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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Prima Sezione)

 

26 ottobre 2017

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE AZZOLINA ET AUTRES c. Italie

 (RequĂȘtes nos 28923/09 et 67599/10)

 

 

 

DÉFINITIF

26/01/2018

 

Cet arrĂȘt est devenu dĂ©finitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Azzolina et autres c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (premiĂšre section), siĂ©geant en une chambre composĂ©e de :

  Linos-Alexandre Sicilianos, président,

  Kristina Pardalos,

  Guido Raimondi,

  Aleƥ Pejchal,

  Ksenija Turković,

  Pauliine Koskelo,

  Tim Eicke, juges,

 et de Abel Campos, greffier de section,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2017,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

PROCÉDURE

1.  Ă€ l’origine de l’affaire se trouvent deux requĂȘtes (nos 28923/09 et 67599/10) dirigĂ©es contre la RĂ©publique italienne et introduite par trente et un ressortissants de diffĂ©rentes nationalitĂ©s (« les requĂ©rants Â»), dont les noms figurent en annexe, devant la Cour le 27 mai 2009 et le 3 septembre 2010 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Les noms des reprĂ©sentants des requĂ©rants figurent en annexe. Le gouvernement italien (« le Gouvernement Â») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agent, Mme E. Spatafora, et par son co-agent, Mme A. Aversano.

3.  Les gouvernements allemand, britannique, espagnol, français et suisse n’ont pas exercĂ© leur droit d’intervenir dans la procĂ©dure (article 36 § 1 de la Convention).

4.  Sur le terrain de l’article 3 de la Convention, les requĂ©rants allĂ©guaient en particulier avoir Ă©tĂ© victimes de torture. Ils se plaignaient que les autoritĂ©s internes n’avaient pas respectĂ© leur obligation de mener une enquĂȘte effective sur leurs allĂ©gations. De surcroĂźt, ils dĂ©nonçaient l’absence en droit interne d’un dĂ©lit punissant la torture et les traitements inhumains et dĂ©gradants.

5.  Le 18 dĂ©cembre 2012, la chambre a dĂ©cidĂ© de joindre les requĂȘtes et de les communiquer au Gouvernement en application de l’article 54 § 2 du rĂšglement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont Ă©tĂ© exposĂ©s par les requĂ©rants et tels qu’ils ressortent des documents pertinents en l’espĂšce issus de diffĂ©rentes affaires liĂ©es aux faits Ă  l’origine du prĂ©sent litige[1], peuvent se rĂ©sumer comme suit.

A.  Le contexte gĂ©nĂ©ral

7.  Les 19, 20 et 21 juillet 2001, la ville de GĂȘnes accueillit le vingt‑septiĂšme sommet des huit pays les plus industrialisĂ©s (G8), sous la prĂ©sidence du gouvernement italien. De nombreuses organisations non gouvernementales, rassemblĂ©es sous la banniĂšre du groupe de coordination « Genoa Social Forum – GSF Â» (« le GSF Â»), organisĂšrent un sommet « altermondialiste Â» qui se dĂ©roula Ă  la mĂȘme pĂ©riode. Il a Ă©tĂ© estimĂ© que 200 000 personnes (selon le ministĂšre de l’IntĂ©rieur) Ă  300 000 personnes (selon le GSF) participĂšrent Ă  l’évĂ©nement.

8.  Un vaste dispositif de sĂ©curitĂ© fut mis en place par les autoritĂ©s italiennes (arrĂȘts Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 12, CEDH 2011, et Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§ 11-12, 23-24, 7 avril 2015). Celles-ci divisĂšrent la ville en trois zones concentriques : la « zone rouge Â», de surveillance maximale, oĂč le sommet devait se dĂ©rouler et oĂč les dĂ©lĂ©gations devaient loger ; la « zone jaune Â», une zone tampon oĂč les manifestations Ă©taient en principe interdites, sauf autorisation du chef du bureau de la police (questore) ; et la « zone blanche Â», oĂč les principales manifestations Ă©taient programmĂ©es.

9.  Les autoritĂ©s attribuĂšrent une couleur Ă  chaque groupe organisĂ©, Ă  chaque association, Ă  chaque syndicat et Ă  chaque ONG, en fonction de sa dangerositĂ© potentielle : le « bloc rose Â», non dangereux ; le « bloc jaune Â» et le « bloc bleu Â», considĂ©rĂ©s comme comprenant des auteurs potentiels d’actes de vandalisme, de blocage de rues et de rails, et Ă©galement d’affrontements avec la police ; et enfin, le « bloc noir Â», dont faisaient partie plusieurs groupes, anarchistes ou plus gĂ©nĂ©ralement violents, ayant pour but de commettre des saccages systĂ©matiques.

10.  La journĂ©e du 19 juillet se dĂ©roula dans une ambiance relativement calme, sans Ă©pisodes particuliĂšrement significatifs. Par contre, les journĂ©es des 20 et 21 juillet furent marquĂ©es par des accrochages de plus en plus violents entre les forces de police et certains manifestants appartenant essentiellement au « bloc noir Â». Au cours de ces incidents, plusieurs centaines de manifestants et de membres des forces de l’ordre furent blessĂ©s ou intoxiquĂ©s par du gaz lacrymogĂšnes. Des quartiers entiers de la ville de GĂȘnes furent dĂ©vastĂ©s (pour une analyse plus dĂ©taillĂ©e, voir Giuliani et Gaggio, prĂ©citĂ©, §§ 12-30, et Cestaro, prĂ©citĂ©, §§ 9-17).

B.  Les traitements subis par les requĂ©rants Ă  la caserne de Bolzaneto

11.  Le 12 juin 2001, le ComitĂ© provincial pour l’ordre et la sĂ©curitĂ© publique Ă©labora un plan logistique relatif Ă  la prise en charge des personnes arrĂȘtĂ©es pendant le sommet.

12.  La prison de Marassi se trouvant dans une zone considĂ©rĂ©e comme sensible, il fut dĂ©cidĂ©, pour des raisons de sĂ©curitĂ©, de crĂ©er, dans des lieux excentrĂ©s, deux centres temporaires oĂč les personnes arrĂȘtĂ©es devaient ĂȘtre regroupĂ©es pour ĂȘtre soumises aux dĂ©marches consĂ©cutives Ă  une arrestation, Ă  savoir l’identification, la notification du procĂšs-verbal d’arrestation, la fouille, l’immatriculation et la visite mĂ©dicale, avant d’ĂȘtre transfĂ©rĂ©es vers diffĂ©rentes prisons.

13.  Par un arrĂȘtĂ© du ministĂšre de la Justice du 12 juillet 2001, les casernes de Forte San Giuliano et de Bolzaneto furent dĂ©signĂ©es comme Ă©tant des « sites utilisĂ©s Ă  des fins de dĂ©tention, annexes du bureau mĂ©dical et du bureau matricule (ufficio matricola) des Ă©tablissements pĂ©nitentiaires de Pavie, Voghera, Vercelli et Alexandrie Â».

14.  Ă€ l’intĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto, une partie des locaux fut affectĂ©e aux activitĂ©s de la police judiciaire. Le restant des locaux fut rĂ©servĂ© aux activitĂ©s de la police pĂ©nitentiaire (immatriculation, fouille et visite mĂ©dicale).

15.  Ă€ la suite du dĂ©cĂšs de Carlo Giuliani au cours des heurts entre carabiniers et manifestants sur la place Alimonda, les carabiniers ne furent plus affectĂ©s aux activitĂ©s de gestion de l’ordre public dans la ville. À partir du 20 juillet, la caserne de Bolzaneto, placĂ©e sous la responsabilitĂ© de la police, resta ainsi le seul lieu de regroupement et de rĂ©partition des personnes arrĂȘtĂ©es.

16.  Selon le ministĂšre de la Justice, pendant la pĂ©riode d’activitĂ© de la structure, du 12 au 24 juillet, 222 personnes ont Ă©tĂ© immatriculĂ©es avant leur transfert vers les prisons d’Alexandrie, Pavie, Vercelli et Voghera (voir le « Rapport final de l’enquĂȘte parlementaire d’information sur les faits survenus lors du G8 de GĂȘnes du 20 septembre 2001 Â» mentionĂ© dans la note en bas de la page prĂ©cĂ©dente).

17.  Les tribunaux internes ont Ă©tabli avec exactitude, au-delĂ  de tout doute raisonnable, les mauvais traitements dont avaient fait l’objet les personnes prĂ©sentes Ă  l’intĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto. Les tĂ©moignages des victimes ont Ă©tĂ© confirmĂ©s par les dĂ©positions des membres des forces de l’ordre et de l’administration publique, les reconnaissances partielles des faits par les accusĂ©s ainsi que par les documents Ă  disposition des magistrats, notamment les rapports mĂ©dicaux et les expertises judiciaires. À partir de cette multitude d’informations, il est possible de dĂ©crire les Ă©pisodes de violence dont les requĂ©rants firent l’objet :

1.  RequĂȘte no 28923/09

18.  Le 20 juillet, M. Azzolina, qui participait au cortĂšge des Tute Bianche, reçut des coups de pied et de matraque et fut aspergĂ© de gaz irritant lors d’une charge de la police prĂšs de la rue Tolemaide. TransportĂ© Ă  l’hĂŽpital en raison d’une blessure ouverte Ă  la tĂȘte, il y fut soignĂ© avant d’ĂȘtre emmenĂ© avec d’autres personnes Ă  la caserne de Bolzaneto Ă  bord d’un vĂ©hicule blindĂ©. PlacĂ© avec d’autres personnes contre un mur, il fut menacĂ©, insultĂ© et frappĂ©. Un agent de police lui saisit la main et lui Ă©carta violemment les doigts, entre le troisiĂšme et le quatriĂšme doigt, ce qui provoqua une profonde lacĂ©ration. MenacĂ© d’ĂȘtre Ă  nouveau frappĂ© s’il bougeait ou s’il se plaignait, M. Azzolina subit une suture de sa blessure sans anesthĂ©sie. Par la suite, l’intĂ©ressĂ© et d’autres personnes arrĂȘtĂ©es furent obligĂ©s de se dĂ©shabiller avant d’ĂȘtre conduits dans des cellules oĂč ils furent frappĂ©s sur leurs blessures Ă  intervalles rapprochĂ©s. Le requĂ©rant fut libĂ©rĂ© le lendemain, Ă  2 heures, aprĂšs avoir Ă©tĂ© contraint de passer entre deux rangĂ©es de membres des forces de l’ordre qui le frappĂšrent par tous les moyens lors de son passage. M. Azzolina souffrait de lĂ©sions Ă  une main, Ă  la tĂȘte et Ă  une jambe, ainsi que de plusieurs contusions.

19.  Mme Bartesaghi Gallo fut arrĂȘtĂ©e Ă  l’école Diaz-Pertini. TransportĂ©e Ă  l’hĂŽpital en raison d’une blessure ouverte Ă  la tĂȘte, elle fut soignĂ©e puis, le 22 juillet au soir, transfĂ©rĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto. Une croix fut tracĂ©e sur son visage au feutre rouge. Elle fut d’abord obligĂ©e de rester deux heures les bras en l’air contre une clĂŽture mĂ©tallique dans la cour, puis de passer, tĂȘte baissĂ©e, entre des agents qui l’insultaient (« pute Â», « salope Â»), d’aller aux toilettes sans pouvoir fermer la porte, sous les insultes et les menaces de l’agent qui l’accompagnait. À l’intĂ©rieur de la caserne, elle dut se tenir longtemps immobile, bras et jambes Ă©cartĂ©s, face contre un mur, au milieu de chants fascistes. Elle vit d’autres personnes arrĂȘtĂ©es qui avaient le visage en sang. Lors d’une visite mĂ©dicale, on l’obligea Ă  se dĂ©shabiller et Ă  faire des pompes devant deux hommes et deux femmes. On lui prit certains papiers qui furent jetĂ©s. Elle fut ensuite transfĂ©rĂ©e Ă  la prison de Vercelli.

20.  M. Delfino fut arrĂȘtĂ© et blessĂ© au nez le vendredi 20 juillet. En fin d’aprĂšs-midi, il fut transportĂ© Ă  la caserne de Bolzaneto et passĂ© Ă  tabac dans un vĂ©hicule garĂ© en plein soleil, Ă  l’intĂ©rieur duquel il fut ensuite laissĂ© longtemps. Il fut ensuite traĂźnĂ© de force par les cheveux Ă  l’intĂ©rieur de la caserne, oĂč il fut Ă  nouveau frappĂ© puis obligĂ© de se tenir immobile face Ă  un mur, bras et jambes Ă©cartĂ©s. Lors de son identification, la police ne l’autorisa ni Ă  prĂ©venir ses parents ni Ă  voir un avocat et ne l’informa pas des motifs de son arrestation. Avant la visite mĂ©dicale, M. Delfino dut attendre dans le couloir, bras et jambes Ă©cartĂ©s face au mur. Au bout d’une heure, il perdit connaissance. Il ne reçut aucun soin pour sa blessure au nez. Le 21 juillet, Ă  l’aube, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie.

21.  Mme Doherty fut arrĂȘtĂ©e Ă  l’école Diaz-Pertini. TransportĂ©e Ă  l’hĂŽpital en raison de plusieurs excoriations et d’une fracture du poignet, elle fut soignĂ©e avant d’ĂȘtre transfĂ©rĂ©e, le 22 juillet Ă  l’aube, Ă  la caserne de Bolzaneto. Elle fut d’abord obligĂ©e de rester deux heures les bras en l’air contre une clĂŽture mĂ©tallique dans la cour, malgrĂ© son bras plĂątrĂ©, puis de passer, tĂȘte baissĂ©e, entre des agents qui l’insultaient. Elle dut utiliser les toilettes en laissant la porte ouverte. Une croix fut tracĂ©e sur son visage au feutre rouge. À l’intĂ©rieur de la caserne, elle dut se tenir longtemps bras et jambes Ă©cartĂ©s, face contre un mur. Elle vit d’autres personnes arrĂȘtĂ©es souffrir en raison des sĂ©vices qu’elles subissaient. Lors d’une visite mĂ©dicale, on l’obligea Ă  se dĂ©vĂȘtir et Ă  faire des pompes devant un homme et deux femmes, malgrĂ© la douleur provoquĂ©e par sa fracture du poignet ; Ă  cause de celle-ci, elle n’arriva pas Ă  remettre son soutien-gorge, mais personne ne l’aida. À l’occasion de son identification, elle fut obligĂ©e de signer des documents, rĂ©digĂ©s en italien, qu’elle ne comprenait pas.

22.  M. Galloway fut arrĂȘtĂ© Ă  l’école Diaz-Pertini. TransportĂ© Ă  l’hĂŽpital en raison de blessures au dos et Ă  la tĂȘte, il fut soignĂ© puis transfĂ©rĂ©, le 22 juillet Ă  l’aube, Ă  la caserne de Bolzaneto. Il fut identifiĂ© puis emmenĂ© dans une cellule dĂ©jĂ  occupĂ©e par d’autres personnes. ObligĂ© de se tenir bras et jambes Ă©cartĂ©s, face contre un mur, il ne fut pas frappĂ© mais dut entendre des coups violents et des cris. Il fut emmenĂ© dans un local vide oĂč il fut contraint de se dĂ©shabiller et de faire des pompes. Soumis Ă  une « sorte de visite mĂ©dicale Â», il dut Ă  nouveau se dĂ©vĂȘtir mais ne reçut pas de soins. Dans la nuit, on le fit rester longtemps jambes Ă©cartĂ©es et face contre le mur, dans le couloir. Il dut signer un document rĂ©digĂ© en italien et en partie prĂ©rempli, dont il ne comprenait pas la teneur. L’aprĂšs-midi du 23 juillet, il fut transfĂ©rĂ© dans une prison dont le nom n’est pas prĂ©cisĂ© dans le dossier, sans avoir pu s’entretenir avec les autoritĂ©s diplomatiques de son pays.

23.  M. Ghivizzani fut arrĂȘtĂ© le 20 juillet en dĂ©but d’aprĂšs-midi et laissĂ© les mains liĂ©es en plein soleil. ArrivĂ© Ă  la caserne de Bolzaneto vers 17 heures, il fut placĂ© debout face au mur d’une cellule. Il fut traitĂ© de « connard de communiste Â» et de « salaud Â», et reçut Ă  plusieurs reprises des coups de pied aux chevilles et des coups de matraque sur tout le corps ; on lui cogna la tĂȘte contre le mur et on lui Ă©crasa une cigarette allumĂ©e sur un poignet. À l’aube, un mĂ©decin ordonna aux agents d’îter les liens qui entravaient les poignets de l’intĂ©ressĂ©. Avant d’ĂȘtre identifiĂ©, ce dernier dut se dĂ©vĂȘtir et passer entre des agents qui le frappĂšrent sur la nuque, le dos et les fesses. À l’infirmerie, il fut menacĂ© d’une fouille rectale et obligĂ© de se dĂ©shabiller totalement et de faire des pompes nu. Il ne reçut aucun soin pour les lĂ©sions qu’il prĂ©sentait aux mains. On ne lui permit pas d’aller aux toilettes. Le 21 juillet, Ă  5 heures, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie.

