Corte europea dei diritti
dellâuomo, 22 ottobre 1997
(97/1996/716/913)
AFFAIRE PAPAGEORGIOU c.
GRĂCE
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de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des
arrĂȘts et dĂ©cisions 1997, Ă©ditĂ© par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger
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SOMMAIRE1
ArrĂȘt rendu par une chambre
GrĂšce â ingĂ©rence du pouvoir lĂ©gislatif dans
lâadministration de la justice et durĂ©e de la procĂ©dure devant des juridictions
civiles
I.
EXCEPTION PRéLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT (non-respect du délai de six mois)
Argument du Gouvernement selon lequel la requĂȘte
litigieuse a Ă©tĂ© enregistrĂ©e plus de six mois aprĂšs lâarrĂȘt de la Cour de
cassation : rĂšglement intĂ©rieur de la Commission nâimplique pas, comme
prĂ©alable Ă lâenregistrement dâune requĂȘte, la preuve que le requĂ©rant remplit
lâexigence du respect de six mois â la date de lâintroduction de la requĂȘte est
celle de la premiÚre lettre du requérant à condition que celui-ci indique de
maniĂšre suffisante lâobjet de sa requĂȘte.
Argument du Gouvernement selon lequel le requérant
aurait nĂ©gligĂ© de sâinformer, auprĂšs du greffe de la Cour de cassation, de la
date du prononcĂ© de lâarrĂȘt : on ne peut exiger du justiciable quâil vienne
sâinformer jour aprĂšs jour de lâexistence dâun arrĂȘt qui ne lui a jamais Ă©tĂ©
notifié.
Conclusion : rejet (unanimité).
II. ARTICLE 6 DE LA
CONVENTION
A.
ProcĂšs Ă©quitable
Contenu
de lâarticle 26 de la loi n° 2020/1992 combinĂ© avec la mĂ©thode et le moment de
son adoption : second paragraphe de cet article déclarait prescrite toute
prĂ©tention relative aux cotisations dĂ©jĂ versĂ©es Ă lâOAED et annulait
toute procédure y afférente éventuellement pendante devant toute juridiction
que ce soit â article 26 inclus dans une loi dont lâintitulĂ© nâavait aucun
rapport avec celui-ci â adoptĂ© aprĂšs lâintroduction du pourvoi formĂ© par la DEI
contre lâarrĂȘt du tribunal de grande instance statuant en appel, et avant la
tenue de lâaudience devant la Cour de cassation. Lâadoption de lâarticle 26 Ă
un moment si crucial de la procédure réglait en réalité le fond du litige et
rendait vaine la continuation de celle-ci.
Conclusion : violation (unanimité).
B.
Durée de la procédure
1. PĂ©riode Ă
prendre en considération
DĂ©but
: saisine du juge de paix dâAthĂšnes.
Fin :
prononcĂ© de lâarrĂȘt de la Cour de cassation.
Durée : cinq ans et onze mois.
2. CaractĂšre raisonnable
de la durée de la procédure
ProcĂ©dure devant le juge de paix dâAthĂšnes (seize
mois) et devant le tribunal de grande instance dâAthĂšnes statuant en appel
(dix-sept mois) : certaines lenteurs dues soit à des exigences de procédure,
soit au comportement des parties â audiences Ă chaque fois fixĂ©es Ă des dates
rapprochĂ©es et jugements rendus sans retard â durĂ©e non excessive.
Procédure devant la Cour de cassation (deux ans et
huit mois) : audience ajournée en raison de la grÚve des avocats du barreau
dâAthĂšnes qui dura sept mois â nouvelle audience fixĂ©e treize mois aprĂšs la
date retenue initialement â retard se conciliant mal avec lâefficacitĂ© et la
crédibilité de la justice, exigées par la Convention.
Conclusion : violation (unanimité).
III. Article 6 § 1, combinĂ© avec lâarticle 14, et
article 13 de la convention
Conclusions prĂ©cĂ©dentes rendent inutile lâexamen
des griefs en question.
Conclusion : non-lieu à statuer (unanimité).
IV. article 50 de la convention
A. Préjudice
Dommage moral pour défaut d'un procÚs
Ă©quitable :octroi dâune rĂ©paration.
Dommage moral éventuellement causé par la durée de
la procédure : constat de violation suffisant pour réparer.
B. Frais et dépens
Compte tenu que le requĂ©rant nâindique aucun
montant, la Cour écarte la demande relative à ses frais et dépens.
Conclusion : Etat défendeur tenu de verser au requérant une
certaine somme pour dommage moral (unanimité).
RĂFĂRENCES
Ă LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
24.10.1989, H. c. France ; 27.10.1993, Monnet c. France
; 9.12.1994, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. GrĂšce
En l'affaire Papageorgiou c. GrĂšce2,
La Cour européenne des Droits de l'Homme,
constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des
Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et
aux clauses pertinentes de son rĂšglement A3, en une chambre
composée des juges dont le nom suit :
MM. R. Bernhardt, président,
R. Macdonald,
C.
Russo,
N.
Valticos,
I.
Foighel,
M.A. Lopes Rocha,
J. Makarczyk,
U. Lōhmus,
J. Casadevall,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier,
et P. J. Mahoney, greffier adjoint,
AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil les
2 juin et 23 septembre 1997,
Rend
l'arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă cette derniĂšre date :
PROCĂ©DURE
1. L'affaire
a été déférée à la Cour par le gouvernement grec (« le
Gouvernement ») le 12 août 1996, dans le délai de trois mois
qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine
se trouve une requĂȘte (n° 24628/94) dirigĂ©e contre la RĂ©publique
hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Christos Papageorgiou,
avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la
Commission ») le 24 mai 1994 en vertu de l'article 25.
