Corte europea dei diritti dell’uomo
(Grande Camera)
24 gennaio 2017
AFFAIRE PARADISO ET CAMPANELLI c. ITALIE
(Requête no 25358/12)
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches
de forme.
En
l’affaire Paradiso et Campanelli
c. Italie,
La Cour
européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Luis López Guerra, président,
Guido
Raimondi,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Angelika Nußberger,
Vincent A.
De Gaetano,
Khanlar Hajiyev,
Ledi Bianku,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de
Albuquerque,
André
Potocki,
Paul
Lemmens,
Helena Jäderblom,
Krzysztof Wojtyczek,
Valeriu Griţco,
Dmitry Dedov,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary, juges,
et de Roderick Liddell, greffier,
Après en
avoir délibéré en chambre du conseil les 9 décembre 2015 et 2 novembre 2016,
Rend
l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. À l’origine
de l’affaire se trouve une requête (no 25358/12) dirigée contre la République
italienne et dont deux ressortissants de cet État, Mme Donatina
Paradiso et M. Giovanni Campanelli
(« les requérants »), ont saisi la Cour le 27 avril 2012 en vertu de l’article
34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (« la Convention »).
2. Les
requérants ont été représentés par Me P. Spinosi,
avocat à Paris. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté
par sa coagente, Mme P. Accardo.
3. Les
requérants alléguaient en particulier que les mesures adoptées par les
autorités nationales à l’égard de l’enfant T.C. étaient incompatibles avec leur
droit à la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention.
4. La
requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du
règlement). Le 27 janvier 2015, une chambre de ladite section composée de Işıl Karakaş,
présidente, Guido Raimondi, András Sajó, Nebojša Vučinić,
Helen Keller, Egidijus Kūris,
Robert Spano, juges, ainsi que de Stanley Naismith, greffier de section, a déclaré la requête
recevable quant au grief soulevé par les requérants en leur nom sous l’angle de
l’article 8 de la Convention concernant les mesures adoptées à l’égard de
l’enfant T.C. et irrecevable pour le surplus, et a conclu, par cinq voix contre
deux, à la violation de l’article 8. À l’arrêt était joint le texte de
l’opinion en partie dissidente commune aux juges Raimondi et Spano. Le 27 avril 2015, le Gouvernement a sollicité le
renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre au titre de l’article 43 de la
Convention. Le 1er juin 2015, le collège de la Grande Chambre a fait droit à
cette demande.
5. La
composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§
4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.
6. Tant les
requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites
complémentaires (article 59 § 1 du règlement).
7. Une
audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à
Strasbourg, le 9 décembre 2015 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu
:
– pour le
Gouvernement
MmesP. ACCARDO,co-agente,
M.L.
AVERSANO, bureau de l’agent du Gouvernement,
A. MORRESI,
ministère de la Santé,
G.
PALMIERI, avocate,
M.G.
D’AGOSTINO, ministère de la Justice,conseillers ;
– pour les
requérants
MM.P.
SPINOSI, avocat,conseil,
Y. PELOSI,
avocat,
N. HERVIEU,
avocat,conseillers.
La Cour a
entendu M. Spinosi et Mmes Aversano,
Morresi et Palmieri en
leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses à des questions de juges.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. Les
requérants – un couple marié – sont nés respectivement en 1967 et 1955 et
résident à Colletorto.
A. L’arrivée de l’enfant en Italie
9. Après
avoir tenté d’avoir un enfant et après avoir eu recours en vain à des
techniques de procréation médicalement assistée, les requérants se proposèrent
de devenir parents adoptifs.
10. Le 7
décembre 2006, ils obtinrent l’agrément du tribunal pour mineurs de Campobasso pour
adopter un enfant étranger au sens de la loi no 184 de 1983, intitulée « Droit
de l’enfant à une famille » (ci-après « la loi sur l’adoption »), sous réserve
que l’âge de l’enfant fût compatible avec les limites prévues par la loi
(paragraphe 63 ci-dessous). Les requérants déclarent être restés en vain dans
l’attente d’un enfant à adopter.
11. Par la
suite, ils décidèrent de recourir de nouveau à des techniques de procréation
assistée et de faire appel à une mère porteuse en Russie. Ils prirent contact à
cette fin avec une clinique située à Moscou. La requérante affirme s’être
rendue à Moscou et avoir transporté depuis l’Italie et déposé à la clinique le
liquide séminal du requérant dûment conservé.
Une mère
porteuse fut trouvée et les requérants conclurent une convention de gestation
pour autrui avec la société Rosjurconsulting. Après
une fécondation in vitro réussie le 19 mai 2010, deux embryons furent implantés
dans l’utérus de la mère porteuse le 19 juin 2010.
12. Le 16
février 2011, la clinique russe attesta que le liquide séminal du requérant
avait été utilisé pour les embryons à implanter dans l’utérus de la mère
porteuse.
13. La
requérante se rendit à Moscou le 26 février 2011, la clinique ayant annoncé la
naissance de l’enfant pour la fin du mois.
14.
L’enfant naquit à Moscou le 27 février 2011. À la même date, la mère porteuse
donna son consentement écrit pour que l’enfant soit enregistré comme le fils
des requérants. Sa déclaration écrite datée du même jour, lue à voix haute à
l’hôpital en présence de son médecin, du médecin-chef et du chef de division de
l’hôpital, est ainsi libellée (traduction française de la version originale
russe) :
« Je
soussignée (...) ai mis au monde un garçon à la clinique maternité (...) de
Moscou. Les parents de l’enfant sont un couple marié d’italiens, Giovanni Campanelli, né le (...) et Donatina
Paradiso, née le (...), qui ont déclaré par écrit
vouloir implanter leurs embryons dans mon utérus.
Sur la base
de ce qui précède et conformément à l’alinéa 5 du paragraphe 16 de la loi
fédérale sur l’état civil et à l’alinéa 4 du paragraphe 51 du code de la
famille, je donne mon consentement pour que le couple ci-dessus soit inscrit
sur l’acte et sur le certificat de naissance en tant que parents de l’enfant
dont j’ai accouché. (...) »
15. Dans
les jours qui suivirent la naissance de l’enfant, la requérante s’installa avec
lui dans un appartement à Moscou qu’elle avait loué à l’avance. Le requérant,
resté en Italie, put communiquer avec elle régulièrement par l’internet.
16. Le 10
mars 2011, les requérants furent enregistrés en tant que parents du nouveau-né
par le bureau d’état civil de Moscou. Le certificat de naissance russe, qui
indiquait que les requérants étaient les parents de l’enfant, fut apostillé
conformément aux dispositions de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961
supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers.
17. Le 29
avril 2011, la requérante, munie du certificat de naissance, se rendit au
consulat d’Italie à Moscou en vue d’obtenir les papiers lui permettant de
rentrer en Italie avec l’enfant. Le consulat d’Italie délivra les documents
permettant à ce dernier de partir en Italie avec la requérante.
18. Le 30
avril 2011, la requérante et l’enfant arrivèrent en Italie.
19. Par une
note du 2 mai 2011 – qui n’est pas versée au dossier – le consulat d’Italie à
Moscou fit savoir au tribunal des mineurs de Campobasso, au ministère des
Affaires étrangères, à la préfecture et à la ville de Colletorto
que le dossier relatif à la naissance de l’enfant contenait des données
fausses.
20.
Quelques jours plus tard, le requérant demanda à la municipalité de Colletorto l’enregistrement du certificat de naissance.
B. La réaction des autorités italiennes
21. Le 5
mai 2011, le parquet ouvrit une procédure pénale à l’encontre des requérants,
soupçonnés d’« altération d’état civil » au sens de l’article 567 du code
pénal, d’« usage de faux » au sens de l’article 489 du code pénal, ainsi que de
l’infraction prévue à l’article 72 de la loi sur l’adoption, au motif qu’ils
avaient amené l’enfant en Italie sans respecter la procédure prévue par les
dispositions sur l’adoption internationale figurant dans cette loi (paragraphe
67 ci-dessous).
22.
Parallèlement, le 5 mai 2011, le ministère public près le tribunal pour mineurs
de Campobasso demanda l’ouverture d’une procédure d’adoptabilité afin que
l’enfant puisse être proposé à l’adoption, estimant que l’enfant devait être
considéré en état d’abandon au sens de la loi. Le même jour, le tribunal pour
mineurs nomma un curateur spécial (curatore speciale) et ouvrit une procédure d’adoptabilité.
23. Le 16
mai 2011, le tribunal pour mineurs mit l’enfant sous curatelle à la demande du
procureur de la République. Le curateur de l’enfant demanda au tribunal de
suspendre l’autorité parentale des requérants, en application de l’article 10 §
3 de la loi sur l’adoption.
24. Les
requérants s’opposèrent aux mesures concernant l’enfant.
25. À la
demande du tribunal pour mineurs le 10 mai 2011, les requérants reçurent, le 12
mai 2011, la visite d’une équipe d’assistantes sociales. Il ressort du rapport
rédigé par celles-ci et daté du 18 mai 2011 que les requérants étaient estimés
et respectés par leurs concitoyens, qu’ils jouissaient d’un niveau de revenus
confortable et vivaient dans une belle maison. Selon le rapport, l’enfant était
en parfaite santé et son bien-être était manifeste car il était pris en charge
de façon optimale par les requérants.
26. Le 25
mai 2011, la requérante, assistée de son avocat, fut interrogée par les carabiniers
de Larino. L’intéressée déclara qu’elle s’était
rendue en Russie, seule, en septembre 2008, avec le liquide séminal de son
mari. Elle affirma avoir souscrit un contrat avec la société Rosjurconsulting, qui se serait engagée à trouver une mère
porteuse disposée à accueillir dans son utérus le matériel génétique de la
requérante et de son époux, par le biais de la clinique Vitanova
de Moscou. La requérante expliqua que cette pratique était parfaitement légale
en Russie et lui avait permis d’obtenir un certificat de naissance mentionnant
les requérants comme parents. En juin/juillet 2010, la requérante aurait été
contactée par la société russe au motif qu’une mère porteuse avait été trouvée
et aurait donné son accord pour l’intervention.
27. Le 27
juin 2011, les requérants furent entendus par le tribunal pour mineurs. La
requérante déclara qu’après huit tentatives infructueuses de fécondation in
vitro, qui avaient mis en danger sa santé, elle s’était adressée à la clinique
russe car il était possible en Russie d’utiliser les ovules d’une donneuse qui
étaient ensuite implantés dans le ventre de la mère porteuse.
28. Le 7
juillet 2011, le tribunal ordonna de procéder à un test ADN pour établir si le
requérant était le père biologique de l’enfant.
29. Le 11
juillet 2011, le ministre de l’Intérieur demanda au bureau d’état civil de
refuser l’enregistrement de l’acte de naissance.
30. Le 1er
août 2011, le requérant et l’enfant se soumirent à un test ADN. Le résultat de
ce test montra qu’il n’y avait pas de lien génétique entre eux.
31. À la
suite du résultat de ce test, les requérants demandèrent des explications à la
clinique russe. Des mois plus tard, par une lettre du 20 mars 2012, la
direction de la clinique leur fit part de sa surprise quant aux résultats du test
ADN. Selon elle, il y avait eu une enquête interne car il y avait évidemment eu
une erreur, mais le responsable de cette erreur n’avait pas pu être identifié
car il y avait eu dans l’intervalle des licenciements et de nouveaux
recrutements.
32. Le 4 août
2011, le bureau d’état civil de la municipalité de Colletorto
refusa l’enregistrement du certificat de naissance. Les requérants
introduisirent un recours contre ce refus devant le tribunal de Larino. La suite de la procédure est exposée aux
paragraphes 46-48 ci-dessous.
33. Le
ministère public demanda au tribunal de Larino de
donner une nouvelle identité à l’enfant et de délivrer un nouveau certificat de
naissance.
C. La suite de la procédure devant les
juridictions pour mineurs
1. La décision
du tribunal pour mineurs du 20 octobre 2011
34. Dans le
cadre de la procédure d’adoptabilité pendante devant le tribunal pour mineurs
(paragraphe 22 ci-dessus), les requérants demandèrent à une psychologue, Mme
I., de conduire une expertise sur le bien-être de l’enfant. Il ressort de la
note rédigée le 22 septembre 2011 par Mme I., après quatre rencontres entre
celle-ci et l’enfant, que les requérants – attentifs aux besoins de ce dernier
– avaient développé une relation affective intense avec lui. Le rapport
indiquait que les grands-parents et le reste de la famille entouraient
également l’enfant d’affection, et que celui-ci était sain, vif, réactif. Mme
I. en concluait que les requérants étaient des parents idoines pour l’enfant, à
la fois du point de vue psychologique et du point de vue de leur capacité à
éduquer et à former. Elle ajoutait que d’éventuelles mesures d’éloignement
auraient des conséquences dévastatrices pour l’enfant, expliquant que ce
dernier traverserait une phase dépressive due à l’abandon et à la perte de
personnes fondamentales dans sa vie. Pour elle, cela pouvait entraîner des
somatisations et compromettre le développement psycho-physique de l’enfant et,
à long terme, des symptômes d’une pathologie psychotique pouvaient apparaître.
35. Les
requérants demandèrent à ce que l’enfant soit placé chez eux en vue de
l’adopter le cas échéant.
36. Par une
décision immédiatement exécutoire du 20 octobre 2011, le tribunal pour mineurs
de Campobasso ordonna l’éloignement de l’enfant des requérants, sa prise en
charge par les services sociaux et son placement en foyer (casa famiglia).
37. Les
passages pertinents de la décision du tribunal pour mineurs se lisent ainsi :
« (...)
Il ressort
des déclarations des époux Campanelli que Mme Paradiso s’est rendue en Russie avec le liquide séminal de
son mari dans un récipient prévu à cet effet et a souscrit là-bas un accord
avec la société Rosjurconsulting. Mme Paradiso a ensuite remis le liquide séminal de son mari à
la clinique prévue par ledit accord. Un ou plusieurs ovules d’une donatrice,
inconnue, ont été fécondés in vitro avec ce liquide séminal, puis implantés
dans une autre femme, dont l’identité est connue, qui a mis au monde le mineur
en question le 27 février 2011. En contrepartie, M. Campanelli
et Mme Paradiso ont versé une importante somme
d’argent. Mme Paradiso a précisé que la femme qui a
accouché du mineur a renoncé à ses droits sur ce dernier et a donné son
consentement pour que l’acte de naissance, rédigé en Russie, mentionne que
l’enfant était celui de M. Campanelli et Mme Paradiso (une copie du consentement éclairé donné le 27
février 2011 par la femme ayant donné naissance au mineur a été déposée dans le
cadre de la présente instance).
Une
expertise a ensuite été ordonnée pour établir si le mineur était le fils
biologique de Giovanni Campanelli. Dans son rapport,
déposé dans le cadre de la présente instance, l’experte, [L.S.], a conclu que
les résultats obtenus lors du typage de l’ADN de Giovanni Campanelli
et de celui du mineur [T.C.] conduisent à exclure la paternité biologique de
Giovanni Campanelli à l’égard du mineur.
Lors de
l’audience tenue ce jour, M. Campanelli et Mme Paradiso se sont reportés aux déclarations déjà faites et
Mme Paradiso a répété avoir emmené en Russie le liquide
séminal de son mari pour qu’il soit utilisé aux fins de la fécondation prévue.
Les
conclusions de l’expertise n’ont toutefois pas été contestées.
À l’issue
de l’audience, le ministère public a demandé que les demandes des époux Campanelli soient rejetées, que le mineur soit placé chez
des tiers et qu’un tuteur provisoire soit nommé pour ce dernier. Le curateur
spécial du mineur a demandé que le mineur soit placé conformément à l’article 2
de la loi no 184/1983 et qu’un tuteur lui soit désigné. M. Campanelli
et Mme Paradiso ont demandé, à titre principal, au
tribunal d’ordonner que le mineur fût temporairement placé chez eux en vue
d’une adoption ultérieure ; à titre subsidiaire, ils ont sollicité la
suspension de la présente procédure dans l’attente de la qualification pénale
des faits, ainsi que la suspension de la procédure pénale susmentionnée ouverte
contre eux et de la procédure engagée pour contester le refus de transcrire
l’acte de naissance du mineur devant la cour d’appel de Campobasso ; à titre encore
plus subsidiaire, ils ont demandé la suspension de la présente procédure au
titre de l’article 14 de la loi no 184/1993 en vue d’un éventuel rapatriement
du mineur en Russie ou, en cas de refus, d’un placement du mineur auprès d’eux
au titre de l’article 2 de la loi précitée.
Cela étant,
le tribunal observe que les déclarations de M. Campanelli
et de Mme Paradiso quant à la remise en Russie du
matériel génétique de Giovanni Campanelli ne sont
confirmées par aucun élément de preuve. Il est, en revanche, démontré que le
mineur [T.C.] n’est le fils biologique ni de Donatina
Paradiso ni, au vu des résultats de l’expertise, de
Giovanni Campanelli. En l’état, la seule certitude
concerne l’identité de la femme qui a accouché de l’enfant. Il ne nous est pas
donné de connaître les parents biologiques de ce dernier, à savoir l’homme et
la femme qui ont fourni les gamètes.
Au vu de
ces éléments, le présent cas d’espèce ne peut être qualifié de maternité dite
subrogée de type gestationnel, dans laquelle la mère subrogée qui a accouché de
l’enfant n’a aucun lien génétique avec celui-ci puisque la fécondation a été
faite avec des ovules d’une tierce femme. En réalité, pour pouvoir parler de
maternité subrogée de type gestationnel ou traditionnel (la mère subrogée met à
disposition ses propres ovules), il est nécessaire qu’il y ait un lien
biologique de l’enfant avec au moins un des parents d’intention (en l’espèce M.
Campanelli et Mme Paradiso),
lien biologique qui, comme nous l’avons vu, n’existe pas. »
Pour le
tribunal, les requérants s’étaient par conséquent mis dans une situation
illégale :
« Il en
découle que M. Campanelli et Mme Paradiso
se sont mis dans une situation illégale puisqu’ils ont fait entrer un enfant en
Italie en faisant croire qu’il s’agissait de leur fils, ce qui constitue une
violation manifeste des dispositions de notre ordre juridique (loi no 184 du 4
mai 1983) qui régissent l’adoption internationale des mineurs. Au-delà des
aspects pénaux qui pourraient entrer en ligne de compte en l’espèce (violation
de l’article 72, alinéa 2, de la loi no 184/1983 ), dont l’appréciation
n’incombe pas au présent tribunal, il convient de relever que l’accord conclu
par MmeParadiso avec la société Rosjurconsulting
revêt les caractéristiques de l’illégalité puisque, compte tenu des termes de
l’accord (remise du matériel génétique de M. Campanelli
en vue de la fécondation des ovules d’une autre femme), il est contraire à
l’interdiction de recourir à des techniques de procréation médicalement
assistée (P.M.A.) de type hétérologue, prévue par l’article 4 de la loi no 40
du 19 février 2004.
En tout
état de cause, il convient de relever que, bien qu’en possession d’un agrément
à l’adoption internationale accordé par ordonnance rendue le 7 décembre 2006
par le présent tribunal , M. Campanelli et Mme Paradiso ont intentionnellement contourné, comme nous
l’avons dit, les dispositions de la loi no 184/1983 en ce qu’elles prévoient
non seulement l’obligation pour les personnes souhaitant adopter de s’adresser
à un organisme agréé (article 31), mais également l’intervention de la
commission pour les adoptions internationales (article 38) qui est le seul
organisme compétent pour autoriser l’entrée et la résidence permanente du
mineur étranger en Italie (article 32). »
Le tribunal
estima qu’il fallait donc avant tout mettre un terme à cette situation
d’illégalité :
« Il faut
donc avant tout mettre un terme à cette situation illégale dont le maintien
aurait valeur de ratification d’une conduite illégale mise en œuvre par une
violation flagrante des dispositions de notre ordre juridique.
Partant, il
est nécessaire d’éloigner le mineur des époux Campanelli
et de le placer dans une structure appropriée dans l’attente de trouver, le
plus vite possible, un couple approprié auquel le confier. Cette tâche sera
assignée aux services sociaux de la commune de Colletorto
afin qu’ils identifient la structure appropriée et y placent le mineur, auquel
la législation italienne en matière d’adoption est applicable au sens de
l’article 37 bis de la loi no 184/1983 : il est en effet indubitable qu’il se
trouve en état d’abandon, puisqu’il est dépourvu de parents biologiques ou de
famille et que la femme qui l’a mis au monde a renoncé à ses droits sur lui.
Force est
d’admettre, certes, que le mineur subira probablement un préjudice du fait de
la séparation avec M. Campanelli et Mme Paradiso. Mais compte tenu de son bas âge et de la courte
période passée avec ceux-ci, on ne peut partager l’avis de la psychologue, [Mme
I.] (à laquelle se sont adressés M. Campanelli et Mme
Paradiso), selon lequel il est certain que la
séparation du mineur d’avec ces derniers entraînerait des conséquences
dévastatrices pour le mineur. Selon la littérature en la matière, le simple
fait d’être séparé de personnes qui prennent soin de lui ne constitue pas un
agent causal déterminant d’un état psychopathologique chez le mineur, en
l’absence d’autres facteurs de causalité. Le traumatisme de la séparation
d’avec M. Campanelli et MmeParadiso
ne sera pas irréparable, étant donné que seront immédiatement activées des
recherches pour trouver un couple en mesure d’apaiser les conséquences du
traumatisme à travers un processus compensatoire apte à favoriser une nouvelle
adaptation.
Il
convient, en outre, de relever que le fait que M. Campanelli
et Mme Paradiso (en particulier Mme Paradiso) ont affronté les souffrances et les difficultés
des techniques de la P.M.A. (MmeParadiso a même
affirmé qu’elle s’était trouvée en danger de mort lors de l’une de ces
interventions) et ont préféré contourner la législation italienne en la
matière, alors même qu’ils étaient en possession d’un agrément à l’adoption
internationale, fait penser et craindre que le mineur soit un instrument pour
réaliser un désir narcissique du couple ou exorciser un problème individuel ou
de couple. Tout cela, au vu de la conduite de M. Campanelli
et de Mme Paradiso en l’espèce, jette une ombre
importante sur l’existence de réelles capacités affectives et éducatives et
d’un instinct de solidarité humaine, qui doivent être présents chez ceux qui
désirent intégrer les enfants d’autres personnes dans leur vie comme s’il
s’agissait de leurs propres enfants.
L’éloignement
du mineur des époux Campanelli répond donc à
l’intérêt supérieur du mineur. »
38. D’après
les requérants, la décision du tribunal fut mise à exécution le jour même, sans
qu’ils en fussent préalablement informés.
2. Le
recours contre la décision du tribunal pour mineurs
39. Les
requérants déposèrent un recours (reclamo) devant la
cour d’appel de Campobasso. Ils arguaient, entre autres, que les juridictions
italiennes ne pouvaient pas remettre en cause le certificat de naissance russe.
Ils demandaient, par ailleurs, de n’adopter aucune mesure concernant l’enfant
tant que la procédure pénale ouverte contre eux et la procédure engagée pour
contester le refus de transcrire le certificat de naissance étaient pendantes.
3. La
décision de la cour d’appel de Campobasso du 28 février 2012
40. Par une
décision du 28 février 2012, la cour d’appel de Campobasso rejeta le recours.
La cour
d’appel estima que l’enfant T.C. se trouvait « en état d’abandon » (in stato di abbandono) au sens de
l’article 8 de la loi sur l’adoption, étant donné que les requérants n’étaient
pas ses parents. Dans ces conditions, la question de savoir si les requérants
avaient une responsabilité pénale ou pas et s’il y avait eu erreur ou pas dans
l’utilisation du liquide séminal d’origine inconnue n’était selon elle pas
pertinente. Pour la cour d’appel, il n’était pas opportun d’attendre l’issue du
procès pénal ni celle de la procédure intentée par les requérants face au refus
de transcrire le certificat de naissance. La cour d’appel estima que l’article
33 de la loi no 218/1995 (loi sur le droit international privé) n’empêchait pas
l’autorité judiciaire italienne de ne pas donner suite aux indications
certifiées provenant d’un État étranger, et que sa compétence pour connaître de
l’affaire ne posait pas problème puisque, aux termes de l’article 37bis de la
loi sur l’adoption, « (...) la loi italienne régissant l’adoption, le placement
et les mesures nécessaires en cas d’urgence s’appliqu[ait]
a tout mineur étranger se trouvant [en Italie] en état d’abandon » (voir aussi
cour de cassation 1128/92).
