Corte europea dei diritti dell’uomo
(Prima Sezione)
26 ottobre 2017
AFFAIRE AZZOLINA ET AUTRES c. Italie
(Requêtes nos 28923/09 et 67599/10)
DÉFINITIF
26/01/2018
Cet arrêt
est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut
subir des retouches de forme.
En l’affaire Azzolina et
autres c. Italie,
La Cour européenne
des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée
de :
Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Kristina Pardalos,
Guido Raimondi,
Aleš Pejchal,
Ksenija Turković,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
Après en
avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2017,
Rend
l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux
requêtes (nos 28923/09 et 67599/10) dirigées contre la
République italienne et introduite par trente et un ressortissants de
différentes nationalités (« les requérants »), dont les noms figurent
en annexe, devant la Cour le 27 mai 2009 et le 3 septembre 2010 respectivement
en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les noms des représentants des requérants
figurent en annexe. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a
été représenté par son agent, Mme E. Spatafora,
et par son co-agent, Mme A. Aversano.
3. Les gouvernements allemand, britannique,
espagnol, français et suisse n’ont pas exercé leur droit d’intervenir dans la procédure
(article 36 § 1 de la Convention).
4. Sur le terrain de l’article 3 de la
Convention, les requérants alléguaient en particulier avoir été victimes de
torture. Ils se plaignaient que les autorités internes n’avaient pas respecté
leur obligation de mener une enquête effective sur leurs allégations. De
surcroît, ils dénonçaient l’absence en droit interne d’un délit punissant la
torture et les traitements inhumains et dégradants.
5. Le 18 décembre 2012, la chambre a décidé de
joindre les requêtes et de les communiquer au Gouvernement en application de
l’article 54 § 2 du règlement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été
exposés par les requérants et tels qu’ils ressortent des documents pertinents
en l’espèce issus de différentes affaires liées aux faits à l’origine du
présent litige[1], peuvent
se résumer comme suit.
A. Le
contexte général
7. Les 19, 20 et 21 juillet 2001, la ville de
Gênes accueillit le vingt‑septième sommet des huit pays les plus
industrialisés (G8), sous la présidence du gouvernement italien. De nombreuses
organisations non gouvernementales, rassemblées sous la bannière du groupe de
coordination « Genoa Social Forum – GSF »
(« le GSF »), organisèrent un sommet « altermondialiste »
qui se déroula à la même période. Il a été estimé que 200 000 personnes
(selon le ministère de l’Intérieur) à 300 000 personnes (selon le GSF)
participèrent à l’événement.
8. Un vaste dispositif de sécurité fut mis en
place par les autorités italiennes (arrêts Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no
23458/02, § 12, CEDH 2011, et Cestaro c. Italie,
no 6884/11, §§ 11-12, 23-24, 7 avril 2015). Celles-ci divisèrent la
ville en trois zones concentriques : la « zone rouge », de
surveillance maximale, où le sommet devait se dérouler et où les délégations
devaient loger ; la « zone jaune », une zone tampon où les
manifestations étaient en principe interdites, sauf autorisation du chef du
bureau de la police (questore) ;
et la « zone blanche », où les principales manifestations étaient
programmées.
9. Les autorités attribuèrent une couleur à
chaque groupe organisé, à chaque association, à chaque syndicat et à chaque
ONG, en fonction de sa dangerosité potentielle : le « bloc
rose », non dangereux ; le « bloc jaune » et le « bloc
bleu », considérés comme comprenant des auteurs potentiels d’actes de
vandalisme, de blocage de rues et de rails, et également d’affrontements avec
la police ; et enfin, le « bloc noir », dont faisaient partie
plusieurs groupes, anarchistes ou plus généralement violents, ayant pour but de
commettre des saccages systématiques.
10. La journée du 19 juillet se déroula dans une
ambiance relativement calme, sans épisodes particulièrement significatifs. Par
contre, les journées des 20 et 21 juillet furent marquées par des
accrochages de plus en plus violents entre les forces de police et certains
manifestants appartenant essentiellement au « bloc noir ». Au cours
de ces incidents, plusieurs centaines de manifestants et de membres des forces
de l’ordre furent blessés ou intoxiqués par du gaz lacrymogènes. Des quartiers
entiers de la ville de Gênes furent dévastés (pour une analyse plus détaillée,
voir Giuliani et Gaggio,
précité, §§ 12-30, et Cestaro, précité, §§ 9-17).
B. Les
traitements subis par les requérants à la caserne de Bolzaneto
11. Le 12 juin 2001, le Comité provincial pour
l’ordre et la sécurité publique élabora un plan logistique relatif à la prise
en charge des personnes arrêtées pendant le sommet.
12. La prison de Marassi
se trouvant dans une zone considérée comme sensible, il fut décidé, pour des
raisons de sécurité, de créer, dans des lieux excentrés, deux centres
temporaires où les personnes arrêtées devaient être regroupées pour être
soumises aux démarches consécutives à une arrestation, à savoir
l’identification, la notification du procès-verbal d’arrestation, la fouille,
l’immatriculation et la visite médicale, avant d’être transférées vers
différentes prisons.
13. Par un arrêté du ministère de la Justice du
12 juillet 2001, les casernes de Forte San Giuliano et de Bolzaneto
furent désignées comme étant des « sites utilisés à des fins de détention,
annexes du bureau médical et du bureau matricule (ufficio matricola) des établissements
pénitentiaires de Pavie, Voghera, Vercelli et Alexandrie ».
14. À l’intérieur de la caserne de Bolzaneto, une partie des locaux fut affectée aux activités
de la police judiciaire. Le restant des locaux fut réservé aux activités de la
police pénitentiaire (immatriculation, fouille et visite médicale).
15. À la suite du décès de Carlo Giuliani au cours des heurts entre carabiniers et
manifestants sur la place Alimonda, les carabiniers
ne furent plus affectés aux activités de gestion de l’ordre public dans la
ville. À partir du 20 juillet, la caserne de Bolzaneto,
placée sous la responsabilité de la police, resta ainsi le seul lieu de
regroupement et de répartition des personnes arrêtées.
16. Selon le ministère de la Justice, pendant la
période d’activité de la structure, du 12 au 24 juillet, 222 personnes ont été
immatriculées avant leur transfert vers les prisons d’Alexandrie, Pavie,
Vercelli et Voghera (voir le « Rapport final de l’enquête parlementaire
d’information sur les faits survenus lors du G8 de Gênes du 20 septembre
2001 » mentioné dans la note en bas de la page
précédente).
17. Les tribunaux internes ont établi avec
exactitude, au-delà de tout doute raisonnable, les mauvais traitements dont
avaient fait l’objet les personnes présentes à l’intérieur de la caserne de Bolzaneto. Les témoignages des victimes ont été confirmés
par les dépositions des membres des forces de l’ordre et de l’administration
publique, les reconnaissances partielles des faits par les accusés ainsi que
par les documents à disposition des magistrats, notamment les rapports médicaux
et les expertises judiciaires. À partir de cette multitude d’informations, il
est possible de décrire les épisodes de violence dont les requérants firent
l’objet :
1. Requête no
28923/09
18. Le 20
juillet, M. Azzolina, qui participait au cortège des Tute Bianche,
reçut des coups de pied et de matraque et fut aspergé de gaz irritant lors
d’une charge de la police près de la rue Tolemaide.
Transporté à l’hôpital en raison d’une blessure ouverte à la tête, il y fut
soigné avant d’être emmené avec d’autres personnes à la caserne de Bolzaneto à bord d’un véhicule blindé. Placé avec d’autres
personnes contre un mur, il fut menacé, insulté et frappé. Un agent de police
lui saisit la main et lui écarta violemment les doigts, entre le troisième et
le quatrième doigt, ce qui provoqua une profonde lacération. Menacé d’être à
nouveau frappé s’il bougeait ou s’il se plaignait, M. Azzolina
subit une suture de sa blessure sans anesthésie. Par la suite, l’intéressé et
d’autres personnes arrêtées furent obligés de se déshabiller avant d’être
conduits dans des cellules où ils furent frappés sur leurs blessures à
intervalles rapprochés. Le requérant fut libéré le lendemain, à 2 heures, après
avoir été contraint de passer entre deux rangées de membres des forces de
l’ordre qui le frappèrent par tous les moyens lors de son passage. M. Azzolina souffrait de lésions à une main, à la tête et à
une jambe, ainsi que de plusieurs contusions.
19. Mme Bartesaghi
Gallo fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini. Transportée à l’hôpital en raison
d’une blessure ouverte à la tête, elle fut soignée puis, le 22 juillet au soir,
transférée à la caserne de Bolzaneto. Une croix fut
tracée sur son visage au feutre rouge. Elle fut d’abord obligée de rester deux
heures les bras en l’air contre une clôture métallique dans la cour, puis de
passer, tête baissée, entre des agents qui l’insultaient (« pute »,
« salope »), d’aller aux toilettes sans pouvoir fermer la porte, sous
les insultes et les menaces de l’agent qui l’accompagnait. À l’intérieur de la
caserne, elle dut se tenir longtemps immobile, bras et jambes écartés, face
contre un mur, au milieu de chants fascistes. Elle vit d’autres personnes
arrêtées qui avaient le visage en sang. Lors d’une visite médicale, on
l’obligea à se déshabiller et à faire des pompes devant deux hommes et deux
femmes. On lui prit certains papiers qui furent jetés. Elle fut ensuite
transférée à la prison de Vercelli.
20. M. Delfino fut
arrêté et blessé au nez le vendredi 20 juillet. En fin d’après-midi, il fut
transporté à la caserne de Bolzaneto et passé à tabac
dans un véhicule garé en plein soleil, à l’intérieur duquel il fut ensuite
laissé longtemps. Il fut ensuite traîné de force par les cheveux à l’intérieur
de la caserne, où il fut à nouveau frappé puis obligé de se tenir immobile face
à un mur, bras et jambes écartés. Lors de son identification, la police ne
l’autorisa ni à prévenir ses parents ni à voir un avocat et ne l’informa pas
des motifs de son arrestation. Avant la visite médicale, M. Delfino
dut attendre dans le couloir, bras et jambes écartés face au mur. Au bout d’une
heure, il perdit connaissance. Il ne reçut aucun soin pour sa blessure au nez.
Le 21 juillet, à l’aube, il fut transféré à la prison d’Alexandrie.
21. Mme Doherty fut arrêtée à l’école
Diaz-Pertini. Transportée à l’hôpital en raison de plusieurs excoriations et
d’une fracture du poignet, elle fut soignée avant d’être transférée, le 22
juillet à l’aube, à la caserne de Bolzaneto. Elle fut
d’abord obligée de rester deux heures les bras en l’air contre une clôture
métallique dans la cour, malgré son bras plâtré, puis de passer, tête baissée,
entre des agents qui l’insultaient. Elle dut utiliser les toilettes en laissant
la porte ouverte. Une croix fut tracée sur son visage au feutre rouge. À
l’intérieur de la caserne, elle dut se tenir longtemps bras et jambes écartés,
face contre un mur. Elle vit d’autres personnes arrêtées souffrir en raison des
sévices qu’elles subissaient. Lors d’une visite médicale, on l’obligea à se
dévêtir et à faire des pompes devant un homme et deux femmes, malgré la
douleur provoquée par sa fracture du poignet ; à cause de celle-ci, elle
n’arriva pas à remettre son soutien-gorge, mais personne ne l’aida. À
l’occasion de son identification, elle fut obligée de signer des documents,
rédigés en italien, qu’elle ne comprenait pas.
22. M. Galloway fut arrêté à l’école
Diaz-Pertini. Transporté à l’hôpital en raison de blessures au dos et à la
tête, il fut soigné puis transféré, le 22 juillet à l’aube, à la caserne
de Bolzaneto. Il fut identifié puis emmené dans une
cellule déjà occupée par d’autres personnes. Obligé de se tenir bras et jambes
écartés, face contre un mur, il ne fut pas frappé mais dut entendre des coups
violents et des cris. Il fut emmené dans un local vide où il fut contraint de
se déshabiller et de faire des pompes. Soumis à une « sorte de visite
médicale », il dut à nouveau se dévêtir mais ne reçut pas de soins. Dans
la nuit, on le fit rester longtemps jambes écartées et face contre le mur, dans
le couloir. Il dut signer un document rédigé en italien et en partie prérempli, dont il ne comprenait pas la teneur.
L’après-midi du 23 juillet, il fut transféré dans une prison dont le nom
n’est pas précisé dans le dossier, sans avoir pu s’entretenir avec les
autorités diplomatiques de son pays.
23. M. Ghivizzani fut
arrêté le 20 juillet en début d’après-midi et laissé les mains liées en plein
soleil. Arrivé à la caserne de Bolzaneto vers
17 heures, il fut placé debout face au mur d’une cellule. Il fut traité de
« connard de communiste » et de « salaud », et reçut à
plusieurs reprises des coups de pied aux chevilles et des coups de matraque sur
tout le corps ; on lui cogna la tête contre le mur et on lui écrasa une
cigarette allumée sur un poignet. À l’aube, un médecin ordonna aux agents
d’ôter les liens qui entravaient les poignets de l’intéressé. Avant d’être
identifié, ce dernier dut se dévêtir et passer entre des agents qui le
frappèrent sur la nuque, le dos et les fesses. À l’infirmerie, il fut menacé
d’une fouille rectale et obligé de se déshabiller totalement et de faire des
pompes nu. Il ne reçut aucun soin pour les lésions qu’il présentait aux mains.
On ne lui permit pas d’aller aux toilettes. Le 21 juillet, à 5 heures, il
fut transféré à la prison d’Alexandrie.
