Corte europea dei diritti dellâuomo
(Prima Sezione)
26 ottobre 2017
AFFAIRE AZZOLINA ET AUTRES c. Italie
 (RequĂȘtes nos 28923/09 et 67599/10)
DĂFINITIF
26/01/2018
Cet arrĂȘt
est devenu dĂ©finitif en vertu de lâarticle 44 § 2 de la Convention. Il peut
subir des retouches de forme.
En lâaffaire Azzolina et
autres c. Italie,
La Cour européenne
des droits de lâhomme (premiĂšre section), siĂ©geant en une chambre composĂ©e
de :
 Linos-Alexandre Sicilianos, président,
 Kristina Pardalos,
 Guido Raimondi,
 Aleƥ Pejchal,
 Ksenija Turković,
 Pauliine Koskelo,
 Tim Eicke, juges,
 et de Abel Campos, greffier de section,
AprĂšs en
avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2017,
Rend
lâarrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă cette date :
PROCĂDURE
1. Ă lâorigine de lâaffaire se trouvent deux
requĂȘtes (nos 28923/09 et 67599/10) dirigĂ©es contre la
RĂ©publique italienne et introduite par trente et un ressortissants de
différentes nationalités (« les requérants »), dont les noms figurent
en annexe, devant la Cour le 27 mai 2009 et le 3 septembre 2010 respectivement
en vertu de lâarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lâhomme
et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les noms des représentants des requérants
figurent en annexe. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a
été représenté par son agent, Mme E. Spatafora,
et par son co-agent, Mme A. Aversano.
3. Les gouvernements allemand, britannique,
espagnol, français et suisse nâont pas exercĂ© leur droit dâintervenir dans la procĂ©dure
(article 36 § 1 de la Convention).
4. Sur le terrain de lâarticle 3 de la
Convention, les requérants alléguaient en particulier avoir été victimes de
torture. Ils se plaignaient que les autoritĂ©s internes nâavaient pas respectĂ©
leur obligation de mener une enquĂȘte effective sur leurs allĂ©gations. De
surcroĂźt, ils dĂ©nonçaient lâabsence en droit interne dâun dĂ©lit punissant la
torture et les traitements inhumains et dégradants.
5. Le 18 décembre 2012, la chambre a décidé de
joindre les requĂȘtes et de les communiquer au Gouvernement en application de
lâarticle 54 § 2 du rĂšglement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE LâESPĂCE
6. Les faits de la cause, tels quâils ont Ă©tĂ©
exposĂ©s par les requĂ©rants et tels quâils ressortent des documents pertinents
en lâespĂšce issus de diffĂ©rentes affaires liĂ©es aux faits Ă lâorigine du
présent litige[1], peuvent
se résumer comme suit.
A. Le
contexte général
7. Les 19, 20 et 21 juillet 2001, la ville de
GĂȘnes accueillit le vingt‑septiĂšme sommet des huit pays les plus
industrialisés (G8), sous la présidence du gouvernement italien. De nombreuses
organisations non gouvernementales, rassemblées sous la banniÚre du groupe de
coordination « Genoa Social Forum â GSF »
(« le GSF »), organisÚrent un sommet « altermondialiste »
qui se dĂ©roula Ă la mĂȘme pĂ©riode. Il a Ă©tĂ© estimĂ© que 200 000 personnes
(selon le ministĂšre de lâIntĂ©rieur) Ă 300 000 personnes (selon le GSF)
participĂšrent Ă lâĂ©vĂ©nement.
8. Un vaste dispositif de sécurité fut mis en
place par les autoritĂ©s italiennes (arrĂȘts Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no
23458/02, § 12, CEDH 2011, et Cestaro c. Italie,
no 6884/11, §§ 11-12, 23-24, 7 avril 2015). Celles-ci divisÚrent la
ville en trois zones concentriques : la « zone rouge », de
surveillance maximale, oĂč le sommet devait se dĂ©rouler et oĂč les dĂ©lĂ©gations
devaient loger ; la « zone jaune », une zone tampon oĂč les
manifestations Ă©taient en principe interdites, sauf autorisation du chef du
bureau de la police (questore) ;
et la « zone blanche », oĂč les principales manifestations Ă©taient
programmées.
9. Les autoritĂ©s attribuĂšrent une couleur Ă
chaque groupe organisé, à chaque association, à chaque syndicat et à chaque
ONG, en fonction de sa dangerosité potentielle : le « bloc
rose », non dangereux ; le « bloc jaune » et le « bloc
bleu », considĂ©rĂ©s comme comprenant des auteurs potentiels dâactes de
vandalisme, de blocage de rues et de rails, et Ă©galement dâaffrontements avec
la police ; et enfin, le « bloc noir », dont faisaient partie
plusieurs groupes, anarchistes ou plus généralement violents, ayant pour but de
commettre des saccages systématiques.
10. La journée du 19 juillet se déroula dans une
ambiance relativement calme, sans Ă©pisodes particuliĂšrement significatifs. Par
contre, les journées des 20 et 21 juillet furent marquées par des
accrochages de plus en plus violents entre les forces de police et certains
manifestants appartenant essentiellement au « bloc noir ». Au cours
de ces incidents, plusieurs centaines de manifestants et de membres des forces
de lâordre furent blessĂ©s ou intoxiquĂ©s par du gaz lacrymogĂšnes. Des quartiers
entiers de la ville de GĂȘnes furent dĂ©vastĂ©s (pour une analyse plus dĂ©taillĂ©e,
voir Giuliani et Gaggio,
précité, §§ 12-30, et Cestaro, précité, §§ 9-17).
B. Les
traitements subis par les requérants à la caserne de Bolzaneto
11. Le 12 juin 2001, le Comité provincial pour
lâordre et la sĂ©curitĂ© publique Ă©labora un plan logistique relatif Ă la prise
en charge des personnes arrĂȘtĂ©es pendant le sommet.
12. La prison de Marassi
se trouvant dans une zone considérée comme sensible, il fut décidé, pour des
raisons de sécurité, de créer, dans des lieux excentrés, deux centres
temporaires oĂč les personnes arrĂȘtĂ©es devaient ĂȘtre regroupĂ©es pour ĂȘtre
soumises aux démarches consécutives à une arrestation, à savoir
lâidentification, la notification du procĂšs-verbal dâarrestation, la fouille,
lâimmatriculation et la visite mĂ©dicale, avant dâĂȘtre transfĂ©rĂ©es vers
différentes prisons.
13. Par un arrĂȘtĂ© du ministĂšre de la Justice du
12 juillet 2001, les casernes de Forte San Giuliano et de Bolzaneto
furent désignées comme étant des « sites utilisés à des fins de détention,
annexes du bureau médical et du bureau matricule (ufficio matricola) des établissements
pénitentiaires de Pavie, Voghera, Vercelli et Alexandrie ».
14. Ă lâintĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto, une partie des locaux fut affectĂ©e aux activitĂ©s
de la police judiciaire. Le restant des locaux fut réservé aux activités de la
police pénitentiaire (immatriculation, fouille et visite médicale).
15. à la suite du décÚs de Carlo Giuliani au cours des heurts entre carabiniers et
manifestants sur la place Alimonda, les carabiniers
ne furent plus affectĂ©s aux activitĂ©s de gestion de lâordre public dans la
ville. Ă partir du 20 juillet, la caserne de Bolzaneto,
placée sous la responsabilité de la police, resta ainsi le seul lieu de
regroupement et de rĂ©partition des personnes arrĂȘtĂ©es.
16. Selon le ministĂšre de la Justice, pendant la
pĂ©riode dâactivitĂ© de la structure, du 12 au 24 juillet, 222 personnes ont Ă©tĂ©
immatriculĂ©es avant leur transfert vers les prisons dâAlexandrie, Pavie,
Vercelli et Voghera (voir le « Rapport final de lâenquĂȘte parlementaire
dâinformation sur les faits survenus lors du G8 de GĂȘnes du 20 septembre
2001 » mentioné dans la note en bas de la page
précédente).
17. Les tribunaux internes ont Ă©tabli avec
exactitude, au-delĂ de tout doute raisonnable, les mauvais traitements dont
avaient fait lâobjet les personnes prĂ©sentes Ă lâintĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto. Les tĂ©moignages des victimes ont Ă©tĂ© confirmĂ©s
par les dĂ©positions des membres des forces de lâordre et de lâadministration
publique, les reconnaissances partielles des faits par les accusés ainsi que
par les documents à disposition des magistrats, notamment les rapports médicaux
et les expertises judiciaires. Ă partir de cette multitude dâinformations, il
est possible de décrire les épisodes de violence dont les requérants firent
lâobjet :
1. RequĂȘte no
28923/09
18. Le 20
juillet, M. Azzolina, qui participait au cortĂšge des Tute Bianche,
reçut des coups de pied et de matraque et fut aspergé de gaz irritant lors
dâune charge de la police prĂšs de la rue Tolemaide.
TransportĂ© Ă lâhĂŽpital en raison dâune blessure ouverte Ă la tĂȘte, il y fut
soignĂ© avant dâĂȘtre emmenĂ© avec dâautres personnes Ă la caserne de Bolzaneto Ă bord dâun vĂ©hicule blindĂ©. PlacĂ© avec dâautres
personnes contre un mur, il fut menacé, insulté et frappé. Un agent de police
lui saisit la main et lui Ă©carta violemment les doigts, entre le troisiĂšme et
le quatriĂšme doigt, ce qui provoqua une profonde lacĂ©ration. MenacĂ© dâĂȘtre Ă
nouveau frappĂ© sâil bougeait ou sâil se plaignait, M. Azzolina
subit une suture de sa blessure sans anesthĂ©sie. Par la suite, lâintĂ©ressĂ© et
dâautres personnes arrĂȘtĂ©es furent obligĂ©s de se dĂ©shabiller avant dâĂȘtre
conduits dans des cellules oĂč ils furent frappĂ©s sur leurs blessures Ă
intervalles rapprochés. Le requérant fut libéré le lendemain, à 2 heures, aprÚs
avoir été contraint de passer entre deux rangées de membres des forces de
lâordre qui le frappĂšrent par tous les moyens lors de son passage. M. Azzolina souffrait de lĂ©sions Ă une main, Ă la tĂȘte et Ă
une jambe, ainsi que de plusieurs contusions.
19. Mme Bartesaghi
Gallo fut arrĂȘtĂ©e Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini. TransportĂ©e Ă lâhĂŽpital en raison
dâune blessure ouverte Ă la tĂȘte, elle fut soignĂ©e puis, le 22 juillet au soir,
transférée à la caserne de Bolzaneto. Une croix fut
tracĂ©e sur son visage au feutre rouge. Elle fut dâabord obligĂ©e de rester deux
heures les bras en lâair contre une clĂŽture mĂ©tallique dans la cour, puis de
passer, tĂȘte baissĂ©e, entre des agents qui lâinsultaient (« pute »,
« salope »), dâaller aux toilettes sans pouvoir fermer la porte, sous
les insultes et les menaces de lâagent qui lâaccompagnait. Ă lâintĂ©rieur de la
caserne, elle dut se tenir longtemps immobile, bras et jambes écartés, face
contre un mur, au milieu de chants fascistes. Elle vit dâautres personnes
arrĂȘtĂ©es qui avaient le visage en sang. Lors dâune visite mĂ©dicale, on
lâobligea Ă se dĂ©shabiller et Ă faire des pompes devant deux hommes et deux
femmes. On lui prit certains papiers qui furent jetés. Elle fut ensuite
transférée à la prison de Vercelli.
20. M. Delfino fut
arrĂȘtĂ© et blessĂ© au nez le vendredi 20 juillet. En fin dâaprĂšs-midi, il fut
transporté à la caserne de Bolzaneto et passé à tabac
dans un vĂ©hicule garĂ© en plein soleil, Ă lâintĂ©rieur duquel il fut ensuite
laissĂ© longtemps. Il fut ensuite traĂźnĂ© de force par les cheveux Ă lâintĂ©rieur
de la caserne, oĂč il fut Ă nouveau frappĂ© puis obligĂ© de se tenir immobile face
à un mur, bras et jambes écartés. Lors de son identification, la police ne
lâautorisa ni Ă prĂ©venir ses parents ni Ă voir un avocat et ne lâinforma pas
des motifs de son arrestation. Avant la visite médicale, M. Delfino
dut attendre dans le couloir, bras et jambes Ă©cartĂ©s face au mur. Au bout dâune
heure, il perdit connaissance. Il ne reçut aucun soin pour sa blessure au nez.
Le 21 juillet, Ă lâaube, il fut transfĂ©rĂ© Ă la prison dâAlexandrie.
21. Mme Doherty fut arrĂȘtĂ©e Ă lâĂ©cole
Diaz-Pertini. TransportĂ©e Ă lâhĂŽpital en raison de plusieurs excoriations et
dâune fracture du poignet, elle fut soignĂ©e avant dâĂȘtre transfĂ©rĂ©e, le 22
juillet Ă lâaube, Ă la caserne de Bolzaneto. Elle fut
dâabord obligĂ©e de rester deux heures les bras en lâair contre une clĂŽture
mĂ©tallique dans la cour, malgrĂ© son bras plĂątrĂ©, puis de passer, tĂȘte baissĂ©e,
entre des agents qui lâinsultaient. Elle dut utiliser les toilettes en laissant
la porte ouverte. Une croix fut tracĂ©e sur son visage au feutre rouge. Ă
lâintĂ©rieur de la caserne, elle dut se tenir longtemps bras et jambes Ă©cartĂ©s,
face contre un mur. Elle vit dâautres personnes arrĂȘtĂ©es souffrir en raison des
sĂ©vices quâelles subissaient. Lors dâune visite mĂ©dicale, on lâobligea Ă se
dĂ©vĂȘtir et Ă faire des pompes devant un homme et deux femmes, malgrĂ© la
douleur provoquée par sa fracture du poignet ; à cause de celle-ci, elle
nâarriva pas Ă remettre son soutien-gorge, mais personne ne lâaida. Ă
lâoccasion de son identification, elle fut obligĂ©e de signer des documents,
rĂ©digĂ©s en italien, quâelle ne comprenait pas.
22. M. Galloway fut arrĂȘtĂ© Ă lâĂ©cole
Diaz-Pertini. TransportĂ© Ă lâhĂŽpital en raison de blessures au dos et Ă la
tĂȘte, il fut soignĂ© puis transfĂ©rĂ©, le 22 juillet Ă lâaube, Ă la caserne
de Bolzaneto. Il fut identifié puis emmené dans une
cellule dĂ©jĂ occupĂ©e par dâautres personnes. ObligĂ© de se tenir bras et jambes
écartés, face contre un mur, il ne fut pas frappé mais dut entendre des coups
violents et des cris. Il fut emmenĂ© dans un local vide oĂč il fut contraint de
se déshabiller et de faire des pompes. Soumis à une « sorte de visite
mĂ©dicale », il dut Ă nouveau se dĂ©vĂȘtir mais ne reçut pas de soins. Dans
la nuit, on le fit rester longtemps jambes écartées et face contre le mur, dans
le couloir. Il dut signer un document rédigé en italien et en partie prérempli, dont il ne comprenait pas la teneur.
LâaprĂšs-midi du 23 juillet, il fut transfĂ©rĂ© dans une prison dont le nom
nâest pas prĂ©cisĂ© dans le dossier, sans avoir pu sâentretenir avec les
autorités diplomatiques de son pays.
23. M. Ghivizzani fut
arrĂȘtĂ© le 20 juillet en dĂ©but dâaprĂšs-midi et laissĂ© les mains liĂ©es en plein
soleil. Arrivé à la caserne de Bolzaneto vers
17 heures, il fut placĂ© debout face au mur dâune cellule. Il fut traitĂ© de
« connard de communiste » et de « salaud », et reçut Ă
plusieurs reprises des coups de pied aux chevilles et des coups de matraque sur
tout le corps ; on lui cogna la tĂȘte contre le mur et on lui Ă©crasa une
cigarette allumĂ©e sur un poignet. Ă lâaube, un mĂ©decin ordonna aux agents
dâĂŽter les liens qui entravaient les poignets de lâintĂ©ressĂ©. Avant dâĂȘtre
identifiĂ©, ce dernier dut se dĂ©vĂȘtir et passer entre des agents qui le
frappĂšrent sur la nuque, le dos et les fesses. Ă lâinfirmerie, il fut menacĂ©
dâune fouille rectale et obligĂ© de se dĂ©shabiller totalement et de faire des
pompes nu. Il ne reçut aucun soin pour les lĂ©sions quâil prĂ©sentait aux mains.
On ne lui permit pas dâaller aux toilettes. Le 21 juillet, Ă 5 heures, il
fut transfĂ©rĂ© Ă la prison dâAlexandrie.