24.  M. Herrmann fut arrĂȘtĂ© Ă  l’école Diaz-Pertini, transportĂ© Ă  l’hĂŽpital, puis transfĂ©rĂ© Ă  la caserne de Bolzaneto le 22 juillet, Ă  l’aube. À son arrivĂ©e Ă  la caserne, il fut placĂ© contre un mur ; un policier lui marqua la joue gauche d’une croix Ă  l’aide d’un feutre tandis que d’autres policiers faisaient le salut hitlĂ©rien (saluto romano). Il fut fouillĂ©, privĂ© de ses objets personnels puis traĂźnĂ© par les cheveux sur les genoux par un agent le long d’un couloir oĂč d’autres agents l’insultĂšrent et le frappĂšrent Ă  coups de pied. PlacĂ© dans une cellule avec une vingtaine de personnes, il dut rester debout, jambes Ă©cartĂ©es et face contre le mur. Les agents contrĂŽlĂšrent plusieurs fois les noms des occupants de la cellule tout en les bousculant violemment. À maintes reprises, ceux-ci furent l’objet d’injures fascistes et de crachats provenant de l’extĂ©rieur de la cellule. Lors d’un nouveau contrĂŽle, le requĂ©rant indiqua aux policiers qu’il Ă©tait journaliste et demanda en vain Ă  pouvoir communiquer avec la rĂ©daction de son journal, avec les autoritĂ©s diplomatiques de son pays ou avec un avocat. À la fin de la procĂ©dure d’identification, il fut autorisĂ© Ă  se rendre aux toilettes en passant tĂȘte baissĂ©e entre des agents qui l’insultaient et le poussaient. Il put Ă©galement se laver et se changer, toujours sous la surveillance des policiers. Il fut obligĂ© par deux fois de ramasser ses effets personnels qui avaient Ă©tĂ© jetĂ©s au sol pendant qu’un agent lui maintenait la tĂȘte vers le bas. Dans un bureau, il fut obligĂ© de se dĂ©vĂȘtir puis de faire des pompes et des pirouettes par terre et, enfin, de signer des documents rĂ©digĂ©s uniquement en italien. Le 23 juillet au matin, il fut menottĂ© Ă  une autre personne et conduit Ă  la prison de Pavie.

25.  M. Moth fut arrĂȘtĂ© Ă  l’école Diaz-Pertini et transportĂ© Ă  l’hĂŽpital afin d’y ĂȘtre soignĂ© pour une blessure Ă  la tĂȘte, une autre Ă  un mollet et plusieurs ecchymoses. À son arrivĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto, dans la nuit du 21 au 22 juillet, il fut contraint de rester debout avec d’autres personnes, jambes Ă©cartĂ©es et face au mur, pendant vingt minutes. PlacĂ© dans une cellule puis dans une autre, il dut se tenir plusieurs fois dans cette position, pendant que des agents qui se trouvaient Ă  l’intĂ©rieur et Ă  l’extĂ©rieur de la cellule le couvraient d’injures. Lorsqu’il se rendit aux toilettes, il fut contraint de marcher tĂȘte baissĂ©e, insultĂ©, frappĂ© puis surveillĂ© Ă  l’intĂ©rieur des toilettes. À l’occasion de son identification, il dut signer des documents rĂ©digĂ©s uniquement en italien et demanda en vain Ă  pouvoir prendre contact avec un avocat.

26.  M. Nathrath fut arrĂȘtĂ© Ă  l’école Diaz-Pertini et conduit directement Ă  la caserne de Bolzaneto le 22 juillet. À son arrivĂ©e, il fut frappĂ© et obligĂ© de rester face Ă  un mur, les jambes Ă©cartĂ©es et les bras en l’air. Il dut reprendre ensuite cette position plusieurs fois Ă  l’intĂ©rieur de la caserne, oĂč il fut Ă  nouveau frappĂ© et insultĂ© dans une cellule et injuriĂ© lorsqu’il se rendit aux toilettes en gardant la tĂȘte baissĂ©e sur ordre des policiers. Il fut surveillĂ© jusque dans les toilettes. À l’infirmerie, il fut obligĂ© de se dĂ©shabiller et de faire des pompes. À l’occasion de la procĂ©dure d’identification, il dut signer un document en partie prĂ©-rempli et rĂ©digĂ© uniquement en italien. Il ne fut autorisĂ© Ă  prendre contact ni avec sa famille ni avec les autoritĂ©s diplomatiques de son pays. Il fut lui aussi marquĂ© d’une croix rouge sur le visage. Le 23 juillet au matin, il fut menottĂ© Ă  une autre personne et transfĂ©rĂ© Ă  la prison de Pavie. Il fut dĂ©tenu pendant trois semaines, d’abord Ă  Pavie, puis Ă  GĂȘnes.

27.  Mme Subri fut arrĂȘtĂ©e le 20 juillet en fin d’aprĂšs-midi avec d’autres personnes dans un bar situĂ© prĂšs de la place Alimonda et emmenĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto. DĂšs son arrivĂ©e Ă  la caserne, elle fut frappĂ©e et insultĂ©e. Dans la cellule oĂč elle avait Ă©tĂ© placĂ©e, elle dut rester Ă  plusieurs reprises jambes Ă©cartĂ©es, bras en l’air et face contre le mur. Elle fut contrainte de marcher tĂȘte baissĂ©e. Elle fut Ă©galement menacĂ©e de viol. Elle vomit deux fois mais aucun mĂ©decin ne se prĂ©occupa de son Ă©tat de santĂ© et personne ne lui donna les protections hygiĂ©niques dont elle avait besoin. Lors de la visite mĂ©dicale, on l’obligea Ă  se dĂ©shabiller et Ă  faire des pompes contre un miroir. Elle fut obligĂ©e de signer des documents rĂ©digĂ©s en italien.

28.  Mme Treiber fut arrĂȘtĂ©e Ă  l’école Diaz-Pertini le 21 juillet et emmenĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto. Elle fut d’abord placĂ©e contre un mur dans la cour, oĂč elle vit deux agents frapper l’une des personnes arrĂȘtĂ©es et l’asperger de gaz irritant ; elle fut ensuite placĂ©e dans une cellule et contrainte de rester debout, les jambes Ă©cartĂ©es. Elle dut garder cette position tout au long de la nuit, sauf pendant quelques pĂ©riodes oĂč elle fut autorisĂ©e Ă  se mettre Ă  genoux ; elle put s’allonger par terre qu’à l’aube. Elle entendit crier « Heil Hitler Â», elle vit les souffrances des autres occupants des cellules, qui avaient le visage en sang ou qui s’étaient urinĂ© dessus. À son arrivĂ©e Ă  la caserne, une agente lui avait retirĂ© les mĂ©dicaments qu’elle dĂ©tenait et dont elle avait besoin Ă  la suite d’une rĂ©cente opĂ©ration aux reins. Mme Treiber fut elle aussi marquĂ©e d’une croix rouge sur le visage. Lors de son passage dans les couloirs, elle fut contrainte de marcher la tĂȘte baissĂ©e et les mains derriĂšre la nuque et entre des agents qui la frappaient et l’insultaient. Le 22 juillet au matin, elle fut conduite dans une piĂšce oĂč, en prĂ©sence de plusieurs agents, elle dut signer des documents rĂ©digĂ©s uniquement en italien. Ensuite, Ă  l’infirmerie, elle fut contrainte de se dĂ©vĂȘtir, entourĂ©e d’agentes qui lui arrachĂšrent ses vĂȘtements et dĂ©coupĂšrent la capuche de son gilet. Elle dut ensuite faire des pompes et fut privĂ©e de ses lunettes. Elle ne put prendre contact ni avec sa famille, ni avec un avocat, ni avec les autoritĂ©s diplomatiques de son pays. MenottĂ©e Ă  une autre femme, elle fut finalement transfĂ©rĂ©e Ă  la prison de Voghera.

29.  Mme Zeuner fut arrĂȘtĂ©e Ă  l’école Diaz-Pertini. EmmenĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto, elle fut d’abord placĂ©e contre un mur dans la cour puis emmenĂ©e Ă  l’intĂ©rieur, dans une cellule, oĂč elle fut Ă  nouveau obligĂ©e de se tenir les jambes Ă©cartĂ©es et les bras en l’air. Elle fut menacĂ©e, reçut des coups et fut obligĂ©e de laisser la porte des toilettes ouverte lorsqu’elle les utilisait. À l’infirmerie, elle fut contrainte de se dĂ©vĂȘtir, et mĂȘme de retirer son tampon hygiĂ©nique, devant une femme mĂ©decin et quatre agentes de police. Alors qu’elle passait dans un couloir, un agent lui fit un croche-pied. On essaya de la contraindre Ă  signer des documents rĂ©digĂ©s uniquement en italien. Elle fut ensuite transfĂ©rĂ©e Ă  la prison de Voghera.

2.  RequĂȘte no 67599/10

30.  Mme Kutschkau fut arrĂȘtĂ©e Ă  l’école Diaz-Pertini et transportĂ©e Ă  l’hĂŽpital pour une fracture de la mĂąchoire, la perte de deux dents, une subluxation de deux autres dents et un traumatisme crĂąnien. Elle fut ensuite transfĂ©rĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto le 22 juillet Ă  l’aube. À son arrivĂ©e Ă  la caserne, elle fut placĂ©e contre un mur jambes Ă©cartĂ©es et bras en l’air, d’abord dans la cour puis Ă  l’intĂ©rieur. Elle dut ensuite reprendre cette position plusieurs fois Ă  l’intĂ©rieur de la caserne oĂč elle fut Ă  nouveau frappĂ©e. Lorsqu’elle se rendit aux toilettes, elle dut marcher la tĂȘte baissĂ©e et un bras dans le dos, et fut frappĂ©e et insultĂ©e. À maintes reprises, les agents se moquĂšrent de ses blessures Ă  la bouche. Elle fut privĂ©e de ses effets personnels et de ses protections hygiĂ©niques et ne reçut pas de soins adĂ©quats Ă  l’infirmerie de la caserne, oĂč un mĂ©decin la menaça de la frapper Ă  nouveau sur la bouche avec une matraque qu’il tenait prĂšs de lui. Elle ne put prendre contact ni avec sa famille, ni avec un avocat, ni avec les autoritĂ©s diplomatiques de son pays. Le 23 juillet, Ă  midi, elle fut transfĂ©rĂ©e Ă  la prison de Pavie.

31.  Mme Partesotti fut arrĂȘtĂ©e pendant la manifestation du 21 juillet et emmenĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto en dĂ©but d’aprĂšs-midi. Dans la cour de la caserne, dans le couloir et puis dans les cellules oĂč on l’emmena, elle fut placĂ©e mains et face contre le mur. Tout au long de sa dĂ©tention Ă  la caserne, elle fut l’objet d’injures (« pute Â», « salope Â») et de menaces (« je viendrai mettre le feu Ă  ton appartement Â», « il faudrait toutes vous violer, comme on l’a fait au Kosovo Â»). Elle dut assister aux sĂ©vices infligĂ©s Ă  d’autres personnes arrĂȘtĂ©es et Ă©couter des chants fascistes. Le mĂ©decin qui l’examina omit de relever les hĂ©matomes consĂ©cutifs Ă  son arrestation. La requĂ©rante ne put prendre contact avec sa famille. Le matin du 22 juillet, elle fut transfĂ©rĂ©e Ă  la prison de Vercelli.

32.  M. Balbas fut arrĂȘtĂ© Ă  l’école Diaz-Pertini et transportĂ© Ă  l’hĂŽpital pour une blessure Ă  la cheville. À son arrivĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto, le 22 juillet au soir, il fut lui aussi insultĂ© et marquĂ© d’une croix rouge sur le visage. Il fut ensuite placĂ© dans une cellule oĂč il fut obligĂ© de rester les jambes Ă©cartĂ©es et les bras levĂ©s pendant deux heures environ et menacĂ© de coups s’il bougeait. Il entendit des cris provenant d’autres cellules. Lors de son passage dans le couloir de la caserne, il fut contraint de marcher la tĂȘte baissĂ©e et les mains derriĂšre la nuque entre des agents qui le frappĂšrent. Il fut l’objet d’injures telles que « connard de communiste Â», « salaud Â», « tu es une merde Â». Le requĂ©rant ne put prendre contact ni avec sa famille ni avec les autoritĂ©s diplomatiques de son pays. Dans la nuit du 22 au 23 juillet, il fut transfĂ©rĂ© dans une prison dont le nom n’est pas prĂ©cisĂ© dans le dossier.

33.  Mme Bruschi fut arrĂȘtĂ©e Ă  l’école Diaz-Pertini et emmenĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto dans la nuit du 21 au 22 juillet. Elle fut placĂ©e contre un mur dans la cour, jambes Ă©cartĂ©es et bras en l’air, et menacĂ©e par un agent d’ĂȘtre sodomisĂ©e avec une matraque. Elle fut ensuite conduite Ă  l’intĂ©rieur, contrainte de marcher penchĂ©e en avant et les mains derriĂšre la nuque, puis placĂ©e dans une cellule, oĂč elle fut Ă  nouveau obligĂ©e de se tenir jambes Ă©cartĂ©es et bras en l’air pendant trois heures environ. Elle entendit des cris et des coups provenant d’autres cellules et elle vit d’autres personnes arrĂȘtĂ©es qui souffraient. Lors d’une visite mĂ©dicale, elle dut se dĂ©vĂȘtir partiellement devant des hommes, pendant que le mĂ©decin l’insultait et disait que les manifestants arrĂȘtĂ©s dans l’école Diaz-Pertini auraient tous dĂ» ĂȘtre fusillĂ©s. Le 23 juillet, Ă  l’aube, elle fut transfĂ©rĂ©e Ă  la prison de Vercelli.

34.  Mme Digenti fut arrĂȘtĂ©e Ă  l’école Diaz-Pertini et emmenĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto dans la nuit du 21 au 22 juillet, malgrĂ© des blessures consĂ©cutives Ă  son arrestation. Elle fut placĂ©e contre un mur dans la cour, jambes Ă©cartĂ©es et bras en l’air, et fut l’objet d’injures et de menaces de la part des agents, telles que « il faudrait tous les mettre au poteau d’exĂ©cution Â» ou « Ă  Diaz-Pertini, les tĂȘtes faisaient un drĂŽle de bruit quand on les cognait contre le mur Â». À l’intĂ©rieur de la caserne, d’abord dans l’entrĂ©e puis dans une cellule, elle fut contrainte de se tenir Ă  nouveau jambes Ă©cartĂ©es et bras levĂ©s, sous la garde d’agents qui frappaient ceux qui bougeaient. Elle entendit des cris provenant d’autres cellules et vit d’autres personnes avec le visage en sang. Elle dut marcher tĂȘte baissĂ©e. Lors d’une visite mĂ©dicale, elle dut se dĂ©shabiller devant des hommes. Un mĂ©decin l’injuria et lui dit qu’elle et les autres personnes arrĂȘtĂ©es sentaient mauvais comme des chiens ; un autre homme apprĂ©cia les traces des coups de matraque qu’elle avait reçus sur le cou en dĂ©clarant « c’est du bon travail Â» et fit mine de la frapper Ă  nouveau sur le cou avec une matraque. Le 23 juillet, Ă  l’aube, elle fut transfĂ©rĂ©e Ă  la prison de Vercelli.

35.  M. Lorente fut arrĂȘtĂ© le 20 juillet en dĂ©but d’aprĂšs-midi, place Manin, et laissĂ© menottĂ© dans une camionnette de la police. À son arrivĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto, le 20 juillet au soir, il fut contraint de rester une heure face contre un mur, Ă  l’extĂ©rieur, avant d’ĂȘtre conduit dans une cellule oĂč, Ă  genoux et toujours menottĂ©, il fut passĂ© Ă  tabac plusieurs fois. Il fut aussi frappĂ© lors de son passage dans les couloirs. À l’infirmerie, alors qu’il Ă©tait allongĂ© sur un brancard, des agents lui cassĂšrent une cĂŽte Ă  coups de poing, en prĂ©sence d’un mĂ©decin qui l’invita ironiquement Ă  porter plainte pour dĂ©noncer ces mauvais traitements. EmmenĂ© par la suite aux toilettes, on lui baissa le pantalon et on lui intima l’ordre d’uriner, le traitant d’homosexuel, tandis qu’un agent faisait mine de le sodomiser avec une matraque ; puis on le frappa avec celle-ci entre les jambes. Le requĂ©rant dut signer un document en partie prĂ©rempli et entiĂšrement rĂ©digĂ© en italien. Le 21 juillet, Ă  l’aube, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie.

36.  M. Madrazo fut arrĂȘtĂ© Ă  l’école Diaz-Pertini et transportĂ© Ă  l’hĂŽpital en raison de ses blessures. À son arrivĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto, le 22 juillet au soir, il fut marquĂ© au feutre rouge d’une croix sur le visage et contraint de marcher penchĂ© en avant et les mains sur la nuque. PlacĂ© dans une cellule, il fut obligĂ© de se tenir les jambes Ă©cartĂ©es et les bras en l’air, face contre le mur. Lors de son passage dans les couloirs, il dut marcher tĂȘte baissĂ©e et passer entre des agents qui le bousculaient. Il dut dormir par terre. Il ne put prendre contact avec les autoritĂ©s diplomatiques de son pays. Le matin du 23 juillet, il fut transfĂ©rĂ© dans une prison dont le nom n’est pas prĂ©cisĂ© dans le dossier.

37.  M. Nogueras Chavier fut arrĂȘtĂ© Ă  l’école Diaz-Pertini et transportĂ© Ă  l’hĂŽpital en raison d’une fracture du pĂ©ronĂ© gauche. À son arrivĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto, le 22 juillet au soir, il fut marquĂ© d’une croix rouge sur le visage. PlacĂ© dans une cellule avec d’autres personnes arrĂȘtĂ©es, il fut obligĂ©, malgrĂ© sa douleur Ă  la jambe, de rester debout, d’abord au centre de la cellule puis face contre le mur, jambes Ă©cartĂ©es et bras en l’air, sans pouvoir s’appuyer. Il reçut des injures (« salaud de communiste Â») et des crachats. Il entendit les cris d’autres personnes qui Ă©taient frappĂ©es. Lors de son passage dans les couloirs, il dut marcher tĂȘte baissĂ©e et, une fois, il reçut un coup de pied dans sa jambe blessĂ©e. Il dut utiliser les toilettes sans pouvoir en fermer la porte. Il ne fut pas autorisĂ© Ă  prendre contact avec les autoritĂ©s diplomatiques de son pays. Le matin du 23 juillet, il fut transfĂ©rĂ© dans une prison dont le nom n’est pas prĂ©cisĂ© dans le dossier.

