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Corte europea dei diritti dell’uomo (Sezione II), 24 febbraio 2009

(requĂȘte n. 246/07)

 

 

AFFAIRE BEN KHEMAIS c. ITALIE

 

Cette version a Ă©tĂ© rectifiĂ©e conformĂ©ment Ă  l’article 81 du rĂšglement de la Cour le 16 septembre 2009

 

DÉFINITIF

06/07/2009

Cet arrĂȘt peut subir des retouches de forme.

 

En l'affaire Ben Khemais c. Italie

La Cour européenne des droits de l'homme (deuxiÚme section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente

Ireneu Cabral Barreto,

Vladimiro Zagrebelsky,

Danute Jociene,

Dragoljub Popovic,

AndrĂĄs SajĂł,

Isil Karakas, juges,

et de Sally DollĂ©, greffiĂšre de section, 

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 février 2009,

Rend l'arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requĂȘte (no 246/07) dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et dont un ressortissant tunisien, M. Essid Sami Ben Khemais (« le requĂ©rant Â»), a saisi la Cour le 3 janvier 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Le requĂ©rant est reprĂ©sentĂ© par Mes S. Clementi et B. Manara, avocats Ă  Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement Â») est reprĂ©sentĂ© par son agente, Mme E. Spatafora, et par son co-agent adjoint, M. N. Lettieri.

3.  Le requĂ©rant allĂšgue en particulier que son expulsion vers la Tunisie l'a exposĂ© Ă  un risque de mort, de torture et de dĂ©ni flagrant de justice. Il considĂšre Ă©galement que la mise Ă  exĂ©cution de la dĂ©cision de l'expulser a enfreint son droit de recours individuel.

4.  Le 20 fĂ©vrier 2007, la Cour a dĂ©clarĂ© la requĂȘte partiellement recevable et a dĂ©cidĂ© de communiquer au Gouvernement les griefs tirĂ©s des articles 2, 3 et 6 de la Convention. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que seraient examinĂ©s en mĂȘme temps la recevabilitĂ© et le fond de l'affaire. Le 1er juillet 2008, la Cour a dĂ©cidĂ© de traiter la requĂȘte par prioritĂ© (article 41 in fine du rĂšglement de la Cour) et de communiquer au Gouvernement un nouveau grief du requĂ©rant, tirĂ© de la mise Ă  exĂ©cution de la dĂ©cision de l'expulser. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que seraient examinĂ©s en mĂȘme temps la recevabilitĂ© et le fond de ce grief.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5.  Le requĂ©rant est nĂ© en 1968 et est actuellement dĂ©tenu en Tunisie.

A.  Les condamnations du requĂ©rant en Italie et en Tunisie

6.  A une date indĂ©terminĂ©e, le requĂ©rant fut accusĂ© d'appartenance Ă  une association de malfaiteurs ayant pour objet le recel, la falsification de documents et l'assistance Ă  l'immigration clandestine.

7.  Par un jugement du 22 fĂ©vrier 2002, le juge de l'audience prĂ©liminaire (« GUP Â») de Milan le condamna Ă  cinq annĂ©es d'emprisonnement et 9 810 euros (EUR) d'amende.

8.  Le requĂ©rant interjeta appel. Il demanda ensuite l'application d'une peine nĂ©gociĂ©e avec le parquet (quatre ans et six mois d'emprisonnement).

9.  Par un arrĂȘt du 11 dĂ©cembre 2002, la cour d'appel de Milan accepta d'appliquer la peine sollicitĂ©e par le requĂ©rant. Ce dernier ne se pourvut pas en cassation et sa condamnation acquit force de chose jugĂ©e le 29 dĂ©cembre 2002.

10.  Le requĂ©rant purgea entiĂšrement sa peine ; puis, Ă  une date non prĂ©cisĂ©e, de nouvelles poursuites furent ouvertes Ă  son encontre, et il fut placĂ© en dĂ©tention provisoire.

11.  A cet Ă©gard, le requĂ©rant a prĂ©cisĂ© que son placement en dĂ©tention provisoire aurait pu ĂȘtre rĂ©voquĂ© Ă  tout moment, ce qui l'eĂ»t exposĂ© au risque d'une expulsion immĂ©diate.

12.  Par un jugement du 21 mars 2006, dont le texte fut dĂ©posĂ© au greffe le 4 avril 2006, le tribunal de CĂŽme condamna le requĂ©rant Ă  deux ans et deux mois d'emprisonnement pour coups et blessures, et prĂ©cisa que l'intĂ©ressĂ© devrait ĂȘtre expulsĂ© du territoire italien aprĂšs avoir purgĂ© sa peine.

13.  Le requĂ©rant interjeta appel de ce jugement. Par un arrĂȘt du 14 dĂ©cembre 2006, dont le texte fut dĂ©posĂ© au greffe le 7 fĂ©vrier 2007, la cour d'appel de Milan rĂ©duisit la peine infligĂ©e au requĂ©rant Ă  un an et huit mois d'emprisonnement.

14.  Le requĂ©rant se pourvut en cassation. L'issue de ce recours n'est pas connue.

15.  Entre-temps, par un jugement du 30 janvier 2002, le tribunal militaire de Tunis avait condamnĂ© le requĂ©rant par contumace Ă  dix annĂ©es d'emprisonnement pour appartenance, en temps de paix, Ă  une organisation terroriste. Cette condamnation reposerait exclusivement sur les dĂ©clarations d'un coĂŻnculpĂ©.

16.  Le requĂ©rant n'aurait appris sa condamnation en Tunisie que lorsque l'un de ses coaccusĂ©s (M. Khammoun Mehdi) y fut expulsĂ©. A cette occasion, les membres de la famille de M. Mehdi auraient informĂ© le requĂ©rant que son coaccusĂ© avait Ă©tĂ© torturĂ© et incarcĂ©rĂ© au pĂ©nitencier de Tunis et qu'il n'avait pas eu la possibilitĂ© de contacter un avocat.

17.  Le requĂ©rant prĂ©cise que les autoritĂ©s tunisiennes refusent de renouveler son passeport.

B. L'expulsion du requérant vers la Tunisie

18.  Le 29 mars 2007, la prĂ©sidente de la deuxiĂšme section de la Cour a dĂ©cidĂ©, Ă  la demande du requĂ©rant, d'indiquer au gouvernement italien, en vertu de l'article 39 du rĂšglement de la Cour, que dans l'intĂ©rĂȘt des parties et du bon dĂ©roulement de la procĂ©dure, il Ă©tait souhaitable de ne pas expulser le requĂ©rant vers la Tunisie jusqu'Ă  nouvel ordre. Elle a appelĂ© l'attention du Gouvernement sur le fait que l'inobservation par un Etat contractant d'une mesure indiquĂ©e en vertu de l'article 39 du rĂšglement peut emporter violation de l'article 34 de la Convention (voir Mamatkulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, §§ 128-129 et point 5 du dispositif, CEDH 2005-I).

19.  Le 28 fĂ©vrier 2008, dans l'affaire Saadi c. Italie (no 37201/06), la Grande Chambre a conclu que la mise Ă  exĂ©cution de la dĂ©cision d'expulser M. Saadi vers la Tunisie constituerait une violation de l'article 3 de la Convention. Par un courrier du 6 mars 2008, la greffiĂšre de la deuxiĂšme section a appelĂ© l'attention du Gouvernement sur le contenu de cet arrĂȘt et notĂ© que certaines affaires pendantes devant la Cour, parmi lesquelles celle du requĂ©rant, prĂ©sentaient d'Ă©troites similitudes avec l'affaire Saadi. Elle a dĂšs lors invitĂ© le Gouvernement Ă  indiquer, avant le 24 avril 2008, s'il envisageait la possibilitĂ© de conclure des rĂšglements amiables et s'il souhaitait, le cas Ă©chĂ©ant, faire des propositions Ă  cet Ă©gard. Le Gouvernement a demandĂ© une prorogation de ce dĂ©lai, qui a Ă©tĂ© accordĂ©e jusqu'au 19 septembre 2008.

20.  Le 2 juin 2008, le reprĂ©sentant du requĂ©rant a informĂ© le greffe de la Cour que son client avait Ă©tĂ© conduit Ă  l'aĂ©roport de Milan en vue de l'exĂ©cution de son expulsion vers la Tunisie.

21.  Le mĂȘme jour, la greffiĂšre adjointe de la deuxiĂšme section a envoyĂ© Ă  la reprĂ©sentation permanente de l'Italie Ă  Strasbourg ainsi qu'aux ministĂšres des Affaires intĂ©rieures (Bureau UCARLI et Direction centrale de l'immigration et de la police frontaliĂšre) et de la Justice (Bureau de l'extradition et des commissions rogatoires), par tĂ©lĂ©copie et par courrier, le message suivant :

« Me rĂ©fĂ©rant Ă  la conversation tĂ©lĂ©phonique de M. Tamietti [membre du greffe] avec M. Lettieri [co-agent adjoint du Gouvernement] concernant la requĂȘte citĂ©e en marge, je vous confirme que le greffe de la Cour a Ă©tĂ© informĂ© en fin de matinĂ©e que le requĂ©rant a aujourd'hui Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© Ă  l'aĂ©roport de Milan en vue de son expulsion vers la Tunisie. En particulier, par un appel tĂ©lĂ©phonique reçu vers 11h55, le reprĂ©sentant du requĂ©rant, Me Clementi, a dĂ©clarĂ© que les autoritĂ©s italiennes s'apprĂȘtaient Ă  donner exĂ©cution Ă  l'expulsion de son client sur la base d'un arrĂȘtĂ© d'expulsion Ă©mis rĂ©cemment. MClementi a ensuite confirmĂ© cette circonstance par e-mail.   Le greffe de la Cour a aussitĂŽt essayĂ© de prendre contact avec la reprĂ©sentation italienne Ă  Strasbourg, sans toutefois y parvenir en raison de la fermeture des bureaux  Ă  l'occasion de la fĂȘte de la RĂ©publique. M. Lettieri a donc Ă©tĂ© contactĂ© directement.

Par une lettre du 29 mars 2007 (ci-annexĂ©e), votre Gouvernement avait Ă©tĂ© informĂ© que la prĂ©sidente de la deuxiĂšme section de la Cour avait dĂ©cidĂ© de lui indiquer, en application de l'article 39 du rĂšglement de la Cour, qu'il Ă©tait souhaitable, dans l'intĂ©rĂȘt des parties et du bon dĂ©roulement de la procĂ©dure devant la Cour, de ne pas expulser le requĂ©rant vers Tunisie jusqu'Ă  nouvel ordre. Cette mesure provisoire n'a jamais Ă©tĂ© levĂ©e. La prĂ©sidente, informĂ©e des nouvelles circonstances, a confirmĂ© que cette indication Ă©tait toujours en vigueur nonobstant le fait que cette expulsion se fonderait sur un nouvel arrĂȘtĂ©.

J'attire votre attention sur le jugement Saadi c. Italie du 28 fĂ©vrier 2008 dans lequel la Grande Chambre a considĂ©rĂ©, dans une affaire similaire que, dans l'Ă©ventualitĂ© de la mise Ă  exĂ©cution de la dĂ©cision d'expulser le requĂ©rant vers la Tunisie, il y aurait violation de l'article 3 de la Convention. Â»

22.  Le 4 juin 2008, le juge dĂ©signĂ© comme rapporteur, se fondant sur l'article 49 § 3 a) du rĂšglement de la Cour, a invitĂ© le Gouvernement Ă  indiquer, dans un dĂ©lai Ă©chĂ©ant le 11 juin 2008, si le requĂ©rant avait Ă©tĂ© expulsĂ© vers la Tunisie.

23.  Par une tĂ©lĂ©copie en date du 11 juin 2008, le Gouvernement a informĂ© la Cour qu'un arrĂȘtĂ© d'expulsion avait Ă©tĂ© pris le 31 mai 2008 Ă  l'encontre du requĂ©rant en raison du rĂŽle que celui-ci avait jouĂ© dans le cadre des activitĂ©s menĂ©es par des extrĂ©mistes islamistes nourrissant des projets terroristes, et que le tribunal de Milan avait donnĂ© son accord (nulla osta) Ă  l'expulsion en observant que l'intĂ©ressĂ© reprĂ©sentait une menace pour la sĂ©curitĂ© de l'Etat car il Ă©tait en mesure de renouer des contacts visant Ă  la reprise d'activitĂ©s terroristes, y compris au niveau international.