24. M. Herrmann fut
arrêté à l’école Diaz-Pertini, transporté à l’hôpital, puis transféré à la
caserne de Bolzaneto le 22 juillet, à l’aube. À son
arrivée à la caserne, il fut placé contre un mur ; un policier lui marqua
la joue gauche d’une croix à l’aide d’un feutre tandis que d’autres policiers
faisaient le salut hitlérien (saluto romano). Il
fut fouillé, privé de ses objets personnels puis traîné par les cheveux sur les
genoux par un agent le long d’un couloir où d’autres agents l’insultèrent et le
frappèrent à coups de pied. Placé dans une cellule avec une vingtaine de
personnes, il dut rester debout, jambes écartées et face contre le mur. Les
agents contrôlèrent plusieurs fois les noms des occupants de la cellule tout en
les bousculant violemment. À maintes reprises, ceux-ci furent l’objet d’injures
fascistes et de crachats provenant de l’extérieur de la cellule. Lors d’un
nouveau contrôle, le requérant indiqua aux policiers qu’il était journaliste et
demanda en vain à pouvoir communiquer avec la rédaction de son journal, avec
les autorités diplomatiques de son pays ou avec un avocat. À la fin de la
procédure d’identification, il fut autorisé à se rendre aux toilettes en
passant tête baissée entre des agents qui l’insultaient et le poussaient. Il
put également se laver et se changer, toujours sous la surveillance des
policiers. Il fut obligé par deux fois de ramasser ses effets personnels qui
avaient été jetés au sol pendant qu’un agent lui maintenait la tête vers le
bas. Dans un bureau, il fut obligé de se dévêtir puis de faire des pompes et
des pirouettes par terre et, enfin, de signer des documents rédigés uniquement
en italien. Le 23 juillet au matin, il fut menotté à une autre personne et
conduit à la prison de Pavie.
25. M. Moth fut arrêté
à l’école Diaz-Pertini et transporté à l’hôpital afin d’y être soigné pour une
blessure à la tête, une autre à un mollet et plusieurs ecchymoses. À son
arrivée à la caserne de Bolzaneto, dans la nuit du
21 au 22 juillet, il fut contraint de rester debout avec d’autres
personnes, jambes écartées et face au mur, pendant vingt minutes. Placé dans
une cellule puis dans une autre, il dut se tenir plusieurs fois dans cette
position, pendant que des agents qui se trouvaient à l’intérieur et à
l’extérieur de la cellule le couvraient d’injures. Lorsqu’il se rendit aux
toilettes, il fut contraint de marcher tête baissée, insulté, frappé puis
surveillé à l’intérieur des toilettes. À l’occasion de son identification, il
dut signer des documents rédigés uniquement en italien et demanda en vain à
pouvoir prendre contact avec un avocat.
26. M. Nathrath fut
arrêté à l’école Diaz-Pertini et conduit directement à la caserne de Bolzaneto le 22 juillet. À son arrivée, il fut frappé et
obligé de rester face à un mur, les jambes écartées et les bras en l’air. Il
dut reprendre ensuite cette position plusieurs fois à l’intérieur de la
caserne, où il fut à nouveau frappé et insulté dans une cellule et injurié
lorsqu’il se rendit aux toilettes en gardant la tête baissée sur ordre des
policiers. Il fut surveillé jusque dans les toilettes. À l’infirmerie, il fut
obligé de se déshabiller et de faire des pompes. À l’occasion de la procédure
d’identification, il dut signer un document en partie pré-rempli et rédigé
uniquement en italien. Il ne fut autorisé à prendre contact ni avec sa famille
ni avec les autorités diplomatiques de son pays. Il fut lui aussi marqué d’une
croix rouge sur le visage. Le 23 juillet au matin, il fut menotté à une autre
personne et transféré à la prison de Pavie. Il fut détenu pendant trois
semaines, d’abord à Pavie, puis à Gênes.
27. Mme Subri
fut arrêtée le 20 juillet en fin d’après-midi avec d’autres personnes dans un
bar situé près de la place Alimonda et emmenée à la
caserne de Bolzaneto. Dès son arrivée à la caserne,
elle fut frappée et insultée. Dans la cellule où elle avait été placée, elle
dut rester à plusieurs reprises jambes écartées, bras en l’air et face contre
le mur. Elle fut contrainte de marcher tête baissée. Elle fut également menacée
de viol. Elle vomit deux fois mais aucun médecin ne se préoccupa de son état de
santé et personne ne lui donna les protections hygiéniques dont elle avait
besoin. Lors de la visite médicale, on l’obligea à se déshabiller et à faire
des pompes contre un miroir. Elle fut obligée de signer des documents rédigés
en italien.
28. Mme Treiber
fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini le 21 juillet et emmenée à la caserne de Bolzaneto. Elle fut d’abord placée contre un mur dans la
cour, où elle vit deux agents frapper l’une des personnes arrêtées et
l’asperger de gaz irritant ; elle fut ensuite placée dans une cellule et
contrainte de rester debout, les jambes écartées. Elle dut garder cette
position tout au long de la nuit, sauf pendant quelques périodes où elle fut
autorisée à se mettre à genoux ; elle put s’allonger par terre qu’à l’aube.
Elle entendit crier « Heil Hitler », elle
vit les souffrances des autres occupants des cellules, qui avaient le visage en
sang ou qui s’étaient uriné dessus. À son arrivée à la caserne, une agente lui
avait retiré les médicaments qu’elle détenait et dont elle avait besoin à la
suite d’une récente opération aux reins. Mme Treiber
fut elle aussi marquée d’une croix rouge sur le visage. Lors de son passage
dans les couloirs, elle fut contrainte de marcher la tête baissée et les mains
derrière la nuque et entre des agents qui la frappaient et l’insultaient. Le 22
juillet au matin, elle fut conduite dans une pièce où, en présence de plusieurs
agents, elle dut signer des documents rédigés uniquement en italien. Ensuite, à
l’infirmerie, elle fut contrainte de se dévêtir, entourée d’agentes qui lui
arrachèrent ses vêtements et découpèrent la capuche de son gilet. Elle dut
ensuite faire des pompes et fut privée de ses lunettes. Elle ne put prendre
contact ni avec sa famille, ni avec un avocat, ni avec les autorités diplomatiques
de son pays. Menottée à une autre femme, elle fut finalement transférée à la
prison de Voghera.
29. Mme Zeuner
fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini. Emmenée à la caserne de Bolzaneto,
elle fut d’abord placée contre un mur dans la cour puis emmenée à l’intérieur,
dans une cellule, où elle fut à nouveau obligée de se tenir les jambes écartées
et les bras en l’air. Elle fut menacée, reçut des coups et fut obligée de
laisser la porte des toilettes ouverte lorsqu’elle les utilisait. À
l’infirmerie, elle fut contrainte de se dévêtir, et même de retirer son tampon
hygiénique, devant une femme médecin et quatre agentes de police. Alors qu’elle
passait dans un couloir, un agent lui fit un croche-pied. On essaya de la
contraindre à signer des documents rédigés uniquement en italien. Elle fut
ensuite transférée à la prison de Voghera.
2. Requête no
67599/10
30. Mme Kutschkau
fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini et transportée à l’hôpital pour une fracture
de la mâchoire, la perte de deux dents, une subluxation de deux autres dents et
un traumatisme crânien. Elle fut ensuite transférée à la caserne de Bolzaneto le 22 juillet à l’aube. À son arrivée à la
caserne, elle fut placée contre un mur jambes écartées et bras en l’air,
d’abord dans la cour puis à l’intérieur. Elle dut ensuite reprendre cette
position plusieurs fois à l’intérieur de la caserne où elle fut à nouveau
frappée. Lorsqu’elle se rendit aux toilettes, elle dut marcher la tête baissée
et un bras dans le dos, et fut frappée et insultée. À maintes reprises, les
agents se moquèrent de ses blessures à la bouche. Elle fut privée de ses effets
personnels et de ses protections hygiéniques et ne reçut pas de soins adéquats
à l’infirmerie de la caserne, où un médecin la menaça de la frapper à nouveau
sur la bouche avec une matraque qu’il tenait près de lui. Elle ne put prendre
contact ni avec sa famille, ni avec un avocat, ni avec les autorités
diplomatiques de son pays. Le 23 juillet, à midi, elle fut transférée à la
prison de Pavie.
31. Mme Partesotti
fut arrêtée pendant la manifestation du 21 juillet et emmenée à la caserne de Bolzaneto en début d’après-midi. Dans la cour de la
caserne, dans le couloir et puis dans les cellules où on l’emmena, elle fut
placée mains et face contre le mur. Tout au long de sa détention à la caserne,
elle fut l’objet d’injures (« pute », « salope ») et de
menaces (« je viendrai mettre le feu à ton appartement », « il
faudrait toutes vous violer, comme on l’a fait au Kosovo »). Elle dut
assister aux sévices infligés à d’autres personnes arrêtées et écouter des
chants fascistes. Le médecin qui l’examina omit de relever les hématomes
consécutifs à son arrestation. La requérante ne put prendre contact avec sa
famille. Le matin du 22 juillet, elle fut transférée à la prison de Vercelli.
32. M. Balbas fut
arrêté à l’école Diaz-Pertini et transporté à l’hôpital pour une blessure à la
cheville. À son arrivée à la caserne de Bolzaneto, le
22 juillet au soir, il fut lui aussi insulté et marqué d’une croix rouge sur le
visage. Il fut ensuite placé dans une cellule où il fut obligé de rester les
jambes écartées et les bras levés pendant deux heures environ et menacé de
coups s’il bougeait. Il entendit des cris provenant d’autres cellules. Lors de
son passage dans le couloir de la caserne, il fut contraint de marcher la tête
baissée et les mains derrière la nuque entre des agents qui le frappèrent. Il
fut l’objet d’injures telles que « connard de communiste »,
« salaud », « tu es une merde ». Le requérant ne put
prendre contact ni avec sa famille ni avec les autorités diplomatiques de son
pays. Dans la nuit du 22 au 23 juillet, il fut transféré dans une prison
dont le nom n’est pas précisé dans le dossier.
33. Mme Bruschi
fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini et emmenée à la caserne de Bolzaneto dans la nuit du 21 au 22 juillet. Elle fut placée
contre un mur dans la cour, jambes écartées et bras en l’air, et menacée par un
agent d’être sodomisée avec une matraque. Elle fut ensuite conduite à
l’intérieur, contrainte de marcher penchée en avant et les mains derrière la
nuque, puis placée dans une cellule, où elle fut à nouveau obligée de se tenir
jambes écartées et bras en l’air pendant trois heures environ. Elle entendit
des cris et des coups provenant d’autres cellules et elle vit d’autres
personnes arrêtées qui souffraient. Lors d’une visite médicale, elle dut se
dévêtir partiellement devant des hommes, pendant que le médecin l’insultait et
disait que les manifestants arrêtés dans l’école Diaz-Pertini auraient tous dû
être fusillés. Le 23 juillet, à l’aube, elle fut transférée à la prison de
Vercelli.
34. Mme Digenti
fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini et emmenée à la caserne de Bolzaneto dans la nuit du 21 au 22 juillet, malgré des
blessures consécutives à son arrestation. Elle fut placée contre un mur dans la
cour, jambes écartées et bras en l’air, et fut l’objet d’injures et de menaces
de la part des agents, telles que « il faudrait tous les mettre au poteau
d’exécution » ou « à Diaz-Pertini, les têtes faisaient un drôle de
bruit quand on les cognait contre le mur ». À l’intérieur de la caserne,
d’abord dans l’entrée puis dans une cellule, elle fut contrainte de se tenir à
nouveau jambes écartées et bras levés, sous la garde d’agents qui frappaient
ceux qui bougeaient. Elle entendit des cris provenant d’autres cellules et vit
d’autres personnes avec le visage en sang. Elle dut marcher tête baissée. Lors
d’une visite médicale, elle dut se déshabiller devant des hommes. Un médecin
l’injuria et lui dit qu’elle et les autres personnes arrêtées sentaient mauvais
comme des chiens ; un autre homme apprécia les traces des coups de
matraque qu’elle avait reçus sur le cou en déclarant « c’est du bon
travail » et fit mine de la frapper à nouveau sur le cou avec une
matraque. Le 23 juillet, à l’aube, elle fut transférée à la prison de
Vercelli.
35. M. Lorente fut
arrêté le 20 juillet en début d’après-midi, place Manin, et laissé menotté dans
une camionnette de la police. À son arrivée à la caserne de Bolzaneto,
le 20 juillet au soir, il fut contraint de rester une heure face contre un mur,
à l’extérieur, avant d’être conduit dans une cellule où, à genoux et toujours
menotté, il fut passé à tabac plusieurs fois. Il fut aussi frappé lors de son
passage dans les couloirs. À l’infirmerie, alors qu’il était allongé sur un
brancard, des agents lui cassèrent une côte à coups de poing, en présence d’un
médecin qui l’invita ironiquement à porter plainte pour dénoncer ces mauvais
traitements. Emmené par la suite aux toilettes, on lui baissa le pantalon et on
lui intima l’ordre d’uriner, le traitant d’homosexuel, tandis qu’un agent
faisait mine de le sodomiser avec une matraque ; puis on le frappa avec
celle-ci entre les jambes. Le requérant dut signer un document en partie prérempli et entièrement rédigé en italien. Le 21 juillet,
à l’aube, il fut transféré à la prison d’Alexandrie.
36. M. Madrazo fut
arrêté à l’école Diaz-Pertini et transporté à l’hôpital en raison de ses
blessures. À son arrivée à la caserne de Bolzaneto,
le 22 juillet au soir, il fut marqué au feutre rouge d’une croix sur le
visage et contraint de marcher penché en avant et les mains sur la nuque. Placé
dans une cellule, il fut obligé de se tenir les jambes écartées et les bras en
l’air, face contre le mur. Lors de son passage dans les couloirs, il dut
marcher tête baissée et passer entre des agents qui le bousculaient. Il dut
dormir par terre. Il ne put prendre contact avec les autorités diplomatiques de
son pays. Le matin du 23 juillet, il fut transféré dans une prison dont le nom
n’est pas précisé dans le dossier.
37. M. Nogueras Chavier fut arrêté à l’école Diaz-Pertini et transporté à
l’hôpital en raison d’une fracture du péroné gauche. À son arrivée à la caserne
de Bolzaneto, le 22 juillet au soir, il fut marqué
d’une croix rouge sur le visage. Placé dans une cellule avec d’autres personnes
arrêtées, il fut obligé, malgré sa douleur à la jambe, de rester debout,
d’abord au centre de la cellule puis face contre le mur, jambes écartées et
bras en l’air, sans pouvoir s’appuyer. Il reçut des injures (« salaud de
communiste ») et des crachats. Il entendit les cris d’autres personnes qui
étaient frappées. Lors de son passage dans les couloirs, il dut marcher tête
baissée et, une fois, il reçut un coup de pied dans sa jambe blessée. Il dut
utiliser les toilettes sans pouvoir en fermer la porte. Il ne fut pas autorisé
à prendre contact avec les autorités diplomatiques de son pays. Le matin du 23
juillet, il fut transféré dans une prison dont le nom n’est pas précisé dans le
dossier.
