Corte europea dei diritti dellâuomo
(Grande Camera)
23 febbraio 2012, req. n.
27765/09
AFFAIRE HIRSI JAMAA ET AUTRES C. ITALIE
ARRĂT
STRASBOURG
Cet arrĂȘt est dĂ©finitif. Il peut subir des retouches de forme.
En lâaffaire Hirsi Jamaa et autres c. Italie,
La Cour europĂ©enne des droits de lâhomme, siĂ©geant
en une Grande Chambre composée de :
Nicolas
Bratza, président,
Jean-Paul Costa,
Françoise Tulkens,
Josep Casadevall,
Nina VajiÄ,
Dean Spielmann,
Peer Lorenzen,
Ljiljana MijoviÄ,
Dragoljub PopoviÄ,
Giorgio Malinverni,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Nona Tsotsoria,
IĆıl KarakaĆ,
Kristina Pardalos,
Guido Raimondi,
Vincent A. de Gaetano,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Michael OâBoyle, greffier adjoint,
AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 22
juin 2011 et le 19 janvier 2012,
Rend lâarrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă cette derniĂšre
date :
PROCĂDURE
1. A lâorigine de lâaffaire se trouve une
requĂȘte (no 27765/09) dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et dont
onze ressortissants somaliens et treize ressortissants érythréens (« les
requérants »), dont les noms et les dates de naissance figurent sur la
liste annexĂ©e au prĂ©sent arrĂȘt, ont saisi la Cour le 26 mai 2009 en vertu de
lâarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lâhomme et des
libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Mes
A.G. Lana et A. Saccucci, avocats à Rome. Le gouvernement italien (« le
Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme E.
Spatafora, et par sa coagente, Mme S. Coppari.
3. Les requérants alléguaient en
particulier que leur transfert vers la Libye par les autorités italiennes avait
violé les articles 3 de la Convention et 4 du Protocole no 4, et ils
dĂ©nonçaient lâabsence dâun recours conforme Ă lâarticle 13 de la Convention,
qui leur eût permis de faire examiner les griefs précités.
4. La requĂȘte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă la deuxiĂšme
section de la Cour (article 52 § 1 du rÚglement de la Cour). Le 17
novembre 2009, une chambre de ladite section a dĂ©cidĂ© de communiquer la requĂȘte
au Gouvernement. Le 15 février 2011, la chambre, composée des juges dont le nom
suit : Françoise Tulkens, présidente, Ireneu Cabral Barreto,
Dragoljub PopoviÄ, Nona Tsotsoria, Isil Karakas, Kristina Pardalos,
Guido Raimondi, ainsi que de Stanley Naismith, greffier de section,
sâest dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne sây Ă©tant
opposée (articles 30 de la Convention et 72 du rÚglement).
5. La composition de la Grande Chambre a
Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e conformĂ©ment aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du
rĂšglement.
6. Comme le permet lâarticle 29 § 1 de la
Convention, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que la Grande Chambre se prononcerait en mĂȘme temps
sur la recevabilitĂ© et le fond de la requĂȘte.
7. Tant les requérants que le
Gouvernement ont dĂ©posĂ© des observations Ă©crites sur le fond de lâaffaire. A
lâaudience, chacune des parties a rĂ©pondu aux observations de lâautre (article
44 § 5 du rÚglement). Des observations écrites ont également été reçues du
Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), de Human Rights
Watch, de la Columbia Law School Human Rights Clinic, du Centre de conseil sur
les droits de lâindividu en Europe (Centre AIRE), dâAmnesty International ainsi
que de la FĂ©dĂ©ration internationale des ligues des droits de lâhomme (FIDH),
agissant collectivement. Le prĂ©sident de la chambre les avait autorisĂ©s Ă
intervenir en vertu de lâarticle 36 § 2 de la Convention. Des observations ont
également été reçues du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de
lâhomme (HCDH), que le prĂ©sident de la Cour avait autorisĂ© Ă intervenir. Le HCR
a en outre été autorisé à participer à la procédure orale.
8. Une audience sâest dĂ©roulĂ©e en public
au Palais des droits de lâhomme, Ă Strasbourg, le 22 juin 2011 (article 59 § 3
du rĂšglement).
Ont comparu :
â pour le Gouvernement
Mme S. Coppari, coagente,
M. G. Albenzio, avocat de lâĂtat ;
â pour les requĂ©rants
Mes A.G. Lana,
A. Saccucci, conseils,
Mme A. Sironi, assistante ;
â pour le Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés,
tiers intervenant
Mme M. Garlick, chef de lâunitĂ© pour la politique
générale
et lâappui juridique, Bureau pour lâEurope, conseil ;
M. C. Wouters, conseiller principal en droit des réfugiés,
Division de la protection nationale,
M. S. Boutruche, conseiller juridique de lâunitĂ© de soutien
politique et juridique, Bureau pour lâEurope, conseillers.
La Cour a entendu Mme
Coppari, M. Albenzio, Me Lana, Me Saccucci et Mme Garlick
en leurs dĂ©clarations ainsi quâen leurs rĂ©ponses Ă ses questions.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE LâESPĂCE
A. Lâinterception et le
renvoi des requérants en Libye
9. Les requérants, onze ressortissants
somaliens et treize ressortissants Ă©rythrĂ©ens, font partie dâun groupe
dâenviron deux cents personnes qui quittĂšrent la Libye Ă bord de trois
embarcations dans le but de rejoindre les cĂŽtes italiennes.
10. Le 6 mai 2009, alors que les
embarcations se trouvaient Ă trente-cinq milles marins au sud de Lampedusa
(Agrigente), câest-Ă -dire Ă lâintĂ©rieur de la zone maritime de recherche et de
sauvetage (« zone de responsabilité SAR ») relevant de la compétence de Malte, ils furent approchés par
trois navires de la garde des finances et des garde-cĂŽtes italiens.
11. Les occupants des embarcations
interceptées furent transférés sur les navires militaires italiens et
reconduits à Tripoli. Les requérants affirment que pendant le voyage les
autorités italiennes ne les ont pas informés de leur véritable destination et
nâont effectuĂ© aucune procĂ©dure dâidentification.
Tous leurs effets personnels, y compris des
documents attestant leur identité, furent confisqués par les militaires.
12. Une fois arrivés au port de Tripoli,
aprÚs dix heures de navigation, les migrants furent livrés aux autorités
libyennes. Selon la version des faits présentée par les requérants, ceux-ci
sâopposĂšrent Ă leur remise aux autoritĂ©s libyennes, mais on les obligea par la
force Ă quitter les navires italiens.
13. Lors dâune confĂ©rence de presse tenue
le 7 mai 2009, le ministre de lâIntĂ©rieur italien dĂ©clara que les opĂ©rations
dâinterception des embarcations en haute mer et de renvoi des migrants en Libye
faisaient suite Ă lâentrĂ©e en vigueur, le 4 fĂ©vrier 2009, dâaccords bilatĂ©raux
conclus avec la Libye, et constituaient un tournant important dans la lutte
contre lâimmigration clandestine. Le 25 mai 2009, lors dâune intervention
devant le SĂ©nat, le ministre indiqua que, du 6 au 10 mai 2009, plus de 471
migrants clandestins avaient été interceptés en haute mer et transférés vers la
Libye conformément auxdits accords bilatéraux. AprÚs avoir expliqué que les
opérations avaient été conduites en application du principe de coopération
entre Etats, le ministre soutint que la politique de renvoi constituait un
moyen trĂšs efficace de lutter contre lâimmigration clandestine. Ladite
politique décourageait les organisations criminelles liées au trafic illicite
et à la traite des personnes, contribuait à sauver des vies en mer et réduisait
sensiblement les débarquements de clandestins sur les cÎtes italiennes,
dĂ©barquements qui en mai 2009 avaient Ă©tĂ© cinq fois moins nombreux quâen mai
2008, selon le ministre de lâIntĂ©rieur.
14. Au cours de lâannĂ©e 2009, lâItalie
pratiqua neuf interceptions de clandestins en haute mer conformément aux
accords bilatéraux avec la Libye.
B. Le sort des
requérants et leurs contacts avec leurs représentants
15. Selon les informations transmises Ă
la Cour par les reprĂ©sentants des requĂ©rants, deux dâentre eux, M. Mohamed
Abukar Mohamed et M. Hasan Shariff Abbirahman (respectivement no 10
et no 11 sur la liste annexĂ©e au prĂ©sent arrĂȘt), sont dĂ©cĂ©dĂ©s aprĂšs
les faits dans des circonstances inconnues.
16. AprĂšs lâintroduction de la requĂȘte,
les avocats ont pu garder des contacts avec les autres requérants. Ceux-ci
étaient joignables par téléphone et par courrier électronique.
Entre juin et octobre 2009, quatorze dâentre eux
(indiqués sur la liste) se sont vu accorder le statut de refugié par le bureau
du HCR de Tripoli.
17. A la suite de la révolte qui a éclaté
en Libye en février 2011 et qui a poussé un grand nombre de personnes à fuir le
pays, la qualitĂ© des contacts entre les requĂ©rants et leurs reprĂ©sentants sâest
dégradée. Les avocats sont actuellement en contact avec six des
requérants :
â M. Ermias Berhane (no 20 sur
la liste) est parvenu Ă rejoindre clandestinement les cĂŽtes italiennes. Le 21
juin 2011, la Commission territoriale de Crotone lui a octroyé le statut de
réfugié ;
â M. Habtom Tsegay (no 19 sur
la liste) se trouve actuellement au camp de Choucha, en Tunisie. Il envisage de
rejoindre lâItalie ;
â M. Kiflom Tesfazion Kidan (no
24 sur la liste) réside à Malte ;
â M. Hayelom Mogos Kidane et M. Waldu
Habtemchael (respectivement no 23 et no 13 sur la liste)
rĂ©sident en Suisse, oĂč ils attendent une rĂ©ponse Ă leur demande de protection
internationale ;
â M. Roberl Abzighi Yohannes (no
21 sur la liste) réside au Bénin.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Le code de la
navigation
18. Lâarticle 4 du code de la navigation
du 30 mars 1942, modifié en 2002, se lit ainsi :
« Les navires italiens en
haute mer ainsi que les aéronefs se trouvant dans un espace non soumis à la
souverainetĂ© dâun Etat sont considĂ©rĂ©s comme Ă©tant territoire italien ».
B Les accords bilatéraux
entre lâItalie et la Libye
19. Le 29 dĂ©cembre 2007, lâItalie et la
Libye signÚrent à Tripoli un accord bilatéral de coopération pour la lutte contre
lâimmigration clandestine. Le mĂȘme jour, les deux pays signĂšrent Ă©galement un
Protocole additionnel fixant les modalités opérationnelles et techniques de la
mise Ă exĂ©cution dudit accord. Lâarticle 2 de lâaccord est ainsi libellĂ© :
[Traduction du greffe]
« LâItalie et la Grande
Jamahiriya [arabe libyenne populaire socialiste] sâengagent Ă organiser des
patrouilles maritimes Ă lâaide de six navires mis Ă disposition, Ă titre
temporaire, par lâItalie. A bord des navires seront embarquĂ©s des Ă©quipages mixtes,
formĂ©s de personnel libyen ainsi que dâagents de police italiens, aux fins de
lâentraĂźnement, de la formation et de lâassistance technique pour lâutilisation
et la manutention des navires. Les opérations de contrÎle, de recherche et de
sauvetage seront conduites dans les lieux de départ et de transit des
embarcations destinĂ©es au transport dâimmigrĂ©s clandestins, tant dans les eaux
territoriales libyennes que dans les eaux internationales, dans le respect des
conventions internationales en vigueur et selon les modalités opérationnelles
qui seront définies par les autorités compétentes des deux pays. »
Par ailleurs, lâItalie sâengageait Ă cĂ©der Ă la
Libye, pour une période de trois ans, trois navires sans pavillon (article 3 de
lâaccord) et Ă promouvoir auprĂšs des organes de lâUnion europĂ©enne (UE) la
conclusion dâun accord-cadre entre lâUE et la Libye (article 4 de lâaccord).
Enfin, selon lâarticle 7 de lâaccord bilatĂ©ral, la
Libye sâengageait à « coordonner ses efforts avec ceux des pays dâorigine
pour la rĂ©duction de lâimmigration clandestine et pour le rapatriement des
immigrés ».
Le 4 fĂ©vrier 2009, lâItalie et la Libye signĂšrent Ă
Tripoli un Protocole additionnel visant au renforcement de la collaboration
bilatĂ©rale aux fins de la lutte contre lâimmigration clandestine. Ce dernier
Protocole modifiait partiellement lâaccord du 29 dĂ©cembre 2007, notamment par
lâintroduction dâun nouvel article, ainsi libellĂ© :
[Traduction du greffe]
« Les deux pays sâengagent Ă
organiser des patrouilles maritimes avec des équipages communs formés de
personnel italien et de personnel libyen, équivalents en nombre, expérience et
compétence. Les patrouilles opÚrent dans les eaux libyennes et internationales
sous la supervision de personnel libyen et avec la participation dâĂ©quipages
italiens, et dans les eaux italiennes et internationales sous la supervision de
personnel italien et avec la participation de personnel libyen.
La propriété des navires offerts
par lâItalie en vertu de lâarticle 3 de lâaccord du 29 dĂ©cembre 2007 sera
cédée définitivement à la Libye.
Les deux pays sâengagent Ă
rapatrier les immigrés clandestins et à conclure des accords avec les pays
dâorigine pour limiter le phĂ©nomĂšne de lâimmigration clandestine ».
20. Le 30 aoĂ»t 2008, lâItalie et la Libye
signĂšrent Ă Benghazi le TraitĂ© dâamitiĂ©, de partenariat et de coopĂ©ration, qui
prévoit en son article 19 des efforts pour la prévention du phénomÚne de
lâimmigration clandestine dans les pays dâorigine des flux migratoires. Aux
termes de lâarticle 6 de ce traitĂ©, lâItalie et la Libye sâengageaient Ă agir
conformément aux principes de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration
universelle des droits de lâhomme.
21. DâaprĂšs une dĂ©claration du ministre
italien de la DĂ©fense, en date du 26 fĂ©vrier 2011, lâapplication des accords
entre lâItalie et la Libye a Ă©tĂ© suspendue Ă la suite des Ă©vĂ©nements de 2011.
III. ĂLĂMENTS PERTINENTS DE DROIT
INTERNATIONAL ET DE DROIT EUROPĂEN
A. La Convention de
GenÚve relative au statut des réfugiés (1951)
22. LâItalie est partie Ă la Convention
de GenÚve de 1951 relative au statut des réfugiés (« la Convention de
GenÚve »), qui définit les modalités selon lesquelles un Etat doit
accorder le statut de réfugié aux personnes qui en font la demande, ainsi que
les droits et les devoirs de ces personnes. Les articles 1 et 33 § 1 de ladite
Convention disposent :
Article 1
« Aux fins de la présente
Convention, le terme « rĂ©fugiĂ© » sâappliquera Ă toute personne (...)
qui, (...) craignant avec raison dâĂȘtre persĂ©cutĂ©e du fait de sa race, de sa
religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou
de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité
et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la
protection de ce pays ; ou qui, si elle nâa pas de nationalitĂ© et se
trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite
de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y
retourner. »
Article 33 § 1
« Aucun des Etats contractants
nâexpulsera ou ne refoulera, de quelque maniĂšre que ce soit, un rĂ©fugiĂ© sur les
frontiĂšres des territoires oĂč sa vie ou sa libertĂ© serait menacĂ©e en raison de
sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain
groupe social ou de ses opinions politiques ».
23. Dans sa note sur la protection
internationale du 13 septembre 2001 (A/AC.96/951, § 16), le HCR, qui a pour
mandat de veiller Ă la maniĂšre dont les Etats parties appliquent la Convention
de GenĂšve, a indiquĂ© que le principe Ă©noncĂ© Ă lâarticle 33, dit du
« non-refoulement », était :
« un principe de protection
cardinal ne tolérant aucune réserve. A bien des égards, ce principe est le
complément logique du droit de chercher asile reconnu dans la Déclaration
universelle des droits de lâhomme. Ce droit en est venu Ă ĂȘtre considĂ©rĂ© comme
une rĂšgle de droit international coutumier liant tous les Etats. En outre, le
droit international des droits de lâhomme a Ă©tabli le non-refoulement comme un
Ă©lĂ©ment fondamental de lâinterdiction absolue de la torture et des traitements
cruels, inhumains ou dĂ©gradants. Lâobligation de ne pas refouler est Ă©galement
reconnue comme sâappliquant aux rĂ©fugiĂ©s indĂ©pendamment de leur reconnaissance
officielle, ce qui inclut de toute Ă©vidence les demandeurs dâasile dont le
statut nâa pas encore Ă©tĂ© dĂ©terminĂ©. Elle couvre toute mesure attribuable Ă un
Etat qui pourrait avoir pour effet de renvoyer un demandeur dâasile ou un
rĂ©fugiĂ© vers les frontiĂšres dâun territoire oĂč sa vie ou sa libertĂ© seraient
menacĂ©es, et oĂč il risquerait une persĂ©cution. Cela inclut le rejet aux
frontiĂšres, lâinterception et le refoulement indirect, quâil sâagisse dâun
individu en quĂȘte dâasile ou dâun afflux massif. »
B. La Convention des
Nations Unies sur le droit de la mer (« Convention de Montego Bay »)
(1982)
24. Les articles pertinents de la
Convention de Montego Bay sont ainsi libellés :
Article 92
Condition juridique des navires
« 1. Les navires
naviguent sous le pavillon dâun seul Etat et sont soumis, sauf dans les cas
exceptionnels expressément prévus par des traités internationaux ou par la
Convention, à sa juridiction exclusive en haute mer (...). »
Article 94
Obligations de lâEtat du pavillon
« 1. Tout Etat
exerce effectivement sa juridiction et son contrĂŽle dans les domaines
administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon.
(...) »
Article 98
Obligation de prĂȘter assistance
« 1. Tout Etat
exige du capitaine dâun navire battant son pavillon que, pour autant que cela
lui est possible sans faire courir de risques graves au navire, Ă lâĂ©quipage ou
aux passagers :
a) il prĂȘte assistance Ă
quiconque est trouvé en péril en mer ;
b) il se porte aussi
vite que possible au secours des personnes en dĂ©tresse sâil est informĂ©
quâelles ont besoin dâassistance, dans la mesure oĂč lâon peut raisonnablement
sâattendre quâil agisse de la sorte ;
(...) »
C. La Convention
internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (« Convention
SAR ») (1979, modifiée en 2004)
25. Le point 3.1.9 de la Convention SAR
dispose :
« Les Parties doivent assurer
la coordination et la coopération nécessaires pour que les capitaines de
navires qui prĂȘtent assistance en embarquant des personnes en dĂ©tresse en mer
soient dĂ©gagĂ©s de leurs obligations et sâĂ©cartent le moins possible de la route
prévue, sans que le fait de les dégager de ces obligations ne compromette
davantage la sauvegarde de la vie humaine en mer. La Partie responsable de la
rĂ©gion de recherche et de sauvetage dans laquelle une assistance est prĂȘtĂ©e
assume au premier chef la responsabilité de veiller à ce que cette coordination
et cette coopération soient assurées, afin que les survivants secourus soient
débarqués du navire qui les a recueillis et conduits en lieu sûr, compte tenu
de la situation particuliĂšre et des directives Ă©laborĂ©es par lâOrganisation
(Maritime Internationale). Dans ces cas, les Parties intéressées doivent
prendre les dispositions nécessaires pour que ce débarquement ait lieu dans les
meilleurs délais raisonnablement possibles. »
D. Le Protocole contre
le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel Ă la
Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée
(« Protocole de Palerme ») (2000)
26. Lâarticle 19 § 1 du Protocole de
Palerme est libellé comme suit :
« Aucune disposition du
prĂ©sent Protocole nâa dâincidences sur les autres droits, obligations et
responsabilités des Etats et des particuliers en vertu du droit international,
y compris du droit international humanitaire et du droit international relatif
aux droits de lâhomme et en particulier, lorsquâils sâappliquent, de la
Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés
ainsi que du principe de non-refoulement qui y est énoncé. »
E. La RĂ©solution 1821
(2011) de lâAssemblĂ©e parlementaire du Conseil de lâEurope
27. Le 21 juin 2011, lâAssemblĂ©e
parlementaire du Conseil de lâEurope a adoptĂ© la RĂ©solution sur lâinterception
et le sauvetage en mer de demandeurs dâasile, de rĂ©fugiĂ©s et de migrants en
situation irréguliÚre, qui se lit ainsi :
« 1. La
surveillance des frontiĂšres mĂ©ridionales de lâEurope est devenue une prioritĂ©
rĂ©gionale. Le continent europĂ©en doit en effet faire face Ă lâarrivĂ©e
relativement importante de flux migratoires par la mer en provenance dâAfrique et
arrivant en Europe principalement via lâItalie, Malte, lâEspagne, la GrĂšce et
Chypre.
2. Des migrants, des
rĂ©fugiĂ©s, des demandeurs dâasile et dâautres personnes mettent leur vie en
pĂ©ril pour rejoindre les frontiĂšres mĂ©ridionales de lâEurope, gĂ©nĂ©ralement dans
des embarcations de fortune. Ces voyages, toujours effectués par des moyens
irréguliers et la plupart à bord de navires sans pavillon, au risque de tomber
entre les mains de réseaux de trafic illicite de migrants et de traite des
ĂȘtres humains, sont lâexpression de la dĂ©tresse des personnes embarquĂ©es qui
nâont pas de moyen rĂ©gulier et en tout cas pas de moyen moins risquĂ© de gagner
lâEurope.
3. MĂȘme si le nombre
dâarrivĂ©es par mer a drastiquement diminuĂ© ces derniĂšres annĂ©es, avec pour
effet de déplacer les routes migratoires (notamment vers la frontiÚre terrestre
entre la Turquie et la GrĂšce), lâAssemblĂ©e parlementaire, rappelant notamment
sa
Résolution 1637 (2008) « Les boat people en Europe : arrivée
par mer de flux migratoires mixtes en Europe », exprime à nouveau ses
vives prĂ©occupations concernant les mesures prises pour gĂ©rer lâarrivĂ©e par mer
de ces flux migratoires mixtes. De nombreuses personnes en détresse en mer ont
Ă©tĂ© sauvĂ©es et de nombreuses personnes tentant de rejoindre lâEurope ont Ă©tĂ©
renvoyĂ©es, mais la liste des incidents mortels â aussi tragiques que
prĂ©visibles â est longue et elle augmente actuellement presque chaque jour.
4. Par ailleurs, les
récentes arrivées en Italie et à Malte survenues suite aux bouleversements en
Afrique du Nord confirment la nĂ©cessitĂ© pour lâEurope dâĂȘtre prĂȘte Ă affronter,
Ă tout moment, lâarrivĂ©e massive de migrants irrĂ©guliers, demandeurs dâasile et
réfugiés sur ses cÎtes méridionales.
5. LâAssemblĂ©e constate
que la gestion de ces arrivées par mer soulÚve de nombreux problÚmes, parmi
lesquels cinq sont particuliÚrement inquiétants :
5.1. Alors que plusieurs
instruments internationaux pertinents sâappliquent en la matiĂšre et Ă©noncent de
maniĂšre satisfaisante les droits et les obligations des Etats et des individus,
il semble y avoir des divergences dans lâinterprĂ©tation de leur contenu.
Certains Etats ne sont pas dâaccord sur la nature et lâĂ©tendue de leurs
responsabilités dans certains cas et certains Etats remettent également en
question lâapplication du principe de non-refoulement en haute mer ;
5.2. Bien que la priorité
absolue en cas dâinterception en mer soit dâassurer le dĂ©barquement rapide des
personnes secourues en « lieu sûr », la notion de « lieu
sĂ»r » ne semble pas ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de la mĂȘme maniĂšre par tous les Etats
membres. Or, il est clair que la notion de « lieu sûr » ne saurait se
limiter Ă la seule protection physique des personnes mais quâelle englobe
nécessairement le respect de leurs droits fondamentaux ;
5.3. Ces désaccords
mettent directement en péril la vie des personnes à secourir, notamment en retardant
ou en empĂȘchant les actions de sauvetage, et sont susceptibles de dissuader les
marins de venir au secours des personnes en détresse en mer. De plus, ils
pourraient avoir pour consĂ©quence la violation du principe de non-refoulement Ă
lâĂ©gard dâun nombre important de personnes, y compris Ă lâĂ©gard de personnes
ayant besoin de protection internationale ;
5.4. Alors que lâAgence
européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontiÚres
extĂ©rieures des Etats membres de lâUnion europĂ©enne (Frontex) joue un rĂŽle de
plus en plus grand en matiĂšre dâinterception en mer, les garanties du respect
des droits de lâhomme et des obligations relevant du droit international et du
droit communautaire dans le contexte des opĂ©rations conjointes quâelle
coordonne sont insuffisantes ;
5.5. Enfin, ces arrivées
par la mer font peser une charge disproportionnée sur les Etats situés aux
frontiĂšres mĂ©ridionales de lâUnion europĂ©enne. Le but dâun partage plus
Ă©quitable des responsabilitĂ©s et dâune plus grande solidaritĂ© en matiĂšre de
migration entre les Etats europĂ©ens est loin dâĂȘtre atteint.
6. La situation est
compliquée par le fait que les flux migratoires concernés sont à caractÚre
mixte et quâils demandent donc des rĂ©ponses spĂ©cialisĂ©es prenant en compte les
besoins de protection et adaptées au statut des personnes secourues. Pour
apporter aux arrivées par mer une réponse adéquate et conforme aux normes
internationales pertinentes, les Etats doivent tenir compte de cet élément dans
leurs politiques et activités de gestion des migrations.
7. LâAssemblĂ©e rappelle
aux Etats membres leurs obligations relevant du droit international, notamment
aux termes de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme, de la Convention
des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 et de la Convention de GenĂšve
de 1951 relative au statut des réfugiés, en particulier le principe de
non-refoulement et le droit de demander lâasile. LâAssemblĂ©e rappelle Ă©galement
les obligations des Etats Parties Ă la Convention internationale pour la
sauvegarde de la vie humaine en mer de 1974 et Ă la Convention internationale
de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes.
8. Enfin et surtout,
lâAssemblĂ©e rappelle aux Etats membres quâils ont lâobligation tant morale que
légale de secourir les personnes en détresse en mer sans le moindre délai et
rĂ©affirme sans ambiguĂŻtĂ© lâinterprĂ©tation faite par le Haut-Commissariat des
Nations Unies pour les réfugiés (HCR) selon lequel le principe de
non-refoulement sâapplique Ă©galement en haute mer. La haute mer nâest pas une
zone dans laquelle les Etats sont exempts de leurs obligations juridiques, y
compris de leurs obligations issues du droit international des droits de
lâhomme et du droit international des rĂ©fugiĂ©s.
9. LâAssemblĂ©e appelle
donc les Etats membres, dans la conduite des activités de surveillance des
frontiÚres maritimes, que ce soit dans le contexte de la prévention du trafic
illicite et de la traite des ĂȘtres humains ou dans celui de la gestion des
frontiĂšres, quâils exercent leur juridiction de droit ou de fait :
9.1. à répondre sans
exception et sans délai à leur obligation de secourir les personnes en détresse
en mer ;
9.2. Ă veiller Ă ce que
leurs politiques et activités relatives à la gestion de leurs frontiÚres, y
compris les mesures dâinterception, reconnaissent la composition mixte des flux
de personnes tentant de franchir les frontiĂšres maritimes ;
9.3. Ă garantir Ă toutes
les personnes interceptées un traitement humain et le respect systématique de
leurs droits de lâhomme, y compris du principe de non-refoulement,
indĂ©pendamment du fait que les mesures dâinterception soient mises en Ćuvre
dans leurs propres eaux territoriales, dans celles dâun autre Etat sur la base
dâun accord bilatĂ©ral ad hoc, ou en haute mer ;
9.4. Ă sâabstenir de
recourir Ă toute pratique pouvant sâapparenter Ă un refoulement direct ou
indirect, y compris en haute mer, en respect de lâinterprĂ©tation de
lâapplication extraterritoriale de ce principe faite par le HCR et des arrĂȘts
pertinents de la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme ;
9.5. Ă assurer en
priorité le débarquement rapide des personnes secourues en « lieu
sûr » et à considérer comme « lieu sûr » un lieu susceptible de
répondre aux besoins immédiats des personnes débarquées, qui ne mette nullement
en péril leurs droits fondamentaux ; la notion de « sûreté »
allant au-delĂ de la simple protection du danger physique et prenant Ă©galement
en compte la perspective des droits fondamentaux du lieu de débarquement
proposé ;
9.6. Ă garantir aux
personnes interceptĂ©es ayant besoin dâune protection internationale lâaccĂšs Ă
une procĂ©dure dâasile juste et efficace ;
9.7. Ă garantir aux
personnes interceptĂ©es victimes de la traite des ĂȘtres humains ou risquant de
le devenir, lâaccĂšs Ă une protection et une assistance, y compris de procĂ©dures
dâasile ;
9.8. Ă veiller Ă ce que
le placement en rĂ©tention de personnes interceptĂ©es â en excluant
systĂ©matiquement les mineurs et les groupes vulnĂ©rables â indĂ©pendamment de
leur statut, soit autorisĂ© par les autoritĂ©s judiciaires et quâil nâait lieu
quâen cas de nĂ©cessitĂ© et pour des motifs prescrits par la loi, en lâabsence de
toute autre alternative appropriée et dans le respect des normes minimales et
des principes définis dans la Résolution
1707 (2010) de lâAssemblĂ©e sur la rĂ©tention administrative des demandeurs
dâasile et des migrants en situation irrĂ©guliĂšre en Europe ;
9.9. Ă suspendre les
accords bilatĂ©raux quâils peuvent avoir passĂ©s avec des Etats tiers si les
droits fondamentaux de personnes interceptĂ©es nây sont pas garantis
adĂ©quatement, notamment leur droit dâaccĂšs Ă une procĂ©dure dâasile, et dĂšs lors
quâils peuvent sâapparenter Ă une violation du principe de non-refoulement, et
à conclure de nouveaux accords bilatéraux contenant expressément de telles
garanties en matiĂšre de droits de lâhomme et des mesures en vue de leur
contrÎle régulier et effectif ;
9.10. Ă signer et ratifier,
sâils ne lâont pas encore fait, les instruments internationaux pertinents
susmentionnĂ©s et Ă tenir compte des Directives de lâOrganisation maritime
internationale (OMI) sur le traitement des personnes secourues en mer ;
9.11. Ă signer et
ratifier, sâils ne lâont pas encore fait, la Convention du Conseil de lâEurope
sur la lutte contre la traite des ĂȘtres humains (STCE no 197) et les
Protocoles dits « de Palerme » à la Convention des Nations Unies
contre la criminalité transnationale organisée (2000) ;
9.12. Ă veiller Ă ce que
les opérations de surveillance aux frontiÚres maritimes et les mesures de
contrĂŽle aux frontiĂšres nâentravent pas la protection spĂ©cifique accordĂ©e au
titre du droit international aux catégories vulnérables telles que les réfugiés,
les personnes apatrides, les enfants non accompagnés et les femmes, les
migrants, les victimes de la traite ou les personnes risquant de le devenir,
ainsi que les victimes de tortures et de traumatismes.
10. LâAssemblĂ©e est
inquiĂšte de lâabsence de clartĂ© en ce qui concerne les responsabilitĂ©s
respectives des Etats membres de lâUnion europĂ©enne et de Frontex et du manque
de garanties adéquates du respect des droits fondamentaux et des normes
internationales dans le cadre des opérations conjointes coordonnées par cette
agence. Alors que lâAssemblĂ©e se fĂ©licite des propositions prĂ©sentĂ©es par la
Commission européenne pour modifier le rÚglement de cette agence afin de
renforcer les garanties du plein respect des droits fondamentaux, elle les juge
insuffisantes et souhaiterait que le Parlement européen soit chargé du contrÎle
démocratique des activités de cette agence, notamment eu égard au respect des
droits fondamentaux.
11. LâAssemblĂ©e
considĂšre Ă©galement quâil est essentiel que des efforts soient entrepris pour
remĂ©dier aux causes premiĂšres qui poussent des personnes dĂ©sespĂ©rĂ©es Ă
sâembarquer en direction de lâEurope au pĂ©ril de leur vie. LâAssemblĂ©e appelle
tous les Etats membres Ă renforcer leurs efforts en faveur de la paix, de
lâEtat de droit et de la prospĂ©ritĂ© dans les pays dâorigine des candidats Ă
lâimmigration et des demandeurs dâasile.
12. Enfin, étant donné
les sĂ©rieux dĂ©fis posĂ©s aux Etats cĂŽtiers par lâarrivĂ©e irrĂ©guliĂšre par mer de flux
mixtes de personnes, lâAssemblĂ©e appelle la communautĂ© internationale, en
particulier lâOMI, le HRC, lâOrganisation internationale pour les migrations
(OIM), le Conseil de lâEurope et lâUnion europĂ©enne (y compris Frontex et le
Bureau europĂ©en dâappui en matiĂšre dâasile) :
12.1. Ă fournir toute
lâassistance requise Ă ces Etats dans un esprit de solidaritĂ© et de partage des
responsabilités ;
12.2. sous lâĂ©gide de
lâOMI, Ă dĂ©ployer des efforts concertĂ©s afin de garantir une approche cohĂ©rente
et harmonisĂ©e du droit maritime international, au moyen, notamment, dâun
consensus sur la définition et le contenu des principaux termes et
normes ;
12.3. Ă mettre en place
un groupe inter-agences chargĂ© dâĂ©tudier et de rĂ©soudre les problĂšmes
principaux en matiĂšre dâinterception en mer, y compris les cinq problĂšmes
identifiés dans cette résolution, de fixer des priorités politiques précises,
de conseiller les Etats et autres acteurs concernés et de contrÎler et évaluer
la mise en Ćuvre des mesures dâinterception en mer. Le groupe devrait ĂȘtre
composĂ© de membres de lâOMI, du HCR, de lâOIM, du Conseil de lâEurope, de
Frontex et du Bureau europĂ©en dâappui en matiĂšre dâasile. »
F. Le droit de lâUnion
européenne
1. La Charte des droits fondamentaux de
lâUnion europĂ©enne (2000)
28. Lâarticle 19 de la Charte des droits
fondamentaux de lâUnion europĂ©enne dispose :
Protection en cas dâĂ©loignement,
dâexpulsion et dâextradition
« 1. Les expulsions
collectives sont interdites.
