Corte europea dei diritti dellâuomo
(Grande Camera), 22 dicembre 2009
(requĂȘte nos
27996/06 et 34836/06)
AFFAIRE SEJDIĆ ET FINCI c. BOSNIE-HERZĂGOVINE
Cet arrĂȘt est dĂ©finitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Sejdić et Finci
c. Bosnie-Herzégovine,
La Cour européenne des droits de l'homme, siégeant
en une Grande Chambre composée de :
Jean-Paul Costa, président,
Christos Rozakis,
Nicolas Bratza,
Peer Lorenzen,
Françoise Tulkens,
Josep Casadevall,
Giovanni Bonello,
Lech Garlicki,
Khanlar Hajiyev,
Ljiljana Mijović,
Egbert Myjer,
David Thór Björgvinsson,
George Nicolaou,
Luis LĂłpez Guerra,
Ledi Bianku,
Ann Power,
Mihai Poalelungi, juges,
et de Vincent Berger, jurisconsulte,
AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil les
3 juin et 25 novembre 2009,
Rend l'arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă cette derniĂšre
date :
PROCĂDURE
1. A
l'origine de l'affaire se trouvent deux requĂȘtes (nos 27996/06 et
34836/06) dirigées contre la Bosnie-Herzégovine et dont deux ressortissants de
cet Etat, MM. Dervo Sejdić et Jakob Finci (« les requĂ©rants »),
ont saisi la Cour le 3 juillet et le 18 août 2006 respectivement en vertu de
l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les
requérants se plaignent de l'impossibilité qui leur est faite, à raison de
leurs origines rom et juive respectivement, de se porter candidats aux
élections à la Chambre des peuples et à la présidence de Bosnie-Herzégovine.
Ils invoquent les articles 3, 13 et 14 de la Convention, l'article 3 du
Protocole no 1 et l'article 1 du Protocole no 12.
3. Les requĂȘtes ont initialement Ă©tĂ©
attribuées à la quatriÚme section de la Cour (article 52 § 1 du rÚglement). Le 11 mars 2008,
une chambre de ladite section a dĂ©cidĂ© de donner connaissance des requĂȘtes au
Gouvernement. Comme le lui permettait l'article 29 § 3 de la Convention, elle a
par ailleurs décidé d'en examiner conjointement la recevabilité et le fond. Le
10 février 2009, la chambre, composée de Nicolas Bratza, Lech Garlicki,
Giovanni Bonello, Ljiljana Mijović, David ThĂłr Björgvinsson, Ledi Bianku
et Mihai Poalelungi, juges, et de Fatoş Aracı, greffiĂšre de section
adjointe, s'est dessaisie en faveur de la Grande Chambre, aucune des parties,
consultées à cet effet, ne s'étant déclarée opposée à pareille mesure (article
30 de la Convention et article 72 du rĂšglement). La composition de la Grande
Chambre a été déterminée conformément aux dispositions de l'article 27
§§ 2 et 3 de la Convention et de l'article 24 du rÚglement.
4. Les parties ont déposé des
observations écrites sur la recevabilité et le fond des l'affaires. Des
commentaires ont également été reçus de la Commission de Venise, du Centre AIRE
et de l'Open Society Justice Initiative, qui s'Ă©taient vu accorder l'autorisation
d'intervenir dans la procédure écrite (article 36 § 2 de la Convention et
article 44 § 2 du rÚglement).
5. Une audience a eu lieu en public au
Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 3 juin 2009 (article 54 § 3 du
rĂšglement).
Ont comparu :
â pour le Gouvernement
Mmes Z. Ibrahimović, agente adjointe,
B. Skalonjić, agente assistante,
M. F. Turčinović, conseiller ;
â pour les requĂ©rants
M. F.J. Leon Diaz,
Mme S.P. Rosenberg,
M. C. Baldwin, conseils.
La Cour a entendu Mme
Ibrahimović, M. Leon Diaz, Mme Rosenberg et M. Baldwin. Le
second requérant était également présent à l'audience.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPĂCE
A. Le
contexte
6. La
Constitution de Bosnie-Herzégovine (ci-aprÚs désignée comme « la
Constitution » ou « la Constitution de l'Etat » lorsqu'il est
nĂ©cessaire de la distinguer des Constitutions des entitĂ©s) est une annexe Ă
l'Accord cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine (« l'Accord de
paix de Dayton »), paraphé à Dayton le 21 novembre 1995 et signé à Paris
le 14 décembre 1995. Partie intégrante d'un traité de paix, la
Constitution a été rédigée et adoptée sans qu'aient été appliquées les
procédures qui auraient pu lui conférer une légitimité démocratique. Négociée et publiée dans une langue étrangÚre,
l'anglais, elle représente l'unique cas de Constitution n'ayant jamais été
officiellement publiée dans les langues officielles du pays concerné. La
Constitution confirmait le maintien de l'existence juridique de la
Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat, tout en modifiant sa structure interne. En vertu de la
Constitution, la Bosnie-Herzégovine se compose de deux entités : la
Fédération de Bosnie-Herzégovine et la Republika Srpska. L'Accord de paix de
Dayton avait laissé sans réponse la question de la ligne de séparation des
entitĂ©s dans la rĂ©gion de Brčko, mais les parties s'Ă©taient mises d'accord
pour soumettre cette question Ă un arbitrage contraignant (article V de l'annexe
2 Ă l'Accord de paix de Dayton). Une sentence arbitrale du 5 mars 1999 a
crĂ©Ă© un district de Brčko placĂ© sous la souverainetĂ© exclusive de l'Etat.
7. Le préambule à la Constitution
qualifie les Bosniaques, les Croates et les Serbes de « peuples constituants ».
Au niveau de l'Etat, des arrangements de partage du pouvoir ont été introduits
qui rendent impossible l'adoption de décisions contre la volonté des
représentants de l'un quelconque des « peuples constituants ». Ont
ainsi Ă©tĂ© prĂ©vus un veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux, un veto des entitĂ©s, un
systÚme bicaméral (avec une Chambre des peuples composée de cinq Bosniaques et
cinq Croates de la Fédération de Bosnie-Herzégovine et de cinq Serbes de la
Republika Srpska) et une présidence collégiale de trois membres, composée de un
Bosniaque et un Croate de la Fédération de Bosnie-Herzégovine et de un Serbe de
la Republika Srpska (pour plus de détails, voir les paragraphes 12 et 22
ci-dessous).
B. La présente espÚce
8. Les requérants sont nés en 1956 et
en 1943 respectivement. Ils ont occupé dans le passé et continuent d'occuper
des fonctions publiques importantes. M. Sejdić est actuellement le
contrÎleur rom de la mission de l'OSCE en Bosnie-Herzégovine ; il avait
précédemment siégé comme membre du Conseil rom de Bosnie-Herzégovine (l'organe
reprĂ©sentatif suprĂȘme de la communautĂ© rom locale) et du Conseil consultatif
pour les Roms (organe mixte comprenant des représentants de la communauté rom
locale et des ministÚres compétents). M. Finci est actuellement ambassadeur de
Bosnie-Herzégovine en Suisse ; il avait auparavant exercé diverses
fonctions, et notamment celle de président du Conseil interreligieux de
Bosnie-Herzégovine et celle de chef de l'agence de la fonction publique
nationale.
9. Les
requérants se disent l'un d'origine rom, l'autre d'origine juive. DÚs lors
qu'ils ne déclarent d'appartenance à aucun des « peuples
constituants », ils n'ont pas qualité pour se porter candidats aux
Ă©lections Ă la Chambre des peuples (la deuxiĂšme chambre du Parlement de l'Etat)
ou à la présidence (collective) de l'Etat. M. Finci a obtenu le 3 janvier 2007
une confirmation officielle de cet Ă©tat de choses.
II. LE
DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX ET INTERNES PERTINENTS
A. L'Accord
de paix de Dayton
10. L'Accord
de paix de Dayton, paraphé sur la base aérienne de Wright-Patterson, non loin
de Dayton (Etats-Unis), le 21 novembre 1995 et signé à Paris (France) le 14
décembre 1995, était l'aboutissement de quelque quarante-quatre mois de
négociations intermittentes menées sous les auspices de la Conférence
internationale sur l'ex-Yougoslavie et du Groupe de contact. Il est entré en
vigueur le 14 décembre 1995 et comporte douze annexes.
1. L'Annexe
4 (la Constitution de Bosnie-Herzégovine)
11. La Constitution Ă©tablit une distinction
entre les « peuples constituants » (qui regroupent les personnes
déclarant appartenir au groupe des Bosniaques1, à celui des
Croates ou à celui des Serbes) et les « autres » (les membres de
minorités ethniques et les personnes qui ne déclarent d'appartenance à aucun
groupe particulier, par exemple parce qu'elles ont épousé une personne d'une
origine ethnique différente de la leur, parce que leurs parents ont chacun une
origine ethnique différente, ou pour d'autres raisons encore). Dans
l'ex-Yougoslavie, l'appartenance à un groupe ethnique était décidée par les
personnes elles-mĂȘmes, en vertu d'un systĂšme d'autoclassification. Ainsi, aucun
critÚre objectif, tel la connaissance d'une langue déterminée ou l'appartenance
à une religion donnée, n'était requis. Il n'y avait pas non plus d'exigence d'acceptation par les autres membres
du groupe ethnique concerné. La Constitution ne comporte aucune disposition
concernant la détermination de l'appartenance ethnique des gens. Ses rédacteurs
ont apparemment supposé que l'autoclassification traditionnelle suffirait.
12. Seules
les personnes déclarant une appartenance à l'un des peuples constituants
peuvent se présenter à la Chambre des peuples (la seconde chambre du Parlement
national) et à la présidence (collégiale) de l'Etat. Les dispositions de la
Constitution pertinentes pour la présente espÚce sont les suivantes :
Article IV
« L'Assemblée
parlementaire comprend deux chambres : le Chambre des peuples et la
Chambre des représentants.
1. Chambre
des peuples. La Chambre des peuples comprend quinze délégués, deux tiers
émanant de la Fédération (cinq Croates et cinq Bosniaques) et un tiers émanant
de la Republika Srpska (cinq Serbes).
a) Les délégués croates et bosniaques
désignés par la Fédération sont choisis, respectivement, par les délégués
croates et bosniaques à la Chambre des peuples de la Fédération2. Les délégués de
la Republika Srpska sont choisis par l'Assemblée nationale de la Republika
Srpska3.
b) Neuf membres de la Chambre des peuples
constituent un quorum, sous réserve de la présence effective d'au moins trois
délégués bosniaques, trois délégués croates et trois délégués serbes.
2. Chambre des représentants. La
Chambre des représentants comporte quarante-deux membres, dont les deux tiers
sont élus par le territoire de la Fédération et un tiers par le territoire de
la Republika Srpska.
a) Les membres de la Chambre des
représentants sont élus directement par leur Entité conformément aux
dispositions d'une loi électorale que l'Assemblée parlementaire approuvera. Toutefois, la
premiÚre élection est organisée conformément à l'annexe 3 de l'Accord-cadre
général.
b) La majorité de tous les membres élus
pour siéger à la Chambre des représentants constitue le quorum
3. Procédures
a) Chacune des deux chambres se rĂ©unit Ă
Sarajevo au plus tard trente jours aprĂšs sa formation ou son Ă©lection.
b) Chaque chambre adopte à la majorité son
rÚglement intérieur et choisit parmi ses membres un Serbe, un Bosniaque et un
Croate comme Président et Vice-Présidents, la Présidence revenant à tour de
rĂŽle Ă chacune des trois personnes choisies.
c) Toute législation nécessite
l'approbation des deux chambres.
d) Toutes les décisions des deux chambres
sont prises à la majorité des votants présents en personne. Les délégués et les
membres font leur possible pour que la majorité comporte au moins un tiers des
suffrages émanant de territoire de chaque Entité. Si la majorité exprimée ne
comprend pas un tiers des voix des délégués ou membres du territoire de chaque
Entité, le Président et les Vice-présidents se constituent en commission et
essaient d'obtenir l'approbation dans les trois jours suivant le scrutin. En
cas d'Ă©chec, les dĂ©cisions sont prises Ă la majoritĂ© des prĂ©sents et votants Ă
condition que les suffrages contraires ne soient pas en nombre Ă©gal ou
supérieur aux deux tiers du nombre des délégués ou des membres élus par l'une
ou l'autre des Entités.
e) Un projet de dĂ©cision soumis Ă
l'AssemblĂ©e parlementaire peut ĂȘtre dĂ©clarĂ© contraire aux intĂ©rĂȘts vitaux du
peuple bosniaque, croate ou serbe par une majorité des délégués bosniaques,
croates ou serbes, selon le cas, désignés conformément aux dispositions de
l'alinĂ©a 1 a) ci-dessus. Pour ĂȘtre approuvĂ© par la Chambre des peuples, un tel
projet de décision requiert la majorité des délégués bosniaques, des délégués
croates et des délégués serbes présents et votants.
f) Si une majorité de la délégation
bosniaque ou croate ou serbe s'oppose Ă la mise en Ćuvre des dispositions de
l'alinéa e), le Président de la Chambre des peuples réunit immédiatement une
Commission mixte composée de trois délégués choisis respectivement par les
délégués bosniaques, croates et serbes affin de résoudre le litige. A défaut pour la
Commission de régler le problÚme dans les cinq jours, la question est portée
devant la Cour constitutionnelle, qui vérifie la régularité de la procédure
parlementaire en appliquant une procédure d'urgence.
g) La
dissolution de la Chambre des peuples peut ĂȘtre prononcĂ©e par la PrĂ©sidence ou
par la Chambre elle-mĂȘme, Ă condition que la dĂ©cision de la Chambre soit
approuvée par une majorité comprenant la majorité des délégués d'au moins deux
des peuples bosniaque, croate ou serbe. Toutefois, la Chambre des peuples Ă©lue
lors des premiÚres élections aprÚs l'entrée en vigueur de la présente
Constitution ne peut pas ĂȘtre dissoute.
h) Les décisions de l'Assemblée
parlementaire n'entrent en vigueur qu'aprĂšs publication.
i) Les deux chambres publient un compte rendu
complet de leurs délibérations et, sauf circonstances exceptionnelles prévues
par leurs rÚglements, leurs délibérations sont publiques.
j) La responsabilité des délégués et des
membres ne peut ĂȘtre recherchĂ©e au civil ni au pĂ©nal pour les actes accomplis
dans le cadre de leurs fonctions auprÚs de l'Assemblée parlementaire.
4. Pouvoirs. Les pouvoirs suivants
sont exercés par l'Assemblée parlementaire :
a) Promulguer les lois nécessaires pour
mettre en Ćuvre les dĂ©cisions de la PrĂ©sidence ou exercer les responsabilitĂ©s
de l'Assemblée aux termes de la présente Constitution.
b) DĂ©cider des sources et des montants des
recettes nécessaires pour le fonctionnement des institutions de la
Bosnie-Herzégovine et pour l'exécution de ses obligations internationales.
c) Approuver le budget des institutions de
la Bosnie-Herzégovine.
d) Consentir ou non Ă la ratification des
traités.
e) Régler toutes autres questions nécessaires
pour remplir ses fonctions ou s'acquitter des charges qui lui sont attribuées
par consentement mutuel des Entités.
Article V
« La
Présidence de la Bosnie-Herzégovine se compose de trois membres, un Bosniaque,
un Croate, chacun élu directement par le territoire de la Fédération, et un
Serbe Ă©lu directement par le territoire de la Republika Srpska.
1. Election et durée du mandat électif
a) Les membres de la Présidence sont élus
directement dans chaque Entité (chaque électeur votant en vue de pourvoir un
siÚge à la Présidence) conformément aux dispositions d'une loi électorale
adoptée par l'Assemblée parlementaire. Toutefois, la premiÚre élection se déroule
conformément aux dispositions de l'annexe 3 de l'Accord-cadre général. Tout
siĂšge vacant Ă la PrĂ©sidence est pourvu par l'EntitĂ© concernĂ©e conformĂ©ment Ă
une loi que l'Assemblée parlementaire devra adopter.
b) Les membres de la Présidence élus lors
des premiĂšres Ă©lections restent en poste pour un mandat de deux ans ; le mandat
des membres élus ensuite est de quatre ans. Les membres sont rééligibles une
fois pour se succĂ©der Ă eux-mĂȘmes et sont ensuite inĂ©ligibles pendant quatre
ans
2. Procédures
a) La Présidence fixe son propre rÚglement,
qui prévoit un délai de convocation suffisant pour toutes les réunions de la
Présidence.
b) Les
membres de la Présidence se choisissent un Président en leur sein. Pour le
premier mandat de la Présidence, le Président est celui des membres qui a
recueilli le plus grand nombre de voix. Par la suite, l'Assemblée parlementaire
définit la méthode d'élection du Président, par tour de rÎle ou autrement, sous
réserve des dispositions de l'article IV § 3.
c) La
Présidence s'efforce d'adopter par consensus toutes les décisions
présidentielles (c'est-à -dire celles concernant les questions qui relÚvent de
l'article V § 3 a)âc)). Sous rĂ©serve des dispositions de l'alinĂ©a d) ci-aprĂšs,
ces dĂ©cisions peuvent nĂ©anmoins ĂȘtre adoptĂ©es par deux membres, si tous les
efforts en vue d'obtenir un consensus ont échoué.
d) Un
membre dissident de la Présidence peut déclarer qu'une décision présidentielle
est contraire Ă un intĂ©rĂȘt vital de l'EntitĂ© Ă laquelle appartient le
territoire qui a Ă©lu ledit membre, Ă condition de manifester son oppositions
dans les trois jours qui suivent l'adoption de la décision contestée. La
décision est immédiatement soumise à l'Assemblée nationale de la Republika
Srpska si la déclaration a été faite par le membre représentant le territoire,
à la délégation bosniaque à la Chambre des peuples de la Fédération si la
déclaration a été faite par le membre bosniaque, ou à la délégation croate de
cette mĂȘme chambre, si la dĂ©claration a Ă©tĂ© faite par le reprĂ©sentant croate.
Dans l'Ă©ventualitĂ© oĂč la dĂ©claration est confirmĂ©e par un vote des deux tiers
de ces personnes dans les dix jours de la saisine, la décision présidentielle
contestĂ©e ne peut ĂȘtre suivie d'effet.
3. Pouvoirs.
La Présidence est investie de la responsabilité
a) De
conduire la politique étrangÚre de la Bosnie-Herzégovine.
b) De nommer les ambassadeurs et autres
représentants de la Bosnie-Herzégovine dans les relations internationales, deux
tiers au maximum de ceux-ci pouvant provenir du territoire de la Fédération.
c) De représenter la Bosnie-Herzégovine
auprÚs des institutions et organisations européennes et internationales et de
solliciter l'adhésion de la Bosnie-Herzégovine auprÚs des institutions et
organisations dont elle n'est pas membre.
d) De
négocier, dénoncer et, avec l'accord de l'Assemblée parlementaire, de ratifier
les traités de la Bosnie-Herzégovine.
e) De
mettre à exécution les décisions de l'Assemblée parlementaire.
f) De
proposer, sur recommandation du Conseil des ministres, un budget annuel Ă
l'Assemblée parlementaire.
g) De
rendre compte à l'Assemblée parlementaire des dépenses de la Présidence, sur
demande de l'Assemblée mais au moins une fois par an.
h) D'assurer la coordination nécessaire
avec les organisations internationales et non gouvernementales en
Bosnie-Herzégovine.
i) De remplir toutes autres fonctions
éventuellement nécessaires pour s'acquitter de ses obligations, de celles qui
peuvent lui ĂȘtre confiĂ©es par l'AssemblĂ©e parlementaire ou de celles dont les
Entités peuvent convenir. »
13. Les arrangements constitutionnels
incriminés en l'espÚce ne se trouvaient pas inclus dans l'accord de principe
qui constituait la trame de ce que contiendrait le futur Accord de paix de
Dayton (voir les paragraphes 6.1 et 6.2 du nouvel accord de principe du 26
septembre 1995). Il semblerait que les médiateurs internationaux aient avec
réticence accepté ces arrangements à un stade ultérieur, sur l'insistance
pressante de certaines des parties au conflit (voir Nystuen4, Achieving
Peace or Protecting Human Rights: Conflicts between Norms Regarding Ethnic
Discrimination in the Dayton Peace Agreement, Ă©ditions Martinus Nijhoff,
2005, p. 192, et O'Brien5, The Dayton
Agreement in Bosnia: Durable Cease-Fire, Permanent Negotiation, in Zartman
and Kremenyuk (Ă©ds), Peace versus Justice: Negotiating Forward- and
Backward-Looking Outcomes, Ă©ditions Rowman & Littlefield, 2005, p.
105).
14. Parfaitement conscients que les
dispositions constitutionnelles litigieuses Ă©taient selon toute vraisemblance
en conflit avec les droits de l'homme, les médiateurs internationaux estimÚrent
qu'il était spécialement important de faire de la Constitution un instrument
dynamique et de prévoir la possibilité d'une disparition progressive des
mécanismes constitutionnels en cause. C'est la raison pour laquelle ils
insérÚrent dans la Constitution l'article II § 2 (voir Nystuen, précité, p.
100). Cette disposition est ainsi libellée :
« Les droits et les libertés définis dans la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales et ses Protocoles s'appliquent directement en Bosnie-Herzégovine.
Ils priment tout autre droit. »
Si dans ses décisions U 5/04 du 31 mars 2006 et U
13/05 du 26 mai 2006 la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a jugé que
la Convention européenne des droits de l'homme ne primait pas la Constitution,
elle est parvenue à une conclusion différente dans sa décision AP 2678/06 du
29 septembre 2006. Dans l'affaire en question, elle Ă©tait appelĂ©e Ă
connaßtre d'une plainte pour discrimination concernant l'impossibilité faite au
plaignant de se prĂ©senter aux Ă©lections Ă la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine Ă
raison de son origine ethnique (il s'agissait d'un Bosniaque de la Republika
Srpska). La Cour constitutionnelle rejeta le recours sur le fond. La partie
pertinente de la décision de la majorité se lit ainsi (le texte qui suit est
une traduction de la traduction anglaise fournie par la Cour
constitutionnelle) :
« 18. Les plaignants soutiennent que
leurs droits ont été violés, l'article II § 2 de la Constitution de
Bosnie-Herzégovine précisant que les droits et les libertés définis dans la
Convention européenne et ses Protocoles sont directement applicables en
Bosnie-Herzégovine et qu'ils priment tout autre droit. Les intéressés
estiment que la candidature à la présidence de Bosnie-Herzégovine de Ilijaz
Pilav a été rejetée exclusivement sur la base de son origine
nationale/ethnique, en quoi ils voient une violation de l'article 1 du
Protocole no 12 à la Convention européenne, qui garantit que la
jouissance de tout droit prĂ©vu par la loi doit ĂȘtre assurĂ©e sans discrimination
aucune et que nul ne peut faire l'objet, pour quelque motif que ce soit, et
notamment pour des motifs d'origine nationale/ethnique, d'une discrimination de
la part d'une autorité publique quelle qu'elle soit.