41. La
décision était insusceptible de pourvoi en cassation (paragraphe 68
ci-dessous).
D. La saisie conservatoire du certificat de
naissance
42.
Entre-temps, le 30 octobre 2011, le procureur de la République près le tribunal
de Larino avait ordonné la saisie conservatoire du
certificat de naissance russe, au motif qu’il s’agissait d’une preuve
essentielle. Selon lui, les requérants non seulement avaient vraisemblablement
commis les faits reprochés, mais ils avaient tenté de les dissimuler. Aux dires
du procureur, les intéressés avaient, entre autres, déclaré être les parents
biologiques, puis avaient corrigé leur version des faits au fur et à mesure
qu’ils étaient désavoués.
43. Les
requérants attaquèrent la décision de saisie conservatoire.
44. Par une
décision du 20 novembre 2012, le tribunal de Campobasso rejeta le recours des
requérants en raison des graves soupçons qui pesaient sur eux quant à la
commission des infractions reprochées. Le tribunal releva en particulier les
faits suivants : la requérante avait fait circuler la rumeur de sa grossesse ;
elle s’était présentée au consulat italien à Moscou en laissant sous-entendre
qu’elle était la mère naturelle ; ensuite, elle avait admis que l’enfant avait
été mis au monde par une mère subrogée ; elle avait déclaré aux carabiniers, le
25 mai 2011, que le requérant était le père biologique, ce que les tests ADN
avaient démenti ; elle avait donc fait de fausses déclarations ; elle avait été
très vague quant à l’identité de la mère génétique ; les documents relatifs à
la maternité subrogée disaient que les deux requérants avaient été vus par les
médecins russes, ce qui ne concordait pas avec le fait que le requérant ne
s’était pas rendu en Russie ; les documents concernant l’accouchement
n’indiquaient aucune date précise. Le tribunal estima que la seule certitude
était que l’enfant était né et qu’il avait été remis à la requérante contre le
paiement de près de 50 000 euros (EUR). Pour le tribunal, l’hypothèse selon
laquelle les requérants avaient eu une conduite illégale afin d’obtenir la
transcription de la naissance et de contourner les lois italiennes paraissait
donc fondée.
45. En
novembre 2012, le ministère public transmit au tribunal pour mineurs la
décision concernant la saisie conservatoire et indiqua qu’une condamnation pour
l’infraction prévue par l’article 72 de la loi sur l’adoption priverait les
intéressés de la possibilité d’accueillir l’enfant en placement (affido) et d’adopter celui-ci ou d’autres mineurs. Pour le
ministère public, il n’y avait donc pas d’autres solutions que de continuer la
procédure d’adoption pour l’enfant, et le placement provisoire auprès d’une
famille avait donc été demandé en vertu des articles 8 et 10 de la loi sur
l’adoption. Le ministère public réitéra sa demande et souligna que l’enfant
avait été éloigné plus d’un an auparavant et qu’il vivait depuis dans un foyer
(casa famiglia), où il avait établi de solides
relations avec des personnes appelées à s’occuper de lui. Il expliqua que
l’enfant n’avait donc pas encore trouvé un environnement familial pouvant
remplacer celui qui lui avait été illégalement offert par le couple qui l’avait
emmené en Italie. Selon le ministère public, cet enfant semblait destiné à une
nouvelle séparation beaucoup plus douloureuse que celle d’avec la mère qui
l’avait mis au monde, puis d’avec la femme qui prétendait être sa mère.
E. La procédure intentée par les requérants
pour contester le refus d’enregistrer l’acte de naissance
46. Suite à
l’introduction d’un recours pour contester le refus du bureau d’état civil
d’enregistrer le certificat de naissance russe, le tribunal de Larino se déclara incompétent le 29 septembre 2011. Par la
suite, la procédure reprit devant la cour d’appel de Campobasso. Les requérants
demandèrent avec insistance la transcription du certificat de naissance russe.
47. Par une
décision immédiatement exécutoire du 3 avril 2013, la cour d’appel de
Campobasso se prononça au sujet de la transcription du certificat de naissance.
À titre
préliminaire, elle rejeta l’exception soulevée par le tuteur selon laquelle les
requérants n’avaient pas la qualité pour agir devant cette juridiction ; elle
reconnut en effet aux requérants la capacité d’ester en justice dans la mesure
où ils étaient mentionnés comme les « parents » dans l’acte de naissance qu’ils
souhaitaient transcrire.
Toutefois,
la cour d’appel jugea évident que les requérants n’étaient pas les parents
biologiques, et en conclut qu’il n’y avait donc pas eu de gestation pour
autrui. Elle releva que les parties s’accordaient à dire que la loi russe
présupposait un lien biologique entre l’enfant et au moins un des parents
d’intention pour pouvoir parler de maternité de substitution. Elle en déduisit
que l’acte de naissance était faux (ideologicamente falso) et contraire à la loi russe. Pour la cour d’appel,
étant donné ensuite que rien ne montrait que l’enfant avait la citoyenneté
russe, l’argument des requérants tiré de l’inapplicabilité de la loi italienne
se heurtait à l’article 33 de la loi sur le droit international privé, selon
lequel la filiation était déterminée par la loi nationale de l’enfant au moment
de la naissance.
La cour
d’appel ajouta qu’il était contraire à l’ordre public de transcrire le
certificat litigieux car il était faux. Selon elle, même si les requérants
plaidaient leur bonne foi et alléguaient qu’ils n’arrivaient pas à s’expliquer
pourquoi, à la clinique russe, le liquide séminal du requérant n’avait pas été
utilisé, cela ne changeait rien à la situation et ne remédiait pas au fait que
le requérant n’était pas le père biologique.
48. En
conclusion, la cour d’appel estima qu’il était légitime de refuser la
transcription du certificat de naissance russe ainsi que d’accueillir la
demande du ministère public d’établir un nouvel acte de naissance. Par
conséquent, elle ordonna la délivrance d’un nouvel acte de naissance dans lequel
il serait indiqué que l’enfant était né à Moscou le 27 février 2011 de parents
inconnus, et il lui serait attribué un nouveau nom (déterminé conformément au
décret présidentiel no 396/00).
F. Le sort de l’enfant
49. À la
suite de l’exécution de la décision rendue le 20 octobre 2011 par le tribunal
pour mineurs, l’enfant resta placé dans un foyer pendant environ quinze mois,
dans un endroit inconnu des requérants. Les contacts entre les requérants et
l’enfant furent interdits. Ceux-ci ne purent avoir aucune nouvelle de lui.
50. En
janvier 2013, l’enfant fut placé dans une famille en vue de son adoption.
51. Début
avril 2013, son tuteur demanda au tribunal pour mineurs d’attribuer une
identité conventionnelle à l’enfant, afin que celui-ci puisse être inscrit sans
difficulté à l’école. Il expliqua que l’enfant avait été placé dans une famille
le 26 janvier 2013, mais qu’il était sans identité. Pour le tuteur, cette «
inexistence » avait un fort impact sur les questions administratives, notamment
s’agissant de savoir sous quelle identité il fallait inscrire l’enfant à
l’école, dans son carnet de vaccinations et à son domicile. Tout en admettant
que cette situation répondait au but de ne pas permettre aux requérants de
déterminer où était l’enfant afin de mieux le protéger, le tuteur expliqua
qu’une identité temporaire conventionnelle permettrait de maintenir le secret
sur l’identité réelle de l’enfant et, en même temps, permettrait à ce dernier
d’accéder aux services publics alors que, jusqu’à présent, il lui était
loisible seulement d’utiliser les services médicaux d’urgence.
52. Il
ressort du dossier que cette demande fut accueillie par le tribunal pour
mineurs, et que l’enfant reçut une identité conventionnelle.
53. Le
Gouvernement a fait savoir que l’adoption du mineur est désormais effective.
G. L’issue
de la procédure devant le tribunal pour mineurs
54. La
procédure d’adoptabilité (paragraphe 22 ci-dessus) reprit devant le tribunal
pour mineurs de Campobasso. Les requérants confirmèrent leur opposition au placement
de l’enfant auprès de tierces personnes. Le tuteur sollicita une déclaration
selon laquelle les requérants n’avaient plus de locus standi.
Le
ministère public demanda au tribunal de ne pas déclarer l’enfant adoptable sous
le nom que celui-ci avait à l’origine, au motif qu’il avait entre-temps ouvert
une deuxième procédure en vue de demander la déclaration d’adoptabilité pour
l’enfant sous sa nouvelle identité (enfant de parents inconnus).
55. Le 5
juin 2013, le tribunal pour mineurs déclara que les requérants n’avaient plus
la qualité pour agir dans la procédure d’adoption, étant donné qu’ils n’étaient
ni les parents ni les membres de la famille de l’enfant au sens de l’article 10
de la loi sur l’adoption. Le tribunal déclara qu’il réglerait la question de
l’adoption de l’enfant dans le cadre de l’autre procédure d’adoption, à
laquelle le ministère public s’était référé.
H. L’issue
de la procédure pénale dirigée contre les requérants
56. Aucun
détail sur la suite de la procédure pénale ouverte contre les requérants n’a
été fourni par les parties. Il semble que cette procédure soit toujours
pendante.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le droit italien
1. La loi
sur le droit international privé
57. Aux termes
de l’article 33 de la loi no 218 de 1995 sur le droit international privé, la
filiation est déterminée par la loi nationale de l’enfant au moment de la
naissance.
2. La loi
de simplification de l’état civil
58. Le
décret no 396 du président de la République du 3 novembre 2000, (loi de
simplification de l’état civil) prévoit que les déclarations de naissance
relatives à des ressortissants italiens qui ont été émises à l’étranger doivent
être transmises aux autorités consulaires (article 15). Les autorités
consulaires transmettent copie des actes aux fins de la transcription à l’état
civil de la commune où l’intéressé entend établir sa résidence (article 17).
Les actes formés à l’étranger ne peuvent être transcrits s’ils sont contraires
à l’ordre public (article 18). Pour qu’elles déploient leurs effets en Italie,
les décisions (provvedimenti) étrangères prononcées
en matière de capacité des personnes ou d’existence de relations familiales ne
doivent pas être contraires à l’ordre public (article 65).
3. La loi
no 40 du 19 février 2004 sur la procréation médicalement assistée
59. Cette
loi prévoyait en son article 4 l’interdiction de recourir aux techniques de
procréation hétérologues. Le non-respect de cette disposition entraînait une
sanction pécuniaire allant de 300 000 EUR à 600 000 EUR.
60. Par
l’arrêt no 162 du 9 avril 2014, la Cour constitutionnelle a déclaré ces
dispositions inconstitutionnelles, dans la mesure où l’interdiction ci dessus
concernait un couple hétérosexuel souffrant de stérilité ou d’infertilité
avérée et irréversible.
61. Dans ce
même arrêt, la Cour constitutionnelle a dit que l’interdiction de la maternité
de substitution, prévue par l’article 12 § 6 de la loi, était en revanche
légitime. Cette disposition punit quiconque pratique, organise ou promeut la
commercialisation de gamètes ou d’embryons ou la maternité de substitution. Les
peines prévues sont l’emprisonnement (trois mois à deux ans) et une amende
allant de 600 000 EUR à 1 000 000 EUR.
62. Par
l’arrêt no 96 du 5 juin 2015, la Cour constitutionnelle s’est de nouveau
prononcée sur l’interdiction de recourir aux techniques de procréation
hétérologue et a déclaré ces dispositions inconstitutionnelles à l’égard des
couples fertiles mais porteurs de graves maladies génétiquement transmissibles.
4. Les
dispositions pertinentes en matière d’adoption
63. Les
dispositions relatives à la procédure d’adoption sont consignées dans la loi no
184/1983, intitulée « Droit de l’enfant à une famille », telle que modifiée par
la loi no 149 de 2001.
Selon
l’article 2 de cette loi, le mineur qui a été temporairement privé d’un
environnement familial adéquat peut être confié à une autre famille, si
possible comprenant des enfants mineurs, ou à une personne seule, ou à une
communauté de type familial, afin de lui assurer subsistance, éducation et
instruction. Au cas où un placement familial adéquat ne serait pas possible, il
est autorisé de placer le mineur dans un établissement d’assistance public ou
privé, de préférence dans sa région de résidence.
L’article 5
de la loi prévoit que la famille ou la personne à laquelle le mineur est confié
doit assurer sa subsistance, son éducation et son instruction, compte tenu des
indications du tuteur et conformément aux prescriptions de l’autorité
judiciaire. Dans tous les cas, la famille d’accueil exerce la responsabilité
parentale en ce qui concerne les rapports avec l’école et le service sanitaire
national. La famille d’accueil doit être entendue dans le cadre de la procédure
de placement et de celle concernant la déclaration d’adoptabilité.
L’article 6
de la loi prévoit des limites d’âge pour adopter. L’écart entre l’âge de
l’enfant et celui de l’adoptant doit être au minimum de dix-huit ans et au
maximum de quarante-cinq ans, cette limite pouvant être portée jusqu’à
cinquante-cinq ans pour le deuxième adoptant. Le tribunal pour mineurs peut
déroger à ces limites d’âge lorsqu’il estime que le fait de ne pas procéder à
l’adoption de l’enfant serait préjudiciable pour celui-ci.
Par
ailleurs, l’article 7 dispose que l’adoption est possible au bénéfice des
mineurs déclarés adoptables.
L’article 8
prévoit que « peuvent être déclarés en état d’adoptabilité par le tribunal pour
enfants, même d’office, (...) les mineurs en état d’abandon car dépourvus de
toute assistance morale ou matérielle de la part des parents ou de la famille
tenus d’y pourvoir, sauf si le manque d’assistance est dû à une cause de force
majeure à caractère transitoire ». « L’état d’abandon subsiste », poursuit
l’article 8, « (...) même si les mineurs se trouvent dans un foyer ou s’ils ont
été placés auprès d’une famille ». Enfin, cette disposition prévoit que la
cause de force majeure cesse si les parents ou d’autres membres de la famille
du mineur tenus de s’en occuper refusent les mesures d’assistance publique et
si ce refus est considéré par le juge comme injustifié. L’état d’abandon peut
être signalé à l’autorité publique par tout particulier et peut être constatée
d’office par le juge. D’autre part, tout fonctionnaire public ainsi que tout
membre de la famille du mineur qui aurait connaissance de l’état d’abandon de
ce dernier est tenu de le signaler. Par ailleurs, les foyers doivent informer
régulièrement l’autorité judiciaire de la situation des mineurs qu’ils
accueillent (article 9).
L’article
10 prévoit ensuite que le tribunal peut ordonner, jusqu’au placement en vue de
l’adoption du mineur dans la famille d’accueil, toute mesure temporaire dans
l’intérêt de celui-ci, y compris, le cas échéant, la suspension de l’autorité
parentale.
Les
articles 11 à 14 prévoient une instruction visant à clarifier la situation du
mineur et à établir s’il se trouve en état d’abandon. En particulier, l’article
11 dispose que lorsque, au cours de l’enquête, il ressort que l’enfant n’a de
rapports avec aucun membre de sa famille jusqu’au quatrième degré, le tribunal
peut déclarer que l’enfant est en état d’adoptabilité, sauf s’il existe une
demande d’adoption au sens de l’article 44 de la loi.
Si, à
l’issue de la procédure prévue par ces derniers articles, l’état d’abandon au
sens de l’article 8 persiste, le tribunal des mineurs déclare le mineur
adoptable si : a) les parents ou les autres membres de la famille ne se sont
pas présentés au cours de la procédure ; b) leur audition a démontré la
persistance du manque d’assistance morale et matérielle ainsi que l’incapacité
des intéressés à y remédier ; c) les prescriptions imposées en application de
l’article 12 n’ont pas été exécutées par la faute des parents (article 15).
L’article 15 prévoit également que la déclaration d’adoptabilité est émise par
le tribunal des mineurs siégeant en chambre du conseil par décision motivée,
après avoir entendu le ministère public, le représentant du foyer dans lequel
le mineur a été placé ou de son éventuelle famille d’accueil, le tuteur et le
mineur lui-même s’il est âgé de plus de douze ans ou, s’il est plus jeune, si
son audition est nécessaire.
Selon
l’article 17, la demande d’opposition à la décision déclarant un mineur
adoptable doit être déposée dans un délai de trente jours à partir de la date
de la communication à la partie requérante.
L’article
19 stipule que, pendant l’état d’adoptabilité, l’exercice de l’autorité
parentale est suspendu.
L’article
20 prévoit enfin que l’état d’adoptabilité cesse au moment où le mineur est
adopté ou lorsque ce dernier devient majeur. Par ailleurs, l’état
d’adoptabilité peut être révoqué, d’office ou sur demande des parents ou du
ministère public, si les conditions prévues par l’article 8 ont entre-temps
disparu. Cependant, si le mineur a été placé dans une famille en vue de
l’adoption (affidamento preadottivo)
en vertu des articles 22 à 24, l’état d’adoptabilité ne peut pas être révoqué.
64.
L’article 44 prévoit certains cas d’adoption spéciale : l’adoption est possible
au bénéfice des mineurs qui n’ont pas encore été déclarés adoptables. En
particulier, l’article 44 d) autorise l’adoption quand il est impossible de
procéder à un placement en vue de l’adoption.
65.
L’article 37bis de cette loi dispose que la loi italienne s’applique aux
mineurs étrangers qui se trouvent en Italie et qui sont en état d’abandon, pour
ce qui est de l’adoption, du placement et des mesures urgentes.
66. Les
personnes souhaitant adopter un enfant étranger doivent s’adresser à un
organisme autorisé pour la recherche d’un enfant (article 31), et à la
commission pour les adoptions internationales (article 38). Cette dernière est
le seul organe compétent pour autoriser l’entrée et la résidence permanente du
mineur étranger en Italie (article 32). Une fois le mineur arrivé en Italie, le
tribunal pour mineurs ordonne la transcription de la décision d’adoption dans
le registre de l’état civil.
67. Aux
termes de l’article 72 de la loi, celui qui – en violation des dispositions
indiquées au paragraphe 66 ci dessus – introduit sur le territoire de l’État un
mineur étranger en vue de se procurer de l’argent ou d’autres bénéfices, et
afin que le mineur soit confié définitivement à des citoyens italiens, commet
une infraction pénale punie d’une peine d’emprisonnement de un à trois ans. Cette
peine s’applique également à ceux qui, en échange d’argent ou d’autres
bénéfices, accueillent des mineurs étrangers en « placement » de manière
définitive. La condamnation pour cette infraction entraîne l’incapacité
d’accueillir des enfants en placement (affido) et
l’incapacité de devenir tuteur.
5. Le
recours en cassation prévu par l’article 111 de la Constitution
68. Aux
termes de l’article 111, alinéa 7, de la Constitution italienne, il est
toujours possible de se pourvoir en cassation pour alléguer une violation de la
loi s’agissant de décisions judiciaires portant sur les restrictions à la
liberté personnelle. La Cour de cassation a élargi le domaine d’application de
ce recours aux procédures civiles lorsque la décision litigieuse a un impact
substantiel sur des situations (decisoria) et qu’elle
ne peut pas être modifiée ou révoquée par le même juge qui l’a prononcée (definitiva).
Les
décisions concernant des mesures urgentes à l’égard d’un mineur en état d’abandon
prises par décision du tribunal pour mineurs sur la base de l’article 10 de la
loi sur l’adoption (articles 330 et suivants du code civil, et 742 du code de
procédure civile) sont modifiables ou révocables. Elles peuvent faire l’objet
d’une réclamation devant la cour d’appel. Les décisions pouvant être modifiées
et révoquées à tout moment ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en
cassation (Cour de cassation, section I, arrêt du 18.10.2012, no 17916).
6. La loi
instituant les tribunaux pour mineurs
69. Le
décret royal no 1404 de 1934, converti en la loi no 835 de 1935, a institué les
tribunaux pour mineurs. Cette loi a subi des modifications ultérieurement.
Aux termes
de son article 2, tout tribunal pour mineurs se compose d’un juge de cour d’appel,
d’un juge de première instance et de deux magistrats non professionnels. Ces
derniers sont choisis parmi des spécialistes en biologie, psychiatrie,
anthropologie criminelle, pédagogie ou psychologie.
B. La jurisprudence de la Cour de cassation
1. Jurisprudence
antérieure à l’audience devant la Grande Chambre
70. La Cour
de cassation (Section I, arrêt no 24001 du 26 septembre 2014) s’est prononcée
dans une affaire civile concernant deux ressortissants italiens qui s’étaient
rendus en Ukraine pour avoir un enfant à l’aide d’une mère porteuse. La Cour de
cassation a estimé que la décision de placer l’enfant était conforme à la loi.
Ayant constaté l’absence de liens génétiques entre l’enfant et les parents
d’intention, elle en a déduit que la situation litigieuse était illégale au
regard du droit ukrainien, ce dernier exigeant un lien biologique avec l’un des
parents d’intention. Après avoir rappelé que l’interdiction de la maternité de
substitution était toujours en vigueur en Italie, la haute juridiction a
expliqué que l’interdiction de la maternité de substitution en droit italien
était de nature pénale et avait pour but de protéger la dignité humaine de la
mère porteuse ainsi que la pratique de l’adoption. Elle a ajouté que seule une
adoption règlementaire, reconnue en droit, rendait possible une parentalité non
basée sur le lien biologique. Elle a déclaré que l’évaluation de l’intérêt de
l’enfant se faisait en amont par le législateur, et que le juge n’a en la
matière aucune marge d’appréciation. Elle en a conclu qu’il ne pouvait pas y
avoir de conflit avec l’intérêt de l’enfant lorsque le juge appliquait la loi
nationale et ne prenait pas en compte la filiation établie à l’étranger suite à
une maternité de substitution.
2.Jurisprudence
postérieure à l’audience devant la Grande Chambre
71. La Cour
de cassation (Section V, arrêt no 13525 du 5 avril 2016) s’est prononcée dans
une procédure pénale dirigée contre deux ressortissants italiens qui s’étaient
rendus en Ukraine en vue de concevoir un enfant en ayant recours à une donneuse
d’ovules et à une mère porteuse. La loi ukrainienne exige que l’un des deux
parents soit le parent biologique. Le jugement d’acquittement prononcé en
première instance avait été attaqué en cassation par le ministère public. La
haute juridiction a rejeté le pourvoi du ministère public, confirmant ainsi
l’acquittement, fondé sur le constat que les requérants n’avaient pas violé
l’article 12 § 6 de la loi no40 du 19 février 2004 sur la procréation
médicalement assistée puisqu’ils avaient eu recours à une technique de
procréation assistée qui était légale dans le pays où elle avait été pratiquée.
En outre, la Cour de cassation a estimé que le fait que les accusés avaient
présenté aux autorités italiennes un certificat de naissance étranger ne
s’analysait pas en une infraction de « fausse déclaration sur l’identité »
(article 495 du code pénal) ou d’« altération d’état civil » (article 567 du
code pénal), dès lors que le certificat en question était légal au regard du
droit du pays qui l’avait délivré.
72. La Cour
de cassation (Section I, arrêt no 12962/14 du 22 juin 2016) s’est prononcée
dans une affaire civile où la requérante avait demandé à pouvoir adopter
l’enfant de sa compagne. Les deux femmes s’étaient rendues en Espagne en vue
d’avoir recours à des techniques de procréation assistée interdites en Italie.
L’une d’elles est la « mère » selon le droit italien, le liquide séminal
provient d’un donneur inconnu. La requérante avait obtenu gain de cause en
première et deuxième instance. Saisie par le ministère public, la haute
juridiction a rejeté le recours de celui-ci et a ainsi accepté qu’un enfant né
grâce à des techniques de procréation assistée au sein d’un couple de femmes
soit adopté par celle qui n’en avait pas accouché. Pour parvenir à cette
conclusion la Cour de cassation a pris en compte le lien affectif stable
existant entre la requérante et l’enfant ainsi que l’intérêt du mineur. La Cour
a utilisé l’article 44 de la loi sur l’adoption, qui prévoit des cas
particuliers d’adoption.