La
requĂȘte du Gouvernement renvoie aux articles 44 et 48 b) de la Convention
et 32 du rÚglement A. Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le
point de savoir si les faits de la cause rĂ©vĂšlent un manquement de lâEtat
défendeur aux exigences des articles 6 § 1, 13 et 14 de la
Convention.
2. En
réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du
rĂšglement A, le requĂ©rant a dĂ©clarĂ© qu'il souhaitait participer Ă
l'instance et désigné ses conseils (article 30).
3. La
chambre Ă constituer comprenait de plein droit M. N. Valticos, juge Ă©lu de
nationalité grecque (article 43 de la Convention), et
M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour
(article 21 § 4 b) du rÚglement A). Le 2 septembre
1996, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des
sept autres membres, Ă savoir MM. R. Macdonald, C. Russo, I. Foighel, M.A.
Lopes Rocha, J. Makarczyk, U. Lōhmus et J. Casadevall, en prĂ©sence du
greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du
rĂšglement A).
4. En
sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du
rÚglement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du
greffier, l'agent du Gouvernement, les conseils du requérant et le délégué de la
Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37
§ 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier
a reçu le mémoire du Gouvernement le 12 mars 1997 et celui du requérant le
13 mars.
5. Ainsi
qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le
26 mai 1997, au Palais des Droits de l'Homme Ă Strasbourg. La Cour avait
tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu :
- pour
le Gouvernement
MM. V. Kondolaimos, assesseur auprĂšs du Conseil
juridique de lâEtat, dĂ©lĂ©guĂ©
de l'agent,
K. Georgiadis, auditeur auprĂšs du Conseil
juridique de lâEtat, conseiller ;
- pour
la Commission
M. C.L. Rozakis, délégué ;
- pour le
requérant
Mes D. Nicopoulos, avocat au barreau de Thessalonique,
D. Tsourkas, avocat au barreau de Thessalonique
et maßtre de conférences à l'université
de Thessalonique, conseils.
La Cour a entendu en leurs
déclarations M. Rozakis, Me Tsourkas et M. Kondolaimos,
ainsi qu'en leurs réponses à ses questions.
EN FAIT
I. Les circonstances
de l'espĂšce
A. La
procédure devant le tribunal de paix d'AthÚnes
6. Le
23 décembre 1987, M. Papageorgiou et cent neuf autres personnes
saisirent le tribunal de paix (Eirinodikeio) d'AthĂšnes, d'une action
contre l'Entreprise publique d'électricité (Dimossia Epikheirissi
Ilektrismou, « la DEI »), dont ils étaient salariés, en
vue d'obtenir chacun 268 800 drachmes (GRD). Cette somme correspondait Ă celle
que la DEI, se fondant sur les dispositions de la loi n° 1483/1984,
avait retenu sur leurs salaires, entre le 1er janvier 1982 et
le 31 décembre 1987, au profit de l'Organisme pour l'emploi de la
main-d'Ćuvre (Organismos Apascholissis Ergatikou Dynamikou, « l'OAED »).
L'audience devant le tribunal de paix fut fixée au 8 février 1988.
7. Le
4 février 1988, la DEI saisit le tribunal de paix d'une demande
tendant à assigner l'OAED en intervention forcée (anakoinossi dikis
meta prosepiklisseos is paremvassi). Elle soutenait en particulier qu'au
cas oĂč elle perdrait le procĂšs, elle aurait le droit d'exiger un dĂ©dommagement
par l'OAED au profit duquel elle avait retenu les sommes revendiquées. L'audience fut fixée au 16 mars 1988.
8. Le 8 février 1988, l'audience
relative à la premiÚre action fut reportée au 16 mars 1988, afin que les
deux instances soient jointes. Toutefois, le 16 mars 1988, elle fut
annulée car les avocats des parties ne s'étaient pas présentés.
9. Souhaitant
poursuivre seul désormais l'action introduite le 23 décembre 1987, le
requérant invita, le 26 octobre 1988, le tribunal de paix à tenir une
nouvelle audience qui fut fixée au 14 décembre 1988.
10. Le
12 décembre 1988, la DEI saisit derechef le tribunal de paix d'une
demande tendant à assigner l'OAED en intervention forcée. L'audience fut fixée au 7 février 1989.
11. Le 14 décembre 1988, les
débats furent ajournés jusqu'au 7 février 1989, afin que les deux
instances soient jointes.
12. Par
un jugement (n° 749/1989) du 20 avril 1989, le tribunal de paix accueillit
en partie la demande du requĂ©rant et ordonna Ă la DEI de verser Ă
celui-ci la somme de 190 383 GRD ; il enjoignit en outre Ă l'OAED
de rembourser la DEI pour cette somme.
B. La
procédure devant le tribunal de grande instance d'AthÚnes
13. Les
26 juin et 10 juillet 1989 respectivement, la DEI et l'OAED
interjetĂšrent appel de ce jugement auprĂšs du tribunal de grande instance (Polymeles
protodikeio) d'AthÚnes. A la demande du requérant, l'audience fut fixée au
12 janvier 1990.
14. A
cette date, le tribunal de grande instance releva que la tenue des débats avait
Ă©tĂ© accĂ©lĂ©rĂ©e par le requĂ©rant lui-mĂȘme, lequel n'avait pas cependant citĂ© Ă
comparaĂźtre la DEI estimant que l'appel de l'OAED Ă©tait
irrecevable dans la mesure oĂč il visait aussi la DEI. Il dĂ©cida alors,
d'une part, de dĂ©clarer l'appel irrecevable dans la mesure oĂč celui-ci se
dirigeait contre la DEI et, d'autre part, de reporter les débats en ce
qui concernait M. Papageorgiou, afin d'Ă©viter le risque de rendre deux
dĂ©cisions contradictoires, (arrĂȘt n° 2371/1990).
