Corte
europea dei diritti dellâuomo
(GRANDE CAMERA)
27 agosto 2015
AFFAIRE PARRILLO
c. ITALIE
(RequĂȘte
no 46470/11)
ARRĂT
STRASBOURG
Cet arrĂȘt
est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En lâaffaire Parrillo c. Italie,
La Cour
europĂ©enne des droits de lâhomme, siĂ©geant en une Grande Chambre composĂ©e
de :
         Dean Spielmann, président,
         Josep Casadevall,
         Guido Raimondi,
         Mark Villiger,
         Isabelle Berro,
         Ineta Ziemele,
         George Nicolaou,
         Andrås Sajó,
         Ann Power-Forde,
         NebojĆĄa Vučinić,
         Ganna Yudkivska,
         Vincent A. De Gaetano,
         Julia Laffranque,
         Paulo Pinto de Albuquerque,
         Helen Keller,
         Faris Vehabović,
         Dmitry Dedov, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint
de la Grande Chambre,
AprĂšs en
avoir délibéré en chambre du conseil le 18 juin 2014 et 22 avril 2015,
Rend lâarrĂȘt
que voici, adopté à cette derniÚre date :
PROCĂDURE
1. Ă
lâorigine de lâaffaire se trouve une requĂȘte (no 46470/11) dirigĂ©e
contre la RĂ©publique italienne et dont une ressortissante de cet Ătat, Mme Adelina
Parrillo (« la requérante »), a saisi la Cour le 26 juillet 2011 en
vertu de lâarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lâhomme et
des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La
requĂ©rante a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©e par Mes NicolĂČ Paoletti, Claudia
Sartori et Natalia Paoletti, avocats à Rome. Le gouvernement italien (« le
Gouvernement ») a été représenté par ses co-agents, Mme Paola
Accardo et M. Gianluca Mauro Pellegrini.
3. La
requĂ©rante allĂ©guait en particulier que lâinterdiction, Ă©dictĂ©e par lâarticle
13 de la loi no 40 du 19 février 2004, de donner à la recherche scientifique des
embryons conçus par procréation
médicalement assistée était incompatible avec son droit au respect de sa vie
privĂ©e et son droit au respect de ses biens, protĂ©gĂ©s respectivement par lâarticle
8 de la Convention et lâarticle 1 du Protocole no 1 Ă la Convention.
Elle se plaignait Ă©galement dâune violation
de la libertĂ© dâexpression garantie par lâarticle 10 de la Convention, dont la recherche
scientifique constitue Ă ses yeux un aspect fondamental.
4. La
requĂȘte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă la deuxiĂšme section de la Cour
(article 52 § 1 du rÚglement de la Cour).
5. Le
28 mai 2013, les griefs tirĂ©s de lâarticle 8 de la Convention et de lâarticle 1
du Protocole no 1 à la Convention ont été communiqués au
Gouvernement et la requĂȘte a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e irrecevable pour le surplus.
6. Le
28 janvier 2014, une chambre de la deuxiĂšme section composĂ©e de Işıl
Karakaş, prĂ©sidente, Guido Raimondi, Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović, AndrĂĄs SajĂł, NebojĆĄa Vučinić et Paulo Pinto
de Albuquerque, juges, ainsi que de Stanley Naismith,
greffier de section, sâest dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des
parties ne sây Ă©tant opposĂ©e (article 30 de la Convention et article 72 du
rĂšglement).
7. La
composition de la Grande Chambre a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e conformĂ©ment Ă lâarticle 26 §§ 4
et 5 de la Convention et Ă lâarticle 24 du rĂšglement.
8. Tant
la requérante que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur la recevabilité et
sur le fond de lâaffaire.
9. Le
Centre europĂ©en pour la justice et les droits de lâhomme (lâ« ECLJ »),
les associations « Movimento per la
vita », « Scienza e
vita », « Forum delle
associazioni familiari », « Luca
Coscioni », « Amica Cicogna
Onlus », « Lâaltra cicogna
Onlus », « Cerco bimbo »,
« VOX â Osservatorio italiano sui
Diritti », « SIFES â
Society of Fertility, Sterility and Reproductive Medicine » et « Cittadinanzattiva » ainsi que quarante-six membres du
Parlement italien se sont vu accorder lâautorisation dâintervenir dans la
procédure écrite (article 36 § 2 de la Convention et article 44 § 3 du
rĂšglement).
10. Une
audience sâest dĂ©roulĂ©e en public au Palais des droits de lâhomme, Ă
Strasbourg, le 18 juin 2014 (article 59 § 3 du rÚglement).
Ont
comparu :
â pour le Gouvernement
Mme  P. Accardo                                                                         co-agente,
M.    G.
Mauro Pellegrini                                                        co-agent,
Mme  A. Morresi,
membre du Comité national
                               pour la
bioéthique et professeur de chimie
                               physique
au DĂ©partement de chimie,
                               biologie
et biotechnologie de lâuniversitĂ©
                               de Pérouse
                                                      conseillÚre,
Mme  D. Fehily,   inspectrice
et conseillĂšre technique
                               auprÚs du
Centre national de transplantation
                               de Rome                                                         conseillÚre ;
â pour
la requérante
M.    N. Paoletti ;
Mme  C. Sartori ;
Mme  N. Paoletti, avocats,                                                           conseils,
M.    M. De
Luca, professeur de biochimie et
                               directeur
du Centre pour la médecine
                               régénérative
« Stefano Ferrari » de
                               lâuniversitĂ©
de ModÚne et Reggio Emilia,      conseiller.
La Cour a
entendu en leurs déclarations Mme P. Accardo, Mme A. Morresi,
M. N. Paoletti, M. M. De Luca et Mme C. Sartori, ainsi que Mme P. Accardo,
M. G. Mauro Pellegrini, M. M. De Luca, Mme N. Paoletti et M. N.
Paoletti en leurs réponses aux questions posées par les juges.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE LâESPĂCE
11. La requérante est née en 1954 et
réside à Rome.
12. En 2002, elle eut recours aux
techniques de la procréation médicalement assistée, effectuant une fécondation in vitro avec son compagnon au Centre de
médecine reproductive du European
Hospital (« le centre ») de Rome. Les cinq embryons issus de
cette fécondation furent cryoconservés.
13. Avant quâune implantation ne soit
effectuĂ©e, le compagnon de la requĂ©rante dĂ©cĂ©da le 12 novembre 2003 lors dâun
attentat Ă Nasiriya (Iraq), alors quâil rĂ©alisait un reportage de guerre.
14. Ayant renoncĂ© Ă
démarrer une grossesse, la requérante décida de donner ses embryons à la
recherche scientifique pour contribuer au progrĂšs du traitement des maladies
difficilement curables.
15. DâaprĂšs les
informations fournies lors de lâaudience devant la Grande Chambre, la
requérante formula oralement plusieurs demandes de mise à disposition de ses
embryons auprÚs du centre dans lequel ceux-ci étaient conservés, en vain.
16. Par une lettre du
14 décembre 2011, la requérante demanda au directeur du centre de mettre à sa disposition les cinq embryons cryoconservés
afin que ceux-ci servent Ă la recherche sur les cellules souches. Le directeur
rejeta cette demande, indiquant que ce genre de recherches Ă©tait interdit et
sanctionnĂ© pĂ©nalement en Italie, en application de lâarticle 13 de la loi no 40 du 19 fĂ©vrier 2004
(« la loi no 40/2004 »).
17. Les embryons en question sont
actuellement conservĂ©s dans la banque cryogĂ©nique du centre oĂč la fĂ©condation in vitro a Ă©tĂ© effectuĂ©e.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES
PERTINENTS
A. La
loi no 40 du 19 février 2004, entrée en vigueur le 10 mars 2004
(« Normes en matiÚre de fécondation médicalement assistée »)
Article 1 â FinalitĂ©
« 1. Afin
de remĂ©dier aux problĂšmes reproductifs dĂ©coulant de la stĂ©rilitĂ© ou de lâinfertilitĂ©
humaines, il est permis de recourir à la procréation médicalement assistée dans
les conditions et selon les modalités prévues par la présente loi, qui garantit
les droits de toutes les personnes concernées, y compris ceux du sujet ainsi
conçu. »
Article 5 â Conditions dâaccĂšs
« (...) [seuls] des
couples [composés de personnes] majeur[e]s, de sexe différent, marié[e]s ou
menant une vie commune, en ùge de procréer et vivantes peuvent recourir aux
techniques de la procréation médicalement assistée. »
Article 13 â ExpĂ©rimentation sur lâembryon humain
« 1. Toute
expĂ©rimentation sur lâembryon humain est interdite.
2. La recherche clinique et expĂ©rimentale sur lâembryon
humain ne peut ĂȘtre autorisĂ©e que si elle poursuit exclusivement des finalitĂ©s
thĂ©rapeutiques et diagnostiques tendant Ă la protection de la santĂ© ainsi quâau
dĂ©veloppement de lâembryon et sâil nâexiste pas dâautres mĂ©thodes.
(...)
4. La
violation de lâinterdiction prĂ©vue Ă lâalinĂ©a 1er est punie dâune
peine de deux Ă six ans dâemprisonnement et dâune amende de 50 000 Ă 150 000
euros. (...)
5. Tout
professionnel de la santé condamné pour une infraction prévue au présent
article fera lâobjet dâune suspension dâexercice professionnel pour une durĂ©e
de un à trois ans. »
Article 14 â Limites Ă lâapplication des techniques sur lâembryon
« 1. La
cryoconservation et la suppression dâembryons sont interdites, sans prĂ©judice
des dispositions de la loi no 194 du 22 mai 1978 [normes sur la
protection sociale de la maternitĂ© et sur lâinterruption volontaire de
grossesse].
2. Les techniques de production dâembryons ne
peuvent conduire Ă la crĂ©ation dâun nombre dâembryons supĂ©rieur Ă celui
strictement nĂ©cessaire Ă la rĂ©alisation dâune implantation unique et
simultanĂ©e, ce nombre ne pouvant en aucun cas ĂȘtre supĂ©rieur Ă trois.
3. Lorsque
le transfert des embryons dans lâutĂ©rus est impossible pour des causes de force
majeure grave et prouvĂ©e concernant lâĂ©tat de santĂ© de la femme qui nâĂ©taient
pas prévisibles au moment de la fécondation, la cryoconservation des embryons
est autorisĂ©e jusquâĂ la date du transfert, qui sera effectuĂ© aussitĂŽt que
possible. »
18. Par
un arrĂȘt no 151 du 1er avril 2009 (voir les paragraphes
29-31 ci-dessous), la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnelle la
disposition du deuxiĂšme alinĂ©a de lâarticle 14 de la loi no 40/2004
selon laquelle les techniques de production dâembryons ne peuvent conduire Ă la
crĂ©ation dâun nombre dâembryons supĂ©rieur Ă celui strictement nĂ©cessaire
« Ă la rĂ©alisation dâune implantation unique et simultanĂ©e, ce nombre ne
pouvant en aucun cas ĂȘtre supĂ©rieur Ă trois ». Elle jugea
inconstitutionnel lâalinĂ©a 3 du mĂȘme article au motif quâil ne prĂ©voyait pas
que le transfert des embryons devait ĂȘtre effectuĂ© sans porter prĂ©judice Ă la
santé de la femme.
B. Lâavis du
ComitĂ© national pour la bioĂ©thique concernant lâadoption pour la naissance
(« ADP ») (18 novembre 2005)
19. Ă
la suite de lâadoption de la loi no 40/2004, le ComitĂ© national pour
la bioĂ©thique sâest penchĂ© sur la question du sort des embryons cryoconservĂ©s
en Ă©tat dâabandon, la loi ne prĂ©voyant aucune disposition spĂ©cifique Ă ce
sujet, se limitant Ă interdire implicitement lâutilisation des embryons
surnuméraires à des fins de recherche scientifique.
20. Ă
cet égard, le Comité a émis un avis favorable à l⫠adoption pour la
naissance », pratique consistant pour un couple ou une femme à adopter des
embryons surnumĂ©raires Ă des fins dâimplantation et permettant dâutiliser les
embryons en question dans une perspective de vie et de rĂ©alisation dâun projet
familial.
C. Le
décret du ministÚre de la Santé du 11 avril 2008 (« Notes explicatives en
matiÚre de procréation médicalement assistée »)
« (...)
Cryoconservation des embryons : Deux catĂ©gories dâembryons sont susceptibles de
faire lâobjet dâune cryoconservation : la premiĂšre est celle des embryons qui
sont en attente dâune implantation, y compris ceux ayant fait lâobjet dâune cryoconservation
avant lâentrĂ©e en vigueur de la loi no 40 de 2004 ; la deuxiĂšme est
celle des embryons dont lâĂ©tat dâabandon a Ă©tĂ© certifiĂ© (...). »
D. Le
rapport final de la « Commission dâĂ©tude sur les embryons » du
8 janvier 2010
21. Par
un dĂ©cret du 25 juin 2009, le ministĂšre de la SantĂ© institua une Commission dâĂ©tude
sur les embryons cryoconservés dans les centres de procréation médicalement
assistée. Le rapport final de cette commission, adopté à la majorité le 8
janvier 2010, expose ce qui suit :
« Lâinterdiction lĂ©gale
de supprimer les embryons doit ĂȘtre comprise comme signifiant que la
cryoconservation ne peut ĂȘtre interrompue que dans deux cas : lorsquâon peut
implanter lâembryon dĂ©congelĂ© dans lâutĂ©rus de la mĂšre ou dâune femme disposĂ©e
Ă lâaccueillir, ou lorsquâil est possible dâen certifier scientifiquement la
mort naturelle ou la perte dĂ©finitive de viabilitĂ© en tant quâorganisme. En lâĂ©tat
actuel des connaissances [scientifiques], on ne peut sâassurer de la viabilitĂ©
dâun embryon quâen le dĂ©congelant, situation paradoxale puisquâun embryon
dĂ©congelĂ© ne peut ĂȘtre recongelĂ© et quâil mourra inĂ©vitablement sâil nâest pas
immĂ©diatement implantĂ© in utero. DâoĂč
la perspective tutioriste dâune possible conservation sans limite de temps des embryons congelĂ©s. Quoiquâil en soit, il
y a lieu de noter que le progrĂšs de la recherche scientifique permettra de
connaßtre les critÚres et les méthodologies pour
diagnostiquer la mort ou Ă tout le moins la perte de viabilitĂ© dâembryons cryoconservĂ©s
: il sera ainsi possible de surmonter le paradoxe actuel, inévitable du point
de vue lĂ©gal, dâune cryoconservation qui pourrait ne jamais avoir de fin. Dans
lâattente de ces rĂ©sultats, [il convient de rĂ©affirmer] que lâon ne peut
ignorer que lâarticle 14 de la loi no 40 de 2004 interdit
expressĂ©ment la suppression dâembryons, y compris ceux qui sont cryoconservĂ©s.
Ă cela sâajoute que, pour ce qui est du sort des embryons surnumĂ©raires, le
législateur de la loi no 40 a choisi leur conservation et non pas
leur destruction, faisait ainsi prĂ©valoir lâobjectif de leur maintien en vie,
mĂȘme lorsque leur sort est incertain. »
E. La
Constitution de la RĂ©publique italienne
22. Les
articles pertinents de la Constitution se lisent ainsi :
Article 9
« La République promeut
le développement de la culture et de la recherche scientifique et technique. (...) »
Article 32
« La République protÚge
la santĂ© en tant que droit fondamental de lâindividu et intĂ©rĂȘt de la
collectivité. (...) »
Article 117
« Le pouvoir législatif
est exercĂ© par lâĂtat et les RĂ©gions dans le respect de la Constitution, aussi
bien que des contraintes dĂ©coulant de lâordre juridique communautaire et des
obligations internationales. (...) »
F. Les
arrĂȘts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 24
octobre 2007
23. Ces
arrĂȘts rĂ©pondent Ă des questions que la Cour de cassation et une cour
territoriale avaient soulevées quant à la compatibilité du décret-loi no 333
du 11 juillet 1992 relatif aux critĂšres de calcul des indemnitĂ©s dâexpropriation
avec la Constitution et avec lâarticle 6 § 1 de la Convention et lâarticle 1 du
Protocole no 1 Ă la Convention. Ils tiennent compte de lâarrĂȘt Scordino c. Italie (no 1) ([GC],
no 36813/97, CEDH 2006‑V) rendu par la Grande Chambre de la Cour.
24. Dans
ces arrĂȘts, aprĂšs avoir rappelĂ© lâobligation pour le lĂ©gislateur de respecter
les obligations internationales (article 117 de la Constitution), la Cour
constitutionnelle a dĂ©fini la place accordĂ©e Ă la Convention des droits de lâhomme
dans les sources du droit interne, considérant que celle-ci était une norme de
rang intermédiaire entre la loi ordinaire et la Constitution. En outre, elle a
prĂ©cisĂ© quâil appartenait au juge du fond dâinterprĂ©ter la norme interne de
maniĂšre conforme Ă la Convention des droits de lâhomme et Ă la jurisprudence de
la Cour (voir lâarrĂȘt no 349, paragraphe 26, point 6.2,
ci-dessous) et que, lorsquâune telle interprĂ©tation se rĂ©vĂ©lait impossible ou
que celui-ci avait des doutes quant à la compatibilité de la norme interne avec
la Convention, il était tenu de soulever une question de constitutionnalité
devant elle.
25. Les
passages pertinents de lâarrĂȘt no 348 du 24 octobre 2007 se lisent
comme suit :
« 4.2. (...) Il est nécessaire de
définir le rang et le rÎle des normes de la Convention européenne des droits de
lâhomme afin de dĂ©terminer, Ă la lumiĂšre de [lâarticle 117 de la Constitution],
quelle est leur incidence sur lâordre juridique italien. (...)
4.3. [En effet], si dâun cĂŽtĂ©
[ces normes] complĂštent la protection des droits fondamentaux et contribuent
ainsi Ă la mise en Ćuvre des valeurs et des principes fondamentaux protĂ©gĂ©s
aussi par la Constitution italienne, dâun autre cĂŽtĂ©, elles restent
formellement de simples sources de rang primaire. (...)
Aujourdâhui,
la Cour constitutionnelle est donc appelée à clarifier la question normative et
institutionnelle [posĂ©e ci-dessus], qui a dâimportantes consĂ©quences pratiques
pour le travail quotidien des opérateurs du droit. (...)
Le juge
ordinaire ne saurait dĂ©cider dâĂ©carter une disposition de la loi ordinaire
jugée par lui incompatible avec une norme de la Convention européenne des
droits de lâhomme, car cette incompatibilitĂ© prĂ©sumĂ©e soulĂšve une question de
constitutionnalitĂ© portant sur la violation Ă©ventuelle du premier alinĂ©a de lâarticle 117
de la Constitution et relevant [à ce titre] de la compétence exclusive du juge
des lois. (...)
4.5. (...) Le principe énoncé
au premier alinĂ©a de lâarticle 117 de la Constitution ne peut devenir
concrÚtement opérationnel que si « les obligations internationales »
contraignantes pour les pouvoirs lĂ©gislatifs de lâĂtat et des RĂ©gions sont
dûment définies. (...)
4.6. [Or] par rapport aux autres
traitĂ©s internationaux, la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme prĂ©sente
la particularitĂ© dâavoir instituĂ© un organe juridictionnel, la Cour europĂ©enne
des droits de lâhomme, ayant compĂ©tence pour interprĂ©ter les normes de la
Convention. En effet, lâarticle 32 § 1 [de la Convention] prĂ©voit que « la
compĂ©tence de la Cour sâĂ©tend Ă toutes les questions concernant lâinterprĂ©tation
et lâapplication de la Convention et de ses Protocoles qui lui seront soumises
dans les conditions prévues par les articles 33, 34, 46 et 47. ».
DĂšs lors
que les normes juridiques acquiĂšrent leur sens (vivono) au travers de lâinterprĂ©tation qui leur est donnĂ©e par les
opĂ©rateurs du droit, au premier chef les juges, il dĂ©coule naturellement de lâarticle
32 § 1 de la Convention que, en signant la Convention européenne des droits de
lâhomme et en la ratifiant, lâItalie sâest notamment engagĂ©e, au titre de ses
obligations internationales, à adapter sa législation aux normes de la
Convention selon la signification que leur attribue la Cour [européenne des
droits de lâhomme], laquelle a Ă©tĂ© instituĂ©e dans le but de les interprĂ©ter et
de les appliquer. On ne saurait donc parler dâune compĂ©tence juridictionnelle
qui sâajouterait Ă celle des organes judiciaires de lâĂtat, mais plutĂŽt dâune
fonction interprĂ©tative Ă©minente que les Ătats contractants ont reconnue Ă la
Cour européenne, contribuant ainsi à préciser leurs obligations internationales
en la matiĂšre.
4.7. Il ne faut pas en déduire
que les dispositions de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme, telles
quâinterprĂ©tĂ©es par la Cour de Strasbourg, ont valeur de normes
constitutionnelles et quâelles Ă©chappent Ă ce titre au contrĂŽle de
constitutionnalitĂ© exercĂ© par la Cour constitutionnelle. Il est dâautant plus
nĂ©cessaire que les normes en question soient conformes Ă la Constitution quâelles
complĂštent des principes constitutionnels tout en restant des normes de rang
infra-constitutionnel. (...)
DĂšs lors
que, comme indiqué ci-dessus, les dispositions de la Convention européenne des
droits de lâhomme acquiĂšrent leur sens au travers de lâinterprĂ©tation qui leur
est donnée par la Cour européenne, le contrÎle de constitutionnalité doit
porter sur les normes produites par cette interprétation, non sur ces
dispositions considĂ©rĂ©es en elles-mĂȘmes. Par ailleurs, les dĂ©cisions de la Cour
de Strasbourg ne sont pas inconditionnellement contraignantes aux fins du
contrÎle de constitutionnalité des lois nationales. Ledit contrÎle doit
toujours chercher à mettre en balance la contrainte découlant des obligations
internationales imposĂ©e par le premier alinĂ©a de lâarticle 117 de la
Constitution dâune part, et la protection des intĂ©rĂȘts bĂ©nĂ©ficiant dâune
garantie constitutionnelle reconnue par dâautres articles de la Constitution dâautre
part. (...)
5. Il ressort des principes
méthodologiques exposés ci-dessus que, pour procéder au contrÎle de
constitutionnalité demandé par la cour de renvoi, il convient de rechercher a)
sâil y a une contradiction qui ne peut ĂȘtre surmontĂ©e par voie dâinterprĂ©tation
entre la disposition nationale en cause et les normes de la Convention
europĂ©enne des droits de lâhomme, telles quâinterprĂ©tĂ©es par la Cour europĂ©enne
et considérées comme des sources complémentaires du principe constitutionnel
Ă©noncĂ© au premier alinĂ©a de lâarticle 117 de la Constitution, et b) si les
normes de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme supposĂ©es intĂ©grer ce
principe et comprises selon lâinterprĂ©tation que leur attribue la Cour
[europĂ©enne] sont compatibles avec lâordre constitutionnel italien. (...) »
26. Les
parties pertinentes de lâarrĂȘt no 349 du 24 octobre 2007 sont
reproduites ci-aprĂšs :
« 6.2 (...) [Le principe énoncé]
au premier alinĂ©a de lâarticle 117 de la Constitution [nâimplique pas] que les
normes issues dâaccords internationaux doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme ayant valeur constitutionnelle car
celles-ci font lâobjet dâune loi ordinaire dâincorporation, comme câest le cas
pour les normes de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme. Le principe
constitutionnel sous examen obligeant le législateur ordinaire à respecter ces
normes, une disposition nationale qui serait incompatible avec une norme de la
Convention europĂ©enne des droits de lâhomme â et donc avec les
« obligations internationales » mentionnĂ©es au premier alinĂ©a de lâarticle
117 de la Constitution â porterait en soi atteinte au principe constitutionnel
en question. En dĂ©finitive, le premier alinĂ©a de lâarticle 117 de la
Constitution opĂšre un renvoi Ă la norme conventionnelle qui se trouve en cause
dans tel ou tel cas, laquelle confÚre un sens (dà vita) et un contenu aux obligations internationales évoquées de
maniĂšre gĂ©nĂ©rale ainsi quâau principe [constitutionnel sous-jacent], au point dâĂȘtre
généralement qualifiée de « norme interposée », et qui fait à son
tour lâobjet dâun contrĂŽle de compatibilitĂ© avec les normes de la Constitution,
comme nous le préciserons ci-dessous.
Il sâensuit
quâil appartient au juge ordinaire dâinterprĂ©ter la norme interne conformĂ©ment
à la disposition internationale (...). Lorsque pareille interprétation est
impossible ou que des doutes existent quant à la compatibilité de la norme
interne avec la disposition conventionnelle « interposée », le juge
est tenu de soulever devant la Cour constitutionnelle une question de
constitutionnalitĂ© au regard du premier alinĂ©a de lâarticle 117 de la
Constitution (...).
Concernant
la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme, il y a lieu de tenir compte du
fait quâelle prĂ©sente une particularitĂ© par rapport aux autres accords
internationaux en ce quâelle dĂ©passe le cadre dâune simple liste de droits et
obligations rĂ©ciproques des Ătats contractants. Ces derniers ont instituĂ© un
systĂšme de protection uniforme des droits fondamentaux. Lâapplication et lâinterprĂ©tation
de ce systĂšme de normes incombent Ă©videmment au premier chef aux juges des
Ătats membres, qui sont les juges de droit commun de la Convention. Cela Ă©tant,
lâapplication uniforme des normes en question est garantie en dernier ressort
par lâinterprĂ©tation centralisĂ©e de la Convention europĂ©enne, tĂąche attribuĂ©e Ă
la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme de Strasbourg, qui a le dernier mot et
dont la compĂ©tence « sâĂ©tend Ă toutes les questions concernant lâinterprĂ©tation
et lâapplication de la Convention et de ses Protocoles qui lui seront soumises
dans les conditions prévues par [celle-ci] » (article 32 § 1 de la
Convention). (...)
La Cour
constitutionnelle et la Cour de Strasbourg ont en définitive des rÎles
diffĂ©rents, bien quâelles visent lâune et lâautre Ă protĂ©ger au mieux les
droits fondamentaux. LâinterprĂ©tation de la Convention de Rome et de ses
Protocoles relĂšve de la compĂ©tence de la Cour de Strasbourg, ce qui garantit lâapplication
dâun niveau uniforme de protection dans lâensemble des Ătats membres.
En
revanche, lorsque la Cour constitutionnelle est saisie de la question de la
constitutionnalitĂ© dâune norme nationale au regard du premier alinĂ©a de lâarticle
117 de la Constitution, [et que cette question] porte sur une incompatibilité
avec une ou plusieurs normes de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme
qui ne peut ĂȘtre rĂ©solue par voie dâinterprĂ©tation, il lui appartient de
rechercher si lâincompatibilitĂ© en question est avĂ©rĂ©e et, [dans lâaffirmative],
de vĂ©rifier si les normes mĂȘmes de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme,
telles quâinterprĂ©tĂ©es par la Cour de Strasbourg, garantissent une protection
des droits fondamentaux Ă tout le moins Ă©quivalente Ă celle offerte par la
Constitution italienne.
Il ne sâagit
pas en fait de juger de lâinterprĂ©tation que la Cour de Strasbourg donne Ă
telle ou telle norme de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme (...)
mais de vĂ©rifier si cette norme, telle quâinterprĂ©tĂ©e par la juridiction Ă
laquelle les Ătats membres ont expressĂ©ment attribuĂ© cette compĂ©tence, est
compatible avec les normes pertinentes de la Constitution. Ainsi le devoir de
garantir le respect des obligations internationales imposé par la Constitution
est-il correctement mis en balance avec la nĂ©cessitĂ© dâĂ©viter que ce devoir ne
porte atteinte Ă la Constitution elle-mĂȘme. »
G. La
jurisprudence de la Cour constitutionnelle
1. Lâordonnance de la Cour constitutionnelle no 396 du
24 octobre 2006
27. Par
cette ordonnance, la Cour constitutionnelle déclara irrecevable une question de
constitutionnalitĂ© soulevĂ©e par le tribunal de Cagliari relativement Ă lâarticle
13 de loi no 40/2004, qui interdit le recours au diagnostic
préimplantatoire.
28. Pour
se prononcer ainsi, la Cour constitutionnelle releva que le juge de renvoi sâĂ©tait
limité à soulever la question de la constitutionnalité du seul article 13 de la
loi no 40/2004 alors que, selon le contenu du renvoi, lâinterdiction
du diagnostic prĂ©implantatoire dĂ©coulait aussi dâautres dispositions de la mĂȘme
loi, notamment de lâalinĂ©a 3 de son article 14.
2. LâarrĂȘt de la Cour constitutionnelle no 151 du 1er
avril 2009
29. Cet
arrĂȘt porte sur la constitutionnalitĂ© des dispositions des
alinĂ©as 2 et 3 de lâarticle 14 de la loi no 40/2004 qui
prĂ©voient, dâune part, la crĂ©ation dâun nombre limitĂ© dâembryons (non supĂ©rieur
Ă trois) et lâobligation de les implanter simultanĂ©ment et, dâautre part, lâinterdiction
de cryoconserver les embryons surnuméraires.
30. La
Cour constitutionnelle jugea que les alinéas en question étaient
inconstitutionnels parce quâils portaient prĂ©judice Ă la santĂ© des femmes en
les obligeant, dâune part, Ă subir plusieurs cycles de stimulation ovarienne
et, de lâautre part, Ă sâexposer aux risques liĂ©s aux grossesses multiples du
fait de lâinterdiction de lâinterruption sĂ©lective de grossesse.
31. Dans
le texte de lâarrĂȘt, aucune rĂ©fĂ©rence nâest faite Ă la Convention europĂ©enne
des droits de lâhomme, laquelle nâavait pas non plus Ă©tĂ© citĂ©e par les
juridictions (tribunal administratif régional du Latium et tribunal de
Florence) qui avaient soulevé la question.
3. Lâordonnance de la Cour constitutionnelle no 97 du 8 mars 2010
32. Par
cette ordonnance, la Cour constitutionnelle déclara irrecevables les questions
de constitutionnalité que le tribunal de Milan avait soulevées devant elle,
celles-ci ayant dĂ©jĂ Ă©tĂ© traitĂ©es dans son arrĂȘt no 151/2009.
4. Lâordonnance de la Cour constitutionnelle no 150 du 22 mai 2012
33. Par
cette ordonnance, qui se rĂ©fĂ©rait Ă lâarrĂȘt S.H.
et autres c. Autriche ([GC], no 57813/00, CEDH 2011), la Cour
constitutionnelle renvoya devant le juge du fond lâaffaire qui avait Ă©tĂ© portĂ©e
devant elle et qui concernait lâinterdiction du recours Ă la fĂ©condation
hétérologue édictée par la loi no 40/2004.
5. LâarrĂȘt de la Cour constitutionnelle no 162 du 10 juin 2014
34. Cet
arrĂȘt porte sur la constitutionnalitĂ© de lâinterdiction absolue dâaccĂ©der Ă la
fĂ©condation hĂ©tĂ©rologue en cas de stĂ©rilitĂ© ou dâinfertilitĂ© mĂ©dicalement
prouvée, telle que prévue par la loi no 40/2004.
35. Trois
juridictions de droit commun avaient saisi la Cour constitutionnelle de la
question de savoir si la loi litigieuse Ă©tait compatible avec les articles 2
(droits inviolables), 3 (principe dâĂ©galitĂ©), 29 (droit de la famille), 31
(obligations de lâĂtat pour la protection du droit de la famille) et 32 (droit
Ă la santĂ©) de la Constitution. Lâune dâentre elles, le tribunal de Milan,
avait aussi demandé à la Cour de se prononcer sur la compatibilité de la loi en
question avec les articles 8 et 14 de la Convention.
36. La
Cour constitutionnelle jugea inconstitutionnelles les dispositions législatives
pertinentes.
37. Elle
considĂ©ra notamment que le choix des demandeurs Ă lâinstance de devenir parents
et de fonder une famille avec des enfants relevait de leur libertĂ© dâautodĂ©termination
concernant la sphÚre de leur vie privée et familiale et protégée en tant que
telle par les articles 2, 3 et 31 de la Constitution. Elle précisa également
que ceux qui Ă©taient atteints dâinfertilitĂ© ou de stĂ©rilitĂ© totale Ă©taient
titulaires dâun droit Ă la protection de leur santĂ© (article 32 de la
Constitution).
38. Elle
estima que si les droits en question pouvaient faire lâobjet de limitations
inspirĂ©es par des considĂ©rations dâordre Ă©thique, ces limitations ne pouvaient
se traduire en une interdiction absolue, sauf sâil sâavĂ©rait impossible de
protĂ©ger autrement dâautres libertĂ©s constitutionnellement garanties.
39. Pour
ce qui est de la compatibilité des dispositions législatives en cause avec les
articles 8 et 14 de la Convention, la Cour constitutionnelle se borna Ă
observer que les questions y relatives Ă©taient couvertes par les conclusions
auxquelles elle était parvenue sur la constitutionnalité des dispositions en
question (voir ci-dessus).
H. Les
ordonnances des tribunaux nationaux en matiĂšre dâaccĂšs au diagnostic
préimplantatoire
1. Lâordonnance du tribunal de Cagliari du 22 septembre
2007
40. Dans
cette ordonnance, le tribunal de Cagliari rappela que les demandeurs avaient dâabord
introduit une procédure en urgence, dans le cadre de laquelle une question de
constitutionnalité avait été soulevée. Il ajouta que cette question avait
ensuite été déclarée irrecevable par une ordonnance no 396 de la
Cour constitutionnelle rendue le 24 octobre 2006 (voir les paragraphes
27-28 ci-dessus), et que cette ordonnance nâavait donc fourni aucune indication
quant Ă lâinterprĂ©tation quâil convenait de donner au droit interne Ă la
lumiĂšre de la Constitution.
41. Quant
Ă la procĂ©dure civile introduite devant lui, il releva quâil nâexistait pas, en
droit interne, dâinterdiction expresse dâaccĂšs au diagnostic prĂ©implantatoire,
et quâune interprĂ©tation de la loi concluant Ă lâexistence dâune telle
interdiction aurait Ă©tĂ© contraire au droit des demandeurs dâĂȘtre dĂ»ment
informĂ©s du traitement mĂ©dical quâils entendaient entreprendre.
42. En
outre, il nota que des interdictions de recourir au diagnostic préimplantatoire
avait été introduites ultérieurement par une norme de rang secondaire, à savoir
le décret du ministÚre de la Santé no 15165 du 21 juillet 2004
(notamment dans la partie oĂč celui-ci dispose que « [les] examens de lâĂ©tat
de santĂ© dâembryons crĂ©Ă©s in vitro, au sens de lâarticle 14, alinĂ©a 5 [de la
loi no 40 de 2004], ne peuvent viser quâĂ lâobservation de ceux-ci â
« dovrà essere di tipo
osservazionale » -). Il estima que cela était contraire au principe de
lĂ©galitĂ© ainsi quâĂ la « Convention dâOviedo » du Conseil de lâEurope.
43. Il
releva enfin quâune interprĂ©tation de la loi no 40/2004 permettant lâaccĂšs
au diagnostic préimplantatoire était conforme au droit à la santé reconnu à la
mÚre. En conséquence, il autorisa les demandeurs à accéder au diagnostic
préimplantatoire.
2. Lâordonnance du tribunal de Florence du 17 dĂ©cembre
2007
44. Dans
cette ordonnance, le tribunal de Florence se rĂ©fĂ©ra Ă lâordonnance du tribunal
de Cagliari citĂ©e ci-dessus et dĂ©clara partager lâinterprĂ©tation que celui-ci
avait donnĂ©e du droit interne. En consĂ©quence, il autorisa les demandeurs Ă
accéder au diagnostic préimplantatoire.
3. Lâordonnance du tribunal de Bologne
du 29 juin 2009
45. Par
cette ordonnance, le tribunal de Bologne autorisa les demandeurs à accéder au
diagnostic préimplantatoire, indiquant que cette pratique se conciliait avec la
protection de la santĂ© de la femme reconnue par lâinterprĂ©tation que la Cour
constitutionnelle avait donnĂ©e du droit interne dans son arrĂȘt no 151
du 1er avril 2009 (voir les paragraphes 29-31 ci-dessus).
4. Lâordonnance du tribunal de Salerne du 9 janvier 2010
46. Dans
cette ordonnance, rendue Ă lâissue dâune procĂ©dure en rĂ©fĂ©rĂ©, le tribunal de
Salerne rappela les nouveautés introduites par le décret du ministÚre de la
Santé no 31639 du 11 avril 2008, à savoir le fait que les
examens de lâĂ©tat de santĂ© dâembryons crĂ©Ă©s in
vitro nâĂ©taient plus limitĂ©s Ă lâobservation de ceux-ci et que lâaccĂšs Ă la
procrĂ©ation assistĂ©e Ă©tait autorisĂ© pour les couples dont lâhomme Ă©tait porteur
de maladies virales sexuellement transmissibles.
47. Il
en dĂ©duisit que le diagnostic prĂ©implantatoire ne pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ© que
comme lâune des techniques de surveillance prĂ©natale visant Ă connaĂźtre lâĂ©tat
de santĂ© de lâembryon.
48. En
consĂ©quence, il autorisa la rĂ©alisation dâun diagnostic prĂ©implantatoire sur lâembryon
in vitro des demandeurs.
5. Lâordonnance du
tribunal de Cagliari du 9 novembre 2012
49. Dans
cette ordonnance, le tribunal de Cagliari renvoya aux considérations
dĂ©veloppĂ©es dans les ordonnances citĂ©es ci-dessus. En outre, il indiqua quâil
ressortait des arrĂȘts nos 348 et 349 rendus par la Cour
constitutionnelle le 24 octobre 2007 quâune interprĂ©tation de la loi
visant Ă garantir lâaccĂšs au diagnostic prĂ©implantatoire se conciliait avec la
Convention europĂ©enne des droits de lâhomme, compte tenu notamment de lâarrĂȘt
rendu par la Cour de Strasbourg dans lâaffaire Costa et Pavan c. Italie (no 54270/10,
28 août 2012).
6. Lâordonnance du tribunal de Rome du 15 janvier 2014
50. Par
cette ordonnance, le tribunal souleva la question de la constitutionnalité des
articles 1, alinéas 1 et 2, et 4, alinéa 1 de la loi no 40/2004,
dispositions interdisant aux couples non stĂ©riles et non infertiles dâavoir
recours aux techniques de la procréation médicalement assistée en vue de
réaliser un diagnostic préimplantatoire. Il se plaça aussi sur le terrain des
articles 8 et 14 de la Convention.
51. Tout
en tenant compte de lâarrĂȘt Costa et
Pavan c. Italie (prĂ©citĂ©), il estima quâon ne pouvait procĂ©der Ă une
interprĂ©tation extensive de la loi, laquelle Ă©nonçait expressĂ©ment que lâaccĂšs
aux techniques de procréation médicalement assistée était réservé aux couples
stériles ou infertiles.
