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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Prima Sezione)

 

26 ottobre 2017

 

 

 

AFFAIRE BLAIR ET AUTRES c. ITALIE

 

(RequĂȘtes nos 1442/14 et 2 autres – voir liste en annexe)

 

 

DÉFINITIF

 

26/01/2018

 

Cet arrĂȘt est devenu dĂ©finitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Blair et autres c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (premiĂšre section), siĂ©geant en une chambre composĂ©e de :

  Linos-Alexandre Sicilianos, président,

  Kristina Pardalos,

  Guido Raimondi,

  Aleƥ Pejchal,

  Ksenija Turković,

  Armen Harutyunyan,

  Pauliine Koskelo, juges,

 et de Abel Campos, greffier de section,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2017,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

PROCÉDURE

1.  Ă€ l’origine de l’affaire se trouvent trois requĂȘtes (nos 1442/14, 21319/14 et 21911/14) dirigĂ©es contre la RĂ©publique italienne et introduites par vingt-huit ressortissants de diffĂ©rentes nationalitĂ©s (« les requĂ©rants Â»), dont les noms figurent Ă  l’annexe I, devant la Cour respectivement le 10 dĂ©cembre 2013, le 6 mars 2014 et le 10 mars 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Les noms des reprĂ©sentants des requĂ©rants figurent Ă©galement Ă  l’annexe I. Le gouvernement italien (« le Gouvernement Â») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agent, Mme E. Spatafora, et par son co-agent, Mme A. Aversano.

3.  Les gouvernements allemand, britannique, espagnol et suisse n’ont pas exercĂ© de leur droit d’intervenir dans la procĂ©dure (article 36 § 1 de la Convention).

4.  Sur le terrain de l’article 3 de la Convention, les requĂ©rants allĂ©guaient en particulier avoir Ă©tĂ© victimes de torture. Ils se plaignaient que les autoritĂ©s internes n’avaient pas respectĂ© leur obligation de mener une enquĂȘte effective sur leurs allĂ©gations. De surcroĂźt, ils dĂ©nonçaient l’absence en droit interne d’un dĂ©lit punissant la torture et les traitements inhumains et dĂ©gradants.

5.  Le 28 septembre 2015, les griefs concernant l’article 3 de la Convention, seul et combinĂ© avec l’article 13, ainsi que les articles 5 § 2, 8, 9, 10, 11 et 14 de la Convention ont Ă©tĂ© communiquĂ©s au Gouvernement, et les requĂȘtes ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©es irrecevables pour le surplus conformĂ©ment Ă  l’article 54 § 3 du rĂšglement de la Cour.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont Ă©tĂ© exposĂ©s par les requĂ©rants et tels qu’ils ressortent des documents pertinents en l’espĂšce issus de diffĂ©rentes affaires liĂ©es aux faits Ă  l’origine du prĂ©sent litige[1], peuvent se rĂ©sumer comme suit

A.  Le contexte gĂ©nĂ©ral

7.  Les 19, 20 et 21 juillet 2001, la ville de GĂȘnes accueillit le vingt‑septiĂšme sommet des huit pays les plus industrialisĂ©s (G8), sous la prĂ©sidence du gouvernement italien. De nombreuses organisations non gouvernementales, rassemblĂ©es sous la banniĂšre du groupe de coordination « Genoa Social Forum – GSF Â» (« le GSF Â»), organisĂšrent un sommet « altermondialiste Â» qui se dĂ©roula Ă  la mĂȘme pĂ©riode. Il a Ă©tĂ© estimĂ© que 200 000 personnes (selon le ministĂšre de l’IntĂ©rieur) Ă  300 000 personnes (selon le GSF) participĂšrent Ă  l’évĂ©nement.

8.  Un vaste dispositif de sĂ©curitĂ© fut mis en place par les autoritĂ©s italiennes (arrĂȘts Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 12, CEDH 2011, et Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§ 11-12, 23-24, 7 avril 2015). Celles-ci divisĂšrent la ville en trois zones concentriques : la « zone rouge Â», de surveillance maximale, oĂč le sommet devait se dĂ©rouler et oĂč les dĂ©lĂ©gations devaient loger ; la « zone jaune Â», une zone tampon oĂč les manifestations Ă©taient en principe interdites, sauf autorisation du chef du bureau de la police (questore) ; et la « zone blanche Â», oĂč les principales manifestations Ă©taient programmĂ©es.

9.  Les autoritĂ©s attribuĂšrent une couleur Ă  chaque groupe organisĂ©, Ă  chaque association, Ă  chaque syndicat et Ă  chaque ONG, en fonction de sa dangerositĂ© potentielle : le « bloc rose Â», non dangereux ; le « bloc jaune Â» et le « bloc bleu Â», considĂ©rĂ©s comme comprenant des auteurs potentiels d’actes de vandalisme, de blocage de rues et de rails, et Ă©galement d’affrontements avec la police ; et enfin, le « bloc noir Â», dont faisaient partie plusieurs groupes, anarchistes ou plus gĂ©nĂ©ralement violents, ayant pour but de commettre des saccages systĂ©matiques.

10.  La journĂ©e du 19 juillet se dĂ©roula dans une ambiance relativement calme, sans Ă©pisodes particuliĂšrement significatifs. Par contre, les journĂ©es des 20 et 21 juillet furent marquĂ©es par des accrochages de plus en plus violents entre les forces de police et certains manifestants appartenant essentiellement au « bloc noir Â». Au cours de ces incidents, plusieurs centaines de manifestants et de membres des forces de l’ordre furent blessĂ©s ou intoxiquĂ©s par du gaz lacrymogĂšnes. Des quartiers entiers de la ville de GĂȘnes furent dĂ©vastĂ©s (pour une analyse plus dĂ©taillĂ©e, voir Giuliani et Gaggio, prĂ©citĂ©, §§ 12-30, et Cestaro, prĂ©citĂ©, §§ 9-17).

B.  Les traitements subis par les requĂ©rants Ă  la caserne de Bolzaneto

11.  Le 12 juin 2001, le ComitĂ© provincial pour l’ordre et la sĂ©curitĂ© publique Ă©labora un plan logistique relatif Ă  la prise en charge des personnes arrĂȘtĂ©es pendant le sommet.

12.  La prison de Marassi se trouvant dans une zone considĂ©rĂ©e comme sensible, il fut dĂ©cidĂ©, pour des raisons de sĂ©curitĂ©, de crĂ©er, dans des lieux excentrĂ©s, deux centres temporaires oĂč les personnes arrĂȘtĂ©es devaient ĂȘtre regroupĂ©es pour ĂȘtre soumises aux dĂ©marches consĂ©cutives Ă  une arrestation, Ă  savoir l’identification, la notification du procĂšs-verbal d’arrestation, la fouille, l’immatriculation et la visite mĂ©dicale, avant d’ĂȘtre transfĂ©rĂ©es vers diffĂ©rentes prisons.

13.  Par un arrĂȘtĂ© du ministĂšre de la Justice du 12 juillet 2001, les casernes de Forte San Giuliano et de Bolzaneto furent dĂ©signĂ©es comme Ă©tant des « sites utilisĂ©s Ă  des fins de dĂ©tention, annexes du bureau mĂ©dical et du bureau matricule (ufficio matricola) des Ă©tablissements pĂ©nitentiaires de Pavie, Voghera, Vercelli et Alexandrie Â».

14.  Ă€ l’intĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto, une partie des locaux fut affectĂ©e aux activitĂ©s de la police judiciaire. Le restant des locaux fut rĂ©servĂ© aux activitĂ©s de la police pĂ©nitentiaire (immatriculation, fouille et visite mĂ©dicale).

15.  Ă€ la suite du dĂ©cĂšs de Carlo Giuliani au cours des heurts entre carabiniers et manifestants sur la place Alimonda, les carabiniers ne furent plus affectĂ©s aux activitĂ©s de gestion de l’ordre public dans la ville. À partir du 20 juillet, la caserne de Bolzaneto, placĂ©e sous la responsabilitĂ© de la police, resta ainsi le seul lieu de regroupement et de rĂ©partition des personnes arrĂȘtĂ©es.

16.  Selon le ministĂšre de la Justice, pendant la pĂ©riode d’activitĂ© de la structure, du 12 au 24 juillet, 222 personnes ont Ă©tĂ© immatriculĂ©es avant leur transfert vers les prisons d’Alexandrie, Pavie, Vercelli et Voghera (voir le « Rapport final de l’enquĂȘte parlementaire d’information sur les faits survenus lors du G8 de GĂȘnes du 20 septembre 2001 Â», mentionnĂ© dans la note en bas de la page prĂ©cĂ©dente).

17.  Les tribunaux internes ont Ă©tabli avec exactitude, au-delĂ  de tout doute raisonnable, les mauvais traitements dont avaient fait l’objet les personnes prĂ©sentes Ă  l’intĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto. Les tĂ©moignages des victimes ont Ă©tĂ© confirmĂ©s par les dĂ©positions des membres des forces de l’ordre et de l’administration publique, les reconnaissances partielles des faits par les accusĂ©s ainsi que par les documents Ă  disposition des magistrats, notamment les rapports mĂ©dicaux et les expertises judiciaires. À partir de cette multitude d’informations, il est possible de dĂ©crire les Ă©pisodes de violence dont les requĂ©rants firent l’objet :

1.  RequĂȘte no 1442/14

18.  Le requĂ©rant M. Blair fut arrĂȘtĂ© lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini (pour les conditions dans lesquelles s’est dĂ©roulĂ©e l’intervention, voir Cestaro prĂ©citĂ©, § 25-35) puis conduit Ă  la caserne de Bolzaneto le dimanche 22 juillet 2001, vers 5 heures. Il indique que, dĂšs son arrivĂ©e, un agent lui a marquĂ© la joue d’une croix tracĂ©e au feutre, puis qu’il a Ă©tĂ© frappĂ© Ă  coups de pied. Pendant la fouille, il aurait Ă©tĂ© frappĂ© d’une gifle en plein visage, et aurait Ă©tĂ© obligĂ© de se dĂ©shabiller en prĂ©sence d’agents et de faire des flexions. Avec les autres occupants de la cellule, il aurait Ă©tĂ© privĂ© de sommeil, des agents criant et riant bruyamment dans le couloir ou procĂ©dant Ă  de nombreux contrĂŽles d’identitĂ© inopinĂ©s. Dans les toilettes, il aurait Ă©tĂ© frappĂ© par un agent de la police pĂ©nitentiaire. Le 23 juillet, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison de Pavie.

19.  Le requĂ©rant M. Mc Quillan fut blessĂ© au bras, Ă  la tĂȘte et Ă  la cheville lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini. AprĂšs un passage aux urgences pour y ĂȘtre soignĂ©, il fut conduit Ă  la caserne de Bolzaneto le 22 juillet. Il indique qu’une croix a Ă©tĂ© tracĂ©e au feutre sur son visage. Il ajoute que, pendant la fouille, il a reçu un coup Ă  la cheville blessĂ©e. Dans la cellule, il aurait Ă©tĂ© privĂ© de sommeil, soumis Ă  des contrĂŽles d’identitĂ© frĂ©quents et injustifiĂ©s. À sa sortie des toilettes, des agents auraient jetĂ© un seau d’eau froide sur lui. Enfin, le requĂ©rant indique qu’il a Ă©tĂ© contraint de signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprĂšte. Il n’a pas prĂ©cisĂ© la date de son transfert ni la prison vers laquelle il a Ă©tĂ© dirigĂ©.

20.  Le requĂ©rant M. Buchanan fut arrĂȘtĂ© lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini et conduit Ă  la caserne de Bolzaneto. Il indique que, Ă  son arrivĂ©e, il a Ă©tĂ© rouĂ© de coups par un officier et par des agents. Il ajoute qu’il a Ă©tĂ© contraint de signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprĂšte. Il n’a pas prĂ©cisĂ© la date de son transfert ni la prison vers laquelle il a Ă©tĂ© dirigĂ©.

2.  RequĂȘte no 21319/14

21.  Le requĂ©rant M. Amodio fut conduit Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet 2001, aux alentours de 15 heures. Il relate que, placĂ© dans une cellule, il a souffert d’une infection intestinale et qu’il a dĂ» attendre longtemps avant d’ĂȘtre conduit vers des toilettes, dont il n’aurait pas Ă©tĂ© autorisĂ© Ă  fermer la porte. Il aurait de plus Ă©tĂ© empĂȘchĂ© de terminer ses besoins. De retour dans la cellule, il aurait Ă©tĂ© forcĂ© Ă  se mettre Ă  genoux, il aurait Ă©tĂ© insultĂ© en raison de sa taille (« Maintenant, nous allons jouer au cirque, espĂšce de singe, nain. Â»), puis menacĂ© (« Nous dirons Ă  tout le monde que tu es un pĂ©dophile, que t’as agressĂ© des enfants, comme ça quand tu seras dans ta cellule, ils vont te faire ta fĂȘte. Â»), et ce dans les Ă©manations de gaz irritant Ă  l’intĂ©rieur de la cellule. D’aprĂšs le tĂ©moignage de M. Della Corte (requĂ©rant de la requĂȘte no 21319/14 figurant Ă  l’annexe I sous le numĂ©ro 3 de la liste), le requĂ©rant a eu une crise d’hystĂ©rie : « RĂ©duit Ă  un piĂštre Ă©tat, il pleurait, il a fait une crise d’hystĂ©rie, car il avait Ă©tĂ© rĂ©ellement effrayĂ©. Â» Il aurait assistĂ© au passage Ă  tabac d’un codĂ©tenu portant une prothĂšse Ă  la jambe (le requĂ©rant Mohammed Tabbach, requĂ©rant de la requĂȘte no 21319/14 figurant Ă  l’annexe I sous le numĂ©ro 8 de la liste). Il n’a pas prĂ©cisĂ© la date de son transfert ni la prison vers laquelle il a Ă©tĂ© dirigĂ©.