38.  Mme Ender fut arrĂȘtĂ©e l’aprĂšs-midi du 20 juillet dans la rue Montezovetto et emmenĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto le soir du mĂȘme jour. À son arrivĂ©e Ă  la caserne, elle dut marcher les mains liĂ©es dans le dos et la tĂȘte baissĂ©e, mĂȘme lors de son passage dans le couloir, oĂč elle fut frappĂ©e Ă  coups de pied. Conduite dans une cellule avec Mme Percivati (requĂ©rante de la requĂȘte no 67599/10 figurant sous le numĂ©ro 18 dans la liste en annexe), elle fut obligĂ©e de rester Ă  genoux face au mur et fut l’objet d’injures qui, comme le lui expliqua Mme Percivati, Ă©taient Ă  caractĂšre sexuel. Mme Ender demanda plusieurs fois Ă  pouvoir se rendre aux toilettes, en vain, car on lui rĂ©torqua, par l’intermĂ©diaire de Mme Percivati, qu’elle n’avait qu’à « faire tout sur elle Â». On finit par l’emmener aux toilettes, la frappant lors de son passage dans le couloir, Ă  l’aller comme au retour. Dans les toilettes, une agente lui cogna la tĂȘte contre le mur, puis un agent lui ordonna de se laver les mains et la frappa Ă  coups de pied sur les fesses. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, toujours Ă  l’intĂ©rieur de la caserne, elle fut emmenĂ©e dans un bureau oĂč on lui demanda si elle Ă©tait enceinte. À la suite de sa rĂ©ponse nĂ©gative, un agent lui donna un coup de poing dans le ventre ; ensuite, des agents la rouĂšrent de coups Ă  plusieurs reprises et lui coupĂšrent trois mĂšches de cheveux pour la contraindre Ă  signer des documents. Avant d’ĂȘtre transfĂ©rĂ©e Ă  la prison d’Alexandrie, le 21 juillet Ă  l’aube, elle dut rester dans le couloir dans une position vexatoire, des agents lui ordonnant de crier « vive le Duce, vive le fascisme, vive la police pĂ©nitentiaire Â».

39.  M. Graf fut arrĂȘtĂ© et rouĂ© de coups l’aprĂšs-midi du 20 juillet, prĂšs de la rue Tolemaide, alors qu’il portait un T-shirt avec l’emblĂšme de la Croix‑Rouge car il aidait les mĂ©decins sur place en tant qu’infirmier ; malgrĂ© ses nombreuses blessures, il fut emmenĂ© directement Ă  la caserne de Bolzaneto. À son arrivĂ©e Ă  la caserne, il ne fut pas soumis immĂ©diatement Ă  une visite mĂ©dicale, alors qu’il boitait fortement. Il fut conduit dans une cellule par un couloir oĂč on le fit passer entre deux rangĂ©es d’agents qui l’insultĂšrent, le pincĂšrent et lui firent des croche-pieds. Dans la cellule, il dut se tenir jambes Ă©cartĂ©es et bras en l’air, face au mur. L’intĂ©ressĂ© n’ayant pas obtempĂ©rĂ© Ă  l’ordre qui lui avait Ă©tĂ© donnĂ© de se placer au centre de la cellule, un agent dit Ă  ses collĂšgues de l’emmener ailleurs, faute de quoi il lui « casserait la gueule Â». Enfin soumis Ă  une visite mĂ©dicale, le requĂ©rant fit Ă©tat de fortes douleurs aux testicules, qui prĂ©sentaient un hĂ©matome important ; le mĂ©decin ordonna de l’emmener Ă  l’hĂŽpital, ce qui ne fut fait qu’aprĂšs une nouvelle pĂ©riode d’attente dans la cellule oĂč il dut rester encore une fois dans une position vexatoire.

40.  M. Larroquelle fut arrĂȘtĂ© l’aprĂšs-midi du 20 juillet, dans la rue Montezovetto, et emmenĂ© Ă  la caserne de Bolzaneto le soir du mĂȘme jour. À son arrivĂ©e Ă  la caserne, il fut poussĂ© hors de la camionnette alors qu’il avait les mains liĂ©es dans le dos et insultĂ©, puis il dut marcher tĂȘte baissĂ©e dans un couloir Ă  l’intĂ©rieur de la caserne, des agents le frappant Ă  coups de poing et de pied. Dans la cellule, alors qu’il avait toujours les mains liĂ©es dans le dos, des agents le frappĂšrent Ă  nouveau Ă  coups de poing et de pied, y compris dans les testicules et sur la tĂȘte pour que celle-ci vĂźnt cogner contre le mur. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, toujours Ă  l’intĂ©rieur de la caserne, il fut conduit dans un bureau oĂč cinq ou six agents le passĂšrent Ă  tabac et l’insultĂšrent Ă  nouveau ; le requĂ©rant ayant demandĂ© la traduction de certains des documents rĂ©digĂ©s en italien qu’on lui avait ordonnĂ© de signer, les agents le frappĂšrent encore Ă  coups de poing et de pied et lui cassĂšrent trois cĂŽtes. À l’infirmerie, alors qu’il Ă©tait nu, le requĂ©rant fut l’objet d’autres injures. À son retour de la prise de photo, un autre agent lui serra un bras jusqu’à lui causer un hĂ©matome ; il dut ensuite rester dans le couloir et fut obligĂ© de crier, avec d’autres personnes arrĂȘtĂ©es, « vive le Duce, vive le fascisme, vive la police pĂ©nitentiaire Â». Le 21 juillet, Ă  l’aube, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie.

41.  Mme Percivati fut arrĂȘtĂ©e l’aprĂšs-midi du 20 juillet, dans la rue Montezovetto, et emmenĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto le soir du mĂȘme jour. À son arrivĂ©e Ă  la caserne, alors qu’elle se trouvait encore dans la camionnette de la police, elle se vit injurier et couvrir de crachats et elle entendit clairement des agents se fĂ©liciter d’avoir apportĂ© d’autres « chats Ă  fouetter Â» Ă  leurs collĂšgues de la caserne. EmmenĂ©e dans une cellule Ă  coups de poing, de pied et de matraque, elle fut obligĂ©e de rester les mains liĂ©es dans le dos, le visage contre le mur et les jambes lĂ©gĂšrement Ă©cartĂ©es ; puis elle fut transfĂ©rĂ©e dans la mĂȘme cellule que Mme Ender et d’autres personnes arrĂȘtĂ©es. Dans la nuit, Mme Ender, aprĂšs ĂȘtre revenue des toilettes, dit Ă  la requĂ©rante qu’elle avait Ă©tĂ© tabassĂ©e (paragraphe 48 ci-dessus). Lorsque Mme Percivati se rendit Ă  son tour aux toilettes, elle fut d’abord frappĂ©e et insultĂ©e dans le couloir ; ensuite, l’agente de police qui la suivit dans les toilettes poussa sa tĂȘte vers la cuvette, tandis que d’autres agents, depuis l’extĂ©rieur, continuaient Ă  lui adresser des injures (« pute, tu aimes la matraque Â»). Dans la nuit du 20 au 21 juillet, elle fut emmenĂ©e dans un bureau oĂč on lui demanda si elle Ă©tait enceinte et oĂč, Ă  la suite de son refus rĂ©itĂ©rĂ© de signer des documents sans les avoir lus, quatre ou cinq agents la rouĂšrent de coups et lui cognĂšrent la tĂȘte contre le mur. La requĂ©rante fut Ă  nouveau frappĂ©e Ă  coups de poing et de pied lorsqu’elle fut reconduite dans sa cellule puis emmenĂ©e dans le bureau pour la prise de photo ; Ă  son retour, elle dut rester dans le couloir face contre le mur, bras en l’air et jambes Ă©cartĂ©es, sous les coups de matraque. Elle fut en outre obligĂ©e de sortir de l’infirmerie en sous-vĂȘtements pour chercher ses effets personnels dans le couloir. Lors de tous ses dĂ©placements Ă  l’intĂ©rieur de la caserne, la requĂ©rante dut marcher tĂȘte baissĂ©e. Elle fut privĂ©e de ses bijoux et de ses protections hygiĂ©niques. AprĂšs avoir Ă©tĂ© obligĂ©e, avec d’autres personnes arrĂȘtĂ©es, de faire le salut hitlĂ©rien et de chanter un hymne fasciste, elle fut transfĂ©rĂ©e, le 21 juillet, Ă  l’aube, Ă  la prison d’Alexandrie.

42.  M. Nebot fut arrĂȘtĂ© l’aprĂšs-midi du 20 juillet, dans la rue Montezovetto, et emmenĂ© Ă  la caserne de Bolzaneto le soir du mĂȘme jour. À son arrivĂ©e Ă  la caserne, il dut marcher penchĂ© en avant et tĂȘte baissĂ©e. Lors de son passage dans le couloir vers la cellule, il fut frappĂ© au ventre et aux testicules. Dans la cellule, il dut rester debout, jambes Ă©cartĂ©es et bras dans le dos, et il fut frappĂ© Ă  intervalles irrĂ©guliers aux testicules et aux jambes par les agents. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, il fut emmenĂ© dans un bureau oĂč on lui montra des documents rĂ©digĂ©s en italien ; ayant demandĂ© l’assistance d’un traducteur et d’un avocat, il fut frappĂ© plusieurs fois jusqu’à ce qu’il acceptĂąt de signer ces documents. À l’infirmerie, M. Larroquelle (requĂ©rant de la requĂȘte no67599/10 figurant sous le numĂ©ro 12 dans la liste en annexe) et lui furent insultĂ©s pour leur « mauvaise odeur Â» ; M. Nebot ne reçut aucun soin et ne fut pas questionnĂ© sur son Ă©tat de santĂ© par le mĂ©decin, malgrĂ© la prĂ©sence d’ecchymoses sur son ventre et sa poitrine. Bien qu’il ait signalĂ© Ă  maintes reprises, mĂȘme en prĂ©sence du mĂ©decin, qu’il Ă©tait asthmatique, il fut privĂ© de ses mĂ©dicaments tout au long de sa dĂ©tention Ă  la caserne. Dans la cellule, il fut obligĂ© de crier « vive le Duce, vive Mussolini, vive la police pĂ©nitentiaire Â» et vit d’autres personnes arrĂȘtĂ©es contraintes de marcher dans le couloir en faisant le salut hitlĂ©rien. Le 21 juillet, Ă  l’aube, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie.

43.  M. Bertacchini fut arrĂȘtĂ© l’aprĂšs-midi du 21 juillet. ArrivĂ© Ă  la caserne de Bolzaneto et placĂ© dans une cellule avec d’autres personnes arrĂȘtĂ©es, il fut contraint de rester pendant plusieurs heures sans bouger, jambes Ă©cartĂ©es, bras en l’air et face contre le mur, par moments mĂȘme sur la pointe des pieds. Il vit des agents passer Ă  tabac d’autres personnes arrĂȘtĂ©es. Dans la nuit du 21 au 22 juillet, du gaz irritant fut vaporisĂ© dans la cellule oĂč il se trouvait, ce qui causa des nausĂ©es, des problĂšmes respiratoires et des irritations Ă  tous les occupants. Avant d’ĂȘtre soumis Ă  une visite mĂ©dicale, le requĂ©rant fut frappĂ© dans le dos et sur les hanches. Le 22 juillet, Ă  midi, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie.

44.  Mme Flagelli fut arrĂȘtĂ©e le 21 juillet dans le camping de la rue Maggio. ArrivĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto, elle dut attendre debout dans la cour en plein soleil et fut insultĂ©e. PlacĂ©e dans une cellule, oĂč lui parvenaient de temps en temps les airs de chants fascistes, elle fut obligĂ©e d’écarter les jambes sous les coups qu’on lui donnait et de rester pendant plusieurs heures dans cette position, les bras en l’air. Dans la nuit du 21 au 22 juillet, du gaz irritant fut vaporisĂ© dans la cellule oĂč se trouvait la requĂ©rante, ce qui causa des nausĂ©es, des problĂšmes respiratoires et des irritations Ă  tous les occupants. Une autre personne arrĂȘtĂ©e ayant reçu des feuilles de papier journal au lieu des serviettes hygiĂ©niques qu’elle avait demandĂ©es, la requĂ©rante, effrayĂ©e et humiliĂ©e, s’abstint de demander Ă  son tour les protections hygiĂ©niques dont elle avait besoin. Elle fut injuriĂ©e et menacĂ©e de viol par des agents et elle assista aux sĂ©vices infligĂ©s Ă  d’autres personnes arrĂȘtĂ©es. À l’infirmerie, elle fut privĂ©e de tous ses bijoux et l’on coupa la capuche de son gilet ; elle fut obligĂ©e d’enlever tous ses piercings, mĂȘme ceux des zones intimes, devant quatre ou cinq hommes. Le matin du 22 juillet, elle fut transfĂ©rĂ©e dans une prison dont le nom n’est pas prĂ©cisĂ© dans le dossier.

45.  Mme Franceschin fut arrĂȘtĂ©e l’aprĂšs-midi du 21 juillet. PlacĂ©e dans une cellule de la caserne de Bolzaneto, elle fut obligĂ©e de s’asseoir par terre face contre le mur et de rester dans cette position pendant un certain laps de temps, menacĂ©e, si elle bougeait, de devoir se tenir debout. Elle fut traitĂ©e Ă  maintes reprises de « putain Â» et de « salope Â» dans la cellule et lors de son passage dans le couloir. Plusieurs agents se moquĂšrent de son T-shirt ; le mĂ©decin fit de mĂȘme lors de la visite mĂ©dicale, pendant que certains la menaçaient de lui arracher ce maillot et de le dĂ©chirer. L’intĂ©ressĂ©e fut privĂ©e de tous ses effets personnels (bijoux et montre), qui furent laissĂ©s par terre et ne lui furent pas restituĂ©s ; ses boucles d’oreilles, en particulier, lui furent arrachĂ©es avec une pince. AprĂšs la visite mĂ©dicale, elle fut emmenĂ©e de nouveau dans la cellule et obligĂ©e de rester debout face contre le mur pendant plusieurs heures. Le 21 juillet, Ă  l’aube, elle fut transfĂ©rĂ©e Ă  la prison d’Alexandrie.

46.  Mme Jaeger fut arrĂȘtĂ©e Ă  l’école Diaz-Pertini et, malgrĂ© des ecchymoses et blessures visibles, elle fut emmenĂ©e directement Ă  la caserne de Bolzaneto. Elle fut placĂ©e contre un mur dans la cour de la caserne dans une position vexatoire, des agents lui demandant ironiquement de quel sexe elle Ă©tait et se moquant d’elle ; Ă  l’intĂ©rieur de la caserne, deux agentes la traitĂšrent de « lesbienne Â». À l’entrĂ©e de la caserne, on lui arracha son collier avec une tenaille. EmmenĂ©e dans une cellule, elle fut contrainte de se tenir jambes Ă©cartĂ©es et bras en l’air, sous les coups et les crachats des agents. Dans le couloir, elle dut toujours marcher la tĂȘte baissĂ©e et les mains sur la nuque, sous de nombreuses injures. À l’infirmerie, on l’obligea Ă  se dĂ©vĂȘtir et Ă  faire des pompes ; la requĂ©rante ayant dit qu’elle avait faim, le mĂ©decin rĂ©torqua, en criant, qu’elle et les autres manifestants avaient dĂ©truit la ville de GĂȘnes. Ensuite, elle fut emmenĂ©e dans un bureau oĂč on lui demanda de signer des documents rĂ©digĂ©s en italien, en lui assurant que cela accĂ©lĂ©rerait sa remise en libertĂ©. Elle ne fut Ă  aucun moment informĂ©e des raisons de son arrestation ni de son droit de prendre contact avec les autoritĂ©s diplomatiques de son pays. Le 23 juillet, Ă  l’aube, elle fut transfĂ©rĂ©e dans une prison dont le nom n’est pas prĂ©cisĂ© dans le dossier.

47.  M. Camandona fut arrĂȘtĂ© le 21 juillet dans le camping de la rue Maggio. ArrivĂ© Ă  la caserne de Bolzaneto, il dut attendre dans la cour, debout, en plein soleil, et fut frappĂ© Ă  la tĂȘte, insultĂ© et menacĂ© (« fils de pute, tu n’as rien compris, oĂč crois-tu que tu es ? Â»). PlacĂ© dans une cellule, il fut obligĂ© de rester face contre le mur et bras en l’air, par moments sur la pointe des pieds. Il fut frappĂ© dans le dos, vraisemblablement Ă  coups de matraque, et fut l’objet de menaces (« on va te tuer Â») et d’injures (« anarchiste de merde Â», « connard de communiste Â»). Il fut frappĂ© et injuriĂ© Ă  chaque fois qu’il essayait de changer de position. Il dut Ă©galement Ă©couter des chants fascistes. Dans la nuit du 21 au 22 juillet, du gaz irritant fut vaporisĂ© dans la cellule qu’il occupait. M. Camandona vit alors une jeune personne vomir du sang et fut atteint Ă  son tour de problĂšmes respiratoires. Le requĂ©rant vit Ă©galement des agents frapper d’autres personnes arrĂȘtĂ©es, dont l’une souffrait d’un handicap Ă  la jambe. Pendant la visite mĂ©dicale, il fut Ă  nouveau frappĂ©, des agents incitant des femmes Ă  regarder Ă  quel point il aurait Ă©tĂ© rĂ©pugnant ; puis, ayant rectifiĂ© son nom que des agents avaient mal prononcĂ©, il reçut des coups de pied sur les fesses. Il dut se tenir tĂȘte baissĂ©e tout au long de sa dĂ©tention. Le 22 juillet, Ă  midi, il fut transfĂ©rĂ© Ă  la prison d’Alexandrie.