C. Le droit russe
73. À
l’époque des faits, à savoir jusqu’en février 2011, moment de la naissance de
l’enfant, la seule loi pertinente en vigueur était le code de la famille du 29
décembre 1995. Ce dernier disposait qu’un couple marié était reconnu comme
couple de parents d’un enfant né d’une mère porteuse, lorsque cette dernière
donnait son consentement écrit (article 51 § 4 du code de la famille). Le code
de la famille était silencieux quant à la question de savoir si, en cas de
gestation pour autrui, les parents d’intention doivent avoir ou non un lien
biologique avec l’enfant. Le décret d’application no 67, adopté en 2003 et
resté en vigueur jusqu’en 2012, était pareillement silencieux à cet égard.
74.
Postérieurement à la naissance de l’enfant, la loi fondamentale sur la
protection de la santé des citoyens, adoptée le 21 novembre 2011 et entrée en
vigueur le 1er janvier 2012, a introduit des dispositions pour réglementer les
activités médicales, y compris les procréations assistées. Dans son article 55,
cette loi définit la gestation pour autrui comme le fait de porter et de
remettre un enfant sur la base d’un contrat conclu par la mère porteuse et les
parents d’intention qui ont fourni le matériel génétique leur appartenant.
Le décret
no 107 pris le 30 août 2012 par le ministre de la santé définit la gestation
pour autrui comme un contrat passé entre la mère porteuse et les parents
d’intention ayant utilisé leur matériel génétique pour la conception.
III. DROIT ET INSTRUMENTS INTERNATIONAUX
PERTINENTS
A. La Convention de la Haye supprimant
l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers
75. La
Convention de la Haye supprimant l’exigence de la légalisation des actes
publics étrangers a été conclue le 5 octobre 1961. Elle s’applique aux actes publics
– tels que définis à l’article 1 – qui ont été établis sur le territoire d’un
État contractant et qui doivent être produits sur le territoire d’un autre État
contractant.
Article 2
« Chacun
des États contractants dispense de légalisation les actes auxquels s’applique
la présente Convention et qui doivent être produits sur son territoire. La
légalisation au sens de la présente Convention ne recouvre que la formalité par
laquelle les agents diplomatiques ou consulaires du pays sur le territoire
duquel l’acte doit être produit attestent la véracité de la signature, la
qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant,
l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. »
Article 3
« La seule
formalité qui puisse être exigée pour attester la véracité de la signature, la
qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant,
l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu, est l’apposition de
l’apostille définie à l’article 4, délivrée par l’autorité compétente de l’État
d’où émane le document. »
Article 5
«
L’apostille est délivrée à la requête du signataire ou de tout porteur de
l’acte. Dûment remplie, elle atteste la véracité de la signature, la qualité en
laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau
ou timbre dont cet acte est revêtu. La signature, le sceau ou timbre qui
figurent sur l’apostille sont dispensés de toute attestation ».
Il ressort
du rapport explicatif de ladite Convention que l’apostille n’atteste pas de la
véracité du contenu de l’acte sous-jacent. Cette limitation des effets
juridiques découlant de la Convention de la Haye a pour but de préserver le
droit des États signataires d’appliquer leurs propres règles en matière de
conflits de lois lorsqu’ils doivent décider du poids à attribuer au contenu du
document apostillé.
B. La Convention des Nations unies relative aux
droits de l’enfant
76. Les
dispositions pertinentes de la Convention des Nations unies relative aux droits
de l’enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989, se lisent comme suit :
Préambule
« Les États
parties à la présente Convention,
(...)
Convaincus
que la famille, unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance
et le bien-être de tous ses membres, et en particulier des enfants, doit
recevoir la protection et l’assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer
pleinement son rôle dans la communauté,
Reconnaissant
que l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir
dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de
compréhension,
(...)
Sont
convenus de ce qui suit :
(...)
Article 3
1. Dans
toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des
institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des
autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de
l’enfant doit être une considération primordiale.
(...)
Article 7
1. L’enfant
est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci (...) le droit de
connaître ses parents et d’être élevé par eux.
(...)
Article 9
1. Les
États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents
contre leur gré (...)
Article 20
1. Tout
enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial,
ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à
une protection et une aide spéciales de l’État.
2. Les
États parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme
à leur législation nationale.
3. Cette
protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une
famille, de la kafalah de droit islamique, de
l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants
approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la
nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que de
son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique.
Article 21
Les États
parties qui admettent et/ou autorisent l’adoption s’assurent que l’intérêt
supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la matière, et :
a) Veillent
à ce que l’adoption d’un enfant ne soit autorisée que par les autorités
compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables
et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré,
que l’adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l’enfant par rapport
à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les
personnes intéressées ont donné leur consentement à l’adoption en connaissance
de cause, après s’être entourées des avis nécessaires ;
b)
Reconnaissent que l’adoption à l’étranger peut être envisagée comme un autre
moyen d’assurer les soins nécessaires à l’enfant, si celui-ci ne peut, dans son
pays d’origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être
convenablement élevé ;
c)
Veillent, en cas d’adoption à l’étranger, à ce que l’enfant ait le bénéfice de
garanties et de normes équivalant à celles existant en cas d’adoption
nationale;
d) Prennent
toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d’adoption à
l’étranger, le placement de l’enfant ne se traduise pas par un profit matériel
indu pour les personnes qui en sont responsables ;
e)
Poursuivent les objectifs du présent article en concluant des arrangements ou
des accords bilatéraux ou multilatéraux, selon les cas, et s’efforcent dans ce
cadre de veiller à ce que les placements d’enfants à l’étranger soient
effectués par des autorités ou des organes compétents.
(...) »
77. Dans
son Observation générale no 7 (2005) sur la mise en œuvre des droits de
l’enfant dans la petite enfance, le Comité des droits de l’enfant a souhaité
encourager les États parties à reconnaître que les jeunes enfants jouissent de
tous les droits garantis par la Convention relative aux droits de l’enfant et
que la petite enfance est une période déterminante pour la réalisation de ces
droits. Le Comité évoque notamment l’intérêt supérieur de l’enfant :
« 13.
L’article 3 de la Convention consacre le principe selon lequel l’intérêt
supérieur de l’enfant est une considération primordiale dans toutes les
décisions concernant les enfants. En raison de leur manque relatif de maturité,
les jeunes enfants dépendent des autorités compétentes pour définir leurs
droits et leur intérêt supérieur et les représenter lorsqu’elles prennent des
décisions et des mesures affectant leur bien-être, tout en tenant compte de
leur avis et du développement de leurs capacités. Le principe de l’intérêt
supérieur de l’enfant est mentionné à de nombreuses reprises dans la Convention
(notamment aux articles 9, 18, 20 et 21, qui sont les plus pertinents pour la
petite enfance). Ce principe s’applique à toutes les décisions concernant les
enfants et doit être accompagné de mesures efficaces tendant à protéger leurs
droits et à promouvoir leur survie, leur croissance et leur bien-être ainsi que
de mesures visant à soutenir et aider les parents et les autres personnes qui
ont la responsabilité de concrétiser au jour le jour les droits de l’enfant :
a) Intérêt
supérieur de l’enfant en tant qu’individu. Dans toute décision concernant
notamment la garde, la santé ou l’éducation d’un enfant, dont les décisions prises
par les parents, les professionnels qui s’occupent des enfants et autres
personnes assumant des responsabilités à l’égard d’enfants, le principe de
l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en considération. Les États
parties sont instamment priés de prendre des dispositions pour que les jeunes
enfants soient représentés de manière indépendante, dans toute procédure
légale, par une personne agissant dans leur intérêt et pour que les enfants
soient entendus dans tous les cas où ils sont capables d’exprimer leurs
opinions ou leurs préférences ;
(...) »
C. La Convention de la Haye sur la protection
des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale
78. Les
dispositions pertinentes de la Convention sur la protection des enfants et la coopération
en matière d’adoption internationale, conclue à la Haye le 29 mai 1993, se
lisent comme suit :
Article 4
« 1. Les
adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités
compétentes de l’État d’origine :
a) ont
établi que l’enfant est adoptable ;
b) ont
constaté, après avoir dûment examiné les possibilités de placement de l’enfant
dans son État d’origine, qu’une adoption internationale répond à l’intérêt
supérieur de l’enfant ;
c) se sont
assurées
1) que les
personnes, institutions et autorités dont le consentement est requis pour
l’adoption ont été entourées des conseils nécessaires et dûment informées sur
les conséquences de leur consentement, en particulier sur le maintien ou la
rupture, en raison d’une adoption, des liens de droit entre l’enfant et sa
famille d’origine,
2) que
celles-ci ont donné librement leur consentement dans les formes légales
requises, et que ce consentement a été donné ou constaté par écrit,
3) que les
consentements n’ont pas été obtenus moyennant paiement ou contrepartie d’aucune
sorte et qu’ils n’ont pas été retirés, et
4) que le
consentement de la mère, s’il est requis, n’a été donné qu’après la naissance
de l’enfant ; et
d) se sont
assurées, eu égard à l’âge et à la maturité de l’enfant,
1) que celui-ci
a été entouré de conseils et dûment informé sur les conséquences de l’adoption
et de son consentement à l’adoption, si celui-ci est requis,
2) que les
souhaits et avis de l’enfant ont été pris en considération,
3) que le
consentement de l’enfant à l’adoption, lorsqu’il est requis, a été donné
librement, dans les formes légales requises, et que son consentement a été
donné ou constaté par écrit, et
4) que ce
consentement n’a pas été obtenu moyennant paiement ou contrepartie d’aucune
sorte. »
D. Les principes adoptés par le comité ad hoc
d’experts sur les progrès des sciences biomédicales du Conseil de l’Europe
79. Le
comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales constitué au
sein du Conseil de l’Europe (CAHBI), prédécesseur de l’actuel comité directeur
de bioéthique, a publié en 1989 une série de principes dont le quinzième,
relatif aux « mères de substitution », est ainsi libellé :
« 1. Aucun
médecin ou établissement ne doit utiliser les techniques de procréation
artificielle pour la conception d’un enfant qui sera porté par une mère de
substitution.
2. Aucun
contrat ou accord entre une mère de substitution et la personne ou le couple
pour le compte de laquelle ou duquel un enfant est porté ne pourra être invoqué
en droit.
3. Toute activité
d’intermédiaire à l’intention des personnes concernées par une maternité de
substitution doit être interdite, de même que toute forme de publicité qui y
est relative.
4.
Toutefois, les États peuvent, dans des cas exceptionnels fixés par leur droit
national, prévoir, sans faire exception au paragraphe 2 du présent Principe,
qu’un médecin ou un établissement pourra procéder à la fécondation d’une mère
de substitution en utilisant des techniques de procréation artificielle, à
condition :
a. que la
mère de substitution ne retire aucun avantage matériel de l’opération; et
b. que la
mère de substitution puisse à la naissance choisir de garder l’enfant. »
E. Les
travaux de la Conférence de la Haye de droit international privé
80. La
Conférence de la Haye de droit international privé s’est penchée sur les
questions de droit international privé relatives au statut des enfants,
notamment concernant la reconnaissance de la filiation. À la suite d’un vaste
processus de consultation ayant débouché sur une étude comparative (documents
préliminaires no3B et no 3C de 2014), en avril 2014, le Conseil sur les
affaires générales et la politique a convenu que des travaux devraient être
poursuivis en vue d’approfondir l’étude de faisabilité pour l’établissement
d’un instrument multilatéral. Le document préliminaire no 3A de février 2015,
intitulé « Le projet Filiation/Maternité de substitution : note de mise à jour
» fait état de l’importance des préoccupations en matière de droit de l’homme
que suscite la situation actuelle concernant les conventions de maternité de
substitution internationales, ainsi que leur fréquence croissante. Dans ce
document, la Conférence de la Haye estime ainsi qu’il existe désormais une
justification impérative, du point de vue des droits de l’homme et notamment de
ceux des enfants, à ses travaux dans ce domaine.
IV. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ
81. Dans
les affaires Mennesson c. France (no 65192/11, §§
40-42, CEDH 2014 (extraits) et Labassee c. France (no
65941/11, §§ 31-33, 26 juin 2014), la Cour a donné un aperçu des résultats
d’une analyse de droit comparé couvrant trente-cinq États parties à la
Convention autres que la France. Il en ressort que la gestation pour autrui est
expressément interdite dans quatorze de ces États ; que dans dix autres États,
dans lesquels il n’y a pas de réglementation relative à la gestation pour
autrui, soit celle-ci est interdite en vertu de dispositions générales, soit
elle n’est pas tolérée, soit la question de sa légalité est incertaine ; et
qu’elle est autorisée dans sept de ces trente-cinq États (sous réserve de la
réunion de certaines conditions strictes).
Dans treize
de ces trente-cinq États, il est possible pour les parents d’intention
d’obtenir la reconnaissance juridique du lien de filiation avec un enfant né
d’une gestation pour autrui légalement pratiquée dans un autre pays.
EN DROIT
I. SUR L’OBJET DU LITIGE DEVANT LA GRANDE
CHAMBRE
82. Dans la
procédure devant la Grande Chambre, les deux parties ont soumis des observations
par rapport aux griefs qui ont été déclarés irrecevables par la chambre.
83. Le
Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours
internes, dans la mesure où ils se plaignent de la non reconnaissance du
certificat de naissance étranger. En effet, les intéressés ne se sont pas
pourvus en cassation contre la décision de la cour d’appel de Campobasso du 3
avril 2013, par laquelle celle-ci a confirmé le refus d’enregistrer ledit
certificat.
84. La Cour
note que la chambre a accueilli l’exception tirée du non épuisement des voies
de recours internes quant au grief concernant l’impossibilité d’obtenir
l’enregistrement du certificat de naissance russe. Par conséquent, ce grief a
été déclaré irrecevable (paragraphe 62 de l’arrêt de la chambre). Dès lors, ce
grief ne fait pas l’objet du litige soumis à l’examen de la Grande Chambre car,
selon la jurisprudence constante, « l’affaire » renvoyée devant la Grande
Chambre est la requête telle qu’elle a été déclarée recevable par la chambre
(voir, entre autres, K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 141, CEDH
2001-VII).
85. Les
requérants demandent à la Grande Chambre de prendre en compte les griefs qu’ils
ont formulés au nom de l’enfant, ceux-ci présentant à leur sens un intérêt au stade
de l’examen au fond (Azinas c. Chypre [GC], no
56679/00, § 32, CEDH 2004-III, K. et T. c. Finlande, précité, § 141). Ils
soutiennent qu’en effet l’intérêt supérieur de l’enfant est au cœur de
l’affaire et qu’il n’a aucunement été pris en compte par les autorités
nationales.
86. À cet
égard, la Cour relève que la chambre a estimé que les requérants n’avaient pas
qualité pour agir devant la Cour au nom de l’enfant et qu’elle a rejeté les
griefs soulevés au nom de celui-ci comme étant incompatibles ratione personae (paragraphes 48-50 de l’arrêt de la
chambre). Il s’ensuit que cette partie de la requête ne fait pas l’objet du
litige soumis à l’examen de la Grande Chambre (K. et T. c. Finlande, précité, §
141).
87.
Néanmoins, la question de savoir si l’intérêt supérieur de l’enfant est à
prendre en compte dans l’examen des griefs que les requérants soulèvent en leur
nom est une question qui fait partie du litige devant la Grande Chambre.
II. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU
GOUVERNEMENT
A. Arguments des parties
1. Le Gouvernement
88. Le
Gouvernement soulève deux exceptions préliminaires.
89. En
premier lieu, il soutient que les requérants n’ont pas épuisé les voies de
recours internes, dans la mesure où ils n’ont pas contesté la décision du
tribunal pour mineurs du 5 juin 2013 qui leur dénie toute qualité pour agir
dans la procédure d’adoption. Selon lui, les recours disponibles en droit
italien étaient efficaces.
90. En
deuxième lieu, le Gouvernement demande à la Cour de rejeter la requête pour
incompatibilité ratione personae, au motif que les
requérants n’auraient pas de locus standi devant la
Cour.
2. Les requérants
91. Les
requérants rappellent que la chambre s’est déjà prononcée au sujet de ces
exceptions et qu’elle les a rejetées. Concernant en particulier l’exception de
non-épuisement des voies de recours internes par rapport à la décision du 5
juin 2013 leur déniant toute qualité pour agir dans la procédure d’adoption,
ils soulignent qu’au moment où le tribunal pour mineurs les a exclus de la
procédure, plus de vingt mois s’étaient écoulés depuis l’éloignement de
l’enfant. Ils estiment que l’écoulement du temps avait rendu parfaitement
illusoire le retour de l’enfant étant donné que celui ci vivait désormais dans
une autre famille. Ils observent que, du reste, le Gouvernement n’a fourni
aucun précédent jurisprudentiel à l’appui de sa thèse.
B. Appréciation de la Cour
92. La Cour
note que les exceptions soulevées par le Gouvernement ont déjà été examinées par
la chambre (paragraphes 55-64 de l’arrêt de la chambre).
93. Elle
relève que la chambre les a rejetées (paragraphes 64 et 57 respectivement de
l’arrêt de la chambre) et que le Gouvernement réitère ces exceptions en se
fondant sur les mêmes arguments. La Cour estime qu’en ce qui concerne ces deux
exceptions rien ne permet de s’écarter des conclusions de la chambre.
94. En
conclusion, les exceptions du Gouvernement doivent être rejetées.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE
LA CONVENTION
95. Les
requérants allèguent que les mesures prises par les autorités italiennes à
l’égard de l’enfant et qui ont conduit à l’éloignement définitif de celui-ci
ont porté atteinte à leur droit à la vie privée et familiale, tel que garanti
par l’article 8 de la Convention.
96. Le
Gouvernement s’oppose à cette thèse.
97.
L’article 8 de la Convention dispose ainsi dans ses parties pertinentes :
« 1. Toute
personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)
2. Il ne peut
y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour
autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une
mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien être économique du pays, à la défense
de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la
santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. L’arrêt de la chambre
98. Après
avoir déclaré irrecevable le grief formulé par les requérants au nom de
l’enfant ainsi que leur grief tiré de la non-reconnaissance du certificat de
naissance délivré en Russie, la chambre s’est penchée sur les mesures ayant
entraîné l’éloignement définitif de l’enfant.
Le
certificat de naissance n’ayant pas été reconnu en droit italien, la chambre a
estimé qu’entre les requérants et l’enfant il n’existait pas de lien juridique
à proprement parler. La chambre a conclu toutefois à l’existence d’une vie
familiale de facto au sens de l’article 8. Pour parvenir à cette conclusion,
elle a pris en compte le fait que les requérants avaient passé avec l’enfant
les premières étapes importantes de sa jeune vie, et qu’ils s’étaient comportés
à l’égard de l’enfant comme des parents. De surcroît, la chambre a estimé que
la vie privée du requérant était également en jeu, étant donné qu’au niveau
national, il avait cherché à vérifier l’existence d’un lien biologique entre
lui et l’enfant par le biais d’un test ADN. En conclusion, la chambre a dit que
les mesures litigieuses s’analysaient en une ingérence dans la vie familiale de
facto entre les requérants et l’enfant (paragraphes 67-69 de l’arrêt de la
chambre), et également dans la vie privée du requérant (paragraphe 70 de
l’arrêt de la chambre).
99.
Ensuite, constatant que les tribunaux internes avaient appliqué le droit
italien pour déterminer la filiation de l’enfant et avaient conclu à « l’état
d’abandon » de celui-ci à défaut d’un lien biologique avec les requérants, la
chambre a estimé que les juges nationaux n’avaient pas pris une décision
déraisonnable. Par conséquent, la chambre a admis que l’ingérence était «
prévue par la loi » (paragraphe 72 de l’arrêt de la chambre).
100. La
chambre a estimé ensuite que les mesures prises à l’égard de l’enfant tendaient
à la « défense de l’ordre », dans la mesure où la conduite des requérants se
heurtait à la législation italienne sur l’adoption internationale et sur la
procréation médicalement assistée. En outre, les mesures en question visaient
la protection des « droits et libertés » de l’enfant (paragraphe 73 de l’arrêt
de la chambre).
101. Ayant
reconnu l’existence d’une vie familiale, la chambre a apprécié les intérêts
privés des requérants et l’intérêt supérieur de l’enfant conjointement, et les
a mis en balance avec l’intérêt public. Elle n’a pas été convaincue par le
caractère adéquat des éléments sur lesquels les autorités italiennes s’étaient
appuyées pour conclure que l’enfant devait être pris en charge par les services
sociaux. Dans son raisonnement, elle s’est basée sur le principe que
l’éloignement de l’enfant du contexte familial était une mesure extrême à
laquelle on ne devrait avoir recours qu’en tout dernier ressort, pour répondre
au but de protéger l’enfant confronté à un danger immédiat pour celui-ci (la
chambre a renvoyé à cet égard aux arrêts suivants : Scozzari
et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 148, CEDH 2000 VIII, Neulinger et Shuruk c. Suisse
[GC], no 41615/07, § 136, CEDH 2010, Y.C. c. Royaume-Uni, no 4547/10, §§
133-138, 13 mars 2012, et Pontes c. Portugal, no 19554/09, §§ 74-80, 10 avril
2012). Au vu des éléments du dossier, la chambre a estimé que les juridictions
nationales avaient pris des décisions sans évaluer concrètement les conditions
de vie de l’enfant avec les requérants et l’intérêt supérieur de celui-ci. Elle
a par conséquent conclu à la violation de l’article 8 de la Convention, au
motif que les autorités nationales n’avaient pas préservé le juste équilibre
devant régner entre l’intérêt général et les intérêts privé en jeu (paragraphes
75-87 de l’arrêt de la chambre).
B. Observations des parties
1. Les
requérants
102. Les
requérants déclarent d’emblée que la Cour n’a pas vocation à se prononcer sur
autre chose que les mesures prises par les autorités italiennes à l’égard de
l’enfant, et ce sur le terrain de l’article 8 de la Convention, pour déterminer
s’il y a eu violation de leur droit à la vie privée et familiale. Pour eux, eu
égard à la décision de la chambre de déclarer irrecevable le grief tiré du
refus de transcrire en Italie l’acte de naissance russe de l’enfant, la Cour
n’est pas appelée à se prononcer sur la conventionalité du choix d’un État
d’autoriser ou non la pratique de la gestation pour autrui sur son sol ou sur
les conditions de reconnaissance d’un lien de filiation légalement conçu à
l’étranger.
103. Les
requérants estiment que les liens qui les unissaient à l’enfant s’analysent en
une vie familiale relevant de l’article 8 de la Convention. Ils se réfèrent à
cet égard à la jurisprudence de la Cour.
104. Ils
soutiennent que la vie familiale constituée entre eux et l’enfant mis au monde
par une mère de substitution est conforme au droit russe, tel qu’applicable à
l’époque des faits. Elle reposerait donc sur un lien juridique de parenté
légale attesté par le certificat de naissance délivré par les autorités
compétentes. La légalité de ce lien juridique de parenté ne serait pas affectée
par le fait qu’il s’est avéré qu’aucun lien biologique de filiation n’unissait
le père d’intention à l’enfant, la présence d’un tel lien biologique n’étant
pas requise par le droit russe à l’époque.
105. Pour
les requérants, l’autorité parentale qu’ils ont exercée sur l’enfant – et donc
le lien juridique de parenté qu’ils ont établi avec lui – a été reconnue par
les autorités italiennes dans la mesure où celles-ci l’ont suspendue et
révoquée.
106.
L’enfant aurait été le fruit d’un projet parental sérieux et mûrement réfléchi.
Le couple lui aurait manifesté son attachement avant même sa naissance (Anayo c. Allemagne, no 20578/07, § 61, 21 décembre 2010) et
aurait entrepris des démarches afin de permettre une vie familiale effective.