I. La
question de la constitutionnalitĂ© de lâarticle 13 de la loi no 40/2004
soulevée par le tribunal de Florence
52. Par une
décision du 7 décembre 2012, le tribunal de Florence souleva la question de
la constitutionnalitĂ© de lâinterdiction du don dâembryons surnumĂ©raires Ă la
recherche scientifique dĂ©coulant de lâarticle 13 de la loi no 40/2004
au regard des articles 9 et 32 de la Constitution, lesquels garantissent
respectivement la liberté de la recherche scientifique et le droit à la santé.
53. Le
19 mars 2014, le prĂ©sident de la Cour constitutionnelle a ajournĂ© lâexamen de
cette affaire dans lâattente de la dĂ©cision que la Grande Chambre prendra sur
la requĂȘte Parrillo c. Italie no
46470/11.
III. DOCUMENTS DU CONSEIL DE LâEUROPE
A. Recommandation
1046 (1986) de lâAssemblĂ©e parlementaire du Conseil de lâEurope relative Ă lâutilisation
dâembryons et fĆtus humains Ă des fins diagnostiques, thĂ©rapeutiques,
scientifiques, industrielles et commerciales
« (...)
6. [LâAssemblĂ©e
parlementaire] Consciente de ce que [le] progrĂšs [de la science et de la
technologie médicale]
a rendu particuliÚrement précaire la condition
juridique de lâembryon et du fĆtus, et que leur statut juridique nâest
actuellement pas déterminé par la loi ;
7. Consciente
de ce quâil nâexiste pas de dispositions adĂ©quates rĂ©glant lâutilisation dâembryons
et fĆtus vivants ou morts ;
8. Convaincue
de ce que, face au progrĂšs scientifique qui permet dâintervenir dĂšs la
fécondation sur la vie humaine en développement, il est urgent de déterminer le
degré de sa protection juridique ;
9. Tenant
compte du pluralisme des opinions sâexprimant sur le plan Ă©thique Ă propos de lâutilisation
dâembryons ou de fĆtus, ou de leurs tissus, et des conflits de valeurs quâil
provoque ;
10. Considérant
que lâembryon et le fĆtus humains doivent bĂ©nĂ©ficier en toutes circonstances du
respect dĂ» Ă la dignitĂ© humaine, et que lâutilisation de leurs produits et
tissus doit ĂȘtre limitĂ©e de maniĂšre stricte et rĂ©glementĂ©e (...) en vue de fins
purement thĂ©rapeutiques et ne pouvant ĂȘtre atteintes par dâautres moyens ; (...)
13. Soulignant
la nĂ©cessitĂ© dâune coopĂ©ration europĂ©enne,
14. Recommande
au Comité des Ministres :
A. dâinviter
les gouvernements des Ătats membres :
(...)
ii. Ă limiter lâutilisation
industrielle des embryons et de fĆtus humains, ainsi que de leurs produits et
tissus, Ă des fins strictement thĂ©rapeutiques et ne pouvant ĂȘtre atteintes par
dâautres moyens, selon les principes mentionnĂ©s en annexe, et Ă conformer leur
droit Ă ceux-ci, ou Ă adopter des rĂšgles conformes, ces rĂšgles devant notamment
prĂ©ciser les conditions dans lesquelles le prĂ©lĂšvement et lâutilisation dans un
but diagnostique ou thĂ©rapeutique peuvent ĂȘtre effectuĂ©s ;
iii. Ă interdire
toute crĂ©ation dâembryons humains par fĂ©condation in vitro Ă des fins de recherche de leur vivant ou aprĂšs leur mort
;
iv. Ă interdire
tout ce quâon pourrait dĂ©finir comme des manipulations ou dĂ©viations non
désirables de ces techniques, entre autres :
(...)
- la
recherche sur des embryons humains viables ;
- lâexpĂ©rimentation sur des
embryons vivants, viables ou non (...) »
B. Recommandation
1100 (1989) de lâAssemblĂ©e parlementaire du Conseil de lâEurope sur lâutilisation
des embryons et fĆtus humains dans la recherche scientifique
« (...)
7. ConsidĂ©rant que lâembryon humain, bien quâil se
développe en phases successives indiquées par diverses dénominations (...),
manifeste aussi une différenciation progressive de son organisme et maintient
néanmoins en continuité son identité biologique et génétique,
8. Rappelant
la nĂ©cessitĂ© dâune coopĂ©ration europĂ©enne et dâune rĂ©glementation aussi large
que possible qui permettent de surmonter les contradictions, les risques et lâinefficacitĂ©
prévisible de normes exclusivement nationales dans les domaines concernés,
(...)
21. La création
et/ou le maintien en vie intentionnels dâembryons ou fĆtus, in vitro ou in utero, dans un but de recherche scientifique, par exemple pour
en prélever du matériel génétique, des cellules, des tissus ou des organes,
doivent ĂȘtre interdits. (...) »
54. Les
passages pertinents de lâannexe Ă cette recommandation se lisent ainsi :
« B. Sur des
embryons préimplantatoires vivants : (...)
4. Conformément
aux Recommandations 934 (1982) et 1046 (1986), les recherches in vitro sur des embryons viables ne
doivent ĂȘtre autorisĂ©es que:
â sâil
sâagit de recherches appliquĂ©es de caractĂšre diagnostique ou effectuĂ©es Ă des
fins préventives ou thérapeutiques;
â si
elles nâinterviennent pas sur leur patrimoine gĂ©nĂ©tique non pathologique.
5. (...) les
recherches sur les embryons vivants doivent ĂȘtre interdites, notamment:
â si
lâembryon est viable;
â sâil
y a la possibilitĂ© dâutiliser un modĂšle animal;
â si
ce nâest pas prĂ©vu dans le cadre de projets dĂ»ment prĂ©sentĂ©s et autorisĂ©s par
les autorités sanitaires ou scientifiques compétentes ou, par délégation, par
la commission nationale multidisciplinaire concernée;
â si
elles ne respectent pas les délais prescrits par les autorités susdites.
(...)
H. Don
dâĂ©lĂ©ments du matĂ©riel embryonnaire humain : (...)
20. Le don dâĂ©lĂ©ments
du matĂ©riel embryonnaire humain doit ĂȘtre autorisĂ© uniquement sâil a pour but
la recherche scientifique, à des fins diagnostiques, préventives ou
thérapeutiques. Sa vente sera interdite.
21. La création
et/ou le maintien en vie intentionnels dâembryons ou fĆtus, in vitro ou in utero, dans un but de recherche scientifique, par exemple pour
en prélever du matériel génétique, des cellules, des tissus ou des organes,
doivent ĂȘtre interdits.
22. Le don et lâutilisation
dâĂ©lĂ©ments du matĂ©riel embryonnaire humain ne doivent ĂȘtre permis que si les
géniteurs ont donné librement et par écrit leur consentement préalable.
23. Le don dâorganes
doit ĂȘtre dĂ©pourvu de tout caractĂšre mercantile. Lâachat et la vente dâembryons,
de fĆtus ou de leurs composants par les gĂ©niteurs ou des tiers, de mĂȘme que
leur importation ou leur exportation, doivent Ă©galement ĂȘtre interdits.
24. Le don et lâemploi
de matĂ©riels embryonnaires humains dans la fabrication dâarmes biologiques
dangereuses et exterminatrices doivent ĂȘtre interdits.
25. Pour lâensemble
de la présente recommandation, par « viables » on entend les embryons
qui ne prĂ©sentent pas de caractĂ©ristiques biologiques susceptibles dâempĂȘcher
leur dĂ©veloppement; dâautre part, la non-viabilitĂ© des embryons et des fĆtus
humains devra ĂȘtre dĂ©terminĂ©e exclusivement par des critĂšres biologiques
objectifs, fondĂ©s sur les dĂ©fectuositĂ©s intrinsĂšques de lâembryon. »
C. La
Convention du Conseil de lâEurope sur les droits de lâhomme et la biomĂ©decine
(« Convention dâOviedo ») du 4 avril 1997
Article 2 â PrimautĂ© de lâĂȘtre
humain
« LâintĂ©rĂȘt et le bien de lâĂȘtre
humain doivent prĂ©valoir sur le seul intĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ© ou de la science. »
Article 18 â Recherche sur
les embryons in vitro
« 1. Lorsque la
recherche sur les embryons in vitro
est admise par la loi, celle-ci assure une protection adĂ©quate de lâembryon.
2. La
constitution dâembryons humains aux fins de recherche est interdite. »
Article 27 â Protection
plus Ă©tendue
« Aucune
des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée comme limitant
ou portant atteinte Ă la facultĂ© pour chaque Partie dâaccorder une protection
plus Ă©tendue Ă lâĂ©gard des applications de la biologie et de la mĂ©decine que
celle prévue par la présente Convention. »
D. Protocole
additionnel Ă la Convention dâOviedo, relatif Ă la recherche biomĂ©dicale du 25
janvier 2005
Article 2 â Champ dâapplication
« 1. Le présent
Protocole sâapplique Ă lâensemble des activitĂ©s de recherche dans le domaine de
la santĂ© impliquant une intervention sur lâĂȘtre humain.
2. Le
Protocole ne sâapplique pas Ă la recherche sur les embryons in vitro. Il sâapplique Ă la recherche
sur les fĆtus et les embryons in vivo.
(...) »
E. Le
rapport du groupe de travail sur la protection de lâembryon et du fĆtus humains
du ComitĂ© directeur pour la bioĂ©thique, rendu public le 19 juin 2003 â
Conclusion
« Ce
rapport a pour but de prĂ©senter une vue dâensemble des positions actuelles en
Europe sur la protection de lâembryon humain in vitro et des arguments qui les sous-tendent.
Il montre
un large consensus sur la nĂ©cessitĂ© dâune protection de lâembryon in vitro. NĂ©anmoins, la dĂ©finition du
statut de lâembryon reste un domaine oĂč lâon rencontre des diffĂ©rences
fondamentales reposant sur des arguments forts. Ces divergences sont, dans une
large mesure, Ă lâorigine de celles rencontrĂ©es sur les questions ayant trait Ă
la protection de lâembryon in vitro.
Toutefois,
mĂȘme en lâabsence dâaccord sur le statut de lâembryon, la possibilitĂ© de rĂ©examiner
certaines questions à la lumiÚre des récents développements dans le domaine
biomĂ©dical et des avancĂ©es thĂ©rapeutiques potentielles, pourrait ĂȘtre
envisagée. Dans ce contexte, tout en reconnaissant et respectant les choix
fondamentaux des diffĂ©rents pays, il semble possible et souhaitable â au regard
de la nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger lâembryon in
vitro reconnue par tous les pays â dâidentifier des approches communes afin
dâassurer des conditions adĂ©quates dâapplication des procĂ©dures impliquant la
constitution et lâutilisation dâembryons in
vitro. Ce rapport se veut une aide à la réflexion vers cet objectif. »
F. RĂ©solution
1352 (2003) de lâAssemblĂ©e parlementaire du Conseil de lâEurope concernant la
recherche sur les cellules souches humaines
« (...) 3. Les
cellules souches humaines peuvent provenir dâun nombre croissant de tissus et
de fluides prĂ©sents dans le corps dâĂȘtres humains de tous Ăąges, et pas seulement
de sources embryonnaires.
(...)
5. Le
prélÚvement de cellules souches embryonnaires implique pour le moment la destruction
dâembryons humains.
(...)
7. LâAssemblĂ©e
fait observer que nombre de lignées de cellules souches embryonnaires humaines
susceptibles de servir à la recherche scientifique sont déjà disponibles dans
le monde.
(...)
10. La
destruction dâĂȘtres humains Ă des fins de recherche est contraire au droit de tout ĂȘtre humain Ă la vie
et Ă lâinterdiction morale de toute instrumentalisation de lâĂȘtre humain.
11. En
consĂ©quence, lâAssemblĂ©e invite les Ătats membres:
i. Ă favoriser la recherche
sur les cellules souches Ă condition quâelle respecte la vie des ĂȘtres humains
à tous les stades de leur développement;
ii. Ă encourager les
techniques scientifiques qui ne sont pas controversées des points de vue social
et Ă©thique afin de tirer un meilleur parti de la pluripotence cellulaire et de
mettre au point de nouvelles méthodes de médecine régénérative;
iii. Ă signer et Ă
ratifier la Convention dâOviedo pour rendre effective lâinterdiction de la
constitution dâembryons humains aux fins de recherche;
iv. Ă promouvoir des
programmes de recherche fondamentale européens communs portant sur les cellules
souches adultes;
v. Ă garantir que,
dans les pays oĂč de telles recherches sont admises, toute recherche sur des
cellules souches impliquant la destruction dâembryons humains est dĂ»ment
autorisée et surveillée par les instances nationales appropriées;
vi. Ă respecter les
décisions des pays lorsque ceux-ci choisissent de ne pas participer à des
programmes internationaux de recherche contraires aux valeurs Ă©thiques
consacrées par leur législation nationale et à ne pas escompter que ces pays
contribuent directement ou indirectement Ă ces recherches;
vii. Ă privilĂ©gier lâĂ©thique
de la recherche plutĂŽt que les aspects purement utilitaires et financiers;
viii. Ă promouvoir la
création de structures permettant à des scientifiques et à des représentants de
la sociĂ©tĂ© civile dâexaminer diffĂ©rents types de projets de recherche sur les
cellules souches humaines, en vue dâaugmenter la transparence et la responsabilitĂ©
démocratique. »
G. Recommandation
du ComitĂ© des Ministres aux Ătats membres sur la recherche utilisant du
matĂ©riel biologique dâorigine humaine (Rec (2006)4, adoptĂ©e par le ComitĂ© des
Ministres le 15 mars 2006)
55. Cette
recommandation, qui ne sâapplique pas aux matĂ©riels biologiques embryonnaires
et fĆtaux (article 2 § 3), a pour but de sauvegarder les droits fondamentaux
des personnes dont le matĂ©riel biologique pourrait ĂȘtre inclus dans un projet
de recherche aprÚs avoir été recueilli et stocké i) pour un projet de recherche
spĂ©cifique antĂ©rieur Ă lâadoption de la recommandation, ii) pour des recherches
futures non spĂ©cifiĂ©es ou iii) comme matĂ©riel rĂ©siduel initialement prĂ©levĂ© Ă
des fins cliniques ou médico-légales. Cette recommandation vise, entre autres,
Ă promouvoir la mise en place de codes de bonnes pratiques de la part des Ătats
membres et à réduire au minimum les risques liés aux activités de recherche
concernant la vie privée des personnes. Elle fixe également des rÚgles
rĂ©gissant lâobtention et les collections de matĂ©riel biologique.
H. « LâĂ©thique
dans la science et la technologie », RĂ©solution 1934 (2013) de lâAssemblĂ©e
parlementaire du Conseil de lâEurope
« 2. ...) lâAssemblĂ©e
estime quâune rĂ©flexion Ă©thique plus concertĂ©e devrait ĂȘtre menĂ©e aux niveaux
national, suprarégional et mondial sur les objectifs et les usages de la
science et de la technologie, sur les instruments et mĂ©thodes quâelles
emploient, sur leurs possibles conséquences et effets indirects, et sur le
systĂšme global de rĂšgles et de comportements dans lequel elles sâinscrivent.
3. LâAssemblĂ©e
considĂšre quâune structure permanente de rĂ©flexion Ă©thique au niveau mondial
permettrait de traiter les questions éthiques comme une « cible mouvante»,
au lieu de fixer un « code éthique », et de remettre à plat, de
maniĂšre pĂ©riodique, les concepts en vigueur, mĂȘme les plus fondamentaux, comme
la dĂ©finition de lâ« identitĂ© humaine » ou de la « dignitĂ©
humaine ».
4 LâAssemblĂ©e
salue lâinitiative de lâUNESCO qui a crĂ©Ă© la Commission mondiale dâĂ©thique des
connaissances scientifiques et des technologies (COMEST) en vue dâengager une
rĂ©flexion Ă©thique permanente et dâĂ©tudier les possibilitĂ©s de rĂ©diger et de
réviser périodiquement un ensemble de principes éthiques fondamentaux fondés
sur la DĂ©claration universelle des droits de lâhomme. Elle considĂšre que le
Conseil de lâEurope devrait contribuer Ă ce processus.
5. Ă cet
Ă©gard, lâAssemblĂ©e recommande au SecrĂ©taire GĂ©nĂ©ral du Conseil de lâEurope dâenvisager
la crĂ©ation dâune structure souple et informelle de rĂ©flexion Ă©thique, par le
biais dâune coopĂ©ration entre les commissions compĂ©tentes de lâAssemblĂ©e et les
membres des comitĂ©s dâexperts concernĂ©s, parmi lesquels le ComitĂ© de bioĂ©thique
(DH-BIO), en vue dâidentifier les nouveaux enjeux Ă©thiques et les principes
Ă©thiques fondamentaux susceptibles dâorienter lâaction politique et juridique
en Europe.
6. Pour
renforcer le cadre europĂ©en commun dâĂ©thique dans la science et la technologie,
lâAssemblĂ©e recommande aux Ătats membres qui ne lâont pas encore fait de signer
et de ratifier la Convention pour la protection des droits de lâhomme et de la
dignitĂ© de lâĂȘtre humain Ă lâĂ©gard des applications de la biologie et de la
mĂ©decine : Convention sur les droits de lâhomme et la biomĂ©decine (STE no 164,
« Convention dâOviedo ») et ses protocoles, et de participer
pleinement aux travaux du Comité de bioéthique.
(...)
10. LâAssemblĂ©e
invite lâUnion europĂ©enne et lâUNESCO Ă coopĂ©rer avec le Conseil de lâEurope
pour renforcer le cadre europĂ©en commun dâĂ©thique dans la science et la
technologie, et, Ă cette fin:
10.1. à créer des
plates-formes europĂ©ennes et rĂ©gionales permettant dâĂ©changer rĂ©guliĂšrement des
expériences et des bonnes pratiques couvrant tous les domaines de la science et
de la technologie, en utilisant lâexpĂ©rience acquise dans le cadre de la
ConfĂ©rence europĂ©enne des comitĂ©s nationaux dâĂ©thique (COMETH) lancĂ©e par le
Conseil de lâEurope et, plus rĂ©cemment, du Forum des comitĂ©s nationaux dâĂ©thique
(Forum des CNE) financé par la Commission européenne, et des réunions du Comité
de bioĂ©thique du Conseil de lâEurope;
10.2. à rédiger
et Ă rĂ©viser pĂ©riodiquement un ensemble de principes Ă©thiques fondamentaux Ă
appliquer dans tous les domaines de la science et de la technologie;
10.3. Ă proposer
des orientations supplĂ©mentaires pour aider les Ătats membres Ă harmoniser les
rĂšgles Ă©thiques et les procĂ©dures de suivi, en sâappuyant sur les effets
positifs des exigences éthiques énoncées dans le septiÚme programme-cadre de la
Commission européenne pour des actions de recherche et de développement
technologique (2007-2013) (7e PC). »
IV. DROIT ET ĂLĂMENTS PERTINENTS DE LâUNION
EUROPĂENNE
A. Le
Groupe europĂ©en dâĂ©thique des sciences et des nouvelles technologies (GEE) auprĂšs
de la Commission européenne
56. Mis
en place en 1991 par la Commission européenne, le GEE est un organisme
indĂ©pendant composĂ© dâexperts ayant pour mission de soumettre des avis Ă la
Commission européenne sur les questions éthiques liées à la science et aux
nouvelles technologies. Le GEE a rendu deux avis concernant lâutilisation dâembryons
in vitro Ă fins de recherche.
1. Avis no 12 : Les aspects Ă©thiques de la
recherche impliquant lâutilisation dâembryons humains dans le contexte du VĂšme programme-cadre
de recherche, 14 novembre 1998
57. Cet
avis a été publié à la demande de la Commission européenne à la suite de la
proposition du Parlement europĂ©en dâexclure des financements europĂ©ens les
projets de recherche impliquant la destruction dâembryons humains dans le cadre
du cinquiĂšme programme-cadre. Ses passages pertinents se lisent comme
suit :
« (...)
2.6. (...) Dans le cadre des programmes de recherche européens, la question de
la recherche sur lâembryon humain doit ĂȘtre envisagĂ©e tant du point de vue du
respect des principes Ă©thiques fondamentaux communs Ă tous les Ătats membres quâen
tenant compte de la diversité des conceptions philosophiques et éthiques
exprimées à travers les différentes pratiques et réglementations nationales en
vigueur en ce domaine. (...)
2.8. à la lumiÚre des principes et précisions
prĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©s, le Groupe estime quâil est conforme Ă la dimension
Ă©thique du cinquiĂšme programme-cadre communautaire de ne pas exclure a priori des financements communautaires
les recherches sur lâembryon humain qui font lâobjet de choix Ă©thiques
divergents selon les pays. [...] »
2. Avis no 15 : Aspects Ă©thiques de la
recherche sur les cellules souches humaines et leur utilisation, 14 novembre
2000
58. Les passages pertinents de cet avis
sont ainsi libellés :
« 2.3. Pluralisme
et éthique européenne
(...) Dans
le contexte du pluralisme europĂ©en, il appartient Ă chaque Ătat membre dâinterdire
ou dâautoriser les recherches sur lâembryon. Dans ce dernier cas, le respect de
la dignitĂ© humaine implique que lâon rĂšglemente les recherches sur lâembryon et
que lâon prĂ©voie des garanties contre le risque dâexpĂ©rimentation arbitraire et
dâinstrumentalisation de lâembryon humain.
2.5. Acceptabilité
éthique du domaine de recherche concerné
Le Groupe
note que, dans certains pays, la recherche sur lâembryon est interdite. En
revanche, dans les pays oĂč elle est autorisĂ©e afin dâamĂ©liorer le traitement de
lâinfertilitĂ©, on peut difficilement trouver un argument Ă invoquer pour une
extension du champ de ces recherches visant Ă mettre au point de nouveaux
traitements contre les maladies ou lésions graves. En effet, comme dans le cas
de la recherche sur lâinfertilitĂ©, la recherche sur les cellules souches vise Ă
soulager la souffrance humaine. Dans tous les cas, les embryons qui ont servi
pour des travaux de recherche sont destinĂ©s Ă ĂȘtre dĂ©truits. Par consĂ©quent, il
nây a pas dâargument pour exclure le financement de ce type de recherches au
titre du programme-cadre de recherche de lâUnion europĂ©enne si elles satisfont
aux exigences éthique et légales définies dans ce programme. »
B. RĂšglement
no 1394/2007 du Parlement européen et du Conseil du
13 novembre 2007 concernant les médicaments de thérapie innovante et
modifiant la directive 2001/83/CE ainsi que le rĂšglement (CE) no
726/2004
« (7) Il
importe que la réglementation des médicaments de thérapie innovante au niveau
communautaire ne porte pas atteinte aux dĂ©cisions prises par les Ătats membres
concernant lâopportunitĂ© dâautoriser lâutilisation de tel ou tel type de
cellules humaines, par exemple les cellules souches embryonnaires, ou de
cellules animales. Il convient quâelle nâinfluence pas non plus lâapplication
des législations nationales interdisant ou limitant la vente, la distribution
ou lâutilisation de mĂ©dicaments contenant de telles cellules, consistant dans
de telles cellules ou issus de celles-ci. »
C. LâarrĂȘt
de la Cour de justice de lâUnion europĂ©enne du 18 octobre 2011 (C-34/10 Oliver BrĂŒstle c. Greenpeace eV)
59. Par
cet arrĂȘt, rendu sur renvoi prĂ©judiciel de la Cour fĂ©dĂ©rale de justice (Bundesgerichtshof) allemande, la Cour de
justice de lâUnion europĂ©enne sâest prononcĂ©e sur lâinterprĂ©tation Ă donner Ă
la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet
1998 relative Ă la protection juridique des inventions biotechnologiques.
60. La
partie de la directive en cause était celle qui, tempérant le principe selon
lequel lâutilisation dâembryons humains Ă des fins industrielles ou
commerciales nâest pas brevetable, prĂ©cise que cette exclusion ne concerne pas
« les inventions ayant un objectif thĂ©rapeutique ou diagnostique qui sâappliquent
Ă lâembryon humain et lui sont utiles ».
61. La
Cour de justice a précisé que la directive litigieuse ne vise pas à réglementer
lâutilisation dâembryons humains dans le cadre de recherches scientifiques :
son objet se limite à la brevetabilité des inventions biotechnologiques. Elle a
ensuite estimĂ© que les inventions qui impliquent lâutilisation dâembryons
humains restent exclues de toute brevetabilitĂ© mĂȘme lorsquâelles peuvent se
revendiquer dâune finalitĂ© de recherche scientifique (une telle finalitĂ© ne
pouvant pas, en matiĂšre de brevets, ĂȘtre distinguĂ©e des autres fins
industrielles et commerciales). La Cour de justice a indiquĂ© en mĂȘme temps que
les inventions impliquant une utilisation à des fins thérapeutiques ou de
diagnostic applicable Ă lâembryon humain et utile Ă celui-ci ne sont pas
concernées par cette exclusion.
D. Les
financements de lâUnion europĂ©enne en matiĂšre de recherche et de dĂ©veloppement
technologique
62. Depuis
1984, lâUnion europĂ©enne dĂ©ploie des fonds pour la recherche scientifique Ă
travers des programmes-cadres couvrant des pĂ©riodes qui sâĂ©talent sur plusieurs
années.
63. Les
parties pertinentes de la décision no 1982/2006/CE relative au septiÚme programme-cadre de la Communauté
européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de
démonstration (2007-2013) se lisent comme suit :
Article 6 â Principes Ă©thiques
« 1. Toutes
les actions de recherche menées au titre du septiÚme programme-cadre sont
réalisées dans le respect des principes éthiques fondamentaux.
2. Les activitĂ©s de recherche suivantes ne font pas lâobjet
dâun financement au titre du septiĂšme programme-cadre:
- les
activités de recherche visant au clonage humain à des fins reproductives; |
|
- les
activitĂ©s de recherche visant Ă modifier le patrimoine gĂ©nĂ©tique dâĂȘtres
humains, qui pourraient rendre cette altération héréditaire, |
|
- les
activités de recherche visant à créer des embryons humains uniquement à des
fins de recherche ou pour lâapprovisionnement en cellules souches, y compris
par transfert de noyau de cellules somatiques. |
3. Les
activités de recherche sur les cellules souches humaines, adultes ou
embryonnaires, peuvent ĂȘtre financĂ©es en fonction Ă la fois du contenu de la
proposition scientifique et du cadre juridique de(s) lâĂtat(s) membre(s)
intéressé(s). (...) »
64. Les
parties pertinentes du RÚglement no 1291/2013 du Parlement européen
et du Conseil du 11 décembre 2013 portant établissement du programme-cadre pour
la recherche et lâinnovation « Horizon 2020 » (2014-2020) se lisent
ainsi :
Article 19 â Principes
Ă©thiques
« 1. Toutes les
activitĂ©s de recherche et dâinnovation menĂ©es au titre dâHorizon 2020
respectent les principes éthiques et les législations nationales, européennes
et internationales pertinentes, y compris la charte des droits fondamentaux de
lâUnion europĂ©enne, ainsi que la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme et
ses protocoles additionnels (...).
(...)
3. Sont exclus
de tout financement les domaines de recherche suivants:
a) les
activités de recherche en vue du clonage humain à des fins de reproduction;
b) les
activitĂ©s de recherche visant Ă modifier le patrimoine gĂ©nĂ©tique dâĂȘtres
humains, qui pourraient rendre cette altération héréditaire ;
c) les
activités de recherche visant à créer des embryons humains uniquement à des
fins de recherche ou pour lâapprovisionnement en cellules souches, notamment
par transfert nucléaire de cellules somatiques.
4. Les
activités de recherche sur les cellules souches humaines, adultes et
embryonnaires, peuvent ĂȘtre financĂ©es en fonction Ă la fois du contenu de la
proposition scientifique et du cadre juridique des Ătats membres intĂ©ressĂ©s.
Aucun financement nâest accordĂ© aux activitĂ©s de recherche interdites dans lâensemble
des Ătats membres. Aucune activitĂ© nâest financĂ©e dans un Ătat membre oĂč ce
type dâactivitĂ©s est interdit.
(...) »
E. La
Communication de la Commission europĂ©enne relative Ă lâinitiative citoyenne
européenne « Un de nous » COM(2014) 355 final (Bruxelles, 28 mai
2014)
65. Le
10 avril 2014, lâinitiative citoyenne « Un de nous » avait proposĂ©
des modifications législatives tendant à exclure des financements européens les
projets scientifiques impliquant la destruction dâembryons humains.
66. Dans
sa communication du 28 mai 2014, la Commission européenne a considéré
quâelle ne pouvait pas faire droit Ă cette demande au motif que sa proposition
de financement des projets en question tenait compte de considérations
Ă©thiques, des avantages potentiels pour la santĂ© et du soutien de lâUnion Ă la
recherche sur les cellules souches.
V. ELEMENTS DE DROIT INTERNATIONAL
PERTINENTS
A. Le
rapport du ComitĂ© international de bioĂ©thique de lâUNESCO (CIB) sur les aspects
Ă©thiques des recherches sur les cellules embryonnaires (6 avril 2001)
67. Les
parties pertinentes des conclusions de ce rapport se lisent comme suit:
« A. Le CIB
reconnaĂźt que les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines
sont une question sur laquelle il est souhaitable quâun dĂ©bat sâengage au
niveau national pour dĂ©terminer quelle position doit ĂȘtre adoptĂ©e au sujet de
ces recherches, mĂȘme si cette position vise Ă ce quâelles ne soient pas menĂ©es.
Il prĂ©conise que des dĂ©bats sâengagent dans les instances nationales
appropriĂ©es, permettant lâexpression dâune pluralitĂ© dâopinions, en vue, dans
toute la mesure du possible, de parvenir Ă un consensus fixant les limites de
ce qui est acceptable dans ce champ nouveau et important de la recherche
thérapeutique.
Un
processus permanent dâĂ©ducation et dâinformation dans ce domaine devrait sâinstaurer.
Les Ătats devraient prendre les mesures appropriĂ©es pour amorcer un dialogue
continu au sein de la société sur les questions éthiques soulevées par ces
recherches, associant tous les acteurs concernés.
B. Quel que
soit le type de recherches autorisĂ© concernant lâembryon, des mesures devraient
ĂȘtre prises pour garantir que ces recherches sont menĂ©es dans un cadre lĂ©gislatif
ou réglementaire qui accorderait le poids nécessaire aux considérations
Ă©thiques et fixerait des principes directeurs adĂ©quats. Si lâon envisage dâautoriser
que des dons dâembryons surnumĂ©raires au stade prĂ©implantatoire, provenant de
traitements de FIV, soient consentis pour des recherches sur les cellules
souches embryonnaires à des fins thérapeutiques, une attention particuliÚre
sera accordée à la dignité et aux droits des deux parents donneurs. Il est donc
essentiel que le don nâait lieu quâaprĂšs que les donneurs ont Ă©tĂ© pleinement
informés des implications de ces recherches et ont donné leur consentement
préalable, libre et éclairé. Les finalités de ce type de recherches et la
maniĂšre dont elles sont conduites devraient faire lâobjet dâune Ă©valuation par
les comitĂ©s dâĂ©thique appropriĂ©s, qui devraient ĂȘtre indĂ©pendants des
chercheurs concernés. Dans ce processus, il faudrait prévoir une évaluation a
posteriori de ces recherches. (...) »
B. LâarrĂȘt
Murillo et autres c. Costa Rica de la
Cour interamĂ©ricaine des droits de lâhomme (28 novembre 2012)
68. Dans cette affaire, la Cour
interamĂ©ricaine sâest prononcĂ©e sur lâinterdiction dâeffectuer des fĂ©condations
in vitro au Costa Rica. Elle a
estimĂ©, entre autres, que lâembryon ne pouvait pas ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une
« personne » au sens de lâarticle 4 § 1 de la Convention amĂ©ricaine
relative aux droits de lâhomme (qui protĂšge le droit Ă la vie), la
« conception » nâayant lieu quâĂ partir du moment oĂč lâembryon est
implantĂ© dans lâutĂ©rus.
VI. ĂLĂMENTS DE DROIT COMPARĂ
69. DâaprĂšs
les informations dont la Cour dispose sur la lĂ©gislation de quarante Ătats
membres[1] en
matiĂšre dâutilisation dâembryons humains Ă des fins de recherche scientifique,
trois pays
(la Belgique,
la SuĂšde et le Royaume-Uni) autorisent la recherche scientifique sur des
embryons humains aussi bien que la création de tels embryons à des fins de
recherche.
70. La
crĂ©ation dâembryons pour la recherche scientifique est interdite dans quatorze
pays[2].
Toutefois, la recherche sur les embryons surnuméraires y est généralement
permise, sous certaines conditions.
71. Ă
lâinstar de lâItalie, trois Ătats membres (la Slovaquie, lâAllemagne et lâAutriche)
interdisent en principe les recherches scientifiques sur les embryons, ne les
autorisant que dans des cas trĂšs restreints, notamment lorsquâelles visent Ă la
protection de la santĂ© de lâembryon ou lorsquâelles sont menĂ©es sur des lignĂ©es
cellulaires provenant de lâĂ©tranger.
72. En
Slovaquie, les recherches sur des embryons sont strictement interdites, sauf
celles à caractÚre thérapeutique qui visent à apporter un bénéfice en termes de
santé aux personnes qui y participent directement.
73. En
Allemagne, lâimportation et lâutilisation de cellules embryonnaires Ă des fins
de recherche sont en principe interdites par la loi. Elles ne sont autorisées
quâĂ titre exceptionnel, sous de strictes conditions.
74. Quant
Ă lâAutriche, la loi dispose que les « cellules viables » ne peuvent
ĂȘtre utilisĂ©es pour des fins autres que la fertilisation in vitro. Toutefois, la notion de « cellules viables » nây
est pas dĂ©finie. DâaprĂšs la pratique et la doctrine, lâinterdiction prĂ©vue par
la loi ne concernerait que les cellules embryonnaires dites
« totipotentes »[3].
75. Dans
quatre pays (Andorre, Lettonie, Croatie et Malte), la loi interdit expressément
toute recherche sur les cellules souches embryonnaires.
76. Seize
pays ne prĂ©voient pas de rĂ©glementation en la matiĂšre. Il sâagit de lâArmĂ©nie,
de lâAzerbaĂŻdjan, de la Bosnie-HerzĂ©govine, de la GĂ©orgie, de lâIrlande,
du Liechtenstein, de la Lituanie, du Luxembourg, de la RĂ©publique de Moldova, de Monaco, de la Pologne, de la Roumanie, de
la Russie, de Saint-Marin, de la Turquie et de lâUkraine. Parmi ces Ătats,
certains ont une pratique plutĂŽt restrictive (par exemple, la Turquie et lâUkraine),
dâautres une pratique plutĂŽt permissive (par exemple, la Russie).
EN DROIT
77. La
Cour relĂšve dâemblĂ©e que le Gouvernement oppose plusieurs exceptions Ă la
recevabilitĂ© de la prĂ©sente requĂȘte. Il avance notamment que la requĂ©rante nâa
pas Ă©puisĂ© les voies de recours qui lui Ă©taient ouvertes en droit interne, quâelle
nâa pas introduit sa requĂȘte dans le dĂ©lai de six mois prĂ©vu par lâarticle 35 §
1 de la Convention, et quâelle nâa pas la qualitĂ© de victime. La Cour examinera
ces exceptions ci-dessous avant dâanalyser les autres aspects de la requĂȘte.
I. SUR LE NON-ĂPUISEMENT DES VOIES DE
RECOURS INTERNES
A. Position du
Gouvernement
78. Le Gouvernement avance quâil Ă©tait
loisible Ă la requĂ©rante de se plaindre de lâinterdiction de donner ses
embryons Ă la recherche scientifique devant le juge du fond en soutenant que lâinterdiction
en cause Ă©tait contraire tant Ă la Constitution italienne quâĂ la Convention
europĂ©enne des droits de lâhomme. Ă
cet égard, il cite plusieurs décisions internes dans lesquelles les tribunaux
nationaux ont interprété la loi no 40/2004 à la lumiÚre de la
Constitution et de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme, en
particulier en ce qui concerne lâaccĂšs au diagnostic prĂ©implantatoire (les
ordonnances rendues par le tribunal de Cagliari le 22 septembre 2007 et le
9 novembre 2012, ainsi que celles adoptées par les tribunaux de Florence, de
Bologne et de Salerne le 17 décembre 2007, le 29 juin 2009 et le 9
janvier 2010 respectivement, voir les paragraphes 40-49 ci-dessus).
79. Selon lui, le juge du fond aurait
alors Ă©tĂ© tenu dâinterprĂ©ter la loi dont dĂ©coule lâinterdiction litigieuse Ă la
lumiĂšre de la Convention, comme lâexigent les arrĂȘts de la Cour
constitutionnelle nos 348 et 349 du 24 octobre 2007.
80. Si le juge du fond avait constatĂ© lâexistence
dâun conflit insurmontable entre son interprĂ©tation de la loi et les droits
invoquĂ©s par la partie demanderesse, il aurait eu lâobligation de soulever une
question de constitutionnalité. La Cour constitutionnelle aurait alors examiné
au fond la compatibilitĂ© des faits litigieux avec les droits de lâhomme, et
elle aurait pu annuler les dispositions nationales avec effet rétroactif et erga omnes.
81. Dâailleurs, la Cour constitutionnelle
aurait déjà été saisie de plusieurs affaires concernant la constitutionnalité
de la loi no 40/2004. Un certain nombre de décisions auraient été
rendues Ă cet Ă©gard, notamment les ordonnances de la Cour constitutionnelle nos 369,
97 et 150 (prononcées le 24 octobre 2006, le 8 mars 2010 et le 22 mai 2012
respectivement), lâarrĂȘt no 151 adoptĂ© par celle-ci le 1er
avril 2009, ainsi que les ordonnances des tribunaux de Florence et de Rome prononcées
le 7 décembre 2012 et le 15 janvier 2014 respectivement (voir les paragraphes
27-33 et 50-53 ci‑dessus).
82. Par ailleurs, la requérante aurait
aussi méconnu le principe de subsidiarité posé par le Protocole no
15 du 24 juin 2013 en se dispensant dâutiliser les voies de recours
internes avant de soulever ses griefs devant la Cour.
83. Enfin, une question de
constitutionalité concernant une affaire identique à la présente affaire aurait
été soulevée par le tribunal de Florence devant la Cour constitutionnelle (voir
les paragraphes 52-53 ci-dessus). Pour le cas oĂč la haute juridiction prendrait
une décision défavorable à la partie demanderesse, il serait toujours loisible
Ă celle-ci dâintroduire une requĂȘte devant la Cour.
B. Position de
la requérante
84. La requérante soutient que toute
action devant le juge ordinaire aurait Ă©tĂ© vouĂ©e Ă lâĂ©chec, le droit interne
interdisant de maniĂšre absolue le don dâembryons Ă des fins de recherche
scientifique.
85. En outre, elle avance que la voie
constitutionnelle ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme Ă©tant un recours Ă Ă©puiser au
sens de lâarticle 35 § 1 de la Convention, le systĂšme juridique italien nâouvrant
pas de recours direct devant la Cour constitutionnelle.
