Corte europea dei diritti dell’uomo
(Seconda Sezione)
24 luglio 2012
AFFAIRE CROCI ET AUTRES c. ITALIE
(Requête n.
14828/02)
STRASBOURG
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions
définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme.
En l’affaire
Croci et autres c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant une chambre
composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après
en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juillet 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire
se trouve une requête (no 14828/02) dirigée contre la République
italienne et dont cinq ressortissants de cet État, Mmes Maria
Andreina et Giovanna Croci, MM. Mauro, Roberto et Giorgio Croci
(« les requérants »), ont saisi la Cour le 11 mars 2002 en vertu de l’article
34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés
fondamentales (« la Convention »).
2. Par
un arrêt du 21 septembre 2006 (« l’arrêt au principal »), la Cour a
jugé que l’ingérence litigieuse n’était pas
compatible avec le principe de légalité et qu’elle avait donc enfreint le droit
au respect des biens des requérants (Croci et autres c. Italie, no 14828/02, 21 septembre 2006).
3. En
s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, les requérants réclamaient une
satisfaction équitable égale à ¼ (la mesure de leur
propriété) de la valeur marchande du terrain dont ils avaient été privés. Ils demandaient un dédommagement à titre de préjudice
moral, ainsi qu’une somme à titre de remboursement des frais encourus devant
les juridictions internes puis la Cour.
4. La question de l’application
de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a
réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par
écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment
à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, point 3 du dispositif).
5 Le délai fixé pour permettre aux parties de
parvenir à un accord amiable était venu à échéance sans que les parties n’aboutissent
à un tel accord.
6. Le 9 mars 2007, le président de la chambre a décidé de
demander aux parties de nommer chacune un expert chargé d’évaluer le préjudice
matériel et de déposer un rapport d’expertise avant le 12 juin 2007.
7. Lesdits rapports d’expertise ont été déposés dans le délai imparti.
8. A la suite
de la modification de la composition des sections de la Cour, la présente
requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée.
EN DROIT
9. Aux termes de l’article
41 de la Convention,
« Si la
Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement
les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
matériel
10. Les requérants sollicitent
le versement de la somme de 745 630 EUR, égale à ¼ (la mesure de leur
propriété) de la valeur marchande du terrain dont ils ont été privés, réévaluée
et assortie d’intérêts.
11. Le Gouvernement
reconnaît que l’effacement des conséquences de la violation doit consister en
un dédommagement intégral, égal à la valeur du terrain exproprié, mais conteste
les prétentions des requérants.
12. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat
défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les
conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation
antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC],
no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
13. Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c.
Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre
2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les
critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En
particulier, la Grande Chambre a décidé d’écarter les prétentions des
requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la
date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage
matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’Etat sur les
terrains.
14. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l’indemnisation
doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la
perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la
juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que
l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce
montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il
convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en
partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des
terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l’intérêt légal simple appliqué
au capital progressivement réévalué.
15. En
l’espèce, les requérants ont perdu la propriété du terrain à une date non précisée avant le 31 décembre 1972.
Il ressort de la deuxième expertise ordonnée par les juridictions
internes que le terrain avait une extension de 4 192 mètres carrés et que
sa valeur en 1969 était de 10 000 ITL le mètre carré (§ 12 de l’arrêt au principal). Par ailleurs, la Cour doit prendre en compte le fait qu’en
plus des requérants, des tierces personnes peuvent également revendiquer des
droits par rapport au terrain objet de la cause (§ 9 de l’arrêt au principal).
En l’absence d’indications contraires, la Cour estime que les requérants ne
sont fondés à recevoir une satisfaction équitable qu’à concurrence de 25 % par
rapport à la valeur du terrain.
16. Compte tenu de ces éléments et statuant en équité, la Cour
estime raisonnable d’accorder conjointement aux requérants 128 000 EUR
pour le préjudice matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt
sur cette somme.
17. Reste
à évaluer la perte de chances subie à la suite de l’expropriation litigieuse (Guiso-Gallisay
c. Italie (satisfaction équitable) [GC] précité, § 107). La Cour juge
qu’il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l’indisponibilité
du terrain pendant la période allant du début de l’occupation légitime jusqu’au
moment de la perte de propriété. Statuant en équité, la Cour alloue conjointement aux
requérants 7 000 EUR.
B. Dommage
moral
18. A
titre du préjudice moral, les requérants demandent la somme de 75 000 EUR chacun.
19. Le Gouvernement
s’y oppose et estime qu’aucune somme n’est due au titre du préjudice moral,
puisque ce type de préjudice ne saurait découler de la violation de l’article 1
du Protocole no 1 mais uniquement de la violation du « délai
raisonnable ».
20. La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à
la dépossession illégale de leurs biens a causé aux requérants un préjudice
moral important, qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.
21. Statuant
en équité, la Cour accorde conjointement aux requérants 10 000 EUR au
titre du préjudice moral.
C. Frais
et dépens
22. Les requérants
demandent 114 344 EUR pour les frais de procédure devant les juridictions
internes puis la Cour.
23. Le Gouvernement s’oppose
à ces prétentions.
24. Selon
la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de
ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité,
leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce la Cour relève que les requérants n’ont
pas fourni de documents à l’appui de leur demande et la rejette.
D. Intérêts moratoires
25. La
Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt
de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de
trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ
1. Dit :
a) que l’Etat défendeur doit verser
aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt
sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la
Convention, les sommes suivantes:
i. 135 000 EUR
(cent trente cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt,
pour dommage matériel ;
ii. 10 000 EUR
(dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour
dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement,
ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la
facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant
cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction
équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 juillet 2012, en
application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Françoise
Tulkens
Greffier Présidente