22.  Le requĂ©rant M. Callieri fut conduit Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, aux alentours de 14 heures. Il indique que, amenĂ© dans une petite salle, il y a Ă©tĂ© passĂ© Ă  tabac pour avoir regardĂ© un agent dans les yeux. Il aurait ensuite Ă©tĂ© conduit dans une cellule et Ă  nouveau frappĂ© et insultĂ©. Il prĂ©cise que du gaz irritant a Ă©tĂ© rĂ©pandu Ă  l’intĂ©rieur de la cellule. Il aurait demandĂ© Ă  se rendre aux toilettes et y aurait Ă©tĂ© frappĂ© par des agents de la police pĂ©nitentiaire. De retour dans la cellule, il aurait assistĂ© au passage Ă  tabac d’un codĂ©tenu portant une prothĂšse Ă  la jambe (le requĂ©rant Mohammed Tabbach). Pendant la visite mĂ©dicale, il aurait Ă©tĂ© forcĂ© Ă  faire des flexions et, en raison de ses difficultĂ©s Ă  toucher ses orteils avec les mains, il aurait Ă©tĂ© frappĂ© Ă  coups de pied par un agent. Il n’a pas prĂ©cisĂ© la date de son transfert ni la prison vers laquelle il a Ă©tĂ© dirigĂ©.

23.  Le requĂ©rant M. Della Corte arriva Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, vers 14 heures. Il relate que du gaz irritant a Ă©tĂ© projetĂ© dans la cellule. Il indique en outre qu’il a demandĂ© Ă  se rendre aux toilettes et qu’il y a Ă©tĂ© frappĂ© par des agents de la police pĂ©nitentiaire. TĂ©moin du tabassage d’un codĂ©tenu portant une prothĂšse (le requĂ©rant Mohammed Tabbach), il aurait protestĂ© verbalement. À la suite de son intervention, les agents lui auraient assenĂ© des coups dans le dos. Le requĂ©rant fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie Ă  une date non prĂ©cisĂ©e.

24.  Le requĂ©rant M. De Munno, souffrant d’une fracture au pied, fut conduit Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, vers 17 heures. Il indique qu’il y a Ă©tĂ© l’objet de coups et d’insultes. Il ajoute que, ayant des difficultĂ©s Ă  respirer Ă  cause de la fracture d’une cĂŽte, il a demandĂ© Ă  maintes reprises Ă  voir un mĂ©decin avant de s’évanouir. Il aurait repris connaissance Ă  l’infirmerie et aurait ensuite Ă©tĂ© emmenĂ© aux urgences. À son retour Ă  la caserne, un agent lui aurait marchĂ© intentionnellement sur le pied fracturĂ© tandis que d’autres surveillants auraient menacĂ© de lui casser l’autre pied. RamenĂ© dans la cellule, il aurait Ă©tĂ© autorisĂ© Ă  s’asseoir, dos au mur. Dans cette position, il aurait assistĂ© aux violences infligĂ©es aux autres dĂ©tenus. Lors de son tĂ©moignage, il a dĂ©clarĂ© ne pas avoir demandĂ© Ă  se rendre aux toilettes, sur les avertissements d’un des carabiniers, en raison de son Ă©tat physique et par peur d’ĂȘtre exposĂ© Ă  des violences.

25.  Le requĂ©rant M. Morozzi arriva Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, vers 12 heures. Il indique que, Ă  son entrĂ©e, il a Ă©tĂ© conduit par des agents cagoulĂ©s dans une piĂšce et qu’il y a Ă©tĂ© frappĂ© de multiples coups sur le dos et sur les jambes. AmenĂ© ensuite dans une cellule, il aurait inhalĂ© du gaz irritant. Il aurait Ă©galement assistĂ© au passage Ă  tabac d’un codĂ©tenu portant une prothĂšse (le requĂ©rant Mohammed Tabbach). À son retour de l’infirmerie, il aurait Ă©tĂ© frappĂ© de deux coups de poing au visage. Ayant appris que c’était le jour de son anniversaire, les agents l’auraient emmenĂ© dans une petite piĂšce et lui auraient assenĂ© de nombreux coups (« Ils ont appelĂ© d’autres agents : « venez ici, il y en a un qui a son anniversaire, on va te le fĂȘter. Â»). Le requĂ©rant fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie Ă  une date non prĂ©cisĂ©e.

26.  La requĂ©rante Mme Morrone arriva Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, vers 15 heures. Elle indique que, souffrant d’une hernie discale, elle a signalĂ© sa pathologie aux agents mais qu’elle a nĂ©anmoins Ă©tĂ© frappĂ©e Ă  plusieurs reprises. Du gaz irritant aurait Ă©tĂ© rĂ©pandu dans sa cellule, dans laquelle elle aurait de plus Ă©tĂ© l’objet d’insultes Ă  caractĂšre sexuel. Elle aurait demandĂ©, en vain, des serviettes hygiĂ©niques et aurait dĂ» se rĂ©soudre Ă  dĂ©chirer son t-shirt et Ă  s’en servir en guise de protection. À l’infirmerie, elle aurait Ă©tĂ© contrainte d’îter ses vĂȘtements en prĂ©sence de deux agents de sexe masculin. Elle n’a pas prĂ©cisĂ© la date de son transfert ni la prison vers laquelle elle a Ă©tĂ© dirigĂ©e.

27.  Le requĂ©rant M. Pignatale fut emmenĂ© Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il relate que, conduit dans une salle, il a Ă©tĂ© forcĂ© Ă  se dĂ©shabiller, Ă  se mettre en position fƓtale puis Ă  sauter sous les coups que des agents lui auraient assenĂ©s. Il ajoute que, dans la cellule, il a eu Ă  pĂątir des Ă©manations de gaz irritant. Il aurait Ă©galement Ă©tĂ© insultĂ© et menacĂ© en raison de son travail dans l’administration publique (« T’es un infĂąme, un traĂźtre (...), t’es un fonctionnaire de l’État et tu viens ici, contre nous ? Honte Ă  toi, on te fera licencier, ton fils aura honte de toi, tu ne le reverras plus avant longtemps. Â»). Il n’a pas prĂ©cisĂ© la date de son transfert ni la prison vers laquelle il a Ă©tĂ© dirigĂ©.

28.  Le requĂ©rant M. Tabbach arriva Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, vers 14 heures. Il indique qu’il a signalĂ© aux agents avoir une prothĂšse Ă  la jambe droite. En dĂ©pit de cela, il aurait Ă©tĂ© obligĂ© dans la cellule de se maintenir face au mur, les jambes Ă©cartĂ©es et les bras vers le haut, dans la mĂȘme position vexatoire que celle imposĂ©e Ă  tous les individus arrĂȘtĂ©s. Du gaz irritant aurait Ă©tĂ© rĂ©pandu dans la cellule. Ne pouvant plus se maintenir dans cette position, il se serait assis par terre Ă  deux reprises. Chaque fois, des agents auraient fait irruption dans la cellule et l’auraient frappĂ© Ă  coups de matraque. Dans le bureau du mĂ©decin, on lui aurait refusĂ© une chaise, il aurait Ă©tĂ© obligĂ© de s’asseoir par terre et, dans cette position, d’îter ses vĂȘtements en prĂ©sence de plusieurs agents. Le requĂ©rant n’a pas prĂ©cisĂ© la date de son transfert ni la prison vers laquelle il a Ă©tĂ© dirigĂ©.

3.  RequĂȘte no 21911/14

29.  La requĂ©rante Mme Allueva fut arrĂȘtĂ©e lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini. Elle indique que, Ă  l’intĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto, elle a Ă©tĂ© insultĂ©e et passĂ©e Ă  tabac par des agents. En particulier, un agent l’aurait obligĂ©e Ă  Ă©crire des insultes sur une feuille et Ă  les lire Ă  haute voix. Aux toilettes, elle aurait Ă©tĂ© contrainte de maintenir la porte ouverte et de faire ses besoins sous le regard d’agents de sexe masculin. Le 22 juillet, avant d’ĂȘtre transfĂ©rĂ©e Ă  la prison de Vercelli, elle aurait Ă©tĂ© forcĂ©e Ă  signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprĂšte.

30.  Le requĂ©rant M. Brauer fut arrĂȘtĂ© lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini et conduit Ă  la caserne de Bolzaneto. Il relate que, dans l’enceinte de la caserne, il a Ă©tĂ© insultĂ© et frappĂ© au dos. Son visage aurait Ă©tĂ© marquĂ© de deux croix tracĂ©es au feutre. Dans la cellule, il aurait reçu des jets de gaz irritant en plein visage, ce qui aurait dĂ©clenchĂ© une forte crise obligeant le personnel mĂ©dical Ă  intervenir et Ă  le « dĂ©contaminer Â» (il aurait Ă©tĂ© dĂ©shabillĂ© et arrosĂ© avec un jet d’eau froide). Il prĂ©cise que, Ă  la suite de cette intervention, ses vĂȘtements ont Ă©tĂ© jetĂ©s et que, encore mouillĂ©, il serait restĂ© vĂȘtu d’une simple blouse d’hĂŽpital. Avant de sortir, il aurait Ă©tĂ© contraint de signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprĂšte. Le 23 juillet, il fut conduit Ă  la prison de Pavie.

31.  Le requĂ©rant M. Hinrichsmeyer fut arrĂȘtĂ© lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini puis, le 22 juillet, conduit Ă  la caserne de Bolzaneto. Il expose que, Ă  son arrivĂ©e, il a Ă©tĂ© contraint de marcher devant des agents avec un chapeau rouge sur la tĂȘte et un autocollant dans le dos. Aux toilettes, il aurait Ă©tĂ© contraint de maintenir la porte ouverte et de faire ses besoins sous le regard des agents. Enfin, il aurait Ă©tĂ© forcĂ© Ă  signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprĂšte. Le 23 juillet, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison de Pavie.

32.  Le requĂ©rant M. Marquello fut arrĂȘtĂ© lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini et emmenĂ©, le 22 juillet, Ă  la caserne de Bolzaneto. Il indique qu’il y a Ă©tĂ© insultĂ© et frappĂ©, et forcĂ© Ă  signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprĂšte. Le lendemain, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison de Pavie.

33.  Le requĂ©rant M. Moret fut arrĂȘtĂ© lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini et, le 22 juillet, il fut conduit Ă  la caserne de Bolzaneto. Il indique qu’une croix a Ă©tĂ© tracĂ©e au feutre sur son visage, et que, par la suite, il a subi des insultes et des crachats. Enfin, il aurait Ă©tĂ© forcĂ© Ă  signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprĂšte. Le 23 juillet, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison de Pavie.

34.  Le requĂ©rant M. Samperiz fut arrĂȘtĂ© lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini et conduit Ă  la caserne de Bolzaneto le 22 juillet. BlessĂ© Ă  la jambe, il fut frappĂ© par des agents, et insultĂ©. Il dit avoir Ă©tĂ© privĂ© de ses effets personnels, notamment de son mĂ©dicament contre l’asthme. À l’infirmerie, il aurait Ă©tĂ© obligĂ© de se dĂ©shabiller sous le regard des agents. Il aurait Ă©tĂ© forcĂ© Ă  signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprĂšte. Le lendemain, il fut transfĂ©rĂ© dans une prison dont le nom n’est pas prĂ©cisĂ© dans le dossier.

35.  La requĂ©rante Mme Wagenschein fut arrĂȘtĂ©e lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini et, le 22 juillet, elle fut conduite Ă  la caserne de Bolzaneto. Elle indique avoir Ă©tĂ© l’objet d’insultes rĂ©pĂ©tĂ©es. Lors de la visite mĂ©dicale, elle aurait Ă©tĂ© contrainte de se dĂ©shabiller devant un mĂ©decin de sexe masculin et de faire des flexions. Enfin, elle aurait Ă©tĂ© forcĂ©e Ă  signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprĂšte. Le lendemain, elle fut transfĂ©rĂ©e Ă  la prison de Voghera.

36.  La requĂ©rante Mme Zapatero fut arrĂȘtĂ©e lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini puis, le 22 juillet, elle fut conduite Ă  la caserne de Bolzaneto. Elle dit avoir Ă©tĂ© forcĂ©e Ă  signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprĂšte. Le lendemain, elle fut transfĂ©rĂ©e Ă  la prison de Voghera.

37.  Le requĂ©rant M. Cuccadu fut conduit Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il dit que, dans la cellule, on lui a cognĂ© plusieurs fois la tĂȘte contre le mur et on l’a frappĂ© aux jambes et au dos. Il ajoute que, le lendemain, avant son transfert Ă  la prison d’Alexandrie, il a Ă©tĂ© l’objet de menaces (« Ils t’amĂšneront dans une belle prison avec jardin, oĂč il y a beaucoup d’arbres avec des cordes Â»).

