Corte europea dei diritti dell’uomo
(Grande Camera), 22 dicembre 2009
(requête nos
27996/06 et 34836/06)
AFFAIRE SEJDIĆ ET FINCI c. BOSNIE-HERZÉGOVINE
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Sejdić et Finci
c. Bosnie-Herzégovine,
La Cour européenne des droits de l'homme, siégeant
en une Grande Chambre composée de :
Jean-Paul Costa, président,
Christos Rozakis,
Nicolas Bratza,
Peer Lorenzen,
Françoise Tulkens,
Josep Casadevall,
Giovanni Bonello,
Lech Garlicki,
Khanlar Hajiyev,
Ljiljana Mijović,
Egbert Myjer,
David Thór Björgvinsson,
George Nicolaou,
Luis López Guerra,
Ledi Bianku,
Ann Power,
Mihai Poalelungi, juges,
et de Vincent Berger, jurisconsulte,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les
3 juin et 25 novembre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière
date :
PROCÉDURE
1. A
l'origine de l'affaire se trouvent deux requêtes (nos 27996/06 et
34836/06) dirigées contre la Bosnie-Herzégovine et dont deux ressortissants de
cet Etat, MM. Dervo Sejdić et Jakob Finci (« les requérants »),
ont saisi la Cour le 3 juillet et le 18 août 2006 respectivement en vertu de
l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les
requérants se plaignent de l'impossibilité qui leur est faite, à raison de
leurs origines rom et juive respectivement, de se porter candidats aux
élections à la Chambre des peuples et à la présidence de Bosnie-Herzégovine.
Ils invoquent les articles 3, 13 et 14 de la Convention, l'article 3 du
Protocole no 1 et l'article 1 du Protocole no 12.
3. Les requêtes ont initialement été
attribuées à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 11 mars 2008,
une chambre de ladite section a décidé de donner connaissance des requêtes au
Gouvernement. Comme le lui permettait l'article 29 § 3 de la Convention, elle a
par ailleurs décidé d'en examiner conjointement la recevabilité et le fond. Le
10 février 2009, la chambre, composée de Nicolas Bratza, Lech Garlicki,
Giovanni Bonello, Ljiljana Mijović, David Thór Björgvinsson, Ledi Bianku
et Mihai Poalelungi, juges, et de Fatoş Aracı, greffière de section
adjointe, s'est dessaisie en faveur de la Grande Chambre, aucune des parties,
consultées à cet effet, ne s'étant déclarée opposée à pareille mesure (article
30 de la Convention et article 72 du règlement). La composition de la Grande
Chambre a été déterminée conformément aux dispositions de l'article 27
§§ 2 et 3 de la Convention et de l'article 24 du règlement.
4. Les parties ont déposé des
observations écrites sur la recevabilité et le fond des l'affaires. Des
commentaires ont également été reçus de la Commission de Venise, du Centre AIRE
et de l'Open Society Justice Initiative, qui s'étaient vu accorder l'autorisation
d'intervenir dans la procédure écrite (article 36 § 2 de la Convention et
article 44 § 2 du règlement).
5. Une audience a eu lieu en public au
Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 3 juin 2009 (article 54 § 3 du
règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
Mmes Z. Ibrahimović, agente adjointe,
B. Skalonjić, agente assistante,
M. F. Turčinović, conseiller ;
– pour les requérants
M. F.J. Leon Diaz,
Mme S.P. Rosenberg,
M. C. Baldwin, conseils.
La Cour a entendu Mme
Ibrahimović, M. Leon Diaz, Mme Rosenberg et M. Baldwin. Le
second requérant était également présent à l'audience.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. Le
contexte
6. La
Constitution de Bosnie-Herzégovine (ci-après désignée comme « la
Constitution » ou « la Constitution de l'Etat » lorsqu'il est
nécessaire de la distinguer des Constitutions des entités) est une annexe à
l'Accord cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine (« l'Accord de
paix de Dayton »), paraphé à Dayton le 21 novembre 1995 et signé à Paris
le 14 décembre 1995. Partie intégrante d'un traité de paix, la
Constitution a été rédigée et adoptée sans qu'aient été appliquées les
procédures qui auraient pu lui conférer une légitimité démocratique. Négociée et publiée dans une langue étrangère,
l'anglais, elle représente l'unique cas de Constitution n'ayant jamais été
officiellement publiée dans les langues officielles du pays concerné. La
Constitution confirmait le maintien de l'existence juridique de la
Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat, tout en modifiant sa structure interne. En vertu de la
Constitution, la Bosnie-Herzégovine se compose de deux entités : la
Fédération de Bosnie-Herzégovine et la Republika Srpska. L'Accord de paix de
Dayton avait laissé sans réponse la question de la ligne de séparation des
entités dans la région de Brčko, mais les parties s'étaient mises d'accord
pour soumettre cette question à un arbitrage contraignant (article V de l'annexe
2 à l'Accord de paix de Dayton). Une sentence arbitrale du 5 mars 1999 a
créé un district de Brčko placé sous la souveraineté exclusive de l'Etat.
7. Le préambule à la Constitution
qualifie les Bosniaques, les Croates et les Serbes de « peuples constituants ».
Au niveau de l'Etat, des arrangements de partage du pouvoir ont été introduits
qui rendent impossible l'adoption de décisions contre la volonté des
représentants de l'un quelconque des « peuples constituants ». Ont
ainsi été prévus un veto au nom d'intérêts vitaux, un veto des entités, un
système bicaméral (avec une Chambre des peuples composée de cinq Bosniaques et
cinq Croates de la Fédération de Bosnie-Herzégovine et de cinq Serbes de la
Republika Srpska) et une présidence collégiale de trois membres, composée de un
Bosniaque et un Croate de la Fédération de Bosnie-Herzégovine et de un Serbe de
la Republika Srpska (pour plus de détails, voir les paragraphes 12 et 22
ci-dessous).
B. La présente espèce
8. Les requérants sont nés en 1956 et
en 1943 respectivement. Ils ont occupé dans le passé et continuent d'occuper
des fonctions publiques importantes. M. Sejdić est actuellement le
contrôleur rom de la mission de l'OSCE en Bosnie-Herzégovine ; il avait
précédemment siégé comme membre du Conseil rom de Bosnie-Herzégovine (l'organe
représentatif suprême de la communauté rom locale) et du Conseil consultatif
pour les Roms (organe mixte comprenant des représentants de la communauté rom
locale et des ministères compétents). M. Finci est actuellement ambassadeur de
Bosnie-Herzégovine en Suisse ; il avait auparavant exercé diverses
fonctions, et notamment celle de président du Conseil interreligieux de
Bosnie-Herzégovine et celle de chef de l'agence de la fonction publique
nationale.
9. Les
requérants se disent l'un d'origine rom, l'autre d'origine juive. Dès lors
qu'ils ne déclarent d'appartenance à aucun des « peuples
constituants », ils n'ont pas qualité pour se porter candidats aux
élections à la Chambre des peuples (la deuxième chambre du Parlement de l'Etat)
ou à la présidence (collective) de l'Etat. M. Finci a obtenu le 3 janvier 2007
une confirmation officielle de cet état de choses.
II. LE
DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX ET INTERNES PERTINENTS
A. L'Accord
de paix de Dayton
10. L'Accord
de paix de Dayton, paraphé sur la base aérienne de Wright-Patterson, non loin
de Dayton (Etats-Unis), le 21 novembre 1995 et signé à Paris (France) le 14
décembre 1995, était l'aboutissement de quelque quarante-quatre mois de
négociations intermittentes menées sous les auspices de la Conférence
internationale sur l'ex-Yougoslavie et du Groupe de contact. Il est entré en
vigueur le 14 décembre 1995 et comporte douze annexes.
1. L'Annexe
4 (la Constitution de Bosnie-Herzégovine)
11. La Constitution établit une distinction
entre les « peuples constituants » (qui regroupent les personnes
déclarant appartenir au groupe des Bosniaques1, à celui des
Croates ou à celui des Serbes) et les « autres » (les membres de
minorités ethniques et les personnes qui ne déclarent d'appartenance à aucun
groupe particulier, par exemple parce qu'elles ont épousé une personne d'une
origine ethnique différente de la leur, parce que leurs parents ont chacun une
origine ethnique différente, ou pour d'autres raisons encore). Dans
l'ex-Yougoslavie, l'appartenance à un groupe ethnique était décidée par les
personnes elles-mêmes, en vertu d'un système d'autoclassification. Ainsi, aucun
critère objectif, tel la connaissance d'une langue déterminée ou l'appartenance
à une religion donnée, n'était requis. Il n'y avait pas non plus d'exigence d'acceptation par les autres membres
du groupe ethnique concerné. La Constitution ne comporte aucune disposition
concernant la détermination de l'appartenance ethnique des gens. Ses rédacteurs
ont apparemment supposé que l'autoclassification traditionnelle suffirait.
12. Seules
les personnes déclarant une appartenance à l'un des peuples constituants
peuvent se présenter à la Chambre des peuples (la seconde chambre du Parlement
national) et à la présidence (collégiale) de l'Etat. Les dispositions de la
Constitution pertinentes pour la présente espèce sont les suivantes :
Article IV
« L'Assemblée
parlementaire comprend deux chambres : le Chambre des peuples et la
Chambre des représentants.
1. Chambre
des peuples. La Chambre des peuples comprend quinze délégués, deux tiers
émanant de la Fédération (cinq Croates et cinq Bosniaques) et un tiers émanant
de la Republika Srpska (cinq Serbes).
a) Les délégués croates et bosniaques
désignés par la Fédération sont choisis, respectivement, par les délégués
croates et bosniaques à la Chambre des peuples de la Fédération2. Les délégués de
la Republika Srpska sont choisis par l'Assemblée nationale de la Republika
Srpska3.
b) Neuf membres de la Chambre des peuples
constituent un quorum, sous réserve de la présence effective d'au moins trois
délégués bosniaques, trois délégués croates et trois délégués serbes.
2. Chambre des représentants. La
Chambre des représentants comporte quarante-deux membres, dont les deux tiers
sont élus par le territoire de la Fédération et un tiers par le territoire de
la Republika Srpska.
a) Les membres de la Chambre des
représentants sont élus directement par leur Entité conformément aux
dispositions d'une loi électorale que l'Assemblée parlementaire approuvera. Toutefois, la
première élection est organisée conformément à l'annexe 3 de l'Accord-cadre
général.
b) La majorité de tous les membres élus
pour siéger à la Chambre des représentants constitue le quorum
3. Procédures
a) Chacune des deux chambres se réunit à
Sarajevo au plus tard trente jours après sa formation ou son élection.
b) Chaque chambre adopte à la majorité son
règlement intérieur et choisit parmi ses membres un Serbe, un Bosniaque et un
Croate comme Président et Vice-Présidents, la Présidence revenant à tour de
rôle à chacune des trois personnes choisies.
c) Toute législation nécessite
l'approbation des deux chambres.
d) Toutes les décisions des deux chambres
sont prises à la majorité des votants présents en personne. Les délégués et les
membres font leur possible pour que la majorité comporte au moins un tiers des
suffrages émanant de territoire de chaque Entité. Si la majorité exprimée ne
comprend pas un tiers des voix des délégués ou membres du territoire de chaque
Entité, le Président et les Vice-présidents se constituent en commission et
essaient d'obtenir l'approbation dans les trois jours suivant le scrutin. En
cas d'échec, les décisions sont prises à la majorité des présents et votants à
condition que les suffrages contraires ne soient pas en nombre égal ou
supérieur aux deux tiers du nombre des délégués ou des membres élus par l'une
ou l'autre des Entités.
e) Un projet de décision soumis à
l'Assemblée parlementaire peut être déclaré contraire aux intérêts vitaux du
peuple bosniaque, croate ou serbe par une majorité des délégués bosniaques,
croates ou serbes, selon le cas, désignés conformément aux dispositions de
l'alinéa 1 a) ci-dessus. Pour être approuvé par la Chambre des peuples, un tel
projet de décision requiert la majorité des délégués bosniaques, des délégués
croates et des délégués serbes présents et votants.
f) Si une majorité de la délégation
bosniaque ou croate ou serbe s'oppose à la mise en œuvre des dispositions de
l'alinéa e), le Président de la Chambre des peuples réunit immédiatement une
Commission mixte composée de trois délégués choisis respectivement par les
délégués bosniaques, croates et serbes affin de résoudre le litige. A défaut pour la
Commission de régler le problème dans les cinq jours, la question est portée
devant la Cour constitutionnelle, qui vérifie la régularité de la procédure
parlementaire en appliquant une procédure d'urgence.
g) La
dissolution de la Chambre des peuples peut être prononcée par la Présidence ou
par la Chambre elle-même, à condition que la décision de la Chambre soit
approuvée par une majorité comprenant la majorité des délégués d'au moins deux
des peuples bosniaque, croate ou serbe. Toutefois, la Chambre des peuples élue
lors des premières élections après l'entrée en vigueur de la présente
Constitution ne peut pas être dissoute.
h) Les décisions de l'Assemblée
parlementaire n'entrent en vigueur qu'après publication.
i) Les deux chambres publient un compte rendu
complet de leurs délibérations et, sauf circonstances exceptionnelles prévues
par leurs règlements, leurs délibérations sont publiques.
j) La responsabilité des délégués et des
membres ne peut être recherchée au civil ni au pénal pour les actes accomplis
dans le cadre de leurs fonctions auprès de l'Assemblée parlementaire.
4. Pouvoirs. Les pouvoirs suivants
sont exercés par l'Assemblée parlementaire :
a) Promulguer les lois nécessaires pour
mettre en œuvre les décisions de la Présidence ou exercer les responsabilités
de l'Assemblée aux termes de la présente Constitution.
b) Décider des sources et des montants des
recettes nécessaires pour le fonctionnement des institutions de la
Bosnie-Herzégovine et pour l'exécution de ses obligations internationales.
c) Approuver le budget des institutions de
la Bosnie-Herzégovine.
d) Consentir ou non à la ratification des
traités.
e) Régler toutes autres questions nécessaires
pour remplir ses fonctions ou s'acquitter des charges qui lui sont attribuées
par consentement mutuel des Entités.
Article V
« La
Présidence de la Bosnie-Herzégovine se compose de trois membres, un Bosniaque,
un Croate, chacun élu directement par le territoire de la Fédération, et un
Serbe élu directement par le territoire de la Republika Srpska.
1. Election et durée du mandat électif
a) Les membres de la Présidence sont élus
directement dans chaque Entité (chaque électeur votant en vue de pourvoir un
siège à la Présidence) conformément aux dispositions d'une loi électorale
adoptée par l'Assemblée parlementaire. Toutefois, la première élection se déroule
conformément aux dispositions de l'annexe 3 de l'Accord-cadre général. Tout
siège vacant à la Présidence est pourvu par l'Entité concernée conformément à
une loi que l'Assemblée parlementaire devra adopter.
b) Les membres de la Présidence élus lors
des premières élections restent en poste pour un mandat de deux ans ; le mandat
des membres élus ensuite est de quatre ans. Les membres sont rééligibles une
fois pour se succéder à eux-mêmes et sont ensuite inéligibles pendant quatre
ans
2. Procédures
a) La Présidence fixe son propre règlement,
qui prévoit un délai de convocation suffisant pour toutes les réunions de la
Présidence.
b) Les
membres de la Présidence se choisissent un Président en leur sein. Pour le
premier mandat de la Présidence, le Président est celui des membres qui a
recueilli le plus grand nombre de voix. Par la suite, l'Assemblée parlementaire
définit la méthode d'élection du Président, par tour de rôle ou autrement, sous
réserve des dispositions de l'article IV § 3.
c) La
Présidence s'efforce d'adopter par consensus toutes les décisions
présidentielles (c'est-à-dire celles concernant les questions qui relèvent de
l'article V § 3 a)–c)). Sous réserve des dispositions de l'alinéa d) ci-après,
ces décisions peuvent néanmoins être adoptées par deux membres, si tous les
efforts en vue d'obtenir un consensus ont échoué.
d) Un
membre dissident de la Présidence peut déclarer qu'une décision présidentielle
est contraire à un intérêt vital de l'Entité à laquelle appartient le
territoire qui a élu ledit membre, à condition de manifester son oppositions
dans les trois jours qui suivent l'adoption de la décision contestée. La
décision est immédiatement soumise à l'Assemblée nationale de la Republika
Srpska si la déclaration a été faite par le membre représentant le territoire,
à la délégation bosniaque à la Chambre des peuples de la Fédération si la
déclaration a été faite par le membre bosniaque, ou à la délégation croate de
cette même chambre, si la déclaration a été faite par le représentant croate.
Dans l'éventualité où la déclaration est confirmée par un vote des deux tiers
de ces personnes dans les dix jours de la saisine, la décision présidentielle
contestée ne peut être suivie d'effet.
3. Pouvoirs.
La Présidence est investie de la responsabilité
a) De
conduire la politique étrangère de la Bosnie-Herzégovine.
b) De nommer les ambassadeurs et autres
représentants de la Bosnie-Herzégovine dans les relations internationales, deux
tiers au maximum de ceux-ci pouvant provenir du territoire de la Fédération.
c) De représenter la Bosnie-Herzégovine
auprès des institutions et organisations européennes et internationales et de
solliciter l'adhésion de la Bosnie-Herzégovine auprès des institutions et
organisations dont elle n'est pas membre.
d) De
négocier, dénoncer et, avec l'accord de l'Assemblée parlementaire, de ratifier
les traités de la Bosnie-Herzégovine.
e) De
mettre à exécution les décisions de l'Assemblée parlementaire.
f) De
proposer, sur recommandation du Conseil des ministres, un budget annuel à
l'Assemblée parlementaire.
g) De
rendre compte à l'Assemblée parlementaire des dépenses de la Présidence, sur
demande de l'Assemblée mais au moins une fois par an.
h) D'assurer la coordination nécessaire
avec les organisations internationales et non gouvernementales en
Bosnie-Herzégovine.
i) De remplir toutes autres fonctions
éventuellement nécessaires pour s'acquitter de ses obligations, de celles qui
peuvent lui être confiées par l'Assemblée parlementaire ou de celles dont les
Entités peuvent convenir. »
13. Les arrangements constitutionnels
incriminés en l'espèce ne se trouvaient pas inclus dans l'accord de principe
qui constituait la trame de ce que contiendrait le futur Accord de paix de
Dayton (voir les paragraphes 6.1 et 6.2 du nouvel accord de principe du 26
septembre 1995). Il semblerait que les médiateurs internationaux aient avec
réticence accepté ces arrangements à un stade ultérieur, sur l'insistance
pressante de certaines des parties au conflit (voir Nystuen4, Achieving
Peace or Protecting Human Rights: Conflicts between Norms Regarding Ethnic
Discrimination in the Dayton Peace Agreement, éditions Martinus Nijhoff,
2005, p. 192, et O'Brien5, The Dayton
Agreement in Bosnia: Durable Cease-Fire, Permanent Negotiation, in Zartman
and Kremenyuk (éds), Peace versus Justice: Negotiating Forward- and
Backward-Looking Outcomes, éditions Rowman & Littlefield, 2005, p.
105).
14. Parfaitement conscients que les
dispositions constitutionnelles litigieuses étaient selon toute vraisemblance
en conflit avec les droits de l'homme, les médiateurs internationaux estimèrent
qu'il était spécialement important de faire de la Constitution un instrument
dynamique et de prévoir la possibilité d'une disparition progressive des
mécanismes constitutionnels en cause. C'est la raison pour laquelle ils
insérèrent dans la Constitution l'article II § 2 (voir Nystuen, précité, p.
100). Cette disposition est ainsi libellée :
« Les droits et les libertés définis dans la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales et ses Protocoles s'appliquent directement en Bosnie-Herzégovine.
Ils priment tout autre droit. »
Si dans ses décisions U 5/04 du 31 mars 2006 et U
13/05 du 26 mai 2006 la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a jugé que
la Convention européenne des droits de l'homme ne primait pas la Constitution,
elle est parvenue à une conclusion différente dans sa décision AP 2678/06 du
29 septembre 2006. Dans l'affaire en question, elle était appelée à
connaître d'une plainte pour discrimination concernant l'impossibilité faite au
plaignant de se présenter aux élections à la présidence de Bosnie-Herzégovine à
raison de son origine ethnique (il s'agissait d'un Bosniaque de la Republika
Srpska). La Cour constitutionnelle rejeta le recours sur le fond. La partie
pertinente de la décision de la majorité se lit ainsi (le texte qui suit est
une traduction de la traduction anglaise fournie par la Cour
constitutionnelle) :
« 18. Les plaignants soutiennent que
leurs droits ont été violés, l'article II § 2 de la Constitution de
Bosnie-Herzégovine précisant que les droits et les libertés définis dans la
Convention européenne et ses Protocoles sont directement applicables en
Bosnie-Herzégovine et qu'ils priment tout autre droit. Les intéressés
estiment que la candidature à la présidence de Bosnie-Herzégovine de Ilijaz
Pilav a été rejetée exclusivement sur la base de son origine
nationale/ethnique, en quoi ils voient une violation de l'article 1 du
Protocole no 12 à la Convention européenne, qui garantit que la
jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée sans discrimination
aucune et que nul ne peut faire l'objet, pour quelque motif que ce soit, et
notamment pour des motifs d'origine nationale/ethnique, d'une discrimination de
la part d'une autorité publique quelle qu'elle soit.