15. Le
3 avril 1990, le requérant, ayant assigné à la fois l'OAED et la DEI,
demanda une nouvelle audience devant le tribunal de grande instance, qui eut
lieu le 28 septembre 1990.
16. Par
un arrĂȘt (n° 9189/1990) du 30 novembre 1990, le tribunal de grande
instance réduisit la somme accordée au requérant par le tribunal de paix à 117
213 GRD.
C. La
procédure devant la Cour de cassation
17. Le
13 mars 1991, la DEI se pourvut en cassation ; l'OAED
intervint pour appuyer les prétentions de celle-ci. Dans l'un de ses moyens, la
DEI contestait la compétence du tribunal de grande instance ; selon
elle, la question de l'obligation de cotiser relĂšverait du contentieux des assurances
et devrait donc ĂȘtre soumise aux juridictions administratives.
Toutefois, l'audience, fixée initialement au
29 septembre 1992, dut ĂȘtre ajournĂ©e en raison de la grĂšve des avocats du
barreau d'AthĂšnes, qui dura jusqu'en avril 1993.
18. Le
21 octobre 1992, le requérant demanda la tenue d'une nouvelle audience qui
fut fixée au 19 octobre 1993.
19. Le
23 novembre 1993, la Cour de cassation, se fondant sur les dispositions de
l'article 26 de la loi n° 2020/1992 â adoptĂ© par le Parlement le
28 fĂ©vrier 1992 (paragraphe 25 ci-dessous) â, cassa l'arrĂȘt attaquĂ©, par
les motifs suivants (arrĂȘt n° 1120/1993) :
« (...) 3. Il
résulte du principe de la séparation des pouvoirs (...) que le pouvoir
lĂ©gislatif n'est pas empĂȘchĂ© de supprimer en se fondant sur de nouvelles rĂšgles
de droit â par voie de prescription â des droits qui ont Ă©tĂ© acquis
conformĂ©ment Ă des rĂšgles juridiques en vigueur dans le passĂ©, mĂȘme si ces
droits ont été reconnus par des décisions judiciaires définitives. Il en va,
toutefois, autrement si la nouvelle réglementation n'a pas un caractÚre général
et méconnaßt par conséquent le principe d'égalité (article 4 § 1 de
la Constitution) ou le droit de propriété (article 17 de la
Constitution) ; dans ce cas, elle ne peut pas ĂȘtre appliquĂ©e par les
tribunaux (...). En l'occurrence, aprĂšs le prononcĂ© de l'arrĂȘt attaquĂ©
(30.11.1990) et l'introduction du pourvoi en cassation (14.3.1991), fut votée
et adoptée la loi n° 2020 du 28 février 1992 dont l'article 26
dispose (...). Ainsi qu'il ressort de l'arrĂȘt attaquĂ© (9189/1990), le tribunal
de grande instance qui s'est prononcé en appel, a reconnu que [le requérant]
était un employé titulaire de la DEI, lié à celle-ci par un contrat de
travail et rémunéré par un salaire mensuel ; entre le 8 octobre 1984
et le 31 décembre 1987, les organes compétents de la DEI ont
illégalement prélevé (puisque l'assurance complémentaire des employés de la DEI
est incompatible en ce qui concerne les branches d'assurance susmentionnées
(...) ) sur ses revenus mensuels et au
profit de l'OAED 1 % pour le chĂŽmage et 1 % pour le DLOEM, soit
au total 117 213 drachmes qui furent versées à l'OAED. [Le tribunal de
grande instance] a adjugé par la suite cette somme au [requérant]. Toutefois,
aprÚs l'entrée en vigueur de l'article 26 § 2 de la loi
n° 2020/1992, qui n'est pas contraire aux dispositions des articles 4
et 17 de la Constitution, l'arrĂȘt attaquĂ© doit ĂȘtre cassĂ© et la procĂ©dure doit
ĂȘtre dĂ©clarĂ©e abrogĂ©e. (...) »
20. Il
semblerait que cet arrĂȘt ne fut jamais notifiĂ© au requĂ©rant qui allĂšgue en
avoir pris connaissance le 22 décembre 1993.
II. Le droit interne pertinent
A. La
Constitution
21. Aux
termes de l'article 74 § 5 de la Constitution,
« Un projet ou une proposition de loi contenant
des dispositions sans rapport avec son objet principal n'est pas mis en
discussion.
Aucune disposition additionnelle et aucun amendement
n'est mis en discussion s'il est sans rapport avec l'objet principal du projet
ou de la proposition de loi.
En cas de
contestation, c'est à la Chambre des députés de trancher. »
B. Le
code de procédure civile
22. Les
dispositions pertinentes du code de procédure civile se lisent ainsi :
Article 108
« Les actes
de procédure sont effectués à l'initiative et à la diligence des parties, sauf si
la loi en dispose autrement. »
Article 310
« 1. Les arrĂȘts sont notifiĂ©s Ă la diligence des
parties.
