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Corte europea dei diritti dell’uomo (sezione II), 27 aprile 2010

 

(RequĂȘte n. 16318/07)

 

 

AFFAIRE MORETTI E BENEDETTI C. ITALIE

Cet arrĂȘt deviendra dĂ©finitif dans les conditions dĂ©finies Ă  l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Moretti et Benedetti c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l'homme (deuxiĂšme section), siĂ©geant en une chambre composĂ©e de :

Françoise Tulkens, prĂ©sidente, 
Ireneu Cabral Barreto, 
Vladimiro Zagrebelsky, 
Danutė Jočienė, 
Dragoljub Popović, 
AndrĂĄs SajĂł, 
Işıl Karakaş, juges, 
 et de Françoise Elens-Passos, greffiÚre adjointe de section,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 mars 2010,

Rend l'arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette derniĂšre date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requĂȘte (no 16318/07) dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Luigi Moretti et Maria Brunella Benedetti (« les requĂ©rants Â»), ont saisi la Cour le 13 avril 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Les requĂ©rants sont reprĂ©sentĂ©s par Me L. Mollica Busacca, avocate Ă  Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement Â») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agent, Mme E. Spatafora, et par son coagent, M. N. Lettieri.

3.  Le 29 janvier 2009, le prĂ©sident de la deuxiĂšme section a dĂ©cidĂ© de communiquer la requĂȘte au Gouvernement. Se prĂ©valant de l'article 29 § 3 de la Convention, la chambre a dĂ©cidĂ© que seraient examinĂ©s en mĂȘme temps la recevabilitĂ© et le bien-fondĂ© de l'affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4.  Le premier requĂ©rant, M. Luigi Moretti, et la deuxiĂšme requĂ©rante, Maria Brunella Benedetti, sont un couple mariĂ© de nationalitĂ© italienne. Ils sont nĂ©s en 1966 et 1959 et rĂ©sident Ă  Lugo di Ravenna. Devant la Cour, ils affirment agir aussi au nom de A. (ci-aprĂšs « la troisiĂšme requĂ©rante Â»), une petite fille de nationalitĂ© italienne, nĂ©e le 18 avril 2004 et rĂ©sidant actuellement en Italie. Les deux premiers requĂ©rants ont signĂ© des procurations en faveur de Me L. Mollica Busacca, avocate Ă  Milan, afin qu'elle reprĂ©sente leurs intĂ©rĂȘts devant la Cour. Aucune procuration n'a Ă©tĂ© signĂ©e, ni par la troisiĂšme requĂ©rante, ni par ses parents adoptifs.

5.  AprĂšs sa naissance, A. resta quelque temps Ă  l'hĂŽpital parce qu'elle prĂ©sentait des troubles d'abstinence Ă  cause de la toxicomanie de sa mĂšre biologique. Celle-ci cessa de s'occuper d'elle quelques jours aprĂšs l'avoir mise au monde.

6.  Par un dĂ©cret urgent du 20 mai 2004, le tribunal pour enfants de Venise ouvrit une procĂ©dure visant Ă  dĂ©clarer l'enfant adoptable et ordonna son placement Ă  l'assistance publique. A. fut placĂ©e dans le foyer des requĂ©rants. PrĂ©vu pour une pĂ©riode de 5 mois (3 juin 2004 - 3 novembre 2004), le placement fut prorogĂ© jusqu'en dĂ©cembre 2005.

7.  Les requĂ©rants vivaient avec leur fille et un enfant adoptĂ© par la premiĂšre requĂ©rante quelques annĂ©es auparavant. Ils avaient dĂ©jĂ  accueilli des enfants Ă  titre provisoire, qui ensuite avaient Ă©tĂ© adoptĂ©s par d'autres familles.

8.  Le 26 octobre 2004, les requĂ©rants adressĂšrent une demande d'adoption spĂ©ciale au tribunal pour enfants de Venise.

9.  Le 16 dĂ©cembre 2004, la mĂšre biologique, les parents proches et les requĂ©rants furent entendus par le tribunal.

10.  A l'Ăąge de sept mois, A. fut inscrite Ă  la crĂšche.

11.  En janvier 2005, la famille des requĂ©rants se rendit au BrĂ©sil en vacances.

12.  Le 7 mars 2005, le tribunal dĂ©clara l'enfant adoptable. Le 15 mars 2005, n'ayant pas reçu de rĂ©ponse Ă  leur demande d'adoption spĂ©ciale introduite le 26 octobre 2004, les requĂ©rants adressĂšrent une nouvelle demande d'adoption spĂ©ciale au tribunal pour enfants de Venise.

13.  Le 9 juin 2005, la mĂšre biologique fit opposition Ă  la dĂ©claration d'adoptabilitĂ© de l'enfant. Par une dĂ©cision du 4 juillet 2005, le tribunal rejeta l'opposition de la mĂšre biologique.

14.  Le 30 novembre 2005, deux juges se rendirent chez les requĂ©rants pour les entendre. L'objectif de cette rencontre Ă©tait de demander aux requĂ©rants d'aider A. Ă  s'insĂ©rer dans la nouvelle famille adoptive choisie par le tribunal.

15.  Le 7 dĂ©cembre 2005, le tribunal pour enfants autorisa les contacts avec la nouvelle famille choisie pour l'adoption. Il interdit tout contact entre la famille choisie et les requĂ©rants. Le 19 dĂ©cembre 2005, il confia la garde de A. Ă  une nouvelle famille aux fins de l'adoption. Cette dĂ©cision ne fut pas notifiĂ©e aux requĂ©rants.

16.  Le mĂȘme jour, A. fut Ă©loignĂ©e du foyer des requĂ©rants, avec l'aide de la force publique.

17.  Le 21 dĂ©cembre 2005, les requĂ©rants saisirent le tribunal pour enfants de Venise. Ils se plaignaient de n'avoir jamais reçu de rĂ©ponse Ă  leur demande d'adoption de mars 2005, et de n'avoir pas Ă©tĂ© mis au courant de la procĂ©dure d'adoption de A. Ils demandaient Ă  pouvoir renouer les contacts avec A.

18.  Le mĂȘme jour, le tribunal classa la demande d'adoption des requĂ©rants au motif qu'entre-temps, une autre famille avait Ă©tĂ© choisie pour l'enfant.

19.  Par un dĂ©cret du 3 janvier 2006, le tribunal rejeta la deuxiĂšme demande des requĂ©rants au motif que le choix de la nouvelle famille Ă©tait dans l'intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l'enfant.

20.  Le 6 avril 2006, les requĂ©rants interjetĂšrent appel du dĂ©cret devant la cour d'appel de Venise.

21.  Par un arrĂȘt du 19 mai 2006, la cour d'appel annula le dĂ©cret du tribunal, relevant notamment un dĂ©faut de motivation. De surcroĂźt, la cour souligna que la demande d'adoption des requĂ©rants aurait dĂ» ĂȘtre examinĂ©e avant de dĂ©clarer l'enfant adoptable et de choisir une nouvelle famille. Par consĂ©quent, la cour chargea un expert de vĂ©rifier la relation entre la mineure et les requĂ©rants et son intĂ©gration dans la nouvelle famille.

22.  Le 27 octobre 2006, aprĂšs avoir relevĂ© que l'enfant manifestait de l'attachement aux deux couples en cause, la cour d'appel rejeta le recours des requĂ©rants au motif que, selon le rapport de l'expert, la mineure semblait bien intĂ©grĂ©e dans la nouvelle famille, et qu'ainsi, pour sauvegarder ses intĂ©rĂȘts, il n'Ă©tait pas opportun de procĂ©der Ă  une nouvelle sĂ©paration qui aurait pu provoquer un traumatisme chez l'enfant.

