Corte europea dei diritti dellâuomo
(Prima Sezione)
26 ottobre 2017
AFFAIRE BLAIR ET AUTRES c. ITALIE
(RequĂȘtes nos
1442/14 et 2 autres â voir liste en annexe)
DĂFINITIF
26/01/2018
Cet arrĂȘt est devenu
dĂ©finitif en vertu de lâarticle 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme.
En lâaffaire Blair et autres c. Italie,
La Cour
europĂ©enne des droits de lâhomme (premiĂšre section), siĂ©geant en une chambre
composée de :
 Linos-Alexandre Sicilianos, président,
 Kristina Pardalos,
 Guido Raimondi,
 Aleƥ Pejchal,
 Ksenija Turković,
 Armen Harutyunyan,
 Pauliine Koskelo, juges,
 et de Abel Campos, greffier de section,
AprĂšs en avoir
délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2017,
Rend lâarrĂȘt
que voici, adopté à cette date :
PROCĂDURE
1. Ă lâorigine
de lâaffaire se trouvent trois requĂȘtes (nos 1442/14, 21319/14 et
21911/14) dirigées contre la République italienne et introduites par vingt-huit
ressortissants de différentes nationalités (« les requérants »), dont
les noms figurent Ă lâannexe I, devant la Cour respectivement le 10 dĂ©cembre
2013, le 6 mars 2014 et le 10 mars 2014 en vertu de lâarticle 34 de la
Convention de sauvegarde des droits de lâhomme et des libertĂ©s fondamentales
(« la Convention »).
2. Les noms
des reprĂ©sentants des requĂ©rants figurent Ă©galement Ă lâannexe I. Le
gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son
agent, Mme E. Spatafora, et par son co-agent, Mme A. Aversano.
3. Les
gouvernements allemand, britannique, espagnol et suisse nâont pas exercĂ© de
leur droit dâintervenir dans la procĂ©dure (article 36 § 1 de la Convention).
4. Sur le
terrain de lâarticle 3 de la Convention, les requĂ©rants allĂ©guaient en
particulier avoir été victimes de torture. Ils se plaignaient que les autorités
internes nâavaient pas respectĂ© leur obligation de mener une enquĂȘte effective
sur leurs allĂ©gations. De surcroĂźt, ils dĂ©nonçaient lâabsence en droit interne
dâun dĂ©lit punissant la torture et les traitements inhumains et dĂ©gradants.
5. Le 28
septembre 2015, les griefs concernant lâarticle 3 de la Convention, seul et
combinĂ© avec lâarticle 13, ainsi que les articles 5 § 2, 8, 9, 10, 11 et 14 de
la Convention ont Ă©tĂ© communiquĂ©s au Gouvernement, et les requĂȘtes ont Ă©tĂ©
dĂ©clarĂ©es irrecevables pour le surplus conformĂ©ment Ă lâarticle 54 § 3 du
rĂšglement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE LâESPĂCE
6. Les faits
de la cause, tels quâils ont Ă©tĂ© exposĂ©s par les requĂ©rants et tels quâils
ressortent des documents pertinents en lâespĂšce issus de diffĂ©rentes affaires liĂ©es
aux faits Ă lâorigine du prĂ©sent litige[1],
peuvent se résumer comme suit
A. Le
contexte général
7. Les 19, 20
et 21 juillet 2001, la ville de GĂȘnes accueillit le vingt‑septiĂšme sommet
des huit pays les plus industrialisés (G8), sous la présidence du gouvernement
italien. De nombreuses organisations non gouvernementales, rassemblées sous la
banniÚre du groupe de coordination « Genoa
Social Forum â GSF » (« le GSF »), organisĂšrent un sommet
« altermondialiste » qui se dĂ©roula Ă la mĂȘme pĂ©riode. Il a Ă©tĂ©
estimĂ© que 200 000 personnes (selon le ministĂšre de lâIntĂ©rieur) Ă
300 000 personnes (selon le GSF) participĂšrent Ă lâĂ©vĂ©nement.
8. Un vaste
dispositif de sĂ©curitĂ© fut mis en place par les autoritĂ©s italiennes (arrĂȘts Giuliani et Gaggio c.
Italie [GC], no 23458/02, § 12, CEDH 2011, et Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§
11-12, 23-24, 7 avril 2015). Celles-ci divisĂšrent la ville en trois zones
concentriques : la « zone rouge », de surveillance maximale, oĂč
le sommet devait se dĂ©rouler et oĂč les dĂ©lĂ©gations devaient loger ; la
« zone jaune », une zone tampon oĂč les manifestations Ă©taient en
principe interdites, sauf autorisation du chef du bureau de la police (questore) ;
et la « zone blanche », oĂč les principales manifestations Ă©taient
programmées.
9. Les
autorités attribuÚrent une couleur à chaque groupe organisé, à chaque
association, à chaque syndicat et à chaque ONG, en fonction de sa dangerosité
potentielle : le « bloc rose », non dangereux ; le « bloc
jaune » et le « bloc bleu », considérés comme comprenant des
auteurs potentiels dâactes de vandalisme, de blocage de rues et de rails, et
Ă©galement dâaffrontements avec la police ; et enfin, le « bloc
noir », dont faisaient partie plusieurs groupes, anarchistes ou plus
généralement violents, ayant pour but de commettre des saccages systématiques.
10. La journée
du 19 juillet se déroula dans une ambiance relativement calme, sans épisodes
particuliÚrement significatifs. Par contre, les journées des 20 et
21 juillet furent marquées par des accrochages de plus en plus violents
entre les forces de police et certains manifestants appartenant essentiellement
au « bloc noir ». Au cours de ces incidents, plusieurs centaines de
manifestants et de membres des forces de lâordre furent blessĂ©s ou intoxiquĂ©s
par du gaz lacrymogĂšnes. Des quartiers entiers de la ville de GĂȘnes furent
dévastés (pour une analyse plus détaillée, voir Giuliani et Gaggio, précité, §§ 12-30, et Cestaro, précité, §§ 9-17).
B. Les
traitements subis par les requérants à la caserne de Bolzaneto
11. Le 12 juin
2001, le ComitĂ© provincial pour lâordre et la sĂ©curitĂ© publique Ă©labora un plan
logistique relatif Ă la prise en charge des personnes arrĂȘtĂ©es pendant le
sommet.
12. La prison
de Marassi se trouvant dans une zone considérée comme
sensible, il fut décidé, pour des raisons de sécurité, de créer, dans des lieux
excentrĂ©s, deux centres temporaires oĂč les personnes arrĂȘtĂ©es devaient ĂȘtre
regroupĂ©es pour ĂȘtre soumises aux dĂ©marches consĂ©cutives Ă une arrestation, Ă
savoir lâidentification, la notification du procĂšs-verbal dâarrestation, la
fouille, lâimmatriculation et la visite mĂ©dicale, avant dâĂȘtre transfĂ©rĂ©es vers
différentes prisons.
13. Par un
arrĂȘtĂ© du ministĂšre de la Justice du 12 juillet 2001, les casernes de Forte San
Giuliano et de Bolzaneto furent désignées comme étant
des « sites utilisés à des fins de détention, annexes du bureau médical et
du bureau matricule (ufficio matricola)
des établissements pénitentiaires de Pavie, Voghera, Vercelli et Alexandrie ».
14. Ă lâintĂ©rieur
de la caserne de Bolzaneto, une partie des locaux fut
affectée aux activités de la police judiciaire. Le restant des locaux fut
réservé aux activités de la police pénitentiaire (immatriculation, fouille et
visite médicale).
15. Ă la suite
du décÚs de Carlo Giuliani au cours des heurts entre
carabiniers et manifestants sur la place Alimonda,
les carabiniers ne furent plus affectĂ©s aux activitĂ©s de gestion de lâordre
public dans la ville. Ă partir du 20 juillet, la caserne de Bolzaneto,
placée sous la responsabilité de la police, resta ainsi le seul lieu de
regroupement et de rĂ©partition des personnes arrĂȘtĂ©es.
16. Selon le
ministĂšre de la Justice, pendant la pĂ©riode dâactivitĂ© de la structure, du 12
au 24 juillet, 222 personnes ont été immatriculées avant leur transfert vers les
prisons dâAlexandrie, Pavie, Vercelli et Voghera (voir le « Rapport final
de lâenquĂȘte parlementaire dâinformation sur les faits survenus lors du G8 de
GĂȘnes du 20 septembre 2001 », mentionnĂ© dans la note en bas de la
page précédente).
17. Les
tribunaux internes ont Ă©tabli avec exactitude, au-delĂ de tout doute
raisonnable, les mauvais traitements dont avaient fait lâobjet les personnes
prĂ©sentes Ă lâintĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto.
Les témoignages des victimes ont été confirmés par les dépositions des membres
des forces de lâordre et de lâadministration publique, les reconnaissances
partielles des faits par les accusés ainsi que par les documents à disposition
des magistrats, notamment les rapports médicaux et les expertises judiciaires.
Ă partir de cette multitude dâinformations, il est possible de dĂ©crire les
Ă©pisodes de violence dont les requĂ©rants firent lâobjet :
1. RequĂȘte no
1442/14
18. Le requĂ©rant M. Blair fut arrĂȘtĂ© lors de
lâirruption des forces de police dans lâĂ©cole Diaz-Pertini (pour les conditions
dans lesquelles sâest dĂ©roulĂ©e lâintervention, voir Cestaro prĂ©citĂ©, § 25-35) puis conduit Ă la caserne de Bolzaneto
le dimanche 22 juillet 2001, vers 5 heures. Il indique que, dÚs son arrivée, un
agent lui a marquĂ© la joue dâune croix tracĂ©e au feutre, puis quâil a Ă©tĂ©
frappĂ© Ă coups de pied. Pendant la fouille, il aurait Ă©tĂ© frappĂ© dâune gifle en
plein visage, et aurait Ă©tĂ© obligĂ© de se dĂ©shabiller en prĂ©sence dâagents et de
faire des flexions. Avec les autres occupants de la cellule, il aurait été
privé de sommeil, des agents criant et riant bruyamment dans le couloir ou
procĂ©dant Ă de nombreux contrĂŽles dâidentitĂ© inopinĂ©s. Dans les toilettes, il aurait
été frappé par un agent de la police pénitentiaire. Le 23 juillet, il fut
transféré à la prison de Pavie.
19. Le
requĂ©rant M. Mc Quillan fut blessĂ© au bras, Ă la tĂȘte et Ă la cheville lors de
lâirruption des forces de police dans lâĂ©cole Diaz-Pertini. AprĂšs un passage
aux urgences pour y ĂȘtre soignĂ©, il fut conduit Ă la caserne de Bolzaneto le 22 juillet. Il indique quâune croix a Ă©tĂ©
tracée au feutre sur son visage. Il ajoute que, pendant la fouille, il a reçu
un coup à la cheville blessée. Dans la cellule, il aurait été privé de sommeil,
soumis Ă des contrĂŽles dâidentitĂ© frĂ©quents et injustifiĂ©s. Ă sa sortie des
toilettes, des agents auraient jetĂ© un seau dâeau froide sur lui. Enfin, le
requĂ©rant indique quâil a Ă©tĂ© contraint de signer des documents sans en avoir
la traduction et en lâabsence dâun interprĂšte. Il nâa pas prĂ©cisĂ© la date de
son transfert ni la prison vers laquelle il a été dirigé.
20. Le
requĂ©rant M. Buchanan fut arrĂȘtĂ© lors de lâirruption des forces de police dans
lâĂ©cole Diaz-Pertini et conduit Ă la caserne de Bolzaneto.
Il indique que, à son arrivée, il a été roué de coups par un officier et par
des agents. Il ajoute quâil a Ă©tĂ© contraint de signer des documents sans en
avoir la traduction et en lâabsence dâun interprĂšte. Il nâa pas prĂ©cisĂ© la date
de son transfert ni la prison vers laquelle il a été dirigé.
2. RequĂȘte no
21319/14
21. Le requérant
M. Amodio fut conduit Ă la caserne de Bolzaneto le 21 juillet 2001, aux alentours de 15
heures. Il relate que, placĂ© dans une cellule, il a souffert dâune infection
intestinale et quâil a dĂ» attendre longtemps avant dâĂȘtre conduit vers des
toilettes, dont il nâaurait pas Ă©tĂ© autorisĂ© Ă fermer la porte. Il aurait de plus
Ă©tĂ© empĂȘchĂ© de terminer ses besoins. De retour dans la cellule, il aurait Ă©tĂ©
forcé à se mettre à genoux, il aurait été insulté en raison de sa taille
(« Maintenant, nous allons jouer au cirque, espÚce de singe,
nain. »), puis menacé (« Nous dirons à tout le monde que tu es un
pĂ©dophile, que tâas agressĂ© des enfants, comme ça quand tu seras dans ta
cellule, ils vont te faire ta fĂȘte. »), et ce dans les Ă©manations de gaz
irritant Ă lâintĂ©rieur de la cellule. DâaprĂšs le tĂ©moignage de M. Della Corte (requĂ©rant de la requĂȘte no
21319/14 figurant Ă lâannexe I sous le numĂ©ro 3 de la liste), le requĂ©rant a eu
une crise dâhystĂ©rie : « RĂ©duit Ă un piĂštre Ă©tat, il pleurait, il a
fait une crise dâhystĂ©rie, car il avait Ă©tĂ© rĂ©ellement effrayĂ©. » Il
aurait assistĂ© au passage Ă tabac dâun codĂ©tenu portant une prothĂšse Ă la jambe
(le requérant Mohammed Tabbach, requérant de la
requĂȘte no 21319/14 figurant Ă lâannexe I sous le numĂ©ro 8 de
la liste). Il nâa pas prĂ©cisĂ© la date de son transfert ni la prison vers
laquelle il a été dirigé.
