Corte europea dei diritti dell’uomo
(Sezione I), 27 maggio 2004
(requête nos
42219/98 et 54563/00)
AFFAIRE OGIS-INSTITUT STANISLAS,
OGEC ST. PIE X ET BLANCHE DE
CASTILLE et autres
c. FRANCE
DÉFINITIF
27/08/2004
Cet arrêt
deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2
de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire OGIS-Institut
Stanislas, OGEC St. Pie X et Blanche de Castille et autres c. France,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première
section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,
J.-P. Costa,
Mme F. Tulkens,
M. E. Levits,
Mme S. Botoucharova,
MM. A. Kovler,
V. Zagrebelsky, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les
3 avril 2003 et 6 mai 2004,
Rend
l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouvent
deux requêtes (nos 42219/98 et 54563/00) dirigées contre la
République française et introduites par un organisme de gestion d’un
établissement d’enseignement privé, l’institut Stanislas, et par cinquante-six
organismes de gestion d’établissements catholiques (OGEC) (« les requérants »).
2. Le requérant de la requête no
42219/98 avait saisi, le 7 juillet 1998, la Commission européenne des Droits de
l’Homme (« la Commission ») en vertu de l’ancien article 25 de
la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales
(« la Convention »). La requête a été transmise à la Cour européenne des
Droits de l’Homme (« la Cour ») le 1er novembre 1998, date
d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 §
2 du Protocole no 11).
3. Les
requérants de la requête no 54563/00 avaient saisi le
27 janvier 2000 la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention.
4. Le
requérant de la requête no 42219/98 est représenté par Me F. Wagner,
avocat au barreau de Nice. Les requérants de
la requête no 54563/00 sont représentés par Mes C.
Pettiti et P. Tiffreau, avocats au barreau de Paris. Le gouvernement français
(« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham,
Directeur des Affaires Juridiques au Ministère des Affaires Etrangères.
5. Les requérants alléguaient la
violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1
pris isolément et combinés à l’article 14 de la Convention.
6. Les requêtes ont été attribuées à la
troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein
de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la
Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
7. Le 1er novembre 2001, la
Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement).
Les présentes requêtes ont été attribuées à la première section ainsi remaniée
(article 52 § 1).
8. La chambre a décidé de joindre les
requêtes (article 42 § 1 du règlement).
9. Par une décision du 3 avril 2003, la
chambre a déclaré les requêtes recevables.
10. Tant les requérants que le
Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire
(article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La genèse des affaires
11. Les requérants gèrent chacun, dans
le cadre d’un contrat d’association avec l’Etat, un établissement
d’enseignement privé. Leur objet statutaire est d’assurer l’entretien et la
gestion de ces établissements ainsi que la gestion de tout ce qui se rapporte à
l’éducation et à l’enseignement confié à des maîtres.
12. Le régime applicable aux
établissements d’enseignement privés découle de la loi du 31 décembre
1959, dite loi Debré, qui pose le principe de la liberté de l’enseignement
(article 1er) avec participation des pouvoirs publics à leur
financement. Ainsi, dans le cadre de contrats d’association passés avec l’Etat,
la prise en charge de la rémunération des maîtres et des cotisations sociales y
afférentes incombe à celui-ci. Cette loi, et notamment son article 15, fut
modifiée par une loi du 25 janvier 1977, dite loi Guermeur, qui a
limité l’obligation de l’Etat, en posant le principe de
« l’égalisation des situations » entre les maîtres de
l’enseignement privé sous contrat et les maîtres titulaires de l’enseignement
public, notamment pour ce qui a trait aux mesures sociales ; cette
égalisation devait être progressivement conduite et réalisée dans un délai
maximum de cinq ans. Un décret pris en Conseil d’Etat devait fixer la part dont
l’Etat avait la charge pour assurer cette égalisation.
13. Cependant, en vertu d’une
convention collective nationale du 14 mars 1947, dont les
dispositions furent rendues obligatoires par une loi du 29 décembre 1972,
les maîtres du secondaire des établissements privés bénéficièrent du régime
national interprofessionnel de retraite complémentaire et de prévoyance des
cadres. A ce titre, ces établissements furent tenus de verser une cotisation
égale au taux de 1,5 % de la tranche de la rémunération inférieure au
plafond de la sécurité sociale des cadres, destinée à être affectée en priorité
à la couverture sociale du risque décès et, accessoirement, en complément de
prestations de sécurité sociale pour les risques de maladie et d’invalidité.
14. Par ailleurs, la règle de
l’égalisation conduisit à l’adoption du décret du 28 juillet 1960 qui fixa, à
l’article 6, le principe selon lequel les charges sociales et fiscales
afférentes aux rémunérations perçues par les maîtres contractuels et
auxiliaires incombent à l’Etat. En outre, par un décret du 8 mars 1978,
l’Etat s’engagea à accorder des prestations de prévoyance aux maîtres des
écoles privés, en parité avec les enseignants du secteur public.
15. Toutefois, les établissements
privés n’ayant pas été soustraits au versement des cotisations, des
organismes de gestion engagèrent un recours contre l’Etat tendant à obtenir sa
condamnation au remboursement de celles-ci. Ce faisant, se posa notamment la question
de la compatibilité de la règle de « l’égalisation » avec le
versement de cette cotisation prévu par l’article 7 de la Convention collective
de 1947.
16. Par
un jugement du 29 juillet 1986, le tribunal administratif de Nantes, rejeta la
demande présentée par l’un de ces organismes, l’OGEC de la Baugerie, d’annuler
la décision implicite par laquelle le Préfet de Loire-Atlantique avait refusé
de faire droit au remboursement de la part des cotisations sociales versées.
Par des requêtes des 24 novembre 1986 et 24 mars 1987, l’OGEC la
Baugerie sollicita du Conseil d’Etat l’annulation de ce jugement.
17. Par
un arrêt du 15 mai 1992, le Conseil d’Etat fit droit à la demande en
considérant :
« qu’en l’absence de décret en Conseil d’Etat,
limitant le remboursement de ces cotisations (...) pour assurer l’égalisation
des situations prévue à l’article 15 de la loi du 31 décembre 1959, l’organisme
est en droit de prétendre au remboursement par l’Etat de l’intégralité des
sommes dont il a fait l’avance au titre de ces cotisations, alors même que les
avantages qui sont la contrepartie de la cotisation au taux unique de 1,5 %
fixé à l’article 7 de la convention collective excéderaient ce qui est
nécessaire pour réaliser cette égalisation. »
18. Il posa ainsi le principe du droit
au remboursement intégral des cotisations dont l’avance avait été faite par les
organismes de gestion au taux de 1,5 %, en l’absence de décret fixant la
part dont l’Etat avait la charge en vertu de la règle de l’égalisation.
19. A la suite de cette décision, les
OGEC sollicitèrent, à l’échéance quadriennale, le remboursement des
cotisations. Le tribunal administratif de Rennes fit droit à la demande de
l’OGEC de Cesson-Sévigné, par un jugement du 22 juin 1994, conformément au
principe posé précédemment par l’arrêt du Conseil d’Etat. Les contentieux se
multipliant sur l’ensemble du territoire, le législateur intervint afin de
combler le vide juridique mis en évidence par l’arrêt du Conseil d’Etat et
limiter ces remboursements.
20. Le
décret du 23 août 1995 fixa le principe du versement par l’Etat, à compter
du 1er novembre 1995, d’un complément de capital décès afin
d’assurer la règle de l’égalisation.
21. Dans
le cadre des travaux préparatoires de la loi de finances pour 1996, le
rapporteur général de la commission des finances du Sénat rédigea un rapport,
sur le problème de la détermination des sommes dues par l’Etat aux OGEC :
« (...)
L’exécution de cet arrêt de principe [du 15 mai 1992] a donné lieu, entre
l’Etat et ses partenaires de l’enseignement privé, à de longues discussions. Pendant ce temps, les contentieux et les jugements
condamnant l’Etat s’accumulaient, et le risque financier total atteint
actuellement une somme estimée entre 600 et 800 millions de francs (...).
L’article 67 du présent projet de loi a pour objet de
régler la situation antérieure à l’entrée en vigueur du décret (...) du 23 août
1995, soit le 1er novembre 1995. (...) pour cette période, et sans
porter préjudice aux décisions de justice passées en force de chose jugée,
l’Etat ne sera tenu de rembourser que la fraction de la part patronale des
cotisations de prévoyance des cadres des établissements privés correspondant
aux prestations nécessaires pour assurer l’égalisation de leur situation avec
celle des fonctionnaires de l’Etat.
