Corte europea dei diritti dell’uomo
(Grande Camera)
23 febbraio 2017
AFFAIRE DE TOMMASO c. ITALIE
(Requête no 43395/09)
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches
de forme.
En l’affaire de Tommaso c. Italie,
La Cour
européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
András Sajó, président,
Guido
Raimondi,
Josep Casadevall,
Işıl Karakaş,
Mark Villiger,
Boštjan M. Zupančič,
Ján Šikuta,
Ledi Bianku,
Nebojša Vučinić,
Kristina Pardalos,
Paulo Pinto de
Albuquerque,
Helen Keller,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov,
Egidijus Kūris,
Robert
Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Johan
Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,
Après en
avoir délibéré en chambre du conseil les 20 mai 2015, 24 août 2016 et 23
novembre 2016,
Rend
l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. À
l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 43395/09) dirigée contre la
République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Angelo de Tommaso
(« le requérant »), a saisi la Cour le 28 juillet 2009 en vertu de l’article 34
de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (« la Convention »).
2. Le
requérant a été représenté par Me D. Conticchio,
avocat à Casamassima. Le gouvernement italien (« le
Gouvernement ») a été représenté par ses co-agents,
Mme P. Accardo et M. G. Mauro Pellegrini.
3. Le
requérant alléguait en particulier que les mesures de prévention auxquelles il
avait été soumis pendant deux ans étaient contraires aux articles 5, 6 et 13 de
la Convention et à l’article 2 du Protocole no 4.
4. La
requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du
règlement de la Cour).
5. Le 18
octobre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
6. Le 25
novembre 2014, une chambre de la deuxième section composée de Işıl Karakaş,
présidente, Guido Raimondi, András Sajó, Nebojša Vučinić,
Helen Keller, Egidijus Kūris,
Robert Spano, juges, ainsi que de Stanley Naismith, greffier de section, s’est dessaisie au profit de
la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la
Convention et 72 du règlement).
7. La
composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément à l’article 26 §§ 4
et 5 de la Convention et à l’article 24 du règlement.
8. Tant le
requérant que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur la recevabilité et sur
le fond de l’affaire.
9. Une
audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à
Strasbourg, le 20 mai 2015 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu
:
– pour le
Gouvernement
MmeP. Accardoco-agent,
M.G. Mauro Pellegrinico-agent
;
– pour le
requérant
MeD. Conticchio,conseil,
MmeL. Fanizzi,
MeM. Casulli,conseillères.
La Cour a
entendu Mme Accardo et Me Conticchio
en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par les
juges.
EN FAIT
I. LES
CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
10. Le
requérant, M. Angelo de Tommaso, est un ressortissant italien né en 1963 et
résidant à Casamassima.
11. Le 22
mai 2007, le procureur de la République de Bari proposa au tribunal de cette
ville de soumettre le requérant, pour une période de deux ans, à une mesure de
surveillance spéciale de police (sorveglianza speciale di pubblica sicurezza) fondée sur la loi no 1423 de 1956, assortie
d’une assignation à résidence. Le procureur souligna que les précédentes
condamnations du requérant pour trafic de drogue, évasion et détention d’armes
montraient qu’il fréquentait des criminels et était une personne dangereuse. Il
fit aussi remarquer que le requérant avait reçu un « avertissement » de la
police mais avait persisté dans sa conduite délictueuse.
12. Dans un
mémoire en date du 6 mars 2008, le requérant s’opposa à la proposition du
procureur. Il allégua une erreur sur la personne et indiqua que les infractions
aux obligations découlant de la surveillance spéciale qui lui étaient
reprochées concernaient un individu qui portait les mêmes nom et prénom que lui
mais était né en 1973. Il plaida également qu’il n’avait plus fait l’objet de
poursuites depuis une condamnation prononcée en 2002. Il ajouta que, même s’il
avait été condamné pour évasion en 2004, cet élément n’était pas déterminant
pour l’application de la mesure litigieuse. Il soutint qu’il n’était pas nécessaire
de le soumettre à une surveillance spéciale.
13. Par une
décision du 11 avril 2008, notifiée le 4 juillet 2008, le tribunal de Bari
ordonna l’application de la mesure de surveillance spéciale pour une durée de
deux ans. Il rejeta les arguments du requérant, estimant que les conditions
requises par la loi pour l’application de la mesure étaient bien remplies dès
lors que la dangerosité de l’intéressé ne faisait pas de doute.
14. Pour le
tribunal, le requérant présentait une tendance « active » à la délinquance et
les pièces du dossier montraient qu’il avait tiré d’une activité délictueuse la
plupart de ses moyens de subsistance.
15. Le
tribunal remarqua en particulier ce qui suit :
« Le 18
septembre 2006, l’intéressé a reçu un « avertissement verbal pour la sécurité
publique » mais cela n’a aucunement amélioré sa conduite ; il a continué à
fréquenter assidûment certains criminels importants au niveau local (malavita locale) et à commettre des délits (voir l’acte
d’accusation : infraction aux obligations associées à la surveillance le 25
avril 2007 ; infraction aux obligations associées à la surveillance le 29 avril
2007). »
16. Le
tribunal ajouta ceci :
« Les
conclusions de l’instruction (voir les documents et certificats joints au
dossier) montrent que M. Angelo de Tommaso est effectivement et actuellement
impliqué dans différents actes délictueux, dont les plus alarmants pour l’ordre
et la sécurité publiques sont les infractions d’ordre patrimonial et en matière
d’armes et de stupéfiants.
À ce cadre
négatif s’ajoute le contenu du signalement fait récemment, le 26 janvier 2008,
par le corps des carabiniers de Gioia del Colle, dont
il ressort que la tendance du sujet à la délinquance, loin d’avoir disparu, est
considérée comme active et opérationnelle. Il ressort des pièces du dossier que
le sujet n’exerce aucune activité professionnelle fixe et légale (il s’est
déclaré disponible pour un emploi à partir de février 2008) et que les faits
graves pris en considération sont tels qu’ils permettent de penser qu’il a
jusqu’à présent tiré une grande partie de ses moyens de subsistance de son
activité délictueuse, recourant constamment aux délits, commis seul ou en
association avec des repris de justice (dans sa localité de résidence ou dans
d’autres localités). D’où la nécessité, pour permettre un contrôle plus assidu,
de prononcer, en plus de la surveillance spéciale de police d’une durée de deux
ans (mesure jugée appropriée au vu de la personnalité du sujet, telle qu’elle
ressort des actes attribués à celui-ci), une assignation à résidence pour la
même durée. »
17. La
mesure de prévention imposait à l’intéressé les obligations suivantes :
– se
présenter une fois par semaine à l’autorité de police chargée de la
surveillance ;
–
rechercher du travail dans le délai d’un mois ;
– habiter à
Casamassima et ne pas changer de lieu de résidence ;
– vivre
honnêtement et dans le respect des lois, ne pas prêter à soupçon ;
– ne pas
fréquenter des personnes ayant fait l’objet de condamnations et soumises à des
mesures de prévention ou de sûreté ;
– ne pas
rentrer le soir après vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six
heures, sauf en cas de nécessité et non sans avoir averti les autorités en
temps utile ;
– ne
détenir ni porter aucune arme ;
– ne pas
fréquenter les cafés, cabarets, salles de jeux et lieux de prostitution et ne
pas participer à des réunions publiques ;
– ne pas
utiliser de téléphones portables et d’appareils radioélectriques pour
communiquer ;
– porter
sur soi le « document prescriptif » (carta prescrittiva)
et le présenter sur demande de l’autorité de police.
18. Le 14
juillet 2008, le requérant forma un recours devant la cour d’appel de Bari.
19. Le 31
juillet 2008, la préfecture de Bari ordonna le retrait du permis de conduire du
requérant.
20. Par une
décision du 28 janvier 2009, notifiée à l’intéressé le 4 février 2009, la cour
d’appel fit droit au recours du requérant et annula ex tunc
la mesure de prévention.
21. Tout
d’abord, la cour d’appel rappela que pour pouvoir appliquer la mesure de
prévention il fallait établir la « dangerosité actuelle » du sujet, laquelle
n’était pas nécessairement liée à la commission d’une infraction précise mais à
l’existence d’une situation complexe d’une certaine durée, révélant un mode de
vie particulier de l’intéressé, alarmant pour la sécurité publique.
22. Pour la
cour d’appel, le caractère « actuel » de la dangerosité sociale du condamné
impliquait que la décision en cause se rapportât au moment de la délibération
et conservât ses effets dans la phase de l’exécution, les faits antérieurs ne
pouvant être pris en compte qu’en raison de leur incidence sur l’appréciation
du caractère actuel.
23. Selon
la juridiction, au moment de l’application de la mesure la dangerosité du
requérant ne pouvait être fondée sur aucune activité délictuelle.
24. La cour
d’appel observa ensuite que plusieurs condamnations définitives pour
contrebande de tabac avaient été prononcées contre le requérant entre septembre
1995 et août 1999. Elle ajouta que par la suite l’intéressé avait changé de
secteur d’activité et que jusqu’au 18 juillet 2002 il s’était livré au trafic
de stupéfiants avec détention et port d’armes clandestines, faits pour lesquels
il avait été condamné – par un jugement en date du 15 mars 2003, devenu
définitif le 10 mars 2004 – à une peine de quatre ans d’emprisonnement,
exécutée du 18 juillet 2002 au 4 décembre 2005.
25. Pour la
cour d’appel, la dernière activité illicite en matière de stupéfiants était
donc antérieure de plus de cinq ans à l’adoption de la mesure de prévention.
Contre le requérant, la juridiction releva uniquement un délit d’évasion,
commis le 14 décembre 2004 (pendant la période d’assignation à résidence).
26. Elle
remarqua également que les infractions des 25 et 29 avril 2007 aux obligations
associées à la mesure de surveillance spéciale concernaient une personne
différente qui portait les mêmes nom et prénom que le requérant mais était née
en 1973.
27. Selon
la cour d’appel, le tribunal avait omis d’évaluer l’incidence de la fonction
rééducative de la peine sur la personnalité du requérant.
Elle
déclara notamment ce qui suit :
«S’il est
vrai que l’application de la surveillance spéciale est compatible avec la
situation de détention, qui se rapporte seulement au moment de l’exécution de
la peine, l’appréciation de la dangerosité ne peut être que plus prégnante
encore dans le cas d’un sujet qui a entièrement purgé sa peine et qui n’a plus
commis de délits postérieurement à sa libération, ce qui est le cas de M. de
Tommaso.
Le
signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont relevé que M. de
Tommaso fréquentait des personnes condamnées (avec lesquelles il avait été
surpris en train de converser) n’apparaît pas suffisant pour établir la
dangerosité de l’intéressé, compte tenu de ce que M. de Tommaso,
postérieurement à la décision d’application de la mesure de prévention, n’a pas
été mis en cause dans d’autres procédures judiciaires.
La cour
d’appel relève enfin qu’il résulte des pièces produites par la défense devant
le tribunal et à l’audience devant cette chambre que, malgré le caractère
typiquement occasionnel de l’activité d’ouvrier agricole, le condamné a
toujours eu, du moins depuis sa libération en 2005 et jusqu’à ce jour, une
activité professionnelle licite lui assurant une source de revenus digne.
En
conclusion, il n’existait pas en mars 2008 de faits précis permettant d’établir
une dangerosité persistante du condamné, qui, après la longue peine
d’emprisonnement purgée par lui, n’a pas eu de conduite justifiant
l’appréciation portée dans le jugement attaqué, lequel sera donc infirmé. »
II. LA
DÉCLARATION UNILATÉRALE PARTIELLE DU GOUVERNEMENT
28. Le 7
avril 2015, le Gouvernement a adressé à la Cour une lettre contenant une
proposition en vue d’un règlement amiable de la partie de la requête concernant
le grief tiré du défaut de publicité des audiences devant le tribunal et la
cour d’appel de Bari (article 6 § 1 de la Convention), ainsi qu’une déclaration
unilatérale relative à ce grief, fondée sur l’article 62A du règlement de la
Cour.
29. Dans
cette dernière déclaration, le Gouvernement, se référant à la jurisprudence
bien établie de la Cour (arrêts Bocellari et Rizza c. Italie, no 399/02, 13 novembre 2007, Perre et autres c. Italie, no 1905/05, 8 juillet 2008, et Bongiorno et autres c. Italie, no 4514/07, 5 janvier 2010)
reconnait la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du défaut
de publicité des audiences, offre de payer un certain montant au titre des
frais relatifs à cet aspect de la requête et en sollicite la radiation du rôle.
III. LE
DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La loi no1423 de 1956
30. Les
mesures de prévention personnelles praeter delictum en Italie remontent au XIXe siècle. Elles
existaient déjà avant l’unification de l’Italie en 1861, puis furent
réintroduites dans la législation du Royaume d’Italie par la loi Pica nº 1409
de 1863, et plus tard par le « Texte unique de sécurité publique » de 1865.
31. En
1948, la Constitution italienne entra en vigueur, mettant en exergue la
protection des libertés fondamentales, en particulier de la liberté personnelle
(article 13) et de la liberté de circulation (article 16), ainsi que le
principe de légalité en matière de délits et de mesures de sûreté (article 25,
alinéas 2 et 3).
32. Pour
autant, les mesures de prévention personnelles ne disparurent pas complètement
; suite à l’adoption de la nouvelle loi nº 1423 de 1956, elles furent adaptées
aux critères fondamentaux indiqués par la Cour constitutionnelle dans ses
arrêts, exigeant l’intervention des tribunaux et le respect du principe de
légalité lors de leur application.
33. La loi
no 1423 du 27 décembre 1956, en vigueur à l’époque des faits, prévoit
l’application de mesures de prévention aux « personnes dangereuses pour la sécurité
et pour la moralité publique »
34.
L’article 1 dispose que les mesures de prévention s’appliquent :
«1) aux
personnes dont on peut estimer, sur la base d’éléments factuels, qu’elles se
livrent habituellement à des activités délictueuses ;
2) aux personnes
dont on peut estimer, compte tenu de leur conduite et de leur train de vie, et
sur la base d’éléments factuels, qu’elles vivent habituellement, fût-ce en
partie, de gains d’origine délictueuse ;
3) aux
personnes dont on peut estimer, sur la base d’éléments factuels, qu’elles
commettent des infractions pénales qui offensent ou mettent en danger
l’intégrité physique ou morale des mineurs, la santé, la sécurité ou la
tranquillité publique.»
35.
L’article 3 énonce que la mesure de surveillance spéciale de police, assortie
au besoin soit de l’interdiction de séjourner dans telle commune ou province,
soit de l’obligation de résider dans une commune déterminée (obbligo del soggiorno
in un determinato comune),
peut être appliquée aux personnes visées à l’article 1 qui n’ont pas respecté
l’avertissement officiel de la police prévu à l’article 4 et qui présentent un
danger pour la sécurité publique.
36.
L’application de la mesure de surveillance de police est précédée d’un
avertissement officiel par lequel la police invite l’intéressé à garder une
conduite conforme à la loi. Si, malgré l’avertissement, l’intéressé n’a pas
modifié sa conduite et présente un danger pour la sécurité publique, la police
peut proposer à l’autorité judiciaire d’appliquer la mesure en question.
37. Selon
l’article 4 de la loi, le tribunal statue dans les trente jours, en chambre du
conseil et par une décision motivée, après avoir entendu le parquet et
l’intéressé, ce dernier pouvant présenter un mémoire et se faire assister par un
conseil. Ces mesures de prévention relèvent de la compétence exclusive du
tribunal du chef-lieu de province.
38. Le
parquet et l’intéressé peuvent interjeter appel dans les dix jours; l’appel n’a
pas d’effet suspensif. Siégeant en chambre du conseil, la cour d’appel tranche
dans les trente jours par une décision motivée (article 4, cinquième et sixième
alinéas). Celle-ci peut à son tour et dans les mêmes conditions faire l’objet
d’un pourvoi, sur lequel la Cour de cassation se prononce en chambre du conseil
dans les trente jours (article 4, septième alinéa).
39.
Lorsqu’il adopte l’une des mesures visées à l’article 3, le tribunal en précise
la durée – comprise entre un an et cinq ans selon l’article 4, quatrième alinéa
– et fixe les règles que la personne concernée devra observer (article 5,
premier alinéa).
40.
L’article 5 dispose que, lorsqu’il applique la mesure de surveillance spéciale,
le tribunal intime à la personne soupçonnée de tirer ses moyens de subsistance
d’une activité délictueuse l’ordre de trouver un travail dans un bref délai
ainsi qu’un logement, et d’informer les autorités à ce sujet. L’intéressé ne
devra pas s’éloigner de son logement sans autorisation. Le tribunal lui ordonne
également : de vivre honnêtement et dans le respect des lois, de ne pas prêter
à soupçon ; de ne pas fréquenter des personnes qui ont été condamnées et
soumises à des mesures de prévention ou de sûreté ; de ne pas rentrer le soir
après un certaine heure et ne pas sortir le matin avant une certaine heure,
sauf en cas de nécessité et non sans avoir averti les autorités en temps utile
; de ne détenir ni ne porter aucune arme ; de ne pas fréquenter les cafés,
cabarets, salles de jeux et lieux de prostitution ; de ne pas participer à des
réunions publiques. En outre, le tribunal peut imposer toutes les mesures qu’il
estime nécessaires eu égard aux exigences liées à la défense sociale, en
particulier l’interdiction de séjourner dans certains lieux.
41. Selon
l’article 6, lorsque la surveillance spéciale est assortie d’une assignation à
résidence ou d’une interdiction de séjour, le président du tribunal peut
pendant la procédure ordonner (decreto) le retrait
temporaire du passeport et la suspension de la validité de tout autre document
équivalent en matière de sortie du territoire. En cas de motifs
particulièrement graves, il peut aussi ordonner que l’assignation à résidence
ou l’interdiction de séjour soit provisoirement imposée à l’intéressé jusqu’à
ce que la mesure de prévention devienne définitive.
42.
L’article 9 dispose que le non-respect des règles en question est sanctionné
par une peine privative de liberté.
B. La
jurisprudence de la Cour constitutionnelle
43.
Initialement, la loi nº 1423 de 1956 prévoyait la possibilité d’appliquer des
mesures de prévention personnelles uniquement dans certains cas de «
dangerosité simple », c’est-à-dire quand il était établi que la personne
concernée présentait un danger pour la sécurité publique.
Son champ
d’application a ensuite été élargi pour couvrir d’autres situations de «
dangerosité qualifiée », notion qui vise les personnes soupçonnées d’appartenir
à des associations mafieuses (loi nº 575 de 1965) ou impliquées dans des
activités subversives (loi nº 152 de 1975, adoptée face à l’émergence du
terrorisme politique d’extrême gauche et d’extrême droite, dans les « années de
plomb »). Enfin, les catégories de « dangerosité simple » ont été modifiées et
ramenées au nombre de trois par la loi nº 327 de 1988.
44. La Cour
constitutionnelle a constaté à plusieurs reprises que les mesures de prévention
prévues par la loi nº 1423 de 1956 étaient compatibles avec les libertés
fondamentales.
45. Dans
l’arrêt no 2 de 1956, elle se prononça ainsi :
« Il reste
à examiner l’article 16 de la Constitution : « Tout citoyen peut circuler et
séjourner librement dans toute partie du territoire national, sous réserve des
limitations que la loi fixe d’une manière générale pour des motifs sanitaires
ou de sécurité. Aucune restriction ne peut être déterminée par des raisons
d’ordre politique ».
(...)
Il est plus
délicat de savoir si les motifs d’« ordre, de sécurité publique et de moralité
publique » indiqués à l’article 157 de la loi relative à la sécurité publique
relèvent des « motifs sanitaires ou de sécurité » mentionnés à l’article 16.
(...)
L’interprétation
selon laquelle la « sécurité » concerne uniquement l’intégrité physique doit
être exclue, car trop restrictive ; il semble dès lors rationnel et conforme à
l’esprit de la Constitution de donner au terme « sécurité » le sens de la
situation dans laquelle l’exercice pacifique des droits et libertés que la
Constitution garantit avec tant de force est assuré aux citoyens, dans la mesure
du possible. Il y a donc sécurité lorsque le citoyen peut exercer son activité
légale sans être menacé d’atteintes contre sa personnalité physique et morale.
Le « bien vivre ensemble » est indéniablement le but recherché par un État de
droit, libre et démocratique.
Cela étant,
il ne fait aucun doute que « les personnes dangereuses pour l’ordre et la
sécurité publique ou pour la moralité publique » (article 157 de la loi
relative à la sécurité publique) constituent une menace pour la « sécurité »
telle que définie ci-dessus et telle qu’entendue à l’article 16 de la
Constitution.
En ce qui
concerne la moralité, il ne s’agit certes pas de prendre en compte les
convictions intimes du citoyen, qui sont en elles-mêmes incoercibles, ni les
théories en matière de morale dont la manifestation, comme tout autre
manifestation de la pensée, est libre ou régie par d’autres normes juridiques.
Il demeure que les citoyens ont le droit de ne pas être troublés et offensés
par des manifestations immorales, lorsque celles-ci sont également
préjudiciables à la santé – mentionnée à l’article 16 de la Constitution – ou
qu’elles créent un environnement propice au développement de la délinquance
commune.
En ce qui
concerne l’ordre public, sans entrer dans un débat théorique sur la définition
de cette notion, il suffit de préciser que, au sens de l’article 16 de la
Constitution et de l’article 157 de la loi relative à la sécurité publique, la
dangerosité pour l’ordre public ne peut résulter de simples manifestations à
caractère social ou politique – qui sont régies par d’autres normes juridiques
–, mais doit résulter de manifestations extérieures d’intolérance ou de
rébellion vis-à-vis des règles législatives et des ordres légitimes de
l’autorité publique, manifestations qui peuvent facilement créer des situations
d’alerte et des violences assurément menaçantes pour la « sécurité » de
l’ensemble des citoyens, dont la liberté de circulation finirait par être
limitée.
En résumé,
dans le texte de l’article 16 de la Constitution, l’expression « motifs
sanitaires ou de sécurité » doit être interprétée comme visant les faits qui
représentent un danger pour la sécurité des citoyens, telle que définie
ci-dessus.
Cette
conclusion est également admise par la jurisprudence quasi constante de la Cour
de cassation et par une large part de la doctrine. En effet, il a été observé
que la formule générique de l’article 16 vise une infinité de cas difficilement
prévisibles, qui peuvent être englobés dans l’expression synthétique « motifs
sanitaires ou de sécurité », et que la finalité de la norme constitutionnelle
est de concilier la nécessité de ne pas laisser des individus socialement
dangereux libres de circuler sans entrave et la nécessité d’éviter un pouvoir
de police général et incontrôlé. »
46. Dans
son arrêt nº 27 de 1959, la Cour constitutionnelle soutint que les mesures de
prévention, malgré les restrictions aux libertés fondamentales qu’elles
comportaient, répondaient à l’impératif légitime, prévu par la Constitution,
d’assurer « des relations ordonnées et pacifiques entre les citoyens, non
seulement par des règles pénales répressives mais aussi par un système de
mesures préventives visant à empêcher la commission future d’infractions ».
Elle ajouta que ces mesures étaient nécessaires et proportionnées au but
poursuivi, dès lors que les catégories de sujets visés étaient suffisamment
restreintes et précises. Elle parvint donc à la conclusion que de telles
mesures étaient conformes au principe de légalité prévu par les articles 13 et
16 de la Constitution en matière de limitations des droits relatifs à la
liberté.
47. Dans
son arrêt nº 45 de 1960, la Cour constitutionnelle estima que la Constitution
autorisait l’adoption par les autorités administratives de mesures restreignant
la liberté de circulation, comme « l’ordre de quitter une commune », prévu par
la loi nº 1423 de 1956. D’autre part, elle précisa que les mesures limitant la
liberté personnelle devaient être adoptées exclusivement par l’autorité
judiciaire.
48. Dans
son arrêt nº 126 de 1962, rappelant la définition de « moralité publique »
donnée précédemment, la Cour constitutionnelle considéra celle‑ci
comme un aspect de la sécurité publique, laquelle permettait à son avis des
limitations de la liberté de circulation des citoyens sur le fondement de
l’article 16 de la Constitution.
49. Dans
son arrêt nº 23 de 1964, la Cour constitutionnelle affirma que les mesures de
prévention n’étaient contraires ni au principe de légalité ni à celui de la
présomption d’innocence. Elle observa en particulier que le principe de
légalité, prévu par la Constitution en matière de limitations de la liberté
personnelle (article 13) mais aussi d’infractions et de mesures de sûreté
(article 25), était applicable aux mesures de prévention. Elle jugea toutefois
que le respect du principe de légalité devait être vérifié selon des critères
spécifiques tenant compte de la nature et des finalités desdites mesures. Elle
ajouta que les buts préventifs de celles-ci expliquaient que leur adoption ne
se fondât pas sur le constat isolé d’un fait déterminé, mais plutôt sur un
ensemble de comportements révélant la dangerosité sociale.
50. Pour la
Cour constitutionnelle, il s’ensuivait qu’en définissant les catégories de
sujets concernés, le législateur devait suivre des critères distincts de ceux
utilisés pour la détermination des éléments constitutifs d’une infraction (et
pouvait recourir à des éléments de présomption), critères qui devaient
correspondre à des comportements objectivement identifiables. Selon la juridiction
constitutionnelle, l’approche de la définition des mesures de prévention
n’était pas moins stricte que celle visant la définition des infractions et des
peines, mais était différente. Cela dit, la Cour constitutionnelle constata
finalement que la loi indiquait de manière suffisamment précise les
comportements considérés comme « socialement dangereux » pour ce qui était des
« oisifs, inaptes au travail et vagabonds » et d’autres catégories de sujets.
51.
Concernant ensuite le principe de la présomption d’innocence, la Cour
constitutionnelle déclara, d’un côté, qu’il n’entrait pas en ligne de compte
parce que les mesures préventives ne se fondaient pas sur la culpabilité et ne
touchaient pas à la responsabilité pénale d’un individu. Elle indiqua d’un autre
côté qu’il n’était pas non plus dérogé à ce principe, dès lors que
l’acquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais justifier en soi
un constat de dangerosité sociale, et que d’autres éléments de fait révélant la
dangerosité devaient être réunis.
