Corte europea dei diritti dell’uomo
(Seconda Sezione)
25 settembre 2012
AFFAIRE GODELLI c. ITALIE
(Requête n. 33783/09)
STRASBOURG
Cet arrêt deviendra définitif
dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir
des retouches de forme.
En l’affaire Godelli c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en
une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière
adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 août,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A
l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33783/09) dirigée
contre la République italienne et dont une ressortissante de cet Etat, Anita
Godelli (« la requérante »), a saisi la Cour le 16 juin 2009 en vertu
de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La
requérante est représentée par Me C. Pullano, avocat à Trieste.
Le gouvernement italien (« le
Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E.
Spatafora.
3. La
requérante allègue que le secret de sa naissance et l’impossibilité qui en
résulte pour elle de connaître ses origines constituent une violation de son
droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la
Convention.
4. Le
9 novembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet
l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que
la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I.
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La
requérante, née le 28 mars 1943 à Trieste, fut abandonnée par sa mère
biologique.
6. Il
ressort de l’acte de naissance que :
« En ce jour, le 28
mars 1943, à 7 heures 30, une femme, qui ne consentait pas à être nommée, donna
naissance à une fille. »
7. La
requérante fut d’abord placée dans un orphelinat et ensuite confiée à la
famille Godelli. A l’âge de six ans, par une décision du juge des tutelles de
Trieste du 10 octobre 1949, elle fit l’objet d’une adoption simple (« affiliazione ») par les
époux Godelli.
8. A
l’âge de dix ans, la requérante ayant appris qu’elle n’était pas la fille
biologique de ses parents, leur demanda à pouvoir connaître ses origines, mais
elle n’obtint aucune réponse. A une date non précisée, elle découvrit qu’une
petite fille qui vivait dans son village, née le même jour qu’elle, avait été
abandonnée et ensuite elle avait fait l’objet d’une adoption simple (« affiliazione ») par une
autre famille. La requérante soupçonnait qu’il s’agissait de sa sœur jumelle.
Les parents adoptifs des deux filles empêchèrent les contacts entre elles.
9. La
requérante affirme avoir vécu une enfance très difficile en raison de
l’impossibilité de connaître ses origines.
10. En
2006, la requérante demanda au bureau de l’état civil
de la mairie de Trieste des renseignements sur ses origines,
conformément à l’article 28 de la loi no 184 du 4 mai 1983 (la loi
sur l’adoption : « la loi no 184/1993 »), étant donné
que la réglementation régissant l’adoption simple (« affiliazione ») avait été abrogée par cette loi. Le
bureau de l’état civil donna à la requérante son acte de naissance dans lequel
n’apparaissait pas le nom de la mère biologique puisque celle-ci n’avait pas
consenti à la divulgation de son identité.
11. Le
19 mars 2007, la requérante introduisit un recours devant le tribunal
de Trieste pour demander, conformément à l’article 96 du décret du Président de
la République no 396/2000, la rectification de son acte de
naissance. Le 4 mai 2007, le tribunal se déclara incompétent et
rejeta le recours au motif que l’article 28, alinéa 5, de la loi no
184/1983, prévoyait qu’en ce qui concerne l’accès aux informations sur les
parents biologiques, après l’âge de vingt-cinq ans, le tribunal compétent était
le tribunal pour enfants.
12. Le
5 juin 2007, la requérante saisit le tribunal pour enfants de
Trieste. Le 11 juin 2008, le tribunal rejeta la demande puisque,
conformément à l’article 28, alinéa 7, de la loi no 184/983, l’accès
aux informations sur ses origines était interdit car la mère, au moment de la naissance de la
requérante n’avait pas consenti à la divulgation de son identité.
13. La
requérante saisit la cour d’appel. Par une décision du
23 décembre 2008, la cour d’appel rejeta son recours.
14. En
particulier, la cour observa que le tribunal pour enfants avait souligné que la
mère biologique de la requérante avait demandé le secret de son identité et que
le tribunal avait donc correctement fait application de l’article 28, alinéa 7,
de la loi no 184 de 1983, même si la requérante avait fait l’objet
d’une adoption simple, compte tenu de ce que l’adoption simple créait néanmoins
un statut familial. Par ailleurs, la cour d’appel souligna que l’alinéa 7 de
l’article 28 visait à garantir le respect de la volonté de la mère. L’interdiction
pour la requérante d’accéder aux informations concernant ses origines répondait
également à un intérêt public.
15. La
requérante ne se pourvut pas en cassation.
II. LE droit
ET LA PRATIQUE interne et LE droit comparé pertinentS
A. Le droit et la pratique internes
16. L’article
250 du code civil accorde à un des parents la possibilité de ne pas reconnaître
son enfant. Pour cela, la mère doit demander à l’hôpital de préserver son
anonymat lors de l’accouchement. Dans ce cas, un dossier médical comportant des
renseignements médicaux sur la mère et l’enfant est constitué. Seul le médecin
traitant de l’enfant peut y avoir accès sur autorisation du tuteur de l’enfant.