24.  Dans cette tĂ©lĂ©copie, le Gouvernement prĂ©cisait Ă©galement que l'arrĂȘtĂ© du 31 mai avait Ă©tĂ© notifiĂ© au requĂ©rant et validĂ© par le juge de paix le 2 juin, et que l'intĂ©ressĂ© avait Ă©tĂ© expulsĂ© vers la Tunisie le 3 juin ; et il soulignait « qu'en tout Ă©tat de cause, il ne s'[Ă©tait] pas dĂ©sintĂ©ressĂ© du requĂ©rant et de la nĂ©cessitĂ© que sa santĂ© et son bien-ĂȘtre soient assurĂ©s de maniĂšre adĂ©quate dans le pays de destination aussi Â».

25.  Dans une tĂ©lĂ©copie du 13 juin 2008, le reprĂ©sentant du requĂ©rant a estimĂ© que le gouvernement italien avait montrĂ© sa volontĂ© de ne pas respecter la mesure provisoire indiquĂ©e par la prĂ©sidente de la deuxiĂšme section de la Cour, et que cette conduite constituait une entrave au bon dĂ©roulement de la procĂ©dure devant la Cour et violait les articles 2 et 3 de la Convention.

C.  Les assurances diplomatiques obtenues par les autoritĂ©s italiennes

26.  Le 6 aoĂ»t 2008, l'Ambassade d'Italie Ă  Tunis adressa au ministĂšre tunisien des Affaires Ă©trangĂšres la note verbale (no 2911) suivante :

« L'Ambassade d'Italie prĂ©sente ses compliments au ministĂšre des Affaires EtrangĂšres et se rĂ©fĂšre Ă  ses propres notes verbales no 2738 du 21 juillet et no 2118 du 5 juin dernier et Ă  la visite en Tunisie de la dĂ©lĂ©gation technique des reprĂ©sentants des ministĂšres italiens de l'IntĂ©rieur et de la Justice, tenue le 24 juillet dernier, concernant un examen des procĂ©dures Ă  suivre au sujet des recours pendants auprĂšs de la Cour europĂ©enne des droits de l'homme, se rapportant Ă  des citoyens tunisiens faisant l'objet de dĂ©crets d'expulsion.

Les autoritĂ©s italiennes ont beaucoup apprĂ©ciĂ© le grand esprit de coopĂ©ration qui a animĂ© ladite rĂ©union et la documentation dĂ©jĂ  fournie Ă  cette occasion. ConformĂ©ment Ă  ce qui avait Ă©tĂ© convenu, elles ont l'honneur de soumettre par voie diplomatique leur requĂȘte d'Ă©lĂ©ments additionnels spĂ©cifiques qui sont indispensables dans la procĂ©dure auprĂšs de la Cour de Strasbourg concernant le citoyen tunisien Essid Sami Ben Khemais.

A cet effet, l'Ambassade d'Italie a l'honneur de demander au ministĂšre des Affaires EtrangĂšres de bien vouloir saisir les autoritĂ©s tunisiennes compĂ©tentes pour qu'elles puissent fournir par la voie diplomatique les assurances spĂ©cifiques suivantes, relatives Ă  M. Essid Sami Ben Khemais :

- que le susnommĂ©, dĂ©tenu dans les prisons tunisiennes, n'est pas soumis Ă  des tortures ni Ă  des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants ;

- qu'il puisse ĂȘtre jugĂ© par un tribunal indĂ©pendant et impartial, selon des procĂ©dures qui, dans l'ensemble, soient conformes aux principes d'un procĂšs Ă©quitable et public ;

- qu'il puisse, durant sa détention, recevoir les visites de la part de ses avocats et de l'avocat italien qui le représente dans le jugement devant la Cour de Strasbourg, des membres de sa famille, d'un médecin aussi bien que de l'Ambassadeur d'Italie à Tunis ou [de l']un de ses collaborateurs délégués.

Compte tenu que l'échéance pour la présentation des observations du gouvernement italien à Strasbourg pour le cas de M. Ben Khemais est le 1er septembre prochain, l'Ambassade d'Italie saurait gré au ministÚre des Affaires EtrangÚres de bien vouloir lui faire parvenir dans les plus brefs délais les éléments requis et fondamentaux pour la stratégie de défense du gouvernement italien et suggÚre que Mme Costantini, Premier secrétaire de [l']ambassade, puisse se rendre au ministÚre de la Justice et des droits de l'homme pour donner tout éclaircissement estimé utile.

L'Ambassade d'Italie saurait aussi grĂ© au ministĂšre des Affaires EtrangĂšres de saisir les instances tunisiennes compĂ©tentes sur l'Ă©ventualitĂ© que le gouvernement tunisien intervienne devant la Cour de Strasbourg, en tant que tiers Ă  la requĂȘte de la partie italienne, et ce conformĂ©ment aux articles 36 [de la Convention], 44 du rĂšglement de la Cour, [et] A1 paragraphe 2 de l'annexe au rĂšglement. Le gouvernement italien attache une grande importance Ă  cette participation tunisienne.

L'Ambassade d'Italie remercie d'avance le ministĂšre des Affaires EtrangĂšres et saisit l'occasion pour lui renouveler les assurances de sa haute considĂ©ration. Â»

27.  Le 26 aoĂ»t 2008, les autoritĂ©s tunisiennes firent parvenir leur rĂ©ponse, signĂ©e par l'avocat gĂ©nĂ©ral Ă  la direction gĂ©nĂ©rale des services judiciaires. En ses parties pertinentes, cette rĂ©ponse se lit comme suit :

« (...). Il convient, au prĂ©alable, de rappeler que l'intĂ©ressĂ© a Ă©tĂ© condamnĂ© par contumace, entre autres, pour sa participation, dans le cadre de son appartenance, en tant que chef de cellule de la branche europĂ©enne du rĂ©seau du groupe terroriste El Qaida, au soutien logistique aux rĂ©seaux liĂ©s audit groupe notamment par le recrutement et l'entraĂźnement des personnes en vue de commettre des actes terroristes.

AprĂšs sa remise aux autoritĂ©s tunisiennes, il a exercĂ© son droit [d']opposition contre les jugements rendus Ă  son encontre, Ă©tant entendu que l'opposition a pour effet d'anĂ©antir les jugements rendus par contumace et de lui permettre d'ĂȘtre jugĂ© Ă  nouveau et de prĂ©senter les moyens de dĂ©fense qu'il jugerait utiles.

Les précisions suivantes constituent la réponse aux différents points susmentionnés.

I.  La garantie du respect de la dignitĂ© du dĂ©tenu Sami Essid :

Le détenu Sami Ben Khemais Essid n'a jamais été soumis à une quelconque forme de torture, peine ou traitement inhumain ou dégradant. Le respect de la dignité dudit détenu découle du principe du respect de la dignité de toute personne quel que soit l'état dans lequel elle se trouve, principe fondamental reconnu par le droit tunisien et garanti pour toute personne notamment les détenus, et ce en raison [de leur] statut particulier.

Il est utile Ă  cet Ă©gard de rappeler que l'article 13 de la Constitution tunisienne dispose dans son alinĂ©a 2 que « tout individu ayant perdu sa libertĂ© est traitĂ© humainement, dans le respect de sa dignitĂ©. Â»

La Tunisie a par ailleurs ratifiĂ© sans aucune rĂ©serve la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dĂ©gradants. Elle a ainsi reconnu la compĂ©tence du comitĂ© contre la torture pour recevoir et examiner les communications prĂ©sentĂ©es par ou pour le compte des particuliers relevant de sa juridiction qui prĂ©tendent ĂȘtre victimes de violation des dispositions de la Convention [ratification par la loi no 88-79 du 11 juillet 1988. Journal Officiel de la RĂ©publique tunisienne no 48 du 12-15 juillet 1988, page 1035 (annexe no 1)].

Les dispositions de ladite Convention ont Ă©tĂ© transposĂ©es en droit interne, l'article 101 bis du code pĂ©nal dĂ©finit la torture comme Ă©tant « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguĂ«s, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligĂ©es Ă  une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnĂ©e d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou lorsque la douleur ou les souffrances aiguĂ«s sont infligĂ©es pour tout autre motif fondĂ© sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit. Â»

Le lĂ©gislateur a prĂ©vu des peines sĂ©vĂšres pour ce genre d'infractions, ainsi l'article 101 bis suscitĂ© dispose qu'« est puni d'un emprisonnement de huit ans le fonctionnaire ou assimilĂ© qui soumet une personne Ă  la torture et ce, dans l'exercice ou Ă  l'occasion de l'exercice de ses fonctions. Â»

Il est Ă  signaler que la garde Ă  vue est, selon l'article 12 de la Constitution, soumise au contrĂŽle judiciaire et qu'il ne peut ĂȘtre procĂ©dĂ© Ă  la dĂ©tention prĂ©ventive que sur ordre juridictionnel. Il est interdit de soumettre quiconque Ă  une garde Ă  vue ou Ă  une dĂ©tention arbitraire. Plusieurs garanties accompagnent la procĂ©dure de la garde Ă  vue et tendent Ă  assurer le respect de l'intĂ©gritĂ© physique et morale du dĂ©tenu dont notamment :

- Le droit de la personne gardée à vue dÚs son arrestation d'informer les membres de sa famille.

- Le droit de demander au cours du dĂ©lai de la garde Ă  vue ou Ă  son expiration d'ĂȘtre soumis Ă  un examen mĂ©dical. Ce droit peut ĂȘtre exercĂ© le cas Ă©chĂ©ant par les membres de la famille.

- La durĂ©e de la dĂ©tention prĂ©ventive est rĂ©glementĂ©e, son prolongement est exceptionnel et doit ĂȘtre motivĂ© par le juge.

Il y a lieu Ă©galement de noter que [la] loi du 14 mai 2001 relative Ă  l'organisation des prisons dispose dans son article premier qu'elle a pour objectif de rĂ©gir « les conditions de dĂ©tention dans les prisons en vue d'assurer l'intĂ©gritĂ© physique et morale du dĂ©tenu, de le prĂ©parer Ă  la vie libre et d'aider Ă  sa rĂ©insertion. Â»

Ce dispositif lĂ©gislatif est renforcĂ© par la mise en place d'un systĂšme de contrĂŽle destinĂ© Ă  assurer le respect effectif de la dignitĂ© des dĂ©tenus. Il s'agit de plusieurs types de contrĂŽles effectuĂ©s par divers organes et institutions :

- Il y a d'abord un contrÎle judiciaire assuré par le juge d'exécution des peines tenu, selon les termes de l'article 342-3 du code de procédure pénale tunisien, [de] visiter l'établissement pénitentiaire relevant de son ressort pour prendre connaissance des conditions des détenus, ces visites sont dans la pratique effectuées en moyenne à raison de deux fois par semaine.

- Il y a ensuite le contrÎle effectué par le comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le président de cette institution nationale indépendante peut effectuer des visites inopinées aux établissements pénitentiaires pour s'enquérir de l'état et des conditions des détenus.

- Il y a également le contrÎle administratif interne effectué par les services de l'inspection générale du ministÚre de la Justice et des droits de l'homme et l'inspection générale relevant de la direction générale des prisons et de la rééducation. Il est à noter dans ce cadre que l'administration pénitentiaire relÚve du ministÚre de la Justice et que les inspecteurs dudit ministÚre sont des magistrats de formation ce qui constitue une garantie supplémentaire d'un contrÎle rigoureux des conditions de détention.

- Il faut enfin signaler que le comitĂ© international de la Croix-Rouge est habilitĂ© depuis 2005 Ă  effectuer des visites dans les lieux de dĂ©tention, prisons et locaux de la police habilitĂ©s Ă  accueillir des dĂ©tenus gardĂ©s Ă  vue. A l'issue de ces visites des rapports dĂ©taillĂ©s sont Ă©tablis et des rencontres sont organisĂ©es avec les services concernĂ©s pour mettre en Ɠuvre les recommandations formulĂ©es par le comitĂ© sur l'Ă©tat des dĂ©tenus.

Les autoritĂ©s tunisiennes rappellent qu'elles n'hĂ©sitent point Ă  enquĂȘter sur toutes les allĂ©gations de torture chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables laissant croire qu'un acte de mauvais traitements a Ă©tĂ© commis. On citera en illustration deux exemples : le premier concerne trois agents de l'administration pĂ©nitentiaire qui ont maltraitĂ© un dĂ©tenu, suite Ă  une enquĂȘte ouverte Ă  ce sujet les trois agents ont Ă©tĂ© dĂ©fĂ©rĂ©s devant la justice et ont Ă©tĂ© condamnĂ©s chacun Ă  quatre ans d'emprisonnement par un arrĂȘt de la cour d'appel de Tunis rendu le 25 janvier 2002. Le deuxiĂšme exemple concerne un agent de police qui a Ă©tĂ© poursuivi pour coups et blessures volontaires et qui a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  15 ans d'emprisonnement par un arrĂȘt rendu par la cour d'appel de Tunis le 2 avril 2002.