22. Le
requérant M. Callieri fut conduit à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, aux alentours de 14 heures.
Il indique que, amené dans une petite salle, il y a été passé à tabac pour
avoir regardé un agent dans les yeux. Il aurait ensuite été conduit dans une
cellule et à nouveau frappé et insulté. Il précise que du gaz irritant a été
rĂ©pandu Ă lâintĂ©rieur de la cellule. Il aurait demandĂ© Ă se rendre aux
toilettes et y aurait été frappé par des agents de la police pénitentiaire. De
retour dans la cellule, il aurait assistĂ© au passage Ă tabac dâun codĂ©tenu
portant une prothÚse à la jambe (le requérant Mohammed Tabbach).
Pendant la visite médicale, il aurait été forcé à faire des flexions et, en
raison de ses difficultés à toucher ses orteils avec les mains, il aurait été
frappĂ© Ă coups de pied par un agent. Il nâa pas prĂ©cisĂ© la date de son
transfert ni la prison vers laquelle il a été dirigé.
23. Le
requérant M. Della Corte arriva à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, vers 14 heures. Il relate que
du gaz irritant a Ă©tĂ© projetĂ© dans la cellule. Il indique en outre quâil a
demandĂ© Ă se rendre aux toilettes et quâil y a Ă©tĂ© frappĂ© par des agents de la
police pĂ©nitentiaire. TĂ©moin du tabassage dâun codĂ©tenu portant une prothĂšse
(le requérant Mohammed Tabbach), il aurait protesté
verbalement. à la suite de son intervention, les agents lui auraient assené des
coups dans le dos. Le requĂ©rant fut transfĂ©rĂ© Ă la prison dâAlexandrie Ă une
date non précisée.
24. Le
requĂ©rant M. De Munno, souffrant dâune fracture au
pied, fut conduit Ă la caserne de Bolzaneto le 21
juillet, vers 17 heures. Il indique quâil y a Ă©tĂ© lâobjet de coups et dâinsultes.
Il ajoute que, ayant des difficultĂ©s Ă respirer Ă cause de la fracture dâune
cĂŽte, il a demandĂ© Ă maintes reprises Ă voir un mĂ©decin avant de sâĂ©vanouir. Il
aurait repris connaissance Ă lâinfirmerie et aurait ensuite Ă©tĂ© emmenĂ© aux
urgences. à son retour à la caserne, un agent lui aurait marché
intentionnellement sur le pied fracturĂ© tandis que dâautres surveillants
auraient menacĂ© de lui casser lâautre pied. RamenĂ© dans la cellule, il aurait
Ă©tĂ© autorisĂ© Ă sâasseoir, dos au mur. Dans cette position, il aurait assistĂ©
aux violences infligées aux autres détenus. Lors de son témoignage, il a
déclaré ne pas avoir demandé à se rendre aux toilettes, sur les avertissements
dâun des carabiniers, en raison de son Ă©tat physique et par peur dâĂȘtre exposĂ©
Ă des violences.
25. Le
requérant M. Morozzi arriva à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, vers 12 heures. Il indique
que, à son entrée, il a été conduit par des agents cagoulés dans une piÚce et
quâil y a Ă©tĂ© frappĂ© de multiples coups sur le dos et sur les jambes. AmenĂ© ensuite
dans une cellule, il aurait inhalé du gaz irritant. Il aurait également assisté
au passage Ă tabac dâun codĂ©tenu portant une prothĂšse (le requĂ©rant Mohammed Tabbach). Ă son retour de lâinfirmerie, il aurait Ă©tĂ©
frappĂ© de deux coups de poing au visage. Ayant appris que câĂ©tait le jour de
son anniversaire, les agents lâauraient emmenĂ© dans une petite piĂšce et lui
auraient assenĂ© de nombreux coups (« Ils ont appelĂ© dâautres agents :
« venez ici, il y en a un qui a son anniversaire, on va te le fĂȘter. »).
Le requĂ©rant fut transfĂ©rĂ© Ă la prison dâAlexandrie Ă une date non prĂ©cisĂ©e.
26. La
requérante Mme Morrone arriva à la caserne
de Bolzaneto le 21 juillet, vers 15 heures. Elle
indique que, souffrant dâune hernie discale, elle a signalĂ© sa pathologie aux
agents mais quâelle a nĂ©anmoins Ă©tĂ© frappĂ©e Ă plusieurs reprises. Du gaz
irritant aurait été répandu dans sa cellule, dans laquelle elle aurait de plus
Ă©tĂ© lâobjet dâinsultes Ă caractĂšre sexuel. Elle aurait demandĂ©, en vain, des
serviettes hygiĂ©niques et aurait dĂ» se rĂ©soudre Ă dĂ©chirer son t-shirt et Ă sâen
servir en guise de protection. Ă lâinfirmerie, elle aurait Ă©tĂ© contrainte dâĂŽter
ses vĂȘtements en prĂ©sence de deux agents de sexe masculin. Elle nâa pas prĂ©cisĂ©
la date de son transfert ni la prison vers laquelle elle a été dirigée.
27. Le
requérant M. Pignatale fut emmené à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il relate que, conduit dans une
salle, il a Ă©tĂ© forcĂ© Ă se dĂ©shabiller, Ă se mettre en position fĆtale puis Ă
sauter sous les coups que des agents lui auraient assenés. Il ajoute que, dans
la cellule, il a eu Ă pĂątir des Ă©manations de gaz irritant. Il aurait Ă©galement
Ă©tĂ© insultĂ© et menacĂ© en raison de son travail dans lâadministration publique
(« Tâes un infĂąme, un traĂźtre (...), tâes un fonctionnaire de lâĂtat et tu
viens ici, contre nous ? Honte Ă toi, on te fera licencier, ton fils aura
honte de toi, tu ne le reverras plus avant longtemps. »). Il nâa pas
précisé la date de son transfert ni la prison vers laquelle il a été dirigé.
28. Le
requĂ©rant M. Tabbach arriva Ă la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, vers 14 heures. Il indique quâil
a signalé aux agents avoir une prothÚse à la jambe droite. En dépit de cela, il
aurait été obligé dans la cellule de se maintenir face au mur, les jambes
Ă©cartĂ©es et les bras vers le haut, dans la mĂȘme position vexatoire que celle
imposĂ©e Ă tous les individus arrĂȘtĂ©s. Du gaz irritant aurait Ă©tĂ© rĂ©pandu dans
la cellule. Ne pouvant plus se maintenir dans cette position, il se serait
assis par terre Ă deux reprises. Chaque fois, des agents auraient fait
irruption dans la cellule et lâauraient frappĂ© Ă coups de matraque. Dans le
bureau du mĂ©decin, on lui aurait refusĂ© une chaise, il aurait Ă©tĂ© obligĂ© de sâasseoir
par terre et, dans cette position, dâĂŽter ses vĂȘtements en prĂ©sence de
plusieurs agents. Le requĂ©rant nâa pas prĂ©cisĂ© la date de son transfert ni la
prison vers laquelle il a été dirigé.
3. RequĂȘte no
21911/14
29. La
requĂ©rante Mme Allueva fut arrĂȘtĂ©e lors de
lâirruption des forces de police dans lâĂ©cole Diaz-Pertini. Elle indique que, Ă
lâintĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto, elle a Ă©tĂ©
insultĂ©e et passĂ©e Ă tabac par des agents. En particulier, un agent lâaurait
obligée à écrire des insultes sur une feuille et à les lire à haute voix. Aux
toilettes, elle aurait été contrainte de maintenir la porte ouverte et de faire
ses besoins sous le regard dâagents de sexe masculin. Le 22 juillet, avant dâĂȘtre
transférée à la prison de Vercelli, elle aurait été forcée à signer des
documents sans en avoir la traduction et en lâabsence dâun interprĂšte.
30. Le
requĂ©rant M. Brauer fut arrĂȘtĂ© lors de lâirruption
des forces de police dans lâĂ©cole Diaz-Pertini et conduit Ă la caserne de Bolzaneto. Il relate que, dans lâenceinte de la caserne, il
a été insulté et frappé au dos. Son visage aurait été marqué de deux croix
tracées au feutre. Dans la cellule, il aurait reçu des jets de gaz irritant en
plein visage, ce qui aurait déclenché une forte crise obligeant le personnel
médical à intervenir et à le « décontaminer » (il aurait été
dĂ©shabillĂ© et arrosĂ© avec un jet dâeau froide). Il prĂ©cise que, Ă la suite de
cette intervention, ses vĂȘtements ont Ă©tĂ© jetĂ©s et que, encore mouillĂ©, il
serait restĂ© vĂȘtu dâune simple blouse dâhĂŽpital. Avant de sortir, il aurait Ă©tĂ©
contraint de signer des documents sans en avoir la traduction et en lâabsence dâun
interprĂšte. Le 23 juillet, il fut conduit Ă la prison de Pavie.
31. Le requérant
M. Hinrichsmeyer fut arrĂȘtĂ© lors de lâirruption des
forces de police dans lâĂ©cole Diaz-Pertini puis, le 22 juillet, conduit Ă la
caserne de Bolzaneto. Il expose que, à son arrivée,
il a été contraint de marcher devant des agents avec un chapeau rouge sur la
tĂȘte et un autocollant dans le dos. Aux toilettes, il aurait Ă©tĂ© contraint de
maintenir la porte ouverte et de faire ses besoins sous le regard des agents.
Enfin, il aurait été forcé à signer des documents sans en avoir la traduction
et en lâabsence dâun interprĂšte. Le 23 juillet, il fut transfĂ©rĂ© Ă la prison de
Pavie.
32. Le requérant
M. Marquello fut arrĂȘtĂ© lors de lâirruption des
forces de police dans lâĂ©cole Diaz-Pertini et emmenĂ©, le 22 juillet, Ă la
caserne de Bolzaneto. Il indique quâil y a Ă©tĂ©
insulté et frappé, et forcé à signer des documents sans en avoir la traduction
et en lâabsence dâun interprĂšte. Le lendemain, il fut transfĂ©rĂ© Ă la prison de
Pavie.
33. Le
requĂ©rant M. Moret fut arrĂȘtĂ© lors de lâirruption des
forces de police dans lâĂ©cole Diaz-Pertini et, le 22 juillet, il fut conduit Ă
la caserne de Bolzaneto. Il indique quâune croix a
été tracée au feutre sur son visage, et que, par la suite, il a subi des
insultes et des crachats. Enfin, il aurait été forcé à signer des documents
sans en avoir la traduction et en lâabsence dâun interprĂšte. Le 23 juillet, il
fut transféré à la prison de Pavie.
34. Le
requĂ©rant M. Samperiz fut arrĂȘtĂ© lors de lâirruption
des forces de police dans lâĂ©cole Diaz-Pertini et conduit Ă la caserne de Bolzaneto le 22 juillet. BlessĂ© Ă la jambe, il fut
frappé par des agents, et insulté. Il dit avoir été privé de ses effets
personnels, notamment de son mĂ©dicament contre lâasthme. Ă lâinfirmerie, il
aurait été obligé de se déshabiller sous le regard des agents. Il aurait été
forcĂ© Ă signer des documents sans en avoir la traduction et en lâabsence dâun
interprĂšte. Le lendemain, il fut transfĂ©rĂ© dans une prison dont le nom nâest
pas précisé dans le dossier.
35. La requérante
Mme Wagenschein fut arrĂȘtĂ©e lors de lâirruption
des forces de police dans lâĂ©cole Diaz-Pertini et, le 22 juillet, elle fut
conduite Ă la caserne de Bolzaneto. Elle indique
avoir Ă©tĂ© lâobjet dâinsultes rĂ©pĂ©tĂ©es. Lors de la visite mĂ©dicale, elle aurait
été contrainte de se déshabiller devant un médecin de sexe masculin et de faire
des flexions. Enfin, elle aurait été forcée à signer des documents sans en
avoir la traduction et en lâabsence dâun interprĂšte. Le lendemain, elle fut
transférée à la prison de Voghera.
36. La requérante
Mme Zapatero fut arrĂȘtĂ©e lors de lâirruption des forces de police
dans lâĂ©cole Diaz-Pertini puis, le 22 juillet, elle fut conduite Ă la caserne
de Bolzaneto. Elle dit avoir été forcée à signer des
documents sans en avoir la traduction et en lâabsence dâun interprĂšte. Le
lendemain, elle fut transférée à la prison de Voghera.
