â»

Article 13 – ExpĂ©rimentation sur l’embryon humain

« 1.  Toute expĂ©rimentation sur l’embryon humain est interdite.

2.  La recherche clinique et expĂ©rimentale sur l’embryon humain ne peut ĂȘtre autorisĂ©e que si elle poursuit exclusivement des finalitĂ©s thĂ©rapeutiques et diagnostiques tendant Ă  la protection de la santĂ© ainsi qu’au dĂ©veloppement de l’embryon et s’il n’existe pas d’autres mĂ©thodes.

(...)

4.  La violation de l’interdiction prĂ©vue Ă  l’alinĂ©a 1er est punie d’une peine de deux Ă  six ans d’emprisonnement et d’une amende de 50 000 Ă  150 000 euros. (...)

5.  Tout professionnel de la santĂ© condamnĂ© pour une infraction prĂ©vue au prĂ©sent article fera l’objet d’une suspension d’exercice professionnel pour une durĂ©e de un Ă  trois ans. »

Article 14 – Limites à l’application des techniques sur l’embryon

« 1.  La cryoconservation et la suppression d’embryons sont interdites, sans prĂ©judice des dispositions de la loi no 194 du 22 mai 1978 [normes sur la protection sociale de la maternitĂ© et sur l’interruption volontaire de grossesse].

2.  Les techniques de production d’embryons ne peuvent conduire Ă  la crĂ©ation d’un nombre d’embryons supĂ©rieur Ă  celui strictement nĂ©cessaire Ă  la rĂ©alisation d’une implantation unique et simultanĂ©e, ce nombre ne pouvant en aucun cas ĂȘtre supĂ©rieur Ă  trois.

3.  Lorsque le transfert des embryons dans l’utĂ©rus est impossible pour des causes de force majeure grave et prouvĂ©e concernant l’état de santĂ© de la femme qui n’étaient pas prĂ©visibles au moment de la fĂ©condation, la cryoconservation des embryons est autorisĂ©e jusqu’à la date du transfert, qui sera effectuĂ© aussitĂŽt que possible. »

18.  Par un arrĂȘt no 151 du 1er avril 2009 (voir les paragraphes 29-31 ci-dessous), la Cour constitutionnelle dĂ©clara inconstitutionnelle la disposition du deuxiĂšme alinĂ©a de l’article 14 de la loi no 40/2004 selon laquelle les techniques de production d’embryons ne peuvent conduire Ă  la crĂ©ation d’un nombre d’embryons supĂ©rieur Ă  celui strictement nĂ©cessaire « Ă  la rĂ©alisation d’une implantation unique et simultanĂ©e, ce nombre ne pouvant en aucun cas ĂȘtre supĂ©rieur Ă  trois Â». Elle jugea inconstitutionnel l’alinĂ©a 3 du mĂȘme article au motif qu’il ne prĂ©voyait pas que le transfert des embryons devait ĂȘtre effectuĂ© sans porter prĂ©judice Ă  la santĂ© de la femme.

B.  L’avis du ComitĂ© national pour la bioĂ©thique concernant l’adoption pour la naissance (« ADP Â») (18 novembre 2005)

19.  Ă€ la suite de l’adoption de la loi no 40/2004, le ComitĂ© national pour la bioĂ©thique s’est penchĂ© sur la question du sort des embryons cryoconservĂ©s en Ă©tat d’abandon, la loi ne prĂ©voyant aucune disposition spĂ©cifique Ă  ce sujet, se limitant Ă  interdire implicitement l’utilisation des embryons surnumĂ©raires Ă  des fins de recherche scientifique.

20.  Ă€ cet Ă©gard, le ComitĂ© a Ă©mis un avis favorable Ă  l’« adoption pour la naissance Â», pratique consistant pour un couple ou une femme Ă  adopter des embryons surnumĂ©raires Ă  des fins d’implantation et permettant d’utiliser les embryons en question dans une perspective de vie et de rĂ©alisation d’un projet familial.

C.  Le dĂ©cret du ministĂšre de la SantĂ© du 11 avril 2008 (« Notes explicatives en matiĂšre de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e »)

« (...) Cryoconservation des embryons : Deux catĂ©gories d’embryons sont susceptibles de faire l’objet d’une cryoconservation : la premiĂšre est celle des embryons qui sont en attente d’une implantation, y compris ceux ayant fait l’objet d’une cryoconservation avant l’entrĂ©e en vigueur de la loi no 40 de 2004 ; la deuxiĂšme est celle des embryons dont l’état d’abandon a Ă©tĂ© certifiĂ© (...). »

D.  Le rapport final de la « Commission d’étude sur les embryons Â» du 8 janvier 2010

21.  Par un dĂ©cret du 25 juin 2009, le ministĂšre de la SantĂ© institua une Commission d’étude sur les embryons cryoconservĂ©s dans les centres de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e. Le rapport final de cette commission, adoptĂ© Ă  la majoritĂ© le 8 janvier 2010, expose ce qui suit :

« L’interdiction lĂ©gale de supprimer les embryons doit ĂȘtre comprise comme signifiant que la cryoconservation ne peut ĂȘtre interrompue que dans deux cas : lorsqu’on peut implanter l’embryon dĂ©congelĂ© dans l’utĂ©rus de la mĂšre ou d’une femme disposĂ©e Ă  l’accueillir, ou lorsqu’il est possible d’en certifier scientifiquement la mort naturelle ou la perte dĂ©finitive de viabilitĂ© en tant qu’organisme. En l’état actuel des connaissances [scientifiques], on ne peut s’assurer de la viabilitĂ© d’un embryon qu’en le dĂ©congelant, situation paradoxale puisqu’un embryon dĂ©congelĂ© ne peut ĂȘtre recongelĂ© et qu’il mourra inĂ©vitablement s’il n’est pas immĂ©diatement implantĂ© in utero. D’oĂč la perspective tutioriste d’une possible conservation sans limite de temps des embryons congelĂ©s. Quoiqu’il en soit, il y a lieu de noter que le progrĂšs de la recherche scientifique permettra de connaĂźtre les critĂšres et les mĂ©thodologies pour diagnostiquer la mort ou Ă  tout le moins la perte de viabilitĂ© d’embryons cryoconservĂ©s : il sera ainsi possible de surmonter le paradoxe actuel, inĂ©vitable du point de vue lĂ©gal, d’une cryoconservation qui pourrait ne jamais avoir de fin. Dans l’attente de ces rĂ©sultats, [il convient de rĂ©affirmer] que l’on ne peut ignorer que l’article 14 de la loi no 40 de 2004 interdit expressĂ©ment la suppression d’embryons, y compris ceux qui sont cryoconservĂ©s. À cela s’ajoute que, pour ce qui est du sort des embryons surnumĂ©raires, le lĂ©gislateur de la loi no 40 a choisi leur conservation et non pas leur destruction, faisait ainsi prĂ©valoir l’objectif de leur maintien en vie, mĂȘme lorsque leur sort est incertain. »

E.  La Constitution de la RĂ©publique italienne

22.  Les articles pertinents de la Constitution se lisent ainsi :

Article 9

« La RĂ©publique promeut le dĂ©veloppement de la culture et de la recherche scientifique et technique. (...) Â»

Article 32

« La RĂ©publique protĂšge la santĂ© en tant que droit fondamental de l’individu et intĂ©rĂȘt de la collectivitĂ©. (...) Â»

Article 117

« Le pouvoir lĂ©gislatif est exercĂ© par l’État et les RĂ©gions dans le respect de la Constitution, aussi bien que des contraintes dĂ©coulant de l’ordre juridique communautaire et des obligations internationales. (...) Â»

F.  Les arrĂȘts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 24  octobre 2007

23.  Ces arrĂȘts rĂ©pondent Ă  des questions que la Cour de cassation et une cour territoriale avaient soulevĂ©es quant Ă  la compatibilitĂ© du dĂ©cret-loi no 333 du 11 juillet 1992 relatif aux critĂšres de calcul des indemnitĂ©s d’expropriation avec la Constitution et avec l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 Ă  la Convention. Ils tiennent compte de l’arrĂȘt Scordino c. Italie (no 1) ([GC], no 36813/97, CEDH 2006‑V) rendu par la Grande Chambre de la Cour.

24.  Dans ces arrĂȘts, aprĂšs avoir rappelĂ© l’obligation pour le lĂ©gislateur de respecter les obligations internationales (article 117 de la Constitution), la Cour constitutionnelle a dĂ©fini la place accordĂ©e Ă  la Convention des droits de l’homme dans les sources du droit interne, considĂ©rant que celle-ci Ă©tait une norme de rang intermĂ©diaire entre la loi ordinaire et la Constitution. En outre, elle a prĂ©cisĂ© qu’il appartenait au juge du fond d’interprĂ©ter la norme interne de maniĂšre conforme Ă  la Convention des droits de l’homme et Ă  la jurisprudence de la Cour (voir l’arrĂȘt no 349, paragraphe 26, point 6.2, ci-dessous) et que, lorsqu’une telle interprĂ©tation se rĂ©vĂ©lait impossible ou que celui-ci avait des doutes quant Ă  la compatibilitĂ© de la norme interne avec la Convention, il Ă©tait tenu de soulever une question de constitutionnalitĂ© devant elle.

25.  Les passages pertinents de l’arrĂȘt no 348 du 24 octobre 2007 se lisent comme suit :

« 4.2.  (...) Il est nĂ©cessaire de dĂ©finir le rang et le rĂŽle des normes de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme afin de dĂ©terminer, Ă  la lumiĂšre de [l’article 117 de la Constitution], quelle est leur incidence sur l’ordre juridique italien. (...)

4.3.  [En effet], si d’un cĂŽtĂ© [ces normes] complĂštent la protection des droits fondamentaux et contribuent ainsi Ă  la mise en Ɠuvre des valeurs et des principes fondamentaux protĂ©gĂ©s aussi par la Constitution italienne, d’un autre cĂŽtĂ©, elles restent formellement de simples sources de rang primaire. (...)

Aujourd’hui, la Cour constitutionnelle est donc appelĂ©e Ă  clarifier la question normative et institutionnelle [posĂ©e ci-dessus], qui a d’importantes consĂ©quences pratiques pour le travail quotidien des opĂ©rateurs du droit. (...)

Le juge ordinaire ne saurait dĂ©cider d’écarter une disposition de la loi ordinaire jugĂ©e par lui incompatible avec une norme de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, car cette incompatibilitĂ© prĂ©sumĂ©e soulĂšve une question de constitutionnalitĂ© portant sur la violation Ă©ventuelle du premier alinĂ©a de l’article 117 de la Constitution et relevant [Ă  ce titre] de la compĂ©tence exclusive du juge des lois. (...)

4.5.  (...) Le principe Ă©noncĂ© au premier alinĂ©a de l’article 117 de la Constitution ne peut devenir concrĂštement opĂ©rationnel que si « les obligations internationales Â» contraignantes pour les pouvoirs lĂ©gislatifs de l’État et des RĂ©gions sont dĂ»ment dĂ©finies. (...)

4.6.  [Or] par rapport aux autres traitĂ©s internationaux, la Convention europĂ©enne des droits de l’homme prĂ©sente la particularitĂ© d’avoir instituĂ© un organe juridictionnel, la Cour europĂ©enne des droits de l’homme, ayant compĂ©tence pour interprĂ©ter les normes de la Convention. En effet, l’article 32 § 1 [de la Convention] prĂ©voit que « la compĂ©tence de la Cour s’étend Ă  toutes les questions concernant l’interprĂ©tation et l’application de la Convention et de ses Protocoles qui lui seront soumises dans les conditions prĂ©vues par les articles 33, 34, 46 et 47. Â».

DĂšs lors que les normes juridiques acquiĂšrent leur sens (vivono) au travers de l’interprĂ©tation qui leur est donnĂ©e par les opĂ©rateurs du droit, au premier chef les juges, il dĂ©coule naturellement de l’article 32 § 1 de la Convention que, en signant la Convention europĂ©enne des droits de l’homme et en la ratifiant, l’Italie s’est notamment engagĂ©e, au titre de ses obligations internationales, Ă  adapter sa lĂ©gislation aux normes de la Convention selon la signification que leur attribue la Cour [europĂ©enne des droits de l’homme], laquelle a Ă©tĂ© instituĂ©e dans le but de les interprĂ©ter et de les appliquer. On ne saurait donc parler d’une compĂ©tence juridictionnelle qui s’ajouterait Ă  celle des organes judiciaires de l’État, mais plutĂŽt d’une fonction interprĂ©tative Ă©minente que les États contractants ont reconnue Ă  la Cour europĂ©enne, contribuant ainsi Ă  prĂ©ciser leurs obligations internationales en la matiĂšre.

4.7.  Il ne faut pas en dĂ©duire que les dispositions de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, telles qu’interprĂ©tĂ©es par la Cour de Strasbourg, ont valeur de normes constitutionnelles et qu’elles Ă©chappent Ă  ce titre au contrĂŽle de constitutionnalitĂ© exercĂ© par la Cour constitutionnelle. Il est d’autant plus nĂ©cessaire que les normes en question soient conformes Ă  la Constitution qu’elles complĂštent des principes constitutionnels tout en restant des normes de rang infra-constitutionnel. (...)

DĂšs lors que, comme indiquĂ© ci-dessus, les dispositions de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme acquiĂšrent leur sens au travers de l’interprĂ©tation qui leur est donnĂ©e par la Cour europĂ©enne, le contrĂŽle de constitutionnalitĂ© doit porter sur les normes produites par cette interprĂ©tation, non sur ces dispositions considĂ©rĂ©es en elles-mĂȘmes. Par ailleurs, les dĂ©cisions de la Cour de Strasbourg ne sont pas inconditionnellement contraignantes aux fins du contrĂŽle de constitutionnalitĂ© des lois nationales. Ledit contrĂŽle doit toujours chercher Ă  mettre en balance la contrainte dĂ©coulant des obligations internationales imposĂ©e par le premier alinĂ©a de l’article 117 de la Constitution d’une part, et la protection des intĂ©rĂȘts bĂ©nĂ©ficiant d’une garantie constitutionnelle reconnue par d’autres articles de la Constitution d’autre part. (...)

5.  Il ressort des principes mĂ©thodologiques exposĂ©s ci-dessus que, pour procĂ©der au contrĂŽle de constitutionnalitĂ© demandĂ© par la cour de renvoi, il convient de rechercher a) s’il y a une contradiction qui ne peut ĂȘtre surmontĂ©e par voie d’interprĂ©tation entre la disposition nationale en cause et les normes de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, telles qu’interprĂ©tĂ©es par la Cour europĂ©enne et considĂ©rĂ©es comme des sources complĂ©mentaires du principe constitutionnel Ă©noncĂ© au premier alinĂ©a de l’article 117 de la Constitution, et b) si les normes de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme supposĂ©es intĂ©grer ce principe et comprises selon l’interprĂ©tation que leur attribue la Cour [europĂ©enne] sont compatibles avec l’ordre constitutionnel italien. (...) Â»

26.  Les parties pertinentes de l’arrĂȘt no 349 du 24 octobre 2007 sont reproduites ci-aprĂšs :

« 6.2  (...) [Le principe Ă©noncĂ©] au premier alinĂ©a de l’article 117 de la Constitution [n’implique pas] que les normes issues d’accords internationaux doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme ayant valeur constitutionnelle car celles-ci font l’objet d’une loi ordinaire d’incorporation, comme c’est le cas pour les normes de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme. Le principe constitutionnel sous examen obligeant le lĂ©gislateur ordinaire Ă  respecter ces normes, une disposition nationale qui serait incompatible avec une norme de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme – et donc avec les « obligations internationales Â» mentionnĂ©es au premier alinĂ©a de l’article 117 de la Constitution – porterait en soi atteinte au principe constitutionnel en question. En dĂ©finitive, le premier alinĂ©a de l’article 117 de la Constitution opĂšre un renvoi Ă  la norme conventionnelle qui se trouve en cause dans tel ou tel cas, laquelle confĂšre un sens (dĂ  vita) et un contenu aux obligations internationales Ă©voquĂ©es de maniĂšre gĂ©nĂ©rale ainsi qu’au principe [constitutionnel sous-jacent], au point d’ĂȘtre gĂ©nĂ©ralement qualifiĂ©e de « norme interposĂ©e Â», et qui fait Ă  son tour l’objet d’un contrĂŽle de compatibilitĂ© avec les normes de la Constitution, comme nous le prĂ©ciserons ci-dessous.

Il s’ensuit qu’il appartient au juge ordinaire d’interprĂ©ter la norme interne conformĂ©ment Ă  la disposition internationale (...). Lorsque pareille interprĂ©tation est impossible ou que des doutes existent quant Ă  la compatibilitĂ© de la norme interne avec la disposition conventionnelle « interposĂ©e Â», le juge est tenu de soulever devant la Cour constitutionnelle une question de constitutionnalitĂ© au regard du premier alinĂ©a de l’article 117 de la Constitution (...).

Concernant la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, il y a lieu de tenir compte du fait qu’elle prĂ©sente une particularitĂ© par rapport aux autres accords internationaux en ce qu’elle dĂ©passe le cadre d’une simple liste de droits et obligations rĂ©ciproques des États contractants. Ces derniers ont instituĂ© un systĂšme de protection uniforme des droits fondamentaux. L’application et l’interprĂ©tation de ce systĂšme de normes incombent Ă©videmment au premier chef aux juges des États membres, qui sont les juges de droit commun de la Convention. Cela Ă©tant, l’application uniforme des normes en question est garantie en dernier ressort par l’interprĂ©tation centralisĂ©e de la Convention europĂ©enne, tĂąche attribuĂ©e Ă  la Cour europĂ©enne des droits de l’homme de Strasbourg, qui a le dernier mot et dont la compĂ©tence « s’étend Ă  toutes les questions concernant l’interprĂ©tation et l’application de la Convention et de ses Protocoles qui lui seront soumises dans les conditions prĂ©vues par [celle-ci] Â» (article 32 § 1 de la Convention). (...)

La Cour constitutionnelle et la Cour de Strasbourg ont en dĂ©finitive des rĂŽles diffĂ©rents, bien qu’elles visent l’une et l’autre Ă  protĂ©ger au mieux les droits fondamentaux. L’interprĂ©tation de la Convention de Rome et de ses Protocoles relĂšve de la compĂ©tence de la Cour de Strasbourg, ce qui garantit l’application d’un niveau uniforme de protection dans l’ensemble des États membres.

En revanche, lorsque la Cour constitutionnelle est saisie de la question de la constitutionnalitĂ© d’une norme nationale au regard du premier alinĂ©a de l’article 117 de la Constitution, [et que cette question] porte sur une incompatibilitĂ© avec une ou plusieurs normes de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme qui ne peut ĂȘtre rĂ©solue par voie d’interprĂ©tation, il lui appartient de rechercher si l’incompatibilitĂ© en question est avĂ©rĂ©e et, [dans l’affirmative], de vĂ©rifier si les normes mĂȘmes de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, telles qu’interprĂ©tĂ©es par la Cour de Strasbourg, garantissent une protection des droits fondamentaux Ă  tout le moins Ă©quivalente Ă  celle offerte par la Constitution italienne.

Il ne s’agit pas en fait de juger de l’interprĂ©tation que la Cour de Strasbourg donne Ă  telle ou telle norme de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme (...) mais de vĂ©rifier si cette norme, telle qu’interprĂ©tĂ©e par la juridiction Ă  laquelle les États membres ont expressĂ©ment attribuĂ© cette compĂ©tence, est compatible avec les normes pertinentes de la Constitution. Ainsi le devoir de garantir le respect des obligations internationales imposĂ© par la Constitution est-il correctement mis en balance avec la nĂ©cessitĂ© d’éviter que ce devoir ne porte atteinte Ă  la Constitution elle-mĂȘme. Â»

G.  La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

1.  L’ordonnance de la Cour constitutionnelle no 396 du 24 octobre 2006

27.  Par cette ordonnance, la Cour constitutionnelle dĂ©clara irrecevable une question de constitutionnalitĂ© soulevĂ©e par le tribunal de Cagliari relativement Ă  l’article 13 de loi no 40/2004, qui interdit le recours au diagnostic prĂ©implantatoire.

28.  Pour se prononcer ainsi, la Cour constitutionnelle releva que le juge de renvoi s’était limitĂ© Ă  soulever la question de la constitutionnalitĂ© du seul article 13 de la loi no 40/2004 alors que, selon le contenu du renvoi, l’interdiction du diagnostic prĂ©implantatoire dĂ©coulait aussi d’autres dispositions de la mĂȘme loi, notamment de l’alinĂ©a 3 de son article 14.

2.  L’arrĂȘt de la Cour constitutionnelle no 151 du 1er avril 2009

29.  Cet arrĂȘt porte sur la constitutionnalitĂ© des dispositions des alinĂ©as 2 et 3 de l’article 14 de la loi no 40/2004 qui prĂ©voient, d’une part, la crĂ©ation d’un nombre limitĂ© d’embryons (non supĂ©rieur Ă  trois) et l’obligation de les implanter simultanĂ©ment et, d’autre part, l’interdiction de cryoconserver les embryons surnumĂ©raires.

30.  La Cour constitutionnelle jugea que les alinĂ©as en question Ă©taient inconstitutionnels parce qu’ils portaient prĂ©judice Ă  la santĂ© des femmes en les obligeant, d’une part, Ă  subir plusieurs cycles de stimulation ovarienne et, de l’autre part, Ă  s’exposer aux risques liĂ©s aux grossesses multiples du fait de l’interdiction de l’interruption sĂ©lective de grossesse.

31.  Dans le texte de l’arrĂȘt, aucune rĂ©fĂ©rence n’est faite Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, laquelle n’avait pas non plus Ă©tĂ© citĂ©e par les juridictions (tribunal administratif rĂ©gional du Latium et tribunal de Florence) qui avaient soulevĂ© la question.

3.  L’ordonnance de la Cour constitutionnelle no 97 du 8 mars 2010

32.  Par cette ordonnance, la Cour constitutionnelle dĂ©clara irrecevables les questions de constitutionnalitĂ© que le tribunal de Milan avait soulevĂ©es devant elle, celles-ci ayant dĂ©jĂ  Ă©tĂ© traitĂ©es dans son arrĂȘt no 151/2009.

4.  L’ordonnance de la Cour constitutionnelle no 150 du 22 mai 2012

33.  Par cette ordonnance, qui se rĂ©fĂ©rait Ă  l’arrĂȘt S.H. et autres c. Autriche ([GC], no 57813/00, CEDH 2011), la Cour constitutionnelle renvoya devant le juge du fond l’affaire qui avait Ă©tĂ© portĂ©e devant elle et qui concernait l’interdiction du recours Ă  la fĂ©condation hĂ©tĂ©rologue Ă©dictĂ©e par la loi no 40/2004.

5.  L’arrĂȘt de la Cour constitutionnelle no 162 du 10 juin 2014

34.  Cet arrĂȘt porte sur la constitutionnalitĂ© de l’interdiction absolue d’accĂ©der Ă  la fĂ©condation hĂ©tĂ©rologue en cas de stĂ©rilitĂ© ou d’infertilitĂ© mĂ©dicalement prouvĂ©e, telle que prĂ©vue par la loi no 40/2004.

35.  Trois juridictions de droit commun avaient saisi la Cour constitutionnelle de la question de savoir si la loi litigieuse Ă©tait compatible avec les articles 2 (droits inviolables), 3 (principe d’égalitĂ©), 29 (droit de la famille), 31 (obligations de l’État pour la protection du droit de la famille) et 32 (droit Ă  la santĂ©) de la Constitution. L’une d’entre elles, le tribunal de Milan, avait aussi demandĂ© Ă  la Cour de se prononcer sur la compatibilitĂ© de la loi en question avec les articles 8 et 14 de la Convention.

36.  La Cour constitutionnelle jugea inconstitutionnelles les dispositions lĂ©gislatives pertinentes.

37.  Elle considĂ©ra notamment que le choix des demandeurs Ă  l’instance de devenir parents et de fonder une famille avec des enfants relevait de leur libertĂ© d’autodĂ©termination concernant la sphĂšre de leur vie privĂ©e et familiale et protĂ©gĂ©e en tant que telle par les articles 2, 3 et 31 de la Constitution. Elle prĂ©cisa Ă©galement que ceux qui Ă©taient atteints d’infertilitĂ© ou de stĂ©rilitĂ© totale Ă©taient titulaires d’un droit Ă  la protection de leur santĂ© (article 32 de la Constitution).

38.  Elle estima que si les droits en question pouvaient faire l’objet de limitations inspirĂ©es par des considĂ©rations d’ordre Ă©thique, ces limitations ne pouvaient se traduire en une interdiction absolue, sauf s’il s’avĂ©rait impossible de protĂ©ger autrement d’autres libertĂ©s constitutionnellement garanties.

39.  Pour ce qui est de la compatibilitĂ© des dispositions lĂ©gislatives en cause avec les articles 8 et 14 de la Convention, la Cour constitutionnelle se borna Ă  observer que les questions y relatives Ă©taient couvertes par les conclusions auxquelles elle Ă©tait parvenue sur la constitutionnalitĂ© des dispositions en question (voir ci-dessus).

H.  Les ordonnances des tribunaux nationaux en matiĂšre d’accĂšs au diagnostic prĂ©implantatoire

1.  L’ordonnance du tribunal de Cagliari du 22 septembre 2007

40.  Dans cette ordonnance, le tribunal de Cagliari rappela que les demandeurs avaient d’abord introduit une procĂ©dure en urgence, dans le cadre de laquelle une question de constitutionnalitĂ© avait Ă©tĂ© soulevĂ©e. Il ajouta que cette question avait ensuite Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e irrecevable par une ordonnance no 396 de la Cour constitutionnelle rendue le 24 octobre 2006 (voir les paragraphes 27-28 ci-dessus), et que cette ordonnance n’avait donc fourni aucune indication quant Ă  l’interprĂ©tation qu’il convenait de donner au droit interne Ă  la lumiĂšre de la Constitution.

41.  Quant Ă  la procĂ©dure civile introduite devant lui, il releva qu’il n’existait pas, en droit interne, d’interdiction expresse d’accĂšs au diagnostic prĂ©implantatoire, et qu’une interprĂ©tation de la loi concluant Ă  l’existence d’une telle interdiction aurait Ă©tĂ© contraire au droit des demandeurs d’ĂȘtre dĂ»ment informĂ©s du traitement mĂ©dical qu’ils entendaient entreprendre.

42.  En outre, il nota que des interdictions de recourir au diagnostic prĂ©implantatoire avait Ă©tĂ© introduites ultĂ©rieurement par une norme de rang secondaire, Ă  savoir le dĂ©cret du ministĂšre de la SantĂ© no 15165 du 21 juillet 2004 (notamment dans la partie oĂč celui-ci dispose que « [les] examens de l’état de santĂ© d’embryons crĂ©Ă©s in vitro, au sens de l’article 14, alinĂ©a 5 [de la loi no 40 de 2004], ne peuvent viser qu’à l’observation de ceux-ci – « dovrĂ  essere di tipo osservazionale Â» -). Il estima que cela Ă©tait contraire au principe de lĂ©galitĂ© ainsi qu’à la « Convention d’Oviedo Â» du Conseil de l’Europe.

43.  Il releva enfin qu’une interprĂ©tation de la loi no 40/2004 permettant l’accĂšs au diagnostic prĂ©implantatoire Ă©tait conforme au droit Ă  la santĂ© reconnu Ă  la mĂšre. En consĂ©quence, il autorisa les demandeurs Ă  accĂ©der au diagnostic prĂ©implantatoire.

2.  L’ordonnance du tribunal de Florence du 17 dĂ©cembre 2007

44.  Dans cette ordonnance, le tribunal de Florence se rĂ©fĂ©ra Ă  l’ordonnance du tribunal de Cagliari citĂ©e ci-dessus et dĂ©clara partager l’interprĂ©tation que celui-ci avait donnĂ©e du droit interne. En consĂ©quence, il autorisa les demandeurs Ă  accĂ©der au diagnostic prĂ©implantatoire.

3.  L’ordonnance du tribunal de Bologne du 29 juin 2009

45.  Par cette ordonnance, le tribunal de Bologne autorisa les demandeurs Ă  accĂ©der au diagnostic prĂ©implantatoire, indiquant que cette pratique se conciliait avec la protection de la santĂ© de la femme reconnue par l’interprĂ©tation que la Cour constitutionnelle avait donnĂ©e du droit interne dans son arrĂȘt no 151 du 1er avril 2009 (voir les paragraphes 29-31 ci-dessus).

4.  L’ordonnance du tribunal de Salerne du 9 janvier 2010

46.  Dans cette ordonnance, rendue Ă  l’issue d’une procĂ©dure en rĂ©fĂ©rĂ©, le tribunal de Salerne rappela les nouveautĂ©s introduites par le dĂ©cret du ministĂšre de la SantĂ© no 31639 du 11 avril 2008, Ă  savoir le fait que les examens de l’état de santĂ© d’embryons crĂ©Ă©s in vitro n’étaient plus limitĂ©s Ă  l’observation de ceux-ci et que l’accĂšs Ă  la procrĂ©ation assistĂ©e Ă©tait autorisĂ© pour les couples dont l’homme Ă©tait porteur de maladies virales sexuellement transmissibles.

47.  Il en dĂ©duisit que le diagnostic prĂ©implantatoire ne pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ© que comme l’une des techniques de surveillance prĂ©natale visant Ă  connaĂźtre l’état de santĂ© de l’embryon.

48.  En consĂ©quence, il autorisa la rĂ©alisation d’un diagnostic prĂ©implantatoire sur l’embryon in vitro des demandeurs.

5.  L’ordonnance du tribunal de Cagliari du 9 novembre 2012

49.  Dans cette ordonnance, le tribunal de Cagliari renvoya aux considĂ©rations dĂ©veloppĂ©es dans les ordonnances citĂ©es ci-dessus. En outre, il indiqua qu’il ressortait des arrĂȘts nos 348 et 349 rendus par la Cour constitutionnelle le 24 octobre 2007 qu’une interprĂ©tation de la loi visant Ă  garantir l’accĂšs au diagnostic prĂ©implantatoire se conciliait avec la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, compte tenu notamment de l’arrĂȘt rendu par la Cour de Strasbourg dans l’affaire Costa et Pavan c. Italie (no 54270/10, 28 aoĂ»t 2012).

6.  L’ordonnance du tribunal de Rome du 15 janvier 2014

50.  Par cette ordonnance, le tribunal souleva la question de la constitutionnalitĂ© des articles 1, alinĂ©as 1 et 2, et 4, alinĂ©a 1 de la loi no 40/2004, dispositions interdisant aux couples non stĂ©riles et non infertiles d’avoir recours aux techniques de la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e en vue de rĂ©aliser un diagnostic prĂ©implantatoire. Il se plaça aussi sur le terrain des articles 8 et 14 de la Convention.

51.  Tout en tenant compte de l’arrĂȘt Costa et Pavan c. Italie (prĂ©citĂ©), il estima qu’on ne pouvait procĂ©der Ă  une interprĂ©tation extensive de la loi, laquelle Ă©nonçait expressĂ©ment que l’accĂšs aux techniques de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e Ă©tait rĂ©servĂ© aux couples stĂ©riles ou infertiles.

I.  La question de la constitutionnalitĂ© de l’article 13 de la loi no 40/2004 soulevĂ©e par le tribunal de Florence

52.  Par une dĂ©cision du 7 dĂ©cembre 2012, le tribunal de Florence souleva la question de la constitutionnalitĂ© de l’interdiction du don d’embryons surnumĂ©raires Ă  la recherche scientifique dĂ©coulant de l’article 13 de la loi no 40/2004 au regard des articles 9 et 32 de la Constitution, lesquels garantissent respectivement la libertĂ© de la recherche scientifique et le droit Ă  la santĂ©.

53.  Le 19 mars 2014, le prĂ©sident de la Cour constitutionnelle a ajournĂ© l’examen de cette affaire dans l’attente de la dĂ©cision que la Grande Chambre prendra sur la requĂȘte Parrillo c. Italie no 46470/11.

III.  DOCUMENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE

A.  Recommandation 1046 (1986) de l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe relative Ă  l’utilisation d’embryons et fƓtus humains Ă  des fins diagnostiques, thĂ©rapeutiques, scientifiques, industrielles et commerciales

«  (...) 6.  [L’AssemblĂ©e parlementaire] Consciente de ce que [le] progrĂšs [de la science et de la technologie mĂ©dicale] a rendu particuliĂšrement prĂ©caire la condition juridique de l’embryon et du fƓtus, et que leur statut juridique n’est actuellement pas dĂ©terminĂ© par la loi ;

7.  Consciente de ce qu’il n’existe pas de dispositions adĂ©quates rĂ©glant l’utilisation d’embryons et fƓtus vivants ou morts ;

8.  Convaincue de ce que, face au progrĂšs scientifique qui permet d’intervenir dĂšs la fĂ©condation sur la vie humaine en dĂ©veloppement, il est urgent de dĂ©terminer le degrĂ© de sa protection juridique ;

9.  Tenant compte du pluralisme des opinions s’exprimant sur le plan Ă©thique Ă  propos de l’utilisation d’embryons ou de fƓtus, ou de leurs tissus, et des conflits de valeurs qu’il provoque ;

10.  ConsidĂ©rant que l’embryon et le fƓtus humains doivent bĂ©nĂ©ficier en toutes circonstances du respect dĂ» Ă  la dignitĂ© humaine, et que l’utilisation de leurs produits et tissus doit ĂȘtre limitĂ©e de maniĂšre stricte et rĂ©glementĂ©e (...) en vue de fins purement thĂ©rapeutiques et ne pouvant ĂȘtre atteintes par d’autres moyens ; (...)

13.  Soulignant la nĂ©cessitĂ© d’une coopĂ©ration europĂ©enne,

14.  Recommande au ComitĂ© des Ministres :

A.  d’inviter les gouvernements des États membres :

(...)

ii.  Ă  limiter l’utilisation industrielle des embryons et de fƓtus humains, ainsi que de leurs produits et tissus, Ă  des fins strictement thĂ©rapeutiques et ne pouvant ĂȘtre atteintes par d’autres moyens, selon les principes mentionnĂ©s en annexe, et Ă  conformer leur droit Ă  ceux-ci, ou Ă  adopter des rĂšgles conformes, ces rĂšgles devant notamment prĂ©ciser les conditions dans lesquelles le prĂ©lĂšvement et l’utilisation dans un but diagnostique ou thĂ©rapeutique peuvent ĂȘtre effectuĂ©s ;

iii.  Ă  interdire toute crĂ©ation d’embryons humains par fĂ©condation in vitro Ă  des fins de recherche de leur vivant ou aprĂšs leur mort ;

iv.  Ă  interdire tout ce qu’on pourrait dĂ©finir comme des manipulations ou dĂ©viations non dĂ©sirables de ces techniques, entre autres :

(...)

- la recherche sur des embryons humains viables ;

- l’expĂ©rimentation sur des embryons vivants, viables ou non (...) Â»

B.  Recommandation 1100 (1989) de l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe sur l’utilisation des embryons et fƓtus humains dans la recherche scientifique

« (...) 7.  ConsidĂ©rant que l’embryon humain, bien qu’il se dĂ©veloppe en phases successives indiquĂ©es par diverses dĂ©nominations (...), manifeste aussi une diffĂ©renciation progressive de son organisme et maintient nĂ©anmoins en continuitĂ© son identitĂ© biologique et gĂ©nĂ©tique,

8.  Rappelant la nĂ©cessitĂ© d’une coopĂ©ration europĂ©enne et d’une rĂ©glementation aussi large que possible qui permettent de surmonter les contradictions, les risques et l’inefficacitĂ© prĂ©visible de normes exclusivement nationales dans les domaines concernĂ©s,

(...)

21.  La crĂ©ation et/ou le maintien en vie intentionnels d’embryons ou fƓtus, in vitro ou in utero, dans un but de recherche scientifique, par exemple pour en prĂ©lever du matĂ©riel gĂ©nĂ©tique, des cellules, des tissus ou des organes, doivent ĂȘtre interdits. (...) Â»

54.  Les passages pertinents de l’annexe Ă  cette recommandation se lisent ainsi :

« B.  Sur des embryons prĂ©implantatoires vivants : (...)

4.  ConformĂ©ment aux Recommandations 934 (1982) et 1046 (1986), les recherches in vitro sur des embryons viables ne doivent ĂȘtre autorisĂ©es que:

–  s’il s’agit de recherches appliquĂ©es de caractĂšre diagnostique ou effectuĂ©es Ă  des fins prĂ©ventives ou thĂ©rapeutiques;

–  si elles n’interviennent pas sur leur patrimoine gĂ©nĂ©tique non pathologique.

5.  (...) les recherches sur les embryons vivants doivent ĂȘtre interdites, notamment:

–  si l’embryon est viable;

–  s’il y a la possibilitĂ© d’utiliser un modĂšle animal;

–  si ce n’est pas prĂ©vu dans le cadre de projets dĂ»ment prĂ©sentĂ©s et autorisĂ©s par les autoritĂ©s sanitaires ou scientifiques compĂ©tentes ou, par dĂ©lĂ©gation, par la commission nationale multidisciplinaire concernĂ©e;

–  si elles ne respectent pas les dĂ©lais prescrits par les autoritĂ©s susdites.

(...)

H.  Don d’élĂ©ments du matĂ©riel embryonnaire humain : (...)

20.  Le don d’élĂ©ments du matĂ©riel embryonnaire humain doit ĂȘtre autorisĂ© uniquement s’il a pour but la recherche scientifique, Ă  des fins diagnostiques, prĂ©ventives ou thĂ©rapeutiques. Sa vente sera interdite.

21.  La crĂ©ation et/ou le maintien en vie intentionnels d’embryons ou fƓtus, in vitro ou in utero, dans un but de recherche scientifique, par exemple pour en prĂ©lever du matĂ©riel gĂ©nĂ©tique, des cellules, des tissus ou des organes, doivent ĂȘtre interdits.

22.  Le don et l’utilisation d’élĂ©ments du matĂ©riel embryonnaire humain ne doivent ĂȘtre permis que si les gĂ©niteurs ont donnĂ© librement et par Ă©crit leur consentement prĂ©alable.

23.  Le don d’organes doit ĂȘtre dĂ©pourvu de tout caractĂšre mercantile. L’achat et la vente d’embryons, de fƓtus ou de leurs composants par les gĂ©niteurs ou des tiers, de mĂȘme que leur importation ou leur exportation, doivent Ă©galement ĂȘtre interdits.

24.  Le don et l’emploi de matĂ©riels embryonnaires humains dans la fabrication d’armes biologiques dangereuses et exterminatrices doivent ĂȘtre interdits.

