En l’affaire
Milazzo c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième
section), siégeant une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Danutė
Jočienė,
Dragoljub Popović,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière
adjointe de section,
Après en avoir
délibéré en chambre du conseil le 5 juin 2012,
Rend l’arrêt
que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A
l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 77156/01) dirigée
contre la République
italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Silvio Milazzo (« le
requérant »), a saisi la
Cour le 16 octobre 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de
sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Par
un arrêt du 2 novembre 2006 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que la perte de
toute disponibilité du terrain, combinée avec l’impossibilité de remédier à la
situation incriminée, avait engendré des conséquences assez graves pour que le
requérant ait subi une expropriation de fait, incompatible avec son droit au
respect de ses biens (Milazzo c. Italie, no
77156/01, § 51, 2 novembre 2006).
3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant
réclamait une satisfaction équitable de 521 516 EUR, à savoir la somme
correspondant à la différence entre la valeur vénale du terrain, réévaluée et
augmentée de la plus-value dérivant de la réalisation de l’ouvrage public, et
le montant obtenu suite au jugement du tribunal de Caltagirone.
Il demandait également un dédommagement à titre de préjudice moral, ainsi
qu’une somme à titre de remboursement des frais encourus devant la Cour.
4. La
question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se
trouvant pas en état, la Cour
l’a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par
écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment
à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, point 4 b) du dispositif).
5. Tant
le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.
6. A la suite de la modification de la composition des
sections de la Cour,
la présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée.
EN DROIT
7. Aux
termes de l’article 41 de la
Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu
violation de la Convention
ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie
contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette
violation, la Cour
accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
EN FAIT
8. Les faits survenus après l’arrêt au principal peuvent se
résumer comme suit.
9. Par un arrêt du 30 mai 2006, la cour d’appel de
Catane condamna la ville de Rome à verser au requérant et aux autres
copropriétaires la somme la somme de 101 355,96 EUR, au titre de
dédommagement calculé aux termes de la loi no 662 de 1996 plus
intérêts et réévaluation.
A. Dommage
matériel
8. Pour préjudice matériel, le requérant sollicite la restitution
du terrain. A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la restitutio in integrum
ne serait pas possible en l’espèce, le requérant réclame 521 516 EUR, à
savoir la somme correspondant à la différence entre la valeur vénale du
terrain, réévaluée et augmentée de la plus-value dérivant de la réalisation de
l’ouvrage public, et le montant obtenu suite à l’arrêt de la cour d’appel de
Catane.
9. Le
Gouvernement s’y oppose et estime que la somme due au requérant ne doit pas
dépasser 87 457,40 EUR.
10. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant
une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à
la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que
faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce
(satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH
2000-XI).
11. Elle rappelle que dans
l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no
58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères
d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a
décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont
fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir
compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles
bâtis par l’Etat sur les terrains.
12. Selon les nouveaux
critères fixés par la
Grande Chambre, l’indemnisation doit correspondre à la valeur
pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle
qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de
la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme
éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour
compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts
susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est
écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à
l’intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.
13. En l’espèce, le requérant
a perdu la propriété du terrain en 1983 (§ 24 de l’arrêt au principal). Il
ressort de l’expertise déposée devant les juridictions internes que la valeur du bien à cette
dernière date était de 356 809 968 ITL (environ 184 277 EUR).
Par ailleurs, la Cour
doit prendre en compte le fait qu’en plus du requérant, des tierces personnes
peuvent également revendiquer des droits par rapport au terrain objet de la
cause (§ 6 de l’arrêt au principal). En l’absence d’indications
contraires, la Cour
estime que le requérant n’est fondé à recevoir une satisfaction équitable qu’à
concurrence de 25 % par rapport à la valeur de ce terrain.
14. Compte
tenu de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant
110 000 EUR pour le préjudice matériel, plus tout montant pouvant être dû
à titre d’impôt sur cette somme.
B. Dommage
moral
15. Le
requérant demande 70 000 EUR pour le préjudice moral.
16. Le Gouvernement s’y oppose et estime qu’aucune somme n’est
due au titre du préjudice moral, puisque ce type de préjudice a déjà été réparé
par la satisfaction équitable accordé lors du constat de violation de l’article
6 § 1 dan l’arrêt au principal (§ 80 de l’arrêt au principal).
17. La Cour
rappelle tout d’abord que la somme accordée à titre de dommage moral dans
l’arrêt au principal se rapportait uniquement au grief tiré de la durée de la procédure. En l’espèce,
elle estime que le sentiment d’impuissance et de
frustration face à la dépossession illégale de son bien a causé au requérant un
préjudice moral important, qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.
18. Statuant en équité, la Cour accorde au requérant
10 000 EUR au titre du préjudice moral.
C.
Frais
et dépens
19. Justificatifs à l’appui, le requérant demande le remboursement
des frais encourus devant la Cour,
soit 43 122,13 EUR.
20. Le Gouvernement
s’y oppose et observe que les prétentions du requérant sont exorbitantes.
21. La Cour rappelle que l’allocation des frais et dépens au
titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur
nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce
(satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les
frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à
la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction
équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC],
no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).
22. La Cour ne doute pas de la
nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux
revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les
rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable
d’allouer un montant de 15 000 EUR pour l’ensemble des frais exposés.
D. Intérêts
moratoires
23. La Cour juge approprié de
calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de
prêt marginal de la Banque
centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
À L’UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que
l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du
jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à
l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes:
i. 110 000
EUR (cent dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt,
pour dommage matériel ;
ii. 10 000
EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour
dommage moral ;
iii. 15 000
EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt au
requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à
compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront
à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt
marginal de la Banque
centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points
de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction
équitable pour le surplus.
Fait en
français, puis communiqué par écrit le 26 juin 2012, en application de
l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Françoise
Tulkens
Greffière adjointe Présidente