38.  La requĂ©rante Mme Germano arriva Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Elle dit y avoir Ă©tĂ© l’objet d’insultes Ă  caractĂšre sexuel et avoir Ă©tĂ© contrainte d’enlever un piercing sous la menace d’un agent. Elle aurait Ă©tĂ© forcĂ©e Ă  signer un document sans avoir pu en lire le contenu. Le lendemain, elle fut transfĂ©rĂ©e Ă  la prison d’Alexandrie.

39.  Le requĂ©rant M. Ighina fut conduit Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il relate que du gaz irritant a Ă©tĂ© rĂ©pandu dans la cellule. Il dit avoir reçu un premier coup de poing dans les cĂŽtes, puis un deuxiĂšme alors qu’il attendait d’ĂȘtre amenĂ© Ă  l’hĂŽpital en ambulance. Il aurait Ă©galement Ă©tĂ© l’objet de menaces (parmi d’autres : « on va te tuer Â», « tu es mort Â»). Le 22 juillet, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie.

40.  Le requĂ©rant M. Laconi arriva Ă  la caserne de Bolzaneto la nuit du 20 juillet. Il dit que, pendant la fouille, il a ĂŽtĂ© sa ceinture et qu’un agent a ensuite utilisĂ© celle-ci pour le frapper. Dans la cellule, il aurait Ă©tĂ© frappĂ© sur le dos et sur les cĂŽtes. Il aurait Ă©tĂ© insultĂ© et forcĂ© Ă  crier des phrases faisant l’apologie d’un dictateur italien. Le lendemain, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie.

41.  La requĂ©rante Mme Menegon fut conduite Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet et transfĂ©rĂ©e le mĂȘme jour Ă  la prison d’Alexandrie. Elle indique que, Ă  la caserne, elle a Ă©tĂ© l’objet d’insultes et de menaces Ă  caractĂšre sexuel. Lors de la visite mĂ©dicale, le personnel aurait mimĂ© des actes sexuels et le mĂ©decin aurait fait des remarques sur son aspect physique. La requĂ©rante n’a pas prĂ©cisĂ© la date de son transfert ni la prison vers laquelle elle a Ă©tĂ© dirigĂ©e.

42.  Le requĂ©rant M. Passiatore arriva Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il indique que, dans la cellule, il a Ă©tĂ© frappĂ© sur le dos et sur la nuque. À cause de ces coups, sa tĂȘte aurait cognĂ© si violemment le mur qu’il aurait perdu connaissance pendant un moment. Ensuite, il aurait Ă©tĂ© soumis Ă  des jets de gaz irritant. Le lendemain, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie.

43.  Le requĂ©rant M. Pfister arriva Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il expose que, forcĂ© par des agents Ă  se mettre Ă  genoux, la tĂȘte au sol, il a Ă©tĂ© frappĂ© dans cette position avec une matraque. Il aurait Ă©tĂ© insultĂ© et contraint de crier des insultes contre des personnalitĂ©s de gauche. Le lendemain, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandriea.

44.  Le requĂ©rant M. Sesma fut conduit Ă  la caserne de Bolzaneto le 20 juillet. Il dit avoir Ă©tĂ© l’objet d’insultes et de coups dans le couloir et aux toilettes, oĂč des agents lui auraient coupĂ© des mĂšches de cheveux et sectionnĂ© un collier pour les jeter ensuite dans la cuvette. Il aurait Ă©tĂ© contraint de signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprĂšte. Le 22 juillet, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie.

45.  Le requĂ©rant M. Spingi arriva Ă  la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il indique qu’il a demandĂ© Ă  prendre contact avec ses parents et qu’on lui a rĂ©pondu : « Nous allons les appeler et leur dire que tu es mort. Â» Il aurait Ă©galement Ă©tĂ© l’objet d’insultes et aurait Ă©tĂ© frappĂ©. Avec d’autres dĂ©tenus, il aurait Ă©tĂ© forcĂ© Ă  se tenir dans des positions bizarres, dĂ©signĂ©es par les termes « compositions humaines Â». Le lendemain, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie.

C.  La procĂ©dure pĂ©nale engagĂ©e contre des membres des forces de l’ordre pour les faits commis Ă  la caserne de Bolzaneto

46.  Ă€ la suite des faits commis Ă  la caserne de Bolzaneto, le parquet de GĂȘnes entama des poursuites contre quarante-cinq personnes, parmi lesquelles un prĂ©fet de police adjoint (vice-questore aggiunto), des membres de la police et de la police pĂ©nitentiaire, des carabiniers et des mĂ©decins de l’administration pĂ©nitentiaire. Les chefs d’accusation retenus Ă©taient les suivants : abus d’autoritĂ© publique, abus d’autoritĂ© Ă  l’égard de personnes arrĂȘtĂ©es ou dĂ©tenues, coups et blessures, injures, violence, menaces, omission, recel de malfaiteurs et faux. Le 27 janvier 2005, le parquet demanda le renvoi en jugement des inculpĂ©s. Les requĂ©rants et d’autres personnes (155 au total) se constituĂšrent parties civiles.

1.  Le jugement de premiĂšre instance

47.  Par le jugement no 3119 du 14 juillet 2008, dĂ©posĂ© le 27 novembre 2008, le tribunal de GĂȘnes condamna quinze des quarante-cinq accusĂ©s Ă  des peines allant de neuf mois Ă  cinq ans d’emprisonnement assorties d’une peine accessoire d’interdiction temporaire d’exercer des fonctions publiques (interdizione dai pubblici uffici). Dix condamnĂ©s bĂ©nĂ©ficiĂšrent d’un sursis et de la non-inscription de la condamnation au casier judiciaire. Enfin, en application de la loi no 241 du 29 juillet 2006 relative aux conditions d’octroi de la remise gĂ©nĂ©rale de peine (indulto), trois condamnĂ©s bĂ©nĂ©ficiĂšrent d’une remise totale de leur peine d’emprisonnement et deux autres, condamnĂ©s respectivement Ă  trois ans et deux mois et Ă  cinq ans d’emprisonnement, d’une remise de peine de trois ans.

48.  Le tribunal estima tout d’abord qu’il Ă©tait prouvĂ© que les faits suivants avaient Ă©tĂ© commis Ă  l’encontre de tous les requĂ©rants : insultes, menaces, coups et blessures, positions vexatoires, vaporisation de produits irritants dans les cellules, destruction d’effets personnels, longs dĂ©lais d’attente pour utiliser les toilettes et marquage au feutre sur le visage des personnes arrĂȘtĂ©es Ă  l’école Diaz-Pertini. Il nota que ces traitements pouvaient ĂȘtre qualifiĂ©s d’inhumains et dĂ©gradants et qu’ils avaient Ă©tĂ© commis dans un contexte particulier « et, on l’espĂ©r[ait], unique Â». Il ajouta que ces Ă©pisodes avaient aussi portĂ© atteinte Ă  la Constitution rĂ©publicaine et affaibli la confiance du peuple italien dans les forces de l’ordre.

49.  Le tribunal souligna ensuite que, malgrĂ© la longue, laborieuse et mĂ©ticuleuse enquĂȘte menĂ©e par le parquet, la plupart des auteurs des mauvais traitements, dont l’existence avait Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e pendant les dĂ©bats, n’avaient pas pu ĂȘtre identifiĂ©s en raison de difficultĂ©s objectives, et notamment de l’absence de coopĂ©ration de la police, rĂ©sultat aux yeux du tribunal d’une mauvaise interprĂ©tation de l’esprit de corps.

50.  Le tribunal prĂ©cisa enfin que l’absence en droit pĂ©nal du dĂ©lit de torture avait obligĂ© le parquet Ă  circonscrire la plupart des mauvais traitements avĂ©rĂ©s au cadre du dĂ©lit d’abus d’autoritĂ© publique. En l’espĂšce, les agents, les cadres et les fonctionnaires auraient Ă©tĂ© accusĂ©s de ne pas avoir empĂȘchĂ©, de par leur comportement passif, les mauvais traitements dĂ©noncĂ©s. À cet Ă©gard, le tribunal estima que la plupart des accusĂ©s du chef d’abus d’autoritĂ© publique ne pouvaient pas ĂȘtre jugĂ©s coupables eu Ă©gard au fait que : a)  le dĂ©lit en cause Ă©tait caractĂ©risĂ© par un dol spĂ©cifique, Ă  savoir l’intention claire et avĂ©rĂ©e de l’agent public de commettre un certain dĂ©lit ou de ne pas en empĂȘcher la commission, et que b)  l’existence de ce dol spĂ©cifique n’avait pas Ă©tĂ© prouvĂ©e au-delĂ  de tout doute raisonnable.

51.  Les coupables des actes litigieux ainsi que les ministĂšres de l’IntĂ©rieur, de la Justice et de la DĂ©fense furent condamnĂ©s au paiement des frais et dĂ©pens et au dĂ©dommagement des parties civiles, des sommes comprises entre 2 500 et 15 000 euros (EUR) Ă©tant accordĂ©es Ă  titre de provision sur les dommages-intĂ©rĂȘts.

2.  L’arrĂȘt d’appel

52.  Saisie par les accusĂ©s, le procureur prĂšs le tribunal de GĂȘnes, le procureur gĂ©nĂ©ral, les ministĂšres de l’IntĂ©rieur, de la Justice et de la DĂ©fense (responsables civils) et par les victimes qui s’étaient constituĂ©es parties civiles, la cour d’appel de GĂȘnes, par son arrĂȘt no 678 du 5 mars 2010, dĂ©posĂ© le 15 avril 2011, infirma partiellement le jugement entrepris.

53.  Concernant le dĂ©lit d’abus d’autoritĂ© publique envers des personnes arrĂȘtĂ©es, elle confirma d’abord la condamnation Ă  un an d’emprisonnement avec sursis pour deux accusĂ©s et la remise totale de peine s’agissant d’un troisiĂšme accusĂ©. Par ailleurs, elle condamna un agent Ă  trois ans et deux mois d’emprisonnement pour dĂ©lit de lĂ©sions corporelles. Ce dernier bĂ©nĂ©ficia d’une remise de peine de trois ans.

S’agissant du dĂ©lit de faux, elle condamna trois accusĂ©s jugĂ©s non coupables en premiĂšre instance Ă  une peine d’un an et six mois d’emprisonnement avec sursis et sans mention au casier judiciaire et une quatriĂšme accusĂ©e Ă  deux ans d’emprisonnement avec sursis et sans mention au casier judiciaire.

54.  Enfin, elle prononça un non-lieu en raison de la prescription des dĂ©lits dont Ă©taient accusĂ©es vingt-huit personnes, dont deux personnes condamnĂ©es ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une remise de peine en premiĂšre instance (paragraphe 47 ci-dessus). Elle rendit Ă©galement un non-lieu Ă  l’égard d’un accusĂ© dĂ©cĂ©dĂ©.

55.  Elle condamna Ă©galement tous les accusĂ©s (exceptĂ© ce dernier) ainsi que les ministĂšres de l’IntĂ©rieur, de la Justice et de la DĂ©fense aux frais et dĂ©pens de la procĂ©dure et au dĂ©dommagement des parties civiles. Des sommes comprises entre 5 000 et 30 000 EUR furent accordĂ©es Ă  titre de provision sur les dommages-intĂ©rĂȘts.

56.  Dans les motifs de l’arrĂȘt, la cour d’appel prĂ©cisa tout d’abord que, bien que les dĂ©lits en question fussent prescrits, elle devait statuer sur les effets civils des infractions.

57.  Elle indiqua ensuite que la crĂ©dibilitĂ© des tĂ©moignages des victimes ne faisait aucun doute : d’une part, lesdits tĂ©moignages avaient Ă©tĂ© corroborĂ©s par la comparaison des diverses dĂ©clarations, dont celles de deux infirmiers et d’un inspecteur de police, par les aveux partiels de certains accusĂ©s ainsi que par plusieurs piĂšces du dossier ; d’autre part, ces tĂ©moignages prĂ©sentaient les caractĂ©ristiques typiques des rĂ©cits de victimes d’évĂ©nements traumatiques et faisaient Ă©tat d’une volontĂ© sincĂšre de restituer la vĂ©ritĂ©.

58.  Quant aux Ă©vĂ©nements qui s’étaient produits Ă  la caserne de Bolzaneto, la cour d’appel observa que toutes les personnes ayant transitĂ© par ce centre y avaient Ă©tĂ© l’objet de sĂ©vices de toutes sortes, continus et systĂ©matiques, par des agents de la police pĂ©nitentiaire ou des agents des forces de l’ordre ayant participĂ©, pour la plupart, Ă  la gestion de l’ordre public dans la ville au cours des manifestations.