25.  Pour l’ensemble de la prĂ©sente recommandation, par « viables Â» on entend les embryons qui ne prĂ©sentent pas de caractĂ©ristiques biologiques susceptibles d’empĂȘcher leur dĂ©veloppement; d’autre part, la non-viabilitĂ© des embryons et des fƓtus humains devra ĂȘtre dĂ©terminĂ©e exclusivement par des critĂšres biologiques objectifs, fondĂ©s sur les dĂ©fectuositĂ©s intrinsĂšques de l’embryon. Â»

C.  La Convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la biomĂ©decine (« Convention d’Oviedo Â») du 4 avril 1997

Article 2 – PrimautĂ© de l’ĂȘtre humain

« L’intĂ©rĂȘt et le bien de l’ĂȘtre humain doivent prĂ©valoir sur le seul intĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ© ou de la science. Â»

Article 18 – Recherche sur les embryons in vitro

« 1.  Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adĂ©quate de l’embryon.

2.  La constitution d’embryons humains aux fins de recherche est interdite. »

Article 27 – Protection plus Ă©tendue

« Aucune des dispositions de la prĂ©sente Convention ne sera interprĂ©tĂ©e comme limitant ou portant atteinte Ă  la facultĂ© pour chaque Partie d’accorder une protection plus Ă©tendue Ă  l’égard des applications de la biologie et de la mĂ©decine que celle prĂ©vue par la prĂ©sente Convention. Â»

D.  Protocole additionnel Ă  la Convention d’Oviedo, relatif Ă  la recherche biomĂ©dicale du 25 janvier 2005

Article 2 – Champ d’application

« 1.  Le prĂ©sent Protocole s’applique Ă  l’ensemble des activitĂ©s de recherche dans le domaine de la santĂ© impliquant une intervention sur l’ĂȘtre humain.

2.  Le Protocole ne s’applique pas Ă  la recherche sur les embryons in vitro. Il s’applique Ă  la recherche sur les fƓtus et les embryons in vivo.

(...) »

E.  Le rapport du groupe de travail sur la protection de l’embryon et du fƓtus humains du ComitĂ© directeur pour la bioĂ©thique, rendu public le 19 juin 2003 – Conclusion

« Ce rapport a pour but de prĂ©senter une vue d’ensemble des positions actuelles en Europe sur la protection de l’embryon humain in vitro et des arguments qui les sous-tendent.

Il montre un large consensus sur la nĂ©cessitĂ© d’une protection de l’embryon in vitro. NĂ©anmoins, la dĂ©finition du statut de l’embryon reste un domaine oĂč l’on rencontre des diffĂ©rences fondamentales reposant sur des arguments forts. Ces divergences sont, dans une large mesure, Ă  l’origine de celles rencontrĂ©es sur les questions ayant trait Ă  la protection de l’embryon in vitro.

Toutefois, mĂȘme en l’absence d’accord sur le statut de l’embryon, la possibilitĂ© de rĂ©examiner certaines questions Ă  la lumiĂšre des rĂ©cents dĂ©veloppements dans le domaine biomĂ©dical et des avancĂ©es thĂ©rapeutiques potentielles, pourrait ĂȘtre envisagĂ©e. Dans ce contexte, tout en reconnaissant et respectant les choix fondamentaux des diffĂ©rents pays, il semble possible et souhaitable – au regard de la nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger l’embryon in vitro reconnue par tous les pays – d’identifier des approches communes afin d’assurer des conditions adĂ©quates d’application des procĂ©dures impliquant la constitution et l’utilisation d’embryons in vitro. Ce rapport se veut une aide Ă  la rĂ©flexion vers cet objectif. »

F.  RĂ©solution 1352 (2003) de l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe concernant la recherche sur les cellules souches humaines

« (...) 3.  Les cellules souches humaines peuvent provenir d’un nombre croissant de tissus et de fluides prĂ©sents dans le corps d’ĂȘtres humains de tous Ăąges, et pas seulement de sources embryonnaires.

(...)

5.  Le prĂ©lĂšvement de cellules souches embryonnaires implique pour le moment la destruction d’embryons humains.

(...)

7.  L’AssemblĂ©e fait observer que nombre de lignĂ©es de cellules souches embryonnaires humaines susceptibles de servir Ă  la recherche scientifique sont dĂ©jĂ  disponibles dans le monde.

(...)

10.  La destruction d’ĂȘtres humains Ă  des fins de recherche est contraire au droit de tout ĂȘtre humain Ă  la vie et Ă  l’interdiction morale de toute instrumentalisation de l’ĂȘtre humain.

11.  En consĂ©quence, l’AssemblĂ©e invite les États membres:

i. Ă  favoriser la recherche sur les cellules souches Ă  condition qu’elle respecte la vie des ĂȘtres humains Ă  tous les stades de leur dĂ©veloppement;

ii. Ă  encourager les techniques scientifiques qui ne sont pas controversĂ©es des points de vue social et Ă©thique afin de tirer un meilleur parti de la pluripotence cellulaire et de mettre au point de nouvelles mĂ©thodes de mĂ©decine rĂ©gĂ©nĂ©rative;

iii. Ă  signer et Ă  ratifier la Convention d’Oviedo pour rendre effective l’interdiction de la constitution d’embryons humains aux fins de recherche;

iv. Ă  promouvoir des programmes de recherche fondamentale europĂ©ens communs portant sur les cellules souches adultes;

v. Ă  garantir que, dans les pays oĂč de telles recherches sont admises, toute recherche sur des cellules souches impliquant la destruction d’embryons humains est dĂ»ment autorisĂ©e et surveillĂ©e par les instances nationales appropriĂ©es;

vi. Ă  respecter les dĂ©cisions des pays lorsque ceux-ci choisissent de ne pas participer Ă  des programmes internationaux de recherche contraires aux valeurs Ă©thiques consacrĂ©es par leur lĂ©gislation nationale et Ă  ne pas escompter que ces pays contribuent directement ou indirectement Ă  ces recherches;

vii. Ă  privilĂ©gier l’éthique de la recherche plutĂŽt que les aspects purement utilitaires et financiers;

viii. Ă  promouvoir la crĂ©ation de structures permettant Ă  des scientifiques et Ă  des reprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile d’examiner diffĂ©rents types de projets de recherche sur les cellules souches humaines, en vue d’augmenter la transparence et la responsabilitĂ© dĂ©mocratique. Â»

G.  Recommandation du ComitĂ© des Ministres aux États membres sur la recherche utilisant du matĂ©riel biologique d’origine humaine (Rec (2006)4, adoptĂ©e par le ComitĂ© des Ministres le 15 mars 2006)

55.  Cette recommandation, qui ne s’applique pas aux matĂ©riels biologiques embryonnaires et fƓtaux (article 2 § 3), a pour but de sauvegarder les droits fondamentaux des personnes dont le matĂ©riel biologique pourrait ĂȘtre inclus dans un projet de recherche aprĂšs avoir Ă©tĂ© recueilli et stockĂ© i) pour un projet de recherche spĂ©cifique antĂ©rieur Ă  l’adoption de la recommandation, ii) pour des recherches futures non spĂ©cifiĂ©es ou iii) comme matĂ©riel rĂ©siduel initialement prĂ©levĂ© Ă  des fins cliniques ou mĂ©dico-lĂ©gales. Cette recommandation vise, entre autres, Ă  promouvoir la mise en place de codes de bonnes pratiques de la part des États membres et Ă  rĂ©duire au minimum les risques liĂ©s aux activitĂ©s de recherche concernant la vie privĂ©e des personnes. Elle fixe Ă©galement des rĂšgles rĂ©gissant l’obtention et les collections de matĂ©riel biologique.

H.  Â« L’éthique dans la science et la technologie Â», RĂ©solution 1934 (2013) de l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe

« 2.   ...) l’AssemblĂ©e estime qu’une rĂ©flexion Ă©thique plus concertĂ©e devrait ĂȘtre menĂ©e aux niveaux national, suprarĂ©gional et mondial sur les objectifs et les usages de la science et de la technologie, sur les instruments et mĂ©thodes qu’elles emploient, sur leurs possibles consĂ©quences et effets indirects, et sur le systĂšme global de rĂšgles et de comportements dans lequel elles s’inscrivent.

3.  L’AssemblĂ©e considĂšre qu’une structure permanente de rĂ©flexion Ă©thique au niveau mondial permettrait de traiter les questions Ă©thiques comme une « cible mouvante», au lieu de fixer un « code Ă©thique Â», et de remettre Ă  plat, de maniĂšre pĂ©riodique, les concepts en vigueur, mĂȘme les plus fondamentaux, comme la dĂ©finition de l’« identitĂ© humaine Â» ou de la « dignitĂ© humaine Â».

4  L’AssemblĂ©e salue l’initiative de l’UNESCO qui a crĂ©Ă© la Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies (COMEST) en vue d’engager une rĂ©flexion Ă©thique permanente et d’étudier les possibilitĂ©s de rĂ©diger et de rĂ©viser pĂ©riodiquement un ensemble de principes Ă©thiques fondamentaux fondĂ©s sur la DĂ©claration universelle des droits de l’homme. Elle considĂšre que le Conseil de l’Europe devrait contribuer Ă  ce processus.

5.  Ă€ cet Ă©gard, l’AssemblĂ©e recommande au SecrĂ©taire GĂ©nĂ©ral du Conseil de l’Europe d’envisager la crĂ©ation d’une structure souple et informelle de rĂ©flexion Ă©thique, par le biais d’une coopĂ©ration entre les commissions compĂ©tentes de l’AssemblĂ©e et les membres des comitĂ©s d’experts concernĂ©s, parmi lesquels le ComitĂ© de bioĂ©thique (DH-BIO), en vue d’identifier les nouveaux enjeux Ă©thiques et les principes Ă©thiques fondamentaux susceptibles d’orienter l’action politique et juridique en Europe.

6.  Pour renforcer le cadre europĂ©en commun d’éthique dans la science et la technologie, l’AssemblĂ©e recommande aux États membres qui ne l’ont pas encore fait de signer et de ratifier la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignitĂ© de l’ĂȘtre humain Ă  l’égard des applications de la biologie et de la mĂ©decine : Convention sur les droits de l’homme et la biomĂ©decine (STE no 164, « Convention d’Oviedo Â») et ses protocoles, et de participer pleinement aux travaux du ComitĂ© de bioĂ©thique.

(...)

10.  L’AssemblĂ©e invite l’Union europĂ©enne et l’UNESCO Ă  coopĂ©rer avec le Conseil de l’Europe pour renforcer le cadre europĂ©en commun d’éthique dans la science et la technologie, et, Ă  cette fin:

10.1.  Ă  crĂ©er des plates-formes europĂ©ennes et rĂ©gionales permettant d’échanger rĂ©guliĂšrement des expĂ©riences et des bonnes pratiques couvrant tous les domaines de la science et de la technologie, en utilisant l’expĂ©rience acquise dans le cadre de la ConfĂ©rence europĂ©enne des comitĂ©s nationaux d’éthique (COMETH) lancĂ©e par le Conseil de l’Europe et, plus rĂ©cemment, du Forum des comitĂ©s nationaux d’éthique (Forum des CNE) financĂ© par la Commission europĂ©enne, et des rĂ©unions du ComitĂ© de bioĂ©thique du Conseil de l’Europe;

10.2.  Ă  rĂ©diger et Ă  rĂ©viser pĂ©riodiquement un ensemble de principes Ă©thiques fondamentaux Ă  appliquer dans tous les domaines de la science et de la technologie;

10.3.  Ă  proposer des orientations supplĂ©mentaires pour aider les États membres Ă  harmoniser les rĂšgles Ă©thiques et les procĂ©dures de suivi, en s’appuyant sur les effets positifs des exigences Ă©thiques Ă©noncĂ©es dans le septiĂšme programme-cadre de la Commission europĂ©enne pour des actions de recherche et de dĂ©veloppement technologique (2007-2013) (7e PC). Â»

IV.  DROIT ET ÉLÉMENTS PERTINENTS DE L’UNION EUROPÉENNE

A.  Le Groupe europĂ©en d’éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE) auprĂšs de la Commission europĂ©enne

56.  Mis en place en 1991 par la Commission europĂ©enne, le GEE est un organisme indĂ©pendant composĂ© d’experts ayant pour mission de soumettre des avis Ă  la Commission europĂ©enne sur les questions Ă©thiques liĂ©es Ă  la science et aux nouvelles technologies. Le GEE a rendu deux avis concernant l’utilisation d’embryons in vitro Ă  fins de recherche.

1.  Avis no 12 : Les aspects Ă©thiques de la recherche impliquant l’utilisation d’embryons humains dans le contexte du VĂšme programme-cadre de recherche, 14 novembre 1998

57.  Cet avis a Ă©tĂ© publiĂ© Ă  la demande de la Commission europĂ©enne Ă  la suite de la proposition du Parlement europĂ©en d’exclure des financements europĂ©ens les projets de recherche impliquant la destruction d’embryons humains dans le cadre du cinquiĂšme programme-cadre. Ses passages pertinents se lisent comme suit :

« (...) 2.6. (...) Dans le cadre des programmes de recherche europĂ©ens, la question de la recherche sur l’embryon humain doit ĂȘtre envisagĂ©e tant du point de vue du respect des principes Ă©thiques fondamentaux communs Ă  tous les États membres qu’en tenant compte de la diversitĂ© des conceptions philosophiques et Ă©thiques exprimĂ©es Ă  travers les diffĂ©rentes pratiques et rĂ©glementations nationales en vigueur en ce domaine. (...)

2.8.  Ă  la lumiĂšre des principes et prĂ©cisions prĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©s, le Groupe estime qu’il est conforme Ă  la dimension Ă©thique du cinquiĂšme programme-cadre communautaire de ne pas exclure a priori des financements communautaires les recherches sur l’embryon humain qui font l’objet de choix Ă©thiques divergents selon les pays. [...] Â»

2.  Avis no 15 : Aspects Ă©thiques de la recherche sur les cellules souches humaines et leur utilisation, 14 novembre 2000

58.  Les passages pertinents de cet avis sont ainsi libellĂ©s :

« 2.3.  Pluralisme et Ă©thique europĂ©enne

(...) Dans le contexte du pluralisme europĂ©en, il appartient Ă  chaque État membre d’interdire ou d’autoriser les recherches sur l’embryon. Dans ce dernier cas, le respect de la dignitĂ© humaine implique que l’on rĂšglemente les recherches sur l’embryon et que l’on prĂ©voie des garanties contre le risque d’expĂ©rimentation arbitraire et d’instrumentalisation de l’embryon humain.

2.5.  AcceptabilitĂ© Ă©thique du domaine de recherche concernĂ©

Le Groupe note que, dans certains pays, la recherche sur l’embryon est interdite. En revanche, dans les pays oĂč elle est autorisĂ©e afin d’amĂ©liorer le traitement de l’infertilitĂ©, on peut difficilement trouver un argument Ă  invoquer pour une extension du champ de ces recherches visant Ă  mettre au point de nouveaux traitements contre les maladies ou lĂ©sions graves. En effet, comme dans le cas de la recherche sur l’infertilitĂ©, la recherche sur les cellules souches vise Ă  soulager la souffrance humaine. Dans tous les cas, les embryons qui ont servi pour des travaux de recherche sont destinĂ©s Ă  ĂȘtre dĂ©truits. Par consĂ©quent, il n’y a pas d’argument pour exclure le financement de ce type de recherches au titre du programme-cadre de recherche de l’Union europĂ©enne si elles satisfont aux exigences Ă©thique et lĂ©gales dĂ©finies dans ce programme. Â»

B.  RĂšglement no 1394/2007 du Parlement europĂ©en et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les mĂ©dicaments de thĂ©rapie innovante et modifiant la directive 2001/83/CE ainsi que le rĂšglement (CE) no 726/2004

« (7) Il importe que la rĂ©glementation des mĂ©dicaments de thĂ©rapie innovante au niveau communautaire ne porte pas atteinte aux dĂ©cisions prises par les États membres concernant l’opportunitĂ© d’autoriser l’utilisation de tel ou tel type de cellules humaines, par exemple les cellules souches embryonnaires, ou de cellules animales. Il convient qu’elle n’influence pas non plus l’application des lĂ©gislations nationales interdisant ou limitant la vente, la distribution ou l’utilisation de mĂ©dicaments contenant de telles cellules, consistant dans de telles cellules ou issus de celles-ci. Â»

C.  L’arrĂȘt de la Cour de justice de l’Union europĂ©enne du 18 octobre 2011 (C-34/10 Oliver BrĂŒstle c. Greenpeace eV)

59.  Par cet arrĂȘt, rendu sur renvoi prĂ©judiciel de la Cour fĂ©dĂ©rale de justice (Bundesgerichtshof) allemande, la Cour de justice de l’Union europĂ©enne s’est prononcĂ©e sur l’interprĂ©tation Ă  donner Ă  la directive 98/44/CE du Parlement europĂ©en et du Conseil du 6 juillet 1998 relative Ă  la protection juridique des inventions biotechnologiques.

60.  La partie de la directive en cause Ă©tait celle qui, tempĂ©rant le principe selon lequel l’utilisation d’embryons humains Ă  des fins industrielles ou commerciales n’est pas brevetable, prĂ©cise que cette exclusion ne concerne pas « les inventions ayant un objectif thĂ©rapeutique ou diagnostique qui s’appliquent Ă  l’embryon humain et lui sont utiles Â».

61.  La Cour de justice a prĂ©cisĂ© que la directive litigieuse ne vise pas Ă  rĂ©glementer l’utilisation d’embryons humains dans le cadre de recherches scientifiques : son objet se limite Ă  la brevetabilitĂ© des inventions biotechnologiques. Elle a ensuite estimĂ© que les inventions qui impliquent l’utilisation d’embryons humains restent exclues de toute brevetabilitĂ© mĂȘme lorsqu’elles peuvent se revendiquer d’une finalitĂ© de recherche scientifique (une telle finalitĂ© ne pouvant pas, en matiĂšre de brevets, ĂȘtre distinguĂ©e des autres fins industrielles et commerciales). La Cour de justice a indiquĂ© en mĂȘme temps que les inventions impliquant une utilisation Ă  des fins thĂ©rapeutiques ou de diagnostic applicable Ă  l’embryon humain et utile Ă  celui-ci ne sont pas concernĂ©es par cette exclusion.

D.  Les financements de l’Union europĂ©enne en matiĂšre de recherche et de dĂ©veloppement technologique

62.  Depuis 1984, l’Union europĂ©enne dĂ©ploie des fonds pour la recherche scientifique Ă  travers des programmes-cadres couvrant des pĂ©riodes qui s’étalent sur plusieurs annĂ©es.

63.  Les parties pertinentes de la dĂ©cision no 1982/2006/CE relative au septiĂšme programme-cadre de la CommunautĂ© europĂ©enne pour des actions de recherche, de dĂ©veloppement technologique et de dĂ©monstration (2007-2013) se lisent comme suit :

Article 6 – Principes Ă©thiques

« 1.  Toutes les actions de recherche menĂ©es au titre du septiĂšme programme-cadre sont rĂ©alisĂ©es dans le respect des principes Ă©thiques fondamentaux.

2.  Les activitĂ©s de recherche suivantes ne font pas l’objet d’un financement au titre du septiĂšme programme-cadre:

les activités de recherche visant au clonage humain à des fins reproductives;

les activitĂ©s de recherche visant Ă  modifier le patrimoine gĂ©nĂ©tique d’ĂȘtres humains, qui pourraient rendre cette altĂ©ration hĂ©rĂ©ditaire,

les activitĂ©s de recherche visant Ă  crĂ©er des embryons humains uniquement Ă  des fins de recherche ou pour l’approvisionnement en cellules souches, y compris par transfert de noyau de cellules somatiques.

3.  Les activitĂ©s de recherche sur les cellules souches humaines, adultes ou embryonnaires, peuvent ĂȘtre financĂ©es en fonction Ă  la fois du contenu de la proposition scientifique et du cadre juridique de(s) l’État(s) membre(s) intĂ©ressĂ©(s). (...) Â»

64.  Les parties pertinentes du RĂšglement no 1291/2013 du Parlement europĂ©en et du Conseil du 11 dĂ©cembre 2013 portant Ă©tablissement du programme-cadre pour la recherche et l’innovation « Horizon 2020 Â» (2014-2020) se lisent ainsi :

Article 19 – Principes Ă©thiques

« 1.  Toutes les activitĂ©s de recherche et d’innovation menĂ©es au titre d’Horizon 2020 respectent les principes Ă©thiques et les lĂ©gislations nationales, europĂ©ennes et internationales pertinentes, y compris la charte des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne, ainsi que la Convention europĂ©enne des droits de l’homme et ses protocoles additionnels (...).

(...)

3.  Sont exclus de tout financement les domaines de recherche suivants:

a) les activitĂ©s de recherche en vue du clonage humain Ă  des fins de reproduction;

b) les activitĂ©s de recherche visant Ă  modifier le patrimoine gĂ©nĂ©tique d’ĂȘtres humains, qui pourraient rendre cette altĂ©ration hĂ©rĂ©ditaire ;

c) les activitĂ©s de recherche visant Ă  crĂ©er des embryons humains uniquement Ă  des fins de recherche ou pour l’approvisionnement en cellules souches, notamment par transfert nuclĂ©aire de cellules somatiques.

4.  Les activitĂ©s de recherche sur les cellules souches humaines, adultes et embryonnaires, peuvent ĂȘtre financĂ©es en fonction Ă  la fois du contenu de la proposition scientifique et du cadre juridique des États membres intĂ©ressĂ©s. Aucun financement n’est accordĂ© aux activitĂ©s de recherche interdites dans l’ensemble des États membres. Aucune activitĂ© n’est financĂ©e dans un État membre oĂč ce type d’activitĂ©s est interdit.

(...) Â»

E.  La Communication de la Commission europĂ©enne relative Ă  l’initiative citoyenne europĂ©enne « Un de nous Â» COM(2014) 355 final (Bruxelles, 28 mai 2014)

65.  Le 10 avril 2014, l’initiative citoyenne « Un de nous Â» avait proposĂ© des modifications lĂ©gislatives tendant Ă  exclure des financements europĂ©ens les projets scientifiques impliquant la destruction d’embryons humains.

66.  Dans sa communication du 28 mai 2014, la Commission europĂ©enne a considĂ©rĂ© qu’elle ne pouvait pas faire droit Ă  cette demande au motif que sa proposition de financement des projets en question tenait compte de considĂ©rations Ă©thiques, des avantages potentiels pour la santĂ© et du soutien de l’Union Ă  la recherche sur les cellules souches.

V.  ELEMENTS DE DROIT INTERNATIONAL PERTINENTS

A.  Le rapport du ComitĂ© international de bioĂ©thique de l’UNESCO (CIB) sur les aspects Ă©thiques des recherches sur les cellules embryonnaires (6 avril 2001)

67.  Les parties pertinentes des conclusions de ce rapport se lisent comme suit:

« A.  Le CIB reconnaĂźt que les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines sont une question sur laquelle il est souhaitable qu’un dĂ©bat s’engage au niveau national pour dĂ©terminer quelle position doit ĂȘtre adoptĂ©e au sujet de ces recherches, mĂȘme si cette position vise Ă  ce qu’elles ne soient pas menĂ©es. Il prĂ©conise que des dĂ©bats s’engagent dans les instances nationales appropriĂ©es, permettant l’expression d’une pluralitĂ© d’opinions, en vue, dans toute la mesure du possible, de parvenir Ă  un consensus fixant les limites de ce qui est acceptable dans ce champ nouveau et important de la recherche thĂ©rapeutique.

Un processus permanent d’éducation et d’information dans ce domaine devrait s’instaurer. Les États devraient prendre les mesures appropriĂ©es pour amorcer un dialogue continu au sein de la sociĂ©tĂ© sur les questions Ă©thiques soulevĂ©es par ces recherches, associant tous les acteurs concernĂ©s.

B.  Quel que soit le type de recherches autorisĂ© concernant l’embryon, des mesures devraient ĂȘtre prises pour garantir que ces recherches sont menĂ©es dans un cadre lĂ©gislatif ou rĂ©glementaire qui accorderait le poids nĂ©cessaire aux considĂ©rations Ă©thiques et fixerait des principes directeurs adĂ©quats. Si l’on envisage d’autoriser que des dons d’embryons surnumĂ©raires au stade prĂ©implantatoire, provenant de traitements de FIV, soient consentis pour des recherches sur les cellules souches embryonnaires Ă  des fins thĂ©rapeutiques, une attention particuliĂšre sera accordĂ©e Ă  la dignitĂ© et aux droits des deux parents donneurs. Il est donc essentiel que le don n’ait lieu qu’aprĂšs que les donneurs ont Ă©tĂ© pleinement informĂ©s des implications de ces recherches et ont donnĂ© leur consentement prĂ©alable, libre et Ă©clairĂ©. Les finalitĂ©s de ce type de recherches et la maniĂšre dont elles sont conduites devraient faire l’objet d’une Ă©valuation par les comitĂ©s d’éthique appropriĂ©s, qui devraient ĂȘtre indĂ©pendants des chercheurs concernĂ©s. Dans ce processus, il faudrait prĂ©voir une Ă©valuation a posteriori de ces recherches. (...) Â»

B.  L’arrĂȘt Murillo et autres c. Costa Rica de la Cour interamĂ©ricaine des droits de l’homme (28 novembre 2012)

68.  Dans cette affaire, la Cour interamĂ©ricaine s’est prononcĂ©e sur l’interdiction d’effectuer des fĂ©condations in vitro au Costa Rica. Elle a estimĂ©, entre autres, que l’embryon ne pouvait pas ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une « personne Â» au sens de l’article 4 § 1 de la Convention amĂ©ricaine relative aux droits de l’homme (qui protĂšge le droit Ă  la vie), la « conception Â» n’ayant lieu qu’à partir du moment oĂč l’embryon est implantĂ© dans l’utĂ©rus.

VI.  Ă‰LÉMENTS DE DROIT COMPARÉ

69.  D’aprĂšs les informations dont la Cour dispose sur la lĂ©gislation de quarante États membres[1] en matiĂšre d’utilisation d’embryons humains Ă  des fins de recherche scientifique, trois pays (la Belgique, la SuĂšde et le Royaume-Uni) autorisent la recherche scientifique sur des embryons humains aussi bien que la crĂ©ation de tels embryons Ă  des fins de recherche.

70.  La crĂ©ation d’embryons pour la recherche scientifique est interdite dans quatorze pays[2]. Toutefois, la recherche sur les embryons surnumĂ©raires y est gĂ©nĂ©ralement permise, sous certaines conditions.

71.  Ă€ l’instar de l’Italie, trois États membres (la Slovaquie, l’Allemagne et l’Autriche) interdisent en principe les recherches scientifiques sur les embryons, ne les autorisant que dans des cas trĂšs restreints, notamment lorsqu’elles visent Ă  la protection de la santĂ© de l’embryon ou lorsqu’elles sont menĂ©es sur des lignĂ©es cellulaires provenant de l’étranger.

72.  En Slovaquie, les recherches sur des embryons sont strictement interdites, sauf celles Ă  caractĂšre thĂ©rapeutique qui visent Ă  apporter un bĂ©nĂ©fice en termes de santĂ© aux personnes qui y participent directement.

73.  En Allemagne, l’importation et l’utilisation de cellules embryonnaires Ă  des fins de recherche sont en principe interdites par la loi. Elles ne sont autorisĂ©es qu’à titre exceptionnel, sous de strictes conditions.

74.  Quant Ă  l’Autriche, la loi dispose que les « cellules viables Â» ne peuvent ĂȘtre utilisĂ©es pour des fins autres que la fertilisation in vitro. Toutefois, la notion de « cellules viables Â» n’y est pas dĂ©finie. D’aprĂšs la pratique et la doctrine, l’interdiction prĂ©vue par la loi ne concernerait que les cellules embryonnaires dites « totipotentes Â»[3].

75.  Dans quatre pays (Andorre, Lettonie, Croatie et Malte), la loi interdit expressĂ©ment toute recherche sur les cellules souches embryonnaires.

76.  Seize pays ne prĂ©voient pas de rĂ©glementation en la matiĂšre. Il s’agit de l’ArmĂ©nie, de l’AzerbaĂŻdjan, de la Bosnie-HerzĂ©govine, de la GĂ©orgie, de l’Irlande, du Liechtenstein, de la Lituanie, du Luxembourg, de la RĂ©publique de Moldova, de Monaco, de la Pologne, de la Roumanie, de la Russie, de Saint-Marin, de la Turquie et de l’Ukraine. Parmi ces États, certains ont une pratique plutĂŽt restrictive (par exemple, la Turquie et l’Ukraine), d’autres une pratique plutĂŽt permissive (par exemple, la Russie).

EN DROIT

77.  La Cour relĂšve d’emblĂ©e que le Gouvernement oppose plusieurs exceptions Ă  la recevabilitĂ© de la prĂ©sente requĂȘte. Il avance notamment que la requĂ©rante n’a pas Ă©puisĂ© les voies de recours qui lui Ă©taient ouvertes en droit interne, qu’elle n’a pas introduit sa requĂȘte dans le dĂ©lai de six mois prĂ©vu par l’article 35 § 1 de la Convention, et qu’elle n’a pas la qualitĂ© de victime. La Cour examinera ces exceptions ci-dessous avant d’analyser les autres aspects de la requĂȘte.

I.  SUR LE NON-ÉPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES

A.  Position du Gouvernement

78.  Le Gouvernement avance qu’il Ă©tait loisible Ă  la requĂ©rante de se plaindre de l’interdiction de donner ses embryons Ă  la recherche scientifique devant le juge du fond en soutenant que l’interdiction en cause Ă©tait contraire tant Ă  la Constitution italienne qu’à la Convention europĂ©enne des droits de l’homme. Ă  cet Ă©gard, il cite plusieurs dĂ©cisions internes dans lesquelles les tribunaux nationaux ont interprĂ©tĂ© la loi no 40/2004 Ă  la lumiĂšre de la Constitution et de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, en particulier en ce qui concerne l’accĂšs au diagnostic prĂ©implantatoire (les ordonnances rendues par le tribunal de Cagliari le 22 septembre 2007 et le 9 novembre 2012, ainsi que celles adoptĂ©es par les tribunaux de Florence, de Bologne et de Salerne le 17 dĂ©cembre 2007, le 29 juin 2009 et le 9 janvier 2010 respectivement, voir les paragraphes 40-49 ci-dessus).

79.  Selon lui, le juge du fond aurait alors Ă©tĂ© tenu d’interprĂ©ter la loi dont dĂ©coule l’interdiction litigieuse Ă  la lumiĂšre de la Convention, comme l’exigent les arrĂȘts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 24 octobre 2007.

80.  Si le juge du fond avait constatĂ© l’existence d’un conflit insurmontable entre son interprĂ©tation de la loi et les droits invoquĂ©s par la partie demanderesse, il aurait eu l’obligation de soulever une question de constitutionnalitĂ©. La Cour constitutionnelle aurait alors examinĂ© au fond la compatibilitĂ© des faits litigieux avec les droits de l’homme, et elle aurait pu annuler les dispositions nationales avec effet rĂ©troactif et erga omnes.

81.  D’ailleurs, la Cour constitutionnelle aurait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© saisie de plusieurs affaires concernant la constitutionnalitĂ© de la loi no 40/2004. Un certain nombre de dĂ©cisions auraient Ă©tĂ© rendues Ă  cet Ă©gard, notamment les ordonnances de la Cour constitutionnelle nos 369, 97 et 150 (prononcĂ©es le 24 octobre 2006, le 8 mars 2010 et le 22 mai 2012 respectivement), l’arrĂȘt no 151 adoptĂ© par celle-ci le 1er avril 2009, ainsi que les ordonnances des tribunaux de Florence et de Rome prononcĂ©es le 7 dĂ©cembre 2012 et le 15 janvier 2014 respectivement (voir les paragraphes 27-33 et 50-53 ci‑dessus).

82.  Par ailleurs, la requĂ©rante aurait aussi mĂ©connu le principe de subsidiaritĂ© posĂ© par le Protocole no 15 du 24 juin 2013 en se dispensant d’utiliser les voies de recours internes avant de soulever ses griefs devant la Cour.

83.  Enfin, une question de constitutionalitĂ© concernant une affaire identique Ă  la prĂ©sente affaire aurait Ă©tĂ© soulevĂ©e par le tribunal de Florence devant la Cour constitutionnelle (voir les paragraphes 52-53 ci-dessus). Pour le cas oĂč la haute juridiction prendrait une dĂ©cision dĂ©favorable Ă  la partie demanderesse, il serait toujours loisible Ă  celle-ci d’introduire une requĂȘte devant la Cour.

B.  Position de la requĂ©rante

84.  La requĂ©rante soutient que toute action devant le juge ordinaire aurait Ă©tĂ© vouĂ©e Ă  l’échec, le droit interne interdisant de maniĂšre absolue le don d’embryons Ă  des fins de recherche scientifique.

85.  En outre, elle avance que la voie constitutionnelle ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme Ă©tant un recours Ă  Ă©puiser au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, le systĂšme juridique italien n’ouvrant pas de recours direct devant la Cour constitutionnelle.

86.  Enfin, elle indique que, le 19 mars 2014, le prĂ©sident de la Cour constitutionnelle a ajournĂ© l’examen de la question soulevĂ©e par le tribunal de Florence Ă  laquelle le Gouvernement se rĂ©fĂšre dans l’attente de la dĂ©cision que la Grande Chambre prendra sur la prĂ©sente requĂȘte.

C.  ApprĂ©ciation de la Cour

87.  La Cour rappelle tout d’abord qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut ĂȘtre saisie qu’aprĂšs l’épuisement des voies de recours internes. Tout requĂ©rant doit avoir donnĂ© aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalitĂ© de mĂ©nager en principe aux États contractants, Ă  savoir Ă©viter ou redresser les violations allĂ©guĂ©es contre eux. Cette rĂšgle se fonde sur l’hypothĂšse que l’ordre interne offre un recours effectif quant Ă  la violation allĂ©guĂ©e. Les dispositions de l’article 35 § 1 ne prescrivent toutefois l’épuisement que des seuls recours Ă  la fois relatifs aux violations incriminĂ©es, disponibles et adĂ©quats. Ils doivent exister Ă  un degrĂ© suffisant de certitude non seulement en thĂ©orie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivitĂ© et l’accessibilitĂ© voulues ; il incombe Ă  l’État dĂ©fendeur de dĂ©montrer que ces exigences se trouvent rĂ©unies (voir, parmi beaucoup d’autres, McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010, Mifsud c. France (dĂ©c.) [GC], no 57220/00, § 15, CEDH 2002‑VIII, Leandro Da Silva c. Luxembourg, no 30273/07, §§ 40 et 42, 11 fĂ©vrier 2010 et Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, §§ 69-77, 25 mars 2014).

88.  Dans la prĂ©sente affaire, s’appuyant sur le systĂšme de contrĂŽle de constitutionnalitĂ© instituĂ© par les arrĂȘts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 24 octobre 2007, le Gouvernement soutient que les voies de recours qui Ă©taient ouvertes Ă  la requĂ©rante en droit interne n’ont pas Ă©tĂ© Ă©puisĂ©es. À cet Ă©gard, il cite des exemples de dĂ©cisions statuant au fond et des dĂ©cisions de la Cour constitutionnelle concernant la loi no 40/2004.

89.  La Cour observe d’emblĂ©e que, par les arrĂȘts nos 348 et 349 susmentionnĂ©s, la Cour constitutionnelle a dĂ©fini la place de la Convention des droits de l’homme dans les sources du droit interne, considĂ©rant que celle-ci Ă©tait une norme de rang intermĂ©diaire entre la loi ordinaire et la Constitution. En outre, elle a estimĂ© qu’il incombait au juge du fond d’interprĂ©ter la norme interne de maniĂšre conforme Ă  la Convention des droits de l’homme et Ă  la jurisprudence de la Cour. Elle a prĂ©cisĂ© que, lorsqu’une telle interprĂ©tation se rĂ©vĂ©lait impossible ou que le juge du fond avait des doutes quant Ă  la compatibilitĂ© de la norme interne avec la Convention, celui-ci Ă©tait tenu de soulever une question de constitutionnalitĂ© devant elle.

90.  La Cour rappelle aussi qu’en l’absence d’un recours interne spĂ©cifique Ă  la violation allĂ©guĂ©e, il appartient au Gouvernement de justifier, en s’appuyant sur la jurisprudence interne, de l’évolution, de la disponibilitĂ©, de la portĂ©e et du champ d’application du recours qu’il invoque (voir, mutatis mutandis, Melnītis c. Lettonie, no 30779/05, § 50, 28 fĂ©vrier 2012, McFarlane prĂ©citĂ©, §§ 115-127, Costa et Pavan c. Italie, n54270/10, § 37, 28 aoĂ»t 2012 et Vallianatos et autres c. GrĂšce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, §§ 52-58, CEDH 2013 (extraits)).

91.  En l’espĂšce, la Cour constate que le Gouvernement s’est rĂ©fĂ©rĂ© Ă  plusieurs affaires portant sur la loi no 40/2004 mais qu’il n’a fourni aucun exemple de dĂ©cision interne ayant tranchĂ© la question du don d’embryons surnumĂ©raires Ă  la recherche. La Cour ne saurait d’ailleurs reprocher valablement Ă  la requĂ©rante de ne pas avoir introduit de demande visant Ă  l’obtention d’une mesure interdite par la loi.

92.  Quant Ă  l’argument du Gouvernement selon lequel, depuis l’adoption des arrĂȘts nos 348 et 349, le juge du fond a l’obligation d’interprĂ©ter la loi dont dĂ©coule l’interdiction litigieuse Ă  la lumiĂšre de la Convention et de la jurisprudence de Strasbourg alors qu’il n’y Ă©tait pas tenu auparavant, plusieurs considĂ©rations conduisent la Cour Ă  conclure que cette assertion n’est pas suivie, dans les faits, par une pratique juridictionnelle Ă©tablie, notamment dans le domaine de la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e.

93.  La Cour relĂšve, premiĂšrement, que dans une affaire similaire Ă  celle de l’espĂšce et qui portait sur l’interdiction de donner des embryons surnumĂ©raires Ă  la recherche scientifique, le tribunal de Florence a dĂ©cidĂ©, le 7 dĂ©cembre 2012, de soulever devant la Cour constitutionnelle la question de la constitutionnalitĂ© de l’article 13 de la loi no 40/2004 au regard des articles 9 et 32 de la Constitution, qui garantissent respectivement la libertĂ© de la recherche scientifique et le droit Ă  la santĂ© (voir paragraphe 22 ci-dessus). La Cour constate toutefois qu’aucune question tenant Ă  la compatibilitĂ© de l’interdiction en cause avec les droits garantis par la Convention n’a Ă©tĂ© soulevĂ©e par le juge du fond.

94.  Elle note, deuxiĂšmement, que, Ă  quelques exceptions prĂšs, les dĂ©cisions des juges du fond et de la Cour constitutionnelle relatives Ă  la loi no 40/2004 citĂ©es par le Gouvernement (voir les paragraphes 78 et 81 ci‑dessus) ne se rĂ©fĂšrent pas Ă  la Convention des droits de l’homme. Tel est le cas des ordonnances nos 396/2006 et 97/2010 de la Cour constitutionnelle ainsi que de son arrĂȘt no 151/2009, des ordonnances des tribunaux de Cagliari, de Florence, de Bologne et de Salerne adoptĂ©es le 22 septembre 2007, le 17 dĂ©cembre 2007, le 29 juin 2009 et le 9 janvier 2010 respectivement, ainsi que de la dĂ©cision du tribunal de Florence du 7 dĂ©cembre 2012.