Ainsi pour les contentieux qui n’ont pas encore été
définitivement tranchés, et qui portent sur une somme que l’on peut estimer aux
environs de 400 millions de francs, l’Etat ne devrait pas s’acquitter de la
totalité des sommes représentant le 1,5 % mais seulement de la fraction de ce
pourcentage nécessaire pour assurer la parité, ce qui représente une économie
non négligeable sur des condamnations contentieuses dont l’issue ne fait guère
de doutes (...).
Le Gouvernement devra nécessairement s’appuyer sur un
pourcentage, pour déterminer les sommes qu’il doit rembourser (...). Or, ce
pourcentage n’est pas encore fixé (...). Cet article est donc, en l’état
inapplicable et suppose, à défaut d’un accord dont le gouvernement pourrait
s’inspirer, l’intervention d’un décret fixant la part du 1,5 % qui revient
à l’Etat. Faute de quoi, on peut craindre que le juge administratif ne condamne
l’Etat, comme par le passé, à s’acquitter de la totalité du 1,5 %
(...). »
22. En
vertu des dispositions de l’article 107 de la loi du
30 décembre 1995, le législateur posa le principe selon lequel,
s’agissant de la période antérieure au 1er novembre 1995, le taux de
remboursement applicable aux procédures non définitivement jugées, devait être
fixé par un décret pris en Conseil d’Etat. Le décret du 16 juillet 1996 fixa le
taux à 0,062 %.
23. Le
Ministre de l’éducation nationale interjeta appel, devant la cour
administrative d’appel de Nantes, du jugement du 23 janvier 1996, par lequel le
tribunal administratif de Caen avait condamné l’Etat à verser à l’OGEC de Saint
Sauveur-le-Vicomte la somme équivalente à l’intégralité de la part patronale de
la cotisation dont l’organisme avait fait l’avance de 1990 à 1993 et pendant
les neuf premiers mois de 1994. Cette cour sollicita l’avis contentieux du
Conseil d’Etat sur la question de la compatibilité de l’article 107 de la loi du
30 décembre 1995 avec les articles 6 et 14 de la Convention ainsi que l’article
1er du Protocole no 1.
24. Le Commissaire du Gouvernement,
dans ses conclusions, exprima son opinion notamment dans les termes
suivants :
« (...) Pour tirer les conséquences de votre
décision du 25 mai 1992, le gouvernement a pris deux mesures.
Pour la période postérieure au 1er novembre
1995, le décret du 23 août 1995 limite
les engagements financiers de l’Etat aux seules mesures imposées par l’égalisation
des situations (...)
Pour la période antérieure au 1er novembre
1995, l’Etat a voulu circonscrire les
conséquences financières de votre décision de 1992. L’Etat a décidé de
rembourser aux OGEC la seule part de cotisation nécessaire à l’égalisation des
situations. L’article 107 de la loi du 30 décembre 1995 (...) a fourni au
pouvoir réglementaire, sous réserve des décisions de justice passées en force
de chose jugée, le support juridique autorisant une mesure rétroactive. Le décret (...) du
16 juillet 1996 a fixé à 0,062 % la part de cotisation (...) nécessaire à
la parité.
(...) ce taux (...) est 24 fois inférieur à celui de
1,5 % que l’Etat devait rembourser (...)
L’article 107 modifie les droits que les requérants
pensaient tenir de votre décision du 25 mai 1992 (...). En effet,
l’intervention de [cet] article (...) illustre incontestablement le fait qu’une
partie, l’Etat, a les moyens de modifier rétroactivement les données d’un
litige en cours. Vous avez à apprécier si cette intervention est, en l’espèce,
une atteinte au caractère équitable du procès (...).
Nous vous proposons de dire que l’article 107 (...)
n’a pas porté atteinte au droit à un procès équitable (...).
Ici y a-t-il intérêt à faire échapper l’Etat à un
remboursement de 850 millions de francs qui résulterait de l’application
générale du remboursement au taux de 1,5 % alors que l’application du
principe de parité prévu dans la loi de 1959 modifiée ne conduit qu’à un
remboursement de 35 millions, cette différence n’étant que la conséquence de
l’abstention du gouvernement à prendre en temps utile le décret nécessaire à la
fixation du taux pertinent ?
(...) L’article 107 peut aussi trouver un fondement
d’intérêt général dans la nécessité de faire cesser un enrichissement sans
cause des établissements privés dû à la carence du pouvoir réglementaire. Cet
effet d’aubaine entraînant des distorsions importantes entre les établissements
scolaires, il était d’intérêt général de le faire cesser, fût-ce
rétroactivement.
(...) La loi est intervenue alors que la plupart des
litiges étaient en cours d’examen par le juge de première instance, et le grand
nombre d’établissements scolaires concernés montre qu’il n’y avait pas de
volonté de nuire à certains d’entre eux mais de faire échec aux espoirs
illégitimes de créanciers de l’Etat.
On pourrait même dire que cette intervention du
législateur était nécessaire pour rétablir l’équité. L’article 107 est une loi
de validation un peu particulière. C’est une intervention du législateur [qui
a] pour objet (...) de fixer rétroactivement le montant d’une obligation de
l’Etat à l’égard de personnes privées. (...) La loi du 30 décembre 1995
est l’expression de la volonté du législateur de faire prévaloir sa volonté
initiale détournée de la carence du pouvoir réglementaire. En 1992, le juge
administratif n’a fait que dire le droit tel qu’il résultait de cette carence,
qui empêchait le juge de déterminer le montant exact de la créance des
établissements. Le législateur n’avait d’autre solution que d’autoriser l’intervention
d’une mesure rétroactive, fixant le montant de la dette de l’Etat pour une
période écoulée. Aucune atteinte à un droit n’a été méconnue, les droits des
établissements n’étant pas issus de votre décision du 25 mai 1992
mais de la loi du 31 décembre 1959 et notamment de son article 15 énonçant le
principe d’égalisation.
L’article 107 de
la loi de 1995 est venu mettre fin à une ambiguïté du droit applicable et
l’intérêt général autorisait le législateur à agir rétroactivement.
(...) Les litiges (...)
sont seulement relatifs au montant d’une créance ; il [s’agit] pour l’Etat
de tirer les conséquences de votre décision de 1992 qui mettait à sa charge
l’intégralité d’un remboursement tout en reconnaissant que seule une partie
était due mais que son montant devait être fixé par le gouvernement (...).»
25. Le
5 décembre 1997, l’Assemblée du Contentieux du Conseil d’Etat rendit un avis
dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« Le litige
est relatif aux relations financières entre l’Etat et l’organisme de gestion
d’un établissement privé sous contrat (...). Il a pour objet une contestation portant sur des droits et des
obligations de caractère civil au sens de l’article 6 de la Convention.
(...) Les dispositions [de l’article 107] ont pour
objet non de réduire rétroactivement les obligations financières de l’Etat à
l’égard des organismes de gestion (...), mais d’en réaffirmer l’étendue telle
qu’elle a été définie par les prescriptions de l’article 15 (...) et de
permettre ainsi un règlement des dettes de l’Etat (...).
L’article 107 (...) qui ne fait pas obstacle au droit
des organismes de gestion de demander compensation des conséquences du retard
mis par le gouvernement à prendre les mesures nécessaires à une exacte
application des prescriptions de l’article 15 (...) ne peut être regardé comme
portant atteinte au principe du droit à un procès équitable (...). »
26. Le
Conseil d’Etat fut ensuite saisi de la question de la légalité du décret du 16
juillet 1996 et, notamment, de sa conformité au principe d’égalisation posé à
l’article 15 de la loi Debré modifiée. Par un arrêt du 8 avril 1998, il rejeta les requêtes présentées par
l’institut Stanislas et d’autres organismes de gestion, en statuant comme
suit :
« Considérant qu[e] (...) l’Etat n’est tenu de
supporter les charges sociales légalement obligatoires afférentes aux
rémunérations des maîtres de l’enseignement privé que dans la mesure où le taux
des cotisations n’excède pas ce qui est nécessaire pour assurer l’égalisation
des situations entre ces maîtres et les maîtres titulaires de l’enseignement
public ; qu’il ressort des pièces du dossier que pour fixer, par le décret
attaqué, le taux de prise en charge par l’Etat des cotisations patronales
acquittées par les organismes de gestion des établissements d’enseignement
privés sous contrat, au titre de l’assurance-décès dont bénéficient les maîtres
de l’enseignement privé ayant un statut de cadre, le gouvernement a retenu la
valeur moyenne, sur une période de quatre ans et compte tenu du nombre annuel
de décès de cadres du secteur privé chaque année, de la différence entre, d’une
part, le montant du capital-décès, correspondant à un an de traitement moyen
indiciaire, servi par l’Etat et, d’autre part, le montant du capital-décès
correspondant à trois mois de rémunération moyenne mensuelle dans la limite du
plafond, servi par le régime général de la sécurité sociale ; que le taux de
prise en charge obtenu au terme de ce calcul s’élevant à 0,062 %, le
gouvernement n’a pas méconnu les prescriptions de l’article 4 de la loi du
31 décembre 1959 modifiée en retenant ce taux (...). »
B. La
procédure intentée par l’organisme ayant introduit la requête no 42219/98
1. Saisine préalable du préfet des
Alpes-Maritimes
27. Par lettre du 23 novembre 1995, le
requérant, se fondant sur l’article 15 de la loi Debré modifiée, sollicita du
préfet le remboursement intégral des cotisations pour la période courant du 1er
janvier 1990 au 31 octobre 1995. Le silence gardé par le préfet
pendant quatre mois valut décision de rejet.