Les requérants affirment qu’à la naissance de l’enfant la requérante l’a pris
rapidement en charge et qu’elle s’est installée avec lui dans un appartement à
Moscou, en établissant de forts liens affectifs. Une fois arrivé en Italie,
l’enfant aurait vécu avec les requérants dans un cadre accueillant, sécurisant
et épanouissant pour lui tant sur le plan affectif que matériel. Les requérants
rappellent que la famille a vécu ensemble huit mois, dont six mois en Italie.
Même si cette période est relativement brève, elle correspondrait aux premières
étapes importantes de la jeune vie de l’enfant. Les requérants rappellent que,
du reste, cette brièveté ne saurait être imputée à leur volonté, la fin brutale
de cette cohabitation ayant découlé exclusivement des mesures prises par les
autorités italiennes.
107. Les
requérants ajoutent que l’absence de lien biologique ne peut suffire à écarter
l’existence d’une vie familiale. En l’occurrence, ils déclarent qu’ils étaient
de plus convaincus de l’existence d’un lien biologique entre le requérant et
l’enfant et qu’il n’existe aucune raison de douter de leur bonne foi. En tout
cas, l’erreur de la clinique n’aurait aucune conséquence juridique sur la
légalité de la filiation établie en Russie, puisqu’à l’époque des faits le
droit russe n’exigeait pas que les parents d’intention fournissent leur propre
matériel biologique. Dès lors, au regard des règles applicables à l’époque des
faits, la gestation pour autrui pratiquée par les requérants aurait été
parfaitement légale au regard du droit russe. Selon les requérants, ce n’est
que depuis le 1er janvier 2012, date de l’entrée en vigueur de la loi fédérale
no 323 FZ du 21 novembre 2011, que le recours à un donneur de gamètes est
interdit pour les parents d’intention.
108. Les
requérants estiment que les mesures adoptées par les autorités italiennes
s’analysent en une ingérence dans leur vie familiale. Pour eux, cette ingérence
reposait formellement sur une base légale, les mesures litigieuses ayant été
prises sur la base de la loi italienne sur l’adoption. Toutefois, ces mesures
découleraient d’une analyse arbitraire de la part des juridictions nationales
dans la mesure où celles-ci ont estimé que l’enfant était « en état d’abandon
». Les requérants soutiennent en outre que, si la pratique de la gestation pour
autrui est interdite par la loi sur la procréation médicalement assistée
(articles 6 et 14), il n’y a pourtant jamais eu de poursuites pénales
diligentées à l’encontre de mères porteuses ou de parents d’intention. En
effet, en l’absence d’une clause d’extraterritorialité, une gestation pour
autrui réalisée légalement dans un autre État ne peut selon eux pas faire
l’objet de poursuites de la part des juges italiens. À défaut de pouvoir
poursuivre la gestation pour autrui en tant que telle, d’autres dispositions
seraient utilisées pour fonder les poursuites pénales. Tel serait le cas des
requérants, poursuivis depuis le 5 mai 2011 pour altération d’état civil
(article 567 du code pénal), pour usage de faux (article 489 du code pénal) et
pour infraction aux dispositions de la loi sur l’adoption.
109. Les
requérants contestent la thèse selon laquelle le but légitime des mesures en
question était de protéger les droits et libertés de l’enfant. En effet, les
juridictions italiennes se seraient fondées exclusivement sur l’illégalité de
la situation créée par les requérants et se seraient bornées à affirmer – sans
aucun respect pour la législation russe – que la maternité de substitution en
Russie était contraire au droit italien. Ainsi, le tribunal pour mineurs se
serait principalement attaché à empêcher la poursuite de la situation illégale.
Les requérants voient dans les décisions de cette juridiction la volonté
exclusive de les sanctionner pour leur comportement. L’intérêt de l’enfant
n’aurait été évoqué que pour affirmer que l’impact des mesures litigieuses sur
celui-ci serait minime.
110. Quant
à la nécessité de ces mesures, les requérants observent que si le recours à la
gestation pour autrui suscite de délicates interrogations d’ordre éthique,
cette considération ne saurait justifier une « carte blanche justifiant toute
mesure ». En effet, si les États jouissent d’une ample marge d’appréciation
pour autoriser ou non la pratique de la gestation pour autrui sur leur sol, ils
estiment que ce n’est pas l’objet de la présente requête. Il reviendrait en
l’espèce à la Cour de dire si les mesures ayant entraîné l’éloignement
définitif de l’enfant ont préservé le juste équilibre entre les intérêts en
jeu, à savoir ceux des requérants, ceux de l’enfant et ceux de l’ordre public.
De ce point de vue, les requérants estiment qu’il y a lieu de considérer que
dans toutes les décisions concernant un enfant son intérêt supérieur doit
primer. Ainsi, ils soutiennent qu’une rupture immédiate et définitive des liens
familiaux n’a été jugée conforme à l’article 8 que lorsque les enfants
concernés étaient exposés à des risques graves et persistants pour leur santé
et leur bien-être. Or, tel n’était pas le cas en l’espèce selon les requérants,
qui estiment que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a aucunement été pris en
compte par les autorités nationales.
111. Les
requérants soutiennent qu’il y avait convergence d’intérêts entre eux et
l’enfant le jour où les mesures litigieuses ont été mises en œuvre. Ces mesures
auraient brisé leur vie familiale, et auraient entrainé une rupture définitive
des liens familiaux, avec des conséquences irrémédiables, en l’absence de
conditions pouvant justifier cette rupture. Le tribunal pour mineurs se serait
abstenu d’examiner les conditions réelles de vie de l’enfant, et aurait présumé
que ce dernier était sans assistance matérielle et morale des parents. Pour les
requérants, les juges nationaux ont mis en doute leur capacité affective et
éducative sur la seule base de l’illégalité de leur comportement et ont estimé
qu’ils avaient eu recours à la gestation pour autrui par narcissisme. Les
requérants rappellent qu’ils avaient été pourtant jugés aptes à devenir parents
adoptifs par ces mêmes autorités, et qu’en outre les assistantes sociales,
mandatées par le tribunal pour mineurs, avaient rédigé un compte-rendu très
favorable à la continuation de la vie commune avec l’enfant. Il y aurait eu des
insuffisances flagrantes dans le processus décisionnel ayant conduit aux
mesures contestées. Ainsi, les requérants estiment qu’ils ont été considérés
comme incapables d’éduquer et aimer l’enfant uniquement sur la base de
présomptions et déductions, et sans qu’une expertise ait été ordonnée par les
tribunaux.
112. Les
requérants observent en outre que les autorités n’ont pas envisagé des mesures
autres que la prise en charge définitive de l’enfant.
113. Ils
expliquent que le 20 octobre 2011 les agents des services sociaux se sont
présentés à leur domicile, alors qu’eux-mêmes n’étaient pas informés de la
décision du tribunal, et ont emmené l’enfant. Cette opération aurait provoqué
frayeur et détresse. Même au moment de la mise à exécution des mesures il y
aurait donc eu disproportion.
114. Enfin,
les requérants soulignent que les autorités italiennes n’ont pris aucune mesure
pour maintenir les relations entre eux et l’enfant en vue de préserver la
possibilité de reconstituer la famille et, bien au contraire, ont interdit tout
contact avec l’enfant et ont placé celui-ci dans un endroit inconnu. Pour les
requérants, l’impact de ces mesures a été irrémédiable.
115. Les
requérants demandent à la Cour de conclure à une violation de l’article 8 de la
Convention. Tout en étant conscients qu’une longue période de temps s’est
écoulée depuis que l’enfant a été placé sous assistance, et qu’il est
souhaitable, dans l’intérêt de l’enfant, que sa situation familiale ne change
pas de nouveau, ils estiment qu’une somme accordée au titre de la satisfaction
équitable ne serait pas suffisante. Ils souhaitent en effet reprendre contact
avec l’enfant.
2. Le
Gouvernement
116. Le
Gouvernement soutient que la chambre a interprété l’article 8 § 1 de la
Convention de manière trop extensive, et l’article 8 § 2 de manière trop
restrictive.
117. Se
référant au paragraphe 69 de l’arrêt de la chambre, dans lequel la chambre a
conclu à l’existence d’une vie familiale de facto entre les requérants et l’enfant,
le Gouvernement estime que l’affirmation de la chambre aurait été valable si le
lien entre les requérants et l’enfant avait été un lien familial réellement
biologique (quoique seulement du côté paternel) et formalisé par un acte de
naissance légal, et, surtout, si le temps vécu ensemble avait permis la mise en
place d’une réelle vie familiale et de l’exercice effectif de la responsabilité
parentale. Or, le Gouvernement observe qu’aucun des requérants n’a un lien
biologique avec l’enfant. Il en conclut que la vie familiale n’a en l’espèce
jamais commencé.
118. L’acte
de naissance litigieux serait également contraire à l’ordre public en raison du
fait qu’il mentionne que les requérants sont les parents « biologiques » de l’enfant,
ce qui, selon le Gouvernement, est faux. En outre, le Gouvernement s’oppose à
l’argument des requérants selon lequel le certificat de naissance délivré par
les autorités russes serait conforme à la loi russe. Il explique que cette
dernière requiert expressément l’existence d’un lien biologique entre l’enfant
et au moins un des parents d’intention. Ce point aurait d’ailleurs été pris en
compte par la cour d’appel de Campobasso au moment où elle a décidé de ne pas
autoriser l’enregistrement du certificat de naissance (arrêt du 3 avril 2013).
119. Par
ailleurs, le Gouvernement soutient qu’en 2011, les requérants ne répondaient
plus aux critères d’âge leur permettant d’adopter l’enfant en question. Il
ajoute que la vie familiale de facto ne peut pas se fonder sur une situation
illégale telle que celle créée par les requérants, qui pouvaient avoir un
enfant par l’adoption étant donné qu’ils avaient obtenu l’agrément en 2006.
Selon lui, les requérants avaient le choix de ne pas agir contre la loi.
120. Le
Gouvernement rappelle par ailleurs que, selon la jurisprudence de la Cour,
l’article 8 ne garantit ni le droit de fonder une famille ni le droit
d’adopter.
121. Le
Gouvernement reproche aux requérants d’avoir pris la responsabilité d’amener en
Italie un enfant qui leur était complètement étranger, et ce, en violation de
la législation applicable. Pour lui, le choix des intéressés était délibéré et
le fait qu’ils ont conclu un contrat pour acheter un nouveau-né a vicié leur
situation dès le départ. Le Gouvernement ne voit aucune mesure de nature à
régulariser cette situation.
122. En
outre, l’État jouit selon lui d’une vaste marge d’appréciation pour ce qui est
de la maternité subrogée et des techniques de procréation assistée. Le
transport du liquide séminal du requérant serait contraire à la loi sur la
procréation assistée ainsi qu’au décret législatif no 191/2007, transposant la
directive européenne 2004/23/CE relative à l’établissement de normes de qualité
et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la
conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains. En
outre, eu égard au fait que l’enfant n’a aucun lien biologique avec les
requérants, le Gouvernement doute de la validité du consentement de la mère porteuse
et de la régularité du protocole suivi en Russie.
123. Le
Gouvernement consacre une partie de ses observations à la question de la
non-reconnaissance du certificat de naissance étranger et observe que, selon le
code civil italien, la seule mère biologique possible est la mère qui a
accouché de l’enfant, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
124.
S’agissant des mesures visant à éloigner définitivement l’enfant, le
Gouvernement soutient que celles-ci reposaient sur une base légale et convient
avec la chambre qu’elles répondaient à un but légitime.
125. Quant
à leur nécessité, le Gouvernement souligne que le droit italien ne reconnaît la
filiation qu’en présence d’un lien biologique ou qu’en cas d’adoption
respectueuse des garanties prévues par la loi sur l’adoption. Selon lui, c’est
par ce choix – législatif, politique et éthique – que l’État italien a décidé
de protéger l’intérêt des mineurs, et de répondre aux exigences de l’article 3
de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant. Ce choix ne
laisserait aucune marge discrétionnaire aux juges.
126. Le
Gouvernement estime que les mesures prises par les tribunaux internes reposent
sur une évaluation attentive de la situation. Il rappelle que les juridictions
pour mineurs – qui prennent leurs décisions collégialement – se composent de
deux juges professionnels et de deux magistrats non professionnels ayant une
formation spécifique en psychiatrie ou biologie ou anthropologie criminelle ou
pédagogie ou psychologie. En l’occurrence, le tribunal de Campobasso aurait
pris en compte les aspects psycho-sociaux de l’enfant dans l’évaluation de
l’intérêt de celui-ci et aurait douté des capacités des requérants d’aimer et
éduquer l’enfant.
127. Le
Gouvernement assure que les mesures litigieuses ont été prises afin que
l’enfant puisse bénéficier d’une vie privée et familiale dans une autre
famille, capable de protéger sa santé et d’assurer son développement sain et
sûr et une identité certaine. Les autorités italiennes auraient recherché
l’équilibre entre les différents intérêts, et l’intérêt supérieur de l’enfant
aurait été la considération primordiale. Pour le Gouvernement, elles ont
respecté la législation nationale, conformément à la marge d’appréciation qui
leur est accordée en la matière, et ont réagi face au comportement des
requérants qui avaient violé la loi sur la procréation assistée.
128. Le
Gouvernement fait observer que la Cour de cassation est parvenue à la même
conclusion quant à des mesures similaires que les autorités avaient prises dans
un cas analogue à celui de l’espèce, où l’enfant était né en Ukraine
(paragraphe 70 ci-dessus). Il demande à la Cour de respecter le principe de
subsidiarité et la marge d’appréciation laissée aux États et de ne pas
substituer son appréciation à celle des autorités nationales.
129. Compte
tenu de ces éléments, le Gouvernement estime que la requête ne pose aucun
problème sous l’angle de l’article 8 de la Convention.
130. Enfin,
le Gouvernement consacre le dernier chapitre de ses observations à la gestation
pour autrui et à la loi sur la procréation médicalement assistée, qui interdit
cette pratique. Il souligne que les requérants ont eu recours à une pratique
commerciale éthiquement condamnable, à propos de laquelle il n’y a pas de
consensus européen. Le Gouvernement critique l’arrêt de la chambre au motif
qu’il ne contient pas de chapitre consacré au droit comparé européen en matière
de gestation pour autrui. Vu l’absence de règles communes et le fait que
certains États admettent la pratique de la maternité de substitution, le
Gouvernement dénonce la croissance du « tourisme procréatif » et observe que
les problèmes juridiques dans ce domaine sont épineux en raison du manque
d’harmonisation entre les systèmes juridiques des États. Il estime que, face à
ce défaut d’harmonisation et à l’absence de réglementation internationale, la
Cour doit reconnaître dans ce domaine une ample marge d’appréciation aux États.
C. Appréciation de la Cour
1. Considérations préliminaires
131. La
Cour note d’emblée que l’enfant T.C. est né d’un embryon issu d’un don
d’ovocytes et d’un don de sperme provenant de donneurs inconnus, et a été mis
au monde en Russie par une femme russe qui a renoncé à ses droits sur lui. Les
requérants n’ont donc aucun lien biologique avec l’enfant. Les intéressés ont
payé une somme de près de 50 000 EUR pour recevoir cet enfant. Les autorités
russes ont délivré un certificat de naissance attestant qu’ils en étaient les
parents au regard du droit russe. Les requérants ont ensuite décidé d’amener
l’enfant en Italie et d’y vivre avec lui. L’origine génétique de cet enfant
demeure inconnue. L’espèce concerne donc des requérants qui, en dehors de toute
procédure d’adoption régulière, ont introduit sur le territoire italien un
enfant – ne présentant aucun lien biologique avec au moins l’un d’eux –
provenant de l’étranger, et conçu – selon les juridictions nationales – à
l’aide de techniques de procréation assistée illégales au regard du droit
italien.
132. La
Cour note que, dans les affaires Mennesson c. France
(no 65192/11, CEDH 2014 (extraits)) et Labassee c.
France (no 65941/11, 26 juin 2014), deux couples de parents d’intention avaient
eu recours à la gestation pour autrui aux États-Unis et s’étaient installés
avec leurs enfants en France. Dans ces affaires, l’existence d’un lien
biologique entre le père et les enfants était avérée, et les autorités
françaises n’avaient à aucun moment envisagé de séparer les enfants des
parents. La question au cœur de ces affaires était le refus de transcrire
l’acte de naissance établi à l’étranger, dont la conformité au droit du pays
d’origine n’était pas contestée, ainsi que le droit des enfants à la
reconnaissance de leur filiation. Les parents et les enfants étaient tous
requérants devant la Cour.
133.
Contrairement aux affaires Mennesson et Labassee ci-dessus, la présente affaire ne porte pas sur la
transcription du certificat de naissance étranger et sur la reconnaissance de
la filiation d’un enfant issu d’une gestation pour autrui (paragraphe 84
ci-dessus). La question qui se pose en l’espèce porte sur les mesures adoptées
par les autorités italiennes ayant entraîné la séparation définitive de
l’enfant et des requérants. Les juridictions internes ont d’ailleurs affirmé
qu’il ne s’agissait pas d’une gestation pour autrui « traditionnelle », dès
lors que le matériel biologique des requérants n’avait pas été utilisé. Elles
ont mis l’accent sur le non-respect de la procédure prévue par les dispositions
sur l’adoption internationale et sur la violation de l’interdiction d’utiliser
des gamètes provenant de donneurs au sens de l’article 4 de la loi sur la
procréation médicalement assistée (voir le passage pertinent de la décision du
tribunal pour mineurs, paragraphe 37 ci-dessus).
134. Les
questions juridiques au cœur de la présente affaire sont donc les suivantes :
tout d’abord, il convient de déterminer si, au vu des circonstances décrites
ci-dessus, l’article 8 est applicable puis, dans l’affirmative, si les mesures
urgentes ordonnées par le tribunal pour mineurs – qui ont entraîné
l’éloignement de l’enfant – s’analysent en une ingérence dans le droit des
requérants au respect de leur vie familiale et/ou de leur vie privée au sens de
l’article 8 § 1 de la Convention et, le cas échéant, si les mesures en question
ont été prises conformément à l’article 8 § 2 de la Convention.
135. La
Cour rappelle enfin que l’enfant T.C. n’est pas requérant dans la procédure
devant elle, la chambre ayant écarté les griefs soulevés par les requérants en
son nom (paragraphe 86 ci-dessus). La Cour est donc appelée à se prononcer
uniquement sur les griefs soulevés par les requérants en leur propre nom (voir,
a contrario, Mennesson, précité, §§ 96-102, et Labassee, précité, §§ 75-81).
2.
Applicabilité de l’article 8 de la Convention
136. La
Cour rappelle que la chambre a conclu à l’existence d’une vie familiale de
facto entre les requérants et l’enfant (paragraphe 69 de l’arrêt de la
chambre). Elle a estimé en outre que la situation dénoncée relevait également
de la vie privée du requérant, au motif que l’enjeu pour ce dernier tenait à ce
que l’existence d’un lien biologique avec l’enfant fût établie (paragraphe 70
de l’arrêt de la chambre). Dès lors, l’article 8 de la Convention s’appliquait
en l’espèce.
137. Le
Gouvernement conteste l’existence d’une vie familiale en l’occurrence, arguant
essentiellement du défaut de lien biologique entre les requérants et l’enfant,
et de l’illégalité du comportement des requérants au regard du droit italien :
il soutient que, vu le comportement contraire à la loi adopté par les
requérants, aucun lien protégé par l’article 8 de la Convention ne saurait
exister entre eux et l’enfant. Il fait valoir que, de plus, les requérants ont
vécu seulement huit mois avec l’enfant.
138. Les
requérants demandent à la Cour de reconnaître l’existence d’une vie familiale,
malgré l’absence de lien biologique avec l’enfant et de reconnaissance de la
filiation en droit italien. Ils avancent pour l’essentiel qu’un lien juridique
de parenté est reconnu en droit russe et qu’ils ont tissé des liens affectifs
étroits avec l’enfant pendant les huit premiers mois de sa vie.
139. La
Cour se doit dès lors de répondre à la question de savoir si les faits de la
présente affaire relèvent de la vie familiale et/ou de la vie privée des
requérants.
a) Vie familiale
i.
Principes pertinents
140. La
question de l’existence ou de l’absence d’une vie familiale est d’abord une
question de fait, qui dépend de l’existence de liens personnels étroits (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 31, série A no 31, et
K. et T. c. Finlande, précité, § 150). La notion de « famille » visée par
l’article 8 concerne les relations fondées sur le mariage, et aussi d’autres
liens « familiaux » de facto, lorsque les parties cohabitent en dehors de tout
lien marital ou lorsque d’autres facteurs démontrent qu’une relation a
suffisamment de constance (Kroon et autres c.
Pays-Bas, 27 octobre 1994, § 30 , série A no 297-C, Johnston et autres c.
Irlande, 18 décembre 1986, § 55, série A no 112, Keegan
c. Irlande, 26 mai 1994, § 44, série A no 290, et X, Y et Z c. Royaume-Uni, 22
avril 1997, § 36, Recueil 1997 II).
141. Les
dispositions de l’article 8 ne garantissent ni le droit de fonder une famille
ni le droit d’adopter (E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 41, 22 janvier
2008). Le droit au respect d’une « vie familiale » ne protège pas le simple
désir de fonder une famille ; il présuppose l’existence d’une famille (Marckx, précité, § 31), voire au minimum d’une relation
potentielle qui aurait pu se développer, par exemple, entre un père naturel et
un enfant né hors mariage (Nylund c. Finlande (déc.),
no27110/95, CEDH 1999-VI), d’une relation née d’un mariage non fictif, même si
une vie familiale ne se trouvait pas encore pleinement établie (Abdulaziz, Cabales et Balkandali
c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 62, série A no 94), d’une relation entre un père
et son enfant légitime, même s’il s’est avéré des années après que celle-ci
n’était pas fondée sur un lien biologique (Nazarenko
c. Russie, no 39438/13, § 58, CEDH 2015 (extraits)) ou encore d’une relation
née d’une adoption légale et non fictive (Pini et autres c. Roumanie, nos
78028/01 et 78030/01, § 148, CEDH 2004 V (extraits)).
ii.
Application en l’espèce
142. Il
n’est pas contesté qu’il n’existe aucun lien biologique entre les requérants et
l’enfant. Les parties ont toutefois présenté des arguments divergents quant à
la question de savoir si les requérants étaient unis à l’enfant par un lien
juridique de parenté reconnu en droit russe (paragraphes 107 et 118 ci-dessus).
143. Il est
vrai que, comme l’indique le Gouvernement dans ses observations (paragraphe 118
ci-dessus), la question de la conformité au droit russe du certificat de
naissance a été examinée par la cour d’appel de Campobasso, qui a confirmé le
refus d’enregistrer le certificat litigieux, estimant que celui-ci était
contraire au droit russe (paragraphe 47 ci dessus). Les requérants n’ont pas
contesté cette thèse devant la Cour de cassation (paragraphe 84 ci-dessus).
144.
Cependant, le libellé des dispositions de droit russe applicables le 27 février
2011, date de la naissance de l’enfant, et le 10 mars 2011, date à laquelle les
requérants furent enregistrés comme parents à Moscou, semble confirmer la thèse
des requérants devant la Cour selon laquelle l’existence d’un lien biologique
entre l’enfant à naître et les parents d’intention n’était à l’époque des faits
pas explicitement requis en droit russe (paragraphes 73-74 et 107 ci-dessus).
En outre, le certificat en question se borne à indiquer que les requérants
étaient les « parents », sans préciser s’ils étaient les parents biologiques
(paragraphe 16 ci-dessus).
145. La
Cour note que la question de la conformité au droit russe du certificat de
naissance n’a pas été examinée par le tribunal pour mineurs, dans le cadre des mesures
urgentes adoptées à l’égard de l’enfant.
146. Devant
les juridictions italiennes, l’autorité parentale que les requérants ont
exercée sur l’enfant a été implicitement reconnue dans la mesure où celle-ci a
fait l’objet d’une demande de suspension (paragraphe 23 ci-dessus). Cependant,
l’autorité parentale en question était précaire, pour les raisons suivantes.