Les quelques cas de condamnation pour mauvais traitements ont été signalés dans le rapport présenté par la Tunisie devant le Conseil des droits de l'homme (annexe 2) et devant le Comité des droits de l'homme (annexe 3) dénotant ainsi de la politique volontariste de l'Etat à poursuivre et réprimer tout acte de torture ou de mauvais traitements ce qui est de nature à réfuter toute allégation de violation systématique des droits de l'homme.

En conclusion, il faut [souligner] que :

- Le détenu Sami Essid bénéficie de toutes les garanties que lui offre la législation tunisienne et qui le protÚgent de toutes formes de tortures ou de mauvais traitements.

- Qu'aprÚs consultation des registres du parquet de Tunis et ceux de la prison de la Mornaguia, lieu de sa détention, il apparaßt qu'aucune plainte n'a été déposée par l'intéressé, ses avocats ou les membres de sa famille.

II. La garantie d'un procĂšs Ă©quitable au dĂ©tenu Sami Essid :

Le détenu Sami Essid est poursuivi pour sa participation, dans le cadre de son appartenance, en tant que chef de cellule de la branche européenne du réseau du groupe El Qaida, au soutien logistique aux réseaux liés au dit groupe notamment par le recrutement et l'entraßnement des personnes en vue de commettre des actes terroristes.

Les procĂ©dures de poursuite, d'instruction et de jugement de ces infractions sont entourĂ©es de toutes les garanties nĂ©cessaires Ă  un procĂšs Ă©quitable dont notamment :

- Le respect du principe de la séparation entre les autorités de poursuite, d'instruction et de jugement.

- L'instruction en matiÚre de crimes est obligatoire. Elle obéit au principe du double degré de juridiction (juge d'instruction et chambre d'accusation).

- Les audiences de jugement sont publiques et respectent le principe du contradictoire.

- Toute personne soupçonnĂ©e de crime a obligatoirement droit Ă  l'assistance d'un ou plusieurs avocats. Il lui en est, au besoin, commis un d'office et les frais sont supportĂ©s par l'Etat. L'assistance de l'avocat se poursuit pendant toutes les Ă©tapes de la procĂ©dure : instruction prĂ©paratoire et phase de jugement.

- L'examen des crimes est de la compétence des cours criminelles qui sont formées de cinq magistrats, cette formation élargie renforce les garanties du prévenu.

- Le principe du double degré de juridiction en matiÚre criminelle est consacré par le droit tunisien. Le droit de faire appel des jugements de condamnation est donc un droit fondamental pour le prévenu.

- Aucune condamnation ne peut ĂȘtre rendue que sur la base de preuves solides ayant fait l'objet de dĂ©bats contradictoires devant la juridiction compĂ©tente. MĂȘme l'aveu du prĂ©venu n'est pas considĂ©rĂ© comme une preuve dĂ©terminante. Cette position a Ă©tĂ© confirmĂ©e par l'arrĂȘt de la Cour de cassation tunisienne no 12150 du 26 janvier 2005 par lequel la Cour a affirmĂ© que l'aveu extorquĂ© par violence est nul et non avenu et ce, en application de l'article 152 du code de procĂ©dure pĂ©nale qui dispose que : « l'aveu, comme tout Ă©lĂ©ment de preuve, est laissĂ© Ă  la libre apprĂ©ciation des juges Â». Le juge doit donc apprĂ©cier toutes les preuves qui lui sont prĂ©sentĂ©es afin de dĂ©cider de la force probante Ă  confĂ©rer aux dites preuves d'aprĂšs son intime conviction.

- [Il faut] rappeler que Sami Essid a bénéficié de toutes les garanties légales d'un procÚs équitable objet de la premiÚre affaire réexaminée sur opposition présentée par son conseil contre l'un des jugements rendus à son encontre par contumace. En effet la premiÚre audience devant la chambre criminelle du tribunal de premiÚre instance de Tunis a eu lieu le 28 juin 2008 et a été reportée, suite à la demande de sa défense, à deux reprises (2 juillet 2008 et 5 juillet 2008). Le 22 juillet 2008, la chambre criminelle a condamné l'intéressé à 8 ans d'emprisonnement lors d'une audience tenue publiquement en présence de journalistes et observateurs nationaux et étrangers.

III. La garantie du droit de recevoir des visites :

La loi du 14 mai 2001 relative à l'organisation des prisons consacre le droit de tout prévenu à recevoir la visite de l'avocat chargé de sa défense, sans la présence d'un agent de la prison ainsi que la visite des membres de sa famille. Le détenu Sami Essid jouit de ce droit conformément à la réglementation en vigueur et sans restriction aucune.

a) visite de l'avocat

A ce jour, chaque fois que MaĂźtre Samir Ben Amor, avocat de l'intĂ©ressĂ©, a demandĂ© une autorisation de visite de son client, il y a Ă©tĂ© autorisĂ© par l'autoritĂ© compĂ©tente comme le dĂ©montre le tableau suivant :

Nombre de visites

Dates des visites

1

09/06/2008

2

01/07/2008

3

17/07/2008

4

30/07/2008

Ci-joint des photocopies des autorisations de visites (annexe 4).

b) Visite des membres de la famille

A ce jour, Ă  chaque fois que les membres de la famille de Sami Essid ont demandĂ© une autorisation de visite, il leur a Ă©tĂ© rĂ©pondu favorablement par l'autoritĂ© compĂ©tente selon le tableau suivant :

Nombre de visites

Qualité et nom du visiteur

Dates de visites

1

La sƓur Lilia

07/06/2008

2

Le pÚre Khémais

Le frĂšre Mounir

La sƓur Samira

10/06/2008

3

Le pÚre Khémais

Le frĂšre Souhail

La sƓur Samira

17/06/2008

4

La sƓur Samira

La sƓur Lilia

24/06/2008

5

Le pÚre Khémais

01/07/2008

6

La sƓur Samira

La sƓur Lilia

08/07/2008

7

Le pÚre Khémais

La sƓur Samira

La sƓur Lilia

15/07/2008

8

La sƓur Samira

La sƓur Lilia

22/07/2008

9

La sƓur Samira

29/07/2008

10

La sƓur Samira

La sƓur Lilia

05/08/2008

11

Le pÚre Khémais

La sƓur Samira

La sƓur Lilia

13/08/2008

12

La sƓur Samira

La sƓur Lilia

20/08/2008

c) Visite des autorités diplomatiques et consulaires et des avocats étrangers

Les autorités tunisiennes ne peuvent donner suite à la demande de visite au citoyen tunisien Sami Essid [formulée] par son excellence l'ambassadeur de la République italienne en Tunisie ou son représentant, les autorités consulaires ne sont admises, en application de la loi relative aux prisons, qu'à rendre visite à leurs ressortissants.

De mĂȘme, la demande de visite de Sami Essid par l'avocat qui le reprĂ©sente dans la procĂ©dure en cours devant la Cour europĂ©enne des droits de l'homme, ne peut ĂȘtre autorisĂ©e en l'absence de convention ou de cadre lĂ©gal interne qui l'autoriserait.

En effet la loi relative aux prisons dĂ©termine les personnes habilitĂ©es Ă  exercer ce droit : il s'agit notamment des membres de la famille du dĂ©tenu et de son avocat tunisien.

La Convention d'entraide judiciaire conclue entre la Tunisie et l'Italie le 15 novembre 1967 ne prĂ©voit pas la possibilitĂ© pour les avocats italiens de rendre visite Ă  des dĂ©tenus tunisiens. Toutefois Sami Essid peut, s'il le souhaite, charger un avocat tunisien de son choix [de] lui rendre visite et de procĂ©der, avec son homologue italien, Ă  la coordination de leur action dans la prĂ©paration des Ă©lĂ©ments de sa dĂ©fense devant la Cour europĂ©enne des droits de l'homme.

IV. La garantie du droit de bĂ©nĂ©ficier des soins mĂ©dicaux :

La loi précitée relative à l'organisation des prisons dispose que tout détenu a droit à la gratuité des soins et des médicaments à l'intérieur des prisons et, à défaut, dans les établissement hospitaliers. En outre, l'article 336 du code de procédure pénale autorise le juge d'exécution des peines à soumettre le condamné à examen médical.

C'est dans ce cadre que le dĂ©tenu Sami Essid a Ă©tĂ© soumis Ă  l'examen mĂ©dical de premiĂšre admission dans l'unitĂ© pĂ©nitentiaire le 5 juin 2008, le rapport du mĂ©decin ne relĂšve rien de particulier Ă  son Ă©gard. Ledit dĂ©tenu a, d'autre part, bĂ©nĂ©ficiĂ© ultĂ©rieurement d'un suivi mĂ©dical dans le cadre d'examens pĂ©riodiques (ci-joint une copie du dernier rapport mĂ©dical de l'intĂ©ressĂ© – annexe no 5). En conclusion, l'intĂ©ressĂ© bĂ©nĂ©ficie d'un suivi mĂ©dical rĂ©gulier Ă  l'instar de tout dĂ©tenu et il n'y a pas lieu de ce fait d'autoriser son examen par un autre mĂ©decin.

Les autoritĂ©s tunisiennes rĂ©itĂšrent leur volontĂ© de coopĂ©rer pleinement avec la partie italienne en lui fournissant toutes les informations et les donnĂ©es utiles Ă  sa dĂ©fense dans la procĂ©dure en cours devant la Cour europĂ©enne des droits de l'homme et suggĂšre Ă  la partie italienne de demander, si elle le juge utile, le report de l'affaire Ă  une date ultĂ©rieure pour s'enquĂ©rir de l'Ă©volution de la procĂ©dure en cours Ă  l'encontre de Sami Essid devant les tribunaux tunisiens. Â»

28.  Le rapport mĂ©dical annexĂ© Ă  la rĂ©ponse des autoritĂ©s tunisiennes (annexe no 5), est ainsi libellĂ© :

« Le dĂ©tenu Sami Khemais Salah Essid, ĂągĂ© de 40 ans, Ă©crou : 11271 est pris en charge au dispensaire de la prison de Mornaguia depuis le 04/06/2008. Le dĂ©tenu a consultĂ© l'infirmerie Ă  trois reprises :

- Le 05/06/2008, il a bénéficié d'une visite d'entrée, il n'a pas d'antécédents médicaux particuliers, il n'a aucune trace de violence.

- Le 19/06/2008, il a consulté pour migraine, ayant cédé sous traitement médical.

- Le 25/08/2008, le dĂ©tenu a Ă©tĂ© vu dans le cadre d'une consultation pĂ©riodique, l'examen mĂ©dical de ce jour note un bon Ă©tat gĂ©nĂ©ral, bon Ă©tat de conscience. Il n'a pas de plaintes fonctionnelles. Â»

D.  Les autres documents produits par le Gouvernement italien

29.  Le Gouvernement a Ă©galement produit trois messages signĂ©s par l'ambassadeur d'Italie Ă  Tunis. En ses parties pertinentes, le premier message (no 2483, 3 juillet 2008) se lit ainsi :

« (...) Le 2 juillet dernier Ă©tait prĂ©vue la comparution devant le tribunal militaire de Tunis, pour connexions avec des milieux terroristes, du citoyen tunisien Essid Sami Ben Khemais, alias Saber, expulsĂ© d'Italie le 3 juin dernier. L'intĂ©ressĂ© avait prĂ©cĂ©demment Ă©tĂ© condamnĂ© en Tunisie Ă  115 annĂ©es d'emprisonnement.

Le procÚs (...) devant le tribunal militaire devait porter sur le réexamen des peines que la juridiction militaire tunisienne avait précédemment infligées par contumace, et qui s'élevaient au total à 100 années d'emprisonnement. Toutefois, comme l'ont relaté les agences de presse internationales, le procÚs a été repoussé au 15 octobre 2008.

D'aprĂšs Samir Ben Amor, avocat du prĂ©venu, celui-ci n'Ă©tait pas prĂ©sent au tribunal militaire car il se trouvait le mĂȘme jour devant un tribunal ordinaire de Tunis qui devait statuer sur une autre peine prononcĂ©e par contumace, Ă  savoir 15 annĂ©es d'emprisonnement, pour deux chefs d'inculpation Ă©galement liĂ©s Ă  la participation supposĂ©e de l'intĂ©ressĂ© Ă  des activitĂ©s terroristes.