86. Enfin, elle indique que, le 19 mars
2014, le prĂ©sident de la Cour constitutionnelle a ajournĂ© lâexamen de la
question soulevée par le tribunal de Florence à laquelle le Gouvernement se
rĂ©fĂšre dans lâattente de la dĂ©cision que la Grande Chambre prendra sur la
prĂ©sente requĂȘte.
C. Appréciation
de la Cour
87. La
Cour rappelle tout dâabord quâaux termes de lâarticle 35 § 1 de la Convention,
elle ne peut ĂȘtre saisie quâaprĂšs lâĂ©puisement des voies de recours internes.
Tout requĂ©rant doit avoir donnĂ© aux juridictions internes lâoccasion que cette
disposition a pour finalitĂ© de mĂ©nager en principe aux Ătats contractants, Ă
savoir éviter ou redresser les violations alléguées contre eux. Cette rÚgle se
fonde sur lâhypothĂšse que lâordre interne offre un recours effectif quant Ă la
violation allĂ©guĂ©e. Les dispositions de lâarticle 35 § 1 ne
prescrivent toutefois lâĂ©puisement que des seuls recours Ă la fois relatifs aux
violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré
suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans
quoi leur manquent lâeffectivitĂ© et lâaccessibilitĂ© voulues ; il incombe Ă lâĂtat
défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi
beaucoup dâautres, McFarlane c. Irlande [GC],
no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 15,
CEDH 2002‑VIII, Leandro Da Silva c.
Luxembourg, no 30273/07, §§ 40 et 42, 11 fĂ©vrier 2010 et Vučković et autres c. Serbie [GC],
no 17153/11,
§§ 69-77, 25 mars 2014).
88. Dans la présente
affaire, sâappuyant sur le systĂšme de contrĂŽle de constitutionnalitĂ© instituĂ© par les arrĂȘts de la Cour constitutionnelle nos
348 et 349 du 24 octobre 2007, le Gouvernement soutient que les
voies de recours qui Ă©taient ouvertes Ă la requĂ©rante en droit interne nâont
pas été épuisées. à cet égard, il cite des exemples de décisions statuant au
fond et des décisions de la Cour constitutionnelle concernant la loi no
40/2004.
89. La Cour observe dâemblĂ©e que, par les arrĂȘts nos
348 et 349 susmentionnés, la Cour constitutionnelle a défini la place de la
Convention des droits de lâhomme dans les sources du droit interne, considĂ©rant
que celle-ci était une norme de rang intermédiaire entre la loi ordinaire et la
Constitution. En outre, elle a estimĂ© quâil incombait au juge du fond dâinterprĂ©ter
la norme interne de maniĂšre conforme Ă la Convention des droits de lâhomme et Ă
la jurisprudence de la Cour. Elle a prĂ©cisĂ© que, lorsquâune telle
interprétation se révélait impossible ou que le juge du fond avait des doutes
quant à la compatibilité de la norme interne avec la Convention, celui-ci était
tenu de soulever une question de constitutionnalité devant elle.
90. La Cour rappelle
aussi quâen lâabsence dâun recours interne spĂ©cifique Ă la violation allĂ©guĂ©e,
il appartient au Gouvernement de justifier, en sâappuyant sur la jurisprudence
interne, de lâĂ©volution, de la disponibilitĂ©, de la portĂ©e et du champ dâapplication
du recours quâil invoque (voir, mutatis
mutandis, Melnītis c. Lettonie,
no 30779/05, § 50, 28 février
2012, McFarlane précité,
§§ 115-127, Costa et Pavan c. Italie,
no 54270/10, § 37, 28 août 2012 et Vallianatos et
autres c. GrÚce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, §§ 52-58, CEDH 2013 (extraits)).
91. En lâespĂšce, la Cour constate que
le Gouvernement sâest rĂ©fĂ©rĂ© Ă plusieurs affaires portant sur la loi no 40/2004
mais quâil nâa fourni aucun exemple de dĂ©cision interne ayant tranchĂ© la
question du don dâembryons surnumĂ©raires Ă la recherche. La Cour ne saurait dâailleurs
reprocher valablement à la requérante de ne pas avoir introduit de demande
visant Ă lâobtention dâune mesure interdite par la loi.
92. Quant Ă lâargument
du Gouvernement selon lequel, depuis lâadoption
des arrĂȘts nos 348 et 349, le juge du fond a lâobligation dâinterprĂ©ter
la loi dont dĂ©coule lâinterdiction litigieuse Ă la lumiĂšre de la Convention et
de la jurisprudence de Strasbourg alors quâil nây Ă©tait pas tenu auparavant,
plusieurs considĂ©rations conduisent la Cour Ă conclure que cette assertion nâest
pas suivie, dans les faits, par une pratique juridictionnelle Ă©tablie,
notamment dans le domaine de la procréation médicalement assistée.
93. La Cour relĂšve, premiĂšrement, que
dans une affaire similaire Ă celle de lâespĂšce et qui portait sur lâinterdiction
de donner des embryons surnuméraires à la recherche scientifique, le tribunal
de Florence a
décidé, le 7 décembre 2012, de soulever devant la Cour constitutionnelle
la question de la constitutionnalitĂ© de lâarticle 13 de la loi no
40/2004 au regard des articles 9 et 32 de la Constitution, qui garantissent
respectivement la liberté de la recherche scientifique et le droit à la santé
(voir paragraphe 22 ci-dessus). La Cour constate toutefois quâaucune question
tenant Ă la compatibilitĂ© de lâinterdiction en cause avec les droits garantis
par la Convention nâa Ă©tĂ© soulevĂ©e par le juge du fond.
94. Elle note, deuxiĂšmement, que, Ă
quelques exceptions prÚs, les décisions des juges du
fond et de la Cour constitutionnelle relatives Ă la loi no 40/2004
citées par le Gouvernement (voir les paragraphes
78 et 81 ci‑dessus) ne se rĂ©fĂšrent pas Ă la Convention des droits
de lâhomme. Tel est le cas des ordonnances nos 396/2006 et 97/2010 de la Cour constitutionnelle
ainsi que de son arrĂȘt no 151/2009, des ordonnances des
tribunaux de Cagliari, de Florence, de Bologne et de Salerne adoptées le 22 septembre 2007,
le 17 décembre 2007, le 29 juin 2009 et le 9 janvier 2010
respectivement, ainsi que de la décision du tribunal de Florence du
7 décembre 2012.
95. Il est vrai que, dans lâordonnance
no 150 du 22 mai 2012 par laquelle elle a renvoyé au juge du
fond une affaire qui portait sur lâinterdiction de la fĂ©condation hĂ©tĂ©rologue,
la Cour constitutionnelle sâest rĂ©fĂ©rĂ©e, entre autres, aux articles 8 et 14 de
la Convention. Force est de constater toutefois que, dans son arrĂȘt no 162
du 10 juin 2014 concernant cette mĂȘme affaire, la
Cour constitutionnelle nâa analysĂ© lâinterdiction litigieuse quâĂ la lumiĂšre
des articles de la Constitution qui Ă©taient en cause (Ă savoir les articles 2,
31 et 32). Quant aux articles 8 et 14 de la Convention, invoqués uniquement par
un des trois tribunaux du fond (voir le paragraphe 35 ci-dessus), elle sâest
bornĂ©e Ă observer que les questions soulevĂ©es sous lâangle de ces dispositions
Ă©taient couvertes par les conclusions auxquelles elle Ă©tait parvenue sur le
terrain de la Constitution (voir le paragraphe 39 ci-dessus).
96. Dans ces
conditions, les deux seules exceptions Ă lâabsence de prise en compte de la
Convention et de sa jurisprudence sont constituées par les ordonnances des
tribunaux de Cagliari (du 9 novembre 2012) et de Rome (du 15 janvier 2014)
qui, eu Ă©gard aux conclusions de la Cour dans lâaffaire Costa et Pavan (prĂ©citĂ©), ont respectivement garanti lâaccĂšs des
demandeurs au diagnostic préimplantatoire et soulevé une question de
constitutionnalitĂ© sur ce point devant la Cour constitutionnelle. Il nâen
demeure pas moins quâil ne sâagit que de deux cas isolĂ©s sur les onze invoquĂ©s
par le Gouvernement, qui concernent un domaine différent de celui ici en cause
et sur lequel la Cour avait déjà statué.
97. De surcroit, la compatibilitĂ© de lâarticle
13 de la loi no 40/2004 avec les droits garantis par la Convention
Ă©tant une question nouvelle, la Cour nâest guĂšre convaincue que la possibilitĂ©
offerte à la requérante de porter ses griefs devant un juge ordinaire constitue
un remĂšde efficace.
98. Les arrĂȘts nos 348 et 349
eux-mĂȘmes apportent des prĂ©cisions sur la diffĂ©rence des rĂŽles respectifs de la
Cour de Strasbourg et de la Cour constitutionnelle en indiquant quâil
appartient Ă la premiĂšre dâinterprĂ©ter la Convention et quâil revient Ă la seconde
de rechercher sâil existe un conflit entre telle ou telle norme nationale et
les droits garantis par la Convention, Ă la lumiĂšre notamment de lâinterprĂ©tation
fournie par la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme (voir le paragraphe 26
ci-dessus).
99. Dâailleurs,
la décision prise le 19 mars 2014 par le président de la Cour constitutionnelle
dâajourner lâexamen de la question posĂ©e le 7 dĂ©cembre 2012 par le
tribunal de Florence en attendant que la Cour se prononce en lâespĂšce (voir le paragraphe
53 ci-dessus) sâinscrit dans cette logique.
100. Dans
ce contexte, la Cour relĂšve que, dans un arrĂȘt rĂ©cent (no 49, dĂ©posĂ©
le 26 mars 2015) oĂč elle a analysĂ© entre autres la place de la Convention
europĂ©enne des droits de lâhomme et de la jurisprudence de la Cour dans lâordre
juridique interne, la Cour constitutionnelle a indiquĂ© que le juge du fond nâĂ©tait
tenu de se conformer Ă la jurisprudence de la Cour que dans le cas oĂč celle-ci
Ă©tait « bien Ă©tablie » ou Ă©tait Ă©noncĂ©e dans un « arrĂȘt
pilote ».
101. En tout Ă©tat de cause, la Cour a rappelĂ© Ă maintes reprises que, dans lâordre
juridique italien, le justiciable ne jouit pas dâun accĂšs direct Ă la Cour
constitutionnelle : en effet, seule une juridiction qui connaĂźt du fond dâune
affaire a la facultĂ© de la saisir, Ă la requĂȘte dâun plaideur ou dâoffice. DĂšs
lors, pareille requĂȘte ne saurait sâanalyser en un recours dont la Convention
exige lâĂ©puisement (voir, entre autres, Brozicek
c. Italie no 10964/84, 19 décembre 1989, § 34, série A
no 167, Immobiliare Saffi
c. Italie [GC], no 22774/93, § 42, CEDH 1999‑V, C.G.I.L. et Cofferati c. Italie,
no 46967/07, § 48, 24 février 2009, Scoppola
c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 75, 17
septembre 2009 et M.C. et autres
c. Italie, no 5376/11, § 47, 3 septembre 2013). En
revanche, la Commission et la Cour ont jugĂ©, en ce qui concerne dâautres Ătats
membres, que le recours direct devant la Cour constitutionnelle constituait une
voie de recours interne Ă Ă©puiser (voir, par exemple, W. c. Allemagne, no
10785/84, 18 juillet 1986, DĂ©cisions et rapports (DR) 48, p. 104, Union Alimentaria Sanders SA c. Espagne, no 11681/85,
11 décembre 1987 DR 54, pp. 101, 104, S.B. et autres c. Belgique (déc.), no 63403/00, 6
avril 2004 et GriĆĄankova
et GriĆĄankovs c. Lettonie (dĂ©c.), no 36117/02, CEDH 2003‑II
(extraits)).
102. Au vu de ce qui précÚde, la Cour ne
saurait considĂ©rer que le systĂšme dâinterprĂ©tation obligatoire de la norme interne
Ă la lumiĂšre de la Convention Ă©tabli par les arrĂȘts nos 348 et 349
constitue un tournant de nature à réfuter une telle conclusion (voir, a contrario, les récentes décisions de
la Cour reconnaissant lâefficacitĂ© du recours devant la Cour constitutionnelle
turque Ă la suite de la mise en place dâun recours individuel direct devant
celle-ci : Hasan Uzun
c. Turquie
(déc.), no 10755/13, §§ 25-27, 30 avril 2013 et Ali Koçintar c. Turquie (déc.), no 77429/12, 1er
juillet 2014).
103. Il convient
de saluer les principes dégagés par les
arrĂȘts nos 348
et 349 du 24 octobre 2007, notamment quant Ă la place revenant Ă la Convention dans les
sources du droit et Ă lâinvitation
faite aux autoritĂ©s judiciaires nationales dâinterprĂ©ter les normes internes et
la Constitution Ă la lumiĂšre de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme
et de la jurisprudence de la Cour. La
Cour note aussi que, dans des matiÚres autres que la procréation médicalement
assistée, nombreuses ont été les décisions dans lesquelles la Cour
constitutionnelle a conclu Ă lâinconstitutionnalitĂ© dâune
norme interne sur la base, entre autres, de lâincompatibilitĂ© de celle-ci avec
les droits garantis par la Convention et la jurisprudence de la Cour (tel est
notamment le cas de lâarrĂȘt no 39 du 5 mars 2008 relatif aux
incapacitĂ©s attachĂ©es Ă la faillite, de lâarrĂȘt no 93 du 17 mars
2010 portant sur la publicitĂ© des audiences dans les procĂ©dures dâapplication
des mesures provisoires, et de lâarrĂȘt no 210 du 3 juillet 2013
ayant trait à la rétroactivité de la loi pénale).
104. Toutefois, il y a lieu de relever tout dâabord
que le systĂšme italien ne prĂ©voit pour les particuliers quâun recours indirect
devant la Cour constitutionnelle. En outre, le Gouvernement nâa pas dĂ©montrĂ©,
en sâappuyant sur une jurisprudence et une pratique Ă©tablies, quâen matiĂšre de
donation dâembryons Ă la recherche, lâexercice par la requĂ©rante dâune action
devant le juge du fond, combiné avec le devoir de ce dernier de soulever devant
la Cour constitutionnelle une question de constitutionnalité à la lumiÚre de la
Convention, constituait, en lâespĂšce, une voie de recours effective que lâintĂ©ressĂ©e
aurait dĂ» Ă©puiser.
105. Eu égard à ce qui précÚde et au fait que
la Cour constitutionnelle a dĂ©cidĂ© de suspendre lâexamen dâune affaire
similaire pendante devant elle en attendant que la Cour statue dans la présente
affaire, il convient de rejeter lâexception soulevĂ©e par le gouvernement
défendeur.
II. SUR LE RESPECT DU DĂLAI DE SIX MOIS
A. Position du
Gouvernement
106. Lors de lâaudience, le Gouvernement
a excipĂ© de la tardivitĂ© de la requĂȘte, faisant valoir que la loi qui interdit
le don dâembryons Ă la recherche scientifique est entrĂ©e en vigueur le 10 mars
2004 et que la requĂ©rante nâa sollicitĂ© la mise Ă disposition de ses embryons
en vue dâun tel don que le 14 dĂ©cembre 2011, par une lettre adressĂ©e Ă
cette date au centre de mĂ©decine de la reproduction oĂč ceux-ci Ă©taient
cryoconservés.
B. Position de
la requérante
107. La requérante a répliqué à cette
exception au cours de lâaudience en indiquant que, si elle avait adressĂ© une
demande écrite de mise à disposition de ses embryons au centre de médecine de la reproduction le 14 décembre 2011,
elle avait auparavant formulĂ© oralement dâautres demandes ayant le mĂȘme objet.
108. En tout Ă©tat de cause, lâintĂ©ressĂ©e
soutient que toute demande adressée au centre
de mĂ©decine de la reproduction Ă©tait vouĂ©e Ă lâĂ©chec, rappelant que la
loi applicable interdit catĂ©goriquement le don dâembryons Ă la recherche
scientifique.
C. Appréciation
de la Cour
109. La
Cour rappelle avoir reconnu que, lorsquâune ingĂ©rence dans le droit invoquĂ© par
un requĂ©rant dĂ©coule directement dâune loi, celle-ci, par son seul maintien en
vigueur, peut reprĂ©senter une ingĂ©rence permanente dans lâexercice du droit concernĂ© (voir, par exemple, les affaires
Dudgeon c. Royaume-Uni, 22
octobre 1981, § 41, série A no 45, et Norris c. Irlande,
26 octobre 1988, § 38, série A no 142, dans lesquelles les
requérants, homosexuels, se plaignaient de ce que des lois réprimant les actes
homosexuels par des sanctions pénales portaient atteinte à leur droit au
respect de leur vie privée).
110. La
Cour sâest fondĂ©e sur cette approche dans lâaffaire Vallianatos et
autres c. GrÚce ([GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 54, CEDH 2013 (extraits)), dans
laquelle les requĂ©rants se plaignaient dâune violation continue des articles 14
et 8 de la Convention du fait de lâimpossibilitĂ© pour eux, en tant que couples
de mĂȘme sexe, de conclure des « pactes de vie commune », tandis que cette
possibilité était reconnue par la loi aux couples de sexe opposé. En outre,
dans lâaffaire S.A.S. c. France ([GC], no 43835/11, § 110, CEDH 2014 (extraits)), qui
concernait lâinterdiction lĂ©gale de porter une tenue destinĂ©e Ă dissimuler le
visage dans lâespace public, la Cour a relevĂ© que la situation de la requĂ©rante
Ă©tait similaire Ă celle des requĂ©rants dans les affaires Dudgeon et Norris, oĂč
elle avait constatĂ© une ingĂ©rence continue dans lâexercice des droits protĂ©gĂ©s
par lâarticle 8 de la Convention.
111. La
Cour admet que, dans les affaires prĂ©citĂ©es, lâimpact des mesures lĂ©gislatives
incriminées sur la vie quotidienne des requérants était plus important et plus
direct quâen lâespĂšce. NĂ©anmoins, on ne saurait nier que lâinterdiction lĂ©gale
du don dâembryons Ă la recherche scientifique en cause dans la prĂ©sente affaire
a une incidence sur la vie privée de la requérante. Cette incidence, qui
rĂ©sulte du lien biologique existant entre lâintĂ©ressĂ©e et ses embryons ainsi
que de lâobjectif de rĂ©alisation dâun projet familial Ă lâorigine de leur
crĂ©ation, dĂ©coule directement de lâentrĂ©e en vigueur de la loi no 40/2004
et sâanalyse en une situation continue en ce quâelle affecte la requĂ©rante de
maniĂšre permanente depuis lors (voir le rapport final de la Commission dâĂ©tude
sur les embryons du 8 janvier 2010, qui Ă©met lâhypothĂšse dâune
conservation sans limite de durée des embryons congelés, paragraphe 21
ci-dessus).
112. En
pareil cas, selon la jurisprudence de la Cour, le délai de six mois ne commence
Ă courir quâĂ partir du moment oĂč la situation en cause a pris fin (voir parmi
dâautres, Ăınar c. Turquie, no 17864/91, dĂ©cision
de la Commission du 5 septembre 1994). En conséquence, la Cour ne souscrit pas
Ă la thĂšse du Gouvernement selon laquelle ce dĂ©lai court Ă partir du jour de lâentrĂ©e
en vigueur de la loi litigieuse.
113. Par
ailleurs, la thÚse du Gouvernement équivaut à considérer que la requérante
dĂ©sirait donner ses embryons dĂšs lâentrĂ©e en vigueur de la loi litigieuse,
circonstance sur laquelle la Cour ne saurait spéculer.
114. Lâexception
de tardivitĂ© de la requĂȘte soulevĂ©e par le Gouvernement au titre de lâarticle
35 § 1 de la Convention ne saurait donc ĂȘtre retenue.
III. SUR LA QUALITĂ DE VICTIME DE LA
REQUĂRANTE
A. Position du
Gouvernement
115. Le
Gouvernement excipe Ă©galement de lâabsence de qualitĂ© de victime de la
requĂ©rante, indiquant que, au cours de la pĂ©riode allant du 12 novembre 2003 â date du
dĂ©cĂšs du compagnon de lâintĂ©ressĂ©e â au 10 mars 2004, date de lâentrĂ©e en
vigueur de la loi no 40/2004, la requérante aurait pu donner
ses embryons Ă la recherche puisquâil nâexistait alors aucune rĂ©glementation en
la matiĂšre et quâun tel don nâĂ©tait donc pas interdit.
B. Position de
la requérante
116. La
requĂ©rante a soulignĂ© au cours de lâaudience que le dĂ©lai qui sâĂ©tait Ă©coulĂ©
entre la date du dĂ©cĂšs de son compagnon et lâentrĂ©e en vigueur de la loi
litigieuse avait Ă©tĂ© trĂšs court â quatre mois environ â et quâelle nâavait pu
prendre dans ce laps de temps de dĂ©cision prĂ©cise quant au sort quâelle voulait
rĂ©server aux embryons issus de la fĂ©condation in vitro quâelle avait effectuĂ©e.
C. Appréciation
de la Cour
117. La
Cour rappelle que, lorsquâune ingĂ©rence dans la vie privĂ©e dâun requĂ©rant
dĂ©coule directement dâune loi, celle-ci, par son maintien en vigueur,
reprĂ©sente une ingĂ©rence permanente dans lâexercice du droit en question. Dans
la situation personnelle de lâintĂ©ressĂ©, elle se rĂ©percute de maniĂšre constante
et directe, par sa seule existence, sur la vie privée de celui-ci (Dudgeon, § 41, et Norris, § 34, précités).
118. En
lâespĂšce, la requĂ©rante se trouve dans lâimpossibilitĂ© de donner ses embryons Ă
la recherche depuis lâentrĂ©e en vigueur de la loi no 40/2004
(voir Ă©galement le paragraphe 113 ci-dessus). La situation litigieuse Ă©tant
restée inchangée depuis ce moment-là , le
fait que la requérante souhaitait donner ses embryons à la recherche au
moment de lâintroduction de sa requĂȘte suffit Ă la Cour pour lui reconnaĂźtre la
qualitĂ© de victime. En outre, quant Ă lâargument du Gouvernement selon lequel
la requérante aurait pu donner ses embryons à la recherche scientifique dans la
pĂ©riode qui sâest Ă©coulĂ©e entre le dĂ©cĂšs de son compagnon et lâentrĂ©e en
vigueur de la loi, la Cour prend acte des informations fournies par la
requérante dont il ressort que, dans le court laps de temps indiqué ci-dessus,
elle nâavait pas pu prendre une dĂ©cision prĂ©cise quant au sort de ses embryons.
119. Il
y a donc lieu de rejeter lâexception du gouvernement dĂ©fendeur tirĂ©e de lâabsence
de qualité de victime de la requérante.
IV. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE
8 DE LA CONVENTION
120. Invoquant
lâarticle 8 de la Convention, la requĂ©rante allĂšgue que lâinterdiction du don dâembryons
Ă des fins de recherche scientifique dĂ©coulant de lâarticle 13 de la loi no
40/2004 emporte violation de son droit au respect de sa vie privĂ©e. Lâarticle 8
est ainsi libellé dans ses parties pertinentes :
« 1. Toute
personne a droit au respect de sa vie privée (...).
2. Il
ne peut y avoir ingĂ©rence dâune autoritĂ© publique dans lâexercice de ce droit
que pour autant que cette ingĂ©rence est prĂ©vue par la loi et quâelle constitue
une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, Ă la sĂ»retĂ© publique, au bien‑ĂȘtre Ă©conomique du pays, Ă la
dĂ©fense de lâordre et Ă la prĂ©vention des infractions pĂ©nales, Ă la protection
de la santĂ© ou de la morale, ou Ă la protection des droits et libertĂ©s dâautrui. »
A. Arguments
des parties
1. Arguments du Gouvernement
121. Le
Gouvernement soutient dâemblĂ©e que la question de savoir si des embryons
humains peuvent ĂȘtre donnĂ©s Ă la recherche scientifique ne relĂšve pas de la
notion de « droit au respect de la vie privée ».
122. Lors
de lâaudience, il a avancĂ© que lâarticle 8 de la Convention nâaurait pu sâappliquer
que « de maniĂšre indirecte » en lâespĂšce, câest-Ă -dire seulement si
la requĂ©rante avait souhaitĂ© rĂ©aliser un projet familial grĂące Ă lâimplantation
de ses embryons et si elle en avait Ă©tĂ© empĂȘchĂ©e en raison de lâapplication de
la loi no 40/2004.
123. En
tout Ă©tat de cause, il plaide que lâingĂ©rence allĂ©guĂ©e dans la vie privĂ©e de la
requĂ©rante est prĂ©vue par la loi et quâelle poursuit un but lĂ©gitime consistant
Ă protĂ©ger la potentialitĂ© de vie dont lâembryon est porteur.
124. Quant
Ă la proportionnalitĂ© de la mesure litigieuse, le Gouvernement sâest limitĂ©
dans ses observations écrites à renvoyer aux considérations développées sur le
terrain de lâarticle 1 du Protocole no 1 Ă la Convention. En
revanche, lors de lâaudience, le Gouvernement a soutenu que la lĂ©gislation
italienne nâĂ©tait pas contradictoire, arguant que la requĂ©rante affirmait Ă
tort que des embryons cryoconservĂ©s ne pouvaient aboutir Ă une vie humaine. Ă
cet Ă©gard, il a avancĂ© que, correctement rĂ©alisĂ©e, la cryoconservation nâĂ©tait
pas limitĂ©e dans le temps et quâil nâexistait encore aucun critĂšre scientifique
permettant de vĂ©rifier la viabilitĂ© dâun embryon cryoconservĂ© sans procĂ©der Ă
sa décongélation.
125. Par
ailleurs, le Gouvernement estime que la loi italienne qui autorise lâavortement
nâest pas incompatible avec lâinterdiction de donner des embryons Ă la
recherche, prĂ©cisant quâen cas dâinterruption de grossesse, la protection de la
vie du fĆtus doit de toute Ă©vidence ĂȘtre mise en balance avec la situation et
les intĂ©rĂȘts de la mĂšre.
126. Au
cours de lâaudience, il a aussi soulignĂ© que lâembryon faisait assurĂ©ment lâobjet
dâune protection en droit europĂ©en. Ă cet Ă©gard, il a avancĂ© que la Convention du Conseil
de lâEurope sur les droits de lâhomme et la biomĂ©decine (« Convention dâOviedo »)
du 4 avril 1997 nâimposait certainement pas aux Ătats dâautoriser
la recherche scientifique destructive sur les embryons, le choix de mettre en
place une telle recherche relevant selon lui de lâample marge dâapprĂ©ciation
accordĂ©e aux Ătats dans ce domaine.
127. En
outre, il indique que les travaux préparatoires de la loi no 40/2004
montrent que celle-ci est le fruit dâun travail important qui a tenu compte de
différentes opinions et des questions scientifiques et éthiques qui se posent
en la matiĂšre. De plus, il prĂ©cise que la loi en question a fait lâobjet de
plusieurs référendums, notamment en ce qui concerne le maintien de son article
13, lesquels ont Ă©chouĂ© parce que le quorum de votants nâavait pas Ă©tĂ© atteint.
128. De
surcroĂźt, sâil reconnaĂźt que la recherche scientifique italienne utilise des
lignĂ©es cellulaires embryonnaires importĂ©es de lâĂ©tranger et rĂ©sultant de la
destruction des embryons originaires, il précise que la production de ces
lignĂ©es nâest pas effectuĂ©e Ă la demande des laboratoires italiens, indiquant
quâil existe dans le monde environ trois cent lignĂ©es cellulaires embryonnaires
mises à la disposition de toute la communauté scientifique. à cet égard, il
souligne que la destruction volontaire dâun embryon humain ne saurait ĂȘtre
comparĂ©e Ă lâutilisation de lignĂ©es cellulaires issues dâembryons humains
précédemment détruits.
129. En
ce qui concerne les financements que lâUnion europĂ©enne accorde Ă la recherche
scientifique, le Gouvernement expose que le VIIĂšme programme-cadre de recherche et
de dĂ©veloppement technologiques et le programme-cadre pour la recherche et lâinnovation
« Horizon 2020 » (voir le paragraphe 64 ci-dessus) ne
prĂ©voient pas le financement de projets impliquant la destruction dâembryons,
que ceux-ci aient été créés en Europe ou importés de pays tiers.
130. Il
souligne enfin que, dans son avis du 18 novembre 2005 relatif Ă lâ« adoption
pour la naissance â ADP » (voir les paragraphes 19-20 ci‑dessus),
le ComitĂ© national pour la bioĂ©thique sâĂ©tait dĂ©jĂ prĂ©occupĂ© du sort des
embryons surnuméraires afin de trouver des solutions qui respectent la vie de
ceux-ci.
131. Il
estime que cette perspective pourrait aujourdâhui se concrĂ©tiser compte tenu de
lâarrĂȘt no 162 du 10 juin 2014 par lequel la Cour constitutionnelle
a dĂ©clarĂ© inconstitutionnelle lâinterdiction de la fĂ©condation hĂ©tĂ©rologue,
permettant ainsi lâutilisation des embryons surnumĂ©raires dâune fĂ©condation in vitro Ă des fins non destructives,
conformĂ©ment Ă lâobjectif poursuivi par la lĂ©gislation italienne en cette
matiĂšre.
2. Arguments de la requérante
132. La
requĂ©rante affirme dâabord quâau sens de la jurisprudence de la Cour, la notion de « vie privĂ©e » est large
(Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02,
§ 61, CEDH 2002‑III et Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 71, CEDH 2007‑I).
133. Elle
signale ensuite quâelle a perdu son compagnon dans des circonstances tragiques,
raison pour laquelle elle nâa pu rĂ©aliser son projet familial. Ă lâaudience,
elle a expliquĂ© que quatre mois seulement sâĂ©taient Ă©coulĂ©s entre le dĂ©cĂšs de
son compagnon et lâentrĂ©e en vigueur de la loi, quâelle nâavait donc pas eu le
temps nĂ©cessaire pour rĂ©flĂ©chir Ă la mise en place dâun projet familial, et que
la loi interdisait en tout Ă©tat de cause lâimplantation dâembryons post mortem.
134. Dans
ce contexte, elle considĂšre que lâĂtat lui impose de surcroĂźt dâassister Ă la
destruction de ses embryons sans lui permettre de les donner Ă la recherche
alors quâun tel don, qui poursuivrait une noble cause, reprĂ©senterait pour elle
une source de réconfort aprÚs les événements douloureux auxquels elle a été
confrontée. Dans ces conditions, elle estime que son droit à la vie privée se
trouve en cause.
135. Elle
considĂšre en outre que lâinterdiction litigieuse est dĂ©pourvue de toute
logique, la seule voie offerte par le systĂšme Ă©tant celle de la mort des
embryons. Au cours de lâaudience, elle a notamment mis en exergue les
contradictions existant dans lâordre juridique italien, avançant que le droit
de lâembryon Ă la vie invoquĂ© par le Gouvernement ne se conciliait ni avec la
possibilitĂ© pour les femmes dâavorter jusquâau troisiĂšme mois de grossesse ni
avec lâutilisation, par les laboratoires italiens, de lignĂ©es cellulaires
embryonnaires issues de la destruction dâembryons crĂ©Ă©s Ă lâĂ©tranger.
136. De
plus, elle estime que la possibilité de donner des embryons non destinés à une
implantation rĂ©pondrait aussi Ă un intĂ©rĂȘt public, car les recherches sur les
cellules souches pluripotentes induites nâont pas encore remplacĂ© les
recherches sur les cellules staminales, raison pour laquelle ces derniĂšres
continuent Ă figurer parmi les voies de recherche les plus prometteuses,
notamment en ce qui concerne le traitement de certaines pathologies incurables.
137. Elle
soutient aussi que lâĂtat ne dispose pas dâune large marge dâapprĂ©ciation en lâespĂšce,
compte tenu notamment du consensus européen existant sur la possibilité de
donner Ă la recherche scientifique des embryons qui ne sont pas destinĂ©s Ă ĂȘtre
implantés.
138. Lors
de lâaudience, elle sâest rĂ©fĂ©rĂ©e Ă lâarrĂȘt rendu le 18 octobre 2011
par la Cour de justice de lâUnion europĂ©enne dans lâaffaire Oliver BrĂŒstle c. Greenpeace eV (voir les paragraphes 59 Ă 61 ci‑dessus).
Observant que cet arrĂȘt se borne Ă interdire la brevetabilitĂ© des inventions
qui impliquent la
destruction dâembryons humains, elle en dĂ©duit que les
inventions elles-mĂȘmes â et les recherches qui les prĂ©cĂšdent â ne sont pas
interdites sur le plan européen.
139. Enfin,
elle estime que la Communication de la Commission europĂ©enne relative Ă lâinitiative
citoyenne européenne « Un de nous » du 28 mai 2014 (voir les
paragraphes 65-66 ci-dessus) confirme que le financement des recherches sur les
cellules souches embryonnaires humaines est autorisé.
3. Observations des tiers intervenants
a) Le
Centre europĂ©en pour la justice et les droits de lâhomme (lâ« ECLJ »)
140. LâECLJ
avance que, dans la prĂ©sente affaire, les intĂ©rĂȘts de la science â auxquels est
sensible la requĂ©rante â ne prĂ©valent pas sur le respect dĂ» Ă lâembryon, cela
en raison du principe de la « primautĂ© de lâĂȘtre humain » reconnu par
lâarticle 2 de la Convention dâOviedo.
141. En
outre, il fait observer que, dans toutes les affaires soulevant des questions
liĂ©es Ă la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e portĂ©es devant la Cour, lâingĂ©rence
dans la vie privĂ©e et familiale des requĂ©rants dĂ©coulait dâune loi qui faisait
obstacle Ă la rĂ©alisation dâun projet parental du couple ou de la mĂšre. Il
estime quâil nâen va pas de mĂȘme en lâespĂšce, la requĂ©rante ayant dĂ©cidĂ© de
renoncer Ă son projet familial, alors mĂȘme quâaucune loi nâinterdisait la
gestation post mortem Ă lâĂ©poque de la rĂ©alisation de la fĂ©condation in vitro.
142. Enfin,
il rappelle que la marge dâapprĂ©ciation des Ătats membres dans ce domaine est
ample, renvoyant Ă cet Ă©gard aux arrĂȘts S.H.
et autres c. Autriche et Evans, précités.
b) Les associations « Movimento
per la vita », « Scienza e vita » et « Forum
delle associazioni familiari », représentées par Me Carlo
Casini
143. Ces
associations soutiennent que les expérimentations destructives sur des embryons
humains, qui ont la qualité de « sujet », sont interdites par la loi
et que la Convention dâOviedo nâimpose aucune obligation dâautoriser de telles
expérimentations.
144. Elles
rappellent en outre que les Ă©tats
membres jouissent dans ce domaine dâune large marge dâapprĂ©ciation.
c) Les
associations « Luca Coscioni », « Amica Cicogna Onlus »,
« Lâaltra cicogna Onlus » et « Cerco bimbo »
ainsi que quarante-six membres du Parlement italien, représentés par Me
Filomena Gallo
145. Ces
tiers intervenants avancent que la notion de « vie privée » est
Ă©volutive, quâelle ne se prĂȘte pas Ă une dĂ©finition exhaustive, et que la
requérant revendique notamment le droit au respect de son choix de donner à la recherche
du matériel biologique qui lui appartient, à savoir des embryons qui ne sont
plus destinés à un projet parental et qui sont en tout état de cause voués à la
destruction.
146. Ils
ajoutent que lâingĂ©rence en cause nâest pas justifiĂ©e par lâobjectif invoquĂ©,
la loi italienne nâaccordant pas de protection absolue Ă la vie de lâembryon.
d) Les associations « VOX
â Osservatorio italiano sui Diritti », « SIFES â Society of
Fertility, Sterility and Reproductive Medicine » et « Cittadinanzattiva »,
reprĂ©sentĂ©es par Me Maria Elisa DâAmico, Mme Maria
Paola Costantini, M. Massimo Clara, Mme Chiara Ragni et Mme Benedetta
Liberali
147. Ces
associations soulignent que lâarticle 13 de la loi no 40/2004
entraßne une limitation de la liberté des individus de choisir le sort de leurs
propres embryons, dont la cryoconservation doit ĂȘtre assurĂ©e pour une durĂ©e
illimitée, ce qui entraßne des coûts importants.
148. Selon
elles, la cryoconservation ne présente aucune utilité pour des embryons
destinĂ©s Ă la mort, ni pour les couples, qui sont en gĂ©nĂ©ral peu dĂ©sireux dâutiliser
Ă des fins dâimplantation des embryons cryoconservĂ©s depuis longtemps car la
« qualitĂ© » de ceux-ci sâamenuise avec le temps. Elle serait tout
aussi dĂ©nuĂ©e dâintĂ©rĂȘt pour les centres mĂ©dicaux oĂč les embryons sont
conservés.
B. Appréciation
de la Cour
1. Sur lâapplicabilitĂ© en lâespĂšce de lâarticle 8 de la
Convention et sur la recevabilité du grief soulevé par la requérante
149. Par
la présente affaire, la Cour est appelée pour la premiÚre fois à se prononcer
sur la question de savoir si le « droit au respect de la vie privée »
garanti par lâarticle 8 de la Convention peut englober le droit que la
requĂ©rante invoque devant elle, celui de disposer dâembryons issus dâune
fĂ©condation in vitro dans le but dâen
faire don Ă la recherche scientifique.
150. Le
Gouvernement soutient que la disposition en cause nâaurait pu sâappliquer en lâespĂšce
que de maniÚre indirecte et uniquement dans son volet « vie
familiale », câest-Ă -dire seulement si la requĂ©rante avait souhaitĂ©
rĂ©aliser un projet familial grĂące Ă la cryoconservation et Ă lâimplantation
ultĂ©rieure de ses embryons, et quâelle en avait Ă©tĂ© empĂȘchĂ©e en raison de lâapplication
de la loi no 40/2004.
151. Toutefois,
la requĂ©rante a indiquĂ© dans le formulaire de requĂȘte (voir le paragraphe 14
ci-dessus) et rĂ©itĂ©rĂ© Ă lâaudience (voir le paragraphe 116 ci-dessus) que,
depuis le dĂ©cĂšs de son compagnon, elle nâenvisageait plus la rĂ©alisation dâun
projet familial. Dâailleurs, elle nâa Ă aucun moment allĂ©guĂ© devant la Cour quâil
avait été porté atteinte à son droit au respect de sa vie familiale au titre de
lâarticle 8 de la Convention.
152. En
rĂ©alitĂ©, lâobjet du litige dont la Cour se trouve saisie porte sur la
limitation du droit revendiqué par la requérante de décider du sort de ses
embryons, droit qui relÚve tout au plus de la « vie privée ».