(...)
22. Nul
ne conteste que le texte de l'article V de la Constitution de Bosnie-Herzégovine
et le texte de l'article 8 de la loi Ă©lectorale de 2001 sont de nature
restrictive dĂšs lors qu'ils restreignent les droits civiques, et plus
précisément le droit de se porter candidat aux élections à la présidence de
Bosnie-Herzégovine, des Bosniaques et des Croates du territoire de la Republika
Srpska et des Serbes du territoire de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Cela étant, le but des dispositions en cause est de
renforcer la position des peuples constituants de maniĂšre Ă garantir que la
présidence se compose de représentants de chacun de ces trois peuples
constituants. Eu Ă©gard Ă la situation qui rĂšgne actuellement en
Bosnie-Herzégovine, la restriction imposée par la Constitution et par la loi
électorale de 2001, en vertu de laquelle les candidatures des requérants ne
sont pas traitĂ©es de la mĂȘme façon que celles de Serbes qui sont directement
élus à partir du territoire de la Republika Srpska, est légitime aujourd'hui
car il existe une justification raisonnable au traitement en cause. Par
conséquent, eu égard à la situation qui prévaut aujourd'hui en Bosnie-Herzégovine
et à la nature spécifique de l'ordre constitutionnel de cet Etat, et compte
tenu des dispositifs constitutionnels et législatifs en vigueur, les décisions
incriminées de la Cour de Bosnie-Herzégovine et de la Commission électorale
centrale n'ont pas violé les droits des plaignants découlant de l'article 1 du
Protocole no 12 à la Convention européenne et de l'article 25 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dĂšs lors que les
décisions mentionnées ne sont pas arbitraires et qu'elles sont fondées sur le
droit. Cela signifie qu'elles servent un but légitime, qu'elles reposent sur
des motifs raisonnables et qu'elles ne font pas peser une charge excessive sur
les plaignants, les restrictions imposées aux droits de ces derniers étant
proportionnées aux objectifs d'utilité publique que constituent la préservation
de la paix établie, le maintien du dialogue et, par conséquent, la création des
conditions permettant de modifier les dispositions précitées de la Constitution
de Bosnie-Herzégovine et de la loi de 2001 relative aux élections. »
15. En
ce qui concerne les amendements Ă la Constitution, l'article 10 de celle-ci est
ainsi libellé :
« 1. Procédure.
La prĂ©sente Constitution peut ĂȘtre rĂ©visĂ©e par dĂ©cision de l'AssemblĂ©e
parlementaire prise à la majorité des deux tiers des votants présents en
personne à la Chambre des représentants.
2. Droits
de l'homme et libertés fondamentales. Aucun amendement à la présente
Constitution ne peut Ă©liminer ou restreindre les droits ou libertĂ©s visĂ©s Ă
l'article II de la présente Constitution, ni modifier les dispositions du
présent alinéa. »
Le 26
mars 2009, l'Assemblée parlementaire a modifié pour la premiÚre fois la
Constitution, conformément à la procédure susdécrite. L'amendement en question
concernait le statut du district de Brčko.
2. Annexe
10 (l'Accord relatif aux aspects civils de la mise en Ćuvre de l'Accord de
paix)
16. L'Accord
relatif aux aspects civils de la mise en Ćuvre de l'Accord de paix dĂ©finit le
mandat du Haut Représentant, l'administrateur international de la
Bosnie-Herzégovine, mis en place avec l'autorisation du Conseil de sécurité des
Nations unies par un groupe informel d'Etats qui avaient activement participé
au processus de paix (appelĂ© le Conseil de mise en Ćuvre de la paix) en vertu
du chapitre VII de la Charte des nations unies (voir la RĂ©solution 1031 du
Conseil de sécurité des Nations unies du 15 décembre 1995).
17. Il est de notoriété publique que
les pouvoirs du Haut ReprĂ©sentant sont Ă©tendus (voir Berić et autres c.
Bosnie-Herzégovine (déc.) nos 36357/04 et autres,
CEDH 2007-XII). Le Haut Représentant a imposé à de nombreuses reprises
l'adoption de textes législatifs ordinaires et d'amendements aux Constitutions
des entités (les Constitutions des entités, contrairement à la Constitution de
l'Etat, ne font pas partie de l'Accord de paix de Dayton). La question de
savoir s'il pourrait imposer des amendements Ă la Constitution de l'Etat est
toutefois moins claire. L'Accord de paix de Dayton est muet Ă cet Ă©gard, mais
un Ă©pisode concernant une erreur de frappe dans la Constitution de l'Etat donne
à penser qu'il y a lieu de répondre par la négative à cette question. Plusieurs
mois aprÚs l'entrée en vigueur de l'Accord de paix de Dayton, certains des
juristes internationaux qui avaient assisté aux négociations se rendirent
compte qu'un renvoi opéré à l'article V § 2 c) de la Constitution était erroné
(le texte renvoyait Ă l'article III § 1 a)-e), alors qu'il aurait dĂ» renvoyer Ă
l'article V § 3 a)-e)). En novembre 1996, le Haut Représentant, M. Bildt, adressa
au Secrétaire d'Etat américain, M. Christopher, une lettre dans laquelle
il proposait de corriger l'erreur commise en se fondant sur l'Annexe 10 Ă
l'Accord de paix de Dayton. M. Christopher considéra que l'autorité que M.
Bildt exerçait au titre de l'Annexe 10 ne s'étendait pas à la Constitution de
l'Etat (voir le texte de leur échange de correspondance dans Nystuen, précité,
pp. 80-81). Peu aprÚs, l'erreur fut corrigée sans décision formelle : le
Haut Représentant informa simplement la présidence de Bosnie-Herzégovine et
publia une version corrigée de la Constitution de l'Etat. L'élément pertinent pour les présentes espÚces est que
la position officielle des Hauts Représentants successifs a toujours été depuis
lors que leur pouvoir ne s'Ă©tend pas Ă la Constitution de l'Etat. On en trouve
confirmation dans le discours prononcé par Lord Ashdown en sa qualité de Haut
Représentant devant la Commission de Venise (voir le rapport de la 60e
session pléniÚre de la Commission de Venise, CDL-PV(2004)003 du 3 novembre
2004, p. 18). Le discours en question comportait notamment le passage
suivant :
« Si la
Bosnie-Herzégovine veut adhérer à l'Union européenne et à l'OTAN, elle doit
impérativement démontrer qu'elle est un Etat qui fonctionne. En
Bosnie-Herzégovine, les membres de la classe politique commencent déjà à se
rendre compte qu'ils sont face Ă un choix : garder la Constitution
actuelle et en payer le prix sur le plan Ă©conomique, social et politique, ou
lui apporter les modifications nécessaires pour que la Bosnie-Herzégovine
devienne un pays stable et prospĂšre dont les institutions fonctionnent et pour
qu'elle puisse entrer dans l'Union européenne. A mon avis, les habitants de Bosnie-Herzégovine n'accepteront pas que la
Constitution soit un obstacle à leur sécurité et à leur prospérité.
Mais nous ne pouvons pas lever cet obstacle Ă leur
place.
Le Conseil de mise en Ćuvre de la paix et les Hauts
ReprĂ©sentants successifs (dont moi-mĂȘme) ont toujours dĂ©fendu la mĂȘme
position : si tant est que les parties respectent les accords de Dayton
(et à cet égard subsiste le problÚme de la coopération de la Republika Srpska
avec le tribunal de La Haye) la Constitution de la Bosnie-HerzĂ©govine peut ĂȘtre
modifiée par l'Assemblée parlementaire de la Bosnie-Herzégovine (et non par la
communautĂ© internationale) selon les procĂ©dures prĂ©vues. En d'autres termes, Ă
condition que les accords de Dayton soient respectés, les pouvoirs du Haut
Représentant ne durent que ce que durent ces accords et il appartient à la
population de Bosnie-Herzégovine et à ses représentants élus de décider des
modifications à apporter à l'ordre constitutionnel prévu par les textes de
Dayton. »
B. La
loi Ă©lectorale de 2001
18. La
loi électorale de 2001 (publiée au Journal officiel de Bosnie-Herzégovine no
23/01 du 19 septembre 2001 ; amendements publiés au Journaux officiels nos
7/02 du 10 avril 2002, 9/02 du 3 mai 2002, 20/02 du 3 août 2002, 25/02 du
10 septembre 2002, 4/04 du 3 mars 2004, 20/04 du 17 mai 2004, 25/05 du 26
avril 2005, 52/05 du 2 août 2005, 65/05 du 20 septembre 2005, 77/05 du 7
novembre 2005, 11/06 du 20 février 2006, 24/06 du 3 avril 2006, 32/07 du 30
avril 2007, 33/08 du 22 avril 2008 et 37/08 du 7 mai 2008) est entrée en
vigueur le 27 septembre 2001. Ses dispositions pertinentes en l'espĂšce sont
ainsi libellées :
Article 1.4 § 1
« Tout
citoyen de Bosnie-Herzégovine ayant atteint l'ùge de dix-huit (18) ans a le
droit de voter et d'ĂȘtre Ă©lu conformĂ©ment Ă la prĂ©sente loi. »
Article 4.8
« Pour ĂȘtre
admis sur la liste des candidats aux élections, un candidat indépendant doit
présenter à la Commission électorale centrale une demande de participation aux
Ă©lections comportant au moins :
1. mille cinq cents (1 500 signatures)
de votants enregistrés pour les élections à la présidence de Bosnie-Herzégovine ;
(...) »
Article 4.19 §§ 5-7
« Chaque liste de candidats comporte les nom et
prénoms des personnes qui y figurent, leur numéro d'identification personnelle
(numéro JMBG), l'adresse de leur résidence permanente, leur appartenance à l'un
des peuples constituants ou au groupe des « autres », le numéro de leur
carte d'identitĂ©, qui doit ĂȘtre valable, et le lieu oĂč elle a Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©e,
ainsi qu'une signature du président du parti politique [auquel elles
appartiennent] ou des présidents des partis politiques de la coalition. Pour
chaque candidat, la déclaration d'acceptation de candidature, une déclaration
confirmant l'absence d'empĂȘchements au sens de l'article 1.10 § 1(4) de la
présente loi et une déclaration indiquant l'état de son patrimoine au sens de
l'article 15.7 de la prĂ©sente loi doivent ĂȘtre annexĂ©es Ă la liste. Ces
dĂ©clarations doivent ĂȘtre certifiĂ©es conformes.
La déclaration d'appartenance à l'un des peuples
constituants ou au groupe des « autres » visée au paragraphe
précédent sera utilisée aux fins de l'exercice du droit de détenir un poste
électif ou administratif pour lequel pareille déclaration est requise dans le
cycle électoral pour lequel la liste de candidats a été soumise.
Les candidats ont le droit de ne pas déclarer leur
appartenance à l'un des peuples constituants ou au groupe des « autres ».
Pareille absence de déclaration sera toutefois considérée comme une
renonciation au droit de détenir un poste électif ou administratif pour lequel
pareille déclaration est requise. »
Article 8.1
« Les membres de la présidence de Bosnie-Herzégovine
directement élus à partir du territoire de la Fédération de Bosnie-Herzégovine
â un Bosniaque et un Croate â sont Ă©lus par les Ă©lecteurs inscrits au registre
central des électeurs appelés à voter au sein de la Fédération de
Bosnie-Herzégovine. Un électeur inscrit au registre central des électeurs
appelés à voter au sein de la Fédération de Bosnie-Herzégovine peut voter soit
pour le membre bosniaque, soit pour le membre croate de la présidence, mais non
pour les deux. Sont Ă©lus le membre bosniaque et le membre croate qui
recueillent le plus grand nombre de suffrages parmi les candidats du mĂȘme
peuple constituant.
Le membre de la présidence de Bosnie-Herzégovine
directement Ă©lu dans le territoire de la Republika Srpska â un Serbe â est Ă©lu
par les électeurs inscrits au registre central des électeurs appelés à voter en
Republika Srpska. Est Ă©lu le candidat qui recueille le plus grand nombre de
suffrages.
Le mandat des
membres de la présidence de Bosnie-Herzégovine est de quatre (4) ans. »
Article 9.12 a
« Les délégués
croates et bosniaques de la Fédération de Bosnie-Herzégovine à la Chambre des
peuples de Bosnie-Herzégovine sont élus par le groupe des délégués croates ou
le groupe des délégués bosniaques, suivant le cas, à la Chambre des peuples de
la Fédération de Bosnie-Herzégovine.
Les délégués croates et bosniaques à la Chambre des
peuples de la Fédération de Bosnie-Herzégovine élisent les délégués de leurs
peuples constituants respectifs.
Les délégués serbes et les délégués du groupe des
« autres » à la Chambre des peuples de la Fédération de
Bosnie-Herzégovine ne participent pas au processus d'élection des délégués
bosniaques et croates de la Fédération de Bosnie-Herzégovine à la Chambre des
peuples de Bosnie-Herzégovine.
Les délégués de la
Republika Srpska (cinq Serbes) à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine
sont élus par l'Assemblée nationale de la Republika Srpska.
Les délégués
bosniaques et croates et les dĂ©lĂ©guĂ©s du groupe des « autres » Ă
l'Assemblée nationale de la Republika Srpska participent au processus
d'élection des délégués de la Republika Srpska à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine. »
Article 9.12 c
« Les
délégués bosniaques et les délégués croates à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine
sont élus de telle maniÚre que chaque entité politique représentée dans le
groupe des délégués bosniaques ou dans le groupe des délégués croates ou chaque
dĂ©lĂ©guĂ© du groupe des dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques ou du groupe des dĂ©lĂ©guĂ©s croates Ă
la Chambre des peuples de la Fédération de Bosnie-Herzégovine ait le droit de
faire figurer une ou plusieurs personnes sur la liste des candidats Ă
l'élection des délégués bosniaques ou croates, selon le cas, à la Chambre des
peuples de Bosnie-Herzégovine.
Chaque liste peut
comporter plus de candidats qu'il ne faut élire de délégués à la Chambre des
peuples de Bosnie-Herzégovine. »
Article 9.12 e
« L'élection
des délégués de la Republika Srpska à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine
est menée de telle maniÚre que chaque parti politique ou chaque délégué à l'Assemblée
nationale de la Republika Srpska aient le droit de faire figurer une ou
plusieurs personnes sur la liste des candidats à l'élection des délégués serbes
à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine.
Chaque liste peut
comporter plus de candidats qu'il ne faut élire de délégués à la Chambre des
peuples de Bosnie-Herzégovine. »
C. Les Nations unies
19. La Convention internationale sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée sous les
auspices des Nations unies le 21 dĂ©cembre 1965 est entrĂ©e en vigueur Ă
l'égard de la Bosnie-Herzégovine le 16 juillet 1993. La partie
pertinente de son article premier est ainsi libellée :
« Dans la
présente Convention, l'expression « discrimination raciale » vise
toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la
couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou
pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou
l'exercice, dans des conditions d'égalité, des droits de l'homme et des
libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et
culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique. »
La
partie pertinente de l'article 5 est ainsi libellée :
« Conformément
aux obligations fondamentales énoncées à l'article 2 de la présente Convention,
les Etats parties s'engagent Ă interdire et Ă Ă©liminer la discrimination
raciale sous toutes ses formes et à garantir le droit de chacun à l'égalité
devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d'origine nationale ou
ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants :
(...)
c) droits politiques, notamment droit de
participer aux Ă©lections â de voter et d'ĂȘtre candidat â selon le systĂšme du
suffrage universel Ă©gal, droit de prendre part au gouvernement ainsi qu'Ă la
direction des affaires publiques, à tous les échelons, et droit d'accéder, dans
des conditions d'égalité, aux fonctions publiques ;
(...) »
Les « Observations finales » au sujet de
la Bosnie-Herzégovine publiées par le Comité pour l'élimination de la
discrimination raciale, l'organe indĂ©pendant qui surveille la mise en Ćuvre de
ladite Convention, comportait notamment le passage suivant (document
CERD/C/BIH/CO/6 du 11 avril 2006, § 11) :
« Le Comité est vivement préoccupé par le fait
qu'en vertu des articles IV et V de la Constitution nationale, seules les
personnes appartenant à un groupe considéré, en vertu de la loi, comme l'un des
peuples constitutifs de la Bosnie-Herzégovine (à savoir les Bosniaques, les
Croates et les Serbes) et qui est majoritaire dans l'entitĂ© oĂč elles rĂ©sident
(à savoir Bosniaques et Croates dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine et
Serbes en Republika Srpska) peuvent ĂȘtre Ă©lues Ă la Chambre des peuples et Ă la
présidence tripartite de la Bosnie-Herzégovine. La structure juridique
existante exclut donc de la Chambre des peuples et de la présidence toutes les
personnes dites « autres », c'est-Ă -dire les personnes appartenant Ă
des minorités nationales ou à des groupes ethniques autres que les Bosniaques,
les Croates ou les Serbes. Bien que la structure tripartite des principales
institutions politiques de l'Etat partie ait pu ĂȘtre justifiĂ©e, voire
nécessaire dans un premier temps pour établir la paix à la suite du conflit
armé, le Comité note que les distinctions juridiques qui favorisent certains
groupes ethniques en leur accordant des préférences et des privilÚges spéciaux
ne sont pas compatibles avec les articles 1er et 5 c) de la
Convention. Le Comité fait en outre observer que cela est particuliÚrement vrai
lorsque les circonstances au regard desquelles les préférences et privilÚges en
question avaient été accordés ont cessé d'exister (articles 1 4) et 5 c)).
Le Comité invite instamment l'Etat partie à modifier
les dispositions pertinentes de la Constitution nationale et de la loi
Ă©lectorale, afin de garantir Ă tous les citoyens, quelle que soit leur
appartenance ethnique, l'exercice, dans des conditions d'égalité, du droit de
voter et d'ĂȘtre candidat. »
20. Le Pacte international relatif aux
droits civils et politiques adopté sous les auspices des Nations unies le 16
décembre 1966 est entré en vigueur à l'égard de la Bosnie-Herzégovine le 6 mars
1992. Ses dispositions pertinentes en l'espĂšce sont les suivantes :
Article 2 § 1
« Les Etats parties au prĂ©sent pacte s'engagent Ă
respecter et Ă garantir Ă tous les individus se trouvant sur leur territoire et
relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans
distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d'opinions politiques ou de toutes autres opinions, d'origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation. »
Article 25
« Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans
aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions
déraisonnables :
a) de prendre part Ă la direction des
affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants
librement choisis ;
b) de voter et d'ĂȘtre Ă©lu, au cours
d'Ă©lections pĂ©riodiques, honnĂȘtes, au suffrage universel et Ă©gal et au scrutin
secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs ;
c) d'accéder, dans des conditions générales
d'égalité, aux fonctions publiques de son pays.
Article 26
« Toutes les personnes sont égales devant la loi
et ont droit sans discrimination Ă une Ă©gale protection de la loi. A cet Ă©gard,
la loi doit interdire toute discrimination et garantir Ă toutes les personnes
une protection Ă©gale et efficace contre toute discrimination, notamment de
race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinions politiques et de
toutes autres opinions, d'originale nationale ou sociale, de fortune, de
naissance ou de toute autre situation. »
Les « Observations finales » concernant
la Bosnie-Herzégovine publiées par le Comité des droits de l'homme, l'organe
d'experts indĂ©pendants qui surveille la mise en Ćuvre du Pacte, comportent
notamment le passage suivant (document no CCPR/C/BIH/CO/1 du 22
novembre 2006, § 8) :
« Le Comité
est préoccupé par le fait qu'à la suite du rejet de l'amendement pertinent à la
Constitution le 26 avril 2006, la Constitution et la loi Ă©lectorale de l'Etat
continuent à exclure l'élection des « Autres », c'est-à -dire des
personnes qui n'appartiennent pas à l'un des « peuples constitutifs »
de l'Etat partie (Bosniaques, Croates et Serbes), Ă la Chambre des peuples ou Ă
la présidence tripartite de Bosnie-Herzégovine (articles 2, 25 et 26).
L'Etat partie
devrait rouvrir les discussions sur la réforme constitutionnelle de maniÚre transparente
et sur une base largement participative, en incluant toutes les parties
prenantes, en vue d'adopter un systĂšme Ă©lectoral qui garantisse Ă tous les
citoyens, quelle que soit leur origine ethnique, l'égalité de jouissance des
droits prévus à l'article 25 du Pacte. »
D. Le
Conseil de l'Europe
21. En
devenant membre du Conseil de l'Europe le 24 avril 2002, la Bosnie-Herzégovine
s'est engagée notamment à « revoir la loi électorale dans un délai d'un
an, avec l'aide de la Commission pour la démocratie par le droit (Commission de
Venise) et Ă la lumiĂšre des principes du Conseil de l'Europe, aux fins
d'amendement, le cas échéant » (voir l'Avis 234 (2002) sur la demande
d'adhésion de la Bosnie-Herzégovine au Conseil de l'Europe, adopté par l'Assemblée
parlementaire le 22 janvier 2002, § 15 iv) b)). Par la suite, l'Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe a réguliÚrement rappelé à la
Bosnie-Herzégovine cette obligation souscrite au moment de l'adhésion et l'a
invitée à adopter une nouvelle Constitution avant octobre 2010 afin de
« remplacer le dispositif de représentation ethnique par une
représentation fondée sur le principe de citoyenneté, notamment en mettant un
terme à la discrimination constitutionnelle envers les « autres » »
(Résolution 1383 (2004) du 23 juin 2004, § 3 ; Résolution 1513 (2006) du
29 juin 2006, § 20 ; et Résolution 1626 (2008) du 30 septembre 2008,
§ 8).
22. La
Commission de Venise, l'organe consultatif du Conseil de l'Europe pour les
questions constitutionnelles, a de son cÎté émis un certain nombre d'avis à ce
sujet.