24. M. Herrmann fut
arrĂȘtĂ© Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini, transportĂ© Ă lâhĂŽpital, puis transfĂ©rĂ© Ă la
caserne de Bolzaneto le 22 juillet, Ă lâaube. Ă son
arrivée à la caserne, il fut placé contre un mur ; un policier lui marqua
la joue gauche dâune croix Ă lâaide dâun feutre tandis que dâautres policiers
faisaient le salut hitlérien (saluto romano). Il
fut fouillé, privé de ses objets personnels puis traßné par les cheveux sur les
genoux par un agent le long dâun couloir oĂč dâautres agents lâinsultĂšrent et le
frappÚrent à coups de pied. Placé dans une cellule avec une vingtaine de
personnes, il dut rester debout, jambes écartées et face contre le mur. Les
agents contrĂŽlĂšrent plusieurs fois les noms des occupants de la cellule tout en
les bousculant violemment. Ă maintes reprises, ceux-ci furent lâobjet dâinjures
fascistes et de crachats provenant de lâextĂ©rieur de la cellule. Lors dâun
nouveau contrĂŽle, le requĂ©rant indiqua aux policiers quâil Ă©tait journaliste et
demanda en vain à pouvoir communiquer avec la rédaction de son journal, avec
les autorités diplomatiques de son pays ou avec un avocat. à la fin de la
procĂ©dure dâidentification, il fut autorisĂ© Ă se rendre aux toilettes en
passant tĂȘte baissĂ©e entre des agents qui lâinsultaient et le poussaient. Il
put Ă©galement se laver et se changer, toujours sous la surveillance des
policiers. Il fut obligé par deux fois de ramasser ses effets personnels qui
avaient Ă©tĂ© jetĂ©s au sol pendant quâun agent lui maintenait la tĂȘte vers le
bas. Dans un bureau, il fut obligĂ© de se dĂ©vĂȘtir puis de faire des pompes et
des pirouettes par terre et, enfin, de signer des documents rédigés uniquement
en italien. Le 23 juillet au matin, il fut menotté à une autre personne et
conduit Ă la prison de Pavie.
25. M. Moth fut arrĂȘtĂ©
Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini et transportĂ© Ă lâhĂŽpital afin dây ĂȘtre soignĂ© pour une
blessure Ă la tĂȘte, une autre Ă un mollet et plusieurs ecchymoses. Ă son
arrivée à la caserne de Bolzaneto, dans la nuit du
21 au 22 juillet, il fut contraint de rester debout avec dâautres
personnes, jambes écartées et face au mur, pendant vingt minutes. Placé dans
une cellule puis dans une autre, il dut se tenir plusieurs fois dans cette
position, pendant que des agents qui se trouvaient Ă lâintĂ©rieur et Ă
lâextĂ©rieur de la cellule le couvraient dâinjures. Lorsquâil se rendit aux
toilettes, il fut contraint de marcher tĂȘte baissĂ©e, insultĂ©, frappĂ© puis
surveillĂ© Ă lâintĂ©rieur des toilettes. Ă lâoccasion de son identification, il
dut signer des documents rĂ©digĂ©s uniquement en italien et demanda en vain Ă
pouvoir prendre contact avec un avocat.
26. M. Nathrath fut
arrĂȘtĂ© Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini et conduit directement Ă la caserne de Bolzaneto le 22 juillet. Ă son arrivĂ©e, il fut frappĂ© et
obligĂ© de rester face Ă un mur, les jambes Ă©cartĂ©es et les bras en lâair. Il
dut reprendre ensuite cette position plusieurs fois Ă lâintĂ©rieur de la
caserne, oĂč il fut Ă nouveau frappĂ© et insultĂ© dans une cellule et injuriĂ©
lorsquâil se rendit aux toilettes en gardant la tĂȘte baissĂ©e sur ordre des
policiers. Il fut surveillĂ© jusque dans les toilettes. Ă lâinfirmerie, il fut
obligĂ© de se dĂ©shabiller et de faire des pompes. Ă lâoccasion de la procĂ©dure
dâidentification, il dut signer un document en partie prĂ©-rempli et rĂ©digĂ©
uniquement en italien. Il ne fut autorisé à prendre contact ni avec sa famille
ni avec les autoritĂ©s diplomatiques de son pays. Il fut lui aussi marquĂ© dâune
croix rouge sur le visage. Le 23 juillet au matin, il fut menotté à une autre
personne et transféré à la prison de Pavie. Il fut détenu pendant trois
semaines, dâabord Ă Pavie, puis Ă GĂȘnes.
27. Mme Subri
fut arrĂȘtĂ©e le 20 juillet en fin dâaprĂšs-midi avec dâautres personnes dans un
bar situé prÚs de la place Alimonda et emmenée à la
caserne de Bolzaneto. DÚs son arrivée à la caserne,
elle fut frappĂ©e et insultĂ©e. Dans la cellule oĂč elle avait Ă©tĂ© placĂ©e, elle
dut rester Ă plusieurs reprises jambes Ă©cartĂ©es, bras en lâair et face contre
le mur. Elle fut contrainte de marcher tĂȘte baissĂ©e. Elle fut Ă©galement menacĂ©e
de viol. Elle vomit deux fois mais aucun médecin ne se préoccupa de son état de
santé et personne ne lui donna les protections hygiéniques dont elle avait
besoin. Lors de la visite mĂ©dicale, on lâobligea Ă se dĂ©shabiller et Ă faire
des pompes contre un miroir. Elle fut obligée de signer des documents rédigés
en italien.
28. Mme Treiber
fut arrĂȘtĂ©e Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini le 21 juillet et emmenĂ©e Ă la caserne de Bolzaneto. Elle fut dâabord placĂ©e contre un mur dans la
cour, oĂč elle vit deux agents frapper lâune des personnes arrĂȘtĂ©es et
lâasperger de gaz irritant ; elle fut ensuite placĂ©e dans une cellule et
contrainte de rester debout, les jambes écartées. Elle dut garder cette
position tout au long de la nuit, sauf pendant quelques pĂ©riodes oĂč elle fut
autorisĂ©e Ă se mettre Ă genoux ; elle put sâallonger par terre quâĂ lâaube.
Elle entendit crier « Heil Hitler », elle
vit les souffrances des autres occupants des cellules, qui avaient le visage en
sang ou qui sâĂ©taient urinĂ© dessus. Ă son arrivĂ©e Ă la caserne, une agente lui
avait retirĂ© les mĂ©dicaments quâelle dĂ©tenait et dont elle avait besoin Ă la
suite dâune rĂ©cente opĂ©ration aux reins. Mme Treiber
fut elle aussi marquĂ©e dâune croix rouge sur le visage. Lors de son passage
dans les couloirs, elle fut contrainte de marcher la tĂȘte baissĂ©e et les mains
derriĂšre la nuque et entre des agents qui la frappaient et lâinsultaient. Le 22
juillet au matin, elle fut conduite dans une piĂšce oĂč, en prĂ©sence de plusieurs
agents, elle dut signer des documents rĂ©digĂ©s uniquement en italien. Ensuite, Ă
lâinfirmerie, elle fut contrainte de se dĂ©vĂȘtir, entourĂ©e dâagentes qui lui
arrachĂšrent ses vĂȘtements et dĂ©coupĂšrent la capuche de son gilet. Elle dut
ensuite faire des pompes et fut privée de ses lunettes. Elle ne put prendre
contact ni avec sa famille, ni avec un avocat, ni avec les autorités diplomatiques
de son pays. Menottée à une autre femme, elle fut finalement transférée à la
prison de Voghera.
29. Mme Zeuner
fut arrĂȘtĂ©e Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini. EmmenĂ©e Ă la caserne de Bolzaneto,
elle fut dâabord placĂ©e contre un mur dans la cour puis emmenĂ©e Ă lâintĂ©rieur,
dans une cellule, oĂč elle fut Ă nouveau obligĂ©e de se tenir les jambes Ă©cartĂ©es
et les bras en lâair. Elle fut menacĂ©e, reçut des coups et fut obligĂ©e de
laisser la porte des toilettes ouverte lorsquâelle les utilisait. Ă
lâinfirmerie, elle fut contrainte de se dĂ©vĂȘtir, et mĂȘme de retirer son tampon
hygiĂ©nique, devant une femme mĂ©decin et quatre agentes de police. Alors quâelle
passait dans un couloir, un agent lui fit un croche-pied. On essaya de la
contraindre à signer des documents rédigés uniquement en italien. Elle fut
ensuite transférée à la prison de Voghera.
2. RequĂȘte no
67599/10
30. Mme Kutschkau
fut arrĂȘtĂ©e Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini et transportĂ©e Ă lâhĂŽpital pour une fracture
de la mĂąchoire, la perte de deux dents, une subluxation de deux autres dents et
un traumatisme crĂąnien. Elle fut ensuite transfĂ©rĂ©e Ă la caserne de Bolzaneto le 22 juillet Ă lâaube. Ă son arrivĂ©e Ă la
caserne, elle fut placĂ©e contre un mur jambes Ă©cartĂ©es et bras en lâair,
dâabord dans la cour puis Ă lâintĂ©rieur. Elle dut ensuite reprendre cette
position plusieurs fois Ă lâintĂ©rieur de la caserne oĂč elle fut Ă nouveau
frappĂ©e. Lorsquâelle se rendit aux toilettes, elle dut marcher la tĂȘte baissĂ©e
et un bras dans le dos, et fut frappée et insultée. à maintes reprises, les
agents se moquÚrent de ses blessures à la bouche. Elle fut privée de ses effets
personnels et de ses protections hygiéniques et ne reçut pas de soins adéquats
Ă lâinfirmerie de la caserne, oĂč un mĂ©decin la menaça de la frapper Ă nouveau
sur la bouche avec une matraque quâil tenait prĂšs de lui. Elle ne put prendre
contact ni avec sa famille, ni avec un avocat, ni avec les autorités
diplomatiques de son pays. Le 23 juillet, à midi, elle fut transférée à la
prison de Pavie.
31. Mme Partesotti
fut arrĂȘtĂ©e pendant la manifestation du 21 juillet et emmenĂ©e Ă la caserne de Bolzaneto en dĂ©but dâaprĂšs-midi. Dans la cour de la
caserne, dans le couloir et puis dans les cellules oĂč on lâemmena, elle fut
placée mains et face contre le mur. Tout au long de sa détention à la caserne,
elle fut lâobjet dâinjures (« pute », « salope ») et de
menaces (« je viendrai mettre le feu à ton appartement », « il
faudrait toutes vous violer, comme on lâa fait au Kosovo »). Elle dut
assister aux sĂ©vices infligĂ©s Ă dâautres personnes arrĂȘtĂ©es et Ă©couter des
chants fascistes. Le mĂ©decin qui lâexamina omit de relever les hĂ©matomes
consécutifs à son arrestation. La requérante ne put prendre contact avec sa
famille. Le matin du 22 juillet, elle fut transférée à la prison de Vercelli.
32. M. Balbas fut
arrĂȘtĂ© Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini et transportĂ© Ă lâhĂŽpital pour une blessure Ă la
cheville. à son arrivée à la caserne de Bolzaneto, le
22 juillet au soir, il fut lui aussi insultĂ© et marquĂ© dâune croix rouge sur le
visage. Il fut ensuite placĂ© dans une cellule oĂč il fut obligĂ© de rester les
jambes écartées et les bras levés pendant deux heures environ et menacé de
coups sâil bougeait. Il entendit des cris provenant dâautres cellules. Lors de
son passage dans le couloir de la caserne, il fut contraint de marcher la tĂȘte
baissée et les mains derriÚre la nuque entre des agents qui le frappÚrent. Il
fut lâobjet dâinjures telles que « connard de communiste »,
« salaud », « tu es une merde ». Le requérant ne put
prendre contact ni avec sa famille ni avec les autorités diplomatiques de son
pays. Dans la nuit du 22 au 23 juillet, il fut transféré dans une prison
dont le nom nâest pas prĂ©cisĂ© dans le dossier.
33. Mme Bruschi
fut arrĂȘtĂ©e Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini et emmenĂ©e Ă la caserne de Bolzaneto dans la nuit du 21 au 22 juillet. Elle fut placĂ©e
contre un mur dans la cour, jambes Ă©cartĂ©es et bras en lâair, et menacĂ©e par un
agent dâĂȘtre sodomisĂ©e avec une matraque. Elle fut ensuite conduite Ă
lâintĂ©rieur, contrainte de marcher penchĂ©e en avant et les mains derriĂšre la
nuque, puis placĂ©e dans une cellule, oĂč elle fut Ă nouveau obligĂ©e de se tenir
jambes Ă©cartĂ©es et bras en lâair pendant trois heures environ. Elle entendit
des cris et des coups provenant dâautres cellules et elle vit dâautres
personnes arrĂȘtĂ©es qui souffraient. Lors dâune visite mĂ©dicale, elle dut se
dĂ©vĂȘtir partiellement devant des hommes, pendant que le mĂ©decin lâinsultait et
disait que les manifestants arrĂȘtĂ©s dans lâĂ©cole Diaz-Pertini auraient tous dĂ»
ĂȘtre fusillĂ©s. Le 23 juillet, Ă lâaube, elle fut transfĂ©rĂ©e Ă la prison de
Vercelli.
34. Mme Digenti
fut arrĂȘtĂ©e Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini et emmenĂ©e Ă la caserne de Bolzaneto dans la nuit du 21 au 22 juillet, malgrĂ© des
blessures consécutives à son arrestation. Elle fut placée contre un mur dans la
cour, jambes Ă©cartĂ©es et bras en lâair, et fut lâobjet dâinjures et de menaces
de la part des agents, telles que « il faudrait tous les mettre au poteau
dâexĂ©cution » ou « Ă Diaz-Pertini, les tĂȘtes faisaient un drĂŽle de
bruit quand on les cognait contre le mur ». Ă lâintĂ©rieur de la caserne,
dâabord dans lâentrĂ©e puis dans une cellule, elle fut contrainte de se tenir Ă
nouveau jambes Ă©cartĂ©es et bras levĂ©s, sous la garde dâagents qui frappaient
ceux qui bougeaient. Elle entendit des cris provenant dâautres cellules et vit
dâautres personnes avec le visage en sang. Elle dut marcher tĂȘte baissĂ©e. Lors
dâune visite mĂ©dicale, elle dut se dĂ©shabiller devant des hommes. Un mĂ©decin
lâinjuria et lui dit quâelle et les autres personnes arrĂȘtĂ©es sentaient mauvais
comme des chiens ; un autre homme apprécia les traces des coups de
matraque quâelle avait reçus sur le cou en dĂ©clarant « câest du bon
travail » et fit mine de la frapper à nouveau sur le cou avec une
matraque. Le 23 juillet, Ă lâaube, elle fut transfĂ©rĂ©e Ă la prison de
Vercelli.
35. M. Lorente fut
arrĂȘtĂ© le 20 juillet en dĂ©but dâaprĂšs-midi, place Manin, et laissĂ© menottĂ© dans
une camionnette de la police. à son arrivée à la caserne de Bolzaneto,
le 20 juillet au soir, il fut contraint de rester une heure face contre un mur,
Ă lâextĂ©rieur, avant dâĂȘtre conduit dans une cellule oĂč, Ă genoux et toujours
menotté, il fut passé à tabac plusieurs fois. Il fut aussi frappé lors de son
passage dans les couloirs. Ă lâinfirmerie, alors quâil Ă©tait allongĂ© sur un
brancard, des agents lui cassĂšrent une cĂŽte Ă coups de poing, en prĂ©sence dâun
mĂ©decin qui lâinvita ironiquement Ă porter plainte pour dĂ©noncer ces mauvais
traitements. Emmené par la suite aux toilettes, on lui baissa le pantalon et on
lui intima lâordre dâuriner, le traitant dâhomosexuel, tandis quâun agent
faisait mine de le sodomiser avec une matraque ; puis on le frappa avec
celle-ci entre les jambes. Le requérant dut signer un document en partie prérempli et entiÚrement rédigé en italien. Le 21 juillet,
Ă lâaube, il fut transfĂ©rĂ© Ă la prison dâAlexandrie.
36. M. Madrazo fut
arrĂȘtĂ© Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini et transportĂ© Ă lâhĂŽpital en raison de ses
blessures. à son arrivée à la caserne de Bolzaneto,
le 22 juillet au soir, il fut marquĂ© au feutre rouge dâune croix sur le
visage et contraint de marcher penché en avant et les mains sur la nuque. Placé
dans une cellule, il fut obligé de se tenir les jambes écartées et les bras en
lâair, face contre le mur. Lors de son passage dans les couloirs, il dut
marcher tĂȘte baissĂ©e et passer entre des agents qui le bousculaient. Il dut
dormir par terre. Il ne put prendre contact avec les autorités diplomatiques de
son pays. Le matin du 23 juillet, il fut transféré dans une prison dont le nom
nâest pas prĂ©cisĂ© dans le dossier.
37. M. Nogueras Chavier fut arrĂȘtĂ© Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini et transportĂ© Ă
lâhĂŽpital en raison dâune fracture du pĂ©ronĂ© gauche. Ă son arrivĂ©e Ă la caserne
de Bolzaneto, le 22 juillet au soir, il fut marqué
dâune croix rouge sur le visage. PlacĂ© dans une cellule avec dâautres personnes
arrĂȘtĂ©es, il fut obligĂ©, malgrĂ© sa douleur Ă la jambe, de rester debout,
dâabord au centre de la cellule puis face contre le mur, jambes Ă©cartĂ©es et
bras en lâair, sans pouvoir sâappuyer. Il reçut des injures (« salaud de
communiste ») et des crachats. Il entendit les cris dâautres personnes qui
Ă©taient frappĂ©es. Lors de son passage dans les couloirs, il dut marcher tĂȘte
baissée et, une fois, il reçut un coup de pied dans sa jambe blessée. Il dut
utiliser les toilettes sans pouvoir en fermer la porte. Il ne fut pas autorisé
à prendre contact avec les autorités diplomatiques de son pays. Le matin du 23
juillet, il fut transfĂ©rĂ© dans une prison dont le nom nâest pas prĂ©cisĂ© dans le
dossier.