95.  Il est vrai que, dans l’ordonnance no 150 du 22 mai 2012 par laquelle elle a renvoyĂ© au juge du fond une affaire qui portait sur l’interdiction de la fĂ©condation hĂ©tĂ©rologue, la Cour constitutionnelle s’est rĂ©fĂ©rĂ©e, entre autres, aux articles 8 et 14 de la Convention. Force est de constater toutefois que, dans son arrĂȘt no 162 du 10 juin 2014 concernant cette mĂȘme affaire, la Cour constitutionnelle n’a analysĂ© l’interdiction litigieuse qu’à la lumiĂšre des articles de la Constitution qui Ă©taient en cause (Ă  savoir les articles 2, 31 et 32). Quant aux articles 8 et 14 de la Convention, invoquĂ©s uniquement par un des trois tribunaux du fond (voir le paragraphe 35 ci-dessus), elle s’est bornĂ©e Ă  observer que les questions soulevĂ©es sous l’angle de ces dispositions Ă©taient couvertes par les conclusions auxquelles elle Ă©tait parvenue sur le terrain de la Constitution (voir le paragraphe 39 ci-dessus).

96.  Dans ces conditions, les deux seules exceptions Ă  l’absence de prise en compte de la Convention et de sa jurisprudence sont constituĂ©es par les ordonnances des tribunaux de Cagliari (du 9 novembre 2012) et de Rome (du 15 janvier 2014) qui, eu Ă©gard aux conclusions de la Cour dans l’affaire Costa et Pavan (prĂ©citĂ©), ont respectivement garanti l’accĂšs des demandeurs au diagnostic prĂ©implantatoire et soulevĂ© une question de constitutionnalitĂ© sur ce point devant la Cour constitutionnelle. Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit que de deux cas isolĂ©s sur les onze invoquĂ©s par le Gouvernement, qui concernent un domaine diffĂ©rent de celui ici en cause et sur lequel la Cour avait dĂ©jĂ  statuĂ©.

97.  De surcroit, la compatibilitĂ© de l’article 13 de la loi no 40/2004 avec les droits garantis par la Convention Ă©tant une question nouvelle, la Cour n’est guĂšre convaincue que la possibilitĂ© offerte Ă  la requĂ©rante de porter ses griefs devant un juge ordinaire constitue un remĂšde efficace.

98.  Les arrĂȘts nos 348 et 349 eux-mĂȘmes apportent des prĂ©cisions sur la diffĂ©rence des rĂŽles respectifs de la Cour de Strasbourg et de la Cour constitutionnelle en indiquant qu’il appartient Ă  la premiĂšre d’interprĂ©ter la Convention et qu’il revient Ă  la seconde de rechercher s’il existe un conflit entre telle ou telle norme nationale et les droits garantis par la Convention, Ă  la lumiĂšre notamment de l’interprĂ©tation fournie par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme (voir le paragraphe 26 ci-dessus).

99.  D’ailleurs, la dĂ©cision prise le 19 mars 2014 par le prĂ©sident de la Cour constitutionnelle d’ajourner l’examen de la question posĂ©e le 7 dĂ©cembre 2012 par le tribunal de Florence en attendant que la Cour se prononce en l’espĂšce (voir le paragraphe 53 ci-dessus) s’inscrit dans cette logique.

100.  Dans ce contexte, la Cour relĂšve que, dans un arrĂȘt rĂ©cent (no 49, dĂ©posĂ© le 26 mars 2015) oĂč elle a analysĂ© entre autres la place de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour dans l’ordre juridique interne, la Cour constitutionnelle a indiquĂ© que le juge du fond n’était tenu de se conformer Ă  la jurisprudence de la Cour que dans le cas oĂč celle-ci Ă©tait « bien Ă©tablie Â» ou Ă©tait Ă©noncĂ©e dans un « arrĂȘt pilote Â».

101.  En tout Ă©tat de cause, la Cour a rappelĂ© Ă  maintes reprises que, dans l’ordre juridique italien, le justiciable ne jouit pas d’un accĂšs direct Ă  la Cour constitutionnelle : en effet, seule une juridiction qui connaĂźt du fond d’une affaire a la facultĂ© de la saisir, Ă  la requĂȘte d’un plaideur ou d’office. DĂšs lors, pareille requĂȘte ne saurait s’analyser en un recours dont la Convention exige l’épuisement (voir, entre autres, Brozicek c. Italie no 10964/84, 19 dĂ©cembre 1989, § 34, sĂ©rie A no 167, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], n22774/93, § 42, CEDH 1999‑V, C.G.I.L. et Cofferati c. Italie, n46967/07, § 48, 24 fĂ©vrier 2009, Scoppola c. Italie (n2) [GC], n10249/03, § 75, 17 septembre 2009 et M.C. et autres c. Italie, no 5376/11, § 47, 3 septembre 2013). En revanche, la Commission et la Cour ont jugĂ©, en ce qui concerne d’autres États membres, que le recours direct devant la Cour constitutionnelle constituait une voie de recours interne Ă  Ă©puiser (voir, par exemple, W. c. Allemagne, no 10785/84, 18 juillet 1986, DĂ©cisions et rapports (DR) 48, p. 104, Union Alimentaria Sanders SA c. Espagne, no 11681/85, 11 dĂ©cembre 1987 DR 54, pp. 101, 104, S.B. et autres c. Belgique (dĂ©c.), no 63403/00, 6 avril 2004 et GriĆĄankova et GriĆĄankovs c. Lettonie (dĂ©c.), no 36117/02, CEDH 2003‑II (extraits)).

102.  Au vu de ce qui prĂ©cĂšde, la Cour ne saurait considĂ©rer que le systĂšme d’interprĂ©tation obligatoire de la norme interne Ă  la lumiĂšre de la Convention Ă©tabli par les arrĂȘts nos 348 et 349 constitue un tournant de nature Ă  rĂ©futer une telle conclusion (voir, a contrario, les rĂ©centes dĂ©cisions de la Cour reconnaissant l’efficacitĂ© du recours devant la Cour constitutionnelle turque Ă  la suite de la mise en place d’un recours individuel direct devant celle-ci : Hasan Uzun c. Turquie (dĂ©c.), n10755/13, §§ 25-27, 30 avril 2013 et Ali Koçintar c. Turquie (dĂ©c.), no 77429/12, 1er juillet 2014).

103.  Il convient de saluer les principes dĂ©gagĂ©s par les arrĂȘts nos 348 et 349 du 24 octobre 2007, notamment quant Ă  la place revenant Ă  la Convention dans les sources du droit et Ă  l’invitation faite aux autoritĂ©s judiciaires nationales d’interprĂ©ter les normes internes et la Constitution Ă  la lumiĂšre de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour. La Cour note aussi que, dans des matiĂšres autres que la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e, nombreuses ont Ă©tĂ© les dĂ©cisions dans lesquelles la Cour constitutionnelle a conclu Ă  l’inconstitutionnalitĂ© d’une norme interne sur la base, entre autres, de l’incompatibilitĂ© de celle-ci avec les droits garantis par la Convention et la jurisprudence de la Cour (tel est notamment le cas de l’arrĂȘt no 39 du 5 mars 2008 relatif aux incapacitĂ©s attachĂ©es Ă  la faillite, de l’arrĂȘt no 93 du 17 mars 2010 portant sur la publicitĂ© des audiences dans les procĂ©dures d’application des mesures provisoires, et de l’arrĂȘt no 210 du 3 juillet 2013 ayant trait Ă  la rĂ©troactivitĂ© de la loi pĂ©nale).

104.  Toutefois, il y a lieu de relever tout d’abord que le systĂšme italien ne prĂ©voit pour les particuliers qu’un recours indirect devant la Cour constitutionnelle. En outre, le Gouvernement n’a pas dĂ©montrĂ©, en s’appuyant sur une jurisprudence et une pratique Ă©tablies, qu’en matiĂšre de donation d’embryons Ă  la recherche, l’exercice par la requĂ©rante d’une action devant le juge du fond, combinĂ© avec le devoir de ce dernier de soulever devant la Cour constitutionnelle une question de constitutionnalitĂ© Ă  la lumiĂšre de la Convention, constituait, en l’espĂšce, une voie de recours effective que l’intĂ©ressĂ©e aurait dĂ» Ă©puiser.

105.  Eu Ă©gard Ă  ce qui prĂ©cĂšde et au fait que la Cour constitutionnelle a dĂ©cidĂ© de suspendre l’examen d’une affaire similaire pendante devant elle en attendant que la Cour statue dans la prĂ©sente affaire, il convient de rejeter l’exception soulevĂ©e par le gouvernement dĂ©fendeur.

II.  SUR LE RESPECT DU DÉLAI DE SIX MOIS

A.  Position du Gouvernement

106.  Lors de l’audience, le Gouvernement a excipĂ© de la tardivitĂ© de la requĂȘte, faisant valoir que la loi qui interdit le don d’embryons Ă  la recherche scientifique est entrĂ©e en vigueur le 10 mars 2004 et que la requĂ©rante n’a sollicitĂ© la mise Ă  disposition de ses embryons en vue d’un tel don que le 14 dĂ©cembre 2011, par une lettre adressĂ©e Ă  cette date au centre de mĂ©decine de la reproduction oĂč ceux-ci Ă©taient cryoconservĂ©s.

B.  Position de la requĂ©rante

107.  La requĂ©rante a rĂ©pliquĂ© Ă  cette exception au cours de l’audience en indiquant que, si elle avait adressĂ© une demande Ă©crite de mise Ă  disposition de ses embryons au centre de mĂ©decine de la reproduction le 14 dĂ©cembre 2011, elle avait auparavant formulĂ© oralement d’autres demandes ayant le mĂȘme objet.

108.  En tout Ă©tat de cause, l’intĂ©ressĂ©e soutient que toute demande adressĂ©e au centre de mĂ©decine de la reproduction Ă©tait vouĂ©e Ă  l’échec, rappelant que la loi applicable interdit catĂ©goriquement le don d’embryons Ă  la recherche scientifique.

C.  ApprĂ©ciation de la Cour

109.  La Cour rappelle avoir reconnu que, lorsqu’une ingĂ©rence dans le droit invoquĂ© par un requĂ©rant dĂ©coule directement d’une loi, celle-ci, par son seul maintien en vigueur, peut reprĂ©senter une ingĂ©rence permanente dans l’exercice du droit concernĂ© (voir, par exemple, les affaires Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, § 41, sĂ©rie A no 45, et Norris c. Irlande, 26 octobre 1988, § 38, sĂ©rie A no 142, dans lesquelles les requĂ©rants, homosexuels, se plaignaient de ce que des lois rĂ©primant les actes homosexuels par des sanctions pĂ©nales portaient atteinte Ă  leur droit au respect de leur vie privĂ©e).

110.  La Cour s’est fondĂ©e sur cette approche dans l’affaire Vallianatos et autres c. GrĂšce ([GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 54, CEDH 2013 (extraits)), dans laquelle les requĂ©rants se plaignaient d’une violation continue des articles 14 et 8 de la Convention du fait de l’impossibilitĂ© pour eux, en tant que couples de mĂȘme sexe, de conclure des « pactes de vie commune », tandis que cette possibilitĂ© Ă©tait reconnue par la loi aux couples de sexe opposĂ©. En outre, dans l’affaire S.A.S. c. France ([GC], no 43835/11, § 110, CEDH 2014 (extraits)), qui concernait l’interdiction lĂ©gale de porter une tenue destinĂ©e Ă  dissimuler le visage dans l’espace public, la Cour a relevĂ© que la situation de la requĂ©rante Ă©tait similaire Ă  celle des requĂ©rants dans les affaires Dudgeon et Norris, oĂč elle avait constatĂ© une ingĂ©rence continue dans l’exercice des droits protĂ©gĂ©s par l’article 8 de la Convention.

111.  La Cour admet que, dans les affaires prĂ©citĂ©es, l’impact des mesures lĂ©gislatives incriminĂ©es sur la vie quotidienne des requĂ©rants Ă©tait plus important et plus direct qu’en l’espĂšce. NĂ©anmoins, on ne saurait nier que l’interdiction lĂ©gale du don d’embryons Ă  la recherche scientifique en cause dans la prĂ©sente affaire a une incidence sur la vie privĂ©e de la requĂ©rante. Cette incidence, qui rĂ©sulte du lien biologique existant entre l’intĂ©ressĂ©e et ses embryons ainsi que de l’objectif de rĂ©alisation d’un projet familial Ă  l’origine de leur crĂ©ation, dĂ©coule directement de l’entrĂ©e en vigueur de la loi no 40/2004 et s’analyse en une situation continue en ce qu’elle affecte la requĂ©rante de maniĂšre permanente depuis lors (voir le rapport final de la Commission d’étude sur les embryons du 8 janvier 2010, qui Ă©met l’hypothĂšse d’une conservation sans limite de durĂ©e des embryons congelĂ©s, paragraphe 21 ci-dessus).

112.  En pareil cas, selon la jurisprudence de la Cour, le dĂ©lai de six mois ne commence Ă  courir qu’à partir du moment oĂč la situation en cause a pris fin (voir parmi d’autres, Çınar c. Turquie, no 17864/91, dĂ©cision de la Commission du 5 septembre 1994). En consĂ©quence, la Cour ne souscrit pas Ă  la thĂšse du Gouvernement selon laquelle ce dĂ©lai court Ă  partir du jour de l’entrĂ©e en vigueur de la loi litigieuse.

113.  Par ailleurs, la thĂšse du Gouvernement Ă©quivaut Ă  considĂ©rer que la requĂ©rante dĂ©sirait donner ses embryons dĂšs l’entrĂ©e en vigueur de la loi litigieuse, circonstance sur laquelle la Cour ne saurait spĂ©culer.

114.  L’exception de tardivitĂ© de la requĂȘte soulevĂ©e par le Gouvernement au titre de l’article 35 § 1 de la Convention ne saurait donc ĂȘtre retenue.

III.  SUR LA QUALITÉ DE VICTIME DE LA REQUÉRANTE

A.  Position du Gouvernement

115.  Le Gouvernement excipe Ă©galement de l’absence de qualitĂ© de victime de la requĂ©rante, indiquant que, au cours de la pĂ©riode allant du 12 novembre 2003 – date du dĂ©cĂšs du compagnon de l’intĂ©ressĂ©e – au 10 mars 2004, date de l’entrĂ©e en vigueur de la loi no 40/2004, la requĂ©rante aurait pu donner ses embryons Ă  la recherche puisqu’il n’existait alors aucune rĂ©glementation en la matiĂšre et qu’un tel don n’était donc pas interdit.

B.  Position de la requĂ©rante

116.  La requĂ©rante a soulignĂ© au cours de l’audience que le dĂ©lai qui s’était Ă©coulĂ© entre la date du dĂ©cĂšs de son compagnon et l’entrĂ©e en vigueur de la loi litigieuse avait Ă©tĂ© trĂšs court – quatre mois environ – et qu’elle n’avait pu prendre dans ce laps de temps de dĂ©cision prĂ©cise quant au sort qu’elle voulait rĂ©server aux embryons issus de la fĂ©condation in vitro qu’elle avait effectuĂ©e.

C.  ApprĂ©ciation de la Cour

117.  La Cour rappelle que, lorsqu’une ingĂ©rence dans la vie privĂ©e d’un requĂ©rant dĂ©coule directement d’une loi, celle-ci, par son maintien en vigueur, reprĂ©sente une ingĂ©rence permanente dans l’exercice du droit en question. Dans la situation personnelle de l’intĂ©ressĂ©, elle se rĂ©percute de maniĂšre constante et directe, par sa seule existence, sur la vie privĂ©e de celui-ci (Dudgeon, § 41, et Norris, § 34, prĂ©citĂ©s).

118.  En l’espĂšce, la requĂ©rante se trouve dans l’impossibilitĂ© de donner ses embryons Ă  la recherche depuis l’entrĂ©e en vigueur de la loi no 40/2004 (voir Ă©galement le paragraphe 113 ci-dessus). La situation litigieuse Ă©tant restĂ©e inchangĂ©e depuis ce moment-lĂ , le fait que la requĂ©rante souhaitait donner ses embryons Ă  la recherche au moment de l’introduction de sa requĂȘte suffit Ă  la Cour pour lui reconnaĂźtre la qualitĂ© de victime. En outre, quant Ă  l’argument du Gouvernement selon lequel la requĂ©rante aurait pu donner ses embryons Ă  la recherche scientifique dans la pĂ©riode qui s’est Ă©coulĂ©e entre le dĂ©cĂšs de son compagnon et l’entrĂ©e en vigueur de la loi, la Cour prend acte des informations fournies par la requĂ©rante dont il ressort que, dans le court laps de temps indiquĂ© ci-dessus, elle n’avait pas pu prendre une dĂ©cision prĂ©cise quant au sort de ses embryons.

119.  Il y a donc lieu de rejeter l’exception du gouvernement dĂ©fendeur tirĂ©e de l’absence de qualitĂ© de victime de la requĂ©rante.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

120.  Invoquant l’article 8 de la Convention, la requĂ©rante allĂšgue que l’interdiction du don d’embryons Ă  des fins de recherche scientifique dĂ©coulant de l’article 13 de la loi no 40/2004 emporte violation de son droit au respect de sa vie privĂ©e. L’article 8 est ainsi libellĂ© dans ses parties pertinentes :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privĂ©e (...).

2.  Il ne peut y avoir ingĂ©rence d’une autoritĂ© publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingĂ©rence est prĂ©vue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, est nĂ©cessaire Ă  la sĂ©curitĂ© nationale, Ă  la sĂ»retĂ© publique, au bien‑ĂȘtre Ă©conomique du pays, Ă  la dĂ©fense de l’ordre et Ă  la prĂ©vention des infractions pĂ©nales, Ă  la protection de la santĂ© ou de la morale, ou Ă  la protection des droits et libertĂ©s d’autrui. Â»

A.  Arguments des parties

1.  Arguments du Gouvernement

121.  Le Gouvernement soutient d’emblĂ©e que la question de savoir si des embryons humains peuvent ĂȘtre donnĂ©s Ă  la recherche scientifique ne relĂšve pas de la notion de « droit au respect de la vie privĂ©e Â».

122.  Lors de l’audience, il a avancĂ© que l’article 8 de la Convention n’aurait pu s’appliquer que « de maniĂšre indirecte Â» en l’espĂšce, c’est-Ă -dire seulement si la requĂ©rante avait souhaitĂ© rĂ©aliser un projet familial grĂące Ă  l’implantation de ses embryons et si elle en avait Ă©tĂ© empĂȘchĂ©e en raison de l’application de la loi no 40/2004.

123.  En tout Ă©tat de cause, il plaide que l’ingĂ©rence allĂ©guĂ©e dans la vie privĂ©e de la requĂ©rante est prĂ©vue par la loi et qu’elle poursuit un but lĂ©gitime consistant Ă  protĂ©ger la potentialitĂ© de vie dont l’embryon est porteur.

124.  Quant Ă  la proportionnalitĂ© de la mesure litigieuse, le Gouvernement s’est limitĂ© dans ses observations Ă©crites Ă  renvoyer aux considĂ©rations dĂ©veloppĂ©es sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 Ă  la Convention. En revanche, lors de l’audience, le Gouvernement a soutenu que la lĂ©gislation italienne n’était pas contradictoire, arguant que la requĂ©rante affirmait Ă  tort que des embryons cryoconservĂ©s ne pouvaient aboutir Ă  une vie humaine. À cet Ă©gard, il a avancĂ© que, correctement rĂ©alisĂ©e, la cryoconservation n’était pas limitĂ©e dans le temps et qu’il n’existait encore aucun critĂšre scientifique permettant de vĂ©rifier la viabilitĂ© d’un embryon cryoconservĂ© sans procĂ©der Ă  sa dĂ©congĂ©lation.

125.  Par ailleurs, le Gouvernement estime que la loi italienne qui autorise l’avortement n’est pas incompatible avec l’interdiction de donner des embryons Ă  la recherche, prĂ©cisant qu’en cas d’interruption de grossesse, la protection de la vie du fƓtus doit de toute Ă©vidence ĂȘtre mise en balance avec la situation et les intĂ©rĂȘts de la mĂšre.

126.  Au cours de l’audience, il a aussi soulignĂ© que l’embryon faisait assurĂ©ment l’objet d’une protection en droit europĂ©en. À cet Ă©gard, il a avancĂ© que la Convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la biomĂ©decine (« Convention d’Oviedo Â») du 4 avril 1997 n’imposait certainement pas aux États d’autoriser la recherche scientifique destructive sur les embryons, le choix de mettre en place une telle recherche relevant selon lui de l’ample marge d’apprĂ©ciation accordĂ©e aux États dans ce domaine.

127.  En outre, il indique que les travaux prĂ©paratoires de la loi no 40/2004 montrent que celle-ci est le fruit d’un travail important qui a tenu compte de diffĂ©rentes opinions et des questions scientifiques et Ă©thiques qui se posent en la matiĂšre. De plus, il prĂ©cise que la loi en question a fait l’objet de plusieurs rĂ©fĂ©rendums, notamment en ce qui concerne le maintien de son article 13, lesquels ont Ă©chouĂ© parce que le quorum de votants n’avait pas Ă©tĂ© atteint.

128.  De surcroĂźt, s’il reconnaĂźt que la recherche scientifique italienne utilise des lignĂ©es cellulaires embryonnaires importĂ©es de l’étranger et rĂ©sultant de la destruction des embryons originaires, il prĂ©cise que la production de ces lignĂ©es n’est pas effectuĂ©e Ă  la demande des laboratoires italiens, indiquant qu’il existe dans le monde environ trois cent lignĂ©es cellulaires embryonnaires mises Ă  la disposition de toute la communautĂ© scientifique. À cet Ă©gard, il souligne que la destruction volontaire d’un embryon humain ne saurait ĂȘtre comparĂ©e Ă  l’utilisation de lignĂ©es cellulaires issues d’embryons humains prĂ©cĂ©demment dĂ©truits.

129.  En ce qui concerne les financements que l’Union europĂ©enne accorde Ă  la recherche scientifique, le Gouvernement expose que le VIIĂšme programme-cadre de recherche et de dĂ©veloppement technologiques et le programme-cadre pour la recherche et l’innovation « Horizon 2020 Â» (voir le paragraphe 64 ci-dessus) ne prĂ©voient pas le financement de projets impliquant la destruction d’embryons, que ceux-ci aient Ă©tĂ© crĂ©Ă©s en Europe ou importĂ©s de pays tiers.

130.  Il souligne enfin que, dans son avis du 18 novembre 2005 relatif Ă  l’« adoption pour la naissance – ADP Â» (voir les paragraphes 19-20 ci‑dessus), le ComitĂ© national pour la bioĂ©thique s’était dĂ©jĂ  prĂ©occupĂ© du sort des embryons surnumĂ©raires afin de trouver des solutions qui respectent la vie de ceux-ci.

131.  Il estime que cette perspective pourrait aujourd’hui se concrĂ©tiser compte tenu de l’arrĂȘt no 162 du 10 juin 2014 par lequel la Cour constitutionnelle a dĂ©clarĂ© inconstitutionnelle l’interdiction de la fĂ©condation hĂ©tĂ©rologue, permettant ainsi l’utilisation des embryons surnumĂ©raires d’une fĂ©condation in vitro Ă  des fins non destructives, conformĂ©ment Ă  l’objectif poursuivi par la lĂ©gislation italienne en cette matiĂšre.

2.  Arguments de la requĂ©rante

132.  La requĂ©rante affirme d’abord qu’au sens de la jurisprudence de la Cour, la notion de « vie privĂ©e Â» est large (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002‑III et Evans c. Royaume-Uni [GC], n6339/05, § 71, CEDH 2007‑I).

133.  Elle signale ensuite qu’elle a perdu son compagnon dans des circonstances tragiques, raison pour laquelle elle n’a pu rĂ©aliser son projet familial. À l’audience, elle a expliquĂ© que quatre mois seulement s’étaient Ă©coulĂ©s entre le dĂ©cĂšs de son compagnon et l’entrĂ©e en vigueur de la loi, qu’elle n’avait donc pas eu le temps nĂ©cessaire pour rĂ©flĂ©chir Ă  la mise en place d’un projet familial, et que la loi interdisait en tout Ă©tat de cause l’implantation d’embryons post mortem.

134.  Dans ce contexte, elle considĂšre que l’État lui impose de surcroĂźt d’assister Ă  la destruction de ses embryons sans lui permettre de les donner Ă  la recherche alors qu’un tel don, qui poursuivrait une noble cause, reprĂ©senterait pour elle une source de rĂ©confort aprĂšs les Ă©vĂ©nements douloureux auxquels elle a Ă©tĂ© confrontĂ©e. Dans ces conditions, elle estime que son droit Ă  la vie privĂ©e se trouve en cause.

135.  Elle considĂšre en outre que l’interdiction litigieuse est dĂ©pourvue de toute logique, la seule voie offerte par le systĂšme Ă©tant celle de la mort des embryons. Au cours de l’audience, elle a notamment mis en exergue les contradictions existant dans l’ordre juridique italien, avançant que le droit de l’embryon Ă  la vie invoquĂ© par le Gouvernement ne se conciliait ni avec la possibilitĂ© pour les femmes d’avorter jusqu’au troisiĂšme mois de grossesse ni avec l’utilisation, par les laboratoires italiens, de lignĂ©es cellulaires embryonnaires issues de la destruction d’embryons crĂ©Ă©s Ă  l’étranger.

136.  De plus, elle estime que la possibilitĂ© de donner des embryons non destinĂ©s Ă  une implantation rĂ©pondrait aussi Ă  un intĂ©rĂȘt public, car les recherches sur les cellules souches pluripotentes induites n’ont pas encore remplacĂ© les recherches sur les cellules staminales, raison pour laquelle ces derniĂšres continuent Ă  figurer parmi les voies de recherche les plus prometteuses, notamment en ce qui concerne le traitement de certaines pathologies incurables.

137.  Elle soutient aussi que l’État ne dispose pas d’une large marge d’apprĂ©ciation en l’espĂšce, compte tenu notamment du consensus europĂ©en existant sur la possibilitĂ© de donner Ă  la recherche scientifique des embryons qui ne sont pas destinĂ©s Ă  ĂȘtre implantĂ©s.

138.  Lors de l’audience, elle s’est rĂ©fĂ©rĂ©e Ă  l’arrĂȘt rendu le 18 octobre 2011 par la Cour de justice de l’Union europĂ©enne dans l’affaire Oliver BrĂŒstle c. Greenpeace eV (voir les paragraphes 59 Ă  61 ci‑dessus). Observant que cet arrĂȘt se borne Ă  interdire la brevetabilitĂ© des inventions qui impliquent la destruction d’embryons humains, elle en dĂ©duit que les inventions elles-mĂȘmes – et les recherches qui les prĂ©cĂšdent – ne sont pas interdites sur le plan europĂ©en.

139.  Enfin, elle estime que la Communication de la Commission europĂ©enne relative Ă  l’initiative citoyenne europĂ©enne « Un de nous Â» du 28 mai 2014 (voir les paragraphes 65-66 ci-dessus) confirme que le financement des recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines est autorisĂ©.

3.  Observations des tiers intervenants

a)  Le Centre europĂ©en pour la justice et les droits de l’homme (l’« ECLJ Â»)

140.  L’ECLJ avance que, dans la prĂ©sente affaire, les intĂ©rĂȘts de la science – auxquels est sensible la requĂ©rante – ne prĂ©valent pas sur le respect dĂ» Ă  l’embryon, cela en raison du principe de la « primautĂ© de l’ĂȘtre humain Â» reconnu par l’article 2 de la Convention d’Oviedo.

141.  En outre, il fait observer que, dans toutes les affaires soulevant des questions liĂ©es Ă  la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e portĂ©es devant la Cour, l’ingĂ©rence dans la vie privĂ©e et familiale des requĂ©rants dĂ©coulait d’une loi qui faisait obstacle Ă  la rĂ©alisation d’un projet parental du couple ou de la mĂšre. Il estime qu’il n’en va pas de mĂȘme en l’espĂšce, la requĂ©rante ayant dĂ©cidĂ© de renoncer Ă  son projet familial, alors mĂȘme qu’aucune loi n’interdisait la gestation post mortem Ă  l’époque de la rĂ©alisation de la fĂ©condation in vitro.

142.  Enfin, il rappelle que la marge d’apprĂ©ciation des États membres dans ce domaine est ample, renvoyant Ă  cet Ă©gard aux arrĂȘts S.H. et autres c. Autriche et Evans, prĂ©citĂ©s.

b)  Les associations « Movimento per la vita Â», « Scienza e vita Â» et « Forum delle associazioni familiari Â», reprĂ©sentĂ©es par Me Carlo Casini

143.  Ces associations soutiennent que les expĂ©rimentations destructives sur des embryons humains, qui ont la qualitĂ© de « sujet Â», sont interdites par la loi et que la Convention d’Oviedo n’impose aucune obligation d’autoriser de telles expĂ©rimentations.

144.  Elles rappellent en outre que les Ă©tats membres jouissent dans ce domaine d’une large marge d’apprĂ©ciation.

c)  Les associations « Luca Coscioni Â», « Amica Cicogna Onlus Â», « L’altra cicogna Onlus Â» et « Cerco bimbo Â» ainsi que quarante-six membres du Parlement italien, reprĂ©sentĂ©s par Me Filomena Gallo

145.  Ces tiers intervenants avancent que la notion de « vie privĂ©e Â» est Ă©volutive, qu’elle ne se prĂȘte pas Ă  une dĂ©finition exhaustive, et que la requĂ©rant revendique notamment le droit au respect de son choix de donner Ă  la recherche du matĂ©riel biologique qui lui appartient, Ă  savoir des embryons qui ne sont plus destinĂ©s Ă  un projet parental et qui sont en tout Ă©tat de cause vouĂ©s Ă  la destruction.

146.  Ils ajoutent que l’ingĂ©rence en cause n’est pas justifiĂ©e par l’objectif invoquĂ©, la loi italienne n’accordant pas de protection absolue Ă  la vie de l’embryon.

d)  Les associations « VOX – Osservatorio italiano sui Diritti Â», « SIFES – Society of Fertility, Sterility and Reproductive Medicine Â» et « Cittadinanzattiva Â», reprĂ©sentĂ©es par Me Maria Elisa D’Amico, Mme Maria Paola Costantini, M. Massimo Clara, Mme Chiara Ragni et Mme Benedetta Liberali

147.  Ces associations soulignent que l’article 13 de la loi no 40/2004 entraĂźne une limitation de la libertĂ© des individus de choisir le sort de leurs propres embryons, dont la cryoconservation doit ĂȘtre assurĂ©e pour une durĂ©e illimitĂ©e, ce qui entraĂźne des coĂ»ts importants.

148.  Selon elles, la cryoconservation ne prĂ©sente aucune utilitĂ© pour des embryons destinĂ©s Ă  la mort, ni pour les couples, qui sont en gĂ©nĂ©ral peu dĂ©sireux d’utiliser Ă  des fins d’implantation des embryons cryoconservĂ©s depuis longtemps car la « qualitĂ© Â» de ceux-ci s’amenuise avec le temps. Elle serait tout aussi dĂ©nuĂ©e d’intĂ©rĂȘt pour les centres mĂ©dicaux oĂč les embryons sont conservĂ©s.

B.  ApprĂ©ciation de la Cour

1.  Sur l’applicabilitĂ© en l’espĂšce de l’article 8 de la Convention et sur la recevabilitĂ© du grief soulevĂ© par la requĂ©rante

149.  Par la prĂ©sente affaire, la Cour est appelĂ©e pour la premiĂšre fois Ă  se prononcer sur la question de savoir si le « droit au respect de la vie privĂ©e Â» garanti par l’article 8 de la Convention peut englober le droit que la requĂ©rante invoque devant elle, celui de disposer d’embryons issus d’une fĂ©condation in vitro dans le but d’en faire don Ă  la recherche scientifique.

150.  Le Gouvernement soutient que la disposition en cause n’aurait pu s’appliquer en l’espĂšce que de maniĂšre indirecte et uniquement dans son volet « vie familiale Â», c’est-Ă -dire seulement si la requĂ©rante avait souhaitĂ© rĂ©aliser un projet familial grĂące Ă  la cryoconservation et Ă  l’implantation ultĂ©rieure de ses embryons, et qu’elle en avait Ă©tĂ© empĂȘchĂ©e en raison de l’application de la loi no 40/2004.

151.  Toutefois, la requĂ©rante a indiquĂ© dans le formulaire de requĂȘte (voir le paragraphe 14 ci-dessus) et rĂ©itĂ©rĂ© Ă  l’audience (voir le paragraphe 116 ci-dessus) que, depuis le dĂ©cĂšs de son compagnon, elle n’envisageait plus la rĂ©alisation d’un projet familial. D’ailleurs, elle n’a Ă  aucun moment allĂ©guĂ© devant la Cour qu’il avait Ă©tĂ© portĂ© atteinte Ă  son droit au respect de sa vie familiale au titre de l’article 8 de la Convention.

152.  En rĂ©alitĂ©, l’objet du litige dont la Cour se trouve saisie porte sur la limitation du droit revendiquĂ© par la requĂ©rante de dĂ©cider du sort de ses embryons, droit qui relĂšve tout au plus de la « vie privĂ©e Â».

153.  Ă€ l’instar de la requĂ©rante, la Cour rappelle d’emblĂ©e que, selon sa jurisprudence, la notion de « vie privĂ©e Â» au sens de l’article 8 de la Convention est une notion large qui ne se prĂȘte pas Ă  une dĂ©finition exhaustive et qui englobe notamment un droit Ă  l’autodĂ©termination (Pretty, prĂ©citĂ©, § 61). En outre, cette notion recouvre le droit au respect des dĂ©cisions de devenir ou de ne pas devenir parent (Evans, prĂ©citĂ©, § 71, et A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, § 212, CEDH 2010).

154.  Dans les affaires dont elle a eu Ă  connaĂźtre oĂč se posait la question particuliĂšre du sort Ă  rĂ©server aux embryons issus d’une procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e, la Cour s’est rĂ©fĂ©rĂ©e Ă  la libertĂ© de choix des parties.

155.  Dans l’affaire Evans (prĂ©citĂ©e), en analysant l’équilibre Ă  mĂ©nager entre les droits conflictuels que les parties Ă  un traitement par fĂ©condation in vitro peuvent puiser dans l’article 8 de la Convention, la Grande Chambre a estimĂ© « qu’il n’y a[vait] pas lieu d’accorder davantage de poids au droit de la requĂ©rante au respect de son choix de devenir parent au sens gĂ©nĂ©tique du terme qu’à celui de [son ex-compagnon] au respect de sa volontĂ© de ne pas avoir un enfant biologique avec elle Â» (Evans, prĂ©citĂ©, § 90).

156.  En outre, dans l’affaire Knecht c. Roumanie (no 10048/10, 2 octobre 2012), oĂč la requĂ©rante se plaignait notamment du refus des autoritĂ©s nationales d’autoriser le transfert de ses embryons du centre mĂ©dical oĂč ils Ă©taient conservĂ©s vers une clinique spĂ©cialisĂ©e de son choix, la Cour a jugĂ© que l’article 8 n’était applicable que sous l’angle du droit au respect de la vie privĂ©e de l’intĂ©ressĂ©e (Knecht, prĂ©citĂ©, § 55) bien que celle-ci eĂ»t invoquĂ© Ă©galement une mĂ©connaissance de son droit au respect de sa vie familiale (voir le paragraphe 51 de l’arrĂȘt).

157.  Sur le plan du droit national, la Cour observe que, comme le Gouvernement l’a soulignĂ© Ă  l’audience, l’arrĂȘt no 162 du 10 juin 2014 par lequel la Cour constitutionnelle a dĂ©clarĂ© inconstitutionnelle l’interdiction de la fĂ©condation hĂ©tĂ©rologue (voir les paragraphes 34 Ă  39 ci-dessus) devrait permettre l’« adoption pour la naissance Â», pratique qui consiste pour un couple ou une femme Ă  adopter des embryons surnumĂ©raires Ă  des fins d’implantation et qui avait Ă©tĂ© envisagĂ©e par le ComitĂ© national pour la bioĂ©thique en 2005. De plus, la Cour note que, dans l’arrĂȘt en question, la Cour constitutionnelle a considĂ©rĂ© que le choix des demandeurs de devenir parents et de fonder une famille avec des enfants relevait de « leur libertĂ© d’autodĂ©termination concernant la sphĂšre de leur vie privĂ©e et familiale Â» (voir le paragraphe 37 ci-dessus). Il en rĂ©sulte que l’ordre juridique italien accorde aussi du poids Ă  la libertĂ© de choix des parties Ă  un traitement par fĂ©condation in vitro en ce qui concerne le sort des embryons non destinĂ©s Ă  l’implantation.

158.  En l’espĂšce, la Cour doit aussi avoir Ă©gard au lien existant entre la personne qui a eu recours Ă  une fĂ©condation in vitro et les embryons ainsi conçus, et qui tient au fait que ceux-ci renferment le patrimoine gĂ©nĂ©tique de la personne en question et reprĂ©sentent Ă  ce titre une partie constitutive de celle-ci et de son identitĂ© biologique.

159.  La Cour en conclut que la possibilitĂ© pour la requĂ©rante d’exercer un choix conscient et rĂ©flĂ©chi quant au sort Ă  rĂ©server Ă  ses embryons touche un aspect intime de sa vie personnelle et relĂšve Ă  ce titre de son droit Ă  l’autodĂ©termination. L’article 8 de la Convention, sous l’angle du droit au respect de la vie privĂ©e, trouve donc Ă  s’appliquer en l’espĂšce.

160.  La Cour constate enfin que ce grief n’est pas manifestement mal fondĂ© au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte Ă  aucun autre motif d’irrecevabilitĂ©. Il convient donc de le dĂ©clarer recevable.

2.  Sur le fond du grief soulevĂ© par la requĂ©rante

a)  Sur l’existence d’une « ingĂ©rence Â» « prĂ©vue par la loi Â»

161.  Ă€ l’instar des parties, la Cour estime que l’interdiction faite par l’article 13 de la loi no 40/2004 de donner Ă  la recherche scientifique des embryons issus d’une fĂ©condation in vitro non destinĂ©s Ă  l’implantation constitue une ingĂ©rence dans le droit de la requĂ©rante au respect de sa vie privĂ©e. Elle rappelle Ă  cet Ă©gard que, Ă  l’époque oĂč la requĂ©rante a eu recours Ă  une fĂ©condation in vitro, la question du don des embryons non implantĂ©s issus de cette technique n’était pas rĂ©glementĂ©e. Par consĂ©quent, jusqu’à l’entrĂ©e en vigueur de la loi litigieuse, il n’était nullement interdit Ă  la requĂ©rante de donner ses embryons Ă  la recherche scientifique.

b)  Sur la lĂ©gitimitĂ© du but poursuivi

162.  Au cours de l’audience, le Gouvernement a indiquĂ© que l’objectif poursuivi par la mesure litigieuse consistait Ă  protĂ©ger la « potentialitĂ© de vie dont l’embryon est porteur Â».

