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Corte europea dei diritti dell’uomo, 22 ottobre 1997

(97/1996/716/913)

 

 

AFFAIRE PAPAGEORGIOU c. GRÈCE

 

 

Cet arrĂȘt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version dĂ©finitive dans le Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997, Ă©ditĂ© par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.

 

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SOMMAIRE1

ArrĂȘt rendu par une chambre

GrĂšce – ingĂ©rence du pouvoir lĂ©gislatif dans l’administration de la justice et durĂ©e de la procĂ©dure devant des juridictions civiles

I.      EXCEPTION PRĂ©LIMINAIRE DU GOUVERNEMENT (non-respect du dĂ©lai de six mois)

Argument du Gouvernement selon lequel la requĂȘte litigieuse a Ă©tĂ© enregistrĂ©e plus de six mois aprĂšs l’arrĂȘt de la Cour de cassation : rĂšglement intĂ©rieur de la Commission n’implique pas, comme prĂ©alable Ă  l’enregistrement d’une requĂȘte, la preuve que le requĂ©rant remplit l’exigence du respect de six mois – la date de l’introduction de la requĂȘte est celle de la premiĂšre lettre du requĂ©rant Ă  condition que celui-ci indique de maniĂšre suffisante l’objet de sa requĂȘte.

Argument du Gouvernement selon lequel le requĂ©rant aurait nĂ©gligĂ© de s’informer, auprĂšs du greffe de la Cour de cassation, de la date du prononcĂ© de l’arrĂȘt : on ne peut exiger du justiciable qu’il vienne s’informer jour aprĂšs jour de l’existence d’un arrĂȘt qui ne lui a jamais Ă©tĂ© notifiĂ©.

Conclusion : rejet (unanimité).

II.      ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

A.      ProcĂšs Ă©quitable

Contenu de l’article 26 de la loi n° 2020/1992 combinĂ© avec la mĂ©thode et le moment de son adoption : second paragraphe de cet article dĂ©clarait prescrite toute prĂ©tention relative aux cotisations dĂ©jĂ  versĂ©es Ă  l’OAED et annulait toute procĂ©dure y affĂ©rente Ă©ventuellement pendante devant toute juridiction que ce soit – article 26 inclus dans une loi dont l’intitulĂ© n’avait aucun rapport avec celui-ci – adoptĂ© aprĂšs l’introduction du pourvoi formĂ© par la DEI contre l’arrĂȘt du tribunal de grande instance statuant en appel, et avant la tenue de l’audience devant la Cour de cassation. L’adoption de l’article 26 Ă  un moment si crucial de la procĂ©dure rĂ©glait en rĂ©alitĂ© le fond du litige et rendait vaine la continuation de celle-ci.

Conclusion : violation (unanimité).

B.      DurĂ©e de la procĂ©dure

1. Période à prendre en considération

DĂ©but : saisine du juge de paix d’AthĂšnes.

Fin : prononcĂ© de l’arrĂȘt de la Cour de cassation.

Durée : cinq ans et onze mois.

2. CaractÚre raisonnable de la durée de la procédure

ProcĂ©dure devant le juge de paix d’AthĂšnes (seize mois) et devant le tribunal de grande instance d’AthĂšnes statuant en appel (dix-sept mois) : certaines lenteurs dues soit Ă  des exigences de procĂ©dure, soit au comportement des parties – audiences Ă  chaque fois fixĂ©es Ă  des dates rapprochĂ©es et jugements rendus sans retard – durĂ©e non excessive.

ProcĂ©dure devant la Cour de cassation (deux ans et huit mois) : audience ajournĂ©e en raison de la grĂšve des avocats du barreau d’AthĂšnes qui dura sept mois – nouvelle audience fixĂ©e treize mois aprĂšs la date retenue initialement – retard se conciliant mal avec l’efficacitĂ© et la crĂ©dibilitĂ© de la justice, exigĂ©es par la Convention.

Conclusion : violation (unanimité).

III. Article 6 § 1, combinĂ© avec l’article 14, et article 13 de la convention

Conclusions prĂ©cĂ©dentes rendent inutile l’examen des griefs en question.

Conclusion : non-lieu à statuer (unanimité).

IV.  article 50 de la convention

A. PrĂ©judice

Dommage moral pour dĂ©faut d'un procĂšs Ă©quitable :octroi d’une rĂ©paration.