2. Procédure en référé devant le
tribunal administratif de Nice
28. Le
20 mai 1996, le requérant déposa une requête devant le tribunal administratif
de Nice tendant à se voir allouer une provision. Il alléguait le défaut de
contestation sérieuse de l’obligation à la charge de l’Etat en se fondant sur
l’arrêt du Conseil d’Etat du 25 mai 1992.
29. Par
une ordonnance du 27 juin 1996, le tribunal rejeta la demande. Il considéra
notamment que :
« Le
législateur a décidé que l’obligation de remboursement par l’Etat des
cotisations (...) serait égale à la part de cotisation nécessaire pour assurer
l’égalisation (...) que cette part serait fixée par décret en Conseil d’Etat,
mettant ainsi obstacle (...) à l’application de la jurisprudence de la Haute
juridiction administrative (...) que dans le cadre juridique ainsi fixé, en
l’absence de publication du décret (...) prévu par l’article 107, la somme due
à l’organisme ne peut être déterminée (...). »
3. Procédure
au fond tendant au remboursement des cotisations
30. Par
une requête enregistrée le 20 mai 1996, le requérant sollicita du tribunal,
d’une part, l’annulation de la décision implicite de rejet du préfet et,
d’autre part, la condamnation de l’Etat au remboursement intégral desdites
cotisations avec intérêts au taux légal ainsi qu’au paiement d’une indemnité à
titre de dommages-intérêts.
31. Par
un jugement du 31 décembre 1997, le tribunal ne fit qu’en partie droit à la
demande. Il se prononça notamment en ces termes :
« (...)
qu’[il] ne peut prétendre au remboursement des cotisations (...) qu’à hauteur
de 0,062 % (...) au titre des périodes concernées ; que la somme
allouée à ce titre doit porter intérêts aux taux légal à compter du 23 novembre
1995, date de réception de sa demande préalable par le préfet des
Alpes-maritimes (...). »
32. Par
une requête enregistrée le 7 juillet 1998, le requérant sollicita, de la cour
administrative d’appel de Marseille, l’annulation de ce jugement. Elle rejeta
cette demande par un arrêt du 29 juin 1999.
C. Les procédures intentées par les organismes ayant
introduit la requête no 54563/00
1. Procédures intentées par
l’association d’éducation populaire Saint-Pie X et 39 autres organismes
requérants
a) Procédure devant le tribunal administratif
de Rennes et la cour administrative d’appel de Nantes (groupe A)
33. Le 25 avril 1995, les
requérants sollicitèrent du préfet du Finistère le remboursement intégral des
cotisations versées à compter du quatrième trimestre de l’année 1992 jusqu’à
1994. Le silence gardé par le préfet emporta décision implicite de rejet.
34. Par des requêtes enregistrées au
plus tard le 24 octobre 1995, les requérants saisirent le tribunal
administratif de Rennes d’une demande tendant, d’une part, à l’annulation de la
décision implicite de rejet et, d’autre part, à la condamnation de l’Etat au
remboursement intégral des cotisations avec intérêts au taux légal à compter de
la demande préalable.
35. Par des jugements du
30 décembre 1996, le tribunal administratif de Rennes fit partiellement
droit à leur demande. Les requérants obtinrent le remboursement sollicité à
hauteur du taux de 0,062 % tel que fixé par les dispositions combinées du
décret du 16 juillet 1996 et de l’article 107 de la loi du 30 décembre
1995.
36. Le 7 juillet 1997, les
requérants interjetèrent appel devant la cour administrative d’appel de Nantes,
alléguant la violation des articles 6 § 1 et 14 de la Convention et
de l’article 1er du Protocole no 1.
37. Par des arrêts du 30 décembre
1997, la cour administrative d’appel de Nantes confirma les jugements du 30
décembre 1996.
b) Procédure devant le tribunal
administratif de Caen et la cour administrative d’appel de Nantes
(groupe B)
38. Le 16 décembre 1994, les
requérants sollicitèrent du préfet de leur département le remboursement
intégral des cotisations versées. Le silence gardé par le préfet fit naître une
décision implicite de rejet.
39. Par des requêtes enregistrées le
24 mai 1995, les requérants saisirent le tribunal administratif de Caen
d’un recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision implicite de
rejet et, d’autre part, à la condamnation de l’Etat au remboursement intégral
des cotisations avec intérêts au taux légal à compter de la demande préalable.
40. Par des jugements du
23 janvier 1996, le tribunal administratif de Caen fit droit à la demande
des requérants au remboursement intégral des cotisations versées conformément
au principe posé par l’arrêt du Conseil d’Etat de 1992.
41. Le
5 mars 1996, le ministre de l’Enseignement interjeta appel devant la cour
administrative d’appel de Nantes.
42. Par des arrêts du 30 décembre
1997, la cour administrative d’appel considéra que l’Etat n’était tenu au
remboursement des cotisations qu’à hauteur du taux de 0,062 %.
c) Procédure devant le Conseil d’Etat
(groupes A et B)
43. Les 27 mars, 20 avril,
28 juillet et 10 août 1998, les requérants se pourvurent devant le
Conseil d’Etat.
44. Au soutien de leur pourvoi, ils
invoquèrent notamment la violation des articles 6 et 14 de la Convention
et de l’article 1er du Protocole no 1 par
l’article 107 de la loi du 30 décembre 1995 et le décret du
16 juillet 1996. A cet égard, les requérants soutinrent qu’en vertu des
dispositions de la convention collective du 14 mars 1947 et, en
l’absence de décret en Conseil d’Etat limitant le remboursement aux prestations
nécessaires pour assurer l’égalisation des situations prévue par
l’article 15 de la loi Debré modifiée, ils étaient en droit de prétendre
au remboursement de l’intégralité des sommes dont ils avaient fait l’avance,
alors même qu’il n’était pas établi que les avantages qui étaient la
contrepartie de la cotisation au taux unique de 1,5 % tel que fixé par
l’article 7 de la convention collective excéderait ce qui était nécessaire
pour réaliser cette égalisation. Enfin, ils soutinrent que les dispositions
litigieuses avaient pour objet de réduire rétroactivement les obligations
financières de l’Etat envers les organismes d’établissements privés.
45. Par des arrêts du 28 juillet
1999, le Conseil d’Etat considéra que les moyens invoqués par les requérants
n’étaient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi.
2. Procédure suivie par l’OGEC Blanche
de Castille et 15 autres organismes requérants (département des
Alpes-Maritimes)
a) Procédure au fond tendant au
remboursement des cotisations versées
46. Le 20 décembre 1994, les
requérants sollicitèrent du préfet des Alpes-Maritimes le remboursement
intégral des cotisations sociales versées. Le silence gardé par le préfet pendant
quatre mois fit naître une décision implicite de rejet.
47. Le 19 juin 1995, les
requérants saisirent le tribunal administratif de Nice aux fins d’obtenir,
d’une part, l’annulation de la décision implicite de rejet et, d’autre part, la
condamnation de l’Etat au remboursement intégral des cotisations avec intérêts
au taux légal à compter de la demande préalable.
48. Par des jugements du
31 décembre 1997 et 16 juin 1998, le tribunal fit partiellement droit à la
demande de remboursement des cotisations. Les requérants obtinrent le
remboursement sollicité à hauteur du taux de 0,062 % fixé par le décret du
16 juillet 1996.