163.  La Cour rappelle que l’énumĂ©ration des exceptions au droit au respect de la vie privĂ©e qui figure dans le second paragraphe de l’article 8 est exhaustive et que la dĂ©finition de ces exceptions est restrictive. Pour ĂȘtre compatible avec la Convention, une restriction Ă  ce droit doit notamment ĂȘtre inspirĂ©e par un but susceptible d’ĂȘtre rattachĂ© Ă  l’un de ceux que cette disposition Ă©numĂšre (S.A.S. c. France prĂ©citĂ©, § 113).

164.  La Cour relĂšve que, tant dans ses observations Ă©crites que dans la rĂ©ponse Ă  la question qui lui a Ă©tĂ© posĂ©e Ă  l’audience, le Gouvernement ne s’est pas rĂ©fĂ©rĂ© aux clauses du deuxiĂšme paragraphe de l’article 8 de la Convention.

165.  Toutefois, dans ses observations Ă©crites portant sur l’article 8 de la Convention, le Gouvernement a renvoyĂ© aux considĂ©rations qu’il avait exposĂ©es sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 Ă  la Convention (voir le paragraphe 124 ci-dessus) selon lesquelles, dans l’ordre juridique italien, l’embryon humain est considĂ©rĂ© comme un sujet de droit devant bĂ©nĂ©ficier du respect dĂ» Ă  la dignitĂ© humaine (voir le paragraphe 205 ci-dessous).

166.  La Cour relĂšve Ă©galement que, dans le mĂȘme ordre d’idĂ©es, deux tierces parties (l’« ECLJ Â» et les associations « Movimento per la vita Â», « Scienza e vita Â» et « Forum delle associazioni familiari Â») soutiennent que l’embryon humain a la qualitĂ© de « sujet Â» (voir les paragraphes 140 et 143 ci-dessus).

167.  La Cour admet que la « protection de la potentialitĂ© de vie dont l’embryon est porteur Â» peut ĂȘtre rattachĂ©e au but de protection de la morale et des droits et libertĂ©s d’autrui, au sens oĂč cette notion est entendue par le Gouvernement, (voir aussi Costa et Pavan, prĂ©citĂ©, §§ 45 et 59). Toutefois, cela n’implique aucun jugement de la Cour sur le point de savoir si le mot « autrui Â» englobe l’embryon humain (A, B et C c. Irlande, prĂ©citĂ©, § 228).

c)  Sur la nĂ©cessitĂ© de la mesure dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique

i.  Les principes dĂ©gagĂ©s par la jurisprudence de la Cour en matiĂšre de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e

168.  La Cour rappelle que pour apprĂ©cier la « nĂ©cessitĂ© » d’une mesure litigieuse « dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique Â» il lui faut examiner, Ă  la lumiĂšre de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoquĂ©s pour justifier la mesure en question sont pertinents et suffisants aux fins de l’article 8 § 2 (voir, parmi beaucoup d’autres, S.H. et autres c. Autriche, prĂ©citĂ©, § 91, Olsson c. SuĂšde (no 1), 24 mars 1988, § 68, sĂ©rie A no 130, K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 154, CEDH 2001-VII, Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 65, CEDH 2002-I, et P., C. et S. c. Royaume‑Uni, no 56547/00, § 114, CEDH 2002-VI).

169.  En outre, pour se prononcer sur l’ampleur de la marge d’apprĂ©ciation Ă  accorder Ă  l’État dans une affaire soulevant des questions au regard de l’article 8, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particuliĂšrement important de l’existence ou de l’identitĂ© d’un individu se trouve en jeu, la marge laissĂ©e Ă  l’État est d’ordinaire restreinte (Evans, prĂ©citĂ©, § 77, avec les rĂ©fĂ©rences qui s’y trouvent citĂ©es, et Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, § 78, CEDH 2007‑V). Par contre, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intĂ©rĂȘt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protĂ©ger, en particulier lorsque l’affaire soulĂšve des questions morales ou Ă©thiques dĂ©licates, la marge d’apprĂ©ciation est plus large (S.H. et autres c. Autriche, prĂ©citĂ©, § 94, Evans, prĂ©citĂ©, § 77, X, Y et Z c. Royaume-Uni, 22 avril 1997, § 44, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997‑II, FrettĂ© c. France, no 36515/97, § 41, CEDH 2002-I, Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 85, CEDH 2002‑VI, et A, B et C c. Irlande, prĂ©citĂ©, § 232).

170.  La Cour a Ă©galement observĂ© que, en tout Ă©tat de cause, « les choix opĂ©rĂ©s par le lĂ©gislateur en la matiĂšre n’échappent pas [Ă  son] contrĂŽle. Il [lui] incombe d’examiner attentivement les arguments dont le lĂ©gislateur a tenu compte pour parvenir aux solutions qu’il a retenues et de rechercher si un juste Ă©quilibre a Ă©tĂ© mĂ©nagĂ© entre les intĂ©rĂȘts de l’État et ceux des individus directement touchĂ©s par les solutions en question Â» (S.H. et autres c. Autriche, prĂ©citĂ©e, § 97).

171.  Dans l’affaire prĂ©citĂ©e, la Cour a aussi relevĂ© que le parlement autrichien n’avait pas encore « procĂ©dĂ© Ă  un rĂ©examen approfondi des rĂšgles rĂ©gissant la procrĂ©ation artificielle Ă  la lumiĂšre de l’évolution rapide que connaissent la science et la sociĂ©tĂ© Ă  cet Ă©gard Â» et elle a rappelĂ© que « le domaine en cause, qui paraĂźt se trouver en perpĂ©tuelle Ă©volution et connaĂźt des Ă©volutions scientifiques et juridiques particuliĂšrement rapides, appelle un examen permanent de la part des États contractants Â» (S.H. et autres c. Autriche, prĂ©citĂ©e, §§ 117 et 118).

172.  Dans l’affaire Costa et Pavan (prĂ©citĂ©, § 64), la Cour a jugĂ© que la lĂ©gislation italienne sur le diagnostic prĂ©implantatoire manquait de cohĂ©rence en ce qu’elle interdisait de limiter l’implantation aux seuls embryons indemnes de la maladie dont les intĂ©ressĂ©s Ă©taient porteurs sains alors qu’elle autorisait la requĂ©rante Ă  avorter d’un fƓtus qui aurait Ă©tĂ© atteint de la maladie en question.

173.  En outre, elle a estimĂ© qu’elle n’avait pas pour tĂąche de se substituer aux autoritĂ©s nationales dans le choix de la rĂ©glementation la plus appropriĂ©e en matiĂšre de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e, soulignant notamment que l’utilisation des techniques de fĂ©condation in vitro soulĂšve des questions dĂ©licates d’ordre moral et Ă©thique, dans un domaine en Ă©volution continue (Knecht, prĂ©citĂ©, § 59).

ii.  Application en l’espĂšce des principes susmentionnĂ©s

174.  La Cour rappelle d’emblĂ©e que la prĂ©sente espĂšce ne concerne pas un projet parental, Ă  la diffĂ©rence des affaires citĂ©es ci-dessus. Dans ces conditions, s’il n’est assurĂ©ment pas dĂ©nuĂ© d’importance, le droit de donner des embryons Ă  la recherche scientifique invoquĂ© par la requĂ©rante ne fait pas partie du noyau dur des droits protĂ©gĂ©s par l’article 8 de la Convention en ce qu’il ne porte pas sur un aspect particuliĂšrement important de l’existence et de l’identitĂ© de l’intĂ©ressĂ©e.

175.  En consĂ©quence, et eu Ă©gard aux principes dĂ©gagĂ©s par sa jurisprudence, la Cour estime qu’il y a lieu d’accorder Ă  l’État dĂ©fendeur une ample marge d’apprĂ©ciation en l’espĂšce.

176.  De plus, elle observe que la question du don d’embryons non destinĂ©s Ă  l’implantation suscite de toute Ă©vidence « des interrogations dĂ©licates d’ordre moral et Ă©thique Â» (voir Evans, prĂ©citĂ©, S.H. et autres c. Autriche, prĂ©citĂ©, et Knecht, prĂ©citĂ©) et que les Ă©lĂ©ments de droit comparĂ© dont elle dispose (voir les paragraphes 69 Ă  76 ci-dessus) montrent qu’il n’existe en la matiĂšre aucun consensus europĂ©en, contrairement Ă  ce qu’affirme la requĂ©rante (voir le paragraphe 137 ci-dessus).

177.  Certes, certains États membres ont adoptĂ© une approche permissive dans ce domaine : dix-sept des quarante États membres pour lesquels la Cour dispose d’informations en la matiĂšre autorisent la recherche sur les lignĂ©es cellulaires embryonnaires humaines. S’y ajoutent les Ă©tats oĂč ce domaine n’est pas rĂšglementĂ©, mais dont les pratiques sont permissives en la matiĂšre.

178.  Toutefois, certains Ă©tats (Andorre, la Lettonie, la Croatie et Malte) se sont dotĂ©s d’une lĂ©gislation interdisant expressĂ©ment toute recherche sur les cellules embryonnaires. D’autres n’autorisent les recherches de ce genre que sous certaines conditions strictes, exigeant par exemple qu’elles visent Ă  protĂ©ger la santĂ© de l’embryon ou qu’elles utilisent des lignĂ©es cellulaires importĂ©es de l’étranger (c’est le cas de la Slovaquie, de l’Allemagne et de l’Autriche, tout comme de l’Italie).

179.  L’Italie n’est donc pas le seul État membre du Conseil de l’Europe Ă  proscrire le don d’embryons humains Ă  des fins de recherche scientifique.

180.  De plus, les documents prĂ©citĂ©s du Conseil de l’Europe et de l’Union europĂ©enne confirment que les autoritĂ©s nationales jouissent d’une ample marge de discrĂ©tion pour adopter des lĂ©gislations restrictives lorsque la destruction d’embryons humains est en jeu, compte tenu notamment des questions d’ordre Ă©thique et moral que la notion de commencement de la vie humaine comporte et de la pluralitĂ© de vues existant Ă  ce sujet parmi les diffĂ©rents États membres.

181.  Il en va notamment ainsi de la Convention d’Oviedo, dont l’article 27 prĂ©voit qu’aucune de ses dispositions ne doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme limitant la facultĂ© de chaque Partie d’accorder une protection plus Ă©tendue Ă  l’égard des applications de la biologie et de la mĂ©decine. L’avis no 15 adoptĂ© le 14 novembre 2000 par le Groupe europĂ©en d’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprĂšs de la Commission europĂ©enne, la RĂ©solution 1352 (2003) de l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe relative Ă  la recherche sur les cellules souches et le RĂšglement no 1394/2007 du Parlement EuropĂ©en et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les mĂ©dicaments de thĂ©rapie innovante comportent des dispositions similaires (voir le paragraphe 58, le point III lettre F et le point IV lettre B ci-dessus).

182.  Les limites imposĂ©es au niveau europĂ©en visent plutĂŽt Ă  freiner les excĂšs dans ce domaine. C’est le cas par exemple de l’interdiction de crĂ©er des embryons humains Ă  des fins de recherche scientifique, prĂ©vue par l’article 18 de la Convention d’Oviedo, ou de l’interdiction de breveter des inventions scientifiques dont le processus d’élaboration implique la destruction d’embryons humains (voir l’arrĂȘt de la Cour de justice de l’Union europĂ©enne Oliver BrĂŒstle c. Greenpeace eV du 18 octobre 2011).

183.  Cela Ă©tant, la marge d’apprĂ©ciation de l’État n’est pas illimitĂ©e et il incombe Ă  la Cour d’examiner les arguments dont le lĂ©gislateur a tenu compte pour parvenir aux solutions qu’il a retenues ainsi que de rechercher si un juste Ă©quilibre a Ă©tĂ© mĂ©nagĂ© entre les intĂ©rĂȘts de l’État et ceux des individus directement touchĂ©s par les solutions en question (Evans, prĂ©citĂ©, § 86 et S.H. et autres c. Autriche, prĂ©citĂ©, § 97).

184.  La Cour relĂšve dans ce contexte que, s’appuyant sur des documents relatifs aux travaux prĂ©paratoires de la loi no 40/2004, le Gouvernement a indiquĂ© Ă  l’audience que l’élaboration de la loi avait donnĂ© lieu Ă  un important dĂ©bat qui avait tenu compte des diffĂ©rentes opinions et des questions scientifiques et Ă©thiques existant en la matiĂšre (voir le paragraphe 127 ci-dessus).

185.  Il ressort en effet d’un rapport de la XIIe Commission permanente prĂ©sentĂ© au Parlement le 26 mars 2002 que le dĂ©bat a Ă©tĂ© enrichi par les contributions de mĂ©decins, spĂ©cialistes et associations engagĂ©es dans le domaine de la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e et que les discussions les plus vives ont portĂ© en gĂ©nĂ©ral sur la sphĂšre des libertĂ©s individuelles, opposant les partisans d’une conception laĂŻque de l’État aux tenants d’une approche confessionnelle de celui-ci.

186.  De plus, lors des dĂ©bats du 19 janvier 2004, la loi no 40/2004 avait Ă©galement Ă©tĂ© critiquĂ©e entre autres parce que la reconnaissance de la qualitĂ© de sujet de droit Ă  l’embryon opĂ©rĂ©e par son premier article entraĂźnait selon certains une sĂ©rie d’interdictions, notamment celle de recourir Ă  la fĂ©condation hĂ©tĂ©rologue et d’utiliser Ă  des fins la recherche scientifique des embryons cryoconservĂ©s non destinĂ©s Ă  une implantation.

187.  Par ailleurs, Ă  l’instar du Gouvernement, la Cour rappelle que la loi no 40/2004 a fait l’objet de plusieurs rĂ©fĂ©rendums, qui ont Ă©chouĂ© faute de quorum. Afin de promouvoir le dĂ©veloppement de la recherche scientifique en Italie dans le domaine des maladies difficilement curables, l’un de ceux-ci proposait notamment l’abrogation de la clause de l’article 13 qui subordonne l’autorisation de mener des recherches scientifiques sur des embryons Ă  la condition de protĂ©ger leur santĂ© et leur dĂ©veloppement.

188.  La Cour constate donc que, lors du processus d’élaboration de la loi litigieuse, le lĂ©gislateur avait dĂ©jĂ  tenu compte des diffĂ©rents intĂ©rĂȘts ici en cause, notamment celui de l’État Ă  protĂ©ger l’embryon et celui des personnes concernĂ©es Ă  exercer leur droit Ă  l’autodĂ©termination individuelle sous la forme d’un don de leurs embryons Ă  la recherche.

189.  La Cour relĂšve ensuite que la requĂ©rante allĂšgue que la lĂ©gislation italienne relative Ă  la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e est incohĂ©rente, en vue de dĂ©montrer le caractĂšre disproportionnĂ© de l’ingĂ©rence dont elle se plaint.

190.  Dans ses observations Ă©crites et Ă  l’audience, l’intĂ©ressĂ©e a notamment soulignĂ© qu’il Ă©tait difficile de concilier la protection de l’embryon mise en avant par le Gouvernement avec, d’une part, la possibilitĂ© pour une femme de recourir lĂ©galement Ă  un avortement thĂ©rapeutique jusqu’au troisiĂšme mois de grossesse et, d’autre part, l’utilisation par les chercheurs italiens de lignĂ©es cellulaires embryonnaires issues d’embryons ayant Ă©tĂ© dĂ©truits Ă  l’étranger.

191.  La Cour n’a point pour tĂąche d’analyser in abstracto la cohĂ©rence de la lĂ©gislation italienne en la matiĂšre. Pour ĂȘtre pertinentes aux fins de son examen, les contradictions dĂ©noncĂ©es par la requĂ©rante doivent se rapporter Ă  l’objet du grief qu’elle soulĂšve devant la Cour, Ă  savoir la limitation de son droit Ă  l’autodĂ©termination quant au sort Ă  rĂ©server Ă  ses embryons (voir, mutatis mutandis, Olsson (no 1) prĂ©citĂ©, § 54, et Knecht, prĂ©citĂ©, § 59).

192.  Quant aux recherches effectuĂ©es en Italie sur des lignĂ©es cellulaires embryonnaires importĂ©es issues d’embryons ayant Ă©tĂ© dĂ©truits Ă  l’étranger, la Cour observe que, si le droit invoquĂ© par la requĂ©rante de dĂ©cider du sort de ses embryons est liĂ© Ă  son dĂ©sir de contribuer Ă  la recherche scientifique, il n’y a toutefois pas lieu d’y voir une circonstance affectant directement l’intĂ©ressĂ©e.

193.  De surcroĂźt, la Cour prend acte de l’information fournie par le Gouvernement au cours de l’audience, selon laquelle les lignĂ©es de cellules embryonnaires utilisĂ©es dans les laboratoires italiens Ă  des fins de recherche ne sont jamais produites Ă  la demande des autoritĂ©s italiennes.

194.  Elle partage l’opinion du Gouvernement selon laquelle la destruction volontaire et active d’un embryon humain ne saurait ĂȘtre assimilĂ©e Ă  l’utilisation de lignĂ©es cellulaires issues d’embryons humains dĂ©truits Ă  un stade antĂ©rieur.

195.  Elle en conclut que, mĂȘme Ă  les supposer avĂ©rĂ©es, les incohĂ©rences de la lĂ©gislation allĂ©guĂ©es par la requĂ©rante ne sont pas de nature Ă  affecter directement le droit qu’elle invoque en l’espĂšce.

196.  Enfin, la Cour constate que, dans la prĂ©sente affaire, le choix de donner les embryons litigieux Ă  la recherche scientifique rĂ©sulte de la seule volontĂ© de la requĂ©rante, son compagnon Ă©tant dĂ©cĂ©dĂ©. Or la Cour ne dispose d’aucun Ă©lĂ©ment attestant que ce dernier, qui Ă©tait concernĂ© par les embryons en cause au mĂȘme titre que la requĂ©rante Ă  l’époque de la fĂ©condation, aurait fait le mĂȘme choix. Par ailleurs, cette situation ne fait pas non plus l’objet d’une rĂ©glementation sur le plan interne.

197.  Pour les raisons exposĂ©es ci-dessus, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas excĂ©dĂ© en l’espĂšce l’ample marge d’apprĂ©ciation dont il jouit en la matiĂšre et que l’interdiction litigieuse Ă©tait « nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique Â» au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

198.  Il n’y a donc pas eu violation du droit de la requĂ©rante au respect de sa vie privĂ©e au titre de l’article 8 de la Convention.

V.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

199.  Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 Ă  la Convention, la requĂ©rante se plaint de ne pouvoir donner ses embryons et d’ĂȘtre obligĂ©e de les maintenir en Ă©tat de cryoconservation jusqu’à leur mort. L’article 1 du Protocole no 1 Ă  la Convention dispose :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut ĂȘtre privĂ© de sa propriĂ©tĂ© que pour cause d’utilitĂ© publique et dans les conditions prĂ©vues par la loi et les principes gĂ©nĂ©raux du droit international.

Les dispositions prĂ©cĂ©dentes ne portent pas atteinte au droit que possĂšdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nĂ©cessaires pour rĂ©glementer l’usage des biens conformĂ©ment Ă  l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ou pour assurer le paiement des impĂŽts ou d’autres contributions ou des amendes. Â»

A.  Arguments des parties

1.  Arguments du Gouvernement

200.  Le Gouvernement avance d’abord que l’embryon humain ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une « chose Â» et qu’il est en tout Ă©tat de cause inacceptable de lui attribuer une valeur Ă©conomique. Il souligne ensuite que, dans l’ordre juridique italien, l’embryon humain est considĂ©rĂ© comme un sujet de droit devant bĂ©nĂ©ficier du respect dĂ» Ă  la dignitĂ© humaine.

201.  Par ailleurs, il soutient que la Cour reconnaĂźt aux États membres une large marge d’apprĂ©ciation en matiĂšre de dĂ©termination du dĂ©but de la vie humaine (Evans, prĂ©citĂ©, § 56), tout particuliĂšrement dans des domaines comme celui-ci, oĂč sont en jeu des questions morales et Ă©thiques complexes qui ne font pas l’objet d’un consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe.

202.  Il en conclut qu’aucune violation de l’article 1 du Protocole no 1 ne saurait ĂȘtre dĂ©celĂ©e en l’espĂšce.

2.  Arguments de la requĂ©rante

203.  La requĂ©rante soutient que les embryons conçus par fĂ©condation in vitro ne sauraient ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des « individus Â» puisque, en l’absence d’implantation, ils ne sont pas destinĂ©s Ă  se dĂ©velopper pour devenir des fƓtus et naĂźtre. Elle en dĂ©duit que, du point de vue juridique, ils sont des « biens Â».

204.  Dans ces conditions, elle estime disposer d’un droit de propriĂ©tĂ© sur ses embryons. Or elle considĂšre que l’État y a apportĂ© des limitations qu’aucun motif d’un intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ne justifie, la protection de la potentialitĂ© de vie dont les embryons seraient porteurs ne pouvant ĂȘtre raisonnablement invoquĂ©e Ă  cet Ă©gard dĂšs lors qu’ils ont vocation Ă  ĂȘtre Ă©liminĂ©s.

3.  Observations des tiers intervenants

a)  Le Centre europĂ©en pour la justice et les droits de l’homme (l’« ECLJ Â»)

205.  L’ECLJ soutient que les embryons ne sauraient ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des « choses Â», et qu’ils ne peuvent donc pas ĂȘtre dĂ©truits volontairement. Par ailleurs, il avance que la notion de « bien Â» a en soi une connotation Ă©conomique qui est Ă  exclure dans le cas d’embryons humains.

206.  Enfin, il fait observer que la Cour autorise les États Ă  dĂ©terminer dans leur ordre juridique interne « le point de dĂ©part du droit Ă  la vie Â» (Vo c. France [GC], no 53924/00, § 82, CEDH 2004‑VIII) et que, dans ce domaine, elle leur accorde une ample marge d’apprĂ©ciation (A, B et C c. Irlande, prĂ©citĂ©, § 237).

b)  Les associations « Movimento per la vita Â», « Scienza e vita Â» et « Forum delle associazioni familiari Â», reprĂ©sentĂ©es par Me Carlo Casini

207.  Ces tierces parties excluent que l’embryon humain puisse ĂȘtre vu comme une « chose Â».

208.  En outre, elles avancent que la lĂ©gislation italienne en la matiĂšre est cohĂ©rente. Si elles reconnaissent que celle-ci autorise l’avortement thĂ©rapeutique, elles prĂ©cisent que cette possibilitĂ© ne tient pas Ă  l’attribution de la qualitĂ© de « chose Â» Ă  l’embryon mais Ă  la prise en compte des diffĂ©rents intĂ©rĂȘts en cause, notamment celui de la mĂšre.

c)  Les associations « Luca Coscioni Â», « Amica Cicogna Onlus Â», « L’altra cicogna Onlus Â» et « Cerco un bimbo Â» ainsi que quarante-six membres du Parlement italien, reprĂ©sentĂ©s par de Me Filomena Gallo

209.  Me Gallo rĂ©itĂšre les considĂ©rations exposĂ©es par la requĂ©rante concernant le statut de l’embryon.

d)  Les associations « VOX – Osservatorio italiano sui Diritti Â», « SIFES – Society of Fertility, Sterility and Reproductive Medicine Â» et « Cittadinanzattiva Â», reprĂ©sentĂ©es par Me Maria Elisa D’Amico, Mme Maria Paola Costantini, M. Massimo Clara, Mme Chiara Ragni et Mme Benedetta Liberali

210.  Ces tiers intervenants n’ont pas prĂ©sentĂ© d’observations sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 Ă  la Convention.

B.  ApprĂ©ciation de la Cour

1.  Les principes dĂ©gagĂ©s par la jurisprudence de la Cour

211.  La Cour rappelle que la notion de « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 a une portĂ©e autonome qui ne se limite pas Ă  la propriĂ©tĂ© de biens corporels et qui est indĂ©pendante des qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et intĂ©rĂȘts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette disposition. Dans chaque affaire, il importe d’examiner si les circonstances, considĂ©rĂ©es dans leur ensemble, ont rendu le requĂ©rant titulaire d’un intĂ©rĂȘt substantiel protĂ©gĂ© par l’article 1 du Protocole no 1 (Iatridis c. GrĂšce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 1999‑II, Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000‑I, et Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 129, CEDH 2004-V).

212.  L’article 1 du Protocole no 1 ne vaut que pour les biens actuels. Un revenu futur ne peut ainsi ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un « bien » que s’il a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© gagnĂ© ou s’il fait l’objet d’une crĂ©ance certaine. En outre, l’espoir de voir reconnaĂźtre un droit de propriĂ©tĂ© que l’on est dans l’impossibilitĂ© d’exercer effectivement ne peut non plus ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un « bien », ni une crĂ©ance conditionnelle qui se trouve caduque par suite de la non-rĂ©alisation de la condition (Gratzinger et Gratzingerova c. RĂ©publique tchĂšque (dĂ©c.) [GC], no 39794/98, § 69, CEDH 2002-VII).

213.  Cependant, dans certaines circonstances, l’« espĂ©rance lĂ©gitime » d’obtenir une valeur patrimoniale peut Ă©galement bĂ©nĂ©ficier de la protection de l’article 1 du Protocole no 1. Ainsi, lorsque l’intĂ©rĂȘt patrimonial est de l’ordre de la crĂ©ance, l’on peut considĂ©rer que l’intĂ©ressĂ© dispose d’une espĂ©rance lĂ©gitime si un tel intĂ©rĂȘt prĂ©sente une base suffisante en droit interne, par exemple lorsqu’il est confirmĂ© par une jurisprudence bien Ă©tablie des tribunaux (KopeckĂœ c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 52, CEDH 2004-IX).

2.  Application en l’espĂšce des principes susmentionnĂ©s

214.  La Cour relĂšve que la prĂ©sente affaire soulĂšve la question prĂ©alable de l’applicabilitĂ© de l’article 1 du Protocole no 1 Ă  la Convention aux faits en cause. Elle prend acte de ce que les parties ont des positions diamĂ©tralement opposĂ©es sur cette question, tout particuliĂšrement en ce qui concerne le statut de l’embryon humain in vitro.

215.  Elle estime toutefois qu’il n’est pas nĂ©cessaire de se pencher ici sur la question, dĂ©licate et controversĂ©e, du dĂ©but de la vie humaine, l’article 2 de la Convention n’étant pas en cause en l’espĂšce. Quant Ă  l’article 1 du Protocole no 1, la Cour est d’avis qu’il ne s’applique pas dans le cas prĂ©sent. En effet, eu Ă©gard Ă  la portĂ©e Ă©conomique et patrimoniale qui s’attache Ă  cet article, les embryons humains ne sauraient ĂȘtre rĂ©duits Ă  des « biens Â» au sens de cette disposition.

216.  L’article 1 du Protocole no 1 Ă  la Convention n’étant pas applicable en l’espĂšce, cette partie de la requĂȘte doit ĂȘtre rejetĂ©e comme Ă©tant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de celle-ci.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Rejette, Ă  l’unanimitĂ©, l’exception de non-Ă©puisement des voies de recours internes soulevĂ©e par le Gouvernement ;

 

2.  Rejette, Ă  la majoritĂ©, l’exception de tardivetĂ© de la requĂȘte soulevĂ©e par le Gouvernement ;

 

3.  Rejette, Ă  la majoritĂ©, l’exception soulevĂ©e par le Gouvernement tirĂ©e de l’absence de qualitĂ© de victime de la requĂ©rante ;

 

4.  DĂ©clare, Ă  la majoritĂ©, la requĂȘte recevable quant au grief tirĂ© de l’article 8 de la Convention ;

 

5.  DĂ©clare, Ă  l’unanimitĂ©, la requĂȘte irrecevable quant au grief tirĂ© de l’article 1 du Protocole no 1 Ă  la Convention ;

 

6.  Dit, par seize voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français et en anglais, puis prononcĂ© en audience publique au Palais des droits de l’homme, Ă  Strasbourg le 27 aoĂ»t 2015.

Johan Callewaert                                                                  Dean Spielmann
Adjoint au greffier                                                                     Président

Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rĂšglement, l’exposĂ© des opinions sĂ©parĂ©es suivantes :

–  opinion concordante du juge Pinto de Albuquerque ;

–  opinion concordante du juge Dedov ;

–  opinion en partie concordante commune des juges Casadevall, Raimondi, Berro, Nicolaou et Dedov ;

–  opinion en partie dissidente commune des juges Casadevall, Ziemele, Power-Forde, De Gaetano et Yudkivska ;

–  opinion en partie dissidente du juge Nicolaou ;

–  opinion dissidente du juge SajĂł.

D.S.
J.C.


OPINION CONCORDANTE DU
JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

Table des matiĂšres

I.   Introduction (§ 1)

II.  La recherche sur l’embryon humain en droit international (§§ 2-26)

A.  Les normes des Nations unies (§§ 2-10)

i.    La DĂ©claration universelle sur le gĂ©nome humain et les droits de l’homme (§ 2)

ii.   Les Lignes directrices internationales d’éthique pour la recherche biomĂ©dicale impliquant des sujets humains (§ 3)

iii.  La Déclaration internationale sur les données génétiques humaines (§ 4)

iv.  La DĂ©claration des Nations Unies sur le clonage des ĂȘtres humains (§ 5)

v.   La DĂ©claration universelle sur la bioĂ©thique et les droits de l’homme (§ 6)

vi.  Les avis du ComitĂ© international de bioĂ©thique de l’UNESCO (§§ 710)

B.  Les normes professionnelles universelles (§§ 11-12)

i.    La DĂ©claration de l’Association mĂ©dicale mondiale (AMM) sur les principes Ă©thiques applicables Ă  la recherche mĂ©dicale impliquant des ĂȘtres humains (§ 11)

ii.   Les lignes directrices relatives à la conduite de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines (Guidelines for the Conduct of Human Embryonic Stem Cell Research) de la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches (§ 12)

C.  Les normes interaméricaines (§ 13)

D.  Les normes africaines (§§ 14-15)

E.  Les normes européennes (§§ 16-26)

i.    Les normes de l’Union europĂ©enne (§§ 16-22)

ii.   Les normes du Conseil de l’Europe (§§ 23-26)

III.      La position des parties (§§ 27-30)

A.  Le caractÚre inutile de la restriction légale italienne (§§ 27-28)

B.  Le caractĂšre contradictoire du cadre juridique italien applicable (§ 29)

C.  Le consensus européen non prohibitif (§ 30)

IV.      La position de la majorité (§§ 31-37)

V.  L’application des normes de la Cour (§§ 38-42)

VI.      Conclusion (§ 43)


 

I.  Introduction

1.  Je n’ai pas d’objection aux dĂ©cisions sur la recevabilitĂ© et l’irrecevabilitĂ© formulĂ©es par la majoritĂ© de la Grande Chambre[4]. Je ne puis cependant souscrire au raisonnement de la majoritĂ© sur la question de fond qui est en jeu, Ă  savoir l’utilisation d’embryons cryoconservĂ©s aux fins de la recherche sur les cellules souches. J’ai nĂ©anmoins votĂ©, sans hĂ©sitation, comme la majoritĂ© en faveur d’un constat de non-violation de l’article 8 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme (« la Convention Â»).

II.  La recherche sur l’embryon humain en droit international

A.  Les normes des Nations unies

i.  La DĂ©claration universelle sur le gĂ©nome humain et les droits de l’homme

2.  Comme il ressort de l’article 6 Â§ 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du neuviĂšme alinĂ©a du prĂ©ambule de la Convention relative aux droits de l’enfant, le droit international n’est pas indiffĂ©rent Ă  la nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger la vie humaine potentielle. Cependant, l’article 15 Â§ 3 du Pacte international de 1966 sur les droits Ă©conomiques, sociaux et culturels (PIDESC) engage aussi les États parties « Ă  respecter la libertĂ© indispensable Ă  la recherche scientifique Â». L’État peut toutefois limiter cette libertĂ© scientifique aux fins de favoriser le « bien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique Â». La protection de la vie humaine Ă  naĂźtre –valeur sociale indispensable dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique qui concerne le bien-ĂȘtre non seulement des gĂ©nĂ©rations actuelles mais aussi des gĂ©nĂ©rations futures â€“ relĂšve assurĂ©ment de la clause de restriction contenue Ă  l’article 4 du PIDESC, lue Ă  la lumiĂšre du dĂ©veloppement du droit international survenu dans la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle.

En fait, les Nations unies ont pris d’importantes mesures en vue de la reconnaissance de la dignitĂ© humaine des embryons, en les protĂ©geant dans le cadre de la recherche scientifique et de l’expĂ©rimentation sur les ĂȘtres humains, Ă  commencer par l’adoption de la DĂ©claration universelle sur le gĂ©nome humain et les droits de l’homme adoptĂ©e Ă  la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en 1997[5], confirmĂ©e par l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies en 1998[6]. La dĂ©claration Ă©nonce que le gĂ©nome humain sous-tend la reconnaissance de la dignitĂ© intrinsĂšque et de la diversitĂ© de la famille humaine. Chaque individu a droit au respect de sa dignitĂ© et de ses droits, quelles que soient ses caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©tiques. Cette dignitĂ© impose de ne pas rĂ©duire les individus Ă  leurs caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©tiques et de respecter le caractĂšre unique de chacun et la diversitĂ© des individus. Le gĂ©nome humain, par nature Ă©volutif, est sujet Ă  des mutations. Il renferme des potentialitĂ©s qui s’expriment diffĂ©remment selon l’environnement naturel et social de chaque individu. Le gĂ©nome humain en son Ă©tat naturel ne peut donner lieu Ă  des gains pĂ©cuniaires. La dĂ©claration ajoute qu’aucune recherche concernant le gĂ©nome humain, ni aucune de ses applications, en particulier dans les domaines de la biologie, de la gĂ©nĂ©tique et de la mĂ©decine, ne devrait prĂ©valoir sur le respect des droits de l’homme, des libertĂ©s fondamentales et de la dignitĂ© humaine des individus ou de groupes d’individus. Des pratiques qui sont contraires Ă  la dignitĂ© humaine, telles que le clonage Ă  des fins de reproduction d’ĂȘtres humains, ne sont pas permises.

ii.  Les Lignes directrices internationales d’éthique pour la recherche biomĂ©dicale impliquant des sujets humains

3.  En 2002, le Conseil des organisations internationales des sciences mĂ©dicales (CIOMS), en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santĂ© (OMS), a mis Ă  jour les Lignes directrices internationales d’éthique pour la recherche biomĂ©dicale impliquant des sujets humains, qui portent sur l’application Ă  la recherche impliquant des sujets humains de trois principes fondamentaux d’éthique : le respect de la personne, la bienfaisance et la justice[7]. Cet instrument dispose donc que la recherche biomĂ©dicale impliquant des sujets humains ne peut ĂȘtre Ă©thiquement justifiable que si elle est conduite d’une maniĂšre qui respecte et protĂšge les sujets de la recherche, qui soit Ă©quitable et qui soit moralement acceptable dans les communautĂ©s oĂč la recherche est effectuĂ©e[8].

iii.  La DĂ©claration internationale sur les donnĂ©es gĂ©nĂ©tiques humaines

4.  La DĂ©claration internationale sur les donnĂ©es gĂ©nĂ©tiques humaines a Ă©tĂ© adoptĂ©e par la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de l’UNESCO en octobre 2003[9]. Elle a pour objectifs d’assurer le respect de la dignitĂ© humaine et la protection des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales dans la collecte, le traitement, l’utilisation et la conservation des donnĂ©es gĂ©nĂ©tiques humaines, des donnĂ©es protĂ©omiques humaines et des Ă©chantillons biologiques Ă  partir desquels elles sont obtenues, conformĂ©ment aux impĂ©ratifs d’égalitĂ© et de justice. La dĂ©claration Ă©nonce que chaque individu a une constitution gĂ©nĂ©tique caractĂ©ristique. Toutefois, l’identitĂ© d’une personne ne saurait se rĂ©duire Ă  ses caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©tiques. Les donnĂ©es gĂ©nĂ©tiques humaines et les donnĂ©es protĂ©omiques humaines peuvent ĂȘtre collectĂ©es, traitĂ©es, utilisĂ©es et conservĂ©es uniquement aux fins de recherche mĂ©dicale et autre recherche scientifique, ou toute autre fin compatible avec la DĂ©claration universelle sur le gĂ©nome humain et les droits de l’homme et avec le droit international des droits de l’homme.

iv.  La DĂ©claration des Nations Unies sur le clonage des ĂȘtres humains

5.  La DĂ©claration des Nations Unies sur le clonage des ĂȘtres humains a Ă©tĂ© adoptĂ©e par l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies en mars 2005[10]. Elle invite les États membres Ă  adopter toutes les mesures voulues pour protĂ©ger comme il convient la vie humaine dans l’application des sciences de la vie, Ă  interdire toutes les formes de clonage humain dans la mesure oĂč elles seraient incompatibles avec la dignitĂ© humaine et la protection de la vie humaine et Ă  adopter les mesures voulues pour interdire l’application des techniques de gĂ©nie gĂ©nĂ©tique qui pourrait aller Ă  l’encontre de la dignitĂ© humaine.

v.  La DĂ©claration universelle sur la bioĂ©thique et les droits de l’homme

6.  La DĂ©claration universelle sur la bioĂ©thique et les droits de l’homme a Ă©tĂ© adoptĂ©e par acclamation par la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de l’UNESCO en octobre 2005[11]. Elle traite des questions d’éthique posĂ©es par la mĂ©decine, les sciences de la vie et les technologies qui leur sont associĂ©es, appliquĂ©es aux ĂȘtres humains. Elle insiste sur la nĂ©cessitĂ© pour cette recherche scientifique de s’inscrire dans le cadre des principes Ă©thiques et de respecter la dignitĂ© humaine, les droits de l’homme et les libertĂ©s fondamentales. Les intĂ©rĂȘts et le bien-ĂȘtre de l’individu devraient l’emporter sur le seul intĂ©rĂȘt de la science ou de la sociĂ©tĂ©. Dans l’application et l’avancement des connaissances scientifiques, de la pratique mĂ©dicale et des technologies qui leur sont associĂ©es, les effets bĂ©nĂ©fiques directs et indirects pour les individus concernĂ©s devraient ĂȘtre maximisĂ©s et tout effet nocif susceptible d’affecter ces individus devrait ĂȘtre rĂ©duit au minimum. L’égalitĂ© fondamentale de tous les ĂȘtres humains en dignitĂ© et en droit doit ĂȘtre respectĂ©e de maniĂšre Ă  ce qu’ils soient traitĂ©s de façon juste et Ă©quitable. Aucun individu ou groupe ne devrait ĂȘtre soumis, en violation de la dignitĂ© humaine, des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales, Ă  la discrimination ou Ă  la stigmatisation. L’incidence des sciences de la vie sur les gĂ©nĂ©rations futures, y compris sur leur constitution gĂ©nĂ©tique, devrait ĂȘtre dĂ»ment prise en considĂ©ration.

vi.  Les avis du ComitĂ© international de bioĂ©thique de l’UNESCO

7.  En 2001, le ComitĂ© international de bioĂ©thique de l’UNESCO (CIB) a rĂ©sumĂ© sa position au sujet des cellules souches embryonnaires dans un rapport intitulĂ© « L’utilisation des cellules souches embryonnaires pour la recherche thĂ©rapeutique : rapport du CIB sur les aspects Ă©thiques des recherches sur les cellules embryonnaires Â»[12]. Aux fins du rapport, l’embryon humain a Ă©tĂ© examinĂ© aux premiers stades de son dĂ©veloppement, avant son implantation dans l’utĂ©rus. Si les recherches sur l’embryon humain pour obtenir des cellules souches embryonnaires sont autorisĂ©es, alors elles doivent ĂȘtre soumises Ă  un strict contrĂŽle et Ă  des conditions restrictives rigoureuses, notamment l’obtention du consentement Ă©clairĂ© des donneurs et la justification en termes d’avantages pour l’humanitĂ©. Les recherches menĂ©es Ă  des fins non mĂ©dicales ne seraient Ă©videmment pas Ă©thiques, de mĂȘme que des recherches qui porteraient sur des embryons ayant dĂ©passĂ© les tout premiers stades de dĂ©veloppement. Les applications mĂ©dicales des recherches doivent ĂȘtre sans Ă©quivoque des applications thĂ©rapeutiques et non correspondre Ă  des souhaits cosmĂ©tiques ou Ă  des caprices non mĂ©dicaux ou, a fortiori, Ă  des amĂ©liorations eugĂ©niques. En aucun cas le don d’embryons humains ne doit ĂȘtre une transaction commerciale et des mesures devraient ĂȘtre prises pour dĂ©courager toute incitation financiĂšre.