Dommage moral éventuellement causé par la durée de la procédure : constat de violation suffisant pour réparer.

B. Frais et dĂ©pens

Compte tenu que le requĂ©rant n’indique aucun montant, la Cour Ă©carte la demande relative Ă  ses frais et dĂ©pens.

Conclusion : Etat défendeur tenu de verser au requérant une certaine somme pour dommage moral (unanimité).

RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

24.10.1989, H. c. France ; 27.10.1993, Monnet c. France ; 9.12.1994, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. GrĂšce

 

En l'affaire Papageorgiou c. GrĂšce2,

La Cour europĂ©enne des Droits de l'Homme, constituĂ©e, conformĂ©ment Ă  l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des LibertĂ©s fondamentales (« la Convention Â») et aux clauses pertinentes de son rĂšglement A3, en une chambre composĂ©e des juges dont le nom suit :

MM. R. Bernhardt, prĂ©sident,

R. Macdonald,

C. Russo,

N. Valticos,

I. Foighel,

M.A. Lopes Rocha,

J. Makarczyk,

U. Lōhmus,

J. Casadevall,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P. J. Mahoney, greffier adjoint,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil les 2 juin et 23 septembre 1997,

Rend l'arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette derniĂšre date :

PROCĂ©DURE

1.  L'affaire a Ă©tĂ© dĂ©fĂ©rĂ©e Ă  la Cour par le gouvernement grec (« le Gouvernement Â») le 12 aoĂ»t 1996, dans le dĂ©lai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requĂȘte (n° 24628/94) dirigĂ©e contre la RĂ©publique hellĂ©nique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Christos Papageorgiou, avait saisi la Commission europĂ©enne des Droits de l'Homme (« la Commission Â») le 24 mai 1994 en vertu de l'article 25.

La requĂȘte du Gouvernement renvoie aux articles 44 et 48 b) de la Convention et 32 du rĂšglement A. Elle a pour objet d'obtenir une dĂ©cision sur le point de savoir si les faits de la cause rĂ©vĂšlent un manquement de l’Etat dĂ©fendeur aux exigences des articles 6 § 1, 13 et 14 de la Convention.

2.  En rĂ©ponse Ă  l'invitation prĂ©vue Ă  l'article 33 § 3 d) du rĂšglement A, le requĂ©rant a dĂ©clarĂ© qu'il souhaitait participer Ă  l'instance et dĂ©signĂ© ses conseils (article 30).

3.  La chambre Ă  constituer comprenait de plein droit M. N. Valticos, juge Ă©lu de nationalitĂ© grecque (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-prĂ©sident de la Cour (article 21 Â§ 4 b) du rĂšglement A). Le 2 septembre 1996, le prĂ©sident de la Cour, M. R. Ryssdal, a tirĂ© au sort le nom des sept autres membres, Ă  savoir MM. R. Macdonald, C. Russo, I. Foighel, M.A. Lopes Rocha, J. Makarczyk, U. Lōhmus et J. Casadevall, en prĂ©sence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du rĂšglement A).

4.  En sa qualitĂ© de prĂ©sident de la chambre (article 21 § 6 du rĂšglement A), M. Bernhardt a consultĂ©, par l'intermĂ©diaire du greffier, l'agent du Gouvernement, les conseils du requĂ©rant et le dĂ©lĂ©guĂ© de la Commission au sujet de l'organisation de la procĂ©dure (articles 37 § 1 et 38). ConformĂ©ment Ă  l'ordonnance rendue en consĂ©quence, le greffier a reçu le mĂ©moire du Gouvernement le 12 mars 1997 et celui du requĂ©rant le 13 mars.

5.  Ainsi qu'en avait dĂ©cidĂ© le prĂ©sident, les dĂ©bats se sont dĂ©roulĂ©s en public le 26 mai 1997, au Palais des Droits de l'Homme Ă  Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une rĂ©union prĂ©paratoire.

Ont comparu :

pour le Gouvernement 
MM. V. Kondolaimos, assesseur auprĂšs du Conseil 
         juridique de l’Etat, dĂ©lĂ©guĂ© de l'agent
    K. Georgiadis, auditeur auprĂšs du Conseil 
         juridique de l’Etat, conseiller ;

pour la Commission 
M. C.L. Rozakis, dĂ©lĂ©guĂ© ;

-      pour le requĂ©rant 
Mes D. Nicopoulos, avocat au barreau de Thessalonique, 
    D. Tsourkas, avocat au barreau de Thessalonique 
   et maĂźtre de confĂ©rences Ă  l'universitĂ© 
   de Thessalonique, conseils.