(...)
22. Nul
ne conteste que le texte de l'article V de la Constitution de Bosnie-Herzégovine
et le texte de l'article 8 de la loi électorale de 2001 sont de nature
restrictive dès lors qu'ils restreignent les droits civiques, et plus
précisément le droit de se porter candidat aux élections à la présidence de
Bosnie-Herzégovine, des Bosniaques et des Croates du territoire de la Republika
Srpska et des Serbes du territoire de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Cela étant, le but des dispositions en cause est de
renforcer la position des peuples constituants de manière à garantir que la
présidence se compose de représentants de chacun de ces trois peuples
constituants. Eu égard à la situation qui règne actuellement en
Bosnie-Herzégovine, la restriction imposée par la Constitution et par la loi
électorale de 2001, en vertu de laquelle les candidatures des requérants ne
sont pas traitées de la même façon que celles de Serbes qui sont directement
élus à partir du territoire de la Republika Srpska, est légitime aujourd'hui
car il existe une justification raisonnable au traitement en cause. Par
conséquent, eu égard à la situation qui prévaut aujourd'hui en Bosnie-Herzégovine
et à la nature spécifique de l'ordre constitutionnel de cet Etat, et compte
tenu des dispositifs constitutionnels et législatifs en vigueur, les décisions
incriminées de la Cour de Bosnie-Herzégovine et de la Commission électorale
centrale n'ont pas violé les droits des plaignants découlant de l'article 1 du
Protocole no 12 à la Convention européenne et de l'article 25 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dès lors que les
décisions mentionnées ne sont pas arbitraires et qu'elles sont fondées sur le
droit. Cela signifie qu'elles servent un but légitime, qu'elles reposent sur
des motifs raisonnables et qu'elles ne font pas peser une charge excessive sur
les plaignants, les restrictions imposées aux droits de ces derniers étant
proportionnées aux objectifs d'utilité publique que constituent la préservation
de la paix établie, le maintien du dialogue et, par conséquent, la création des
conditions permettant de modifier les dispositions précitées de la Constitution
de Bosnie-Herzégovine et de la loi de 2001 relative aux élections. »
15. En
ce qui concerne les amendements à la Constitution, l'article 10 de celle-ci est
ainsi libellé :
« 1. Procédure.
La présente Constitution peut être révisée par décision de l'Assemblée
parlementaire prise à la majorité des deux tiers des votants présents en
personne à la Chambre des représentants.
2. Droits
de l'homme et libertés fondamentales. Aucun amendement à la présente
Constitution ne peut éliminer ou restreindre les droits ou libertés visés à
l'article II de la présente Constitution, ni modifier les dispositions du
présent alinéa. »
Le 26
mars 2009, l'Assemblée parlementaire a modifié pour la première fois la
Constitution, conformément à la procédure susdécrite. L'amendement en question
concernait le statut du district de Brčko.
2. Annexe
10 (l'Accord relatif aux aspects civils de la mise en œuvre de l'Accord de
paix)
16. L'Accord
relatif aux aspects civils de la mise en œuvre de l'Accord de paix définit le
mandat du Haut Représentant, l'administrateur international de la
Bosnie-Herzégovine, mis en place avec l'autorisation du Conseil de sécurité des
Nations unies par un groupe informel d'Etats qui avaient activement participé
au processus de paix (appelé le Conseil de mise en œuvre de la paix) en vertu
du chapitre VII de la Charte des nations unies (voir la Résolution 1031 du
Conseil de sécurité des Nations unies du 15 décembre 1995).
17. Il est de notoriété publique que
les pouvoirs du Haut Représentant sont étendus (voir Berić et autres c.
Bosnie-Herzégovine (déc.) nos 36357/04 et autres,
CEDH 2007-XII). Le Haut Représentant a imposé à de nombreuses reprises
l'adoption de textes législatifs ordinaires et d'amendements aux Constitutions
des entités (les Constitutions des entités, contrairement à la Constitution de
l'Etat, ne font pas partie de l'Accord de paix de Dayton). La question de
savoir s'il pourrait imposer des amendements à la Constitution de l'Etat est
toutefois moins claire. L'Accord de paix de Dayton est muet à cet égard, mais
un épisode concernant une erreur de frappe dans la Constitution de l'Etat donne
à penser qu'il y a lieu de répondre par la négative à cette question. Plusieurs
mois après l'entrée en vigueur de l'Accord de paix de Dayton, certains des
juristes internationaux qui avaient assisté aux négociations se rendirent
compte qu'un renvoi opéré à l'article V § 2 c) de la Constitution était erroné
(le texte renvoyait à l'article III § 1 a)-e), alors qu'il aurait dû renvoyer à
l'article V § 3 a)-e)). En novembre 1996, le Haut Représentant, M. Bildt, adressa
au Secrétaire d'Etat américain, M. Christopher, une lettre dans laquelle
il proposait de corriger l'erreur commise en se fondant sur l'Annexe 10 à
l'Accord de paix de Dayton. M. Christopher considéra que l'autorité que M.
Bildt exerçait au titre de l'Annexe 10 ne s'étendait pas à la Constitution de
l'Etat (voir le texte de leur échange de correspondance dans Nystuen, précité,
pp. 80-81). Peu après, l'erreur fut corrigée sans décision formelle : le
Haut Représentant informa simplement la présidence de Bosnie-Herzégovine et
publia une version corrigée de la Constitution de l'Etat. L'élément pertinent pour les présentes espèces est que
la position officielle des Hauts Représentants successifs a toujours été depuis
lors que leur pouvoir ne s'étend pas à la Constitution de l'Etat. On en trouve
confirmation dans le discours prononcé par Lord Ashdown en sa qualité de Haut
Représentant devant la Commission de Venise (voir le rapport de la 60e
session plénière de la Commission de Venise, CDL-PV(2004)003 du 3 novembre
2004, p. 18). Le discours en question comportait notamment le passage
suivant :
« Si la
Bosnie-Herzégovine veut adhérer à l'Union européenne et à l'OTAN, elle doit
impérativement démontrer qu'elle est un Etat qui fonctionne. En
Bosnie-Herzégovine, les membres de la classe politique commencent déjà à se
rendre compte qu'ils sont face à un choix : garder la Constitution
actuelle et en payer le prix sur le plan économique, social et politique, ou
lui apporter les modifications nécessaires pour que la Bosnie-Herzégovine
devienne un pays stable et prospère dont les institutions fonctionnent et pour
qu'elle puisse entrer dans l'Union européenne. A mon avis, les habitants de Bosnie-Herzégovine n'accepteront pas que la
Constitution soit un obstacle à leur sécurité et à leur prospérité.
Mais nous ne pouvons pas lever cet obstacle à leur
place.
Le Conseil de mise en œuvre de la paix et les Hauts
Représentants successifs (dont moi-même) ont toujours défendu la même
position : si tant est que les parties respectent les accords de Dayton
(et à cet égard subsiste le problème de la coopération de la Republika Srpska
avec le tribunal de La Haye) la Constitution de la Bosnie-Herzégovine peut être
modifiée par l'Assemblée parlementaire de la Bosnie-Herzégovine (et non par la
communauté internationale) selon les procédures prévues. En d'autres termes, à
condition que les accords de Dayton soient respectés, les pouvoirs du Haut
Représentant ne durent que ce que durent ces accords et il appartient à la
population de Bosnie-Herzégovine et à ses représentants élus de décider des
modifications à apporter à l'ordre constitutionnel prévu par les textes de
Dayton. »
B. La
loi électorale de 2001
18. La
loi électorale de 2001 (publiée au Journal officiel de Bosnie-Herzégovine no
23/01 du 19 septembre 2001 ; amendements publiés au Journaux officiels nos
7/02 du 10 avril 2002, 9/02 du 3 mai 2002, 20/02 du 3 août 2002, 25/02 du
10 septembre 2002, 4/04 du 3 mars 2004, 20/04 du 17 mai 2004, 25/05 du 26
avril 2005, 52/05 du 2 août 2005, 65/05 du 20 septembre 2005, 77/05 du 7
novembre 2005, 11/06 du 20 février 2006, 24/06 du 3 avril 2006, 32/07 du 30
avril 2007, 33/08 du 22 avril 2008 et 37/08 du 7 mai 2008) est entrée en
vigueur le 27 septembre 2001. Ses dispositions pertinentes en l'espèce sont
ainsi libellées :
Article 1.4 § 1
« Tout
citoyen de Bosnie-Herzégovine ayant atteint l'âge de dix-huit (18) ans a le
droit de voter et d'être élu conformément à la présente loi. »
Article 4.8
« Pour être
admis sur la liste des candidats aux élections, un candidat indépendant doit
présenter à la Commission électorale centrale une demande de participation aux
élections comportant au moins :
1. mille cinq cents (1 500 signatures)
de votants enregistrés pour les élections à la présidence de Bosnie-Herzégovine ;
(...) »
Article 4.19 §§ 5-7
« Chaque liste de candidats comporte les nom et
prénoms des personnes qui y figurent, leur numéro d'identification personnelle
(numéro JMBG), l'adresse de leur résidence permanente, leur appartenance à l'un
des peuples constituants ou au groupe des « autres », le numéro de leur
carte d'identité, qui doit être valable, et le lieu où elle a été délivrée,
ainsi qu'une signature du président du parti politique [auquel elles
appartiennent] ou des présidents des partis politiques de la coalition. Pour
chaque candidat, la déclaration d'acceptation de candidature, une déclaration
confirmant l'absence d'empêchements au sens de l'article 1.10 § 1(4) de la
présente loi et une déclaration indiquant l'état de son patrimoine au sens de
l'article 15.7 de la présente loi doivent être annexées à la liste. Ces
déclarations doivent être certifiées conformes.
La déclaration d'appartenance à l'un des peuples
constituants ou au groupe des « autres » visée au paragraphe
précédent sera utilisée aux fins de l'exercice du droit de détenir un poste
électif ou administratif pour lequel pareille déclaration est requise dans le
cycle électoral pour lequel la liste de candidats a été soumise.
Les candidats ont le droit de ne pas déclarer leur
appartenance à l'un des peuples constituants ou au groupe des « autres ».
Pareille absence de déclaration sera toutefois considérée comme une
renonciation au droit de détenir un poste électif ou administratif pour lequel
pareille déclaration est requise. »
Article 8.1
« Les membres de la présidence de Bosnie-Herzégovine
directement élus à partir du territoire de la Fédération de Bosnie-Herzégovine
– un Bosniaque et un Croate – sont élus par les électeurs inscrits au registre
central des électeurs appelés à voter au sein de la Fédération de
Bosnie-Herzégovine. Un électeur inscrit au registre central des électeurs
appelés à voter au sein de la Fédération de Bosnie-Herzégovine peut voter soit
pour le membre bosniaque, soit pour le membre croate de la présidence, mais non
pour les deux. Sont élus le membre bosniaque et le membre croate qui
recueillent le plus grand nombre de suffrages parmi les candidats du même
peuple constituant.
Le membre de la présidence de Bosnie-Herzégovine
directement élu dans le territoire de la Republika Srpska – un Serbe – est élu
par les électeurs inscrits au registre central des électeurs appelés à voter en
Republika Srpska. Est élu le candidat qui recueille le plus grand nombre de
suffrages.
Le mandat des
membres de la présidence de Bosnie-Herzégovine est de quatre (4) ans. »
Article 9.12 a
« Les délégués
croates et bosniaques de la Fédération de Bosnie-Herzégovine à la Chambre des
peuples de Bosnie-Herzégovine sont élus par le groupe des délégués croates ou
le groupe des délégués bosniaques, suivant le cas, à la Chambre des peuples de
la Fédération de Bosnie-Herzégovine.
Les délégués croates et bosniaques à la Chambre des
peuples de la Fédération de Bosnie-Herzégovine élisent les délégués de leurs
peuples constituants respectifs.
Les délégués serbes et les délégués du groupe des
« autres » à la Chambre des peuples de la Fédération de
Bosnie-Herzégovine ne participent pas au processus d'élection des délégués
bosniaques et croates de la Fédération de Bosnie-Herzégovine à la Chambre des
peuples de Bosnie-Herzégovine.
Les délégués de la
Republika Srpska (cinq Serbes) à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine
sont élus par l'Assemblée nationale de la Republika Srpska.
Les délégués
bosniaques et croates et les délégués du groupe des « autres » à
l'Assemblée nationale de la Republika Srpska participent au processus
d'élection des délégués de la Republika Srpska à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine. »
Article 9.12 c
« Les
délégués bosniaques et les délégués croates à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine
sont élus de telle manière que chaque entité politique représentée dans le
groupe des délégués bosniaques ou dans le groupe des délégués croates ou chaque
délégué du groupe des délégués bosniaques ou du groupe des délégués croates à
la Chambre des peuples de la Fédération de Bosnie-Herzégovine ait le droit de
faire figurer une ou plusieurs personnes sur la liste des candidats à
l'élection des délégués bosniaques ou croates, selon le cas, à la Chambre des
peuples de Bosnie-Herzégovine.
Chaque liste peut
comporter plus de candidats qu'il ne faut élire de délégués à la Chambre des
peuples de Bosnie-Herzégovine. »
Article 9.12 e
« L'élection
des délégués de la Republika Srpska à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine
est menée de telle manière que chaque parti politique ou chaque délégué à l'Assemblée
nationale de la Republika Srpska aient le droit de faire figurer une ou
plusieurs personnes sur la liste des candidats à l'élection des délégués serbes
à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine.
Chaque liste peut
comporter plus de candidats qu'il ne faut élire de délégués à la Chambre des
peuples de Bosnie-Herzégovine. »
C. Les Nations unies
19. La Convention internationale sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée sous les
auspices des Nations unies le 21 décembre 1965 est entrée en vigueur à
l'égard de la Bosnie-Herzégovine le 16 juillet 1993. La partie
pertinente de son article premier est ainsi libellée :
« Dans la
présente Convention, l'expression « discrimination raciale » vise
toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la
couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou
pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou
l'exercice, dans des conditions d'égalité, des droits de l'homme et des
libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et
culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique. »
La
partie pertinente de l'article 5 est ainsi libellée :
« Conformément
aux obligations fondamentales énoncées à l'article 2 de la présente Convention,
les Etats parties s'engagent à interdire et à éliminer la discrimination
raciale sous toutes ses formes et à garantir le droit de chacun à l'égalité
devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d'origine nationale ou
ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants :
(...)
c) droits politiques, notamment droit de
participer aux élections – de voter et d'être candidat – selon le système du
suffrage universel égal, droit de prendre part au gouvernement ainsi qu'à la
direction des affaires publiques, à tous les échelons, et droit d'accéder, dans
des conditions d'égalité, aux fonctions publiques ;
(...) »
Les « Observations finales » au sujet de
la Bosnie-Herzégovine publiées par le Comité pour l'élimination de la
discrimination raciale, l'organe indépendant qui surveille la mise en œuvre de
ladite Convention, comportait notamment le passage suivant (document
CERD/C/BIH/CO/6 du 11 avril 2006, § 11) :
« Le Comité est vivement préoccupé par le fait
qu'en vertu des articles IV et V de la Constitution nationale, seules les
personnes appartenant à un groupe considéré, en vertu de la loi, comme l'un des
peuples constitutifs de la Bosnie-Herzégovine (à savoir les Bosniaques, les
Croates et les Serbes) et qui est majoritaire dans l'entité où elles résident
(à savoir Bosniaques et Croates dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine et
Serbes en Republika Srpska) peuvent être élues à la Chambre des peuples et à la
présidence tripartite de la Bosnie-Herzégovine. La structure juridique
existante exclut donc de la Chambre des peuples et de la présidence toutes les
personnes dites « autres », c'est-à-dire les personnes appartenant à
des minorités nationales ou à des groupes ethniques autres que les Bosniaques,
les Croates ou les Serbes. Bien que la structure tripartite des principales
institutions politiques de l'Etat partie ait pu être justifiée, voire
nécessaire dans un premier temps pour établir la paix à la suite du conflit
armé, le Comité note que les distinctions juridiques qui favorisent certains
groupes ethniques en leur accordant des préférences et des privilèges spéciaux
ne sont pas compatibles avec les articles 1er et 5 c) de la
Convention. Le Comité fait en outre observer que cela est particulièrement vrai
lorsque les circonstances au regard desquelles les préférences et privilèges en
question avaient été accordés ont cessé d'exister (articles 1 4) et 5 c)).
Le Comité invite instamment l'Etat partie à modifier
les dispositions pertinentes de la Constitution nationale et de la loi
électorale, afin de garantir à tous les citoyens, quelle que soit leur
appartenance ethnique, l'exercice, dans des conditions d'égalité, du droit de
voter et d'être candidat. »
20. Le Pacte international relatif aux
droits civils et politiques adopté sous les auspices des Nations unies le 16
décembre 1966 est entré en vigueur à l'égard de la Bosnie-Herzégovine le 6 mars
1992. Ses dispositions pertinentes en l'espèce sont les suivantes :
Article 2 § 1
« Les Etats parties au présent pacte s'engagent à
respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et
relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans
distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d'opinions politiques ou de toutes autres opinions, d'origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation. »
Article 25
« Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans
aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions
déraisonnables :
a) de prendre part à la direction des
affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants
librement choisis ;
b) de voter et d'être élu, au cours
d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin
secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs ;
c) d'accéder, dans des conditions générales
d'égalité, aux fonctions publiques de son pays.
Article 26
« Toutes les personnes sont égales devant la loi
et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard,
la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes
une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de
race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinions politiques et de
toutes autres opinions, d'originale nationale ou sociale, de fortune, de
naissance ou de toute autre situation. »
Les « Observations finales » concernant
la Bosnie-Herzégovine publiées par le Comité des droits de l'homme, l'organe
d'experts indépendants qui surveille la mise en œuvre du Pacte, comportent
notamment le passage suivant (document no CCPR/C/BIH/CO/1 du 22
novembre 2006, § 8) :
« Le Comité
est préoccupé par le fait qu'à la suite du rejet de l'amendement pertinent à la
Constitution le 26 avril 2006, la Constitution et la loi électorale de l'Etat
continuent à exclure l'élection des « Autres », c'est-à-dire des
personnes qui n'appartiennent pas à l'un des « peuples constitutifs »
de l'Etat partie (Bosniaques, Croates et Serbes), à la Chambre des peuples ou à
la présidence tripartite de Bosnie-Herzégovine (articles 2, 25 et 26).
L'Etat partie
devrait rouvrir les discussions sur la réforme constitutionnelle de manière transparente
et sur une base largement participative, en incluant toutes les parties
prenantes, en vue d'adopter un système électoral qui garantisse à tous les
citoyens, quelle que soit leur origine ethnique, l'égalité de jouissance des
droits prévus à l'article 25 du Pacte. »
D. Le
Conseil de l'Europe
21. En
devenant membre du Conseil de l'Europe le 24 avril 2002, la Bosnie-Herzégovine
s'est engagée notamment à « revoir la loi électorale dans un délai d'un
an, avec l'aide de la Commission pour la démocratie par le droit (Commission de
Venise) et à la lumière des principes du Conseil de l'Europe, aux fins
d'amendement, le cas échéant » (voir l'Avis 234 (2002) sur la demande
d'adhésion de la Bosnie-Herzégovine au Conseil de l'Europe, adopté par l'Assemblée
parlementaire le 22 janvier 2002, § 15 iv) b)). Par la suite, l'Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe a régulièrement rappelé à la
Bosnie-Herzégovine cette obligation souscrite au moment de l'adhésion et l'a
invitée à adopter une nouvelle Constitution avant octobre 2010 afin de
« remplacer le dispositif de représentation ethnique par une
représentation fondée sur le principe de citoyenneté, notamment en mettant un
terme à la discrimination constitutionnelle envers les « autres » »
(Résolution 1383 (2004) du 23 juin 2004, § 3 ; Résolution 1513 (2006) du
29 juin 2006, § 20 ; et Résolution 1626 (2008) du 30 septembre 2008,
§ 8).