48.  M. Von Unger fut arrĂȘtĂ© Ă  l’école Diaz-Pertini et emmenĂ© Ă  la caserne de Bolzaneto dans la nuit du 21 au 22 juillet. À son arrivĂ©e Ă  la caserne, il fut privĂ© de tous ses effets personnels. Un agent lui arracha une broche en forme d’étoile rouge qu’il portait sur sa veste et le traita de « salaud de communiste Â». Il dut rester debout pendant plusieurs heures, jambes Ă©cartĂ©es et bras en l’air. Il vit les souffrances des autres personnes arrĂȘtĂ©es et entendit des cris provenant d’autres cellules. Tout au long de sa dĂ©tention, il fut frappĂ© et insultĂ©, surtout lorsqu’il demanda Ă  se rendre aux toilettes. Il s’y rendit par un couloir qu’il fut obligĂ© de parcourir penchĂ© en avant, la tĂȘte baissĂ©e et les bras tordus dans le dos par un agent. Il dut utiliser les toilettes sans pouvoir en fermer la porte. Il ne put prendre contact ni avec les autoritĂ©s diplomatiques de son pays ni avec sa famille. Il fut dĂ©tenu Ă  la caserne de Bolzaneto pendant environ trente heures.

49.  Tous les requĂ©rants, Ă  l’exception de MM. Balbas, Lorente, Larroquelle et Bertacchini et de Mmes Ender, Franceschin et Percivati, soutiennent avoir souffert du froid et de la faim Ă  la caserne de Bolzaneto. Ils allĂšguent n’avoir reçu des couvertures, de la nourriture et de l’eau que trĂšs tardivement et en quantitĂ© insuffisante.

50.  Toutes les poursuites engagĂ©es contre les requĂ©rants pour les faits Ă  l’origine de leur arrestation ont abouti Ă  leur acquittement.

C.  La procĂ©dure pĂ©nale engagĂ©e contre des membres des forces de l’ordre pour les faits commis Ă  la caserne de Bolzaneto

51.  Ă€ la suite des faits commis Ă  la caserne de Bolzaneto, le parquet de GĂȘnes entama des poursuites contre quarante-cinq personnes, parmi lesquelles un prĂ©fet de police adjoint (vice-questore aggiunto), des membres de la police et de la police pĂ©nitentiaire, des carabiniers et des mĂ©decins de l’administration pĂ©nitentiaire. Les chefs d’accusation retenus Ă©taient les suivants : abus d’autoritĂ© publique, abus d’autoritĂ© Ă  l’égard de personnes arrĂȘtĂ©es ou dĂ©tenues, coups et blessures, injures, violence, menaces, omission, recel de malfaiteurs et faux. Le 27 janvier 2005, le parquet demanda le renvoi en jugement des inculpĂ©s. Les requĂ©rants et d’autres personnes (155 au total) se constituĂšrent parties civiles.

1.  Le jugement de premiĂšre instance

52.  Par le jugement no 3119 du 14 juillet 2008, dĂ©posĂ© le 27 novembre 2008, le tribunal de GĂȘnes condamna quinze des quarante-cinq accusĂ©s Ă  des peines allant de neuf mois Ă  cinq ans d’emprisonnement assorties d’une peine accessoire d’interdiction temporaire d’exercer des fonctions publiques (interdizione dai pubblici uffici). Dix condamnĂ©s bĂ©nĂ©ficiĂšrent d’un sursis et de la non-inscription de la condamnation au casier judiciaire. Enfin, en application de la loi no 241 du 29 juillet 2006 relative aux conditions d’octroi de la remise gĂ©nĂ©rale de peine (indulto), trois condamnĂ©s bĂ©nĂ©ficiĂšrent d’une remise totale de leur peine d’emprisonnement et deux autres, condamnĂ©s respectivement Ă  trois ans et deux mois et Ă  cinq ans d’emprisonnement, d’une remise de peine de trois ans.

53.  Le tribunal estima tout d’abord qu’il Ă©tait prouvĂ© que les faits suivants avaient Ă©tĂ© commis Ă  l’encontre de tous les requĂ©rants : insultes, menaces, coups et blessures, positions vexatoires, vaporisation de produits irritants dans les cellules, destruction d’effets personnels, longs dĂ©lais d’attente pour utiliser les toilettes et marquage au feutre sur le visage des personnes arrĂȘtĂ©es Ă  l’école Diaz-Pertini. Il nota que ces traitements pouvaient ĂȘtre qualifiĂ©s d’inhumains et dĂ©gradants et qu’ils avaient Ă©tĂ© commis dans un contexte particulier « et, on l’espĂ©r[ait], unique Â». Il ajouta que ces Ă©pisodes avaient aussi portĂ© atteinte Ă  la Constitution rĂ©publicaine et affaibli la confiance du peuple italien dans les forces de l’ordre.

54.  Le tribunal souligna ensuite que, malgrĂ© la longue, laborieuse et mĂ©ticuleuse enquĂȘte menĂ©e par le parquet, la plupart des auteurs des mauvais traitements, dont l’existence avait Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e pendant les dĂ©bats, n’avaient pas pu ĂȘtre identifiĂ©s en raison de difficultĂ©s objectives, et notamment de l’absence de coopĂ©ration de la police, rĂ©sultat Ă  ses yeux d’une mauvaise interprĂ©tation de l’esprit de corps.

55.  Le tribunal prĂ©cisa enfin que l’absence en droit pĂ©nal du dĂ©lit de torture avait obligĂ© le parquet Ă  circonscrire la plupart des mauvais traitements avĂ©rĂ©s au cadre du dĂ©lit d’abus d’autoritĂ© publique. En l’espĂšce, les agents, les cadres et les fonctionnaires auraient Ă©tĂ© accusĂ©s de ne pas avoir empĂȘchĂ©, de par leur comportement passif, les mauvais traitements dĂ©noncĂ©s. À cet Ă©gard, le tribunal estima que la plupart des accusĂ©s du chef d’abus d’autoritĂ© publique ne pouvaient pas ĂȘtre jugĂ©s coupables eu Ă©gard au fait que : a)  le dĂ©lit en cause Ă©tait caractĂ©risĂ© par un dol spĂ©cifique, Ă  savoir l’intention claire et avĂ©rĂ©e de l’agent public de commettre un certain dĂ©lit ou de ne pas en empĂȘcher la commission, et que b)  l’existence de ce dol spĂ©cifique n’avait pas Ă©tĂ© prouvĂ©e au-delĂ  de tout doute raisonnable.

56.  Les coupables des actes litigieux ainsi que les ministĂšres de l’IntĂ©rieur, de la Justice et de la DĂ©fense furent condamnĂ©s au paiement des frais et dĂ©pens et au dĂ©dommagement des parties civiles, des sommes comprises entre 2 500 et 15 000 euros (EUR) Ă©tant accordĂ©es Ă  titre de provision sur les dommages-intĂ©rĂȘts.

2.  L’arrĂȘt d’appel

57.  Saisie par les accusĂ©s, le procureur prĂšs le tribunal de GĂȘnes, le procureur gĂ©nĂ©ral, les ministres de l’IntĂ©rieur, de la Justice et de la DĂ©fense (responsables civils) et par les victimes qui s’étaient constituĂ©es parties civiles, la cour d’appel de GĂȘnes, par son arrĂȘt no 678 du 5 mars 2010, dĂ©posĂ© le 15 avril 2011, infirma partiellement le jugement entrepris.

58.  Concernant le dĂ©lit d’abus d’autoritĂ© publique envers des personnes arrĂȘtĂ©es, elle confirma d’abord la condamnation Ă  un an d’emprisonnement avec sursis pour deux accusĂ©s et la remise totale de peine s’agissant d’un troisiĂšme accusĂ©. Par ailleurs, elle condamna un agent Ă  trois ans et deux mois d’emprisonnement pour dĂ©lit de lĂ©sions corporelles. Ce dernier bĂ©nĂ©ficia d’une remise de peine de trois ans.

S’agissant du dĂ©lit de faux, elle condamna trois accusĂ©s jugĂ©s non coupables en premiĂšre instance Ă  une peine d’un an et six mois d’emprisonnement avec sursis et sans mention au casier judiciaire et une quatriĂšme accusĂ©e Ă  deux ans d’emprisonnement avec sursis et sans mention au casier judiciaire.

59.  Enfin, elle prononça un non-lieu en raison de la prescription des dĂ©lits dont Ă©taient accusĂ©es vingt-huit personnes, dont deux personnes condamnĂ©es ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une remise de peine en premiĂšre instance (paragraphe 52 ci‑dessus). Elle rendit Ă©galement un non-lieu Ă  l’égard d’un autre accusĂ© dĂ©cĂ©dĂ©.

60.  Elle condamna Ă©galement tous les accusĂ©s (exceptĂ© ce dernier) ainsi que les ministĂšres de l’IntĂ©rieur, de la Justice et de la DĂ©fense, aux frais et dĂ©pens de la procĂ©dure et au dĂ©dommagement des parties civiles. Des sommes comprises entre 5 000 et 30 000 EUR furent accordĂ©es Ă  titre de provision sur les dommages-intĂ©rĂȘts.

61.  Dans les motifs de l’arrĂȘt, la cour d’appel prĂ©cisa tout d’abord que, bien que les dĂ©lits en question fussent prescrits, elle devait statuer sur les effets civils des infractions.

62.  Elle indiqua ensuite que la crĂ©dibilitĂ© des tĂ©moignages des victimes ne faisait aucun doute : d’une part, lesdits tĂ©moignages avaient Ă©tĂ© corroborĂ©s par la comparaison des diverses dĂ©clarations, dont celles de deux infirmiers et d’un inspecteur de police, par les aveux partiels de certains accusĂ©s ainsi que par plusieurs piĂšces du dossier ; d’autre part, ces tĂ©moignages prĂ©sentaient les caractĂ©ristiques typiques des rĂ©cits de victimes d’évĂ©nements traumatiques et faisaient Ă©tat d’une volontĂ© sincĂšre de restituer la vĂ©ritĂ©.

63.  Quant aux Ă©vĂ©nements qui s’étaient produits Ă  la caserne de Bolzaneto, la cour d’appel observa que toutes les personnes ayant transitĂ© par ce centre y avaient Ă©tĂ© l’objet de sĂ©vices de toutes sortes, continus et systĂ©matiques, par des agents de la police pĂ©nitentiaire ou des agents des forces de l’ordre ayant participĂ©, pour la plupart, Ă  la gestion de l’ordre public dans la ville au cours des manifestations.

64.  En effet, elle nota que, dĂšs leur arrivĂ©e et tout au long de leur dĂ©tention dans la caserne, ces personnes, parfois dĂ©jĂ  Ă©prouvĂ©es par les violences subies lors de l’arrestation, avaient Ă©tĂ© obligĂ©es de se tenir dans des positions vexatoires et avaient Ă©tĂ© l’objet de coups, de menaces et d’injures Ă  caractĂšre principalement politique et sexuel. MĂȘme Ă  l’infirmerie, les mĂ©decins et les agents prĂ©sents auraient ostensiblement contribuĂ©, par des actes ou des omissions, Ă  provoquer et Ă  accroĂźtre la terreur et la panique chez les personnes arrĂȘtĂ©es. La cour d’appel releva que certaines, blessĂ©es lors de l’arrestation ou Ă  la caserne, auraient, en tout Ă©tat de cause, nĂ©cessitĂ© des soins adĂ©quats, voire une hospitalisation immĂ©diate. De surcroĂźt, elle remarqua aussi que le couloir de la caserne avait Ă©tĂ© surnommĂ© « le tunnel des agents Â», car les nombreux passages des personnes arrĂȘtĂ©es avaient eu lieu entre deux rangĂ©es d’agents les injuriant et les tabassant.

65.  La cour d’appel ajouta que de nombreux autres Ă©lĂ©ments avaient brisĂ© la rĂ©sistance physique et psychologique des personnes arrĂȘtĂ©es et temporairement dĂ©tenues Ă  la caserne, Ă  savoir : l’interdiction de regarder les agents ; la privation ou la destruction injustifiĂ©e des effets personnels ; le fait – tout en Ă©tant soumis Ă  l’interdiction de communiquer entre dĂ©tenus et donc Ă  l’impossibilitĂ© de chercher un rĂ©confort mutuel – de devoir assister aux sĂ©vices infligĂ©s aux autres personnes arrĂȘtĂ©es, d’écouter les cris de celles-ci ou de voir leur sang, leurs vomissures, leur urine ; l’impossibilitĂ© d’accĂ©der rĂ©guliĂšrement aux toilettes et de les utiliser Ă  l’abri des regards et des injures des agents ; la privation d’eau et de nourriture ; le froid et la difficultĂ© de trouver un peu de dĂ©tente dans le sommeil ; l’absence de tout contact avec l’extĂ©rieur, et la mention mensongĂšre par les agents de la renonciation des personnes arrĂȘtĂ©es au droit de prĂ©venir un membre de leur famille, un avocat et, le cas Ă©chĂ©ant, un diplomate de leur pays d’origine ; enfin, l’absence d’informations pleinement intelligibles sur les raisons de l’arrestation des personnes concernĂ©es.

66.  En somme, d’aprĂšs la cour d’appel, ces personnes avaient Ă©tĂ© soumises Ă  plusieurs traitements contraires Ă  l’article 3 de la Convention tel qu’interprĂ©tĂ© par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme dans ses arrĂȘts Irlande c. Royaume-Uni (18 janvier 1978, sĂ©rie A no 25), Raninen c. Finlande (16 dĂ©cembre 1997, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997‑VIII), et Selmouni c. France ([GC], no 25803/94, CEDH 1999‑V). Pour la cour d’appel, tous les agents et le personnel de santĂ© qui se trouvaient Ă  la caserne avaient Ă©tĂ© Ă  mĂȘme de s’apercevoir que de tels traitements Ă©taient infligĂ©s, ce qui, Ă  ses yeux, Ă©tait suffisant en l’espĂšce pour constituer le dĂ©lit d’abus d’autoritĂ© publique.

67.  En outre, la cour d’appel estima que ces traitements, combinĂ©s avec la nĂ©gation de certains droits de la personne arrĂȘtĂ©e, avaient pour but de donner aux victimes le sentiment d’ĂȘtre tombĂ©es dans un espace de nĂ©gation de l’habeas corpus, des droits fondamentaux et de tout autre aspect de la prĂ©Ă©minence du droit, ce que, au demeurant, confirmaient selon elle les diverses formes d’évocation du fascisme faites par les agents. En d’autres termes, en infligeant torture et mauvais traitements, les auteurs de ces sĂ©vices avaient voulu produire un processus de dĂ©personnalisation similaire Ă  celui mis en Ɠuvre Ă  l’encontre des juifs et des autres personnes internĂ©s dans les camps de concentration. Ainsi, Ă  l’instar d’objets ou d’animaux, les personnes arrĂȘtĂ©es dans l’école Diaz-Pertini auraient Ă©tĂ©, Ă  leur arrivĂ©e Ă  la caserne, marquĂ©es au feutre sur le visage.

68.  Enfin, selon la cour d’appel, ces Ă©vĂ©nements avaient eu des consĂ©quences trĂšs graves sur les victimes et perduraient dans leurs effets bien au-delĂ  de la fin de la dĂ©tention de celles-ci Ă  la caserne de Bolzaneto, car ils avaient dĂ©structurĂ© les catĂ©gories rationnelles et Ă©motionnelles au travers desquelles la personne humaine vit ses besoins quotidiens, ses relations aux autres, ses liens avec l’État et sa participation Ă  la vie publique. Ils auraient Ă©galement touchĂ© les familles des victimes en tant que communautĂ©s d’échange d’expĂ©riences et de valeurs.

3.  L’arrĂȘt de la Cour de cassation

69.  Saisie par les accusĂ©s, le procureur gĂ©nĂ©ral, les ministĂšres de l’IntĂ©rieur, de la Justice et de la DĂ©fense (responsables civils), la Cour de cassation rendit son arrĂȘt n37088 le 14 juin 2013. Celui-ci fut dĂ©posĂ© le 10 septembre 2013. La Cour de cassation confirma pour l’essentiel l’arrĂȘt entrepris.

70.  Tout d’abord, elle releva que, s’agissant de tous les dĂ©lits retenus par le tribunal de premiĂšre instance et la cour d’appel de GĂȘnes, la quasi-totalitĂ© avait Ă©tĂ© touchĂ©e par la prescription, Ă  laquelle toutefois trois officiers de police avaient renoncĂ©, exception faite du dĂ©lit de lĂ©sions corporelles retenu Ă  l’encontre d’un agent et du dĂ©lit de faux retenu Ă  l’encontre de quatre autres agents.

71.  Elle rejeta ensuite l’exception de constitutionnalitĂ© soulevĂ©e par le procureur gĂ©nĂ©ral de GĂȘnes, estimant que, en vertu de l’article 25 de la Constitution relatif au principe de rĂ©serve de la loi, seul le lĂ©gislateur pouvait Ă©tablir les sanctions pĂ©nales et dĂ©finir l’application de mesures telles que la prescription et la remise de peine (pour une analyse plus dĂ©taillĂ©e, voir Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§ 75-80, 7 avril 2015).

72.  Elle jugea en outre que les violences perpĂ©trĂ©es Ă  l’intĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto l’avaient Ă©tĂ© sans interruption, dans des conditions oĂč chaque personne prĂ©sente en avait la totale perception auditive et visuelle. Elle estima, en s’appuyant sur trente-neuf tĂ©moignages concordants, que, dans la caserne de Bolzaneto, les principes fondamentaux de l’état de droit avaient Ă©tĂ© Ă©cartĂ©s.