147. La
situation des requérants se heurtait au droit national. Selon le tribunal pour
mineurs de Campobasso (paragraphe 37 ci-dessus), et indépendamment des aspects
de droit pénal, les requérants étaient dans l’illégalité, d’une part pour avoir
amené en Italie un enfant étranger ne présentant aucun lien biologique avec au
moins l’un d’eux, en violation des règles fixées en matière d’adoption internationale
et, d’autre part, pour avoir souscrit un accord prévoyant la remise du liquide
séminal du requérant pour la fécondation d’ovocytes d’une autre femme, ce qui
était contraire à l’interdiction de la procréation assistée hétérologue.
148. La
Cour doit rechercher si, dans les circonstances de l’espèce, la relation entre
les requérants et l’enfant relève de la vie familiale au sens de l’article 8.
La Cour accepte, dans certaines situations, l’existence d’une vie familiale de
facto entre un adulte ou des adultes et un enfant en l’absence de liens
biologiques ou d’un lien juridiquement reconnu, sous réserve qu’il y ait des
liens personnels effectifs.
149. En
dépit de l’absence de liens biologiques et d’un lien de parenté juridiquement
reconnu par l’État défendeur, la Cour a estimé qu’il y avait vie familiale
entre les parents d’accueil qui avaient pris soin temporairement d’un enfant et
ce dernier, et ce en raison des forts liens personnels existants entre eux, du
rôle assumé par les adultes vis-à-vis de l’enfant, et du temps vécu ensemble
(Moretti et Benedetti c. Italie, no 16318/07, § 48, 27 avril 2010, et Kopf et Liberda c. Autriche,no1598/06, § 37, 17 janvier 2012). Dans l’affaire
Moretti et Benedetti, la Cour a attaché de l’importance au fait que l’enfant
était arrivée à l’âge d’un mois dans la famille et que, pendant dix-neuf mois,
les requérants avaient vécu avec l’enfant les premières étapes importantes de
sa jeune vie. Elle avait constaté, en outre, que les expertises conduites sur
la famille montraient que la mineure y était bien insérée et qu’elle était
profondément attachée aux requérants et aux enfants de ces derniers. Les
requérants avaient également assuré le développement social de l’enfant. Ces
éléments ont suffi à la Cour pour dire qu’il existait entre les requérants et
l’enfant un lien interpersonnel étroit et que les requérants se comportaient à
tous égards comme ses parents de sorte que des « liens familiaux » existaient «
de facto » entre eux (Moretti et Benedetti, précité, §§ 49-50). Dans l’affaire Kopf et Liberda, il s’agissait
d’une famille d’accueil, qui s’était occupée pendant environ quarante-six mois
d’un enfant arrivé à l’âge de deux ans. Là aussi, la Cour a conclu à
l’existence d’une vie familiale, compte tenu de ce que les requérants avaient
réellement à cœur le bien-être de l’enfant et compte tenu du lien affectif
existant entre les intéressés (Kopf et Liberda, précité, § 37).
150. En
outre, dans l’affaire Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg (no 76240/01, § 117, 28
juin 2007) – où il était question de l’impossibilité d’obtenir la
reconnaissance au Luxembourg d’une décision judiciaire péruvienne prononçant
l’adoption plénière de la deuxième requérante au profit de la première
requérante – la Cour a reconnu l’existence d’une vie familiale en l’absence
d’une reconnaissance juridique de l’adoption. Elle a pris en compte la
circonstance que des liens familiaux de facto existaient depuis plus de dix ans
entre les requérantes et que Mme Wagner se comportait à tous égards comme la
mère de la mineure.
151. Il y a
donc lieu d’examiner en l’espèce la qualité des liens, le rôle assumé par les
requérants vis-à-vis de l’enfant et la durée de la cohabitation entre eux et
l’enfant. La Cour estime que les requérants avaient conçu un projet parental et
assumaient leur rôle de parents vis à vis de l’enfant (voir, a contrario, Giusto, Bornacin et V. c. Italie
(déc.), no 38972/06, 15 mai 2007). Ils avaient tissé de forts liens affectifs
avec celui-ci dans les premières étapes de sa vie, dont la qualité ressort
d’ailleurs du rapport de l’équipe d’assistantes sociales demandé par le
tribunal pour mineurs (paragraphe 25 ci-dessus).
152. Quant
à la durée de la cohabitation entre les requérants et l’enfant en l’espèce, la
Cour relève qu’il y a eu six mois de cohabitation entre les requérants et
l’enfant en Italie, précédés d’une période d’environ deux mois entre la
requérante et l’enfant en Russie.
153. Il
serait certes inapproprié de définir une durée minimale de vie commune qui
puisse caractériser l’existence d’une vie familiale de facto, étant donné que
l’appréciation de toute situation doit tenir compte de la « qualité » du lien
et des circonstances de chaque espèce. Toutefois, la durée de la relation à
l’enfant est un facteur clé pour que la Cour reconnaisse l’existence d’une vie
familiale. Dans l’affaire Wagner et J.M.W.L. précitée, la vie commune avait
duré plus de dix ans. Ou encore, dans l’affaire Nazarenko
(précitée, § 58) dans laquelle un homme marié avait assumé le rôle paternel
avant de découvrir qu’il n’était pas le père biologique de l’enfant, la vie
commune s’était étendue sur plus de cinq ans.
154. Il est
vrai qu’en l’occurrence, la durée de la vie commune avec l’enfant a été
supérieure à celle de l’affaire D. et autres c. Belgique, ((déc.), no 29176/13,
§ 49, 8 juillet 2014), dans laquelle la Cour a estimé qu’il y avait vie
familiale protégée par l’article 8 pour une cohabitation ayant duré seulement
deux mois avant la séparation provisoire d’un couple belge et d’un enfant né en
Ukraine d’une mère porteuse. Toutefois, dans cette affaire, il y avait un lien
biologique entre l’enfant et au moins l’un des parents, et la cohabitation
avait repris par la suite.
155. Quant
à l’argument du requérant selon lequel il était convaincu d’être le père
biologique de l’enfant étant donné qu’il avait remis son propre liquide séminal
à la clinique, la Cour estime que cette conviction – qui a été démentie en août
2011 par le résultat du test ADN – ne peut pas compenser la courte durée de la
vie commune avec l’enfant (voir, a contrario, Nazarenko,
précité, § 58) et ne suffit donc pas pour qu’il y ait une vie familiale de
facto.
156. Même
si la fin de leur relation avec l’enfant n’est pas directement imputable aux
requérants en l’espèce, elle est tout de même la conséquence de la précarité
juridique qu’ils ont eux-mêmes donné aux liens en question en adoptant une
conduite contraire au droit italien et en venant s’installer en Italie avec
l’enfant. Les autorités italiennes ont rapidement réagi à cette situation en
demandant la suspension de l’autorité parentale et en ouvrant une procédure
d’adoptabilité (paragraphes 22-23 ci-dessus). En effet, l’espèce se distingue
des affaires précitées Kopf, Moretti et Benedetti, et
Wagner, dans lesquelles le placement de l’enfant auprès des requérants était
soit reconnu soit toléré par les autorités.
157. Compte
tenu des éléments ci-dessus, à savoir l’absence de tout lien biologique entre
l’enfant et les parents d’intention, la courte durée de la relation avec
l’enfant et la précarité des liens du point de vue juridique, et malgré
l’existence d’un projet parental et la qualité des liens affectifs, la Cour
estime que les conditions permettant de conclure à l’existence d’une vie
familiale de facto ne sont pas remplies.
158.
Partant, la Cour conclut à l’absence de vie familiale en l’espèce.
b) Vie
privée
i.
Principes pertinents
159. La
Cour rappelle que la notion de « vie privée » au sens de l’article 8 de la
Convention est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive.
Elle recouvre l’intégrité physique et morale de la personne (X et Y c.
Pays-Bas, 26 mars 1985, § 22, série A no 91) et, à un certain degré, le droit,
pour l’individu, de nouer et développer des relations avec ses semblables (Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 29, série A no
251-B). Elle peut parfois englober des aspects de l’identité physique et
sociale d’un individu (Mikulić c. Croatie, no
53176/99, § 53, CEDH 2002-I). La notion de vie privée englobe aussi le droit au
développement personnel ou encore le droit à l’autodétermination (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002 III), de
même que le droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir
parent (Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 71, CEDH 2007-I, et A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, § 212, CEDH 2010).
160. Dans
l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Dickson c. Royaume-Uni ([GC], no 44362/04,
§ 66, CEDH 2007-V), où était en cause le refus d’octroyer aux requérants – un
détenu et son épouse – la possibilité de pratiquer une insémination
artificielle, la Cour a conclu à l’applicabilité de l’article 8 au motif que la
technique de procréation en question concernait la vie privée et familiale des
intéressés, précisant que cette notion englobait un droit pour eux à voir
respecter leur décision de devenir parents génétiques. Dans l’affaire S.H. et
autres c. Autriche ([GC], no 57813/00, § 82, CEDH 2011) – qui concernait des
couples désireux d’avoir un enfant en ayant recours au don de gamètes – la Cour
a considéré que le droit des couples à concevoir un enfant et à recourir pour
ce faire à la procréation médicalement assistée relevait de la protection de
l’article 8, pareil choix constituant une forme d’expression de la vie privée
et familiale.
ii.
Application au cas d’espèce
161. La
Cour estime qu’il n’y a aucune raison valable de comprendre la notion de « vie
privée » comme excluant les liens affectifs s’étant créés et développés entre
un adulte et un enfant en dehors de situations classiques de parenté. Ce type
de liens relève également de la vie et de l’identité sociale des individus.
Dans certains cas impliquant une relation entre des adultes et un enfant qui ne
présentent aucun lien biologique ou juridique, les faits peuvent néanmoins
relever de la « vie privée » (X. c. Suisse, no 8257/78, décision de la
Commission du 10 juillet 1978, Décisions et rapports 5 ; voir aussi, mutatis
mutandis, Niemietz, précité, § 29).
162. En
particulier, dans l’affaire X. c. Suisse précité, la Commission a examiné le
cas d’une personne à laquelle des amis avaient confié leur enfant afin qu’elle
s’en occupe, ce qu’elle avait fait. Lorsque, des années plus tard, les
autorités avaient décidé que l’enfant ne pouvait plus rester avec la personne
en question, les parents ayant demandé à le reprendre en charge, la requérante
avait introduit un recours en vue de pouvoir garder l’enfant et avait invoqué
l’article 8 de la Convention. La Commission a estimé que la vie privée de
l’intéressée était en jeu, car elle s’était fortement attachée à cet enfant.
163. En
l’espèce la Cour relève que les requérants avaient conçu un véritable projet
parental, en passant d’abord par des tentatives de fécondation in vitro, puis
en demandant et obtenant l’agrément pour adopter, et, enfin, en se tournant
vers le don d’ovules et le recours à une mère porteuse. Une grande partie de
leur vie était projetée vers l’accomplissement de leur projet, devenir parents
en vue d’aimer et éduquer un enfant. Est en cause dès lors le droit au respect
de la décision des requérants de devenir parents (S.H. et autres c. Autriche,
précité, § 82), ainsi que le développement personnel des intéressés à travers
le rôle de parents qu’ils souhaitaient assumer vis-à-vis de l’enfant. Enfin,
dès lors que la procédure devant le tribunal pour mineurs se rapportait à la
question de l’existence de liens biologiques entre l’enfant et le requérant,
cette procédure et l’établissement des données génétiques ont eu un impact sur
l’identité de ce dernier, ainsi que sur la relation des deux requérants.
164. À la
lumière des considérations qui précèdent, la Cour conclut que les faits de la
cause relèvent de la vie privée des requérants.
c)
Conclusion
165. Compte
tenu de ces éléments, la Cour conclut à l’absence de vie familiale entre les requérants
et l’enfant. Elle estime en revanche que les mesures litigieuses relèvent de la
vie privée des requérants. Il s’ensuit que l’article 8 de la Convention trouve
à s’appliquer de ce chef.
3.
Observation de l’article 8 de la Convention
166. En
l’espèce, les requérants ont été affectés par les décisions judiciaires ayant
conduit à l’éloignement de l’enfant et à la prise en charge par les services
sociaux de celui-ci en vue de son adoption. La Cour estime que les mesures
adoptées à l’égard de l’enfant – éloignement, placement en foyer sans contact
avec les requérants, mise sous tutelle – s’analysent en une ingérence dans la
vie privée des requérants.
167.
Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si elle peut se justifier sous
l’angle du paragraphe 2 de cette disposition, c’est-à-dire si elle était «
prévue par la loi », poursuivait un ou plusieurs buts légitimes énumérés dans
cette disposition et était « nécessaire, dans une société démocratique », pour
atteindre ce ou ces buts.
a) « Prévue
par la loi »
168. Les
requérants soutiennent que l’application du droit italien et, en particulier,
de l’article 8 de la loi sur l’adoption – qui définit le mineur en état
d’abandon comme un enfant dépourvu de toute assistance morale ou matérielle de
la part des parents ou de la famille tenus de fournir cette assistance – relève
d’un choix arbitraire de la part des juridictions italiennes.
169. La
Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots « prévue par
la loi » imposent non seulement que la mesure incriminée ait une base légale en
droit interne, mais visent aussi la qualité de la loi en cause : ainsi,
celle-ci doit être accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets (Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 52, CEDH 2000-V et
Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC],
no 38433/09, § 140, CEDH 2012). Toutefois, il appartient aux autorités
nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit
interne (Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 29,
série A no 176-A, Kopp c. Suisse, 25 mars 1998, § 59,
Recueil 1998-II, et Centro Europa 7 S.r.l. et Di
Stefano, précité, § 140 ; voir aussi Delfi AS c.
Estonie [GC], no 64569/09, § 127, CEDH 2015).
170. À
l’instar de la chambre (paragraphe 72 de l’arrêt de la chambre), la Grande
Chambre estime que le choix des tribunaux nationaux d’appliquer le droit
italien quant à la filiation et de ne pas se baser sur le certificat de
naissance délivré par les autorités russes et apostillé est compatible avec la
Convention de la Haye de 1961 (paragraphe 75 ci-dessus). En effet, aux termes
de l’article 5 de cette Convention, le seul effet de l’apostille est celui de
certifier l’authenticité de la signature, la qualité en laquelle le signataire
de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte
est revêtu. Il ressort du rapport explicatif de cette convention que
l’apostille n’atteste pas la véracité du contenu de l’acte sous-jacent. Cette
limitation des effets juridiques découlant de la Convention de la Haye a pour
but de préserver le droit des États signataires d’appliquer leurs propres
règles en matière de conflits de lois lorsqu’ils doivent décider du poids à
attribuer au contenu du document apostillé.
171. En
l’espèce, le tribunal pour mineurs a appliqué la règle de conflits de lois
italienne, qui prévoit que la filiation est déterminée par la loi nationale de
l’enfant au moment de la naissance (loi sur le droit international privé,
paragraphe 57 ci-dessus). Cependant, l’enfant étant issu de gamètes de donneurs
inconnus, sa nationalité n’était pas établie aux yeux des juridictions
italiennes.
172.
L’article 37bis de la loi sur l’adoption prévoit que la loi italienne
s’applique aux mineurs étrangers qui sont en Italie pour ce qui est de
l’adoption, du placement et des mesures urgentes (paragraphes 63 et 65
ci-dessus). La situation de l’enfant T.C., dont la nationalité n’est pas connue
et qui est né à l’étranger de parents biologiques inconnus, a été assimilée à
celle d’un enfant étranger.
173. En
pareille situation, la Cour estime qu’il était prévisible que l’application du
droit italien par les juridictions nationales aboutisse au constat que l’enfant
était en état d’abandon.
174. Il
s’ensuit que l’ingérence dans la vie privée des requérants était « prévue par
la loi ».
b) But
légitime
175. Le
Gouvernement marque son accord avec l’arrêt de la chambre qui a accepté que les
mesures en question visaient la « défense de l’ordre » et la protection des «
droits et libertés » de l’enfant.
176. Pour
leur part, les requérants contestent que ces mesures servaient à protéger les «
droits et libertés » de l’enfant.
177. Dans
la mesure où la conduite des requérants se heurtait à la loi sur l’adoption et
à l’interdiction en droit italien des techniques de procréation assistée hétérologue,
la Grande Chambre admet le point de vue de la chambre selon lequel les mesures
prises à l’égard de l’enfant tendaient à la « défense de l’ordre ». Par
ailleurs, elle admet que ces mesures visaient également la protection des «
droits et libertés » d’autrui. En effet, la Cour juge légitime au regard de
l’article 8 § 2 la volonté des autorités italiennes de réaffirmer la compétence
exclusive de l’État pour reconnaître un lien de filiation – et ce uniquement en
cas de lien biologique ou d’adoption régulière – dans le but de préserver les
enfants.
178.
Partant les mesures litigieuses répondaient à des buts légitimes.
c)
Nécessité dans une société démocratique
i.
Principes pertinents
179. La
Cour rappelle que pour apprécier la « nécessité » des mesures litigieuses «
dans une société démocratique », il lui faut examiner, à la lumière de
l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour les justifier sont
pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 (voir, parmi
beaucoup d’autres,Parrillo c. Italie [GC], no
46470/11, § 168, CEDH 2015, S.H. et autres c. Autriche, précité, § 91, et K. et
T. c. Finlande, précité, § 154).
180. Dans
une affaire issue d’une requête individuelle, la Cour n’a pas pour tâche de
contrôler dans l’abstrait une législation ou une pratique contestée, mais elle
doit autant que possible se limiter, sans oublier le contexte général, à
traiter les questions soulevées par le cas concret dont elle se trouve saisie
(S.H. et autres c. Autriche, précité, § 92, et Olsson
c. Suède (no 1), 24 mars 1988, § 54, série A no 130). Elle n’a donc pas à
substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales compétentes
s’agissant de déterminer le meilleur moyen de réglementer la question –
complexe et sensible – de la relation entre des parents d’intention et un
enfant né à l’étranger dans le cadre d’un accord commercial de gestation pour
autrui et à l’aide d’une méthode de procréation médicalement assistée qui sont
tous deux interdits dans l’État défendeur.
181. Selon
la jurisprudence constante de la Cour, la notion de nécessité implique que
l’ingérence corresponde à un besoin social impérieux et, en particulier,
qu’elle soit proportionnée au but légitime poursuivi eu égard au juste
équilibre à ménager entre les intérêts concurrents en jeu (A, B et C c. Irlande, précité, § 229). Pour déterminer si une
ingérence est « nécessaire, dans une société démocratique », il y a lieu de
tenir compte du fait qu’une marge d’appréciation est laissée aux autorités
nationales, dont la décision demeure soumise au contrôle de la Cour, compétente
pour en vérifier la conformité aux exigences de la Convention (X, Y et Z c.
Royaume-Uni, précité, § 41).
182. La
Cour rappelle que, pour se prononcer sur l’ampleur de la marge d’appréciation
devant être reconnue à l’Etat dans une affaire soulevant des questions au
regard de l’article 8, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de
facteurs (voir, parmi de nombreux exemples, S.H. et autres c. Autriche,
précité, § 94, etHämäläinen c. Finlande [GC], no
37359/09, § 67, CEDH 2014). Lorsqu’un aspect particulièrement important de
l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à
l’État est d’ordinaire restreinte (Evans, précité, § 77). En revanche,
lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de
l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les
meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des
questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est plus large
(Evans, précité, § 77, et A, B et C c. Irlande,
précité, § 232). La marge d’appréciation est de façon générale également ample
lorsque l’État doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics
concurrents ou différents droits protégés par la Convention (Evans, précité, §
77 et Dickson, précité, § 78).
183. Si les
autorités jouissent d’une grande latitude en matière d’adoption (Wagner et
J.M.W.L., précité, § 128) ou pour apprécier la nécessité de prendre en charge
un enfant (Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 67,
CEDH 2002 I), en particulier lorsqu’il y a urgence, la Cour doit néanmoins
avoir acquis la conviction que dans l’affaire en question, il existait des
circonstances justifiant le retrait de l’enfant (Zhou c. Italie, no 33773/11, §
55, 21 janvier 2014).
184. Quant
à la reconnaissance par elle du fait que les États doivent en principe se voir
accorder une ample marge d’appréciation s’agissant de questions qui suscitent
de délicates interrogations d’ordre éthique pour lesquelles il n’y a pas de
consensus à l’échelle européenne, la Cour renvoie à l’approche nuancée qu’elle
a adoptée sur la question de la fécondation assistée hétérologue dans l’affaire
S.H. et autres (précitée, §§ 95-118), et à son analyse concernant la gestation
pour autrui et la reconnaissance juridique du lien de filiation entre les
parents d’intention et les enfants ainsi légalement conçus à l’étranger dans
l’arrêt Mennesson(précité, §§ 78-79).
ii.
Application au cas d’espèce
185. Les
requérants allèguent que l’éloignement de l’enfant n’était ni nécessaire ni
fondé sur des motifs pertinents et suffisants, et que les juridictions
nationales ont pris leur décision en se basant uniquement sur la défense de
l’ordre public, sans procéder à l’évaluation des intérêts en jeu. À cet égard,
ils observent que les rapports établis par les services sociaux et par la
psychologue consultante désignée par eux – qui étaient extrêmement positifs
quant à leur capacité d’aimer l’enfant et d’en prendre soin – n’ont pas du tout
été pris en compte par les tribunaux.
186. Le
Gouvernement soutient que les décisions rendues par les tribunaux étaient
nécessaires pour rétablir la légalité et qu’elles ont tenu compte de l’intérêt
de l’enfant.
187. La Cour
doit dès lors évaluer les mesures visant l’éloignement immédiat et définitif de
l’enfant et leur impact sur la vie privée des requérants.
188. Elle
note à cet égard que les juridictions nationales ont fondé leurs décisions sur
l’absence de tout lien génétique entre les requérants et l’enfant et sur la
violation de la législation nationale relative à l’adoption internationale et à
la procréation médicalement assistée. Les mesures prises par les autorités ont
visé la rupture immédiate et définitive de tout contact entre les requérants et
l’enfant, ainsi que le placement de celui-ci dans un foyer et sa mise sous
tutelle.
189. Dans
sa décision du 20 octobre 2011, le tribunal pour mineurs de Campobasso a pris
en compte les éléments suivants (paragraphe 37 ci dessus). La requérante avait
déclaré ne pas être la mère génétique ; les ovules provenaient d’une femme
inconnue ; le test ADN effectué sur le requérant et sur l’enfant avait démontré
qu’il n’existait aucun lien génétique entre eux ; les requérants avaient payé
une importante somme d’argent ; contrairement à ses dires, rien ne prouvait que
le matériel génétique du requérant ait été réellement transporté en Russie.
Cela étant, il ne s’agissait pas d’un cas de maternité subrogée traditionnelle,
car l’enfant n’avait aucun lien génétique avec les requérants. La seule
certitude avait trait à l’identité de la mère porteuse, qui n’était pas la mère
génétique et qui avait renoncé à ses droits sur l’enfant après l’avoir mis au
monde. Les parents génétiques demeuraient inconnus. Les requérants étaient dans
l’illégalité car, en premier lieu, ils avaient emmené un enfant en Italie sans
respecter la loi sur l’adoption. Or aux termes de celle-ci, avant d’emmener un
enfant étranger en Italie, les candidats à l’adoption internationale doivent en
fait s’adresser à un organisme agréé pour rechercher un enfant, puis solliciter
l’intervention de la commission pour les adoptions internationales, seul organe
compétent pour autoriser l’entrée et la résidence permanente d’un mineur étranger
en Italie. L’article 72 de cette loi sanctionne les comportements contrevenant
à ces règles, mais l’évaluation de l’aspect pénal de la situation ne relevait
pas de la compétence du tribunal pour mineurs. En deuxième lieu, l’accord
conclu par les requérants avec la société Rosjurconsulting
était contraire à la loi sur la procréation médicalement assistée qui
interdisait en son article 4 la fécondation assistée hétérologue. Il fallait
mettre un terme à cette situation illégale et la seule façon de le faire était
d’éloigner l’enfant des requérants.
190. Tout
en reconnaissant que l’enfant subirait un préjudice du fait de la séparation,
le tribunal pour mineurs a estimé que, vu la courte période passée avec les
requérants et son bas âge, ce traumatisme ne serait pas irréparable, et ce
contrairement à l’avis de la psychologue désignée par les requérants. Il a
déclaré que la recherche d’un autre couple pouvant prendre en charge l’enfant
et apaiser les conséquences du traumatisme devrait être immédiatement entamée.