22. La
Commission de Venise, l'organe consultatif du Conseil de l'Europe pour les
questions constitutionnelles, a de son côté émis un certain nombre d'avis à ce
sujet.
Celui
sur la situation constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine et les pouvoirs du
Haut Représentant (document CDL-AD(2005)004 du 11 mars 2005) comporte notamment
le passage suivant :
« 1. Le
23 juin 2004, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté sa
Résolution 1384 sur le “Renforcement des institutions démocratiques en Bosnie-
Herzégovine”. Le paragraphe 13 de cette Résolution demande à la Commission de
Venise d'examiner plusieurs questions constitutionnelles en Bosnie-Herzégovine.
(...)
29. La
[Bosnie-Herzégovine] est un pays en transition qui doit faire face à de graves
problèmes économiques et souhaite participer à l'intégration européenne. Le
pays ne pourra relever les nombreux défis qui découlent de cette situation que
s'il dispose d'un gouvernement fort et efficace. Or, les règles constitutionnelles régissant le fonctionnement des
organes de l'Etat n'ont pas été conçues pour produire un gouvernement fort,
mais pour empêcher la majorité de prendre des décisions nuisibles pour les
autres groupes. On peut comprendre que, dans une situation d'après conflit, il
n'y ait pas eu (et qu'il n'y a toujours pas) suffisamment de confiance entre
les groupes ethniques pour que l'Etat puisse fonctionner sur la base du seul
principe majoritaire. Dans une telle situation, il importe de trouver des
garanties spécifiques qui permettent à tous les groupes principaux, à savoir,
en [BOSNIE-HERZÉGOVINE], les peuples constituants, d'accepter les règles
constitutionnelles et de se sentir protégés par elles. Il s'ensuit que la
Constitution de la [Bosnie-Herzégovine] assure la protection des intérêts des
peuples constituants par le biais non seulement de dispositions territoriales
qui correspondent à leurs intérêts, mais de la composition des organes de
l'Etat et des règles régissant leur fonctionnement. Il faut bel et bien, en
pareil cas, réaliser un équilibre satisfaisant entre la nécessité, d'une part,
de protéger les intérêts de tous les peuples constituants et celle, d'autre
part, de disposer d'un gouvernement efficace. Toutefois, la Constitution de la
[Bosnie-Herzégovine] contient de nombreuses dispositions garantissant la
protection des intérêts des peuples constituants : le veto au nom d'intérêts
vitaux à l'Assemblée parlementaire, le système bicaméral et la Présidence
collective sur la base de l'appartenance ethnique. L'effet combiné de
ces dispositions rend la tâche d'un gouvernement qui se voudrait efficace
extrêmement difficile, sinon impossible. Jusqu'à présent, le système a plus ou moins fonctionné en raison du rôle
crucial assumé par le Haut Représentant. Or, ce rôle n'est pas inscrit dans la
durée.
Le veto au nom d'intérêts vitaux
30. Le plus important mécanisme mis en
place pour éviter qu'aucune décision n'aille à l'encontre des intérêts d'un
peuple constituant quel qu'il soit est le veto au nom d'intérêts vitaux. Si la
majorité des représentants bosniaques, croates ou serbes de la Chambre des
peuples déclarent un projet de décision soumis à l'Assemblée parlementaire
contraire aux intérêts vitaux de leur peuple, la majorité des représentants
bosniaques, serbes et croates doivent voter pour la décision pour que celle-ci
soit adoptée. Une majorité des représentants d'un autre peuple peut s'opposer à la mise
en œuvre de cette clause, auquel cas une procédure de conciliation est prévue
et la Cour constitutionnelle se prononce en dernier ressort sur la régularité
de la procédure de mise en œuvre. Il est intéressant de constater que la
Constitution ne définit pas la notion de veto au nom d'intérêts vitaux, à la
différence des Constitutions des Entités, qui énoncent une définition (trop
générale[10]).
31. Il
est évident, et cela a été confirmé par un grand nombre d'interlocuteurs, que
cette procédure comporte un sérieux risque de blocage du processus décisionnel.
D'autres ont fait valoir que ce risque ne devait pas être surestimé car la
procédure avait été rarement employée et, dans un arrêt rendu le 25 juin
2004[11], la Cour constitutionnelle a commencé à interpréter la notion. En
fait, l'arrêt montre que la Cour ne considère pas que les intérêts vitaux sont
une notion purement subjective laissée à l'appréciation de chaque membre du
parlement et qui ne serait pas assujettie au contrôle de la Cour. Au contraire,
la Cour a examiné les arguments avancés pour justifier le recours au veto au
nom d'intérêts vitaux, a confirmé la validité d'un argument et en a écarté un
autre.
32. La
Commission n'en estime pas moins nécessaire d'inscrire dans la Constitution une
définition précise et rigoureuse des intérêts vitaux. Le principal problème
posé par le droit de veto n'est pas son utilisation, mais son effet préventif.
Étant donné que tous les hommes politiques concernés sont pleinement conscients
de l'existence de la possibilité qu'un veto soit exprimé, une question sur
laquelle on peut s'attendre à voir apposé un veto ne sera même pas mise aux
voix. Du fait de l'existence du veto, une
délégation qui adopterait une position particulièrement intransigeante et
refuserait tout compromis serait en position de force. Certes, la jurisprudence
ultérieure de la Cour constitutionnelle pourrait fournir une définition des
intérêts vitaux et réduire les risques inhérents au mécanisme. Mais cela
pourrait prendre beaucoup de temps et il semble au surplus inapproprié de
confier une telle tâche ayant des incidences politiques majeures à la seule
Cour sans lui indiquer la voie à suivre dans le texte de la Constitution.
33. Dans
la situation actuelle de la [Bosnie-Herzégovine], il semble peu réaliste de
demande la suppression pure et simple du veto au nom d'intérêts vitaux. La
Commission n'en juge pas moins important d'insérer d'urgence une définition
précise des intérêts vitaux dans le texte de la Constitution. Cette définition
devra être arrêtée par les représentants des trois peuples constituants, mais
ne devrait pas reproduire la définition qui se trouve actuellement dans les
Constitutions des Entités, laquelle permet de désigner comme intérêt vital
pratiquement n'importe quoi. Elle ne devrait
pas être trop large, mais être axée sur les droits qui revêtent une importance
particulière pour les peuples respectifs, essentiellement dans des domaines
tels que la langue, l'éducation et la culture[12].
Veto des entités
34. En
sus du veto au nom d'intérêts vitaux, l'art. IV.3.d) de la Constitution prévoit
un veto des deux tiers des membres de la délégation de l'une ou de l'autre des
Entités. Ce veto, qui, en pratique, ne semble revêtir un intérêt potentiel que
dans le cas de la RS[13], semble être rendu inutile par l'existence du veto au
nom d'intérêts vitaux.
Système bicaméral
35. L'art.
IV de la Constitution institue un système bicaméral composé d'une Chambre des
représentants et d'une Chambre des peuples, qui sont dotées des mêmes pouvoirs.
Les systèmes bicaméraux étant caractéristiques des Etats fédéraux, il n'est pas
surprenant que la Constitution de la [Bosnie-Herzégovine] opte pour deux
chambres. Toutefois, dans les Etats fédéraux,
la seconde chambre a habituellement pour finalité d'assurer une représentation
plus forte des entités plus petites. L'une des chambres est constituée sur la
base des chiffres de population tandis que dans l'autre, soit toutes les
entités ont le même nombre de sièges (Etats-Unis et Suisse), soit, au moins,
les entités plus petites sont surreprésentées (Allemagne). La situation est
toute différente en [BOSNIE-HERZÉGOVINE] : dans les deux chambres, les
deux tiers des membres émanent de la F[BOSNIE-HERZÉGOVINE], la différence étant
que dans la Chambre des peuples, seuls les Bosniaques et les Croates de la
Fédération et les Serbes de la RS sont représentés[14]. La Chambre des peuples
ne traduit donc pas le caractère fédéral de l'Etat, mais est un mécanisme
supplémentaire destiné à défendre les intérêts des peuples constituants. La principale
fonction de la Chambre des peuples aux termes de la Constitution est donc celle
d'une chambre où est exercé le veto au nom d'intérêts vitaux.
36. Le
défaut de cette disposition est que la Chambre des représentants devient la
chambre où le travail législatif est accompli et les compromis nécessaires
négociés afin de dégager une majorité. La Chambre des peuples n'a que le rôle
négatif d'une chambre dont les membres exercent leur droit de veto car ils
considèrent que leur tâche consiste exclusivement à défendre les intérêts de
leur peuple sans qu'ils se sentent concernés par l'aboutissement du processus
législatif. Il semblerait donc préférable de transférer l'exercice du droit de
veto au nom d'intérêts vitaux à la Chambre des représentants et de supprimer la
Chambre des peuples. Cela permettrait de rationaliser les procédures et
faciliterait l'adoption des lois sans compromettre les intérêts légitimes d'un
peuple quel qu'il soit. Cela réglerait également le problème de la composition
discriminatoire de la Chambre des peuples.
La Présidence
collective
37. L'article
V de la Constitution institue une Présidence collective composée d'un membre
bosniaque, d'un membre serbe et d'un membre croate, ainsi qu'une présidence
tournante. La Présidence s'efforce d'adopter
ses décisions par consensus [art. V.2.c)]. Dans le cas d'une décision adopté à
la majorité, le membre minoritaire peut exercer son droit de veto au nom
d'intérêts vitaux.
38. Une Présidence collective est une
institution tout à fait inhabituelle. Il est plus facile pour une seule
personne de s'acquitter des fonctions de représentation du chef de l'Etat.
L'exécutif est déjà coiffé par un organe collégial, le Conseil des ministres. Le fait d'ajouter
un second organe collégial ne semble pas favoriser le processus décisionnel.
Cela crée un risque de répétition des processus décisionnels et il devient
difficile de distinguer les pouvoirs du Conseil des ministres et ceux de la
Présidence. Qui plus est, la Présidence soit
n'a pas les connaissances techniques requises qui existent au sein des
ministères, soit doit se doter d'un personnel important, créant alors un
échelon bureaucratique supplémentaire.
39. Une
Présidence collective ne semble donc ni fonctionnelle ni efficace. Dans le
contexte de la [Bosnie-Herzégovine], son existence semble là encore motivée par
la nécessité d'assurer la participation de représentants de tous les peuples
constituants à la prise de toutes les décisions importantes. De fait, il semble
difficile d'envisager pour la [Bosnie-Herzégovine] un Président unique doté de
pouvoirs importants.
40. La meilleure solution serait donc de
concentrer le pouvoir exécutif au niveau du Conseil des ministres en tant
qu'organe collégial dans lequel tous les peuples constituants sont représentés.
Dans ce cas, un Président unique chef de l'Etat devrait être acceptable. Eu
égard au caractère pluriethnique du pays, une élection indirecte du Président
par l'Assemblée parlementaire à une majorité garantissant que le Président
jouit de la confiance générale parmi tous les peuples semblerait préférable à
une élection directe. On pourrait ajouter une règle relative au roulement,
selon laquelle un Président nouvellement élu ne peut pas appartenir au même
peuple constituant que son prédécesseur.
(...)
74. En l'occurrence, la répartition des
postes dans les organes de l'Etat entre les peuples constituants était un
élément central de l'Accord de Dayton qui a permis de rétablir la paix en
[BOSNIE-HERZÉGOVINE]. Dans une telle situation, il est difficile de nier la
légitimité de normes qui peuvent faire problème du point de vue de la
non-discrimination, mais qui sont nécessaires pour réaliser la paix et la
stabilité et éviter de nouvelles pertes en vies humaines. L'incorporation de
ces règles dans le texte de la Constitution a l'époque n'est donc pas
critiquable même si elles vont à l'encontre de la dynamique générale de la
Constitution qui vise à prévenir la discrimination.
75. Encore
faudrait-il pondérer cette justification compte tenu de l'évolution de la
[Bosnie-Herzégovine] depuis l'entrée en vigueur de la Constitution. La
[Bosnie-Herzégovine] est devenue membre du Conseil de l'Europe; le pays doit
donc être jugé à l'aune des normes européennes communes. Elle a ratifié la CEDH
et son Protocole no 12. Comme on l'a vu plus haut, la situation en
[BOSNIE-HERZÉGOVINE] a évolué dans le bon sens, mais il subsiste des éléments
exigeant un système politique qui ne soit pas simplement l'expression du
gouvernement par la majorité, mais qui garantisse un partage du pouvoir et des
postes entre les groupes ethniques. Il reste
donc légitime de s'employer à concevoir des règles électorales qui assurent une
représentation appropriée des différents groupes.
76. Toutefois, on peut y parvenir sans
contrevenir aux normes internationales. Ce n'est pas le système de démocratie
consensuelle en lui-même qui fait problème, mais le mélange des critères
territorial et ethnique et le déni manifeste de certains droits politiques à ceux
qui sont particulièrement vulnérables. Il semble possible de refondre les
règles régissant la Présidence de façon à les rendre compatibles avec les
normes internationales tout en maintenant l'équilibre politique du pays.
77. Il est possible de garantir une
composition pluriethnique d'une façon non discriminatoire, par exemple en
disposant qu'un membre au maximum de la Présidence peut appartenir à un peuple
donné ou aux «Autres» et en instituant en même temps un système électoral
garantissant la représentation des deux Entités. Ou bien, comme on l'a proposé
plus haut à titre de solution plus radicale que la Commission juge préférable,
on pourrait supprimer la Présidence collective et la remplacer par un Président
indirectement élu et doté de pouvoirs très limités.
(...)
80. La Chambre des peuples est une chambre
dotée des pleins pouvoirs législatifs. De ce fait, l'article 3 du (premier)
Protocole à la CEDH est applicable et toute discrimination fondée sur
l'appartenance ethnique est donc interdite par l'art. 14 de la CEDH. En ce qui
concerne une justification éventuelle, les mêmes éléments d'appréciation qu'au
sujet de la Présidence s'appliquent. Il est légitime de s'employer à assurer un
équilibre ethnique au sein du Parlement dans l'intérêt de la paix et de la
stabilité, mais cet objectif ne peut justifier la discrimination ethnique qu'en
l'absence de tout autre moyen de le réaliser et si les droits des minorités
sont dûment respectés. Pour la Chambre
des peuples, on pourrait, par exemple, instituer un nombre maximal de sièges à
pourvoir par des représentants de chaque peuple constituant. Ou bien, comme on
l'a fait valoir plus haut, une solution plus radicale, qui aurait la préférence
de la Commission, pourrait être retenue et la Chambre des peuples purement et
simplement supprimée, le mécanisme relatif aux intérêts nationaux vitaux étant
appliqué au sein de la Chambre des représentants. »
L'Avis sur différentes propositions pour
l'élection de la présidence de Bosnie-Herzégovine (document CDL-AD(2006)004 du
20 mars 2006), qui comporte notamment les passages suivants :
« 1. Par une lettre du 2 mars 2006, M.
Sulejman Tihić, Président de la Présidence collégiale de
Bosnie-Herzégovine, a demandé à la Commission de Venise d'émettre un avis sur
trois propositions différentes pour l'élection de la Présidence de son pays.
Cette demande intervient dans le cadre des négociations sur la réforme
constitutionnelle engagées entre les principaux partis politiques de
Bosnie-Herzégovine. La question de l'élection de la Présidence reste encore à
trancher pour parvenir à un accord sur un train de réformes complet.
(...)
Observations sur la proposition I
8. La Proposition I maintient les règles
actuelles régissant l'élection et la composition de la Présidence, selon
lesquelles un membre bosniaque et un membre croate sont élus directement par le
territoire de la Fédération, et un membre serbe est élu directement par le
territoire de la Republika Srpska. Dans son Avis, la Commission a évoqué
l'inquiétude que suscitent ces règles quant à leur compatibilité avec le
Protocole No.12 de la Convention européenne des droits de l'homme
dans la mesure où elles dénient formellement aux « Autres » ainsi qu'aux
Bosniaques et Croates de la Republika Srpska et aux Serbes de la Fédération, la
possibilité d'être élus à la Présidence. Le maintien de cette règle en l'état
ne peut donc être envisagé et il convient de rejeter la Proposition I.
Observations sur la proposition II
9. La Proposition II, qui n'est pas rédigée
sous la forme d'un texte à inclure dans la Constitution mais en tant que résumé
d'un éventuel contenu constitutionnel, maintient le système selon lequel deux
membres de la Présidence sont directement élus par la Fédération et un par la
Republika Srpska, sans toutefois faire état de critère ethnique pour les
candidats. La discrimination de jure dénoncée dans l'Avis de la Commission de
Venise serait ainsi levée et l'adoption de cette proposition pourrait
constituer un pas en avant. Celle ci inclut également un système de roulement
du Président de la Présidence tous les 16 mois. Dans la logique d'une
Présidence collégiale, cette mesure semble rationnelle.
10. Par
contre, la proposition manque de clarté quant à la composition pluriethnique de
la Présidence. La Présidence collégiale a été introduite, et serait apparemment
maintenue, afin de garantir qu'aucun organe étatique unique ne soit dominé par
un représentant d'un seul peuple constituant. Selon la proposition actuelle, il
serait par exemple possible que deux membres bosniaques soient élus à la
Présidence par la Fédération. Sur le plan juridique, il suffirait pour remédier
à cet inconvénient de prévoir, dans le cadre de la proposition, une mesure
disposant que pas plus d'un seul membre de la Présidence ne peut appartenir à
un peuple constituant donné ou au groupe des « Autres ». La Commission croit
comprendre que l'inclusion d'une telle disposition dans la Constitution est
prévue en cas d'adoption de cette proposition.
11. Se
poserait néanmoins le problème de devoir éventuellement exclure de la
Présidence des candidats ayant pourtant obtenu un maximum de voix. Dans la Fédération, il est fort possible que deux
Bosniaques arrivent en tête des suffrages. Dans ce cas de figure, un candidat ayant
obtenu un nombre supérieur de voix devra être écarté de la Présidence au profit
d'un candidat ayant recueilli un nombre moins élevé de voix. Ces questions
devraient être clairement réglementées dans le cadre de la Constitution et ne
pas relever de la loi ordinaire.
12. Autre
inconvénient : les Bosniaques et les Croates de la Republika Srpska ainsi que
les Serbes de la Fédération n'auraient toujours de facto aucune possibilité
réaliste d'élire un candidat de leur choix.
13. Par
ailleurs, l'élection du Chef de l'Etat continuerait d'avoir lieu au niveau de
l'Entité alors qu'il serait préférable de la transférer au niveau étatique dans
le cadre de l'approche globale visant au renforcement de l'Etat,.
14. Entre
autres questions de moindre importance, la proposition permettrait aux membres
de la Présidence d'occuper une fonction de direction au sein d'un parti
politique. Cette possibilité semble incompatible avec l'objectif global de la
réforme constitutionnelle qui est de faire de la Présidence, non plus un organe
exécutif mais la plus haute fonction nationale (collégiale).
15. En
résumé, dans la situation constitutionnelle actuelle, la Proposition II marque
une nette amélioration. Toutefois, elle présente des inconvénients, notamment
le risque de voir élire un candidat qui n'aurait pas recueilli le nombre le
plus élevé de voix. Par ailleurs, la proposition ne tend pas vers l'objectif
global de la réforme constitutionnelle qui est de transférer des pouvoirs au
Conseil des ministres et de renforcer l'Etat.
Proposition III
16. La
Proposition III s'écarte plus nettement de la situation constitutionnelle
actuelle dans la mesure où elle introduit une procédure complexe de suffrage
indirect pour la Présidence. Comme nous l'indiquions précédemment, la
Commission plaide en faveur de l'élection indirecte d'un Président unique doté
de pouvoirs limités. Même dans le cas d'une Présidence collégiale, la
Commission maintient sa préférence pour des élections indirectes.
17. Sa
position s'appuie avant tout sur le fait que l'un des principaux objectifs de
la révision constitutionnelle serait de restreindre les pouvoirs de la
Présidence et de concentrer le pouvoir exécutif au niveau du Conseil des
ministres. Ce changement serait plus difficile à entreprendre si la Présidence
bénéficie de la légitimité d'un suffrage universel direct.
18. Par
ailleurs, il est plus facile dans le cadre d'élections indirectes d'élaborer
des mécanismes garantissant la composition pluriethnique souhaitée de la
Présidence. Elles ouvrent davantage la voie à
une coopération interethnique et aux compromis tandis que des élections
directes sur la base de critères de facto ethniques incitent à voter pour le
candidat considéré comme le meilleur défenseur du peuple constituant respectif
et non pour celui le mieux à même de défendre les intérêts du pays tout entier.