73.  En conclusion, concernant le sort individuel de chaque personne condamnĂ©e, elle confirma la condamnation des trois officiers ayant renoncĂ© Ă  la prescription Ă  un an d’emprisonnement pour dĂ©lit d’abus d’autoritĂ© (dont deux bĂ©nĂ©ficiĂšrent d’un sursis Ă  l’exĂ©cution et le troisiĂšme d’une remise de peine), de trois autres officiers Ă  un an et six mois d’emprisonnement avec sursis pour dĂ©lit de faux et d’un mĂ©decin de l’administration pĂ©nitentiaire Ă  deux ans pour le mĂȘme dĂ©lit. Elle confirma Ă©galement la condamnation d’un agent Ă  trois ans et deux mois d’emprisonnement pour dĂ©lit de lĂ©sions corporelles. Celui-ci bĂ©nĂ©ficia d’une remise de peine de trois ans.

74.  Pour ce qui est des autres appelants, la Cour de cassation confirma l’arrĂȘt entrepris quant Ă  la responsabilitĂ© civile des plus hauts gradĂ©s impliquĂ©s, Ă  savoir le prĂ©fet de police adjoint, la commissaire en chef (commissario capo) et l’inspecteur de police pĂ©nitentiaire chargĂ© de la sĂ©curitĂ© du site pĂ©nitentiaire Ă©tabli dans la caserne de Bolzaneto. Elle parvint au mĂȘme constat concernant de nombreux officiers et agents de la police pĂ©nitentiaire et des forces de l’ordre ainsi que le personnel de santĂ© en cause, dont le responsable du service de santĂ© du site.

D.  L’enquĂȘte parlementaire d’information

75.  Le 2 aoĂ»t 2001, les prĂ©sidents du SĂ©nat et de la Chambre des dĂ©putĂ©s dĂ©cidĂšrent qu’une enquĂȘte d’information (indagine conoscitiva) sur les faits survenus lors du G8 de GĂȘnes serait menĂ©e par les commissions des Affaires constitutionnelles des deux chambres du Parlement. À cette fin, il fut crĂ©Ă© une commission composĂ©e de dix-huit dĂ©putĂ©s et de dix-huit sĂ©nateurs.

76.  Le 20 septembre 2001, la commission dĂ©posa un rapport contenant les conclusions de sa majoritĂ©, intitulĂ© « Rapport final de l’enquĂȘte parlementaire sur les faits survenus lors du G8 de GĂȘnes Â».

77.  Ce rapport citait les dĂ©clarations du responsable des activitĂ©s de la police pĂ©nitentiaire lors du sommet, selon lesquelles la dĂ©cision d’affecter Ă  la police pĂ©nitentiaire et Ă  la police judiciaire une seule et mĂȘme caserne s’était rĂ©vĂ©lĂ©e ĂȘtre « un choix malheureux Â».

78.  Le rapport indiquait ensuite que, dans la nuit du 21 au 22 juillet, la durĂ©e de la dĂ©tention Ă  la caserne de Bolzaneto des personnes arrĂȘtĂ©es avait Ă©tĂ© excessivement longue en raison de la fermeture de certains bureaux, qui aurait Ă©tĂ© due Ă  l’insuffisance de personnel, Ă  l’afflux des personnes arrĂȘtĂ©es dans l’école Diaz-Pertini et aux modalitĂ©s de transfert vers les prisons choisies en tant que lieux de dĂ©tention provisoire. Le rapport faisait aussi Ă©tat de ce que, au cours de la mĂȘme nuit, entre 1 h 35 et 2 heures, le ministre de la Justice s’était rendu Ă  la caserne de Bolzaneto et avait vu dans une cellule une femme et dix hommes placĂ©s jambes Ă©cartĂ©es et face contre le mur sous la surveillance d’un agent.

79.  Le rapport mentionnait en outre l’existence de deux enquĂȘtes administratives relatives aux faits survenus Ă  la caserne de Bolzaneto, engagĂ©es Ă  l’initiative du chef de la police et du ministre de la Justice. Le rapport provisoire de la deuxiĂšme enquĂȘte faisait Ă©tat de onze cas de violences dĂ©noncĂ©s par la presse ou par les victimes elles-mĂȘmes ainsi que d’autres vexations signalĂ©es par un infirmier.

80.  Le rapport indiquait enfin que, d’aprĂšs le prĂ©fet de police F., entendu par la commission parlementaire, certaines dĂ©clarations faites Ă  la presse ou aux enquĂȘteurs par les victimes s’étaient rĂ©vĂ©lĂ©es fausses et infondĂ©es. Le rapport concluait toutefois que le prĂ©fet F. n’avait pas prĂ©cisĂ© Ă  quel lieu de triage (Forte San Giuliano, Bolzaneto ou les deux) se rĂ©fĂ©raient ses observations.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

81.  Pour ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents dans les prĂ©sentes affaires, la Cour renvoie Ă  l’arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 87-106).

82.  La proposition de loi visant Ă  sanctionner la torture et les mauvais traitements, intitulĂ©e « Introduction du dĂ©lit de torture dans l’ordre juridique italien Â» (introduzione del delitto di tortura nell’ordinamento italiano), SĂ©nat de la RĂ©publique S-849, a Ă©tĂ© votĂ©e par le SĂ©nat de la RĂ©publique italienne le 5 mars 2014, puis transmise Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s qui a modifiĂ© le texte et envoyĂ© la nouvelle version au SĂ©nat le 13 avril 2015. Le 17 mai 2017, le SĂ©nat a adoptĂ© des amendements Ă  la proposition de loi et communiquĂ© le nouveau texte Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s. Le 5 juillet 2017, la Chambre des dĂ©putĂ©s a dĂ©finitivement adoptĂ© le texte.

La loi no110 du 14 juillet 2017, intitulĂ©e « Introduction du dĂ©lit de torture dans l’ordre juridique italien (Introduzione del delitto di tortura nell’ordinamento italiano) a Ă©tĂ© publiĂ©e au Journal officiel (Gazzetta ufficiale) le 18 juillet 2017. Elle est entrĂ©e en vigueur le mĂȘme jour.

III.  Ă‰LÉMENTS PERTINENTS DE DROIT INTERNATIONAL

83.  Pour ce qui est des Ă©lĂ©ments de droit international pertinents en l’espĂšce, la Cour renvoie Ă  l’arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 107-121).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

84.  Les requĂ©rants se plaignent d’avoir Ă©tĂ© soumis Ă  des actes de violence qu’ils qualifient de torture et de traitements inhumains et dĂ©gradants.

Ils invoquent l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellĂ© :

« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă  la torture ni Ă  des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. Â»

85.  Ils soutiennent aussi que l’enquĂȘte a Ă©tĂ© dĂ©faillante en raison des sanctions Ă  leurs yeux inadĂ©quates infligĂ©es aux personnes jugĂ©es responsables. À cet Ă©gard, ils dĂ©noncent notamment la prescription appliquĂ©e Ă  la plupart des dĂ©lits reprochĂ©s, la remise de peine dont certains condamnĂ©s auraient bĂ©nĂ©ficiĂ© et l’absence de sanctions disciplinaires Ă  l’égard de ces mĂȘmes personnes. Dans ce cadre, ils maintiennent que, en s’abstenant d’inscrire dans l’ordre juridique national le dĂ©lit de torture, l’État n’a pas adoptĂ© les mesures nĂ©cessaires permettant de prĂ©venir des violences et autres mauvais traitements similaires Ă  ceux dont ils se disent victimes.

Ils invoquent à cet égard les articles 3 et 13 de la Convention, pris séparément et combinés.

86.  Eu Ă©gard Ă  la formulation des griefs des requĂ©rants, la Cour estime qu’il convient d’examiner la question de l’absence d’une enquĂȘte effective sur les mauvais traitements allĂ©guĂ©s uniquement sous l’angle du volet procĂ©dural de l’article 3 de la Convention (Dembele c. Suisse, no 74010/11, § 33, 24 septembre 2013, avec les rĂ©fĂ©rences qui y figurent).

A.  Sur la demande de radiation du rĂŽle de la requĂȘte no 67599/10 en ce qui concerne les requĂ©rants figurant sous les numĂ©ros 5, 9-11, 14, 17 et 18 dans la liste en annexe

87.  La Cour a reçu des dĂ©clarations de rĂšglement amiable signĂ©es par les parties requĂ©rantes le 27 juillet 2016 et par le Gouvernement le 9 septembre 2016. Ce dernier s’engage Ă  verser Ă  chaque requĂ©rant la somme de 45 000 EUR Ă  titre de prĂ©judice matĂ©riel et moral et pour les frais et dĂ©pens engagĂ©s tant dans la procĂ©dure devant la Cour que dans celle devant les juridictions internes, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt par les intĂ©ressĂ©s, lesquels ont renoncĂ© Ă  toute autre prĂ©tention Ă  l’encontre de la RĂ©publique italienne au sujet des faits Ă  l’origine de leurs requĂȘtes.

Cette somme sera versĂ©e dans les trois mois suivant la date de la notification de la dĂ©cision de la Cour. À dĂ©faut de rĂšglement dans ledit dĂ©lai, le Gouvernement s’engage Ă  verser, Ă  compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au rĂšglement effectif de la somme en question, un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne, augmentĂ© de trois points de pourcentage. Ce versement vaudra rĂšglement dĂ©finitif de l’affaire.

88.  La Cour prend acte du rĂšglement amiable auquel les parties sont parvenues. Elle estime que ce rĂšglement s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention et ses Protocoles et elle ne voit par ailleurs aucun motif justifiant de poursuivre l’examen de la requĂȘte Ă  l’égard des requĂ©rants concernĂ©s.

89.  Partant, il convient de rayer l’affaire du rĂŽle en ce qui concerne les requĂ©rants figurant sous les numĂ©ros 5, 9-11, 14, 17 et 18 dans la liste en annexe. La Cour poursuit l’examen de la requĂȘte no 67599/10 Ă  l’égard des autres requĂ©rants.

B.  Sur la requĂȘte no 28923/09 et la requĂȘte no 67599/10 en ce qui concerne les requĂ©rants figurant sous les numĂ©ros 1-4, 6-8, 12, 13, 15, 16 et 19 dans la liste en annexe.

1.  Objection prĂ©liminaire

L’exception du Gouvernement tirĂ©e de la tardivetĂ© des observations et de la demande de satisfaction Ă©quitable des requĂ©rants de la requĂȘte no 67599/10

90.  Le Gouvernement soutient d’emblĂ©e que les observations et les demandes de satisfaction Ă©quitable des requĂ©rants de la requĂȘte no 67599/10 ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es tardivement. Il indique que la date assignĂ©e aux requĂ©rants par la Cour pour le dĂ©pĂŽt de leurs observations et demandes de satisfaction Ă©quitable Ă©tait le 21 fĂ©vrier 2013 et que celles-ci n’auraient Ă©tĂ© reçues par la Cour que le 27 fĂ©vrier 2013.

91.  La Cour rappelle que, selon l’article 38 § 1 de son rĂšglement, les observations Ă©crites doivent ĂȘtre dĂ©posĂ©es dans le dĂ©lai fixĂ© par le prĂ©sident de la chambre ou par le juge rapporteur et que, sauf dĂ©cision contraire du prĂ©sident de la chambre, les observations tardives ne peuvent ĂȘtre versĂ©es au dossier. Elle rappelle Ă©galement que, aux termes du deuxiĂšme paragraphe du mĂȘme article, c’est la date certifiĂ©e de l’envoi du document qui est prise en compte pour le calcul du dĂ©lai et que, Ă  dĂ©faut, elle tient compte de la date de rĂ©ception du document.

92.  Dans le cas d’espĂšce, elle relĂšve que les observations litigieuses ont Ă©tĂ© envoyĂ©es le 21 fĂ©vrier 2013, dernier jour du dĂ©lai assignĂ© Ă  la partie requĂ©rante. Il s’ensuit que les observations et les demandes de satisfaction Ă©quitable ne sauraient ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme tardives.

2.  Sur la recevabilitĂ©

a)  L’exception du Gouvernement tirĂ©e de la perte de la qualitĂ© de victime

i.  ThĂšses des parties

93.  Le Gouvernement dĂ©fendeur soutient que les requĂ©rants ont perdu leur qualitĂ© de « victime Â». En rappelant la jurisprudence selon lui pertinente de la Cour en l’espĂšce (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil 1996‑III, Dalban c. Roumanie [GC], n28114/95, § 44, CEDH 1999‑VI, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 142, CEDH 2000‑IV, et GĂ€fgen c. Allemagne [GC], n22978/05, §§ 115-116, CEDH 2010), il assure que les tribunaux italiens, dans le cadre de la procĂ©dure pĂ©nale, ont reconnu les violations subies par les requĂ©rants de maniĂšre explicite ou tout au moins substantielle. Il ajoute que, Ă  l’issue de la mĂȘme procĂ©dure, les requĂ©rants ont obtenu, en tant que parties civiles, la reconnaissance du droit Ă  la rĂ©paration du prĂ©judice subi et le versement d’indemnitĂ©s provisionnelles sur les dommages-intĂ©rĂȘts. Il argue Ă©galement que la dĂ©claration de prescription de certains des dĂ©lits attribuĂ©s aux agents accusĂ©s n’ont pas privĂ© les requĂ©rants de la possibilitĂ© de saisir les juridictions civiles afin d’obtenir la liquidation globale et dĂ©finitive des dommages-intĂ©rĂȘts pour le prĂ©judice subi.

94.  Toujours sous l’angle de l’article 34 de la Convention, le Gouvernement s’appuie sur la dĂ©cision rendue dans l’affaire Palazzolo c. Italie ((dĂ©c.), §§ 105-108 et 110, no 32328/09, 24 septembre 2013) pour soutenir, d’une part, que les requĂ©rants n’ont pas Ă©puisĂ© les voies de recours internes et, d’autre part, qu’il n’appartient pas Ă  la Cour d’apprĂ©cier elle‑mĂȘme les Ă©lĂ©ments de fait ayant conduit une juridiction nationale Ă  adopter une dĂ©cision, sauf Ă  mĂ©connaĂźtre les limites de sa mission et Ă  s’ériger en juge de quatriĂšme instance.

95.  Les requĂ©rants, en citant, parmi d’autres, l’arrĂȘt O’Keeffe c. Irlande ([GC], no 35810/09, § 115, CEDH 2014 (extraits)), avancent que le procĂšs pĂ©nal n’a ni expressĂ©ment ni en substance reconnu une violation de l’article 3 de la Convention et ce, selon eux, car le systĂšme juridique italien ne prĂ©voit aucune infraction proche du type d’actes interdits par la Convention.

96.  Ils soutiennent Ă©galement que, dans le reste de son raisonnement, le Gouvernement ne fait que rĂ©itĂ©rer les arguments qu’il avait dĂ©jĂ  exposĂ©s relativement Ă  son allĂ©gation de non-Ă©puisement des voies de recours internes.

ii.  ApprĂ©ciation de la Cour

97.  La Cour note que le Gouvernement associe, dans son raisonnement, des arguments de nature Ă  contester la qualitĂ© de victime des requĂ©rants Ă  des allĂ©gations essentiellement liĂ©es au non-Ă©puisement des voies de recours internes. DĂšs lors, ces derniĂšres seront traitĂ©es dans le cadre de l’exception du Gouvernement tirĂ©e du non-Ă©puisement des voies de recours internes.

98.  En ce qui concerne la perte de la qualitĂ© de victime, la Cour estime que la question centrale posĂ©e est Ă©troitement liĂ©e au fond du grief tirĂ© de l’article 3 de la Convention en son volet procĂ©dural. En consĂ©quence, elle dĂ©cide de joindre cette exception au fond (Cestaro, prĂ©citĂ©, §136).

b)  L’exception du Gouvernement tirĂ©e du non-Ă©puisement des voies de recours internes en matiĂšre pĂ©nale

i.  ThĂšses des parties

99.  Invoquant l’article 35 § 1 de la Convention, le Gouvernement allĂšgue que, au moment de l’introduction des deux requĂȘtes (respectivement le 27 mai 2009 et le 3 septembre 2010), la procĂ©dure pĂ©nale Ă©tait encore pendante. Il indique en particulier que, en ce qui concerne la requĂȘte no 28923/09, la cour d’appel de GĂȘnes ne s’était pas encore prononcĂ©e sur les faits litigieux Ă  l’origine de la requĂȘte. Pour ce qui est de la requĂȘte no 67599/10, il expose que la cour d’appel n’avait dĂ©posĂ© que le dispositif de son jugement et que la Cour de cassation n’avait pas encore Ă©tĂ© saisie.

100.  De ce fait, le Gouvernement maintient que les requĂ©rants n’ont pas Ă©puisĂ© les voies de recours internes en matiĂšre pĂ©nale et que ces derniers, en introduisant leurs requĂȘtes avant la fin de la procĂ©dure pĂ©nale, auraient de fait demandĂ© Ă  la Cour de se substituer aux autoritĂ©s judiciaires nationales en violation du principe de subsidiaritĂ©.

101.  Les requĂ©rants rĂ©pliquent que, en raison de l’absence de dispositions lĂ©gislatives pĂ©nales rĂ©primant les pratiques contraires Ă  l’article 3 de la Convention, la qualification des faits retenue par les juges internes Ă©tait insuffisante par rapport Ă  la gravitĂ© des faits en question. En outre, ils insistent sur le fait que cette qualification n’a pu empĂȘcher l’application de la prescription Ă  la quasi-totalitĂ© des infractions en cause. Ils soutiennent Ă©galement que les peines adoptĂ©es ont Ă©tĂ© fortement rĂ©duites en application des dispositions de la loi no 241/2006 relatives Ă  la remise de peine de trois ans. Ils allĂšguent enfin que le bilan de la procĂ©dure pĂ©nale interne est seulement de huit condamnations dĂ©finitives pour des dĂ©lits mineurs (abus d’autoritĂ© publique, faux et lĂ©sions volontaires) et de quatre acquittements, et que la prescription a Ă©tĂ© appliquĂ©e pour tous les autres dĂ©lits reprochĂ©s aux quarante-cinq accusĂ©s. En matiĂšre de prescription, ils indiquent notamment que le procureur gĂ©nĂ©ral de GĂȘnes a soulevĂ© devant la Cour de cassation une exception d’inconstitutionnalitĂ© concernant l’application de la prescription et de la remise de peine Ă  des dĂ©lits pouvant ĂȘtre qualifiĂ©s de torture au sens de l’article 3 de la Convention.