59.  En effet, elle nota que, dĂšs leur arrivĂ©e et tout au long de leur dĂ©tention dans la caserne, ces personnes, parfois dĂ©jĂ  Ă©prouvĂ©es par les violences subies lors de l’arrestation, avaient Ă©tĂ© obligĂ©es de se tenir dans des positions vexatoires et avaient Ă©tĂ© l’objet de coups, de menaces et d’injures Ă  caractĂšre principalement politique et sexuel. MĂȘme Ă  l’infirmerie, les mĂ©decins et les agents prĂ©sents auraient ostensiblement contribuĂ©, par des actes ou des omissions, Ă  provoquer et Ă  accroĂźtre la terreur et la panique des personnes arrĂȘtĂ©es. La cour d’appel releva que certaines, blessĂ©es lors de l’arrestation ou Ă  la caserne, auraient en tout Ă©tat de cause nĂ©cessitĂ© de soins adĂ©quats, voire une hospitalisation immĂ©diate. De surcroĂźt, elle remarqua aussi que le couloir de la caserne avait Ă©tĂ© surnommĂ© « le tunnel des agents Â», car les nombreux passages des personnes arrĂȘtĂ©es avaient eu lieu entre deux rangĂ©es d’agents les injuriant et les tabassant.

60.  La cour d’appel ajouta que de nombreux autres Ă©lĂ©ments avaient brisĂ© la rĂ©sistance physique et psychologique des personnes arrĂȘtĂ©es et temporairement dĂ©tenues Ă  la caserne, Ă  savoir : l’interdiction de regarder les agents ; la privation ou la destruction injustifiĂ©e des effets personnels ; le fait – tout en Ă©tant soumis Ă  l’interdiction de communiquer entre dĂ©tenus et donc Ă  l’impossibilitĂ© de chercher un rĂ©confort mutuel – de devoir assister aux sĂ©vices infligĂ©s aux autres personnes arrĂȘtĂ©es, d’écouter les cris de celles-ci ou de voir leur sang, leurs vomissures, leur urine ; l’impossibilitĂ© d’accĂ©der rĂ©guliĂšrement aux toilettes et de les utiliser Ă  l’abri des regards et des injures des agents ; la privation d’eau et de nourriture ; le froid et la difficultĂ© de trouver un peu de dĂ©tente dans le sommeil ; l’absence de tout contact avec l’extĂ©rieur, et la mention mensongĂšre par les agents de la renonciation des personnes arrĂȘtĂ©es au droit de prĂ©venir un membre de leur famille, un avocat et, le cas Ă©chĂ©ant, un diplomate de leur pays d’origine ; enfin, l’absence d’informations pleinement intelligibles sur les raisons de l’arrestation des personnes concernĂ©es.

61.  En somme, d’aprĂšs la cour d’appel, ces personnes avaient Ă©tĂ© soumises Ă  plusieurs traitements contraires Ă  l’article 3 de la Convention tel qu’interprĂ©tĂ© par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme dans ses arrĂȘts Irlande c. Royaume-Uni (18 janvier 1978, sĂ©rie A no 25), Raninen c. Finlande (16 dĂ©cembre 1997, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997‑VIII) et Selmouni c. France ([GC], no 25803/94, CEDH 1999‑V). Pour la cour d’appel, tous les agents et le personnel de santĂ© qui se trouvaient Ă  la caserne avaient Ă©tĂ© Ă  mĂȘme de s’apercevoir que de tels traitements Ă©taient infligĂ©s, ce qui, Ă  ses yeux, Ă©tait suffisant en l’espĂšce pour constituer le dĂ©lit d’abus d’autoritĂ© publique.

62.  En outre, la cour d’appel estima que ces traitements, combinĂ©s avec la nĂ©gation de certains droits de la personne arrĂȘtĂ©e, avaient pour but de donner aux victimes le sentiment d’ĂȘtre tombĂ©es dans un espace de nĂ©gation de l’habeas corpus, des droits fondamentaux et de tout autre aspect de la prĂ©Ă©minence du droit, ce que, au demeurant, confirmaient selon elle les diverses formes d’évocation du fascisme faites par les agents. En d’autres termes, en infligeant torture et mauvais traitements, les auteurs de ces sĂ©vices avaient voulu produire un processus de dĂ©personnalisation similaire Ă  celui mis en Ɠuvre Ă  l’encontre des juifs et des autres personnes internĂ©s dans les camps de concentration. Ainsi, Ă  l’instar d’objets ou d’animaux, les personnes arrĂȘtĂ©es dans l’école Diaz-Pertini auraient Ă©tĂ©, Ă  leur arrivĂ©e Ă  la caserne, marquĂ©es au feutre sur le visage.

63.  Enfin, selon la cour d’appel, ces Ă©vĂ©nements avaient eu des consĂ©quences trĂšs graves sur les victimes et perduraient dans leurs effets bien au-delĂ  de la fin de la dĂ©tention de celles-ci Ă  la caserne de Bolzaneto, car ils avaient dĂ©structurĂ© les catĂ©gories rationnelles et Ă©motionnelles au travers desquelles la personne humaine vit ses besoins quotidiens, ses relations aux autres, ses liens avec l’État et sa participation Ă  la vie publique. Ils auraient Ă©galement touchĂ© les familles des victimes en tant que communautĂ©s d’échange d’expĂ©riences et de valeurs.

3.  L’arrĂȘt de la Cour de cassation

64.  Saisie par les accusĂ©s, le procureur gĂ©nĂ©ral et les ministĂšres de l’IntĂ©rieur, de la Justice et de la DĂ©fense (responsables civils), la Cour de cassation rendit son arrĂȘt n37088 le 14 juin 2013. Celui-ci fut dĂ©posĂ© le 10 septembre 2013. La Cour de cassation confirma pour l’essentiel l’arrĂȘt entrepris.

65.  Tout d’abord, elle releva que, s’agissant de tous les dĂ©lits retenus par le tribunal de premiĂšre instance et la cour d’appel de GĂȘnes, la quasi-totalitĂ© avait Ă©tĂ© touchĂ©e par la prescription, Ă  laquelle toutefois trois officiers de police avaient renoncĂ©, exception faite du dĂ©lit de lĂ©sions corporelles retenu Ă  l’encontre d’un agent et du dĂ©lit de faux retenu Ă  l’encontre de quatre autres agents.

66.  Elle rejeta ensuite l’exception de constitutionnalitĂ© soulevĂ©e par le procureur gĂ©nĂ©ral de GĂȘnes, estimant que, en vertu de l’article 25 de la Constitution relatif au principe de rĂ©serve de la loi, seul le lĂ©gislateur pouvait Ă©tablir les sanctions pĂ©nales et dĂ©finir l’application de mesures telles que la prescription et la remise de peine (pour une analyse plus dĂ©taillĂ©e, voir Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§ 75-80, 7 avril 2015).

67.  Elle jugea en outre que les violences perpĂ©trĂ©es Ă  l’intĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto l’avaient Ă©tĂ© sans interruption, dans des conditions oĂč chaque personne prĂ©sente en avait la totale perception auditive et visuelle. Elle estima, en s’appuyant sur trente-neuf tĂ©moignages concordants, que, dans la caserne de Bolzaneto, les principes fondamentaux de l’état de droit avaient Ă©tĂ© Ă©cartĂ©s.

68.  En conclusion, concernant le sort individuel de chaque personne condamnĂ©e, elle confirma la condamnation des trois officiers ayant renoncĂ© Ă  la prescription Ă  un an d’emprisonnement pour dĂ©lit d’abus d’autoritĂ© (dont deux bĂ©nĂ©ficiĂšrent d’un sursis Ă  l’exĂ©cution et le troisiĂšme d’une remise de peine), de trois autres officiers Ă  un an et six mois d’emprisonnement avec sursis pour dĂ©lit de faux et d’un mĂ©decin de l’administration pĂ©nitentiaire Ă  deux ans pour le mĂȘme dĂ©lit. Elle confirma Ă©galement la condamnation d’un agent Ă  trois ans et deux mois d’emprisonnement pour dĂ©lit de lĂ©sions corporelles. Celui-ci bĂ©nĂ©ficia d’une remise de peine de trois ans.

69.  Pour ce qui est des autres appelants, la Cour de cassation confirma l’arrĂȘt entrepris quant Ă  la responsabilitĂ© civile des plus hauts gradĂ©s impliquĂ©s, Ă  savoir le prĂ©fet de police adjoint, la commissaire en chef (commissario capo) et l’inspecteur de police pĂ©nitentiaire chargĂ© de la sĂ©curitĂ© du site pĂ©nitentiaire Ă©tabli dans la caserne de Bolzaneto. Elle parvint au mĂȘme constat concernant de nombreux officiers et agents de la police pĂ©nitentiaire et des forces de l’ordre ainsi que le personnel de santĂ© en cause, dont le responsable du service de santĂ© du site.

D.  L’enquĂȘte parlementaire d’information

70.  Le 2 aoĂ»t 2001, les prĂ©sidents du SĂ©nat et de la Chambre des dĂ©putĂ©s dĂ©cidĂšrent qu’une enquĂȘte d’information (indagine conoscitiva) sur les faits survenus lors du G8 de GĂȘnes serait menĂ©e par les commissions des Affaires constitutionnelles des deux chambres du Parlement. À cette fin, il fut crĂ©Ă© une commission composĂ©e de dix-huit dĂ©putĂ©s et de dix-huit sĂ©nateurs.

71.  Le 20 septembre 2001, la commission dĂ©posa un rapport contenant les conclusions de sa majoritĂ©, intitulĂ© « Rapport final de l’enquĂȘte parlementaire d’information sur les faits survenus lors du G8 de GĂȘnes Â».

72.  Ce rapport citait les dĂ©clarations du responsable des activitĂ©s de la police pĂ©nitentiaire lors du sommet, selon lesquelles la dĂ©cision d’affecter Ă  la police pĂ©nitentiaire et Ă  la police judiciaire une seule et mĂȘme caserne s’était rĂ©vĂ©lĂ©e ĂȘtre « un choix malheureux Â».

73.  Le rapport indiquait ensuite que, dans la nuit du 21 au 22 juillet, la durĂ©e de la dĂ©tention Ă  la caserne de Bolzaneto des personnes arrĂȘtĂ©es avait Ă©tĂ© excessivement longue en raison de la fermeture de certains bureaux, qui aurait Ă©tĂ© due Ă  l’insuffisance de personnel, Ă  l’afflux des personnes arrĂȘtĂ©es dans l’école Diaz-Pertini et aux modalitĂ©s de transfert vers les prisons choisies en tant que lieux de dĂ©tention provisoire. Le rapport faisait aussi Ă©tat de ce que, au cours de la mĂȘme nuit, entre 1 h 35 et 2 heures, le ministre de la Justice s’était rendu Ă  la caserne de Bolzaneto et avait vu dans une cellule une femme et dix hommes placĂ©s jambes Ă©cartĂ©es et face contre le mur sous la surveillance d’un agent.

74.  Le rapport mentionnait en outre l’existence de deux enquĂȘtes administratives relatives aux faits survenus Ă  la caserne de Bolzaneto, engagĂ©es Ă  l’initiative du chef de la police et du ministre de la Justice. Le rapport provisoire de la deuxiĂšme enquĂȘte faisait Ă©tat de onze cas de violences dĂ©noncĂ©s par la presse ou par les victimes elles-mĂȘmes ainsi que d’autres vexations signalĂ©es par un infirmier.

75.  Le rapport indiquait enfin que, d’aprĂšs le prĂ©fet de police F., entendu par la commission parlementaire, certaines dĂ©clarations faites Ă  la presse ou aux enquĂȘteurs par les victimes s’étaient rĂ©vĂ©lĂ©es fausses et infondĂ©es. Le rapport concluait toutefois que le prĂ©fet F. n’avait pas prĂ©cisĂ© Ă  quel des centres de rĂ©partition (Forte San Giuliano, Bolzaneto ou les deux) se rĂ©fĂ©raient ses observations.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

76.  Pour ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents en l’espĂšce, la Cour renvoie Ă  son arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 87-106).

77.  La proposition de loi visant Ă  sanctionner la torture et les mauvais traitements, intitulĂ©e « Introduction du dĂ©lit de torture dans l’ordre juridique italien Â» (introduzione del delitto di tortura nell’ordinamento italiano), SĂ©nat de la RĂ©publique S-849, a Ă©tĂ© votĂ©e par le SĂ©nat de la RĂ©publique italienne le 5 mars 2014, puis transmise Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s qui a modifiĂ© le texte et envoyĂ© la nouvelle version au SĂ©nat le 13 avril 2015. Le 17 mai 2017, le SĂ©nat a adoptĂ© des amendements Ă  la proposition de loi et a communiquĂ© le nouveau texte Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s. Le 5 juillet 2017, la Chambre des dĂ©putĂ©s a dĂ©finitivement adoptĂ© le texte.

La loi no110 du 14 juillet 2017, intitulĂ©e « Introduction du dĂ©lit de torture dans l’ordre juridique italien (Introduzione del delitto di tortura nell’ordinamento italiano) a Ă©tĂ© publiĂ©e au Journal officiel (Gazzetta ufficiale) le 18 juillet 2017. Elle est entrĂ©e en vigueur le mĂȘme jour.

III.  Ă‰LÉMENTS PERTINENTS DE DROIT INTERNATIONAL

78.  Pour ce qui est des Ă©lĂ©ments de droit international pertinents en l’espĂšce, la Cour renvoie Ă  son arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 107-121).

EN DROIT

I.  SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

79.  Compte tenu de la similitude des prĂ©sentes requĂȘtes quant aux faits et aux questions de fond qu’elles soulĂšvent, la Cour juge appropriĂ© de les joindre, en application de l’article 42 de son rĂšglement.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

80.  Les requĂ©rants se plaignent d’avoir Ă©tĂ© soumis Ă  des actes de violence qu’ils qualifient de torture et de traitements inhumains et dĂ©gradants.