17. L’adoption
simple (« affiliazione »)
fut créée en 1942 pour porter assistance aux enfants abandonnés ou sans parent
d’âge inferieur à dix-huit ans. A la différence de l’adoption plénière, elle ne
créait pas de lien de parenté effectif et il n’était pas nécessaire que la
personne adoptée n’ait pas d’enfants, mais il fallait que l’enfant ait moins de
dix-huit ans. L’adoption simple pouvait être demandée soit par la personne à
qui l’enfant avait été confié, soit par l’Assistance publique, soit par le
particulier qui l’élevait de sa propre initiative.
18. Les
articles du code civil prévoyant l’adoption simple (« affiliazione ») ont été abrogés par l’effet de
l’entrée en vigueur de la loi no
184 du 4 mai 1983 (révisée
ensuite par la loi no 149 de 2001 et par le décret législatif no
196 du 30 juin 2003).
19. L’article
27 de la loi no 184/1983 garantit le secret des
origines sauf si l’autorité judiciaire donne une autorisation expresse.
20. L’article
28, alinéa 7, de la loi no 184/1983 permet à la mère, qui décide de
ne pas garder l’enfant, d’accoucher dans un hôpital et de garder en même temps
l’anonymat dans la déclaration de naissance. Cet anonymat a une durée de cent
ans. Après ce délai, l’accès à l’acte de naissance est possible.
21. La décision
d’adoption, une fois prise par le tribunal, est communiquée aux services de
l’état civil pour être mentionnée en marge de l’acte de naissance. Les copies
des actes d’état civil de l’adopté doivent être délivrées avec la seule
indication de son nouveau nom, sans mention de la paternité ou de la maternité
d’origine ni de l’annotation relative à l’adoption. Toutefois, si l’officier
d’état civil a une autorisation expresse du tribunal, il peut communiquer ces renseignements.
22. L’adopté
peut avoir accès aux informations concernant ses origines et l’identité de ses
parents par le sang lorsqu’il a atteint l’âge de 25 ans. Il peut obtenir
ces mêmes informations dès la majorité s’il existe des motifs graves et prouvés
concernant sa santé physique et mentale. La demande est présentée au tribunal
pour enfants du lieu de résidence, qui rend sa décision après évaluation de la
situation particulière et audition des personnes qu’il juge opportun
d’entendre.
23. L’accès
aux informations est refusé lorsque la mère biologique n’a pas reconnu l’enfant
à la naissance et lorsque l’un des parents biologiques a déclaré ne pas vouloir
être nommé dans l’acte de naissance ou a donné son consentement à l’adoption
sous réserve de conserver l’anonymat.
24. Par
un arrêt du 16 novembre 2005, la Cour constitutionnelle s’est exprimé
positivement sur la question de savoir si l’impossibilité d’accéder aux
informations concernant les origines, sans avoir vérifié la persistance de la volonté
de la mère à ne pas être nommée, était compatible avec les articles 2, 3 et 32
de la Constitution.
25. En
particulier, la haute juridiction a souligné que l’article 28, alinéa 7, de la
loi no 184/1983 vise à protéger la mère, qui - dans des
circonstances difficiles – décide de ne pas garder l’enfant, en lui donnant la
possibilité d’accoucher dans un hôpital et de garder en même temps l’anonymat
dans la déclaration de naissance. De cette manière, selon la Cour on permet à la
mère d’accoucher dans de bonnes conditions en l’empêchant de prendre des
décisions irréparables. Cette possibilité serait plus difficile si la
disposition prévoyait la possibilité pour la mère de savoir qu’un jour, elle
pourrait être appelée par l’autorité judiciaire à confirmer ou révoquer sa
décision.
26. L’article
111, alinéa 7, de la Constitution italienne prévoit que :
« Le pourvoi en cassation pour violation de la loi est toujours admis
contre les jugements et les mesures touchant à la liberté personnelle,
prononcés par les organes juridictionnels judiciaires ou spéciaux ».
27. Un
projet de loi relatif à l’accès aux origines personnelles est à l’examen du
Parlement italien depuis 2008. Ce projet de loi poursuit deux objectifs
principaux :
– permettre et organiser la
réversibilité du secret sans remettre en cause les conséquences juridiques de
la décision initialement prise par la femme ;
– subordonner la levée du
secret à l’accord exprès de la mère et de l’enfant.
Selon ce projet de loi, à l’âge de 25 ans toute personne adoptée et non
reconnue à la naissance, peut demander au tribunal pour enfants l’accès à ses
origines sous réserve de l’accord de la mère. Lors de la recherche par l’enfant
de ses origines, le tribunal pour enfants se chargera de rechercher la mère et
de recueillir son consentement pour la levée du secret, ceci, dans le respect
de sa vie privée. Si la mère est décédée et si le père est décédé ou n’est pas
identifiable, le tribunal recueille les éléments
relatifs à leur identité ainsi que les données
médicales permettant de repérer d’éventuelles pathologies héréditaires
transmissibles.
B. Le droit à la connaissance de ses
origines dans les autres Etats membres du Conseil de l’Europe
28. En
Europe l’accouchement sous X ou dans l’anonymat apparaît minoritaire sans être
pour autant exceptionnel. A côté de la France dont le droit positif prévoit
depuis de nombreuses années l’accouchement sous X, des législations, relativement
récentes car édictées au cours de la dernière décennie, organisent la naissance
d’enfants dans ces conditions (Autriche, Luxembourg, Russie, Slovaquie).