102.  Partant, ils estiment que le systĂšme national n’offre pas un remĂšde adĂ©quat et efficace contre les actes de torture et citent Ă  cet effet les arrĂȘts rendus dans les affaires Zontul c. GrĂšce (n12294/07, § 96, 17 janvier 2012), GĂ€fgen (prĂ©citĂ©, § 117) et Beganović c. Croatie (no 46423/06, §§ 69‑72, 25 juin 2009).

ii.  ApprĂ©ciation de la Cour

103.  Aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut ĂȘtre saisie qu’aprĂšs l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international gĂ©nĂ©ralement reconnus, et dans un dĂ©lai de six mois Ă  partir de la date de la dĂ©cision interne dĂ©finitive.

104.  La Cour a dĂ©jĂ  jugĂ©, dans certaines affaires introduites avant la fin de la procĂ©dure pĂ©nale concernant des mauvais traitements au sens de l’article 3 de la Convention, que l’exception du gouvernement dĂ©fendeur tirĂ©e du caractĂšre prĂ©maturĂ© de la requĂȘte avait perdu sa raison d’ĂȘtre une fois la procĂ©dure pĂ©nale en question achevĂ©e (Kopylov, prĂ©citĂ©, § 119, renvoyant Ă  SamoĂŻlov c. Russie, no 64398/01, § 39, 2 octobre 2008, et Cestaro, prĂ©citĂ©, § 145).

105.  En outre, si, en principe, le requĂ©rant a l’obligation de tenter loyalement divers recours internes avant de saisir la Cour et si le respect de cette obligation s’apprĂ©cie Ă  la date d’introduction de la requĂȘte (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, CEDH 2001‑V (extraits)), la Cour tolĂšre que le dernier Ă©chelon de ces recours soit atteint peu aprĂšs le dĂ©pĂŽt de la requĂȘte, mais avant qu’elle ne soit appelĂ©e Ă  se prononcer sur la recevabilitĂ© de celle‑ci (Karoussiotis c. Portugal, no 23205/08, §§ 57 et 87-92, CEDH 2011 (extraits), Rafaa c. France, no 25393/10, § 33, 30 mai 2013, et Cestaro, prĂ©citĂ©, §§ 146 et 205-208 et les rĂ©fĂ©rences qui y sont mentionnĂ©es).

106.  En l’espĂšce, la Cour rappelle que les requĂ©rants allĂšguent avoir Ă©tĂ© victimes d’actes de torture qui auraient Ă©tĂ© commis entre le 20 et le 23 juillet 2001 (paragraphes 18-50 ci-dessus).

107.  Elle relĂšve ensuite que la procĂ©dure pĂ©nale engagĂ©e contre les forces de l’ordre relativement aux Ă©vĂ©nements survenus au sein de la caserne de Bolzaneto, procĂ©dure dans laquelle les requĂ©rants se sont constituĂ©s parties civiles en janvier 2005 (Ă  l’exception de Mme Kutschkau, qui s’est constituĂ©e partie civile en fĂ©vrier 2005, et de M. Galloway et Mme Ender, qui l’ont fait en octobre 2005), a abouti, en novembre 2008, au dĂ©pĂŽt du jugement de premiĂšre instance (paragraphe 52 ci-dessus) et, en avril 2011, au dĂ©pĂŽt de l’arrĂȘt d’appel (paragraphe 57 ci-dessus). Elle estime que l’application de la prescription et de la remise de peine sont deux aspects qui pĂšsent sur l’apprĂ©ciation de l’épuisement des voies de recours internes.

108.  Dans ces circonstances, en tenant compte en particulier des faits allĂ©guĂ©s, la Cour ne saurait reprocher aux requĂ©rants de lui avoir adressĂ© leurs griefs portant sur la violation de l’article 3 de la Convention en mai 2009 et en septembre 2010, soit respectivement prĂšs de huit ans et plus de neuf ans aprĂšs les Ă©vĂ©nements survenus au sein de la caserne de Bolzaneto, sans avoir attendu l’arrĂȘt de la Cour de cassation rendu le 14 juin 2013 et dĂ©posĂ© le 10 septembre 2013 (paragraphe 69 ci-dessus). En consĂ©quence, cette partie de l’exception du Gouvernement tirĂ©e du non‑Ă©puisement des voies de recours internes en matiĂšre pĂ©nale ne peut ĂȘtre retenue.

c)  L’exception du Gouvernement tirĂ©e du non-Ă©puisement des voies de recours internes en matiĂšre civile

i.  ThĂšses des parties

109.  Le Gouvernement soutient aussi que les requĂ©rants auraient dĂ» entamer une action civile en dommages-intĂ©rĂȘts afin d’obtenir l’indemnisation du prĂ©judice matĂ©riel et moral dĂ©coulant des violences dont ils auraient Ă©tĂ© victimes. Les intĂ©ressĂ©s ne l’ayant pas fait, il estime dĂšs lors que ces derniers n’ont pas permis Ă  l’État italien de rĂ©soudre les affaires litigieuses au niveau interne, comme le veut le principe de subsidiaritĂ©.

110.  Le Gouvernement indique que les requĂ©rants ont reçu, en tant que parties civiles, des indemnitĂ©s provisionnelles dont le montant se serait Ă©chelonnĂ© entre 10 000 EUR et 30 000 EUR. Il ajoute que, dans certains cas, les tribunaux nationaux ont accordĂ© des indemnitĂ©s provisionnelles s’élevant Ă  210 000 EUR.

111.  Les requĂ©rants contestent la thĂšse du Gouvernement. En effet, ils arguent que la seule indemnisation ne peut remĂ©dier Ă  une violation de l’article 3 de la Convention lorsque l’État n’a pas pris de mesures raisonnables pour satisfaire Ă  ses obligations dĂ©coulant de cet article. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour, ils estiment que, si la rĂ©action des autoritĂ©s aux Ă©pisodes de mauvais traitements se borne Ă  une simple indemnisation, sans que les responsables des actes en cause ne soient poursuivis et punis, les agents de l’État pourraient en pratique Ă©chapper aux consĂ©quences liĂ©es Ă  la violation des droits des victimes de mauvais traitements, en vidant de fait de sa substance l’interdiction absolue Ă©noncĂ©e par l’article 3 de la Convention. Ils citent Ă  cet effet les arrĂȘts Assenov et autres c. Bulgarie, (28 octobre 1998, § 71, Recueil 1998‑VIII), GĂ€fgen (prĂ©citĂ©, § 119), Krastanov c. Bulgarie (no 50222/99, § 60, 30 septembre 2004), Çamdereli c. Turquie (no 28433/02, § 29, 17 juillet 2008), et Vladimir Romanov (prĂ©citĂ©, § 78).

112.  En conclusion, les requĂ©rants se plaignent qu’aucun remĂšde effectif et efficace n’existait au niveau interne.

ii.  ApprĂ©ciation de la Cour

113.  La Cour rappelle que, selon ses principes gĂ©nĂ©raux relatifs Ă  la rĂšgle de l’épuisement des voies de recours internes (Vučković et autres c. Serbie ([GC], nos 17153/11 et autres, §§ 69-77, 25 mars 2014), l’article 35 Â§ 1 de la Convention ne prescrit que l’épuisement des recours Ă  la fois relatifs aux violations incriminĂ©es, disponibles et adĂ©quats. Un recours est effectif lorsqu’il est disponible tant en thĂ©orie qu’en pratique Ă  l’époque des faits, c’est-Ă -dire lorsqu’il est accessible et susceptible d’offrir au requĂ©rant le redressement de ses griefs et qu’il prĂ©sente des perspectives raisonnables de succĂšs (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV, et Demopoulos et autres c. Turquie (dĂ©c.) [GC], nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04, 19993/04 et 21819/04, § 70, CEDH 2010).

114.  La Cour rappelle Ă©galement qu’elle doit appliquer la rĂšgle de l’épuisement des voies de recours internes en tenant dĂ»ment compte du contexte, en faisant preuve d’une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Elle a de plus admis que la rĂšgle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revĂȘt pas un caractĂšre absolu ; pour en contrĂŽler le respect, il faut avoir Ă©gard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment qu’elle doit tenir compte de maniĂšre rĂ©aliste du contexte juridique et politique dans lequel les recours s’inscrivent ainsi que de la situation personnelle des requĂ©rants (voir, parmi beaucoup d’autres, Akdivar et autres, prĂ©citĂ©, § 69, Selmouni, prĂ©citĂ©, § 77, Kozacıoğlu c. Turquie [GC], no 2334/03, § 40, 19 fĂ©vrier 2009, et Reshetnyak c. Russie, no 56027/10, § 58, 8 janvier 2013).

115.  Dans son apprĂ©ciation de l’effectivitĂ© de la voie de recours indiquĂ©e par le gouvernement dĂ©fendeur, la Cour doit donc prendre en compte la nature des griefs et les circonstances de l’affaire pour Ă©tablir si cette voie de recours fournissait au requĂ©rant un moyen adĂ©quat de redressement de la violation dĂ©noncĂ©e (Reshetnyak, prĂ©citĂ©, § 71, concernant le caractĂšre inadĂ©quat d’un recours indemnitaire en cas de violation continue de l’article 3 de la Convention Ă  raison des conditions de dĂ©tention et, en particulier, de l’aggravation de l’état de santĂ© du dĂ©tenu, et De Souza Ribeiro c. France [GC], no 22689/07, §§ 82-83, CEDH 2012, oĂč la Cour a rappelĂ© que l’exigence d’un recours de plein droit suspensif contre l’expulsion de l’intĂ©ressĂ© dĂ©pendait de la nature de la violation de la Convention ou de ses Protocoles qu’aurait entraĂźnĂ©e l’expulsion).

116.  En l’espĂšce, la Cour observe que, comme sur le terrain de la perte de la qualitĂ© de victime (paragraphes 93-98 ci-dessus), les thĂšses des parties divergent profondĂ©ment quant Ă  l’étendue des obligations dĂ©coulant de l’article 3 de la Convention et quant aux moyens nĂ©cessaires et suffisants pour redresser les violations en cause.

117.  Eu Ă©gard Ă  sa dĂ©cision de joindre au fond la question de la perte de la qualitĂ© de victime, elle estime qu’il doit en aller de mĂȘme pour l’exception de non-Ă©puisement de la voie de recours en matiĂšre civile.

d)  Autres motifs d’irrecevabilitĂ©

118.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondĂ© au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs Ă  aucun autre motif d’irrecevabilitĂ©, la Cour le dĂ©clare recevable.

3.  Sur le fond

a)  Sur le volet matĂ©riel de l’article 3 de la Convention

i.  ThĂšses des parties

α)  Les requĂ©rants

119.  Les requĂ©rants, arrĂȘtĂ©s puis placĂ©s Ă  la caserne de Bolzaneto, allĂšguent avoir Ă©tĂ© insultĂ©s, menacĂ©s, frappĂ©s et avoir fait l’objet d’autres types de mauvais traitements de la part de membres des forces de l’ordre. Ils dĂ©plorent les vives souffrances physiques et psychologiques que ces violences leur auraient causĂ©es.

120.  Les requĂ©rants dĂ©noncent Ă©galement l’impossibilitĂ© pour eux de prendre contact avec un proche, un avocat ou, le cas Ă©chĂ©ant, un reprĂ©sentant consulaire, ainsi que l’absence de prise en charge mĂ©dicale adaptĂ©e Ă  leur Ă©tat de santĂ©, les visites mĂ©dicales auxquelles ils auraient Ă©tĂ© soumis Ă©tant selon eux superficielles, souvent humiliantes et rĂ©alisĂ©es en prĂ©sence d’agents des forces de l’ordre (paragraphes 18-50). Par ailleurs, les requĂ©rants de la requĂȘte no 67599/10 considĂšrent comme Ă©tant encore plus grave le comportement des mĂ©decins de l’administration pĂ©nitentiaire, ceux–ci ayant selon eux contrevenu Ă  leur devoir professionnel de porter assistance et de s’assurer que chaque dĂ©tenu reçût les soins nĂ©cessaires.

121.  Ils considĂšrent enfin que l’État n’a pas mis en place les mesures nĂ©cessaires qui leur Ă©viteraient d’ĂȘtre soumis Ă  de tels traitements et ils estiment que les actions des agents et fonctionnaires impliquĂ©s ne peuvent trouver d’autre justification que la volontĂ© de les punir, eux et les autres personnes arrĂȘtĂ©es, pour leurs opinions politiques et pour leur participation aux manifestations contre le sommet du G8 de GĂȘnes. Enfin, selon eux, les auteurs des mauvais traitements en cause ont agi avec le consentement et la connivence de leurs supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques prĂ©sents Ă  la caserne de Bolzaneto.

122.  Partant, compte tenu de tous ces Ă©lĂ©ments, les requĂ©rants estiment avoir Ă©tĂ© victimes de torture et de traitements inhumains et dĂ©gradants.

β)  Le Gouvernement

123.  Le Gouvernement assure ne pas sous-estimer la gravitĂ© des faits qui se sont produits au sein de la caserne de Bolzaneto entre le 20 et le 23 juillet 2001. Il estime que les actions commises par les agents de police constituent des infractions graves et dĂ©plorables auxquelles l’État italien aurait rĂ©agi de maniĂšre adĂ©quate, Ă  travers l’action des tribunaux, en rĂ©tablissant l’état de droit affaibli par cet Ă©pisode.

124.  En gage de « complĂšte reconnaissance par l’Italie des violations des droits perpĂ©trĂ©es Â», le Gouvernent dĂ©clare souscrire « au jugement des juridictions nationales, qui ont trĂšs durement stigmatisĂ© le comportement des agents de police Â» Ă  l’époque des faits.

125.  NĂ©anmoins, il expose que les Ă©vĂ©nements en question ne sauraient ĂȘtre regardĂ©s comme l’expression d’une politique gĂ©nĂ©rale de l’administration italienne. Selon lui, les faits ayant eu lieu Ă  la caserne de Bolzaneto constituent un Ă©pisode isolĂ© et exceptionnel, dont l’arbitraire et la gravitĂ© des modalitĂ©s de prise en charge et de traitement des personnes arrĂȘtĂ©es s’inscrivent dans les exigences spĂ©cifiques de protection de l’ordre public lors du G8 de GĂȘnes, un contexte tout Ă  fait particulier caractĂ©risĂ© par la prĂ©sence de milliers de manifestants en provenance de l’Europe entiĂšre et aggravĂ© par les nombreux incidents et accrochages qui se seraient produits pendant les manifestations.

ii.  ApprĂ©ciation de la Cour

α)  Principes gĂ©nĂ©raux

126.  Les principes gĂ©nĂ©raux applicables en la matiĂšre ont Ă©tĂ© rĂ©cemment rappelĂ©s dans les arrĂȘts Bouyid c. Belgique ([GC], no 23380/09, §§ 88-90, CEDH 2015) et Bartesaghi Gallo et autres c. Italie (nos 12131/13 et 43390/13, §§ 111-113, 22 juin 2017).

β)  Application de ces principes aux circonstances des prĂ©sentes espĂšces

127.  La Cour note d’emblĂ©e que les tribunaux internes ont Ă©tabli de maniĂšre dĂ©taillĂ©e et approfondie, avec exactitude et au-delĂ  de tout doute raisonnable les mauvais traitements dont les personnes placĂ©es Ă  la caserne de Bolzaneto ont Ă©tĂ© l’objet (paragraphes 18-50 ci-dessus) et elle ne relĂšve pas d’élĂ©ments convaincants pour pouvoir s’écarter des conclusions auxquelles ils sont parvenus (GĂ€fgen, prĂ©citĂ©, § 93). Les tĂ©moignages des victimes ont Ă©tĂ© confirmĂ©s par les dĂ©positions de membres des forces de l’ordre et de l’administration publique, par les admissions partielles des accusĂ©s ainsi que par les documents Ă  disposition des magistrats, notamment les comptes rendus mĂ©dicaux et les expertises judiciaires.

128.  DĂšs lors, la Cour juge Ă©tablies tant les agressions physiques et verbales dont les requĂ©rants se plaignent que les sĂ©quelles dĂ©coulant de celles-ci. Elle constate en particulier ce qui suit :

–  dĂšs leur arrivĂ©e Ă  la caserne de Bolzaneto, il a Ă©tĂ© interdit aux requĂ©rants de lever la tĂȘte et de regarder les agents qui les entouraient ; ceux qui avaient Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s Ă  l’école Diaz-Pertini ont Ă©tĂ© marquĂ©s d’une croix tracĂ©e au feutre sur la joue ; tous les requĂ©rants ont Ă©tĂ© obligĂ©s de se tenir immobiles, bras et jambes Ă©cartĂ©s, face aux grilles Ă  l’extĂ©rieur de la caserne ; la mĂȘme position vexatoire a Ă©tĂ© imposĂ©e Ă  chacun Ă  l’intĂ©rieur des cellules ;

–  Ă  l’intĂ©rieur de la caserne, les requĂ©rants Ă©taient contraints de se dĂ©placer penchĂ©s en avant et la tĂȘte baissĂ©e ; dans cette position, ils devaient traverser « le tunnel des agents Â», Ă  savoir le couloir de la caserne dans lequel des agents se tenaient de chaque cĂŽtĂ© pour les menacer, les frapper et leur lancer des insultes Ă  caractĂšre politique ou sexuel (paragraphe 64 ci‑dessus) ;

–  lors des visites mĂ©dicales, les requĂ©rants ont Ă©tĂ© l’objet de commentaires, d’humiliations et parfois de menaces de la part du personnel mĂ©dical ou des agents de police prĂ©sents ;

–  les effets personnels des requĂ©rants ont Ă©tĂ© confisquĂ©s, voire dĂ©truits de façon alĂ©atoire ;

–  compte tenu de l’exiguĂŻtĂ© de la caserne de Bolzaneto ainsi que du nombre et de la rĂ©pĂ©tition des Ă©pisodes de brutalitĂ©, tous les agents et fonctionnaires de police prĂ©sents Ă©taient conscients des violences commises par leurs collĂšgues ou leurs subordonnĂ©s ;

–  les faits en cause ne peuvent se rĂ©sumer Ă  une pĂ©riode donnĂ©e au cours de laquelle, sans que cela ne puisse aucunement le justifier, la tension et les passions exacerbĂ©es auraient conduit Ă  de tels excĂšs : ces faits se sont dĂ©roulĂ©s pendant un laps de temps considĂ©rable, Ă  savoir entre la nuit du 20 au 21 juillet et le 23 juillet, ce qui signifie que plusieurs Ă©quipes d’agents se sont succĂ©dĂ©es au sein de la caserne sans aucune diminution significative en frĂ©quence ou en intensitĂ© des Ă©pisodes de violence.