37. Le requérant
M. Cuccadu fut conduit Ă la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il dit que, dans la cellule,
on lui a cognĂ© plusieurs fois la tĂȘte contre le mur et on lâa frappĂ© aux jambes
et au dos. Il ajoute que, le lendemain, avant son transfert Ă la prison dâAlexandrie,
il a Ă©tĂ© lâobjet de menaces (« Ils tâamĂšneront dans une belle prison avec
jardin, oĂč il y a beaucoup dâarbres avec des cordes »).
38. La requérante
Mme Germano arriva Ă la caserne de Bolzaneto
le 21 juillet. Elle dit y avoir Ă©tĂ© lâobjet dâinsultes Ă caractĂšre sexuel
et avoir Ă©tĂ© contrainte dâenlever un piercing sous la menace dâun agent. Elle
aurait été forcée à signer un document sans avoir pu en lire le contenu. Le
lendemain, elle fut transfĂ©rĂ©e Ă la prison dâAlexandrie.
39. Le requérant
M. Ighina fut conduit Ă la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il relate que du gaz irritant
a été répandu dans la cellule. Il dit avoir reçu un premier coup de poing dans
les cĂŽtes, puis un deuxiĂšme alors quâil attendait dâĂȘtre amenĂ© Ă lâhĂŽpital en
ambulance. Il aurait Ă©galement Ă©tĂ© lâobjet de menaces (parmi dâautres :
« on va te tuer », « tu es mort »). Le 22 juillet, il
fut transfĂ©rĂ© Ă la prison dâAlexandrie.
40. Le requérant
M. Laconi arriva Ă la caserne de Bolzaneto
la nuit du 20 juillet. Il dit que, pendant la fouille, il a Îté sa ceinture et
quâun agent a ensuite utilisĂ© celle-ci pour le frapper. Dans la cellule, il
aurait Ă©tĂ© frappĂ© sur le dos et sur les cĂŽtes. Il aurait Ă©tĂ© insultĂ© et forcĂ© Ă
crier des phrases faisant lâapologie dâun dictateur italien. Le lendemain, il
fut transfĂ©rĂ© Ă la prison dâAlexandrie.
41. La requérante
Mme Menegon fut conduite Ă la caserne de Bolzaneto le 21 juillet et transfĂ©rĂ©e le mĂȘme jour Ă la
prison dâAlexandrie. Elle indique que, Ă la caserne, elle a Ă©tĂ© lâobjet dâinsultes
et de menaces à caractÚre sexuel. Lors de la visite médicale, le personnel aurait
mimé des actes sexuels et le médecin aurait fait des remarques sur son aspect
physique. La requĂ©rante nâa pas prĂ©cisĂ© la date de son transfert ni la prison
vers laquelle elle a été dirigée.
42. Le requérant
M. Passiatore arriva Ă la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il indique que, dans la
cellule, il a été frappé sur le dos et sur la nuque. à cause de ces coups, sa
tĂȘte aurait cognĂ© si violemment le mur quâil aurait perdu connaissance pendant
un moment. Ensuite, il aurait été soumis à des jets de gaz irritant. Le
lendemain, il fut transfĂ©rĂ© Ă la prison dâAlexandrie.
43. Le
requérant M. Pfister arriva à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il expose que, forcé par des
agents Ă se mettre Ă genoux, la tĂȘte au sol, il a Ă©tĂ© frappĂ© dans cette
position avec une matraque. Il aurait été insulté et contraint de crier des
insultes contre des personnalitĂ©s de gauche. Le lendemain, il fut transfĂ©rĂ© Ă
la prison dâAlexandriea.
44. Le
requĂ©rant M. Sesma fut conduit Ă la caserne de Bolzaneto le 20 juillet. Il dit avoir Ă©tĂ© lâobjet dâinsultes
et de coups dans le couloir et aux toilettes, oĂč des agents lui auraient coupĂ©
des mÚches de cheveux et sectionné un collier pour les jeter ensuite dans la
cuvette. Il aurait été contraint de signer des documents sans en avoir la
traduction et en lâabsence dâun interprĂšte. Le 22 juillet, il fut transfĂ©rĂ© Ă
la prison dâAlexandrie.
45. Le requérant M. Spingi
arriva Ă la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il
indique quâil a demandĂ© Ă prendre contact avec ses parents et quâon lui a
répondu : « Nous allons les appeler et leur dire que tu es
mort. » Il aurait Ă©galement Ă©tĂ© lâobjet dâinsultes et aurait Ă©tĂ© frappĂ©.
Avec dâautres dĂ©tenus, il aurait Ă©tĂ© forcĂ© Ă se tenir dans des positions
bizarres, désignées par les termes « compositions humaines ». Le
lendemain, il fut transfĂ©rĂ© Ă la prison dâAlexandrie.
C. La
procĂ©dure pĂ©nale engagĂ©e contre des membres des forces de lâordre pour les
faits commis Ă la caserne de Bolzaneto
46. Ă la suite
des faits commis Ă la caserne de Bolzaneto, le
parquet de GĂȘnes entama des poursuites contre quarante-cinq personnes, parmi
lesquelles un préfet de police adjoint (vice-questore aggiunto), des
membres de la police et de la police pénitentiaire, des carabiniers et des
mĂ©decins de lâadministration pĂ©nitentiaire. Les chefs dâaccusation retenus
Ă©taient les suivants : abus dâautoritĂ© publique, abus dâautoritĂ© Ă lâĂ©gard
de personnes arrĂȘtĂ©es ou dĂ©tenues, coups et blessures, injures, violence,
menaces, omission, recel de malfaiteurs et faux. Le 27 janvier 2005, le parquet
demanda le renvoi en jugement des inculpĂ©s. Les requĂ©rants et dâautres
personnes (155 au total) se constituĂšrent parties civiles.
1. Le jugement
de premiĂšre instance
47. Par le jugement no 3119 du 14
juillet 2008, dĂ©posĂ© le 27 novembre 2008, le tribunal de GĂȘnes condamna
quinze des quarante-cinq accusĂ©s Ă des peines allant de neuf mois Ă cinq ans dâemprisonnement
assorties dâune peine accessoire dâinterdiction temporaire dâexercer des
fonctions publiques (interdizione dai pubblici uffici). Dix condamnĂ©s bĂ©nĂ©ficiĂšrent dâun sursis et de
la non-inscription de la condamnation au casier judiciaire. Enfin, en
application de la loi no 241 du 29 juillet 2006 relative aux
conditions dâoctroi de la remise gĂ©nĂ©rale de peine (indulto),
trois condamnĂ©s bĂ©nĂ©ficiĂšrent dâune remise totale de leur peine dâemprisonnement
et deux autres, condamnés respectivement à trois ans et deux mois et à cinq ans
dâemprisonnement, dâune remise de peine de trois ans.
48. Le tribunal estima tout dâabord quâil Ă©tait
prouvĂ© que les faits suivants avaient Ă©tĂ© commis Ă lâencontre de tous les
requérants : insultes, menaces, coups et blessures, positions vexatoires,
vaporisation de produits irritants dans les cellules, destruction dâeffets
personnels, longs dĂ©lais dâattente pour utiliser les toilettes et marquage au
feutre sur le visage des personnes arrĂȘtĂ©es Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini. Il nota que
ces traitements pouvaient ĂȘtre qualifiĂ©s dâinhumains et dĂ©gradants et quâils
avaient Ă©tĂ© commis dans un contexte particulier « et, on lâespĂ©r[ait], unique ». Il ajouta que ces Ă©pisodes
avaient aussi porté atteinte à la Constitution républicaine et affaibli la
confiance du peuple italien dans les forces de lâordre.
49. Le tribunal souligna ensuite que, malgré
la longue, laborieuse et mĂ©ticuleuse enquĂȘte menĂ©e par le parquet, la plupart
des auteurs des mauvais traitements, dont lâexistence avait Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e
pendant les dĂ©bats, nâavaient pas pu ĂȘtre identifiĂ©s en raison de difficultĂ©s
objectives, et notamment de lâabsence de coopĂ©ration de la police, rĂ©sultat aux
yeux du tribunal dâune mauvaise interprĂ©tation de lâesprit de corps.
50. Le tribunal
prĂ©cisa enfin que lâabsence en droit pĂ©nal du dĂ©lit de torture avait obligĂ© le
parquet à circonscrire la plupart des mauvais traitements avérés au cadre du
dĂ©lit dâabus dâautoritĂ© publique. En lâespĂšce, les agents, les cadres et les
fonctionnaires auraient Ă©tĂ© accusĂ©s de ne pas avoir empĂȘchĂ©, de par leur
comportement passif, les mauvais traitements dénoncés. à cet égard, le tribunal
estima que la plupart des accusĂ©s du chef dâabus dâautoritĂ© publique ne
pouvaient pas ĂȘtre jugĂ©s coupables eu Ă©gard au fait que : a) le
dĂ©lit en cause Ă©tait caractĂ©risĂ© par un dol spĂ©cifique, Ă savoir lâintention
claire et avĂ©rĂ©e de lâagent public de commettre un certain dĂ©lit ou de ne pas
en empĂȘcher la commission, et que b) lâexistence de ce dol
spĂ©cifique nâavait pas Ă©tĂ© prouvĂ©e au-delĂ de tout doute raisonnable.
51. Les
coupables des actes litigieux ainsi que les ministĂšres de lâIntĂ©rieur, de la
Justice et de la Défense furent condamnés au paiement des frais et dépens et au
dédommagement des parties civiles, des sommes comprises entre 2 500 et
15 000 euros (EUR) étant accordées à titre de provision sur les
dommages-intĂ©rĂȘts.
2. LâarrĂȘt dâappel
52. Saisie par
les accusĂ©s, le procureur prĂšs le tribunal de GĂȘnes, le procureur gĂ©nĂ©ral, les
ministĂšres de lâIntĂ©rieur, de la Justice et de la DĂ©fense (responsables civils)
et par les victimes qui sâĂ©taient constituĂ©es parties civiles, la cour dâappel
de GĂȘnes, par son arrĂȘt no 678 du 5 mars 2010, dĂ©posĂ© le 15 avril
2011, infirma partiellement le jugement entrepris.
53. Concernant le dĂ©lit dâabus dâautoritĂ©
publique envers des personnes arrĂȘtĂ©es, elle confirma dâabord la condamnation Ă
un an dâemprisonnement avec sursis pour deux accusĂ©s et la remise totale de
peine sâagissant dâun troisiĂšme accusĂ©. Par ailleurs, elle condamna un agent Ă
trois ans et deux mois dâemprisonnement pour dĂ©lit de lĂ©sions corporelles. Ce
dernier bĂ©nĂ©ficia dâune remise de peine de trois ans.
Sâagissant
du délit de faux, elle condamna trois accusés jugés non coupables en premiÚre
instance Ă une peine dâun an et six mois dâemprisonnement avec sursis et sans
mention au casier judiciaire et une quatriĂšme accusĂ©e Ă deux ans dâemprisonnement
avec sursis et sans mention au casier judiciaire.
54. Enfin,
elle prononça un non-lieu en raison de la prescription des délits dont étaient
accusĂ©es vingt-huit personnes, dont deux personnes condamnĂ©es ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© dâune
remise de peine en premiĂšre instance (paragraphe 47 ci-dessus). Elle
rendit Ă©galement un non-lieu Ă lâĂ©gard dâun accusĂ© dĂ©cĂ©dĂ©.
55. Elle condamna
Ă©galement tous les accusĂ©s (exceptĂ© ce dernier) ainsi que les ministĂšres de lâIntĂ©rieur,
de la Justice et de la Défense aux frais et dépens de la procédure et au
dédommagement des parties civiles. Des sommes comprises entre 5 000 et
30 000 EUR furent accordées à titre de provision sur les
dommages-intĂ©rĂȘts.
56. Dans les
motifs de lâarrĂȘt, la cour dâappel prĂ©cisa tout dâabord que, bien que les
délits en question fussent prescrits, elle devait statuer sur les effets civils
des infractions.
57. Elle
indiqua ensuite que la crédibilité des témoignages des victimes ne faisait aucun
doute : dâune part, lesdits tĂ©moignages avaient Ă©tĂ© corroborĂ©s par la
comparaison des diverses dĂ©clarations, dont celles de deux infirmiers et dâun
inspecteur de police, par les aveux partiels de certains accusés ainsi que par
plusieurs piĂšces du dossier ; dâautre part, ces tĂ©moignages prĂ©sentaient
les caractĂ©ristiques typiques des rĂ©cits de victimes dâĂ©vĂ©nements traumatiques
et faisaient Ă©tat dâune volontĂ© sincĂšre de restituer la vĂ©ritĂ©.
58. Quant aux
Ă©vĂ©nements qui sâĂ©taient produits Ă la caserne de Bolzaneto,
la cour dâappel observa que toutes les personnes ayant transitĂ© par ce centre y
avaient Ă©tĂ© lâobjet de sĂ©vices de toutes sortes, continus et systĂ©matiques, par
des agents de la police pĂ©nitentiaire ou des agents des forces de lâordre ayant
participĂ©, pour la plupart, Ă la gestion de lâordre public dans la ville au
cours des manifestations.