2. Lorsque les arrĂȘts ne sont pas dĂ©finitifs, la
présence pendant le prononcé des parties ou de leurs représentants légaux (...)
ou de leurs avocats équivaut à une notification. »
C. Les dispositions relatives aux cotisations
de salariés au profit de l'OAED
23. L'article 18
§ 4 de la loi n° 1346 des 13â14 avril 1983 est ainsi
libellé :
« Les salariés soumis aux dispositions du décret
législatif 3868/1958 (...) et qui perçoivent un salaire mensuel, n'ont pas
droit aux allocations familiales susmentionnées, si et pour aussi longtemps
qu'ils reçoivent de leur employeur â sur le fondement des dispositions de lois
ou de conventions collectives, de décisions arbitrales, rÚglements
d'entreprises ou d'autres dispositions (...) â des allocations pour enfants Ă
charge supérieures à celles versées par l'OAED. (...) »
24. Les cotisations Ă l'OAED
font l'objet de l'article 20 de la loi n° 1483/1984, aux termes
duquel :
« 1. Les cotisations des employeurs et des
travailleurs à l'OAED (...) constituent un prélÚvement social au profit
des organismes susmentionnés qui exercent une politique sociale, et continuent
Ă ĂȘtre versĂ©es mĂȘme si les travailleurs bĂ©nĂ©ficiaires ont droit Ă des
allocations similaires de la part de leurs employeurs ou d'autres institutions.
2. Les cotisations mentionnées au
paragraphe prĂ©cĂ©dent, qui ont Ă©tĂ© versĂ©es Ă l'OAED (...), jusqu'Ă
la publication de la prĂ©sente loi, ne peuvent en aucun cas ĂȘtre revendiquĂ©es.
Toute procédure éventuellement pendante devant les tribunaux afin de
revendiquer ces cotisations est annulée.
(...) »
25. Le 28 février 1992, le
Parlement adopta une loi (n° 2020/1992) intitulée « réglementation de
l'impÎt spécial unique de consommation de produits pétroliers et autres
dispositions » et dont l'article 26 dispose :
« 1. Les cotisations des employeurs et des
travailleurs aux branches d'assurance relevant de la compétence de l'OAED
(...) sont considérées comme un prélÚvement social au profit de ces organismes
et sont versĂ©es mĂȘme si les assurĂ©s ont droit Ă des allocations similaires de
la part de leurs employeurs ou d'autres institutions.
2. Les cotisations mentionnées au
paragraphe prĂ©cĂ©dent, qui ont Ă©tĂ© versĂ©es Ă l'OAED (...), jusqu'Ă
la publication de la prĂ©sente loi, ne peuvent pas ĂȘtre revendiquĂ©es, toute
prétention y relative est prescrite et toute procédure judiciaire pendante
devant toute juridiction que ce soit afin de revendiquer ces cotisations est
annulée.
(...) »
Le rapport explicatif Ă cette disposition
précisait que celle-ci avait pour but de lever la contestation existante sur le
point de savoir si les cotisations au profit de l'OAED (en particulier
celles versées au titre des allocations pour enfants à charge) constituaient un
« prĂ©lĂšvement social », c'est-Ă -dire une cotisation qui s'imposait Ă
ceux qui en Ă©taient redevables mĂȘme au cas oĂč le risque couvert par l'assurance
ne devait jamais se réaliser.
D. La
jurisprudence de la Cour de cassation
26. Par
deux arrĂȘts des 30 juin 1988 (n° 1288/1988) et 17 dĂ©cembre 1990
(n° 1989/1990) â Ă l'occasion des deux litiges opposant respectivement les
Postes helléniques (« l'ELTA ») et l'Organisme des chemins de
fer de GrĂšce (« l'OSE ») Ă leurs salariĂ©s â, la Cour de
cassation a clarifié le sens de l'article 20 de la loi n° 1483/1984
et notamment des termes « continuent Ă ĂȘtre versĂ©es» qui figurent au
paragraphe 1 de cet article. Par lĂ mĂȘme, elle a confirmĂ© les dĂ©cisions
des juridictions du fond qui condamnaient l'OSE et l'ELTA Ă
accorder à certains de leurs salariés une indemnité pour avoir retenu une
partie des salaires de ceux-ci au profit de l'OAED.
Plus
particuliĂšrement, dans l'arrĂȘt du 30 juin 1988, la Cour de cassation
s'exprima ainsi :
« (...)
Il ressort des
dispositions susmentionnées et compte tenu du fait que le personnel de l'ELTA
bĂ©nĂ©ficie d'une retraite et d'une couverture mĂ©dicale par lâEtat (...), que
l'assurance complémentaire de ce personnel à l'OAED pour le chÎmage et
pour l'attribution d'une allocation familiale n'est ni concevable ni voulue par
le législateur (...). Avant l'adoption de la loi n° 1483/1984, et comme la
formation plĂ©niĂšre de la Cour de cassation a jugĂ© dans son arrĂȘt
n° 403/1981, les salariés de l'ELTA n'avaient pas l'obligation, par
la loi, de cotiser à l'OAED ; l'article 20 de la loi précitée,
et ainsi qu'il en rĂ©sulte des termes « continuent Ă ĂȘtre versĂ©es »,
n'impose pas une telle obligation aux travailleurs. Par conséquent, cet
article ne s'applique pas lorsqu'il n'existe pas d'obligation de cotiser,
comme c'est le cas du personnel de l'ELTA (...) »
Dans
l'arrĂȘt du 12 dĂ©cembre 1990, la Cour de cassation souligna qu'aucune
obligation de cotiser n'a été créée à partir de l'entrée en vigueur de
l'article 20 de la loi n° 1483/1984. En effet, ledit article
prĂ©cisait que les cotisations continuaient Ă ĂȘtre versĂ©es, ce qui signifiait
que s'il n'y avait pas jusqu'alors de versement, la loi précitée n'introduisait
pas une telle obligation.