2. Nul ne peut ĂȘtre
Ă©loignĂ©, expulsĂ© ou extradĂ© vers un Etat oĂč il existe un risque sĂ©rieux quâil
soit soumis Ă la peine de mort, Ă la torture ou Ă dâautres peines ou
traitements inhumains ou dégradants. »
2. LâAccord de Schengen (1985)
29. Lâarticle 17 de lâAccord de Schengen
est ainsi libellé :
« En matiÚre de circulation
des personnes, les Parties chercheront Ă supprimer les contrĂŽles aux frontiĂšres
communes et à les transférer à leurs frontiÚres externes. A cette fin, elles
sâefforceront prĂ©alablement dâharmoniser, si besoin est, les dispositions lĂ©gislatives
et réglementaires relatives aux interdictions et restrictions qui fondent les
contrÎles et de prendre des mesures complémentaires pour la sauvegarde de la
sĂ©curitĂ© et pour faire obstacle Ă lâimmigration illĂ©gale de ressortissants
dâEtats non membres des CommunautĂ©s europĂ©ennes. »
3. Le RĂšglement (CE)
no 2007/2004 du Conseil du 26 octobre 2004 portant crĂ©ation dâune
Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux
frontiĂšres extĂ©rieures des Etats membres de lâUnion europĂ©enne (FRONTEX)
30. Le RĂšglement (CE) no
2007/2004 contient les dispositions suivantes :
« 1) La politique
communautaire relative aux frontiĂšres extĂ©rieures de lâUnion europĂ©enne vise Ă
mettre en place une gestion intégrée garantissant un niveau élevé et uniforme
de contrĂŽle et de surveillance qui constitue le corollaire indispensable de la
libre circulation des personnes dans lâUnion europĂ©enne et un Ă©lĂ©ment
dĂ©terminant de lâespace de libertĂ©, de sĂ©curitĂ© et de justice. A cette fin, il
est prĂ©vu dâĂ©tablir des rĂšgles communes relatives aux normes et aux procĂ©dures
de contrÎle aux frontiÚres extérieures.
2) Pour mettre
efficacement en Ćuvre les rĂšgles communes, il importe dâaccroĂźtre la
coordination de la coopération opérationnelle entre Etats membres.
3) En tenant compte de
lâexpĂ©rience de lâinstance commune de praticiens des frontiĂšres extĂ©rieures
opĂ©rant au sein du Conseil, un organisme dâexperts spĂ©cialisĂ© chargĂ©
dâamĂ©liorer la coordination de la coopĂ©ration opĂ©rationnelle entre Etats
membres en matiĂšre de gestion des frontiĂšres extĂ©rieures devrait ĂȘtre crĂ©Ă© sous
la forme dâune Agence europĂ©enne de gestion de la coopĂ©ration opĂ©rationnelle
aux frontiĂšres extĂ©rieures des Etats membres de lâUnion europĂ©enne, ci-aprĂšs
dĂ©nommĂ©e « lâAgence ».
4) La responsabilité du
contrÎle et de la surveillance des frontiÚres extérieures incombe aux Etats
membres. LâAgence vise Ă faciliter lâapplication des mesures communautaires
existantes ou futures relatives à la gestion des frontiÚres extérieures en
assurant la coordination des dispositions dâexĂ©cution correspondantes prises
par les Etats membres.
5) Il est de la plus
haute importance pour les Etats membres quâun contrĂŽle et une surveillance
effectifs des frontiÚres extérieures soient assurés, indépendamment de leur situation
géographique. En conséquence, il est nécessaire de promouvoir la solidarité
entre les Etats membres dans le domaine de la gestion des frontiĂšres
extĂ©rieures. La crĂ©ation de lâAgence, qui assiste les Etats membres dans la
mise en Ćuvre opĂ©rationnelle de la gestion de leurs frontiĂšres extĂ©rieures,
notamment du retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur
leur territoire, constitue une avancée importante dans ce sens. »
4. Le RĂšglement (CE) no
562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un
code communautaire relatif au régime de franchissement des frontiÚres par les
personnes (code frontiĂšres Schengen)
31. Lâarticle 3 du RĂšglement (CE) no
562/2006 dispose :
« Le présent rÚglement
sâapplique Ă toute personne franchissant la frontiĂšre intĂ©rieure ou extĂ©rieure
dâun Etat membre, sans prĂ©judice :
a) des droits des
personnes jouissant du droit communautaire Ă la libre circulation ;
b) des droits des
réfugiés et des personnes demandant une protection internationale, notamment en
ce qui concerne le non-refoulement. »
5. La DĂ©cision du
Conseil du 26 avril 2010 visant à compléter le code frontiÚres Schengen en ce
qui concerne la surveillance des frontiÚres extérieures maritimes dans le cadre
de la coopĂ©ration opĂ©rationnelle coordonnĂ©e par lâAgence europĂ©enne pour la
gestion de la coopération opérationnelle aux frontiÚres extérieures des Etats
membres de lâUnion europĂ©enne (2010/252/UE)
32. La DĂ©cision du Conseil du 26 avril
2010 précise en son annexe :
« RÚgles applicables aux
opĂ©rations aux frontiĂšres maritimes coordonnĂ©es par [lâAgence FRONTEX] :
1. Principes généraux
1.1. Les mesures prises
aux fins dâune opĂ©ration de surveillance sont exĂ©cutĂ©es dans le respect des droits
fondamentaux et de façon à ne pas mettre en danger la sécurité des personnes
interceptées ou secourues ni celle des unités participantes.
1.2. Nul nâest dĂ©barquĂ©
dans un pays ni livré aux autorités de celui-ci en violation du principe de
non-refoulement ou sâil existe un risque de refoulement ou de renvoi vers un
autre pays en violation de ce principe. Sans préjudice du point 1.1, les
personnes interceptées ou secourues sont informées de maniÚre adéquate afin
quâelles puissent expliquer les raisons pour lesquelles un dĂ©barquement Ă
lâendroit proposĂ© serait contraire au principe de non-refoulement.
1.3. Il est tenu compte,
pendant toute la durĂ©e de lâopĂ©ration, des besoins spĂ©cifiques des enfants, des
victimes de la traite des ĂȘtres humains, des personnes ayant besoin dâune
assistance mĂ©dicale urgente ou dâune protection internationale et des autres
personnes se trouvant dans une situation particuliÚrement vulnérable.
1.4. Les Etats membres
veillent Ă ce que les gardes-frontiĂšres participant Ă lâopĂ©ration de
surveillance aient reçu une formation au sujet des dispositions applicables en
matiĂšre de droits de lâhomme et de droit des rĂ©fugiĂ©s et Ă ce quâils soient
familiarisés avec le régime international de recherche et de sauvetage. »
IV. DOCUMENTS INTERNATIONAUX CONCERNANT
LES INTERCEPTIONS EN HAUTE MER PRATIQUĂES PAR LâITALIE ET LA SITUATION EN LIBYE
A. Le communiqué de
presse du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés
33. Le 7 mai 2009, le HCR publia un
communiqué de presse ainsi libellé :
« Le HCR a exprimé sa vive
préoccupation jeudi concernant le sort de quelque 230 personnes secourues en
mer mercredi par des vedettes italiennes de patrouille maritime dans la région
de recherche et de sauvetage relevant de la compétence des autorités maltaises.
Toutes ces personnes ont été renvoyées en Libye sans une évaluation appropriée
de leurs Ă©ventuels besoins de protection. Le sauvetage est survenu Ă une
distance dâenviron 35 milles nautiques au sud-est de lâĂźle de Lampedusa,
toutefois Ă lâintĂ©rieur de la zone de recherche et de sauvetage relevant de la
compétence des autorités maltaises.
Le renvoi en Libye sâest fait suite
à une journée de discussions tendues entre les autorités maltaises et
italiennes concernant lâattribution de la responsabilitĂ© du sauvetage et du
débarquement des personnes en détresse qui se trouvaient à bord des trois
bateaux. Bien que se trouvant plus prĂšs de Lampedusa, les navires croisaient
dans la zone de recherche et de sauvetage relevant de la compétence des
autorités maltaises.
Alors quâaucune information nâest
disponible sur les nationalités des personnes qui se trouvaient à bord des
vedettes, il est probable que, parmi elles, se trouvaient des personnes ayant
besoin dâune protection internationale. En 2008, environ 75 % des
personnes arrivĂ©es par la mer en Italie ont dĂ©posĂ© une demande dâasile et
50 % dâentre elles se sont vu octroyer le statut de rĂ©fugiĂ© ou une
protection pour dâautres raisons humanitaires.
« Jâappelle les autoritĂ©s
italiennes et maltaises Ă continuer dâassurer que les personnes secourues en
mer et ayant besoin de protection internationale bĂ©nĂ©ficient dâun accĂšs sans
entrave au territoire et aux procĂ©dures dâasile », a indiquĂ© le Haut Commissaire
AntĂłnio Guterres.
Cet incident marque un revirement
significatif dans les politiques jusquâalors appliquĂ©es par le gouvernement
italien et câest un motif de trĂšs sĂ©rieuse inquiĂ©tude. Le HCR regrette vivement
le manque de transparence qui a entouré cet événement.
« Nous travaillons étroitement
avec les autorités italiennes à Lampedusa et ailleurs pour garantir que les
personnes fuyant la guerre et les persécutions soient protégées dans le respect
de la Convention de 1951 relative au statut des rĂ©fugiĂ©s, adoptĂ©e Ă
GenÚve », a
ajoutĂ© Laurens Jolles, le dĂ©lĂ©guĂ© du HCR Ă Rome. « Il est dâune
importance fondamentale que le principe du droit international sur le
non-refoulement continue Ă ĂȘtre pleinement respectĂ© ».
De plus, la Libye nâest pas
signataire de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés
et ce pays ne dispose pas dâun systĂšme national dâasile opĂ©rationnel. Le HCR
lance un appel pressant aux autoritĂ©s italiennes pour quâelles rĂ©examinent leur
dĂ©cision et quâelles veillent Ă ne pas mettre en Ćuvre de telles mesures Ă
lâavenir. »
B. La lettre de M.
Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne, en date du 15
juillet 2009
34. Le 15 juillet 2009, M. Jacques Barrot
adressa une lettre au président de la Commission des libertés civiles, de la
justice et des affaires intérieures du Parlement européen, en réponse à une
demande dâavis juridique sur la « reconduite en Libye de plusieurs groupes
de migrants par les autorités italiennes par voie maritime ». Dans cette
lettre, le vice-prĂ©sident de la Commission europĂ©enne sâexprimait ainsi :
« Selon les informations dont
la Commission dispose, les migrants concernés ont été interceptés en haute mer.
Deux ensembles de rĂšgles
communautaires doivent ĂȘtre examinĂ©s concernant la situation de ressortissants
de pays tiers ou dâapatrides qui entendent entrer, dâune maniĂšre irrĂ©guliĂšre,
sur le territoire des Etats membres et dont une partie dâentre eux pourraient
avoir besoin dâune protection internationale.
PremiĂšrement, lâacquis
communautaire en matiĂšre dâasile vise Ă sauvegarder le droit dâasile, tel quâĂ©noncĂ©
dans lâarticle 18 de la Charte des Droits fondamentaux de lâUE, et en
conformité avec la Convention de GenÚve de 1951 concernant le statut des
réfugiés et avec les autres traités pertinents. Cependant cet acquis, y compris
la directive sur les procĂ©dures dâasile de 2005, sâapplique uniquement aux
demandes dâasile faites sur le territoire des Etats membres, qui comprend les
frontiĂšres, les zones de transit ainsi que, dans le cadre des frontiĂšres
maritimes, les eaux territoriales des Etats membres. En conséquence, il est
clair juridiquement que lâacquis communautaire en matiĂšre dâasile ne sâapplique
pas dans les situations en haute mer.
DeuxiĂšmement, le Code des
FrontiĂšres Schengen (CFS) exige que les Etats membres assurent la surveillance
frontaliĂšre pour empĂȘcher entre autres le passage des frontiĂšres non autorisĂ©
(article 12 du rĂšglement (ĐĄĐ) no 562/2006 (CFS)). NĂ©anmoins, cette
obligation communautaire doit ĂȘtre mise en Ćuvre en conformitĂ© avec le
principe de non-refoulement et sans préjudice des droits des
réfugiés et des personnes demandant la protection internationale.
La Commission est dâavis que les
activités de surveillance des frontiÚres effectuées en mer, que ce soit dans
les eaux territoriales, la zone contiguë, la zone économique exclusive ou en
haute mer, tombent sous le champ dâapplication du CFS. A cet Ă©gard, notre
analyse préliminaire juridique permet de supposer que les actes des gardes
frontiÚres italiens correspondent à la notion de « surveillance de
frontiĂšres », comme Ă©noncĂ© Ă lâarticle 12 du CFS, puisquâils ont empĂȘchĂ©
le passage non autorisé de la frontiÚre extérieure maritime par les personnes
concernées et ont abouti à leur reconduite dans le pays tiers de départ. Il
ressort de la jurisprudence de la Cour de Justice européenne que les
obligations communautaires doivent ĂȘtre appliquĂ©es dans le strict respect des
droits fondamentaux faisant partie des principes généraux de droit
communautaire. La Cour a Ă©galement clarifiĂ© que le champ dâapplication de ces
droits dans lâordre juridique communautaire doit ĂȘtre dĂ©terminĂ© en prenant en
considĂ©ration la jurisprudence de la Cour europĂ©enne des Droits de lâHomme
(CEDH).
Le principe de non-refoulement,
tel quâinterprĂ©tĂ©
par la CEDH, signifie essentiellement que les Etats doivent sâabstenir de
renvoyer une personne (directement ou indirectement) lĂ oĂč elle pourrait courir
un risque réel de soumission à la torture ou à des peines ou traitements
inhumains ou dégradants. En outre les Etats ne peuvent renvoyer des réfugiés
aux frontiÚres des territoires dans lesquels leur vie ou leur liberté serait
menacée à cause de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur
affiliation Ă un groupe social particulier ou de leur opinion politique. Cette
obligation devrait ĂȘtre respectĂ©e lors de la mise en Ćuvre du contrĂŽle aux
frontiÚres conformément au CFS, y compris les activités de surveillance des
frontiĂšres en haute mer. La jurisprudence de la CEDH indique que les actes
exĂ©cutĂ©s en haute mer par un navire dâEtat constituent un cas de compĂ©tence
extraterritoriale et peuvent engager la responsabilitĂ© de lâEtat concernĂ©.
Compte tenu de ce qui précÚde
concernant le champ des compétences communautaires, la Commission a invité les
autorités italiennes à lui fournir des informations supplémentaires concernant
les circonstances de fait de la reconduction des personnes concernées en Libye
et les dispositions en place pour assurer la conformité avec le principe de
non-refoulement lors de la mise en Ćuvre de lâaccord bilatĂ©ral entre les deux pays. »
C. Le rapport du Comité
pour la prĂ©vention de la torture du Conseil de lâEurope
35. Du 27 au 31 juillet 2009, une
délégation du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou
traitements inhumains ou dĂ©gradants (CPT) du Conseil de lâEurope a effectuĂ© une
visite en Italie. A cette occasion, la délégation a examiné diverses questions
ayant trait Ă la nouvelle politique gouvernementale dâinterception en mer et de
renvoi en Libye de migrants irrĂ©guliers sâapprochant des cĂŽtes mĂ©ridionales
italiennes. La dĂ©lĂ©gation sâest concentrĂ©e notamment sur le systĂšme de
garanties en place permettant de ne pas renvoyer une personne vers un pays oĂč
il y a des motifs sĂ©rieux de croire quâelle y courra un risque rĂ©el dâĂȘtre
soumise Ă la torture ou Ă des mauvais traitements.
36. Dans son rapport, rendu public le 28
avril 2010, le CPT a estimĂ© que la politique de lâItalie consistant Ă
intercepter des migrants en mer et Ă les contraindre Ă retourner en Libye ou
dans dâautres pays non europĂ©ens constituait une violation du principe de
non-refoulement. Il a soulignĂ© que lâItalie Ă©tait liĂ©e par le principe de
non-refoulement quel que soit le lieu oĂč elle exerce sa juridiction, ce qui
inclut lâexercice de sa juridiction par le biais de son personnel et de ses
navires engagés dans la protection des frontiÚres ou le sauvetage en mer, y
compris lorsquâils opĂšrent hors de son territoire. De plus, toutes les
personnes relevant de la juridiction de lâItalie devraient avoir la possibilitĂ©
de demander la protection internationale et de bénéficier à cette fin des
facilités nécessaires. Il ressortait des informations dont disposait le CPT que
cette possibilitĂ© nâavait pas Ă©tĂ© offerte aux migrants interceptĂ©s en mer par
les autorités italiennes pendant la période examinée. Au contraire, les
personnes qui avaient été renvoyées en Libye dans le cadre des opérations
menĂ©es de mai Ă juillet 2009 sâĂ©taient vu refuser le droit dâobtenir une
Ă©valuation individuelle de leur cas et un accĂšs effectif au systĂšme de
protection des réfugiés. A cet égard, le CPT a observé que les personnes ayant
survécu à un voyage en mer sont particuliÚrement vulnérables et se trouvent
souvent dans un Ă©tat tel quâon ne saurait attendre dâelles quâelles puissent
immĂ©diatement exprimer leur dĂ©sir de demander lâasile.
Selon le rapport du CPT, la Libye ne saurait ĂȘtre
considĂ©rĂ©e comme un pays sĂ»r en matiĂšre de droits de lâhomme et de droit des
rĂ©fugiĂ©s ; la situation des personnes arrĂȘtĂ©es et dĂ©tenues en Libye, y compris
celle des migrants â qui courent Ă©galement le risque dâĂȘtre expulsĂ©s â
indiquerait que les personnes renvoyĂ©es vers la Libye risquaient dâĂȘtre
victimes de mauvais traitements.
D. Le rapport de Human
Rights Watch
37. Dans un long rapport publié le 21
septembre 2009, ayant pour titre « RepoussĂ©s, malmenĂ©s : LâItalie
renvoie par la force les migrants et demandeurs dâasile arrivĂ©s par
bateau, la Libye les maltraite », Human Rights Watch dénonce la
pratique italienne consistant Ă intercepter en haute mer des embarcations
chargées de migrants et à les refouler vers la Libye sans procéder aux
vérifications nécessaires. Ce rapport se base également sur les résultats de
recherches publiées dans un rapport de 2006, intitulé « Libya, stemming
the Flow. Abuses against migrants, asylum seekers and refugees ».
38. Selon Human Rights Watch, les
patrouilleurs italiens remorquent les embarcations des migrants dans les eaux
internationales sans vĂ©rifier sâil y a parmi eux des rĂ©fugiĂ©s, des malades ou
des blessés, des femmes enceintes, des enfants non accompagnés ou des victimes
de trafic ou dâautres formes de violence. Les autoritĂ©s italiennes obligeraient
les migrants interceptés à embarquer sur des navires libyens ou ramÚneraient
directement les migrants en Libye, oĂč les autoritĂ©s les placeraient
immédiatement en détention. Certaines de ces opérations seraient coordonnées
par lâagence Frontex.
Le rapport sâappuie sur des entretiens menĂ©s auprĂšs
de quatre-vingt-onze migrants, demandeurs dâasile et rĂ©fugiĂ©s en Italie et Ă
Malte, essentiellement en mai 2009, et sur un entretien téléphonique avec un
migrant détenu en Libye. Des représentants de Human Rights Watch se seraient
rendus en Libye en avril 2009 et auraient rencontré des représentants du
gouvernement, mais les autoritĂ©s libyennes nâauraient pas permis Ă lâorganisation
de sâentretenir en privĂ© avec des migrants. En dĂ©pit de demandes rĂ©pĂ©tĂ©es, les
autoritĂ©s nâauraient pas non plus accordĂ© Ă Human Rights Watch lâautorisation
de visiter lâun des nombreux centres de dĂ©tention pour les migrants en Libye.
Le HCR aurait maintenant accĂšs Ă la prison de Misratah, oĂč les migrants
clandestins seraient généralement détenus, et des organisations libyennes y
assureraient des services humanitaires. Cependant, en lâabsence dâun accord
officiel, lâaccĂšs ne serait pas garanti. De plus, la Libye ne connaĂźtrait pas
le droit dâasile. Les autoritĂ©s ne feraient aucune distinction entre les
rĂ©fugiĂ©s, les demandeurs dâasile et dâautres migrants clandestins.
39. Human Rights Watch exhorte le
gouvernement libyen à améliorer les conditions de détention en Libye,
apparemment dĂ©plorables, et Ă mettre en place des procĂ©dures dâasile conformes
aux normes internationales. Le rapport sâadresse Ă©galement au gouvernement
italien, Ă lâUnion europĂ©enne et Ă Frontex, afin que soit garanti le droit
dâasile, y compris pour les personnes interceptĂ©es en haute mer, et que les
non-ressortissants libyens ne soient pas renvoyés en Libye, tant que la façon
dont les migrants, les demandeurs dâasile et les rĂ©fugiĂ©s y sont traitĂ©s ne
sera pas pleinement conforme aux rĂšgles internationales.
E. La visite dâAmnesty
International
40. Une Ă©quipe dâAmnesty International a
effectuĂ© une mission dâenquĂȘte en Libye du 15 au 23 mai 2009 ; câĂ©tait la
premiÚre fois depuis 2004 que les autorités libyennes autorisaient une visite de
lâorganisation.
Pendant cette visite, Amnesty International sâest
rendue notamment Ă environ 200 km de Tripoli, oĂč elle a interrogĂ© briĂšvement
certaines personnes parmi les centaines de migrants clandestins en provenance
dâautres pays dâAfrique qui sont entassĂ©s au centre de dĂ©tention de Misratah.
Un grand nombre de ces migrants auraient Ă©tĂ© interceptĂ©s alors quâils
cherchaient Ă se rendre en Italie ou dans un autre pays du sud de lâEurope
ayant demandĂ© Ă la Libye et Ă dâautres pays dâAfrique du Nord de retenir les
migrants illĂ©gaux en provenance dâAfrique subsaharienne pour les empĂȘcher de se
rendre en Europe.
41. Amnesty International estime possible
quâil y ait parmi les personnes dĂ©tenues Ă Misratah des rĂ©fugiĂ©s fuyant la
persĂ©cution et souligne que la Libye ne dispose pas dâune procĂ©dure dâasile et
nâest pas partie Ă la Convention relative au statut des rĂ©fugiĂ©s ni Ă son
Protocole de 1967 ; les Ă©trangers, y compris ceux ayant besoin dâune
protection internationale, risqueraient de ne pas bénéficier de la protection
de la loi. Les dĂ©tenus nâauraient pratiquement aucune possibilitĂ© de porter
plainte devant une autorité judiciaire compétente pour actes de torture ou
autres formes de mauvais traitements.
Amnesty International aurait fait part, aux responsables
gouvernementaux rencontrés en Libye, de son inquiétude au sujet de la détention
et des mauvais traitements qui seraient infligés aux centaines, voire aux
milliers dâĂ©trangers que les autoritĂ©s assimileraient Ă des migrants illĂ©gaux,
et elle leur aurait demandé de mettre en place une procédure permettant
dâidentifier et de protĂ©ger adĂ©quatement les demandeurs dâasile et les
rĂ©fugiĂ©s. De mĂȘme, Amnesty International aurait demandĂ© aux autoritĂ©s libyennes
de ne plus renvoyer de force des ressortissants Ă©trangers vers des pays oĂč ils
risquent de graves violations des droits de lâhomme, et de trouver une
meilleure solution que la dĂ©tention pour les Ă©trangers quâelles ne peuvent pas
renvoyer dans leur pays dâorigine pour ces raisons. Certains des ressortissants
érythréens, qui constitueraient une part importante des ressortissants
Ă©trangers dĂ©tenus Ă Misratah, auraient indiquĂ© Ă la dĂ©lĂ©gation dâAmnesty
International quâils Ă©taient dĂ©tenus depuis deux ans.
V. AUTRES DOCUMENTS INTERNATIONAUX
DĂCRIVANT LA SITUATION EN LIBYE
42. Outre ceux cités ci-dessus, de
nombreux rapports ont été publiés par des organisations nationales et
internationales ainsi que par des organisations non gouvernementales, qui
déplorent les conditions de détention et de vie des migrants irréguliers en
Libye Ă lâĂ©poque des faits.
Voici une liste des principaux rapports :
â Human Rights Watch, Stemming the
Flow: abuses against migrants, asylum seekers and refugees, septembre
2006 ;
â ComitĂ© des droits de lâhomme des
Nations Unies, Observations finales Jamahiriya arabe libyenne, 15
novembre 2007 ;
â Amnesty Intemational, Libye â
Rapport 2008 dâAmnesty International, 28 mai 2008 ;
â Human Rights Watch, Libya Rights at
Risk, 2 septembre 2008 ;
â DĂ©partement dâEtat amĂ©ricain, Rapport
relatif aux droits de lâhomme en Libye, 4 avril 2010.
VI. DOCUMENTS INTERNATIONAUX DĂCRIVANT LA
SITUATION EN SOMALIE ET EN ĂRYTHRĂE
43. Les principaux documents
internationaux concernant la situation en Somalie sont prĂ©sentĂ©s dans lâaffaire
Sufi et Elmi c. Royaume-Uni (nos 8319/07 et 11449/07, §§
80-195, 28 juin 2011).
44. Concernant lâErythrĂ©e, plusieurs
rapports dénoncent des violations des droits fondamentaux perpétrées dans ce
pays. Ils rendent compte de graves atteintes aux droits de lâhomme de la
part du gouvernement érythréen, à savoir les arrestations arbitraires, la
torture, des conditions de détention inhumaines, le travail forcé et de graves
restrictions aux libertĂ©s de mouvement, dâexpression et de culte. Ces documents
analysent Ă©galement la situation difficile des ErythrĂ©ens qui parviennent Ă
sâĂ©chapper vers dâautres pays tels que la Libye, le Soudan, lâEgypte et
lâItalie, et sont par la suite rapatriĂ©s de force.
Voici la liste des principaux rapports :
â HCR, Eligibility guidelines for assessing
the international protection needs of asylum-seekers from Eritrea, avril
2009 ;
â Amnesty international, report 2009,
Eritrea, 28 mai 2009 ;
â Human Rights Watch, Service for
life, state repression and indefinite conscription in Eritrea, avril 2009 ;
â Human Rights Watch, Libya, donât
send Eritreans back to risk of torture, 15 janvier 2010 ;
â Human Rights Watch, World Chapter
Report, janvier 2010.
EN DROIT
I. QUESTIONS PRĂLIMINAIRES SOULEVĂES PAR
LE GOUVERNEMENT
A. Sur la validité des procurations
et la poursuite de lâexamen de la requĂȘte
1. La question soulevée par le
Gouvernement
45. Le Gouvernement conteste Ă plusieurs
égards la validité des procurations fournies par les représentants des
requĂ©rants. Tout dâabord, il allĂšgue des irrĂ©gularitĂ©s rĂ©dactionnelles dans la
majorité des procurations, à savoir :
â lâabsence de toute indication de la
date et du lieu et, dans certains cas, le fait que la date et le lieu
sembleraient avoir Ă©tĂ© Ă©crits par la mĂȘme personne ;
â lâabsence de toute rĂ©fĂ©rence au numĂ©ro
de la requĂȘte ;
â le fait que lâidentitĂ© des requĂ©rants
ne serait indiquée que par le nom de famille, le prénom, la nationalité, une
signature illisible et une empreinte digitale souvent partielle et
indéchiffrable ;
â lâabsence dâindication des dates de
naissance des requérants.
46. Ensuite, le Gouvernement observe que
la requĂȘte ne prĂ©cise ni les circonstances dans lesquelles les procurations ont
été rédigées, ce qui jetterait un doute sur leur validité, ni les démarches
entreprises par les reprĂ©sentants des requĂ©rants afin dâĂ©tablir lâidentitĂ© de
leurs clients. Il remet dâailleurs en cause la qualitĂ© des contacts existants
entre les requérants et leurs représentants. Il allÚgue notamment que les
messages électroniques envoyés par les requérants aprÚs leur transfert en Libye
ne sont pas accompagnĂ©s de signatures susceptibles dâĂȘtre comparĂ©es Ă celles
apposées sur les procurations. Selon le Gouvernement, les difficultés
rencontrées par les avocats pour établir et maintenir le contact avec les
requĂ©rants empĂȘcheraient un examen contradictoire de lâaffaire.
47. DÚs lors, toute vérification de
lâidentitĂ© des requĂ©rants Ă©tant impossible, et faute de « participation
personnelle » des requĂ©rants Ă lâaffaire, la Cour devrait renoncer Ă poursuivre
lâexamen de la requĂȘte. Se rĂ©fĂ©rant Ă lâaffaire Hussun et autres c. Italie
((radiation), nos 10171/05, 10601/05, 11593/05 et 17165/05, 19
janvier 2010), le Gouvernement demande Ă la Cour de rayer la requĂȘte du rĂŽle.
2. Les arguments des requérants
48. Les représentants des requérants
dĂ©fendent la validitĂ© des procurations. Ils affirment tout dâabord que les
irrégularités rédactionnelles alléguées par le Gouvernement ne sauraient
impliquer la nullité des mandats que leur ont conférés leurs clients.
49. Quant aux circonstances dans
lesquelles les procurations ont été rédigées, ils précisent que les mandats ont
été formalisés par les requérants dÚs leur arrivée en Libye, auprÚs des membres
dâorganisations humanitaires Ćuvrant dans diffĂ©rents centres de rĂ©tention. Ces
personnes se seraient ensuite chargées de les contacter et de leur transmettre
les procurations pour quâils puissent les signer et accepter les mandats.
50. Concernant les difficultĂ©s liĂ©es Ă
lâidentification des intĂ©ressĂ©s, celles-ci dĂ©couleraient directement de lâobjet
de la requĂȘte, Ă savoir une opĂ©ration de renvoi collectif et sans
identification prĂ©alable des migrants clandestins. Quoi quâil en soit, les
avocats attirent lâattention de la Cour sur le fait quâune partie importante des
requérants a été identifié par le bureau du HCR à Tripoli à la suite de leur
arrivée en Libye.
51. Enfin, les avocats affirment avoir
gardé des contacts avec une partie des intéressés, joignables par téléphone et
par courrier électronique. A cet égard, ils font état des grandes difficultés
quâils rencontrent pour maintenir le contact avec les requĂ©rants, notamment en
raison des violences qui ont ébranlé la Libye à partir de février 2011.
3. Appréciation de la Cour
52. La Cour rappelle tout dâabord quâau sens
de lâarticle 45 § 3 de son rĂšglement, le reprĂ©sentant dâun requĂ©rant doit
produire « une procuration ou un pouvoir écrit ». En conséquence, un
simple pouvoir écrit serait valable aux fins de la procédure devant la Cour,
dĂšs lors que nul ne pourrait dĂ©montrer quâil a Ă©tĂ© Ă©tabli sans le consentement
de lâintĂ©ressĂ© ou sans quâil comprenne de quoi il sâagit (Velikova c.
Bulgarie, no 41488/98, § 50, CEDH 2000-VI).
53. Par ailleurs, ni la Convention ni le
rĂšglement de la Cour nâimposent de conditions particuliĂšres quant au libellĂ© de
la procuration, ni ne requiĂšrent aucune forme de certification de la part des
autorités nationales. Ce qui compte pour la Cour est que la procuration indique
clairement que le requérant a confié sa représentation devant la Cour à un
conseil et que celui-ci a accepté ce mandat (Riabov c. Russie, no
3896/04, §§ 40 et 43, 31 janvier 2008).
54. En lâespĂšce, la Cour observe que
toutes les procurations versées au dossier sont signées et accompagnées
dâempreintes digitales. De plus, les reprĂ©sentants des requĂ©rants ont fourni,
tout au long de la procédure, des informations détaillées quant au déroulement
des faits et au sort des requérants, avec lesquels ils ont pu garder des
contacts. Rien dans le dossier ne permet de douter du récit des avocats, ni de
mettre en cause lâĂ©change dâinformations avec la Cour (voir, a contrario,
Hussun, précité, §§ 43-50).
55. Dans ces circonstances, la Cour nâa
aucune raison de douter de la validité des procurations. DÚs lors, elle rejette
lâexception du Gouvernement.
56. Par ailleurs, la Cour relĂšve que,
conformément aux informations fournies par les avocats, deux des requérants, M.
Mohamed Abukar Mohamed et M. Hasan Shariff Abbirahman (respectivement no
10 et no 11 sur la liste), sont décédés trÚs peu de temps aprÚs
lâintroduction de la requĂȘte (paragraphe 15 ci-dessus).
57. Elle rappelle que la Cour a pour
pratique de rayer les requĂȘtes du rĂŽle lorsquâun requĂ©rant dĂ©cĂšde pendant la
procĂ©dure et quâaucun hĂ©ritier ou parent proche ne veut poursuivre lâinstance
(voir, parmi dâautres, Scherer c. Suisse ; 25 mars 1994, §§
31-32, sĂ©rie A no 287 ; Ăhlinger c. Autriche, no 21444/93,
rapport de la Commission du 14 janvier 1997, § 15, non publié ; Thévenon
c. France (déc.), no 2476/02, CEDH 2006-III ; et Léger
c. France (radiation) [GC], no 19324/02, § 44, 30 mars
2009).