38. Mme Ender
fut arrêtée l’après-midi du 20 juillet dans la rue Montezovetto
et emmenée à la caserne de Bolzaneto le soir du même
jour. À son arrivée à la caserne, elle dut marcher les mains liées dans le dos
et la tête baissée, même lors de son passage dans le couloir, où elle fut
frappée à coups de pied. Conduite dans une cellule avec Mme Percivati (requérante de la requête no 67599/10
figurant sous le numéro 18 dans la liste en annexe), elle fut obligée de rester
à genoux face au mur et fut l’objet d’injures qui, comme le lui expliqua Mme
Percivati, étaient à caractère sexuel. Mme
Ender demanda plusieurs fois à pouvoir se rendre aux
toilettes, en vain, car on lui rétorqua, par l’intermédiaire de Mme Percivati, qu’elle n’avait qu’à « faire tout sur
elle ». On finit par l’emmener aux toilettes, la frappant lors de son
passage dans le couloir, à l’aller comme au retour. Dans les toilettes, une
agente lui cogna la tête contre le mur, puis un agent lui ordonna de se laver
les mains et la frappa à coups de pied sur les fesses. Dans la nuit du
20 au 21 juillet, toujours à l’intérieur de la caserne, elle fut emmenée
dans un bureau où on lui demanda si elle était enceinte. À la suite de sa
réponse négative, un agent lui donna un coup de poing dans le ventre ;
ensuite, des agents la rouèrent de coups à plusieurs reprises et lui coupèrent
trois mèches de cheveux pour la contraindre à signer des documents. Avant
d’être transférée à la prison d’Alexandrie, le 21 juillet à l’aube, elle dut
rester dans le couloir dans une position vexatoire, des agents lui ordonnant de
crier « vive le Duce, vive le fascisme, vive la police
pénitentiaire ».
39. M. Graf fut arrêté et roué de coups
l’après-midi du 20 juillet, près de la rue Tolemaide,
alors qu’il portait un T-shirt avec l’emblème de la Croix‑Rouge car il
aidait les médecins sur place en tant qu’infirmier ; malgré ses nombreuses
blessures, il fut emmené directement à la caserne de Bolzaneto.
À son arrivée à la caserne, il ne fut pas soumis immédiatement à une visite
médicale, alors qu’il boitait fortement. Il fut conduit dans une cellule par un
couloir où on le fit passer entre deux rangées d’agents qui l’insultèrent, le
pincèrent et lui firent des croche-pieds. Dans la cellule, il dut se tenir
jambes écartées et bras en l’air, face au mur. L’intéressé n’ayant pas
obtempéré à l’ordre qui lui avait été donné de se placer au centre de la
cellule, un agent dit à ses collègues de l’emmener ailleurs, faute de quoi il
lui « casserait la gueule ». Enfin soumis à une visite médicale, le
requérant fit état de fortes douleurs aux testicules, qui présentaient un
hématome important ; le médecin ordonna de l’emmener à l’hôpital, ce qui
ne fut fait qu’après une nouvelle période d’attente dans la cellule où il dut
rester encore une fois dans une position vexatoire.
40. M. Larroquelle fut
arrêté l’après-midi du 20 juillet, dans la rue Montezovetto,
et emmené à la caserne de Bolzaneto le soir du même
jour. À son arrivée à la caserne, il fut poussé hors de la camionnette alors
qu’il avait les mains liées dans le dos et insulté, puis il dut marcher tête
baissée dans un couloir à l’intérieur de la caserne, des agents le frappant à
coups de poing et de pied. Dans la cellule, alors qu’il avait toujours les
mains liées dans le dos, des agents le frappèrent à nouveau à coups de poing et
de pied, y compris dans les testicules et sur la tête pour que celle-ci vînt
cogner contre le mur. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, toujours à l’intérieur
de la caserne, il fut conduit dans un bureau où cinq ou six agents le passèrent
à tabac et l’insultèrent à nouveau ; le requérant ayant demandé la
traduction de certains des documents rédigés en italien qu’on lui avait ordonné
de signer, les agents le frappèrent encore à coups de poing et de pied et lui
cassèrent trois côtes. À l’infirmerie, alors qu’il était nu, le requérant fut
l’objet d’autres injures. À son retour de la prise de photo, un autre agent lui
serra un bras jusqu’à lui causer un hématome ; il dut ensuite rester dans
le couloir et fut obligé de crier, avec d’autres personnes arrêtées,
« vive le Duce, vive le fascisme, vive la police pénitentiaire ». Le
21 juillet, à l’aube, il fut transféré à la prison d’Alexandrie.
41. Mme Percivati
fut arrêtée l’après-midi du 20 juillet, dans la rue Montezovetto,
et emmenée à la caserne de Bolzaneto le soir du même
jour. À son arrivée à la caserne, alors qu’elle se trouvait encore dans la
camionnette de la police, elle se vit injurier et couvrir de crachats et elle
entendit clairement des agents se féliciter d’avoir apporté d’autres
« chats à fouetter » à leurs collègues de la caserne. Emmenée dans
une cellule à coups de poing, de pied et de matraque, elle fut obligée de
rester les mains liées dans le dos, le visage contre le mur et les jambes
légèrement écartées ; puis elle fut transférée dans la même cellule que Mme
Ender et d’autres personnes arrêtées. Dans la nuit, Mme
Ender, après être revenue des toilettes, dit à la
requérante qu’elle avait été tabassée (paragraphe 48 ci-dessus). Lorsque Mme
Percivati se rendit à son tour aux toilettes, elle
fut d’abord frappée et insultée dans le couloir ; ensuite, l’agente de
police qui la suivit dans les toilettes poussa sa tête vers la cuvette, tandis
que d’autres agents, depuis l’extérieur, continuaient à lui adresser des
injures (« pute, tu aimes la matraque »). Dans la nuit du 20 au 21
juillet, elle fut emmenée dans un bureau où on lui demanda si elle était
enceinte et où, à la suite de son refus réitéré de signer des documents sans
les avoir lus, quatre ou cinq agents la rouèrent de coups et lui cognèrent la
tête contre le mur. La requérante fut à nouveau frappée à coups de poing et de
pied lorsqu’elle fut reconduite dans sa cellule puis emmenée dans le bureau
pour la prise de photo ; à son retour, elle dut rester dans le couloir
face contre le mur, bras en l’air et jambes écartées, sous les coups de
matraque. Elle fut en outre obligée de sortir de l’infirmerie en sous-vêtements
pour chercher ses effets personnels dans le couloir. Lors de tous ses déplacements
à l’intérieur de la caserne, la requérante dut marcher tête baissée. Elle fut
privée de ses bijoux et de ses protections hygiéniques. Après avoir été
obligée, avec d’autres personnes arrêtées, de faire le salut hitlérien et de
chanter un hymne fasciste, elle fut transférée, le 21 juillet, à l’aube, à la
prison d’Alexandrie.
42. M. Nebot fut
arrêté l’après-midi du 20 juillet, dans la rue Montezovetto,
et emmené à la caserne de Bolzaneto le soir du même
jour. À son arrivée à la caserne, il dut marcher penché en avant et tête
baissée. Lors de son passage dans le couloir vers la cellule, il fut frappé au
ventre et aux testicules. Dans la cellule, il dut rester debout, jambes
écartées et bras dans le dos, et il fut frappé à intervalles irréguliers aux
testicules et aux jambes par les agents. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, il
fut emmené dans un bureau où on lui montra des documents rédigés en
italien ; ayant demandé l’assistance d’un traducteur et d’un avocat, il
fut frappé plusieurs fois jusqu’à ce qu’il acceptât de signer ces documents. À
l’infirmerie, M. Larroquelle (requérant de la
requête no67599/10 figurant sous le numéro 12 dans la liste en
annexe) et lui furent insultés pour leur « mauvaise odeur » ; M.
Nebot ne reçut aucun soin et ne fut pas questionné
sur son état de santé par le médecin, malgré la présence d’ecchymoses sur son
ventre et sa poitrine. Bien qu’il ait signalé à maintes reprises, même en
présence du médecin, qu’il était asthmatique, il fut privé de ses médicaments tout
au long de sa détention à la caserne. Dans la cellule, il fut obligé de crier
« vive le Duce, vive Mussolini, vive la police pénitentiaire » et vit
d’autres personnes arrêtées contraintes de marcher dans le couloir en faisant
le salut hitlérien. Le 21 juillet, à l’aube, il fut transféré à la prison
d’Alexandrie.
43. M. Bertacchini fut
arrêté l’après-midi du 21 juillet. Arrivé à la caserne de Bolzaneto
et placé dans une cellule avec d’autres personnes arrêtées, il fut contraint de
rester pendant plusieurs heures sans bouger, jambes écartées, bras en l’air et
face contre le mur, par moments même sur la pointe des pieds. Il vit des agents
passer à tabac d’autres personnes arrêtées. Dans la nuit du 21 au
22 juillet, du gaz irritant fut vaporisé dans la cellule où il se
trouvait, ce qui causa des nausées, des problèmes respiratoires et des
irritations à tous les occupants. Avant d’être soumis à une visite médicale, le
requérant fut frappé dans le dos et sur les hanches. Le 22 juillet, à
midi, il fut transféré à la prison d’Alexandrie.
44. Mme Flagelli
fut arrêtée le 21 juillet dans le camping de la rue Maggio.
Arrivée à la caserne de Bolzaneto, elle dut attendre
debout dans la cour en plein soleil et fut insultée. Placée dans une cellule,
où lui parvenaient de temps en temps les airs de chants fascistes, elle fut
obligée d’écarter les jambes sous les coups qu’on lui donnait et de rester
pendant plusieurs heures dans cette position, les bras en l’air. Dans la nuit
du 21 au 22 juillet, du gaz irritant fut vaporisé dans la cellule où se
trouvait la requérante, ce qui causa des nausées, des problèmes respiratoires
et des irritations à tous les occupants. Une autre personne arrêtée ayant reçu
des feuilles de papier journal au lieu des serviettes hygiéniques qu’elle avait
demandées, la requérante, effrayée et humiliée, s’abstint de demander à son
tour les protections hygiéniques dont elle avait besoin. Elle fut injuriée et
menacée de viol par des agents et elle assista aux sévices infligés à d’autres
personnes arrêtées. À l’infirmerie, elle fut privée de tous ses bijoux et l’on
coupa la capuche de son gilet ; elle fut obligée d’enlever tous ses
piercings, même ceux des zones intimes, devant quatre ou cinq hommes. Le matin
du 22 juillet, elle fut transférée dans une prison dont le nom n’est pas
précisé dans le dossier.
45. Mme Franceschin
fut arrêtée l’après-midi du 21 juillet. Placée dans une cellule de la caserne
de Bolzaneto, elle fut obligée de s’asseoir par terre
face contre le mur et de rester dans cette position pendant un certain laps de
temps, menacée, si elle bougeait, de devoir se tenir debout. Elle fut traitée à
maintes reprises de « putain » et de « salope » dans la
cellule et lors de son passage dans le couloir. Plusieurs agents se moquèrent
de son T-shirt ; le médecin fit de même lors de la visite médicale,
pendant que certains la menaçaient de lui arracher ce maillot et de le
déchirer. L’intéressée fut privée de tous ses effets personnels (bijoux et
montre), qui furent laissés par terre et ne lui furent pas restitués ; ses
boucles d’oreilles, en particulier, lui furent arrachées avec une pince. Après
la visite médicale, elle fut emmenée de nouveau dans la cellule et obligée de rester
debout face contre le mur pendant plusieurs heures. Le 21 juillet, à l’aube,
elle fut transférée à la prison d’Alexandrie.
46. Mme Jaeger fut arrêtée à l’école
Diaz-Pertini et, malgré des ecchymoses et blessures visibles, elle fut emmenée
directement à la caserne de Bolzaneto. Elle fut
placée contre un mur dans la cour de la caserne dans une position vexatoire,
des agents lui demandant ironiquement de quel sexe elle était et se moquant
d’elle ; à l’intérieur de la caserne, deux agentes la traitèrent de
« lesbienne ». À l’entrée de la caserne, on lui arracha son collier
avec une tenaille. Emmenée dans une cellule, elle fut contrainte de se tenir
jambes écartées et bras en l’air, sous les coups et les crachats des agents. Dans
le couloir, elle dut toujours marcher la tête baissée et les mains sur la
nuque, sous de nombreuses injures. À l’infirmerie, on l’obligea à se dévêtir et
à faire des pompes ; la requérante ayant dit qu’elle avait faim, le
médecin rétorqua, en criant, qu’elle et les autres manifestants avaient détruit
la ville de Gênes. Ensuite, elle fut emmenée dans un bureau où on lui demanda
de signer des documents rédigés en italien, en lui assurant que cela
accélérerait sa remise en liberté. Elle ne fut à aucun moment informée des
raisons de son arrestation ni de son droit de prendre contact avec les
autorités diplomatiques de son pays. Le 23 juillet, à l’aube, elle fut
transférée dans une prison dont le nom n’est pas précisé dans le dossier.
47. M. Camandona fut
arrêté le 21 juillet dans le camping de la rue Maggio.
Arrivé à la caserne de Bolzaneto, il dut attendre
dans la cour, debout, en plein soleil, et fut frappé à la tête, insulté et
menacé (« fils de pute, tu n’as rien compris, où crois-tu que tu es ? »).
Placé dans une cellule, il fut obligé de rester face contre le mur et bras en
l’air, par moments sur la pointe des pieds. Il fut frappé dans le dos,
vraisemblablement à coups de matraque, et fut l’objet de menaces (« on va
te tuer ») et d’injures (« anarchiste de merde », « connard
de communiste »). Il fut frappé et injurié à chaque fois qu’il essayait de
changer de position. Il dut également écouter des chants fascistes. Dans la
nuit du 21 au 22 juillet, du gaz irritant fut vaporisé dans la cellule qu’il
occupait. M. Camandona vit alors une jeune personne
vomir du sang et fut atteint à son tour de problèmes respiratoires. Le
requérant vit également des agents frapper d’autres personnes arrêtées, dont
l’une souffrait d’un handicap à la jambe. Pendant la visite médicale, il fut à
nouveau frappé, des agents incitant des femmes à regarder à quel point il
aurait été répugnant ; puis, ayant rectifié son nom que des agents avaient
mal prononcé, il reçut des coups de pied sur les fesses. Il dut se tenir tête baissée
tout au long de sa détention. Le 22 juillet, à midi, il fut transféré à la
prison d’Alexandrie.