59. En effet, elle
nota que, dÚs leur arrivée et tout au long de leur détention dans la caserne,
ces personnes, parfois dĂ©jĂ Ă©prouvĂ©es par les violences subies lors de lâarrestation,
avaient Ă©tĂ© obligĂ©es de se tenir dans des positions vexatoires et avaient Ă©tĂ© lâobjet
de coups, de menaces et dâinjures Ă caractĂšre principalement politique et
sexuel. MĂȘme Ă lâinfirmerie, les mĂ©decins et les agents prĂ©sents auraient
ostensiblement contribuĂ©, par des actes ou des omissions, Ă provoquer et Ă
accroĂźtre la terreur et la panique des personnes arrĂȘtĂ©es. La cour dâappel
releva que certaines, blessĂ©es lors de lâarrestation ou Ă la caserne, auraient
en tout état de cause nécessité de soins adéquats, voire une hospitalisation
immédiate. De surcroßt, elle remarqua aussi que le couloir de la caserne avait
été surnommé « le tunnel des agents », car les nombreux passages des
personnes arrĂȘtĂ©es avaient eu lieu entre deux rangĂ©es dâagents les injuriant et
les tabassant.
60. La cour dâappel
ajouta que de nombreux autres éléments avaient brisé la résistance physique et
psychologique des personnes arrĂȘtĂ©es et temporairement dĂ©tenues Ă la caserne, Ă
savoir : lâinterdiction de regarder les agents ; la privation ou la
destruction injustifiĂ©e des effets personnels ; le fait â tout en Ă©tant
soumis Ă lâinterdiction de communiquer entre dĂ©tenus et donc Ă lâimpossibilitĂ©
de chercher un rĂ©confort mutuel â de devoir assister aux sĂ©vices infligĂ©s aux
autres personnes arrĂȘtĂ©es, dâĂ©couter les cris de celles-ci ou de voir leur
sang, leurs vomissures, leur urine ; lâimpossibilitĂ© dâaccĂ©der
rĂ©guliĂšrement aux toilettes et de les utiliser Ă lâabri des regards et des
injures des agents ; la privation dâeau et de nourriture ; le froid
et la difficultĂ© de trouver un peu de dĂ©tente dans le sommeil ; lâabsence
de tout contact avec lâextĂ©rieur, et la mention mensongĂšre par les agents de la
renonciation des personnes arrĂȘtĂ©es au droit de prĂ©venir un membre de leur
famille, un avocat et, le cas Ă©chĂ©ant, un diplomate de leur pays dâorigine ;
enfin, lâabsence dâinformations pleinement intelligibles sur les raisons de lâarrestation
des personnes concernées.
61. En somme,
dâaprĂšs la cour dâappel, ces personnes avaient Ă©tĂ© soumises Ă plusieurs
traitements contraires Ă lâarticle 3 de la Convention tel quâinterprĂ©tĂ© par la
Cour europĂ©enne des droits de lâhomme dans ses arrĂȘts Irlande c. Royaume-Uni (18 janvier 1978, sĂ©rie A no 25),
Raninen c. Finlande (16 dĂ©cembre 1997, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997‑VIII)
et Selmouni c. France ([GC], no
25803/94, CEDH 1999‑V). Pour la cour dâappel, tous les agents et le
personnel de santĂ© qui se trouvaient Ă la caserne avaient Ă©tĂ© Ă mĂȘme de sâapercevoir
que de tels traitements étaient infligés, ce qui, à ses yeux, était suffisant
en lâespĂšce pour constituer le dĂ©lit dâabus dâautoritĂ© publique.
62. En outre, la cour dâappel estima que ces
traitements, combinés avec la négation de certains droits de la personne
arrĂȘtĂ©e, avaient pour but de donner aux victimes le sentiment dâĂȘtre tombĂ©es
dans un espace de nĂ©gation de lâhabeas
corpus, des droits fondamentaux et de tout autre aspect de la prééminence
du droit, ce que, au demeurant, confirmaient selon elle les diverses formes dâĂ©vocation
du fascisme faites par les agents. En dâautres termes, en infligeant torture et
mauvais traitements, les auteurs de ces sévices avaient voulu produire un
processus de dĂ©personnalisation similaire Ă celui mis en Ćuvre Ă lâencontre des
juifs et des autres personnes internés dans les camps de concentration. Ainsi,
Ă lâinstar dâobjets ou dâanimaux, les personnes arrĂȘtĂ©es dans lâĂ©cole
Diaz-Pertini auraient été, à leur arrivée à la caserne, marquées au feutre sur
le visage.
63. Enfin, selon la cour dâappel, ces Ă©vĂ©nements
avaient eu des conséquences trÚs graves sur les victimes et perduraient dans
leurs effets bien au-delà de la fin de la détention de celles-ci à la caserne
de Bolzaneto, car ils avaient déstructuré les
catégories rationnelles et émotionnelles au travers desquelles la personne
humaine vit ses besoins quotidiens, ses relations aux autres, ses liens avec lâĂtat
et sa participation à la vie publique. Ils auraient également touché les
familles des victimes en tant que communautĂ©s dâĂ©change dâexpĂ©riences et de
valeurs.
3. LâarrĂȘt de la
Cour de cassation
64. Saisie par
les accusĂ©s, le procureur gĂ©nĂ©ral et les ministĂšres de lâIntĂ©rieur, de la
Justice et de la DĂ©fense (responsables civils), la Cour de cassation rendit son
arrĂȘt no 37088 le 14 juin 2013. Celui-ci fut dĂ©posĂ© le 10 septembre
2013. La Cour de cassation confirma pour lâessentiel lâarrĂȘt entrepris.
65. Tout dâabord, elle releva que, sâagissant de
tous les dĂ©lits retenus par le tribunal de premiĂšre instance et la cour dâappel
de GĂȘnes, la quasi-totalitĂ© avait Ă©tĂ© touchĂ©e par la prescription, Ă laquelle
toutefois trois officiers de police avaient renoncé, exception faite du délit
de lĂ©sions corporelles retenu Ă lâencontre dâun agent et du dĂ©lit de faux
retenu Ă lâencontre de quatre autres agents.
66. Elle
rejeta ensuite lâexception de constitutionnalitĂ© soulevĂ©e par le procureur
gĂ©nĂ©ral de GĂȘnes, estimant que, en vertu de lâarticle 25 de la Constitution
relatif au principe de réserve de la loi, seul le législateur pouvait établir
les sanctions pĂ©nales et dĂ©finir lâapplication de mesures telles que la
prescription et la remise de peine (pour une analyse plus détaillée, voir Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§
75-80, 7 avril 2015).
67. Elle jugea en outre que les violences
perpĂ©trĂ©es Ă lâintĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto lâavaient
Ă©tĂ© sans interruption, dans des conditions oĂč chaque personne prĂ©sente en avait
la totale perception auditive et visuelle. Elle estima, en sâappuyant sur
trente-neuf tĂ©moignages concordants, que, dans la caserne de Bolzaneto, les principes fondamentaux de lâĂ©tat de droit
avaient été écartés.
68. En
conclusion, concernant le sort individuel de chaque personne condamnée, elle
confirma la condamnation des trois officiers ayant renoncĂ© Ă la prescription Ă
un an dâemprisonnement pour dĂ©lit dâabus dâautoritĂ© (dont deux bĂ©nĂ©ficiĂšrent dâun
sursis Ă lâexĂ©cution et le troisiĂšme dâune remise de peine), de trois autres
officiers Ă un an et six mois dâemprisonnement avec sursis pour dĂ©lit de faux
et dâun mĂ©decin de lâadministration pĂ©nitentiaire Ă deux ans pour le mĂȘme
dĂ©lit. Elle confirma Ă©galement la condamnation dâun agent Ă trois ans et deux
mois dâemprisonnement pour dĂ©lit de lĂ©sions corporelles. Celui-ci bĂ©nĂ©ficia dâune
remise de peine de trois ans.
69. Pour ce
qui est des autres appelants, la Cour de cassation confirma lâarrĂȘt entrepris
quant à la responsabilité civile des plus hauts gradés impliqués, à savoir le
prĂ©fet de police adjoint, la commissaire en chef (commissario capo) et lâinspecteur de police pĂ©nitentiaire chargĂ© de la
sécurité du site pénitentiaire établi dans la caserne de Bolzaneto.
Elle parvint au mĂȘme constat concernant de nombreux officiers et agents de la
police pĂ©nitentiaire et des forces de lâordre ainsi que le personnel de santĂ©
en cause, dont le responsable du service de santé du site.
D. LâenquĂȘte
parlementaire dâinformation
70. Le 2 août
2001, les prĂ©sidents du SĂ©nat et de la Chambre des dĂ©putĂ©s dĂ©cidĂšrent quâune
enquĂȘte dâinformation (indagine conoscitiva)
sur les faits survenus lors du G8 de GĂȘnes serait menĂ©e par les commissions des
Affaires constitutionnelles des deux chambres du Parlement. Ă cette fin, il fut
créé une commission composée de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs.
71. Le 20
septembre 2001, la commission déposa un rapport contenant les conclusions de sa
majoritĂ©, intitulĂ© « Rapport final de lâenquĂȘte parlementaire dâinformation
sur les faits survenus lors du G8 de GĂȘnes ».
72. Ce rapport
citait les déclarations du responsable des activités de la police pénitentiaire
lors du sommet, selon lesquelles la dĂ©cision dâaffecter Ă la police
pĂ©nitentiaire et Ă la police judiciaire une seule et mĂȘme caserne sâĂ©tait
rĂ©vĂ©lĂ©e ĂȘtre « un choix malheureux ».
73. Le rapport
indiquait ensuite que, dans la nuit du 21 au 22 juillet, la durée de la
détention à la caserne de Bolzaneto des personnes
arrĂȘtĂ©es avait Ă©tĂ© excessivement longue en raison de la fermeture de certains
bureaux, qui aurait Ă©tĂ© due Ă lâinsuffisance de personnel, Ă lâafflux des
personnes arrĂȘtĂ©es dans lâĂ©cole Diaz-Pertini et aux modalitĂ©s de transfert vers
les prisons choisies en tant que lieux de détention provisoire. Le rapport
faisait aussi Ă©tat de ce que, au cours de la mĂȘme nuit, entre 1 h 35 et 2
heures, le ministre de la Justice sâĂ©tait rendu Ă la caserne de Bolzaneto et avait vu dans une cellule une femme et dix
hommes placĂ©s jambes Ă©cartĂ©es et face contre le mur sous la surveillance dâun
agent.
74. Le rapport
mentionnait en outre lâexistence de deux enquĂȘtes administratives relatives aux
faits survenus Ă la caserne de Bolzaneto, engagĂ©es Ă
lâinitiative du chef de la police et du ministre de la Justice. Le rapport
provisoire de la deuxiĂšme enquĂȘte faisait Ă©tat de onze cas de violences dĂ©noncĂ©s
par la presse ou par les victimes elles-mĂȘmes ainsi que dâautres vexations
signalées par un infirmier.
75. Le rapport
indiquait enfin que, dâaprĂšs le prĂ©fet de police F., entendu par la commission
parlementaire, certaines dĂ©clarations faites Ă la presse ou aux enquĂȘteurs par
les victimes sâĂ©taient rĂ©vĂ©lĂ©es fausses et infondĂ©es. Le rapport concluait
toutefois que le prĂ©fet F. nâavait pas prĂ©cisĂ© Ă quel des centres de
répartition (Forte San Giuliano, Bolzaneto ou les
deux) se référaient ses observations.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
76. Pour ce
qui est du droit et de la pratique internes pertinents en lâespĂšce, la Cour
renvoie Ă son arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 87-106).
77. La proposition de loi visant Ă
sanctionner la torture et les mauvais traitements, intitulée
« Introduction du dĂ©lit de torture dans lâordre juridique italien » (introduzione del delitto di tortura nellâordinamento
italiano), Sénat de la République S-849, a été votée par le Sénat de la
RĂ©publique italienne le 5 mars 2014, puis transmise Ă la Chambre des
députés qui a modifié le texte et envoyé la nouvelle version au Sénat le 13
avril 2015. Le 17 mai 2017, le Sénat a adopté des amendements à la proposition
de loi et a communiqué le nouveau texte à la Chambre des députés. Le 5 juillet
2017, la Chambre des députés a définitivement adopté le texte.
La loi no110
du 14 juillet 2017, intitulĂ©e « Introduction du dĂ©lit de torture dans lâordre
juridique italien (Introduzione del delitto di tortura nellâordinamento
italiano) a été publiée au Journal officiel (Gazzetta ufficiale) le 18 juillet 2017. Elle est
entrĂ©e en vigueur le mĂȘme jour.
III. ĂLĂMENTS PERTINENTS DE DROIT INTERNATIONAL
78. Pour ce
qui est des Ă©lĂ©ments de droit international pertinents en lâespĂšce, la Cour
renvoie Ă son arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 107-121).
EN DROIT
I. SUR LA JONCTION DES REQUĂTES
79. Compte
tenu de la similitude des prĂ©sentes requĂȘtes quant aux faits et aux questions
de fond quâelles soulĂšvent, la Cour juge appropriĂ© de les joindre, en
application de lâarticle 42 de son rĂšglement.
