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Corte europea dei diritti dell’uomo (Grande Camera), 22 dicembre 2009

(requĂȘte nos 27996/06 et 34836/06)

 

 

AFFAIRE SEJDIĆ ET FINCI c. BOSNIE-HERZÉGOVINE

Cet arrĂȘt est dĂ©finitif. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l'affaire Sejdić et Finci c. Bosnie-HerzĂ©govine,

La Cour europĂ©enne des droits de l'homme, siĂ©geant en une Grande Chambre composĂ©e de :

Jean-Paul Costa, prĂ©sident, 
Christos Rozakis, 
Nicolas Bratza, 
Peer Lorenzen, 
Françoise Tulkens, 
Josep Casadevall, 
Giovanni Bonello, 
Lech Garlicki, 
Khanlar Hajiyev, 
Ljiljana Mijović, 
Egbert Myjer, 
David ThĂłr Björgvinsson, 
George Nicolaou, 
Luis LĂłpez Guerra, 
Ledi Bianku, 
Ann Power, 
Mihai Poalelungi, juges, 
et de Vincent Berger, jurisconsulte,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil les 3 juin et 25 novembre 2009,

Rend l'arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette derniĂšre date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouvent deux requĂȘtes (nos 27996/06 et 34836/06) dirigĂ©es contre la Bosnie-HerzĂ©govine et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Dervo Sejdić et Jakob Finci (« les requĂ©rants Â»), ont saisi la Cour le 3 juillet et le 18 aoĂ»t 2006 respectivement en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Les requĂ©rants se plaignent de l'impossibilitĂ© qui leur est faite, Ă  raison de leurs origines rom et juive respectivement, de se porter candidats aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples et Ă  la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine. Ils invoquent les articles 3, 13 et 14 de la Convention, l'article 3 du Protocole no 1 et l'article 1 du Protocole no 12.

3.  Les requĂȘtes ont initialement Ă©tĂ© attribuĂ©es Ă  la quatriĂšme section de la Cour (article 52 § 1 du rĂšglement). Le 11 mars 2008, une chambre de ladite section a dĂ©cidĂ© de donner connaissance des requĂȘtes au Gouvernement. Comme le lui permettait l'article 29 § 3 de la Convention, elle a par ailleurs dĂ©cidĂ© d'en examiner conjointement la recevabilitĂ© et le fond. Le 10 fĂ©vrier 2009, la chambre, composĂ©e de Nicolas Bratza, Lech Garlicki, Giovanni Bonello, Ljiljana Mijović, David ThĂłr Björgvinsson, Ledi Bianku et Mihai Poalelungi, juges, et de Fatoş Aracı, greffiĂšre de section adjointe, s'est dessaisie en faveur de la Grande Chambre, aucune des parties, consultĂ©es Ă  cet effet, ne s'Ă©tant dĂ©clarĂ©e opposĂ©e Ă  pareille mesure (article 30 de la Convention et article 72 du rĂšglement). La composition de la Grande Chambre a Ă©tĂ© dĂ©terminĂ©e conformĂ©ment aux dispositions de l'article 27 §§ 2 et 3 de la Convention et de l'article 24 du rĂšglement.

4.  Les parties ont dĂ©posĂ© des observations Ă©crites sur la recevabilitĂ© et le fond des l'affaires. Des commentaires ont Ă©galement Ă©tĂ© reçus de la Commission de Venise, du Centre AIRE et de l'Open Society Justice Initiative, qui s'Ă©taient vu accorder l'autorisation d'intervenir dans la procĂ©dure Ă©crite (article 36 § 2 de la Convention et article 44 § 2 du rĂšglement).

5.  Une audience a eu lieu en public au Palais des droits de l'homme, Ă  Strasbourg, le 3 juin 2009 (article 54 § 3 du rĂšglement).

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement 
Mmes Z. Ibrahimović,  agente adjointe
 B. Skalonjić,  agente assistante
M. F. Turčinović,  conseiller ;

–  pour les requĂ©rants 
M. F.J. Leon Diaz,   
Mme  S.P. Rosenberg,  
M. C. Baldwin,  conseils.

La Cour a entendu Mme Ibrahimović, M. Leon Diaz, Mme Rosenberg et M. Baldwin. Le second requĂ©rant Ă©tait Ă©galement prĂ©sent Ă  l'audience.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A.  Le contexte

6.  La Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine (ci-aprĂšs dĂ©signĂ©e comme « la Constitution Â» ou « la Constitution de l'Etat Â» lorsqu'il est nĂ©cessaire de la distinguer des Constitutions des entitĂ©s) est une annexe Ă  l'Accord cadre gĂ©nĂ©ral pour la paix en Bosnie-HerzĂ©govine (« l'Accord de paix de Dayton Â»), paraphĂ© Ă  Dayton le 21 novembre 1995 et signĂ© Ă  Paris le 14 dĂ©cembre 1995. Partie intĂ©grante d'un traitĂ© de paix, la Constitution a Ă©tĂ© rĂ©digĂ©e et adoptĂ©e sans qu'aient Ă©tĂ© appliquĂ©es les procĂ©dures qui auraient pu lui confĂ©rer une lĂ©gitimitĂ© dĂ©mocratique. NĂ©gociĂ©e et publiĂ©e dans une langue Ă©trangĂšre, l'anglais, elle reprĂ©sente l'unique cas de Constitution n'ayant jamais Ă©tĂ© officiellement publiĂ©e dans les langues officielles du pays concernĂ©. La Constitution confirmait le maintien de l'existence juridique de la Bosnie-HerzĂ©govine en tant qu'Etat, tout en modifiant sa structure interne. En vertu de la Constitution, la Bosnie-HerzĂ©govine se compose de deux entitĂ©s : la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine et la Republika Srpska. L'Accord de paix de Dayton avait laissĂ© sans rĂ©ponse la question de la ligne de sĂ©paration des entitĂ©s dans la rĂ©gion de Brčko, mais les parties s'Ă©taient mises d'accord pour soumettre cette question Ă  un arbitrage contraignant (article V de l'annexe 2 Ă  l'Accord de paix de Dayton). Une sentence arbitrale du 5 mars 1999 a crĂ©Ă© un district de Brčko placĂ© sous la souverainetĂ© exclusive de l'Etat.

7.  Le prĂ©ambule Ă  la Constitution qualifie les Bosniaques, les Croates et les Serbes de « peuples constituants Â». Au niveau de l'Etat, des arrangements de partage du pouvoir ont Ă©tĂ© introduits qui rendent impossible l'adoption de dĂ©cisions contre la volontĂ© des reprĂ©sentants de l'un quelconque des « peuples constituants Â». Ont ainsi Ă©tĂ© prĂ©vus un veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux, un veto des entitĂ©s, un systĂšme bicamĂ©ral (avec une Chambre des peuples composĂ©e de cinq Bosniaques et cinq Croates de la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine et de cinq Serbes de la Republika Srpska) et une prĂ©sidence collĂ©giale de trois membres, composĂ©e de un Bosniaque et un Croate de la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine et de un Serbe de la Republika Srpska (pour plus de dĂ©tails, voir les paragraphes 12 et 22 ci-dessous).

B.  La prĂ©sente espĂšce

8.  Les requĂ©rants sont nĂ©s en 1956 et en 1943 respectivement. Ils ont occupĂ© dans le passĂ© et continuent d'occuper des fonctions publiques importantes. M. Sejdić est actuellement le contrĂŽleur rom de la mission de l'OSCE en Bosnie-HerzĂ©govine ; il avait prĂ©cĂ©demment siĂ©gĂ© comme membre du Conseil rom de Bosnie-HerzĂ©govine (l'organe reprĂ©sentatif suprĂȘme de la communautĂ© rom locale) et du Conseil consultatif pour les Roms (organe mixte comprenant des reprĂ©sentants de la communautĂ© rom locale et des ministĂšres compĂ©tents). M. Finci est actuellement ambassadeur de Bosnie-HerzĂ©govine en Suisse ; il avait auparavant exercĂ© diverses fonctions, et notamment celle de prĂ©sident du Conseil interreligieux de Bosnie-HerzĂ©govine et celle de chef de l'agence de la fonction publique nationale.

9.  Les requĂ©rants se disent l'un d'origine rom, l'autre d'origine juive. DĂšs lors qu'ils ne dĂ©clarent d'appartenance Ă  aucun des « peuples constituants Â», ils n'ont pas qualitĂ© pour se porter candidats aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples (la deuxiĂšme chambre du Parlement de l'Etat) ou Ă  la prĂ©sidence (collective) de l'Etat. M. Finci a obtenu le 3 janvier 2007 une confirmation officielle de cet Ă©tat de choses.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX ET INTERNES PERTINENTS

A.  L'Accord de paix de Dayton

10.  L'Accord de paix de Dayton, paraphĂ© sur la base aĂ©rienne de Wright-Patterson, non loin de Dayton (Etats-Unis), le 21 novembre 1995 et signĂ© Ă  Paris (France) le 14 dĂ©cembre 1995, Ă©tait l'aboutissement de quelque quarante-quatre mois de nĂ©gociations intermittentes menĂ©es sous les auspices de la ConfĂ©rence internationale sur l'ex-Yougoslavie et du Groupe de contact. Il est entrĂ© en vigueur le 14 dĂ©cembre 1995 et comporte douze annexes.

1.  L'Annexe 4 (la Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine)

11.  La Constitution Ă©tablit une distinction entre les « peuples constituants Â» (qui regroupent les personnes dĂ©clarant appartenir au groupe des Bosniaques1, Ă  celui des Croates ou Ă  celui des Serbes) et les « autres Â» (les membres de minoritĂ©s ethniques et les personnes qui ne dĂ©clarent d'appartenance Ă  aucun groupe particulier, par exemple parce qu'elles ont Ă©pousĂ© une personne d'une origine ethnique diffĂ©rente de la leur, parce que leurs parents ont chacun une origine ethnique diffĂ©rente, ou pour d'autres raisons encore). Dans l'ex-Yougoslavie, l'appartenance Ă  un groupe ethnique Ă©tait dĂ©cidĂ©e par les personnes elles-mĂȘmes, en vertu d'un systĂšme d'autoclassification. Ainsi, aucun critĂšre objectif, tel la connaissance d'une langue dĂ©terminĂ©e ou l'appartenance Ă  une religion donnĂ©e, n'Ă©tait requis. Il n'y avait pas non plus d'exigence d'acceptation par les autres membres du groupe ethnique concernĂ©. La Constitution ne comporte aucune disposition concernant la dĂ©termination de l'appartenance ethnique des gens. Ses rĂ©dacteurs ont apparemment supposĂ© que l'autoclassification traditionnelle suffirait.

12.  Seules les personnes dĂ©clarant une appartenance Ă  l'un des peuples constituants peuvent se prĂ©senter Ă  la Chambre des peuples (la seconde chambre du Parlement national) et Ă  la prĂ©sidence (collĂ©giale) de l'Etat. Les dispositions de la Constitution pertinentes pour la prĂ©sente espĂšce sont les suivantes :

Article IV

« L'AssemblĂ©e parlementaire comprend deux chambres : le Chambre des peuples et la Chambre des reprĂ©sentants.

1.  Chambre des peuples. La Chambre des peuples comprend quinze dĂ©lĂ©guĂ©s, deux tiers Ă©manant de la FĂ©dĂ©ration (cinq Croates et cinq Bosniaques) et un tiers Ă©manant de la Republika Srpska (cinq Serbes).

a)  Les dĂ©lĂ©guĂ©s croates et bosniaques dĂ©signĂ©s par la FĂ©dĂ©ration sont choisis, respectivement, par les dĂ©lĂ©guĂ©s croates et bosniaques Ă  la Chambre des peuples de la FĂ©dĂ©ration2. Les dĂ©lĂ©guĂ©s de la Republika Srpska sont choisis par l'AssemblĂ©e nationale de la Republika Srpska3.

b)  Neuf membres de la Chambre des peuples constituent un quorum, sous rĂ©serve de la prĂ©sence effective d'au moins trois dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques, trois dĂ©lĂ©guĂ©s croates et trois dĂ©lĂ©guĂ©s serbes.

2.  Chambre des reprĂ©sentants. La Chambre des reprĂ©sentants comporte quarante-deux membres, dont les deux tiers sont Ă©lus par le territoire de la FĂ©dĂ©ration et un tiers par le territoire de la Republika Srpska.

a)  Les membres de la Chambre des reprĂ©sentants sont Ă©lus directement par leur EntitĂ© conformĂ©ment aux dispositions d'une loi Ă©lectorale que l'AssemblĂ©e parlementaire approuvera. Toutefois, la premiĂšre Ă©lection est organisĂ©e conformĂ©ment Ă  l'annexe 3 de l'Accord-cadre gĂ©nĂ©ral.

b)  La majoritĂ© de tous les membres Ă©lus pour siĂ©ger Ă  la Chambre des reprĂ©sentants constitue le quorum

3.  ProcĂ©dures

a)  Chacune des deux chambres se rĂ©unit Ă  Sarajevo au plus tard trente jours aprĂšs sa formation ou son Ă©lection.

b)  Chaque chambre adopte Ă  la majoritĂ© son rĂšglement intĂ©rieur et choisit parmi ses membres un Serbe, un Bosniaque et un Croate comme PrĂ©sident et Vice-PrĂ©sidents, la PrĂ©sidence revenant Ă  tour de rĂŽle Ă  chacune des trois personnes choisies.

c)  Toute lĂ©gislation nĂ©cessite l'approbation des deux chambres.

d)  Toutes les dĂ©cisions des deux chambres sont prises Ă  la majoritĂ© des votants prĂ©sents en personne. Les dĂ©lĂ©guĂ©s et les membres font leur possible pour que la majoritĂ© comporte au moins un tiers des suffrages Ă©manant de territoire de chaque EntitĂ©. Si la majoritĂ© exprimĂ©e ne comprend pas un tiers des voix des dĂ©lĂ©guĂ©s ou membres du territoire de chaque EntitĂ©, le PrĂ©sident et les Vice-prĂ©sidents se constituent en commission et essaient d'obtenir l'approbation dans les trois jours suivant le scrutin. En cas d'Ă©chec, les dĂ©cisions sont prises Ă  la majoritĂ© des prĂ©sents et votants Ă  condition que les suffrages contraires ne soient pas en nombre Ă©gal ou supĂ©rieur aux deux tiers du nombre des dĂ©lĂ©guĂ©s ou des membres Ă©lus par l'une ou l'autre des EntitĂ©s.

e)  Un projet de dĂ©cision soumis Ă  l'AssemblĂ©e parlementaire peut ĂȘtre dĂ©clarĂ© contraire aux intĂ©rĂȘts vitaux du peuple bosniaque, croate ou serbe par une majoritĂ© des dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques, croates ou serbes, selon le cas, dĂ©signĂ©s conformĂ©ment aux dispositions de l'alinĂ©a 1 a) ci-dessus. Pour ĂȘtre approuvĂ© par la Chambre des peuples, un tel projet de dĂ©cision requiert la majoritĂ© des dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques, des dĂ©lĂ©guĂ©s croates et des dĂ©lĂ©guĂ©s serbes prĂ©sents et votants.

f)  Si une majoritĂ© de la dĂ©lĂ©gation bosniaque ou croate ou serbe s'oppose Ă  la mise en Ɠuvre des dispositions de l'alinĂ©a e), le PrĂ©sident de la Chambre des peuples rĂ©unit immĂ©diatement une Commission mixte composĂ©e de trois dĂ©lĂ©guĂ©s choisis respectivement par les dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques, croates et serbes affin de rĂ©soudre le litige. A dĂ©faut pour la Commission de rĂ©gler le problĂšme dans les cinq jours, la question est portĂ©e devant la Cour constitutionnelle, qui vĂ©rifie la rĂ©gularitĂ© de la procĂ©dure parlementaire en appliquant une procĂ©dure d'urgence.

g)  La dissolution de la Chambre des peuples peut ĂȘtre prononcĂ©e par la PrĂ©sidence ou par la Chambre elle-mĂȘme, Ă  condition que la dĂ©cision de la Chambre soit approuvĂ©e par une majoritĂ© comprenant la majoritĂ© des dĂ©lĂ©guĂ©s d'au moins deux des peuples bosniaque, croate ou serbe. Toutefois, la Chambre des peuples Ă©lue lors des premiĂšres Ă©lections aprĂšs l'entrĂ©e en vigueur de la prĂ©sente Constitution ne peut pas ĂȘtre dissoute.

h)  Les dĂ©cisions de l'AssemblĂ©e parlementaire n'entrent en vigueur qu'aprĂšs publication.

i)  Les deux chambres publient un compte rendu complet de leurs dĂ©libĂ©rations et, sauf circonstances exceptionnelles prĂ©vues par leurs rĂšglements, leurs dĂ©libĂ©rations sont publiques.

j)  La responsabilitĂ© des dĂ©lĂ©guĂ©s et des membres ne peut ĂȘtre recherchĂ©e au civil ni au pĂ©nal pour les actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions auprĂšs de l'AssemblĂ©e parlementaire.

4.  Pouvoirs. Les pouvoirs suivants sont exercĂ©s par l'AssemblĂ©e parlementaire :

a)  Promulguer les lois nĂ©cessaires pour mettre en Ɠuvre les dĂ©cisions de la PrĂ©sidence ou exercer les responsabilitĂ©s de l'AssemblĂ©e aux termes de la prĂ©sente Constitution.

b)  DĂ©cider des sources et des montants des recettes nĂ©cessaires pour le fonctionnement des institutions de la Bosnie-HerzĂ©govine et pour l'exĂ©cution de ses obligations internationales.

c)  Approuver le budget des institutions de la Bosnie-HerzĂ©govine.

d)  Consentir ou non Ă  la ratification des traitĂ©s.

e) RĂ©gler toutes autres questions nĂ©cessaires pour remplir ses fonctions ou s'acquitter des charges qui lui sont attribuĂ©es par consentement mutuel des EntitĂ©s.

Article V

« La PrĂ©sidence de la Bosnie-HerzĂ©govine se compose de trois membres, un Bosniaque, un Croate, chacun Ă©lu directement par le territoire de la FĂ©dĂ©ration, et un Serbe Ă©lu directement par le territoire de la Republika Srpska.

1.  Election et durĂ©e du mandat Ă©lectif

a)  Les membres de la PrĂ©sidence sont Ă©lus directement dans chaque EntitĂ© (chaque Ă©lecteur votant en vue de pourvoir un siĂšge Ă  la PrĂ©sidence) conformĂ©ment aux dispositions d'une loi Ă©lectorale adoptĂ©e par l'AssemblĂ©e parlementaire. Toutefois, la premiĂšre Ă©lection se dĂ©roule conformĂ©ment aux dispositions de l'annexe 3 de l'Accord-cadre gĂ©nĂ©ral. Tout siĂšge vacant Ă  la PrĂ©sidence est pourvu par l'EntitĂ© concernĂ©e conformĂ©ment Ă  une loi que l'AssemblĂ©e parlementaire devra adopter.

b)  Les membres de la PrĂ©sidence Ă©lus lors des premiĂšres Ă©lections restent en poste pour un mandat de deux ans ; le mandat des membres Ă©lus ensuite est de quatre ans. Les membres sont rĂ©Ă©ligibles une fois pour se succĂ©der Ă  eux-mĂȘmes et sont ensuite inĂ©ligibles pendant quatre ans

2.  ProcĂ©dures

a)  La PrĂ©sidence fixe son propre rĂšglement, qui prĂ©voit un dĂ©lai de convocation suffisant pour toutes les rĂ©unions de la PrĂ©sidence.

b)  Les membres de la PrĂ©sidence se choisissent un PrĂ©sident en leur sein. Pour le premier mandat de la PrĂ©sidence, le PrĂ©sident est celui des membres qui a recueilli le plus grand nombre de voix. Par la suite, l'AssemblĂ©e parlementaire dĂ©finit la mĂ©thode d'Ă©lection du PrĂ©sident, par tour de rĂŽle ou autrement, sous rĂ©serve des dispositions de l'article IV § 3.

c)  La PrĂ©sidence s'efforce d'adopter par consensus toutes les dĂ©cisions prĂ©sidentielles (c'est-Ă -dire celles concernant les questions qui relĂšvent de l'article V § 3 a)–c)). Sous rĂ©serve des dispositions de l'alinĂ©a d) ci-aprĂšs, ces dĂ©cisions peuvent nĂ©anmoins ĂȘtre adoptĂ©es par deux membres, si tous les efforts en vue d'obtenir un consensus ont Ă©chouĂ©.

d)  Un membre dissident de la PrĂ©sidence peut dĂ©clarer qu'une dĂ©cision prĂ©sidentielle est contraire Ă  un intĂ©rĂȘt vital de l'EntitĂ© Ă  laquelle appartient le territoire qui a Ă©lu ledit membre, Ă  condition de manifester son oppositions dans les trois jours qui suivent l'adoption de la dĂ©cision contestĂ©e. La dĂ©cision est immĂ©diatement soumise Ă  l'AssemblĂ©e nationale de la Republika Srpska si la dĂ©claration a Ă©tĂ© faite par le membre reprĂ©sentant le territoire, Ă  la dĂ©lĂ©gation bosniaque Ă  la Chambre des peuples de la FĂ©dĂ©ration si la dĂ©claration a Ă©tĂ© faite par le membre bosniaque, ou Ă  la dĂ©lĂ©gation croate de cette mĂȘme chambre, si la dĂ©claration a Ă©tĂ© faite par le reprĂ©sentant croate. Dans l'Ă©ventualitĂ© oĂč la dĂ©claration est confirmĂ©e par un vote des deux tiers de ces personnes dans les dix jours de la saisine, la dĂ©cision prĂ©sidentielle contestĂ©e ne peut ĂȘtre suivie d'effet.

3.  Pouvoirs. La PrĂ©sidence est investie de la responsabilitĂ©

a)  De conduire la politique Ă©trangĂšre de la Bosnie-HerzĂ©govine.

b)  De nommer les ambassadeurs et autres reprĂ©sentants de la Bosnie-HerzĂ©govine dans les relations internationales, deux tiers au maximum de ceux-ci pouvant provenir du territoire de la FĂ©dĂ©ration.

c)  De reprĂ©senter la Bosnie-HerzĂ©govine auprĂšs des institutions et organisations europĂ©ennes et internationales et de solliciter l'adhĂ©sion de la Bosnie-HerzĂ©govine auprĂšs des institutions et organisations dont elle n'est pas membre.

d)  De nĂ©gocier, dĂ©noncer et, avec l'accord de l'AssemblĂ©e parlementaire, de ratifier les traitĂ©s de la Bosnie-HerzĂ©govine.

e)  De mettre Ă  exĂ©cution les dĂ©cisions de l'AssemblĂ©e parlementaire.

f)  De proposer, sur recommandation du Conseil des ministres, un budget annuel Ă  l'AssemblĂ©e parlementaire.

g)  De rendre compte Ă  l'AssemblĂ©e parlementaire des dĂ©penses de la PrĂ©sidence, sur demande de l'AssemblĂ©e mais au moins une fois par an.

h)  D'assurer la coordination nĂ©cessaire avec les organisations internationales et non gouvernementales en Bosnie-HerzĂ©govine.

i)  De remplir toutes autres fonctions Ă©ventuellement nĂ©cessaires pour s'acquitter de ses obligations, de celles qui peuvent lui ĂȘtre confiĂ©es par l'AssemblĂ©e parlementaire ou de celles dont les EntitĂ©s peuvent convenir. Â»

13.  Les arrangements constitutionnels incriminĂ©s en l'espĂšce ne se trouvaient pas inclus dans l'accord de principe qui constituait la trame de ce que contiendrait le futur Accord de paix de Dayton (voir les paragraphes 6.1 et 6.2 du nouvel accord de principe du 26 septembre 1995). Il semblerait que les mĂ©diateurs internationaux aient avec rĂ©ticence acceptĂ© ces arrangements Ă  un stade ultĂ©rieur, sur l'insistance pressante de certaines des parties au conflit (voir Nystuen4, Achieving Peace or Protecting Human Rights: Conflicts between Norms Regarding Ethnic Discrimination in the Dayton Peace Agreement, Ă©ditions Martinus Nijhoff, 2005, p. 192, et O'Brien5, The Dayton Agreement in Bosnia: Durable Cease-Fire, Permanent Negotiation, in Zartman and Kremenyuk (Ă©ds), Peace versus Justice: Negotiating Forward- and Backward-Looking Outcomes, Ă©ditions Rowman & Littlefield, 2005, p. 105).