48. M. Von Unger fut
arrêté à l’école Diaz-Pertini et emmené à la caserne de Bolzaneto
dans la nuit du 21 au 22 juillet. À son arrivée à la caserne, il fut privé de
tous ses effets personnels. Un agent lui arracha une broche en forme d’étoile
rouge qu’il portait sur sa veste et le traita de « salaud de
communiste ». Il dut rester debout pendant plusieurs heures, jambes
écartées et bras en l’air. Il vit les souffrances des autres personnes arrêtées
et entendit des cris provenant d’autres cellules. Tout au long de sa détention,
il fut frappé et insulté, surtout lorsqu’il demanda à se rendre aux toilettes.
Il s’y rendit par un couloir qu’il fut obligé de parcourir penché en avant, la
tête baissée et les bras tordus dans le dos par un agent. Il dut utiliser les
toilettes sans pouvoir en fermer la porte. Il ne put prendre contact ni avec
les autorités diplomatiques de son pays ni avec sa famille. Il fut détenu à la
caserne de Bolzaneto pendant environ trente heures.
49. Tous les requérants, à l’exception de MM. Balbas, Lorente, Larroquelle et Bertacchini et de
Mmes Ender, Franceschin
et Percivati, soutiennent avoir souffert du froid et
de la faim à la caserne de Bolzaneto. Ils allèguent
n’avoir reçu des couvertures, de la nourriture et de l’eau que très tardivement
et en quantité insuffisante.
50. Toutes les
poursuites engagées contre les requérants pour les faits à l’origine de leur
arrestation ont abouti à leur acquittement.
C. La
procédure pénale engagée contre des membres des forces de l’ordre pour les
faits commis à la caserne de Bolzaneto
51. À la suite des faits commis à la caserne de Bolzaneto, le parquet de Gênes entama des poursuites contre
quarante-cinq personnes, parmi lesquelles un préfet de police adjoint (vice-questore aggiunto), des membres de la police et de la police
pénitentiaire, des carabiniers et des médecins de l’administration
pénitentiaire. Les chefs d’accusation retenus étaient les suivants : abus
d’autorité publique, abus d’autorité à l’égard de personnes arrêtées ou
détenues, coups et blessures, injures, violence, menaces, omission, recel de
malfaiteurs et faux. Le 27 janvier 2005, le parquet demanda le renvoi en
jugement des inculpés. Les requérants et d’autres personnes (155 au total) se
constituèrent parties civiles.
1. Le jugement
de première instance
52. Par le
jugement no 3119 du 14 juillet 2008, déposé le 27 novembre
2008, le tribunal de Gênes condamna quinze des quarante-cinq accusés à des
peines allant de neuf mois à cinq ans d’emprisonnement assorties d’une peine
accessoire d’interdiction temporaire d’exercer des fonctions publiques (interdizione dai pubblici uffici).
Dix condamnés bénéficièrent d’un sursis et de la non-inscription de la
condamnation au casier judiciaire. Enfin, en application de la loi no 241
du 29 juillet 2006 relative aux conditions d’octroi de la remise générale de
peine (indulto), trois condamnés bénéficièrent
d’une remise totale de leur peine d’emprisonnement et deux autres, condamnés
respectivement à trois ans et deux mois et à cinq ans d’emprisonnement, d’une
remise de peine de trois ans.
53. Le
tribunal estima tout d’abord qu’il était prouvé que les faits suivants avaient
été commis à l’encontre de tous les requérants : insultes, menaces, coups
et blessures, positions vexatoires, vaporisation de produits irritants dans les
cellules, destruction d’effets personnels, longs délais d’attente pour utiliser
les toilettes et marquage au feutre sur le visage des personnes arrêtées à
l’école Diaz-Pertini. Il nota que ces traitements pouvaient être qualifiés
d’inhumains et dégradants et qu’ils avaient été commis dans un contexte
particulier « et, on l’espér[ait],
unique ». Il ajouta que ces épisodes avaient aussi porté atteinte à la
Constitution républicaine et affaibli la confiance du peuple italien dans les
forces de l’ordre.
54. Le
tribunal souligna ensuite que, malgré la longue, laborieuse et méticuleuse
enquête menée par le parquet, la plupart des auteurs des mauvais traitements,
dont l’existence avait été démontrée pendant les débats, n’avaient pas pu être
identifiés en raison de difficultés objectives, et notamment de l’absence de
coopération de la police, résultat à ses yeux d’une mauvaise interprétation de
l’esprit de corps.
55. Le tribunal précisa enfin que l’absence en
droit pénal du délit de torture avait obligé le parquet à circonscrire la
plupart des mauvais traitements avérés au cadre du délit d’abus d’autorité
publique. En l’espèce, les agents, les cadres et les fonctionnaires auraient
été accusés de ne pas avoir empêché, de par leur comportement passif, les
mauvais traitements dénoncés. À cet égard, le tribunal estima que la plupart
des accusés du chef d’abus d’autorité publique ne pouvaient pas être jugés
coupables eu égard au fait que : a) le délit en cause était
caractérisé par un dol spécifique, à savoir l’intention claire et avérée de
l’agent public de commettre un certain délit ou de ne pas en empêcher la
commission, et que b) l’existence de ce dol spécifique n’avait pas
été prouvée au-delà de tout doute raisonnable.
56. Les coupables des actes litigieux ainsi que
les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense furent condamnés
au paiement des frais et dépens et au dédommagement des parties civiles, des
sommes comprises entre 2 500 et 15 000 euros (EUR) étant accordées à
titre de provision sur les dommages-intérêts.
2. L’arrêt
d’appel
57. Saisie par
les accusés, le procureur près le tribunal de Gênes, le procureur général, les
ministres de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense (responsables civils)
et par les victimes qui s’étaient constituées parties civiles, la cour d’appel
de Gênes, par son arrêt no 678 du 5 mars 2010, déposé le 15 avril
2011, infirma partiellement le jugement entrepris.
58. Concernant
le délit d’abus d’autorité publique envers des personnes arrêtées, elle
confirma d’abord la condamnation à un an d’emprisonnement avec sursis pour deux
accusés et la remise totale de peine s’agissant d’un troisième accusé. Par
ailleurs, elle condamna un agent à trois ans et deux mois d’emprisonnement pour
délit de lésions corporelles. Ce dernier bénéficia d’une remise de peine de
trois ans.
S’agissant
du délit de faux, elle condamna trois accusés jugés non coupables en première
instance à une peine d’un an et six mois d’emprisonnement avec sursis et sans
mention au casier judiciaire et une quatrième accusée à deux ans
d’emprisonnement avec sursis et sans mention au casier judiciaire.
59. Enfin, elle prononça un non-lieu en raison
de la prescription des délits dont étaient accusées vingt-huit personnes, dont
deux personnes condamnées ayant bénéficié d’une remise de peine en première
instance (paragraphe 52 ci‑dessus). Elle rendit également un non-lieu à
l’égard d’un autre accusé décédé.
60. Elle condamna également tous les accusés
(excepté ce dernier) ainsi que les ministères de l’Intérieur, de la Justice et
de la Défense, aux frais et dépens de la procédure et au dédommagement des
parties civiles. Des sommes comprises entre 5 000 et 30 000 EUR
furent accordées à titre de provision sur les dommages-intérêts.
61. Dans les motifs de l’arrêt, la cour d’appel
précisa tout d’abord que, bien que les délits en question fussent prescrits,
elle devait statuer sur les effets civils des infractions.
62. Elle indiqua ensuite que la crédibilité des
témoignages des victimes ne faisait aucun doute : d’une part, lesdits
témoignages avaient été corroborés par la comparaison des diverses
déclarations, dont celles de deux infirmiers et d’un inspecteur de police, par
les aveux partiels de certains accusés ainsi que par plusieurs pièces du
dossier ; d’autre part, ces témoignages présentaient les caractéristiques
typiques des récits de victimes d’événements traumatiques et faisaient état
d’une volonté sincère de restituer la vérité.
63. Quant aux événements qui s’étaient produits
à la caserne de Bolzaneto, la cour d’appel observa
que toutes les personnes ayant transité par ce centre y avaient été l’objet de
sévices de toutes sortes, continus et systématiques, par des agents de la
police pénitentiaire ou des agents des forces de l’ordre ayant participé, pour
la plupart, à la gestion de l’ordre public dans la ville au cours des
manifestations.
64. En effet,
elle nota que, dès leur arrivée et tout au long de leur détention dans la
caserne, ces personnes, parfois déjà éprouvées par les violences subies lors de
l’arrestation, avaient été obligées de se tenir dans des positions vexatoires et
avaient été l’objet de coups, de menaces et d’injures à caractère
principalement politique et sexuel. Même à l’infirmerie, les médecins et les
agents présents auraient ostensiblement contribué, par des actes ou des
omissions, à provoquer et à accroître la terreur et la panique chez les
personnes arrêtées. La cour d’appel releva que certaines, blessées lors de
l’arrestation ou à la caserne, auraient, en tout état de cause, nécessité des
soins adéquats, voire une hospitalisation immédiate. De surcroît, elle remarqua
aussi que le couloir de la caserne avait été surnommé « le tunnel des
agents », car les nombreux passages des personnes arrêtées avaient eu lieu
entre deux rangées d’agents les injuriant et les tabassant.
65. La cour d’appel ajouta que de nombreux
autres éléments avaient brisé la résistance physique et psychologique des
personnes arrêtées et temporairement détenues à la caserne, à savoir :
l’interdiction de regarder les agents ; la privation ou la destruction injustifiée
des effets personnels ; le fait – tout en étant soumis à l’interdiction de
communiquer entre détenus et donc à l’impossibilité de chercher un réconfort
mutuel – de devoir assister aux sévices infligés aux autres personnes arrêtées,
d’écouter les cris de celles-ci ou de voir leur sang, leurs vomissures, leur
urine ; l’impossibilité d’accéder régulièrement aux toilettes et de les
utiliser à l’abri des regards et des injures des agents ; la privation
d’eau et de nourriture ; le froid et la difficulté de trouver un peu de
détente dans le sommeil ; l’absence de tout contact avec l’extérieur, et
la mention mensongère par les agents de la renonciation des personnes arrêtées
au droit de prévenir un membre de leur famille, un avocat et, le cas échéant,
un diplomate de leur pays d’origine ; enfin, l’absence d’informations
pleinement intelligibles sur les raisons de l’arrestation des personnes
concernées.
66. En somme, d’après la cour d’appel, ces personnes
avaient été soumises à plusieurs traitements contraires à l’article 3 de la
Convention tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme dans
ses arrêts Irlande c. Royaume-Uni (18
janvier 1978, série A no 25), Raninen c. Finlande (16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII), et Selmouni c. France ([GC], no
25803/94, CEDH 1999‑V). Pour la cour d’appel, tous les agents et le
personnel de santé qui se trouvaient à la caserne avaient été à même de
s’apercevoir que de tels traitements étaient infligés, ce qui, à ses yeux,
était suffisant en l’espèce pour constituer le délit d’abus d’autorité
publique.
67. En outre,
la cour d’appel estima que ces traitements, combinés avec la négation de
certains droits de la personne arrêtée, avaient pour but de donner aux victimes
le sentiment d’être tombées dans un espace de négation de l’habeas corpus, des droits fondamentaux
et de tout autre aspect de la prééminence du droit, ce que, au demeurant,
confirmaient selon elle les diverses formes d’évocation du fascisme faites par
les agents. En d’autres termes, en infligeant torture et mauvais traitements,
les auteurs de ces sévices avaient voulu produire un processus de
dépersonnalisation similaire à celui mis en œuvre à l’encontre des juifs et des
autres personnes internés dans les camps de concentration. Ainsi, à l’instar
d’objets ou d’animaux, les personnes arrêtées dans l’école Diaz-Pertini
auraient été, à leur arrivée à la caserne, marquées au feutre sur le visage.
68. Enfin, selon la cour d’appel, ces événements
avaient eu des conséquences très graves sur les victimes et perduraient dans
leurs effets bien au-delà de la fin de la détention de celles-ci à la caserne
de Bolzaneto, car ils avaient déstructuré les
catégories rationnelles et émotionnelles au travers desquelles la personne
humaine vit ses besoins quotidiens, ses relations aux autres, ses liens avec
l’État et sa participation à la vie publique. Ils auraient également touché les
familles des victimes en tant que communautés d’échange d’expériences et de
valeurs.
3. L’arrêt de la
Cour de cassation
69. Saisie par
les accusés, le procureur général, les ministères de l’Intérieur, de la Justice
et de la Défense (responsables civils), la Cour de cassation rendit son arrêt no 37088
le 14 juin 2013. Celui-ci fut déposé le 10 septembre 2013. La Cour de
cassation confirma pour l’essentiel l’arrêt entrepris.
70. Tout
d’abord, elle releva que, s’agissant de tous les délits retenus par le tribunal
de première instance et la cour d’appel de Gênes, la quasi-totalité avait été
touchée par la prescription, à laquelle toutefois trois officiers de police
avaient renoncé, exception faite du délit de lésions corporelles retenu à
l’encontre d’un agent et du délit de faux retenu à l’encontre de quatre autres
agents.
71. Elle rejeta ensuite l’exception de
constitutionnalité soulevée par le procureur général de Gênes, estimant que, en
vertu de l’article 25 de la Constitution relatif au principe de réserve de la
loi, seul le législateur pouvait établir les sanctions pénales et définir
l’application de mesures telles que la prescription et la remise de peine (pour
une analyse plus détaillée, voir Cestaro c. Italie,
no 6884/11, §§ 75-80, 7 avril 2015).
72. Elle jugea
en outre que les violences perpétrées à l’intérieur de la caserne de Bolzaneto l’avaient été sans interruption, dans des
conditions où chaque personne présente en avait la totale perception auditive
et visuelle. Elle estima, en s’appuyant sur trente-neuf témoignages
concordants, que, dans la caserne de Bolzaneto, les
principes fondamentaux de l’état de droit avaient été écartés.