38. Mme Ender
fut arrĂȘtĂ©e lâaprĂšs-midi du 20 juillet dans la rue Montezovetto
et emmenĂ©e Ă la caserne de Bolzaneto le soir du mĂȘme
jour. à son arrivée à la caserne, elle dut marcher les mains liées dans le dos
et la tĂȘte baissĂ©e, mĂȘme lors de son passage dans le couloir, oĂč elle fut
frappĂ©e Ă coups de pied. Conduite dans une cellule avec Mme Percivati (requĂ©rante de la requĂȘte no 67599/10
figurant sous le numéro 18 dans la liste en annexe), elle fut obligée de rester
Ă genoux face au mur et fut lâobjet dâinjures qui, comme le lui expliqua Mme
Percivati, Ă©taient Ă caractĂšre sexuel. Mme
Ender demanda plusieurs fois Ă pouvoir se rendre aux
toilettes, en vain, car on lui rĂ©torqua, par lâintermĂ©diaire de Mme Percivati, quâelle nâavait quâà « faire tout sur
elle ». On finit par lâemmener aux toilettes, la frappant lors de son
passage dans le couloir, Ă lâaller comme au retour. Dans les toilettes, une
agente lui cogna la tĂȘte contre le mur, puis un agent lui ordonna de se laver
les mains et la frappa Ă coups de pied sur les fesses. Dans la nuit du
20 au 21 juillet, toujours Ă lâintĂ©rieur de la caserne, elle fut emmenĂ©e
dans un bureau oĂč on lui demanda si elle Ă©tait enceinte. Ă la suite de sa
réponse négative, un agent lui donna un coup de poing dans le ventre ;
ensuite, des agents la rouĂšrent de coups Ă plusieurs reprises et lui coupĂšrent
trois mĂšches de cheveux pour la contraindre Ă signer des documents. Avant
dâĂȘtre transfĂ©rĂ©e Ă la prison dâAlexandrie, le 21 juillet Ă lâaube, elle dut
rester dans le couloir dans une position vexatoire, des agents lui ordonnant de
crier « vive le Duce, vive le fascisme, vive la police
pénitentiaire ».
39. M. Graf fut arrĂȘtĂ© et rouĂ© de coups
lâaprĂšs-midi du 20 juillet, prĂšs de la rue Tolemaide,
alors quâil portait un T-shirt avec lâemblĂšme de la Croix‑Rouge car il
aidait les mĂ©decins sur place en tant quâinfirmier ; malgrĂ© ses nombreuses
blessures, il fut emmené directement à la caserne de Bolzaneto.
à son arrivée à la caserne, il ne fut pas soumis immédiatement à une visite
mĂ©dicale, alors quâil boitait fortement. Il fut conduit dans une cellule par un
couloir oĂč on le fit passer entre deux rangĂ©es dâagents qui lâinsultĂšrent, le
pincĂšrent et lui firent des croche-pieds. Dans la cellule, il dut se tenir
jambes Ă©cartĂ©es et bras en lâair, face au mur. LâintĂ©ressĂ© nâayant pas
obtempĂ©rĂ© Ă lâordre qui lui avait Ă©tĂ© donnĂ© de se placer au centre de la
cellule, un agent dit Ă ses collĂšgues de lâemmener ailleurs, faute de quoi il
lui « casserait la gueule ». Enfin soumis à une visite médicale, le
requérant fit état de fortes douleurs aux testicules, qui présentaient un
hĂ©matome important ; le mĂ©decin ordonna de lâemmener Ă lâhĂŽpital, ce qui
ne fut fait quâaprĂšs une nouvelle pĂ©riode dâattente dans la cellule oĂč il dut
rester encore une fois dans une position vexatoire.
40. M. Larroquelle fut
arrĂȘtĂ© lâaprĂšs-midi du 20 juillet, dans la rue Montezovetto,
et emmenĂ© Ă la caserne de Bolzaneto le soir du mĂȘme
jour. à son arrivée à la caserne, il fut poussé hors de la camionnette alors
quâil avait les mains liĂ©es dans le dos et insultĂ©, puis il dut marcher tĂȘte
baissĂ©e dans un couloir Ă lâintĂ©rieur de la caserne, des agents le frappant Ă
coups de poing et de pied. Dans la cellule, alors quâil avait toujours les
mains liées dans le dos, des agents le frappÚrent à nouveau à coups de poing et
de pied, y compris dans les testicules et sur la tĂȘte pour que celle-ci vĂźnt
cogner contre le mur. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, toujours Ă lâintĂ©rieur
de la caserne, il fut conduit dans un bureau oĂč cinq ou six agents le passĂšrent
Ă tabac et lâinsultĂšrent Ă nouveau ; le requĂ©rant ayant demandĂ© la
traduction de certains des documents rĂ©digĂ©s en italien quâon lui avait ordonnĂ©
de signer, les agents le frappĂšrent encore Ă coups de poing et de pied et lui
cassĂšrent trois cĂŽtes. Ă lâinfirmerie, alors quâil Ă©tait nu, le requĂ©rant fut
lâobjet dâautres injures. Ă son retour de la prise de photo, un autre agent lui
serra un bras jusquâĂ lui causer un hĂ©matome ; il dut ensuite rester dans
le couloir et fut obligĂ© de crier, avec dâautres personnes arrĂȘtĂ©es,
« vive le Duce, vive le fascisme, vive la police pénitentiaire ». Le
21 juillet, Ă lâaube, il fut transfĂ©rĂ© Ă la prison dâAlexandrie.
41. Mme Percivati
fut arrĂȘtĂ©e lâaprĂšs-midi du 20 juillet, dans la rue Montezovetto,
et emmenĂ©e Ă la caserne de Bolzaneto le soir du mĂȘme
jour. Ă son arrivĂ©e Ă la caserne, alors quâelle se trouvait encore dans la
camionnette de la police, elle se vit injurier et couvrir de crachats et elle
entendit clairement des agents se fĂ©liciter dâavoir apportĂ© dâautres
« chats à fouetter » à leurs collÚgues de la caserne. Emmenée dans
une cellule à coups de poing, de pied et de matraque, elle fut obligée de
rester les mains liées dans le dos, le visage contre le mur et les jambes
lĂ©gĂšrement Ă©cartĂ©es ; puis elle fut transfĂ©rĂ©e dans la mĂȘme cellule que Mme
Ender et dâautres personnes arrĂȘtĂ©es. Dans la nuit, Mme
Ender, aprĂšs ĂȘtre revenue des toilettes, dit Ă la
requĂ©rante quâelle avait Ă©tĂ© tabassĂ©e (paragraphe 48 ci-dessus). Lorsque Mme
Percivati se rendit Ă son tour aux toilettes, elle
fut dâabord frappĂ©e et insultĂ©e dans le couloir ; ensuite, lâagente de
police qui la suivit dans les toilettes poussa sa tĂȘte vers la cuvette, tandis
que dâautres agents, depuis lâextĂ©rieur, continuaient Ă lui adresser des
injures (« pute, tu aimes la matraque »). Dans la nuit du 20 au 21
juillet, elle fut emmenĂ©e dans un bureau oĂč on lui demanda si elle Ă©tait
enceinte et oĂč, Ă la suite de son refus rĂ©itĂ©rĂ© de signer des documents sans
les avoir lus, quatre ou cinq agents la rouĂšrent de coups et lui cognĂšrent la
tĂȘte contre le mur. La requĂ©rante fut Ă nouveau frappĂ©e Ă coups de poing et de
pied lorsquâelle fut reconduite dans sa cellule puis emmenĂ©e dans le bureau
pour la prise de photo ; Ă son retour, elle dut rester dans le couloir
face contre le mur, bras en lâair et jambes Ă©cartĂ©es, sous les coups de
matraque. Elle fut en outre obligĂ©e de sortir de lâinfirmerie en sous-vĂȘtements
pour chercher ses effets personnels dans le couloir. Lors de tous ses déplacements
Ă lâintĂ©rieur de la caserne, la requĂ©rante dut marcher tĂȘte baissĂ©e. Elle fut
privée de ses bijoux et de ses protections hygiéniques. AprÚs avoir été
obligĂ©e, avec dâautres personnes arrĂȘtĂ©es, de faire le salut hitlĂ©rien et de
chanter un hymne fasciste, elle fut transfĂ©rĂ©e, le 21 juillet, Ă lâaube, Ă la
prison dâAlexandrie.
42. M. Nebot fut
arrĂȘtĂ© lâaprĂšs-midi du 20 juillet, dans la rue Montezovetto,
et emmenĂ© Ă la caserne de Bolzaneto le soir du mĂȘme
jour. Ă son arrivĂ©e Ă la caserne, il dut marcher penchĂ© en avant et tĂȘte
baissée. Lors de son passage dans le couloir vers la cellule, il fut frappé au
ventre et aux testicules. Dans la cellule, il dut rester debout, jambes
écartées et bras dans le dos, et il fut frappé à intervalles irréguliers aux
testicules et aux jambes par les agents. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, il
fut emmenĂ© dans un bureau oĂč on lui montra des documents rĂ©digĂ©s en
italien ; ayant demandĂ© lâassistance dâun traducteur et dâun avocat, il
fut frappĂ© plusieurs fois jusquâĂ ce quâil acceptĂąt de signer ces documents. Ă
lâinfirmerie, M. Larroquelle (requĂ©rant de la
requĂȘte no67599/10 figurant sous le numĂ©ro 12 dans la liste en
annexe) et lui furent insultés pour leur « mauvaise odeur » ; M.
Nebot ne reçut aucun soin et ne fut pas questionné
sur son Ă©tat de santĂ© par le mĂ©decin, malgrĂ© la prĂ©sence dâecchymoses sur son
ventre et sa poitrine. Bien quâil ait signalĂ© Ă maintes reprises, mĂȘme en
prĂ©sence du mĂ©decin, quâil Ă©tait asthmatique, il fut privĂ© de ses mĂ©dicaments tout
au long de sa détention à la caserne. Dans la cellule, il fut obligé de crier
« vive le Duce, vive Mussolini, vive la police pénitentiaire » et vit
dâautres personnes arrĂȘtĂ©es contraintes de marcher dans le couloir en faisant
le salut hitlĂ©rien. Le 21 juillet, Ă lâaube, il fut transfĂ©rĂ© Ă la prison
dâAlexandrie.
43. M. Bertacchini fut
arrĂȘtĂ© lâaprĂšs-midi du 21 juillet. ArrivĂ© Ă la caserne de Bolzaneto
et placĂ© dans une cellule avec dâautres personnes arrĂȘtĂ©es, il fut contraint de
rester pendant plusieurs heures sans bouger, jambes Ă©cartĂ©es, bras en lâair et
face contre le mur, par moments mĂȘme sur la pointe des pieds. Il vit des agents
passer Ă tabac dâautres personnes arrĂȘtĂ©es. Dans la nuit du 21 au
22 juillet, du gaz irritant fut vaporisĂ© dans la cellule oĂč il se
trouvait, ce qui causa des nausées, des problÚmes respiratoires et des
irritations Ă tous les occupants. Avant dâĂȘtre soumis Ă une visite mĂ©dicale, le
requĂ©rant fut frappĂ© dans le dos et sur les hanches. Le 22 juillet, Ă
midi, il fut transfĂ©rĂ© Ă la prison dâAlexandrie.
44. Mme Flagelli
fut arrĂȘtĂ©e le 21 juillet dans le camping de la rue Maggio.
Arrivée à la caserne de Bolzaneto, elle dut attendre
debout dans la cour en plein soleil et fut insultée. Placée dans une cellule,
oĂč lui parvenaient de temps en temps les airs de chants fascistes, elle fut
obligĂ©e dâĂ©carter les jambes sous les coups quâon lui donnait et de rester
pendant plusieurs heures dans cette position, les bras en lâair. Dans la nuit
du 21 au 22 juillet, du gaz irritant fut vaporisĂ© dans la cellule oĂč se
trouvait la requérante, ce qui causa des nausées, des problÚmes respiratoires
et des irritations Ă tous les occupants. Une autre personne arrĂȘtĂ©e ayant reçu
des feuilles de papier journal au lieu des serviettes hygiĂ©niques quâelle avait
demandĂ©es, la requĂ©rante, effrayĂ©e et humiliĂ©e, sâabstint de demander Ă son
tour les protections hygiéniques dont elle avait besoin. Elle fut injuriée et
menacĂ©e de viol par des agents et elle assista aux sĂ©vices infligĂ©s Ă dâautres
personnes arrĂȘtĂ©es. Ă lâinfirmerie, elle fut privĂ©e de tous ses bijoux et lâon
coupa la capuche de son gilet ; elle fut obligĂ©e dâenlever tous ses
piercings, mĂȘme ceux des zones intimes, devant quatre ou cinq hommes. Le matin
du 22 juillet, elle fut transfĂ©rĂ©e dans une prison dont le nom nâest pas
précisé dans le dossier.
45. Mme Franceschin
fut arrĂȘtĂ©e lâaprĂšs-midi du 21 juillet. PlacĂ©e dans une cellule de la caserne
de Bolzaneto, elle fut obligĂ©e de sâasseoir par terre
face contre le mur et de rester dans cette position pendant un certain laps de
temps, menacĂ©e, si elle bougeait, de devoir se tenir debout. Elle fut traitĂ©e Ă
maintes reprises de « putain » et de « salope » dans la
cellule et lors de son passage dans le couloir. Plusieurs agents se moquĂšrent
de son T-shirt ; le mĂ©decin fit de mĂȘme lors de la visite mĂ©dicale,
pendant que certains la menaçaient de lui arracher ce maillot et de le
dĂ©chirer. LâintĂ©ressĂ©e fut privĂ©e de tous ses effets personnels (bijoux et
montre), qui furent laissés par terre et ne lui furent pas restitués ; ses
boucles dâoreilles, en particulier, lui furent arrachĂ©es avec une pince. AprĂšs
la visite médicale, elle fut emmenée de nouveau dans la cellule et obligée de rester
debout face contre le mur pendant plusieurs heures. Le 21 juillet, Ă lâaube,
elle fut transfĂ©rĂ©e Ă la prison dâAlexandrie.
46. Mme Jaeger fut arrĂȘtĂ©e Ă lâĂ©cole
Diaz-Pertini et, malgré des ecchymoses et blessures visibles, elle fut emmenée
directement Ă la caserne de Bolzaneto. Elle fut
placée contre un mur dans la cour de la caserne dans une position vexatoire,
des agents lui demandant ironiquement de quel sexe elle Ă©tait et se moquant
dâelle ; Ă lâintĂ©rieur de la caserne, deux agentes la traitĂšrent de
« lesbienne ». Ă lâentrĂ©e de la caserne, on lui arracha son collier
avec une tenaille. Emmenée dans une cellule, elle fut contrainte de se tenir
jambes Ă©cartĂ©es et bras en lâair, sous les coups et les crachats des agents. Dans
le couloir, elle dut toujours marcher la tĂȘte baissĂ©e et les mains sur la
nuque, sous de nombreuses injures. Ă lâinfirmerie, on lâobligea Ă se dĂ©vĂȘtir et
Ă faire des pompes ; la requĂ©rante ayant dit quâelle avait faim, le
mĂ©decin rĂ©torqua, en criant, quâelle et les autres manifestants avaient dĂ©truit
la ville de GĂȘnes. Ensuite, elle fut emmenĂ©e dans un bureau oĂč on lui demanda
de signer des documents rédigés en italien, en lui assurant que cela
accélérerait sa remise en liberté. Elle ne fut à aucun moment informée des
raisons de son arrestation ni de son droit de prendre contact avec les
autoritĂ©s diplomatiques de son pays. Le 23 juillet, Ă lâaube, elle fut
transfĂ©rĂ©e dans une prison dont le nom nâest pas prĂ©cisĂ© dans le dossier.
47. M. Camandona fut
arrĂȘtĂ© le 21 juillet dans le camping de la rue Maggio.
Arrivé à la caserne de Bolzaneto, il dut attendre
dans la cour, debout, en plein soleil, et fut frappĂ© Ă la tĂȘte, insultĂ© et
menacĂ© (« fils de pute, tu nâas rien compris, oĂč crois-tu que tu es ? »).
Placé dans une cellule, il fut obligé de rester face contre le mur et bras en
lâair, par moments sur la pointe des pieds. Il fut frappĂ© dans le dos,
vraisemblablement Ă coups de matraque, et fut lâobjet de menaces (« on va
te tuer ») et dâinjures (« anarchiste de merde », « connard
de communiste »). Il fut frappĂ© et injuriĂ© Ă chaque fois quâil essayait de
changer de position. Il dut Ă©galement Ă©couter des chants fascistes. Dans la
nuit du 21 au 22 juillet, du gaz irritant fut vaporisĂ© dans la cellule quâil
occupait. M. Camandona vit alors une jeune personne
vomir du sang et fut atteint Ă son tour de problĂšmes respiratoires. Le
requĂ©rant vit Ă©galement des agents frapper dâautres personnes arrĂȘtĂ©es, dont
lâune souffrait dâun handicap Ă la jambe. Pendant la visite mĂ©dicale, il fut Ă
nouveau frappé, des agents incitant des femmes à regarder à quel point il
aurait été répugnant ; puis, ayant rectifié son nom que des agents avaient
mal prononcĂ©, il reçut des coups de pied sur les fesses. Il dut se tenir tĂȘte baissĂ©e
tout au long de sa détention. Le 22 juillet, à midi, il fut transféré à la
prison dâAlexandrie.