58. A la lumiĂšre des circonstances de
lâespĂšce, la Cour estime quâil ne se justifie plus de poursuivre lâexamen de la
requĂȘte en ce qui concerne les personnes dĂ©cĂ©dĂ©es (article 37
§ 1 c) de la Convention). Par
ailleurs, elle relÚve que les griefs initialement soulevés par MM. Mohamed
Abukar Mohamed et Hasan Shariff Abbirahman sont les mĂȘmes que ceux Ă©noncĂ©s par
les autres requérants, au sujet desquels elle exprimera son avis ci-aprÚs. Dans
ces conditions, elle nâaperçoit aucun motif tenant au respect des droits de
lâhomme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigerait,
conformĂ©ment Ă lâarticle 37 § 1 in fine, la poursuite de lâexamen de la
requĂȘte des requĂ©rants dĂ©cĂ©dĂ©s.
59. En conclusion, la Cour décide de
rayer la requĂȘte du rĂŽle pour autant quâelle concerne les requĂ©rants Mohamed
Abukar Mohamed et Hasan Shariff Abbirahman, et de poursuivre lâexamen de
la requĂȘte pour le surplus.
B. Sur lâĂ©puisement des
voies de recours internes
60. Lors de lâaudience devant la Grande
Chambre, le Gouvernement a plaidĂ© lâirrecevabilitĂ© de la requĂȘte pour
non-Ă©puisement des voies de recours internes. Il a fait valoir que les
requĂ©rants avaient omis de saisir les juridictions italiennes en vue dâobtenir
la reconnaissance et le redressement des violations alléguées de la Convention.
61. Selon le Gouvernement, les
requĂ©rants, qui sont Ă prĂ©sent libres de leurs mouvements et ont montrĂ© quâils
étaient en mesure de joindre leurs avocats dans le cadre de la procédure devant
la Cour, auraient dû introduire des recours devant les juridictions pénales
italiennes afin de se plaindre dâĂ©ventuelles violations du droit interne et du
droit international de la part des militaires impliqués dans leur éloignement.
Des procédures pénales seraient actuellement en cours dans des affaires
similaires, et ce type de recours aurait un caractÚre « effectif ».
62. La Cour relÚve que les requérants se
plaignent Ă©galement de ne pas avoir disposĂ© dâun recours rĂ©pondant aux
exigences de lâarticle 13 de la Convention. Elle considĂšre quâil existe un lien
étroit entre la thÚse du Gouvernement sur ce point et le bien-fondé des griefs
formulés par les requérants sur le terrain de cette disposition. Elle estime
donc quâil y a lieu de joindre cette exception au fond des griefs tirĂ©s de
lâarticle 13 de la Convention et de lâexaminer dans ce contexte (paragraphe 207
ci-dessous).
II. SUR LA QUESTION DE LA JURIDICTION AU
TITRE DE LâARTICLE 1 DE LA CONVENTION
63. Aux termes de lâarticle 1 de la
Convention :
« Les Hautes Parties
contractantes reconnaissent Ă toute personne relevant de leur juridiction les
droits et libertés définis au titre I de la (...) Convention. »
1. ThĂšses des parties
a) Le Gouvernement
64. Le gouvernement défendeur reconnaßt
que les faits litigieux se sont déroulés à bord de navires militaires italiens.
Toutefois, il nie que les autorités italiennes aient exercé un « contrÎle
absolu et exclusif » sur les requérants.
65. Il fait valoir que lâinterception des
embarcations Ă bord desquelles se trouvaient les requĂ©rants sâinscrivait dans
le contexte du sauvetage en haute mer de personnes en dĂ©tresse â qui relĂšve des
obligations imposées par le droit international, à savoir la Convention des
Nations Unies sur le droit de la mer (« Convention de Montego Bay »)
â et ne saurait en aucun cas ĂȘtre qualifiĂ©e dâopĂ©ration de police maritime.
Les navires italiens se seraient bornés à intervenir
afin de prĂȘter secours Ă trois embarcations en difficultĂ© et de mettre en
sécurité les personnes qui se trouvaient à bord. Ils auraient par la suite
raccompagné en Libye les migrants interceptés, conformément aux accords
bilatĂ©raux de 2007 et 2009. Selon le Gouvernement, lâobligation de sauver la
vie humaine en haute mer telle que prescrite par la Convention de Montego Bay
nâentraĂźne pas en soi la crĂ©ation dâun lien entre lâEtat et les personnes
concernées qui pourrait établir la juridiction de celui-ci.
66. Dans le cadre du
« sauvetage » des requĂ©rants, qui nâaurait durĂ© globalement que dix
heures, les autoritĂ©s auraient apportĂ© aux intĂ©ressĂ©s lâassistance humanitaire
et mĂ©dicale nĂ©cessaire et nâauraient nullement eu recours Ă la
violence ; elles nâauraient pas effectuĂ© dâabordage et nâauraient pas
utilisĂ© dâarmes. Le Gouvernement en conclut que la prĂ©sente requĂȘte diffĂšre de
lâaffaire Medvedyev et autres c. France ([GC], no
3394/03, 29 mars 2010), dans laquelle la Cour a affirmé que les requérants
relevaient de la juridiction de la France compte tenu du caractĂšre absolu et
exclusif du contrÎle exercé par celle-ci sur un navire en haute mer et sur son
Ă©quipage.
b) Les requérants
67. Les requérants estiment que la
juridiction de lâItalie ne saurait ĂȘtre remise en cause en lâespĂšce. A partir
de leur montée à bord des navires italiens, ils se seraient trouvés sous le
contrĂŽle exclusif de lâItalie, laquelle aurait dĂšs lors Ă©tĂ© tenue de respecter
lâensemble des obligations dĂ©coulant de la Convention et de ses Protocoles.
Ils font observer que lâarticle 4 du code italien de
la navigation prévoit expressément que les navires battant pavillon national
relĂšvent de la juridiction de lâItalie mĂȘme lorsquâils naviguent au-delĂ des
eaux territoriales.
c) Les tiers
intervenants
68. Les tiers intervenants considĂšrent
que, conformément aux principes de droit international coutumier et à la
jurisprudence de la Cour, les obligations pour les Etats de ne pas refouler des
demandeurs dâasile, mĂȘme « potentiels », et de leur assurer un accĂšs
à des procédures équitables, ont une portée extraterritoriale.
69. Selon le droit international en
matiÚre de protection des refugiés, le critÚre décisif à prendre en compte pour
Ă©tablir la responsabilitĂ© dâun Etat ne serait pas de savoir si la personne
concernĂ©e par le refoulement se trouve sur le territoire de lâEtat, mais si
elle relĂšve du contrĂŽle effectif et de lâautoritĂ© de celui-ci.
Les tiers intervenants font référence à la
jurisprudence de la Cour concernant lâarticle 1 de la Convention et la portĂ©e
extraterritoriale de la notion de « juridiction », ainsi quâaux conclusions
dâautres instances internationales. Ils soulignent la nĂ©cessitĂ© dâĂ©viter des
doubles standards dans le domaine de la protection des droits de lâhomme et de
faire en sorte quâun Etat ne soit pas autorisĂ© Ă commettre, en dehors de son
territoire, des actes qui ne seraient jamais acceptĂ©s Ă lâintĂ©rieur de
celui-ci.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
relatifs Ă la juridiction au sens de lâarticle 1 de la Convention
70. Aux termes de lâarticle 1 de la
Convention, lâengagement des Etats contractants consiste Ă
« reconnaßtre » (en anglais « to secure ») aux
personnes relevant de leur « juridiction » les droits et libertés qui
y sont énumérés (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 86, série A no
161, et BankoviÄ et autres c. Belgique et 16 autres Etats contractants
(dĂ©c.) [GC], no 52207/99, § 66, CEDH 2001-XII). Lâexercice de la
« juridiction » est une condition nĂ©cessaire pour quâun Etat
contractant puisse ĂȘtre tenu pour responsable des actes ou omissions qui lui sont
imputables et qui sont Ă lâorigine dâune allĂ©gation de violation des droits et
libertĂ©s Ă©noncĂ©s dans la Convention (IlaĆcu et autres c. Moldova et
Russie [GC], no 48787/99, § 311, CEDH 2004-VII).
71. La juridiction dâun Etat, au sens de
lâarticle 1, est principalement territoriale (BankoviÄ, dĂ©cision
prĂ©citĂ©e, §§ 61 et 67, et IlaĆcu, prĂ©citĂ©, § 312). Elle est
prĂ©sumĂ©e sâexercer normalement sur lâensemble de son territoire (IlaĆcu
et autres, précité, § 312 ; et Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01,
§ 139, CEDH 2004-II).
72. En conformité avec le caractÚre
essentiellement territorial de la notion de juridiction, la Cour nâa admis que
dans des circonstances exceptionnelles que les actes des Etats contractants
accomplis ou produisant des effets en dehors de leur territoire puissent
sâanalyser en lâexercice par eux de leur juridiction au sens de lâarticle 1 de
la Convention (Drozd et Janousek c. France et Espagne, 26 juin 1992, §
91, sĂ©rie A no 240 ; BankoviÄ, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, §
67 ; et IlaĆcu et autres, prĂ©citĂ©, § 314).
73. Ainsi, dans son premier arrĂȘt Loizidou
(exceptions prĂ©liminaires), la Cour a jugĂ© que, compte tenu de lâobjet et du
but de la Convention, une Partie contractante pouvait voir sa responsabilité
engagĂ©e lorsque, par suite dâune action militaire â lĂ©gale ou non â, elle
exerçait en pratique son contrÎle sur une zone située en dehors de son
territoire national (Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires)
[GC], 23 mars 1995, § 62, série A no 310), ce qui est toutefois exclu
lorsque nâest en cause, comme dans lâaffaire BankoviÄ, quâun acte
extraterritorial instantanĂ©, le texte de lâarticle 1 ne sâaccommodant pas
dâune conception causale de la notion de « juridiction » (dĂ©cision
prĂ©citĂ©e, § 75). Dans chaque cas, câest au regard des faits particuliers de la
cause, par exemple en cas de contrĂŽle absolu et exclusif sur une prison ou sur
un navire, quâil faut apprĂ©cier lâexistence de circonstances exigeant et
justifiant que la Cour conclue Ă un exercice extraterritorial de sa juridiction
par lâEtat (Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni [GC], no 55721/07, §
132 et 136, 7 juillet 2011 ; Medvedyev et autres, précité, § 67).
74. DĂšs lâinstant oĂč un Etat, par le
biais de ses agents opérant hors de son territoire, exerce son contrÎle et son
autorité sur un individu, et par voie de conséquence sa juridiction, pÚse sur
lui en vertu de lâarticle 1 une obligation de reconnaĂźtre Ă celui-ci les droits
et libertés définis au titre I de la Convention qui concernent son cas. En ce
sens, dÚs lors, il est maintenant admis par la Cour que les droits découlant de
la Convention peuvent ĂȘtre « fractionnĂ©s et adaptĂ©s » (Al-Skeini,
prĂ©citĂ©, §§ 136 et 137 ; Ă titre de comparaison, voir BankoviÄ,
précitée, § 75).
75. La jurisprudence de la Cour révÚle
des cas dâexercice extraterritorial de sa compĂ©tence par un Etat dans les
affaires concernant des actes accomplis Ă lâĂ©tranger par des agents
diplomatiques ou consulaires, ou Ă bord dâaĂ©ronefs immatriculĂ©s dans lâEtat en
cause ou de navires battant son pavillon. Dans ces situations, la Cour, se
basant sur le droit international coutumier et sur des dispositions
conventionnelles, a reconnu lâexercice extraterritorial de sa
juridiction par lâEtat concernĂ© (BankoviÄ, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, § 73,
et Medvedyev et autres, précité, § 65).
b) Application en
lâespĂšce
76. Il nâest pas contestĂ© devant la Cour
que les événements litigieux se sont déroulés en haute mer, à bord de navires
militaires battant pavillon italien. Le gouvernement défendeur reconnaßt par
ailleurs que les navires de la garde des finances et des garde-cĂŽtes sur
lesquels ont été embarqués les requérants relevaient pleinement de la
juridiction de lâItalie.
77. La Cour observe quâen vertu des
dispositions pertinentes du droit de la mer, un navire naviguant en haute mer
est soumis Ă la juridiction exclusive de lâEtat dont il bat pavillon. Ce
principe de droit international a conduit la Cour Ă reconnaĂźtre, dans les
affaires concernant des actes accomplis Ă bord de navires battant pavillon dâun
Etat, Ă lâinstar des aĂ©ronefs enregistrĂ©s, des cas dâexercice extraterritorial
de la juridiction de cet Etat (paragraphe 75 ci-dessus). DĂšs lors quâil y a
contrĂŽle sur autrui, il sâagit dans ces cas dâun contrĂŽle de jure exercĂ©
par lâEtat en question sur les individus concernĂ©s.
78. La Cour observe par ailleurs que
ledit principe est transcrit en droit national, Ă lâarticle 4 du code italien
de la navigation, et nâest pas contestĂ© par le gouvernement dĂ©fendeur
(paragraphe 18 ci-dessus). Elle en conclut que le cas dâespĂšce constitue bien
un cas dâexercice extraterritorial de la juridiction de lâItalie, susceptible
dâengager la responsabilitĂ© de cet Etat au sens de la Convention.
79. Dâailleurs lâItalie ne saurait
soustraire sa « juridiction » Ă lâempire de la Convention en
qualifiant les faits litigieux dâopĂ©ration de sauvetage en haute mer. En
particulier, la Cour ne saurait souscrire Ă lâargument du Gouvernement selon
lequel lâItalie ne serait pas responsable du sort des requĂ©rants en raison du
niveau prétendument réduit du contrÎle que ses autorités exerçaient sur les
intéressés au moment des faits.
80. A cet Ă©gard, il suffit dâobserver que
dans lâaffaire Medvedyev et autres, prĂ©citĂ©e, les faits litigieux
avaient eu lieu Ă bord du Winner, un bateau battant pavillon dâun Etat
tiers mais dont lâĂ©quipage avait Ă©tĂ© placĂ© sous le contrĂŽle de militaires
français. Dans les circonstances particuliÚres de ladite affaire, la Cour a
examiné la nature et la portée des actions accomplies par les agents français
afin de vĂ©rifier sâil existait un contrĂŽle, au moins de facto, continu
et ininterrompu, exercé par la France sur le Winner et son équipage (ibidem,
§§ 66 et 67).
81. Or, la Cour remarque que dans la
présente affaire les faits se sont entiÚrement déroulés à bord de navires des
forces armĂ©es italiennes, dont lâĂ©quipage Ă©tait composĂ© exclusivement de
militaires nationaux. De lâavis de la Cour, Ă partir du moment oĂč ils sont
montĂ©s Ă bord des navires des forces armĂ©es italiennes et jusquâĂ leur remise
aux autorités libyennes, les requérants se sont trouvés sous le contrÎle
continu et exclusif, tant de jure que de facto, des autorités
italiennes. Aucune spĂ©culation concernant la nature et le but de lâintervention
des navires italiens en haute mer ne saurait conduire la Cour Ă une autre
conclusion.
82. Partant, les faits dont découlent les
violations allĂ©guĂ©es relĂšvent de la « juridiction » de lâItalie au
sens de lâarticle 1 de la Convention.
III. SUR LES VIOLATIONS ALLĂGUĂES DE
LâARTICLE 3 DE LA CONVENTION
83. Les requérants se plaignent de ce que
leur refoulement les a exposés au risque de subir des tortures ou des
traitements inhumains et dégradants en Libye, ainsi que dans leurs pays
dâorigine respectifs, Ă savoir lâErythrĂ©e et la Somalie. Ils invoquent
lâarticle 3 de la Convention, ainsi libellĂ© :
« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă la
torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
84. La Cour observe que lâarticle 3 de la
Convention est en cause sous deux aspects diffĂ©rents, quâil y a lieu dâexaminer
séparément. PremiÚrement, quant au risque encouru par les requérants de subir
des traitements inhumains et dégradants en Libye et, deuxiÚmement, concernant
le danger pour ceux-ci dâĂȘtre rapatriĂ©s dans leurs pays dâorigine respectifs.
A. Sur la violation alléguée
de lâarticle 3 de la Convention du fait que les requĂ©rants ont Ă©tĂ© exposĂ©s au
risque de subir des traitements inhumains et dégradants en Libye
1. ThĂšses des parties
a) Les requérants
85. Les requérants allÚguent avoir été
victimes dâun refoulement arbitraire et incompatible avec la Convention. Ils
affirment quâils nâont pas eu la possibilitĂ© de sâopposer Ă leur renvoi en
Libye et de demander la protection internationale aux autorités italiennes.
86. En lâabsence de toute information
quant à leur véritable destination, les requérants auraient été persuadés, tout
au long du voyage Ă bord des navires italiens, quâon les emmenait en Italie. A
cet Ă©gard, ils auraient Ă©tĂ© victimes dâune vĂ©ritable « tromperie » de
la part des autorités italiennes.
87. Aucune procédure tendant à identifier
les migrants interceptés et à recueillir des informations concernant leur
situation personnelle nâaurait Ă©tĂ© possible Ă bord des navires. Dans ces
conditions, aucune demande formelle dâasile nâaurait Ă©tĂ© envisageable. NĂ©anmoins,
une fois arrivĂ©s Ă proximitĂ© des cĂŽtes libyennes, les requĂ©rants ainsi quâun
grand nombre dâautres migrants auraient priĂ© les militaires italiens de ne pas
les dĂ©barquer au port de Tripoli, quâils venaient de fuir, et de les emmener en
Italie.
Les requérants affirment avoir exprimé explicitement
leur volontĂ© de ne pas ĂȘtre livrĂ©s aux autoritĂ©s libyennes. Ils contestent
lâargument du Gouvernement selon lequel une telle demande ne saurait ĂȘtre
assimilĂ©e Ă une demande tendant Ă lâobtention dâune protection internationale.
88. Les requérants soutiennent ensuite
avoir Ă©tĂ© refoulĂ©s vers un pays oĂč il y avait des raisons suffisantes de croire
quâils seraient soumis Ă des traitements contraires Ă la Convention. En effet,
plusieurs sources internationales auraient fait Ă©tat des conditions inhumaines
et dĂ©gradantes dans lesquelles les migrants irrĂ©guliers, notamment dâorigine
somalienne et érythréenne, étaient détenus en Libye et des conditions
dâexistence prĂ©caires rĂ©servĂ©es aux clandestins dans ce pays.
Les requérants se réfÚrent à cet égard au rapport du
CPT dâavril 2010 ainsi quâaux textes et documents produits par les tierces
parties concernant la situation en Libye.
89. Cette situation, qui nâaurait cessĂ©
de se dĂ©grader par la suite, ne pouvait selon eux ĂȘtre ignorĂ©e de lâItalie lors
de la conclusion des accords bilatéraux avec la Libye et de la mise à exécution
du refoulement litigieux.
90. Par ailleurs, les craintes et les
préoccupations des requérants se seraient révélées fondées. Ils auraient tous
fait état de conditions de détention inhumaines et, aprÚs leur libération, de
conditions dâexistence prĂ©caires liĂ©es Ă leur statut dâimmigrĂ©s irrĂ©guliers.
91. Les requérants considÚrent que la
décision de renvoyer en Libye les clandestins interceptés en haute mer
constitue un vĂ©ritable choix politique de lâItalie, visant Ă privilĂ©gier une
gestion policiĂšre de lâimmigration clandestine au mĂ©pris de la protection des
droits fondamentaux des personnes concernées.
b) Le Gouvernement
92. Le Gouvernement soutient tout dâabord
que les requĂ©rants nâont pas adĂ©quatement prouvĂ© la rĂ©alitĂ© des traitements
prĂ©tendument contraires Ă la Convention quâils auraient subis. Ils ne
pourraient donc pas ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme Ă©tant « victimes » au sens
de lâarticle 34 de la Convention.
93. Ensuite, il affirme que le transfert
des requérants en Libye a été effectué en vertu des accords bilatéraux signés
en 2007 et en 2009 par lâItalie et la Libye. Lesdits accords bilatĂ©raux
sâinscriraient dans un contexte de mouvements migratoires croissants entre
lâAfrique et lâEurope et auraient Ă©tĂ© conclus dans un esprit de coopĂ©ration
entre deux pays engagĂ©s dans la lutte contre lâimmigration clandestine.
94. La coopération entre les pays
méditerranéens en matiÚre de contrÎle des migrations et de lutte contre les
crimes liĂ©s Ă lâimmigration clandestine aurait Ă©tĂ© encouragĂ©e Ă maintes
reprises par les organes de lâUnion europĂ©enne. Le Gouvernement fait rĂ©fĂ©rence
en particulier à la Résolution du Parlement européen no 2006/2250
ainsi quâau Pacte europĂ©en sur lâimmigration et lâasile, Ă©laborĂ© par le Conseil
europĂ©en le 24 septembre 2008, qui affirment la nĂ©cessitĂ© pour les pays de lâUE
de coopĂ©rer et dâĂ©tablir des partenariats avec les pays dâorigine et de transit
afin de renforcer le contrĂŽle des frontiĂšres extĂ©rieures de lâUE et de lutter
contre lâimmigration clandestine.
95. Quant aux Ă©vĂ©nements du 6 mai 2009, Ă
lâorigine de la prĂ©sente requĂȘte, le Gouvernement maintient quâil sâagissait
dâune opĂ©ration de sauvetage en haute mer conforme au droit international. Il
affirme que les navires militaires italiens sont intervenus de maniĂšre conforme
Ă la Convention de Montego Bay et Ă la Convention internationale sur la
recherche et le sauvetage maritimes (« Convention SAR »), pour faire
face à la situation de danger immédiat dans laquelle se trouvaient les
embarcations et sauver la vie des requérants et des autres migrants.
De lâavis du Gouvernement, le rĂ©gime juridique de la
haute mer se caractérise par le principe de la liberté de navigation. Dans ce
contexte, il nây aurait pas eu lieu de procĂ©der Ă lâidentification des
personnes concernées. Les autorités italiennes se seraient bornées à porter aux
intĂ©ressĂ©s lâassistance humanitaire nĂ©cessaire. Le contrĂŽle des requĂ©rants
aurait Ă©tĂ© rĂ©duit au minimum dĂšs lors quâaucune opĂ©ration de police maritime
nâaurait Ă©tĂ© envisagĂ©e Ă bord des navires.
96. Pendant leur transfert en Libye, les
requĂ©rants nâauraient Ă aucun moment manifestĂ© lâintention de demander lâasile
politique ou une autre forme de protection internationale. Selon le
Gouvernement, une éventuelle demande exprimée par les requérants aux fins de ne
pas ĂȘtre livrĂ©s aux autoritĂ©s libyennes ne saurait ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme une
demande dâasile.
A cet Ă©gard, il affirme quâen cas de demande dâasile
les intéressés auraient été emmenés sur le territoire national, comme cela se
serait produit lors dâautres opĂ©rations en haute mer pratiquĂ©es en 2009.
97. Le Gouvernement soutient ensuite que
la Libye est un lieu dâaccueil sĂ»r. Il en veut pour preuves le fait que cet
Etat a ratifié le Pacte international des Nations Unies relatif aux droits
civils et politiques, la Convention des Nations Unies contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention
de lâUnion africaine sur les rĂ©fugiĂ©s en Afrique, ainsi que son appartenance Ă
lâOrganisation internationale pour les migrations (OIM).
Sans ĂȘtre partie Ă la Convention des Nations Unies
relative au statut des rĂ©fugiĂ©s, la Libye nâen aurait pas moins autorisĂ© le HCR
et lâOIM Ă ouvrir des bureaux Ă Tripoli, ce qui aurait permis dâoctroyer le
statut de réfugié à de nombreux demandeurs et de leur garantir une protection
internationale.
98. Le Gouvernement attire lâattention de
la Cour sur le fait que, lors de la ratification du TraitĂ© dâamitiĂ© de 2008, la
Libye sâĂ©tait expressĂ©ment engagĂ©e Ă respecter les principes de la Charte des
Nations Unies et de la DĂ©claration universelle des droits de lâhomme. LâItalie
nâaurait eu aucune raison de penser que la Libye se soustrairait Ă ses
engagements.
Cette circonstance et le fait que des bureaux du HCR
et de lâOIM Ă©taient prĂ©sents et actifs Ă Tripoli justifieraient pleinement la
conviction de lâItalie que la Libye Ă©tait un lieu dâaccueil sĂ»r pour les
migrants interceptĂ©s en haute mer. Le Gouvernement considĂšre dâailleurs que la
reconnaissance du statut de réfugié octroyé par le HCR à de nombreux
demandeurs, y compris certains des requérants, prouve sans conteste que la
situation en Libye Ă lâĂ©poque des faits Ă©tait conforme aux normes
internationales en matiĂšre de protection des droits de lâhomme.
99. Le Gouvernement admet que la
situation en Libye sâest dĂ©gradĂ©e Ă partir dâavril 2010, Ă©poque oĂč les
autoritĂ©s ont fermĂ© le bureau du HCR Ă Tripoli, puis sâest dĂ©finitivement
détériorée à la suite des événements de début 2011, mais il fait valoir que
lâItalie a aussitĂŽt cessĂ© de pratiquer les renvois de clandestins en Libye et a
changĂ© les modalitĂ©s du secours aux migrants en haute mer, en autorisant Ă
partir de cette Ă©poque lâentrĂ©e sur le territoire national.
100. Le Gouvernement conteste lâexistence
dâune « pratique gouvernementale » qui consisterait, comme
lâaffirment les requĂ©rants, Ă effectuer des renvois arbitraires en Libye. A cet
Ă©gard, il qualifie la requĂȘte de « manifeste politique et
idĂ©ologique » Ă lâencontre de lâaction du gouvernement italien. Celui-ci
souhaite que la Cour se borne à examiner uniquement les événements du 6 mai
2009 et ne mette pas en cause les prĂ©rogatives de lâItalie en matiĂšre de
contrĂŽle de lâimmigration, domaine selon lui extrĂȘmement sensible et complexe.
c) Les tiers
intervenants
101. Sâappuyant sur les dĂ©clarations de
nombreux témoins directs, Human Rights Watch et le HCR dénoncent le refoulement
forcĂ© de clandestins vers la Libye de la part de lâItalie. Au cours de lâannĂ©e
2009, lâItalie aurait pratiquĂ© neuf opĂ©rations en haute mer, renvoyant en Libye
834 personnes de nationalité somalienne, érythréenne ou nigérienne.
102. Human Rights Watch a dénoncé la
situation en Libye Ă plusieurs reprises, notamment par le biais de rapports
publiĂ©s en 2006 et 2009. Cette organisation affirme que, en lâabsence de tout
systĂšme national dâasile en Libye, les migrants irrĂ©guliers sont
systĂ©matiquement arrĂȘtĂ©s et font souvent lâobjet de tortures et de violences
physiques, y compris le viol. Au mépris des directives des Nations Unies en
matiÚre de détention, les clandestins seraient détenus sans limitation de temps
et sans aucun contrÎle judiciaire. En outre, les conditions de détention
seraient inhumaines. Les migrants seraient torturés et aucune assistance
médicale ne serait assurée dans les différents camps du pays. Ils seraient
susceptibles dâĂȘtre Ă tout moment refoulĂ©s vers leur pays dâorigine ou
abandonnĂ©s dans le dĂ©sert, oĂč une mort certaine les attendrait.
103. Le Centre AIRE, Amnesty
International et la FIDH observent que, depuis des années, des rapports de
sources fiables démontrent de maniÚre constante que la situation en matiÚre de
droits de lâhomme en Libye est dĂ©sastreuse, notamment pour les rĂ©fugiĂ©s, les demandeurs
dâasile et les migrants, et tout particuliĂšrement pour les personnes en
provenance de certaines rĂ©gions dâAfrique, tels que les ErythrĂ©ens et les
Somaliens.
Les trois parties intervenantes estiment quâil
existe une « obligation dâinvestigation » lorsquâil existe des
informations crédibles émanant de sources fiables selon lesquelles les
conditions de dĂ©tention ou de vie dans lâEtat de rĂ©ception ne sont pas
compatibles avec lâarticle 3.
Conformément au principe pacta sunt servanda,
un Etat ne saurait se soustraire à ses obligations imposées par la Convention
en se fondant sur des engagements dĂ©coulant dâaccords bilatĂ©raux ou
multilatĂ©raux en matiĂšre de lutte contre lâimmigration clandestine.
104. Le HCR affirme que, bien que les
autoritĂ©s italiennes nâaient pas fourni dâinformations dĂ©taillĂ©es concernant
les opérations de refoulement, plusieurs témoins entendus par le
Haut-Commissariat ont livré un récit similaire à celui des requérants. En
particulier, ces personnes auraient rapportĂ© que, pour inciter les personnes Ă
monter Ă bord des navires italiens, les militaires italiens leur avaient fait
croire quâon les emmenait en Italie. Plusieurs tĂ©moins auraient dĂ©clarĂ© avoir
été menottés et avoir subi des violences pendant le transfert vers le territoire
libyen et une fois arrivés au centre de rétention. Par ailleurs, les autorités
italiennes auraient confisqué les effets personnels des migrants, y compris les
certificats du HCR attestant leur statut de refugié. Plusieurs témoins auraient
en outre confirmĂ© quâils recherchaient une protection et quâils en avaient
expressément fait part aux autorités italiennes pendant les opérations.
105. Le HCR affirme que cinq au moins des
migrants refoulés en Libye qui ont par la suite réussi à retourner en Italie,
dont M. Ermias Berhane, se sont vu accorder le statut de refugié en Italie. De
surcroßt, en 2009, le bureau du HCR de Tripoli aurait octroyé le statut de
refugiĂ© Ă soixante-treize personnes refoulĂ©es par lâItalie, dont quatorze des
requĂ©rants. Cela constituerait la preuve que les opĂ©rations menĂ©es par lâItalie
en haute mer impliquent un réel danger de refoulement arbitraire de personnes
ayant besoin dâune protection internationale.
106. Le HCR estime ensuite quâaucun des
arguments avancĂ©s par lâItalie pour justifier les refoulements ne saurait ĂȘtre
accepté. Ni le principe de coopération entre Etats pour la lutte contre le
trafic illicite de migrants, ni les dispositions tirées du droit international
de la mer en matiĂšre de sauvegarde de la vie humaine en mer ne dispenseraient
les Etats de leur obligation de respecter les principes de droit international.
107. La Libye, pays de transit et de
destination des flux migratoires provenant dâAsie et dâAfrique, nâassurerait
aucune forme de protection aux demandeurs dâasile. Bien que signataire dâun
certain nombre dâinstruments internationaux en matiĂšre de droits de lâhomme,
elle ne respecterait guĂšre ses obligations. En lâabsence dâun systĂšme national
de droit dâasile, les activitĂ©s dans ce domaine auraient Ă©tĂ© menĂ©es exclusivement
par le HCR et ses partenaires. MalgrĂ© cela, lâaction du Haut-Commissariat
nâaurait jamais Ă©tĂ© officiellement reconnue par le gouvernement libyen qui, en
avril 2010, aurait intimĂ© au HCR lâordre de fermer son bureau de Tripoli et de
cesser ses activités.
Compte tenu de ce contexte, aucun statut formel ne
serait accordé par le gouvernement libyen aux personnes qui ont été
enregistrées en tant que réfugiés par le HCR et aucune forme de protection ne
leur serait garantie.
108. Jusquâaux Ă©vĂ©nements de 2011, les
personnes considérées comme des immigrés illégaux auraient été détenues dans
des « centres de rétention », dont la plupart auraient été visités
par le HCR. Lesdits centres auraient offert des conditions de vie trĂšs
médiocres, caractérisées par le surpeuplement et des installations sanitaires
inadéquates. Cette situation aurait été aggravée par les opérations de
refoulement, qui auraient accentué le surpeuplement et entraßné une
détérioration ultérieure des conditions sanitaires, causant ainsi un besoin
accru dâassistance de base aux fins de la survie mĂȘme des personnes.
109. Selon la Columbia Law School Human
Rights Clinic, si lâimmigration clandestine par la mer nâest pas un phĂ©nomĂšne
nouveau, la communauté internationale reconnaßt de plus en plus la nécessité de
restreindre les pratiques de contrĂŽle de lâimmigration, y compris
lâinterception en mer, qui peuvent entraver lâaccĂšs des migrants Ă la
protection et ainsi les exposer au risque de torture.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur la recevabilité
110. Le Gouvernement considĂšre que les
requérants ne sauraient se prétendre « victimes », au sens de
lâarticle 34 de la Convention, des faits quâils dĂ©noncent. Il conteste
lâexistence dâun risque rĂ©el, pour les requĂ©rants, dâĂȘtre soumis Ă des traitements
inhumains et dĂ©gradants Ă la suite de leur refoulement. LâĂ©valuation dâun tel
danger devrait se faire sur la base de faits sérieux et avérés concernant la
situation de chaque requérant. Or, les informations fournies par les intéressés
seraient vagues et insuffisantes.
111. La Cour estime que la question
soulevĂ©e par cette exception est Ă©troitement liĂ©e Ă celles quâelle devra
aborder lors de lâexamen du bien-fondĂ© des griefs tirĂ©s de lâarticle 3 de la
Convention. Cette disposition impose notamment Ă la Cour dâĂ©tablir sâil y avait
des motifs sérieux et avérés de croire que les intéressés couraient un risque
rĂ©el dâĂȘtre soumis Ă la torture ou Ă des traitements inhumains ou dĂ©gradants Ă
la suite de leur renvoi. Il convient dĂšs lors de joindre cette question Ă
lâexamen du fond.