23.  L'adoption d'A. devint dĂ©finitive Ă  une date non prĂ©cisĂ©e.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

24.  La loi no 184 du 4 mai 1983 avait dĂ©jĂ  amplement modifiĂ© la matiĂšre de l'adoption. Elle a depuis lors Ă©tĂ© amendĂ©e de nouveau (loi no 149 de 2001).

L'article 1 de cette loi prĂ©voit que « le mineur a le droit Ă  ĂȘtre Ă©duquĂ© dans sa propre famille Â».

Selon l'article 2, « le mineur qui est restĂ© temporairement sans un environnement familial adĂ©quat peut ĂȘtre confiĂ© Ă  une autre famille, si possible comprenant des enfants mineurs, ou Ă  une personne seule, ou Ă  une communautĂ© de type familial, afin de lui assurer la subsistance, l'Ă©ducation et l'instruction. Au cas oĂč un placement familial adĂ©quat ne serait pas possible, il est permis de placer le mineur dans un institut d'assistance public ou privĂ©, de prĂ©fĂ©rence dans la rĂ©gion de rĂ©sidence du mineur Â».

L'article 5 prĂ©voit que la famille ou la personne Ă  laquelle le mineur est confiĂ© doivent lui assurer la subsistance, l'Ă©ducation et l'instruction (...) compte tenu des indications du tuteur et en observant les prescriptions de l'autoritĂ© judiciaire. Dans tous les cas, la famille d'accueil exerce la responsabilitĂ© parentale en ce qui concerne les rapports avec l'Ă©cole et le service sanitaire national. La famille d'accueil doit ĂȘtre entendue dans la procĂ©dure de placement et celle concernant la dĂ©claration d'adoptabilitĂ©.

Par ailleurs, l'article 7 prévoit que l'adoption est possible au bénéfice des mineurs déclarés adoptables.

L'article 8 prĂ©voit que « peuvent ĂȘtre dĂ©clarĂ©s en Ă©tat d'adoptabilitĂ© par le tribunal pour enfants, mĂȘme d'office, (...) les mineurs en situation d'abandon car dĂ©pourvus de toute assistance morale ou matĂ©rielle de la part des parents ou de la famille tenus d'y pourvoir, sauf si le manque d'assistance est dĂ» Ă  une cause de force majeure de caractĂšre transitoire Â». « La situation d'abandon subsiste Â», poursuit l'article 8, « (...) mĂȘme si les mineurs se trouvent dans un institut d'assistance ou s'ils ont Ă©tĂ© placĂ©s auprĂšs d'une famille Â». Enfin, cette disposition prĂ©voit que la cause de force majeure cesse si les parents ou d'autres membres de la famille du mineur tenus de s'en occuper refusent les mesures d'assistance publique et si ce refus est considĂ©rĂ© par le juge comme injustifiĂ©. La situation d'abandon peut ĂȘtre signalĂ©e Ă  l'autoritĂ© publique par tout particulier et peut ĂȘtre relevĂ©e d'office par le juge. D'autre part, tout fonctionnaire public, ainsi que la famille du mineur, qui ont connaissance de l'Ă©tat d'abandon de ce dernier, sont obligĂ©s d'en faire la dĂ©nonciation. Par ailleurs, les instituts d'assistance doivent informer rĂ©guliĂšrement l'autoritĂ© judiciaire de la situation des mineurs qu'ils accueillent (article 9).

L'article 10 prĂ©voit ensuite que le tribunal peut ordonner, jusqu'au placement prĂ©-adoptif du mineur dans la famille d'accueil, toute mesure temporaire dans l'intĂ©rĂȘt du mineur, y compris, le cas Ă©chĂ©ant, la suspension de l'autoritĂ© parentale.

Les articles 11 Ă  14 prĂ©voient une instruction visant Ă  Ă©claircir la situation du mineur et Ă  Ă©tablir si ce dernier se trouve dans un Ă©tat d'abandon. En particulier, l'article 11 dispose que lorsque, au cours de l'enquĂȘte, il ressort que l'enfant n'a de rapports avec aucun membre de sa jusqu'au quatriĂšme degrĂ©, il peut dĂ©clarer l'Ă©tat d'adoptabilitĂ© sauf s'il existe une demande d'adoption au sens de l'article 44.

A l'issue de la procĂ©dure prĂ©vue par ces derniers articles, si l'Ă©tat d'abandon au sens de l'article 8 persiste, le tribunal des mineurs dĂ©clare le mineur adoptable si : a) les parents ou les autres membres de la famille ne se sont pas prĂ©sentĂ©s au cours de la procĂ©dure ; b) leur audition a dĂ©montrĂ© la persistance du manque d'assistance morale et matĂ©rielle ainsi que l'incapacitĂ© des intĂ©ressĂ©s Ă  y remĂ©dier ; c) les prescriptions imposĂ©es en application de l'article 12 n'ont pas Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©es par la faute des parents (article 15). L'article 15 prĂ©voit Ă©galement que la dĂ©claration d'Ă©tat d'adoptabilitĂ© est prononcĂ©e par le tribunal des mineurs siĂ©geant en chambre du conseil par dĂ©cision motivĂ©e, aprĂšs avoir entendu le ministĂšre public, le reprĂ©sentant de l'institut auprĂšs duquel le mineur a Ă©tĂ© placĂ© ou de son Ă©ventuelle famille d'accueil, le tuteur et le mineur lui-mĂȘme s'il est ĂągĂ© de plus de douze ans ou, s'il est plus jeune, si son audition est nĂ©cessaire.

L'article 17 prĂ©voit que l'opposition Ă  la dĂ©cision dĂ©clarant un mineur adoptable doit ĂȘtre dĂ©posĂ©e dans un dĂ©lai de trente jours Ă  partir de la date de la communication Ă  la partie requĂ©rante.

L'article 19 prévoit que pendant l'état d'adoptabilité, l'exercice de l'autorité parentale est suspendu.

L'article 20 prĂ©voit enfin que l'Ă©tat d'adoptabilitĂ© cesse au moment oĂč le mineur est adoptĂ© ou si ce dernier devient majeur. Par ailleurs, l'Ă©tat d'adoptabilitĂ© peut ĂȘtre rĂ©voquĂ©, d'office ou sur demande des parents ou du ministĂšre public, si les conditions prĂ©vues par l'article 8 ont entre-temps disparu. Cependant, si le mineur a Ă©tĂ© placĂ© dans une famille en vue de l'adoption ("affidamento preadottivo") au sens des articles 22 Ă  24, l'Ă©tat d'adoptabilitĂ© ne peut pas ĂȘtre rĂ©voquĂ©.

L'article 44 prĂ©voit certains cas d'adoption spĂ©ciale : l'adoption est possible au bĂ©nĂ©fice des mineurs qui n'ont pas encore Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s adoptables. En particulier l'article 44 d) prĂ©voit l'adoption quand il est impossible de procĂ©der Ă  un placement en vue de l'adoption.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

25.  Sous l'angle de l'article 8, les requĂ©rants estiment que l'application erronĂ©e de la loi et des rĂšgles de procĂ©dure a entraĂźnĂ© une ingĂ©rence illĂ©gitime dans leur vie privĂ©e et familiale.

26.  Les requĂ©rants se plaignent, en outre, de la violation des articles 6 et 13, au motif que la procĂ©dure n'aurait pas Ă©tĂ© Ă©quitable et qu'ils n'auraient pas bĂ©nĂ©ficiĂ© d'un recours effectif devant une instance nationale.