14.  Parfaitement conscients que les dispositions constitutionnelles litigieuses Ă©taient selon toute vraisemblance en conflit avec les droits de l'homme, les mĂ©diateurs internationaux estimĂšrent qu'il Ă©tait spĂ©cialement important de faire de la Constitution un instrument dynamique et de prĂ©voir la possibilitĂ© d'une disparition progressive des mĂ©canismes constitutionnels en cause. C'est la raison pour laquelle ils insĂ©rĂšrent dans la Constitution l'article II § 2 (voir Nystuen, prĂ©citĂ©, p. 100). Cette disposition est ainsi libellĂ©e :

« Les droits et les libertĂ©s dĂ©finis dans la Convention europĂ©enne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertĂ©s fondamentales et ses Protocoles s'appliquent directement en Bosnie-HerzĂ©govine. Ils priment tout autre droit. Â»

Si dans ses dĂ©cisions U 5/04 du 31 mars 2006 et U 13/05 du 26 mai 2006 la Cour constitutionnelle de Bosnie-HerzĂ©govine a jugĂ© que la Convention europĂ©enne des droits de l'homme ne primait pas la Constitution, elle est parvenue Ă  une conclusion diffĂ©rente dans sa dĂ©cision AP 2678/06 du 29 septembre 2006. Dans l'affaire en question, elle Ă©tait appelĂ©e Ă  connaĂźtre d'une plainte pour discrimination concernant l'impossibilitĂ© faite au plaignant de se prĂ©senter aux Ă©lections Ă  la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine Ă  raison de son origine ethnique (il s'agissait d'un Bosniaque de la Republika Srpska). La Cour constitutionnelle rejeta le recours sur le fond. La partie pertinente de la dĂ©cision de la majoritĂ© se lit ainsi (le texte qui suit est une traduction de la traduction anglaise fournie par la Cour constitutionnelle) :

« 18.  Les plaignants soutiennent que leurs droits ont Ă©tĂ© violĂ©s, l'article II § 2 de la Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine prĂ©cisant que les droits et les libertĂ©s dĂ©finis dans la Convention europĂ©enne et ses Protocoles sont directement applicables en Bosnie-HerzĂ©govine et qu'ils priment tout autre droit. Les intĂ©ressĂ©s estiment que la candidature Ă  la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine de Ilijaz Pilav a Ă©tĂ© rejetĂ©e exclusivement sur la base de son origine nationale/ethnique, en quoi ils voient une violation de l'article 1 du Protocole no 12 Ă  la Convention europĂ©enne, qui garantit que la jouissance de tout droit prĂ©vu par la loi doit ĂȘtre assurĂ©e sans discrimination aucune et que nul ne peut faire l'objet, pour quelque motif que ce soit, et notamment pour des motifs d'origine nationale/ethnique, d'une discrimination de la part d'une autoritĂ© publique quelle qu'elle soit.

(...)

22.  Nul ne conteste que le texte de l'article V de la Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine et le texte de l'article 8 de la loi Ă©lectorale de 2001 sont de nature restrictive dĂšs lors qu'ils restreignent les droits civiques, et plus prĂ©cisĂ©ment le droit de se porter candidat aux Ă©lections Ă  la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine, des Bosniaques et des Croates du territoire de la Republika Srpska et des Serbes du territoire de la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine. Cela Ă©tant, le but des dispositions en cause est de renforcer la position des peuples constituants de maniĂšre Ă  garantir que la prĂ©sidence se compose de reprĂ©sentants de chacun de ces trois peuples constituants. Eu Ă©gard Ă  la situation qui rĂšgne actuellement en Bosnie-HerzĂ©govine, la restriction imposĂ©e par la Constitution et par la loi Ă©lectorale de 2001, en vertu de laquelle les candidatures des requĂ©rants ne sont pas traitĂ©es de la mĂȘme façon que celles de Serbes qui sont directement Ă©lus Ă  partir du territoire de la Republika Srpska, est lĂ©gitime aujourd'hui car il existe une justification raisonnable au traitement en cause. Par consĂ©quent, eu Ă©gard Ă  la situation qui prĂ©vaut aujourd'hui en Bosnie-HerzĂ©govine et Ă  la nature spĂ©cifique de l'ordre constitutionnel de cet Etat, et compte tenu des dispositifs constitutionnels et lĂ©gislatifs en vigueur, les dĂ©cisions incriminĂ©es de la Cour de Bosnie-HerzĂ©govine et de la Commission Ă©lectorale centrale n'ont pas violĂ© les droits des plaignants dĂ©coulant de l'article 1 du Protocole no 12 Ă  la Convention europĂ©enne et de l'article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dĂšs lors que les dĂ©cisions mentionnĂ©es ne sont pas arbitraires et qu'elles sont fondĂ©es sur le droit. Cela signifie qu'elles servent un but lĂ©gitime, qu'elles reposent sur des motifs raisonnables et qu'elles ne font pas peser une charge excessive sur les plaignants, les restrictions imposĂ©es aux droits de ces derniers Ă©tant proportionnĂ©es aux objectifs d'utilitĂ© publique que constituent la prĂ©servation de la paix Ă©tablie, le maintien du dialogue et, par consĂ©quent, la crĂ©ation des conditions permettant de modifier les dispositions prĂ©citĂ©es de la Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine et de la loi de 2001 relative aux Ă©lections. Â»

15.  En ce qui concerne les amendements Ă  la Constitution, l'article 10 de celle-ci est ainsi libellĂ© :

« 1.  ProcĂ©dure. La prĂ©sente Constitution peut ĂȘtre rĂ©visĂ©e par dĂ©cision de l'AssemblĂ©e parlementaire prise Ă  la majoritĂ© des deux tiers des votants prĂ©sents en personne Ă  la Chambre des reprĂ©sentants.

2.  Droits de l'homme et libertĂ©s fondamentales. Aucun amendement Ă  la prĂ©sente Constitution ne peut Ă©liminer ou restreindre les droits ou libertĂ©s visĂ©s Ă  l'article II de la prĂ©sente Constitution, ni modifier les dispositions du prĂ©sent alinĂ©a. Â»

Le 26 mars 2009, l'AssemblĂ©e parlementaire a modifiĂ© pour la premiĂšre fois la Constitution, conformĂ©ment Ă  la procĂ©dure susdĂ©crite. L'amendement en question concernait le statut du district de Brčko.

2.  Annexe 10 (l'Accord relatif aux aspects civils de la mise en Ɠuvre de l'Accord de paix)

16.  L'Accord relatif aux aspects civils de la mise en Ɠuvre de l'Accord de paix dĂ©finit le mandat du Haut ReprĂ©sentant, l'administrateur international de la Bosnie-HerzĂ©govine, mis en place avec l'autorisation du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies par un groupe informel d'Etats qui avaient activement participĂ© au processus de paix (appelĂ© le Conseil de mise en Ɠuvre de la paix) en vertu du chapitre VII de la Charte des nations unies (voir la RĂ©solution 1031 du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies du 15 dĂ©cembre 1995).

17.  Il est de notoriĂ©tĂ© publique que les pouvoirs du Haut ReprĂ©sentant sont Ă©tendus (voir Berić et autres c. Bosnie-HerzĂ©govine (dĂ©c.) nos 36357/04 et autres, CEDH 2007-XII). Le Haut ReprĂ©sentant a imposĂ© Ă  de nombreuses reprises l'adoption de textes lĂ©gislatifs ordinaires et d'amendements aux Constitutions des entitĂ©s (les Constitutions des entitĂ©s, contrairement Ă  la Constitution de l'Etat, ne font pas partie de l'Accord de paix de Dayton). La question de savoir s'il pourrait imposer des amendements Ă  la Constitution de l'Etat est toutefois moins claire. L'Accord de paix de Dayton est muet Ă  cet Ă©gard, mais un Ă©pisode concernant une erreur de frappe dans la Constitution de l'Etat donne Ă  penser qu'il y a lieu de rĂ©pondre par la nĂ©gative Ă  cette question. Plusieurs mois aprĂšs l'entrĂ©e en vigueur de l'Accord de paix de Dayton, certains des juristes internationaux qui avaient assistĂ© aux nĂ©gociations se rendirent compte qu'un renvoi opĂ©rĂ© Ă  l'article V § 2 c) de la Constitution Ă©tait erronĂ© (le texte renvoyait Ă  l'article III § 1 a)-e), alors qu'il aurait dĂ» renvoyer Ă  l'article V § 3 a)-e)). En novembre 1996, le Haut ReprĂ©sentant, M. Bildt, adressa au SecrĂ©taire d'Etat amĂ©ricain, M. Christopher, une lettre dans laquelle il proposait de corriger l'erreur commise en se fondant sur l'Annexe 10 Ă  l'Accord de paix de Dayton. M. Christopher considĂ©ra que l'autoritĂ© que M. Bildt exerçait au titre de l'Annexe 10 ne s'Ă©tendait pas Ă  la Constitution de l'Etat (voir le texte de leur Ă©change de correspondance dans Nystuen, prĂ©citĂ©, pp. 80-81). Peu aprĂšs, l'erreur fut corrigĂ©e sans dĂ©cision formelle : le Haut ReprĂ©sentant informa simplement la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine et publia une version corrigĂ©e de la Constitution de l'Etat. L'Ă©lĂ©ment pertinent pour les prĂ©sentes espĂšces est que la position officielle des Hauts ReprĂ©sentants successifs a toujours Ă©tĂ© depuis lors que leur pouvoir ne s'Ă©tend pas Ă  la Constitution de l'Etat. On en trouve confirmation dans le discours prononcĂ© par Lord Ashdown en sa qualitĂ© de Haut ReprĂ©sentant devant la Commission de Venise (voir le rapport de la 60e session plĂ©niĂšre de la Commission de Venise, CDL-PV(2004)003 du 3 novembre 2004, p. 18). Le discours en question comportait notamment le passage suivant :

« Si la Bosnie-HerzĂ©govine veut adhĂ©rer Ă  l'Union europĂ©enne et Ă  l'OTAN, elle doit impĂ©rativement dĂ©montrer qu'elle est un Etat qui fonctionne. En Bosnie-HerzĂ©govine, les membres de la classe politique commencent dĂ©jĂ  Ă  se rendre compte qu'ils sont face Ă  un choix : garder la Constitution actuelle et en payer le prix sur le plan Ă©conomique, social et politique, ou lui apporter les modifications nĂ©cessaires pour que la Bosnie-HerzĂ©govine devienne un pays stable et prospĂšre dont les institutions fonctionnent et pour qu'elle puisse entrer dans l'Union europĂ©enne. A mon avis, les habitants de Bosnie-HerzĂ©govine n'accepteront pas que la Constitution soit un obstacle Ă  leur sĂ©curitĂ© et Ă  leur prospĂ©ritĂ©.

Mais nous ne pouvons pas lever cet obstacle Ă  leur place.

Le Conseil de mise en Ɠuvre de la paix et les Hauts ReprĂ©sentants successifs (dont moi-mĂȘme) ont toujours dĂ©fendu la mĂȘme position : si tant est que les parties respectent les accords de Dayton (et Ă  cet Ă©gard subsiste le problĂšme de la coopĂ©ration de la Republika Srpska avec le tribunal de La Haye) la Constitution de la Bosnie-HerzĂ©govine peut ĂȘtre modifiĂ©e par l'AssemblĂ©e parlementaire de la Bosnie-HerzĂ©govine (et non par la communautĂ© internationale) selon les procĂ©dures prĂ©vues. En d'autres termes, Ă  condition que les accords de Dayton soient respectĂ©s, les pouvoirs du Haut ReprĂ©sentant ne durent que ce que durent ces accords et il appartient Ă  la population de Bosnie-HerzĂ©govine et Ă  ses reprĂ©sentants Ă©lus de dĂ©cider des modifications Ă  apporter Ă  l'ordre constitutionnel prĂ©vu par les textes de Dayton. Â»

B.  La loi Ă©lectorale de 2001

18.  La loi Ă©lectorale de 2001 (publiĂ©e au Journal officiel de Bosnie-HerzĂ©govine no 23/01 du 19 septembre 2001 ; amendements publiĂ©s au Journaux officiels nos 7/02 du 10 avril 2002, 9/02 du 3 mai 2002, 20/02 du 3 aoĂ»t 2002, 25/02 du 10 septembre 2002, 4/04 du 3 mars 2004, 20/04 du 17 mai 2004, 25/05 du 26 avril 2005, 52/05 du 2 aoĂ»t 2005, 65/05 du 20 septembre 2005, 77/05 du 7 novembre 2005, 11/06 du 20 fĂ©vrier 2006, 24/06 du 3 avril 2006, 32/07 du 30 avril 2007, 33/08 du 22 avril 2008 et 37/08 du 7 mai 2008) est entrĂ©e en vigueur le 27 septembre 2001. Ses dispositions pertinentes en l'espĂšce sont ainsi libellĂ©es :

Article 1.4 § 1

« Tout citoyen de Bosnie-HerzĂ©govine ayant atteint l'Ăąge de dix-huit (18) ans a le droit de voter et d'ĂȘtre Ă©lu conformĂ©ment Ă  la prĂ©sente loi. Â»

Article 4.8

« Pour ĂȘtre admis sur la liste des candidats aux Ă©lections, un candidat indĂ©pendant doit prĂ©senter Ă  la Commission Ă©lectorale centrale une demande de participation aux Ă©lections comportant au moins :

1.  mille cinq cents (1 500 signatures) de votants enregistrĂ©s pour les Ă©lections Ă  la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine ;

(...) Â»

Article 4.19 §§ 5-7

« Chaque liste de candidats comporte les nom et prĂ©noms des personnes qui y figurent, leur numĂ©ro d'identification personnelle (numĂ©ro JMBG), l'adresse de leur rĂ©sidence permanente, leur appartenance Ă  l'un des peuples constituants ou au groupe des « autres Â», le numĂ©ro de leur carte d'identitĂ©, qui doit ĂȘtre valable, et le lieu oĂč elle a Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©e, ainsi qu'une signature du prĂ©sident du parti politique [auquel elles appartiennent] ou des prĂ©sidents des partis politiques de la coalition. Pour chaque candidat, la dĂ©claration d'acceptation de candidature, une dĂ©claration confirmant l'absence d'empĂȘchements au sens de l'article 1.10 § 1(4) de la prĂ©sente loi et une dĂ©claration indiquant l'Ă©tat de son patrimoine au sens de l'article 15.7 de la prĂ©sente loi doivent ĂȘtre annexĂ©es Ă  la liste. Ces dĂ©clarations doivent ĂȘtre certifiĂ©es conformes.

La dĂ©claration d'appartenance Ă  l'un des peuples constituants ou au groupe des « autres Â» visĂ©e au paragraphe prĂ©cĂ©dent sera utilisĂ©e aux fins de l'exercice du droit de dĂ©tenir un poste Ă©lectif ou administratif pour lequel pareille dĂ©claration est requise dans le cycle Ă©lectoral pour lequel la liste de candidats a Ă©tĂ© soumise.

Les candidats ont le droit de ne pas dĂ©clarer leur appartenance Ă  l'un des peuples constituants ou au groupe des « autres Â». Pareille absence de dĂ©claration sera toutefois considĂ©rĂ©e comme une renonciation au droit de dĂ©tenir un poste Ă©lectif ou administratif pour lequel pareille dĂ©claration est requise. Â»

Article 8.1

« Les membres de la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine directement Ă©lus Ă  partir du territoire de la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine – un Bosniaque et un Croate – sont Ă©lus par les Ă©lecteurs inscrits au registre central des Ă©lecteurs appelĂ©s Ă  voter au sein de la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine. Un Ă©lecteur inscrit au registre central des Ă©lecteurs appelĂ©s Ă  voter au sein de la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine peut voter soit pour le membre bosniaque, soit pour le membre croate de la prĂ©sidence, mais non pour les deux. Sont Ă©lus le membre bosniaque et le membre croate qui recueillent le plus grand nombre de suffrages parmi les candidats du mĂȘme peuple constituant.

Le membre de la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine directement Ă©lu dans le territoire de la Republika Srpska – un Serbe – est Ă©lu par les Ă©lecteurs inscrits au registre central des Ă©lecteurs appelĂ©s Ă  voter en Republika Srpska. Est Ă©lu le candidat qui recueille le plus grand nombre de suffrages.

Le mandat des membres de la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine est de quatre (4) ans. Â»

Article 9.12 a

« Les dĂ©lĂ©guĂ©s croates et bosniaques de la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine sont Ă©lus par le groupe des dĂ©lĂ©guĂ©s croates ou le groupe des dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques, suivant le cas, Ă  la Chambre des peuples de la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine.

Les délégués croates et bosniaques à la Chambre des peuples de la Fédération de Bosnie-Herzégovine élisent les délégués de leurs peuples constituants respectifs.

Les dĂ©lĂ©guĂ©s serbes et les dĂ©lĂ©guĂ©s du groupe des « autres Â» Ă  la Chambre des peuples de la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine ne participent pas au processus d'Ă©lection des dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques et croates de la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine.

Les délégués de la Republika Srpska (cinq Serbes) à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine sont élus par l'Assemblée nationale de la Republika Srpska.

Les dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques et croates et les dĂ©lĂ©guĂ©s du groupe des « autres Â» Ă  l'AssemblĂ©e nationale de la Republika Srpska participent au processus d'Ă©lection des dĂ©lĂ©guĂ©s de la Republika Srpska Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine. Â»

Article 9.12 c

« Les dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques et les dĂ©lĂ©guĂ©s croates Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine sont Ă©lus de telle maniĂšre que chaque entitĂ© politique reprĂ©sentĂ©e dans le groupe des dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques ou dans le groupe des dĂ©lĂ©guĂ©s croates ou chaque dĂ©lĂ©guĂ© du groupe des dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques ou du groupe des dĂ©lĂ©guĂ©s croates Ă  la Chambre des peuples de la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine ait le droit de faire figurer une ou plusieurs personnes sur la liste des candidats Ă  l'Ă©lection des dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques ou croates, selon le cas, Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine.

Chaque liste peut comporter plus de candidats qu'il ne faut Ă©lire de dĂ©lĂ©guĂ©s Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine. Â»

Article 9.12 e

« L'Ă©lection des dĂ©lĂ©guĂ©s de la Republika Srpska Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine est menĂ©e de telle maniĂšre que chaque parti politique ou chaque dĂ©lĂ©guĂ© Ă  l'AssemblĂ©e nationale de la Republika Srpska aient le droit de faire figurer une ou plusieurs personnes sur la liste des candidats Ă  l'Ă©lection des dĂ©lĂ©guĂ©s serbes Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine.

Chaque liste peut comporter plus de candidats qu'il ne faut Ă©lire de dĂ©lĂ©guĂ©s Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine. Â»

C.  Les Nations unies

19.  La Convention internationale sur l'Ă©limination de toutes les formes de discrimination raciale adoptĂ©e sous les auspices des Nations unies le 21 dĂ©cembre 1965 est entrĂ©e en vigueur Ă  l'Ă©gard de la Bosnie-HerzĂ©govine le 16 juillet 1993. La partie pertinente de son article premier est ainsi libellĂ©e :

« Dans la prĂ©sente Convention, l'expression « discrimination raciale Â» vise toute distinction, exclusion, restriction ou prĂ©fĂ©rence fondĂ©e sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de dĂ©truire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'Ă©galitĂ©, des droits de l'homme et des libertĂ©s fondamentales dans les domaines politique, Ă©conomique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique. Â»

La partie pertinente de l'article 5 est ainsi libellĂ©e :

« ConformĂ©ment aux obligations fondamentales Ă©noncĂ©es Ă  l'article 2 de la prĂ©sente Convention, les Etats parties s'engagent Ă  interdire et Ă  Ă©liminer la discrimination raciale sous toutes ses formes et Ă  garantir le droit de chacun Ă  l'Ă©galitĂ© devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d'origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants :

(...)

c)  droits politiques, notamment droit de participer aux Ă©lections – de voter et d'ĂȘtre candidat – selon le systĂšme du suffrage universel Ă©gal, droit de prendre part au gouvernement ainsi qu'Ă  la direction des affaires publiques, Ă  tous les Ă©chelons, et droit d'accĂ©der, dans des conditions d'Ă©galitĂ©, aux fonctions publiques ;

(...) Â»

Les « Observations finales Â» au sujet de la Bosnie-HerzĂ©govine publiĂ©es par le ComitĂ© pour l'Ă©limination de la discrimination raciale, l'organe indĂ©pendant qui surveille la mise en Ɠuvre de ladite Convention, comportait notamment le passage suivant (document CERD/C/BIH/CO/6 du 11 avril 2006, § 11) :

« Le ComitĂ© est vivement prĂ©occupĂ© par le fait qu'en vertu des articles IV et V de la Constitution nationale, seules les personnes appartenant Ă  un groupe considĂ©rĂ©, en vertu de la loi, comme l'un des peuples constitutifs de la Bosnie-HerzĂ©govine (Ă  savoir les Bosniaques, les Croates et les Serbes) et qui est majoritaire dans l'entitĂ© oĂč elles rĂ©sident (Ă  savoir Bosniaques et Croates dans la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine et Serbes en Republika Srpska) peuvent ĂȘtre Ă©lues Ă  la Chambre des peuples et Ă  la prĂ©sidence tripartite de la Bosnie-HerzĂ©govine. La structure juridique existante exclut donc de la Chambre des peuples et de la prĂ©sidence toutes les personnes dites « autres Â», c'est-Ă -dire les personnes appartenant Ă  des minoritĂ©s nationales ou Ă  des groupes ethniques autres que les Bosniaques, les Croates ou les Serbes. Bien que la structure tripartite des principales institutions politiques de l'Etat partie ait pu ĂȘtre justifiĂ©e, voire nĂ©cessaire dans un premier temps pour Ă©tablir la paix Ă  la suite du conflit armĂ©, le ComitĂ© note que les distinctions juridiques qui favorisent certains groupes ethniques en leur accordant des prĂ©fĂ©rences et des privilĂšges spĂ©ciaux ne sont pas compatibles avec les articles 1er et 5 c) de la Convention. Le ComitĂ© fait en outre observer que cela est particuliĂšrement vrai lorsque les circonstances au regard desquelles les prĂ©fĂ©rences et privilĂšges en question avaient Ă©tĂ© accordĂ©s ont cessĂ© d'exister (articles 1 4) et 5 c)).

Le ComitĂ© invite instamment l'Etat partie Ă  modifier les dispositions pertinentes de la Constitution nationale et de la loi Ă©lectorale, afin de garantir Ă  tous les citoyens, quelle que soit leur appartenance ethnique, l'exercice, dans des conditions d'Ă©galitĂ©, du droit de voter et d'ĂȘtre candidat. Â»

20.  Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adoptĂ© sous les auspices des Nations unies le 16 dĂ©cembre 1966 est entrĂ© en vigueur Ă  l'Ă©gard de la Bosnie-HerzĂ©govine le 6 mars 1992. Ses dispositions pertinentes en l'espĂšce sont les suivantes :

Article 2 § 1

« Les Etats parties au prĂ©sent pacte s'engagent Ă  respecter et Ă  garantir Ă  tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compĂ©tence les droits reconnus dans le prĂ©sent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinions politiques ou de toutes autres opinions, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. Â»

Article 25

« Tout citoyen a le droit et la possibilitĂ©, sans aucune des discriminations visĂ©es Ă  l'article 2 et sans restrictions dĂ©raisonnables :

a)  de prendre part Ă  la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermĂ©diaire de reprĂ©sentants librement choisis ;

b)  de voter et d'ĂȘtre Ă©lu, au cours d'Ă©lections pĂ©riodiques, honnĂȘtes, au suffrage universel et Ă©gal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volontĂ© des Ă©lecteurs ;

c)  d'accĂ©der, dans des conditions gĂ©nĂ©rales d'Ă©galitĂ©, aux fonctions publiques de son pays.

Article 26

« Toutes les personnes sont Ă©gales devant la loi et ont droit sans discrimination Ă  une Ă©gale protection de la loi. A cet Ă©gard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir Ă  toutes les personnes une protection Ă©gale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinions politiques et de toutes autres opinions, d'originale nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. Â»

Les « Observations finales Â» concernant la Bosnie-HerzĂ©govine publiĂ©es par le ComitĂ© des droits de l'homme, l'organe d'experts indĂ©pendants qui surveille la mise en Ɠuvre du Pacte, comportent notamment le passage suivant (document no CCPR/C/BIH/CO/1 du 22 novembre 2006, § 8) :

« Le ComitĂ© est prĂ©occupĂ© par le fait qu'Ă  la suite du rejet de l'amendement pertinent Ă  la Constitution le 26 avril 2006, la Constitution et la loi Ă©lectorale de l'Etat continuent Ă  exclure l'Ă©lection des « Autres Â», c'est-Ă -dire des personnes qui n'appartiennent pas Ă  l'un des « peuples constitutifs Â» de l'Etat partie (Bosniaques, Croates et Serbes), Ă  la Chambre des peuples ou Ă  la prĂ©sidence tripartite de Bosnie-HerzĂ©govine (articles 2, 25 et 26).

L'Etat partie devrait rouvrir les discussions sur la rĂ©forme constitutionnelle de maniĂšre transparente et sur une base largement participative, en incluant toutes les parties prenantes, en vue d'adopter un systĂšme Ă©lectoral qui garantisse Ă  tous les citoyens, quelle que soit leur origine ethnique, l'Ă©galitĂ© de jouissance des droits prĂ©vus Ă  l'article 25 du Pacte. Â»

D.  Le Conseil de l'Europe

21.  En devenant membre du Conseil de l'Europe le 24 avril 2002, la Bosnie-HerzĂ©govine s'est engagĂ©e notamment Ă  « revoir la loi Ă©lectorale dans un dĂ©lai d'un an, avec l'aide de la Commission pour la dĂ©mocratie par le droit (Commission de Venise) et Ă  la lumiĂšre des principes du Conseil de l'Europe, aux fins d'amendement, le cas Ă©chĂ©ant Â» (voir l'Avis 234 (2002) sur la demande d'adhĂ©sion de la Bosnie-HerzĂ©govine au Conseil de l'Europe, adoptĂ© par l'AssemblĂ©e parlementaire le 22 janvier 2002, § 15 iv) b)). Par la suite, l'AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l'Europe a rĂ©guliĂšrement rappelĂ© Ă  la Bosnie-HerzĂ©govine cette obligation souscrite au moment de l'adhĂ©sion et l'a invitĂ©e Ă  adopter une nouvelle Constitution avant octobre 2010 afin de « remplacer le dispositif de reprĂ©sentation ethnique par une reprĂ©sentation fondĂ©e sur le principe de citoyennetĂ©, notamment en mettant un terme Ă  la discrimination constitutionnelle envers les « autres Â» Â» (RĂ©solution 1383 (2004) du 23 juin 2004, § 3 ; RĂ©solution 1513 (2006) du 29 juin 2006, § 20 ; et RĂ©solution 1626 (2008) du 30 septembre 2008, § 8).