52. Dans
son arrêt nº 32 de 1969, la Cour constitutionnelle précisa que la seule
appartenance à l’une des catégories de sujets prévues par la loi ne suffisait
pas à justifier l’application d’une mesure de prévention. Elle ajouta qu’il
fallait au contraire établir l’existence d’un comportement spécifique de
l’intéressé démontrant la réalité de sa dangerosité, laquelle ne pouvait rester
théorique.
53. En
trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une violation de
la Constitution, et ce en raison de certains aspects procéduraux ou matériels
du régime d’application des mesures de prévention.
54. Dans
son arrêt nº 76 de 1970, elle déclara inconstitutionnel l’article 4 de la loi
nº 1423 de 1956, au motif qu’il ne prévoyait pas la présence obligatoire d’un
défenseur pendant la procédure d’application des mesures de prévention.
55. Dans
son arrêt nº 177 de 1980, la Cour constitutionnelle constata que l’une des
catégories de sujets présentées à l’article 1 de la loi de 1956 en vigueur à
l’époque, celle des personnes « que certains signes extérieurs port[ai]ent à considérer enclines à la délinquance », n’était pas
suffisamment détaillée par la loi et ne permettait pas de prévoir qui pouvait
être visé par les mesures de prévention et dans quelles conditions, en raison
de la trop grande marge d’appréciation des autorités. La Cour constitutionnelle
conclut également à la violation du principe de légalité applicable en matière
de mesures de prévention, selon l’article 13 (liberté personnelle) et l’article
25 (mesures de sûreté).
Résumant
l’ensemble de la jurisprudence constitutionnelle, la Cour s’exprima ainsi :
«3) La
question des mesures de prévention et les problèmes associés ont été soumis à
l’attention de cette Cour dès le début de son activité.
Dès l’arrêt
no 2 de 1956, la Cour énonça certains principes importants tels que
l’obligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la
liberté personnelle et le refus net du soupçon comme condition pour
l’application de telles mesures, qui sont légitimes à condition d’être motivées
par des faits spécifiques.
Dans
l’arrêt no 11 de la même année 1956, la Cour déclara que « la grande difficulté
d’assurer l’équilibre entre les deux exigences fondamentales – ne pas entraver
l’activité de prévention des infractions et garantir le respect des droits
inviolables de la personne humaine – semblait résolue à travers la
reconnaissance des droits traditionnels de l’habeas corpus dans le domaine du
principe de la stricte légalité ». Dans l’arrêt susmentionné, la Cour
poursuivit ainsi : « De façon corrélative, l’intéressé ne peut en aucun cas
être soumis à une privation ou restriction de sa liberté (personnelle) si cette
privation ou restriction n’est pas prévue dans l’abstrait par la loi, si une procédure
régulière n’a pas été ouverte à cette fin, s’il n’y a pas de décision motivée
de l’autorité judiciaire ».
La
constitutionnalité d’« un système de mesures de prévention des actes illégaux »
destiné à garantir « des relations ordonnées et pacifiques entre les citoyens »
a été confirmée par les arrêts ultérieurs de la Cour (arrêts no 27 de 1959 ; no
45 de 1960 ; no 126 de 1962 ; nos 23 et 68 de 1964 ; no 32 de 1969 et no 76 de
1970) concernant les articles 13, 16, 17 et 25, alinéa 3, de la Constitution ;
tantôt la Cour a souligné le parallélisme avec les mesures de sûreté (visées à
l’article 25, alinéa 3, de la Constitution), tantôt elle l’a atténué ; tantôt
elle a confirmé que ces deux types de mesures, qui ont pour objet la
dangerosité sociale de l’individu, poursuivent la même finalité – la prévention
des infractions –, tantôt elle a au contraire souligné les différences entre
ces deux types.
Il convient
surtout de rappeler ici non seulement l’affirmation contenue dans l’arrêt no 27
de 1959, qui décrit comme « restreintes et qualifiées » les « catégories
d’individus auxquels la surveillance spéciale peut être appliquée (article 1 de
la loi) » (no 1423 de 1956), mais aussi et surtout l’arrêt no 23 de 1964 de
cette Cour qui a déclaré non fondée « la question de la constitutionnalité de
l’article 1 de la loi no 1423 du 27 décembre 1956, eu égard aux articles 13, 25
et 27 de la Constitution ». Dans la motivation de cet arrêt, on peut lire que «
pour décrire les cas (de prévention), le législateur doit normalement employer
des critères différents de ceux qu’il emploie pour définir les éléments
constitutifs d’une infraction ; il peut également faire référence à des
éléments de présomption, qui doivent toutefois toujours correspondre à des
comportements objectivement identifiables. Ce qui ne veut pas dire moins de
rigueur, mais une rigueur différente dans la définition et l’adoption des
mesures de prévention par rapport à la définition des infractions et à
l’infliction des peines ». Concernant spécifiquement les paragraphes 2, 3 et 4
de l’article 1 de la loi no 1423 de 1956, la Cour a exclu que « les mesures de
prévention puissent être adoptées sur la base de simples soupçons », exigeant
au contraire « une appréciation objective des faits qui fasse ressortir la
conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des manifestations
concrètes de sa propension à la délinquance, lesquelles doivent avoir été
établies de manière à exclure des appréciations purement subjectives et
incontrôlables par celui qui prononce ou applique les mesures de prévention ».
4)
Conformément aux précédentes décisions de cette Cour, il faut rappeler que la
constitutionnalité des mesures de prévention – en ce qu’elles restreignent, à
différents degrés, la liberté personnelle – est nécessairement subordonnée au
respect du principe de légalité et à l’existence de la garantie
juridictionnelle (arrêt no 11 de 1956). Il s’agit de deux conditions également
essentielles et intimement liées dès lors que l’absence de l’une rend l’autre
inefficace, en la rendant purement illusoire.
Le principe
de légalité en matière de prévention – à savoir la référence aux « cas prévus
par la loi » –, qu’il découle de l’article 13 ou de l’article 25, alinéa 3, de
la Constitution, implique que l’application de la mesure, même si elle est liée
dans la majeure partie des cas à une appréciation pronostique, doit reposer sur
des « cas de dangerosité » prévus – décrits – par la loi, des cas destinés à
constituer le paramètre de l’examen judiciaire, mais aussi le fondement d’un
pronostic de dangerosité, qui ne peut être légalement fondé que sur cette base.
En effet,
si juridiction en matière pénale signifie application de la loi par l’examen
des conditions de fait à travers une procédure entourée des garanties
nécessaires, entre autres de sérieux probatoire, on ne peut douter que, même
dans la procédure de prévention, le pronostic de dangerosité (confié au juge et
dans la formulation duquel sont certainement présents des éléments
discrétionnaires) s’appuie forcément sur les conditions de fait « prévues par
la loi » et donc susceptibles d’un examen judiciaire.
L’intervention
du juge (de même que la présence de la défense, dont la nécessité a été
affirmée sans réserve) dans la procédure d’application des mesures de
prévention n’aurait pas beaucoup de sens (ou bien dénaturerait dangereusement
la fonction juridictionnelle dans le domaine de la liberté personnelle) si elle
ne servait à garantir, dans le cadre du contradictoire entre les parties,
l’examen des cas prédéfinis par la loi.
On
rappellera enfin que l’application des mesures de prévention personnelles,
tendant elles aussi à prévenir la commission d’(autres) infractions (et qui ne
supposent pas toujours la commission d’une – précédente – infraction ; article
49, alinéas 2 et 4, et article 115, alinéas 2 et 4, du code pénal), au point
qu’elles peuvent être considérées comme l’une des deux espèces d’un même genre,
est liée à l’examen des cas définis par la loi, examen dont dépend
l’appréciation de la dangerosité, que cette dangerosité soit présumée ou doive
être établie dans le cas concret.
5) Ainsi,
pour les mesures de prévention également, l’accent est mis sur le degré
suffisant ou insuffisant de précision de la description législative des
conditions de fait, dont l’examen permet d’apprécier, de façon pronostique, la
dangerosité sociale de l’individu.
Les
questions posées appellent cette Cour à vérifier que les « indices de
dangerosité sociale » – pour reprendre la terminologie couramment employée dans
la doctrine – qui sont décrits dans les dispositions législatives contestées
sont suffisants, au sens de ce qui vient d’être exposé.
À cet
égard, il convient de mentionner que, du point de vue de la précision, le fait
que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluralité
de conduites n’est pas déterminant, car seul peut être apprécié le comportement
ou la conduite d’un individu vis-à-vis du monde extérieur, tel qu’il s’exprime
à travers ses actions et ses omissions.
De même,
pour les mesures de prévention il est également décisif que la description
législative – les cas définis par la loi – permette d’identifier la ou les
conduites qui, si elles sont constatées dans le cas concret, peuvent fonder une
appréciation pronostique, donc orientée vers l’avenir.
Il faut
encore observer que les conduites requises pour l’application de mesures de
prévention, puisqu’il s’agit de prévenir des infractions, ne peuvent pas se
passer de référence, explicite ou implicite, à l’infraction ou aux infractions
ou catégories d’infractions visées par la prévention, afin que la description
de la ou des conduites considérées acquière d’autant plus de détermination qu’elle
permet de déduire de leur survenance dans le cas concret la prévision
raisonnable (du risque) que ces infractions soient consommées par ces
individus.
6) Au vu
des considérations qui précèdent, la question de la constitutionnalité de
l’article 1, paragraphe 3, dernière hypothèse, de la loi no 1423 de 1956 doit
être déclarée fondée.
En effet,
la disposition examinée (contrairement, par exemple, à celle du premier
paragraphe du même article 1) ne décrit ni une ou plusieurs conduites, ni
aucune « manifestation » sur laquelle pourrait reposer, d’emblée, un examen
judiciaire. La question de savoir quelles « manifestations » sont pertinentes
est renvoyée au juge (et avant lui au parquet et à l’autorité de police
compétents) sur le plan même de la définition du cas, avant même d’arriver à
celui de l’examen. Les conditions de l’appréciation de la « propension à la
délinquance » n’ont aucune autonomie conceptuelle par rapport à l’appréciation
elle-même. La formule légale n’a donc pas la fonction d’une véritable
définition du cas, c’est-à-dire d’une identification des « cas » (ce qu’exigent
tant l’article 13 que l’article 25, alinéa 3, de la Constitution), mais elle
laisse aux acteurs une marge discrétionnaire incontrôlable.
(...)
L’expression « enclin à la délinquance » employée par le législateur de 1956
semblerait rappeler la notion de « tendance à la délinquance » de l’article 108
du code pénal, mais le rapprochement ne tient pas sur le plan matériel car la
formulation de cette dernière disposition suppose que soient constatés : une
atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité individuelle, des mobiles propres
à révéler une propension particulière à la délinquance, et le tempérament
particulièrement mauvais du coupable. Dans le cas examiné, la « propension à la
délinquance » doit au contraire être entendue comme synonyme de dangerosité
sociale, ce qui implique que l’ensemble de la disposition normative, qui permet
l’adoption de mesures restreignant la liberté personnelle sans que soient
identifiées ni les conditions ni les finalités spécifiques qui les justifient,
doit être considérée comme anticonstitutionnelle. »
56. Dans
son arrêt nº 93 de 2010, s’appuyant sur l’article 6 de la Convention européenne
des droits de l’homme et sur l’arrêt Bocellari et Rizza c. Italie (nº 399/02, 13 novembre 2007), dans lequel
la Cour européenne avait constaté une violation de l’article 6 en raison de la
procédure d’application des mesures patrimoniales prévues par la loi de 1956,
la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel l’article 4 de la loi no
1423 de 1956 au motif qu’il ne ménageait pas la possibilité pour l’intéressé de
demander pendant la procédure d’application des mesures de prévention une
audience publique, que ce soit en première instance ou en appel. Néanmoins, par
l’arrêt nº 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle précisa que la
possibilité de demander une audience publique ne s’imposait pas devant la Cour
de cassation.
57. Dans
l’arrêt no 282 de 2010, la Cour constitutionnelle était appelée à déterminer si
l’article 9 § 2 de la loi no 1423 du 27 décembre 1956 était compatible avec
l’article 25, alinéa 2, de la Constitution en ce qu’il sanctionnait pénalement
le non-respect de l’obligation formulée à l’article 5, alinéa 3, première
partie, de ladite loi, à savoir de « vivre honnêtement et dans le respect des
lois et de ne pas prêter à soupçon », et s’il violait le principe de la
prévision législative exhaustive des situations où la norme pénale trouve à
s’appliquer (principio di tassatività).
58. La
juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que l’obligation
de vivre honnêtement et dans le respect des lois et de ne pas prêter à soupçon,
tout en étant comprise dans les conditions imposées à la personne soumise à une
surveillance spéciale, constituait une obligation de caractère général
applicable à l’ensemble de la collectivité et non pas spécifiquement à la
personne concernée. Ladite juridiction considérait donc que, de par sa portée
générale précisément, l’obligation en question ne pouvait pas constituer une
condition à contenu prescriptif, typique et spécifique associée à la mesure de
surveillance spéciale, dès lors pour elle qu’il n’était pas possible de
déterminer avec précision la conduite susceptible d’enfreindre les exigences
liées à la surveillance spéciale, compte tenu du caractère vague et imprécis
des éléments entrant dans la définition de cette infraction.
59. Pour la
Cour constitutionnelle, que la description de l’infraction en question contînt
des expressions sommaires, des termes à sens multiples, des clauses générales
ou des notions élastiques n’emportait pas violation de l’article 25, alinéa 2,
de la Constitution, pour autant que la description globale de l’acte allégué
permît malgré tout au juge – eu égard au but poursuivi par la disposition
pénale pertinente et au contexte législatif plus large dans lequel elle
s’inscrivait – d’établir la signification de cet élément par un processus
d’interprétation n’outrepassant pas sa mission habituelle ; c’est-à-dire pour
autant que cette description lui permît de se prononcer sur la correspondance
entre les circonstances concrètes et la définition abstraite de l’infraction en
s’appuyant sur un fondement herméneutique contrôlable et, par conséquent,
permît à la personne visée par la disposition d’avoir une perception
suffisamment claire et immédiate de sa valeur prescriptive. Pour la Cour constitutionnelle,
dans ce contexte l’obligation de « vivre honnêtement », si elle était appréciée
de manière isolée, apparaissait en soi générique et susceptible de revêtir des
significations multiples ; si au contraire on la plaçait dans le contexte de toutes
les autres obligations posées par l’article 5 de la loi no 1423/1956, elle
avait un contenu plus clair, impliquant un devoir pour la personne concernée
d’adapter sa conduite à un mode de vie respectant l’ensemble des prescriptions
susmentionnées, de sorte que la formule « vivre honnêtement » se concrétise et
s’individualise.
60. La
juridiction constitutionnelle jugea également que l’obligation de vivre « dans
le respect des lois » renvoyait au devoir pour l’intéressé de se conformer à
toutes les prescriptions lui imposant d’adopter ou de ne pas adopter telle ou
telle conduite, donc non seulement aux normes pénales mais aussi à toute
disposition dont le non‑respect serait un
indice supplémentaire de la dangerosité sociale déjà établie.
61.
Concernant enfin l’obligation de « ne pas prêter à soupçon », la haute
juridiction indiqua qu’il ne fallait pas davantage la prendre isolément mais
dans le contexte des autres obligations posées par l’article 5 de la loi no
1423/1956, comme l’interdiction faite à la personne soumise à une surveillance
spéciale de fréquenter certains lieux ou individus.
C. La
jurisprudence de la Cour de cassation
62. Dans
l’arrêt nº 10281 du 25 octobre 2007, la Cour de cassation, statuant en chambres
réunies, indiqua que la condition préalable à l’application d’une mesure de
prévention personnelle était le constat de la « dangerosité actuelle » du
sujet, laquelle n’était pas nécessairement liée à la commission d’une
infraction, même si celle-ci pouvait éventuellement entrer en ligne de compte.
Ce qui importait, pour la Cour de cassation, c’était l’existence d’une
situation complexe d’une certaine durée, qui révélait un mode de vie de
l’intéressé posant problème sur le plan de la sécurité publique. L’évaluation
de la « dangerosité actuelle » était donc « une évaluation s’articulant autour
de plusieurs axes et prenant en considération divers comportements du sujet,
qui n’étaient pas nécessairement susceptibles de poursuites pénales mais
néanmoins révélateurs de la dangerosité sociale de l’intéressé ».
63. Dans
l’arrêt no 23641 de 2014, la Cour de cassation jugea que l’évaluation de la
dangerosité aux fins de l’application d’une mesure de prévention ne consistait
pas en une simple appréciation de la dangerosité subjective mais correspondait
à l’appréciation de « faits » que l’on pouvait évaluer historiquement et qui
étaient eux-mêmes des « indicateurs » de la possibilité d’inscrire le sujet
concerné dans l’une des catégories criminologiques définies par la loi.
Ainsi, pour
la Cour de cassation, le sujet « examiné dans une procédure de prévention
n’était pas tenu pour « coupable » ou « non coupable » de la commission d’un
acte spécifique, mais pour « dangereux » ou « non dangereux » eu égard à son
comportement antérieur (tel que reconstitué à partir de différentes sources
d’information), considéré comme « indice révélateur » de la possibilité de
futurs comportements tendant à perturber l’ordre social ou l’ordre économique,
et ce au regard de dispositions législatives précises qui « qualifient » les
diverses catégories de dangerosité.
64. Selon
la Cour de cassation, le rattachement à une telle catégorie était la condition
nécessaire mais non suffisante pour l’application de la mesure de prévention
personnelle, dès lors que les catégories en question représentaient des
indicateurs de la dangerosité sociale du sujet, comme cela ressortait
clairement de l’article 1, alinéa 3, de la loi de délégation du 13 août 2010 no
136, sur la base de laquelle a été promulgué le décret législatif no 159 de 2011.
D. Le
décret législatif no 159 du 6 septembre 2011
65. Le
nouveau « code antimafia », qui rassemble la législation relative à la lutte
contre la mafia et les mesures de prévention personnelles et patrimoniales, est
entré en vigueur en septembre 2011. Il a abrogé la loi no 1423 de 1956 mais a
laissé inchangée la catégorie des personnes concernées. Quant aux mesures
applicables, la nouvelle loi a uniquement abrogé l’obligation de ne pas
fréquenter les cafés, cabarets, salles de jeux et lieux de prostitution.
En ce qui
concerne la procédure d’application des mesures de prévention, l’article 7 de
ce texte prévoit que, sur demande de l’intéressé, l’audience peut être
publique.
66. Enfin,
en février 2015, le gouvernement italien a adopté le décret-loi no 7, devenu la
loi no 43 du 17 avril 2015, qui contient des mesures urgentes contre le
terrorisme international. De nouvelles infractions terroristes ont ainsi été
inscrites dans le code pénal, l’une en particulier concernant les déplacements
de combattants étrangers (foreign fighters)
à des fins terroristes. Par ailleurs, le champ d’application des mesures de
prévention personnelles (ainsi que patrimoniales) a été élargi. Une nouvelle
mesure de retrait du passeport et de la carte d’identité a été introduite.
E. La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la
réparation des dommages causés dans l’exercice de fonctions juridictionnelles
et la responsabilité civile des magistrats
67. Aux
termes de l’article 1, paragraphe 1, de cette loi, celle-ci s’applique « à tous
les membres des magistratures de droit commun, administrative, financière,
militaire et spéciale, qui exercent une activité juridictionnelle,
indépendamment de la nature des fonctions, ainsi qu’aux autres personnes qui
participent à l’exercice de la fonction juridictionnelle».
L’article 2
de la loi no 117/88 énonce :
«1. Toute
personne ayant subi un dommage injustifié en raison d’un comportement, d’un
acte ou d’une mesure judiciaire d’un magistrat qui s’est rendu coupable de dol
ou de faute grave dans l’exercice de ses fonctions, ou en raison d’un déni de
justice, peut agir contre l’État pour obtenir réparation des dommages
patrimoniaux qu’elle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui
découlent de la privation de liberté personnelle.
2. Dans
l’exercice des fonctions juridictionnelles, l’interprétation des règles de
droit et l’appréciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu à
responsabilité.
3. Sont
constitutifs d’une faute grave :
a) une
violation grave de la loi résultant d’une négligence inexcusable;
b)
l’affirmation, due à une négligence inexcusable, d’un fait dont l’existence est
incontestablement réfutée par les pièces du dossier ;
c) la
négation, due à une négligence inexcusable, d’un fait dont l’existence est
incontestablement établie par les pièces du dossier ;
d)
l’adoption d’une mesure concernant la liberté personnelle en dehors des cas
prévus par la loi ou sans motivation. »
Aux termes
de l’article 3, paragraphe 1, première phrase, de la loi no 117/88, constitue
par ailleurs un déni de justice « le refus, l’omission ou le retard du
magistrat dans l’accomplissement d’actes relevant de sa compétence lorsque,
après expiration du délai légal prévu pour l’accomplissement de l’acte en
question, la partie concernée a présenté une demande en vue de l’obtention d’un
tel acte et que, sans raison valable, aucune mesure n’a été prise dans les
trente jours consécutifs au dépôt de cette demande au greffe ».
68. Les
articles suivants de la loi no 117/88 précisent les conditions et les modalités
selon lesquelles une action en réparation peut être engagée au titre de
l’article 2 ou de l’article 3 de cette loi, ainsi que les actions qui peuvent
être intentées a posteriori contre le magistrat qui s’est rendu coupable de dol
ou de faute grave dans l’exercice de ses fonctions, voire d’un déni de justice.
IV. ÉLÉMENTS
DE DROIT COMPARÉ
69. D’après
les informations dont la Cour dispose sur la législation de trente-quatre États
membres, la grande majorité des pays étudiés (vingt-neuf pays[1] sur
trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables à celles appliquées en
Italie dans la présente affaire. Seuls cinq pays sont concernés par des mesures
similaires (l’Autriche, la France, la Suisse, le Royaume-Uni et la Russie).
70.
L’Autriche, la France et la Suisse ont adopté de telles mesures pour faire face
au hooliganisme : des mesures préventives personnelles sont ainsi mises en
œuvre à l’égard de personnes potentiellement violentes lors de manifestations
sportives. Par ailleurs, la France connaît d’autres types de mesures
(interdiction de réunions, manifestations ou spectacles, hospitalisation
d’office, etc.) qui relèvent de la compétence de la police administrative. Au
Royaume-Uni, des mesures semblables ont été introduites en 2011 dans le cadre
de la lutte contre le terrorisme.
71. En
Russie, diverses lois indiquent que les mesures de prévention visent les
anciens détenus qui ont été condamnés pour une infraction grave, pour récidive
ou pour d’autres types d’infractions, les mineurs abandonnés ou auteurs d’une
infraction, les toxicomanes et alcooliques présentant un danger pour autrui,
les personnes impliquées dans des infractions contre les ménages, des personnes
contrevenant à l’ordre public lors d’évènements publics, les personnes
impliquées dans des organisations juvéniles non officielles poursuivant des
activités illégales et les personnes impliquées dans le trafic ou la
consommation illégale de drogue.
72. Dans le
cadre de la législation européenne, la Directive 2004/38/CE relative au droit
des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de
séjourner librement sur le territoire des États membres prévoit la possibilité
pour les États de restreindre la liberté de circulation et de séjour pour des raisons
d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique (article 27).
Toutefois, l’éloignement pour raisons d’ordre public ou de sécurité publique
doit respecter le principe de proportionnalité et être fondé exclusivement sur
le comportement personnel de l’individu concerné, qui doit représenter une
menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’intérêt fondamental de la
société. En ce qui concerne la durée d’une telle mesure, la directive indique
qu’après un délai raisonnable, et en tout cas après trois ans à compter de
l’exécution de la mesure, l’intéressé doit pouvoir introduire une demande de
levée de l’interdiction.
73. Au
niveau du Conseil de l’Europe, le Protocole additionnel à la Convention pour la
prévention du terrorisme (STCE no 217) a été adopté par le Comité des
Ministres, le 19 mai 2015. Il a été ouvert à la signature à Riga, le 22 octobre
2015. Ce Protocole prévoit l’obligation pour les États de sanctionner
pénalement le fait de se rendre, ou tenter de se rendre, dans un Etat autre que
son Etat de résidence ou de nationalité, dans le but de commettre, d’organiser
ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer à ou de
dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme et d’adopter les mesures de
coopération nécessaires pour éviter que des personnes partant rejoindre des
terroristes puissent sortir de leur territoire.
EN DROIT
I. SUR LA
VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 5 DE LA CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4
74. Le
requérant allègue que la mesure de prévention dont il a fait l’objet avait un
caractère arbitraire et une durée excessive. Il invoque l’article 5 de la
Convention ainsi que l’article 2 du Protocole no 4.
Le passage
pertinent de l’article 5 est ainsi libellé :
« 1. Toute
personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa
liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il est
détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
b) s’il a
fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission
à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de
garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;
c) s’il a
été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire
compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis
une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de
l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement
de celle-ci ;
d) s’il
s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation
surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité
compétente ;
e) s’il
s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une
maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un
vagabond ;
f) s’il
s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour
l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle
une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »
L’article 2
du Protocole no 4 dispose :
« 1.
Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un État a le droit d’y
circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.
2. Toute
personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.
3.
L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles
qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de
l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la
santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
4. Les
droits reconnus au paragraphe 1 peuvent également, dans certaines zones
déterminées, faire l’objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont
justifiées par l’intérêt public dans une société démocratique. »
75. Le
Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la
recevabilité
1. Thèses des parties
a) Le
Gouvernement
76. Le
Gouvernement soutient que l’article 5 de la Convention n’est pas applicable
dans le cas d’espèce. À cet égard, il rappelle que, selon la jurisprudence
constante de la Cour (Raimondo c. Italie, 22 février 1994, § 39, série A no
281‑A, Villa c. Italie, no 19675/06, §§ 41-43, 20 avril 2010, et Monno c. Italie (déc.), no 18675/09, §§ 21-23, 8 octobre
2013), les obligations découlant des mesures de prévention n’entraînent pas une
privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention, mais de simples
restrictions à la liberté de circulation. Le grief serait donc incompatible ratione materiae avec la Convention.
b) Le
requérant
77. Le
requérant soutient que la surveillance spéciale de la police relève de l’article
5 de la Convention et précise que l’inobservation des règles de conduite dont
elle est assortie est sanctionnée par une peine privative de liberté (article 9
de la loi de 1956). Il estime que les restrictions qu’il a subies pendant la
période du 4 juillet 2008 au 4 février 2009 ont comporté une privation de sa
liberté personnelle. À ses yeux, la présente espèce est comparable à l’affaire Guzzardi c. Italie (6 novembre 1980, série A no 39), dans
laquelle la Cour avait considéré que, eu égard aux circonstances particulières
de l’affaire, l’intéressé, qui avait été soumis à des mesures semblables à
celles imposées au requérant dans la présente espèce, avait été privé de sa
liberté et qu’il y avait eu violation de l’article 5.
