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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Grande Camera)

23 febbraio 2012, req. n. 27765/09

 

 

 

AFFAIRE HIRSI JAMAA ET AUTRES C. ITALIE

 

ARRÊT

 

STRASBOURG

 

Cet arrĂȘt est dĂ©finitif. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l’affaire Hirsi Jamaa et autres c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme, siĂ©geant en une Grande Chambre composĂ©e de :

Nicolas Bratza, prĂ©sident, 
 Jean-Paul Costa, 
 Françoise Tulkens, 
 Josep Casadevall, 
 Nina Vajić, 
 Dean Spielmann, 
 Peer Lorenzen, 
 Ljiljana Mijović, 
 Dragoljub Popović, 
 Giorgio Malinverni, 
 Mirjana Lazarova Trajkovska, 
 Nona Tsotsoria, 
 IĆŸÄ±l KarakaƟ, 
 Kristina Pardalos, 
 Guido Raimondi, 
 Vincent A. de Gaetano, 
 Paulo Pinto de Albuquerque, juges, 
et de Michael O’Boyle, greffier adjoint,

AprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ© en chambre du conseil le 22 juin 2011 et le 19 janvier 2012,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette derniĂšre date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requĂȘte (no 27765/09) dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et dont onze ressortissants somaliens et treize ressortissants Ă©rythrĂ©ens (« les requĂ©rants Â»), dont les noms et les dates de naissance figurent sur la liste annexĂ©e au prĂ©sent arrĂȘt, ont saisi la Cour le 26 mai 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Les requĂ©rants sont reprĂ©sentĂ©s par Mes A.G. Lana et A. Saccucci, avocats Ă  Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement Â») est reprĂ©sentĂ© par son agente, Mme E. Spatafora, et par sa coagente, Mme S. Coppari.

3.  Les requĂ©rants allĂ©guaient en particulier que leur transfert vers la Libye par les autoritĂ©s italiennes avait violĂ© les articles 3 de la Convention et 4 du Protocole no 4, et ils dĂ©nonçaient l’absence d’un recours conforme Ă  l’article 13 de la Convention, qui leur eĂ»t permis de faire examiner les griefs prĂ©citĂ©s.

4.  La requĂȘte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă  la deuxiĂšme section de la Cour (article 52 § 1 du rĂšglement de la Cour). Le 17 novembre 2009, une chambre de ladite section a dĂ©cidĂ© de communiquer la requĂȘte au Gouvernement. Le 15 fĂ©vrier 2011, la chambre, composĂ©e des juges dont le nom suit : Françoise Tulkens, prĂ©sidente, Ireneu Cabral Barreto, Dragoljub Popović, Nona Tsotsoria, Isil Karakas, Kristina Pardalos, Guido Raimondi, ainsi que de Stanley Naismith, greffier de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y Ă©tant opposĂ©e (articles 30 de la Convention et 72 du rĂšglement).

5.  La composition de la Grande Chambre a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e conformĂ©ment aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du rĂšglement.

6.  Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que la Grande Chambre se prononcerait en mĂȘme temps sur la recevabilitĂ© et le fond de la requĂȘte.

7.  Tant les requĂ©rants que le Gouvernement ont dĂ©posĂ© des observations Ă©crites sur le fond de l’affaire. A l’audience, chacune des parties a rĂ©pondu aux observations de l’autre (article 44 § 5 du rĂšglement). Des observations Ă©crites ont Ă©galement Ă©tĂ© reçues du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les rĂ©fugiĂ©s (HCR), de Human Rights Watch, de la Columbia Law School Human Rights Clinic, du Centre de conseil sur les droits de l’individu en Europe (Centre AIRE), d’Amnesty International ainsi que de la FĂ©dĂ©ration internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), agissant collectivement. Le prĂ©sident de la chambre les avait autorisĂ©s Ă  intervenir en vertu de l’article 36 § 2 de la Convention. Des observations ont Ă©galement Ă©tĂ© reçues du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), que le prĂ©sident de la Cour avait autorisĂ© Ă  intervenir. Le HCR a en outre Ă©tĂ© autorisĂ© Ă  participer Ă  la procĂ©dure orale.

8.  Une audience s’est dĂ©roulĂ©e en public au Palais des droits de l’homme, Ă  Strasbourg, le 22 juin 2011 (article 59 § 3 du rĂšglement).

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement 
Mme S. Coppari, coagente
M. G. Albenzio
avocat de l’État ;

–  pour les requĂ©rants 
Mes A.G. Lana, 
 A. Saccucci, conseils
Mme A.
Sironi, assistante ;

–  pour le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les rĂ©fugiĂ©s, 
tiers intervenant
 
Mme M. Garlick, chef de l’unitĂ© pour la politique gĂ©nĂ©rale 
  et l’appui juridique, Bureau pour l’Europe, conseil 
M. C. Wouters, conseiller principal en droit des rĂ©fugiĂ©s, 
  Division de la protection nationale, 
M. S. Boutruche, conseiller juridique de l’unitĂ© de soutien 
  politique et juridique, Bureau pour l’Europe, conseillers.

La Cour a entendu Mme Coppari, M. Albenzio, Me Lana, Me Saccucci et Mme Garlick en leurs dĂ©clarations ainsi qu’en leurs rĂ©ponses Ă  ses questions.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A.  L’interception et le renvoi des requĂ©rants en Libye

9.  Les requĂ©rants, onze ressortissants somaliens et treize ressortissants Ă©rythrĂ©ens, font partie d’un groupe d’environ deux cents personnes qui quittĂšrent la Libye Ă  bord de trois embarcations dans le but de rejoindre les cĂŽtes italiennes.

10.  Le 6 mai 2009, alors que les embarcations se trouvaient Ă  trente-cinq milles marins au sud de Lampedusa (Agrigente), c’est-Ă -dire Ă  l’intĂ©rieur de la zone maritime de recherche et de sauvetage (« zone de responsabilitĂ© SAR Â») relevant de la compĂ©tence de Malte, ils furent approchĂ©s par trois navires de la garde des finances et des garde-cĂŽtes italiens.

11.  Les occupants des embarcations interceptĂ©es furent transfĂ©rĂ©s sur les navires militaires italiens et reconduits Ă  Tripoli. Les requĂ©rants affirment que pendant le voyage les autoritĂ©s italiennes ne les ont pas informĂ©s de leur vĂ©ritable destination et n’ont effectuĂ© aucune procĂ©dure d’identification.

Tous leurs effets personnels, y compris des documents attestant leur identité, furent confisqués par les militaires.

12.  Une fois arrivĂ©s au port de Tripoli, aprĂšs dix heures de navigation, les migrants furent livrĂ©s aux autoritĂ©s libyennes. Selon la version des faits prĂ©sentĂ©e par les requĂ©rants, ceux-ci s’opposĂšrent Ă  leur remise aux autoritĂ©s libyennes, mais on les obligea par la force Ă  quitter les navires italiens.

13.  Lors d’une confĂ©rence de presse tenue le 7 mai 2009, le ministre de l’IntĂ©rieur italien dĂ©clara que les opĂ©rations d’interception des embarcations en haute mer et de renvoi des migrants en Libye faisaient suite Ă  l’entrĂ©e en vigueur, le 4 fĂ©vrier 2009, d’accords bilatĂ©raux conclus avec la Libye, et constituaient un tournant important dans la lutte contre l’immigration clandestine. Le 25 mai 2009, lors d’une intervention devant le SĂ©nat, le ministre indiqua que, du 6 au 10 mai 2009, plus de 471 migrants clandestins avaient Ă©tĂ© interceptĂ©s en haute mer et transfĂ©rĂ©s vers la Libye conformĂ©ment auxdits accords bilatĂ©raux. AprĂšs avoir expliquĂ© que les opĂ©rations avaient Ă©tĂ© conduites en application du principe de coopĂ©ration entre Etats, le ministre soutint que la politique de renvoi constituait un moyen trĂšs efficace de lutter contre l’immigration clandestine. Ladite politique dĂ©courageait les organisations criminelles liĂ©es au trafic illicite et Ă  la traite des personnes, contribuait Ă  sauver des vies en mer et rĂ©duisait sensiblement les dĂ©barquements de clandestins sur les cĂŽtes italiennes, dĂ©barquements qui en mai 2009 avaient Ă©tĂ© cinq fois moins nombreux qu’en mai 2008, selon le ministre de l’IntĂ©rieur.

14.  Au cours de l’annĂ©e 2009, l’Italie pratiqua neuf interceptions de clandestins en haute mer conformĂ©ment aux accords bilatĂ©raux avec la Libye.

B.  Le sort des requĂ©rants et leurs contacts avec leurs reprĂ©sentants

15.  Selon les informations transmises Ă  la Cour par les reprĂ©sentants des requĂ©rants, deux d’entre eux, M. Mohamed Abukar Mohamed et M. Hasan Shariff Abbirahman (respectivement no 10 et no 11 sur la liste annexĂ©e au prĂ©sent arrĂȘt), sont dĂ©cĂ©dĂ©s aprĂšs les faits dans des circonstances inconnues.

16.  AprĂšs l’introduction de la requĂȘte, les avocats ont pu garder des contacts avec les autres requĂ©rants. Ceux-ci Ă©taient joignables par tĂ©lĂ©phone et par courrier Ă©lectronique.

Entre juin et octobre 2009, quatorze d’entre eux (indiquĂ©s sur la liste) se sont vu accorder le statut de refugiĂ© par le bureau du HCR de Tripoli.

17.  A la suite de la rĂ©volte qui a Ă©clatĂ© en Libye en fĂ©vrier 2011 et qui a poussĂ© un grand nombre de personnes Ă  fuir le pays, la qualitĂ© des contacts entre les requĂ©rants et leurs reprĂ©sentants s’est dĂ©gradĂ©e. Les avocats sont actuellement en contact avec six des requĂ©rants :

–  M. Ermias Berhane (no 20 sur la liste) est parvenu Ă  rejoindre clandestinement les cĂŽtes italiennes. Le 21 juin 2011, la Commission territoriale de Crotone lui a octroyĂ© le statut de rĂ©fugiĂ© ;

–  M. Habtom Tsegay (no 19 sur la liste) se trouve actuellement au camp de Choucha, en Tunisie. Il envisage de rejoindre l’Italie ;

–  M. Kiflom Tesfazion Kidan (no 24 sur la liste) rĂ©side Ă  Malte ;

–  M. Hayelom Mogos Kidane et M. Waldu Habtemchael (respectivement no 23 et no 13 sur la liste) rĂ©sident en Suisse, oĂč ils attendent une rĂ©ponse Ă  leur demande de protection internationale ;

–  M. Roberl Abzighi Yohannes (no 21 sur la liste) rĂ©side au BĂ©nin.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

A.  Le code de la navigation

18.  L’article 4 du code de la navigation du 30 mars 1942, modifiĂ© en 2002, se lit ainsi :

« Les navires italiens en haute mer ainsi que les aĂ©ronefs se trouvant dans un espace non soumis Ă  la souverainetĂ© d’un Etat sont considĂ©rĂ©s comme Ă©tant territoire italien Â».

B  Les accords bilatĂ©raux entre l’Italie et la Libye

19.  Le 29 dĂ©cembre 2007, l’Italie et la Libye signĂšrent Ă  Tripoli un accord bilatĂ©ral de coopĂ©ration pour la lutte contre l’immigration clandestine. Le mĂȘme jour, les deux pays signĂšrent Ă©galement un Protocole additionnel fixant les modalitĂ©s opĂ©rationnelles et techniques de la mise Ă  exĂ©cution dudit accord. L’article 2 de l’accord est ainsi libellĂ© :

[Traduction du greffe]

« L’Italie et la Grande Jamahiriya [arabe libyenne populaire socialiste] s’engagent Ă  organiser des patrouilles maritimes Ă  l’aide de six navires mis Ă  disposition, Ă  titre temporaire, par l’Italie. A bord des navires seront embarquĂ©s des Ă©quipages mixtes, formĂ©s de personnel libyen ainsi que d’agents de police italiens, aux fins de l’entraĂźnement, de la formation et de l’assistance technique pour l’utilisation et la manutention des navires. Les opĂ©rations de contrĂŽle, de recherche et de sauvetage seront conduites dans les lieux de dĂ©part et de transit des embarcations destinĂ©es au transport d’immigrĂ©s clandestins, tant dans les eaux territoriales libyennes que dans les eaux internationales, dans le respect des conventions internationales en vigueur et selon les modalitĂ©s opĂ©rationnelles qui seront dĂ©finies par les autoritĂ©s compĂ©tentes des deux pays. Â»

Par ailleurs, l’Italie s’engageait Ă  cĂ©der Ă  la Libye, pour une pĂ©riode de trois ans, trois navires sans pavillon (article 3 de l’accord) et Ă  promouvoir auprĂšs des organes de l’Union europĂ©enne (UE) la conclusion d’un accord-cadre entre l’UE et la Libye (article 4 de l’accord).

Enfin, selon l’article 7 de l’accord bilatĂ©ral, la Libye s’engageait Ă  « coordonner ses efforts avec ceux des pays d’origine pour la rĂ©duction de l’immigration clandestine et pour le rapatriement des immigrĂ©s Â».

Le 4 fĂ©vrier 2009, l’Italie et la Libye signĂšrent Ă  Tripoli un Protocole additionnel visant au renforcement de la collaboration bilatĂ©rale aux fins de la lutte contre l’immigration clandestine. Ce dernier Protocole modifiait partiellement l’accord du 29 dĂ©cembre 2007, notamment par l’introduction d’un nouvel article, ainsi libellĂ© :

[Traduction du greffe]

« Les deux pays s’engagent Ă  organiser des patrouilles maritimes avec des Ă©quipages communs formĂ©s de personnel italien et de personnel libyen, Ă©quivalents en nombre, expĂ©rience et compĂ©tence. Les patrouilles opĂšrent dans les eaux libyennes et internationales sous la supervision de personnel libyen et avec la participation d’équipages italiens, et dans les eaux italiennes et internationales sous la supervision de personnel italien et avec la participation de personnel libyen.

La propriĂ©tĂ© des navires offerts par l’Italie en vertu de l’article 3 de l’accord du 29 dĂ©cembre 2007 sera cĂ©dĂ©e dĂ©finitivement Ă  la Libye.

Les deux pays s’engagent Ă  rapatrier les immigrĂ©s clandestins et Ă  conclure des accords avec les pays d’origine pour limiter le phĂ©nomĂšne de l’immigration clandestine Â».

20.  Le 30 aoĂ»t 2008, l’Italie et la Libye signĂšrent Ă  Benghazi le TraitĂ© d’amitiĂ©, de partenariat et de coopĂ©ration, qui prĂ©voit en son article 19 des efforts pour la prĂ©vention du phĂ©nomĂšne de l’immigration clandestine dans les pays d’origine des flux migratoires. Aux termes de l’article 6 de ce traitĂ©, l’Italie et la Libye s’engageaient Ă  agir conformĂ©ment aux principes de la Charte des Nations Unies et de la DĂ©claration universelle des droits de l’homme.

21.  D’aprĂšs une dĂ©claration du ministre italien de la DĂ©fense, en date du 26 fĂ©vrier 2011, l’application des accords entre l’Italie et la Libye a Ă©tĂ© suspendue Ă  la suite des Ă©vĂ©nements de 2011.

III.  Ă‰LÉMENTS PERTINENTS DE DROIT INTERNATIONAL ET DE DROIT EUROPÉEN

A.  La Convention de GenĂšve relative au statut des rĂ©fugiĂ©s (1951)

22.  L’Italie est partie Ă  la Convention de GenĂšve de 1951 relative au statut des rĂ©fugiĂ©s (« la Convention de GenĂšve Â»), qui dĂ©finit les modalitĂ©s selon lesquelles un Etat doit accorder le statut de rĂ©fugiĂ© aux personnes qui en font la demande, ainsi que les droits et les devoirs de ces personnes. Les articles 1 et 33 § 1 de ladite Convention disposent :

Article 1

« Aux fins de la prĂ©sente Convention, le terme « rĂ©fugiĂ© Â» s’appliquera Ă  toute personne (...) qui, (...) craignant avec raison d’ĂȘtre persĂ©cutĂ©e du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalitĂ©, de son appartenance Ă  un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalitĂ© et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se rĂ©clamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalitĂ© et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa rĂ©sidence habituelle Ă  la suite de tels Ă©vĂ©nements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. Â»

Article 33 § 1

« Aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque maniĂšre que ce soit, un rĂ©fugiĂ© sur les frontiĂšres des territoires oĂč sa vie ou sa libertĂ© serait menacĂ©e en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalitĂ©, de son appartenance Ă  un certain groupe social ou de ses opinions politiques Â».

23.  Dans sa note sur la protection internationale du 13 septembre 2001 (A/AC.96/951, § 16), le HCR, qui a pour mandat de veiller Ă  la maniĂšre dont les Etats parties appliquent la Convention de GenĂšve, a indiquĂ© que le principe Ă©noncĂ© Ă  l’article 33, dit du « non-refoulement Â», Ă©tait :

« un principe de protection cardinal ne tolĂ©rant aucune rĂ©serve. A bien des Ă©gards, ce principe est le complĂ©ment logique du droit de chercher asile reconnu dans la DĂ©claration universelle des droits de l’homme. Ce droit en est venu Ă  ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une rĂšgle de droit international coutumier liant tous les Etats. En outre, le droit international des droits de l’homme a Ă©tabli le non-refoulement comme un Ă©lĂ©ment fondamental de l’interdiction absolue de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dĂ©gradants. L’obligation de ne pas refouler est Ă©galement reconnue comme s’appliquant aux rĂ©fugiĂ©s indĂ©pendamment de leur reconnaissance officielle, ce qui inclut de toute Ă©vidence les demandeurs d’asile dont le statut n’a pas encore Ă©tĂ© dĂ©terminĂ©. Elle couvre toute mesure attribuable Ă  un Etat qui pourrait avoir pour effet de renvoyer un demandeur d’asile ou un rĂ©fugiĂ© vers les frontiĂšres d’un territoire oĂč sa vie ou sa libertĂ© seraient menacĂ©es, et oĂč il risquerait une persĂ©cution. Cela inclut le rejet aux frontiĂšres, l’interception et le refoulement indirect, qu’il s’agisse d’un individu en quĂȘte d’asile ou d’un afflux massif. Â»

B.  La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (« Convention de Montego Bay Â») (1982)

24.  Les articles pertinents de la Convention de Montego Bay sont ainsi libellĂ©s :

Article 92 
Condition juridique des navires

« 1.  Les navires naviguent sous le pavillon d’un seul Etat et sont soumis, sauf dans les cas exceptionnels expressĂ©ment prĂ©vus par des traitĂ©s internationaux ou par la Convention, Ă  sa juridiction exclusive en haute mer (...). Â»

Article 94 
Obligations de l’Etat du pavillon

« 1.  Tout Etat exerce effectivement sa juridiction et son contrĂŽle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon.

(...) Â»

Article 98 
Obligation de prĂȘter assistance

« 1.  Tout Etat exige du capitaine d’un navire battant son pavillon que, pour autant que cela lui est possible sans faire courir de risques graves au navire, Ă  l’équipage ou aux passagers :

a)  il prĂȘte assistance Ă  quiconque est trouvĂ© en pĂ©ril en mer ;

b)  il se porte aussi vite que possible au secours des personnes en dĂ©tresse s’il est informĂ© qu’elles ont besoin d’assistance, dans la mesure oĂč l’on peut raisonnablement s’attendre qu’il agisse de la sorte ;

(...) Â»

C.  La Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (« Convention SAR Â») (1979, modifiĂ©e en 2004)

25.  Le point 3.1.9 de la Convention SAR dispose :

« Les Parties doivent assurer la coordination et la coopĂ©ration nĂ©cessaires pour que les capitaines de navires qui prĂȘtent assistance en embarquant des personnes en dĂ©tresse en mer soient dĂ©gagĂ©s de leurs obligations et s’écartent le moins possible de la route prĂ©vue, sans que le fait de les dĂ©gager de ces obligations ne compromette davantage la sauvegarde de la vie humaine en mer. La Partie responsable de la rĂ©gion de recherche et de sauvetage dans laquelle une assistance est prĂȘtĂ©e assume au premier chef la responsabilitĂ© de veiller Ă  ce que cette coordination et cette coopĂ©ration soient assurĂ©es, afin que les survivants secourus soient dĂ©barquĂ©s du navire qui les a recueillis et conduits en lieu sĂ»r, compte tenu de la situation particuliĂšre et des directives Ă©laborĂ©es par l’Organisation (Maritime Internationale). Dans ces cas, les Parties intĂ©ressĂ©es doivent prendre les dispositions nĂ©cessaires pour que ce dĂ©barquement ait lieu dans les meilleurs dĂ©lais raisonnablement possibles. Â»

D.  Le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel Ă  la Convention des Nations Unies contre la criminalitĂ© transnationale organisĂ©e (« Protocole de Palerme Â») (2000)

26.  L’article 19 § 1 du Protocole de Palerme est libellĂ© comme suit :

« Aucune disposition du prĂ©sent Protocole n’a d’incidences sur les autres droits, obligations et responsabilitĂ©s des Etats et des particuliers en vertu du droit international, y compris du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme et en particulier, lorsqu’ils s’appliquent, de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des rĂ©fugiĂ©s ainsi que du principe de non-refoulement qui y est Ă©noncĂ©. Â»

E.  La RĂ©solution 1821 (2011) de l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe

27.  Le 21 juin 2011, l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe a adoptĂ© la RĂ©solution sur l’interception et le sauvetage en mer de demandeurs d’asile, de rĂ©fugiĂ©s et de migrants en situation irrĂ©guliĂšre, qui se lit ainsi :

« 1.  La surveillance des frontiĂšres mĂ©ridionales de l’Europe est devenue une prioritĂ© rĂ©gionale. Le continent europĂ©en doit en effet faire face Ă  l’arrivĂ©e relativement importante de flux migratoires par la mer en provenance d’Afrique et arrivant en Europe principalement via l’Italie, Malte, l’Espagne, la GrĂšce et Chypre.

2.  Des migrants, des rĂ©fugiĂ©s, des demandeurs d’asile et d’autres personnes mettent leur vie en pĂ©ril pour rejoindre les frontiĂšres mĂ©ridionales de l’Europe, gĂ©nĂ©ralement dans des embarcations de fortune. Ces voyages, toujours effectuĂ©s par des moyens irrĂ©guliers et la plupart Ă  bord de navires sans pavillon, au risque de tomber entre les mains de rĂ©seaux de trafic illicite de migrants et de traite des ĂȘtres humains, sont l’expression de la dĂ©tresse des personnes embarquĂ©es qui n’ont pas de moyen rĂ©gulier et en tout cas pas de moyen moins risquĂ© de gagner l’Europe.

3.  MĂȘme si le nombre d’arrivĂ©es par mer a drastiquement diminuĂ© ces derniĂšres annĂ©es, avec pour effet de dĂ©placer les routes migratoires (notamment vers la frontiĂšre terrestre entre la Turquie et la GrĂšce), l’AssemblĂ©e parlementaire, rappelant notamment sa RĂ©solution 1637 (2008) « Les boat people en Europe : arrivĂ©e par mer de flux migratoires mixtes en Europe Â», exprime Ă  nouveau ses vives prĂ©occupations concernant les mesures prises pour gĂ©rer l’arrivĂ©e par mer de ces flux migratoires mixtes. De nombreuses personnes en dĂ©tresse en mer ont Ă©tĂ© sauvĂ©es et de nombreuses personnes tentant de rejoindre l’Europe ont Ă©tĂ© renvoyĂ©es, mais la liste des incidents mortels – aussi tragiques que prĂ©visibles – est longue et elle augmente actuellement presque chaque jour.

4.  Par ailleurs, les rĂ©centes arrivĂ©es en Italie et Ă  Malte survenues suite aux bouleversements en Afrique du Nord confirment la nĂ©cessitĂ© pour l’Europe d’ĂȘtre prĂȘte Ă  affronter, Ă  tout moment, l’arrivĂ©e massive de migrants irrĂ©guliers, demandeurs d’asile et rĂ©fugiĂ©s sur ses cĂŽtes mĂ©ridionales.

5.  L’AssemblĂ©e constate que la gestion de ces arrivĂ©es par mer soulĂšve de nombreux problĂšmes, parmi lesquels cinq sont particuliĂšrement inquiĂ©tants :

5.1.  Alors que plusieurs instruments internationaux pertinents s’appliquent en la matiĂšre et Ă©noncent de maniĂšre satisfaisante les droits et les obligations des Etats et des individus, il semble y avoir des divergences dans l’interprĂ©tation de leur contenu. Certains Etats ne sont pas d’accord sur la nature et l’étendue de leurs responsabilitĂ©s dans certains cas et certains Etats remettent Ă©galement en question l’application du principe de non-refoulement en haute mer ;

5.2.  Bien que la prioritĂ© absolue en cas d’interception en mer soit d’assurer le dĂ©barquement rapide des personnes secourues en « lieu sĂ»r Â», la notion de « lieu sĂ»r Â» ne semble pas ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de la mĂȘme maniĂšre par tous les Etats membres. Or, il est clair que la notion de « lieu sĂ»r Â» ne saurait se limiter Ă  la seule protection physique des personnes mais qu’elle englobe nĂ©cessairement le respect de leurs droits fondamentaux ;

5.3.  Ces dĂ©saccords mettent directement en pĂ©ril la vie des personnes Ă  secourir, notamment en retardant ou en empĂȘchant les actions de sauvetage, et sont susceptibles de dissuader les marins de venir au secours des personnes en dĂ©tresse en mer. De plus, ils pourraient avoir pour consĂ©quence la violation du principe de non-refoulement Ă  l’égard d’un nombre important de personnes, y compris Ă  l’égard de personnes ayant besoin de protection internationale ;

5.4.  Alors que l’Agence europĂ©enne pour la gestion de la coopĂ©ration opĂ©rationnelle aux frontiĂšres extĂ©rieures des Etats membres de l’Union europĂ©enne (Frontex) joue un rĂŽle de plus en plus grand en matiĂšre d’interception en mer, les garanties du respect des droits de l’homme et des obligations relevant du droit international et du droit communautaire dans le contexte des opĂ©rations conjointes qu’elle coordonne sont insuffisantes ;

5.5.  Enfin, ces arrivĂ©es par la mer font peser une charge disproportionnĂ©e sur les Etats situĂ©s aux frontiĂšres mĂ©ridionales de l’Union europĂ©enne. Le but d’un partage plus Ă©quitable des responsabilitĂ©s et d’une plus grande solidaritĂ© en matiĂšre de migration entre les Etats europĂ©ens est loin d’ĂȘtre atteint.

6.  La situation est compliquĂ©e par le fait que les flux migratoires concernĂ©s sont Ă  caractĂšre mixte et qu’ils demandent donc des rĂ©ponses spĂ©cialisĂ©es prenant en compte les besoins de protection et adaptĂ©es au statut des personnes secourues. Pour apporter aux arrivĂ©es par mer une rĂ©ponse adĂ©quate et conforme aux normes internationales pertinentes, les Etats doivent tenir compte de cet Ă©lĂ©ment dans leurs politiques et activitĂ©s de gestion des migrations.

7.  L’AssemblĂ©e rappelle aux Etats membres leurs obligations relevant du droit international, notamment aux termes de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 et de la Convention de GenĂšve de 1951 relative au statut des rĂ©fugiĂ©s, en particulier le principe de non-refoulement et le droit de demander l’asile. L’AssemblĂ©e rappelle Ă©galement les obligations des Etats Parties Ă  la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer de 1974 et Ă  la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes.

8.  Enfin et surtout, l’AssemblĂ©e rappelle aux Etats membres qu’ils ont l’obligation tant morale que lĂ©gale de secourir les personnes en dĂ©tresse en mer sans le moindre dĂ©lai et rĂ©affirme sans ambiguĂŻtĂ© l’interprĂ©tation faite par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les rĂ©fugiĂ©s (HCR) selon lequel le principe de non-refoulement s’applique Ă©galement en haute mer. La haute mer n’est pas une zone dans laquelle les Etats sont exempts de leurs obligations juridiques, y compris de leurs obligations issues du droit international des droits de l’homme et du droit international des rĂ©fugiĂ©s.

9.  L’AssemblĂ©e appelle donc les Etats membres, dans la conduite des activitĂ©s de surveillance des frontiĂšres maritimes, que ce soit dans le contexte de la prĂ©vention du trafic illicite et de la traite des ĂȘtres humains ou dans celui de la gestion des frontiĂšres, qu’ils exercent leur juridiction de droit ou de fait :

9.1.  Ă  rĂ©pondre sans exception et sans dĂ©lai Ă  leur obligation de secourir les personnes en dĂ©tresse en mer ;

9.2.  Ă  veiller Ă  ce que leurs politiques et activitĂ©s relatives Ă  la gestion de leurs frontiĂšres, y compris les mesures d’interception, reconnaissent la composition mixte des flux de personnes tentant de franchir les frontiĂšres maritimes ;

9.3.  Ă  garantir Ă  toutes les personnes interceptĂ©es un traitement humain et le respect systĂ©matique de leurs droits de l’homme, y compris du principe de non-refoulement, indĂ©pendamment du fait que les mesures d’interception soient mises en Ɠuvre dans leurs propres eaux territoriales, dans celles d’un autre Etat sur la base d’un accord bilatĂ©ral ad hoc, ou en haute mer ;

9.4.  Ă  s’abstenir de recourir Ă  toute pratique pouvant s’apparenter Ă  un refoulement direct ou indirect, y compris en haute mer, en respect de l’interprĂ©tation de l’application extraterritoriale de ce principe faite par le HCR et des arrĂȘts pertinents de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme ;

9.5.  Ă  assurer en prioritĂ© le dĂ©barquement rapide des personnes secourues en « lieu sĂ»r Â» et Ă  considĂ©rer comme « lieu sĂ»r Â» un lieu susceptible de rĂ©pondre aux besoins immĂ©diats des personnes dĂ©barquĂ©es, qui ne mette nullement en pĂ©ril leurs droits fondamentaux ; la notion de « sĂ»retĂ© Â» allant au-delĂ  de la simple protection du danger physique et prenant Ă©galement en compte la perspective des droits fondamentaux du lieu de dĂ©barquement proposĂ© ;

9.6.  Ă  garantir aux personnes interceptĂ©es ayant besoin d’une protection internationale l’accĂšs Ă  une procĂ©dure d’asile juste et efficace ;

9.7.  Ă  garantir aux personnes interceptĂ©es victimes de la traite des ĂȘtres humains ou risquant de le devenir, l’accĂšs Ă  une protection et une assistance, y compris de procĂ©dures d’asile ;

9.8.  Ă  veiller Ă  ce que le placement en rĂ©tention de personnes interceptĂ©es – en excluant systĂ©matiquement les mineurs et les groupes vulnĂ©rables – indĂ©pendamment de leur statut, soit autorisĂ© par les autoritĂ©s judiciaires et qu’il n’ait lieu qu’en cas de nĂ©cessitĂ© et pour des motifs prescrits par la loi, en l’absence de toute autre alternative appropriĂ©e et dans le respect des normes minimales et des principes dĂ©finis dans la RĂ©solution 1707 (2010) de l’AssemblĂ©e sur la rĂ©tention administrative des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrĂ©guliĂšre en Europe ;

9.9.  Ă  suspendre les accords bilatĂ©raux qu’ils peuvent avoir passĂ©s avec des Etats tiers si les droits fondamentaux de personnes interceptĂ©es n’y sont pas garantis adĂ©quatement, notamment leur droit d’accĂšs Ă  une procĂ©dure d’asile, et dĂšs lors qu’ils peuvent s’apparenter Ă  une violation du principe de non-refoulement, et Ă  conclure de nouveaux accords bilatĂ©raux contenant expressĂ©ment de telles garanties en matiĂšre de droits de l’homme et des mesures en vue de leur contrĂŽle rĂ©gulier et effectif ;

9.10.  Ă  signer et ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, les instruments internationaux pertinents susmentionnĂ©s et Ă  tenir compte des Directives de l’Organisation maritime internationale (OMI) sur le traitement des personnes secourues en mer ;

9.11.  Ă  signer et ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des ĂȘtres humains (STCE no 197) et les Protocoles dits « de Palerme Â» Ă  la Convention des Nations Unies contre la criminalitĂ© transnationale organisĂ©e (2000) ;

9.12.  Ă  veiller Ă  ce que les opĂ©rations de surveillance aux frontiĂšres maritimes et les mesures de contrĂŽle aux frontiĂšres n’entravent pas la protection spĂ©cifique accordĂ©e au titre du droit international aux catĂ©gories vulnĂ©rables telles que les rĂ©fugiĂ©s, les personnes apatrides, les enfants non accompagnĂ©s et les femmes, les migrants, les victimes de la traite ou les personnes risquant de le devenir, ainsi que les victimes de tortures et de traumatismes.

10.  L’AssemblĂ©e est inquiĂšte de l’absence de clartĂ© en ce qui concerne les responsabilitĂ©s respectives des Etats membres de l’Union europĂ©enne et de Frontex et du manque de garanties adĂ©quates du respect des droits fondamentaux et des normes internationales dans le cadre des opĂ©rations conjointes coordonnĂ©es par cette agence. Alors que l’AssemblĂ©e se fĂ©licite des propositions prĂ©sentĂ©es par la Commission europĂ©enne pour modifier le rĂšglement de cette agence afin de renforcer les garanties du plein respect des droits fondamentaux, elle les juge insuffisantes et souhaiterait que le Parlement europĂ©en soit chargĂ© du contrĂŽle dĂ©mocratique des activitĂ©s de cette agence, notamment eu Ă©gard au respect des droits fondamentaux.

11.  L’AssemblĂ©e considĂšre Ă©galement qu’il est essentiel que des efforts soient entrepris pour remĂ©dier aux causes premiĂšres qui poussent des personnes dĂ©sespĂ©rĂ©es Ă  s’embarquer en direction de l’Europe au pĂ©ril de leur vie. L’AssemblĂ©e appelle tous les Etats membres Ă  renforcer leurs efforts en faveur de la paix, de l’Etat de droit et de la prospĂ©ritĂ© dans les pays d’origine des candidats Ă  l’immigration et des demandeurs d’asile.