27.  MaĂźtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime appropriĂ© d'examiner les griefs soulevĂ©s par les requĂ©rants uniquement sous l'angle de l'article 8, lequel exige que le processus dĂ©cisionnel dĂ©bouchant sur des mesures d'ingĂ©rence soit Ă©quitable et respecte, comme il se doit, les intĂ©rĂȘts protĂ©gĂ©s par cette disposition (Havelka et autres c. RĂ©publique tchĂšque, no 23499/06, §§ 34-35, 21 juin 2007 ; Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 56, CEDH 2002-I ; WallovĂĄ et Walla c. RĂ©publique tchĂšque, no 23848/04, § 47, 26 octobre 2006).

L'article 8 de la Convention dispose ainsi dans ses parties pertinentes :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...).

2.  Il ne peut y avoir ingĂ©rence d'une autoritĂ© publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingĂ©rence est prĂ©vue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, est nĂ©cessaire (...) Ă  la protection de la santĂ© ou de la morale, ou Ă  la protection des droits et libertĂ©s d'autrui. Â»

A.  Sur la recevabilitĂ©

1.  Sur la question de savoir si les deux premiers requĂ©rants peuvent reprĂ©senter les intĂ©rĂȘts de A. devant la Cour

a)  Arguments des parties

28.  Selon le Gouvernement, les requĂ©rants ne peuvent pas reprĂ©senter l'enfant devant la Cour. Il rappelle que A. est dĂ©jĂ  reprĂ©sentĂ©e au niveau national par un tuteur qui est intervenu dans la procĂ©dure devant la cour d'appel. Selon l'article 357 du code civil, le tuteur reprĂ©sente l'enfant et gĂšre ses biens.

29.  En conclusion, la requĂȘte prĂ©sentĂ©e au nom de A. par les deux premiers requĂ©rants, qui dĂ©fendent leur propre intĂ©rĂȘt et non celui de l'enfant, serait, pour cette partie, incompatible ratione materiae.

30.  Les deux premiers requĂ©rants contestent la thĂšse du Gouvernement.

31.  Ils affirment que s'il est vrai que les deux premiers requĂ©rants ne sont pas les parents biologiques de A. et n'ont aucune autoritĂ© parentale sur elle, leur locus standi en vertu de la Convention dĂ©rive d'un lien de facto avec la mineure ayant un caractĂšre intense et consolidĂ©.

Par ailleurs, les organes de la Convention auraient reconnu la possibilitĂ©, pour un mineur, d'agir directement devant eux, par l'intermĂ©diaire d'un avocat dĂ©signĂ© par le mineur lui-mĂȘme ou par une personne agissant dans son intĂ©rĂȘt.

b)  ApprĂ©ciation de la Cour

32.  La Cour rappelle qu'il convient d'Ă©viter une approche restrictive ou purement technique en ce qui concerne la reprĂ©sentation des enfants devant les organes de la Convention ; en particulier, il faut tenir compte des liens entre l'enfant concernĂ© et ses « reprĂ©sentants Â», de l'objet et du but de la requĂȘte ainsi que de l'existence Ă©ventuelle d'un conflit d'intĂ©rĂȘts (S.D., D.P., et T. c. Royaume-Uni, no 23715/94, dĂ©cision de la Commission du 20 mai 1996, non publiĂ©e).

33.  En la prĂ©sente espĂšce, la Cour observe tout d'abord que les deux premiers requĂ©rants n'exercent aucune autoritĂ© parentale sur A., ne sont pas ses tuteurs et n'ont aucun lien biologique avec elle. La procĂ©dure visant Ă  obtenir l'adoption de A. n'a pas abouti. A. a Ă©tĂ© adoptĂ©e par une autre famille. Aucune procuration n'a Ă©tĂ© signĂ©e en faveur des deux premiers requĂ©rants pour que les intĂ©rĂȘts de A. soient reprĂ©sentĂ©s par eux devant la Cour. Ceci implique que les deux premiers requĂ©rants ne possĂšdent pas, d'un point de vue juridique, les qualifications nĂ©cessaires pour reprĂ©senter les intĂ©rĂȘts de la mineure dans le cadre d'une procĂ©dure judiciaire.

34.   De plus, la Cour note que dans la procĂ©dure interne la mineure Ă©tait reprĂ©sentĂ©e par un tuteur.

35.  Dans ces circonstances, la Cour estime que les deux premiers requĂ©rants n'ont pas qualitĂ© pour agir devant la Cour pour le compte de A. Cette partie de la requĂȘte doit donc ĂȘtre rejetĂ©e comme Ă©tant incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de celle-ci.

2.  Sur l'exception prĂ©liminaire tirĂ©e du non-Ă©puisement des voies de recours internes

a)  Arguments des parties

36.  Le Gouvernement excipe du non-Ă©puisement des voies de recours internes au motif que les requĂ©rants ne se sont pas pourvus en cassation contre l'arrĂȘt de la cour d'appel de Venise en vertu de l'article 56 de la loi no 184 de 1983.

37.  Selon les requĂ©rants un recours en cassation n'aurait eu aucun effet. Le recours devant la cour d'appel Ă©tait la seule voie de recours pour remĂ©dier Ă  la violation, compte tenu de ce que la Cour de cassation n'aurait pas pu se prononcer sur une procĂ©dure d'adoption qui Ă©tait dĂ©sormais terminĂ©e.

Au demeurant, les requérants rappellent que la jurisprudence de la Cour de cassation était trÚs partagée sur le point de savoir s'il était possible de se pourvoir en cassation contre un décret de rejet d'une demande d'adoption.

b)  ApprĂ©ciation de la Cour

38.  La Cour n'est pas convaincue par les arguments du Gouvernement. Elle rappelle qu'il incombe au Gouvernement excipant du non-Ă©puisement des recours internes de dĂ©montrer qu'un recours effectif Ă©tait disponible tant en thĂ©orie qu'en pratique Ă  l'Ă©poque des faits, c'est-Ă -dire qu'il Ă©tait accessible, Ă©tait susceptible d'offrir aux requĂ©rants la rĂ©paration de leurs griefs et prĂ©sentait des perspectives raisonnables de succĂšs (V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 57, CEDH 1999-IX). Elle note d'abord que la cour d'appel avait annulĂ© le dĂ©cret du tribunal en relevant notamment un dĂ©faut de motivation. Par consĂ©quent, elle avait chargĂ© un expert de vĂ©rifier la relation entre la mineure et les requĂ©rants et son intĂ©gration dans la nouvelle famille. AprĂšs avoir Ă©tudiĂ© les conclusions de l'expert, afin de sauvegarder les intĂ©rĂȘts de l'enfant, la cour d'appel avait estimĂ© qu'il n'Ă©tait pas opportun de procĂ©der Ă  une nouvelle sĂ©paration qui aurait pu provoquer un traumatisme chez l'enfant.

38.  A la lumiĂšre de ce qui prĂ©cĂšde et sans prendre en considĂ©ration le fait que la jurisprudence de la Cour de cassation Ă©tait trĂšs partagĂ©e sur le point de savoir s'il Ă©tait possible se pourvoir en cassation contre le dĂ©cret de rejet d'une demande d'adoption, la Cour considĂšre que dans le cas d'espĂšce, un Ă©ventuel recours en cassation n'aurait pas eu pour effet de redresser les griefs des requĂ©rants. En effet, compte tenu de ce que les moyens de recours prĂ©sentĂ©s par les requĂ©rants auraient portĂ© essentiellement sur le fond de l'affaire, la Cour de Cassation aurait dĂ©clarĂ© le recours irrecevable.

39.  Par consĂ©quent l'exception de non-Ă©puisement des voies de recours internes du Gouvernement ne saurait ĂȘtre retenue.