II. SUR LA VIOLATION
ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 3 DE LA CONVENTION
80. Les
requĂ©rants se plaignent dâavoir Ă©tĂ© soumis Ă des actes de violence quâils
qualifient de torture et de traitements inhumains et dégradants.
Ils
invoquent lâarticle 3 de la Convention, qui est ainsi libellĂ© :
« Nul
ne peut ĂȘtre soumis Ă la torture ni Ă des peines ou traitements inhumains ou
dégradants. »
81. Ils
soutiennent aussi que lâenquĂȘte a Ă©tĂ© dĂ©faillante en raison des sanctions, Ă
leurs yeux inadéquates, infligées aux personnes jugées responsables. à cet
égard, ils dénoncent notamment la prescription appliquée à la plupart des
délits reprochés, la remise de peine dont certains condamnés auraient bénéficié
et lâabsence de sanctions disciplinaires Ă lâĂ©gard de ces mĂȘmes personnes. Dans
ce cadre, ils maintiennent que, en sâabstenant dâinscrire dans lâordre
juridique national le dĂ©lit de torture, lâĂtat nâa pas adoptĂ© les mesures
nécessaires permettant de prévenir des violences et autres mauvais traitements
similaires Ă ceux dont ils se disent victimes.
Ils
invoquent à cet égard les articles 3 et 13 de la Convention, pris séparément et
combinés.
82. Eu Ă©gard Ă
la formulation des griefs des requĂ©rants, la Cour estime quâil convient dâexaminer
la question de lâabsence dâune enquĂȘte effective sur les mauvais traitements
allĂ©guĂ©s uniquement sous lâangle du volet procĂ©dural de lâarticle 3 de la
Convention (Dembele c. Suisse, no 74010/11,
§ 33, 24 septembre 2013, avec les références qui y figurent).
83. Dans la
seule requĂȘte no 21911/14, les requĂ©rants se plaignent Ă©galement,
sur le terrain de lâarticle 5 § 2 de la Convention, dâun dĂ©faut de
communication dans le plus court dĂ©lai et, le cas Ă©chĂ©ant, en prĂ©sence dâun
interprÚte, des raisons de leur arrestation et de toute accusation portée
contre eux ; invoquant lâarticle 8 de la Convention, dâune privation non
justifiée et définitive de leurs effets personnels ; invoquant les
articles 9, 10 et 11 de la Convention, de la violation de leurs libertés en
conséquence de leur seule participation aux manifestations du G8. Ils invoquent
ces articles seuls ou combinĂ©s avec lâarticle 14 de la Convention.
84. MaĂźtresse
de la qualification juridique des faits (Guerra
et autres c. Italie, 19 fĂ©vrier 1998, § 44, Recueil 1998‑I), la Cour considĂšre les actes dĂ©noncĂ©s dans
ces griefs comme des éléments visant à briser la résistance psychologique des
personnes placĂ©es Ă lâintĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto
et donc comme additionnels au grief principal relatif Ă lâinfliction de mauvais
traitements (voir, entre autres, AlgĂŒr c. Turquie,
no 32574/96, § 44, 22 octobre 2002). La Cour se propose dĂšs lors dâexaminer
ces griefs uniquement sous lâangle de lâarticle 3 de la Convention.
A. Sur
la demande de radiation du rĂŽle de la requĂȘte no 21911/14 en ce qui concerne
les requĂ©rants figurant Ă lâannexe I sous les numĂ©ros 1, 8, 9 et 14 de la liste
85. La Cour a reçu des déclarations de
rÚglement amiable signées par les parties requérantes le 27 juillet 2016 et par
le Gouvernement le 9 septembre 2016. Ce dernier sâengage Ă verser Ă chaque
requérant la somme de 45 000 EUR au titre du préjudice matériel et
moral et pour les frais et dépens engagés tant dans la procédure devant la Cour
que dans celle devant les juridictions internes, plus tout montant pouvant ĂȘtre
dĂ» Ă titre dâimpĂŽt par les intĂ©ressĂ©s, lesquels ont renoncĂ© Ă toute autre
prĂ©tention Ă lâencontre de la RĂ©publique italienne au sujet des faits Ă lâorigine
de leurs requĂȘtes.
Cette somme
sera versée dans les trois mois suivant la date de la notification de la
dĂ©cision de la Cour. Ă dĂ©faut de rĂšglement dans ledit dĂ©lai, le Gouvernement sâengage
Ă verser, Ă compter de lâexpiration de celui-ci et jusquâau rĂšglement effectif
de la somme en question, un intĂ©rĂȘt simple Ă un taux Ă©gal Ă celui de la
facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne, augmentĂ© de trois
points de pourcentage. Ce versement vaudra rĂšglement dĂ©finitif de lâaffaire.
86. La Cour
prend acte du rĂšglement amiable auquel les parties sont parvenues. Elle estime
que ce rĂšglement sâinspire du respect des droits de lâhomme tels que les
reconnaissent la Convention et ses Protocoles, et elle ne voit par ailleurs
aucun motif justifiant de poursuivre lâexamen de la requĂȘte Ă lâĂ©gard des
requérants concernés.
87. Partant,
il convient de rayer lâaffaire du rĂŽle en ce qui concerne les requĂ©rants
figurant Ă lâannexe I sous les numĂ©ros 1, 8, 9 et 14 de la liste correspondant
Ă la requĂȘte no 21911/14. La Cour poursuit lâexamen de la requĂȘte no 21911/14
Ă lâĂ©gard des autres requĂ©rants.
B. Sur
les requĂȘtes nos 1442/14 et 21319/14, et sur la requĂȘte no 21911/14
en ce qui concerne les requĂ©rants figurant Ă lâannexe I sous les numĂ©ros 2-7,
10-13 et 15-17 de la liste
1. Sur la
recevabilité
88. La Cour
note que le Gouvernement nâa pas soulevĂ© dâexception dâirrecevabilitĂ© par
rapport aux prĂ©sentes requĂȘtes. Constatant que les requĂȘtes ne sont pas
manifestement mal fondĂ©es au sens de lâarticle 35 § 3 a) de la
Convention et quâelles ne se heurtent par ailleurs Ă aucun autre motif dâirrecevabilitĂ©,
la Cour les déclare recevables.
2. Sur le fond
a) Sur le volet matĂ©riel de lâarticle 3
de la Convention
i. ThĂšses des
parties
α) Les requĂ©rants
89. Les
requĂ©rants, arrĂȘtĂ©s puis placĂ©s Ă la caserne de Bolzaneto,
allĂšguent avoir Ă©tĂ© insultĂ©s, menacĂ©s, frappĂ©s et avoir fait lâobjet dâautres
types de mauvais traitements de la part de membres des forces de lâordre. Ils
déplorent les vives souffrances physiques et psychologiques que ces violences
leur auraient causées.
90. Les
requĂ©rants dĂ©noncent Ă©galement lâimpossibilitĂ© pour eux de prendre contact avec
un proche, un avocat ou, le cas échéant, un représentant consulaire, ainsi que
lâabsence de prise en charge mĂ©dicale adaptĂ©e Ă leur Ă©tat de santĂ©, les visites
médicales auxquelles ils auraient été soumis étant selon eux superficielles,
souvent humiliantes et rĂ©alisĂ©es en prĂ©sence dâagents des forces de lâordre
(paragraphes 18-45 ci-dessus).
91. Ils
considĂšrent enfin que lâĂtat nâa pas mis en place les mesures nĂ©cessaires qui
leur Ă©viteraient dâĂȘtre soumis Ă de tels traitements et ils estiment que les
actions des agents et fonctionnaires impliquĂ©s ne peuvent trouver dâautre
justification que la volonté de les punir, eux et les autres personnes
arrĂȘtĂ©es, pour leurs opinions politiques et pour leur participation aux
manifestations contre le sommet du G8 de GĂȘnes. Enfin, selon eux, les auteurs
des mauvais traitements en cause ont agi avec le consentement et la connivence
de leurs supérieurs hiérarchiques présents à la caserne de Bolzaneto.
92. Partant,
compte tenu de tous ces éléments, les requérants estiment avoir été victimes de
torture et de traitements inhumains et dégradants.
β) Le Gouvernement
93. Le
Gouvernement assure ne pas sous-estimer la gravité des faits qui se sont
produits au sein de la caserne de Bolzaneto entre le
20 et le 23 juillet 2001. Il estime que les actions commises par les
agents de police constituent des infractions graves et déplorables, auxquelles
lâĂtat italien aurait rĂ©agi de maniĂšre adĂ©quate, Ă travers lâaction des
tribunaux, en rĂ©tablissant lâĂ©tat de droit affaibli par cet Ă©pisode.
94. En gage de
« complĂšte reconnaissance par lâItalie des violations des droits
perpétrées », le Gouvernement déclare souscrire « au jugement des
juridictions nationales, qui ont trÚs durement stigmatisé le comportement des
agents de police » Ă lâĂ©poque des faits.
ii. Appréciation
de la Cour
α) Principes gĂ©nĂ©raux
95. Les
principes généraux applicables en la matiÚre ont été récemment rappelés dans
les arrĂȘts Bouyid c. Belgique ([GC], no
23380/09, §§ 88-90, CEDH 2015) et Bartesaghi Gallo et
autres c. Italie (nos
12131/13 et 43390/13, §§ 111-113, 22 juin 2017).
β) Application de ces
principes aux circonstances en lâespĂšce
96. La Cour note
dâemblĂ©e que les tribunaux internes ont Ă©tabli de maniĂšre dĂ©taillĂ©e et
approfondie, avec exactitude et au-delĂ de tout doute raisonnable les mauvais
traitements dont les personnes placées à la caserne de Bolzaneto
ont Ă©tĂ© lâobjet (paragraphes 18-45 ci-dessus) et elle ne
relĂšve pas dâĂ©lĂ©ments convaincants qui lâinciteraient Ă sâĂ©carter des
conclusions auxquelles les juridictions internes sont parvenues (GĂ€fgen c. Allemagne [GC], no
22978/05, § 93, CEDH 2010). Les témoignages des victimes ont été confirmés par
les dĂ©positions de membres des forces de lâordre et de lâadministration
publique, par les admissions partielles des accusés ainsi que par les documents
à disposition des magistrats, notamment les comptes rendus médicaux et les
expertises judiciaires.
97. DĂšs lors,
la Cour juge Ă©tablies tant les agressions physiques et verbales dont les
requérants se plaignent que les séquelles découlant de celles-ci. Elle constate
en particulier ce qui suit :
â dĂšs
leur arrivée à la caserne de Bolzaneto, il a été
interdit aux requĂ©rants de lever la tĂȘte et de regarder les agents qui les
entouraient ; ceux qui avaient Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini ont Ă©tĂ©
marquĂ©s dâune croix tracĂ©e au feutre sur la joue ; tous les requĂ©rants ont
Ă©tĂ© obligĂ©s de se tenir immobiles, bras et jambes Ă©cartĂ©s, face aux grilles Ă lâextĂ©rieur
de la caserne ; la mĂȘme position vexatoire a Ă©tĂ© imposĂ©e Ă chacun Ă lâintĂ©rieur
des cellules ;
â Ă
lâintĂ©rieur de la caserne, les requĂ©rants Ă©taient contraints de se dĂ©placer
penchĂ©s en avant et la tĂȘte baissĂ©e ; dans cette position, ils devaient
traverser « le tunnel des agents », à savoir le couloir de la caserne
dans lequel des agents se tenaient de chaque cÎté pour les menacer, les frapper
et leur lancer des insultes Ă caractĂšre politique ou sexuel (paragraphe 59 ci‑dessus) ;
â lors
des visites mĂ©dicales, les requĂ©rants ont Ă©tĂ© lâobjet de commentaires, dâhumiliations
et parfois de menaces de la part du personnel médical ou des agents de police
présents ;
â les
effets personnels des requérants ont été confisqués, voire détruits de façon aléatoire ;
â compte
tenu de lâexiguĂŻtĂ© de la caserne de Bolzaneto ainsi
que du nombre et de la répétition des épisodes de brutalité, tous les agents et
fonctionnaires de police présents étaient conscients des violences commises par
leurs collÚgues ou leurs subordonnés ;
â les
faits en cause ne peuvent se résumer à une période donnée au cours de laquelle,
sans que cela ne puisse aucunement le justifier, la tension et les passions
exacerbées auraient conduit à de tels excÚs : ces faits se sont déroulés
pendant un laps de temps considérable, à savoir entre la nuit du 20 au
21 juillet et le 23 juillet, ce qui signifie que plusieurs Ă©quipes dâagents
se sont succédé au sein de la caserne sans aucune diminution significative en
fréquence ou en intensité des épisodes de violence.
98. En ce qui
concerne les récits individuels des requérants, la Cour ne peut que constater
la gravité des faits décrits par les intéressés. Ce qui ressort du matériel
probatoire dĂ©montre nettement que les requĂ©rants, qui nâont opposĂ© aucune forme
de rĂ©sistance physique aux agents, ont Ă©tĂ© victimes dâune succession continue
et systĂ©matique dâactes de violence provoquant de vives souffrances physiques
et psychologiques (Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10,
§ 126, CEDH 2013 (extraits)). Ces violences ont été infligées à chaque individu
dans un contexte gĂ©nĂ©ral dâemploi excessif, indiscriminĂ© et manifestement
disproportionné de la force (Bouyid, précité, § 101).