Celui
sur la situation constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine et les pouvoirs du
Haut Représentant (document CDL-AD(2005)004 du 11 mars 2005) comporte notamment
le passage suivant :
« 1. Le
23 juin 2004, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté sa
RĂ©solution 1384 sur le âRenforcement des institutions dĂ©mocratiques en Bosnie-
HerzĂ©govineâ. Le paragraphe 13 de cette RĂ©solution demande Ă la Commission de
Venise d'examiner plusieurs questions constitutionnelles en Bosnie-Herzégovine.
(...)
29. La
[Bosnie-Herzégovine] est un pays en transition qui doit faire face à de graves
problÚmes économiques et souhaite participer à l'intégration européenne. Le
pays ne pourra relever les nombreux défis qui découlent de cette situation que
s'il dispose d'un gouvernement fort et efficace. Or, les rÚgles constitutionnelles régissant le fonctionnement des
organes de l'Etat n'ont pas été conçues pour produire un gouvernement fort,
mais pour empĂȘcher la majoritĂ© de prendre des dĂ©cisions nuisibles pour les
autres groupes. On peut comprendre que, dans une situation d'aprĂšs conflit, il
n'y ait pas eu (et qu'il n'y a toujours pas) suffisamment de confiance entre
les groupes ethniques pour que l'Etat puisse fonctionner sur la base du seul
principe majoritaire. Dans une telle situation, il importe de trouver des
garanties spécifiques qui permettent à tous les groupes principaux, à savoir,
en [BOSNIE-HERZĂGOVINE], les peuples constituants, d'accepter les rĂšgles
constitutionnelles et de se sentir protégés par elles. Il s'ensuit que la
Constitution de la [Bosnie-HerzĂ©govine] assure la protection des intĂ©rĂȘts des
peuples constituants par le biais non seulement de dispositions territoriales
qui correspondent Ă leurs intĂ©rĂȘts, mais de la composition des organes de
l'Etat et des rÚgles régissant leur fonctionnement. Il faut bel et bien, en
pareil cas, réaliser un équilibre satisfaisant entre la nécessité, d'une part,
de protĂ©ger les intĂ©rĂȘts de tous les peuples constituants et celle, d'autre
part, de disposer d'un gouvernement efficace. Toutefois, la Constitution de la
[Bosnie-Herzégovine] contient de nombreuses dispositions garantissant la
protection des intĂ©rĂȘts des peuples constituants : le veto au nom d'intĂ©rĂȘts
vitaux à l'Assemblée parlementaire, le systÚme bicaméral et la Présidence
collective sur la base de l'appartenance ethnique. L'effet combiné de
ces dispositions rend la tĂąche d'un gouvernement qui se voudrait efficace
extrĂȘmement difficile, sinon impossible. Jusqu'Ă prĂ©sent, le systĂšme a plus ou moins fonctionnĂ© en raison du rĂŽle
crucial assumé par le Haut Représentant. Or, ce rÎle n'est pas inscrit dans la
durée.
Le veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux
30. Le plus important mécanisme mis en
place pour Ă©viter qu'aucune dĂ©cision n'aille Ă l'encontre des intĂ©rĂȘts d'un
peuple constituant quel qu'il soit est le veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux. Si la
majorité des représentants bosniaques, croates ou serbes de la Chambre des
peuples déclarent un projet de décision soumis à l'Assemblée parlementaire
contraire aux intĂ©rĂȘts vitaux de leur peuple, la majoritĂ© des reprĂ©sentants
bosniaques, serbes et croates doivent voter pour la décision pour que celle-ci
soit adoptée. Une majorité des représentants d'un autre peuple peut s'opposer à la mise
en Ćuvre de cette clause, auquel cas une procĂ©dure de conciliation est prĂ©vue
et la Cour constitutionnelle se prononce en dernier ressort sur la régularité
de la procĂ©dure de mise en Ćuvre. Il est intĂ©ressant de constater que la
Constitution ne dĂ©finit pas la notion de veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux, Ă la
différence des Constitutions des Entités, qui énoncent une définition (trop
générale[10]).
31. Il
est évident, et cela a été confirmé par un grand nombre d'interlocuteurs, que
cette procédure comporte un sérieux risque de blocage du processus décisionnel.
D'autres ont fait valoir que ce risque ne devait pas ĂȘtre surestimĂ© car la
procĂ©dure avait Ă©tĂ© rarement employĂ©e et, dans un arrĂȘt rendu le 25 juin
2004[11], la Cour constitutionnelle a commencé à interpréter la notion. En
fait, l'arrĂȘt montre que la Cour ne considĂšre pas que les intĂ©rĂȘts vitaux sont
une notion purement subjective laissée à l'appréciation de chaque membre du
parlement et qui ne serait pas assujettie au contrĂŽle de la Cour. Au contraire,
la Cour a examiné les arguments avancés pour justifier le recours au veto au
nom d'intĂ©rĂȘts vitaux, a confirmĂ© la validitĂ© d'un argument et en a Ă©cartĂ© un
autre.
32. La
Commission n'en estime pas moins nécessaire d'inscrire dans la Constitution une
dĂ©finition prĂ©cise et rigoureuse des intĂ©rĂȘts vitaux. Le principal problĂšme
posé par le droit de veto n'est pas son utilisation, mais son effet préventif.
Ătant donnĂ© que tous les hommes politiques concernĂ©s sont pleinement conscients
de l'existence de la possibilité qu'un veto soit exprimé, une question sur
laquelle on peut s'attendre Ă voir apposĂ© un veto ne sera mĂȘme pas mise aux
voix. Du fait de l'existence du veto, une
délégation qui adopterait une position particuliÚrement intransigeante et
refuserait tout compromis serait en position de force. Certes, la jurisprudence
ultérieure de la Cour constitutionnelle pourrait fournir une définition des
intĂ©rĂȘts vitaux et rĂ©duire les risques inhĂ©rents au mĂ©canisme. Mais cela
pourrait prendre beaucoup de temps et il semble au surplus inapproprié de
confier une telle tĂąche ayant des incidences politiques majeures Ă la seule
Cour sans lui indiquer la voie Ă suivre dans le texte de la Constitution.
33. Dans
la situation actuelle de la [Bosnie-Herzégovine], il semble peu réaliste de
demande la suppression pure et simple du veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux. La
Commission n'en juge pas moins important d'insérer d'urgence une définition
prĂ©cise des intĂ©rĂȘts vitaux dans le texte de la Constitution. Cette dĂ©finition
devra ĂȘtre arrĂȘtĂ©e par les reprĂ©sentants des trois peuples constituants, mais
ne devrait pas reproduire la définition qui se trouve actuellement dans les
Constitutions des EntitĂ©s, laquelle permet de dĂ©signer comme intĂ©rĂȘt vital
pratiquement n'importe quoi. Elle ne devrait
pas ĂȘtre trop large, mais ĂȘtre axĂ©e sur les droits qui revĂȘtent une importance
particuliĂšre pour les peuples respectifs, essentiellement dans des domaines
tels que la langue, l'Ă©ducation et la culture[12].
Veto des entités
34. En
sus du veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux, l'art. IV.3.d) de la Constitution prĂ©voit
un veto des deux tiers des membres de la délégation de l'une ou de l'autre des
EntitĂ©s. Ce veto, qui, en pratique, ne semble revĂȘtir un intĂ©rĂȘt potentiel que
dans le cas de la RS[13], semble ĂȘtre rendu inutile par l'existence du veto au
nom d'intĂ©rĂȘts vitaux.
SystÚme bicaméral
35. L'art.
IV de la Constitution institue un systÚme bicaméral composé d'une Chambre des
reprĂ©sentants et d'une Chambre des peuples, qui sont dotĂ©es des mĂȘmes pouvoirs.
Les systÚmes bicaméraux étant caractéristiques des Etats fédéraux, il n'est pas
surprenant que la Constitution de la [Bosnie-Herzégovine] opte pour deux
chambres. Toutefois, dans les Etats fédéraux,
la seconde chambre a habituellement pour finalité d'assurer une représentation
plus forte des entités plus petites. L'une des chambres est constituée sur la
base des chiffres de population tandis que dans l'autre, soit toutes les
entitĂ©s ont le mĂȘme nombre de siĂšges (Etats-Unis et Suisse), soit, au moins,
les entités plus petites sont surreprésentées (Allemagne). La situation est
toute diffĂ©rente en [BOSNIE-HERZĂGOVINE] : dans les deux chambres, les
deux tiers des membres Ă©manent de la F[BOSNIE-HERZĂGOVINE], la diffĂ©rence Ă©tant
que dans la Chambre des peuples, seuls les Bosniaques et les Croates de la
Fédération et les Serbes de la RS sont représentés[14]. La Chambre des peuples
ne traduit donc pas le caractÚre fédéral de l'Etat, mais est un mécanisme
supplĂ©mentaire destinĂ© Ă dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts des peuples constituants. La principale
fonction de la Chambre des peuples aux termes de la Constitution est donc celle
d'une chambre oĂč est exercĂ© le veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux.
36. Le
défaut de cette disposition est que la Chambre des représentants devient la
chambre oĂč le travail lĂ©gislatif est accompli et les compromis nĂ©cessaires
négociés afin de dégager une majorité. La Chambre des peuples n'a que le rÎle
négatif d'une chambre dont les membres exercent leur droit de veto car ils
considĂšrent que leur tĂąche consiste exclusivement Ă dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts de
leur peuple sans qu'ils se sentent concernés par l'aboutissement du processus
législatif. Il semblerait donc préférable de transférer l'exercice du droit de
veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux Ă la Chambre des reprĂ©sentants et de supprimer la
Chambre des peuples. Cela permettrait de rationaliser les procédures et
faciliterait l'adoption des lois sans compromettre les intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes d'un
peuple quel qu'il soit. Cela réglerait également le problÚme de la composition
discriminatoire de la Chambre des peuples.
La Présidence
collective
37. L'article
V de la Constitution institue une Présidence collective composée d'un membre
bosniaque, d'un membre serbe et d'un membre croate, ainsi qu'une présidence
tournante. La Présidence s'efforce d'adopter
ses dĂ©cisions par consensus [art. V.2.c)]. Dans le cas d'une dĂ©cision adoptĂ© Ă
la majorité, le membre minoritaire peut exercer son droit de veto au nom
d'intĂ©rĂȘts vitaux.
38. Une Présidence collective est une
institution tout Ă fait inhabituelle. Il est plus facile pour une seule
personne de s'acquitter des fonctions de représentation du chef de l'Etat.
L'exécutif est déjà coiffé par un organe collégial, le Conseil des ministres. Le fait d'ajouter
un second organe collégial ne semble pas favoriser le processus décisionnel.
Cela crée un risque de répétition des processus décisionnels et il devient
difficile de distinguer les pouvoirs du Conseil des ministres et ceux de la
Présidence. Qui plus est, la Présidence soit
n'a pas les connaissances techniques requises qui existent au sein des
ministÚres, soit doit se doter d'un personnel important, créant alors un
échelon bureaucratique supplémentaire.
39. Une
Présidence collective ne semble donc ni fonctionnelle ni efficace. Dans le
contexte de la [Bosnie-Herzégovine], son existence semble là encore motivée par
la nécessité d'assurer la participation de représentants de tous les peuples
constituants à la prise de toutes les décisions importantes. De fait, il semble
difficile d'envisager pour la [Bosnie-Herzégovine] un Président unique doté de
pouvoirs importants.
40. La meilleure solution serait donc de
concentrer le pouvoir exécutif au niveau du Conseil des ministres en tant
qu'organe collégial dans lequel tous les peuples constituants sont représentés.
Dans ce cas, un PrĂ©sident unique chef de l'Etat devrait ĂȘtre acceptable. Eu
égard au caractÚre pluriethnique du pays, une élection indirecte du Président
par l'Assemblée parlementaire à une majorité garantissant que le Président
jouit de la confiance gĂ©nĂ©rale parmi tous les peuples semblerait prĂ©fĂ©rable Ă
une Ă©lection directe. On pourrait ajouter une rĂšgle relative au roulement,
selon laquelle un PrĂ©sident nouvellement Ă©lu ne peut pas appartenir au mĂȘme
peuple constituant que son prédécesseur.
(...)
74. En l'occurrence, la répartition des
postes dans les organes de l'Etat entre les peuples constituants Ă©tait un
élément central de l'Accord de Dayton qui a permis de rétablir la paix en
[BOSNIE-HERZĂGOVINE]. Dans une telle situation, il est difficile de nier la
légitimité de normes qui peuvent faire problÚme du point de vue de la
non-discrimination, mais qui sont nécessaires pour réaliser la paix et la
stabilité et éviter de nouvelles pertes en vies humaines. L'incorporation de
ces rĂšgles dans le texte de la Constitution a l'Ă©poque n'est donc pas
critiquable mĂȘme si elles vont Ă l'encontre de la dynamique gĂ©nĂ©rale de la
Constitution qui vise à prévenir la discrimination.
75. Encore
faudrait-il pondérer cette justification compte tenu de l'évolution de la
[Bosnie-Herzégovine] depuis l'entrée en vigueur de la Constitution. La
[Bosnie-Herzégovine] est devenue membre du Conseil de l'Europe; le pays doit
donc ĂȘtre jugĂ© Ă l'aune des normes europĂ©ennes communes. Elle a ratifiĂ© la CEDH
et son Protocole no 12. Comme on l'a vu plus haut, la situation en
[BOSNIE-HERZĂGOVINE] a Ă©voluĂ© dans le bon sens, mais il subsiste des Ă©lĂ©ments
exigeant un systĂšme politique qui ne soit pas simplement l'expression du
gouvernement par la majorité, mais qui garantisse un partage du pouvoir et des
postes entre les groupes ethniques. Il reste
donc légitime de s'employer à concevoir des rÚgles électorales qui assurent une
représentation appropriée des différents groupes.
76. Toutefois, on peut y parvenir sans
contrevenir aux normes internationales. Ce n'est pas le systÚme de démocratie
consensuelle en lui-mĂȘme qui fait problĂšme, mais le mĂ©lange des critĂšres
territorial et ethnique et le déni manifeste de certains droits politiques à ceux
qui sont particuliÚrement vulnérables. Il semble possible de refondre les
rÚgles régissant la Présidence de façon à les rendre compatibles avec les
normes internationales tout en maintenant l'Ă©quilibre politique du pays.
77. Il est possible de garantir une
composition pluriethnique d'une façon non discriminatoire, par exemple en
disposant qu'un membre au maximum de la Présidence peut appartenir à un peuple
donnĂ© ou aux «Autres» et en instituant en mĂȘme temps un systĂšme Ă©lectoral
garantissant la représentation des deux Entités. Ou bien, comme on l'a proposé
plus haut à titre de solution plus radicale que la Commission juge préférable,
on pourrait supprimer la Présidence collective et la remplacer par un Président
indirectement élu et doté de pouvoirs trÚs limités.
(...)
80. La Chambre des peuples est une chambre
dotée des pleins pouvoirs législatifs. De ce fait, l'article 3 du (premier)
Protocole à la CEDH est applicable et toute discrimination fondée sur
l'appartenance ethnique est donc interdite par l'art. 14 de la CEDH. En ce qui
concerne une justification Ă©ventuelle, les mĂȘmes Ă©lĂ©ments d'apprĂ©ciation qu'au
sujet de la Présidence s'appliquent. Il est légitime de s'employer à assurer un
Ă©quilibre ethnique au sein du Parlement dans l'intĂ©rĂȘt de la paix et de la
stabilité, mais cet objectif ne peut justifier la discrimination ethnique qu'en
l'absence de tout autre moyen de le réaliser et si les droits des minorités
sont dûment respectés. Pour la Chambre
des peuples, on pourrait, par exemple, instituer un nombre maximal de siĂšges Ă
pourvoir par des représentants de chaque peuple constituant. Ou bien, comme on
l'a fait valoir plus haut, une solution plus radicale, qui aurait la préférence
de la Commission, pourrait ĂȘtre retenue et la Chambre des peuples purement et
simplement supprimĂ©e, le mĂ©canisme relatif aux intĂ©rĂȘts nationaux vitaux Ă©tant
appliqué au sein de la Chambre des représentants. »
L'Avis sur différentes propositions pour
l'élection de la présidence de Bosnie-Herzégovine (document CDL-AD(2006)004 du
20 mars 2006), qui comporte notamment les passages suivants :
« 1. Par une lettre du 2 mars 2006, M.
Sulejman Tihić, PrĂ©sident de la PrĂ©sidence collĂ©giale de
Bosnie-Herzégovine, a demandé à la Commission de Venise d'émettre un avis sur
trois propositions différentes pour l'élection de la Présidence de son pays.
Cette demande intervient dans le cadre des négociations sur la réforme
constitutionnelle engagées entre les principaux partis politiques de
Bosnie-HerzĂ©govine. La question de l'Ă©lection de la PrĂ©sidence reste encore Ă
trancher pour parvenir à un accord sur un train de réformes complet.
(...)
Observations sur la proposition I
8. La Proposition I maintient les rĂšgles
actuelles régissant l'élection et la composition de la Présidence, selon
lesquelles un membre bosniaque et un membre croate sont Ă©lus directement par le
territoire de la Fédération, et un membre serbe est élu directement par le
territoire de la Republika Srpska. Dans son Avis, la Commission a évoqué
l'inquiétude que suscitent ces rÚgles quant à leur compatibilité avec le
Protocole No.12 de la Convention européenne des droits de l'homme
dans la mesure oĂč elles dĂ©nient formellement aux « Autres » ainsi qu'aux
Bosniaques et Croates de la Republika Srpska et aux Serbes de la Fédération, la
possibilitĂ© d'ĂȘtre Ă©lus Ă la PrĂ©sidence. Le maintien de cette rĂšgle en l'Ă©tat
ne peut donc ĂȘtre envisagĂ© et il convient de rejeter la Proposition I.
Observations sur la proposition II
9. La Proposition II, qui n'est pas rédigée
sous la forme d'un texte à inclure dans la Constitution mais en tant que résumé
d'un Ă©ventuel contenu constitutionnel, maintient le systĂšme selon lequel deux
membres de la Présidence sont directement élus par la Fédération et un par la
Republika Srpska, sans toutefois faire Ă©tat de critĂšre ethnique pour les
candidats. La discrimination de jure dénoncée dans l'Avis de la Commission de
Venise serait ainsi levée et l'adoption de cette proposition pourrait
constituer un pas en avant. Celle ci inclut Ă©galement un systĂšme de roulement
du Président de la Présidence tous les 16 mois. Dans la logique d'une
Présidence collégiale, cette mesure semble rationnelle.
10. Par
contre, la proposition manque de clarté quant à la composition pluriethnique de
la Présidence. La Présidence collégiale a été introduite, et serait apparemment
maintenue, afin de garantir qu'aucun organe étatique unique ne soit dominé par
un représentant d'un seul peuple constituant. Selon la proposition actuelle, il
serait par exemple possible que deux membres bosniaques soient Ă©lus Ă la
Présidence par la Fédération. Sur le plan juridique, il suffirait pour remédier
à cet inconvénient de prévoir, dans le cadre de la proposition, une mesure
disposant que pas plus d'un seul membre de la PrĂ©sidence ne peut appartenir Ă
un peuple constituant donné ou au groupe des « Autres ». La Commission croit
comprendre que l'inclusion d'une telle disposition dans la Constitution est
prévue en cas d'adoption de cette proposition.
11. Se
poserait néanmoins le problÚme de devoir éventuellement exclure de la
Présidence des candidats ayant pourtant obtenu un maximum de voix. Dans la Fédération, il est fort possible que deux
Bosniaques arrivent en tĂȘte des suffrages. Dans ce cas de figure, un candidat ayant
obtenu un nombre supĂ©rieur de voix devra ĂȘtre Ă©cartĂ© de la PrĂ©sidence au profit
d'un candidat ayant recueilli un nombre moins élevé de voix. Ces questions
devraient ĂȘtre clairement rĂ©glementĂ©es dans le cadre de la Constitution et ne
pas relever de la loi ordinaire.
12. Autre
inconvénient : les Bosniaques et les Croates de la Republika Srpska ainsi que
les Serbes de la Fédération n'auraient toujours de facto aucune possibilité
réaliste d'élire un candidat de leur choix.
13. Par
ailleurs, l'Ă©lection du Chef de l'Etat continuerait d'avoir lieu au niveau de
l'Entité alors qu'il serait préférable de la transférer au niveau étatique dans
le cadre de l'approche globale visant au renforcement de l'Etat,.
14. Entre
autres questions de moindre importance, la proposition permettrait aux membres
de la Présidence d'occuper une fonction de direction au sein d'un parti
politique. Cette possibilité semble incompatible avec l'objectif global de la
réforme constitutionnelle qui est de faire de la Présidence, non plus un organe
exécutif mais la plus haute fonction nationale (collégiale).
15. En
résumé, dans la situation constitutionnelle actuelle, la Proposition II marque
une nette amélioration. Toutefois, elle présente des inconvénients, notamment
le risque de voir Ă©lire un candidat qui n'aurait pas recueilli le nombre le
plus élevé de voix. Par ailleurs, la proposition ne tend pas vers l'objectif
global de la réforme constitutionnelle qui est de transférer des pouvoirs au
Conseil des ministres et de renforcer l'Etat.
Proposition III
16. La
Proposition III s'Ă©carte plus nettement de la situation constitutionnelle
actuelle dans la mesure oĂč elle introduit une procĂ©dure complexe de suffrage
indirect pour la Présidence. Comme nous l'indiquions précédemment, la
Commission plaide en faveur de l'élection indirecte d'un Président unique doté
de pouvoirs limitĂ©s. MĂȘme dans le cas d'une PrĂ©sidence collĂ©giale, la
Commission maintient sa préférence pour des élections indirectes.
17. Sa
position s'appuie avant tout sur le fait que l'un des principaux objectifs de
la révision constitutionnelle serait de restreindre les pouvoirs de la
Présidence et de concentrer le pouvoir exécutif au niveau du Conseil des
ministres. Ce changement serait plus difficile à entreprendre si la Présidence
bénéficie de la légitimité d'un suffrage universel direct.
18. Par
ailleurs, il est plus facile dans le cadre d'Ă©lections indirectes d'Ă©laborer
des mécanismes garantissant la composition pluriethnique souhaitée de la
PrĂ©sidence. Elles ouvrent davantage la voie Ă
une coopération interethnique et aux compromis tandis que des élections
directes sur la base de critĂšres de facto ethniques incitent Ă voter pour le
candidat considéré comme le meilleur défenseur du peuple constituant respectif
et non pour celui le mieux Ă mĂȘme de dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts du pays tout entier.