3.  Sur l'existence d'un lien entre les requĂ©rants et A. constitutif d'une « vie familiale Â», au sens de l'article 8 § 1 de la Convention

a)  Arguments des parties

40.  Le Gouvernement considĂšre Ă  titre principal que l'article 8 de la Convention ne s'applique pas Ă  la situation des requĂ©rants qui ne sauraient se prĂ©valoir de l'existence d'une « vie familiale Â», susceptible d'ĂȘtre protĂ©gĂ©e par la disposition prĂ©citĂ©e. A l'appui de sa thĂšse, il souligne que le droit d'adopter ne figure pas, en tant que tel, au nombre des droits garantis par la Convention et que l'article 8 n'oblige pas les Etats Ă  accorder Ă  une personne dĂ©terminĂ©e le statut d'adoptant ou d'adoptĂ©. Par ailleurs, il rappelle que le droit au respect de la vie familiale prĂ©suppose l'existence d'une famille et ne protĂšge pas le simple dĂ©sir d'en fonder une.

41.  Le Gouvernement rappelle que, dans le cas d'espĂšce, les requĂ©rants avaient accueilli l'enfant Ă  titre provisoire et Ă©taient parfaitement conscients de la tĂąche qui leur avait Ă©tĂ© confiĂ©e par les autoritĂ©s. Le fait d'accueillir l'enfant Ă  titre provisoire ne leur donnait pas un droit Ă  l'adoption.

42.  Selon le Gouvernement, l'existence d'un lien purement de facto n'entraĂźnerait pas la protection de l'article 8.

43.  Les requĂ©rants s'opposent Ă  la thĂšse du Gouvernement. Ils font valoir qu'il ressort des expertises que le lien Ă©tabli entre eux et A. Ă©tait trĂšs Ă©troit et que la mineure Ă©tait bien intĂ©grĂ©e dans leur famille. Cette adoption avait donc pour unique finalitĂ© de lĂ©galiser cette famille « de fait Â».

b)  ApprĂ©ciation par la Cour

44.  ConformĂ©ment Ă  sa jurisprudence, la Cour relĂšve que la question de l'existence ou de l'absence d'une « vie familiale Â» est d'abord une question de fait, qui dĂ©pend de l'existence de liens personnels Ă©troits (Marckx c. Belgique, arrĂȘt du 13 juin 1979, sĂ©rie A no 31, pp. 14 et suiv., § 31, et K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 150, CEDH 2001-VII).

45.  La Cour rappelle que la notion de « famille Â» visĂ©e par l'article 8 ne se borne pas aux seules relations fondĂ©es sur le mariage, mais peut englober d'autres liens « familiaux Â» de facto, lorsque les parties cohabitent en dehors de tout lien marital (voir, entre autres, Johnston et autres c. Irlande, arrĂȘt du 18 dĂ©cembre 1986, sĂ©rie A no 112, p. 25, § 55 ; Keegan c. Irlande, arrĂȘt du 26 mai 1994, sĂ©rie A no 290, p. 17, § 44 ; Kroon et autres c. Pays-Bas, arrĂȘt du 27 octobre 1994, sĂ©rie A no 297-C, pp. 55 et suiv., § 30, et X, Y et Z c. Royaume-Uni, arrĂȘt du 22 avril 1997, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997-II, p. 629, § 36).

46.  La Cour rĂ©itĂšre Ă©galement le principe selon lequel les rapports entre parents et enfants adultes ne bĂ©nĂ©ficient pas de la protection de l'article 8 sans que soit dĂ©montrĂ©e « l'existence d'Ă©lĂ©ments supplĂ©mentaires de dĂ©pendance, autres que les liens affectifs normaux Â» (voir, mutatis mutandis, Kwakye-Nti et Dufie c. Pays-Bas (dĂ©c.), no 31519/96, 7 novembre 2000).

47.  Par ailleurs, la Cour rappelle que les dispositions de l'article 8 ne garantissent ni le droit de fonder une famille ni le droit d'adopter (E.B. c. France [GC], no 43546/02). Le droit au respect d'une « vie familiale Â» ne protĂšge pas le simple dĂ©sir de fonder une famille ; il prĂ©suppose l'existence d'une famille (Marckx c. Belgique, prĂ©citĂ©, § 31), voire au minimum d'une relation potentielle qui aurait pu se dĂ©velopper, par exemple, entre un pĂšre naturel et un enfant nĂ© hors mariage (Nylund c. Finlande (dĂ©c.), no 27110/95, CEDH 1999-VI ), d'une relation nĂ©e d'un mariage non fictif, mĂȘme si une vie familiale ne se trouvait pas encore pleinement Ă©tablie (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, arrĂȘt du 28 mai 1985, sĂ©rie A no 94, p. 32, § 62), ou encore d'une relation nĂ©e d'une adoption lĂ©gale et non fictive (Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 148, CEDH 2004-V).

48.  La Cour examinera donc les liens familiaux de facto, tels que la vie commune des deux requĂ©rants et A. en l'absence de tout rapport juridique de parentĂ© entre eux (X c. Suisse, no 8257/78, dĂ©cision de la Commission du 10 juillet 1978 ; Johnston et autres c. Irlande, prĂ©citĂ© § 56 ; Giusto et autres c. Italie (dĂ©c.), no 38972/06, CEDH 2007-V (extraits)). Elle se penchera sur l'effectivitĂ© de la relation entre les requĂ©rants et A. En effet, la Cour estime que, dans les relations de facto, la dĂ©termination du caractĂšre familial des relations doit tenir compte d'un certain nombre d'Ă©lĂ©ments, comme le temps vĂ©cu ensemble, la qualitĂ© des relations ainsi que le rĂŽle assumĂ© par l'adulte envers l'enfant.

49.  La Cour note que dans le cas d'espĂšce les requĂ©rants ont accueilli A., ĂągĂ©e d'un mois, dans leur famille. Pendant dix - neuf mois, les requĂ©rants ont vĂ©cu avec l'enfant les premiĂšres Ă©tapes importantes de sa jeune vie.

50.  La Cour constate Ă©galement que, pendant ce temps, A. a vĂ©cu avec une sƓur et un frĂšre, ce dernier adoptĂ© auparavant par la premiĂšre requĂ©rante. Elle constate, en outre, que les expertises conduites sur la famille montrent que la mineure y Ă©tait bien insĂ©rĂ©e et qu'elle Ă©tait profondĂ©ment attachĂ©e aux requĂ©rants et aux enfants de ces derniers. Les requĂ©rants ont Ă©galement assurĂ© le dĂ©veloppement social de l'enfant. A cet Ă©gard, la Cour note qu'Ă  l'Ăąge de sept mois, elle s'est habituĂ©e Ă  la crĂšche et qu'en janvier 2005, elle avait suivi les requĂ©rants et leurs enfants dans un voyage au BrĂ©sil. Ces Ă©lĂ©ments suffisent Ă  la Cour pour dire qu'il existait entre les requĂ©rant et l'enfant un lien interpersonnel Ă©troit et que les requĂ©rants se comportaient Ă  tous Ă©gards comme ses parents de sorte que des « liens familiaux Â» existaient « de facto Â» entre eux (voir, mutatis mutandis, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, n  76240/01, § 117, CEDH 2007-VII (extraits), X, Y et Z c. Royaume-Uni, arrĂȘt du 22 avril 1997, Recueil 1997-II, fasc. 35, § 37).