PROCĂ©DURE DEVANT LA COMMISSION
27. M. Papageorgiou
a saisi la Commission le 24 mai 1994. Il soutenait que l'adoption et
l'application à son encontre de la loi n° 2020/1992, alors que les
procédures judiciaires qu'il avait engagées étaient encore pendantes,
enfreignaient les articles 6 § 1, 13 et 14 de la Convention, ainsi
que l'article 1 du Protocole n° 1.
28. Le
24 octobre 1995, la Commission (premiĂšre chambre) a retenu la requĂȘte
(n° 24628/94) quant aux articles 6 § 1, 13 et 14 de la
Convention ; elle l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son
rapport du 15 mai 1996 (article 31), elle conclut à l'unanimité qu'il
y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui
concerne le caractÚre équitable et la durée de la procédure et qu'aucune
question distincte ne se pose sous l'angle des articles 6 § 1,
combiné avec l'article 14, et 13 de la Convention4.
CONCLUSIONS PRĂ©SENTĂ©ES Ă LA COUR
29. Dans son mémoire, le Gouvernement
invite la Cour « Ă rejeter la requĂȘte de M. Christos Papageorgiou
dans son ensemble ».
30. De
son cÎté, le requérant prie la Cour de déclarer que la République hellénique a
« 1.
transgressé le principe de la prééminence du droit ;
2. transgressé
l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le droit à un
procĂšs Ă©quitable et, plus particuliĂšrement, a) le droit Ă ne pas ĂȘtre soustrait
aux juges que la loi a assignés, b) la rÚgle imposant l'égalité des armes des
justiciables devant la justice, c) le principe de l'impartialité fonctionnelle
de la justice et d) l'obligation de motivation complĂšte et explicite des
arrĂȘts ;
3. transgressé
l'article 6 § 1 en ce qui concerne le droit à une protection
judiciaire dans un délai raisonnable (...) »
EN DROIT
I. SUR L'EXCEPTION PRĂ©LIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
31. En
premier lieu, le Gouvernement plaide, comme déjà devant la Commission,
l'irrecevabilitĂ© de la requĂȘte pour non-respect du dĂ©lai de six mois. La
date de l'introduction d'une requĂȘte ne saurait produire aucun effet juridique
tant que la Commission n'a pas vérifié le respect des exigences de
l'article 44 de son rÚglement intérieur, opération nécessaire aux
fins de l'enregistrement. Or la requĂȘte litigieuse fut enregistrĂ©e le
18 juillet 1994, donc plus de six mois aprĂšs l'arrĂȘt de la Cour de
cassation du 23 novembre 1993 (paragraphe 19 ci-dessus).
A
supposer mĂȘme â comme le fait la Commission â que le point d'arrivĂ©e dudit
dĂ©lai se place dĂšs la date de l'introduction de la requĂȘte, Ă savoir le
24 mai 1994, la condition posée par l'article 26 de la Convention ne
serait pas non plus observée par le requérant en l'espÚce : en fait, si
celui-ci n'a pris connaissance de l'arrĂȘt de la Cour de cassation, comme il le
prétend, que le 22 décembre 1993, cela serait dû à sa propre négligence
car il lui incombait de s'informer, auprĂšs du greffe de la Cour de cassation,
de la date du prononcĂ© de l'arrĂȘt.
32. La
Cour ne peut suivre le Gouvernement sur ce terrain. En effet, l'article 44
§ 3 du rÚglement intérieur de la Commission n'implique pas, comme
prĂ©alable Ă l'enregistrement de la requĂȘte, la preuve que le requĂ©rant remplit
l'exigence du respect de six mois. La date de l'introduction de la requĂȘte est
celle de la premiÚre lettre du requérant à condition que celui-ci indique de
maniĂšre suffisante l'objet de sa requĂȘte. L'enregistrement, dont la date est
celle à laquelle le secrétaire de la Commission reçoit le dossier complet
relatif Ă la requĂȘte, entraĂźne seulement une consĂ©quence pratique ; il
dĂ©termine l'ordre dans lequel les requĂȘtes seront examinĂ©es par la Commission.
Quant
Ă la prĂ©tendue nĂ©gligence du requĂ©rant, la Cour considĂšre que lâon ne peut
exiger du justiciable quâil vienne sâinformer jour aprĂšs jour de lâexistence
dâun arrĂȘt qui ne lui a jamais Ă©tĂ© notifiĂ©.
A
l'instar de la Commission, elle estime donc qu'il Ă©chet de rejeter l'exception
dont il s'agit.
II. SUR LA VIOLATION ALLéguée DE L'ARTICLE 6
§ 1 DE LA CONVENTION
33. Le
requérant allÚgue une double violation de l'article 6 § 1 de la
Convention, ainsi libellé :
« Toute
personne a droit Ă ce que sa cause soit entendue Ă©quitablement (...) et dans un
délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations
sur ses droits et obligations de caractÚre civil (...) »
D'abord,
l'adoption de l'article 26 de la loi n° 2020/1992 et son application
dans son cas par la Cour de cassation l'aurait privé d'un procÚs équitable.
Ensuite, la durée de la procédure qu'il avait engagée, afin d'obtenir le
remboursement de la somme que son employeur, la DEI, avait retenu sur
son salaire, aurait dépassé le « délai raisonnable ».