En France, l’accouchement sous X tend à se rapprocher de l’accouchement
dans le secret à l’instar de ce qui se pratique en République tchèque où la
confidentialité quant aux données nominatives sur la mère biologique est alors
temporaire, et non définitive, puisque l’accès à ces informations est différé
dans le temps.
29. La situation
des enfants nés à la suite d’un accouchement anonyme ou secret peut être
comparée à celles dans lesquelles l’enfant se trouve exposé à des difficultés,
voire l’impossibilité d’avoir accès à ses origines biologiques. L’absence de
mention des noms de l’un ou des deux parents peut parfois être prévue par la
loi, mais cette hypothèse est rarissime (Italie, Luxembourg, France). Le plus
souvent, les données de fait feront obstacle à ce que l’officier d’état civil
puisse remplir complètement l’acte de naissance de l’enfant ; des actions
en justice sont ouvertes en recherche de paternité/maternité et sont
éventuellement accessibles à d’autres personnes que le seul enfant. Nonobstant
le fait que l’efficacité de telles actions puisse, eu égard aux circonstances
particulières, être aléatoire, l’existence de tels recours, permettant
d’engager des recherches sur les liens personnels entretenus par un enfant
vis-à-vis de sa famille biologique, constitue, pour les personnes intéressées,
une garantie.
30. Par
ailleurs, il doit être constaté que la pratique de l’abandon d’enfant perdure
sous de nouvelles formes ; les « fenêtres »
ou « boîtes à bébé »,
réminiscence des tours d’abandon du moyen-âge, connaissent un développement
incontestable. L’enfant sera, pratiquement, dans l’impossibilité matérielle
d’accéder à des informations concernant sa famille d’origine ; l’état
civil donnera des noms « fictifs »
à l’enfant sans lien avec sa filiation réelle. Le secret des circonstances de
la naissance peut n’être que relatif (Espagne, Hongrie) mais cette relativité
implique alors nécessairement que des données préexistent. Des actions
judiciaires sont généralement prévues au profit de l’enfant recherchant sa mère
de naissance (Bulgarie, Croatie, ex République yougoslave de Macédoine) ou de
la mère qui peut rechercher son enfant (Ukraine).
31. En
cas d’adoption plénière, l’enfant perd souvent tout contact avec sa famille
d’origine ; la nouvelle filiation efface totalement les liens qui ont pu
exister au cours de la vie antérieure de l’enfant avec d’autres adultes
(Autriche, France, Monaco, Bulgarie, Russie et ex République yougoslave de
Macédoine). L’accès à l’acte de naissance est parfois possible à partir d’un
âge minimum (Allemagne, Croatie, Hongrie, Lettonie Portugal). L’enfant peut
être habilité à accéder à des informations plus larges (Bulgarie, Estonie,
Lituanie, Suisse, Espagne,), ce qui suppose alors souvent l’engagement d’une
action en justice qui permet d’apprécier les intérêts en jeu.
32. Le
Royaume-Uni et l’Irlande ont instauré un mécanisme permettant un rapprochement
des personnes adoptées aux données afférentes à leur adoption présentant un
degré poussé de conciliation entre le droit à l’information des intéressés et
le respect de la vie privée et familiale de la mère ou plus largement de la
famille d’origine.
EN DROIT
I. SUR L’EXCEPTION
PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
33. A
titre principal, le Gouvernement soutient que la requête est irrecevable pour
non-épuisement des voies de recours internes au motif que la requérante
n’aurait pas introduit un recours extraordinaire devant la Cour de cassation au
sens de l’article 111 de la Constitution italienne. Selon le Gouvernement, ce
recours est possible contre les décisions ayant caractère décisoire en matière
de droits subjectifs (voir arrêt de la Cour de cassation no 23032 du
30 octobre 2009).
34. La
requérante conteste la thèse du Gouvernement et fait observer que l’action en
cause n’est pas un recours « effectif » étant donné que le recours
extraordinaire en cassation aux termes de l’article 111, alinéa 7, ne peut pas
être introduit lorsque les décisions prononcées en chambre de conseil sont
rendues en matière de juridiction gracieuse (« volontaria
giurisdizione »), car ces décisions, tout en couvrant des positions de
droits subjectifs, n’ont aucun caractère décisoire et elles n’ont pas
l’efficacité de chose jugée, car elles sont toujours modifiables par la même
chambre du conseil.
35. La requérante
rappelle que la position de la Cour de cassation à cet égard est claire et sa
jurisprudence est consolidée sur l’irrecevabilité du recours extraordinaire. Elle
note que les décisions qui relèvent de la juridiction gracieuse, notamment dans
les cas relatifs à la responsabilité parentale, sont dépourvues de caractère
décisoire et définitif, et ne peuvent pas être soumises au recours
extraordinaire en cassation (voir les arrêts de la Cour de Cassation no
11771 du 14 mai 2010, no 11756 du 14 mai 2010, no14091
du 17 juin 2009, no 24423 du 23 novembre 2007, no
22628 du 20 octobre 2006, no 11026 du 15 juillet 2003, no
11582 du 2 août 2002, no2099 du 14 février 2001, no
1493 du 23 février 1999, no2934 du 20 mars 1998).