12.  Enfin, Ă©tant donnĂ© les sĂ©rieux dĂ©fis posĂ©s aux Etats cĂŽtiers par l’arrivĂ©e irrĂ©guliĂšre par mer de flux mixtes de personnes, l’AssemblĂ©e appelle la communautĂ© internationale, en particulier l’OMI, le HRC, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Conseil de l’Europe et l’Union europĂ©enne (y compris Frontex et le Bureau europĂ©en d’appui en matiĂšre d’asile) :

12.1.  Ă  fournir toute l’assistance requise Ă  ces Etats dans un esprit de solidaritĂ© et de partage des responsabilitĂ©s ;

12.2.  sous l’égide de l’OMI, Ă  dĂ©ployer des efforts concertĂ©s afin de garantir une approche cohĂ©rente et harmonisĂ©e du droit maritime international, au moyen, notamment, d’un consensus sur la dĂ©finition et le contenu des principaux termes et normes ;

12.3.  Ă  mettre en place un groupe inter-agences chargĂ© d’étudier et de rĂ©soudre les problĂšmes principaux en matiĂšre d’interception en mer, y compris les cinq problĂšmes identifiĂ©s dans cette rĂ©solution, de fixer des prioritĂ©s politiques prĂ©cises, de conseiller les Etats et autres acteurs concernĂ©s et de contrĂŽler et Ă©valuer la mise en Ɠuvre des mesures d’interception en mer. Le groupe devrait ĂȘtre composĂ© de membres de l’OMI, du HCR, de l’OIM, du Conseil de l’Europe, de Frontex et du Bureau europĂ©en d’appui en matiĂšre d’asile. Â»

F.  Le droit de l’Union europĂ©enne

1.  La Charte des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne (2000)

28.  L’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne dispose :

Protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition

« 1.  Les expulsions collectives sont interdites.

2.  Nul ne peut ĂȘtre Ă©loignĂ©, expulsĂ© ou extradĂ© vers un Etat oĂč il existe un risque sĂ©rieux qu’il soit soumis Ă  la peine de mort, Ă  la torture ou Ă  d’autres peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. Â»

2.  L’Accord de Schengen (1985)

29.  L’article 17 de l’Accord de Schengen est ainsi libellĂ© :

« En matiĂšre de circulation des personnes, les Parties chercheront Ă  supprimer les contrĂŽles aux frontiĂšres communes et Ă  les transfĂ©rer Ă  leurs frontiĂšres externes. A cette fin, elles s’efforceront prĂ©alablement d’harmoniser, si besoin est, les dispositions lĂ©gislatives et rĂ©glementaires relatives aux interdictions et restrictions qui fondent les contrĂŽles et de prendre des mesures complĂ©mentaires pour la sauvegarde de la sĂ©curitĂ© et pour faire obstacle Ă  l’immigration illĂ©gale de ressortissants d’Etats non membres des CommunautĂ©s europĂ©ennes. Â»

3.  Le RĂšglement (CE) no 2007/2004 du Conseil du 26 octobre 2004 portant crĂ©ation d’une Agence europĂ©enne pour la gestion de la coopĂ©ration opĂ©rationnelle aux frontiĂšres extĂ©rieures des Etats membres de l’Union europĂ©enne (FRONTEX)

30.  Le RĂšglement (CE) no 2007/2004 contient les dispositions suivantes :

« 1)  La politique communautaire relative aux frontiĂšres extĂ©rieures de l’Union europĂ©enne vise Ă  mettre en place une gestion intĂ©grĂ©e garantissant un niveau Ă©levĂ© et uniforme de contrĂŽle et de surveillance qui constitue le corollaire indispensable de la libre circulation des personnes dans l’Union europĂ©enne et un Ă©lĂ©ment dĂ©terminant de l’espace de libertĂ©, de sĂ©curitĂ© et de justice. A cette fin, il est prĂ©vu d’établir des rĂšgles communes relatives aux normes et aux procĂ©dures de contrĂŽle aux frontiĂšres extĂ©rieures.

2)  Pour mettre efficacement en Ɠuvre les rĂšgles communes, il importe d’accroĂźtre la coordination de la coopĂ©ration opĂ©rationnelle entre Etats membres.

3)  En tenant compte de l’expĂ©rience de l’instance commune de praticiens des frontiĂšres extĂ©rieures opĂ©rant au sein du Conseil, un organisme d’experts spĂ©cialisĂ© chargĂ© d’amĂ©liorer la coordination de la coopĂ©ration opĂ©rationnelle entre Etats membres en matiĂšre de gestion des frontiĂšres extĂ©rieures devrait ĂȘtre crĂ©Ă© sous la forme d’une Agence europĂ©enne de gestion de la coopĂ©ration opĂ©rationnelle aux frontiĂšres extĂ©rieures des Etats membres de l’Union europĂ©enne, ci-aprĂšs dĂ©nommĂ©e « l’Agence Â».

4)  La responsabilitĂ© du contrĂŽle et de la surveillance des frontiĂšres extĂ©rieures incombe aux Etats membres. L’Agence vise Ă  faciliter l’application des mesures communautaires existantes ou futures relatives Ă  la gestion des frontiĂšres extĂ©rieures en assurant la coordination des dispositions d’exĂ©cution correspondantes prises par les Etats membres.

5)  Il est de la plus haute importance pour les Etats membres qu’un contrĂŽle et une surveillance effectifs des frontiĂšres extĂ©rieures soient assurĂ©s, indĂ©pendamment de leur situation gĂ©ographique. En consĂ©quence, il est nĂ©cessaire de promouvoir la solidaritĂ© entre les Etats membres dans le domaine de la gestion des frontiĂšres extĂ©rieures. La crĂ©ation de l’Agence, qui assiste les Etats membres dans la mise en Ɠuvre opĂ©rationnelle de la gestion de leurs frontiĂšres extĂ©rieures, notamment du retour des ressortissants de pays tiers en sĂ©jour irrĂ©gulier sur leur territoire, constitue une avancĂ©e importante dans ce sens. Â»

4.  Le RĂšglement (CE) no 562/2006 du Parlement europĂ©en et du Conseil du 15 mars 2006 Ă©tablissant un code communautaire relatif au rĂ©gime de franchissement des frontiĂšres par les personnes (code frontiĂšres Schengen)

31.  L’article 3 du RĂšglement (CE) no 562/2006 dispose :

« Le prĂ©sent rĂšglement s’applique Ă  toute personne franchissant la frontiĂšre intĂ©rieure ou extĂ©rieure d’un Etat membre, sans prĂ©judice :

a)  des droits des personnes jouissant du droit communautaire Ă  la libre circulation ;

b)  des droits des rĂ©fugiĂ©s et des personnes demandant une protection internationale, notamment en ce qui concerne le non-refoulement. Â»

5.  La DĂ©cision du Conseil du 26 avril 2010 visant Ă  complĂ©ter le code frontiĂšres Schengen en ce qui concerne la surveillance des frontiĂšres extĂ©rieures maritimes dans le cadre de la coopĂ©ration opĂ©rationnelle coordonnĂ©e par l’Agence europĂ©enne pour la gestion de la coopĂ©ration opĂ©rationnelle aux frontiĂšres extĂ©rieures des Etats membres de l’Union europĂ©enne (2010/252/UE)

32.  La DĂ©cision du Conseil du 26 avril 2010 prĂ©cise en son annexe :

« RĂšgles applicables aux opĂ©rations aux frontiĂšres maritimes coordonnĂ©es par [l’Agence FRONTEX] :

1.  Principes gĂ©nĂ©raux

1.1.  Les mesures prises aux fins d’une opĂ©ration de surveillance sont exĂ©cutĂ©es dans le respect des droits fondamentaux et de façon Ă  ne pas mettre en danger la sĂ©curitĂ© des personnes interceptĂ©es ou secourues ni celle des unitĂ©s participantes.

1.2.  Nul n’est dĂ©barquĂ© dans un pays ni livrĂ© aux autoritĂ©s de celui-ci en violation du principe de non-refoulement ou s’il existe un risque de refoulement ou de renvoi vers un autre pays en violation de ce principe. Sans prĂ©judice du point 1.1, les personnes interceptĂ©es ou secourues sont informĂ©es de maniĂšre adĂ©quate afin qu’elles puissent expliquer les raisons pour lesquelles un dĂ©barquement Ă  l’endroit proposĂ© serait contraire au principe de non-refoulement.

1.3.  Il est tenu compte, pendant toute la durĂ©e de l’opĂ©ration, des besoins spĂ©cifiques des enfants, des victimes de la traite des ĂȘtres humains, des personnes ayant besoin d’une assistance mĂ©dicale urgente ou d’une protection internationale et des autres personnes se trouvant dans une situation particuliĂšrement vulnĂ©rable.

1.4.  Les Etats membres veillent Ă  ce que les gardes-frontiĂšres participant Ă  l’opĂ©ration de surveillance aient reçu une formation au sujet des dispositions applicables en matiĂšre de droits de l’homme et de droit des rĂ©fugiĂ©s et Ă  ce qu’ils soient familiarisĂ©s avec le rĂ©gime international de recherche et de sauvetage. Â»

IV.  DOCUMENTS INTERNATIONAUX CONCERNANT LES INTERCEPTIONS EN HAUTE MER PRATIQUÉES PAR L’ITALIE ET LA SITUATION EN LIBYE

A.  Le communiquĂ© de presse du Haut Commissaire des Nations Unies pour les rĂ©fugiĂ©s

33.  Le 7 mai 2009, le HCR publia un communiquĂ© de presse ainsi libellĂ© :

« Le HCR a exprimĂ© sa vive prĂ©occupation jeudi concernant le sort de quelque 230 personnes secourues en mer mercredi par des vedettes italiennes de patrouille maritime dans la rĂ©gion de recherche et de sauvetage relevant de la compĂ©tence des autoritĂ©s maltaises. Toutes ces personnes ont Ă©tĂ© renvoyĂ©es en Libye sans une Ă©valuation appropriĂ©e de leurs Ă©ventuels besoins de protection. Le sauvetage est survenu Ă  une distance d’environ 35 milles nautiques au sud-est de l’üle de Lampedusa, toutefois Ă  l’intĂ©rieur de la zone de recherche et de sauvetage relevant de la compĂ©tence des autoritĂ©s maltaises.

Le renvoi en Libye s’est fait suite Ă  une journĂ©e de discussions tendues entre les autoritĂ©s maltaises et italiennes concernant l’attribution de la responsabilitĂ© du sauvetage et du dĂ©barquement des personnes en dĂ©tresse qui se trouvaient Ă  bord des trois bateaux. Bien que se trouvant plus prĂšs de Lampedusa, les navires croisaient dans la zone de recherche et de sauvetage relevant de la compĂ©tence des autoritĂ©s maltaises.

Alors qu’aucune information n’est disponible sur les nationalitĂ©s des personnes qui se trouvaient Ă  bord des vedettes, il est probable que, parmi elles, se trouvaient des personnes ayant besoin d’une protection internationale. En 2008, environ 75 % des personnes arrivĂ©es par la mer en Italie ont dĂ©posĂ© une demande d’asile et 50 % d’entre elles se sont vu octroyer le statut de rĂ©fugiĂ© ou une protection pour d’autres raisons humanitaires.

« J’appelle les autoritĂ©s italiennes et maltaises Ă  continuer d’assurer que les personnes secourues en mer et ayant besoin de protection internationale bĂ©nĂ©ficient d’un accĂšs sans entrave au territoire et aux procĂ©dures d’asile Â», a indiquĂ© le Haut Commissaire AntĂłnio Guterres.

Cet incident marque un revirement significatif dans les politiques jusqu’alors appliquĂ©es par le gouvernement italien et c’est un motif de trĂšs sĂ©rieuse inquiĂ©tude. Le HCR regrette vivement le manque de transparence qui a entourĂ© cet Ă©vĂ©nement.

« Nous travaillons Ă©troitement avec les autoritĂ©s italiennes Ă  Lampedusa et ailleurs pour garantir que les personnes fuyant la guerre et les persĂ©cutions soient protĂ©gĂ©es dans le respect de la Convention de 1951 relative au statut des rĂ©fugiĂ©s, adoptĂ©e Ă  GenĂšve Â», a ajoutĂ© Laurens Jolles, le dĂ©lĂ©guĂ© du HCR Ă  Rome. « Il est d’une importance fondamentale que le principe du droit international sur le non-refoulement continue Ă  ĂȘtre pleinement respectĂ© Â».

De plus, la Libye n’est pas signataire de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des rĂ©fugiĂ©s et ce pays ne dispose pas d’un systĂšme national d’asile opĂ©rationnel. Le HCR lance un appel pressant aux autoritĂ©s italiennes pour qu’elles rĂ©examinent leur dĂ©cision et qu’elles veillent Ă  ne pas mettre en Ɠuvre de telles mesures Ă  l’avenir. Â»

B.  La lettre de M. Jacques Barrot, vice-prĂ©sident de la Commission europĂ©enne, en date du 15 juillet 2009

34.  Le 15 juillet 2009, M. Jacques Barrot adressa une lettre au prĂ©sident de la Commission des libertĂ©s civiles, de la justice et des affaires intĂ©rieures du Parlement europĂ©en, en rĂ©ponse Ă  une demande d’avis juridique sur la « reconduite en Libye de plusieurs groupes de migrants par les autoritĂ©s italiennes par voie maritime Â». Dans cette lettre, le vice-prĂ©sident de la Commission europĂ©enne s’exprimait ainsi :

« Selon les informations dont la Commission dispose, les migrants concernĂ©s ont Ă©tĂ© interceptĂ©s en haute mer.

Deux ensembles de rĂšgles communautaires doivent ĂȘtre examinĂ©s concernant la situation de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides qui entendent entrer, d’une maniĂšre irrĂ©guliĂšre, sur le territoire des Etats membres et dont une partie d’entre eux pourraient avoir besoin d’une protection internationale.

PremiĂšrement, l’acquis communautaire en matiĂšre d’asile vise Ă  sauvegarder le droit d’asile, tel qu’énoncĂ© dans l’article 18 de la Charte des Droits fondamentaux de l’UE, et en conformitĂ© avec la Convention de GenĂšve de 1951 concernant le statut des rĂ©fugiĂ©s et avec les autres traitĂ©s pertinents. Cependant cet acquis, y compris la directive sur les procĂ©dures d’asile de 2005, s’applique uniquement aux demandes d’asile faites sur le territoire des Etats membres, qui comprend les frontiĂšres, les zones de transit ainsi que, dans le cadre des frontiĂšres maritimes, les eaux territoriales des Etats membres. En consĂ©quence, il est clair juridiquement que l’acquis communautaire en matiĂšre d’asile ne s’applique pas dans les situations en haute mer.

DeuxiĂšmement, le Code des FrontiĂšres Schengen (CFS) exige que les Etats membres assurent la surveillance frontaliĂšre pour empĂȘcher entre autres le passage des frontiĂšres non autorisĂ© (article 12 du rĂšglement (СЕ) no 562/2006 (CFS)). NĂ©anmoins, cette obligation communautaire doit ĂȘtre mise en Ɠuvre en conformitĂ© avec le principe de non-refoulement et sans prĂ©judice des droits des rĂ©fugiĂ©s et des personnes demandant la protection internationale.

La Commission est d’avis que les activitĂ©s de surveillance des frontiĂšres effectuĂ©es en mer, que ce soit dans les eaux territoriales, la zone contiguĂ«, la zone Ă©conomique exclusive ou en haute mer, tombent sous le champ d’application du CFS. A cet Ă©gard, notre analyse prĂ©liminaire juridique permet de supposer que les actes des gardes frontiĂšres italiens correspondent Ă  la notion de « surveillance de frontiĂšres Â», comme Ă©noncĂ© Ă  l’article 12 du CFS, puisqu’ils ont empĂȘchĂ© le passage non autorisĂ© de la frontiĂšre extĂ©rieure maritime par les personnes concernĂ©es et ont abouti Ă  leur reconduite dans le pays tiers de dĂ©part. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de Justice europĂ©enne que les obligations communautaires doivent ĂȘtre appliquĂ©es dans le strict respect des droits fondamentaux faisant partie des principes gĂ©nĂ©raux de droit communautaire. La Cour a Ă©galement clarifiĂ© que le champ d’application de ces droits dans l’ordre juridique communautaire doit ĂȘtre dĂ©terminĂ© en prenant en considĂ©ration la jurisprudence de la Cour europĂ©enne des Droits de l’Homme (CEDH).

Le principe de non-refoulement, tel qu’interprĂ©tĂ© par la CEDH, signifie essentiellement que les Etats doivent s’abstenir de renvoyer une personne (directement ou indirectement) lĂ  oĂč elle pourrait courir un risque rĂ©el de soumission Ă  la torture ou Ă  des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. En outre les Etats ne peuvent renvoyer des rĂ©fugiĂ©s aux frontiĂšres des territoires dans lesquels leur vie ou leur libertĂ© serait menacĂ©e Ă  cause de leur race, de leur religion, de leur nationalitĂ©, de leur affiliation Ă  un groupe social particulier ou de leur opinion politique. Cette obligation devrait ĂȘtre respectĂ©e lors de la mise en Ɠuvre du contrĂŽle aux frontiĂšres conformĂ©ment au CFS, y compris les activitĂ©s de surveillance des frontiĂšres en haute mer. La jurisprudence de la CEDH indique que les actes exĂ©cutĂ©s en haute mer par un navire d’Etat constituent un cas de compĂ©tence extraterritoriale et peuvent engager la responsabilitĂ© de l’Etat concernĂ©.

Compte tenu de ce qui prĂ©cĂšde concernant le champ des compĂ©tences communautaires, la Commission a invitĂ© les autoritĂ©s italiennes Ă  lui fournir des informations supplĂ©mentaires concernant les circonstances de fait de la reconduction des personnes concernĂ©es en Libye et les dispositions en place pour assurer la conformitĂ© avec le principe de non-refoulement lors de la mise en Ɠuvre de l’accord bilatĂ©ral entre les deux pays. Â»

C.  Le rapport du ComitĂ© pour la prĂ©vention de la torture du Conseil de l’Europe

35.  Du 27 au 31 juillet 2009, une dĂ©lĂ©gation du ComitĂ© pour la prĂ©vention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants (CPT) du Conseil de l’Europe a effectuĂ© une visite en Italie. A cette occasion, la dĂ©lĂ©gation a examinĂ© diverses questions ayant trait Ă  la nouvelle politique gouvernementale d’interception en mer et de renvoi en Libye de migrants irrĂ©guliers s’approchant des cĂŽtes mĂ©ridionales italiennes. La dĂ©lĂ©gation s’est concentrĂ©e notamment sur le systĂšme de garanties en place permettant de ne pas renvoyer une personne vers un pays oĂč il y a des motifs sĂ©rieux de croire qu’elle y courra un risque rĂ©el d’ĂȘtre soumise Ă  la torture ou Ă  des mauvais traitements.

36.  Dans son rapport, rendu public le 28 avril 2010, le CPT a estimĂ© que la politique de l’Italie consistant Ă  intercepter des migrants en mer et Ă  les contraindre Ă  retourner en Libye ou dans d’autres pays non europĂ©ens constituait une violation du principe de non-refoulement. Il a soulignĂ© que l’Italie Ă©tait liĂ©e par le principe de non-refoulement quel que soit le lieu oĂč elle exerce sa juridiction, ce qui inclut l’exercice de sa juridiction par le biais de son personnel et de ses navires engagĂ©s dans la protection des frontiĂšres ou le sauvetage en mer, y compris lorsqu’ils opĂšrent hors de son territoire. De plus, toutes les personnes relevant de la juridiction de l’Italie devraient avoir la possibilitĂ© de demander la protection internationale et de bĂ©nĂ©ficier Ă  cette fin des facilitĂ©s nĂ©cessaires. Il ressortait des informations dont disposait le CPT que cette possibilitĂ© n’avait pas Ă©tĂ© offerte aux migrants interceptĂ©s en mer par les autoritĂ©s italiennes pendant la pĂ©riode examinĂ©e. Au contraire, les personnes qui avaient Ă©tĂ© renvoyĂ©es en Libye dans le cadre des opĂ©rations menĂ©es de mai Ă  juillet 2009 s’étaient vu refuser le droit d’obtenir une Ă©valuation individuelle de leur cas et un accĂšs effectif au systĂšme de protection des rĂ©fugiĂ©s. A cet Ă©gard, le CPT a observĂ© que les personnes ayant survĂ©cu Ă  un voyage en mer sont particuliĂšrement vulnĂ©rables et se trouvent souvent dans un Ă©tat tel qu’on ne saurait attendre d’elles qu’elles puissent immĂ©diatement exprimer leur dĂ©sir de demander l’asile.

Selon le rapport du CPT, la Libye ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un pays sĂ»r en matiĂšre de droits de l’homme et de droit des rĂ©fugiĂ©s ; la situation des personnes arrĂȘtĂ©es et dĂ©tenues en Libye, y compris celle des migrants − qui courent Ă©galement le risque d’ĂȘtre expulsĂ©s − indiquerait que les personnes renvoyĂ©es vers la Libye risquaient d’ĂȘtre victimes de mauvais traitements.

D.  Le rapport de Human Rights Watch

37.  Dans un long rapport publiĂ© le 21 septembre 2009, ayant pour titre « RepoussĂ©s, malmenĂ©s : L’Italie renvoie par la force les migrants et demandeurs d’asile arrivĂ©s par bateau, la Libye les maltraite Â», Human Rights Watch dĂ©nonce la pratique italienne consistant Ă  intercepter en haute mer des embarcations chargĂ©es de migrants et Ă  les refouler vers la Libye sans procĂ©der aux vĂ©rifications nĂ©cessaires. Ce rapport se base Ă©galement sur les rĂ©sultats de recherches publiĂ©es dans un rapport de 2006, intitulĂ© « Libya, stemming the Flow. Abuses against migrants, asylum seekers and refugees Â».

38.  Selon Human Rights Watch, les patrouilleurs italiens remorquent les embarcations des migrants dans les eaux internationales sans vĂ©rifier s’il y a parmi eux des rĂ©fugiĂ©s, des malades ou des blessĂ©s, des femmes enceintes, des enfants non accompagnĂ©s ou des victimes de trafic ou d’autres formes de violence. Les autoritĂ©s italiennes obligeraient les migrants interceptĂ©s Ă  embarquer sur des navires libyens ou ramĂšneraient directement les migrants en Libye, oĂč les autoritĂ©s les placeraient immĂ©diatement en dĂ©tention. Certaines de ces opĂ©rations seraient coordonnĂ©es par l’agence Frontex.

Le rapport s’appuie sur des entretiens menĂ©s auprĂšs de quatre-vingt-onze migrants, demandeurs d’asile et rĂ©fugiĂ©s en Italie et Ă  Malte, essentiellement en mai 2009, et sur un entretien tĂ©lĂ©phonique avec un migrant dĂ©tenu en Libye. Des reprĂ©sentants de Human Rights Watch se seraient rendus en Libye en avril 2009 et auraient rencontrĂ© des reprĂ©sentants du gouvernement, mais les autoritĂ©s libyennes n’auraient pas permis Ă  l’organisation de s’entretenir en privĂ© avec des migrants. En dĂ©pit de demandes rĂ©pĂ©tĂ©es, les autoritĂ©s n’auraient pas non plus accordĂ© Ă  Human Rights Watch l’autorisation de visiter l’un des nombreux centres de dĂ©tention pour les migrants en Libye. Le HCR aurait maintenant accĂšs Ă  la prison de Misratah, oĂč les migrants clandestins seraient gĂ©nĂ©ralement dĂ©tenus, et des organisations libyennes y assureraient des services humanitaires. Cependant, en l’absence d’un accord officiel, l’accĂšs ne serait pas garanti. De plus, la Libye ne connaĂźtrait pas le droit d’asile. Les autoritĂ©s ne feraient aucune distinction entre les rĂ©fugiĂ©s, les demandeurs d’asile et d’autres migrants clandestins.

39.  Human Rights Watch exhorte le gouvernement libyen Ă  amĂ©liorer les conditions de dĂ©tention en Libye, apparemment dĂ©plorables, et Ă  mettre en place des procĂ©dures d’asile conformes aux normes internationales. Le rapport s’adresse Ă©galement au gouvernement italien, Ă  l’Union europĂ©enne et Ă  Frontex, afin que soit garanti le droit d’asile, y compris pour les personnes interceptĂ©es en haute mer, et que les non-ressortissants libyens ne soient pas renvoyĂ©s en Libye, tant que la façon dont les migrants, les demandeurs d’asile et les rĂ©fugiĂ©s y sont traitĂ©s ne sera pas pleinement conforme aux rĂšgles internationales.

E.  La visite d’Amnesty International

40.  Une Ă©quipe d’Amnesty International a effectuĂ© une mission d’enquĂȘte en Libye du 15 au 23 mai 2009 ; c’était la premiĂšre fois depuis 2004 que les autoritĂ©s libyennes autorisaient une visite de l’organisation.

Pendant cette visite, Amnesty International s’est rendue notamment Ă  environ 200 km de Tripoli, oĂč elle a interrogĂ© briĂšvement certaines personnes parmi les centaines de migrants clandestins en provenance d’autres pays d’Afrique qui sont entassĂ©s au centre de dĂ©tention de Misratah. Un grand nombre de ces migrants auraient Ă©tĂ© interceptĂ©s alors qu’ils cherchaient Ă  se rendre en Italie ou dans un autre pays du sud de l’Europe ayant demandĂ© Ă  la Libye et Ă  d’autres pays d’Afrique du Nord de retenir les migrants illĂ©gaux en provenance d’Afrique subsaharienne pour les empĂȘcher de se rendre en Europe.

41.  Amnesty International estime possible qu’il y ait parmi les personnes dĂ©tenues Ă  Misratah des rĂ©fugiĂ©s fuyant la persĂ©cution et souligne que la Libye ne dispose pas d’une procĂ©dure d’asile et n’est pas partie Ă  la Convention relative au statut des rĂ©fugiĂ©s ni Ă  son Protocole de 1967 ; les Ă©trangers, y compris ceux ayant besoin d’une protection internationale, risqueraient de ne pas bĂ©nĂ©ficier de la protection de la loi. Les dĂ©tenus n’auraient pratiquement aucune possibilitĂ© de porter plainte devant une autoritĂ© judiciaire compĂ©tente pour actes de torture ou autres formes de mauvais traitements.

Amnesty International aurait fait part, aux responsables gouvernementaux rencontrĂ©s en Libye, de son inquiĂ©tude au sujet de la dĂ©tention et des mauvais traitements qui seraient infligĂ©s aux centaines, voire aux milliers d’étrangers que les autoritĂ©s assimileraient Ă  des migrants illĂ©gaux, et elle leur aurait demandĂ© de mettre en place une procĂ©dure permettant d’identifier et de protĂ©ger adĂ©quatement les demandeurs d’asile et les rĂ©fugiĂ©s. De mĂȘme, Amnesty International aurait demandĂ© aux autoritĂ©s libyennes de ne plus renvoyer de force des ressortissants Ă©trangers vers des pays oĂč ils risquent de graves violations des droits de l’homme, et de trouver une meilleure solution que la dĂ©tention pour les Ă©trangers qu’elles ne peuvent pas renvoyer dans leur pays d’origine pour ces raisons. Certains des ressortissants Ă©rythrĂ©ens, qui constitueraient une part importante des ressortissants Ă©trangers dĂ©tenus Ă  Misratah, auraient indiquĂ© Ă  la dĂ©lĂ©gation d’Amnesty International qu’ils Ă©taient dĂ©tenus depuis deux ans.

V.  AUTRES DOCUMENTS INTERNATIONAUX DÉCRIVANT LA SITUATION EN LIBYE

42.  Outre ceux citĂ©s ci-dessus, de nombreux rapports ont Ă©tĂ© publiĂ©s par des organisations nationales et internationales ainsi que par des organisations non gouvernementales, qui dĂ©plorent les conditions de dĂ©tention et de vie des migrants irrĂ©guliers en Libye Ă  l’époque des faits.

Voici une liste des principaux rapports :

–  Human Rights Watch, Stemming the Flow: abuses against migrants, asylum seekers and refugees, septembre 2006 ;

–  ComitĂ© des droits de l’homme des Nations Unies, Observations finales Jamahiriya arabe libyenne, 15 novembre 2007 ;

–  Amnesty Intemational, Libye – Rapport 2008 d’Amnesty International, 28 mai 2008 ;

–  Human Rights Watch, Libya Rights at Risk, 2 septembre 2008 ;

–  DĂ©partement d’Etat amĂ©ricain, Rapport relatif aux droits de l’homme en Libye, 4 avril 2010.

VI.  DOCUMENTS INTERNATIONAUX DÉCRIVANT LA SITUATION EN SOMALIE ET EN ÉRYTHRÉE

43.  Les principaux documents internationaux concernant la situation en Somalie sont prĂ©sentĂ©s dans l’affaire Sufi et Elmi c. Royaume-Uni (nos 8319/07 et 11449/07, §§ 80-195, 28 juin 2011).

44.  Concernant l’ErythrĂ©e, plusieurs rapports dĂ©noncent des violations des droits fondamentaux perpĂ©trĂ©es dans ce pays. Ils rendent compte de graves atteintes aux droits de l’homme de la part du gouvernement Ă©rythrĂ©en, Ă  savoir les arrestations arbitraires, la torture, des conditions de dĂ©tention inhumaines, le travail forcĂ© et de graves restrictions aux libertĂ©s de mouvement, d’expression et de culte. Ces documents analysent Ă©galement la situation difficile des ErythrĂ©ens qui parviennent Ă  s’échapper vers d’autres pays tels que la Libye, le Soudan, l’Egypte et l’Italie, et sont par la suite rapatriĂ©s de force.

Voici la liste des principaux rapports :

–  HCR, Eligibility guidelines for assessing the international protection needs of asylum-seekers from Eritrea, avril 2009 ;

–  Amnesty international, report 2009, Eritrea, 28 mai 2009 ;

–  Human Rights Watch, Service for life, state repression and indefinite conscription in Eritrea, avril 2009 ;

–  Human Rights Watch, Libya, don’t send Eritreans back to risk of torture, 15 janvier 2010 ;

–  Human Rights Watch, World Chapter Report, janvier 2010.

EN DROIT

I.  QUESTIONS PRÉLIMINAIRES SOULEVÉES PAR LE GOUVERNEMENT

A.  Sur la validitĂ© des procurations et la poursuite de l’examen de la requĂȘte

1.  La question soulevĂ©e par le Gouvernement

45.  Le Gouvernement conteste Ă  plusieurs Ă©gards la validitĂ© des procurations fournies par les reprĂ©sentants des requĂ©rants. Tout d’abord, il allĂšgue des irrĂ©gularitĂ©s rĂ©dactionnelles dans la majoritĂ© des procurations, Ă  savoir :

–  l’absence de toute indication de la date et du lieu et, dans certains cas, le fait que la date et le lieu sembleraient avoir Ă©tĂ© Ă©crits par la mĂȘme personne ;

–  l’absence de toute rĂ©fĂ©rence au numĂ©ro de la requĂȘte ;

–  le fait que l’identitĂ© des requĂ©rants ne serait indiquĂ©e que par le nom de famille, le prĂ©nom, la nationalitĂ©, une signature illisible et une empreinte digitale souvent partielle et indĂ©chiffrable ;

–  l’absence d’indication des dates de naissance des requĂ©rants.

46.  Ensuite, le Gouvernement observe que la requĂȘte ne prĂ©cise ni les circonstances dans lesquelles les procurations ont Ă©tĂ© rĂ©digĂ©es, ce qui jetterait un doute sur leur validitĂ©, ni les dĂ©marches entreprises par les reprĂ©sentants des requĂ©rants afin d’établir l’identitĂ© de leurs clients. Il remet d’ailleurs en cause la qualitĂ© des contacts existants entre les requĂ©rants et leurs reprĂ©sentants. Il allĂšgue notamment que les messages Ă©lectroniques envoyĂ©s par les requĂ©rants aprĂšs leur transfert en Libye ne sont pas accompagnĂ©s de signatures susceptibles d’ĂȘtre comparĂ©es Ă  celles apposĂ©es sur les procurations. Selon le Gouvernement, les difficultĂ©s rencontrĂ©es par les avocats pour Ă©tablir et maintenir le contact avec les requĂ©rants empĂȘcheraient un examen contradictoire de l’affaire.

47.  DĂšs lors, toute vĂ©rification de l’identitĂ© des requĂ©rants Ă©tant impossible, et faute de « participation personnelle Â» des requĂ©rants Ă  l’affaire, la Cour devrait renoncer Ă  poursuivre l’examen de la requĂȘte. Se rĂ©fĂ©rant Ă  l’affaire Hussun et autres c. Italie ((radiation), nos 10171/05, 10601/05, 11593/05 et 17165/05, 19 janvier 2010), le Gouvernement demande Ă  la Cour de rayer la requĂȘte du rĂŽle.

2.  Les arguments des requĂ©rants

48.  Les reprĂ©sentants des requĂ©rants dĂ©fendent la validitĂ© des procurations. Ils affirment tout d’abord que les irrĂ©gularitĂ©s rĂ©dactionnelles allĂ©guĂ©es par le Gouvernement ne sauraient impliquer la nullitĂ© des mandats que leur ont confĂ©rĂ©s leurs clients.

49.  Quant aux circonstances dans lesquelles les procurations ont Ă©tĂ© rĂ©digĂ©es, ils prĂ©cisent que les mandats ont Ă©tĂ© formalisĂ©s par les requĂ©rants dĂšs leur arrivĂ©e en Libye, auprĂšs des membres d’organisations humanitaires Ɠuvrant dans diffĂ©rents centres de rĂ©tention. Ces personnes se seraient ensuite chargĂ©es de les contacter et de leur transmettre les procurations pour qu’ils puissent les signer et accepter les mandats.

50.  Concernant les difficultĂ©s liĂ©es Ă  l’identification des intĂ©ressĂ©s, celles-ci dĂ©couleraient directement de l’objet de la requĂȘte, Ă  savoir une opĂ©ration de renvoi collectif et sans identification prĂ©alable des migrants clandestins. Quoi qu’il en soit, les avocats attirent l’attention de la Cour sur le fait qu’une partie importante des requĂ©rants a Ă©tĂ© identifiĂ© par le bureau du HCR Ă  Tripoli Ă  la suite de leur arrivĂ©e en Libye.

51.  Enfin, les avocats affirment avoir gardĂ© des contacts avec une partie des intĂ©ressĂ©s, joignables par tĂ©lĂ©phone et par courrier Ă©lectronique. A cet Ă©gard, ils font Ă©tat des grandes difficultĂ©s qu’ils rencontrent pour maintenir le contact avec les requĂ©rants, notamment en raison des violences qui ont Ă©branlĂ© la Libye Ă  partir de fĂ©vrier 2011.

3.  ApprĂ©ciation de la Cour

52.  La Cour rappelle tout d’abord qu’au sens de l’article 45 § 3 de son rĂšglement, le reprĂ©sentant d’un requĂ©rant doit produire « une procuration ou un pouvoir Ă©crit Â». En consĂ©quence, un simple pouvoir Ă©crit serait valable aux fins de la procĂ©dure devant la Cour, dĂšs lors que nul ne pourrait dĂ©montrer qu’il a Ă©tĂ© Ă©tabli sans le consentement de l’intĂ©ressĂ© ou sans qu’il comprenne de quoi il s’agit (Velikova c. Bulgarie, no 41488/98, § 50, CEDH 2000-VI).

53.  Par ailleurs, ni la Convention ni le rĂšglement de la Cour n’imposent de conditions particuliĂšres quant au libellĂ© de la procuration, ni ne requiĂšrent aucune forme de certification de la part des autoritĂ©s nationales. Ce qui compte pour la Cour est que la procuration indique clairement que le requĂ©rant a confiĂ© sa reprĂ©sentation devant la Cour Ă  un conseil et que celui-ci a acceptĂ© ce mandat (Riabov c. Russie, no 3896/04, §§ 40 et 43, 31 janvier 2008).