A. ProcĂšs
Ă©quitable
34. Le
requérant dénonce une immixtion du pouvoir législatif dans le fonctionnement du
pouvoir judiciaire, en ce qui concerne tant la détermination de l'ordre des
juridictions saisies que le fond mĂȘme du litige. En qualifiant, dans l'article 26, les cotisations versĂ©es Ă l'OAED,
de « prélÚvement social », le pouvoir politique tentait de soustraire
les litiges en cours et à venir à la compétence des juridictions civiles et de
les soumettre Ă celle des juridictions administratives ; il attribuait
ainsi Ă ces litiges un caractĂšre de droit public auquel il ajoutait un effet
rĂ©troactif car le rapport explicatif prĂ©cisait que ledit article visait Ă
clarifier le sens de certains termes « mal compris » de la loi
n° 1483/1984 (paragraphe 25 ci-dessus). En outre, par son arrĂȘt
n° 1120/1993, la Cour de cassation, se fondant sur ce mĂȘme article, se bornait
à déclarer la procédure abrogée, sans motiver sa décision et sans se soucier
d'examiner la constitutionnalité des dispositions de celui-ci.
35. La
Commission estime aussi que lâEtat a mĂ©connu l'article 6 de la Convention,
en ce qui concerne le caractÚre équitable de la procédure, car il a « jugé
par voie législative une affaire à laquelle il était partie ».
36. Selon
le Gouvernement, l'article 26 de la loi n° 2020/1992 n'a pas été
adopté afin de résoudre le litige qui opposait le requérant à la DEI
devant les tribunaux. Formulé en des
termes objectifs et impersonnels, cet article réglemente toute affaire
tombant sous le coup de celui-ci, et son application au cas du requérant serait
accidentelle et fortuite. Le fait que les tribunaux ont appliqué en l'espÚce un
texte qui ne favorisait pas M. Papageorgiou ne saurait passer pour
contraire Ă l'article 6 de la Convention, sans quoi on devrait conclure Ă
la violation de cet article chaque fois qu'une réforme législative modifie
la situation légale existante de façon à avantager l'une des parties au procÚs.
Enfin, le Gouvernement souligne la nécessité d'adopter une disposition
interprétative de l'article 20 de la loi n° 1483/1984
(paragraphe 24 ci-dessus), telle que l'article 26, afin de consolider
en GrĂšce le dĂ©veloppement de lâEtat social : cet article tendrait Ă
octroyer une aide aux chĂŽmeurs et des allocations familiales Ă ceux des
salariés qui n'en recevaient pas d'une autre source.
37. La Cour convient avec le
Gouvernement qu'en principe le pouvoir lĂ©gislatif n'est pas empĂȘchĂ© de
réglementer, par de nouvelles dispositions, des droits découlant de lois
antérieurement en vigueur.
Toutefois, dans l'affaire Raffineries grecques
Stran et Stratis Andreadis c. GrĂšce (arrĂȘt du 9 dĂ©cembre 1994,
série A n° 301-B), la Cour a jugé que le principe de la prééminence
du droit et la notion de procÚs équitable consacrés par l'article 6
s'opposaient Ă lâingĂ©rence du pouvoir lĂ©gislatif grec dans l'administration de
la justice dans le but d'influer sur le dénouement judiciaire du litige. Elle a conclu que
lâEtat avait portĂ© atteinte aux droits des requĂ©rants, garantis par
l'article 6, en intervenant d'une maniÚre décisive pour orienter en sa
faveur l'issue imminente de l'instance Ă laquelle il Ă©tait partie (ibidem,
p. 82, §§ 49â50)
38. Or,
en l'espÚce, comme dans l'affaire susmentionnée, la Cour ne peut pas perdre de
vue l'effet produit par le contenu de l'article 26 de la loi
n° 2020/1992 combiné avec la méthode et le moment de son adoption.
D'abord,
si le premier paragraphe de l'article 26 clarifiait le sens de
l'article 20 de la loi n° 1483/1984, le second déclarait prescrite
toute prétention relative aux cotisations déjà versées à l'OAED et
annulait toute procédure y afférente éventuellement pendante devant toute
juridiction que ce soit (paragraphe 25 ci-dessus).
Ensuite,
l'article 26 était inclus dans une loi dont l'intitulé
(« réglementation de l'impÎt spécial unique de consommation de produits
pétroliers et autres dispositions ») n'avait aucun rapport avec celui-ci,
ce qui, et le requérant le souligne, est interdit par l'article 74
§ 5 de la Constitution grecque (paragraphe 21 ci-dessus).
Enfin
et surtout, l'article 26 fut adopté aprÚs l'introduction du pourvoi formé
par la DEI, avec l'intervention de l'OAED, contre l'arrĂȘt du
tribunal de grande instance d'AthĂšnes, statuant en appel, et avant la tenue de
l'audience devant la Cour de cassation, fixée initialement au
29 septembre 1992 (paragraphe 17 ci-dessus) ; Ă ce
moment-là il était certainement prévisible que celle-ci suivrait sa
jurisprudence récente (paragraphe 26 ci-dessus) qui clarifiait déjà le
sens de l'article 20 de la loi n° 1483/1984 et qui était favorable au
requérant.
Dans
les circonstances de l'espĂšce, l'adoption de l'article 26 Ă un moment si
crucial de la procédure devant la Cour de cassation réglait en réalité le fond
du litige et rendait vaine la continuation de celle-ci.
39. Quant
Ă l'argument du Gouvernement selon lequel il ne s'agissait pas d'un litige
opposant M. Papageorgiou Ă lâEtat, la DEI Ă©tant une personne morale
de droit privé et non de droit public, la Cour note que les sommes retenues par
la DEI sur les salaires de ses employés étaient versées à l'OAED,
organisme public de sécurité sociale. Or, si la Cour de cassation donnait gain
de cause Ă l'intĂ©ressĂ©, c'est lâEtat grec qui serait tenu de le rembourser.
40. Par
conséquent, il y a eu violation de l'article 6 § 1 en ce qui concerne
le droit Ă un procĂšs Ă©quitable.