36. La
Cour rappelle qu’il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement des
recours internes de démontrer qu’un recours effectif était disponible tant en
théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était
accessible, était susceptible d’offrir aux requérants la réparation de leurs
griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (V. c. Royaume-Uni
[GC], no 24888/94, § 57, CEDH 1999-IX).
37. La
Cour note tout d’abord que la jurisprudence de la Cour de cassation était très partagée sur le point de savoir s’il était possible
de se pourvoir en cassation selon l’article 111 de la Constitution
contre une décision dépourvue de caractère définitif, prise par la chambre du
conseil en matière de juridiction gracieuse.
38. De plus, la Cour estime que le
Gouvernement n’a pas démontré qu’un éventuel pourvoi en cassation selon
l’article 111 de la Constitution que la requérante aurait pu former
quant à l’application de l’article 28, alinéa 7, de la loi no
184/1983, avait des chances
d’aboutir. En effet, la Cour de cassation ne pouvait que confirmer que les
juridictions avaient correctement fait application de la disposition
législative applicable en l’espèce, à savoir l’article 28, alinéa 7, de la loi
no 184 de 1983, d’autant plus que la Cour constitutionnelle avait
jugé que ladite loi était conforme à la Constitution (§ 24 ci-dessus)
39. A
la lumière de ce qui précède et sans prendre en considération le fait que la
jurisprudence de la Cour de cassation était très partagée sur le point de
savoir s’il était possible de se pourvoir en cassation contre une décision
dépourvue de caractère définitif, prise par une chambre de conseil en matière
de juridiction gracieuse, la Cour considère que dans le cas d’espèce, un
éventuel recours extraordinaire en cassation selon l’article 111 de la
Constitution, n’aurait pas eu pour effet
de redresser le grief de la requérante.
40. Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’exception
de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.
II.
SUR LA VIOLATION
ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
41. La
requérante se plaint de ne pas pouvoir obtenir communication d’éléments non
identifiants sur sa famille naturelle. Elle dénonce le lourd préjudice qui en
résulte pour elle dans la mesure où elle est privée de la possibilité de
connaître son histoire personnelle. Elle affirme ne pas avoir eu accès à des
informations non identifiantes sur sa mère et sa famille biologique lui
permettant d’établir quelques racines de son histoire dans le respect de la
préservation des intérêts des tiers. Elle affirme, en outre, que dans la mise
en balance de deux intérêts, le législateur a donné préférence aux seuls
intérêts de la mère sans qu’il y ait la possibilité pour la requérante de
demander, comme en droit français, la réversibilité du secret sur l’identité de
la mère sous réserve de l’accord de celle-ci. Par ailleurs, elle fait valoir
qu’elle avait fait l’objet d’une adoption simple (« affiliazione ») qui ne créait pas de lien de parenté
effectif. Elle invoque l’article 8 de la Convention qui est ainsi
libellé :
« 1. Toute
personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et
de sa correspondance.
2. Il
ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit
que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue
une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la
défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection
de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés
d’autrui. »
42. Le
Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Applicabilité de l’article 8
1. Thèses des parties
a) La requérante
43. La
requérante soutient que sa demande d’obtention de renseignements sur des
aspects éminemment personnels de son histoire et de son enfance entre dans le
champ d’application de l’article 8 de la Convention. La recherche de son
identité fait partie intégrante de sa « vie privée » mais
également de sa « vie familiale ».
b) Le Gouvernement
44. Le
Gouvernement exclut cette dernière hypothèse en rappelant qu’en garantissant le
droit au respect de la vie familiale, l’article 8 présuppose l’existence d’une
famille (Marckx c. Belgique, arrêt
du 13 juin 1979, série A no 31). Si la jurisprudence n’exige pas une
cohabitation entre les différents membres de la « famille », il doit
exister à tout le moins des rapports personnels étroits entre eux. L’existence
de liens qui démontreraient une relation affective entre deux êtres et leur
volonté d’entretenir cette relation serait primordiale pour les organes de la
Convention. Ces derniers estiment même que le seul lien biologique est
insuffisant, faute de liens personnels étroits entre les intéressés pour
constituer une vie familiale au sens de l’article 8. En l’espèce, le
Gouvernement soutient qu’il n’existe entre la requérante et sa mère biologique
aucune vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention car la première n’a
jamais vu sa mère, au motif que celle-ci n’a jamais souhaité la connaître et la
considérer comme son enfant. Elle a en effet expressément manifesté sa volonté
de l’abandonner et a accepté que son enfant soit adoptée.
2. Appréciation
de la Cour
45. En
l’espèce, la Cour relève que la quête de la requérante n’est pas de remettre en
cause l’existence de sa filiation adoptive mais de connaître les circonstances
de sa naissance et de son abandon englobant la connaissance de l’identité de
ses parents biologiques. En l’espèce, la Cour n’est
pas appelée à déterminer si la procédure visant le lien de filiation entre la
requérante et sa mère relève de la « vie familiale » au sens de
l’article 8, puisqu’en tout état de cause le droit de connaître son ascendance
se trouve dans le champ d’application de la notion de « vie privée »,
qui englobe des aspects importants de l’identité personnelle dont l’identité
des géniteurs fait partie (Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 29, CEDH 2003‑III, et Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 53, CEDH 2002‑I).