51.  Au demeurant, la Cour constate que les requĂ©rants avaient dĂ©jĂ  accueilli Ă  titre temporaire des enfants qui, par la suite, ont Ă©tĂ© adoptĂ©s par d'autres familles. Toutefois, dans le cas d'espĂšce, les requĂ©rants, en considĂ©ration du lien Ă©troit avec A., avaient dĂ©cidĂ© de dĂ©poser une demande d'adoption. Cette demande constitue pour la Cour un indice supplĂ©mentaire – mĂȘme s'il n'est pas dĂ©terminant – de la force du lien instaurĂ© entre les requĂ©rants et l'enfant. La Cour ne saurait donc exclure que malgrĂ© l'absence de tout rapport juridique de parentĂ©, le lien entre les requĂ©rants et A. relĂšve de la vie familiale.

52.  A la lumiĂšre de ce qui prĂ©cĂšde, la Cour considĂšre que la relation entre les requĂ©rants et A. relĂšve de la vie familiale, au sens de l'article 8 de la Convention. Par consĂ©quent, l'exception du Gouvernement doit ĂȘtre rejetĂ©e.

4.  Conclusion

53.  La Cour constate que le grief tirĂ© de l'article 8 n'est pas manifestement mal fondĂ© au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relĂšve par ailleurs qu'il ne se heurte Ă  aucun autre motif d'irrecevabilitĂ©. Il convient donc de le dĂ©clarer recevable.

B.  Sur le fond

a)  Arguments des parties

54.  Les requĂ©rants estiment que l'application erronĂ©e de la loi et des rĂšgles de procĂ©dure a entraĂźnĂ© une ingĂ©rence illĂ©gitime dans leur vie privĂ©e et familiale. Ils affirment qu'ils avaient introduit la demande d'adoption, en conformitĂ© avec les dispositions de la loi, en raison du lien Ă©troit qui s'Ă©tait Ă©tabli avec A. Toutefois, la procĂ©dure irrĂ©guliĂšre suivie par le tribunal a empĂȘchĂ© que leur demande d'adoption soit examinĂ©e par les juridictions. Bien que la cour d'appel ait annulĂ© le dĂ©cret du tribunal, elle n'a pas pu mettre fin Ă  la violation dans la mesure oĂč elle a dĂ©cidĂ©, afin de sauvegarder les intĂ©rĂȘts de l'enfant, qu'il n'Ă©tait pas opportun de procĂ©der Ă  une nouvelle sĂ©paration qui aurait pu provoquer un traumatisme chez l'enfant.

55.  De surcroĂźt, les requĂ©rants font valoir que l'expert nommĂ© par la cour d'appel n'a pas estimĂ© nĂ©cessaire organiser des rencontres avec A.

56.  Le Gouvernement conteste la thĂšse des requĂ©rants. Il fait valoir que le tribunal a examinĂ© les demandes d'adoption de A. avec une diligence particuliĂšre. A cet Ă©gard, il rappelle que, le 30 novembre 2005, deux juges se sont rendus chez les requĂ©rants afin de les entendre.

Il soutient que l'ingérence dans le droit des requérants était prévue par la loi no 184 de 1983 et poursuivait un but légitime, à savoir la protection de l'enfant. L'intervention du tribunal se fondait sur des motifs pertinents et suffisants, notamment sur l'examen des différentes demandes d'adoption.

57.  Selon le Gouvernement, la procĂ©dure suivie par le tribunal pour enfants Ă©tait justifiĂ©e dans l'intĂ©rĂȘt de l'enfant.

58.  Le Gouvernement rappelle que la Cour reconnaĂźt aux autoritĂ©s une grande latitude pour apprĂ©cier la nĂ©cessitĂ© de prendre en charge un enfant (GnahorĂ© c. France, no 40031/98, CEDH 2000-IX) et qu'en matiĂšre d'adoption d'enfants, elle a affirmĂ© que les juridictions nationales sont mieux placĂ©es pour Ă©tablir un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts contradictoires (SöderbĂ€ck c. SuĂšde du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VII, pp. 3095-3096, § 33).

59.  Le Gouvernement estime en outre, que « la dĂ©faillance Â» du tribunal dans le rejet de la demande d'adoption des requĂ©rants a Ă©tĂ© rĂ©parĂ©e par la cour d'appel, qui s'est ensuite prononcĂ©e par un arrĂȘt motivĂ©.

b)  ApprĂ©ciation par la Cour

60.  La Cour rappelle que l'article 8 de la Convention tend pour l'essentiel Ă  prĂ©munir l'individu contre d'Ă©ventuelles ingĂ©rences arbitraires des pouvoirs publics ; il engendre de surcroĂźt des obligations positives inhĂ©rentes Ă  un « respect Â» effectif de la vie familiale. Dans un cas comme dans l'autre, il faut avoir Ă©gard au juste Ă©quilibre Ă  mĂ©nager entre les intĂ©rĂȘts concurrents de l'individu et de la sociĂ©tĂ© dans son ensemble. De mĂȘme, dans les deux hypothĂšses, l'Etat jouit d'une certaine marge d'apprĂ©ciation (Keegan, prĂ©citĂ©, p. 19, § 49, et Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 149, CEDH 2004-V).

61.  La Cour rappelle aussi que la Convention et ses Protocoles doivent s'interprĂ©ter Ă  la lumiĂšre des conditions d'aujourd'hui (Marckx, prĂ©citĂ©, § 41 ; Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, § 31 sĂ©rie A no 26 ; Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 26, sĂ©rie A no 32; Vo c. France [GC], no 53924/00, § 82, CEDH 2004-VIII et Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 121, CEDH 2005-I). Dans ce contexte, la Cour a dĂ©jĂ  rappelĂ© que le droit Ă  l'adoption ne figure pas en tant que tel au nombre des droits garantis par la Convention (voir paragraphe 46). Cela n'exclut toutefois pas que les Etats parties Ă  la Convention puissent nĂ©anmoins se trouver, dans certaines circonstances, dans l'obligation positive de permettre la formation et le dĂ©veloppement de liens familiaux (voir, dans ce sens, Keegan, prĂ©citĂ©, § 50, Pini et autres, prĂ©citĂ©, §§ 150 et suiv.).

62.  La Cour note que la question principale est de savoir si l'application faite en l'espĂšce des dispositions lĂ©gislatives a mĂ©nagĂ© un juste Ă©quilibre entre l'intĂ©rĂȘt public et plusieurs intĂ©rĂȘts privĂ©s concurrents en jeu, tous fondĂ©s sur le droit au respect de la vie privĂ©e et familiale. Elle juge dĂšs lors plus appropriĂ© d'examiner les griefs soulevĂ©s sous l'angle des obligations positives (Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 76).

63.  La marge d'apprĂ©ciation dont disposent les Etats contractants est de façon gĂ©nĂ©rale ample lorsque les autoritĂ©s publiques doivent mĂ©nager un Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts privĂ©s et publics concurrents ou diffĂ©rents droits protĂ©gĂ©s par la Convention. Cela est d'autant plus vrai lorsqu'il n'existe pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe sur l'importance relative de l'intĂ©rĂȘt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protĂ©ger (Evans prĂ©citĂ©, §§ 77-81).

64.  La Cour rappelle par ailleurs qu'elle n'a pas pour tĂąche de se substituer aux autoritĂ©s internes, mais d'examiner sous l'angle de la Convention les dĂ©cisions que ces autoritĂ©s ont rendues dans l'exercice de leur pouvoir discrĂ©tionnaire. La Cour apprĂ©ciera donc si les autoritĂ©s italiennes ont agi en mĂ©connaissance de leurs obligations positives dĂ©coulant de l'article 8 de la Convention (Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, sĂ©rie A no 299-A, MikuliĂż c. Croatie, no 53176/99, § 59, CEDH 2002-I ; P., C. et S. c. Royaume-Uni, no 56547/00, § 122, CEDH 2002-VI).