Il a ajouté que, eu égard au fait que les requérants avaient préféré
court-circuiter la loi sur l’adoption malgré l’agrément qu’ils avaient obtenu,
on pouvait penser que l’enfant résultait d’un désir narcissique du couple ou
qu’il était destiné à résoudre des problèmes de couple. En conséquence, le
tribunal a exprimé des doutes quant à la réelle capacité affective et éducative
des requérants.
191. Par
ailleurs, la cour d’appel de Campobasso a confirmé la décision du tribunal pour
mineurs, en estimant elle aussi que l’enfant était en « état d’abandon » au
sens de la loi sur l’adoption. Elle a souligné l’urgence à décider des mesures
le concernant, sans attendre l’issue de la procédure portant sur la
transcription du certificat de naissance (paragraphe 40 ci dessus).
α.
Marge d’appréciation
192. La
Cour doit examiner si ces motifs sont pertinents et suffisant et si les
juridictions nationales ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts privés
et publics concurrents. Pour ce faire, elle doit au préalable déterminer
l’ampleur de la marge d’appréciation à accorder à l’État en la matière.
193.
D’après les requérants, la marge d’appréciation est restreinte, étant donné que
l’objet de la présente affaire est la mesure d’éloignement définitif de
l’enfant et que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer (paragraphe 110
ci-dessus). Pour le Gouvernement, les autorités disposent d’une ample marge
d’appréciation pour ce qui est de la maternité subrogée et des techniques de
procréation médicalement assistée (paragraphe 122 ci dessus).
194. La
Cour observe que les faits de la cause touchent à des sujets éthiquement
sensibles – adoption, prise en charge par l’État d’un enfant, procréation
médicalement assistée et gestation pour autrui – pour lesquels les États membres
jouissent d’une ample marge d’appréciation (paragraphe 182 ci-dessus).
195.
Contrairement à la situation dans l’arrêt Mennesson
(précité, §§ 80 et 96 97), la question de l’identité de l’enfant et de la
reconnaissance de sa filiation génétique ne se pose pas en l’espèce puisque,
d’une part, un éventuel refus par l’État de donner une identité à l’enfant ne
peut être contesté par les requérants, qui ne représentent pas celui-ci devant
la Cour et, d’autre part, il n’existe aucun lien biologique entre l’enfant et
les requérants. En outre, la présente affaire ne concerne pas le choix de
devenir parents génétiques, domaine dans lequel la marge d’appréciation des
États est restreinte (Dickson, précité, § 78). Cependant, les choix opérés par
l’État, même dans les cas où, comme en l’espèce, il jouit d’une ample marge
d’appréciation, n’échappent pas au contrôle de la Cour. Il incombe à celle-ci
d’examiner attentivement les arguments dont il a été tenu compte pour parvenir
à la solution retenue et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre
les intérêts de l’État et ceux des individus directement touchés par cette
solution (voir, mutatis mutandis, S.H. et autres c. Autriche, précité, § 97).
β.
Motifs pertinents et suffisants
196. Quant
aux motifs avancés par les autorités internes, la Cour observe que celles-ci se
sont fondées en particulier sur deux séries d’arguments : premièrement, elles
ont eu égard à l’illégalité de la conduite des requérants et, deuxièmement, à
l’urgence qu’il y avait à prendre des mesures concernant l’enfant, qu’elles
considéraient comme étant « en état d’abandon » au sens de l’article 8 de la
loi sur l’adoption.
197. La
Cour ne doute pas de la pertinence des motifs invoqués par les juridictions
internes. Ces motifs sont directement liés au but légitime de la défense de
l’ordre et aussi de la protection de l’enfant – pas seulement de celui dont il
est question en l’espèce mais des enfants en général – eu égard à la
prérogative de l’État d’établir la filiation par l’adoption et par l’interdiction
de certaines techniques de procréation médicalement assistée (paragraphe 177
ci-dessus).
198. Quant
à la question de savoir si les motifs avancés par les juridictions internes
étaient également suffisants, la Grande Chambre rappelle que, contrairement à
la chambre, elle estime que les faits de la cause ne relèvent pas de la notion
de vie familiale, mais uniquement de la vie privée. Ainsi, il convient
d’examiner l’affaire non pas du point de vue de la préservation d’une unité
familiale, mais plutôt sous l’angle du droit des requérants au respect de leur
vie privée, dès lors que ce qui est en jeu en l’espèce est leur droit au
développement personnel au travers de leur relation avec l’enfant.
199. Dans
les circonstances particulières de la cause, la Cour estime que les motifs
donnés par les juridictions internes, qui étaient centrés sur la situation de
l’enfant et sur l’illégalité de la conduite des requérants, étaient suffisants.
γ.
Proportionnalité
200. Il
reste à examiner si les mesures litigieuses étaient proportionnées au but
légitime poursuivi, en particulier si les juridictions internes, agissant dans
le cadre de l’ample marge d’appréciation qui leur était accordée en l’espèce,
ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents
en jeu.
201. Les
juridictions internes ont attaché une grande importance au non-respect par les
requérants de la loi sur l’adoption et au fait qu’ils ont eu recours à
l’étranger à des méthodes de procréation médicalement assistée interdites en Italie.
Dans le cadre de la procédure interne, les tribunaux, qui se sont concentrés
sur la nécessité impérieuse de prendre des mesures urgentes, ne se sont pas
étendus sur les intérêts généraux en jeu ni n’ont abordé explicitement les
questions éthiquement sensibles sous-jacentes aux dispositions juridiques
transgressées par les requérants.
202. Dans
la procédure devant la Cour, le gouvernement défendeur a expliqué que, en droit
italien, la filiation peut être établie soit par l’existence d’un lien biologique
soit par une adoption respectant les règles établies par la loi. D’après lui,
le législateur italien, par ce choix, cherchait à protéger l’intérêt supérieur
de l’enfant, comme le requiert l’article 3 de la Convention relative aux droits
de l’enfant. La Cour admet que, en interdisant l’adoption privée fondée sur une
relation contractuelle entre les individus et en restreignant le droit des
parents adoptifs de faire entrer des mineurs étrangers en Italie aux cas dans
lesquels les règles sur l’adoption internationale sont respectées, le
législateur italien s’efforce de protéger les enfants contre des pratiques
illicites, dont certaines peuvent être qualifiées de trafic d’êtres humains.
203. Par
ailleurs, le Gouvernement s’est fondé sur l’argument selon lequel les solutions
retenues devaient être examinées dans le contexte de l’interdiction en droit
italien des conventions de gestation pour autrui. Il ne fait aucun doute que le
recours à de telles conventions soulève des questions éthiques sensibles sur
lesquelles il n’existe aucun consensus parmi les États contractants (Mennesson, précité, § 79). En interdisant la gestation pour
autrui, l’État italien estime poursuivre l’intérêt général de la protection des
femmes et des enfants potentiellement concernés par des pratiques qu’il perçoit
comme étant hautement problématiques d’un point de vue éthique. Comme le
Gouvernement le souligne, cette politique revêt d’autant plus d’importance
lorsque, comme en l’espèce, des contrats commerciaux de gestation pour autrui sont
en jeu. Cet intérêt général sous-jacent entre également en jeu s’agissant des
mesures prises par l’État pour dissuader ses ressortissants d’avoir recours à
l’étranger à des pratiques qui sont interdites sur son propre territoire.
204. En
somme, les juridictions internes avaient pour souci principal de mettre fin à
une situation illégale. Eu égard aux considérations ci-dessus, la Cour admet
que les lois qui ont été transgressées par les requérants et les mesures qui
ont été prises en réponse à leur conduite avaient vocation à protéger des
intérêts généraux importants.
205.
Concernant les intérêts privés en jeu, il y a ceux de l’enfant d’une part et
ceux des requérants de l’autre.
206. Quant
aux intérêts de l’enfant, la Cour rappelle que le tribunal des mineurs de
Campobasso a eu égard à l’absence de lien biologique entre les requérants et
l’enfant, et a déclaré qu’un couple susceptible de prendre soin de lui devait
être identifié dès que possible. Compte tenu du jeune âge de l’enfant et de la
courte période qu’il avait passée avec les requérants, le tribunal n’a pas
souscrit à l’expertise d’une psychologue soumise par les requérants, selon
laquelle la séparation aurait des conséquences dévastatrices pour l’enfant.
Renvoyant à la littérature en la matière, le tribunal a estimé que le simple
fait d’être séparé des personnes prenant soin de lui n’entraînerait pas un état
psychopathologique chez le mineur en l’absence d’autres facteurs de causalité.
Il a conclu que le traumatisme causé par la séparation ne serait pas
irréparable.
207. Quant
à l’intérêt des requérants à poursuivre leur relation avec l’enfant, le
tribunal des mineurs a relevé que rien dans le dossier ne venait confirmer les
déclarations des intéressés selon lesquelles ils avaient remis à la clinique russe
le matériel génétique du requérant. Le tribunal a ajouté qu’après avoir obtenu
l’agrément à l’adoption internationale, ils avaient contourné la loi sur
l’adoption en ramenant l’enfant en Italie sans l’approbation de l’organe
compétent, c’est-à-dire la commission pour les adoptions internationales. Au vu
de cette conduite, le tribunal des mineurs a déclaré craindre que l’enfant ne
fût un instrument pour réaliser un désir narcissique du couple ou exorciser un
problème individuel ou de couple. De plus, il a estimé que la conduite des
requérants jetait « une ombre importante sur l’existence de réelles capacités
affectives et éducatives et d’un instinct de solidarité humaine, qui doivent
être présents chez ceux qui désirent intégrer les enfants d’autres personnes
dans leur vie comme s’il s’agissait de leurs propres enfants » (paragraphe 37
ci-dessus).
208. Avant
de se pencher sur la question de savoir si les autorités italiennes ont dûment
pesé les différents intérêts en jeu, la Cour rappelle que l’enfant n’est pas
requérant en l’espèce. De plus, l’enfant n’était pas un membre de la famille
des requérants au sens de l’article 8 de la Convention. Cela dit, il n’en
résulte pas que l’intérêt supérieur de l’enfant et la manière dont celui-ci a
été pris en compte par les juridictions internes ne revêtent aucune importance.
À cet égard, la Cour observe que l’article 3 de la Convention sur les droits de
l’enfant exige que « [d]ans toutes les décisions qui concernent les enfants,
(...) l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale
», sans toutefois préciser la notion d’« intérêt supérieur de l’enfant ».
209.
L’espèce diffère des affaires concernant l’éclatement d’une famille par la
séparation d’un enfant et de ses parents dans lesquelles, en principe, la
séparation est une mesure qui peut seulement être ordonnée si l’intégrité
physique ou morale de l’enfant est en danger (voir, parmi d’autres, Scozzari et Giunta, précité, §§ 148-151, Kutzner, précité, §§ 69 82). En l’espèce au contraire, la
Cour estime que les juridictions internes n’étaient pas tenues de donner la
priorité à la préservation de la relation entre les requérants et l’enfant.
Elles étaient plutôt face à un choix délicat : soit permettre aux requérants de
continuer leur relation avec l’enfant, et ainsi légaliser la situation que
ceux-ci avaient imposée comme un fait accompli, soit prendre des mesures en vue
de donner à l’enfant une famille conformément à la loi sur l’adoption.
210. La
Cour a déjà relevé l’importance des intérêts généraux en jeu. En outre, elle
estime que le raisonnement des juridictions italiennes concernant l’intérêt de
l’enfant ne revêtait pas un caractère automatique ou stéréotypé (voir, mutatis
mutandis, X c. Lettonie [GC], no 27853/09, § 107, CEDH 2013). Les tribunaux,
dans le cadre de leur appréciation de la situation spécifique de l’enfant, ont
jugé souhaitable de le placer chez un couple approprié en vue de l’adoption
mais ont également évalué l’impact qu’aurait sur lui la séparation d’avec les
requérants. Elles ont conclu pour l’essentiel que la séparation ne causerait
pas à l’enfant un préjudice grave ou irréparable.
211. Au
contraire, les juridictions italiennes ont fait peu de cas de l’intérêt des requérants
à continuer à développer des relations avec un enfant dont ils souhaitaient
être les parents. Elles n’ont pas explicitement abordé l’impact que la
séparation immédiate et irréversible d’avec l’enfant aurait sur leur vie
privée. Cependant, l’affaire doit être examinée au regard de l’illégalité de la
conduite des requérants et du fait que leur relation avec l’enfant était
précaire depuis le moment même où ils ont décidé de résider avec lui en Italie.
Le lien est devenu encore plus ténu lorsqu’il s’est avéré, une fois connu le
résultat du test ADN, qu’il n’y avait aucun lien biologique entre le second
requérant et l’enfant.
212. Les
requérants allèguent que la procédure a été entachée de plusieurs lacunes.
Quant à l’idée qu’aucun avis d’expert n’aurait été recueilli, la Cour observe
que le tribunal des mineurs a bien eu égard au rapport rédigé par une
psychologue qu’ont soumis les requérants. Toutefois, le tribunal n’a pas
souscrit à la conclusion figurant dans ce rapport selon laquelle la séparation d’avec
les requérants aurait des conséquences dévastatrices pour l’enfant. À cet
égard, la Cour attache de l’importance à l’observation du Gouvernement selon
laquelle le tribunal des mineurs est un tribunal composé de deux juges
professionnels et de deux spécialistes (paragraphe 69 ci-dessus).
213. Quant
à l’argument des requérants selon lequel les tribunaux n’ont pas examiné
d’autres solutions que la séparation immédiate et irréversible d’avec l’enfant,
la Cour observe que devant le tribunal des mineurs les intéressés ont demandé
avant tout que l’enfant soit provisoirement placé chez eux en vue d’une
adoption ultérieure. De l’avis de la Cour, il faut garder à l’esprit que la
procédure revêtait un caractère urgent. Toute mesure de nature à prolonger le
séjour de l’enfant chez les requérants, telle que son placement provisoire chez
eux, aurait impliqué le risque que le simple écoulement du temps n’amène à une
résolution de l’affaire.
214. Par
ailleurs, outre l’illégalité de la conduite des requérants, le Gouvernement
souligne qu’ils ont dépassé l’âge limite pour l’adoption prévu à l’article 6 de
la loi sur l’adoption, à savoir une différence d’âge maximum de 45 ans pour
l’un des parents adoptant et de 55 ans pour le second. La Cour relève que la
loi autorise les tribunaux à faire des exceptions à ces limites d’âge. Dans les
circonstances de l’espèce, on ne saurait reprocher aux tribunaux nationaux
d’avoir omis de se pencher sur cette option.
δ.
Conclusion
215. La
Cour ne sous-estime pas l’impact que la séparation immédiate et irréversible
d’avec l’enfant doit avoir eu sur la vie privée des requérants. Si la
Convention ne consacre aucun droit de devenir parent, la Cour ne saurait
ignorer la douleur morale ressentie par ceux dont le désir de parentalité n’a
pas été ou ne peut être satisfait. Toutefois, l’intérêt général en jeu pèse
lourdement dans la balance, alors que, comparativement, il convient d’accorder
une moindre importance à l’intérêt des requérants à assurer leur développement
personnel par la poursuite de leurs relations avec l’enfant. Accepter de
laisser l’enfant avec les requérants, peut-être dans l’optique que ceux-ci
deviennent ses parents adoptifs, serait revenu à légaliser la situation créée
par eux en violation de règles importantes du droit italien. La Cour admet donc
que les juridictions italiennes, ayant conclu que l’enfant ne subirait pas un
préjudice grave ou irréparable en conséquence de la séparation, ont ménagé un
juste équilibre entre les différents intérêts en jeu en demeurant dans les limites
de l’ample marge d’appréciation dont elles disposaient en l’espèce.
216. Dès
lors, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Rejette, à l’unanimité, les exceptions
préliminaires du Gouvernement ;
2. Dit, par
onze voix contre six, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la
Convention.
Fait en
français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits
de l’homme, à Strasbourg, le 24 janvier 2017.
Roderick
LiddellLuis López Guerra
GreffierPrésident
Au présent
arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74
§ 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion
concordante du juge Raimondi ;
– opinion
concordante commune des juges De Gaetano, Pinto de Albuquerque, Wojtyczek et Dedov ;
– opinion
concordante du juge Dedov ;
– opinion
dissidente commune des juges Lazarova Trajkovska, Bianku, Laffranque, Lemmens et Grozev.
L.L.G.
R.L.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE RAIMONDI
1. Je
partage entièrement les conclusions auxquelles la Grande Chambre parvient dans
cet arrêt important, des conclusions, d’ailleurs, que je préconisais dans mon
opinion dissidente, rédigée conjointement avec le juge Spano
et annexée à l’arrêt de chambre, à savoir qu’en l’espèce on ne peut pas
constater une violation de l’article 8 de la Convention.
2. Si je
ressens le besoin de m’exprimer par l’intermédiaire d’une opinion séparée,
c’est uniquement parce que je tiens à noter que le choix de la Grande Chambre d’analyser
cette affaire sous l’angle de la protection de la vie privée des requérants et
non sous l’angle de leur vie familiale est, à mon sens, particulièrement
approprié.
3. Le juge Spano et moi-même avions observé dans notre opinion
dissidente commune que « [n]ous pouvons accepter,
mais avec une certaine hésitation et sous réserve des remarques qui suivent,
les conclusions de la majorité selon lesquelles l’article 8 de la Convention
est applicable en l’espèce (...) et il y a eu ingérence dans les droits des
requérants. (...) En effet, la vie familiale (ou vie privée) de facto des
requérants avec l’enfant se fondait sur un lien ténu, en particulier si l’on
tient compte de la période très brève au cours de laquelle ils en auraient eu
la garde. Nous estimons que la Cour, dans des situations telles que celle à
laquelle elle était confrontée dans cette affaire, doit prendre en compte les
circonstances dans lesquelles l’enfant a été placé sous la garde des personnes
concernées dans son examen de la question de savoir si une vie familiale de
facto a été développée ou pas. Nous soulignons que l’article 8 § 1 ne peut pas,
à notre avis, être interprété comme consacrant une « vie familiale » entre un
enfant et des personnes dépourvues de tout lien biologique avec celui-ci dès
lors que les faits, raisonnablement mis au clair, suggèrent que l’origine de la
garde est fondée sur un acte illégal en contravention de l’ordre public. En
tout cas, nous estimons que les considérations liées à une éventuelle
illégalité à l’origine de l’établissement d’une vie familiale de facto doivent
entrer en ligne de compte dans l’analyse de la proportionnalité qui s’impose
dans le contexte de l’article 8. »
4. Je
souscris donc à l’analyse de la Grande Chambre (paragraphes 142-158) qui exclue
toute reconnaissance en l’espèce d’une « vie familiale », notamment sur la base
de l’absence de tout lien biologique entre l’enfant et les parents d’intention,
de la courte durée de la relation avec l’enfant et de la précarité des liens du
point de vue juridique, et à sa conclusion selon laquelle, malgré l’existence
d’un projet parental et la qualité des liens affectifs, les conditions
permettant de conclure à l’existence d’une vie familiale de facto ne sont pas
remplies.
5. Je suis
pleinement convaincu, en revanche, par le raisonnement de la Grande Chambre,
qui parvient à configurer les mesures litigieuses comme une ingérence dans la «
vie privée » des requérants (voir, en particulier, les paragraphes 161-165 de
l’arrêt), nonobstant les doutes que j’avais exprimés également sous cet angle.
OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES DE GAETANO, PINTO DE ALBUQUERQUE,
WOJTYCZEK ET DEDOV
(Traduction)
1. Tout en
souscrivant pleinement à la conclusion en l’espèce, nous avons de sérieuses
réserves en ce qui concerne la motivation de l’arrêt, laquelle, à notre sens,
met en exergue toutes les faiblesses et incohérences dans l’approche adoptée
jusqu’ici par la Cour dans les affaires mettant en jeu l’article 8.
2. La mise
en œuvre de l’article 8 appelle une définition minutieuse de son champ
d’application. Selon l’arrêt, l’existence ou l’absence d’une vie familiale est
d’abord une question de fait, qui dépend de l’existence de liens personnels
étroits et constants (voir, en particulier, le paragraphe 140 de l’arrêt). À
notre avis, la formule proposée est à la fois trop vague et trop large. Cette
approche semble fondée sur l’idée implicite que les liens interpersonnels
existants devraient bénéficier d’une protection, au moins prima facie, contre les ingérences de l’État. Nous relevons à cet
égard que des liens personnels étroits et constants peuvent exister hors du
champ de toute vie familiale. Le raisonnement exposé dans l’arrêt n’explique
pas la nature des liens interpersonnels qui forment la vie familiale. En même temps,
il semble attacher une grande importance aux liens affectifs (paragraphes 149,
150, 151 et 157 de l’arrêt). Toutefois, les liens affectifs ne peuvent en soi
créer une vie familiale.
3. Les
différentes dispositions de la Convention doivent être interprétées au regard
de l’ensemble de son texte et d’autres traités internationaux pertinents. Il
s’ensuit que l’article 8 doit être lu à la lumière de l’article 12, qui
garantit le droit de se marier et de fonder une famille. Ces deux articles
doivent également être placés dans le contexte de l’article 16 de la
Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’article 23 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques. Cette dernière
disposition, fortement inspirée par l’article 16 de la Déclaration universelle
des droits de l’homme, est ainsi libellée :
1. La
famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la
protection de la société et de l’État.
2. Le droit
de se marier et de fonder une famille est reconnu à l’homme et à la femme à
partir de l’âge nubile.
3. Nul
mariage ne peut être conclu sans le libre et plein consentement des futurs
époux.
4. Les
États parties au présent Pacte prendront les mesures appropriées pour assurer
l’égalité de droits et de responsabilités des époux au regard du mariage,
durant le mariage et lors de sa dissolution. En cas de dissolution, des
dispositions seront prises afin d’assurer aux enfants la protection nécessaire.
Il convient
de prendre note de l’approche du Comité des droits de l’homme adoptée dans son
Observation générale no 19 : article 23 (Protection de la famille), § 2). La
famille est à juste titre entendue dans ce texte comme un élément bénéficiant
d’une reconnaissance juridique ou sociale dans l’État concerné.
La notion
même d’« élément » figurant dans la Déclaration universelle des droits de
l’homme, dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
ainsi que dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux
et culturels (article 10) présuppose la subjectivité de la famille dans son
ensemble (c’est-à-dire la reconnaissance de l’ensemble de la famille comme le
titulaire de droits) ainsi que la stabilité des liens interpersonnels au sein
de la famille. L’accent mis dans la Déclaration universelle des droits de
l’homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
sur le caractère naturel et fondamental de la famille placent celle-ci parmi
les plus importantes institutions et valeurs appelant une protection dans une
société démocratique. De plus, le libellé et la structure de l’article 23 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que le
libellé de l’article 12 de la Convention établit un lien clair entre la notion
de famille et celle du mariage. À la lumière de toutes les dispositions
mentionnées ci-dessus, la famille doit être entendue comme un élément naturel
et fondamental de la société institué essentiellement par le mariage entre un
homme et une femme. La vie familiale englobe, en premier lieu, les liens entre
les conjoints et ceux entre les parents et leurs enfants. En se mariant, les
conjoints non seulement contractent certaines obligations juridiques mais
également choisissent de protéger juridiquement leur vie familiale. La
Convention offre une protection forte de la famille fondée sur le mariage.
Comme
mentionné ci-dessus, la notion de famille figurant aux articles 8 et 12 de la
Convention se fonde essentiellement sur les relations interpersonnelles
formalisées en droit ainsi que sur les liens de parenté biologique. Pareille
approche n’exclut pas d’étendre la protection de l’article 8 aux relations
interpersonnelles avec des parents moins proches telles que les relations entre
des grands-parents et leurs petits-enfants. Certains liens familiaux de facto
peuvent également appeler une protection (voir, par exemple, Muñoz Díaz c. Espagne, no
49151/07, CEDH 2009 ; et Nazarenko c. Russie, no
39438/13, CEDH 2015 (extraits)). L’ampleur et les outils de protection en
pareilles situations relèvent du pouvoir discrétionnaire de l’État, sous le
contrôle de la Cour.