112. La Cour considĂšre que cette partie
de la requĂȘte pose des questions de fait et de droit complexes, qui ne peuvent
ĂȘtre tranchĂ©es quâaprĂšs un examen au fond ; il sâensuit quâelle nâest pas
manifestement mal fondĂ©e au sens de lâarticle 35 § 3 a) de la Convention. Aucun
autre motif dâirrecevabilitĂ© nâayant Ă©tĂ© relevĂ©, il y a lieu de la dĂ©clarer
recevable.
b) Sur le fond
i. Principes généraux
α) Responsabilité
des Etats contractants en cas dâexpulsion
113. Selon la jurisprudence constante de
la Cour, les Etats contractants ont, en vertu dâun principe de droit
international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux
de traitĂ©s, y compris de la Convention, le droit de contrĂŽler lâentrĂ©e, le
sĂ©jour et lâĂ©loignement des non-nationaux (voir, parmi beaucoup dâautres, Abdulaziz,
Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 67, série A no
94 ; et Boujlifa c. France, 21 octobre 1997, § 42, Recueil
des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997-VI). La Cour note aussi que ni la Convention
ni ses Protocoles ne consacrent le droit Ă lâasile politique (Vilvarajah et
autres c. Royaume-Uni, 30 octobre 1991, § 102, série A no
215 ; et Ahmed c. Autriche, 17 décembre 1996, § 38, Recueil 1996-VI).
114. Cependant, lâexpulsion,
lâextradition ou toute autre mesure dâĂ©loignement dâun Ă©tranger par un Etat
contractant peut soulever un problĂšme au regard de lâarticle 3, et donc engager
la responsabilitĂ© de lâEtat en cause au titre de la Convention, lorsquâil y a
des motifs sĂ©rieux et avĂ©rĂ©s de croire que lâintĂ©ressĂ©, si on lâexpulse vers le
pays de destination, y courra un risque rĂ©el dâĂȘtre soumis Ă un traitement
contraire Ă lâarticle 3. Dans ce cas, lâarticle 3 implique lâobligation de ne
pas expulser la personne en question vers ce pays (Soering, précité, §§
90-91 ; Vilvarajah et autres, précité, § 103 ; Ahmed,
précité, § 39 ; H.L.R. c. France, 29 avril 1997, § 34, Recueil
1997-III ; Jabari c. Turquie, no 40035/98,
§ 38, CEDH 2000-VIII ; et Salah Sheekh c. Pays-Bas, no
1948/04, § 135, 11 janvier 2007).
115. Dans ce type dâaffaires, la Cour est
donc appelĂ©e Ă apprĂ©cier la situation dans le pays de destination Ă lâaune des
exigences de lâarticle 3. Dans la mesure oĂč une responsabilitĂ© se trouve
ou peut se trouver engagĂ©e sur le terrain de la Convention, câest celle de
lâEtat contractant, du chef dâun acte qui a pour rĂ©sultat direct dâexposer
quelquâun Ă un risque de mauvais traitements prohibĂ©s (Saadi
c. Italie [GC], no 37201/06, § 126, 28 février 2008).
ÎČ) ElĂ©ments retenus
pour Ă©valuer le risque de subir des traitements contraires Ă lâarticle 3
de la Convention
116. Pour dĂ©terminer lâexistence de
motifs sérieux et avérés de croire à un risque réel de traitements
incompatibles avec lâarticle 3, la Cour sâappuie sur lâensemble des Ă©lĂ©ments
quâon lui fournit ou, au besoin, quâelle se procure dâoffice (H.L.R. c.
France, précité, § 37 ; et Hilal c. Royaume-Uni, no 45276/99,
§ 60, CEDH 2001-II). Dans des affaires telles que la présente espÚce, la Cour
se doit en effet dâappliquer des critĂšres rigoureux en vue dâapprĂ©cier
lâexistence dâun tel risque (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre
1996, § 96, Recueil 1996-V).
117. Pour vĂ©rifier lâexistence dâun
risque de mauvais traitements, la Cour doit examiner les conséquences
prĂ©visibles du renvoi dâun requĂ©rant dans le pays de destination, compte tenu
de la situation générale dans celui-ci et des circonstances propres au cas de
lâintĂ©ressĂ© (Vilvarajah et autres, prĂ©citĂ©, § 108 in fine).
118. Dans ce but, en ce qui concerne la
situation gĂ©nĂ©rale dans un pays, la Cour a souvent attachĂ© de lâimportance aux
informations contenues dans les rapports rĂ©cents provenant dâassociations
internationales indĂ©pendantes de dĂ©fense des droits de lâhomme telles
quâAmnesty International, ou de sources gouvernementales (voir, par exemple, Chahal,
prĂ©citĂ©, §§ 99-100 ; MĂŒslim c. Turquie, no 53566/99,
§ 67, 26 avril 2005 ; Said c. Pays-Bas, no 2345/02,
§ 54, CEDH 2005-VI ; Al-Moayad
c. Allemagne (déc.), no 35865/03, §§ 65-66, 20 février
2007 ; et Saadi, précité, § 131).
119. Dans les affaires oĂč un requĂ©rant
allĂšgue faire partie dâun groupe systĂ©matiquement exposĂ© Ă une pratique de
mauvais traitements, la Cour considĂšre que la protection de lâarticle 3 entre
en jeu lorsque lâintĂ©ressĂ© dĂ©montre, le cas Ă©chĂ©ant Ă lâaide des sources
mentionnĂ©es au paragraphe prĂ©cĂ©dent, quâil y a des motifs sĂ©rieux et avĂ©rĂ©s de
croire Ă lâexistence de la pratique en question et Ă son appartenance au groupe
visé (voir, mutatis mutandis, Salah Sheekh, précité, §§
138-149).
120. En raison du caractĂšre absolu du
droit garanti, il nâest pas exclu que lâarticle 3 trouve aussi Ă sâappliquer
lorsque le danger Ă©mane de personnes ou de groupes de personnes qui ne relĂšvent
pas de la fonction publique. Encore faut-il démontrer que le risque existe
rĂ©ellement et que les autoritĂ©s de lâEtat de destination ne sont pas en mesure
dây obvier par une protection appropriĂ©e (H.L.R. c. France, prĂ©citĂ©, §
40).
121. Pour ce qui est du moment Ă prendre
en considĂ©ration, il faut se rĂ©fĂ©rer en prioritĂ© aux circonstances dont lâEtat
en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de lâĂ©loignement.
ii. Application en
lâespĂšce
122. La Cour a dĂ©jĂ eu lâoccasion de
reconnaĂźtre que les Etats situĂ©s aux frontiĂšres extĂ©rieures de lâUnion
européenne rencontrent actuellement des difficultés considérables pour faire
face Ă un flux croissant de migrants et de demandeurs dâasile. Elle ne saurait
sous-estimer le poids et la pression que cette situation fait peser sur les
pays concernĂ©s, dâautant plus lourds quâelle sâinscrit dans un contexte de
crise Ă©conomique (voir M.S.S. c. Belgique et GrĂšce [GC], no
30696/09, § 223, 21 janvier 2011). En particulier, elle est consciente des
difficultés liées au phénomÚne des migrations maritimes, impliquant pour les
Etats des complications supplémentaires dans le contrÎle des frontiÚres du sud
de lâEurope.
Toutefois, vu le caractĂšre absolu des droits
garantis par lâarticle 3, cela ne saurait exonĂ©rer un Etat de ses obligations
au regard de cette disposition.
123. La Cour rappelle que la protection
contre les traitements prohibĂ©s par lâarticle 3 impose Ă un Etat lâobligation
de ne pas Ă©loigner une personne lorsquâelle court dans lâEtat de destination un
risque rĂ©el dâĂȘtre soumise Ă de tels traitements.
Elle constate que les nombreux rapports dâorganes
internationaux et dâorganisations non gouvernementales dĂ©crivent une situation
prĂ©occupante quant au traitement rĂ©servĂ© en Libye aux immigrĂ©s clandestins Ă
lâĂ©poque des faits. Les conclusions desdits documents sont par ailleurs corroborĂ©es
par le rapport du CPT en date du 28 avril 2010 (paragraphe 35 ci-dessus).
124. La Cour observe au passage que la
situation en Libye sâest par la suite dĂ©gradĂ©e, aprĂšs la fermeture du bureau du
HCR de Tripoli, en avril 2010, puis la révolte populaire qui a éclaté dans le
pays en fĂ©vrier 2011. Toutefois, aux fins de lâexamen de la prĂ©sente affaire,
elle se rĂ©fĂ©rera Ă la situation qui prĂ©valait dans ce pays Ă lâĂ©poque des
faits.
125. Selon les divers rapports
susmentionnés, durant la période concernée aucune rÚgle de protection des
rĂ©fugiĂ©s nâĂ©tait respectĂ©e en Libye ; toutes les personnes entrĂ©es dans le
pays par des moyens irréguliers étaient considérées comme des clandestins, sans
distinction aucune entre les migrants irrĂ©guliers et les demandeurs dâasile. En
consĂ©quence, ces personnes Ă©taient systĂ©matiquement arrĂȘtĂ©es et dĂ©tenues dans
des conditions que les visiteurs extérieurs, telles les délégations du HCR, de
Human Rights Watch, et dâAmnesty International, nâhĂ©sitent pas Ă qualifier
dâinhumaines. De nombreux cas de torture, de mauvaises conditions dâhygiĂšne et
dâabsence de soins mĂ©dicaux appropriĂ©s ont Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©s par lâensemble des
observateurs. Les clandestins risquaient Ă tout moment dâĂȘtre refoulĂ©s vers
leur pays dâorigine et, lorsquâils parvenaient Ă retrouver la libertĂ©, ils
étaient exposés à des conditions de vie particuliÚrement précaires du fait de
leur situation irréguliÚre. Les immigrés irréguliers, comme les requérants,
étaient destinés à occuper dans la société libyenne une position marginale et
isolĂ©e, qui les rendait extrĂȘmement vulnĂ©rables aux actes xĂ©nophobes et
racistes (paragraphes 35-41 ci-dessus).
126. Or, il ressort clairement de ces
mĂȘmes rapports que les migrants clandestins dĂ©barquĂ©s en Libye Ă la suite de
leur interception en haute mer par lâItalie, tels que les requĂ©rants,
nâĂ©chappaient pas Ă ces risques.
127. Face au tableau préoccupant brossé
par les différentes organisations internationales, le gouvernement défendeur
maintient que la Libye Ă©tait, Ă lâĂ©poque des faits, un lieu de destination
« sûr » pour les migrants interceptés en haute mer.
Il étaye sa conviction sur la présomption que la
Libye aurait respectĂ© ses engagements internationaux en matiĂšre dâasile et de
protection des réfugiés, y compris le principe de non-refoulement. Il fait
valoir que le TraitĂ© dâamitiĂ© italo-libyen de 2008, en vertu duquel les
refoulements de clandestins ont été effectués, prévoyait expressément le
respect des dispositions de droit international en matiĂšre de protection des
droits de lâhomme, tout comme des autres conventions internationales auxquelles
la Libye Ă©tait partie.
128. A cet Ă©gard, la Cour observe que le
non-respect par la Libye de ses obligations internationales était une des réalités
dénoncées par les rapports internationaux concernant ce pays. En tout état de
cause, la Cour ne peut que rappeler que lâexistence de textes internes et la
ratification de traités internationaux garantissant le respect des droits
fondamentaux ne suffisent pas, Ă elles seules, Ă assurer une protection
adĂ©quate contre le risque de mauvais traitements lorsque, comme en lâespĂšce,
des sources fiables font Ă©tat de pratiques des autoritĂ©s â ou tolĂ©rĂ©es par
celles-ci â manifestement contraires aux principes de la Convention (voir M.S.S.,
précité, § 353 et, mutatis mutandis, Saadi, précité, § 147).
129. Par ailleurs, la Cour observe que
lâItalie ne saurait se dĂ©gager de sa propre responsabilitĂ© en invoquant ses
obligations dĂ©coulant des accords bilatĂ©raux avec la Libye. En effet, Ă
supposer mĂȘme que lesdits accords prĂ©voyaient expressĂ©ment le refoulement en
Libye des migrants interceptés en haute mer, les Etats membres demeurent
responsables mĂȘme lorsque, postĂ©rieurement Ă lâentrĂ©e en vigueur de la Convention
et de ses Protocoles à leur égard, ils ont assumé des engagements découlant de
traités (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne
[GC], no 42527/98, § 47, CEDH 2001-VIII ; et Al-Saadoon
et Mufdhi c. Royaume-Uni, no 61498/08, § 128, 2 mars 2010).
130. Quant Ă lâargument du Gouvernement
tirĂ© de la prĂ©sence dâun bureau du HCR Ă Tripoli, force est de constater que
lâactivitĂ© du Haut-Commissariat, mĂȘme avant sa cessation dĂ©finitive en avril
2010, nâa jamais bĂ©nĂ©ficiĂ© de quelque forme de reconnaissance que ce soit de la
part du gouvernement libyen. Il ressort des documents examinés par la Cour que
le statut de refugié reconnu par le HCR ne garantissait aucune forme de
protection aux personnes concernées en Libye.
131. La Cour relĂšve une fois encore que cette
réalité était notoire et facile à vérifier à partir de sources multiples. DÚs
lors, elle estime quâau moment dâĂ©loigner les requĂ©rants, les autoritĂ©s
italiennes savaient ou devaient savoir que ceux-ci, en tant que migrants
irréguliers, seraient exposés en Libye à des traitements contraires à la
Convention et quâils ne pourraient accĂ©der Ă aucune forme de protection dans ce
pays.
132. Le Gouvernement soutient que les
requĂ©rants nâont pas Ă©voquĂ© de façon suffisamment explicite les risques
encourus en Libye, dĂšs lors quâils nâont pas demandĂ© lâasile auprĂšs des
autoritĂ©s italiennes. Le simple fait que les requĂ©rants se soient opposĂ©s Ă
leur dĂ©barquement sur les cĂŽtes libyennes ne saurait selon lui ĂȘtre considĂ©rĂ©
comme une demande de protection faisant peser sur lâItalie une obligation en
vertu de lâarticle 3 de la Convention.
133. La Cour observe tout dâabord que
cette circonstance est contestée par les intéressés, lesquels ont affirmé avoir
fait part aux militaires italiens de leur intention de demander une protection
internationale. Dâailleurs, la version des requĂ©rants est corroborĂ©e par les
nombreux tĂ©moignages recueillis par le HCR et Human Rights Watch. Quoi quâil en
soit, la Cour considĂšre quâil appartenait aux autoritĂ©s nationales, face Ă une
situation de non-respect systĂ©matique des droits de lâhomme telle que celle
dĂ©crite ci-dessus, de sâenquĂ©rir du traitement auquel les requĂ©rants seraient
exposés aprÚs leur refoulement (voir, mutatis mutandis, Chahal c.
Royaume-Uni, précité, §§ 104 et 105 ; Jabari, précité, §§ 40 et
41 ; et M.S.S., précité, § 359). Le fait que les intéressés
aient omis de demander expressĂ©ment lâasile, eu Ă©gard aux circonstances de
lâespĂšce, ne dispensait pas lâItalie de respecter ses obligations au titre de
lâarticle 3.
134. A cet Ă©gard, la Cour relĂšve
quâaucune des dispositions de droit international citĂ©es par le Gouvernement ne
justifiait le renvoi des requĂ©rants vers la Libye, dans la mesure oĂč tant les
normes en matiĂšre de secours aux personnes en mer que celles concernant la
lutte contre la traite de personnes imposent aux Etats le respect des
obligations découlant du droit international en matiÚre de refugiés, dont le
« principe de non-refoulement » (paragraphe 23 ci-dessus).
135. Ce principe de non-refoulement est
Ă©galement consacrĂ© par lâarticle 19 de la Charte des droits fondamentaux de
lâUnion europĂ©enne. A cet Ă©gard, la Cour attache un poids particulier au
contenu de la lettre Ă©crite le 15 mai 2009 par M. Jacques Barrot,
vice-président de la Commission européenne, dans laquelle celui-ci réitÚre
lâimportance du respect du principe de non-refoulement dans le cadre
dâopĂ©rations menĂ©es en haute mer par les Etats membres de lâUnion europĂ©enne
(paragraphe 34 ci-dessus).
136. Au vu de ce qui précÚde, la Cour
estime quâen lâespĂšce, des faits sĂ©rieux et avĂ©rĂ©s permettent de conclure quâil
existait un risque réel pour les intéressés de subir en Libye des traitements
contraires Ă lâarticle 3. La circonstance que de nombreux immigrĂ©s irrĂ©guliers
en Libye Ă©taient dans la mĂȘme situation que les requĂ©rants ne change rien au
caractĂšre individuel du risque allĂ©guĂ©, dĂšs lors quâil sâavĂšre suffisamment
concret et probable (voir, mutatis mutandis, Saadi, précité, § 132).
137. Se fondant sur ces conclusions et
les devoirs qui pĂšsent sur les Etats en vertu de lâarticle 3, la Cour estime
quâen transfĂ©rant les requĂ©rants vers la Libye, les autoritĂ©s italiennes les
ont exposés en pleine connaissance de cause à des traitements contraires à la
Convention.
138. DĂšs lors, il convient de rejeter lâexception
du Gouvernement ayant trait au défaut de la qualité de victime des requérants
et de conclure quâil y a eu violation de lâarticle 3 de la Convention.
B. Sur la violation
allĂ©guĂ©e de lâarticle 3 de la Convention du fait que les requĂ©rants ont Ă©tĂ©
exposĂ©s au risque dâĂȘtre rapatriĂ©s arbitrairement en ErythrĂ©e et en Somalie
1. ThĂšses des parties
a) Les requérants
139. Les requérants allÚguent que leur
transfert vers la Libye, oĂč les refugiĂ©s et les demandeurs dâasile ne
bĂ©nĂ©ficient dâaucune forme de protection, les a exposĂ©s au risque dâĂȘtre
refoulĂ©s vers leurs pays dâorigine respectifs, la Somalie et lâErythrĂ©e. Ils
font valoir que plusieurs rapports Ă©manant de sources internationales affirment
lâexistence de conditions contraires aux droits de lâhomme dans ces deux pays.
140. Les requérants, qui ont fui leurs
pays respectifs, soutiennent avoir Ă©tĂ© privĂ©s de toute possibilitĂ© dâobtenir
une protection internationale. Le fait que la majoritĂ© dâentre eux ait obtenu
le statut de réfugié à la suite de leur arrivée en Libye confirmerait que leurs
craintes de subir des mauvais traitements étaient fondées. Ils estiment que,
bien que le statut de refugié accordé par le bureau du HCR de Tripoli
nâait aucune valeur pour les autoritĂ©s libyennes, lâoctroi de ce statut
dĂ©montre que le groupe de migrants dont ils faisaient partie avait besoin dâune
protection internationale.
b) Le Gouvernement
141. Le Gouvernement fait observer que la
Libye Ă©tait signataire de plusieurs instruments internationaux de protection des
droits de lâhomme et rappelle que, en ratifiant le traitĂ© dâamitiĂ© de 2008,
elle sâĂ©tait expressĂ©ment engagĂ©e Ă respecter les principes inscrits dans la
Charte des Nations Unies et dans la DĂ©claration universelle des droits de
lâHomme.
142. Il réaffirme que la présence du HCR
en Libye constituait une assurance de ce quâaucune personne ayant droit Ă
lâasile ou Ă une autre forme de protection internationale ne soit expulsĂ©e
arbitrairement. Il fait valoir quâun nombre important de requĂ©rants se sont vu
octroyer le statut de rĂ©fugiĂ© en Libye, ce qui permettrait dâexclure leur
rapatriement.
c) Les tiers
intervenants
143. Le HCR affirme que la Libye a
frĂ©quemment procĂ©dĂ© au renvoi collectif de rĂ©fugiĂ©s et de demandeurs dâasile
vers leur pays dâorigine, oĂč ils pouvaient ĂȘtre soumis Ă la torture et Ă
dâautres mauvais traitements. Il dĂ©nonce lâabsence dâun systĂšme de protection
internationale en Libye, ce qui engendrerait un risque trÚs élevé de
« refoulements en chaßne » de personnes ayant besoin de protection.
Le Haut-Commissariat ainsi que Human Rights Watch et
Amnesty International font état du risque, pour les individus rapatriés de
force en ErythrĂ©e et en Somalie, dâĂȘtre soumis Ă la torture et Ă des
traitements inhumains et dâĂȘtre exposĂ©s Ă des conditions de vie extrĂȘmement
précaires.
144. Le Centre AIRE, Amnesty
International et la FIDH affirment que, eu égard à la vulnérabilité
particuliĂšre des demandeurs dâasile et des personnes interceptĂ©es en mer et au
manque de garanties ou de procédures adéquates à bord des navires qui
permettraient de contester les renvois, il est dâautant plus impĂ©ratif pour les
Parties contractantes impliquées dans des opérations de renvoi de vérifier la
situation réelle dans les Etats de destination, y compris quant au risque de refoulement
ultérieur.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur la recevabilité
145. La Cour estime que ce grief pose des
questions de fait et de droit complexes qui ne peuvent ĂȘtre tranchĂ©es quâaprĂšs un
examen au fond. Il sâensuit que cette partie de la requĂȘte nâest pas
manifestement mal fondĂ©e au sens de lâarticle 35 § 3 de la Convention. Aucun
autre motif dâirrecevabilitĂ© nâayant Ă©tĂ© relevĂ©, elle doit ĂȘtre dĂ©clarĂ©e
recevable.
b) Sur le fond
146. La Cour rappelle le principe selon
lequel le refoulement indirect dâun Ă©tranger laisse intacte la responsabilitĂ©
de lâEtat contractant, lequel est tenu, conformĂ©ment Ă une jurisprudence bien
Ă©tablie, de veiller Ă ce que lâintĂ©ressĂ© ne se trouve pas exposĂ© Ă un risque
rĂ©el de subir des traitements contraires Ă lâarticle 3 de la Convention en cas
de rapatriement (voir, mutatis mutandis, T.I. c. Royaume-Uni
(déc.), no 43844/98, CEDH 2000-III, et M.S.S., précité, § 342).
147. Il appartient Ă lâEtat qui procĂšde au
refoulement de sâassurer que le pays intermĂ©diaire offre des garanties
suffisantes permettant dâĂ©viter que la personne concernĂ©e ne soit expulsĂ©e vers
son pays dâorigine sans une Ă©valuation des risques quâelle encourt. La Cour
observe que cette obligation est dâautant plus importante lorsque, comme en
lâespĂšce, le pays intermĂ©diaire nâest pas un Etat partie Ă la Convention.
148. Dans la présente affaire, la tùche
de la Cour ne consiste pas Ă se prononcer sur la violation de la Convention en
cas de rapatriement des requĂ©rants, mais Ă rechercher sâil existait des
garanties suffisantes permettant dâĂ©viter que les intĂ©ressĂ©s ne soient soumis Ă
un refoulement arbitraire vers leurs pays dâorigine, dĂšs lors quâils pouvaient
faire valoir de façon défendable que leur rapatriement éventuel porterait
atteinte Ă lâarticle 3 de la Convention.
149. La Cour dispose dâun certain nombre
dâinformations sur la situation gĂ©nĂ©rale en ErythrĂ©e et en Somalie, pays
dâorigine des requĂ©rants, produites par les intĂ©ressĂ©s et les tiers
intervenants (paragraphes 43 et 44 ci-dessus).
150. Elle observe que, selon le HCR et
Human Rights Watch, les personnes rapatriées de force en Erythrée courent le
risque dâĂȘtre confrontĂ©es Ă la torture et dâĂȘtre dĂ©tenues dans des conditions
inhumaines du seul fait quâelles ont quittĂ© irrĂ©guliĂšrement le pays. Quant Ă la
Somalie, dans la récente affaire Sufi et Elmi (précitée), la Cour a
constaté la gravité du niveau de violence atteint à Mogadiscio et le risque
Ă©levĂ© pour les personnes renvoyĂ©es dans ce pays dâĂȘtre amenĂ©es soit Ă transiter
par les zones touchées par le conflit armé soit à chercher refuge dans les
camps pour personnes dĂ©placĂ©es ou pour rĂ©fugiĂ©s, oĂč les conditions de vie sont
désastreuses.
151. La Cour estime que lâensemble des
informations en sa possession montre que prima facie la situation en
Somalie et en Erythrée a posé et continue de poser de graves problÚmes
dâinsĂ©curitĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e. Ce constat nâest dâailleurs pas contestĂ© devant la
Cour.
152. En conséquence, les requérants pouvaient,
de maniĂšre dĂ©fendable, faire valoir que leur rapatriement porterait atteinte Ă
lâarticle 3 de la Convention. Il sâagit Ă prĂ©sent de rechercher si les
autoritĂ©s italiennes pouvaient raisonnablement sâattendre Ă ce que la Libye
présentùt des garanties suffisantes contre les rapatriements arbitraires.
153. La Cour observe tout dâabord que la
Libye nâa pas ratifiĂ© la Convention de GenĂšve relative au statut des rĂ©fugiĂ©s.
En outre, les observateurs internationaux font Ă©tat de lâabsence de toute forme
de procĂ©dure dâasile et de protection des rĂ©fugiĂ©s dans le pays. A cet Ă©gard,
la Cour a dĂ©jĂ eu lâoccasion de constater que la prĂ©sence du HCR Ă Tripoli
nâest guĂšre une garantie de protection des demandeurs dâasile, en raison de
lâattitude nĂ©gative des autoritĂ©s libyennes, qui ne reconnaissent aucune valeur
au statut de réfugié (paragraphe 130 ci-dessus).
154. Dans ces conditions, la Cour ne
saurait souscrire Ă lâargument du Gouvernement selon lequel lâaction du HCR
représenterait une garantie contre les rapatriements arbitraires. De surcroßt,
Human Rights Watch et le HCR ont dénoncé plusieurs précédents de retours forcés
de migrants irréguliers vers des pays à risque, migrants parmi lesquels se
trouvaient des demandeurs dâasile et des rĂ©fugiĂ©s.
155. DĂšs lors, le fait que certains des
requérants aient obtenu le statut de réfugié ne saurait rassurer la Cour quant
au risque de refoulement arbitraire. Au contraire, la Cour partage lâavis des
requérants selon lequel cela constitue une preuve supplémentaire de la vulnérabilité
des intéressés.
156. Au vu de ce qui précÚde, la Cour
estime quâau moment de transfĂ©rer les requĂ©rants vers la Libye, les autoritĂ©s
italiennes savaient ou devaient savoir quâil nâexistait pas de garanties
suffisantes protĂ©geant les intĂ©ressĂ©s du risque dâĂȘtre renvoyĂ©s arbitrairement
dans leurs pays dâorigine, compte tenu notamment de lâabsence dâune procĂ©dure
dâasile et de lâimpossibilitĂ© de faire reconnaĂźtre par les autoritĂ©s libyennes
le statut de refugié octroyé par le HCR.
157. Par ailleurs, la Cour réaffirme que
lâItalie nâest pas dispensĂ©e de respecter ses obligations au titre de lâarticle
3 de la Convention du fait que les requĂ©rants auraient omis de demander lâasile
ou dâexposer les risques encourus en raison de lâabsence dâun systĂšme dâasile
en Libye. Elle rappelle encore une fois quâil revenait aux autoritĂ©s italiennes
de sâenquĂ©rir de la maniĂšre dont les autoritĂ©s libyennes sâacquittaient de
leurs obligations internationales en matiÚre de protection des refugiés.
158. Il sâensuit que le transfert des
requĂ©rants vers la Libye a Ă©galement emportĂ© violation de lâarticle 3 de la
Convention du fait quâil les a exposĂ© au risque de rapatriement arbitraire.
IV. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE
LâARTICLE 4 DU PROTOCOLE No 4
159. Les requérants affirment avoir fait
lâobjet dâune expulsion collective dĂ©pourvue de toute base lĂ©gale. Ils
invoquent lâarticle 4 du Protocole no 4, ainsi libellĂ© :
« Les expulsions collectives
dâĂ©trangers sont interdites. »
1. ThĂšses des parties
a) Le Gouvernement
160. Le Gouvernement excipe de
lâinapplicabilitĂ© de lâarticle 4 du Protocole no 4 en lâespĂšce. Il
estime que la garantie offerte par cette disposition entre en jeu seulement en
cas dâexpulsion de personnes qui se trouvent sur le territoire dâun Etat ou qui
ont franchi illégalement la frontiÚre nationale. Dans la présente
affaire, la mesure en question correspondrait Ă un refus dâautoriser
lâentrĂ©e sur le territoire national plutĂŽt quâĂ une « expulsion ».
b) Les requérants
161. Tout en admettant que lâemploi du
terme « expulsion » pourrait en apparence constituer un obstacle Ă
lâapplicabilitĂ© de cette disposition, les requĂ©rants affirment quâune approche
Ă©volutive devrait amener la Cour Ă reconnaĂźtre lâapplicabilitĂ© de lâarticle 4
du Protocole no 4 dans la présente affaire.
162. En particulier, les requérants
plaident pour une interprétation fonctionnelle et téléologique de cette
disposition. Selon eux, le but essentiel de lâinterdiction des expulsions
collectives est dâempĂȘcher les Etats de procĂ©der au transfert forcĂ© dâun groupe
dâĂ©trangers vers un autre Etat sans examiner, fĂ»t-ce de maniĂšre sommaire, leur
situation individuelle. Dans cette optique, pareille interdiction devrait
sâappliquer Ă©galement aux mesures dâĂ©loignement de migrants en haute mer,
effectuées sans aucun acte formel préalable, en ce que lesdites mesures
pourraient constituer des « expulsions déguisées ». Une
interprétation téléologique et « extraterritoriale » de cette
disposition aurait pour effet de la rendre concrĂšte et effective et non pas
théorique et illusoire.
163. Selon les requérants, à supposer
mĂȘme que la Cour dĂ©cide de confĂ©rer une portĂ©e strictement territoriale Ă
lâinterdiction Ă©tablie par lâarticle 4 du Protocole no 4, leur
refoulement vers la Libye entrerait de toute maniĂšre dans le champ
dâapplication de cet article du fait quâil est intervenu Ă partir dâun bateau
battant pavillon italien, assimilĂ© par lâarticle 4 du code italien de la
navigation au « territoire italien ».
Leur refoulement vers la Libye, effectué sans
identification prĂ©alable et en lâabsence de tout examen de la situation
personnelle de chacun dâeux, aurait constituĂ©, en substance, une mesure
dâĂ©loignement collective.
c) Les tiers
intervenants
164. Le Haut-Commissariat des Nations
Unies aux droits de lâhomme (HCDH), auquel se rallie le Haut-Commissariat des
Nations Unies pour les réfugiés (HCR) (paragraphe 7 ci-dessus), plaide
lâapplicabilitĂ© de lâarticle 4 du Protocole no 4 au cas dâespĂšce. Il
estime que la question est cruciale, compte tenu des répercussions importantes
quâune interprĂ©tation extensive de cette disposition pourrait avoir dans le
domaine des migrations internationales.
AprÚs avoir rappelé que les expulsions collectives
dâĂ©trangers, y compris ceux en situation irrĂ©guliĂšre, sont interdites de maniĂšre
générale par le droit international et communautaire, le HCDH affirme que les
personnes interceptĂ©es en mer doivent pouvoir bĂ©nĂ©ficier dâune protection
contre ce type dâexpulsions, mĂȘme lorsquâelles nâont pas pu atteindre la
frontiĂšre dâun Etat.
Les expulsions collectives pratiquées en haute mer
sont interdites au regard du principe de la bonne foi, Ă la lumiĂšre duquel
doivent ĂȘtre interprĂ©tĂ©es les dispositions conventionnelles. Permettre aux
Etats de renvoyer les migrants interceptés en haute mer sans respecter la
garantie que consacre lâarticle 4 du Protocole no 4 signifierait
accepter que les Etats se dégagent de leurs obligations conventionnelles en
avançant les opérations de contrÎle aux frontiÚres.
De plus, reconnaĂźtre lâexercice extraterritorial de
la juridiction dâun Etat contractant pour des faits ayant eu lieu en haute mer
entraĂźnerait selon le HCDH une prĂ©somption dâapplicabilitĂ© de lâensemble des
droits garantis par la Convention et ses Protocoles.
165. La Columbia Law School Human Rights
Clinic rappelle lâimportance des garanties procĂ©durales dans le domaine de la
protection des droits des rĂ©fugiĂ©s. Les Etats auraient le devoir dâexaminer la
situation de chaque individu au cas par cas, afin de garantir une protection
efficace des droits fondamentaux des personnes concernĂ©es et dâĂ©viter de
procĂ©der Ă leur Ă©loignement lorsquâil existe un risque de prĂ©judice.
Elle estime que lâimmigration clandestine par la mer
nâest pas un phĂ©nomĂšne nouveau mais que la communautĂ© internationale reconnaĂźt
de plus en plus la nécessité de fixer des limites aux pratiques des Etats en
matiĂšre de contrĂŽle de lâimmigration, y compris lâinterception en mer. Le
principe de non-refoulement exigerait des Etats quâils sâabstiennent dâĂ©loigner
des personnes sans avoir apprécié leur situation au cas par cas.
Ainsi, divers organes des Nations Unies, comme le
Comité contre la torture, auraient clairement déclaré que de telles pratiques
risquaient dâenfreindre les normes internationales en matiĂšre de droits de
lâhomme et auraient soulignĂ© lâimportance de lâidentification et de
lâapprĂ©ciation individuelles pour prĂ©venir les renvois Ă risque. La Commission
interamĂ©ricaine des droits de lâhomme aurait reconnu lâimportance de ces
garanties procĂ©durales dans lâaffaire The Haitian Center for Human Rights et
al. v. United States (affaire no 10 675, rapport no
51/96, § 163), dans laquelle elle aurait exprimĂ© lâavis que les Etats-Unis
avaient renvoyé de maniÚre inacceptable des migrants haïtiens interceptés en haute
mer, sans avoir procédé à une détermination adéquate de leur statut ni les
avoir entendus aux fins de vĂ©rifier sâils pouvaient prĂ©tendre au statut de
rĂ©fugiĂ©. Cette dĂ©cision serait dâautant plus importante quâelle contredirait la
position prise prĂ©cĂ©demment par la Cour suprĂȘme des Etats-Unis dans lâaffaire
Sale v. Haitian Centers Council (113 S.Ct, 2549, 1993).
2. Appréciation de la Cour
a) Sur la recevabilité
166. La Cour doit tout dâabord examiner
la question de lâapplicabilitĂ© de lâarticle 4 du Protocole no 4.