22.  La Commission de Venise, l'organe consultatif du Conseil de l'Europe pour les questions constitutionnelles, a de son cĂŽtĂ© Ă©mis un certain nombre d'avis Ă  ce sujet.

Celui sur la situation constitutionnelle en Bosnie-HerzĂ©govine et les pouvoirs du Haut ReprĂ©sentant (document CDL-AD(2005)004 du 11 mars 2005) comporte notamment le passage suivant :

« 1.  Le 23 juin 2004, l'AssemblĂ©e parlementaire du Conseil de l'Europe a adoptĂ© sa RĂ©solution 1384 sur le “Renforcement des institutions dĂ©mocratiques en Bosnie- HerzĂ©govine”. Le paragraphe 13 de cette RĂ©solution demande Ă  la Commission de Venise d'examiner plusieurs questions constitutionnelles en Bosnie-HerzĂ©govine.

(...)

29.  La [Bosnie-HerzĂ©govine] est un pays en transition qui doit faire face Ă  de graves problĂšmes Ă©conomiques et souhaite participer Ă  l'intĂ©gration europĂ©enne. Le pays ne pourra relever les nombreux dĂ©fis qui dĂ©coulent de cette situation que s'il dispose d'un gouvernement fort et efficace. Or, les rĂšgles constitutionnelles rĂ©gissant le fonctionnement des organes de l'Etat n'ont pas Ă©tĂ© conçues pour produire un gouvernement fort, mais pour empĂȘcher la majoritĂ© de prendre des dĂ©cisions nuisibles pour les autres groupes. On peut comprendre que, dans une situation d'aprĂšs conflit, il n'y ait pas eu (et qu'il n'y a toujours pas) suffisamment de confiance entre les groupes ethniques pour que l'Etat puisse fonctionner sur la base du seul principe majoritaire. Dans une telle situation, il importe de trouver des garanties spĂ©cifiques qui permettent Ă  tous les groupes principaux, Ă  savoir, en [BOSNIE-HERZÉGOVINE], les peuples constituants, d'accepter les rĂšgles constitutionnelles et de se sentir protĂ©gĂ©s par elles. Il s'ensuit que la Constitution de la [Bosnie-HerzĂ©govine] assure la protection des intĂ©rĂȘts des peuples constituants par le biais non seulement de dispositions territoriales qui correspondent Ă  leurs intĂ©rĂȘts, mais de la composition des organes de l'Etat et des rĂšgles rĂ©gissant leur fonctionnement. Il faut bel et bien, en pareil cas, rĂ©aliser un Ă©quilibre satisfaisant entre la nĂ©cessitĂ©, d'une part, de protĂ©ger les intĂ©rĂȘts de tous les peuples constituants et celle, d'autre part, de disposer d'un gouvernement efficace. Toutefois, la Constitution de la [Bosnie-HerzĂ©govine] contient de nombreuses dispositions garantissant la protection des intĂ©rĂȘts des peuples constituants : le veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux Ă  l'AssemblĂ©e parlementaire, le systĂšme bicamĂ©ral et la PrĂ©sidence collective sur la base de l'appartenance ethnique. L'effet combinĂ© de ces dispositions rend la tĂąche d'un gouvernement qui se voudrait efficace extrĂȘmement difficile, sinon impossible. Jusqu'Ă  prĂ©sent, le systĂšme a plus ou moins fonctionnĂ© en raison du rĂŽle crucial assumĂ© par le Haut ReprĂ©sentant. Or, ce rĂŽle n'est pas inscrit dans la durĂ©e.

Le veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux

30.  Le plus important mĂ©canisme mis en place pour Ă©viter qu'aucune dĂ©cision n'aille Ă  l'encontre des intĂ©rĂȘts d'un peuple constituant quel qu'il soit est le veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux. Si la majoritĂ© des reprĂ©sentants bosniaques, croates ou serbes de la Chambre des peuples dĂ©clarent un projet de dĂ©cision soumis Ă  l'AssemblĂ©e parlementaire contraire aux intĂ©rĂȘts vitaux de leur peuple, la majoritĂ© des reprĂ©sentants bosniaques, serbes et croates doivent voter pour la dĂ©cision pour que celle-ci soit adoptĂ©e. Une majoritĂ© des reprĂ©sentants d'un autre peuple peut s'opposer Ă  la mise en Ɠuvre de cette clause, auquel cas une procĂ©dure de conciliation est prĂ©vue et la Cour constitutionnelle se prononce en dernier ressort sur la rĂ©gularitĂ© de la procĂ©dure de mise en Ɠuvre. Il est intĂ©ressant de constater que la Constitution ne dĂ©finit pas la notion de veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux, Ă  la diffĂ©rence des Constitutions des EntitĂ©s, qui Ă©noncent une dĂ©finition (trop gĂ©nĂ©rale[10]).

31.  Il est Ă©vident, et cela a Ă©tĂ© confirmĂ© par un grand nombre d'interlocuteurs, que cette procĂ©dure comporte un sĂ©rieux risque de blocage du processus dĂ©cisionnel. D'autres ont fait valoir que ce risque ne devait pas ĂȘtre surestimĂ© car la procĂ©dure avait Ă©tĂ© rarement employĂ©e et, dans un arrĂȘt rendu le 25 juin 2004[11], la Cour constitutionnelle a commencĂ© Ă  interprĂ©ter la notion. En fait, l'arrĂȘt montre que la Cour ne considĂšre pas que les intĂ©rĂȘts vitaux sont une notion purement subjective laissĂ©e Ă  l'apprĂ©ciation de chaque membre du parlement et qui ne serait pas assujettie au contrĂŽle de la Cour. Au contraire, la Cour a examinĂ© les arguments avancĂ©s pour justifier le recours au veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux, a confirmĂ© la validitĂ© d'un argument et en a Ă©cartĂ© un autre.

32.  La Commission n'en estime pas moins nĂ©cessaire d'inscrire dans la Constitution une dĂ©finition prĂ©cise et rigoureuse des intĂ©rĂȘts vitaux. Le principal problĂšme posĂ© par le droit de veto n'est pas son utilisation, mais son effet prĂ©ventif. Étant donnĂ© que tous les hommes politiques concernĂ©s sont pleinement conscients de l'existence de la possibilitĂ© qu'un veto soit exprimĂ©, une question sur laquelle on peut s'attendre Ă  voir apposĂ© un veto ne sera mĂȘme pas mise aux voix. Du fait de l'existence du veto, une dĂ©lĂ©gation qui adopterait une position particuliĂšrement intransigeante et refuserait tout compromis serait en position de force. Certes, la jurisprudence ultĂ©rieure de la Cour constitutionnelle pourrait fournir une dĂ©finition des intĂ©rĂȘts vitaux et rĂ©duire les risques inhĂ©rents au mĂ©canisme. Mais cela pourrait prendre beaucoup de temps et il semble au surplus inappropriĂ© de confier une telle tĂąche ayant des incidences politiques majeures Ă  la seule Cour sans lui indiquer la voie Ă  suivre dans le texte de la Constitution.

33.  Dans la situation actuelle de la [Bosnie-HerzĂ©govine], il semble peu rĂ©aliste de demande la suppression pure et simple du veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux. La Commission n'en juge pas moins important d'insĂ©rer d'urgence une dĂ©finition prĂ©cise des intĂ©rĂȘts vitaux dans le texte de la Constitution. Cette dĂ©finition devra ĂȘtre arrĂȘtĂ©e par les reprĂ©sentants des trois peuples constituants, mais ne devrait pas reproduire la dĂ©finition qui se trouve actuellement dans les Constitutions des EntitĂ©s, laquelle permet de dĂ©signer comme intĂ©rĂȘt vital pratiquement n'importe quoi. Elle ne devrait pas ĂȘtre trop large, mais ĂȘtre axĂ©e sur les droits qui revĂȘtent une importance particuliĂšre pour les peuples respectifs, essentiellement dans des domaines tels que la langue, l'Ă©ducation et la culture[12].

Veto des entités

34.  En sus du veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux, l'art. IV.3.d) de la Constitution prĂ©voit un veto des deux tiers des membres de la dĂ©lĂ©gation de l'une ou de l'autre des EntitĂ©s. Ce veto, qui, en pratique, ne semble revĂȘtir un intĂ©rĂȘt potentiel que dans le cas de la RS[13], semble ĂȘtre rendu inutile par l'existence du veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux.

SystÚme bicaméral

35.  L'art. IV de la Constitution institue un systĂšme bicamĂ©ral composĂ© d'une Chambre des reprĂ©sentants et d'une Chambre des peuples, qui sont dotĂ©es des mĂȘmes pouvoirs. Les systĂšmes bicamĂ©raux Ă©tant caractĂ©ristiques des Etats fĂ©dĂ©raux, il n'est pas surprenant que la Constitution de la [Bosnie-HerzĂ©govine] opte pour deux chambres. Toutefois, dans les Etats fĂ©dĂ©raux, la seconde chambre a habituellement pour finalitĂ© d'assurer une reprĂ©sentation plus forte des entitĂ©s plus petites. L'une des chambres est constituĂ©e sur la base des chiffres de population tandis que dans l'autre, soit toutes les entitĂ©s ont le mĂȘme nombre de siĂšges (Etats-Unis et Suisse), soit, au moins, les entitĂ©s plus petites sont surreprĂ©sentĂ©es (Allemagne). La situation est toute diffĂ©rente en [BOSNIE-HERZÉGOVINE] : dans les deux chambres, les deux tiers des membres Ă©manent de la F[BOSNIE-HERZÉGOVINE], la diffĂ©rence Ă©tant que dans la Chambre des peuples, seuls les Bosniaques et les Croates de la FĂ©dĂ©ration et les Serbes de la RS sont reprĂ©sentĂ©s[14]. La Chambre des peuples ne traduit donc pas le caractĂšre fĂ©dĂ©ral de l'Etat, mais est un mĂ©canisme supplĂ©mentaire destinĂ© Ă  dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts des peuples constituants. La principale fonction de la Chambre des peuples aux termes de la Constitution est donc celle d'une chambre oĂč est exercĂ© le veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux.

36.  Le dĂ©faut de cette disposition est que la Chambre des reprĂ©sentants devient la chambre oĂč le travail lĂ©gislatif est accompli et les compromis nĂ©cessaires nĂ©gociĂ©s afin de dĂ©gager une majoritĂ©. La Chambre des peuples n'a que le rĂŽle nĂ©gatif d'une chambre dont les membres exercent leur droit de veto car ils considĂšrent que leur tĂąche consiste exclusivement Ă  dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts de leur peuple sans qu'ils se sentent concernĂ©s par l'aboutissement du processus lĂ©gislatif. Il semblerait donc prĂ©fĂ©rable de transfĂ©rer l'exercice du droit de veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux Ă  la Chambre des reprĂ©sentants et de supprimer la Chambre des peuples. Cela permettrait de rationaliser les procĂ©dures et faciliterait l'adoption des lois sans compromettre les intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes d'un peuple quel qu'il soit. Cela rĂ©glerait Ă©galement le problĂšme de la composition discriminatoire de la Chambre des peuples.

La Présidence collective

37.  L'article V de la Constitution institue une PrĂ©sidence collective composĂ©e d'un membre bosniaque, d'un membre serbe et d'un membre croate, ainsi qu'une prĂ©sidence tournante. La PrĂ©sidence s'efforce d'adopter ses dĂ©cisions par consensus [art. V.2.c)]. Dans le cas d'une dĂ©cision adoptĂ© Ă  la majoritĂ©, le membre minoritaire peut exercer son droit de veto au nom d'intĂ©rĂȘts vitaux.

38.  Une PrĂ©sidence collective est une institution tout Ă  fait inhabituelle. Il est plus facile pour une seule personne de s'acquitter des fonctions de reprĂ©sentation du chef de l'Etat. L'exĂ©cutif est dĂ©jĂ  coiffĂ© par un organe collĂ©gial, le Conseil des ministres. Le fait d'ajouter un second organe collĂ©gial ne semble pas favoriser le processus dĂ©cisionnel. Cela crĂ©e un risque de rĂ©pĂ©tition des processus dĂ©cisionnels et il devient difficile de distinguer les pouvoirs du Conseil des ministres et ceux de la PrĂ©sidence. Qui plus est, la PrĂ©sidence soit n'a pas les connaissances techniques requises qui existent au sein des ministĂšres, soit doit se doter d'un personnel important, crĂ©ant alors un Ă©chelon bureaucratique supplĂ©mentaire.

39.  Une PrĂ©sidence collective ne semble donc ni fonctionnelle ni efficace. Dans le contexte de la [Bosnie-HerzĂ©govine], son existence semble lĂ  encore motivĂ©e par la nĂ©cessitĂ© d'assurer la participation de reprĂ©sentants de tous les peuples constituants Ă  la prise de toutes les dĂ©cisions importantes. De fait, il semble difficile d'envisager pour la [Bosnie-HerzĂ©govine] un PrĂ©sident unique dotĂ© de pouvoirs importants.

40.  La meilleure solution serait donc de concentrer le pouvoir exĂ©cutif au niveau du Conseil des ministres en tant qu'organe collĂ©gial dans lequel tous les peuples constituants sont reprĂ©sentĂ©s. Dans ce cas, un PrĂ©sident unique chef de l'Etat devrait ĂȘtre acceptable. Eu Ă©gard au caractĂšre pluriethnique du pays, une Ă©lection indirecte du PrĂ©sident par l'AssemblĂ©e parlementaire Ă  une majoritĂ© garantissant que le PrĂ©sident jouit de la confiance gĂ©nĂ©rale parmi tous les peuples semblerait prĂ©fĂ©rable Ă  une Ă©lection directe. On pourrait ajouter une rĂšgle relative au roulement, selon laquelle un PrĂ©sident nouvellement Ă©lu ne peut pas appartenir au mĂȘme peuple constituant que son prĂ©dĂ©cesseur.

(...)

74.  En l'occurrence, la rĂ©partition des postes dans les organes de l'Etat entre les peuples constituants Ă©tait un Ă©lĂ©ment central de l'Accord de Dayton qui a permis de rĂ©tablir la paix en [BOSNIE-HERZÉGOVINE]. Dans une telle situation, il est difficile de nier la lĂ©gitimitĂ© de normes qui peuvent faire problĂšme du point de vue de la non-discrimination, mais qui sont nĂ©cessaires pour rĂ©aliser la paix et la stabilitĂ© et Ă©viter de nouvelles pertes en vies humaines. L'incorporation de ces rĂšgles dans le texte de la Constitution a l'Ă©poque n'est donc pas critiquable mĂȘme si elles vont Ă  l'encontre de la dynamique gĂ©nĂ©rale de la Constitution qui vise Ă  prĂ©venir la discrimination.

75.  Encore faudrait-il pondĂ©rer cette justification compte tenu de l'Ă©volution de la [Bosnie-HerzĂ©govine] depuis l'entrĂ©e en vigueur de la Constitution. La [Bosnie-HerzĂ©govine] est devenue membre du Conseil de l'Europe; le pays doit donc ĂȘtre jugĂ© Ă  l'aune des normes europĂ©ennes communes. Elle a ratifiĂ© la CEDH et son Protocole no 12. Comme on l'a vu plus haut, la situation en [BOSNIE-HERZÉGOVINE] a Ă©voluĂ© dans le bon sens, mais il subsiste des Ă©lĂ©ments exigeant un systĂšme politique qui ne soit pas simplement l'expression du gouvernement par la majoritĂ©, mais qui garantisse un partage du pouvoir et des postes entre les groupes ethniques. Il reste donc lĂ©gitime de s'employer Ă  concevoir des rĂšgles Ă©lectorales qui assurent une reprĂ©sentation appropriĂ©e des diffĂ©rents groupes.

76.  Toutefois, on peut y parvenir sans contrevenir aux normes internationales. Ce n'est pas le systĂšme de dĂ©mocratie consensuelle en lui-mĂȘme qui fait problĂšme, mais le mĂ©lange des critĂšres territorial et ethnique et le dĂ©ni manifeste de certains droits politiques Ă  ceux qui sont particuliĂšrement vulnĂ©rables. Il semble possible de refondre les rĂšgles rĂ©gissant la PrĂ©sidence de façon Ă  les rendre compatibles avec les normes internationales tout en maintenant l'Ă©quilibre politique du pays.

77.  Il est possible de garantir une composition pluriethnique d'une façon non discriminatoire, par exemple en disposant qu'un membre au maximum de la PrĂ©sidence peut appartenir Ă  un peuple donnĂ© ou aux «Autres» et en instituant en mĂȘme temps un systĂšme Ă©lectoral garantissant la reprĂ©sentation des deux EntitĂ©s. Ou bien, comme on l'a proposĂ© plus haut Ă  titre de solution plus radicale que la Commission juge prĂ©fĂ©rable, on pourrait supprimer la PrĂ©sidence collective et la remplacer par un PrĂ©sident indirectement Ă©lu et dotĂ© de pouvoirs trĂšs limitĂ©s.

(...)

80.  La Chambre des peuples est une chambre dotĂ©e des pleins pouvoirs lĂ©gislatifs. De ce fait, l'article 3 du (premier) Protocole Ă  la CEDH est applicable et toute discrimination fondĂ©e sur l'appartenance ethnique est donc interdite par l'art. 14 de la CEDH. En ce qui concerne une justification Ă©ventuelle, les mĂȘmes Ă©lĂ©ments d'apprĂ©ciation qu'au sujet de la PrĂ©sidence s'appliquent. Il est lĂ©gitime de s'employer Ă  assurer un Ă©quilibre ethnique au sein du Parlement dans l'intĂ©rĂȘt de la paix et de la stabilitĂ©, mais cet objectif ne peut justifier la discrimination ethnique qu'en l'absence de tout autre moyen de le rĂ©aliser et si les droits des minoritĂ©s sont dĂ»ment respectĂ©s. Pour la Chambre des peuples, on pourrait, par exemple, instituer un nombre maximal de siĂšges Ă  pourvoir par des reprĂ©sentants de chaque peuple constituant. Ou bien, comme on l'a fait valoir plus haut, une solution plus radicale, qui aurait la prĂ©fĂ©rence de la Commission, pourrait ĂȘtre retenue et la Chambre des peuples purement et simplement supprimĂ©e, le mĂ©canisme relatif aux intĂ©rĂȘts nationaux vitaux Ă©tant appliquĂ© au sein de la Chambre des reprĂ©sentants. Â»

L'Avis sur diffĂ©rentes propositions pour l'Ă©lection de la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine (document CDL-AD(2006)004 du 20 mars 2006), qui comporte notamment les passages suivants :

« 1.  Par une lettre du 2 mars 2006, M. Sulejman Tihić, PrĂ©sident de la PrĂ©sidence collĂ©giale de Bosnie-HerzĂ©govine, a demandĂ© Ă  la Commission de Venise d'Ă©mettre un avis sur trois propositions diffĂ©rentes pour l'Ă©lection de la PrĂ©sidence de son pays. Cette demande intervient dans le cadre des nĂ©gociations sur la rĂ©forme constitutionnelle engagĂ©es entre les principaux partis politiques de Bosnie-HerzĂ©govine. La question de l'Ă©lection de la PrĂ©sidence reste encore Ă  trancher pour parvenir Ă  un accord sur un train de rĂ©formes complet.

(...)

Observations sur la proposition I

8.  La Proposition I maintient les rĂšgles actuelles rĂ©gissant l'Ă©lection et la composition de la PrĂ©sidence, selon lesquelles un membre bosniaque et un membre croate sont Ă©lus directement par le territoire de la FĂ©dĂ©ration, et un membre serbe est Ă©lu directement par le territoire de la Republika Srpska. Dans son Avis, la Commission a Ă©voquĂ© l'inquiĂ©tude que suscitent ces rĂšgles quant Ă  leur compatibilitĂ© avec le Protocole No.12 de la Convention europĂ©enne des droits de l'homme dans la mesure oĂč elles dĂ©nient formellement aux « Autres » ainsi qu'aux Bosniaques et Croates de la Republika Srpska et aux Serbes de la FĂ©dĂ©ration, la possibilitĂ© d'ĂȘtre Ă©lus Ă  la PrĂ©sidence. Le maintien de cette rĂšgle en l'Ă©tat ne peut donc ĂȘtre envisagĂ© et il convient de rejeter la Proposition I.

Observations sur la proposition II

9.  La Proposition II, qui n'est pas rĂ©digĂ©e sous la forme d'un texte Ă  inclure dans la Constitution mais en tant que rĂ©sumĂ© d'un Ă©ventuel contenu constitutionnel, maintient le systĂšme selon lequel deux membres de la PrĂ©sidence sont directement Ă©lus par la FĂ©dĂ©ration et un par la Republika Srpska, sans toutefois faire Ă©tat de critĂšre ethnique pour les candidats. La discrimination de jure dĂ©noncĂ©e dans l'Avis de la Commission de Venise serait ainsi levĂ©e et l'adoption de cette proposition pourrait constituer un pas en avant. Celle ci inclut Ă©galement un systĂšme de roulement du PrĂ©sident de la PrĂ©sidence tous les 16 mois. Dans la logique d'une PrĂ©sidence collĂ©giale, cette mesure semble rationnelle.

10.  Par contre, la proposition manque de clartĂ© quant Ă  la composition pluriethnique de la PrĂ©sidence. La PrĂ©sidence collĂ©giale a Ă©tĂ© introduite, et serait apparemment maintenue, afin de garantir qu'aucun organe Ă©tatique unique ne soit dominĂ© par un reprĂ©sentant d'un seul peuple constituant. Selon la proposition actuelle, il serait par exemple possible que deux membres bosniaques soient Ă©lus Ă  la PrĂ©sidence par la FĂ©dĂ©ration. Sur le plan juridique, il suffirait pour remĂ©dier Ă  cet inconvĂ©nient de prĂ©voir, dans le cadre de la proposition, une mesure disposant que pas plus d'un seul membre de la PrĂ©sidence ne peut appartenir Ă  un peuple constituant donnĂ© ou au groupe des « Autres ». La Commission croit comprendre que l'inclusion d'une telle disposition dans la Constitution est prĂ©vue en cas d'adoption de cette proposition.

11.  Se poserait nĂ©anmoins le problĂšme de devoir Ă©ventuellement exclure de la PrĂ©sidence des candidats ayant pourtant obtenu un maximum de voix. Dans la FĂ©dĂ©ration, il est fort possible que deux Bosniaques arrivent en tĂȘte des suffrages. Dans ce cas de figure, un candidat ayant obtenu un nombre supĂ©rieur de voix devra ĂȘtre Ă©cartĂ© de la PrĂ©sidence au profit d'un candidat ayant recueilli un nombre moins Ă©levĂ© de voix. Ces questions devraient ĂȘtre clairement rĂ©glementĂ©es dans le cadre de la Constitution et ne pas relever de la loi ordinaire.

12.  Autre inconvĂ©nient : les Bosniaques et les Croates de la Republika Srpska ainsi que les Serbes de la FĂ©dĂ©ration n'auraient toujours de facto aucune possibilitĂ© rĂ©aliste d'Ă©lire un candidat de leur choix.

13.  Par ailleurs, l'Ă©lection du Chef de l'Etat continuerait d'avoir lieu au niveau de l'EntitĂ© alors qu'il serait prĂ©fĂ©rable de la transfĂ©rer au niveau Ă©tatique dans le cadre de l'approche globale visant au renforcement de l'Etat,.

14.  Entre autres questions de moindre importance, la proposition permettrait aux membres de la PrĂ©sidence d'occuper une fonction de direction au sein d'un parti politique. Cette possibilitĂ© semble incompatible avec l'objectif global de la rĂ©forme constitutionnelle qui est de faire de la PrĂ©sidence, non plus un organe exĂ©cutif mais la plus haute fonction nationale (collĂ©giale).

15.  En rĂ©sumĂ©, dans la situation constitutionnelle actuelle, la Proposition II marque une nette amĂ©lioration. Toutefois, elle prĂ©sente des inconvĂ©nients, notamment le risque de voir Ă©lire un candidat qui n'aurait pas recueilli le nombre le plus Ă©levĂ© de voix. Par ailleurs, la proposition ne tend pas vers l'objectif global de la rĂ©forme constitutionnelle qui est de transfĂ©rer des pouvoirs au Conseil des ministres et de renforcer l'Etat.

Proposition III

16.  La Proposition III s'Ă©carte plus nettement de la situation constitutionnelle actuelle dans la mesure oĂč elle introduit une procĂ©dure complexe de suffrage indirect pour la PrĂ©sidence. Comme nous l'indiquions prĂ©cĂ©demment, la Commission plaide en faveur de l'Ă©lection indirecte d'un PrĂ©sident unique dotĂ© de pouvoirs limitĂ©s. MĂȘme dans le cas d'une PrĂ©sidence collĂ©giale, la Commission maintient sa prĂ©fĂ©rence pour des Ă©lections indirectes.

17.  Sa position s'appuie avant tout sur le fait que l'un des principaux objectifs de la rĂ©vision constitutionnelle serait de restreindre les pouvoirs de la PrĂ©sidence et de concentrer le pouvoir exĂ©cutif au niveau du Conseil des ministres. Ce changement serait plus difficile Ă  entreprendre si la PrĂ©sidence bĂ©nĂ©ficie de la lĂ©gitimitĂ© d'un suffrage universel direct.