19. Enfin,
la proposition confie l'élection au Parlement de l'Etat. Il est en effet
souhaitable et conforme à la volonté de renforcer l'Etat que les élections du
Chef de l'Etat se tiennent à cet échelon.
20. Dans
la perspective de l'approche globale, la Proposition III semble préférable.
Elle présente néanmoins certains défauts.
21. Pour
commencer, la proposition paraît compliquée compte tenu des trop nombreuses
étapes et des possibilités de conduire à une impasse. Les nominations peuvent
être suggérées par des membres de la Chambre des Représentants ou de la Chambre
des Peuples, la sélection des candidats est faite par les trois
« caucus » distincts de la Chambre des Peuples, la liste devant par
la suite être approuvée à la fois par les trois « caucus » au sein de
la Chambre des Peuples et par la Chambre des Représentants.
22. Dans
les limites de la proposition, il semblerait préférable d'opter pour une
procédure simplifiée qui mettrait davantage l'accent sur la Chambre des
Représentants en tant qu'organe investi d'une légitimité démocratique directe
conférée par le peuple dans son ensemble. La possibilité de nommer les
candidats devrait être réservée aux membres de la Chambre des Représentants. La sélection parmi ces candidats pourrait intervenir
dans les trois « caucus » distincts de la Chambre des Peuples afin de garantir
le respect des intérêts des trois peuples constituants. Par ailleurs, la liste
des candidats devrait être entérinée par la majorité de la Chambre des
Représentants afin d'assurer que les trois membres bénéficient d'une légitimité
en tant que représentants du peuple de Bosnie-Herzégovine dans son ensemble.
23. De surcroît, il conviendrait de
clarifier la répartition des responsabilités entre le Président et les
Vice-présidents. La Proposition III actuelle laisse implicitement le soin aux
trois « caucus » de prendre cette importante décision dans la mesure
où une liste désignant le Président et les Vice-présidents doit être soumise à
la Chambre des Représentants sans pour autant définir les modalités de ce
choix. Cette solution est à priori la moins indiquée et susceptible d'engendrer
un blocage. Le système de roulement envisagé
dans la Proposition II semble une solution plus réalisable.
24. D'autres
aspects de la Proposition III vont à l'encontre de la position de la Commission
de Venise. Dans son Avis susmentionné, la Commission plaidait en faveur de la
suppression de la Chambre des Peuples. Lui confier un rôle prépondérant dans la
sélection de la Présidence ne peut par conséquent être considéré comme une
mesure positive. Le rôle attribué aux « caucus » rend très improbable
l'élection de candidats n'appartenant pas à un peuple constituant. Cet état de
fait n'est toutefois pas lié à cette proposition, il reflète la situation
politique. La Proposition III garantit au moins la participation au vote des
représentants des « Autres » à la Chambre des Représentants et gomme le
désavantage subi par les Serbes de la Fédération et les Bosniaques et Croates
de la Republika Srpska. En effet, leurs
représentants au Parlement d'Etat seront désormais en mesure d'élire les
candidats de leur choix.
25. Même dans le cadre d'une Présidence
collégiale, il serait possible d'imaginer de meilleures solutions pour instaurer
des élections indirectes. A titre d'exemple, au sein de la Chambre des
Représentants, des listes de trois candidats n'appartenant pas au même peuple
constituant ou au groupe des « Autres » pourraient être dressées, le vote
intervenant entre ces listes. Il s'agirait néanmoins d'une proposition distincte et
non d'un amendement apporté à la Proposition III.
26. En
résumé, la Proposition III marque une nette amélioration par rapport à la
situation actuelle. A condition de l'aménager tel que suggéré aux paragraphes
22 et 23, elle serait une solution satisfaisante (même si elle n'est pas
idéale) pour la première phase de la révision constitutionnelle.
Conclusions
27. En
conclusion, la Commission se félicite que les partis politiques de
Bosnie-Herzégovine aient eu le courage de s'attaquer à une réforme complète de
la Constitution avant les prochaines élections d'octobre 2006. Elle reconnaît que, pour l'instant, son adoption
n'aurait qu'un caractère provisoire et marquerait une étape vers la réforme
d'ensemble dont le pays a de toute évidence besoin.
28. S'agissant des trois propositions
soumises à la Commission, l'adoption de la première constituerait un échec de
la révision constitutionnelle en matière d'élection et de composition de la
Présidence et est par conséquent à écarter. Par contre, les Propositions II et
III méritent, sous réserve de quelques compléments et amendements, d'être
considérées au stade actuel comme des étapes importantes, mais en aucun cas
comme des solutions idéales.
29. Entre
la Proposition II et la Proposition III, la Commission – non sans hésitations -
donnerait sa préférence à la Proposition III, sous réserve des aménagements
suggérés ci-avant. Un suffrage indirect conforme à l'objectif de la réforme
constitutionnelle, qui est de limiter les pouvoirs de la Présidence,
permettrait de garantir plus aisément une composition équilibrée de la
Présidence et répondrait ainsi mieux à la raison d'être de cette institution
inhabituelle. La proposition transfère également l'élection au niveau de
l'Etat, conformément à l'objectif d'ensemble de renforcer l'Etat de
Bosnie-Herzégovine. Néanmoins, il convient de ne pas perdre de vue le but
ultime de la réforme constitutionnelle dans ce domaine : avoir à l'avenir un
Président unique élu d'une manière garantissant qu'il jouit de la confiance
générale de tous les peuples et pas seulement de celui dont il est issu.
L'Avis
sur le projet d'amendements à la Constitution de Bosnie-Herzégovine
(CDL-AD(2006)019 du 12 juin 2006) comportait quant à lui les passages
suivants :
« 1. Par
lettre datée du 21 mars 2006, M. Sulejman Tihić, Président de la
Présidence de la Bosnie-Herzégovine, a demandé à la Commission de Venise
d'émettre un avis sur l'accord concernant les modalités de la première phase de
la réforme constitutionnelle que les chefs des partis politiques de
Bosnie-Herzégovine ont conclu le 18 mars 2006. La réforme constitutionnelle
devant être adoptée d'urgence pour être prise en compte lors des élections
législatives prévues pour octobre 2006, il a dit souhaiter recevoir l'avis de
la Commission de Venise « sous peu ».
Amendement II à
l'article IV de la Constitution sur l'Assemblée parlementaire
22. La
finalité principale de l'amendement est de passer d'un bicamérisme à deux
chambres égales à un nouveau système dans lequel la Chambre des peuples
(ci-après désignée CdP) n'aurait que des pouvoirs limités, l'accent étant mis
sur le veto en cas de menace pour « l'intérêt vital » national. La
nouvelle économie de l'article, qui donne systématiquement la priorité à la
Chambre des représentants (ci-après désignée CdR), traduit cet objectif. La
réforme serait un pas dans la direction recommandée par la Commission de
Venise, consistant à supprimer la CdP et à rationaliser la prise de décisions
au sein des institutions de l'Etat.
(...)
24. Le
paragraphe d) ferait passer le nombre des membres de la CdP de 15 à 21. La
raison de cette augmentation est moins évidente dans le cas de cette Chambre
dans la mesure où ses pouvoirs sont nettement diminués. Néanmoins, il s'agit
d'une question qui relève entièrement du pouvoir d'appréciation des autorités
nationales. Si elles estiment que cette augmentation est nécessaire pour que la
Chambre représente comme il convient l'éventail politique, cette mesure peut se
justifier.
25. Le
fait que la qualité de membre de cette Chambre demeure limitée, en vertu du
paragraphe d), aux personnes appartenant à l'un des trois peuples constitutifs
pose davantage de problèmes. Dans son Avis, la Commission de Venise a noté que
la composition précédente de cette Chambre selon le même principe semblait
incompatible avec l'art. 14 de la CEDH considéré en parallèle avec l'article 3
du Premier Protocole à la CEDH.
26. A
la suite de la réforme, toutefois, la CdP ne serait plus une chambre
législative à part entière, mais un organe chargé essentiellement des questions
relatives au veto en cas de menace pour un intérêt vital national. On peut donc
se demander si l'article 3 du Premier Protocole et, partant, l'article 14
de la CEDH continueraient de s'appliquer. Le problème de la compatibilité de
cette disposition avec le Protocole no 12 à la CEDH n'en
subsiste pas moins. En l'absence de toute jurisprudence relative à ce
Protocole, on ne peut l'interpréter qu'avec prudence (...)
27. En
l'occurrence, on pourrait considérer que le but légitime tient au rôle
essentiel de cette chambre en tant qu'organe où s'exerce le veto en cas de
menace pour un intérêt vital national. La Constitution de la BiH réserve le
droit d'exercice de ce veto aux trois peuples constitutifs sans le conférer aux
autres nationalités. Dans cette optique, la représentation des autres
nationalités dans cette Chambre ne semblerait pas être une obligation. Les
autres responsabilités de cette Chambre, à savoir la participation à l'élection
de la Présidence et l'approbation des amendements à la Constitution – que l'on
peut critiquer – n'ont pas d'effets différents. Elles montrent que la CdP
fonctionne en tant que dispositif correcteur en veillant à ce que l'application
du principe démocratique trouvant son expression dans la composition de la CdR
ne remette pas en cause l'équilibre existant entre les trois peuples
constitutifs. Étant donné que le besoin d'un tel dispositif continue de se
faire sentir en BiH, il semble possible de considérer ce besoin comme un but
légitime justifiant un traitement inégal des autres nationalités du point de
vue de la représentation à la CdP.
Amendement III
modifiant l'article V de la Constitution sur la présidence
43. Ces
amendements ont pour principal objectif de renforcer les pouvoirs du Conseil
des Ministres et d'accroître son efficacité, et de diminuer le rôle de la
Présidence, ce qui va tout à fait dans le sens de l'Avis de la Commission de
Venise. Celle-ci aurait préféré, de surcroît,
avoir un Président unique au lieu d'une Présidence collective, mais cela semble
politiquement impossible en l'état actuel des choses. Quoi qu'il en soit,
l'amendement III fait un premier pas dans cette direction.
46. À sa dernière session, la Commission de
Venise a adopté un Avis sur trois propositions différentes pour l'élection de
la Présidence (CDL-AD(2006)004). Il est inutile de rouvrir ce débat ici.
Toutefois, l'absence de dispositif permettant de sortir de l'impasse créée en
cas de refus de la CdR de confirmer la proposition de la CdP est un sujet de
préoccupation.
(...) »
23. Dans
sa recommandation no 7, adoptée le 13 décembre 2002, la Commission
européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), qui est l'organe du
Conseil de l'Europe chargé de surveiller de manière indépendante le respect des
droits de l'homme dans le domaine particulier de la lutte contre le racisme, la
discrimination raciale, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance, a
défini le racisme comme « la croyance qu'un motif tel que la race6, la
couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l'origine nationale ou
ethnique justifie le mépris envers une personne ou un groupe de personnes ou
l'idée de supériorité d'une personne ou d'un groupe de personnes ».
E. L'organisation
pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE)
24. Dans un rapport consacré aux
élections législatives tenues en 2006, le Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l'homme de l'OSCE (BIDDH), l'agence phare en Europe pour
l'observation des élections, s'est exprimé comme suit :
« Le 1er octobre ont eu lieu en
Bosnie-Herzégovine les premières élections générales à être entièrement
organisées par les autorités de Bosnie-Herzégovine depuis l'Accord de Dayton de
1995. D'une manière générale, ces élections ont été menées en conformité avec
les standards internationaux en matière de démocratie élective, même si des
efforts supplémentaires demeurent requis, notamment pour le dépouillement des
votes. Globalement, les élections ont donc représenté un nouveau progrès dans
la consolidation de la démocratie et de l'état de droit. Il est toutefois
regrettable qu'en raison des restrictions liées à l'origine ethnique dont le
droit de se porter candidat était assorti les élections doivent une nouvelle
fois être jugées non conformes au Protocole no 12 à la Convention
européenne des droits de l'homme (CEDH) et aux engagements souscrits par la
Bosnie-Herzégovine envers le Conseil de l'Europe, ainsi qu'à l'article 7.3 du
Document de Copenhague, signé sous les auspices de l'OSCE en 1990. »
F. L'Union
européenne
25. En
2008, la Bosnie-Herzégovine a signé et ratifié un Accord de stabilisation et
d'association (ASA) avec l'Union européenne, s'engageant ainsi à traiter les
priorités d'un partenariat avec l'Europe. L'une des priorités clés pour la
Bosnie-Herzégovine, dont l'échéance était fixée à un à deux ans, était de
« modifier la législation électorale en ce qui concerne les membres de la
présidence de Bosnie-Herzégovine et les députés de la Chambre des peuples, de
manière à se conformer pleinement à la Convention européenne des droits de
l'homme et aux engagements consécutifs à l'adhésion au Conseil de
l'Europe » (voir l'annexe à la décision du Conseil 2008/211/CE du 18
février 2008 relative aux principes, aux priorités et aux conditions figurant
dans le partenariat européen avec la Bosnie-Herzégovine et abrogeant la
décision 2006/55/CE, Journal officiel de l'Union européenne L80/21 (2008)).
Le 14
octobre 2009, la Commission européenne a adopté son document annuel de
stratégie, expliquant sa politique en matière d'élargissement. A cette même date ont également été publiés les
rapports de suivi 2009, dans lesquels les services de la Commission évaluent
les avancées de chaque candidat et candidat potentiel (comme la
Bosnie-Herzégovine) au cours de l'année précédente.
EN DROIT
I. LES GRIEFS principaux dES
REQUÉRANTS
26. Les requérants se plaignent de
l'impossibilité qui leur est faite, et dans laquelle ils voient une
discrimination raciale, de se porter candidats aux élections à la Chambre des peuples
et à la présidence de Bosnie-Herzégovine au motif qu'ils sont respectivement
d'origine rom et d'origine juive. Ils invoquent l'article 14 de la
Convention, l'article 3 du Protocole no 1 et l'article 1 du
Protocole no 12.
L'article
14 de la Convention est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus
dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée
notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les
opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale,
l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute
autre situation. »
L'article
3 du Protocole no 1 à la Convention dispose :
« Les Hautes Parties contractantes s'engagent à
organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin
secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du
peuple sur le choix du corps législatif. »
L'article
1 du Protocole no 12 à la Convention énonce :
« 1. La
jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans
discrimination aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la
langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions,
l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la
fortune, la naissance ou toute autre situation.
2. Nul
ne peut faire l'objet d'une discrimination de la part d'une autorité publique
quelle qu'elle soit fondée notamment sur les motifs mentionnés au paragraphe
1. »
A. Recevabilité
27. L'Etat
défendeur n'a pas soulevé d'objections quant à la compétence ratione
personae de la Cour, mais cette question appelle un examen d'office de la
part de la Cour.
1. Sur
la question de savoir si les requérants peuvent se prétendre
« victimes »
28. La
Cour rappelle que pour pouvoir introduire une requête en vertu de l'article 34
de la Convention, une personne physique, une organisation non gouvernementale
ou un groupe de particuliers doit pouvoir se prétendre victime d'une violation
des droits reconnus dans la Convention. Pour pouvoir se prétendre victime d'une
violation, un individu doit avoir subi directement les effets de la mesure
litigieuse. Ainsi, la Convention n'envisage pas la possibilité d'engager une actio
popularis aux fins de l'interprétation des droits reconnus dans la
Convention ; elle n'autorise pas non plus les particuliers à se plaindre
d'une disposition de droit interne simplement parce qu'il leur semble, sans
qu'ils en aient directement subi les effets, qu'elle enfreint la Convention. Un particulier peut toutefois soutenir qu'une loi
viole ses droits en l'absence d'actes individuels d'exécution s'il est obligé
de changer de comportement sous peine de poursuites ou s'il fait partie d'une
catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la
législation en cause (voir Burden c. Royaume-Uni
[GC], no 13378/05, §§ 33-34, 29 avril 2008, avec les références qui
s'y trouvent citées).
29. En l'espèce, eu égard à leur
participation active à la vie publique, il serait tout à fait naturel que les
requérants envisagent réellement de se présenter aux élections à la Chambre des
peuples ou à la présidence de l'Etat. Ils peuvent dès lors se prétendre victimes
de la discrimination qu'ils allèguent. Le fait que la présente espèce soulève
la question de la compatibilité de la Constitution nationale avec la Convention
est dépourvu de pertinence à cet égard (voir, par analogie, Rekvényi c.
Hongrie [GC], no 25390/94, CEDH 1999-III).
2. Sur
la question de savoir si la Bosnie-Herzégovine peut voir sa responsabilité
engagée
30. La
Cour relève que la Constitution de Bosnie-Herzégovine est une annexe à l'Accord
de paix de Dayton, qui est lui-même un traité international (voir Jeličić
c. Bosnie-Herzégovine (déc.), no 41183/02, CEDH 2005-XII). Le pouvoir
de la modifier a toutefois été confié à l'Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine,
qui est clairement un organe interne (paragraphe 15 ci-dessus). De surcroît, il
ressort de la pratique décrite au paragraphe 17 ci-dessus que les pouvoirs de l'administrateur
international de la Bosnie-Herzégovine (le Haut Représentant) ne s'étendent pas
à la Constitution de l'Etat. Dans ces conditions, laissant de côté la question
de savoir si l'Etat défendeur peut voir sa responsabilité engagée pour avoir mis
en place les dispositions constitutionnelles incriminées (paragraphe 13
ci-dessus), la Cour considère qu'il peut en tout état de cause voir sa
responsabilité engagée pour les avoir maintenues.
3. Conclusion
31. La Cour déclare recevables les
griefs principaux des requérants.
B. Fond
1. Thèse défendue par les requérants
32. Les requérants se plaignent que,
bien qu'étant citoyens de Bosnie-Herzégovine, ils sont privés par la
Constitution du droit de se présenter aux élections à la Chambre des peuples et
à la présidence de l'Etat à raison de leur origine raciale/ethnique et relèvent
que la discrimination fondée sur l'origine ethnique a été jugée par la Cour
constituer une forme de discrimination raciale dans l'affaire Timichev c.
Russie, nos 55762/00 et 55974/00, § 56, CEDH 2005-XII. Ils
soutiennent qu'une différence de traitement fondée explicitement sur la race ou
l'origine ethnique ne peut être justifiée et s'analyse en une discrimination
directe. Ils renvoient sur ce point à la jurisprudence de la Cour (notamment
aux arrêts Timichev, précité, § 58, et D.H. et autres
c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 176, CEDH
2007-...) et à la législation de l'Union européenne (notamment à la directive
du Conseil 2000/43/CE du 29 juin 2000 – la « directive Race » –
relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les
personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, qui, dans son article
2, inclurait explicitement dans sa définition de la discrimination indirecte la
possibilité d'une justification objective du traitement considéré mais ne
prévoirait pas semblable possibilité dans sa définition de la discrimination
directe). Ils estiment par ailleurs que cette impossibilité de justifier pareille
différence de traitement est particulièrement importante dans une affaire
concernant le droit de se porter candidat à des élections (ils renvoient sur ce
point à l'arrêt Aziz c. Chypre, no 69949/01, § 28, CEDH
2004-V).
33. Les requérants ajoutent qu'à supposer
même qu'une justification fût possible, le gouvernement défendeur aurait
beaucoup de mal à en établir une objective et raisonnable, compte tenu à la
fois du fondement du grief (discrimination raciale et ethnique directe) et du
contexte dans lequel elle s'inscrit (participation politique et représentation
au plus haut niveau de l'Etat). De surcroît, la longueur de la période de
maintien de l'exclusion rendrait plus difficile encore pour le gouvernement
défendeur la tâche de justifier celle-ci (les intéressés se réfèrent sur ce
point à une décision rendue par le Comité des droits de l'homme des Nations
unies le 8 avril 1981 dans l'affaire Silva et autres c. Uruguay, § 8.4).
Et les requérants de conclure que le gouvernement défendeur est resté en défaut
de justifier la différence de traitement incriminée en l'espèce.