48. M. Von Unger fut
arrĂȘtĂ© Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini et emmenĂ© Ă la caserne de Bolzaneto
dans la nuit du 21 au 22 juillet. à son arrivée à la caserne, il fut privé de
tous ses effets personnels. Un agent lui arracha une broche en forme dâĂ©toile
rouge quâil portait sur sa veste et le traita de « salaud de
communiste ». Il dut rester debout pendant plusieurs heures, jambes
Ă©cartĂ©es et bras en lâair. Il vit les souffrances des autres personnes arrĂȘtĂ©es
et entendit des cris provenant dâautres cellules. Tout au long de sa dĂ©tention,
il fut frappĂ© et insultĂ©, surtout lorsquâil demanda Ă se rendre aux toilettes.
Il sây rendit par un couloir quâil fut obligĂ© de parcourir penchĂ© en avant, la
tĂȘte baissĂ©e et les bras tordus dans le dos par un agent. Il dut utiliser les
toilettes sans pouvoir en fermer la porte. Il ne put prendre contact ni avec
les autorités diplomatiques de son pays ni avec sa famille. Il fut détenu à la
caserne de Bolzaneto pendant environ trente heures.
49. Tous les requĂ©rants, Ă lâexception de MM. Balbas, Lorente, Larroquelle et Bertacchini et de
Mmes Ender, Franceschin
et Percivati, soutiennent avoir souffert du froid et
de la faim Ă la caserne de Bolzaneto. Ils allĂšguent
nâavoir reçu des couvertures, de la nourriture et de lâeau que trĂšs tardivement
et en quantité insuffisante.
50. Toutes les
poursuites engagĂ©es contre les requĂ©rants pour les faits Ă lâorigine de leur
arrestation ont abouti Ă leur acquittement.
C. La
procĂ©dure pĂ©nale engagĂ©e contre des membres des forces de lâordre pour les
faits commis Ă la caserne de Bolzaneto
51. Ă la suite des faits commis Ă la caserne de Bolzaneto, le parquet de GĂȘnes entama des poursuites contre
quarante-cinq personnes, parmi lesquelles un préfet de police adjoint (vice-questore aggiunto), des membres de la police et de la police
pĂ©nitentiaire, des carabiniers et des mĂ©decins de lâadministration
pĂ©nitentiaire. Les chefs dâaccusation retenus Ă©taient les suivants : abus
dâautoritĂ© publique, abus dâautoritĂ© Ă lâĂ©gard de personnes arrĂȘtĂ©es ou
détenues, coups et blessures, injures, violence, menaces, omission, recel de
malfaiteurs et faux. Le 27 janvier 2005, le parquet demanda le renvoi en
jugement des inculpĂ©s. Les requĂ©rants et dâautres personnes (155 au total) se
constituĂšrent parties civiles.
1. Le jugement
de premiĂšre instance
52. Par le
jugement no 3119 du 14 juillet 2008, déposé le 27 novembre
2008, le tribunal de GĂȘnes condamna quinze des quarante-cinq accusĂ©s Ă des
peines allant de neuf mois Ă cinq ans dâemprisonnement assorties dâune peine
accessoire dâinterdiction temporaire dâexercer des fonctions publiques (interdizione dai pubblici uffici).
Dix condamnĂ©s bĂ©nĂ©ficiĂšrent dâun sursis et de la non-inscription de la
condamnation au casier judiciaire. Enfin, en application de la loi no 241
du 29 juillet 2006 relative aux conditions dâoctroi de la remise gĂ©nĂ©rale de
peine (indulto), trois condamnés bénéficiÚrent
dâune remise totale de leur peine dâemprisonnement et deux autres, condamnĂ©s
respectivement Ă trois ans et deux mois et Ă cinq ans dâemprisonnement, dâune
remise de peine de trois ans.
53. Le
tribunal estima tout dâabord quâil Ă©tait prouvĂ© que les faits suivants avaient
Ă©tĂ© commis Ă lâencontre de tous les requĂ©rants : insultes, menaces, coups
et blessures, positions vexatoires, vaporisation de produits irritants dans les
cellules, destruction dâeffets personnels, longs dĂ©lais dâattente pour utiliser
les toilettes et marquage au feutre sur le visage des personnes arrĂȘtĂ©es Ă
lâĂ©cole Diaz-Pertini. Il nota que ces traitements pouvaient ĂȘtre qualifiĂ©s
dâinhumains et dĂ©gradants et quâils avaient Ă©tĂ© commis dans un contexte
particulier « et, on lâespĂ©r[ait],
unique ». Il ajouta que ces épisodes avaient aussi porté atteinte à la
Constitution républicaine et affaibli la confiance du peuple italien dans les
forces de lâordre.
54. Le
tribunal souligna ensuite que, malgré la longue, laborieuse et méticuleuse
enquĂȘte menĂ©e par le parquet, la plupart des auteurs des mauvais traitements,
dont lâexistence avait Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e pendant les dĂ©bats, nâavaient pas pu ĂȘtre
identifiĂ©s en raison de difficultĂ©s objectives, et notamment de lâabsence de
coopĂ©ration de la police, rĂ©sultat Ă ses yeux dâune mauvaise interprĂ©tation de
lâesprit de corps.
55. Le tribunal prĂ©cisa enfin que lâabsence en
droit pénal du délit de torture avait obligé le parquet à circonscrire la
plupart des mauvais traitements avĂ©rĂ©s au cadre du dĂ©lit dâabus dâautoritĂ©
publique. En lâespĂšce, les agents, les cadres et les fonctionnaires auraient
Ă©tĂ© accusĂ©s de ne pas avoir empĂȘchĂ©, de par leur comportement passif, les
mauvais traitements dénoncés. à cet égard, le tribunal estima que la plupart
des accusĂ©s du chef dâabus dâautoritĂ© publique ne pouvaient pas ĂȘtre jugĂ©s
coupables eu égard au fait que : a) le délit en cause était
caractĂ©risĂ© par un dol spĂ©cifique, Ă savoir lâintention claire et avĂ©rĂ©e de
lâagent public de commettre un certain dĂ©lit ou de ne pas en empĂȘcher la
commission, et que b) lâexistence de ce dol spĂ©cifique nâavait pas
été prouvée au-delà de tout doute raisonnable.
56. Les coupables des actes litigieux ainsi que
les ministĂšres de lâIntĂ©rieur, de la Justice et de la DĂ©fense furent condamnĂ©s
au paiement des frais et dépens et au dédommagement des parties civiles, des
sommes comprises entre 2 500 et 15 000 euros (EUR) Ă©tant accordĂ©es Ă
titre de provision sur les dommages-intĂ©rĂȘts.
2. LâarrĂȘt
dâappel
57. Saisie par
les accusĂ©s, le procureur prĂšs le tribunal de GĂȘnes, le procureur gĂ©nĂ©ral, les
ministres de lâIntĂ©rieur, de la Justice et de la DĂ©fense (responsables civils)
et par les victimes qui sâĂ©taient constituĂ©es parties civiles, la cour dâappel
de GĂȘnes, par son arrĂȘt no 678 du 5 mars 2010, dĂ©posĂ© le 15 avril
2011, infirma partiellement le jugement entrepris.
58. Concernant
le dĂ©lit dâabus dâautoritĂ© publique envers des personnes arrĂȘtĂ©es, elle
confirma dâabord la condamnation Ă un an dâemprisonnement avec sursis pour deux
accusĂ©s et la remise totale de peine sâagissant dâun troisiĂšme accusĂ©. Par
ailleurs, elle condamna un agent Ă trois ans et deux mois dâemprisonnement pour
dĂ©lit de lĂ©sions corporelles. Ce dernier bĂ©nĂ©ficia dâune remise de peine de
trois ans.
Sâagissant
du délit de faux, elle condamna trois accusés jugés non coupables en premiÚre
instance Ă une peine dâun an et six mois dâemprisonnement avec sursis et sans
mention au casier judiciaire et une quatriÚme accusée à deux ans
dâemprisonnement avec sursis et sans mention au casier judiciaire.
59. Enfin, elle prononça un non-lieu en raison
de la prescription des délits dont étaient accusées vingt-huit personnes, dont
deux personnes condamnĂ©es ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© dâune remise de peine en premiĂšre
instance (paragraphe 52 ci‑dessus). Elle rendit Ă©galement un non-lieu Ă
lâĂ©gard dâun autre accusĂ© dĂ©cĂ©dĂ©.
60. Elle condamna également tous les accusés
(exceptĂ© ce dernier) ainsi que les ministĂšres de lâIntĂ©rieur, de la Justice et
de la Défense, aux frais et dépens de la procédure et au dédommagement des
parties civiles. Des sommes comprises entre 5 000 et 30 000 EUR
furent accordĂ©es Ă titre de provision sur les dommages-intĂ©rĂȘts.
61. Dans les motifs de lâarrĂȘt, la cour dâappel
prĂ©cisa tout dâabord que, bien que les dĂ©lits en question fussent prescrits,
elle devait statuer sur les effets civils des infractions.
62. Elle indiqua ensuite que la crédibilité des
tĂ©moignages des victimes ne faisait aucun doute : dâune part, lesdits
témoignages avaient été corroborés par la comparaison des diverses
dĂ©clarations, dont celles de deux infirmiers et dâun inspecteur de police, par
les aveux partiels de certains accusés ainsi que par plusieurs piÚces du
dossier ; dâautre part, ces tĂ©moignages prĂ©sentaient les caractĂ©ristiques
typiques des rĂ©cits de victimes dâĂ©vĂ©nements traumatiques et faisaient Ă©tat
dâune volontĂ© sincĂšre de restituer la vĂ©ritĂ©.
63. Quant aux Ă©vĂ©nements qui sâĂ©taient produits
Ă la caserne de Bolzaneto, la cour dâappel observa
que toutes les personnes ayant transitĂ© par ce centre y avaient Ă©tĂ© lâobjet de
sévices de toutes sortes, continus et systématiques, par des agents de la
police pĂ©nitentiaire ou des agents des forces de lâordre ayant participĂ©, pour
la plupart, Ă la gestion de lâordre public dans la ville au cours des
manifestations.
64. En effet,
elle nota que, dÚs leur arrivée et tout au long de leur détention dans la
caserne, ces personnes, parfois déjà éprouvées par les violences subies lors de
lâarrestation, avaient Ă©tĂ© obligĂ©es de se tenir dans des positions vexatoires et
avaient Ă©tĂ© lâobjet de coups, de menaces et dâinjures Ă caractĂšre
principalement politique et sexuel. MĂȘme Ă lâinfirmerie, les mĂ©decins et les
agents présents auraient ostensiblement contribué, par des actes ou des
omissions, Ă provoquer et Ă accroĂźtre la terreur et la panique chez les
personnes arrĂȘtĂ©es. La cour dâappel releva que certaines, blessĂ©es lors de
lâarrestation ou Ă la caserne, auraient, en tout Ă©tat de cause, nĂ©cessitĂ© des
soins adéquats, voire une hospitalisation immédiate. De surcroßt, elle remarqua
aussi que le couloir de la caserne avait été surnommé « le tunnel des
agents », car les nombreux passages des personnes arrĂȘtĂ©es avaient eu lieu
entre deux rangĂ©es dâagents les injuriant et les tabassant.
65. La cour dâappel ajouta que de nombreux
autres éléments avaient brisé la résistance physique et psychologique des
personnes arrĂȘtĂ©es et temporairement dĂ©tenues Ă la caserne, Ă savoir :
lâinterdiction de regarder les agents ; la privation ou la destruction injustifiĂ©e
des effets personnels ; le fait â tout en Ă©tant soumis Ă lâinterdiction de
communiquer entre dĂ©tenus et donc Ă lâimpossibilitĂ© de chercher un rĂ©confort
mutuel â de devoir assister aux sĂ©vices infligĂ©s aux autres personnes arrĂȘtĂ©es,
dâĂ©couter les cris de celles-ci ou de voir leur sang, leurs vomissures, leur
urine ; lâimpossibilitĂ© dâaccĂ©der rĂ©guliĂšrement aux toilettes et de les
utiliser Ă lâabri des regards et des injures des agents ; la privation
dâeau et de nourriture ; le froid et la difficultĂ© de trouver un peu de
dĂ©tente dans le sommeil ; lâabsence de tout contact avec lâextĂ©rieur, et
la mention mensongĂšre par les agents de la renonciation des personnes arrĂȘtĂ©es
au droit de prévenir un membre de leur famille, un avocat et, le cas échéant,
un diplomate de leur pays dâorigine ; enfin, lâabsence dâinformations
pleinement intelligibles sur les raisons de lâarrestation des personnes
concernées.
66. En somme, dâaprĂšs la cour dâappel, ces personnes
avaient Ă©tĂ© soumises Ă plusieurs traitements contraires Ă lâarticle 3 de la
Convention tel quâinterprĂ©tĂ© par la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme dans
ses arrĂȘts Irlande c. Royaume-Uni (18
janvier 1978, sĂ©rie A no 25), Raninen c. Finlande (16 dĂ©cembre 1997, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997‑VIII), et Selmouni c. France ([GC], no
25803/94, CEDH 1999‑V). Pour la cour dâappel, tous les agents et le
personnel de santĂ© qui se trouvaient Ă la caserne avaient Ă©tĂ© Ă mĂȘme de
sâapercevoir que de tels traitements Ă©taient infligĂ©s, ce qui, Ă ses yeux,
Ă©tait suffisant en lâespĂšce pour constituer le dĂ©lit dâabus dâautoritĂ©
publique.
67. En outre,
la cour dâappel estima que ces traitements, combinĂ©s avec la nĂ©gation de
certains droits de la personne arrĂȘtĂ©e, avaient pour but de donner aux victimes
le sentiment dâĂȘtre tombĂ©es dans un espace de nĂ©gation de lâhabeas corpus, des droits fondamentaux
et de tout autre aspect de la prééminence du droit, ce que, au demeurant,
confirmaient selon elle les diverses formes dâĂ©vocation du fascisme faites par
les agents. En dâautres termes, en infligeant torture et mauvais traitements,
les auteurs de ces sévices avaient voulu produire un processus de
dĂ©personnalisation similaire Ă celui mis en Ćuvre Ă lâencontre des juifs et des
autres personnes internĂ©s dans les camps de concentration. Ainsi, Ă lâinstar
dâobjets ou dâanimaux, les personnes arrĂȘtĂ©es dans lâĂ©cole Diaz-Pertini
auraient été, à leur arrivée à la caserne, marquées au feutre sur le visage.
68. Enfin, selon la cour dâappel, ces Ă©vĂ©nements
avaient eu des conséquences trÚs graves sur les victimes et perduraient dans
leurs effets bien au-delà de la fin de la détention de celles-ci à la caserne
de Bolzaneto, car ils avaient déstructuré les
catégories rationnelles et émotionnelles au travers desquelles la personne
humaine vit ses besoins quotidiens, ses relations aux autres, ses liens avec
lâĂtat et sa participation Ă la vie publique. Ils auraient Ă©galement touchĂ© les
familles des victimes en tant que communautĂ©s dâĂ©change dâexpĂ©riences et de
valeurs.
3. LâarrĂȘt de la
Cour de cassation
69. Saisie par
les accusĂ©s, le procureur gĂ©nĂ©ral, les ministĂšres de lâIntĂ©rieur, de la Justice
et de la DĂ©fense (responsables civils), la Cour de cassation rendit son arrĂȘt no 37088
le 14 juin 2013. Celui-ci fut déposé le 10 septembre 2013. La Cour de
cassation confirma pour lâessentiel lâarrĂȘt entrepris.
70. Tout
dâabord, elle releva que, sâagissant de tous les dĂ©lits retenus par le tribunal
de premiĂšre instance et la cour dâappel de GĂȘnes, la quasi-totalitĂ© avait Ă©tĂ©
touchée par la prescription, à laquelle toutefois trois officiers de police
avaient renoncĂ©, exception faite du dĂ©lit de lĂ©sions corporelles retenu Ă
lâencontre dâun agent et du dĂ©lit de faux retenu Ă lâencontre de quatre autres
agents.
71. Elle rejeta ensuite lâexception de
constitutionnalitĂ© soulevĂ©e par le procureur gĂ©nĂ©ral de GĂȘnes, estimant que, en
vertu de lâarticle 25 de la Constitution relatif au principe de rĂ©serve de la
loi, seul le législateur pouvait établir les sanctions pénales et définir
lâapplication de mesures telles que la prescription et la remise de peine (pour
une analyse plus détaillée, voir Cestaro c. Italie,
no 6884/11, §§ 75-80, 7 avril 2015).
72. Elle jugea
en outre que les violences perpĂ©trĂ©es Ă lâintĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto lâavaient Ă©tĂ© sans interruption, dans des
conditions oĂč chaque personne prĂ©sente en avait la totale perception auditive
et visuelle. Elle estima, en sâappuyant sur trente-neuf tĂ©moignages
concordants, que, dans la caserne de Bolzaneto, les
principes fondamentaux de lâĂ©tat de droit avaient Ă©tĂ© Ă©cartĂ©s.