19. Enfin,
la proposition confie l'Ă©lection au Parlement de l'Etat. Il est en effet
souhaitable et conforme à la volonté de renforcer l'Etat que les élections du
Chef de l'Etat se tiennent Ă cet Ă©chelon.
20. Dans
la perspective de l'approche globale, la Proposition III semble préférable.
Elle présente néanmoins certains défauts.
21. Pour
commencer, la proposition paraßt compliquée compte tenu des trop nombreuses
étapes et des possibilités de conduire à une impasse. Les nominations peuvent
ĂȘtre suggĂ©rĂ©es par des membres de la Chambre des ReprĂ©sentants ou de la Chambre
des Peuples, la sélection des candidats est faite par les trois
« caucus » distincts de la Chambre des Peuples, la liste devant par
la suite ĂȘtre approuvĂ©e Ă la fois par les trois « caucus » au sein de
la Chambre des Peuples et par la Chambre des Représentants.
22. Dans
les limites de la proposition, il semblerait préférable d'opter pour une
procédure simplifiée qui mettrait davantage l'accent sur la Chambre des
Représentants en tant qu'organe investi d'une légitimité démocratique directe
conférée par le peuple dans son ensemble. La possibilité de nommer les
candidats devrait ĂȘtre rĂ©servĂ©e aux membres de la Chambre des ReprĂ©sentants. La sĂ©lection parmi ces candidats pourrait intervenir
dans les trois « caucus » distincts de la Chambre des Peuples afin de garantir
le respect des intĂ©rĂȘts des trois peuples constituants. Par ailleurs, la liste
des candidats devrait ĂȘtre entĂ©rinĂ©e par la majoritĂ© de la Chambre des
Représentants afin d'assurer que les trois membres bénéficient d'une légitimité
en tant que représentants du peuple de Bosnie-Herzégovine dans son ensemble.
23. De surcroĂźt, il conviendrait de
clarifier la répartition des responsabilités entre le Président et les
Vice-présidents. La Proposition III actuelle laisse implicitement le soin aux
trois « caucus » de prendre cette importante décision dans la mesure
oĂč une liste dĂ©signant le PrĂ©sident et les Vice-prĂ©sidents doit ĂȘtre soumise Ă
la Chambre des Représentants sans pour autant définir les modalités de ce
choix. Cette solution est à priori la moins indiquée et susceptible d'engendrer
un blocage. Le systÚme de roulement envisagé
dans la Proposition II semble une solution plus réalisable.
24. D'autres
aspects de la Proposition III vont Ă l'encontre de la position de la Commission
de Venise. Dans son Avis susmentionné, la Commission plaidait en faveur de la
suppression de la Chambre des Peuples. Lui confier un rÎle prépondérant dans la
sĂ©lection de la PrĂ©sidence ne peut par consĂ©quent ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une
mesure positive. Le rÎle attribué aux « caucus » rend trÚs improbable
l'Ă©lection de candidats n'appartenant pas Ă un peuple constituant. Cet Ă©tat de
fait n'est toutefois pas lié à cette proposition, il reflÚte la situation
politique. La Proposition III garantit au moins la participation au vote des
représentants des « Autres » à la Chambre des Représentants et gomme le
désavantage subi par les Serbes de la Fédération et les Bosniaques et Croates
de la Republika Srpska. En effet, leurs
représentants au Parlement d'Etat seront désormais en mesure d'élire les
candidats de leur choix.
25. MĂȘme dans le cadre d'une PrĂ©sidence
collégiale, il serait possible d'imaginer de meilleures solutions pour instaurer
des Ă©lections indirectes. A titre d'exemple, au sein de la Chambre des
ReprĂ©sentants, des listes de trois candidats n'appartenant pas au mĂȘme peuple
constituant ou au groupe des « Autres » pourraient ĂȘtre dressĂ©es, le vote
intervenant entre ces listes. Il s'agirait néanmoins d'une proposition distincte et
non d'un amendement apporté à la Proposition III.
26. En
résumé, la Proposition III marque une nette amélioration par rapport à la
situation actuelle. A condition de l'aménager tel que suggéré aux paragraphes
22 et 23, elle serait une solution satisfaisante (mĂȘme si elle n'est pas
idéale) pour la premiÚre phase de la révision constitutionnelle.
Conclusions
27. En
conclusion, la Commission se félicite que les partis politiques de
Bosnie-Herzégovine aient eu le courage de s'attaquer à une réforme complÚte de
la Constitution avant les prochaines Ă©lections d'octobre 2006. Elle reconnaĂźt que, pour l'instant, son adoption
n'aurait qu'un caractÚre provisoire et marquerait une étape vers la réforme
d'ensemble dont le pays a de toute Ă©vidence besoin.
28. S'agissant des trois propositions
soumises Ă la Commission, l'adoption de la premiĂšre constituerait un Ă©chec de
la révision constitutionnelle en matiÚre d'élection et de composition de la
Présidence et est par conséquent à écarter. Par contre, les Propositions II et
III mĂ©ritent, sous rĂ©serve de quelques complĂ©ments et amendements, d'ĂȘtre
considérées au stade actuel comme des étapes importantes, mais en aucun cas
comme des solutions idéales.
29. Entre
la Proposition II et la Proposition III, la Commission â non sans hĂ©sitations -
donnerait sa préférence à la Proposition III, sous réserve des aménagements
suggérés ci-avant. Un suffrage indirect conforme à l'objectif de la réforme
constitutionnelle, qui est de limiter les pouvoirs de la Présidence,
permettrait de garantir plus aisément une composition équilibrée de la
PrĂ©sidence et rĂ©pondrait ainsi mieux Ă la raison d'ĂȘtre de cette institution
inhabituelle. La proposition transfĂšre Ă©galement l'Ă©lection au niveau de
l'Etat, conformément à l'objectif d'ensemble de renforcer l'Etat de
Bosnie-Herzégovine. Néanmoins, il convient de ne pas perdre de vue le but
ultime de la réforme constitutionnelle dans ce domaine : avoir à l'avenir un
Président unique élu d'une maniÚre garantissant qu'il jouit de la confiance
générale de tous les peuples et pas seulement de celui dont il est issu.
L'Avis
sur le projet d'amendements à la Constitution de Bosnie-Herzégovine
(CDL-AD(2006)019 du 12 juin 2006) comportait quant Ă lui les passages
suivants :
« 1. Par
lettre datĂ©e du 21 mars 2006, M. Sulejman Tihić, PrĂ©sident de la
Présidence de la Bosnie-Herzégovine, a demandé à la Commission de Venise
d'émettre un avis sur l'accord concernant les modalités de la premiÚre phase de
la réforme constitutionnelle que les chefs des partis politiques de
Bosnie-Herzégovine ont conclu le 18 mars 2006. La réforme constitutionnelle
devant ĂȘtre adoptĂ©e d'urgence pour ĂȘtre prise en compte lors des Ă©lections
législatives prévues pour octobre 2006, il a dit souhaiter recevoir l'avis de
la Commission de Venise « sous peu ».
Amendement II Ă
l'article IV de la Constitution sur l'Assemblée parlementaire
22. La
finalité principale de l'amendement est de passer d'un bicamérisme à deux
chambres Ă©gales Ă un nouveau systĂšme dans lequel la Chambre des peuples
(ci-aprÚs désignée CdP) n'aurait que des pouvoirs limités, l'accent étant mis
sur le veto en cas de menace pour « l'intĂ©rĂȘt vital » national. La
nouvelle économie de l'article, qui donne systématiquement la priorité à la
Chambre des représentants (ci-aprÚs désignée CdR), traduit cet objectif. La
réforme serait un pas dans la direction recommandée par la Commission de
Venise, consistant à supprimer la CdP et à rationaliser la prise de décisions
au sein des institutions de l'Etat.
(...)
24. Le
paragraphe d) ferait passer le nombre des membres de la CdP de 15 Ă 21. La
raison de cette augmentation est moins Ă©vidente dans le cas de cette Chambre
dans la mesure oĂč ses pouvoirs sont nettement diminuĂ©s. NĂ©anmoins, il s'agit
d'une question qui relÚve entiÚrement du pouvoir d'appréciation des autorités
nationales. Si elles estiment que cette augmentation est nécessaire pour que la
Chambre représente comme il convient l'éventail politique, cette mesure peut se
justifier.
25. Le
fait que la qualité de membre de cette Chambre demeure limitée, en vertu du
paragraphe d), aux personnes appartenant Ă l'un des trois peuples constitutifs
pose davantage de problÚmes. Dans son Avis, la Commission de Venise a noté que
la composition prĂ©cĂ©dente de cette Chambre selon le mĂȘme principe semblait
incompatible avec l'art. 14 de la CEDH considéré en parallÚle avec l'article 3
du Premier Protocole Ă la CEDH.
26. A
la suite de la réforme, toutefois, la CdP ne serait plus une chambre
législative à part entiÚre, mais un organe chargé essentiellement des questions
relatives au veto en cas de menace pour un intĂ©rĂȘt vital national. On peut donc
se demander si l'article 3 du Premier Protocole et, partant, l'article 14
de la CEDH continueraient de s'appliquer. Le problÚme de la compatibilité de
cette disposition avec le Protocole no 12 Ă la CEDH n'en
subsiste pas moins. En l'absence de toute jurisprudence relative Ă ce
Protocole, on ne peut l'interpréter qu'avec prudence (...)
27. En
l'occurrence, on pourrait considérer que le but légitime tient au rÎle
essentiel de cette chambre en tant qu'organe oĂč s'exerce le veto en cas de
menace pour un intĂ©rĂȘt vital national. La Constitution de la BiH rĂ©serve le
droit d'exercice de ce veto aux trois peuples constitutifs sans le conférer aux
autres nationalités. Dans cette optique, la représentation des autres
nationalitĂ©s dans cette Chambre ne semblerait pas ĂȘtre une obligation. Les
autres responsabilités de cette Chambre, à savoir la participation à l'élection
de la PrĂ©sidence et l'approbation des amendements Ă la Constitution â que l'on
peut critiquer â n'ont pas d'effets diffĂ©rents. Elles montrent que la CdP
fonctionne en tant que dispositif correcteur en veillant Ă ce que l'application
du principe démocratique trouvant son expression dans la composition de la CdR
ne remette pas en cause l'Ă©quilibre existant entre les trois peuples
constitutifs. Ătant donnĂ© que le besoin d'un tel dispositif continue de se
faire sentir en BiH, il semble possible de considérer ce besoin comme un but
légitime justifiant un traitement inégal des autres nationalités du point de
vue de la représentation à la CdP.
Amendement III
modifiant l'article V de la Constitution sur la présidence
43. Ces
amendements ont pour principal objectif de renforcer les pouvoirs du Conseil
des Ministres et d'accroßtre son efficacité, et de diminuer le rÎle de la
Présidence, ce qui va tout à fait dans le sens de l'Avis de la Commission de
Venise. Celle-ci aurait préféré, de surcroßt,
avoir un Président unique au lieu d'une Présidence collective, mais cela semble
politiquement impossible en l'Ă©tat actuel des choses. Quoi qu'il en soit,
l'amendement III fait un premier pas dans cette direction.
46. Ă sa derniĂšre session, la Commission de
Venise a adopté un Avis sur trois propositions différentes pour l'élection de
la Présidence (CDL-AD(2006)004). Il est inutile de rouvrir ce débat ici.
Toutefois, l'absence de dispositif permettant de sortir de l'impasse créée en
cas de refus de la CdR de confirmer la proposition de la CdP est un sujet de
préoccupation.
(...) »
23. Dans
sa recommandation no 7, adoptée le 13 décembre 2002, la Commission
européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), qui est l'organe du
Conseil de l'Europe chargé de surveiller de maniÚre indépendante le respect des
droits de l'homme dans le domaine particulier de la lutte contre le racisme, la
discrimination raciale, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance, a
défini le racisme comme « la croyance qu'un motif tel que la race6, la
couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l'origine nationale ou
ethnique justifie le mépris envers une personne ou un groupe de personnes ou
l'idée de supériorité d'une personne ou d'un groupe de personnes ».
E. L'organisation
pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE)
24. Dans un rapport consacré aux
élections législatives tenues en 2006, le Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l'homme de l'OSCE (BIDDH), l'agence phare en Europe pour
l'observation des élections, s'est exprimé comme suit :
« Le 1er octobre ont eu lieu en
Bosnie-HerzĂ©govine les premiĂšres Ă©lections gĂ©nĂ©rales Ă ĂȘtre entiĂšrement
organisées par les autorités de Bosnie-Herzégovine depuis l'Accord de Dayton de
1995. D'une maniÚre générale, ces élections ont été menées en conformité avec
les standards internationaux en matiĂšre de dĂ©mocratie Ă©lective, mĂȘme si des
efforts supplémentaires demeurent requis, notamment pour le dépouillement des
votes. Globalement, les élections ont donc représenté un nouveau progrÚs dans
la consolidation de la démocratie et de l'état de droit. Il est toutefois
regrettable qu'en raison des restrictions liées à l'origine ethnique dont le
droit de se porter candidat Ă©tait assorti les Ă©lections doivent une nouvelle
fois ĂȘtre jugĂ©es non conformes au Protocole no 12 Ă la Convention
européenne des droits de l'homme (CEDH) et aux engagements souscrits par la
Bosnie-Herzégovine envers le Conseil de l'Europe, ainsi qu'à l'article 7.3 du
Document de Copenhague, signé sous les auspices de l'OSCE en 1990. »
F. L'Union
européenne
25. En
2008, la Bosnie-Herzégovine a signé et ratifié un Accord de stabilisation et
d'association (ASA) avec l'Union européenne, s'engageant ainsi à traiter les
priorités d'un partenariat avec l'Europe. L'une des priorités clés pour la
Bosnie-Herzégovine, dont l'échéance était fixée à un à deux ans, était de
« modifier la législation électorale en ce qui concerne les membres de la
présidence de Bosnie-Herzégovine et les députés de la Chambre des peuples, de
maniÚre à se conformer pleinement à la Convention européenne des droits de
l'homme et aux engagements consécutifs à l'adhésion au Conseil de
l'Europe » (voir l'annexe à la décision du Conseil 2008/211/CE du 18
février 2008 relative aux principes, aux priorités et aux conditions figurant
dans le partenariat européen avec la Bosnie-Herzégovine et abrogeant la
décision 2006/55/CE, Journal officiel de l'Union européenne L80/21 (2008)).
Le 14
octobre 2009, la Commission européenne a adopté son document annuel de
stratĂ©gie, expliquant sa politique en matiĂšre d'Ă©largissement. A cette mĂȘme date ont Ă©galement Ă©tĂ© publiĂ©s les
rapports de suivi 2009, dans lesquels les services de la Commission Ă©valuent
les avancées de chaque candidat et candidat potentiel (comme la
Bosnie-Herzégovine) au cours de l'année précédente.
EN DROIT
I. LES GRIEFS principaux dES
REQUĂRANTS
26. Les requérants se plaignent de
l'impossibilité qui leur est faite, et dans laquelle ils voient une
discrimination raciale, de se porter candidats aux Ă©lections Ă la Chambre des peuples
et à la présidence de Bosnie-Herzégovine au motif qu'ils sont respectivement
d'origine rom et d'origine juive. Ils invoquent l'article 14 de la
Convention, l'article 3 du Protocole no 1 et l'article 1 du
Protocole no 12.
L'article
14 de la Convention est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus
dans la (...) Convention doit ĂȘtre assurĂ©e, sans distinction aucune, fondĂ©e
notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les
opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale,
l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute
autre situation. »
L'article
3 du Protocole no 1 Ă la Convention dispose :
« Les Hautes Parties contractantes s'engagent Ă
organiser, Ă des intervalles raisonnables, des Ă©lections libres au scrutin
secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du
peuple sur le choix du corps législatif. »
L'article
1 du Protocole no 12 Ă la Convention Ă©nonce :
« 1. La
jouissance de tout droit prĂ©vu par la loi doit ĂȘtre assurĂ©e, sans
discrimination aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la
langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions,
l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la
fortune, la naissance ou toute autre situation.
2. Nul
ne peut faire l'objet d'une discrimination de la part d'une autorité publique
quelle qu'elle soit fondée notamment sur les motifs mentionnés au paragraphe
1. »
A. Recevabilité
27. L'Etat
défendeur n'a pas soulevé d'objections quant à la compétence ratione
personae de la Cour, mais cette question appelle un examen d'office de la
part de la Cour.
1. Sur
la question de savoir si les requérants peuvent se prétendre
« victimes »
28. La
Cour rappelle que pour pouvoir introduire une requĂȘte en vertu de l'article 34
de la Convention, une personne physique, une organisation non gouvernementale
ou un groupe de particuliers doit pouvoir se prétendre victime d'une violation
des droits reconnus dans la Convention. Pour pouvoir se prétendre victime d'une
violation, un individu doit avoir subi directement les effets de la mesure
litigieuse. Ainsi, la Convention n'envisage pas la possibilité d'engager une actio
popularis aux fins de l'interprétation des droits reconnus dans la
Convention ; elle n'autorise pas non plus les particuliers Ă se plaindre
d'une disposition de droit interne simplement parce qu'il leur semble, sans
qu'ils en aient directement subi les effets, qu'elle enfreint la Convention. Un particulier peut toutefois soutenir qu'une loi
viole ses droits en l'absence d'actes individuels d'exécution s'il est obligé
de changer de comportement sous peine de poursuites ou s'il fait partie d'une
catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la
législation en cause (voir Burden c. Royaume-Uni
[GC], no 13378/05, §§ 33-34, 29 avril 2008, avec les références qui
s'y trouvent citées).
29. En l'espĂšce, eu Ă©gard Ă leur
participation active Ă la vie publique, il serait tout Ă fait naturel que les
requérants envisagent réellement de se présenter aux élections à la Chambre des
peuples ou à la présidence de l'Etat. Ils peuvent dÚs lors se prétendre victimes
de la discrimination qu'ils allÚguent. Le fait que la présente espÚce soulÚve
la question de la compatibilité de la Constitution nationale avec la Convention
est dépourvu de pertinence à cet égard (voir, par analogie, Rekvényi c.
Hongrie [GC], no 25390/94, CEDH 1999-III).
2. Sur
la question de savoir si la Bosnie-Herzégovine peut voir sa responsabilité
engagée
30. La
Cour relÚve que la Constitution de Bosnie-Herzégovine est une annexe à l'Accord
de paix de Dayton, qui est lui-mĂȘme un traitĂ© international (voir Jeličić
c. Bosnie-Herzégovine (déc.), no 41183/02, CEDH 2005-XII). Le pouvoir
de la modifier a toutefois été confié à l'Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine,
qui est clairement un organe interne (paragraphe 15 ci-dessus). De surcroĂźt, il
ressort de la pratique décrite au paragraphe 17 ci-dessus que les pouvoirs de l'administrateur
international de la Bosnie-Herzégovine (le Haut Représentant) ne s'étendent pas
à la Constitution de l'Etat. Dans ces conditions, laissant de cÎté la question
de savoir si l'Etat défendeur peut voir sa responsabilité engagée pour avoir mis
en place les dispositions constitutionnelles incriminées (paragraphe 13
ci-dessus), la Cour considĂšre qu'il peut en tout Ă©tat de cause voir sa
responsabilité engagée pour les avoir maintenues.
3. Conclusion
31. La Cour déclare recevables les
griefs principaux des requérants.
B. Fond
1. ThÚse défendue par les requérants
32. Les requérants se plaignent que,
bien qu'étant citoyens de Bosnie-Herzégovine, ils sont privés par la
Constitution du droit de se présenter aux élections à la Chambre des peuples et
à la présidence de l'Etat à raison de leur origine raciale/ethnique et relÚvent
que la discrimination fondée sur l'origine ethnique a été jugée par la Cour
constituer une forme de discrimination raciale dans l'affaire Timichev c.
Russie, nos 55762/00 et 55974/00, § 56, CEDH 2005-XII. Ils
soutiennent qu'une différence de traitement fondée explicitement sur la race ou
l'origine ethnique ne peut ĂȘtre justifiĂ©e et s'analyse en une discrimination
directe. Ils renvoient sur ce point Ă la jurisprudence de la Cour (notamment
aux arrĂȘts Timichev, prĂ©citĂ©, § 58, et D.H. et autres
c. République tchÚque [GC], no 57325/00, § 176, CEDH
2007-...) et à la législation de l'Union européenne (notamment à la directive
du Conseil 2000/43/CE du 29 juin 2000 â la « directive Race » â
relative Ă la mise en Ćuvre du principe de l'Ă©galitĂ© de traitement entre les
personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, qui, dans son article
2, inclurait explicitement dans sa définition de la discrimination indirecte la
possibilité d'une justification objective du traitement considéré mais ne
prévoirait pas semblable possibilité dans sa définition de la discrimination
directe). Ils estiment par ailleurs que cette impossibilité de justifier pareille
différence de traitement est particuliÚrement importante dans une affaire
concernant le droit de se porter candidat Ă des Ă©lections (ils renvoient sur ce
point Ă l'arrĂȘt Aziz c. Chypre, no 69949/01, § 28, CEDH
2004-V).
33. Les requérants ajoutent qu'à supposer
mĂȘme qu'une justification fĂ»t possible, le gouvernement dĂ©fendeur aurait
beaucoup de mal Ă en Ă©tablir une objective et raisonnable, compte tenu Ă la
fois du fondement du grief (discrimination raciale et ethnique directe) et du
contexte dans lequel elle s'inscrit (participation politique et représentation
au plus haut niveau de l'Etat). De surcroßt, la longueur de la période de
maintien de l'exclusion rendrait plus difficile encore pour le gouvernement
défendeur la tùche de justifier celle-ci (les intéressés se réfÚrent sur ce
point à une décision rendue par le Comité des droits de l'homme des Nations
unies le 8 avril 1981 dans l'affaire Silva et autres c. Uruguay, § 8.4).
Et les requérants de conclure que le gouvernement défendeur est resté en défaut
de justifier la différence de traitement incriminée en l'espÚce.