73. En conclusion, concernant le sort individuel
de chaque personne condamnée, elle confirma la condamnation des trois officiers
ayant renoncé à la prescription à un an d’emprisonnement pour délit d’abus
d’autorité (dont deux bénéficièrent d’un sursis à l’exécution et le troisième
d’une remise de peine), de trois autres officiers à un an et six mois
d’emprisonnement avec sursis pour délit de faux et d’un médecin de
l’administration pénitentiaire à deux ans pour le même délit. Elle confirma
également la condamnation d’un agent à trois ans et deux mois d’emprisonnement
pour délit de lésions corporelles. Celui-ci bénéficia d’une remise de peine de
trois ans.
74. Pour ce qui est des autres appelants, la
Cour de cassation confirma l’arrêt entrepris quant à la responsabilité civile
des plus hauts gradés impliqués, à savoir le préfet de police adjoint, la
commissaire en chef (commissario capo) et l’inspecteur de police
pénitentiaire chargé de la sécurité du site pénitentiaire établi dans la caserne
de Bolzaneto. Elle parvint au même constat concernant
de nombreux officiers et agents de la police pénitentiaire et des forces de
l’ordre ainsi que le personnel de santé en cause, dont le responsable du
service de santé du site.
D. L’enquête
parlementaire d’information
75. Le 2 août 2001, les présidents du Sénat et
de la Chambre des députés décidèrent qu’une enquête d’information (indagine conoscitiva)
sur les faits survenus lors du G8 de Gênes serait menée par les commissions des
Affaires constitutionnelles des deux chambres du Parlement. À cette fin, il fut
créé une commission composée de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs.
76. Le 20 septembre 2001, la commission déposa
un rapport contenant les conclusions de sa majorité, intitulé « Rapport
final de l’enquête parlementaire sur les faits survenus lors du G8 de
Gênes ».
77. Ce rapport citait les déclarations du responsable
des activités de la police pénitentiaire lors du sommet, selon lesquelles la
décision d’affecter à la police pénitentiaire et à la police judiciaire une
seule et même caserne s’était révélée être « un choix malheureux ».
78. Le rapport indiquait ensuite que, dans la
nuit du 21 au 22 juillet, la durée de la détention à la caserne de Bolzaneto des personnes arrêtées avait été excessivement
longue en raison de la fermeture de certains bureaux, qui aurait été due à
l’insuffisance de personnel, à l’afflux des personnes arrêtées dans l’école
Diaz-Pertini et aux modalités de transfert vers les prisons choisies en tant
que lieux de détention provisoire. Le rapport faisait aussi état de ce que, au
cours de la même nuit, entre 1 h 35 et 2 heures, le ministre de la Justice
s’était rendu à la caserne de Bolzaneto et avait vu
dans une cellule une femme et dix hommes placés jambes écartées et face contre
le mur sous la surveillance d’un agent.
79. Le rapport mentionnait en outre l’existence
de deux enquêtes administratives relatives aux faits survenus à la caserne de Bolzaneto, engagées à l’initiative du chef de la police et
du ministre de la Justice. Le rapport provisoire de la deuxième enquête faisait
état de onze cas de violences dénoncés par la presse ou par les victimes
elles-mêmes ainsi que d’autres vexations signalées par un infirmier.
80. Le rapport indiquait enfin que, d’après le
préfet de police F., entendu par la commission parlementaire, certaines
déclarations faites à la presse ou aux enquêteurs par les victimes s’étaient
révélées fausses et infondées. Le rapport concluait toutefois que le préfet F.
n’avait pas précisé à quel lieu de triage (Forte San Giuliano, Bolzaneto ou les deux) se référaient ses observations.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
81. Pour ce qui est du droit et de la pratique
internes pertinents dans les présentes affaires, la Cour renvoie à l’arrêt Cestaro
(précité, §§ 87-106).
82. La
proposition de loi visant à sanctionner la torture et les mauvais traitements,
intitulée « Introduction du délit de torture dans l’ordre juridique
italien » (introduzione del delitto di tortura nell’ordinamento
italiano), Sénat de la République S-849, a été votée par le Sénat de la
République italienne le 5 mars 2014, puis transmise à la Chambre des
députés qui a modifié le texte et envoyé la nouvelle version au Sénat le 13
avril 2015. Le 17 mai 2017, le Sénat a adopté des amendements à la proposition
de loi et communiqué le nouveau texte à la Chambre des députés. Le 5 juillet
2017, la Chambre des députés a définitivement adopté le texte.
La loi no110
du 14 juillet 2017, intitulée « Introduction du délit de torture dans
l’ordre juridique italien (Introduzione del delitto di tortura nell’ordinamento italiano) a été publiée au Journal
officiel (Gazzetta ufficiale) le
18 juillet 2017. Elle est entrée en vigueur le même jour.
III. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT INTERNATIONAL
83. Pour ce qui est des éléments de droit
international pertinents en l’espèce, la Cour renvoie à l’arrêt Cestaro (précité, §§ 107-121).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
84. Les requérants se plaignent d’avoir été
soumis à des actes de violence qu’ils qualifient de torture et de traitements
inhumains et dégradants.
Ils
invoquent l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Nul
ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants. »
85. Ils soutiennent aussi que l’enquête a été
défaillante en raison des sanctions à leurs yeux inadéquates infligées aux
personnes jugées responsables. À cet égard, ils dénoncent notamment la
prescription appliquée à la plupart des délits reprochés, la remise de peine
dont certains condamnés auraient bénéficié et l’absence de sanctions
disciplinaires à l’égard de ces mêmes personnes. Dans ce cadre, ils maintiennent
que, en s’abstenant d’inscrire dans l’ordre juridique national le délit de
torture, l’État n’a pas adopté les mesures nécessaires permettant de prévenir
des violences et autres mauvais traitements similaires à ceux dont ils se
disent victimes.
Ils invoquent
à cet égard les articles 3 et 13 de la Convention, pris séparément et combinés.
86. Eu égard à la formulation des griefs des
requérants, la Cour estime qu’il convient d’examiner la question de l’absence
d’une enquête effective sur les mauvais traitements allégués uniquement sous
l’angle du volet procédural de l’article 3 de la Convention (Dembele c. Suisse, no 74010/11,
§ 33, 24 septembre 2013, avec les références qui y figurent).
A. Sur
la demande de radiation du rôle de la requête no 67599/10 en ce
qui concerne les requérants figurant sous les numéros 5, 9-11, 14, 17 et 18
dans la liste en annexe
87. La Cour a reçu des déclarations de règlement
amiable signées par les parties requérantes le 27 juillet 2016 et par le
Gouvernement le 9 septembre 2016. Ce dernier s’engage à verser à chaque
requérant la somme de 45 000 EUR à titre de préjudice matériel et
moral et pour les frais et dépens engagés tant dans la procédure devant la Cour
que dans celle devant les juridictions internes, plus tout montant pouvant être
dû à titre d’impôt par les intéressés, lesquels ont renoncé à toute autre
prétention à l’encontre de la République italienne au sujet des faits à
l’origine de leurs requêtes.
Cette somme
sera versée dans les trois mois suivant la date de la notification de la
décision de la Cour. À défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement
s’engage à verser, à compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au règlement
effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de
la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de
trois points de pourcentage. Ce versement vaudra règlement définitif de
l’affaire.
88. La Cour prend acte du règlement amiable
auquel les parties sont parvenues. Elle estime que ce règlement s’inspire du
respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention et ses
Protocoles et elle ne voit par ailleurs aucun motif justifiant de poursuivre
l’examen de la requête à l’égard des requérants concernés.
89. Partant, il convient de rayer l’affaire du
rôle en ce qui concerne les requérants figurant sous les numéros 5, 9-11, 14, 17
et 18 dans la liste en annexe. La Cour poursuit l’examen de la requête no 67599/10
à l’égard des autres requérants.
B. Sur
la requête no 28923/09 et la requête no 67599/10
en ce qui concerne les requérants figurant sous les numéros 1-4, 6-8, 12, 13,
15, 16 et 19 dans la liste en annexe.
1. Objection
préliminaire
L’exception du Gouvernement tirée de la tardiveté
des observations et de la demande de satisfaction équitable des requérants de
la requête no 67599/10
90. Le Gouvernement soutient d’emblée que les
observations et les demandes de satisfaction équitable des requérants de la
requête no 67599/10 ont été présentées tardivement. Il indique que
la date assignée aux requérants par la Cour pour le dépôt de leurs observations
et demandes de satisfaction équitable était le 21 février 2013 et que celles-ci
n’auraient été reçues par la Cour que le 27 février 2013.
91. La Cour rappelle que, selon l’article 38 § 1
de son règlement, les observations écrites doivent être déposées dans le délai
fixé par le président de la chambre ou par le juge rapporteur et que, sauf
décision contraire du président de la chambre, les observations tardives ne
peuvent être versées au dossier. Elle rappelle également que, aux termes du
deuxième paragraphe du même article, c’est la date certifiée de l’envoi du
document qui est prise en compte pour le calcul du délai et que, à défaut, elle
tient compte de la date de réception du document.
92. Dans le cas d’espèce, elle relève que les
observations litigieuses ont été envoyées le 21 février 2013, dernier jour du
délai assigné à la partie requérante. Il s’ensuit que les observations et les
demandes de satisfaction équitable ne sauraient être considérées comme
tardives.
2. Sur la
recevabilité
a) L’exception du Gouvernement tirée de
la perte de la qualité de victime
i. Thèses des
parties
93. Le
Gouvernement défendeur soutient que les requérants ont perdu leur qualité de
« victime ». En rappelant la jurisprudence selon lui pertinente de la
Cour en l’espèce (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil 1996‑III, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95,
§ 44, CEDH 1999‑VI, Labita c. Italie
[GC], no 26772/95, § 142, CEDH 2000‑IV, et Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05,
§§ 115-116, CEDH 2010), il assure que les tribunaux italiens, dans le cadre de
la procédure pénale, ont reconnu les violations subies par les requérants de
manière explicite ou tout au moins substantielle. Il ajoute que, à l’issue de
la même procédure, les requérants ont obtenu, en tant que parties civiles, la
reconnaissance du droit à la réparation du préjudice subi et le versement
d’indemnités provisionnelles sur les dommages-intérêts. Il argue également que
la déclaration de prescription de certains des délits attribués aux agents
accusés n’ont pas privé les requérants de la possibilité de saisir les
juridictions civiles afin d’obtenir la liquidation globale et définitive des
dommages-intérêts pour le préjudice subi.
94. Toujours sous l’angle de l’article 34 de la
Convention, le Gouvernement s’appuie sur la décision rendue dans l’affaire Palazzolo c. Italie ((déc.), §§ 105-108
et 110, no 32328/09, 24 septembre 2013) pour soutenir, d’une part,
que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes et, d’autre
part, qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier elle‑même les éléments
de fait ayant conduit une juridiction nationale à adopter une décision, sauf à
méconnaître les limites de sa mission et à s’ériger en juge de quatrième
instance.
95. Les requérants, en citant, parmi d’autres,
l’arrêt O’Keeffe c. Irlande ([GC], no
35810/09, § 115, CEDH 2014 (extraits)), avancent que le procès pénal n’a ni expressément
ni en substance reconnu une violation de l’article 3 de la Convention et
ce, selon eux, car le système juridique italien ne prévoit aucune infraction
proche du type d’actes interdits par la Convention.
96. Ils soutiennent également que, dans le reste
de son raisonnement, le Gouvernement ne fait que réitérer les arguments qu’il
avait déjà exposés relativement à son allégation de non-épuisement des voies de
recours internes.
ii. Appréciation
de la Cour
97. La Cour note que le Gouvernement associe,
dans son raisonnement, des arguments de nature à contester la qualité de
victime des requérants à des allégations essentiellement liées au
non-épuisement des voies de recours internes. Dès lors, ces dernières seront
traitées dans le cadre de l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement
des voies de recours internes.
98. En ce qui
concerne la perte de la qualité de victime, la Cour estime que la question
centrale posée est étroitement liée au fond du grief tiré de l’article 3 de la
Convention en son volet procédural. En conséquence, elle décide de joindre
cette exception au fond (Cestaro, précité, §136).
b) L’exception du Gouvernement tirée du
non-épuisement des voies de recours internes en matière pénale
i. Thèses des
parties
99. Invoquant l’article 35 § 1 de la Convention,
le Gouvernement allègue que, au moment de l’introduction des deux requêtes
(respectivement le 27 mai 2009 et le 3 septembre 2010), la procédure pénale
était encore pendante. Il indique en particulier que, en ce qui concerne la
requête no 28923/09, la cour d’appel de Gênes ne s’était pas
encore prononcée sur les faits litigieux à l’origine de la requête. Pour ce qui
est de la requête no 67599/10, il expose que la cour d’appel
n’avait déposé que le dispositif de son jugement et que la Cour de cassation
n’avait pas encore été saisie.
100. De ce fait, le Gouvernement maintient que
les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes en matière pénale
et que ces derniers, en introduisant leurs requêtes avant la fin de la
procédure pénale, auraient de fait demandé à la Cour de se substituer aux
autorités judiciaires nationales en violation du principe de subsidiarité.
101. Les requérants répliquent que, en raison de
l’absence de dispositions législatives pénales réprimant les pratiques
contraires à l’article 3 de la Convention, la qualification des faits
retenue par les juges internes était insuffisante par rapport à la gravité des
faits en question. En outre, ils insistent sur le fait que cette qualification
n’a pu empêcher l’application de la prescription à la quasi-totalité des
infractions en cause. Ils soutiennent également que les peines adoptées ont été
fortement réduites en application des dispositions de la loi no 241/2006
relatives à la remise de peine de trois ans. Ils allèguent enfin que le bilan
de la procédure pénale interne est seulement de huit condamnations définitives
pour des délits mineurs (abus d’autorité publique, faux et lésions volontaires)
et de quatre acquittements, et que la prescription a été appliquée pour tous
les autres délits reprochés aux quarante-cinq accusés. En matière de
prescription, ils indiquent notamment que le procureur général de Gênes a
soulevé devant la Cour de cassation une exception d’inconstitutionnalité
concernant l’application de la prescription et de la remise de peine à des
délits pouvant être qualifiés de torture au sens de l’article 3 de la
Convention.
102. Partant, ils estiment que le système
national n’offre pas un remède adéquat et efficace contre les actes de torture
et citent à cet effet les arrêts rendus dans les affaires Zontul c. Grèce (no 12294/07, § 96, 17 janvier 2012), Gäfgen (précité, § 117) et Beganović c. Croatie (no 46423/06,
§§ 69‑72, 25 juin 2009).
ii. Appréciation
de la Cour
103. Aux termes de l’article 35 § 1 de la
Convention, la Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de
recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit
international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir
de la date de la décision interne définitive.