73. En conclusion, concernant le sort individuel
de chaque personne condamnée, elle confirma la condamnation des trois officiers
ayant renoncĂ© Ă la prescription Ă un an dâemprisonnement pour dĂ©lit dâabus
dâautoritĂ© (dont deux bĂ©nĂ©ficiĂšrent dâun sursis Ă lâexĂ©cution et le troisiĂšme
dâune remise de peine), de trois autres officiers Ă un an et six mois
dâemprisonnement avec sursis pour dĂ©lit de faux et dâun mĂ©decin de
lâadministration pĂ©nitentiaire Ă deux ans pour le mĂȘme dĂ©lit. Elle confirma
Ă©galement la condamnation dâun agent Ă trois ans et deux mois dâemprisonnement
pour dĂ©lit de lĂ©sions corporelles. Celui-ci bĂ©nĂ©ficia dâune remise de peine de
trois ans.
74. Pour ce qui est des autres appelants, la
Cour de cassation confirma lâarrĂȘt entrepris quant Ă la responsabilitĂ© civile
des plus hauts gradés impliqués, à savoir le préfet de police adjoint, la
commissaire en chef (commissario capo) et lâinspecteur de police
pénitentiaire chargé de la sécurité du site pénitentiaire établi dans la caserne
de Bolzaneto. Elle parvint au mĂȘme constat concernant
de nombreux officiers et agents de la police pénitentiaire et des forces de
lâordre ainsi que le personnel de santĂ© en cause, dont le responsable du
service de santé du site.
D. LâenquĂȘte
parlementaire dâinformation
75. Le 2 août 2001, les présidents du Sénat et
de la Chambre des dĂ©putĂ©s dĂ©cidĂšrent quâune enquĂȘte dâinformation (indagine conoscitiva)
sur les faits survenus lors du G8 de GĂȘnes serait menĂ©e par les commissions des
Affaires constitutionnelles des deux chambres du Parlement. Ă cette fin, il fut
créé une commission composée de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs.
76. Le 20 septembre 2001, la commission déposa
un rapport contenant les conclusions de sa majorité, intitulé « Rapport
final de lâenquĂȘte parlementaire sur les faits survenus lors du G8 de
GĂȘnes ».
77. Ce rapport citait les déclarations du responsable
des activités de la police pénitentiaire lors du sommet, selon lesquelles la
dĂ©cision dâaffecter Ă la police pĂ©nitentiaire et Ă la police judiciaire une
seule et mĂȘme caserne sâĂ©tait rĂ©vĂ©lĂ©e ĂȘtre « un choix malheureux ».
78. Le rapport indiquait ensuite que, dans la
nuit du 21 au 22 juillet, la durĂ©e de la dĂ©tention Ă la caserne de Bolzaneto des personnes arrĂȘtĂ©es avait Ă©tĂ© excessivement
longue en raison de la fermeture de certains bureaux, qui aurait Ă©tĂ© due Ă
lâinsuffisance de personnel, Ă lâafflux des personnes arrĂȘtĂ©es dans lâĂ©cole
Diaz-Pertini et aux modalités de transfert vers les prisons choisies en tant
que lieux de détention provisoire. Le rapport faisait aussi état de ce que, au
cours de la mĂȘme nuit, entre 1 h 35 et 2 heures, le ministre de la Justice
sâĂ©tait rendu Ă la caserne de Bolzaneto et avait vu
dans une cellule une femme et dix hommes placés jambes écartées et face contre
le mur sous la surveillance dâun agent.
79. Le rapport mentionnait en outre lâexistence
de deux enquĂȘtes administratives relatives aux faits survenus Ă la caserne de Bolzaneto, engagĂ©es Ă lâinitiative du chef de la police et
du ministre de la Justice. Le rapport provisoire de la deuxiĂšme enquĂȘte faisait
état de onze cas de violences dénoncés par la presse ou par les victimes
elles-mĂȘmes ainsi que dâautres vexations signalĂ©es par un infirmier.
80. Le rapport indiquait enfin que, dâaprĂšs le
préfet de police F., entendu par la commission parlementaire, certaines
dĂ©clarations faites Ă la presse ou aux enquĂȘteurs par les victimes sâĂ©taient
révélées fausses et infondées. Le rapport concluait toutefois que le préfet F.
nâavait pas prĂ©cisĂ© Ă quel lieu de triage (Forte San Giuliano, Bolzaneto ou les deux) se rĂ©fĂ©raient ses observations.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
81. Pour ce qui est du droit et de la pratique
internes pertinents dans les prĂ©sentes affaires, la Cour renvoie Ă lâarrĂȘt Cestaro
(précité, §§ 87-106).
82. La
proposition de loi visant Ă sanctionner la torture et les mauvais traitements,
intitulĂ©e « Introduction du dĂ©lit de torture dans lâordre juridique
italien » (introduzione del delitto di tortura nellâordinamento
italiano), Sénat de la République S-849, a été votée par le Sénat de la
RĂ©publique italienne le 5 mars 2014, puis transmise Ă la Chambre des
députés qui a modifié le texte et envoyé la nouvelle version au Sénat le 13
avril 2015. Le 17 mai 2017, le Sénat a adopté des amendements à la proposition
de loi et communiqué le nouveau texte à la Chambre des députés. Le 5 juillet
2017, la Chambre des députés a définitivement adopté le texte.
La loi no110
du 14 juillet 2017, intitulée « Introduction du délit de torture dans
lâordre juridique italien (Introduzione del delitto di tortura nellâordinamento italiano) a Ă©tĂ© publiĂ©e au Journal
officiel (Gazzetta ufficiale) le
18 juillet 2017. Elle est entrĂ©e en vigueur le mĂȘme jour.
III. ĂLĂMENTS PERTINENTS DE DROIT INTERNATIONAL
83. Pour ce qui est des éléments de droit
international pertinents en lâespĂšce, la Cour renvoie Ă lâarrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 107-121).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 3 DE LA CONVENTION
84. Les requĂ©rants se plaignent dâavoir Ă©tĂ©
soumis Ă des actes de violence quâils qualifient de torture et de traitements
inhumains et dégradants.
Ils
invoquent lâarticle 3 de la Convention, qui est ainsi libellĂ© :
« Nul
ne peut ĂȘtre soumis Ă la torture ni Ă des peines ou traitements inhumains ou
dégradants. »
85. Ils soutiennent aussi que lâenquĂȘte a Ă©tĂ©
défaillante en raison des sanctions à leurs yeux inadéquates infligées aux
personnes jugées responsables. à cet égard, ils dénoncent notamment la
prescription appliquée à la plupart des délits reprochés, la remise de peine
dont certains condamnĂ©s auraient bĂ©nĂ©ficiĂ© et lâabsence de sanctions
disciplinaires Ă lâĂ©gard de ces mĂȘmes personnes. Dans ce cadre, ils maintiennent
que, en sâabstenant dâinscrire dans lâordre juridique national le dĂ©lit de
torture, lâĂtat nâa pas adoptĂ© les mesures nĂ©cessaires permettant de prĂ©venir
des violences et autres mauvais traitements similaires Ă ceux dont ils se
disent victimes.
Ils invoquent
à cet égard les articles 3 et 13 de la Convention, pris séparément et combinés.
86. Eu Ă©gard Ă la formulation des griefs des
requĂ©rants, la Cour estime quâil convient dâexaminer la question de lâabsence
dâune enquĂȘte effective sur les mauvais traitements allĂ©guĂ©s uniquement sous
lâangle du volet procĂ©dural de lâarticle 3 de la Convention (Dembele c. Suisse, no 74010/11,
§ 33, 24 septembre 2013, avec les références qui y figurent).
A. Sur
la demande de radiation du rĂŽle de la requĂȘte no 67599/10 en ce
qui concerne les requérants figurant sous les numéros 5, 9-11, 14, 17 et 18
dans la liste en annexe
87. La Cour a reçu des déclarations de rÚglement
amiable signées par les parties requérantes le 27 juillet 2016 et par le
Gouvernement le 9 septembre 2016. Ce dernier sâengage Ă verser Ă chaque
requérant la somme de 45 000 EUR à titre de préjudice matériel et
moral et pour les frais et dépens engagés tant dans la procédure devant la Cour
que dans celle devant les juridictions internes, plus tout montant pouvant ĂȘtre
dĂ» Ă titre dâimpĂŽt par les intĂ©ressĂ©s, lesquels ont renoncĂ© Ă toute autre
prĂ©tention Ă lâencontre de la RĂ©publique italienne au sujet des faits Ă
lâorigine de leurs requĂȘtes.
Cette somme
sera versée dans les trois mois suivant la date de la notification de la
décision de la Cour. à défaut de rÚglement dans ledit délai, le Gouvernement
sâengage Ă verser, Ă compter de lâexpiration de celui-ci et jusquâau rĂšglement
effectif de la somme en question, un intĂ©rĂȘt simple Ă un taux Ă©gal Ă celui de
la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne, augmentĂ© de
trois points de pourcentage. Ce versement vaudra rÚglement définitif de
lâaffaire.
88. La Cour prend acte du rĂšglement amiable
auquel les parties sont parvenues. Elle estime que ce rĂšglement sâinspire du
respect des droits de lâhomme tels que les reconnaissent la Convention et ses
Protocoles et elle ne voit par ailleurs aucun motif justifiant de poursuivre
lâexamen de la requĂȘte Ă lâĂ©gard des requĂ©rants concernĂ©s.
89. Partant, il convient de rayer lâaffaire du
rÎle en ce qui concerne les requérants figurant sous les numéros 5, 9-11, 14, 17
et 18 dans la liste en annexe. La Cour poursuit lâexamen de la requĂȘte no 67599/10
Ă lâĂ©gard des autres requĂ©rants.
B. Sur
la requĂȘte no 28923/09 et la requĂȘte no 67599/10
en ce qui concerne les requérants figurant sous les numéros 1-4, 6-8, 12, 13,
15, 16 et 19 dans la liste en annexe.
1. Objection
préliminaire
Lâexception du Gouvernement tirĂ©e de la tardivetĂ©
des observations et de la demande de satisfaction équitable des requérants de
la requĂȘte no 67599/10
90. Le Gouvernement soutient dâemblĂ©e que les
observations et les demandes de satisfaction équitable des requérants de la
requĂȘte no 67599/10 ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es tardivement. Il indique que
la date assignée aux requérants par la Cour pour le dépÎt de leurs observations
et demandes de satisfaction équitable était le 21 février 2013 et que celles-ci
nâauraient Ă©tĂ© reçues par la Cour que le 27 fĂ©vrier 2013.
91. La Cour rappelle que, selon lâarticle 38 § 1
de son rĂšglement, les observations Ă©crites doivent ĂȘtre dĂ©posĂ©es dans le dĂ©lai
fixé par le président de la chambre ou par le juge rapporteur et que, sauf
décision contraire du président de la chambre, les observations tardives ne
peuvent ĂȘtre versĂ©es au dossier. Elle rappelle Ă©galement que, aux termes du
deuxiĂšme paragraphe du mĂȘme article, câest la date certifiĂ©e de lâenvoi du
document qui est prise en compte pour le calcul du délai et que, à défaut, elle
tient compte de la date de réception du document.
92. Dans le cas dâespĂšce, elle relĂšve que les
observations litigieuses ont été envoyées le 21 février 2013, dernier jour du
dĂ©lai assignĂ© Ă la partie requĂ©rante. Il sâensuit que les observations et les
demandes de satisfaction Ă©quitable ne sauraient ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme
tardives.
2. Sur la
recevabilité
a) Lâexception du Gouvernement tirĂ©e de
la perte de la qualité de victime
i. ThĂšses des
parties
93. Le
Gouvernement défendeur soutient que les requérants ont perdu leur qualité de
« victime ». En rappelant la jurisprudence selon lui pertinente de la
Cour en lâespĂšce (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil 1996‑III, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95,
§ 44, CEDH 1999‑VI, Labita c. Italie
[GC], no 26772/95, § 142, CEDH 2000‑IV, et GĂ€fgen c. Allemagne [GC], no 22978/05,
§§ 115-116, CEDH 2010), il assure que les tribunaux italiens, dans le cadre de
la procédure pénale, ont reconnu les violations subies par les requérants de
maniĂšre explicite ou tout au moins substantielle. Il ajoute que, Ă lâissue de
la mĂȘme procĂ©dure, les requĂ©rants ont obtenu, en tant que parties civiles, la
reconnaissance du droit à la réparation du préjudice subi et le versement
dâindemnitĂ©s provisionnelles sur les dommages-intĂ©rĂȘts. Il argue Ă©galement que
la déclaration de prescription de certains des délits attribués aux agents
accusĂ©s nâont pas privĂ© les requĂ©rants de la possibilitĂ© de saisir les
juridictions civiles afin dâobtenir la liquidation globale et dĂ©finitive des
dommages-intĂ©rĂȘts pour le prĂ©judice subi.
94. Toujours sous lâangle de lâarticle 34 de la
Convention, le Gouvernement sâappuie sur la dĂ©cision rendue dans lâaffaire Palazzolo c. Italie ((dĂ©c.), §§ 105-108
et 110, no 32328/09, 24 septembre 2013) pour soutenir, dâune part,
que les requĂ©rants nâont pas Ă©puisĂ© les voies de recours internes et, dâautre
part, quâil nâappartient pas Ă la Cour dâapprĂ©cier elle‑mĂȘme les Ă©lĂ©ments
de fait ayant conduit une juridiction nationale Ă adopter une dĂ©cision, sauf Ă
mĂ©connaĂźtre les limites de sa mission et Ă sâĂ©riger en juge de quatriĂšme
instance.
95. Les requĂ©rants, en citant, parmi dâautres,
lâarrĂȘt OâKeeffe c. Irlande ([GC], no
35810/09, § 115, CEDH 2014 (extraits)), avancent que le procĂšs pĂ©nal nâa ni expressĂ©ment
ni en substance reconnu une violation de lâarticle 3 de la Convention et
ce, selon eux, car le systÚme juridique italien ne prévoit aucune infraction
proche du type dâactes interdits par la Convention.
96. Ils soutiennent Ă©galement que, dans le reste
de son raisonnement, le Gouvernement ne fait que rĂ©itĂ©rer les arguments quâil
avait déjà exposés relativement à son allégation de non-épuisement des voies de
recours internes.
ii. Appréciation
de la Cour
97. La Cour note que le Gouvernement associe,
dans son raisonnement, des arguments de nature à contester la qualité de
victime des requérants à des allégations essentiellement liées au
non-Ă©puisement des voies de recours internes. DĂšs lors, ces derniĂšres seront
traitĂ©es dans le cadre de lâexception du Gouvernement tirĂ©e du non-Ă©puisement
des voies de recours internes.
98. En ce qui
concerne la perte de la qualité de victime, la Cour estime que la question
centrale posĂ©e est Ă©troitement liĂ©e au fond du grief tirĂ© de lâarticle 3 de la
Convention en son volet procédural. En conséquence, elle décide de joindre
cette exception au fond (Cestaro, précité, §136).
b) Lâexception du Gouvernement tirĂ©e du
non-épuisement des voies de recours internes en matiÚre pénale
i. ThĂšses des
parties
99. Invoquant lâarticle 35 § 1 de la Convention,
le Gouvernement allĂšgue que, au moment de lâintroduction des deux requĂȘtes
(respectivement le 27 mai 2009 et le 3 septembre 2010), la procédure pénale
Ă©tait encore pendante. Il indique en particulier que, en ce qui concerne la
requĂȘte no 28923/09, la cour dâappel de GĂȘnes ne sâĂ©tait pas
encore prononcĂ©e sur les faits litigieux Ă lâorigine de la requĂȘte. Pour ce qui
est de la requĂȘte no 67599/10, il expose que la cour dâappel
nâavait dĂ©posĂ© que le dispositif de son jugement et que la Cour de cassation
nâavait pas encore Ă©tĂ© saisie.
100. De ce fait, le Gouvernement maintient que
les requĂ©rants nâont pas Ă©puisĂ© les voies de recours internes en matiĂšre pĂ©nale
et que ces derniers, en introduisant leurs requĂȘtes avant la fin de la
procédure pénale, auraient de fait demandé à la Cour de se substituer aux
autorités judiciaires nationales en violation du principe de subsidiarité.
101. Les requérants répliquent que, en raison de
lâabsence de dispositions lĂ©gislatives pĂ©nales rĂ©primant les pratiques
contraires Ă lâarticle 3 de la Convention, la qualification des faits
retenue par les juges internes était insuffisante par rapport à la gravité des
faits en question. En outre, ils insistent sur le fait que cette qualification
nâa pu empĂȘcher lâapplication de la prescription Ă la quasi-totalitĂ© des
infractions en cause. Ils soutiennent également que les peines adoptées ont été
fortement réduites en application des dispositions de la loi no 241/2006
relatives Ă la remise de peine de trois ans. Ils allĂšguent enfin que le bilan
de la procédure pénale interne est seulement de huit condamnations définitives
pour des dĂ©lits mineurs (abus dâautoritĂ© publique, faux et lĂ©sions volontaires)
et de quatre acquittements, et que la prescription a été appliquée pour tous
les autres délits reprochés aux quarante-cinq accusés. En matiÚre de
prescription, ils indiquent notamment que le procureur gĂ©nĂ©ral de GĂȘnes a
soulevĂ© devant la Cour de cassation une exception dâinconstitutionnalitĂ©
concernant lâapplication de la prescription et de la remise de peine Ă des
dĂ©lits pouvant ĂȘtre qualifiĂ©s de torture au sens de lâarticle 3 de la
Convention.