65.  La Cour constate qu'en l'espĂšce, se pose le problĂšme de la procĂ©dure d'accĂšs Ă  l'adoption. En effet, A. fut placĂ©e chez les requĂ©rants Ă  titre provisoire le 20 mai 2004. La cohabitation a durĂ© jusqu'en dĂ©cembre 2005, lorsque l'enfant fut placĂ© chez une autre famille choisie pour l'adoption.

66.  La Cour note Ă©galement qu'entre-temps les requĂ©rants avaient dĂ©posĂ© une demande d'adoption spĂ©ciale, laquelle fut examinĂ©e et rejetĂ©e sans motivation en janvier 2006. Par la suite, la cour d'appel annula le dĂ©cret du tribunal, relevant notamment un dĂ©faut de motivation. Elle souligna Ă©galement que la demande d'adoption des requĂ©rants aurait dĂ» ĂȘtre examinĂ©e avant de dĂ©clarer l'enfant adoptable et de choisir une nouvelle famille. Toutefois, aprĂšs avoir ordonnĂ© une expertise sur la situation de l'enfant, la cour estima que la mineure semblait bien intĂ©grĂ©e dans la nouvelle famille et qu'en consĂ©quence, pour sauvegarder ses intĂ©rĂȘts, il n'Ă©tait pas opportun de procĂ©der Ă  une nouvelle sĂ©paration qui aurait pu provoquer un traumatisme chez l'enfant.

67.  La Cour observe que l'on se trouve, dans ce type d'affaire, en prĂ©sence d'intĂ©rĂȘts difficilement conciliables Ă  savoir ceux de l'enfant et des deux familles en cause. Dans la recherche de l'Ă©quilibre entre ces diffĂ©rents intĂ©rĂȘts, l'intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l'enfant doit ĂȘtre une considĂ©ration primordiale.

68.   La Cour rappelle que l'article 8, exige que le processus dĂ©cisionnel dĂ©bouchant sur des mesures d'ingĂ©rence soit Ă©quitable et respecte, comme il se doit, les intĂ©rĂȘts protĂ©gĂ©s par cette disposition. La question qui se pose en l'espĂšce est de savoir si la procĂ©dure dĂ©bouchant sur cette mesure a garanti aux requĂ©rants la protection de leurs intĂ©rĂȘts. En l'espĂšce, il Ă©tait capital que la demande d'adoption spĂ©ciale introduite par les requĂ©rants soit examinĂ©e attentivement dans un bref dĂ©lai.

69.  A cet Ă©gard, la Cour relĂšve que, dans sa dĂ©cision de rejet de la demande d'adoption introduite par les requĂ©rants, le tribunal n'a nullement expliquĂ© ses raisons et n'a avancĂ© aucun motif pour justifier sa dĂ©cision. De plus, le tribunal n'a pas examinĂ© la demande d'adoption des requĂ©rants avant de dĂ©clarer l'enfant adoptable et de choisir la nouvelle famille.

70.  La Cour ne partage pas les arguments du Gouvernement selon lesquels la cour d'appel aurait rĂ©parĂ© la « dĂ©faillance du tribunal Â». Elle rappelle que dans les affaires touchant la vie familiale le passage du temps peut avoir des consĂ©quences irrĂ©mĂ©diables sur les relations entre l'enfant et le parent qui ne vit pas avec lui. En effet, la rupture de contact avec un enfant trĂšs jeune peut conduire Ă  une altĂ©ration croissante de sa relation avec son parent (Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 102, CEDH 2000-I ; voir aussi, mutatis mutandis, Maire c. Portugal, no 48206/99, § 74, CEDH 2003-VI, Pini et autres c. Roumanie, prĂ©citĂ©). Il en va de mĂȘme dans la prĂ©sente affaire. La Cour note que l'expertise demandĂ©e par la cour d'appel a dĂ©montrĂ© que l'enfant Ă©tait dĂ©sormais intĂ©grĂ©e dans la nouvelle famille. Une nouvelle sĂ©paration aurait causĂ© un nouveau traumatisme chez l'enfant. Il s'ensuit que le passage du temps a eu pour effet de rendre dĂ©finitif le dĂ©cret du tribunal. La Cour estime regrettable que le tribunal n'ait pas examinĂ© la demande d'adoption introduite par les requĂ©rants avant de dĂ©clarer l'enfant adoptable, et de ne pas l'avoir fait par un jugement motivĂ©.

71.  Ainsi, tout en rĂ©itĂ©rant qu'il ne lui revient pas de substituer son apprĂ©ciation Ă  celle des autoritĂ©s nationales compĂ©tentes quant aux mesures qui auraient dĂ» ĂȘtre prises car ces autoritĂ©s sont en principe mieux placĂ©es pour procĂ©der Ă  une telle Ă©valuation, et tout en reconnaissant qu'en l'espĂšce, les juridictions se sont appliquĂ©es de bonne foi Ă  prĂ©server le bien-ĂȘtre de A., la Cour considĂšre que le non respect par le tribunal de la loi et des rĂšgles de procĂ©dure a eu un impact direct sur le droit Ă  la vie familiale des intĂ©ressĂ©s. Du fait des carences constatĂ©es dans le dĂ©roulement de cette procĂ©dure, la Cour estime qu'il y a eu une mĂ©connaissance de l'obligation positive d'assurer le respect effectif du droit des requĂ©rants Ă  leur vie familiale, droit garanti par l'article 8 de la Convention. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

72.  Les requĂ©rants affirment avoir subi des traitements inhumains et dĂ©gradants Ă  cause, d'une part, des modalitĂ©s d'Ă©loignement de la mineure, qui auraient eu des consĂ©quences traumatisantes tant pour celle-ci que pour eux-mĂȘmes, et, d'autre part, de la dĂ©cision du tribunal, qui aurait prĂ©fĂ©rĂ© la nouvelle famille Ă  la place de la leur. Ils invoquent l'article 3 de la Convention, qui est ainsi libellĂ© :

« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă  la torture ni Ă  des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. Â»

73.  La Cour rappelle que les allĂ©gations de mauvais traitements contraires Ă  l'article 3 doivent ĂȘtre Ă©tayĂ©es par des Ă©lĂ©ments de preuve appropriĂ©s (GĂŒzel c. Turquie, no 71908/01, § 68, 5 dĂ©cembre 2006 HĂŒsniye Tekin c. Turquie, no 50971/99, § 43, 25 octobre 2005, et Martinez Sala et autres c. Espagne, no 58438/00, § 121, 2 novembre 2004).

74.  A cet Ă©gard, la Cour note que les requĂ©rants n'ont pas dĂ©montrĂ© que les modalitĂ©s d'exĂ©cution de l'Ă©loignement de l'enfant ont Ă©tĂ© « inhumaines ou dĂ©gradantes Â».

75.  Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondĂ© et doit ĂȘtre rejetĂ© en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

76.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s'il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

A.  Dommage

77.  La premiĂšre requĂ©rante demande 100 000 euros (EUR) pour le prĂ©judice moral qu'elle aurait subi. Elle joint une expertise psychologique montrant la nĂ©cessitĂ© de se soumettre Ă  des soins psychologiques Ă  cause du traumatisme subi. Le deuxiĂšme requĂ©rant demande 30 000 EUR pour lui-mĂȘme et 30 000 EUR au nom de l'enfant.

78.  Quant au prĂ©judice matĂ©riel, les requĂ©rants rĂ©clament 12 732 EUR pour les frais qu'ils ont dĂ» engager Ă  l'occasion des procĂ©dures internes. Ce montant inclut les sommes dĂ©pensĂ©es pour se rendre auprĂšs des juridictions, les frais de tĂ©lĂ©phone et des visites mĂ©dicales.