Ils invoquent l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellĂ© :

« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă  la torture ni Ă  des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. Â»

81.  Ils soutiennent aussi que l’enquĂȘte a Ă©tĂ© dĂ©faillante en raison des sanctions, Ă  leurs yeux inadĂ©quates, infligĂ©es aux personnes jugĂ©es responsables. À cet Ă©gard, ils dĂ©noncent notamment la prescription appliquĂ©e Ă  la plupart des dĂ©lits reprochĂ©s, la remise de peine dont certains condamnĂ©s auraient bĂ©nĂ©ficiĂ© et l’absence de sanctions disciplinaires Ă  l’égard de ces mĂȘmes personnes. Dans ce cadre, ils maintiennent que, en s’abstenant d’inscrire dans l’ordre juridique national le dĂ©lit de torture, l’État n’a pas adoptĂ© les mesures nĂ©cessaires permettant de prĂ©venir des violences et autres mauvais traitements similaires Ă  ceux dont ils se disent victimes.

Ils invoquent à cet égard les articles 3 et 13 de la Convention, pris séparément et combinés.

82.  Eu Ă©gard Ă  la formulation des griefs des requĂ©rants, la Cour estime qu’il convient d’examiner la question de l’absence d’une enquĂȘte effective sur les mauvais traitements allĂ©guĂ©s uniquement sous l’angle du volet procĂ©dural de l’article 3 de la Convention (Dembele c. Suisse, no 74010/11, § 33, 24 septembre 2013, avec les rĂ©fĂ©rences qui y figurent).

83.  Dans la seule requĂȘte no 21911/14, les requĂ©rants se plaignent Ă©galement, sur le terrain de l’article 5 § 2 de la Convention, d’un dĂ©faut de communication dans le plus court dĂ©lai et, le cas Ă©chĂ©ant, en prĂ©sence d’un interprĂšte, des raisons de leur arrestation et de toute accusation portĂ©e contre eux ; invoquant l’article 8 de la Convention, d’une privation non justifiĂ©e et dĂ©finitive de leurs effets personnels ; invoquant les articles 9, 10 et 11 de la Convention, de la violation de leurs libertĂ©s en consĂ©quence de leur seule participation aux manifestations du G8. Ils invoquent ces articles seuls ou combinĂ©s avec l’article 14 de la Convention.

84.  MaĂźtresse de la qualification juridique des faits (Guerra et autres c. Italie, 19 fĂ©vrier 1998, § 44, Recueil 1998‑I), la Cour considĂšre les actes dĂ©noncĂ©s dans ces griefs comme des Ă©lĂ©ments visant Ă  briser la rĂ©sistance psychologique des personnes placĂ©es Ă  l’intĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto et donc comme additionnels au grief principal relatif Ă  l’infliction de mauvais traitements (voir, entre autres, AlgĂŒr c. Turquie, no 32574/96, § 44, 22 octobre 2002). La Cour se propose dĂšs lors d’examiner ces griefs uniquement sous l’angle de l’article 3 de la Convention.

A.  Sur la demande de radiation du rĂŽle de la requĂȘte no 21911/14 en ce qui concerne les requĂ©rants figurant Ă  l’annexe I sous les numĂ©ros 1, 8, 9 et 14 de la liste

85.  La Cour a reçu des dĂ©clarations de rĂšglement amiable signĂ©es par les parties requĂ©rantes le 27 juillet 2016 et par le Gouvernement le 9 septembre 2016. Ce dernier s’engage Ă  verser Ă  chaque requĂ©rant la somme de 45 000 EUR au titre du prĂ©judice matĂ©riel et moral et pour les frais et dĂ©pens engagĂ©s tant dans la procĂ©dure devant la Cour que dans celle devant les juridictions internes, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt par les intĂ©ressĂ©s, lesquels ont renoncĂ© Ă  toute autre prĂ©tention Ă  l’encontre de la RĂ©publique italienne au sujet des faits Ă  l’origine de leurs requĂȘtes.

Cette somme sera versĂ©e dans les trois mois suivant la date de la notification de la dĂ©cision de la Cour. À dĂ©faut de rĂšglement dans ledit dĂ©lai, le Gouvernement s’engage Ă  verser, Ă  compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au rĂšglement effectif de la somme en question, un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne, augmentĂ© de trois points de pourcentage. Ce versement vaudra rĂšglement dĂ©finitif de l’affaire.

86.  La Cour prend acte du rĂšglement amiable auquel les parties sont parvenues. Elle estime que ce rĂšglement s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention et ses Protocoles, et elle ne voit par ailleurs aucun motif justifiant de poursuivre l’examen de la requĂȘte Ă  l’égard des requĂ©rants concernĂ©s.

87.  Partant, il convient de rayer l’affaire du rĂŽle en ce qui concerne les requĂ©rants figurant Ă  l’annexe I sous les numĂ©ros 1, 8, 9 et 14 de la liste correspondant Ă  la requĂȘte no 21911/14. La Cour poursuit l’examen de la requĂȘte no 21911/14 Ă  l’égard des autres requĂ©rants.

B.  Sur les requĂȘtes nos 1442/14 et 21319/14, et sur la requĂȘte no 21911/14 en ce qui concerne les requĂ©rants figurant Ă  l’annexe I sous les numĂ©ros 2-7, 10-13 et 15-17 de la liste

1.  Sur la recevabilitĂ©

88.  La Cour note que le Gouvernement n’a pas soulevĂ© d’exception d’irrecevabilitĂ© par rapport aux prĂ©sentes requĂȘtes. Constatant que les requĂȘtes ne sont pas manifestement mal fondĂ©es au sens de l’article 35 Â§ 3 a) de la Convention et qu’elles ne se heurtent par ailleurs Ă  aucun autre motif d’irrecevabilitĂ©, la Cour les dĂ©clare recevables.

2.  Sur le fond

a)  Sur le volet matĂ©riel de l’article 3 de la Convention

i.  ThĂšses des parties

α)  Les requĂ©rants

89.  Les requĂ©rants, arrĂȘtĂ©s puis placĂ©s Ă  la caserne de Bolzaneto, allĂšguent avoir Ă©tĂ© insultĂ©s, menacĂ©s, frappĂ©s et avoir fait l’objet d’autres types de mauvais traitements de la part de membres des forces de l’ordre. Ils dĂ©plorent les vives souffrances physiques et psychologiques que ces violences leur auraient causĂ©es.

90.  Les requĂ©rants dĂ©noncent Ă©galement l’impossibilitĂ© pour eux de prendre contact avec un proche, un avocat ou, le cas Ă©chĂ©ant, un reprĂ©sentant consulaire, ainsi que l’absence de prise en charge mĂ©dicale adaptĂ©e Ă  leur Ă©tat de santĂ©, les visites mĂ©dicales auxquelles ils auraient Ă©tĂ© soumis Ă©tant selon eux superficielles, souvent humiliantes et rĂ©alisĂ©es en prĂ©sence d’agents des forces de l’ordre (paragraphes 18-45 ci-dessus).

91.  Ils considĂšrent enfin que l’État n’a pas mis en place les mesures nĂ©cessaires qui leur Ă©viteraient d’ĂȘtre soumis Ă  de tels traitements et ils estiment que les actions des agents et fonctionnaires impliquĂ©s ne peuvent trouver d’autre justification que la volontĂ© de les punir, eux et les autres personnes arrĂȘtĂ©es, pour leurs opinions politiques et pour leur participation aux manifestations contre le sommet du G8 de GĂȘnes. Enfin, selon eux, les auteurs des mauvais traitements en cause ont agi avec le consentement et la connivence de leurs supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques prĂ©sents Ă  la caserne de Bolzaneto.

92.  Partant, compte tenu de tous ces Ă©lĂ©ments, les requĂ©rants estiment avoir Ă©tĂ© victimes de torture et de traitements inhumains et dĂ©gradants.

β)  Le Gouvernement

93.  Le Gouvernement assure ne pas sous-estimer la gravitĂ© des faits qui se sont produits au sein de la caserne de Bolzaneto entre le 20 et le 23 juillet 2001. Il estime que les actions commises par les agents de police constituent des infractions graves et dĂ©plorables, auxquelles l’État italien aurait rĂ©agi de maniĂšre adĂ©quate, Ă  travers l’action des tribunaux, en rĂ©tablissant l’état de droit affaibli par cet Ă©pisode.

94.  En gage de « complĂšte reconnaissance par l’Italie des violations des droits perpĂ©trĂ©es Â», le Gouvernement dĂ©clare souscrire « au jugement des juridictions nationales, qui ont trĂšs durement stigmatisĂ© le comportement des agents de police Â» Ă  l’époque des faits.

ii.  ApprĂ©ciation de la Cour

α)  Principes gĂ©nĂ©raux

95.  Les principes gĂ©nĂ©raux applicables en la matiĂšre ont Ă©tĂ© rĂ©cemment rappelĂ©s dans les arrĂȘts Bouyid c. Belgique ([GC], no 23380/09, §§ 88-90, CEDH 2015) et Bartesaghi Gallo et autres c. Italie (nos 12131/13 et 43390/13, §§ 111-113, 22 juin 2017).

β)  Application de ces principes aux circonstances en l’espĂšce

96.  La Cour note d’emblĂ©e que les tribunaux internes ont Ă©tabli de maniĂšre dĂ©taillĂ©e et approfondie, avec exactitude et au-delĂ  de tout doute raisonnable les mauvais traitements dont les personnes placĂ©es Ă  la caserne de Bolzaneto ont Ă©tĂ© l’objet (paragraphes 18-45 ci-dessus) et elle ne relĂšve pas d’élĂ©ments convaincants qui l’inciteraient Ă  s’écarter des conclusions auxquelles les juridictions internes sont parvenues (GĂ€fgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 93, CEDH 2010). Les tĂ©moignages des victimes ont Ă©tĂ© confirmĂ©s par les dĂ©positions de membres des forces de l’ordre et de l’administration publique, par les admissions partielles des accusĂ©s ainsi que par les documents Ă  disposition des magistrats, notamment les comptes rendus mĂ©dicaux et les expertises judiciaires.

97.  DĂšs lors, la Cour juge Ă©tablies tant les agressions physiques et verbales dont les requĂ©rants se plaignent que les sĂ©quelles dĂ©coulant de celles-ci. Elle constate en particulier ce qui suit :

–  dĂšs leur arrivĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto, il a Ă©tĂ© interdit aux requĂ©rants de lever la tĂȘte et de regarder les agents qui les entouraient ; ceux qui avaient Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s Ă  l’école Diaz-Pertini ont Ă©tĂ© marquĂ©s d’une croix tracĂ©e au feutre sur la joue ; tous les requĂ©rants ont Ă©tĂ© obligĂ©s de se tenir immobiles, bras et jambes Ă©cartĂ©s, face aux grilles Ă  l’extĂ©rieur de la caserne ; la mĂȘme position vexatoire a Ă©tĂ© imposĂ©e Ă  chacun Ă  l’intĂ©rieur des cellules ;

–  Ă  l’intĂ©rieur de la caserne, les requĂ©rants Ă©taient contraints de se dĂ©placer penchĂ©s en avant et la tĂȘte baissĂ©e ; dans cette position, ils devaient traverser « le tunnel des agents Â», Ă  savoir le couloir de la caserne dans lequel des agents se tenaient de chaque cĂŽtĂ© pour les menacer, les frapper et leur lancer des insultes Ă  caractĂšre politique ou sexuel (paragraphe 59 ci‑dessus) ;

–  lors des visites mĂ©dicales, les requĂ©rants ont Ă©tĂ© l’objet de commentaires, d’humiliations et parfois de menaces de la part du personnel mĂ©dical ou des agents de police prĂ©sents ;

–  les effets personnels des requĂ©rants ont Ă©tĂ© confisquĂ©s, voire dĂ©truits de façon alĂ©atoire ;

–  compte tenu de l’exiguĂŻtĂ© de la caserne de Bolzaneto ainsi que du nombre et de la rĂ©pĂ©tition des Ă©pisodes de brutalitĂ©, tous les agents et fonctionnaires de police prĂ©sents Ă©taient conscients des violences commises par leurs collĂšgues ou leurs subordonnĂ©s ;

–  les faits en cause ne peuvent se rĂ©sumer Ă  une pĂ©riode donnĂ©e au cours de laquelle, sans que cela ne puisse aucunement le justifier, la tension et les passions exacerbĂ©es auraient conduit Ă  de tels excĂšs : ces faits se sont dĂ©roulĂ©s pendant un laps de temps considĂ©rable, Ă  savoir entre la nuit du 20 au 21 juillet et le 23 juillet, ce qui signifie que plusieurs Ă©quipes d’agents se sont succĂ©dĂ© au sein de la caserne sans aucune diminution significative en frĂ©quence ou en intensitĂ© des Ă©pisodes de violence.