99. Ces
épisodes ont eu lieu dans un contexte délibérément tendu, confus et bruyant,
les agents criant Ă lâencontre des individus arrĂȘtĂ©s et entonnant de temps en
temps des chants fascistes. Dans son arrĂȘt no 678/10 du 15 avril
2011, la cour dâappel de GĂȘnes a Ă©tabli que la violence physique et morale,
loin dâĂȘtre Ă©pisodique, a, au contraire, Ă©tĂ© indiscriminĂ©e, constante et en
quelque sorte organisée, ce qui a eu pour résultat de conduire à « une
sorte de processus de dĂ©shumanisation rĂ©duisant lâindividu Ă une chose sur
laquelle exercer la violence » (paragraphe 62 ci-dessus).
100. La gravité
des faits de la présente espÚce réside également dans un autre aspect qui, aux
yeux de la Cour, est tout aussi important. En effet, elle a rappelé à maintes
reprises que la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent les
personnes placées en garde à vue impose aux autorités le devoir de les protéger
(ibidem, § 107). Or lâensemble
des faits litigieux dĂ©montre que les membres de la police prĂ©sents Ă lâintĂ©rieur
de la caserne de Bolzaneto, les simples agents et,
par extension, la chaĂźne de commandement, ont gravement contrevenu Ă leur
devoir déontologique primaire de protection des personnes placées sous leur
surveillance.
101. Cela est dâailleurs
soulignĂ© par le tribunal de premiĂšre instance de GĂȘnes (paragraphe 48 ci-dessus), qui a
estimĂ© que les agents poursuivis avaient trahi le serment de fidĂ©litĂ© et dâadhĂ©sion
à la Constitution et aux lois républicaines en portant atteinte, par leur
comportement, à la dignité et à la probité de la police italienne en tant que
corps de métier et, par suite, en affaiblissant la confiance de la population
italienne dans les forces de lâordre.
102. La Cour ne
saurait dÚs lors négliger la dimension symbolique de ces actes ni le fait que
les requérants ont été non seulement les victimes directes de sévices, mais
aussi les tĂ©moins impuissants de lâusage incontrĂŽlĂ© de la violence Ă lâencontre
des autres personnes arrĂȘtĂ©es. Aux atteintes portĂ©es Ă lâintĂ©gritĂ© physique et
psychologique individuelle sâest donc ajoutĂ© lâĂ©tat dâangoisse et de stress
causĂ© par les Ă©pisodes de violence auxquels ils ont assistĂ© (Iljina et Sarulienė
c. Lituanie, no 32293/05, § 47, 15 mars 2011).
103. En sâappuyant notamment sur les
conclusions de la cour dâappel de GĂȘnes (paragraphe 63 ci-dessus) et de la
Cour de cassation (paragraphe 67 ci-dessus), la Cour
estime que les requérants, traités comme des objets aux mains de la puissance
publique, ont vécu pendant toute la durée de leur détention dans un lieu de
« non-droit » oĂč les garanties les plus Ă©lĂ©mentaires avaient Ă©tĂ©
suspendues.
104. En effet,
outre les épisodes de violence susmentionnés, la Cour ne saurait ignorer les
autres atteintes aux droits des requĂ©rants sâĂ©tant produites Ă la caserne de Bolzaneto. Aucun requĂ©rant nâa pu prendre contact avec un
proche, un avocat de son choix ou, le cas échéant, un représentant consulaire.
Les effets personnels ont Ă©tĂ© dĂ©truits sous les yeux de leurs propriĂ©taires. LâaccĂšs
aux toilettes était refusé et, en tous cas, les requérants ont été fortement
dissuadĂ©s de sây rendre en raison des insultes, des violences et des
humiliations subies par les personnes ayant demandé à y accéder. En outre, il y
a lieu de remarquer que lâabsence de nourriture et de draps en quantitĂ©
suffisante, ce qui, dâaprĂšs les juges nationaux, ne dĂ©coulait pas tant dâune
volontĂ© dĂ©libĂ©rĂ©e dâen priver les requĂ©rants que dâune mauvaise planification
du fonctionnement du site, ne peut quâavoir amplifiĂ© la situation de dĂ©tresse
et le niveau de souffrance éprouvés par les requérants.
105. En conclusion,
la Cour ne saurait ignorer que, en lâespĂšce, tel quâil ressort des jugements
internes (paragraphe 62 ci-dessus), les actes
qui ont été commis dans la caserne de Bolzaneto sont
lâexpression dâune volontĂ© punitive et de reprĂ©sailles Ă lâĂ©gard des
requérants, privés de leurs droits et du niveau de protection reconnu à tout
individu par lâordre juridique italien (voir, mutatis mutandis, Cestaro, prĂ©citĂ©, § 177).
106. Ces
éléments suffisent à la Cour pour conclure que les actes de violence répétés
subis par les requĂ©rants Ă lâintĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto
doivent ĂȘtre regardĂ©s comme des actes de torture. Partant, il y a eu violation
Ă leur Ă©gard de lâarticle 3 de la Convention sous son volet matĂ©riel.
b) Sur le volet procĂ©dural de lâarticle
3 de la Convention
i. ThĂšses des
parties
α) Les requĂ©rants
107. Les
requĂ©rants, nonobstant la mĂ©ticuleuse enquĂȘte menĂ©e par le procureur de la
RĂ©publique de GĂȘnes et les conclusions du tribunal de premiĂšre instance et de
la cour dâappel de GĂȘnes ayant permis dâĂ©tablir les faits allĂ©guĂ©s, reprochent
aux juges dâavoir appliquĂ© la prescription Ă la quasi-totalitĂ© des dĂ©lits
imputés aux accusés. Ils indiquent que seuls des délits mineurs ont été retenus
Ă lâĂ©gard dâun nombre rĂ©duit dâaccusĂ©s, lesquels auraient par ailleurs, en raison
de la courte durĂ©e des peines prĂ©vues, bĂ©nĂ©ficiĂ© du sursis Ă lâexĂ©cution ou dâune
remise de peine en application de la loi no 241 du 29 juillet
2006. Ils dĂ©noncent ainsi lâissue de la procĂ©dure pĂ©nale et Ă©voquent Ă cet
Ă©gard les arrĂȘts de la Cour AbdĂŒlsamet Yaman c. Turquie (no 32446/96, §
55, 2 novembre 2004) et Ali et Ayşe Duran c. Turquie (no 42942/02, § 69, 8 avril 2008).
108. Les requérants
prĂ©cisent quâen outre les responsables des Ă©vĂ©nements de la caserne de Bolzaneto nâont Ă©tĂ© punis par aucune mesure disciplinaire
de suspension pendant le procĂšs ou de sanction Ă lâissue de celui-ci, et quâils
ont mĂȘme obtenu des promotions par la suite.
109. Ils
critiquent dĂšs lors lâabsence dans lâordre juridique interne dâun dĂ©lit
punissant la torture et les traitements inhumains ou dégradants, disposition
législative qui aurait permis selon eux de poursuivre non seulement les auteurs
matériels mais aussi les coresponsables des actes en question, notamment les supérieurs
hiérarchiques. En effet, ils arguent que la qualification juridique des faits
retenue par les juges internes prévoyait un élément psychologique spécifique
que lâinterdiction de la torture ne prĂ©voirait pas, ce qui permettrait de
poursuivre les auteurs matériels et ceux qui, en raison de leur connivence ou
de leur consentement, ont participĂ© Ă la commission dâactes pouvant ĂȘtre
qualifiés de torture ou de traitements inhumains ou dégradants.
110. La
nécessité de criminaliser la torture et les autres mauvais traitements se
justifierait en outre par la nĂ©cessitĂ© dâĂ©viter lâapplication de la
prescription ou dâautres mesures de clĂ©mence Ă des actes particuliĂšrement
graves et suscitant des troubles considérables au niveau social.
111. Quant Ă la
possibilitĂ© dâobtenir une indemnisation dans le cadre de la procĂ©dure civile en
dommages-intĂ©rĂȘts, les requĂ©rants sâappuient sur la jurisprudence de la Cour (GĂ€fgen, prĂ©citĂ©,
§§ 116-119) pour souligner lâineffectivitĂ© du remĂšde civil eu Ă©gard Ă lâinfliction
délibérée de mauvais traitements.
β) Le Gouvernement
112. Le
Gouvernement conteste la thĂšse des requĂ©rants et maintient que lâĂtat a bien
rempli son obligation positive de mener une enquĂȘte indĂ©pendante et impartiale.
Il soutient que les autoritĂ©s ont adoptĂ© toutes les mesures permettant lâidentification
et la condamnation des responsables des mauvais traitements litigieux Ă une
peine adĂ©quate, comme lâexige la jurisprudence de la Cour.
113. Il estime
en particulier que, Ă lâissue dâune procĂ©dure pĂ©nale complexe et approfondie
qui a permis lâĂ©tablissement des faits dĂ©noncĂ©s, les quarante-cinq policiers
poursuivis ont Ă©tĂ© condamnĂ©s, mĂȘme si, pour la plupart dâentre eux, la cour dâappel
a reconnu lâapplication de la prescription. En ce qui concerne lâaction civile,
il indique que tous les requérants se sont vu accorder une somme à titre de
provision sur les dommages-intĂ©rĂȘts.
114. Se
penchant ensuite sur lâallĂ©gation relative Ă lâabsence du dĂ©lit de « torture »
dans lâordre juridique italien, le Gouvernement expose que les juges internes
ont pu sanctionner de maniÚre adéquate les délits contre la personne en
utilisant lâarsenal juridique existant. Ă ce titre, il maintient que la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants du 10 décembre 1984 ne prévoit pas une définition univoque de la
notion de « torture », ce qui impliquerait que le code pénal italien
permet de sanctionner de maniÚre appropriée les différentes formes de mauvais
traitements.
115. Enfin, le
Gouvernement informe la Cour quâune proposition de loi visant Ă introduire dans
le code pĂ©nal italien le dĂ©lit de torture est actuellement en cours dâexamen
devant le Parlement (paragraphe 77 ci‑dessus). Il
prĂ©cise que des peines pouvant aller jusquâĂ douze ans de prison sont
envisagées en cas de mauvais traitements infligés par des fonctionnaires ou des
officiers publics et que la peine dâemprisonnement Ă perpĂ©tuitĂ© pourra ĂȘtre
prononcée lorsque les mauvais traitements en question ont causé le décÚs de la
victime.
ii. Appréciation
de la Cour
α) Principes gĂ©nĂ©raux
116. La Cour
rappelle que, lorsquâun individu soutient de maniĂšre dĂ©fendable avoir subi, aux
mains de la police ou dâautres services comparables de lâĂtat, un traitement
contraire Ă lâarticle 3 de la Convention, cette disposition, combinĂ©e avec le
devoir gĂ©nĂ©ral imposĂ© Ă lâĂtat par lâarticle 1 de « reconnaĂźtre Ă toute
personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis (...)
[dans la] Convention », requiert, par implication, quâil y ait une enquĂȘte
officielle effective. Cette enquĂȘte doit pouvoir mener Ă lâidentification et,
le cas Ă©chĂ©ant, Ă la punition des responsables et Ă lâĂ©tablissement de la
vĂ©ritĂ©. Sâil nâen allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, lâinterdiction
légale générale de la torture et des peines et traitements inhumains ou
dégradants serait inefficace en pratique, et il serait possible dans certains
cas Ă des agents de lâĂtat de piĂ©tiner, en jouissant dâune impunitĂ© virtuelle,
les droits des personnes soumises Ă leur contrĂŽle (voir, parmi beaucoup dâautres,
Nasr et Ghali c. Italie, no 44883/09, § 262, 23 février 2016).
117. Les principes pertinents concernant les
Ă©lĂ©ments dâ« une enquĂȘte officielle effective » ont Ă©tĂ© rappelĂ©s
rĂ©cemment par la Cour dans son arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©,
§§ 205-212, et les rĂ©fĂ©rences qui y sont citĂ©es) et rĂ©sumĂ©s dans son arrĂȘt
Nasr et Ghali (précité, § 263),
auxquels la Cour renvoie.
β) Application de ces
principes aux circonstances en lâespĂšce
118. La Cour
observe dâemblĂ©e que la plupart des auteurs matĂ©riels des actes de
« torture » (paragraphe 49 ci-dessus) nâont pu
ĂȘtre ni identifiĂ©s par les autoritĂ©s judiciaires ni inquiĂ©tĂ©s par une enquĂȘte,
et quâils sont donc restĂ©s impunis.
119. Tout en
rappelant que lâobligation de mener une enquĂȘte nâest pas, selon sa
jurisprudence, une obligation de résultat mais de moyens (voir, parmi beaucoup
dâautres, Gheorghe Dima c. Roumanie, no 2770/09,
§ 100, 19 avril 2016), il y a lieu de noter que les remarquables efforts
des juges nationaux pour identifier les agents de police ayant participé aux
faits dénoncés se sont soldés par un échec pour deux raisons principales.