54.  En l’espĂšce, la Cour observe que toutes les procurations versĂ©es au dossier sont signĂ©es et accompagnĂ©es d’empreintes digitales. De plus, les reprĂ©sentants des requĂ©rants ont fourni, tout au long de la procĂ©dure, des informations dĂ©taillĂ©es quant au dĂ©roulement des faits et au sort des requĂ©rants, avec lesquels ils ont pu garder des contacts. Rien dans le dossier ne permet de douter du rĂ©cit des avocats, ni de mettre en cause l’échange d’informations avec la Cour (voir, a contrario, Hussun, prĂ©citĂ©, §§ 43-50).

55.  Dans ces circonstances, la Cour n’a aucune raison de douter de la validitĂ© des procurations. DĂšs lors, elle rejette l’exception du Gouvernement.

56.  Par ailleurs, la Cour relĂšve que, conformĂ©ment aux informations fournies par les avocats, deux des requĂ©rants, M. Mohamed Abukar Mohamed et M. Hasan Shariff Abbirahman (respectivement no 10 et no 11 sur la liste), sont dĂ©cĂ©dĂ©s trĂšs peu de temps aprĂšs l’introduction de la requĂȘte (paragraphe 15 ci-dessus).

57.  Elle rappelle que la Cour a pour pratique de rayer les requĂȘtes du rĂŽle lorsqu’un requĂ©rant dĂ©cĂšde pendant la procĂ©dure et qu’aucun hĂ©ritier ou parent proche ne veut poursuivre l’instance (voir, parmi d’autres, Scherer c. Suisse ; 25 mars 1994, §§ 31-32, sĂ©rie A no 287 ; Öhlinger c. Autriche, no 21444/93, rapport de la Commission du 14 janvier 1997, § 15, non publiĂ© ; ThĂ©venon c. France (dĂ©c.), no 2476/02, CEDH 2006-III ; et LĂ©ger c. France (radiation) [GC], no 19324/02, § 44, 30 mars 2009).

58.  A la lumiĂšre des circonstances de l’espĂšce, la Cour estime qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requĂȘte en ce qui concerne les personnes dĂ©cĂ©dĂ©es (article 37 § 1 c) de la Convention). Par ailleurs, elle relĂšve que les griefs initialement soulevĂ©s par MM. Mohamed Abukar Mohamed et Hasan Shariff Abbirahman sont les mĂȘmes que ceux Ă©noncĂ©s par les autres requĂ©rants, au sujet desquels elle exprimera son avis ci-aprĂšs. Dans ces conditions, elle n’aperçoit aucun motif tenant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigerait, conformĂ©ment Ă  l’article 37 § 1 in fine, la poursuite de l’examen de la requĂȘte des requĂ©rants dĂ©cĂ©dĂ©s.

59.  En conclusion, la Cour dĂ©cide de rayer la requĂȘte du rĂŽle pour autant qu’elle concerne les requĂ©rants Mohamed Abukar Mohamed et Hasan Shariff Abbirahman, et de poursuivre l’examen de la requĂȘte pour le surplus.

B.  Sur l’épuisement des voies de recours internes

60.  Lors de l’audience devant la Grande Chambre, le Gouvernement a plaidĂ© l’irrecevabilitĂ© de la requĂȘte pour non-Ă©puisement des voies de recours internes. Il a fait valoir que les requĂ©rants avaient omis de saisir les juridictions italiennes en vue d’obtenir la reconnaissance et le redressement des violations allĂ©guĂ©es de la Convention.

61.  Selon le Gouvernement, les requĂ©rants, qui sont Ă  prĂ©sent libres de leurs mouvements et ont montrĂ© qu’ils Ă©taient en mesure de joindre leurs avocats dans le cadre de la procĂ©dure devant la Cour, auraient dĂ» introduire des recours devant les juridictions pĂ©nales italiennes afin de se plaindre d’éventuelles violations du droit interne et du droit international de la part des militaires impliquĂ©s dans leur Ă©loignement. Des procĂ©dures pĂ©nales seraient actuellement en cours dans des affaires similaires, et ce type de recours aurait un caractĂšre « effectif Â».

62.  La Cour relĂšve que les requĂ©rants se plaignent Ă©galement de ne pas avoir disposĂ© d’un recours rĂ©pondant aux exigences de l’article 13 de la Convention. Elle considĂšre qu’il existe un lien Ă©troit entre la thĂšse du Gouvernement sur ce point et le bien-fondĂ© des griefs formulĂ©s par les requĂ©rants sur le terrain de cette disposition. Elle estime donc qu’il y a lieu de joindre cette exception au fond des griefs tirĂ©s de l’article 13 de la Convention et de l’examiner dans ce contexte (paragraphe 207 ci-dessous).

II.  SUR LA QUESTION DE LA JURIDICTION AU TITRE DE L’ARTICLE 1 DE LA CONVENTION

63.  Aux termes de l’article 1 de la Convention :

« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent Ă  toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertĂ©s dĂ©finis au titre I de la (...) Convention. Â»

1.  ThĂšses des parties

a)  Le Gouvernement

64.  Le gouvernement dĂ©fendeur reconnaĂźt que les faits litigieux se sont dĂ©roulĂ©s Ă  bord de navires militaires italiens. Toutefois, il nie que les autoritĂ©s italiennes aient exercĂ© un « contrĂŽle absolu et exclusif Â» sur les requĂ©rants.

65.  Il fait valoir que l’interception des embarcations Ă  bord desquelles se trouvaient les requĂ©rants s’inscrivait dans le contexte du sauvetage en haute mer de personnes en dĂ©tresse – qui relĂšve des obligations imposĂ©es par le droit international, Ă  savoir la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (« Convention de Montego Bay Â») – et ne saurait en aucun cas ĂȘtre qualifiĂ©e d’opĂ©ration de police maritime.

Les navires italiens se seraient bornĂ©s Ă  intervenir afin de prĂȘter secours Ă  trois embarcations en difficultĂ© et de mettre en sĂ©curitĂ© les personnes qui se trouvaient Ă  bord. Ils auraient par la suite raccompagnĂ© en Libye les migrants interceptĂ©s, conformĂ©ment aux accords bilatĂ©raux de 2007 et 2009. Selon le Gouvernement, l’obligation de sauver la vie humaine en haute mer telle que prescrite par la Convention de Montego Bay n’entraĂźne pas en soi la crĂ©ation d’un lien entre l’Etat et les personnes concernĂ©es qui pourrait Ă©tablir la juridiction de celui-ci.

66.  Dans le cadre du « sauvetage Â» des requĂ©rants, qui n’aurait durĂ© globalement que dix heures, les autoritĂ©s auraient apportĂ© aux intĂ©ressĂ©s l’assistance humanitaire et mĂ©dicale nĂ©cessaire et n’auraient nullement eu recours Ă  la violence ; elles n’auraient pas effectuĂ© d’abordage et n’auraient pas utilisĂ© d’armes. Le Gouvernement en conclut que la prĂ©sente requĂȘte diffĂšre de l’affaire Medvedyev et autres c. France ([GC], no 3394/03, 29 mars 2010), dans laquelle la Cour a affirmĂ© que les requĂ©rants relevaient de la juridiction de la France compte tenu du caractĂšre absolu et exclusif du contrĂŽle exercĂ© par celle-ci sur un navire en haute mer et sur son Ă©quipage.

b)  Les requĂ©rants

67.  Les requĂ©rants estiment que la juridiction de l’Italie ne saurait ĂȘtre remise en cause en l’espĂšce. A partir de leur montĂ©e Ă  bord des navires italiens, ils se seraient trouvĂ©s sous le contrĂŽle exclusif de l’Italie, laquelle aurait dĂšs lors Ă©tĂ© tenue de respecter l’ensemble des obligations dĂ©coulant de la Convention et de ses Protocoles.

Ils font observer que l’article 4 du code italien de la navigation prĂ©voit expressĂ©ment que les navires battant pavillon national relĂšvent de la juridiction de l’Italie mĂȘme lorsqu’ils naviguent au-delĂ  des eaux territoriales.

c)  Les tiers intervenants

68.  Les tiers intervenants considĂšrent que, conformĂ©ment aux principes de droit international coutumier et Ă  la jurisprudence de la Cour, les obligations pour les Etats de ne pas refouler des demandeurs d’asile, mĂȘme « potentiels Â», et de leur assurer un accĂšs Ă  des procĂ©dures Ă©quitables, ont une portĂ©e extraterritoriale.

69.  Selon le droit international en matiĂšre de protection des refugiĂ©s, le critĂšre dĂ©cisif Ă  prendre en compte pour Ă©tablir la responsabilitĂ© d’un Etat ne serait pas de savoir si la personne concernĂ©e par le refoulement se trouve sur le territoire de l’Etat, mais si elle relĂšve du contrĂŽle effectif et de l’autoritĂ© de celui-ci.

Les tiers intervenants font rĂ©fĂ©rence Ă  la jurisprudence de la Cour concernant l’article 1 de la Convention et la portĂ©e extraterritoriale de la notion de « juridiction Â», ainsi qu’aux conclusions d’autres instances internationales. Ils soulignent la nĂ©cessitĂ© d’éviter des doubles standards dans le domaine de la protection des droits de l’homme et de faire en sorte qu’un Etat ne soit pas autorisĂ© Ă  commettre, en dehors de son territoire, des actes qui ne seraient jamais acceptĂ©s Ă  l’intĂ©rieur de celui-ci.

2.  ApprĂ©ciation de la Cour

a)  Principes gĂ©nĂ©raux relatifs Ă  la juridiction au sens de l’article 1 de la Convention

70.  Aux termes de l’article 1 de la Convention, l’engagement des Etats contractants consiste Ă  « reconnaĂźtre Â» (en anglais « to secure Â») aux personnes relevant de leur « juridiction Â» les droits et libertĂ©s qui y sont Ă©numĂ©rĂ©s (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 86, sĂ©rie A no 161, et Banković et autres c. Belgique et 16 autres Etats contractants (dĂ©c.) [GC], no 52207/99, § 66, CEDH 2001-XII). L’exercice de la « juridiction Â» est une condition nĂ©cessaire pour qu’un Etat contractant puisse ĂȘtre tenu pour responsable des actes ou omissions qui lui sont imputables et qui sont Ă  l’origine d’une allĂ©gation de violation des droits et libertĂ©s Ă©noncĂ©s dans la Convention (IlaƟcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 311, CEDH 2004-VII).

71.  La juridiction d’un Etat, au sens de l’article 1, est principalement territoriale (Banković, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, §§ 61 et 67, et IlaƟcu, prĂ©citĂ©, § 312). Elle est prĂ©sumĂ©e s’exercer normalement sur l’ensemble de son territoire (IlaƟcu et autres, prĂ©citĂ©, § 312 ; et AssanidzĂ© c. GĂ©orgie [GC], no 71503/01, § 139, CEDH 2004-II).

72.  En conformitĂ© avec le caractĂšre essentiellement territorial de la notion de juridiction, la Cour n’a admis que dans des circonstances exceptionnelles que les actes des Etats contractants accomplis ou produisant des effets en dehors de leur territoire puissent s’analyser en l’exercice par eux de leur juridiction au sens de l’article 1 de la Convention (Drozd et Janousek c. France et Espagne, 26 juin 1992, § 91, sĂ©rie A no 240 ; Banković, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, § 67 ; et IlaƟcu et autres, prĂ©citĂ©, § 314).

73.  Ainsi, dans son premier arrĂȘt Loizidou (exceptions prĂ©liminaires), la Cour a jugĂ© que, compte tenu de l’objet et du but de la Convention, une Partie contractante pouvait voir sa responsabilitĂ© engagĂ©e lorsque, par suite d’une action militaire – lĂ©gale ou non –, elle exerçait en pratique son contrĂŽle sur une zone situĂ©e en dehors de son territoire national (Loizidou c. Turquie (exceptions prĂ©liminaires) [GC], 23 mars 1995, § 62, sĂ©rie A no 310), ce qui est toutefois exclu lorsque n’est en cause, comme dans l’affaire Banković, qu’un acte extraterritorial instantanĂ©, le texte de l’article 1 ne s’accommodant pas d’une conception causale de la notion de « juridiction Â» (dĂ©cision prĂ©citĂ©e, § 75). Dans chaque cas, c’est au regard des faits particuliers de la cause, par exemple en cas de contrĂŽle absolu et exclusif sur une prison ou sur un navire, qu’il faut apprĂ©cier l’existence de circonstances exigeant et justifiant que la Cour conclue Ă  un exercice extraterritorial de sa juridiction par l’Etat (Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni [GC], no 55721/07, § 132 et 136, 7 juillet 2011 ; Medvedyev et autres, prĂ©citĂ©, § 67).

74.  DĂšs l’instant oĂč un Etat, par le biais de ses agents opĂ©rant hors de son territoire, exerce son contrĂŽle et son autoritĂ© sur un individu, et par voie de consĂ©quence sa juridiction, pĂšse sur lui en vertu de l’article 1 une obligation de reconnaĂźtre Ă  celui-ci les droits et libertĂ©s dĂ©finis au titre I de la Convention qui concernent son cas. En ce sens, dĂšs lors, il est maintenant admis par la Cour que les droits dĂ©coulant de la Convention peuvent ĂȘtre « fractionnĂ©s et adaptĂ©s Â» (Al-Skeini, prĂ©citĂ©, §§ 136 et 137 ; Ă  titre de comparaison, voir Banković, prĂ©citĂ©e, § 75).

75.  La jurisprudence de la Cour rĂ©vĂšle des cas d’exercice extraterritorial de sa compĂ©tence par un Etat dans les affaires concernant des actes accomplis Ă  l’étranger par des agents diplomatiques ou consulaires, ou Ă  bord d’aĂ©ronefs immatriculĂ©s dans l’Etat en cause ou de navires battant son pavillon. Dans ces situations, la Cour, se basant sur le droit international coutumier et sur des dispositions conventionnelles, a reconnu l’exercice extraterritorial de sa juridiction par l’Etat concernĂ© (Banković, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, § 73, et Medvedyev et autres, prĂ©citĂ©, § 65).

b)  Application en l’espĂšce

76.  Il n’est pas contestĂ© devant la Cour que les Ă©vĂ©nements litigieux se sont dĂ©roulĂ©s en haute mer, Ă  bord de navires militaires battant pavillon italien. Le gouvernement dĂ©fendeur reconnaĂźt par ailleurs que les navires de la garde des finances et des garde-cĂŽtes sur lesquels ont Ă©tĂ© embarquĂ©s les requĂ©rants relevaient pleinement de la juridiction de l’Italie.

77.  La Cour observe qu’en vertu des dispositions pertinentes du droit de la mer, un navire naviguant en haute mer est soumis Ă  la juridiction exclusive de l’Etat dont il bat pavillon. Ce principe de droit international a conduit la Cour Ă  reconnaĂźtre, dans les affaires concernant des actes accomplis Ă  bord de navires battant pavillon d’un Etat, Ă  l’instar des aĂ©ronefs enregistrĂ©s, des cas d’exercice extraterritorial de la juridiction de cet Etat (paragraphe 75 ci-dessus). DĂšs lors qu’il y a contrĂŽle sur autrui, il s’agit dans ces cas d’un contrĂŽle de jure exercĂ© par l’Etat en question sur les individus concernĂ©s.

78.  La Cour observe par ailleurs que ledit principe est transcrit en droit national, Ă  l’article 4 du code italien de la navigation, et n’est pas contestĂ© par le gouvernement dĂ©fendeur (paragraphe 18 ci-dessus). Elle en conclut que le cas d’espĂšce constitue bien un cas d’exercice extraterritorial de la juridiction de l’Italie, susceptible d’engager la responsabilitĂ© de cet Etat au sens de la Convention.

79.  D’ailleurs l’Italie ne saurait soustraire sa « juridiction Â» Ă  l’empire de la Convention en qualifiant les faits litigieux d’opĂ©ration de sauvetage en haute mer. En particulier, la Cour ne saurait souscrire Ă  l’argument du Gouvernement selon lequel l’Italie ne serait pas responsable du sort des requĂ©rants en raison du niveau prĂ©tendument rĂ©duit du contrĂŽle que ses autoritĂ©s exerçaient sur les intĂ©ressĂ©s au moment des faits.

80.  A cet Ă©gard, il suffit d’observer que dans l’affaire Medvedyev et autres, prĂ©citĂ©e, les faits litigieux avaient eu lieu Ă  bord du Winner, un bateau battant pavillon d’un Etat tiers mais dont l’équipage avait Ă©tĂ© placĂ© sous le contrĂŽle de militaires français. Dans les circonstances particuliĂšres de ladite affaire, la Cour a examinĂ© la nature et la portĂ©e des actions accomplies par les agents français afin de vĂ©rifier s’il existait un contrĂŽle, au moins de facto, continu et ininterrompu, exercĂ© par la France sur le Winner et son Ă©quipage (ibidem, §§ 66 et 67).

81.  Or, la Cour remarque que dans la prĂ©sente affaire les faits se sont entiĂšrement dĂ©roulĂ©s Ă  bord de navires des forces armĂ©es italiennes, dont l’équipage Ă©tait composĂ© exclusivement de militaires nationaux. De l’avis de la Cour, Ă  partir du moment oĂč ils sont montĂ©s Ă  bord des navires des forces armĂ©es italiennes et jusqu’à leur remise aux autoritĂ©s libyennes, les requĂ©rants se sont trouvĂ©s sous le contrĂŽle continu et exclusif, tant de jure que de facto, des autoritĂ©s italiennes. Aucune spĂ©culation concernant la nature et le but de l’intervention des navires italiens en haute mer ne saurait conduire la Cour Ă  une autre conclusion.

82.  Partant, les faits dont dĂ©coulent les violations allĂ©guĂ©es relĂšvent de la « juridiction Â» de l’Italie au sens de l’article 1 de la Convention.

III.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

83.  Les requĂ©rants se plaignent de ce que leur refoulement les a exposĂ©s au risque de subir des tortures ou des traitements inhumains et dĂ©gradants en Libye, ainsi que dans leurs pays d’origine respectifs, Ă  savoir l’ErythrĂ©e et la Somalie. Ils invoquent l’article 3 de la Convention, ainsi libellĂ© :

« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă  la torture ni Ă  des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. Â»

84.  La Cour observe que l’article 3 de la Convention est en cause sous deux aspects diffĂ©rents, qu’il y a lieu d’examiner sĂ©parĂ©ment. PremiĂšrement, quant au risque encouru par les requĂ©rants de subir des traitements inhumains et dĂ©gradants en Libye et, deuxiĂšmement, concernant le danger pour ceux-ci d’ĂȘtre rapatriĂ©s dans leurs pays d’origine respectifs.

A.  Sur la violation allĂ©guĂ©e de l’article 3 de la Convention du fait que les requĂ©rants ont Ă©tĂ© exposĂ©s au risque de subir des traitements inhumains et dĂ©gradants en Libye

1.  ThĂšses des parties

a)  Les requĂ©rants

85.  Les requĂ©rants allĂšguent avoir Ă©tĂ© victimes d’un refoulement arbitraire et incompatible avec la Convention. Ils affirment qu’ils n’ont pas eu la possibilitĂ© de s’opposer Ă  leur renvoi en Libye et de demander la protection internationale aux autoritĂ©s italiennes.

86.  En l’absence de toute information quant Ă  leur vĂ©ritable destination, les requĂ©rants auraient Ă©tĂ© persuadĂ©s, tout au long du voyage Ă  bord des navires italiens, qu’on les emmenait en Italie. A cet Ă©gard, ils auraient Ă©tĂ© victimes d’une vĂ©ritable « tromperie Â» de la part des autoritĂ©s italiennes.

87.  Aucune procĂ©dure tendant Ă  identifier les migrants interceptĂ©s et Ă  recueillir des informations concernant leur situation personnelle n’aurait Ă©tĂ© possible Ă  bord des navires. Dans ces conditions, aucune demande formelle d’asile n’aurait Ă©tĂ© envisageable. NĂ©anmoins, une fois arrivĂ©s Ă  proximitĂ© des cĂŽtes libyennes, les requĂ©rants ainsi qu’un grand nombre d’autres migrants auraient priĂ© les militaires italiens de ne pas les dĂ©barquer au port de Tripoli, qu’ils venaient de fuir, et de les emmener en Italie.

Les requĂ©rants affirment avoir exprimĂ© explicitement leur volontĂ© de ne pas ĂȘtre livrĂ©s aux autoritĂ©s libyennes. Ils contestent l’argument du Gouvernement selon lequel une telle demande ne saurait ĂȘtre assimilĂ©e Ă  une demande tendant Ă  l’obtention d’une protection internationale.

88.  Les requĂ©rants soutiennent ensuite avoir Ă©tĂ© refoulĂ©s vers un pays oĂč il y avait des raisons suffisantes de croire qu’ils seraient soumis Ă  des traitements contraires Ă  la Convention. En effet, plusieurs sources internationales auraient fait Ă©tat des conditions inhumaines et dĂ©gradantes dans lesquelles les migrants irrĂ©guliers, notamment d’origine somalienne et Ă©rythrĂ©enne, Ă©taient dĂ©tenus en Libye et des conditions d’existence prĂ©caires rĂ©servĂ©es aux clandestins dans ce pays.

Les requĂ©rants se rĂ©fĂšrent Ă  cet Ă©gard au rapport du CPT d’avril 2010 ainsi qu’aux textes et documents produits par les tierces parties concernant la situation en Libye.

89.  Cette situation, qui n’aurait cessĂ© de se dĂ©grader par la suite, ne pouvait selon eux ĂȘtre ignorĂ©e de l’Italie lors de la conclusion des accords bilatĂ©raux avec la Libye et de la mise Ă  exĂ©cution du refoulement litigieux.

90.  Par ailleurs, les craintes et les prĂ©occupations des requĂ©rants se seraient rĂ©vĂ©lĂ©es fondĂ©es. Ils auraient tous fait Ă©tat de conditions de dĂ©tention inhumaines et, aprĂšs leur libĂ©ration, de conditions d’existence prĂ©caires liĂ©es Ă  leur statut d’immigrĂ©s irrĂ©guliers.

91.  Les requĂ©rants considĂšrent que la dĂ©cision de renvoyer en Libye les clandestins interceptĂ©s en haute mer constitue un vĂ©ritable choix politique de l’Italie, visant Ă  privilĂ©gier une gestion policiĂšre de l’immigration clandestine au mĂ©pris de la protection des droits fondamentaux des personnes concernĂ©es.

b)  Le Gouvernement

92.  Le Gouvernement soutient tout d’abord que les requĂ©rants n’ont pas adĂ©quatement prouvĂ© la rĂ©alitĂ© des traitements prĂ©tendument contraires Ă  la Convention qu’ils auraient subis. Ils ne pourraient donc pas ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme Ă©tant « victimes Â» au sens de l’article 34 de la Convention.

93.  Ensuite, il affirme que le transfert des requĂ©rants en Libye a Ă©tĂ© effectuĂ© en vertu des accords bilatĂ©raux signĂ©s en 2007 et en 2009 par l’Italie et la Libye. Lesdits accords bilatĂ©raux s’inscriraient dans un contexte de mouvements migratoires croissants entre l’Afrique et l’Europe et auraient Ă©tĂ© conclus dans un esprit de coopĂ©ration entre deux pays engagĂ©s dans la lutte contre l’immigration clandestine.

94.  La coopĂ©ration entre les pays mĂ©diterranĂ©ens en matiĂšre de contrĂŽle des migrations et de lutte contre les crimes liĂ©s Ă  l’immigration clandestine aurait Ă©tĂ© encouragĂ©e Ă  maintes reprises par les organes de l’Union europĂ©enne. Le Gouvernement fait rĂ©fĂ©rence en particulier Ă  la RĂ©solution du Parlement europĂ©en no 2006/2250 ainsi qu’au Pacte europĂ©en sur l’immigration et l’asile, Ă©laborĂ© par le Conseil europĂ©en le 24 septembre 2008, qui affirment la nĂ©cessitĂ© pour les pays de l’UE de coopĂ©rer et d’établir des partenariats avec les pays d’origine et de transit afin de renforcer le contrĂŽle des frontiĂšres extĂ©rieures de l’UE et de lutter contre l’immigration clandestine.

95.  Quant aux Ă©vĂ©nements du 6 mai 2009, Ă  l’origine de la prĂ©sente requĂȘte, le Gouvernement maintient qu’il s’agissait d’une opĂ©ration de sauvetage en haute mer conforme au droit international. Il affirme que les navires militaires italiens sont intervenus de maniĂšre conforme Ă  la Convention de Montego Bay et Ă  la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (« Convention SAR Â»), pour faire face Ă  la situation de danger immĂ©diat dans laquelle se trouvaient les embarcations et sauver la vie des requĂ©rants et des autres migrants.

De l’avis du Gouvernement, le rĂ©gime juridique de la haute mer se caractĂ©rise par le principe de la libertĂ© de navigation. Dans ce contexte, il n’y aurait pas eu lieu de procĂ©der Ă  l’identification des personnes concernĂ©es. Les autoritĂ©s italiennes se seraient bornĂ©es Ă  porter aux intĂ©ressĂ©s l’assistance humanitaire nĂ©cessaire. Le contrĂŽle des requĂ©rants aurait Ă©tĂ© rĂ©duit au minimum dĂšs lors qu’aucune opĂ©ration de police maritime n’aurait Ă©tĂ© envisagĂ©e Ă  bord des navires.

96.  Pendant leur transfert en Libye, les requĂ©rants n’auraient Ă  aucun moment manifestĂ© l’intention de demander l’asile politique ou une autre forme de protection internationale. Selon le Gouvernement, une Ă©ventuelle demande exprimĂ©e par les requĂ©rants aux fins de ne pas ĂȘtre livrĂ©s aux autoritĂ©s libyennes ne saurait ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme une demande d’asile.

A cet Ă©gard, il affirme qu’en cas de demande d’asile les intĂ©ressĂ©s auraient Ă©tĂ© emmenĂ©s sur le territoire national, comme cela se serait produit lors d’autres opĂ©rations en haute mer pratiquĂ©es en 2009.

97.  Le Gouvernement soutient ensuite que la Libye est un lieu d’accueil sĂ»r. Il en veut pour preuves le fait que cet Etat a ratifiĂ© le Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques, la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dĂ©gradants et la Convention de l’Union africaine sur les rĂ©fugiĂ©s en Afrique, ainsi que son appartenance Ă  l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Sans ĂȘtre partie Ă  la Convention des Nations Unies relative au statut des rĂ©fugiĂ©s, la Libye n’en aurait pas moins autorisĂ© le HCR et l’OIM Ă  ouvrir des bureaux Ă  Tripoli, ce qui aurait permis d’octroyer le statut de rĂ©fugiĂ© Ă  de nombreux demandeurs et de leur garantir une protection internationale.

98.  Le Gouvernement attire l’attention de la Cour sur le fait que, lors de la ratification du TraitĂ© d’amitiĂ© de 2008, la Libye s’était expressĂ©ment engagĂ©e Ă  respecter les principes de la Charte des Nations Unies et de la DĂ©claration universelle des droits de l’homme. L’Italie n’aurait eu aucune raison de penser que la Libye se soustrairait Ă  ses engagements.

Cette circonstance et le fait que des bureaux du HCR et de l’OIM Ă©taient prĂ©sents et actifs Ă  Tripoli justifieraient pleinement la conviction de l’Italie que la Libye Ă©tait un lieu d’accueil sĂ»r pour les migrants interceptĂ©s en haute mer. Le Gouvernement considĂšre d’ailleurs que la reconnaissance du statut de rĂ©fugiĂ© octroyĂ© par le HCR Ă  de nombreux demandeurs, y compris certains des requĂ©rants, prouve sans conteste que la situation en Libye Ă  l’époque des faits Ă©tait conforme aux normes internationales en matiĂšre de protection des droits de l’homme.

99.  Le Gouvernement admet que la situation en Libye s’est dĂ©gradĂ©e Ă  partir d’avril 2010, Ă©poque oĂč les autoritĂ©s ont fermĂ© le bureau du HCR Ă  Tripoli, puis s’est dĂ©finitivement dĂ©tĂ©riorĂ©e Ă  la suite des Ă©vĂ©nements de dĂ©but 2011, mais il fait valoir que l’Italie a aussitĂŽt cessĂ© de pratiquer les renvois de clandestins en Libye et a changĂ© les modalitĂ©s du secours aux migrants en haute mer, en autorisant Ă  partir de cette Ă©poque l’entrĂ©e sur le territoire national.

100.  Le Gouvernement conteste l’existence d’une « pratique gouvernementale Â» qui consisterait, comme l’affirment les requĂ©rants, Ă  effectuer des renvois arbitraires en Libye. A cet Ă©gard, il qualifie la requĂȘte de « manifeste politique et idĂ©ologique Â» Ă  l’encontre de l’action du gouvernement italien. Celui-ci souhaite que la Cour se borne Ă  examiner uniquement les Ă©vĂ©nements du 6 mai 2009 et ne mette pas en cause les prĂ©rogatives de l’Italie en matiĂšre de contrĂŽle de l’immigration, domaine selon lui extrĂȘmement sensible et complexe.

c)  Les tiers intervenants

101.  S’appuyant sur les dĂ©clarations de nombreux tĂ©moins directs, Human Rights Watch et le HCR dĂ©noncent le refoulement forcĂ© de clandestins vers la Libye de la part de l’Italie. Au cours de l’annĂ©e 2009, l’Italie aurait pratiquĂ© neuf opĂ©rations en haute mer, renvoyant en Libye 834 personnes de nationalitĂ© somalienne, Ă©rythrĂ©enne ou nigĂ©rienne.

102.  Human Rights Watch a dĂ©noncĂ© la situation en Libye Ă  plusieurs reprises, notamment par le biais de rapports publiĂ©s en 2006 et 2009. Cette organisation affirme que, en l’absence de tout systĂšme national d’asile en Libye, les migrants irrĂ©guliers sont systĂ©matiquement arrĂȘtĂ©s et font souvent l’objet de tortures et de violences physiques, y compris le viol. Au mĂ©pris des directives des Nations Unies en matiĂšre de dĂ©tention, les clandestins seraient dĂ©tenus sans limitation de temps et sans aucun contrĂŽle judiciaire. En outre, les conditions de dĂ©tention seraient inhumaines. Les migrants seraient torturĂ©s et aucune assistance mĂ©dicale ne serait assurĂ©e dans les diffĂ©rents camps du pays. Ils seraient susceptibles d’ĂȘtre Ă  tout moment refoulĂ©s vers leur pays d’origine ou abandonnĂ©s dans le dĂ©sert, oĂč une mort certaine les attendrait.

103.  Le Centre AIRE, Amnesty International et la FIDH observent que, depuis des annĂ©es, des rapports de sources fiables dĂ©montrent de maniĂšre constante que la situation en matiĂšre de droits de l’homme en Libye est dĂ©sastreuse, notamment pour les rĂ©fugiĂ©s, les demandeurs d’asile et les migrants, et tout particuliĂšrement pour les personnes en provenance de certaines rĂ©gions d’Afrique, tels que les ErythrĂ©ens et les Somaliens.

Les trois parties intervenantes estiment qu’il existe une « obligation d’investigation Â» lorsqu’il existe des informations crĂ©dibles Ă©manant de sources fiables selon lesquelles les conditions de dĂ©tention ou de vie dans l’Etat de rĂ©ception ne sont pas compatibles avec l’article 3.

ConformĂ©ment au principe pacta sunt servanda, un Etat ne saurait se soustraire Ă  ses obligations imposĂ©es par la Convention en se fondant sur des engagements dĂ©coulant d’accords bilatĂ©raux ou multilatĂ©raux en matiĂšre de lutte contre l’immigration clandestine.

104.  Le HCR affirme que, bien que les autoritĂ©s italiennes n’aient pas fourni d’informations dĂ©taillĂ©es concernant les opĂ©rations de refoulement, plusieurs tĂ©moins entendus par le Haut-Commissariat ont livrĂ© un rĂ©cit similaire Ă  celui des requĂ©rants. En particulier, ces personnes auraient rapportĂ© que, pour inciter les personnes Ă  monter Ă  bord des navires italiens, les militaires italiens leur avaient fait croire qu’on les emmenait en Italie. Plusieurs tĂ©moins auraient dĂ©clarĂ© avoir Ă©tĂ© menottĂ©s et avoir subi des violences pendant le transfert vers le territoire libyen et une fois arrivĂ©s au centre de rĂ©tention. Par ailleurs, les autoritĂ©s italiennes auraient confisquĂ© les effets personnels des migrants, y compris les certificats du HCR attestant leur statut de refugiĂ©. Plusieurs tĂ©moins auraient en outre confirmĂ© qu’ils recherchaient une protection et qu’ils en avaient expressĂ©ment fait part aux autoritĂ©s italiennes pendant les opĂ©rations.

105.  Le HCR affirme que cinq au moins des migrants refoulĂ©s en Libye qui ont par la suite rĂ©ussi Ă  retourner en Italie, dont M. Ermias Berhane, se sont vu accorder le statut de refugiĂ© en Italie. De surcroĂźt, en 2009, le bureau du HCR de Tripoli aurait octroyĂ© le statut de refugiĂ© Ă  soixante-treize personnes refoulĂ©es par l’Italie, dont quatorze des requĂ©rants. Cela constituerait la preuve que les opĂ©rations menĂ©es par l’Italie en haute mer impliquent un rĂ©el danger de refoulement arbitraire de personnes ayant besoin d’une protection internationale.

106.  Le HCR estime ensuite qu’aucun des arguments avancĂ©s par l’Italie pour justifier les refoulements ne saurait ĂȘtre acceptĂ©. Ni le principe de coopĂ©ration entre Etats pour la lutte contre le trafic illicite de migrants, ni les dispositions tirĂ©es du droit international de la mer en matiĂšre de sauvegarde de la vie humaine en mer ne dispenseraient les Etats de leur obligation de respecter les principes de droit international.

107.  La Libye, pays de transit et de destination des flux migratoires provenant d’Asie et d’Afrique, n’assurerait aucune forme de protection aux demandeurs d’asile. Bien que signataire d’un certain nombre d’instruments internationaux en matiĂšre de droits de l’homme, elle ne respecterait guĂšre ses obligations. En l’absence d’un systĂšme national de droit d’asile, les activitĂ©s dans ce domaine auraient Ă©tĂ© menĂ©es exclusivement par le HCR et ses partenaires. MalgrĂ© cela, l’action du Haut-Commissariat n’aurait jamais Ă©tĂ© officiellement reconnue par le gouvernement libyen qui, en avril 2010, aurait intimĂ© au HCR l’ordre de fermer son bureau de Tripoli et de cesser ses activitĂ©s.

Compte tenu de ce contexte, aucun statut formel ne serait accordé par le gouvernement libyen aux personnes qui ont été enregistrées en tant que réfugiés par le HCR et aucune forme de protection ne leur serait garantie.