104. La Cour a déjà jugé, dans certaines affaires
introduites avant la fin de la procédure pénale concernant des mauvais
traitements au sens de l’article 3 de la Convention, que l’exception du
gouvernement défendeur tirée du caractère prématuré de la requête avait perdu
sa raison d’être une fois la procédure pénale en question achevée (Kopylov, précité,
§ 119, renvoyant à Samoïlov c. Russie, no 64398/01, §
39, 2 octobre 2008, et Cestaro,
précité, § 145).
105. En outre, si, en principe, le requérant a
l’obligation de tenter loyalement divers recours internes avant de saisir la
Cour et si le respect de cette obligation s’apprécie à la date d’introduction
de la requête (Baumann c. France,
no 33592/96, § 47, CEDH 2001‑V (extraits)), la Cour tolère que
le dernier échelon de ces recours soit atteint peu après le dépôt de la
requête, mais avant qu’elle ne soit appelée à se prononcer sur la recevabilité
de celle‑ci (Karoussiotis c. Portugal, no 23205/08,
§§ 57 et 87-92, CEDH 2011 (extraits), Rafaa c. France, no 25393/10, § 33, 30 mai 2013, et Cestaro, précité, §§ 146 et 205-208 et les
références qui y sont mentionnées).
106. En l’espèce, la Cour rappelle que les
requérants allèguent avoir été victimes d’actes de torture qui auraient été
commis entre le 20 et le 23 juillet 2001 (paragraphes 18-50 ci-dessus).
107. Elle relève ensuite que la procédure pénale
engagée contre les forces de l’ordre relativement aux événements survenus au
sein de la caserne de Bolzaneto, procédure dans
laquelle les requérants se sont constitués parties civiles en janvier 2005 (à
l’exception de Mme Kutschkau, qui s’est
constituée partie civile en février 2005, et de M. Galloway et Mme Ender, qui l’ont fait en octobre 2005), a abouti, en
novembre 2008, au dépôt du jugement de première instance (paragraphe 52 ci-dessus) et, en avril 2011, au dépôt de l’arrêt
d’appel (paragraphe 57 ci-dessus). Elle estime que l’application de la
prescription et de la remise de peine sont deux aspects qui pèsent sur
l’appréciation de l’épuisement des voies de recours internes.
108. Dans ces circonstances, en tenant compte en
particulier des faits allégués, la Cour ne saurait reprocher aux requérants de
lui avoir adressé leurs griefs portant sur la violation de l’article 3 de la
Convention en mai 2009 et en septembre 2010, soit respectivement près de
huit ans et plus de neuf ans après les événements survenus au sein de la
caserne de Bolzaneto, sans avoir attendu l’arrêt de
la Cour de cassation rendu le 14 juin 2013 et déposé le 10 septembre 2013
(paragraphe 69 ci-dessus). En conséquence, cette partie de l’exception
du Gouvernement tirée du non‑épuisement des voies de recours internes en
matière pénale ne peut être retenue.
c) L’exception du Gouvernement tirée du
non-épuisement des voies de recours internes en matière civile
i. Thèses des
parties
109. Le
Gouvernement soutient aussi que les requérants auraient dû entamer une action
civile en dommages-intérêts afin d’obtenir l’indemnisation du préjudice
matériel et moral découlant des violences dont ils auraient été victimes. Les
intéressés ne l’ayant pas fait, il estime dès lors que ces derniers n’ont pas
permis à l’État italien de résoudre les affaires litigieuses au niveau interne,
comme le veut le principe de subsidiarité.
110. Le Gouvernement indique que les requérants
ont reçu, en tant que parties civiles, des indemnités provisionnelles dont le
montant se serait échelonné entre 10 000 EUR et 30 000 EUR. Il ajoute
que, dans certains cas, les tribunaux nationaux ont accordé des indemnités
provisionnelles s’élevant à 210 000 EUR.
111. Les requérants contestent la thèse du
Gouvernement. En effet, ils arguent que la seule indemnisation ne peut remédier
à une violation de l’article 3 de la Convention lorsque l’État n’a pas pris de
mesures raisonnables pour satisfaire à ses obligations découlant de cet
article. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour, ils estiment que, si la
réaction des autorités aux épisodes de mauvais traitements se borne à une
simple indemnisation, sans que les responsables des actes en cause ne soient
poursuivis et punis, les agents de l’État pourraient en pratique échapper aux
conséquences liées à la violation des droits des victimes de mauvais
traitements, en vidant de fait de sa substance l’interdiction absolue énoncée
par l’article 3 de la Convention. Ils citent à cet effet les arrêts Assenov et autres c. Bulgarie, (28 octobre
1998, § 71, Recueil 1998‑VIII),
Gäfgen (précité, § 119), Krastanov c. Bulgarie (no
50222/99, § 60, 30 septembre 2004), Çamdereli c. Turquie (no 28433/02, § 29, 17
juillet 2008), et Vladimir Romanov
(précité, § 78).
112. En conclusion, les requérants se plaignent
qu’aucun remède effectif et efficace n’existait au niveau interne.
ii. Appréciation
de la Cour
113. La Cour rappelle que, selon ses principes
généraux relatifs à la règle de l’épuisement des voies de recours internes (Vučković et autres c. Serbie ([GC], nos
17153/11 et autres, §§ 69-77, 25 mars 2014), l’article 35 § 1 de la
Convention ne prescrit que l’épuisement des recours à la fois relatifs aux
violations incriminées, disponibles et adéquats. Un recours est effectif
lorsqu’il est disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits,
c’est-à-dire lorsqu’il est accessible et susceptible d’offrir au requérant le
redressement de ses griefs et qu’il présente des perspectives raisonnables de
succès (Akdivar et autres c. Turquie,
16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV,
et Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC],
nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04,
19993/04 et 21819/04, § 70, CEDH 2010).
114. La Cour rappelle également qu’elle doit
appliquer la règle de l’épuisement des voies de recours internes en tenant
dûment compte du contexte, en faisant preuve d’une certaine souplesse et sans
formalisme excessif. Elle a de plus admis que la règle de l’épuisement des
voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et
ne revêt pas un caractère absolu ; pour en contrôler le respect, il faut
avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment qu’elle doit
tenir compte de manière réaliste du contexte juridique et politique dans lequel
les recours s’inscrivent ainsi que de la situation personnelle des requérants
(voir, parmi beaucoup d’autres, Akdivar et autres,
précité, § 69, Selmouni, précité, § 77, Kozacıoğlu c. Turquie [GC], no 2334/03,
§ 40, 19 février 2009, et Reshetnyak c. Russie,
no 56027/10, § 58, 8 janvier 2013).
115. Dans son appréciation de l’effectivité de la
voie de recours indiquée par le gouvernement défendeur, la Cour doit donc
prendre en compte la nature des griefs et les circonstances de l’affaire pour
établir si cette voie de recours fournissait au requérant un moyen adéquat de
redressement de la violation dénoncée (Reshetnyak, précité, § 71, concernant le caractère inadéquat
d’un recours indemnitaire en cas de violation continue de l’article 3 de
la Convention à raison des conditions de détention et, en particulier, de
l’aggravation de l’état de santé du détenu, et De Souza Ribeiro c. France [GC], no
22689/07, §§ 82-83, CEDH 2012, où la Cour a rappelé que l’exigence d’un recours
de plein droit suspensif contre l’expulsion de l’intéressé dépendait de la
nature de la violation de la Convention ou de ses Protocoles qu’aurait
entraînée l’expulsion).
116. En l’espèce, la Cour observe que, comme sur
le terrain de la perte de la qualité de victime (paragraphes 93-98 ci-dessus), les thèses des parties divergent
profondément quant à l’étendue des obligations découlant de l’article 3 de la
Convention et quant aux moyens nécessaires et suffisants pour redresser les
violations en cause.
117. Eu égard à
sa décision de joindre au fond la question de la perte de la qualité de
victime, elle estime qu’il doit en aller de même pour l’exception de
non-épuisement de la voie de recours en matière civile.
d) Autres motifs d’irrecevabilité
118. Constatant que ce grief n’est pas
manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et
qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour
le déclare recevable.
3. Sur le fond
a) Sur le volet matériel de l’article 3
de la Convention
i. Thèses des
parties
α) Les requérants
119. Les requérants, arrêtés puis placés à la
caserne de Bolzaneto, allèguent avoir été insultés,
menacés, frappés et avoir fait l’objet d’autres types de mauvais traitements de
la part de membres des forces de l’ordre. Ils déplorent les vives souffrances
physiques et psychologiques que ces violences leur auraient causées.
120. Les requérants dénoncent également
l’impossibilité pour eux de prendre contact avec un proche, un avocat ou, le
cas échéant, un représentant consulaire, ainsi que l’absence de prise en charge
médicale adaptée à leur état de santé, les visites médicales auxquelles ils
auraient été soumis étant selon eux superficielles, souvent humiliantes et
réalisées en présence d’agents des forces de l’ordre (paragraphes 18-50). Par ailleurs, les requérants de la requête no
67599/10 considèrent comme étant encore plus grave le comportement des médecins
de l’administration pénitentiaire, ceux–ci ayant selon eux contrevenu à leur
devoir professionnel de porter assistance et de s’assurer que chaque détenu
reçût les soins nécessaires.
121. Ils considèrent enfin que l’État n’a pas mis
en place les mesures nécessaires qui leur éviteraient d’être soumis à de tels
traitements et ils estiment que les actions des agents et fonctionnaires
impliqués ne peuvent trouver d’autre justification que la volonté de les punir,
eux et les autres personnes arrêtées, pour leurs opinions politiques et pour
leur participation aux manifestations contre le sommet du G8 de Gênes. Enfin,
selon eux, les auteurs des mauvais traitements en cause ont agi avec le
consentement et la connivence de leurs supérieurs hiérarchiques présents à la
caserne de Bolzaneto.
122. Partant, compte tenu de tous ces éléments,
les requérants estiment avoir été victimes de torture et de traitements
inhumains et dégradants.
β) Le Gouvernement
123. Le Gouvernement assure ne pas sous-estimer
la gravité des faits qui se sont produits au sein de la caserne de Bolzaneto entre le 20 et le 23 juillet 2001. Il
estime que les actions commises par les agents de police constituent des
infractions graves et déplorables auxquelles l’État italien aurait réagi de
manière adéquate, à travers l’action des tribunaux, en rétablissant l’état de
droit affaibli par cet épisode.
124. En gage de « complète reconnaissance
par l’Italie des violations des droits perpétrées », le Gouvernent déclare
souscrire « au jugement des juridictions nationales, qui ont très durement
stigmatisé le comportement des agents de police » à l’époque des faits.
125. Néanmoins, il expose que les événements en
question ne sauraient être regardés comme l’expression d’une politique générale
de l’administration italienne. Selon lui, les faits ayant eu lieu à la caserne
de Bolzaneto constituent un épisode isolé et
exceptionnel, dont l’arbitraire et la gravité des modalités de prise en charge
et de traitement des personnes arrêtées s’inscrivent dans les exigences
spécifiques de protection de l’ordre public lors du G8 de Gênes, un contexte
tout à fait particulier caractérisé par la présence de milliers de manifestants
en provenance de l’Europe entière et aggravé par les nombreux incidents et
accrochages qui se seraient produits pendant les manifestations.
ii. Appréciation
de la Cour
α) Principes généraux
126. Les principes généraux applicables en la
matière ont été récemment rappelés dans les arrêts Bouyid c. Belgique ([GC], no 23380/09, §§ 88-90, CEDH 2015) et
Bartesaghi Gallo et autres c. Italie (nos 12131/13 et 43390/13, §§ 111-113, 22
juin 2017).
β) Application de ces
principes aux circonstances des présentes espèces
127. La Cour note d’emblée que les tribunaux
internes ont établi de manière détaillée et approfondie, avec exactitude et
au-delà de tout doute raisonnable les mauvais traitements dont les personnes
placées à la caserne de Bolzaneto ont été l’objet
(paragraphes 18-50 ci-dessus) et elle ne relève pas d’éléments convaincants
pour pouvoir s’écarter des conclusions auxquelles ils sont parvenus (Gäfgen, précité,
§ 93). Les témoignages des victimes ont été confirmés par les dépositions de membres
des forces de l’ordre et de l’administration publique, par les admissions
partielles des accusés ainsi que par les documents à disposition des
magistrats, notamment les comptes rendus médicaux et les expertises
judiciaires.
128. Dès lors, la Cour juge établies tant les
agressions physiques et verbales dont les requérants se plaignent que les
séquelles découlant de celles-ci. Elle constate en particulier ce qui
suit :
– dès
leur arrivée à la caserne de Bolzaneto, il a été interdit
aux requérants de lever la tête et de regarder les agents qui les
entouraient ; ceux qui avaient été arrêtés à l’école Diaz-Pertini ont été
marqués d’une croix tracée au feutre sur la joue ; tous les requérants ont
été obligés de se tenir immobiles, bras et jambes écartés, face aux grilles à
l’extérieur de la caserne ; la même position vexatoire a été imposée à
chacun à l’intérieur des cellules ;
– à
l’intérieur de la caserne, les requérants étaient contraints de se déplacer
penchés en avant et la tête baissée ; dans cette position, ils devaient
traverser « le tunnel des agents », à savoir le couloir de la caserne
dans lequel des agents se tenaient de chaque côté pour les menacer, les frapper
et leur lancer des insultes à caractère politique ou sexuel (paragraphe 64 ci‑dessus) ;
– lors
des visites médicales, les requérants ont été l’objet de commentaires,
d’humiliations et parfois de menaces de la part du personnel médical ou des
agents de police présents ;
– les
effets personnels des requérants ont été confisqués, voire détruits de façon
aléatoire ;
– compte
tenu de l’exiguïté de la caserne de Bolzaneto ainsi
que du nombre et de la répétition des épisodes de brutalité, tous les agents et
fonctionnaires de police présents étaient conscients des violences commises par
leurs collègues ou leurs subordonnés ;
– les
faits en cause ne peuvent se résumer à une période donnée au cours de laquelle,
sans que cela ne puisse aucunement le justifier, la tension et les passions
exacerbées auraient conduit à de tels excès : ces faits se sont déroulés
pendant un laps de temps considérable, à savoir entre la nuit du 20 au
21 juillet et le 23 juillet, ce qui signifie que plusieurs équipes
d’agents se sont succédées au sein de la caserne sans aucune diminution
significative en fréquence ou en intensité des épisodes de violence.