Les recherches sur les cellules souches embryonnaires – et les recherches sur l’embryon en gĂ©nĂ©ral â€“ sont une question que chaque communautĂ© doit elle-mĂȘme trancher. Des mesures devraient ĂȘtre prises pour garantir que ces recherches sont menĂ©es dans un cadre lĂ©gislatif ou rĂ©glementaire qui accorderait le poids nĂ©cessaire aux considĂ©rations Ă©thiques et fixerait des principes directeurs adĂ©quats. Si l’on envisage d’autoriser que des dons d’embryons surnumĂ©raires au stade prĂ©implantatoire, provenant de traitements de FIV, soient consentis pour des recherches sur les cellules souches embryonnaires Ă  des fins thĂ©rapeutiques, l’attention sera accordĂ©e Ă  la dignitĂ© et aux droits des deux parents donneurs. Il est donc essentiel que le don n’ait lieu qu’aprĂšs que les donneurs ont Ă©tĂ© pleinement informĂ©s des implications de ces recherches et ont donnĂ© leur consentement libre et Ă©clairĂ©. Il conviendrait d’examiner d’autres technologies permettant d’obtenir des lignĂ©es de cellules souches Ă  partir de sources gĂ©nĂ©tiquement compatibles pour la recherche thĂ©rapeutique dans le domaine des transplantations. Dans tous les aspects des recherches concernant l’embryon humain, une importance particuliĂšre devrait ĂȘtre accordĂ©e au respect de la dignitĂ© humaine et aux principes Ă©noncĂ©s dans la DĂ©claration universelle des droits de l’homme (1948) et la DĂ©claration universelle sur le gĂ©nome humain et les droits de l’homme (1997).

8.  En 2003, dans le « Rapport du CIB sur le diagnostic gĂ©nĂ©tique prĂ©‑implantatoire et les interventions sur la lignĂ©e germinale Â»[13], le CIB a dĂ©clarĂ© que la destruction d’embryons pour des raisons non mĂ©dicales ou l’interruption d’une grossesse Ă  cause du sexe de l’enfant n’est pas « contrebalancĂ©e Â» par le dĂ©sir d’éviter des souffrances futures dues Ă  une maladie grave. L’intervention sur la lignĂ©e germinale vise Ă  corriger une anomalie gĂ©nĂ©tique particuliĂšre dans les cellules germinales ou dans l’embryon Ă  ses premiers stades ou Ă  introduire des gĂšnes qui peuvent confĂ©rer Ă  l’embryon des caractĂšres additionnels. Le CIB a soulignĂ© qu’en ce qui concerne les interventions sur la lignĂ©e germinale, la distinction entre les « objectifs thĂ©rapeutiques Â» et « l’amĂ©lioration des caractĂ©ristiques normales Â» n’est pas claire. Le CIB a rappelĂ© que « [les interventions sur la lignĂ©e germinale] pourraient ĂȘtre contraires Ă  la dignitĂ© humaine Â».

9.  Dans le « Rapport du CIB sur le clonage humain et la gouvernance internationale Â»[14], le CIB a relevĂ© que les expressions « clonage reproductif Â» et « clonage thĂ©rapeutique Â» introduites dans le dĂ©bat bioĂ©thique ne dĂ©crivaient pas adĂ©quatement les procĂ©dĂ©s techniques utilisĂ©s. Les nouvelles avancĂ©es scientifiques, comme les cellules souches pluripotentes induites, ouvraient de nouvelles possibilitĂ©s pour la recherche et, Ă  moyen terme, pour des applications thĂ©rapeutiques.

10.  Dans un rapport intitulĂ© « Avis du CIB sur la brevetabilitĂ© du gĂ©nome humain Â»[15], le CIB a admis qu’autoriser la brevetabilitĂ© du gĂ©nome humain pourrait freiner la recherche et monopoliser les connaissances scientifiques, et a estimĂ© qu’il existait de solides raisons Ă©thiques pour exclure le gĂ©nome humain de la brevetabilitĂ©.

B.  Les normes professionnelles universelles

i.  La DĂ©claration de l’Association mĂ©dicale mondiale (AMM) sur les principes Ă©thiques applicables Ă  la recherche mĂ©dicale impliquant des ĂȘtres humains

11.  L’Association mĂ©dicale mondiale (AMM) a approuvĂ© la DĂ©claration d’Helsinki comme Ă©noncĂ© de principes Ă©thiques applicables Ă  la recherche mĂ©dicale impliquant des ĂȘtres humains, y compris la recherche sur du matĂ©riel biologique humain et sur des donnĂ©es identifiables. AdoptĂ©e en 1964 et amendĂ©e pour la derniĂšre fois en 2013, la dĂ©claration Ă©nonce que l’objectif premier de la recherche mĂ©dicale impliquant des ĂȘtres humains est de comprendre les causes, le dĂ©veloppement et les effets des maladies et d’amĂ©liorer les interventions prĂ©ventives, diagnostiques et thĂ©rapeutiques. MĂȘme les meilleures interventions Ă©prouvĂ©es doivent ĂȘtre Ă©valuĂ©es en permanence par de nouvelles recherches portant sur leur sĂ©curitĂ©, leur efficacitĂ©, leur pertinence, leur accessibilitĂ© et leur qualitĂ©. La recherche mĂ©dicale est soumise Ă  des normes Ă©thiques qui promeuvent et assurent le respect de tous les ĂȘtres humains et qui protĂšgent leur santĂ© et leurs droits. Cet objectif ne doit jamais prĂ©valoir sur les droits et les intĂ©rĂȘts des personnes impliquĂ©es dans la recherche. Une recherche mĂ©dicale impliquant des ĂȘtres humains ne peut ĂȘtre conduite que si l’importance de l’objectif dĂ©passe les risques et inconvĂ©nients pour les personnes impliquĂ©es. Certains groupes ou personnes sont particuliĂšrement vulnĂ©rables et peuvent avoir une plus forte probabilitĂ© d’ĂȘtre abusĂ©s ou de subir un prĂ©judice additionnel. Ces groupes et personnes vulnĂ©rables devraient bĂ©nĂ©ficier d’une protection adaptĂ©e. La recherche mĂ©dicale impliquant un groupe vulnĂ©rable se justifie uniquement si elle rĂ©pond aux besoins ou aux prioritĂ©s sanitaires de ce groupe et qu’elle ne peut ĂȘtre effectuĂ©e sur un groupe non vulnĂ©rable. En outre, ce groupe devrait bĂ©nĂ©ficier des connaissances, des pratiques ou interventions qui en rĂ©sultent.

ii.  Les lignes directrices relatives Ă  la conduite de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines (Guidelines for the Conduct of Human Embryonic Stem Cell Research) de la SociĂ©tĂ© internationale pour la recherche sur les cellules souches

12.  Les lignes directrices de 2006 de la SociĂ©tĂ© internationale pour la recherche sur les cellules souches visent Ă  souligner la responsabilitĂ© des scientifiques s’agissant de veiller Ă  ce que les recherches sur les cellules souches humaines soient menĂ©es dans le respect de rigoureuses normes d’éthique en matiĂšre de recherche, et d’encourager des pratiques uniformes de recherche qui devraient ĂȘtre suivies Ă  l’échelle mondiale par tous les scientifiques travaillant sur les cellules souches humaines. Ces lignes directrices mettent l’accent sur des questions qui sont propres aux recherches sur les cellules souches concernant les stades prĂ©implantatoires du dĂ©veloppement humain, aux recherches sur la dĂ©rivation ou l’utilisation des lignĂ©es de cellules souches pluripotentes humaines, et sur l’éventail des expĂ©riences dans le cadre desquelles de telles cellules peuvent ĂȘtre incorporĂ©es dans des hĂŽtes animaux.

Toutes les expĂ©riences pertinentes pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines qui concernent les stades prĂ©implantatoires du dĂ©veloppement humain, les embryons humains ou les cellules embryonnaires, ou qui impliquent l’incorporation de cellules totipotentes ou pluripotentes humaines dans des chimĂšres animales, doivent ĂȘtre soumises Ă  contrĂŽle et approbation. En outre, toutes ces expĂ©riences doivent faire l’objet d’un suivi constant par un dispositif ou organe spĂ©cial de surveillance. Les chercheurs doivent demander une approbation au moyen d’un processus de surveillance (Stem Cell Research Oversight – SCRO).

Les types de recherches qui ne doivent pas ĂȘtre menĂ©es, en raison d’un large consensus international selon lequel de telles expĂ©riences sont dĂ©pourvues de justification scientifique impĂ©rieuse ou soulĂšvent de vives prĂ©occupations d’ordre Ă©thique, sont : la culture in vitro de tout embryon humain aprĂšs fĂ©condation ou de toutes structures cellulaires organisĂ©es pouvant manifester un potentiel d’organisme humain, indĂ©pendamment de la mĂ©thode de dĂ©rivation, pendant plus de quatorze jours ou jusqu’au dĂ©but de la formation de la ligne primitive si celle-ci se produit avant ; la recherche dans le cadre de laquelle un produit obtenu Ă  partir de recherches impliquant des cellules totipotentes ou pluripotentes humaines est implantĂ© dans un utĂ©rus humain ou un utĂ©rus de primate non humain ; et la recherche dans le cadre de laquelle des chimĂšres animales comportant des cellules humaines, potentiellement capables de former des gamĂštes, sont croisĂ©es les unes avec les autres.

C.  Les normes interamĂ©ricaines

13.  L’article 1 de la DĂ©claration amĂ©ricaine des droits et devoirs de l’homme (1948) Ă©nonce que « Tout ĂȘtre humain a droit Ă  la vie, Ă  la libertĂ©, Ă  la sĂ©curitĂ© et Ă  l’intĂ©gritĂ© de sa personne Â». Les rĂ©dacteurs de la dĂ©claration amĂ©ricaine ont spĂ©cifiquement rejetĂ© une proposition qui tendait Ă  ce que le texte indiquĂąt que le droit Ă  la vie dĂ©butait dĂšs la conception[16].

L’article 4 de la Convention amĂ©ricaine relative aux droits de l’homme (1969) dispose que : « Toute personne a droit au respect de sa vie. Ce droit doit ĂȘtre protĂ©gĂ© par la loi, et en gĂ©nĂ©ral Ă  partir de la conception Â». La Commission interamĂ©ricaine des droits de l’homme a toutefois Ă©tudiĂ© les travaux prĂ©paratoires et Ă©tabli que les termes de la Convention reconnaissant un droit Ă  la vie « en gĂ©nĂ©ral Ă  partir de la conception Â» ne visaient pas Ă  confĂ©rer un droit Ă  la vie absolu avant la naissance[17]. Dans Gretel Artavia Murillo c. Costa Rica[18], la Cour interamĂ©ricaine des droits de l’homme (CIDH) a constatĂ© que l’État dĂ©fendeur avait fondĂ© son interdiction de la fĂ©condation in vitro sur une protection absolue de l’embryon, ce qui, en nĂ©gligeant la prise en compte d’autres droits concurrents, avait entraĂźnĂ© une ingĂ©rence arbitraire et excessive dans la vie privĂ©e et familiale. Au contraire, l’impact sur la protection de la vie prĂ©natale Ă©tait trĂšs faible, du fait que le risque de perte de l’embryon existait tant dans le cadre d’une FIV que d’une grossesse naturelle. De plus, l’ingĂ©rence avait un effet discriminatoire pour les personnes qui ne disposaient que de la fĂ©condation in vitro pour le traitement de leur infertilitĂ© La Cour interamĂ©ricaine a Ă©galement conclu que l’embryon humain avant implantation ne pouvait ĂȘtre tenu pour une personne aux fins de l’article 4 Â§ 1 de la Convention amĂ©ricaine.

D.  Les normes africaines

14.  L’article 4 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981) dĂ©clare que « [l]a personne humaine est inviolable Â» et que « [t]out ĂȘtre humain a droit au respect de sa vie et Ă  l’intĂ©gritĂ© physique et morale de sa personne (...) Â». Les rĂ©dacteurs de la Charte africaine ont spĂ©cifiquement Ă©cartĂ© toute formulation qui aurait protĂ©gĂ© le droit Ă  la vie dĂšs le moment de la conception[19].

L’Organisation de l’unitĂ© africaine, aujourd’hui l’Union africaine, a adoptĂ© la RĂ©solution sur la bioĂ©thique en 1996[20]. L’Union africaine a souscrit aux principes de l’inviolabilitĂ© du corps humain, de l’intangibilitĂ© du patrimoine gĂ©nĂ©tique de l’espĂšce humaine et de l’indisponibilitĂ© du corps humain, de ses Ă©lĂ©ments, notamment les gĂšnes humains et leurs sĂ©quences, qui ne peuvent ĂȘtre soumis au commerce ou Ă  un droit patrimonial. L’Union africaine s’est engagĂ©e Ă  promouvoir l’encadrement des possibilitĂ©s de recherche sur les embryons.

15.  En 2008, le bureau de l’UNESCO au Caire a organisĂ© une rĂ©union d’experts sur les questions Ă©thiques et juridiques de la recherche sur l’embryon humain dans le but de traiter la question de la recherche sur les embryons, en partenariat avec l’OMS et l’Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture (ISESCO). Les recommandations figurant dans le rapport final de cette rĂ©union « ont vocation Ă  ĂȘtre adaptĂ©es aux diffĂ©rentes cultures et valeurs religieuses et sociales de la MĂ©diterranĂ©e orientale et de la rĂ©gion arabe Â». Le rapport recommande que, lorsqu’il est permis d’importer d’autres pays du matĂ©riel biologique et/ou issu de la recherche, on s’assure que leur obtention et leur crĂ©ation ne sont pas contraires aux valeurs ou traditions Ă©thiques ou religieuses. Il faut dĂ©finir l’objet d’une recherche Ă©thiquement correcte et prĂ©sentant un bon rapport coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices en tenant compte de buts tels que l’étude de la gĂ©nĂ©tique humaine et du traitement de la stĂ©rilitĂ©. La recherche qu’un pays peut juger inacceptable doit inclure le clonage reproductif, la thĂ©rapie germinale, la manipulation gĂ©nĂ©tique germinale. Les États doivent introduire ou procĂ©der Ă  la rĂ©vision des dispositions sur les questions telles que l’utilisation pour la recherche d’embryons surnumĂ©raire issus de FIV, le clonage aux fins de la recherche, et le typage (HLA) de cellules embryonnaires, fƓtales ou autres pour le traitement de l’enfant d’un couple aprĂšs la naissance. Les États doivent se pencher sur les types de recherche sur cellules souches embryonnaires qui requiĂšrent une surveillance particuliĂšre, dĂ©terminer quelle instance doit assurer cette surveillance et quel organe doit assumer la responsabilitĂ©. Les pays doivent procĂ©der au suivi et Ă  l’échange des informations susceptibles de rĂ©duire ou d’éliminer le besoin de recherches sur les cellules souches embryonnaires, comme le dĂ©veloppement de cellules souches pluripotentes induites et de lignĂ©es de cellules pouvant en toute sĂ©curitĂ© ĂȘtre utilisĂ©es sur des ĂȘtres humains.

E.  Les normes europĂ©ennes

i.  Les normes de l’Union europĂ©enne

16.  L’article 3 de la Charte des droits fondamentaux Ă©nonce :

« 1.  Toute personne a droit Ă  son intĂ©gritĂ© physique et mentale.

2.  Dans le cadre de la mĂ©decine et de la biologie, doivent notamment ĂȘtre respectĂ©s : le consentement libre et Ă©clairĂ© de la personne concernĂ©e, selon les modalitĂ©s dĂ©finies par la loi, l’interdiction des pratiques eugĂ©niques, notamment celles qui ont pour but la sĂ©lection des personnes, l’interdiction de faire du corps humain et de ses parties, en tant que tels, une source de profit, l’interdiction du clonage reproductif des ĂȘtres humains. Â»[21]

17.  La Directive 98/44/CE du Parlement europĂ©en et du Conseil du 6 juillet 1998 relative Ă  la protection juridique des inventions biotechnologiques vise Ă  renforcer la compĂ©titivitĂ© de l’UE sur le marchĂ© mondial, protĂšge la propriĂ©tĂ© intellectuelle des grandes industries et soutient la recherche technoscientifique innovante ; mais elle vise aussi Ă  assurer le respect des principes fondamentaux protĂ©geant la dignitĂ© et l’intĂ©gritĂ© de la personne, en affirmant le principe selon lequel « le corps humain, dans toutes les phases de sa constitution et de son dĂ©veloppement, cellules germinales comprises, ainsi que la simple dĂ©couverte d’un de ses Ă©lĂ©ments ou d’un de ses produits, y compris la sĂ©quence ou sĂ©quence partielle d’un gĂšne humain, ne sont pas brevetables Â».

Bien qu’elle ne donne pas de dĂ©finition juridique de l’« embryon humain Â», la directive pose des rĂšgles sur l’utilisation d’embryons humains Ă  des fins scientifiques, en Ă©nonçant que « [l]es inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire Ă  l’ordre public ou aux bonnes mƓurs sont exclues de la brevetabilitĂ©, l’exploitation ne pouvant ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme telle du seul fait qu’elle est interdite par une disposition lĂ©gale ou rĂ©glementaire Â». Plus spĂ©cifiquement, les procĂ©dĂ©s de clonage des ĂȘtres humains, les procĂ©dĂ©s de modification de l’identitĂ© gĂ©nĂ©tique germinale de l’ĂȘtre humain et les utilisations d’embryons humains Ă  des fins industrielles ou commerciales, entre autres, ne sont pas brevetables. Ainsi, l’Union europĂ©enne considĂšre expressĂ©ment l’utilisation d’embryons humains Ă  des fins industrielles ou commerciales comme contraire Ă  l’exigence minimum Ă©tablie par le respect de l’ordre public ou de la moralitĂ©[22].

18.  En octobre 2011, dans l’affaire Oliver BrĂŒstle c. Greenpeace eV (C‑34/10), la Cour de justice de l’Union europĂ©enne (CJUE) a fourni davantage de prĂ©cisions sur l’utilisation d’embryons humains Ă  des fins scientifiques. Concernant l’interprĂ©tation du terme « embryon humain Â», la Cour de Luxembourg a admis que celui-ci recouvrait une notion vaste qui « [devait] ĂȘtre comprise largement Â». Sur ce fondement, la grande chambre de la CJUE a conclu que ce terme visait tout ovule humain dĂšs le stade de sa fĂ©condation, ce moment Ă©tant crucial pour le dĂ©but du dĂ©veloppement de l’ĂȘtre humain. Devaient Ă©galement se voir reconnaĂźtre cette qualification l’ovule humain non fĂ©condĂ©, dans lequel le noyau d’une cellule humaine mature avait Ă©tĂ© implantĂ©, et l’ovule humain non fĂ©condĂ© induit Ă  se diviser et Ă  se dĂ©velopper par voie de parthĂ©nogenĂšse. La grande chambre a dit que l’utilisation d’embryons Ă  des fins de recherche scientifique n’était pas brevetable. Elle a toutefois reconnu la brevetabilitĂ© de l’utilisation d’embryons Ă  des fins thĂ©rapeutiques ou diagnostiques lorsque cela s’appliquait Ă  l’embryon humain et lui Ă©tait utile. Enfin, la CJUE a Ă©tabli que la brevetabilitĂ© Ă©tait Ă©galement exclue lorsque la mise en Ɠuvre d’une invention requĂ©rait la destruction prĂ©alable de l’embryon humain ou son utilisation comme matĂ©riau de dĂ©part, quel que fĂ»t le stade auquel celles-ci intervenaient et mĂȘme si la description de l’enseignement technique revendiquĂ© ne mentionnait pas l’utilisation d’embryons humains. L’embryon jouissant de la dignitĂ© humaine dĂšs le moment de la fĂ©condation, il n’est pas possible, selon la CJUE, de distinguer Ă  partir de la fĂ©condation diffĂ©rentes phases de dĂ©veloppement qui justifieraient une protection infĂ©rieure de l’embryon pendant une certaine pĂ©riode. Étant une « notion autonome du droit de l’Union Â», l’embryon humain bĂ©nĂ©ficie d’une protection juridique obligatoire fondĂ©e sur le respect de sa dignitĂ© humaine intrinsĂšque, ce qui Ă©carte la possibilitĂ© pour les États membres de l’Union de priver l’embryon humain de sa protection ou de lui accorder un niveau de protection infĂ©rieur Ă  celui qui est affirmĂ© dans la limpide dĂ©cision des juges de la Cour de Luxembourg.

19.  Le Groupe europĂ©en d’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprĂšs de la Commission europĂ©enne (GEE) a formulĂ© son premier avis sur l’utilisation des cellules embryonnaires Ă  des fins de recherche dans un rapport de 1998 intitulĂ© « Les aspects Ă©thiques de la recherche impliquant l’utilisation d’embryons humains Â»[23]. Le GEE a relevĂ© qu’en dĂ©pit de divergences fondamentales, les valeurs et principes communs sur la question sont le respect de la vie humaine, la nĂ©cessitĂ© d’allĂ©ger la souffrance humaine, la nĂ©cessitĂ© de garantir la qualitĂ© et la sĂ©curitĂ© des traitements mĂ©dicaux, la libertĂ© de la recherche et l’exigence du consentement informĂ© des femmes ou des couples concernĂ©s. S’agissant de la FIV, l’avis reconnaĂźt qu’elle implique gĂ©nĂ©ralement la crĂ©ation d’embryons surnumĂ©raires et que, si la cryoprĂ©servation est impossible, les deux seules options possibles sont la recherche (impliquant leur destruction) et la destruction. Ainsi, le Groupe a conclu qu’il ne fallait « pas exclure, a priori, des financements communautaires, les recherches sur l’embryon humain [faisant] l’objet de choix Ă©thiques divergents selon les pays, mais [qu’il fallait] n’en admettre nĂ©anmoins le financement Ă©ventuel que sous les strictes conditions dĂ©finies aux paragraphes suivants Â».

20.  En 2000, le GEE a rendu un second avis en complĂ©ment du prĂ©cĂ©dent, dans un rapport intitulĂ© « Les aspects Ă©thiques de la recherche sur les cellules souches humaines et leur utilisation Â»[24]. Celui-ci indique que, dans le contexte du pluralisme europĂ©en, il appartient Ă  chaque État membre d’interdire ou d’autoriser les recherches sur l’embryon. Dans ce dernier cas, le respect de la dignitĂ© humaine implique que l’on rĂ©glemente les recherches sur l’embryon et que l’on prĂ©voie des garanties contre les risques d’expĂ©rimentation arbitraire et d’instrumentalisation de l’embryon humain. Est Ă©thiquement inacceptable la crĂ©ation d’embryons Ă  partir de dons de gamĂštes afin de se procurer des cellules souches, Ă©tant donnĂ© que les embryons surnumĂ©raires reprĂ©sentent une source alternative disponible. Les perspectives thĂ©rapeutiques Ă©loignĂ©es doivent ĂȘtre mises en balance avec d’autres considĂ©rations liĂ©es au risque que l’utilisation des embryons soit banalisĂ©e, que des pressions soient exercĂ©es sur les femmes en tant que sources d’ovocytes et que les possibilitĂ©s d’instrumentalisation de la femme s’accroissent. Le consentement libre et Ă©clairĂ© est nĂ©cessaire, et ce non seulement de la part du receveur. Il faut informer le donneur de l’utilisation possible des cellules embryonnaires pour la finalitĂ© considĂ©rĂ©e avant de lui demander son consentement. Les possibilitĂ©s de pressions coercitives ne doivent pas ĂȘtre sous-estimĂ©es lorsque des intĂ©rĂȘts financiers sont en jeu. Les embryons ne peuvent ĂȘtre ni achetĂ©s ni vendus, ni mĂȘme proposĂ©s Ă  la vente. Des mesures doivent ĂȘtre prises pour empĂȘcher une telle commercialisation.

21.  En 2002, le GEE a rendu un avis sur la brevetabilitĂ© des cellules souches embryonnaires humaines[25]. Concernant l’applicabilitĂ© des brevets, le GEE a conclu que des cellules souches isolĂ©es, qui n’ont pas Ă©tĂ© modifiĂ©es, ne rĂ©pondent pas, en tant que produits, aux exigences juridiques de la brevetabilitĂ©, notamment en ce qui concerne les critĂšres d’applicabilitĂ© industrielle. De mĂȘme, des lignĂ©es de cellules souches non modifiĂ©es peuvent difficilement ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme un produit brevetable. Des brevets sur de telles lignĂ©es de cellules souches non modifiĂ©es auraient un champ d’application trop Ă©tendu. Seules les lignĂ©es de cellules souches, qui ont Ă©tĂ© modifiĂ©es par des traitements in vitro ou gĂ©nĂ©tiquement pour acquĂ©rir les caractĂ©ristiques nĂ©cessaires en vue d’applications industrielles prĂ©cises, remplissent les conditions juridiques de la brevetabilitĂ©. Enfin, il n’y a pas d’obstacle Ă©thique particulier concernant les mĂ©thodes impliquant des cellules souches humaines, quelle que soit leur source, Ă  condition que ces mĂ©thodes rĂ©pondent aux trois critĂšres de brevetabilitĂ©.

22.  En 2007, le GEE a formulĂ© des recommandations sur la rĂ©vision Ă©thique du financement de projets de recherche concernant les cellules souches embryonnaires, en reconnaissant la nĂ©cessitĂ© de promouvoir la recherche, de servir l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, de favoriser la coopĂ©ration internationale, de respecter l’autonomie de l’État membre et d’intĂ©grer l’éthique dans les initiatives en matiĂšre de recherche[26]. Le rapport indique que les lignĂ©es de cellules souches embryonnaires doivent provenir d’embryons issus d’une FIV et non implantĂ©s, et que, si des solutions autres que ces types de cellules souches sont trouvĂ©es, alors leur utilisation doit ĂȘtre optimisĂ©e. En outre, le rapport souligne que les droits des donneurs doivent ĂȘtre protĂ©gĂ©s et prĂ©servĂ©s en ce qui concerne la santĂ©, le consentement Ă©clairĂ©, la protection des donnĂ©es et la gratuitĂ© du don. Le GEE a conclu que l’utilisation d’embryons humains pour gĂ©nĂ©rer des cellules souches devait « ĂȘtre rĂ©duite autant que possible au sein de l’UE Â».

ii.  Les normes du Conseil de l’Europe

23.  Le Conseil de l’Europe a d’abord traitĂ© la question de l’utilisation des embryons humains Ă  des fins scientifiques dans la Recommandation 1046 (1986) de l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe relative Ă  l’utilisation d’embryons et fƓtus humains Ă  des fins diagnostiques, thĂ©rapeutiques, scientifiques, industrielles et commerciales. L’AssemblĂ©e a considĂ©rĂ© que l’embryon et le fƓtus humains doivent bĂ©nĂ©ficier en toutes circonstances du respect dĂ» Ă  la dignitĂ© humaine, et que l’utilisation de leurs produits et tissus doit ĂȘtre limitĂ©e de maniĂšre stricte et rĂ©glementĂ©e en vue de fins purement thĂ©rapeutiques et ne pouvant ĂȘtre atteintes par d’autres moyens. En consĂ©quence, elle a invitĂ© les gouvernements des États membres Ă  limiter l’utilisation industrielle des embryons et de fƓtus humains, ainsi que de leurs produits et tissus, Ă  des fins strictement thĂ©rapeutiques et ne pouvant ĂȘtre atteintes par d’autres moyens, Ă  interdire toute crĂ©ation d’embryons humains par fĂ©condation in vitro Ă  des fins de recherche de leur vivant ou aprĂšs leur mort et Ă  interdire tout ce qu’on pourrait dĂ©finir comme des manipulations ou dĂ©viations non dĂ©sirables de ces techniques, entre autres la recherche sur des embryons humains viables et l’expĂ©rimentation sur des embryons vivants, viables ou non[27].

La Recommandation 1100 (1989) de l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe sur l’utilisation des embryons et fƓtus humains dans la recherche scientifique souligne que l’embryon humain, bien qu’il se dĂ©veloppe en phases successives, « maintient nĂ©anmoins en continuitĂ© son identitĂ© biologique et gĂ©nĂ©tique Â». Ainsi, elle prĂŽne l’interdiction de la crĂ©ation et/ou du maintien en vie intentionnels d’embryons ou fƓtus, in vitro ou in utero, dans un but de recherche scientifique, par exemple pour en prĂ©lever du matĂ©riel gĂ©nĂ©tique, des cellules, des tissus ou des organes.

La RĂ©solution 1352 (2003) de l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe relative Ă  la recherche sur les cellules souches humaines souligne que « [l]a destruction d’ĂȘtres humains Ă  des fins de recherche est contraire au droit de tout ĂȘtre humain Ă  la vie et Ă  l’interdiction morale de toute instrumentalisation de l’ĂȘtre humain Â», et en consĂ©quence invite les États membres Ă  favoriser la recherche sur les cellules souches Ă  condition qu’elle respecte la vie des ĂȘtres humains Ă  tous les stades de leur dĂ©veloppement[28].

24.  L’article 18 de la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignitĂ© de l’ĂȘtre humain Ă  l’égard des applications de la biologie et de la mĂ©decine Ă©nonce :

« 1.  Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adĂ©quate de l’embryon.

2.  La constitution d’embryons humains aux fins de recherche est interdite. Â»[29]

Cette disposition affirme l’application du principe de subsidiaritĂ© en Ă©tablissant que le paramĂštre juridique essentiel Ă  prendre en compte est le droit interne de l’État membre concernĂ©. Le paragraphe 1 dispose cependant qu’un statut juridique obligatoire doit ĂȘtre garanti Ă  l’embryon, lequel doit bĂ©nĂ©ficier d’une « protection adĂ©quate Â». Ainsi, l’utilisation d’embryons Ă  des fins scientifiques ne doit pas s’apprĂ©cier de maniĂšre casuistique mais doit faire l’objet d’une Ă©valuation fondĂ©e sur le principe du caractĂšre « adĂ©quat Â» de la protection offerte Ă  l’embryon, selon le paramĂštre juridique europĂ©en. Les rĂ©dacteurs de la Convention d’Oviedo ont donnĂ© une indication claire en ce sens, au paragraphe 2 de l’article 18, qui prohibe expressĂ©ment la constitution d’embryons humains dans le but de les utiliser aux fins de la recherche, et Ă  l’article 14, qui interdit la sĂ©lection du sexe[30]. De plus, cette Ă©valuation fondĂ©e sur des principes est garantie par la DĂ©claration des Nations Unies sur le clonage des ĂȘtres humains, qui invite les États membres Ă  adopter toutes les mesures voulues pour protĂ©ger « comme il convient Â» (« adequately Â») la vie humaine dans l’application des sciences de la vie.

ComplĂ©ment de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme dans le domaine de la biomĂ©decine et de la science gĂ©nĂ©tique, la Convention d’Oviedo vise Ă  dĂ©finir des normes europĂ©ennes en la matiĂšre[31]. Deux consĂ©quences en dĂ©coulent. PremiĂšrement, la Cour europĂ©enne des droits de l’homme (la Cour) est l’ultime interprĂšte et garant des droits, libertĂ©s et obligations Ă©noncĂ©s dans la Convention d’Oviedo (article 29 de celle-ci), et donc du caractĂšre « adĂ©quat Â» de la protection offerte Ă  l’embryon, en particulier Ă  l’égard des techniques de gĂ©nie gĂ©nĂ©tique contraires Ă  la dignitĂ© humaine. Le problĂšme susmentionnĂ©, Ă  savoir que la distinction entre les techniques « thĂ©rapeutiques Â» et les techniques visant Ă  l’« amĂ©lioration des caractĂ©ristiques normales Â» n’est pas toujours claire, ne fait qu’accroĂźtre la nĂ©cessitĂ© d’une surveillance attentive de la Cour.

DeuxiĂšmement, le fait que la Convention d’Oviedo et ses Protocoles aient Ă©tĂ© ratifiĂ©s par un grand nombre d’États est un Ă©lĂ©ment solide permettant de considĂ©rer qu’un consensus europĂ©en tend Ă  se former autour des dispositions de cette Convention et de ses Protocoles. Ce consensus est renforcĂ© par les rĂ©solutions et recommandations susmentionnĂ©es de l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe, la Charte des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne, ainsi que le cadre lĂ©gislatif et jurisprudentiel complĂ©mentaire de l’UE, Ă  savoir la Directive 98/44/CE du Parlement europĂ©en et du Conseil du 6 juillet 1998 et l’important arrĂȘt Oliver BrĂŒstle, qui tous reflĂštent la tendance du droit international Ă  reconnaĂźtre Ă  travers le monde une protection juridique Ă  l’embryon humain. À la lumiĂšre de tous ces instruments, si une marge d’apprĂ©ciation doit ĂȘtre accordĂ©e aux États membres du Conseil de l’Europe sur des questions liĂ©es Ă  l’existence et Ă  l’identitĂ© d’un ĂȘtre humain, et particuliĂšrement Ă  la recherche scientifique sur l’embryon humain, cette marge doit ĂȘtre Ă©troite[32].

InspirĂ© par une clause similaire contenue Ă  l’article 53 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, l’article 27 de la Convention d’Oviedo prĂ©voit la possibilitĂ© pour le droit interne d’accorder une protection plus Ă©tendue Ă  la vie humaine. Il ne faut toutefois pas interprĂ©ter cela comme octroyant une « ample Â» marge d’apprĂ©ciation. Il ne faut pas confondre les deux questions, comme la majoritĂ© semble le faire au paragraphe 181 de l’arrĂȘt. C’est une chose de permettre au lĂ©gislateur national de protĂ©ger plus largement la vie humaine, les ĂȘtres, les fƓtus et les embryons humains, comme le prĂ©voit l’article 27 de la Convention d’Oviedo[33] ; c’en est une bien diffĂ©rente d’accepter en la matiĂšre une « ample Â» marge d’apprĂ©ciation, qui pourrait en fin de compte ĂȘtre invoquĂ©e, ou plutĂŽt dĂ©tournĂ©e, aux fins de l’adoption d’une loi rĂ©duisant la protection des ĂȘtres, fƓtus et embryons humains[34].

25.  En consĂ©quence, une obligation positive pour l’État de protĂ©ger l’embryon et d’autres formes de vie humaine prĂ©natale, tant in vitro qu’in utero, doit ĂȘtre tirĂ©e Ă  la fois de l’article 2 et de l’article 8 de la Convention. Cette obligation positive inclut, tout d’abord, l’obligation de favoriser le dĂ©veloppement naturel des embryons ; deuxiĂšmement, l’obligation de promouvoir les recherches scientifiques au bĂ©nĂ©fice de l’embryon donnĂ© qui en fait l’objet ; troisiĂšmement, l’obligation de dĂ©terminer dans quels cas exceptionnels les embryons et les lignĂ©es souches embryonnaires peuvent ĂȘtre utilisĂ©s, et de quelle maniĂšre ; quatriĂšmement, l’obligation de sanctionner au pĂ©nal toute utilisation d’embryons en dehors du cadre des exceptions lĂ©gales.

26.  D’aucuns plaident qu’il s’agit lĂ  d’un domaine en constante Ă©volution, et que la Cour ne devrait donc pas se compromettre en adoptant une position scientifique bien dĂ©finie, qui pourrait changer Ă  l’avenir. C’est un argument Ă  double tranchant, qui peut servir Ă  limiter l’ingĂ©rence de la Cour dans la marge d’apprĂ©ciation de l’État, mais aussi ĂȘtre avancĂ© pour Ă©tendre la surveillance par la Cour de l’ingĂ©rence de l’État au niveau de la vie Ă  naĂźtre. C’est prĂ©cisĂ©ment parce que ce domaine peut Ă©voluer d’une maniĂšre trĂšs dangereuse pour l’humanitĂ©, comme nous l’avons vu par le passĂ©, qu’un contrĂŽle attentif de l’étroite marge d’apprĂ©ciation des États, et une intervention potentiellement prĂ©ventive de notre Cour, est aujourd’hui une nĂ©cessitĂ© absolue. Autrement, la Cour abandonnerait la plus fondamentale de ses tĂąches, celle consistant Ă  protĂ©ger les ĂȘtres humains contre toute forme d’instrumentalisation.

III.  La position des parties

A.  Le caractĂšre inutile de la restriction lĂ©gale italienne

27.  La requĂ©rante considĂšre que faire don de « ses Â» cinq embryons cryoconservĂ©s et non destinĂ©s Ă  ĂȘtre implantĂ©s relĂšve de sa « vie privĂ©e Â» au sens de l’article 8 de la Convention et rĂ©pond Ă  un intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, dĂšs lors que cet acte permettrait de fournir aux chercheurs des cellules souches qui sont fort nĂ©cessaires pour la recherche sur les maladies incurables[35]. Sur la base de l’interprĂ©tation susmentionnĂ©e de l’article 8 de la Convention, combinĂ© avec l’article 18 de la Convention d’Oviedo, on peut admettre l’argument du Gouvernement selon lequel l’article 13 de la loi no 40 du 19 fĂ©vrier 2004 poursuit le but lĂ©gitime consistant Ă  protĂ©ger la potentialitĂ© de vie dont l’embryon est porteur. À cet Ă©gard, la recherche scientifique sur l’embryon humain, autorisĂ©e Ă  des fins thĂ©rapeutiques et diagnostiques dans le but de protĂ©ger la santĂ© et le dĂ©veloppement de l’embryon en question lorsqu’aucune autre mĂ©thode n’existe, est une dĂ©rogation acceptable Ă  l’interdiction de la recherche scientifique sur les embryons humains.