49. Le 3 juillet 1998, ils
interjetèrent appel devant la cour administrative d’appel de Marseille. Ils
contestèrent l’application des dispositions de l’article 107 de la loi du
30 décembre 1995 et alléguèrent la violation des articles 6 § 1
et 14 de la Convention et de l’article 1er du Protocole no 1.
Ils estimèrent, d’une part, que l’Etat ne pouvait, par des lois de
circonstances rétroactives, s’ingérer dans le cours normal de la justice dans
le but d’influencer le dénouement d’un litige. Ils considérèrent, d’autre part,
que les dispositions de l’article 107 de la loi du 30 décembre 1995
portaient atteinte à leurs biens constitués par leur droit de créance détenu
sur l’Etat tel que reconnu par l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 mai 1992.
Enfin, ils estimèrent que ces dispositions étaient discriminatoires, car elles
avaient pour effet de créer une inégalité de traitement entre les organismes
selon la date de saisine des juridictions administratives.
50. Par des arrêts du 29 juin
1999, la cour administrative d’appel de Marseille confirma les jugements
attaqués et, se fondant sur l’avis du Conseil d’Etat du 5 décembre 1997, rejeta
les griefs tirés de la violation des articles 6 § 1 et 14 de la
Convention et de l’article 1er du Protocole no 1.
Les arrêts furent signifiés les 28 et 29 juillet 1999.
51. Les requérants renoncèrent à former
un pourvoi en cassation compte tenu de ce que les moyens dont ils entendaient
se prévaloir devant le Conseil d’Etat avaient été jugés par ce dernier, dans un
arrêt du 30 décembre 1998, comme n’étant pas de nature à permettre
l’admission du pourvoi intenté par un autre organisme de gestion, l’association
augeronne d’éducation populaire.
b) Procédure en référé
52. Le 19 juin 1995, les
requérants saisirent le juge des référés du tribunal administratif de Marseille
d’une demande tendant à l’allocation d’une provision, en alléguant le défaut de
contestation sérieuse de l’obligation à la charge de l’Etat.
53. Par
ordonnance du 6 septembre 1995, le juge des référés fit droit à la demande
d’allocation d’une provision. Il considéra notamment que :
« (...) l’Etat
doit supporter définitivement la charge correspondante tant que le Gouvernement
n’aura pas déterminé par voie réglementaire, sous le contrôle du juge, la
proportion des cotisations versées nécessaire pour atteindre l’égalisation
prévue à l’article 15 de la loi du 31 décembre 1959 (...)
(...) l’obligation dont l’organisme requérant
poursuit l’exécution ne peut être regardée comme sérieusement contestable
(...). »
54. Le
26 septembre 1995, le ministre de l’Education nationale déposa un recours
tendant à l’annulation de l’ordonnance.
55. Par
ordonnance du 2 février 2000, le président de la troisième chambre de la
cour administrative d’appel de Lyon constata, compte tenu du jugement du
tribunal administratif de Nice du 31 décembre 1997, que le recours en
annulation était devenu sans objet.
II. LE
DROIT INTERNE PERTINENT
A. Article
107 de la loi du 30 décembre 1995 nº 95-1346 portant loi de Finances pour 1996
« Sous
réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les
obligations de l’Etat, tendant au remboursement aux [OGEC] de la cotisation
sociale afférente au régime de retraite et de prévoyance de cadres institué par
la convention collective du 14 mars 1947 et étendu par la loi no
72-1223 du 29 décembre 1972 portant généralisation de la retraite
complémentaire au profit des salariés et anciens salariés, sont égales à la
part de cotisation nécessaire pour assurer l’égalisation des situations prévue
par l’article 15 de la loi no 59-1557 du 31 décembre 1959 sur les
rapports entre l’Etat et les établissements d’enseignement privés, modifiés par
la loi no 77-1285 du 27 novembre 1977 ; cette part est
fixée par décret en Conseil d’Etat. »
B. Article 1er du décret du
16 juillet 1996 nº 96-627
« Pour l’application de l’article 107 (...) la
part de cotisation afférente au régime de retraite et de prévoyance des cadres
nécessaire pour assurer l’égalisation des situations prévues à l’article 15
(...), est fixé à 0,062 p. 100 de la rémunération brute inférieure au plafond
fixé pour les cotisations de sécurité sociale au titre des périodes concernées.
»
EN DROIT
I. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
56. Les
requérants (requêtes no 42219/98 et no 54563/00) estiment
que par l’adoption de l’article 107 de la loi du 30 décembre 1995, le
législateur est intervenu afin de modifier l’issue des procédures auxquelles
l’Etat était partie, rompant ainsi l’égalité des armes. Ils invoquent l’article
6 § 1 de la Convention dont les dispositions pertinentes sont ainsi
libellées :
« Toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un
tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil (...). »
A. Les observations des parties
1. Observations présentées dans la
requête no 42219/98
57. Le requérant estime que la loi de
validation est intervenue alors qu’il avait déjà introduit un recours
juridictionnel, puisqu’il avait déjà clairement fixé le contentieux, dans une
première lettre du 16 décembre 1994 adressée au préfet des Alpes Maritimes.
Il
considère que l’article 107 de la loi du 30 décembre 1995 est incompatible avec
les dispositions édictées par l’article 6 § 1 de la Convention. Il explique,
ensuite, que l’objet de cet article était de rompre l’égalité entre les parties
et que l’interposition du pouvoir législatif a eu pour effet de rompre
l’égalité des armes, alors même que les droits acquis avaient été constatés par
le juge administratif et qu’ils avaient été mis en œuvre dans le cadre de
procédures juridictionnelles engagées. Il estime que ledit article, tout en précisant que les obligations de
l’Etat sont égales à la part des cotisations nécessaires pour assurer
l’égalisation des situations prévues, ne va pas au-delà des dispositions de la
loi Debré. Le décret litigieux aboutit à une violation du principe d’égalité, dans la
mesure où il réduit la part de cotisations à la charge de l’Etat à 0,062 % de
la rémunération brute, pour la période antérieure au 1er novembre,
alors que le Conseil d’Etat, pour la même période, avait mis à la charge de
l’Etat la totalité de la cotisation au taux de 1,5 %.
Il
expose que cet article a établi une discrimination entre les OGEC selon l’état
de la procédure contentieuse les concernant, alors qu’il n’existe aucune
différence objective suffisante entre les établissements ayant obtenu des
décisions de justice définitives antérieures à la loi de finances litigieuse et
d’autres établissements, d’une nature telle que le taux soit réduit à ce point.
Par
ailleurs, le requérant considère que l’équité de la procédure implique le droit
à la sécurité juridique, principe reconnu par l’ordre juridique communautaire.
Enfin, il sollicite le bénéfice de la jurisprudence de la Cour dans l’affaire
des Raffineries Grecques du 9 décembre 1994.
58. A
titre liminaire, le Gouvernement considère que la question de la légitimité de
l’intervention du pouvoir législatif ne se pose pas dans cette requête, car la
loi du 30 décembre 1995 était intervenue alors que l’autorité administrative
était saisie d’une demande de remboursement, mais avant que ne débute la phase
juridictionnelle du litige par la saisine dudit tribunal administratif de Nice,
le 20 mai 1996.
Se
référant aux affaires Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres
c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96,
CEDH 1999-VII, et Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux
(O.N.S.I.L.) c. France (déc.), no 39971/98, CEDH
2000-IX, le Gouvernement rappelle, à cet égard, que ce qui est susceptible de
poser un problème au regard de l’article 6 § 1 de la Convention c’est
« l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la
justice » et qu’une validation législative influant sur un litige futur
dont les juridictions ne sont pas encore saisies à la date de l’adoption de la
loi n’est pas susceptible d’être critiquée au regard de l’article 6 § 1 de la
Convention. Il estime en conséquence que dans cette procédure, l’article
6 § 1 de la Convention ne peut avoir été méconnu du fait de
l’intervention de la loi du 30 décembre 1995 et conclut au rejet de cette
requête comme étant manifestement mal fondée.
2. Observations présentées dans la
requête no 54563/00
59. Les requérants se réfèrent au
principe, énoncé le 28 octobre 1999 dans l’affaire Zielinski et Pradal
& Gonzalez et autres c. France, précitée, relatif aux
« impérieux motifs d’intérêt général ». Ils exposent que les
800 millions invoqués par le Gouvernement étaient acquis au bénéfice des
2 000 OGEC qui allaient agir devant les juridictions nationales, dès lors
que le Conseil d’Etat, dans l’arrêt du 15 mai 1992, avait considéré que c’était
du fait de l’article 15 de la loi Debré modifiée que les OGEC étaient fondés à
demander l’intégralité du remboursement des cotisations versées. Ils estiment
que la créance des OGEC, dès lors qu’une disposition réglementaire ne venait
pas la limiter, était bien de la totalité du remboursement de la cotisation de
1,5 %.