2. ThĂšse
défendue par le Gouvernement
34. Le Gouvernement renvoie Ă l'affaire Ćœdanoka
c. Lettonie ([GC], no 58278/00, CEDH 2006-IV), dans
laquelle la Cour aurait réaffirmé que les Parties contractantes disposent d'une
latitude considérable pour établir dans leur ordre constitutionnel les rÚgles
régissant les élections parlementaires et la composition du Parlement et que
les critĂšres pertinents peuvent varier en fonction des facteurs historiques et
politiques propres Ă chaque Etat. La structure constitutionnelle actuelle de
la Bosnie-Herzégovine résulterait d'un accord de paix conclu à la suite de l'un
des conflits les plus destructeurs de l'histoire récente de l'Europe. Son but ultime aurait été l'établissement de la paix
et du dialogue entre les trois principaux groupes ethniques concernĂ©s â les
« peuples constituants ». Les dispositions constitutionnelles
incriminées excluant de la Chambre des peuples et de la présidence de l'Etat
les personnes ne déclarant d'appartenance à aucun des « peuples
constituants » devraient ĂȘtre apprĂ©ciĂ©es Ă l'aune de ce contexte. Le temps
ne serait pas encore mûr pour l'introduction d'un systÚme politique qui serait
un simple reflet de la rĂšgle majoritaire, compte tenu notamment de la place
importante occupée par certains partis politiques mono-ethniques et du maintien
de l'administration internationale de la Bosnie-Herzégovine.
35. Le Gouvernement invite la Cour Ă
distinguer la présente espÚce de l'affaire Aziz (précitée) : tandis
que les Chypriotes turcs vivant dans la zone de Chypre contrÎlée par le
gouvernement chypriote Ă©taient empĂȘchĂ©s de voter aux Ă©lections parlementaires,
les citoyens de Bosnie-Herzégovine appartenant au groupe des
« autres » (comme les requérants en l'espÚce) auraient le droit de se
porter candidats aux élections à la Chambre des représentants de
Bosnie-Herzégovine et aux assemblées législatives des entités. La différence
incriminée en l'espÚce serait donc justifiée au regard du contexte particulier
de la Bosnie-Herzégovine.
3. Observations des parties
intervenantes
36. Dans ses observations du 22 octobre
2008, la Commission de Venise défend l'idée que les dispositions
constitutionnelles incriminées en l'espÚce emportent violation de l'interdiction
de discrimination. Les observations en question sont dans le droit fil des avis
cités au paragraphe 22 ci-dessus.
37. Dans leurs observations du 15 août
2008, le Centre AIRE et l'Open Society Justice Initiative formulent des
arguments analogues. Se fondant sur une analyse des systĂšmes juridiques des
Parties contractantes, le Centre AIRE conclut qu'il semble y avoir au niveau
europĂ©en un consensus pour estimer qu'un individu ne doit ĂȘtre privĂ© de son
droit de se porter candidat Ă des Ă©lections que lorsque sa conduite justifie
pareille mesure, et non en raison de caractéristiques innées ou inaliénables. L'Open Society
Justice Initiative souligne quant Ă elle que la participation politique
représente l'un des droits et responsabilités qui maintiennent le lien
juridique entre un citoyen et un Etat. Dans la plupart des ordres juridiques, les droits de voter, d'ĂȘtre Ă©lu
et de se porter candidat aux Ă©lections seraient ce qui distingue le plus
clairement un citoyen d'un Ă©tranger. DĂšs lors, non seulement les restrictions Ă
ces droits, notamment celles fondées sur des motifs aussi suspects que la race
ou l'origine ethnique, seraient discriminatoires, mais elles porteraient en
outre atteinte au sens mĂȘme de la citoyennetĂ©. Au-delĂ de son importance en
tant que droit lié à la citoyenneté, la participation politique serait
particuliÚrement importante pour les minorités ethniques et capitale pour
éviter leur marginalisation et favoriser leur intégration. Ce serait
particuliĂšrement vrai Ă la suite d'un conflit ethnique, oĂč l'Ă©tablissement de
distinctions juridiques fondĂ©es sur l'origine ethnique serait propre Ă
exacerber les tensions plutĂŽt qu'Ă favoriser les relations constructives et
durables entre toutes les ethnies, essentielles à la viabilité d'un Etat multi-ethnique.
4. Appréciation
de la Cour
a) Quant
à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine
38. Les
requérants invoquent l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 3 du
Protocole no 1, l'article 3 du Protocole no 1 pris
isolément et l'article 1 du Protocole no 12. La Cour considÚre que
le grief doit ĂȘtre examinĂ© d'abord sous l'angle de l'article 14 de la
Convention combiné avec l'article 3 du Protocole no 1.
i. Applicabilité
de l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1
39. La
Cour rappelle que l'article 14 complĂšte les autres dispositions normatives de
la Convention et de ses Protocoles. Il n'a pas d'existence indépendante,
puisqu'il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et
libertĂ©s » qu'elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu mĂȘme sans
un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possÚde une portée
autonome, mais il ne saurait trouver Ă s'appliquer si les faits du litige ne
tombent pas sous l'empire de l'une au moins desdites clauses (voir, parmi beaucoup
d'autres précédents, Abdulaziz, Cabales et Balkandali
c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 71, série A no 94, Petrovic
c. Autriche, 27 mars 1998, § 22, Recueil des arrĂȘts et
décisions 1998-II, et Sahin c. Allemagne [GC], no
30943/96, § 85, CEDH 2003-VIII). L'interdiction de la discrimination que
consacre l'article 14 dépasse donc la jouissance des droits et libertés que la
Convention et ses Protocoles imposent Ă chaque Etat de garantir. Elle
s'applique Ă©galement aux droits additionnels, pour autant qu'ils relĂšvent du
champ d'application général de l'un des articles de la Convention, que l'Etat a
volontairement décidé de protéger. Ce principe est profondément ancré dans la
jurisprudence de la Cour (voir l'affaire « relative à certains aspects
du régime linguistique de l'enseignement en Belgique » c. Belgique
(fond, 23 juillet 1968, § 9, série A no 6 ; Stec et autres
c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 40, CEDH
2005-X ; et E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 48, CEDH
2008-...).
40. La
Cour doit donc décider si les élections à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine
relÚvent du « champ d'application » de l'article 3 du Protocole no
1. A cet Ă©gard, la Cour rappelle que la disposition en cause s'applique seulement
à l'élection du « corps législatif », ou du moins à l'une de ses
chambres s'il en compte deux ou plus. Cela Ă©tant,
les mots « corps lĂ©gislatif » doivent ĂȘtre interprĂ©tĂ©s en fonction de
la structure constitutionnelle de l'Etat en cause (voir Matthews c.
Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 40, CEDH 1999-I), et en
particulier de ses traditions constitutionnelles et de l'ampleur des pouvoirs
législatifs de la ou des chambres en question. Il ressort par ailleurs des
travaux préparatoires (volume VIII, pp. 46, 50 et 52) que les Parties
contractantes ont pris en compte la position particuliĂšre de certains
parlements qui comportaient des chambres non Ă©lectives. C'est ainsi que
l'article 3 du Protocole no 1 fut soigneusement rĂ©digĂ© de maniĂšre Ă
Ă©viter des termes susceptibles d'ĂȘtre interprĂ©tĂ©s comme une obligation absolue
d'organiser des Ă©lections pour les deux chambres dans l'ensemble des systĂšmes
bicaméraux (voir Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, §
53, série A no 113). Il est clair, cela dit, que l'article 3 du
Protocole no 1 s'applique Ă chaque chambre directement Ă©lue d'un
Parlement.
41. En
ce qui concerne la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine, la Cour relÚve
que sa composition est le fruit d'élections indirectes, ses membres étant désignés
par les parlements des entités. Elle observe de surcroßt que l'ampleur des
pouvoirs législatifs dont jouit l'organe en question constitue en l'espÚce un
facteur décisif. La Chambre des peuples possÚde en effet de larges pouvoirs lui
permettant de contrÎler l'adoption des lois : l'article IV § 3 c) de la
Constitution prévoit explicitement que toute législation nécessite
l'approbation des deux chambres. Par ailleurs, la
Chambre des peuples, conjointement avec la Chambre des représentants, décide
des sources et des montants des recettes nécessaires pour le fonctionnement des
institutions de l'Etat et pour l'exécution de ses obligations internationales,
et elle approuve le budget des institutions de l'Etat (article IV § 4 b)-c) de
la Constitution). Enfin, son consentement est nécessaire à la ratification de
tout traité (article IV § 4 d) et V § 3 d) de la Constitution). Dans ces
conditions, les Ă©lections Ă la Chambre des peuples entrent dans le champ
d'application de l'article 3 du Protocole no 1.
Par
conséquent, l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 3 du Protocole
no 1 est applicable.
ii. Observation
de l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1
42. La Cour rappelle que la
discrimination consiste à traiter de maniÚre différente sans justification
objective et raisonnable des personnes placées dans des situations comparables.
Un traitement différencié est dépourvu de « justification objective et
raisonnable » lorsqu'il ne poursuit pas un « but légitime » ou qu'il
n'existe pas un « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens
employés et le but visé » (voir, parmi beaucoup d'autres précédents,
l'arrĂȘt Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 81, 18
février 2009). L'étendue de la marge d'appréciation dont les Parties contractantes
jouissent Ă cet Ă©gard varie selon les circonstances, les domaines et le
contexte (ibidem, § 82).
43. L'origine ethnique et la race sont
des concepts apparentés. Tandis que la notion de race prend racine dans l'idée
d'une classification biologique des ĂȘtres humains en sous-espĂšces sur la base
de caractéristiques morphologiques, telles que la couleur de la peau ou les
traits faciaux, l'origine ethnique procÚde de l'idée que les groupes sociétaux
sont marqués notamment par une communauté de nationalité, de foi religieuse, de
langue, d'origine culturelle et traditionnelle et de milieu de vie. La discrimination
fondée sur l'origine ethnique d'une personne constitue une forme de
discrimination raciale (voir la définition, citée au paragraphe 19 ci-dessus,
adoptée par la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes
de discrimination raciale, et celle, citée au paragraphe 23 ci-dessus, adoptée
par la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance). La
discrimination raciale constitue une forme de discrimination particuliĂšrement
odieuse qui, compte tenu de la dangerosité de ses conséquences, exige une
vigilance spéciale et une réaction vigoureuse de la part des autorités.
Celles-ci doivent recourir Ă tous les moyens dont elles disposent pour
combattre le racisme, renforçant ainsi la conception démocratique de la
société, dans laquelle la diversité est perçue non pas comme une menace,
mais comme une richesse (voir Natchova et autres c. Bulgarie [GC],
nos 43577/98 et 43579/98, § 145, CEDH 2005-VII, et Timichev,
précité, § 56).
44. Dans ce contexte, lorsqu'une
différence de traitement est fondée sur la race, la couleur ou l'origine
ethnique, la notion de justification objective et raisonnable doit ĂȘtre
interprétée de maniÚre aussi stricte que possible (D.H. et autres, précité,
§ 196). La Cour a par ailleurs considéré que dans une société démocratique
contemporaine basée sur les principes de pluralisme et de respect pour les
différentes cultures, aucune différence de traitement fondée exclusivement ou
dans une mesure dĂ©terminante sur l'origine ethnique d'une personne ne peut ĂȘtre
objectivement justifiée (ibidem, § 176). Cela étant, l'article 14 de la
Convention n'interdit pas aux Parties contractantes de traiter des groupes de
maniÚre différenciée pour corriger des « inégalités factuelles »
entre eux ; de fait, dans certaines circonstances, c'est l'absence d'un
traitement différencié pour corriger une inégalité qui peut, en l'absence d'une
justification objective et raisonnable, emporter violation de la disposition en
cause (affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de
l'enseignement en Belgique », précitée, § 10 ; Thlimmenos
c. GrÚce [GC], no 34369/97, § 44, CEDH 2000-IV ; et D.H.
et autres, précité, § 175).
45. Se tournant vers la présente
espĂšce, la Cour observe que pour pouvoir se porter candidat aux Ă©lections Ă la
Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine il faut dĂ©clarer une appartenance Ă
l'un des « peuples constituants ». Les requérants, qui se disent respectivement
d'origine rom et d'origine juive et qui ne déclarent d'appartenance à aucun
« peuple constituant », n'ont donc pas cette possibilité (paragraphe
11 ci-dessus). La Cour note que cette rĂšgle
d'exclusion poursuivait au moins un but globalement compatible avec les
objectifs généraux de la Convention tels qu'ils se trouvent reflétés dans son
Préambule, à savoir le rétablissement de la paix. Lorsque les dispositions
constitutionnelles litigieuses furent mises en place, un cessez-le-feu trĂšs
fragile régnait sur le terrain. Les dispositions en cause visaient à faire
cesser un conflit brutal marqué par des faits de génocide et d'« épuration
ethnique ». La nature du conflit était telle que l'approbation des
« peuples constituants » (à savoir les Bosniaques, les Croates et les
Serbes) était nécessaire pour assurer la paix. Cela peut expliquer, sans
forcément la justifier, l'absence de représentants des autres communautés
(notamment les communautés rom et juive locales) aux négociations de paix et le
souci des négociateurs de veiller à une égalité effective entre les
« peuples constituants » dans la société post-conflictuelle.
46. Il
n'en reste pas moins que la Cour n'est compétente ratione temporis que
pour examiner la période postérieure à la ratification par la Bosnie-Herzégovine
de la Convention et du Protocole no 1. La Cour estime Ă cet Ă©gard
qu'il ne lui est pas nécessaire de décider si l'on peut considérer que le
maintien des dispositions constitutionnelles litigieuses aprĂšs la ratification
de la Convention poursuivait un « but légitime », dÚs lors qu'en tout
état de cause, pour les raisons énoncées ci-dessous, la conservation du systÚme
ne satisfait pas à l'exigence de proportionnalité.
47. La Cour observe d'abord que des
développements positifs importants sont intervenus en Bosnie-Herzégovine depuis
l'Accord de paix de Dayton. Certes, les progrĂšs accomplis peuvent n'avoir pas
toujours avoir été cohérents et il reste des défis à relever (voir, par
exemple, le dernier rapport de suivi concernant la Bosnie-Herzégovine en tant
que candidate potentielle à l'adhésion à l'Union européenne établi par la
Commission européenne et publié le 14 octobre 2009, SEC/2009/1338). Il n'en
reste pas moins qu'en 2005 les parties naguÚre en conflit ont abandonné leur
contrÎle sur les forces armées, transformant celles-ci en une petite force
professionnelle, qu'en 2006 la Bosnie-Herzégovine a rejoint le partenariat pour
la paix de l'OTAN, qu'en 2008 elle a signé et ratifié un accord de
stabilisation et d'association avec l'Union européenne, qu'en mars 2009 elle a
mené à bien le premier amendement à la Constitution de l'Etat et qu'elle a
récemment été élue membre du Conseil de sécurité des Nations unies pour un
mandat de deux ans qui débutera le 1er janvier 2010. De surcroßt, si
le maintien d'une administration internationale comme mesure d'exécution au
titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies implique que la situation
dans la région représente toujours une « menace pour la paix et la
sĂ©curitĂ© internationales », il semble que l'on se prĂ©pare Ă mettre fin Ă
cette administration (voir le rapport suivant, Ă©tabli par M. Javier Solana,
Haut Représentant de l'Union européenne pour la Communauté et la politique
étrangÚre et de sécurité commune, et M. Olli Rehn, Commissaire européen chargé
de l'Ă©largissement, le 10 novembre 2008 : EU's Policy in Bosnia and
Herzegovina : The Way Ahead, et le rapport suivant, Ă©tabli par l'International
Crisis Group le 9 mars 2009 : Bosnia's Incomplete Transition :
Between Dayton and Europe).
48. De surcroĂźt, si la Cour souscrit Ă
la thÚse du Gouvernement consistant à dire qu'il ne se dégage pas de la
Convention une exigence en vertu de laquelle il y aurait lieu d'abandonner
totalement les mécanismes de partage du pouvoir propres à la Bosnie-Herzégovine
et que le temps n'est peut-ĂȘtre pas encore mĂ»r pour un systĂšme politique qui
serait un simple reflet de la rĂšgle majoritaire, les avis de la Commission de
Venise (paragraphe 22 ci-dessus) montrent clairement que des mécanismes de
partage du pouvoir sont envisageables qui ne conduisent pas automatiquement Ă
l'exclusion totale des reprĂ©sentants des autres communautĂ©s. La Cour rappelle Ă
cet égard que la possibilité de trouver d'autres voies permettant d'atteindre
le mĂȘme objectif constitue un facteur important en la matiĂšre (voir Glor
c. Suisse, no 13444/04, § 94, 30 avril 2009).
49. Enfin, en devenant membre du
Conseil de l'Europe en 2002 et en ratifiant la Convention et ses Protocoles
sans réserves, l'Etat défendeur a librement accepté de respecter les standards
pertinents. Il s'est engagé notamment à « revoir la loi électorale dans un délai
de un an, avec l'aide de la Commission pour la démocratie par le droit
(Commission de Venise) et Ă la lumiĂšre des principes du Conseil de l'Europe,
aux fins d'amendement, le cas échéant » (paragraphe 21 ci-dessus). De
mĂȘme, en ratifiant un accord de stabilisation et d'association avec l'Union
européenne en 2008, l'Etat défendeur s'est engagé à modifier la législation
électorale en ce qui concerne les membres de la présidence de
Bosnie-Herzégovine et les députés de la Chambre des peuples, de maniÚre à se
conformer pleinement à la Convention européenne des droits de l'homme et aux
engagements consécutifs à l'adhésion au Conseil de l'Europe » dans un délai
de un Ă deux ans (paragraphe 25 ci-dessus).
50. Aussi
la Cour conclut-elle que le maintien de l'impossibilité faite aux requérants de
se porter candidats aux élections à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine
ne repose pas sur une justification objective et raisonnable et est donc
contraire à l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1.
iii. Les
griefs fondés sur l'article 3 du Protocole no 1 pris isolément et
sur l'article 1 du Protocole no 12
51. Eu
égard à la conclusion formulée par elle au paragraphe précédent, la Cour
considÚre qu'il ne s'impose pas d'examiner séparément le point de savoir s'il y
a eu Ă©galement violation de l'article 3 du Protocole no 1 pris
isolément ou de l'article 1 du Protocole no 12 relativement à la
Chambre des peuples.
b) Quant
à la présidence de Bosnie-Herzégovine
52. Les
requérants invoquent ici seulement l'article 1 du Protocole no 12.
i. Applicabilité
de l'article 1 du Protocole no 12
53. La
Cour note que si l'article 14 de la Convention prohibe la discrimination dans
l'assurance de la jouissance des « droits et libertés reconnus dans la
(...) Convention », l'article 1 du Protocole no 12 étend le
champ de la protection à « tout droit prévu par la loi ». Il
introduit donc une interdiction générale de la discrimination.
54. Les
requérants contestent les dispositions constitutionnelles en vertu desquelles
ils ne peuvent se porter candidats aux élections à la présidence de
Bosnie-Herzégovine. Par conséquent, que ces élections relÚvent ou non du champ
d'application de l'article 3 du Protocole no 1 (voir BoĆĄkoski
c. « l'ex-République yougoslave de Macédoine » (déc.), no
11676/04, CEDH 2004-VI), ce grief concerne un « droit prévu par la
loi » (voir les articles 1.4 et 4.19 de la loi électorale de 2001,
reproduits au paragraphe 18 ci-dessus), ce qui rend l'article 1 du Protocole no
12 applicable. Cela n'a du reste pas été contesté devant la Cour.
ii. Observation
de l'article 1 du Protocole no 12
55. La
notion de discrimination fait l'objet d'une interprétation constante dans la
jurisprudence de la Cour concernant l'article 14 de la Convention. Il ressort en particulier de cette jurisprudence que
par « discrimination » il y a lieu d'entendre un traitement
différencié, sans justification objective et raisonnable, de personnes placées
dans des situations analogues (voir les paragraphes 41-43 ci-dessus et les
précédents qui s'y trouvent cités). Les auteurs du Protocole no 12
ont utilisĂ© le mĂȘme terme de discrimination dans l'article 1 de cet instrument.
Nonobstant la différence de portée qu'il y a entre les deux dispositions, le
sens du mot inscrit Ă l'article 1 du Protocole no 12 est censĂ© ĂȘtre
identique Ă celui du terme figurant Ă l'article 14 (voir le rapport explicatif
du Protocole no 12, § 18). Aussi la Cour n'aperçoit-elle aucune
raison de s'Ă©carter, dans le contexte de l'article 1 du Protocole no
12, de l'interprétation bien établie de la notion de
« discrimination » mentionnée ci-dessus (en ce qui concerne la
jurisprudence du ComitĂ© des droits de l'homme des Nations unies relative Ă
l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
disposition comparable â quoique non identique â Ă l'article 1 du Protocole no
12 Ă la Convention, voir Nowak, CCPR Commentary, Editions N.P. Engel,
2005, pp. 597-634).
56. La
non-déclaration par les requérants en l'espÚce d'une appartenance à l'un des
« peuples constituants » les rend Ă©galement juridiquement inaptes Ă
se présenter aux élections à la présidence. Une condition constitutionnelle
prĂ©alable du mĂȘme type a dĂ©jĂ Ă©tĂ© jugĂ©e s'analyser en une diffĂ©rence de
traitement discriminatoire contraire Ă l'article 14 relativement Ă la Chambre
des peuples (paragraphe 49 ci-dessus), et, par ailleurs, la notion de
discrimination doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de la mĂȘme maniĂšre dans le cadre de
l'article 14 et dans celui de l'article 1 du Protocole no 12 (voir
le paragraphe précédent). Il s'ensuit que les dispositions constitutionnelles
en vertu desquelles les requérants ne peuvent se porter candidats aux élections
Ă la prĂ©sidence doivent elles aussi ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme discriminatoires et
comme emportant violation de l'article 1 du Protocole no 12, la Cour
estimant qu'Ă cet Ă©gard aucune distinction pertinente ne peut ĂȘtre Ă©tablie
entre la Chambre des peuples et la présidence de Bosnie-Herzégovine.
En
conséquence, et pour les motifs exposés de maniÚre détaillée dans le contexte
de l'article 14 aux paragraphes 46-48 ci-dessus, la Cour estime que la
condition préalable litigieuse à la candidature aux élections présidentielles
s'analyse en une violation de l'article 1 du Protocole no 12.
II. LES AUTRES GRIEFS DES REQUĂRANTS
A. Article
3 de la Convention
57. Le
premier requérant soutient que l'impossibilité qui lui est faite de se porter
candidat aux élections à la Chambre des peuples et à la présidence de Bosnie-Herzégovine
au motif qu'il est d'origine rom le rabaisse en réalité, lui et les autres
membres de la communauté rom locale, comme du reste les membres des autres
minorités nationales de Bosnie-Herzégovine, au statut de citoyen de deuxiÚme
classe. Il y voit un affront particulier à sa dignité humaine et une violation
de l'article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă la torture ni Ă des
peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
58. Il a été considéré dans des
affaires antérieures que la discrimination raciale peut dans certaines
circonstances s'analyser en un traitement dégradant au sens de l'article 3 de
la Convention (voir Asiatiques d'Afrique orientale c. Royaume-Uni, nos 4403/70
et autres, rapport de la Commission du 14 décembre 1973, § 208,
DĂ©cisions et rapports 78, et Chypre c. Turquie [GC], no
25781/94, § 310, CEDH 2001-IV). En l'espÚce, toutefois, la Cour observe que la
différence de traitement incriminée ne révÚle aucun mépris ou manque de respect
pour la personnalité des requérants et qu'elle n'avait pas pour but et n'a du
reste pas eu pour conséquence d'humilier ou d'avilir les intéressés, mais
visait uniquement à atteindre l'objectif mentionné au paragraphe 44 ci-dessus.