46. La
Cour rappelle à cet égard que « l’article 8 protège un droit à
l’identité et à l’épanouissement personnel et celui de nouer et de développer
des relations avec ses semblables et le monde extérieur. » A cet
épanouissement contribuent l’établissement des détails de son identité d’être
humain et l’intérêt vital, protégé par la Convention, à obtenir des
informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect
important de son identité personnelle, par exemple l’identité de ses géniteurs
(Mikulić, précité, §§ 54 et 64). La naissance, et
singulièrement les circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de
l’enfant, puis de l’adulte, garantie par l’article 8 de la Convention qui
trouve ainsi à s’appliquer en l’espèce.
47. La
Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de
l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre
motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) La requérante
48. La
requérante rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, l’article 8 de la
Convention s’applique à l’enfant comme à la mère, et que le droit à la
connaissance de ses origines ne peut pas produire l’effet de denier simplement
l’intérêt d’une femme à conserver l’anonymat pour sauvegarder sa santé en
accouchant dans des conditions médicales appropriées : le conflit est
entre deux intérêts privés, qui touchent d’ailleurs deux adultes jouissant
chacun de l’autonomie de sa volonté, difficilement conciliables en raison du
caractère complexe et délicat de la question que soulève le secret des origines
au regard du droit de chacun à son histoire, du choix des parents biologiques,
du lien familial existant et des parents adoptifs. Elle estime que la Cour
doit rechercher la pondération des intérêts et examiner si le système italien,
dans le cas d’espèce, a maintenu un équilibre raisonnable entre les droits et
les intérêts concurrents.
49. En
effet, la requérante fait valoir qu’aucun autre système législatif ne connaît
un régime d’anonymat de la maternité aussi poussé, avec en cascade
l’accouchement secret et l’abandon secret, tel qu’il est formalisé et
institutionnalisé en Italie.
50. Ainsi,
la requérante rappelle que la Convention des Nations unies relative aux droits
de l’enfant du 20 novembre 1989 dispose que l’enfant a dès sa naissance
« dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents »
(article 7). De même, la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la
protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale,
ratifiée par l’Italie, prévoit que les autorités compétentes de l’Etat
contractant veillent à conserver les informations qu’elles détiennent sur les
origines de l’enfant, notamment celles relatives à l’identité de sa mère et de
son père, ainsi que les données sur le passé médical de l’enfant et de sa
famille. Elles assurent l’accès de l’enfant ou de son représentant à ces
informations avec les conseils appropriés, dans la mesure permise par la loi de
leur Etat (article 30).
51. Dans
la Recommandation 1443 (2000) du 26 janvier 2000 « Pour un respect
des droits de l’enfant dans l’adoption internationale », l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe a invité les Etats « à assurer le
droit de l’enfant adopté de connaître ses origines au plus tard à sa majorité
et à éliminer de leurs législations nationales toute disposition
contraire ».
52. Selon
la requérante, l’Italie aurait dépassé la limite de sa marge d’appréciation car
le système mis en place ne tient pas compte de l’intérêt de l’enfant. A cet
égard, elle rappelle que le système italien est très différent du système
français que la Cour a examiné dans l’affaire Odièvre c. France ([GC], no 42326/98,
CEDH 2003‑III) puisqu’il ne permet pas d’obtenir des renseignements
relatifs à l’identité de la mère et mêmes des informations non identifiantes
sur la mère et sur la famille biologique. Le système ne prévoit pas l’accès au
dossier, même sous réserve de l’accord de la mère. Dans ces conditions
l’intérêt de l’enfant à la connaissance de ses origines est entièrement
sacrifié, sans aucun équilibre entre les intérêts concurrents et sans
pondération d’intérêts possible. La loi italienne accepte, comme un obstacle
absolu à toute recherche d’information entreprise par la requérante la décision
de la mère, quelle que soit la raison ou la légitimité de cette décision. En
toute circonstance et de manière irréversible, le refus de la mère s’impose à
l’enfant qui ne dispose d’aucun moyen juridique de combattre la volonté
unilatérale de celle-ci. La mère dispose ainsi d’un droit purement
discrétionnaire de mettre au monde un enfant en souffrance et de le condamner,
pour toute sa vie, à l’ignorance. Une préférence aveugle est donnée aux seuls intérêts
de la mère. De plus, la mère peut aussi, de la même manière, paralyser les
droits des tiers, notamment ceux du père biologique ou des frères et sœurs, qui
peuvent eux aussi être privés des droits garantis par l’article 8 de la
Convention
53. La
requérante reproche à l’Italie de ne pas assurer le respect de sa vie privée
par son système juridique qui, de manière absolue, fait obstacle à l’action en
recherche de maternité lorsque la mère biologique a demandé le secret et qui,
surtout, ne permet pas la communication de données non identifiantes sur
celle-ci, ni par l’intermédiaire des services d’aide sociale à l’enfance ni par
celui d’un autre organisme qui lui donnerait accès à ces renseignements.
54. En
outre, la requérante soutient que même si elle a demandé l’accès aux origines à
l’âge adulte, l’intérêt vital des individus à obtenir les informations
nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de leur
identité personnelle, partie intégrante du droit a la vie privée aux termes de
l’article 8 de la Convention, est un droit subjectif et ultra-personnel et donc
imprescriptible.
b) Le Gouvernement
55. Le
Gouvernement rappelle que la possibilité pour une femme de demander le secret
de son accouchement et de son identité résulte de l’article 250 du code civil
et de l’article 28, alinéa 7, de la loi no 184/1983 qui garantit le
secret des origines, sauf si l’autorité judiciaire donne une autorisation
expresse. Il s’agit bien, selon le Gouvernement, d’une ingérence prévue par la
loi qui a également une finalité de protection de l’intérêt général.