2. Thèse
défendue par le Gouvernement
34. Le Gouvernement renvoie à l'affaire Ždanoka
c. Lettonie ([GC], no 58278/00, CEDH 2006-IV), dans
laquelle la Cour aurait réaffirmé que les Parties contractantes disposent d'une
latitude considérable pour établir dans leur ordre constitutionnel les règles
régissant les élections parlementaires et la composition du Parlement et que
les critères pertinents peuvent varier en fonction des facteurs historiques et
politiques propres à chaque Etat. La structure constitutionnelle actuelle de
la Bosnie-Herzégovine résulterait d'un accord de paix conclu à la suite de l'un
des conflits les plus destructeurs de l'histoire récente de l'Europe. Son but ultime aurait été l'établissement de la paix
et du dialogue entre les trois principaux groupes ethniques concernés – les
« peuples constituants ». Les dispositions constitutionnelles
incriminées excluant de la Chambre des peuples et de la présidence de l'Etat
les personnes ne déclarant d'appartenance à aucun des « peuples
constituants » devraient être appréciées à l'aune de ce contexte. Le temps
ne serait pas encore mûr pour l'introduction d'un système politique qui serait
un simple reflet de la règle majoritaire, compte tenu notamment de la place
importante occupée par certains partis politiques mono-ethniques et du maintien
de l'administration internationale de la Bosnie-Herzégovine.
35. Le Gouvernement invite la Cour à
distinguer la présente espèce de l'affaire Aziz (précitée) : tandis
que les Chypriotes turcs vivant dans la zone de Chypre contrôlée par le
gouvernement chypriote étaient empêchés de voter aux élections parlementaires,
les citoyens de Bosnie-Herzégovine appartenant au groupe des
« autres » (comme les requérants en l'espèce) auraient le droit de se
porter candidats aux élections à la Chambre des représentants de
Bosnie-Herzégovine et aux assemblées législatives des entités. La différence
incriminée en l'espèce serait donc justifiée au regard du contexte particulier
de la Bosnie-Herzégovine.
3. Observations des parties
intervenantes
36. Dans ses observations du 22 octobre
2008, la Commission de Venise défend l'idée que les dispositions
constitutionnelles incriminées en l'espèce emportent violation de l'interdiction
de discrimination. Les observations en question sont dans le droit fil des avis
cités au paragraphe 22 ci-dessus.
37. Dans leurs observations du 15 août
2008, le Centre AIRE et l'Open Society Justice Initiative formulent des
arguments analogues. Se fondant sur une analyse des systèmes juridiques des
Parties contractantes, le Centre AIRE conclut qu'il semble y avoir au niveau
européen un consensus pour estimer qu'un individu ne doit être privé de son
droit de se porter candidat à des élections que lorsque sa conduite justifie
pareille mesure, et non en raison de caractéristiques innées ou inaliénables. L'Open Society
Justice Initiative souligne quant à elle que la participation politique
représente l'un des droits et responsabilités qui maintiennent le lien
juridique entre un citoyen et un Etat. Dans la plupart des ordres juridiques, les droits de voter, d'être élu
et de se porter candidat aux élections seraient ce qui distingue le plus
clairement un citoyen d'un étranger. Dès lors, non seulement les restrictions à
ces droits, notamment celles fondées sur des motifs aussi suspects que la race
ou l'origine ethnique, seraient discriminatoires, mais elles porteraient en
outre atteinte au sens même de la citoyenneté. Au-delà de son importance en
tant que droit lié à la citoyenneté, la participation politique serait
particulièrement importante pour les minorités ethniques et capitale pour
éviter leur marginalisation et favoriser leur intégration. Ce serait
particulièrement vrai à la suite d'un conflit ethnique, où l'établissement de
distinctions juridiques fondées sur l'origine ethnique serait propre à
exacerber les tensions plutôt qu'à favoriser les relations constructives et
durables entre toutes les ethnies, essentielles à la viabilité d'un Etat multi-ethnique.
4. Appréciation
de la Cour
a) Quant
à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine
38. Les
requérants invoquent l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 3 du
Protocole no 1, l'article 3 du Protocole no 1 pris
isolément et l'article 1 du Protocole no 12. La Cour considère que
le grief doit être examiné d'abord sous l'angle de l'article 14 de la
Convention combiné avec l'article 3 du Protocole no 1.
i. Applicabilité
de l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1
39. La
Cour rappelle que l'article 14 complète les autres dispositions normatives de
la Convention et de ses Protocoles. Il n'a pas d'existence indépendante,
puisqu'il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et
libertés » qu'elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans
un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée
autonome, mais il ne saurait trouver à s'appliquer si les faits du litige ne
tombent pas sous l'empire de l'une au moins desdites clauses (voir, parmi beaucoup
d'autres précédents, Abdulaziz, Cabales et Balkandali
c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 71, série A no 94, Petrovic
c. Autriche, 27 mars 1998, § 22, Recueil des arrêts et
décisions 1998-II, et Sahin c. Allemagne [GC], no
30943/96, § 85, CEDH 2003-VIII). L'interdiction de la discrimination que
consacre l'article 14 dépasse donc la jouissance des droits et libertés que la
Convention et ses Protocoles imposent à chaque Etat de garantir. Elle
s'applique également aux droits additionnels, pour autant qu'ils relèvent du
champ d'application général de l'un des articles de la Convention, que l'Etat a
volontairement décidé de protéger. Ce principe est profondément ancré dans la
jurisprudence de la Cour (voir l'affaire « relative à certains aspects
du régime linguistique de l'enseignement en Belgique » c. Belgique
(fond, 23 juillet 1968, § 9, série A no 6 ; Stec et autres
c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 40, CEDH
2005-X ; et E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 48, CEDH
2008-...).
40. La
Cour doit donc décider si les élections à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine
relèvent du « champ d'application » de l'article 3 du Protocole no
1. A cet égard, la Cour rappelle que la disposition en cause s'applique seulement
à l'élection du « corps législatif », ou du moins à l'une de ses
chambres s'il en compte deux ou plus. Cela étant,
les mots « corps législatif » doivent être interprétés en fonction de
la structure constitutionnelle de l'Etat en cause (voir Matthews c.
Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 40, CEDH 1999-I), et en
particulier de ses traditions constitutionnelles et de l'ampleur des pouvoirs
législatifs de la ou des chambres en question. Il ressort par ailleurs des
travaux préparatoires (volume VIII, pp. 46, 50 et 52) que les Parties
contractantes ont pris en compte la position particulière de certains
parlements qui comportaient des chambres non électives. C'est ainsi que
l'article 3 du Protocole no 1 fut soigneusement rédigé de manière à
éviter des termes susceptibles d'être interprétés comme une obligation absolue
d'organiser des élections pour les deux chambres dans l'ensemble des systèmes
bicaméraux (voir Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, §
53, série A no 113). Il est clair, cela dit, que l'article 3 du
Protocole no 1 s'applique à chaque chambre directement élue d'un
Parlement.
41. En
ce qui concerne la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine, la Cour relève
que sa composition est le fruit d'élections indirectes, ses membres étant désignés
par les parlements des entités. Elle observe de surcroît que l'ampleur des
pouvoirs législatifs dont jouit l'organe en question constitue en l'espèce un
facteur décisif. La Chambre des peuples possède en effet de larges pouvoirs lui
permettant de contrôler l'adoption des lois : l'article IV § 3 c) de la
Constitution prévoit explicitement que toute législation nécessite
l'approbation des deux chambres. Par ailleurs, la
Chambre des peuples, conjointement avec la Chambre des représentants, décide
des sources et des montants des recettes nécessaires pour le fonctionnement des
institutions de l'Etat et pour l'exécution de ses obligations internationales,
et elle approuve le budget des institutions de l'Etat (article IV § 4 b)-c) de
la Constitution). Enfin, son consentement est nécessaire à la ratification de
tout traité (article IV § 4 d) et V § 3 d) de la Constitution). Dans ces
conditions, les élections à la Chambre des peuples entrent dans le champ
d'application de l'article 3 du Protocole no 1.
Par
conséquent, l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 3 du Protocole
no 1 est applicable.
ii. Observation
de l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1
42. La Cour rappelle que la
discrimination consiste à traiter de manière différente sans justification
objective et raisonnable des personnes placées dans des situations comparables.
Un traitement différencié est dépourvu de « justification objective et
raisonnable » lorsqu'il ne poursuit pas un « but légitime » ou qu'il
n'existe pas un « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens
employés et le but visé » (voir, parmi beaucoup d'autres précédents,
l'arrêt Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 81, 18
février 2009). L'étendue de la marge d'appréciation dont les Parties contractantes
jouissent à cet égard varie selon les circonstances, les domaines et le
contexte (ibidem, § 82).
43. L'origine ethnique et la race sont
des concepts apparentés. Tandis que la notion de race prend racine dans l'idée
d'une classification biologique des êtres humains en sous-espèces sur la base
de caractéristiques morphologiques, telles que la couleur de la peau ou les
traits faciaux, l'origine ethnique procède de l'idée que les groupes sociétaux
sont marqués notamment par une communauté de nationalité, de foi religieuse, de
langue, d'origine culturelle et traditionnelle et de milieu de vie. La discrimination
fondée sur l'origine ethnique d'une personne constitue une forme de
discrimination raciale (voir la définition, citée au paragraphe 19 ci-dessus,
adoptée par la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes
de discrimination raciale, et celle, citée au paragraphe 23 ci-dessus, adoptée
par la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance). La
discrimination raciale constitue une forme de discrimination particulièrement
odieuse qui, compte tenu de la dangerosité de ses conséquences, exige une
vigilance spéciale et une réaction vigoureuse de la part des autorités.
Celles-ci doivent recourir à tous les moyens dont elles disposent pour
combattre le racisme, renforçant ainsi la conception démocratique de la
société, dans laquelle la diversité est perçue non pas comme une menace,
mais comme une richesse (voir Natchova et autres c. Bulgarie [GC],
nos 43577/98 et 43579/98, § 145, CEDH 2005-VII, et Timichev,
précité, § 56).
44. Dans ce contexte, lorsqu'une
différence de traitement est fondée sur la race, la couleur ou l'origine
ethnique, la notion de justification objective et raisonnable doit être
interprétée de manière aussi stricte que possible (D.H. et autres, précité,
§ 196). La Cour a par ailleurs considéré que dans une société démocratique
contemporaine basée sur les principes de pluralisme et de respect pour les
différentes cultures, aucune différence de traitement fondée exclusivement ou
dans une mesure déterminante sur l'origine ethnique d'une personne ne peut être
objectivement justifiée (ibidem, § 176). Cela étant, l'article 14 de la
Convention n'interdit pas aux Parties contractantes de traiter des groupes de
manière différenciée pour corriger des « inégalités factuelles »
entre eux ; de fait, dans certaines circonstances, c'est l'absence d'un
traitement différencié pour corriger une inégalité qui peut, en l'absence d'une
justification objective et raisonnable, emporter violation de la disposition en
cause (affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de
l'enseignement en Belgique », précitée, § 10 ; Thlimmenos
c. Grèce [GC], no 34369/97, § 44, CEDH 2000-IV ; et D.H.
et autres, précité, § 175).
45. Se tournant vers la présente
espèce, la Cour observe que pour pouvoir se porter candidat aux élections à la
Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine il faut déclarer une appartenance à
l'un des « peuples constituants ». Les requérants, qui se disent respectivement
d'origine rom et d'origine juive et qui ne déclarent d'appartenance à aucun
« peuple constituant », n'ont donc pas cette possibilité (paragraphe
11 ci-dessus). La Cour note que cette règle
d'exclusion poursuivait au moins un but globalement compatible avec les
objectifs généraux de la Convention tels qu'ils se trouvent reflétés dans son
Préambule, à savoir le rétablissement de la paix. Lorsque les dispositions
constitutionnelles litigieuses furent mises en place, un cessez-le-feu très
fragile régnait sur le terrain. Les dispositions en cause visaient à faire
cesser un conflit brutal marqué par des faits de génocide et d'« épuration
ethnique ». La nature du conflit était telle que l'approbation des
« peuples constituants » (à savoir les Bosniaques, les Croates et les
Serbes) était nécessaire pour assurer la paix. Cela peut expliquer, sans
forcément la justifier, l'absence de représentants des autres communautés
(notamment les communautés rom et juive locales) aux négociations de paix et le
souci des négociateurs de veiller à une égalité effective entre les
« peuples constituants » dans la société post-conflictuelle.
46. Il
n'en reste pas moins que la Cour n'est compétente ratione temporis que
pour examiner la période postérieure à la ratification par la Bosnie-Herzégovine
de la Convention et du Protocole no 1. La Cour estime à cet égard
qu'il ne lui est pas nécessaire de décider si l'on peut considérer que le
maintien des dispositions constitutionnelles litigieuses après la ratification
de la Convention poursuivait un « but légitime », dès lors qu'en tout
état de cause, pour les raisons énoncées ci-dessous, la conservation du système
ne satisfait pas à l'exigence de proportionnalité.
47. La Cour observe d'abord que des
développements positifs importants sont intervenus en Bosnie-Herzégovine depuis
l'Accord de paix de Dayton. Certes, les progrès accomplis peuvent n'avoir pas
toujours avoir été cohérents et il reste des défis à relever (voir, par
exemple, le dernier rapport de suivi concernant la Bosnie-Herzégovine en tant
que candidate potentielle à l'adhésion à l'Union européenne établi par la
Commission européenne et publié le 14 octobre 2009, SEC/2009/1338). Il n'en
reste pas moins qu'en 2005 les parties naguère en conflit ont abandonné leur
contrôle sur les forces armées, transformant celles-ci en une petite force
professionnelle, qu'en 2006 la Bosnie-Herzégovine a rejoint le partenariat pour
la paix de l'OTAN, qu'en 2008 elle a signé et ratifié un accord de
stabilisation et d'association avec l'Union européenne, qu'en mars 2009 elle a
mené à bien le premier amendement à la Constitution de l'Etat et qu'elle a
récemment été élue membre du Conseil de sécurité des Nations unies pour un
mandat de deux ans qui débutera le 1er janvier 2010. De surcroît, si
le maintien d'une administration internationale comme mesure d'exécution au
titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies implique que la situation
dans la région représente toujours une « menace pour la paix et la
sécurité internationales », il semble que l'on se prépare à mettre fin à
cette administration (voir le rapport suivant, établi par M. Javier Solana,
Haut Représentant de l'Union européenne pour la Communauté et la politique
étrangère et de sécurité commune, et M. Olli Rehn, Commissaire européen chargé
de l'élargissement, le 10 novembre 2008 : EU's Policy in Bosnia and
Herzegovina : The Way Ahead, et le rapport suivant, établi par l'International
Crisis Group le 9 mars 2009 : Bosnia's Incomplete Transition :
Between Dayton and Europe).
48. De surcroît, si la Cour souscrit à
la thèse du Gouvernement consistant à dire qu'il ne se dégage pas de la
Convention une exigence en vertu de laquelle il y aurait lieu d'abandonner
totalement les mécanismes de partage du pouvoir propres à la Bosnie-Herzégovine
et que le temps n'est peut-être pas encore mûr pour un système politique qui
serait un simple reflet de la règle majoritaire, les avis de la Commission de
Venise (paragraphe 22 ci-dessus) montrent clairement que des mécanismes de
partage du pouvoir sont envisageables qui ne conduisent pas automatiquement à
l'exclusion totale des représentants des autres communautés. La Cour rappelle à
cet égard que la possibilité de trouver d'autres voies permettant d'atteindre
le même objectif constitue un facteur important en la matière (voir Glor
c. Suisse, no 13444/04, § 94, 30 avril 2009).
49. Enfin, en devenant membre du
Conseil de l'Europe en 2002 et en ratifiant la Convention et ses Protocoles
sans réserves, l'Etat défendeur a librement accepté de respecter les standards
pertinents. Il s'est engagé notamment à « revoir la loi électorale dans un délai
de un an, avec l'aide de la Commission pour la démocratie par le droit
(Commission de Venise) et à la lumière des principes du Conseil de l'Europe,
aux fins d'amendement, le cas échéant » (paragraphe 21 ci-dessus). De
même, en ratifiant un accord de stabilisation et d'association avec l'Union
européenne en 2008, l'Etat défendeur s'est engagé à modifier la législation
électorale en ce qui concerne les membres de la présidence de
Bosnie-Herzégovine et les députés de la Chambre des peuples, de manière à se
conformer pleinement à la Convention européenne des droits de l'homme et aux
engagements consécutifs à l'adhésion au Conseil de l'Europe » dans un délai
de un à deux ans (paragraphe 25 ci-dessus).
50. Aussi
la Cour conclut-elle que le maintien de l'impossibilité faite aux requérants de
se porter candidats aux élections à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine
ne repose pas sur une justification objective et raisonnable et est donc
contraire à l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1.
iii. Les
griefs fondés sur l'article 3 du Protocole no 1 pris isolément et
sur l'article 1 du Protocole no 12
51. Eu
égard à la conclusion formulée par elle au paragraphe précédent, la Cour
considère qu'il ne s'impose pas d'examiner séparément le point de savoir s'il y
a eu également violation de l'article 3 du Protocole no 1 pris
isolément ou de l'article 1 du Protocole no 12 relativement à la
Chambre des peuples.
b) Quant
à la présidence de Bosnie-Herzégovine
52. Les
requérants invoquent ici seulement l'article 1 du Protocole no 12.
i. Applicabilité
de l'article 1 du Protocole no 12
53. La
Cour note que si l'article 14 de la Convention prohibe la discrimination dans
l'assurance de la jouissance des « droits et libertés reconnus dans la
(...) Convention », l'article 1 du Protocole no 12 étend le
champ de la protection à « tout droit prévu par la loi ». Il
introduit donc une interdiction générale de la discrimination.
54. Les
requérants contestent les dispositions constitutionnelles en vertu desquelles
ils ne peuvent se porter candidats aux élections à la présidence de
Bosnie-Herzégovine. Par conséquent, que ces élections relèvent ou non du champ
d'application de l'article 3 du Protocole no 1 (voir Boškoski
c. « l'ex-République yougoslave de Macédoine » (déc.), no
11676/04, CEDH 2004-VI), ce grief concerne un « droit prévu par la
loi » (voir les articles 1.4 et 4.19 de la loi électorale de 2001,
reproduits au paragraphe 18 ci-dessus), ce qui rend l'article 1 du Protocole no
12 applicable. Cela n'a du reste pas été contesté devant la Cour.
ii. Observation
de l'article 1 du Protocole no 12
55. La
notion de discrimination fait l'objet d'une interprétation constante dans la
jurisprudence de la Cour concernant l'article 14 de la Convention. Il ressort en particulier de cette jurisprudence que
par « discrimination » il y a lieu d'entendre un traitement
différencié, sans justification objective et raisonnable, de personnes placées
dans des situations analogues (voir les paragraphes 41-43 ci-dessus et les
précédents qui s'y trouvent cités). Les auteurs du Protocole no 12
ont utilisé le même terme de discrimination dans l'article 1 de cet instrument.
Nonobstant la différence de portée qu'il y a entre les deux dispositions, le
sens du mot inscrit à l'article 1 du Protocole no 12 est censé être
identique à celui du terme figurant à l'article 14 (voir le rapport explicatif
du Protocole no 12, § 18). Aussi la Cour n'aperçoit-elle aucune
raison de s'écarter, dans le contexte de l'article 1 du Protocole no
12, de l'interprétation bien établie de la notion de
« discrimination » mentionnée ci-dessus (en ce qui concerne la
jurisprudence du Comité des droits de l'homme des Nations unies relative à
l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
disposition comparable – quoique non identique – à l'article 1 du Protocole no
12 à la Convention, voir Nowak, CCPR Commentary, Editions N.P. Engel,
2005, pp. 597-634).
56. La
non-déclaration par les requérants en l'espèce d'une appartenance à l'un des
« peuples constituants » les rend également juridiquement inaptes à
se présenter aux élections à la présidence. Une condition constitutionnelle
préalable du même type a déjà été jugée s'analyser en une différence de
traitement discriminatoire contraire à l'article 14 relativement à la Chambre
des peuples (paragraphe 49 ci-dessus), et, par ailleurs, la notion de
discrimination doit être interprétée de la même manière dans le cadre de
l'article 14 et dans celui de l'article 1 du Protocole no 12 (voir
le paragraphe précédent). Il s'ensuit que les dispositions constitutionnelles
en vertu desquelles les requérants ne peuvent se porter candidats aux élections
à la présidence doivent elles aussi être considérées comme discriminatoires et
comme emportant violation de l'article 1 du Protocole no 12, la Cour
estimant qu'à cet égard aucune distinction pertinente ne peut être établie
entre la Chambre des peuples et la présidence de Bosnie-Herzégovine.
En
conséquence, et pour les motifs exposés de manière détaillée dans le contexte
de l'article 14 aux paragraphes 46-48 ci-dessus, la Cour estime que la
condition préalable litigieuse à la candidature aux élections présidentielles
s'analyse en une violation de l'article 1 du Protocole no 12.