78. Le
requérant estime que l’impossibilité où il s’est trouvé de sortir de son
habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une
privation de liberté et s’apparente à une assignation à domicile.
2. Appréciation de la Cour
79.
D’emblée, la Cour doit rechercher si l’article 5 de la Convention est
applicable en l’espèce.
80. Elle
rappelle tout d’abord qu’en proclamant le « droit à la liberté », le paragraphe
1 de l’article 5 vise la liberté physique de la personne. Dès lors, il ne
concerne pas les simples restrictions à la liberté de circuler, lesquelles
obéissent à l’article 2 du Protocole no 4. Pour déterminer si un individu se
trouve « privé de sa liberté » au sens de l’article 5, il faut partir de sa
situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre,
la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée.
Entre privation et restriction de liberté, il n’y a qu’une différence de degré
ou d’intensité, non de nature ou d’essence (Guzzardi,
précité, §§ 92-93, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 225, CEDH 2012, Austin
et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 39692/09, 40713/09 et 41008/09, § 57, CEDH
2012, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 115, CEDH 2012, Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, § 73, CEDH
2010). De plus, pour évaluer la nature des mesures de prévention prévues par la
loi de 1956, il faut les examiner « accumulées et combinées » (Guzzardi, précité, § 95).
81. En
outre, selon la Cour, la démarche consistant à prendre en compte le « genre »
et les « modalités d’exécution » de la mesure en question (Guzzardi,
précité, § 92) lui permet d’avoir égard au contexte et aux circonstances
spécifiques entourant les restrictions à la liberté qui s’éloignent de la
situation type qu’est l’incarcération. En effet, le contexte dans lequel
s’inscrit la mesure représente un facteur important car il est courant, dans
les sociétés modernes, que surviennent des situations dans lesquelles le public
peut être appelé à supporter des restrictions à la liberté de circulation ou à
la liberté des personnes dans l’intérêt du bien commun (voir, mutatis mutandis,
Austin et autres, précité, § 59).
82. En
matière de mesures de prévention personnelles, les organes de la Convention ont
amorcé leur jurisprudence dans la décision Guzzardi
du 5 octobre 1977 (Guzzardi c. Italie, no 7960/77,
décision de la Commission du 5 octobre 1977, non publiée). Dans cette affaire,
le requérant alléguait que l’obligation pour lui de résider dans la commune de
Force constituait une privation de liberté. Pour rejeter le grief du requérant,
la Commission conclut que les conditions d’exécution de la mesure d’assignation
à résidence appliquée à l’intéressé, ainsi que les obligations associées, ne
comportaient aucune privation de liberté au sens de l’article 5 de la
Convention mais des restrictions à la liberté du requérant de circuler et de
choisir sa résidence.
83. Par la
suite, dans une autre affaire introduite par le même requérant, la Cour renvoya
à la décision susmentionnée de la Commission pour souligner que la surveillance
spéciale avec assignation à résidence dans une commune donnée ne tombait pas en
elle-même sous le coup de l’article 5 (Guzzardi,
arrêt précité, § 94). Elle conclut toutefois, en raison des circonstances
particulières de l’affaire, que l’intéressé avait été « privé de sa liberté »
au sens de l’article 5 et qu’il pouvait dès lors se prévaloir des garanties
découlant de cette disposition. En effet, soupçonné d’appartenir à un clan
mafieux, le requérant avait été contraint de vivre sur une île dans une zone –
non clôturée – de 2,5 kilomètres carrés, en compagnie essentiellement de
personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi que de personnel de
surveillance. L’obligation de vivre sur l’île avait été assortie d’autres
restrictions comparables aux mesures imposées à M. de Tommaso. La Cour attacha
une importance particulière à l’exiguïté de la zone où le requérant était
demeuré confiné, à la surveillance quasi permanente exercée sur lui et à l’impossibilité
presque complète dans laquelle il s’était trouvé de nouer des contacts sociaux
(Guzzardi, précité, § 95).
84. La Cour
note que, depuis l’affaire Guzzardi, elle a examiné
dans plusieurs affaires (Raimondo, précité, § 39, Labita
c. Italie [GC], no 26772/95, § 193, CEDH 2000‑IV, Vito
Sante Santoro c. Italie, no 36681/97, § 37, CEDH
2004‑VI ; voir aussi, mutatis mutandis, Villa, précité, §§ 43-44, et Monno, décision précitée, §§ 22-23) la surveillance
spéciale avec assignation à résidence et les autres restrictions associées
(interdiction de sortir pendant la nuit, interdiction de s’éloigner du lieu de
résidence, interdiction de fréquenter les cafés, cabarets, salles de jeux et
lieux de prostitution et de participer à des réunions publiques, interdiction
de fréquenter des personnes ayant fait l’objet de condamnations et soumises à
des mesures de prévention). Aucune de ces affaires ne présentant des
circonstances particulières comparables à celles de l’affaire Guzzardi, la Cour a examiné les mesures de prévention en
question sous l’angle de l’article 2 du protocole no 4.
85. La Cour
relève que, dans le cas d’espèce, le requérant est soumis à des mesures
identiques à celles examinées par la Cour dans les affaires précitées et que, à
la différence de l’intéressé dans l’affaire Guzzardi,
le requérant dans la présente espèce n’a pas été contraint de vivre dans un
endroit exigu et ne s’est pas trouvé dans l’impossibilité de nouer des contacts
sociaux.
86. De
plus, la Cour ne saurait accepter l’argument du requérant selon lequel le fait
de ne pas pouvoir sortir, sauf en cas de nécessité, entre vingt-deux heures et
six heures du matin, s’apparente à une assignation à domicile et donc à une
privation de liberté.
87. Elle
rappelle que l’assignation à domicile s’analyse, au vu de son degré d’intensité
(Buzadji c. République de Moldova [GC], no 23755/07,
§ 104, CEDH 2016), en une privation de liberté au sens de l’article 5 de la
Convention (N.C. c. Italie, no 24952/94, § 33, 11 janvier 2001, Nikolova c. Bulgarie (no 2), no 40896/98, §§ 60 et 74, 30
septembre 2004, Danov c. Bulgarie, no 56796/00, §§ 61
et 80, 26 octobre 2006, et Ninescu c. République de
Moldova, no 47306/07, § 53, 15 juillet 2014). Elle note également qu’en droit
italien une personne assignée à domicile est réputée être en détention
provisoire (Ciobanu c. Roumanie et Italie, no
4509/08, § 22, 9 juillet 2013, et Mancini c. Italie, no 44955/98, § 17, CEDH
2001‑IX).
88. Elle
observe toutefois que dans toutes les affaires semblables à la présente espèce
qui ont été examinées par la Cour, les requérants avaient l’obligation de ne
pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus), et elle rappelle avoir
conclu qu’il s’agit en l’espèce d’une atteinte à la liberté de circulation. La
Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de changer cette
approche, d’autant qu’en l’espèce, vu les effets de la surveillance spéciale du
requérant et ses modalités d’exécution, il apparaît que l’intéressé n’a pas
subi de restrictions à sa liberté de sortir pendant la journée et qu’il a eu la
possibilité de mener une vie sociale et d’entretenir des relations avec
l’extérieur. Par ailleurs, la Cour relève qu’il ne ressort pas du dossier que
le requérant ait jamais demandé aux autorités la permission de s’éloigner de
son lieu de résidence.
89. Pour la
Cour, les obligations imposées au requérant n’ont pas entraîné une privation de
liberté au sens de l’article 5 § 1 de la Convention, mais de simples
restrictions à la liberté de circulation.
90. Il
s’ensuit que le grief tiré de l’article 5 de la Convention est incompatible ratione materiae avec la Convention, et qu’il doit être
rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4.
91.
L’article 5 étant donc inapplicable, il y a lieu d’examiner le grief du
requérant sous l’angle de l’article 2 du Protocole no 4, dont l’applicabilité
en l’espèce n’est pas contestée par les parties.
92.
Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article
35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif
d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le
fond
1. Thèses des parties
a) Le
requérant
93. Le
requérant soutient que la mesure de surveillance spéciale assortie de
l’assignation à résidence constitue une restriction de son droit découlant de
l’article 2 du Protocole no 4. Il indique tout d’abord qu’à partir de 1956, en
promulguant la loi litigieuse, le législateur a reconnu à l’autorité judiciaire
le pouvoir de déterminer quels étaient les éléments de fait symptomatiques de
la dangerosité d’un individu. Il admet que les arrêts de la Cour
constitutionnelle ont posé des critères rigoureux pour l’application desdites
mesures et le constat de la dangerosité des individus, mais estime que
l’autorité judiciaire a un « incontestable pouvoir discrétionnaire » dans
l’établissement de la dangerosité d’une personne, sur la base d’éléments
factuels qui ne sont pas prédéterminés par la loi et donc pas prévisibles pour
le citoyen.
94. Le
requérant rappelle en outre le caractère vague des mesures qui lui ont été
appliquées, par exemple l’obligation de vivre honnêtement et de ne pas susciter
de soupçons quant à sa conduite. À cet égard, il fait valoir que la violation
ou l’inobservation de ces prescriptions est passible d’une peine de détention.
95. Il
plaide que la mesure litigieuse lui a été appliquée à la suite d’une erreur sur
la personne, que la cour d’appel aurait reconnue dans son arrêt. Il ajoute que
la cour d’appel a déclaré la mesure de prévention irrégulière ab origine,
affirmant qu’elle n’était pas nécessaire en l’absence de dangerosité sociale.
96. Il
ajoute que, malgré l’issue favorable de la procédure, il a été soumis à une
mesure de surveillance spéciale pendant deux cent vingt et un jours. À ses
yeux, cette période est longue et est due au fait que la cour d’appel de Bari
n’a pas respecté le délai de trente jours pour statuer. Le requérant conclut
qu’il s’agit d’un problème non lié à la durée de la procédure.
b) Le
Gouvernement
97. Le
Gouvernement indique que les mesures de prévention sont assorties d’une double
garantie : celle de la prévisibilité et celle d’une procédure judiciaire
concernant leur application. Cette procédure reposerait sur des éléments
objectifs démontrant la dangerosité sociale de l’intéressé et justifiant la
nécessité de mettre en œuvre de telles mesures pour prévenir et éviter la
commission de crimes et d’infractions pénales.
98. Quant à
la légalité de la mesure, le Gouvernement se réfère en particulier aux motifs
de l’arrêt de la Cour de cassation no 23641 de 2014 (paragraphe 63 ci-dessus).
99. Il
rappelle que les mesures de prévention ont fait l’objet d’un contrôle de la
Cour constitutionnelle, laquelle a affirmé à plusieurs reprises la nécessité
d’une disposition légale basée sur des circonstances objectives, l’exclusion de
la possibilité de fonder ces mesures sur des soupçons, et l’équilibre à ménager
entre le respect des droits individuels et l’exigence liée à la défense
sociale.
100. Il
informe la Cour que le nouveau « code antimafia », rassemblant la législation
relative à la lutte contre la mafia et les mesures de prévention personnelles
et patrimoniales, est entré en vigueur en 2011 et a abrogé la loi no 1423 de
1956. Il précise que le registre d’informations concernant les mesures de
prévention a un caractère confidentiel et est tenu par les tribunaux.
101. En
outre, le Gouvernement rappelle que, selon la jurisprudence interne, seule une
violation matérielle de la mesure de prévention imposée peut entraîner
l’application de l’article 9 de la loi litigieuse, donc l’application d’une
peine privative de liberté.
102. Le
Gouvernement ajoute que l’ingérence dans le droit à la libre circulation était
prévue par la loi, répondait à un but légitime, à savoir la sauvegarde des
intérêts publics indiqués au paragraphe 3 de l’article 2 du Protocole no 4, et
était proportionnée. Il note que, au regard de la jurisprudence interne, le
dépassement du délai légal (trente jours) par la cour d’appel ne constitue pas
automatiquement une rupture du juste équilibre (Monno,
décision précitée, § 27). Il indique de plus que le requérant aurait pu se
prévaloir de l’article 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67 ci‑dessus) pour prier la cour d’appel, après
l’expiration du délai légal prévu pour l’accomplissement de l’acte, de se
prononcer sur sa demande et que, par la suite, il aurait pu introduire une
action en réparation.
103. Le
Gouvernement soutient que le requérant a pu présenter des preuves et également
participer aux audiences et déposer des observations, qui ont ensuite été
versées au dossier. Il est d’avis que la cour d’appel de Bari n’a pas reconnu
d’erreur sur la personne mais a simplement réévalué tous les éléments sur
lesquels le tribunal s’était basé, pour exclure la dangerosité sociale du
requérant. Pour le Gouvernement, le requérant a disposé d’une voie de recours,
qu’il a utilisée et qui lui a permis d’obtenir gain de cause. Selon lui, il n’y
a donc pas eu rupture du juste équilibre.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur
l’existence d’une ingérence
104. La
Cour rappelle que l’article 2 du Protocole no 4 garantit à toute personne le
droit de libre circulation à l’intérieur du territoire où elle se trouve ainsi
que le droit de le quitter, ce qui implique le droit de se rendre dans un pays
de son choix dans lequel elle pourrait être autorisée à entrer (Khlyustov c. Russie, no 28975/05, § 64, 11 juillet 2013,
Baumann c. France, no 33592/96, § 61, CEDH 2001‑V). Selon la
jurisprudence de la Cour, toute mesure restreignant le droit à la liberté de
circulation doit être prévue par la loi, poursuivre l’un des buts légitimes
visés au troisième paragraphe de l’article 2 du Protocole no 4 et ménager un
juste équilibre entre l’intérêt général et les droits de l’individu (Battista c. Italie, no 43978/09, § 37, CEDH 2014, Khlyustov, précité, § 64, Raimondo, précité, § 39, et Labita, précité, §§ 194-195).
105. Dans
le cas d’espèce, la Cour a jugé que les restrictions imposées au requérant
relèvent de l’article 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91 ci‑dessus).
Elle doit dès lors rechercher si cette ingérence était prévue par la loi,
poursuivait un ou plusieurs buts prévus au troisième paragraphe de cet article
et était nécessaire dans une société démocratique.
b) Sur la
question de savoir si l’ingérence était « prévue par la loi »
i.
Principes généraux
106. La
Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots « prévue par
la loi » non seulement imposent que la mesure incriminée ait une base légale en
droit interne, mais visent aussi la qualité de la loi en cause : ainsi,
celle-ci doit être accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets (Khlyustov, précité, § 68, X. c. Lettonie [GC], no 27853/09,
§ 58, CEDH 2013, Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano
c. Italie [GC], no 38433/09, § 140, CEDH 2012, Rotaru
c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 52, CEDH 2000-V, et Maestri
c. Italie [GC], no 39748/98, § 30, CEDH 2004-I).
107. L’une
des exigences découlant de l’expression « prévue par la loi » est la
prévisibilité. On ne peut donc considérer comme « une loi » qu’une norme
énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite
; en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de
prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les
conséquences qui peuvent découler d’un acte déterminé. Ces conséquences n’ont
pas besoin d’être prévisibles avec une certitude absolue : l’expérience révèle
qu’une telle certitude est hors d’atteinte. En outre, la certitude, bien que
hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or le
droit doit savoir s’adapter aux changements de situation. Aussi, beaucoup de
lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins
vagues, dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique (Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1), 26 avril 1979, § 49,
série A no 30, Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, §
40, série A no 260-A, Rekvényi c. Hongrie [GC], no
25390/94, § 34, CEDH 1999‑III, et Centro Europa 7 S.r.l.
et Di Stefano, précité, § 141).
108. Le
niveau de précision de la législation interne – qui ne peut en aucun cas
prévoir toutes les hypothèses – dépend dans une large mesure du contenu de la
loi en question, du domaine qu’elle est censée couvrir et du nombre et du
statut de ceux à qui elle est adressée (RTBF c. Belgique, no 50084/06, § 104,
CEDH 2011, Rekvényi, précité, § 34, Vogt c.
Allemagne, 26 septembre 1995, § 48, série A no 323, et Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, § 142). D’autre part, il
incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et d’appliquer
le droit interne (Khlyustov, précité, §§ 68-69).
109. La
Cour rappelle qu’une norme est « prévisible » lorsqu’elle offre une certaine
garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique (Centro Europa
7 S.r.l. et Di Stefano, précité, § 143 ; Khlyustov, précité, § 70). Une loi conférant un pouvoir
d’appréciation doit en fixer la portée, bien que le détail des normes et
procédures à observer n’ait pas besoin de figurer dans la législation elle‑même (Khlyustov,
précité, § 70, et Silver et autres c. Royaume-Uni, 25
mars 1983, § 88, série A no 61).
ii.
Application de ces principes en l’espèce
110. En
l’espèce, la Cour relève que la loi no 1423 de 1956, interprétée à la lumière
des arrêts de la Cour constitutionnelle, est la disposition juridique qui a
servi de fondement aux mesures de prévention personnelles appliquées au
requérant. Elle conclut donc que lesdites mesures de prévention avaient une
base légale en droit interne.
111. La
Cour doit donc vérifier si cette loi était accessible et prévisible. Cet
élément est d’autant plus important dans une affaire comme celle-ci, où la
législation en question a eu un impact très important sur le requérant et sur
son droit à la liberté de circulation.
112. Tout
d’abord, la Cour considère que la loi no 1423 de 1956 répondait à la condition
de l’accessibilité, ce que d’ailleurs le requérant ne conteste pas.
113. La
Cour doit ensuite vérifier la prévisibilité de cette loi. Pour ce faire, elle
examinera d’abord la catégorie des personnes visées par les mesures de
prévention, puis le contenu de ces mesures.
114. La
Cour note qu’à ce jour elle n’a pas eu à examiner en détail la prévisibilité de
la loi no 1423/1956. Elle rappelle toutefois avoir constaté dans l’affaire Labita (précité, § 194) que les mesures de prévention
avaient pour base les lois nos 1423/1956, 575/1965, 327/1988 et 55/1990 et
qu’elles étaient donc « prévues par la loi » au sens du troisième paragraphe de
l’article 2 du Protocole no 4. Dans l’affaire Monno
(décision précitée, § 26), la loi litigieuse a été examinée à la lumière de la
décision de la cour d’appel qui avait reconnu l’existence d’un vice de forme
entachant la procédure de première instance. Selon la Cour, la seule
circonstance que la décision du tribunal avait été ultérieurement annulée ne
compromettait pas, en tant que telle, la légalité de l’ingérence pour la
période antérieure. En revanche, dans les arrêts Raimondo et Vito Sante Santoro (précités), la
Cour a constaté que l’atteinte à la liberté de circulation des requérants
n’était ni « prévue par la loi » ni « nécessaire » en raison du retard de la
notification de la décision révoquant la surveillance spéciale (Raimondo,
précité § 40) et en raison de la prolongation illégale de la surveillance
spéciale, pendant deux mois et vingt-deux jours, sans réparation du préjudice
subi (Vito Sante Santoro,
précité § 45).
115. Dans
le cas d’espèce, le requérant se plaint expressément d’un manque de précision
et de prévisibilité de la loi no 1423/1956. Par conséquent, la Cour se doit
d’analyser la prévisibilité de cette loi quant aux destinataires des mesures de
prévention (article 1 de la loi de 1956), à la lumière de la jurisprudence de
la Cour constitutionnelle.
116. À cet
égard, la Cour souligne que la Cour constitutionnelle italienne a invalidé la
loi pour autant qu’elle concernait une catégorie de personnes jugée
insuffisamment définie, à savoir celle des personnes « que certains signes
extérieurs port[ai]ent à considérer enclines à la
délinquance » (voir l’arrêt no 177 de 1980, paragraphe 55 ci-dessus). La
disposition en cause n’était plus en vigueur à l’époque où les mesures
litigieuses ont été appliquées au requérant. Pour toutes les autres catégories
de personnes auxquelles les mesures de prévention étaient applicables, la Cour
constitutionnelle a formulé la conclusion que la loi no 1423/1956 contenait une
description suffisamment précise des comportements considérés comme socialement
dangereux. Elle a jugé que la simple appartenance à l’une des catégories de
sujets visées à l’article 1 de ladite loi ne suffisait pas à justifier l’application
d’une mesure de prévention et qu’il fallait au contraire établir l’existence
d’un comportement spécifique de l’intéressé démontrant la réalité de sa
dangerosité, laquelle ne pouvait être seulement théorique. Elle a indiqué que
les mesures de prévention ne pouvaient donc pas être adoptées sur la base de
simples soupçons, mais devaient reposer sur une appréciation objective des «
éléments factuels » qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de
vie de la personne, ou des manifestations concrètes de sa propension à la
délinquance (voir la jurisprudence de la Cour constitutionnelle citée aux
paragraphes 45-55 ci-dessus).
117. La
Cour constate que, nonobstant le fait que la Cour constitutionnelle soit
intervenue à plusieurs reprises afin de préciser les critères à employer pour
apprécier la nécessité des mesures de prévention, l’application de celles-ci
reste liée à une appréciation prospective par les juridictions internes, étant
donné que ni la loi ni la Cour constitutionnelle n’ont identifié clairement les
« éléments factuels » ou les comportements spécifiques qui doivent être pris en
compte pour évaluer la dangerosité sociale de l’individu et qui peuvent donner
lieu à l’application de telles mesures. Dès lors, la Cour estime que la loi en cause
ne prévoyait pas de manière suffisamment détaillée quels comportements étaient
à considérer comme socialement dangereux.
118. La
Cour note qu’en l’espèce le tribunal responsable de l’application de la mesure
de prévention au requérant s’est fondé sur l’existence d’une tendance « active
» de celui-ci à la délinquance, sans pour autant lui imputer un comportement ou
une activité délictueuse spécifique. De plus, le tribunal a mentionné, comme
motif d’application de la mesure de prévention, le fait que le requérant
n’avait pas « d’emploi stable et légal » et que sa vie se caractérisait par une
fréquentation assidue de criminels importants au niveau local (« malavita ») et par la commission de délits (paragraphes
15-16 ci‑dessus).
En d’autres
termes, le tribunal a fondé son raisonnement sur le postulat d’une « tendance à
la délinquance », critère que la Cour constitutionnelle avait précédemment jugé
insuffisant – dans son arrêt no 177 de 1980 – pour définir une catégorie de
personnes pouvant faire l’objet de mesures préventives (paragraphe 55
ci-dessus).
En
définitive, la Cour considère que, faute d’avoir défini avec la clarté requise
l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation considérable
ainsi conféré aux juridictions internes, la loi en vigueur à l’époque
pertinente (article 1 de la loi de 1956) n’était pas formulée avec une
précision suffisante pour offrir une protection contre les ingérences
arbitraires et permettre au requérant de régler sa conduite et de prévoir avec
un degré suffisant de certitude l’application des mesures de prévention.
119.
Concernant les mesures prévues par les articles 3 et 5 de la loi no 1423/1956
qui ont été appliquées au requérant, la Cour observe que certaines d’entre
elles sont libellées de façon très générale et que leur contenu est extrêmement
vague et imprécis ; cela vaut en particulier pour les dispositions relatives
aux obligations de « vivre honnêtement et dans le respect des lois » et de « ne
pas prêter à soupçon ».
À cet
égard, la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue à la conclusion
que les obligations de « vivre honnêtement » et de « ne pas prêter à soupçon »
n’emportaient pas violation du principe de légalité (paragraphe 59 ci-dessus).
120. Elle
relève que l’interprétation livrée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt
no 282 de 2010 est postérieure aux faits de l’espèce et qu’il était dès lors
impossible au requérant d’établir, à partir de la position de la Cour
constitutionnelle ressortant de cet arrêt, la teneur précise de certaines des
obligations auxquelles il était soumis dans le cadre de la surveillance
spéciale. Ces obligations peuvent en effet se prêter à diverses
interprétations, comme la Cour constitutionnelle l’a elle-même reconnu. La Cour
note de plus qu’elles sont formulées de manière générale.
121. En
outre, l’interprétation faite par la Cour constitutionnelle en 2010 n’a pas
résolu le problème du manque de prévisibilité des mesures de prévention
applicables, car en vertu de l’article 5, premier alinéa, de la loi en cause le
tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qu’il estimait nécessaire – sans
préciser sa teneur – eu égard aux exigences liées à la défense sociale.
122. Enfin,
la Cour n’est pas convaincue que les obligations de « vivre honnêtement et dans
le respect des lois » et de « ne pas prêter à soupçon » aient été suffisamment
délimitées par l’interprétation de la Cour constitutionnelle, et ce pour les
raisons exposées ci-après. Tout d’abord, le « devoir pour la personne concernée
d’adapter sa conduite à un mode de vie respectant l’ensemble des prescriptions
susmentionnées » est tout aussi imprécis que l’« obligation de vivre
honnêtement et dans le respect des lois », la juridiction constitutionnelle
n’ayant fait que renvoyer à l’article 5 lui-même. De l’avis de la Cour, cette
interprétation n’offre pas d’indications suffisantes aux personnes concernées.
Deuxièmement, le « devoir pour l’intéressé de se conformer à toutes les
prescriptions lui imposant d’adopter ou de ne pas adopter telle ou telle conduite,
donc non seulement aux normes pénales mais aussi à toute disposition dont le non‑respect serait un indice supplémentaire de la
dangerosité sociale déjà établie » constitue un renvoi indéterminé à l’ensemble
de l’ordre juridique italien et n’apporte aucun éclaircissement sur les normes
spécifiques dont le non-respect serait un indice supplémentaire de la
dangerosité sociale de l’intéressé.
Dès lors,
la Cour considère que cette partie de la loi n’est pas formulée de façon assez
précise et ne définit pas avec une clarté suffisante le contenu des mesures de
prévention qui peuvent être appliquées à un individu, pas même à la lumière de
la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.