153. Ă
lâinstar de la requĂ©rante, la Cour rappelle dâemblĂ©e que, selon sa
jurisprudence, la notion
de « vie privĂ©e » au sens de lâarticle 8 de la Convention est une
notion large qui ne se prĂȘte pas Ă une dĂ©finition exhaustive et qui englobe
notamment un droit Ă lâautodĂ©termination (Pretty,
précité, § 61). En outre,
cette notion recouvre le droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas
devenir parent (Evans, précité, § 71,
et A, B et C c. Irlande [GC], no
25579/05, § 212, CEDH 2010).
154. Dans
les affaires dont elle a eu Ă connaĂźtre oĂč se posait la question particuliĂšre
du sort Ă rĂ©server aux embryons issus dâune procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e,
la Cour sâest rĂ©fĂ©rĂ©e Ă la libertĂ© de choix des parties.
155. Dans
lâaffaire Evans (prĂ©citĂ©e), en
analysant lâĂ©quilibre Ă mĂ©nager entre les droits conflictuels que les parties Ă
un traitement par fécondation in vitro
peuvent puiser dans lâarticle 8 de la Convention, la Grande Chambre a estimĂ©
« quâil nây a[vait] pas lieu dâaccorder davantage de poids au droit de la
requérante au respect de son choix de devenir parent au sens génétique du terme
quâĂ celui de [son ex-compagnon] au respect de sa volontĂ© de ne pas avoir un
enfant biologique avec elle » (Evans,
précité, § 90).
156. En
outre, dans lâaffaire Knecht c. Roumanie
(no 10048/10, 2 octobre 2012), oĂč la requĂ©rante se plaignait notamment
du refus des autoritĂ©s nationales dâautoriser le transfert de ses embryons du
centre mĂ©dical oĂč ils Ă©taient conservĂ©s vers une clinique spĂ©cialisĂ©e de son
choix, la Cour a jugĂ© que lâarticle 8 nâĂ©tait applicable que sous lâangle
du droit au respect de la vie privĂ©e de lâintĂ©ressĂ©e (Knecht, prĂ©citĂ©, § 55) bien que celle-ci eĂ»t invoquĂ© Ă©galement une
méconnaissance de son droit au respect de sa vie familiale (voir le paragraphe
51 de lâarrĂȘt).
157. Sur
le plan du droit national, la Cour observe que, comme le Gouvernement lâa
soulignĂ© Ă lâaudience, lâarrĂȘt no 162 du 10 juin 2014 par
lequel la Cour constitutionnelle a dĂ©clarĂ© inconstitutionnelle lâinterdiction
de la fécondation hétérologue (voir les paragraphes 34 à 39 ci-dessus) devrait
permettre lâ« adoption pour la naissance », pratique qui consiste pour un couple ou une femme Ă
adopter des embryons surnumĂ©raires Ă des fins dâimplantation et qui avait Ă©tĂ© envisagĂ©e
par le Comité national pour la
bioĂ©thique en 2005. De plus, la Cour note que, dans lâarrĂȘt en
question, la Cour constitutionnelle a considéré que le choix des demandeurs de
devenir parents et de fonder une famille avec des enfants relevait de
« leur libertĂ© dâautodĂ©termination concernant la sphĂšre de leur vie privĂ©e
et familiale » (voir le paragraphe 37 ci-dessus). Il en rĂ©sulte que lâordre
juridique italien accorde aussi du poids à la liberté de choix des parties à un
traitement par fécondation in vitro
en ce qui concerne le sort des embryons non destinĂ©s Ă lâimplantation.
158. En
lâespĂšce, la Cour doit aussi avoir Ă©gard au lien existant entre la personne qui
a eu recours à une fécondation in vitro
et les embryons ainsi conçus, et qui tient au fait que ceux-ci renferment le
patrimoine génétique de la personne en question et représentent à ce titre une
partie constitutive de celle-ci et de son identité biologique.
159. La
Cour en conclut que la possibilitĂ© pour la requĂ©rante dâexercer un choix
conscient et réfléchi quant au sort à réserver à ses embryons touche un aspect
intime de sa vie personnelle et relĂšve Ă ce titre de son droit Ă lâautodĂ©termination.
Lâarticle 8 de la Convention, sous lâangle du droit au respect de la vie
privĂ©e, trouve donc Ă sâappliquer en lâespĂšce.
160. La
Cour constate enfin que ce grief nâest pas manifestement mal fondĂ© au sens de lâarticle
35 § 3 a) de la Convention et quâil ne se heurte Ă aucun autre motif dâirrecevabilitĂ©.
Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond du grief soulevé par la requérante
a) Sur lâexistence dâune
« ingérence » « prévue par la loi »
161. Ă lâinstar des parties, la Cour
estime que lâinterdiction faite par lâarticle 13 de la loi no 40/2004
de donner Ă la recherche scientifique des embryons issus dâune fĂ©condation in vitro non destinĂ©s Ă lâimplantation constitue
une ingérence dans le droit de la requérante au respect de sa vie privée. Elle
rappelle Ă cet Ă©gard que, Ă lâĂ©poque oĂč la requĂ©rante a eu recours Ă une
fécondation in vitro, la question du
don des embryons non implantĂ©s issus de cette technique nâĂ©tait pas
rĂ©glementĂ©e. Par consĂ©quent, jusquâĂ lâentrĂ©e en vigueur de la loi litigieuse,
il nâĂ©tait nullement interdit Ă la requĂ©rante de donner ses embryons Ă la
recherche scientifique.
b) Sur la
légitimité du but poursuivi
162. Au cours de lâaudience, le
Gouvernement a indiquĂ© que lâobjectif poursuivi par la mesure litigieuse
consistait Ă
protĂ©ger la « potentialitĂ© de vie dont lâembryon est porteur ».
163. La
Cour rappelle que lâĂ©numĂ©ration des exceptions au droit au respect de la vie
privĂ©e qui figure dans le second paragraphe de lâarticle 8 est exhaustive
et que la dĂ©finition de ces exceptions est restrictive. Pour ĂȘtre compatible
avec la Convention, une restriction Ă ce droit doit notamment ĂȘtre inspirĂ©e par
un but susceptible dâĂȘtre rattachĂ© Ă lâun de ceux que cette disposition Ă©numĂšre
(S.A.S. c. France précité, § 113).
164. La
Cour relÚve que, tant dans ses observations écrites que dans la réponse à la
question qui lui a Ă©tĂ© posĂ©e Ă lâaudience, le Gouvernement ne sâest pas rĂ©fĂ©rĂ©
aux clauses du deuxiĂšme paragraphe de lâarticle 8 de la Convention.
165. Toutefois,
dans ses observations Ă©crites portant sur lâarticle 8 de la Convention, le
Gouvernement a renvoyĂ© aux considĂ©rations quâil avait exposĂ©es sur le terrain
de lâarticle 1 du Protocole no 1 Ă la Convention (voir le paragraphe
124 ci-dessus) selon lesquelles, dans lâordre juridique italien, lâembryon
humain est considĂ©rĂ© comme un sujet de droit devant bĂ©nĂ©ficier du respect dĂ» Ă
la dignité humaine (voir le paragraphe 205 ci-dessous).
166. La
Cour relĂšve Ă©galement que, dans le mĂȘme ordre dâidĂ©es, deux tierces parties (lâ« ECLJ »
et les associations « Movimento per
la vita », « Scienza e
vita » et « Forum delle
associazioni familiari ») soutiennent que lâembryon humain a la qualitĂ©
de « sujet » (voir les paragraphes 140 et 143 ci-dessus).
167. La
Cour admet que la « protection de la potentialitĂ© de vie dont lâembryon
est porteur » peut ĂȘtre rattachĂ©e au but de protection de la morale et des
droits et libertĂ©s dâautrui, au sens oĂč cette notion est entendue par le
Gouvernement, (voir aussi Costa et Pavan,
prĂ©citĂ©, §§ 45 et 59). Toutefois, cela nâimplique aucun jugement de la Cour sur
le point de savoir si le mot « autrui » englobe lâembryon humain (A, B et C c. Irlande, prĂ©citĂ©,
§ 228).
c) Sur la nécessité de la mesure dans
une société démocratique
i. Les
principes dégagés par la jurisprudence de la Cour en matiÚre de procréation
médicalement assistée
168. La Cour
rappelle que pour apprĂ©cier la « nĂ©cessitĂ© » dâune mesure litigieuse
« dans une société démocratique » il lui faut examiner, à la lumiÚre
de lâensemble de lâaffaire, si les motifs invoquĂ©s pour justifier la mesure en
question sont pertinents et suffisants aux fins de lâarticle 8 § 2
(voir, parmi beaucoup dâautres, S.H. et
autres c. Autriche, précité, § 91, Olsson
c. SuÚde (no 1), 24 mars 1988, § 68, série A no
130, K. et T. c. Finlande [GC],
no 25702/94, § 154, CEDH 2001-VII, Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 65, CEDH
2002-I, et P., C. et S. c. Royaume‑Uni,
no 56547/00, § 114, CEDH 2002-VI).
169. En
outre, pour se prononcer sur lâampleur de la marge dâapprĂ©ciation Ă accorder Ă
lâĂtat dans une affaire soulevant des questions au regard de lâarticle 8, il y
a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Lorsquâun aspect
particuliĂšrement important de lâexistence ou de lâidentitĂ© dâun individu se
trouve en jeu, la marge laissĂ©e Ă lâĂtat est dâordinaire restreinte (Evans, prĂ©citĂ©, § 77, avec les
rĂ©fĂ©rences qui sây trouvent citĂ©es, et Dickson
c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, § 78, CEDH 2007‑V).
Par contre, lorsquâil nây a pas de consensus au sein des Ătats membres du
Conseil de lâEurope, que ce soit sur lâimportance relative de lâintĂ©rĂȘt en jeu
ou sur les meilleurs moyens de le protĂ©ger, en particulier lorsque lâaffaire
soulĂšve des questions morales ou Ă©thiques dĂ©licates, la marge dâapprĂ©ciation
est plus large (S.H. et autres c.
Autriche, précité, § 94, Evans,
précité, § 77, X, Y et Z c. Royaume-Uni,
22 avril 1997, § 44, Recueil des arrĂȘts
et dĂ©cisions 1997‑II, FrettĂ© c.
France, no 36515/97, § 41, CEDH 2002-I, Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no
28957/95, § 85, CEDH 2002‑VI, et A,
B et C c. Irlande, précité, § 232).
170. La Cour a
également observé que, en tout état de cause, « les choix
opĂ©rĂ©s par le lĂ©gislateur en la matiĂšre nâĂ©chappent pas [Ă son] contrĂŽle. Il
[lui] incombe dâexaminer attentivement les arguments dont le lĂ©gislateur a tenu
compte pour parvenir aux solutions quâil a retenues et de rechercher si un
juste Ă©quilibre a Ă©tĂ© mĂ©nagĂ© entre les intĂ©rĂȘts de lâĂtat et ceux des individus
directement touchés par les solutions en question » (S.H. et autres c. Autriche, précitée, § 97).
171. Dans
lâaffaire prĂ©citĂ©e, la Cour a aussi relevĂ© que le parlement autrichien nâavait
pas encore « procédé à un réexamen approfondi des rÚgles régissant la
procrĂ©ation artificielle Ă la lumiĂšre de lâĂ©volution rapide que connaissent la
science et la société à cet égard » et elle a rappelé que « le
domaine en cause, qui paraßt se trouver en perpétuelle évolution et connaßt des
Ă©volutions scientifiques et juridiques particuliĂšrement rapides, appelle un
examen permanent de la part des Ătats contractants » (S.H. et autres c. Autriche, prĂ©citĂ©e, §§ 117 et 118).
172. Dans
lâaffaire Costa et Pavan (prĂ©citĂ©, §
64), la Cour a jugé que la législation italienne sur le diagnostic
prĂ©implantatoire manquait de cohĂ©rence en ce quâelle interdisait de limiter lâimplantation
aux seuls embryons indemnes de la maladie dont les intéressés étaient porteurs
sains alors quâelle autorisait la requĂ©rante Ă avorter dâun fĆtus qui aurait
été atteint de la maladie en question.
173. En
outre, elle a estimĂ© quâelle nâavait pas pour tĂąche de se substituer aux
autorités nationales dans le choix de la réglementation la plus appropriée en
matiĂšre de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e, soulignant notamment que lâutilisation
des techniques de fécondation in vitro
soulĂšve des questions dĂ©licates dâordre moral et Ă©thique, dans un domaine en
évolution continue (Knecht, précité,
§ 59).
ii. Application
en lâespĂšce des principes susmentionnĂ©s
174. La
Cour rappelle dâemblĂ©e que la prĂ©sente espĂšce ne concerne pas un projet
parental, Ă la diffĂ©rence des affaires citĂ©es ci-dessus. Dans ces conditions, sâil
nâest assurĂ©ment pas dĂ©nuĂ© dâimportance, le droit de donner des embryons Ă la
recherche scientifique invoqué par la requérante ne fait pas partie du noyau
dur des droits protĂ©gĂ©s par lâarticle 8 de la Convention en ce quâil ne porte
pas sur un aspect particuliĂšrement important de lâexistence et de lâidentitĂ© de
lâintĂ©ressĂ©e.
175. En
conséquence, et eu égard aux principes dégagés par sa jurisprudence, la Cour
estime quâil y a lieu dâaccorder Ă lâĂtat dĂ©fendeur une ample marge dâapprĂ©ciation
en lâespĂšce.
176. De
plus, elle observe que la question du don dâembryons non destinĂ©s Ă lâimplantation
suscite de toute Ă©vidence « des interrogations dĂ©licates dâordre moral et
éthique » (voir Evans, précité, S.H. et autres c. Autriche,
précité, et Knecht, précité) et que
les éléments de droit comparé dont elle dispose (voir les paragraphes 69 à 76
ci-dessus) montrent quâil nâexiste
en la matiĂšre aucun consensus europĂ©en, contrairement Ă ce quâaffirme la
requérante (voir le paragraphe 137 ci-dessus).
177. Certes,
certains Ătats membres ont adoptĂ© une approche permissive dans ce
domaine : dix-sept des quarante Ătats membres pour lesquels la Cour
dispose dâinformations en la matiĂšre autorisent la recherche sur les lignĂ©es
cellulaires embryonnaires humaines. Sây ajoutent les Ă©tats oĂč ce domaine nâest pas rĂšglementĂ©, mais dont les
pratiques sont permissives en la matiĂšre.
178. Toutefois,
certains Ă©tats (Andorre, la
Lettonie, la Croatie et Malte) se sont dotĂ©s dâune lĂ©gislation interdisant
expressĂ©ment toute recherche sur les cellules embryonnaires. Dâautres nâautorisent
les recherches de ce genre que sous certaines conditions strictes, exigeant par
exemple quâelles visent Ă protĂ©ger la santĂ© de lâembryon ou quâelles utilisent
des lignĂ©es cellulaires importĂ©es de lâĂ©tranger (câest le cas de la Slovaquie,
de lâAllemagne et de lâAutriche, tout comme de lâItalie).
179. LâItalie
nâest donc pas le seul Ătat membre du Conseil de lâEurope Ă proscrire le don dâembryons
humains Ă des fins de recherche scientifique.
180. De
plus, les documents prĂ©citĂ©s du Conseil de lâEurope et de lâUnion europĂ©enne
confirment que les autoritĂ©s nationales jouissent dâune ample marge de
discrĂ©tion pour adopter des lĂ©gislations restrictives lorsque la destruction dâembryons
humains est en jeu, compte tenu notamment des questions dâordre Ă©thique et
moral que la notion de commencement de la vie humaine comporte et de la
pluralitĂ© de vues existant Ă ce sujet parmi les diffĂ©rents Ătats membres.
181. Il
en va notamment ainsi de la Convention dâOviedo, dont lâarticle 27 prĂ©voit
quâaucune de ses dispositions ne doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme limitant la
facultĂ© de chaque Partie dâaccorder une protection plus Ă©tendue Ă lâĂ©gard des
applications de la biologie et de la mĂ©decine. Lâavis no 15
adoptĂ© le 14 novembre 2000 par le Groupe europĂ©en dâĂ©thique des sciences
et des nouvelles technologies auprÚs de la Commission européenne, la Résolution
1352 (2003) de lâAssemblĂ©e parlementaire du Conseil de lâEurope relative Ă la recherche
sur les cellules souches et le RĂšglement no 1394/2007 du
Parlement Européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les
médicaments de thérapie innovante comportent des dispositions similaires (voir le
paragraphe 58, le point III lettre F et le point IV lettre B ci-dessus).
182. Les
limites imposées au niveau européen visent plutÎt à freiner les excÚs dans ce
domaine. Câest le cas par exemple de lâinterdiction de crĂ©er des embryons
humains Ă des fins de recherche scientifique, prĂ©vue par lâarticle 18 de la
Convention dâOviedo, ou de lâinterdiction de breveter des inventions
scientifiques dont le processus dâĂ©laboration implique la destruction dâembryons
humains (voir lâarrĂȘt de la Cour de justice de lâUnion europĂ©enne Oliver BrĂŒstle c. Greenpeace eV du 18 octobre 2011).
183. Cela
Ă©tant, la marge dâapprĂ©ciation de lâĂtat nâest pas illimitĂ©e et il incombe Ă la
Cour dâexaminer les arguments dont le lĂ©gislateur a tenu compte pour parvenir
aux solutions quâil a retenues ainsi que de rechercher si un juste Ă©quilibre a
Ă©tĂ© mĂ©nagĂ© entre les intĂ©rĂȘts de lâĂtat et ceux des individus directement
touchés par les solutions en question (Evans,
précité, § 86 et S.H. et autres c.
Autriche, précité, § 97).
184. La
Cour relĂšve dans ce contexte que, sâappuyant sur des documents relatifs aux
travaux préparatoires de la loi no 40/2004, le Gouvernement a
indiquĂ© Ă lâaudience que lâĂ©laboration de la loi avait donnĂ© lieu Ă un
important débat qui avait tenu compte des différentes opinions et des questions
scientifiques et Ă©thiques existant en la matiĂšre (voir le paragraphe 127
ci-dessus).
185. Il
ressort en effet dâun rapport de la XIIe Commission permanente
présenté au Parlement le 26 mars 2002 que le débat a été enrichi par les
contributions de médecins, spécialistes et associations engagées dans le
domaine de la procréation médicalement assistée et que les discussions les plus
vives ont porté en général sur la sphÚre des libertés individuelles, opposant
les partisans dâune conception laĂŻque de lâĂtat aux tenants dâune approche
confessionnelle de celui-ci.
186. De
plus, lors des débats du 19 janvier 2004, la loi no 40/2004
avait également été critiquée entre autres parce que la reconnaissance de la
qualitĂ© de sujet de droit Ă lâembryon opĂ©rĂ©e par son premier article entraĂźnait
selon certains une sĂ©rie dâinterdictions, notamment celle de recourir Ă la
fĂ©condation hĂ©tĂ©rologue et dâutiliser Ă des fins la recherche scientifique des
embryons cryoconservés non destinés à une implantation.
187. Par
ailleurs, Ă lâinstar du Gouvernement, la Cour rappelle que la loi no
40/2004 a fait lâobjet de plusieurs rĂ©fĂ©rendums, qui ont Ă©chouĂ© faute de
quorum. Afin de promouvoir le développement de la recherche scientifique en
Italie dans le domaine des maladies difficilement curables, lâun de ceux-ci
proposait notamment lâabrogation de la clause de lâarticle 13 qui
subordonne lâautorisation de mener des recherches
scientifiques sur des embryons à la condition de protéger leur santé et leur développement.
188. La Cour constate donc que, lors du
processus dâĂ©laboration de la loi litigieuse, le lĂ©gislateur avait dĂ©jĂ tenu
compte des diffĂ©rents intĂ©rĂȘts ici en cause, notamment
celui de lâĂtat Ă protĂ©ger lâembryon et celui des personnes concernĂ©es Ă
exercer leur droit Ă lâautodĂ©termination individuelle sous la forme dâun don de
leurs embryons Ă la recherche.
189. La
Cour relÚve ensuite que la requérante allÚgue que la législation italienne
relative à la procréation médicalement assistée est incohérente, en vue de
dĂ©montrer le caractĂšre disproportionnĂ© de lâingĂ©rence dont elle se plaint.
190. Dans
ses observations Ă©crites et Ă lâaudience, lâintĂ©ressĂ©e a notamment
soulignĂ© quâil Ă©tait difficile de concilier la protection de lâembryon mise en
avant par le Gouvernement avec, dâune part, la possibilitĂ© pour une femme de
recourir lĂ©galement Ă un avortement thĂ©rapeutique jusquâau troisiĂšme mois de
grossesse et, dâautre part, lâutilisation par les chercheurs italiens de
lignĂ©es cellulaires embryonnaires issues dâembryons ayant Ă©tĂ© dĂ©truits Ă lâĂ©tranger.
191. La
Cour nâa point pour tĂąche dâanalyser in
abstracto la cohĂ©rence de la lĂ©gislation italienne en la matiĂšre. Pour ĂȘtre
pertinentes aux fins de son examen, les contradictions dénoncées par la requérante
doivent se rapporter Ă lâobjet du grief quâelle soulĂšve devant la Cour, Ă
savoir la limitation de son droit Ă lâautodĂ©termination quant au sort Ă
réserver à ses embryons (voir, mutatis
mutandis, Olsson (no 1)
précité, § 54, et Knecht,
précité, § 59).
192. Quant
aux recherches effectuées en Italie sur des lignées cellulaires embryonnaires
importĂ©es issues dâembryons ayant Ă©tĂ© dĂ©truits Ă lâĂ©tranger, la Cour observe
que, si le droit invoqué par la requérante de décider du sort de ses embryons
est liĂ© Ă son dĂ©sir de contribuer Ă la recherche scientifique, il nây a
toutefois pas lieu dây voir une circonstance affectant directement lâintĂ©ressĂ©e.
193. De
surcroĂźt, la Cour prend acte de lâinformation fournie par le Gouvernement au
cours de lâaudience, selon laquelle les lignĂ©es de cellules embryonnaires
utilisées dans les laboratoires italiens à des fins de recherche ne sont jamais
produites à la demande des autorités italiennes.
194. Elle
partage lâopinion du Gouvernement selon laquelle la destruction volontaire et
active dâun embryon humain ne saurait ĂȘtre assimilĂ©e Ă lâutilisation de lignĂ©es
cellulaires issues dâembryons humains dĂ©truits Ă un stade antĂ©rieur.
195. Elle
en conclut que, mĂȘme Ă les supposer avĂ©rĂ©es, les incohĂ©rences de la lĂ©gislation
alléguées par la requérante ne sont pas de nature à affecter directement le
droit quâelle invoque en lâespĂšce.
196. Enfin,
la Cour constate que, dans la présente affaire, le choix de donner les embryons
litigieux à la recherche scientifique résulte de la seule volonté de la
requĂ©rante, son compagnon Ă©tant dĂ©cĂ©dĂ©. Or la Cour ne dispose dâaucun Ă©lĂ©ment
attestant que ce dernier, qui Ă©tait concernĂ© par les embryons en cause au mĂȘme
titre que la requĂ©rante Ă lâĂ©poque de la fĂ©condation, aurait fait le mĂȘme
choix. Par ailleurs, cette situation ne fait pas non plus lâobjet dâune
réglementation sur le plan interne.
197. Pour
les raisons exposĂ©es ci-dessus, la Cour estime que le Gouvernement nâa pas
excĂ©dĂ© en lâespĂšce lâample marge dâapprĂ©ciation dont il jouit en la matiĂšre et
que lâinterdiction litigieuse Ă©tait « nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ©
dĂ©mocratique » au sens de lâarticle 8 § 2 de la Convention.
198. Il
nây a donc pas eu violation du droit de la requĂ©rante au respect de sa vie
privĂ©e au titre de lâarticle 8 de la Convention.
V. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE
1 DU PROTOCOLE No 1 Ă LA CONVENTION
199. Invoquant
lâarticle 1 du Protocole no 1 Ă la Convention, la requĂ©rante se
plaint de ne pouvoir donner ses embryons et dâĂȘtre obligĂ©e de les maintenir en
Ă©tat de cryoconservation jusquâĂ leur mort. Lâarticle 1 du Protocole no
1 Ă la Convention dispose :
« Toute
personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut ĂȘtre
privĂ© de sa propriĂ©tĂ© que pour cause dâutilitĂ© publique et dans les conditions
prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les
dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possÚdent les
Ătats de mettre en vigueur les lois quâils jugent nĂ©cessaires pour rĂ©glementer
lâusage des biens conformĂ©ment Ă lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ou pour assurer le paiement
des impĂŽts ou dâautres contributions ou des amendes. »
A. Arguments
des parties
1. Arguments du Gouvernement
200. Le
Gouvernement avance dâabord que lâembryon humain ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ©
comme une « chose » et quâil est en tout Ă©tat de cause inacceptable
de lui attribuer une valeur Ă©conomique. Il souligne ensuite que, dans lâordre
juridique italien, lâembryon humain est considĂ©rĂ© comme un sujet de droit
devant bénéficier du respect dû à la dignité humaine.
201. Par
ailleurs, il soutient que la Cour reconnaĂźt aux Ătats membres une large marge dâapprĂ©ciation
en matiÚre de détermination du début de la vie humaine (Evans, précité, § 56), tout particuliÚrement dans des domaines
comme celui-ci, oĂč sont en jeu des questions morales et Ă©thiques complexes qui
ne font pas lâobjet dâun consensus au sein des Ătats membres du Conseil de lâEurope.
202. Il
en conclut quâaucune violation de lâarticle 1 du Protocole no 1 ne
saurait ĂȘtre dĂ©celĂ©e en lâespĂšce.
2. Arguments
de la requérante
203. La
requĂ©rante soutient que les embryons conçus par fĂ©condation in vitro ne sauraient ĂȘtre considĂ©rĂ©s
comme des « individus » puisque, en lâabsence dâimplantation, ils ne
sont pas destinĂ©s Ă se dĂ©velopper pour devenir des fĆtus et naĂźtre. Elle en
déduit que, du point de vue juridique, ils sont des « biens ».
204. Dans
ces conditions, elle estime disposer dâun droit de propriĂ©tĂ© sur ses embryons.
Or elle considĂšre que lâĂtat y a apportĂ© des limitations quâaucun motif dâun
intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ne justifie, la protection de la potentialitĂ© de vie dont les
embryons seraient porteurs ne pouvant ĂȘtre raisonnablement invoquĂ©e Ă cet Ă©gard
dĂšs lors quâils ont vocation Ă ĂȘtre Ă©liminĂ©s.
3. Observations des tiers
intervenants
a) Le
Centre europĂ©en pour la justice et les droits de lâhomme (lâ« ECLJ »)
205. LâECLJ
soutient que les embryons ne sauraient ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des
« choses », et quâils ne peuvent donc pas ĂȘtre dĂ©truits
volontairement. Par ailleurs, il avance que la notion de « bien » a
en soi une connotation Ă©conomique qui est Ă exclure dans le cas dâembryons
humains.
206. Enfin,
il fait observer que la Cour autorise les Ătats Ă dĂ©terminer dans leur ordre
juridique interne « le point de départ du droit à la vie » (Vo c. France [GC], no
53924/00, § 82, CEDH 2004‑VIII) et que, dans ce domaine, elle leur
accorde une ample marge dâapprĂ©ciation (A,
B et C c. Irlande, précité, § 237).
b) Les associations « Movimento
per la vita », « Scienza e vita » et « Forum
delle associazioni familiari », représentées par Me Carlo
Casini
207. Ces
tierces parties excluent que lâembryon humain puisse ĂȘtre vu comme une « chose ».
208. En
outre, elles avancent que la législation italienne en la matiÚre est cohérente.
Si elles reconnaissent que celle-ci autorise lâavortement thĂ©rapeutique, elles
prĂ©cisent que cette possibilitĂ© ne tient pas Ă lâattribution de la qualitĂ© de
« chose » Ă lâembryon mais Ă la prise en compte des diffĂ©rents
intĂ©rĂȘts en cause, notamment celui de la mĂšre.
c) Les
associations « Luca Coscioni », « Amica Cicogna
Onlus », « Lâaltra cicogna Onlus » et « Cerco
un bimbo » ainsi que quarante-six membres du Parlement italien,
représentés par de Me Filomena Gallo
209. Me
Gallo réitÚre les considérations exposées par la requérante concernant le
statut de lâembryon.
d) Les associations « VOX
â Osservatorio italiano sui Diritti », « SIFES â Society of
Fertility, Sterility and Reproductive Medicine » et « Cittadinanzattiva »,
reprĂ©sentĂ©es par Me Maria Elisa DâAmico, Mme Maria
Paola Costantini, M. Massimo Clara, Mme Chiara Ragni et Mme Benedetta
Liberali
210. Ces
tiers intervenants nâont pas prĂ©sentĂ© dâobservations sous lâangle de lâarticle
1 du Protocole no 1 Ă la Convention.
B. Appréciation
de la Cour
1. Les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour
211. La
Cour rappelle que la notion de « bien » au sens de lâarticle 1 du Protocole no
1 a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels
et qui est indépendante des qualifications formelles du droit interne :
certains autres droits et intĂ©rĂȘts constituant des actifs peuvent aussi passer
pour des « droits patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette
disposition. Dans chaque affaire, il importe dâexaminer si les circonstances,
considĂ©rĂ©es dans leur ensemble, ont rendu le requĂ©rant titulaire dâun intĂ©rĂȘt
substantiel protĂ©gĂ© par lâarticle 1 du Protocole no 1 (Iatridis c. GrĂšce [GC], no
31107/96, § 54, CEDH 1999‑II, Beyeler
c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000‑I, et Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96,
§ 129, CEDH 2004-V).
212. Lâarticle
1 du Protocole no 1 ne vaut que pour les biens actuels. Un revenu
futur ne peut ainsi ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un « bien » que sâil a dĂ©jĂ Ă©tĂ© gagnĂ©
ou sâil fait lâobjet dâune crĂ©ance certaine. En outre, lâespoir de voir
reconnaĂźtre un droit de propriĂ©tĂ© que lâon est dans lâimpossibilitĂ© dâexercer
effectivement ne peut non plus ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un « bien », ni une crĂ©ance
conditionnelle qui se trouve caduque par suite de la non-réalisation de la
condition (Gratzinger et Gratzingerova c.
République tchÚque (déc.) [GC], no 39794/98, § 69, CEDH
2002-VII).
213. Cependant,
dans certaines circonstances, lâ« espĂ©rance lĂ©gitime » dâobtenir une valeur
patrimoniale peut Ă©galement bĂ©nĂ©ficier de la protection de lâarticle 1 du
Protocole no 1. Ainsi, lorsque lâintĂ©rĂȘt patrimonial est de lâordre
de la crĂ©ance, lâon peut considĂ©rer que lâintĂ©ressĂ© dispose dâune espĂ©rance
lĂ©gitime si un tel intĂ©rĂȘt prĂ©sente une base suffisante en droit interne, par exemple
lorsquâil est confirmĂ© par une jurisprudence bien Ă©tablie des tribunaux (KopeckĂœ c. Slovaquie [GC], no 44912/98,
§ 52, CEDH 2004-IX).
2. Application en lâespĂšce des principes susmentionnĂ©s
214. La
Cour relĂšve que la prĂ©sente affaire soulĂšve la question prĂ©alable de lâapplicabilitĂ©
de lâarticle 1 du Protocole no 1 Ă la Convention aux faits en cause.
Elle prend acte de ce que les parties ont des positions diamétralement opposées
sur cette question, tout particuliĂšrement en ce qui concerne le statut de lâembryon
humain in vitro.
215. Elle
estime toutefois quâil nâest pas nĂ©cessaire de se pencher ici sur la question,
dĂ©licate et controversĂ©e, du dĂ©but de la vie humaine, lâarticle 2 de la
Convention nâĂ©tant pas en cause en lâespĂšce. Quant Ă lâarticle 1 du Protocole no
1, la Cour est dâavis quâil ne sâapplique pas dans le cas prĂ©sent. En effet, eu
Ă©gard Ă la portĂ©e Ă©conomique et patrimoniale qui sâattache Ă cet article, les
embryons humains ne sauraient ĂȘtre rĂ©duits Ă des « biens » au sens de
cette disposition.
216. Lâarticle
1 du Protocole no 1 Ă la Convention nâĂ©tant pas applicable en lâespĂšce,
cette partie de la requĂȘte doit ĂȘtre rejetĂ©e comme Ă©tant incompatible ratione materiae avec les dispositions
de la Convention, au sens de lâarticle 35 §§ 3 et 4 de celle-ci.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Rejette, Ă lâunanimitĂ©, lâexception de
non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le
Gouvernement ;
2. Rejette,
Ă la majoritĂ©, lâexception de tardivetĂ© de la requĂȘte soulevĂ©e par le
Gouvernement ;
3. Rejette,
Ă la majoritĂ©, lâexception soulevĂ©e par le Gouvernement tirĂ©e de lâabsence de
qualité de victime de la requérante ;
4. DĂ©clare, Ă la majoritĂ©, la requĂȘte
recevable quant au grief tirĂ© de lâarticle 8 de la Convention ;
5. DĂ©clare, Ă lâunanimitĂ©, la requĂȘte
irrecevable quant au grief tirĂ© de lâarticle 1 du Protocole no 1 Ă
la Convention ;
6. Dit, par seize voix contre une, quâil nây
a pas eu violation de lâarticle 8 de la Convention.
Fait en
français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits
de lâhomme, Ă Strasbourg le 27 aoĂ»t 2015.
Johan Callewaert                                                                 Dean Spielmann
Adjoint
au greffier                                                                    Président
Au présent
arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74
§ 2 du rĂšglement, lâexposĂ© des opinions sĂ©parĂ©es suivantes :
â opinion
concordante du juge Pinto de Albuquerque ;
â opinion
concordante du juge Dedov ;
â opinion
en partie concordante commune des juges Casadevall, Raimondi, Berro,
Nicolaou et Dedov ;
â opinion
en partie dissidente commune des juges Casadevall, Ziemele, Power-Forde, De
Gaetano et Yudkivska ;
â opinion
en partie dissidente du juge Nicolaou ;
â opinion
dissidente du juge SajĂł.
D.S.
J.C.
OPINION CONCORDANTE DU
JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
Table des matiĂšres
I.  Introduction (§ 1)
II. La recherche sur lâembryon
humain en droit international (§§ 2-26)
A. Les normes des Nations unies (§§ 2-10)
i.   La Déclaration universelle sur le génome
humain et les droits de lâhomme (§ 2)
ii.  Les Lignes directrices internationales dâĂ©thique
pour la recherche biomédicale impliquant des sujets humains (§ 3)
iii. La Déclaration internationale sur les données
génétiques humaines (§ 4)
iv. La Déclaration des Nations Unies sur le
clonage des ĂȘtres humains (§ 5)
v.  La Déclaration universelle sur la bioéthique
et les droits de lâhomme (§ 6)
vi. Les avis du Comité international de bioéthique
de lâUNESCO (§§ 7‑10)
B. Les normes professionnelles universelles (§§ 11-12)
i.   La DĂ©claration de lâAssociation mĂ©dicale
mondiale (AMM) sur les principes éthiques applicables à la recherche médicale
impliquant des ĂȘtres humains (§ 11)
ii.  Les lignes directrices relatives à la
conduite de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines (Guidelines for the Conduct of Human
Embryonic Stem Cell Research) de la Société internationale pour la
recherche sur les cellules souches (§ 12)
C. Les normes interaméricaines (§ 13)
D. Les normes africaines (§§ 14-15)
E. Les normes européennes (§§ 16-26)
i.   Les normes de lâUnion europĂ©enne (§§ 16-22)
ii.  Les normes du Conseil de lâEurope (§§ 23-26)
III.     La position des parties
(§§ 27-30)
A. Le caractÚre inutile de la restriction légale
italienne (§§ 27-28)
B. Le caractÚre contradictoire du cadre juridique
italien applicable (§ 29)
C. Le consensus européen non prohibitif (§ 30)
IV.     La position de la majorité
(§§ 31-37)
V. Lâapplication des normes de la
Cour (§§ 38-42)
VI.     Conclusion (§ 43)
1. Je nâai pas dâobjection aux dĂ©cisions sur
la recevabilitĂ© et lâirrecevabilitĂ© formulĂ©es par la majoritĂ© de la Grande Chambre[4]. Je ne puis cependant
souscrire au raisonnement de la majorité sur la question de fond qui est en
jeu, Ă savoir lâutilisation dâembryons cryoconservĂ©s aux fins de la recherche
sur les cellules souches. Jâai nĂ©anmoins votĂ©, sans hĂ©sitation, comme la
majoritĂ© en faveur dâun constat de non-violation de lâarticle 8 de la
Convention europĂ©enne des droits de lâhomme (« la Convention »).
II. La
recherche sur lâembryon humain en droit international
A. Les
normes des Nations unies
i. La Déclaration universelle sur le génome
humain et les droits de lâhomme
2. Comme il ressort de lâarticle
6 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
et du neuviĂšme alinĂ©a du prĂ©ambule de la Convention relative aux droits de lâenfant,
le droit international nâest pas indiffĂ©rent Ă la nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger la vie
humaine potentielle. Cependant, lâarticle 15 § 3 du Pacte
international de 1966 sur les droits Ă©conomiques, sociaux et culturels (PIDESC)
engage aussi les Ătats parties « Ă respecter la libertĂ© indispensable Ă la
recherche scientifique ». LâĂtat peut toutefois limiter cette libertĂ©
scientifique aux fins de favoriser le « bien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral dans une sociĂ©tĂ©
dĂ©mocratique ». La protection de la vie humaine Ă naĂźtre âvaleur sociale
indispensable dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique qui concerne le bien-ĂȘtre non
seulement des gĂ©nĂ©rations actuelles mais aussi des gĂ©nĂ©rations futures â
relĂšve assurĂ©ment de la clause de restriction contenue Ă lâarticle 4 du PIDESC,
lue à la lumiÚre du développement du droit international survenu dans la
seconde moitié du XXe siÚcle.
En fait, les Nations unies ont pris dâimportantes
mesures en vue de la reconnaissance de la dignité humaine des embryons, en les
protĂ©geant dans le cadre de la recherche scientifique et de lâexpĂ©rimentation
sur les ĂȘtres humains, Ă commencer par lâadoption de la DĂ©claration universelle
sur le gĂ©nome humain et les droits de lâhomme adoptĂ©e Ă la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale
de lâOrganisation des Nations Unies pour lâĂ©ducation, la science et la culture
(UNESCO) en 1997[5],
confirmĂ©e par lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies en 1998[6]. La
déclaration énonce que le génome humain sous-tend la reconnaissance de la
dignité intrinsÚque et de la diversité de la famille humaine. Chaque individu a
droit au respect de sa dignité et de ses droits, quelles que soient ses
caractéristiques génétiques. Cette dignité impose de ne pas réduire les
individus à leurs caractéristiques génétiques et de respecter le caractÚre
unique de chacun et la diversité des individus. Le génome humain, par nature
Ă©volutif, est sujet Ă des mutations. Il renferme des potentialitĂ©s qui sâexpriment
diffĂ©remment selon lâenvironnement naturel et social de chaque individu. Le
génome humain en son état naturel ne peut donner lieu à des gains pécuniaires.