Ces peines avaient Ă©tĂ© prononcĂ©es par contumace en Tunisie entre 2000 et 2007, pĂ©riode pendant laquelle Saber sĂ©journait en Italie, oĂč, comme on le sait, il a Ă©tĂ© condamnĂ© en 2002 Ă  six ans et deux mois d'emprisonnement pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Il est aujourd'hui dĂ©tenu au pĂ©nitencier de Mornaguia (ouest de Tunis) dans l'attente de l'issue de ses recours contre les jugements tunisiens prĂ©citĂ©s.

Il convient de rappeler qu'au cours des jours qui ont suivi l'expulsion, le ministre de la Justice et des droits de l'homme, Bechir Tekkari, avait assuré que le prévenu serait jugé à nouveau dans le cadre d'un procÚs équitable et public et avait écarté les craintes de traitements inhumains.

Je saisis l'occasion pour signaler que la correspondante de [l'agence de presse] ANSA, Mme Angela VirdĂČ, a rencontrĂ© au cours des derniĂšres semaines MaĂźtre Ben Amor, qui a indiquĂ© que son client n'avait pas dĂ©noncĂ© de mauvais traitements au cours de la dĂ©tention qui a suivi son expulsion. Â»

30.  Le deuxiĂšme message (no 2652, 15 juillet 2008) contient, entre autres, l'extrait d'un communiquĂ© de presse de l'agence ANSA que voici :

« Tunis, 7 JUIN – « Je l'ai vu cet aprĂšs-midi, il va bien, il se trouve dans la prison de Moraguia, prĂšs de Tunis ; il est encore surpris et déçu que l'Italie, qui est un Etat de droit, ait violĂ© les rĂšgles europĂ©ennes qui faisaient obstacle Ă  son expulsion Â». Celui qui s'exprime ainsi est Samir Ben Amor, l'avocat du Tunisien Essid Sami Ben Khemais, dit Saber, expulsĂ© d'Italie le soir du 2 juin aprĂšs avoir purgĂ© une peine de prison de six ans et demi pour terrorisme.

« On lui a donnĂ© ses effets personnels Â» rapporte l'avocat. « Alors qu'il se croyait libre, trois agents l'ont pris et l'ont emmenĂ© d'abord au centre de permanence temporaire de Milan, puis Ă  l'aĂ©roport de la Malpensa. De lĂ , toujours escortĂ© par les policiers, il est parti pour Rome, oĂč il a embarquĂ© le soir mĂȘme sur un vol Ă  destination de Tunis. Â»

Selon Ben Amor, Saber faisait partie du groupe connu sous le nom de « rĂ©seau de Milan Â», un groupe de musulmans qui, vers 1990, est parti s'entraĂźner en Afghanistan et a combattu en Bosnie et en TchĂ©tchĂ©nie. « Ben Khemais ne risque pas la peine de mort en Tunisie Â» a expliquĂ© l'avocat « mais l'infraction pour laquelle il a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© jugĂ© en Italie lui a valu ici 115 annĂ©es d'emprisonnement, cinq condamnations par les tribunaux militaires et deux [condamnations] par les [tribunaux] civils Â».

Le 2 juillet, Saber comparaĂźtra devant le tribunal militaire Ă  Tunis, et le ministre de la Justice a assurĂ© aujourd'hui au cours d'une confĂ©rence de presse que le procĂšs sera Ă©quitable et public. « Cela aura lieu Ă  sa demande Â» a expliquĂ© Ben Amor « car il a introduit un recours ; en effet, selon le code de procĂ©dure pĂ©nale, la mĂȘme personne ne peut pas ĂȘtre jugĂ©e deux fois pour la mĂȘme infraction, auquel cas l'on aurait neuf procĂšs : deux en Italie et sept en Tunisie Â».

« Non, il n'a pas Ă©tĂ© torturĂ© Â» dit l'avocat « mais tout le monde sait que dans les prisons tunisiennes, la torture est une pratique courante : les coups, l'Ă©lectricitĂ©, et le « balanco Â», dans lequel le dĂ©tenu est soulevĂ© par les bras et ensuite battu Ă  l'aide de bĂątons. Une autre pratique est celle du « rĂŽti Â» : un bĂąton passĂ© sous les genoux et les bras tient le prisonnier suspendu entre deux chaises, ce qui lui fait perdre toute sensibilitĂ© dans l'ensemble du corps. Â»

31.  Le dernier message (no 2767, 25 juillet 2008) relate une rĂ©union qui s'est tenue le 24 juillet 2008 au ministĂšre tunisien de la Justice et des droits de l'homme et Ă  laquelle ont participĂ© des hauts fonctionnaires italiens. Au cours de cette rĂ©union, les autoritĂ©s tunisiennes se sont dĂ©clarĂ©es disposĂ©es Ă  fournir des assurances diplomatiques similaires Ă  celles formulĂ©es dans la missive parvenue le 26 aoĂ»t 2008 (voir le paragraphe 27 ci-dessus).

II.  LES DROITS INTERNES PERTINENTS

32.  Les recours qu'il est possible de former contre un arrĂȘtĂ© d'expulsion en Italie et les rĂšgles rĂ©gissant la rĂ©ouverture d'un procĂšs par dĂ©faut en Tunisie sont dĂ©crits dans Saadi c. Italie ([GC], no 37201/06, §§ 58-60, 28 fĂ©vrier 2008).

III.  TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX

33.  On trouve dans l'arrĂȘt Saadi prĂ©citĂ© une description des textes, documents internationaux et sources d'informations suivants : l'accord de coopĂ©ration en matiĂšre de lutte contre la criminalitĂ© signĂ© par l'Italie et la Tunisie et l'accord d'association entre la Tunisie, l'Union europĂ©enne et ses Etats membres (§§ 61-62) ; les articles 1, 32 et 33 de la Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des rĂ©fugiĂ©s (§ 63) ; les lignes directrices du ComitĂ© des Ministres du Conseil de l'Europe (§ 64) ; les rapports relatifs Ă  la Tunisie d'Amnesty International (§§ 65-72) et de Human Rights Watch (§§ 73-79) ; les activitĂ©s du ComitĂ© international de la Croix-Rouge (§§ 80-81) ; le rapport du DĂ©partement d'Etat amĂ©ricain relatif aux droits de l'homme en Tunisie (§§ 82-93) ; les autres sources d'informations relatives au respect des droits de l'homme en Tunisie (§ 94).

34.  AprĂšs l'adoption de l'arrĂȘt Saadi, Amnesty International a publiĂ© son rapport annuel 2008. En ses parties pertinentes, la section consacrĂ©e Ă  la Tunisie se lit ainsi :

« Les performances Ă©conomiques de la Tunisie et les avancĂ©es lĂ©gislatives ont amĂ©liorĂ© l'image du pays au niveau international. Ceci dissimulait toutefois une rĂ©alitĂ© plus sombre dans laquelle les garanties juridiques Ă©taient souvent violĂ©es, les personnes arrĂȘtĂ©es pour des motifs politiques torturĂ©es alors que les auteurs des sĂ©vices Ă©taient impunis, et les dĂ©fenseurs des droits humains harcelĂ©s. Des restrictions sĂ©vĂšres continuaient de peser sur la libertĂ© d'expression et d'association. De nombreuses personnes poursuivies pour activitĂ©s terroristes ont Ă©tĂ© condamnĂ©es Ă  de lourdes peines d'emprisonnement Ă  l'issue de procĂšs inĂ©quitables, qui se sont notamment dĂ©roulĂ©s devant des tribunaux militaires. Plusieurs centaines d'autres, condamnĂ©es les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes Ă  l'issue de procĂšs iniques, Ă©taient maintenues en dĂ©tention, dans certains cas depuis plus de dix ans. Certains de ces dĂ©tenus Ă©taient susceptibles d'ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des prisonniers d'opinion.

Évolutions sur le plan juridique et institutionnel

En juillet, la composition du [comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales], l'organe chargé de recueillir les plaintes pour violation des droits humains, a été modifiée par décret. Le nombre de membres du Comité a été accru, mais celui-ci n'incluait pas d'organisations indépendantes de défense des droits fondamentaux.

« Guerre contre le terrorisme Â»

Abdellah al Hajji et Lotfi Lagha, deux des 12 Tunisiens dĂ©tenus par les autoritĂ©s amĂ©ricaines Ă  GuantĂĄnamo Bay (Cuba), ont Ă©tĂ© renvoyĂ©s en Tunisie en juin. ArrĂȘtĂ©s Ă  leur arrivĂ©e, ils ont Ă©tĂ© placĂ©s en dĂ©tention dans les locaux de la Direction de la sĂ»retĂ© de l'Etat du ministĂšre de l'IntĂ©rieur, oĂč ils auraient Ă©tĂ© torturĂ©s et contraints de signer des dĂ©clarations. Abdellah al Hajji s'est plaint d'avoir Ă©tĂ© privĂ© de sommeil et frappĂ© au visage. Il a ajoutĂ© que des agents de la Direction de la sĂ»retĂ© de l'Etat avaient menacĂ© de violer sa femme et ses filles. DĂ©clarĂ© coupable, en octobre, d'appartenance Ă  une organisation terroriste opĂ©rant Ă  l'Ă©tranger, Lotfi Lagha a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  trois ans d'emprisonnement. Abdellah al Hajji, qui avait interjetĂ© appel d'une condamnation Ă  dix ans d'emprisonnement prononcĂ©e par contumace en 1995, a Ă©tĂ© rejugĂ© par un tribunal militaire de Tunis. DĂ©clarĂ© coupable, en novembre, d'appartenance, en temps de paix, Ă  une organisation terroriste opĂ©rant Ă  l'Ă©tranger, il a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  sept ans d'emprisonnement. Neuf Tunisiens renvoyĂ©s d'Egypte en janvier et en mars auraient Ă©tĂ© dĂ©tenus aux fins d'interrogatoire, dans certains cas pendant plusieurs semaines. La plupart d'entre eux ont Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s, mais deux au moins – Ayman Hkiri et Adam Boukadida â€“ Ă©taient maintenus en dĂ©tention Ă  la fin de l'annĂ©e dans l'attente de leur procĂšs. Ces hommes avaient Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s en Egypte en novembre 2006 avec d'autres Ă©tudiants Ă©gyptiens et Ă©trangers. Ils auraient Ă©tĂ© torturĂ©s alors qu'ils Ă©taient interrogĂ©s Ă  propos d'un complot prĂ©sumĂ© en vue de recruter des personnes en Egypte et de les envoyer en Irak combattre les troupes de la coalition emmenĂ©e par les Etats-Unis.

SystĂšme judiciaire

Les procĂšs des suspects accusĂ©s d'activitĂ©s terroristes, dont certains se sont dĂ©roulĂ©s devant des tribunaux militaires, Ă©taient le plus souvent inĂ©quitables et dĂ©bouchaient gĂ©nĂ©ralement sur des condamnations Ă  de lourdes peines d'emprisonnement. Parmi les accusĂ©s figuraient des personnes arrĂȘtĂ©es en Tunisie ainsi que des Tunisiens renvoyĂ©s contre leur grĂ© par les autoritĂ©s d'autres pays, notamment de France, d'Italie et des Etats-Unis, alors qu'ils risquaient d'ĂȘtre victimes d'actes de torture. Les condamnations Ă©taient souvent fondĂ©es sur des « aveux Â» obtenus durant la pĂ©riode de dĂ©tention provisoire et que les accusĂ©s avaient rĂ©tractĂ©s Ă  l'audience en affirmant qu'ils avaient Ă©tĂ© extorquĂ©s sous la torture. Les juges d'instruction et les tribunaux s'abstenaient systĂ©matiquement d'ordonner une enquĂȘte sur ce type d'allĂ©gations. Seize civils au moins auraient Ă©tĂ© traduits devant le tribunal militaire de Tunis et condamnĂ©s Ă  des peines allant jusqu'Ă  onze ans d'emprisonnement. La plupart ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s coupables de liens avec des organisations terroristes opĂ©rant Ă  l'Ă©tranger. Dans ces procĂšs, non conformes aux normes internationales d'Ă©quitĂ©, le droit des accusĂ©s de se pourvoir en appel n'a pas Ă©tĂ© intĂ©gralement respectĂ©.