102. Partant, ils estiment que le systĂšme
national nâoffre pas un remĂšde adĂ©quat et efficace contre les actes de torture
et citent Ă cet effet les arrĂȘts rendus dans les affaires Zontul c. GrĂšce (no 12294/07, § 96, 17 janvier 2012), GĂ€fgen (prĂ©citĂ©, § 117) et Beganović c. Croatie (no 46423/06,
§§ 69‑72, 25 juin 2009).
ii. Appréciation
de la Cour
103. Aux termes de lâarticle 35 § 1 de la
Convention, la Cour ne peut ĂȘtre saisie quâaprĂšs lâĂ©puisement des voies de
recours internes, tel quâil est entendu selon les principes de droit
international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir
de la date de la décision interne définitive.
104. La Cour a déjà jugé, dans certaines affaires
introduites avant la fin de la procédure pénale concernant des mauvais
traitements au sens de lâarticle 3 de la Convention, que lâexception du
gouvernement dĂ©fendeur tirĂ©e du caractĂšre prĂ©maturĂ© de la requĂȘte avait perdu
sa raison dâĂȘtre une fois la procĂ©dure pĂ©nale en question achevĂ©e (Kopylov, prĂ©citĂ©,
§ 119, renvoyant à Samoïlov c. Russie, no 64398/01, §
39, 2 octobre 2008, et Cestaro,
précité, § 145).
105. En outre, si, en principe, le requérant a
lâobligation de tenter loyalement divers recours internes avant de saisir la
Cour et si le respect de cette obligation sâapprĂ©cie Ă la date dâintroduction
de la requĂȘte (Baumann c. France,
no 33592/96, § 47, CEDH 2001‑V (extraits)), la Cour tolĂšre que
le dernier échelon de ces recours soit atteint peu aprÚs le dépÎt de la
requĂȘte, mais avant quâelle ne soit appelĂ©e Ă se prononcer sur la recevabilitĂ©
de celle‑ci (Karoussiotis c. Portugal, no 23205/08,
§§ 57 et 87-92, CEDH 2011 (extraits), Rafaa c. France, no 25393/10, § 33, 30 mai 2013, et Cestaro, précité, §§ 146 et 205-208 et les
références qui y sont mentionnées).
106. En lâespĂšce, la Cour rappelle que les
requĂ©rants allĂšguent avoir Ă©tĂ© victimes dâactes de torture qui auraient Ă©tĂ©
commis entre le 20 et le 23 juillet 2001 (paragraphes 18-50 ci-dessus).
107. Elle relÚve ensuite que la procédure pénale
engagĂ©e contre les forces de lâordre relativement aux Ă©vĂ©nements survenus au
sein de la caserne de Bolzaneto, procédure dans
laquelle les requĂ©rants se sont constituĂ©s parties civiles en janvier 2005 (Ă
lâexception de Mme Kutschkau, qui sâest
constituĂ©e partie civile en fĂ©vrier 2005, et de M. Galloway et Mme Ender, qui lâont fait en octobre 2005), a abouti, en
novembre 2008, au dĂ©pĂŽt du jugement de premiĂšre instance (paragraphe 52 ci-dessus) et, en avril 2011, au dĂ©pĂŽt de lâarrĂȘt
dâappel (paragraphe 57 ci-dessus). Elle estime que lâapplication de la
prescription et de la remise de peine sont deux aspects qui pĂšsent sur
lâapprĂ©ciation de lâĂ©puisement des voies de recours internes.
108. Dans ces circonstances, en tenant compte en
particulier des faits allégués, la Cour ne saurait reprocher aux requérants de
lui avoir adressĂ© leurs griefs portant sur la violation de lâarticle 3 de la
Convention en mai 2009 et en septembre 2010, soit respectivement prĂšs de
huit ans et plus de neuf ans aprÚs les événements survenus au sein de la
caserne de Bolzaneto, sans avoir attendu lâarrĂȘt de
la Cour de cassation rendu le 14 juin 2013 et déposé le 10 septembre 2013
(paragraphe 69 ci-dessus). En consĂ©quence, cette partie de lâexception
du Gouvernement tirĂ©e du non‑Ă©puisement des voies de recours internes en
matiĂšre pĂ©nale ne peut ĂȘtre retenue.
c) Lâexception du Gouvernement tirĂ©e du
non-Ă©puisement des voies de recours internes en matiĂšre civile
i. ThĂšses des
parties
109. Le
Gouvernement soutient aussi que les requérants auraient dû entamer une action
civile en dommages-intĂ©rĂȘts afin dâobtenir lâindemnisation du prĂ©judice
matériel et moral découlant des violences dont ils auraient été victimes. Les
intĂ©ressĂ©s ne lâayant pas fait, il estime dĂšs lors que ces derniers nâont pas
permis Ă lâĂtat italien de rĂ©soudre les affaires litigieuses au niveau interne,
comme le veut le principe de subsidiarité.
110. Le Gouvernement indique que les requérants
ont reçu, en tant que parties civiles, des indemnités provisionnelles dont le
montant se serait échelonné entre 10 000 EUR et 30 000 EUR. Il ajoute
que, dans certains cas, les tribunaux nationaux ont accordé des indemnités
provisionnelles sâĂ©levant Ă 210 000 EUR.
111. Les requérants contestent la thÚse du
Gouvernement. En effet, ils arguent que la seule indemnisation ne peut remédier
Ă une violation de lâarticle 3 de la Convention lorsque lâĂtat nâa pas pris de
mesures raisonnables pour satisfaire à ses obligations découlant de cet
article. Sâappuyant sur la jurisprudence de la Cour, ils estiment que, si la
réaction des autorités aux épisodes de mauvais traitements se borne à une
simple indemnisation, sans que les responsables des actes en cause ne soient
poursuivis et punis, les agents de lâĂtat pourraient en pratique Ă©chapper aux
conséquences liées à la violation des droits des victimes de mauvais
traitements, en vidant de fait de sa substance lâinterdiction absolue Ă©noncĂ©e
par lâarticle 3 de la Convention. Ils citent Ă cet effet les arrĂȘts Assenov et autres c. Bulgarie, (28 octobre
1998, § 71, Recueil 1998‑VIII),
GÀfgen (précité, § 119), Krastanov c. Bulgarie (no
50222/99, § 60, 30 septembre 2004), Ăamdereli c. Turquie (no 28433/02, § 29, 17
juillet 2008), et Vladimir Romanov
(précité, § 78).
112. En conclusion, les requérants se plaignent
quâaucun remĂšde effectif et efficace nâexistait au niveau interne.
ii. Appréciation
de la Cour
113. La Cour rappelle que, selon ses principes
gĂ©nĂ©raux relatifs Ă la rĂšgle de lâĂ©puisement des voies de recours internes (Vučković et autres c. Serbie ([GC], nos
17153/11 et autres, §§ 69-77, 25 mars 2014), lâarticle 35 § 1 de la
Convention ne prescrit que lâĂ©puisement des recours Ă la fois relatifs aux
violations incriminées, disponibles et adéquats. Un recours est effectif
lorsquâil est disponible tant en thĂ©orie quâen pratique Ă lâĂ©poque des faits,
câest-Ă -dire lorsquâil est accessible et susceptible dâoffrir au requĂ©rant le
redressement de ses griefs et quâil prĂ©sente des perspectives raisonnables de
succĂšs (Akdivar et autres c. Turquie,
16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV,
et Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC],
nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04,
19993/04 et 21819/04, § 70, CEDH 2010).
114. La Cour rappelle Ă©galement quâelle doit
appliquer la rĂšgle de lâĂ©puisement des voies de recours internes en tenant
dĂ»ment compte du contexte, en faisant preuve dâune certaine souplesse et sans
formalisme excessif. Elle a de plus admis que la rĂšgle de lâĂ©puisement des
voies de recours internes ne sâaccommode pas dâune application automatique et
ne revĂȘt pas un caractĂšre absolu ; pour en contrĂŽler le respect, il faut
avoir Ă©gard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment quâelle doit
tenir compte de maniÚre réaliste du contexte juridique et politique dans lequel
les recours sâinscrivent ainsi que de la situation personnelle des requĂ©rants
(voir, parmi beaucoup dâautres, Akdivar et autres,
prĂ©citĂ©, § 69, Selmouni, prĂ©citĂ©, § 77, Kozacıoğlu c. Turquie [GC], no 2334/03,
§ 40, 19 février 2009, et Reshetnyak c. Russie,
no 56027/10, § 58, 8 janvier 2013).
115. Dans son apprĂ©ciation de lâeffectivitĂ© de la
voie de recours indiquée par le gouvernement défendeur, la Cour doit donc
prendre en compte la nature des griefs et les circonstances de lâaffaire pour
établir si cette voie de recours fournissait au requérant un moyen adéquat de
redressement de la violation dénoncée (Reshetnyak, précité, § 71, concernant le caractÚre inadéquat
dâun recours indemnitaire en cas de violation continue de lâarticle 3 de
la Convention à raison des conditions de détention et, en particulier, de
lâaggravation de lâĂ©tat de santĂ© du dĂ©tenu, et De Souza Ribeiro c. France [GC], no
22689/07, §§ 82-83, CEDH 2012, oĂč la Cour a rappelĂ© que lâexigence dâun recours
de plein droit suspensif contre lâexpulsion de lâintĂ©ressĂ© dĂ©pendait de la
nature de la violation de la Convention ou de ses Protocoles quâaurait
entraĂźnĂ©e lâexpulsion).
116. En lâespĂšce, la Cour observe que, comme sur
le terrain de la perte de la qualité de victime (paragraphes 93-98 ci-dessus), les thÚses des parties divergent
profondĂ©ment quant Ă lâĂ©tendue des obligations dĂ©coulant de lâarticle 3 de la
Convention et quant aux moyens nécessaires et suffisants pour redresser les
violations en cause.
117. Eu Ă©gard Ă
sa décision de joindre au fond la question de la perte de la qualité de
victime, elle estime quâil doit en aller de mĂȘme pour lâexception de
non-Ă©puisement de la voie de recours en matiĂšre civile.
d) Autres motifs dâirrecevabilitĂ©
118. Constatant que ce grief nâest pas
manifestement mal fondĂ© au sens de lâarticle 35 § 3 a) de la Convention et
quâil ne se heurte par ailleurs Ă aucun autre motif dâirrecevabilitĂ©, la Cour
le déclare recevable.
3. Sur le fond
a) Sur le volet matĂ©riel de lâarticle 3
de la Convention
i. ThĂšses des
parties
α) Les requĂ©rants
119. Les requĂ©rants, arrĂȘtĂ©s puis placĂ©s Ă la
caserne de Bolzaneto, allÚguent avoir été insultés,
menacĂ©s, frappĂ©s et avoir fait lâobjet dâautres types de mauvais traitements de
la part de membres des forces de lâordre. Ils dĂ©plorent les vives souffrances
physiques et psychologiques que ces violences leur auraient causées.
120. Les requérants dénoncent également
lâimpossibilitĂ© pour eux de prendre contact avec un proche, un avocat ou, le
cas Ă©chĂ©ant, un reprĂ©sentant consulaire, ainsi que lâabsence de prise en charge
médicale adaptée à leur état de santé, les visites médicales auxquelles ils
auraient été soumis étant selon eux superficielles, souvent humiliantes et
rĂ©alisĂ©es en prĂ©sence dâagents des forces de lâordre (paragraphes 18-50). Par ailleurs, les requĂ©rants de la requĂȘte no
67599/10 considÚrent comme étant encore plus grave le comportement des médecins
de lâadministration pĂ©nitentiaire, ceuxâci ayant selon eux contrevenu Ă leur
devoir professionnel de porter assistance et de sâassurer que chaque dĂ©tenu
reçût les soins nécessaires.
121. Ils considĂšrent enfin que lâĂtat nâa pas mis
en place les mesures nĂ©cessaires qui leur Ă©viteraient dâĂȘtre soumis Ă de tels
traitements et ils estiment que les actions des agents et fonctionnaires
impliquĂ©s ne peuvent trouver dâautre justification que la volontĂ© de les punir,
eux et les autres personnes arrĂȘtĂ©es, pour leurs opinions politiques et pour
leur participation aux manifestations contre le sommet du G8 de GĂȘnes. Enfin,
selon eux, les auteurs des mauvais traitements en cause ont agi avec le
consentement et la connivence de leurs supérieurs hiérarchiques présents à la
caserne de Bolzaneto.
122. Partant, compte tenu de tous ces éléments,
les requérants estiment avoir été victimes de torture et de traitements
inhumains et dégradants.
β) Le Gouvernement
123. Le Gouvernement assure ne pas sous-estimer
la gravité des faits qui se sont produits au sein de la caserne de Bolzaneto entre le 20 et le 23 juillet 2001. Il
estime que les actions commises par les agents de police constituent des
infractions graves et dĂ©plorables auxquelles lâĂtat italien aurait rĂ©agi de
maniĂšre adĂ©quate, Ă travers lâaction des tribunaux, en rĂ©tablissant lâĂ©tat de
droit affaibli par cet Ă©pisode.
124. En gage de « complÚte reconnaissance
par lâItalie des violations des droits perpĂ©trĂ©es », le Gouvernent dĂ©clare
souscrire « au jugement des juridictions nationales, qui ont trÚs durement
stigmatisĂ© le comportement des agents de police » Ă lâĂ©poque des faits.
125. Néanmoins, il expose que les événements en
question ne sauraient ĂȘtre regardĂ©s comme lâexpression dâune politique gĂ©nĂ©rale
de lâadministration italienne. Selon lui, les faits ayant eu lieu Ă la caserne
de Bolzaneto constituent un épisode isolé et
exceptionnel, dont lâarbitraire et la gravitĂ© des modalitĂ©s de prise en charge
et de traitement des personnes arrĂȘtĂ©es sâinscrivent dans les exigences
spĂ©cifiques de protection de lâordre public lors du G8 de GĂȘnes, un contexte
tout à fait particulier caractérisé par la présence de milliers de manifestants
en provenance de lâEurope entiĂšre et aggravĂ© par les nombreux incidents et
accrochages qui se seraient produits pendant les manifestations.
ii. Appréciation
de la Cour
α) Principes gĂ©nĂ©raux
126. Les principes généraux applicables en la
matiĂšre ont Ă©tĂ© rĂ©cemment rappelĂ©s dans les arrĂȘts Bouyid c. Belgique ([GC], no 23380/09, §§ 88-90, CEDH 2015) et
Bartesaghi Gallo et autres c. Italie (nos 12131/13 et 43390/13, §§ 111-113, 22
juin 2017).
β) Application de ces
principes aux circonstances des présentes espÚces
127. La Cour note dâemblĂ©e que les tribunaux
internes ont établi de maniÚre détaillée et approfondie, avec exactitude et
au-delĂ de tout doute raisonnable les mauvais traitements dont les personnes
placĂ©es Ă la caserne de Bolzaneto ont Ă©tĂ© lâobjet
(paragraphes 18-50 ci-dessus) et elle ne relĂšve pas dâĂ©lĂ©ments convaincants
pour pouvoir sâĂ©carter des conclusions auxquelles ils sont parvenus (GĂ€fgen, prĂ©citĂ©,
§ 93). Les témoignages des victimes ont été confirmés par les dépositions de membres
des forces de lâordre et de lâadministration publique, par les admissions
partielles des accusés ainsi que par les documents à disposition des
magistrats, notamment les comptes rendus médicaux et les expertises
judiciaires.
128. DĂšs lors, la Cour juge Ă©tablies tant les
agressions physiques et verbales dont les requérants se plaignent que les
séquelles découlant de celles-ci. Elle constate en particulier ce qui
suit :
â dĂšs
leur arrivée à la caserne de Bolzaneto, il a été interdit
aux requĂ©rants de lever la tĂȘte et de regarder les agents qui les
entouraient ; ceux qui avaient Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s Ă lâĂ©cole Diaz-Pertini ont Ă©tĂ©
marquĂ©s dâune croix tracĂ©e au feutre sur la joue ; tous les requĂ©rants ont
Ă©tĂ© obligĂ©s de se tenir immobiles, bras et jambes Ă©cartĂ©s, face aux grilles Ă
lâextĂ©rieur de la caserne ; la mĂȘme position vexatoire a Ă©tĂ© imposĂ©e Ă
chacun Ă lâintĂ©rieur des cellules ;
â Ă
lâintĂ©rieur de la caserne, les requĂ©rants Ă©taient contraints de se dĂ©placer
penchĂ©s en avant et la tĂȘte baissĂ©e ; dans cette position, ils devaient
traverser « le tunnel des agents », à savoir le couloir de la caserne
dans lequel des agents se tenaient de chaque cÎté pour les menacer, les frapper
et leur lancer des insultes Ă caractĂšre politique ou sexuel (paragraphe 64 ci‑dessus) ;
â lors
des visites mĂ©dicales, les requĂ©rants ont Ă©tĂ© lâobjet de commentaires,
dâhumiliations et parfois de menaces de la part du personnel mĂ©dical ou des
agents de police présents ;
â les
effets personnels des requérants ont été confisqués, voire détruits de façon
aléatoire ;
â compte
tenu de lâexiguĂŻtĂ© de la caserne de Bolzaneto ainsi
que du nombre et de la répétition des épisodes de brutalité, tous les agents et
fonctionnaires de police présents étaient conscients des violences commises par
leurs collÚgues ou leurs subordonnés ;
â les
faits en cause ne peuvent se résumer à une période donnée au cours de laquelle,
sans que cela ne puisse aucunement le justifier, la tension et les passions
exacerbées auraient conduit à de tels excÚs : ces faits se sont déroulés
pendant un laps de temps considérable, à savoir entre la nuit du 20 au
21 juillet et le 23 juillet, ce qui signifie que plusieurs Ă©quipes
dâagents se sont succĂ©dĂ©es au sein de la caserne sans aucune diminution
significative en fréquence ou en intensité des épisodes de violence.