Ils ajoutent que l’Etat ne peut se prévaloir de sa
propre carence, dans l’élaboration des normes législatives et réglementaires,
pour soutenir que s’il n’était pas intervenu par une loi rétroactive, il aurait
dû payer une somme supérieure à la créance des OGEC. Soulignant que les 850
millions ne constituent qu’une faible somme au regard du budget de l’Education
Nationale, ils considèrent que le seul but légitime de cette intervention
législative ne pouvait être que financier.
Eu égard à l’« impérieux motif d’intérêt
général » invoqué par le Gouvernement, les requérants soulignent que la
cotisation de 1,5 % pesant sur les OGEC résulte d’une obligation mise à
leur charge par la loi du 29 décembre 1972 et estiment que le
Gouvernement aurait dû faire disparaître cette charge lorsqu’il a pris des
mesures pour appliquer le principe d’égalisation.
Ils estiment que le Gouvernement ne peut pas invoquer
le fait que les régimes de protection sociale des secteurs privés et publics
diffèrent pour soutenir que l’Etat n’avait pas à prendre en charge la totalité
des cotisations. Rappelant que l’article 6 du décret du 28 juillet 1960,
modifié par l’article 1er du décret du 23 août 1995, précise
que « l’Etat supporte les charges sociales et fiscales obligatoires
incombant à l’employeur (...) », ils affirment que l’article 15 de la loi
Debré modifiée, en posant le principe d’égalisation, a induit une exonération
de charges sociales incombant aux OGEC pour les enseignants.
Ils exposent que l’Etat a commis une erreur dans
le cadre de son pouvoir réglementaire, lorsqu’en prenant le décret du 8 mars
1978 pour étendre aux enseignants sous contrat les mêmes prestations prévoyance
que les enseignants du public, il n’a pas exempté les OGEC de la cotisation de
1,5 % obligatoire, instituée par la loi du 29 décembre 1972. Ainsi, l’Etat
a créé une discrimination entre les enseignants du public et ceux des établissements
privés en soumettant inutilement ces derniers à deux obligations, en
contradiction avec la loi Guermeur. Ils estiment qu’il était facile à l’Etat de
faire valoir que, dès lors qu’il assurait une prestation au travers de la
couverture des enseignants publics étendue aux enseignants du privé, il n’avait
pas à rembourser la partie de la cotisation de 1,5 % offrant les mêmes
prestations. C’est pour cette raison que l’Etat n’aurait pris aucun décret.
Cependant le Conseil d’Etat, quatorze ans après la
loi du 25 novembre 1978, a jugé qu’à défaut de décret il résultait
des dispositions législatives antérieures que la cotisation de 1,5 %
devait être remboursée en totalité. Cela signifie que l’Etat était tenu de
rembourser l’intégralité de la cotisation prévoyance cadre (1,5 %) aux
OGEC et pas seulement partiellement, du simple fait de la loi Debré et du
décret de 1960.
Ils estiment que le Gouvernement ne peut faire
valoir que l’intervention du législateur avait pour objet de garantir le
respect de sa volonté initiale, dès lors qu’il l’avait lui-même mise à mal en
soumettant les enseignants du privé à une double protection, tout en la
laissant supporter aux OGEC. Ils estiment se trouver dans l’obligation de
financer une discrimination créée par l’Etat. Ils considèrent, en conséquence,
qu’ils ne se trouvaient pas dans la même situation que les requérants dans
l’affaire National & Provincial Building Society, Leeds Permanent
Building Society et Yorkshire Building Society (Building Societies)
c. Royaume-Uni, arrêt du 23 octobre 1997, Recueil des arrêts
et décisions 1997-VII.
Ils ajoutent qu’aucune réforme n’était annoncée.
Ils estiment que, même si un motif d’intérêt général existait en l’espèce, il
ne présentait pas de caractère impérieux, puisque l’Etat avait bénéficié de
cette situation pendant quinze ans alors que les OGEC n’ont pu agir en
remboursement que sur quatre ans.
Ils estiment également qu’il n’y a pas eu de
rapport raisonnable de proportionnalité. Ils affirment, d’une part, que le
législateur n’était pas tenu d’intervenir rétroactivement puisque les
conséquences étaient très limitées. Ils affirment, d’autre part, que l’absence
alléguée de conséquences excessives pour les OGEC n’est pas un critère à
retenir pour admettre ou non la violation de l’article 6 § 1 de la Convention,
puisqu’ils avaient un droit à réclamer le remboursement de la totalité et
n’avait pas la possibilité de présenter des recours indemnitaires en raison du
préjudice subi par la tardiveté avec laquelle l’administration a fixé la part
des cotisations. Ils allèguent, finalement, que l’intervention du législateur
n’était pas proportionnée : leurs procédures étaient en cours lorsque le
législateur est intervenu et ils étaient certains d’obtenir gain de cause du
fait de l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 mai 1992. Ils ajoutent que
la « prévisibilité » de cette intervention, qui visait
individuellement chaque OGEC dont la procédure était en cours, ne valait que
pour l’avenir et non pour le passé.
Finalement,
ils invoquent un arrêt du 24 avril 2001 de la Cour de cassation, qui a condamné
les interventions législatives rétroactives en appliquant la jurisprudence de
la Cour. Ils estiment que c’est parce que
cette jurisprudence n’était pas connue du Conseil d’Etat à l’époque où il
rendit son avis que les requérants n’ont pas obtenu gain de cause.
60. Le Gouvernement ne conteste pas le
fait que la loi Debré a influencé le sort des contestations en cours, en
fondant la décision rendue par le tribunal administratif (OGEC Blanche de
Castille et 15 autres) ou en conduisant à la remise en cause en appel d’une
décision rendue en première instance (OGEC Saint Pie X et 39 autres).
Il
considère, cependant, que la validation litigieuse est conforme aux exigences
posées par la jurisprudence de la Cour. Il fait valoir, tout d’abord, que la
validation législative poursuivait un but légitime.
Il
affirme que la situation prévalant avant l’intervention de la loi de validation
présentait un risque financier très important puisque l’arrêt du Conseil d’Etat
du 15 mai 1992 revenait en réalité à condamner l’Etat à débourser 815 millions
de francs de plus que ce qu’il ne devait réellement aux OGEC. Mais, il ajoute que la validation législative n’a pas
tant été mise en œuvre pour sauvegarder les finances publiques que pour assurer
le respect de la volonté du législateur dans la gestion des rapports financiers
entre l’Etat et lesdits établissements et pour éviter la constitution de
situations discriminatoires. Il souligne que cette nécessité d’assurer le
respect de la volonté du législateur en matière de participation de l’Etat au
financement de la protection sociale des maîtres de l’enseignement privé
constituait un impérieux motif d’intérêt général justifiant le recours à une
loi de portée rétroactive. Il soutient que l’intention du législateur était,
lorsqu’il a posé le principe d’égalisation prévu à l’article 15 de la loi
Debré, d’assurer une identité de contribution de l’Etat aux avantages sociaux
bénéficiant aux enseignants des établissements tant publics que privés. La
structure des régimes de protection sociale des secteurs privé et public étant
différente, il résultait d’un tel système que, s’agissant d’une cotisation
telle que celle versée à l’AGIRC au taux de 1,5 %, la part supportée par
l’Etat devait être fixée de façon à mettre les employeurs privés dans une
situation identique à celle de l’Etat employeur. Le retard pris dans l’adoption
des décrets fixant le taux de participation de l’Etat a mis le juge
administratif, saisi de demandes en ce sens, dans l’impossibilité de calculer
le montant des remboursements auxquels les requérants pouvaient prétendre.
Alors même qu’il était conscient que l’Etat n’était pas tenu au remboursement
intégral des cotisations versées, le Conseil d’Etat n’a eu d’autre solution que
d’ordonner, faute de meilleure solution, la restitution de la totalité des
cotisations réclamées. Cette solution ouvrit à l’ensemble des établissements
d’enseignement privés la possibilité de prétendre au remboursement de
l’intégralité de leurs cotisations à l’AGIRC, dans des conditions tout à fait
contraires au principe d’égalisation. Cette situation appelait une réaction du
législateur afin d’assurer le respect de la volonté exprimée à l’article 15 de
la loi Debré.