La dĂ©claration ajoute quâaucune recherche concernant le gĂ©nome humain, ni
aucune de ses applications, en particulier dans les domaines de la biologie, de
la génétique et de la médecine, ne devrait prévaloir sur le respect des droits
de lâhomme, des libertĂ©s fondamentales et de la dignitĂ© humaine des individus
ou de groupes dâindividus. Des pratiques qui sont contraires Ă la dignitĂ©
humaine, telles que le clonage Ă des fins de reproduction dâĂȘtres humains, ne
sont pas permises.
ii. Les Lignes directrices internationales dâĂ©thique
pour la recherche biomédicale impliquant des sujets humains
3. En 2002, le Conseil des
organisations internationales des sciences médicales (CIOMS), en collaboration
avec lâOrganisation mondiale de la santĂ© (OMS), a mis Ă jour les Lignes directrices internationales dâĂ©thique
pour la recherche biomédicale impliquant des sujets humains, qui portent
sur lâapplication Ă la recherche impliquant des sujets humains de trois
principes fondamentaux dâĂ©thique : le respect de la personne, la
bienfaisance et la justice[7]. Cet
instrument dispose donc que la
recherche biomĂ©dicale impliquant des sujets humains ne peut ĂȘtre Ă©thiquement
justifiable que si elle est conduite dâune maniĂšre qui respecte et protĂšge les
sujets de la recherche, qui soit Ă©quitable et qui soit moralement acceptable
dans les communautĂ©s oĂč la recherche est effectuĂ©e[8].
iii. La Déclaration internationale sur les données génétiques
humaines
4. La DĂ©claration internationale sur
les donnĂ©es gĂ©nĂ©tiques humaines a Ă©tĂ© adoptĂ©e par la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de lâUNESCO
en octobre 2003[9].
Elle a pour objectifs dâassurer le respect de la dignitĂ© humaine et la
protection des droits de lâhomme et des libertĂ©s fondamentales dans la
collecte, le traitement, lâutilisation et la conservation des donnĂ©es
génétiques humaines, des données protéomiques humaines et des échantillons
biologiques à partir desquels elles sont obtenues, conformément aux impératifs
dâĂ©galitĂ© et de justice. La dĂ©claration Ă©nonce que chaque individu a une
constitution gĂ©nĂ©tique caractĂ©ristique. Toutefois, lâidentitĂ© dâune personne ne
saurait se réduire à ses caractéristiques génétiques. Les données génétiques
humaines et les donnĂ©es protĂ©omiques humaines peuvent ĂȘtre collectĂ©es,
traitées, utilisées et conservées uniquement aux fins de recherche médicale et
autre recherche scientifique, ou toute autre fin compatible avec la DĂ©claration
universelle sur le gĂ©nome humain et les droits de lâhomme et avec le droit
international des droits de lâhomme.
iv. La DĂ©claration des Nations Unies sur le clonage des ĂȘtres
humains
5. La DĂ©claration des Nations Unies sur le clonage des ĂȘtres humains a
Ă©tĂ© adoptĂ©e par lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies en mars 2005[10].
Elle invite les Ătats membres Ă adopter toutes les mesures voulues pour
protĂ©ger comme il convient la vie humaine dans lâapplication des sciences de la
vie, Ă interdire toutes les formes de clonage humain dans la mesure oĂč elles
seraient incompatibles avec la dignité humaine et la protection de la vie
humaine et Ă adopter les mesures voulues pour interdire lâapplication des
techniques de gĂ©nie gĂ©nĂ©tique qui pourrait aller Ă lâencontre de la dignitĂ©
humaine.
v. La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits
de lâhomme
6. La DĂ©claration universelle sur la
bioĂ©thique et les droits de lâhomme a Ă©tĂ© adoptĂ©e par acclamation par la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de lâUNESCO
en octobre 2005[11].
Elle traite des questions dâĂ©thique posĂ©es par la mĂ©decine, les sciences de la
vie et les technologies qui leur sont associĂ©es, appliquĂ©es aux ĂȘtres humains.
Elle insiste sur la nĂ©cessitĂ© pour cette recherche scientifique de sâinscrire
dans le cadre des principes éthiques et de respecter la dignité humaine, les
droits de lâhomme et les libertĂ©s fondamentales. Les intĂ©rĂȘts et le bien-ĂȘtre
de lâindividu devraient lâemporter sur le seul intĂ©rĂȘt de la science ou de la
sociĂ©tĂ©. Dans lâapplication et lâavancement des connaissances scientifiques, de
la pratique médicale et des technologies qui leur sont associées, les effets
bĂ©nĂ©fiques directs et indirects pour les individus concernĂ©s devraient ĂȘtre
maximisĂ©s et tout effet nocif susceptible dâaffecter ces individus devrait ĂȘtre
rĂ©duit au minimum. LâĂ©galitĂ© fondamentale de tous les ĂȘtres humains en dignitĂ©
et en droit doit ĂȘtre respectĂ©e de maniĂšre Ă ce quâils soient traitĂ©s de façon
juste et Ă©quitable. Aucun individu ou groupe ne devrait ĂȘtre soumis, en
violation de la dignitĂ© humaine, des droits de lâhomme et des libertĂ©s
fondamentales, Ă la discrimination ou Ă la stigmatisation. Lâincidence des sciences de la vie sur les
gĂ©nĂ©rations futures, y compris sur leur constitution gĂ©nĂ©tique, devrait ĂȘtre
dûment prise en considération.
vi. Les avis du ComitĂ© international de bioĂ©thique de lâUNESCO
7. En 2001, le Comité international de
bioĂ©thique de lâUNESCO (CIB) a rĂ©sumĂ© sa position au sujet des cellules souches
embryonnaires dans un rapport intitulĂ© « Lâutilisation des cellules
souches embryonnaires pour la recherche thérapeutique : rapport du CIB sur
les aspects éthiques des recherches sur les cellules embryonnaires »[12].
Aux fins du rapport, lâembryon humain a Ă©tĂ© examinĂ© aux premiers stades de son
dĂ©veloppement, avant son implantation dans lâutĂ©rus. Si les recherches sur lâembryon
humain pour obtenir des cellules souches embryonnaires sont autorisées, alors
elles doivent ĂȘtre soumises Ă un strict contrĂŽle et Ă des conditions
restrictives rigoureuses, notamment lâobtention du consentement Ă©clairĂ© des
donneurs et la justification en termes dâavantages pour lâhumanitĂ©. Les
recherches menées à des fins non médicales ne seraient évidemment pas éthiques,
de mĂȘme que des recherches qui porteraient sur des embryons ayant dĂ©passĂ© les
tout premiers stades de développement. Les applications médicales des
recherches doivent ĂȘtre sans Ă©quivoque des applications thĂ©rapeutiques et non
correspondre à des souhaits cosmétiques ou à des caprices non médicaux ou, a
fortiori, Ă des amĂ©liorations eugĂ©niques. En aucun cas le don dâembryons
humains ne doit ĂȘtre une transaction commerciale et des mesures devraient ĂȘtre
prises pour décourager toute incitation financiÚre.
Les recherches sur les cellules souches
embryonnaires â et les recherches sur lâembryon en gĂ©nĂ©ral â sont une
question que chaque communautĂ© doit elle-mĂȘme trancher. Des mesures devraient
ĂȘtre prises pour garantir que ces recherches sont menĂ©es dans un cadre
législatif ou réglementaire qui accorderait le poids nécessaire aux
considĂ©rations Ă©thiques et fixerait des principes directeurs adĂ©quats. Si lâon
envisage dâautoriser que des dons dâembryons surnumĂ©raires au stade
préimplantatoire, provenant de traitements de FIV, soient consentis pour des
recherches sur les cellules souches embryonnaires Ă des fins thĂ©rapeutiques, lâattention
sera accordée à la dignité et aux droits des deux parents donneurs. Il est donc
essentiel que le don nâait lieu quâaprĂšs que les donneurs ont Ă©tĂ© pleinement
informés des implications de ces recherches et ont donné leur consentement
libre et Ă©clairĂ©. Il conviendrait dâexaminer dâautres technologies permettant dâobtenir
des lignées de cellules souches à partir de sources génétiquement compatibles
pour la recherche thérapeutique dans le domaine des transplantations. Dans tous
les aspects des recherches concernant lâembryon humain, une importance
particuliĂšre devrait ĂȘtre accordĂ©e au respect de la dignitĂ© humaine et aux
principes Ă©noncĂ©s dans la DĂ©claration universelle des droits de lâhomme (1948)
et la DĂ©claration universelle sur le gĂ©nome humain et les droits de lâhomme
(1997).
8. En
2003, dans le « Rapport du CIB sur le diagnostic gĂ©nĂ©tique prĂ©‑implantatoire
et les interventions sur la lignée germinale »[13], le CIB a déclaré que la
destruction dâembryons pour des raisons non mĂ©dicales ou lâinterruption dâune
grossesse Ă cause du sexe de lâenfant nâest pas « contrebalancĂ©e »
par le dĂ©sir dâĂ©viter des souffrances futures dues Ă une maladie grave. Lâintervention
sur la lignée germinale vise à corriger une anomalie génétique particuliÚre
dans les cellules germinales ou dans lâembryon Ă ses premiers stades ou Ă
introduire des gĂšnes qui peuvent confĂ©rer Ă lâembryon des caractĂšres
additionnels. Le CIB a soulignĂ© quâen ce qui concerne les interventions sur la
lignée germinale, la distinction
entre les « objectifs thĂ©rapeutiques » et « lâamĂ©lioration des
caractĂ©ristiques normales » nâest pas claire. Le CIB a rappelĂ© que
« [les interventions sur la lignĂ©e germinale] pourraient ĂȘtre contraires Ă
la dignité humaine ».
9. Dans le « Rapport du CIB sur
le clonage humain et la gouvernance internationale »[14], le CIB a relevé que les
expressions « clonage reproductif » et « clonage
thérapeutique » introduites dans le débat bioéthique ne décrivaient pas
adéquatement les procédés techniques utilisés. Les nouvelles avancées
scientifiques, comme les cellules souches pluripotentes induites, ouvraient de
nouvelles possibilités pour la recherche et, à moyen terme, pour des applications
thérapeutiques.
10. Dans un rapport intitulé
« Avis du CIB sur la brevetabilité du génome humain »[15], le
CIB a admis quâautoriser la brevetabilitĂ© du gĂ©nome humain pourrait freiner la
recherche et monopoliser les connaissances scientifiques, et a estimĂ© quâil
existait de solides raisons éthiques pour exclure le génome humain de la
brevetabilité.
B. Les
normes professionnelles universelles
i. La DĂ©claration de lâAssociation mĂ©dicale
mondiale (AMM) sur les principes éthiques applicables à la recherche médicale
impliquant des ĂȘtres humains
11. LâAssociation mĂ©dicale mondiale (AMM) a approuvĂ© la
DĂ©claration dâHelsinki comme Ă©noncĂ© de principes Ă©thiques applicables Ă la
recherche mĂ©dicale impliquant des ĂȘtres humains, y compris la recherche sur du
matériel biologique humain et sur des données identifiables. Adoptée en 1964 et
amendĂ©e pour la derniĂšre fois en 2013, la dĂ©claration Ă©nonce que lâobjectif
premier de la recherche mĂ©dicale impliquant des ĂȘtres humains est de comprendre
les causes, le dĂ©veloppement et les effets des maladies et dâamĂ©liorer les
interventions prĂ©ventives, diagnostiques et thĂ©rapeutiques. MĂȘme les meilleures
interventions Ă©prouvĂ©es doivent ĂȘtre Ă©valuĂ©es en permanence par de nouvelles
recherches portant sur leur sécurité, leur efficacité, leur pertinence, leur
accessibilité et leur qualité. La recherche médicale est soumise à des normes
Ă©thiques qui promeuvent et assurent le respect de tous les ĂȘtres humains et qui
protÚgent leur santé et leurs droits. Cet objectif ne doit jamais prévaloir sur
les droits et les intĂ©rĂȘts des personnes impliquĂ©es dans la recherche. Une
recherche mĂ©dicale impliquant des ĂȘtres humains ne peut ĂȘtre conduite que si lâimportance
de lâobjectif dĂ©passe les risques et inconvĂ©nients pour les personnes
impliquées. Certains groupes ou personnes sont particuliÚrement vulnérables et
peuvent avoir une plus forte probabilitĂ© dâĂȘtre abusĂ©s ou de subir un prĂ©judice
additionnel. Ces groupes et personnes vulnĂ©rables devraient bĂ©nĂ©ficier dâune
protection adaptée. La recherche médicale impliquant un groupe vulnérable se
justifie uniquement si elle répond aux besoins ou aux priorités sanitaires de
ce groupe et quâelle ne peut ĂȘtre effectuĂ©e sur un groupe non vulnĂ©rable. En
outre, ce groupe devrait bénéficier des connaissances, des pratiques ou
interventions qui en résultent.
ii. Les lignes directrices relatives Ă la conduite de la
recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines (Guidelines for the Conduct of Human Embryonic
Stem Cell Research) de la Société internationale pour la recherche sur les
cellules souches
12. Les lignes directrices de 2006 de
la SociĂ©tĂ© internationale pour la recherche sur les cellules souches visent Ă
souligner la responsabilitĂ© des scientifiques sâagissant de veiller Ă ce que
les recherches sur les cellules souches humaines soient menées dans le respect
de rigoureuses normes dâĂ©thique en matiĂšre de recherche, et dâencourager des
pratiques uniformes de recherche qui devraient ĂȘtre suivies Ă lâĂ©chelle
mondiale par tous les scientifiques travaillant sur les cellules souches
humaines. Ces lignes directrices mettent lâaccent sur des questions qui sont
propres aux recherches sur les cellules souches concernant les stades préimplantatoires
du dĂ©veloppement humain, aux recherches sur la dĂ©rivation ou lâutilisation des
lignĂ©es de cellules souches pluripotentes humaines, et sur lâĂ©ventail des
expĂ©riences dans le cadre desquelles de telles cellules peuvent ĂȘtre incorporĂ©es
dans des hĂŽtes animaux.
Toutes les expériences pertinentes pour la
recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines qui concernent les
stades préimplantatoires du développement humain, les embryons humains ou les
cellules embryonnaires, ou qui impliquent lâincorporation de cellules
totipotentes ou pluripotentes humaines dans des chimĂšres animales, doivent ĂȘtre
soumises à contrÎle et approbation. En outre, toutes ces expériences doivent
faire lâobjet dâun suivi constant par un dispositif ou organe spĂ©cial de
surveillance. Les chercheurs doivent demander une approbation au moyen dâun
processus de surveillance (Stem Cell
Research Oversight â SCRO).
Les types de recherches qui ne doivent pas ĂȘtre
menĂ©es, en raison dâun large consensus international selon lequel de telles
expériences sont dépourvues de justification scientifique impérieuse ou
soulĂšvent de vives prĂ©occupations dâordre Ă©thique, sont : la culture in vitro de tout embryon humain aprĂšs
fécondation ou de toutes structures cellulaires organisées pouvant manifester
un potentiel dâorganisme humain, indĂ©pendamment de la mĂ©thode de dĂ©rivation,
pendant plus de quatorze jours ou jusquâau dĂ©but de la formation de la ligne
primitive si celle-ci se produit avant ; la recherche dans le cadre de
laquelle un produit obtenu Ă partir de recherches impliquant des cellules
totipotentes ou pluripotentes humaines est implanté dans un utérus humain ou un
utérus de primate non humain ; et la recherche dans le cadre de laquelle
des chimĂšres animales comportant des cellules humaines, potentiellement
capables de former des gamÚtes, sont croisées les unes avec les autres.
C. Les
normes interaméricaines
13. Lâarticle 1 de la DĂ©claration amĂ©ricaine des droits et devoirs
de lâhomme (1948) Ă©nonce que « Tout ĂȘtre humain a droit Ă la vie, Ă la
libertĂ©, Ă la sĂ©curitĂ© et Ă lâintĂ©gritĂ© de sa personne ». Les rĂ©dacteurs
de la déclaration américaine ont spécifiquement rejeté une proposition qui
tendait à ce que le texte indiquùt que le droit à la vie débutait dÚs la conception[16].
Lâarticle 4 de la Convention amĂ©ricaine relative
aux droits de lâhomme (1969) dispose que : « Toute personne a droit
au respect de sa vie. Ce droit doit ĂȘtre protĂ©gĂ© par la loi, et en gĂ©nĂ©ral Ă
partir de la conception ». La Commission interamĂ©ricaine des droits de lâhomme
a toutefois étudié les travaux préparatoires et établi que les termes de la
Convention reconnaissant un droit à la vie « en général à partir de la
conception » ne visaient pas à conférer un droit à la vie absolu avant la
naissance[17].
Dans Gretel Artavia Murillo c. Costa Rica[18], la
Cour interamĂ©ricaine des droits de lâhomme (CIDH) a constatĂ© que lâĂtat
dĂ©fendeur avait fondĂ© son interdiction de la fĂ©condation in vitro sur une protection absolue de lâembryon, ce qui, en
nĂ©gligeant la prise en compte dâautres droits concurrents, avait entraĂźnĂ© une ingĂ©rence arbitraire et excessive
dans la vie privĂ©e et familiale. Au contraire, lâimpact sur la protection de la
vie prĂ©natale Ă©tait trĂšs faible, du fait que le risque de perte de lâembryon
existait tant dans le cadre dâune FIV que dâune grossesse naturelle. De plus, lâingĂ©rence
avait un effet discriminatoire pour les personnes qui ne disposaient que de la
fécondation in vitro pour le
traitement de leur infertilitĂ© La Cour interamĂ©ricaine a Ă©galement conclu que lâembryon
humain avant implantation ne pouvait ĂȘtre tenu pour une personne aux fins de lâarticle
4 § 1 de la Convention américaine.
D. Les
normes africaines
14. Lâarticle 4 de la Charte africaine
des droits de lâhomme et des peuples (1981) dĂ©clare que « [l]a personne
humaine est inviolable » et que « [t]out ĂȘtre humain a droit au respect
de sa vie et Ă lâintĂ©gritĂ© physique et morale de sa personne (...) ». Les
rédacteurs de la Charte africaine ont spécifiquement écarté toute formulation
qui aurait protégé le droit à la vie dÚs le moment de la conception[19].
LâOrganisation de lâunitĂ© africaine, aujourdâhui lâUnion
africaine, a adoptĂ© la RĂ©solution sur la bioĂ©thique en 1996[20]. LâUnion africaine a
souscrit aux principes de lâinviolabilitĂ© du corps humain, de lâintangibilitĂ© du patrimoine
gĂ©nĂ©tique de lâespĂšce humaine et de lâindisponibilitĂ© du corps humain, de ses
Ă©lĂ©ments, notamment les gĂšnes humains et leurs sĂ©quences, qui ne peuvent ĂȘtre
soumis au commerce ou Ă un droit patrimonial. LâUnion africaine sâest engagĂ©e Ă
promouvoir lâencadrement des
possibilités de recherche sur les embryons.
15. En 2008, le bureau de lâUNESCO au
Caire a organisĂ© une rĂ©union dâexperts sur les questions Ă©thiques et juridiques
de la recherche sur lâembryon humain dans le but de traiter la question de la
recherche sur les embryons, en partenariat avec lâOMS et lâOrganisation
islamique pour lâĂ©ducation, les sciences et la culture (ISESCO). Les
recommandations figurant dans le rapport final de cette réunion « ont
vocation Ă ĂȘtre adaptĂ©es aux diffĂ©rentes
cultures et valeurs religieuses et sociales de la Méditerranée orientale et
de la rĂ©gion arabe ». Le rapport recommande que, lorsquâil est permis dâimporter
dâautres pays du matĂ©riel biologique
et/ou issu de la recherche, on sâassure que leur obtention et leur crĂ©ation ne
sont pas contraires aux valeurs ou traditions Ă©thiques ou religieuses. Il faut
dĂ©finir lâobjet dâune recherche Ă©thiquement correcte et prĂ©sentant un bon
rapport coĂ»ts-bĂ©nĂ©fices en tenant compte de buts tels que lâĂ©tude de la
gĂ©nĂ©tique humaine et du traitement de la stĂ©rilitĂ©. La recherche quâun pays
peut juger inacceptable doit inclure le clonage reproductif, la thérapie
germinale, la manipulation gĂ©nĂ©tique germinale. Les Ătats doivent introduire ou
procĂ©der Ă la rĂ©vision des dispositions sur les questions telles que lâutilisation
pour la recherche dâembryons surnumĂ©raire issus de FIV, le clonage aux fins de
la recherche, et le typage (HLA) de
cellules embryonnaires, fĆtales ou autres pour le traitement de lâenfant dâun
couple aprĂšs la naissance. Les Ătats doivent se pencher sur les types de recherche sur cellules
souches embryonnaires qui requiÚrent une surveillance particuliÚre, déterminer
quelle instance doit assurer cette surveillance et quel organe doit assumer la
responsabilitĂ©. Les pays doivent procĂ©der au suivi et Ă lâĂ©change des
informations susceptibles de rĂ©duire ou dâĂ©liminer le besoin de recherches sur
les cellules souches embryonnaires, comme le développement de cellules souches
pluripotentes induites et de lignées
de cellules pouvant en toute sĂ©curitĂ© ĂȘtre utilisĂ©es sur des ĂȘtres humains.
E. Les
normes européennes
i. Les normes de lâUnion europĂ©enne
16. Lâarticle 3 de la Charte des droits
fondamentaux Ă©nonce :
« 1. Toute
personne a droit à son intégrité physique et mentale.
2. Dans le cadre de
la mĂ©decine et de la biologie, doivent notamment ĂȘtre respectĂ©s : le
consentement libre et éclairé de la personne concernée, selon les modalités
dĂ©finies par la loi, lâinterdiction des pratiques eugĂ©niques, notamment celles
qui ont pour but la sĂ©lection des personnes, lâinterdiction de faire du corps
humain et de ses parties, en tant que tels, une source de profit, lâinterdiction
du clonage reproductif des ĂȘtres humains. »[21]
17. La Directive 98/44/CE du Parlement
européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection
juridique des inventions biotechnologiques vise à renforcer la compétitivité de
lâUE sur le marchĂ© mondial, protĂšge la propriĂ©tĂ© intellectuelle des grandes
industries et soutient la recherche technoscientifique innovante ; mais
elle vise aussi à assurer le respect des principes fondamentaux protégeant la
dignitĂ© et lâintĂ©gritĂ© de la personne, en affirmant le principe selon lequel
« le corps humain, dans toutes les phases de sa constitution et de son
dĂ©veloppement, cellules germinales comprises, ainsi que la simple dĂ©couverte dâun
de ses Ă©lĂ©ments ou dâun de ses produits, y compris la sĂ©quence ou sĂ©quence
partielle dâun gĂšne humain, ne sont pas brevetables ».
Bien quâelle ne donne pas de dĂ©finition juridique
de lâ« embryon humain », la directive pose des rĂšgles sur lâutilisation
dâembryons humains Ă des fins scientifiques, en Ă©nonçant que « [l]es
inventions dont lâexploitation commerciale serait contraire Ă lâordre public ou
aux bonnes mĆurs sont exclues de la brevetabilitĂ©, lâexploitation ne pouvant
ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme telle du seul fait quâelle est interdite par une
disposition légale ou réglementaire ». Plus spécifiquement, les procédés
de clonage des ĂȘtres humains, les procĂ©dĂ©s de modification de lâidentitĂ©
gĂ©nĂ©tique germinale de lâĂȘtre humain et les utilisations dâembryons humains Ă
des fins industrielles ou commerciales, entre autres, ne sont pas brevetables.
Ainsi, lâUnion europĂ©enne considĂšre expressĂ©ment lâutilisation dâembryons
humains Ă des fins industrielles ou commerciales comme contraire Ă lâexigence
minimum Ă©tablie par le respect de lâordre
public ou de la moralité[22].
18. En octobre 2011, dans lâaffaire Oliver BrĂŒstle c. Greenpeace eV (C‑34/10),
la Cour de justice de lâUnion europĂ©enne (CJUE) a fourni davantage de
prĂ©cisions sur lâutilisation dâembryons humains Ă des fins scientifiques.
Concernant lâinterprĂ©tation du terme « embryon humain », la Cour de
Luxembourg a admis que celui-ci recouvrait une notion vaste qui « [devait]
ĂȘtre comprise largement ». Sur ce fondement, la grande chambre de la CJUE
a conclu que ce terme visait tout ovule humain dÚs le stade de sa fécondation,
ce moment Ă©tant crucial pour le dĂ©but du dĂ©veloppement de lâĂȘtre humain.
Devaient Ă©galement se voir reconnaĂźtre cette qualification lâovule humain non
fĂ©condĂ©, dans lequel le noyau dâune cellule humaine mature avait Ă©tĂ© implantĂ©,
et lâovule humain non fĂ©condĂ© induit Ă se diviser et Ă se dĂ©velopper par voie
de parthĂ©nogenĂšse. La grande chambre a dit que lâutilisation dâembryons Ă des
fins de recherche scientifique nâĂ©tait pas brevetable. Elle a toutefois reconnu
la brevetabilitĂ© de lâutilisation dâembryons Ă des fins thĂ©rapeutiques ou
diagnostiques lorsque cela sâappliquait Ă lâembryon humain et lui Ă©tait utile.
Enfin, la CJUE a établi que la brevetabilité était également exclue lorsque la
mise en Ćuvre dâune invention requĂ©rait la destruction prĂ©alable de lâembryon
humain ou son utilisation comme matériau de départ, quel que fût le stade
auquel celles-ci intervenaient et mĂȘme si la description de lâenseignement
technique revendiquĂ© ne mentionnait pas lâutilisation dâembryons humains. Lâembryon
jouissant de la dignitĂ© humaine dĂšs le moment de la fĂ©condation, il nâest pas
possible, selon la CJUE, de distinguer
à partir de la fécondation différentes phases de développement qui
justifieraient une protection infĂ©rieure de lâembryon pendant une certaine
pĂ©riode. Ătant une « notion autonome du droit de lâUnion », lâembryon
humain bĂ©nĂ©ficie dâune protection juridique obligatoire fondĂ©e sur le respect
de sa dignitĂ© humaine intrinsĂšque, ce qui Ă©carte la possibilitĂ© pour les Ătats
membres de lâUnion de priver lâembryon humain de sa protection ou de lui
accorder un niveau de protection inférieur à celui qui est affirmé dans la
limpide décision des juges de la Cour de Luxembourg.
19. Le Groupe europĂ©en dâĂ©thique des
sciences et des nouvelles technologies auprÚs de la Commission européenne (GEE)
a formulĂ© son premier avis sur lâutilisation
des cellules embryonnaires Ă des fins de recherche dans un rapport de 1998
intitulĂ© « Les aspects Ă©thiques de la recherche impliquant lâutilisation dâembryons
humains »[23]. Le
GEE a relevĂ© quâen dĂ©pit de divergences fondamentales, les valeurs et principes
communs sur la question sont le
respect de la vie humaine, la nĂ©cessitĂ© dâallĂ©ger la souffrance humaine, la
nécessité de garantir la qualité et la sécurité des traitements médicaux, la
libertĂ© de la recherche et lâexigence du consentement informĂ© des femmes ou des
couples concernĂ©s. Sâagissant de la FIV, lâavis reconnaĂźt quâelle implique
gĂ©nĂ©ralement la crĂ©ation dâembryons surnumĂ©raires et que, si la
cryopréservation est impossible, les deux seules options possibles sont la
recherche (impliquant leur destruction) et la destruction. Ainsi, le Groupe a
conclu quâil ne fallait « pas exclure, a
priori, des financements communautaires, les recherches sur lâembryon
humain [faisant] lâobjet de choix Ă©thiques divergents selon les pays, mais [quâil
fallait] nâen admettre nĂ©anmoins le financement Ă©ventuel que sous les strictes
conditions définies aux paragraphes suivants ».
20. En 2000, le GEE a rendu un second
avis en complément du précédent, dans un rapport intitulé « Les aspects
Ă©thiques de la recherche sur les cellules souches humaines et leur
utilisation »[24].
Celui-ci indique que, dans le contexte du pluralisme europĂ©en, il appartient Ă
chaque Ătat membre dâinterdire ou dâautoriser les recherches sur lâembryon.
Dans ce dernier cas, le respect de la dignitĂ© humaine implique que lâon
rĂ©glemente les recherches sur lâembryon et que lâon prĂ©voie des garanties
contre les risques dâexpĂ©rimentation arbitraire et dâinstrumentalisation de lâembryon
humain. Est Ă©thiquement inacceptable la crĂ©ation dâembryons Ă partir de dons de
gamÚtes afin de se procurer des cellules souches, étant donné que les embryons
surnuméraires représentent une source alternative disponible. Les perspectives
thĂ©rapeutiques Ă©loignĂ©es doivent ĂȘtre mises en balance avec dâautres considĂ©rations
liĂ©es au risque que lâutilisation des embryons soit banalisĂ©e, que des
pressions soient exercĂ©es sur les femmes en tant que sources dâovocytes et que
les possibilitĂ©s dâinstrumentalisation de la femme sâaccroissent. Le
consentement libre et éclairé est nécessaire, et ce non seulement de la part du
receveur. Il faut informer le donneur de lâutilisation possible des cellules
embryonnaires pour la finalité considérée avant de lui demander son
consentement. Les possibilitĂ©s de pressions coercitives ne doivent pas ĂȘtre
sous-estimĂ©es lorsque des intĂ©rĂȘts financiers sont en jeu. Les embryons ne
peuvent ĂȘtre ni achetĂ©s ni vendus, ni mĂȘme proposĂ©s Ă la vente. Des mesures
doivent ĂȘtre prises pour empĂȘcher une telle commercialisation.
21. En 2002, le GEE a rendu un avis sur
la brevetabilité des cellules souches embryonnaires humaines[25].
Concernant lâapplicabilitĂ© des brevets, le GEE a conclu que des cellules
souches isolĂ©es, qui nâont pas Ă©tĂ© modifiĂ©es, ne rĂ©pondent pas, en tant que
produits, aux exigences juridiques de la brevetabilité, notamment en ce qui
concerne les critĂšres dâapplicabilitĂ© industrielle. De mĂȘme, des lignĂ©es de
cellules souches non modifiĂ©es peuvent difficilement ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme un
produit brevetable. Des brevets sur de telles lignées de cellules souches non
modifiĂ©es auraient un champ dâapplication trop Ă©tendu. Seules les lignĂ©es de
cellules souches, qui ont été modifiées par des traitements in vitro ou génétiquement pour acquérir
les caractĂ©ristiques nĂ©cessaires en vue dâapplications industrielles prĂ©cises,
remplissent les conditions juridiques de la brevetabilitĂ©. Enfin, il nây a pas
dâobstacle Ă©thique particulier concernant les mĂ©thodes impliquant des cellules
souches humaines, quelle que soit leur source, à condition que ces méthodes
répondent aux trois critÚres de brevetabilité.
22. En 2007, le GEE a formulé des
recommandations sur la révision éthique du financement de projets de recherche
concernant les cellules souches embryonnaires, en reconnaissant la
nĂ©cessitĂ© de promouvoir la recherche, de servir lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, de favoriser
la coopĂ©ration internationale, de respecter lâautonomie de lâĂtat membre et dâintĂ©grer
lâĂ©thique dans les initiatives en
matiĂšre de recherche[26]. Le
rapport indique que les lignées de cellules souches embryonnaires doivent
provenir dâembryons issus dâune FIV et non implantĂ©s, et que, si des solutions
autres que ces types de cellules souches sont trouvées, alors leur utilisation
doit ĂȘtre optimisĂ©e. En outre, le rapport souligne que les droits des donneurs
doivent ĂȘtre protĂ©gĂ©s et prĂ©servĂ©s en ce qui concerne la santĂ©, le consentement
Ă©clairĂ©, la protection des donnĂ©es et la gratuitĂ© du don. Le GEE a conclu que lâutilisation
dâembryons humains pour gĂ©nĂ©rer des cellules souches devait « ĂȘtre rĂ©duite
autant que possible au sein de lâUE ».
ii. Les normes du Conseil de lâEurope
23. Le Conseil de lâEurope a dâabord
traitĂ© la question de lâutilisation des embryons humains Ă des fins scientifiques
dans la Recommandation 1046 (1986) de lâAssemblĂ©e parlementaire du Conseil
de lâEurope relative Ă lâutilisation dâembryons et fĆtus humains Ă des fins
diagnostiques, thĂ©rapeutiques, scientifiques, industrielles et commerciales. LâAssemblĂ©e
a considĂ©rĂ© que lâembryon et le fĆtus humains doivent bĂ©nĂ©ficier en toutes
circonstances du respect dĂ» Ă la dignitĂ© humaine, et que lâutilisation de leurs
produits et tissus doit ĂȘtre limitĂ©e de maniĂšre stricte et rĂ©glementĂ©e en vue
de fins purement thĂ©rapeutiques et ne pouvant ĂȘtre atteintes par dâautres
moyens. En consĂ©quence, elle a invitĂ© les gouvernements des Ătats membres Ă
limiter lâutilisation industrielle des embryons et de fĆtus humains, ainsi que
de leurs produits et tissus, à des fins strictement thérapeutiques et ne
pouvant ĂȘtre atteintes par dâautres moyens, Ă interdire toute crĂ©ation dâembryons
humains par fécondation in vitro à des fins de recherche de leur vivant
ou aprĂšs leur mort et Ă interdire tout ce quâon pourrait dĂ©finir comme des
manipulations ou déviations non désirables de ces techniques, entre autres la
recherche sur des embryons humains viables et lâexpĂ©rimentation sur des
embryons vivants, viables ou non[27].
La Recommandation 1100 (1989) de lâAssemblĂ©e
parlementaire du Conseil de lâEurope sur lâutilisation des embryons et fĆtus
humains dans la recherche scientifique souligne que lâembryon humain, bien quâil
se développe en phases successives, « maintient néanmoins en continuité
son identitĂ© biologique et gĂ©nĂ©tique ». Ainsi, elle prĂŽne lâinterdiction
de la création et/ou du maintien en
vie intentionnels dâembryons ou fĆtus, in
vitro ou in utero, dans un but de
recherche scientifique, par exemple pour en prélever du matériel génétique, des
cellules, des tissus ou des organes.
La RĂ©solution 1352 (2003) de lâAssemblĂ©e
parlementaire du Conseil de lâEurope relative Ă la recherche sur les cellules
souches humaines souligne que « [l]a destruction dâĂȘtres humains Ă des
fins de recherche est contraire au droit de tout ĂȘtre humain Ă la vie et Ă lâinterdiction
morale de toute instrumentalisation de lâĂȘtre humain », et en consĂ©quence
invite les Ătats membres Ă favoriser la recherche sur les cellules souches Ă
condition quâelle respecte la vie des ĂȘtres humains Ă tous les stades de leur
développement[28].
24. Lâarticle 18 de la Convention pour
la protection des droits de lâhomme et de la dignitĂ© de lâĂȘtre humain Ă lâĂ©gard
des applications de la biologie et de la médecine énonce :
« 1. Lorsque
la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure
une protection adĂ©quate de lâembryon.
2. La
constitution dâembryons humains aux fins de recherche est interdite. »[29]
Cette disposition affirme lâapplication du principe
de subsidiarité en établissant que le paramÚtre juridique essentiel à prendre
en compte est le droit interne de lâĂtat membre concernĂ©. Le paragraphe 1
dispose cependant quâun statut juridique obligatoire doit ĂȘtre garanti Ă lâembryon,
lequel doit bĂ©nĂ©ficier dâune « protection adĂ©quate ». Ainsi, lâutilisation
dâembryons Ă des fins scientifiques ne doit pas sâapprĂ©cier de maniĂšre
casuistique mais doit faire lâobjet dâune Ă©valuation fondĂ©e sur le principe du
caractĂšre « adĂ©quat » de la protection offerte Ă lâembryon, selon le
paramĂštre juridique europĂ©en. Les rĂ©dacteurs de la Convention dâOviedo ont
donnĂ© une indication claire en ce sens, au paragraphe 2 de lâarticle 18, qui
prohibe expressĂ©ment la constitution dâembryons humains dans le but de les
utiliser aux fins de la recherche, et Ă lâarticle 14, qui interdit la sĂ©lection
du sexe[30]. De
plus, cette évaluation fondée sur des principes est garantie par la Déclaration des Nations Unies sur le clonage
des ĂȘtres humains, qui invite les Ătats membres Ă adopter toutes les
mesures voulues pour protĂ©ger « comme il convient » (« adequately ») la vie humaine dans lâapplication
des sciences de la vie.
Complément de la Convention européenne des droits
de lâhomme dans le domaine de la biomĂ©decine et de la science gĂ©nĂ©tique, la
Convention dâOviedo vise Ă dĂ©finir des normes europĂ©ennes en la matiĂšre[31].
Deux conséquences en découlent. PremiÚrement, la Cour européenne des droits
de lâhomme (la Cour) est lâultime interprĂšte et garant des droits, libertĂ©s et
obligations Ă©noncĂ©s dans la Convention dâOviedo (article 29 de celle-ci), et
donc du caractĂšre « adĂ©quat » de la protection offerte Ă lâembryon,
en particulier Ă lâĂ©gard des techniques de gĂ©nie gĂ©nĂ©tique contraires Ă la
dignité humaine. Le problÚme susmentionné, à savoir que la distinction
entre les techniques « thĂ©rapeutiques » et les techniques visant Ă lâ« amĂ©lioration
des caractĂ©ristiques normales » nâest pas toujours claire, ne fait quâaccroĂźtre
la nĂ©cessitĂ© dâune surveillance attentive de la Cour.
DeuxiĂšmement, le fait que la Convention dâOviedo et
ses Protocoles aient Ă©tĂ© ratifiĂ©s par un grand nombre dâĂtats est un Ă©lĂ©ment
solide permettant de considĂ©rer quâun consensus europĂ©en tend Ă se former
autour des dispositions de cette Convention et de ses Protocoles. Ce consensus
est renforcĂ© par les rĂ©solutions et recommandations susmentionnĂ©es de lâAssemblĂ©e
parlementaire du Conseil de lâEurope, la Charte des droits fondamentaux de lâUnion
européenne, ainsi que le cadre législatif et jurisprudentiel complémentaire de
lâUE, Ă savoir la Directive 98/44/CE du
Parlement europĂ©en et du Conseil du 6 juillet 1998 et lâimportant arrĂȘt
Oliver BrĂŒstle, qui tous reflĂštent la
tendance du droit international Ă reconnaĂźtre Ă travers le monde une protection
juridique Ă lâembryon humain. Ă la lumiĂšre de tous ces instruments, si une
marge dâapprĂ©ciation doit ĂȘtre accordĂ©e aux Ătats membres du Conseil de lâEurope
sur des questions liĂ©es Ă lâexistence et Ă lâidentitĂ© dâun ĂȘtre humain, et
particuliĂšrement Ă la recherche scientifique sur lâembryon humain, cette marge
doit ĂȘtre Ă©troite[32].