Ce grief est dÚs lors manifestement mal fondé, au
sens de l'article 35 § 3 de la Convention, et il doit donc ĂȘtre rejetĂ©, en
application de l'article 35 § 4.
B. Article
13 de la Convention
59. Se plaçant sur le terrain de l'article 13 de la
Convention, les requérants se plaignent par ailleurs de ne pas disposer en
droit interne d'un recours effectif pour faire valoir leurs griefs de
discrimination. L'article 13 est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés
reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un
recours effectif devant une instance nationale, alors mĂȘme que la violation
aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs
fonctions officielles. »
60. La
Cour rappelle que l'article 13 de la Convention ne va pas jusqu'Ă exiger un
recours par lequel on puisse dénoncer devant une autorité nationale les lois
d'un Etat comme contraires en tant que telles Ă la Convention (voir A. et
autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 135, 19 février
2009). DÚs lors que la présente espÚce concerne le contenu de dispositions
constitutionnelles et non une mesure individuelle d'application, ce grief est
manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention, et il
doit donc ĂȘtre rejetĂ©, en application de l'article 35 § 4.
III. SUR
L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
61. L'article
41 de la Convention est ainsi libellé :
« Si la Cour
déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer
qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la
partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
62. Les requérants ne demandent rien
pour dommage matériel. Ils allÚguent en revanche avoir subi un dommage moral
pour lequel le premier requérant réclame 20 000 euros (EUR) et le second
requérant 12 000 EUR. Le Gouvernement considÚre que ces prétentions sont
injustifiées.
63. La Cour estime que le constat d'une
violation représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout
dommage moral pouvant avoir été subi par les requérants.
B. Frais
et dépens
64. Le
premier requérant, qui a été représenté pro bono, ne sollicite que
1 000 EUR pour la comparution de son avocat Ă l'audience devant la Cour le
3 juin 2009. Le second requérant demande 33 321 EUR pour l'intégralité de
sa cause. Ce chiffre comprend 270 heures de travail de ses deux avocats et d'un
autre membre de l'Ă©quipe juridique, Mme Cynthia Morel, du Minority
Rights Group International, au taux horaire de 82,45 EUR, pour la rédaction
de la requĂȘte, des observations et de la demande de satisfaction Ă©quitable
devant la chambre et la Grande Chambre, divers dĂ©bours relatifs, notamment, Ă
un rapport d'expert obtenu de M. Zoran Pajić, de la sociĂ©tĂ© Expert
Consultancy International Ltd, et à des réunions entre l'équipe juridique
et le requérant à New-York et à Sarajevo, ainsi que les frais relatifs à la
comparution à l'audience devant la Grande Chambre. Le requérant explique que le
recours à un troisiÚme juriste, Mme Cynthia Morel, a été rendu
nécessaire par l'ampleur et la complexité des questions à traiter.
65. Le Gouvernement soutient quant Ă
lui que les frais dont le remboursement est réclamé ont été exposés sans
nécessité et estime qu'ils sont en tout état de cause excessifs. Il conteste en
particulier qu'il fût nécessaire pour le second requérant d'avoir recours à des
avocats Ă©tablis Ă l'Ă©tranger, dont les honoraires seraient incomparablement
plus élevés que ceux des avocats locaux et dont la désignation aurait eu pour
conséquence de faire grossir les frais de déplacement et de communication.
66. La Cour ne partage pas l'avis du
Gouvernement selon lequel les requérants doivent choisir pour leur
reprĂ©sentation devant la Cour des avocats Ă©tablis localement, quand bien mĂȘme
ceux-ci seraient Ă mĂȘme d'offrir (comme en l'espĂšce) des services aussi bons
que ceux que peuvent fournir des avocats établis à l'étranger. En conséquence,
la disparité entre les montants réclamés en l'espÚce ne constitue pas en soi un
élément suffisant pour faire conclure au caractÚre non nécessaire et
déraisonnable des plus élevés d'entre eux. Cela dit, la Cour juge excessif le
montant sollicité par le second requérant et alloue à l'intéressé 20 000
EUR de ce chef. Elle considÚre en revanche que la somme réclamée par le
premier requĂ©rant doit lui ĂȘtre allouĂ©e en entier.
C. IntĂ©rĂȘts
moratoires
67. La
Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux
d'intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne
majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. DĂ©cide, Ă
l'unanimitĂ©, de joindre les requĂȘtes ;
2. DĂ©clare
recevables, à la majorité, les griefs principaux relatifs à l'impossibilité
faite aux requérants de se porter candidats aux élections à la Chambre des
peuples de Bosnie-Herzégovine ;
3. DĂ©clare
recevables, à l'unanimité, les griefs principaux relatifs à l'impossibilité
faite aux requérants de se porter candidats aux élections à la présidence de Bosnie-Herzégovine ;
4. DĂ©clare,
Ă l'unanimitĂ©, les requĂȘtes irrecevables pour le surplus ;
5. Dit, par quatorze voix contre trois,
qu'il y a eu violation de l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no
1 relativement à l'impossibilité faite aux requérants de se porter candidats
aux élections à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine ;
6. Dit, à l'unanimité, qu'il ne s'impose
pas d'examiner le mĂȘme grief sous l'angle de l'article 3 du Protocole no 1
considéré isolément ou de l'article 1 du Protocole no 12 ;
7. Dit, par seize voix contre une, qu'il
y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 12 relativement Ă
l'impossibilité faite aux requérants de se porter candidats aux élections à la
présidence de Bosnie-Herzégovine ;
8. Dit, à l'unanimité, que le constat
d'une violation représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour
tout dommage moral pouvant avoir été subi par les requérants ;
9. Dit
a) par seize voix contre une, que l'Etat
défendeur doit verser au premier requérant, dans les trois mois, 1 000 EUR
(mille euros) pour frais et dépens, somme à convertir en marks convertibles au
taux applicable Ă la date du rĂšglement et Ă majorer de tout montant pouvant
ĂȘtre dĂ» par l'intĂ©ressĂ© Ă titre d'impĂŽt ;
b) par quinze voix contre deux, que l'Etat
défendeur doit verser au second requérant, dans les trois mois, 20 000 EUR
(vingt mille euros) pour frais et dépens, somme à convertir en marks
convertibles au taux applicable Ă la date du rĂšglement et Ă majorer de tout
montant pouvant ĂȘtre dĂ» par l'intĂ©ressĂ© Ă titre d'impĂŽt ;
c) à l'unanimité, qu'à compter de l'expiration
dudit dĂ©lai de trois mois et jusqu'au rĂšglement, les montants prĂ©citĂ©s seront Ă
majorer d'un intĂ©rĂȘt simple Ă un taux Ă©gal Ă celui de la facilitĂ© de prĂȘt
marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
10. Rejette,
à l'unanimité, pour le surplus la demande de satisfaction équitable du second
requérant.
Fait en français et en
anglais, puis prononcĂ© en audience publique au Palais des droits de l'homme, Ă
Strasbourg, le 22 décembre 2009.
Vincent Berger Jean-Paul Costa
Jurisconsulte Président
Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve
joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du
rÚglement, l'exposé des opinions séparées suivantes :
â opinion
partiellement concordante et partiellement dissidente de la juge Mijović,
Ă laquelle se rallie le juge Hajiyev ;
â opinion
dissidente du juge Bonello.
J.-P. C.
V. B.
OPINION PARTIELLEMENT CONCORDANTE ET PARTIELLEMENT
DISSIDENTE DE LA JUGE MIJOVIĆ,
Ă LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE HAJIYEV
(Traduction)
I. REMARQUES
GĂNĂRALES
Dans
son arrĂȘt, la Grande Chambre a conclu Ă la violation de l'article 14 combinĂ©
avec l'article 3 du Protocole no 1 relativement aux
dispositions constitutionnelles de la Bosnie-Herzégovine concernant la Chambre
des peuples et de l'article 1 du Protocole no 12 relativement
aux dispositions constitutionnelles concernant la présidence de l'Etat.
Nonobstant
quelques objections quant au raisonnement suivi par la Grande Chambre sur le
second point, je n'ai pas éprouvé de difficultés à partager l'avis de la majorité
selon lequel les dispositions constitutionnelles relatives Ă la structure de la
présidence de l'Etat s'analysent en une violation de l'interdiction de
discrimination. En revanche, et je le regrette, mon opinion sur le premier
point diffÚre sensiblement de la conclusion de la majorité.
Comme
il s'agissait de la toute premiÚre affaire concernant l'interdiction générale
de la discrimination consacrée par l'article 1 du Protocole no 12
et que s'y trouvait critiquĂ©e l'essence mĂȘme de la structure Ă©tatique de la
Bosnie-Herzégovine, les attentes du public étaient considérables. Le fait que
cette affaire allait ĂȘtre la toute premiĂšre de cette nature dans la
jurisprudence de la Cour et qu'elle était propre à engendrer de sérieux
bouleversements et réaménagements constitutionnels dans l'un des Etats membres
du Conseil de l'Europe a encore augmentĂ© l'intĂ©rĂȘt qui y Ă©tait portĂ©.
L'importance
de l'affaire s'est également trouvée accrue du fait des particularités qui ont
marqué non seulement la création de la Bosnie-Herzégovine, mais aussi son
adhésion au Conseil de l'Europe. On peut dire que
la présente espÚce a fait apparaßtre au grand jour tous les points faibles de
la structure étatique de la Bosnie-Herzégovine qui étaient visibles mais ont
été ignorés au moment de son adhésion au Conseil de l'Europe.
Mes remarques générales ont trait premiÚrement au
fait que la Grande Chambre, comme l'a souligné à juste titre le juge Bonello
dans son opinion dissidente, est restée en défaut d'analyser le contexte
historique et les circonstances de l'imposition de la Constitution de la
Bosnie-Herzégovine. Il me semble que la Cour a ainsi abandonné sa jurisprudence
antĂ©rieure, oĂč elle examinait l'ensemble des facteurs pertinents avant de
livrer son opinion définitive. Or j'estime que les circonstances susvisées
Ă©taient trĂšs importantes en l'espĂšce, car c'est elles qui conduisirent Ă la
structure étatique actuelle de la Bosnie-Herzégovine.
II. LE CONTEXTE FACTUEL
La premiÚre question que je me suis posée
concernant cette affaire, c'est celle de savoir si la Bosnie-Herzégovine
s'était parfaitement rendu compte à l'époque des conséquences possibles de la
ratification par elle de tous les protocoles de la Convention.
En
effet, la Bosnie-Herzégovine est l'un des dix-sept Etats membres du Conseil de
l'Europe qui ont ratifié le Protocole no 12, trente autres
Etats ayant décidé de ne pas ratifier ce protocole, ce qui témoigne de
différences d'approche relativement au Protocole no 12 et aux
questions dont il traite.
Les
deux requĂȘtes de la prĂ©sente espĂšce concernent le cĆur mĂȘme de la structure
post-conflictuelle de l'Etat mise en place par la Constitution de 1995, qui,
d'un point de vue technique, faisait partie, ou plus exactement constituait une
annexe, d'un accord de paix international : l'Accord de paix de Dayton. Lorsque les maßtres de la guerre décidÚrent de devenir
les maßtres de la paix, à l'issue de négociations longues et difficiles entre
les représentants politiques des Bosniaques, des Croates et des Serbes, sous la
supervision de la communauté internationale, ils créÚrent un Etat dont
l'architecture est, sur le plan international et du point de vue du droit
constitutionnel, sans précédent et sans équivalent.
L'Accord de paix de Dayton a institué une
Bosnie-Herzégovine composée de deux entités, le préambule à la Constitution
énonçant que seuls les Bosniaques, les Serbes et les Croates sont des peuples
constituants. Les autres groupes ethniques, qui n'avaient pas pris parti dans
le conflit, furent simplement laissés de cÎté. Comme il s'agissait d'une
question extrĂȘmement sensible, l'examen de leur statut juridique fut reportĂ© Ă
des temps plus calmes et politiquement moins sensibles.
Conformément au dispositif constitutionnel mis en
place par l'Accord de paix de Dayton, les personnes appartenant à des minorités
(ethniques) nationales ne peuvent se porter candidates à la présidence de
l'Etat et Ă la Chambre des peuples du Parlement national, quoique ces deux
institutions de l'Etat ne soient pas les seules oĂč l'Ă©quilibre des pouvoirs
entre les trois peuples constituants ait été défini par ledit accord (on peut
citer l'exemple de la structure de la Cour constitutionnelle, qui se compose de
deux Bosniaques, de deux Croates, de deux Serbes et de trois juges Ă©trangers).
En l'espÚce, la répartition des postes entre les
peuples constituants dans les organes de l'Etat était un élément capital de
l'Accord de paix de Dayton, et il a permis le rétablissement de la paix en
Bosnie-Herzégovine. Dans un tel contexte, il me paraßt trÚs difficile de dénier
toute lĂ©gitimitĂ© Ă des normes qui peuvent ĂȘtre problĂ©matiques du point de vue
de la non-discrimination, mais qui étaient nécessaires pour parvenir à la paix
et à la stabilité et pour éviter de nouvelles pertes en vies humaines.
C'est lĂ l'aspect principal de la nature sensible
des requĂȘtes de l'espĂšce, car les changements dans la composition
d'institutions politiques spécifiques tels ceux demandés par les requérants
nécessiteraient en réalité que soit modifié l'équilibre des pouvoirs actuel, ce
qui pourrait raviver les graves tensions qui existent toujours en
Bosnie-Herzégovine.
Consciente de la nécessité d'une réforme
constitutionnelle, la communauté internationale exhorta en 2006 les principaux
leaders politiques de Bosnie-Herzégovine à entamer des négociations en vue de
l'adoption d'un systÚme électoral qui garantirait l'égalité dans la jouissance
des droits politiques à tous les citoyens indépendamment de leur appartenance
ethnique, mais ce fut un Ă©chec total. Les discussions ont aujourd'hui repris,
ce qui signifie en réalité que lorsqu'on traite d'affaires de ce genre on
aborde une question ultrasensible, qui a déjà mobilisé une attention énorme du
public.
Les requérants en l'espÚce sont un Rom et un Juif.
Ils se plaignaient de ce que, du simple fait de leur origine ethnique et bien
qu'ils pussent s'appuyer sur une expérience comparable à celle des titulaires
des plus hautes fonctions Ă©lectives, ils se trouvaient empĂȘchĂ©s par la
Constitution de Bosnie-Herzégovine et par la loi électorale de 2001 de se
porter candidats à la présidence et à la Chambre des peuples de l'Assemblée
parlementaire, en quoi ils voyaient une discrimination contraire Ă la
Convention.
III. LA
STRUCTURE ĂTATIQUE DE LA BOSNIE-HERZĂGOVINE
Comme je l'ai dit plus haut, la Constitution de
Bosnie-Herzégovine est le fruit de négociations longues et difficiles entre les
représentants des Bosniaques, des Croates et des Serbes, sous la supervision de
la communauté internationale. Son dispositif complexe de partage du pouvoir
concerne essentiellement les Bosniaques, les Croates et les Serbes, qui Ă©taient
directement parties Ă la guerre de 1992-1995, ce qui explique que les
principales institutions politiques aient été conçues pour ménager un équilibre
des pouvoirs entre trois peuples constituants. Les autres groupes ethniques
n'ont pas été pris en considération à l'époque, parce qu'ils n'avaient pas pris
parti dans le conflit. AprĂšs la guerre, ces groupes minoritaires devinrent
parties à l'ensemble des dispositifs de partage du pouvoir au niveau des entités.
La mĂȘme chose n'a toutefois toujours pas pu se faire au niveau de l'Etat, et
c'est la raison pour laquelle les requĂ©rants ont introduit leurs requĂȘtes
devant la Cour.
Les dispositifs de partage du pouvoir au niveau de
l'Etat, notamment ceux concernant la structure de la Chambre des peuples et de
la présidence de l'Etat, prévoient que seuls ceux qui déclarent une
appartenance Ă l'un des trois groupes ethniques principaux peuvent postuler Ă
ces deux organes de l'Etat. Il me faut préciser que l'appartenance ethnique dans
le contexte de la Bosnie-HerzĂ©govine ne doit pas ĂȘtre prise comme une catĂ©gorie
juridique, dans la mesure oĂč elle dĂ©pend exclusivement d'une autoclassification
qui, stricto sensu, s'analyse en un critĂšre subjectif. Cela signifie en
réalité que chacun a le droit de déclarer ou de ne pas déclarer une affiliation
Ă un groupe ethnique. Personne n'a l'obligation de le faire. Il n'y a ni
obligation juridique de déclarer une appartenance ethnique ni paramÚtres
objectifs permettant d'Ă©tablir pareille appartenance pour un individu.
Ce
n'est que lorsqu'un particulier souhaite entrer dans le jeu politique que la
question de l'appartenance ethnique revĂȘt de l'importance. La dĂ©claration d'une
appartenance ethnique relÚve donc non pas d'une catégorie objective et
juridique, mais bien d'une catégorie subjective et politique.
IV. Le constat d'une VIOLATION DE L'ARTICLE
1 DU PROTOCOLE No 12
Tout
en étant en désaccord avec certains aspects du raisonnement développé par la
Grande Chambre pour motiver son constat de violation de l'article 1 du
Protocole no 12, je n'ai éprouvé aucune difficulté à partager
l'avis de la majorité selon lequel le dispositif constitutionnel de la
Bosnie-Herzégovine concernant la structure de la présidence de l'Etat emporte
violation de l'interdiction générale de la discrimination.
Ma
divergence de vue concernant cette partie de l'arrĂȘt vient du fait que je
m'attendais Ă ce que la Cour utilise cette affaire, qui Ă©tait la toute premiĂšre
de cette nature, pour fixer des principes, des standards ou des critĂšres de
dĂ©part spĂ©cifiques, qui auraient pu ĂȘtre appliquĂ©s aux futures affaires portant
sur des faits de discrimination en général. Il apparaßt que ces attentes étaient
irréalistes, la Cour ayant simplement rappelé à cet égard le raisonnement et la
motivation livrés par elle pour le grief qui se rapportait aux dispositions
constitutionnelles relatives Ă la Chambre des peuples, qui avait donnĂ© lieu Ă
un constat de violation de l'article 14.
De
surcroßt, la Cour a traité ce grief comme s'il était moins important, donnant
l'impression que l'article 1 du Protocole no 12 était appliqué
uniquement parce qu'il n'Ă©tait pas possible d'appliquer l'article 3 du
Protocole no 1. La motivation propre au constat relatif au
grief tiré de l'article 1 du Protocole no 12 tient en seulement
deux paragraphes, oĂč la Cour arrive Ă la conclusion qu'« aucune
distinction pertinente ne peut ĂȘtre Ă©tablie entre la Chambre des peuples et la
présidence de Bosnie-Herzégovine » concernant le dispositif
constitutionnel discriminatoire. J'estime quant Ă moi qu'il y a plusieurs
Ă©lĂ©ments distinctifs qui auraient dĂ» ĂȘtre discutĂ©s.
La
structure tripartite de la présidence de l'Etat est, comme beaucoup d'autres
institutions étatiques de la Bosnie-Herzégovine, le résultat d'un compromis
politique dégagé par l'Accord de paix. Elle tendait à la création d'un
mécanisme d'équilibre et à prévenir toute suprématie de l'un des peuples dans
le processus décisionnel. La question clé à laquelle il aurait fallu d'aprÚs
moi apporter une réponse en l'espÚce est celle de savoir si la structure
tripartite a jamais été justifiée et si elle l'est toujours. Du point de vue de
la jurisprudence relative Ă l'article 1 du Protocole no 12, il
eût été non seulement intéressant mais aussi trÚs utile que la Cour fßt
connaßtre son opinion sur ce point. Or la Cour s'est contentée de réitérer les
arguments se rapportant aux critĂšres appliquĂ©s Ă la partie de l'arrĂȘt relative
à l'article 14, ce que je trouve décevant.
Sur un
plan purement théorique, c'est-à -dire abstraction faite des atrocités, des
massacres et des bains de sang qui ont précédé les accords de paix, j'aurais
estimĂ© que mĂȘme Ă elle seule l'obligation pour un individu de dĂ©clarer son
appartenance Ă un groupe ethnique pour pouvoir faire acte de candidature Ă un
poste public Ă©tait inacceptable et suffisante pour justifier un constat de
violation de l'interdiction de toute discrimination fondée sur l'appartenance
ethnique.
Pour
revenir à la structure de la présidence de l'Etat, si la Bosnie-Herzégovine
était un Etat stable et autonome, l'essence de la discrimination aurait résidé
non seulement dans l'inéligibilité des minorités, mais également dans
l'inéligibilité de tous ceux qui n'auraient pas pu ou n'auraient pas souhaité
déclarer leur appartenance ethnique pour pouvoir se porter candidats à des
fonctions publiques. DĂšs lors toutefois que la Bosnie-HerzĂ©govine a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e Ă
la suite d'une pression exercée par la communauté internationale et que
quatorze ans aprÚs elle ne fonctionne toujours pas comme un Etat indépendant et
souverain, on ne peut pas dire qu'elle représente un Etat suffisamment stable
pour que l'on puisse raisonner de cette façon.
D'un
autre cÎté, si rien n'est fait pour améliorer la situation actuelle, il n'y a
aucune chance de voir les choses progresser. L'élimination de la méfiance entre
les ethnies est d'aprÚs moi un processus qu'il y a lieu de développer de
maniÚre trÚs précautionneuse, étape par étape. Si le temps est venu (et je
souligne ici une fois de plus que la Cour ne s'est livrĂ©e Ă aucune Ă©valuation Ă
cet égard) de modifier la structure de l'état post-conflictuel, j'ose espérer
qu'une modification de la composition de la présidence de l'Etat pourrait
constituer la premiÚre étape. La présidence de l'Etat est une institution qui
représente l'Etat dans son ensemble7, alors que
la Chambre des peuples est investie d'un rĂŽle important et sensible de
protection des « intĂ©rĂȘts vitaux » de chaque peuple constituant.