129. En ce qui concerne les récits individuels
des requérants, la Cour ne peut que constater la gravité des faits décrits par
les intéressés. Ce qui ressort du matériel probatoire démontre nettement que
les requĂ©rants, qui nâont opposĂ© aucune forme de rĂ©sistance physique aux
agents, ont Ă©tĂ© victimes dâune succession continue et systĂ©matique dâactes de
violence provoquant de vives souffrances physiques et psychologiques (Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10,
§ 126, CEDH 2013 (extraits)). Ces violences ont été infligées à chaque individu
dans un contexte gĂ©nĂ©ral dâemploi excessif, indiscriminĂ© et manifestement
disproportionné de la force (Bouyid, précité, § 101).
130. Ces Ă©pisodes ont eu lieu dans un contexte
dĂ©libĂ©rĂ©ment tendu, confus et bruyant, les agents criant Ă lâencontre des
individus arrĂȘtĂ©s et entonnant de temps en temps des chants fascistes. Dans son
arrĂȘt no 678/10 du 15 avril 2011, la cour dâappel de GĂȘnes a Ă©tabli
que la violence physique et morale, loin dâĂȘtre Ă©pisodique, a, au contraire,
été indiscriminée, constante et en quelque sorte organisée, ce qui a eu pour
résultat de conduire à « une sorte de processus de déshumanisation
rĂ©duisant lâindividu Ă une chose sur laquelle exercer la violence »
(paragraphe 67 ci-dessus).
131. La gravité des faits de la présente espÚce
réside également dans un autre aspect qui, aux yeux de la Cour, est tout aussi
important. En effet, elle a rappelé à maintes reprises que la situation de
vulnérabilité dans laquelle se trouvent les personnes placées en garde à vue
impose aux autoritĂ©s le devoir de les protĂ©ger (idem, § 107). Or lâensemble des faits litigieux dĂ©montre que
les membres de la police prĂ©sents Ă lâintĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto, les simples agents et, par extension, la chaĂźne
de commandement, ont gravement contrevenu à leur devoir déontologique primaire
de protection des personnes placées sous leur surveillance.
132. Cela est dâailleurs soulignĂ© par le tribunal
de premiĂšre instance de GĂȘnes (paragraphe 53 ci-dessus), qui a estimĂ© que les agents poursuivis
avaient trahi le serment de fidĂ©litĂ© et dâadhĂ©sion Ă la Constitution et aux
lois républicaines en portant atteinte, par leur comportement, à la dignité et
à la probité de la police italienne en tant que corps de métier et, par suite,
en affaiblissant la confiance de la population italienne dans les forces de
lâordre.
133. La Cour ne saurait dÚs lors négliger la
dimension symbolique de ces actes, ni le fait que les requérants ont été non
seulement les victimes directes de sévices mais aussi les témoins impuissants
de lâusage incontrĂŽlĂ© de la violence Ă lâĂ©gard des autres personnes arrĂȘtĂ©es.
Aux atteintes portĂ©es Ă lâintĂ©gritĂ© physique et psychologique individuelle
sâest donc ajoutĂ© lâĂ©tat dâangoisse et de stress causĂ© par les Ă©pisodes de
violences auxquels ils ont assistĂ© (Iljina et Sarulienė c. Lituanie, no 32293/05,
§ 47, 15 mars 2011).
134. En sâappuyant notamment sur les conclusions
de la cour dâappel de GĂȘnes (paragraphe 67 ci-dessus) et de la Cour de cassation (paragraphe 72 ci-dessus), la Cour estime que les requĂ©rants, traitĂ©s
comme des objets aux mains de la puissance publique, ont vécu pendant toute la
durĂ©e de leur dĂ©tention dans un lieu de « non-droit » oĂč les
garanties les plus élémentaires avaient été suspendues.
135. En effet, outre les Ă©pisodes de violence
susmentionnés, la Cour ne saurait ignorer les autres atteintes aux droits des
requĂ©rants sâĂ©tant produites Ă la caserne de Bolzaneto.
Aucun requĂ©rant nâa pu prendre contact avec un proche, un avocat de son choix
ou, le cas échéant, un représentant consulaire. Les effets personnels ont été
dĂ©truits sous les yeux de leurs propriĂ©taires. LâaccĂšs aux toilettes Ă©tait
refusĂ© et, en tous cas, les requĂ©rants ont Ă©tĂ© fortement dissuadĂ©s de sây
rendre en raison des insultes, des violences et des humiliations subies par les
personnes ayant demandé à y accéder. En outre, il y a lieu de remarquer que
lâabsence de nourriture et de draps en quantitĂ© suffisante, ce qui, dâaprĂšs les
juges nationaux, ne dĂ©coulait pas tant dâune volontĂ© dĂ©libĂ©rĂ©e dâen priver les
requĂ©rants que dâune mauvaise planification du fonctionnement du site, ne peut
quâavoir amplifiĂ© la situation de dĂ©tresse et le niveau de souffrance Ă©prouvĂ©s
par les requérants.
136. En conclusion, la Cour ne saurait ignorer
que, en lâespĂšce, tel quâil ressort des jugements internes (paragraphe 67 ci-dessus), les actes qui ont Ă©tĂ© commis dans la caserne
de Bolzaneto sont lâexpression dâune volontĂ© punitive
et de reprĂ©sailles Ă lâĂ©gard des requĂ©rants, privĂ©s de leurs droits et du
niveau de protection reconnu Ă tout individu par lâordre juridique italien
(voir, mutatis mutandis, Cestaro, précité,
§ 177).
137. Ces éléments suffisent à la Cour pour
conclure que les actes de violence rĂ©pĂ©tĂ©s subis par les requĂ©rants Ă
lâintĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto doivent ĂȘtre
regardĂ©s comme des actes de torture. Partant, il y a eu violation de lâarticle
3 de la Convention sous son volet matériel.
b) Sur le volet procĂ©dural de lâarticle
3 de la Convention
i. ThĂšses des
parties
α) Les requĂ©rants
138. Les requérants, nonobstant la méticuleuse
enquĂȘte menĂ©e par le procureur de la RĂ©publique de GĂȘnes et les conclusions du
tribunal de premiĂšre instance et de la cour dâappel de GĂȘnes ayant permis
dâĂ©tablir les faits allĂ©guĂ©s, reprochent aux juges dâavoir appliquĂ© la
prescription à la quasi-totalité des délits imputés aux accusés. Ils indiquent
que seuls des dĂ©lits mineurs ont Ă©tĂ© retenus Ă lâĂ©gard dâun nombre rĂ©duit
dâaccusĂ©s, lesquels auraient par ailleurs, en raison de la courte durĂ©e des
peines prĂ©vues, bĂ©nĂ©ficiĂ© du sursis Ă lâexĂ©cution ou dâune remise de peine en
application de la loi no 241 du 29 juillet 2006. Ils dénoncent
ainsi lâissue de la procĂ©dure pĂ©nale et Ă©voquent Ă cet Ă©gard les arrĂȘts de la
Cour AbdĂŒlsamet Yaman
c. Turquie (no 32446/96, § 55, 2 novembre 2004) et Ali et Ayşe Duran c. Turquie (no 42942/02, § 69, 8 avril 2008).
139. Les requĂ©rants prĂ©cisent quâen outre les responsables
des Ă©vĂ©nements de la caserne de Bolzaneto nâont Ă©tĂ©
punis par aucune mesure disciplinaire de suspension pendant le procĂšs ou de
sanction Ă lâissue de celui-ci, et quâils ont mĂȘme obtenu des promotions par la
suite.
140. Ils critiquent dĂšs lors lâabsence dans
lâordre juridique interne dâun dĂ©lit punissant la torture et les traitements
inhumains ou dégradants, disposition législative qui aurait permis selon eux de
poursuivre non seulement les auteurs matériels mais aussi les coresponsables
des actes en question, notamment les supérieurs hiérarchiques. En effet, ils
arguent que la qualification juridique des faits retenue par les juges internes
prĂ©voyait un Ă©lĂ©ment psychologique spĂ©cifique que lâinterdiction de la torture
ne prévoirait pas, ce qui permettrait de poursuivre les auteurs matériels et
ceux qui, en raison de leur connivence ou de leur consentement, ont participĂ© Ă
la commission dâactes pouvant ĂȘtre qualifiĂ©s de torture ou de traitements
inhumains ou dégradants.
141. La nécessité de criminaliser la torture et
les autres mauvais traitements sâexpliquerait en outre par la nĂ©cessitĂ©
dâĂ©viter lâapplication de la prescription ou dâautres mesures de clĂ©mence Ă des
actes particuliÚrement sérieux et suscitant des troubles considérables au
niveau social.
142. Quant Ă la possibilitĂ© dâobtenir une
indemnisation dans le cadre de la procĂ©dure civile en dommages-intĂ©rĂȘts, les
requĂ©rants sâappuient sur la jurisprudence de la Cour (GĂ€fgen, prĂ©citĂ©, §§ 116-119) pour
souligner lâineffectivitĂ© du remĂšde civil eu Ă©gard aux actes dĂ©libĂ©rĂ©s de
mauvais traitements.
β) Le Gouvernement
143. Le Gouvernement conteste la thĂšse des
requĂ©rants et maintient que lâĂtat a bien rempli son obligation positive de
mener une enquĂȘte indĂ©pendante et impartiale. Il soutient que les autoritĂ©s ont
adoptĂ© toutes les mesures permettant lâidentification et la condamnation des
responsables des mauvais traitements litigieux à une peine adéquate, comme
lâexige la jurisprudence de la Cour.
144. Il estime en particulier que, Ă lâissue
dâune procĂ©dure pĂ©nale complexe et approfondie qui a permis lâĂ©tablissement des
faits dĂ©noncĂ©s, les quarante-cinq policiers poursuivis ont Ă©tĂ© condamnĂ©s, mĂȘme
si, pour la plupart dâentre eux, la cour dâappel a reconnu lâapplication de la
prescription. En ce qui concerne lâaction civile, il indique que tous les
requérants se sont vu accorder une somme à titre de provision sur les
dommages-intĂ©rĂȘts.
145. Se penchant ensuite sur lâallĂ©gation relative
Ă lâabsence du dĂ©lit de « torture » dans lâordre juridique italien, le
Gouvernement expose que les juges internes ont pu sanctionner de maniĂšre
adĂ©quate les dĂ©lits contre la personne en utilisant lâarsenal juridique
existant. Ă ce titre, il maintient que la Convention contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre
1984 ne prévoit pas une définition univoque de la notion de
« torture », ce qui impliquerait que le code pénal italien permet de
sanctionner de maniÚre appropriée les différentes formes de mauvais
traitements.
146. Enfin, le Gouvernement informe la Cour
quâune proposition de loi visant Ă introduire dans le code pĂ©nal italien le
dĂ©lit de torture est actuellement en cours dâexamen devant le Parlement
(paragraphe 82 ci‑dessus). Il prĂ©cise que des peines pouvant
aller jusquâĂ douze ans de prison sont envisagĂ©es en cas de mauvais traitements
infligés par des fonctionnaires ou des officiers publics et que la peine
dâemprisonnement Ă perpĂ©tuitĂ© pourra ĂȘtre prononcĂ©e lorsque les mauvais
traitements en question ont causé le décÚs de la victime.
ii. Appréciation
de la Cour
α) Principes gĂ©nĂ©raux
147. La Cour rappelle que, lorsquâun individu
soutient de maniĂšre dĂ©fendable avoir subi, aux mains de la police ou dâautres
services comparables de lâĂtat, un traitement contraire Ă lâarticle 3 de la Convention,
cette disposition, combinĂ©e avec le devoir gĂ©nĂ©ral imposĂ© Ă lâĂtat par
lâarticle 1 de « reconnaĂźtre Ă toute personne relevant de [sa] juridiction
les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention », requiert, par
implication, quâil y ait une enquĂȘte officielle effective. Cette enquĂȘte doit
pouvoir mener Ă lâidentification et, le cas Ă©chĂ©ant, Ă la punition des
responsables et Ă lâĂ©tablissement de la vĂ©ritĂ©. Sâil nâen allait pas ainsi,
nonobstant son importance fondamentale, lâinterdiction lĂ©gale gĂ©nĂ©rale de la
torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants serait inefficace
en pratique, et il serait possible dans certains cas Ă des agents de lâĂtat de
piĂ©tiner, en jouissant dâune impunitĂ© virtuelle, les droits des personnes soumises
Ă leur contrĂŽle (voir, parmi beaucoup dâautres, Nasr et Ghali c. Italie,
no 44883/09, § 262, 23 février 2016).
148. Les principes
pertinents concernant les Ă©lĂ©ments dâ« une enquĂȘte officielle
effective » ont Ă©tĂ© rappelĂ©s rĂ©cemment par la Cour dans lâarrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 205-212, et les
rĂ©fĂ©rences qui y sont citĂ©es) et rĂ©sumĂ©s dans son arrĂȘt Nasr et Ghali (prĂ©citĂ©, § 263), auxquels la Cour renvoie.
β) Application de ces
principes aux circonstances des présentes espÚces
149. La Cour observe dâemblĂ©e que la plupart des
auteurs matĂ©riels des actes de « torture » (paragraphe 54 ci-dessus) nâont pas pu ĂȘtre identifiĂ©s par les
autoritĂ©s judiciaires ni inquiĂ©tĂ©s par une enquĂȘte, et quâils sont donc restĂ©s
impunis.
150. Tout en rappelant que lâobligation de mener
une enquĂȘte nâest pas, selon sa jurisprudence, une obligation de rĂ©sultat mais
de moyens (voir, parmi beaucoup dâautres, Gheorghe
Dima c. Roumanie, no 2770/09,
§ 100, 19 avril 2016), il y a lieu de noter que les remarquables efforts
des juges nationaux pour identifier les agents de police ayant participé aux
faits dénoncés se sont soldés par un échec pour deux raisons principales.
151. Dâune part, lâinterdiction faite aux
requĂ©rants de regarder les agents et lâobligation qui leur Ă©tait imposĂ©e de se
tenir face aux grilles Ă lâextĂ©rieur de la caserne ou au mur des cellules,
combinĂ©e Ă lâabsence de signes distinctifs sur lâuniforme des agents, tel quâun
numĂ©ro de matricule, ont contribuĂ© Ă rendre impossible lâidentification par les
victimes des policiers prĂ©sents Ă lâintĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto.
152. Dâautre part, la Cour constate que le
regrettable manque de coopération de la police avec les autorités judiciaires
chargĂ©es de lâenquĂȘte a Ă©tĂ© dĂ©terminant en lâoccurrence.
153. En ce qui concerne la procédure pénale, elle
note que la vaste majorité des délits de lésions corporelles, simples ou
aggravĂ©es, ainsi que ceux de calomnie et dâabus dâautoritĂ© publique ont Ă©tĂ©
déclarés prescrits. En effet, sur quarante-cinq personne renvoyées en justice,
la Cour de cassation (paragraphe 69 ci-dessus) nâa confirmĂ© la condamnation que de huit
agents ou cadres des forces de lâordre Ă des peines dâemprisonnement allant
dâun an pour abus dâautoritĂ© publique (les trois agents condamnĂ©s ayant renoncĂ©
à la prescription) à trois ans et deux mois pour le délit de lésions
corporelles (puis réduite de trois ans en application de la loi no
241/06). La Cour constate que tous les condamnés ont bénéficié soit de la
remise de peine, soit du sursis Ă lâexĂ©cution et de la non-inscription de la
condamnation au casier judiciaire. Elle remarque que, en pratique, personne nâa
passé un seul jour en prison pour les traitements infligés aux requérants.
154. En vertu de lâarticle 19 de la Convention et
conformément au principe voulant que la Convention garantisse des droits non
pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs, la Cour doit
sâassurer que lâĂtat sâacquitte comme il se doit de lâobligation qui lui est
faite de protéger les droits des personnes relevant de sa juridiction, en
particulier dans les cas oĂč il existe une disproportion manifeste entre la gravitĂ©
de lâacte et la sanction infligĂ©e. Sinon, le devoir quâont les Ătats de mener
une enquĂȘte effective perdrait beaucoup de son sens.
155. Partant, elle ne peut que relever que,
malgrĂ© lâĂ©tablissement des faits les plus graves par les juridictions internes,
la prescription a empĂȘchĂ© le constat de la responsabilitĂ© pĂ©nale de leurs
auteurs. Elle remarque aussi que, en application de la loi no 241
du 29 juillet 2006 relative aux conditions dâoctroi de la remise gĂ©nĂ©rale de
peine (indulto),
les peines prononcées pour les autres délits ont été réduites de trois ans
(paragraphe 58 ci-dessus).