108.  Jusqu’aux Ă©vĂ©nements de 2011, les personnes considĂ©rĂ©es comme des immigrĂ©s illĂ©gaux auraient Ă©tĂ© dĂ©tenues dans des « centres de rĂ©tention Â», dont la plupart auraient Ă©tĂ© visitĂ©s par le HCR. Lesdits centres auraient offert des conditions de vie trĂšs mĂ©diocres, caractĂ©risĂ©es par le surpeuplement et des installations sanitaires inadĂ©quates. Cette situation aurait Ă©tĂ© aggravĂ©e par les opĂ©rations de refoulement, qui auraient accentuĂ© le surpeuplement et entraĂźnĂ© une dĂ©tĂ©rioration ultĂ©rieure des conditions sanitaires, causant ainsi un besoin accru d’assistance de base aux fins de la survie mĂȘme des personnes.

109.  Selon la Columbia Law School Human Rights Clinic, si l’immigration clandestine par la mer n’est pas un phĂ©nomĂšne nouveau, la communautĂ© internationale reconnaĂźt de plus en plus la nĂ©cessitĂ© de restreindre les pratiques de contrĂŽle de l’immigration, y compris l’interception en mer, qui peuvent entraver l’accĂšs des migrants Ă  la protection et ainsi les exposer au risque de torture.

2.  ApprĂ©ciation de la Cour

a)  Sur la recevabilitĂ©

110.  Le Gouvernement considĂšre que les requĂ©rants ne sauraient se prĂ©tendre « victimes Â», au sens de l’article 34 de la Convention, des faits qu’ils dĂ©noncent. Il conteste l’existence d’un risque rĂ©el, pour les requĂ©rants, d’ĂȘtre soumis Ă  des traitements inhumains et dĂ©gradants Ă  la suite de leur refoulement. L’évaluation d’un tel danger devrait se faire sur la base de faits sĂ©rieux et avĂ©rĂ©s concernant la situation de chaque requĂ©rant. Or, les informations fournies par les intĂ©ressĂ©s seraient vagues et insuffisantes.

111.  La Cour estime que la question soulevĂ©e par cette exception est Ă©troitement liĂ©e Ă  celles qu’elle devra aborder lors de l’examen du bien-fondĂ© des griefs tirĂ©s de l’article 3 de la Convention. Cette disposition impose notamment Ă  la Cour d’établir s’il y avait des motifs sĂ©rieux et avĂ©rĂ©s de croire que les intĂ©ressĂ©s couraient un risque rĂ©el d’ĂȘtre soumis Ă  la torture ou Ă  des traitements inhumains ou dĂ©gradants Ă  la suite de leur renvoi. Il convient dĂšs lors de joindre cette question Ă  l’examen du fond.

112.  La Cour considĂšre que cette partie de la requĂȘte pose des questions de fait et de droit complexes, qui ne peuvent ĂȘtre tranchĂ©es qu’aprĂšs un examen au fond ; il s’ensuit qu’elle n’est pas manifestement mal fondĂ©e au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilitĂ© n’ayant Ă©tĂ© relevĂ©, il y a lieu de la dĂ©clarer recevable.

b)  Sur le fond

i.  Principes gĂ©nĂ©raux

α)  ResponsabilitĂ© des Etats contractants en cas d’expulsion

113.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, les Etats contractants ont, en vertu d’un principe de droit international bien Ă©tabli et sans prĂ©judice des engagements dĂ©coulant pour eux de traitĂ©s, y compris de la Convention, le droit de contrĂŽler l’entrĂ©e, le sĂ©jour et l’éloignement des non-nationaux (voir, parmi beaucoup d’autres, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 67, sĂ©rie A no 94 ; et Boujlifa c. France, 21 octobre 1997, § 42, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997-VI). La Cour note aussi que ni la Convention ni ses Protocoles ne consacrent le droit Ă  l’asile politique (Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, 30 octobre 1991, § 102, sĂ©rie A no 215 ; et Ahmed c. Autriche, 17 dĂ©cembre 1996, § 38, Recueil 1996-VI).

114.  Cependant, l’expulsion, l’extradition ou toute autre mesure d’éloignement d’un Ă©tranger par un Etat contractant peut soulever un problĂšme au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilitĂ© de l’Etat en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sĂ©rieux et avĂ©rĂ©s de croire que l’intĂ©ressĂ©, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque rĂ©el d’ĂȘtre soumis Ă  un traitement contraire Ă  l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (Soering, prĂ©citĂ©, §§ 90-91 ; Vilvarajah et autres, prĂ©citĂ©, § 103 ; Ahmed, prĂ©citĂ©, § 39 ; H.L.R. c. France, 29 avril 1997, § 34, Recueil 1997-III ; Jabari c. Turquie, no 40035/98, § 38, CEDH 2000-VIII ; et Salah Sheekh c. Pays-Bas, no 1948/04, § 135, 11 janvier 2007).

115.  Dans ce type d’affaires, la Cour est donc appelĂ©e Ă  apprĂ©cier la situation dans le pays de destination Ă  l’aune des exigences de l’article 3. Dans la mesure oĂč une responsabilitĂ© se trouve ou peut se trouver engagĂ©e sur le terrain de la Convention, c’est celle de l’Etat contractant, du chef d’un acte qui a pour rĂ©sultat direct d’exposer quelqu’un Ă  un risque de mauvais traitements prohibĂ©s (Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 126, 28 fĂ©vrier 2008).

ÎČ)  ElĂ©ments retenus pour Ă©valuer le risque de subir des traitements contraires Ă  l’article 3 de la Convention

116.  Pour dĂ©terminer l’existence de motifs sĂ©rieux et avĂ©rĂ©s de croire Ă  un risque rĂ©el de traitements incompatibles avec l’article 3, la Cour s’appuie sur l’ensemble des Ă©lĂ©ments qu’on lui fournit ou, au besoin, qu’elle se procure d’office (H.L.R. c. France, prĂ©citĂ©, § 37 ; et Hilal c. Royaume-Uni, no 45276/99, § 60, CEDH 2001-II). Dans des affaires telles que la prĂ©sente espĂšce, la Cour se doit en effet d’appliquer des critĂšres rigoureux en vue d’apprĂ©cier l’existence d’un tel risque (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 96, Recueil 1996-V).

117.  Pour vĂ©rifier l’existence d’un risque de mauvais traitements, la Cour doit examiner les consĂ©quences prĂ©visibles du renvoi d’un requĂ©rant dans le pays de destination, compte tenu de la situation gĂ©nĂ©rale dans celui-ci et des circonstances propres au cas de l’intĂ©ressĂ© (Vilvarajah et autres, prĂ©citĂ©, § 108 in fine).

118.  Dans ce but, en ce qui concerne la situation gĂ©nĂ©rale dans un pays, la Cour a souvent attachĂ© de l’importance aux informations contenues dans les rapports rĂ©cents provenant d’associations internationales indĂ©pendantes de dĂ©fense des droits de l’homme telles qu’Amnesty International, ou de sources gouvernementales (voir, par exemple, Chahal, prĂ©citĂ©, §§ 99-100 ; MĂŒslim c. Turquie, no 53566/99, § 67, 26 avril 2005 ; Said c. Pays-Bas, n2345/02, § 54, CEDH 2005-VI ; Al-Moayad c. Allemagne (dĂ©c.), no 35865/03, §§ 65-66, 20 fĂ©vrier 2007 ; et Saadi, prĂ©citĂ©, § 131).

119.  Dans les affaires oĂč un requĂ©rant allĂšgue faire partie d’un groupe systĂ©matiquement exposĂ© Ă  une pratique de mauvais traitements, la Cour considĂšre que la protection de l’article 3 entre en jeu lorsque l’intĂ©ressĂ© dĂ©montre, le cas Ă©chĂ©ant Ă  l’aide des sources mentionnĂ©es au paragraphe prĂ©cĂ©dent, qu’il y a des motifs sĂ©rieux et avĂ©rĂ©s de croire Ă  l’existence de la pratique en question et Ă  son appartenance au groupe visĂ© (voir, mutatis mutandis, Salah Sheekh, prĂ©citĂ©, §§ 138-149).

120.  En raison du caractĂšre absolu du droit garanti, il n’est pas exclu que l’article 3 trouve aussi Ă  s’appliquer lorsque le danger Ă©mane de personnes ou de groupes de personnes qui ne relĂšvent pas de la fonction publique. Encore faut-il dĂ©montrer que le risque existe rĂ©ellement et que les autoritĂ©s de l’Etat de destination ne sont pas en mesure d’y obvier par une protection appropriĂ©e (H.L.R. c. France, prĂ©citĂ©, § 40).

121.  Pour ce qui est du moment Ă  prendre en considĂ©ration, il faut se rĂ©fĂ©rer en prioritĂ© aux circonstances dont l’Etat en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l’éloignement.

ii.  Application en l’espĂšce

122.  La Cour a dĂ©jĂ  eu l’occasion de reconnaĂźtre que les Etats situĂ©s aux frontiĂšres extĂ©rieures de l’Union europĂ©enne rencontrent actuellement des difficultĂ©s considĂ©rables pour faire face Ă  un flux croissant de migrants et de demandeurs d’asile. Elle ne saurait sous-estimer le poids et la pression que cette situation fait peser sur les pays concernĂ©s, d’autant plus lourds qu’elle s’inscrit dans un contexte de crise Ă©conomique (voir M.S.S. c. Belgique et GrĂšce [GC], no 30696/09, § 223, 21 janvier 2011). En particulier, elle est consciente des difficultĂ©s liĂ©es au phĂ©nomĂšne des migrations maritimes, impliquant pour les Etats des complications supplĂ©mentaires dans le contrĂŽle des frontiĂšres du sud de l’Europe.

Toutefois, vu le caractĂšre absolu des droits garantis par l’article 3, cela ne saurait exonĂ©rer un Etat de ses obligations au regard de cette disposition.

123.  La Cour rappelle que la protection contre les traitements prohibĂ©s par l’article 3 impose Ă  un Etat l’obligation de ne pas Ă©loigner une personne lorsqu’elle court dans l’Etat de destination un risque rĂ©el d’ĂȘtre soumise Ă  de tels traitements.

Elle constate que les nombreux rapports d’organes internationaux et d’organisations non gouvernementales dĂ©crivent une situation prĂ©occupante quant au traitement rĂ©servĂ© en Libye aux immigrĂ©s clandestins Ă  l’époque des faits. Les conclusions desdits documents sont par ailleurs corroborĂ©es par le rapport du CPT en date du 28 avril 2010 (paragraphe 35 ci-dessus).

124.  La Cour observe au passage que la situation en Libye s’est par la suite dĂ©gradĂ©e, aprĂšs la fermeture du bureau du HCR de Tripoli, en avril 2010, puis la rĂ©volte populaire qui a Ă©clatĂ© dans le pays en fĂ©vrier 2011. Toutefois, aux fins de l’examen de la prĂ©sente affaire, elle se rĂ©fĂ©rera Ă  la situation qui prĂ©valait dans ce pays Ă  l’époque des faits.

125.  Selon les divers rapports susmentionnĂ©s, durant la pĂ©riode concernĂ©e aucune rĂšgle de protection des rĂ©fugiĂ©s n’était respectĂ©e en Libye ; toutes les personnes entrĂ©es dans le pays par des moyens irrĂ©guliers Ă©taient considĂ©rĂ©es comme des clandestins, sans distinction aucune entre les migrants irrĂ©guliers et les demandeurs d’asile. En consĂ©quence, ces personnes Ă©taient systĂ©matiquement arrĂȘtĂ©es et dĂ©tenues dans des conditions que les visiteurs extĂ©rieurs, telles les dĂ©lĂ©gations du HCR, de Human Rights Watch, et d’Amnesty International, n’hĂ©sitent pas Ă  qualifier d’inhumaines. De nombreux cas de torture, de mauvaises conditions d’hygiĂšne et d’absence de soins mĂ©dicaux appropriĂ©s ont Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©s par l’ensemble des observateurs. Les clandestins risquaient Ă  tout moment d’ĂȘtre refoulĂ©s vers leur pays d’origine et, lorsqu’ils parvenaient Ă  retrouver la libertĂ©, ils Ă©taient exposĂ©s Ă  des conditions de vie particuliĂšrement prĂ©caires du fait de leur situation irrĂ©guliĂšre. Les immigrĂ©s irrĂ©guliers, comme les requĂ©rants, Ă©taient destinĂ©s Ă  occuper dans la sociĂ©tĂ© libyenne une position marginale et isolĂ©e, qui les rendait extrĂȘmement vulnĂ©rables aux actes xĂ©nophobes et racistes (paragraphes 35-41 ci-dessus).

126.  Or, il ressort clairement de ces mĂȘmes rapports que les migrants clandestins dĂ©barquĂ©s en Libye Ă  la suite de leur interception en haute mer par l’Italie, tels que les requĂ©rants, n’échappaient pas Ă  ces risques.

127.  Face au tableau prĂ©occupant brossĂ© par les diffĂ©rentes organisations internationales, le gouvernement dĂ©fendeur maintient que la Libye Ă©tait, Ă  l’époque des faits, un lieu de destination « sĂ»r Â» pour les migrants interceptĂ©s en haute mer.

Il Ă©taye sa conviction sur la prĂ©somption que la Libye aurait respectĂ© ses engagements internationaux en matiĂšre d’asile et de protection des rĂ©fugiĂ©s, y compris le principe de non-refoulement. Il fait valoir que le TraitĂ© d’amitiĂ© italo-libyen de 2008, en vertu duquel les refoulements de clandestins ont Ă©tĂ© effectuĂ©s, prĂ©voyait expressĂ©ment le respect des dispositions de droit international en matiĂšre de protection des droits de l’homme, tout comme des autres conventions internationales auxquelles la Libye Ă©tait partie.

128.  A cet Ă©gard, la Cour observe que le non-respect par la Libye de ses obligations internationales Ă©tait une des rĂ©alitĂ©s dĂ©noncĂ©es par les rapports internationaux concernant ce pays. En tout Ă©tat de cause, la Cour ne peut que rappeler que l’existence de textes internes et la ratification de traitĂ©s internationaux garantissant le respect des droits fondamentaux ne suffisent pas, Ă  elles seules, Ă  assurer une protection adĂ©quate contre le risque de mauvais traitements lorsque, comme en l’espĂšce, des sources fiables font Ă©tat de pratiques des autoritĂ©s – ou tolĂ©rĂ©es par celles-ci – manifestement contraires aux principes de la Convention (voir M.S.S., prĂ©citĂ©, § 353 et, mutatis mutandis, Saadi, prĂ©citĂ©, § 147).

129.  Par ailleurs, la Cour observe que l’Italie ne saurait se dĂ©gager de sa propre responsabilitĂ© en invoquant ses obligations dĂ©coulant des accords bilatĂ©raux avec la Libye. En effet, Ă  supposer mĂȘme que lesdits accords prĂ©voyaient expressĂ©ment le refoulement en Libye des migrants interceptĂ©s en haute mer, les Etats membres demeurent responsables mĂȘme lorsque, postĂ©rieurement Ă  l’entrĂ©e en vigueur de la Convention et de ses Protocoles Ă  leur Ă©gard, ils ont assumĂ© des engagements dĂ©coulant de traitĂ©s (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 47, CEDH 2001-VIII ; et Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, no 61498/08, § 128, 2 mars 2010).

130.  Quant Ă  l’argument du Gouvernement tirĂ© de la prĂ©sence d’un bureau du HCR Ă  Tripoli, force est de constater que l’activitĂ© du Haut-Commissariat, mĂȘme avant sa cessation dĂ©finitive en avril 2010, n’a jamais bĂ©nĂ©ficiĂ© de quelque forme de reconnaissance que ce soit de la part du gouvernement libyen. Il ressort des documents examinĂ©s par la Cour que le statut de refugiĂ© reconnu par le HCR ne garantissait aucune forme de protection aux personnes concernĂ©es en Libye.

131.  La Cour relĂšve une fois encore que cette rĂ©alitĂ© Ă©tait notoire et facile Ă  vĂ©rifier Ă  partir de sources multiples. DĂšs lors, elle estime qu’au moment d’éloigner les requĂ©rants, les autoritĂ©s italiennes savaient ou devaient savoir que ceux-ci, en tant que migrants irrĂ©guliers, seraient exposĂ©s en Libye Ă  des traitements contraires Ă  la Convention et qu’ils ne pourraient accĂ©der Ă  aucune forme de protection dans ce pays.

132.  Le Gouvernement soutient que les requĂ©rants n’ont pas Ă©voquĂ© de façon suffisamment explicite les risques encourus en Libye, dĂšs lors qu’ils n’ont pas demandĂ© l’asile auprĂšs des autoritĂ©s italiennes. Le simple fait que les requĂ©rants se soient opposĂ©s Ă  leur dĂ©barquement sur les cĂŽtes libyennes ne saurait selon lui ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une demande de protection faisant peser sur l’Italie une obligation en vertu de l’article 3 de la Convention.

133.  La Cour observe tout d’abord que cette circonstance est contestĂ©e par les intĂ©ressĂ©s, lesquels ont affirmĂ© avoir fait part aux militaires italiens de leur intention de demander une protection internationale. D’ailleurs, la version des requĂ©rants est corroborĂ©e par les nombreux tĂ©moignages recueillis par le HCR et Human Rights Watch. Quoi qu’il en soit, la Cour considĂšre qu’il appartenait aux autoritĂ©s nationales, face Ă  une situation de non-respect systĂ©matique des droits de l’homme telle que celle dĂ©crite ci-dessus, de s’enquĂ©rir du traitement auquel les requĂ©rants seraient exposĂ©s aprĂšs leur refoulement (voir, mutatis mutandis, Chahal c. Royaume-Uni, prĂ©citĂ©, §§ 104 et 105 ; Jabari, prĂ©citĂ©, §§ 40 et 41 ; et M.S.S., prĂ©citĂ©, § 359). Le fait que les intĂ©ressĂ©s aient omis de demander expressĂ©ment l’asile, eu Ă©gard aux circonstances de l’espĂšce, ne dispensait pas l’Italie de respecter ses obligations au titre de l’article 3.

134.  A cet Ă©gard, la Cour relĂšve qu’aucune des dispositions de droit international citĂ©es par le Gouvernement ne justifiait le renvoi des requĂ©rants vers la Libye, dans la mesure oĂč tant les normes en matiĂšre de secours aux personnes en mer que celles concernant la lutte contre la traite de personnes imposent aux Etats le respect des obligations dĂ©coulant du droit international en matiĂšre de refugiĂ©s, dont le « principe de non-refoulement Â» (paragraphe 23 ci-dessus).

135.  Ce principe de non-refoulement est Ă©galement consacrĂ© par l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne. A cet Ă©gard, la Cour attache un poids particulier au contenu de la lettre Ă©crite le 15 mai 2009 par M. Jacques Barrot, vice-prĂ©sident de la Commission europĂ©enne, dans laquelle celui-ci rĂ©itĂšre l’importance du respect du principe de non-refoulement dans le cadre d’opĂ©rations menĂ©es en haute mer par les Etats membres de l’Union europĂ©enne (paragraphe 34 ci-dessus).

136.  Au vu de ce qui prĂ©cĂšde, la Cour estime qu’en l’espĂšce, des faits sĂ©rieux et avĂ©rĂ©s permettent de conclure qu’il existait un risque rĂ©el pour les intĂ©ressĂ©s de subir en Libye des traitements contraires Ă  l’article 3. La circonstance que de nombreux immigrĂ©s irrĂ©guliers en Libye Ă©taient dans la mĂȘme situation que les requĂ©rants ne change rien au caractĂšre individuel du risque allĂ©guĂ©, dĂšs lors qu’il s’avĂšre suffisamment concret et probable (voir, mutatis mutandis, Saadi, prĂ©citĂ©, § 132).

137.  Se fondant sur ces conclusions et les devoirs qui pĂšsent sur les Etats en vertu de l’article 3, la Cour estime qu’en transfĂ©rant les requĂ©rants vers la Libye, les autoritĂ©s italiennes les ont exposĂ©s en pleine connaissance de cause Ă  des traitements contraires Ă  la Convention.

138.  DĂšs lors, il convient de rejeter l’exception du Gouvernement ayant trait au dĂ©faut de la qualitĂ© de victime des requĂ©rants et de conclure qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

B.  Sur la violation allĂ©guĂ©e de l’article 3 de la Convention du fait que les requĂ©rants ont Ă©tĂ© exposĂ©s au risque d’ĂȘtre rapatriĂ©s arbitrairement en ErythrĂ©e et en Somalie

1.  ThĂšses des parties

a)  Les requĂ©rants

139.  Les requĂ©rants allĂšguent que leur transfert vers la Libye, oĂč les refugiĂ©s et les demandeurs d’asile ne bĂ©nĂ©ficient d’aucune forme de protection, les a exposĂ©s au risque d’ĂȘtre refoulĂ©s vers leurs pays d’origine respectifs, la Somalie et l’ErythrĂ©e. Ils font valoir que plusieurs rapports Ă©manant de sources internationales affirment l’existence de conditions contraires aux droits de l’homme dans ces deux pays.

140.  Les requĂ©rants, qui ont fui leurs pays respectifs, soutiennent avoir Ă©tĂ© privĂ©s de toute possibilitĂ© d’obtenir une protection internationale. Le fait que la majoritĂ© d’entre eux ait obtenu le statut de rĂ©fugiĂ© Ă  la suite de leur arrivĂ©e en Libye confirmerait que leurs craintes de subir des mauvais traitements Ă©taient fondĂ©es. Ils estiment que, bien que le statut de refugiĂ© accordĂ© par le bureau du HCR de Tripoli n’ait aucune valeur pour les autoritĂ©s libyennes, l’octroi de ce statut dĂ©montre que le groupe de migrants dont ils faisaient partie avait besoin d’une protection internationale.

b)  Le Gouvernement

141.  Le Gouvernement fait observer que la Libye Ă©tait signataire de plusieurs instruments internationaux de protection des droits de l’homme et rappelle que, en ratifiant le traitĂ© d’amitiĂ© de 2008, elle s’était expressĂ©ment engagĂ©e Ă  respecter les principes inscrits dans la Charte des Nations Unies et dans la DĂ©claration universelle des droits de l’Homme.

142.  Il rĂ©affirme que la prĂ©sence du HCR en Libye constituait une assurance de ce qu’aucune personne ayant droit Ă  l’asile ou Ă  une autre forme de protection internationale ne soit expulsĂ©e arbitrairement. Il fait valoir qu’un nombre important de requĂ©rants se sont vu octroyer le statut de rĂ©fugiĂ© en Libye, ce qui permettrait d’exclure leur rapatriement.

c)  Les tiers intervenants

143.  Le HCR affirme que la Libye a frĂ©quemment procĂ©dĂ© au renvoi collectif de rĂ©fugiĂ©s et de demandeurs d’asile vers leur pays d’origine, oĂč ils pouvaient ĂȘtre soumis Ă  la torture et Ă  d’autres mauvais traitements. Il dĂ©nonce l’absence d’un systĂšme de protection internationale en Libye, ce qui engendrerait un risque trĂšs Ă©levĂ© de « refoulements en chaĂźne Â» de personnes ayant besoin de protection.

Le Haut-Commissariat ainsi que Human Rights Watch et Amnesty International font Ă©tat du risque, pour les individus rapatriĂ©s de force en ErythrĂ©e et en Somalie, d’ĂȘtre soumis Ă  la torture et Ă  des traitements inhumains et d’ĂȘtre exposĂ©s Ă  des conditions de vie extrĂȘmement prĂ©caires.

144.  Le Centre AIRE, Amnesty International et la FIDH affirment que, eu Ă©gard Ă  la vulnĂ©rabilitĂ© particuliĂšre des demandeurs d’asile et des personnes interceptĂ©es en mer et au manque de garanties ou de procĂ©dures adĂ©quates Ă  bord des navires qui permettraient de contester les renvois, il est d’autant plus impĂ©ratif pour les Parties contractantes impliquĂ©es dans des opĂ©rations de renvoi de vĂ©rifier la situation rĂ©elle dans les Etats de destination, y compris quant au risque de refoulement ultĂ©rieur.

2.  ApprĂ©ciation de la Cour

a)  Sur la recevabilitĂ©

145.  La Cour estime que ce grief pose des questions de fait et de droit complexes qui ne peuvent ĂȘtre tranchĂ©es qu’aprĂšs un examen au fond. Il s’ensuit que cette partie de la requĂȘte n’est pas manifestement mal fondĂ©e au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilitĂ© n’ayant Ă©tĂ© relevĂ©, elle doit ĂȘtre dĂ©clarĂ©e recevable.

b)  Sur le fond

146.  La Cour rappelle le principe selon lequel le refoulement indirect d’un Ă©tranger laisse intacte la responsabilitĂ© de l’Etat contractant, lequel est tenu, conformĂ©ment Ă  une jurisprudence bien Ă©tablie, de veiller Ă  ce que l’intĂ©ressĂ© ne se trouve pas exposĂ© Ă  un risque rĂ©el de subir des traitements contraires Ă  l’article 3 de la Convention en cas de rapatriement (voir, mutatis mutandis, T.I. c. Royaume-Uni (dĂ©c.), no 43844/98, CEDH 2000-III, et M.S.S., prĂ©citĂ©, § 342).

147.  Il appartient Ă  l’Etat qui procĂšde au refoulement de s’assurer que le pays intermĂ©diaire offre des garanties suffisantes permettant d’éviter que la personne concernĂ©e ne soit expulsĂ©e vers son pays d’origine sans une Ă©valuation des risques qu’elle encourt. La Cour observe que cette obligation est d’autant plus importante lorsque, comme en l’espĂšce, le pays intermĂ©diaire n’est pas un Etat partie Ă  la Convention.

148.  Dans la prĂ©sente affaire, la tĂąche de la Cour ne consiste pas Ă  se prononcer sur la violation de la Convention en cas de rapatriement des requĂ©rants, mais Ă  rechercher s’il existait des garanties suffisantes permettant d’éviter que les intĂ©ressĂ©s ne soient soumis Ă  un refoulement arbitraire vers leurs pays d’origine, dĂšs lors qu’ils pouvaient faire valoir de façon dĂ©fendable que leur rapatriement Ă©ventuel porterait atteinte Ă  l’article 3 de la Convention.

149.  La Cour dispose d’un certain nombre d’informations sur la situation gĂ©nĂ©rale en ErythrĂ©e et en Somalie, pays d’origine des requĂ©rants, produites par les intĂ©ressĂ©s et les tiers intervenants (paragraphes 43 et 44 ci-dessus).

150.  Elle observe que, selon le HCR et Human Rights Watch, les personnes rapatriĂ©es de force en ErythrĂ©e courent le risque d’ĂȘtre confrontĂ©es Ă  la torture et d’ĂȘtre dĂ©tenues dans des conditions inhumaines du seul fait qu’elles ont quittĂ© irrĂ©guliĂšrement le pays. Quant Ă  la Somalie, dans la rĂ©cente affaire Sufi et Elmi (prĂ©citĂ©e), la Cour a constatĂ© la gravitĂ© du niveau de violence atteint Ă  Mogadiscio et le risque Ă©levĂ© pour les personnes renvoyĂ©es dans ce pays d’ĂȘtre amenĂ©es soit Ă  transiter par les zones touchĂ©es par le conflit armĂ© soit Ă  chercher refuge dans les camps pour personnes dĂ©placĂ©es ou pour rĂ©fugiĂ©s, oĂč les conditions de vie sont dĂ©sastreuses.

151.  La Cour estime que l’ensemble des informations en sa possession montre que prima facie la situation en Somalie et en ErythrĂ©e a posĂ© et continue de poser de graves problĂšmes d’insĂ©curitĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e. Ce constat n’est d’ailleurs pas contestĂ© devant la Cour.

152.  En consĂ©quence, les requĂ©rants pouvaient, de maniĂšre dĂ©fendable, faire valoir que leur rapatriement porterait atteinte Ă  l’article 3 de la Convention. Il s’agit Ă  prĂ©sent de rechercher si les autoritĂ©s italiennes pouvaient raisonnablement s’attendre Ă  ce que la Libye prĂ©sentĂąt des garanties suffisantes contre les rapatriements arbitraires.

153.  La Cour observe tout d’abord que la Libye n’a pas ratifiĂ© la Convention de GenĂšve relative au statut des rĂ©fugiĂ©s. En outre, les observateurs internationaux font Ă©tat de l’absence de toute forme de procĂ©dure d’asile et de protection des rĂ©fugiĂ©s dans le pays. A cet Ă©gard, la Cour a dĂ©jĂ  eu l’occasion de constater que la prĂ©sence du HCR Ă  Tripoli n’est guĂšre une garantie de protection des demandeurs d’asile, en raison de l’attitude nĂ©gative des autoritĂ©s libyennes, qui ne reconnaissent aucune valeur au statut de rĂ©fugiĂ© (paragraphe 130 ci-dessus).

154.  Dans ces conditions, la Cour ne saurait souscrire Ă  l’argument du Gouvernement selon lequel l’action du HCR reprĂ©senterait une garantie contre les rapatriements arbitraires. De surcroĂźt, Human Rights Watch et le HCR ont dĂ©noncĂ© plusieurs prĂ©cĂ©dents de retours forcĂ©s de migrants irrĂ©guliers vers des pays Ă  risque, migrants parmi lesquels se trouvaient des demandeurs d’asile et des rĂ©fugiĂ©s.

155.  DĂšs lors, le fait que certains des requĂ©rants aient obtenu le statut de rĂ©fugiĂ© ne saurait rassurer la Cour quant au risque de refoulement arbitraire. Au contraire, la Cour partage l’avis des requĂ©rants selon lequel cela constitue une preuve supplĂ©mentaire de la vulnĂ©rabilitĂ© des intĂ©ressĂ©s.

156.  Au vu de ce qui prĂ©cĂšde, la Cour estime qu’au moment de transfĂ©rer les requĂ©rants vers la Libye, les autoritĂ©s italiennes savaient ou devaient savoir qu’il n’existait pas de garanties suffisantes protĂ©geant les intĂ©ressĂ©s du risque d’ĂȘtre renvoyĂ©s arbitrairement dans leurs pays d’origine, compte tenu notamment de l’absence d’une procĂ©dure d’asile et de l’impossibilitĂ© de faire reconnaĂźtre par les autoritĂ©s libyennes le statut de refugiĂ© octroyĂ© par le HCR.

157.  Par ailleurs, la Cour rĂ©affirme que l’Italie n’est pas dispensĂ©e de respecter ses obligations au titre de l’article 3 de la Convention du fait que les requĂ©rants auraient omis de demander l’asile ou d’exposer les risques encourus en raison de l’absence d’un systĂšme d’asile en Libye. Elle rappelle encore une fois qu’il revenait aux autoritĂ©s italiennes de s’enquĂ©rir de la maniĂšre dont les autoritĂ©s libyennes s’acquittaient de leurs obligations internationales en matiĂšre de protection des refugiĂ©s.

158.  Il s’ensuit que le transfert des requĂ©rants vers la Libye a Ă©galement emportĂ© violation de l’article 3 de la Convention du fait qu’il les a exposĂ© au risque de rapatriement arbitraire.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 4 DU PROTOCOLE No 4

159.  Les requĂ©rants affirment avoir fait l’objet d’une expulsion collective dĂ©pourvue de toute base lĂ©gale. Ils invoquent l’article 4 du Protocole no 4, ainsi libellĂ© :

« Les expulsions collectives d’étrangers sont interdites. Â»

1.  ThĂšses des parties

a)  Le Gouvernement

160.  Le Gouvernement excipe de l’inapplicabilitĂ© de l’article 4 du Protocole no 4 en l’espĂšce. Il estime que la garantie offerte par cette disposition entre en jeu seulement en cas d’expulsion de personnes qui se trouvent sur le territoire d’un Etat ou qui ont franchi illĂ©galement la frontiĂšre nationale. Dans la prĂ©sente affaire, la mesure en question correspondrait Ă  un refus d’autoriser l’entrĂ©e sur le territoire national plutĂŽt qu’à une « expulsion Â».

b)  Les requĂ©rants

161.  Tout en admettant que l’emploi du terme « expulsion Â» pourrait en apparence constituer un obstacle Ă  l’applicabilitĂ© de cette disposition, les requĂ©rants affirment qu’une approche Ă©volutive devrait amener la Cour Ă  reconnaĂźtre l’applicabilitĂ© de l’article 4 du Protocole no 4 dans la prĂ©sente affaire.

162.  En particulier, les requĂ©rants plaident pour une interprĂ©tation fonctionnelle et tĂ©lĂ©ologique de cette disposition. Selon eux, le but essentiel de l’interdiction des expulsions collectives est d’empĂȘcher les Etats de procĂ©der au transfert forcĂ© d’un groupe d’étrangers vers un autre Etat sans examiner, fĂ»t-ce de maniĂšre sommaire, leur situation individuelle. Dans cette optique, pareille interdiction devrait s’appliquer Ă©galement aux mesures d’éloignement de migrants en haute mer, effectuĂ©es sans aucun acte formel prĂ©alable, en ce que lesdites mesures pourraient constituer des « expulsions dĂ©guisĂ©es Â». Une interprĂ©tation tĂ©lĂ©ologique et « extraterritoriale Â» de cette disposition aurait pour effet de la rendre concrĂšte et effective et non pas thĂ©orique et illusoire.

163.  Selon les requĂ©rants, Ă  supposer mĂȘme que la Cour dĂ©cide de confĂ©rer une portĂ©e strictement territoriale Ă  l’interdiction Ă©tablie par l’article 4 du Protocole no 4, leur refoulement vers la Libye entrerait de toute maniĂšre dans le champ d’application de cet article du fait qu’il est intervenu Ă  partir d’un bateau battant pavillon italien, assimilĂ© par l’article 4 du code italien de la navigation au « territoire italien Â».

Leur refoulement vers la Libye, effectuĂ© sans identification prĂ©alable et en l’absence de tout examen de la situation personnelle de chacun d’eux, aurait constituĂ©, en substance, une mesure d’éloignement collective.

c)  Les tiers intervenants

164.  Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), auquel se rallie le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les rĂ©fugiĂ©s (HCR) (paragraphe 7 ci-dessus), plaide l’applicabilitĂ© de l’article 4 du Protocole no 4 au cas d’espĂšce. Il estime que la question est cruciale, compte tenu des rĂ©percussions importantes qu’une interprĂ©tation extensive de cette disposition pourrait avoir dans le domaine des migrations internationales.

AprĂšs avoir rappelĂ© que les expulsions collectives d’étrangers, y compris ceux en situation irrĂ©guliĂšre, sont interdites de maniĂšre gĂ©nĂ©rale par le droit international et communautaire, le HCDH affirme que les personnes interceptĂ©es en mer doivent pouvoir bĂ©nĂ©ficier d’une protection contre ce type d’expulsions, mĂȘme lorsqu’elles n’ont pas pu atteindre la frontiĂšre d’un Etat.

Les expulsions collectives pratiquĂ©es en haute mer sont interdites au regard du principe de la bonne foi, Ă  la lumiĂšre duquel doivent ĂȘtre interprĂ©tĂ©es les dispositions conventionnelles. Permettre aux Etats de renvoyer les migrants interceptĂ©s en haute mer sans respecter la garantie que consacre l’article 4 du Protocole no 4 signifierait accepter que les Etats se dĂ©gagent de leurs obligations conventionnelles en avançant les opĂ©rations de contrĂŽle aux frontiĂšres.