En novembre, 30 hommes ont comparu devant le tribunal de premiĂšre instance de Tunis dans le cadre de l'affaire dite « de Soliman Â». Ils Ă©taient accusĂ©s de toute une sĂ©rie d'infractions, notamment de complot en vue de renverser le gouvernement, utilisation d'armes Ă  feu et appartenance Ă  une organisation terroriste. Tous avaient Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s en dĂ©cembre 2006 et janvier 2007 Ă  la suite d'affrontements armĂ©s entre les forces de sĂ©curitĂ© et des membres prĂ©sumĂ©s des Soldats d'Assad ibn al Fourat, un groupe armĂ©. Ils se sont plaints d'avoir Ă©tĂ© torturĂ©s et maltraitĂ©s durant leur garde Ă  vue, qui s'est prolongĂ©e bien au-delĂ  de la durĂ©e maximale lĂ©gale de six jours. Leurs avocats ont demandĂ© au juge d'instruction et au tribunal d'ordonner des examens mĂ©dicaux de leurs clients en vue de constater des traces de torture, mais ces demandes ont Ă©tĂ© rejetĂ©es. Le 30 dĂ©cembre, deux des accusĂ©s ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă  mort, huit Ă  la dĂ©tention Ă  perpĂ©tuitĂ© et les autres Ă  des peines allant de cinq Ă  trente ans d'emprisonnement.

Libération de prisonniers politiques

Cent soixante-dix-neuf prisonniers politiques ont été remis en liberté. Selon les informations recueillies, une quinzaine avaient été maintenus en détention provisoire car on les soupçonnait d'appartenir au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), un groupe armé qui serait lié à Al Qaïda. Les autres étaient, pour la plupart, incarcérés depuis le début des années 1990 pour appartenance à l'organisation islamiste interdite Ennahda (Renaissance).

Torture et mauvais traitements

Comme les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, des cas de torture et de mauvais traitements infligĂ©s par des membres des forces de sĂ©curitĂ©, et notamment de la Direction de la sĂ»retĂ© de l'État, ont Ă©tĂ© signalĂ©s. Les prisonniers maintenus au secret risquaient tout particuliĂšrement d'ĂȘtre victimes de telles pratiques. Il n'Ă©tait pas rare que les forces de sĂ©curitĂ© ne respectent pas la durĂ©e maximale de la garde Ă  vue, fixĂ©e Ă  six jours, et maintiennent des personnes au secret pendant plusieurs semaines. De nombreux dĂ©tenus se sont plaints d'avoir Ă©tĂ© torturĂ©s pendant leur garde Ă  vue. Parmi les mĂ©thodes le plus souvent signalĂ©es figuraient les coups, la suspension dans des positions contorsionnĂ©es, les dĂ©charges Ă©lectriques, la privation de sommeil, le viol et les menaces de viol de parentes des dĂ©tenus. Les autoritĂ©s n'ont pratiquement jamais menĂ© d'enquĂȘte ni pris une quelconque mesure pour traduire en justice les tortionnaires prĂ©sumĂ©s.

Mohamed Amine Jaziri, l'un des accusĂ©s dans « l'affaire de Soliman Â» (voir plus haut), a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© le 24 dĂ©cembre Ă  Sidi Bouzid, au sud de Tunis. Il a Ă©tĂ© dĂ©tenu au secret, dans un premier temps au poste de police de cette localitĂ© puis dans les locaux de la Direction de la sĂ»retĂ© de l'Etat Ă  Tunis, jusqu'au 22 janvier. Les proches de cet homme se sont rĂ©guliĂšrement enquis de son sort, mais les autoritĂ©s ont niĂ© le dĂ©tenir jusqu'Ă  sa remise en libertĂ©. Mohamed Amine Jaziri a affirmĂ© que pendant sa garde Ă  vue il avait Ă©tĂ© frappĂ© sur tout le corps et suspendu au plafond durant plusieurs heures, et qu'on lui avait administrĂ© des dĂ©charges Ă©lectriques. Il a ajoutĂ© qu'on l'avait aspergĂ© d'eau froide et privĂ© de sommeil et qu'on lui avait recouvert la tĂȘte d'une cagoule sale durant les interrogatoires. Cet homme a Ă©tĂ© condamnĂ© en dĂ©cembre Ă  trente ans d'emprisonnement.

Conditions de détention

Selon certaines informations, de nombreux prisonniers politiques étaient victimes de discrimination et subissaient des conditions de détention trÚs pénibles. Certains ont observé une grÚve de la faim pour protester contre les sévices infligés par les gardiens, la privation de soins médicaux, l'interruption des visites de leur famille ainsi que la dureté des conditions carcérales, tout particuliÚrement le maintien prolongé à l'isolement.

En octobre, Ousama Abbadi, Ramzi el Aifi, Oualid Layouni et Mahdi Ben Elhaj Ali auraient Ă©tĂ© frappĂ©s Ă  coups de poing et de pied et ligotĂ©s par des surveillants de la prison de Mornaguia. Lorsque l'avocat d'Ousama Abbadi lui a rendu visite, il a constatĂ© que son client Ă©tait griĂšvement blessĂ© Ă  l'Ɠil et prĂ©sentait une blessure ouverte profonde Ă  la jambe ; il Ă©tait dans un fauteuil roulant, incapable de se tenir debout. D'autres dĂ©tenus de la prison de Mornaguia auraient Ă©tĂ© entiĂšrement dĂ©vĂȘtus par des gardiens et traĂźnĂ©s dans un couloir le long des cellules. Aucune enquĂȘte n'a semble-t-il Ă©tĂ© effectuĂ©e, malgrĂ© les plaintes dĂ©posĂ©es par les avocats des dĂ©tenus. (...).

DĂ©fenseurs des droits humains

Les autoritĂ©s ont fortement entravĂ© les activitĂ©s des organisations de dĂ©fense des droits humains. Les lignes tĂ©lĂ©phoniques et les connexions Internet de ces organisations Ă©taient rĂ©guliĂšrement interrompues ou perturbĂ©es, ce qui les empĂȘchait de communiquer avec des personnes en Tunisie et Ă  l'Ă©tranger. Des dĂ©fenseurs des droits humains ont Ă©tĂ© harcelĂ©s et intimidĂ©s. Certains d'entre eux, de mĂȘme que leur famille, Ă©taient soumis Ă  une surveillance constante de membres des forces de sĂ©curitĂ© qui, dans certains cas, les brutalisaient.

En mai, Raouf Ayadi, avocat et dĂ©fenseur des droits humains, a Ă©tĂ© agressĂ© par un policier alors qu'il allait entrer dans une salle d'audience pour assurer la dĂ©fense d'une personne accusĂ©e d'activitĂ©s terroristes. Sa voiture a Ă©tĂ© saccagĂ©e au mois de juin. En novembre, Raouf Ayadi a Ă©tĂ© insultĂ©, jetĂ© par terre et traĂźnĂ© par des policiers qui voulaient l'empĂȘcher de rendre visite Ă  un militant des droits humains et Ă  un journaliste qui observaient une grĂšve de la faim pour protester contre le refus des autoritĂ©s de leur dĂ©livrer un passeport. Les autoritĂ©s n'ont pris aucune mesure contre les responsables des agressions dont cet avocat a Ă©tĂ© victime.

(...). Â»

35.  Dans sa rĂ©solution 1433(2005), relative Ă  la lĂ©galitĂ© de la dĂ©tention de personnes par les Etats-Unis Ă  GuantĂĄnamo Bay, l'AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l'Europe a demandĂ© au gouvernement amĂ©ricain, entre autres, « de ne pas renvoyer ou transfĂ©rer les dĂ©tenus en se fondant sur des « assurances diplomatiques Â» de pays connus pour recourir systĂ©matiquement Ă  la torture et dans tous les cas si l'absence de risque de mauvais traitement n'est pas fermement Ă©tablie Â».

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION

36.  Le requĂ©rant allĂšgue que son expulsion vers la Tunisie met sa vie en danger et l'expose au risque d'ĂȘtre torturĂ©. Il invoque les articles 2 et 3 de la Convention.

Ces dispositions se lisent ainsi :

Article 2 § 1

« 1.  Le droit de toute personne Ă  la vie est protĂ©gĂ© par la loi. La mort ne peut ĂȘtre infligĂ©e Ă  quiconque intentionnellement, sauf en exĂ©cution d'une sentence capitale prononcĂ©e par un tribunal au cas oĂč le dĂ©lit est puni de cette peine par la loi. Â»

Article 3

« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă  la torture ni Ă  des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. Â»

37.  Le Gouvernement s'oppose Ă  cette thĂšse.

A.  Sur la recevabilitĂ©

1.  L'exception de non-Ă©puisement des voies de recours internes soulevĂ©e par le Gouvernement

38.  Le Gouvernement excipe tout d'abord du non-Ă©puisement des voies de recours internes, au motif que le requĂ©rant n'a pas contestĂ© devant les juridictions internes la mesure d'Ă©loignement du territoire italien prononcĂ©e par le tribunal de CĂŽme et confirmĂ©e par la cour d'appel de Milan (voir les paragraphes 12 et 13 ci-dessus).

39.  La Cour relĂšve que l'expulsion du requĂ©rant n'a pas Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e sur la base de l'arrĂȘt de la cour d'appel de Milan, mais sur le fondement d'un arrĂȘtĂ© ministĂ©riel adoptĂ© le 31 mai 2008 (voir les paragraphes 23 et 24 ci-dessus). Le Gouvernement n'a pas indiquĂ© quelles voies de recours efficaces auraient pu ĂȘtre exercĂ©es contre cet arrĂȘtĂ© validĂ© le 2 juin 2008 et exĂ©cutĂ© le lendemain.

40.  Il s'ensuit que l'exception prĂ©liminaire du Gouvernement ne saurait ĂȘtre retenue.

2.  Autres motifs d'irrecevabilitĂ©

41.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondĂ© au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'il ne se heurte Ă  aucun autre motif d'irrecevabilitĂ©. Il convient donc de le dĂ©clarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Arguments des parties

a)  Le requĂ©rant

42.  Le requĂ©rant allĂšgue que plusieurs tunisiens expulsĂ©s sous le prĂ©texte qu'ils seraient des terroristes n'ont plus donnĂ© signe de vie. Les enquĂȘtes menĂ©es par Amnesty International et par le DĂ©partement d'Etat des Etats-Unis d'AmĂ©rique, qui dĂ©montreraient que la torture est pratiquĂ©e en Tunisie, confirmeraient cette allĂ©gation. La thĂšse du Gouvernement, qui soutient que la situation des droits de l'homme en Tunisie s'est amĂ©liorĂ©e, ne reposerait sur aucun Ă©lĂ©ment objectif.

43.  La famille du requĂ©rant aurait reçu Ă  plusieurs reprises la visite de la police, et aurait fait l'objet de menaces et de provocations continues. Face aux risques sĂ©rieux auxquels il estime ĂȘtre exposĂ© une fois expulsĂ©, l'intĂ©ressĂ© considĂšre que le simple rappel des traitĂ©s signĂ©s par la Tunisie ne saurait suffire. Il affirme avoir prĂ©sentĂ© une demande d'asile politique en Italie et n'avoir obtenu aucune rĂ©ponse.

44.  Le requĂ©rant qualifie de propagande les assurances diplomatiques fournies par la Tunisie, et affirme qu'elles ne sont pas fiables. En tout Ă©tat de cause, le Gouvernement n'aurait entamĂ© des pourparlers aux fins de l'obtention de telles assurances que le 24 juillet 2008, c'est-Ă -dire aprĂšs l'expulsion, acceptant ainsi le risque que le requĂ©rant fĂ»t torturĂ©.

45.  Les autoritĂ©s tunisiennes auraient pour pratique de menacer et de maltraiter les prisonniers, leurs familles et leurs avocats. Les membres de la famille des dĂ©tenus craindraient d'ĂȘtre accusĂ©s de ne pas vouloir coopĂ©rer et de subir des reprĂ©sailles. Le fait que la Tunisie ne veuille pas autoriser les visites de l'avocat italien du requĂ©rant dĂ©montrerait qu'elle souhaite Ă©viter la prĂ©sence d'une personne indĂ©pendante qu'elle ne pourrait intimider. Enfin, comme la Cour l'a relevĂ© dans l'affaire Saadi prĂ©citĂ©e, la Croix Rouge ne peut pas divulguer les constations qu'elle fait lors de ses visites dans les prisons.

b)  Le Gouvernement

46.  Le Gouvernement souligne que les allĂ©gations relatives Ă  un danger de mort ou au risque d'ĂȘtre exposĂ© Ă  la torture ou Ă  des traitements inhumains et dĂ©gradants doivent ĂȘtre Ă©tayĂ©es par des Ă©lĂ©ments de preuve adĂ©quats, et estime que cela1 n'a pas Ă©tĂ© le cas en l'espĂšce. Les documents produits par le requĂ©rant se borneraient tantĂŽt Ă  dĂ©crire une situation prĂ©tendument gĂ©nĂ©ralisĂ©e en Tunisie, tantĂŽt Ă  citer des cas isolĂ©s. La situation en Tunisie ne serait pas diffĂ©rente de celle prĂ©valant dans certains Etats parties Ă  la Convention. De plus, le Gouvernement voit mal la valeur qui pourrait ĂȘtre attribuĂ©e au rapport du DĂ©partement d'Etat des Etats-Unis d'AmĂ©rique, pays qui ne serait « certes pas un modĂšle en ce qui concerne le traitement des personnes suspectĂ©es de terrorisme Â». Les autoritĂ©s tunisiennes, qui selon le rapport amĂ©ricain ne se sont jamais rendues coupables d'enlĂšvements ou d'assassinats, exerceraient une surveillance efficace sur le territoire national. Le Gouvernement souligne que la population tunisienne compte moins de dix millions d'habitants, et estime que de ce fait, la prĂ©sente espĂšce est diffĂ©rente de l'affaire Chahal c. Royaume-Uni (Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1996-V, 15 novembre 1996), oĂč la Cour avait exprimĂ© des doutes quant Ă  la capacitĂ© du gouvernement indien de rĂ©soudre le problĂšme des violations des droits de l'homme perpĂ©trĂ©es par certains des membres des forces de sĂ©curitĂ©.