II. LES AUTRES GRIEFS DES REQUÉRANTS
A. Article
3 de la Convention
57. Le
premier requérant soutient que l'impossibilité qui lui est faite de se porter
candidat aux élections à la Chambre des peuples et à la présidence de Bosnie-Herzégovine
au motif qu'il est d'origine rom le rabaisse en réalité, lui et les autres
membres de la communauté rom locale, comme du reste les membres des autres
minorités nationales de Bosnie-Herzégovine, au statut de citoyen de deuxième
classe. Il y voit un affront particulier à sa dignité humaine et une violation
de l'article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des
peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
58. Il a été considéré dans des
affaires antérieures que la discrimination raciale peut dans certaines
circonstances s'analyser en un traitement dégradant au sens de l'article 3 de
la Convention (voir Asiatiques d'Afrique orientale c. Royaume-Uni, nos 4403/70
et autres, rapport de la Commission du 14 décembre 1973, § 208,
Décisions et rapports 78, et Chypre c. Turquie [GC], no
25781/94, § 310, CEDH 2001-IV). En l'espèce, toutefois, la Cour observe que la
différence de traitement incriminée ne révèle aucun mépris ou manque de respect
pour la personnalité des requérants et qu'elle n'avait pas pour but et n'a du
reste pas eu pour conséquence d'humilier ou d'avilir les intéressés, mais
visait uniquement à atteindre l'objectif mentionné au paragraphe 44 ci-dessus.
Ce grief est dès lors manifestement mal fondé, au
sens de l'article 35 § 3 de la Convention, et il doit donc être rejeté, en
application de l'article 35 § 4.
B. Article
13 de la Convention
59. Se plaçant sur le terrain de l'article 13 de la
Convention, les requérants se plaignent par ailleurs de ne pas disposer en
droit interne d'un recours effectif pour faire valoir leurs griefs de
discrimination. L'article 13 est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés
reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un
recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation
aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs
fonctions officielles. »
60. La
Cour rappelle que l'article 13 de la Convention ne va pas jusqu'à exiger un
recours par lequel on puisse dénoncer devant une autorité nationale les lois
d'un Etat comme contraires en tant que telles à la Convention (voir A. et
autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 135, 19 février
2009). Dès lors que la présente espèce concerne le contenu de dispositions
constitutionnelles et non une mesure individuelle d'application, ce grief est
manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention, et il
doit donc être rejeté, en application de l'article 35 § 4.
III. SUR
L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
61. L'article
41 de la Convention est ainsi libellé :
« Si la Cour
déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer
qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la
partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
62. Les requérants ne demandent rien
pour dommage matériel. Ils allèguent en revanche avoir subi un dommage moral
pour lequel le premier requérant réclame 20 000 euros (EUR) et le second
requérant 12 000 EUR. Le Gouvernement considère que ces prétentions sont
injustifiées.
63. La Cour estime que le constat d'une
violation représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout
dommage moral pouvant avoir été subi par les requérants.
B. Frais
et dépens
64. Le
premier requérant, qui a été représenté pro bono, ne sollicite que
1 000 EUR pour la comparution de son avocat à l'audience devant la Cour le
3 juin 2009. Le second requérant demande 33 321 EUR pour l'intégralité de
sa cause. Ce chiffre comprend 270 heures de travail de ses deux avocats et d'un
autre membre de l'équipe juridique, Mme Cynthia Morel, du Minority
Rights Group International, au taux horaire de 82,45 EUR, pour la rédaction
de la requête, des observations et de la demande de satisfaction équitable
devant la chambre et la Grande Chambre, divers débours relatifs, notamment, à
un rapport d'expert obtenu de M. Zoran Pajić, de la société Expert
Consultancy International Ltd, et à des réunions entre l'équipe juridique
et le requérant à New-York et à Sarajevo, ainsi que les frais relatifs à la
comparution à l'audience devant la Grande Chambre. Le requérant explique que le
recours à un troisième juriste, Mme Cynthia Morel, a été rendu
nécessaire par l'ampleur et la complexité des questions à traiter.
65. Le Gouvernement soutient quant à
lui que les frais dont le remboursement est réclamé ont été exposés sans
nécessité et estime qu'ils sont en tout état de cause excessifs. Il conteste en
particulier qu'il fût nécessaire pour le second requérant d'avoir recours à des
avocats établis à l'étranger, dont les honoraires seraient incomparablement
plus élevés que ceux des avocats locaux et dont la désignation aurait eu pour
conséquence de faire grossir les frais de déplacement et de communication.
66. La Cour ne partage pas l'avis du
Gouvernement selon lequel les requérants doivent choisir pour leur
représentation devant la Cour des avocats établis localement, quand bien même
ceux-ci seraient à même d'offrir (comme en l'espèce) des services aussi bons
que ceux que peuvent fournir des avocats établis à l'étranger. En conséquence,
la disparité entre les montants réclamés en l'espèce ne constitue pas en soi un
élément suffisant pour faire conclure au caractère non nécessaire et
déraisonnable des plus élevés d'entre eux. Cela dit, la Cour juge excessif le
montant sollicité par le second requérant et alloue à l'intéressé 20 000
EUR de ce chef. Elle considère en revanche que la somme réclamée par le
premier requérant doit lui être allouée en entier.
C. Intérêts
moratoires
67. La
Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux
d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne
majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Décide, à
l'unanimité, de joindre les requêtes ;
2. Déclare
recevables, à la majorité, les griefs principaux relatifs à l'impossibilité
faite aux requérants de se porter candidats aux élections à la Chambre des
peuples de Bosnie-Herzégovine ;
3. Déclare
recevables, à l'unanimité, les griefs principaux relatifs à l'impossibilité
faite aux requérants de se porter candidats aux élections à la présidence de Bosnie-Herzégovine ;
4. Déclare,
à l'unanimité, les requêtes irrecevables pour le surplus ;
5. Dit, par quatorze voix contre trois,
qu'il y a eu violation de l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no
1 relativement à l'impossibilité faite aux requérants de se porter candidats
aux élections à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine ;
6. Dit, à l'unanimité, qu'il ne s'impose
pas d'examiner le même grief sous l'angle de l'article 3 du Protocole no 1
considéré isolément ou de l'article 1 du Protocole no 12 ;
7. Dit, par seize voix contre une, qu'il
y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 12 relativement à
l'impossibilité faite aux requérants de se porter candidats aux élections à la
présidence de Bosnie-Herzégovine ;
8. Dit, à l'unanimité, que le constat
d'une violation représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour
tout dommage moral pouvant avoir été subi par les requérants ;
9. Dit
a) par seize voix contre une, que l'Etat
défendeur doit verser au premier requérant, dans les trois mois, 1 000 EUR
(mille euros) pour frais et dépens, somme à convertir en marks convertibles au
taux applicable à la date du règlement et à majorer de tout montant pouvant
être dû par l'intéressé à titre d'impôt ;
b) par quinze voix contre deux, que l'Etat
défendeur doit verser au second requérant, dans les trois mois, 20 000 EUR
(vingt mille euros) pour frais et dépens, somme à convertir en marks
convertibles au taux applicable à la date du règlement et à majorer de tout
montant pouvant être dû par l'intéressé à titre d'impôt ;
c) à l'unanimité, qu'à compter de l'expiration
dudit délai de trois mois et jusqu'au règlement, les montants précités seront à
majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
10. Rejette,
à l'unanimité, pour le surplus la demande de satisfaction équitable du second
requérant.
Fait en français et en
anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l'homme, à
Strasbourg, le 22 décembre 2009.
Vincent Berger Jean-Paul Costa
Jurisconsulte Président
Au présent arrêt se trouve
joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du
règlement, l'exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion
partiellement concordante et partiellement dissidente de la juge Mijović,
à laquelle se rallie le juge Hajiyev ;
– opinion
dissidente du juge Bonello.
J.-P. C.
V. B.
OPINION PARTIELLEMENT CONCORDANTE ET PARTIELLEMENT
DISSIDENTE DE LA JUGE MIJOVIĆ,
À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE HAJIYEV
(Traduction)
I. REMARQUES
GÉNÉRALES
Dans
son arrêt, la Grande Chambre a conclu à la violation de l'article 14 combiné
avec l'article 3 du Protocole no 1 relativement aux
dispositions constitutionnelles de la Bosnie-Herzégovine concernant la Chambre
des peuples et de l'article 1 du Protocole no 12 relativement
aux dispositions constitutionnelles concernant la présidence de l'Etat.
Nonobstant
quelques objections quant au raisonnement suivi par la Grande Chambre sur le
second point, je n'ai pas éprouvé de difficultés à partager l'avis de la majorité
selon lequel les dispositions constitutionnelles relatives à la structure de la
présidence de l'Etat s'analysent en une violation de l'interdiction de
discrimination. En revanche, et je le regrette, mon opinion sur le premier
point diffère sensiblement de la conclusion de la majorité.
Comme
il s'agissait de la toute première affaire concernant l'interdiction générale
de la discrimination consacrée par l'article 1 du Protocole no 12
et que s'y trouvait critiquée l'essence même de la structure étatique de la
Bosnie-Herzégovine, les attentes du public étaient considérables. Le fait que
cette affaire allait être la toute première de cette nature dans la
jurisprudence de la Cour et qu'elle était propre à engendrer de sérieux
bouleversements et réaménagements constitutionnels dans l'un des Etats membres
du Conseil de l'Europe a encore augmenté l'intérêt qui y était porté.
L'importance
de l'affaire s'est également trouvée accrue du fait des particularités qui ont
marqué non seulement la création de la Bosnie-Herzégovine, mais aussi son
adhésion au Conseil de l'Europe. On peut dire que
la présente espèce a fait apparaître au grand jour tous les points faibles de
la structure étatique de la Bosnie-Herzégovine qui étaient visibles mais ont
été ignorés au moment de son adhésion au Conseil de l'Europe.
Mes remarques générales ont trait premièrement au
fait que la Grande Chambre, comme l'a souligné à juste titre le juge Bonello
dans son opinion dissidente, est restée en défaut d'analyser le contexte
historique et les circonstances de l'imposition de la Constitution de la
Bosnie-Herzégovine. Il me semble que la Cour a ainsi abandonné sa jurisprudence
antérieure, où elle examinait l'ensemble des facteurs pertinents avant de
livrer son opinion définitive. Or j'estime que les circonstances susvisées
étaient très importantes en l'espèce, car c'est elles qui conduisirent à la
structure étatique actuelle de la Bosnie-Herzégovine.
II. LE CONTEXTE FACTUEL
La première question que je me suis posée
concernant cette affaire, c'est celle de savoir si la Bosnie-Herzégovine
s'était parfaitement rendu compte à l'époque des conséquences possibles de la
ratification par elle de tous les protocoles de la Convention.
En
effet, la Bosnie-Herzégovine est l'un des dix-sept Etats membres du Conseil de
l'Europe qui ont ratifié le Protocole no 12, trente autres
Etats ayant décidé de ne pas ratifier ce protocole, ce qui témoigne de
différences d'approche relativement au Protocole no 12 et aux
questions dont il traite.
Les
deux requêtes de la présente espèce concernent le cœur même de la structure
post-conflictuelle de l'Etat mise en place par la Constitution de 1995, qui,
d'un point de vue technique, faisait partie, ou plus exactement constituait une
annexe, d'un accord de paix international : l'Accord de paix de Dayton. Lorsque les maîtres de la guerre décidèrent de devenir
les maîtres de la paix, à l'issue de négociations longues et difficiles entre
les représentants politiques des Bosniaques, des Croates et des Serbes, sous la
supervision de la communauté internationale, ils créèrent un Etat dont
l'architecture est, sur le plan international et du point de vue du droit
constitutionnel, sans précédent et sans équivalent.
L'Accord de paix de Dayton a institué une
Bosnie-Herzégovine composée de deux entités, le préambule à la Constitution
énonçant que seuls les Bosniaques, les Serbes et les Croates sont des peuples
constituants. Les autres groupes ethniques, qui n'avaient pas pris parti dans
le conflit, furent simplement laissés de côté. Comme il s'agissait d'une
question extrêmement sensible, l'examen de leur statut juridique fut reporté à
des temps plus calmes et politiquement moins sensibles.
Conformément au dispositif constitutionnel mis en
place par l'Accord de paix de Dayton, les personnes appartenant à des minorités
(ethniques) nationales ne peuvent se porter candidates à la présidence de
l'Etat et à la Chambre des peuples du Parlement national, quoique ces deux
institutions de l'Etat ne soient pas les seules où l'équilibre des pouvoirs
entre les trois peuples constituants ait été défini par ledit accord (on peut
citer l'exemple de la structure de la Cour constitutionnelle, qui se compose de
deux Bosniaques, de deux Croates, de deux Serbes et de trois juges étrangers).
En l'espèce, la répartition des postes entre les
peuples constituants dans les organes de l'Etat était un élément capital de
l'Accord de paix de Dayton, et il a permis le rétablissement de la paix en
Bosnie-Herzégovine. Dans un tel contexte, il me paraît très difficile de dénier
toute légitimité à des normes qui peuvent être problématiques du point de vue
de la non-discrimination, mais qui étaient nécessaires pour parvenir à la paix
et à la stabilité et pour éviter de nouvelles pertes en vies humaines.
C'est là l'aspect principal de la nature sensible
des requêtes de l'espèce, car les changements dans la composition
d'institutions politiques spécifiques tels ceux demandés par les requérants
nécessiteraient en réalité que soit modifié l'équilibre des pouvoirs actuel, ce
qui pourrait raviver les graves tensions qui existent toujours en
Bosnie-Herzégovine.
Consciente de la nécessité d'une réforme
constitutionnelle, la communauté internationale exhorta en 2006 les principaux
leaders politiques de Bosnie-Herzégovine à entamer des négociations en vue de
l'adoption d'un système électoral qui garantirait l'égalité dans la jouissance
des droits politiques à tous les citoyens indépendamment de leur appartenance
ethnique, mais ce fut un échec total. Les discussions ont aujourd'hui repris,
ce qui signifie en réalité que lorsqu'on traite d'affaires de ce genre on
aborde une question ultrasensible, qui a déjà mobilisé une attention énorme du
public.
Les requérants en l'espèce sont un Rom et un Juif.
Ils se plaignaient de ce que, du simple fait de leur origine ethnique et bien
qu'ils pussent s'appuyer sur une expérience comparable à celle des titulaires
des plus hautes fonctions électives, ils se trouvaient empêchés par la
Constitution de Bosnie-Herzégovine et par la loi électorale de 2001 de se
porter candidats à la présidence et à la Chambre des peuples de l'Assemblée
parlementaire, en quoi ils voyaient une discrimination contraire à la
Convention.
III. LA
STRUCTURE ÉTATIQUE DE LA BOSNIE-HERZÉGOVINE
Comme je l'ai dit plus haut, la Constitution de
Bosnie-Herzégovine est le fruit de négociations longues et difficiles entre les
représentants des Bosniaques, des Croates et des Serbes, sous la supervision de
la communauté internationale. Son dispositif complexe de partage du pouvoir
concerne essentiellement les Bosniaques, les Croates et les Serbes, qui étaient
directement parties à la guerre de 1992-1995, ce qui explique que les
principales institutions politiques aient été conçues pour ménager un équilibre
des pouvoirs entre trois peuples constituants. Les autres groupes ethniques
n'ont pas été pris en considération à l'époque, parce qu'ils n'avaient pas pris
parti dans le conflit. Après la guerre, ces groupes minoritaires devinrent
parties à l'ensemble des dispositifs de partage du pouvoir au niveau des entités.
La même chose n'a toutefois toujours pas pu se faire au niveau de l'Etat, et
c'est la raison pour laquelle les requérants ont introduit leurs requêtes
devant la Cour.
Les dispositifs de partage du pouvoir au niveau de
l'Etat, notamment ceux concernant la structure de la Chambre des peuples et de
la présidence de l'Etat, prévoient que seuls ceux qui déclarent une
appartenance à l'un des trois groupes ethniques principaux peuvent postuler à
ces deux organes de l'Etat. Il me faut préciser que l'appartenance ethnique dans
le contexte de la Bosnie-Herzégovine ne doit pas être prise comme une catégorie
juridique, dans la mesure où elle dépend exclusivement d'une autoclassification
qui, stricto sensu, s'analyse en un critère subjectif. Cela signifie en
réalité que chacun a le droit de déclarer ou de ne pas déclarer une affiliation
à un groupe ethnique. Personne n'a l'obligation de le faire. Il n'y a ni
obligation juridique de déclarer une appartenance ethnique ni paramètres
objectifs permettant d'établir pareille appartenance pour un individu.
Ce
n'est que lorsqu'un particulier souhaite entrer dans le jeu politique que la
question de l'appartenance ethnique revêt de l'importance. La déclaration d'une
appartenance ethnique relève donc non pas d'une catégorie objective et
juridique, mais bien d'une catégorie subjective et politique.
IV. Le constat d'une VIOLATION DE L'ARTICLE
1 DU PROTOCOLE No 12
Tout
en étant en désaccord avec certains aspects du raisonnement développé par la
Grande Chambre pour motiver son constat de violation de l'article 1 du
Protocole no 12, je n'ai éprouvé aucune difficulté à partager
l'avis de la majorité selon lequel le dispositif constitutionnel de la
Bosnie-Herzégovine concernant la structure de la présidence de l'Etat emporte
violation de l'interdiction générale de la discrimination.
Ma
divergence de vue concernant cette partie de l'arrêt vient du fait que je
m'attendais à ce que la Cour utilise cette affaire, qui était la toute première
de cette nature, pour fixer des principes, des standards ou des critères de
départ spécifiques, qui auraient pu être appliqués aux futures affaires portant
sur des faits de discrimination en général. Il apparaît que ces attentes étaient
irréalistes, la Cour ayant simplement rappelé à cet égard le raisonnement et la
motivation livrés par elle pour le grief qui se rapportait aux dispositions
constitutionnelles relatives à la Chambre des peuples, qui avait donné lieu à
un constat de violation de l'article 14.
De
surcroît, la Cour a traité ce grief comme s'il était moins important, donnant
l'impression que l'article 1 du Protocole no 12 était appliqué
uniquement parce qu'il n'était pas possible d'appliquer l'article 3 du
Protocole no 1. La motivation propre au constat relatif au
grief tiré de l'article 1 du Protocole no 12 tient en seulement
deux paragraphes, où la Cour arrive à la conclusion qu'« aucune
distinction pertinente ne peut être établie entre la Chambre des peuples et la
présidence de Bosnie-Herzégovine » concernant le dispositif
constitutionnel discriminatoire. J'estime quant à moi qu'il y a plusieurs
éléments distinctifs qui auraient dû être discutés.
La
structure tripartite de la présidence de l'Etat est, comme beaucoup d'autres
institutions étatiques de la Bosnie-Herzégovine, le résultat d'un compromis
politique dégagé par l'Accord de paix. Elle tendait à la création d'un
mécanisme d'équilibre et à prévenir toute suprématie de l'un des peuples dans
le processus décisionnel. La question clé à laquelle il aurait fallu d'après
moi apporter une réponse en l'espèce est celle de savoir si la structure
tripartite a jamais été justifiée et si elle l'est toujours. Du point de vue de
la jurisprudence relative à l'article 1 du Protocole no 12, il
eût été non seulement intéressant mais aussi très utile que la Cour fît
connaître son opinion sur ce point. Or la Cour s'est contentée de réitérer les
arguments se rapportant aux critères appliqués à la partie de l'arrêt relative
à l'article 14, ce que je trouve décevant.
Sur un
plan purement théorique, c'est-à-dire abstraction faite des atrocités, des
massacres et des bains de sang qui ont précédé les accords de paix, j'aurais
estimé que même à elle seule l'obligation pour un individu de déclarer son
appartenance à un groupe ethnique pour pouvoir faire acte de candidature à un
poste public était inacceptable et suffisante pour justifier un constat de
violation de l'interdiction de toute discrimination fondée sur l'appartenance
ethnique.
Pour
revenir à la structure de la présidence de l'Etat, si la Bosnie-Herzégovine
était un Etat stable et autonome, l'essence de la discrimination aurait résidé
non seulement dans l'inéligibilité des minorités, mais également dans
l'inéligibilité de tous ceux qui n'auraient pas pu ou n'auraient pas souhaité
déclarer leur appartenance ethnique pour pouvoir se porter candidats à des
fonctions publiques. Dès lors toutefois que la Bosnie-Herzégovine a été créée à
la suite d'une pression exercée par la communauté internationale et que
quatorze ans après elle ne fonctionne toujours pas comme un Etat indépendant et
souverain, on ne peut pas dire qu'elle représente un Etat suffisamment stable
pour que l'on puisse raisonner de cette façon.