56. Le
Gouvernement ne nie pas que la notion de vie privée, visée également par
l’article 8 de la Convention, puisse englober parfois les éléments
d’identification physique et sociale de l’individu. Toutefois, il rappelle que
l’Etat n’a pas refusé de fournir des renseignements à la requérante mais a tenu
compte de la volonté de sa mère qui a refusé, dès le départ, de voir
communiquer son identité.
57. Sur
la proportionnalité de l’ingérence, le Gouvernement relève que la demande
éventuelle de l’enfant d’avoir accès à son identité peut entrer en conflit avec
la liberté de toute femme de refuser son statut de mère et de ne pas assumer
son enfant. Le droit italien considère la maternité comme un des aspects de la
vie privée, qui est à ce titre protégée par la loi. Cette protection a été
confirmée par la Cour constitutionnelle qui a déclaré mal fondée la demande de
contrôle de constitutionalité de l’article 28, alinéa 7 de la loi no
184 de 1983. La Cour constitutionnelle a affirmé que la loi no 149
du 28 mars 2001, qui a modifié la loi no 184/1983, a introduit dans
le nouvel article 28, alinéa 1, l’obligation pour les parents adoptifs
d’informer le mineur adopté de sa condition. Si les parents adoptifs n’ont pas
permis à la requérante de connaître ses origines, il est important de relever
que la requérante a décidé de demander des informations sur ses origines
seulement en 2006.
58. Selon
le Gouvernement, la Cour devrait prendre en compte le fait que la requérante,
qui a aujourd’hui presque soixante-dix ans, a été adoptée dès l’âge de six ans
et que la levée non consensuelle du secret de sa naissance pourrait se révéler
très difficile à ce stade, eu égard aux possibles risques non négligeables pour
sa santé et pour sa famille actuelle.
59. Le Gouvernement
estime que lorsque deux intérêts privés se trouvent en conflit, l’Etat dispose
d’une certaine marge d’appréciation qui est d’ailleurs renforcée, en l’espèce,
dans la mesure où il n’existe sur la question de l’accès de l’enfant à la
connaissance de ses origines aucun consensus au plan européen.
2. Appréciation de la Cour
60. La
Cour rappelle que si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir
l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente
pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences :
à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations
positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée. Elles peuvent
impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans
les relations des individus entre eux (X
et Y c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, § 23, série A no 91).
La frontière entre les obligations positives et négatives de l’Etat au titre de
l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ;
les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans
les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les
intérêts concurrents ; de même, dans les deux hypothèses, l’Etat jouit d’une
certaine marge d’appréciation (Mikulić
précité, § 58).
61. Comme
c’était le cas dans l’affaire Odièvre
(précitée), la requérante reproche à l’Etat défendeur de ne pas assurer le
respect de sa vie privée par son système juridique lequel fait obstacle, de
manière absolue, à l’action en recherche de maternité lorsque la mère
biologique a demandé le secret et qui, surtout, ne permet pas la communication
de données non identifiantes sur celle-ci, ni par l’intermédiaire des services
d’aide sociale à l’enfance ni par celui d’un autre organisme qui lui donnerait
accès à ces renseignements.
62. La
Cour rappelle avoir déjà souligné (Odièvre,
précitée § 43) que la question de l’accès à ses origines et de la connaissance
de l’identité de ses parents biologiques n’est pas de même nature que celle de
l’accès au dossier personnel établi sur un enfant pris en charge ou celle de la
recherche des preuves d’une paternité alléguée. La Cour se trouve, en effet,
dans le cas d’espèce en présence d’une personne dotée d’une filiation adoptive
qui recherche une autre personne, sa mère biologique, qui l’a abandonnée dès sa
naissance et qui a expressément demandé le secret de celle-ci.
63. La
Cour note que l’expression « toute personne » de l’article 8 de la
Convention s’applique à l’enfant comme à la mère. D’un côté, il y a le droit de
l’enfant à la connaissance de ses origines qui trouve son fondement dans la
notion de vie privée (voir § 45 ci-dessus). L’intérêt vital de l’enfant dans
son épanouissement est également largement reconnu dans l’économie générale de
la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Johansen c. Norvège, 7 août 1996, § 78, Recueil 1996-III, Mikulić
précité, § 64, ou Kutzner c.
Allemagne, no 46544/99, § 66, CEDH 2002-I). De l’autre, on ne
saurait dénier l’intérêt d’une femme à conserver l’anonymat pour sauvegarder sa
santé en accouchant dans des conditions médicales appropriées.
64. L’intérêt
général n’est pas non plus absent dans la mesure où la loi italienne s’inscrit
dans le souci de protéger la santé de la mère et de l’enfant lors de la
grossesse et de l’accouchement et d’éviter des avortements clandestins, ou des
abandons « sauvages ».