47.  Le Gouvernement rappelle Ă©galement que la Cour a rejetĂ© les allĂ©gations des requĂ©rants dans de nombreuses affaires concernant des expulsions vers des pays (notamment l'AlgĂ©rie) oĂč les pratiques courantes de mauvais traitements semblent selon lui bien plus inquiĂ©tantes qu'en Tunisie.

48.  Il note en outre que la Tunisie a ratifiĂ© de nombreux instruments internationaux en matiĂšre de protection des droits de l'homme, y compris un accord d'association avec l'Union europĂ©enne, organisation internationale qui, selon la jurisprudence de la Cour, est prĂ©sumĂ©e offrir une protection des droits fondamentaux « Ă©quivalente Â» Ă  celle assurĂ©e par la Convention. Les autoritĂ©s tunisiennes permettraient par ailleurs Ă  la Croix-Rouge internationale et Ă  « d'autres organismes internationaux Â» de visiter les prisons, les unitĂ©s de dĂ©tention provisoire et les lieux de garde Ă  vue. De l'avis du Gouvernement, on peut prĂ©sumer que la Tunisie ne s'Ă©cartera pas des obligations qui lui incombent en vertu des traitĂ©s internationaux.

49.  L'interprĂ©tation de la Cour selon laquelle le refoulement est interdit en cas de risque de mauvais traitements mĂȘme si le requĂ©rant reprĂ©sente un danger pour la sĂ©curitĂ© du pays d'accueil reviendrait Ă  une abrogation de facto des autres traitĂ©s internationaux en matiĂšre de droit d'asile politique et d'octroi du statut de rĂ©fugiĂ©.

50.  En l'espĂšce, le requĂ©rant n'aurait Ă©tĂ© expulsĂ© qu'aprĂšs l'obtention de garanties officieuses qu'il ne serait pas soumis Ă  des traitements contraires Ă  la Convention, et son dossier aurait ensuite Ă©tĂ© formalisĂ© lors d'une visite en Tunisie des autoritĂ©s italiennes. Celles-ci auraient reçu des assurances diplomatiques suffisantes quant Ă  la sĂ©curitĂ© et au bien-ĂȘtre du requĂ©rant ; et n'y accorder aucun crĂ©dit reviendrait Ă  douter de la bonne foi des autoritĂ©s tunisiennes et Ă  briser un dialogue intergouvernemental et international trĂšs fructueux. Soulignant que dans l'affaire Saadi prĂ©citĂ©e, la Cour elle-mĂȘme a demandĂ© si de telles assurances avaient Ă©tĂ© sollicitĂ©es et obtenues, le Gouvernement estime que, sans qu'il soit question de les remettre en cause, les principes affirmĂ©s par la Grande Chambre doivent ĂȘtre adaptĂ©s aux circonstances factuelles particuliĂšres du cas d'espĂšce.

51.  Le Gouvernement souligne que l'avocat et les proches du requĂ©rant, qui lui ont rendu visite en prison respectivement quatre fois en un mois et douze fois en un mois et demi, n'ont dĂ©noncĂ© aucun mauvais traitement, et que l'avocat, mĂȘme s'il a affirmĂ© que la torture Ă©tait pratiquĂ©e en Tunisie, a reconnu publiquement que son client n'avait subi aucune forme de traitement contraire Ă  l'article 3 de la Convention. Les autoritĂ©s tunisiennes, tout en dĂ©mentant l'existence d'une violence d'Etat systĂ©matique, n'auraient pas exclu la possibilitĂ© de cas isolĂ©s de mauvais traitements, ce dont pratiquement aucun pays ne serait d'ailleurs Ă  l'abri. Les responsables de ces mauvais traitements auraient Ă©tĂ© poursuivis et sĂ©vĂšrement sanctionnĂ©s. Le requĂ©rant aurait bĂ©nĂ©ficiĂ© d'un accĂšs rĂ©gulier aux soins mĂ©dicaux, et le Gouvernement observe que le rapport mĂ©dical du 25 aoĂ»t 2008 (voir le paragraphe 28 ci-dessus) a exclu l'existence de toute trace de violence.

52.  Enfin, les allĂ©gations formulĂ©es par le requĂ©rant sur le terrain de l'article 2 de la Convention se confondraient avec celles soulevĂ©es sous l'angle de l'article 3 et devraient donc ĂȘtre examinĂ©es uniquement Ă  la lumiĂšre de cette derniĂšre disposition.

2.  ApprĂ©ciation de la Cour

53.  Les principes gĂ©nĂ©raux relatifs Ă  la responsabilitĂ© des Etats contractants en cas d'expulsion, aux Ă©lĂ©ments Ă  retenir pour Ă©valuer le risque d'exposition Ă  des traitements contraires Ă  l'article 3 de la Convention et Ă  la notion de « torture Â» et de « traitements inhumains et dĂ©gradants Â» sont rĂ©sumĂ©s dans l'arrĂȘt Saadi (prĂ©citĂ©, §§ 124-136), dans lequel la Cour a Ă©galement rĂ©affirmĂ© l'impossibilitĂ© de mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs invoquĂ©s pour l'expulsion afin de dĂ©terminer si la responsabilitĂ© d'un Etat est engagĂ©e sur le terrain de l'article 3 (§§ 137-141).

54.  La Cour rappelle les conclusions auxquelles elle est parvenue dans l'affaire Saadi prĂ©citĂ©e (§§ 143-146), qui Ă©taient les suivantes :

- les textes internationaux pertinents font Ă©tat de cas nombreux et rĂ©guliers de torture et de mauvais traitements infligĂ©s en Tunisie Ă  des personnes soupçonnĂ©es ou reconnues coupables de terrorisme ;

- ces textes dĂ©crivent une situation prĂ©occupante ;

- les visites du Comité international de la Croix-Rouge dans les lieux de détention tunisiens ne peuvent dissiper le risque de soumission à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention.

55.  La Cour ne voit en l'espĂšce aucune raison de revenir sur ces conclusions, qui se trouvent d'ailleurs confirmĂ©es par le rapport 2008 d'Amnesty International relatif Ă  la Tunisie (voir le paragraphe 34 ci-dessus). Elle note de surcroĂźt que le requĂ©rant a Ă©tĂ© condamnĂ© en Tunisie Ă  de lourdes peines d'emprisonnement pour appartenance, en temps de paix, Ă  une organisation terroriste. L'existence de ces condamnations, prononcĂ©es par contumace par des tribunaux militaires, a Ă©tĂ© confirmĂ©e par les autoritĂ©s tunisiennes (voir le paragraphe 27 ci-dessus), par l'ambassadeur d'Italie Ă  Tunis (voir le paragraphe 29 ci-dessus) et par l'avocat tunisien de l'intĂ©ressĂ© (voir le paragraphe 30 ci-dessus).

56.  Dans ces conditions, la Cour estime qu'en l'espĂšce, des faits sĂ©rieux et avĂ©rĂ©s justifient de conclure Ă  un risque rĂ©el de voir le requĂ©rant subir des traitements contraires Ă  l'article 3 de la Convention en Tunisie (voir, mutatis mutandis, Saadi, prĂ©citĂ©, § 146). Il reste Ă  vĂ©rifier si les assurances diplomatiques fournies par les autoritĂ©s tunisiennes suffisent Ă  Ă©carter ce risque et si les renseignements relatifs Ă  la situation du requĂ©rant aprĂšs son expulsion ont confirmĂ© l'avis du gouvernement dĂ©fendeur quant au bien-fondĂ© des craintes du requĂ©rant.

57.  A cet Ă©gard, la Cour rappelle, premiĂšrement, que l'existence de textes internes et l'acceptation de traitĂ©s internationaux garantissant, en principe, le respect des droits fondamentaux ne suffisent pas, Ă  elles seules, Ă  assurer une protection adĂ©quate contre le risque de mauvais traitements lorsque, comme en l'espĂšce, des sources fiables font Ă©tat de pratiques des autoritĂ©s – ou tolĂ©rĂ©es par celles-ci – manifestement contraires aux principes de la Convention (Saadi, prĂ©citĂ©, § 147 in fine). DeuxiĂšmement, il appartient Ă  la Cour d'examiner si les assurances donnĂ©es par l'Etat de destination fournissent, dans leur application effective, une garantie suffisante quant Ă  la protection du requĂ©rant contre le risque de traitements interdits par la Convention (Chahal, prĂ©citĂ©, § 105). Le poids Ă  accorder aux assurances Ă©manant de l'Etat de destination dĂ©pend en effet, dans chaque cas, des circonstances prĂ©valant Ă  l'Ă©poque considĂ©rĂ©e (Saadi, prĂ©citĂ©, § 148 in fine).

58.  En la prĂ©sente espĂšce, l'avocat gĂ©nĂ©ral Ă  la direction gĂ©nĂ©rale des services judiciaires a assurĂ© que la dignitĂ© humaine du requĂ©rant serait respectĂ©e en Tunisie, qu'il ne serait pas soumis Ă  la torture, Ă  des traitements inhumains ou dĂ©gradants ou Ă  une dĂ©tention arbitraire, qu'il bĂ©nĂ©ficierait de soins mĂ©dicaux appropriĂ©s et qu'il pourrait recevoir des visites de son avocat et des membres de sa famille. Outre les lois tunisiennes pertinentes et les traitĂ©s internationaux signĂ©s par la Tunisie, ces assurances reposent sur les Ă©lĂ©ments suivants :

- les contrĂŽles pratiquĂ©s par le juge d'exĂ©cution des peines, par le comitĂ© supĂ©rieur des droits de l'homme et des libertĂ©s fondamentales (institution nationale indĂ©pendante) et par les services de l'inspection gĂ©nĂ©rale du ministĂšre de la Justice et des Droits de l'homme ;

- deux cas de condamnation d'agents de l'administration pĂ©nitentiaire et d'un agent de police pour mauvais traitements ;

- la jurisprudence interne, aux termes de laquelle un aveu extorquĂ© sous la contrainte est nul et non avenu (voir le paragraphe 27 ci-dessus).

59.  La Cour note, cependant, qu'il n'est pas Ă©tabli que l'avocat gĂ©nĂ©ral Ă  la direction gĂ©nĂ©rale des services judiciaires Ă©tait compĂ©tent pour donner ces assurances au nom de l'Etat (voir, mutatis mutandis, Soldatenko c. Ukraine, no 2440/07, § 73, 23 octobre 2008). De plus, compte tenu du fait que des sources internationales sĂ©rieuses et fiables ont indiquĂ© que les allĂ©gations de mauvais traitements n'Ă©taient pas examinĂ©es par les autoritĂ©s tunisiennes compĂ©tentes (Saadi, prĂ©citĂ©, § 143), le simple rappel de deux cas de condamnation d'agents de l'Etat pour coups et blessures sur des dĂ©tenus ne saurait suffire Ă  Ă©carter le risque de tels traitements ni Ă  convaincre la Cour de l'existence d'un systĂšme effectif de protection contre la torture, en l'absence duquel il est difficile de vĂ©rifier que les assurances donnĂ©es seront respectĂ©es. A cet Ă©gard, la Cour rappelle que dans son rapport 2008 relatif Ă  la Tunisie, Amnesty International a prĂ©cisĂ© notamment que, bien que de nombreux dĂ©tenus se soient plaints d'avoir Ă©tĂ© torturĂ©s pendant leur garde Ă  vue, Â« les autoritĂ©s n'ont pratiquement jamais menĂ© d'enquĂȘte ni pris une quelconque mesure pour traduire en justice les tortionnaires prĂ©sumĂ©s Â» (voir le paragraphe 34 ci-dessus).