De plus, reconnaĂźtre l’exercice extraterritorial de la juridiction d’un Etat contractant pour des faits ayant eu lieu en haute mer entraĂźnerait selon le HCDH une prĂ©somption d’applicabilitĂ© de l’ensemble des droits garantis par la Convention et ses Protocoles.

165.  La Columbia Law School Human Rights Clinic rappelle l’importance des garanties procĂ©durales dans le domaine de la protection des droits des rĂ©fugiĂ©s. Les Etats auraient le devoir d’examiner la situation de chaque individu au cas par cas, afin de garantir une protection efficace des droits fondamentaux des personnes concernĂ©es et d’éviter de procĂ©der Ă  leur Ă©loignement lorsqu’il existe un risque de prĂ©judice.

Elle estime que l’immigration clandestine par la mer n’est pas un phĂ©nomĂšne nouveau mais que la communautĂ© internationale reconnaĂźt de plus en plus la nĂ©cessitĂ© de fixer des limites aux pratiques des Etats en matiĂšre de contrĂŽle de l’immigration, y compris l’interception en mer. Le principe de non-refoulement exigerait des Etats qu’ils s’abstiennent d’éloigner des personnes sans avoir apprĂ©ciĂ© leur situation au cas par cas.

Ainsi, divers organes des Nations Unies, comme le ComitĂ© contre la torture, auraient clairement dĂ©clarĂ© que de telles pratiques risquaient d’enfreindre les normes internationales en matiĂšre de droits de l’homme et auraient soulignĂ© l’importance de l’identification et de l’apprĂ©ciation individuelles pour prĂ©venir les renvois Ă  risque. La Commission interamĂ©ricaine des droits de l’homme aurait reconnu l’importance de ces garanties procĂ©durales dans l’affaire The Haitian Center for Human Rights et al. v. United States (affaire no 10 675, rapport no 51/96, § 163), dans laquelle elle aurait exprimĂ© l’avis que les Etats-Unis avaient renvoyĂ© de maniĂšre inacceptable des migrants haĂŻtiens interceptĂ©s en haute mer, sans avoir procĂ©dĂ© Ă  une dĂ©termination adĂ©quate de leur statut ni les avoir entendus aux fins de vĂ©rifier s’ils pouvaient prĂ©tendre au statut de rĂ©fugiĂ©. Cette dĂ©cision serait d’autant plus importante qu’elle contredirait la position prise prĂ©cĂ©demment par la Cour suprĂȘme des Etats-Unis dans l’affaire Sale v. Haitian Centers Council (113 S.Ct, 2549, 1993).

2.  ApprĂ©ciation de la Cour

a)  Sur la recevabilitĂ©

166.  La Cour doit tout d’abord examiner la question de l’applicabilitĂ© de l’article 4 du Protocole no 4. Dans l’affaire Henning Becker c. Danemark (no 7011/75, dĂ©cision du 3 octobre 1975), relative au rapatriement d’un groupe d’environ deux cents enfants vietnamiens par les autoritĂ©s danoises, la Commission a dĂ©fini, pour la premiĂšre fois, l’« expulsion collective d’étrangers Â» comme Ă©tant « toute mesure de l’autoritĂ© compĂ©tente contraignant des Ă©trangers, en tant que groupe, Ă  quitter un pays sauf dans les cas oĂč une telle mesure est prise Ă  l’issue et sur la base d’un examen raisonnable et objectif de la situation particuliĂšre de chacun des Ă©trangers qui forment le groupe Â».

167.  Par la suite, cette dĂ©finition a Ă©tĂ© utilisĂ©e par les organes de la Convention dans les autres affaires relatives Ă  l’article 4 du Protocole n4. La Cour observe que la plupart d’entre elles portaient sur des personnes qui se trouvaient sur le territoire de l’Etat concernĂ© (K.G. c. R.F.A, no 7704/76, dĂ©cision de la Commission du 1er mars 1977 ; O. et autres c. Luxembourg, n7757/77, dĂ©cision de la Commission du 3 mars 1978 ; A. et autres c. Pays-Bas, no 14209/88, dĂ©cision de la Commission du 16 dĂ©cembre 1988 ; Andric c. SuĂšde (dĂ©c.), no 45917/99, 23 fĂ©vrier 1999 ; Čonka c. Belgique, no 51564/99, CEDH 2002-I ; Davydov c. Estonie (dĂ©c.), no 16387/03, 31 mai 2005 ; Berisha et Haljiti c. ex-RĂ©publique yougoslave de MacĂ©doine, no 18670/03, dĂ©cision du 16 juin 2005 ; Sultani c. France, n45223/05, CEDH 2007-X ; Ghulami c. France (dĂ©c.), no 45302/05, 7 avril 2009 ; et Dritsas c. Italie (dĂ©c.), no 2344/02, 1er fĂ©vrier 2011).

168.  En revanche l’affaire Xhavara et autres c. Italie et Albanie ((dĂ©c.), no 39473/98, 11 janvier 2001), concernait des ressortissants albanais qui avaient tentĂ© d’entrer clandestinement en Italie Ă  bord d’un bateau albanais et qui avaient Ă©tĂ© interceptĂ©s par un navire de guerre italien Ă  environ 35 milles marins des cĂŽtes italiennes. Le navire italien avait essayĂ© d’empĂȘcher les intĂ©ressĂ©s de dĂ©barquer sur les cĂŽtes nationales, provoquant le dĂ©cĂšs de cinquante-huit personnes, parmi lesquelles les parents des requĂ©rants, Ă  la suite d’une collision. Dans cette derniĂšre affaire, les requĂ©rants se plaignaient notamment du dĂ©cret-loi no 60 de 1997, qui prĂ©voyait l’expulsion immĂ©diate des Ă©trangers irrĂ©guliers, mesure contre laquelle seul un recours non suspensif pouvait ĂȘtre formĂ©. Ils y voyaient une mĂ©connaissance de la garantie offerte par l’article 4 du Protocole no 4. La Cour a rejetĂ© ce grief pour incompatibilitĂ© ratione personae, la disposition interne contestĂ©e n’ayant pas Ă©tĂ© appliquĂ©e Ă  leur cas, et ne s’est pas prononcĂ©e sur l’applicabilitĂ© de l’article 4 du Protocole no 4 au cas d’espĂšce.

169.  DĂšs lors, dans la prĂ©sente affaire, la Cour est appelĂ©e pour la premiĂšre fois Ă  examiner la question de l’applicabilitĂ© de l’article 4 du Protocole no 4 Ă  un cas d’éloignement d’étrangers vers un Etat tiers effectuĂ© en dehors du territoire national. Il s’agit de rechercher si le transfert des requĂ©rants vers la Libye a constituĂ© une « expulsion collective d’étrangers Â» au sens de la disposition litigieuse.

170.  Pour interprĂ©ter les dispositions conventionnelles, la Cour s’inspire des articles 31 Ă  33 de la Convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s (voir, par exemple, Golder c. Royaume-Uni, 21 fĂ©vrier 1975, § 29, sĂ©rie A no 18 ; Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, § 65, 12 novembre 2008 ; et Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 62, 29 janvier 2008).

171.  En application de la Convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s, la Cour doit Ă©tablir le sens ordinaire Ă  attribuer aux termes dans leur contexte et Ă  la lumiĂšre de l’objet et du but de la disposition dont ils sont tirĂ©s. Elle doit tenir compte du fait que la disposition en question fait partie d’un traitĂ© pour la protection effective des droits de l’homme, et que la Convention doit se lire comme un tout et s’interprĂ©ter de maniĂšre Ă  promouvoir sa cohĂ©rence interne et l’harmonie entre ses diverses dispositions (Stec et autres c. Royaume-Uni (dĂ©c.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 48, CEDH 2005-X). La Cour doit Ă©galement prendre en considĂ©ration toute rĂšgle et tout principe de droit international applicables aux relations entre les Parties contractantes (Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001-XI ; et Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim ƞirketi (Bosphorus Airways) c. Irlande [GC], no 45036/98, § 150, CEDH 2005-VI ; voir Ă©galement l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne). La Cour peut aussi faire appel Ă  des moyens complĂ©mentaires d’interprĂ©tation, notamment aux travaux prĂ©paratoires de la Convention, soit pour confirmer un sens dĂ©terminĂ© conformĂ©ment aux mĂ©thodes Ă©voquĂ©es plus haut, soit pour en clarifier le sens lorsqu’il serait autrement ambigu, obscur ou manifestement absurde et dĂ©raisonnable (article 32 de la Convention de Vienne).

172.  Le Gouvernement considĂšre qu’un obstacle logique s’oppose Ă  l’applicabilitĂ© de l’article 4 du Protocole no 4 Ă  la prĂ©sente espĂšce, Ă  savoir le fait que les requĂ©rants ne se trouvaient pas sur le territoire national lors de leur transfert vers la Libye, mesure qui par consĂ©quent ne saurait selon lui passer pour une « expulsion Â» au sens ordinaire du terme.

173.  La Cour ne partage pas l’opinion du Gouvernement sur ce point. Elle note tout d’abord que si les affaires examinĂ©es jusqu’à prĂ©sent concernaient des personnes qui se trouvaient dĂ©jĂ , Ă  diffĂ©rents titres, sur le territoire du pays concernĂ©, le libellĂ© de l’article 4 du Protocole no 4 ne fait pas, en soi, obstacle Ă  son application extraterritoriale. Il y a lieu d’observer en effet qu’aucune rĂ©fĂ©rence Ă  la notion de « territoire Â» ne figure Ă  l’article 4 du Protocole no 4, alors qu’au contraire le texte de l’article 3 du mĂȘme Protocole Ă©voque expressĂ©ment la portĂ©e territoriale de l’interdiction d’expulser des nationaux. De mĂȘme, l’article 1 du Protocole no 7 se rĂ©fĂšre de façon explicite Ă  la notion de territoire en matiĂšre de garanties procĂ©durales en cas d’expulsion d’étrangers rĂ©sidant rĂ©guliĂšrement sur le territoire de l’Etat. Aux yeux de la Cour, cet Ă©lĂ©ment textuel ne saurait ĂȘtre ignorĂ©.

174.  Les travaux prĂ©paratoires, quant Ă  eux, ne sont pas explicites au sujet du champ d’application et de la portĂ©e de l’article 4 du Protocole no 4. En tout Ă©tat de cause, il ressort du rapport explicatif relatif au Protocole no 4, rĂ©digĂ© en 1963, que pour le ComitĂ© d’experts, l’article 4 devait formellement prohiber « les expulsions collectives du genre de celles qui se sont produites dans un passĂ© rĂ©cent Â». Aussi Ă©tait-il « entendu que l’adoption du prĂ©sent article [de l’article 4] et de l’article 3, paragraphe 1, ne pourrait en aucune façon ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme Ă©tant de nature Ă  lĂ©gitimer les mesures d’expulsion collective prises dans le passĂ© Â». Dans le commentaire du projet, on peut lire que, selon le ComitĂ© d’experts, les Ă©trangers auxquels l’article se rĂ©fĂšre ne sont pas seulement ceux rĂ©sidant rĂ©guliĂšrement sur le territoire, mais « tous ceux qui n’ont pas un droit actuel de nationalitĂ© dans l’Etat sans distinguer ni s’ils sont simplement de passage ou s’ils sont rĂ©sidents ou domiciliĂ©s, ni s’ils sont des rĂ©fugiĂ©s ou s’ils sont entrĂ©s dans le pays de leur plein grĂ©, ni s’ils sont apatrides ou possĂšdent une nationalitĂ© Â» (Article 4 du projet dĂ©finitif du ComitĂ©, p. 505, § 34). Enfin, pour les rĂ©dacteurs du Protocole no 4, le mot « expulsion Â» devait ĂȘtre interprĂ©tĂ© « dans le sens gĂ©nĂ©rique que lui reconnaĂźt le langage courant (chasser hors d’un endroit) Â». Bien que cette derniĂšre dĂ©finition soit contenue dans la section relative Ă  l’article 3 du Protocole, la Cour considĂšre qu’elle peut ĂȘtre appliquĂ©e Ă©galement Ă  l’article 4 du mĂȘme Protocole. Il s’ensuit que les travaux prĂ©paratoires, eux non plus, ne s’opposent pas Ă  une application extraterritoriale de l’article 4 du Protocole no 4.

175.  Pour autant, la question demeure de savoir si une telle application se justifie. Pour y rĂ©pondre, il convient de tenir compte du but et du sens de la disposition en cause, lesquels doivent eux-mĂȘmes s’analyser Ă  la lumiĂšre du principe, solidement ancrĂ© dans la jurisprudence de la Cour, selon lequel la Convention est un instrument vivant qui doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© Ă  la lumiĂšre des conditions actuelles (voir, par exemple, Soering, prĂ©citĂ©, § 102 ; Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, sĂ©rie A no 45 ; X, Y et Z c. Royaume-Uni, 22 avril 1997, Recueil 1997-II ; V. c. Royaume-Uni [GC], n24888/94, § 72, CEDH 1999-IX ; et Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 39, CEDH 1999-I). En outre, il est essentiel que la Convention soit interprĂ©tĂ©e et appliquĂ©e d’une maniĂšre qui en rende les garanties concrĂštes et effectives et non pas thĂ©oriques et illusoires (Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 41, sĂ©rie A no 31 ; Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 26, sĂ©rie A no 32 ; Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 121, CEDH 2005-I ; et Leyla ƞahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 136, CEDH 2005-XI).

176.  Or, une longue pĂ©riode s’est Ă©coulĂ©e depuis la rĂ©daction du Protocole no 4. Depuis cette Ă©poque, les flux migratoires en Europe n’ont cessĂ© de s’intensifier, empruntant de plus en plus la voie maritime, si bien que l’interception de migrants en haute mer et leur renvoi vers les pays de transit ou d’origine font dĂ©sormais partie du phĂ©nomĂšne migratoire, dans la mesure oĂč ils constituent pour les Etats des moyens de lutte contre l’immigration irrĂ©guliĂšre.

Le contexte de crise Ă©conomique ainsi que les rĂ©centes mutations sociales et politiques ayant touchĂ© tout particuliĂšrement certaines rĂ©gions d’Afrique et du Moyen Orient placent les Etats europĂ©ens face Ă  de nouveaux dĂ©fis dans le domaine de la gestion de l’immigration.

177.  La Cour a dĂ©jĂ  relevĂ© que d’aprĂšs la jurisprudence bien Ă©tablie de la Commission et de la Cour, le but de l’article 4 du Protocole no 4 est d’éviter que les Etats puissent Ă©loigner un certain nombre d’étrangers sans examiner leur situation personnelle et, par consĂ©quent, sans leur permettre d’exposer leurs arguments s’opposant Ă  la mesure prise par l’autoritĂ© compĂ©tente. Si donc l’article 4 du Protocole no 4 devait s’appliquer seulement aux expulsions collectives effectuĂ©es Ă  partir du territoire national des Etats parties Ă  la Convention, c’est une partie importante des phĂ©nomĂšnes migratoires contemporains qui se trouverait soustraite Ă  l’empire de cette disposition, nonobstant le fait que les agissements qu’elle entend interdire peuvent se produire en dehors du territoire national et notamment, comme en l’espĂšce, en haute mer. L’article 4 se verrait ainsi privĂ© d’effet utile Ă  l’égard de ces phĂ©nomĂšnes, qui tendent pourtant Ă  se multiplier. Cela aurait pour consĂ©quence que des migrants ayant empruntĂ© la voie maritime, souvent au pĂ©ril leur vie, et qui ne sont pas parvenus Ă  atteindre les frontiĂšres d’un Etat, n’auraient pas droit Ă  un examen de leur situation personnelle avant d’ĂȘtre expulsĂ©s, contrairement Ă  ceux qui ont empruntĂ© la voie terrestre.

178.  Pour autant, il est clair que, de mĂȘme que la notion de « juridiction Â» est principalement territoriale et qu’elle est prĂ©sumĂ©e s’exercer sur le territoire national des Etats (paragraphe 71 ci-dessus), la notion d’expulsion est, elle aussi, principalement territoriale, en ce sens que les expulsions se font le plus souvent depuis le territoire national. LĂ  oĂč toutefois, comme en l’espĂšce, elle a reconnu qu’un Etat contractant avait exercĂ©, Ă  titre exceptionnel, sa juridiction en dehors de son territoire national, la Cour ne voit pas d’obstacle Ă  accepter que l’exercice de la juridiction extraterritoriale de cet Etat a pris la forme d’une expulsion collective. Conclure autrement, et accorder Ă  cette derniĂšre notion une portĂ©e strictement territoriale, entraĂźnerait une distorsion entre le champ d’application de la Convention en tant que telle et celui de l’article 4 du Protocole no 4, ce qui contredirait le principe selon lequel la Convention doit s’interprĂ©ter comme un tout. D’ailleurs, s’agissant de l’exercice par un Etat de sa juridiction en haute mer, la Cour a dĂ©jĂ  affirmĂ© que la spĂ©cificitĂ© du contexte maritime ne saurait aboutir Ă  la consĂ©cration d’un espace de non-droit au sein duquel les individus ne relĂšveraient d’aucun rĂ©gime juridique susceptible de leur accorder la jouissance des droits et garanties prĂ©vus par la Convention et que les Etats se sont engagĂ©s Ă  reconnaĂźtre aux personnes placĂ©es sous leur juridiction (Medvedyev et autres, prĂ©citĂ©, § 81).

179.  Les considĂ©rations ci-dessus ne remettent pas en cause le droit dont disposent les Etats d’établir souverainement leurs politiques d’immigration. Il importe toutefois de souligner que les difficultĂ©s dans la gestion des flux migratoires ne peuvent justifier le recours, de la part des Etats, Ă  des pratiques qui seraient incompatibles avec leurs obligations conventionnelles. La Cour rĂ©affirme Ă  cet Ă©gard que l’interprĂ©tation des normes conventionnelles doit se faire au regard du principe de la bonne foi et de l’objet et du but du traitĂ© ainsi que de la rĂšgle de l’effet utile (Mamatkulov et Askarov, prĂ©citĂ©, § 123).

180.  Compte tenu de ce qui prĂ©cĂšde, la Cour considĂšre que les Ă©loignements d’étrangers effectuĂ©es dans le cadre d’interceptions en haute mer par les autoritĂ©s d’un Etat dans l’exercice de leurs prĂ©rogatives de puissance publique, et qui ont pour effet d’empĂȘcher les migrants de rejoindre les frontiĂšres de l’Etat, voire de les refouler vers un autre Etat, constituent un exercice de leur juridiction au sens de l’article 1 de la Convention, qui engage la responsabilitĂ© de l’Etat en question sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 4.

181.  En l’espĂšce, la Cour estime que l’opĂ©ration ayant conduit au transfert des requĂ©rants vers la Libye a Ă©tĂ© menĂ©e par les autoritĂ©s italiennes dans le but d’empĂȘcher les dĂ©barquements de migrants irrĂ©guliers sur les cĂŽtes nationales. A cet Ă©gard, elle attache un poids particulier aux dĂ©clarations livrĂ©es aprĂšs les faits par le ministre de l’IntĂ©rieur Ă  la presse nationale et au SĂ©nat de la RĂ©publique, dans lesquelles il a expliquĂ© l’importance des renvois en haute mer pour la lutte contre l’immigration clandestine et soulignĂ© la diminution importante des dĂ©barquements due aux opĂ©rations menĂ©es au cours du mois de mai 2009 (paragraphe 13 ci-dessus).

182.  Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement et considĂšre que l’article 4 du Protocole no 4 trouve Ă  s’appliquer en l’espĂšce.

b)  Sur le fond

183.  La Cour observe qu’à ce jour, l’affaire Čonka (arrĂȘt prĂ©citĂ©) est la seule oĂč elle a constatĂ© une violation de l’article 4 du Protocole no 4. Dans l’examen de cette affaire, afin d’évaluer l’existence d’une expulsion collective, elle a examinĂ© les circonstances de l’espĂšce et vĂ©rifiĂ© si les dĂ©cisions d’éloignement avaient pris en considĂ©ration la situation particuliĂšre des individus concernĂ©s. La Cour a alors dĂ©clarĂ© (§§ 61-63) :

« La Cour note toutefois que les mesures de dĂ©tention et d’éloignement litigieuses ont Ă©tĂ© prises en exĂ©cution d’un ordre de quitter le territoire datĂ© du 29 septembre 1999, lequel Ă©tait fondĂ© uniquement sur l’article 7, alinĂ©a 1, 2o, de la loi sur les Ă©trangers, sans autre rĂ©fĂ©rence Ă  la situation personnelle des intĂ©ressĂ©s que le fait que leur sĂ©jour en Belgique excĂ©dait trois mois. En particulier, le document ne faisait aucune rĂ©fĂ©rence Ă  la demande d’asile des requĂ©rants ni aux dĂ©cisions des 3 mars et 18 juin 1999 intervenues en la matiĂšre. Certes, ces dĂ©cisions Ă©taient, elles aussi, accompagnĂ©es d’un ordre de quitter le territoire, mais Ă  lui seul, celui-ci n’autorisait pas l’arrestation des requĂ©rants. Celle-ci a donc Ă©tĂ© ordonnĂ©e pour la premiĂšre fois par une dĂ©cision du 29 septembre 1999, sur un fondement lĂ©gal Ă©tranger Ă  leur demande d’asile, mais suffisant nĂ©anmoins pour entraĂźner la mise en Ɠuvre des mesures critiquĂ©es. Dans ces conditions, et au vu du grand nombre de personnes de mĂȘme origine ayant connu le mĂȘme sort que les requĂ©rants, la Cour estime que le procĂ©dĂ© suivi n’est pas de nature Ă  exclure tout doute sur le caractĂšre collectif de l’expulsion critiquĂ©e.

Ces doutes se trouvent renforcĂ©s par un ensemble de circonstances telles que le fait que prĂ©alablement Ă  l’opĂ©ration litigieuse les instances politiques responsables avaient annoncĂ© des opĂ©rations de ce genre et donnĂ© des instructions Ă  l’administration compĂ©tente en vue de leur rĂ©alisation (...) ; que tous les intĂ©ressĂ©s ont Ă©tĂ© convoquĂ©s simultanĂ©ment au commissariat ; que les ordres de quitter le territoire et d’arrestation qui leur ont Ă©tĂ© remis prĂ©sentaient un libellĂ© identique ; qu’il Ă©tait trĂšs difficile pour les intĂ©ressĂ©s de prendre contact avec un avocat ; enfin, que la procĂ©dure d’asile n’était pas encore terminĂ©e.

Bref, Ă  aucun stade de la pĂ©riode allant de la convocation des intĂ©ressĂ©s au commissariat Ă  leur expulsion, la procĂ©dure suivie n’offrait des garanties suffisantes attestant d’une prise en compte rĂ©elle et diffĂ©renciĂ©e de la situation individuelle de chacune des personnes concernĂ©es. Â»

184.  Dans leur jurisprudence, les organes de la Convention ont par ailleurs prĂ©cisĂ© que le fait que plusieurs Ă©trangers fassent l’objet de dĂ©cisions semblables ne permet pas en soi de conclure Ă  l’existence d’une expulsion collective lorsque chaque intĂ©ressĂ© a pu individuellement exposer devant les autoritĂ©s compĂ©tentes les arguments qui s’opposaient Ă  son expulsion (K.G. c. R.F.A, dĂ©cision prĂ©citĂ©e ; Andric, dĂ©cision prĂ©citĂ©e ; Sultani, prĂ©citĂ©, § 81). Enfin, la Cour a jugĂ© qu’il n’y a pas violation de l’article 4 du Protocole no 4 si l’absence de dĂ©cision individuelle d’éloignement est la consĂ©quence du comportement fautif des personnes intĂ©ressĂ©es (Berisha et Haljiti, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, et Dritsas, dĂ©cision prĂ©citĂ©e).

185.  En l’espĂšce, la Cour ne peut que constater que le transfert des requĂ©rants vers la Libye a Ă©tĂ© exĂ©cutĂ© en l’absence de toute forme d’examen de la situation individuelle de chaque requĂ©rant. Il est incontestĂ© que les requĂ©rants n’ont fait l’objet d’aucune procĂ©dure d’identification de la part des autoritĂ©s italiennes, lesquelles se sont bornĂ©es Ă  faire monter l’ensemble des migrants interceptĂ©s sur les navires militaires et Ă  les dĂ©barquer sur les cĂŽtes libyennes. De plus, la Cour relĂšve que le personnel Ă  bord des navires militaires n’était pas formĂ© pour mener des entretiens individuels et n’était pas assistĂ© d’interprĂštes et de conseils juridiques.

Cela suffit Ă  la Cour pour exclure l’existence de garanties suffisantes attestant une prise en compte rĂ©elle et diffĂ©renciĂ©e de la situation individuelle de chacune des personnes concernĂ©es.

186.  Au vu de ce qui prĂ©cĂšde, la Cour conclut que l’éloignement des requĂ©rants a eu un caractĂšre collectif contraire Ă  l’article 4 du Protocole no 4. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

VI.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC LES ARTICLES 3 DE LA CONVENTION ET 4 DU PROTOCOLE No 4

187.  Les requĂ©rants se plaignent de ne pas avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© en droit italien d’un recours effectif pour formuler leurs griefs tirĂ©s des articles 3 de la Convention et 4 du Protocole no 4. Ils invoquent l’article 13 de la Convention, qui est ainsi libellĂ© :

« Toute personne dont les droits et libertĂ©s reconnus dans la (...) Convention ont Ă©tĂ© violĂ©s, a droit Ă  l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors mĂȘme que la violation aurait Ă©tĂ© commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. Â»

1.  ThĂšses des parties

a)  Les requĂ©rants

188.  Les requĂ©rants affirment que les interceptions de personnes en haute mer menĂ©es par l’Italie ne sont pas prĂ©vues par la loi et sont soustraites Ă  tout contrĂŽle de lĂ©galitĂ© par une autoritĂ© nationale. Pour cette raison, ils auraient Ă©tĂ© privĂ©s de toute possibilitĂ© de prĂ©senter un recours contre leur refoulement en Libye et d’allĂ©guer la violation des articles 3 de la Convention et 4 du Protocole no 4.

189.  Les intĂ©ressĂ©s soutiennent qu’aucune des exigences d’effectivitĂ© des recours prĂ©vues par la jurisprudence de la Cour n’a Ă©tĂ© respectĂ©e par les autoritĂ©s italiennes, lesquelles n’auraient mĂȘme pas procĂ©dĂ© Ă  l’identification des migrants interceptĂ©s et n’auraient prĂȘtĂ© aucune attention Ă  leurs demandes de protection. Par ailleurs, mĂȘme Ă  supposer qu’ils aient eu la possibilitĂ© de s’adresser aux militaires pour demander l’asile, ils n’auraient pas pu bĂ©nĂ©ficier des garanties procĂ©durales prĂ©vues par la loi italienne, tel l’accĂšs Ă  une instance judiciaire, pour la simple raison qu’ils se trouvaient Ă  bord de navires.

190.  Les requĂ©rants estiment que l’exercice de la souverainetĂ© territoriale en matiĂšre de politique de l’immigration ne doit en aucun cas entraĂźner le non-respect des obligations que la Convention impose aux Etats, parmi lesquelles figure celle de garantir le droit Ă  un recours effectif devant une instance nationale Ă  toute personne relevant de leur juridiction.

b)  Le Gouvernement

191.  Le Gouvernement plaide que les circonstances de l’espĂšce, dĂšs lors qu’elles se sont dĂ©roulĂ©es Ă  bord de navires, ne permettaient pas de garantir aux requĂ©rants le droit d’accĂšs Ă  une instance nationale.

192.  Lors de l’audience devant la Grande Chambre, il a soutenu que les requĂ©rants auraient dĂ» saisir les juridictions nationales afin d’obtenir la reconnaissance et, le cas Ă©chĂ©ant, le redressement des violations allĂ©guĂ©es de la Convention. Selon le Gouvernement, le systĂšme judiciaire national aurait permis de constater l’éventuelle responsabilitĂ© des militaires qui ont secouru les requĂ©rants, tant au regard du droit national que du droit international.

Le Gouvernement maintient que les requĂ©rants auxquels le HCR a reconnu le statut de rĂ©fugiĂ©s ont le loisir d’entrer Ă  tout moment sur le territoire italien et d’exercer leurs droits conventionnels, y compris celui de saisir les autoritĂ©s judiciaires.

c)  Les tiers intervenants

193.  Le HCR affirme que le principe de non-refoulement implique pour les Etats des obligations procĂ©durales. Par ailleurs, le droit d’accĂšs Ă  une procĂ©dure d’asile effective et diligentĂ©e par une autoritĂ© compĂ©tente serait d’autant plus crucial qu’il s’agit de flux migratoires « mixtes Â», dans le cadre desquels les demandeurs d’asile potentiels doivent ĂȘtre individualisĂ©s et distinguĂ©s des autres migrants.

194.  Le Centre de conseil sur les droits de l’individu en Europe (Centre AIRE), Amnesty International et la FĂ©dĂ©ration internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) considĂšrent que les individus refoulĂ©s Ă  la suite d’une interception en haute mer n’ont accĂšs Ă  aucun recours dans l’Etat contractant responsable de l’opĂ©ration, et encore moins Ă  une voie de recours susceptible de satisfaire aux exigences de l’article 13. Les intĂ©ressĂ©s ne disposeraient d’aucune possibilitĂ© adĂ©quate ni des soutiens nĂ©cessaires, notamment l’assistance d’un interprĂšte, qui leur permettraient d’exposer les raisons militant contre leur refoulement, sans parler d’un examen dont la rigueur satisferait aux exigences de la Convention. Les parties intervenantes estiment que, lorsque les Parties contractantes Ă  la Convention sont impliquĂ©es dans des interceptions en mer dĂ©bouchant sur un refoulement, il leur incombe de s’assurer que chacune des personnes concernĂ©es dispose d’une possibilitĂ© effective de contester son renvoi Ă  la lumiĂšre des droits garantis par la Convention et d’obtenir un examen de sa demande avant que le refoulement ne soit exĂ©cutĂ©.

Les parties intervenantes considĂšrent que l’absence d’un recours permettant d’identifier les requĂ©rants et d’apprĂ©cier individuellement leurs demandes de protection ainsi que leurs besoins constitue une omission grave, tout comme le dĂ©faut de toute investigation de suivi pour s’assurer du sort des personnes renvoyĂ©es.

195.  La Columbia Law School Human Rights Clinic fait valoir que le droit international des droits de l’homme et des rĂ©fugiĂ©s exige tout d’abord que l’Etat informe les migrants de leur droit Ă  la protection. Le devoir d’information serait indispensable pour rendre effective l’obligation de l’Etat d’identifier les personnes qui, parmi les individus interceptĂ©s, ont besoin d’une protection internationale. Ce devoir serait particuliĂšrement important en cas d’interception en mer, du fait que les personnes concernĂ©es connaĂźtraient rarement le droit national et n’auraient pas accĂšs Ă  un interprĂšte ou Ă  un conseil juridique. Ensuite, chaque personne devrait ĂȘtre entendue par les autoritĂ©s nationales et obtenir une dĂ©cision individuelle relativement Ă  sa demande.

2.  ApprĂ©ciation de la Cour

a)  Sur la recevabilitĂ©

196.  La Cour rappelle avoir joint Ă  l’examen du bien-fondĂ© des griefs tirĂ©s de l’article 13 l’exception de non-Ă©puisement des voies de recours internes soulevĂ©e par le Gouvernement lors de l’audience devant la Grande Chambre (paragraphe 62 ci-dessus). Par ailleurs, la Cour considĂšre que cette partie de la requĂȘte pose des questions de droit et de fait complexes qui ne peuvent ĂȘtre tranchĂ©es qu’aprĂšs un examen au fond ; il s’ensuit que celle-ci n’est pas manifestement mal fondĂ©e au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilitĂ© n’ayant Ă©tĂ© relevĂ©, il y a lieu de la dĂ©clarer recevable.

b)  Sur le fond

i.  Les principes gĂ©nĂ©raux

197.  L’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prĂ©valoir des droits et libertĂ©s de la Convention tels qu’ils s’y trouvent consacrĂ©s. Cette disposition a donc pour consĂ©quence d’exiger un recours interne permettant d’examiner le contenu d’un « grief dĂ©fendable Â» fondĂ© sur la Convention et d’offrir le redressement appropriĂ©. La portĂ©e de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requĂ©rant. Toutefois, le recours exigĂ© par l’article 13 doit ĂȘtre « effectif Â» en pratique comme en droit. L’« effectivitĂ© Â» d’un « recours Â» au sens de l’article 13 ne dĂ©pend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requĂ©rant. De mĂȘme, l’« instance Â» dont parle cette disposition n’a pas besoin d’ĂȘtre une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle prĂ©sente entrent en ligne de compte pour apprĂ©cier l’effectivitĂ© du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, mĂȘme si aucun d’eux n’y rĂ©pond en entier Ă  lui seul (voir, parmi beaucoup d’autres, KudƂa c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI).

198.  Il ressort de la jurisprudence que le grief d’une personne selon lequel son renvoi vers un Etat tiers l’exposerait Ă  des traitements prohibĂ©s par l’article 3 de la Convention « doit impĂ©rativement faire l’objet d’un contrĂŽle attentif par une « instance nationale Â» (ChamaĂŻev et autres c. GĂ©orgie et Russie, no 36378/02, § 448, CEDH 2005-III ; voir aussi Jabari, prĂ©citĂ©, § 39). Ce principe a conduit la Cour Ă  juger que la notion de « recours effectif Â» au sens de l’article 13 combinĂ© avec l’article 3 requiert, d’une part, « un examen indĂ©pendant et rigoureux Â» de tout grief soulevĂ© par une personne se trouvant dans une telle situation, aux termes duquel « il existe des motifs sĂ©rieux de croire Ă  l’existence d’un risque rĂ©el de traitements contraires Ă  l’article 3 Â» et, d’autre part, « la possibilitĂ© de faire surseoir Ă  l’exĂ©cution de la mesure litigieuse Â» (arrĂȘts prĂ©citĂ©s, § 460 et § 50 respectivement).