18.  Par ailleurs, il est plus facile dans le cadre d'Ă©lections indirectes d'Ă©laborer des mĂ©canismes garantissant la composition pluriethnique souhaitĂ©e de la PrĂ©sidence. Elles ouvrent davantage la voie Ă  une coopĂ©ration interethnique et aux compromis tandis que des Ă©lections directes sur la base de critĂšres de facto ethniques incitent Ă  voter pour le candidat considĂ©rĂ© comme le meilleur dĂ©fenseur du peuple constituant respectif et non pour celui le mieux Ă  mĂȘme de dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts du pays tout entier.

19.  Enfin, la proposition confie l'Ă©lection au Parlement de l'Etat. Il est en effet souhaitable et conforme Ă  la volontĂ© de renforcer l'Etat que les Ă©lections du Chef de l'Etat se tiennent Ă  cet Ă©chelon.

20.  Dans la perspective de l'approche globale, la Proposition III semble prĂ©fĂ©rable. Elle prĂ©sente nĂ©anmoins certains dĂ©fauts.

21.  Pour commencer, la proposition paraĂźt compliquĂ©e compte tenu des trop nombreuses Ă©tapes et des possibilitĂ©s de conduire Ă  une impasse. Les nominations peuvent ĂȘtre suggĂ©rĂ©es par des membres de la Chambre des ReprĂ©sentants ou de la Chambre des Peuples, la sĂ©lection des candidats est faite par les trois « caucus Â» distincts de la Chambre des Peuples, la liste devant par la suite ĂȘtre approuvĂ©e Ă  la fois par les trois « caucus Â» au sein de la Chambre des Peuples et par la Chambre des ReprĂ©sentants.

22.  Dans les limites de la proposition, il semblerait prĂ©fĂ©rable d'opter pour une procĂ©dure simplifiĂ©e qui mettrait davantage l'accent sur la Chambre des ReprĂ©sentants en tant qu'organe investi d'une lĂ©gitimitĂ© dĂ©mocratique directe confĂ©rĂ©e par le peuple dans son ensemble. La possibilitĂ© de nommer les candidats devrait ĂȘtre rĂ©servĂ©e aux membres de la Chambre des ReprĂ©sentants. La sĂ©lection parmi ces candidats pourrait intervenir dans les trois « caucus » distincts de la Chambre des Peuples afin de garantir le respect des intĂ©rĂȘts des trois peuples constituants. Par ailleurs, la liste des candidats devrait ĂȘtre entĂ©rinĂ©e par la majoritĂ© de la Chambre des ReprĂ©sentants afin d'assurer que les trois membres bĂ©nĂ©ficient d'une lĂ©gitimitĂ© en tant que reprĂ©sentants du peuple de Bosnie-HerzĂ©govine dans son ensemble.

23.  De surcroĂźt, il conviendrait de clarifier la rĂ©partition des responsabilitĂ©s entre le PrĂ©sident et les Vice-prĂ©sidents. La Proposition III actuelle laisse implicitement le soin aux trois « caucus Â» de prendre cette importante dĂ©cision dans la mesure oĂč une liste dĂ©signant le PrĂ©sident et les Vice-prĂ©sidents doit ĂȘtre soumise Ă  la Chambre des ReprĂ©sentants sans pour autant dĂ©finir les modalitĂ©s de ce choix. Cette solution est Ă  priori la moins indiquĂ©e et susceptible d'engendrer un blocage. Le systĂšme de roulement envisagĂ© dans la Proposition II semble une solution plus rĂ©alisable.

24.  D'autres aspects de la Proposition III vont Ă  l'encontre de la position de la Commission de Venise. Dans son Avis susmentionnĂ©, la Commission plaidait en faveur de la suppression de la Chambre des Peuples. Lui confier un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant dans la sĂ©lection de la PrĂ©sidence ne peut par consĂ©quent ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une mesure positive. Le rĂŽle attribuĂ© aux « caucus » rend trĂšs improbable l'Ă©lection de candidats n'appartenant pas Ă  un peuple constituant. Cet Ă©tat de fait n'est toutefois pas liĂ© Ă  cette proposition, il reflĂšte la situation politique. La Proposition III garantit au moins la participation au vote des reprĂ©sentants des « Autres » Ă  la Chambre des ReprĂ©sentants et gomme le dĂ©savantage subi par les Serbes de la FĂ©dĂ©ration et les Bosniaques et Croates de la Republika Srpska. En effet, leurs reprĂ©sentants au Parlement d'Etat seront dĂ©sormais en mesure d'Ă©lire les candidats de leur choix.

25.   MĂȘme dans le cadre d'une PrĂ©sidence collĂ©giale, il serait possible d'imaginer de meilleures solutions pour instaurer des Ă©lections indirectes. A titre d'exemple, au sein de la Chambre des ReprĂ©sentants, des listes de trois candidats n'appartenant pas au mĂȘme peuple constituant ou au groupe des « Autres » pourraient ĂȘtre dressĂ©es, le vote intervenant entre ces listes. Il s'agirait nĂ©anmoins d'une proposition distincte et non d'un amendement apportĂ© Ă  la Proposition III.

26.  En rĂ©sumĂ©, la Proposition III marque une nette amĂ©lioration par rapport Ă  la situation actuelle. A condition de l'amĂ©nager tel que suggĂ©rĂ© aux paragraphes 22 et 23, elle serait une solution satisfaisante (mĂȘme si elle n'est pas idĂ©ale) pour la premiĂšre phase de la rĂ©vision constitutionnelle.

Conclusions

27.  En conclusion, la Commission se fĂ©licite que les partis politiques de Bosnie-HerzĂ©govine aient eu le courage de s'attaquer Ă  une rĂ©forme complĂšte de la Constitution avant les prochaines Ă©lections d'octobre 2006. Elle reconnaĂźt que, pour l'instant, son adoption n'aurait qu'un caractĂšre provisoire et marquerait une Ă©tape vers la rĂ©forme d'ensemble dont le pays a de toute Ă©vidence besoin.

28.  S'agissant des trois propositions soumises Ă  la Commission, l'adoption de la premiĂšre constituerait un Ă©chec de la rĂ©vision constitutionnelle en matiĂšre d'Ă©lection et de composition de la PrĂ©sidence et est par consĂ©quent Ă  Ă©carter. Par contre, les Propositions II et III mĂ©ritent, sous rĂ©serve de quelques complĂ©ments et amendements, d'ĂȘtre considĂ©rĂ©es au stade actuel comme des Ă©tapes importantes, mais en aucun cas comme des solutions idĂ©ales.

29.  Entre la Proposition II et la Proposition III, la Commission – non sans hĂ©sitations - donnerait sa prĂ©fĂ©rence Ă  la Proposition III, sous rĂ©serve des amĂ©nagements suggĂ©rĂ©s ci-avant. Un suffrage indirect conforme Ă  l'objectif de la rĂ©forme constitutionnelle, qui est de limiter les pouvoirs de la PrĂ©sidence, permettrait de garantir plus aisĂ©ment une composition Ă©quilibrĂ©e de la PrĂ©sidence et rĂ©pondrait ainsi mieux Ă  la raison d'ĂȘtre de cette institution inhabituelle. La proposition transfĂšre Ă©galement l'Ă©lection au niveau de l'Etat, conformĂ©ment Ă  l'objectif d'ensemble de renforcer l'Etat de Bosnie-HerzĂ©govine. NĂ©anmoins, il convient de ne pas perdre de vue le but ultime de la rĂ©forme constitutionnelle dans ce domaine : avoir Ă  l'avenir un PrĂ©sident unique Ă©lu d'une maniĂšre garantissant qu'il jouit de la confiance gĂ©nĂ©rale de tous les peuples et pas seulement de celui dont il est issu.

L'Avis sur le projet d'amendements Ă  la Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine (CDL-AD(2006)019 du 12 juin 2006) comportait quant Ă  lui les passages suivants :

« 1.  Par lettre datĂ©e du 21 mars 2006, M. Sulejman Tihić, PrĂ©sident de la PrĂ©sidence de la Bosnie-HerzĂ©govine, a demandĂ© Ă  la Commission de Venise d'Ă©mettre un avis sur l'accord concernant les modalitĂ©s de la premiĂšre phase de la rĂ©forme constitutionnelle que les chefs des partis politiques de Bosnie-HerzĂ©govine ont conclu le 18 mars 2006. La rĂ©forme constitutionnelle devant ĂȘtre adoptĂ©e d'urgence pour ĂȘtre prise en compte lors des Ă©lections lĂ©gislatives prĂ©vues pour octobre 2006, il a dit souhaiter recevoir l'avis de la Commission de Venise « sous peu Â».

Amendement II à l'article IV de la Constitution sur l'Assemblée parlementaire

22.  La finalitĂ© principale de l'amendement est de passer d'un bicamĂ©risme Ă  deux chambres Ă©gales Ă  un nouveau systĂšme dans lequel la Chambre des peuples (ci-aprĂšs dĂ©signĂ©e CdP) n'aurait que des pouvoirs limitĂ©s, l'accent Ă©tant mis sur le veto en cas de menace pour « l'intĂ©rĂȘt vital Â» national. La nouvelle Ă©conomie de l'article, qui donne systĂ©matiquement la prioritĂ© Ă  la Chambre des reprĂ©sentants (ci-aprĂšs dĂ©signĂ©e CdR), traduit cet objectif. La rĂ©forme serait un pas dans la direction recommandĂ©e par la Commission de Venise, consistant Ă  supprimer la CdP et Ă  rationaliser la prise de dĂ©cisions au sein des institutions de l'Etat.

(...)

24.  Le paragraphe d) ferait passer le nombre des membres de la CdP de 15 Ă  21. La raison de cette augmentation est moins Ă©vidente dans le cas de cette Chambre dans la mesure oĂč ses pouvoirs sont nettement diminuĂ©s. NĂ©anmoins, il s'agit d'une question qui relĂšve entiĂšrement du pouvoir d'apprĂ©ciation des autoritĂ©s nationales. Si elles estiment que cette augmentation est nĂ©cessaire pour que la Chambre reprĂ©sente comme il convient l'Ă©ventail politique, cette mesure peut se justifier.

25.  Le fait que la qualitĂ© de membre de cette Chambre demeure limitĂ©e, en vertu du paragraphe d), aux personnes appartenant Ă  l'un des trois peuples constitutifs pose davantage de problĂšmes. Dans son Avis, la Commission de Venise a notĂ© que la composition prĂ©cĂ©dente de cette Chambre selon le mĂȘme principe semblait incompatible avec l'art. 14 de la CEDH considĂ©rĂ© en parallĂšle avec l'article 3 du Premier Protocole Ă  la CEDH.

26.  A la suite de la rĂ©forme, toutefois, la CdP ne serait plus une chambre lĂ©gislative Ă  part entiĂšre, mais un organe chargĂ© essentiellement des questions relatives au veto en cas de menace pour un intĂ©rĂȘt vital national. On peut donc se demander si l'article 3 du Premier Protocole et, partant, l'article 14 de la CEDH continueraient de s'appliquer. Le problĂšme de la compatibilitĂ© de cette disposition avec le Protocole no 12 Ă  la CEDH n'en subsiste pas moins. En l'absence de toute jurisprudence relative Ă  ce Protocole, on ne peut l'interprĂ©ter qu'avec prudence (...)

27.  En l'occurrence, on pourrait considĂ©rer que le but lĂ©gitime tient au rĂŽle essentiel de cette chambre en tant qu'organe oĂč s'exerce le veto en cas de menace pour un intĂ©rĂȘt vital national. La Constitution de la BiH rĂ©serve le droit d'exercice de ce veto aux trois peuples constitutifs sans le confĂ©rer aux autres nationalitĂ©s. Dans cette optique, la reprĂ©sentation des autres nationalitĂ©s dans cette Chambre ne semblerait pas ĂȘtre une obligation. Les autres responsabilitĂ©s de cette Chambre, Ă  savoir la participation Ă  l'Ă©lection de la PrĂ©sidence et l'approbation des amendements Ă  la Constitution – que l'on peut critiquer – n'ont pas d'effets diffĂ©rents. Elles montrent que la CdP fonctionne en tant que dispositif correcteur en veillant Ă  ce que l'application du principe dĂ©mocratique trouvant son expression dans la composition de la CdR ne remette pas en cause l'Ă©quilibre existant entre les trois peuples constitutifs. Étant donnĂ© que le besoin d'un tel dispositif continue de se faire sentir en BiH, il semble possible de considĂ©rer ce besoin comme un but lĂ©gitime justifiant un traitement inĂ©gal des autres nationalitĂ©s du point de vue de la reprĂ©sentation Ă  la CdP.

Amendement III modifiant l'article V de la Constitution sur la présidence

43.  Ces amendements ont pour principal objectif de renforcer les pouvoirs du Conseil des Ministres et d'accroĂźtre son efficacitĂ©, et de diminuer le rĂŽle de la PrĂ©sidence, ce qui va tout Ă  fait dans le sens de l'Avis de la Commission de Venise. Celle-ci aurait prĂ©fĂ©rĂ©, de surcroĂźt, avoir un PrĂ©sident unique au lieu d'une PrĂ©sidence collective, mais cela semble politiquement impossible en l'Ă©tat actuel des choses. Quoi qu'il en soit, l'amendement III fait un premier pas dans cette direction.

46.  Ă€ sa derniĂšre session, la Commission de Venise a adoptĂ© un Avis sur trois propositions diffĂ©rentes pour l'Ă©lection de la PrĂ©sidence (CDL-AD(2006)004). Il est inutile de rouvrir ce dĂ©bat ici. Toutefois, l'absence de dispositif permettant de sortir de l'impasse crĂ©Ă©e en cas de refus de la CdR de confirmer la proposition de la CdP est un sujet de prĂ©occupation.

(...) Â»

23.  Dans sa recommandation no 7, adoptĂ©e le 13 dĂ©cembre 2002, la Commission europĂ©enne contre le racisme et l'intolĂ©rance (ECRI), qui est l'organe du Conseil de l'Europe chargĂ© de surveiller de maniĂšre indĂ©pendante le respect des droits de l'homme dans le domaine particulier de la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xĂ©nophobie, l'antisĂ©mitisme et l'intolĂ©rance, a dĂ©fini le racisme comme « la croyance qu'un motif tel que la race6, la couleur, la langue, la religion, la nationalitĂ© ou l'origine nationale ou ethnique justifie le mĂ©pris envers une personne ou un groupe de personnes ou l'idĂ©e de supĂ©rioritĂ© d'une personne ou d'un groupe de personnes Â».

E.  L'organisation pour la SĂ©curitĂ© et la CoopĂ©ration en Europe (OSCE)

24.  Dans un rapport consacrĂ© aux Ă©lections lĂ©gislatives tenues en 2006, le Bureau des institutions dĂ©mocratiques et des droits de l'homme de l'OSCE (BIDDH), l'agence phare en Europe pour l'observation des Ă©lections, s'est exprimĂ© comme suit :

« Le 1er octobre ont eu lieu en Bosnie-HerzĂ©govine les premiĂšres Ă©lections gĂ©nĂ©rales Ă  ĂȘtre entiĂšrement organisĂ©es par les autoritĂ©s de Bosnie-HerzĂ©govine depuis l'Accord de Dayton de 1995. D'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, ces Ă©lections ont Ă©tĂ© menĂ©es en conformitĂ© avec les standards internationaux en matiĂšre de dĂ©mocratie Ă©lective, mĂȘme si des efforts supplĂ©mentaires demeurent requis, notamment pour le dĂ©pouillement des votes. Globalement, les Ă©lections ont donc reprĂ©sentĂ© un nouveau progrĂšs dans la consolidation de la dĂ©mocratie et de l'Ă©tat de droit. Il est toutefois regrettable qu'en raison des restrictions liĂ©es Ă  l'origine ethnique dont le droit de se porter candidat Ă©tait assorti les Ă©lections doivent une nouvelle fois ĂȘtre jugĂ©es non conformes au Protocole no 12 Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l'homme (CEDH) et aux engagements souscrits par la Bosnie-HerzĂ©govine envers le Conseil de l'Europe, ainsi qu'Ă  l'article 7.3 du Document de Copenhague, signĂ© sous les auspices de l'OSCE en 1990. Â»

F.  L'Union europĂ©enne

25.  En 2008, la Bosnie-HerzĂ©govine a signĂ© et ratifiĂ© un Accord de stabilisation et d'association (ASA) avec l'Union europĂ©enne, s'engageant ainsi Ă  traiter les prioritĂ©s d'un partenariat avec l'Europe. L'une des prioritĂ©s clĂ©s pour la Bosnie-HerzĂ©govine, dont l'Ă©chĂ©ance Ă©tait fixĂ©e Ă  un Ă  deux ans, Ă©tait de « modifier la lĂ©gislation Ă©lectorale en ce qui concerne les membres de la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine et les dĂ©putĂ©s de la Chambre des peuples, de maniĂšre Ă  se conformer pleinement Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l'homme et aux engagements consĂ©cutifs Ă  l'adhĂ©sion au Conseil de l'Europe Â» (voir l'annexe Ă  la dĂ©cision du Conseil 2008/211/CE du 18 fĂ©vrier 2008 relative aux principes, aux prioritĂ©s et aux conditions figurant dans le partenariat europĂ©en avec la Bosnie-HerzĂ©govine et abrogeant la dĂ©cision 2006/55/CE, Journal officiel de l'Union europĂ©enne L80/21 (2008)).

Le 14 octobre 2009, la Commission europĂ©enne a adoptĂ© son document annuel de stratĂ©gie, expliquant sa politique en matiĂšre d'Ă©largissement. A cette mĂȘme date ont Ă©galement Ă©tĂ© publiĂ©s les rapports de suivi 2009, dans lesquels les services de la Commission Ă©valuent les avancĂ©es de chaque candidat et candidat potentiel (comme la Bosnie-HerzĂ©govine) au cours de l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente.

EN DROIT

I.  LES GRIEFS principaux dES REQUÉRANTS

26.  Les requĂ©rants se plaignent de l'impossibilitĂ© qui leur est faite, et dans laquelle ils voient une discrimination raciale, de se porter candidats aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples et Ă  la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine au motif qu'ils sont respectivement d'origine rom et d'origine juive. Ils invoquent l'article 14 de la Convention, l'article 3 du Protocole no 1 et l'article 1 du Protocole no 12.

L'article 14 de la Convention est ainsi libellĂ© :

« La jouissance des droits et libertĂ©s reconnus dans la (...) Convention doit ĂȘtre assurĂ©e, sans distinction aucune, fondĂ©e notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance Ă  une minoritĂ© nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. Â»

L'article 3 du Protocole no 1 Ă  la Convention dispose :

« Les Hautes Parties contractantes s'engagent Ă  organiser, Ă  des intervalles raisonnables, des Ă©lections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps lĂ©gislatif. Â»

L'article 1 du Protocole no 12 Ă  la Convention Ă©nonce :

« 1.  La jouissance de tout droit prĂ©vu par la loi doit ĂȘtre assurĂ©e, sans discrimination aucune, fondĂ©e notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance Ă  une minoritĂ© nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

2.  Nul ne peut faire l'objet d'une discrimination de la part d'une autoritĂ© publique quelle qu'elle soit fondĂ©e notamment sur les motifs mentionnĂ©s au paragraphe 1. Â»

A.  RecevabilitĂ©

27.  L'Etat dĂ©fendeur n'a pas soulevĂ© d'objections quant Ă  la compĂ©tence ratione personae de la Cour, mais cette question appelle un examen d'office de la part de la Cour.

1.  Sur la question de savoir si les requĂ©rants peuvent se prĂ©tendre « victimes Â»

28.  La Cour rappelle que pour pouvoir introduire une requĂȘte en vertu de l'article 34 de la Convention, une personne physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de particuliers doit pouvoir se prĂ©tendre victime d'une violation des droits reconnus dans la Convention. Pour pouvoir se prĂ©tendre victime d'une violation, un individu doit avoir subi directement les effets de la mesure litigieuse. Ainsi, la Convention n'envisage pas la possibilitĂ© d'engager une actio popularis aux fins de l'interprĂ©tation des droits reconnus dans la Convention ; elle n'autorise pas non plus les particuliers Ă  se plaindre d'une disposition de droit interne simplement parce qu'il leur semble, sans qu'ils en aient directement subi les effets, qu'elle enfreint la Convention. Un particulier peut toutefois soutenir qu'une loi viole ses droits en l'absence d'actes individuels d'exĂ©cution s'il est obligĂ© de changer de comportement sous peine de poursuites ou s'il fait partie d'une catĂ©gorie de personnes risquant de subir directement les effets de la lĂ©gislation en cause (voir Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, §§ 33-34, 29 avril 2008, avec les rĂ©fĂ©rences qui s'y trouvent citĂ©es).

29.  En l'espĂšce, eu Ă©gard Ă  leur participation active Ă  la vie publique, il serait tout Ă  fait naturel que les requĂ©rants envisagent rĂ©ellement de se prĂ©senter aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples ou Ă  la prĂ©sidence de l'Etat. Ils peuvent dĂšs lors se prĂ©tendre victimes de la discrimination qu'ils allĂšguent. Le fait que la prĂ©sente espĂšce soulĂšve la question de la compatibilitĂ© de la Constitution nationale avec la Convention est dĂ©pourvu de pertinence Ă  cet Ă©gard (voir, par analogie, RekvĂ©nyi c. Hongrie [GC], no 25390/94, CEDH 1999-III).

2.  Sur la question de savoir si la Bosnie-HerzĂ©govine peut voir sa responsabilitĂ© engagĂ©e

30.  La Cour relĂšve que la Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine est une annexe Ă  l'Accord de paix de Dayton, qui est lui-mĂȘme un traitĂ© international (voir Jeličić c. Bosnie-HerzĂ©govine (dĂ©c.), no 41183/02, CEDH 2005-XII). Le pouvoir de la modifier a toutefois Ă©tĂ© confiĂ© Ă  l'AssemblĂ©e parlementaire de Bosnie-HerzĂ©govine, qui est clairement un organe interne (paragraphe 15 ci-dessus). De surcroĂźt, il ressort de la pratique dĂ©crite au paragraphe 17 ci-dessus que les pouvoirs de l'administrateur international de la Bosnie-HerzĂ©govine (le Haut ReprĂ©sentant) ne s'Ă©tendent pas Ă  la Constitution de l'Etat. Dans ces conditions, laissant de cĂŽtĂ© la question de savoir si l'Etat dĂ©fendeur peut voir sa responsabilitĂ© engagĂ©e pour avoir mis en place les dispositions constitutionnelles incriminĂ©es (paragraphe 13 ci-dessus), la Cour considĂšre qu'il peut en tout Ă©tat de cause voir sa responsabilitĂ© engagĂ©e pour les avoir maintenues.

3.  Conclusion

31.  La Cour dĂ©clare recevables les griefs principaux des requĂ©rants.

B.  Fond

1.  ThĂšse dĂ©fendue par les requĂ©rants

32.  Les requĂ©rants se plaignent que, bien qu'Ă©tant citoyens de Bosnie-HerzĂ©govine, ils sont privĂ©s par la Constitution du droit de se prĂ©senter aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples et Ă  la prĂ©sidence de l'Etat Ă  raison de leur origine raciale/ethnique et relĂšvent que la discrimination fondĂ©e sur l'origine ethnique a Ă©tĂ© jugĂ©e par la Cour constituer une forme de discrimination raciale dans l'affaire Timichev c. Russie, nos 55762/00 et 55974/00, § 56, CEDH 2005-XII. Ils soutiennent qu'une diffĂ©rence de traitement fondĂ©e explicitement sur la race ou l'origine ethnique ne peut ĂȘtre justifiĂ©e et s'analyse en une discrimination directe. Ils renvoient sur ce point Ă  la jurisprudence de la Cour (notamment aux arrĂȘts Timichev, prĂ©citĂ©, § 58, et D.H. et autres c. RĂ©publique tchĂšque [GC], no 57325/00, § 176, CEDH 2007-...) et Ă  la lĂ©gislation de l'Union europĂ©enne (notamment Ă  la directive du Conseil 2000/43/CE du 29 juin 2000 – la « directive Race Â» – relative Ă  la mise en Ɠuvre du principe de l'Ă©galitĂ© de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, qui, dans son article 2, inclurait explicitement dans sa dĂ©finition de la discrimination indirecte la possibilitĂ© d'une justification objective du traitement considĂ©rĂ© mais ne prĂ©voirait pas semblable possibilitĂ© dans sa dĂ©finition de la discrimination directe). Ils estiment par ailleurs que cette impossibilitĂ© de justifier pareille diffĂ©rence de traitement est particuliĂšrement importante dans une affaire concernant le droit de se porter candidat Ă  des Ă©lections (ils renvoient sur ce point Ă  l'arrĂȘt Aziz c. Chypre, no 69949/01, § 28, CEDH 2004-V).

33.  Les requĂ©rants ajoutent qu'Ă  supposer mĂȘme qu'une justification fĂ»t possible, le gouvernement dĂ©fendeur aurait beaucoup de mal Ă  en Ă©tablir une objective et raisonnable, compte tenu Ă  la fois du fondement du grief (discrimination raciale et ethnique directe) et du contexte dans lequel elle s'inscrit (participation politique et reprĂ©sentation au plus haut niveau de l'Etat). De surcroĂźt, la longueur de la pĂ©riode de maintien de l'exclusion rendrait plus difficile encore pour le gouvernement dĂ©fendeur la tĂąche de justifier celle-ci (les intĂ©ressĂ©s se rĂ©fĂšrent sur ce point Ă  une dĂ©cision rendue par le ComitĂ© des droits de l'homme des Nations unies le 8 avril 1981 dans l'affaire Silva et autres c. Uruguay, § 8.4). Et les requĂ©rants de conclure que le gouvernement dĂ©fendeur est restĂ© en dĂ©faut de justifier la diffĂ©rence de traitement incriminĂ©e en l'espĂšce.