60.  De plus, dans l'arrĂȘt Saadi prĂ©citĂ© (§ 146), la Cour a constatĂ© une rĂ©ticence des autoritĂ©s tunisiennes Ă  coopĂ©rer avec les organisations indĂ©pendantes de dĂ©fense des droits de l'homme, telles que Human Rights Watch. Dans son rapport 2008 prĂ©citĂ©, Amnesty International a par ailleurs notĂ© que bien que le nombre de membres du comitĂ© supĂ©rieur des droits de l'homme ait Ă©tĂ© accru, celui-ci « n'incluait pas d'organisations indĂ©pendantes de dĂ©fense des droits fondamentaux Â». L'impossibilitĂ© pour le reprĂ©sentant du requĂ©rant devant la Cour de rendre visite Ă  son client emprisonnĂ© en Tunisie confirme la difficultĂ© d'accĂšs des prisonniers tunisiens Ă  des conseils Ă©trangers indĂ©pendants mĂȘme lorsqu'ils sont parties Ă  des procĂ©dures judiciaires devant des juridictions internationales. Ces derniĂšres risquent donc, une fois un requĂ©rant expulsĂ© en Tunisie, de se trouver dans l'impossibilitĂ© de vĂ©rifier sa situation et de connaĂźtre d'Ă©ventuels griefs qu'il pourrait soulever quant aux traitements auxquels il est soumis. Pareilles vĂ©rifications semblent Ă©galement impossibles au gouvernement dĂ©fendeur, dont l'ambassadeur ne pourra pas voir le requĂ©rant dans son lieu de dĂ©tention.

61.  Dans ces circonstances, la Cour ne saurait souscrire Ă  la thĂšse du Gouvernement selon laquelle les assurances donnĂ©es en la prĂ©sente espĂšce offrent une protection efficace contre le risque sĂ©rieux que court le requĂ©rant d'ĂȘtre soumis Ă  des traitements contraires Ă  l'article 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Soldatenko, prĂ©citĂ©, §§ 73-74). Elle rappelle au contraire le principe affirmĂ© par l'AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l'Europe dans sa rĂ©solution 1433(2005), selon lequel les assurances diplomatiques ne peuvent suffire lorsque l'absence de danger de mauvais traitement n'est pas fermement Ă©tablie (voir le paragraphe 35 ci-dessus).

62.  Pour ce qui est, enfin, des informations fournies par le Gouvernement quant Ă  la situation du requĂ©rant en Tunisie, il convient de rappeler que si, pour contrĂŽler l'existence d'un risque de mauvais traitements, il faut se rĂ©fĂ©rer en prioritĂ© aux circonstances dont l'Etat en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l'expulsion, cela n'empĂȘche pas la Cour de tenir compte de renseignements ultĂ©rieurs, qui peuvent servir Ă  confirmer ou infirmer la maniĂšre dont la Partie contractante concernĂ©e a jugĂ© du bien-fondĂ© des craintes d'un requĂ©rant (Mamatkulov et Askarov, prĂ©citĂ©, § 69 ; Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, 30 octobre 1991, Â§ 107, sĂ©rie A no 215 ; Cruz Varas et autres c. SuĂšde, 20 mars 1991, §§ 75-76, sĂ©rie A no 201).

63.  La Cour relĂšve que les autoritĂ©s tunisiennes ont fait savoir que le requĂ©rant avait reçu de nombreuses visites des membres de sa famille et de son avocat tunisien. Ce dernier a prĂ©cisĂ© que son client n'avait pas allĂ©guĂ© avoir subi de mauvais traitements (voir les paragraphes 29 et 30 ci-dessus), ce qui semble confirmĂ© par le rapport mĂ©dical annexĂ© aux assurances diplomatiques (voir le paragraphe 28 ci-dessus).

64.  De l'avis de la Cour, ces Ă©lĂ©ments peuvent dĂ©montrer que le requĂ©rant n'a pas subi de traitements contraires Ă  l'article 3 de la Convention au cours des semaines ayant suivi son expulsion, mais ils ne prĂ©sagent en rien du sort de l'intĂ©ressĂ© Ă  l'avenir. A cet Ă©gard, la Cour ne peut que rĂ©itĂ©rer ses observations quant Ă  l'impossibilitĂ© pour le reprĂ©sentant du requĂ©rant devant elle et pour l'ambassadeur d'Italie Ă  Tunis de le visiter en prison et de vĂ©rifier le respect effectif de son intĂ©gritĂ© physique et de sa dignitĂ© humaine.

65.  Partant, la mise Ă  exĂ©cution de l'expulsion du requĂ©rant vers la Tunisie a violĂ© l'article 3 de la Convention.

66.  Cette conclusion dispense la Cour d'examiner la question de savoir si l'expulsion a Ă©galement violĂ© l'article 2 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

67.  Le requĂ©rant se plaint d'un manque d'Ă©quitĂ© des procĂ©dures pĂ©nales dirigĂ©es contre lui en Tunisie et invoque l'article 6 de la Convention. Le Gouvernement conteste ce grief.

68.  La Cour considĂšre que ce grief est recevable (Saadi, prĂ©citĂ©, § 152). Cependant, au vu de son constat selon lequel l'expulsion du requĂ©rant vers la Tunisie a constituĂ© une violation de l'article 3 de la Convention (voir le paragraphe 65 ci-dessus), elle n'estime pas nĂ©cessaire de trancher les questions de savoir si les procĂ©dures pĂ©nales dirigĂ©es contre le requĂ©rant en Tunisie Ă©taient conformes Ă  l'article 6 de la Convention et si elles s'analysent en un dĂ©ni flagrant de justice (voir, mutatis mutandis, Saadi, prĂ©citĂ©, § 160).

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 34 DE LA CONVENTION

69.  Dans son message tĂ©lĂ©copiĂ© du 13 juin 2008, le reprĂ©sentant du requĂ©rant a dĂ©noncĂ© le non-respect par le gouvernement italien de la mesure provisoire indiquĂ©e en vertu de l'article 39 du rĂšglement de la Cour par la prĂ©sidente de la deuxiĂšme section (voir le paragraphe 18 ci-dessus).

70.  Le Gouvernement estime ne pas avoir manquĂ© Ă  ses obligations.

71.  La Cour estime que ce grief se prĂȘte Ă  ĂȘtre examinĂ© sous l'angle de l'article 34 de la Convention, qui se lit ainsi :

« La Cour peut ĂȘtre saisie d'une requĂȘte par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prĂ©tend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s'engagent Ă  n'entraver par aucune mesure l'exercice efficace de ce droit. Â»

A.  Sur la recevabilitĂ©

72.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondĂ© au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relĂšve par ailleurs qu'il ne se heurte Ă  aucun autre motif d'irrecevabilitĂ©. Il convient donc de le dĂ©clarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Arguments des parties

a) Le Gouvernement

73.  Le Gouvernement relĂšve qu'il Ă©tait indiquĂ© dans l'exposĂ© des faits annexĂ© Ă  la communication de la requĂȘte que l'expulsion du requĂ©rant avait Ă©tĂ© ordonnĂ©e par le jugement du juge de l'audience prĂ©liminaire de Milan en date du 22 fĂ©vrier 2002, prĂ©cise que ce n'est pas exact, et considĂšre que de ce fait, la mesure provisoire indiquĂ©e par la prĂ©sidente de la deuxiĂšme section aux termes de l'article 39 du rĂšglement reposait sur une base factuelle erronĂ©e.

74.  Tout en reconnaissant l'importance des mesures provisoires, il soutient qu'elles ne trouvent Ă  s'appliquer que lorsqu'il y a un danger imminent de dommage irrĂ©parable et que les voies de recours internes ont Ă©tĂ© Ă©puisĂ©es, ce qui n'aurait pas Ă©tĂ© le cas en l'espĂšce, l'arrĂȘt de la cour d'appel de Milan du 14 dĂ©cembre 2006, qui confirmait l'expulsion du requĂ©rant, n'Ă©tant pas dĂ©finitif.

75.  L'expulsion ayant Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e sur le fondement d'un arrĂȘtĂ© ministĂ©riel en date du 31 mai 2008 adoptĂ© aprĂšs l'obtention par l'Italie de garanties formelles et tranquillisantes de la part des autoritĂ©s tunisiennes quant au respect des principes Ă©noncĂ©s dans l'arrĂȘt Saadi, l'inobservation de la mesure provisoire n'aurait portĂ© atteinte Ă  aucun intĂ©rĂȘt protĂ©gĂ© par la Convention.

76.  Le refus de donner suite Ă  une demande d'application de mesures provisoires n'entraverait pas forcĂ©ment et automatiquement l'exercice du droit de recours individuel : une telle entrave ne se produirait que lorsque la conduite de l'Etat empĂȘcherait la Cour d'examiner efficacement les griefs du requĂ©rant. Il n'y aurait violation de l'article 34 de la Convention, interprĂ©tĂ© Ă  la lumiĂšre de l'article 31 de la Convention de Vienne, que lorsque le droit de recours a Ă©tĂ© concrĂštement atteint et non seulement mis en danger de maniĂšre abstraite ; et l'analyse de la jurisprudence de la Cour en la matiĂšre confirmerait cette conclusion (voir, notamment, Olaechea Cahuas c. Espagne, no 24668/03, 10 aoĂ»t 2006, Aoulmi c. France, no 50278/99, 17 janvier 2006, ChamaĂŻev et autres c. GĂ©orgie et Russie, no 36378/02, CEDH 2005-III, et Mamatkoulov et Askarov, prĂ©citĂ©).

77.  Le Gouvernement souligne qu'Ă  la diffĂ©rence des affaires prĂ©citĂ©es, oĂč l'Ă©loignement des requĂ©rants a eu lieu peu de temps aprĂšs l'introduction de la requĂȘte ou de la demande de mesures provisoires, l'expulsion de l'intĂ©ressĂ© a eu lieu en l'espĂšce presque un an aprĂšs l'Ă©change d'observations, principales et complĂ©mentaires, entre les parties. Ainsi, l'affaire Ă©tant en Ă©tat d'ĂȘtre tranchĂ©e, l'exĂ©cution de l'expulsion n'aurait entravĂ© ni l'exercice par le requĂ©rant de son droit de recours individuel ni l'examen efficace de la requĂȘte par la Cour.

b)  Le requĂ©rant

78.  Le requĂ©rant estime que le fait que son expulsion ait reposĂ© sur un jugement diffĂ©rent de celui qu'il avait initialement indiquĂ© est sans importance aux fins du respect des obligations incombant au Gouvernement en vertu de l'article 34 de la Convention, et que les autoritĂ©s italiennes ne sauraient se soustraire Ă  leur devoir de respecter les mesures provisoires indiquĂ©es par la Cour au prĂ©texte qu'un nouvel arrĂȘtĂ© d'expulsion a Ă©tĂ© adoptĂ© et presque immĂ©diatement exĂ©cutĂ©.

79.  Les faits de l'espĂšce dĂ©montreraient que les garanties offertes par le systĂšme italien n'ont pas protĂ©gĂ© l'individu contre le risque d'expulsion, et le Gouvernement voudrait minimiser l'importance des mesures provisoires indiquĂ©es en vertu de l'article 39 du rĂšglement. En rĂ©alitĂ©, chaque cas de non-respect d'une mesure visant Ă  empĂȘcher l'expulsion relĂšverait de l'article 44B du rĂšglement de la Cour, et le requĂ©rant souligne que chaque Etat signataire est tenu de coopĂ©rer avec la Cour dans l'intĂ©rĂȘt du respect des droits garantis par la Convention.

2.  ApprĂ©ciation de la Cour

a)  Principes gĂ©nĂ©raux

80.  La Cour rappelle que l'article 39 du rĂšglement habilite les chambres ou, le cas Ă©chĂ©ant, leur prĂ©sident Ă  indiquer des mesures provisoires. De telles mesures n'ont Ă©tĂ© indiquĂ©es que lorsque cela Ă©tait strictement nĂ©cessaire et dans des domaines limitĂ©s, en principe en prĂ©sence d'un risque imminent de dommage irrĂ©parable. Dans la grande majoritĂ© des cas, il s'agissait d'affaires d'expulsion et d'extradition. Les affaires dans lesquelles les Etats ne se sont pas conformĂ©s aux mesures indiquĂ©es sont rares (Mamatkulov et Askarov, prĂ©citĂ©, §§ 103-105).