129.  En ce qui concerne les rĂ©cits individuels des requĂ©rants, la Cour ne peut que constater la gravitĂ© des faits dĂ©crits par les intĂ©ressĂ©s. Ce qui ressort du matĂ©riel probatoire dĂ©montre nettement que les requĂ©rants, qui n’ont opposĂ© aucune forme de rĂ©sistance physique aux agents, ont Ă©tĂ© victimes d’une succession continue et systĂ©matique d’actes de violence provoquant de vives souffrances physiques et psychologiques (Gutsanovi c. Bulgarie, n34529/10, § 126, CEDH 2013 (extraits)). Ces violences ont Ă©tĂ© infligĂ©es Ă  chaque individu dans un contexte gĂ©nĂ©ral d’emploi excessif, indiscriminĂ© et manifestement disproportionnĂ© de la force (Bouyid, prĂ©citĂ©, § 101).

130.  Ces Ă©pisodes ont eu lieu dans un contexte dĂ©libĂ©rĂ©ment tendu, confus et bruyant, les agents criant Ă  l’encontre des individus arrĂȘtĂ©s et entonnant de temps en temps des chants fascistes. Dans son arrĂȘt no 678/10 du 15 avril 2011, la cour d’appel de GĂȘnes a Ă©tabli que la violence physique et morale, loin d’ĂȘtre Ă©pisodique, a, au contraire, Ă©tĂ© indiscriminĂ©e, constante et en quelque sorte organisĂ©e, ce qui a eu pour rĂ©sultat de conduire Ă  « une sorte de processus de dĂ©shumanisation rĂ©duisant l’individu Ă  une chose sur laquelle exercer la violence Â» (paragraphe 67 ci-dessus).

131.  La gravitĂ© des faits de la prĂ©sente espĂšce rĂ©side Ă©galement dans un autre aspect qui, aux yeux de la Cour, est tout aussi important. En effet, elle a rappelĂ© Ă  maintes reprises que la situation de vulnĂ©rabilitĂ© dans laquelle se trouvent les personnes placĂ©es en garde Ă  vue impose aux autoritĂ©s le devoir de les protĂ©ger (idem, § 107). Or l’ensemble des faits litigieux dĂ©montre que les membres de la police prĂ©sents Ă  l’intĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto, les simples agents et, par extension, la chaĂźne de commandement, ont gravement contrevenu Ă  leur devoir dĂ©ontologique primaire de protection des personnes placĂ©es sous leur surveillance.

132.  Cela est d’ailleurs soulignĂ© par le tribunal de premiĂšre instance de GĂȘnes (paragraphe 53 ci-dessus), qui a estimĂ© que les agents poursuivis avaient trahi le serment de fidĂ©litĂ© et d’adhĂ©sion Ă  la Constitution et aux lois rĂ©publicaines en portant atteinte, par leur comportement, Ă  la dignitĂ© et Ă  la probitĂ© de la police italienne en tant que corps de mĂ©tier et, par suite, en affaiblissant la confiance de la population italienne dans les forces de l’ordre.

133.  La Cour ne saurait dĂšs lors nĂ©gliger la dimension symbolique de ces actes, ni le fait que les requĂ©rants ont Ă©tĂ© non seulement les victimes directes de sĂ©vices mais aussi les tĂ©moins impuissants de l’usage incontrĂŽlĂ© de la violence Ă  l’égard des autres personnes arrĂȘtĂ©es. Aux atteintes portĂ©es Ă  l’intĂ©gritĂ© physique et psychologique individuelle s’est donc ajoutĂ© l’état d’angoisse et de stress causĂ© par les Ă©pisodes de violences auxquels ils ont assistĂ© (Iljina et Sarulienė c. Lituanie, n32293/05, § 47, 15 mars 2011).

134.  En s’appuyant notamment sur les conclusions de la cour d’appel de GĂȘnes (paragraphe 67 ci-dessus) et de la Cour de cassation (paragraphe 72 ci-dessus), la Cour estime que les requĂ©rants, traitĂ©s comme des objets aux mains de la puissance publique, ont vĂ©cu pendant toute la durĂ©e de leur dĂ©tention dans un lieu de « non-droit Â» oĂč les garanties les plus Ă©lĂ©mentaires avaient Ă©tĂ© suspendues.

135.  En effet, outre les Ă©pisodes de violence susmentionnĂ©s, la Cour ne saurait ignorer les autres atteintes aux droits des requĂ©rants s’étant produites Ă  la caserne de Bolzaneto. Aucun requĂ©rant n’a pu prendre contact avec un proche, un avocat de son choix ou, le cas Ă©chĂ©ant, un reprĂ©sentant consulaire. Les effets personnels ont Ă©tĂ© dĂ©truits sous les yeux de leurs propriĂ©taires. L’accĂšs aux toilettes Ă©tait refusĂ© et, en tous cas, les requĂ©rants ont Ă©tĂ© fortement dissuadĂ©s de s’y rendre en raison des insultes, des violences et des humiliations subies par les personnes ayant demandĂ© Ă  y accĂ©der. En outre, il y a lieu de remarquer que l’absence de nourriture et de draps en quantitĂ© suffisante, ce qui, d’aprĂšs les juges nationaux, ne dĂ©coulait pas tant d’une volontĂ© dĂ©libĂ©rĂ©e d’en priver les requĂ©rants que d’une mauvaise planification du fonctionnement du site, ne peut qu’avoir amplifiĂ© la situation de dĂ©tresse et le niveau de souffrance Ă©prouvĂ©s par les requĂ©rants.

136.  En conclusion, la Cour ne saurait ignorer que, en l’espĂšce, tel qu’il ressort des jugements internes (paragraphe 67 ci-dessus), les actes qui ont Ă©tĂ© commis dans la caserne de Bolzaneto sont l’expression d’une volontĂ© punitive et de reprĂ©sailles Ă  l’égard des requĂ©rants, privĂ©s de leurs droits et du niveau de protection reconnu Ă  tout individu par l’ordre juridique italien (voir, mutatis mutandis, Cestaro, prĂ©citĂ©, § 177).

137.  Ces Ă©lĂ©ments suffisent Ă  la Cour pour conclure que les actes de violence rĂ©pĂ©tĂ©s subis par les requĂ©rants Ă  l’intĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto doivent ĂȘtre regardĂ©s comme des actes de torture. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet matĂ©riel.

b)  Sur le volet procĂ©dural de l’article 3 de la Convention

i.  ThĂšses des parties

α)  Les requĂ©rants

138.  Les requĂ©rants, nonobstant la mĂ©ticuleuse enquĂȘte menĂ©e par le procureur de la RĂ©publique de GĂȘnes et les conclusions du tribunal de premiĂšre instance et de la cour d’appel de GĂȘnes ayant permis d’établir les faits allĂ©guĂ©s, reprochent aux juges d’avoir appliquĂ© la prescription Ă  la quasi-totalitĂ© des dĂ©lits imputĂ©s aux accusĂ©s. Ils indiquent que seuls des dĂ©lits mineurs ont Ă©tĂ© retenus Ă  l’égard d’un nombre rĂ©duit d’accusĂ©s, lesquels auraient par ailleurs, en raison de la courte durĂ©e des peines prĂ©vues, bĂ©nĂ©ficiĂ© du sursis Ă  l’exĂ©cution ou d’une remise de peine en application de la loi no 241 du 29 juillet 2006. Ils dĂ©noncent ainsi l’issue de la procĂ©dure pĂ©nale et Ă©voquent Ă  cet Ă©gard les arrĂȘts de la Cour AbdĂŒlsamet Yaman c. Turquie (no 32446/96, § 55, 2 novembre 2004) et Ali et Ayşe Duran c. Turquie (no 42942/02, § 69, 8 avril 2008).

139.  Les requĂ©rants prĂ©cisent qu’en outre les responsables des Ă©vĂ©nements de la caserne de Bolzaneto n’ont Ă©tĂ© punis par aucune mesure disciplinaire de suspension pendant le procĂšs ou de sanction Ă  l’issue de celui-ci, et qu’ils ont mĂȘme obtenu des promotions par la suite.

140.  Ils critiquent dĂšs lors l’absence dans l’ordre juridique interne d’un dĂ©lit punissant la torture et les traitements inhumains ou dĂ©gradants, disposition lĂ©gislative qui aurait permis selon eux de poursuivre non seulement les auteurs matĂ©riels mais aussi les coresponsables des actes en question, notamment les supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques. En effet, ils arguent que la qualification juridique des faits retenue par les juges internes prĂ©voyait un Ă©lĂ©ment psychologique spĂ©cifique que l’interdiction de la torture ne prĂ©voirait pas, ce qui permettrait de poursuivre les auteurs matĂ©riels et ceux qui, en raison de leur connivence ou de leur consentement, ont participĂ© Ă  la commission d’actes pouvant ĂȘtre qualifiĂ©s de torture ou de traitements inhumains ou dĂ©gradants.

141.  La nĂ©cessitĂ© de criminaliser la torture et les autres mauvais traitements s’expliquerait en outre par la nĂ©cessitĂ© d’éviter l’application de la prescription ou d’autres mesures de clĂ©mence Ă  des actes particuliĂšrement sĂ©rieux et suscitant des troubles considĂ©rables au niveau social.

142.  Quant Ă  la possibilitĂ© d’obtenir une indemnisation dans le cadre de la procĂ©dure civile en dommages-intĂ©rĂȘts, les requĂ©rants s’appuient sur la jurisprudence de la Cour (GĂ€fgen, prĂ©citĂ©, §§ 116-119) pour souligner l’ineffectivitĂ© du remĂšde civil eu Ă©gard aux actes dĂ©libĂ©rĂ©s de mauvais traitements.

β)  Le Gouvernement

143.  Le Gouvernement conteste la thĂšse des requĂ©rants et maintient que l’État a bien rempli son obligation positive de mener une enquĂȘte indĂ©pendante et impartiale. Il soutient que les autoritĂ©s ont adoptĂ© toutes les mesures permettant l’identification et la condamnation des responsables des mauvais traitements litigieux Ă  une peine adĂ©quate, comme l’exige la jurisprudence de la Cour.

144.  Il estime en particulier que, Ă  l’issue d’une procĂ©dure pĂ©nale complexe et approfondie qui a permis l’établissement des faits dĂ©noncĂ©s, les quarante-cinq policiers poursuivis ont Ă©tĂ© condamnĂ©s, mĂȘme si, pour la plupart d’entre eux, la cour d’appel a reconnu l’application de la prescription. En ce qui concerne l’action civile, il indique que tous les requĂ©rants se sont vu accorder une somme Ă  titre de provision sur les dommages-intĂ©rĂȘts.

145.  Se penchant ensuite sur l’allĂ©gation relative Ă  l’absence du dĂ©lit de « torture » dans l’ordre juridique italien, le Gouvernement expose que les juges internes ont pu sanctionner de maniĂšre adĂ©quate les dĂ©lits contre la personne en utilisant l’arsenal juridique existant. À ce titre, il maintient que la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dĂ©gradants du 10 dĂ©cembre 1984 ne prĂ©voit pas une dĂ©finition univoque de la notion de « torture Â», ce qui impliquerait que le code pĂ©nal italien permet de sanctionner de maniĂšre appropriĂ©e les diffĂ©rentes formes de mauvais traitements.

146.  Enfin, le Gouvernement informe la Cour qu’une proposition de loi visant Ă  introduire dans le code pĂ©nal italien le dĂ©lit de torture est actuellement en cours d’examen devant le Parlement (paragraphe 82 ci‑dessus). Il prĂ©cise que des peines pouvant aller jusqu’à douze ans de prison sont envisagĂ©es en cas de mauvais traitements infligĂ©s par des fonctionnaires ou des officiers publics et que la peine d’emprisonnement Ă  perpĂ©tuitĂ© pourra ĂȘtre prononcĂ©e lorsque les mauvais traitements en question ont causĂ© le dĂ©cĂšs de la victime.

ii.  ApprĂ©ciation de la Cour

α)  Principes gĂ©nĂ©raux

147.  La Cour rappelle que, lorsqu’un individu soutient de maniĂšre dĂ©fendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’État, un traitement contraire Ă  l’article 3 de la Convention, cette disposition, combinĂ©e avec le devoir gĂ©nĂ©ral imposĂ© Ă  l’État par l’article 1 de « reconnaĂźtre Ă  toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertĂ©s dĂ©finis (...) [dans la] Convention Â», requiert, par implication, qu’il y ait une enquĂȘte officielle effective. Cette enquĂȘte doit pouvoir mener Ă  l’identification et, le cas Ă©chĂ©ant, Ă  la punition des responsables et Ă  l’établissement de la vĂ©ritĂ©. S’il n’en allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, l’interdiction lĂ©gale gĂ©nĂ©rale de la torture et des peines et traitements inhumains ou dĂ©gradants serait inefficace en pratique, et il serait possible dans certains cas Ă  des agents de l’État de piĂ©tiner, en jouissant d’une impunitĂ© virtuelle, les droits des personnes soumises Ă  leur contrĂŽle (voir, parmi beaucoup d’autres, Nasr et Ghali c. Italie, no 44883/09, § 262, 23 fĂ©vrier 2016).

148.  Les principes pertinents concernant les Ă©lĂ©ments d’« une enquĂȘte officielle effective Â» ont Ă©tĂ© rappelĂ©s rĂ©cemment par la Cour dans l’arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 205-212, et les rĂ©fĂ©rences qui y sont citĂ©es) et rĂ©sumĂ©s dans son arrĂȘt Nasr et Ghali (prĂ©citĂ©, § 263), auxquels la Cour renvoie.

β)  Application de ces principes aux circonstances des prĂ©sentes espĂšces

149.  La Cour observe d’emblĂ©e que la plupart des auteurs matĂ©riels des actes de « torture Â» (paragraphe 54 ci-dessus) n’ont pas pu ĂȘtre identifiĂ©s par les autoritĂ©s judiciaires ni inquiĂ©tĂ©s par une enquĂȘte, et qu’ils sont donc restĂ©s impunis.

150.  Tout en rappelant que l’obligation de mener une enquĂȘte n’est pas, selon sa jurisprudence, une obligation de rĂ©sultat mais de moyens (voir, parmi beaucoup d’autres, Gheorghe Dima c. Roumanie, no 2770/09, § 100, 19 avril 2016), il y a lieu de noter que les remarquables efforts des juges nationaux pour identifier les agents de police ayant participĂ© aux faits dĂ©noncĂ©s se sont soldĂ©s par un Ă©chec pour deux raisons principales.

151.  D’une part, l’interdiction faite aux requĂ©rants de regarder les agents et l’obligation qui leur Ă©tait imposĂ©e de se tenir face aux grilles Ă  l’extĂ©rieur de la caserne ou au mur des cellules, combinĂ©e Ă  l’absence de signes distinctifs sur l’uniforme des agents, tel qu’un numĂ©ro de matricule, ont contribuĂ© Ă  rendre impossible l’identification par les victimes des policiers prĂ©sents Ă  l’intĂ©rieur de la caserne de Bolzaneto.

152.  D’autre part, la Cour constate que le regrettable manque de coopĂ©ration de la police avec les autoritĂ©s judiciaires chargĂ©es de l’enquĂȘte a Ă©tĂ© dĂ©terminant en l’occurrence.

153.  En ce qui concerne la procĂ©dure pĂ©nale, elle note que la vaste majoritĂ© des dĂ©lits de lĂ©sions corporelles, simples ou aggravĂ©es, ainsi que ceux de calomnie et d’abus d’autoritĂ© publique ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s prescrits. En effet, sur quarante-cinq personne renvoyĂ©es en justice, la Cour de cassation (paragraphe 69 ci-dessus) n’a confirmĂ© la condamnation que de huit agents ou cadres des forces de l’ordre Ă  des peines d’emprisonnement allant d’un an pour abus d’autoritĂ© publique (les trois agents condamnĂ©s ayant renoncĂ© Ă  la prescription) Ă  trois ans et deux mois pour le dĂ©lit de lĂ©sions corporelles (puis rĂ©duite de trois ans en application de la loi no 241/06). La Cour constate que tous les condamnĂ©s ont bĂ©nĂ©ficiĂ© soit de la remise de peine, soit du sursis Ă  l’exĂ©cution et de la non-inscription de la condamnation au casier judiciaire. Elle remarque que, en pratique, personne n’a passĂ© un seul jour en prison pour les traitements infligĂ©s aux requĂ©rants.

154.  En vertu de l’article 19 de la Convention et conformĂ©ment au principe voulant que la Convention garantisse des droits non pas thĂ©oriques ou illusoires, mais concrets et effectifs, la Cour doit s’assurer que l’État s’acquitte comme il se doit de l’obligation qui lui est faite de protĂ©ger les droits des personnes relevant de sa juridiction, en particulier dans les cas oĂč il existe une disproportion manifeste entre la gravitĂ© de l’acte et la sanction infligĂ©e. Sinon, le devoir qu’ont les États de mener une enquĂȘte effective perdrait beaucoup de son sens.