Dans lâaffaire Henning Becker c. Danemark (no 7011/75,
dĂ©cision du 3 octobre 1975), relative au rapatriement dâun groupe dâenviron
deux cents enfants vietnamiens par les autorités danoises, la Commission a
dĂ©fini, pour la premiĂšre fois, lâ« expulsion collective dâĂ©trangers »
comme Ă©tant « toute mesure de lâautoritĂ© compĂ©tente contraignant des
Ă©trangers, en tant que groupe, Ă quitter un pays sauf dans les cas oĂč une telle
mesure est prise Ă lâissue et sur la base dâun examen raisonnable et objectif
de la situation particuliĂšre de chacun des Ă©trangers qui forment le
groupe ».
167. Par la suite, cette définition a été
utilisĂ©e par les organes de la Convention dans les autres affaires relatives Ă
lâarticle 4 du Protocole no 4. La Cour observe que la
plupart dâentre elles portaient sur des personnes qui se trouvaient sur le
territoire de lâEtat concernĂ© (K.G. c. R.F.A, no 7704/76, dĂ©cision
de la Commission du 1er mars 1977 ; O. et autres c.
Luxembourg, no 7757/77, décision de la Commission du 3 mars
1978 ; A. et autres c. Pays-Bas, no 14209/88,
décision de la Commission du 16 décembre 1988 ; Andric c. SuÚde (déc.),
no 45917/99, 23 fĂ©vrier 1999 ; Äonka c. Belgique,
no 51564/99, CEDH 2002-I ; Davydov c. Estonie (déc.), no 16387/03,
31 mai 2005 ; Berisha et Haljiti c. ex-RĂ©publique yougoslave de
Macédoine, no 18670/03, décision du 16 juin 2005 ; Sultani
c. France, no 45223/05, CEDH 2007-X ; Ghulami c.
France (déc.), no 45302/05, 7 avril 2009 ; et Dritsas
c. Italie (déc.), no 2344/02, 1er février 2011).
168. En revanche lâaffaire Xhavara et
autres c. Italie et Albanie ((déc.), no 39473/98, 11
janvier 2001), concernait des ressortissants albanais qui avaient tenté
dâentrer clandestinement en Italie Ă bord dâun bateau albanais et qui avaient
été interceptés par un navire de guerre italien à environ 35 milles marins
des cĂŽtes italiennes. Le navire italien avait essayĂ© dâempĂȘcher les intĂ©ressĂ©s
de débarquer sur les cÎtes nationales, provoquant le décÚs de cinquante-huit
personnes, parmi lesquelles les parents des requĂ©rants, Ă la suite dâune
collision. Dans cette derniÚre affaire, les requérants se plaignaient notamment
du dĂ©cret-loi no 60 de 1997, qui prĂ©voyait lâexpulsion immĂ©diate des
étrangers irréguliers, mesure contre laquelle seul un recours non suspensif
pouvait ĂȘtre formĂ©. Ils y voyaient une mĂ©connaissance de la garantie offerte
par lâarticle 4 du Protocole no 4. La Cour a rejetĂ© ce grief pour
incompatibilité ratione personae, la disposition interne contestée
nâayant pas Ă©tĂ© appliquĂ©e Ă leur cas, et ne sâest pas prononcĂ©e sur
lâapplicabilitĂ© de lâarticle 4 du Protocole no 4 au cas dâespĂšce.
169. DÚs lors, dans la présente affaire,
la Cour est appelée pour la premiÚre fois à examiner la question de
lâapplicabilitĂ© de lâarticle 4 du Protocole no 4 Ă un cas
dâĂ©loignement dâĂ©trangers vers un Etat tiers effectuĂ© en dehors du territoire
national. Il sâagit de rechercher si le transfert des requĂ©rants vers la Libye
a constituĂ© une « expulsion collective dâĂ©trangers » au sens de la
disposition litigieuse.
170. Pour interpréter les dispositions
conventionnelles, la Cour sâinspire des articles 31 Ă 33 de la Convention de Vienne sur le droit des
traités (voir, par exemple, Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, §
29, série A no 18 ; Demir et Baykara c. Turquie [GC], no
34503/97, § 65, 12 novembre 2008 ; et Saadi c.
Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 62, 29 janvier 2008).
171. En application de la Convention de Vienne sur le droit des
traités, la Cour doit établir le sens ordinaire à attribuer aux termes dans
leur contexte et Ă la lumiĂšre de lâobjet et du but de la disposition dont ils
sont tirés. Elle doit tenir compte du fait que la disposition en question fait
partie dâun traitĂ© pour la protection effective des droits de lâhomme, et que
la Convention doit se lire comme un tout et sâinterprĂ©ter de maniĂšre Ă
promouvoir sa cohĂ©rence interne et lâharmonie entre ses diverses dispositions (Stec
et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01
et 65900/01, § 48, CEDH 2005-X). La Cour doit également prendre en considération
toute rĂšgle et tout principe de droit international applicables aux relations
entre les Parties contractantes (Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no
35763/97, § 55, CEDH 2001-XI ; et Bosphorus Hava Yolları Turizm ve
Ticaret Anonim Ćirketi (Bosphorus Airways) c. Irlande [GC], no 45036/98,
§ 150, CEDH 2005-VI ; voir Ă©galement lâarticle 31 § 3 c) de la Convention de Vienne). La Cour peut
aussi faire appel Ă des moyens complĂ©mentaires dâinterprĂ©tation, notamment aux
travaux préparatoires de la Convention, soit pour confirmer un sens déterminé
conformément aux méthodes évoquées plus haut, soit pour en clarifier le sens
lorsquâil serait autrement ambigu, obscur ou manifestement absurde et
déraisonnable (article 32 de la Convention de Vienne).
172. Le Gouvernement considĂšre quâun
obstacle logique sâoppose Ă lâapplicabilitĂ© de lâarticle 4 du Protocole no
4 à la présente espÚce, à savoir le fait que les requérants ne se trouvaient
pas sur le territoire national lors de leur transfert vers la Libye, mesure qui
par conséquent ne saurait selon lui passer pour une « expulsion » au
sens ordinaire du terme.
173. La Cour ne partage pas lâopinion du
Gouvernement sur ce point. Elle note tout dâabord que si les affaires examinĂ©es
jusquâĂ prĂ©sent concernaient des personnes qui se trouvaient dĂ©jĂ , Ă diffĂ©rents
titres, sur le territoire du pays concernĂ©, le libellĂ© de lâarticle 4 du
Protocole no 4 ne fait pas, en soi, obstacle Ă son application
extraterritoriale. Il y a lieu dâobserver en effet quâaucune rĂ©fĂ©rence Ă la
notion de « territoire » ne figure Ă lâarticle 4 du Protocole no
4, alors quâau contraire le texte de lâarticle 3 du mĂȘme Protocole Ă©voque
expressĂ©ment la portĂ©e territoriale de lâinterdiction dâexpulser des nationaux.
De mĂȘme, lâarticle 1 du Protocole no 7 se rĂ©fĂšre de façon
explicite à la notion de territoire en matiÚre de garanties procédurales en cas
dâexpulsion dâĂ©trangers rĂ©sidant rĂ©guliĂšrement sur le territoire de lâEtat. Aux
yeux de la Cour, cet Ă©lĂ©ment textuel ne saurait ĂȘtre ignorĂ©.
174. Les travaux prĂ©paratoires, quant Ă
eux, ne sont pas explicites au sujet du champ dâapplication et de la portĂ©e de
lâarticle 4 du Protocole no 4. En tout Ă©tat de cause, il
ressort du rapport explicatif relatif au Protocole no 4, rédigé
en 1963, que pour le ComitĂ© dâexperts, lâarticle 4 devait formellement
prohiber « les expulsions collectives du genre de celles qui se sont
produites dans un passé récent ». Aussi était-il « entendu que
lâadoption du prĂ©sent article [de lâarticle 4] et de lâarticle 3, paragraphe 1,
ne pourrait en aucune façon ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme Ă©tant de nature Ă lĂ©gitimer
les mesures dâexpulsion collective prises dans le passĂ© ». Dans le
commentaire du projet, on peut lire que, selon le ComitĂ© dâexperts, les Ă©trangers
auxquels lâarticle se rĂ©fĂšre ne sont pas seulement ceux rĂ©sidant rĂ©guliĂšrement
sur le territoire, mais « tous ceux qui nâont pas un droit actuel de
nationalitĂ© dans lâEtat sans distinguer ni sâils sont simplement de passage ou
sâils sont rĂ©sidents ou domiciliĂ©s, ni sâils sont des rĂ©fugiĂ©s ou sâils sont
entrĂ©s dans le pays de leur plein grĂ©, ni sâils sont apatrides ou possĂšdent une
nationalité » (Article 4 du projet définitif du Comité, p. 505, § 34).
Enfin, pour les rédacteurs du Protocole no 4, le mot
« expulsion » devait ĂȘtre interprĂ©tĂ© « dans le sens gĂ©nĂ©rique
que lui reconnaĂźt le langage courant (chasser hors dâun endroit) ». Bien
que cette derniĂšre dĂ©finition soit contenue dans la section relative Ă
lâarticle 3 du Protocole, la Cour considĂšre quâelle peut ĂȘtre appliquĂ©e
Ă©galement Ă lâarticle 4 du mĂȘme Protocole. Il sâensuit que les travaux
prĂ©paratoires, eux non plus, ne sâopposent pas Ă une application
extraterritoriale de lâarticle 4 du Protocole no 4.
175. Pour autant, la question demeure de
savoir si une telle application se justifie. Pour y répondre, il convient de
tenir compte du but et du sens de la disposition en cause, lesquels doivent
eux-mĂȘmes sâanalyser Ă la lumiĂšre du principe, solidement ancrĂ© dans la
jurisprudence de la Cour, selon lequel la Convention est un instrument vivant
qui doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© Ă la lumiĂšre des conditions actuelles (voir, par
exemple, Soering, précité, § 102 ; Dudgeon c.
Royaume-Uni, 22 octobre 1981, série A no 45 ;
X, Y
et Z c. Royaume-Uni, 22 avril
1997, Recueil 1997-II ; V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94,
§ 72, CEDH 1999-IX ; et Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94,
§ 39, CEDH 1999-I). En outre, il est essentiel que la Convention soit
interprĂ©tĂ©e et appliquĂ©e dâune maniĂšre qui en rende les garanties concrĂštes et
effectives et non pas théoriques et illusoires (Marckx c. Belgique,
13 juin 1979, § 41, série A no 31 ; Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 26, série A no
32 ; Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, §
121, CEDH 2005-I ; et Leyla Ćahin c. Turquie [GC],
no 44774/98, § 136, CEDH 2005-XI).
176. Or, une longue pĂ©riode sâest Ă©coulĂ©e
depuis la rédaction du Protocole no 4. Depuis cette époque, les flux
migratoires en Europe nâont cessĂ© de sâintensifier, empruntant de plus en plus
la voie maritime, si bien que lâinterception de migrants en haute mer et leur
renvoi vers les pays de transit ou dâorigine font dĂ©sormais partie du phĂ©nomĂšne
migratoire, dans la mesure oĂč ils constituent pour les Etats des moyens de
lutte contre lâimmigration irrĂ©guliĂšre.
Le contexte de crise Ă©conomique ainsi que les
récentes mutations sociales et politiques ayant touché tout particuliÚrement
certaines rĂ©gions dâAfrique et du Moyen Orient placent les Etats europĂ©ens face
Ă de nouveaux dĂ©fis dans le domaine de la gestion de lâimmigration.
177. La Cour a dĂ©jĂ relevĂ© que dâaprĂšs la
jurisprudence bien Ă©tablie de la Commission et de la Cour, le but de lâarticle
4 du Protocole no 4 est dâĂ©viter que les Etats puissent Ă©loigner un
certain nombre dâĂ©trangers sans examiner leur situation personnelle et, par
consĂ©quent, sans leur permettre dâexposer leurs arguments sâopposant Ă la
mesure prise par lâautoritĂ© compĂ©tente. Si donc lâarticle 4 du Protocole no
4 devait sâappliquer seulement aux expulsions collectives effectuĂ©es Ă partir
du territoire national des Etats parties Ă la Convention, câest une partie
importante des phénomÚnes migratoires contemporains qui se trouverait
soustraite Ă lâempire de cette disposition, nonobstant le fait que les
agissements quâelle entend interdire peuvent se produire en dehors du
territoire national et notamment, comme en lâespĂšce, en haute mer. Lâarticle 4
se verrait ainsi privĂ© dâeffet utile Ă lâĂ©gard de ces phĂ©nomĂšnes, qui tendent
pourtant à se multiplier. Cela aurait pour conséquence que des migrants ayant
emprunté la voie maritime, souvent au péril leur vie, et qui ne sont pas
parvenus Ă atteindre les frontiĂšres dâun Etat, nâauraient pas droit Ă un examen
de leur situation personnelle avant dâĂȘtre expulsĂ©s, contrairement Ă ceux qui
ont emprunté la voie terrestre.
178. Pour autant, il est clair que, de
mĂȘme que la notion de « juridiction » est principalement territoriale
et quâelle est prĂ©sumĂ©e sâexercer sur le territoire national des Etats
(paragraphe 71 ci-dessus), la notion dâexpulsion est, elle aussi,
principalement territoriale, en ce sens que les expulsions se font le plus
souvent depuis le territoire national. LĂ oĂč toutefois, comme en lâespĂšce, elle
a reconnu quâun Etat contractant avait exercĂ©, Ă titre exceptionnel, sa juridiction
en dehors de son territoire national, la Cour ne voit pas dâobstacle Ă accepter
que lâexercice de la juridiction extraterritoriale de cet Etat a pris la forme
dâune expulsion collective. Conclure autrement, et accorder Ă cette derniĂšre
notion une portée strictement territoriale, entraßnerait une distorsion entre
le champ dâapplication de la Convention en tant que telle et celui de lâarticle
4 du Protocole no 4, ce qui contredirait le principe selon lequel la
Convention doit sâinterprĂ©ter comme un tout. Dâailleurs, sâagissant de
lâexercice par un Etat de sa juridiction en haute mer, la Cour a dĂ©jĂ affirmĂ©
que la spécificité du contexte maritime ne saurait aboutir à la consécration
dâun espace de non-droit au sein duquel les individus ne relĂšveraient dâaucun
régime juridique susceptible de leur accorder la jouissance des droits et
garanties prĂ©vus par la Convention et que les Etats se sont engagĂ©s Ă
reconnaßtre aux personnes placées sous leur juridiction (Medvedyev et autres,
précité, § 81).
179. Les considérations ci-dessus ne
remettent pas en cause le droit dont disposent les Etats dâĂ©tablir
souverainement leurs politiques dâimmigration. Il importe toutefois de
souligner que les difficultés dans la gestion des flux migratoires ne peuvent
justifier le recours, de la part des Etats, Ă des pratiques qui seraient
incompatibles avec leurs obligations conventionnelles. La Cour réaffirme à cet
Ă©gard que lâinterprĂ©tation des normes conventionnelles doit se faire au regard
du principe de la bonne foi et de lâobjet et du but du traitĂ© ainsi que de la
rĂšgle de lâeffet utile (Mamatkulov et Askarov, prĂ©citĂ©, § 123).
180. Compte tenu de ce qui précÚde, la
Cour considĂšre que les Ă©loignements dâĂ©trangers effectuĂ©es dans le cadre
dâinterceptions en haute mer par les autoritĂ©s dâun Etat dans lâexercice de
leurs prĂ©rogatives de puissance publique, et qui ont pour effet dâempĂȘcher les
migrants de rejoindre les frontiĂšres de lâEtat, voire de les refouler vers un
autre Etat, constituent un exercice de leur juridiction au sens de lâarticle 1
de la Convention, qui engage la responsabilitĂ© de lâEtat en question sur le
terrain de lâarticle 4 du Protocole no 4.
181. En lâespĂšce, la Cour estime que
lâopĂ©ration ayant conduit au transfert des requĂ©rants vers la Libye a Ă©tĂ© menĂ©e
par les autoritĂ©s italiennes dans le but dâempĂȘcher les dĂ©barquements de
migrants irréguliers sur les cÎtes nationales. A cet égard, elle attache un
poids particulier aux déclarations livrées aprÚs les faits par le ministre de
lâIntĂ©rieur Ă la presse nationale et au SĂ©nat de la RĂ©publique, dans lesquelles
il a expliquĂ© lâimportance des renvois en haute mer pour la lutte contre
lâimmigration clandestine et soulignĂ© la diminution importante des
débarquements due aux opérations menées au cours du mois de mai 2009
(paragraphe 13 ci-dessus).
182. Partant, la Cour rejette lâexception
du Gouvernement et considĂšre que lâarticle 4 du Protocole no 4
trouve Ă sâappliquer en lâespĂšce.
b) Sur le fond
183. La Cour observe quâĂ ce jour,
lâaffaire Äonka (arrĂȘt prĂ©citĂ©) est la seule oĂč elle a constatĂ© une
violation de lâarticle 4 du Protocole no 4. Dans lâexamen de cette
affaire, afin dâĂ©valuer lâexistence dâune expulsion collective, elle a examinĂ©
les circonstances de lâespĂšce et vĂ©rifiĂ© si les dĂ©cisions dâĂ©loignement avaient
pris en considération la situation particuliÚre des individus concernés. La
Cour a alors déclaré (§§ 61-63) :
« La Cour note toutefois que
les mesures de dĂ©tention et dâĂ©loignement litigieuses ont Ă©tĂ© prises en
exĂ©cution dâun ordre de quitter le territoire datĂ© du 29 septembre 1999, lequel
Ă©tait fondĂ© uniquement sur lâarticle 7, alinĂ©a 1, 2o, de la loi sur
les étrangers, sans autre référence à la situation personnelle des intéressés
que le fait que leur séjour en Belgique excédait trois mois. En particulier, le
document ne faisait aucune rĂ©fĂ©rence Ă la demande dâasile des requĂ©rants ni aux
décisions des 3 mars et 18 juin 1999 intervenues en la matiÚre. Certes,
ces dĂ©cisions Ă©taient, elles aussi, accompagnĂ©es dâun ordre de quitter le
territoire, mais Ă lui seul, celui-ci nâautorisait pas lâarrestation des
requérants. Celle-ci a donc été ordonnée pour la premiÚre fois par une décision
du 29 septembre 1999, sur un fondement lĂ©gal Ă©tranger Ă leur demande dâasile,
mais suffisant nĂ©anmoins pour entraĂźner la mise en Ćuvre des mesures
critiquĂ©es. Dans ces conditions, et au vu du grand nombre de personnes de mĂȘme
origine ayant connu le mĂȘme sort que les requĂ©rants, la Cour estime que le
procĂ©dĂ© suivi nâest pas de nature Ă exclure tout doute sur le caractĂšre
collectif de lâexpulsion critiquĂ©e.
Ces doutes se trouvent renforcés
par un ensemble de circonstances telles que le fait que prĂ©alablement Ă
lâopĂ©ration litigieuse les instances politiques responsables avaient annoncĂ©
des opĂ©rations de ce genre et donnĂ© des instructions Ă lâadministration
compétente en vue de leur réalisation (...) ; que tous les intéressés ont
été convoqués simultanément au commissariat ; que les ordres de quitter le
territoire et dâarrestation qui leur ont Ă©tĂ© remis prĂ©sentaient un libellĂ©
identique ; quâil Ă©tait trĂšs difficile pour les intĂ©ressĂ©s de prendre
contact avec un avocat ; enfin, que la procĂ©dure dâasile nâĂ©tait pas
encore terminée.
Bref, à aucun stade de la période
allant de la convocation des intéressés au commissariat à leur expulsion, la
procĂ©dure suivie nâoffrait des garanties suffisantes attestant dâune prise en
compte réelle et différenciée de la situation individuelle de chacune des
personnes concernées. »
184. Dans leur jurisprudence, les organes
de la Convention ont par ailleurs précisé que le fait que plusieurs étrangers
fassent lâobjet de dĂ©cisions semblables ne permet pas en soi de conclure Ă
lâexistence dâune expulsion collective lorsque chaque intĂ©ressĂ© a pu
individuellement exposer devant les autorités compétentes les arguments qui
sâopposaient Ă son expulsion (K.G. c. R.F.A, dĂ©cision prĂ©citĂ©e ; Andric,
décision précitée ; Sultani, précité, § 81). Enfin, la Cour a jugé
quâil nây a pas violation de lâarticle 4 du Protocole no 4 si
lâabsence de dĂ©cision individuelle dâĂ©loignement est la consĂ©quence du
comportement fautif des personnes intéressées (Berisha et Haljiti,
décision précitée, et Dritsas, décision précitée).
185. En lâespĂšce, la Cour ne peut que
constater que le transfert des requérants vers la Libye a été exécuté en
lâabsence de toute forme dâexamen de la situation individuelle de chaque
requĂ©rant. Il est incontestĂ© que les requĂ©rants nâont fait lâobjet dâaucune
procĂ©dure dâidentification de la part des autoritĂ©s italiennes, lesquelles se
sont bornĂ©es Ă faire monter lâensemble des migrants interceptĂ©s sur les navires
militaires et à les débarquer sur les cÎtes libyennes. De plus, la Cour relÚve
que le personnel Ă bord des navires militaires nâĂ©tait pas formĂ© pour mener des
entretiens individuels et nâĂ©tait pas assistĂ© dâinterprĂštes et de conseils
juridiques.
Cela suffit Ă la Cour pour exclure lâexistence de
garanties suffisantes attestant une prise en compte réelle et différenciée de
la situation individuelle de chacune des personnes concernées.
186. Au vu de ce qui précÚde, la Cour
conclut que lâĂ©loignement des requĂ©rants a eu un caractĂšre collectif contraire
Ă lâarticle 4 du Protocole no 4. Partant, il y a eu
violation de cette disposition.
VI. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE
LâARTICLE 13 COMBINĂ AVEC LES ARTICLES 3 DE LA CONVENTION ET 4 DU PROTOCOLE No
4
187. Les requérants se plaignent de ne
pas avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© en droit italien dâun recours effectif pour formuler leurs
griefs tirés des articles 3 de la Convention et 4 du Protocole no 4.
Ils invoquent lâarticle 13 de la Convention, qui est ainsi libellĂ© :
« Toute personne dont les
droits et libertĂ©s reconnus dans la (...) Convention ont Ă©tĂ© violĂ©s, a droit Ă lâoctroi
dâun recours effectif devant une instance nationale, alors mĂȘme que la
violation aurait Ă©tĂ© commise par des personnes agissant dans lâexercice de
leurs fonctions officielles. »
1. ThĂšses des parties
a) Les requérants
188. Les requérants affirment que les
interceptions de personnes en haute mer menĂ©es par lâItalie ne sont pas prĂ©vues
par la loi et sont soustraites à tout contrÎle de légalité par une autorité
nationale. Pour cette raison, ils auraient été privés de toute possibilité de
prĂ©senter un recours contre leur refoulement en Libye et dâallĂ©guer la
violation des articles 3 de la Convention et 4 du Protocole no 4.
189. Les intĂ©ressĂ©s soutiennent quâaucune
des exigences dâeffectivitĂ© des recours prĂ©vues par la jurisprudence de la Cour
nâa Ă©tĂ© respectĂ©e par les autoritĂ©s italiennes, lesquelles nâauraient mĂȘme pas
procĂ©dĂ© Ă lâidentification des migrants interceptĂ©s et nâauraient prĂȘtĂ© aucune
attention Ă leurs demandes de protection. Par ailleurs, mĂȘme Ă supposer quâils
aient eu la possibilitĂ© de sâadresser aux militaires pour demander lâasile, ils
nâauraient pas pu bĂ©nĂ©ficier des garanties procĂ©durales prĂ©vues par la loi
italienne, tel lâaccĂšs Ă une instance judiciaire, pour la simple raison quâils
se trouvaient Ă bord de navires.
190. Les requérants estiment que
lâexercice de la souverainetĂ© territoriale en matiĂšre de politique de
lâimmigration ne doit en aucun cas entraĂźner le non-respect des obligations que
la Convention impose aux Etats, parmi lesquelles figure celle de garantir le
droit Ă un recours effectif devant une instance nationale Ă toute personne
relevant de leur juridiction.
b) Le Gouvernement
191. Le Gouvernement plaide que les
circonstances de lâespĂšce, dĂšs lors quâelles se sont dĂ©roulĂ©es Ă bord de
navires, ne permettaient pas de garantir aux requĂ©rants le droit dâaccĂšs Ă une
instance nationale.
192. Lors de lâaudience devant la Grande
Chambre, il a soutenu que les requérants auraient dû saisir les juridictions
nationales afin dâobtenir la reconnaissance et, le cas Ă©chĂ©ant, le redressement
des violations alléguées de la Convention. Selon le Gouvernement, le systÚme
judiciaire national aurait permis de constater lâĂ©ventuelle responsabilitĂ© des
militaires qui ont secouru les requérants, tant au regard du droit national que
du droit international.
Le Gouvernement maintient que les requérants
auxquels le HCR a reconnu le statut de rĂ©fugiĂ©s ont le loisir dâentrer Ă tout
moment sur le territoire italien et dâexercer leurs droits conventionnels, y
compris celui de saisir les autorités judiciaires.
c) Les tiers
intervenants
193. Le HCR affirme que le principe de
non-refoulement implique pour les Etats des obligations procédurales. Par
ailleurs, le droit dâaccĂšs Ă une procĂ©dure dâasile effective et diligentĂ©e par
une autoritĂ© compĂ©tente serait dâautant plus crucial quâil sâagit de flux
migratoires « mixtes », dans le cadre desquels les demandeurs dâasile
potentiels doivent ĂȘtre individualisĂ©s et distinguĂ©s des autres migrants.
194. Le Centre de conseil sur les droits
de lâindividu en Europe (Centre AIRE), Amnesty International et la FĂ©dĂ©ration
internationale des ligues des droits de lâhomme (FIDH) considĂšrent que les
individus refoulĂ©s Ă la suite dâune interception en haute mer nâont accĂšs Ă
aucun recours dans lâEtat contractant responsable de lâopĂ©ration, et encore
moins Ă une voie de recours susceptible de satisfaire aux exigences de
lâarticle 13. Les intĂ©ressĂ©s ne disposeraient dâaucune possibilitĂ© adĂ©quate ni
des soutiens nĂ©cessaires, notamment lâassistance dâun interprĂšte, qui leur permettraient
dâexposer les raisons militant contre leur refoulement, sans parler dâun examen
dont la rigueur satisferait aux exigences de la Convention. Les parties
intervenantes estiment que, lorsque les Parties contractantes Ă la Convention
sont impliquées dans des interceptions en mer débouchant sur un refoulement, il
leur incombe de sâassurer que chacune des personnes concernĂ©es dispose dâune
possibilité effective de contester son renvoi à la lumiÚre des droits garantis
par la Convention et dâobtenir un examen de sa demande avant que le refoulement
ne soit exécuté.
Les parties intervenantes considĂšrent que lâabsence
dâun recours permettant dâidentifier les requĂ©rants et dâapprĂ©cier
individuellement leurs demandes de protection ainsi que leurs besoins constitue
une omission grave, tout comme le défaut de toute investigation de suivi pour
sâassurer du sort des personnes renvoyĂ©es.
195. La Columbia Law School Human Rights
Clinic fait valoir que le droit international des droits de lâhomme et des
rĂ©fugiĂ©s exige tout dâabord que lâEtat informe les migrants de leur droit Ă la
protection. Le devoir dâinformation serait indispensable pour rendre effective
lâobligation de lâEtat dâidentifier les personnes qui, parmi les individus
interceptĂ©s, ont besoin dâune protection internationale. Ce devoir serait
particuliĂšrement important en cas dâinterception en mer, du fait que les
personnes concernĂ©es connaĂźtraient rarement le droit national et nâauraient pas
accĂšs Ă un interprĂšte ou Ă un conseil juridique. Ensuite, chaque personne
devrait ĂȘtre entendue par les autoritĂ©s nationales et obtenir une dĂ©cision
individuelle relativement Ă sa demande.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur la recevabilité
196. La Cour rappelle avoir joint Ă
lâexamen du bien-fondĂ© des griefs tirĂ©s de lâarticle 13 lâexception de
non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement lors
de lâaudience devant la Grande Chambre (paragraphe 62 ci-dessus). Par ailleurs,
la Cour considĂšre que cette partie de la requĂȘte pose des questions de droit et
de fait complexes qui ne peuvent ĂȘtre tranchĂ©es quâaprĂšs un examen au
fond ; il sâensuit que celle-ci nâest pas manifestement mal fondĂ©e au sens
de lâarticle 35 § 3 a) de la Convention. Aucun autre motif dâirrecevabilitĂ©
nâayant Ă©tĂ© relevĂ©, il y a lieu de la dĂ©clarer recevable.
b) Sur le fond
i. Les principes
généraux
197. Lâarticle 13 de la Convention
garantit lâexistence en droit interne dâun recours permettant de se prĂ©valoir des
droits et libertĂ©s de la Convention tels quâils sây trouvent consacrĂ©s. Cette
disposition a donc pour consĂ©quence dâexiger un recours interne permettant
dâexaminer le contenu dâun « grief dĂ©fendable » fondĂ© sur la
Convention et dâoffrir le redressement appropriĂ©. La portĂ©e de lâobligation que
lâarticle 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la
nature du grief du requĂ©rant. Toutefois, le recours exigĂ© par lâarticle 13 doit
ĂȘtre « effectif » en pratique comme en droit. Lâ« effectivitĂ© »
dâun « recours » au sens de lâarticle 13 ne dĂ©pend pas de la
certitude dâune issue favorable pour le requĂ©rant. De mĂȘme,
lâ« instance » dont parle cette disposition nâa pas besoin dâĂȘtre une
institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties quâelle
prĂ©sente entrent en ligne de compte pour apprĂ©cier lâeffectivitĂ© du recours
sâexerçant devant elle. En outre, lâensemble des recours offerts par le droit
interne peut remplir les exigences de lâarticle 13, mĂȘme si aucun dâeux nây
rĂ©pond en entier Ă lui seul (voir, parmi beaucoup dâautres, KudĆa c.
Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI).
198. Il ressort de la jurisprudence que
le grief dâune personne selon lequel son renvoi vers un Etat tiers lâexposerait
Ă des traitements prohibĂ©s par lâarticle 3 de la Convention « doit
impĂ©rativement faire lâobjet dâun contrĂŽle attentif par une « instance
nationale » (Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no
36378/02, § 448, CEDH 2005-III ; voir aussi Jabari, précité,
§ 39). Ce principe a conduit la Cour à juger que la notion de « recours
effectif » au sens de lâarticle 13 combinĂ© avec lâarticle 3 requiert,
dâune part, « un examen indĂ©pendant et rigoureux » de tout grief
soulevé par une personne se trouvant dans une telle situation, aux termes duquel
« il existe des motifs sĂ©rieux de croire Ă lâexistence dâun risque rĂ©el de
traitements contraires Ă lâarticle 3 » et, dâautre part, « la
possibilitĂ© de faire surseoir Ă lâexĂ©cution de la mesure litigieuse »
(arrĂȘts prĂ©citĂ©s, § 460 et § 50 respectivement).
199. En outre, dans lâarrĂȘt Äonka
(prĂ©citĂ©, §§ 79 et suivants) la Cour a prĂ©cisĂ©, sur le terrain de lâarticle 13
combinĂ© avec lâarticle 4 du Protocole no 4, quâun recours
ne rĂ©pond pas aux exigences du premier sâil nâa pas dâeffet suspensif. Elle a
notamment souligné (§ 79) :
« La Cour considÚre que
lâeffectivitĂ© des recours exigĂ©s par lâarticle 13 suppose quâils puissent
empĂȘcher lâexĂ©cution des mesures contraires Ă la Convention et dont les
conséquences sont potentiellement irréversibles (...). En conséquence,
lâarticle 13 sâoppose Ă ce que pareilles mesures soient exĂ©cutĂ©es avant
mĂȘme lâissue de lâexamen par les autoritĂ©s nationales de leur compatibilitĂ©
avec la Convention. Toutefois, les Etats contractants jouissent dâune certaine
marge dâapprĂ©ciation quant Ă la maniĂšre de se conformer aux obligations que
leur fait lâarticle 13 (...). »
200. Compte tenu de lâimportance de
lâarticle 3 de la Convention et de la nature irrĂ©versible du dommage
susceptible dâĂȘtre causĂ© en cas de rĂ©alisation du risque de torture ou de
mauvais traitements, la Cour a jugĂ© que le critĂšre de lâeffet suspensif devait
sâappliquer Ă©galement dans le cas oĂč un Etat partie dĂ©ciderait de renvoyer un
Ă©tranger vers un Etat oĂč il y a des motifs sĂ©rieux de croire quâil courrait un
risque de cette nature (Gebremedhin
[Gaberamadhien] c. France, no
25389/05, § 66, CEDH 2007-II ; M.S.S., précité, § 293).
ii. Application en
lâespĂšce
201. La Cour vient de conclure que le
renvoi des requĂ©rants vers la Libye sâanalysait en une violation des articles 3
de la Convention et 4 du Protocole no 4. Les griefs soulevés par les
requérants sur ces points sont dÚs lors « défendables » aux fins de
lâarticle 13.
202. La Cour a constaté que les
requĂ©rants nâont eu accĂšs Ă aucune procĂ©dure tendant Ă leur identification et Ă
la vĂ©rification de leurs situations personnelles avant lâexĂ©cution de leur
Ă©loignement vers la Libye (paragraphe 185 ci-dessus). Le Gouvernement admet que
de telles procĂ©dures nâĂ©taient pas envisageables Ă bord des navires militaires
sur lesquels on a fait embarquer les requérants. Le personnel à bord ne
comptait dâailleurs ni interprĂštes ni conseils juridiques.
203. La Cour observe que les requérants
allĂšguent nâavoir reçu aucune information de la part des militaires italiens,
lesquels leur auraient fait croire quâils Ă©taient dirigĂ©s vers lâItalie et ne
les auraient pas renseignĂ©s quant Ă la procĂ©dure Ă suivre pour empĂȘcher leur
renvoi en Libye.