123. La
Cour trouve également préoccupant que les mesures prévues par la loi et
appliquées au requérant aient comporté une interdiction absolue de participer à
des réunions publiques. La loi n’indique aucune limite temporelle ou spatiale à
cette liberté fondamentale, dont la restriction est entièrement laissée à
l’appréciation du juge.
124. La
Cour est d’avis que la loi laissait aux juridictions un large pouvoir
d’appréciation, sans indiquer avec assez de clarté l’étendue et les modalités
d’exercice de ce pouvoir. Il s’ensuit que l’application des mesures de
prévention au requérant n’était pas suffisamment prévisible et n’a pas été
entourée de garanties adéquates contre les divers abus possibles.
125. Dès
lors, la Cour estime que la loi no 1423/1956 était libellée en des termes
vagues et excessivement généraux. Ni les personnes auxquelles les mesures de
prévention pouvaient être appliquées (article 1 de la loi de 1956) ni le
contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
n’étaient définis avec une précision et une clarté suffisantes. Il s’ensuit que
cette loi ne remplissait pas les conditions de prévisibilité telles qu’elles se
dégagent de la jurisprudence de la Cour.
126. En
conséquence, on ne saurait considérer que l’atteinte à la liberté de
circulation du requérant se fondait sur des dispositions juridiques respectant
les exigences de légalité posées par la Convention. Il y a donc eu violation de
l’article 2 du Protocole no 4 en raison du manque de prévisibilité de la loi
litigieuse.
127. Eu
égard à la conclusion qui précède, il n’y a pas lieu pour la Cour de se pencher
sur d’autres arguments du requérant ni à rechercher si les mesures appliquées à
celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts légitimes et étaient nécessaires
dans une société démocratique.
II. SUR LA
VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
128. Le
requérant allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison
du défaut de publicité de l’audience devant le tribunal et la cour d’appel,
ainsi que d’un défaut d’équité de la procédure. L’article 6 § 1, dans sa partie
pertinente, est ainsi libellé :
«1. Toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et
dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par
la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de
caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale
dirigée contre elle. »
129. Le
Gouvernement reconnaît que le requérant a subi une violation de l’article 6 § 1
du fait du défaut de publicité de la procédure devant les juridictions
internes, et conteste les autres allégations du requérant.
A. Sur la
déclaration unilatérale partielle du Gouvernement
130. Le 7
avril 2015, le Gouvernement a adressé à la Cour une lettre contenant une
proposition en vue d’un règlement amiable de la partie de la requête concernant
le grief tiré du défaut de publicité des audiences devant le tribunal et la
cour d’appel de Bari (article 6 § 1 de la Convention), ainsi qu’une déclaration
unilatérale relative à ce grief, fondée sur l’article 62A du règlement de la
Cour. En outre, le Gouvernement a demandé à la Cour de procéder à une radiation
partielle du grief à défaut d’acceptation du règlement amiable (paragraphe 29
ci-dessus).
131. Le 22
avril 2015, le requérant a indiqué qu’il n’était pas satisfait des termes de la
proposition de règlement amiable. Aucun commentaire n’a été fait sur la
déclaration unilatérale.
132.
L’article 37 § 1 de la Convention est ainsi libellé en ses parties pertinentes
:
« 1. À tout
moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle
lorsque les circonstances permettent de conclure :
(...)
c) que,
pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus
de poursuivre l’examen de la requête.
Toutefois,
la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme
garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige. »
133. La
Cour note tout d’abord que cette affaire est la première dans laquelle la
Grande Chambre se trouve confrontée à une demande de radiation partielle. En
revanche, il est déjà arrivé que les sections acceptent de procéder à la
radiation partielle d’une requête après dépôt d’une déclaration unilatérale et
d’examiner les griefs restants (Bystrowski c.
Pologne, no 15476/02, § 36, 13 septembre 2011, Tayfur
Tunç c. Turquie (déc.), no 22373/07, §§ 20-21, 24
mars 2015, Pubblicità Grafiche
Perri S.R.L c. Italie (déc.), no 30746/03, 14 octobre
2014, Frascati c. Italie (déc.), no 5382/08, §§ 21-22, 13 mai 2014, Ramazan Taş c. Turquie
(déc.), no 5382/10, 14 octobre 2014, Pasquale Miele c. Italie (déc.), no
37262/03, 16 septembre 2014, Aleksandr Nikolayevich Dikiy c. Ukraine (déc.), no 2399/12, 16 décembre 2014, et Ielcean c. Roumanie (déc.) , no 76048/11, §§ 18-19, 7
octobre 2014).
134. La
Cour rappelle que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer
une requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention sur la
base d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur, même si le
requérant souhaite que l’examen de l’affaire se poursuive. Elle a déjà souligné
à cet égard qu’une telle procédure ne vise pas, en soi, à contourner
l’opposition de la partie requérante à un règlement amiable. Ce seront en effet
les circonstances particulières de la cause qui permettront de déterminer si la
déclaration unilatérale offre une base suffisante pour que la Cour conclue que
le respect des droits de l’homme garantis par la Convention n’exige pas qu’elle
poursuive l’examen de l’affaire (Baudoin c. France,
no 35935/03, § 78, 18 novembre 2010).
135. Parmi
les facteurs à prendre en compte à cet égard figurent la nature des griefs
formulés, le point de savoir si les questions soulevées sont analogues à celles
déjà tranchées par la Cour dans des affaires précédentes, la nature et la
portée des mesures éventuellement prises par le gouvernement défendeur dans le
cadre de l’exécution des arrêts rendus par la Cour dans ces affaires, et
l’incidence de ces mesures sur l’affaire à l’examen (Tahsin
Acar c. Turquie (exceptions préliminaires) [GC], no
26307/95, § 76, CEDH2003-VI).
136.
D’autres éléments ont leur importance également. La déclaration unilatérale du
gouvernement défendeur doit notamment renfermer, selon les griefs soulevés, un
aveu de responsabilité en ce qui concerne les allégations de violation de la
Convention ou, à tout le moins, une concession en ce sens. Dans cette
hypothèse, il faut alors déterminer quelle est l’ampleur de ces concessions et
les modalités du redressement que le Gouvernement entend fournir au requérant
(voir, entre autres, Tahsin Acar,
précité, §§ 76‑82, et Prencipe c. Monaco, no
43376/06, §§ 57-62, 16 juillet 2009).
137. Pour
ce qui est de la présente affaire, la Cour observe que le Gouvernement
reconnaît dans sa déclaration unilatérale que le requérant a subi une violation
de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du défaut de publicité des
audiences, et qu’il s’engage à lui verser une certaine somme au titre des frais
de procédure. Concernant les modalités du redressement, elle relève que le
Gouvernement ne propose aucun montant pour préjudice moral.
138. La
Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, le défaut de publicité des
audiences dans les procédures relatives à l’application de mesures de
prévention patrimoniales emporte violation de l’article 6 § 1 (Bocellari et Rizza, précité, §§
34-41, Perre et autres, précité, §§ 23-26, Bongiorno et autres, précité, §§ 27-30, Leone c. Italie, no
30506/07, §§ 26‑29, 2 février 2010, et Capitani
et Campanella c. Italie, no 24920/07, §§ 26-29, 17 mai 2011). Elle note
toutefois qu’il n’existe pas de jurisprudence sur la question de
l’applicabilité de l’article 6 § 1 aux procédures concernant les mesures de
prévention personnelles, et par conséquent sur la question de la publicité des
audiences dans ces dernières procédures qui, par ailleurs, sont les mêmes que
celles relatives aux mesures de prévention patrimoniales.
139. À la
lumière de ce qui précède et eu égard à l’ensemble des circonstances de
l’espèce, la Cour considère que les conditions permettant de procéder à une
radiation partielle ne se trouvent pas remplies.
140.
Partant, elle rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation
partielle de la requête du rôle sur le fondement de l’article 37 § 1 c) de la
Convention.
B. Sur la
recevabilité
1. Thèses des parties
a) Le
requérant
141. Le
requérant soutient que l’article 6 § 1 sous son volet pénal est applicable aux
procédures relatives à l’application des mesures de prévention personnelles en
ce qu’elles concernent la liberté personnelle du citoyen et sont régies par les
dispositions du code de procédure pénale. Il ajoute que l’article 6 § 1 est
applicable dès lors que la Cour a conclu que l’article 6 trouve à s’appliquer
sous son volet civil aux procédures relatives à l’application des mesures de
prévention patrimoniales.
b) Le
Gouvernement
142. Le
Gouvernement n’a pas présenté d’observations à ce sujet.
2. Appréciation de la Cour
143. La
Cour estime tout d’abord que le volet pénal de l’article 6 § 1 de la Convention
n’entre pas en jeu, car la surveillance spéciale ne saurait se comparer à une
peine dès lors que la procédure dont le requérant a fait l’objet ne concernait
pas le bien-fondé d’une « accusation en matière pénale » au sens de l’article 6
de la Convention (Guzzardi, précité, § 108, Raimondo,
précité, § 43). Reste à savoir si l’article 6 § 1 de la Convention trouve à
s’appliquer sous son volet civil.
144. La
Cour rappelle que, pour que l’article 6 § 1 sous son volet « civil » trouve à
s’appliquer, il faut qu’il y ait « contestation » sur un « droit » que l’on
peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne, et ce
qu’il soit protégé par la Convention ou non. Il doit s’agir d’une contestation
réelle et sérieuse ; elle peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit
que son étendue ou ses modalités d’exercice ; enfin, l’issue de la procédure
doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou
des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6
§ 1 (voir, parmi bien d’autres, Mennitto c. Italie
[GC], no 33804/96, § 23, CEDH 2000‑X, Micallef
c. Malte [GC], no 17056/06, § 74, CEDH 2009, et Boulois
c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 90, CEDH 2012).
145. À cet
égard, la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit être tranchée
(loi civile, commerciale, administrative, etc.) et celle de l’autorité
compétente en la matière (juridiction de droit commun, organe administratif,
etc.) ne revêtent pas une importance déterminante (Micallef,
précité, § 74).
146. La
Cour note qu’à la différence de l’affaire Guzzardi,
l’espèce se caractérise par le fait que les mesures de prévention appliquées au
requérant ne s’analysent pas en une privation de liberté au sens de l’article 5
§ 1 de la Convention mais en des restrictions à sa liberté de circulation. En
conséquence, la question de savoir si le droit à la liberté a un « caractère
civil » ne se pose pas en l’espèce (Guzzardi,
précité, § 108 ; voir aussi Aerts c. Belgique, 30
juillet 1998, § 59, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V, Laidin c. France (no 2), no 39282/98, § 76, 7 janvier
2003).
147. En
revanche, la question de l’applicabilité de l’article 6 sous son volet civil se
pose sous un autre aspect. La Cour a jugé – dans le contexte carcéral – que
certaines limitations des droits des détenus, ainsi que les répercussions
qu’elles peuvent entraîner, relèvent de la notion de « droits de caractère civil
». À titre d’exemple, la Cour rappelle qu’elle a jugé cette disposition
applicable à certaines procédures disciplinaires dans le cadre de l’exécution
des peines de prison (Gülmez c. Turquie, no 16330/02,
§§ 27-31, 20 mai 2008, affaire dans laquelle le requérant s’était vu interdire
les visites pendant un an).
148. Dans
les affaires Ganci c. Italie (no 41576/98, §§ 20-26,
CEDH 2003‑XI), Musumeci c. Italie (no 33695/96,
§ 36, 11 janvier 2005) et Enea c. Italie [GC] (no
74912/01, § 107, CEDH 2009), la Cour a estimé l’article 6 § 1 applicable à la
surveillance de niveau élevé dont peuvent faire l’objet certains détenus en
Italie. Dans ces affaires, les restrictions imposées aux requérants
concernaient essentiellement l’interdiction de recevoir un nombre mensuel donné
de visites des membres de la famille, le contrôle continu de la communication
épistolaire et téléphonique, ainsi que la limitation de la promenade. Ainsi,
dans l’affaire Enea (arrêt précité, § 107) la Cour a
déclaré que le grief relatif aux restrictions que le requérant affirmait avoir
subies à la suite de son placement en secteur de haute sécurité était
compatible ratione materiae avec les dispositions de
la Convention dès lors qu’il avait trait à l’article 6 sous son volet civil.
Elle a jugé que certaines limitations alléguées par le requérant, comme celles
visant les contacts avec la famille, relevaient des droits de la personne et,
partant, revêtaient un caractère civil (Enea,
précité, § 103).
149. En
outre, la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits de caractère
civil de l’individu doit pouvoir être contestée dans le cadre d’une procédure
judiciaire, et ce en raison de la nature des limitations (par exemple, une
interdiction de bénéficier d’un nombre donné de visites par mois des membres de
la famille ou le contrôle continu de la communication épistolaire et
téléphonique, etc.), ainsi que des répercussions qu’elles peuvent entraîner
(par exemple, des difficultés dans le maintien des liens familiaux ou des
relations avec les tiers, l’exclusion des promenades) (Enea,
précité, § 106).
150. Dans
l’affaire Stegarescu et Bahrin
c. Portugal (no 46194/06, §§ 37‑38, 6 avril 2010), la Cour a appliqué
l’article 6 § 1 aux litiges concernant les restrictions (visites limitées à une
heure par semaine – et uniquement par entretien au parloir vitré –, promenade
limitée à une heure quotidienne et impossibilité, s’agissant du premier
requérant, de poursuivre ses études et de passer ses examens) auxquelles sont
soumis les détenus placés en cellule de sécurité.
151. La
Cour constate donc qu’il y a eu une évolution de sa propre jurisprudence vers
l’application du volet civil de l’article 6 à des affaires ne portant pas à
première vue sur un droit civil mais pouvant avoir des répercussions directes
et importantes sur un droit de caractère privé d’un individu (Alexandre c.
Portugal, no 33197/09, § 51, 20 novembre 2012, Pocius
c. Lituanie, no 35601/04, § 43, 6 juillet 2010).
152. Pour
la Cour, le cas d’espèce présente des similitudes avec les affaires précitées :
même si dans ces dernières affaires les restrictions imposées dans le contexte
du régime carcéral concernaient les contacts avec la famille, les relations
avec les tiers ou les difficultés dans le maintien des liens familiaux, elles
sont semblables à celles qu’a subies le requérant. La Cour se réfère en
particulier à l’obligation de ne pas s’éloigner de la commune de résidence, de
ne pas sortir entre vingt-deux heures et six heures du matin, de ne pas
participer à des réunions publiques et de ne pas utiliser de téléphones
portables et d’appareils radioélectriques pour communiquer.
153. La
Cour note que dans le cas d’espèce, une « contestation réelle et sérieuse » a
surgi lorsque le tribunal a appliqué la mesure de surveillance spéciale au
requérant en rejetant ses moyens. Cette contestation a ensuite été
définitivement tranchée par l’arrêt de la cour d’appel de Bari, qui a reconnu
que la mesure de prévention appliquée au requérant était irrégulière.
154. La
Cour relève en outre que certaines des limitations alléguées par le requérant,
comme l’obligation de ne pas sortir la nuit, de ne pas s’éloigner de la commune
de résidence, de ne pas participer à des réunions publiques, de ne pas utiliser
de téléphones portables et d’appareils radioélectriques pour communiquer,
relèvent assurément des droits de la personne et, partant, revêtent un
caractère civil (voir, mutatis mutandis, Enea,
précité, § 103, et Ganci, précité, § 25).
155. À la
lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le grief relatif aux restrictions
que le requérant affirme avoir subies à la suite de l’application de la mesure
de surveillance spéciale est compatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention dès lors qu’il a trait à
l’article 6 sous son volet civil. Ce grief n’étant pas manifestement mal fondé
au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurtant à aucun autre
motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
C. Sur le
fond
1. Thèses des parties
a) Le
requérant
156. Le
requérant estime qu’il y a eu en l’espèce violation de son droit à un procès
équitable. Il rappelle tout d’abord qu’il n’a pas pu bénéficier d’une audience
publique, parce que la loi de l’époque ne le permettait pas et que
l’intervention de la Cour constitutionnelle n’a pas permis de remédier à la
violation subie.
157. Le
requérant allègue ensuite que le tribunal de Bari a jugé qu’il était dangereux
pour avoir commis des infractions contre les personnes et les biens, alors
qu’il ressortait de l’extrait de casier judiciaire versé au dossier que les
condamnations définitives prononcées contre lui entre septembre 1995 et août
1999 portaient sur la contrebande de tabac. Par la suite, il aurait été
condamné en 2003 pour trafic de stupéfiants et en 2004 pour évasion.
158. De
plus, selon le requérant, l’extrait de casier judiciaire versé au dossier
attestait également que les infractions aux obligations découlant de la
surveillance spéciale qui lui étaient reprochées concernaient en fait un
individu qui portait les mêmes nom et prénom que lui mais qui était né en 1973.
159.
S’agissant de la violation du droit à un procès équitable, le requérant
soutient en outre que le tribunal n’a pas pris en considération les preuves
versées au dossier qui montraient selon lui qu’il travaillait honnêtement et
n’avait pas un niveau de vie particulier. Le tribunal n’aurait même pas tenu
compte des justificatifs attestant qu’il avait travaillé comme ouvrier
agricole. Si le requérant admet que la cour d’appel a ensuite annulé la mesure
litigieuse, il rappelle qu’elle a mis sept mois pour se prononcer alors que la
loi prévoyait un délai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus).
b) Le
Gouvernement
160. Le
Gouvernement rappelle que, par l’arrêt no 93 du 12 mars 2010, la Cour constitutionnelle,
faisant application des principes consacrés par la jurisprudence de la Cour
européenne, a déclaré inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de
1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la mesure où ils ne permettaient
pas aux justiciables de demander la publicité des débats dans le cadre des
procédures relatives à l’application des mesures de prévention.
161. Le
Gouvernement reconnaît que le requérant a subi une violation de l’article 6 § 1
en raison du défaut de publicité de la procédure devant les juridictions
internes.
162. Quant
au grief tiré du défaut d’équité de la procédure, le Gouvernement soutient que
le requérant a pu présenter des preuves et qu’il a également pu participer aux
audiences et déposer des observations, qui ont ensuite été versées au dossier.
Le Gouvernement est d’avis que la cour d’appel de Bari n’a pas reconnu une
erreur sur la personne, mais a simplement réévalué tous les éléments sur
lesquels le tribunal s’était basé, pour exclure la dangerosité sociale du
requérant. Selon le Gouvernement, le requérant a disposé d’une voie de recours,
qu’il a utilisée et qui lui a permis d’obtenir gain de cause. En conséquence,
pour le Gouvernement, il n’y a pas eu violation de l’article 6 de ce chef.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur
l’absence de publicité des audiences devant le tribunal et la cour d’appel
163. La
Cour rappelle que si la tenue d’une audience publique constitue un principe
fondamental consacré par l’article 6 § 1, l’obligation de tenir une audience
publique n’est pas pour autant absolue, les circonstances qui permettent de se
dispenser d’une audience dépendant essentiellement de la nature des questions
dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila
c. Finlande [GC], no 73053/01, §§ 41-42, CEDH 2006‑XIV).
164. La
Cour note tout d’abord qu’en l’espèce le Gouvernement reconnaît qu’il y a eu
violation de l’article 6 § 1 en raison du défaut de publicité des audiences
devant le tribunal et la cour d’appel de Bari.
165. Elle
observe également que la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnels
les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965,
dans la mesure où ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la
publicité des débats dans le cadre des procédures relatives à l’application des
mesures de prévention (paragraphe 56 ci-dessus).
166. En
outre, elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur l’absence de publicité des
audiences dans les procédures concernant des mesures de prévention
patrimoniales (Bocellari et Rizza,
précité, §§ 34-41, Perre et autres, précité, §§
23-26, Bongiorno et autres, précité, §§ 27-30, Leone,
précité, §§ 26-29, et Capitani et Campanella,
précité, §§ 26-29).
167. De
plus, selon la Cour, les circonstances de l’espèce exigeaient la tenue d’une
audience publique, compte tenu de ce que les juridictions internes ont dû
apprécier des éléments tels que la personnalité du requérant, son comportement
ainsi que sa dangerosité, lesquels ont été décisifs pour l’application de la
mesure de prévention (voir, mutatis mutandis, Jussila,
précité, § 41).
168. À la
lumière de ce qui précède, la Cour, estime, dès lors, qu’il y a eu de ce chef
violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
b) Sur le
grief tiré du défaut d’équité de la procédure
169. Quant
aux doléances concernant spécifiquement la procédure devant le tribunal de
Bari, la Cour rappelle qu’elle a pour tâche d’assurer le respect des
engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes.
170. En
particulier, elle rappelle qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs
de fait ou de droit éventuellement commises par une juridiction interne, sauf
si et dans la mesure où elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et
libertés sauvegardés par la Convention (voir, par exemple, García Ruiz c.
Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I, et Perez c. France [GC], no
47287/99, § 82, CEDH 2004‑I), par exemple si elles peuvent s’analyser en
un « manque d’équité » incompatible avec l’article 6 de la Convention. Si cette
disposition garantit le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas
pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui
relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales. En principe,
des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou
tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils
ont eu à connaître échappent au contrôle de la Cour. Celle-ci n’a pas à tenir
lieu de juge de quatrième instance et elle ne remet pas en cause sous l’angle
de l’article 6 § 1 l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs
conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables
(voir, par exemple, Dulaurans c. France, no 34553/97,
§§ 33-34 et 38, 21 mars 2000, Khamidov c. Russie, no
72118/01, § 170, 15 novembre 2007, Anđelković
c. Serbie, no 1401/08, § 24, 9 avril 2013, et Bochan
c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, §§ 64-65, CEDH 2015).
171. La
Cour a pour seule fonction, au regard de l’article 6 de la Convention,
d’examiner les requêtes alléguant que les juridictions nationales ont méconnu
des garanties procédurales spécifiques énoncées par cette disposition ou que la
conduite de la procédure dans son ensemble n’a pas garanti un procès équitable
au requérant (voir, parmi bien d’autres, Donadzé c.
Géorgie, no 74644/01, §§ 30-31, 7 mars 2006).
172. En
l’occurrence, la procédure dans son ensemble s’est déroulée conformément aux
exigences du procès équitable. Le requérant se plaint pour l’essentiel d’une
appréciation arbitraire des preuves par le tribunal de Bari, mais la Cour
souligne qu’il a obtenu gain de cause devant la cour d’appel (paragraphes 26-27
ci-dessus), qui a ensuite annulé la mesure de prévention.
173.
Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 de ce chef.
III. SUR LA
VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
174.
Plaidant qu’il ne dispose d’aucun recours pour demander réparation devant les
juridictions nationales, le requérant allègue également la violation de
l’article 13 de la Convention, lequel dispose :
« Toute
personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été
violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale,
alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans
l’exercice de leurs fonctions officielles. »
175. Le
Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la
recevabilité
176. La
Cour constate que ce grief, pour autant qu’il concerne l’existence d’un recours
interne qui eût permis de formuler le grief fondé sur l’article 2 du Protocole
no 4, n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la
Convention. Elle relève, par ailleurs, qu’il ne se heurte à aucun autre motif
d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le
fond
1. Thèses des parties
a) Le
Gouvernement
177. Le
Gouvernement soutient que le grief du requérant n’est pas défendable (Monno, décision précitée, § 30). Il rappelle ensuite que le
requérant a obtenu gain de cause devant la cour d’appel.
b) Le
requérant
178. Le
requérant allègue qu’il n’a disposé d’aucun recours effectif permettant de
demander réparation de la violation des articles 5 de la Convention et 2 du
Protocole no 4.
2. Appréciation de la Cour
a) Les
principes applicables
179. La
Cour rappelle que l’article 13 garantit l’existence en droit interne de recours
permettant de dénoncer les atteintes aux droits et libertés protégés par la
Convention. Ainsi, même si les États contractants jouissent d’une certaine
marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que
leur impose cette disposition, il faut qu’existe au niveau interne un recours
dans le cadre duquel l’instance nationale compétente peut examiner les griefs
fondés sur la Convention et ordonner le redressement approprié. La portée de
l’obligation découlant de l’article 13 varie en fonction de la nature du grief
tiré de la Convention, mais le recours doit en tout cas être « effectif » en
pratique comme en droit, c’est-à-dire notamment que son exercice ne doit pas
être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de
l’État (Nada, précité, §§ 208-209 ; voir aussi Büyükdağ
c. Turquie, no 28340/95, § 64, 21 décembre 2000, avec les renvois notamment à
l’arrêt Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, § 95,
Recueil 1996‑VI). Dans certaines conditions, les recours offerts par le
droit interne considérés dans leur ensemble peuvent répondre aux exigences de
l’article 13 (voir, notamment, Leander c. Suède, 26
mars 1987, § 77, série A no 116).
180. Cela
étant, l’article 13 exige seulement qu’existe un recours en droit interne à
l’égard des griefs que l’on peut estimer « défendables » au regard de la
Convention (voir, par exemple, Boyle et Rice c.
Royaume-Uni, 27 avril 1988, § 54, série A no 131). Il n’impose pas aux États de
permettre aux individus de dénoncer, devant une autorité interne, les lois
nationales comme contraires à la Convention (Costello-Roberts c. Royaume-Uni,
25 mars 1993, § 40, série A no 247‑C), mais vise seulement à offrir à
ceux qui expriment un grief défendable de violation d’un droit protégé par la
Convention un recours effectif dans l’ordre juridique interne (ibidem, § 39).
b)
L’application de ces principes au cas d’espèce
181. La
Cour note que, compte tenu du constat de violation de l’article 2 du Protocole
no 4 énoncé ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus), le grief est défendable. Il
reste dès lors à rechercher si le requérant a disposé en droit italien d’un
recours effectif lui permettant de dénoncer les atteintes à ses droits protégés
par la Convention.
182. La
Cour rappelle que, lorsqu’il existe un grief défendable selon lequel une mesure
adoptée par les autorités peut violer le droit de circulation d’un requérant,
l’article 13 de la Convention exige que les systèmes nationaux offrent aux
intéressés la possibilité de bénéficier d’une procédure contradictoire de
recours devant les juridictions (voir, mutatis mutandis, Riener,
précité, § 138).