129. En ce qui concerne les récits individuels
des requérants, la Cour ne peut que constater la gravité des faits décrits par
les intéressés. Ce qui ressort du matériel probatoire démontre nettement que
les requérants, qui n’ont opposé aucune forme de résistance physique aux
agents, ont été victimes d’une succession continue et systématique d’actes de
violence provoquant de vives souffrances physiques et psychologiques (Gutsanovi c. Bulgarie, no 34529/10,
§ 126, CEDH 2013 (extraits)). Ces violences ont été infligées à chaque individu
dans un contexte général d’emploi excessif, indiscriminé et manifestement
disproportionné de la force (Bouyid, précité, § 101).
130. Ces épisodes ont eu lieu dans un contexte
délibérément tendu, confus et bruyant, les agents criant à l’encontre des
individus arrêtés et entonnant de temps en temps des chants fascistes. Dans son
arrêt no 678/10 du 15 avril 2011, la cour d’appel de Gênes a établi
que la violence physique et morale, loin d’être épisodique, a, au contraire,
été indiscriminée, constante et en quelque sorte organisée, ce qui a eu pour
résultat de conduire à « une sorte de processus de déshumanisation
réduisant l’individu à une chose sur laquelle exercer la violence »
(paragraphe 67 ci-dessus).
131. La gravité des faits de la présente espèce
réside également dans un autre aspect qui, aux yeux de la Cour, est tout aussi
important. En effet, elle a rappelé à maintes reprises que la situation de
vulnérabilité dans laquelle se trouvent les personnes placées en garde à vue
impose aux autorités le devoir de les protéger (idem, § 107). Or l’ensemble des faits litigieux démontre que
les membres de la police présents à l’intérieur de la caserne de Bolzaneto, les simples agents et, par extension, la chaîne
de commandement, ont gravement contrevenu à leur devoir déontologique primaire
de protection des personnes placées sous leur surveillance.
132. Cela est d’ailleurs souligné par le tribunal
de première instance de Gênes (paragraphe 53 ci-dessus), qui a estimé que les agents poursuivis
avaient trahi le serment de fidélité et d’adhésion à la Constitution et aux
lois républicaines en portant atteinte, par leur comportement, à la dignité et
à la probité de la police italienne en tant que corps de métier et, par suite,
en affaiblissant la confiance de la population italienne dans les forces de
l’ordre.
133. La Cour ne saurait dès lors négliger la
dimension symbolique de ces actes, ni le fait que les requérants ont été non
seulement les victimes directes de sévices mais aussi les témoins impuissants
de l’usage incontrôlé de la violence à l’égard des autres personnes arrêtées.
Aux atteintes portées à l’intégrité physique et psychologique individuelle
s’est donc ajouté l’état d’angoisse et de stress causé par les épisodes de
violences auxquels ils ont assisté (Iljina et Sarulienė c. Lituanie, no 32293/05,
§ 47, 15 mars 2011).
134. En s’appuyant notamment sur les conclusions
de la cour d’appel de Gênes (paragraphe 67 ci-dessus) et de la Cour de cassation (paragraphe 72 ci-dessus), la Cour estime que les requérants, traités
comme des objets aux mains de la puissance publique, ont vécu pendant toute la
durée de leur détention dans un lieu de « non-droit » où les
garanties les plus élémentaires avaient été suspendues.
135. En effet, outre les épisodes de violence
susmentionnés, la Cour ne saurait ignorer les autres atteintes aux droits des
requérants s’étant produites à la caserne de Bolzaneto.
Aucun requérant n’a pu prendre contact avec un proche, un avocat de son choix
ou, le cas échéant, un représentant consulaire. Les effets personnels ont été
détruits sous les yeux de leurs propriétaires. L’accès aux toilettes était
refusé et, en tous cas, les requérants ont été fortement dissuadés de s’y
rendre en raison des insultes, des violences et des humiliations subies par les
personnes ayant demandé à y accéder. En outre, il y a lieu de remarquer que
l’absence de nourriture et de draps en quantité suffisante, ce qui, d’après les
juges nationaux, ne découlait pas tant d’une volonté délibérée d’en priver les
requérants que d’une mauvaise planification du fonctionnement du site, ne peut
qu’avoir amplifié la situation de détresse et le niveau de souffrance éprouvés
par les requérants.
136. En conclusion, la Cour ne saurait ignorer
que, en l’espèce, tel qu’il ressort des jugements internes (paragraphe 67 ci-dessus), les actes qui ont été commis dans la caserne
de Bolzaneto sont l’expression d’une volonté punitive
et de représailles à l’égard des requérants, privés de leurs droits et du
niveau de protection reconnu à tout individu par l’ordre juridique italien
(voir, mutatis mutandis, Cestaro, précité,
§ 177).
137. Ces éléments suffisent à la Cour pour
conclure que les actes de violence répétés subis par les requérants à
l’intérieur de la caserne de Bolzaneto doivent être
regardés comme des actes de torture. Partant, il y a eu violation de l’article
3 de la Convention sous son volet matériel.
b) Sur le volet procédural de l’article
3 de la Convention
i. Thèses des
parties
α) Les requérants
138. Les requérants, nonobstant la méticuleuse
enquête menée par le procureur de la République de Gênes et les conclusions du
tribunal de première instance et de la cour d’appel de Gênes ayant permis
d’établir les faits allégués, reprochent aux juges d’avoir appliqué la
prescription à la quasi-totalité des délits imputés aux accusés. Ils indiquent
que seuls des délits mineurs ont été retenus à l’égard d’un nombre réduit
d’accusés, lesquels auraient par ailleurs, en raison de la courte durée des
peines prévues, bénéficié du sursis à l’exécution ou d’une remise de peine en
application de la loi no 241 du 29 juillet 2006. Ils dénoncent
ainsi l’issue de la procédure pénale et évoquent à cet égard les arrêts de la
Cour Abdülsamet Yaman
c. Turquie (no 32446/96, § 55, 2 novembre 2004) et Ali et Ayşe Duran c. Turquie (no 42942/02, § 69, 8 avril 2008).
139. Les requérants précisent qu’en outre les responsables
des événements de la caserne de Bolzaneto n’ont été
punis par aucune mesure disciplinaire de suspension pendant le procès ou de
sanction à l’issue de celui-ci, et qu’ils ont même obtenu des promotions par la
suite.
140. Ils critiquent dès lors l’absence dans
l’ordre juridique interne d’un délit punissant la torture et les traitements
inhumains ou dégradants, disposition législative qui aurait permis selon eux de
poursuivre non seulement les auteurs matériels mais aussi les coresponsables
des actes en question, notamment les supérieurs hiérarchiques. En effet, ils
arguent que la qualification juridique des faits retenue par les juges internes
prévoyait un élément psychologique spécifique que l’interdiction de la torture
ne prévoirait pas, ce qui permettrait de poursuivre les auteurs matériels et
ceux qui, en raison de leur connivence ou de leur consentement, ont participé à
la commission d’actes pouvant être qualifiés de torture ou de traitements
inhumains ou dégradants.
141. La nécessité de criminaliser la torture et
les autres mauvais traitements s’expliquerait en outre par la nécessité
d’éviter l’application de la prescription ou d’autres mesures de clémence à des
actes particulièrement sérieux et suscitant des troubles considérables au
niveau social.
142. Quant à la possibilité d’obtenir une
indemnisation dans le cadre de la procédure civile en dommages-intérêts, les
requérants s’appuient sur la jurisprudence de la Cour (Gäfgen, précité, §§ 116-119) pour
souligner l’ineffectivité du remède civil eu égard aux actes délibérés de
mauvais traitements.
β) Le Gouvernement
143. Le Gouvernement conteste la thèse des
requérants et maintient que l’État a bien rempli son obligation positive de
mener une enquête indépendante et impartiale. Il soutient que les autorités ont
adopté toutes les mesures permettant l’identification et la condamnation des
responsables des mauvais traitements litigieux à une peine adéquate, comme
l’exige la jurisprudence de la Cour.
144. Il estime en particulier que, à l’issue
d’une procédure pénale complexe et approfondie qui a permis l’établissement des
faits dénoncés, les quarante-cinq policiers poursuivis ont été condamnés, même
si, pour la plupart d’entre eux, la cour d’appel a reconnu l’application de la
prescription. En ce qui concerne l’action civile, il indique que tous les
requérants se sont vu accorder une somme à titre de provision sur les
dommages-intérêts.
145. Se penchant ensuite sur l’allégation relative
à l’absence du délit de « torture » dans l’ordre juridique italien, le
Gouvernement expose que les juges internes ont pu sanctionner de manière
adéquate les délits contre la personne en utilisant l’arsenal juridique
existant. À ce titre, il maintient que la Convention contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre
1984 ne prévoit pas une définition univoque de la notion de
« torture », ce qui impliquerait que le code pénal italien permet de
sanctionner de manière appropriée les différentes formes de mauvais
traitements.
146. Enfin, le Gouvernement informe la Cour
qu’une proposition de loi visant à introduire dans le code pénal italien le
délit de torture est actuellement en cours d’examen devant le Parlement
(paragraphe 82 ci‑dessus). Il précise que des peines pouvant
aller jusqu’à douze ans de prison sont envisagées en cas de mauvais traitements
infligés par des fonctionnaires ou des officiers publics et que la peine
d’emprisonnement à perpétuité pourra être prononcée lorsque les mauvais
traitements en question ont causé le décès de la victime.
ii. Appréciation
de la Cour
α) Principes généraux
147. La Cour rappelle que, lorsqu’un individu
soutient de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres
services comparables de l’État, un traitement contraire à l’article 3 de la Convention,
cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’État par
l’article 1 de « reconnaître à toute personne relevant de [sa] juridiction
les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention », requiert, par
implication, qu’il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête doit
pouvoir mener à l’identification et, le cas échéant, à la punition des
responsables et à l’établissement de la vérité. S’il n’en allait pas ainsi,
nonobstant son importance fondamentale, l’interdiction légale générale de la
torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants serait inefficace
en pratique, et il serait possible dans certains cas à des agents de l’État de
piétiner, en jouissant d’une impunité virtuelle, les droits des personnes soumises
à leur contrôle (voir, parmi beaucoup d’autres, Nasr et Ghali c. Italie,
no 44883/09, § 262, 23 février 2016).
148. Les principes
pertinents concernant les éléments d’« une enquête officielle
effective » ont été rappelés récemment par la Cour dans l’arrêt Cestaro (précité, §§ 205-212, et les
références qui y sont citées) et résumés dans son arrêt Nasr et Ghali (précité, § 263), auxquels la Cour renvoie.
β) Application de ces
principes aux circonstances des présentes espèces
149. La Cour observe d’emblée que la plupart des
auteurs matériels des actes de « torture » (paragraphe 54 ci-dessus) n’ont pas pu être identifiés par les
autorités judiciaires ni inquiétés par une enquête, et qu’ils sont donc restés
impunis.
150. Tout en rappelant que l’obligation de mener
une enquête n’est pas, selon sa jurisprudence, une obligation de résultat mais
de moyens (voir, parmi beaucoup d’autres, Gheorghe
Dima c. Roumanie, no 2770/09,
§ 100, 19 avril 2016), il y a lieu de noter que les remarquables efforts
des juges nationaux pour identifier les agents de police ayant participé aux
faits dénoncés se sont soldés par un échec pour deux raisons principales.
151. D’une part, l’interdiction faite aux
requérants de regarder les agents et l’obligation qui leur était imposée de se
tenir face aux grilles à l’extérieur de la caserne ou au mur des cellules,
combinée à l’absence de signes distinctifs sur l’uniforme des agents, tel qu’un
numéro de matricule, ont contribué à rendre impossible l’identification par les
victimes des policiers présents à l’intérieur de la caserne de Bolzaneto.
152. D’autre part, la Cour constate que le
regrettable manque de coopération de la police avec les autorités judiciaires
chargées de l’enquête a été déterminant en l’occurrence.
153. En ce qui concerne la procédure pénale, elle
note que la vaste majorité des délits de lésions corporelles, simples ou
aggravées, ainsi que ceux de calomnie et d’abus d’autorité publique ont été
déclarés prescrits. En effet, sur quarante-cinq personne renvoyées en justice,
la Cour de cassation (paragraphe 69 ci-dessus) n’a confirmé la condamnation que de huit
agents ou cadres des forces de l’ordre à des peines d’emprisonnement allant
d’un an pour abus d’autorité publique (les trois agents condamnés ayant renoncé
à la prescription) à trois ans et deux mois pour le délit de lésions
corporelles (puis réduite de trois ans en application de la loi no
241/06). La Cour constate que tous les condamnés ont bénéficié soit de la
remise de peine, soit du sursis à l’exécution et de la non-inscription de la
condamnation au casier judiciaire. Elle remarque que, en pratique, personne n’a
passé un seul jour en prison pour les traitements infligés aux requérants.
154. En vertu de l’article 19 de la Convention et
conformément au principe voulant que la Convention garantisse des droits non
pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs, la Cour doit
s’assurer que l’État s’acquitte comme il se doit de l’obligation qui lui est
faite de protéger les droits des personnes relevant de sa juridiction, en
particulier dans les cas où il existe une disproportion manifeste entre la gravité
de l’acte et la sanction infligée. Sinon, le devoir qu’ont les États de mener
une enquête effective perdrait beaucoup de son sens.
155. Partant, elle ne peut que relever que,
malgré l’établissement des faits les plus graves par les juridictions internes,
la prescription a empêché le constat de la responsabilité pénale de leurs
auteurs. Elle remarque aussi que, en application de la loi no 241
du 29 juillet 2006 relative aux conditions d’octroi de la remise générale de
peine (indulto),
les peines prononcées pour les autres délits ont été réduites de trois ans
(paragraphe 58 ci-dessus).
156. Elle rappelle que, parmi les éléments qui
caractérisent une enquête effective sur le terrain de l’article 3 de la
Convention, le fait que les poursuites judiciaires ne souffrent d’aucun délai
de prescription est primordial. Elle indique également avoir déjà jugé que
l’octroi d’une amnistie ou d’un pardon ne devrait pas être toléré en matière de
torture ou de mauvais traitements infligés par des agents de l’État (Abdülsamet Yaman, précité, § 55, et Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos
10865/09 et 2 autres, § 326, CEDH 2014 (extraits)).