La Cour a entendu en leurs dĂ©clarations M. Rozakis, Me Tsourkas et M. Kondolaimos, ainsi qu'en leurs rĂ©ponses Ă  ses questions.

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espĂšce

A. La procĂ©dure devant le tribunal de paix d'AthĂšnes

6.  Le 23 dĂ©cembre 1987, M. Papageorgiou et cent neuf autres personnes saisirent le tribunal de paix (Eirinodikeio) d'AthĂšnes, d'une action contre l'Entreprise publique d'Ă©lectricitĂ© (Dimossia Epikheirissi Ilektrismou, « la DEI Â»), dont ils Ă©taient salariĂ©s, en vue d'obtenir chacun 268 800 drachmes (GRD). Cette somme correspondait Ă  celle que la DEI, se fondant sur les dispositions de la loi n° 1483/1984, avait retenu sur leurs salaires, entre le 1er janvier 1982 et le 31 dĂ©cembre 1987, au profit de l'Organisme pour l'emploi de la main-d'Ɠuvre (Organismos Apascholissis Ergatikou Dynamikou, « l'OAED Â»). L'audience devant le tribunal de paix fut fixĂ©e au 8 fĂ©vrier 1988.

7.  Le 4 fĂ©vrier 1988, la DEI saisit le tribunal de paix d'une demande tendant Ă  assigner l'OAED en intervention forcĂ©e (anakoinossi dikis meta prosepiklisseos is paremvassi). Elle soutenait en particulier qu'au cas oĂč elle perdrait le procĂšs, elle aurait le droit d'exiger un dĂ©dommagement par l'OAED au profit duquel elle avait retenu les sommes revendiquĂ©es. L'audience fut fixĂ©e au 16 mars 1988.

8.  Le 8 fĂ©vrier 1988, l'audience relative Ă  la premiĂšre action fut reportĂ©e au 16 mars 1988, afin que les deux instances soient jointes. Toutefois, le 16 mars 1988, elle fut annulĂ©e car les avocats des parties ne s'Ă©taient pas prĂ©sentĂ©s.

9.  Souhaitant poursuivre seul dĂ©sormais l'action introduite le 23 dĂ©cembre 1987, le requĂ©rant invita, le 26 octobre 1988, le tribunal de paix Ă  tenir une nouvelle audience qui fut fixĂ©e au 14 dĂ©cembre 1988.

10.  Le 12 dĂ©cembre 1988, la DEI saisit derechef le tribunal de paix d'une demande tendant Ă  assigner l'OAED en intervention forcĂ©e. L'audience fut fixĂ©e au 7 fĂ©vrier 1989.

11.  Le 14 dĂ©cembre 1988, les dĂ©bats furent ajournĂ©s jusqu'au 7 fĂ©vrier 1989, afin que les deux instances soient jointes.

12.  Par un jugement (n° 749/1989) du 20 avril 1989, le tribunal de paix accueillit en partie la demande du requĂ©rant et ordonna Ă  la DEI de verser Ă  celui-ci la somme de 190 383 GRD ; il enjoignit en outre Ă  l'OAED de rembourser la DEI pour cette somme. 

B.  La procĂ©dure devant le tribunal de grande instance d'AthĂšnes

13.  Les 26 juin et 10 juillet 1989 respectivement, la DEI et l'OAED interjetĂšrent appel de ce jugement auprĂšs du tribunal de grande instance (Polymeles protodikeio) d'AthĂšnes. A la demande du requĂ©rant, l'audience fut fixĂ©e au 12 janvier 1990.

14.  A cette date, le tribunal de grande instance releva que la tenue des dĂ©bats avait Ă©tĂ© accĂ©lĂ©rĂ©e par le requĂ©rant lui-mĂȘme, lequel n'avait pas cependant citĂ© Ă  comparaĂźtre la DEI estimant que l'appel de l'OAED Ă©tait irrecevable dans la mesure oĂč il visait aussi la DEI. Il dĂ©cida alors, d'une part, de dĂ©clarer l'appel irrecevable dans la mesure oĂč celui-ci se dirigeait contre la DEI et, d'autre part, de reporter les dĂ©bats en ce qui concernait M. Papageorgiou, afin d'Ă©viter le risque de rendre deux dĂ©cisions contradictoires, (arrĂȘt n° 2371/1990).