183.
Toutefois, une procédure de recours interne ne saurait être jugée effective au
sens de l’article 13 de la Convention si elle n’offre pas la possibilité de
traiter la substance d’un « grief défendable » au sens de la Convention et
d’apporter une réparation adéquate. Ainsi, en énonçant de manière explicite
l’obligation pour les États de protéger les droits de l’homme en premier lieu
au sein de leur propre ordre juridique, l’article 13 établit au profit des
justiciables une garantie supplémentaire de jouissance effective des droits en
question (Riener, précité, § 142 ; voir aussi Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH
2000‑XI, et T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], no 28945/95, § 107, CEDH
2001‑V).
184. La
Cour observe que le requérant a pu former un recours devant la cour d’appel de
Bari en plaidant que la mesure de surveillance spéciale assortie de l’assignation
à résidence avait été appliquée irrégulièrement. Après avoir réévalué les
conditions d’application et la proportionnalité de la mesure de surveillance
spéciale, la cour d’appel a annulé la mesure litigieuse.
185. À la
lumière de ce qui précède, la Cour estime que le requérant a donc disposé en
droit italien d’un recours effectif qui lui a permis d’exposer les violations
de la Convention qu’il alléguait. Partant, il n’y a pas eu violation de
l’article 13 combiné avec l’article 2 du Protocole no 4.
IV. SUR
L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
186. Aux
termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la
Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la
partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
187. Le
requérant demande à la Cour de lui allouer au titre du dommage matériel une
somme qui devra être quantifiée par la Cour.
188.
Concernant le dommage moral, il réclame la somme de 20 000 euros (EUR) pour la
période qu’il a passée en étant soumis au régime de surveillance spéciale.
189. Le
Gouvernement n’a pas présenté d’observations sur l’article 41.
190. La
Cour relève que la demande au titre du dommage matériel n’a pas été chiffrée ;
dès lors, elle la rejette. En revanche, elle considère qu’il y a lieu
d’octroyer au requérant 5 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais
et dépens
191. Le requérant
demande également 6 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les
juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux exposés devant la Cour.
192. Le
Gouvernement ne s’est pas prononcé sur ce point.
193. Selon
la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de
ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité,
leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte
tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime
raisonnable d’allouer l’intégralité du montant réclamé par le requérant, tous
frais confondus.
C. Intérêts
moratoires
194. La
Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux
d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne
majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Rejette, à l’unanimité, la demande de
radiation partielle de la requête formulée par le Gouvernement sur le fondement
de sa déclaration unilatérale concernant le grief tiré du défaut de publicité
des audiences devant le tribunal et la cour d’appel de Bari ;
2. Déclare, à la majorité, irrecevable le
grief tiré de l’article 5 de la Convention ;
3. Déclare, à l’unanimité, recevable le
grief tiré de l’article 2 du Protocole no 4 ;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu
violation de l’article 2 du Protocole no 4 ;
5. Déclare, à l’unanimité, recevable le
grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;
6. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu
violation de l’article 6 § 1 en raison du défaut de publicité des audiences
devant le tribunal et la cour d’appel de Bari ;
7. Dit, par quatorze voix contre trois,
qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 quant au droit à un procès
équitable ;
8. Dit, par douze voix contre cinq, qu’il
n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention ;
9. Dit, à l’unanimité,
a) que
l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes
suivantes :
i. 5 000
EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour
dommage moral ;
ii. 11 525
EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros), plus tout montant pouvant être dû
à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens;
b) qu’à
compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront
à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
10. Rejette, par seize voix contre une, la
demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en
français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits
de l’homme, à Strasbourg le 23 février 2017.
Johan CallewaertAndrás Sajó
Adjoint au greffierPrésident
Au présent
arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74
§ 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion
concordante commune aux juges Raimondi, Villiger, Šikuta, Keller et Kjølbro ;
– opinion
concordante du juge Dedov ;
– opinion
en partie dissidente du juge Sajó ;
– opinion
en partie dissidente du juge Vučinić;
– opinion
en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque ;
– opinion
en partie dissidente du juge Kūris.
A.S.
J.C.
OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES RAIMONDI,
VILLIGER, ŠIKUTA, KELLER ET KJØLBRO
1. Nous
sommes d’accord avec la conclusion de la Grande Chambre selon laquelle il y a
eu en l’espèce violation de l’article 2 du Protocole no 4. En revanche, nous
n’adhérons pas à la base juridique sur laquelle on fait reposer cette
conclusion, à savoir le manque de prévisibilité de la mesure de surveillance
spéciale assortie d’une assignation à résidence, donc un défaut de qualité de
la loi no 1423 de 1956 qui, dans l’ordre juridique italien, a permis
l’application de la mesure litigieuse.
2. Cette
solution n’est pas en conformité avec toute une série d’affaires dans
lesquelles la Cour a été confrontée aux mesures de prévention personnelles
prévues par la législation italienne.
3. Les
organes de la Convention ont amorcé leur jurisprudence en la matière dans la
décision Guzzardi
c. Italie (no 7960/77, décision de la Commission du 5 octobre 1977, non
publiée). Dans une affaire ultérieure soumise par le même requérant, la Cour a
conclu, en raison des circonstances particulières de l’affaire, que l’intéressé
avait été « privé de sa liberté » au sens de l’article 5 de la Convention (Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 95, série A no 39).
4. Depuis
l’affaire Guzzardi, la Cour a dans plusieurs affaires
(Raimondo c. Italie, 22 février 1994, § 39, série A no 281‑A, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 193, CEDH
2000‑IV, Vito Sante Santoro
c. Italie, no 36681/97, § 37, CEDH 2004‑VI ; voir aussi, mutatis
mutandis, Villa c. Italie, no 19675/06, §§ 43-44, 20 avril 2010, et Monno c. Italie (déc.), no 18675/09, §§ 21-23, 8 octobre
2013) examiné la surveillance spéciale avec assignation à résidence et les
autres restrictions associées (interdiction de sortir pendant la nuit,
interdiction de s’éloigner du lieu de résidence, interdiction de fréquenter les
cafés, cabarets, salles de jeux et lieux de prostitution et de participer à des
réunions publiques, interdiction de fréquenter des personnes ayant fait l’objet
de condamnations et soumises à des mesures de prévention). Aucune de ces
affaires ne présentant des circonstances particulières comparables à celles de
l’affaire Guzzardi, la Cour a examiné les mesures de
prévention en question sous l’angle de l’article 2 du protocole no 4.
5. Dans ces
affaires, la Cour n’a trouvé aucun défaut – du point de vue de la prévisibilité
et, plus généralement, de la qualité de la loi – à la législation applicable,
en particulier la loi no 1423 de 1956. Il est vrai que dans l’affaire Vito Sante Santoro la Cour a constaté
que la mesure litigieuse non seulement n’était pas nécessaire, mais également
qu’elle n’était pas « prévue par la loi » (Vito Sante
Santoro, précité, § 46). Toutefois, dans ce dernier
cas il était question d’une mesure appliquée en dehors du cadre légal, à savoir
une mesure préjudiciable à la liberté de circulation du requérant qui était
caduque ; donc même dans cette affaire la Cour n’a pas formulé de critiques
concernant la qualité de la loi litigieuse.
6. En
revanche, le présent arrêt, d’une part, considère que la loi no 1423/1956 ne
définissait pas les personnes auxquelles les mesures de prévention étaient
applicables avec suffisamment de clarté pour satisfaire à l’exigence de
prévisibilité de la loi et, d’autre part, estime que la même loi était libellée
en des termes vagues et généraux qui ne définissaient pas avec une précision et
une clarté suffisantes le contenu de certaines mesures de prévention, et donc
que cette loi ne remplissait pas les conditions de prévisibilité telles
qu’elles se dégagent de la jurisprudence de la Cour (paragraphe 125 de
l’arrêt).
7. À notre
avis, il n’était pas nécessaire d’abandonner une jurisprudence qui, s’étalant
sur plusieurs années, s’était désormais consolidée, d’autant que les
juridictions italiennes, en premier lieu la Cour constitutionnelle, avaient
développé une jurisprudence précise exactement sur la question de savoir si la
législation nationale sur l’application des mesures de prévention était
suffisamment claire et prévisible, déclarant inconstitutionnelles, le cas
échéant, des parties de la législation qui ne répondaient pas à ces critères.
Ainsi, dans son arrêt nº 177 de 1980, la Cour constitutionnelle a constaté que
l’une des catégories de sujets présentées à l’article 1 de la loi de 1956 en
vigueur à l’époque, celle des personnes « que certains signes extérieurs
port[ai]ent à considérer enclines à la délinquance »,
n’était pas suffisamment détaillée par la loi et ne permettait pas de prévoir
qui pouvait être visé par les mesures de prévention et dans quelles conditions,
en raison de la trop grande marge d’appréciation des autorités. La Cour
constitutionnelle a également conclu à la violation du principe de légalité
applicable en matière de mesures de prévention, selon l’article 13 (liberté
personnelle) et l’article 25 (mesures de sûreté).
8. La
longue série des arrêts de la Cour constitutionnelle italienne qui se sont
penchés sur cette question est amplement évoquée dans l’arrêt (paragraphes
43-61). Nous attirons en particulier l’attention sur l’arrêt nº 177 de 1980
susmentionné, qui contient une synthèse de la jurisprudence d’alors, concernant
notamment l’identification des destinataires des mesures de prévention, ainsi
que sur l’arrêt no 282 de 2010, qui porte en particulier sur les mesures applicables.
9. À nos
yeux, cette jurisprudence a expliqué de manière satisfaisante que, nonobstant
la nature assez générale des prévisions législatives, il n’y avait pas de
problème de prévisibilité concernant l’identification des destinataires des
mesures de prévention ou les mesures applicables.
10. À
propos de ces dernières mesures, dans l’affaire objet de l’arrêt no 282 de
2010, la Cour constitutionnelle était appelée à déterminer si l’article 9 § 2
de la loi no 1423 du 27 décembre 1956 était compatible avec l’article 25,
alinéa 2, de la Constitution en ce qu’il sanctionnait pénalement le non-respect
de l’obligation formulée à l’article 5, alinéa 3, première partie, de ladite
loi, à savoir de « vivre honnêtement et dans le respect des lois et de ne pas
prêter à soupçon », et s’il violait le principe de la prévision législative
exhaustive des situations où la norme pénale trouve à s’appliquer (principio di tassatività).
11. Cet
arrêt de 2010 a expliqué, à notre avis de manière convaincante, pourquoi
l’obligation de « vivre honnêtement », si elle était appréciée de manière
isolée, apparaissait en soi générique et susceptible de revêtir des
significations multiples ; et pourquoi, si au contraire on la plaçait dans le
contexte de toutes les autres obligations posées par l’article 5 de la loi no
1423/1956, elle avait un contenu plus clair, impliquant un devoir pour la
personne concernée d’adapter sa conduite à un mode de vie respectant l’ensemble
des prescriptions susmentionnées, de sorte que la formule « vivre honnêtement »
se concrétise et s’individualise. L’arrêt en question a précisé, d’autre part,
que concernant l’obligation de « ne pas prêter à soupçon », il ne fallait pas
davantage la prendre isolément mais dans le contexte des autres obligations
posées par l’article 5 de la loi no 1423/1956, comme l’interdiction faite à la
personne soumise à une surveillance spéciale de fréquenter certains lieux ou
individus.
12. L’arrêt
de la Grande Chambre relève que l’interprétation livrée par la Cour
constitutionnelle dans son arrêt no 282 de 2010 est postérieure aux faits de
l’espèce et qu’il était dès lors impossible au requérant d’établir, à partir de
la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrêt, la teneur
précise de certaines des obligations auxquelles il était soumis dans le cadre
de la surveillance spéciale (paragraphe 120 de l’arrêt). À notre avis, cette
position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en l’espèce,
dans la mesure où elle ne fait que confirmer une situation qui existait déjà au
moment des faits.
13. Le fait
que la portée et le contenu de la loi no 1423/1956 avaient été clarifiés par la
jurisprudence nationale – qui avait introduit des garanties importantes et
avait spécifié les conditions qui devaient être réunies pour que l’on puisse
imposer des mesures de prévention – est clairement illustré par la décision de
la cour d’appel de Bari du 22 janvier 2009. En effet, le raisonnement de cette
cour et sa manière d’appliquer la loi no 1423/1956, telle qu’interprétée par la
jurisprudence, montrent qu’il y avait d’importantes garanties et des conditions
à remplir. On peut le voir dans le raisonnement de la cour d’appel sur le terme
de « dangerosité actuelle » de la personne concernée. La cour a en effet
souligné qu’il fallait prendre en compte plusieurs éléments, y compris des
condamnations pénales antérieures, des investigations et des activités en
cours, le niveau de vie et les moyens de subsistance de l’intéressé ainsi que
les personnes fréquentées. Il s’ensuit que l’évaluation appelait des éléments
objectifs, une base factuelle suffisante ainsi que des preuves et des
renseignements à jour. C’est justement son application des conditions telles
qu’elles avaient été établies par la jurisprudence qui a amené la cour d’appel
de Bari à infirmer le jugement du tribunal de la même ville. Cela va nettement
dans le sens de la reconnaissance de la prévisibilité de l’application de la
loi no 1423/1956. En tout état de cause, le requérant – en s’entourant au
besoin de conseils éclairés – était à même de prévoir, à un degré raisonnable
dans les circonstances de l’espèce, s’il pouvait relever de l’une des
catégories de personnes visées par les mesures de prévention, ainsi que la
nature et la durée des mesures applicables.
14. Nous
estimons donc que les mesures litigieuses étaient bien « prévues par la loi ».
15. Nous
pensons également que les mesures de restriction à la liberté de circulation
poursuivaient des buts légitimes, notamment le « maintien de l’ordre public »
et la « prévention des infractions pénales » (Monno,
décision précitée, § 26, et Villa, précité, § 46).
16. En
revanche, nous sommes d’avis que les mesures litigieuses n’étaient pas, pour
les raisons qui suivent, « nécessaires dans une société démocratique ».
17. Une
ingérence est considérée comme « nécessaire dans une société démocratique »
pour atteindre un but légitime si elle répond à un « besoin social impérieux »
et si elle est proportionnée au but légitime poursuivi. À cet égard, il faut
que les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier
apparaissent « pertinents et suffisants ». S’il appartient aux autorités
nationales de juger les premières si toutes ces conditions se trouvent
remplies, c’est à la Cour qu’il revient de trancher en définitive la question
de la nécessité de l’ingérence au regard des exigences de la Convention (voir,
par exemple, S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos
30562/04 et 30566/04, § 101, CEDH 2008, et Coster c. Royaume-Uni [GC], no
24876/94, § 104, 18 janvier 2001).
18. En
outre, pour ce qui est de la proportionnalité de la mesure incriminée, cette
dernière ne se justifie qu’aussi longtemps qu’elle tend effectivement à la
réalisation de l’objectif qu’elle est censée poursuivre (Villa, précité, § 47,
et, mutatis mutandis, Napijalo c. Croatie, no
66485/01, §§ 78-82, 13 novembre 2003, et Gochev c.
Bulgarie, no 34383/03, § 49, 26 novembre 2009). Par ailleurs, fût-elle
justifiée au départ, une mesure restreignant la liberté de circulation d’une
personne peut devenir disproportionnée et violer les droits de cette personne
si elle se prolonge automatiquement pendant longtemps (Luordo
c. Italie, no 32190/96, § 96, CEDH 2003-IX, Riener c.
Bulgarie, no 46343/99, § 121, 23 mai 2006, et Földes
et Földesné Hajlik c.
Hongrie, no 41463/02, § 35, CEDH 2006-XII).
19. En tout
état de cause, les autorités internes ont l’obligation de veiller à ce que
toute atteinte portée au droit d’une personne découlant de l’article 2 du
Protocole no 4 soit, dès le départ et tout au long de sa durée, justifiée et
proportionnée au regard des circonstances. Ce contrôle doit normalement être
assuré, au moins en dernier ressort, par le pouvoir judiciaire, car il offre
les meilleures garanties d’indépendance, d’impartialité et de régularité des
procédures (Gochev, précité, § 50, et Sissanis c. Roumanie, no 23468/02, § 70, 25 janvier 2007).
L’étendue du contrôle juridictionnel doit permettre au tribunal de tenir compte
de tous les éléments, y compris ceux liés à la proportionnalité de la mesure
restrictive (voir, mutatis mutandis, Le Compte, Van Leuven
et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, § 60, série A
no 43).
20. En
l’occurrence, on peut noter que le tribunal de Bari a décidé de soumettre le
requérant à la mesure de surveillance spéciale sur la base de certains indices
qui l’avait amené à conclure que l’intéressé se livrait à une activité
délictueuse. Selon la cour d’appel, certaines infractions imputées au requérant
avaient en réalité été commises par une autre personne, qui portait les mêmes
nom et prénom que lui. De plus, la cour d’appel a souligné dans son arrêt que
le tribunal n’avait pas pris en considération le fait que le requérant
travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qu’aucun élément concret
suggérant des liens avec des repris de justice n’avait été découvert. Elle a
ajouté que le tribunal avait omis de faire une appréciation approfondie de la
dangerosité du requérant tenant compte de ce qu’il avait entièrement purgé sa
peine et n’avait plus commis d’infractions après sa libération.
21. Il
ressort de la décision de la cour d’appel de Bari que les motifs invoqués par
le tribunal pour appliquer la mesure de prévention au requérant n’étaient pas
pertinents et suffisants. Comme la cour d’appel l’a souligné, il n’existait pas
de faits précis permettant d’établir une dangerosité persistante du requérant.
Par conséquent, la mesure de prévention n’aurait pas dû être appliquée. Ce
constat suffit pour conclure à la violation de l’article 2 du Protocole no 4.
22. En
outre, il faut remarquer que la cour d’appel aurait dû statuer dans le délai de
trente jours prévu par les dispositions de droit interne. Or, il lui a fallu
jusqu’au 4 février 2009, date de la notification de la décision au requérant,
c’est-à-dire six mois et vingt et un jours après la date de l’introduction du
recours (14 juillet 2008), à partir de laquelle le délai avait commencé à
courir. Dès lors, nous sommes d’avis que la violation constatée ci-dessus a été
aggravée par le long laps de temps qui s’est écoulé entre le dépôt de l’appel et
la décision rendue par la cour d’appel de Bari.
23. Un
surcroît de diligence et de rapidité s’imposait dans l’adoption d’une décision
touchant aux droits garantis par l’article 2 du Protocole no 4 dans des
circonstances telles que celles de la présente affaire, où le requérant a été
soumis à la mesure de prévention à partir de la notification de la décision du
tribunal, le 4 juillet 2008, jusqu’à la notification de la décision de la cour
d’appel le 4 février 2009, c’est-à-dire pendant sept mois, dont six mois et
vingt et un jours dans l’attente de la décision de la cour d’appel. Nous
estimons que cet intervalle était de nature à rendre disproportionnées les
restrictions à la liberté de circulation du requérant. Pour ce qui est de
l’argument du Gouvernement relatif à l’action en responsabilité contre les
magistrats que le requérant aurait pu intenter, nous notons que le Gouvernement
n’a produit aucun exemple démontrant qu’une telle action aurait été exercée
avec succès dans des circonstances semblables à celles de la présente espèce.
24. À la
lumière de ce qui précède, nous estimons que les restrictions à la liberté de
circulation du requérant ne pouvaient passer pour « nécessaires dans une
société démocratique ».
25. Ces
éléments nous suffisent pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 2 du
Protocole no 4 en raison du manque de proportionnalité de la mesure de
surveillance spéciale assortie d’une assignation à résidence.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE
DEDOV
(Traduction)
Je souscris
sans réserve au but légitime énoncé par la Cour constitutionnelle italienne
dans son arrêt no 2 de 1956 : « Le « bien vivre ensemble » est indéniablement
le but recherché par un État de droit, libre et démocratique ». Lorsque la paix
sociale est installée, les libertés et droits fondamentaux sont pleinement
respectés. Nous savons toutefois qu’il n’est pas si facile de se faire une
place dans la société, de réussir à s’y intégrer, de faire appel à ses talents
et aptitudes pour trouver le métier qui nous convient et prendre part au
partage du travail de manière amicale et pacifique. Sur ce chemin toujours
difficile, les crises psychologiques individuelles sont inévitables. Tous les
individus ne possèdent pas suffisamment de culture et d’autodiscipline pour
éviter les comportements offensants, violents ou pour d’autres raisons
antisociaux, ou, plus généralement, la marginalisation.
Le problème
est que l’on ne peut pas atteindre le but susmentionné uniquement par le biais
de mesures coercitives. Je souhaite encourager les autorités nationales à
développer leur ordre interne. Je pense qu’il conviendrait de mettre davantage
l’accent sur la réinsertion sociale et psychologique (en sus de la sanction
elle-même). Cette approche pourrait être appliquée principalement aux anciens
délinquants, mais d’autres personnes pourraient aussi faire l’objet de telles
mesures sur une base volontaire. À cet égard, l’analyse de la qualité de la loi
contenue dans le présent arrêt aurait pu être complétée par la conclusion que
les mesures coercitives en cause ne sont pas proportionnées, du fait qu’en
elles-mêmes elles ne permettent pas d’atteindre le but légitime poursuivi. Une
assignation à résidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas
convaincre la personne concernée de changer de mode de vie. De plus, cela
signifie que la conclusion relative à la proportionnalité aurait évoqué l’art
de faire des lois et non la mise en œuvre concrète des mesures.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ
(Traduction)
J’ai voté
en faveur du constat de violation de l’article 6 et estime également qu’il y a
eu violation de l’article 2 du Protocole no 4 (défaut de prévisibilité à la
fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont applicables (article
1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mêmes (articles 3 et 5 de la loi de
1956)). Je suis toutefois au regret de ne pouvoir souscrire à la position de la
majorité concernant les articles 5 et 6 (volet pénal), et ce principalement
pour les raisons formulées dans l’opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU
JUGE VUČINIĆ
J’ai voté
en faveur d’un constat de violation des articles 6 et 13, pour les raisons
exposées dans la deuxième partie de l’opinion séparée du juge Pinto de
Albuquerque.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU
JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
(Traduction)
Table des
matières
I. Introduction (§ 1)
Première
partie (§§ 2-31)
II. La nature de la privation de liberté dans le
contexte des mesures de prévention (§§ 2-11)
A. Prius ergo est suspicio
(§§ 2-8)
B. La frode delle etichette dans le contexte des mesures de prévention (§§
9-11)
III. Garanties matérielles relatives aux mesures
de prévention (§§ 12-31)
A. Applicabilité de l’article 5 de la Convention
(§§ 12-20)
B. Application de l’article 5 en l’espèce :
absence de motif tiré de la Convention justifiant une privation de liberté (§§
21-31)
Deuxième
partie (§§ 32-58)
IV. Garanties procédurales relatives aux mesures
de prévention (§§ 32‑48)
A. Applicabilité de l’article 6 § 1 (volet
pénal) de la Convention (§§ 32-43)
B. Application de l’article 6 en l’espèce :
absence de procès public et équitable (§§ 44-48)
V. Recours internes dans le cas d’espèce (§§
49-58)
A. Absence de contrôle juridictionnel à bref délai
(§§ 49-53)
B. Défaut d’indemnisation pour mesure de
prévention illégale (§§ 54‑58)
VI. Conclusion (§§ 59-60)
I. Introduction (§ 1)
1. Je
désapprouve la décision de déclarer irrecevables les griefs tirés des articles
5 et 6 (volet pénal) de la Convention européenne des droits de l’homme (« la
Convention »). À mes yeux, les mesures appliquées au requérant en vertu de la
loi no 1423/1956 (« la loi de 1956 »)[2], à savoir une mesure de surveillance
spéciale de police assortie d’une assignation à résidence d’une durée de deux
ans et d’autres mesures restrictives, revêtaient un caractère pénal et
impliquaient pour le requérant une privation du droit à la liberté. Pour les
raisons exposées ci-après, ces mesures auraient dû être associées aux garanties
matérielles et procédurales de l’article 5 et de l’article 6 (volet pénal) de
la Convention.
Ayant voté
contre la décision d’irrecevabilité, j’ai voté sur le fond en faveur d’un
constat de violation de l’article 2 du Protocole no 4, en raison du défaut de
prévisibilité non seulement de la liste des personnes auxquelles les mesures
pouvaient être appliquées (article 1 de la loi de 1956), mais aussi des mesures
elles-mêmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956). Je souscris sans réserve au
raisonnement contenu dans l’arrêt sur la question spécifique du défaut de
prévisibilité de ces dispositions.
La présente
opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la décision
d’irrecevabilité et, en conséquence, de tirer de l’applicabilité des articles 5
et 6 (volet pénal) aux faits de l’espèce les conclusions qui s’imposent quant
au fond. Par ailleurs, j’ai voté en faveur d’un constat de violation de
l’article 13, pour des raisons liées aux déficiences des voies de recours
internes dans la présente affaire.
Première
partie (§§ 2-31)
II. La nature de la privation de liberté dans le
contexte des mesures de prévention (§§ 2-11)
A. Prius ergo est suspicio
(§§ 2-8)
2. La
Constitution italienne ne prévoit pas de mesures de prévention personnelles (misure di prevenzione personali)[3]. Les dispositions pertinentes des articles 25
et 27 sur les mesures afflictives énoncent simplement des règles sur les
sanctions pénales (pene) et les mesures de sûreté (misure di sicurezza).
Dans un
arrêt crucial de 1964, la Cour constitutionnelle a affirmé « le principe selon
lequel le développement ordonné et pacifique des relations sociales doit être
garanti non seulement par un système de normes sanctionnant les actes
illicites, mais aussi par un système de mesures de prévention contre le risque
que de tels actes se produisent à l’avenir » ([il] principio
secondo cui l’ordinato e pacifico svolgimento
dei rapporti sociali deve essere garantito,
oltre che dal sistema delle norme repressive di
fatti illeciti, anche da un
sistema di misure preventive contro il pericolo del loro
verificarsi in avvenire).
Ainsi, le giudice delle leggi
a estimé les dispositions de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution
italienne, notamment avec le principe de légalité contenu à l’article 13
relatif à la liberté personnelle et à l’article 25 § 3 relatif aux mesures de
sûreté[4].