Inspiré par une clause
similaire contenue Ă lâarticle 53 de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme,
lâarticle 27 de la Convention dâOviedo prĂ©voit la possibilitĂ© pour le droit
interne dâaccorder une protection plus Ă©tendue Ă la vie humaine. Il ne faut
toutefois pas interprĂ©ter cela comme octroyant une « ample » marge dâapprĂ©ciation.
Il ne faut pas confondre les deux questions, comme la majorité semble le faire
au paragraphe 181 de lâarrĂȘt. Câest une chose de permettre au lĂ©gislateur
national de protĂ©ger plus largement la vie humaine, les ĂȘtres, les fĆtus et les
embryons humains, comme le prĂ©voit lâarticle 27 de la Convention dâOviedo[33] ;
câen est une bien diffĂ©rente dâaccepter en la matiĂšre une « ample »
marge dâapprĂ©ciation, qui pourrait en fin de compte ĂȘtre invoquĂ©e, ou plutĂŽt
dĂ©tournĂ©e, aux fins de lâadoption dâune loi rĂ©duisant la protection des ĂȘtres,
fĆtus et embryons humains[34].
25. En conséquence, une obligation
positive pour lâĂtat de protĂ©ger lâembryon et dâautres formes de vie humaine
prĂ©natale, tant in vitro quâin utero, doit ĂȘtre tirĂ©e Ă la fois de lâarticle
2 et de lâarticle 8 de la Convention. Cette obligation positive inclut, tout dâabord,
lâobligation de favoriser le
dĂ©veloppement naturel des embryons ; deuxiĂšmement, lâobligation de
promouvoir les recherches scientifiques au bĂ©nĂ©fice de lâembryon
donnĂ© qui en fait lâobjet ; troisiĂšmement, lâobligation de dĂ©terminer dans
quels cas exceptionnels les embryons et les lignées souches embryonnaires
peuvent ĂȘtre utilisĂ©s, et de quelle maniĂšre ; quatriĂšmement, lâobligation
de sanctionner au pĂ©nal toute utilisation dâembryons en dehors du cadre des
exceptions légales.
26. Dâaucuns plaident quâil sâagit lĂ dâun
domaine en constante Ă©volution, et que la
Cour ne devrait donc pas se compromettre
en adoptant une position scientifique bien dĂ©finie, qui pourrait changer Ă
lâavenir. Câest un argument Ă double tranchant, qui peut servir Ă limiter lâingĂ©rence
de la Cour dans la marge dâapprĂ©ciation de lâĂtat, mais aussi ĂȘtre avancĂ© pour
Ă©tendre la surveillance par la Cour de lâingĂ©rence de lâĂtat au niveau de la
vie Ă naĂźtre. Câest prĂ©cisĂ©ment parce que ce domaine peut Ă©voluer dâune maniĂšre
trĂšs dangereuse pour lâhumanitĂ©, comme nous lâavons vu par le passĂ©, quâun
contrĂŽle attentif de lâĂ©troite marge dâapprĂ©ciation des Ătats, et une
intervention potentiellement prĂ©ventive de notre Cour, est aujourdâhui une
nécessité absolue. Autrement, la Cour abandonnerait la plus fondamentale de ses
tĂąches, celle consistant Ă protĂ©ger les ĂȘtres humains contre toute forme dâinstrumentalisation.
A. Le
caractÚre inutile de la restriction légale italienne
27. La requérante considÚre que faire
don de « ses » cinq embryons cryoconservĂ©s et non destinĂ©s Ă ĂȘtre
implantĂ©s relĂšve de sa « vie privĂ©e » au sens de lâarticle 8 de la
Convention et rĂ©pond Ă un intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, dĂšs lors que cet acte permettrait de
fournir aux chercheurs des cellules souches qui sont fort nécessaires pour la
recherche sur les maladies incurables[35]. Sur la base de lâinterprĂ©tation
susmentionnĂ©e de lâarticle 8 de la Convention, combinĂ© avec lâarticle 18 de la
Convention dâOviedo, on peut admettre lâargument du Gouvernement selon lequel lâarticle
13 de la loi no 40 du 19 février 2004 poursuit le but légitime
consistant Ă protĂ©ger la potentialitĂ© de vie dont lâembryon est porteur. Ă cet
Ă©gard, la recherche scientifique sur lâembryon humain, autorisĂ©e Ă des fins
thérapeutiques et diagnostiques dans le but de protéger la santé et le
dĂ©veloppement de lâembryon en question lorsquâaucune autre mĂ©thode nâexiste,
est une dĂ©rogation acceptable Ă lâinterdiction de la recherche scientifique sur
les embryons humains.
28. Ă lâargument de la requĂ©rante selon
lequel la mort des cinq embryons cryoconservés est inévitable au regard du
cadre juridique italien actuel dĂšs lors que lâimplantation dâembryons post mortem est prohibĂ©e, tout comme lâacte dâen faire don pour la recherche
scientifique, le Gouvernement rĂ©pond Ă juste titre que la cryoconservation nâest
pas limitĂ©e dans le temps. Les embryons congelĂ©s peuvent ĂȘtre conservĂ©s pendant
une pĂ©riode indĂ©finie. En outre, lâutilisation dâembryons cryoconservĂ©s Ă des
fins autres que la destruction, comme la fécondation hétérologue, est désormais
permise par lâordre juridique italien, eu Ă©gard Ă lâarrĂȘt no 162
de 2014 de la Cour constitutionnelle italienne.
B. Le
caractĂšre contradictoire du cadre juridique italien applicable
29. Ă lâargument de la requĂ©rante
consistant Ă dĂ©clarer incohĂ©rent le cadre juridique italien, lequel permet lâimportation
et lâutilisation de lignĂ©es de cellules souches issues dâembryons humains
précédemment détruits, le Gouvernement répond de maniÚre convaincante que la
production de lignées de cellules embryonnaires
Ă lâĂ©tranger nâest pas effectuĂ©e Ă la demande des laboratoires italiens et nâest
pas incompatible avec lâinterdiction qui en Italie frappe la destruction de ces
lignĂ©es de cellules. Enfin, dans les cas dâavortement, lâintĂ©rĂȘt de la mĂšre
doit ĂȘtre mis en balance avec celui du fĆtus au regard du droit italien, ce qui
nâa pas Ă©tĂ© le cas en lâespĂšce.
C. Le
consensus européen non prohibitif
30. Ă lâargument de la requĂ©rante
relatif Ă lâexistence dâun consensus europĂ©en, le Gouvernement oppose son ample
marge dâapprĂ©ciation, rĂ©futant lâexistence dâun tel consensus en arguant que la
Convention dâOviedo nâexige pas des recherches scientifiques destructrices sur
les embryons, que le programme de financement de lâUnion europĂ©enne pour la
recherche scientifique ne prévoit pas le financement de projets impliquant la
destruction dâembryons et que lâarrĂȘt
Oliver BrĂŒstle a interdit la
brevetabilitĂ© des inventions impliquant la destruction dâembryons humains.
Comme indiqué ci-dessus, les instruments internationaux invoqués par le
Gouvernement Ă©tayent lâargument relatif Ă
une Ă©troite marge dâapprĂ©ciation, aux fins prĂ©cisĂ©ment de la protection de
lâembryon.
IV. La position de la majorité
31. Le raisonnement de la majorité est
Ă la fois contradictoire sur le plan de la logique et irrecevable sur le plan
scientifique. Il est illogique parce que la majoritĂ© admet, dâun cĂŽtĂ©, que lâembryon
est « autrui » au sens de lâarticle 8 § 2 de la Convention,
dÚs lors que la protection de la potentialité de vie dont il est porteur peut
ĂȘtre rattachĂ©e au but consistant Ă protĂ©ger les « droits et libertĂ©s dâautrui » (paragraphe 167)[36]. De
lâautre cĂŽtĂ©, toutefois, la mĂȘme majoritĂ© dĂ©clare que cette reconnaissance nâimplique
aucune appréciation par la Cour du point de savoir si le terme
« autrui » sâĂ©tend Ă lâembryon humain. LâĂ©vidente contradiction entre
ces deux dĂ©clarations est si flagrante quâelle en est insoluble. La seule lecture
possible de cette contradiction consiste à dire que la majorité était si
partagĂ©e quâelle nâa pu dĂ©terminer si la dĂ©claration de principe contenue au
paragraphe 59 de lâarrĂȘt Costa et Pavan
devait prévaloir sur la déclaration de principe en sens opposé figurant au
paragraphe 228 de lâarrĂȘt A, B et C c.
Irlande
([GC], no 25579/05, CEDH 2010). Avec un peu dâeffort
interprétatif, on pourrait
arguer que lâordre des dĂ©clarations indique une certaine prĂ©dominance de la
premiĂšre sur la seconde.
Dans ce contexte, il est tout Ă fait notable que la
Grande Chambre ne cite ni le paragraphe 56 de lâarrĂȘt Evans c. Royaume-Uni (prĂ©citĂ©), dans lequel elle a dit que
« les embryons créés par la requérante et J. ne [pouvaient] se prévaloir
du droit Ă la vie protĂ©gĂ© par lâarticle 2 de la Convention », ni lâarrĂȘt
rendu par la chambre le 7 mars 2006 dans la mĂȘme affaire (§ 46), ni mĂȘme
la classique déclaration de principe qui figure dans Vo c. France ([GC], no 53924/00, § 82, CEDH 2004).
Cette omission mĂ©rite dâĂȘtre signalĂ©e. Non seulement elle traduit le malaise de
la Grande Chambre face au principe « anti-vie » de lâarrĂȘt Evans, mais
de plus elle consolide le principe opposĂ©, Ă©noncĂ© au paragraphe 59 de Costa et Pavan, selon lequel lâembryon
est un « autrui », un sujet dotĂ© dâun statut juridique qui peut et
doit ĂȘtre mis en balance avec le statut juridique des gĂ©niteurs, principe qui
cadre parfaitement avec la position de la Cour constitutionnelle italienne sur
le droit Ă la vie de lâembryon protĂ©gĂ© par lâarticle 2 de la Constitution
nationale[37].
32. Pour la mĂȘme raison, je ne peux pas
davantage admettre que le droit Ă lâautodĂ©termination sâagissant de fonder une
famille, Ă©voquĂ© par la Cour constitutionnelle italienne dans lâarrĂȘt no
162 de 2014, soit interprĂ©tĂ© comme incluant un « droit nĂ©gatif » Ă
disposer des embryons non implantés. Le raisonnement figurant au paragraphe 157
du prĂ©sent arrĂȘt repose donc sur un rhĂ©torique « sophisme du milieu non
distribué » (fallacy of the
undistributed middle), qui
permet Ă la majoritĂ© de partir du principe que, parce quâelles partagent une
propriété commune, deux catégories distinctes sont liées. Autrement dit, en
interprĂ©tant lâarrĂȘt de la Cour constitutionnelle du 10 juin 2014, la majoritĂ©
postule que, puisque le droit de devenir parent est un aspect de la vie privée
dâun individu, de mĂȘme que le droit de bĂ©nĂ©ficier dâune fĂ©condation in vitro,
ces deux droits ne sont soumis Ă aucune restriction dans la mesure oĂč il sâagit
de droits Ă lâ « autodĂ©termination » ; elle oublie
cependant que dans le second cas lâexercice par les gĂ©niteurs de leur droit Ă lâ « autodĂ©termination »
peut empiĂ©ter sur lâexistence dâune autre vie humaine, celle de lâembryon non
implantĂ©. Comme lâa dit la Cour constitutionnelle italienne elle-mĂȘme dans lâarrĂȘt
susvisé, « [l]a libertà e
volontarietĂ dellâatto che consente di diventare genitori e di formare una
famiglia nel senso sopra precisato, di sicuro non implica che la libertĂ in
esame possa esplicarsi senza limiti » (la liberté et le caractÚre
volontaire de lâacte permettant Ă un individu de devenir parent et de fonder
une famille dans le sens défini ci-dessus ne signifie assurément pas que la
liberté en question puisse passer pour illimitée). En bref, le raisonnement
tenu par la Cour constitutionnelle dans lâarrĂȘt no 162 de 2014 nâaccrĂ©dite
pas lâexistence dâun droit illimitĂ©
Ă lâ« autodĂ©termination » ou Ă la « libertĂ© de choix des parties
à un traitement par fécondation in vitro en ce qui concerne le sort des
embryons non destinĂ©s Ă lâimplantation ». Il est erronĂ© dâinterprĂ©ter le
raisonnement de la Cour constitutionnelle en faveur de lâ« adoption pour
la naissance » â câest-Ă -dire de la vie de lâembryon â comme
autorisant les parties à un traitement par FIV à détruire les embryons qui en
sont issus.
33. Le raisonnement de la majorité est
également irrecevable sur le plan scientifique, car il admet que « les
embryons (...) renferment le patrimoine génétique de la personne en question et
représentent à ce titre une partie constitutive de celle-ci et de son identité
biologique » (paragraphe 158). De toute évidence, la majorité néglige le
fait que lâembryon a une identitĂ© biologique distincte de celle de la personne
ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© de la FIV, mĂȘme sâil contient le patrimoine gĂ©nĂ©tique de cette
personne. La dĂ©claration figurant au paragraphe 158 de lâarrĂȘt est
inacceptable, sur le plan ontologique comme sur le plan biologique. La majorité
a oublié que la dignité humaine impose de respecter « le caractÚre unique
de chacun et la diversitĂ© » des ĂȘtres humains, comme le dit la DĂ©claration
universelle sur le gĂ©nome humain et les droits de lâhomme. Autrement dit, tout
ĂȘtre humain est bien plus quâune combinaison unique dâinformations gĂ©nĂ©tiques
transmises par ses géniteurs.
34. Le manque de clarté du raisonnement
de la majorité transparaßt également dans la définition de la théorie sur la
marge dâapprĂ©ciation applicable. Au paragraphe 169 de lâarrĂȘt, la majoritĂ©
reconnaĂźt que la marge laissĂ©e Ă lâĂtat est « restreinte » pour les
questions relatives à « lâexistence ou [Ă ] lâidentitĂ© dâun
individu », mais elle admet aussi que « lorsque lâaffaire soulĂšve des
questions morales ou Ă©thiques dĂ©licates », la marge dâapprĂ©ciation est
plus large. LĂ encore, cela nâa aucun sens Ă mes yeux. Les questions touchant Ă
lâexistence ou Ă lâidentitĂ© dâun individu, en lâoccurrence au commencement et Ă
la fin de la vie humaine, sont en soi lourdement influencées par des
considĂ©rations Ă©thiques et morales. Jâirai mĂȘme jusquâĂ dire que la plupart des
droits fondamentaux garantis par la Convention et ses protocoles sont
indissociablement liés à des questions éthiques et morales débattues depuis de
longues annĂ©es. Ainsi, le caractĂšre intrinsĂšquement moral ou Ă©thique dâune
question juridique soumise au contrĂŽle de la Cour ne doit pas ĂȘtre un facteur
qui restreint la compĂ©tence de celle-ci ou qui dĂ©termine la marge dâapprĂ©ciation
Ă laisser Ă lâĂtat. Lâargument relatif au caractĂšre dĂ©licat, sur le plan
Ă©thique ou moral, de la question en jeu est donc dĂ©nuĂ© de pertinence lorsquâil
sâagit dâĂ©tablir lâampleur de la marge dâapprĂ©ciation[38].
35. à cela, la majorité ajoute, au
paragraphe 174, que la relation entre la requérante et « ses »
embryons « ne porte pas sur un aspect particuliĂšrement important de lâexistence
et de lâidentitĂ© de lâintĂ©ressĂ©e ». LĂ encore, la majoritĂ© se contredit.
Alors que plus haut, au paragraphe 158, elle a déclaré que les embryons
représentaient une « partie constitutive » du patrimoine génétique de
la requérante et de son identité biologique, au paragraphe 174 elle dit le
contraire et conclut que la protection dâune « partie constitutive »
de lâidentitĂ© biologique de lâintĂ©ressĂ©e ne
fait pas partie du noyau dur des droits garantis par lâarticle 8. Cela dĂ©passe mon entendement que la majoritĂ©
puisse, selon sa propre logique, soutenir que le noyau dur des droits garantis par lâarticle 8 nâenglobe pas la protection dâune « partie
constitutive » de lâidentitĂ© de la requĂ©rante.
36. Ayant admis que la marge dâapprĂ©ciation
nâest pas illimitĂ©e, la majoritĂ© promet une analyse des « arguments dont
le lĂ©gislateur a tenu compte pour parvenir aux solutions quâil a
retenues » (paragraphe 183). HĂ©las, aucune analyse de ce type nâa Ă©tĂ©
faite. Dans les paragraphes qui suivent, la majorité évoque simplement
â et superficiellement â le processus national au terme duquel la loi
litigieuse a été approuvée, mentionnant le « débat qui avait tenu compte des différentes
opinions et des questions scientifiques et Ă©thiques existant en la
matiÚre » (paragraphe 184),
un rapport parlementaire sur les différentes contributions de « médecins, spécialistes et associations engagées
dans le domaine de la procréation médicalement assistée » (paragraphe 185), certaines critiques formulées
lors des dĂ©bats du 19 janvier 2004 (paragraphe 186), ainsi que plusieurs rĂ©fĂ©rendums dont la loi a fait lâobjet (paragraphe 187). La
conclusion selon laquelle « lors
du processus dâĂ©laboration de la loi litigieuse, le lĂ©gislateur avait dĂ©jĂ tenu
compte des diffĂ©rents intĂ©rĂȘts ici en cause » (paragraphe 188) est dĂ©concertante. Elle nâajoute
rien Ă lâapprĂ©ciation au fond de la question.
37. AprÚs avoir consacré neuf
paragraphes Ă lâampleur de la marge dâapprĂ©ciation (paragraphes 174-182) et six
paragraphes au processus national dâapprobation de la loi (paragraphes 183-188), lâarrĂȘt se penche enfin, aux
paragraphes 189 Ă 195, sur le cĆur des arguments de la requĂ©rante, Ă savoir les
contradictions allĂ©guĂ©es de lâordre juridique italien. Ici, la majoritĂ© sâaligne
clairement sur la position du Gouvernement. Si elles nâentrent guĂšre dans les
détails, les importantes déclarations contenues aux paragraphes
193 et 194 nâen signalent pas moins clairement aux Parties contractantes que la
Cour ne sâoppose pas Ă la politique dâimportation et dâutilisation de lignĂ©es
de cellules souches issues dâembryons humains qui ont Ă©tĂ© dĂ©truits hors de lâespace
juridique europĂ©en, tant quâelles ne sont pas produites Ă la demande des
Parties contractantes.
V. Lâapplication des normes de la Cour
38. Lâinsuffisance du raisonnement de
la majoritĂ© nâenlĂšve rien Ă lâessentiel. MalgrĂ© les hĂ©sitations et
contradictions que comporte son raisonnement, la majorité rappelle le principe
issu de lâaffaire Costa et Pavan
selon lequel les embryons sont « autrui » aux fins de la Convention
et, Ă la lumiĂšre de ce principe, admet que leur protection justifie lâinterdiction
de la recherche sur lâembryon humain
et de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, et ce
Ă deux exceptions prĂšs :
a) La recherche scientifique sur lâembryon
humain peut ĂȘtre autorisĂ©e si elle poursuit des finalitĂ©s thĂ©rapeutiques et
diagnostiques tendant Ă la protection de la santĂ© ainsi quâau dĂ©veloppement de
lâembryon et sâil nâexiste pas dâautres mĂ©thodes ;
b) La recherche sur les cellules souches
embryonnaires est autorisĂ©e Ă condition dâĂȘtre effectuĂ©e uniquement sur des
lignĂ©es de cellules souches obtenues Ă partir dâembryons humains dĂ©truits hors
de lâespace juridique europĂ©en sans intervention des Parties contractantes.
39. DĂšs lors que lâembryon nâest pas
une chose ou un « bien », comme la Cour le dit à juste titre au
paragraphe 215 de lâarrĂȘt, câest un « autrui » avec lequel la
personne ayant bénéficié de la FIV a une relation parentale potentielle. Dans
la mesure oĂč lâembryon possĂšde une identitĂ© biologique unique mais partage le
patrimoine génétique de ses géniteurs, le caractÚre privé de la relation entre
ces ĂȘtres humains est incontestable. Câest pourquoi lâarticle 8 entre en
jeu[39].
40. Pour la majorité, la législation
italienne nâoutrepasse pas lâample marge dâapprĂ©ciation dont jouit lâĂtat
dĂ©fendeur (paragraphe 197). Ă mon avis, la premiĂšre exception ne va pas au-delĂ
des limites Ă©troites de la marge dâapprĂ©ciation de lâĂtat pour les questions
liĂ©es Ă lâexistence et Ă lâidentitĂ© dâĂȘtres humains. De plus, elle cadre avec
le but de la Convention dâOviedo, qui doit aujourdâhui ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme le
complĂ©ment de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme dans le domaine de
la biomĂ©decine et de la science gĂ©nĂ©tique. Bien quâil nâait pas encore ratifiĂ©
la Convention dâOviedo, lâĂtat italien sâest conformĂ© Ă lâobjet de cet instrument
consistant Ă protĂ©ger la vie humaine, les ĂȘtres, fĆtus et embryons humains, Ă la protection par la Convention de lâembryon
en tant quâ « autrui », sujet dotĂ© dâun statut juridique, Ă lâinterdiction
de la discrimination fondée sur les caractéristiques génétiques énoncée dans la
DĂ©claration universelle sur le gĂ©nome humain et les droits de lâhomme, et au
principe primordial de la DĂ©claration dâHelsinki selon lequel la recherche
mĂ©dicale sur un groupe vulnĂ©rable nâest
justifiée que si elle correspond aux besoins ou priorités sanitaires de ce
groupe, ce qui â au sens le plus profond â ne peut quâenglober les
membres les plus vulnĂ©rables de toute lâhumanitĂ©, Ă savoir les embryons.
41. La situation est plus délicate en
ce qui concerne la seconde exception. Eu Ă©gard Ă lâintention de la Grande
Chambre de garantir le « droit » de lâembryon en tant quâ« autrui »
dans tout lâespace juridique europĂ©en, et aux principes fondamentaux du
raisonnement juridique, cette exception doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de maniĂšre
étroite. La seconde exception implique, en toute logique, trois conséquences.
PremiĂšrement, une Partie contractante Ă la Convention ne peut ni utiliser ni
autoriser lâutilisation sur son territoire de lignĂ©es cellulaires issues dâembryons
dĂ©truits hors de lâespace juridique europĂ©en Ă lâinitiative de cette Partie.
DeuxiĂšmement, une Partie contractante ne peut ni utiliser ni autoriser lâutilisation
sur son territoire de lignĂ©es cellulaires issues dâembryons dĂ©truits sur le territoire
dâune autre Partie contractante. TroisiĂšmement, une Partie contractante ne peut
ni utiliser ni autoriser lâutilisation sur son territoire de lignĂ©es
cellulaires issues dâembryons dĂ©truits hors de lâespace juridique europĂ©en Ă lâinitiative
dâune autre Partie contractante.
42. Seule cette interprétation étroite
de la seconde exception permet de garantir son application dans le contexte de
lâarticle 8 § 2 de la Convention. Ă dĂ©faut, le fait dâutiliser ou dâautoriser
lâutilisation sur le territoire dâune Partie contractante de lignĂ©es
cellulaires issues dâembryons dĂ©truits hors de lâespace juridique europĂ©en Ă lâinitiative
de cette Partie ou de toute autre Partie Ă la Convention permettrait dâexternaliser
la violation de la Convention. De surcroĂźt, le fait dâutiliser ou dâautoriser lâutilisation
sur le territoire dâune Partie contractante de lignĂ©es cellulaires issues dâembryons dĂ©truits sur le territoire dâune
autre Partie contractante rendrait la premiĂšre Partie contractante complice de la violation de la Convention par
la seconde. Aucune de ces situations nâest tolĂ©rable au regard des rĂšgles sur
la responsabilitĂ© internationale des Ătats, combinĂ©es avec les obligations
incombant aux Parties contractantes en vertu de la Convention[40].
43. La vie humaine Ă naĂźtre nâest en
rien différente par essence de la vie postnatale. Les embryons humains doivent
en toute circonstance ĂȘtre traitĂ©s avec tout le respect qui est dĂ» Ă la dignitĂ©
humaine. Les applications de la recherche scientifique concernant le génome
humain, en particulier dans le domaine de la génétique, ne prévalent pas sur le
respect de la dignité humaine. Les progrÚs de la science ne doivent pas reposer
sur le non-respect de la nature humaine ontologique.
Le but scientifique consistant Ă sauver des vies humaines ne justifie pas lâemploi
de moyens intrinsĂšquement destructeurs pour cette vie.
Le commencement et la fin de la vie humaine ne sont
pas des questions de politique Ă laisser Ă la discrĂ©tion des Ătats membres du
Conseil de lâEurope. Le caractĂšre « adĂ©quat » de la protection
offerte Ă lâembryon par les Parties contractantes Ă la Convention est soumis au
contrĂŽle attentif de la Cour, car les Ătats nâont quâune Ă©troite marge dâapprĂ©ciation
sâagissant des questions fondamentales liĂ©es Ă lâexistence et Ă lâidentitĂ© de lâĂȘtre
humain. En Europe, la Convention Ă©tablit une insurmontable limite Ă la
possibilité de faire des
expérimentations sur la vie humaine. Ainsi, il est
incompatible avec la Convention de produire ou dâutiliser des embryons humains
vivants pour la préparation de cellules souches embryonnaires, ou de produire
des embryons humains clonés puis de les détruire pour produire des cellules
souches embryonnaires. Dans lâespace juridique europĂ©en, la recherche
scientifique sur les embryons humains et les lignées de cellules souches
embryonnaires nâest autorisĂ©e que dans les deux cas exceptionnels Ă©voquĂ©s
ci-dessus.
OPINION CONCORDANTE DU
JUGE DEDOV
(Traduction)
1 La
Cour a conclu Ă la non-violation de lâarticle 8 de la Convention. Tout en
souscrivant Ă cette conclusion, je pense que cette affaire aurait pu apporter
beaucoup plus à la jurisprudence de la Cour concernant le début de la vie.
2. La
Cour a relevĂ© que la prĂ©sente espĂšce, contrairement aux affaires prĂ©cĂ©dentes, nâavait
pas trait au choix de la requérante de devenir parent, et que cela
affaiblissait sa position. Elle sâest livrĂ©e Ă une analyse des intĂ©rĂȘts
concurrents en jeu, Ă savoir lâample marge dâapprĂ©ciation dont dispose lâĂtat
en matiĂšre de protection des embryons et le droit de la requĂ©rante Ă lâautodĂ©termination.
3. Le
Gouvernement invoque la « potentialitĂ© de vie dont lâembryon est
porteur » pour dĂ©montrer la lĂ©gitimitĂ© de la finalitĂ© de lâingĂ©rence. Cet
important objectif, qui ne peut se rĂ©duire Ă une question de marge dâapprĂ©ciation,
prĂ©suppose que lâembryon conditionne le dĂ©veloppement dâun ĂȘtre humain. Le fait
que le droit Ă la vie soit en jeu change complĂštement lâapproche judiciaire,
conformĂ©ment au rĂŽle de la Cour sâagissant dâinterprĂ©ter la Convention, y
compris lâobligation positive de lâĂtat de prĂ©server le dĂ©but de la vie.
4. Le
principe du respect du droit Ă la vie de lâembryon signifie quâon ne peut
apporter des limites Ă la dĂ©cision judiciaire en invoquant la marge dâapprĂ©ciation.
Sinon, la Cour devrait aussi conclure Ă la non-violation dans la situation
opposĂ©e, câest-Ă -dire dans le cas oĂč un requĂ©rant sâopposerait au don de ses
embryons Ă des fins de recherche scientifique, quâun Ătat peut autoriser ou ne
pas interdire.
5. Ă
mon avis, le droit Ă la vie de lâembryon est un critĂšre clĂ© pour parvenir Ă la
bonne décision. Je suis sûr que si ce critÚre avait été appliqué, de nombreuses
affaires précédentes, telles que les affaires Evans, Vo et S.H. (citées
dans lâarrĂȘt), auraient Ă©tĂ© tranchĂ©es en faveur des requĂ©rantes, qui
souhaitaient en rĂ©alitĂ© devenir parents et, en consĂ©quence, sauver la vie de lâembryon.
6. De
nombreuses sources viennent Ă©tayer ce point de vue. Elles ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es Ă
la Cour par les tiers intervenants et les institutions européennes. Ces sources
comprennent notamment lâinitiative citoyenne europĂ©enne « One of
us », lâaffaire BrĂŒstle et le
rĂšglement Horizon 2020. En particulier, la Recommandation 874 (1979) de lâAPCE
relative Ă la Charte europĂ©enne des droits de lâenfant affirme « les
droits de chaque enfant à la vie dÚs le moment de sa conception ». Je
regrette de ne pouvoir souscrire à la conclusion de la Cour interaméricaine des
droits de lâhomme dans lâaffaire Murillo
(citĂ©e dans lâarrĂȘt) selon laquelle la « conception » nâintervient quâaprĂšs
lâimplantation de lâembryon dans lâutĂ©rus. Dâun point de vue humain, je prĂ©fĂšre
le point de vue du gouvernement italien selon lequel, aux fins de préserver la
potentialitĂ© de lâembryon, il est vital de lâimplanter dans lâutĂ©rus dâune
autre femme souhaitant devenir mÚre en ayant recours à cette méthode.
7. Il
me faut Ă©galement mentionner la RĂ©solution 1352 (2003) de lâAPCE relative Ă la
recherche sur les cellules souches humaines, qui est encore plus explicite :
« [l]a destruction dâĂȘtres humains Ă des fins de recherche est contraire
au droit de tout ĂȘtre humain Ă la vie (...) » (paragraphe 10 de la
RĂ©solution). De plus, grĂące Ă lâinitiative citoyenne europĂ©enne « One of
us », le droit Ă la vie de lâembryon a Ă©tĂ© expressĂ©ment reconnu par des
millions de citoyens europĂ©ens, et lâinitiative a Ă©tĂ© soutenue par les
instances dirigeantes de lâUnion europĂ©enne. Cependant, la Cour est toujours
silencieuse sur ce sujet. Cette ambiguĂŻtĂ©, qui perdure dâaffaire en affaire, a
finalement affecté la requérante et ses représentants légaux, qui ne savaient
pas avec certitude quel article de la Convention devrait ĂȘtre appliquĂ© en lâespĂšce,
ou quel droit devrait ĂȘtre protĂ©gĂ© : le droit Ă la vie privĂ©e ou le droit
de propriété.
8. Je
ne suis pas convaincu que la marge dâapprĂ©ciation ou lâabsence de consensus
devrait interdire Ă la Cour de parvenir Ă une telle conclusion. Ătant donnĂ© que
le droit Ă la vie est absolu, et constitue lâun des droits les plus
fondamentaux, ni la marge dâapprĂ©ciation ni la souverainetĂ© ni le consensus ne
constituent des Ă©lĂ©ments pertinents en la matiĂšre. La marge dâapprĂ©ciation nâintervient
que sâagissant de dĂ©terminer quelles mesures sont nĂ©cessaires pour protĂ©ger une
valeur fondamentale (par exemple les dépenses publiques ou un délai pour la
cryoconservation dâembryons). La vie de lâembryon ne saurait ĂȘtre sacrifiĂ©e aux
fins de la concurrence entre Ătats en matiĂšre de biomĂ©decine.
9. Le
droit Ă la vie est absolu, et ce prĂ©cepte fondamental fait quâil est inutile dâexpliquer
pourquoi un meurtrier, un handicapé, un enfant abandonné ou un embryon doivent
ĂȘtre gardĂ©s en vie. Nous nâavons pas besoin dâĂ©valuer leur utilitĂ© pour la
sociĂ©tĂ©, mais nous plaçons de lâespoir en leur potentialitĂ©. Le droit Ă la vie
de lâembryon ne saurait ĂȘtre remis en question par le fait que, jusquâĂ son
implantation, son potentiel de dĂ©veloppement est quelque chose qui peut ĂȘtre
maintenu artificiellement, parce que toute technologie de la sorte est un
dĂ©veloppement naturel crĂ©Ă© par les ĂȘtres humains.
10. MĂȘme
si le droit à la vie est absolu, on pourrait réfléchir aux conséquences de
cette approche et jâaimerais exprimer quelques pensĂ©es Ă ce sujet. PremiĂšrement,
le droit de la requĂ©rante Ă lâautodĂ©termination ne serait en rien affectĂ© si lâembryon
était donné à une autre femme de maniÚre anonyme. DeuxiÚmement, la recherche se
tournerait (et se tourne déjà ) vers une autre direction, celle consistant à reprogrammer
des cellules adultes en cellules souches ou Ă recombiner lâADN, si nĂ©cessaire,
en particulier pour cultiver un nouvel organe destinĂ© Ă une personne malade Ă
partir des propres cellules souches de celle-ci.
11. La
dĂ©cision litigieuse du gouvernement italien de maintenir la vie de lâembryon nâest
pas une mesure extraordinaire. Pareille approche est adoptée dans toutes les
sociétés qui dépensent déjà des fonds publics en vue de soutenir les personnes
handicapĂ©es ou autres qui ne peuvent pas prendre soin dâelles-mĂȘmes. De plus,
Ă©tant donnĂ© que les banques de sperme et dâovules existent, ce ne serait pas un
problĂšme de crĂ©er une banque dâembryons (gamĂštes). Finalement, un don â en lâespĂšce
un don automatique que certains peuvent considĂ©rer comme une ingĂ©rence â est
Ă©thiquement acceptable sâil est nĂ©cessaire pour sauver la vie dâune personne.
12. La
nature absolue du droit Ă la vie permet de concilier toutes les opinions
Ă©thiques, morales, religieuses, scientifiques, sociales ou autres. Lâunique
question Ă©thique que jâadmettrais dans le dĂ©veloppement de la biomĂ©decine est
la question de la paternitĂ©/maternitĂ© dans le contexte du don. Comme lâa
expliqué le Gouvernement, le seul moyen de maintenir la potentialité de vie de
lâembryon est de lâimplanter dans lâutĂ©rus dâune autre femme (incapable de
concevoir) qui souhaite avoir un enfant. En pareille situation, la situation de
la requĂ©rante en tant que donneuse devrait ĂȘtre reconnue automatiquement. Le
statut juridique de donneur permet de résoudre les problÚmes éthiques puisque
la maternité, en termes de relations familiales, diffÚre de la simple
similaritĂ© du matĂ©riel gĂ©nĂ©tique. Dans lâaffaire S.H., la Cour a conclu Ă la non-violation des droits de la
requĂ©rante par lâĂtat dĂ©fendeur Ă raison de lâinterdiction du don de matĂ©riel
reproductif de tierces personnes autres que les parents du futur enfant. Dans
la situation opposĂ©e, comme en lâespĂšce, la Cour a de nouveau conclu Ă la
non-violation. Tel est le cas parce que les principes pertinents (le droit Ă la
vie) nâont pas Ă©tĂ© appliquĂ©s par la Cour, et lâaffaire S.H. Ă©tait donc malheureuse. Le prĂ©sent arrĂȘt rend lâissue de
futures affaires touchant à la biomédecine imprévisible.
13. Le
rĂŽle de la Cour est de dĂ©terminer les valeurs fondamentales et les intĂ©rĂȘts
prĂ©dominants afin dâexaminer chaque affaire particuliĂšre sur le fond. En
consĂ©quence, la Cour ne peut que conclure que le droit Ă la vie, en tant que lâun
des droits et libertĂ©s fondamentaux, est en jeu en lâespĂšce.
14. Ătant
donné que les nouvelles biotechnologies étendent objectivement notre perception
des formes et conditions de lâexistence humaine, je ne vois aucun obstacle
objectif Ă la reconnaissance juridique, dĂšs que possible, de cette Ă©volution,
dĂšs lors que lâon sait bien que tout retard dans pareille reconnaissance au
niveau national et international est potentiellement mortel et arbitraire.
OPINION EN PARTIE CONCORDANTE
COMMUNE DES JUGES CASADEVALL, RAIMONDI, BERRO, NICOLAOU ET DEDOV
1. Nous
ne partageons pas entiĂšrement le raisonnement de la Grande Chambre en ce qui
concerne le rejet de lâexception de non-Ă©puisement des voies de recours
internes soulevée par le gouvernement italien.
2. Nous
avions Ă©tĂ© initialement convaincus par lâanalyse du Gouvernement. Celui-ci a
observĂ© que, sâil est vrai que la question de constitutionnalitĂ© ne peut ĂȘtre
soulevĂ©e que par le juge et non par les parties â dont le pouvoir se limite Ă
solliciter quâon fasse usage de cette facultĂ©, et quâil ne sâagit donc pas dâun
recours Ă Ă©puiser en principe au sens
de lâarticle 35 de la Convention, il nâen va pas de mĂȘme dans le cadre
juridique Ă©tabli par les cĂ©lĂšbres arrĂȘts dits « jumeaux » de la Cour
constitutionnelle nos 348 et 349 de 2007, qui concernent lâhypothĂšse
dâun conflit entre une loi italienne et la Convention telle quâinterprĂ©tĂ©e par
la Cour.
3. Le
Gouvernement a souligné, à juste titre selon nous, que si le juge du fond avait
constatĂ© lâexistence dâun conflit insurmontable entre son interprĂ©tation de la
loi et les droits invoquĂ©s par la partie demanderesse, il aurait eu lâobligation
de soulever une question de constitutionnalité. La Cour constitutionnelle
aurait alors examiné au fond la compatibilité des faits litigieux avec les
droits de lâhomme, et elle aurait pu annuler les dispositions nationales avec
effet rétroactif et erga omnes.
4. En
effet, le cadre juridique dĂ©coulant de ces deux arrĂȘts de 2007 place le juge du
fond devant une alternative lorsque se pose la question de la compatibilité de
la loi nationale avec la Convention : ou bien il parvient, avec tous les
moyens techniques dont il dispose, Ă lire la loi nationale dans un sens
conforme Ă la Convention telle quâinterprĂ©tĂ©e par la Cour de Strasbourg, ou
bien il doit renvoyer la question Ă
la Cour constitutionnelle, laquelle annulera la loi interne Ă moins quâelle ne
constate lâexistence dâun conflit entre la Convention et la Constitution
italienne. Il sâagit lĂ dâune alternative au sens strict (tertium non datur).
5. Dans
ces conditions, la jurisprudence traditionnelle de la Cour évoquée au
paragraphe 101 de lâarrĂȘt ne devrait pas sâappliquer en lâespĂšce. DâaprĂšs cette
jurisprudence, fondĂ©e sur lâabsence dâaccĂšs direct des particuliers Ă la Cour
constitutionnelle italienne due Ă la rĂšgle voulant que seule une juridiction
qui connaĂźt du fond dâune affaire ait la facultĂ© de la saisir, Ă la requĂȘte dâun
plaideur ou dâoffice, pareille requĂȘte ne saurait sâanalyser en un recours dont
la Convention exige lâĂ©puisement.