Dans la mesure oĂč cette circonstance est contestĂ©e
par le Gouvernement, la Cour attache un poids particulier Ă la version des
requérants, car elle est corroborée par les nombreux témoignages recueillis par
le HCR, le CPT et Human Rights Watch.
204. Or, la Cour a déjà affirmé que le
dĂ©faut dâinformation constitue un obstacle majeur Ă lâaccĂšs aux procĂ©dures
dâasile (M.S.S., prĂ©citĂ©, § 304). Elle rĂ©itĂšre ici lâimportance de
garantir aux personnes concernĂ©es par une mesure dâĂ©loignement, mesure dont les
consĂ©quences sont potentiellement irrĂ©versibles, le droit dâobtenir des
informations suffisantes leur permettant dâavoir un accĂšs effectif aux
procĂ©dures et dâĂ©tayer leurs griefs.
205. Compte tenu des circonstances de la
présente espÚce, la Cour estime que les requérants ont été privés de toute voie
de recours qui leur eût permis de soumettre à une autorité compétente leurs
griefs tirés des articles 3 de la Convention et 4 du Protocole no
4 et dâobtenir un contrĂŽle attentif et rigoureux de leurs demandes avant que la
mesure dâĂ©loignement ne soit mise Ă exĂ©cution.
206. Quant Ă lâargument du Gouvernement selon
lequel les requérants auraient dû se prévaloir de la possibilité de saisir le
juge pénal italien une fois arrivés en Libye, la Cour ne peut que constater
que, mĂȘme si une telle voie de recours est accessible en pratique, un recours
pĂ©nal diligentĂ© Ă lâencontre des militaires qui se trouvaient Ă bord des
navires de lâarmĂ©e ne remplit manifestement pas les exigences de lâarticle 13
de la Convention, dans la mesure oĂč il ne satisfait pas au critĂšre de lâeffet
suspensif consacrĂ© par lâarrĂȘt Äonka, prĂ©citĂ©. La Cour rappelle que
lâexigence, dĂ©coulant de lâarticle 13, de faire surseoir Ă lâexĂ©cution de la
mesure litigieuse ne peut ĂȘtre envisagĂ©e de maniĂšre accessoire (M.S.S.,
précité, § 388).
207. La Cour conclut quâil y a eu
violation de lâarticle 13 combinĂ© avec les articles 3 de la Convention et 4 du
Protocole no 4. Il sâensuit que lâon ne saurait reprocher aux requĂ©rants de ne
pas avoir correctement Ă©puisĂ© les voies de recours internes et que lâexception
préliminaire du Gouvernement (paragraphe 62 ci-dessus) est rejetée.
VII. SUR LES ARTICLES 46 ET 41 DE LA CONVENTION
A. Sur lâarticle 46 de la Convention
208. Aux termes de cette
disposition :
« 1. Les Hautes
Parties contractantes sâengagent Ă se conformer aux arrĂȘts dĂ©finitifs de la
Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. LâarrĂȘt dĂ©finitif de
la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille
lâexĂ©cution. »
209. En vertu de lâarticle 46 de la
Convention, les Hautes Parties contractantes sâengagent Ă se conformer aux
arrĂȘts dĂ©finitifs rendus par la Cour dans les litiges auxquels elles sont
parties, le ComitĂ© des Ministres Ă©tant chargĂ© de surveiller lâexĂ©cution de ces
arrĂȘts. Il en dĂ©coule notamment que, lorsque la Cour constate une violation,
lâEtat dĂ©fendeur a lâobligation juridique non seulement de verser aux
intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par
lâarticle 41, mais aussi dâadopter les mesures gĂ©nĂ©rales et/ou, le cas Ă©chĂ©ant,
individuelles nĂ©cessaires. Les arrĂȘts de la Cour ayant une nature
essentiellement dĂ©claratoire, lâEtat dĂ©fendeur demeure libre, sous le contrĂŽle
du ComitĂ© des Ministres, de choisir les moyens de sâacquitter de son obligation
juridique au regard de lâarticle 46 de la Convention, pour
autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans
lâarrĂȘt de la Cour. Cependant, dans certaines situations particuliĂšres, il est
arrivĂ© que la Cour ait estimĂ© utile dâindiquer Ă un Etat dĂ©fendeur le type de
mesures Ă prendre pour mettre un terme Ă la situation â souvent structurelle â
qui avait donnĂ© lieu Ă un constat de violation (voir, par exemple, Ăcalan c.
Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV ; et Popov c.
Russie, no 26853/04, § 263, 13 juillet 2006). Parfois mĂȘme, la nature
de la violation constatée ne laisse pas de choix quant aux mesures à prendre (Assanidzé,
précité, § 198 ; Alexanian c. Russie, no 46468/06, § 239, 22
décembre 2008 ; et Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c.
Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, §§ 85 et 88, 30 juin 2009).
210. En lâespĂšce, la Cour juge nĂ©cessaire
dâindiquer les mesures individuelles qui sâimposent dans le cadre de
lâexĂ©cution du prĂ©sent arrĂȘt, sans prĂ©judice des mesures gĂ©nĂ©rales requises
pour prĂ©venir dâautres violations similaires Ă lâavenir (M.S.S.,
précité, § 400).
211. La Cour a constaté, entre autres,
que le transfert des requérants les a exposés au risque de subir des mauvais
traitements en Libye et dâĂȘtre rapatriĂ©s vers la Somalie et lâErythrĂ©e de façon
arbitraire. Eu Ă©gard aux circonstances de lâaffaire, la Cour considĂšre quâil
incombe au gouvernement italien dâentreprendre toutes les dĂ©marches possibles
pour obtenir des autoritĂ©s libyennes lâassurance que les requĂ©rants ne seront
ni soumis Ă des traitements contraires Ă lâarticle 3 de la Convention ni rapatriĂ©s
arbitrairement.
B. Sur lâarticle 41 de
la Convention
212. Aux termes de lâarticle 41 de la
Convention,
« Si la Cour dĂ©clare quâil y a
eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de
la Haute Partie contractante ne permet dâeffacer quâimparfaitement les
consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă la partie lĂ©sĂ©e, sâil y a
lieu, une satisfaction équitable. »
213. Les requérants réclament 15 000
euros (EUR) chacun au titre du prĂ©judice moral quâils auraient subi.
214. Le Gouvernement sâoppose Ă cette
demande, en soulignant que la vie des requĂ©rants a Ă©tĂ© sauvĂ©e grĂące Ă
lâintervention des autoritĂ©s italiennes.
215. La Cour estime que les requérants
ont dĂ» Ă©prouver une dĂ©tresse certaine, qui ne saurait ĂȘtre rĂ©parĂ©e par les
seuls constats de violation. Eu égard à la nature des violations constatées en
lâespĂšce, elle juge Ă©quitable de faire droit Ă la demande des requĂ©rants et
alloue Ă chacun dâeux 15 000 EUR Ă titre de rĂ©paration du dommage
moral. Les représentants des requérants détiendront en fiducie les montants
ainsi octroyés aux intéressés.
C. Frais et dépens
216. Les requérants réclament également
1 575,74 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
217. Le Gouvernement sâoppose Ă cette
demande.
218. Selon la jurisprudence de la Cour,
un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses ssité et le caractÚre
raisonnable de leur taux. En lâespĂšce, et compte tenufrais et dĂ©pens que dans
la mesure oĂč se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©ce des documents en sa
possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme demandée
pour la procĂ©dure devant la Cour et lâaccorde aux requĂ©rants.
D. IntĂ©rĂȘts moratoires
219. La Cour juge approprié de calquer le
taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux dâintĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt
marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de
pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. DĂ©cide, par
treize voix contre quatre, de rayer du rĂŽle la requĂȘte en tant quâelle concerne
MM. Mohamed Abukar Mohamed et Hasan Shariff Abbirahman ;
2. DĂ©cide, Ă
lâunanimitĂ©, de ne pas rayer du rĂŽle la requĂȘte en tant quâelle concerne les
autres requérants ;
3. Dit, Ă
lâunanimitĂ©, que les requĂ©rants relevaient de la juridiction de lâItalie au
sens de lâarticle 1 de la Convention ;
4. Joint au fond, Ă
lâunanimitĂ©, les exceptions du Gouvernement tirĂ©es du non-Ă©puisement des voies
de recours internes et du défaut de qualité de victime des requérants ;
5. DĂ©clare, Ă
lâunanimitĂ©, recevables les griefs tirĂ©s de lâarticle 3 de la Convention ;
6. Dit, Ă
lâunanimitĂ©, quâil y a eu violation de lâarticle 3 de la Convention du fait que
les requérants ont été exposés au risque de subir des mauvais traitements en
Libye et rejette lâexception du Gouvernement tirĂ©e du dĂ©faut de qualitĂ©
de victime des requérants ;
7. Dit, Ă
lâunanimitĂ©, quâil y a eu violation de lâarticle 3 de la Convention du fait que
les requĂ©rants ont Ă©tĂ© exposĂ©s au risque dâĂȘtre rapatriĂ©s en Somalie et en
Erythrée ;
8. DĂ©clare, Ă
lâunanimitĂ©, recevable le grief tirĂ© de lâarticle 4 du Protocole no
4 ;
9. Dit, Ă
lâunanimitĂ©, quâil y a eu violation de lâarticle 4 du Protocole no 4 ;
10. DĂ©clare, Ă
lâunanimitĂ©, recevable le grief tirĂ© de lâarticle 13 combinĂ© avec les articles
3 de la Convention et 4 du Protocole no 4 ;
11. Dit, Ă
lâunanimitĂ©, quâil y a eu violation de lâarticle 13 combinĂ© avec lâarticle 3 de
la Convention et de lâarticle 13 combinĂ© avec lâarticle 4 du Protocole no
4 et rejette lâexception du Gouvernement tirĂ©e du non-Ă©puisement des
voies de recours internes ;
12. Dit, Ă
lâunanimitĂ©,
a) que lâEtat dĂ©fendeur doit verser aux
requérants, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i. 15 000 EUR (quinze mille euros)
chacun, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă titre dâimpĂŽt, pour dommage moral,
lesquels montants seront détenus en fiducie pour les requérants par leurs
représentants ;
ii. la somme globale de 1 575,74 EUR
(mille cinq cent soixante-quinze euros et soixante-quatorze centimes), plus
tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă titre dâimpĂŽt par les requĂ©rants, pour frais et
dépens ;
b) quâĂ compter de lâexpiration dudit
dĂ©lai et jusquâau versement, ces montants seront Ă majorer dâun intĂ©rĂȘt simple
Ă un taux Ă©gal Ă celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de
pourcentage.
Fait en français et en anglais, puis
prononcĂ© en audience publique, au Palais des droits de lâhomme, Ă Strasbourg,
le 23 fĂ©vrier 2012, en application de lâarticle 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.
Michael OâBoyle Nicolas
Bratza Greffier Président
Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint,
conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rÚglement,
lâexposĂ© de lâopinion sĂ©parĂ©e du juge Pinto de Albuquerque.
N.B.
M.O.B.
LISTE DES REQUĂRANTS
Nom |
Lieu et
date de naissance |
Situation
actuelle des
requérants |
|
1. |
JAMAA Hirsi Sadik |
Somalie, 30 mai 1984 |
Statut
de réfugié octroyé le 25 juin 2009 (N. 507-09C00279) |
2. |
SHEIKH ALI Mohamed |
Somalie, 22 janvier 1979 |
Statut
de réfugié octroyé le 13 août 2009 (N. 229-09C0002) |
3. |
HASSAN Mohâb Ali |
Somalie, 10 septembre 1982 |
Statut
de réfugié octroyé le 25 juin 2009 (N. 229-09C00008) |
4. |
SHEIKH Omar Ahmed |
Somalie, 1er janvier 1993 |
Statut
de réfugié octroyé le 13 août 2009 (N. 229-09C00010) |
5. |
ALI Elyas Awes |
Somalie, 6 juin 1983 |
Statut
de réfugié octroyé le 13 août 2009 (N. 229-09C00001) |
6. |
KADIYE Mohammed Abdi |
Somalie, 28 mars 1988 |
Statut de
réfugié octroyé le 25 juin 2009 (N. 229-09C00011) |
7. |
HASAN Qadar Abfillzhi |
Somalie, 8 juillet 1978 |
Statut
de réfugié octroyé le 26 juillet 2009 (N. 229-09C00003) |
8. |
SIYAD Abduqadir Ismail |
Somalie, 20 juillet 1976 |
Statut de
réfugié octroyé le 13 août 2009 (N. 229-09C00006) |
9. |
ALI Abdigani Abdillahi |
Somalie, 1er janvier 1986 |
Statut
de réfugié octroyé le 25 juin 2009 (N. 229-09C00007) |
10. |
MOHAMED Mohamed Abukar |
Somalie, 27 février 1984 |
DĂ©cĂ©dĂ© Ă
une date inconnue |
11. |
ABBIRAHMAN Hasan Shariff |
Somalie, date inconnue |
Décédé
en novembre 2009 |
12. |
TESRAY Samsom Mlash |
Erythrée, date inconnue |
Domicile
inconnu |
13. |
HABTEMCHAEL Waldu |
Erythrée, 1er janvier 1971 |
Statut de
réfugié octroyé le 25 juin 2009 (N. 229-08C00311) ; réside en Suisse |
14. |
ZEWEIDI Biniam |
Erythrée, 24 avril 1973 |
RĂ©side
en Libye |
15. |
GEBRAY Aman Tsyehansi |
Erythrée, 25 juin 1978 |
RĂ©side
en Libye |
16. |
NASRB Mifta |
Erythrée, 3 juillet 1989 |
RĂ©side
en Libye |
17. |
SALIH Said |
Erythrée, 1er janvier 1977 |
RĂ©side
en Libye |
18. |
ADMASU Estifanos |
Erythrée, date inconnue |
Domicile
inconnu |
19. |
TSEGAY Habtom |
Erythrée, date inconnue |
DĂ©tenu au
camp de rétention de Choucha, en Tunisie |
20. |
BERHANE Ermias |
Erythrée, 1er aout 1984 |
Statut
de réfugié octroyé en Italie le 25 mai 2011 ; réside en Italie |
21. |
YOHANNES Roberl Abzighi |
Erythrée, 24 février 1985 |
Statut de
réfugié octroyé le 8 octobre 2009 |
22. |
KERI Telahun Meherte |
Erythrée, date inconnue |
Domicile
inconnu |
23. |
KIDANE Hayelom Mogos |
Erythrée, 24 février 1974 |
Statut de
réfugié octroyé le 25 juin 2009 (N. 229-09C00015) ; réside en Suisse. |
24. |
KIDAN Kiflom Tesfazion |
Erythrée, 29 juin 1978 |
Statut
de réfugié octroyé le 25 juin 2009 (N. 229-09C00012) ; réside à Malte. |
OPINION CONCORDANTE DU JUGE
PINTO DE ALBUQUERQUE
(Traduction)
Lâaffaire Hirsi porte, dâune
part, sur la protection internationale des rĂ©fugiĂ©s et, dâautre part, sur la
compatibilitĂ© des politiques en matiĂšre dâimmigration et de contrĂŽle des
frontiĂšres avec le droit international. La question fondamentale qui se pose en
lâespĂšce est de savoir comment lâEurope doit reconnaĂźtre aux rĂ©fugiĂ©s « le
droit dâavoir des droits », pour reprendre les termes de Hannah Arendt1.
La rĂ©ponse Ă ces problĂšmes politiques extrĂȘmement sensibles se trouve Ă
lâintersection entre le droit international des droits de lâhomme et le droit
international des rĂ©fugiĂ©s. Bien que je souscrive Ă lâarrĂȘt de la Grande
Chambre, je souhaite analyser lâaffaire dans le cadre dâune approche de
principe complĂšte et tenant compte du lien intrinsĂšque qui existe
entre ces deux branches du droit international.
Lâinterdiction de refouler les rĂ©fugiĂ©s
Lâinterdiction de refouler les rĂ©fugiĂ©s est inscrite
dans le droit international des réfugiés (article 33 de la Convention des
Nations unies relative au statut des réfugiés (1951) et article 2 § 3 de la Convention
de lâOrganisation de lâunitĂ© africaine rĂ©gissant les aspects propres aux
problÚmes des réfugiés en Afrique (1969)), ainsi que dans le droit universel
des droits de lâhomme (article 3 de la Convention des Nations unies contre la
torture (1984) et article 16 § 1 de la Convention internationale des Nations
unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions
forcĂ©es (2006)) et dans le droit rĂ©gional des droits de lâhomme (article
22 § 8 de la Convention amĂ©ricaine relative aux droits de lâhomme (1969),
article 12 § 3 de la Charte africaine des droits de lâhomme et des peuples
(1981), article 13 § 4 de la Convention interaméricaine pour la prévention et
la répression de la torture (1985) et article 19 § 2 de la Charte des droits fondamentaux
de lâUnion europĂ©enne (2000)). Si la Convention europĂ©enne des droits de
lâhomme ne contient pas une interdiction explicite du refoulement, ce principe
a toutefois été admis par la Cour comme allant au-delà de la garantie similaire
prévue par le droit international des réfugiés.
En vertu de la Convention
europĂ©enne, un rĂ©fugiĂ© ne peut ĂȘtre refoulĂ© ni vers son pays dâorigine ni vers
un quelconque autre pays oĂč il risque de subir un prĂ©judice grave causĂ© par une
personne ou une entitĂ©, publique ou privĂ©e, identifiĂ©e ou non. Lâacte de
refouler peut consister en une expulsion, une extradition, une déportation, un
éloignement, un transfert officieux, une « restitution », un rejet, un refus
dâadmission ou toute autre mesure ayant pour rĂ©sultat dâobliger la personne
concernĂ©e Ă rester dans son pays dâorigine. Le risque de prĂ©judice grave peut
dĂ©couler dâune agression extĂ©rieure, dâun conflit armĂ© interne, dâune exĂ©cution
extrajudiciaire, dâune disparition forcĂ©e, de la peine capitale, de la torture,
dâun traitement inhumain ou dĂ©gradant, du travail forcĂ©, de la traite des ĂȘtres
humains, de la persĂ©cution, dâun procĂšs basĂ© sur une loi pĂ©nale rĂ©troactive ou
sur des preuves obtenues au moyen de la torture ou dâun traitement inhumain et
dĂ©gradant, ou dâune « violation flagrante » de lâessence de tout
droit garanti par la Convention dans lâEtat dâaccueil (refoulement direct) ou de la remise ultĂ©rieure
de lâintĂ©ressĂ© par lâEtat dâaccueil Ă un Etat tiers au sein duquel un tel
risque existe (refoulement indirect)2.
En fait, lâobligation de
non-refoulement peut ĂȘtre dĂ©clenchĂ©e par un manquement ou un risque de
manquement Ă lâessence de nâimporte quel droit garanti par la Convention
europĂ©enne, tels le droit Ă la vie, le droit Ă lâintĂ©gritĂ© physique ou son
corollaire, lâinterdiction de la torture et des mauvais traitements3, ou par la
« violation flagrante » du droit à un procÚs équitable4, du droit à la liberté5, du droit à la vie privée6 ou de tout autre droit garanti par la
Convention7.
Ce principe sâapplique aussi au droit
universel des droits de lâhomme, Ă la lumiĂšre de la Convention contre la
torture8, de la Convention relative
aux droits de lâenfant9 et du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques10. Dans le
mĂȘme esprit, lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies a dĂ©clarĂ© que « [n]ul ne
sera envoyĂ© ou extradĂ© de force Ă destination dâun pays lorsquâil y aura des
raisons valables de craindre quâil soit victime dâune exĂ©cution
extrajudiciaire, arbitraire ou sommaire dans ce pays »11 et que « [a]ucun Etat nâexpulse, ne
refoule, ni nâextrade une personne vers un autre Etat sâil y a des motifs
sĂ©rieux de croire quâelle risque dâĂȘtre victime dâune disparition forcĂ©e dans
cet autre Etat »12.
Bien que la notion de réfugié
contenue Ă lâarticle 33 de la Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s
soit moins Ă©tendue que celle relevant du droit international des droits de
lâhomme, le droit international des rĂ©fugiĂ©s a Ă©voluĂ© en assimilant la
norme de protection plus large des droits de lâhomme, Ă©tendant ainsi la notion
de réfugiés issue de la Convention (improprement appelés réfugiés de jure)
Ă dâautres individus ayant besoin dâune protection internationale
complémentaire (improprement appelés réfugiés de facto). Les meilleurs exemples de cette évolution sont
fournis par lâarticle I § 2 de la Convention de lâOrganisation de lâunitĂ©
africaine, lâarticle III § 3 de la DĂ©claration de CarthagĂšne de 1984, lâarticle
15 de la Directive 2004/83/EC du Conseil de lâUnion europĂ©enne du 29 avril 2004
concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir
les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au
statut de rĂ©fugiĂ© ou les personnes qui, pour dâautres raisons, ont besoin dâune
protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, ainsi que la
Recommandation (2001) 18 du ComitĂ© des Ministres du Conseil de lâEurope
relative Ă la protection subsidiaire.
Quoi quâil en soit, ni le droit
international des rĂ©fugiĂ©s ni le droit international des droits de lâhomme ne
font de distinction entre le régime applicable aux réfugiés et le régime
applicable aux personnes bĂ©nĂ©ficiant dâune protection complĂ©mentaire. La teneur
de la protection internationale, notamment la garantie du non-refoulement, est
strictement la mĂȘme pour les deux catĂ©gories dâindividus13. Il nây a aucune raison lĂ©gitime dâoffrir aux « rĂ©fugiĂ©s de jure »
une meilleure protection quâaux « rĂ©fugiĂ©s de facto », car
tous ont en commun un mĂȘme besoin de protection internationale. Toute
diffĂ©rence de traitement entraĂźnerait la crĂ©ation dâune seconde classe de
rĂ©fugiĂ©s, soumise Ă un rĂ©gime discriminatoire. La mĂȘme conclusion vaut pour les
situations dâafflux massif de rĂ©fugiĂ©s. Les groupes de rĂ©fugiĂ©s ne peuvent se
voir appliquer un statut amoindri en raison dâune exception au
« vĂ©ritable » statut de rĂ©fugiĂ© qui serait « inhĂ©rente » Ă
une situation dâafflux massif. Offrir une protection subsidiaire moindre (impliquant
par exemple des droits moins Ă©tendus en matiĂšre dâaccĂšs au permis de sĂ©jour, Ă
lâemploi, Ă la protection sociale et aux soins de santĂ©) aux personnes arrivant
dans le cadre dâun afflux massif constituerait une discrimination injustifiĂ©e.
Un individu ne devient pas un
rĂ©fugiĂ© parce quâil est reconnu comme tel, mais est reconnu comme tel parce
quâil est un rĂ©fugiĂ©14. Lâoctroi du statut de
rĂ©fugiĂ© Ă©tant purement dĂ©claratoire, le principe de non-refoulement sâapplique
Ă ceux qui nâont pas encore vu dĂ©clarer leur statut (les demandeurs dâasile),
et mĂȘme Ă ceux qui nâont pas exprimĂ© leur souhait dâĂȘtre protĂ©gĂ©s. En
consĂ©quence, ni lâabsence dâune demande explicite dâasile ni le fait quâune
demande dâasile ne soit pas Ă©tayĂ©e par des Ă©lĂ©ments suffisants ne peuvent
exonĂ©rer lâEtat concernĂ© de lâobligation de non-refoulement vis-Ă -vis de tout
Ă©tranger ayant besoin dâune protection internationale15. Aucune conclusion nĂ©gative automatique ne
peut ĂȘtre tirĂ©e de lâabsence de demande dâasile ou dâĂ©lĂ©ments suffisants pour
Ă©tayer une telle demande, dĂšs lors que lâEtat a lâobligation dâenquĂȘter
dâoffice sur toute situation de besoin de protection internationale, en
particulier lorsque, comme lâa soulignĂ© la Cour, les faits qui constituent le
risque pour le requérant « étaient notoires [avant le transfert de
celui-ci] et faciles Ă vĂ©rifier Ă partir dâun grand nombre de sources ».
Bien que lâobligation garantie par la
Convention des Nations unies sur les réfugiés comporte des exceptions touchant
à la sécurité du pays et à la sûreté publique, aucune exception de ce type
nâexiste dans le droit europĂ©en des droits de lâhomme16 ni dans le droit universel des droits de
lâhomme17 : il nây a pas de
limites personnelles, temporelles ou spatiales Ă son application. Ainsi, cette obligation
sâapplique mĂȘme dans les circonstances exceptionnelles, y compris lorsque
lâĂ©tat dâurgence a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©.
La détermination du statut de réfugié
constituant un instrument pour la protection des droits de lâhomme essentiels,
la nature de lâinterdiction du refoulement dĂ©pend de la nature du droit
fondamental ainsi protĂ©gĂ©. Lorsquâil existe un risque de prĂ©judice grave
dĂ©coulant dâune agression extĂ©rieure, dâun conflit armĂ© interne, dâune
exĂ©cution extrajudiciaire, dâune disparition forcĂ©e, de la peine capitale, de
la torture, dâun traitement inhumain ou dĂ©gradant, du travail forcĂ©, de la
traite des ĂȘtres humains, de la persĂ©cution, dâun procĂšs basĂ© sur une loi
pĂ©nale rĂ©troactive ou sur des preuves obtenues au moyen de la torture ou dâun
traitement inhumain et dĂ©gradant dans lâEtat dâaccueil, lâobligation de
non-refoulement constitue une obligation absolue pour tous les Etats. Face
Ă un risque de violation de nâimporte quel droit garanti par la Convention
europĂ©enne (autre que le droit Ă la vie et Ă lâintĂ©gritĂ© physique et le
principe de lĂ©galitĂ© en droit pĂ©nal) dans le pays dâaccueil, lâEtat a la
possibilitĂ© de dĂ©roger Ă son devoir dâoffrir une protection internationale, en
fonction de lâapprĂ©ciation de la proportionnalitĂ© des valeurs concurrentes en jeu.
Il existe toutefois une exception à ce test de proportionnalité : lorsque
le risque de violation de nâimporte quel droit garanti par la Convention
europĂ©enne (autre que le droit Ă la vie et Ă lâintĂ©gritĂ© physique et le
principe de lĂ©galitĂ© en droit pĂ©nal) dans le pays dâaccueil est
« flagrant » et que lâessence mĂȘme de ce droit se trouve en jeu,
alors lâEtat est inĂ©vitablement liĂ© par lâobligation de non-refoulement.
Dotée de ce contenu et de ce
prolongement, lâinterdiction du refoulement constitue un principe de droit
international coutumier qui lie tous les Etats, y compris ceux qui ne sont pas
parties à la Convention des Nations unies sur les réfugiés ou à aucun autre
traitĂ© de protection des rĂ©fugiĂ©s. Câest de plus une rĂšgle de jus
cogens : elle ne souffre aucune dérogation et est impérative,
puisquâelle ne peut faire lâobjet dâaucune rĂ©serve (article 53 de la Convention de Vienne sur le droit
des traités, article 42 § 1 de la Convention sur les réfugiés et article
VII § 1 du Protocole de 1967).
Telle est aujourdâhui la position qui
prévaut également en droit international des réfugiés18.
Ainsi, les exceptions prĂ©vues Ă lâarticle 33 § 2 de
la Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s ne sauraient ĂȘtre invoquĂ©es Ă
lâĂ©gard des droits de lâhomme essentiels qui ne souffrent aucune dĂ©rogation (le
droit Ă la vie et Ă lâintĂ©gritĂ© physique et le principe de lĂ©galitĂ© en droit
pĂ©nal). De plus, un individu qui relĂšve de lâarticle 33 § 2 de la Convention
sur les rĂ©fugiĂ©s nâen bĂ©nĂ©ficiera pas moins de la protection offerte par des
dispositions de droit international des droits de lâhomme plus gĂ©nĂ©reuses,
comme la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme. Les exceptions en
question peuvent uniquement ĂȘtre appliquĂ©es par les Etats parties Ă la
Convention sur les rĂ©fugiĂ©s qui nâont pas ratifiĂ© de traitĂ© plus gĂ©nĂ©reux aux
droits de lâhomme essentiels auxquels on peut dĂ©roger. Encore faut-il, dans ce
cas, que les exceptions soient interprétées de maniÚre restrictive et
appliquĂ©es seulement si les circonstances particuliĂšres de lâaffaire et les
caractĂ©ristiques propres Ă lâintĂ©ressĂ© montrent que celui-ci prĂ©sente un danger
pour la communauté ou la sécurité du pays19.
Lâinterdiction du refoulement ne se limite pas au
territoire dâun Etat, mais sâĂ©tend aux actions extraterritoriales de celui-ci,
notamment aux opérations menées en haute mer. Cela vaut en vertu du droit
international des rĂ©fugiĂ©s, tel quâinterprĂ©tĂ© par la Commission interamĂ©ricaine
des droits de lâhomme20, le
Haut-Commissariat des Nations unies pour les rĂ©fugiĂ©s21, lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies22 et la Chambre des lords23, et en vertu du droit universel des droits
de lâhomme, tel quâappliquĂ© par le ComitĂ© de lâONU contre la torture24 et le ComitĂ© des droits de lâhomme de lâONU25.
Des spécialistes renommés du droit international ont
adopté cette approche26.
Le fait que certaines juridictions
suprĂȘmes, telles la Cour suprĂȘme des Etats-Unis27
et la Cour suprĂȘme dâAustralie28,
soient parvenues Ă des conclusions diffĂ©rentes nâest guĂšre dĂ©cisif.
Il est vrai que la déclaration du
délégué suisse lors de la conférence des plénipotentiaires, selon laquelle
lâinterdiction du refoulement ne sâappliquait pas aux rĂ©fugiĂ©s arrivant Ă la
frontiĂšre, fut approuvĂ©e par dâautres dĂ©lĂ©guĂ©s, notamment le dĂ©lĂ©guĂ©
néerlandais, lequel releva que la conférence était en accord avec cette
interprétation29. Il est vrai
Ă©galement que lâarticle 33 § 2 de la Convention des Nations unies sur les
rĂ©fugiĂ©s exclut de lâinterdiction du refoulement le rĂ©fugiĂ© qui constitue un
danger pour la sĂ©curitĂ© du pays « oĂč il se trouve », et que les
rĂ©fugiĂ©s en haute mer ne se trouvent dans aucun pays. Lâon pourrait ĂȘtre tentĂ©
dâinterprĂ©ter lâarticle 33 § 1 comme contenant une restriction territoriale
similaire. Si lâinterdiction du refoulement sâappliquait en haute mer, cela
aurait pour effet de créer un régime spécial pour les étrangers dangereux en
haute mer, lesquels bĂ©nĂ©ficieraient de lâinterdiction contrairement aux
étrangers dangereux résidant dans le pays.
A mes yeux, avec tout le respect que
je dois Ă la Cour suprĂȘme des Etats-Unis, lâinterprĂ©tation de celle-ci
contredit le sens littĂ©ral et ordinaire des termes de lâarticle 33 de la
Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s et sâĂ©carte des rĂšgles communes
concernant lâinterprĂ©tation dâun traitĂ©. Selon lâarticle 31 § 1 de la
Convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s, une disposition dâun traitĂ© doit
ĂȘtre interprĂ©tĂ©e suivant le sens ordinaire Ă attribuer aux termes du traitĂ©
dans leur contexte et Ă la lumiĂšre de son objet et de son but. Lorsque le sens
dâun traitĂ© ressort clairement de son texte lu Ă la lumiĂšre de sa lettre, de
son but et de son objet, les sources complémentaires telles que les travaux
préparatoires sont inutiles30. La
source complĂ©mentaire historique est dâautant moins nĂ©cessaire quâelle manque
elle-mĂȘme de clartĂ©, comme en lâoccurrence : le comitĂ© spĂ©cial chargĂ© de
la rĂ©daction de la Convention a dĂ©fendu lâidĂ©e que lâobligation de
non-refoulement sâĂ©tendait aux rĂ©fugiĂ©s non encore arrivĂ©s sur le territoire31 ; le reprĂ©sentant des Etats-Unis a
dĂ©clarĂ© au cours de lâĂ©laboration de lâarticle 33 quâil importait peu que le
réfugié ait franchi ou non la frontiÚre32 ;
le représentant néerlandais a formulé sa réserve uniquement au sujet des
« grands groupes de réfugiés cherchant à accéder au territoire », et
le président de la conférence des plénipotentiaires a simplement « décidé
quâil conv[enait] de prendre acte de lâinterprĂ©tation livrĂ©e par le dĂ©lĂ©guĂ© des
Pays-Bas » suivant laquelle lâhypothĂšse de migrations massives Ă travers
les frontiĂšres Ă©chappait Ă lâarticle 3333.
Contrairement Ă lâapplicabilitĂ©
dâautres dispositions de la Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s,
celle de lâarticle 33 § 1 ne dĂ©pend pas de la prĂ©sence dâun rĂ©fugiĂ© sur le
territoire dâun Etat. La seule restriction gĂ©ographique prĂ©vue Ă lâarticle 33 §
1 a trait au pays vers lequel un rĂ©fugiĂ© peut ĂȘtre envoyĂ©, et non Ă lâendroit
dâoĂč il est envoyĂ©. De plus, le terme français de « refoulement »
englobe lâĂ©loignement, le transfert, le rejet ou la non-admission dâune
personne34. Lâutilisation dĂ©libĂ©rĂ©e
du terme français dans la version anglaise nâa pas dâautre signification
possible que celle de souligner lâĂ©quivalence linguistique entre le verbe return
et le verbe refouler. En outre, le préambule de la Convention énonce que
celle-ci vise à « assurer [aux rĂ©fugiĂ©s] lâexercice le plus large possible
des droits de lâhomme et des libertĂ©s fondamentales », objectif qui se
reflĂšte dans le texte mĂȘme de lâarticle 33, Ă travers lâexpression claire
« de quelque maniĂšre que ce soit », qui englobe tout type dâaction de
lâEtat visant Ă expulser, extrader ou Ă©loigner un Ă©tranger qui a besoin dâune
protection internationale. Enfin, on ne saurait tirer de la référence
territoriale contenue Ă lâarticle 33 § 2 (« pays oĂč il se trouve »)
aucun argument militant pour le rejet de lâapplication extraterritoriale de
lâarticle 33 § 1, car le paragraphe 2 de lâarticle 33 prĂ©voit simplement une
exception Ă la rĂšgle formulĂ©e au paragraphe 1. Le champ dâapplication dâune rĂšgle
profitant aux rĂ©fugiĂ©s ne saurait ĂȘtre limitĂ© par une rĂ©fĂ©rence territoriale
figurant dans lâexception Ă la rĂšgle. Un tel « dĂ©bordement » de
lâexception dĂ©favorable sur la rĂšgle favorable serait inacceptable.