Dans
d’autres décisions, la Cour constitutionnelle s’est montrée moins précise et a
examiné des recours sous l’angle des articles 13 et 25 en général, sans
indiquer si elle se penchait sur l’aspect lié aux infractions pénales ou sur
celui relatif aux mesures de sûreté. Quoi qu’il en soit, en appréciant le
respect du principe de légalité la Consulta a toujours eu une approche plus
souple dans le contexte des mesures de prévention que dans celui des
dispositions relevant du droit pénal stricto sensu. Elle a déclaré de façon
elliptique que le critère de précision pour les dispositions régissant les
mesures de prévention ne voulait pas dire « moins de rigueur, mais une rigueur
différente » (non vuol dire minor
rigore, ma diverso rigore) en regard du critère requis pour les dispositions
de droit pénal[5].
La Cour
constitutionnelle a également considéré que les mesures de prévention n’étaient
pas contraires au principe de la présomption d’innocence. Le raisonnement est
étrange. Les juges du Palazzo della
Consulta ont argué que la présomption d’innocence n’entrait pas en ligne de
compte dans les mesures de prévention en ce que celles-ci ne se fondaient pas
sur la culpabilité et ne touchaient pas à la responsabilité pénale d’un
individu. En même temps, ils ont considéré que les mesures de prévention ne
dérogeaient pas non plus à ce principe, en ce que de « simples soupçons » (semplici sospetti) basés sur des
appréciations purement subjectives et invérifiables (valutazioni
puramente soggettive e incontrollabili) ne suffiraient pas à rendre ces mesures
applicables[6].
Le
législateur a réagi à cette jurisprudence par la loi no 327/1988, qui a retiré
de la loi de 1956 deux catégories de suspects – premièrement, les « oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro » et, deuxièmement, « coloro
che svolgono abitualmente altre attività contrarie alla morale pubblica
e al buon costume » – et imposé que les trois
catégories restantes de personnes auxquelles la loi s’appliquait fussent
déterminées « sur la base d’éléments factuels » (sulla
base di elementi di fatto).
3. En
matière constitutionnelle, rien n’a changé en Italie depuis 1964 concernant la
compatibilité du système des mesures de prévention personnelles avec la
Constitution. Certes, plus tard, il est arrivé quelquefois au giudice delle leggi de constater
la violation de la Constitution, et ce en raison de questions très
spécifiques[7]. Comme l’indique l’arrêt de la Grande Chambre, en 1970 il a jugé
que les personnes concernées devaient être assistées par un défenseur lors
d’une procédure relative à l’application de telles mesures. En 1980, il a
estimé que l’une des catégories de sujets, celle des personnes « que certains
signes extérieurs port[ai]ent à considérer enclines à
la délinquance », n’était pas suffisamment détaillée par la loi. En 2010, il a
jugé inconstitutionnelle l’impossibilité pour l’intéressé de demander pendant
la procédure d’application des mesures de prévention une audience publique, que
ce soit en première instance ou en appel. En substance, le régime de 1956 est
cependant resté le même, avec l’approbation des juges du Palazzo
della Consulta.
4. En
réalité, des mesures de prévention personnelles étaient appliquées en vertu de
la loi de 1956 à des personnes soupçonnées d’infractions avant leur
condamnation et en cas d’acquittement[8] ou de sentenza
di proscioglimento prononcée en vertu de l’article
530 § 2 du code de procédure pénale pour preuves insuffisantes ou
contradictoires[9]. Malgré la séparation formelle entre la procédure pénale,
régie par le code de procédure pénale, et la procédure relative à l’application
de mesures de prévention, régie par la loi de 1956, les éléments de preuve
recueillis dans le cadre de la première pouvaient dans le cadre de la seconde
servir d’indicateur du besoin de mesures de prévention[10]. Cela a bien sûr
rendu possible l’instrumentalisation des mesures de prévention à des fins de «
punition » des personnes mises hors de cause à l’issue d’une procédure pénale.
Dans ces conditions, les mesures de prévention n’étaient rien d’autre que des
sanctions pénales de « deuxième classe », des « peines fondées sur le soupçon »
(pene del sospetto[11]). Même après la réforme opérée par la loi no
327/1988, une probatio minus plena[12]
suffisait pour placer des individus dans la ligne de mire du système de justice
pénale, avec son arsenal de mesures de restriction fondées sur la loi de 1956.
5. Pire
encore, les mesures de prévention basées sur la loi de 1956 étaient par essence
fortement désocialisantes, du fait des restrictions
draconiennes qui frappaient la vie personnelle, professionnelle et sociale du
suspect, s’ajoutant à la privation de liberté appliquée pendant une partie de
la journée. Ces mesures avaient un caractère intrinsèquement « anti‑resocialisant », augmentant par là même la
probabilité que le suspect commît des infractions pénales quand il contrevenait
au régime de restrictions imposé, car pareil manquement était en soi punissable
comme une infraction pénale passible d’une lourde peine d’emprisonnement.
Ainsi, comme Bricola l’a fort justement déclaré dès 1974, l’application de
mesures personnelles aux fins de la prévention des infractions entraînait la
commission de nouvelles infractions pénales, lesquelles donnaient une base
légale à des poursuites pénales contre un individu qui au départ ne pouvait pas
être poursuivi faute de preuves[13]. En fait, la logique tortueuse de la loi de
1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogène[14].
En plus de
leur caractère « anti-resocialisant », ces mesures avaient un effet
discriminatoire, car la loi considérait leur application comme un facteur aggravant
dans le cadre de la fixation des peines pour diverses infractions pénales[15].
En fait, cette aggravation n’avait rien à voir avec l’objet de l’infraction de
base, et le facteur aggravant résultait donc exclusivement de l’étiquette
négative que le législateur mettait au suspect ayant fait l’objet de mesures de
prévention[16]. Partant, parmi les nombreux effets personnels dommageables
desdites mesures, leur effet intrinsèquement déshonorant avait un impact non
seulement sociologique mais aussi sur l’application de la loi.
6. En
outre, le cumul de mesures de prévention personnelles et de sanctions de droit
pénal n’était même pas limité par le principe ne bis in idem, compte tenu du
principe de « compatibilité logique » entre les deux, distillé par la
jurisprudence relative à certaines dispositions de loi[17]. En fait, la loi
favorise une telle jurisprudence. L’article 166 § 2 du code pénal permet
l’application de mesures préventives même en cas de sursis associé à la peine
prononcée lors d’un jugement pénal, si d’autres éléments de preuve peuvent être
trouvés aliunde[18]. En conséquence dudit principe de
compatibilité logique, il arrivait même que des mesures de prévention soient
combinées à une peine prononcée dans le cadre d’une transaction pénale (sentenza di pattegiamento)[19],
ou à une réclusion à perpétuité (condana all’ ergastolo)[20].
7. L’effet
punitif des mesures de prévention fondées sur la loi de 1956 était exacerbé par
le fait que celles-ci étaient appliquées alors que la procédure pénale était
encore en cours, sur la base des circonstances qui étaient visées par
l’instruction dans le cadre de ladite procédure. Dans ce contexte, les mesures
de prévention permettaient de contourner les exigences temporelles plus
strictes qui sont associées à l’applicabilité de mesures conservatoires (misure cautelari) selon les
règles ordinaires de la procédure pénale[21]. En pratique, l’interchangeabilité
entre les mesures de prévention et les mesures conservatoires, dont la nature,
le régime et les effets sont différents, a « escamoté » le droit contenu dans
les livres[22]. Pendant une procédure pénale, les mesures de prévention fondées
sur la loi de 1956 fonctionnaient en réalité comme un puissant objet de
marchandage « endo-procédural » pour la police et les
procureurs. Pour dire les choses crûment, l’ascendant tactique de la police et
du parquet sur la défense était grandement renforcé par l’utilisation de
mesures de prévention comme moyen de faire pression sur une personne présumée
innocente afin qu’elle coopère dans le cadre de la procédure pénale en cours.
8. En
définitive, les misure di prevenzione
personali ont abandonné le principe de responsabilité
personnelle relatif à un acte. Pour reprendre les termes d’Elia, le jugement
préventif « disqualifie socialement une personne, sans avoir au préalable
disqualifié un fait » (un giudizio quale si squalifia socialmente una persona, senza prima poter squalificare un fatto)[23]. En
fait, les mesures fondées sur la loi de 1956 s’appliquaient ante o praeter delictum. Basées sur un
jugement hautement indéterminé et probabiliste quant à la conduite future du
suspect (Prius ergo est suspicio[24]), elles
ciblaient celui-ci indépendamment de toute preuve d’une infraction pénale
passée, s’appuyant sur de supposées « typologies de délinquants » (tipologie d’autore). Dans ce
contexte, la garantie d’un contrôle juridictionnel n’était qu’illusion[25]. La
loi de 1956 est devenue l’instrument d’une politique pénale fondée sur le Täter-Typus qui a trahi la règle
fondamentale jadis si éloquemment formulée par Bettiol
pour le droit pénal : Im Anfang ist
die Tat[26].
B. La frode delle etichette dans le contexte des mesures de prévention (§§
9-11)
9. Jusqu’à
présent, la Cour de Strasbourg n’a guère aidé à contrer cette « fraude à
l’étiquette » (frode delle etichette).
Appelée à apprécier la compatibilité des mesures de prévention avec la
Convention, elle s’est concentrée sur la procédure relative à l’application de
telles mesures – dans laquelle était évaluée la dangerosité de la personne
concernée – et vérifié si les droits de la défense avaient été respectés[27].
Comme nous le démontrerons plus loin, après le crucial arrêt Guzzardi c. Italie[28], la Cour a toujours évité d’opérer
une analyse approfondie des caractéristiques matérielles des mesures de
prévention fondées sur la loi de 1956, se contentant de présumer leur légalité.
L’affaire Monno représente la dernière occasion en
date qu’elle ait eue de se livrer à un tel exercice ; or elle n’a pas saisi
cette opportunité et, à la majorité, a déclaré la requête irrecevable[29].
10. De
plus, la Cour a estimé que l’annulation d’une mesure de prévention par la cour
d’appel n’affectait pas, en tant que telle, la légalité de l’ingérence pour la
période précédente, au motif que la décision de la juridiction de première
instance était prima facie valide et efficace
jusqu’au moment de son annulation par la juridiction supérieure[30]. En outre,
elle a jugé que le non-respect d’un délai légal ne signifiait pas qu’il y avait
eu rupture du juste équilibre[31].
11. Au
surplus, la Cour a toujours dit que le fait d’exclure le public d’une procédure
relative à l’application de mesures de prévention patrimoniales emportait
violation de l’article 6 § 1 de la Convention[32]. Toutefois, il n’y avait pas
jusqu’à présent de jurisprudence semblable concernant les mesures de prévention
personnelles.
En un mot,
la Cour pour l’heure n’était pas parvenue à assurer les garanties minimales de
la légalité matérielle et de l’équité procédurale dans le domaine hautement
intrusif des mesures de prévention personnelles. Le présent arrêt change le
cours des choses.
III. Garanties matérielles relatives aux mesures
de prévention (§§ 12-31)
A. Applicabilité de l’article 5 de la Convention
(§§ 12-20)
12. Sous
l’angle de l’article 5, le requérant se plaint d’avoir subi une privation
arbitraire et excessive de sa liberté. Pour déterminer si l’article 5 de la
Convention est applicable, la Cour doit appliquer les critères énoncés dans
l’arrêt Guzzardi c. Italie[33]. Afin de déterminer si
un individu se trouve « privé de sa liberté » au sens de l’article 5, il faut
partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme
le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure
considérée. Entre privation et restriction de liberté, il n’y a qu’une
différence de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence[34]. De plus,
pour évaluer la nature des mesures de prévention prévues par la loi de 1956, il
faut les examiner « accumulées et combinées »[35]. Enfin, la Cour a également
dit que la démarche consistant à prendre en compte le « genre » et les «
modalités d’exécution » de la mesure en question lui permet d’avoir égard au
contexte et aux circonstances spécifiques entourant les restrictions à la
liberté qui s’éloignent de la situation type qu’est l’incarcération[36].
13. Dans
l’affaire Guzzardi, la Cour, appelée à examiner les
mesures de prévention personnelles appliquées au requérant, a estimé que
celui-ci avait été privé de sa liberté et qu’il y avait eu violation de
l’article 5. En effet, soupçonné d’appartenir à un « clan mafieux », le
requérant avait été contraint de vivre sur une île dans une zone – non clôturée
– de 2,5 kilomètres carrés, en compagnie essentiellement de personnes se
trouvant dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance.
L’obligation de vivre sur l’île avait été assortie d’autres restrictions
comparables aux mesures imposées aux requérants dans les affaires mentionnées
ci-dessus[37].
14. Toutes
les autres affaires qui ont été examinées par la suite étaient similaires à
l’affaire Guzzardi puisque les restrictions étaient
les mêmes : se présenter une fois par semaine à l’autorité de police chargée de
la surveillance ; chercher du travail dans le délai d’un mois ; ne pas changer
de lieu de résidence ; vivre honnêtement et dans le respect des lois et ne pas
prêter à soupçon ; ne pas fréquenter des personnes ayant fait l’objet de
condamnations et soumises à des mesures de prévention ou de sûreté ; ne pas
rentrer le soir après vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six
heures, sauf en cas de nécessité et non sans avoir averti les autorités en
temps utile ; ne détenir ni porter aucune arme ; ne pas fréquenter les cafés,
cabarets, salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer à des
réunions publiques. La seule différence avec la situation dans l’affaire Guzzardi réside dans le fait que les requérants n’étaient
pas contraints de vivre sur une île. Sur ce fondement, ces affaires ont été
examinées exclusivement sous l’angle de l’article 2 du Protocole no 4[38].
15. Cette
jurisprudence est contradictoire. D’un côté, dans Guzzardi
la Cour a affirmé que les mesures de prévention appliquées au requérant en
vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberté. D’un autre côté,
dans les affaires italiennes postérieures à Guzzardi,
à commencer par le fâcheux arrêt Raimondo, la Cour a jugé que les mesures en
question ne constituaient pas une privation de liberté mais une simple
restriction à la liberté de circulation[39]. Je suis d’avis que la Cour devrait
revenir aux principes fondamentaux de l’approche Guzzardi,
comme elle l’a redit expressément dans Ciulla[40].
16. À mon
avis, si l’on compare les mesures imposées respectivement au requérant dans
l’affaire Guzzardi et au requérant dans l’affaire De
Tommaso, on constate que ces deux personnes ont été soumises aux mêmes
restrictions. Même si, à la différence du requérant dans l’affaire Guzzardi, le requérant en l’espèce n’était pas contraint de
vivre sur une île dans une zone – non clôturée – de 2,5 kilomètres carrés, le
cumul et la combinaison des mesures imposées dans le cas d’espèce ont impliqué une
privation de liberté – et pas seulement une restriction de celle-ci –, eu égard
surtout à l’obligation de ne pas rentrer le soir après vingt-deux heures et de
ne pas sortir le matin avant six heures.
En
pratique, cette prescription est restée en vigueur pendant 221 jours, combinée
avec les obligations suivantes : habiter dans une ville particulière; se
présenter une fois par semaine à l’autorité de police chargée de la
surveillance ; ne pas fréquenter des personnes ayant fait l’objet de
condamnations et soumises à des mesures de prévention ou de sûreté ; ne détenir
ni porter aucune arme ; ne pas fréquenter les cafés, cabarets, salles de jeux
et lieux de prostitution (osterie, bettole, sale giochi et luoghi onde si esercita il meretricio) ; ne pas participer à des réunions publiques,
quelles qu’elles soient (di qualsiasi genere) ; vivre honnêtement (vivere
onestamente). Enfin, le requérant a également fait
l’objet d’une restriction relative aux communications téléphoniques.
17.
Toutefois, à la différence du requérant dans l’affaire Guzzardi,
qui devait signaler par avance aux autorités le numéro et le nom de son
correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel téléphonique
longue distance, le requérant en l’espèce ne pouvait pas utiliser les
téléphones portables et appareils radioélectriques, mesure qui de toute
évidence aggravait sa situation.
18. Cela
étant établi, il faut souligner que l’on ne doit pas se baser exclusivement sur
la superficie du lieu où le requérant est obligé de résider pour constater que
l’article 5 est applicable. Pour ce qui est de la « situation concrète » du
présent requérant[41], j’observe que l’assignation à résidence a été imposée à
celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 février 2009), soit 1 768
heures (221 jours x 8 heures). Dans ce contexte, il convient de rappeler
l’existence d’une abondante jurisprudence de la Cour concernant des situations
où la privation du droit à la liberté a duré bien moins longtemps qu’en
l’espèce[42].
19. Par
ailleurs, on peut utilement se référer à la jurisprudence de la Cour sur
l’assignation à domicile. Selon la jurisprudence Buzadji,
l’assignation à domicile est une forme de privation de liberté au regard de
l’article 5 de la Convention[43]. L’assignation à domicile consiste en une
interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des
autorités compétentes. Selon l’article 284 du code de procédure pénale, en
règle générale la personne concernée ne peut quitter son domicile tant qu’elle
est l’objet d’un arresto domiciliario.
Le tribunal peut toutefois l’autoriser à quitter son domicile pour aller
travailler ou pour d’autres « occupations essentielles » (indispensabili
esigenze di vita). La
disposition en question ne précise pas combien d’heures l’intéressé peut passer
hors de chez lui, laissant cette décision à l’appréciation du tribunal. La
disposition relative à la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 354/1975)
renvoie audit article 284 pour le régime de la peine. Le non-respect de ces
dispositions est réprimé par l’article 385 du code pénal, qui prévoit une peine
d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an et, en cas de recours à la
violence, jusqu’à cinq ans.
En fait, la
situation en l’espèce n’était pas différente. Le requérant n’était pas libre de
quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures, à moins d’en avoir «
averti en temps utile » (tempestiva notizia) les autorités de surveillance et uniquement en cas
de « nécessité établie » (comprovata necessità). Le non-respect de cette obligation légale était
passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans.
20. Il
s’ensuit que l’article 5 est applicable à cette forme de privation de liberté,
comme il l’était dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux précitées). Il y aurait « fraude à
l’étiquette » (frode delle etichette)
si l’article 5 § 1 n’était pas jugé applicable aux mesures prévues par la loi
de 1956, eu égard à leur caractère fort intrusif en matière de limitation de la
liberté, en général et en l’espèce.
B. Application de l’article 5 en l’espèce :
absence de motif tiré de la Convention justifiant une privation de liberté (§§
21-31)
21. Je
souscris sans réserve à l’appréciation faite par la Grande Chambre de
l’insuffisante qualité de la loi examinée, concernant à la fois la liste des
personnes auxquelles les mesures peuvent être appliquées (article 1 de la loi
de 1956) et les mesures elles-mêmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956).
22. Les
louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour restreindre la
portée des notions employées dans ces dispositions ne suffisent pas à les
soustraire à la critique du défaut de prévisibilité. Le citoyen ordinaire ne
pouvait pas prévoir quel type concret de comportement risquait d’être englobé
par la disposition pertinente de la loi de 1956 et quelle mesure spécifique
serait appliquée à sa conduite, et ce pour la simple raison que la loi était
libellée de façon trop générale et pâtissait de notions vagues et indéfinies,
le tout combiné parfois à un ton moralisateur. Comme la loi n’établissait pas
de relation claire et prévisible entre tel type concret de comportement et
telle ou telle mesure pénale, une trop grande latitude était laissée à la
police et au parquet[44].
23. Mais ce
n’est pas tout. La Grande Chambre aurait dû aller plus loin dans son analyse.
En sus de la qualité déficiente de la loi, la privation du droit à la liberté
ante o praeter delictum aux
fins de la prévention des infractions pénales ne correspond à aucun des motifs
qui se trouvent énumérés de manière exhaustive à l’article 5 § 1 de la
Convention.
24. Je
répète ce que l’arrêt Guzzardi a déjà indiqué de
manière fort convaincante : l’assignation à résidence du requérant et
l’obligation qui lui a été faite de rester chez lui huit heures par jour, aux
fins de la prévention des infractions pénales, ne peuvent pas être considérées
comme englobées dans les situations énumérées de façon exhaustive à l’article 5
§ 1[45].
25.
L’article 5 § 1 a) de la Convention ne s’applique pas[46]. L’assignation à
résidence du requérant n’était pas une sanction pour une infraction donnée,
mais une mesure de prévention adoptée en raison d’indices relatifs à une
propension à la délinquance. La nature de cette mesure n’était pas celle d’une
détention qui se produit « à la suite et par suite » ou « en vertu » de la «
condamnation »[47].
26.
L’article 5 § 1 b) de la Convention ne s’applique pas[48]. La détention du
requérant n’est pas résultée d’une insoumission à une
ordonnance[49] ou de la nécessité de garantir l’exécution d’une obligation
spécifique prescrite par la loi[50].
27.
L’article 5 § 1 c) de la Convention ne s’applique pas[51]. Le requérant ne se
trouvait dans aucune des situations visées à l’alinéa c). Il n’y avait pas de «
raisons plausibles de [le] soupçonner [d’une] infraction », ni de « motifs
raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction
» ou de « s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ». La raison en est
simple : selon la jurisprudence fermement établie de la Cour, un soupçon aux
fins de l’article 5 § 1 c) doit porter sur une « infraction concrète et déterminée
»[52], ce qui n’était pas le cas dans la loi italienne de 1956.
28.
L’article 5 § 1 d) ne s’applique pas[53], car le requérant n’était pas mineur.
29.
L’article 5 § 1 e) ne s’applique pas[54], puisque le requérant ne relevait
d’aucune des catégories de personnes visées par cette disposition.
30. Enfin,
l’article 5 § 1 f) n’entre pas non plus en ligne de compte ici[55].
31. En
résumé, la privation de liberté du requérant est critiquable pour ces deux
raisons principales : premièrement, elle n’était pas compatible avec le
principe de légalité énoncé à l’article 5 § 1 de la Convention ; deuxièmement,
elle ne relevait d’aucune des exceptions prévues à l’article 5 § 1, alinéas a)
à f). Or l’arrêt de la Cour ne traite que le premier aspect. À mon avis, il
était impératif que la Cour aille plus loin et se penche sur la question
délicate de la compatibilité avec la Convention de la privation du droit à la
liberté ante o praeter delictum
aux fins de la prévention des infractions pénales.
Compte tenu
de ce qui précède, la conclusion s’impose : la Convention ne fournit pas de
motif justifiant la privation du droit à la liberté ante o praeter
delictum aux fins de la prévention des infractions
pénales.
Deuxième
partie (§§ 32-58)
IV. Garanties procédurales relatives aux mesures
de prévention (§§ 32‑48)
A. Applicabilité de l’article 6 § 1 (volet
pénal) de la Convention (§§ 32-43)
32. Selon
la jurisprudence Engel et autres[56], les critères pertinents dans la
détermination de l’applicabilité du volet pénal de l’article 6 sont la
qualification juridique de l’infraction en question en droit interne, la nature
même de l’infraction et la nature et le degré de sévérité de la sanction dont
l’intéressé est passible. Ces critères sont par ailleurs alternatifs et non
cumulatifs : pour que l’article 6 s’applique au titre des mots « accusation en
matière pénale », il suffit que l’infraction en cause soit, par nature, «
pénale » au regard de la Convention, ou ait exposé l’intéressé à une sanction
qui, par sa nature et son degré de gravité, ressortit en général à la « matière
pénale ». Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse
séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant
à l’existence d’une « accusation en matière pénale »[57].
33. Un
certain nombre d’arguments étayent le constat selon lequel les différentes
mesures de prévention fondées sur la loi de 1956 sont des mesures pénales au
regard des critères susmentionnés.
Premièrement,
les mesures de prévention personnelles prévues par la loi de 1956 reposaient
sur une « accusation en matière pénale » au sens de la Convention. L’accusation
consistait à imputer à l’intéressé une conduite dangereuse ou une personnalité
dangereuse faisant soupçonner un avenir criminel. Comme la Cour l’a souligné
dans Deweer[58], elle doit vérifier s’il y a eu des «
répercussions importantes sur la situation [du suspect] ». Cela correspond
parfaitement à la situation visée par la loi de 1956, car la personne concernée
par une telle procédure devenait un « suspect » (voir les termes
correspondants, à l’article 4 de la loi : sospetti ;
à l’article 5 : persona sospetta di vivere, di non dare ragione di sospetti).
34.
Deuxièmement, dès l’ouverture d’une procédure fondée sur la loi de 1956, le
suspect pouvait être soumis à des restrictions provisoires de ses droits en
vertu de l’article 6 de ladite loi.
35.
Troisièmement, si le soupçon était confirmé par un jugement, le suspect était
soumis à des mesures particulièrement restrictives touchant un large éventail
de libertés fondamentales, pour une période qui pouvait aller jusqu’à cinq ans.
En vertu de l’article 11 de la loi de 1956, cette limite pouvait être étendue
si le suspect commettait un délit pendant la période de surveillance spéciale.
La sévérité de ces mesures est indiscutable.
36.
Quatrièmement, en principe la Cour constitutionnelle elle-même considère les mesures
de prévention prévues par la loi de 1956 comme étant de nature pénale, au même
titre que les mesures de sûreté. Il y a longtemps, dans son arrêt no 68 de
1964, la haute juridiction a relevé « il fondamento
commune e la commune finalità » des mesures de sûreté
(misure di sicurezza) et
des mesures de prévention (misure di prevenzione)[59]. Dans son arrêt no 177 de 1980, la Cour
constitutionnelle a assimilé les mesures de prévention personnelles fondées sur
la loi de 1956 aux mesures de sûreté prévues par le code pénal, comme s’il
s’agissait de « deux espèces d’un même genre »[60]. En conséquence, elle leur
applique les garanties des principes de légalité et de présomption
d’innocence[61]. Cependant, à l’instar des mesures de sûreté, les mesures de
prévention ne sont pas limitées par le principe d’interdiction des lois
rétroactives[62].
37.
Cinquièmement, ces mesures avaient un but préventif général et spécial, comme
toute sanction pénale classique. En réalité, elles reposaient également sur le
caractère socialement répréhensible de la conduite du suspect, facteur qui se
trouve aussi à la base de l’application de toute sanction pénale. La doctrine
italienne a toujours souligné l’existence d’un lien étroit entre les mesures de
prévention personnelles et le droit pénal et ses objectifs[63].