V. Le constat d'une VIOLATION DE L'ARTICLE
14 COMBINĂ AVEC L'ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1
A mon
grand regret, et pour les raisons énumérées ci-dessous, je ne puis partager
l'opinion de la majorité sur la question de l'article 14 combiné avec l'article
3 du Protocole no 1.
PremiĂšrement,
la question de l'applicabilité de l'article 3 du Protocole no 1
est ici trÚs sujette à débat. L'article 3 du
Protocole no 1 protĂšge le droit Ă des Ă©lections libres, mais il
n'existe pas de réponse bien définie et communément admise à la question de
savoir si sont ici visées tant les élections directes que les élections
indirectes8. Renvoyant Ă sa
jurisprudence, la Cour indique toutefois que l'article 3 du Protocole no 1
fut « soigneusement rédigé de maniÚre à éviter des termes susceptibles
d'ĂȘtre interprĂ©tĂ©s comme une obligation absolue d'organiser des Ă©lections pour
les deux chambres dans l'ensemble des systÚmes bicaméraux » (paragraphe 40
de l'arrĂȘt). En mĂȘme temps, comme la Grande Chambre le fait observer, il est clair que
l'article 3 du Protocole no 1 s'applique Ă chaque chambre
directement élue d'un parlement. A cet égard, il convient de préciser qu'en
Bosnie-Herzégovine il n'y a pas d'élections, ni directes ni indirectes, pour
les membres de la Chambre des peuples. Ceux-ci sont désignés par les parlements des entités, ce qui signifie en
réalité que les plaintes formulées en l'espÚce sont de nature purement théorique,
dÚs lors qu'il n'y a ni élections préalables ni obligation pour les parlements
des entités de désigner tel ou tel candidat. La composition de la Chambre des
peuples n'est pas le résultat d'un processus électoral. Les membres de la
Chambre des peuples sont désignés/choisis à la majorité au sein de l'Assemblée
nationale de la Republika Srpska et à la majorité dans les groupes bosniaques
et croates au sein du Parlement de la Fédération de Bosnie-Herzégovine9. DÚs lors
que la version originale de la Constitution de Bosnie-Herzégovine a été établie
en anglais, mĂȘme une approche linguistique confirme que l'on n'est pas en
présence d'élections mais de désignations. En effet, l'article 4 de la Constitution énonce que la Chambre des
peuples « shall comprise 15 delegates » (comprend
quinze délégués) et que « the designated delegates shall be
selected » (les délégués désignés sont choisis) par les
parlements respectifs des entités10.
La notion de droit Ă des Ă©lections libres en
Bosnie-Herzégovine n'inclut tout simplement pas en tant que tel le droit de se
porter candidat Ă la Chambre des peuples, dĂšs lors que les membres de cette
chambre ne sont pas élus mais désignés/choisis par les parlements des entités.
On pourrait toujours parler d'Ă©lections indirectes
si les listes de candidats étaient annoncées pendant la campagne électorale ou
à un quelconque autre moment avant la désignation des intéressés (et que le
processus Ă©tait ainsi transparent pour le public) ou s'il y avait des critĂšres
Ă remplir pour pouvoir ĂȘtre dĂ©signĂ©. Or les noms des candidats ne figurent pas
sur des bulletins ou des listes électorales. Un fait qu'a totalement ignoré la
Cour, c'est que ni la Constitution de Bosnie-Herzégovine ni la loi électorale
ne prĂ©voient que les personnes souhaitant se porter candidates aux Ă©lections Ă
la Chambre des peuples doivent satisfaire Ă certains critĂšres. Aucune disposition
du droit interne ne dit Ă partir de quelle structure, de quel parti politique
ou mĂȘme de quelle option politique les candidats doivent ĂȘtre sĂ©lectionnĂ©s11. Le choix
peut donc en thĂ©orie se porter sur n'importe quel individu, quand bien mĂȘme il
ne serait pas engagé dans la vie publique. Ainsi, la procédure de désignation des membres de la Chambre des peuples
ne dépend pas de l'appartenance à tel ou tel parti politique ; il n'y a
pas de lien formel entre les délégués et les électeurs, et les noms des
candidats ne sont pas connus du grand public, pas mĂȘme des Ă©lecteurs, avant
leur désignation par les membres des parlements des entités. La seule exigence
formelle concerne la déclaration d'appartenance ethnique, qui n'est
juridiquement pertinente que pour la qualité de membre de la Chambre des
peuples. A strictement parler, il est clair que les requĂ©rants ne peuvent ĂȘtre
« élus », mais cette impossibilité est due non à leur appartenance
ethnique mais à l'absence de dispositions prévoyant l'élection des délégués en
général, les membres de la chambre en question étant tous désignés. Les
individus appartenant Ă l'un des trois peuples constituants pourraient trĂšs
bien se plaindre, eux aussi, de l'absence d'Ă©lections libres relativement Ă la
Chambre des peuples, la seule maniĂšre pour une personne de devenir membre de
cette chambre Ă©tant d'ĂȘtre dĂ©signĂ©e par le parlement d'une entitĂ©. En
conséquence, il n'existe d'une maniÚre générale pour personne un quelconque
droit de se porter candidat Ă des Ă©lections Ă la Chambre des peuples, pareilles
élections n'étant simplement pas prévues. En conséquence, si cette procédure doit
ĂȘtre qualifiĂ©e de discriminatoire, les mĂȘmes critĂšres de discrimination
doivent-ils ĂȘtre appliquĂ©s aux systĂšmes parlementaires qui prĂ©voient que les
siÚges de la seconde chambre sont héréditaires (comme c'est le cas de la
Chambre des lords britannique) ou conditionnés par l'exercice d'une fonction
publique (comme c'est le cas du Conseil fédéral (Bundesrat)
allemand) ? Il me paraßt aussi peu approprié de conclure au caractÚre
discriminatoire du processus dans ces systĂšmes que ce ne l'est dans le cas de
la Bosnie-Herzégovine.
Le
fait que la seule condition de forme qui doive ĂȘtre remplie par les dĂ©lĂ©guĂ©s Ă
la Chambre des peuples se rapporte Ă leur appartenance ethnique monte que la
Chambre des peuples a été conçue pour assurer un certain équilibre ethnique au
sein du pouvoir législatif.
C'est
un fait bien établi que ce sont des mécanismes de cette nature qui ont permis
la restauration de la paix en Bosnie-Herzégovine, et il est tout aussi clair
que, quatorze ans aprÚs, il n'est toujours pas possible de dégager une approche
commune et partagée quant à d'éventuels réaménagements constitutionnels en
Bosnie-Herzégovine12.
Mon
second point de désaccord avec la décision de la Grande chambre sur la
recevabilité concerne la nature juridique de la Chambre des peuples. Celle-ci
est appréhendée par la Grande Chambre comme la seconde chambre de l'Assemblée
parlementaire de la Bosnie-Herzégovine. Je ne souscris pas à cette analyse.
D'une
maniÚre générale, une chambre haute se distingue normalement de la chambre
basse sur un (ou plusieurs) des points suivants : elle est dotée de
pouvoirs moindres que ceux dont jouit la chambre basse (pour certains textes
votés par celle-ci, elle peut ainsi avoir simplement la faculté de formuler des
rĂ©serves, ou, en cas de rĂ©forme constitutionnelle, son pouvoir peut ĂȘtre limitĂ©
Ă l'expression ou non de son approbation) ; elle est une chambre
consultative ou « de révision », de sorte que ses pouvoirs
d'initiative sont souvent réduits d'une maniÚre ou d'une autre ; elle
représente les unités administratives ou fédérales ; s'ils sont élus, ses
membres ont souvent des mandats plus longs que les membres de la chambre basse
(si elle est composée de pairs ou de nobles, ses membres détiennent leur siÚge
Ă vie) et si elle se compose de membres Ă©lus, son renouvellement s'effectue de
maniÚre échelonnée et non de maniÚre globale.
Du point de vue de la structure institutionnelle,
les siĂšges d'une chambre haute peuvent ĂȘtre pourvus selon des modalitĂ©s trĂšs
diverses : élection directe, élection indirecte, désignation ou encore
voie hĂ©rĂ©ditaire, mais un certain mĂ©lange de tous ces systĂšmes peut aussi ĂȘtre
appliqué. Comme je l'ai dit ci-dessus, le Conseil fédéral (Bundesrat)
allemand est un cas tout Ă fait unique, dans la mesure oĂč ses membres sont des
dĂ©lĂ©guĂ©s des gouvernements des LĂ€nder qui peuvent ĂȘtre rappelĂ©s Ă tout
moment, et il en est de mĂȘme de la Chambre des lords britannique, oĂč les siĂšges
sont partiellement héréditaires.
On l'a vu ci-dessus, une chambre haute est en
général conçue pour représenter les unités administratives ou fédérales, ce qui
n'est pas le cas en Bosnie-HerzĂ©govine, dans la mesure oĂč la Chambre des
peuples représente non seulement les entités de Bosnie-Herzégovine, mais
Ă©galement les ethnies (c'est-Ă -dire les peuples constituants). Les deux
chambres de l'AssemblĂ©e parlementaire sont sur le mĂȘme pied et elles
constituent deux parties qui ne peuvent fonctionner indépendamment l'une de
l'autre. Chaque projet doit ĂȘtre discutĂ© et adoptĂ© par les deux chambres, le
rÎle particulier de la Chambre des peuples étant de protéger les
« intĂ©rĂȘts vitaux » de chaque peuple constituant.
Pour
déclarer l'article 3 du Protocole no 1 applicable, la Grande
chambre a jugé décisive l'ampleur des pouvoirs législatifs exercés par la
Chambre des peuples13. Je ne
souscris pas à cette appréciation. En effet, les deux chambres jouissent des
mĂȘmes pouvoirs14, dĂšs lors
que « toute législation nécessite l'approbation des deux chambres »15, ce qui
confirme bien que les deux chambres sont sur le mĂȘme pied. La reprĂ©sentation
ethnique au sein de la Chambre des peuples ne revĂȘt de pertinence que lorsqu'il
s'agit des intĂ©rĂȘts vitaux des peuples constituants : « un projet de
dĂ©cision soumis Ă l'AssemblĂ©e parlementaire peut ĂȘtre dĂ©clarĂ© contraire aux
intĂ©rĂȘts vitaux du peuple bosniaque, croate ou serbe par une majoritĂ© de
délégués bosniaques, croates ou serbes désignés conformément aux dispositions
de l'alinĂ©a 1 a) (...). Pour ĂȘtre approuvĂ© par la Chambre des peuples, un tel
projet de décision requiert la majorité des délégués bosniaques, des délégués
croates et des délégués serbes présents et votants »16.
Les
dispositions constitutionnelles relatives aux pouvoirs qui ne sont pas partagés
entre la Chambre des représentants et la Chambre des peuples (voir la note de
bas de page no 2 sur la présente page) illustrent le fait que
l'Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine a une structure tout à fait
unique qui ne rentre dans aucune des catégories des modÚles traditionnellement
acceptés. De surcroßt, l'article X de la Constitution dispose que celle-ci
« peut ĂȘtre rĂ©visĂ©e par dĂ©cision de l'AssemblĂ©e parlementaire »,
disposition qui doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme signifiant que les deux chambres
doivent se prononcer sur ce point. Il serait erronĂ© d'infĂ©rer de l'arrĂȘt de la
Grande chambre que les requérants en l'espÚce, qui sont d'origine rom et
d'origine juive respectivement, ne peuvent participer Ă l'exercice du pouvoir
législatif en Bosnie-Herzégovine au motif qu'ils n'ont pas la possibilité de se
porter candidats aux Ă©lections Ă la Chambre des peuples, car les deux chambres
disposent des mĂȘmes pouvoirs et les requĂ©rants ont amplement la possibilitĂ© de
devenir membre de la Chambre des reprĂ©sentants, oĂč les candidatures sont
indépendantes de l'appartenance ethnique17.
La
Chambre des peuples est une chambre de veto, dont les membres perçoivent leur
tĂąche comme consistant exclusivement Ă dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts de leur peuple, et
c'est précisément ce qui fait de cette chambre un mécanisme sui generis.
La question de savoir si, quatorze ans aprĂšs l'Accord de paix de Dayton, la
Bosnie-Herzégovine a toujours besoin de pareil mécanisme est une autre question
à laquelle il y a lieu de répondre sur le terrain de la justification si tant
est que l'on juge l'article 3 du Protocole no 1 applicable.
En
résumé, je considÚre que l'article 3 du Protocole no 1 n'est
pas applicable en l'espĂšce, dans la mesure oĂč le droit interne ne prĂ©voit tout
simplement pas en tant que tel et pour qui que ce soit un droit de se porter
candidat aux Ă©lections Ă la Chambre des peuples ; celle-ci est un organe
non électif, qui ne possÚde ni les caractéristiques ni les pouvoirs qui sont
typiquement ceux d'une seconde chambre, et sa structure Ă©chappe au domaine de
l'article 3 du Protocole no 1.
En ce
qui concerne le fond du grief, la question principale est celle de
savoir si le traitement différencié ici incriminé est ou non discriminatoire. Il
ressort de la jurisprudence de la Cour relative Ă l'article 14 qu'une
différence de traitement est discriminatoire si elle ne repose pas sur une
justification objective et raisonnable, c'est-Ă -dire si elle ne poursuit pas un
but légitime ou s'il n'existe pas un rapport raisonnable de proportionnalité
entre les moyens employés et le but visé.
La
conclusion de la majorité selon laquelle les dispositions constitutionnelles
pertinentes tendaient non pas Ă Ă©tablir une domination ethnique comme le
soutenaient les requérants, mais à faire cesser un conflit brutal et à assurer
une égalité effective entre les parties à la guerre, à savoir les peuples
constituants, est correcte, comme l'est la conclusion de la majorité selon
laquelle les dispositions en cause ont pour conséquence un traitement
différencié en fonction de l'appartenance ethnique. Cela étant, ce dispositif était-il justifié et, dans l'affirmative, les
éléments de justification sont-ils toujours présents et significatifs
aujourd'hui ? La Grande chambre a préféré ne répondre qu'à moitié à cette
question. Il me paraßt pourtant qu'une réponse détaillée était en l'occurrence
primordiale. Le traitement différencié des individus appartenant au groupe des
« autres » est une question qu'il s'agissait de réexaminer une fois
que la situation en Bosnie-Herzégovine serait devenue moins sensible et, de ce
point de vue, la Cour a admis que la diffĂ©renciation litigieuse Ă©tait Ă
l'origine justifiée.
Cela
Ă©tant, quelle est la situation aujourd'hui, quatorze ans aprĂšs l'Accord de paix
de Dayton ? Si l'on en revient aux faits qui ont initialement motivé
l'adoption du dispositif incriminé et si l'on s'en tient aux chiffres des
pertes, cent mille habitants de la Bosnie-Herzégovine au moins ont été tués ou
ont disparu pendant la guerre. Un million trois cent mille personnes
supplémentaires de la population d'avant-guerre (soit vingt-huit pour cent de
celle-ci) sont devenues des réfugiés résidant à l'extérieur de la
Bosnie-Herzégovine. S'il n'y avait pas eu la guerre, fin 1995 la Bosnie-Herzégovine
aurait compté, sur la base des taux habituels de natalité, de mortalité et de
migration, 4 millions et demi d'habitants. Or, en réalité, fin 1995 on dénombrait seulement 2,9 millions
d'habitants dans le pays. Quatorze années se sont écoulées depuis la fin du
conflit armé, mais a-t-on vraiment enregistré, comme l'affirme la Grande
chambre, des progrĂšs significatifs ?
Le
dernier rapport d'Amnesty International sur la Bosnie-Herzégovine relÚve que
« treize années aprÚs la fin de la guerre, treize mille personnes environ
sont toujours portées manquantes. L'emploi de la rhétorique nationaliste a
augmentĂ© en Bosnie-HerzĂ©govine et le pays continue d'ĂȘtre profondĂ©ment divisĂ©
selon des critÚres ethniques »18.
D'aprĂšs
le ministÚre des Droits de l'homme et des réfugiés de Bosnie-Herzégovine, plus
de 1,2 million de personnes n'ont toujours pas regagné leur domicile
d'avant-guerre. Les personnes qui sont
revenues sont souvent confrontées à des difficultés d'accÚs aux dispositifs de
logement et d'emploi. Environ deux mille sept cents familles vivent toujours
dans ce qu'on appelle des Ă©tablissements collectifs de logement. Certaines
personnes venues de l'étranger ne peuvent récupérer leurs biens, soit que
ceux-ci aient été détruits, soit que les autorités montrent peu d'empressement
Ă les laisser les recouvrer19. La situation
politique ne semble pas meilleure. L'Etat est géré par des partis politiques
portant des banniÚres nationalistes et recourant à la rhétorique nationaliste.
De nombreuses personnes soupçonnées de crimes de guerre sont toujours en
libertĂ©, mĂȘme si un processus de transfert des affaires de crimes de guerre du
Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie vers les juridictions
internes a débuté. Les autorités judiciaires et de poursuite sont toujours
supervisées par des juges et des procureurs internationaux, dont ils reçoivent
leurs instructions. Tous ces faits ont en réalité été jugés suffisants par les
Nations unies, l'Union europĂ©enne et le Conseil de mise en Ćuvre de la paix
pour justifier la prorogation (en novembre 2009) du mandat du Haut
représentant. Il existe par ailleurs d'autres signes indiquant que la
communauté internationale ne considÚre pas que des progrÚs significatifs soient
enregistrés en Bosnie-Herzégovine (par exemple, les forces militaires
internationales sont toujours prĂ©sentes, tout comme l'EUPM). Beaucoup d'Ătats,
sur leur site web officiel, dissuadent leurs citoyens de se rendre en
Bosnie-Herzégovine, invoquant des risques pour leur sécurité. Les élections de
2006 ont montré que la plupart des électeurs préféraient toujours voir les
nationalistes au pouvoir, se sentant davantage en sécurité s'ils sont dirigés
par « leur propre peuple ». Les enfants dans les écoles sont séparés20, les villes qui
avant la guerre avaient une population mélangée sont toujours divisées. En devenant membre
du Conseil de l'Europe, la Bosnie-HerzĂ©govine s'Ă©tait engagĂ©e notamment Ă
« revoir la loi électorale dans un délai de un an, avec l'aide de la Commission
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et à la lumiÚre des
principes du Conseil de l'Europe, aux fins d'amendement, le cas échéant ».
Le fait que la Bosnie-Herzégovine n'ait toujours pas honoré cet engagement
montre qu'en réalité il n'y a pas de consensus entre les principaux partis
politiques.
Sachant tout cela, peut-on se dire absolument
certain que les dispositifs constitutionnels ici incriminés ne reposent plus
aujourd'hui sur aucune justification ? D'un autre cÎté, s'ils sont toujours
justifiĂ©s, ces dispositifs peuvent-ils ĂȘtre rĂ©putĂ©s poursuivre un but
légitime ? Ainsi que la Commission de Venise l'a justement fait observer,
« la répartition des postes dans les organes de l'Etat entre les peuples
constituants était un élément central de l'Accord de Dayton qui a permis de
rétablir la paix en Bosnie-Herzégovine. Dans une telle situation, il est difficile
de nier la légitimité de normes qui peuvent faire problÚme du point de vue de
la non-discrimination, mais qui sont nécessaires pour réaliser la paix et la
stabilité et éviter de nouvelles pertes en vies humaines ». La paix a été
rétablie, mais l'élément stabilité demeure problématique. Il se peut que, comme
le juge Feldmann de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine l'a déclaré
dans une opinion concordante « (...), la justification tirée du besoin de
rĂ©tablir la paix avait vocation Ă ĂȘtre seulement temporaire, mais le temps
n'est pas encore venu de considérer que l'Etat s'est éloigné pour de bon des
besoins spéciaux qui ont dicté l'architecture institutionnelle inhabituelle
définie dans l'Accord de paix de Dayton et dans la Constitution de
Bosnie-Herzégovine »21. Dans
l'affaire Ćœdanoka c. Lettonie22, la Cour a
jugé qu'il n'était « pas surprenant qu'un corps législatif démocratique
nouvellement Ă©tabli se trouvant dans une phase de tourmente politique ait
besoin d'un temps de réflexion pour examiner quelles mesures il lui faut
envisager pour accomplir sa mission ». Dans le mĂȘme arrĂȘt, la Cour a
déclaré qu'il convenait de laisser aux autorités internes « suffisamment
de latitude pour apprécier les besoins de la société s'agissant de construire
la confiance dans les nouvelles institutions démocratiques, notamment dans le
Parlement national, et pour rechercher si la mesure litigieuse est toujours
nécessaire à ces fins (...) »23. Les
arrangements constitutionnels particuliers mis en place en Bosnie-Herzégovine
peuvent-ils toujours ĂȘtre rĂ©putĂ©s nĂ©cessaires, et la situation actuelle
peut-elle ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme justifiĂ©e malgrĂ© le temps qui s'est Ă©coulĂ©
depuis l'Accord de Dayton ? Appartient-il à la Cour européenne de dire que
le moment est venu de changer le dispositif ? J'hésiterais à donner
une réponse ferme et définitive à ces questions. « L'identité au travers
de la citoyenneté » est un changement souhaitable, mais il se dégage de la
jurisprudence de la Cour qu'une distinction ethnique doit ĂȘtre jugĂ©e non
nĂ©cessaire et dĂšs lors discriminatoire lorsque le mĂȘme rĂ©sultat (but lĂ©gitime) pourrait
ĂȘtre atteint au travers d'une mesure ne s'appuyant pas sur une diffĂ©renciation
raciale ou ethnique ou sur des critÚres autres que ceux basés sur la naissance24. Cela
étant, quelle serait l'autre façon de maintenir l'équilibre ethnique et de
construire la confiance dont on a tellement besoin en Bosnie-Herzégovine ?
La Cour n'a pas répondu non plus à cette question. Elle s'est contentée de
conclure que « le maintien de l'impossibilité faite au requérant de se
porter candidat aux élections à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine ne
repose pas sur une justification objective et raisonnable et est donc contraire
à l'article 14 combiné avec l'article 3 du Protocole no 1 »
(paragraphe 50 de l'arrĂȘt).