Selon le Gouvernement, cette situation s’apparente
à celle du législateur dans l’affaire Building Societies c. Royaume-Uni,
précitée. Il estime qu’en plus, dans la présente affaire, l’intervention du
législateur a permis de prévenir la création de situations discriminatoires
entre les établissements d’enseignement publics et privés. Il précise que
sans cette intervention ces derniers auraient bénéficié d’un effet d’aubaine,
contraire à la volonté du législateur. Il en conclut qu’il existait un
impérieux motif d’intérêt public au sens de la jurisprudence de la Cour.
Le
Gouvernement affirme, ensuite, qu’il existait un « rapport raisonnable de
proportionnalité » entre le but visé et les moyens employés par le
législateur.
Il
estime, d’une part, que l’intervention du législateur était le seul moyen adapté
pour remédier à la situation mise en lumière par l’arrêt du Conseil d’Etat du
15 mai 1992.
Il
soutient, d’autre part, se référant à l’arrêt du 8 avril 1998 du Conseil
d’Etat, que la validation n’a pas eu de « conséquences excessives »
pour les requérants puisqu’elle n’a fait que chiffrer le montant de la créance
des OGEC, dans le respect du principe d’égalisation, et ne les a privés d’aucun
droit. Il considère, par ailleurs, que le dispositif contenu dans l’article 107
de la loi litigieuse n’a pas privé les requérants du droit d’être indemnisés du
préjudice subi en raison du retard pris par l’administration pour fixer la part
des cotisations à la charge de l’Etat, puisqu’ils pouvaient présenter un
recours indemnitaire dirigé contre l’Etat afin d’en obtenir la réparation.
Il estime, enfin, que les modalités d’intervention
de la loi de validation ne traduisent aucune « disproportion dans les
moyens choisis », puisqu’elle a exclu de son champ d’application les
décisions de justice passées en force de chose jugée et n’a porté que sur des
litiges qui étaient pendants, soit en première instance, soit en appel.
Il insiste, en outre, sur le fait que cette
validation était largement prévisible et qu’en raison même de la rédaction de
l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 mai 1992, les requérants ne pouvaient ignorer
qu’ils n’avaient pas de droit au remboursement intégral des cotisations versées
à l’AGIRC. Au surplus, compte tenu du nombre de recours contentieux pendants
devant les juridictions administratives et représentant le risque financier
exposé, le Gouvernement considère que les requérants, à l’instar des building
societies, ne pouvaient être surpris par l’adoption de la loi de
validation. Il estime donc qu’il n’a pas porté atteinte à la confiance légitime
que les requérants avaient pu mettre dans leurs recours.
Le Gouvernement expose, finalement, que la
validation fut uniforme et que la démarche du législateur ne fut pas guidée par
l’identité des requérants mais tendit à régler de la même façon la situation de
l’ensemble des établissements concernés.
Au regard de l’ensemble des considérations
exposées, le Gouvernement estime que le grief tiré de la violation de l’article
6 § 1 de la Convention est manifestement mal fondé.
B. L’appréciation de la Cour
61. La Cour réaffirme que si, en
principe, le pouvoir législatif n’est pas empêché de réglementer en matière
civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits
découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la
notion de procès équitable consacrés par l’article 6 s’opposent, sauf pour
d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans
l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement
judiciaire du litige (Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis
c. Grèce, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 301-B,
p. 82, § 49 ; Papageorgiou c. Grèce, arrêt du
22 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI,
p. 2288, § 37 ; Buildings Societies c. Royaume-Uni,
précité, p. 2363, § 112).
62. En ce qui concerne la requête no
42219/98, la Cour constate que le requérant a sollicité du préfet, dès le 23
novembre 1995, le remboursement des cotisations litigieuses en se fondant sur
les dispositions de l’article 15 de la loi Debré modifiée et a formellement
introduit un recours devant le tribunal administratif le 20 mai 1996. Or, la
Cour rappelle que, selon le droit interne, la réclamation préalable auprès de
l’administration est une phase indispensable à tout contentieux et que le silence
gardé par le préfet pendant quatre mois valait décision implicite de rejet. Le requérant ne
pouvait, dès lors, introduire un recours devant la juridiction administrative
avant l’échéance de ces quatre mois. En conséquence, dès lors que cette phase
dite « pré-contentieuse » a constitué une condition sine qua non pour
déclencher la phase judiciaire proprement dite, la Cour considère,
contrairement à l’affaire O.N.S.I.L. c. France précitée, que la
procédure était déjà née lorsque la loi du 30 décembre 1995 a été adoptée et
que le litige portait depuis le 23 novembre 1995 sur le droit objet de la
contestation (voir, mutatis mutandis, Duclos c. France, arrêt du
17 décembre 1996, Recueil 1996-VI, § 54 et Kadri c. France
(déc.), no 41715/98, 26 septembre 2000, non publiée).
63. La Cour doit donc rechercher si les
mesures prises par le législateur pour fixer le taux de remboursement des
cotisations sociales versées par les OGEC et modifier l’issue des procédures en
cours (requêtes nos 42219/98 et 54563/00) dirigées contre l’Etat
défendeur s’analysent en une violation du principe de l’égalité des armes. Pour
ce faire, elle tiendra compte de toutes les circonstances de la cause et
examinera de près les raisons que l’Etat défendeur a avancées pour justifier
l’intervention qui a pu se produire dans plusieurs procédures pendantes par
suite des effets rétroactifs de l’article 107 de la loi du 30 décembre 1995 et
de son décret d’application pris le 16 juillet 1996 (Building Societies
c. Royaume-Uni, précité, § 107).
64. En l’espèce, les requérants
saisirent les juridictions administratives, suite à l’arrêt du Conseil d’Etat
du 15 mai 1992, et sollicitèrent le remboursement intégral des cotisations
litigieuses. Pour l’un d’eux, la validation législative intervint alors que la
procédure était dans sa phase pré-contentieuse, pour d’autres requérants, elle
intervint alors que la juridiction de première instance ne s’était pas encore
prononcée au fond, et pour le troisième groupe de requérants, la loi intervint
alors que l’instance était pendante en appel. Les requérants n’avaient donc pas
encore obtenu un jugement leur reconnaissant le droit à remboursement intégral.
L’article 107 de la loi du 30 décembre 1995 avait pour but, officiellement
reconnu, de régler financièrement ces contentieux, dans lesquels l’Etat était
partie, et de modifier l’issue des procédures en cours. Effectivement, en
raison de cette intervention législative, les requérants ne purent obtenir le
remboursement sollicité qu’à hauteur du taux de 0,062 %, au lieu de celui de
1,5 % escompté.
65. La Cour note que le droit au
remboursement ne fut pas atteint dans sa substance par l’intervention
législative mais que seul son taux fut remis en cause en vertu du principe de
l’égalisation des situations posé à l’article 15 de la loi Debré modifiée. La
Cour estime, dès lors, que la question se pose de savoir si, à l’origine, les
requérants pouvaient légitimement prétendre au remboursement intégral des
cotisations.
66. Elle souligne d’emblée le fait que
l’arrêt du 15 mai 1992 avait déterminé le quantum du remboursement
litigieux par « défaut », en raison de « l’état de la
législation en vigueur à l’époque ». Elle estime, dès lors, que les
requérants ne pouvaient ignorer, eu égard au principe de l’égalisation des
situations, que l’Etat n’était pas tenu de rembourser les cotisations au taux
de 1,5 % et que ce taux n’avait été retenu par le Conseil d’Etat que pour des
considérations d’ordre pragmatique et pour combler un vide en l’absence d’un
décret fixant la part de la cotisation à la charge de l’Etat.
67. Ainsi, les circonstances de la
cause ne sont pas identiques à celles de l’affaire Zielinski et Pradal &
Gonzalez et autres c. France précitée. En effet, dans cette affaire,
les juridictions internes avaient été saisies afin de faire appliquer
strictement un protocole d’accord, signé entre les syndicats et les organismes
publics de sécurité sociale, qui avait force de loi entre les parties.
L’intervention du législateur avait eu pour but d’entériner la position soutenue
par l’administration devant les juridictions, alors qu’en l’espèce, le
législateur est intervenu pour remédier à une faille technique du droit,
soulignée par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 15 mai 1992. Dès lors, les
motifs que ces deux interventions législatives sous-tendent se distinguent, de
même que leurs effets.
68. La Cour constate, par contre, que
la présente affaire se rapproche de l’affaire Building Societies c.