155.  Partant, elle ne peut que relever que, malgrĂ© l’établissement des faits les plus graves par les juridictions internes, la prescription a empĂȘchĂ© le constat de la responsabilitĂ© pĂ©nale de leurs auteurs. Elle remarque aussi que, en application de la loi no 241 du 29 juillet 2006 relative aux conditions d’octroi de la remise gĂ©nĂ©rale de peine (indulto), les peines prononcĂ©es pour les autres dĂ©lits ont Ă©tĂ© rĂ©duites de trois ans (paragraphe 58 ci-dessus).

156.  Elle rappelle que, parmi les Ă©lĂ©ments qui caractĂ©risent une enquĂȘte effective sur le terrain de l’article 3 de la Convention, le fait que les poursuites judiciaires ne souffrent d’aucun dĂ©lai de prescription est primordial. Elle indique Ă©galement avoir dĂ©jĂ  jugĂ© que l’octroi d’une amnistie ou d’un pardon ne devrait pas ĂȘtre tolĂ©rĂ© en matiĂšre de torture ou de mauvais traitements infligĂ©s par des agents de l’État (AbdĂŒlsamet Yaman, prĂ©citĂ©, § 55, et Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09 et 2 autres, § 326, CEDH 2014 (extraits)).

157.  Comme elle l’a fait dans son arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, §§ 223 et 224), la Cour reconnaĂźt que les juges nationaux ont dĂ» diligenter pour les faits relatifs Ă  la caserne de Bolzaneto une procĂ©dure pĂ©nale complexe liĂ©e Ă  un Ă©pisode de violence policiĂšre unique dans l’histoire de la RĂ©publique italienne. Elle ne saurait ignorer qu’aux difficultĂ©s de la procĂ©dure Ă  l’égard de nombre de coaccusĂ©s et de parties civiles se sont ajoutĂ©s des obstacles liĂ©s au manque de coopĂ©ration de la part de l’administration de la police (paragraphe 54 ci-dessus).

158.  Contrairement Ă  sa conclusion dans d’autres affaires, la Cour considĂšre que, en l’espĂšce, la durĂ©e de la procĂ©dure interne et le non-lieu prononcĂ© pour cause de prescription de la plupart des dĂ©lits ne sont pas imputables aux atermoiements ou Ă  la nĂ©gligence du parquet ou des juges internes mais aux dĂ©faillances structurelles de l’ordre juridique italien (voir, parmi d’autres, Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, §§ 142‑147, CEDH 2004‑IV (extraits), et HĂŒseyin Şimşek c. Turquie, no 68881/01, §§ 68-70, 20 mai 2008).

159.  En effet, aux yeux de la Cour, l’origine du problĂšme rĂ©side dans le fait qu’aucune des infractions pĂ©nales existantes n’apparaĂźt Ă  mĂȘme d’englober toute la gamme de questions soulevĂ©es par un acte de torture dont un individu risque d’ĂȘtre victime (Myumyun c. Bulgarie, no 67258/13, § 77, 3 novembre 2015).

160.  La Cour a dĂ©jĂ  jugĂ© dans son arrĂȘt Cestaro (prĂ©citĂ©, § 225) que la lĂ©gislation pĂ©nale nationale appliquĂ©e dans les affaires en cause s’était rĂ©vĂ©lĂ©e Ă  la fois inadĂ©quate par rapport Ă  l’exigence de sanction des actes de torture en question et dĂ©pourvue de l’effet dissuasif nĂ©cessaire Ă  la prĂ©vention de violations similaires de l’article 3 de la Convention.

161.  Dans ce cadre, elle a invitĂ© l’Italie Ă  se munir des outils juridiques aptes Ă  sanctionner de maniĂšre adĂ©quate les responsables d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements au regard de l’article 3 et Ă  empĂȘcher que ceux-ci puissent bĂ©nĂ©ficier de l’application de mesures en contradiction avec la jurisprudence de la Cour, notamment la prescription et la remise de peine (idem, §§ 242-246).

162.  Le lĂ©gislateur italien a prĂ©sentĂ© une proposition de loi introduisant le dĂ©lit de torture. AprĂšs des modifications successives, le 18 juillet 2017 la loi est entrĂ©e en vigueur. La Cour prend note de l’introduction des nouvelles dispositions qui ne trouvent pas Ă  s’appliquer en l’espĂšce.

163.  Concernant, enfin, les mesures disciplinaires, la Cour observe que le Gouvernement indique que les policiers concernĂ©s n’ont pas Ă©tĂ© suspendus de leurs fonctions pendant le procĂšs. Elle note que le Gouvernement ne prĂ©cise pas si ces mĂȘmes policiers ont fait l’objet de mesures disciplinaires et n’indique pas, le cas Ă©chĂ©ant, quelles ont Ă©tĂ© les mesures adoptĂ©es Ă  cet Ă©gard.

164.  La Cour rappelle en tout Ă©tat de cause, Ă  ce propos, avoir rĂ©pĂ©tĂ© que, lorsque des agents de l’État sont inculpĂ©s d’infractions impliquant des mauvais traitements, il importe qu’ils soient suspendus de leurs fonctions pendant l’instruction ou le procĂšs et en soient dĂ©mis en cas de condamnation (voir, parmi beaucoup d’autres, AbdĂŒlsamet Yaman, prĂ©citĂ©, § 55, Ali et Ayşe Duran, prĂ©citĂ©, § 64, Çamdereli, prĂ©citĂ©, § 38, GĂ€fgen, prĂ©citĂ©, § 125, Cestaro, prĂ©citĂ©, § 205, Erdal Aslan c. Turquie, nos 25060/02 et 1705/03, §§ 74 et 76, 2 dĂ©cembre 2008, et Saba c. Italie, no 36629/10, § 78, 1er juillet 2014).

165.  En conclusion, la Cour considĂšre que les requĂ©rants n’ont pas bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une enquĂȘte officielle effective aux fins de l’article 3 de la Convention. Partant, elle conclut qu’il y a eu violation de cette disposition sous son volet procĂ©dural. DĂšs lors, elle rejette tant l’exception prĂ©liminaire du Gouvernement tirĂ©e de la perte de la qualitĂ© de victime (paragraphes 9398 ci-dessus) que l’exception prĂ©liminaire tirĂ©e du non-Ă©puisement des voies de recours internes en matiĂšre civile (paragraphes 109-117 ci-dessus ; Cestaro, prĂ©citĂ©, §§ 229-236).

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

166.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s’il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

A.  Dommage

167.  Les requĂ©rants de la requĂȘte no 28923/09 rĂ©clament 150 000 EUR chacun au titre du prĂ©judice matĂ©riel et moral qu’ils estiment avoir subi, tandis que les requĂ©rants de la requĂȘte no 67599/10 (notamment les requĂ©rants figurant sous les numĂ©ros 1-4, 6-8, 12, 13, 15, 16 et 19 dans la liste en annexe) s’en remettent Ă  l’apprĂ©ciation de la Cour.

168.  Le Gouvernement conteste ces prĂ©tentions et invite la Cour Ă  dĂ©clarer qu’un constat de violation fournirait une satisfaction Ă©quitable suffisante. À titre subsidiaire, il critique le montant rĂ©clamĂ© par les requĂ©rants, qu’il estime disproportionnĂ©, et demande Ă  la Cour de tenir compte des sommes provisionnelles qui ont Ă©tĂ© versĂ©es aux requĂ©rants en leur qualitĂ© de parties civiles Ă  la procĂ©dure pĂ©nale.

169.  La Cour relĂšve que les requĂ©rants n’ont pas Ă©tayĂ© suffisamment leurs prĂ©tentions pour que le lien de causalitĂ© nĂ©cessaire entre la violation constatĂ©e et le dommage matĂ©riel allĂ©guĂ© pĂ»t ĂȘtre Ă©tabli. Elle rejette par consĂ©quent cette partie de la demande (Eğitim ve Bilim Emekçileri Sendikası et autres c. Turquie, no 20347/07, § 116, 5 juillet 2016).

170.  En ce qui concerne le dommage moral, la Cour relĂšve que, selon les derniĂšres informations fournies par les requĂ©rants et non contestĂ©es par le Gouvernement, les indemnitĂ©s provisionnelles accordĂ©es Ă  titre de dommages-intĂ©rĂȘts aux requĂ©rants par les tribunaux internes n’ont pas Ă©tĂ© versĂ©es ou ne l’ont Ă©tĂ© que partiellement et Ă  un nombre limitĂ© de requĂ©rants (quatre requĂ©rants de la requĂȘte no 28923/09 et deux requĂ©rants de la requĂȘte no 67599/10). Elle rappelle Ă©galement la gravitĂ© des actes de violence Ă©tablis dans les prĂ©sentes affaires qui ont conduit Ă  sa conclusion de violation de l’article 3 de la Convention, tant sous son volet matĂ©riel que sous son volet procĂ©dural.

171.  Partant, elle dĂ©cide d’accorder en Ă©quitĂ© Ă  chaque requĂ©rant la somme de 80 000 EUR (quatre-vingt mille euros) Ă  titre de dommage moral, Ă  l’exception de M. G. Azzolina. À ce dernier, en raison de la gravitĂ© et cruautĂ© des violences dont il fut victime au sein de la caserne de Bolzaneto, la Cour dĂ©cide d’accorder en Ă©quitĂ© la somme de 85 000 EUR (quatre‑vingt‑cinq mille euros) Ă  titre de dommage moral.

172.  La Cour prĂ©cise nĂ©anmoins que les sommes qu’elle a accordĂ©es au titre du dommage moral ne sont dues qu’en fonction de l’état de versement des indemnitĂ©s reconnues Ă  titre de provision au plan interne. Ainsi, dans l’hypothĂšse oĂč ces sommes seraient effectivement payĂ©es par les autoritĂ©s italiennes aux requĂ©rants, elles viendraient en dĂ©duction des satisfactions Ă©quitables que le Gouvernement devra verser aux parties requĂ©rantes en vertu du prĂ©sent arrĂȘt (Kavaklıoğlu et autres c. Turquie, n15397/02, § 302, 6 octobre 2015).

B.  Frais et dĂ©pens

173.  Les requĂ©rants n’ont formulĂ© aucune demande de remboursement des frais et dĂ©pens engagĂ©s pour la procĂ©dure devant la Cour. La Cour estime dĂšs lors qu’il n’y a pas lieu de leur accorder de somme Ă  ce titre.

C.  IntĂ©rĂȘts moratoires

174.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d’intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  DĂ©cide de rayer la requĂȘte du rĂŽle, en ce qui concerne les requĂ©rants dans la requĂȘte no 67599/10 qui figurent dans la liste en annexe sous les numĂ©ros 5, 9, 10, 11, 14, 17 et 18 ;

2.  Rejette l’exception prĂ©liminaire soulevĂ©e par le Gouvernement quant au non-Ă©puisement des voies de recours internes en matiĂšre pĂ©nale ;

3.  Joint au fond les exceptions soulevĂ©es par le Gouvernement quant Ă  la perte de la qualitĂ© de victime des requĂ©rants et au non-Ă©puisement des voies de recours internes en matiĂšre civile et les rejette ;

4.  DĂ©clare les requĂȘtes recevables ;

5.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet matĂ©riel ;

6.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procĂ©dural ;

7.  Dit

a)  que l’État dĂ©fendeur doit verser aux requĂ©rants, dans les trois mois Ă  compter du jour oĂč l’arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l’article 44 Â§ 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i.  85 000 EUR (quatre-vingt-cinq mille euros) Ă  M. G. Azzolina, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt, pour dommage moral,

ii.  80 000 EUR (quatre-vingt mille euros), aux requĂ©rants de la requĂȘte no 28923/09 et aux requĂ©rants de la requĂȘte no 67599/10 figurant sous les numĂ©ros 1-4, 6-8, 12, 13, 15, 16 et 19 dans la liste en annexe, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt, pour dommage moral ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit dĂ©lai et jusqu’au versement, ces montants seront Ă  majorer d’un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

8.  Rejette la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 26 octobre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement de la Cour.

  Abel Campos                         Linos-Alexandre Sicilianos

  Greffier                                  Président


 

ANNEXE

RequĂȘte no 28923/09 (introduite le 27/05/2009)

 

No.

Prénom NOM

Date de naissance

Nationalité

Lieu de résidence

Représentant

  1.  

Giuseppe AZZOLINA

08/12/1956

Italienne

GĂȘnes

N. Paoletti

A. Mari

A. Lerici

  1.  

Sara BARTESAGHI GALLO

07/05/1980

Italienne

Lecco

N. Paoletti

A. Mari

G. Pagani

  1.  

Gianluca DELFINO

08/06/1979

Italienne

 

Cuneo

N. Paoletti

A. Mari

E. Menzione

  1.  

Nicola Anne DOHERTY

24/07/1974

Britannique

Londres

N. Paoletti

A. Mari

G. Pagani

  1.  

Ian GALLOWAY

21/03/1975

Américaine

Philadelphie

N. Paoletti

A. Mari

D. Rossi

  1.  

Federico GHIVAZZANI

24/09/1969

Italienne

Lucques

N. Paoletti

A. Mari

E. Menzione

  1.  

Jens HERRMANN

13/10/1972

Allemande

Berlin

N. Paoletti

A. Mari

C. Malossi

  1.  

Richard Robert MOTH

09/11/1968

Britannique

Londres

N. Paoletti

A. Mari

G. Pagani

  1.  

Achim NATHRATH

31/12/1969

Allemande

Munich

N. Paoletti

A. Mari

D. Rossi

  1.  

Arianna

SUBRI

10/12/1975

Italienne

Pise

N. Paoletti

A. Mari

F. Micali

  1.  

Theresa TREIBER

09/08/1967

Allemande

Munich

N. Paoletti

A. Mari

D. Rossi

  1.  

Anna Katharina ZEUNER

04/09/1978

Allemande

Berlin

N. Paoletti

A. Mari

D. Rossi

 

 

RequĂȘte no 67599/10 (introduite le 3/09/2010)

 

No.

Prénom NOM

Date de naissance

Nationalité

Lieu de résidence

Représentant

1.                    

Anna Julia KUTSCHKAU

23/06/1980

Allemande

Berlin

V. Onida

B. Randazzo

R. Passeggi

2.                    

Ruiz Aitor BALBAS

09/10/1970

Espagnole

Pampelune

V. Onida

B. Randazzo

E. Tambuscio

3.                    

Valerio BERTACCHINI

06/05/1976

Italienne

Londres

V. Onida

B. Randazzo

C. Novaro

4.                    

Valeria BRUSCHI

26/02/1975

Italienne

Berlin

V. Onida

B. Randazzo

E. Tambuscio

5.                    

Sergio CAMANDONA

06/06/1969

Italienne

Turin

V. Onida

B. Randazzo

S. Insabato

6.                    

Simona DIGENTI

03/03/1980

Italienne -Suisse

RĂŒmlang

V. Onida

B. Randazzo

E. Tambuscio

7.                    

Taline ENDER

04/01/1983

Suisse

GenĂšve

V. Onida

B. Randazzo

C. Novaro

8.                    

Amaranta Serena FLAGELLI

14/05/1975

Italienne

Florence

V. Onida

B. Randazzo

C. Novaro

9.                    

Diana FRANCESCHIN

26/06/1982

Italienne

Milan

V. Onida

B. Randazzo

C. Novaro

10.                

Andrea GRAF

25/06/1969

Suisse

Lugano

V. Onida

B. Randazzo

C. Novaro

11.                

Laura JAEGER

15/02/1981

Allemande

Barcelone

V. Onida

B. Randazzo

C. Novaro

12.                

David Thomas Arnaud LARROQUELLE

07/03/1973

Française

Milan

V. Onida

B. Randazzo

C. Novaro

13.                

Luis Garcia LORENTE

25/06/1972

Espagnole

Saragosse

V. Onida

B. Randazzo

E. Tambuscio

14.                

Francisco Javier MADRAZO

03/12/1963

Espagnole

Saragosse

V. Onida

B. Randazzo

E. Tambuscio

15.                

Cesar Jean Claude

NEBOT

27/05/1973

Française

Paris

V. Onida

B. Randazzo

L. Fattizzo

16.                

Francho Corral NOGUERAS CHAVIER

 

Espagnole

Saragosse

V. Onida

B. Randazzo

E. Tambuscio

17.                

Giorgia PARTESOTTI

30/10/1980

Italienne

Padoue

V. Onida

B. Randazzo

L. Partesotti

18.                

Ester PERCIVATI

20/12/1980

Italienne

Milan

V. Onida

B. Randazzo

C. Novaro

19.                

Moritz Kaspar Kamol

VON UNGER

09/05/1974

Allemande

Berlin

V. Onida

B. Randazzo

R. Passeggi

 

 



[1].  Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, CEDH 2011 (extraits) ; voir Ă©galement le Rapport final de l’enquĂȘte parlementaire d’information sur les faits survenus lors du G8 de GĂȘnes du 20 septembre 2001 ; le jugement no 3119/08 du tribunal de GĂȘnes, rendu le 14 juillet 2008 et dĂ©posĂ© le 27 novembre 2008 ; le jugement no 4252/08 du tribunal de GĂȘnes, rendu le 13 novembre 2008 et dĂ©posĂ© le 11 fĂ©vrier 2009 ; l’arrĂȘt no 1530/10 de la cour d’appel de GĂȘnes, rendu le 18 mai 2010 et dĂ©posĂ© le 31 juillet 2010 ; l’arrĂȘt no 678/10 de la cour d’appel de GĂȘnes, rendu le 5 mars 2010 et dĂ©posĂ© le 15 avril 2011 ; l’arrĂȘt no 38085/12 de la Cour de cassation, rendu le 5 juillet 2012 et dĂ©posĂ© le 2 octobre 2012.