157. Comme elle l’a fait dans son arrêt Cestaro (précité, §§ 223 et 224), la Cour
reconnaît que les juges nationaux ont dû diligenter pour les faits relatifs à
la caserne de Bolzaneto
une procédure pénale complexe liée à un épisode de violence policière unique
dans l’histoire de la République italienne. Elle ne saurait ignorer qu’aux
difficultés de la procédure à l’égard de nombre de coaccusés et de parties
civiles se sont ajoutés des obstacles liés au manque de coopération de la part
de l’administration de la police (paragraphe 54 ci-dessus).
158. Contrairement à sa conclusion dans d’autres
affaires, la Cour considère que, en l’espèce, la durée de la procédure interne
et le non-lieu prononcé pour cause de prescription de la plupart des délits ne
sont pas imputables aux atermoiements ou à la négligence du parquet ou des
juges internes mais aux défaillances structurelles de l’ordre juridique italien
(voir, parmi d’autres, Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96
et 57834/00, §§ 142‑147, CEDH 2004‑IV (extraits), et Hüseyin Şimşek
c. Turquie, no 68881/01, §§ 68-70, 20 mai 2008).
159. En effet, aux yeux de la Cour, l’origine du
problème réside dans le fait qu’aucune des infractions pénales existantes
n’apparaît à même d’englober toute la gamme de questions soulevées par un acte
de torture dont un individu risque d’être victime (Myumyun c. Bulgarie, no 67258/13, § 77, 3 novembre
2015).
160. La Cour a déjà jugé dans son arrêt Cestaro (précité,
§ 225) que la législation pénale nationale appliquée dans les affaires en
cause s’était révélée à la fois inadéquate par rapport à l’exigence de sanction
des actes de torture en question et dépourvue de l’effet dissuasif nécessaire à
la prévention de violations similaires de l’article 3 de la Convention.
161. Dans ce cadre, elle a invité l’Italie à se
munir des outils juridiques aptes à sanctionner de manière adéquate les
responsables d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements au regard de
l’article 3 et à empêcher que ceux-ci puissent bénéficier de l’application de
mesures en contradiction avec la jurisprudence de la Cour, notamment la
prescription et la remise de peine (idem,
§§ 242-246).
162. Le législateur italien a présenté une
proposition de loi introduisant le délit de torture. Après des modifications
successives, le 18 juillet 2017 la loi est entrée en vigueur. La Cour prend
note de l’introduction des nouvelles dispositions qui ne trouvent pas à
s’appliquer en l’espèce.
163. Concernant, enfin, les mesures
disciplinaires, la Cour observe que le Gouvernement indique que les policiers
concernés n’ont pas été suspendus de leurs fonctions pendant le procès. Elle
note que le Gouvernement ne précise pas si ces mêmes policiers ont fait l’objet
de mesures disciplinaires et n’indique pas, le cas échéant, quelles ont été les
mesures adoptées à cet égard.
164. La Cour rappelle en tout état de cause, à ce
propos, avoir répété que, lorsque des agents de l’État sont inculpés
d’infractions impliquant des mauvais traitements, il importe qu’ils soient
suspendus de leurs fonctions pendant l’instruction ou le procès et en soient
démis en cas de condamnation (voir, parmi beaucoup d’autres, Abdülsamet Yaman,
précité, § 55, Ali et Ayşe
Duran, précité, § 64, Çamdereli,
précité, § 38, Gäfgen,
précité, § 125, Cestaro, précité, § 205, Erdal Aslan c. Turquie, nos 25060/02 et 1705/03, §§ 74
et 76, 2 décembre 2008, et Saba
c. Italie, no 36629/10, § 78, 1er juillet 2014).
165. En conclusion, la Cour considère que les
requérants n’ont pas bénéficié d’une enquête officielle effective aux fins de
l’article 3 de la Convention. Partant, elle conclut qu’il y a eu violation de
cette disposition sous son volet procédural. Dès lors, elle rejette tant
l’exception préliminaire du Gouvernement tirée de la perte de la qualité de
victime (paragraphes 93‑98 ci-dessus) que l’exception préliminaire tirée du
non-épuisement des voies de recours internes en matière civile (paragraphes 109-117 ci-dessus ; Cestaro, précité, §§ 229-236).
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
166. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si
la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles,
et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la
partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
167. Les requérants de la requête no
28923/09 réclament 150 000 EUR chacun au titre du préjudice matériel et moral
qu’ils estiment avoir subi, tandis que les requérants de la requête no
67599/10 (notamment les requérants figurant sous les numéros 1-4, 6-8, 12, 13,
15, 16 et 19 dans la liste en annexe) s’en remettent à l’appréciation de la
Cour.
168. Le Gouvernement conteste ces prétentions et
invite la Cour à déclarer qu’un constat de violation fournirait une
satisfaction équitable suffisante. À titre subsidiaire, il critique le montant
réclamé par les requérants, qu’il estime disproportionné, et demande à la Cour
de tenir compte des sommes provisionnelles qui ont été versées aux requérants
en leur qualité de parties civiles à la procédure pénale.
169. La Cour relève que les requérants n’ont pas
étayé suffisamment leurs prétentions pour que le lien de causalité nécessaire
entre la violation constatée et le dommage matériel allégué pût être établi.
Elle rejette par conséquent cette partie de la demande (Eğitim ve Bilim Emekçileri Sendikası et autres c. Turquie, no 20347/07,
§ 116, 5 juillet 2016).
170. En ce qui concerne le dommage moral, la Cour
relève que, selon les dernières informations fournies par les requérants et non
contestées par le Gouvernement, les indemnités provisionnelles accordées à
titre de dommages-intérêts aux requérants par les tribunaux internes n’ont pas
été versées ou ne l’ont été que partiellement et à un nombre limité de
requérants (quatre requérants de la requête no 28923/09 et deux
requérants de la requête no 67599/10). Elle rappelle également la
gravité des actes de violence établis dans les présentes affaires qui ont
conduit à sa conclusion de violation de l’article 3 de la Convention, tant sous
son volet matériel que sous son volet procédural.
171. Partant, elle décide d’accorder en équité à
chaque requérant la somme de 80 000 EUR (quatre-vingt mille euros) à titre de
dommage moral, à l’exception de M. G. Azzolina.
À ce dernier, en raison de la gravité et cruauté des violences dont il fut
victime au sein de la caserne de Bolzaneto, la Cour
décide d’accorder en équité la somme de 85 000 EUR (quatre‑vingt‑cinq
mille euros) à titre de dommage moral.
172. La Cour précise néanmoins que les sommes
qu’elle a accordées au titre du dommage moral ne sont dues qu’en fonction de
l’état de versement des indemnités reconnues à titre de provision au plan
interne. Ainsi, dans l’hypothèse où ces sommes seraient effectivement payées
par les autorités italiennes aux requérants, elles viendraient en déduction des
satisfactions équitables que le Gouvernement devra verser aux parties
requérantes en vertu du présent arrêt (Kavaklıoğlu
et autres c. Turquie, no 15397/02, § 302, 6 octobre
2015).
B. Frais
et dépens
173. Les requérants n’ont formulé aucune demande
de remboursement des frais et dépens engagés pour la procédure devant la Cour.
La Cour estime dès lors qu’il n’y a pas lieu de leur accorder de somme à ce
titre.
C. Intérêts
moratoires
174. La Cour juge approprié de calquer le taux
des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal
de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À
L’UNANIMITÉ,
1. Décide de rayer la requête du rôle, en
ce qui concerne les requérants dans la requête no 67599/10 qui
figurent dans la liste en annexe sous les numéros 5, 9, 10, 11, 14, 17 et
18 ;
2. Rejette l’exception préliminaire
soulevée par le Gouvernement quant au non-épuisement des voies de recours
internes en matière pénale ;
3. Joint au fond les exceptions soulevées
par le Gouvernement quant à la perte de la qualité de victime des requérants et
au non-épuisement des voies de recours internes en matière civile et les
rejette ;
4. Déclare les requêtes recevables ;
5. Dit qu’il y a eu violation de l’article
3 de la Convention sous son volet matériel ;
6. Dit qu’il y a eu violation de l’article
3 de la Convention sous son volet procédural ;
7. Dit
a) que
l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du
jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à
l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 85 000 EUR
(quatre-vingt-cinq mille euros) à M. G. Azzolina,
plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 80 000 EUR (quatre-vingt
mille euros), aux requérants de la requête no 28923/09 et aux
requérants de la requête no 67599/10 figurant sous les numéros 1-4,
6-8, 12, 13, 15, 16 et 19 dans la liste en annexe, plus tout montant pouvant
être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à
compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront
à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
8. Rejette la demande de satisfaction équitable
pour le surplus.
Fait en
français, puis communiqué par écrit le 26 octobre 2017, en application de
l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Abel Campos Linos-Alexandre
Sicilianos
Greffier Président
ANNEXE
Requête no
28923/09 (introduite le 27/05/2009)
No. |
Prénom
NOM |
Date de
naissance |
Nationalité |
Lieu de
résidence |
Représentant |
|
Giuseppe AZZOLINA |
08/12/1956 |
Italienne |
Gênes |
N. Paoletti A. Mari A. Lerici |
|
Sara BARTESAGHI GALLO |
07/05/1980 |
Italienne |
Lecco |
N. Paoletti A. Mari G. Pagani |
|
Gianluca DELFINO |
08/06/1979 |
Italienne |
Cuneo |
N. Paoletti A. Mari E. Menzione |
|
Nicola Anne DOHERTY |
24/07/1974 |
Britannique |
Londres |
N. Paoletti A. Mari G. Pagani |
|
Ian GALLOWAY |
21/03/1975 |
Américaine |
Philadelphie |
N. Paoletti A. Mari D. Rossi |
|
Federico GHIVAZZANI |
24/09/1969 |
Italienne |
Lucques |
N. Paoletti A. Mari E. Menzione |
|
Jens HERRMANN |
13/10/1972 |
Allemande |
Berlin |
N. Paoletti A. Mari C. Malossi |
|
Richard Robert MOTH |
09/11/1968 |
Britannique |
Londres |
N. Paoletti A. Mari G. Pagani |
|
Achim NATHRATH |
31/12/1969 |
Allemande |
Munich |
N. Paoletti A. Mari D. Rossi |
|
Arianna SUBRI |
10/12/1975 |
Italienne |
Pise |
N. Paoletti A. Mari F. Micali |
|
Theresa TREIBER |
09/08/1967 |
Allemande |
Munich |
N. Paoletti A. Mari D. Rossi |
|
Anna Katharina ZEUNER |
04/09/1978 |
Allemande |
Berlin |
N. Paoletti A. Mari D. Rossi |
Requête no 67599/10 (introduite le 3/09/2010)
No. |
Prénom NOM |
Date
de naissance |
Nationalité |
Lieu
de résidence |
Représentant |
1.
|
Anna Julia KUTSCHKAU |
23/06/1980 |
Allemande |
Berlin |
V. Onida B. Randazzo R. Passeggi |
2.
|
Ruiz Aitor BALBAS |
09/10/1970 |
Espagnole |
Pampelune |
V. Onida B. Randazzo E. Tambuscio |
3.
|
Valerio BERTACCHINI |
06/05/1976 |
Italienne |
Londres |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
4.
|
Valeria BRUSCHI |
26/02/1975 |
Italienne |
Berlin |
V. Onida B. Randazzo E. Tambuscio |
5.
|
Sergio CAMANDONA |
06/06/1969 |
Italienne |
Turin |
V. Onida B. Randazzo S. Insabato |
6.
|
Simona DIGENTI |
03/03/1980 |
Italienne -Suisse |
Rümlang |
V. Onida B. Randazzo E. Tambuscio |
7.
|
Taline ENDER |
04/01/1983 |
Suisse |
Genève |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
8.
|
Amaranta Serena FLAGELLI |
14/05/1975 |
Italienne |
Florence |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
9.
|
Diana FRANCESCHIN |
26/06/1982 |
Italienne |
Milan |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
10.
|
Andrea GRAF |
25/06/1969 |
Suisse |
Lugano |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
11.
|
Laura JAEGER |
15/02/1981 |
Allemande |
Barcelone |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
12.
|
David Thomas Arnaud LARROQUELLE |
07/03/1973 |
Française |
Milan |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
13.
|
Luis Garcia LORENTE |
25/06/1972 |
Espagnole |
Saragosse |
V. Onida B. Randazzo E. Tambuscio |
14.
|
Francisco Javier MADRAZO |
03/12/1963 |
Espagnole |
Saragosse |
V. Onida B. Randazzo E. Tambuscio |
15.
|
Cesar Jean Claude NEBOT |
27/05/1973 |
Française |
Paris |
V. Onida B. Randazzo L. Fattizzo |
16.
|
Francho Corral NOGUERAS CHAVIER |
|
Espagnole |
Saragosse |
V. Onida B. Randazzo E. Tambuscio |
17.
|
Giorgia PARTESOTTI |
30/10/1980 |
Italienne |
Padoue |
V. Onida B. Randazzo L. Partesotti |
18.
|
Ester PERCIVATI |
20/12/1980 |
Italienne |
Milan |
V. Onida B. Randazzo C. Novaro |
19.
|
Moritz Kaspar Kamol VON UNGER |
09/05/1974 |
Allemande |
Berlin |
V. Onida B. Randazzo R. Passeggi |
[1]. Giuliani et Gaggio c.
Italie [GC], no 23458/02, CEDH 2011 (extraits) ; voir également
le Rapport final de l’enquête parlementaire d’information sur les faits
survenus lors du G8 de Gênes du 20 septembre 2001 ; le jugement
no 3119/08 du tribunal de Gênes, rendu le 14 juillet 2008 et déposé
le 27 novembre 2008 ; le jugement no 4252/08 du tribunal
de Gênes, rendu le 13 novembre 2008 et déposé le 11 février 2009 ;
l’arrêt no 1530/10 de la cour d’appel de Gênes, rendu le 18 mai 2010
et déposé le 31 juillet 2010 ; l’arrêt no 678/10 de la cour
d’appel de Gênes, rendu le 5 mars 2010 et déposé le 15 avril 2011 ;
l’arrêt no 38085/12 de la Cour de cassation, rendu le 5 juillet
2012 et déposé le 2 octobre 2012.