B. Durée
de la procédure
41. Reste
à savoir s'il y a eu dépassement du « délai raisonnable » comme le
prétend le requérant.
42. La
Commission conclut quâil y a eu violation, tandis que le Gouvernement conteste
celle-ci.
1. PĂ©riode
à prendre en considération
43. La
procédure litigieuse a débuté le 23 décembre 1987, avec la saisine par les
cent-dix employĂ©s de la DEI â dont le requĂ©rant â du juge de paix
d'AthÚnes (paragraphe 6 ci-dessus), et s'est terminée le 23 novembre
1993, avec le prononcĂ© de l'arrĂȘt de la Cour de cassation (paragraphe 19
ci-dessus).
Elle a
donc duré cinq ans et onze mois.
2. CaractĂšre
raisonnable de la durée de la procédure
44. Le
caractÚre raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie à l'aide des
critÚres qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour et suivant les circonstances
de la cause.
45. D'aprĂšs
le Gouvernement, la durée de la procédure litigieuse est due, d'une part, au
comportement des parties au procĂšs â et notamment Ă celui du requĂ©rant â et,
d'autre part, à la grÚve des avocats du barreau d'AthÚnes, événement qui
Ă©chappe au contrĂŽle des tribunaux. Plus particuliĂšrement, il souligne le
caractÚre contradictoire de la procédure civile qu'a engagée le requérant et
suivant laquelle l'assignation de la partie adverse, la fixation des audiences,
la signification des arrĂȘts et le respect des dĂ©lais pour l'exercice des voies
de recours relÚvent de la responsabilité des parties au procÚs ; il
appartient donc Ă celles-ci de veiller Ă assurer un examen rapide de leur
cause.
46. La
Cour rappelle que seules les lenteurs imputables Ă lâEtat peuvent amener Ă
constater un dépassement du délai raisonnable (voir, parmi beaucoup d'autres,
l'arrĂȘt Monnet c. France du 27 octobre 1993, sĂ©rie A n° 273-A,
p. 12, § 30).
Elle
note, en premier lieu, que la durée de la procédure devant le juge de paix
d'AthĂšnes (seize mois) et devant le tribunal de grande instance d'AthĂšnes
statuant en appel (dix-sept mois) n'est pas excessive. Certaines lenteurs étaient dues soit à des exigences de procédure, soit
au comportement des parties. Plus particuliĂšrement, l'audience devant le juge
de paix d'AthÚnes fut reportée à deux reprises (paragraphes 8 et 11
ci-dessus) pour les besoins de la jonction des causes, Ă la suite de la demande
de la DEI en intervention forcée de l'OAED ; elle fut aussi
une fois annulée en raison de la non-comparution des avocats des parties
(paragraphe 8 ci-dessus) ; enfin, le requérant attendit prÚs de sept
mois, du 16 mars au 26 octobre 1988, pour demander la fixation d'une
nouvelle audience (paragraphe 9 ci-dessus). Quant aux débats devant le
tribunal de grande instance d'AthÚnes, ils furent ajournés, le 12 janvier
1990, dans la mesure oĂč ils concernaient le requĂ©rant, car celui-ci avait omis
de citer la DEI (paragraphe 14 ci-dessus).
En revanche, les audiences ont été à chaque fois
fixées à des dates rapprochées et les jugements ont été rendus sans retard.
47. Reste
la procédure devant la Cour de cassation, qui s'étala du 20 février 1991
jusqu'au 23 novembre 1993, soit deux ans et huit mois. Il s'agit
assurément d'une période assez longue.
La
Cour relÚve que l'audience, fixée à l'origine au 29 septembre 1992, fut
ajournée en raison de la grÚve des avocats du barreau d'AthÚnes, qui commença
en septembre 1992 et se termina en avril 1993 (paragraphe 17
ci-dessus).
A n'en
pas douter, pareil événement à lui seul ne saurait engager la responsabilité
d'un Etat contractant au regard de l'exigence du délai raisonnable ;
toutefois, les efforts déployés par celui-ci pour résorber tout retard qui en
serait résulté entrent en ligne de compte aux fins du contrÎle du respect de
cette exigence.
48. Le
21 octobre 1992, alors que la Cour de cassation n'Ă©tait raisonnablement
pas en mesure de prĂ©voir la fin de la grĂšve â qui aurait pu ĂȘtre imminente â,
elle fixa une nouvelle audience au 19 octobre 1993, c'est-Ă -dire douze
mois plus tard et treize mois aprĂšs la date retenue initialement
(paragraphe 18 ci-dessus).
La
Cour n'ignore pas les complications qu'une grĂšve aussi persistante que celle de
l'espĂšce risque de provoquer quant Ă l'encombrement du rĂŽle d'une juridiction
comme la Cour de cassation. Il n'en demeure
pas moins qu'aux termes de l'article 6 § 1 les causes doivent ĂȘtre
entendues « dans un délai raisonnable ».
Or un
tel retard dans une affaire qui se trouvait pendante devant la Cour de
cassation depuis le 13 mars 1991 se concilie mal avec l'efficacité et la
crĂ©dibilitĂ© de la justice, exigĂ©es par la Convention (arrĂȘt H. c. France du
24 octobre 1989, série A n° 162-A, p. 23, § 58).
49. La
Cour conclut qu'il y a eu dépassement du délai raisonnable, donc violation de
l'article 6 § 1 quant à la durée de la procédure.