98.  En ce qui concerne les rĂ©cits individuels des requĂ©rants, la Cour ne peut que constater la gravitĂ© des faits dĂ©crits par les intĂ©ressĂ©s. Ce qui ressort du matĂ©riel probatoire dĂ©montre nettement que les requĂ©rants, qui n’ont opposĂ© aucune forme de rĂ©sistance physique aux agents, ont Ă©tĂ© victimes d’une succession continue et systĂ©matique d’actes de violence provoquant de vives souffrances physiques et psychologiques (Gutsanovi c. Bulgarie, n34529/10, § 126, CEDH 2013 (extraits)). Ces violences ont Ă©tĂ© infligĂ©es Ă  chaque individu dans un contexte gĂ©nĂ©ral d’emploi excessif, indiscriminĂ© et manifestement disproportionnĂ© de la force (Bouyid, prĂ©citĂ©, § 101).

99.  Ces Ă©pisodes ont eu lieu dans un contexte dĂ©libĂ©rĂ©ment tendu, confus et bruyant, les agents criant Ă  l’encontre des individus arrĂȘtĂ©s et entonnant de temps en temps des chants fascistes. Dans son arrĂȘt no 678/10 du 15 avril 2011, la cour d’appel de GĂȘnes a Ă©tabli que la violence physique et morale, loin d’ĂȘtre Ă©pisodique, a, au contraire, Ă©tĂ© indiscriminĂ©e, constante et en quelque sorte organisĂ©e, ce qui a eu pour rĂ©sultat de conduire Ă  « une sorte de processus de dĂ©shumanisation rĂ©duisant l’individu Ă  une chose sur laquelle exercer la violence Â» (paragraphe 62 ci-dessus).

100.  La gravitĂ© des faits de la prĂ©sente espĂšce rĂ©side Ă©galement dans un autre aspect qui, aux yeux de la Cour, est tout aussi important. En effet, elle a rappelĂ© Ă  maintes reprises que la situation de vulnĂ©rabilitĂ© dans laquelle se trouvent les personnes placĂ©es en garde Ă  vue impose aux autoritĂ©s le devoir de les protĂ©ger (ibidem, § 107). Or l’ensemble des faits litigieux dĂ©montre que les membres de la police prĂ©sents Ă  l’intĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto, les simples agents et, par extension, la chaĂźne de commandement, ont gravement contrevenu Ă  leur devoir dĂ©ontologique primaire de protection des personnes placĂ©es sous leur surveillance.

101.  Cela est d’ailleurs soulignĂ© par le tribunal de premiĂšre instance de GĂȘnes (paragraphe 48 ci-dessus), qui a estimĂ© que les agents poursuivis avaient trahi le serment de fidĂ©litĂ© et d’adhĂ©sion Ă  la Constitution et aux lois rĂ©publicaines en portant atteinte, par leur comportement, Ă  la dignitĂ© et Ă  la probitĂ© de la police italienne en tant que corps de mĂ©tier et, par suite, en affaiblissant la confiance de la population italienne dans les forces de l’ordre.

102.  La Cour ne saurait dĂšs lors nĂ©gliger la dimension symbolique de ces actes ni le fait que les requĂ©rants ont Ă©tĂ© non seulement les victimes directes de sĂ©vices, mais aussi les tĂ©moins impuissants de l’usage incontrĂŽlĂ© de la violence Ă  l’encontre des autres personnes arrĂȘtĂ©es. Aux atteintes portĂ©es Ă  l’intĂ©gritĂ© physique et psychologique individuelle s’est donc ajoutĂ© l’état d’angoisse et de stress causĂ© par les Ă©pisodes de violence auxquels ils ont assistĂ© (Iljina et Sarulienė c. Lituanie, n32293/05, § 47, 15 mars 2011).

103.  En s’appuyant notamment sur les conclusions de la cour d’appel de GĂȘnes (paragraphe 63 ci-dessus) et de la Cour de cassation (paragraphe 67 ci-dessus), la Cour estime que les requĂ©rants, traitĂ©s comme des objets aux mains de la puissance publique, ont vĂ©cu pendant toute la durĂ©e de leur dĂ©tention dans un lieu de « non-droit Â» oĂč les garanties les plus Ă©lĂ©mentaires avaient Ă©tĂ© suspendues.

104.  En effet, outre les Ă©pisodes de violence susmentionnĂ©s, la Cour ne saurait ignorer les autres atteintes aux droits des requĂ©rants s’étant produites Ă  la caserne de Bolzaneto. Aucun requĂ©rant n’a pu prendre contact avec un proche, un avocat de son choix ou, le cas Ă©chĂ©ant, un reprĂ©sentant consulaire. Les effets personnels ont Ă©tĂ© dĂ©truits sous les yeux de leurs propriĂ©taires. L’accĂšs aux toilettes Ă©tait refusĂ© et, en tous cas, les requĂ©rants ont Ă©tĂ© fortement dissuadĂ©s de s’y rendre en raison des insultes, des violences et des humiliations subies par les personnes ayant demandĂ© Ă  y accĂ©der. En outre, il y a lieu de remarquer que l’absence de nourriture et de draps en quantitĂ© suffisante, ce qui, d’aprĂšs les juges nationaux, ne dĂ©coulait pas tant d’une volontĂ© dĂ©libĂ©rĂ©e d’en priver les requĂ©rants que d’une mauvaise planification du fonctionnement du site, ne peut qu’avoir amplifiĂ© la situation de dĂ©tresse et le niveau de souffrance Ă©prouvĂ©s par les requĂ©rants.

105.  En conclusion, la Cour ne saurait ignorer que, en l’espĂšce, tel qu’il ressort des jugements internes (paragraphe 62 ci-dessus), les actes qui ont Ă©tĂ© commis dans la caserne de Bolzaneto sont l’expression d’une volontĂ© punitive et de reprĂ©sailles Ă  l’égard des requĂ©rants, privĂ©s de leurs droits et du niveau de protection reconnu Ă  tout individu par l’ordre juridique italien (voir, mutatis mutandis, Cestaro, prĂ©citĂ©, § 177).

106.  Ces Ă©lĂ©ments suffisent Ă  la Cour pour conclure que les actes de violence rĂ©pĂ©tĂ©s subis par les requĂ©rants Ă  l’intĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto doivent ĂȘtre regardĂ©s comme des actes de torture. Partant, il y a eu violation Ă  leur Ă©gard de l’article 3 de la Convention sous son volet matĂ©riel.

b)  Sur le volet procĂ©dural de l’article 3 de la Convention

i.  ThĂšses des parties

α)  Les requĂ©rants

107.  Les requĂ©rants, nonobstant la mĂ©ticuleuse enquĂȘte menĂ©e par le procureur de la RĂ©publique de GĂȘnes et les conclusions du tribunal de premiĂšre instance et de la cour d’appel de GĂȘnes ayant permis d’établir les faits allĂ©guĂ©s, reprochent aux juges d’avoir appliquĂ© la prescription Ă  la quasi-totalitĂ© des dĂ©lits imputĂ©s aux accusĂ©s. Ils indiquent que seuls des dĂ©lits mineurs ont Ă©tĂ© retenus Ă  l’égard d’un nombre rĂ©duit d’accusĂ©s, lesquels auraient par ailleurs, en raison de la courte durĂ©e des peines prĂ©vues, bĂ©nĂ©ficiĂ© du sursis Ă  l’exĂ©cution ou d’une remise de peine en application de la loi no 241 du 29 juillet 2006. Ils dĂ©noncent ainsi l’issue de la procĂ©dure pĂ©nale et Ă©voquent Ă  cet Ă©gard les arrĂȘts de la Cour AbdĂŒlsamet Yaman c. Turquie (no 32446/96, § 55, 2 novembre 2004) et Ali et Ayşe Duran c. Turquie (no 42942/02, § 69, 8 avril 2008).

108.  Les requĂ©rants prĂ©cisent qu’en outre les responsables des Ă©vĂ©nements de la caserne de Bolzaneto n’ont Ă©tĂ© punis par aucune mesure disciplinaire de suspension pendant le procĂšs ou de sanction Ă  l’issue de celui-ci, et qu’ils ont mĂȘme obtenu des promotions par la suite.

109.  Ils critiquent dĂšs lors l’absence dans l’ordre juridique interne d’un dĂ©lit punissant la torture et les traitements inhumains ou dĂ©gradants, disposition lĂ©gislative qui aurait permis selon eux de poursuivre non seulement les auteurs matĂ©riels mais aussi les coresponsables des actes en question, notamment les supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques. En effet, ils arguent que la qualification juridique des faits retenue par les juges internes prĂ©voyait un Ă©lĂ©ment psychologique spĂ©cifique que l’interdiction de la torture ne prĂ©voirait pas, ce qui permettrait de poursuivre les auteurs matĂ©riels et ceux qui, en raison de leur connivence ou de leur consentement, ont participĂ© Ă  la commission d’actes pouvant ĂȘtre qualifiĂ©s de torture ou de traitements inhumains ou dĂ©gradants.

110.  La nĂ©cessitĂ© de criminaliser la torture et les autres mauvais traitements se justifierait en outre par la nĂ©cessitĂ© d’éviter l’application de la prescription ou d’autres mesures de clĂ©mence Ă  des actes particuliĂšrement graves et suscitant des troubles considĂ©rables au niveau social.

111.  Quant Ă  la possibilitĂ© d’obtenir une indemnisation dans le cadre de la procĂ©dure civile en dommages-intĂ©rĂȘts, les requĂ©rants s’appuient sur la jurisprudence de la Cour (GĂ€fgen, prĂ©citĂ©, §§ 116-119) pour souligner l’ineffectivitĂ© du remĂšde civil eu Ă©gard Ă  l’infliction dĂ©libĂ©rĂ©e de mauvais traitements.

β)  Le Gouvernement

112.  Le Gouvernement conteste la thĂšse des requĂ©rants et maintient que l’État a bien rempli son obligation positive de mener une enquĂȘte indĂ©pendante et impartiale. Il soutient que les autoritĂ©s ont adoptĂ© toutes les mesures permettant l’identification et la condamnation des responsables des mauvais traitements litigieux Ă  une peine adĂ©quate, comme l’exige la jurisprudence de la Cour.

113.  Il estime en particulier que, Ă  l’issue d’une procĂ©dure pĂ©nale complexe et approfondie qui a permis l’établissement des faits dĂ©noncĂ©s, les quarante-cinq policiers poursuivis ont Ă©tĂ© condamnĂ©s, mĂȘme si, pour la plupart d’entre eux, la cour d’appel a reconnu l’application de la prescription. En ce qui concerne l’action civile, il indique que tous les requĂ©rants se sont vu accorder une somme Ă  titre de provision sur les dommages-intĂ©rĂȘts.

114.  Se penchant ensuite sur l’allĂ©gation relative Ă  l’absence du dĂ©lit de « torture » dans l’ordre juridique italien, le Gouvernement expose que les juges internes ont pu sanctionner de maniĂšre adĂ©quate les dĂ©lits contre la personne en utilisant l’arsenal juridique existant. À ce titre, il maintient que la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dĂ©gradants du 10 dĂ©cembre 1984 ne prĂ©voit pas une dĂ©finition univoque de la notion de « torture Â», ce qui impliquerait que le code pĂ©nal italien permet de sanctionner de maniĂšre appropriĂ©e les diffĂ©rentes formes de mauvais traitements.

115.  Enfin, le Gouvernement informe la Cour qu’une proposition de loi visant Ă  introduire dans le code pĂ©nal italien le dĂ©lit de torture est actuellement en cours d’examen devant le Parlement (paragraphe 77 ci‑dessus). Il prĂ©cise que des peines pouvant aller jusqu’à douze ans de prison sont envisagĂ©es en cas de mauvais traitements infligĂ©s par des fonctionnaires ou des officiers publics et que la peine d’emprisonnement Ă  perpĂ©tuitĂ© pourra ĂȘtre prononcĂ©e lorsque les mauvais traitements en question ont causĂ© le dĂ©cĂšs de la victime.

ii.  ApprĂ©ciation de la Cour

α)  Principes gĂ©nĂ©raux

116.  La Cour rappelle que, lorsqu’un individu soutient de maniĂšre dĂ©fendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’État, un traitement contraire Ă  l’article 3 de la Convention, cette disposition, combinĂ©e avec le devoir gĂ©nĂ©ral imposĂ© Ă  l’État par l’article 1 de « reconnaĂźtre Ă  toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertĂ©s dĂ©finis (...) [dans la] Convention Â», requiert, par implication, qu’il y ait une enquĂȘte officielle effective. Cette enquĂȘte doit pouvoir mener Ă  l’identification et, le cas Ă©chĂ©ant, Ă  la punition des responsables et Ă  l’établissement de la vĂ©ritĂ©. S’il n’en allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, l’interdiction lĂ©gale gĂ©nĂ©rale de la torture et des peines et traitements inhumains ou dĂ©gradants serait inefficace en pratique, et il serait possible dans certains cas Ă  des agents de l’État de piĂ©tiner, en jouissant d’une impunitĂ© virtuelle, les droits des personnes soumises Ă  leur contrĂŽle (voir, parmi beaucoup d’autres, Nasr et Ghali c. Italie, no 44883/09, § 262, 23 fĂ©vrier 2016).

117.  Les principes pertinents concernant les Ă©lĂ©ments d’« une enquĂȘte officielle effective Â» ont Ă©tĂ© rappelĂ©s rĂ©cemment par la Cour dans son arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 205-212, et les rĂ©fĂ©rences qui y sont citĂ©es) et rĂ©sumĂ©s dans son arrĂȘt Nasr et Ghali (prĂ©citĂ©, § 263), auxquels la Cour renvoie.