38.
Sixièmement, le non-respect des mesures pénales prévues par la loi de 1956
était passible d’une peine qui pouvait aller jusqu’à cinq ans
d’emprisonnement[64]. Au caractère fortement répressif des mesures de
prévention s’ajoutait le fait que l’application de telles mesures était
considérée comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines
pour diverses infractions pénales relevant du code pénal.
39.
Septièmement, l’article 4 de la loi de 1956 prévoyait que les articles généraux
636 et 637 du code de procédure pénale, qui régissent la procédure pénale,
étaient également applicables aux mesures de prévention personnelles. La Cour
constitutionnelle a elle-même reconnu, dans son arrêt no 306 de 1997, qu’en dépit
des différences entre la procédure pénale ordinaire et la procédure relative
aux mesures de prévention, « la seconde est modelée selon les formes de la
première » (quest’ultimo si trova
ad essere modellato sulle forme del primo). La
notification relative à la tenue de l’audience dans la procédure relative aux
mesures de prévention s’apparentait à une véritable vocatio
in iudicium semblable au decreto
di citazione dans la procédure pénale ordinaire, et
la décision judiciaire imposant une mesure de prévention ressemblait à une
véritable sentenza, qui devait être motivée[65].
40.
Huitièmement, si les garanties d’un procès public et équitable s’appliquent aux
mesures de prévention patrimoniales, comme la Cour l’a déjà souligné dans les
affaires Bocellari et Rizza
et Capitani et Campanella (toutes deux précitées),
elles doivent a fortiori s’appliquer aux mesures de prévention personnelles (misure di prevenzione personali).
41.
Neuvièmement, compte tenu de la gravité des mesures applicables, il serait
inconcevable que le suspect, dans une procédure visée par la loi de 1956, n’ait
pas le droit d’être informé de l’accusation portée contre lui (article 6 § 3
a)), le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la
préparation de sa défense, le droit de se défendre lui-même et de présenter les
preuves à décharge (article 6 § 3 b) et c), et le droit à l’assistance d’un
défenseur de son choix (6 § 3 c)). Ces exigences fondamentales associées à la
procédure pénale s’appliquent de même dans le cadre de la loi de 1956 : ainsi,
« l’intéressé peut présenter des observations et se faire représenter par un
avocat » (arrêt de la Cour constitutionnelle no 76/1970).
42.
Dixièmement, la Cour a estimé que les infractions disciplinaires relevaient du
volet pénal de l’article 6 de la Convention, en raison surtout de la gravité de
la peine[66]. Dans l’abstrait, les mesures applicables lors d’une procédure
fondée sur la loi de 1956 étaient plus sévères que les sanctions disciplinaires
habituelles. Les mesures de prévention imposées au requérant confirment cette
appréciation générale. Dès lors, le volet pénal de l’article 6 devrait a
fortiori être applicable en l’espèce[67].
43. À la
lumière de ce qui précède, les mesures de prévention personnelles prévues par
la loi de 1956 sont de nature pénale. Tous les critères classiques issus de la
jurisprudence Engel et autres sont remplis[68]. La présente espèce reflète
manifestement le caractère excessivement punitif des mesures de prévention
fondées sur la loi de 1956, dès lors que la liste des mesures applicables est
non exhaustive et excessivement étendue et que la durée d’application possible
est trop longue (cinq ans, avec possibilité de prolongation). En outre,
l’atteinte aux libertés fondamentales du suspect est si grave qu’elle rend
nécessaires les garanties du volet pénal de l’article 6. La situation est
particulièrement critique en Italie, où ces mesures peuvent être appliquées
même après un acquittement au pénal.
B. Application de l’article 6 en l’espèce :
absence de procès public et équitable (§§ 44-48)
44. Les
griefs formulés sous l’angle de l’article 6 (volet pénal) peuvent se résumer
comme suit : défaut de publicité des audiences, absence d’appréciation adéquate
des éléments de preuve et absence de recours. L’article 6 (volet pénal) étant
applicable, il reste à déterminer s’il a été violé. À mon avis, il y a eu
violation de cet article, et ce pour trois raisons.
45. Comme
la Cour constitutionnelle l’a reconnu dans son arrêt no 93/2010, la tenue d’une
audience publique est une exigence fondamentale pour ce type de procédure. Le
Gouvernement a admis que le requérant avait subi une violation de l’article 6 §
1 en raison du défaut de publicité de la procédure devant les juridictions
internes.
46. Deux
graves erreurs ont été commises dans l’évaluation des preuves : d’abord au
sujet de l’emploi agricole du requérant depuis 2005, comme l’a reconnu la cour
d’appel (après sa sortie de prison en 2005, le requérant avait toujours eu une
activité professionnelle licite lui assurant une source de revenus digne) (« dopo la sua scarcerazione del 2005 si è costantemente dediato sino ad oggi ad attività lavorativa lecita che gli
assicura una fonte dignitosa di sostentamento »),
contredisant l’appréciation du tribunal de première instance ; ensuite,
concernant les infractions alléguées aux obligations associées à la mesure de
surveillance spéciale (« violazioni agli obblighi di sorveglianza »). Une grave erreur sur la personne a été
reconnue par la cour d’appel, qui a explicitement déclaré que les infractions
aux obligations découlant de l’application de la mesure de surveillance
spéciale concernaient une autre personne.
47. Bien
que d’ordinaire la Cour ne s’occupe pas des erreurs commises dans
l’appréciation des preuves, elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes et
flagrantes, comme en l’espèce. En effet, ces erreurs étaient d’une ampleur
telle qu’elles ont porté atteinte à l’équité élémentaire de la procédure.
J’observe en outre que le tribunal de première instance n’a consacré que deux
brefs paragraphes à la justification de la mesure en cause.
48. En
résumé, l’article 6 (volet pénal) est applicable et il y a eu violation de
cette disposition.
V. Recours internes dans le cas d’espèce (§§
49-58)
A. Absence de contrôle juridictionnel à bref
délai (§§ 49-53)
49. Ayant
voté contre la décision d’irrecevabilité du grief tiré de l’article 5, j’ai voté sur le fond en faveur d’un
constat de violation de l’article 13, et ce pour les raisons exposées ci-après.
Le
requérant a été soumis à un nombre excessif de mesures pénales vastes et
diverses, pendant un trop long laps de temps, et de façon disproportionnée aux
soupçons vagues et infondés qui pesaient sur lui. Il faut souligner que les
mesures en question ont été appliquées au requérant pendant 221 jours, malgré
le délai légal de trente jours dont disposait la cour d’appel pour statuer. Ce
délai, prévu par le droit interne lui-même, n’a pas été respecté.
50. En
l’espèce, les mesures ont été annulées ex tunc, ce
qui a remis en cause leur base légale[69]. Le requérant a dû supporter une
charge excessive puisque l’adoption d’une décision sur la légalité des mesures
en question a pris sept mois alors que la loi prévoit un délai de trente jours,
et le juste équilibre a donc été rompu.
51. Cela
étant établi, il m’apparaît clairement qu’il n’y a pas eu de recours approprié,
comme il résulte de la ratio de l’arrêt no 93/2010 de la Cour constitutionnelle
sur l’absence d’audience publique devant la cour d’appel et la réponse
excessivement tardive de la juridiction de deuxième instance.
52. Par
ailleurs, en garantissant aux détenus un recours pour contester la régularité
de leur privation de liberté, l’article 5 § 4 consacre aussi le droit pour eux,
à la suite de l’institution d’une telle procédure, d’obtenir à bref délai une
décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à
celle-ci si elle se révèle illégale. En outre, la question de savoir si le
droit des personnes détenues à une décision rapide a bien été respecté doit
être appréciée – comme l’observation de l’exigence du « délai raisonnable »
posée par les articles 5 § 3 et 6 § 1 de la Convention – à la lumière des
circonstances de chaque affaire[70].
53. La
procédure engagée devant la cour d’appel n’était pas compatible avec l’article
5 § 4, dès lors qu’elle n’a pas satisfait à l’exigence de célérité. Il y a donc
eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention[71]. Le grief tiré de
l’article 5 ayant été déclaré irrecevable à la majorité, j’ai voté en faveur d’un
constat de violation de l’article 13, en raison de la déficience susmentionnée
du recours interne en cas d’absence de contrôle juridictionnel à bref délai.
B. Défaut d’indemnisation pour mesure de
prévention illégale (§§ 54‑58)
54. Selon
la jurisprudence constante de la Cour, le droit à réparation énoncé au
paragraphe 5 de l’article 5 de la Convention suppose qu’une violation de l’un
des autres paragraphes de cette disposition ait été établie par une autorité
nationale ou par les institutions de la Convention[72]. En l’espèce, le
paragraphe 5 aurait dû être appliqué, compte tenu de la violation de l’article
5 § 1. En conséquence, la Cour aurait dû rechercher si le requérant disposait
en droit italien d’un recours aux fins de l’article 5 § 5 de la Convention.
55.
L’article 314 du code de procédure pénale prévoit un droit à réparation dans
deux cas distincts : lorsque, à l’issue de la procédure pénale sur le fond,
l’accusé est acquitté (réparation pour injustice « matérielle », prévue à
l’alinéa 1) ou lorsqu’il est établi que le suspect a été placé ou maintenu en
détention provisoire au mépris des articles 273 et 280 du code de procédure
pénale (réparation pour injustice « procédurale », prévue à l’alinéa 2).
56. Dans
son arrêt no 310 de 1996, la Cour constitutionnelle a estimé que, au-delà des
cas prévus par l’article 314 du code de procédure pénale, les individus ont un
droit à réparation également dans le cas où la détention injuste est la
conséquence d’un ordre d’exécution de la peine illégitime. En outre, dans son
arrêt no 284 de 2003, la Cour constitutionnelle a précisé que le droit à
réparation pour détention injuste n’était pas exclu par le seul motif que
l’ordre d’exécution était légitime ou que la détention était la conséquence
d’une conduite régulière des autorités internes. Ce qui comptait, c’était
l’injustice objective (obiettiva ingiustizia)
de la privation de liberté.
57. Ce qui
précède montre clairement qu’aucune disposition ne permettait au requérant de
former auprès des juridictions nationales une demande d’indemnisation pour une
mesure de surveillance spéciale. La lecture de l’article 314 du code de
procédure pénale et de la jurisprudence pertinente de la Cour constitutionnelle
fait apparaître que la possibilité de demander réparation d’un préjudice subi
en raison d’une mesure de surveillance spéciale n’est prévue dans aucun des cas
de figure évoqués ci‑dessus. En fait, le
Gouvernement lui-même a déjà reconnu cette lacune dans Vito
Sante Santoro (précité)[73].
58. En
conséquence, il y a également eu violation du paragraphe 5 de l’article 5 de la
Convention[74]. Eu égard aux conclusions de la majorité relativement à
l’article 5, j’ai voté en faveur d’un constat de violation de l’article 13 de
la Convention, car les voies de recours internes n’ont pas permis la réparation
du dommage subi par le requérant, lacune qui s’est ajoutée à l’absence d’un
contrôle juridictionnel à bref délai.
VI. Conclusion (§§ 59-60)
59. Les
articles 5 et 6 (volet pénal) de la Convention sont applicables à la présente
affaire. En raison d’une série de mesures pénales draconiennes, le requérant a
été victime de la violation de ses droits découlant de ces articles. Ces
mesures sont un vestige obsolète de structures juridiques liberticides, un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide
qui, à la lumière des conditions actuelles[75], sont totalement contraires à la
prééminence du droit inhérente à un État démocratique, au droit à la liberté et
aux exigences élémentaires d’équité et de publicité du procès, consacrées par
les articles 5 et 6 de la Convention, sans parler d’autres libertés et droits
fondamentaux comme la liberté de réunion.
60. La
marche à suivre est claire : le législateur italien doit de toute évidence
tirer du présent arrêt toutes les conclusions logiques qui s’imposent au sujet
du récent décret législatif no 159/2011. Le plus tôt sera le mieux.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU
JUGE KŪRIS
(Traduction)
1. Comme le
juge Pinto de Albuquerque, je suis d’avis que l’article 5 de la Convention
était applicable au cas d’espèce. Je souscris résolument aux arguments de mon
éminent collègue, exposés dans son opinion en partie dissidente, concernant le
caractère pénal des mesures « préventives » imposées au requérant. Je mets le
terme « préventives » entre guillemets car, comme le dossier le montre sans
équivoque, aux fins du droit interne appliqué il n’y avait absolument rien à «
prévenir » dans la conduite du requérant (je développerai ce point le moment
venu). J’adhère également à l’argument selon lequel, dans les circonstances de
l’espèce, ces mesures auraient été assimilées à une privation de liberté si
elles avaient été évaluées « accumulées et combinées », comme requis par le
critère Guzzardi. En particulier, le requérant en
l’espèce, contrairement au requérant dans l’affaire Guzzardi
(6 novembre 1980, § 108, série A no 39), n’était certes pas obligé de vivre sur
une île, mais les mesures « préventives » lui ont été appliquées pendant une
période bien plus longue – 221 jours (et nuits), contre 165 jours dans Guzzardi. En l’espèce, une évaluation « cumulée » des
mesures litigieuses aurait appelé la mise en œuvre d’un examen bien plus
minutieux de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes, notamment de
l’essence de toutes les mesures restrictives, prises individuellement et «
combinées », ainsi que du fait qu’elles avaient été imposées au requérant
assorties d’une menace d’emprisonnement (fort réaliste). La nécessité d’un
examen aussi approfondi des circonstances factuelles présupposait l’examen du
grief tiré de l’article 5.
Ainsi, tout
en souscrivant à la doctrine qui dit que « en proclamant le « droit à la
liberté », le paragraphe 1 de l’article 5 vise la liberté physique de la
personne », que « [p]our déterminer si un individu se
trouve « privé de sa liberté » au sens de l’article 5, il faut partir de sa
situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre,
la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée » et
que « [e]ntre privation et restriction de liberté, il
n’y a qu’une différence de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence »
(paragraphe 80 de l’arrêt), je ne puis adhérer à l’idée que « pour évaluer la
nature des mesures de prévention prévues par la loi de 1956 », telles
qu’appliquées au requérant en l’espèce, on les a examinées « accumulées et
combinées » (ibidem).
2. Dans
l’affaire Guzzardi (précitée), résolue alors que
l’Italie n’avait pas encore ratifié le Protocole no 4, la Cour a estimé qu’ «
il y [avait] eu (...) privation de liberté au sens de l’article 5 » (point 4 du
dispositif ; voir aussi le point 8, où la Cour a dit « en résumé (...) que
(...) le requérant [avait] subi une violation de l’article 5 § 1 ») et que
cette privation de liberté ne trouvait pas de justification dans tel et tel
alinéa de l’article 5 § 1 (voir les points 5, 6 et 7 du dispositif). Compte
tenu de ce constat, la conclusion de la majorité dans la présente espèce selon
laquelle l’article 2 du Protocole no 4 est applicable à la situation du
requérant, tandis que l’article 5 ne l’est pas, signifie tout bonnement qu’une
forme de privation de liberté au moins est considérée comme telle tant que
l’État membre n’est pas pleinement partie au Protocole no 4 et que la même
forme de privation de liberté cesse d’être une privation de liberté une fois
que le Protocole no 4 est entré en vigueur à l’égard de l’État membre concerné
(ou, au plus tôt, une fois qu’il a ratifié ce Protocole). Par extension, cela
signifierait que ce qui peut être une privation de liberté dans un État peut ne
pas l’être dans un autre État. La Cour est-elle disposée à admettre que, dans
l’hypothèse d’affaires identiques contre la Suisse, la Turquie ou le
Royaume-Uni, États qui n’ont pas ratifié le Protocole no 4, l’article 5 serait
applicable alors qu’il ne l’est pas dans des affaires identiques contre par
exemple l’Italie, la France ou la Lituanie, États qui l’ont ratifié ?
Ce serait
là une position très intéressante et qui donnerait à réfléchir dans les
affaires portant sur le droit à la liberté. Le seul problème, avec une
interprétation aussi « pluraliste » et « flexible » (pas dans le sens le plus
positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles, c’est qu’elle n’a
pas grand-chose (peut-être même rien du tout) à voir ni avec les canons de
l’interprétation juridique en général ni avec le droit fondamental à la liberté
– tel que consacré par la Convention – en particulier.
3. Je suis
également convaincu non seulement qu’en l’espèce l’article 5 est applicable
mais aussi qu’il y a eu violation de cette disposition. Dans leur totalité et
leur portée, et compte tenu de leur longue durée, les mesures « préventives »
imposées au requérant (sous la menace de l’emprisonnement) s’analysaient en une
privation de liberté, à la fois au regard de l’emploi courant du mot « liberté
» tel que dicté par le sens commun et aux fins de l’article 5, dont
l’interprétation jurisprudentielle, comme j’aime à le penser, doit tendre à ne
pas s’écarter du sens commun.
Car en quoi
consistaient, si ce n’est en une privation de liberté, ces mesures «
préventives » appliquées au requérant comme on aurait fait un copier-coller
mécanique et inconsidéré des dispositions légales ? Qu’elles ont été appliquées
sans discernement, c’est-à-dire sans aucun égard pour la situation concrète du
requérant, ressort de façon évidente du fait que l’intéressé était tenu de «
rechercher du travail dans le délai d’un mois » alors que, comme l’a plus tard
établi la cour d’appel de Bari, il avait « toujours eu (...) une activité
professionnelle licite lui assurant une source de revenus digne » (paragraphe
27 de l’arrêt). Certaines de ces mesures étaient très restrictives et
comportaient une part de privation de liberté dans son sens le plus – «
physiquement » – direct. Ainsi, le requérant était tenu de « ne pas rentrer le
soir après vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le matin avant six heures,
sauf en cas de nécessité et non sans avoir averti les autorités en temps utile
», mesure qui en fait comportait une part d’assignation à domicile et, en ce
sens, s’analysait en une assignation à domicile « interrompue » ou « incomplète
» (sur ce point également, je souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque).
L’argument de la majorité selon lequel cette mesure n’était pas une assignation
à domicile parce qu’« en droit italien une personne assignée à domicile est
réputée être en détention provisoire » (paragraphe 87 de l’arrêt) va à
l’encontre des canons fondamentaux de l’interprétation de la Convention : il se
peut que la mesure ici examinée – « ne pas rentrer le soir après vingt-deux
heures et ne pas sortir le matin avant six heures, sauf en cas de nécessité et
non sans avoir averti les autorités en temps utile » – ne soit pas considérée
comme une assignation à domicile en droit italien, mais n’en est-elle pas une
au regard de la Convention ? À mon avis, l’arrêt Buzadji
c. République de Moldova ([GC], no 23755/07, CEDH 2016) plaide en sens inverse.
Premièrement, la Convention est un instrument qui est autonome à l’égard du
droit interne (en l’occurrence italien) et que la Cour a toujours traité ainsi.
Ne serait-ce plus le cas ? Deuxièmement, les 221 nuits que le requérant a
passées en étant soumis à cette mesure (sous la menace d’être emprisonné)
montrent que le « degré d’intensité » (ibidem, § 104) de celle‑ci
était loin d’être négligeable.
Mais il y a
plus à dire encore sur le contenu des mesures litigieuses.
4.
Certaines de ces mesures étaient manifestement irrationnelles et difficiles à
expliquer au XXIe siècle, par exemple l’interdiction faite au requérant de se
servir de « téléphones portables et d’appareils radioélectriques pour
communiquer » – mais non d’utiliser Internet, notamment Skype
(la loi appliquée remontait à l’époque d’avant Internet). C’est plutôt drôle.
On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au requérant de
communiquer avec certaines personnes, mais ils ont choisi de lui interdire de
communiquer par certains moyens.
5. De plus,
certaines mesures s’excluaient réciproquement. À titre d’exemple, le requérant
était tenu de « rechercher du travail dans le délai d’un mois » – entreprise
quasi vaine dès le départ dès lors que, outre l’interdiction générale qui lui
était faite de sortir le matin avant six heures et de rentrer le soir après
vingt-deux heures, on lui interdisait d’ « utiliser [des] téléphones portables
», de « participer à des réunions publiques » ou de conduire un véhicule
(puisque son permis de conduire lui avait été retiré). À Casamassima,
ville qui à l’époque des faits comptait moins de dix-huit mille habitants, il
n’y avait probablement pas beaucoup d’employeurs qui se seraient bousculés pour
recruter un employé aussi « difficile », voire « inutile ».
6. Tout
cela, combiné à l’interdiction faite au requérant de « fréquenter des personnes
ayant fait l’objet de condamnations et soumises à des mesures de prévention ou
de sûreté » (toutes ? même s’il s’agissait, disons, de parents ? même si
l’intéressé ignorait que les personnes qu’il venait à fréquenter d’une manière
ou d’une autre avaient autrefois fait l’objet d’une quelconque condamnation ?)
et de « fréquenter les cafés, cabarets, salles de jeux (...) et [de] participer
à des réunions publiques » (toutes les réunions ? même celles organisées,
mettons, par des syndicats, à supposer qu’il ait réussi à trouver un travail et
à s’affilier à l’un d’eux ? ou bien pouvait-il assister à une pièce de théâtre
ou à un spectacle, qui sont aussi « publics » et sont aussi des « réunions »
?), risque d’amener le lecteur à se demander à quoi pense la majorité
lorsqu’elle dit que « le requérant (...) ne s’est pas trouvé dans
l’impossibilité de nouer des contacts sociaux » (italique ajouté), dès lors
qu’il « n’a pas été contraint de vivre dans un endroit exigu » (paragraphe 85
de l’arrêt).
7. Si la
majorité avait opté pour l’applicabilité de l’article 5 et jugé qu’il y avait
eu violation de cette disposition, la Grande Chambre n’aurait pas eu besoin de
se pencher sur la violation alléguée de l’article 2 du Protocole no 4 à la
Convention, et ainsi de produire un raisonnement qui de manière injustifiée
accorde peu – clairement trop peu – de place à l’aspect factuel essentiel de
cette affaire, à savoir qu’il y eu erreur sur la personne. Certes, il y a aussi
eu violation de l’article 2 du Protocole no 4, mais – dès lors que toute
atteinte au droit à la liberté d’une personne englobe toujours, par définition,
une atteinte à sa liberté de circulation – le constat d’une violation de
l’article 2 du Protocole no 4 auraient été « couvert » par le constat « plus
général » d’une violation de l’article 5.
Puisque la
majorité a néanmoins jugé l’article 5 inapplicable, je n’ai pas eu d’autre
choix que de voter pour le constat d’une violation de l’article 2 du Protocole
no 4 (point 4 du dispositif).
8. Je suis
également d’accord avec le juge Pinto de Albuquerque quant à l’applicabilité de
l’article 6 § 1 sous son volet pénal et partage son avis qu’il y a eu violation
de cet article précisément sous cet angle. Selon la majorité, « le volet pénal
de l’article 6 § 1 de la Convention n’entre pas en jeu, car la surveillance
spéciale ne saurait se comparer à une peine dès lors que la procédure dont le
requérant a fait l’objet ne concernait pas le bien-fondé d’une « accusation en
matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention » (paragraphe 143 de
l’arrêt). Pour étayer cette position, la majorité renvoie à Guzzardi
(précité, § 108) et à Raimondo c. Italie (no 12954/87, 22 février 1994, § 43,
série A no 281‑A). La référence n’est pas très concluante. Le paragraphe
tiré de Guzzardi (affaire dont la résolution par la
Cour remonte à 1980), mentionné au paragraphe 143 de l’arrêt contient peu
(voire pas du tout) de principes de doctrine à caractère général et bien
arrêtés. Il est explicitement imprécis quant à la nature du droit à la liberté.
Quant au paragraphe tiré de Raimondo cité au même paragraphe 143 de l’arrêt, il
n’éclaire pas davantage la question car il ne fait que renvoyer au paragraphe
susvisé de Guzzardi, quoique sans les conditions
contenues dans le paragraphe original de Guzzardi.
9.
Signalons en passant que le Gouvernement n’a pas présenté d’observation au
sujet de l’affirmation du requérant selon laquelle l’article 6 § 1 sous son
volet pénal était applicable « aux procédures relatives à l’application des
mesures de prévention personnelles en ce qu’elles concernent la liberté
personnelle du citoyen et sont régies par les dispositions du code de procédure
pénale » (paragraphes 141 et 142 de l’arrêt).
Cette
abstention signifie sûrement quelque chose.
10. Dans le
contexte de l’applicabilité (changée en inapplicabilité par la majorité) du
volet pénal de l’article 6 § 1, il faut encore mentionner un autre aspect. En
fait, il est mentionné au paragraphe 14 de l’arrêt, puis est totalement omis
dans le raisonnement.
Le
paragraphe 14 de l’arrêt indique : « Pour le tribunal, le requérant présentait
une tendance « active » à la délinquance et les pièces du dossier montraient
qu’il avait tiré d’une activité délictueuse la plupart de ses moyens de
subsistance » (italique ajouté).
Ainsi, les
mesures litigieuses étaient une réaction officielle et une réponse judiciaire à
de prétendues « tendance à la délinquance » et « activité délictueuse » du
requérant, et en ce sens elles n’étaient pas seulement « préventives » mais
aussi « punitives ».
11. Cela,
en conséquence, plaide également contre le constat de la majorité selon lequel
il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 « quant au droit à un procès
équitable » (point 7 du dispositif).
Ainsi, on
considère qu’il n’y a pas eu violation du droit à un procès équitable dans une
situation où i) les autorités prennent la « mauvaise » personne et, à l’issue
d’une procédure judiciaire non publique, lui imposent des mesures « préventives
» sévères et de longue durée, alors que l’intéressé soutient ne pas être
l’individu contre lequel les « éléments factuels » ont été recueillis ; ii)
l’intéressé ne parvient pas à faire reconnaître cette circonstance évidente
qu’il y a erreur sur la personne, ni a fortiori à la faire examiner, par une
juridiction supérieure, et ce pendant plus de sept mois, au mépris flagrant du
délai légal de trente jours ; iii) lorsqu’enfin l’erreur est découverte,
l’intéressé n’est pas indemnisé au titre de sa qualité de victime. On ne lui
adresse même pas d’excuses.