65. La
Cour rappelle que le choix des mesures propres à garantir l’observation de
l’article 8 de la Convention dans les rapports
interindividuels relève en principe de la marge d’appréciation des Etats
contractants. Il existe à cet égard différentes manières d’assurer le respect
de la vie privée et la nature de l’obligation de l’Etat dépend de l’aspect de
la vie privée qui se trouve en cause (Odièvre, précitée, § 46). Or,
l’ampleur de cette marge d’appréciation de l’Etat dépend non seulement du ou
des droits concernés mais également, pour chaque droit, de la nature même de ce
qui est en cause. La Cour considère que le droit à l’identité, dont relève le
droit de connaître son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie
privée. Dans pareil cas, un examen d’autant plus approfondi s’impose pour peser
les intérêts concurrents.
66. La Cour doit rechercher si, en l’espèce, un juste équilibre
a été ménagé dans la pondération des droits
et des intérêts concurrents, à savoir, d’un côté, celui de la requérante à connaître ses
origines et, de l’autre, celui
de la mère à garder l’anonymat.
67. La Cour a affirmé que les Etats
doivent pouvoir choisir les moyens qu’ils estiment les plus adaptés pour
assurer équitablement la conciliation entre la protection de la mère et la
demande légitime de l’intéressée à avoir accès à ses origines dans le respect
de l’intérêt général.
68. En l’espèce, la Cour observe que, contrairement à la situation dans l’affaire Odièvre (précitée § 48), la requérante n’a eu
accès à aucune information sur sa mère et sa famille biologique lui permettant
d’établir quelques racines de son histoire dans le respect de la préservation
des intérêts des tiers. Sans une pesée des droits et des intérêts en présence et sans aucune possibilité de
recours, la requérante s’est vue opposer un refus absolu et définitif d’accéder
à ses origines personnelles.
69. S’il est vrai que
la requérante, qui est âgée aujourd’hui de soixante‑neuf ans, a pu
construire sa personnalité même en l’absence d’informations quant à l’identité
de sa mère biologique, il faut admettre que l’intérêt que peut avoir un
individu à connaître son ascendance ne cesse nullement avec l’âge, bien au contraire.
La requérante a d’ailleurs démontré un intérêt authentique à connaître
l’identité de sa mère, puisqu’elle a tenté d’acquérir une certitude à cet
égard. Un tel comportement suppose des souffrances morales et psychiques, même
si elles ne sont pas médicalement constatées (Jäggi c. Suisse, no
58757/00, § 40, CEDH 2006‑X).
70. La Cour note qu’à la différence du système français
examiné dans l’arrêt Odièvre, la législation italienne ne tente de
ménager aucun équilibre entre les
droits et les intérêts concurrents en cause. En l’absence de tout
mécanisme destiné à mettre en balance le droit de la requérante à connaître ses
origines avec les droits et les intérêts de la mère à maintenir son anonymat,
une préférence aveugle est inévitablement donnée à cette dernière. Par ailleurs, dans l’arrêt Odièvre, la Cour
observe que la nouvelle loi du 22 janvier 2002 renforce la possibilité de lever
le secret de l’identité et facilite la recherche des origines biologiques grâce
à la mise en place d’un Conseil national pour l’accès aux origines
personnelles. D’application immédiate, elle permet désormais aux personnes
intéressées de solliciter la réversibilité du secret de l’identité de la mère,
sous réserve de l’accord de celle-ci (§ 49), ainsi que d’avoir accès à des
informations non identifiantes. En Italie, le projet de loi de réforme de la
loi no 184/1983 est toujours en examen au Parlement depuis 2008 (§
27 ci-dessus).
71. Dans
le cas d’espèce, la Cour note que, si la mère biologique a décidé de garder
l’anonymat, la législation italienne ne donne aucune possibilité à l’enfant
adopté et non reconnu à la naissance de demander soit l’accès à des
informations non identifiantes sur ses origines, soit la réversibilité du
secret. Dans ces conditions, la Cour estime que l’Italie n’a pas cherché à
établir un équilibre et une proportionnalité entre les intérêts des parties
concernées et a donc excédé la marge d’appréciation qui doit lui être reconnue.
72. Partant,
il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
III.
SUR L’APPLICATION DE
L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
73. Aux
termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la
Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la
partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
74. La
requérante réclame 250 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle
aurait subi.
75. Le
Gouvernement s’y oppose et estime qu’aucune indemnité ne doit être reconnue à
la requérante.
76. La
Cour considère que l’intéressée a pu ressentir une certaine détresse affective
et de l’angoisse en raison de l’impossibilité d’accéder à des informations
concernant ses origines et estime qu’il y a lieu d’octroyer 5 000 EUR pour
le préjudice moral.
B. Frais et dépens
77. Justificatifs
à l’appui, la requérante demande également 18 821 EUR pour les frais et
dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.
78. Le
Gouvernement conteste ces prétentions.
79. Selon
la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de
ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité,
leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et
compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour
estime raisonnable la somme de 10 000 EUR tous frais confondus et
l’accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
80. La
Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux
d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne
majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l’unanimité, la requête
recevable ;
2. Dit, par six voix contre une, qu’il y a
eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit, par six voix
contre une,
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les
trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à
l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes:
i) 5 000 EUR (cinq mille euros),
plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour
dommage moral ;
ii) 10 000 EUR (dix mille
euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante,
pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au
versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à
celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne
applicable pendant cette période, augmenté de trois points de
pourcentage ;
4. Rejette, à
l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 septembre 2012, en
application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Françoise
Tulkens
Greffière adjointe Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la
Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du
juge A. Sajó.