Dans les
cas mettant en jeu des liens interpersonnels de facto qui ne sont pas
formalisés en droit interne, il est nécessaire de prendre en considération
plusieurs éléments afin de déterminer si une vie familiale existe.
Premièrement, la notion de famille présupposant l’existence de liens stables,
il convient d’examiner la nature et la stabilité des liens interpersonnels.
Deuxièmement, il est impossible, à notre avis, d’établir l’existence d’une vie
familiale sans regarder la manière dont les liens interpersonnels ont été
établis. Cet élément doit être apprécié d’un point de vue tant juridique que
moral. Nemo auditur propriam turpitudinem allegans. La loi ne saurait offrir une protection aux situations
de fait accompli nées d’une violation de règles juridiques ou de principes
moraux fondamentaux.
En
l’espèce, les liens entre les requérants et l’enfant ont été établis en
violation du droit italien. Ils ont également été établis en violation du droit
international sur l’adoption. Les requérants ont conclu un contrat ayant pour
objet la conception d’un enfant et la gestation par une mère de substitution.
L’enfant a été séparé de la mère porteuse avec laquelle il avait commencé à
développer un lien unique (voir ci-dessous). De plus, les effets éventuels sur
l’enfant de son inévitable séparation d’avec les personnes ayant pris soin de
lui pendant quelque temps doivent être imputés aux requérants eux-mêmes. Il
n’est pas acceptable de brandir les conséquences préjudiciables de ses propres
actions illégales comme un bouclier contre l’ingérence de l’État. Ex iniuria ius non oritur.
4. L’arrêt
souligne comme un argument en faveur des requérants le fait que ceux-ci ont
développé un « projet parental » (paragraphes 151 et 157 de l’arrêt). Cet
argument entraîne trois remarques. Premièrement, toute parentalité qui ne
repose pas sur des liens biologiques se fonde nécessairement sur un projet et
est le résultat de longs efforts. L’existence d’un « projet parental » ne
différencie pas cette affaire d’autres cas de parentalité non fondée sur des
liens biologiques.
Deuxièmement,
comme mentionné ci-dessus, le lien de facto entre les requérants et l’enfant a
été établi illégalement. L’approche adoptée par la majorité n’est pas
convaincante dès lors qu’elle considère l’existence d’un projet parental comme
un argument militant en faveur de la protection, indépendamment de la nature
illégale, reconnue dans le raisonnement, du projet concret. Le fait que les
requérants ont agi avec préméditation afin de tourner la législation nationale
ne peut que jouer en leur défaveur. Dans les circonstances de l’espèce,
l’existence d’un « projet parental » est en réalité une circonstance
aggravante.
Troisièmement,
la parentalité appelle une protection indépendamment du fait qu’elle relève ou
non d’un projet plus général. Il n’y a aucune raison de considérer que
l’article 8 offre une protection plus forte aux actes prémédités.
5. Une protection
effective en matière de droits de l’homme exige de définir clairement le
contenu et la portée des droits protégés, ainsi que la notion d’ingérence
contre laquelle un droit spécifique offre un bouclier. Nous relevons à cet
égard que selon la majorité, « les faits de la cause relèvent de la vie privée
des requérants » (paragraphe 164 de l’arrêt).
De plus, «
[e]st en cause (...) le droit au respect de la décision des requérants de
devenir parents (S.H. et autres c. Autriche, précité, § 82), ainsi que le
développement personnel des intéressés à travers le rôle de parents qu’ils
souhaitaient assumer vis-à-vis de l’enfant » (paragraphe 163 de l’arrêt).
Le
raisonnement contient également les considérations suivantes : « En l’espèce,
les requérants ont été affectés par les décisions judiciaires ayant conduit à
l’éloignement de l’enfant et à la prise en charge par les services sociaux de
celui-ci en vue de son adoption. La Cour estime que les mesures adoptées à
l’égard de l’enfant – éloignement, placement en foyer sans contact avec les
requérants, mise sous tutelle – s’analysent en une ingérence dans la vie privée
des requérants » (paragraphe 166 de l’arrêt).
Il est
difficile de souscrire à l’approche de la majorité telle qu’exprimée dans les
passages cités ci-dessus. Premièrement, la notion de « faits de la cause » est
nécessairement beaucoup plus large que l’ingérence elle-même même si celle-ci
doit être placée dans un contexte plus général. Ces « faits » peuvent relever
de nombreux droits reconnus par la Convention. La Cour doit apprécier la
compatibilité avec la Convention non pas des faits de la cause mais de
l’ingérence litigieuse, considérée dans un contexte plus général. Ce qui
importe, ce n’est pas de savoir si les « faits de la cause » relèvent de la vie
privée des requérants mais seulement si l’ingérence litigieuse tombe sous
l’empire du droit des requérants à la protection de leur vie privée.
Deuxièmement,
on ne saurait dire que l’enjeu a trait au droit des requérants au respect de
leur décision de devenir parents. L’enjeu ne porte pas sur cette décision en
soi mais sur la manière dont ils ont essayé d’atteindre leur but. L’État n’a
pas commis d’ingérence dans la décision des requérants de devenir parents mais
seulement dans la mise en œuvre, contraire à la loi, de cette décision.
Troisièmement,
il ne fait aucun doute que les requérants ont été affectés par les décisions
judiciaires ayant conduit à l’éloignement de l’enfant et à sa prise en charge
par les services sociaux en vue de son adoption. Cela ne justifie en rien la
conclusion selon laquelle les mesures prises à l’égard de l’enfant ont
nécessairement entraîné une ingérence dans la vie privée des requérants.
L’article 8 ne vise pas la protection contre tout acte qui affecte une personne
mais contre des types spécifiques d’actes qui s’analysent en une ingérence au
sens de cette disposition. Afin d’établir l’existence d’une ingérence dans
l’exercice d’un droit, il est nécessaire d’établir d’abord le contenu du droit
et les types d’ingérence contre lesquels il protège.
En
conclusion, le raisonnement adopté par la majorité ne dit pas clairement ce que
recouvre la vie privée, quelle est la portée de la protection du droit reconnu
par l’article 8, et ce qu’est une ingérence au sens de cette disposition. Nous
déplorons que ces notions n’aient pas été clarifiées dans le raisonnement de
l’arrêt.
6. La Cour
admet à juste titre (au paragraphe 202 de l’arrêt) que, « en interdisant
l’adoption privée fondée sur une relation contractuelle entre les individus et
en restreignant le droit des parents adoptifs de faire entrer des mineurs
étrangers en Italie aux cas dans lesquels les règles sur l’adoption
internationale sont respectées, le législateur italien s’efforce de protéger
les enfants contre des pratiques illicites, dont certaines peuvent être
qualifiées de trafic d’êtres humains ».
En
l’espèce, l’enfant a effectivement été victime d’un trafic d’êtres humains. Il
a été commandé et acheté par les requérants. Il convient de noter à cet égard
que les « faits de la cause » tombent sous l’empire de plusieurs instruments
internationaux.
Premièrement,
il est nécessaire d’évoquer ici la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la
protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale.
En vertu de ce traité, une adoption relevant de cet instrument n’aura lieu que
si les consentements n’ont pas été obtenus moyennant paiement ou contrepartie
d’aucune sorte et qu’ils n’ont pas été retirés.
Deuxièmement,
l’article 35 de la Convention relative aux droits de l’enfant est pertinent en
l’espèce. Cette disposition est libellée comme suit :
« Les États
parties prennent toutes les mesures appropriées sur les plans national,
bilatéral et multilatéral pour empêcher l’enlèvement, la vente ou la traite
d’enfants à quelque fin que ce soit et sous quelque forme que ce soit. »
Cette
disposition a été complétée par le Protocole facultatif à la Convention
relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution
des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. Nous jugeons
regrettable que ce protocole ait été omis dans la partie du raisonnement
énumérant les instruments internationaux pertinents. Il contient les
dispositions suivantes :
« Article
premier
Les États
Parties interdisent la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la
pornographie mettant en scène des enfants conformément aux dispositions du
présent Protocole.
Article 2
Aux fins du
présent Protocole :
a) On
entend par vente d’enfants tout acte ou toute transaction en vertu desquels un
enfant est remis par toute personne ou de tout groupe de personnes à une autre
personne ou un autre groupe contre rémunération ou tout autre avantage ; (...)
»
Nous notons
la définition très large de la vente d’enfants, qui s’étend à toutes les
transactions quel que soit leur but, et donc s’applique à des contrats conclus
aux fins d’acquérir des droits parentaux. Les traités internationaux
susmentionnés témoignent d’une tendance internationale affirmée vers la
limitation de la liberté contractuelle actuelle en proscrivant toute sorte de
contrat ayant pour objet le transfert d’enfants ou le transfert de droits
parentaux sur des enfants.
Troisièmement,
les dispositions pertinentes de soft law traitent
également de la question de la gestation pour autrui. En vertu des principes
adoptés par le comitéad hoc d’experts sur les progrès
des sciences biomédicales constitué au sein du Conseil de l’Europe (document
évoqué au paragraphe 79 de l’arrêt) :
« Aucun
médecin ou établissement ne doit utiliser les techniques de procréation
artificielle pour la conception d’un enfant qui sera porté par une mère de
substitution. »
Il est
également important de relever à cet égard que la Déclaration sur les droits de
l’enfant dispose de manière plus générale que :
« L’enfant,
pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, a besoin d’amour et de
compréhension. Il doit, autant que possible, grandir sous la sauvegarde et sous
la responsabilité de ses parents et, en tout état de cause, dans une atmosphère
d’affection et de sécurité morale et matérielle ; l’enfant en bas âge ne doit
pas, sauf circonstances exceptionnelles, être séparé de sa mère (Principe 6, in
principio). »
7. La
présente affaire touche à la question de la maternité de substitution. Aux fins
de cette opinion, nous entendons par maternité de substitution une situation
dans laquelle une femme (la mère de substitution) porte pendant la grossesse un
enfant à naître qui a été implanté dans son utérus alors qu’elle lui est
génétiquement étrangère, l’enfant ayant été conçu à partir d’un ovule fourni
par une autre femme (la mère biologique). La mère de substitution porte
l’enfant en prenant l’engagement de donner l’enfant à des tiers qui ont
commandé la grossesse, lesquels peuvent être les donneurs de gamètes (les
parents biologiques) mais pas nécessairement.
Nous
aimerions présenter ici brièvement notre point de vue sur cette question, en
soulevant seulement quelques points parmi les nombreux aspects de ce problème
complexe.
Selon le
Comité des droits de l’enfant, la gestation pour autrui rémunérée, en l’absence
de réglementation, relève de la vente d’enfants (voir les Observations finales
concernant le deuxième rapport périodique des États-Unis d’Amérique, soumis en
application de l’article 12 du Protocole facultatif à la Convention relative
aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des
enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, CRC/C/OPSC/USA/CO/2, §
29 ; Observations finales concernant les troisième et quatrième rapports
périodiques de l’Inde, CRC/C/IND/CO/3-4, §§ 57–58).
À notre
sens, la gestation pour autrui à des fins commerciales, qu’elle soit ou non
réglementée, s’analyse en une situation relevant de l’article 1 du Protocole
facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, et est donc
illégale au regard du droit international. Nous souhaiterions souligner à cet
égard qu’à l’heure actuelle, pratiquement tous les États européens interdisent
la gestation pour autrui à des fins commerciales (voir les documents de droit
comparé évoqués au paragraphe 81 de l’arrêt).
Plus
généralement, nous estimons que la gestation pour autrui, qu’elle soit ou non
rémunérée, n’est pas compatible avec la dignité humaine. Elle constitue un
traitement dégradant non seulement pour l’enfant mais également pour la mère de
substitution. La médecine moderne offre de plus en plus d’éléments démontrant
l’impact déterminant de la période prénatale de la vie humaine pour le
développement ultérieur de l’être humain. La grossesse avec ses soucis, ses
contraintes et ses joies, ainsi que l’épreuve et le stress de la naissance,
crée un lien unique entre la mère biologique et l’enfant. La gestation pour
autrui est d’emblée orientée vers une rupture radicale de ce lien. La mère de
substitution doit renoncer à développer une relation d’amour et de soins
pendant toute une vie. L’enfant à naître non seulement est placé de force dans
un environnement biologique étranger mais est également privé de ce qui aurait
dû être l’amour sans limite de la mère au stade prénatal. La gestation pour
autrui empêche également le développement de ce lien particulièrement fort
entre l’enfant et le père qui accompagne la mère et l’enfant pendant toute la
grossesse. Aussi bien l’enfant que la mère de substitution ne sont pas traités
comme des buts en soi mais comme des moyens de satisfaire les désirs d’autres
personnes. Pareille pratique n’est pas compatible avec les valeurs
sous-jacentes à la Convention. La gestation pour autrui est particulièrement
inacceptable si la mère de substitution est rémunérée. Nous regrettons que la
Cour n’ait pas pris une position claire contre de telles pratiques.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV
(Traduction)
Pour la
première fois, alors qu’elle statue en faveur de l’État défendeur, la Cour
insiste plus sur les valeurs que sur la marge d’appréciation formelle. Elle
présume que l’interdiction d’une adoption privée vise à protéger les enfants
contre des pratiques illicites, dont certaines peuvent être assimilées à un
trafic d’êtres humains. En effet, le trafic d’êtres humains est étroitement lié
aux conventions de gestation pour autrui. Les faits de l’espèce démontrent
clairement combien il serait facile qu’un trafic d’êtres humains soit
formellement représenté (et couvert) par une telle convention. Cependant, le
phénomène de la gestation pour autrui est en soi très dangereux pour le
bien-être de la société. J’entends par là non seulement la gestation pour
autrui à des fins commerciales mais toutes les formes de maternité de
substitution.
Dans une
société qui se développe harmonieusement, tous ses membres apportent leur
contribution au moyen de leurs talents, de leur énergie et de leur
intelligence. Bien sûr, ils ont également besoin de biens, de capitaux et de
ressources, mais ces derniers sont nécessaires uniquement en tant qu’instrument
matériels permettant d’appliquer les premiers. Ainsi, même si la seule
ressource valable dont dispose un individu est un corps beau ou sain,
l’argument ne suffit pas pour qu’il puisse justifier de tirer un revenu de la
prostitution, de la pornographie ou de la maternité de substitution.
La Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit l’interdiction de faire
du corps humain en tant que tel une source de profits, une disposition qui vise
à protéger le droit de toute personne à son intégrité physique et mentale
(article 3). Cependant, cette déclaration sans ambiguïté a fait l’objet de
débats parmi les experts, qui n’ont pas pu trouver des raisons communes de la
soutenir et de parvenir à des conclusions définitives, en raison de la
complexité du sujet et de la diversité des approches par les États de ces
questions.
On pourrait
avancer de nombreux arguments en faveur de la maternité de substitution,
fondés, par exemple, sur les notions d’économie de marché, de diversité et de
solidarité. Tout le monde n’est pas en mesure d’utiliser son cerveau puisque
cela requiert des efforts intellectuels considérables et un apprentissage
permanent, ce qui est une tâche très difficile. Il est beaucoup plus facile de
gagner de l’argent en utilisant son corps, eu égard particulièrement au fait
que la maternité de substitution génère une forte demande pour les corps,
demande relativement stable depuis des siècles. Cela pourrait aider à résoudre
les problèmes de chômage et à réduire les tensions sociales. La participation
du corps humain à l’économie en tant que ressource économique de valeur ne
signifie pas un arrêt du progrès. Ceux qui préfèrent utiliser leur matière
grise continueront à développer de nouvelles technologies et de nouvelles
sciences. Dans un contexte où la population mondiale augmente de manière
exponentielle, l’exploitation du corps pourrait passer pour raisonnable d’un
point de vue économique.
Cependant,
nous sommes ici confrontés à un dilemme millénaire : soit les êtres humains
survivent par un processus d’adaptation naturelle, exigeant un compromis avec
la dignité et l’intégrité humaines, soit ils tentent de parvenir à une nouvelle
qualité de vie sociale, laissant ainsi derrière eux la nécessité d’un tel compromis.
La notion de droits et libertés fondamentaux exigent la mise en œuvre de la
seconde option. Notre survie et notre développement l’exigent. Tout compromis
avec les droits de l’homme et les valeurs fondamentales implique la fin de
toute civilisation. Il va sans dire que cela s’est produit à de nombreuses
reprises, tant dans l’ancien temps que dans l’histoire moderne.
En fait,
deux raisons justifient que les bénéficiaires soutiennent la maternité de
substitution : échapper aux problèmes physiques causés par la grossesse ou
avoir un enfant dans une situation d’infertilité. Les demandes des deux types
seraient satisfaites, sauf si une stratégie sociale est mise en œuvre. Pareille
stratégie sociale (fondée sur la protection de la dignité) peut changer la
façon de répondre à la demande : l’adoption (la manière la plus facile de
résoudre des problèmes sociaux), le développement de l’embryon hors de l’utérus
(ce qui n’est pour l’instant pas possible, mais pourrait le devenir à l’avenir
avec l’aide des nouvelles biotechnologies), le développement des
biotechnologies existantes de procréation artificielle qui permettraient à
toute femme de tomber enceinte, la promotion de l’idée qu’une vie peut être
riche même sans enfant, la promotion d’une culture d’éducation et la création
de nouveaux métiers. C’est à la société de décider comment elle souhaite
avancer : vers le progrès social et le développement ou vers la stagnation et
la dégradation. Mais, avant tout, la société doit fixer la valeur des droits
fondamentaux, en fonction desquels cette approche de la vie privée ne peut être
respectée au détriment de la stagnation et de la dégradation de la société. La
maternité de substitution ne constituerait pas un problème si elle était
utilisée en de rares occasions, mais nous savons que cela est devenu une
activité commerciale importante et lucrative pour le « tiers-monde ».
En ce qui
concerne la solidarité, je ne crois pas à la gestation pour autrui en tant que
forme d’assistance volontaire et librement fournie à ceux qui ne peuvent pas
avoir d’enfants ; je ne peux croire que cela soit une déclaration honnête et
sincère. La solidarité vise à aider ceux dont la vie est en jeu, mais pas ceux
qui ont uniquement le désir de jouir d’une vie privée ou familiale bien
remplie. Les donneurs devraient être prêts à partager leur énergie ou leurs
biens (soit un surplus soit une partie importante de ceux-ci), mais de
préférence sans mettre en danger leur propre santé et leur propre vie (sauf
dans des situations d’urgence, comme un incendie ou d’autres circonstances de
force majeure). Ces facteurs ont joué un rôle directeur dans la récente crise
migratoire en Europe, lorsque les peuples ont envoyé un message clair à leurs
dirigeants : nous sommes prêts à accepter les migrants sur la base de la
solidarité, mais nous ne sommes prêts à mettre nos vies en danger.
Un donneur
peut partager certaines parties de son corps avec des bénéficiaires dans un
seul cas : immédiatement après sa mort, suivant un consentement éclairé ou
d’autres garanties procédurales. La grossesse et la naissance d’un enfant sont
extrêmement stressantes pour la mère porteuse en termes aussi bien physiques
qu’émotionnels. Les conséquences sont imprévisibles, et, en l’absence de
situation d’urgence, la maternité de substitution ne peut être considérée comme
une façon convenable de favoriser la solidarité sociale.
Je ne vais
pas m’étendre sur les questions éthiques et morales, car celles-ci ne devraient
pas être utilisées pour une analyse systémique. À l’heure actuelle, elles n’aident
pas à résoudre le problème, eu égard à la diversité très large des convictions
éthiques et morales. Il vaut mieux partir de la réalité.
Selon
l’étude de droit comparé, le nombre d’États qui interdisent la gestation pour
autrui est pratiquement égal à ceux qui tolèrent explicitement les gestations
pour autrui réalisées à l’étranger. On pourrait même conclure que c’est la
maternité de substitution qui sort « gagnante » de cette étude, étant donné que
seuls un tiers des États membres l’ont explicitement interdite.
Les
statistiques et les faits des affaires de maternité de substitution examinées
par la Cour démontrent que les gestations pour autrui sont menées à bien par
des gens pauvres ou dans des pays pauvres. Les bénéficiaires sont généralement
riches et séduisants et, de plus, participent fréquemment au parlement national
ou exercent sur lui une influence décisive. Par ailleurs, il est extrêmement
hypocrite d’interdire la maternité de substitution dans son propre pays pour
protéger les femmes qui y vivent, mais de permettre le recours à ce type
d’opérations à l’étranger.
De nouveau,
c’est un autre défi contemporain pour la notion de droits de l’homme : soit
nous créons une société qui est divisée entre ceux qui sont dedans et ceux qui
sont dehors, soit nous créons une base pour une solidarité mondiale ; soit nous
créons une société qui est divisée entre les nations développées et les nations
non développées, soit nous créons une base pour le développement solidaire et
l’accomplissement de soi ; nous créons une base pour l’égalité ou non. La
réponse est claire.
L’État
défendeur a pris une position très honnête et sans compromis concernant
l’interdiction de tout type de maternité de substitution. Cela ressort
clairement de la position du Gouvernement et de la Cour constitutionnelle
italienne. Je pense que cette position a été développée sur la base de valeurs
chrétiennes (Lautsi et autres c. Italie [GC], no
30814/06, CEDH 2011 (extraits)).
En Russie,
la situation est complètement différente. La Cour constitutionnelle russe a au
départ (en 2012) refusé d’examiner les problèmes soulevés dans des cas de
gestation pour autrui lorsque la mère porteuse exprimait le souhait de garder
l’enfant à la naissance. Ce problème a été rapidement résolu en 2013 dans le code
de la famille, en faveur de la mère porteuse. Cela a été la première initiative
législative visant à réglementer les conventions de gestation pour autrui. Je
n’ai entendu aucune voix s’élever pour interdire la maternité de substitution
sur la base de valeurs fondamentales. Dans l’intervalle, cette méthode pour
acheter un bébé est devenue très populaire parmi les gens riches et célèbres.
Quant au
lien biologique entre l’enfant et les parents adoptifs (c’est-à-dire les
bénéficiaires de la gestation pour autrui), le juge Knyazev
de la Cour constitutionnelle russe, dans son opinion séparée, a soulevé un
problème, à savoir le fait que le droit de la mère porteuse de garder l’enfant
porte atteinte aux droits constitutionnels des bénéficiaires de la gestation
pour autrui lui ayant fourni leur matériel génétique. À mon sens, ce n’est pas
un problème majeur, de tels parents pouvant être considérés comme des donneurs.
Un problème plus grave tient au fait que, dès le départ, la maternité de
substitution enfreint les valeurs fondamentales de la civilisation humaine et
affecte tous les participants : la mère porteuse, les parents adoptifs et
l’enfant.
Certains
des parents adoptifs ne sont pas mariés ou vivent seuls. Si le code de la
famille autorise la conclusion de conventions de gestation pour autrui
seulement par les couples mariés, les juridictions russes ont pris une position
encore plus « libérale » et ont autorisé toute personne, même une femme
fertile, a avoir un enfant de cette manière. Cela engendre, à mon sens, un
grave problème de trafic d’êtres humains autorisé par l’État.
Je crois
que, afin d’empêcher la dégradation morale et éthique de la société, la Cour
devrait soutenir des actions fondées sur les valeurs et non se cacher derrière
la marge d’appréciation. Ces valeurs (dignité, intégrité, égalité, solidarité,
curiosité, accomplissement de soi, créativité, connaissance et culture) ne sont
pas en conflit avec le respect de la vie privée et familiale. Le respect de la
vie familiale, de par l’existence d’un lien biologique, a constitué un critère
décisif dans les affaires précédentes contre la France, à savoir Mennesson c. France (no 65192/11, CEDH 2014 (extraits)) et Labassee c. France (no 65941/11, 26 juin 2014), qui ont été
tranchées en faveur des requérants. L’absence de lien biologique est également
un point central de l’arrêt en l’espèce ; cependant, si la maternité de
substitution n’est en principe pas compatible avec la notion de droits
fondamentaux, elle devrait être contrebalancée par une sanction individuelle et
un débat public en vue de prévenir de telles pratiques à l’avenir.