6. Mais
lorsquâun requĂ©rant potentiel met en cause la compatibilitĂ© dâune loi nationale
avec la Convention, nous ne sommes plus dans le cas de figure classique oĂč le
juge du fond est seul maßtre de la décision de saisir ou de ne pas saisir la
Cour constitutionnelle. Dans cette hypothĂšse, qui est celle de lâespĂšce, la
jurisprudence traditionnelle nâest plus pertinente : si le juge du fond
est placé par le requérant potentiel dans la situation de devoir apprécier la
compatibilitĂ© dâune loi nationale avec la Convention, il pourra bien entendu
interpréter la loi nationale dans un sens conforme à la Convention. Toutefois,
sâil nây parvient pas, il nâaura pas le choix : il devra renvoyer la question â Ă condition bien sĂ»r quâelle soit
pertinente pour la solution du litige â Ă la Cour constitutionnelle.
7. Dans cette
situation, un
requĂ©rant potentiel qui nâa pas obtenu du juge du fond une interprĂ©tation de la
loi nationale conforme Ă la Convention a
le droit de voir la Cour constitutionnelle se prononcer sur la question, Ă
une rĂ©serve prĂšs que nous examinerons ci-dessous et qui sâapplique en lâespĂšce.
8. La
seule raison qui nous conduit à nous rallier en définitive à la décision de la
majorité concluant au rejet de cette
exception dans la prĂ©sente affaire tient Ă lâĂ©volution de la jurisprudence de
la Cour constitutionnelle italienne qui sâest fait jour dans un arrĂȘt no
49 dĂ©posĂ© le 26 mars 2015. Dans cet arrĂȘt, la haute juridiction a analysĂ©,
entre autres, la place de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme et de
la jurisprudence de la Cour dans lâordre juridique interne, indiquant Ă cet
Ă©gard que le juge du fond nâĂ©tait tenu de se conformer Ă la jurisprudence de la
Cour que dans le cas oĂč celle-ci Ă©tait « bien Ă©tablie » ou Ă©noncĂ©e
dans un « arrĂȘt pilote ». Or lorsque se pose une question nouvelle,
comme câest indĂ©niablement le cas en lâespĂšce, la position adoptĂ©e par la Cour
constitutionnelle exclut que lâon puisse considĂ©rer que le requĂ©rant potentiel
doit saisir le juge interne avant de sâadresser Ă la Cour.
9. Cela dit,
nous constatons que la motivation de lâarrĂȘt, de laquelle nous devons nous
dĂ©marquer en partie pour les raisons susmentionnĂ©es, renvoie Ă lâarrĂȘt no
49/2015 de la Cour constitutionnelle italienne (paragraphe 100 du présent
arrĂȘt), et que ce renvoi lui confĂšre un caractĂšre Ă©clectique. Nous y voyons une
ouverture par rapport Ă la jurisprudence traditionnelle.
10. Le poids
accordĂ© Ă cette dĂ©cision dans la motivation du prĂ©sent arrĂȘt ouvre Ă notre avis
la voie Ă une remise en cause de la jurisprudence traditionnelle de la Cour â
dans les limites permises par la nouvelle jurisprudence de la Cour
constitutionnelle italienne, bien entendu â qui pourrait lâamener Ă considĂ©rer
que, mĂȘme lorsquâune loi est directement Ă lâorigine de la violation allĂ©guĂ©e,
le requérant potentiel doit en principe
saisir dâabord le juge interne, pour autant que le cadre juridique tracĂ© par
les arrĂȘts nos 348 et 349 de 2007 de la Cour constitutionnelle
italienne puis attĂ©nuĂ© par lâarrĂȘt no 49/2015 rendu par cette
mĂȘme cour ne soit pas remis en cause dans sa substance mĂȘme.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE
DES JUGES CASADEVALL, ZIEMELE, POWER-FORDE, DE GAETANO ET YUDKIVSKA
(Traduction)
1. Dans
sa requĂȘte, la requĂ©rante allĂ©guait que lâinterdiction, Ă©dictĂ©e par le droit
italien, de donner à la recherche scientifique des embryons conçus par procréation médicalement assistée
était incompatible avec son droit au respect de sa vie privée. Dans le présent
arrĂȘt, la Cour juge que la possibilitĂ© pour lâintĂ©ressĂ©e dâexercer un choix
conscient et réfléchi quant au « sort à réserver à ses embryons »
touche un aspect intime de la vie personnelle de celle-ci et relĂšve Ă ce titre
de son droit Ă lâautodĂ©termination (§ 159 du prĂ©sent arrĂȘt). La Cour en dĂ©duit
que lâarticle 8 de la Convention trouve Ă sâappliquer en lâespĂšce et conclut Ă
la non-violation de cette disposition, au motif notamment que lâinterdiction
litigieuse est « nécessaire dans une société démocratique » à la
protection des droits et libertĂ©s dâautrui au sens de lâarticle 8 § 2 de la
Convention.
2. Bien
que nous ayons votĂ© pour la non-violation de lâarticle 8 de la Convention, les
motifs qui nous ont conduits Ă cette conclusion diffĂšrent grandement de ceux
qui ont Ă©tĂ© retenus dans le prĂ©sent arrĂȘt. Nous nous dissocions de la majoritĂ©
bien avant lâapprĂ©ciation de la proportionnalitĂ© de lâinterdiction incriminĂ©e Ă
laquelle celle-ci sâest livrĂ©e. Nous estimons en effet que le grief de la
requérante est incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention au sens de lâarticle 35 §§
3 et 4 de ce texte.
3. Lâancienne
Commission et la Cour ont déjà eu à connaßtre de nombreuses affaires sensibles
dans lesquelles se posaient des questions fondamentales touchant Ă la
potentialité de la vie humaine, au début de la vie humaine, et à la vie humaine
embryonnaire ou fĆtale, en rapport ou non avec les droits de la personnalitĂ© dâautrui[41]. Bien que la
Cour ait jugĂ© que les questions ayant trait Ă la procrĂ©ation â et, en
particulier, Ă la dĂ©cision de devenir ou de ne pas devenir parent â constituent
un aspect de la vie privĂ©e des personnes[42], elle sâest
abstenue de statuer sur le point fondamental de savoir à quel moment débute la
« vie protĂ©gĂ©e » par la Convention. En consĂ©quence, elle sâest gardĂ©e
de se prononcer sur le statut de lâembryon humain en tant que tel.
4. Comme
la Cour le reconnaĂźt dans le prĂ©sent arrĂȘt, la requĂ©rante revendiquait en
rĂ©alitĂ© le droit de « disposer dâembryons »
(§ 149) ou, en dâautres termes, le droit de « dĂ©cider du sort » dâembryons
issus dâune fĂ©condation in vitro (§
152). Or la Cour juge ici, pour la premiĂšre fois, que le fait de « dĂ©cider du sort » dâembryons ou dâen
« disposer » relÚve du
droit des personnes au respect de leur vie privée (§ 152). Le présent
arrĂȘt marque donc un tournant dĂ©cisif dans la jurisprudence de la Cour. Il sâagit
lĂ dâune dĂ©cision dâune portĂ©e considĂ©rable â et Ă nos yeux inacceptable â sur
le statut de lâembryon humain.
5. La
conclusion à laquelle parvient la majorité est déconcertante non seulement en
raison de la connotation utilitaire des termes employés par celle-ci pour
parler de lâembryon humain, mais aussi de la logique dĂ©routante sur laquelle
repose la dĂ©cision adoptĂ©e. La raison pour laquelle la majoritĂ© considĂšre quâun
choix concernant « le destin de lâembryon » relĂšve de la sphĂšre de la
vie privée de la requérante tient « au lien
existant entre la personne qui a eu recours à une fécondation in vitro et les
embryons ainsi conçus ». Selon la majorité, ce lien découle du fait
que « [ces embryons] renferment
le patrimoine génétique de la personne en question et représentent à ce titre une partie constitutive de celle-ci et de
son identité biologique »
(§ 158) (gras ajouté).
6. La
conclusion selon laquelle lâembryon est une « partie constitutive »
de lâidentitĂ© de la requĂ©rante revĂȘt une portĂ©e considĂ©rable. Contrairement Ă
la majoritĂ©, nous estimons que lâembryon ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une
simple partie constitutive de lâidentitĂ© de telle ou telle personne, que cette
identitĂ© soit biologique ou dâune autre nature. Sâil hĂ©rite du patrimoine
gĂ©nĂ©tique de ses « parents » biologiques, lâembryon humain nâen est
pas moins une entité séparée et distincte dÚs les tout premiers stades de son développement.
Sâil nâĂ©tait quâune partie constitutive de lâidentitĂ© de telle ou telle
personne, pourquoi tant de rapports, de recommandations, de conventions et de
protocoles internationaux seraient-ils consacrés à sa protection ? Ces
instruments reflĂštent lâexistence, au sein de la communautĂ© humaine, dâun large
consensus sur le fait que lâembryon nâest pas une simple « chose ».
Comme lâa dĂ©clarĂ© lâAssemblĂ©e parlementaire du Conseil de lâEurope, lâembryon
est une entité qui « doi[t] bénéficier en toutes circonstances du respect
dû à la dignité humaine » (§ 53).
7. Lâapproche
adoptée par la Cour dans la présente affaire consacre une conception
positiviste et rĂ©ductrice de lâembryon humain. Ayant qualifiĂ© lâembryon de
« partie constitutive » du matĂ©riel gĂ©nĂ©tique et de lâidentitĂ©
biologique de telle ou telle personne, la Cour décide que la question du sort
de lâembryon et de lâ « usage » qui peut en ĂȘtre fait relĂšve du
droit de cette personne au respect de sa vie privĂ©e. LâADN de lâembryon humain,
comme celui de toutes les autres entités humaines, provient nécessairement de
celui de ses « parents » biologiques. Mais il est hasardeux et
arbitraire de se fonder sur une simple parenté génétique pour décider que le
sort dâune entitĂ© humaine relĂšve du droit de telle ou telle personne Ă lâautodĂ©termination.
8. La
confusion qui caractérise le raisonnement de la majorité et qui est manifeste
dans la partie consacrĂ©e Ă la recevabilitĂ© de la requĂȘte sâĂ©tend
malheureusement Ă la motivation de lâarrĂȘt (§ 167). Pour apprĂ©cier la
proportionnalitĂ© de lâinterdiction litigieuse, la majoritĂ© considĂšre que
celle-ci peut ĂȘtre rattachĂ©e au but de protection « des droits et libertĂ©s
dâautrui », mais elle se hĂąte dâajouter que cela nâimplique aucun jugement
sur le point de savoir si le mot « autrui » englobe lâembryon
humain !
9. Nous
considérons pour notre part, conformément à la jurisprudence de la Cour en
vigueur jusquâĂ prĂ©sent, quâil eĂ»t Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rable de conclure que le droit de
la requĂ©rante Ă lâ « autodĂ©termination »
en tant quâaspect de sa vie privĂ©e nâĂ©tait tout simplement pas en cause puisque
la question dâune possible maternitĂ© ne se posait pas en lâespĂšce. Nous
observons que lâintĂ©ressĂ©e a dĂ©clarĂ© que le don de ses embryons susciterait
chez elle un « noble sentiment ». Toutefois, il va sans dire que la
Convention a pour vocation exclusive de protĂ©ger les droits fondamentaux de lâhomme,
non de promouvoir des sentiments, quelle quâen soit la nature. Le droit
revendiqué par la requérante de « disposer
de ses embryons » Ă des fins de recherche scientifique nâentre pas
dans le champ dâapplication de lâarticle 8 de la Convention. En
consĂ©quence, nous estimons que la requĂȘte aurait dĂ» ĂȘtre rejetĂ©e comme Ă©tant
incompatible ratione materiae avec
les dispositions de la Convention au sens de lâarticle 35 §§ 3 et 4 de ce
texte.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DU JUGE NICOLAOU
(Traduction)
1. Ă
mon avis, la requĂȘte aurait dĂ» ĂȘtre rejetĂ©e car elle nâa pas Ă©tĂ© introduite
dans le délai requis.
2. Selon
lâarticle 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut ĂȘtre saisie que dans un
délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.
Cependant, le point de dĂ©part de ce dĂ©lai nâest pas toujours apparent. Il se
peut quâil ne soit pas matĂ©rialisĂ© par une dĂ©cision ou quâil soit peu distinct
pour une autre raison. Pour certaines situations continues dans lesquelles des
droits issus de la Convention sont violĂ©s, il peut ĂȘtre particuliĂšrement
difficile de définir quand le délai a commencé à courir. Notre jurisprudence
fournit des indications sur la façon dâaborder ce type dâaffaires. Dans lâaffaire
Varnava et autres c. Turquie ([GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90,
16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, §§ 159 et 161, CEDH 2009), la Cour a
dĂ©clarĂ© en termes gĂ©nĂ©raux que le dĂ©lai ne sâappliquait pas aux situations
continues. Ce nâest pas tout Ă fait exact puisque, comme lâexplique ensuite lâarrĂȘt,
en pareil cas la violation continue signifie simplement que le délai recommence
en fait Ă courir chaque jour, de sorte que le dĂ©lai sâapplique bien en
principe. à la cessation de la situation continue, le délai commence à courir
sans interruption pendant la période de six mois. La difficulté, dans certaines
affaires, tient Ă la dĂ©termination du moment exact oĂč la situation est arrivĂ©e
Ă son terme. Comme il a Ă©tĂ© soulignĂ© dans lâaffaire Varnava (prĂ©citĂ©e, § 161), toutes les situations continues ne sont
pas identiques : en fonction de leur nature, les enjeux peuvent changer au fil
du temps. Il peut donc ĂȘtre nĂ©cessaire dâexaminer comment une situation a
Ă©voluĂ© afin dâapprĂ©cier la signification des Ă©vĂ©nements ou les perspectives de
parvenir Ă une solution et de juger ce qui serait raisonnable de prendre comme
point de dĂ©part dans les circonstances particuliĂšres de lâespĂšce. La Cour peut
adopter un point de vue général et pratique quant à de telles questions.
3. La
majoritĂ© est dâavis que la prĂ©sente affaire porte sur une situation continue de
durĂ©e illimitĂ©e, coĂŻncidant avec lâexistence de la loi no 40 du
19 février 2004, entrée en vigueur le 10 mars 2004. à mon avis, la
requĂ©rante nâĂ©tait pas en droit dâattendre indĂ©finiment avant de demander
réparation.
4. Les
faits, trÚs sommairement présentés par la requérante, sont les suivants. Quelque
part en 2002, cinq embryons, obtenus dans le cadre dâun processus de
fécondation in vitro par la
requĂ©rante et son partenaire, furent placĂ©s en cryoconservation aux fins dâune
implantation future. Avant la fin de lâannĂ©e suivante, le partenaire de la
requĂ©rante fut tuĂ© en Irak oĂč il rĂ©alisait un reportage de guerre. Par la
suite, à une date non précisée, la requérante décida de ne pas implanter les
embryons. Elle formula alors oralement, en vain, plusieurs demandes de mise Ă
disposition de ses embryons en vue dâune utilisation par la recherche
scientifique. Le nombre de demandes et les pĂ©riodes oĂč elles ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es
nâont pas Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©s. On peut supposer quâelles sont toutes intervenues aprĂšs
lâentrĂ©e en vigueur de la nouvelle loi, puisquâauparavant il nây aurait pas eu
dâobstacles Ă donner les embryons, pour quelque objectif que ce soit. De plus,
nul nâa expliquĂ© pourquoi la requĂ©rante nâa pas portĂ© lâaffaire plus tĂŽt devant
la juridiction de Strasbourg, câest-Ă -dire peu aprĂšs lâentrĂ©e en vigueur de la
nouvelle loi, au lieu dâattendre plus de sept ans avant de le faire.
5. Il
doit avoir Ă©tĂ© clair pour la requĂ©rante que ses demandes ne pouvaient pas ĂȘtre
accordées au titre de la nouvelle loi. Celle-ci, en ses passages pertinents, se
lit ainsi :
Article 13 â ExpĂ©rimentation sur lâembryon humain
« 1. Toute
expĂ©rimentation sur lâembryon humain est interdite.
2. La recherche clinique et expĂ©rimentale sur lâembryon humain
ne peut ĂȘtre autorisĂ©e que si elle poursuit exclusivement des finalitĂ©s
thĂ©rapeutiques et diagnostiques tendant Ă la protection de la santĂ© ainsi quâau
dĂ©veloppement de lâembryon et sâil nâexiste pas dâautres mĂ©thodes. »
6. Aux termes de lâarticle 13 § 5 de cette
loi, toute violation de cette interdiction est passible de sanctions sévÚres, y
compris dâune peine dâemprisonnement pouvant aller jusquâĂ six ans.
7. Il y a bien sûr des exemples dans
lesquels les dispositions législatives donnent bien lieu à une ingérence
continue dans lâexercice de droits issus de la Convention au titre soit de lâarticle
8 soit de lâarticle 14 combinĂ© avec lâarticle 8, ingĂ©rence dont les effets ne
peuvent sâattĂ©nuer ou cesser au fil du temps Ă moins dâen supprimer la
cause. La majorité cite les affaires Dudgeon
c. Royaume-Uni (22 octobre 1981, § 41, série A no 45), Norris c. Irlande
(26 octobre 1988, § 38, série A no 142), Vallianatos et
autres c. GrÚce ([GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 54, CEDH 2013 (extraits)) et S.A.S. c. France [GC], no
43835/11, § 110, CEDH 2014 (extraits)), et ce ne sont pas les seules affaires
sur le sujet. La majoritĂ© reconnaĂźt que dans ces affaires lâimpact des mesures
législatives incriminées sur la vie quotidienne des requérants « était
plus important et plus direct quâen lâespĂšce ». Toutefois, elle nâattache
aucune importance à une différence que, pour ma part, je considÚre comme
cruciale. Dans ces affaires, les dispositions législatives litigieuses avaient,
dâune maniĂšre ou dâune autre, un impact pratique majeur sur le quotidien des
requérants, avec des effets décisifs et lourds de conséquences sur leur
conduite et lâorganisation de leurs affaires. Rien de tel en lâespĂšce : la
majoritĂ© se contente de reconnaĂźtre lâexistence dâun « lien biologique
existant entre lâintĂ©ressĂ©e et ses embryons ainsi que de lâobjectif de
rĂ©alisation dâun projet familial Ă lâorigine de leur crĂ©ation »
(paragraphe 111 de lâarrĂȘt), bien que, en ce qui concerne la deuxiĂšme
proposition, le projet de fonder une famille en ayant recours aux embryons ait
Ă©tĂ© abandonnĂ© Ă une phase prĂ©coce et ne fĂ»t plus dâactualitĂ© en lâespĂšce. Elle
conclut que lâinterdiction en question « a une incidence sur la vie privĂ©e
de la requérante » (ibidem).
8. Dans
la décision sur la recevabilité sur le délai de six mois, la majorité ne va pas
au-delĂ que ce que jâai dĂ©jĂ rapportĂ©. La recevabilitĂ© est admise sur la base
du point de vue, que je ne partage pas, que la nouvelle loi a un impact
incessant sur la vie de la requérante. Par la suite, toutefois, dans la partie
de lâarrĂȘt sur le fond, la majoritĂ© explique ce quâelle voit comme la nature
particuliĂšre de cet impact, et donc qui expliquerait sa force. Les paragraphes
158 et 159 de lâarrĂȘt se lisent ainsi :
« 158. En
lâespĂšce, la Cour doit aussi avoir Ă©gard au lien existant entre la personne qui
a eu recours à une fécondation in vitro
et les embryons ainsi conçus, et qui tient au fait que ceux-ci renferment le
patrimoine génétique de la personne en question et représentent à ce titre une
partie constitutive de celle-ci et de son identité biologique.
159. La
Cour en conclut que la possibilitĂ© pour la requĂ©rante dâexercer un choix
conscient et réfléchi quant au sort à réserver à ses embryons touche un aspect
intime de sa vie personnelle et relĂšve Ă ce titre de son droit Ă lâautodĂ©termination.
Lâarticle 8 de la Convention, sous lâangle du droit au respect de la vie
privĂ©e, trouve donc Ă sâappliquer en lâespĂšce. »
9. Ma
position est trÚs éloignée de celle de la majorité selon laquelle la question
en jeu tient au droit Ă lâautodĂ©termination de la requĂ©rante. En fait, avec
tout le respect que je dois à la majorité, il me semble que par la suite,
celle-ci prend Ă©galement ses distances par rapport Ă cette position initiale.
Il est intĂ©ressant de noter Ă cet Ă©gard que, lorsquâelle examine les
circonstances spécifiques de la présente affaire, la majorité déclare, au
paragraphe 174 de lâarrĂȘt que :
« (...)
la présente espÚce ne concerne pas un projet parental (...). Dans ces
conditions, sâil nâest assurĂ©ment pas dĂ©nuĂ© dâimportance, le droit de donner
des embryons à la recherche scientifique invoqué par la requérante ne fait pas
partie du noyau dur des droits protĂ©gĂ©s par lâarticle 8 de la Convention en ce
quâil ne porte pas sur un aspect particuliĂšrement important de lâexistence et
de lâidentitĂ© de lâintĂ©ressĂ©e. »
10. Jâen
suis tout Ă fait dâaccord. Un peu plus loin, au paragraphe 192, la majoritĂ©
observe que :
« (...)
si le droit invoqué par la requérante de décider du sort de ses embryons est
liĂ© Ă son dĂ©sir de contribuer Ă la recherche scientifique, il nây a toutefois
pas lieu dây voir une circonstance affectant directement lâintĂ©ressĂ©e. »
11. Encore
une fois, je suis bien dâaccord. Contrairement aux affaires pertinentes
susmentionnĂ©es, oĂč lâon a soulignĂ© que les requĂ©rants avaient Ă©tĂ© directement
touchĂ©s par la lĂ©gislation litigieuse, en lâespĂšce la requĂ©rante nâĂ©tait pas
directement concernĂ©e. Ce quâelle envisageait de faire â Ă savoir faire don de
ses embryons Ă la recherche â nâa pas affectĂ© directement sa vie privĂ©e. Je ne
comprends pas pourquoi la majoritĂ©, lorsquâelle examine les arguments de la
requérante à la lumiÚre des divers aspects de la nouvelle loi, ne pouvait pas
conclure dĂšs la dĂ©part, ainsi quâelle le fait au paragraphe 195, que, quelles
que soient les incohérences figurant ou non dans la nouvelle législation, elles
« (...)
ne sont pas de nature Ă affecter directement le droit quâelle invoque en lâespĂšce. »
12. Cette
conclusion est dans la droite ligne de ce que jâai dĂ©jĂ prĂ©sentĂ© comme une
différence déterminante entre la présente espÚce et les affaires Dudgeon, Norris, Vallianatos et S.A.S. précitées.
13. Mon
opinion selon laquelle la requĂȘte aurait dĂ» ĂȘtre dĂ©clarĂ©e irrecevable pour
non-respect du délai requis se fonde sur la nature trÚs ténue, à mon sens, du
lien entre la requĂ©rante et les embryons congelĂ©s. Sâil existe bien un lien
significatif puisque les embryons sont issus du matériel génétique de la
requĂ©rante et de son partenaire, et quâen consĂ©quence de ce lien la question
relĂšve du champ de lâarticle 8, il me semble que ce nâest quâĂ la pĂ©riphĂ©rie,
et que cela ne tient quâĂ la possibilitĂ©, pour la requĂ©rante, dâexprimer un
souhait concernant le sort de ces embryons. Ă la rĂ©ception dâune rĂ©ponse
nĂ©gative, Ă©tant donnĂ© quâil nây avait pas de recours interne adĂ©quat Ă Ă©puiser,
le délai de prescription aurait dû alors commencer à courir aux fins de
soumettre la restriction législative en question à un examen au titre de la
Convention.
14. Eu
Ă©gard au point de vue dĂ©crit ci-dessus, on ne saurait dire que cet aspect de lâarticle
8 donne à la requérante un droit pendant une période indéfinie. La nouvelle loi
est entrée en vigueur quatre mois environ aprÚs le drame qui a changé sa vie
et, si le dĂ©lai de six mois est ajoutĂ© Ă cela, on serait tentĂ© de croire quâelle
disposait dâassez de temps pour dĂ©cider si elle souhaitait avoir son mot Ă dire
dans cette affaire. Il est Ă©galement possible, cependant, dâaborder la question
de maniĂšre plus large et, sur la base dâune situation continue crĂ©Ă©e par la
nouvelle loi, dâexaminer ce qui pouvait ĂȘtre un cadre temporel raisonnable
permettant à une personne dans la situation de la requérante, dans les tristes
circonstances dans lesquelles elle sâest trouvĂ©e, de suffisamment rĂ©flĂ©chir et
agir. Ce que je ne peux certainement pas admettre, câest lâidĂ©e que la
requĂ©rante nâĂ©tait soumise Ă aucune limite temporelle pour mettre en branle le
dispositif strasbourgeois de protection des droits de lâhomme.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE
SAJĂ
(Traduction)
Ă mon grand
regret, je ne peux souscrire aux points de vue exprimés par la majorité. Je me
vois donc dans lâobligation de mâen Ă©carter, pour les raisons exposĂ©es ci-dessous.
Applicabilité
de lâarticle 8 de la Convention en lâespĂšce
1. En
lâespĂšce, la Cour conclut que « que la possibilitĂ© pour la requĂ©rante dâexercer
un choix conscient et réfléchi quant au sort à réserver à ses embryons touche
un aspect intime de sa vie personnelle et relĂšve Ă ce titre de son droit Ă lâautodĂ©termination «
(paragraphe 159 de lâarrĂȘt). Je ne peux que souscrire Ă cette conclusion, sauf
Ă ajouter que cela non seulement « relĂšve » du droit de lâintĂ©ressĂ©e
Ă lâautodĂ©termination mais quâil sâagit lĂ de lâexercice de ce droit, qui se
trouve au cĆur du droit Ă la vie privĂ©e. Le droit de la requĂ©rante Ă lâautodĂ©termination
reflĂšte son droit Ă lâautonomie personnelle et Ă sa libertĂ© de choix (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00,
§ 80, CEDH 2011 ; McDonald c.
Royaume-Uni, no 4241/12, §§ 46-47, 20 mai 2014 ; et Pretty c. Royaume-Uni, no
2346/02, § 61, CEDH 2002‑III). Ici, le choix (un droit) de la
requérante était de donner ses embryons pour faire avancer la science en vue de
sauver des vies plutĂŽt que de laisser leur viabilitĂ© sâĂ©teindre avec le temps[43]. La nature
du droit en jeu en lâespĂšce est la libertĂ© de choix de la requĂ©rante. Il ne sâagit
pas dâune affaire touchant aux droits de la parentalitĂ© ni mĂȘme aux droits Ă©ventuels
dâun fĆtus ; le droit de la requĂ©rante dont il est ici question est celui
dâagir comme un individu libre et autonome en ce qui concerne son empreinte
génétique.
2. Selon
la jurisprudence de la Cour, « il nâincombe pas Ă la Cour dâexaminer in abstracto la lĂ©gislation et la
pratique pertinentes, mais de rechercher si la maniÚre dont elles ont touché le
requérant a enfreint la Convention » (N.C.
c. Italie [GC], no 24952/94, § 56, CEDH 2002‑X). Il ne sâagit
pas ici dâexaminer lâutilisation des embryons par la recherche telle que
réglementée par le droit italien, mais de considérer la maniÚre dont la mesure
générale a affecté des embryons qui avaient été créés et cryoconservés avant
que la restriction nâentre en vigueur. Cette affaire porte sur une situation
trĂšs spĂ©cifique : que passe-t-il lorsquâune lĂ©gislation intervient et entrave lâexercice
de ce droit prĂ©existant concernant des embryons prĂ©existants ? Lâembryon peut
potentiellement devenir un ĂȘtre humain, mais cela reste une simple potentialitĂ©
puisque cette Ă©volution ne peut se produire sans le consentement du ou des
donneurs, comme il en a Ă©tĂ© discutĂ© dans lâaffaire Evans c. Royaume-Uni ([GC], no 6339/05, CEDH 2007‑I).
La
requérante a décidé de ne pas donner son consentement. Certainement, une loi qui
exigerait de la requĂ©rante dâutiliser les embryons elle-mĂȘme contreviendrait Ă
son droit Ă dĂ©cider de devenir ou non parent. De mĂȘme, une loi qui lâobligerait
Ă autoriser « lâadoption » de ses embryons par un tiers violerait son droit
fondamental Ă ne pas ĂȘtre contrainte Ă la parentalitĂ©[44]. Le droit
italien ne laisse donc quâune option : la cryoconservation pour une
période illimitée des embryons non implantés[45].
3. Pour
moi, le « droit de choisir » de la requĂ©rante (en tant quâaspect
relevant de lâautodĂ©termination) ne reprĂ©sente pas « un aspect
particuliĂšrement important de lâexistence ou de lâidentitĂ© dâune
personne ». Si le point mĂ©rite dĂ©bat, jâadmets quâil nâexiste pas de
consensus européen[46] concernant
le sort des embryons cryoconservés et je ne discuterai pas de la question de
savoir si lâexpĂ©rience de sept ou quatre pays est suffisante pour tirer cette
conclusion (bien que les données comparatives fournies par la Cour ne reflÚtent
pas la pratique des pays en ce qui concerne les embryons qui ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s Ă
des fins reproductrices avant lâimposition dâune interdiction sur la recherche,
et que seuls quelques pays interdisent toute recherche sur les cellules souches
embryonnaires). Il sâensuit que lâĂtat dispose dâune ample marge dâapprĂ©ciation
sâagissant de restreindre ce droit.
Sur le
point de savoir sâil y a eu une « ingĂ©rence » « prĂ©vue par la
loi »
4. La
Cour reconnaĂźt quâil y a eu une ingĂ©rence dans le droit de la requĂ©rante au
respect de la vie privĂ©e au titre de lâarticle 8. Toutefois, il importe de
souligner quâau moment oĂč la requĂ©rante a choisi la voie de la fĂ©condation in vitro, il nây avait pas de loi en
vigueur en Italie concernant le sort à réserver aux embryons surnuméraires.
Ainsi que la Grande Chambre lâa dĂ©jĂ dit, lâexpression « prĂ©vue par la
loi » implique que « la législation interne doit user de termes assez
clairs pour indiquer Ă tous de maniĂšre suffisante en quelles circonstances et
sous quelles conditions elle habilite la puissance publique Ă recourir Ă des
mesures affectant leurs droits protĂ©gĂ©s par la Convention » (FernĂĄndez MartĂnez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 117, CEDH 2014
(extraits)). La requĂ©rante Ă©tait face Ă une situation dans laquelle elle nâavait
pas de choix rĂ©el Ă part celui dâaccepter que lâĂtat conserve ses embryons en
les congelant pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e. Cela nâĂ©tait pas prĂ©visible lorsquâelle
a choisi de subir une FIV. Elle nâavait aucune possibilitĂ© de savoir quâelle
aurait seulement quatre mois aprÚs le décÚs de son partenaire pour décider ce
quâil fallait faire des embryons, avant que la nouvelle lĂ©gislation ne lui
enlÚve le contrÎle de cette décision. Il importe de relever que la loi ne
contient pas de rĂšgles spĂ©cifiques quant au sort des embryons qui Ă©taient dĂ©jĂ
cryoconservĂ©s avant lâentrĂ©e en vigueur de cette loi.
Légitimité
du but poursuivi
5. En
lâespĂšce, le Gouvernement nâa pas donnĂ© de raison claire justifiant lâingĂ©rence.
Ces buts ont été reconstitués (non sans effort) par la Cour, puis admis par
elle. En lâabsence de toute justification par le Gouvernement du but de lâingĂ©rence,
la majorité en propose deux : la protection de la morale et la protection des
droits dâautrui. Quant Ă la protection de la morale, la Cour ne donne aucune
information sur la morale publique en Italie, oĂč la pratique litigieuse est
légale depuis de nombreuses années[47]. Le
Gouvernement nâa pas invoquĂ© la protection de la morale et la Cour nâexplique
pas oĂč lâintĂ©rĂȘt moral se trouve ; elle ne prend pas davantage en compte un
intĂ©rĂȘt moral spĂ©cifique dans lâanalyse sur la proportionnalitĂ©.
6. En
ce qui concerne les droits dâautrui, « [l]a Cour admet que la
« protection de la potentialitĂ© de vie dont lâembryon est porteur »
peut ĂȘtre rattachĂ©e au but de protection de la morale et des droits et libertĂ©s
dâautrui » (paragraphe 167 de lâarrĂȘt)[48]. Mais qui
est « autrui » ? Lâembryon est-il « autrui », câest-Ă -dire
une personne ? Il nây a pas de rĂ©ponse, sauf que lâembryon est dĂ©crit dans
la loi de 2004 comme un « sujet » ayant des droits. Le fait quâil ne
tombe pas dans la catĂ©gorie des biens ne fait pas de lâembryon un ĂȘtre humain
ou un titulaire de droits[49]. Le fait
que lâĂtat ait intĂ©rĂȘt Ă protĂ©ger une vie potentielle ne saurait se mesurer au
droit dâune personne.
7. La
Cour estime que les droits dâautrui sont prĂ©sents parce que « la potentialitĂ©
de vie » peut ĂȘtre liĂ©e Ă ce droit allĂ©guĂ©. JâespĂšre me tromper, mais je
crains quâil nây ait ici un risque de distendre la norme applicable Ă la liste
des buts admissibles pour une restriction des droits. Jusquâici, la Cour a constamment
affirmĂ© que la liste dâexceptions aux droits individuels reconnus par la
Convention était exhaustive et que leur définition était restrictive (voir,
parmi dâautres, Sviato-MykhaĂŻlivska
Parafiya c. Ukraine, no 77703/01, § 132, 14 juin 2007; et Nolan et K. c. Russie, no
2512/04, § 73, 12 février 2009). Cela est essentiel à toute protection sérieuse
de droits. Malheureusement, dans lâaffaire S.A.S.
c. France ([GC], no 43835/11, § 113, CEDH 2014
(extraits)), la Cour a dit que « [p]our ĂȘtre compatible avec la
Convention, une restriction Ă cette libertĂ© doit notamment ĂȘtre inspirĂ©e par un
but susceptible dâĂȘtre rattachĂ© Ă lâun de ceux que cette disposition Ă©numĂšre.
La mĂȘme approche sâimpose sur le terrain de lâarticle 8 de la
Convention ». Dâune position selon laquelle le but « est susceptible
dâĂȘtre rattachĂ© » Ă ces exceptions Ă©numĂ©rĂ©es de maniĂšre exhaustive, nous
passons Ă prĂ©sent Ă un point de vue selon lequel un lien peut exister si cela nâest
pas exclu comme Ă©tant abusivement spĂ©culatif (« peut ĂȘtre susceptible »
au lieu de « est susceptible »).
Le fait de
ne pas examiner sĂ©rieusement un but supposĂ© dâun Ătat saperait le potentiel de
protection des droits de toute analyse de proportionnalitĂ©. Lâexamen de la
finalitĂ© dâune mesure relĂšve du rĂŽle de supervision de la Cour (Handyside c. Royaume-Uni, 7 dĂ©cembre
1976, § 49, série A no 24). Si nous souhaitons appliquer la
doctrine de la marge dâapprĂ©ciation, nous pourrions dire quâen matiĂšre de
politique Ă©conomique il y a peu de place pour une telle analyse, eu Ă©gard Ă lâavantage
cognitif dont bénéficient la législation nationale ou les autorités nationales,
ou considérant que « [g]rùce à une connaissance directe de leur société et
de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées
que le juge international pour dĂ©terminer ce qui est « dâutilitĂ©
publique » (James et autres c.
Royaume-Uni, 21 février 1986, § 46, série A no 98). Ce
raisonnement ne peut pas ĂȘtre appliquĂ© sans raisons additionnelles et
convaincantes Ă des domaines oĂč la question nâest pas dâ« utilitĂ©
publique » en matiĂšre de politiques Ă©conomiques et sociales mais tient Ă
la morale, la politique de santé ou la science[50].
8. LâarrĂȘt
accepte sans autre rĂ©flexion la force de lâintĂ©rĂȘt de lâĂtat Ă interdire toutes
les utilisations des embryons issus des FIV, sauf lâimplantation. Toutefois,
dans lâaffaire S.A.S., la Cour a
relevĂ© que « [l]a pratique de la Cour est dâĂȘtre plutĂŽt succincte lorsquâelle
vĂ©rifie lâexistence dâun but lĂ©gitime, au sens des seconds paragraphes des
articles 8 à 11 de la Convention » (ibidem).
Cependant, la Grande Chambre a ensuite expliquĂ© dans la mĂȘme affaire que,
particuliÚrement lorsque les objectifs du Gouvernement sont controversés (comme
dans le contexte de la prĂ©sente affaire, voir les paragraphes 135-137 de lâarrĂȘt),
la Cour se livre Ă un examen approfondi du lien entre la mesure et lâobjectif.
En lâespĂšce, ce lien a Ă©tĂ© tenu pour acquis sans autre demande ou justification
adressée au Gouvernement.
NĂ©cessaire,
dans une société démocratique
9. La
Cour a affirmĂ© que, mĂȘme lorsquâil existe une ample marge dâapprĂ©ciation au
titre de lâarticle 8, le Gouvernement doit toujours prĂ©senter des « motifs
pertinents et suffisants » pour justifier lâingĂ©rence (Zaieţ c. Roumanie, no
44958/05, § 50, 24 mars
2015 ; Hanzelkovi c
RĂ©publique tchĂšque, no
43643/10, § 72, 11 décembre 2014 ; Winterstein et autres c.
France, no 27013/07, §§ 75-76, 17 octobre 2013 ; et S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et
30566/04, § 101, CEDH 2008)[51]. Sâagissant
de mesures gĂ©nĂ©rales portant atteinte Ă un droit au titre de lâarticle 8, la
Cour a formulé les considérations suivantes : « PremiÚrement, [la
Cour] peut apprécier le contenu matériel de la décision du gouvernement, en vue
de sâassurer quâelle est compatible avec lâarticle 8. DeuxiĂšmement, elle
peut se pencher sur le processus dĂ©cisionnel, afin de vĂ©rifier si les intĂ©rĂȘts
de lâindividu ont Ă©tĂ© dĂ»ment pris en compte » (Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 99, CEDH 2003‑VIII).
10. Une
mesure dâingĂ©rence qui sert le but susmentionnĂ© est une mesure gĂ©nĂ©rale. Selon
la Cour, « pour dĂ©terminer la proportionnalitĂ© dâune mesure gĂ©nĂ©rale, la
Cour doit commencer par Ă©tudier les choix lĂ©gislatifs Ă lâorigine de la mesure
(James et autres, précité, § 36). La
qualitĂ© de lâexamen parlementaire et judiciaire de la nĂ©cessitĂ© de la mesure
rĂ©alisĂ© au niveau national revĂȘt une importance particuliĂšre Ă cet Ă©gard, y
compris pour ce qui est de lâapplication de la marge dâapprĂ©ciation pertinente
(Animal Defenders International c.