Absence
totale de préjudice ?
En d’autres
termes, si le droit à un procès équitable n’a pas été violé dans cette
situation, cela signifie que ce procès était équitable.
Équitable
?!
12. Le Gouvernement a soutenu que « le requérant
[avait] disposé d’une voie de recours, qu’il [avait] utilisée et qui lui
[avait] permis d’obtenir gain de cause » (paragraphe 162 de l’arrêt – italique
ajouté ; voir aussi le paragraphe 103).
La majorité
semble adhérer à cette approche.
Certes, au
final le requérant a « obtenu gain de cause » dans le sens où les mesures «
préventives » ont été annulées. Mais la Cour peut-elle fermer les yeux sur
toutes les tentatives de l’intéressé qui avaient échoué ? En première instance,
il n’est pas parvenu à empêcher qu’on lui applique les mesures litigieuses.
Puis, pendant une période sept fois plus longue que le délai légal, il n’a pas
réussi à porter sa cause à l’attention de la juridiction supérieure. On ne peut
pas dire qu’il ait obtenu gain de cause devant la juridiction d’appel, en ce
sens qu’il n’a pas reçu de réparation ni même d’excuses de la part des
autorités. En fait d’excuses, il a obtenu tout le contraire : le Gouvernement a
déclaré que la cour d’appel de Bari « n’[avait] pas reconnu d’erreur sur la
personne » mais avait « simplement réévalué tous les éléments sur lesquels le
tribunal s’était basé, pour exclure la dangerosité sociale du requérant »
(paragraphe 103 ; italique ajouté).
Est-ce cela
que l’on appelle désormais « obtenir gain de cause » ?
Peut-être
dans la jurisprudence, mais pas dans la vie. Ce qui serait au détriment de la
jurisprudence.
13.
Concernant la violation alléguée de l’article 13, certains arguments favorables
à un constat de violation ont déjà été exposés ci-dessus. Le fait que le délai
associé au contrôle juridictionnel auquel le requérant avait droit selon la
législation nationale ait été excédé à ce point se passe de commentaire. Mais
le fait que le requérant ne se soit vu allouer aucune réparation pour les mesures
« préventives » qui lui avaient été appliquées avant d’être annulées ex tunc par la cour d’appel de Bari (paragraphe 20 de l’arrêt)
plaide encore plus fortement en faveur d’une violation de l’article 13. Si ces
mesures avaient eu une quelconque base légale à l’époque de leur application,
elles n’auraient probablement pas été annulées ex tunc.
14. J’en
viens à présent à la divergence fondamentale entre l’approche de la majorité et
la mienne, divergence qui a trait au raisonnement menant au constat de violation
de l’article 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup à voir avec l’emploi, dans
la présente opinion, du mot « préventif » entre guillemets.
15. Au
paragraphe 110 de l’arrêt il est dit que « la loi no 1423 de 1956, interprétée
à la lumière des arrêts de la Cour constitutionnelle, est la disposition
juridique qui a servi de fondement aux mesures de prévention personnelles
appliquées au requérant » et que « donc (...) lesdites mesures de prévention
avaient une base légale en droit interne » (italique ajouté).
Non, non,
non, et encore non.
La loi en
question, quelles que soient ses lacunes (nombre d’entre elles sont à juste
titre relevées dans l’arrêt, et, par principe, je souscris à cette
appréciation), traite des mesures « préventives » qui peuvent être appliquées à
trois catégories de personnes : i) « [celles] dont on peut estimer, sur la base
d’éléments factuels, qu’elles se livrent habituellement à des activités
délictueuses » ; ii) « [celles] dont on peut estimer, compte tenu de leur
conduite et de leur train de vie, et sur la base d’éléments factuels, qu’elles
vivent habituellement, fût-ce en partie, de gains d’origine délictueuse » ;
iii) « [celles] dont on peut estimer, sur la base d’éléments factuels, qu’elles
commettent des infractions pénales qui offensent ou mettent en danger
l’intégrité physique ou morale des mineurs, la santé, la sécurité ou la
tranquillité publique » (italique ajouté). Le nom générique de ces trois
catégories d’individus est celui de « personnes dangereuses pour la sécurité et
pour la moralité publique » (paragraphes 33 et 34 de l’arrêt).
Ni cette
catégorie générique ni aucune de ses trois sous-catégories n’englobent, fût-ce
indirectement, une personne que les autorités ont prise par erreur pour une
autre et qu’elles considèrent à tort ou à raison comme « dangereus[e]
pour la sécurité et pour la moralité publique ». Au regard de la loi, les «
éléments factuels » recueillis contre M. Dupont ne peuvent pas mécaniquement
être considérés comme ayant été recueillis contre M. Durand, pris par erreur
pour M. Dupont. Peu importe que M. Durand ait ou non un casier judiciaire ou
qu’il ait ou non commis des infractions par le passé. Bien sûr, il se peut
qu’en recueillant des éléments factuels contre M. Dupont les autorités tombent sur
quelque chose qui est aussi de nature à incriminer M. Durand ; toutefois, même
dans ce cas, non seulement ce dernier doit être identifié directement et
correctement, mais de plus les éléments recueillis contre M. Dupont ne peuvent
pas automatiquement et inconsidérément être retenus contre M. Durand.
En outre,
la Cour constitutionnelle n’a jamais interprété la loi (du moins pas
directement, ni même, semble-t-il, implicitement) de telle sorte qu’elle
permettrait de traiter la « mauvaise » personne comme quelqu’un de « dangereu[x] pour la sécurité et pour la moralité publique
», au sens de l’article 1 de la loi.
16. Ainsi,
la loi n’était aucunement applicable au requérant.
Les mesures
« préventives » appliquées au requérant ont résulté d’une erreur. Cela été
reconnu par la cour d’appel de Bari, qui les a annulées ex tunc
(paragraphes 20 et 26 de l’arrêt).
C’est aussi
simple que cela. Ils ont pris la mauvaise personne.
Une erreur
sur la personne est une erreur sur la personne, un point c’est tout.
17. Là
encore, je dois me répéter (paragraphe 1 ci-dessus). Des mesures « préventives
» proprement dites ne peuvent être appliquées légalement qu’à une personne
devant être « empêchée » de faire quelque chose. En l’absence de base factuelle
justifiant la nécessité d’une « prévention » à l’égard d’une personne donnée,
les mesures restrictives imposées à celle-ci ne peuvent guère passer pour «
préventives » au véritable sens de ce terme.
18. La
règle de droit mais aussi la décence la plus élémentaire exigent que lorsque
l’on découvre une erreur entraînant l’imposition de sérieuses restrictions à
une personne, prise pour un autre individu contre lequel des « éléments
factuels » avaient été recueillis, les autorités disent « oups ! », présentent
des excuses, referment le dossier aussi vite que possible et indemnisent la «
mauvaise » personne pour tout dommage qu’elle a pu subir. C’est ainsi que les
choses doivent se passer, à moins que l’on vive dans une autre réalité, où le
droit appliqué n’a rien à voir avec les faits auxquels on l’applique.
Inutile de
dire qu’un monde parallèle ne serait pas un monde régi par la règle de droit.
19.
Cependant (comme nous l’avons indiqué au paragraphe 12 ci‑dessus),
le Gouvernement a affirmé que la cour d’appel de Bari « n’[avait] pas reconnu
d’erreur sur la personne » mais avait « simplement réévalué tous les éléments
sur lesquels le tribunal s’était basé, pour exclure la dangerosité sociale du
requérant » (paragraphe 103 de l’arrêt), comme si ces éléments pouvaient avoir
un quelconque rapport avec le requérant. Cette déclaration montre bien que le
gouvernement défendeur a encore du chemin à parcourir pour se rendre compte par
lui-même des vérités simples qui commandent la conduite des autorités en cas
d’erreur sur la personne.
20. Compte
tenu de la grave erreur qui a eu tant de répercussions sur la situation du
requérant, les considérations jurisprudentielles sur les points de savoir si la
loi était « accessible » ou suffisamment « prévisible » pour le requérant, si
elle était ou non « vague », « précise » ou « claire », et si les indications
sur la conduite que devait adopter le requérant étaient « suffisantes », sont
totalement dénuées de pertinence. Nul besoin de ces considérations pour pouvoir
affirmer que les mesures « préventives » litigieuses ont été imposées au
requérant en l’absence de toute base légale.
21. Ainsi,
bien que je partage l’avis de la majorité selon lequel il y a eu violation de
l’article 2 du Protocole no 4, je suis en profond désaccord avec le raisonnement
qui mène à ce constat. Ce raisonnement remplace la question de l’application de
la loi à la situation concrète du requérant par la question de la « qualité de
la loi », problème qui est ensuite « résolu » comme si la Cour était une
juridiction constitutionnelle ayant pour tâche d’examiner la conformité des
lois à quelque droit supérieur, indépendamment des points de savoir à qui et
comment ces lois sont appliquées, et même si elles sont appliquées ou non.
Autrement dit, ce raisonnement remplace le véritable problème que ce requérant
a bel et bien rencontré, et qui a été soumis à la Cour, par la question
générale des avantages et inconvénients des normes légales elles-mêmes. Si (là
encore) je ne peux que souscrire à l’appréciation critique que fait la majorité
de l’insuffisante prévisibilité des dispositions appliquées (constat pouvant
être utile pour statuer sur d’éventuelles actions d’autres personnes auxquelles
cette loi pourrait être appliquée), tout cela a bien peu à voir avec le cas de
ce requérant. S’il y a eu violation de la liberté de circulation de ce
requérant, ce n’est pas parce qu’une loi « pas suffisamment prévisible » ou «
pas suffisamment claire », « libellée en des termes vagues et excessivement
généraux », a été appliqué à sa situation, mais en raison du fait même que
cette loi, qui permettait des restrictions à la liberté de circulation (sans
parler de la privation de liberté elle-même), a été appliquée à cette personne
alors qu’au regard de son propre contenu elle n’aurait pas dû l’être.
22. Au
paragraphe 125 de l’arrêt, la majorité déclare que la loi en question n’était
pas suffisamment claire et prévisible pour les « personnes auxquelles les
mesures de prévention pouvaient être appliquées » (italique ajouté).
On pourrait
poser cette question : en disant « pouvaient être appliquées », veut-elle aussi
dire au requérant ?!
Je crains
que la réponse à cette question, comme le donne à penser le raisonnement de la
majorité, soit tout sauf optimiste.
[1].
Allemagne, Arménie, Azerbaïdjan, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie,
Croatie, Espagne, Estonie, Finlande, Géorgie, Hongrie, Irlande, Lettonie,
Lituanie, Luxembourg, ex-République yougoslave de Macédoine, Malte, Moldova,
Monténégro, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Serbie, Slovaquie,
Slovénie, Turquie et Ukraine.
[2]. En
2011 est entré en vigueur le nouveau « code antimafia », qui rassemble la
législation relative à la lutte contre la mafia et les mesures de prévention
personnelles et patrimoniales, et qui a abrogé la loi nº 1423/1956.
[3]. Le
silence des pères fondateurs de la République italienne était intentionnel. Ils
avaient en mémoire l’usage que le régime fasciste avait fait de ces mesures
comme instrument de répression politique (Fiandaca, «
Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) », Dig. Pub., IX, 1994, et voce « Misure
di prevenzione », Digesto
delle Discipline Penalistiche, Turin, 1994 ; Barile, Diritto dell’uomo e libertà fondamentali, Bologne, 1984 ; Amato,
« Commento all’ art.13 », Branca
(éd.), Commentario della Costituzione, Bologne, 1977).
[4]. Voir
l’arrêt de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964, qui a rejeté la
question de la légitimité constitutionnelle de l’article 1 de la loi de 1956 en
se référant aux articles 13, 25 et 27 de la Constitution italienne.
[5]. L’intégralité
du passage pertinent de l’arrêt de 1964 se lit ainsi : « nella descrizione
delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere
con diversi criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli
elementi costitutivi di una figura criminosa, e possa far riferimento anche a
elementi presuntivi, corrispondenti, però, sempre, a comportamenti
obiettivamente identificabili. Il che non vuol dire minor rigore, ma diverso
rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto
alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene.»
[6]. Concernant
les alinéas 2, 3 et 4 de l’article 1 de la loi de 1956, l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 23 de
1964 a exclu la possibilité
que « le misure di prevenzione possano essere
adottate sul fondamento di semplici sospetti », exigeant
que « una oggettiva valutazione di fatti da cui
risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che siano
manifestazioni concrete della sua proclività al delitto, e siano state
accertate in modo da escludere valutazioni puramente soggettive e
incontrollabili da parte di chi promuove o applica le misure di prevenzione.
[7].
Paragraphes 53-56 de l’arrêt.
[8]. Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 195, CEDH
2000‑IV, Raimondo c. Italie, 22 février 1994, § 39, série A no
281‑A, et Ciancimino c. Italie, no 12541/86,
décision de la Commission du 27 mai 1991, Décisions et rapports 70. Dans la
jurisprudence interne, voir, par exemple, Cour de cassation, chambres réunies,
3 juillet 1996, Simonelli, et Cour de cassation,
section I, 17 janvier 2008, no 6613. De 2005 à 2013, ces mesures de prévention
ont été appliquées à 30 511 personnes, selon des statistiques figurant dans le
dossier. Bien qu’il lui ait été demandé de fournir des informations sur le
nombre de personnes de ce groupe qui avaient été acquittées à l’issue d’une
procédure pénale, le Gouvernement n’a pas fourni les données requises.
[9]. Cour
de Cassation, section I, 28 avril 1995, Lupo.
[10]. Labita, précité, § 196, et Ciancimino,
décision précitée. Dans la jurisprudence interne, voir, par exemple, Cour de
cassation, section II, 20 avril 2013, no 26774.
[11]. Corso, « Profili costituzionale
delle misure di prevenzione: aspetti teorici e prospettivi
di riforma », AA.VV., La legge antimafia tre anni dopo, Milan, 1986.
[12]. Voir,
parmi beaucoup d’autres, Cour de cassation, section VI, 19 janvier 1999, Consolato, qui précise que l’exigence de preuve de
l’article 192 § 2 du code de procédure pénale ne s’applique pas dans une
procédure relative à l’application de mesures de prévention.
[13]. Bricola,
« Forme di tutela « ante delictum » e profili
costituzionali della prevenzione », AA.VV., Le misure di prevenzione, Atti del
Convegno C.N.P.D.S., 26-28 avril
1974, Milan, 1975.
[14]. Balbi, « Le Misure di Prevenzione Personali »,
contribution lors de la réunion annuelle de l’Association italienne des
professeurs de droit pénal, 18 novembre 2016, Milan, p. 5. Voir aussi Gallo, « Misure di
prevenzione », Enc. Giur. Treccani, Rome, 1990, vol. XX, et Guerrini et al., Le misure di
prevenzione, Padoue, 2004.
[15]. Voir,
par exemple, l’article 644 du code pénal : « Le pene per i
fatti di cui al primo e secondo comma sono aumentate da un terzo alla metà: (…)
se il reato è commesso da persona sottoposta con provvedimento definitivo alla
misura di prevenzione della sorveglianza speciale durante il periodo previsto
di applicazione e fino a tre anni dal momento in cui è cessata l’esecuzione. »
[16]. Balbi, précité, p. 12.
[17]. Cour
de cassation, section I, 10 février 2009, M.M.
[18]. Cour
de cassation, section I, no 6285/97, Capizzi.
[19]. Cour
de cassation, section I, 16 avril 1998, Castellano.
[20]. Cour
de cassation, chambres réunies, 25 mars 1993, no 6, dep.
14 juillet 1993, imp. Tumminelli, Rv. 194062.
[21]. La
révocation de misure cautelari
pour absence des gravi indizi de culpabilité requis
par l’article 273 du code de procédure pénale ne s’oppose pas à l’application
de misure di prevenzione personali (Cour de cassation, section I, no 5760/99, Iorio).
[22]. Balbi, précité,
p. 17.
[23]. Elia, Libertà personale e misure
di prevenzione, Milan, 1962, et « Libertà personale
tra l’articolo 13 e l’articolo 25 della Costituzione », Giur. Cost. 1964,
Petrini, La prevenzione inutilie. Illegittimità delle
misure praeter delictum, Naples, 1996, et Moccia, « La lotta alla criminalitá
organizzata », Vallefuoco et
Gialanella (éd.), La
difficile antimafia, Rome, 2002.
[24].
Traduction : « Au commencement était le soupçon ». L’expression est issue de la
procédure pénale médiévale. Balbi, précité, p. 17.
[25]. Amodio,
« Il processo di prevenzione: l’illusione della giurisdizionalità », Giust. pen., 1975, III.
[26]. Traduction
: « Au commencement était
l’acte ». Bettiol, « Il
problema penale », 1945, Scritti giuridici, I, p. 678.
[27]. Raimondo, Labita,
tous deux précités, et Vito Sante Santoro
c. Italie, no 36681/97, CEDH 2004‑VI.
[28]. Guzzardi
c. Italie, 6 novembre 1980, série A no 39.
[29]. Monno c.
Italie (déc.), no 18675/09,
8 octobre 2013.
[30]. Ibidem, § 26.
[31]. Ibidem, § 27.
[32]. Bocellari
et Rizza, no 399/02, §§
34-41, 13 novembre 2007, Perre et
autres c. Italie, no
1905/05, §§ 23-26, 8 juillet
2008, Bongiorno et autres
c. Italie, no 4514/07, §§
27-30, 5 janvier 2010, Leone c. Italie,
no 30506/07, §§ 26-29, 2 février
2010, et Capitani et
Campanella c. Italie, no 24920/07, §§ 26-29, 17 mai 2011.
[33]. Guzzardi, précité, § 95.
[34].
Ibidem, §§ 92-93 ; voir aussi Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 225, CEDH
2012, Austin et autres c. Royaume-Uni [GC], no 39692/09, 40713/09 et 41008/09,
§ 57, CEDH 2012, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 115, CEDH 2012, et Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, § 73, CEDH
2010.
[35]. Guzzardi, précité, § 95.
[36].
Ibidem, § 92 ; voir aussi Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 59, série
A no 22, et Amuur c. France, 25 juin 1996, § 43,
Recueil des arrêts et décisions 1996‑III.
[37]. Voir
note no 26.
[38]. Ciancimino, Raimondo, Labita, Vito Sante Santoro et Monno, tous précités.
[39]. La
jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (§ 39) qui
affirme simplement, sans aucun effort de justification, que ces mesures doivent
être évaluées comme des restrictions à la liberté de circulation découlant de
l’article 2 du Protocole no 4 et qu’elles « n’entraîn[ent] pas une privation de liberté au sens de l’article 5 §
1 de la Convention », citant l’« arrêt Guzzardi c.
Italie précité, p. 33, § 92 », mais omettant tout le raisonnement qui suit dans
ledit arrêt et aboutit à cette conclusion strictement opposée : « Tout bien
pesé, la Cour estime que le cas d’espèce se range dans la catégorie des
privations de liberté ».
[40]. Ciulla c. Italie, 22 février 1989, § 40, série A no 148.
Cette affaire évoquait une disposition sur la
detenzione provvisoria,
qui fut par la suite abrogée. J’observe par ailleurs que cette approche a aussi
été confirmée mutatis mutandis dans une récente affaire allemande (Ostendorf c. Allemagne, no 15598/08, 7 mars 2013).
[41]. Guzzardi, précité, § 92.
[42].
Comparer avec onze heures dans Quinn c. France, 22 mars 1995, § 42, série A no
311 ; douze heures dans Labita, précité, § 166 ;
trois jours dans Mancini c. Italie, no 44955/98, § 25, CEDH 2001‑IX ; six
mois dans Brand c. Pays-Bas, no 49902/99, § 60, 11 mai 2004. Pour d’autres
brèves périodes de privation de liberté, voir Murray c. Royaume-Uni, 28 octobre
1994, §§ 49 et suivants, série A no 300-A, concernant une détention de moins de
trois heures dans un centre de l’armée pour interrogatoire ; Novotka c. Slovaquie (déc.), no 47244/99, 4 novembre 2003,
concernant une heure de garde à vue ; Shimovolos c.
Russie, no 30194/09, §§ 49-50, 21 juin 2011, concernant une garde à vue de quarante‑cinq
minutes pour interrogatoire ; voir aussi Witold
Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 46, CEDH
2000‑III, concernant le maintien dans une unité de dégrisement pendant
six heures et demie.
[43]. Buzadji c. République de Moldova [GC], no 23755/07, § 104,
CEDH 2016.
[44]. La legge-delega no 136 du 13 août 2010 a exigé que les
catégories de personnes auxquelles s’appliquaient les mesures fussent
établies à partir de « conditions
clairement définies, évoquant l’existence de circonstances de fait » (« che
venga definita in maniera organica la categoria dei destinatari delle misure di
prevenzione personali e patrimoniali, ancorandone la previsione a presupposti
chiaramente definiti e riferiti in particolare all'esistenza di circostanze di
fatto che giustificano l'applicazione delle suddette misure di prevenzione e,
per le sole misure personali, anche alla sussistenza del requisito della
pericolosità del soggetto »). Cela ne peut être interprété que comme la reconnaissance
implicite, par les autorités nationales, du manque de clarté de la loi de 1956.
[45]. Voir, a
contrario, Danov c. Bulgarie,
no 56796/00, 26 octobre 2006, Mancini, précité, § 20, Nikolova c. Bulgarie (no 2), no 40896/98, 30 septembre
2004, et Vachev c. Bulgarie, no 42987/98, § 64, CEDH 2004‑VIII.
[46]. Guzzardi, précité, § 100.
[47]. Voir,
a contrario, Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin
1982, § 35, série A no 50.
[48]. Guzzardi, précité, § 101.
[49]. Voir,
a contrario, Steel et autres c. Royaume-Uni, 23
septembre 1998, § 66, Recueil 1998‑VII, Nowicka
c. Pologne, no 30218/96, § 60, 3 décembre 2002, Harkmann
c. Estonie, no 2192/03, § 30, 11 juillet 2006, et Gatt c. Malte, no 28221/08, §
36, CEDH 2010.
[50]. Voir,
a contrario, Vasileva c. Danemark, no 52792/99, § 36,
25 septembre 2003, et Epple c. Allemagne, no
77909/01, § 36, 24 mars 2005.
[51]. Guzzardi, précité, § 102.
[52].
Ibidem ; voir aussi Lawless c. Irlande (no 3), 1er
juillet 1961, série A no 3, et Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août
1990, série A no 182.
[53]. Guzzardi, précité, § 103.
[54].
Ibidem, § 98.
[55].
Ibidem, § 103.
[56]. Engel
et autres, précité, §§ 82-83.
[57]. Jussila
c. Finlande [GC], no 73053/01, §§
30-31, CEDH 2006‑XIV, et Zaicevs
c. Lettonie, no 65022/01, § 31, 31 juillet 2007.
[58]. Deweer c. Belgique, 27 février 1980, § 46, série A no 35.
[59]. Des
articles 10 et 12 § 3 de la loi de 1956, l’on pouvait déduire ce principe : une
mesure de sûreté prévalait sur une mesure de prévention lorsque toutes deux
étaient appliquées, mais elles pouvaient dans certaines circonstances être
appliquées conjointement (Cour de cassation, section I, 7 février 2011, Macri).
[60]. Le passage
pertinent est le suivant :
« l'applicazione delle misure di sicurezza personali, finalizzate anche esse a
prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non sempre presuppongono
la commissione di un precedente reato; art. 49, secondo e quarto comma e art.
115, secondo e quarto comma del codice penale), talché possono considerarsi una
delle due species di un unico genus
».
[61]. Voir
les arrêts nos 23/1964 et 177/1980 susmentionnés de la Cour constitutionnelle.
[62]. Cour
de cassation, section I, 17 mai 1984, no 1193.
[63]. Voir notamment Nuvolone, « La prevenzione nella teoria generale
del diritto penale », Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale, 1956 ; Piroddi, Le misure di prevenzione di pubblica sicurezza,
1971 ; Vassalli, « Misure di prevenzione e diritto penale », Studi in onore di
B. Petrocelli, vol. III, 1972.
[64]. Des
statistiques versées au dossier indiquent que, de 2005 à 2014, 16 461 personnes
ont été condamnées pour non-respect des mesures de prévention qui leur étaient
appliquées. Bien qu’interrogé à ce sujet, le Gouvernement n’a pas fourni
d’informations sur le nombre de personnes de ce groupe qui ont été condamnées à
des peines d’emprisonnement.
[65]. Cairo et
Forte, Codice delle misure di prevenzione annotato, Rome,
2014, p. 23.
[66]. Engel
et autres, précité, § 85, Campbell et Fell c.
Royaume-Uni, 28 juin 1984, § 73, série A no 80, Ezeh
et Connors c. Royaume-Uni [GC], nos 39665/98 et 40086/98, § 130, CEDH 2003-X,
et, mutatis mutandis, Dacosta Silva c. Espagne, no
69966/01, §§ 46-50, CEDH 2006-XIII.
[67]. Dans
l’arrêt Guzzardi (précité, § 108), la Cour a jugé que
l’article 6 sous son volet pénal n’était pas applicable, mais elle ne s’est
penchée sur aucun des arguments ci-dessus.
[68]. Engel
et autres, précité, §§ 82-83.
[69]. Il
n’y avait pas de base légale et factuelle aux mesures pénales appliquées, comme
l’a reconnu la cour d’appel en déclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc. Les mesures ont été annulées (annullato)
– non pas révoquées – pour défaut d’observation des exigences légales dès le
jour où avait statué le tribunal de première instance.
[70]. Voir,
entre autres, Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 84,
CEDH 2000‑XII, Mamedova c. Russie, no 7064/05,
§ 96, 1er juin 2006, G.B. c. Suisse, no 27426/95, § 33, 30 novembre 2000, et Kadem c. Malte, no 55263/00, § 44, 9 janvier 2003.
[71]. Rizzotto
c. Italie, no 15349/06, §§
30-36, 24 avril 2008.
[72]. N.C. c. Italie
[GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002‑X.
[73]. Vito Sante Santoro, précité, §
45.
[74]. Seferovic c. Italie, no 12921/04, § 49, 8 février 2011, Pezone c. Italie, no 42098/98, §§ 51-56, 18 décembre 2003,
et Fox, Campbell et Hartley, précité, § 46.
[75]. Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, § 31, série A no 26.