2.  ThĂšse dĂ©fendue par le Gouvernement

34.  Le Gouvernement renvoie Ă  l'affaire Ćœdanoka c. Lettonie ([GC], no 58278/00, CEDH 2006-IV), dans laquelle la Cour aurait rĂ©affirmĂ© que les Parties contractantes disposent d'une latitude considĂ©rable pour Ă©tablir dans leur ordre constitutionnel les rĂšgles rĂ©gissant les Ă©lections parlementaires et la composition du Parlement et que les critĂšres pertinents peuvent varier en fonction des facteurs historiques et politiques propres Ă  chaque Etat. La structure constitutionnelle actuelle de la Bosnie-HerzĂ©govine rĂ©sulterait d'un accord de paix conclu Ă  la suite de l'un des conflits les plus destructeurs de l'histoire rĂ©cente de l'Europe. Son but ultime aurait Ă©tĂ© l'Ă©tablissement de la paix et du dialogue entre les trois principaux groupes ethniques concernĂ©s – les « peuples constituants Â». Les dispositions constitutionnelles incriminĂ©es excluant de la Chambre des peuples et de la prĂ©sidence de l'Etat les personnes ne dĂ©clarant d'appartenance Ă  aucun des « peuples constituants Â» devraient ĂȘtre apprĂ©ciĂ©es Ă  l'aune de ce contexte. Le temps ne serait pas encore mĂ»r pour l'introduction d'un systĂšme politique qui serait un simple reflet de la rĂšgle majoritaire, compte tenu notamment de la place importante occupĂ©e par certains partis politiques mono-ethniques et du maintien de l'administration internationale de la Bosnie-HerzĂ©govine.

35.  Le Gouvernement invite la Cour Ă  distinguer la prĂ©sente espĂšce de l'affaire Aziz (prĂ©citĂ©e) : tandis que les Chypriotes turcs vivant dans la zone de Chypre contrĂŽlĂ©e par le gouvernement chypriote Ă©taient empĂȘchĂ©s de voter aux Ă©lections parlementaires, les citoyens de Bosnie-HerzĂ©govine appartenant au groupe des « autres Â» (comme les requĂ©rants en l'espĂšce) auraient le droit de se porter candidats aux Ă©lections Ă  la Chambre des reprĂ©sentants de Bosnie-HerzĂ©govine et aux assemblĂ©es lĂ©gislatives des entitĂ©s. La diffĂ©rence incriminĂ©e en l'espĂšce serait donc justifiĂ©e au regard du contexte particulier de la Bosnie-HerzĂ©govine.

3.  Observations des parties intervenantes

36.  Dans ses observations du 22 octobre 2008, la Commission de Venise dĂ©fend l'idĂ©e que les dispositions constitutionnelles incriminĂ©es en l'espĂšce emportent violation de l'interdiction de discrimination. Les observations en question sont dans le droit fil des avis citĂ©s au paragraphe 22 ci-dessus.

37.  Dans leurs observations du 15 aoĂ»t 2008, le Centre AIRE et l'Open Society Justice Initiative formulent des arguments analogues. Se fondant sur une analyse des systĂšmes juridiques des Parties contractantes, le Centre AIRE conclut qu'il semble y avoir au niveau europĂ©en un consensus pour estimer qu'un individu ne doit ĂȘtre privĂ© de son droit de se porter candidat Ă  des Ă©lections que lorsque sa conduite justifie pareille mesure, et non en raison de caractĂ©ristiques innĂ©es ou inaliĂ©nables. L'Open Society Justice Initiative souligne quant Ă  elle que la participation politique reprĂ©sente l'un des droits et responsabilitĂ©s qui maintiennent le lien juridique entre un citoyen et un Etat. Dans la plupart des ordres juridiques, les droits de voter, d'ĂȘtre Ă©lu et de se porter candidat aux Ă©lections seraient ce qui distingue le plus clairement un citoyen d'un Ă©tranger. DĂšs lors, non seulement les restrictions Ă  ces droits, notamment celles fondĂ©es sur des motifs aussi suspects que la race ou l'origine ethnique, seraient discriminatoires, mais elles porteraient en outre atteinte au sens mĂȘme de la citoyennetĂ©. Au-delĂ  de son importance en tant que droit liĂ© Ă  la citoyennetĂ©, la participation politique serait particuliĂšrement importante pour les minoritĂ©s ethniques et capitale pour Ă©viter leur marginalisation et favoriser leur intĂ©gration. Ce serait particuliĂšrement vrai Ă  la suite d'un conflit ethnique, oĂč l'Ă©tablissement de distinctions juridiques fondĂ©es sur l'origine ethnique serait propre Ă  exacerber les tensions plutĂŽt qu'Ă  favoriser les relations constructives et durables entre toutes les ethnies, essentielles Ă  la viabilitĂ© d'un Etat multi-ethnique.

4.  ApprĂ©ciation de la Cour

a)  Quant Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine

38.  Les requĂ©rants invoquent l'article 14 de la Convention combinĂ© avec l'article 3 du Protocole no 1, l'article 3 du Protocole no 1 pris isolĂ©ment et l'article 1 du Protocole no 12. La Cour considĂšre que le grief doit ĂȘtre examinĂ© d'abord sous l'angle de l'article 14 de la Convention combinĂ© avec l'article 3 du Protocole no 1.

i.  ApplicabilitĂ© de l'article 14 combinĂ© avec l'article 3 du Protocole no 1

39.  La Cour rappelle que l'article 14 complĂšte les autres dispositions normatives de la Convention et de ses Protocoles. Il n'a pas d'existence indĂ©pendante, puisqu'il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertĂ©s Â» qu'elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu mĂȘme sans un manquement Ă  leurs exigences et, dans cette mesure, possĂšde une portĂ©e autonome, mais il ne saurait trouver Ă  s'appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l'empire de l'une au moins desdites clauses (voir, parmi beaucoup d'autres prĂ©cĂ©dents, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 71, sĂ©rie A no 94, Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 22, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1998-II, et Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 85, CEDH 2003-VIII). L'interdiction de la discrimination que consacre l'article 14 dĂ©passe donc la jouissance des droits et libertĂ©s que la Convention et ses Protocoles imposent Ă  chaque Etat de garantir. Elle s'applique Ă©galement aux droits additionnels, pour autant qu'ils relĂšvent du champ d'application gĂ©nĂ©ral de l'un des articles de la Convention, que l'Etat a volontairement dĂ©cidĂ© de protĂ©ger. Ce principe est profondĂ©ment ancrĂ© dans la jurisprudence de la Cour (voir l'affaire « relative Ă  certains aspects du rĂ©gime linguistique de l'enseignement en Belgique Â» c. Belgique (fond, 23 juillet 1968, § 9, sĂ©rie A no 6 ; Stec et autres c. Royaume-Uni (dĂ©c.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 40, CEDH 2005-X ; et E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 48, CEDH 2008-...).

40.  La Cour doit donc dĂ©cider si les Ă©lections Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine relĂšvent du « champ d'application Â» de l'article 3 du Protocole no 1. A cet Ă©gard, la Cour rappelle que la disposition en cause s'applique seulement Ă  l'Ă©lection du « corps lĂ©gislatif Â», ou du moins Ă  l'une de ses chambres s'il en compte deux ou plus. Cela Ă©tant, les mots « corps lĂ©gislatif Â» doivent ĂȘtre interprĂ©tĂ©s en fonction de la structure constitutionnelle de l'Etat en cause (voir Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 40, CEDH 1999-I), et en particulier de ses traditions constitutionnelles et de l'ampleur des pouvoirs lĂ©gislatifs de la ou des chambres en question. Il ressort par ailleurs des travaux prĂ©paratoires (volume VIII, pp. 46, 50 et 52) que les Parties contractantes ont pris en compte la position particuliĂšre de certains parlements qui comportaient des chambres non Ă©lectives. C'est ainsi que l'article 3 du Protocole no 1 fut soigneusement rĂ©digĂ© de maniĂšre Ă  Ă©viter des termes susceptibles d'ĂȘtre interprĂ©tĂ©s comme une obligation absolue d'organiser des Ă©lections pour les deux chambres dans l'ensemble des systĂšmes bicamĂ©raux (voir Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, § 53, sĂ©rie A no 113). Il est clair, cela dit, que l'article 3 du Protocole no 1 s'applique Ă  chaque chambre directement Ă©lue d'un Parlement.

41.  En ce qui concerne la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine, la Cour relĂšve que sa composition est le fruit d'Ă©lections indirectes, ses membres Ă©tant dĂ©signĂ©s par les parlements des entitĂ©s. Elle observe de surcroĂźt que l'ampleur des pouvoirs lĂ©gislatifs dont jouit l'organe en question constitue en l'espĂšce un facteur dĂ©cisif. La Chambre des peuples possĂšde en effet de larges pouvoirs lui permettant de contrĂŽler l'adoption des lois : l'article IV § 3 c) de la Constitution prĂ©voit explicitement que toute lĂ©gislation nĂ©cessite l'approbation des deux chambres. Par ailleurs, la Chambre des peuples, conjointement avec la Chambre des reprĂ©sentants, dĂ©cide des sources et des montants des recettes nĂ©cessaires pour le fonctionnement des institutions de l'Etat et pour l'exĂ©cution de ses obligations internationales, et elle approuve le budget des institutions de l'Etat (article IV § 4 b)-c) de la Constitution). Enfin, son consentement est nĂ©cessaire Ă  la ratification de tout traitĂ© (article IV § 4 d) et V § 3 d) de la Constitution). Dans ces conditions, les Ă©lections Ă  la Chambre des peuples entrent dans le champ d'application de l'article 3 du Protocole no 1.

Par conséquent, l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 3 du Protocole no 1 est applicable.

ii.  Observation de l'article 14 combinĂ© avec l'article 3 du Protocole no 1

42.  La Cour rappelle que la discrimination consiste Ă  traiter de maniĂšre diffĂ©rente sans justification objective et raisonnable des personnes placĂ©es dans des situations comparables. Un traitement diffĂ©renciĂ© est dĂ©pourvu de « justification objective et raisonnable Â» lorsqu'il ne poursuit pas un « but lĂ©gitime Â» ou qu'il n'existe pas un « rapport raisonnable de proportionnalitĂ© entre les moyens employĂ©s et le but visĂ© Â» (voir, parmi beaucoup d'autres prĂ©cĂ©dents, l'arrĂȘt Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 81, 18 fĂ©vrier 2009). L'Ă©tendue de la marge d'apprĂ©ciation dont les Parties contractantes jouissent Ă  cet Ă©gard varie selon les circonstances, les domaines et le contexte (ibidem, § 82).

43.  L'origine ethnique et la race sont des concepts apparentĂ©s. Tandis que la notion de race prend racine dans l'idĂ©e d'une classification biologique des ĂȘtres humains en sous-espĂšces sur la base de caractĂ©ristiques morphologiques, telles que la couleur de la peau ou les traits faciaux, l'origine ethnique procĂšde de l'idĂ©e que les groupes sociĂ©taux sont marquĂ©s notamment par une communautĂ© de nationalitĂ©, de foi religieuse, de langue, d'origine culturelle et traditionnelle et de milieu de vie. La discrimination fondĂ©e sur l'origine ethnique d'une personne constitue une forme de discrimination raciale (voir la dĂ©finition, citĂ©e au paragraphe 19 ci-dessus, adoptĂ©e par la Convention internationale sur l'Ă©limination de toutes les formes de discrimination raciale, et celle, citĂ©e au paragraphe 23 ci-dessus, adoptĂ©e par la Commission europĂ©enne contre le racisme et l'intolĂ©rance). La discrimination raciale constitue une forme de discrimination particuliĂšrement odieuse qui, compte tenu de la dangerositĂ© de ses consĂ©quences, exige une vigilance spĂ©ciale et une rĂ©action vigoureuse de la part des autoritĂ©s. Celles-ci doivent recourir Ă  tous les moyens dont elles disposent pour combattre le racisme, renforçant ainsi la conception dĂ©mocratique de la sociĂ©tĂ©, dans laquelle la diversitĂ©  est perçue non pas comme une menace, mais comme une richesse (voir Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 145, CEDH 2005-VII, et Timichev, prĂ©citĂ©, § 56).

44.  Dans ce contexte, lorsqu'une diffĂ©rence de traitement est fondĂ©e sur la race, la couleur ou l'origine ethnique, la notion de justification objective et raisonnable doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de maniĂšre aussi stricte que possible (D.H. et autres, prĂ©citĂ©, § 196). La Cour a par ailleurs considĂ©rĂ© que dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique contemporaine basĂ©e sur les principes de pluralisme et de respect pour les diffĂ©rentes cultures, aucune diffĂ©rence de traitement fondĂ©e exclusivement ou dans une mesure dĂ©terminante sur l'origine ethnique d'une personne ne peut ĂȘtre objectivement justifiĂ©e (ibidem, § 176). Cela Ă©tant, l'article 14 de la Convention n'interdit pas aux Parties contractantes de traiter des groupes de maniĂšre diffĂ©renciĂ©e pour corriger des « inĂ©galitĂ©s factuelles Â» entre eux ; de fait, dans certaines circonstances, c'est l'absence d'un traitement diffĂ©renciĂ© pour corriger une inĂ©galitĂ© qui peut, en l'absence d'une justification objective et raisonnable, emporter violation de la disposition en cause (affaire « relative Ă  certains aspects du rĂ©gime linguistique de l'enseignement en Belgique Â», prĂ©citĂ©e, § 10 ; Thlimmenos c. GrĂšce [GC], no 34369/97, § 44, CEDH 2000-IV ; et D.H. et autres, prĂ©citĂ©, § 175).

45.  Se tournant vers la prĂ©sente espĂšce, la Cour observe que pour pouvoir se porter candidat aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine il faut dĂ©clarer une appartenance Ă  l'un des « peuples constituants Â». Les requĂ©rants, qui se disent respectivement d'origine rom et d'origine juive et qui ne dĂ©clarent d'appartenance Ă  aucun « peuple constituant Â», n'ont donc pas cette possibilitĂ© (paragraphe 11 ci-dessus). La Cour note que cette rĂšgle d'exclusion poursuivait au moins un but globalement compatible avec les objectifs gĂ©nĂ©raux de la Convention tels qu'ils se trouvent reflĂ©tĂ©s dans son PrĂ©ambule, Ă  savoir le rĂ©tablissement de la paix. Lorsque les dispositions constitutionnelles litigieuses furent mises en place, un cessez-le-feu trĂšs fragile rĂ©gnait sur le terrain. Les dispositions en cause visaient Ă  faire cesser un conflit brutal marquĂ© par des faits de gĂ©nocide et d'« Ă©puration ethnique Â». La nature du conflit Ă©tait telle que l'approbation des « peuples constituants Â» (Ă  savoir les Bosniaques, les Croates et les Serbes) Ă©tait nĂ©cessaire pour assurer la paix. Cela peut expliquer, sans forcĂ©ment la justifier, l'absence de reprĂ©sentants des autres communautĂ©s (notamment les communautĂ©s rom et juive locales) aux nĂ©gociations de paix et le souci des nĂ©gociateurs de veiller Ă  une Ă©galitĂ© effective entre les « peuples constituants Â» dans la sociĂ©tĂ© post-conflictuelle.

46.  Il n'en reste pas moins que la Cour n'est compĂ©tente ratione temporis que pour examiner la pĂ©riode postĂ©rieure Ă  la ratification par la Bosnie-HerzĂ©govine de la Convention et du Protocole no 1. La Cour estime Ă  cet Ă©gard qu'il ne lui est pas nĂ©cessaire de dĂ©cider si l'on peut considĂ©rer que le maintien des dispositions constitutionnelles litigieuses aprĂšs la ratification de la Convention poursuivait un « but lĂ©gitime Â», dĂšs lors qu'en tout Ă©tat de cause, pour les raisons Ă©noncĂ©es ci-dessous, la conservation du systĂšme ne satisfait pas Ă  l'exigence de proportionnalitĂ©.

47.  La Cour observe d'abord que des dĂ©veloppements positifs importants sont intervenus en Bosnie-HerzĂ©govine depuis l'Accord de paix de Dayton. Certes, les progrĂšs accomplis peuvent n'avoir pas toujours avoir Ă©tĂ© cohĂ©rents et il reste des dĂ©fis Ă  relever (voir, par exemple, le dernier rapport de suivi concernant la Bosnie-HerzĂ©govine en tant que candidate potentielle Ă  l'adhĂ©sion Ă  l'Union europĂ©enne Ă©tabli par la Commission europĂ©enne et publiĂ© le 14 octobre 2009, SEC/2009/1338). Il n'en reste pas moins qu'en 2005 les parties naguĂšre en conflit ont abandonnĂ© leur contrĂŽle sur les forces armĂ©es, transformant celles-ci en une petite force professionnelle, qu'en 2006 la Bosnie-HerzĂ©govine a rejoint le partenariat pour la paix de l'OTAN, qu'en 2008 elle a signĂ© et ratifiĂ© un accord de stabilisation et d'association avec l'Union europĂ©enne, qu'en mars 2009 elle a menĂ© Ă  bien le premier amendement Ă  la Constitution de l'Etat et qu'elle a rĂ©cemment Ă©tĂ© Ă©lue membre du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies pour un mandat de deux ans qui dĂ©butera le 1er janvier 2010. De surcroĂźt, si le maintien d'une administration internationale comme mesure d'exĂ©cution au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies implique que la situation dans la rĂ©gion reprĂ©sente toujours une « menace pour la paix et la sĂ©curitĂ© internationales Â», il semble que l'on se prĂ©pare Ă  mettre fin Ă  cette administration (voir le rapport suivant, Ă©tabli par M. Javier Solana, Haut ReprĂ©sentant de l'Union europĂ©enne pour la CommunautĂ© et la politique Ă©trangĂšre et de sĂ©curitĂ© commune, et M. Olli Rehn, Commissaire europĂ©en chargĂ© de l'Ă©largissement, le 10 novembre 2008 : EU's Policy in Bosnia and Herzegovina : The Way Ahead, et le rapport suivant, Ă©tabli par l'International Crisis Group le 9 mars 2009 : Bosnia's Incomplete Transition : Between Dayton and Europe).

48.  De surcroĂźt, si la Cour souscrit Ă  la thĂšse du Gouvernement consistant Ă  dire qu'il ne se dĂ©gage pas de la Convention une exigence en vertu de laquelle il y aurait lieu d'abandonner totalement les mĂ©canismes de partage du pouvoir propres Ă  la Bosnie-HerzĂ©govine et que le temps n'est peut-ĂȘtre pas encore mĂ»r pour un systĂšme politique qui serait un simple reflet de la rĂšgle majoritaire, les avis de la Commission de Venise (paragraphe 22 ci-dessus) montrent clairement que des mĂ©canismes de partage du pouvoir sont envisageables qui ne conduisent pas automatiquement Ă  l'exclusion totale des reprĂ©sentants des autres communautĂ©s. La Cour rappelle Ă  cet Ă©gard que la possibilitĂ© de trouver d'autres voies permettant d'atteindre le mĂȘme objectif constitue un facteur important en la matiĂšre (voir Glor c. Suisse, no 13444/04, § 94, 30 avril 2009).

49.  Enfin, en devenant membre du Conseil de l'Europe en 2002 et en ratifiant la Convention et ses Protocoles sans rĂ©serves, l'Etat dĂ©fendeur a librement acceptĂ© de respecter les standards pertinents. Il s'est engagĂ© notamment Ă  « revoir la loi Ă©lectorale dans un dĂ©lai de un an, avec l'aide de la Commission pour la dĂ©mocratie par le droit (Commission de Venise) et Ă  la lumiĂšre des principes du Conseil de l'Europe, aux fins d'amendement, le cas Ă©chĂ©ant Â» (paragraphe 21 ci-dessus). De mĂȘme, en ratifiant un accord de stabilisation et d'association avec l'Union europĂ©enne en 2008, l'Etat dĂ©fendeur s'est engagĂ© Ă  modifier la lĂ©gislation Ă©lectorale en ce qui concerne les membres de la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine et les dĂ©putĂ©s de la Chambre des peuples, de maniĂšre Ă  se conformer pleinement Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l'homme et aux engagements consĂ©cutifs Ă  l'adhĂ©sion au Conseil de l'Europe Â» dans un dĂ©lai de un Ă  deux ans (paragraphe 25 ci-dessus).

50.  Aussi la Cour conclut-elle que le maintien de l'impossibilitĂ© faite aux requĂ©rants de se porter candidats aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine ne repose pas sur une justification objective et raisonnable et est donc contraire Ă  l'article 14 combinĂ© avec l'article 3 du Protocole no 1.

iii.  Les griefs fondĂ©s sur l'article 3 du Protocole no 1 pris isolĂ©ment et sur l'article 1 du Protocole no 12

51.  Eu Ă©gard Ă  la conclusion formulĂ©e par elle au paragraphe prĂ©cĂ©dent, la Cour considĂšre qu'il ne s'impose pas d'examiner sĂ©parĂ©ment le point de savoir s'il y a eu Ă©galement violation de l'article 3 du Protocole no 1 pris isolĂ©ment ou de l'article 1 du Protocole no 12 relativement Ă  la Chambre des peuples.

b)  Quant Ă  la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine

52.  Les requĂ©rants invoquent ici seulement l'article 1 du Protocole no 12.

i.  ApplicabilitĂ© de l'article 1 du Protocole no 12

53.  La Cour note que si l'article 14 de la Convention prohibe la discrimination dans l'assurance de la jouissance des « droits et libertĂ©s reconnus dans la (...) Convention Â», l'article 1 du Protocole no 12 Ă©tend le champ de la protection Ă  « tout droit prĂ©vu par la loi Â». Il introduit donc une interdiction gĂ©nĂ©rale de la discrimination.

54.  Les requĂ©rants contestent les dispositions constitutionnelles en vertu desquelles ils ne peuvent se porter candidats aux Ă©lections Ă  la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine. Par consĂ©quent, que ces Ă©lections relĂšvent ou non du champ d'application de l'article 3 du Protocole no 1 (voir BoĆĄkoski c. Â« l'ex-RĂ©publique yougoslave de MacĂ©doine Â» (dĂ©c.), no 11676/04, CEDH 2004-VI), ce grief concerne un « droit prĂ©vu par la loi Â» (voir les articles 1.4 et 4.19 de la loi Ă©lectorale de 2001, reproduits au paragraphe 18 ci-dessus), ce qui rend l'article 1 du Protocole no 12 applicable. Cela n'a du reste pas Ă©tĂ© contestĂ© devant la Cour.

ii.  Observation de l'article 1 du Protocole no 12

55.  La notion de discrimination fait l'objet d'une interprĂ©tation constante dans la jurisprudence de la Cour concernant l'article 14 de la Convention. Il ressort en particulier de cette jurisprudence que par « discrimination Â» il y a lieu d'entendre un traitement diffĂ©renciĂ©, sans justification objective et raisonnable, de personnes placĂ©es dans des situations analogues (voir les paragraphes 41-43 ci-dessus et les prĂ©cĂ©dents qui s'y trouvent citĂ©s). Les auteurs du Protocole no 12 ont utilisĂ© le mĂȘme terme de discrimination dans l'article 1 de cet instrument. Nonobstant la diffĂ©rence de portĂ©e qu'il y a entre les deux dispositions, le sens du mot inscrit Ă  l'article 1 du Protocole no 12 est censĂ© ĂȘtre identique Ă  celui du terme figurant Ă  l'article 14 (voir le rapport explicatif du Protocole no 12, § 18). Aussi la Cour n'aperçoit-elle aucune raison de s'Ă©carter, dans le contexte de l'article 1 du Protocole no 12, de l'interprĂ©tation bien Ă©tablie de la notion de « discrimination Â» mentionnĂ©e ci-dessus (en ce qui concerne la jurisprudence du ComitĂ© des droits de l'homme des Nations unies relative Ă  l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, disposition comparable – quoique non identique – Ă  l'article 1 du Protocole no 12 Ă  la Convention, voir Nowak, CCPR Commentary, Editions N.P. Engel, 2005, pp. 597-634).

56.  La non-dĂ©claration par les requĂ©rants en l'espĂšce d'une appartenance Ă  l'un des « peuples constituants Â» les rend Ă©galement juridiquement inaptes Ă  se prĂ©senter aux Ă©lections Ă  la prĂ©sidence. Une condition constitutionnelle prĂ©alable du mĂȘme type a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© jugĂ©e s'analyser en une diffĂ©rence de traitement discriminatoire contraire Ă  l'article 14 relativement Ă  la Chambre des peuples (paragraphe 49 ci-dessus), et, par ailleurs, la notion de discrimination doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de la mĂȘme maniĂšre dans le cadre de l'article 14 et dans celui de l'article 1 du Protocole no 12 (voir le paragraphe prĂ©cĂ©dent). Il s'ensuit que les dispositions constitutionnelles en vertu desquelles les requĂ©rants ne peuvent se porter candidats aux Ă©lections Ă  la prĂ©sidence doivent elles aussi ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme discriminatoires et comme emportant violation de l'article 1 du Protocole no 12, la Cour estimant qu'Ă  cet Ă©gard aucune distinction pertinente ne peut ĂȘtre Ă©tablie entre la Chambre des peuples et la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine.