199.  En outre, dans l’arrĂȘt Čonka (prĂ©citĂ©, §§ 79 et suivants) la Cour a prĂ©cisĂ©, sur le terrain de l’article 13 combinĂ© avec l’article 4 du Protocole no 4, qu’un recours ne rĂ©pond pas aux exigences du premier s’il n’a pas d’effet suspensif. Elle a notamment soulignĂ© (§ 79) :

« La Cour considĂšre que l’effectivitĂ© des recours exigĂ©s par l’article 13 suppose qu’ils puissent empĂȘcher l’exĂ©cution des mesures contraires Ă  la Convention et dont les consĂ©quences sont potentiellement irrĂ©versibles (...). En consĂ©quence, l’article 13 s’oppose Ă  ce que pareilles mesures soient exĂ©cutĂ©es avant mĂȘme l’issue de l’examen par les autoritĂ©s nationales de leur compatibilitĂ© avec la Convention. Toutefois, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’apprĂ©ciation quant Ă  la maniĂšre de se conformer aux obligations que leur fait l’article 13 (...). Â»

200.  Compte tenu de l’importance de l’article 3 de la Convention et de la nature irrĂ©versible du dommage susceptible d’ĂȘtre causĂ© en cas de rĂ©alisation du risque de torture ou de mauvais traitements, la Cour a jugĂ© que le critĂšre de l’effet suspensif devait s’appliquer Ă©galement dans le cas oĂč un Etat partie dĂ©ciderait de renvoyer un Ă©tranger vers un Etat oĂč il y a des motifs sĂ©rieux de croire qu’il courrait un risque de cette nature (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 66, CEDH 2007-II ; M.S.S., prĂ©citĂ©, § 293).

ii.  Application en l’espĂšce

201.  La Cour vient de conclure que le renvoi des requĂ©rants vers la Libye s’analysait en une violation des articles 3 de la Convention et 4 du Protocole no 4. Les griefs soulevĂ©s par les requĂ©rants sur ces points sont dĂšs lors « dĂ©fendables Â» aux fins de l’article 13.

202.  La Cour a constatĂ© que les requĂ©rants n’ont eu accĂšs Ă  aucune procĂ©dure tendant Ă  leur identification et Ă  la vĂ©rification de leurs situations personnelles avant l’exĂ©cution de leur Ă©loignement vers la Libye (paragraphe 185 ci-dessus). Le Gouvernement admet que de telles procĂ©dures n’étaient pas envisageables Ă  bord des navires militaires sur lesquels on a fait embarquer les requĂ©rants. Le personnel Ă  bord ne comptait d’ailleurs ni interprĂštes ni conseils juridiques.

203.  La Cour observe que les requĂ©rants allĂšguent n’avoir reçu aucune information de la part des militaires italiens, lesquels leur auraient fait croire qu’ils Ă©taient dirigĂ©s vers l’Italie et ne les auraient pas renseignĂ©s quant Ă  la procĂ©dure Ă  suivre pour empĂȘcher leur renvoi en Libye.

Dans la mesure oĂč cette circonstance est contestĂ©e par le Gouvernement, la Cour attache un poids particulier Ă  la version des requĂ©rants, car elle est corroborĂ©e par les nombreux tĂ©moignages recueillis par le HCR, le CPT et Human Rights Watch.

204.  Or, la Cour a dĂ©jĂ  affirmĂ© que le dĂ©faut d’information constitue un obstacle majeur Ă  l’accĂšs aux procĂ©dures d’asile (M.S.S., prĂ©citĂ©, § 304). Elle rĂ©itĂšre ici l’importance de garantir aux personnes concernĂ©es par une mesure d’éloignement, mesure dont les consĂ©quences sont potentiellement irrĂ©versibles, le droit d’obtenir des informations suffisantes leur permettant d’avoir un accĂšs effectif aux procĂ©dures et d’étayer leurs griefs.

205.  Compte tenu des circonstances de la prĂ©sente espĂšce, la Cour estime que les requĂ©rants ont Ă©tĂ© privĂ©s de toute voie de recours qui leur eĂ»t permis de soumettre Ă  une autoritĂ© compĂ©tente leurs griefs tirĂ©s des articles 3 de la Convention et 4 du Protocole no 4 et d’obtenir un contrĂŽle attentif et rigoureux de leurs demandes avant que la mesure d’éloignement ne soit mise Ă  exĂ©cution.

206.  Quant Ă  l’argument du Gouvernement selon lequel les requĂ©rants auraient dĂ» se prĂ©valoir de la possibilitĂ© de saisir le juge pĂ©nal italien une fois arrivĂ©s en Libye, la Cour ne peut que constater que, mĂȘme si une telle voie de recours est accessible en pratique, un recours pĂ©nal diligentĂ© Ă  l’encontre des militaires qui se trouvaient Ă  bord des navires de l’armĂ©e ne remplit manifestement pas les exigences de l’article 13 de la Convention, dans la mesure oĂč il ne satisfait pas au critĂšre de l’effet suspensif consacrĂ© par l’arrĂȘt Čonka, prĂ©citĂ©. La Cour rappelle que l’exigence, dĂ©coulant de l’article 13, de faire surseoir Ă  l’exĂ©cution de la mesure litigieuse ne peut ĂȘtre envisagĂ©e de maniĂšre accessoire (M.S.S., prĂ©citĂ©, § 388).

207.  La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 13 combinĂ© avec les articles 3 de la Convention et 4 du Protocole no 4. Il s’ensuit que l’on ne saurait reprocher aux requĂ©rants de ne pas avoir correctement Ă©puisĂ© les voies de recours internes et que l’exception prĂ©liminaire du Gouvernement (paragraphe 62 ci-dessus) est rejetĂ©e.

VII.  SUR LES ARTICLES 46 ET 41 DE LA CONVENTION

A.  Sur l’article 46 de la Convention

208.  Aux termes de cette disposition :

« 1.  Les Hautes Parties contractantes s’engagent Ă  se conformer aux arrĂȘts dĂ©finitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2.  L’arrĂȘt dĂ©finitif de la Cour est transmis au ComitĂ© des Ministres qui en surveille l’exĂ©cution. Â»

209.  En vertu de l’article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes s’engagent Ă  se conformer aux arrĂȘts dĂ©finitifs rendus par la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le ComitĂ© des Ministres Ă©tant chargĂ© de surveiller l’exĂ©cution de ces arrĂȘts. Il en dĂ©coule notamment que, lorsque la Cour constate une violation, l’Etat dĂ©fendeur a l’obligation juridique non seulement de verser aux intĂ©ressĂ©s les sommes allouĂ©es au titre de la satisfaction Ă©quitable prĂ©vue par l’article 41, mais aussi d’adopter les mesures gĂ©nĂ©rales et/ou, le cas Ă©chĂ©ant, individuelles nĂ©cessaires. Les arrĂȘts de la Cour ayant une nature essentiellement dĂ©claratoire, l’Etat dĂ©fendeur demeure libre, sous le contrĂŽle du ComitĂ© des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrĂȘt de la Cour. Cependant, dans certaines situations particuliĂšres, il est arrivĂ© que la Cour ait estimĂ© utile d’indiquer Ă  un Etat dĂ©fendeur le type de mesures Ă  prendre pour mettre un terme Ă  la situation – souvent structurelle – qui avait donnĂ© lieu Ă  un constat de violation (voir, par exemple, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV ; et Popov c. Russie, no 26853/04, § 263, 13 juillet 2006). Parfois mĂȘme, la nature de la violation constatĂ©e ne laisse pas de choix quant aux mesures Ă  prendre (AssanidzĂ©, prĂ©citĂ©, § 198 ; Alexanian c. Russie, no 46468/06, § 239, 22 dĂ©cembre 2008 ; et Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, §§ 85 et 88, 30 juin 2009).

210.  En l’espĂšce, la Cour juge nĂ©cessaire d’indiquer les mesures individuelles qui s’imposent dans le cadre de l’exĂ©cution du prĂ©sent arrĂȘt, sans prĂ©judice des mesures gĂ©nĂ©rales requises pour prĂ©venir d’autres violations similaires Ă  l’avenir (M.S.S., prĂ©citĂ©, § 400).

211.  La Cour a constatĂ©, entre autres, que le transfert des requĂ©rants les a exposĂ©s au risque de subir des mauvais traitements en Libye et d’ĂȘtre rapatriĂ©s vers la Somalie et l’ErythrĂ©e de façon arbitraire. Eu Ă©gard aux circonstances de l’affaire, la Cour considĂšre qu’il incombe au gouvernement italien d’entreprendre toutes les dĂ©marches possibles pour obtenir des autoritĂ©s libyennes l’assurance que les requĂ©rants ne seront ni soumis Ă  des traitements contraires Ă  l’article 3 de la Convention ni rapatriĂ©s arbitrairement.

B.  Sur l’article 41 de la Convention

212.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s’il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

213.  Les requĂ©rants rĂ©clament 15 000 euros (EUR) chacun au titre du prĂ©judice moral qu’ils auraient subi.

214.  Le Gouvernement s’oppose Ă  cette demande, en soulignant que la vie des requĂ©rants a Ă©tĂ© sauvĂ©e grĂące Ă  l’intervention des autoritĂ©s italiennes.

215.  La Cour estime que les requĂ©rants ont dĂ» Ă©prouver une dĂ©tresse certaine, qui ne saurait ĂȘtre rĂ©parĂ©e par les seuls constats de violation. Eu Ă©gard Ă  la nature des violations constatĂ©es en l’espĂšce, elle juge Ă©quitable de faire droit Ă  la demande des requĂ©rants et alloue Ă  chacun d’eux 15 000 EUR Ă  titre de rĂ©paration du dommage moral. Les reprĂ©sentants des requĂ©rants dĂ©tiendront en fiducie les montants ainsi octroyĂ©s aux intĂ©ressĂ©s.

C.  Frais et dĂ©pens

216.  Les requĂ©rants rĂ©clament Ă©galement 1 575,74 EUR pour les frais et dĂ©pens engagĂ©s devant la Cour.

217.  Le Gouvernement s’oppose Ă  cette demande.

218.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requĂ©rant ne peut obtenir le remboursement de ses ssitĂ© et le caractĂšre raisonnable de leur taux. En l’espĂšce, et compte tenufrais et dĂ©pens que dans la mesure oĂč se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©ce des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme demandĂ©e pour la procĂ©dure devant la Cour et l’accorde aux requĂ©rants.

D.  IntĂ©rĂȘts moratoires

219.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d’intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  DĂ©cide, par treize voix contre quatre, de rayer du rĂŽle la requĂȘte en tant qu’elle concerne MM. Mohamed Abukar Mohamed et Hasan Shariff Abbirahman ;

2.  DĂ©cide, Ă  l’unanimitĂ©, de ne pas rayer du rĂŽle la requĂȘte en tant qu’elle concerne les autres requĂ©rants ;

3.  Dit, Ă  l’unanimitĂ©, que les requĂ©rants relevaient de la juridiction de l’Italie au sens de l’article 1 de la Convention ;

4.  Joint au fond, Ă  l’unanimitĂ©, les exceptions du Gouvernement tirĂ©es du non-Ă©puisement des voies de recours internes et du dĂ©faut de qualitĂ© de victime des requĂ©rants ;

5.  DĂ©clare, Ă  l’unanimitĂ©, recevables les griefs tirĂ©s de l’article 3 de la Convention ;

6.  Dit, Ă  l’unanimitĂ©, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention du fait que les requĂ©rants ont Ă©tĂ© exposĂ©s au risque de subir des mauvais traitements en Libye et rejette l’exception du Gouvernement tirĂ©e du dĂ©faut de qualitĂ© de victime des requĂ©rants ;

7.  Dit, Ă  l’unanimitĂ©, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention du fait que les requĂ©rants ont Ă©tĂ© exposĂ©s au risque d’ĂȘtre rapatriĂ©s en Somalie et en ErythrĂ©e ;

8.  DĂ©clare, Ă  l’unanimitĂ©, recevable le grief tirĂ© de l’article 4 du Protocole no 4 ;

9.  Dit, Ă  l’unanimitĂ©, qu’il y a eu violation de l’article 4 du Protocole n4 ;

10.  DĂ©clare, Ă  l’unanimitĂ©, recevable le grief tirĂ© de l’article 13 combinĂ© avec les articles 3 de la Convention et 4 du Protocole no 4 ;

11.  Dit, Ă  l’unanimitĂ©, qu’il y a eu violation de l’article 13 combinĂ© avec l’article 3 de la Convention et de l’article 13 combinĂ© avec l’article 4 du Protocole no 4 et rejette l’exception du Gouvernement tirĂ©e du non-Ă©puisement des voies de recours internes ;

12.  Dit, Ă  l’unanimitĂ©,

a)  que l’Etat dĂ©fendeur doit verser aux requĂ©rants, dans les trois mois, les sommes suivantes :

i.  15 000 EUR (quinze mille euros) chacun, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt, pour dommage moral, lesquels montants seront dĂ©tenus en fiducie pour les requĂ©rants par leurs reprĂ©sentants ;

ii.  la somme globale de 1 575,74 EUR (mille cinq cent soixante-quinze euros et soixante-quatorze centimes), plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt par les requĂ©rants, pour frais et dĂ©pens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit dĂ©lai et jusqu’au versement, ces montants seront Ă  majorer d’un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage.

Fait en français et en anglais, puis prononcĂ© en audience publique, au Palais des droits de l’homme, Ă  Strasbourg, le 23 fĂ©vrier 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.

Michael O’Boyle Nicolas Bratza Greffier PrĂ©sident

Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rĂšglement, l’exposĂ© de l’opinion sĂ©parĂ©e du juge Pinto de Albuquerque.

N.B. 
M.O.B.  

LISTE DES REQUÉRANTS

 

Nom

Lieu et date de naissance

Situation actuelle

des requérants

1.

JAMAA Hirsi Sadik

Somalie,

30 mai 1984

Statut de réfugié octroyé le 25 juin 2009 (N. 507-09C00279)

2.

SHEIKH ALI Mohamed

Somalie,

22 janvier 1979

Statut de réfugié octroyé le 13 août 2009 (N. 229-09C0002)

3.

HASSAN Moh’b Ali

Somalie,

10 septembre 1982

Statut de réfugié octroyé le 25 juin 2009 (N. 229-09C00008)

4.

SHEIKH Omar Ahmed

Somalie,

1er janvier 1993

Statut de réfugié octroyé le 13 août 2009 (N. 229-09C00010)

5.

ALI Elyas Awes

Somalie,

6 juin 1983

Statut de réfugié octroyé le 13 août 2009 (N. 229-09C00001)

6.

KADIYE Mohammed Abdi

Somalie,

28 mars 1988

Statut de réfugié octroyé le 25 juin 2009 (N. 229-09C00011)

7.

HASAN Qadar Abfillzhi

Somalie,

8 juillet 1978

Statut de réfugié octroyé le 26 juillet 2009 (N. 229-09C00003)

8.

SIYAD Abduqadir Ismail

Somalie,

20 juillet 1976

Statut de réfugié octroyé le 13 août 2009 (N. 229-09C00006)

9.

ALI Abdigani Abdillahi

Somalie,

1er janvier 1986

Statut de réfugié octroyé le 25 juin 2009 (N. 229-09C00007)

10.

MOHAMED Mohamed Abukar

Somalie,

27 février 1984

Décédé à une date inconnue

11.

ABBIRAHMAN Hasan Shariff

Somalie,

date inconnue

Décédé en novembre 2009

12.

TESRAY Samsom Mlash

Erythrée,

date inconnue

Domicile inconnu

13.

HABTEMCHAEL Waldu

Erythrée,

1er janvier 1971

Statut de rĂ©fugiĂ© octroyĂ© le 25 juin 2009 (N. 229-08C00311) ; rĂ©side en Suisse

14.

ZEWEIDI Biniam

Erythrée,

24 avril 1973

RĂ©side en Libye

15.

GEBRAY Aman Tsyehansi

Erythrée,

25 juin 1978

RĂ©side en Libye

16.

NASRB Mifta

Erythrée,

3 juillet 1989

RĂ©side en Libye

17.

SALIH Said

Erythrée,

1er janvier 1977

RĂ©side en Libye

18.

ADMASU Estifanos

Erythrée,

date inconnue

Domicile inconnu

19.

TSEGAY Habtom

Erythrée,

date inconnue

Détenu au camp de rétention de Choucha, en Tunisie

20.

BERHANE Ermias

Erythrée,

1er aout 1984

Statut de rĂ©fugiĂ© octroyĂ© en Italie le 25 mai 2011 ; rĂ©side en Italie

21.

YOHANNES Roberl Abzighi

Erythrée,

24 février 1985

Statut de rĂ©fugiĂ© octroyĂ© le 8 octobre 2009 
(N. 507-09C001346) ; rĂ©side au BĂ©nin

22.

KERI Telahun Meherte

Erythrée,

date inconnue

Domicile inconnu

23.

KIDANE Hayelom Mogos

Erythrée,

24 février 1974

Statut de rĂ©fugiĂ© octroyĂ© le 25 juin 2009 (N. 229-09C00015) ; rĂ©side en Suisse.

24.

KIDAN Kiflom Tesfazion

Erythrée,

29 juin 1978

Statut de rĂ©fugiĂ© octroyĂ© le 25 juin 2009 (N. 229-09C00012) ; rĂ©side Ă  Malte.

 

OPINION CONCORDANTE DU JUGE 
PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

L’affaire Hirsi porte, d’une part, sur la protection internationale des rĂ©fugiĂ©s et, d’autre part, sur la compatibilitĂ© des politiques en matiĂšre d’immigration et de contrĂŽle des frontiĂšres avec le droit international. La question fondamentale qui se pose en l’espĂšce est de savoir comment l’Europe doit reconnaĂźtre aux rĂ©fugiĂ©s « le droit d’avoir des droits », pour reprendre les termes de Hannah Arendt1. La rĂ©ponse Ă  ces problĂšmes politiques extrĂȘmement sensibles se trouve Ă  l’intersection entre le droit international des droits de l’homme et le droit international des rĂ©fugiĂ©s. Bien que je souscrive Ă  l’arrĂȘt de la Grande Chambre, je souhaite analyser l’affaire dans le cadre d’une approche de principe complĂšte et tenant compte du lien intrinsĂšque qui existe entre ces deux branches du droit international.

L’interdiction de refouler les rĂ©fugiĂ©s

L’interdiction de refouler les rĂ©fugiĂ©s est inscrite dans le droit international des rĂ©fugiĂ©s (article 33 de la Convention des Nations unies relative au statut des rĂ©fugiĂ©s (1951) et article 2 § 3 de la Convention de l’Organisation de l’unitĂ© africaine rĂ©gissant les aspects propres aux problĂšmes des rĂ©fugiĂ©s en Afrique (1969)), ainsi que dans le droit universel des droits de l’homme (article 3 de la Convention des Nations unies contre la torture (1984) et article 16 § 1 de la Convention internationale des Nations unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcĂ©es (2006)) et dans le droit rĂ©gional des droits de l’homme (article 22 § 8 de la Convention amĂ©ricaine relative aux droits de l’homme (1969), article 12 § 3 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981), article 13 § 4 de la Convention interamĂ©ricaine pour la prĂ©vention et la rĂ©pression de la torture (1985) et article 19 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne (2000)). Si la Convention europĂ©enne des droits de l’homme ne contient pas une interdiction explicite du refoulement, ce principe a toutefois Ă©tĂ© admis par la Cour comme allant au-delĂ  de la garantie similaire prĂ©vue par le droit international des rĂ©fugiĂ©s.

En vertu de la Convention europĂ©enne, un rĂ©fugiĂ© ne peut ĂȘtre refoulĂ© ni vers son pays d’origine ni vers un quelconque autre pays oĂč il risque de subir un prĂ©judice grave causĂ© par une personne ou une entitĂ©, publique ou privĂ©e, identifiĂ©e ou non. L’acte de refouler peut consister en une expulsion, une extradition, une dĂ©portation, un Ă©loignement, un transfert officieux, une « restitution », un rejet, un refus d’admission ou toute autre mesure ayant pour rĂ©sultat d’obliger la personne concernĂ©e Ă  rester dans son pays d’origine. Le risque de prĂ©judice grave peut dĂ©couler d’une agression extĂ©rieure, d’un conflit armĂ© interne, d’une exĂ©cution extrajudiciaire, d’une disparition forcĂ©e, de la peine capitale, de la torture, d’un traitement inhumain ou dĂ©gradant, du travail forcĂ©, de la traite des ĂȘtres humains, de la persĂ©cution, d’un procĂšs basĂ© sur une loi pĂ©nale rĂ©troactive ou sur des preuves obtenues au moyen de la torture ou d’un traitement inhumain et dĂ©gradant, ou d’une « violation flagrante Â» de l’essence de tout droit garanti par la Convention dans l’Etat d’accueil (refoulement direct) ou de la remise ultĂ©rieure de l’intĂ©ressĂ© par l’Etat d’accueil Ă  un Etat tiers au sein duquel un tel risque existe (refoulement indirect)2.

En fait, l’obligation de non-refoulement peut ĂȘtre dĂ©clenchĂ©e par un manquement ou un risque de manquement Ă  l’essence de n’importe quel droit garanti par la Convention europĂ©enne, tels le droit Ă  la vie, le droit Ă  l’intĂ©gritĂ© physique ou son corollaire, l’interdiction de la torture et des mauvais traitements3, ou par la « violation flagrante Â» du droit Ă  un procĂšs Ă©quitable4, du droit Ă  la libertĂ©5, du droit Ă  la vie privĂ©e6 ou de tout autre droit garanti par la Convention7.

Ce principe s’applique aussi au droit universel des droits de l’homme, Ă  la lumiĂšre de la Convention contre la torture8, de la Convention relative aux droits de l’enfant9 et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques10. Dans le mĂȘme esprit, l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies a dĂ©clarĂ© que « [n]ul ne sera envoyĂ© ou extradĂ© de force Ă  destination d’un pays lorsqu’il y aura des raisons valables de craindre qu’il soit victime d’une exĂ©cution extrajudiciaire, arbitraire ou sommaire dans ce pays »11 et que « [a]ucun Etat n’expulse, ne refoule, ni n’extrade une personne vers un autre Etat s’il y a des motifs sĂ©rieux de croire qu’elle risque d’ĂȘtre victime d’une disparition forcĂ©e dans cet autre Etat Â»12.

Bien que la notion de rĂ©fugiĂ© contenue Ă  l’article 33 de la Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s soit moins Ă©tendue que celle relevant du droit international des droits de l’homme, le droit international des rĂ©fugiĂ©s a Ă©voluĂ© en assimilant la norme de protection plus large des droits de l’homme, Ă©tendant ainsi la notion de rĂ©fugiĂ©s issue de la Convention (improprement appelĂ©s rĂ©fugiĂ©s de jure) Ă  d’autres individus ayant besoin d’une protection internationale complĂ©mentaire (improprement appelĂ©s rĂ©fugiĂ©s de facto). Les meilleurs exemples de cette Ă©volution sont fournis par l’article I § 2 de la Convention de l’Organisation de l’unitĂ© africaine, l’article III § 3 de la DĂ©claration de CarthagĂšne de 1984, l’article 15 de la Directive 2004/83/EC du Conseil de l’Union europĂ©enne du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prĂ©tendre au statut de rĂ©fugiĂ© ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, ainsi que la Recommandation (2001) 18 du ComitĂ© des Ministres du Conseil de l’Europe relative Ă  la protection subsidiaire.

Quoi qu’il en soit, ni le droit international des rĂ©fugiĂ©s ni le droit international des droits de l’homme ne font de distinction entre le rĂ©gime applicable aux rĂ©fugiĂ©s et le rĂ©gime applicable aux personnes bĂ©nĂ©ficiant d’une protection complĂ©mentaire. La teneur de la protection internationale, notamment la garantie du non-refoulement, est strictement la mĂȘme pour les deux catĂ©gories d’individus13. Il n’y a aucune raison lĂ©gitime d’offrir aux « rĂ©fugiĂ©s de jure Â» une meilleure protection qu’aux « rĂ©fugiĂ©s de facto Â», car tous ont en commun un mĂȘme besoin de protection internationale. Toute diffĂ©rence de traitement entraĂźnerait la crĂ©ation d’une seconde classe de rĂ©fugiĂ©s, soumise Ă  un rĂ©gime discriminatoire. La mĂȘme conclusion vaut pour les situations d’afflux massif de rĂ©fugiĂ©s. Les groupes de rĂ©fugiĂ©s ne peuvent se voir appliquer un statut amoindri en raison d’une exception au « vĂ©ritable Â» statut de rĂ©fugiĂ© qui serait « inhĂ©rente Â» Ă  une situation d’afflux massif. Offrir une protection subsidiaire moindre (impliquant par exemple des droits moins Ă©tendus en matiĂšre d’accĂšs au permis de sĂ©jour, Ă  l’emploi, Ă  la protection sociale et aux soins de santĂ©) aux personnes arrivant dans le cadre d’un afflux massif constituerait une discrimination injustifiĂ©e.

Un individu ne devient pas un rĂ©fugiĂ© parce qu’il est reconnu comme tel, mais est reconnu comme tel parce qu’il est un rĂ©fugiĂ©14. L’octroi du statut de rĂ©fugiĂ© Ă©tant purement dĂ©claratoire, le principe de non-refoulement s’applique Ă  ceux qui n’ont pas encore vu dĂ©clarer leur statut (les demandeurs d’asile), et mĂȘme Ă  ceux qui n’ont pas exprimĂ© leur souhait d’ĂȘtre protĂ©gĂ©s. En consĂ©quence, ni l’absence d’une demande explicite d’asile ni le fait qu’une demande d’asile ne soit pas Ă©tayĂ©e par des Ă©lĂ©ments suffisants ne peuvent exonĂ©rer l’Etat concernĂ© de l’obligation de non-refoulement vis-Ă -vis de tout Ă©tranger ayant besoin d’une protection internationale15. Aucune conclusion nĂ©gative automatique ne peut ĂȘtre tirĂ©e de l’absence de demande d’asile ou d’élĂ©ments suffisants pour Ă©tayer une telle demande, dĂšs lors que l’Etat a l’obligation d’enquĂȘter d’office sur toute situation de besoin de protection internationale, en particulier lorsque, comme l’a soulignĂ© la Cour, les faits qui constituent le risque pour le requĂ©rant « Ă©taient notoires [avant le transfert de celui-ci] et faciles Ă  vĂ©rifier Ă  partir d’un grand nombre de sources Â».

Bien que l’obligation garantie par la Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s comporte des exceptions touchant Ă  la sĂ©curitĂ© du pays et Ă  la sĂ»retĂ© publique, aucune exception de ce type n’existe dans le droit europĂ©en des droits de l’homme16 ni dans le droit universel des droits de l’homme17 : il n’y a pas de limites personnelles, temporelles ou spatiales Ă  son application. Ainsi, cette obligation s’applique mĂȘme dans les circonstances exceptionnelles, y compris lorsque l’état d’urgence a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©.

La dĂ©termination du statut de rĂ©fugiĂ© constituant un instrument pour la protection des droits de l’homme essentiels, la nature de l’interdiction du refoulement dĂ©pend de la nature du droit fondamental ainsi protĂ©gĂ©. Lorsqu’il existe un risque de prĂ©judice grave dĂ©coulant d’une agression extĂ©rieure, d’un conflit armĂ© interne, d’une exĂ©cution extrajudiciaire, d’une disparition forcĂ©e, de la peine capitale, de la torture, d’un traitement inhumain ou dĂ©gradant, du travail forcĂ©, de la traite des ĂȘtres humains, de la persĂ©cution, d’un procĂšs basĂ© sur une loi pĂ©nale rĂ©troactive ou sur des preuves obtenues au moyen de la torture ou d’un traitement inhumain et dĂ©gradant dans l’Etat d’accueil, l’obligation de non-refoulement constitue une obligation absolue pour tous les Etats. Face Ă  un risque de violation de n’importe quel droit garanti par la Convention europĂ©enne (autre que le droit Ă  la vie et Ă  l’intĂ©gritĂ© physique et le principe de lĂ©galitĂ© en droit pĂ©nal) dans le pays d’accueil, l’Etat a la possibilitĂ© de dĂ©roger Ă  son devoir d’offrir une protection internationale, en fonction de l’apprĂ©ciation de la proportionnalitĂ© des valeurs concurrentes en jeu. Il existe toutefois une exception Ă  ce test de proportionnalitĂ© : lorsque le risque de violation de n’importe quel droit garanti par la Convention europĂ©enne (autre que le droit Ă  la vie et Ă  l’intĂ©gritĂ© physique et le principe de lĂ©galitĂ© en droit pĂ©nal) dans le pays d’accueil est « flagrant Â» et que l’essence mĂȘme de ce droit se trouve en jeu, alors l’Etat est inĂ©vitablement liĂ© par l’obligation de non-refoulement.

DotĂ©e de ce contenu et de ce prolongement, l’interdiction du refoulement constitue un principe de droit international coutumier qui lie tous les Etats, y compris ceux qui ne sont pas parties Ă  la Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s ou Ă  aucun autre traitĂ© de protection des rĂ©fugiĂ©s. C’est de plus une rĂšgle de jus cogens : elle ne souffre aucune dĂ©rogation et est impĂ©rative, puisqu’elle ne peut faire l’objet d’aucune rĂ©serve (article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s, article 42 § 1 de la Convention sur les rĂ©fugiĂ©s et article VII Â§ 1 du Protocole de 1967).

Telle est aujourd’hui la position qui prĂ©vaut Ă©galement en droit international des rĂ©fugiĂ©s18.

Ainsi, les exceptions prĂ©vues Ă  l’article 33 § 2 de la Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s ne sauraient ĂȘtre invoquĂ©es Ă  l’égard des droits de l’homme essentiels qui ne souffrent aucune dĂ©rogation (le droit Ă  la vie et Ă  l’intĂ©gritĂ© physique et le principe de lĂ©galitĂ© en droit pĂ©nal). De plus, un individu qui relĂšve de l’article 33 § 2 de la Convention sur les rĂ©fugiĂ©s n’en bĂ©nĂ©ficiera pas moins de la protection offerte par des dispositions de droit international des droits de l’homme plus gĂ©nĂ©reuses, comme la Convention europĂ©enne des droits de l’homme. Les exceptions en question peuvent uniquement ĂȘtre appliquĂ©es par les Etats parties Ă  la Convention sur les rĂ©fugiĂ©s qui n’ont pas ratifiĂ© de traitĂ© plus gĂ©nĂ©reux aux droits de l’homme essentiels auxquels on peut dĂ©roger. Encore faut-il, dans ce cas, que les exceptions soient interprĂ©tĂ©es de maniĂšre restrictive et appliquĂ©es seulement si les circonstances particuliĂšres de l’affaire et les caractĂ©ristiques propres Ă  l’intĂ©ressĂ© montrent que celui-ci prĂ©sente un danger pour la communautĂ© ou la sĂ©curitĂ© du pays19.

L’interdiction du refoulement ne se limite pas au territoire d’un Etat, mais s’étend aux actions extraterritoriales de celui-ci, notamment aux opĂ©rations menĂ©es en haute mer. Cela vaut en vertu du droit international des rĂ©fugiĂ©s, tel qu’interprĂ©tĂ© par la Commission interamĂ©ricaine des droits de l’homme20, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les rĂ©fugiĂ©s21, l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies22 et la Chambre des lords23, et en vertu du droit universel des droits de l’homme, tel qu’appliquĂ© par le ComitĂ© de l’ONU contre la torture24 et le ComitĂ© des droits de l’homme de l’ONU25.

Des spécialistes renommés du droit international ont adopté cette approche26.

Le fait que certaines juridictions suprĂȘmes, telles la Cour suprĂȘme des Etats-Unis27 et la Cour suprĂȘme d’Australie28, soient parvenues Ă  des conclusions diffĂ©rentes n’est guĂšre dĂ©cisif.

Il est vrai que la dĂ©claration du dĂ©lĂ©guĂ© suisse lors de la confĂ©rence des plĂ©nipotentiaires, selon laquelle l’interdiction du refoulement ne s’appliquait pas aux rĂ©fugiĂ©s arrivant Ă  la frontiĂšre, fut approuvĂ©e par d’autres dĂ©lĂ©guĂ©s, notamment le dĂ©lĂ©guĂ© nĂ©erlandais, lequel releva que la confĂ©rence Ă©tait en accord avec cette interprĂ©tation29. Il est vrai Ă©galement que l’article 33 § 2 de la Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s exclut de l’interdiction du refoulement le rĂ©fugiĂ© qui constitue un danger pour la sĂ©curitĂ© du pays « oĂč il se trouve Â», et que les rĂ©fugiĂ©s en haute mer ne se trouvent dans aucun pays. L’on pourrait ĂȘtre tentĂ© d’interprĂ©ter l’article 33 § 1 comme contenant une restriction territoriale similaire. Si l’interdiction du refoulement s’appliquait en haute mer, cela aurait pour effet de crĂ©er un rĂ©gime spĂ©cial pour les Ă©trangers dangereux en haute mer, lesquels bĂ©nĂ©ficieraient de l’interdiction contrairement aux Ă©trangers dangereux rĂ©sidant dans le pays.

A mes yeux, avec tout le respect que je dois Ă  la Cour suprĂȘme des Etats-Unis, l’interprĂ©tation de celle-ci contredit le sens littĂ©ral et ordinaire des termes de l’article 33 de la Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s et s’écarte des rĂšgles communes concernant l’interprĂ©tation d’un traitĂ©. Selon l’article 31 § 1 de la Convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s, une disposition d’un traitĂ© doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e suivant le sens ordinaire Ă  attribuer aux termes du traitĂ© dans leur contexte et Ă  la lumiĂšre de son objet et de son but. Lorsque le sens d’un traitĂ© ressort clairement de son texte lu Ă  la lumiĂšre de sa lettre, de son but et de son objet, les sources complĂ©mentaires telles que les travaux prĂ©paratoires sont inutiles30. La source complĂ©mentaire historique est d’autant moins nĂ©cessaire qu’elle manque elle-mĂȘme de clartĂ©, comme en l’occurrence : le comitĂ© spĂ©cial chargĂ© de la rĂ©daction de la Convention a dĂ©fendu l’idĂ©e que l’obligation de non-refoulement s’étendait aux rĂ©fugiĂ©s non encore arrivĂ©s sur le territoire31 ; le reprĂ©sentant des Etats-Unis a dĂ©clarĂ© au cours de l’élaboration de l’article 33 qu’il importait peu que le rĂ©fugiĂ© ait franchi ou non la frontiĂšre32 ; le reprĂ©sentant nĂ©erlandais a formulĂ© sa rĂ©serve uniquement au sujet des « grands groupes de rĂ©fugiĂ©s cherchant Ă  accĂ©der au territoire Â», et le prĂ©sident de la confĂ©rence des plĂ©nipotentiaires a simplement « dĂ©cidĂ© qu’il conv[enait] de prendre acte de l’interprĂ©tation livrĂ©e par le dĂ©lĂ©guĂ© des Pays-Bas Â» suivant laquelle l’hypothĂšse de migrations massives Ă  travers les frontiĂšres Ă©chappait Ă  l’article 3333.