β)  Application de ces principes aux circonstances en l’espĂšce

118.  La Cour observe d’emblĂ©e que la plupart des auteurs matĂ©riels des actes de « torture Â» (paragraphe 49 ci-dessus) n’ont pu ĂȘtre ni identifiĂ©s par les autoritĂ©s judiciaires ni inquiĂ©tĂ©s par une enquĂȘte, et qu’ils sont donc restĂ©s impunis.

119.  Tout en rappelant que l’obligation de mener une enquĂȘte n’est pas, selon sa jurisprudence, une obligation de rĂ©sultat mais de moyens (voir, parmi beaucoup d’autres, Gheorghe Dima c. Roumanie, no 2770/09, § 100, 19 avril 2016), il y a lieu de noter que les remarquables efforts des juges nationaux pour identifier les agents de police ayant participĂ© aux faits dĂ©noncĂ©s se sont soldĂ©s par un Ă©chec pour deux raisons principales.

120.  D’une part, l’interdiction faite aux requĂ©rants de regarder les agents et l’obligation qui leur Ă©tait imposĂ©e de se tenir face aux grilles Ă  l’extĂ©rieur de la caserne ou au mur des cellules, combinĂ©es Ă  l’absence de signes distinctifs sur l’uniforme des agents, tel qu’un numĂ©ro de matricule, ont contribuĂ© Ă  rendre impossible l’identification par les victimes des policiers prĂ©sents dans la caserne de Bolzaneto.

121.  D’autre part, la Cour constate que le regrettable manque de coopĂ©ration de la police avec les autoritĂ©s judiciaires chargĂ©es de l’enquĂȘte a Ă©tĂ© dĂ©terminant en l’occurrence.

122.  En ce qui concerne la procĂ©dure pĂ©nale, elle note que la vaste majoritĂ© des dĂ©lits de lĂ©sions corporelles, simples ou aggravĂ©s, ainsi que ceux de calomnie et d’abus d’autoritĂ© publique ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s prescrits. En effet, sur quarante-cinq personnes renvoyĂ©es en justice, la Cour de cassation (paragraphe 65 ci-dessus) n’a confirmĂ© la condamnation que de huit agents ou cadres des forces de l’ordre Ă  des peines d’emprisonnement allant d’un an pour abus d’autoritĂ© publique (les trois agents condamnĂ©s ayant renoncĂ© Ă  la prescription) Ă  trois ans et deux mois pour le dĂ©lit de lĂ©sions corporelles (puis rĂ©duite de trois ans en application de la loi no 241/06). La Cour constate que tous les condamnĂ©s ont bĂ©nĂ©ficiĂ© soit de la remise de peine, soit du sursis Ă  l’exĂ©cution et de la non-inscription de la condamnation au casier judiciaire. Elle remarque que, en pratique, personne n’a passĂ© un seul jour en prison pour les traitements infligĂ©s aux requĂ©rants.

123.  En vertu de l’article 19 de la Convention et conformĂ©ment au principe voulant que la Convention garantisse des droits non pas thĂ©oriques ou illusoires, mais concrets et effectifs, la Cour doit s’assurer que l’État s’acquitte comme il se doit de l’obligation qui lui est faite de protĂ©ger les droits des personnes relevant de sa juridiction, en particulier dans les cas oĂč il existe une disproportion manifeste entre la gravitĂ© de l’acte et la sanction infligĂ©e. Sinon, le devoir qu’ont les États de mener une enquĂȘte effective perdrait beaucoup de son sens.

124.  Partant, elle ne peut que relever que, malgrĂ© l’établissement des faits les plus graves par les juridictions internes, la prescription a empĂȘchĂ© le constat de la responsabilitĂ© pĂ©nale de leurs auteurs. Elle remarque aussi que, en application de la loi no 241 du 29 juillet 2006 relative aux conditions d’octroi de la remise gĂ©nĂ©rale de peine (indulto), les peines prononcĂ©es pour les autres dĂ©lits ont Ă©tĂ© rĂ©duites de trois ans (paragraphe 53 ci-dessus).

125.  Elle rappelle que, parmi les Ă©lĂ©ments qui caractĂ©risent une enquĂȘte effective sur le terrain de l’article 3 de la Convention, le fait que les poursuites judiciaires ne souffrent d’aucun dĂ©lai de prescription est primordial. Elle indique Ă©galement avoir dĂ©jĂ  jugĂ© que l’octroi d’une amnistie ou d’un pardon ne devrait pas ĂȘtre tolĂ©rĂ© en matiĂšre de torture ou de mauvais traitements infligĂ©s par des agents de l’État (AbdĂŒlsamet Yaman, prĂ©citĂ©, § 55, et Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09 et 2 autres, § 326, CEDH 2014 (extraits)).

126.  Comme elle l’a fait dans son arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 223 et 224), la Cour reconnaĂźt que les juges nationaux ont dĂ» diligenter pour les faits relatifs Ă  la caserne de Bolzaneto une procĂ©dure pĂ©nale complexe liĂ©e Ă  un Ă©pisode de violence policiĂšre unique dans l’histoire de la RĂ©publique italienne. Elle ne saurait ignorer qu’aux difficultĂ©s de la procĂ©dure Ă  l’égard de nombre de coaccusĂ©s et de parties civiles se sont ajoutĂ©s des obstacles liĂ©s au manque de coopĂ©ration de la part de l’administration de la police (paragraphe 49 ci-dessus).

127.  Contrairement Ă  sa conclusion dans d’autres affaires, la Cour considĂšre que, en l’espĂšce, la durĂ©e de la procĂ©dure interne et le non-lieu prononcĂ© pour cause de prescription de la plupart des dĂ©lits ne sont pas imputables aux atermoiements ou Ă  la nĂ©gligence du parquet ou des juges internes, mais aux dĂ©faillances structurelles de l’ordre juridique italien (voir, parmi d’autres, Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, §§ 142‑147, CEDH 2004‑IV (extraits), et HĂŒseyin Şimşek c. Turquie, no 68881/01, §§ 68-70, 20 mai 2008).

128.  En effet, aux yeux de la Cour, l’origine du problĂšme rĂ©side dans le fait qu’aucune des infractions pĂ©nales existantes n’apparaĂźt Ă  mĂȘme d’englober toute la gamme de questions soulevĂ©es par un acte de torture dont un individu risque d’ĂȘtre victime (Myumyun c. Bulgarie, no 67258/13, § 77, 3 novembre 2015).

129.  La Cour a dĂ©jĂ  jugĂ© dans son arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, § 225) que la lĂ©gislation pĂ©nale nationale appliquĂ©e dans les affaires en cause s’était rĂ©vĂ©lĂ©e Ă  la fois inadĂ©quate par rapport Ă  l’exigence de sanction des actes de torture en question et dĂ©pourvue de l’effet dissuasif nĂ©cessaire Ă  la prĂ©vention des violations similaires de l’article 3 de la Convention.

130.  Dans ce cadre, elle a invitĂ© l’Italie Ă  se munir des outils juridiques aptes Ă  sanctionner de maniĂšre adĂ©quate les responsables d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements au regard de l’article 3 et Ă  empĂȘcher que ceux-ci puissent bĂ©nĂ©ficier de l’application de mesures en contradiction avec la jurisprudence de la Cour, notamment la prescription et la remise de peine (ibidem, §§ 242-246).

131.  Le lĂ©gislateur italien a prĂ©sentĂ© une proposition de loi introduisant le dĂ©lit de torture. AprĂšs des modifications successives, le 18 juillet 2017 la loi est entrĂ©e en vigueur. La Cour prend note de l’introduction des nouvelles dispositions qui ne trouvent pas Ă  s’appliquer en l’espĂšce.

132.  Concernant, enfin, les mesures disciplinaires, la Cour observe que le Gouvernement indique que les policiers concernĂ©s n’ont pas Ă©tĂ© suspendus de leurs fonctions pendant le procĂšs. Elle note que le Gouvernement ne prĂ©cise pas si ces mĂȘmes policiers ont fait l’objet de mesures disciplinaires et n’indique pas, le cas Ă©chĂ©ant, quelles ont Ă©tĂ© les mesures adoptĂ©es Ă  cet Ă©gard.

133.  La Cour rappelle en tout Ă©tat de cause, Ă  ce propos, avoir rĂ©pĂ©tĂ© que, lorsque des agents de l’État sont inculpĂ©s d’infractions impliquant des mauvais traitements, il importe qu’ils soient suspendus de leurs fonctions pendant l’instruction ou le procĂšs et en soient dĂ©mis en cas de condamnation (voir, parmi beaucoup d’autres, AbdĂŒlsamet Yaman, prĂ©citĂ©, § 55, Ali et Ayşe Duran, prĂ©citĂ©, § 64, Çamdereli, prĂ©citĂ©, § 38, GĂ€fgen, prĂ©citĂ©, § 125, Cestaro, prĂ©citĂ©, § 205, Erdal Aslan c. Turquie, nos 25060/02 et 1705/03, §§ 74 et 76, 2 dĂ©cembre 2008, et Saba c. Italie, no 36629/10, § 78, 1er juillet 2014).

134.  En conclusion, la Cour considĂšre que les requĂ©rants n’ont pas bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une enquĂȘte officielle effective aux fins de l’article 3 de la Convention. Partant, elle conclut qu’il y a eu violation de cette disposition sous son volet procĂ©dural.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

135.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s’il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

A.  Dommage

136.  Les requĂ©rants des requĂȘtes nos 1442/14 et 21319/14 rĂ©clament 150 000 EUR chacun au titre du prĂ©judice matĂ©riel et moral qu’ils estiment avoir subi tandis que les requĂ©rants de la requĂȘte no 21911/14 (notamment les requĂ©rants figurant Ă  l’annexe I sous les numĂ©ros 2-7, 10-13 et 15-17 de la liste correspondante) s’en remettent Ă  l’apprĂ©ciation de la Cour.

137.  Le Gouvernement conteste ces prĂ©tentions et critique le montant rĂ©clamĂ© par les requĂ©rants comme Ă©tant disproportionnĂ© notamment en raison des versements dĂ©jĂ  effectuĂ©s de sommes Ă  titre de provision sur les dommages-intĂ©rĂȘts. Il prĂ©cise Ă  cet Ă©gard que les requĂ©rants ont obtenu des indemnitĂ©s au niveau national, d’un montant compris entre 10 000 EUR et 15 000 EUR, et, dans deux cas, d’un montant de 70 000 EUR.

138.  La Cour relĂšve que les requĂ©rants n’ont pas Ă©tayĂ© suffisamment leurs prĂ©tentions pour que le lien de causalitĂ© nĂ©cessaire entre la violation constatĂ©e et le dommage matĂ©riel allĂ©guĂ© pĂ»t ĂȘtre Ă©tabli. Elle rejette par consĂ©quent cette partie de la demande (Eğitim ve Bilim Emekçileri Sendikası et autres c. Turquie, no 20347/07, § 116, 5 juillet 2016).

139.  En ce qui concerne le dommage moral, la Cour considĂšre que les requĂ©rants ont subi un prĂ©judice moral certain du fait des violations constatĂ©es. Compte tenu des circonstances de l’affaire et, notamment, du dĂ©dommagement dĂ©jĂ  obtenu au niveau national par les requĂ©rants (Cestaro, prĂ©citĂ©, § 251), la Cour, statuant en Ă©quitĂ©, estime qu’il y a lieu d’octroyer Ă  ce titre Ă  Mme Menegon et M. Spingi la somme de 10 000 EUR (dix mille euros) chacun, aux requĂ©rants des requĂȘtes nos 1442/14 et 21319/14 et aux requĂ©rants figurant Ă  l’annexe I sous les numĂ©ros 2-7, 10, 12, 13, 16 et 17 de la liste correspondant Ă  la requĂȘte no 21911/14 la somme de 70 000 EUR (soixante-dix mille euros) chacun.

B.  Frais et dĂ©pens

140.  Les requĂ©rants de la requĂȘte no 1442/14 ont sollicitĂ© le remboursement des frais et dĂ©pens engagĂ©s dans la procĂ©dure devant la Cour sans les quantifier. DĂšs lors, la Cour estime qu’il y lieu de rejeter ces demandes. Quant aux requĂ©rants de la requĂȘte no 21319/14, ils n’ont formulĂ© aucune demande de remboursement concernant des frais et dĂ©pens qu’ils auraient engagĂ©s dans la procĂ©dure devant la Cour. La Cour estime dĂšs lors qu’il n’y a pas lieu de leur accorder de somme Ă  ce titre.

141.  Les requĂ©rants de la requĂȘte no 21911/14 sollicitent 66 357,28 EUR en remboursement des frais et dĂ©pens engagĂ©s dans la procĂ©dure devant la Cour et ils produisent Ă  cet Ă©gard des notes d’honoraires Ă©manant des diffĂ©rents avocats les ayant reprĂ©sentĂ©s. En particulier, ils distinguent les frais et dĂ©pens exposĂ©s pour l’assistance de Mes V. Onida et B. Randazzo, se rapportant au travail d’étude, de rĂ©daction et de suivi de la requĂȘte introduite par tous les requĂ©rants, de ceux relatifs au travail de collecte d’informations effectuĂ© par les autres avocats ayant assistĂ© un ou plusieurs requĂ©rants.