Royaume-Uni précitée, dans laquelle l’intervention du pouvoir législatif se
justifiait par des « motifs d’intérêt légitime », dans le but ultime
de réaffirmer l’intention initiale du Parlement à l’égard de toutes les
sociétés de construction dont les exercices comptables s’achevaient avant le
début de l’exercice fiscal, sans tenir compte des procédures judiciaires
pendantes. La Cour avait d’ailleurs estimé que, par ces procédures, les
sociétés de construction avaient tenté « d’exploiter la situation
vulnérable où se trouvaient les pouvoirs publics après le dénouement de la procédure
Woolwich 1 et de court-circuiter l’adoption d’une législation devant remédier
aux vices constatés » (Building Societies c. Royaume-Uni, précité,
§ 109).
69. En
l’espèce, la Cour estime que le but de l’intervention législative était
d’assurer le respect de la volonté initiale du législateur de ne prendre en
charge lesdites cotisations sociales que dans la limite du principe
d’égalisation posé par l’article 15 de la loi Debré modifiée. Elle ajoute que
les requérants ne peuvent valablement invoquer la possibilité, dans le cadre
d’une procédure, de se prévaloir d’un « droit » techniquement
imparfait ou déficient sans que, au nom du respect de l’équité de la procédure,
le législateur puisse intervenir pour préciser les conditions d’obtention de ce
droit et ses limites. Or, en l’espèce, c’est précisément ce qu’a fait le
législateur à l’égard de tous les OGEC se trouvant sur le territoire national
et non seulement à l’égard des requérants : il a légiféré afin de combler
un vide juridique constaté par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 15 mai 1992
et exploité par les requérants, notamment, lorsqu’ils ont saisi les
juridictions administratives. La Cour insiste sur le fait que les requérants
ont tenté de bénéficier d’un effet d’aubaine dû à la carence du pouvoir réglementaire
et ne pouvaient valablement escompter que l’Etat resterait inactif face à une
nouvelle demande de remboursement intégral.
70. La Cour estime, en conséquence, que
les requérants, en saisissant les juridictions administratives, ne pouvaient
pas légitimement prétendre au remboursement intégral des cotisations. Elle
ajoute qu’il ressort de l’avis contentieux du Conseil d’Etat, rendu le 5
décembre 1997, que les requérants pouvaient obtenir réparation d’un éventuel
préjudice causé par cette carence étatique.
71. Comme elle l’a observé plus haut (§
61), la Cour se soucie particulièrement des risques inhérents à l’emploi d’une
législation rétroactive qui a pour effet d’influer sur le dénouement judiciaire
d’un litige auquel l’Etat est partie. Elle rappelle par ailleurs que dans des
litiges opposant des intérêts de caractère privé, l’exigence de l’égalité des
armes implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité
raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans
une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (Dombo Beheer
B.V. c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1993, série A no 274, p.
19, § 33, et Raffineries grecques, précité, p. 81, § 46). L’article 6 §
1 de la Convention ne saurait toutefois s’interpréter comme empêchant toute
ingérence des pouvoirs publics dans une procédure judiciaire pendante à
laquelle ils sont parties (Building Societies v. Royaume-Uni, précité,
§ 112). Elle note que dans le cas d’espèce, l’ingérence due à l’article
107 de la loi du 30 décembre 1995 revêtait un caractère beaucoup moins
radical que celle qui l’avait conduit à constater un manquement à l’article 6 §
1 de la Convention dans l’affaire Raffineries grecques Stran et Stratis
Andreadis c. Grèce, précitée. Dans cette affaire, les requérants
disposaient d’un jugement définitif et exécutoire contre l’Etat, alors que dans
la présente espèce, les procédures engagées n’avaient pas dépassé le stade de
l’appel. D’ailleurs, le législateur souhaitait, en fixant le taux de remboursement
des cotisations sociales et en modifiant l’issue des procédures engagées,
combler le vide juridique déjà mentionné et rétablir la parité et l’égalité des
situations des enseignants travaillant dans des établissements privés et des
établissements publics. De surcroît, les requérants avaient tenté, en engageant
les procédures dont l’issue a été modifiée par l’adoption de la loi du 30
décembre 1995 et du décret du 16 juillet 1996, de profiter d’une aubaine et
avaient ou auraient dû avoir conscience que l’Etat tenterait de son côté de
remédier au vide juridique mis en évidence par le Conseil d’Etat.
72. Pour les raisons qui précèdent, la
Cour estime que l’intervention du législateur, parfaitement prévisible,
répondait à une évidente et impérieuse justification d’intérêt général. Elle en
conclut que les requérants ne peuvent pas, dans ces conditions, légitimement se
plaindre d’une atteinte au principe de l’égalité des armes.
Il n’y
a donc pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
73. Les
requérants de la requête no 54563/00 estiment avoir été privés de
leur droit de créance sur l’Etat au remboursement intégral des cotisations
sociales versées sur la base du droit alors en vigueur et tel que consacré par
l’arrêt du Conseil d’Etat de 1992. Ils soutiennent que l’adoption de
l’article 107 a constitué une ingérence dans leur droit de propriété
contraire à l’article 1er du Protocole no 1 de la
Convention dont les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :
« Toute personne (...) morale a droit au respect
de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité
publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du
droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte
au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent
nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général
ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des
amendes. »
A. Les observations des parties
74. Les requérants exposent qu’ils
n’avaient pas seulement une « espérance » mais un bien consistant en
une somme d’argent destinée à rembourser les cotisations versées, ce droit de
créance résultant de la loi de 1977 et pouvaient, selon l’arrêt du 15 mai 1992
du Conseil d’Etat, en l’absence de future loi rétroactive, demander le
remboursement total des cotisations sociales versées sur la base du droit alors
en vigueur. Ils font valoir qu’il n’était pas question d’utiliser une faille
juridique, mais seulement de se voir appliquer le principe défini par la loi,
qui était le remboursement total pour le passé à défaut de décret limitant ce
remboursement. Ils considèrent que leurs observations concernant l’article
6 § 1 de la Convention peuvent être transposées au titre de l’article 1er
du Protocole no 1.
75. Le Gouvernement expose tout d’abord
que les requérants n’ont jamais été titulaires d’un « bien », au sens
strict du terme, comme par exemple une décision de justice définitive
constatant l’existence d’une créance qu’ils auraient détenue sur l’Etat.
Il affirme ensuite qu’ils ne justifient pas non
plus d’une « espérance légitime » de voir se concrétiser une créance
par une décision de justice, qui peut être regardée comme un « bien »
au sens de l’article 1er du Protocole no 1. Il
estime, en effet, qu’eu égard à l’article 15 de la loi Debré modifiée, les
requérants pouvaient légitimement prétendre, à la date de l’introduction de
leurs réclamations, au remboursement de la seule partie des cotisations
acquittées nécessaire au respect du principe d’égalisation, qui n’était destiné
qu’à assurer une identité de contribution de l’Etat aux avantages sociaux
bénéficiant aux enseignants. Pour autant, la loi n’a jamais posé le principe
d’une prise en charge intégrale par l’Etat desdites cotisations.
Il considère, dès lors, que la prétention des
requérants n’était légitime que pour autant qu’elle était limitée à la partie
des cotisations versées en méconnaissance du principe d’égalisation, comme
rappelé dans l’arrêt du 8 avril 1998 du Conseil d’Etat, et que l’arrêt du
15 mai 1992 n’a pas pu créer, à leur profit, une quelconque espérance légitime
de remboursement intégral des cotisations sociales versées.
Il estime que les requérants, en réclamant le
remboursement de la totalité des cotisations sociales, tentaient d’exploiter
une faille juridique et que cette démarche ne pouvait s’analyser en une
« espérance légitime » au sens de l’article 1 du Protocole no
1 et par voie de conséquence en un bien.
Il souligne que la loi du 30 décembre 1995 n’a eu
ni pour objet ni pour effet de faire disparaître la créance des requérants ou
de diminuer les obligations financières de l’Etat mais s’est bornée à permettre
un règlement des dettes de l’Etat conforme à la volonté du législateur,
provisoirement déformée par la carence du pouvoir réglementaire. Dès lors, il
considère que les requérants ne peuvent pas se prétendre titulaires d’un bien
au sens de l’article 1er du Protocole no 1 de la
Convention.
Le Gouvernement expose que si la Cour devait
néanmoins considérer que les organismes ont été privés de leurs biens, la
dépossession en cause ne pourrait être tenue pour contraire à l’article 1 du
Protocole no 1, eu égard aux considérations d’intérêt général sur
lesquelles repose la validation législative exposées plus haut.
B. L’appréciation de la Cour
76. Selon la jurisprudence de la Cour,
l’article 1 du Protocole nº 1, qui garantit en substance le droit de propriété,
contient trois normes distinctes (voir, notamment, James et autres c.
Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A nº 98-B, pp. 29-30, §
37) : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa
et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la
propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa,
vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant
à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats
contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens
conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à
des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété, doivent s’interpréter
à la lumière du principe consacré par la première.
77. La Cour rappelle ensuite qu’une
« créance » peut constituer un « bien » au sens de
l’article 1 du Protocole nº 1, à condition d’être suffisamment établie
pour être exigible (Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce,
précité, p. 84, § 59).
78. En l’espèce, la Cour note que
l’article 15 de la loi Debré modifiée pose le principe de l’égalisation de la
situation des maîtres de l’enseignement privé sous contrat avec celle des maîtres
titulaires de l’enseignement public et que ce principe impose à l’Etat de
prendre en charge les cotisations versées par les OGEC au titre des régimes de
protection sociale propres aux salariés du secteur privé, dans la limite de la
règle de parité. Il en résulte donc une créance certaine, du moins dans son
principe sinon dans son quantum, contre l’Etat au bénéfice des
requérants.
79. Pourtant, comme le relève le
Conseil d’Etat dans son arrêt du 15 mai 1992, la loi Guermeur avait
précisé que les modalités de calcul de la participation étatique, soit le taux
de remboursement à la charge de l’Etat des cotisations versées par les OGEC,
seraient fixées par voie réglementaire. Dès lors, la part des cotisations
sociales dont l’Etat avait la charge pour assurer l’égalisation des situations
des enseignants n’était pas fixée en l’absence de décret pris en Conseil
d’Etat ; et le montant de la créance des OGEC n’était pas déterminé. Les
créances des requérants n’étant donc pas liquides, ils ne pouvaient pas en
obtenir le paiement par l’Etat tant que le taux de cette prise en charge
étatique n’avait pas été déterminé, c’est-à-dire tant qu’un décret en Conseil
d’Etat n’avait pas été pris ou tant qu’un tribunal n’avait pas, par défaut,
fixé le montant de leur créance.
80. Sans se prononcer catégoriquement
sur le point de savoir si de telles créances revendiquées par les requérants
peuvent à juste titre passer pour un bien, la Cour est prête à partir de
l’hypothèse de travail que les requérants possédaient des biens sous la forme
de droits acquis à remboursement qu’elles cherchaient à exercer devant les
juridictions administratives. Ce faisant, la Cour note que les arguments
invoqués par les requérants à l’appui de leur thèse selon laquelle ils avaient
des biens sont indissociables de leurs griefs selon lesquels ils en ont été
indûment privés. La Cour acceptera que l’article 1 du Protocole no 1
est applicable afin de déterminer s’il y a eu ingérence dans les créances des
requérants et, dans l’affirmative, si cette ingérence se justifiait en
l’occurrence.
81. La Cour note que l’intervention
législative rétroactive jouait sans conteste d’une manière qui s’analysait en
une ingérence dans la jouissance des biens des requérants. En prenant pour
hypothèse de travail que les créances dont il s’agit étaient assimilables à des
biens au sens de l’article 1 du Protocole no 1, elle n’aperçoit
aucune raison de parvenir à la conclusion contraire. Elle va donc
rechercher si cette ingérence se justifiait.
82. La
Cour relève que le décret nécessaire à la détermination de la participation
étatique n’avait pas encore été pris lorsque le Conseil d’Etat a rendu son
arrêt le 15 mai 1992 et a fixé, par défaut, le taux de remboursement à 1,5 %.
Ainsi, le 15 mai 1992, la part contributive de l’Etat était indéterminée et il
revenait au Conseil d’Etat de liquider la créance du demandeur, dans le cas
d’espèce. Dès lors, cet arrêt ne peut être
considéré comme une décision judiciaire ayant force de chose jugée, constatant
et liquidant la créance de tous les OGEC de France. La question se pose alors
de savoir si les requérants pouvaient avoir une « espérance
légitime » de voir les juridictions administratives constater et liquider
leurs propres créances au taux de 1,5 % également.
83. La
Cour insiste sur le fait que le Conseil d’Etat n’a confirmé la créance au taux
de 1,5 % que dans la mesure où il y avait une carence dans la législation.
Ainsi, le droit de créance invoqué par les requérants au taux de 1,5 % ne
l’était que « par défaut ». Dès lors, la Cour estime que l’espérance
d’obtenir le remboursement des cotisations était « légitime »
uniquement dans sa proportion nécessaire à l’égalisation des situations en
vertu de l’article 15 de la loi Debré modifiée.
84. Or,
il n’appartient pas à la Cour de déterminer si ce taux devait être évalué à 1,5
% ou si un taux inférieur devait être retenu. Il lui appartient uniquement de
contrôler si cette ingérence a ménagé un juste équilibre entre les exigences de
l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la protection des
droits fondamentaux de l’individu. Le souci de
réaliser cet équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 tout entier,
y compris dans son second alinéa ; dès lors, il doit y avoir un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.
Par ailleurs pour rechercher si cette exigence se
trouve remplie, il est reconnu qu’un Etat contractant jouit d’une large marge
d’appréciation, et la Cour respecte l’appréciation portée par le législateur en
pareilles matières, sauf si elle est dépourvue de base raisonnable (Building
Societies c. Royaume-Uni, précité, § 80).
85. Cela étant, la Cour note qu’en
adoptant l’article 107 de la loi du 30 décembre 1995 avec effet
rétroactif, le législateur avait le souci de rétablir et de réaffirmer son
intention initiale, à laquelle avait fait obstacle la carence du pouvoir
réglementaire, mise en évidence par l’arrêt du 15 mai 1992 du Conseil
d’Etat. De fait, un intérêt général évident et impérieux commande de veiller à
ce que des organismes privés ne bénéficient pas d’avantages exorbitants en cas
de changement de régime en matière de cotisations sociales et ne fassent pas,
pour une carence du pouvoir réglementaire à l’origine d’un vide juridique,
peser sur l’Etat des obligations indues.
86. Certes, l’intervention législative
rétroactive a contrecarré l’espoir des requérants de voir l’Etat persévérer
dans son inactivité et, par conséquent, les juridictions administratives leur
appliquer le taux de 1,5 % déterminé par défaut. Mais la décision de faire
disparaître rétroactivement le vide juridique n’a pas eu pour effet d’éteindre
les créances des requérants. Elle eut simplement pour effet de fixer à un taux
inférieur à 1,5 % la part dont l’Etat avait la charge pour assurer cette
égalisation. Ainsi, le droit à remboursement des requérants n’a pas été atteint
dans son principe, seul le montant de la créance ayant été fixé en deçà de
leurs espoirs.
87. L’intérêt général qu’il y avait à
dissiper toute incertitude quant à la proportion de remboursement des
cotisations nécessaire à l’égalisation des situations doit être tenu pour
impérieux et comme primant les intérêts que les requérants défendaient en
sollicitant le remboursement intégral des cotisations versées, cherchant à profiter
de la carence du pouvoir réglementaire.
88. La Cour estime donc que les mesures
prises par l’Etat défendeur n’ont pas porté atteinte à l’équilibre qui doit
être ménagé entre la protection du droit des requérants au remboursement des cotisations
versées et l’intérêt général commandant d’assurer l’égalisation des situations
de tous les enseignants.
Partant,
il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
III. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 DE LA CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE No
1 COMBINES A L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
89. Les requérants (requête no
54563/00) estiment que les dispositions de l’article 107 ont introduit une
inégalité de traitement entre les organismes de gestion en fonction de la date
de saisine de la juridiction administrative. Ils invoquent les articles 6 §
1 de la Convention et 1er du Protocole no 1 combinés
à l’article 14 de la Convention, qui se lit comme suit :
« La jouissance des droits et libertés reconnus
dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée
notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les
opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale,
l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute
autre situation. »
90. La Cour a examiné ces griefs tel
qu’ils ont été présentés par les requérants. Compte tenu de l’ensemble des
éléments en sa possession, elle considère que ces griefs font partie intégrante
des griefs tirés des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du
Protocole no 1.
91. Elle estime en conséquence qu’il ne
s’impose pas de statuer séparément sur les griefs en question.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
1. Dit qu’il n’y a pas eu violation de
l’article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de
l’article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner
séparément les autres griefs tirés des articles 6 de la Convention et 1 du
Protocole no 1 combinés avec l’article 14 de la Convention ;
Fait en français, puis
communiqué par écrit le 27 mai 2004 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du
règlement.
Søren Nielsen Christos Rozakis
Greffier Président