120. Dâune
part, lâinterdiction faite aux requĂ©rants de regarder les agents et lâobligation
qui leur Ă©tait imposĂ©e de se tenir face aux grilles Ă lâextĂ©rieur de la caserne
ou au mur des cellules, combinĂ©es Ă lâabsence de signes distinctifs sur lâuniforme
des agents, tel quâun numĂ©ro de matricule, ont contribuĂ© Ă rendre impossible lâidentification
par les victimes des policiers présents dans la caserne de Bolzaneto.
121. Dâautre
part, la Cour constate que le regrettable manque de coopération de la police
avec les autoritĂ©s judiciaires chargĂ©es de lâenquĂȘte a Ă©tĂ© dĂ©terminant en lâoccurrence.
122. En ce qui
concerne la procédure pénale, elle note que la vaste majorité des délits de
lĂ©sions corporelles, simples ou aggravĂ©s, ainsi que ceux de calomnie et dâabus
dâautoritĂ© publique ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s prescrits. En effet, sur quarante-cinq
personnes renvoyĂ©es en justice, la Cour de cassation (paragraphe 65 ci-dessus) nâa
confirmĂ© la condamnation que de huit agents ou cadres des forces de lâordre Ă
des peines dâemprisonnement allant dâun an pour abus dâautoritĂ© publique (les
trois agents condamnés ayant renoncé à la prescription) à trois ans et deux
mois pour le délit de lésions corporelles (puis réduite de trois ans en
application de la loi no 241/06). La Cour constate que tous les
condamnĂ©s ont bĂ©nĂ©ficiĂ© soit de la remise de peine, soit du sursis Ă lâexĂ©cution
et de la non-inscription de la condamnation au casier judiciaire. Elle remarque
que, en pratique, personne nâa passĂ© un seul jour en prison pour les
traitements infligés aux requérants.
123. En vertu
de lâarticle 19 de la Convention et conformĂ©ment au principe voulant que la
Convention garantisse des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets
et effectifs, la Cour doit sâassurer que lâĂtat sâacquitte comme il se doit de
lâobligation qui lui est faite de protĂ©ger les droits des personnes relevant de
sa juridiction, en particulier dans les cas oĂč il existe une disproportion
manifeste entre la gravitĂ© de lâacte et la sanction infligĂ©e. Sinon, le devoir
quâont les Ătats de mener une enquĂȘte effective perdrait beaucoup de son sens.
124. Partant,
elle ne peut que relever que, malgrĂ© lâĂ©tablissement des faits les plus graves
par les juridictions internes, la prescription a empĂȘchĂ© le constat de la
responsabilité pénale de leurs auteurs. Elle remarque aussi que, en application
de la loi no 241 du 29 juillet 2006 relative aux conditions dâoctroi
de la remise générale de peine (indulto), les peines prononcées pour les autres délits ont
été réduites de trois ans (paragraphe 53 ci-dessus).
125. Elle
rappelle que, parmi les Ă©lĂ©ments qui caractĂ©risent une enquĂȘte effective sur le
terrain de lâarticle 3 de la Convention, le fait que les poursuites judiciaires
ne souffrent dâaucun dĂ©lai de prescription est primordial. Elle indique
Ă©galement avoir dĂ©jĂ jugĂ© que lâoctroi dâune amnistie ou dâun pardon ne devrait
pas ĂȘtre tolĂ©rĂ© en matiĂšre de torture ou de mauvais traitements infligĂ©s par
des agents de lâĂtat (AbdĂŒlsamet Yaman, prĂ©citĂ©, § 55, et Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos
10865/09 et 2 autres, § 326, CEDH 2014 (extraits)).
126. Comme elle
lâa fait dans son arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 223 et 224), la Cour
reconnaĂźt que les juges nationaux ont dĂ» diligenter pour les faits relatifs Ă
la caserne de Bolzaneto une procédure pénale complexe
liĂ©e Ă un Ă©pisode de violence policiĂšre unique dans lâhistoire de la RĂ©publique
italienne. Elle ne saurait ignorer quâaux difficultĂ©s de la procĂ©dure Ă lâĂ©gard
de nombre de coaccusés et de parties civiles se sont ajoutés des obstacles liés
au manque de coopĂ©ration de la part de lâadministration de la police
(paragraphe 49 ci-dessus).
127. Contrairement
Ă sa conclusion dans dâautres affaires, la Cour considĂšre que, en lâespĂšce, la
durée de la procédure interne et le non-lieu prononcé pour cause de
prescription de la plupart des délits ne sont pas imputables aux atermoiements
ou à la négligence du parquet ou des juges internes, mais aux défaillances
structurelles de lâordre juridique italien (voir, parmi dâautres, Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96
et 57834/00, §§ 142‑147, CEDH 2004‑IV (extraits), et HĂŒseyin Şimşek
c. Turquie, no 68881/01, §§ 68-70, 20 mai 2008).
128. En effet,
aux yeux de la Cour, lâorigine du problĂšme rĂ©side dans le fait quâaucune des
infractions pĂ©nales existantes nâapparaĂźt Ă mĂȘme dâenglober toute la gamme de
questions soulevĂ©es par un acte de torture dont un individu risque dâĂȘtre
victime (Myumyun c. Bulgarie, no 67258/13,
§ 77, 3 novembre 2015).
129. La Cour a
dĂ©jĂ jugĂ© dans son arrĂȘt Cestaro
(précité, § 225) que la législation pénale nationale appliquée dans les
affaires en cause sâĂ©tait rĂ©vĂ©lĂ©e Ă la fois inadĂ©quate par rapport Ă lâexigence
de sanction des actes de torture en question et dĂ©pourvue de lâeffet dissuasif
nĂ©cessaire Ă la prĂ©vention des violations similaires de lâarticle 3 de la
Convention.
130. Dans ce
cadre, elle a invitĂ© lâItalie Ă se munir des outils juridiques aptes Ă
sanctionner de maniĂšre adĂ©quate les responsables dâactes de torture ou dâautres
mauvais traitements au regard de lâarticle 3 et Ă empĂȘcher que ceux-ci puissent
bĂ©nĂ©ficier de lâapplication de mesures en contradiction avec la jurisprudence
de la Cour, notamment la prescription et la remise de peine (ibidem, §§ 242-246).
131. Le
législateur italien a présenté une proposition de loi introduisant le délit de
torture. AprĂšs des modifications successives, le 18 juillet 2017 la loi est
entrĂ©e en vigueur. La Cour prend note de lâintroduction des nouvelles
dispositions qui ne trouvent pas Ă sâappliquer en lâespĂšce.
132. Concernant,
enfin, les mesures disciplinaires, la Cour observe que le Gouvernement indique
que les policiers concernĂ©s nâont pas Ă©tĂ© suspendus de leurs fonctions pendant
le procĂšs. Elle note que le Gouvernement ne prĂ©cise pas si ces mĂȘmes policiers
ont fait lâobjet de mesures disciplinaires et nâindique pas, le cas Ă©chĂ©ant,
quelles ont été les mesures adoptées à cet égard.
133. La Cour
rappelle en tout état de cause, à ce propos, avoir répété que, lorsque des
agents de lâĂtat sont inculpĂ©s dâinfractions impliquant des mauvais traitements,
il importe quâils soient suspendus de leurs fonctions pendant lâinstruction ou
le procĂšs et en soient dĂ©mis en cas de condamnation (voir, parmi beaucoup dâautres,
AbdĂŒlsamet Yaman,
prĂ©citĂ©, § 55, Ali et Ayşe
Duran, prĂ©citĂ©, § 64, Ăamdereli,
précité, § 38, GÀfgen,
précité, § 125, Cestaro, précité, § 205, Erdal Aslan c. Turquie, nos 25060/02 et 1705/03, §§ 74
et 76, 2 décembre 2008, et Saba
c. Italie, no 36629/10, § 78, 1er juillet 2014).
134. En
conclusion, la Cour considĂšre que les requĂ©rants nâont pas bĂ©nĂ©ficiĂ© dâune
enquĂȘte officielle effective aux fins de lâarticle 3 de la Convention. Partant,
elle conclut quâil y a eu violation de cette disposition sous son volet
procédural.
III. SUR LâAPPLICATION DE LâARTICLE 41 DE LA CONVENTION
135. Aux termes
de lâarticle 41 de la Convention,
« Si
la Cour dĂ©clare quâil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles,
et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet dâeffacer quâimparfaitement
les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă la partie lĂ©sĂ©e, sâil y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
136. Les
requĂ©rants des requĂȘtes nos 1442/14 et 21319/14 rĂ©clament
150 000 EUR chacun au titre du prĂ©judice matĂ©riel et moral quâils estiment
avoir subi tandis que les requĂ©rants de la requĂȘte no 21911/14
(notamment les requĂ©rants figurant Ă lâannexe I sous les numĂ©ros 2-7, 10-13 et
15-17 de la liste correspondante) sâen remettent Ă lâapprĂ©ciation de la Cour.
137. Le
Gouvernement conteste ces prétentions et critique le montant réclamé par les
requĂ©rants comme Ă©tant disproportionnĂ© notamment en raison des versements dĂ©jĂ
effectuĂ©s de sommes Ă titre de provision sur les dommages-intĂ©rĂȘts. Il prĂ©cise
Ă cet Ă©gard que les requĂ©rants ont obtenu des indemnitĂ©s au niveau national, dâun
montant compris entre 10 000 EUR et 15 000 EUR, et, dans deux
cas, dâun montant de 70 000 EUR.
138. La Cour
relĂšve que les requĂ©rants nâont pas Ă©tayĂ© suffisamment leurs prĂ©tentions pour
que le lien de causalité nécessaire entre la violation constatée et le dommage
matĂ©riel allĂ©guĂ© pĂ»t ĂȘtre Ă©tabli. Elle rejette par consĂ©quent cette partie de
la demande (Eğitim ve Bilim Emekçileri Sendikası et
autres c. Turquie, no 20347/07, § 116, 5 juillet 2016).
139. En ce qui
concerne le dommage moral, la Cour considÚre que les requérants ont subi un
préjudice moral certain du fait des violations constatées. Compte tenu des
circonstances de lâaffaire et, notamment, du dĂ©dommagement dĂ©jĂ obtenu au
niveau national par les requérants (Cestaro, précité,
§ 251), la Cour, statuant en Ă©quitĂ©, estime quâil y a lieu dâoctroyer Ă ce
titre Ă Mme Menegon et M. Spingi la somme de 10 000 EUR (dix mille euros)
chacun, aux requĂ©rants des requĂȘtes nos 1442/14 et 21319/14 et aux
requĂ©rants figurant Ă lâannexe I sous les numĂ©ros 2-7, 10, 12, 13, 16 et 17 de
la liste correspondant Ă la requĂȘte no 21911/14 la somme de
70 000 EUR (soixante-dix mille euros) chacun.
B. Frais
et dépens
140. Les
requĂ©rants de la requĂȘte no 1442/14 ont sollicitĂ© le remboursement
des frais et dépens engagés dans la procédure devant la Cour sans les
quantifier. DĂšs lors, la Cour estime quâil y lieu de rejeter ces demandes.
Quant aux requĂ©rants de la requĂȘte no 21319/14, ils nâont formulĂ©
aucune demande de remboursement concernant des frais et dĂ©pens quâils auraient
engagĂ©s dans la procĂ©dure devant la Cour. La Cour estime dĂšs lors quâil nây a
pas lieu de leur accorder de somme Ă ce titre.
141. Les
requĂ©rants de la requĂȘte no 21911/14 sollicitent
66 357,28 EUR en remboursement des frais et dépens engagés dans la
procĂ©dure devant la Cour et ils produisent Ă cet Ă©gard des notes dâhonoraires
émanant des différents avocats les ayant représentés. En particulier, ils
distinguent les frais et dĂ©pens exposĂ©s pour lâassistance de Mes V. Onida et B. Randazzo, se
rapportant au travail dâĂ©tude, de rĂ©daction et de suivi de la requĂȘte
introduite par tous les requĂ©rants, de ceux relatifs au travail de collecte dâinformations
effectué par les autres avocats ayant assisté un ou plusieurs requérants.
142. En ce qui
concerne ces derniers, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa
jurisprudence, la Cour estime en principe raisonnable la somme demandée pour la
procédure devant elle.
143. Pour ce
qui est des avocats Mes Onida et Randazzo, les requérants demandent 17 001,92 EUR pour
frais et dépens. Ils réclament en premier lieu 4 313,92 EUR pour les frais
qui auraient été exposés à titre de débours par le cabinet. En outre, ils
sollicitent le remboursement des honoraires quâils souhaitent verser aux
avocats pour leur assistance juridique pro
bono relative Ă la rĂ©daction de la requĂȘte et au
suivi de la procĂ©dure. Ă ce titre, « dans le cas oĂč la Cour octroie Ă
titre de satisfaction équitable une somme à chaque requérant, qui comprend
aussi le remboursement des honoraires dâavocat », les requĂ©rants estiment
raisonnable la somme globale de 12 688 EUR. Ils fournissent Ă cet Ă©gard
une note dâhonoraires du cabinet dâavocats.