81.  Dans des affaires telles que la prĂ©sente, oĂč l'existence d'un risque de prĂ©judice irrĂ©parable Ă  la jouissance par le requĂ©rant de l'un des droits qui relĂšvent du noyau dur des droits protĂ©gĂ©s par la Convention est allĂ©guĂ©e de maniĂšre plausible, une mesure provisoire a pour but de maintenir le statu quo en attendant que la Cour se prononce sur la justification de la mesure. DĂšs lors qu'elle vise Ă  prolonger l'existence de la question qui forme l'objet de la requĂȘte, la mesure provisoire touche au fond du grief tirĂ© de la Convention. Par sa requĂȘte, le requĂ©rant cherche Ă  protĂ©ger d'un dommage irrĂ©parable le droit Ă©noncĂ© dans la Convention qu'il invoque. En consĂ©quence, le requĂ©rant demande une mesure provisoire, et la Cour l'accorde, en vue de faciliter « l'exercice efficace Â» du droit de recours individuel garanti par l'article 34 de la Convention, c'est-Ă -dire de prĂ©server l'objet de la requĂȘte lorsqu'elle estime qu'il y a un risque que celui-ci subisse un dommage irrĂ©parable en raison d'une action ou omission de l'Etat dĂ©fendeur (Mamatkulov et Askarov, prĂ©citĂ©, § 108).

82.  Dans le cadre du contentieux international, les mesures provisoires ont pour objet de prĂ©server les droits des parties, en permettant Ă  la juridiction de donner effet aux consĂ©quences de la responsabilitĂ© engagĂ©e dans la procĂ©dure contradictoire. En particulier, dans le systĂšme de la Convention, les mesures provisoires, telles qu'elles ont Ă©tĂ© constamment appliquĂ©es en pratique, se rĂ©vĂšlent d'une importance fondamentale pour Ă©viter des situations irrĂ©versibles qui empĂȘcheraient la Cour de procĂ©der dans de bonnes conditions Ă  un examen de la requĂȘte et, le cas Ă©chĂ©ant, d'assurer au requĂ©rant la jouissance pratique et effective du droit protĂ©gĂ© par la Convention qu'il invoque. DĂšs lors, dans ces conditions, l'inobservation par un Etat dĂ©fendeur de mesures provisoires met en pĂ©ril l'efficacitĂ© du droit de recours individuel, tel que garanti par l'article 34, ainsi que l'engagement formel de l'Etat, en vertu de l'article 1, de sauvegarder les droits et libertĂ©s Ă©noncĂ©s dans la Convention. De telles mesures permettent Ă©galement Ă  l'Etat concernĂ© de s'acquitter de son obligation de se conformer Ă  l'arrĂȘt dĂ©finitif de la Cour, lequel est juridiquement contraignant en vertu de l'article 46 de la Convention (Mamatkulov et Askarov, prĂ©citĂ©, §§ 113 et 125).

83.  Il s'ensuit que l'inobservation de mesures provisoires par un Etat contractant doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme empĂȘchant la Cour d'examiner efficacement le grief du requĂ©rant et entravant l'exercice efficace de son droit et, partant, comme une violation de l'article 34 (Mamatkulov et Askarov, prĂ©citĂ©, § 128).

b)  Application de ces principes au cas d'espĂšce

84.  En l'occurrence, l'Italie ayant expulsĂ© le requĂ©rant vers la Tunisie, le niveau de protection des droits Ă©noncĂ©s dans les articles 2 et 3 de la Convention que la Cour pouvait garantir Ă  l'intĂ©ressĂ© a Ă©tĂ© amoindri de maniĂšre irrĂ©versible. Peu importe que l'expulsion ait Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e aprĂšs l'Ă©change d'observations entre les parties : elle n'en a pas moins ĂŽtĂ© toute utilitĂ© Ă  l'Ă©ventuel constat de violation de la Convention, le requĂ©rant ayant Ă©tĂ© Ă©loignĂ© vers un pays qui n'est pas partie Ă  la Convention, oĂč il allĂ©guait risquer d'ĂȘtre soumis Ă  des traitements contraires Ă  celle-ci.

85.  En outre, l'efficacitĂ© de l'exercice du droit de recours implique aussi que la Cour puisse, tout au long de la procĂ©dure engagĂ©e devant elle, continuer Ă  examiner la requĂȘte selon sa procĂ©dure habituelle. Or, en l'espĂšce, le requĂ©rant a Ă©tĂ© expulsĂ©. Ainsi, ayant perdu tout contact avec son avocat, il a Ă©tĂ© privĂ© de la possibilitĂ© de susciter, dans le cadre de l'administration des preuves, certaines recherches propres Ă  Ă©tayer ses allĂ©gations sur le terrain des articles 2, 3 et 6 de la Convention, recherches qui auraient pu ĂȘtre menĂ©es mĂȘme aprĂšs l'Ă©change d'observations. Les autoritĂ©s tunisiennes ont par ailleurs confirmĂ© que le reprĂ©sentant du requĂ©rant devant la Cour ne pourra pas ĂȘtre autorisĂ© Ă  visiter son client en prison.

86.  De plus, la Cour note que le Gouvernement dĂ©fendeur, avant d'expulser le requĂ©rant, n'a pas demandĂ© la levĂ©e de la mesure provisoire adoptĂ©e aux termes de l'article 39 du rĂšglement de la Cour, qu'il savait ĂȘtre toujours en vigueur, et a procĂ©dĂ© Ă  l'expulsion avant mĂȘme d'obtenir les assurances diplomatiques qu'il invoque dans ses observations.

87.  Les faits de la cause, tels qu'ils sont exposĂ©s ci-dessus, montrent clairement qu'en raison de son expulsion vers la Tunisie, le requĂ©rant n'a pu dĂ©velopper tous les arguments pertinents pour sa dĂ©fense et que l'arrĂȘt de la Cour risque d'ĂȘtre privĂ© de tout effet utile. En particulier, le fait que le requĂ©rant a Ă©tĂ© soustrait Ă  la juridiction de l'Italie constitue un obstacle sĂ©rieux qui pourrait empĂȘcher le Gouvernement de s'acquitter de ses obligations (dĂ©coulant des articles 1 et 46 de la Convention) de sauvegarder les droits de l'intĂ©ressĂ© et d'effacer les consĂ©quences des violations constatĂ©es par la Cour. Cette situation a constituĂ© une entrave Ă  l'exercice effectif par le requĂ©rant de son droit de recours individuel garanti par l'article 34 de la Convention, droit que son expulsion a rĂ©duit Ă  nĂ©ant.

c)  Conclusion

88.  Compte tenu des Ă©lĂ©ments en sa possession, la Cour conclut qu'en ne se conformant pas Ă  la mesure provisoire indiquĂ©e en vertu de l'article 39 de son rĂšglement, l'Italie n'a pas respectĂ© les obligations qui lui incombaient en l'espĂšce au regard de l'article 34 de la Convention.

IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

89.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s'il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

A.  Dommage

90.  Dans sa demande de satisfaction Ă©quitable du 14 mai 2007, le requĂ©rant sollicite 50 000 EUR au titre du prĂ©judice moral qu'il estime avoir subi. Dans sa demande du 3 octobre 2008, formulĂ©e aprĂšs l'exĂ©cution de son expulsion, il sollicite 500 000 EUR.

91.  Le Gouvernement s'oppose Ă  l'octroi de toute somme Ă  titre de satisfaction Ă©quitable, estimant que le requĂ©rant aurait dĂ» savoir que la commission de crimes liĂ©s au terrorisme l'exposait Ă  ĂȘtre expulsĂ© vers la Tunisie.

92.  La Cour estime que le requĂ©rant a subi un tort moral certain en raison de la mise Ă  exĂ©cution de la dĂ©cision de l'expulser. Statuant en Ă©quitĂ©, comme le veut l'article 41 de la Convention, elle lui octroie 10 000 EUR Ă  ce titre.

B.  Frais et dĂ©pens

93.  Dans sa demande de satisfaction Ă©quitable du 14 mai 2007, le requĂ©rant sollicite Ă©galement 15 266,13 EUR au titre des frais et dĂ©pens engagĂ©s devant la Cour. Dans sa demande du 3 octobre 2008, il sollicite l'octroi de 8 722,89 EUR pour le traitement ultĂ©rieur de son affaire.

94.  Le Gouvernement estime que les frais rĂ©clamĂ©s sont excessifs.

95.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'allocation des frais et dĂ©pens exposĂ©s par le requĂ©rant ne peut intervenir que dans la mesure oĂč se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ© et le caractĂšre raisonnable de leur taux (Belziuk c. Pologne, 25 mars 1998, § 49, Recueil 1998-II).

96.  La Cour juge excessif le montant sollicitĂ© pour les frais et dĂ©pens affĂ©rents Ă  la procĂ©dure devant elle, et dĂ©cide d'octroyer 5 000 EUR de ce chef.

C.  IntĂ©rĂȘts moratoires

97.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d'intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  DĂ©clare la requĂȘte recevable ;

2.  Dit que la mise Ă  exĂ©cution de la dĂ©cision d'expulser le requĂ©rant vers la Tunisie a violĂ© l'article 3 de la Convention ;

3.  Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner Ă©galement si la mise Ă  exĂ©cution de la dĂ©cision d'expulser le requĂ©rant vers la Tunisie a Ă©galement violĂ© les articles 2 et 6 de la Convention ;

4.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 34 de la Convention ;

5.  Dit

a)  que l'Etat dĂ©fendeur doit verser au requĂ©rant, dans les trois mois Ă  compter du jour oĂč l'arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l'article 44 Â§ 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i.  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d'impĂŽt, pour dommage moral ;

ii.  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d'impĂŽt par le requĂ©rant, pour frais et dĂ©pens ;

b)  qu'Ă  compter de l'expiration dudit dĂ©lai et jusqu'au versement, ces montants seront Ă  majorer d'un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 24 fĂ©vrier 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.

Sally DollĂ© Françoise Tulkens 
 
GreffiĂšre PrĂ©sidente

Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rĂšglement, l'exposĂ© de l'opinion sĂ©parĂ©e du Juge Cabral Barreto.

F.T. 
S.D.

 

OPINION CONCORDANTE DU JUGE CABRAL BARRETO

Je suis pleinement d'accord avec les constats de violation.

J'aimerais seulement préciser ce qui suit en ce qui concerne la violation de l'article 34 de la Convention.

Dans le paragraphe 87 de l'arrĂȘt, il me semble qu'on ne fait pas parfaitement la distinction entre les obligations de l'Etat dĂ©coulant des articles 1 et 46 de la Convention et celles qui sont imposĂ©es par l'article 34 ; ceci pourrait provoquer des doutes quant Ă  la façon de la Cour d'interprĂ©ter ces dispositions.

Ainsi, en suivant de prĂšs l'arrĂȘt Mamatkulov et Askarov, prĂ©citĂ©, j'aurai aimĂ© que les paragraphes 87 et 88 de l'arrĂȘt soient remplacĂ©s par les paragraphes suivants :

« 87.  Les faits de la cause, tels qu'ils sont exposĂ©s ci-dessus, montrent clairement qu'en raison de l'expulsion du requĂ©rant vers la Tunisie, l'arrĂȘt de la Cour risque d'ĂȘtre privĂ© de tout effet utile. En particulier, le fait que le requĂ©rant a Ă©tĂ© soustrait Ă  la juridiction de l'Italie constitue un obstacle sĂ©rieux qui pourrait empĂȘcher le Gouvernement de s'acquitter de ses obligations dĂ©coulant des articles 1 et 46 de la Convention de sauvegarder les droits de l'intĂ©ressĂ© et d'effacer les consĂ©quences des violations constatĂ©es par la Cour.

88.  Et il est manifeste que la dite expulsion a empĂȘchĂ© le requĂ©rant de dĂ©velopper tous les arguments pertinents pour sa dĂ©fense, ce qui a constituĂ© une entrave Ă  l'exercice effectif, par le requĂ©rant, de son droit de recours individuel garanti par l'article 34 de la Convention, droit que l'expulsion litigieuse a rĂ©duit Ă  nĂ©ant.

c)  Conclusion

89.  Compte tenu des Ă©lĂ©ments en sa possession, la Cour conclut qu'en ne se conformant pas aux mesures provisoires indiquĂ©es en vertu de l'article 39 de son rĂšglement, l'Italie n'a pas respectĂ© les obligations qui lui incombaient en l'espĂšce au regard de l'article 34 de la Convention (Mamatkulov et Askarov, prĂ©citĂ©, § 129) Â».

1  RectifiĂ© le 16 septembre 2009 : « ce Â» a Ă©tĂ© remplacĂ© par « cela Â»