156. Elle rappelle que, parmi les éléments qui
caractĂ©risent une enquĂȘte effective sur le terrain de lâarticle 3 de la
Convention, le fait que les poursuites judiciaires ne souffrent dâaucun dĂ©lai
de prescription est primordial. Elle indique également avoir déjà jugé que
lâoctroi dâune amnistie ou dâun pardon ne devrait pas ĂȘtre tolĂ©rĂ© en matiĂšre de
torture ou de mauvais traitements infligĂ©s par des agents de lâĂtat (AbdĂŒlsamet Yaman, prĂ©citĂ©, § 55, et Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos
10865/09 et 2 autres, § 326, CEDH 2014 (extraits)).
157. Comme elle lâa fait dans son arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 223 et 224), la Cour
reconnaĂźt que les juges nationaux ont dĂ» diligenter pour les faits relatifs Ă
la caserne de Bolzaneto
une procédure pénale complexe liée à un épisode de violence policiÚre unique
dans lâhistoire de la RĂ©publique italienne. Elle ne saurait ignorer quâaux
difficultĂ©s de la procĂ©dure Ă lâĂ©gard de nombre de coaccusĂ©s et de parties
civiles se sont ajoutés des obstacles liés au manque de coopération de la part
de lâadministration de la police (paragraphe 54 ci-dessus).
158. Contrairement Ă sa conclusion dans dâautres
affaires, la Cour considĂšre que, en lâespĂšce, la durĂ©e de la procĂ©dure interne
et le non-lieu prononcé pour cause de prescription de la plupart des délits ne
sont pas imputables aux atermoiements ou à la négligence du parquet ou des
juges internes mais aux dĂ©faillances structurelles de lâordre juridique italien
(voir, parmi dâautres, Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96
et 57834/00, §§ 142‑147, CEDH 2004‑IV (extraits), et HĂŒseyin Şimşek
c. Turquie, no 68881/01, §§ 68-70, 20 mai 2008).
159. En effet, aux yeux de la Cour, lâorigine du
problĂšme rĂ©side dans le fait quâaucune des infractions pĂ©nales existantes
nâapparaĂźt Ă mĂȘme dâenglober toute la gamme de questions soulevĂ©es par un acte
de torture dont un individu risque dâĂȘtre victime (Myumyun c. Bulgarie, no 67258/13, § 77, 3 novembre
2015).
160. La Cour a dĂ©jĂ jugĂ© dans son arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©,
§ 225) que la législation pénale nationale appliquée dans les affaires en
cause sâĂ©tait rĂ©vĂ©lĂ©e Ă la fois inadĂ©quate par rapport Ă lâexigence de sanction
des actes de torture en question et dĂ©pourvue de lâeffet dissuasif nĂ©cessaire Ă
la prĂ©vention de violations similaires de lâarticle 3 de la Convention.
161. Dans ce cadre, elle a invitĂ© lâItalie Ă se
munir des outils juridiques aptes à sanctionner de maniÚre adéquate les
responsables dâactes de torture ou dâautres mauvais traitements au regard de
lâarticle 3 et Ă empĂȘcher que ceux-ci puissent bĂ©nĂ©ficier de lâapplication de
mesures en contradiction avec la jurisprudence de la Cour, notamment la
prescription et la remise de peine (idem,
§§ 242-246).
162. Le législateur italien a présenté une
proposition de loi introduisant le délit de torture. AprÚs des modifications
successives, le 18 juillet 2017 la loi est entrée en vigueur. La Cour prend
note de lâintroduction des nouvelles dispositions qui ne trouvent pas Ă
sâappliquer en lâespĂšce.
163. Concernant, enfin, les mesures
disciplinaires, la Cour observe que le Gouvernement indique que les policiers
concernĂ©s nâont pas Ă©tĂ© suspendus de leurs fonctions pendant le procĂšs. Elle
note que le Gouvernement ne prĂ©cise pas si ces mĂȘmes policiers ont fait lâobjet
de mesures disciplinaires et nâindique pas, le cas Ă©chĂ©ant, quelles ont Ă©tĂ© les
mesures adoptées à cet égard.
164. La Cour rappelle en tout Ă©tat de cause, Ă ce
propos, avoir rĂ©pĂ©tĂ© que, lorsque des agents de lâĂtat sont inculpĂ©s
dâinfractions impliquant des mauvais traitements, il importe quâils soient
suspendus de leurs fonctions pendant lâinstruction ou le procĂšs et en soient
dĂ©mis en cas de condamnation (voir, parmi beaucoup dâautres, AbdĂŒlsamet Yaman,
prĂ©citĂ©, § 55, Ali et Ayşe
Duran, prĂ©citĂ©, § 64, Ăamdereli,
précité, § 38, GÀfgen,
précité, § 125, Cestaro, précité, § 205, Erdal Aslan c. Turquie, nos 25060/02 et 1705/03, §§ 74
et 76, 2 décembre 2008, et Saba
c. Italie, no 36629/10, § 78, 1er juillet 2014).
165. En conclusion, la Cour considĂšre que les
requĂ©rants nâont pas bĂ©nĂ©ficiĂ© dâune enquĂȘte officielle effective aux fins de
lâarticle 3 de la Convention. Partant, elle conclut quâil y a eu violation de
cette disposition sous son volet procédural. DÚs lors, elle rejette tant
lâexception prĂ©liminaire du Gouvernement tirĂ©e de la perte de la qualitĂ© de
victime (paragraphes 93‑98 ci-dessus) que lâexception prĂ©liminaire tirĂ©e du
non-épuisement des voies de recours internes en matiÚre civile (paragraphes 109-117 ci-dessus ; Cestaro, précité, §§ 229-236).
II. SUR LâAPPLICATION DE LâARTICLE 41 DE LA CONVENTION
166. Aux termes de lâarticle 41 de la Convention,
« Si
la Cour dĂ©clare quâil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles,
et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet dâeffacer
quâimparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă la
partie lĂ©sĂ©e, sâil y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. »
A. Dommage
167. Les requĂ©rants de la requĂȘte no
28923/09 réclament 150 000 EUR chacun au titre du préjudice matériel et moral
quâils estiment avoir subi, tandis que les requĂ©rants de la requĂȘte no
67599/10 (notamment les requérants figurant sous les numéros 1-4, 6-8, 12, 13,
15, 16 et 19 dans la liste en annexe) sâen remettent Ă lâapprĂ©ciation de la
Cour.
168. Le Gouvernement conteste ces prétentions et
invite la Cour Ă dĂ©clarer quâun constat de violation fournirait une
satisfaction Ă©quitable suffisante. Ă titre subsidiaire, il critique le montant
rĂ©clamĂ© par les requĂ©rants, quâil estime disproportionnĂ©, et demande Ă la Cour
de tenir compte des sommes provisionnelles qui ont été versées aux requérants
en leur qualité de parties civiles à la procédure pénale.
169. La Cour relĂšve que les requĂ©rants nâont pas
étayé suffisamment leurs prétentions pour que le lien de causalité nécessaire
entre la violation constatĂ©e et le dommage matĂ©riel allĂ©guĂ© pĂ»t ĂȘtre Ă©tabli.
Elle rejette par consĂ©quent cette partie de la demande (Eğitim ve Bilim Emekçileri Sendikası et autres c. Turquie, no 20347/07,
§ 116, 5 juillet 2016).
170. En ce qui concerne le dommage moral, la Cour
relÚve que, selon les derniÚres informations fournies par les requérants et non
contestĂ©es par le Gouvernement, les indemnitĂ©s provisionnelles accordĂ©es Ă
titre de dommages-intĂ©rĂȘts aux requĂ©rants par les tribunaux internes nâont pas
Ă©tĂ© versĂ©es ou ne lâont Ă©tĂ© que partiellement et Ă un nombre limitĂ© de
requĂ©rants (quatre requĂ©rants de la requĂȘte no 28923/09 et deux
requĂ©rants de la requĂȘte no 67599/10). Elle rappelle Ă©galement la
gravité des actes de violence établis dans les présentes affaires qui ont
conduit Ă sa conclusion de violation de lâarticle 3 de la Convention, tant sous
son volet matériel que sous son volet procédural.
171. Partant, elle dĂ©cide dâaccorder en Ă©quitĂ© Ă
chaque requérant la somme de 80 000 EUR (quatre-vingt mille euros) à titre de
dommage moral, Ă lâexception de M. G. Azzolina.
à ce dernier, en raison de la gravité et cruauté des violences dont il fut
victime au sein de la caserne de Bolzaneto, la Cour
dĂ©cide dâaccorder en Ă©quitĂ© la somme de 85 000 EUR (quatre‑vingt‑cinq
mille euros) Ă titre de dommage moral.
172. La Cour précise néanmoins que les sommes
quâelle a accordĂ©es au titre du dommage moral ne sont dues quâen fonction de
lâĂ©tat de versement des indemnitĂ©s reconnues Ă titre de provision au plan
interne. Ainsi, dans lâhypothĂšse oĂč ces sommes seraient effectivement payĂ©es
par les autorités italiennes aux requérants, elles viendraient en déduction des
satisfactions Ă©quitables que le Gouvernement devra verser aux parties
requĂ©rantes en vertu du prĂ©sent arrĂȘt (Kavaklıoğlu
et autres c. Turquie, no 15397/02, § 302, 6 octobre
2015).
B. Frais
et dépens
173. Les requĂ©rants nâont formulĂ© aucune demande
de remboursement des frais et dépens engagés pour la procédure devant la Cour.
La Cour estime dĂšs lors quâil nây a pas lieu de leur accorder de somme Ă ce
titre.
C. IntĂ©rĂȘts
moratoires
174. La Cour juge approprié de calquer le taux
des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux dâintĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal
de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, Ă
LâUNANIMITĂ,
1. DĂ©cide de rayer la requĂȘte du rĂŽle, en
ce qui concerne les requĂ©rants dans la requĂȘte no 67599/10 qui
figurent dans la liste en annexe sous les numéros 5, 9, 10, 11, 14, 17 et
18 ;
2. Rejette lâexception prĂ©liminaire
soulevée par le Gouvernement quant au non-épuisement des voies de recours
internes en matiÚre pénale ;
3. Joint au fond les exceptions soulevées
par le Gouvernement quant à la perte de la qualité de victime des requérants et
au non-Ă©puisement des voies de recours internes en matiĂšre civile et les
rejette ;
4. DĂ©clare les requĂȘtes recevables ;
5. Dit quâil y a eu violation de lâarticle
3 de la Convention sous son volet matériel ;
6. Dit quâil y a eu violation de lâarticle
3 de la Convention sous son volet procédural ;
7. Dit
a) que
lâĂtat dĂ©fendeur doit verser aux requĂ©rants, dans les trois mois Ă compter du
jour oĂč lâarrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă
lâarticle 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 85 000 EUR
(quatre-vingt-cinq mille euros) Ă M. G. Azzolina,
plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă titre dâimpĂŽt, pour dommage moral,
ii. 80 000 EUR (quatre-vingt
mille euros), aux requĂ©rants de la requĂȘte no 28923/09 et aux
requĂ©rants de la requĂȘte no 67599/10 figurant sous les numĂ©ros 1-4,
6-8, 12, 13, 15, 16 et 19 dans la liste en annexe, plus tout montant pouvant
ĂȘtre dĂ» Ă titre dâimpĂŽt, pour dommage moral ;
b) quâĂ
compter de lâexpiration dudit dĂ©lai et jusquâau versement, ces montants seront
Ă majorer dâun intĂ©rĂȘt simple Ă un taux Ă©gal Ă celui de la facilitĂ© de prĂȘt
marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
8. Rejette la demande de satisfaction Ă©quitable
pour le surplus.
Fait en
français, puis communiqué par écrit le 26 octobre 2017, en application de
lâarticle 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement de la Cour.
 Abel Campos                        Linos-Alexandre
Sicilianos
 Greffier                                 Président
ANNEXE
RequĂȘte no
28923/09 (introduite le 27/05/2009)
No. |
Prénom
NOM |
Date de
naissance |
Nationalité |
Lieu de
résidence |
Représentant |
|
Giuseppe AZZOLINA |
08/12/1956 |
Italienne |
GĂȘnes |
N. Paoletti A. Mari A. Lerici |
|
Sara BARTESAGHI GALLO |
07/05/1980 |
Italienne |
Lecco |
N. Paoletti A. Mari G. Pagani |
|
Gianluca DELFINO |
08/06/1979 |
Italienne |
Cuneo |
N. Paoletti A. Mari E. Menzione |
|
Nicola Anne DOHERTY |
24/07/1974 |
Britannique |
Londres |
N. Paoletti A. Mari G. Pagani |
|
Ian GALLOWAY |
21/03/1975 |
Américaine |
Philadelphie |
N. Paoletti A. Mari D. Rossi |
|
Federico GHIVAZZANI |
24/09/1969 |
Italienne |
Lucques |
N. Paoletti A. Mari E. Menzione |
|
Jens HERRMANN |
13/10/1972 |
Allemande |
Berlin |
N. Paoletti A. Mari C. Malossi |
|
Richard Robert MOTH |
09/11/1968 |
Britannique |
Londres |
N. Paoletti A. Mari G. Pagani |
|
Achim NATHRATH |
31/12/1969 |
Allemande |
Munich |
N. Paoletti A. Mari D. Rossi |
|
Arianna SUBRI |
10/12/1975 |
Italienne |
Pise |
N. Paoletti A. Mari F. Micali |
|
Theresa TREIBER |
09/08/1967 |
Allemande |
Munich |
N. Paoletti A. Mari D. Rossi |
|
Anna Katharina ZEUNER |
04/09/1978 |
Allemande |
Berlin |
N. Paoletti A. Mari D. Rossi |
RequĂȘte no 67599/10 (introduite le 3/09/2010)
No. |
Prénom NOM |
Date
de naissance |
Nationalité |
Lieu
de résidence |
Représentant |
1.
|
Anna Julia KUTSCHKAU |
23/06/1980 |
Allemande |
Berlin |
V. Onida B. Randazzo R. Passeggi |
2.
|
Ruiz Aitor BALBAS |
09/10/1970 |
Espagnole |
Pampelune |
V. Onida B. Randazzo E. Tambuscio |
3.
|
Valerio BERTACCHINI |
06/05/1976 |
Italienne |
Londres |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
4.
|
Valeria BRUSCHI |
26/02/1975 |
Italienne |
Berlin |
V. Onida B. Randazzo E. Tambuscio |
5.
|
Sergio CAMANDONA |
06/06/1969 |
Italienne |
Turin |
V. Onida B. Randazzo S. Insabato |
6.
|
Simona DIGENTI |
03/03/1980 |
Italienne -Suisse |
RĂŒmlang |
V. Onida B. Randazzo E. Tambuscio |
7.
|
Taline ENDER |
04/01/1983 |
Suisse |
GenĂšve |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
8.
|
Amaranta Serena FLAGELLI |
14/05/1975 |
Italienne |
Florence |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
9.
|
Diana FRANCESCHIN |
26/06/1982 |
Italienne |
Milan |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
10.
|
Andrea GRAF |
25/06/1969 |
Suisse |
Lugano |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
11.
|
Laura JAEGER |
15/02/1981 |
Allemande |
Barcelone |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
12.
|
David Thomas Arnaud LARROQUELLE |
07/03/1973 |
Française |
Milan |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
13.
|
Luis Garcia LORENTE |
25/06/1972 |
Espagnole |
Saragosse |
V. Onida B. Randazzo E. Tambuscio |
14.
|
Francisco Javier MADRAZO |
03/12/1963 |
Espagnole |
Saragosse |
V. Onida B. Randazzo E. Tambuscio |
15.
|
Cesar Jean Claude NEBOT |
27/05/1973 |
Française |
Paris |
V. Onida B. Randazzo L. Fattizzo |
16.
|
Francho Corral NOGUERAS CHAVIER |
|
Espagnole |
Saragosse |
V. Onida B. Randazzo E. Tambuscio |
17.
|
Giorgia PARTESOTTI |
30/10/1980 |
Italienne |
Padoue |
V. Onida B. Randazzo L. Partesotti |
18.
|
Ester PERCIVATI |
20/12/1980 |
Italienne |
Milan |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
19.
|
Moritz Kaspar Kamol VON UNGER |
09/05/1974 |
Allemande |
Berlin |
V. Onida B. Randazzo R. Passeggi |
[1]. Giuliani et Gaggio c.
Italie [GC], no 23458/02, CEDH 2011 (extraits) ; voir Ă©galement
le Rapport final de lâenquĂȘte parlementaire dâinformation sur les faits
survenus lors du G8 de GĂȘnes du 20 septembre 2001 ; le jugement
no 3119/08 du tribunal de GĂȘnes, rendu le 14 juillet 2008 et dĂ©posĂ©
le 27 novembre 2008 ; le jugement no 4252/08 du tribunal
de GĂȘnes, rendu le 13 novembre 2008 et dĂ©posĂ© le 11 fĂ©vrier 2009 ;
lâarrĂȘt no 1530/10 de la cour dâappel de GĂȘnes, rendu le 18 mai 2010
et dĂ©posĂ© le 31 juillet 2010 ; lâarrĂȘt no 678/10 de la cour
dâappel de GĂȘnes, rendu le 5 mars 2010 et dĂ©posĂ© le 15 avril 2011 ;
lâarrĂȘt no 38085/12 de la Cour de cassation, rendu le 5 juillet
2012 et déposé le 2 octobre 2012.