79.  Le Gouvernement estime que les montants rĂ©clamĂ©s par les requĂ©rants au titre de leurs propres dĂ©penses ne justifient pas en eux-mĂȘmes un remboursement, car aucun lien de causalitĂ© n'a Ă©tĂ© Ă©tabli entre les pertes supposĂ©es et les violations allĂ©guĂ©es. S'agissant du dommage moral, le Gouvernement conteste l'expertise produite par les requĂ©rants et considĂšre exorbitante la somme indiquĂ©e. En tout Ă©tat de cause, le Gouvernement estime que l'Ă©tat de santĂ© de la requĂ©rante et son lien de causalitĂ© avec la sĂ©paration d'avec A. devraient ĂȘtre Ă©tablis par un expert nommĂ© par la Cour.

80.  En ce qui concerne les prĂ©tentions des requĂ©rants pour prĂ©judice matĂ©riel, il est Ă©tabli dans la jurisprudence de la Cour qu'il doit y avoir un lien de causalitĂ© manifeste entre le dommage allĂ©guĂ© par le requĂ©rant et la violation de la Convention (voir, entre autres, les arrĂȘts BarberĂ , MesseguĂ© et Jabardo c. Espagne (article 50), 13 juin 1994, sĂ©rie A no 285-C, pp. 57-58, §§ 16-20 ; Çakıcı c. Turquie [GC], no 23657/94, § 127, CEDH 1999-IV). En l'espĂšce, la Cour estime qu'il n'y a pas de lien de causalitĂ© entre le constat de violation et les frais de dĂ©placement engagĂ©s par les requĂ©rants pour participer Ă  la procĂ©dure interne, Ă  laquelle ils auraient participĂ© de toute façon, ainsi que pour les appels tĂ©lĂ©phoniques. Quant aux autres frais, la Cour ne dĂ©cĂšle aucun lien entre la violation constatĂ©e de la Convention et les visites mĂ©dicales de la requĂ©rante. Elle estime que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'allouer la somme demandĂ©e par les requĂ©rants pour prĂ©judice matĂ©riel.

81.  S'agissant des prĂ©tentions au titre du dommage moral, la Cour estime que l'on ne saurait spĂ©culer sur la question de savoir si, en l'absence des dĂ©ficiences procĂ©durales constatĂ©es, A. aurait ou non Ă©tĂ© adoptĂ©e par une autre famille. Les requĂ©rants ont nĂ©anmoins de ce fait subi une perte de chances. Par ailleurs, la douleur Ă©prouvĂ©e par les requĂ©rants leur a occasionnĂ© un prĂ©judice moral certain que le constat de violation de la Convention ne suffit pas Ă  compenser (voir, par exemple, Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, §§ 70-71, CEDH 2000-VIII, et P. C. et S. c. Royaume-Uni, prĂ©citĂ©, § 150).

82.  Statuant en Ă©quitĂ©, la Cour alloue aux requĂ©rants conjointement 10 000 EUR.

B.  Frais et dĂ©pens

83.  Les requĂ©rants demandent le remboursement des frais et dĂ©pens exposĂ©s dans le cadre des procĂ©dures devant les juridictions italiennes, soit 9 862 EUR. Ils demandent en outre 10 000 EUR au titre des frais affĂ©rents Ă  la procĂ©dure devant la Cour. Ils fournissent des justificatifs Ă  l'appui de leurs prĂ©tentions.

84.  Quant aux frais engagĂ©s devant les juridictions internes, la Cour relĂšve que, bien qu'au moins une partie de ces frais ait Ă©tĂ© exposĂ©e pour faire corriger la violation de l'article 8 de la Convention, les notes d'honoraires produites n'indiquent pas en dĂ©tail la nature des prestations de l'avocate des requĂ©rants.

85.  En ce qui concerne les frais encourus devant elle, la Cour juge excessive la somme demandĂ©e par les requĂ©rants.

86.  Dans ces conditions la Cour, statuant en Ă©quitĂ© et eu Ă©gard Ă  la pratique des organes de la Convention en la matiĂšre, estime raisonnable d'allouer aux requĂ©rants la somme de 5 000 EUR.

C.  IntĂ©rĂȘts moratoires

87.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d'intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Dit, Ă  l'unanimitĂ©, que les deux premiers requĂ©rants n'ont pas qualitĂ© pour agir devant la Cour pour le compte de A. ;

2.  DĂ©clare, Ă  la majoritĂ©, la requĂȘte recevable quant au grief tirĂ© de l'article 8 ;

3.   DĂ©clare, Ă  l'unanimitĂ©, la requĂȘte irrecevable pour le surplus ;

4.  Dit, par six voix contre une, qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;

5  Dit, Ă  l'unanimitĂ©,

a)  que l'Etat dĂ©fendeur doit verser aux deux premiers requĂ©rants conjointement, dans les trois mois Ă  compter du jour oĂč l'arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l'article 44 Â§ 2 de la Convention, les sommes suivantes :

ii.  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d'impĂŽt, pour dommage moral ;

iii.  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d'impĂŽt par les requĂ©rants, pour frais et dĂ©pens ;

b)  qu'Ă  compter de l'expiration dudit dĂ©lai et jusqu'au versement, ces montants seront Ă  majorer d'un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

6  Rejette, Ă  l'unanimitĂ©, la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français puis communiquĂ© par Ă©crit le 27 avril 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.

Françoise Elens-Passos Françoise Tulkens

GreffiĂšre adjointe PrĂ©sidente

Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rĂšglement, l'exposĂ© des opinions sĂ©parĂ©es suivantes :

–  opinion concordante du juge Cabral Barreto ;

–  opinion dissidente de la juge Işıl KARAKAŞ.

F.T. 
F.E.P. 

OPINION CONCORDANTE DU JUGE CABRAL BARRETO

Je suis d'accord avec la majoritĂ© mais je souhaite me dissocier du raisonnement qu'elle suit au paragraphe 51. Elle y dit ceci :

« Toutefois, dans le cas d'espĂšce, les requĂ©rants, en considĂ©ration du lien Ă©troit avec A., avaient dĂ©cidĂ© de dĂ©poser une demande d'adoption. Cette demande constitue pour la Cour un indice supplĂ©mentaire – mĂȘme s'il n'est pas dĂ©terminant – de la force du lien instaurĂ© entre les requĂ©rants et l'enfant. La Cour ne saurait donc exclure que malgrĂ© l'absence de tout rapport juridique de parentĂ©, le lien entre les requĂ©rants et A. relĂšve de la vie familiale Â» (c'est moi qui souligne).

Si je comprends bien la majoritĂ©, il existerait des « liens familiaux Â» entre une famille d'accueil et l'enfant. Si c'est bien lĂ  ce que veut dire la majoritĂ©, il me semble qu'elle va trĂšs loin.

Pour moi, les liens interpersonnels Ă©troits entre les requĂ©rants et l'enfant ne suffisent pas Ă  transformer qualitativement ce rapport. Les enfants sont confiĂ©s Ă  une famille d'accueil en attendant qu'on leur trouve une famille. Ni ce but ni l'intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l'enfant ne commandent de regarder le rapport entre l'enfant et la famille d'accueil comme des liens familiaux.

Toutefois, dans le cas d'espÚce, à un moment donné les requérants ont fait une demande d'adoption de l'enfant.

Pour la majoritĂ©, cet indice n'est pas dĂ©terminant ; pour moi, il est dĂ©terminant et dĂ©cisif.

Si les requĂ©rants n'avaient pas demandĂ© Ă  adopter l'enfant, ils ne se diffĂ©rencieraient en rien des autres familles d'accueil qui reçoivent des enfants non pas pour entretenir des rapports familiaux mais tout simplement pour s'occuper de ces enfants, si possible avec beaucoup de tendresse et mĂȘme d'amour, mais sans intention de fonder avec eux une famille.