En conséquence, et pour les motifs exposés de maniÚre détaillée dans le contexte de l'article 14 aux paragraphes 46-48 ci-dessus, la Cour estime que la condition préalable litigieuse à la candidature aux élections présidentielles s'analyse en une violation de l'article 1 du Protocole no 12.

II.  LES AUTRES GRIEFS DES REQUÉRANTS

A.  Article 3 de la Convention

57.  Le premier requĂ©rant soutient que l'impossibilitĂ© qui lui est faite de se porter candidat aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples et Ă  la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine au motif qu'il est d'origine rom le rabaisse en rĂ©alitĂ©, lui et les autres membres de la communautĂ© rom locale, comme du reste les membres des autres minoritĂ©s nationales de Bosnie-HerzĂ©govine, au statut de citoyen de deuxiĂšme classe. Il y voit un affront particulier Ă  sa dignitĂ© humaine et une violation de l'article 3 de la Convention, ainsi libellĂ© :

« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă  la torture ni Ă  des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. Â»

58.  Il a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© dans des affaires antĂ©rieures que la discrimination raciale peut dans certaines circonstances s'analyser en un traitement dĂ©gradant au sens de l'article 3 de la Convention (voir Asiatiques d'Afrique orientale c. Royaume-Uni, nos 4403/70 et autres, rapport de la Commission du 14 dĂ©cembre 1973, § 208, DĂ©cisions et rapports 78, et Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, § 310, CEDH 2001-IV). En l'espĂšce, toutefois, la Cour observe que la diffĂ©rence de traitement incriminĂ©e ne rĂ©vĂšle aucun mĂ©pris ou manque de respect pour la personnalitĂ© des requĂ©rants et qu'elle n'avait pas pour but et n'a du reste pas eu pour consĂ©quence d'humilier ou d'avilir les intĂ©ressĂ©s, mais visait uniquement Ă  atteindre l'objectif mentionnĂ© au paragraphe 44 ci-dessus.

Ce grief est dĂšs lors manifestement mal fondĂ©, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention, et il doit donc ĂȘtre rejetĂ©, en application de l'article 35 § 4.

B.  Article 13 de la Convention

59.  Se plaçant sur le terrain de l'article 13 de la Convention, les requĂ©rants se plaignent par ailleurs de ne pas disposer en droit interne d'un recours effectif pour faire valoir leurs griefs de discrimination. L'article 13 est ainsi libellĂ© :

« Toute personne dont les droits et libertĂ©s reconnus dans la (...) Convention ont Ă©tĂ© violĂ©s, a droit Ă  l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors mĂȘme que la violation aurait Ă©tĂ© commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. Â»

60.  La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention ne va pas jusqu'Ă  exiger un recours par lequel on puisse dĂ©noncer devant une autoritĂ© nationale les lois d'un Etat comme contraires en tant que telles Ă  la Convention (voir A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 135, 19 fĂ©vrier 2009). DĂšs lors que la prĂ©sente espĂšce concerne le contenu de dispositions constitutionnelles et non une mesure individuelle d'application, ce grief est manifestement mal fondĂ©, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention, et il doit donc ĂȘtre rejetĂ©, en application de l'article 35 § 4.

III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

61.  L'article 41 de la Convention est ainsi libellĂ© :

« Si la Cour dĂ©clare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s'il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

A.  Dommage

62.  Les requĂ©rants ne demandent rien pour dommage matĂ©riel. Ils allĂšguent en revanche avoir subi un dommage moral pour lequel le premier requĂ©rant rĂ©clame 20 000 euros (EUR) et le second requĂ©rant 12 000 EUR. Le Gouvernement considĂšre que ces prĂ©tentions sont injustifiĂ©es.

63.  La Cour estime que le constat d'une violation reprĂ©sente en soi une satisfaction Ă©quitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir Ă©tĂ© subi par les requĂ©rants.

B.  Frais et dĂ©pens

64.  Le premier requĂ©rant, qui a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© pro bono, ne sollicite que 1 000 EUR pour la comparution de son avocat Ă  l'audience devant la Cour le 3 juin 2009. Le second requĂ©rant demande 33 321 EUR pour l'intĂ©gralitĂ© de sa cause. Ce chiffre comprend 270 heures de travail de ses deux avocats et d'un autre membre de l'Ă©quipe juridique, Mme Cynthia Morel, du Minority Rights Group International, au taux horaire de 82,45 EUR, pour la rĂ©daction de la requĂȘte, des observations et de la demande de satisfaction Ă©quitable devant la chambre et la Grande Chambre, divers dĂ©bours relatifs, notamment, Ă  un rapport d'expert obtenu de M. Zoran Pajić, de la sociĂ©tĂ© Expert Consultancy International Ltd, et Ă  des rĂ©unions entre l'Ă©quipe juridique et le requĂ©rant Ă  New-York et Ă  Sarajevo, ainsi que les frais relatifs Ă  la comparution Ă  l'audience devant la Grande Chambre. Le requĂ©rant explique que le recours Ă  un troisiĂšme juriste, Mme Cynthia Morel, a Ă©tĂ© rendu nĂ©cessaire par l'ampleur et la complexitĂ© des questions Ă  traiter.

65.  Le Gouvernement soutient quant Ă  lui que les frais dont le remboursement est rĂ©clamĂ© ont Ă©tĂ© exposĂ©s sans nĂ©cessitĂ© et estime qu'ils sont en tout Ă©tat de cause excessifs. Il conteste en particulier qu'il fĂ»t nĂ©cessaire pour le second requĂ©rant d'avoir recours Ă  des avocats Ă©tablis Ă  l'Ă©tranger, dont les honoraires seraient incomparablement plus Ă©levĂ©s que ceux des avocats locaux et dont la dĂ©signation aurait eu pour consĂ©quence de faire grossir les frais de dĂ©placement et de communication.

66.  La Cour ne partage pas l'avis du Gouvernement selon lequel les requĂ©rants doivent choisir pour leur reprĂ©sentation devant la Cour des avocats Ă©tablis localement, quand bien mĂȘme ceux-ci seraient Ă  mĂȘme d'offrir (comme en l'espĂšce) des services aussi bons que ceux que peuvent fournir des avocats Ă©tablis Ă  l'Ă©tranger. En consĂ©quence, la disparitĂ© entre les montants rĂ©clamĂ©s en l'espĂšce ne constitue pas en soi un Ă©lĂ©ment suffisant pour faire conclure au caractĂšre non nĂ©cessaire et dĂ©raisonnable des plus Ă©levĂ©s d'entre eux. Cela dit, la Cour juge excessif le montant sollicitĂ© par le second requĂ©rant et alloue Ă  l'intĂ©ressĂ© 20 000 EUR de ce chef. Elle considĂšre en revanche que la somme rĂ©clamĂ©e par le premier requĂ©rant doit lui ĂȘtre allouĂ©e en entier.

C.  IntĂ©rĂȘts moratoires

67.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d'intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  DĂ©cide, Ă  l'unanimitĂ©, de joindre les requĂȘtes ;

2.  DĂ©clare recevables, Ă  la majoritĂ©, les griefs principaux relatifs Ă  l'impossibilitĂ© faite aux requĂ©rants de se porter candidats aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine ;

3.  DĂ©clare recevables, Ă  l'unanimitĂ©, les griefs principaux relatifs Ă  l'impossibilitĂ© faite aux requĂ©rants de se porter candidats aux Ă©lections Ă  la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine ;

4.  DĂ©clare, Ă  l'unanimitĂ©, les requĂȘtes irrecevables pour le surplus ;

5.  Dit, par quatorze voix contre trois, qu'il y a eu violation de l'article 14 combinĂ© avec l'article 3 du Protocole no 1 relativement Ă  l'impossibilitĂ© faite aux requĂ©rants de se porter candidats aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine ;

6.  Dit, Ă  l'unanimitĂ©, qu'il ne s'impose pas d'examiner le mĂȘme grief sous l'angle de l'article 3 du Protocole no 1 considĂ©rĂ© isolĂ©ment ou de l'article 1 du Protocole no 12 ;

7.  Dit, par seize voix contre une, qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 12 relativement Ă  l'impossibilitĂ© faite aux requĂ©rants de se porter candidats aux Ă©lections Ă  la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine ;

8.  Dit, Ă  l'unanimitĂ©, que le constat d'une violation reprĂ©sente en soi une satisfaction Ă©quitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir Ă©tĂ© subi par les requĂ©rants ;

9.  Dit

a)  par seize voix contre une, que l'Etat dĂ©fendeur doit verser au premier requĂ©rant, dans les trois mois, 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dĂ©pens, somme Ă  convertir en marks convertibles au taux applicable Ă  la date du rĂšglement et Ă  majorer de tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» par l'intĂ©ressĂ© Ă  titre d'impĂŽt ;

b)  par quinze voix contre deux, que l'Etat dĂ©fendeur doit verser au second requĂ©rant, dans les trois mois, 20 000 EUR (vingt mille euros) pour frais et dĂ©pens, somme Ă  convertir en marks convertibles au taux applicable Ă  la date du rĂšglement et Ă  majorer de tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» par l'intĂ©ressĂ© Ă  titre d'impĂŽt ;

c)  Ă  l'unanimitĂ©, qu'Ă  compter de l'expiration dudit dĂ©lai de trois mois et jusqu'au rĂšglement, les montants prĂ©citĂ©s seront Ă  majorer d'un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

10.  Rejette, Ă  l'unanimitĂ©, pour le surplus la demande de satisfaction Ă©quitable du second requĂ©rant.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 22 décembre 2009.

Vincent Berger Jean-Paul Costa 
 Jurisconsulte PrĂ©sident

Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rĂšglement, l'exposĂ© des opinions sĂ©parĂ©es suivantes :

–  opinion partiellement concordante et partiellement dissidente de la juge Mijović, Ă  laquelle se rallie le juge Hajiyev ;

–  opinion dissidente du juge Bonello.

J.-P. C. 
V. B.

 

OPINION PARTIELLEMENT CONCORDANTE ET PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE LA JUGE MIJOVIĆ, 
À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE HAJIYEV

(Traduction)

I.  REMARQUES GÉNÉRALES

Dans son arrĂȘt, la Grande Chambre a conclu Ă  la violation de l'article 14 combinĂ© avec l'article 3 du Protocole no 1 relativement aux dispositions constitutionnelles de la Bosnie-HerzĂ©govine concernant la Chambre des peuples et de l'article 1 du Protocole no 12 relativement aux dispositions constitutionnelles concernant la prĂ©sidence de l'Etat.

Nonobstant quelques objections quant au raisonnement suivi par la Grande Chambre sur le second point, je n'ai pas éprouvé de difficultés à partager l'avis de la majorité selon lequel les dispositions constitutionnelles relatives à la structure de la présidence de l'Etat s'analysent en une violation de l'interdiction de discrimination. En revanche, et je le regrette, mon opinion sur le premier point diffÚre sensiblement de la conclusion de la majorité.

Comme il s'agissait de la toute premiĂšre affaire concernant l'interdiction gĂ©nĂ©rale de la discrimination consacrĂ©e par l'article 1 du Protocole no 12 et que s'y trouvait critiquĂ©e l'essence mĂȘme de la structure Ă©tatique de la Bosnie-HerzĂ©govine, les attentes du public Ă©taient considĂ©rables. Le fait que cette affaire allait ĂȘtre la toute premiĂšre de cette nature dans la jurisprudence de la Cour et qu'elle Ă©tait propre Ă  engendrer de sĂ©rieux bouleversements et rĂ©amĂ©nagements constitutionnels dans l'un des Etats membres du Conseil de l'Europe a encore augmentĂ© l'intĂ©rĂȘt qui y Ă©tait portĂ©.

L'importance de l'affaire s'est également trouvée accrue du fait des particularités qui ont marqué non seulement la création de la Bosnie-Herzégovine, mais aussi son adhésion au Conseil de l'Europe. On peut dire que la présente espÚce a fait apparaßtre au grand jour tous les points faibles de la structure étatique de la Bosnie-Herzégovine qui étaient visibles mais ont été ignorés au moment de son adhésion au Conseil de l'Europe.

Mes remarques gĂ©nĂ©rales ont trait premiĂšrement au fait que la Grande Chambre, comme l'a soulignĂ© Ă  juste titre le juge Bonello dans son opinion dissidente, est restĂ©e en dĂ©faut d'analyser le contexte historique et les circonstances de l'imposition de la Constitution de la Bosnie-HerzĂ©govine. Il me semble que la Cour a ainsi abandonnĂ© sa jurisprudence antĂ©rieure, oĂč elle examinait l'ensemble des facteurs pertinents avant de livrer son opinion dĂ©finitive. Or j'estime que les circonstances susvisĂ©es Ă©taient trĂšs importantes en l'espĂšce, car c'est elles qui conduisirent Ă  la structure Ă©tatique actuelle de la Bosnie-HerzĂ©govine.

II.  LE CONTEXTE FACTUEL

La premiÚre question que je me suis posée concernant cette affaire, c'est celle de savoir si la Bosnie-Herzégovine s'était parfaitement rendu compte à l'époque des conséquences possibles de la ratification par elle de tous les protocoles de la Convention.

En effet, la Bosnie-HerzĂ©govine est l'un des dix-sept Etats membres du Conseil de l'Europe qui ont ratifiĂ© le Protocole no 12, trente autres Etats ayant dĂ©cidĂ© de ne pas ratifier ce protocole, ce qui tĂ©moigne de diffĂ©rences d'approche relativement au Protocole no 12 et aux questions dont il traite.

Les deux requĂȘtes de la prĂ©sente espĂšce concernent le cƓur mĂȘme de la structure post-conflictuelle de l'Etat mise en place par la Constitution de 1995, qui, d'un point de vue technique, faisait partie, ou plus exactement constituait une annexe, d'un accord de paix international : l'Accord de paix de Dayton. Lorsque les maĂźtres de la guerre dĂ©cidĂšrent de devenir les maĂźtres de la paix, Ă  l'issue de nĂ©gociations longues et difficiles entre les reprĂ©sentants politiques des Bosniaques, des Croates et des Serbes, sous la supervision de la communautĂ© internationale, ils crĂ©Ăšrent un Etat dont l'architecture est, sur le plan international et du point de vue du droit constitutionnel, sans prĂ©cĂ©dent et sans Ă©quivalent.

L'Accord de paix de Dayton a instituĂ© une Bosnie-HerzĂ©govine composĂ©e de deux entitĂ©s, le prĂ©ambule Ă  la Constitution Ă©nonçant que seuls les Bosniaques, les Serbes et les Croates sont des peuples constituants. Les autres groupes ethniques, qui n'avaient pas pris parti dans le conflit, furent simplement laissĂ©s de cĂŽtĂ©. Comme il s'agissait d'une question extrĂȘmement sensible, l'examen de leur statut juridique fut reportĂ© Ă  des temps plus calmes et politiquement moins sensibles.

ConformĂ©ment au dispositif constitutionnel mis en place par l'Accord de paix de Dayton, les personnes appartenant Ă  des minoritĂ©s (ethniques) nationales ne peuvent se porter candidates Ă  la prĂ©sidence de l'Etat et Ă  la Chambre des peuples du Parlement national, quoique ces deux institutions de l'Etat ne soient pas les seules oĂč l'Ă©quilibre des pouvoirs entre les trois peuples constituants ait Ă©tĂ© dĂ©fini par ledit accord (on peut citer l'exemple de la structure de la Cour constitutionnelle, qui se compose de deux Bosniaques, de deux Croates, de deux Serbes et de trois juges Ă©trangers).

En l'espĂšce, la rĂ©partition des postes entre les peuples constituants dans les organes de l'Etat Ă©tait un Ă©lĂ©ment capital de l'Accord de paix de Dayton, et il a permis le rĂ©tablissement de la paix en Bosnie-HerzĂ©govine. Dans un tel contexte, il me paraĂźt trĂšs difficile de dĂ©nier toute lĂ©gitimitĂ© Ă  des normes qui peuvent ĂȘtre problĂ©matiques du point de vue de la non-discrimination, mais qui Ă©taient nĂ©cessaires pour parvenir Ă  la paix et Ă  la stabilitĂ© et pour Ă©viter de nouvelles pertes en vies humaines.

C'est lĂ  l'aspect principal de la nature sensible des requĂȘtes de l'espĂšce, car les changements dans la composition d'institutions politiques spĂ©cifiques tels ceux demandĂ©s par les requĂ©rants nĂ©cessiteraient en rĂ©alitĂ© que soit modifiĂ© l'Ă©quilibre des pouvoirs actuel, ce qui pourrait raviver les graves tensions qui existent toujours en Bosnie-HerzĂ©govine.

Consciente de la nécessité d'une réforme constitutionnelle, la communauté internationale exhorta en 2006 les principaux leaders politiques de Bosnie-Herzégovine à entamer des négociations en vue de l'adoption d'un systÚme électoral qui garantirait l'égalité dans la jouissance des droits politiques à tous les citoyens indépendamment de leur appartenance ethnique, mais ce fut un échec total. Les discussions ont aujourd'hui repris, ce qui signifie en réalité que lorsqu'on traite d'affaires de ce genre on aborde une question ultrasensible, qui a déjà mobilisé une attention énorme du public.

Les requĂ©rants en l'espĂšce sont un Rom et un Juif. Ils se plaignaient de ce que, du simple fait de leur origine ethnique et bien qu'ils pussent s'appuyer sur une expĂ©rience comparable Ă  celle des titulaires des plus hautes fonctions Ă©lectives, ils se trouvaient empĂȘchĂ©s par la Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine et par la loi Ă©lectorale de 2001 de se porter candidats Ă  la prĂ©sidence et Ă  la Chambre des peuples de l'AssemblĂ©e parlementaire, en quoi ils voyaient une discrimination contraire Ă  la Convention.

III.  LA STRUCTURE ÉTATIQUE DE LA BOSNIE-HERZÉGOVINE

Comme je l'ai dit plus haut, la Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine est le fruit de nĂ©gociations longues et difficiles entre les reprĂ©sentants des Bosniaques, des Croates et des Serbes, sous la supervision de la communautĂ© internationale. Son dispositif complexe de partage du pouvoir concerne essentiellement les Bosniaques, les Croates et les Serbes, qui Ă©taient directement parties Ă  la guerre de 1992-1995, ce qui explique que les principales institutions politiques aient Ă©tĂ© conçues pour mĂ©nager un Ă©quilibre des pouvoirs entre trois peuples constituants. Les autres groupes ethniques n'ont pas Ă©tĂ© pris en considĂ©ration Ă  l'Ă©poque, parce qu'ils n'avaient pas pris parti dans le conflit. AprĂšs la guerre, ces groupes minoritaires devinrent parties Ă  l'ensemble des dispositifs de partage du pouvoir au niveau des entitĂ©s. La mĂȘme chose n'a toutefois toujours pas pu se faire au niveau de l'Etat, et c'est la raison pour laquelle les requĂ©rants ont introduit leurs requĂȘtes devant la Cour.

Les dispositifs de partage du pouvoir au niveau de l'Etat, notamment ceux concernant la structure de la Chambre des peuples et de la prĂ©sidence de l'Etat, prĂ©voient que seuls ceux qui dĂ©clarent une appartenance Ă  l'un des trois groupes ethniques principaux peuvent postuler Ă  ces deux organes de l'Etat. Il me faut prĂ©ciser que l'appartenance ethnique dans le contexte de la Bosnie-HerzĂ©govine ne doit pas ĂȘtre prise comme une catĂ©gorie juridique, dans la mesure oĂč elle dĂ©pend exclusivement d'une autoclassification qui, stricto sensu, s'analyse en un critĂšre subjectif. Cela signifie en rĂ©alitĂ© que chacun a le droit de dĂ©clarer ou de ne pas dĂ©clarer une affiliation Ă  un groupe ethnique. Personne n'a l'obligation de le faire. Il n'y a ni obligation juridique de dĂ©clarer une appartenance ethnique ni paramĂštres objectifs permettant d'Ă©tablir pareille appartenance pour un individu.

Ce n'est que lorsqu'un particulier souhaite entrer dans le jeu politique que la question de l'appartenance ethnique revĂȘt de l'importance. La dĂ©claration d'une appartenance ethnique relĂšve donc non pas d'une catĂ©gorie objective et juridique, mais bien d'une catĂ©gorie subjective et politique.

IV.  Le constat d'une VIOLATION DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 12

Tout en Ă©tant en dĂ©saccord avec certains aspects du raisonnement dĂ©veloppĂ© par la Grande Chambre pour motiver son constat de violation de l'article 1 du Protocole no 12, je n'ai Ă©prouvĂ© aucune difficultĂ© Ă  partager l'avis de la majoritĂ© selon lequel le dispositif constitutionnel de la Bosnie-HerzĂ©govine concernant la structure de la prĂ©sidence de l'Etat emporte violation de l'interdiction gĂ©nĂ©rale de la discrimination.

Ma divergence de vue concernant cette partie de l'arrĂȘt vient du fait que je m'attendais Ă  ce que la Cour utilise cette affaire, qui Ă©tait la toute premiĂšre de cette nature, pour fixer des principes, des standards ou des critĂšres de dĂ©part spĂ©cifiques, qui auraient pu ĂȘtre appliquĂ©s aux futures affaires portant sur des faits de discrimination en gĂ©nĂ©ral. Il apparaĂźt que ces attentes Ă©taient irrĂ©alistes, la Cour ayant simplement rappelĂ© Ă  cet Ă©gard le raisonnement et la motivation livrĂ©s par elle pour le grief qui se rapportait aux dispositions constitutionnelles relatives Ă  la Chambre des peuples, qui avait donnĂ© lieu Ă  un constat de violation de l'article 14.

De surcroĂźt, la Cour a traitĂ© ce grief comme s'il Ă©tait moins important, donnant l'impression que l'article 1 du Protocole no 12 Ă©tait appliquĂ© uniquement parce qu'il n'Ă©tait pas possible d'appliquer l'article 3 du Protocole no 1. La motivation propre au constat relatif au grief tirĂ© de l'article 1 du Protocole no 12 tient en seulement deux paragraphes, oĂč la Cour arrive Ă  la conclusion qu'« aucune distinction pertinente ne peut ĂȘtre Ă©tablie entre la Chambre des peuples et la prĂ©sidence de Bosnie-HerzĂ©govine Â» concernant le dispositif constitutionnel discriminatoire. J'estime quant Ă  moi qu'il y a plusieurs Ă©lĂ©ments distinctifs qui auraient dĂ» ĂȘtre discutĂ©s.

La structure tripartite de la prĂ©sidence de l'Etat est, comme beaucoup d'autres institutions Ă©tatiques de la Bosnie-HerzĂ©govine, le rĂ©sultat d'un compromis politique dĂ©gagĂ© par l'Accord de paix. Elle tendait Ă  la crĂ©ation d'un mĂ©canisme d'Ă©quilibre et Ă  prĂ©venir toute suprĂ©matie de l'un des peuples dans le processus dĂ©cisionnel. La question clĂ© Ă  laquelle il aurait fallu d'aprĂšs moi apporter une rĂ©ponse en l'espĂšce est celle de savoir si la structure tripartite a jamais Ă©tĂ© justifiĂ©e et si elle l'est toujours. Du point de vue de la jurisprudence relative Ă  l'article 1 du Protocole no 12, il eĂ»t Ă©tĂ© non seulement intĂ©ressant mais aussi trĂšs utile que la Cour fĂźt connaĂźtre son opinion sur ce point. Or la Cour s'est contentĂ©e de rĂ©itĂ©rer les arguments se rapportant aux critĂšres appliquĂ©s Ă  la partie de l'arrĂȘt relative Ă  l'article 14, ce que je trouve dĂ©cevant.

Sur un plan purement thĂ©orique, c'est-Ă -dire abstraction faite des atrocitĂ©s, des massacres et des bains de sang qui ont prĂ©cĂ©dĂ© les accords de paix, j'aurais estimĂ© que mĂȘme Ă  elle seule l'obligation pour un individu de dĂ©clarer son appartenance Ă  un groupe ethnique pour pouvoir faire acte de candidature Ă  un poste public Ă©tait inacceptable et suffisante pour justifier un constat de violation de l'interdiction de toute discrimination fondĂ©e sur l'appartenance ethnique.

Pour revenir à la structure de la présidence de l'Etat, si la Bosnie-Herzégovine était un Etat stable et autonome, l'essence de la discrimination aurait résidé non seulement dans l'inéligibilité des minorités, mais également dans l'inéligibilité de tous ceux qui n'auraient pas pu ou n'auraient pas souhaité déclarer leur appartenance ethnique pour pouvoir se porter candidats à des fonctions publiques. DÚs lors toutefois que la Bosnie-Herzégovine a été créée à la suite d'une pression exercée par la communauté internationale et que quatorze ans aprÚs elle ne fonctionne toujours pas comme un Etat indépendant et souverain, on ne peut pas dire qu'elle représente un Etat suffisamment stable pour que l'on puisse raisonner de cette façon.

D'un autre cĂŽtĂ©, si rien n'est fait pour amĂ©liorer la situation actuelle, il n'y a aucune chance de voir les choses progresser. L'Ă©limination de la mĂ©fiance entre les ethnies est d'aprĂšs moi un processus qu'il y a lieu de dĂ©velopper de maniĂšre trĂšs prĂ©cautionneuse, Ă©tape par Ă©tape. Si le temps est venu (et je souligne ici une fois de plus que la Cour ne s'est livrĂ©e Ă  aucune Ă©valuation Ă  cet Ă©gard) de modifier la structure de l'Ă©tat post-conflictuel, j'ose espĂ©rer qu'une modification de la composition de la prĂ©sidence de l'Etat pourrait constituer la premiĂšre Ă©tape. La prĂ©sidence de l'Etat est une institution qui reprĂ©sente l'Etat dans son ensemble7, alors que la Chambre des peuples est investie d'un rĂŽle important et sensible de protection des « intĂ©rĂȘts vitaux Â» de chaque peuple constituant.