142.  En ce qui concerne ces derniers, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime en principe raisonnable la somme demandĂ©e pour la procĂ©dure devant elle.

143.  Pour ce qui est des avocats Mes Onida et Randazzo, les requĂ©rants demandent 17 001,92 EUR pour frais et dĂ©pens. Ils rĂ©clament en premier lieu 4 313,92 EUR pour les frais qui auraient Ă©tĂ© exposĂ©s Ă  titre de dĂ©bours par le cabinet. En outre, ils sollicitent le remboursement des honoraires qu’ils souhaitent verser aux avocats pour leur assistance juridique pro bono relative Ă  la rĂ©daction de la requĂȘte et au suivi de la procĂ©dure. À ce titre, « dans le cas oĂč la Cour octroie Ă  titre de satisfaction Ă©quitable une somme Ă  chaque requĂ©rant, qui comprend aussi le remboursement des honoraires d’avocat Â», les requĂ©rants estiment raisonnable la somme globale de 12 688 EUR. Ils fournissent Ă  cet Ă©gard une note d’honoraires du cabinet d’avocats.

144.  Le Gouvernement conteste ces prĂ©tentions.

145.  Selon les critĂšres dĂ©gagĂ©s par sa jurisprudence lorsqu’elle se prononce sur la satisfaction Ă©quitable (article 41 de la Convention), la Cour examine une demande de remboursement de frais et dĂ©pens en estimant qu’un requĂ©rant ne peut obtenir leur remboursement que dans la mesure oĂč se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ© et le caractĂšre raisonnable de leur taux (Dudgeon c. Royaume-Uni (article 50), 24 fĂ©vrier 1983, § 20, sĂ©rie A no 59, et Koudechkina c. Russie, no 29492/05, § 109, 26 fĂ©vrier 2009).

146.  En l’occurrence, la Cour observe que les requĂ©rants ont accompagnĂ© leur demande de piĂšces justificatives nĂ©cessaires (Sejdić et Finci c. Bosnie-HerzĂ©govine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, §§ 64-66, CEDH 2009, Troubnikov c. Russie, n49790/99, §§100-104, 5 juillet 2005, Akoulinine et Babitch c. Russie, no 5742/02, §§ 71-73, 2 octobre 2008, Omojudi c. Royaume-Uni, n1820/08, §§ 58-60, 24 novembre 2009, Artyomov c. Russie, no 14146/02, §§ 219-222, 27 mai 2010, Shulenkov c. Russie, no 38031/04, § 69-71, 17 juin 2010 et Gheorghe Dima, prĂ©citĂ©, § 117-119 ).

147.  Pour ce qui est de la complexitĂ© de l’affaire, la Cour observe que les requĂ©rants sont de nationalitĂ©s diffĂ©rentes et que, pour la plupart d’entre eux, ils ne rĂ©sident pas en Italie, ce qui a demandĂ© Ă  la fois un long travail de collecte des informations et de la documentation nĂ©cessaires pour Ă©tayer la requĂȘte et un effort de coordination consĂ©quent. En outre, il ressort de la qualitĂ© et de l’ampleur des observations prĂ©sentĂ©es qu’un travail considĂ©rable a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© au nom des requĂ©rants.

148.  Enfin, quant au caractĂšre raisonnable du montant des frais et dĂ©pens, la Cour note que les dix-sept requĂ©rants demandent au total 12 688 EUR pour les frais et dĂ©pens, ce qui correspond Ă  environ 750 EUR chacun.

149.  En conclusion, sous rĂ©serve des paragraphes suivants, la Cour estime en principe raisonnable la demande de frais et dĂ©pens prĂ©sentĂ©e par les requĂ©rants pour l’activitĂ© pro bono de leurs avocats.

150.  Elle constate cependant que certains parmi les requĂ©rants ont acceptĂ© la proposition de rĂšglement amiable prĂ©sentĂ©e par le gouvernement dĂ©fendeur (paragraphes 85-87 ci-dessus). Le texte de la dĂ©claration, formulĂ©e de maniĂšre identique pour chaque requĂ©rant concernĂ©, est ainsi libellĂ© en sa partie pertinente en l’espĂšce :

« Le Gouvernement a proposĂ© au requĂ©rant la somme de 45 000 EUR (quarante-cinq mille euros) au titre des prĂ©judices matĂ©riel et moral ainsi que pour les frais et dĂ©pens, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt par l’intĂ©ressĂ©, lequel a renoncĂ© Ă  toute autre prĂ©tention Ă  l’encontre de l’Italie concernant les faits Ă  l’origine de sa requĂȘte. Â»

151.  DĂšs lors, en acceptant la proposition de rĂšglement amiable, ces requĂ©rants ont renoncĂ© Ă  toute prĂ©tention relative aux frais et dĂ©pens. Par consĂ©quent, la Cour dĂ©cide qu’il y a lieu de dĂ©duire du montant global demandĂ© la somme correspondant aux requĂ©rants ayant acceptĂ© la proposition de rĂšglement amiable (Bartesaghi Gallo et autres, prĂ©citĂ©, §§ 131-133).

152.  En conclusion, la Cour accorde aux requĂ©rants de la requĂȘte no 21911/14 figurant Ă  l’annexe I sous les numĂ©ros 2-7, 10-13 et 15-17 de la liste correspondante la somme globale de 40 320 EUR en remboursement des frais et dĂ©pens engagĂ©s dans la procĂ©dure devant elle (voir l’annexe II pour le dĂ©tail des sommes accordĂ©es aux requĂ©rants).

C.  IntĂ©rĂȘts moratoires

153.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d’intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  DĂ©cide de joindre les requĂȘtes ;

2.  DĂ©cide de rayer la requĂȘte du rĂŽle en ce qui concerne les requĂ©rants dans la requĂȘte no 21911/14 qui figurent Ă  l’annexe I sous les numĂ©ros 1, 8, 9 et 14 de la liste correspondante ;

3.  DĂ©clare les requĂȘtes recevables ;

4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet matĂ©riel ;

5.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procĂ©dural ;

6.  Dit

a)  que l’État dĂ©fendeur doit verser aux requĂ©rants, dans les trois mois Ă  compter du jour oĂč l’arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l’article 44 Â§ 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i.  10 000 EUR (dix mille euros) Ă  chacun des requĂ©rants Mme Menegon et Ă  M. Spingi, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt, pour dommage moral,

ii.  70 000 EUR (soixante-dix mille euros) Ă  chacun des requĂ©rants des requĂȘtes nos 1442/14 et 21319/14 et des requĂ©rants de la requĂȘte no 21911/14 figurant Ă  l’annexe I sous les numĂ©ros 2-7, 10, 12, 13, 16 et 17 de la liste correspondante, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt, pour dommage moral,

iii.  40 320 EUR (quarante mille trois cent vingt euros) aux requĂ©rants de la requĂȘte no 21911/14 figurant Ă  l’annexe I sous les numĂ©ros 2-7, 10-13 et 15-17 de la liste correspondante, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» par eux Ă  titre d’impĂŽt, pour frais et dĂ©pens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit dĂ©lai et jusqu’au versement, ces montants seront Ă  majorer d’un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

7.  Rejette la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 26 octobre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement de la Cour.

  Abel Campos                          Linos-Alexandre Sicilianos

  Greffier                                   Président


 

ANNEXE I

RequĂȘte no 1442/14 (introduite le 10/12/2013)

 

 

No

Prénom

NOM

Date de naissance

Nationalité

Lieu de résidence

Représenté par

1.        

Jonathan Norman

BLAIR

31/03/1963

Britannique

Londres

Gilberto Pagani

2.        

Daniel Mark Thomas

Mc QUILLAN

23/09/1965

Britannique

Londres

Gilberto Pagani

3.        

Samuel BUCHANAN

02/06/1965

Néozélandaise

Paekakariki

Gilberto Pagani

 

 

RequĂȘte no 21319/14 (introduite le 06/03/2014)

 

 

No

Prénom

NOM

Date de naissance

Nationalité

Lieu de résidence

Représenté par

1.

Massimiliano Mario

AMODIO

01/05/1970

Italienne

Naples

Simonetta Crisci

2.

Valerio

Callieri

09/09/1980

Italienne

Rome

Simonetta Crisci

3.

Raffaele

Della Corte

01/02/1955

Italienne

Ascoli Piceno

Simonetta Crisci

4.

Alfonso

De Munno

17/08/1974

Italienne

Rome

Simonetta Crisci

5.

David

Morozzi

22/07/1978

Italienne

Bevagna

Simonetta Crisci

6.

Maria Addolorata Morrone

28/10/1963

Italienne

Taranto

Simonetta Crisci

7.

Sergio Pignatale

22/04/1956

Italienne

Taranto

Simonetta Crisci

8.

Mohamed Tabbach

25/01/1954

Syrienne

Villa Stellone

Simonetta Crisci

 

 

RequĂȘte no 21911/14 (introduite le 10/03/2014)

 

No

Prénom

NOM

Date de naissance

Nationalité

Lieu de résidence

Représenté par

1.

Rosana ALLUEVA FORTEA

16/09/1980

Espagnole

Monreal del Campo

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Emanuele Tambuscio

2.

Stefan

Brauer

24/07/1971

Allemande

Storkow

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Silvia Rocca

3.

Roberto Raimondo Cuccadu

10/01/1953

Italienne

Milan

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Fabio Taddei

4.

David Moret Ferndandez

07/11/1971

Espagnole

Lleida

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Emanuele Tambuscio

5.

Chiara Germano

09/04/1980

Italienne

GĂšnes

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Laura Tartarini

6.

Adolfo Sesma Gonzales

26/05/1970

Espagnole

Saragosse

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Emanuele Tambuscio

7.

Thorsten Hinrichsmeyer

04/06/1973

Allemande

Hambourg

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Sara Busoli

8.

Cristiano Ighina

09/07/1964

Italienne

Besano (Varese)

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Fabio Taddei

9.

Boris

Laconi

31/05/1974

Italienne

Montoggio (GĂšnes)

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Fabio Taddei

10.

Felix Pablo Marquello

05/11/1965

Espagnole

Saragosse

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Emanuele Tambuscio

11.

Elisabetta Valentina Menegon

05/09/1966

Italienne

Londres

Valerio Onida

Barbara Randazzo

12.

Angelo Passiatore

22/01/1978

Italienne

Turin

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Fabio Taddei

13.

Stephan Pfister

17/09/1980

Suisse

Gachnang

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Fabio Taddei

14.

Benito Francisco Javier Samperiz

14/05/1976

Espagnole

Saragosse

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Emanuele Tambuscio

15.

Massimiliano Spingi

09/05/1966

Italienne

Rome

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Paolo A. Sodani

16.

Kirsten Wagenschein

12/05/1968

Allemande

Berlin

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Laura Tartarini

17.

Guillermina Garcia Zapatero

09/03/1974

Espagnole

Turin

Valerio Onida

Barbara Randazzo

Laura Tartarini

Annexe II

 

 

Avocats représentants

 

Requérants représentés

Montant total Ă  payer[2]

 

Me V. ONIDA

Me B. RANDAZZO

 

 

Tous les requĂ©rants de la requĂȘte no 21911/14

 

 

13 000 EUR

 

Me S. BUSOLI

 

 

Thorsten Hinrichsmeyer

 

2 530 EUR

 

Me S. ROCCA

 

 

Stefan BRAUER

 

 

2 530 EUR

 

Me P. A. SODANI

 

 

Massimo SPINGI

 

2 530 EUR

 

Me F. TADDEI

 

Roberto Raimondo Cuccadu

Cristiano Ighina

Boris Laconi

Angelo Passiatore

Stephan Pfister

 

 

7 600 EUR

 

Me L. TARTARINI

 

Chiara Germano

Kirsten Wagenschein

Guillermina Zapatero Garcia

 

 

7 600 EUR

 

Me E. TAMBUSCIO

 

Rosana Allueva Fortea

Felix Pablo Marquello

David Moret Ferndandez

Benito Francisco Javier Samperiz

Adolfo Sesma Gonzales

 

 

4 500 EUR

 

 

 

 

 

 

 

 



[1].  Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, CEDH 2011 (extraits) ; voir Ă©galement le « Rapport final de l’enquĂȘte parlementaire d’information sur les faits survenus lors du G8 de GĂȘnes du 20 septembre 2001 Â» ; le jugement no 3119/08 du tribunal de GĂȘnes, rendu le 14 juillet 2008 et dĂ©posĂ© le 27 novembre 2008 ; le jugement no 4252/08 du tribunal de GĂȘnes, rendu le 13 novembre 2008 et dĂ©posĂ© le 11 fĂ©vrier 2009 ; l’arrĂȘt no 1530/10 de la cour d’appel de GĂȘnes, rendu le 18 mai 2010 et dĂ©posĂ© le 31 juillet 2010 ; l’arrĂȘt no 678/10 de la cour d’appel de GĂȘnes, rendu le 5 mars 2010 et dĂ©posĂ© le 15 avril 2011 ; l’arrĂȘt no 38085/12 de la Cour de cassation, rendu le 5 juillet 2012 et dĂ©posĂ© le 2 octobre 2012.

[2].  Certains requĂ©rants ont acceptĂ© la proposition de rĂšglement amiable en renonçant Ă  toute prĂ©tention relative aux frais et dĂ©pens engagĂ©s (paragraphe 85 ci-dessus).