Bref, sans la demande d'adoption qui révÚle que les requérants ont voulu accueillir l'enfant comme membre de leur famille, j'aurais du mal à admettre que la relation entre les requérants et A. relÚve de la vie familiale.

OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE KARAKAŞ

Contrairement Ă  la majoritĂ©, j'estime que, dans le cas d'espĂšce, l'article 8 de la Convention n'est pas applicable et, par consĂ©quent, qu'il n'y a pas eu violation de cet article. Eu Ă©gard aux rapports entre les requĂ©rants et le bĂ©bĂ© A., je pense qu'on ne peut parler en l'espĂšce de l'existence d'une vie familiale au sens de l'article 8 de la Convention.

D'aprĂšs la jurisprudence de la Cour, le droit au respect de la vie familiale prĂ©suppose l'existence d'une famille naturelle ou lĂ©gitime, mais en mĂȘme temps d'une vie familiale effective (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 31, sĂ©rie A no 31).

En matiĂšre d'adoption, il faut rappeler que la Convention ne garantit aucun droit d'adopter et l'article 8 n'oblige pas les Etats Ă  accorder Ă  une personne le statut d'adoptant ou d'adoptĂ© (Di Lazzaro c. Italie, no 31924/96, dĂ©cision de la Commission du 10 juillet 1997, DĂ©cisions et rapports (DR) 90-B, p. 134). Le seul dĂ©sir de fonder une famille, notamment par la voie de l'adoption, n'est pas protĂ©gĂ© par l'article 8 de la Convention au titre de la vie familiale (Marckx, prĂ©citĂ©, § 31, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 62, sĂ©rie A no 94).

Dans le cas d'espĂšce, la majoritĂ© trouve (au paragraphe 50 de l'arrĂȘt) qu'il existait entre les requĂ©rants et le bĂ©bĂ© A. un lien interpersonnel Ă©troit, en se fondant sur quelques Ă©lĂ©ments (la mineure Ă©tait bien insĂ©rĂ©e dans la famille, les requĂ©rants avaient assurĂ© le dĂ©veloppement social de l'enfant parce qu'ils l'avaient envoyĂ©e Ă  la crĂšche et ils avaient fait un voyage avec le bĂ©bĂ©). Finalement, les requĂ©rants ont dĂ©cidĂ© de dĂ©poser une demande d'adoption, ce qui constitue pour la majoritĂ© un indice – mĂȘme s'il n'est pas dĂ©terminant – de la force du lien instaurĂ© entre les requĂ©rants et le bĂ©bĂ© (paragraphe 51).

Ces Ă©lĂ©ments ne suffisent pas Ă  mes yeux pour que l'on puisse conclure Ă  l'existence d'une relation suffisamment forte pour s'analyser en une vie familiale, d'autant que, pour moi, en agissant ainsi les requĂ©rants ont rempli le rĂŽle et les responsabilitĂ©s qui leur Ă©taient dĂ©volus en tant que famille d'accueil (voir, notamment, la partie « droit interne Â», au paragraphe 24 de l'arrĂȘt).

Tout d'abord, ils n'ont pas obtenu l'adoption de A. ; donc on ne peut parler d'une relation entre un adoptant et un adoptĂ©, qui est en principe de mĂȘme nature que les relations familiales protĂ©gĂ©es par l'article 8 (Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 140, CEDH 2004-V ; voir aussi les autres rĂ©fĂ©rences qui y sont citĂ©es). Dans le cas d'espĂšce, les requĂ©rants reprĂ©sentaient une famille d'accueil qui avait la garde de l'enfant Ă  titre transitoire. Ils n'avaient mĂȘme pas la garde de l'enfant en vue de l'adoption, mais ils ont tout simplement accueilli A. provisoirement Ă  la suite de l'offre des services sociaux pendant une procĂ©dure devant permettre de dĂ©clarer l'enfant adoptable. Ce sont les juridictions internes qui dĂ©cident de toutes mesures opportunes dans l'intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l'enfant.

Comme les requĂ©rants assuraient l'accueil de A. Ă  titre provisoire, cette situation ne pouvait leur donner aucun droit ou avantage aux fins de l'adoption ; dire le contraire reviendrait Ă  admettre que les personnes qui accueillent des enfants Ă  titre provisoire ont Ă©ventuellement la prioritĂ© en cas d'adoption. Or les juridictions internes doivent Ă©valuer les demandes d'adoption prĂ©sentĂ©es par d'autres familles en donnant la prioritĂ© Ă  l'intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l'enfant.

La protection de l'enfant est bien plus importante que le dĂ©sir des requĂ©rants de l'adopter, d'autant que, d'aprĂšs le dossier, A. est trĂšs bien intĂ©grĂ©e dans sa nouvelle famille et qu'il ne serait pas judicieux de procĂ©der Ă  une nouvelle sĂ©paration, qui pourrait lui causer un traumatisme (paragraphe 22 de l'arrĂȘt).

A mes yeux, le simple lien de fait établi entre les requérants et le bébé et le désir qu'avaient les requérants d'adopter celui-ci, n'étaient pas suffisants pour que l'on puisse conclure à l'existence d'une vie familiale qui mérite la protection de l'article 8 de la Convention.

Au demeurant, les relations de type familial ont Ă©tĂ© considĂ©rĂ©es, selon l'approche traditionnelle des organes de la Convention, comme entrant dans le champ d'application de la vie privĂ©e (voir, par exemple, D.J et A.- K.R. c. Roumanie (dĂ©c), no 34175/05, 20 octobre 2009, §§ 82, 83 et 88 ; X. c. Suisse, no 8257/78, dĂ©cision de la Commission du 10 juillet 1978, DR 13, p. 248). A la lumiĂšre de ce principe et eu Ă©gard aux soins apportĂ©s Ă  A. par les requĂ©rants, ainsi qu'Ă  l'attachement dont ils se prĂ©valent, n'aurait-il pas Ă©tĂ© plus opportun d'examiner les consĂ©quences de leur sĂ©paration plutĂŽt sous l'angle de la vie privĂ©e des requĂ©rants ?

Concernant la violation de l'article 8, dans sa jurisprudence la Cour reconnaĂźt aux autoritĂ©s internes une large marge d'apprĂ©ciation pour apprĂ©cier la nĂ©cessitĂ© de prendre en charge un enfant (GnahorĂ© c. France, no 40031/98, CEDH 2000-IX) et, en matiĂšre d'adoption d'enfants, elle estime que les juridictions internes sont mieux placĂ©es que le juge international pour Ă©tablir un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts contradictoires (SöderbĂ€ck c. SuĂšde, 28 octobre 1998, § 33, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1998-VII).

La Cour ne devrait pas substituer sa vision des choses Ă  celle des juridictions nationales, sauf si les mesures en cause se rĂ©vĂšlent manifestement dĂ©pourvues de base raisonnable ou arbitraires. Dans le cas d'espĂšce, il est vrai que la demande d'adoption des requĂ©rants a Ă©tĂ© rejetĂ©e sans motivation par le tribunal. Mais je partage parfaitement l'argument du Gouvernement selon lequel cette lacune a Ă©tĂ© rĂ©parĂ©e par la cour d'appel qui, aprĂšs examen complĂ©mentaire, notamment une expertise psychiatrique, a confirmĂ© le rejet de la demande des requĂ©rants par une dĂ©cision motivĂ©e, dans l'intĂ©rĂȘt supĂ©rieur de l'enfant.

DÚs lors, selon moi, l'Etat défendeur n'a pas failli à ses obligations positives découlant de l'article 8 de la Convention.