15.  Le 3 avril 1990, le requĂ©rant, ayant assignĂ© Ă  la fois l'OAED et la DEI, demanda une nouvelle audience devant le tribunal de grande instance, qui eut lieu le 28 septembre 1990.

16.  Par un arrĂȘt (n° 9189/1990) du 30 novembre 1990, le tribunal de grande instance rĂ©duisit la somme accordĂ©e au requĂ©rant par le tribunal de paix Ă  117 213 GRD.

C. La procĂ©dure devant la Cour de cassation

17.  Le 13 mars 1991, la DEI se pourvut en cassation ; l'OAED intervint pour appuyer les prĂ©tentions de celle-ci. Dans l'un de ses moyens, la DEI contestait la compĂ©tence du tribunal de grande instance ; selon elle, la question de l'obligation de cotiser relĂšverait du contentieux des assurances et devrait donc ĂȘtre soumise aux juridictions administratives.

Toutefois, l'audience, fixĂ©e initialement au 29 septembre 1992, dut ĂȘtre ajournĂ©e en raison de la grĂšve des avocats du barreau d'AthĂšnes, qui dura jusqu'en avril 1993.

18.  Le 21 octobre 1992, le requĂ©rant demanda la tenue d'une nouvelle audience qui fut fixĂ©e au 19 octobre 1993.

19.  Le 23 novembre 1993, la Cour de cassation, se fondant sur les dispositions de l'article 26 de la loi n° 2020/1992 – adoptĂ© par le Parlement le 28 fĂ©vrier 1992 (paragraphe 25 ci-dessous) –, cassa l'arrĂȘt attaquĂ©, par les motifs suivants (arrĂȘt n° 1120/1993) :

« (...) 3. Il rĂ©sulte du principe de la sĂ©paration des pouvoirs (...) que le pouvoir lĂ©gislatif n'est pas empĂȘchĂ© de supprimer en se fondant sur de nouvelles rĂšgles de droit – par voie de prescription – des droits qui ont Ă©tĂ© acquis conformĂ©ment Ă  des rĂšgles juridiques en vigueur dans le passĂ©, mĂȘme si ces droits ont Ă©tĂ© reconnus par des dĂ©cisions judiciaires dĂ©finitives. Il en va, toutefois, autrement si la nouvelle rĂ©glementation n'a pas un caractĂšre gĂ©nĂ©ral et mĂ©connaĂźt par consĂ©quent le principe d'Ă©galitĂ© (article 4 § 1 de la Constitution) ou le droit de propriĂ©tĂ© (article 17 de la Constitution) ; dans ce cas, elle ne peut pas ĂȘtre appliquĂ©e par les tribunaux (...). En l'occurrence, aprĂšs le prononcĂ© de l'arrĂȘt attaquĂ© (30.11.1990) et l'introduction du pourvoi en cassation (14.3.1991), fut votĂ©e et adoptĂ©e la loi n° 2020 du 28 fĂ©vrier 1992 dont l'article 26 dispose (...). Ainsi qu'il ressort de l'arrĂȘt attaquĂ© (9189/1990), le tribunal de grande instance qui s'est prononcĂ© en appel, a reconnu que [le requĂ©rant] Ă©tait un employĂ© titulaire de la DEI, liĂ© Ă  celle-ci par un contrat de travail et rĂ©munĂ©rĂ© par un salaire mensuel ; entre le 8 octobre 1984 et le 31 dĂ©cembre 1987, les organes compĂ©tents de la DEI ont illĂ©galement prĂ©levĂ© (puisque l'assurance complĂ©mentaire des employĂ©s de la DEI est incompatible en ce qui concerne les branches d'assurance susmentionnĂ©es (...) ) sur ses revenus mensuels et au profit de l'OAED 1 % pour le chĂŽmage et 1 % pour le DLOEM, soit au total 117 213 drachmes qui furent versĂ©es Ă  l'OAED. [Le tribunal de grande instance] a adjugĂ© par la suite cette somme au [requĂ©rant]. Toutefois, aprĂšs l'entrĂ©e en vigueur de l'article 26 § 2 de la loi n° 2020/1992, qui n'est pas contraire aux dispositions des articles 4 et 17 de la Constitution, l'arrĂȘt attaquĂ© doit ĂȘtre cassĂ© et la procĂ©dure doit ĂȘtre dĂ©clarĂ©e abrogĂ©e. (...) Â»

20.  Il semblerait que cet arrĂȘt ne fut jamais notifiĂ© au requĂ©rant qui allĂšgue en avoir pris connaissance le 22 dĂ©cembre 1993.