V.  Le constat d'une VIOLATION DE L'ARTICLE 14 COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1

A mon grand regret, et pour les raisons Ă©numĂ©rĂ©es ci-dessous, je ne puis partager l'opinion de la majoritĂ© sur la question de l'article 14 combinĂ© avec l'article 3 du Protocole no 1.

PremiĂšrement, la question de l'applicabilitĂ© de l'article 3 du Protocole no 1 est ici trĂšs sujette Ă  dĂ©bat. L'article 3 du Protocole no 1 protĂšge le droit Ă  des Ă©lections libres, mais il n'existe pas de rĂ©ponse bien dĂ©finie et communĂ©ment admise Ă  la question de savoir si sont ici visĂ©es tant les Ă©lections directes que les Ă©lections indirectes8. Renvoyant Ă  sa jurisprudence, la Cour indique toutefois que l'article 3 du Protocole no 1 fut « soigneusement rĂ©digĂ© de maniĂšre Ă  Ă©viter des termes susceptibles d'ĂȘtre interprĂ©tĂ©s comme une obligation absolue d'organiser des Ă©lections pour les deux chambres dans l'ensemble des systĂšmes bicamĂ©raux Â» (paragraphe 40 de l'arrĂȘt). En mĂȘme temps, comme la Grande Chambre le fait observer, il est clair que l'article 3 du Protocole no 1 s'applique Ă  chaque chambre directement Ă©lue d'un parlement. A cet Ă©gard, il convient de prĂ©ciser qu'en Bosnie-HerzĂ©govine il n'y a pas d'Ă©lections, ni directes ni indirectes, pour les membres de la Chambre des peuples. Ceux-ci sont dĂ©signĂ©s par les parlements des entitĂ©s, ce qui signifie en rĂ©alitĂ© que les plaintes formulĂ©es en l'espĂšce sont de nature purement thĂ©orique, dĂšs lors qu'il n'y a ni Ă©lections prĂ©alables ni obligation pour les parlements des entitĂ©s de dĂ©signer tel ou tel candidat. La composition de la Chambre des peuples n'est pas le rĂ©sultat d'un processus Ă©lectoral. Les membres de la Chambre des peuples sont dĂ©signĂ©s/choisis Ă  la majoritĂ© au sein de l'AssemblĂ©e nationale de la Republika Srpska et Ă  la majoritĂ© dans les groupes bosniaques et croates au sein du Parlement de la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine9. DĂšs lors que la version originale de la Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine a Ă©tĂ© Ă©tablie en anglais, mĂȘme une approche linguistique confirme que l'on n'est pas en prĂ©sence d'Ă©lections mais de dĂ©signations. En effet, l'article 4 de la Constitution Ă©nonce que la Chambre des peuples « shall comprise 15 delegates Â» (comprend quinze dĂ©lĂ©guĂ©s) et que « the designated delegates shall be selected Â» (les dĂ©lĂ©guĂ©s dĂ©signĂ©s sont choisis) par les parlements respectifs des entitĂ©s10.

La notion de droit à des élections libres en Bosnie-Herzégovine n'inclut tout simplement pas en tant que tel le droit de se porter candidat à la Chambre des peuples, dÚs lors que les membres de cette chambre ne sont pas élus mais désignés/choisis par les parlements des entités.

On pourrait toujours parler d'Ă©lections indirectes si les listes de candidats Ă©taient annoncĂ©es pendant la campagne Ă©lectorale ou Ă  un quelconque autre moment avant la dĂ©signation des intĂ©ressĂ©s (et que le processus Ă©tait ainsi transparent pour le public) ou s'il y avait des critĂšres Ă  remplir pour pouvoir ĂȘtre dĂ©signĂ©. Or les noms des candidats ne figurent pas sur des bulletins ou des listes Ă©lectorales. Un fait qu'a totalement ignorĂ© la Cour, c'est que ni la Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine ni la loi Ă©lectorale ne prĂ©voient que les personnes souhaitant se porter candidates aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples doivent satisfaire Ă  certains critĂšres. Aucune disposition du droit interne ne dit Ă  partir de quelle structure, de quel parti politique ou mĂȘme de quelle option politique les candidats doivent ĂȘtre sĂ©lectionnĂ©s11. Le choix peut donc en thĂ©orie se porter sur n'importe quel individu, quand bien mĂȘme il ne serait pas engagĂ© dans la vie publique. Ainsi, la procĂ©dure de dĂ©signation des membres de la Chambre des peuples ne dĂ©pend pas de l'appartenance Ă  tel ou tel parti politique ; il n'y a pas de lien formel entre les dĂ©lĂ©guĂ©s et les Ă©lecteurs, et les noms des candidats ne sont pas connus du grand public, pas mĂȘme des Ă©lecteurs, avant leur dĂ©signation par les membres des parlements des entitĂ©s. La seule exigence formelle concerne la dĂ©claration d'appartenance ethnique, qui n'est juridiquement pertinente que pour la qualitĂ© de membre de la Chambre des peuples. A strictement parler, il est clair que les requĂ©rants ne peuvent ĂȘtre « Ă©lus Â», mais cette impossibilitĂ© est due non Ă  leur appartenance ethnique mais Ă  l'absence de dispositions prĂ©voyant l'Ă©lection des dĂ©lĂ©guĂ©s en gĂ©nĂ©ral, les membres de la chambre en question Ă©tant tous dĂ©signĂ©s. Les individus appartenant Ă  l'un des trois peuples constituants pourraient trĂšs bien se plaindre, eux aussi, de l'absence d'Ă©lections libres relativement Ă  la Chambre des peuples, la seule maniĂšre pour une personne de devenir membre de cette chambre Ă©tant d'ĂȘtre dĂ©signĂ©e par le parlement d'une entitĂ©. En consĂ©quence, il n'existe d'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale pour personne un quelconque droit de se porter candidat Ă  des Ă©lections Ă  la Chambre des peuples, pareilles Ă©lections n'Ă©tant simplement pas prĂ©vues. En consĂ©quence, si cette procĂ©dure doit ĂȘtre qualifiĂ©e de discriminatoire, les mĂȘmes critĂšres de discrimination doivent-ils ĂȘtre appliquĂ©s aux systĂšmes parlementaires qui prĂ©voient que les siĂšges de la seconde chambre sont hĂ©rĂ©ditaires (comme c'est le cas de la Chambre des lords britannique) ou conditionnĂ©s par l'exercice d'une fonction publique (comme c'est le cas du Conseil fĂ©dĂ©ral (Bundesrat) allemand) ? Il me paraĂźt aussi peu appropriĂ© de conclure au caractĂšre discriminatoire du processus dans ces systĂšmes que ce ne l'est dans le cas de la Bosnie-HerzĂ©govine.

Le fait que la seule condition de forme qui doive ĂȘtre remplie par les dĂ©lĂ©guĂ©s Ă  la Chambre des peuples se rapporte Ă  leur appartenance ethnique monte que la Chambre des peuples a Ă©tĂ© conçue pour assurer un certain Ă©quilibre ethnique au sein du pouvoir lĂ©gislatif.

C'est un fait bien établi que ce sont des mécanismes de cette nature qui ont permis la restauration de la paix en Bosnie-Herzégovine, et il est tout aussi clair que, quatorze ans aprÚs, il n'est toujours pas possible de dégager une approche commune et partagée quant à d'éventuels réaménagements constitutionnels en Bosnie-Herzégovine12.

Mon second point de désaccord avec la décision de la Grande chambre sur la recevabilité concerne la nature juridique de la Chambre des peuples. Celle-ci est appréhendée par la Grande Chambre comme la seconde chambre de l'Assemblée parlementaire de la Bosnie-Herzégovine. Je ne souscris pas à cette analyse.

D'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, une chambre haute se distingue normalement de la chambre basse sur un (ou plusieurs) des points suivants : elle est dotĂ©e de pouvoirs moindres que ceux dont jouit la chambre basse (pour certains textes votĂ©s par celle-ci, elle peut ainsi avoir simplement la facultĂ© de formuler des rĂ©serves, ou, en cas de rĂ©forme constitutionnelle, son pouvoir peut ĂȘtre limitĂ© Ă  l'expression ou non de son approbation) ; elle est une chambre consultative ou « de rĂ©vision Â», de sorte que ses pouvoirs d'initiative sont souvent rĂ©duits d'une maniĂšre ou d'une autre ; elle reprĂ©sente les unitĂ©s administratives ou fĂ©dĂ©rales ; s'ils sont Ă©lus, ses membres ont souvent des mandats plus longs que les membres de la chambre basse (si elle est composĂ©e de pairs ou de nobles, ses membres dĂ©tiennent leur siĂšge Ă  vie) et si elle se compose de membres Ă©lus, son renouvellement s'effectue de maniĂšre Ă©chelonnĂ©e et non de maniĂšre globale.

Du point de vue de la structure institutionnelle, les siĂšges d'une chambre haute peuvent ĂȘtre pourvus selon des modalitĂ©s trĂšs diverses : Ă©lection directe, Ă©lection indirecte, dĂ©signation ou encore voie hĂ©rĂ©ditaire, mais un certain mĂ©lange de tous ces systĂšmes peut aussi ĂȘtre appliquĂ©. Comme je l'ai dit ci-dessus, le Conseil fĂ©dĂ©ral (Bundesrat) allemand est un cas tout Ă  fait unique, dans la mesure oĂč ses membres sont des dĂ©lĂ©guĂ©s des gouvernements des LĂ€nder qui peuvent ĂȘtre rappelĂ©s Ă  tout moment, et il en est de mĂȘme de la Chambre des lords britannique, oĂč les siĂšges sont partiellement hĂ©rĂ©ditaires.

On l'a vu ci-dessus, une chambre haute est en gĂ©nĂ©ral conçue pour reprĂ©senter les unitĂ©s administratives ou fĂ©dĂ©rales, ce qui n'est pas le cas en Bosnie-HerzĂ©govine, dans la mesure oĂč la Chambre des peuples reprĂ©sente non seulement les entitĂ©s de Bosnie-HerzĂ©govine, mais Ă©galement les ethnies (c'est-Ă -dire les peuples constituants). Les deux chambres de l'AssemblĂ©e parlementaire sont sur le mĂȘme pied et elles constituent deux parties qui ne peuvent fonctionner indĂ©pendamment l'une de l'autre. Chaque projet doit ĂȘtre discutĂ© et adoptĂ© par les deux chambres, le rĂŽle particulier de la Chambre des peuples Ă©tant de protĂ©ger les « intĂ©rĂȘts vitaux Â» de chaque peuple constituant.

Pour dĂ©clarer l'article 3 du Protocole no 1 applicable, la Grande chambre a jugĂ© dĂ©cisive l'ampleur des pouvoirs lĂ©gislatifs exercĂ©s par la Chambre des peuples13. Je ne souscris pas Ă  cette apprĂ©ciation. En effet, les deux chambres jouissent des mĂȘmes pouvoirs14, dĂšs lors que « toute lĂ©gislation nĂ©cessite l'approbation des deux chambres Â»15, ce qui confirme bien que les deux chambres sont sur le mĂȘme pied. La reprĂ©sentation ethnique au sein de la Chambre des peuples ne revĂȘt de pertinence que lorsqu'il s'agit des intĂ©rĂȘts vitaux des peuples constituants : « un projet de dĂ©cision soumis Ă  l'AssemblĂ©e parlementaire peut ĂȘtre dĂ©clarĂ© contraire aux intĂ©rĂȘts vitaux du peuple bosniaque, croate ou serbe par une majoritĂ© de dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques, croates ou serbes dĂ©signĂ©s conformĂ©ment aux dispositions de l'alinĂ©a 1 a) (...). Pour ĂȘtre approuvĂ© par la Chambre des peuples, un tel projet de dĂ©cision requiert la majoritĂ© des dĂ©lĂ©guĂ©s bosniaques, des dĂ©lĂ©guĂ©s croates et des dĂ©lĂ©guĂ©s serbes prĂ©sents et votants Â»16.

Les dispositions constitutionnelles relatives aux pouvoirs qui ne sont pas partagĂ©s entre la Chambre des reprĂ©sentants et la Chambre des peuples (voir la note de bas de page no 2 sur la prĂ©sente page) illustrent le fait que l'AssemblĂ©e parlementaire de Bosnie-HerzĂ©govine a une structure tout Ă  fait unique qui ne rentre dans aucune des catĂ©gories des modĂšles traditionnellement acceptĂ©s. De surcroĂźt, l'article X de la Constitution dispose que celle-ci « peut ĂȘtre rĂ©visĂ©e par dĂ©cision de l'AssemblĂ©e parlementaire Â», disposition qui doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme signifiant que les deux chambres doivent se prononcer sur ce point. Il serait erronĂ© d'infĂ©rer de l'arrĂȘt de la Grande chambre que les requĂ©rants en l'espĂšce, qui sont d'origine rom et d'origine juive respectivement, ne peuvent participer Ă  l'exercice du pouvoir lĂ©gislatif en Bosnie-HerzĂ©govine au motif qu'ils n'ont pas la possibilitĂ© de se porter candidats aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples, car les deux chambres disposent des mĂȘmes pouvoirs et les requĂ©rants ont amplement la possibilitĂ© de devenir membre de la Chambre des reprĂ©sentants, oĂč les candidatures sont indĂ©pendantes de l'appartenance ethnique17.

La Chambre des peuples est une chambre de veto, dont les membres perçoivent leur tĂąche comme consistant exclusivement Ă  dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts de leur peuple, et c'est prĂ©cisĂ©ment ce qui fait de cette chambre un mĂ©canisme sui generis. La question de savoir si, quatorze ans aprĂšs l'Accord de paix de Dayton, la Bosnie-HerzĂ©govine a toujours besoin de pareil mĂ©canisme est une autre question Ă  laquelle il y a lieu de rĂ©pondre sur le terrain de la justification si tant est que l'on juge l'article 3 du Protocole no 1 applicable.

En rĂ©sumĂ©, je considĂšre que l'article 3 du Protocole no 1 n'est pas applicable en l'espĂšce, dans la mesure oĂč le droit interne ne prĂ©voit tout simplement pas en tant que tel et pour qui que ce soit un droit de se porter candidat aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples ; celle-ci est un organe non Ă©lectif, qui ne possĂšde ni les caractĂ©ristiques ni les pouvoirs qui sont typiquement ceux d'une seconde chambre, et sa structure Ă©chappe au domaine de l'article 3 du Protocole no 1.

En ce qui concerne le fond du grief, la question principale est celle de savoir si le traitement différencié ici incriminé est ou non discriminatoire. Il ressort de la jurisprudence de la Cour relative à l'article 14 qu'une différence de traitement est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'existe pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

La conclusion de la majoritĂ© selon laquelle les dispositions constitutionnelles pertinentes tendaient non pas Ă  Ă©tablir une domination ethnique comme le soutenaient les requĂ©rants, mais Ă  faire cesser un conflit brutal et Ă  assurer une Ă©galitĂ© effective entre les parties Ă  la guerre, Ă  savoir les peuples constituants, est correcte, comme l'est la conclusion de la majoritĂ© selon laquelle les dispositions en cause ont pour consĂ©quence un traitement diffĂ©renciĂ© en fonction de l'appartenance ethnique. Cela Ă©tant, ce dispositif Ă©tait-il justifiĂ© et, dans l'affirmative, les Ă©lĂ©ments de justification sont-ils toujours prĂ©sents et significatifs aujourd'hui ? La Grande chambre a prĂ©fĂ©rĂ© ne rĂ©pondre qu'Ă  moitiĂ© Ă  cette question. Il me paraĂźt pourtant qu'une rĂ©ponse dĂ©taillĂ©e Ă©tait en l'occurrence primordiale. Le traitement diffĂ©renciĂ© des individus appartenant au groupe des « autres Â» est une question qu'il s'agissait de rĂ©examiner une fois que la situation en Bosnie-HerzĂ©govine serait devenue moins sensible et, de ce point de vue, la Cour a admis que la diffĂ©renciation litigieuse Ă©tait Ă  l'origine justifiĂ©e.

Cela Ă©tant, quelle est la situation aujourd'hui, quatorze ans aprĂšs l'Accord de paix de Dayton ? Si l'on en revient aux faits qui ont initialement motivĂ© l'adoption du dispositif incriminĂ© et si l'on s'en tient aux chiffres des pertes, cent mille habitants de la Bosnie-HerzĂ©govine au moins ont Ă©tĂ© tuĂ©s ou ont disparu pendant la guerre. Un million trois cent mille personnes supplĂ©mentaires de la population d'avant-guerre (soit vingt-huit pour cent de celle-ci) sont devenues des rĂ©fugiĂ©s rĂ©sidant Ă  l'extĂ©rieur de la Bosnie-HerzĂ©govine. S'il n'y avait pas eu la guerre, fin 1995 la Bosnie-HerzĂ©govine aurait comptĂ©, sur la base des taux habituels de natalitĂ©, de mortalitĂ© et de migration, 4 millions et demi d'habitants. Or, en rĂ©alitĂ©, fin 1995 on dĂ©nombrait seulement 2,9 millions d'habitants dans le pays. Quatorze annĂ©es se sont Ă©coulĂ©es depuis la fin du conflit armĂ©, mais a-t-on vraiment enregistrĂ©, comme l'affirme la Grande chambre, des progrĂšs significatifs ?

Le dernier rapport d'Amnesty International sur la Bosnie-HerzĂ©govine relĂšve que « treize annĂ©es aprĂšs la fin de la guerre, treize mille personnes environ sont toujours portĂ©es manquantes. L'emploi de la rhĂ©torique nationaliste a augmentĂ© en Bosnie-HerzĂ©govine et le pays continue d'ĂȘtre profondĂ©ment divisĂ© selon des critĂšres ethniques Â»18.

D'aprĂšs le ministĂšre des Droits de l'homme et des rĂ©fugiĂ©s de Bosnie-HerzĂ©govine, plus de 1,2 million de personnes n'ont toujours pas regagnĂ© leur domicile d'avant-guerre. Les personnes qui sont revenues sont souvent confrontĂ©es Ă  des difficultĂ©s d'accĂšs aux dispositifs de logement et d'emploi. Environ deux mille sept cents familles vivent toujours dans ce qu'on appelle des Ă©tablissements collectifs de logement. Certaines personnes venues de l'Ă©tranger ne peuvent rĂ©cupĂ©rer leurs biens, soit que ceux-ci aient Ă©tĂ© dĂ©truits, soit que les autoritĂ©s montrent peu d'empressement Ă  les laisser les recouvrer19. La situation politique ne semble pas meilleure. L'Etat est gĂ©rĂ© par des partis politiques portant des banniĂšres nationalistes et recourant Ă  la rhĂ©torique nationaliste. De nombreuses personnes soupçonnĂ©es de crimes de guerre sont toujours en libertĂ©, mĂȘme si un processus de transfert des affaires de crimes de guerre du Tribunal pĂ©nal international pour l'ex-Yougoslavie vers les juridictions internes a dĂ©butĂ©. Les autoritĂ©s judiciaires et de poursuite sont toujours supervisĂ©es par des juges et des procureurs internationaux, dont ils reçoivent leurs instructions. Tous ces faits ont en rĂ©alitĂ© Ă©tĂ© jugĂ©s suffisants par les Nations unies, l'Union europĂ©enne et le Conseil de mise en Ɠuvre de la paix pour justifier la prorogation (en novembre 2009) du mandat du Haut reprĂ©sentant. Il existe par ailleurs d'autres signes indiquant que la communautĂ© internationale ne considĂšre pas que des progrĂšs significatifs soient enregistrĂ©s en Bosnie-HerzĂ©govine (par exemple, les forces militaires internationales sont toujours prĂ©sentes, tout comme l'EUPM). Beaucoup d'États, sur leur site web officiel, dissuadent leurs citoyens de se rendre en Bosnie-HerzĂ©govine, invoquant des risques pour leur sĂ©curitĂ©. Les Ă©lections de 2006 ont montrĂ© que la plupart des Ă©lecteurs prĂ©fĂ©raient toujours voir les nationalistes au pouvoir, se sentant davantage en sĂ©curitĂ© s'ils sont dirigĂ©s par « leur propre peuple Â». Les enfants dans les Ă©coles sont sĂ©parĂ©s20, les villes qui avant la guerre avaient une population mĂ©langĂ©e sont toujours divisĂ©es. En devenant membre du Conseil de l'Europe, la Bosnie-HerzĂ©govine s'Ă©tait engagĂ©e notamment Ă  « revoir la loi Ă©lectorale dans un dĂ©lai de un an, avec l'aide de la Commission pour la dĂ©mocratie par le droit (Commission de Venise) et Ă  la lumiĂšre des principes du Conseil de l'Europe, aux fins d'amendement, le cas Ă©chĂ©ant Â». Le fait que la Bosnie-HerzĂ©govine n'ait toujours pas honorĂ© cet engagement montre qu'en rĂ©alitĂ© il n'y a pas de consensus entre les principaux partis politiques.

Sachant tout cela, peut-on se dire absolument certain que les dispositifs constitutionnels ici incriminĂ©s ne reposent plus aujourd'hui sur aucune justification ? D'un autre cĂŽtĂ©, s'ils sont toujours justifiĂ©s, ces dispositifs peuvent-ils ĂȘtre rĂ©putĂ©s poursuivre un but lĂ©gitime ? Ainsi que la Commission de Venise l'a justement fait observer, « la rĂ©partition des postes dans les organes de l'Etat entre les peuples constituants Ă©tait un Ă©lĂ©ment central de l'Accord de Dayton qui a permis de rĂ©tablir la paix en Bosnie-HerzĂ©govine. Dans une telle situation, il est difficile de nier la lĂ©gitimitĂ© de normes qui peuvent faire problĂšme du point de vue de la non-discrimination, mais qui sont nĂ©cessaires pour rĂ©aliser la paix et la stabilitĂ© et Ă©viter de nouvelles pertes en vies humaines Â». La paix a Ă©tĂ© rĂ©tablie, mais l'Ă©lĂ©ment stabilitĂ© demeure problĂ©matique. Il se peut que, comme le juge Feldmann de la Cour constitutionnelle de Bosnie-HerzĂ©govine l'a dĂ©clarĂ© dans une opinion concordante « (...), la justification tirĂ©e du besoin de rĂ©tablir la paix avait vocation Ă  ĂȘtre seulement temporaire, mais le temps n'est pas encore venu de considĂ©rer que l'Etat s'est Ă©loignĂ© pour de bon des besoins spĂ©ciaux qui ont dictĂ© l'architecture institutionnelle inhabituelle dĂ©finie dans l'Accord de paix de Dayton et dans la Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine Â»21. Dans l'affaire Ćœdanoka c. Lettonie22, la Cour a jugĂ© qu'il n'Ă©tait « pas surprenant qu'un corps lĂ©gislatif dĂ©mocratique nouvellement Ă©tabli se trouvant dans une phase de tourmente politique ait besoin d'un temps de rĂ©flexion pour examiner quelles mesures il lui faut envisager pour accomplir sa mission Â». Dans le mĂȘme arrĂȘt, la Cour a dĂ©clarĂ© qu'il convenait de laisser aux autoritĂ©s internes « suffisamment de latitude pour apprĂ©cier les besoins de la sociĂ©tĂ© s'agissant de construire la confiance dans les nouvelles institutions dĂ©mocratiques, notamment dans le Parlement national, et pour rechercher si la mesure litigieuse est toujours nĂ©cessaire Ă  ces fins (...) Â»23. Les arrangements constitutionnels particuliers mis en place en Bosnie-HerzĂ©govine peuvent-ils toujours ĂȘtre rĂ©putĂ©s nĂ©cessaires, et la situation actuelle peut-elle ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme justifiĂ©e malgrĂ© le temps qui s'est Ă©coulĂ© depuis l'Accord de Dayton ? Appartient-il Ă  la Cour europĂ©enne de dire que le moment est venu de changer le dispositif ? J'hĂ©siterais Ă  donner une rĂ©ponse ferme et dĂ©finitive Ă  ces questions. « L'identitĂ© au travers de la citoyennetĂ© Â» est un changement souhaitable, mais il se dĂ©gage de la jurisprudence de la Cour qu'une distinction ethnique doit ĂȘtre jugĂ©e non nĂ©cessaire et dĂšs lors discriminatoire lorsque le mĂȘme rĂ©sultat (but lĂ©gitime) pourrait ĂȘtre atteint au travers d'une mesure ne s'appuyant pas sur une diffĂ©renciation raciale ou ethnique ou sur des critĂšres autres que ceux basĂ©s sur la naissance24. Cela Ă©tant, quelle serait l'autre façon de maintenir l'Ă©quilibre ethnique et de construire la confiance dont on a tellement besoin en Bosnie-HerzĂ©govine ? La Cour n'a pas rĂ©pondu non plus Ă  cette question. Elle s'est contentĂ©e de conclure que « le maintien de l'impossibilitĂ© faite au requĂ©rant de se porter candidat aux Ă©lections Ă  la Chambre des peuples de Bosnie-HerzĂ©govine ne repose pas sur une justification objective et raisonnable et est donc contraire Ă  l'article 14 combinĂ© avec l'article 3 du Protocole no 1 Â» (paragraphe 50 de l'arrĂȘt).