III. SUR LA VIOLATION ALLĂ©GUĂ©E DE
L'ARTICLE 6 § 1, COMBINé AVEC L'ARTICLE 14, ET DE
L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
50. Le
requérant se plaint aussi d'une violation de l'article 6 § 1,
combiné avec l'article 14, et de l'article 13 de la Convention. Les articles 13 et 14 sont ainsi libellés :
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés
reconnus dans la (âŠ) Convention ont Ă©tĂ© violĂ©s, a droit Ă l'octroi d'un recours
effectif devant une instance nationale, alors mĂȘme que la violation aurait Ă©tĂ©
commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions
officielles. »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus
dans la (âŠ) Convention doit ĂȘtre assurĂ©e, sans distinction aucune, fondĂ©e
notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les
opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale,
l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute
autre situation. »
Plus particuliÚrement, il dénonce l'absence, en
droit grec, d'un recours effectif pour contester l'adoption de la loi
n° 2020/1992 et l'application de celle-ci à son encontre, ainsi que le traitement
discriminatoire dont il aurait fait l'objet.
51. Eu Ă©gard aux constats figurant aux
paragraphes 40 et 49 ci-dessus, la Cour estime qu'il ne s'impose pas de statuer
sur les griefs en question.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 DE LA
CONVENTION
52. Aux
termes de l'article 50 de la Convention,
« Si la
décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par
une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se
trouve entiĂšrement ou partiellement en opposition avec des
obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de
ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette
dĂ©cision ou de cette mesure, la dĂ©cision de la Cour accorde, s'il y a lieu, Ă
la partie lésée une satisfaction équitable. »
A. Préjudice
53. Le
requérant sollicite la réparation du dommage moral qu'il aurait subi, mais
laisse à la Cour le soin d'en déterminer le montant.
54. D'aprĂšs
le Gouvernement, le requérant aurait seulement droit au montant de 117
213 GRD qui correspond Ă la somme que la DEI avait retenue sur son
salaire.
55. Selon
le délégué de la Commission, la Cour devrait accorder à l'intéressé une somme
raisonnable pour préjudice moral, si elle constate notamment une violation du
droit Ă un procĂšs Ă©quitable.
56. La
Cour considÚre qu'il y a lieu d'octroyer au requérant une réparation pour le
dommage moral rĂ©sultant de lâabsence d'un procĂšs Ă©quitable : elle lui
accorde 2 500 000 GRD de ce chef. Elle estime en revanche que le constat
de la violation de l'article 6 § 1 suffit à réparer le tort
moral éventuellement causé par la durée de la procédure.
B. Frais et dépens
57. M. Papageorgiou réclame en outre le
remboursement des frais qu'il a exposés devant les juridictions grecques, puis
les organes de la Convention, tout en précisant que ceux-ci ont déjà été pris
en charge par le syndicat de la DEI dont il était le président.
58. Le Gouvernement se dĂ©clare prĂȘt Ă
verser les frais et dépens engagés devant les juridictions grecques et les
organes de Strasbourg, à condition qu'ils s'avÚrent nécessaires, réels et
raisonnables.
59. Selon le délégué de la Commission,
le requérant sollicite à juste titre les frais de la procédure devant les
juridictions nationales. N'ayant pas bénéficié de l'assistance judiciaire
devant la Commission et la Cour, il aurait en outre droit au remboursement des
frais encourus devant celles-ci.
60. Compte tenu de ce que M.
Papageorgiou n'indique aucun montant, la Cour Ă©carte la demande relative Ă ses
frais et dépens.
C. IntĂ©rĂȘts moratoires
61. Selon les informations dont dispose
la Cour, le taux légal applicable en GrÚce à la date de l'adoption du présent
arrĂȘt Ă©tait de 6 % l'an.
PAR CES MOTIFS LA COUR, Ă L'UNANIMITĂ©,
1. Rejette l'exception
préliminaire du Gouvernement ;
2. Dit qu'il y a eu violation de
l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le droit à un
procĂšs Ă©quitable ;
3. Dit qu'il y a eu violation du mĂȘme article
quant au droit à un procÚs dans un « délai raisonnable » ;
4. Dit qu'il ne s'impose pas de statuer sur les
griefs tirés de l'article 6 § 1, combiné avec l'article 14, et
de l'article 13 de la Convention ;
5. Dit
a) que lâEtat dĂ©fendeur doit
verser, dans les trois mois, 2 500 000 (deux millions cinq cent mille)
drachmes au requérant pour le dommage moral subi en raison du caractÚre
inéquitable de la procédure ;
b) que ce montant est Ă
majorer d'un intĂ©rĂȘt simple de 6 % l'an Ă compter de l'expiration dudit dĂ©lai
et jusqu'au versement ;
6. Dit que le prĂ©sent arrĂȘt constitue par
lui-mĂȘme une satisfaction Ă©quitable suffisante quant au dommage moral allĂ©guĂ©
pour la durée de la procédure ;
7. Rejette la
demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.
Fait en français et en
anglais, puis prononcĂ© en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, Ă
Strasbourg, le 22 octobre 1997.
Signé : Rudolf Bernardt
Président
Signé : Herbert Petzold
Greffier
1. Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.
2. L'affaire
porte le n° 97/1996/716/913. Les deux premiers chiffres en indiquent le
rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des
saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requĂȘtes initiales (Ă la
Commission) correspondantes.
3. Le rĂšglement A s'applique Ă toutes les
affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (1er octobre
1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés
par ledit Protocole. Il correspond au
rĂšglement entrĂ© en vigueur le 1er janvier 1983 et amendĂ© Ă
plusieurs reprises depuis lors.
4. Note du
greffier : pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans
l'Ă©dition imprimĂ©e (Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997), mais chacun
peut se le procurer auprĂšs du greffe.