Contrairement Ă  l’applicabilitĂ© d’autres dispositions de la Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s, celle de l’article 33 § 1 ne dĂ©pend pas de la prĂ©sence d’un rĂ©fugiĂ© sur le territoire d’un Etat. La seule restriction gĂ©ographique prĂ©vue Ă  l’article 33 § 1 a trait au pays vers lequel un rĂ©fugiĂ© peut ĂȘtre envoyĂ©, et non Ă  l’endroit d’oĂč il est envoyĂ©. De plus, le terme français de « refoulement Â» englobe l’éloignement, le transfert, le rejet ou la non-admission d’une personne34. L’utilisation dĂ©libĂ©rĂ©e du terme français dans la version anglaise n’a pas d’autre signification possible que celle de souligner l’équivalence linguistique entre le verbe return et le verbe refouler. En outre, le prĂ©ambule de la Convention Ă©nonce que celle-ci vise Ă  « assurer [aux rĂ©fugiĂ©s] l’exercice le plus large possible des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales Â», objectif qui se reflĂšte dans le texte mĂȘme de l’article 33, Ă  travers l’expression claire « de quelque maniĂšre que ce soit Â», qui englobe tout type d’action de l’Etat visant Ă  expulser, extrader ou Ă©loigner un Ă©tranger qui a besoin d’une protection internationale. Enfin, on ne saurait tirer de la rĂ©fĂ©rence territoriale contenue Ă  l’article 33 § 2 (« pays oĂč il se trouve Â») aucun argument militant pour le rejet de l’application extraterritoriale de l’article 33 § 1, car le paragraphe 2 de l’article 33 prĂ©voit simplement une exception Ă  la rĂšgle formulĂ©e au paragraphe 1. Le champ d’application d’une rĂšgle profitant aux rĂ©fugiĂ©s ne saurait ĂȘtre limitĂ© par une rĂ©fĂ©rence territoriale figurant dans l’exception Ă  la rĂšgle. Un tel « dĂ©bordement Â» de l’exception dĂ©favorable sur la rĂšgle favorable serait inacceptable.

L’article 31 § 1 de la Convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s Ă©nonce qu’une disposition d’un traitĂ© doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de bonne foi. Il est admis que la bonne foi n’est pas en soi une source d’obligation quand il n’en existerait pas autrement35 ; elle fournit cependant un outil prĂ©cieux pour dĂ©finir la portĂ©e des obligations existantes, en particulier face aux actions et omissions d’un Etat qui ont pour effet de contourner des obligations conventionnelles36. Un Etat manque de bonne foi dans l’application d’un traitĂ© non seulement lorsqu’il enfreint, par action ou par omission, les obligations dĂ©coulant du traitĂ©, mais aussi lorsqu’il fait Ă©chec aux obligations acceptĂ©es par lui en entravant le fonctionnement normal d’une garantie dĂ©coulant d’un traitĂ©. Faire obstacle par la force au mĂ©canisme qui dĂ©clenche l’application d’une obligation conventionnelle revient Ă  faire entrave au traitĂ© lui-mĂȘme, ce qui est contraire au principe de bonne foi (critĂšre de l’obstruction). Un Etat manque Ă©galement de bonne foi lorsqu’il adopte Ă  l’extĂ©rieur de son territoire une conduite qui Ă  l’intĂ©rieur serait inacceptable compte tenu de ses obligations conventionnelles (critĂšre du « double standard Â»). Une politique de « double standard Â» fondĂ©e sur l’endroit oĂč elle est appliquĂ©e porte atteinte Ă  l’obligation conventionnelle Ă  laquelle est tenu l’Etat en question. L’application de ces deux critĂšres amĂšne Ă  conclure au caractĂšre inacceptable des opĂ©rations de renvoi effectuĂ©es en haute mer sans aucune Ă©valuation des besoins individuels de protection internationale37.

Un dernier obstacle Ă  l’interdiction du refoulement a trait au territoire d’origine du demandeur d’asile. La Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s exige que l’intĂ©ressĂ© se trouve en dehors de son pays d’origine, ce qui paraĂźt incompatible avec l’asile diplomatique, du moins si l’on interprĂšte cette notion conformĂ©ment au raisonnement prudent tenu par la Cour internationale de justice dans l’Affaire du droit d’asile38. Le droit de demander l’asile exige cependant l’existence du droit complĂ©mentaire de quitter son pays en vue de demander l’asile. C’est pourquoi les Etats ne peuvent restreindre le droit de quitter un pays et de rechercher hors de celui-ci une protection effective39. Bien qu’aucun Etat n’ait l’obligation d’accorder l’asile diplomatique, le besoin de protection internationale est encore plus impĂ©rieux dans le cas d’un demandeur d’asile qui se trouve toujours dans le pays oĂč sa vie, son intĂ©gritĂ© physique et sa libertĂ© sont menacĂ©es. La proximitĂ© des sources de risque rend d’autant plus nĂ©cessaire la protection des personnes qui sont en danger dans leur propre pays. Sinon le droit international des rĂ©fugiĂ©s, du moins le droit international des droits de l’homme impose aux Etats une obligation de protection dans ces circonstances, et le manquement Ă  prendre des mesures positives et adĂ©quates de protection constitue Ă  cet Ă©gard une violation. Les Etats ne peuvent feindre d’ignorer les besoins Ă©vidents de protection. Si par exemple une personne qui risque d’ĂȘtre torturĂ©e dans son pays demande l’asile auprĂšs d’une ambassade d’un Etat liĂ© par la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, un visa d’entrĂ©e sur le territoire de cet Etat doit lui ĂȘtre accordĂ©, de maniĂšre Ă  permettre le lancement d’une vĂ©ritable procĂ©dure d’asile dans l’Etat d’accueil. Il ne s’agira pas lĂ  d’une rĂ©ponse purement humanitaire dĂ©coulant de la bonne volontĂ© et du pouvoir discrĂ©tionnaire de l’Etat. Une obligation positive de protection naĂźtra alors de l’article 3. En d’autres termes, la politique d’un pays en matiĂšre de visas est subordonnĂ©e aux obligations qui lui incombent en vertu du droit international des droits de l’homme. D’importantes dĂ©clarations en ce sens ont Ă©tĂ© faites par l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe40, le ComitĂ© europĂ©en pour la prĂ©vention de la torture41 et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les rĂ©fugiĂ©s42.

Cette conclusion est aussi corroborĂ©e par l’histoire de l’Europe. En fait, ce continent a connu pendant la DeuxiĂšme Guerre mondiale divers Ă©pisodes marquants liĂ©s aux visas de protection. Les efforts dĂ©ployĂ©s par le diplomate suĂ©dois Wallenberg et d’autres personnes Ă  Budapest, ainsi que ceux du diplomate portugais Sousa Mendes Ă  Bordeaux et Ă  Bayonne, sont des exemples connus. Ils ont Ă©tĂ© Ă©voquĂ©s rĂ©cemment comme offrant un prĂ©cĂ©dent Ă  l’instauration d’une procĂ©dure formelle d’entrĂ©e protĂ©gĂ©e par le biais des missions diplomatiques des Etats membres de l’Union europĂ©enne43.

Gardons en mĂ©moire ce dernier Ă©pisode : aprĂšs l’invasion de la France par l’Allemagne nazie et la reddition de la Belgique, des milliers de personnes s’enfuirent vers le sud de la France, notamment Bordeaux et Bayonne. TouchĂ© par le dĂ©sespoir de ces personnes, le consul portugais de Bordeaux, Aristides de Sousa Mendes, se retrouva confrontĂ© Ă  un douloureux dilemme : devait-il se conformer aux claires instructions d’une circulaire du gouvernement portugais de 1939 ordonnant de refuser tout visa aux apatrides, aux « porteurs de passeports Nansen Â», aux « Russes Â», aux « Juifs expulsĂ©s du pays de leur nationalitĂ© ou de leur rĂ©sidence Â» et Ă  tous ceux « qui [n’étaient] pas en situation de retourner librement dans leur pays d’origine Â», ou bien devait-il suivre ce que lui dictaient sa conscience et le droit international en dĂ©sobĂ©issant aux ordres du gouvernement et en octroyant des visas ? Il dĂ©cida de suivre sa conscience et le droit international, et accorda des visas Ă  plus de 30 000 personnes persĂ©cutĂ©es en raison de leur nationalitĂ©, de leurs croyances religieuses ou de leur affiliation politique. Pour cet acte de dĂ©sobĂ©issance, le consul paya le prix fort : aprĂšs avoir Ă©tĂ© exclu de la carriĂšre diplomatique, il mourut seul et dans la misĂšre, et toute sa famille fut contrainte de quitter le Portugal44.

Si cet Ă©pisode se dĂ©roulait de nos jours, les actes du diplomate portugais seraient totalement conformes Ă  la norme de protection issue de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme. En fait, la conduite du diplomate constituerait la seule rĂ©action acceptable face Ă  des personnes qui ont besoin d’une protection internationale.

L’interdiction des expulsions collectives

L’obligation de non-refoulement a deux consĂ©quences procĂ©durales : le devoir d’informer un Ă©tranger de son droit d’obtenir une protection internationale, et le devoir d’offrir une procĂ©dure individuelle, Ă©quitable et effective permettant de dĂ©terminer et d’apprĂ©cier la qualitĂ© de rĂ©fugiĂ©. L’accomplissement de l’obligation de non-refoulement exige une Ă©valuation du risque personnel de prĂ©judice, qui ne peut ĂȘtre effectuĂ©e que si tout Ă©tranger a accĂšs Ă  une procĂ©dure Ă©quitable et effective par laquelle son affaire est examinĂ©e de maniĂšre individuelle. Les deux aspects sont tellement interconnectĂ©s que l’on peut les considĂ©rer comme les deux faces d’une mĂȘme mĂ©daille. L’expulsion collective d’étrangers est donc inacceptable.

L’interdiction de l’expulsion collective d’étrangers est prĂ©vue par l’article 4 du Protocole no 4 Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, l’article 19 § 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne, l’article 12 § 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, l’article 22 § 9 de la Convention amĂ©ricaine relative aux droits de l’homme, l’article 26 § 2 de la Charte arabe des droits de l’homme, l’article 25 § 4 de la Convention des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales de la CommunautĂ© d’Etats indĂ©pendants, et l’article 22 § 1 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles.

Pour que la procĂ©dure de dĂ©termination du statut de rĂ©fugiĂ© soit individuelle, Ă©quitable et effective, elle doit nĂ©cessairement prĂ©senter les caractĂ©ristiques suivantes : 1) un dĂ©lai raisonnable pour soumettre la demande d’asile ; 2) un entretien individuel avec le demandeur d’asile avant que la dĂ©cision sur la demande ne soit prise ; 3) la possibilitĂ© de produire des Ă©lĂ©ments de preuve Ă  l’appui de la demande et de contester les Ă©lĂ©ments de preuve contraires ; 4) une dĂ©cision Ă©crite pleinement motivĂ©e Ă©manant d’un organe indĂ©pendant de premiĂšre instance, fondĂ©e sur la situation personnelle du demandeur d’asile et pas seulement sur une apprĂ©ciation gĂ©nĂ©rale de la situation dans son pays d’origine, le demandeur d’asile ayant le droit de contester la prĂ©somption de sĂ©curitĂ© d’un pays par rapport Ă  sa situation personnelle ; 5) un dĂ©lai raisonnable pour faire appel de la dĂ©cision de premiĂšre instance ; 6) un contrĂŽle juridictionnel intĂ©gral et rapide des motifs de fait et de droit de la dĂ©cision de premiĂšre instance ; et 7) une assistance et une reprĂ©sentation juridiques gratuites et, si nĂ©cessaire, une assistance linguistique gratuite en premiĂšre et en seconde instance, ainsi qu’un accĂšs illimitĂ© au HCR ou Ă  toute autre organisation travaillant pour le compte du HCR45.

Ces garanties procĂ©durales s’appliquent Ă  tous les demandeurs d’asile quelle que soit leur situation juridique et factuelle, comme le reconnaĂźt le droit international des rĂ©fugiĂ©s46, le droit universel des droits de l’homme47 et le droit rĂ©gional des droits de l’homme48.

Cette conclusion n’est en rien infirmĂ©e par la dĂ©cision de la Cour selon laquelle l’article 6 de la Convention n’est pas applicable aux procĂ©dures d’expulsion ou d’asile49, ni par le fait que certaines garanties procĂ©durales Ă  l’égard des Ă©trangers expulsĂ©s peuvent se trouver dans l’article 1 du Protocole no 7. L’article 4 du Protocole no 4 et l’article 1 du Protocole no 7 ont la mĂȘme nature : les deux sont des dispositions prĂ©voyant des garanties procĂ©durales mais leurs champs d’application respectifs sont substantiellement diffĂ©rents. Les garanties procĂ©durales Ă©noncĂ©es Ă  l’article no 4 du Protocole no 4 ont un champ d’application beaucoup plus large que celle de l’article 1 du Protocole no 7 : le premier article s’applique Ă  tous les Ă©trangers quelle que soit leur situation juridique ou factuelle tandis que le second ne concerne que les Ă©trangers qui rĂ©sident en situation rĂ©guliĂšre dans l’Etat qui ordonne l’expulsion50.

Une fois admise l’application du principe de non-refoulement Ă  toute action d’un Etat menĂ©e au-delĂ  des frontiĂšres de celui-ci, on en arrive logiquement Ă  la conclusion selon laquelle la garantie procĂ©durale de l’apprĂ©ciation individuelle des demandes d’asile et l’interdiction consĂ©cutive de l’expulsion collective d’étrangers ne se limitent pas aux territoire terrestre et aux eaux territoriales d’un Etat mais s’appliquent Ă©galement en haute mer51.

En fait, ni la lettre ni l’esprit de l’article 4 du Protocole no 4 n’interdisent d’en faire une application extraterritoriale. Le libellĂ© de cette disposition ne prĂ©voit pas de limite territoriale. De plus, elle se rĂ©fĂšre de maniĂšre trĂšs large aux Ă©trangers, et non aux rĂ©sidents, ni mĂȘme aux migrants. Son but est de garantir le droit de prĂ©senter une demande d’asile qui fera l’objet d’une Ă©valuation individuelle, quelle que soit la maniĂšre dont le demandeur d’asile est arrivĂ© dans le pays concernĂ©, que ce soit par la terre, la mer ou l’air, lĂ©galement ou non. Ainsi, l’esprit de cette disposition exige une interprĂ©tation Ă©galement large de la notion d’expulsion collective, qui comprend toutes les opĂ©rations collectives d’extradition, de renvoi, de transfert informel, de « restitution », de rejet, de refus d’admission et de toutes autres mesures collectives qui auraient pour effet de contraindre un demandeur d’asile Ă  rester dans son pays d’origine, quel que soit l’endroit oĂč cette opĂ©ration a lieu. Le but de la disposition serait trĂšs facilement contournĂ© si un Etat pouvait envoyer un bateau de guerre en haute mer ou Ă  la limite de ses eaux territoriales et se mettre Ă  refuser de maniĂšre collective et globale toutes les demandes de rĂ©fugiĂ©s, ou mĂȘme s’abstenir de se livrer Ă  l’évaluation du statut de rĂ©fugiĂ©. L’interprĂ©tation de cette disposition doit donc ĂȘtre cohĂ©rente avec le but de protection des Ă©trangers d’une expulsion collective.

En conclusion, l’extraterritorialitĂ© de la garantie procĂ©durale de l’article 4 du Protocole no 4 Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l’homme est en pleine conformitĂ© avec l’extension extraterritoriale de la mĂȘme garantie prĂ©vue par le droit international des rĂ©fugiĂ©s et le droit universel des droits de l’homme.

La responsabilitĂ© de l’Etat pour les violations des droits de l’homme pendant les opĂ©rations de contrĂŽle de l’immigration et des frontiĂšres

Le contrĂŽle de l’immigration et des frontiĂšres constitue une fonction essentielle de l’Etat, et toutes les formes de ce contrĂŽle procĂšdent de l’exercice de la juridiction de l’Etat. DĂšs lors, toutes les formes de contrĂŽle de l’immigration et des frontiĂšres d’un Etat partie Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l’homme sont soumises aux normes en matiĂšre de droits de l’homme consacrĂ©es par celle-ci et Ă  l’examen de la Cour52, quels que soient le personnel chargĂ© de ces opĂ©rations et le lieu oĂč elles ont lieu.

Le contrĂŽle de l’immigration et des frontiĂšres est d’ordinaire effectuĂ© par les fonctionnaires de l’Etat placĂ©s le long de la frontiĂšre d’un pays, particuliĂšrement dans les endroits oĂč transitent des personnes et des biens, tels que les ports et les aĂ©roports. Mais ce contrĂŽle peut Ă©galement ĂȘtre opĂ©rĂ© par d’autres professionnels dans d’autres endroits. En rĂ©alitĂ©, la capacitĂ© formelle d’un agent de l’Etat exerçant un contrĂŽle aux frontiĂšres ou le fait que cette personne soit ou non armĂ©e sont des Ă©lĂ©ments dĂ©nuĂ©s de toute pertinence. Tous les reprĂ©sentants, fonctionnaires, dĂ©lĂ©guĂ©s, employĂ©s publics, policiers, agents des forces de l’ordre, militaires, agents contractuels ou membres d’une entreprise privĂ©e agissant en vertu d’une autoritĂ© lĂ©gale qui assurent la fonction de contrĂŽle des frontiĂšres pour le compte d’une Partie contractante sont liĂ©es par les normes Ă©tablies par la Convention53.

Peu importe Ă©galement si le contrĂŽle de l’immigration ou des frontiĂšres s’exerce sur le territoire terrestre ou dans les eaux territoriales d’un Etat, au sein de ses missions diplomatiques, sur un de ses navires de guerre, sur un bateau enregistrĂ© dans l’Etat ou sous son contrĂŽle effectif, sur un bateau d’un autre Etat ou dans un lieu situĂ© sur le territoire d’un autre Etat ou sur un territoire louĂ© Ă  un autre Etat, dĂšs lors que le contrĂŽle est effectuĂ© pour le compte de la Partie contractante54. Un Etat ne peut se soustraire Ă  ses obligations conventionnelles Ă  l’égard de rĂ©fugiĂ©s par le biais d’un stratagĂšme consistant Ă  changer le lieu oĂč leur situation est dĂ©terminĂ©e. A fortiori, l’« excision Â» d’une partie du territoire d’un Etat de la zone de migration afin d’éviter l’application des garanties juridiques gĂ©nĂ©rales aux personnes arrivant dans cette partie « excisĂ©e Â»du territoire, reprĂ©sente un dĂ©ni flagrant des obligations qui incombent Ă  un Etat au regard du droit international55.

Ainsi, les normes de la Convention rĂ©gissent toute la palette des politiques concevables de l’immigration et des frontiĂšres, y compris l’interdiction d’entrer dans les eaux territoriales, le dĂ©ni de visa, le refus d’autoriser le dĂ©barquement en vue des opĂ©rations de prĂ©-dĂ©douanement ou le fait de mettre Ă  disposition des fonds, des Ă©quipements ou du personnel pour les opĂ©rations de contrĂŽle de l’immigration effectuĂ©es par d’autres Etats ou par des organisations internationales pour le compte de la Partie contractante. Toutes ces mesures constituent des formes d’exercice de la fonction Ă©tatique de contrĂŽle des frontiĂšres et une manifestation de la juridiction de l’Etat, quel que soit le lieu oĂč elles sont prises et quelle que soit la personne qui les met en Ɠuvre56.

La juridiction de l’Etat sur le contrĂŽle de l’immigration et des frontiĂšres implique naturellement la responsabilitĂ© de l’Etat pour toute violation des droits de l’homme qui se produit pendant l’accomplissement de ce contrĂŽle. Les rĂšgles applicables Ă  la responsabilitĂ© internationale pour les violations des droits de l’homme sont celles qui sont Ă©noncĂ©es dans les Articles sur la responsabilitĂ© des Etats pour fait internationalement illicite, annexĂ©s Ă  la RĂ©solution 56/83 de 2001 de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies57. La Partie contractante reste liĂ©e par les normes de la Convention et sa responsabilitĂ© n’est nullement attĂ©nuĂ©e par le fait que celle d’un Etat non-contractant est engagĂ©e pour le mĂȘme acte. Par exemple, la prĂ©sence d’un agent d’un Etat non-contractant Ă  bord d’un navire de guerre d’un Etat contractant ou d’un navire sous le contrĂŽle effectif de l’Etat contractant ne dispense pas celui-ci de ses obligations conventionnelles (article 8 des Articles sur la responsabilitĂ© des Etats). Par ailleurs, la prĂ©sence d’un agent d’un Etat contractant Ă  bord d’un navire de guerre d’un Etat non-contractant ou d’un navire sous le contrĂŽle effectif d’un Etat non-contractant permet d’imputer Ă  l’Etat contractant participant Ă  l’opĂ©ration toute violation des normes de la Convention (article 16 des Articles sur la responsabilitĂ© des Etats).

La violation des normes de la Convention par l’Etat italien

Selon les principes rappelĂ©s ci-dessus, l’opĂ©ration de contrĂŽle des frontiĂšres par l’Etat italien ayant entraĂźnĂ© le renvoi vers la haute mer, combinĂ©e avec l’absence d’une procĂ©dure individuelle, Ă©quitable et effective de filtrage des demandeurs d’asile, constitue une violation grave de l’interdiction de l’expulsion collective d’étrangers et, en consĂ©quence, du principe de non-refoulement58.

Dans le cadre de l’action litigieuse de « renvoi Â», les requĂ©rants ont Ă©tĂ© embarquĂ©s Ă  bord d’un navire militaire appartenant Ă  la marine italienne. Traditionnellement, les bateaux en haute mer sont considĂ©rĂ©s comme une extension du territoire de l’Etat du pavillon59. Il s’agit lĂ  d’une assertion incontestable de droit international, consacrĂ©e par l’article 92 § 1 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (« CNUDM Â»). Cette assertion vaut d’autant plus dans le cas d’un navire de guerre, qui est considĂ©rĂ©, pour citer Malcom Shaw, comme « le bras armĂ© de la souverainetĂ© de l’Etat du pavillon »60. L’article 4 du code de navigation italien consacre ce mĂȘme principe lorsqu’il Ă©nonce que « Les navires italiens en haute mer ainsi que les aĂ©ronefs se trouvant dans un espace non soumis Ă  la souverainetĂ© d’un Etat sont considĂ©rĂ©s comme Ă©tant territoire italien Â». En somme, lorsque les requĂ©rants sont montĂ©s Ă  bord des bateaux italiens en haute mer, ils ont pĂ©nĂ©trĂ© sur le « territoire Â» italien, au sens figurĂ© de ce terme, bĂ©nĂ©ficiant ainsi ipso facto de toutes les obligations qui incombent Ă  une Partie contractante Ă  la Cour europĂ©enne des droits de l’homme et Ă  la Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s.

Le gouvernement dĂ©fendeur soutient que les actions de renvoi en haute mer se justifiaient au regard du droit de la mer. Quatre fondements pourraient ĂȘtre envisagĂ©s : le premier est l’article 100 § 1, alinĂ©a d), de la CNUDM combinĂ© avec l’article 91 de celle-ci, qui autorise l’abordage de navires qui ne battent aucun pavillon, comme ceux gĂ©nĂ©ralement qui transportent des migrants illĂ©gaux Ă  travers la MĂ©diterranĂ©e ; le deuxiĂšme est l’article 100 § 1, alinĂ©a b) de la CNUDM, qui autorise les bateaux Ă  aborder des navires en haute mer s’il y a un motif raisonnable de soupçonner que le navire en question se livre au trafic d’esclaves, ce motif pouvant ĂȘtre Ă©tendu aux victimes de la traite des ĂȘtres humains, eu Ă©gard Ă  l’analogie entre ces deux formes de trafic61 ; le troisiĂšme est l’article 8 §§ 2 et 7 du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air se rapportant Ă  la Convention des Nations unies contre la criminalitĂ© transnationale organisĂ©e, qui autorise les Etats Ă  intercepter et prendre des mesures appropriĂ©es contre les navires pouvant ĂȘtre raisonnablement soupçonnĂ©s de se livrer au trafic illicite de migrants ; et le quatriĂšme est l’obligation, prĂ©vue Ă  l’article 98 de la CNUDM, de prĂȘter assistance aux personnes en danger ou en dĂ©tresse en haute mer. Dans toutes ces circonstances, les Etats restent en mĂȘme temps soumis Ă  l’interdiction de refoulement. Aucune de ces dispositions ne peut raisonnablement ĂȘtre invoquĂ©e pour justifier une exception Ă  l’obligation de non-refoulement et, en consĂ©quence, Ă  l’interdiction de toute expulsion collective. Ce serait donner une interprĂ©tation bien tendancieuse de ces normes, qui visent Ă  garantir la protection de personnes particuliĂšrement vulnĂ©rables (les victimes de trafic, les migrants illĂ©gaux, les personnes en danger ou en dĂ©tresse en haute mer), que de s’en servir pour justifier l’exposition de ces personnes Ă  un risque supplĂ©mentaire de mauvais traitements en les ramenant dans les pays qu’ils ont fuis. Comme le reprĂ©sentant français, M. Juvigny, l’a dit au comitĂ© spĂ©cial lors des discussions sur le projet de Convention sur les rĂ©fugiĂ©s, « (...) il n’est pas de pire catastrophe, pour un individu qui est parvenu, au prix de maintes difficultĂ©s, Ă  quitter un pays oĂč il est soumis Ă  des persĂ©cutions, que de se voir renvoyĂ© dans ce pays, sans parler des reprĂ©sailles qui l’y attendent Â»62.

S’il y a une affaire Ă  l’occasion de laquelle la Cour devrait fixer des mesures concrĂštes d’exĂ©cution, c’est bien celle-ci. La Cour estime que le gouvernement italien doit prendre des mesures pour obtenir du gouvernement libyen l’assurance que les requĂ©rants ne seraient pas soumis Ă  un traitement incompatible avec la Convention, y compris Ă  un refoulement indirect. Ce n’est pas assez. Le gouvernement italien a Ă©galement une obligation positive de fournir aux requĂ©rants un accĂšs pratique et effectif Ă  une procĂ©dure d’asile en Italie.

Les mots du juge Blackmun sont une telle source d’inspiration qu’ils ne doivent pas ĂȘtre oubliĂ©s. Les rĂ©fugiĂ©s tentant de fuir l’Afrique ne rĂ©clament pas un droit d’admission en Europe. Ils demandent seulement Ă  l’Europe, berceau de l’idĂ©alisme en matiĂšre de droits de l’homme et lieu de naissance de l’état de droit, de cesser de fermer ses portes Ă  des personnes dĂ©sespĂ©rĂ©es qui ont fui l’arbitraire et la brutalitĂ©. C’est lĂ  une priĂšre bien modeste, au demeurant soutenue par la Convention europĂ©enne des droits de l’homme. « Ne restons pas sourds Ă  cette priĂšre Â».

 

 

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1. Hannah Arendt a dĂ©crit comme personne d’autre le mouvement massif de rĂ©fugiĂ©s survenu au XXe siĂšcle, constituĂ© d’hommes et de femmes ordinaires qui fuyaient la persĂ©cution fondĂ©e sur des motifs religieux. « Avant, un rĂ©fugiĂ© Ă©tait un individu contraint Ă  chercher refuge parce qu’il avait commis un certain acte ou avait certaines opinions politiques. Certes, nous avons dĂ» chercher refuge ; mais nous n’avions rien fait et la plupart d’entre nous n’auraient pas mĂȘme songĂ© Ă  avoir des opinions radicales. Avec nous, le sens du mot « rĂ©fugiĂ© Â» a changĂ©. Aujourd’hui, les « rĂ©fugiĂ©s Â» sont ceux d’entre nous qui ont eu la malchance d’arriver dans un nouveau pays sans disposer de moyens et qui ont besoin de l’aide des comitĂ©s pour les rĂ©fugiĂ©s. Â» [traduction du greffe] (Hannah Arendt, We Refugees, in The Menorah Journal, 1943, repris in Marc Robinson (Ă©d.), Altogether Elsewhere, Writers on exile, Boston, Faber and Faber, 1994).

 

2.  L’élargissement de l’interdiction au refoulement indirect ou « en chaĂźne Â» a Ă©tĂ© reconnu par le droit europĂ©en des droits de l’homme (voir T.I. c. Royaume-Uni (dĂ©c.) no 43844/98, CEDH 2000-III, MĂŒslim c. Turquie, no 53566/99, §§ 72-76, 26 avril 2005, et M.S.S. c. Belgique et GrĂšce [GC], no 30696/09, § 286, 21 janvier 2011), par le droit universel des droits de l’homme (voir ComitĂ© des droits de l’homme de l’ONU, Observation gĂ©nĂ©rale no 31 : La nature de l’obligation juridique gĂ©nĂ©rale imposĂ©e aux Etats parties au Pacte, 26 mai 2004, CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, § 12, ComitĂ© de l’ONU contre la torture, Observation gĂ©nĂ©rale no 1 sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22 de la Convention contre la torture, 21 novembre 1997, A/53/44, annexe IX, § 2, et Korban c. SuĂšde, communication no 88/1997, 16 novembre 1998, UN doc. CAT/C/21/D/88/1997), et par le droit international des rĂ©fugiĂ©s (UN doc. E/1618, E/AC.32/5 : le comitĂ© spĂ©cial a estimĂ© que le projet d’article visait non seulement le pays d’origine mais aussi les autres pays oĂč la vie ou la libertĂ© du rĂ©fugiĂ© serait menacĂ©e, et UN doc. A/CONF.2/SR. 16 (compte rendu analytique de la 16e sĂ©ance de la ConfĂ©rence de plĂ©nipotentiaires, 11 juillet 1951) : le refoulement vise aussi le renvoi ultĂ©rieur forcĂ© depuis le pays d’accueil vers un autre pays oĂč la vie ou la libertĂ© du rĂ©fugiĂ© serait menacĂ©e, selon une proposition de la SuĂšde que le dĂ©lĂ©guĂ© de cet Etat a par la suite retirĂ©e « en soulignant toutefois comme le PrĂ©sident l’a Ă©galement demandĂ©, que le fond de l’article doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme couvrant au moins certaines des situations envisagĂ©es dans cette partie de l’amendement Â»), et HCR, Note sur le non-refoulement (EC/SCP/2), 1977, § 4.

 

3.  Soering c. Royaume-Uni, § 88, sĂ©rie A no 161, et Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, § 103, sĂ©rie A no 215. Les mauvais traitements peuvent mĂȘme avoir trait Ă  des conditions de vie effroyables dans le pays d’accueil (M.S.S. c. Belgique et GrĂšce, prĂ©citĂ©, §§ 366-367).

 

4.  Soering c. Royaume-Uni, prĂ©citĂ©, § 113, Einhorn c. France (dĂ©c.), no 71555/01, § 32, CEDH 2001-XI, et Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, no 61498/08, § 149, CEDH 2010.

 

5.  Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, no 8139/09, § 233, 17 janvier 2012, non dĂ©finitif.

 

6.  Bensaid c. Royaume-Uni, no 44599/98, § 46, CEDH 2001-I, Boultif c. Suisse, no 54273/00, § 39, CEDH 2001-IX, et Mawaka c. Pays-Bas, no 29031/04, § 58, 1er juin 2010.

 

7.  Voir la juste interprĂ©tation de la jurisprudence de la Cour qu’a livrĂ©e la Chambre des lords dans Regina v. Special Adjudicator (Respondent) ex parte Ullah (FC) (Appellant) Do (FC) (Appellant) v. Secretary of State for the Home Department (Respondent), §§ 24 et 69. Pour la doctrine, voir Jane MacAdam, Complementary protection in international refugee law, Oxford, 2007, pp. 171-172, et Goodwin-Gill et McAdam, The refugee in international law, 3e Ă©dition, Oxford, 2007, p. 315.

 

8.  Suivant l’application faite par le ComitĂ© de l’ONU contre la torture dans Balabou Mutombo c. Suisse, communication no 13/1993, 27 avril 1994, et dans Tahir Hussain Khan c. Canada, communication no 15/1994, 18 novembre 1994 ; voir aussi les Conclusions et recommandations : Canada, CAT/C/CR/34/CAN, 7 juillet 2005, § 4.a), critiquant « [l]e fait que dans l’affaire Suresh c. Ministre de la citoyennetĂ© et de l’immigration, la Cour suprĂȘme du Canada n’[ait] pas reconnu en droit interne le caractĂšre absolu de la protection confĂ©rĂ©e par l’article 3 de la Convention, qui n’est susceptible d’aucune exception quelle qu’elle soit Â».

 

9.  Selon l’interprĂ©tation livrĂ©e par le ComitĂ© des droits de l’enfant de l’ONU dans son Observation gĂ©nĂ©rale no 6 (2005) sur le traitement des enfants non accompagnĂ©s et des enfants sĂ©parĂ©s en dehors de leur pays, UN doc. CRC/GC/2005/6, 1er septembre 2005, § 27 : « (...) les Etats sont en outre tenus de ne pas renvoyer un enfant dans un pays s’il y a des motifs sĂ©rieux de croire que cet enfant sera exposĂ© Ă  un risque rĂ©el de dommage irrĂ©parable, comme ceux, non limitativement, envisagĂ©s dans les articles 6 et 37 de la Convention, dans ledit pays ou dans tout autre pays vers lequel l’enfant est susceptible d’ĂȘtre transfĂ©rĂ© ultĂ©rieurement (...) Â».

 

10.  Suivant l’application faite par le ComitĂ© des droits de l’homme de l’ONU dans ARJ c. Australie, communication no 692/1996, 11 aoĂ»t 1997, § 6.9 (« Il peut y avoir violation du Pacte lorsqu’un Etat partie expulse une personne se trouvant sur son territoire et relevant de sa compĂ©tence dans des circonstances qui exposent cette personne Ă  un risque rĂ©el que ses droits protĂ©gĂ©s par le Pacte soient violĂ©s dans un autre Etat Â»), position confirmĂ©e dans Judge c. Canada, communication no 829/1998, 5 aoĂ»t 2003, §§ 10.4-10.6, concernant le risque d’ĂȘtre soumis Ă  la peine capitale dans l’Etat d’accueil. En une autre occasion, le mĂȘme organe a conclu que « dans certaines situations, un Ă©tranger peut bĂ©nĂ©ficier de la protection du Pacte mĂȘme en ce qui concerne l’entrĂ©e ou le sĂ©jour : tel est le cas si des considĂ©rations relatives Ă  la non-discrimination, Ă  l’interdiction des traitements inhumains et au respect de la vie familiale entrent en jeu Â» (ComitĂ© des droits de l’homme de l’ONU, Observation gĂ©nĂ©rale no 15 (1986), § 5, position rĂ©itĂ©rĂ©e dans l’Observation gĂ©nĂ©rale n19 (1990), § 5, concernant la vie familiale, et dans l’Observation gĂ©nĂ©rale no 20 (1992), § 9, concernant la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dĂ©gradants.

 

11.  Principes relatifs Ă  la prĂ©vention efficace des exĂ©cutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires, rĂ©solution 1989/65 du Conseil Ă©conomique et social, 24 mai 1989, confirmĂ©e par la rĂ©solution 44/162 de l’AGNU, 15 dĂ©cembre 1989, § 5.

 

12.  DĂ©claration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcĂ©es, rĂ©solution 47/133 de l’AGNU, 18 dĂ©cembre 1992, article 8 § 1.

 

13.  Voir, par exemple, l’article VIII § 2 de la Convention de l’OUA, conclusions III §§ 3 et 8 de la DĂ©claration de CarthagĂšne de 1984 sur les rĂ©fugiĂ©s, OAS/Ser.L/V/II.66, doc. 0, rĂ©v.1, pp. 190-193, et § 5 de la Recommandation (2001) 18 du ComitĂ© des Ministres du Conseil de l’Europe. L’approche diffĂ©rente adoptĂ©e par la Directive 2004/83/EC est fort problĂ©matique, pour les raisons exposĂ©es dans le texte ci-dessus.