F.T.
F.E.P.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ
(Traduction)
Je dois, à regret, marquer mon dissentiment avec l’avis de la majorité
selon lequel il y a eu en l’espèce violation de l’article 8.
Dans une situation où les droits consacrés par la Convention de deux
titulaires de droits sont en conflit, le rôle de la Cour est de veiller à ce
qu’un juste équilibre soit ménagé dans l’affaire. Cela suppose que l’on laisse
aux autorités nationales une marge d’appréciation adéquate aux fins de la mise
en balance, la Cour ayant un rôle de surveillance. « Si la mise en balance
par les autorités nationales s’est faite dans le respect des critères établis
par la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que
celle-ci substitue son avis à celui des juridictions internes » (Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos
40660/08 et 60641/08, § 107, CEDH 2012).
Cette affaire concerne la mise en balance entre le droit de la mère, fondé
sur l’article 8, de ne pas révéler d’informations sur un aspect des plus
intimes de sa vie, et le droit de son enfant – la requérante – de
connaître ses origines. Si c’était là la seule question soulevée par l’affaire,
je n’aurais aucun mal à adopter les arguments de la majorité. De plus, seules
les raisons les plus impérieuses sont acceptables lorsqu’un droit est nié en
toutes circonstances par une interdiction générale. Cependant, la législation,
avec son interdiction absolue de divulguer des informations concernant la mère
(au cas où celle-ci a refusé pareille divulgation en application de cette
législation), sert raisonnablement les droits reconnus par la Convention,
au-delà du champ d’application de l’article 8. La protection de l’anonymat est
une mesure qui concourt au droit à la vie de l’enfant : en l’espèce, la
possibilité de l’accouchement sous X, associée aux garanties absolues de
l’anonymat, a sans doute contribué à permettre la naissance de la requérante,
et qui plus est sa naissance dans des circonstances où les risques pour sa
santé ou celle de sa mère étaient écartés. L’anonymat est lié à l’obligation de
l’Etat de protéger le droit à la vie, lequel est l’émanation directe de la plus
haute des valeurs défendues par la Convention. En dépit de l’idée généralement
applicable selon laquelle tous les droits consacrés par la Convention sont
égaux dans l’abstrait, le droit à la vie est reconnu comme étant un droit
suprême. Certes, le droit à la vie n’est protégé que de manière indirecte par
l’anonymat. Cependant, cette suprématie est à mon sens déterminante dans la
mise en balance, qui ne peut se limiter au conflit entre deux personnes
titulaires de droits au regard de l’article 8. J’ajouterai que la requérante –
contrairement à la position prise dans l’affaire Jäggi c. Suisse (no 58757/00, § 44, CEDH 2006‑X) et
au paragraphe 67 du présent arrêt – n’a pas fait montre d’une préoccupation particulière
et durable quant à ses origines, puisqu’elle a attendu vingt-trois ans avant de
saisir la justice. S’il m’appartenait de procéder à la mise en balance, c’est
là un aspect que je prendrais en considération. Cependant, telle n’est pas ici
ma mission. La mise en balance a été effectuée par la Cour
constitutionnelle italienne dans une affaire semblable (arrêt no
425/2005).
« Dans une affaire issue d’une requête individuelle, la Cour n’a pas
pour tâche de contrôler dans l’abstrait une législation ou une pratique
contestées, mais elle doit autant que possible se limiter, sans oublier le
contexte général, à traiter les questions soulevées par le cas concret dont
elle se trouve saisie (...). Elle n’a donc pas à substituer sa propre
appréciation à celle des autorités nationales compétentes s’agissant de
déterminer le meilleur moyen de réglementer les questions » (S. H. et autres c.
Autriche [GC], no 57813/00, § 92, CEDH
2011) que pose l’accouchement sous X. Il n’appartient pas à la Cour de
contrôler la nécessité de l’interdiction absolue, jugée constitutionnelle
par le législateur italien, dès lors que cette mesure n’est pas arbitraire et
que la mise en balance tient raisonnablement compte de l’ensemble des droits en
jeu. Il est vrai que nous ne disposons d’aucune étude connue montrant que la garantie de l’anonymat
a bien fait diminuer le nombre d’avortements, et que nous n’avons pas non plus
d’informations sur le sentiment de soulagement que la garantie de l’anonymat
apporterait aux mères. Cependant, la mesure en question n’est certainement pas
arbitraire, et nombre de femmes comptent véritablement sur les garanties du
système. Si la présente affaire avait porté sur les marqueurs génétiques de la
requérante, que celle-ci aurait eu besoin de connaître pour des raisons de
santé, mes conclusions auraient peut-être été différentes ; mais l’espèce
porte sur l’intérêt d’une dame d’un âge respectable qui n’a pas eu besoin, pour
construire sa personnalité, de connaître certains éléments spécifiques. La Cour
constitutionnelle italienne a pris en compte l’ensemble des aspects pertinents
de la situation, et il n’y a dans cette affaire aucun élément particulier qui
commanderait que l’on s’écarte des conclusions de cette juridiction.