Ainsi, le critĂšre de proportionnalitĂ© entre les moyens employĂ©s et le but visĂ© n'a pas du tout Ă©tĂ© appliquĂ© en l'espĂšce. J'y vois une occasion manquĂ©e de fournir des arguments plus dĂ©cisifs et convaincants ou Ă  tout le moins un Ă©lĂ©ment de comparaison avec les autres Etats membres du Conseil de l'Europe. Le droit de la plupart sinon de tous les Etats membres du Conseil de l'Europe prĂ©voit certaines distinctions fondĂ©es sur la nationalitĂ© relativement Ă  certains droits, et la jurisprudence de la Cour reconnaĂźt aux autoritĂ©s nationales une certaine marge d'apprĂ©ciation pour dĂ©terminer si et dans quelle mesure des diffĂ©rences justifient un traitement juridique diffĂ©renciĂ©25. De surcroĂźt, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la marge d'apprĂ©ciation varie « selon les circonstances Â»26. La Cour a par ailleurs dĂ©clarĂ© qu'« [i]l existe de nombreuses maniĂšres d'organiser et de faire fonctionner les systĂšmes Ă©lectoraux et une multitude de diffĂ©rences au sein de l'Europe notamment dans l'Ă©volution historique, la diversitĂ© culturelle et la pensĂ©e politique, qu'il incombe Ă  chaque Etat contractant d'incorporer dans sa propre vision de la dĂ©mocratie Â»27. Sur le plan jurisprudentiel, il aurait Ă©tĂ© trĂšs intĂ©ressant de voir jusqu'oĂč serait allĂ©e en l'occurrence la marge d'apprĂ©ciation accordĂ©e par la Cour aux Etats en la matiĂšre.

VI.  FRAIS ET DÉPENS

Enfin, je suis en dĂ©saccord avec la dĂ©cision de la majoritĂ© d'accorder 20 000 EUR au second requĂ©rant et seulement 1 000 EUR au premier requĂ©rant pour frais et dĂ©pens. La Cour justifie cet Ă©cart en indiquant que l'Ă©quipe de juristes qui reprĂ©sentait le second requĂ©rant comportait trois avocats et/ou experts internationaux et que ceux-ci ont dĂ» se rĂ©unir Ă  New-York et Sarajevo, tandis que le premier requĂ©rant aurait Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© pro bono et n'aurait rĂ©clamĂ© que 1 000 EUR pour la comparution de son avocat Ă  l'audience devant la Cour28. ConsidĂ©rant que les observations dĂ©posĂ©es par les deux requĂ©rants Ă©taient d'une qualitĂ© comparable, j'ai tout simplement trouvĂ© injuste d'accorder Ă  l'un et Ă  l'autre des montants radicalement diffĂ©rents.

 

OPINION DISSIDENTE DU JUGE BONELLO

(Traduction)

En principe et dans l'abstrait, je ne puis que partager le raisonnement de la majoritĂ© quant Ă  l'importance d'assurer sans discrimination la jouissance des droits Ă©lectoraux. Non sans d'importantes rĂ©serves, j'ai votĂ© en faveur de la recevabilitĂ© des deux requĂȘtes. Mais j'ai Ă©galement votĂ©, avec moins d'hĂ©sitations, contre le constat d'une violation de la Convention. Ces deux affaires peuvent apparaĂźtre comme les plus simples que la Cour ait jamais eues Ă  traiter, mais en mĂȘme temps elles sont peut-ĂȘtre parmi les plus insidieuses. Rien de plus Ă©vident que de juger condamnables les dispositions qui, dans un systĂšme constitutionnel, empĂȘchent les Roms et les Juifs de se porter candidats Ă  des Ă©lections. Si l'on s'en tient Ă  cela, on a une affaire de violation manifeste qui ne vaut guĂšre la peine que l'on perde du temps Ă  l'instruire.

DerriĂšre cette invitation Ă  s'occuper d'affaires plus stimulantes se cachent toutefois des questions qui m'ont profondĂ©ment perturbĂ© et au sujet desquelles, je le confesse, je n'ai entendu aucune rĂ©ponse satisfaisante de la part de la Cour. Certes, des rĂ©ponses persuasives peuvent ĂȘtre trouvĂ©es si l'on congĂ©die l'histoire. Il me semble que c'est exactement ce qu'a fait le prĂ©sent arrĂȘt : il a sĂ©parĂ© la Bosnie-HerzĂ©govine des rĂ©alitĂ©s de son propre passĂ© rĂ©cent.

AprĂšs les Ă©vĂ©nements extraordinairement violents de 1992, oĂč l'on a assistĂ© Ă  d'horribles bains de sang, Ă  des massacres ethniques et Ă  une vendetta sans frontiĂšres, la communautĂ© internationale est intervenue : d'abord dans le but de faire accepter une trĂȘve par les Bosniaques, les Serbes et les Croates, puis dans celui de mettre en place un rĂšglement plus permanent : les accords de paix de Dayton de 1995. Ces derniers sont venus au jour difficilement, aprĂšs des nĂ©gociations compliquĂ©es et opiniĂątres qui visaient Ă  la crĂ©ation d'organes institutionnels basĂ©s presque exclusivement sur des systĂšmes de freins et de contrepoids entre les trois ethnies belligĂ©rantes. C'est finalement un Ă©quilibre des plus prĂ©caires, construit sur une symĂ©trie tripartite fragile nĂ©e de la mĂ©fiance et nourrie du soupçon, qui fut laborieusement atteint.

Ce n'est que le fonctionnement de cette construction en filigrane qui permit l'extinction de cet enfer qu'avait Ă©tĂ© la Bosnie-HerzĂ©govine. L'architecture n'en est peut-ĂȘtre pas parfaite, mais c'est la seule qui rĂ©ussit Ă  amener les belligĂ©rants Ă  substituer le dialogue Ă  la dynamite. Elle est basĂ©e sur une rĂ©partition des pouvoirs qui fut fignolĂ©e jusque dans les derniers dĂ©tails quant Ă  la maniĂšre dont les trois ethnies Ă©taient censĂ©es participer Ă  l'exercice du pouvoir dans les divers organes reprĂ©sentatifs de l'Etat. C'est Ă  l'aide d'une balance d'apothicaire que les accords de Dayton dosĂšrent les proportions ethniques exactes de la recette de paix.

Et voilà maintenant que la Cour prend sur elle de bouleverser tout l'édifice. Strasbourg dit aux anciens belligérants comme aux bonnes ùmes qui ont conçu le plan de paix qu'ils ont eu tout faux. Qu'ils feraient mieux de reprendre tout à zéro. Que la formule de Dayton était inepte et que c'est désormais la non-formule de Strasbourg qui prend sa place. Retour à la planche à dessin.

Les questions que je me pose sont Ă©troitement liĂ©es Ă  la fois Ă  la recevabilitĂ© et au fond des deux requĂȘtes. D'abord, est-il bien du ressort de la Cour de s'inviter elle-mĂȘme dans des exercices multilatĂ©raux de maintien de la paix et dans des traitĂ©s dĂ©jĂ  signĂ©s, ratifiĂ©s et exĂ©cutĂ©s ? Je serais le premier Ă  demander que la Cour ne se montre pas trop petite pour ses idĂ©aux, mais je serais aussi le dernier Ă  souhaiter qu'elle apparaisse trop grande pour son costume.

Se pose alors une seconde question : la Cour a des pouvoirs quasi illimitĂ©s lorsqu'il s'agit d'octroyer rĂ©paration dans des cas de violation Ă©tablie de droits de l'homme garantis par la Convention, et il est certainement normal qu'il en soit ainsi. Mais ces pouvoirs quasi illimitĂ©s vont-ils jusqu'Ă  permettre de dĂ©faire un traitĂ© international, Ă  fortiori lorsque ce traitĂ© a Ă©tĂ© conçu par des Etats et des organes internationaux dont certains ne sont ni signataires de la Convention ni dĂ©fendeurs devant la Cour ? Plus particuliĂšrement, la Cour a-t-elle compĂ©tence pour renverser au travers de l'octroi d'une satisfaction Ă©quitable l'action souveraine de l'Union europĂ©enne et des Etats-Unis d'AmĂ©rique, qui se partagent la paternitĂ© des accords de Dayton, dont la Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine mise en cause devant la Cour ne constitue qu'une annexe ? Je n'ai pas de rĂ©ponses toutes prĂȘtes Ă  ces questions, mais je les trouve suffisamment pertinentes pour estimer que la Cour aurait dĂ» les traiter au prĂ©alable et de maniĂšre approfondie. Elle ne l'a pas fait.

Je le rĂ©pĂšte, nul ne peut se dire en dĂ©saccord avec la formule – presque une platitude – du prĂ©ambule de la Convention selon laquelle les droits de l'homme « constituent les assises mĂȘmes de la paix dans le monde Â». Cela n'est pas douteux. Mais quid des situations exceptionnellement perverses oĂč la mise en Ɠuvre des droits de l'homme pourrait dĂ©clencher la guerre plutĂŽt que favoriser la paix ? Les droits pour les deux requĂ©rants de se porter candidats aux Ă©lections sont-ils Ă  ce point absolus et contraignants qu'ils peuvent annuler la paix, la sĂ©curitĂ© et l'ordre public Ă©tablis pour l'ensemble de la population, y compris eux-mĂȘmes ? La Cour se rend-elle compte de ce que signifie la rĂ©ouverture de tout le processus de Dayton aux fins d'alignement du systĂšme constitutionnel sur son arrĂȘt ? Et a-t-elle bien conscience de l'Ă©normitĂ© des consĂ©quences au cas oĂč la nouvelle aube censĂ©e se lever grĂące Ă  elle viendrait Ă  ne pas poindre ?

Toute la structure de la Convention est fondĂ©e sur une souverainetĂ© primordiale des droits de l'homme mais, hormis pour les droits qui font partie du noyau dur (ce qui n'est certainement pas le cas du droit de se porter candidat Ă  des Ă©lections), toujours sous rĂ©serve que leur exercice se fasse en conformitĂ© avec les droits d'autrui et avec la valeur prĂ©pondĂ©rante qu'est l'intĂ©rĂȘt social. Je ne pense pas que l'on puisse considĂ©rer que la Convention exige que les requĂ©rants aient la facultĂ© d'exercer leur droit de se porter candidats Ă  des Ă©lections quoi qu'il advienne. Candidats aux Ă©lections, fĂ»t-ce au prix d'Armageddon ?

Je suis tout prĂȘt Ă  clamer combien inestimables sont les valeurs d'Ă©galitĂ© et de non-discrimination, mais il me paraĂźt que la paix et la rĂ©conciliation nationales sont Ă  placer au moins sur le mĂȘme pied. Or la Cour a canonisĂ© les premiĂšres et bradĂ© les secondes. Avec tout le respect que j'ai pour elle, son arrĂȘt me semble ĂȘtre un exercice de style totalement dĂ©connectĂ© de la rĂ©alitĂ© et ne tenant pas compte des flots de sang qui ont fertilisĂ© la constitution de Dayton. La Cour a prĂ©fĂ©rĂ© embrasser son propre Ă©tat de dĂ©ni aseptisĂ© plutĂŽt que de s'ouvrir Ă  ce monde moins lisse qui existe Ă  l'extĂ©rieur. Peut-ĂȘtre cela explique-t-il pourquoi, dans l'exposĂ© des faits, l'arrĂȘt ne rappelle mĂȘme pas de maniĂšre sommaire les tragĂ©dies qui ont prĂ©cĂ©dĂ© Dayton et qui n'ont pris fin que grĂące Ă  Dayton. La Cour, dĂ©libĂ©rĂ©ment ou non, a Ă©cartĂ© de sa vision non pas l'Ă©corce mais le cƓur de l'histoire des Balkans. Elle s'est sentie obligĂ©e de dĂ©savouer la Constitution de Dayton, mais elle n'a pas Ă©prouvĂ© la nĂ©cessitĂ© de la remplacer par quelque chose d'aussi propice Ă  la paix.

Une autre conclusion de la Cour me paraĂźt critiquable : celle qui affirme que la situation en Bosnie-HerzĂ©govine est aujourd'hui diffĂ©rente et que le dĂ©licat Ă©quilibre tripartite qui s'imposait antĂ©rieurement n'est plus indispensable. Cela est bien possible et je ne puis que l'espĂ©rer. Mais, d'aprĂšs moi, une institution judiciaire aussi Ă©loignĂ©e du foyer de dissension ne peut guĂšre ĂȘtre la mieux placĂ©e pour en juger. Dans le cas d'Ă©vĂ©nements rĂ©volutionnaires traumatisants, il n'appartient pas Ă  la Cour d'Ă©tablir au travers d'un processus de divination quand la pĂ©riode transitoire peut ĂȘtre jugĂ©e avoir pris fin et quand un Ă©tat d'urgence nationale doit ĂȘtre rĂ©putĂ© appartenir au passĂ© au motif que les choses se sont normalisĂ©es. Je doute que la Cour soit mieux placĂ©e que les autoritĂ©s nationales pour dĂ©terminer Ă  partir de quel moment on peut dire que les anciennes fractures se sont consolidĂ©es, que les ressentiments historiques se sont apaisĂ©s et que les discordes gĂ©nĂ©rationnelles se sont harmonisĂ©es. Je pense que des prĂ©tentions de ce type, qui semblent procĂ©der d'un angĂ©lisme aveugle, ne tiennent pas suffisamment compte, voire font totalement abstraction, des ressources inĂ©puisables de la rancƓur. La Cour a tort de se montrer hermĂ©tique aux histoires oĂč la haine valide la culture.

La Cour ordonne Ă  l'Etat dĂ©fendeur de passer les accords de Dayton Ă  la moulinette et de se mettre Ă  la recherche d'autre chose. J'estime pour ma part qu'un Etat quel qu'il soit ne doit jamais ĂȘtre placĂ© devant une obligation juridique ou un devoir moral de saboter le systĂšme mĂȘme auquel il doit son existence dĂ©mocratique. Dans des situations de ce type, la retenue judiciaire apparaĂźt plutĂŽt comme une vertu que comme un vice.

La Cour a maintes fois admis que la jouissance de la plupart des droits fondamentaux – et notamment du droit de se porter candidat Ă  des Ă©lections – est soumise Ă  des tempĂ©raments intrinsĂšques et Ă  des restrictions extrinsĂšques. Elle peut ĂȘtre Ă©cornĂ©e pour des considĂ©rations objectives et raisonnables. L'exercice des droits fondamentaux peut subir des limitations aux fins de la sĂ©curitĂ© et de l'ordre public, pourvu qu'elles soient conformes Ă  l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral de la communautĂ©. Il peut ĂȘtre contraint de reculer face Ă  des rĂ©alitĂ©s historiques exceptionnelles, telles que le terrorisme et le crime organisĂ©, ou en raison de l'existence d'une situation urgence au plan national.

Au fil des ans, Strasbourg a approuvĂ© sans effort particulier des restrictions aux droits Ă©lectoraux (celui de voter comme celui de se porter candidat Ă  des Ă©lections) fondĂ©es sur un Ă©ventail extrĂȘmement large de justifications : de la non-maĂźtrise d'une langue par le candidat29 Ă  son incarcĂ©ration30 ou Ă  l'existence d'une condamnation antĂ©rieurement prononcĂ©e contre lui pour une infraction grave31 ; du non-accomplissement de « quatre annĂ©es de rĂ©sidence continue Â»32 au non-respect de conditions de nationalitĂ© et de citoyennetĂ©33 ; de l'appartenance au Parlement d'un autre Etat34 Ă  la possession d'une double nationalitĂ©35 ; de la non-satisfaction d'une condition d'Ăąge (vingt-cinq ans minimum) pour une candidature Ă  la Chambre des ReprĂ©sentants36 Ă  la non-satisfaction d'une autre condition d'Ăąge (quarante ans minimum) pour une candidature au SĂ©nat37 ; de la constitution d'une menace pour la stabilitĂ© de l'ordre dĂ©mocratique38 au refus de prĂȘter serment dans une langue dĂ©terminĂ©e39 ; de la situation d'agent public40 Ă  celle de fonctionnaire local41 ; du non-respect d'une condition en vertu de laquelle la candidature d'une personne n'ayant pu recueillir le nombre requis de signatures de soutien ne pouvait ĂȘtre admise42 au refus de prĂȘter un serment d'allĂ©geance au monarque43.

Toutes ces circonstances ont Ă©tĂ© jugĂ©es par Strasbourg suffisamment impĂ©rieuses pour justifier le retrait du droit de vote ou du droit de se porter candidat Ă  des Ă©lections. A l'inverse, un danger manifeste et actuel de dĂ©stabilisation de l'Ă©quilibre national ne l'a pas Ă©tĂ©. La Cour a estimĂ© que le souci d'Ă©viter le risque d'une guerre civile et de nouveaux carnages et celui de maintenir la cohĂ©sion territoriale de l'Etat ne revĂȘtaient pas une valeur sociale suffisante pour justifier une certaine limitation des droits des deux requĂ©rants.

Je ne me reconnais pas dans cette analyse. Je ne puis adhérer à une Cour qui sÚme des idéaux et récolte des massacres.

1.  Jusqu’à la guerre de 1992-1995, les Bosniaques Ă©taient dĂ©signĂ©s par le terme « Musulmans Â». Le terme « Bosniaques Â» (BoĆĄnjaci) ne doit pas ĂȘtre confondu avec le terme « Bosniens Â» (Bosanci), communĂ©ment utilisĂ© pour dĂ©signer les citoyens de Bosnie-HerzĂ©govine indĂ©pendamment de leur origine ethnique.

 

2.  Les membres de la Chambre des peuples de la FĂ©dĂ©ration de Bosnie-HerzĂ©govine sont dĂ©signĂ©s par les parlements cantonaux (la FĂ©dĂ©ration de Bosnie se compose de dix cantons). Les membres des parlements cantonaux sont directement Ă©lus.

 

3.  Les membres de l’AssemblĂ©e nationale de la Republika Srpska sont directement Ă©lus.

 

4.  Mme Nystuen participa aux nĂ©gociations de Dayton ainsi qu’aux discussions constitutionnelles prĂ©alables en tant que conseillĂšre juridique du co-prĂ©sident au titre de l’Union europĂ©enne de la ConfĂ©rence internationale sur l’ex-Yougoslavie, M. Bildt, qui conduisait la dĂ©lĂ©gation de l’Union europĂ©enne au sein du Groupe de contact. Par la suite, et ce jusqu’en 1997, elle travailla comme conseillĂšre juridique de M. Bildt en sa qualitĂ© de Haut-ReprĂ©sentant pour la Bosnie-HerzĂ©govine.

 

5.  M. O’Brien participa aux nĂ©gociations de Dayton en qualitĂ© de juriste pour le Groupe de contact et il participa Ă©galement Ă  la plupart des nĂ©gociations majeures menĂ©es au sujet de l’ex-Yougoslavie entre 1994 et 2001.

 

6.  Tous les ĂȘtres humains appartenant Ă  la mĂȘme espĂšce, l’ECRI rejette les thĂ©ories fondĂ©es sur l’existence de « races diffĂ©rentes Â». Cependant, afin d’éviter de laisser sans protection juridique les personnes qui sont gĂ©nĂ©ralement et erronĂ©ment perçues comme appartenant Ă  une « autre race Â», l’ECRI utilise ce terme dans sa recommandation.

 

7.  Voir les pouvoirs de la prĂ©sidence de l’Etat tels qu’ils se trouvent dĂ©crits Ă  l’article V Â§ 3 de la Constitution.

 

8.  Dans l’arrĂȘt de la majoritĂ©, le point de vue selon lequel le droit Ă  des Ă©lections libres s’applique tant aux Ă©lections directes qu’aux Ă©lections indirectes s’appuie uniquement sur un renvoi aux travaux prĂ©paratoires du Protocole n° 1 (voir le paragraphe 40 de l’arrĂȘt).

 

9.   Voir l’article IV de la Constitution de la Bosnie-HerzĂ©govine.

 

10.  Il s’agit de distinguer entre les notions « d’élection Â» et de « sĂ©lection Â» : d’un point de vue linguistique, une « Ă©lection Â» implique un choix illimitĂ© tandis qu’une « sĂ©lection Â» implique un choix de prĂ©fĂ©rence/un choix limitĂ©.

 

11.  Une seule exception Ă  cela : les membres des chambres des peuples cantonales doivent ĂȘtre dĂ©signĂ©s parmi les membres des parlements cantonaux.

 

12.  Comme je l’ai indiquĂ© ci-dessus, des discussions en vue d’une rĂ©forme constitutionnelle furent entamĂ©es en 2006 (« le paquet d’avril Â»), mais elles Ă©chouĂšrent. Les pourparlers ont maintenant repris (« le paquet Butmir Â»), mais il apparaĂźt que les reprĂ©sentants politiques campent sur leurs positions antĂ©rieures.

 

13.  Voir le paragraphe 41 de l’arrĂȘt.

 

14.  Article IV § 4 de la Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine – Pouvoirs

L’AssemblĂ©e parlementaire est investie des pouvoirs suivants :

a)  Promulguer les lois nĂ©cessaires pour mettre en Ɠuvre les dĂ©cisions de la prĂ©sidence ou exercer les responsabilitĂ©s de l’assemblĂ©e aux termes de la prĂ©sente Constitution.

b)  DĂ©cider des ressources et des montants des recettes nĂ©cessaires pour le fonctionnement des institutions de la Bosnie-HerzĂ©govine et pour l’exĂ©cution de ses obligations internationales.

c)  Approuver le budget des institutions de la Bosnie-HerzĂ©govine.

d)  Consentir ou non Ă  la ratification des traitĂ©s.

e)  RĂ©gler toutes autres questions nĂ©cessaires pour remplir ses fonctions ou s’acquitter des charges qui lui sont attribuĂ©es par consentement mutuel des entitĂ©s.

 

15.  Voir l’article IV § 3 c) de la Consititution de la Bosnie-HerzĂ©govine.

 

16.  Ibidem, article IV 3 e).

 

17.  La Constitution de Bosnie-HerzĂ©govine prĂ©voit (article IV 2) que « [l]a Chambre des reprĂ©sentants comporte quarante-deux membres, dont les deux tiers sont Ă©lus par le territoire de la FĂ©dĂ©ration et un tiers par le territoire de la Republika Srpska Â» et que « [l]es membres de la Chambre des reprĂ©sentants sont Ă©lus directement par leur entitĂ© conformĂ©ment aux dispositions d’une loi Ă©lectorale que l’AssemblĂ©e parlementaire approuvera Â».

 

18.  Voir : http://www.amnesty.org/en/region/bosnia-herzegovina/report-2009.

 

19.  Voir : http://www.mhrr.gov.ba/izbjeglice/?id=6.

 

20.  Voir le document SG/Inf(2008) Ă©tabli par les services du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Conseil de l’Europe.

 

21.  Voir sur le site http://www.ustavnisud.ba/eng/odluke/povuci_pdf.php?pid=67930 l’opinion concordante du juge Feldmann jointe Ă  la dĂ©cision de la Cour constitutionnelle de Bosnie-HerzĂ©govine AP-2678/06-2006.

 

22.  ArrĂȘt [GC] n° 58278/00, § 131, CEDH 2006-IV.

 

23.  Ibidem, § 134.

 

24.  Voir Inze c. Autriche, 28 octobre 1987, § 44, sĂ©rie A n° 126.

 

25.  Voir Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, sĂ©rie A n° 113, et Yumak et Sadak c. Turquie [GC], n° 10226/03, 8 juillet 2008.

 

26.  Voir Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, sĂ©rie A n° 87, § 40.

 

27.  Voir Hirst c. Royaume-Uni (n° 2) [GC], n° 74025/01, § 61, CEDH 2005-IX.

 

28.  Voir le paragraphe 64 de l’arrĂȘt.

 

29.  Clerfayt et autres c. Belgique, n° 27120/95, dĂ©cision de la Commission du 8 septembre 1997 (DR) 90, p. 35.

 

30.  Hollande c. Irlande, n° 24827/94, dĂ©cision de la Commission du 14 avril 1998 (DR) 93, p. 15.

 

31.  H. c. Pays-Bas, n° 9914/82, dĂ©cision de la Commission du 4 juillet 1983 (DR) 33, p. 242.

 

32.  Polacco et Garofalo c. Italie, n° 23450/94, dĂ©cision de la Commission du 15 septembre 1997, (DR) 90, p. 5.

 

33.  Luksch c. Italie, n° 27614/95, dĂ©cision de la Commission du 21 mai 1997 (DR) 89 p. 76.

 

34.  M. c. Royaume-Uni, n° 19316/83, dĂ©cision de la Commission mars 1984 (DR) p. 129.

 

35.  Ganscher c. Belgique, n° 28858/95, dĂ©cision de la Commission du 21 novembre 1966, (DR) 87, p. 130.

 

36.  W, X, Y et Z c. Belgique, n° 6745 et 6746/74, Annuaire XVIII (1957), p. 236.

 

37.  Ibidem.

 

38.  Zdanoka c. Lettonie, Grande chambre, 16 mars 2006.

 

39.  Fryske Nasjonale Partij et autres c. Pays-Bas, n° 11100/84, dĂ©cision de la Commission du 12 dĂ©cembre 1985, (DR) 45, p. 240.

 

40.  Gitonas c. GrĂšce, arrĂȘt du 1er juillet 1997, paragraphe 40.

 

41.  Ahmed c. Royaume-Uni, arrĂȘt du 2 septembre 1998, paragraphe 75.

 

42.  Asensio Serqueda c. Espagne, n° 23151/94, (DR) 77, p. 122.

 

43.  McGuiness c. Royaume-Uni, n° 39511/98, 8 juin 1999.