Lâarticle 31 § 1 de la Convention de
Vienne sur le droit des traitĂ©s Ă©nonce quâune disposition dâun traitĂ© doit ĂȘtre
interprĂ©tĂ©e de bonne foi. Il est admis que la bonne foi nâest pas en soi une
source dâobligation quand il nâen existerait pas autrement35 ; elle fournit cependant un outil
précieux pour définir la portée des obligations existantes, en particulier face
aux actions et omissions dâun Etat qui ont pour effet de contourner des
obligations conventionnelles36. Un
Etat manque de bonne foi dans lâapplication dâun traitĂ© non seulement lorsquâil
enfreint, par action ou par omission, les obligations découlant du traité, mais
aussi lorsquâil fait Ă©chec aux obligations acceptĂ©es par lui en entravant le
fonctionnement normal dâune garantie dĂ©coulant dâun traitĂ©. Faire obstacle par
la force au mĂ©canisme qui dĂ©clenche lâapplication dâune obligation
conventionnelle revient Ă faire entrave au traitĂ© lui-mĂȘme, ce qui est
contraire au principe de bonne foi (critĂšre de lâobstruction). Un Etat manque
Ă©galement de bonne foi lorsquâil adopte Ă lâextĂ©rieur de son territoire une
conduite qui Ă lâintĂ©rieur serait inacceptable compte tenu de ses obligations
conventionnelles (critÚre du « double standard »). Une politique de
« double standard » fondĂ©e sur lâendroit oĂč elle est appliquĂ©e porte atteinte
Ă lâobligation conventionnelle Ă laquelle est tenu lâEtat en question.
Lâapplication de ces deux critĂšres amĂšne Ă conclure au caractĂšre inacceptable
des opérations de renvoi effectuées en haute mer sans aucune évaluation des
besoins individuels de protection internationale37.
Un dernier obstacle Ă lâinterdiction
du refoulement a trait au territoire dâorigine du demandeur dâasile. La
Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s exige que lâintĂ©ressĂ© se trouve
en dehors de son pays dâorigine, ce qui paraĂźt incompatible avec lâasile
diplomatique, du moins si lâon interprĂšte cette notion conformĂ©ment au
raisonnement prudent tenu par la Cour internationale de justice dans lâAffaire
du droit dâasile38. Le
droit de demander lâasile exige cependant lâexistence du droit complĂ©mentaire
de quitter son pays en vue de demander lâasile. Câest pourquoi les Etats
ne peuvent restreindre le droit de quitter un pays et de rechercher hors de
celui-ci une protection effective39.
Bien quâaucun Etat nâait lâobligation dâaccorder lâasile diplomatique, le
besoin de protection internationale est encore plus impĂ©rieux dans le cas dâun
demandeur dâasile qui se trouve toujours dans le pays oĂč sa vie, son intĂ©gritĂ©
physique et sa liberté sont menacées. La proximité des sources de risque rend
dâautant plus nĂ©cessaire la protection des personnes qui sont en danger dans
leur propre pays. Sinon le droit international des réfugiés, du moins le
droit international des droits de lâhomme impose aux Etats une obligation de
protection dans ces circonstances, et le manquement Ă prendre des mesures
positives et adéquates de protection constitue à cet égard une violation.
Les Etats ne peuvent feindre dâignorer les besoins Ă©vidents de protection. Si
par exemple une personne qui risque dâĂȘtre torturĂ©e dans son pays demande
lâasile auprĂšs dâune ambassade dâun Etat liĂ© par la Convention europĂ©enne des
droits de lâhomme, un visa dâentrĂ©e sur le territoire de cet Etat doit lui ĂȘtre
accordĂ©, de maniĂšre Ă permettre le lancement dâune vĂ©ritable procĂ©dure dâasile
dans lâEtat dâaccueil. Il ne sâagira pas lĂ dâune rĂ©ponse purement humanitaire
dĂ©coulant de la bonne volontĂ© et du pouvoir discrĂ©tionnaire de lâEtat. Une
obligation positive de protection naĂźtra alors de lâarticle 3. En dâautres
termes, la politique dâun pays en matiĂšre de visas est subordonnĂ©e aux
obligations qui lui incombent en vertu du droit international des droits de
lâhomme. Dâimportantes dĂ©clarations en ce sens ont Ă©tĂ© faites par lâAssemblĂ©e
parlementaire du Conseil de lâEurope40,
le Comité européen pour la prévention de la torture41 et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les
réfugiés42.
Cette conclusion est aussi corroborée
par lâhistoire de lâEurope. En fait, ce continent a connu pendant la DeuxiĂšme
Guerre mondiale divers épisodes marquants liés aux visas de protection. Les
efforts dĂ©ployĂ©s par le diplomate suĂ©dois Wallenberg et dâautres personnes Ă
Budapest, ainsi que ceux du diplomate portugais Sousa Mendes Ă Bordeaux et Ă
Bayonne, sont des exemples connus. Ils ont été évoqués récemment comme offrant
un prĂ©cĂ©dent Ă lâinstauration dâune procĂ©dure formelle dâentrĂ©e protĂ©gĂ©e par le
biais des missions diplomatiques des Etats membres de lâUnion europĂ©enne43.
Gardons en mémoire ce dernier
Ă©pisode : aprĂšs lâinvasion de la France par lâAllemagne nazie et la reddition
de la Belgique, des milliers de personnes sâenfuirent vers le sud de la France,
notamment Bordeaux et Bayonne. Touché par le désespoir de ces personnes, le
consul portugais de Bordeaux, Aristides de Sousa Mendes, se retrouva confronté
Ă un douloureux dilemme : devait-il se conformer aux claires instructions
dâune circulaire du gouvernement portugais de 1939 ordonnant de refuser tout
visa aux apatrides, aux « porteurs de passeports Nansen », aux
« Russes », aux « Juifs expulsés du pays de leur nationalité ou
de leur rĂ©sidence » et Ă tous ceux « qui [nâĂ©taient] pas en situation
de retourner librement dans leur pays dâorigine », ou bien devait-il
suivre ce que lui dictaient sa conscience et le droit international en
désobéissant aux ordres du gouvernement et en octroyant des visas ? Il
décida de suivre sa conscience et le droit international, et accorda des visas
à plus de 30 000 personnes persécutées en raison de leur nationalité, de
leurs croyances religieuses ou de leur affiliation politique. Pour cet acte de
désobéissance, le consul paya le prix fort : aprÚs avoir été exclu de la
carriĂšre diplomatique, il mourut seul et dans la misĂšre, et toute sa famille
fut contrainte de quitter le Portugal44.
Si cet épisode se déroulait de nos
jours, les actes du diplomate portugais seraient totalement conformes Ă la
norme de protection issue de la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme. En
fait, la conduite du diplomate constituerait la seule réaction acceptable face
Ă des personnes qui ont besoin dâune protection internationale.
Lâinterdiction des expulsions collectives
Lâobligation de non-refoulement a deux consĂ©quences
procĂ©durales : le devoir dâinformer un Ă©tranger de son droit dâobtenir une
protection internationale, et le devoir dâoffrir une procĂ©dure individuelle,
Ă©quitable et effective permettant de dĂ©terminer et dâapprĂ©cier la qualitĂ© de
rĂ©fugiĂ©. Lâaccomplissement de
lâobligation de non-refoulement exige une Ă©valuation du risque personnel de
prĂ©judice, qui ne peut ĂȘtre effectuĂ©e que si tout Ă©tranger a accĂšs Ă une
procédure équitable et effective par laquelle son affaire est examinée de
maniĂšre individuelle. Les deux aspects sont tellement interconnectĂ©s que lâon
peut les considĂ©rer comme les deux faces dâune mĂȘme mĂ©daille. Lâexpulsion
collective dâĂ©trangers est donc inacceptable.
Lâinterdiction de lâexpulsion
collective dâĂ©trangers est prĂ©vue par lâarticle 4 du Protocole no 4
Ă la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme, lâarticle 19 § 1 de la Charte
des droits fondamentaux de lâUnion europĂ©enne, lâarticle 12 § 5 de la Charte
africaine des droits de lâhomme et des peuples, lâarticle 22 § 9 de la
Convention amĂ©ricaine relative aux droits de lâhomme, lâarticle 26 § 2 de la
Charte arabe des droits de lâhomme, lâarticle 25 § 4 de la Convention des
droits de lâhomme et des libertĂ©s fondamentales de la CommunautĂ© dâEtats
indĂ©pendants, et lâarticle 22 § 1 de la Convention internationale sur la
protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs
familles.
Pour que la procédure de détermination
du statut de réfugié soit individuelle, équitable et effective, elle doit
nécessairement présenter les caractéristiques suivantes : 1) un délai
raisonnable pour soumettre la demande dâasile ; 2) un entretien individuel
avec le demandeur dâasile avant que la dĂ©cision sur la demande ne soit
prise ; 3) la possibilitĂ© de produire des Ă©lĂ©ments de preuve Ă lâappui de
la demande et de contester les éléments de preuve contraires ; 4) une décision
Ă©crite pleinement motivĂ©e Ă©manant dâun organe indĂ©pendant de premiĂšre instance,
fondĂ©e sur la situation personnelle du demandeur dâasile et pas seulement sur
une apprĂ©ciation gĂ©nĂ©rale de la situation dans son pays dâorigine, le demandeur
dâasile ayant le droit de contester la prĂ©somption de sĂ©curitĂ© dâun pays par
rapport à sa situation personnelle ; 5) un délai raisonnable pour faire
appel de la décision de premiÚre instance ; 6) un contrÎle juridictionnel
intégral et rapide des motifs de fait et de droit de la décision de premiÚre
instance ; et 7) une assistance et une représentation juridiques gratuites
et, si nécessaire, une assistance linguistique gratuite en premiÚre et en
seconde instance, ainsi quâun accĂšs illimitĂ© au HCR ou Ă toute autre
organisation travaillant pour le compte du HCR45.
Ces garanties procédurales
sâappliquent Ă tous les demandeurs dâasile quelle que soit leur situation
juridique et factuelle, comme le reconnaĂźt le droit international des rĂ©fugiĂ©s46, le droit universel des droits de lâhomme47 et le droit rĂ©gional des droits de lâhomme48.
Cette conclusion nâest en rien infirmĂ©e par la
dĂ©cision de la Cour selon laquelle lâarticle 6 de la Convention nâest pas
applicable aux procĂ©dures dâexpulsion ou dâasile49,
ni par le fait que certaines garanties procĂ©durales Ă lâĂ©gard des Ă©trangers
expulsĂ©s peuvent se trouver dans lâarticle 1 du Protocole no 7.
Lâarticle 4 du Protocole no 4 et lâarticle 1 du Protocole no
7 ont la mĂȘme nature : les deux sont des dispositions prĂ©voyant des
garanties procĂ©durales mais leurs champs dâapplication respectifs sont
substantiellement diffĂ©rents. Les garanties procĂ©durales Ă©noncĂ©es Ă
lâarticle no 4 du Protocole no 4 ont un champ
dâapplication beaucoup plus large que celle de lâarticle 1 du Protocole no
7 : le premier article sâapplique Ă tous les Ă©trangers quelle que soit
leur situation juridique ou factuelle tandis que le second ne concerne que les
Ă©trangers qui rĂ©sident en situation rĂ©guliĂšre dans lâEtat qui ordonne
lâexpulsion50.
Une fois admise lâapplication du
principe de non-refoulement Ă toute action dâun Etat menĂ©e au-delĂ des
frontiĂšres de celui-ci, on en arrive logiquement Ă la conclusion selon laquelle
la garantie procĂ©durale de lâapprĂ©ciation individuelle des demandes dâasile
et lâinterdiction consĂ©cutive de lâexpulsion collective dâĂ©trangers ne se
limitent pas aux territoire terrestre et aux eaux territoriales dâun Etat mais
sâappliquent Ă©galement en haute mer51.
En fait, ni la lettre ni lâesprit de
lâarticle 4 du Protocole no 4 nâinterdisent dâen faire une application
extraterritoriale. Le libellé de cette disposition ne prévoit pas de limite
territoriale. De plus, elle se réfÚre de maniÚre trÚs large aux étrangers, et
non aux rĂ©sidents, ni mĂȘme aux migrants. Son but est de garantir le droit de
prĂ©senter une demande dâasile qui fera lâobjet dâune Ă©valuation individuelle,
quelle que soit la maniĂšre dont le demandeur dâasile est arrivĂ© dans le pays
concernĂ©, que ce soit par la terre, la mer ou lâair, lĂ©galement ou non. Ainsi,
lâesprit de cette disposition exige une interprĂ©tation Ă©galement large de la
notion dâexpulsion collective, qui comprend toutes les opĂ©rations collectives
dâextradition, de renvoi, de transfert informel, de « restitution », de
rejet, de refus dâadmission et de toutes autres mesures collectives qui
auraient pour effet de contraindre un demandeur dâasile Ă rester dans son pays
dâorigine, quel que soit lâendroit oĂč cette opĂ©ration a lieu. Le but de la
disposition serait trÚs facilement contourné si un Etat pouvait envoyer un
bateau de guerre en haute mer ou Ă la limite de ses eaux territoriales et se
mettre Ă refuser de maniĂšre collective et globale toutes les demandes de
rĂ©fugiĂ©s, ou mĂȘme sâabstenir de se livrer Ă lâĂ©valuation du statut de rĂ©fugiĂ©.
LâinterprĂ©tation de cette disposition doit donc ĂȘtre cohĂ©rente avec le but de
protection des Ă©trangers dâune expulsion collective.
En conclusion, lâextraterritorialitĂ©
de la garantie procĂ©durale de lâarticle 4 du Protocole no 4 Ă
la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme est en pleine conformitĂ© avec
lâextension extraterritoriale de la mĂȘme garantie prĂ©vue par le droit
international des rĂ©fugiĂ©s et le droit universel des droits de lâhomme.
La responsabilitĂ© de lâEtat pour les violations des
droits de lâhomme pendant les opĂ©rations de contrĂŽle de lâimmigration et des
frontiĂšres
Le contrĂŽle de lâimmigration et des frontiĂšres
constitue une fonction essentielle de lâEtat, et toutes les formes de ce
contrĂŽle procĂšdent de lâexercice de la juridiction de lâEtat. DĂšs lors, toutes
les formes de contrĂŽle de lâimmigration et des frontiĂšres dâun Etat partie Ă la
Convention europĂ©enne des droits de lâhomme sont soumises aux normes en matiĂšre
de droits de lâhomme consacrĂ©es par celle-ci et Ă lâexamen de la Cour52, quels que soient le personnel chargĂ© de ces
opĂ©rations et le lieu oĂč elles ont lieu.
Le contrĂŽle de lâimmigration et des
frontiĂšres est dâordinaire effectuĂ© par les fonctionnaires de lâEtat placĂ©s le
long de la frontiĂšre dâun pays, particuliĂšrement dans les endroits oĂč
transitent des personnes et des biens, tels que les ports et les aéroports.
Mais ce contrĂŽle peut Ă©galement ĂȘtre opĂ©rĂ© par dâautres professionnels dans
dâautres endroits. En rĂ©alitĂ©, la capacitĂ© formelle dâun agent de lâEtat
exerçant un contrÎle aux frontiÚres ou le fait que cette personne soit ou non
armée sont des éléments dénués de toute pertinence. Tous les représentants,
fonctionnaires, délégués, employés publics, policiers, agents des forces de
lâordre, militaires, agents contractuels ou membres dâune entreprise privĂ©e
agissant en vertu dâune autoritĂ© lĂ©gale qui assurent la fonction de contrĂŽle
des frontiĂšres pour le compte dâune Partie contractante sont liĂ©es par les
normes Ă©tablies par la Convention53.
Peu importe Ă©galement si le contrĂŽle
de lâimmigration ou des frontiĂšres sâexerce sur le territoire terrestre ou dans
les eaux territoriales dâun Etat, au sein de ses missions diplomatiques, sur un
de ses navires de guerre, sur un bateau enregistrĂ© dans lâEtat ou sous son
contrĂŽle effectif, sur un bateau dâun autre Etat ou dans un lieu situĂ© sur le
territoire dâun autre Etat ou sur un territoire louĂ© Ă un autre Etat, dĂšs lors
que le contrÎle est effectué pour le compte de la Partie contractante54. Un Etat ne peut se soustraire à ses
obligations conventionnelles Ă lâĂ©gard de rĂ©fugiĂ©s par le biais dâun stratagĂšme
consistant Ă changer le lieu oĂč leur situation est dĂ©terminĂ©e. A fortiori,
lâ« excision » dâune partie du territoire dâun Etat de la zone de
migration afin dâĂ©viter lâapplication des garanties juridiques gĂ©nĂ©rales aux
personnes arrivant dans cette partie « excisée »du territoire, représente
un déni flagrant des obligations qui incombent à un Etat au regard du droit
international55.
Ainsi, les normes de la Convention
rĂ©gissent toute la palette des politiques concevables de lâimmigration et des
frontiĂšres, y compris lâinterdiction dâentrer dans les eaux territoriales, le
dĂ©ni de visa, le refus dâautoriser le dĂ©barquement en vue des opĂ©rations de
pré-dédouanement ou le fait de mettre à disposition des fonds, des équipements
ou du personnel pour les opĂ©rations de contrĂŽle de lâimmigration effectuĂ©es par
dâautres Etats ou par des organisations internationales pour le compte de la
Partie contractante. Toutes ces mesures constituent des formes dâexercice de la
fonction Ă©tatique de contrĂŽle des frontiĂšres et une manifestation de la
juridiction de lâEtat, quel que soit le lieu oĂč elles sont prises et quelle que
soit la personne qui les met en Ćuvre56.
La juridiction de lâEtat sur le
contrĂŽle de lâimmigration et des frontiĂšres implique naturellement la
responsabilitĂ© de lâEtat pour toute violation des droits de lâhomme qui se
produit pendant lâaccomplissement de ce contrĂŽle. Les rĂšgles applicables Ă la
responsabilitĂ© internationale pour les violations des droits de lâhomme sont
celles qui sont énoncées dans les Articles sur la responsabilité des Etats pour
fait internationalement illicite, annexés à la Résolution 56/83 de 2001 de
lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies57.
La Partie contractante reste liée par les normes de la Convention et sa
responsabilitĂ© nâest nullement attĂ©nuĂ©e par le fait que celle dâun Etat
non-contractant est engagĂ©e pour le mĂȘme acte. Par exemple, la prĂ©sence dâun
agent dâun Etat non-contractant Ă bord dâun navire de guerre dâun Etat
contractant ou dâun navire sous le contrĂŽle effectif de lâEtat contractant ne
dispense pas celui-ci de ses obligations conventionnelles (article 8 des
Articles sur la responsabilitĂ© des Etats). Par ailleurs, la prĂ©sence dâun agent
dâun Etat contractant Ă bord dâun navire de guerre dâun Etat non-contractant ou
dâun navire sous le contrĂŽle effectif dâun Etat non-contractant permet
dâimputer Ă lâEtat contractant participant Ă lâopĂ©ration toute violation des
normes de la Convention (article 16 des Articles sur la responsabilité des
Etats).
La violation des normes de la Convention par lâEtat
italien
Selon les principes rappelĂ©s ci-dessus, lâopĂ©ration
de contrĂŽle des frontiĂšres par lâEtat italien ayant entraĂźnĂ© le renvoi vers la
haute mer, combinĂ©e avec lâabsence dâune procĂ©dure individuelle, Ă©quitable et
effective de filtrage des demandeurs dâasile, constitue une violation grave de
lâinterdiction de lâexpulsion collective dâĂ©trangers et, en consĂ©quence, du
principe de non-refoulement58.
Dans le cadre de lâaction litigieuse
de « renvoi », les requĂ©rants ont Ă©tĂ© embarquĂ©s Ă bord dâun navire
militaire appartenant Ă la marine italienne. Traditionnellement, les bateaux en
haute mer sont considĂ©rĂ©s comme une extension du territoire de lâEtat du
pavillon59.
Il sâagit lĂ dâune assertion incontestable de droit international, consacrĂ©e
par lâarticle 92 § 1 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer
(« CNUDM »). Cette assertion vaut dâautant plus dans le cas dâun
navire de guerre, qui est considéré, pour citer Malcom Shaw, comme « le bras
armĂ© de la souverainetĂ© de lâEtat du pavillon »60. Lâarticle 4 du
code de navigation italien consacre ce mĂȘme principe lorsquâil Ă©nonce que
« Les navires italiens en haute mer ainsi que les aéronefs se trouvant
dans un espace non soumis Ă la souverainetĂ© dâun Etat sont considĂ©rĂ©s comme
Ă©tant territoire italien ». En somme, lorsque les requĂ©rants sont montĂ©s Ă
bord des bateaux italiens en haute mer, ils ont pénétré sur le
« territoire » italien, au sens figuré de ce terme, bénéficiant ainsi
ipso facto de toutes les obligations qui incombent Ă une Partie
contractante Ă la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme et Ă la Convention des
Nations unies sur les réfugiés.
Le gouvernement défendeur soutient que
les actions de renvoi en haute mer se justifiaient au regard du droit de la
mer. Quatre fondements pourraient ĂȘtre envisagĂ©s : le premier est lâarticle
100 § 1, alinĂ©a d), de la CNUDM combinĂ© avec lâarticle 91 de celle-ci, qui
autorise lâabordage de navires qui ne battent aucun pavillon, comme ceux
généralement qui transportent des migrants illégaux à travers la
MĂ©diterranĂ©e ; le deuxiĂšme est lâarticle 100 § 1, alinĂ©a b) de la CNUDM,
qui autorise les bateaux Ă aborder des navires en haute mer sâil y a un motif
raisonnable de soupçonner que le navire en question se livre au trafic
dâesclaves, ce motif pouvant ĂȘtre Ă©tendu aux victimes de la traite des ĂȘtres
humains, eu Ă©gard Ă lâanalogie entre ces deux formes de trafic61 ; le troisiĂšme
est lâarticle 8 §§ 2 et 7 du Protocole contre le trafic illicite de migrants
par terre, mer et air se rapportant Ă la Convention des Nations unies contre la
criminalité transnationale organisée, qui autorise les Etats à intercepter et
prendre des mesures appropriĂ©es contre les navires pouvant ĂȘtre raisonnablement
soupçonnés de se livrer au trafic illicite de migrants ; et le quatriÚme
est lâobligation, prĂ©vue Ă lâarticle 98 de la CNUDM, de prĂȘter assistance aux
personnes en danger ou en détresse en haute mer. Dans toutes ces circonstances,
les Etats restent en mĂȘme temps soumis Ă lâinterdiction de refoulement. Aucune
de ces dispositions ne peut raisonnablement ĂȘtre invoquĂ©e pour justifier une
exception Ă lâobligation de non-refoulement et, en consĂ©quence, Ă
lâinterdiction de toute expulsion collective. Ce serait donner une
interprétation bien tendancieuse de ces normes, qui visent à garantir la
protection de personnes particuliÚrement vulnérables (les victimes de trafic,
les migrants illégaux, les personnes en danger ou en détresse en haute mer),
que de sâen servir pour justifier lâexposition de ces personnes Ă un risque
supplĂ©mentaire de mauvais traitements en les ramenant dans les pays quâils ont
fuis. Comme le reprĂ©sentant français, M. Juvigny, lâa dit au comitĂ©
spécial lors des discussions sur le projet de Convention sur les réfugiés,
« (...) il nâest pas de pire catastrophe, pour un individu qui est
parvenu, au prix de maintes difficultĂ©s, Ă quitter un pays oĂč il est soumis Ă
des persécutions, que de se voir renvoyé dans ce pays, sans parler des
reprĂ©sailles qui lây attendent »62.
Sâil y a une affaire Ă lâoccasion de
laquelle la Cour devrait fixer des mesures concrĂštes dâexĂ©cution, câest bien
celle-ci. La Cour estime que le gouvernement italien doit prendre des mesures
pour obtenir du gouvernement libyen lâassurance que les requĂ©rants ne seraient
pas soumis Ă un traitement incompatible avec la Convention, y compris Ă un
refoulement indirect. Ce nâest pas assez. Le gouvernement italien a Ă©galement
une obligation positive de fournir aux requérants un accÚs pratique et effectif
Ă une procĂ©dure dâasile en Italie.
Les mots du juge Blackmun sont une
telle source dâinspiration quâils ne doivent pas ĂȘtre oubliĂ©s. Les rĂ©fugiĂ©s
tentant de fuir lâAfrique ne rĂ©clament pas un droit dâadmission en Europe. Ils
demandent seulement Ă lâEurope, berceau de lâidĂ©alisme en matiĂšre de droits de
lâhomme et lieu de naissance de lâĂ©tat de droit, de cesser de fermer ses portes
Ă des personnes dĂ©sespĂ©rĂ©es qui ont fui lâarbitraire et la brutalitĂ©. Câest lĂ
une priÚre bien modeste, au demeurant soutenue par la Convention européenne des
droits de lâhomme. « Ne restons pas sourds Ă cette priĂšre ».
---
1. Hannah Arendt a dĂ©crit comme personne dâautre le mouvement massif de
rĂ©fugiĂ©s survenu au XXe siĂšcle, constituĂ© dâhommes et de femmes
ordinaires qui fuyaient la persécution fondée sur des motifs religieux.
« Avant, un réfugié était un individu contraint à chercher refuge parce
quâil avait commis un certain acte ou avait certaines opinions politiques.
Certes, nous avons dĂ» chercher refuge ; mais nous nâavions rien fait et la
plupart dâentre nous nâauraient pas mĂȘme songĂ© Ă avoir des opinions radicales.
Avec nous, le sens du mot « rĂ©fugiĂ© » a changĂ©. Aujourdâhui, les
« rĂ©fugiĂ©s » sont ceux dâentre nous qui ont eu la malchance dâarriver
dans un nouveau pays sans disposer de moyens et qui ont besoin de lâaide des
comités pour les réfugiés. » [traduction du greffe] (Hannah Arendt, We
Refugees, in The Menorah Journal, 1943, repris in Marc Robinson (Ă©d.),
Altogether Elsewhere, Writers on exile, Boston, Faber and Faber, 1994).
2. LâĂ©largissement de
lâinterdiction au refoulement indirect ou « en chaĂźne » a Ă©tĂ© reconnu
par le droit europĂ©en des droits de lâhomme (voir T.I. c. Royaume-Uni
(dĂ©c.) no 43844/98, CEDH 2000-III, MĂŒslim c. Turquie, no
53566/99, §§ 72-76, 26 avril 2005, et M.S.S. c. Belgique et GrÚce
[GC], no 30696/09, § 286, 21 janvier 2011), par le droit universel
des droits de lâhomme (voir ComitĂ© des droits de lâhomme de lâONU, Observation
gĂ©nĂ©rale no 31 : La nature de lâobligation juridique gĂ©nĂ©rale
imposée aux Etats parties au Pacte, 26 mai 2004, CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, §
12, ComitĂ© de lâONU contre la torture, Observation gĂ©nĂ©rale no 1 sur
lâapplication de lâarticle 3 dans le contexte de lâarticle 22 de la Convention contre
la torture, 21 novembre 1997, A/53/44, annexe IX, § 2, et Korban c. SuÚde,
communication no 88/1997, 16 novembre 1998, UN doc.
CAT/C/21/D/88/1997), et par le droit international des réfugiés (UN doc.
E/1618, E/AC.32/5 : le comitĂ© spĂ©cial a estimĂ© que le projet dâarticle
visait non seulement le pays dâorigine mais aussi les autres pays oĂč la vie ou
la liberté du réfugié serait menacée, et UN doc. A/CONF.2/SR. 16 (compte
rendu analytique de la 16e séance de la Conférence de
plénipotentiaires, 11 juillet 1951) : le refoulement vise aussi le renvoi
ultĂ©rieur forcĂ© depuis le pays dâaccueil vers un autre pays oĂč la vie ou la
liberté du réfugié serait menacée, selon une proposition de la SuÚde que le
délégué de cet Etat a par la suite retirée « en soulignant toutefois comme
le PrĂ©sident lâa Ă©galement demandĂ©, que le fond de lâarticle doit ĂȘtre
interprété comme couvrant au moins certaines des situations envisagées dans
cette partie de lâamendement »), et HCR, Note sur le non-refoulement
(EC/SCP/2), 1977, § 4.
3. Soering c.
Royaume-Uni, § 88, série A no 161, et Vilvarajah et autres
c. Royaume-Uni, § 103, série A no 215. Les mauvais
traitements peuvent mĂȘme avoir trait Ă des conditions de vie effroyables dans
le pays dâaccueil (M.S.S. c. Belgique et GrĂšce, prĂ©citĂ©, §§ 366-367).
4. Soering c.
Royaume-Uni, précité, § 113, Einhorn c. France (déc.), no
71555/01, § 32, CEDH 2001-XI, et Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni,
no 61498/08, § 149, CEDH 2010.
5. Othman (Abu Qatada)
c. Royaume-Uni, no 8139/09, § 233, 17 janvier 2012, non
définitif.
6. Bensaid c.
Royaume-Uni, no 44599/98, § 46, CEDH 2001-I, Boultif
c. Suisse, no 54273/00, § 39, CEDH 2001-IX, et Mawaka
c. Pays-Bas, no 29031/04, § 58, 1er juin 2010.
7. Voir la juste
interprĂ©tation de la jurisprudence de la Cour quâa livrĂ©e la Chambre des lords
dans Regina v. Special Adjudicator (Respondent) ex parte Ullah (FC) (Appellant)
Do (FC) (Appellant) v. Secretary of State for the Home Department (Respondent),
§§ 24 et 69. Pour la doctrine, voir Jane MacAdam, Complementary protection in
international refugee law, Oxford, 2007, pp. 171-172, et Goodwin-Gill et
McAdam, The refugee in international law, 3e Ă©dition, Oxford, 2007,
p. 315.
8. Suivant lâapplication
faite par le ComitĂ© de lâONU contre la torture dans Balabou Mutombo
c. Suisse, communication no 13/1993, 27 avril 1994, et dans
Tahir Hussain Khan c. Canada, communication no 15/1994, 18
novembre 1994 ; voir aussi les Conclusions et recommandations :
Canada, CAT/C/CR/34/CAN, 7 juillet 2005, § 4.a), critiquant « [l]e fait
que dans lâaffaire Suresh c. Ministre de la citoyennetĂ© et de lâimmigration,
la Cour suprĂȘme du Canada nâ[ait] pas reconnu en droit interne le caractĂšre
absolu de la protection confĂ©rĂ©e par lâarticle 3 de la Convention, qui nâest
susceptible dâaucune exception quelle quâelle soit ».
9. Selon lâinterprĂ©tation
livrĂ©e par le ComitĂ© des droits de lâenfant de lâONU dans son Observation
générale no 6 (2005) sur le traitement des enfants non
accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays, UN doc.
CRC/GC/2005/6, 1er septembre 2005, § 27 : « (...) les
Etats sont en outre tenus de ne pas renvoyer un enfant dans un pays sâil y a
des motifs sérieux de croire que cet enfant sera exposé à un risque réel de
dommage irréparable, comme ceux, non limitativement, envisagés dans les
articles 6 et 37 de la Convention, dans ledit pays ou dans tout autre pays vers
lequel lâenfant est susceptible dâĂȘtre transfĂ©rĂ© ultĂ©rieurement (...) ».
10. Suivant lâapplication
faite par le ComitĂ© des droits de lâhomme de lâONU dans ARJ c. Australie,
communication no 692/1996, 11 août 1997, § 6.9 (« Il peut y
avoir violation du Pacte lorsquâun Etat partie expulse une personne se trouvant
sur son territoire et relevant de sa compétence dans des circonstances qui
exposent cette personne à un risque réel que ses droits protégés par le Pacte
soient violés dans un autre Etat »), position confirmée dans Judge
c. Canada, communication no 829/1998, 5 août 2003, §§
10.4-10.6, concernant le risque dâĂȘtre soumis Ă la peine capitale dans lâEtat
dâaccueil. En une autre occasion, le mĂȘme organe a conclu que « dans
certaines situations, un étranger peut bénéficier de la protection du Pacte
mĂȘme en ce qui concerne lâentrĂ©e ou le sĂ©jour : tel est le cas si des
considĂ©rations relatives Ă la non-discrimination, Ă lâinterdiction des
traitements inhumains et au respect de la vie familiale entrent en jeu »
(ComitĂ© des droits de lâhomme de lâONU, Observation gĂ©nĂ©rale no 15
(1986), § 5, position rĂ©itĂ©rĂ©e dans lâObservation gĂ©nĂ©rale no 19
(1990), § 5, concernant la vie familiale, et dans lâObservation gĂ©nĂ©rale no
20 (1992), § 9, concernant la torture et des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants.
11. Principes relatifs Ă la
prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires,
résolution 1989/65 du Conseil économique et social, 24 mai 1989, confirmée par
la rĂ©solution 44/162 de lâAGNU, 15 dĂ©cembre 1989, § 5.
12. DĂ©claration sur la
protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, résolution
47/133 de lâAGNU, 18 dĂ©cembre 1992, article 8 § 1.