D'un
autre côté, si rien n'est fait pour améliorer la situation actuelle, il n'y a
aucune chance de voir les choses progresser. L'élimination de la méfiance entre
les ethnies est d'après moi un processus qu'il y a lieu de développer de
manière très précautionneuse, étape par étape. Si le temps est venu (et je
souligne ici une fois de plus que la Cour ne s'est livrée à aucune évaluation à
cet égard) de modifier la structure de l'état post-conflictuel, j'ose espérer
qu'une modification de la composition de la présidence de l'Etat pourrait
constituer la première étape. La présidence de l'Etat est une institution qui
représente l'Etat dans son ensemble7, alors que
la Chambre des peuples est investie d'un rôle important et sensible de
protection des « intérêts vitaux » de chaque peuple constituant.
V. Le constat d'une VIOLATION DE L'ARTICLE
14 COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1
A mon
grand regret, et pour les raisons énumérées ci-dessous, je ne puis partager
l'opinion de la majorité sur la question de l'article 14 combiné avec l'article
3 du Protocole no 1.
Premièrement,
la question de l'applicabilité de l'article 3 du Protocole no 1
est ici très sujette à débat. L'article 3 du
Protocole no 1 protège le droit à des élections libres, mais il
n'existe pas de réponse bien définie et communément admise à la question de
savoir si sont ici visées tant les élections directes que les élections
indirectes8. Renvoyant à sa
jurisprudence, la Cour indique toutefois que l'article 3 du Protocole no 1
fut « soigneusement rédigé de manière à éviter des termes susceptibles
d'être interprétés comme une obligation absolue d'organiser des élections pour
les deux chambres dans l'ensemble des systèmes bicaméraux » (paragraphe 40
de l'arrêt). En même temps, comme la Grande Chambre le fait observer, il est clair que
l'article 3 du Protocole no 1 s'applique à chaque chambre
directement élue d'un parlement. A cet égard, il convient de préciser qu'en
Bosnie-Herzégovine il n'y a pas d'élections, ni directes ni indirectes, pour
les membres de la Chambre des peuples. Ceux-ci sont désignés par les parlements des entités, ce qui signifie en
réalité que les plaintes formulées en l'espèce sont de nature purement théorique,
dès lors qu'il n'y a ni élections préalables ni obligation pour les parlements
des entités de désigner tel ou tel candidat. La composition de la Chambre des
peuples n'est pas le résultat d'un processus électoral. Les membres de la
Chambre des peuples sont désignés/choisis à la majorité au sein de l'Assemblée
nationale de la Republika Srpska et à la majorité dans les groupes bosniaques
et croates au sein du Parlement de la Fédération de Bosnie-Herzégovine9. Dès lors
que la version originale de la Constitution de Bosnie-Herzégovine a été établie
en anglais, même une approche linguistique confirme que l'on n'est pas en
présence d'élections mais de désignations. En effet, l'article 4 de la Constitution énonce que la Chambre des
peuples « shall comprise 15 delegates » (comprend
quinze délégués) et que « the designated delegates shall be
selected » (les délégués désignés sont choisis) par les
parlements respectifs des entités10.
La notion de droit à des élections libres en
Bosnie-Herzégovine n'inclut tout simplement pas en tant que tel le droit de se
porter candidat à la Chambre des peuples, dès lors que les membres de cette
chambre ne sont pas élus mais désignés/choisis par les parlements des entités.
On pourrait toujours parler d'élections indirectes
si les listes de candidats étaient annoncées pendant la campagne électorale ou
à un quelconque autre moment avant la désignation des intéressés (et que le
processus était ainsi transparent pour le public) ou s'il y avait des critères
à remplir pour pouvoir être désigné. Or les noms des candidats ne figurent pas
sur des bulletins ou des listes électorales. Un fait qu'a totalement ignoré la
Cour, c'est que ni la Constitution de Bosnie-Herzégovine ni la loi électorale
ne prévoient que les personnes souhaitant se porter candidates aux élections à
la Chambre des peuples doivent satisfaire à certains critères. Aucune disposition
du droit interne ne dit à partir de quelle structure, de quel parti politique
ou même de quelle option politique les candidats doivent être sélectionnés11. Le choix
peut donc en théorie se porter sur n'importe quel individu, quand bien même il
ne serait pas engagé dans la vie publique. Ainsi, la procédure de désignation des membres de la Chambre des peuples
ne dépend pas de l'appartenance à tel ou tel parti politique ; il n'y a
pas de lien formel entre les délégués et les électeurs, et les noms des
candidats ne sont pas connus du grand public, pas même des électeurs, avant
leur désignation par les membres des parlements des entités. La seule exigence
formelle concerne la déclaration d'appartenance ethnique, qui n'est
juridiquement pertinente que pour la qualité de membre de la Chambre des
peuples. A strictement parler, il est clair que les requérants ne peuvent être
« élus », mais cette impossibilité est due non à leur appartenance
ethnique mais à l'absence de dispositions prévoyant l'élection des délégués en
général, les membres de la chambre en question étant tous désignés. Les
individus appartenant à l'un des trois peuples constituants pourraient très
bien se plaindre, eux aussi, de l'absence d'élections libres relativement à la
Chambre des peuples, la seule manière pour une personne de devenir membre de
cette chambre étant d'être désignée par le parlement d'une entité. En
conséquence, il n'existe d'une manière générale pour personne un quelconque
droit de se porter candidat à des élections à la Chambre des peuples, pareilles
élections n'étant simplement pas prévues. En conséquence, si cette procédure doit
être qualifiée de discriminatoire, les mêmes critères de discrimination
doivent-ils être appliqués aux systèmes parlementaires qui prévoient que les
sièges de la seconde chambre sont héréditaires (comme c'est le cas de la
Chambre des lords britannique) ou conditionnés par l'exercice d'une fonction
publique (comme c'est le cas du Conseil fédéral (Bundesrat)
allemand) ? Il me paraît aussi peu approprié de conclure au caractère
discriminatoire du processus dans ces systèmes que ce ne l'est dans le cas de
la Bosnie-Herzégovine.
Le
fait que la seule condition de forme qui doive être remplie par les délégués à
la Chambre des peuples se rapporte à leur appartenance ethnique monte que la
Chambre des peuples a été conçue pour assurer un certain équilibre ethnique au
sein du pouvoir législatif.
C'est
un fait bien établi que ce sont des mécanismes de cette nature qui ont permis
la restauration de la paix en Bosnie-Herzégovine, et il est tout aussi clair
que, quatorze ans après, il n'est toujours pas possible de dégager une approche
commune et partagée quant à d'éventuels réaménagements constitutionnels en
Bosnie-Herzégovine12.
Mon
second point de désaccord avec la décision de la Grande chambre sur la
recevabilité concerne la nature juridique de la Chambre des peuples. Celle-ci
est appréhendée par la Grande Chambre comme la seconde chambre de l'Assemblée
parlementaire de la Bosnie-Herzégovine. Je ne souscris pas à cette analyse.
D'une
manière générale, une chambre haute se distingue normalement de la chambre
basse sur un (ou plusieurs) des points suivants : elle est dotée de
pouvoirs moindres que ceux dont jouit la chambre basse (pour certains textes
votés par celle-ci, elle peut ainsi avoir simplement la faculté de formuler des
réserves, ou, en cas de réforme constitutionnelle, son pouvoir peut être limité
à l'expression ou non de son approbation) ; elle est une chambre
consultative ou « de révision », de sorte que ses pouvoirs
d'initiative sont souvent réduits d'une manière ou d'une autre ; elle
représente les unités administratives ou fédérales ; s'ils sont élus, ses
membres ont souvent des mandats plus longs que les membres de la chambre basse
(si elle est composée de pairs ou de nobles, ses membres détiennent leur siège
à vie) et si elle se compose de membres élus, son renouvellement s'effectue de
manière échelonnée et non de manière globale.
Du point de vue de la structure institutionnelle,
les sièges d'une chambre haute peuvent être pourvus selon des modalités très
diverses : élection directe, élection indirecte, désignation ou encore
voie héréditaire, mais un certain mélange de tous ces systèmes peut aussi être
appliqué. Comme je l'ai dit ci-dessus, le Conseil fédéral (Bundesrat)
allemand est un cas tout à fait unique, dans la mesure où ses membres sont des
délégués des gouvernements des Länder qui peuvent être rappelés à tout
moment, et il en est de même de la Chambre des lords britannique, où les sièges
sont partiellement héréditaires.
On l'a vu ci-dessus, une chambre haute est en
général conçue pour représenter les unités administratives ou fédérales, ce qui
n'est pas le cas en Bosnie-Herzégovine, dans la mesure où la Chambre des
peuples représente non seulement les entités de Bosnie-Herzégovine, mais
également les ethnies (c'est-à-dire les peuples constituants). Les deux
chambres de l'Assemblée parlementaire sont sur le même pied et elles
constituent deux parties qui ne peuvent fonctionner indépendamment l'une de
l'autre. Chaque projet doit être discuté et adopté par les deux chambres, le
rôle particulier de la Chambre des peuples étant de protéger les
« intérêts vitaux » de chaque peuple constituant.
Pour
déclarer l'article 3 du Protocole no 1 applicable, la Grande
chambre a jugé décisive l'ampleur des pouvoirs législatifs exercés par la
Chambre des peuples13. Je ne
souscris pas à cette appréciation. En effet, les deux chambres jouissent des
mêmes pouvoirs14, dès lors
que « toute législation nécessite l'approbation des deux chambres »15, ce qui
confirme bien que les deux chambres sont sur le même pied. La représentation
ethnique au sein de la Chambre des peuples ne revêt de pertinence que lorsqu'il
s'agit des intérêts vitaux des peuples constituants : « un projet de
décision soumis à l'Assemblée parlementaire peut être déclaré contraire aux
intérêts vitaux du peuple bosniaque, croate ou serbe par une majorité de
délégués bosniaques, croates ou serbes désignés conformément aux dispositions
de l'alinéa 1 a) (...). Pour être approuvé par la Chambre des peuples, un tel
projet de décision requiert la majorité des délégués bosniaques, des délégués
croates et des délégués serbes présents et votants »16.
Les
dispositions constitutionnelles relatives aux pouvoirs qui ne sont pas partagés
entre la Chambre des représentants et la Chambre des peuples (voir la note de
bas de page no 2 sur la présente page) illustrent le fait que
l'Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine a une structure tout à fait
unique qui ne rentre dans aucune des catégories des modèles traditionnellement
acceptés. De surcroît, l'article X de la Constitution dispose que celle-ci
« peut être révisée par décision de l'Assemblée parlementaire »,
disposition qui doit être interprétée comme signifiant que les deux chambres
doivent se prononcer sur ce point. Il serait erroné d'inférer de l'arrêt de la
Grande chambre que les requérants en l'espèce, qui sont d'origine rom et
d'origine juive respectivement, ne peuvent participer à l'exercice du pouvoir
législatif en Bosnie-Herzégovine au motif qu'ils n'ont pas la possibilité de se
porter candidats aux élections à la Chambre des peuples, car les deux chambres
disposent des mêmes pouvoirs et les requérants ont amplement la possibilité de
devenir membre de la Chambre des représentants, où les candidatures sont
indépendantes de l'appartenance ethnique17.
La
Chambre des peuples est une chambre de veto, dont les membres perçoivent leur
tâche comme consistant exclusivement à défendre les intérêts de leur peuple, et
c'est précisément ce qui fait de cette chambre un mécanisme sui generis.
La question de savoir si, quatorze ans après l'Accord de paix de Dayton, la
Bosnie-Herzégovine a toujours besoin de pareil mécanisme est une autre question
à laquelle il y a lieu de répondre sur le terrain de la justification si tant
est que l'on juge l'article 3 du Protocole no 1 applicable.
En
résumé, je considère que l'article 3 du Protocole no 1 n'est
pas applicable en l'espèce, dans la mesure où le droit interne ne prévoit tout
simplement pas en tant que tel et pour qui que ce soit un droit de se porter
candidat aux élections à la Chambre des peuples ; celle-ci est un organe
non électif, qui ne possède ni les caractéristiques ni les pouvoirs qui sont
typiquement ceux d'une seconde chambre, et sa structure échappe au domaine de
l'article 3 du Protocole no 1.
En ce
qui concerne le fond du grief, la question principale est celle de
savoir si le traitement différencié ici incriminé est ou non discriminatoire. Il
ressort de la jurisprudence de la Cour relative à l'article 14 qu'une
différence de traitement est discriminatoire si elle ne repose pas sur une
justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un
but légitime ou s'il n'existe pas un rapport raisonnable de proportionnalité
entre les moyens employés et le but visé.
La
conclusion de la majorité selon laquelle les dispositions constitutionnelles
pertinentes tendaient non pas à établir une domination ethnique comme le
soutenaient les requérants, mais à faire cesser un conflit brutal et à assurer
une égalité effective entre les parties à la guerre, à savoir les peuples
constituants, est correcte, comme l'est la conclusion de la majorité selon
laquelle les dispositions en cause ont pour conséquence un traitement
différencié en fonction de l'appartenance ethnique. Cela étant, ce dispositif était-il justifié et, dans l'affirmative, les
éléments de justification sont-ils toujours présents et significatifs
aujourd'hui ? La Grande chambre a préféré ne répondre qu'à moitié à cette
question. Il me paraît pourtant qu'une réponse détaillée était en l'occurrence
primordiale. Le traitement différencié des individus appartenant au groupe des
« autres » est une question qu'il s'agissait de réexaminer une fois
que la situation en Bosnie-Herzégovine serait devenue moins sensible et, de ce
point de vue, la Cour a admis que la différenciation litigieuse était à
l'origine justifiée.
Cela
étant, quelle est la situation aujourd'hui, quatorze ans après l'Accord de paix
de Dayton ? Si l'on en revient aux faits qui ont initialement motivé
l'adoption du dispositif incriminé et si l'on s'en tient aux chiffres des
pertes, cent mille habitants de la Bosnie-Herzégovine au moins ont été tués ou
ont disparu pendant la guerre. Un million trois cent mille personnes
supplémentaires de la population d'avant-guerre (soit vingt-huit pour cent de
celle-ci) sont devenues des réfugiés résidant à l'extérieur de la
Bosnie-Herzégovine. S'il n'y avait pas eu la guerre, fin 1995 la Bosnie-Herzégovine
aurait compté, sur la base des taux habituels de natalité, de mortalité et de
migration, 4 millions et demi d'habitants. Or, en réalité, fin 1995 on dénombrait seulement 2,9 millions
d'habitants dans le pays. Quatorze années se sont écoulées depuis la fin du
conflit armé, mais a-t-on vraiment enregistré, comme l'affirme la Grande
chambre, des progrès significatifs ?
Le
dernier rapport d'Amnesty International sur la Bosnie-Herzégovine relève que
« treize années après la fin de la guerre, treize mille personnes environ
sont toujours portées manquantes. L'emploi de la rhétorique nationaliste a
augmenté en Bosnie-Herzégovine et le pays continue d'être profondément divisé
selon des critères ethniques »18.
D'après
le ministère des Droits de l'homme et des réfugiés de Bosnie-Herzégovine, plus
de 1,2 million de personnes n'ont toujours pas regagné leur domicile
d'avant-guerre. Les personnes qui sont
revenues sont souvent confrontées à des difficultés d'accès aux dispositifs de
logement et d'emploi. Environ deux mille sept cents familles vivent toujours
dans ce qu'on appelle des établissements collectifs de logement. Certaines
personnes venues de l'étranger ne peuvent récupérer leurs biens, soit que
ceux-ci aient été détruits, soit que les autorités montrent peu d'empressement
à les laisser les recouvrer19. La situation
politique ne semble pas meilleure. L'Etat est géré par des partis politiques
portant des bannières nationalistes et recourant à la rhétorique nationaliste.
De nombreuses personnes soupçonnées de crimes de guerre sont toujours en
liberté, même si un processus de transfert des affaires de crimes de guerre du
Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie vers les juridictions
internes a débuté. Les autorités judiciaires et de poursuite sont toujours
supervisées par des juges et des procureurs internationaux, dont ils reçoivent
leurs instructions. Tous ces faits ont en réalité été jugés suffisants par les
Nations unies, l'Union européenne et le Conseil de mise en œuvre de la paix
pour justifier la prorogation (en novembre 2009) du mandat du Haut
représentant. Il existe par ailleurs d'autres signes indiquant que la
communauté internationale ne considère pas que des progrès significatifs soient
enregistrés en Bosnie-Herzégovine (par exemple, les forces militaires
internationales sont toujours présentes, tout comme l'EUPM). Beaucoup d'États,
sur leur site web officiel, dissuadent leurs citoyens de se rendre en
Bosnie-Herzégovine, invoquant des risques pour leur sécurité. Les élections de
2006 ont montré que la plupart des électeurs préféraient toujours voir les
nationalistes au pouvoir, se sentant davantage en sécurité s'ils sont dirigés
par « leur propre peuple ». Les enfants dans les écoles sont séparés20, les villes qui
avant la guerre avaient une population mélangée sont toujours divisées. En devenant membre
du Conseil de l'Europe, la Bosnie-Herzégovine s'était engagée notamment à
« revoir la loi électorale dans un délai de un an, avec l'aide de la Commission
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et à la lumière des
principes du Conseil de l'Europe, aux fins d'amendement, le cas échéant ».
Le fait que la Bosnie-Herzégovine n'ait toujours pas honoré cet engagement
montre qu'en réalité il n'y a pas de consensus entre les principaux partis
politiques.
Sachant tout cela, peut-on se dire absolument
certain que les dispositifs constitutionnels ici incriminés ne reposent plus
aujourd'hui sur aucune justification ? D'un autre côté, s'ils sont toujours
justifiés, ces dispositifs peuvent-ils être réputés poursuivre un but
légitime ? Ainsi que la Commission de Venise l'a justement fait observer,
« la répartition des postes dans les organes de l'Etat entre les peuples
constituants était un élément central de l'Accord de Dayton qui a permis de
rétablir la paix en Bosnie-Herzégovine. Dans une telle situation, il est difficile
de nier la légitimité de normes qui peuvent faire problème du point de vue de
la non-discrimination, mais qui sont nécessaires pour réaliser la paix et la
stabilité et éviter de nouvelles pertes en vies humaines ». La paix a été
rétablie, mais l'élément stabilité demeure problématique. Il se peut que, comme
le juge Feldmann de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine l'a déclaré
dans une opinion concordante « (...), la justification tirée du besoin de
rétablir la paix avait vocation à être seulement temporaire, mais le temps
n'est pas encore venu de considérer que l'Etat s'est éloigné pour de bon des
besoins spéciaux qui ont dicté l'architecture institutionnelle inhabituelle
définie dans l'Accord de paix de Dayton et dans la Constitution de
Bosnie-Herzégovine »21. Dans
l'affaire Ždanoka c. Lettonie22, la Cour a
jugé qu'il n'était « pas surprenant qu'un corps législatif démocratique
nouvellement établi se trouvant dans une phase de tourmente politique ait
besoin d'un temps de réflexion pour examiner quelles mesures il lui faut
envisager pour accomplir sa mission ». Dans le même arrêt, la Cour a
déclaré qu'il convenait de laisser aux autorités internes « suffisamment
de latitude pour apprécier les besoins de la société s'agissant de construire
la confiance dans les nouvelles institutions démocratiques, notamment dans le
Parlement national, et pour rechercher si la mesure litigieuse est toujours
nécessaire à ces fins (...) »23. Les
arrangements constitutionnels particuliers mis en place en Bosnie-Herzégovine
peuvent-ils toujours être réputés nécessaires, et la situation actuelle
peut-elle être considérée comme justifiée malgré le temps qui s'est écoulé
depuis l'Accord de Dayton ? Appartient-il à la Cour européenne de dire que
le moment est venu de changer le dispositif ? J'hésiterais à donner
une réponse ferme et définitive à ces questions. « L'identité au travers
de la citoyenneté » est un changement souhaitable, mais il se dégage de la
jurisprudence de la Cour qu'une distinction ethnique doit être jugée non
nécessaire et dès lors discriminatoire lorsque le même résultat (but légitime) pourrait
être atteint au travers d'une mesure ne s'appuyant pas sur une différenciation
raciale ou ethnique ou sur des critères autres que ceux basés sur la naissance24. Cela
étant, quelle serait l'autre façon de maintenir l'équilibre ethnique et de
construire la confiance dont on a tellement besoin en Bosnie-Herzégovine ?
La Cour n'a pas répondu non plus à cette question. Elle s'est contentée de
conclure que « le maintien de l'impossibilité faite au requérant de se
porter candidat aux élections à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine ne
repose pas sur une justification objective et raisonnable et est donc contraire
à l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1 »
(paragraphe 50 de l'arrêt).