28.  Ă€ l’argument de la requĂ©rante selon lequel la mort des cinq embryons cryoconservĂ©s est inĂ©vitable au regard du cadre juridique italien actuel dĂšs lors que l’implantation d’embryons post mortem est prohibĂ©e, tout comme l’acte d’en faire don pour la recherche scientifique, le Gouvernement rĂ©pond Ă  juste titre que la cryoconservation n’est pas limitĂ©e dans le temps. Les embryons congelĂ©s peuvent ĂȘtre conservĂ©s pendant une pĂ©riode indĂ©finie. En outre, l’utilisation d’embryons cryoconservĂ©s Ă  des fins autres que la destruction, comme la fĂ©condation hĂ©tĂ©rologue, est dĂ©sormais permise par l’ordre juridique italien, eu Ă©gard Ă  l’arrĂȘt no 162 de 2014 de la Cour constitutionnelle italienne.

B.  Le caractĂšre contradictoire du cadre juridique italien applicable

29.  Ă€ l’argument de la requĂ©rante consistant Ă  dĂ©clarer incohĂ©rent le cadre juridique italien, lequel permet l’importation et l’utilisation de lignĂ©es de cellules souches issues d’embryons humains prĂ©cĂ©demment dĂ©truits, le Gouvernement rĂ©pond de maniĂšre convaincante que la production de lignĂ©es de cellules embryonnaires Ă  l’étranger n’est pas effectuĂ©e Ă  la demande des laboratoires italiens et n’est pas incompatible avec l’interdiction qui en Italie frappe la destruction de ces lignĂ©es de cellules. Enfin, dans les cas d’avortement, l’intĂ©rĂȘt de la mĂšre doit ĂȘtre mis en balance avec celui du fƓtus au regard du droit italien, ce qui n’a pas Ă©tĂ© le cas en l’espĂšce.

C.  Le consensus europĂ©en non prohibitif

30.  Ă€ l’argument de la requĂ©rante relatif Ă  l’existence d’un consensus europĂ©en, le Gouvernement oppose son ample marge d’apprĂ©ciation, rĂ©futant l’existence d’un tel consensus en arguant que la Convention d’Oviedo n’exige pas des recherches scientifiques destructrices sur les embryons, que le programme de financement de l’Union europĂ©enne pour la recherche scientifique ne prĂ©voit pas le financement de projets impliquant la destruction d’embryons et que l’arrĂȘt Oliver BrĂŒstle a interdit la brevetabilitĂ© des inventions impliquant la destruction d’embryons humains. Comme indiquĂ© ci-dessus, les instruments internationaux invoquĂ©s par le Gouvernement Ă©tayent l’argument relatif Ă  une Ă©troite marge d’apprĂ©ciation, aux fins prĂ©cisĂ©ment de la protection de l’embryon.

IV.  La position de la majoritĂ©

31.  Le raisonnement de la majoritĂ© est Ă  la fois contradictoire sur le plan de la logique et irrecevable sur le plan scientifique. Il est illogique parce que la majoritĂ© admet, d’un cĂŽtĂ©, que l’embryon est « autrui Â» au sens de l’article 8 Â§ 2 de la Convention, dĂšs lors que la protection de la potentialitĂ© de vie dont il est porteur peut ĂȘtre rattachĂ©e au but consistant Ă  protĂ©ger les « droits et libertĂ©s d’autrui Â» (paragraphe 167)[36]. De l’autre cĂŽtĂ©, toutefois, la mĂȘme majoritĂ© dĂ©clare que cette reconnaissance n’implique aucune apprĂ©ciation par la Cour du point de savoir si le terme « autrui Â» s’étend Ă  l’embryon humain. L’évidente contradiction entre ces deux dĂ©clarations est si flagrante qu’elle en est insoluble. La seule lecture possible de cette contradiction consiste Ă  dire que la majoritĂ© Ă©tait si partagĂ©e qu’elle n’a pu dĂ©terminer si la dĂ©claration de principe contenue au paragraphe 59 de l’arrĂȘt Costa et Pavan devait prĂ©valoir sur la dĂ©claration de principe en sens opposĂ© figurant au paragraphe 228 de l’arrĂȘt A, B et C c. Irlande ([GC], no 25579/05, CEDH 2010). Avec un peu d’effort interprĂ©tatif, on pourrait arguer que l’ordre des dĂ©clarations indique une certaine prĂ©dominance de la premiĂšre sur la seconde.

Dans ce contexte, il est tout Ă  fait notable que la Grande Chambre ne cite ni le paragraphe 56 de l’arrĂȘt Evans c. Royaume-Uni (prĂ©citĂ©), dans lequel elle a dit que « les embryons crĂ©Ă©s par la requĂ©rante et J. ne [pouvaient] se prĂ©valoir du droit Ă  la vie protĂ©gĂ© par l’article 2 de la Convention Â», ni l’arrĂȘt rendu par la chambre le 7 mars 2006 dans la mĂȘme affaire (§ 46), ni mĂȘme la classique dĂ©claration de principe qui figure dans Vo c. France ([GC], no 53924/00, § 82, CEDH 2004). Cette omission mĂ©rite d’ĂȘtre signalĂ©e. Non seulement elle traduit le malaise de la Grande Chambre face au principe « anti-vie Â» de l’arrĂȘt Evans, mais de plus elle consolide le principe opposĂ©, Ă©noncĂ© au paragraphe 59 de Costa et Pavan, selon lequel l’embryon est un « autrui Â», un sujet dotĂ© d’un statut juridique qui peut et doit ĂȘtre mis en balance avec le statut juridique des gĂ©niteurs, principe qui cadre parfaitement avec la position de la Cour constitutionnelle italienne sur le droit Ă  la vie de l’embryon protĂ©gĂ© par l’article 2 de la Constitution nationale[37].

32.  Pour la mĂȘme raison, je ne peux pas davantage admettre que le droit Ă  l’autodĂ©termination s’agissant de fonder une famille, Ă©voquĂ© par la Cour constitutionnelle italienne dans l’arrĂȘt no 162 de 2014, soit interprĂ©tĂ© comme incluant un « droit nĂ©gatif Â» Ă  disposer des embryons non implantĂ©s. Le raisonnement figurant au paragraphe 157 du prĂ©sent arrĂȘt repose donc sur un rhĂ©torique « sophisme du milieu non distribuĂ© Â» (fallacy of the undistributed middle), qui permet Ă  la majoritĂ© de partir du principe que, parce qu’elles partagent une propriĂ©tĂ© commune, deux catĂ©gories distinctes sont liĂ©es. Autrement dit, en interprĂ©tant l’arrĂȘt de la Cour constitutionnelle du 10 juin 2014, la majoritĂ© postule que, puisque le droit de devenir parent est un aspect de la vie privĂ©e d’un individu, de mĂȘme que le droit de bĂ©nĂ©ficier d’une fĂ©condation in vitro, ces deux droits ne sont soumis Ă  aucune restriction dans la mesure oĂč il s’agit de droits Ă  l’ Â« autodĂ©termination Â» ; elle oublie cependant que dans le second cas l’exercice par les gĂ©niteurs de leur droit Ă  l’ Â« autodĂ©termination Â» peut empiĂ©ter sur l’existence d’une autre vie humaine, celle de l’embryon non implantĂ©. Comme l’a dit la Cour constitutionnelle italienne elle-mĂȘme dans l’arrĂȘt susvisĂ©, « [l]a libertĂ  e volontarietĂ  dell’atto che consente di diventare genitori e di formare una famiglia nel senso sopra precisato, di sicuro non implica che la libertĂ  in esame possa esplicarsi senza limiti Â» (la libertĂ© et le caractĂšre volontaire de l’acte permettant Ă  un individu de devenir parent et de fonder une famille dans le sens dĂ©fini ci-dessus ne signifie assurĂ©ment pas que la libertĂ© en question puisse passer pour illimitĂ©e). En bref, le raisonnement tenu par la Cour constitutionnelle dans l’arrĂȘt no 162 de 2014 n’accrĂ©dite pas l’existence d’un droit illimitĂ© Ă  l’« autodĂ©termination Â» ou Ă  la « libertĂ© de choix des parties Ă  un traitement par fĂ©condation in vitro en ce qui concerne le sort des embryons non destinĂ©s Ă  l’implantation Â». Il est erronĂ© d’interprĂ©ter le raisonnement de la Cour constitutionnelle en faveur de l’« adoption pour la naissance Â» – c’est-Ă -dire de la vie de l’embryon â€“ comme autorisant les parties Ă  un traitement par FIV Ă  dĂ©truire les embryons qui en sont issus.

33.  Le raisonnement de la majoritĂ© est Ă©galement irrecevable sur le plan scientifique, car il admet que « les embryons (...) renferment le patrimoine gĂ©nĂ©tique de la personne en question et reprĂ©sentent Ă  ce titre une partie constitutive de celle-ci et de son identitĂ© biologique Â» (paragraphe 158). De toute Ă©vidence, la majoritĂ© nĂ©glige le fait que l’embryon a une identitĂ© biologique distincte de celle de la personne ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© de la FIV, mĂȘme s’il contient le patrimoine gĂ©nĂ©tique de cette personne. La dĂ©claration figurant au paragraphe 158 de l’arrĂȘt est inacceptable, sur le plan ontologique comme sur le plan biologique. La majoritĂ© a oubliĂ© que la dignitĂ© humaine impose de respecter « le caractĂšre unique de chacun et la diversitĂ© Â» des ĂȘtres humains, comme le dit la DĂ©claration universelle sur le gĂ©nome humain et les droits de l’homme. Autrement dit, tout ĂȘtre humain est bien plus qu’une combinaison unique d’informations gĂ©nĂ©tiques transmises par ses gĂ©niteurs.

34.  Le manque de clartĂ© du raisonnement de la majoritĂ© transparaĂźt Ă©galement dans la dĂ©finition de la thĂ©orie sur la marge d’apprĂ©ciation applicable. Au paragraphe 169 de l’arrĂȘt, la majoritĂ© reconnaĂźt que la marge laissĂ©e Ă  l’État est « restreinte Â» pour les questions relatives Ă  « l’existence ou [Ă ] l’identitĂ© d’un individu Â», mais elle admet aussi que « lorsque l’affaire soulĂšve des questions morales ou Ă©thiques dĂ©licates Â», la marge d’apprĂ©ciation est plus large. LĂ  encore, cela n’a aucun sens Ă  mes yeux. Les questions touchant Ă  l’existence ou Ă  l’identitĂ© d’un individu, en l’occurrence au commencement et Ă  la fin de la vie humaine, sont en soi lourdement influencĂ©es par des considĂ©rations Ă©thiques et morales. J’irai mĂȘme jusqu’à dire que la plupart des droits fondamentaux garantis par la Convention et ses protocoles sont indissociablement liĂ©s Ă  des questions Ă©thiques et morales dĂ©battues depuis de longues annĂ©es. Ainsi, le caractĂšre intrinsĂšquement moral ou Ă©thique d’une question juridique soumise au contrĂŽle de la Cour ne doit pas ĂȘtre un facteur qui restreint la compĂ©tence de celle-ci ou qui dĂ©termine la marge d’apprĂ©ciation Ă  laisser Ă  l’État. L’argument relatif au caractĂšre dĂ©licat, sur le plan Ă©thique ou moral, de la question en jeu est donc dĂ©nuĂ© de pertinence lorsqu’il s’agit d’établir l’ampleur de la marge d’apprĂ©ciation[38].

35.  Ă€ cela, la majoritĂ© ajoute, au paragraphe 174, que la relation entre la requĂ©rante et « ses Â» embryons « ne porte pas sur un aspect particuliĂšrement important de l’existence et de l’identitĂ© de l’intĂ©ressĂ©e Â». LĂ  encore, la majoritĂ© se contredit. Alors que plus haut, au paragraphe 158, elle a dĂ©clarĂ© que les embryons reprĂ©sentaient une « partie constitutive Â» du patrimoine gĂ©nĂ©tique de la requĂ©rante et de son identitĂ© biologique, au paragraphe 174 elle dit le contraire et conclut que la protection d’une « partie constitutive Â» de l’identitĂ© biologique de l’intĂ©ressĂ©e ne fait pas partie du noyau dur des droits garantis par l’article 8. Cela dĂ©passe mon entendement que la majoritĂ© puisse, selon sa propre logique, soutenir que le noyau dur des droits garantis par l’article 8 n’englobe pas la protection d’une « partie constitutive Â» de l’identitĂ© de la requĂ©rante.

36.  Ayant admis que la marge d’apprĂ©ciation n’est pas illimitĂ©e, la majoritĂ© promet une analyse des « arguments dont le lĂ©gislateur a tenu compte pour parvenir aux solutions qu’il a retenues Â» (paragraphe 183). HĂ©las, aucune analyse de ce type n’a Ă©tĂ© faite. Dans les paragraphes qui suivent, la majoritĂ© Ă©voque simplement – et superficiellement â€“ le processus national au terme duquel la loi litigieuse a Ă©tĂ© approuvĂ©e, mentionnant le « dĂ©bat qui avait tenu compte des diffĂ©rentes opinions et des questions scientifiques et Ă©thiques existant en la matiĂšre Â» (paragraphe 184), un rapport parlementaire sur les diffĂ©rentes contributions de « mĂ©decins, spĂ©cialistes et associations engagĂ©es dans le domaine de la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e Â» (paragraphe 185), certaines critiques formulĂ©es lors des dĂ©bats du 19 janvier 2004 (paragraphe 186), ainsi que plusieurs rĂ©fĂ©rendums dont la loi a fait l’objet (paragraphe 187). La conclusion selon laquelle « lors du processus d’élaboration de la loi litigieuse, le lĂ©gislateur avait dĂ©jĂ  tenu compte des diffĂ©rents intĂ©rĂȘts ici en cause Â» (paragraphe 188) est dĂ©concertante. Elle n’ajoute rien Ă  l’apprĂ©ciation au fond de la question.

37.  AprĂšs avoir consacrĂ© neuf paragraphes Ă  l’ampleur de la marge d’apprĂ©ciation (paragraphes 174-182) et six paragraphes au processus national d’approbation de la loi (paragraphes 183-188), l’arrĂȘt se penche enfin, aux paragraphes 189 Ă  195, sur le cƓur des arguments de la requĂ©rante, Ă  savoir les contradictions allĂ©guĂ©es de l’ordre juridique italien. Ici, la majoritĂ© s’aligne clairement sur la position du Gouvernement. Si elles n’entrent guĂšre dans les dĂ©tails, les importantes dĂ©clarations contenues aux paragraphes 193 et 194 n’en signalent pas moins clairement aux Parties contractantes que la Cour ne s’oppose pas Ă  la politique d’importation et d’utilisation de lignĂ©es de cellules souches issues d’embryons humains qui ont Ă©tĂ© dĂ©truits hors de l’espace juridique europĂ©en, tant qu’elles ne sont pas produites Ă  la demande des Parties contractantes.

V.  L’application des normes de la Cour

38.  L’insuffisance du raisonnement de la majoritĂ© n’enlĂšve rien Ă  l’essentiel. MalgrĂ© les hĂ©sitations et contradictions que comporte son raisonnement, la majoritĂ© rappelle le principe issu de l’affaire Costa et Pavan selon lequel les embryons sont « autrui Â» aux fins de la Convention et, Ă  la lumiĂšre de ce principe, admet que leur protection justifie l’interdiction de la recherche sur l’embryon humain et de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, et ce Ă  deux exceptions prĂšs :

a)  La recherche scientifique sur l’embryon humain peut ĂȘtre autorisĂ©e si elle poursuit des finalitĂ©s thĂ©rapeutiques et diagnostiques tendant Ă  la protection de la santĂ© ainsi qu’au dĂ©veloppement de l’embryon et s’il n’existe pas d’autres mĂ©thodes ;

b)  La recherche sur les cellules souches embryonnaires est autorisĂ©e Ă  condition d’ĂȘtre effectuĂ©e uniquement sur des lignĂ©es de cellules souches obtenues Ă  partir d’embryons humains dĂ©truits hors de l’espace juridique europĂ©en sans intervention des Parties contractantes.

39.  DĂšs lors que l’embryon n’est pas une chose ou un « bien Â», comme la Cour le dit Ă  juste titre au paragraphe 215 de l’arrĂȘt, c’est un « autrui Â» avec lequel la personne ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© de la FIV a une relation parentale potentielle. Dans la mesure oĂč l’embryon possĂšde une identitĂ© biologique unique mais partage le patrimoine gĂ©nĂ©tique de ses gĂ©niteurs, le caractĂšre privĂ© de la relation entre ces ĂȘtres humains est incontestable. C’est pourquoi l’article 8 entre en jeu[39].

40.  Pour la majoritĂ©, la lĂ©gislation italienne n’outrepasse pas l’ample marge d’apprĂ©ciation dont jouit l’État dĂ©fendeur (paragraphe 197). À mon avis, la premiĂšre exception ne va pas au-delĂ  des limites Ă©troites de la marge d’apprĂ©ciation de l’État pour les questions liĂ©es Ă  l’existence et Ă  l’identitĂ© d’ĂȘtres humains. De plus, elle cadre avec le but de la Convention d’Oviedo, qui doit aujourd’hui ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme le complĂ©ment de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme dans le domaine de la biomĂ©decine et de la science gĂ©nĂ©tique. Bien qu’il n’ait pas encore ratifiĂ© la Convention d’Oviedo, l’État italien s’est conformĂ© Ă  l’objet de cet instrument consistant Ă  protĂ©ger la vie humaine, les ĂȘtres, fƓtus et embryons humains, Ă  la protection par la Convention de l’embryon en tant qu’ Â« autrui Â», sujet dotĂ© d’un statut juridique, Ă  l’interdiction de la discrimination fondĂ©e sur les caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©tiques Ă©noncĂ©e dans la DĂ©claration universelle sur le gĂ©nome humain et les droits de l’homme, et au principe primordial de la DĂ©claration d’Helsinki selon lequel la recherche mĂ©dicale sur un groupe vulnĂ©rable n’est justifiĂ©e que si elle correspond aux besoins ou prioritĂ©s sanitaires de ce groupe, ce qui – au sens le plus profond â€“ ne peut qu’englober les membres les plus vulnĂ©rables de toute l’humanitĂ©, Ă  savoir les embryons.

41.  La situation est plus dĂ©licate en ce qui concerne la seconde exception. Eu Ă©gard Ă  l’intention de la Grande Chambre de garantir le « droit Â» de l’embryon en tant qu’« autrui Â» dans tout l’espace juridique europĂ©en, et aux principes fondamentaux du raisonnement juridique, cette exception doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de maniĂšre Ă©troite. La seconde exception implique, en toute logique, trois consĂ©quences. PremiĂšrement, une Partie contractante Ă  la Convention ne peut ni utiliser ni autoriser l’utilisation sur son territoire de lignĂ©es cellulaires issues d’embryons dĂ©truits hors de l’espace juridique europĂ©en Ă  l’initiative de cette Partie. DeuxiĂšmement, une Partie contractante ne peut ni utiliser ni autoriser l’utilisation sur son territoire de lignĂ©es cellulaires issues d’embryons dĂ©truits sur le territoire d’une autre Partie contractante. TroisiĂšmement, une Partie contractante ne peut ni utiliser ni autoriser l’utilisation sur son territoire de lignĂ©es cellulaires issues d’embryons dĂ©truits hors de l’espace juridique europĂ©en Ă  l’initiative d’une autre Partie contractante.

42.  Seule cette interprĂ©tation Ă©troite de la seconde exception permet de garantir son application dans le contexte de l’article 8 Â§ 2 de la Convention. À dĂ©faut, le fait d’utiliser ou d’autoriser l’utilisation sur le territoire d’une Partie contractante de lignĂ©es cellulaires issues d’embryons dĂ©truits hors de l’espace juridique europĂ©en Ă  l’initiative de cette Partie ou de toute autre Partie Ă  la Convention permettrait d’externaliser la violation de la Convention. De surcroĂźt, le fait d’utiliser ou d’autoriser l’utilisation sur le territoire d’une Partie contractante de lignĂ©es cellulaires issues d’embryons dĂ©truits sur le territoire d’une autre Partie contractante rendrait la premiĂšre Partie contractante complice de la violation de la Convention par la seconde. Aucune de ces situations n’est tolĂ©rable au regard des rĂšgles sur la responsabilitĂ© internationale des États, combinĂ©es avec les obligations incombant aux Parties contractantes en vertu de la Convention[40].

VI.  Conclusion

43.  La vie humaine Ă  naĂźtre n’est en rien diffĂ©rente par essence de la vie postnatale. Les embryons humains doivent en toute circonstance ĂȘtre traitĂ©s avec tout le respect qui est dĂ» Ă  la dignitĂ© humaine. Les applications de la recherche scientifique concernant le gĂ©nome humain, en particulier dans le domaine de la gĂ©nĂ©tique, ne prĂ©valent pas sur le respect de la dignitĂ© humaine. Les progrĂšs de la science ne doivent pas reposer sur le non-respect de la nature humaine ontologique. Le but scientifique consistant Ă  sauver des vies humaines ne justifie pas l’emploi de moyens intrinsĂšquement destructeurs pour cette vie.

Le commencement et la fin de la vie humaine ne sont pas des questions de politique Ă  laisser Ă  la discrĂ©tion des États membres du Conseil de l’Europe. Le caractĂšre « adĂ©quat Â» de la protection offerte Ă  l’embryon par les Parties contractantes Ă  la Convention est soumis au contrĂŽle attentif de la Cour, car les États n’ont qu’une Ă©troite marge d’apprĂ©ciation s’agissant des questions fondamentales liĂ©es Ă  l’existence et Ă  l’identitĂ© de l’ĂȘtre humain. En Europe, la Convention Ă©tablit une insurmontable limite Ă  la possibilitĂ© de faire des expĂ©rimentations sur la vie humaine. Ainsi, il est incompatible avec la Convention de produire ou d’utiliser des embryons humains vivants pour la prĂ©paration de cellules souches embryonnaires, ou de produire des embryons humains clonĂ©s puis de les dĂ©truire pour produire des cellules souches embryonnaires. Dans l’espace juridique europĂ©en, la recherche scientifique sur les embryons humains et les lignĂ©es de cellules souches embryonnaires n’est autorisĂ©e que dans les deux cas exceptionnels Ă©voquĂ©s ci-dessus.


 

OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV

(Traduction)

 

1  La Cour a conclu Ă  la non-violation de l’article 8 de la Convention. Tout en souscrivant Ă  cette conclusion, je pense que cette affaire aurait pu apporter beaucoup plus Ă  la jurisprudence de la Cour concernant le dĂ©but de la vie.

2.  La Cour a relevĂ© que la prĂ©sente espĂšce, contrairement aux affaires prĂ©cĂ©dentes, n’avait pas trait au choix de la requĂ©rante de devenir parent, et que cela affaiblissait sa position. Elle s’est livrĂ©e Ă  une analyse des intĂ©rĂȘts concurrents en jeu, Ă  savoir l’ample marge d’apprĂ©ciation dont dispose l’État en matiĂšre de protection des embryons et le droit de la requĂ©rante Ă  l’autodĂ©termination.

3.  Le Gouvernement invoque la « potentialitĂ© de vie dont l’embryon est porteur Â» pour dĂ©montrer la lĂ©gitimitĂ© de la finalitĂ© de l’ingĂ©rence. Cet important objectif, qui ne peut se rĂ©duire Ă  une question de marge d’apprĂ©ciation, prĂ©suppose que l’embryon conditionne le dĂ©veloppement d’un ĂȘtre humain. Le fait que le droit Ă  la vie soit en jeu change complĂštement l’approche judiciaire, conformĂ©ment au rĂŽle de la Cour s’agissant d’interprĂ©ter la Convention, y compris l’obligation positive de l’État de prĂ©server le dĂ©but de la vie.

4.  Le principe du respect du droit Ă  la vie de l’embryon signifie qu’on ne peut apporter des limites Ă  la dĂ©cision judiciaire en invoquant la marge d’apprĂ©ciation. Sinon, la Cour devrait aussi conclure Ă  la non-violation dans la situation opposĂ©e, c’est-Ă -dire dans le cas oĂč un requĂ©rant s’opposerait au don de ses embryons Ă  des fins de recherche scientifique, qu’un État peut autoriser ou ne pas interdire.

5.  Ă€ mon avis, le droit Ă  la vie de l’embryon est un critĂšre clĂ© pour parvenir Ă  la bonne dĂ©cision. Je suis sĂ»r que si ce critĂšre avait Ă©tĂ© appliquĂ©, de nombreuses affaires prĂ©cĂ©dentes, telles que les affaires Evans, Vo et S.H. (citĂ©es dans l’arrĂȘt), auraient Ă©tĂ© tranchĂ©es en faveur des requĂ©rantes, qui souhaitaient en rĂ©alitĂ© devenir parents et, en consĂ©quence, sauver la vie de l’embryon.

6.  De nombreuses sources viennent Ă©tayer ce point de vue. Elles ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es Ă  la Cour par les tiers intervenants et les institutions europĂ©ennes. Ces sources comprennent notamment l’initiative citoyenne europĂ©enne « One of us Â», l’affaire BrĂŒstle et le rĂšglement Horizon 2020. En particulier, la Recommandation 874 (1979) de l’APCE relative Ă  la Charte europĂ©enne des droits de l’enfant affirme « les droits de chaque enfant Ă  la vie dĂšs le moment de sa conception Â». Je regrette de ne pouvoir souscrire Ă  la conclusion de la Cour interamĂ©ricaine des droits de l’homme dans l’affaire Murillo (citĂ©e dans l’arrĂȘt) selon laquelle la « conception Â» n’intervient qu’aprĂšs l’implantation de l’embryon dans l’utĂ©rus. D’un point de vue humain, je prĂ©fĂšre le point de vue du gouvernement italien selon lequel, aux fins de prĂ©server la potentialitĂ© de l’embryon, il est vital de l’implanter dans l’utĂ©rus d’une autre femme souhaitant devenir mĂšre en ayant recours Ă  cette mĂ©thode.

7.  Il me faut Ă©galement mentionner la RĂ©solution 1352 (2003) de l’APCE relative Ă  la recherche sur les cellules souches humaines, qui est encore plus explicite : « [l]a destruction d’ĂȘtres humains Ă  des fins de recherche est contraire au droit de tout ĂȘtre humain Ă  la vie (...) Â» (paragraphe 10 de la RĂ©solution). De plus, grĂące Ă  l’initiative citoyenne europĂ©enne « One of us Â», le droit Ă  la vie de l’embryon a Ă©tĂ© expressĂ©ment reconnu par des millions de citoyens europĂ©ens, et l’initiative a Ă©tĂ© soutenue par les instances dirigeantes de l’Union europĂ©enne. Cependant, la Cour est toujours silencieuse sur ce sujet. Cette ambiguĂŻtĂ©, qui perdure d’affaire en affaire, a finalement affectĂ© la requĂ©rante et ses reprĂ©sentants lĂ©gaux, qui ne savaient pas avec certitude quel article de la Convention devrait ĂȘtre appliquĂ© en l’espĂšce, ou quel droit devrait ĂȘtre protĂ©gĂ© : le droit Ă  la vie privĂ©e ou le droit de propriĂ©tĂ©.

8.  Je ne suis pas convaincu que la marge d’apprĂ©ciation ou l’absence de consensus devrait interdire Ă  la Cour de parvenir Ă  une telle conclusion. Étant donnĂ© que le droit Ă  la vie est absolu, et constitue l’un des droits les plus fondamentaux, ni la marge d’apprĂ©ciation ni la souverainetĂ© ni le consensus ne constituent des Ă©lĂ©ments pertinents en la matiĂšre. La marge d’apprĂ©ciation n’intervient que s’agissant de dĂ©terminer quelles mesures sont nĂ©cessaires pour protĂ©ger une valeur fondamentale (par exemple les dĂ©penses publiques ou un dĂ©lai pour la cryoconservation d’embryons). La vie de l’embryon ne saurait ĂȘtre sacrifiĂ©e aux fins de la concurrence entre États en matiĂšre de biomĂ©decine.

9.  Le droit Ă  la vie est absolu, et ce prĂ©cepte fondamental fait qu’il est inutile d’expliquer pourquoi un meurtrier, un handicapĂ©, un enfant abandonnĂ© ou un embryon doivent ĂȘtre gardĂ©s en vie. Nous n’avons pas besoin d’évaluer leur utilitĂ© pour la sociĂ©tĂ©, mais nous plaçons de l’espoir en leur potentialitĂ©. Le droit Ă  la vie de l’embryon ne saurait ĂȘtre remis en question par le fait que, jusqu’à son implantation, son potentiel de dĂ©veloppement est quelque chose qui peut ĂȘtre maintenu artificiellement, parce que toute technologie de la sorte est un dĂ©veloppement naturel crĂ©Ă© par les ĂȘtres humains.

10.  MĂȘme si le droit Ă  la vie est absolu, on pourrait rĂ©flĂ©chir aux consĂ©quences de cette approche et j’aimerais exprimer quelques pensĂ©es Ă  ce sujet. PremiĂšrement, le droit de la requĂ©rante Ă  l’autodĂ©termination ne serait en rien affectĂ© si l’embryon Ă©tait donnĂ© Ă  une autre femme de maniĂšre anonyme. DeuxiĂšmement, la recherche se tournerait (et se tourne dĂ©jĂ ) vers une autre direction, celle consistant Ă  reprogrammer des cellules adultes en cellules souches ou Ă  recombiner l’ADN, si nĂ©cessaire, en particulier pour cultiver un nouvel organe destinĂ© Ă  une personne malade Ă  partir des propres cellules souches de celle-ci.

11.  La dĂ©cision litigieuse du gouvernement italien de maintenir la vie de l’embryon n’est pas une mesure extraordinaire. Pareille approche est adoptĂ©e dans toutes les sociĂ©tĂ©s qui dĂ©pensent dĂ©jĂ  des fonds publics en vue de soutenir les personnes handicapĂ©es ou autres qui ne peuvent pas prendre soin d’elles-mĂȘmes. De plus, Ă©tant donnĂ© que les banques de sperme et d’ovules existent, ce ne serait pas un problĂšme de crĂ©er une banque d’embryons (gamĂštes). Finalement, un don – en l’espĂšce un don automatique que certains peuvent considĂ©rer comme une ingĂ©rence – est Ă©thiquement acceptable s’il est nĂ©cessaire pour sauver la vie d’une personne.

12.  La nature absolue du droit Ă  la vie permet de concilier toutes les opinions Ă©thiques, morales, religieuses, scientifiques, sociales ou autres. L’unique question Ă©thique que j’admettrais dans le dĂ©veloppement de la biomĂ©decine est la question de la paternitĂ©/maternitĂ© dans le contexte du don. Comme l’a expliquĂ© le Gouvernement, le seul moyen de maintenir la potentialitĂ© de vie de l’embryon est de l’implanter dans l’utĂ©rus d’une autre femme (incapable de concevoir) qui souhaite avoir un enfant. En pareille situation, la situation de la requĂ©rante en tant que donneuse devrait ĂȘtre reconnue automatiquement. Le statut juridique de donneur permet de rĂ©soudre les problĂšmes Ă©thiques puisque la maternitĂ©, en termes de relations familiales, diffĂšre de la simple similaritĂ© du matĂ©riel gĂ©nĂ©tique. Dans l’affaire S.H., la Cour a conclu Ă  la non-violation des droits de la requĂ©rante par l’État dĂ©fendeur Ă  raison de l’interdiction du don de matĂ©riel reproductif de tierces personnes autres que les parents du futur enfant. Dans la situation opposĂ©e, comme en l’espĂšce, la Cour a de nouveau conclu Ă  la non-violation. Tel est le cas parce que les principes pertinents (le droit Ă  la vie) n’ont pas Ă©tĂ© appliquĂ©s par la Cour, et l’affaire S.H. Ă©tait donc malheureuse. Le prĂ©sent arrĂȘt rend l’issue de futures affaires touchant Ă  la biomĂ©decine imprĂ©visible.

13.  Le rĂŽle de la Cour est de dĂ©terminer les valeurs fondamentales et les intĂ©rĂȘts prĂ©dominants afin d’examiner chaque affaire particuliĂšre sur le fond. En consĂ©quence, la Cour ne peut que conclure que le droit Ă  la vie, en tant que l’un des droits et libertĂ©s fondamentaux, est en jeu en l’espĂšce.

14.  Ă‰tant donnĂ© que les nouvelles biotechnologies Ă©tendent objectivement notre perception des formes et conditions de l’existence humaine, je ne vois aucun obstacle objectif Ă  la reconnaissance juridique, dĂšs que possible, de cette Ă©volution, dĂšs lors que l’on sait bien que tout retard dans pareille reconnaissance au niveau national et international est potentiellement mortel et arbitraire.


 

OPINION EN PARTIE CONCORDANTE COMMUNE DES JUGES CASADEVALL, RAIMONDI, BERRO, NICOLAOU ET DEDOV

1.  Nous ne partageons pas entiĂšrement le raisonnement de la Grande Chambre en ce qui concerne le rejet de l’exception de non-Ă©puisement des voies de recours internes soulevĂ©e par le gouvernement italien.

2.  Nous avions Ă©tĂ© initialement convaincus par l’analyse du Gouvernement. Celui-ci a observĂ© que, s’il est vrai que la question de constitutionnalitĂ© ne peut ĂȘtre soulevĂ©e que par le juge et non par les parties – dont le pouvoir se limite Ă  solliciter qu’on fasse usage de cette facultĂ©, et qu’il ne s’agit donc pas d’un recours Ă  Ă©puiser en principe au sens de l’article 35 de la Convention, il n’en va pas de mĂȘme dans le cadre juridique Ă©tabli par les cĂ©lĂšbres arrĂȘts dits « jumeaux Â» de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 de 2007, qui concernent l’hypothĂšse d’un conflit entre une loi italienne et la Convention telle qu’interprĂ©tĂ©e par la Cour.

3.  Le Gouvernement a soulignĂ©, Ă  juste titre selon nous, que si le juge du fond avait constatĂ© l’existence d’un conflit insurmontable entre son interprĂ©tation de la loi et les droits invoquĂ©s par la partie demanderesse, il aurait eu l’obligation de soulever une question de constitutionnalitĂ©. La Cour constitutionnelle aurait alors examinĂ© au fond la compatibilitĂ© des faits litigieux avec les droits de l’homme, et elle aurait pu annuler les dispositions nationales avec effet rĂ©troactif et erga omnes.

4.  En effet, le cadre juridique dĂ©coulant de ces deux arrĂȘts de 2007 place le juge du fond devant une alternative lorsque se pose la question de la compatibilitĂ© de la loi nationale avec la Convention : ou bien il parvient, avec tous les moyens techniques dont il dispose, Ă  lire la loi nationale dans un sens conforme Ă  la Convention telle qu’interprĂ©tĂ©e par la Cour de Strasbourg, ou bien il doit renvoyer la question Ă  la Cour constitutionnelle, laquelle annulera la loi interne Ă  moins qu’elle ne constate l’existence d’un conflit entre la Convention et la Constitution italienne. Il s’agit lĂ  d’une alternative au sens strict (tertium non datur).

5.  Dans ces conditions, la jurisprudence traditionnelle de la Cour Ă©voquĂ©e au paragraphe 101 de l’arrĂȘt ne devrait pas s’appliquer en l’espĂšce. D’aprĂšs cette jurisprudence, fondĂ©e sur l’absence d’accĂšs direct des particuliers Ă  la Cour constitutionnelle italienne due Ă  la rĂšgle voulant que seule une juridiction qui connaĂźt du fond d’une affaire ait la facultĂ© de la saisir, Ă  la requĂȘte d’un plaideur ou d’office, pareille requĂȘte ne saurait s’analyser en un recours dont la Convention exige l’épuisement.

6.  Mais lorsqu’un requĂ©rant potentiel met en cause la compatibilitĂ© d’une loi nationale avec la Convention, nous ne sommes plus dans le cas de figure classique oĂč le juge du fond est seul maĂźtre de la dĂ©cision de saisir ou de ne pas saisir la Cour constitutionnelle. Dans cette hypothĂšse, qui est celle de l’espĂšce, la jurisprudence traditionnelle n’est plus pertinente : si le juge du fond est placĂ© par le requĂ©rant potentiel dans la situation de devoir apprĂ©cier la compatibilitĂ© d’une loi nationale avec la Convention, il pourra bien entendu interprĂ©ter la loi nationale dans un sens conforme Ă  la Convention. Toutefois, s’il n’y parvient pas, il n’aura pas le choix : il devra renvoyer la question – Ă  condition bien sĂ»r qu’elle soit pertinente pour la solution du litige – Ă  la Cour constitutionnelle.

7.  Dans cette situation, un requĂ©rant potentiel qui n’a pas obtenu du juge du fond une interprĂ©tation de la loi nationale conforme Ă  la Convention a le droit de voir la Cour constitutionnelle se prononcer sur la question, Ă  une rĂ©serve prĂšs que nous examinerons ci-dessous et qui s’applique en l’espĂšce.

8.  La seule raison qui nous conduit Ă  nous rallier en dĂ©finitive Ă  la dĂ©cision de la majoritĂ© concluant au rejet de cette exception dans la prĂ©sente affaire tient Ă  l’évolution de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne qui s’est fait jour dans un arrĂȘt no 49 dĂ©posĂ© le 26 mars 2015. Dans cet arrĂȘt, la haute juridiction a analysĂ©, entre autres, la place de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour dans l’ordre juridique interne, indiquant Ă  cet Ă©gard que le juge du fond n’était tenu de se conformer Ă  la jurisprudence de la Cour que dans le cas oĂč celle-ci Ă©tait « bien Ă©tablie Â» ou Ă©noncĂ©e dans un « arrĂȘt pilote Â». Or lorsque se pose une question nouvelle, comme c’est indĂ©niablement le cas en l’espĂšce, la position adoptĂ©e par la Cour constitutionnelle exclut que l’on puisse considĂ©rer que le requĂ©rant potentiel doit saisir le juge interne avant de s’adresser Ă  la Cour.

9.  Cela dit, nous constatons que la motivation de l’arrĂȘt, de laquelle nous devons nous dĂ©marquer en partie pour les raisons susmentionnĂ©es, renvoie Ă  l’arrĂȘt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle italienne (paragraphe 100 du prĂ©sent arrĂȘt), et que ce renvoi lui confĂšre un caractĂšre Ă©clectique. Nous y voyons une ouverture par rapport Ă  la jurisprudence traditionnelle.