J’estime
qu’en l’espèce la Cour a fait un premier pas en faisant primer les valeurs sur
la marge d’appréciation dans une affaire « éthique » (je devrais mentionner une
autre affaire récente rendue par la Grande Chambre, à savoir Dubská et Krejzová c. République
tchèque ([GC], nos 28859/11 et 28473/12, 15 novembre 2016)). Elle ne l’avait
pas fait dans l’affaire précitée Lautsi et autres ou
dans l’affaire Parrillo c. Italie ([GC], no 46470/11,
CEDH 2015). À présent, c’est réellement une nouvelle Cour.
Il est très
difficile de choisir entre le droit au respect de la vie privée et l’ingérence
dans l’exercice de ce droit aux fins de protéger la morale, les catégories
morales n’étant pas précises. Cependant, lorsque les normes morales sont liées
aux valeurs humaines, la décision est mieux étayée sur le long terme, parce que
le progrès social doit absolument s’appuyer sur des valeurs.
Finalement,
la maternité de substitution représente l’un de ces défis qui nous obligent à
nous demander qui nous sommes – une civilisation ou une biomasse ? – s’agissant
de la survie de la race humaine dans son ensemble. L’étude de droit comparé sur
la maternité de substitution montre que ce phénomène est toléré dans la
majorité des États membres et c’est pourquoi il n’a même pas été interprété
selon le point de vue développé ci-dessus. Je suppose que la véritable réponse
est quelque part au milieu : les nations civilisées constituent la base du
droit international, et la maternité de substitution n’entrave pas le
développement civilisé des nations. Cependant, si l’on considère le nombre des
personnes impliquées, directement ou indirectement, dans une forme ou une autre
de cette manière antisociale de réaliser des profits, légalement ou non,
l’échelle réelle du problème est impressionnante. Lorsque la solidarité sociale
n’est pas encouragée ou effectivement protégée en pratique par les autorités
(qui se limitent à faire des déclarations dans des documents officiels), cela
soulève des problèmes de discrimination ou d’inégalités sociales, qui peuvent
conduire à une déstabilisation ou une dégradation de la société ; cette menace
ne doit pas être sous-estimée.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE DES JUGES LAZAROVA TRAJKOVSKA, BIANKU,
LAFFRANQUE, LEMMENS ET GROZEV
(Traduction)
1. Nous
regrettons de ne pouvoir souscrire au point de vue de la majorité selon lequel
il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention. Nous estimons en
effet qu’il y a eu ingérence dans le droit des requérants au respect de leur
vie familiale. Nous sommes en outre d’avis que, dans les circonstances
spécifiques de l’espèce, ce droit a été violé.
Sur
l’existence d’une vie familiale
2. La
majorité examine le grief des requérants du point de vue du droit au respect de
leur vie privée. Elle déclare explicitement qu’il n’y avait pas de vie
familiale (paragraphes 140–158 de l’arrêt).
Nous
préférons l’approche adoptée par la chambre, qui conclut à l’existence d’une
ingérence dans le droit des requérants au respect de leur vie familiale.
3. Comme la
majorité, nous partons du principe (paragraphe 140 de l’arrêt) que l’existence
ou l’absence d’une « vie familiale » est d’abord une question de fait dépendant
de la réalité pratique de liens personnels étroits (K. et T. c. Finlande [GC],
no 25702/94, § 150, CEDH 2001 VII, et Şerife Yiğit c. Turquie [GC], no 3976/05, § 93, 2 novembre
2010). L’article 8 de la Convention ne distingue pas entre famille « légitime »
et famille « naturelle » (Marckx c. Belgique, 13 juin
1979, § 31, série A no 31). La notion de « vie familiale » visée par l’article
8 ne se borne donc pas, par exemple, aux seules relations fondées sur le
mariage mais peut englober d’autres « liens familiaux » de facto lorsque les
personnes cohabitent en dehors du mariage ou lorsqu’une relation a suffisamment
de constance (voir, parmi d’autres, Kroon et autres
c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, § 30, série A no 297 C, et Mikulić
c. Croatie, no 53176/99, § 51, CEDH 2002 I).
Si les
liens biologiques entre ceux qui agissent en tant que parents et un enfant
peuvent être une indication très importante quant à l’existence d’une vie
familiale, l’absence de tels liens ne signifie pas nécessairement qu’il n’y en
a pas. La Cour a ainsi admis, par exemple, que la relation entre un homme et un
enfant, qui entretenaient des liens affectifs très étroits et qui avaient cru
pendant des années être père et fille, jusqu’à ce qu’il fût finalement
découvert que le requérant n’était pas le père biologique de l’enfant,
s’analysait en une vie familiale (Nazarenko c.
Russie, no 39438/13, § 58, CEDH 2015 (extraits)). La majorité se réfère en
outre, tout à fait à juste titre, à plusieurs autres affaires illustrant le
fait que c’est l’existence de véritables liens personnels qui est important, et
non l’existence de liens biologiques ou d’un lien juridique reconnu
(paragraphes 148–150 de l’arrêt, renvoyant à Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg,
no 76240/01, § 117, 28 juin 2007,Moretti et Benedetti c. Italie, no 16318/07,
§§ 49-52, 27 avril 2010, et Kopf et Liberda c. Autriche, no 1598/06, § 37, 17 janvier 2012).
4. Quant
aux liens familiaux de facto en l’espèce, nous relevons, à l’instar de la
majorité, que les requérants et l’enfant ont vécu ensemble pendant six mois en
Italie, après une période de cohabitation d’environ deux mois entre la première
requérante et l’enfant en Russie (paragraphe 152 de l’arrêt). De plus, et
surtout, les requérants ont tissé de forts liens affectifs avec celui-ci dans
les premières étapes de sa vie, dont la qualité a été reconnue par une équipe
d’assistantes sociales (paragraphe 151 de l’arrêt). En bref, il existait un
véritable projet parental, fondé sur des liens affectifs de haute qualité
(paragraphe 157 de l’arrêt).
La majorité
considère néanmoins que la durée de la cohabitation entre les requérants et
l’enfant était trop courte pour qu’elle suffise à établir une vie familiale de
facto (paragraphes 152–154 de l’arrêt). Avec tout le respect que nous devons à
nos collègues, nous ne pouvons souscrire à cette conclusion. Nous attachons en
effet de l’importance à la circonstance que la cohabitation a commencé le jour
même de la naissance de l’enfant et a duré jusqu’à ce que l’enfant fût enlevé
aux requérants, et au fait qu’elle se serait poursuivie indéfiniment si les
autorités n’étaient pas intervenues pour y mettre fin. La majorité rejette cet
argument au motif que l’intervention était la conséquence de la précarité
juridique créée par les requérants eux-mêmes « en adoptant une conduite
contraire au droit italien et en venant s’installer en Italie avec l’enfant »
(paragraphe 156 de l’arrêt). Nous craignons que la majorité ne fasse ainsi une
distinction entre famille « légitime » et famille « naturelle », distinction qui
a été rejetée par la Cour il y a de nombreuses années (paragraphe 3 ci-dessus),
et qu’elle n’accorde pas toute l’importance qu’il mérite au principe établi
selon lequel l’existence ou l’absence d’une « vie familiale » est
essentiellement une question de fait (ibidem).
5. Même si
la période de cohabitation en tant que telle est relativement courte, nous
estimons que les requérants se sont comportés à l’égard de l’enfant comme des
parents et nous concluons à l’existence, dans les circonstances de l’espèce, d’une
vie familiale de facto entre les requérants et l’enfant (voir l’arrêt de la
chambre, § 69).
Sur le
point de savoir si l’ingérence dans le droit au respect de la vie familiale
était justifiée
6.
D’emblée, nous aimerions rappeler certains principes généraux découlant de la
jurisprudence de la Cour.
Dans les
affaires concernant le placement d’un enfant en vue de son adoption, qui
implique la rupture permanente des liens familiaux, l’intérêt supérieur de
l’enfant est primordiale (Johansen c. Norvège, 7 août
1996, § 78, Recueil des arrêts et décisions 1996 III, Kearns c. France, no
35991/04, § 79, 10 janvier 2008, R. et H. c. Royaume-Uni, no 35348/06, §§ 73 et
81, 31 mai 2011, et Y.C. c. Royaume-Uni, no 4547/10, § 134, 13 mars 2012).
Pour
identifier l’intérêt supérieur de l’enfant dans une affaire particulière, deux
considérations doivent être gardées à l’esprit : premièrement, il est dans
l’intérêt de l’enfant que les liens entre lui et sa famille soient maintenus,
sauf dans les cas où celle-ci se serait montrée particulièrement indigne ; et
deuxièmement, il est dans l’intérêt de l’enfant de lui garantir une évolution
dans un environnement sain (Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 136, CEDH 2010, et R.
et H. c. Royaume-Uni, précité, §§ 73-74).
S’il
n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation à celle des
juridictions internes en ce qui concerne les mesures relatives aux enfants,
elle doit s’assurer que le processus décisionnel ayant conduit les juridictions
nationales à prendre la mesure litigieuse a été équitable et qu’il a permis aux
intéressés de faire valoir pleinement leurs droits, et ce dans le respect de
l’intérêt supérieur de l’enfant (Neulinger et Shuruk, précité, § 139, et X c. Lettonie [GC], no 27853/09,
§ 102, CEDH 2013). Nous estimons que, lorsqu’ils examinent une demande de
placement d’un enfant en vue de son adoption, les juges doivent non seulement
examiner si la séparation de l’enfant d’avec les personnes se comportant comme
ses parents serait dans son intérêt, mais également se prononcer à ce sujet par
une décision spécialement motivée au vu des circonstances de l’espèce (voir,
mutatis mutandis, concernant une décision sur une demande de retour d’un enfant
en vertu de la Convention de la Haye sur les aspects civils de l’enlèvement
international d’enfants, X c. Lettonie, précité, § 107).
7. Afin de
vérifier si l’ingérence dans le droit des requérants au respect de leur vie
familiale, c’est-à-dire le fait de leur retirer l’enfant, est compatible avec
l’article 8 de la Convention, il importe de relever quelle justification a été
en réalité donnée par les autorités nationales à l’ingérence en question.
À cet
égard, nous relevons une différence notable entre les motifs donnés par le
tribunal pour mineurs de Campobasso et ceux avancés par la cour d’appel de
Campobasso.
Le tribunal
pour mineurs, saisi par le ministère public d’une demande de mesures urgentes,
a fondé sa décision du 20 octobre 2011 sur la nécessité d’empêcher la poursuite
d’une situation illégale. Selon le tribunal, l’illégalité découlait de la
violation de deux lois. D’une part, en amenant un bébé en Italie et en le
faisant passer pour leur propre fils, les requérants auraient contrevenu de
manière flagrante aux dispositions de la loi sur l’adoption (loi no 184 du 4
mai 1983) régissant l’adoption internationale d’enfants ; quoi qu’il en soit,
ils auraient intentionnellement contourné les dispositions de cette loi en ce
qu’elles prévoyaient non seulement l’obligation pour les personnes souhaitant
adopter de s’adresser à un organisme agréé (article 31), mais également
l’intervention de la commission pour les adoptions internationales (article
38). D’autre part, pour autant que l’accord conclu entre la première requérante
et la société Rosjurconsulting prévoyait la remise du
matériel génétique du second requérant en vue de la fécondation des ovules
d’une autre femme, il était contraire, d’après le tribunal, à l’interdiction de
recourir à des techniques de procréation médicalement assistée de type
hétérologue, prévue par l’article 4 de la loi sur la procréation médicalement
assistée (loi no 40 du 19 février 2004). La réaction à cette situation illégale
a pris la forme d’une double décision, celle d’éloigner l’enfant des requérants
et de le placer dans une structure appropriée dans l’attente de trouver un
couple approprié auquel le confier (paragraphe 37 de l’arrêt).
La cour
d’appel a débouté les requérants le 28 février 2012, mais sur la base d’un
raisonnement différent. Elle n’a pas dit que les requérants étaient dans une
situation illégale et qu’il était nécessaire d’y mettre un terme. Elle a
expliqué que l’enfant était dans un « état d’abandon » au sens de l’article 8
de la loi no 184 du 4 mai 1983, étant donné qu’il ne bénéficiait pas d’une assistance
morale et matérielle de la part de sa « famille naturelle ». Selon la cour
d’appel, cet état d’abandon justifiait les mesures prises par le tribunal pour
mineurs, qui étaient de nature conservatoire et urgente. La cour d’appel a
relevé que ces mesures étaient compatibles avec l’issue probable de la
procédure au fond sur la demande du ministère public, à savoir une déclaration
d’adoptabilité (paragraphe 40 de l’arrêt).
À notre
avis, c’est essentiellement, sinon exclusivement, le raisonnement de la cour
d’appel qui doit être pris en compte s’agissant d’examiner les raisons
justifiant d’éloigner l’enfant des requérants. En effet, c’est la cour d’appel
qui a statué en dernier ressort, substituant par là même ses motifs à ceux du
tribunal pour mineurs. De plus, alors que le tribunal pour mineurs a avant tout
exprimé sa désapprobation devant la conduite des requérants et les a donc
sanctionnés, la cour d’appel a commencé son analyse sur la base d’une
appréciation de l’intérêt de l’enfant, ce qui est en soi la bonne approche dans
les affaires telles que l’espèce (paragraphe 6 ci-dessus).
Enfin, nous
observons que la majorité, lorsqu’elle examine la justification de l’ingérence,
ne se réfère pas explicitement aux décisions prises par les tribunaux dans la
procédure relative à la contestation par les requérants du refus du bureau
d’état civil d’inscrire le certificat de naissance dans le registre d’état
civil, en particulier à l’arrêt de la cour d’appel de Campobasso du 3 avril
2013 (paragraphes 47–48 de l’arrêt). Pour cette raison, nous omettrons
également d’inclure le raisonnement de cette dernière juridiction dans notre
analyse.
8. La
première question à examiner est celle de savoir si l’ingérence, c’est-à-dire
l’éloignement de l’enfant des requérants, était prévue par la loi.
Eu égard
aux motifs donnés par la cour d’appel dans son arrêt du 28 février 2012, nous
concluons que l’éloignement se fondait sur l’article 8 de la loi sur
l’adoption, qui prévoit que peut être déclaré en état d’adoptabilité tout
mineur en état d’abandon, c’est-à-dire dépourvu de toute assistance morale ou
matérielle de la part de ses parents ou des membres de sa famille. Les
tribunaux ayant refusé de considérer les requérants comme ses parents, l’enfant
a été jugé être en état d’abandon, et a donc été déclaré adoptable.
Nous sommes
conscients qu’il appartient aux juridictions nationales d’interpréter et
d’appliquer le droit interne (paragraphe 169 de l’arrêt). Néanmoins, nous ne
pouvons qu’exprimer notre surprise quant à la conclusion selon laquelle
l’enfant, dont un couple qui assumait pleinement le rôle de parents prenait
soin, se trouvait en état « d’abandon ». Si cette conclusion repose uniquement
sur le fait que que les requérants n’étaient pas ses
parents sur le plan juridique, nous nous demandons si le raisonnement des
juridictions nationales ne revêtait pas un caractère excessivement formel, au
point d’en être incompatible avec les exigences découlant de l’article 8 de la
Convention en pareil cas (paragraphe 6 ci-dessus).
Cependant,
nous ne nous étendrons pas plus sur cet argument. En effet, à supposer même que
l’ingérence ait été prévue par la loi, elle ne peut, à notre avis, être
justifiée, pour les raisons développées ci-dessous.
9. La
question suivante est celle de savoir si l’ingérence poursuivait un but
légitime.
Nous
relevons que la cour d’appel a fondé sa décision relative à l’éloignement de
l’enfant sur l’état d’abandon dans lequel celui-ci se serait trouvé. On peut
donc soutenir qu’elle a pris la mesure litigieuse afin de protéger « les droits
et libertés d’autrui », à savoir les droits de l’enfant.
La majorité
admet que les mesures poursuivaient également un autre but, celui de la «
défense de l’ordre ». À l’instar de la chambre, elle rappelle que la conduite
des requérants se heurtait à la loi sur l’adoption et à l’interdiction en droit
italien des techniques de procréation assistée hétérologue (paragraphe 177 de
l’arrêt). Avec tout le respect que nous devons à nos collègues de la majorité,
nous ne pouvons souscrire à cet avis. C’est uniquement le tribunal pour
mineurs, à savoir la juridiction de première instance, qui s’est fondé sur la
conduite illégale des parents ; la cour d’appel s’est gardée d’utiliser la
possibilité de déclarer l’enfant adoptable comme une sanction à l’égard des
requérants.
10. Enfin,
il convient d’examiner si l’ingérence était nécessaire, dans une société
démocratique, pour atteindre le but poursuivi.
Comme la
majorité, nous estimons que cette condition implique, premièrement, que les
motifs invoqués pour justifier la mesure litigieuse soient pertinents et
suffisants (paragraphe 179 de l’arrêt), et, deuxièmement, que la mesure soit
proportionnée au but légitime poursuivi eu égard au juste équilibre à ménager
entre les intérêts concurrents en jeu (paragraphe 181 de l’arrêt).
11. Notre
désaccord avec la majorité tient à l’application des principes aux faits de
l’espèce.
À
l’évidence, l’appréciation de la condition de nécessité dépend en grande partie
du point de savoir quels sont les buts légitimes spécifiques qui sont définis
comme étant ceux que poursuivaient les autorités compétentes. Comme indiqué
ci-dessus, nous pensons que la cour d’appel a justifié l’éloignement de
l’enfant par la situation de celui-ci. Au contraire, la majorité non seulement
prend en compte les raisons données par le tribunal pour mineurs (la situation
illégale créée par les requérants), mais va même jusqu’à considérer, suivant
l’argumentation du Gouvernement, le contexte plus large de l’interdiction en
droit italien des conventions de gestation pour autrui (sur ce dernier point,
voir le paragraphe 203 de l’arrêt). Nous estimons que les faits particuliers de
l’espèce, et en particulier les décisions rendues par les autorités internes,
n’appellent pas une approche aussi large, dans laquelle des considérations
sensibles de politique générale peuvent jouer un rôle important.
Nous
n’avons pas l’intention d’exprimer une opinion quelconque sur l’interdiction
des conventions de gestation pour autrui en droit italien. Il appartient au
législateur italien de dire quelle est la politique de l’Italie en la matière.
Cependant, le droit italien n’a pas d’effets extraterritoriaux. Lorsqu’un
couple a réussi à contracter à l’étranger une convention de gestation pour
autrui et à obtenir d’une mère résidant dans un autre pays un bébé qu’il a
ensuite ramené légalement en Italie, c’est la situation factuelle en Italie
découlant de ces événements qui se sont antérieurement déroulés dans un autre
pays qui doit guider les autorités italiennes compétentes dans leur réaction à
cette situation. À cet égard, nous avons du mal à comprendre le point de vue de
la majorité selon lequel les motifs du législateur justifiant l’interdiction
des conventions de gestation pour autrui sont pertinents s’agissant des mesures
prises en vue de dissuader les ressortissants italiens d’avoir recours à
l’étranger à des pratiques qui sont interdites en Italie (paragraphe 203 de
l’arrêt). À notre avis, la pertinence de ces motifs devient moins évidente
lorsqu’il s’agit d’une situation née à l’étranger qui, en soi, ne peut pas
avoir enfreint le droit italien. À cet égard, il est important de relever que
la situation créée par les requérants en Russie a été à l’origine reconnue et
formalisée par les autorités italiennes, par l’intermédiaire du consulat
italien à Moscou (paragraphe 17 de l’arrêt).
12. Quelles
que soient les raisons avancées pour justifier la séparation de l’enfant d’avec
les requérants, nous ne pouvons souscrire à la conclusion de la majorité selon
laquelle les juridictions italiennes ont ménagé un juste équilibre entre les
divers intérêts en jeu.
En ce qui
concerne les intérêts généraux en jeu, nous avons déjà expliqué qu’à notre sens
on a attaché trop d’importance à la nécessité de mettre un terme à une
situation illégale (au regard des lois sur l’adoption internationale et sur
l’utilisation des technologies de procréation assistée) et à la nécessité de
dissuader les citoyens italiens d’avoir recours à l’étranger à des pratiques
qui sont interdites en Italie. Ces intérêts n’étaient absolument pas ceux que
la cour d’appel a cherché à protéger.
En ce qui
concerne l’intérêt de l’enfant, nous avons déjà fait part de notre surprise
devant la qualification donnée à la situation de l’enfant comme étant « en état
d’abandon ». À aucun moment les tribunaux ne se sont demandé s’il était dans
l’intérêt de l’enfant de rester avec des personnes qui se comportaient comme
ses parents. L’éloignement se fondait sur des motifs purement juridiques. Les
faits ne sont entrés en jeu que pour apprécier si les conséquences de
l’éloignement, une fois décidé, ne seraient pas trop dures pour l’enfant. Nous
estimons que, dans ces circonstances, on ne saurait dire que les juridictions
internes aient suffisamment tenu compte de l’impact que l’éloignement aurait
sur le bien-être de l’enfant. Il s’agit là d’une omission grave, étant donné
que toute mesure de ce type doit prendre l’intérêt supérieur de l’enfant en
considération (paragraphe 6 ci-dessus).
En ce qui
concerne les intérêts des requérants, nous pensons que leur intérêt à continuer
de développer leur relation avec un enfant dont ils souhaitaient être les
parents (paragraphe 211 de l’arrêt) n’a pas suffisamment été pris en compte, en
particulier par le tribunal pour mineurs. Nous ne pouvons souscrire à la
référence complaisante de la majorité à la suggestion de cette juridiction
selon laquelle les requérants cherchaient à satisfaire réaliser un « désir
narcissique » ou à « exorciser un problème individuel ou de couple », ou à ses
doutes relatifs à l’existence chez les requérants de « réelles capacités
affectives et éducatives » et « d’un instinct de solidarité humaine »
(paragraphe 207 de l’arrêt). Nous estimons que ces appréciations revêtaient un
caractère spéculatif et n’auraient pas dû guider le tribunal pour mineurs dans
son examen de la demande de mesures urgentes présentée par le ministère public.
Outre ces
considérations du tribunal pour mineurs, qui semblent avoir été corrigées par
l’approche plus neutre adoptée par la cour d’appel, nous souhaiterions rappeler
que les requérants ont été jugés aptes à l’adoption le 7 décembre 2006,
lorsqu’ils ont obtenu l’agrément du tribunal pour mineurs (paragraphe 10 de
l’arrêt), et qu’une équipe d’assistantes sociales désignée par un tribunal a
estimé dans un rapport en date du 18 mai 2011 que les requérants avaient pris
l’enfant en charge « de façon optimale » (paragraphe 25 de l’arrêt). Ces
appréciations positives n’ont pas été contredites par une évaluation sérieuse
de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais ont été balayées à la lumière de
considérations plus abstraites et générales.
De plus,
ainsi que l’admet la majorité, les tribunaux n’ont pas abordé l’impact que la
séparation immédiate et irréversible d’avec l’enfant aurait sur les requérants
(paragraphe 211 de l’arrêt). Nous estimons qu’il s’agit là d’une lacune grave,
qui ne saurait se justifier par les considérations de la majorité concernant
l’illégalité de la conduite des requérants et la précarité de leur relation
avec l’enfant (ibidem). Le simple fait que les juridictions internes n’aient
pas estimé nécessaire de discuter de l’impact sur les requérants de
l’éloignement d’un enfant qui était au centre de leur projet parental démontre,
à notre avis, que ces juridictions n’ont pas réellement cherché à ménager un
juste équilibre entre les intérêts des requérants et tout autre intérêt
concurrent, quel qu’ait pu être celui-ci.
13. Eu
égard à ce qui précède, nous estimons donc, à l’instar de la chambre, que les
éléments sur lesquels les juridictions se sont fondées pour décider que
l’enfant devait être retiré aux requérants et pris en charge par les services
sociaux ne suffisent pas pour conclure que ces mesures n’étaient pas
disproportionnées (voir l’arrêt de chambre, § 86).
Pour nous,
il n’a pas été démontré que les autorités italiennes ont ménagé le juste
équilibre qu’il fallait préserver entre les intérêts concurrents en jeu.