144. Le Gouvernement
conteste ces prétentions.
145. Selon les
critĂšres dĂ©gagĂ©s par sa jurisprudence lorsquâelle se prononce sur la
satisfaction Ă©quitable (article 41 de la Convention), la Cour examine une
demande de remboursement de frais et dĂ©pens en estimant quâun requĂ©rant ne peut
obtenir leur remboursement que dans la mesure oĂč se trouvent Ă©tablis leur
réalité, leur nécessité et le caractÚre raisonnable de leur taux (Dudgeon c. Royaume-Uni (article 50), 24
février 1983, § 20, série A no 59, et Koudechkina c. Russie, no 29492/05, § 109, 26 février 2009).
146. En lâoccurrence,
la Cour observe que les requérants ont accompagné leur demande de piÚces
justificatives nĂ©cessaires (Sejdić et Finci c. Bosnie-HerzĂ©govine [GC], nos
27996/06 et 34836/06, §§ 64-66, CEDH 2009, Troubnikov c. Russie, no 49790/99, §§100-104, 5 juillet 2005,
Akoulinine et Babitch
c. Russie, no 5742/02, §§ 71-73, 2 octobre 2008, Omojudi c. Royaume-Uni, no 1820/08,
§§ 58-60, 24 novembre 2009, Artyomov c. Russie, no 14146/02, §§ 219-222, 27
mai 2010, Shulenkov c. Russie, no 38031/04,
§ 69-71, 17 juin 2010 et Gheorghe Dima,
précité, § 117-119 ).
147. Pour ce
qui est de la complexitĂ© de lâaffaire, la Cour observe que les requĂ©rants sont
de nationalitĂ©s diffĂ©rentes et que, pour la plupart dâentre eux, ils ne
résident pas en Italie, ce qui a demandé à la fois un long travail de collecte
des informations et de la documentation nĂ©cessaires pour Ă©tayer la requĂȘte et
un effort de coordination conséquent. En outre, il ressort de la qualité et de
lâampleur des observations prĂ©sentĂ©es quâun travail considĂ©rable a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©
au nom des requérants.
148. Enfin,
quant au caractÚre raisonnable du montant des frais et dépens, la Cour note que
les dix-sept requérants demandent au total 12 688 EUR pour les frais et
dépens, ce qui correspond à environ 750 EUR chacun.
149. En
conclusion, sous réserve des paragraphes suivants, la Cour estime en principe
raisonnable la demande de frais et dĂ©pens prĂ©sentĂ©e par les requĂ©rants pour lâactivitĂ©
pro bono de
leurs avocats.
150. Elle constate
cependant que certains parmi les requérants ont accepté la proposition de
rÚglement amiable présentée par le gouvernement défendeur (paragraphes 85-87 ci-dessus). Le texte
de la déclaration, formulée de maniÚre identique pour chaque requérant
concernĂ©, est ainsi libellĂ© en sa partie pertinente en lâespĂšce :
« Le
Gouvernement a proposé au requérant la somme de 45 000 EUR (quarante-cinq
mille euros) au titre des préjudices matériel et moral ainsi que pour les frais
et dĂ©pens, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă titre dâimpĂŽt par lâintĂ©ressĂ©,
lequel a renoncĂ© Ă toute autre prĂ©tention Ă lâencontre de lâItalie concernant
les faits Ă lâorigine de sa requĂȘte. »
151. DĂšs lors,
en acceptant la proposition de rĂšglement amiable, ces requĂ©rants ont renoncĂ© Ă
toute prétention relative aux frais et dépens. Par conséquent, la Cour décide
quâil y a lieu de dĂ©duire du montant global demandĂ© la somme correspondant aux
requérants ayant accepté la proposition de rÚglement amiable (Bartesaghi Gallo et autres, précité,
§§ 131-133).
152. En conclusion,
la Cour accorde aux requĂ©rants de la requĂȘte no 21911/14
figurant Ă lâannexe I sous les numĂ©ros 2-7, 10-13 et 15-17 de la liste
correspondante la somme globale de 40 320 EUR en remboursement des frais
et dĂ©pens engagĂ©s dans la procĂ©dure devant elle (voir lâannexe II pour le
détail des sommes accordées aux requérants).
C. IntĂ©rĂȘts
moratoires
153. La Cour
juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux dâintĂ©rĂȘt
de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de
trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, Ă LâUNANIMITĂ,
1. DĂ©cide de joindre les requĂȘtes ;
2. DĂ©cide de rayer la requĂȘte du rĂŽle en ce
qui concerne les requĂ©rants dans la requĂȘte no 21911/14 qui figurent
Ă lâannexe I sous les numĂ©ros 1, 8, 9 et 14 de la liste correspondante ;
3. DĂ©clare les requĂȘtes
recevables ;
4. Dit quâil y a eu violation de lâarticle
3 de la Convention sous son volet matériel ;
5. Dit quâil y a eu violation de lâarticle
3 de la Convention sous son volet procédural ;
6. Dit
a) que
lâĂtat dĂ©fendeur doit verser aux requĂ©rants, dans les trois mois Ă compter du
jour oĂč lâarrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă lâarticle 44 § 2
de la Convention, les sommes suivantes :
i. 10 000
EUR (dix mille euros) à chacun des requérants Mme Menegon et à M. Spingi, plus tout
montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă titre dâimpĂŽt, pour dommage moral,
ii. 70 000
EUR (soixante-dix mille euros) Ă chacun des requĂ©rants des requĂȘtes nos
1442/14 et 21319/14 et des requĂ©rants de la requĂȘte no 21911/14
figurant Ă lâannexe I sous les numĂ©ros 2-7, 10, 12, 13, 16 et 17 de la liste
correspondante, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă titre dâimpĂŽt, pour dommage
moral,
iii. 40 320
EUR (quarante mille trois cent vingt euros) aux requĂ©rants de la requĂȘte no
21911/14 figurant Ă lâannexe I sous les numĂ©ros 2-7, 10-13 et 15-17 de la liste
correspondante, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» par eux Ă titre dâimpĂŽt, pour
frais et dépens ;
b) quâĂ
compter de lâexpiration dudit dĂ©lai et jusquâau versement, ces montants seront
Ă majorer dâun intĂ©rĂȘt simple Ă un taux Ă©gal Ă celui de la facilitĂ© de prĂȘt
marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette
la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.
Fait en
français, puis communiqué par écrit le 26 octobre 2017, en application de
lâarticle 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement de la Cour.
 Abel Campos                        Linos-Alexandre Sicilianos
 Greffier                                 Président
ANNEXE I
RequĂȘte no 1442/14 (introduite le 10/12/2013)
Prénom NOM |
Date de
naissance |
Nationalité |
Lieu de
résidence |
Représenté par |
|
1.
|
Jonathan
Norman BLAIR |
31/03/1963 |
Britannique |
Londres |
Gilberto Pagani |
2.
|
Daniel Mark Thomas Mc QUILLAN |
23/09/1965 |
Britannique |
Londres |
Gilberto Pagani |
3.
|
Samuel BUCHANAN |
02/06/1965 |
Néozélandaise |
Paekakariki |
Gilberto Pagani |
RequĂȘte no
21319/14 (introduite le 06/03/2014)
No |
Prénom NOM |
Date de naissance |
Nationalité |
Lieu de résidence |
Représenté
par |
1. |
Massimiliano Mario AMODIO |
01/05/1970 |
Italienne |
Naples |
Simonetta Crisci |
2. |
Valerio Callieri |
09/09/1980 |
Italienne |
Rome |
Simonetta Crisci |
3. |
Raffaele Della Corte |
01/02/1955 |
Italienne |
Ascoli
Piceno |
Simonetta Crisci |
4. |
Alfonso De Munno |
17/08/1974 |
Italienne |
Rome |
Simonetta Crisci |
5. |
David Morozzi |
22/07/1978 |
Italienne |
Bevagna |
Simonetta Crisci |
6. |
Maria Addolorata Morrone |
28/10/1963 |
Italienne |
Taranto |
Simonetta Crisci |
7. |
Sergio Pignatale |
22/04/1956 |
Italienne |
Taranto |
Simonetta Crisci |
8. |
Mohamed Tabbach |
25/01/1954 |
Syrienne |
Villa
Stellone |
Simonetta Crisci |
RequĂȘte no
21911/14 (introduite le 10/03/2014)
No |
Prénom NOM |
Date de naissance |
Nationalité |
Lieu de résidence |
Représenté
par |
1. |
Rosana ALLUEVA FORTEA |
16/09/1980 |
Espagnole |
Monreal del Campo |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Emanuele
Tambuscio |
2. |
Stefan Brauer |
24/07/1971 |
Allemande |
Storkow |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Silvia
Rocca |
3. |
Roberto Raimondo Cuccadu |
10/01/1953 |
Italienne |
Milan |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Fabio
Taddei |
4. |
David Moret Ferndandez |
07/11/1971 |
Espagnole |
Lleida |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Emanuele
Tambuscio |
5. |
Chiara Germano |
09/04/1980 |
Italienne |
GĂšnes |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Laura
Tartarini |
6. |
Adolfo Sesma Gonzales |
26/05/1970 |
Espagnole |
Saragosse |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Emanuele
Tambuscio |
7. |
Thorsten Hinrichsmeyer |
04/06/1973 |
Allemande |
Hambourg |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Sara
Busoli |
8. |
Cristiano Ighina |
09/07/1964 |
Italienne |
Besano (Varese) |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Fabio
Taddei |
9. |
Boris Laconi |
31/05/1974 |
Italienne |
Montoggio (GĂšnes) |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Fabio
Taddei |
10. |
Felix Pablo Marquello |
05/11/1965 |
Espagnole |
Saragosse |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Emanuele
Tambuscio |
11. |
Elisabetta Valentina Menegon |
05/09/1966 |
Italienne |
Londres |
Valerio Onida Barbara Randazzo |
12. |
Angelo Passiatore |
22/01/1978 |
Italienne |
Turin |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Fabio
Taddei |
13. |
Stephan Pfister |
17/09/1980 |
Suisse |
Gachnang |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Fabio
Taddei |
14. |
Benito Francisco Javier Samperiz |
14/05/1976 |
Espagnole |
Saragosse |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Emanuele
Tambuscio |
15. |
Massimiliano Spingi |
09/05/1966 |
Italienne |
Rome |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Paolo
A. Sodani |
16. |
Kirsten Wagenschein |
12/05/1968 |
Allemande |
Berlin |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Laura
Tartarini |
17. |
Guillermina Garcia Zapatero |
09/03/1974 |
Espagnole |
Turin |
Valerio
Onida Barbara
Randazzo Laura
Tartarini |
Annexe II
Avocats
représentants |
Requérants
représentés |
Montant total Ă
payer[2] |
Me V.
ONIDA Me B.
RANDAZZO |
Tous les requĂ©rants de la requĂȘte no
21911/14 |
13 000 EUR |
Me S.
BUSOLI |
Thorsten Hinrichsmeyer |
2 530 EUR |
Me S.
ROCCA |
Stefan BRAUER |
2 530 EUR |
Me P.
A. SODANI |
Massimo SPINGI |
2 530 EUR |
Me F.
TADDEI |
Roberto Raimondo Cuccadu Cristiano Ighina Boris Laconi Angelo Passiatore Stephan Pfister |
7 600 EUR |
Me L. TARTARINI |
Chiara Germano Kirsten Wagenschein Guillermina Zapatero Garcia |
7 600 EUR |
Me E. TAMBUSCIO |
Rosana Allueva Fortea Felix Pablo Marquello David Moret Ferndandez Benito Francisco Javier Samperiz Adolfo Sesma Gonzales |
4 500 EUR |
[1]. Giuliani et Gaggio c.
Italie [GC], no 23458/02, CEDH 2011 (extraits) ; voir
Ă©galement le « Rapport final de lâenquĂȘte parlementaire dâinformation sur
les faits survenus lors du G8 de GĂȘnes du
20 septembre 2001 » ; le jugement no 3119/08 du
tribunal de GĂȘnes, rendu le 14 juillet 2008 et dĂ©posĂ© le 27 novembre
2008 ; le jugement no 4252/08 du tribunal de GĂȘnes, rendu le
13 novembre 2008 et dĂ©posĂ© le 11 fĂ©vrier 2009 ; lâarrĂȘt no
1530/10 de la cour dâappel de GĂȘnes, rendu le 18 mai 2010 et dĂ©posĂ© le 31
juillet 2010 ; lâarrĂȘt no 678/10 de la cour dâappel de GĂȘnes,
rendu le 5 mars 2010 et dĂ©posĂ© le 15 avril 2011 ; lâarrĂȘt no 38085/12
de la Cour de cassation, rendu le 5 juillet 2012 et déposé le 2 octobre 2012.
[2]. Certains
requérants ont accepté la proposition de rÚglement amiable en renonçant à toute
prétention relative aux frais et dépens engagés (paragraphe 85
ci-dessus).