10.  Le poids accordĂ© Ă  cette dĂ©cision dans la motivation du prĂ©sent arrĂȘt ouvre Ă  notre avis la voie Ă  une remise en cause de la jurisprudence traditionnelle de la Cour – dans les limites permises par la nouvelle jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne, bien entendu – qui pourrait l’amener Ă  considĂ©rer que, mĂȘme lorsqu’une loi est directement Ă  l’origine de la violation allĂ©guĂ©e, le requĂ©rant potentiel doit en principe saisir d’abord le juge interne, pour autant que le cadre juridique tracĂ© par les arrĂȘts nos 348 et 349 de 2007 de la Cour constitutionnelle italienne puis attĂ©nuĂ© par l’arrĂȘt no 49/2015 rendu par cette mĂȘme cour ne soit pas remis en cause dans sa substance mĂȘme.


OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE DES JUGES CASADEVALL, ZIEMELE, POWER-FORDE, DE GAETANO ET YUDKIVSKA

(Traduction)

 

1.  Dans sa requĂȘte, la requĂ©rante allĂ©guait que l’interdiction, Ă©dictĂ©e par le droit italien, de donner Ă  la recherche scientifique des embryons conçus par procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e Ă©tait incompatible avec son droit au respect de sa vie privĂ©e. Dans le prĂ©sent arrĂȘt, la Cour juge que la possibilitĂ© pour l’intĂ©ressĂ©e d’exercer un choix conscient et rĂ©flĂ©chi quant au « sort Ă  rĂ©server Ă  ses embryons Â» touche un aspect intime de la vie personnelle de celle-ci et relĂšve Ă  ce titre de son droit Ă  l’autodĂ©termination (§ 159 du prĂ©sent arrĂȘt). La Cour en dĂ©duit que l’article 8 de la Convention trouve Ă  s’appliquer en l’espĂšce et conclut Ă  la non-violation de cette disposition, au motif notamment que l’interdiction litigieuse est « nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique Â» Ă  la protection des droits et libertĂ©s d’autrui au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

2.  Bien que nous ayons votĂ© pour la non-violation de l’article 8 de la Convention, les motifs qui nous ont conduits Ă  cette conclusion diffĂšrent grandement de ceux qui ont Ă©tĂ© retenus dans le prĂ©sent arrĂȘt. Nous nous dissocions de la majoritĂ© bien avant l’apprĂ©ciation de la proportionnalitĂ© de l’interdiction incriminĂ©e Ă  laquelle celle-ci s’est livrĂ©e. Nous estimons en effet que le grief de la requĂ©rante est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de ce texte.

3.  L’ancienne Commission et la Cour ont dĂ©jĂ  eu Ă  connaĂźtre de nombreuses affaires sensibles dans lesquelles se posaient des questions fondamentales touchant Ă  la potentialitĂ© de la vie humaine, au dĂ©but de la vie humaine, et Ă  la vie humaine embryonnaire ou fƓtale, en rapport ou non avec les droits de la personnalitĂ© d’autrui[41]. Bien que la Cour ait jugĂ© que les questions ayant trait Ă  la procrĂ©ation – et, en particulier, Ă  la dĂ©cision de devenir ou de ne pas devenir parent – constituent un aspect de la vie privĂ©e des personnes[42], elle s’est abstenue de statuer sur le point fondamental de savoir Ă  quel moment dĂ©bute la « vie protĂ©gĂ©e Â» par la Convention. En consĂ©quence, elle s’est gardĂ©e de se prononcer sur le statut de l’embryon humain en tant que tel.

4.  Comme la Cour le reconnaĂźt dans le prĂ©sent arrĂȘt, la requĂ©rante revendiquait en rĂ©alitĂ© le droit de « disposer d’embryons Â» (§ 149) ou, en d’autres termes, le droit de « dĂ©cider du sort Â» d’embryons issus d’une fĂ©condation in vitro (§ 152). Or la Cour juge ici, pour la premiĂšre fois, que le fait de « dĂ©cider du sort Â» d’embryons ou d’en « disposer Â» relĂšve du droit des personnes au respect de leur vie privĂ©e (§ 152). Le prĂ©sent arrĂȘt marque donc un tournant dĂ©cisif dans la jurisprudence de la Cour. Il s’agit lĂ  d’une dĂ©cision d’une portĂ©e considĂ©rable – et Ă  nos yeux inacceptable – sur le statut de l’embryon humain.

5.  La conclusion Ă  laquelle parvient la majoritĂ© est dĂ©concertante non seulement en raison de la connotation utilitaire des termes employĂ©s par celle-ci pour parler de l’embryon humain, mais aussi de la logique dĂ©routante sur laquelle repose la dĂ©cision adoptĂ©e. La raison pour laquelle la majoritĂ© considĂšre qu’un choix concernant « le destin de l’embryon Â» relĂšve de la sphĂšre de la vie privĂ©e de la requĂ©rante tient « au lien existant entre la personne qui a eu recours Ă  une fĂ©condation in vitro et les embryons ainsi conçus Â». Selon la majoritĂ©, ce lien dĂ©coule du fait que « [ces embryons] renferment le patrimoine gĂ©nĂ©tique de la personne en question et reprĂ©sentent Ă  ce titre une partie constitutive de celle-ci et de son identitĂ© biologique Â» (§ 158) (gras ajoutĂ©).

6.  La conclusion selon laquelle l’embryon est une « partie constitutive Â» de l’identitĂ© de la requĂ©rante revĂȘt une portĂ©e considĂ©rable. Contrairement Ă  la majoritĂ©, nous estimons que l’embryon ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une simple partie constitutive de l’identitĂ© de telle ou telle personne, que cette identitĂ© soit biologique ou d’une autre nature. S’il hĂ©rite du patrimoine gĂ©nĂ©tique de ses « parents Â» biologiques, l’embryon humain n’en est pas moins une entitĂ© sĂ©parĂ©e et distincte dĂšs les tout premiers stades de son dĂ©veloppement. S’il n’était qu’une partie constitutive de l’identitĂ© de telle ou telle personne, pourquoi tant de rapports, de recommandations, de conventions et de protocoles internationaux seraient-ils consacrĂ©s Ă  sa protection ? Ces instruments reflĂštent l’existence, au sein de la communautĂ© humaine, d’un large consensus sur le fait que l’embryon n’est pas une simple « chose Â». Comme l’a dĂ©clarĂ© l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe, l’embryon est une entitĂ© qui « doi[t] bĂ©nĂ©ficier en toutes circonstances du respect dĂ» Ă  la dignitĂ© humaine Â» (§ 53).

7.  L’approche adoptĂ©e par la Cour dans la prĂ©sente affaire consacre une conception positiviste et rĂ©ductrice de l’embryon humain. Ayant qualifiĂ© l’embryon de « partie constitutive Â» du matĂ©riel gĂ©nĂ©tique et de l’identitĂ© biologique de telle ou telle personne, la Cour dĂ©cide que la question du sort de l’embryon et de l’ Â« usage Â» qui peut en ĂȘtre fait relĂšve du droit de cette personne au respect de sa vie privĂ©e. L’ADN de l’embryon humain, comme celui de toutes les autres entitĂ©s humaines, provient nĂ©cessairement de celui de ses « parents Â» biologiques. Mais il est hasardeux et arbitraire de se fonder sur une simple parentĂ© gĂ©nĂ©tique pour dĂ©cider que le sort d’une entitĂ© humaine relĂšve du droit de telle ou telle personne Ă  l’autodĂ©termination.

8.  La confusion qui caractĂ©rise le raisonnement de la majoritĂ© et qui est manifeste dans la partie consacrĂ©e Ă  la recevabilitĂ© de la requĂȘte s’étend malheureusement Ă  la motivation de l’arrĂȘt (§ 167). Pour apprĂ©cier la proportionnalitĂ© de l’interdiction litigieuse, la majoritĂ© considĂšre que celle-ci peut ĂȘtre rattachĂ©e au but de protection « des droits et libertĂ©s d’autrui Â», mais elle se hĂąte d’ajouter que cela n’implique aucun jugement sur le point de savoir si le mot « autrui Â» englobe l’embryon humain !

9.  Nous considĂ©rons pour notre part, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence de la Cour en vigueur jusqu’à prĂ©sent, qu’il eĂ»t Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rable de conclure que le droit de la requĂ©rante Ă  l’ Â« autodĂ©termination Â» en tant qu’aspect de sa vie privĂ©e n’était tout simplement pas en cause puisque la question d’une possible maternitĂ© ne se posait pas en l’espĂšce. Nous observons que l’intĂ©ressĂ©e a dĂ©clarĂ© que le don de ses embryons susciterait chez elle un « noble sentiment Â». Toutefois, il va sans dire que la Convention a pour vocation exclusive de protĂ©ger les droits fondamentaux de l’homme, non de promouvoir des sentiments, quelle qu’en soit la nature. Le droit revendiquĂ© par la requĂ©rante de « disposer de ses embryons Â» Ă  des fins de recherche scientifique n’entre pas dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention. En consĂ©quence, nous estimons que la requĂȘte aurait dĂ» ĂȘtre rejetĂ©e comme Ă©tant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de ce texte.


 

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE NICOLAOU

(Traduction)

 

1.  Ă€ mon avis, la requĂȘte aurait dĂ» ĂȘtre rejetĂ©e car elle n’a pas Ă©tĂ© introduite dans le dĂ©lai requis.

2.  Selon l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut ĂȘtre saisie que dans un dĂ©lai de six mois Ă  partir de la date de la dĂ©cision interne dĂ©finitive. Cependant, le point de dĂ©part de ce dĂ©lai n’est pas toujours apparent. Il se peut qu’il ne soit pas matĂ©rialisĂ© par une dĂ©cision ou qu’il soit peu distinct pour une autre raison. Pour certaines situations continues dans lesquelles des droits issus de la Convention sont violĂ©s, il peut ĂȘtre particuliĂšrement difficile de dĂ©finir quand le dĂ©lai a commencĂ© Ă  courir. Notre jurisprudence fournit des indications sur la façon d’aborder ce type d’affaires. Dans l’affaire Varnava et autres c. Turquie ([GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, §§ 159 et 161, CEDH 2009), la Cour a dĂ©clarĂ© en termes gĂ©nĂ©raux que le dĂ©lai ne s’appliquait pas aux situations continues. Ce n’est pas tout Ă  fait exact puisque, comme l’explique ensuite l’arrĂȘt, en pareil cas la violation continue signifie simplement que le dĂ©lai recommence en fait Ă  courir chaque jour, de sorte que le dĂ©lai s’applique bien en principe. À la cessation de la situation continue, le dĂ©lai commence Ă  courir sans interruption pendant la pĂ©riode de six mois. La difficultĂ©, dans certaines affaires, tient Ă  la dĂ©termination du moment exact oĂč la situation est arrivĂ©e Ă  son terme. Comme il a Ă©tĂ© soulignĂ© dans l’affaire Varnava (prĂ©citĂ©e, § 161), toutes les situations continues ne sont pas identiques : en fonction de leur nature, les enjeux peuvent changer au fil du temps. Il peut donc ĂȘtre nĂ©cessaire d’examiner comment une situation a Ă©voluĂ© afin d’apprĂ©cier la signification des Ă©vĂ©nements ou les perspectives de parvenir Ă  une solution et de juger ce qui serait raisonnable de prendre comme point de dĂ©part dans les circonstances particuliĂšres de l’espĂšce. La Cour peut adopter un point de vue gĂ©nĂ©ral et pratique quant Ă  de telles questions.

3.  La majoritĂ© est d’avis que la prĂ©sente affaire porte sur une situation continue de durĂ©e illimitĂ©e, coĂŻncidant avec l’existence de la loi no 40 du 19 fĂ©vrier 2004, entrĂ©e en vigueur le 10 mars 2004. À mon avis, la requĂ©rante n’était pas en droit d’attendre indĂ©finiment avant de demander rĂ©paration.

4.  Les faits, trĂšs sommairement prĂ©sentĂ©s par la requĂ©rante, sont les suivants. Quelque part en 2002, cinq embryons, obtenus dans le cadre d’un processus de fĂ©condation in vitro par la requĂ©rante et son partenaire, furent placĂ©s en cryoconservation aux fins d’une implantation future. Avant la fin de l’annĂ©e suivante, le partenaire de la requĂ©rante fut tuĂ© en Irak oĂč il rĂ©alisait un reportage de guerre. Par la suite, Ă  une date non prĂ©cisĂ©e, la requĂ©rante dĂ©cida de ne pas implanter les embryons. Elle formula alors oralement, en vain, plusieurs demandes de mise Ă  disposition de ses embryons en vue d’une utilisation par la recherche scientifique. Le nombre de demandes et les pĂ©riodes oĂč elles ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es n’ont pas Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©s. On peut supposer qu’elles sont toutes intervenues aprĂšs l’entrĂ©e en vigueur de la nouvelle loi, puisqu’auparavant il n’y aurait pas eu d’obstacles Ă  donner les embryons, pour quelque objectif que ce soit. De plus, nul n’a expliquĂ© pourquoi la requĂ©rante n’a pas portĂ© l’affaire plus tĂŽt devant la juridiction de Strasbourg, c’est-Ă -dire peu aprĂšs l’entrĂ©e en vigueur de la nouvelle loi, au lieu d’attendre plus de sept ans avant de le faire.

5.  Il doit avoir Ă©tĂ© clair pour la requĂ©rante que ses demandes ne pouvaient pas ĂȘtre accordĂ©es au titre de la nouvelle loi. Celle-ci, en ses passages pertinents, se lit ainsi :

Article 13 – ExpĂ©rimentation sur l’embryon humain

«  1.  Toute expĂ©rimentation sur l’embryon humain est interdite.

2.  La recherche clinique et expĂ©rimentale sur l’embryon humain ne peut ĂȘtre autorisĂ©e que si elle poursuit exclusivement des finalitĂ©s thĂ©rapeutiques et diagnostiques tendant Ă  la protection de la santĂ© ainsi qu’au dĂ©veloppement de l’embryon et s’il n’existe pas d’autres mĂ©thodes. Â»

6.  Aux termes de l’article 13 § 5 de cette loi, toute violation de cette interdiction est passible de sanctions sĂ©vĂšres, y compris d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six ans.

7.  Il y a bien sĂ»r des exemples dans lesquels les dispositions lĂ©gislatives donnent bien lieu Ă  une ingĂ©rence continue dans l’exercice de droits issus de la Convention au titre soit de l’article 8 soit de l’article 14 combinĂ© avec l’article 8, ingĂ©rence dont les effets ne peuvent s’attĂ©nuer ou cesser au fil du temps Ă  moins d’en supprimer la cause. La majoritĂ© cite les affaires Dudgeon c. Royaume-Uni (22 octobre 1981, § 41, sĂ©rie A no 45), Norris c. Irlande (26 octobre 1988, § 38, sĂ©rie A no 142), Vallianatos et autres c. GrĂšce ([GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 54, CEDH 2013 (extraits)) et S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, § 110, CEDH 2014 (extraits)), et ce ne sont pas les seules affaires sur le sujet. La majoritĂ© reconnaĂźt que dans ces affaires l’impact des mesures lĂ©gislatives incriminĂ©es sur la vie quotidienne des requĂ©rants « Ă©tait plus important et plus direct qu’en l’espĂšce Â». Toutefois, elle n’attache aucune importance Ă  une diffĂ©rence que, pour ma part, je considĂšre comme cruciale. Dans ces affaires, les dispositions lĂ©gislatives litigieuses avaient, d’une maniĂšre ou d’une autre, un impact pratique majeur sur le quotidien des requĂ©rants, avec des effets dĂ©cisifs et lourds de consĂ©quences sur leur conduite et l’organisation de leurs affaires. Rien de tel en l’espĂšce : la majoritĂ© se contente de reconnaĂźtre l’existence d’un « lien biologique existant entre l’intĂ©ressĂ©e et ses embryons ainsi que de l’objectif de rĂ©alisation d’un projet familial Ă  l’origine de leur crĂ©ation Â» (paragraphe 111 de l’arrĂȘt), bien que, en ce qui concerne la deuxiĂšme proposition, le projet de fonder une famille en ayant recours aux embryons ait Ă©tĂ© abandonnĂ© Ă  une phase prĂ©coce et ne fĂ»t plus d’actualitĂ© en l’espĂšce. Elle conclut que l’interdiction en question « a une incidence sur la vie privĂ©e de la requĂ©rante Â» (ibidem).

8.  Dans la dĂ©cision sur la recevabilitĂ© sur le dĂ©lai de six mois, la majoritĂ© ne va pas au-delĂ  que ce que j’ai dĂ©jĂ  rapportĂ©. La recevabilitĂ© est admise sur la base du point de vue, que je ne partage pas, que la nouvelle loi a un impact incessant sur la vie de la requĂ©rante. Par la suite, toutefois, dans la partie de l’arrĂȘt sur le fond, la majoritĂ© explique ce qu’elle voit comme la nature particuliĂšre de cet impact, et donc qui expliquerait sa force. Les paragraphes 158 et 159 de l’arrĂȘt se lisent ainsi :

« 158.  En l’espĂšce, la Cour doit aussi avoir Ă©gard au lien existant entre la personne qui a eu recours Ă  une fĂ©condation in vitro et les embryons ainsi conçus, et qui tient au fait que ceux-ci renferment le patrimoine gĂ©nĂ©tique de la personne en question et reprĂ©sentent Ă  ce titre une partie constitutive de celle-ci et de son identitĂ© biologique.

159.  La Cour en conclut que la possibilitĂ© pour la requĂ©rante d’exercer un choix conscient et rĂ©flĂ©chi quant au sort Ă  rĂ©server Ă  ses embryons touche un aspect intime de sa vie personnelle et relĂšve Ă  ce titre de son droit Ă  l’autodĂ©termination. L’article 8 de la Convention, sous l’angle du droit au respect de la vie privĂ©e, trouve donc Ă  s’appliquer en l’espĂšce. Â»

9.  Ma position est trĂšs Ă©loignĂ©e de celle de la majoritĂ© selon laquelle la question en jeu tient au droit Ă  l’autodĂ©termination de la requĂ©rante. En fait, avec tout le respect que je dois Ă  la majoritĂ©, il me semble que par la suite, celle-ci prend Ă©galement ses distances par rapport Ă  cette position initiale. Il est intĂ©ressant de noter Ă  cet Ă©gard que, lorsqu’elle examine les circonstances spĂ©cifiques de la prĂ©sente affaire, la majoritĂ© dĂ©clare, au paragraphe 174 de l’arrĂȘt que :

« (...) la prĂ©sente espĂšce ne concerne pas un projet parental (...). Dans ces conditions, s’il n’est assurĂ©ment pas dĂ©nuĂ© d’importance, le droit de donner des embryons Ă  la recherche scientifique invoquĂ© par la requĂ©rante ne fait pas partie du noyau dur des droits protĂ©gĂ©s par l’article 8 de la Convention en ce qu’il ne porte pas sur un aspect particuliĂšrement important de l’existence et de l’identitĂ© de l’intĂ©ressĂ©e. Â»

10.  J’en suis tout Ă  fait d’accord. Un peu plus loin, au paragraphe 192, la majoritĂ© observe que :

« (...) si le droit invoquĂ© par la requĂ©rante de dĂ©cider du sort de ses embryons est liĂ© Ă  son dĂ©sir de contribuer Ă  la recherche scientifique, il n’y a toutefois pas lieu d’y voir une circonstance affectant directement l’intĂ©ressĂ©e. Â»

11.  Encore une fois, je suis bien d’accord. Contrairement aux affaires pertinentes susmentionnĂ©es, oĂč l’on a soulignĂ© que les requĂ©rants avaient Ă©tĂ© directement touchĂ©s par la lĂ©gislation litigieuse, en l’espĂšce la requĂ©rante n’était pas directement concernĂ©e. Ce qu’elle envisageait de faire – Ă  savoir faire don de ses embryons Ă  la recherche – n’a pas affectĂ© directement sa vie privĂ©e. Je ne comprends pas pourquoi la majoritĂ©, lorsqu’elle examine les arguments de la requĂ©rante Ă  la lumiĂšre des divers aspects de la nouvelle loi, ne pouvait pas conclure dĂšs la dĂ©part, ainsi qu’elle le fait au paragraphe 195, que, quelles que soient les incohĂ©rences figurant ou non dans la nouvelle lĂ©gislation, elles

« (...) ne sont pas de nature Ă  affecter directement le droit qu’elle invoque en l’espĂšce. Â»

12.  Cette conclusion est dans la droite ligne de ce que j’ai dĂ©jĂ  prĂ©sentĂ© comme une diffĂ©rence dĂ©terminante entre la prĂ©sente espĂšce et les affaires Dudgeon, Norris, Vallianatos et S.A.S. prĂ©citĂ©es.

13.  Mon opinion selon laquelle la requĂȘte aurait dĂ» ĂȘtre dĂ©clarĂ©e irrecevable pour non-respect du dĂ©lai requis se fonde sur la nature trĂšs tĂ©nue, Ă  mon sens, du lien entre la requĂ©rante et les embryons congelĂ©s. S’il existe bien un lien significatif puisque les embryons sont issus du matĂ©riel gĂ©nĂ©tique de la requĂ©rante et de son partenaire, et qu’en consĂ©quence de ce lien la question relĂšve du champ de l’article 8, il me semble que ce n’est qu’à la pĂ©riphĂ©rie, et que cela ne tient qu’à la possibilitĂ©, pour la requĂ©rante, d’exprimer un souhait concernant le sort de ces embryons. À la rĂ©ception d’une rĂ©ponse nĂ©gative, Ă©tant donnĂ© qu’il n’y avait pas de recours interne adĂ©quat Ă  Ă©puiser, le dĂ©lai de prescription aurait dĂ» alors commencer Ă  courir aux fins de soumettre la restriction lĂ©gislative en question Ă  un examen au titre de la Convention.

14.  Eu Ă©gard au point de vue dĂ©crit ci-dessus, on ne saurait dire que cet aspect de l’article 8 donne Ă  la requĂ©rante un droit pendant une pĂ©riode indĂ©finie. La nouvelle loi est entrĂ©e en vigueur quatre mois environ aprĂšs le drame qui a changĂ© sa vie et, si le dĂ©lai de six mois est ajoutĂ© Ă  cela, on serait tentĂ© de croire qu’elle disposait d’assez de temps pour dĂ©cider si elle souhaitait avoir son mot Ă  dire dans cette affaire. Il est Ă©galement possible, cependant, d’aborder la question de maniĂšre plus large et, sur la base d’une situation continue crĂ©Ă©e par la nouvelle loi, d’examiner ce qui pouvait ĂȘtre un cadre temporel raisonnable permettant Ă  une personne dans la situation de la requĂ©rante, dans les tristes circonstances dans lesquelles elle s’est trouvĂ©e, de suffisamment rĂ©flĂ©chir et agir. Ce que je ne peux certainement pas admettre, c’est l’idĂ©e que la requĂ©rante n’était soumise Ă  aucune limite temporelle pour mettre en branle le dispositif strasbourgeois de protection des droits de l’homme.


OPINION DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ

(Traduction)

 

À mon grand regret, je ne peux souscrire aux points de vue exprimĂ©s par la majoritĂ©. Je me vois donc dans l’obligation de m’en Ă©carter, pour les raisons exposĂ©es ci-dessous.

ApplicabilitĂ© de l’article 8 de la Convention en l’espĂšce

1.  En l’espĂšce, la Cour conclut que « que la possibilitĂ© pour la requĂ©rante d’exercer un choix conscient et rĂ©flĂ©chi quant au sort Ă  rĂ©server Ă  ses embryons touche un aspect intime de sa vie personnelle et relĂšve Ă  ce titre de son droit Ă  l’autodĂ©termination Â«  (paragraphe 159 de l’arrĂȘt). Je ne peux que souscrire Ă  cette conclusion, sauf Ă  ajouter que cela non seulement « relĂšve Â» du droit de l’intĂ©ressĂ©e Ă  l’autodĂ©termination mais qu’il s’agit lĂ  de l’exercice de ce droit, qui se trouve au cƓur du droit Ă  la vie privĂ©e. Le droit de la requĂ©rante Ă  l’autodĂ©termination reflĂšte son droit Ă  l’autonomie personnelle et Ă  sa libertĂ© de choix (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 80, CEDH 2011 ; McDonald c. Royaume-Uni, no 4241/12, §§ 46-47, 20 mai 2014 ; et Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002‑III). Ici, le choix (un droit) de la requĂ©rante Ă©tait de donner ses embryons pour faire avancer la science en vue de sauver des vies plutĂŽt que de laisser leur viabilitĂ© s’éteindre avec le temps[43]. La nature du droit en jeu en l’espĂšce est la libertĂ© de choix de la requĂ©rante. Il ne s’agit pas d’une affaire touchant aux droits de la parentalitĂ© ni mĂȘme aux droits Ă©ventuels d’un fƓtus ; le droit de la requĂ©rante dont il est ici question est celui d’agir comme un individu libre et autonome en ce qui concerne son empreinte gĂ©nĂ©tique.

2.  Selon la jurisprudence de la Cour, « il n’incombe pas Ă  la Cour d’examiner in abstracto la lĂ©gislation et la pratique pertinentes, mais de rechercher si la maniĂšre dont elles ont touchĂ© le requĂ©rant a enfreint la Convention Â» (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 56, CEDH 2002‑X). Il ne s’agit pas ici d’examiner l’utilisation des embryons par la recherche telle que rĂ©glementĂ©e par le droit italien, mais de considĂ©rer la maniĂšre dont la mesure gĂ©nĂ©rale a affectĂ© des embryons qui avaient Ă©tĂ© crĂ©Ă©s et cryoconservĂ©s avant que la restriction n’entre en vigueur. Cette affaire porte sur une situation trĂšs spĂ©cifique : que passe-t-il lorsqu’une lĂ©gislation intervient et entrave l’exercice de ce droit prĂ©existant concernant des embryons prĂ©existants ? L’embryon peut potentiellement devenir un ĂȘtre humain, mais cela reste une simple potentialitĂ© puisque cette Ă©volution ne peut se produire sans le consentement du ou des donneurs, comme il en a Ă©tĂ© discutĂ© dans l’affaire Evans c. Royaume-Uni ([GC], no 6339/05, CEDH 2007‑I).

La requĂ©rante a dĂ©cidĂ© de ne pas donner son consentement. Certainement, une loi qui exigerait de la requĂ©rante d’utiliser les embryons elle-mĂȘme contreviendrait Ă  son droit Ă  dĂ©cider de devenir ou non parent. De mĂȘme, une loi qui l’obligerait Ă  autoriser « l’adoption » de ses embryons par un tiers violerait son droit fondamental Ă  ne pas ĂȘtre contrainte Ă  la parentalitĂ©[44]. Le droit italien ne laisse donc qu’une option : la cryoconservation pour une pĂ©riode illimitĂ©e des embryons non implantĂ©s[45].

3.  Pour moi, le « droit de choisir Â» de la requĂ©rante (en tant qu’aspect relevant de l’autodĂ©termination) ne reprĂ©sente pas « un aspect particuliĂšrement important de l’existence ou de l’identitĂ© d’une personne Â». Si le point mĂ©rite dĂ©bat, j’admets qu’il n’existe pas de consensus europĂ©en[46] concernant le sort des embryons cryoconservĂ©s et je ne discuterai pas de la question de savoir si l’expĂ©rience de sept ou quatre pays est suffisante pour tirer cette conclusion (bien que les donnĂ©es comparatives fournies par la Cour ne reflĂštent pas la pratique des pays en ce qui concerne les embryons qui ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s Ă  des fins reproductrices avant l’imposition d’une interdiction sur la recherche, et que seuls quelques pays interdisent toute recherche sur les cellules souches embryonnaires). Il s’ensuit que l’État dispose d’une ample marge d’apprĂ©ciation s’agissant de restreindre ce droit.

Sur le point de savoir s’il y a eu une « ingĂ©rence Â» « prĂ©vue par la loi Â»

4.  La Cour reconnaĂźt qu’il y a eu une ingĂ©rence dans le droit de la requĂ©rante au respect de la vie privĂ©e au titre de l’article 8. Toutefois, il importe de souligner qu’au moment oĂč la requĂ©rante a choisi la voie de la fĂ©condation in vitro, il n’y avait pas de loi en vigueur en Italie concernant le sort Ă  rĂ©server aux embryons surnumĂ©raires. Ainsi que la Grande Chambre l’a dĂ©jĂ  dit, l’expression « prĂ©vue par la loi Â» implique que « la lĂ©gislation interne doit user de termes assez clairs pour indiquer Ă  tous de maniĂšre suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique Ă  recourir Ă  des mesures affectant leurs droits protĂ©gĂ©s par la Convention Â» (FernĂĄndez MartĂ­nez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 117, CEDH 2014 (extraits)). La requĂ©rante Ă©tait face Ă  une situation dans laquelle elle n’avait pas de choix rĂ©el Ă  part celui d’accepter que l’État conserve ses embryons en les congelant pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e. Cela n’était pas prĂ©visible lorsqu’elle a choisi de subir une FIV. Elle n’avait aucune possibilitĂ© de savoir qu’elle aurait seulement quatre mois aprĂšs le dĂ©cĂšs de son partenaire pour dĂ©cider ce qu’il fallait faire des embryons, avant que la nouvelle lĂ©gislation ne lui enlĂšve le contrĂŽle de cette dĂ©cision. Il importe de relever que la loi ne contient pas de rĂšgles spĂ©cifiques quant au sort des embryons qui Ă©taient dĂ©jĂ  cryoconservĂ©s avant l’entrĂ©e en vigueur de cette loi.

Légitimité du but poursuivi

5.  En l’espĂšce, le Gouvernement n’a pas donnĂ© de raison claire justifiant l’ingĂ©rence. Ces buts ont Ă©tĂ© reconstituĂ©s (non sans effort) par la Cour, puis admis par elle. En l’absence de toute justification par le Gouvernement du but de l’ingĂ©rence, la majoritĂ© en propose deux : la protection de la morale et la protection des droits d’autrui. Quant Ă  la protection de la morale, la Cour ne donne aucune information sur la morale publique en Italie, oĂč la pratique litigieuse est lĂ©gale depuis de nombreuses annĂ©es[47]. Le Gouvernement n’a pas invoquĂ© la protection de la morale et la Cour n’explique pas oĂč l’intĂ©rĂȘt moral se trouve ; elle ne prend pas davantage en compte un intĂ©rĂȘt moral spĂ©cifique dans l’analyse sur la proportionnalitĂ©.

6.  En ce qui concerne les droits d’autrui, « [l]a Cour admet que la « protection de la potentialitĂ© de vie dont l’embryon est porteur Â» peut ĂȘtre rattachĂ©e au but de protection de la morale et des droits et libertĂ©s d’autrui Â» (paragraphe 167 de l’arrĂȘt)[48]. Mais qui est « autrui Â» ? L’embryon est-il « autrui Â», c’est-Ă -dire une personne ? Il n’y a pas de rĂ©ponse, sauf que l’embryon est dĂ©crit dans la loi de 2004 comme un « sujet Â» ayant des droits. Le fait qu’il ne tombe pas dans la catĂ©gorie des biens ne fait pas de l’embryon un ĂȘtre humain ou un titulaire de droits[49]. Le fait que l’État ait intĂ©rĂȘt Ă  protĂ©ger une vie potentielle ne saurait se mesurer au droit d’une personne.

7.  La Cour estime que les droits d’autrui sont prĂ©sents parce que « la potentialitĂ© de vie Â» peut ĂȘtre liĂ©e Ă  ce droit allĂ©guĂ©. J’espĂšre me tromper, mais je crains qu’il n’y ait ici un risque de distendre la norme applicable Ă  la liste des buts admissibles pour une restriction des droits. Jusqu’ici, la Cour a constamment affirmĂ© que la liste d’exceptions aux droits individuels reconnus par la Convention Ă©tait exhaustive et que leur dĂ©finition Ă©tait restrictive (voir, parmi d’autres, Sviato-MykhaĂŻlivska Parafiya c. Ukraine, no 77703/01, § 132, 14 juin 2007; et Nolan et K. c. Russie, no 2512/04, § 73, 12 fĂ©vrier 2009). Cela est essentiel Ă  toute protection sĂ©rieuse de droits. Malheureusement, dans l’affaire S.A.S. c. France ([GC], no 43835/11, § 113, CEDH 2014 (extraits)), la Cour a dit que « [p]our ĂȘtre compatible avec la Convention, une restriction Ă  cette libertĂ© doit notamment ĂȘtre inspirĂ©e par un but susceptible d’ĂȘtre rattachĂ© Ă  l’un de ceux que cette disposition Ă©numĂšre. La mĂȘme approche s’impose sur le terrain de l’article 8 de la Convention Â». D’une position selon laquelle le but « est susceptible d’ĂȘtre rattachĂ© Â» Ă  ces exceptions Ă©numĂ©rĂ©es de maniĂšre exhaustive, nous passons Ă  prĂ©sent Ă  un point de vue selon lequel un lien peut exister si cela n’est pas exclu comme Ă©tant abusivement spĂ©culatif (« peut ĂȘtre susceptible Â» au lieu de « est susceptible Â»).

Le fait de ne pas examiner sĂ©rieusement un but supposĂ© d’un État saperait le potentiel de protection des droits de toute analyse de proportionnalitĂ©. L’examen de la finalitĂ© d’une mesure relĂšve du rĂŽle de supervision de la Cour (Handyside c. Royaume-Uni, 7 dĂ©cembre 1976, § 49, sĂ©rie A no 24). Si nous souhaitons appliquer la doctrine de la marge d’apprĂ©ciation, nous pourrions dire qu’en matiĂšre de politique Ă©conomique il y a peu de place pour une telle analyse, eu Ă©gard Ă  l’avantage cognitif dont bĂ©nĂ©ficient la lĂ©gislation nationale ou les autoritĂ©s nationales, ou considĂ©rant que « [g]rĂące Ă  une connaissance directe de leur sociĂ©tĂ© et de ses besoins, les autoritĂ©s nationales se trouvent en principe mieux placĂ©es que le juge international pour dĂ©terminer ce qui est « d’utilitĂ© publique Â» (James et autres c. Royaume-Uni, 21 fĂ©vrier 1986, § 46, sĂ©rie A no 98). Ce raisonnement ne peut pas ĂȘtre appliquĂ© sans raisons additionnelles et convaincantes Ă  des domaines oĂč la question n’est pas d’« utilitĂ© publique Â» en matiĂšre de politiques Ă©conomiques et sociales mais tient Ă  la morale, la politique de santĂ© ou la science[50].

8.  L’arrĂȘt accepte sans autre rĂ©flexion la force de l’intĂ©rĂȘt de l’État Ă  interdire toutes les utilisations des embryons issus des FIV, sauf l’implantation. Toutefois, dans l’affaire S.A.S., la Cour a relevĂ© que « [l]a pratique de la Cour est d’ĂȘtre plutĂŽt succincte lorsqu’elle vĂ©rifie l’existence d’un but lĂ©gitime, au sens des seconds paragraphes des articles 8 Ă  11 de la Convention » (ibidem). Cependant, la Grande Chambre a ensuite expliquĂ© dans la mĂȘme affaire que, particuliĂšrement lorsque les objectifs du Gouvernement sont controversĂ©s (comme dans le contexte de la prĂ©sente affaire, voir les paragraphes 135-137 de l’arrĂȘt), la Cour se livre Ă  un examen approfondi du lien entre la mesure et l’objectif. En l’espĂšce, ce lien a Ă©tĂ© tenu pour acquis sans autre demande ou justification adressĂ©e au Gouvernement.

Nécessaire, dans une société démocratique

9.  La Cour a affirmĂ© que, mĂȘme lorsqu’il existe une ample marge d’apprĂ©ciation au titre de l’article 8, le Gouvernement doit toujours prĂ©senter des « motifs pertinents et suffisants Â» pour justifier l’ingĂ©rence (Zaieţ c. Roumanie, no 44958/05, § 50, 24 mars 2015 ; Hanzelkovi c  RĂ©publique tchĂšque, no 43643/10, § 72, 11 dĂ©cembre 2014 ; Winterstein et autres c. France, no 27013/07, §§ 75-76, 17 octobre 2013 ; et S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 101, CEDH 2008)[51]. S’agissant de mesures gĂ©nĂ©rales portant atteinte Ă  un droit au titre de l’article 8, la Cour a formulĂ© les considĂ©rations suivantes : « PremiĂšrement, [la Cour] peut apprĂ©cier le contenu matĂ©riel de la dĂ©cision du gouvernement, en vue de s’assurer qu’elle est compatible avec l’article 8. DeuxiĂšmement, elle peut se pencher sur le processus dĂ©cisionnel, afin de vĂ©rifier si les intĂ©rĂȘts de l’individu ont Ă©tĂ© dĂ»ment pris en compte Â» (Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 99, CEDH 2003‑VIII).

10.  Une mesure d’ingĂ©rence qui sert le but susmentionnĂ© est une mesure gĂ©nĂ©rale. Selon la Cour, « pour dĂ©terminer la proportionnalitĂ© d’une mesure gĂ©nĂ©rale, la Cour doit commencer par Ă©tudier les choix lĂ©gislatifs Ă  l’origine de la mesure (James et autres, prĂ©citĂ©, § 36). La qualitĂ© de l’examen parlementaire et judiciaire de la nĂ©cessitĂ© de la mesure rĂ©alisĂ© au niveau national revĂȘt une importance particuliĂšre Ă  cet Ă©gard, y compris pour ce qui est de l’application de la marge d’apprĂ©ciation pertinente (Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 108, CEDH 2013 (extraits)).

11.  Il ressort de l’histoire lĂ©gislative de la loi de 2004 que, pendant des dĂ©cennies, la question n’a pas Ă©tĂ© rĂ©glementĂ©e en Italie en raison de divergences de vues persistantes au sein de la sociĂ©tĂ© et parmi les professionnels. Les divisions ont continuĂ© pendant des annĂ©es de dĂ©bats parlementaires. Les opposants au projet d’interdiction[52] soutenaient qu’il reflĂ©tait une conviction idĂ©ologique spĂ©cifique, tandis que ses partisans estimaient qu’il servait la protection de la vie et de la famille, et constituait une solution conforme au droit naturel, et non aux diktats de la religion catholique. Les divisions se sont poursuivies jusqu’au dĂ©bat final[53].