13. Voir, par exemple,
lâarticle VIII § 2 de la Convention de lâOUA, conclusions III §§ 3 et 8 de la
Déclaration de CarthagÚne de 1984 sur les réfugiés, OAS/Ser.L/V/II.66,
doc. 0, rév.1, pp. 190-193, et § 5 de la Recommandation (2001) 18 du
ComitĂ© des Ministres du Conseil de lâEurope. Lâapproche diffĂ©rente adoptĂ©e par
la Directive 2004/83/EC est fort problématique, pour les raisons exposées dans
le texte ci-dessus.
14. Recommandation (84) 1
du ComitĂ© des Ministres du Conseil de lâEurope relative Ă la protection des
personnes remplissant les conditions de la Convention de GenĂšve qui ne sont pas
formellement reconnues comme réfugiés, et HCR, Guide des procédures et critÚres
à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, 1979, réédité en 1992, § 28.
15. M.S.S. c. Belgique
et GrÚce, précité, §§ 366.
16. Chahal c.
Royaume-Uni, 15 novembre 1996, §§ 79 et 80, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions
1996-V et, concernant une procĂ©dure en vue de lâexpulsion dâun rĂ©fugiĂ©, Ahmed
c. Autriche, 17 décembre 1996, §§ 40 et 41, Recueil 1996-VI.
17. ComitĂ© de lâONU contre
la torture, Tapia Paez c. SuĂšde, communication no 39/1996,
28 avril 1997, CAT/C/18/D/39/1996, § 14.5, et M.B.B. c. SuÚde,
communication no 104/1998, 5 mai 1999, CAT/C/22/D/104/1998
(1999), § 6.4 ; ComitĂ© des droits de lâhomme de lâONU, Observation gĂ©nĂ©rale
20 : Remplacement de lâobservation gĂ©nĂ©rale 7 concernant
lâinterdiction de la torture et des traitements cruels (article 7), 10 mars
1992, §§ 3 et 9, et Observation générale 29 concernant les
situations dâurgence (article 4) ; UN doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.11,
31 août 2001, § 11, Examen des rapports : Observations finales sur le Canada,
UN doc. CCPR/C/79/Add.105, 7 avril 1999, § 13, et Observations finales sur le
Canada, UN doc. CCPR/C/CAN/CO/5, 20 avril 2006, § 15.
18. Voir la DĂ©claration
des Etats parties Ă la Convention de 1951 et/ou Ă son Protocole de 1967
relatifs au statut des réfugiés, UN doc. HCR/MMSP/2001/9, 16 janvier 2002,
§ 4, qui prenait acte « de la pertinence et de la capacité
dâadaptation constantes de ce corps international de droits et de principes, y
compris Ă sa base, le principe de non-refoulement dont lâapplicabilitĂ© est
consacrée dans le droit coutumier international », et HCR, « The
Principle of Non-Refoulement as a Norm of Customary International Law »,
Response to the Questions posed to UNHCR by the Federal Constitutional Court of
the Federal Republic of Germany in cases 2 BvR 1938/93, 2 BvR 1953/93, 2 BvR
1954/93, et, encore plus catégorique, la 5e conclusion de la
Déclaration de CarthagÚne sur les réfugiés (1984), OAS/Ser.L/V/II.66, doc.10,
rev.1, pp. 190-193, selon laquelle « [c]e principe impĂ©ratif Ă lâĂ©gard des
rĂ©fugiĂ©s doit ĂȘtre reconnu et respectĂ©, dans lâĂ©tat actuel du droit
international, en tant que principe de jus cogens », position
rĂ©itĂ©rĂ©e par la DĂ©claration de Mexico de 2004 et le plan dâaction visant Ă
renforcer la protection internationale des réfugiés en Amérique latine. Pour la
doctrine, voir Lauterpacht et Bethlehem, « The scope and content of the
principle of non refoulement: Opinion », in Refugee Protection in
International Law, UNHCRâs Global consultation on International protection,
Cambridge, 2003, pp. 87 et 149, Goodwin-Gill et McAdam, précité, p. 248,
Caroline Lantero, Le droit des refugiĂ©s entre droits de lâhomme et gestion de
lâimmigration, Bruxelles, 2010, p. 78, et KĂ€lin/Caroni/Heim, Article 33, § 1,
notes marginales 26-34, in Andreas Zimmermann (Ă©d.), The 1951 Convention
relating to the Status of Refugees and its Protocol, A Commentary, Oxford,
2011, pp. 1343-1346.
19. Recommandation Rec
(2005) 6 du ComitĂ© des Ministres du Conseil de lâEurope relative Ă lâexclusion
du statut de rĂ©fugiĂ© dans le contexte de lâarticle 1 F de la Convention du
28 juillet 1951 relative au statut des rĂ©fugiĂ©s. A titre dâexemple,
les présomptions de dangerosité déterminantes (ou irréfragables) tirées de la
nature du crime commis par une personne ou de la gravité de la peine qui lui a
été infligée sont arbitraires.
20. Haitian Centre for
Human Rights et al. US, affaire no 10 675, rapport no 51/96,
OEA/Ser.L./V/II.95, doc. 7 rev., 13 mars 1997, § 157, oĂč il est dit quâil nây a
« aucune limitation géographique » aux obligations de non-refoulement
dĂ©coulant de lâarticle 33 de la Convention des Nations unies sur les
réfugiés ; au paragraphe 163, la Commission interaméricaine a
également conclu que les opérations de renvoi menées par les Etats-Unis
avaient violĂ© lâarticle XXVII de la DĂ©claration amĂ©ricaine des droits et
devoirs de lâhomme.
21. Avis consultatif sur
lâapplication extraterritoriale des obligations de non-refoulement en vertu de
la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de son Protocole de
1967, 26 janvier 2007, § 24, et « Background note on the
protection of asylum-seekers and refugees at sea », 18 mars 2002, § 18, UN
High Commissioner for Refugees responds to US Supreme Court Decision in Sale v.
Haitian Centers Council, in International Legal Materials, 32, 1993, p. 1215,
et « Brief Amicus Curiae: The Haitian Interdiction case 1993 », in
International Journal of Refugee Law, 6, 1994, pp. 85-102.
22. DĂ©claration sur
lâasile territorial, adoptĂ©e le 14 dĂ©cembre 1967, RĂ©solution AGNU 2312
(XXII), A/RES/2312(XXII), aux termes de laquelle « Aucune personne visée
au paragraphe 1 de lâarticle premier ne sera soumise Ă des mesures telles que
le refus dâadmission Ă la frontiĂšre ou, si elle est dĂ©jĂ entrĂ©e dans le
territoire oĂč elle cherchait asile, lâexpulsion ou le refoulement vers tout
Etat oĂč elle risque dâĂȘtre victime de persĂ©cutions ».
23. Regina v. Immigration
Officer at Prague Airport and another (Respondents) ex parte European Roma
Rights Centre and others (Appellants), 9 décembre 2004, § 26 : « Il
semble que soit généralement admis le principe selon lequel une personne qui
quitte lâEtat de sa nationalitĂ© et demande lâasile auprĂšs des autoritĂ©s dâun
autre Etat â que ce soit Ă la frontiĂšre ou au sein du second Etat â ne
doit pas ĂȘtre rejetĂ©e ou renvoyĂ©e vers le premier Etat sans quâil y ait une
enquĂȘte appropriĂ©e au sujet des persĂ©cutions dont elle allĂšgue avoir une
crainte fondée ». Au paragraphe 21, Lord Bingham of Cornhill a clairement
indiqué son adhésion à la décision de la Commission interaméricaine dans
lâaffaire Haiti (« La situation de la partie demanderesse se distingue
largement de celle des Haïtiens, dont les difficultés ont été examinées dans
lâaffaire Sale, prĂ©citĂ©e, et dont le traitement par les autoritĂ©s des
Etats-Unis a été considéré à juste titre par la Commission
interamĂ©ricaine des droits de lâhomme (Rapport no 51/96, 13 mars
1997, § 171) comme ayant emporté violation de leur droit à la vie, à la
libertĂ© et Ă la sĂ©curitĂ© de leur personne ainsi que du droit dâasile protĂ©gĂ©
par lâarticle XXVII de la DĂ©claration amĂ©ricaine des droits et devoirs de
lâhomme, que la Commission a estimĂ© avoir Ă©tĂ© violĂ© par les Etats-Unis au
paragraphe 163 » â soulignement ajoutĂ©).
24. Conclusions et
recommandations du CAT concernant le deuxiÚme rapport périodique des
Etats-Unis, CAT/C/USA/CO/2, 2006, §§ 15 et 20, dĂ©clarant que lâEtat doit
veiller Ă ce que lâobligation de non-refoulement « bĂ©nĂ©fici[e] pleinement
Ă toutes les personnes placĂ©es sous [son contrĂŽle effectif], (...) oĂč quâelles
se trouvent dans le monde » ; J.H.A. c. Espagne,
CAT/C/41/D/323/2007 (2008), affaire dans laquelle il a été estimé que la
responsabilitĂ© de lâEspagne Ă©tait engagĂ©e, eu Ă©gard aux obligations de
non-refoulement, lorsque ce pays interceptait des migrants arrivés par la mer
et menait des procédures extraterritoriales de détermination du statut de
réfugié.
25. Observation générale no
31 : La nature de lâobligation juridique gĂ©nĂ©rale imposĂ©e aux Etats parties
au Pacte, CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, 2004, § 12, soulignant que les Etats doivent
garantir le non-refoulement « à toutes les personnes se trouvant sur leur
territoire et à toutes les personnes soumises à leur contrÎle »), Observations
finales du ComitĂ© des droits de lâhomme : Etats-Unis, CCPR/79/Add.50,
1995, § 284, et Kindler c. Canada, communication no 470/1991,
30 juillet 1993, § 6.2, et ARJ c. Australie, communication no 692/1996,
11 août 1997, § 6.8.
26. Voir, notamment, Guy
Goodwin-Gill, « The right to seek asylum: interception at sea and the
principle of non-refoulement », conférence inaugurale au Palais des
académies, Bruxelles, 16 février 2011, p. 2, et The Refugee in International
law, Cambridge, 2007, p. 248, Bank, Introduction to Article 11, notes
marginales 57-82, in Andreas Zimmermann (Ă©d.), The 1951 Convention relating to
the Status of Refugees and its Protocol, A Commentary, Oxford, 2011, pp.
832-841, et, dans le mĂȘme ouvrage, KĂ€lin/Caroni/Heim sur lâarticle 33, notes
marginales 86-91, pp. 1361-1363, Frelick, âAbundantly clearâ: Refoulement, in
Georgetown Immigration Law Journal, 19, 2005, pp. 252 et 253, Hathaway, The
rights of Refugees under International Law, Cambridge, 2005, p. 339,
Lauterpacht et Bethlehem, précité, p. 113, Pallis, « Obligations of the
states towards asylum seekers at sea: interactions and conflicts between legal
regimes », in International Journal of Refugee Law, 14, 2002, pp. 346-347,
Meron, « Extraterritoriality of Human Rights Treaties », in American
Journal of International Law, 89, 1995, p. 82, Koht, « The âHaiti
Paradigmâ in United States Human Rights Policy », in The Yale Law Journal,
vol. 103, 1994, p. 2415, et Helton, « The United States Government
Program of Interception and Forcibly Returning Haitian Boat People to Haiti:
Policy Implications and Prospects », in New York School Journal of Human
Rights, vol. 10, 1993, p. 339.
27. Sale v. Haitian
Centers Council, 509/US 155, 1993, qui comporte une solide opinion dissidente
du juge Blackmun.
28. Minister for
Immigration and Multicultural Affairs v. Haji Ibrahim, [2000] HCA 55,
26 Octobre 2000, S157/1999, § 136, et Minister for Immigration and
Multicultural Affairs v. Khawar, [2002] HCA 14, 11 avril 2002, S128/2001, § 42.
29. Pour le mĂȘme
argument, voir Robinson, Convention relating to the Status of Refugees: its
history, contents and interpretation â A Commentary, New York, 1953, p. 163, et
Grahl-Madsen, Commentary on the Refugee Convention 1951 Articles 2-11, 13-37,
GenĂšve, p. 135.
30. CPJI, Interprétation
de lâarticle 3 § 2 du TraitĂ© de Lausanne (frontiĂšre entre la Turquie et
lâIrak), Avis consultatif no 12, 21 novembre 1925, p. 22, et Affaire
du Lotus, 7 septembre 1927, p. 16, et CIJ, Compétence de
lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale pour lâadmission dâun Etat aux Nations unies, Avis
consultatif du 3 mars 1950 â RĂŽle gĂ©nĂ©ral no 9, p. 8.
31. UN Doc.
E/AC.32/SR.21, §§ 13-26.
32. UN
Doc.E/AC.32/SR.20, §§ 54-56.
34. Alland et
Teitgen-Colly, TraitĂ© du droit dâasile, Paris, 2002, p. 229 :
« Lâexpression française de « refoulement » vise Ă la fois
lâĂ©loignement du territoire et la non-admission Ă lâentrĂ©e ».
35. CIJ, Affaire
relative à des actions armées frontaliÚres et transfrontaliÚres (Nicaragua
c. Honduras), arrĂȘt du 22 dĂ©cembre 1988, § 94.
36. Voir, par exemple,
le raisonnement tenu par le ComitĂ© des droits de lâhomme dans Judge c. Canada,
communication no 829/1998, 5 août 2003, § 10.4.
37. Cette conclusion est
en fait conforme à la politique américaine antérieure au décret présidentiel de
1992, puisque les Etats-Unis estimaient alors lâinterdiction du refoulement
applicable aux opérations menées en haute mer (Legomsky, « The USA and the
Caribbean Interdiction Programme », in International Journal of Refugee
Law, 18, 2006, p. 679). Cette conclusion correspond aussi Ă la politique
américaine actuelle, car les Etats-Unis non seulement ont abandonné la
politique de renvoi sommaire vers Haïti des migrants arrivés par la mer sans
Ă©valuation individuelle de la situation des demandeurs dâasile, mais de plus
ont eux-mĂȘmes critiquĂ© cette politique dans le rapport « Trafficking in
Persons 2010 Report » du dĂ©partement dâEtat, Ă©voquant de maniĂšre
négative les pratiques italiennes de renvoi en Méditerranée (extrait :
« De plus, le gouvernement italien a mis en Ćuvre un accord conclu avec le
gouvernement libyen pendant la période examinée, accord permettant aux
autoritĂ©s italiennes dâintercepter, de renvoyer de force et de rediriger vers
la Libye les migrants arrivés par bateau. Selon Amnesty International et Human
Rights Watch, le gouvernement nâa pas mĂȘme procĂ©dĂ© Ă un tri sommaire de ces
migrants pour vĂ©rifier sâil nây avait pas des indices de trafic »
[traduction du greffe]).
38. Affaire du droit
dâasile (Colombie c. PĂ©rou), arrĂȘt du 20 novembre 1950 (rĂŽle gĂ©nĂ©ral no 7,
1949-1950) : « Une telle dérogation à la souveraineté territoriale ne
saurait ĂȘtre admise, Ă moins que le fondement juridique nâen soit Ă©tabli dans
chaque cas particulier ».
39. Voir lâarticle 17 du
Traité de 1889 sur le droit pénal international (Traité de Montévidéo),
lâarticle 2 de la Convention de La Havane de 1928 qui dĂ©finit les rĂšgles Ă
respecter dans lâoctroi de lâasile, et les articles 5 et 12 de la
Convention de Caracas sur lâasile diplomatique, et, pour une Ă©tude globale,
Question of Diplomatic Asylum: Report of the Secretary-General, 22 septembre
1975, UN doc. A/10139 (Part II), et Denza, Diplomatic Asylum, in Andreas
Zimmermann (Ă©d.), The 1951 Convention relating to the Status of Refugees and
its Protocol, A Commentary, Oxford, 2011, pp. 1425-1440.
40. Recommandation 1236
(1994) de lâAssemblĂ©e parlementaire relative au droit dâasile, qui
« insist[e] pour que les procĂ©dures dâoctroi de lâasile et les politiques
dâattribution des visas, en particulier celles qui ont Ă©tĂ© rĂ©cemment modifiĂ©es
par des lois nationales ou en vertu des traitĂ©s de lâUnion europĂ©enne,
continuent Ă sâinspirer de la Convention de GenĂšve de 1951 et de la Convention
de sauvegarde des Droits de lâHomme et des LibertĂ©s fondamentales â en gardant
Ă lâesprit que cette derniĂšre contient implicitement des obligations Ă lâĂ©gard
des personnes qui ne sont pas nécessairement des réfugiés au sens de la
Convention de GenĂšve de 1951 â et ne permettent aucune violation, notamment du
principe gĂ©nĂ©ralement admis du non-refoulement et de lâinterdiction du
refoulement des demandeurs dâasile Ă la frontiĂšre ».
41. Rapport au
gouvernement italien sur la visite effectuée en Italie par le Comité européen
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou
dĂ©gradants (CPT) du 27 au 31 juillet 2009, § 29 : « Lâinterdiction du
refoulement sâĂ©tend Ă toutes les personnes qui peuvent se trouver sur le
territoire dâun Etat ou, pour une autre raison, relever de sa juridiction. La
Cour europĂ©enne des droits de lâhomme a admis quâun certain nombre de
situations spĂ©cifiques peuvent donner lieu Ă lâapplication extraterritoriale
des obligations découlant de la CEDH et engager à cet égard la responsabilité
dâun Etat. La juridiction extraterritoriale dâun Etat peut reposer notamment
sur a) les activitĂ©s conduites Ă lâĂ©tranger par des agents diplomatiques ou
consulaires de lâEtat (...) » [traduction du greffe].
42. Le HCR a admis
lâapplicabilitĂ© de lâobligation de non-refoulement sur le territoire dâun autre
Etat dans son Avis consultatif sur lâapplication extra-territoriale des
obligations de non-refoulement en vertu de la Convention de 1951 relative au
statut des réfugiés et de son Protocole de 1967, 26 janvier 2007, § 24
(« [L]e HCR estime que le but, lâintention et le sens de lâarticle 33(1)
de la Convention de 1951 sont sans ambiguïté et établissent une obligation de
ne pas renvoyer un rĂ©fugiĂ© ou un demandeur dâasile vers un pays oĂč il ou elle
risquerait une persĂ©cution ou tout autre prĂ©judice sĂ©rieux, qui sâapplique
partout oĂč lâEtat exerce son autoritĂ©, y compris Ă la frontiĂšre, en haute mer
ou sur le territoire dâun autre Etat »).
43. Voir Study on the
feasibility of processing asylum claims outside the EU against the background
of the common European asylum system and the goal of a common asylum procedure,
rĂ©alisĂ©e par le Centre danois pour les droits de lâhomme pour le compte de la
Commission européenne, 2002, p. 24 ; communication de la Commission au
Conseil et au Parlement europĂ©en sur la gestion de lâentrĂ©e gĂ©rĂ©e dans lâUnion
europĂ©enne de personnes ayant besoin dâune protection internationale et sur le
renforcement des capacitĂ©s de protection des rĂ©gions dâorigine « amĂ©liorer
lâaccĂšs Ă des solutions durables » (2004) 410 final ; Comments of the
European Council on Refugees and Exiles on the Communication from the
Commission to the Council and the European Parliament on the managed entry in
the EU of persons in need of international protection and the enhancement of
the protection capacity of the regions of origin âImproving Access to Durable
Solutionsâ, CO2/09/2004/ext/PC, et UNHCR Observations on the European
Commission Communication "On the Managed Entry in the EU of Persons in
Need of International Protection and Enhancement of the Protection Capacity of
the Regions of Origin: Improving Access to Durable Solutions", 30 août
2004.
44. Voir, notamment,
lâarticle consacrĂ© Ă Aristides de Sousa Mendes, in Encyclopaedia of the Holocaust,
Macmillan, New York, 1990, Wheeler, And who is my neighbour? A world war II
hero or conscience for Portugal, in Luzo-brasilian Review, vol. 26, 1989,
pp. 119-139, Fralon, Aristides de Sousa Mendes â Le Juste de Bordeaux, Ă©d.
Mollat, Bordeaux, 1998, et Afonso, « Le « Wallenberg
portugais » : Aristides de Sousa Mendes, in Revue dâhistoire de la
Shoah, Le monde juif, no 165, 1999, pp. 6-28.
45. Voir, pour les normes du droit
international des rĂ©fugiĂ©s et des droits de lâhomme, Andric c. SuĂšde,
dĂ©cision du 23 fĂ©vrier 1999, n° 45917/99 ; Äonka c. Belgique,
n° 51564/99, §§ 81-83, CEDH 2002-I; Gebremedhin [Gaberamadhien]
c. France, n° 25389/05, §§ 66-67, CEDH 2007-II; M.S.S. c.
Belgique et GrÚce, précité, §§ 301-302 et 388-389; et I.M.
c. France, n° 9152/09, § 154, 2 février 2012 ; Rapport du Comité
européen pour la prévention de la torture et des traitements ou peines
inhumains ou dégradants (CPT) relatif à sa visite effectuée en Italie du 27 au
31 juillet 2009, § 27 ; Recommandation Rec(2003)5 du Comité des Ministres
aux Etats membres sur les mesures de dĂ©tention des demandeurs dâasile,
Recommandation Rec(1998)13 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le
droit de recours effectif des demandeurs dâasile dĂ©boutĂ©s Ă lâencontre des
dĂ©cisions dâexpulsions dans le contexte de lâarticle 3 de la Convention
europĂ©enne des droits de lâhomme ; Recommandation Rec(1981)16 sur
l'harmonisation des procédures nationales en matiÚre d'asile ;
Recommandation 1327 (1997) de lâAssemblĂ©e parlementaire du Conseil de lâEurope
relative Ă la « protection et au renforcement des droits de lâhomme des
rĂ©fugiĂ©s et des demandeurs dâasile en Europe » ; Lignes directrices
sur la protection des droits de l'homme dans le contexte des procédures d'asile
accélérées, adoptées par le Comité des Ministres le 1er juillet
2009 ; AmĂ©liorer les procĂ©dures dâasile : analyse comparĂ©e et
recommandations en droit et en pratique, conclusions et recommandations clés,
projet de recherche du UNHCR sur lâapplication dans certains Etats membres
sélectionnés des dispositions principales de la directive relative aux
procĂ©dures dâasile, mars 2010, et Commentaires provisoires du UNHCR sur la
proposition de directive du Conseil relative Ă des normes minimales concernant
la procĂ©dure dâoctroi et de retrait du statut de rĂ©fugiĂ© dans les Etats membres
(Document du Conseil 14203/04, Asile 64, 9 novembre 2004), 10 février
2005 ; Conseil europĂ©en sur les rĂ©fugiĂ©s et les exilĂ©s, Note dâinformation
sur la Directive 2005/85/EC du Conseil du 1er décembre 2005 relative
Ă des normes minimales concernant la procĂ©dure dâoctroi et de retrait du statut
de réfugié dans les Etats membres, IN1/10/2006/EXT/JJ ; Commission du
droit international, soixante-deuxiĂšme session, 3 mai - 4 juin et 5
juillet - 6 aoĂ»t 2010, sixiĂšme rapport sur lâexpulsion des Ă©trangers prĂ©sentĂ©
par Maurice Kamto, rapporteur spécial, additif A/CN.4/625/Add.1, et rapport de
la Commission du droit international, soixante-deuxiĂšme session,
3 mai â 4 juin et 5 juillet â 6 aoĂ»t 2010, AssemblĂ©e
générale, documents officiels, soixante-cinquiÚme session, Supplément n° 10
(A/65/10), §§. 135-183; et Chambre des lords, Commission de lâUnion europĂ©enne,
âHandling EU Asylum Claims : New Approaches examinedâ, HL Paper 74,
11e rapport de session 2003-2004, et âMinimum Standards in Asylum
Proceduresâ, HL Paper 59, 11e rapport de session 2000-2001.
46. Comité exécutif du HCR
Conclusion n° 82 (1997), § d(iii) et Conclusion n° 85 du Comité exécutif
(1998), § q); UNHCR, Guide des procédures et des critÚres à appliquer pour déterminer
le statut de réfugié, HCR/IP/4/Rev.1, 1992, §§ 189-223, et Association du droit
international, Résolution 6/2002 sur les procédures concernant les réfugiés
(DĂ©claration relative Ă des normes internationales minimales pour les
procédures concernant les réfugiés), 2002, §§ 1, 5 et 8.
47. ArrĂȘt de la Cour
internationale de justice du 30 novembre 2010 en lâaffaire Ahmadou Sadio
Diallo, A/CN.4/625, § 82, Ă la lumiĂšre de lâarticle 13 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques et de lâarticle 12 § 4 de la Charte
africaine des droits de lâhomme et des peuples ; ComitĂ© des Nations unies
contre la torture, SH c. NorvÚge, Communication n° 121/1998, 19 avril 2000,
CAT/C/23/D/121/1998 (2000), § 7.4, et Falcon Rios c. Canada, communication n°
133/1999, 17 décembre 2004, CAT/C/33/D/133/1999, § 7.3, Conclusions
et Recommandations : France, CAT/C/FRA/CO/3, 3 avril 2006, § 6,
Conclusions et Recommandations : Canada, CAT/C/CR/34/CAN, 7 juillet 2005,
§ 4 c) et d), Examen des rapports soumis par les Etats parties en vertu de
lâarticle 19 de la Convention, Chine, CAT/C/CHN/CO/4, 21 novembre 2008, §
18 (D); ComitĂ© des droits de lâhomme de lâONU, Observation
générale n° 15: Situation des étrangers au regard du Pacte, 1986, §
10 ; UN ComitĂ© des Nations unies pour lâĂ©limination de la discrimination
raciale, Recommandation générale n° 30 concernant la discrimination contre les
non-ressortissants, CERD/C/64/Misc.11/rev.3, 2004, § 26 ; Rapporteur
spécial des Nations unies sur la prévention de la discrimination, rapport final
de M. David Weissbrodt, E/CN4/Sub2/, 2003, 23, § 11 ; et Rapporteur
spĂ©cial des Nations unies sur les droits de lâhomme des migrants, M. Jorge
Bustamante, rapport annuel, doc. A/HRC/7/12, 25 février 2008, § 64.
48. Commission
interaméricaine, Haitian Centre for Human Rights et al. US, affaire no 10 675,
§ 163, Ă la lumiĂšre de lâarticle XXVII de la DĂ©claration amĂ©ricaine des droits
de lâhomme, et de lâarrĂȘt de la Cour de justice des CommunautĂ©s europĂ©ennes du
28 juillet 2011 en lâaffaire Brahim Samba Diouf (C-69-10), eu Ă©gard Ă
lâarticle 39 de la directive 2005/85/CE.
49. Concernant les
procĂ©dures dâexpulsion, voir Maaouia c. France ([GC], n° 39652/98,
CEDH 2000-X) et, concernant les procĂ©dures dâasile, Katani c. Allemagne
((déc), n° 67679/01, 31 mai 2001). Comme les juges Loucaides et Traja,
jâai Ă©galement de sĂ©rieux doutes sur la proposition selon laquelle, en raison
de lâĂ©lĂ©ment discrĂ©tionnaire dâordre public des dĂ©cisions prises dans le cadre
de ces procédures, il ne faut pas les considérer comme portant sur les droits
civils de la personne concernĂ©e. Mes doutes sâappuient sur deux raisons
majeures : premiÚrement, ces décisions ont forcément des répercussions
importantes sur la vie privĂ©e, professionnelle et social de lâĂ©tranger. DeuxiĂšmement,
ces décisions ne sont absolument pas discrétionnaires et doivent se conformer
aux obligations internationales, comme celles qui dĂ©coulent de lâinterdiction
du refoulement. Quoi quâil en soit, les garanties de la procĂ©dure dâasile
peuvent Ă©galement ĂȘtre tirĂ©es de lâarticle 4 du Protocole n° 4 et mĂȘme de la
Convention elle-mĂȘme. En fait, la Cour a dĂ©jĂ fondĂ© son apprĂ©ciation de
lâĂ©quitĂ© dâune procĂ©dure dâasile sur lâarticle 3 de la Convention (Jabari
c. Turquie, n° 40035/98, §§ 39-40, CEDH 2000-VIII). De plus,
elle a utilisĂ© lâarticle 13 de la Convention pour censurer le dĂ©faut de
recours effectif contre le rejet dâune demande dâasile (Chahal, prĂ©citĂ©,
§ 153, et Gebremedhin [Gabermadhien], prĂ©citĂ©, § 66). En dâautres
termes, le contenu des garanties procĂ©durales de lâinterdiction de refoulement
découle en définitive des articles de la Convention qui protÚgent les droits de
lâhomme pour lesquels aucune dĂ©rogation nâest autorisĂ©e (comme par exemple
lâarticle 3) combinĂ©s avec lâarticle 13, ainsi que de lâarticle 4 du
Protocole n° 4.
50. Äonka,
précité, affaire dans laquelle les requérants, au moment de leur expulsion,
nâĂ©taient dĂ©jĂ plus autorisĂ©s Ă rester dans le pays et Ă©taient sous le coup
dâune ordonnance de quitter le territoire. Voir Ă©galement, pour lâapplicabilitĂ©
dâautres conventions rĂ©gionales aux Ă©trangers en situation irrĂ©guliĂšre sur le
territoire, Cour interamĂ©ricaine des droits de lâhomme, Mesures provisoires
demandĂ©es par la Commission interamĂ©ricaine des droits de lâhomme concernant la
RĂ©publique dominicaine, affaire des HaĂŻtiens et des Dominicains dâorigine
haïtienne en République dominicaine, ordonnance de la Cour du 18 août
2000 ; et Commission africaine des droits de lâhomme et des peuples,
Rencontre Africaine pour la DĂ©fense des Droits de lâHomme c. Zambie,
communication n° 71/92, octobre 1996, § 23, et Union Inter-Africaine des
Droits de lâHomme et autres c. Angola, communication n° 159/96, 11
novembre 1997, § 20.
51. A cet effet, voir
Ă©galement la RĂ©solution 1821 (2011) de lâAssemblĂ©e parlementaire du Conseil de
lâEurope sur lâinterception et le sauvetage en mer de demandeurs dâasile de
réfugiés et de migrants irréguliers, §§ 9.3-9.6.
52. Voir lâarrĂȘt de
principe Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni,
28 mai 1985, § 59, série A n° 94.
53. Lauterpacht et
Bethlehem, précité, § 61, et Goodwin et McAdam, précité, p. 384.
54. Lauterpacht et
Bethlehem, précité, § 67, et Goodwin-Gill, The right to seek asylum :
interception at sea and the principle of non-refoulement, Cours inaugural
au Palais des Académies, Bruxelles, 16 février 2011, p. 5, et Goodwin et
McAdam, précité, p. 246.
55. Voir Bernard Ryan, Extraterritorial
immigration control, what role for legal guarantees ?, dans Bernard
Ryan et Valsamis Mitsilegas (eds), Extraterritorial immigration control, legal
challenges, Leiden, 2010, pp. 28-30.
56. Au paragraphe 45 de
lâaffaire Regina v Immigration Officer at Prague Airport and another
(Respondents) ex parte European Roma Rights Centre and others (Appellants),
la Chambre des lords a reconnu que les opérations de pré-dédouannement
« procĂšdent de lâexercice de lâautoritĂ© gouvernementale » sur les
personnes visĂ©es. Cependant, les Lords nâĂ©taient pas disposĂ©s Ă considĂ©rer le
refus dâadmettre quelquâun Ă bord dâun avion dans un aĂ©roport Ă©tranger comme un
acte de refoulement au sens de la Convention des Nations unies sur les
réfugiés.
57. Aujourdâhui, ces
rĂšgles constituent le droit international coutumier (CIJ, application de la Convention
sur la prévention et la répression du crime de génocide, Bosnie-Herzégovine,
arrĂȘt du 26 fĂ©vrier 2007, § 420, et, parmi dâautres auteurs, McCorquodale et
Simons, Responsibility Beyond Borders: State responsibility for
extraterritorial violations by corporations of international human rights law,
Modern Law Review, 70, 2007, p. 601, Lauterpacht et Bethlehem, précité,
p. 108, et Crawford et Olleson, The continuing debate on a UN
Convention on State Responsibility, International and Comparative Law Quarterly,
54, 2005, p. 959) et sont applicables aux violations des droits de lâhomme
(Cawford, The International Law Commissionâs articles on state
responsibility: Introduction, text and commentaries, Cambridge, 2002,
p. 25 et Gammeltoft-Hansen, The externalisation of European migration
control and the reach of international refugee law, in European Journal of
Migration and Law, 2010, p. 18).
58. Le Comité européen
pour la prévention de la torture et des traitements ou peines inhumains ou
dĂ©gradants (CPT) parvient Ă la mĂȘme conclusion dans son rapport au gouvernement
italien relatif à sa visite en Italie du 27 au 31 juillet 2009, § 48.
59.Voir
lâarrĂȘt de la CPJI en lâaffaire du Lotus (France c. Turquie) du
27 septembre 1927, § 65, oĂč la Cour dit explicitement :
« Le principe de la liberté de la mer a pour conséquence que le navire en
haute mer est assimilé au territoire de l'Etat dont il porte le pavillon car,
comme dans le territoire, cet Etat y fait valoir son autorité, et aucun autre
Ătat ne peut y exercer la sienne. (...) Il s'ensuit que ce qui se passe Ă bord
d'un navire en haute mer doit ĂȘtre regardĂ© comme s'Ă©tant passĂ© dans le
territoire de l'Etat dont le navire porte le pavillon ».
60. Shaw, International
Law, 5e Ă©dition, Cambridge, p. 495.
61. Rapport du groupe de
travail sur les formes contemporaines dâesclavage, UN
Doc E/CN.4/Sub.2/1998/14, 6 juillet 1998, rec. 97, et rapport du groupe de
travail sur les formes contemporaines dâesclavage, UN Doc E/CN.4/Sub.2/2004/36,
20 juillet 2004, rec. 19-31.
ARRĂT HIRSI JAMAA ET AUTRES c. ITALIE
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