 

14.  Recommandation (84) 1 du ComitĂ© des Ministres du Conseil de l’Europe relative Ă  la protection des personnes remplissant les conditions de la Convention de GenĂšve qui ne sont pas formellement reconnues comme rĂ©fugiĂ©s, et HCR, Guide des procĂ©dures et critĂšres Ă  appliquer pour dĂ©terminer le statut de rĂ©fugiĂ©, 1979, rĂ©Ă©ditĂ© en 1992, § 28.

 

15.  M.S.S. c. Belgique et GrĂšce, prĂ©citĂ©, §§ 366.

 

16.  Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, §§ 79 et 80, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1996-V et, concernant une procĂ©dure en vue de l’expulsion d’un rĂ©fugiĂ©, Ahmed c. Autriche, 17 dĂ©cembre 1996, §§ 40 et 41, Recueil 1996-VI.

 

17.  ComitĂ© de l’ONU contre la torture, Tapia Paez c. SuĂšde, communication no 39/1996, 28 avril 1997, CAT/C/18/D/39/1996, § 14.5, et M.B.B. c. SuĂšde, communication no 104/1998, 5 mai 1999, CAT/C/22/D/104/1998 (1999), § 6.4 ; ComitĂ© des droits de l’homme de l’ONU, Observation gĂ©nĂ©rale 20 : Remplacement de l’observation gĂ©nĂ©rale 7 concernant l’interdiction de la torture et des traitements cruels (article 7), 10 mars 1992, §§ 3 et 9, et Observation gĂ©nĂ©rale 29 concernant les situations d’urgence (article 4) ; UN doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.11, 31 aoĂ»t 2001, § 11, Examen des rapports : Observations finales sur le Canada, UN doc. CCPR/C/79/Add.105, 7 avril 1999, § 13, et Observations finales sur le Canada, UN doc. CCPR/C/CAN/CO/5, 20 avril 2006, § 15.

 

18.  Voir la DĂ©claration des Etats parties Ă  la Convention de 1951 et/ou Ă  son Protocole de 1967 relatifs au statut des rĂ©fugiĂ©s, UN doc. HCR/MMSP/2001/9, 16 janvier 2002, § 4, qui prenait acte « de la pertinence et de la capacitĂ© d’adaptation constantes de ce corps international de droits et de principes, y compris Ă  sa base, le principe de non-refoulement dont l’applicabilitĂ© est consacrĂ©e dans le droit coutumier international Â», et HCR, « The Principle of Non-Refoulement as a Norm of Customary International Law Â», Response to the Questions posed to UNHCR by the Federal Constitutional Court of the Federal Republic of Germany in cases 2 BvR 1938/93, 2 BvR 1953/93, 2 BvR 1954/93, et, encore plus catĂ©gorique, la 5e conclusion de la DĂ©claration de CarthagĂšne sur les rĂ©fugiĂ©s (1984), OAS/Ser.L/V/II.66, doc.10, rev.1, pp. 190-193, selon laquelle « [c]e principe impĂ©ratif Ă  l’égard des rĂ©fugiĂ©s doit ĂȘtre reconnu et respectĂ©, dans l’état actuel du droit international, en tant que principe de jus cogens Â», position rĂ©itĂ©rĂ©e par la DĂ©claration de Mexico de 2004 et le plan d’action visant Ă  renforcer la protection internationale des rĂ©fugiĂ©s en AmĂ©rique latine. Pour la doctrine, voir Lauterpacht et Bethlehem, « The scope and content of the principle of non refoulement: Opinion Â», in Refugee Protection in International Law, UNHCR’s Global consultation on International protection, Cambridge, 2003, pp. 87 et 149, Goodwin-Gill et McAdam, prĂ©citĂ©, p. 248, Caroline Lantero, Le droit des refugiĂ©s entre droits de l’homme et gestion de l’immigration, Bruxelles, 2010, p. 78, et KĂ€lin/Caroni/Heim, Article 33, § 1, notes marginales 26-34, in Andreas Zimmermann (Ă©d.), The 1951 Convention relating to the Status of Refugees and its Protocol, A Commentary, Oxford, 2011, pp. 1343-1346.

 

19.  Recommandation Rec (2005) 6 du ComitĂ© des Ministres du Conseil de l’Europe relative Ă  l’exclusion du statut de rĂ©fugiĂ© dans le contexte de l’article 1 F de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des rĂ©fugiĂ©s. A titre d’exemple, les prĂ©somptions de dangerositĂ© dĂ©terminantes (ou irrĂ©fragables) tirĂ©es de la nature du crime commis par une personne ou de la gravitĂ© de la peine qui lui a Ă©tĂ© infligĂ©e sont arbitraires.

 

20.  Haitian Centre for Human Rights et al. US, affaire no 10 675, rapport no 51/96, OEA/Ser.L./V/II.95, doc. 7 rev., 13 mars 1997, § 157, oĂč il est dit qu’il n’y a « aucune limitation gĂ©ographique Â» aux obligations de non-refoulement dĂ©coulant de l’article 33 de la Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s ; au paragraphe 163, la Commission interamĂ©ricaine a Ă©galement conclu que les opĂ©rations de renvoi menĂ©es par les Etats-Unis avaient violĂ© l’article XXVII de la DĂ©claration amĂ©ricaine des droits et devoirs de l’homme.

 

21.  Avis consultatif sur l’application extraterritoriale des obligations de non-refoulement en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des rĂ©fugiĂ©s et de son Protocole de 1967, 26 janvier 2007, § 24, et « Background note on the protection of asylum-seekers and refugees at sea Â», 18 mars 2002, § 18, UN High Commissioner for Refugees responds to US Supreme Court Decision in Sale v. Haitian Centers Council, in International Legal Materials, 32, 1993, p. 1215, et « Brief Amicus Curiae: The Haitian Interdiction case 1993 Â», in International Journal of Refugee Law, 6, 1994, pp. 85-102.

 

22.  DĂ©claration sur l’asile territorial, adoptĂ©e le 14 dĂ©cembre 1967, RĂ©solution AGNU 2312 (XXII), A/RES/2312(XXII), aux termes de laquelle « Aucune personne visĂ©e au paragraphe 1 de l’article premier ne sera soumise Ă  des mesures telles que le refus d’admission Ă  la frontiĂšre ou, si elle est dĂ©jĂ  entrĂ©e dans le territoire oĂč elle cherchait asile, l’expulsion ou le refoulement vers tout Etat oĂč elle risque d’ĂȘtre victime de persĂ©cutions Â».

 

23.  Regina v. Immigration Officer at Prague Airport and another (Respondents) ex parte European Roma Rights Centre and others (Appellants), 9 dĂ©cembre 2004, § 26 : « Il semble que soit gĂ©nĂ©ralement admis le principe selon lequel une personne qui quitte l’Etat de sa nationalitĂ© et demande l’asile auprĂšs des autoritĂ©s d’un autre Etat – que ce soit Ă  la frontiĂšre ou au sein du second Etat â€“ ne doit pas ĂȘtre rejetĂ©e ou renvoyĂ©e vers le premier Etat sans qu’il y ait une enquĂȘte appropriĂ©e au sujet des persĂ©cutions dont elle allĂšgue avoir une crainte fondĂ©e Â». Au paragraphe 21, Lord Bingham of Cornhill a clairement indiquĂ© son adhĂ©sion Ă  la dĂ©cision de la Commission interamĂ©ricaine dans l’affaire Haiti (« La situation de la partie demanderesse se distingue largement de celle des HaĂŻtiens, dont les difficultĂ©s ont Ă©tĂ© examinĂ©es dans l’affaire Sale, prĂ©citĂ©e, et dont le traitement par les autoritĂ©s des Etats-Unis a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© Ă  juste titre par la Commission interamĂ©ricaine des droits de l’homme (Rapport no 51/96, 13 mars 1997, § 171) comme ayant emportĂ© violation de leur droit Ă  la vie, Ă  la libertĂ© et Ă  la sĂ©curitĂ© de leur personne ainsi que du droit d’asile protĂ©gĂ© par l’article XXVII de la DĂ©claration amĂ©ricaine des droits et devoirs de l’homme, que la Commission a estimĂ© avoir Ă©tĂ© violĂ© par les Etats-Unis au paragraphe 163 Â» – soulignement ajoutĂ©).

 

24.  Conclusions et recommandations du CAT concernant le deuxiĂšme rapport pĂ©riodique des Etats-Unis, CAT/C/USA/CO/2, 2006, §§ 15 et 20, dĂ©clarant que l’Etat doit veiller Ă  ce que l’obligation de non-refoulement « bĂ©nĂ©fici[e] pleinement Ă  toutes les personnes placĂ©es sous [son contrĂŽle effectif], (...) oĂč qu’elles se trouvent dans le monde Â» ; J.H.A. c. Espagne, CAT/C/41/D/323/2007 (2008), affaire dans laquelle il a Ă©tĂ© estimĂ© que la responsabilitĂ© de l’Espagne Ă©tait engagĂ©e, eu Ă©gard aux obligations de non-refoulement, lorsque ce pays interceptait des migrants arrivĂ©s par la mer et menait des procĂ©dures extraterritoriales de dĂ©termination du statut de rĂ©fugiĂ©.

 

25.  Observation gĂ©nĂ©rale no 31 : La nature de l’obligation juridique gĂ©nĂ©rale imposĂ©e aux Etats parties au Pacte, CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, 2004, § 12, soulignant que les Etats doivent garantir le non-refoulement « Ă  toutes les personnes se trouvant sur leur territoire et Ă  toutes les personnes soumises Ă  leur contrĂŽle »), Observations finales du ComitĂ© des droits de l’homme : Etats-Unis, CCPR/79/Add.50, 1995, § 284, et Kindler c. Canada, communication no 470/1991, 30 juillet 1993, § 6.2, et ARJ c. Australie, communication no 692/1996, 11 aoĂ»t 1997, § 6.8.

 

26.  Voir, notamment, Guy Goodwin-Gill, « The right to seek asylum: interception at sea and the principle of non-refoulement Â», confĂ©rence inaugurale au Palais des acadĂ©mies, Bruxelles, 16 fĂ©vrier 2011, p. 2, et The Refugee in International law, Cambridge, 2007, p. 248, Bank, Introduction to Article 11, notes marginales 57-82, in Andreas Zimmermann (Ă©d.), The 1951 Convention relating to the Status of Refugees and its Protocol, A Commentary, Oxford, 2011, pp. 832-841, et, dans le mĂȘme ouvrage, KĂ€lin/Caroni/Heim sur l’article 33, notes marginales 86-91, pp. 1361-1363, Frelick, “Abundantly clear”: Refoulement, in Georgetown Immigration Law Journal, 19, 2005, pp. 252 et 253, Hathaway, The rights of Refugees under International Law, Cambridge, 2005, p. 339, Lauterpacht et Bethlehem, prĂ©citĂ©, p. 113, Pallis, « Obligations of the states towards asylum seekers at sea: interactions and conflicts between legal regimes Â», in International Journal of Refugee Law, 14, 2002, pp. 346-347, Meron, « Extraterritoriality of Human Rights Treaties Â», in American Journal of International Law, 89, 1995, p. 82, Koht, « The ‘Haiti Paradigm’ in United States Human Rights Policy Â», in The Yale Law Journal, vol. 103, 1994, p. 2415, et Helton, « The United States Government Program of Interception and Forcibly Returning Haitian Boat People to Haiti: Policy Implications and Prospects Â», in New York School Journal of Human Rights, vol. 10, 1993, p. 339.

 

27.  Sale v. Haitian Centers Council, 509/US 155, 1993, qui comporte une solide opinion dissidente du juge Blackmun.

 

28.  Minister for Immigration and Multicultural Affairs v. Haji Ibrahim, [2000] HCA 55, 26 Octobre 2000, S157/1999, § 136, et Minister for Immigration and Multicultural Affairs v. Khawar, [2002] HCA 14, 11 avril 2002, S128/2001, § 42.

 

29.  Pour le mĂȘme argument, voir Robinson, Convention relating to the Status of Refugees: its history, contents and interpretation – A Commentary, New York, 1953, p. 163, et Grahl-Madsen, Commentary on the Refugee Convention 1951 Articles 2-11, 13-37, GenĂšve, p. 135.

 

30.  CPJI, InterprĂ©tation de l’article 3 § 2 du TraitĂ© de Lausanne (frontiĂšre entre la Turquie et l’Irak), Avis consultatif no 12, 21 novembre 1925, p. 22, et Affaire du Lotus, 7 septembre 1927, p.  16, et CIJ, CompĂ©tence de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale pour l’admission d’un Etat aux Nations unies, Avis consultatif du 3 mars 1950 – RĂŽle gĂ©nĂ©ral no 9, p. 8.

 

31.  UN Doc. E/AC.32/SR.21, §§ 13-26.

 

32.  UN Doc.E/AC.32/SR.20, §§ 54-56.

 

33.  UN doc. A/CONF.2/SR.35.

 

34.  Alland et Teitgen-Colly, TraitĂ© du droit d’asile, Paris, 2002, p. 229 : « L’expression française de « refoulement Â» vise Ă  la fois l’éloignement du territoire et la non-admission Ă  l’entrĂ©e Â».

 

35.  CIJ, Affaire relative Ă  des actions armĂ©es frontaliĂšres et transfrontaliĂšres (Nicaragua c. Honduras), arrĂȘt du 22 dĂ©cembre 1988, § 94.

 

36.  Voir, par exemple, le raisonnement tenu par le ComitĂ© des droits de l’homme dans Judge c. Canada, communication no 829/1998, 5 aoĂ»t 2003, § 10.4.

 

37.  Cette conclusion est en fait conforme Ă  la politique amĂ©ricaine antĂ©rieure au dĂ©cret prĂ©sidentiel de 1992, puisque les Etats-Unis estimaient alors l’interdiction du refoulement applicable aux opĂ©rations menĂ©es en haute mer (Legomsky, « The USA and the Caribbean Interdiction Programme Â», in International Journal of Refugee Law, 18, 2006, p. 679). Cette conclusion correspond aussi Ă  la politique amĂ©ricaine actuelle, car les Etats-Unis non seulement ont abandonnĂ© la politique de renvoi sommaire vers HaĂŻti des migrants arrivĂ©s par la mer sans Ă©valuation individuelle de la situation des demandeurs d’asile, mais de plus ont eux-mĂȘmes critiquĂ© cette politique dans le rapport « Trafficking in Persons 2010 Report Â» du dĂ©partement d’Etat, Ă©voquant de maniĂšre nĂ©gative les pratiques italiennes de renvoi en MĂ©diterranĂ©e (extrait : « De plus, le gouvernement italien a mis en Ɠuvre un accord conclu avec le gouvernement libyen pendant la pĂ©riode examinĂ©e, accord permettant aux autoritĂ©s italiennes d’intercepter, de renvoyer de force et de rediriger vers la Libye les migrants arrivĂ©s par bateau. Selon Amnesty International et Human Rights Watch, le gouvernement n’a pas mĂȘme procĂ©dĂ© Ă  un tri sommaire de ces migrants pour vĂ©rifier s’il n’y avait pas des indices de trafic Â» [traduction du greffe]).

 

38.  Affaire du droit d’asile (Colombie c. PĂ©rou), arrĂȘt du 20 novembre 1950 (rĂŽle gĂ©nĂ©ral no 7, 1949-1950) : « Une telle dĂ©rogation Ă  la souverainetĂ© territoriale ne saurait ĂȘtre admise, Ă  moins que le fondement juridique n’en soit Ă©tabli dans chaque cas particulier Â».

 

39.  Voir l’article 17 du TraitĂ© de 1889 sur le droit pĂ©nal international (TraitĂ© de MontĂ©vidĂ©o), l’article 2 de la Convention de La Havane de 1928 qui dĂ©finit les rĂšgles Ă  respecter dans l’octroi de l’asile, et les articles 5 et 12 de la Convention de Caracas sur l’asile diplomatique, et, pour une Ă©tude globale, Question of Diplomatic Asylum: Report of the Secretary-General, 22 septembre 1975, UN doc. A/10139 (Part II), et Denza, Diplomatic Asylum, in Andreas Zimmermann (Ă©d.), The 1951 Convention relating to the Status of Refugees and its Protocol, A Commentary, Oxford, 2011, pp. 1425-1440.

 

40.  Recommandation 1236 (1994) de l’AssemblĂ©e parlementaire relative au droit d’asile, qui « insist[e] pour que les procĂ©dures d’octroi de l’asile et les politiques d’attribution des visas, en particulier celles qui ont Ă©tĂ© rĂ©cemment modifiĂ©es par des lois nationales ou en vertu des traitĂ©s de l’Union europĂ©enne, continuent Ă  s’inspirer de la Convention de GenĂšve de 1951 et de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des LibertĂ©s fondamentales – en gardant Ă  l’esprit que cette derniĂšre contient implicitement des obligations Ă  l’égard des personnes qui ne sont pas nĂ©cessairement des rĂ©fugiĂ©s au sens de la Convention de GenĂšve de 1951 – et ne permettent aucune violation, notamment du principe gĂ©nĂ©ralement admis du non-refoulement et de l’interdiction du refoulement des demandeurs d’asile Ă  la frontiĂšre Â».

 

41.  Rapport au gouvernement italien sur la visite effectuĂ©e en Italie par le ComitĂ© europĂ©en pour la prĂ©vention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants (CPT) du 27 au 31 juillet 2009, § 29 : « L’interdiction du refoulement s’étend Ă  toutes les personnes qui peuvent se trouver sur le territoire d’un Etat ou, pour une autre raison, relever de sa juridiction. La Cour europĂ©enne des droits de l’homme a admis qu’un certain nombre de situations spĂ©cifiques peuvent donner lieu Ă  l’application extraterritoriale des obligations dĂ©coulant de la CEDH et engager Ă  cet Ă©gard la responsabilitĂ© d’un Etat. La juridiction extraterritoriale d’un Etat peut reposer notamment sur a) les activitĂ©s conduites Ă  l’étranger par des agents diplomatiques ou consulaires de l’Etat (...) » [traduction du greffe].

 

42.  Le HCR a admis l’applicabilitĂ© de l’obligation de non-refoulement sur le territoire d’un autre Etat dans son Avis consultatif sur l’application extra-territoriale des obligations de non-refoulement en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des rĂ©fugiĂ©s et de son Protocole de 1967, 26 janvier 2007, § 24 (« [L]e HCR estime que le but, l’intention et le sens de l’article 33(1) de la Convention de 1951 sont sans ambiguĂŻtĂ© et Ă©tablissent une obligation de ne pas renvoyer un rĂ©fugiĂ© ou un demandeur d’asile vers un pays oĂč il ou elle risquerait une persĂ©cution ou tout autre prĂ©judice sĂ©rieux, qui s’applique partout oĂč l’Etat exerce son autoritĂ©, y compris Ă  la frontiĂšre, en haute mer ou sur le territoire d’un autre Etat Â»).

 

43.  Voir Study on the feasibility of processing asylum claims outside the EU against the background of the common European asylum system and the goal of a common asylum procedure, rĂ©alisĂ©e par le Centre danois pour les droits de l’homme pour le compte de la Commission europĂ©enne, 2002, p. 24 ; communication de la Commission au Conseil et au Parlement europĂ©en sur la gestion de l’entrĂ©e gĂ©rĂ©e dans l’Union europĂ©enne de personnes ayant besoin d’une protection internationale et sur le renforcement des capacitĂ©s de protection des rĂ©gions d’origine « amĂ©liorer l’accĂšs Ă  des solutions durables Â» (2004) 410 final ; Comments of the European Council on Refugees and Exiles on the Communication from the Commission to the Council and the European Parliament on the managed entry in the EU of persons in need of international protection and the enhancement of the protection capacity of the regions of origin ‘Improving Access to Durable Solutions’, CO2/09/2004/ext/PC, et UNHCR Observations on the European Commission Communication "On the Managed Entry in the EU of Persons in Need of International Protection and Enhancement of the Protection Capacity of the Regions of Origin: Improving Access to Durable Solutions", 30 aoĂ»t 2004.

 

44.  Voir, notamment, l’article consacrĂ© Ă  Aristides de Sousa Mendes, in Encyclopaedia of the Holocaust, Macmillan, New York, 1990, Wheeler, And who is my neighbour? A world war II hero or conscience for Portugal, in Luzo-brasilian Review, vol. 26, 1989, pp. 119-139, Fralon, Aristides de Sousa Mendes – Le Juste de Bordeaux, Ă©d. Mollat, Bordeaux, 1998, et Afonso, « Le « Wallenberg portugais Â» : Aristides de Sousa Mendes, in Revue d’histoire de la Shoah, Le monde juif, no 165, 1999, pp. 6-28.

 

45.  Voir, pour les normes du droit international des rĂ©fugiĂ©s et des droits de l’homme, Andric c. SuĂšde, dĂ©cision du 23 fĂ©vrier 1999, n° 45917/99 ; Čonka c. Belgique, n° 51564/99, §§ 81-83, CEDH 2002-I; Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, n° 25389/05, §§ 66-67, CEDH 2007-II; M.S.S. c. Belgique et GrĂšce, prĂ©citĂ©, §§ 301-302 et 388-389; et I.M. c. France, n° 9152/09, § 154, 2 fĂ©vrier 2012 ; Rapport du ComitĂ© europĂ©en pour la prĂ©vention de la torture et des traitements ou peines inhumains ou dĂ©gradants (CPT) relatif Ă  sa visite effectuĂ©e en Italie du 27 au 31 juillet 2009, § 27 ; Recommandation Rec(2003)5 du ComitĂ© des Ministres aux Etats membres sur les mesures de dĂ©tention des demandeurs d’asile, Recommandation Rec(1998)13 du ComitĂ© des Ministres aux Etats membres sur le droit de recours effectif des demandeurs d’asile dĂ©boutĂ©s Ă  l’encontre des dĂ©cisions d’expulsions dans le contexte de l’article 3 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme ; Recommandation Rec(1981)16 sur l'harmonisation des procĂ©dures nationales en matiĂšre d'asile ; Recommandation 1327 (1997) de l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe relative Ă  la « protection et au renforcement des droits de l’homme des rĂ©fugiĂ©s et des demandeurs d’asile en Europe Â» ; Lignes directrices sur la protection des droits de l'homme dans le contexte des procĂ©dures d'asile accĂ©lĂ©rĂ©es, adoptĂ©es par le ComitĂ© des Ministres le 1er juillet 2009 ; AmĂ©liorer les procĂ©dures d’asile : analyse comparĂ©e et recommandations en droit et en pratique, conclusions et recommandations clĂ©s, projet de recherche du UNHCR sur l’application dans certains Etats membres sĂ©lectionnĂ©s des dispositions principales de la directive relative aux procĂ©dures d’asile, mars 2010, et Commentaires provisoires du UNHCR sur la proposition de directive du Conseil relative Ă  des normes minimales concernant la procĂ©dure d’octroi et de retrait du statut de rĂ©fugiĂ© dans les Etats membres (Document du Conseil 14203/04, Asile 64, 9 novembre 2004), 10 fĂ©vrier 2005 ; Conseil europĂ©en sur les rĂ©fugiĂ©s et les exilĂ©s, Note d’information sur la Directive 2005/85/EC du Conseil du 1er dĂ©cembre 2005 relative Ă  des normes minimales concernant la procĂ©dure d’octroi et de retrait du statut de rĂ©fugiĂ© dans les Etats membres, IN1/10/2006/EXT/JJ ; Commission du droit international, soixante-deuxiĂšme session, 3 mai - 4 juin et 5 juillet - 6 aoĂ»t 2010, sixiĂšme rapport sur l’expulsion des Ă©trangers prĂ©sentĂ© par Maurice Kamto, rapporteur spĂ©cial, additif A/CN.4/625/Add.1, et rapport de la Commission du droit international, soixante-deuxiĂšme session, 3 mai â€“ 4 juin et 5 juillet – 6 aoĂ»t 2010, AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, documents officiels, soixante-cinquiĂšme session, SupplĂ©ment n° 10 (A/65/10), §§. 135-183; et Chambre des lords, Commission de l’Union europĂ©enne, “Handling EU Asylum Claims : New Approaches examined”, HL Paper 74, 11e rapport de session 2003-2004, et “Minimum Standards in Asylum Procedures”, HL Paper 59, 11e rapport de session 2000-2001.

 

46.  ComitĂ© exĂ©cutif du HCR Conclusion n° 82 (1997), § d(iii) et Conclusion n° 85 du ComitĂ© exĂ©cutif (1998), § q); UNHCR, Guide des procĂ©dures et des critĂšres Ă  appliquer pour dĂ©terminer le statut de rĂ©fugiĂ©, HCR/IP/4/Rev.1, 1992, §§ 189-223, et Association du droit international, RĂ©solution 6/2002 sur les procĂ©dures concernant les rĂ©fugiĂ©s (DĂ©claration relative Ă  des normes internationales minimales pour les procĂ©dures concernant les rĂ©fugiĂ©s), 2002, §§ 1, 5 et 8.

 

47.  ArrĂȘt de la Cour internationale de justice du 30 novembre 2010 en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, A/CN.4/625, § 82, Ă  la lumiĂšre de l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 12 § 4 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ; ComitĂ© des Nations unies contre la torture, SH c. NorvĂšge, Communication n° 121/1998, 19 avril 2000, CAT/C/23/D/121/1998 (2000), § 7.4, et Falcon Rios c. Canada, communication n° 133/1999, 17 dĂ©cembre 2004, CAT/C/33/D/133/1999, § 7.3, Conclusions et Recommandations : France, CAT/C/FRA/CO/3, 3 avril 2006, § 6, Conclusions et Recommandations : Canada, CAT/C/CR/34/CAN, 7 juillet 2005, § 4 c) et d), Examen des rapports soumis par les Etats parties en vertu de l’article 19 de la Convention, Chine, CAT/C/CHN/CO/4, 21 novembre 2008, § 18 (D); ComitĂ© des droits de l’homme de l’ONU, Observation gĂ©nĂ©rale n° 15: Situation des Ă©trangers au regard du Pacte, 1986, § 10 ; UN ComitĂ© des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation gĂ©nĂ©rale n° 30 concernant la discrimination contre les non-ressortissants, CERD/C/64/Misc.11/rev.3, 2004, § 26 ; Rapporteur spĂ©cial des Nations unies sur la prĂ©vention de la discrimination, rapport final de M. David Weissbrodt, E/CN4/Sub2/, 2003, 23, § 11 ; et Rapporteur spĂ©cial des Nations unies sur les droits de l’homme des migrants, M. Jorge Bustamante, rapport annuel, doc. A/HRC/7/12, 25 fĂ©vrier 2008, § 64.

 

48.  Commission interamĂ©ricaine, Haitian Centre for Human Rights et al. US, affaire no 10 675, § 163, Ă  la lumiĂšre de l’article XXVII de la DĂ©claration amĂ©ricaine des droits de l’homme, et de l’arrĂȘt de la Cour de justice des CommunautĂ©s europĂ©ennes du 28 juillet 2011 en l’affaire Brahim Samba Diouf (C-69-10), eu Ă©gard Ă  l’article 39 de la directive 2005/85/CE.

 

49.  Concernant les procĂ©dures d’expulsion, voir Maaouia c. France ([GC], n° 39652/98, CEDH 2000-X) et, concernant les procĂ©dures d’asile, Katani c. Allemagne ((dĂ©c), n° 67679/01, 31 mai 2001). Comme les juges Loucaides et Traja, j’ai Ă©galement de sĂ©rieux doutes sur la proposition selon laquelle, en raison de l’élĂ©ment discrĂ©tionnaire d’ordre public des dĂ©cisions prises dans le cadre de ces procĂ©dures, il ne faut pas les considĂ©rer comme portant sur les droits civils de la personne concernĂ©e. Mes doutes s’appuient sur deux raisons majeures : premiĂšrement, ces dĂ©cisions ont forcĂ©ment des rĂ©percussions importantes sur la vie privĂ©e, professionnelle et social de l’étranger. DeuxiĂšmement, ces dĂ©cisions ne sont absolument pas discrĂ©tionnaires et doivent se conformer aux obligations internationales, comme celles qui dĂ©coulent de l’interdiction du refoulement. Quoi qu’il en soit, les garanties de la procĂ©dure d’asile peuvent Ă©galement ĂȘtre tirĂ©es de l’article 4 du Protocole n° 4 et mĂȘme de la Convention elle-mĂȘme. En fait, la Cour a dĂ©jĂ  fondĂ© son apprĂ©ciation de l’équitĂ© d’une procĂ©dure d’asile sur l’article 3 de la Convention (Jabari c. Turquie, n° 40035/98, §§ 39-40, CEDH 2000-VIII). De plus, elle a utilisĂ© l’article 13 de la Convention pour censurer le dĂ©faut de recours effectif contre le rejet d’une demande d’asile (Chahal, prĂ©citĂ©, § 153, et Gebremedhin [Gabermadhien], prĂ©citĂ©, § 66). En d’autres termes, le contenu des garanties procĂ©durales de l’interdiction de refoulement dĂ©coule en dĂ©finitive des articles de la Convention qui protĂšgent les droits de l’homme pour lesquels aucune dĂ©rogation n’est autorisĂ©e (comme par exemple l’article 3) combinĂ©s avec l’article 13, ainsi que de l’article 4 du Protocole n° 4.

 

50.  ÄŒonka, prĂ©citĂ©, affaire dans laquelle les requĂ©rants, au moment de leur expulsion, n’étaient dĂ©jĂ  plus autorisĂ©s Ă  rester dans le pays et Ă©taient sous le coup d’une ordonnance de quitter le territoire. Voir Ă©galement, pour l’applicabilitĂ© d’autres conventions rĂ©gionales aux Ă©trangers en situation irrĂ©guliĂšre sur le territoire, Cour interamĂ©ricaine des droits de l’homme, Mesures provisoires demandĂ©es par la Commission interamĂ©ricaine des droits de l’homme concernant la RĂ©publique dominicaine, affaire des HaĂŻtiens et des Dominicains  d’origine haĂŻtienne en RĂ©publique dominicaine, ordonnance de la Cour du 18 aoĂ»t 2000 ; et Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Rencontre Africaine pour la DĂ©fense des Droits de l’Homme c. Zambie, communication n° 71/92, octobre 1996, § 23, et Union Inter-Africaine des Droits de l’Homme et autres c. Angola, communication n° 159/96, 11 novembre 1997, § 20.

 

51.  A cet effet, voir Ă©galement la RĂ©solution 1821 (2011) de l’AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l’Europe sur l’interception et le sauvetage en mer de demandeurs d’asile de rĂ©fugiĂ©s et de migrants irrĂ©guliers, §§ 9.3-9.6.

 

52.  Voir l’arrĂȘt de principe Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 59, sĂ©rie A n° 94.

 

53.  Lauterpacht et Bethlehem, prĂ©citĂ©, § 61, et Goodwin et McAdam, prĂ©citĂ©, p. 384.

 

54.  Lauterpacht et Bethlehem, prĂ©citĂ©, § 67, et Goodwin-Gill, The right to seek asylum : interception at sea and the principle of non-refoulement, Cours inaugural au Palais des AcadĂ©mies, Bruxelles, 16 fĂ©vrier 2011, p. 5, et Goodwin et McAdam, prĂ©citĂ©, p. 246.

 

55.  Voir Bernard Ryan, Extraterritorial immigration control, what role for legal guarantees ?, dans Bernard Ryan et Valsamis Mitsilegas (eds), Extraterritorial immigration control, legal challenges, Leiden, 2010, pp. 28-30.

 

56.  Au paragraphe 45 de l’affaire Regina v Immigration Officer at Prague Airport and another (Respondents) ex parte European Roma Rights Centre and others (Appellants), la Chambre des lords a reconnu que les opĂ©rations de prĂ©-dĂ©douannement « procĂšdent de l’exercice de l’autoritĂ© gouvernementale Â» sur les personnes visĂ©es. Cependant, les Lords n’étaient pas disposĂ©s Ă  considĂ©rer le refus d’admettre quelqu’un Ă  bord d’un avion dans un aĂ©roport Ă©tranger comme un acte de refoulement au sens de la Convention des Nations unies sur les rĂ©fugiĂ©s.

 

57.  Aujourd’hui, ces rĂšgles constituent le droit international coutumier (CIJ, application de la Convention sur la prĂ©vention et la rĂ©pression du crime de gĂ©nocide, Bosnie-HerzĂ©govine, arrĂȘt du 26 fĂ©vrier 2007, § 420, et, parmi d’autres auteurs, McCorquodale et Simons, Responsibility Beyond Borders: State responsibility for extraterritorial violations by corporations of international human rights law, Modern Law Review, 70, 2007, p. 601, Lauterpacht et Bethlehem, prĂ©citĂ©, p. 108, et Crawford et Olleson, The continuing debate on a UN Convention on State Responsibility, International and Comparative Law Quarterly, 54, 2005, p. 959) et sont applicables aux violations des droits de l’homme (Cawford, The International Law Commission’s articles on state responsibility: Introduction, text and commentaries, Cambridge, 2002, p. 25 et Gammeltoft-Hansen, The externalisation of European migration control and the reach of international refugee law, in European Journal of Migration and Law, 2010, p. 18).

 

58.  Le ComitĂ© europĂ©en pour la prĂ©vention de la torture et des traitements ou peines inhumains ou dĂ©gradants (CPT) parvient Ă  la mĂȘme conclusion dans son rapport au gouvernement italien relatif Ă  sa visite en Italie du 27 au 31 juillet 2009, § 48.

 

59.Voir l’arrĂȘt de la CPJI en l’affaire du Lotus (France c. Turquie) du 27 septembre 1927, § 65, oĂč la Cour dit explicitement : « Le principe de la libertĂ© de la mer a pour consĂ©quence que le navire en haute mer est assimilĂ© au territoire de l'Etat dont il porte le pavillon car, comme dans le territoire, cet Etat y fait valoir son autoritĂ©, et aucun autre État ne peut y exercer la sienne. (...) Il s'ensuit que ce qui se passe Ă  bord d'un navire en haute mer doit ĂȘtre regardĂ© comme s'Ă©tant passĂ© dans le territoire de l'Etat dont le navire porte le pavillon Â».

 

60.  Shaw, International Law, 5e Ă©dition, Cambridge, p. 495.

 

61.  Rapport du groupe de travail sur les formes contemporaines d’esclavage, UN Doc E/CN.4/Sub.2/1998/14, 6 juillet 1998, rec. 97, et rapport du groupe de travail sur les formes contemporaines d’esclavage, UN Doc E/CN.4/Sub.2/2004/36, 20 juillet 2004, rec. 19-31.

 

62.  UN doc. E/AC.32/SR.40

 

ARRÊT HIRSI JAMAA ET AUTRES c. ITALIE

 

ARRÊT HIRSI JAMAA ET AUTRES c. ITALIE 

 

ARRÊT HIRSI JAMAA ET AUTRES c. ITALIE – OPINION SÉPARÉE

 

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