12.  Le Gouvernement n’a fourni aucun Ă©lĂ©ment dĂ©montrant qu’il y ait eu une discussion parlementaire approfondie sur le sort des embryons dĂ©jĂ  cryoconservĂ©s au moment de l’entrĂ©e en vigueur de la nouvelle loi[54]. De plus, la loi a Ă©tĂ© adoptĂ©e Ă  la majoritĂ©, dans un climat trĂšs polĂ©mique[55]. Le dĂ©bat parlementaire italien a donc Ă©tĂ© diffĂ©rent de celui examinĂ© dans l’affaire Animal Defenders International prĂ©citĂ©e, dans laquelle, notamment, il y avait un soutien transversal de tous les partis reprĂ©sentĂ©s au Parlement. Par ailleurs, rien ne prouve que les droits ou la situation personnelle de la requĂ©rante aient Ă©tĂ© pris en compte ; la loi comporte une interdiction globale qui prive la requĂ©rante de son droit Ă  la libertĂ© de choix. Contrairement Ă  la situation dans l’affaire Animal Defenders International, prĂ©citĂ©e, il ne pouvait pas y avoir d’analyse de proportionnalitĂ© interne dans son affaire. Non seulement cette interdiction gĂ©nĂ©rale ignore le droit Ă  l’autodĂ©termination de la requĂ©rante concernant une dĂ©cision privĂ©e importante, mais elle le fait de maniĂšre absolue et imprĂ©visible. La loi ne contient aucune rĂšgle transitoire qui aurait pu permettre Ă  l’autoritĂ© compĂ©tente de prendre en considĂ©ration la situation spĂ©cifique de la requĂ©rante, dont les embryons obtenus Ă  partir d’une FIV ont Ă©tĂ© placĂ©s en cryoconservation en 2002 et dont le mari est dĂ©cĂ©dĂ© en 2003, trois mois avant l’entrĂ©e en vigueur de la loi.

13.  Contrairement Ă  l’intĂ©rĂȘt moral clairement exprimĂ© par la requĂ©rante, et au fort intĂ©rĂȘt social dans la recherche scientifique en jeu, qui a prĂȘtĂ© un poids considĂ©rable au droit par ailleurs pas « particuliĂšrement important » de la requĂ©rante, la majoritĂ© observe simplement que le lĂ©gislateur italien s’est livrĂ© Ă  un examen approfondi de cette question avant d’élaborer la loi de 2004 (paragraphe 184). Comme mentionnĂ© ci-dessus, les conditions requises Ă  cet Ă©gard dĂ©gagĂ©es dans les affaires Hatton et autres et Animal Defenders International (prĂ©citĂ©) ne sont pas remplies. En l’absence de raison claire ressortant du dĂ©bat parlementaire, ce n’est que lorsque le gouvernement offre des explications suffisamment prĂ©cises que la Cour peut examiner de maniĂšre adĂ©quate pourquoi l’interdiction globale sur les dons Ă©tait nĂ©cessaire lorsqu’on la met en balance avec le choix personnel de la requĂ©rante. Le passage des travaux prĂ©paratoires citĂ© par la Cour n’explique pas pourquoi il est indispensable d’interdire les dons pour respecter la prĂ©fĂ©rence morale supposĂ©e des Italiens pour les embryons dans les circonstances de l’espĂšce. Étant donnĂ© que le Gouvernement ne peut contraindre une personne Ă  utiliser ses embryons pour crĂ©er un ĂȘtre humain sans son consentement, une interdiction globale de toutes les autres utilisations visant Ă  promouvoir la vie (telles que la recherche mĂ©dicale) non seulement constitue une restriction excessive au droit individuel Ă  l’autodĂ©termination, mais elle ignore Ă©galement les valeurs consacrĂ©es par l’article 33 de la Constitution italienne[56] ainsi que le systĂšme de valeurs de la Convention, qui reconnaĂźt l’intĂ©rĂȘt de l’article 10 dans la recherche scientifique (Mustafa Erdoğan et autres c. Turquie, nos 346/04 et 39779/04, §§ 40-41, 27 mai 2014). Plus important, la protection de la vie ne peut pas ĂȘtre invoquĂ©e, non seulement parce que la signification et le poids de cet argument demeurent contestĂ©s en ce qui concerne les embryons de la requĂ©rante mais Ă©galement parce que ces embryons, malgrĂ© leur potentialitĂ© de vie, n’ont aucune chance de devenir des ĂȘtres humains. Quant aux embryons en gĂ©nĂ©ral en Italie, le devoir de protĂ©ger le potentiel d’un embryon non viable ne peut exister de maniĂšre absolue en droit italien Ă©tant donnĂ© que mĂȘme un fƓtus viable peut faire l’objet d’un avortement[57].

14.  La requĂ©rante en l’espĂšce Ă©tait face Ă  un choix impossible et imprĂ©visible. Au mieux, les choix qui lui Ă©taient ouverts Ă©taient d’utiliser les embryons elle-mĂȘme, de laisser un autre couple les utiliser, ou de laisser son matĂ©riel gĂ©nĂ©tique dĂ©pĂ©rir indĂ©finiment jusqu’au moment (inconnu et impossible Ă  connaĂźtre) oĂč les embryons ne seront plus viables ou seront susceptibles d’ĂȘtre utilisĂ©s Ă  des fins de procrĂ©ation, contrairement Ă  son souhait clairement exprimĂ©.

15.  Vu l’ñge de la requĂ©rante, il ne lui serait pas possible d’utiliser les cinq embryons elle-mĂȘme. De plus, selon un tĂ©moignage d’expert prĂ©sentĂ© Ă  l’audience devant la Cour et non contestĂ© par le Gouvernement, ses embryons ne pourraient pas, en pratique, ĂȘtre utilisĂ©s par un autre couple en raison de leur Ăąge et parce qu’ils n’ont pas Ă©tĂ© soumis Ă  des tests adĂ©quats au moment de leur crĂ©ation. DĂšs lors, en rĂ©alitĂ©, ces embryons ne seront pas utilisĂ©s pour crĂ©er une vie humaine car ils ne seront jamais implantĂ©s dans un utĂ©rus[58]. Cette rĂ©alitĂ© mĂ©dicale n’est pas contestĂ©e par le Gouvernement.

16.  Plus important, la requĂ©rante a fait clairement le choix de ne pas autoriser l’utilisation de ses embryons Ă  des fins de procrĂ©ation.

17.  L’intĂ©rĂȘt de la requĂ©rante Ă  donner ses embryons Ă  la recherche scientifique, plutĂŽt que de les laisser sans utilisation, est une dĂ©cision profondĂ©ment personnelle et morale. Ce choix se fonde sur le souhait d’honorer la mĂ©moire de son partenaire dĂ©cĂ©dĂ© et de soutenir une recherche mĂ©dicale prĂ©cieuse pouvant potentiellement sauver des vies[59]. Selon le tĂ©moignage d’expert prĂ©sentĂ© Ă  l’audience (et beaucoup d’autres sources internationales mĂ©dicales et scientifiques), les recherches provenant des cellules souches des embryons sont actuellement utilisĂ©es dans le cadre d’essais cliniques pour les blessures mĂ©dullaires, la maladie de Parkinson et d’autres maladies qui sont actuellement incurables ou difficiles Ă  soigner. Les pays qui autorisent de telles recherches ont dĂ©veloppĂ© des formes sophistiquĂ©es de consentement Ă©clairĂ© pour assurer que les embryons sont utilisĂ©s de maniĂšre Ă©thique[60]. Pareilles recherches utilisent les cellules pluripotentes (indiffĂ©renciĂ©es) crĂ©Ă©es dans le cadre des procĂ©dures de FIV pour mieux comprendre le dĂ©veloppement humain et dĂ©couvrir de nouvelles modalitĂ©s de traitement de maladies qui sont dĂ©vastatrices et incurables pour de nombreuses personnes dans le monde entier[61]. Les cellules crĂ©Ă©es dans le cadre de procĂ©dures de FIV constituent un matĂ©riel biologique unique et prĂ©cieux, que la requĂ©rante souhaitait mettre Ă  disposition pour qu’il soit utilisĂ© plutĂŽt que de le voir perdre sa viabilitĂ© en demeurant congelĂ© indĂ©finiment.

18.  Que le souhait du Gouvernement de protĂ©ger la potentialitĂ© de vie des embryons pĂšse ou non plus lourd que l’intĂ©rĂȘt de la requĂ©rante Ă  utiliser son propre matĂ©riel gĂ©nĂ©tique pour contribuer Ă  la science qui sauve des vies est une question qui ne peut ĂȘtre Ă©cartĂ©e sans rĂ©flexion. Le prĂ©sent arrĂȘt est dĂ©nuĂ© de toute analyse sur la proportionnalitĂ©, et ne prend pas en compte l’intĂ©rĂȘt important des tiers Ă  profiter des bĂ©nĂ©fices en matiĂšre de santĂ© dĂ©coulant des dĂ©couvertes scientifiques. En disant simplement qu’il n’existe pas de consensus europĂ©en sur la question de savoir si les embryons surnumĂ©raires produits dans le cadre de FIV peuvent ĂȘtre utilisĂ©s par la recherche scientifique, la Cour s’écarte des normes bien Ă©tablies dans sa jurisprudence. Bien entendu, il existe une marge d’apprĂ©ciation quant Ă  cette question, mais cela ne signifie pas que la loi peut intervenir selon toute modalitĂ© que le Gouvernement estime adĂ©quate. La mesure doit toujours ĂȘtre proportionnĂ©e Ă  l’ingĂ©rence dans les droits du requĂ©rant.

19.  Afin que l’ingĂ©rence soit proportionnĂ©e, le Gouvernement doit fournir des motifs lĂ©gitimes (pertinents et suffisants). À supposer mĂȘme, eu Ă©gard Ă  l’arrĂȘt en l’affaire Evans (prĂ©citĂ©, § 81) qu’il existe une ample marge d’apprĂ©ciation dans les cas de FIV « dĂšs lors que le recours au traitement par FIV suscite de dĂ©licates interrogations d’ordre moral et Ă©thique, qui s’inscrivent dans un contexte d’évolution rapide de la science et de la mĂ©decine Â»[62], il reste que l’ingĂ©rence ne peut pas ĂȘtre arbitraire. En Italie, tant l’avortement que la recherche sur les lignĂ©es de cellules souches Ă©trangĂšres sont autorisĂ©s. La loi ignore l’intĂ©rĂȘt Ă  prĂ©venir la souffrance humaine rĂ©elle par la recherche scientifique au nom de la protection d’une potentialitĂ© de vie, qui, de plus, ne pourra jamais se matĂ©rialiser dans les circonstances de l’espĂšce. Je ne vois pas pourquoi on attache une importance prĂ©pondĂ©rante Ă  une potentialitĂ© de vie alors que le droit italien autorise bien l’avortement d’un fƓtus viable et que, dans les circonstances particuliĂšres de l’espĂšce, cette potentialitĂ© ne peut pas se matĂ©rialiser en l’absence du consentement de la requĂ©rante. Cette attitude et l’explication y relative sont non seulement incohĂ©rentes, mais tout simplement – irrationnelles et, en soi, ne sauraient reprĂ©senter une justification suffisante pour la proportionnalitĂ© de la mesure.

 



[1].  Andorre, ArmĂ©nie, Autriche, AzerbaĂŻdjan, Belgique, Bosnie-HerzĂ©govine, Bulgarie, Croatie, RĂ©publique TchĂšque, Estonie, Finlande, France, GĂ©orgie, Allemagne, GrĂšce, Hongrie, Irlande, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, « ex-RĂ©publique yougoslave de MacĂ©doine Â», Malte, RĂ©publique de Moldova, Monaco, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Russie, Saint-Marin, Serbie, Slovaquie, SlovĂ©nie, Espagne, SuĂšde, Suisse, Turquie, Royaume-Uni et Ukraine.

[2].  Bulgarie, RĂ©publique TchĂšque, Estonie, Finlande, « ex-RĂ©publique yougoslave de MacĂ©doine Â», France, GrĂšce, Hongrie, Pays-Bas, Portugal, Serbie, SlovĂ©nie, Espagne et Suisse.

[3]  Cellules embryonnaires non encore diffĂ©renciĂ©es et dont chacune, isolĂ©e, est capable de se dĂ©velopper en un organisme entier (Larousse dictionnaire mĂ©dical).

[4].  Ă€ mon avis, le non-Ă©puisement des voies de recours internes est la seule question problĂ©matique, mais cette objection a Ă©tĂ© Ă©cartĂ©e comme il se devait au vu de la position expresse de la Cour constitutionnelle italienne, laquelle a ajournĂ© l’examen d’une affaire qui soulevait la mĂȘme question juridique, dans l’attente de la dĂ©cision de la Grande Chambre en l’espĂšce (paragraphe 53 de l’arrĂȘt).

[5].  RĂ©solution 29 C/17 de la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de l’UNESCO, UNESCO GC, 29e session (11 novembre 1997), adoptĂ©e Ă  l’unanimitĂ© et par acclamation. Voir aussi les Orientations pour la mise en Ɠuvre de la DĂ©claration universelle sur le gĂ©nome humain et les droits de l’homme, annexĂ©es Ă  la RĂ©solution 30 C/23 (16 novembre 1999). Ces rĂ©solutions avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© anticipĂ©es par la DĂ©claration de l’Association mĂ©dicale mondiale sur les principes Ă©thiques applicables Ă  la recherche mĂ©dicale impliquant des ĂȘtres humains, Ă©voquĂ©e ci-dessous dans la prĂ©sente opinion.

[6].  RĂ©solution de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies A/RES/53/152, 9 dĂ©cembre 1998, adoptĂ©e sans vote.

[7].  Le Conseil des organisations internationales des sciences mĂ©dicales (CIOMS) est une organisation internationale non gouvernementale et Ă  but non lucratif Ă©tablie conjointement par l’OMS et l’UNESCO en 1949. Comme celles de 1982 et de 1993, les Lignes directrices du CIOMS de 2002 visent Ă  aider les États Ă  dĂ©finir leurs politiques nationales en matiĂšre d’éthique de la recherche biomĂ©dicale impliquant des sujets humains.

[8].  Voir aussi la publication de l’OMS « Standards and Operational Guidance for Ethics Review of Health-related Research with Human Participants Â», 2011. En 2003, l’OMS avait dĂ©jĂ  adoptĂ© la Guideline for Obtaining Informed Consent for the Procurement and Use of Human Tissues, Cells and Fluids in Research, qui vise Ă  aider les chercheurs Ă  gĂ©rer les questions Ă©thiques liĂ©es aux modes d’obtention, d’utilisation et enfin d’élimination du matĂ©riel de recherche clinique, ainsi que la question du consentement Ă©clairĂ©. Cette recommandation s’applique aussi au matĂ©riel biologique humain auparavant recueilli et conservĂ© dans un dĂ©pĂŽt. Elle indique que le versement d’une somme d’argent ou toute autre incitation Ă  donner du tissu embryonnaire est expressĂ©ment prohibĂ©e.

[9].  RĂ©solution 32 C/15 de la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de l’UNESCO, UNESCO GC, 32e session (2003).

[10].  RĂ©solution 280 de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies, cinquante-neuviĂšme session (23 mars 2005), ONU, document A/RES/59/280.  La dĂ©claration a Ă©tĂ© adoptĂ©e Ă  l’issue d’un vote oĂč 84 États se sont prononcĂ©s pour, 34 pays contre, et 37 pays se sont abstenus.

[11].  ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de l’UNESCO, 33e session (2005).

[12].  ComitĂ© international de bioĂ©thique de l’UNESCO, « L’utilisation des cellules souches embryonnaires pour la recherche thĂ©rapeutique : rapport du CIB sur les aspects Ă©thiques des recherches sur les cellules embryonnaires Â», BIO-7/00/GT-1/2(Rev.3), 6 avril 2001. CrĂ©Ă© en 1993, le CIB se compose de 36 experts indĂ©pendants qui suivent les avancĂ©es dans les sciences de la vie.

[13].  ComitĂ© international de bioĂ©thique de l’UNESCO, Rapport du CIB sur le diagnostic gĂ©nĂ©tique prĂ©-implantatoire et les interventions sur la lignĂ©e germinale, SHS-EST/02/CIB-9/2(Rev.3), 24 avril 2003.

[14].  ComitĂ© international de bioĂ©thique de l’UNESCO, Rapport du CIB sur le clonage humain et la gouvernance internationale, SHS/EST/CIB-16/09/CONF.503/2 Rev.2, juin 2009.

[15].  ComitĂ© international de bioĂ©thique de l’UNESCO, Avis du CIB sur la brevetabilitĂ© du gĂ©nome humain, huitiĂšme session de l’UNESCO (CIB), Paris, 12-14 septembre 2001.

[16].  RĂ©solution no 23/81, OEA/Ser. L/V/II.54, doc.9 rev.1. § 18 b) (6 mars 1981).

[17].  Affaire « Baby Boy Â» c. États-Unis, CIDH 2141/1981, 6 mars 1981.

[18].  CIDH, Affaire Artavia Murillo et autres (fĂ©condation in vitro) c. Costa Rica. Exceptions prĂ©liminaires, fond, rĂ©paration et frais, arrĂȘt du 28 novembre 2012, sĂ©rie C no 257,  §§ 315-317.

[19].  Draft African Charter on Human and Peoples’ Rights, art. 17, OUA. doc. CAB/LEG/67/1 (1979).

[20].  RĂ©solution de l’Organisation de l’unitĂ© africaine AHG/Res.254 (XXXII).

 

[21].  Le Commentary of the Charter, Ă©tabli par le RĂ©seau UE d’experts indĂ©pendants en matiĂšre de droits fondamentaux, explique que l’article 3 (paragraphe 2) a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© dans le but de limiter certaines pratiques en matiĂšre de mĂ©decine et de biologie. Il indique par ailleurs que les quatre principes qui s’y trouvent consacrĂ©s ne sont pas exhaustifs et doivent ĂȘtre lus dans le sens des dispositions de la Convention d’Oviedo.

[22].  Voir aussi les rĂšgles de l’Union europĂ©enne sur le financement en matiĂšre de recherche et de dĂ©veloppement technologique, Ă©voquĂ©es aux paragraphes 62 Ă  64 de l’arrĂȘt. Il est d’usage d’exclure les projets qui prĂ©voient des activitĂ©s de recherche impliquant la destruction d’embryons humains, notamment pour l’obtention de cellules souches.

[23].  Avis du GEE no 12, Les aspects Ă©thiques de la recherche impliquant l’utilisation d’embryons humains dans le contexte du 5e programme-cadre de recherche, 23 novembre 1998. Le GEE est un organe indĂ©pendant qui conseille la Commission europĂ©enne sur les questions Ă©thiques dans la science et les nouvelles technologies, dans le contexte de la lĂ©gislation et de la politique.

[24].  Avis du GEE no 15, Les aspects Ă©thiques de la recherche sur les cellules souches humaines et leur utilisation, 14 novembre 2000.

[25].  Avis du GEE no 16, Les aspects Ă©thiques de la brevetabilitĂ© des inventions impliquant des cellules souches humaines, 7 mai 2002.

[26].  Avis du GEE no 22, Recommendations on the ethical review of hESC FP7 research projects, 20 juin 2007.

[27].  Le point de dĂ©part de l’AssemblĂ©e Ă©tait que « dĂšs la fĂ©condation de l’ovule, la vie humaine se dĂ©veloppe de maniĂšre continue, si bien que l’on ne peut faire de distinction au cours des premiĂšres phases (embryonnaires) de son dĂ©veloppement Â». Dans sa Recommandation 874 (1979) sur une Charte europĂ©enne des droits de l’enfant, l’AssemblĂ©e avait dĂ©jĂ  affirmĂ© « [l]es droits de chaque enfant Ă  la vie dĂšs le moment de sa conception Â».

[28].  Voir aussi la RĂ©solution 1934 (2013) sur l’éthique dans la science et la technologie.

[29].  La Convention (STE no 164) a Ă©tĂ© adoptĂ©e le 4 avril 1997 Ă  Oviedo, en Espagne, et est entrĂ©e en vigueur le 1er dĂ©cembre 1999. À ce jour, elle a Ă©tĂ© ratifiĂ©e par 29 États. Le Protocole additionnel portant interdiction du clonage d’ĂȘtres humains (STE no 168) a Ă©tĂ© adoptĂ© le 12 janvier 1998 et est entrĂ© en vigueur le 1er mars 2001. Le Protocole additionnel relatif Ă  la recherche biomĂ©dicale (STE no 195), adoptĂ© le 25 janvier 2005 et entrĂ© en vigueur le 1er septembre 2007, couvre tout l’éventail des activitĂ©s de recherche en matiĂšre de santĂ© impliquant des interventions sur les ĂȘtres humains, y compris sur les fƓtus et les embryons in vivo.

[30].  Soulignons que l’article 14 est l’une des dispositions absolues de la Convention d’Oviedo, comme il ressort de l’article 26 Â§ 2.

[31].  Voir les paragraphes 8-20 et 165 du rapport explicatif de la Convention d’Oviedo.

[32].  En cela, je souscris sans rĂ©serve Ă  la conclusion de la Grande Chambre selon laquelle la Convention d’Oviedo tĂ©moigne d’un rĂ©trĂ©cissement de la marge d’apprĂ©ciation laissĂ©e aux États membres du Conseil de l’Europe (paragraphe 182 de l’arrĂȘt). Dans Evans c. Royaume-Uni ([GC], no 6339/05, CEDH 2007‑I), affaire qui portait Ă©galement sur le sort d’embryons humains congelĂ©s, les parties et la Cour s’étaient accordĂ©es Ă  dire que l’article 8 Ă©tait applicable et que l’affaire concernait le droit de la requĂ©rante au respect de sa vie privĂ©e. Dans leur convaincante opinion dissidente commune, les juges TĂŒrmen, Tsatsa-Nikolovska, Spielmann et Ziemele avaient dĂ©clarĂ© : « [u]ne affaire aussi sensible que celle‑ci ne peut ĂȘtre tranchĂ©e sur une base simpliste et mĂ©canique consistant Ă  dire qu’il n’y a aucun consensus en Europe et que, dĂšs lors, l’État dĂ©fendeur bĂ©nĂ©ficie d’une ample marge d’apprĂ©ciation, qui s’étend aux rĂšgles adoptĂ©es (...) La marge d’apprĂ©ciation ne doit (...) pas empĂȘcher la Cour d’exercer son contrĂŽle, en particulier relativement Ă  la question de savoir si un juste Ă©quilibre a Ă©tĂ© mĂ©nagĂ© entre tous les intĂ©rĂȘts conflictuels en jeu au niveau interne. La Cour ne devrait pas utiliser le principe de la marge d’apprĂ©ciation comme un simple substitut pragmatique Ă  une approche rĂ©flĂ©chie du problĂšme de la portĂ©e adĂ©quate de son contrĂŽle. Â» Un commentaire identique pourrait s’appliquer Ă  l’affaire Parrillo.

[33].  Voir les paragraphes 161 et 162 du rapport explicatif de la Convention d’Oviedo. En cas de conflit entre la libertĂ© de la recherche et la protection Ă  offrir aux embryons, les États parties peuvent aller au-delĂ  de l’obligatoire protection « adĂ©quate Â» qui est due Ă  ceux-ci et adopter des politiques prohibitives.

[34].  Rappelons que la Recommandation 934 (1982) de l’APCE relative Ă  l’ingĂ©nierie gĂ©nĂ©tique avait dĂ©jĂ  appelĂ© les États Ă  « prĂ©voir la reconnaissance expresse, dans la Convention europĂ©enne des Droits de l’Homme, du droit Ă  un patrimoine gĂ©nĂ©tique n’ayant subi aucune manipulation, sauf en application de certains principes reconnus comme pleinement compatibles avec le respect des droits de l’homme (par exemple dans le domaine des applications thĂ©rapeutiques) Â». En fait, la Convention n’est pas indiffĂ©rente Ă  la crĂ©ation et Ă  l’instrumentalisation des embryons aux fins de l’expĂ©rimentation scientifique, Ă  la crĂ©ation d’hybrides ou au clonage d’ĂȘtres humains. Ce sont des questions essentielles relevant de la protection de ce que l’on peut sur le plan ontologique dĂ©finir comme une forme de vie humaine, questions qui entrent assurĂ©ment dans le champ d’application de la Convention. Je ne vois pas comment on peut au regard de la Convention accepter une ample marge d’apprĂ©ciation si une partie contractante veut, par exemple, mettre en Ɠuvre une politique prĂ©natale eugĂ©nique ou raciste.

[35].  En fait, la requĂ©rante a une position contradictoire, car elle affirme Ă©galement avoir un droit de propriĂ©tĂ© sur ses embryons. Il n’est pas acceptable d’invoquer Ă  la fois un droit de propriĂ©tĂ© et un droit au respect de la vie privĂ©e Ă  l’égard d’embryons humains « possĂ©dĂ©s Â». Sauf si cela implique que le fait d’utiliser des ĂȘtres humains – en l’espĂšce des embryons humains â€“ et d’en disposer est une maniĂšre de maintenir une relation avec eux.

[36].  Ce n’est pas une nouvelle dĂ©claration de principe de la Cour, comme le montre le  paragraphe 59 de l’arrĂȘt Costa et Pavan c. Italie. Compte tenu des circonstances fort exceptionnelles de l’espĂšce sur le plan humain, j’ai votĂ© dans le sens des conclusions contenues dans Costa et Pavan et je souscris naturellement au principe Ă©noncĂ© au paragraphe 59 de cet arrĂȘt. Toutefois, je dois Ă©galement prĂ©ciser aujourd’hui que la deuxiĂšme section n’avait pas l’intention de crĂ©er un droit nouveau dĂ©coulant de la Convention de devenir parent d’un enfant en bonne santĂ©, donc un « droit Â» nĂ©gatif et illimitĂ© Ă  l’« autodĂ©termination Â» consistant Ă  disposer d’embryons non implantĂ©s. Pareil droit n’a Ă©tĂ© Ă©tabli ni explicitement ni implicitement par l’arrĂȘt en question. C’est le principe de nĂ©cessitĂ© qui a Ă©tĂ© dĂ©terminant dans l’arrĂȘt, dans la mesure oĂč le critĂšre de la mesure moins intrusive envisage une atteinte minimale aux intĂ©rĂȘts concurrents en posant la question de savoir s’il existe un moyen aussi efficace mais moins intrusif de rĂ©pondre au mĂȘme besoin social. La Cour a ainsi reconnu la pertinence du principe de prĂ©caution dans l’apprĂ©ciation des interventions en milieu mĂ©dical, qui vise Ă  Ă©viter Ă  tous les stades de la vie humaine les interventions lourdes au profit de celles qui le sont moins (sur le principe de prĂ©caution dans l’ordre juridique italien, voir l’avis du Comitato Nazionale per la Bioetica intitulĂ© « Principe de prĂ©caution : aspects bioĂ©thiques, philosophiques et juridiques Â», du 8 juin 2004). Bien que le paragraphe 65 de l’arrĂȘt Costa et Pavan emploie le terme « droit Â», cette fĂącheuse maladresse de plume ne doit pas ĂȘtre prise littĂ©ralement, car le mĂȘme arrĂȘt parle Ă©galement, au paragraphe 57, du « dĂ©sir Â» des parents d’avoir un enfant en bonne santĂ©. Les circonstances propres Ă  l’affaire Costa et Pavan ne sont en rien semblables Ă  la prĂ©sente espĂšce, et ne peuvent assurĂ©ment pas ĂȘtre utilisĂ©es pour justifier un « droit nĂ©gatif Â» et illimitĂ© de dĂ©cider du sort d’embryons non implantĂ©s.

[37].  Voir le raisonnement clair qui est tenu dans l’arrĂȘt no 27 du 18 fĂ©vrier 1975 (Ritiene la Corte che la tutela del concepito – che giĂ  viene in rilievo nel diritto civile (artt. 320, 339, 687 c.c.) â€“ abbia fondamento costituzionale. L’art. 31, secondo comma, della Costituzione impone espressamente la « protezione della maternitĂ  Â» e, piĂč in generale, l’art. 2 Cost. riconosce e garantisce i diritti inviolabili dell’uomo, fra i quali non puĂČ non collocarsi, sia pure con le particolari caratteristiche sue proprie, la situazione giuridica del concepito) et dans l’arrĂȘt no 35 du 30 janvier 1997 (il diritto alla vita, inteso nella sua estensione piĂč lata, sia da iscriversi tra i diritti inviolabili, e cioĂš tra quei diritti che occupano nell’ordinamento una posizione, per dir cosĂŹ, privilegiata, in quanto appartengono – per usare l’espressione della sentenza n. 1146 del 1988 â€“ « all’essenza dei valori supremi sui quali si fonda la Costituzione italiana Â»). Voir aussi les avis du Comitato Nazionale per la Bioetica (ComitĂ© national italien pour la bioĂ©thique) des 22 juin 1996 (identitĂ© et statut de l’embryon humain), 27 octobre 2000 (utilisation thĂ©rapeutique de cellules souches), 11 avril 2003 (recherches utilisant des embryons et des cellules souches humains), 16 juillet 2004 (utilisation Ă  des fins de recherche de lignĂ©es de cellules h1 et h9 issues d’embryons humains), 15 juillet 2005 (considĂ©rations bioĂ©thiques concernant l’ Â« ootide Â»), 18 novembre 2005 (adoption pour la naissance d’embryons cryoconservĂ©s issus de la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e (PMA), 26 octobre 2007 (le sort d’embryons issus de la PMA et ne rĂ©pondant pas aux conditions de l’implantation) et 26 juin 2009 (chimĂšres et hybrides, avec une attention particuliĂšre pour les hybrides cytoplasmiques).

[38].  Je ne puis dĂšs lors souscrire au raisonnement tenu aux paragraphes 176 et 180, dans lesquels la Cour, tout en Ă©voquant les arrĂȘts Evans, S.H. et autres et Knecht, conclut que les « questions d’ordre Ă©thique et moral que la notion de commencement de la vie humaine comporte Â» appellent une « ample marge de discrĂ©tion Â».

 

[39].  La mĂȘme conclusion peut ĂȘtre tirĂ©e de S.H. et autres c. Autriche (GC), no 57813/00, § 82, 3 novembre 2011.

[40].  L’article 16 du Projet d’articles sur la responsabilitĂ© de l’État pour fait internationalement illicite (2001) pourrait ici ĂȘtre invoquĂ©.

[41].  Voir, par exemple, Vo c. France ([GC], n° 53924/00, § 75 et 80, CEDH 2004‑VIII), Evans c. Royaume-Uni ([GC], n° 6339/05, CEDH 2007‑I), Dickson c. Royaume-Uni ([GC], n° 44362/04, CEDH 2007‑V), BrĂŒggemann et Scheuten c. Allemagne (n° 6959/75, rapport de la Commission du 12 juillet 1977, DĂ©cisions et rapports (DR) 10, p. 100), et H. c. NorvĂšge (n° 17004/90, dĂ©cision de la Commission du 19 mai 1992, DR 73, p. 155).

[42].  Voir, par exemple, Dickson, prĂ©citĂ©, Evans, prĂ©citĂ©, et S.H. et autres c. Autriche ([GC], n° 57813/00, CEDH 2011).

[43].  Cela n’implique pas que les cellules en question font partie intĂ©grante de l’« identitĂ© biologique Â» de la requĂ©rante, comme le dĂ©crit l’arrĂȘt, mais plutĂŽt que l’intĂ©ressĂ©e a le droit de contrĂŽle principal sur son empreinte gĂ©nĂ©tique.

[44].  Evans, prĂ©citĂ©. Bien entendu, l’affaire Evans n’est qu’en partie pertinente pour la prĂ©sente espĂšce, puisque les droits de la requĂ©rante en cause en l’espĂšce ne touchent pas Ă  la parentalitĂ©.

[45].  Bien que la requĂ©rante ne paie rien, actuellement, pour le stockage de ses embryons, il n’existe selon elle aucune disposition juridique qui empĂȘcherait le service de stockage mĂ©dical de mettre ces frais Ă  sa charge. Le Gouvernement n’a pas contestĂ© cette observation.

[46].  Une question reste un mystĂšre Ă  mes yeux : pourquoi l’absence de consensus europĂ©en sur l’existence d’un droit est si souvent interprĂ©tĂ©e contre l’existence de ce droit, alors mĂȘme que l’existence d’un tel droit peut ĂȘtre dĂ©duite de la notion autonome d’un droit fondĂ© sur la Convention, aussi, par exemple, Ă  la lumiĂšre des Ă©volutions du droit international et des rĂ©alitĂ©s sociales. Si l’exercice d’une libertĂ© a Ă©tĂ© autorisĂ© au moins dans certains pays, cela devrait alors crĂ©er une prĂ©somption en faveur de ce droit fondĂ© sur la Convention dĂšs lors que celui-ci est par ailleurs compatible avec une interprĂ©tation raisonnable de la signification et de la portĂ©e du droit en question. Cela n’exclut pas la possibilitĂ© qu’il peut y avoir de bonnes raisons dans un autre pays pour restreindre ce doit. Ou disons-nous que la reconnaissance de la portĂ©e plus large d’un droit dans plusieurs pays est arbitraire et dĂ©nuĂ©e de pertinence ?

Avec la thĂ©orie controversĂ©e sur la marge d’apprĂ©ciation, telle qu’interprĂ©tĂ©e par la Cour, l’État est exonĂ©rĂ© de l’obligation de fournir une justification matĂ©rielle de l’existence d’un besoin impĂ©rieux d’opĂ©rer une ingĂ©rence. Invoquer l’absence de consensus europĂ©en comme indicateur dĂ©terminant de l’absence d’une certaine signification ou portĂ©e d’un droit fondĂ© sur la Convention ignore le prĂ©ambule de celle-ci, qui Ă©voque « le dĂ©veloppement des droits de l’homme Â» comme l’un des moyens d’atteindre le but de la Convention.

[47].  Bien entendu, cela n’incombe pas Ă  la Cour. C’est au Gouvernement de savoir et d’expliquer ce qu’est le but de la lĂ©gislation en cause. Au moins pendant le dernier stade du dĂ©bat, les partisans de la loi ont expressĂ©ment niĂ© que celle-ci avait une quelconque finalitĂ© morale. Le dĂ©putĂ© Giuseppe Fioroni a dĂ©clarĂ© que la loi ne servait pas la morale catholique mais le droit naturel (19 janvier 2004).

http://legxiv.camera.it/_dati/leg14/lavori/stenografici/framedinam.asp?sedpag=sed408/s000r.htm

[48].  La Cour s’inspire des observations Ă©crites formulĂ©es par le Gouvernement au titre de l’article 1 du Protocole n° 1, dont l’applicabilitĂ© en l’espĂšce a Ă©tĂ© rejetĂ©e. Ce n’est que dans la plaidoirie orale que le Gouvernement a soutenu que la loi servait la protection de « la potentialitĂ© de vie de l’embryon Â», mais pas dans le contexte de l’article 8 § 2.

[49].  Les organes, par exemple, ne sont pas traitĂ©s purement comme des biens mais cela ne leur confĂšre pas la qualitĂ© « d’ĂȘtres humains Â». Le statut juridique du matĂ©riel biologique n’est pas Ă©vident et doit ĂȘtre prĂ©cisĂ© avant que des hypothĂšses ne puissent ĂȘtre formulĂ©es sur des droits en la matiĂšre.

En thĂ©orie juridique italienne, un « sujet Â» est un point de rĂ©fĂ©rence pour les relations juridiques, pas une personne. Toutes les personnes sont des sujets, mais tous les sujets ne sont pas des personnes (“Ogni persona Ăš soggetto, non ogni soggetto Ăš persona”) Cass., 24 juillet 1989, n° 3498, dans Foro it., 1990, I, c. 1617.

[50].  Dans l’affaire James et autres (ibidem), la Cour n’a accordĂ© qu’une « certaine marge d’apprĂ©ciation Â» qui au fil des ans s’est transformĂ© en « ample Â» marge d’apprĂ©ciation.

[51].  Voir Ă©galement la jurisprudence citĂ©e au paragraphe 167 du prĂ©sent arrĂȘt.

[52].  Des dispositions clĂ©s de la loi ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© jugĂ©es contraires Ă  la Constitution ou Ă  la Convention (paragraphes 27-39 du prĂ©sent arrĂȘt, et Costa et Pavan c. Italie, no 54270/10, 28 aoĂ»t 2012).

[53].  â€œTutti (sia il rapporto Warnock sia gli scienziati che hanno partecipato alle varie audizioni di Camera e Senato) hanno dichiarato: sĂŹ, Ăš vita, perĂČ...” « Tous (le rapport Wamock et les scientifiques qui ont participĂ© aux diffĂ©rentes audiences de la Chambre et du SĂ©nat) ont dĂ©clarĂ© : oui, la vie, mais
 Â» (La dĂ©putĂ©e Maria Burani Procaccini, dĂ©fendant le projet de loi (19 janvier 2004)).

[54].  La loi ne prĂ©voyait en aucune façon le sort Ă  rĂ©server aux embryons surnumĂ©raires. C’est uniquement le ComitĂ© national de bioĂ©thique qui a dĂ©cidĂ© ultĂ©rieurement (le 18 novembre 2005), sur des fondements juridiques incertains, que l’adoption en vue d’une naissance Ă©tait autorisĂ©e (paragraphes 19-20 du prĂ©sent arrĂȘt).

[55].  Un pourcentage de 25% des Ă©lecteurs inscrits ont participĂ© au rĂ©fĂ©rendum non valable sur la loi en 2005, 88% des votants s’étant prononcĂ©s en faveur d’une abrogation partielle.

[56].  Â« La RĂ©publique garantit la libertĂ© des arts et des sciences, qui peuvent ĂȘtre enseignĂ©s librement Â». Le Gouvernement n’a pas dĂ©montrĂ© que les valeurs constitutionnelles de la science ont Ă©tĂ© mises en balance par le Parlement, et a formulĂ© des observations uniquement sur l’utilisation des cellules pluripotentes par la recherche.

[57].  Les commentateurs ont Ă©tĂ© prompts Ă  souligner les incohĂ©rences internes de la loi. Voir Carlo Casonato, Legge 40 e principio di non contraddizione: una valutazione d’impatto normativo. Collana Quaderni del Dipartimento di Scienze Giuridiche dell'UniversitĂ  di Trento, vol. n° 47, UniversitĂ  di Trento, 2005.

[58].  Le Gouvernement s’attend peut-ĂȘtre Ă  ce que l’humanitĂ© dĂ©veloppe la facultĂ© scientifique de faire pousser un ĂȘtre humain Ă  partir d’un embryon in vitro en se passant d’un utĂ©rus ?

[59].  Un choix qui est au moins Ă©troitement liĂ© Ă  la prĂ©servation et Ă  la protection de la vie comme celui de la lĂ©gislation actuelle.

[60].  Voir le rapport de la Stanford Medical School Ă  l’adresse suivante : http://med.stanford.edu/news/all-news/2011/04/new-approach-to-ivf-embryo-donations-lets-people-weigh-decision.html.

[61].  Voir, par exemple, le tĂ©moignage du professeur de Luca; Patient Handbook on Stem Cell Therapies publiĂ© par la International Society of Stem Cell

Recherche:http://www.closerlookatstemcells.org/docs/default-source/patient-resources/patient-handbook---english.pdf; National Institutes of Health: http://stemcells.nih.gov/Pages/Default.aspx.

[62].  Je ne pense pas que les Ă©volutions rapides de la science et de la technologie soient pertinentes ici, Ă  moins que la science ne permette un jour la production de bĂ©bĂ©s en dehors de l’utĂ©rus et en dehors du corps humain ; et dans ce cas, il y aura un consensus moral que l’embryon a le droit de devenir un homuncule (ectogĂ©nĂšse), quel que soit les souhaits des donneurs. Je ne peux imaginer que pareilles considĂ©rations soient applicables en l’espĂšce, nonobstant les efforts consentis en vue de crĂ©er un ventre artificiel.