Ainsi,
le critère de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé n'a pas
du tout été appliqué en l'espèce. J'y vois
une occasion manquée de fournir des arguments plus décisifs et convaincants ou
à tout le moins un élément de comparaison avec les autres Etats membres du
Conseil de l'Europe. Le droit de la plupart sinon de tous les Etats membres du
Conseil de l'Europe prévoit certaines distinctions fondées sur la nationalité
relativement à certains droits, et la jurisprudence de la Cour reconnaît aux
autorités nationales une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et
dans quelle mesure des différences justifient un traitement juridique
différencié25. De surcroît, il
ressort de la jurisprudence de la Cour que la marge d'appréciation varie
« selon les circonstances »26. La
Cour a par ailleurs déclaré qu'« [i]l existe de nombreuses manières d'organiser
et de faire fonctionner les systèmes électoraux et une multitude de différences
au sein de l'Europe notamment dans l'évolution historique, la diversité culturelle
et la pensée politique, qu'il incombe à chaque Etat contractant d'incorporer
dans sa propre vision de la démocratie »27. Sur le
plan jurisprudentiel, il aurait été très intéressant de voir jusqu'où serait
allée en l'occurrence la marge d'appréciation accordée par la Cour aux Etats en
la matière.
VI. FRAIS ET DÉPENS
Enfin, je suis en désaccord avec la décision de la
majorité d'accorder 20 000 EUR au second requérant et seulement 1 000
EUR au premier requérant pour frais et dépens. La Cour justifie cet écart en
indiquant que l'équipe de juristes qui représentait le second requérant
comportait trois avocats et/ou experts internationaux et que ceux-ci ont dû se
réunir à New-York et Sarajevo, tandis que le premier requérant aurait été
représenté pro bono et n'aurait réclamé que 1 000 EUR pour la
comparution de son avocat à l'audience devant la Cour28. Considérant que
les observations déposées par les deux requérants étaient d'une qualité
comparable, j'ai tout simplement trouvé injuste d'accorder à l'un et à l'autre
des montants radicalement différents.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE BONELLO
(Traduction)
En principe et dans l'abstrait, je ne puis que partager le
raisonnement de la majorité quant à l'importance d'assurer sans discrimination
la jouissance des droits électoraux. Non sans d'importantes réserves, j'ai voté
en faveur de la recevabilité des deux requêtes. Mais j'ai également voté, avec
moins d'hésitations, contre le constat d'une violation de la Convention. Ces deux affaires peuvent apparaître comme les plus
simples que la Cour ait jamais eues à traiter, mais en même temps elles sont
peut-être parmi les plus insidieuses. Rien de plus évident que de juger
condamnables les dispositions qui, dans un système constitutionnel, empêchent
les Roms et les Juifs de se porter candidats à des élections. Si l'on s'en tient
à cela, on a une affaire de violation manifeste qui ne vaut guère la peine que
l'on perde du temps à l'instruire.
Derrière
cette invitation à s'occuper d'affaires plus stimulantes se cachent toutefois
des questions qui m'ont profondément perturbé et au sujet desquelles, je le
confesse, je n'ai entendu aucune réponse satisfaisante de la part de la Cour.
Certes, des réponses persuasives peuvent être trouvées si l'on congédie
l'histoire. Il me semble que c'est exactement ce qu'a fait le présent
arrêt : il a séparé la Bosnie-Herzégovine des réalités de son propre passé
récent.
Après les événements extraordinairement violents
de 1992, où l'on a assisté à d'horribles bains de sang, à des massacres
ethniques et à une vendetta sans frontières, la communauté internationale est
intervenue : d'abord dans le but de faire accepter une trêve par les Bosniaques,
les Serbes et les Croates, puis dans celui de mettre en place un règlement plus
permanent : les accords de paix de Dayton de 1995. Ces derniers sont venus
au jour difficilement, après des négociations compliquées et opiniâtres qui
visaient à la création d'organes institutionnels basés presque exclusivement
sur des systèmes de freins et de contrepoids entre les trois ethnies
belligérantes. C'est finalement un équilibre des plus précaires, construit sur
une symétrie tripartite fragile née de la méfiance et nourrie du soupçon, qui
fut laborieusement atteint.
Ce
n'est que le fonctionnement de cette construction en filigrane qui permit
l'extinction de cet enfer qu'avait été la Bosnie-Herzégovine. L'architecture
n'en est peut-être pas parfaite, mais c'est la seule qui réussit à amener les
belligérants à substituer le dialogue à la dynamite. Elle est basée sur une
répartition des pouvoirs qui fut fignolée jusque dans les derniers détails
quant à la manière dont les trois ethnies étaient censées participer à
l'exercice du pouvoir dans les divers organes représentatifs de l'Etat. C'est à
l'aide d'une balance d'apothicaire que les accords de Dayton dosèrent les
proportions ethniques exactes de la recette de paix.
Et voilà maintenant que la Cour prend sur elle de
bouleverser tout l'édifice. Strasbourg dit aux anciens belligérants comme aux
bonnes âmes qui ont conçu le plan de paix qu'ils ont eu tout faux. Qu'ils feraient
mieux de reprendre tout à zéro. Que la formule de Dayton était inepte et que
c'est désormais la non-formule de Strasbourg qui prend sa place. Retour à la
planche à dessin.
Les
questions que je me pose sont étroitement liées à la fois à la recevabilité et
au fond des deux requêtes. D'abord, est-il bien du ressort de la Cour de
s'inviter elle-même dans des exercices multilatéraux de maintien de la paix et
dans des traités déjà signés, ratifiés et exécutés ? Je serais le premier
à demander que la Cour ne se montre pas trop petite pour ses idéaux, mais je
serais aussi le dernier à souhaiter qu'elle apparaisse trop grande pour son
costume.
Se
pose alors une seconde question : la Cour a des pouvoirs quasi illimités
lorsqu'il s'agit d'octroyer réparation dans des cas de violation établie de
droits de l'homme garantis par la Convention, et il est certainement normal
qu'il en soit ainsi. Mais ces pouvoirs quasi illimités vont-ils jusqu'à
permettre de défaire un traité international, à fortiori lorsque ce traité a
été conçu par des Etats et des organes internationaux dont certains ne sont
ni signataires de la Convention ni défendeurs devant la Cour ? Plus
particulièrement, la Cour a-t-elle compétence pour renverser au travers de
l'octroi d'une satisfaction équitable l'action souveraine de l'Union européenne
et des Etats-Unis d'Amérique, qui se partagent la paternité des accords de
Dayton, dont la Constitution de Bosnie-Herzégovine mise en cause devant la Cour
ne constitue qu'une annexe ? Je n'ai pas
de réponses toutes prêtes à ces questions, mais je les trouve suffisamment
pertinentes pour estimer que la Cour aurait dû les traiter au préalable et de
manière approfondie. Elle ne l'a pas fait.
Je le
répète, nul ne peut se dire en désaccord avec la formule – presque une
platitude – du préambule de la Convention selon laquelle les droits de l'homme
« constituent les assises mêmes de la paix dans le monde ». Cela
n'est pas douteux. Mais quid des situations exceptionnellement perverses
où la mise en œuvre des droits de l'homme pourrait déclencher la guerre plutôt
que favoriser la paix ? Les droits pour
les deux requérants de se porter candidats aux élections sont-ils à ce point
absolus et contraignants qu'ils peuvent annuler la paix, la sécurité et l'ordre
public établis pour l'ensemble de la population, y compris eux-mêmes ? La
Cour se rend-elle compte de ce que signifie la réouverture de tout le processus
de Dayton aux fins d'alignement du système constitutionnel sur son arrêt ?
Et a-t-elle bien conscience de l'énormité des conséquences au cas où la
nouvelle aube censée se lever grâce à elle viendrait à ne pas poindre ?
Toute la structure de la Convention est fondée sur
une souveraineté primordiale des droits de l'homme mais, hormis pour les droits
qui font partie du noyau dur (ce qui n'est certainement pas le cas du droit de
se porter candidat à des élections), toujours sous réserve que leur exercice se
fasse en conformité avec les droits d'autrui et avec la valeur prépondérante
qu'est l'intérêt social. Je ne pense pas que l'on puisse considérer que la
Convention exige que les requérants aient la faculté d'exercer leur droit de se
porter candidats à des élections quoi qu'il advienne. Candidats aux élections,
fût-ce au prix d'Armageddon ?
Je suis tout prêt à clamer combien inestimables
sont les valeurs d'égalité et de non-discrimination, mais il me paraît que la
paix et la réconciliation nationales sont à placer au moins sur le même pied.
Or la Cour a canonisé les premières et bradé les secondes. Avec tout le respect
que j'ai pour elle, son arrêt me semble être un exercice de style totalement
déconnecté de la réalité et ne tenant pas compte des flots de sang qui ont
fertilisé la constitution de Dayton. La Cour a préféré embrasser son propre
état de déni aseptisé plutôt que de s'ouvrir à ce monde moins lisse qui existe
à l'extérieur. Peut-être cela explique-t-il pourquoi, dans l'exposé des faits,
l'arrêt ne rappelle même pas de manière sommaire les tragédies qui ont précédé
Dayton et qui n'ont pris fin que grâce à Dayton. La Cour, délibérément ou non,
a écarté de sa vision non pas l'écorce mais le cœur de l'histoire des Balkans.
Elle s'est sentie obligée de désavouer la Constitution de Dayton, mais elle n'a
pas éprouvé la nécessité de la remplacer par quelque chose d'aussi propice à la
paix.
Une
autre conclusion de la Cour me paraît critiquable : celle qui affirme que
la situation en Bosnie-Herzégovine est aujourd'hui différente et que le délicat
équilibre tripartite qui s'imposait antérieurement n'est plus indispensable.
Cela est bien possible et je ne puis que l'espérer. Mais, d'après moi, une
institution judiciaire aussi éloignée du foyer de dissension ne peut guère être
la mieux placée pour en juger. Dans le cas d'événements révolutionnaires
traumatisants, il n'appartient pas à la Cour d'établir au travers d'un
processus de divination quand la période transitoire peut être jugée avoir pris
fin et quand un état d'urgence nationale doit être réputé appartenir au passé
au motif que les choses se sont normalisées. Je doute que la Cour soit mieux placée que les autorités nationales pour
déterminer à partir de quel moment on peut dire que les anciennes fractures se
sont consolidées, que les ressentiments historiques se sont apaisés et que les
discordes générationnelles se sont harmonisées. Je pense que des prétentions de
ce type, qui semblent procéder d'un angélisme aveugle, ne tiennent pas
suffisamment compte, voire font totalement abstraction, des ressources
inépuisables de la rancœur. La Cour a tort de se montrer hermétique aux histoires
où la haine valide la culture.
La
Cour ordonne à l'Etat défendeur de passer les accords de Dayton à la moulinette
et de se mettre à la recherche d'autre chose. J'estime pour ma part qu'un Etat
quel qu'il soit ne doit jamais être placé devant une obligation juridique ou un
devoir moral de saboter le système même auquel il doit son existence démocratique.
Dans des situations de ce type, la retenue
judiciaire apparaît plutôt comme une vertu que comme un vice.
La Cour a maintes fois admis que la jouissance de
la plupart des droits fondamentaux – et notamment du droit de se porter
candidat à des élections – est soumise à des tempéraments intrinsèques et à des
restrictions extrinsèques. Elle peut être écornée pour des considérations
objectives et raisonnables. L'exercice des droits fondamentaux peut subir des
limitations aux fins de la sécurité et de l'ordre public, pourvu qu'elles
soient conformes à l'intérêt général de la communauté. Il peut être contraint
de reculer face à des réalités historiques exceptionnelles, telles que le
terrorisme et le crime organisé, ou en raison de l'existence d'une situation
urgence au plan national.
Au fil des ans, Strasbourg a approuvé sans effort
particulier des restrictions aux droits électoraux (celui de voter comme celui
de se porter candidat à des élections) fondées sur un éventail extrêmement
large de justifications : de la non-maîtrise d'une langue par le candidat29 à son
incarcération30 ou à l'existence d'une
condamnation antérieurement prononcée contre lui pour une infraction grave31 ; du
non-accomplissement de « quatre années de résidence continue »32 au non-respect de
conditions de nationalité et de citoyenneté33 ; de
l'appartenance au Parlement d'un autre Etat34 à la
possession d'une double nationalité35 ; de
la non-satisfaction d'une condition d'âge (vingt-cinq ans minimum) pour une
candidature à la Chambre des Représentants36 à la
non-satisfaction d'une autre condition d'âge (quarante ans minimum) pour une
candidature au Sénat37 ; de
la constitution d'une menace pour la stabilité de l'ordre démocratique38 au refus
de prêter serment dans une langue déterminée39 ; de
la situation d'agent public40 à celle de
fonctionnaire local41 ; du
non-respect d'une condition en vertu de laquelle la candidature d'une personne
n'ayant pu recueillir le nombre requis de signatures de soutien ne pouvait être
admise42 au refus
de prêter un serment d'allégeance au monarque43.
Toutes ces circonstances ont été jugées par
Strasbourg suffisamment impérieuses pour justifier le retrait du droit de vote
ou du droit de se porter candidat à des élections. A l'inverse, un
danger manifeste et actuel de déstabilisation de l'équilibre national ne l'a
pas été. La Cour a estimé que le souci d'éviter le risque d'une guerre civile
et de nouveaux carnages et celui de maintenir la cohésion territoriale de
l'Etat ne revêtaient pas une valeur sociale suffisante pour justifier une
certaine limitation des droits des deux requérants.
Je ne me reconnais pas dans cette analyse. Je ne
puis adhérer à une Cour qui sème des idéaux et récolte des massacres.
1. Jusqu’à la
guerre de 1992-1995, les Bosniaques étaient désignés par le terme
« Musulmans ». Le terme « Bosniaques » (Bošnjaci) ne
doit pas être confondu avec le terme « Bosniens » (Bosanci),
communément utilisé pour désigner les citoyens de Bosnie-Herzégovine
indépendamment de leur origine ethnique.
2. Les membres de
la Chambre des peuples de la Fédération de Bosnie-Herzégovine sont désignés par
les parlements cantonaux (la Fédération de Bosnie se compose de dix cantons).
Les membres des parlements cantonaux sont directement élus.
3. Les membres de
l’Assemblée nationale de la Republika Srpska sont directement élus.
4. Mme
Nystuen participa aux négociations de Dayton ainsi qu’aux discussions
constitutionnelles préalables en tant que conseillère juridique du co-président
au titre de l’Union européenne de la Conférence internationale sur
l’ex-Yougoslavie, M. Bildt, qui conduisait la délégation de l’Union européenne
au sein du Groupe de contact. Par la suite, et ce jusqu’en 1997, elle travailla
comme conseillère juridique de M. Bildt en sa qualité de Haut-Représentant pour
la Bosnie-Herzégovine.
5. M. O’Brien
participa aux négociations de Dayton en qualité de juriste pour le Groupe de
contact et il participa également à la plupart des négociations majeures menées
au sujet de l’ex-Yougoslavie entre 1994 et 2001.
6. Tous les êtres
humains appartenant à la même espèce, l’ECRI rejette les théories fondées sur
l’existence de « races différentes ». Cependant, afin d’éviter de
laisser sans protection juridique les personnes qui sont généralement et
erronément perçues comme appartenant à une « autre race », l’ECRI
utilise ce terme dans sa recommandation.
7. Voir les
pouvoirs de la présidence de l’Etat tels qu’ils se trouvent décrits à l’article
V § 3 de la Constitution.
8. Dans l’arrêt de
la majorité, le point de vue selon lequel le droit à des élections libres
s’applique tant aux élections directes qu’aux élections indirectes s’appuie
uniquement sur un renvoi aux travaux préparatoires du Protocole n° 1 (voir
le paragraphe 40 de l’arrêt).
9. Voir l’article IV de la Constitution de la
Bosnie-Herzégovine.
10. Il s’agit de distinguer entre les notions
« d’élection » et de « sélection » : d’un point de vue
linguistique, une « élection » implique un choix illimité tandis
qu’une « sélection » implique un choix de préférence/un choix limité.
11. Une seule
exception à cela : les membres des chambres des peuples cantonales doivent
être désignés parmi les membres des parlements cantonaux.
12. Comme je l’ai
indiqué ci-dessus, des discussions en vue d’une réforme constitutionnelle
furent entamées en 2006 (« le paquet d’avril »), mais elles
échouèrent. Les pourparlers ont maintenant repris (« le paquet
Butmir »), mais il apparaît que les représentants politiques campent sur
leurs positions antérieures.
13. Voir le paragraphe 41 de l’arrêt.
14. Article IV § 4 de la Constitution de
Bosnie-Herzégovine – Pouvoirs
L’Assemblée
parlementaire est investie des pouvoirs suivants :
a) Promulguer
les lois nécessaires pour mettre en œuvre les décisions de la présidence ou
exercer les responsabilités de l’assemblée aux termes de la présente
Constitution.
b) Décider des ressources et des
montants des recettes nécessaires pour le fonctionnement des institutions de la
Bosnie-Herzégovine et pour l’exécution de ses obligations internationales.
c) Approuver le budget des institutions
de la Bosnie-Herzégovine.
d) Consentir ou non à la ratification
des traités.
e) Régler toutes autres questions
nécessaires pour remplir ses fonctions ou s’acquitter des charges qui lui sont
attribuées par consentement mutuel des entités.
15. Voir l’article IV § 3 c) de la Consititution
de la Bosnie-Herzégovine.
17. La Constitution de Bosnie-Herzégovine
prévoit (article IV 2) que « [l]a Chambre des représentants comporte
quarante-deux membres, dont les deux tiers sont élus par le territoire de la
Fédération et un tiers par le territoire de la Republika Srpska » et que « [l]es
membres de la Chambre des représentants sont élus directement par leur entité
conformément aux dispositions d’une loi électorale que l’Assemblée
parlementaire approuvera ».
18. Voir : http://www.amnesty.org/en/region/bosnia-herzegovina/report-2009.
19. Voir : http://www.mhrr.gov.ba/izbjeglice/?id=6.
20. Voir le
document SG/Inf(2008) établi par les services du Secrétaire général du Conseil
de l’Europe.
21. Voir sur le
site http://www.ustavnisud.ba/eng/odluke/povuci_pdf.php?pid=67930 l’opinion concordante du juge Feldmann jointe à la
décision de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine AP-2678/06-2006.
22. Arrêt [GC] n°
58278/00, § 131, CEDH 2006-IV.
24. Voir Inze c. Autriche, 28 octobre
1987, § 44, série A n° 126.
25. Voir Mathieu-Mohin
et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, série A n° 113, et Yumak et Sadak
c. Turquie [GC], n° 10226/03, 8 juillet 2008.
26. Voir Rasmussen c. Danemark, 28
novembre 1984, série A n° 87, § 40.
27. Voir Hirst
c. Royaume-Uni (n° 2) [GC], n° 74025/01, § 61, CEDH 2005-IX.
28. Voir le paragraphe 64 de l’arrêt.
29. Clerfayt et autres c. Belgique,
n° 27120/95, décision de la Commission du 8 septembre 1997 (DR) 90, p. 35.
30. Hollande c. Irlande,
n° 24827/94, décision de la Commission du 14 avril 1998 (DR) 93, p. 15.
31. H. c. Pays-Bas, n° 9914/82,
décision de la Commission du 4 juillet 1983 (DR) 33, p. 242.
32. Polacco et Garofalo c. Italie,
n° 23450/94, décision de la Commission du 15 septembre 1997, (DR) 90, p.
5.
33. Luksch c. Italie, n° 27614/95,
décision de la Commission du 21 mai 1997 (DR) 89 p. 76.
34. M. c. Royaume-Uni, n° 19316/83,
décision de la Commission mars 1984 (DR) p. 129.
35. Ganscher c. Belgique,
n° 28858/95, décision de la Commission du 21 novembre 1966, (DR) 87, p.
130.
36. W, X, Y et Z
c. Belgique, n° 6745 et 6746/74, Annuaire XVIII (1957), p. 236.
38. Zdanoka c. Lettonie, Grande chambre,
16 mars 2006.
39. Fryske Nasjonale Partij et autres c.
Pays-Bas, n° 11100/84, décision de la Commission du 12 décembre 1985,
(DR) 45, p. 240.
40. Gitonas c. Grèce, arrêt du 1er
juillet 1997, paragraphe 40.
41. Ahmed c. Royaume-Uni, arrêt du 2
septembre 1998, paragraphe 75.
42. Asensio Serqueda c. Espagne,
n° 23151/94, (DR) 77, p. 122.
43. McGuiness c.
Royaume-Uni, n° 39511/98, 8 juin 1999.