Ainsi,
le critÚre de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé n'a pas
du tout été appliqué en l'espÚce. J'y vois
une occasion manquée de fournir des arguments plus décisifs et convaincants ou
à tout le moins un élément de comparaison avec les autres Etats membres du
Conseil de l'Europe. Le droit de la plupart sinon de tous les Etats membres du
Conseil de l'Europe prévoit certaines distinctions fondées sur la nationalité
relativement Ă certains droits, et la jurisprudence de la Cour reconnaĂźt aux
autorités nationales une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et
dans quelle mesure des différences justifient un traitement juridique
différencié25. De surcroßt, il
ressort de la jurisprudence de la Cour que la marge d'appréciation varie
« selon les circonstances »26. La
Cour a par ailleurs déclaré qu'« [i]l existe de nombreuses maniÚres d'organiser
et de faire fonctionner les systÚmes électoraux et une multitude de différences
au sein de l'Europe notamment dans l'évolution historique, la diversité culturelle
et la pensée politique, qu'il incombe à chaque Etat contractant d'incorporer
dans sa propre vision de la démocratie »27. Sur le
plan jurisprudentiel, il aurait Ă©tĂ© trĂšs intĂ©ressant de voir jusqu'oĂč serait
allée en l'occurrence la marge d'appréciation accordée par la Cour aux Etats en
la matiĂšre.
VI. FRAIS ET DĂPENS
Enfin, je suis en désaccord avec la décision de la
majorité d'accorder 20 000 EUR au second requérant et seulement 1 000
EUR au premier requérant pour frais et dépens. La Cour justifie cet écart en
indiquant que l'équipe de juristes qui représentait le second requérant
comportait trois avocats et/ou experts internationaux et que ceux-ci ont dĂ» se
réunir à New-York et Sarajevo, tandis que le premier requérant aurait été
représenté pro bono et n'aurait réclamé que 1 000 EUR pour la
comparution de son avocat à l'audience devant la Cour28. Considérant que
les observations déposées par les deux requérants étaient d'une qualité
comparable, j'ai tout simplement trouvé injuste d'accorder à l'un et à l'autre
des montants radicalement différents.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE BONELLO
(Traduction)
En principe et dans l'abstrait, je ne puis que partager le
raisonnement de la majorité quant à l'importance d'assurer sans discrimination
la jouissance des droits électoraux. Non sans d'importantes réserves, j'ai voté
en faveur de la recevabilitĂ© des deux requĂȘtes. Mais j'ai Ă©galement votĂ©, avec
moins d'hésitations, contre le constat d'une violation de la Convention. Ces deux affaires peuvent apparaßtre comme les plus
simples que la Cour ait jamais eues Ă traiter, mais en mĂȘme temps elles sont
peut-ĂȘtre parmi les plus insidieuses. Rien de plus Ă©vident que de juger
condamnables les dispositions qui, dans un systĂšme constitutionnel, empĂȘchent
les Roms et les Juifs de se porter candidats Ă des Ă©lections. Si l'on s'en tient
Ă cela, on a une affaire de violation manifeste qui ne vaut guĂšre la peine que
l'on perde du temps Ă l'instruire.
DerriĂšre
cette invitation Ă s'occuper d'affaires plus stimulantes se cachent toutefois
des questions qui m'ont profondément perturbé et au sujet desquelles, je le
confesse, je n'ai entendu aucune réponse satisfaisante de la part de la Cour.
Certes, des rĂ©ponses persuasives peuvent ĂȘtre trouvĂ©es si l'on congĂ©die
l'histoire. Il me semble que c'est exactement ce qu'a fait le présent
arrĂȘt : il a sĂ©parĂ© la Bosnie-HerzĂ©govine des rĂ©alitĂ©s de son propre passĂ©
récent.
AprÚs les événements extraordinairement violents
de 1992, oĂč l'on a assistĂ© Ă d'horribles bains de sang, Ă des massacres
ethniques et à une vendetta sans frontiÚres, la communauté internationale est
intervenue : d'abord dans le but de faire accepter une trĂȘve par les Bosniaques,
les Serbes et les Croates, puis dans celui de mettre en place un rĂšglement plus
permanent : les accords de paix de Dayton de 1995. Ces derniers sont venus
au jour difficilement, aprÚs des négociations compliquées et opiniùtres qui
visaient à la création d'organes institutionnels basés presque exclusivement
sur des systĂšmes de freins et de contrepoids entre les trois ethnies
belligérantes. C'est finalement un équilibre des plus précaires, construit sur
une symétrie tripartite fragile née de la méfiance et nourrie du soupçon, qui
fut laborieusement atteint.
Ce
n'est que le fonctionnement de cette construction en filigrane qui permit
l'extinction de cet enfer qu'avait été la Bosnie-Herzégovine. L'architecture
n'en est peut-ĂȘtre pas parfaite, mais c'est la seule qui rĂ©ussit Ă amener les
belligérants à substituer le dialogue à la dynamite. Elle est basée sur une
répartition des pouvoirs qui fut fignolée jusque dans les derniers détails
quant Ă la maniĂšre dont les trois ethnies Ă©taient censĂ©es participer Ă
l'exercice du pouvoir dans les divers organes reprĂ©sentatifs de l'Etat. C'est Ă
l'aide d'une balance d'apothicaire que les accords de Dayton dosĂšrent les
proportions ethniques exactes de la recette de paix.
Et voilĂ maintenant que la Cour prend sur elle de
bouleverser tout l'édifice. Strasbourg dit aux anciens belligérants comme aux
bonnes ùmes qui ont conçu le plan de paix qu'ils ont eu tout faux. Qu'ils feraient
mieux de reprendre tout à zéro. Que la formule de Dayton était inepte et que
c'est désormais la non-formule de Strasbourg qui prend sa place. Retour à la
planche Ă dessin.
Les
questions que je me pose sont étroitement liées à la fois à la recevabilité et
au fond des deux requĂȘtes. D'abord, est-il bien du ressort de la Cour de
s'inviter elle-mĂȘme dans des exercices multilatĂ©raux de maintien de la paix et
dans des traités déjà signés, ratifiés et exécutés ? Je serais le premier
à demander que la Cour ne se montre pas trop petite pour ses idéaux, mais je
serais aussi le dernier Ă souhaiter qu'elle apparaisse trop grande pour son
costume.
Se
pose alors une seconde question : la Cour a des pouvoirs quasi illimités
lorsqu'il s'agit d'octroyer réparation dans des cas de violation établie de
droits de l'homme garantis par la Convention, et il est certainement normal
qu'il en soit ainsi. Mais ces pouvoirs quasi illimitĂ©s vont-ils jusqu'Ă
permettre de défaire un traité international, à fortiori lorsque ce traité a
été conçu par des Etats et des organes internationaux dont certains ne sont
ni signataires de la Convention ni défendeurs devant la Cour ? Plus
particuliÚrement, la Cour a-t-elle compétence pour renverser au travers de
l'octroi d'une satisfaction équitable l'action souveraine de l'Union européenne
et des Etats-Unis d'Amérique, qui se partagent la paternité des accords de
Dayton, dont la Constitution de Bosnie-Herzégovine mise en cause devant la Cour
ne constitue qu'une annexe ? Je n'ai pas
de rĂ©ponses toutes prĂȘtes Ă ces questions, mais je les trouve suffisamment
pertinentes pour estimer que la Cour aurait dû les traiter au préalable et de
maniĂšre approfondie. Elle ne l'a pas fait.
Je le
rĂ©pĂšte, nul ne peut se dire en dĂ©saccord avec la formule â presque une
platitude â du prĂ©ambule de la Convention selon laquelle les droits de l'homme
« constituent les assises mĂȘmes de la paix dans le monde ». Cela
n'est pas douteux. Mais quid des situations exceptionnellement perverses
oĂč la mise en Ćuvre des droits de l'homme pourrait dĂ©clencher la guerre plutĂŽt
que favoriser la paix ? Les droits pour
les deux requérants de se porter candidats aux élections sont-ils à ce point
absolus et contraignants qu'ils peuvent annuler la paix, la sécurité et l'ordre
public Ă©tablis pour l'ensemble de la population, y compris eux-mĂȘmes ? La
Cour se rend-elle compte de ce que signifie la réouverture de tout le processus
de Dayton aux fins d'alignement du systĂšme constitutionnel sur son arrĂȘt ?
Et a-t-elle bien conscience de l'Ă©normitĂ© des consĂ©quences au cas oĂč la
nouvelle aube censée se lever grùce à elle viendrait à ne pas poindre ?
Toute la structure de la Convention est fondée sur
une souveraineté primordiale des droits de l'homme mais, hormis pour les droits
qui font partie du noyau dur (ce qui n'est certainement pas le cas du droit de
se porter candidat à des élections), toujours sous réserve que leur exercice se
fasse en conformité avec les droits d'autrui et avec la valeur prépondérante
qu'est l'intĂ©rĂȘt social. Je ne pense pas que l'on puisse considĂ©rer que la
Convention exige que les requérants aient la faculté d'exercer leur droit de se
porter candidats Ă des Ă©lections quoi qu'il advienne. Candidats aux Ă©lections,
fût-ce au prix d'Armageddon ?
Je suis tout prĂȘt Ă clamer combien inestimables
sont les valeurs d'égalité et de non-discrimination, mais il me paraßt que la
paix et la rĂ©conciliation nationales sont Ă placer au moins sur le mĂȘme pied.
Or la Cour a canonisé les premiÚres et bradé les secondes. Avec tout le respect
que j'ai pour elle, son arrĂȘt me semble ĂȘtre un exercice de style totalement
déconnecté de la réalité et ne tenant pas compte des flots de sang qui ont
fertilisé la constitution de Dayton. La Cour a préféré embrasser son propre
état de déni aseptisé plutÎt que de s'ouvrir à ce monde moins lisse qui existe
Ă l'extĂ©rieur. Peut-ĂȘtre cela explique-t-il pourquoi, dans l'exposĂ© des faits,
l'arrĂȘt ne rappelle mĂȘme pas de maniĂšre sommaire les tragĂ©dies qui ont prĂ©cĂ©dĂ©
Dayton et qui n'ont pris fin que grùce à Dayton. La Cour, délibérément ou non,
a Ă©cartĂ© de sa vision non pas l'Ă©corce mais le cĆur de l'histoire des Balkans.
Elle s'est sentie obligée de désavouer la Constitution de Dayton, mais elle n'a
pas éprouvé la nécessité de la remplacer par quelque chose d'aussi propice à la
paix.
Une
autre conclusion de la Cour me paraĂźt critiquable : celle qui affirme que
la situation en Bosnie-Herzégovine est aujourd'hui différente et que le délicat
équilibre tripartite qui s'imposait antérieurement n'est plus indispensable.
Cela est bien possible et je ne puis que l'espérer. Mais, d'aprÚs moi, une
institution judiciaire aussi Ă©loignĂ©e du foyer de dissension ne peut guĂšre ĂȘtre
la mieux placée pour en juger. Dans le cas d'événements révolutionnaires
traumatisants, il n'appartient pas Ă la Cour d'Ă©tablir au travers d'un
processus de divination quand la pĂ©riode transitoire peut ĂȘtre jugĂ©e avoir pris
fin et quand un Ă©tat d'urgence nationale doit ĂȘtre rĂ©putĂ© appartenir au passĂ©
au motif que les choses se sont normalisées. Je doute que la Cour soit mieux placée que les autorités nationales pour
déterminer à partir de quel moment on peut dire que les anciennes fractures se
sont consolidées, que les ressentiments historiques se sont apaisés et que les
discordes générationnelles se sont harmonisées. Je pense que des prétentions de
ce type, qui semblent procéder d'un angélisme aveugle, ne tiennent pas
suffisamment compte, voire font totalement abstraction, des ressources
inĂ©puisables de la rancĆur. La Cour a tort de se montrer hermĂ©tique aux histoires
oĂč la haine valide la culture.
La
Cour ordonne à l'Etat défendeur de passer les accords de Dayton à la moulinette
et de se mettre Ă la recherche d'autre chose. J'estime pour ma part qu'un Etat
quel qu'il soit ne doit jamais ĂȘtre placĂ© devant une obligation juridique ou un
devoir moral de saboter le systĂšme mĂȘme auquel il doit son existence dĂ©mocratique.
Dans des situations de ce type, la retenue
judiciaire apparaĂźt plutĂŽt comme une vertu que comme un vice.
La Cour a maintes fois admis que la jouissance de
la plupart des droits fondamentaux â et notamment du droit de se porter
candidat Ă des Ă©lections â est soumise Ă des tempĂ©raments intrinsĂšques et Ă des
restrictions extrinsĂšques. Elle peut ĂȘtre Ă©cornĂ©e pour des considĂ©rations
objectives et raisonnables. L'exercice des droits fondamentaux peut subir des
limitations aux fins de la sécurité et de l'ordre public, pourvu qu'elles
soient conformes Ă l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral de la communautĂ©. Il peut ĂȘtre contraint
de reculer face à des réalités historiques exceptionnelles, telles que le
terrorisme et le crime organisé, ou en raison de l'existence d'une situation
urgence au plan national.
Au fil des ans, Strasbourg a approuvé sans effort
particulier des restrictions aux droits Ă©lectoraux (celui de voter comme celui
de se porter candidat Ă des Ă©lections) fondĂ©es sur un Ă©ventail extrĂȘmement
large de justifications : de la non-maĂźtrise d'une langue par le candidat29 Ă son
incarcération30 ou à l'existence d'une
condamnation antérieurement prononcée contre lui pour une infraction grave31 ; du
non-accomplissement de « quatre années de résidence continue »32 au non-respect de
conditions de nationalité et de citoyenneté33 ; de
l'appartenance au Parlement d'un autre Etat34 Ă la
possession d'une double nationalité35 ; de
la non-satisfaction d'une condition d'Ăąge (vingt-cinq ans minimum) pour une
candidature à la Chambre des Représentants36 à la
non-satisfaction d'une autre condition d'Ăąge (quarante ans minimum) pour une
candidature au SĂ©nat37 ; de
la constitution d'une menace pour la stabilité de l'ordre démocratique38 au refus
de prĂȘter serment dans une langue dĂ©terminĂ©e39 ; de
la situation d'agent public40 Ă celle de
fonctionnaire local41 ; du
non-respect d'une condition en vertu de laquelle la candidature d'une personne
n'ayant pu recueillir le nombre requis de signatures de soutien ne pouvait ĂȘtre
admise42 au refus
de prĂȘter un serment d'allĂ©geance au monarque43.
Toutes ces circonstances ont été jugées par
Strasbourg suffisamment impérieuses pour justifier le retrait du droit de vote
ou du droit de se porter candidat Ă des Ă©lections. A l'inverse, un
danger manifeste et actuel de déstabilisation de l'équilibre national ne l'a
pas été. La Cour a estimé que le souci d'éviter le risque d'une guerre civile
et de nouveaux carnages et celui de maintenir la cohésion territoriale de
l'Etat ne revĂȘtaient pas une valeur sociale suffisante pour justifier une
certaine limitation des droits des deux requérants.
Je ne me reconnais pas dans cette analyse. Je ne
puis adhérer à une Cour qui sÚme des idéaux et récolte des massacres.
1. JusquâĂ la
guerre de 1992-1995, les Bosniaques étaient désignés par le terme
« Musulmans ». Le terme « Bosniaques » (Boƥnjaci) ne
doit pas ĂȘtre confondu avec le terme « Bosniens » (Bosanci),
communément utilisé pour désigner les citoyens de Bosnie-Herzégovine
indépendamment de leur origine ethnique.
2. Les membres de
la Chambre des peuples de la Fédération de Bosnie-Herzégovine sont désignés par
les parlements cantonaux (la Fédération de Bosnie se compose de dix cantons).
Les membres des parlements cantonaux sont directement Ă©lus.
3. Les membres de
lâAssemblĂ©e nationale de la Republika Srpska sont directement Ă©lus.
4. Mme
Nystuen participa aux nĂ©gociations de Dayton ainsi quâaux discussions
constitutionnelles préalables en tant que conseillÚre juridique du co-président
au titre de lâUnion europĂ©enne de la ConfĂ©rence internationale sur
lâex-Yougoslavie, M. Bildt, qui conduisait la dĂ©lĂ©gation de lâUnion europĂ©enne
au sein du Groupe de contact. Par la suite, et ce jusquâen 1997, elle travailla
comme conseillÚre juridique de M. Bildt en sa qualité de Haut-Représentant pour
la Bosnie-Herzégovine.
5. M. OâBrien
participa aux négociations de Dayton en qualité de juriste pour le Groupe de
contact et il participa également à la plupart des négociations majeures menées
au sujet de lâex-Yougoslavie entre 1994 et 2001.
6. Tous les ĂȘtres
humains appartenant Ă la mĂȘme espĂšce, lâECRI rejette les thĂ©ories fondĂ©es sur
lâexistence de « races diffĂ©rentes ». Cependant, afin dâĂ©viter de
laisser sans protection juridique les personnes qui sont généralement et
erronĂ©ment perçues comme appartenant Ă une « autre race », lâECRI
utilise ce terme dans sa recommandation.
7. Voir les
pouvoirs de la prĂ©sidence de lâEtat tels quâils se trouvent dĂ©crits Ă lâarticle
V § 3 de la Constitution.
8. Dans lâarrĂȘt de
la majorité, le point de vue selon lequel le droit à des élections libres
sâapplique tant aux Ă©lections directes quâaux Ă©lections indirectes sâappuie
uniquement sur un renvoi aux travaux préparatoires du Protocole n° 1 (voir
le paragraphe 40 de lâarrĂȘt).
9. Voir lâarticle IV de la Constitution de la
Bosnie-Herzégovine.
10. Il sâagit de distinguer entre les notions
« dâĂ©lection » et de « sĂ©lection » : dâun point de vue
linguistique, une « élection » implique un choix illimité tandis
quâune « sĂ©lection » implique un choix de prĂ©fĂ©rence/un choix limitĂ©.
11. Une seule
exception Ă cela : les membres des chambres des peuples cantonales doivent
ĂȘtre dĂ©signĂ©s parmi les membres des parlements cantonaux.
12. Comme je lâai
indiquĂ© ci-dessus, des discussions en vue dâune rĂ©forme constitutionnelle
furent entamĂ©es en 2006 (« le paquet dâavril »), mais elles
échouÚrent. Les pourparlers ont maintenant repris (« le paquet
Butmir »), mais il apparaßt que les représentants politiques campent sur
leurs positions antérieures.
13. Voir le paragraphe 41 de lâarrĂȘt.
14. Article IV § 4 de la Constitution de
Bosnie-HerzĂ©govine â Pouvoirs
LâAssemblĂ©e
parlementaire est investie des pouvoirs suivants :
a) Promulguer
les lois nĂ©cessaires pour mettre en Ćuvre les dĂ©cisions de la prĂ©sidence ou
exercer les responsabilitĂ©s de lâassemblĂ©e aux termes de la prĂ©sente
Constitution.
b) DĂ©cider des ressources et des
montants des recettes nécessaires pour le fonctionnement des institutions de la
Bosnie-HerzĂ©govine et pour lâexĂ©cution de ses obligations internationales.
c) Approuver le budget des institutions
de la Bosnie-Herzégovine.
d) Consentir ou non Ă la ratification
des traités.
e) RĂ©gler toutes autres questions
nĂ©cessaires pour remplir ses fonctions ou sâacquitter des charges qui lui sont
attribuées par consentement mutuel des entités.
15. Voir lâarticle IV § 3 c) de la Consititution
de la Bosnie-Herzégovine.
17. La Constitution de Bosnie-Herzégovine
prévoit (article IV 2) que « [l]a Chambre des représentants comporte
quarante-deux membres, dont les deux tiers sont Ă©lus par le territoire de la
Fédération et un tiers par le territoire de la Republika Srpska » et que « [l]es
membres de la Chambre des représentants sont élus directement par leur entité
conformĂ©ment aux dispositions dâune loi Ă©lectorale que lâAssemblĂ©e
parlementaire approuvera ».
18. Voir : http://www.amnesty.org/en/region/bosnia-herzegovina/report-2009.
19. Voir : http://www.mhrr.gov.ba/izbjeglice/?id=6.
20. Voir le
document SG/Inf(2008) établi par les services du Secrétaire général du Conseil
de lâEurope.
21. Voir sur le
site http://www.ustavnisud.ba/eng/odluke/povuci_pdf.php?pid=67930 lâopinion concordante du juge Feldmann jointe Ă la
décision de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine AP-2678/06-2006.
22. ArrĂȘt [GC] n°
58278/00, § 131, CEDH 2006-IV.
24. Voir Inze c. Autriche, 28 octobre
1987, § 44, série A n° 126.
25. Voir Mathieu-Mohin
et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, série A n° 113, et Yumak et Sadak
c. Turquie [GC], n° 10226/03, 8 juillet 2008.
26. Voir Rasmussen c. Danemark, 28
novembre 1984, série A n° 87, § 40.
27. Voir Hirst
c. Royaume-Uni (n° 2) [GC], n° 74025/01, § 61, CEDH 2005-IX.
28. Voir le paragraphe 64 de lâarrĂȘt.
29. Clerfayt et autres c. Belgique,
n° 27120/95, décision de la Commission du 8 septembre 1997 (DR) 90, p. 35.
30. Hollande c. Irlande,
n° 24827/94, décision de la Commission du 14 avril 1998 (DR) 93, p. 15.
31. H. c. Pays-Bas, n° 9914/82,
décision de la Commission du 4 juillet 1983 (DR) 33, p. 242.
32. Polacco et Garofalo c. Italie,
n° 23450/94, décision de la Commission du 15 septembre 1997, (DR) 90, p.
5.
33. Luksch c. Italie, n° 27614/95,
décision de la Commission du 21 mai 1997 (DR) 89 p. 76.
34. M. c. Royaume-Uni, n° 19316/83,
décision de la Commission mars 1984 (DR) p. 129.
35. Ganscher c. Belgique,
n° 28858/95, décision de la Commission du 21 novembre 1966, (DR) 87, p.
130.
36. W, X, Y et Z
c. Belgique, n° 6745 et 6746/74, Annuaire XVIII (1957), p. 236.
38. Zdanoka c. Lettonie, Grande chambre,
16 mars 2006.
39. Fryske Nasjonale Partij et autres c.
Pays-Bas, n° 11100/84, décision de la Commission du 12 décembre 1985,
(DR) 45, p. 240.
40. Gitonas c. GrĂšce, arrĂȘt du 1er
juillet 1997, paragraphe 40.
41. Ahmed c. Royaume-Uni, arrĂȘt du 2
septembre 1998, paragraphe 75.
42. Asensio Serqueda c. Espagne,
n° 23151/94, (DR) 77, p. 122.
43. McGuiness c.
Royaume-Uni, n° 39511/98, 8 juin 1999.