Royaume-Uni [GC], no 48876/08,
§ 108, CEDH 2013 (extraits)).
11. Il
ressort de lâhistoire lĂ©gislative de la loi de 2004 que, pendant des dĂ©cennies,
la question nâa pas Ă©tĂ© rĂ©glementĂ©e en Italie en raison de divergences de vues
persistantes au sein de la société et parmi les professionnels. Les divisions
ont continué pendant des années de débats parlementaires. Les opposants au
projet dâinterdiction[52]
soutenaient quâil reflĂ©tait une conviction idĂ©ologique spĂ©cifique, tandis que
ses partisans estimaient quâil servait la protection de la vie et de la
famille, et constituait une solution conforme au droit naturel, et non aux
diktats de la religion catholique. Les divisions se sont poursuivies jusquâau
débat final[53].
12. Le
Gouvernement nâa fourni aucun Ă©lĂ©ment dĂ©montrant quâil y ait eu une discussion
parlementaire approfondie sur le sort des embryons déjà cryoconservés au moment
de lâentrĂ©e en vigueur de la nouvelle loi[54]. De plus,
la loi a été adoptée à la majorité, dans un climat trÚs polémique[55]. Le débat
parlementaire italien a donc Ă©tĂ© diffĂ©rent de celui examinĂ© dans lâaffaire Animal Defenders International prĂ©citĂ©e,
dans laquelle, notamment, il y avait un soutien transversal de tous les partis
représentés au Parlement. Par ailleurs, rien ne prouve que les droits ou la
situation personnelle de la requérante aient été pris en compte ; la loi
comporte une interdiction globale qui prive la requérante de son droit à la
libertĂ© de choix. Contrairement Ă la situation dans lâaffaire Animal Defenders International, prĂ©citĂ©e,
il ne pouvait pas y avoir dâanalyse de proportionnalitĂ© interne dans son
affaire. Non seulement cette interdiction gĂ©nĂ©rale ignore le droit Ă lâautodĂ©termination
de la requérante concernant une décision privée importante, mais elle le fait
de maniÚre absolue et imprévisible. La loi ne contient aucune rÚgle transitoire
qui aurait pu permettre Ă lâautoritĂ© compĂ©tente de prendre en considĂ©ration la
situation spĂ©cifique de la requĂ©rante, dont les embryons obtenus Ă partir dâune
FIV ont été placés en cryoconservation en 2002 et dont le mari est décédé en
2003, trois mois avant lâentrĂ©e en vigueur de la loi.
13. Contrairement
Ă lâintĂ©rĂȘt moral clairement exprimĂ© par la requĂ©rante, et au fort intĂ©rĂȘt
social dans la recherche scientifique en jeu, qui a prĂȘtĂ© un poids considĂ©rable
au droit par ailleurs pas « particuliÚrement important » de la requérante,
la majoritĂ© observe simplement que le lĂ©gislateur italien sâest livrĂ© Ă un
examen approfondi de cette question avant dâĂ©laborer la loi de 2004 (paragraphe
184). Comme mentionné ci-dessus, les conditions requises à cet égard dégagées
dans les affaires Hatton et autres et
Animal Defenders International
(prĂ©citĂ©) ne sont pas remplies. En lâabsence de raison claire ressortant du
dĂ©bat parlementaire, ce nâest que lorsque le gouvernement offre des
explications suffisamment précises que la Cour peut examiner de maniÚre
adĂ©quate pourquoi lâinterdiction globale sur les dons Ă©tait nĂ©cessaire lorsquâon
la met en balance avec le choix personnel de la requérante. Le passage des
travaux prĂ©paratoires citĂ© par la Cour nâexplique pas pourquoi il est
indispensable dâinterdire les dons pour respecter la prĂ©fĂ©rence morale supposĂ©e
des Italiens pour les embryons dans les circonstances de lâespĂšce. Ătant donnĂ©
que le Gouvernement ne peut contraindre une personne Ă utiliser ses embryons
pour crĂ©er un ĂȘtre humain sans son consentement, une interdiction globale de
toutes les autres utilisations visant Ă promouvoir la vie (telles que la
recherche médicale) non seulement constitue une restriction excessive au droit
individuel Ă lâautodĂ©termination, mais elle ignore Ă©galement les valeurs
consacrĂ©es par lâarticle 33 de la Constitution italienne[56] ainsi que
le systĂšme de valeurs de la Convention, qui reconnaĂźt lâintĂ©rĂȘt de lâarticle 10
dans la recherche scientifique (Mustafa
Erdoğan et autres c. Turquie, nos 346/04 et 39779/04, §§ 40-41, 27 mai 2014). Plus important, la protection de la vie
ne peut pas ĂȘtre invoquĂ©e, non seulement parce que la signification et le poids
de cet argument demeurent contestés en ce qui concerne les embryons de la
requérante mais également parce que ces embryons, malgré leur potentialité de
vie, nâont aucune chance de devenir des ĂȘtres humains. Quant aux embryons en
gĂ©nĂ©ral en Italie, le devoir de protĂ©ger le potentiel dâun embryon non viable
ne peut exister de maniĂšre absolue en droit italien Ă©tant donnĂ© que mĂȘme un
fĆtus viable peut faire lâobjet dâun avortement[57].
14. La requĂ©rante en lâespĂšce Ă©tait face Ă un choix impossible
et imprĂ©visible. Au mieux, les choix qui lui Ă©taient ouverts Ă©taient dâutiliser
les embryons elle-mĂȘme, de laisser un autre couple les utiliser, ou de laisser
son matĂ©riel gĂ©nĂ©tique dĂ©pĂ©rir indĂ©finiment jusquâau moment (inconnu et
impossible Ă connaĂźtre) oĂč les embryons ne seront plus viables ou seront
susceptibles dâĂȘtre utilisĂ©s Ă des fins de procrĂ©ation, contrairement Ă son
souhait clairement exprimé.
15. Vu lâĂąge de la requĂ©rante, il ne lui serait pas possible dâutiliser
les cinq embryons elle-mĂȘme. De plus, selon un tĂ©moignage dâexpert prĂ©sentĂ© Ă lâaudience
devant la Cour et non contesté par le Gouvernement, ses embryons ne pourraient
pas, en pratique, ĂȘtre utilisĂ©s par un autre couple en raison de leur Ăąge et
parce quâils nâont pas Ă©tĂ© soumis Ă des tests adĂ©quats au moment de leur crĂ©ation.
DÚs lors, en réalité, ces embryons ne seront pas utilisés pour créer une vie
humaine car ils ne seront jamais implantĂ©s dans un utĂ©rus[58]. Cette rĂ©alitĂ© mĂ©dicale nâest pas contestĂ©e par le Gouvernement.
16. Plus important, la requérante a fait clairement le choix
de ne pas autoriser lâutilisation de ses embryons Ă des fins de procrĂ©ation.
17. LâintĂ©rĂȘt de la requĂ©rante Ă donner ses embryons Ă la
recherche scientifique, plutĂŽt que de les laisser sans utilisation, est une
dĂ©cision profondĂ©ment personnelle et morale. Ce choix se fonde sur le souhait dâhonorer
la mémoire de son partenaire décédé et de soutenir une recherche médicale
prĂ©cieuse pouvant potentiellement sauver des vies[59]. Selon le tĂ©moignage dâexpert prĂ©sentĂ© Ă lâaudience (et beaucoup dâautres
sources internationales médicales et scientifiques), les recherches provenant
des cellules souches des embryons sont actuellement utilisĂ©es dans le cadre dâessais
cliniques pour les blessures mĂ©dullaires, la maladie de Parkinson et dâautres
maladies qui sont actuellement incurables ou difficiles Ă soigner. Les pays qui
autorisent de telles recherches ont développé des formes sophistiquées de
consentement éclairé pour assurer que les embryons sont utilisés de maniÚre
Ă©thique[60]. Pareilles recherches utilisent les cellules pluripotentes
(indifférenciées) créées dans le cadre des procédures de FIV pour mieux
comprendre le développement humain et découvrir de nouvelles modalités de
traitement de maladies qui sont dévastatrices et incurables pour de nombreuses
personnes dans le monde entier[61]. Les cellules créées dans le cadre de procédures de FIV constituent un
matĂ©riel biologique unique et prĂ©cieux, que la requĂ©rante souhaitait mettre Ă
disposition pour quâil soit utilisĂ© plutĂŽt que de le voir perdre sa viabilitĂ©
en demeurant congelé indéfiniment.
18. Que le souhait du Gouvernement de protéger la potentialité
de vie des embryons pĂšse ou non plus lourd que lâintĂ©rĂȘt de la requĂ©rante Ă
utiliser son propre matériel génétique pour contribuer à la science qui sauve
des vies est une question qui ne peut ĂȘtre Ă©cartĂ©e sans rĂ©flexion. Le prĂ©sent
arrĂȘt est dĂ©nuĂ© de toute analyse sur la proportionnalitĂ©, et ne prend pas en
compte lâintĂ©rĂȘt important des tiers Ă profiter des bĂ©nĂ©fices en matiĂšre de
santĂ© dĂ©coulant des dĂ©couvertes scientifiques. En disant simplement quâil nâexiste
pas de consensus européen sur la question de savoir si les embryons
surnumĂ©raires produits dans le cadre de FIV peuvent ĂȘtre utilisĂ©s par la
recherche scientifique, la Cour sâĂ©carte des normes bien Ă©tablies dans sa
jurisprudence. Bien entendu, il existe une marge dâapprĂ©ciation quant Ă cette
question, mais cela ne signifie pas que la loi peut intervenir selon toute
modalitĂ© que le Gouvernement estime adĂ©quate. La mesure doit toujours ĂȘtre
proportionnĂ©e Ă lâingĂ©rence dans les droits du requĂ©rant.
19. Afin que lâingĂ©rence soit proportionnĂ©e, le Gouvernement
doit fournir des motifs lĂ©gitimes (pertinents et suffisants). Ă supposer mĂȘme,
eu Ă©gard Ă lâarrĂȘt en lâaffaire Evans
(prĂ©citĂ©, § 81) quâil existe une ample marge dâapprĂ©ciation dans les cas de FIV
« dÚs lors que le recours au traitement par FIV suscite de délicates
interrogations dâordre moral et Ă©thique, qui sâinscrivent dans un contexte dâĂ©volution
rapide de la science et de la mĂ©decine »[62], il reste que lâingĂ©rence ne peut pas ĂȘtre arbitraire. En Italie, tant lâavortement
que la recherche sur les lignées de cellules souches étrangÚres sont autorisés.
La loi ignore lâintĂ©rĂȘt Ă prĂ©venir la souffrance humaine rĂ©elle par la
recherche scientifique au nom de la protection dâune potentialitĂ© de
vie, qui, de plus, ne pourra jamais se matĂ©rialiser dans les circonstances de lâespĂšce.
Je ne vois pas pourquoi on attache une importance prépondérante à une
potentialitĂ© de vie alors que le droit italien autorise bien lâavortement dâun
fĆtus viable et que, dans les circonstances particuliĂšres de lâespĂšce, cette
potentialitĂ© ne peut pas se matĂ©rialiser en lâabsence du consentement de la
requĂ©rante. Cette attitude et lâexplication y relative sont non seulement
incohĂ©rentes, mais tout simplement â irrationnelles et, en soi, ne sauraient
représenter une justification suffisante pour la proportionnalité de la mesure.
[1]. Andorre, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique,
Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, République TchÚque, Estonie, Finlande,
France, GĂ©orgie, Allemagne, GrĂšce, Hongrie, Irlande, Lettonie, Liechtenstein,
Lituanie, Luxembourg, « ex-République
yougoslave de Macédoine », Malte, République de
Moldova, Monaco, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Russie,
Saint-Marin, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Espagne, SuÚde, Suisse, Turquie,
Royaume-Uni et Ukraine.
[2]. Bulgarie,
République TchÚque, Estonie, Finlande, « ex-République yougoslave de Macédoine », France,
GrÚce, Hongrie, Pays-Bas, Portugal, Serbie, Slovénie, Espagne et Suisse.
[3] Cellules
embryonnaires non encore différenciées et dont chacune, isolée, est capable de
se développer en un organisme entier (Larousse dictionnaire médical).
[4]. Ă mon
avis, le non-Ă©puisement des voies de recours internes est la seule question
problématique, mais cette objection a été écartée comme il se devait au vu de
la position expresse de la Cour constitutionnelle italienne, laquelle a ajourné
lâexamen dâune affaire qui soulevait la mĂȘme question juridique, dans lâattente
de la dĂ©cision de la Grande Chambre en lâespĂšce (paragraphe 53 de lâarrĂȘt).
[5]. RĂ©solution
29 C/17 de la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de lâUNESCO, UNESCO GC, 29e session
(11 novembre 1997), adoptĂ©e Ă lâunanimitĂ© et par acclamation. Voir aussi les
Orientations pour la mise en Ćuvre de la DĂ©claration universelle sur le gĂ©nome
humain et les droits de lâhomme, annexĂ©es Ă la RĂ©solution 30 C/23 (16 novembre
1999). Ces résolutions avaient déjà été anticipées par la Déclaration de
lâAssociation mĂ©dicale mondiale sur les principes Ă©thiques applicables Ă la
recherche mĂ©dicale impliquant des ĂȘtres humains, Ă©voquĂ©e ci-dessous dans la
présente opinion.
[6]. RĂ©solution
de lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies A/RES/53/152, 9 dĂ©cembre 1998,
adoptée sans vote.
[7]. Le
Conseil des organisations internationales des sciences médicales (CIOMS) est
une organisation internationale non gouvernementale et Ă but non lucratif
Ă©tablie conjointement par lâOMS et lâUNESCO en 1949. Comme celles de 1982 et de
1993, les Lignes directrices du CIOMS de 2002 visent Ă aider les Ătats Ă
dĂ©finir leurs politiques nationales en matiĂšre dâĂ©thique de la recherche
biomédicale impliquant des sujets humains.
[8]. Voir
aussi la publication de lâOMS « Standards and Operational Guidance for
Ethics Review of Health-related Research with Human Participants », 2011. En 2003, lâOMS
avait déjà adopté la Guideline for
Obtaining Informed Consent for the Procurement and Use of Human Tissues, Cells
and Fluids in Research, qui vise à aider les chercheurs à gérer les
questions Ă©thiques liĂ©es aux modes dâobtention, dâutilisation et enfin
dâĂ©limination du matĂ©riel de
recherche clinique, ainsi que la question du consentement éclairé. Cette
recommandation sâapplique aussi au matĂ©riel biologique humain auparavant
recueilli et conservé dans un dépÎt. Elle
indique que le versement dâune somme dâargent ou toute autre incitation Ă
donner du tissu embryonnaire est
expressément prohibée.
[9]. RĂ©solution
32 C/15 de la ConfĂ©rence gĂ©nĂ©rale de lâUNESCO, UNESCO GC, 32e session
(2003).
[10]. RĂ©solution
280 de lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies, cinquante-neuviĂšme session (23
mars 2005), ONU, document A/RES/59/280.Â
La dĂ©claration a Ă©tĂ© adoptĂ©e Ă lâissue dâun vote oĂč 84 Ătats se sont
prononcés pour, 34 pays contre, et 37 pays se sont abstenus.
[11]. Conférence
gĂ©nĂ©rale de lâUNESCO, 33e session (2005).
[12]. ComitĂ© international de bioĂ©thique de lâUNESCO,
« Lâutilisation des cellules
souches embryonnaires pour la recherche thérapeutique : rapport du CIB sur
les aspects éthiques des recherches sur les cellules embryonnaires »,
BIO-7/00/GT-1/2(Rev.3), 6 avril 2001. Créé en 1993, le CIB se compose de 36
experts indépendants qui suivent les avancées dans les sciences de la vie.
[13]. Comité
international de bioĂ©thique de lâUNESCO, Rapport du CIB sur le diagnostic gĂ©nĂ©tique prĂ©-implantatoire et les
interventions sur la lignée germinale, SHS-EST/02/CIB-9/2(Rev.3), 24 avril 2003.
[14]. Comité
international de bioĂ©thique de lâUNESCO, Rapport du CIB sur le clonage humain et la gouvernance internationale,
SHS/EST/CIB-16/09/CONF.503/2 Rev.2, juin 2009.
[15]. Comité
international de bioĂ©thique de lâUNESCO, Avis du CIB sur la brevetabilitĂ© du gĂ©nome humain, huitiĂšme
session de lâUNESCO (CIB), Paris, 12-14 septembre 2001.
[16]. RĂ©solution
no 23/81, OEA/Ser. L/V/II.54, doc.9 rev.1. § 18 b)
(6 mars 1981).
[17]. Affaire
« Baby Boy » c. Ătats-Unis,
CIDH 2141/1981, 6 mars 1981.
[18]. CIDH,
Affaire Artavia Murillo et autres
(fécondation in vitro) c. Costa Rica.
Exceptions prĂ©liminaires, fond, rĂ©paration et frais, arrĂȘt du 28 novembre
2012, sĂ©rie C no 257,Â
§§ 315-317.
[19]. Draft African Charter on Human and
Peoplesâ Rights, art. 17,
OUA. doc. CAB/LEG/67/1
(1979).
[20]. RĂ©solution
de lâOrganisation de lâunitĂ© africaine AHG/Res.254 (XXXII).
[21]. Le
Commentary of the Charter, Ă©tabli par
le RĂ©seau UE dâexperts indĂ©pendants en
matiĂšre de droits fondamentaux, explique que lâarticle 3 (paragraphe 2)
a été rédigé dans le but de limiter certaines pratiques en matiÚre de médecine
et de biologie. Il indique par ailleurs que les quatre principes qui sây
trouvent consacrĂ©s ne sont pas exhaustifs et doivent ĂȘtre lus dans le sens des
dispositions de la Convention dâOviedo.
[22]. Voir aussi les
rĂšgles de lâUnion europĂ©enne sur le financement en matiĂšre de recherche et de
dĂ©veloppement technologique, Ă©voquĂ©es aux paragraphes 62 Ă 64 de lâarrĂȘt. Il
est dâusage dâexclure les projets qui prĂ©voient des activitĂ©s de recherche
impliquant la destruction dâembryons humains, notamment pour lâobtention de cellules souches.
[23]. Avis du GEE no
12, Les aspects Ă©thiques de la recherche impliquant lâutilisation dâembryons
humains dans le contexte du 5e programme-cadre de recherche, 23 novembre 1998.
Le GEE est un organe indépendant qui conseille la Commission européenne sur les
questions Ă©thiques dans la science et les nouvelles technologies, dans le
contexte de la législation et de la politique.
[24]. Avis
du GEE no 15, Les aspects Ă©thiques de la recherche sur les cellules
souches humaines et leur utilisation, 14 novembre 2000.
[25]. Avis
du GEE no 16, Les aspects éthiques de la brevetabilité des
inventions impliquant des cellules souches humaines, 7 mai 2002.
[26]. Avis
du GEE no 22, Recommendations
on the ethical review of hESC FP7 research projects, 20 juin 2007.
[27]. Le
point de dĂ©part de lâAssemblĂ©e Ă©tait que « dĂšs la fĂ©condation de lâovule,
la vie humaine se dĂ©veloppe de maniĂšre continue, si bien que lâon ne peut faire
de distinction au cours des premiĂšres phases (embryonnaires) de son
développement ». Dans sa Recommandation 874 (1979) sur une Charte
europĂ©enne des droits de lâenfant, lâAssemblĂ©e avait dĂ©jĂ affirmĂ© « [l]es
droits de chaque enfant à la vie dÚs le moment de sa conception ».
[28]. Voir
aussi la RĂ©solution 1934 (2013) sur lâĂ©thique dans la science et la
technologie.
[29]. La
Convention (STE no 164) a été adoptée le 4 avril 1997 à Oviedo, en
Espagne, et est entrée en vigueur le 1er décembre 1999. à ce jour,
elle a Ă©tĂ© ratifiĂ©e par 29 Ătats. Le Protocole additionnel portant interdiction
du clonage dâĂȘtres humains (STE no 168) a Ă©tĂ© adoptĂ© le 12 janvier
1998 et est entré en vigueur le 1er mars 2001. Le Protocole
additionnel relatif à la recherche biomédicale (STE no 195), adopté
le 25 janvier 2005 et entré en vigueur le 1er septembre 2007, couvre
tout lâĂ©ventail des activitĂ©s de recherche en matiĂšre de santĂ© impliquant des
interventions sur les ĂȘtres humains, y compris sur les fĆtus et les embryons in vivo.
[30]. Soulignons
que lâarticle 14 est lâune des dispositions absolues de la Convention dâOviedo,
comme il ressort de lâarticle 26 § 2.
[31]. Voir
les paragraphes 8-20 et 165 du rapport explicatif de la Convention dâOviedo.
[32]. En
cela, je souscris sans réserve à la conclusion de la Grande Chambre selon
laquelle la Convention dâOviedo tĂ©moigne dâun rĂ©trĂ©cissement de la marge dâapprĂ©ciation
laissĂ©e aux Ătats membres du Conseil de lâEurope (paragraphe 182 de lâarrĂȘt).
Dans Evans c. Royaume-Uni ([GC],
no 6339/05, CEDH 2007‑I), affaire qui portait Ă©galement sur le
sort dâembryons humains congelĂ©s, les parties et la Cour sâĂ©taient accordĂ©es Ă
dire que lâarticle 8 Ă©tait applicable et que lâaffaire concernait le droit
de la requérante au respect de sa vie privée. Dans leur convaincante opinion
dissidente commune, les juges TĂŒrmen, Tsatsa-Nikolovska, Spielmann et Ziemele
avaient dĂ©clarĂ© : « [u]ne affaire aussi sensible que celle‑ci
ne peut ĂȘtre tranchĂ©e sur une base simpliste et mĂ©canique consistant Ă dire
quâil nây a aucun consensus en Europe et que, dĂšs lors, lâĂtat dĂ©fendeur
bĂ©nĂ©ficie dâune ample marge dâapprĂ©ciation, qui sâĂ©tend aux rĂšgles adoptĂ©es
(...) La marge dâapprĂ©ciation ne doit (...) pas empĂȘcher la Cour dâexercer son
contrĂŽle, en particulier relativement Ă la question de savoir si un juste
Ă©quilibre a Ă©tĂ© mĂ©nagĂ© entre tous les intĂ©rĂȘts conflictuels en jeu au niveau
interne. La Cour ne devrait pas utiliser le principe de la marge dâapprĂ©ciation
comme un simple substitut pragmatique à une approche réfléchie du problÚme de
la portée adéquate de son contrÎle. » Un commentaire identique pourrait
sâappliquer Ă lâaffaire Parrillo.
[33]. Voir
les paragraphes 161 et 162 du rapport explicatif de la Convention dâOviedo. En
cas de conflit entre la liberté de la recherche et la protection à offrir aux
embryons, les Ătats parties peuvent aller au-delĂ de lâobligatoire protection
« adéquate » qui est due à ceux-ci et adopter des politiques
prohibitives.
[34]. Rappelons
que la Recommandation 934 (1982) de lâAPCE relative Ă lâingĂ©nierie gĂ©nĂ©tique
avait dĂ©jĂ appelĂ© les Ătats à « prĂ©voir la reconnaissance expresse, dans
la Convention europĂ©enne des Droits de lâHomme, du droit Ă un patrimoine
gĂ©nĂ©tique nâayant subi aucune manipulation, sauf en application de certains
principes reconnus comme pleinement compatibles avec le respect des droits de
lâhomme (par exemple dans le domaine des applications thĂ©rapeutiques) ».
En fait, la Convention nâest pas indiffĂ©rente Ă la crĂ©ation et Ă
lâinstrumentalisation des embryons aux fins de lâexpĂ©rimentation scientifique,
Ă la crĂ©ation dâhybrides ou au clonage dâĂȘtres humains. Ce sont des questions
essentielles relevant de la protection de ce que lâon peut sur le plan
ontologique définir comme une forme de vie humaine, questions qui entrent
assurĂ©ment dans le champ dâapplication de la Convention. Je ne vois pas comment
on peut au regard de la Convention accepter une ample marge dâapprĂ©ciation si une
partie contractante veut, par exemple, mettre en Ćuvre une politique prĂ©natale
eugénique ou raciste.
[35]. En
fait, la requérante a une position contradictoire, car elle affirme également
avoir un droit de propriĂ©tĂ© sur ses embryons. Il nâest pas acceptable
dâinvoquer Ă la fois un droit de propriĂ©tĂ© et un droit au respect de la vie
privĂ©e Ă lâĂ©gard dâembryons humains « possĂ©dĂ©s ». Sauf si cela
implique que le fait dâutiliser des
ĂȘtres humains â en lâespĂšce des embryons humains â et dâen disposer est
une maniĂšre de maintenir une relation avec eux.
[36]. Ce
nâest pas une nouvelle dĂ©claration de principe de la Cour, comme le montre
le paragraphe 59 de lâarrĂȘt Costa et Pavan c. Italie. Compte tenu
des circonstances fort exceptionnelles de lâespĂšce sur le plan humain, jâai
voté dans le sens des conclusions contenues dans Costa et Pavan et je souscris naturellement au principe énoncé au
paragraphe 59 de cet arrĂȘt. Toutefois, je dois Ă©galement prĂ©ciser aujourdâhui
que la deuxiĂšme section nâavait pas lâintention de crĂ©er un droit nouveau
dĂ©coulant de la Convention de devenir parent dâun enfant en bonne santĂ©, donc
un « droit » nĂ©gatif et illimitĂ© Ă lâ« autodĂ©termination »
consistant Ă disposer dâembryons non implantĂ©s. Pareil droit nâa Ă©tĂ© Ă©tabli ni
explicitement ni implicitement par lâarrĂȘt en question. Câest le principe de
nĂ©cessitĂ© qui a Ă©tĂ© dĂ©terminant dans lâarrĂȘt, dans la mesure oĂč le critĂšre de
la mesure moins intrusive envisage une atteinte minimale aux intĂ©rĂȘts
concurrents en posant la question de savoir sâil existe un moyen aussi efficace
mais moins intrusif de rĂ©pondre au mĂȘme besoin social. La Cour a ainsi reconnu
la pertinence du principe de prĂ©caution dans lâapprĂ©ciation des interventions
en milieu médical, qui vise à éviter à tous les stades de la vie humaine les
interventions lourdes au profit de celles qui le sont moins (sur le principe de
prĂ©caution dans lâordre juridique italien, voir lâavis du Comitato Nazionale per la Bioetica intitulĂ© « Principe de
précaution : aspects bioéthiques, philosophiques et juridiques », du
8 juin 2004). Bien que le paragraphe 65 de lâarrĂȘt Costa et Pavan emploie le terme « droit », cette fĂącheuse
maladresse de plume ne doit pas ĂȘtre prise littĂ©ralement, car le mĂȘme arrĂȘt
parle Ă©galement, au paragraphe 57, du « dĂ©sir » des parents dâavoir
un enfant en bonne santĂ©. Les circonstances propres Ă lâaffaire Costa et Pavan ne sont en rien
semblables Ă la prĂ©sente espĂšce, et ne peuvent assurĂ©ment pas ĂȘtre utilisĂ©es
pour justifier un « droit négatif » et illimité de décider du sort
dâembryons non implantĂ©s.
[37]. Voir le raisonnement
clair qui est tenu dans lâarrĂȘt no 27 du 18 fĂ©vrier 1975 (Ritiene la Corte che la tutela del concepito
â che giĂ viene in rilievo nel diritto civile (artt. 320, 339, 687
c.c.) â abbia fondamento costituzionale. Lâart. 31, secondo comma, della
Costituzione impone espressamente la « protezione della maternità »
e, piĂč in generale, lâart. 2 Cost. riconosce e garantisce i diritti inviolabili
dellâuomo, fra i quali non puĂČ non collocarsi, sia pure con le particolari
caratteristiche sue proprie, la situazione giuridica del concepito) et dans
lâarrĂȘt no 35 du 30 janvier 1997 (il diritto alla vita, inteso nella sua estensione piĂč lata, sia da
iscriversi tra i diritti inviolabili, e cioĂš tra quei diritti che occupano nellâordinamento
una posizione, per dir cosĂŹ, privilegiata, in quanto appartengono â per
usare lâespressione della sentenza n. 1146 del 1988 â « allâessenza
dei valori supremi sui quali si fonda la Costituzione italiana »). Voir
aussi les avis du Comitato Nazionale per
la Bioetica (Comité national italien pour la bioéthique) des 22 juin 1996
(identitĂ© et statut de lâembryon humain), 27 octobre 2000 (utilisation
thérapeutique de cellules souches), 11 avril 2003 (recherches utilisant
des embryons et des cellules souches humains), 16 juillet 2004
(utilisation à des fins de recherche de lignées de cellules h1 et h9 issues
dâembryons humains), 15 juillet 2005 (considĂ©rations bioĂ©thiques concernant
lâ « ootide »), 18 novembre 2005 (adoption pour la
naissance dâembryons cryoconservĂ©s issus de la procrĂ©ation mĂ©dicalement
assistĂ©e (PMA), 26 octobre 2007 (le sort dâembryons issus de la PMA et ne
rĂ©pondant pas aux conditions de lâimplantation) et 26 juin 2009 (chimĂšres et hybrides, avec une attention
particuliĂšre pour les hybrides cytoplasmiques).
[38]. Je
ne puis dĂšs lors souscrire au raisonnement tenu aux paragraphes 176 et 180,
dans lesquels la Cour, tout en Ă©voquant les arrĂȘts Evans, S.H. et autres et Knecht,
conclut que les « questions dâordre Ă©thique et moral que la notion de
commencement de la vie humaine comporte » appellent une « ample marge
de discrétion ».
[39]. La
mĂȘme conclusion peut ĂȘtre tirĂ©e de S.H.
et autres c. Autriche (GC), no 57813/00, § 82, 3 novembre
2011.
[40]. Lâarticle
16 du Projet dâarticles sur la responsabilitĂ© de lâĂtat pour fait
internationalement illicite (2001) pourrait ici ĂȘtre invoquĂ©.
[41]. Voir, par exemple, Vo c. France ([GC], n° 53924/00, § 75 et
80, CEDH 2004‑VIII), Evans c.
Royaume-Uni ([GC], n° 6339/05, CEDH 2007‑I), Dickson c. Royaume-Uni ([GC], n° 44362/04, CEDH 2007‑V), BrĂŒggemann et Scheuten c. Allemagne (n°
6959/75, rapport de la Commission du 12 juillet 1977, Décisions et rapports (DR) 10, p. 100), et H. c. NorvÚge (n° 17004/90, décision de la Commission du
19 mai 1992, DR 73, p. 155).
[42]. Voir,
par exemple, Dickson, précité, Evans, précité, et S.H. et autres c. Autriche ([GC], n° 57813/00, CEDH 2011).
[43]. Cela
nâimplique pas que les cellules en question font partie intĂ©grante de
lâ« identitĂ© biologique » de la requĂ©rante, comme le dĂ©crit lâarrĂȘt,
mais plutĂŽt que lâintĂ©ressĂ©e a le droit de contrĂŽle principal sur son empreinte
génétique.
[44]. Evans, prĂ©citĂ©. Bien entendu, lâaffaire Evans nâest quâen partie pertinente pour
la prĂ©sente espĂšce, puisque les droits de la requĂ©rante en cause en lâespĂšce ne
touchent pas à la parentalité.
[45]. Bien
que la requérante ne paie rien, actuellement, pour le stockage de ses embryons,
il nâexiste selon elle aucune disposition juridique qui empĂȘcherait le service
de stockage mĂ©dical de mettre ces frais Ă sa charge. Le Gouvernement nâa pas
contesté cette observation.
[46]. Une
question reste un mystĂšre Ă mes yeux : pourquoi lâabsence de consensus europĂ©en sur lâexistence dâun droit est si
souvent interprĂ©tĂ©e contre lâexistence de ce droit, alors mĂȘme que lâexistence
dâun tel droit peut ĂȘtre dĂ©duite de la notion autonome dâun droit fondĂ© sur la
Convention, aussi, par exemple, Ă la lumiĂšre des Ă©volutions du droit
international et des rĂ©alitĂ©s sociales. Si lâexercice dâune libertĂ© a Ă©tĂ©
autorisé au moins dans certains pays, cela devrait alors créer une présomption en
faveur de ce droit fondé sur la Convention dÚs lors que celui-ci est par
ailleurs compatible avec une interprétation raisonnable de la signification et
de la portĂ©e du droit en question. Cela nâexclut pas la possibilitĂ© quâil peut
y avoir de bonnes raisons dans un autre pays pour restreindre ce doit. Ou
disons-nous que la reconnaissance de la portĂ©e plus large dâun droit dans
plusieurs pays est arbitraire et dénuée de pertinence ?
Avec
la thĂ©orie controversĂ©e sur la marge dâapprĂ©ciation, telle quâinterprĂ©tĂ©e par
la Cour, lâĂtat est exonĂ©rĂ© de lâobligation de fournir une justification
matĂ©rielle de lâexistence dâun besoin impĂ©rieux dâopĂ©rer une ingĂ©rence.
Invoquer lâabsence de consensus europĂ©en comme indicateur dĂ©terminant de
lâabsence dâune certaine signification ou portĂ©e dâun droit fondĂ© sur la
Convention ignore le préambule de celle-ci, qui évoque « le développement
des droits de lâhomme » comme lâun des moyens dâatteindre le but de la Convention.
[47]. Bien
entendu, cela nâincombe pas Ă la Cour. Câest au Gouvernement de savoir et
dâexpliquer ce quâest le but de la lĂ©gislation en cause. Au moins pendant le
dernier stade du débat, les partisans de la loi ont expressément nié que
celle-ci avait une quelconque finalité morale. Le député Giuseppe Fioroni a
déclaré que la loi ne servait pas la morale catholique mais le droit naturel
(19 janvier 2004).
http://legxiv.camera.it/_dati/leg14/lavori/stenografici/framedinam.asp?sedpag=sed408/s000r.htm
[48]. La
Cour sâinspire des observations Ă©crites formulĂ©es par le Gouvernement au titre
de lâarticle 1 du Protocole n° 1, dont lâapplicabilitĂ© en lâespĂšce a Ă©tĂ©
rejetĂ©e. Ce nâest que dans la plaidoirie orale que le Gouvernement a soutenu
que la loi servait la protection de « la potentialité de vie de
lâembryon », mais pas dans le contexte de lâarticle 8 § 2.
[49]. Les
organes, par exemple, ne sont pas traités purement comme des biens mais cela ne
leur confĂšre pas la qualitĂ© « dâĂȘtres humains ». Le statut juridique
du matĂ©riel biologique nâest pas Ă©vident et doit ĂȘtre prĂ©cisĂ© avant que des
hypothĂšses ne puissent ĂȘtre formulĂ©es sur des droits en la matiĂšre.
En
théorie juridique italienne, un « sujet » est un point de référence
pour les relations juridiques, pas une personne. Toutes les personnes sont des
sujets, mais tous les sujets ne sont pas des personnes (âOgni persona Ăš soggetto, non ogni soggetto Ăš personaâ) Cass.,
24 juillet 1989, n° 3498, dans Foro
it., 1990, I, c. 1617.
[50]. Dans
lâaffaire James et autres (ibidem), la Cour nâa accordĂ© quâune
« certaine marge dâapprĂ©ciation » qui au fil des ans sâest transformĂ©
en « ample » marge dâapprĂ©ciation.
[51]. Voir
Ă©galement la jurisprudence citĂ©e au paragraphe 167 du prĂ©sent arrĂȘt.
[52]. Des
dispositions clés de la loi ont déjà été jugées contraires à la Constitution ou
Ă la Convention (paragraphes 27-39 du prĂ©sent arrĂȘt, et Costa et Pavan c. Italie, no 54270/10, 28 aoĂ»t 2012).
[53]. âTutti (sia il
rapporto Warnock sia gli scienziati che hanno partecipato alle varie audizioni
di Camera e Senato) hanno dichiarato: sĂŹ, Ăš vita, perĂČ...â « Tous
(le rapport Wamock et les scientifiques qui ont participé aux différentes
audiences de la Chambre et du Sénat) ont déclaré : oui, la vie, mais⊠»
(La députée Maria Burani Procaccini, défendant le projet de loi
(19 janvier 2004)).
[54]. La
loi ne prévoyait en aucune façon le sort à réserver aux embryons surnuméraires.
Câest uniquement le ComitĂ© national de bioĂ©thique qui a dĂ©cidĂ© ultĂ©rieurement
(le 18 novembre 2005), sur des fondements juridiques incertains, que
lâadoption en vue dâune naissance Ă©tait autorisĂ©e (paragraphes 19-20 du prĂ©sent
arrĂȘt).
[55]. Un
pourcentage de 25% des électeurs inscrits ont participé au référendum non
valable sur la loi en 2005, 88% des votants sâĂ©tant prononcĂ©s en faveur dâune
abrogation partielle.
[56]. « La
RĂ©publique garantit la libertĂ© des arts et des sciences, qui peuvent ĂȘtre
enseignĂ©s librement ». Le Gouvernement nâa pas dĂ©montrĂ© que les valeurs
constitutionnelles de la science ont été mises en balance par le Parlement, et
a formulĂ© des observations uniquement sur lâutilisation des cellules
pluripotentes par la recherche.
[57]. Les
commentateurs ont été prompts à souligner les incohérences internes de la loi. Voir Carlo Casonato, Legge 40 e principio di non contraddizione: una
valutazione dâimpatto normativo. Collana Quaderni del Dipartimento di Scienze
Giuridiche dell'Università di Trento, vol. n° 47, Università di Trento, 2005.
[58]. Le
Gouvernement sâattend peut-ĂȘtre Ă ce que lâhumanitĂ© dĂ©veloppe la facultĂ©
scientifique de faire pousser un ĂȘtre humain Ă partir dâun embryon in vitro en se passant dâun
utérus ?
[59]. Un
choix qui est au moins étroitement lié à la préservation et à la protection de
la vie comme celui de la législation actuelle.
[60]. Voir
le rapport de la Stanford Medical School Ă lâadresse suivante : http://med.stanford.edu/news/all-news/2011/04/new-approach-to-ivf-embryo-donations-lets-people-weigh-decision.html.
[61]. Voir,
par exemple, le témoignage du professeur de Luca; Patient Handbook on Stem Cell Therapies publié par la International
Society of Stem Cell
Recherche:http://www.closerlookatstemcells.org/docs/default-source/patient-resources/patient-handbook---english.pdf;
National Institutes of Health: http://stemcells.nih.gov/Pages/Default.aspx.
[62]. Je
ne pense pas que les Ă©volutions rapides de la science et de la technologie
soient pertinentes ici, Ă moins que la science ne permette un jour la
production de bĂ©bĂ©s en dehors de lâutĂ©rus et en dehors du corps humain ;
et dans ce cas, il y aura un consensus moral que lâembryon a le droit de
devenir un homuncule (ectogénÚse), quel que soit les souhaits des donneurs. Je
ne peux imaginer que pareilles considĂ©rations soient applicables en lâespĂšce,
nonobstant les efforts consentis en vue de créer un ventre artificiel.