II. Le droit interne pertinent

A. La Constitution

21.  Aux termes de l'article 74 § 5 de la Constitution,

« Un projet ou une proposition de loi contenant des dispositions sans rapport avec son objet principal n'est pas mis en discussion.

Aucune disposition additionnelle et aucun amendement n'est mis en discussion s'il est sans rapport avec l'objet principal du projet ou de la proposition de loi.

En cas de contestation, c'est Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s de trancher. Â»

B.  Le code de procĂ©dure civile

22.  Les dispositions pertinentes du code de procĂ©dure civile se lisent ainsi :

Article 108

« Les actes de procĂ©dure sont effectuĂ©s Ă  l'initiative et Ă  la diligence des parties, sauf si la loi en dispose autrement. Â»

Article 310

« 1. Les arrĂȘts sont notifiĂ©s Ă  la diligence des parties.

2. Lorsque les arrĂȘts ne sont pas dĂ©finitifs, la prĂ©sence pendant le prononcĂ© des parties ou de leurs reprĂ©sentants lĂ©gaux (...) ou de leurs avocats Ă©quivaut Ă  une notification. Â»

C. Les dispositions relatives aux cotisations de salariĂ©s au  profit de l'OAED

23.  L'article 18 § 4 de la loi n° 1346 des 13–14 avril 1983 est ainsi libellĂ© :

« Les salariĂ©s soumis aux dispositions du dĂ©cret lĂ©gislatif 3868/1958 (...) et qui perçoivent un salaire mensuel, n'ont pas droit aux allocations familiales susmentionnĂ©es, si et pour aussi longtemps qu'ils reçoivent de leur employeur – sur le fondement des dispositions de lois ou de conventions collectives, de dĂ©cisions arbitrales, rĂšglements d'entreprises ou d'autres dispositions (...) – des allocations pour enfants Ă  charge supĂ©rieures Ă  celles versĂ©es par l'OAED. (...) Â»

24.  Les cotisations Ă  l'OAED font l'objet de l'article 20 de la loi n° 1483/1984, aux termes duquel :

« 1. Les cotisations des employeurs et des travailleurs Ă  l'OAED (...) constituent un prĂ©lĂšvement social au profit des organismes susmentionnĂ©s qui exercent une politique sociale, et continuent Ă  ĂȘtre versĂ©es mĂȘme si les travailleurs bĂ©nĂ©ficiaires ont droit Ă  des allocations similaires de la part de leurs employeurs ou d'autres institutions.

2. Les cotisations mentionnĂ©es au paragraphe prĂ©cĂ©dent, qui ont Ă©tĂ© versĂ©es Ă  l'OAED (...), jusqu'Ă  la publication de la prĂ©sente loi, ne peuvent en aucun cas ĂȘtre revendiquĂ©es. Toute procĂ©dure Ă©ventuellement pendante devant les tribunaux afin de revendiquer ces cotisations est annulĂ©e.

(...) Â»

25.  Le 28 fĂ©vrier 1992, le Parlement adopta une loi (n° 2020/1992) intitulĂ©e « rĂ©glementation de l'impĂŽt spĂ©cial unique de consommation de produits pĂ©troliers et autres dispositions Â» et dont l'article 26 dispose :

« 1. Les cotisations des employeurs et des travailleurs aux branches d'assurance relevant de la compĂ©tence de l'OAED (...) sont considĂ©rĂ©es comme un prĂ©lĂšvement social au profit de ces organismes et sont versĂ©es mĂȘme si les assurĂ©s ont droit Ă  des allocations similaires de la part de leurs employeurs ou d'autres institutions.

2. Les cotisations mentionnĂ©es au paragraphe prĂ©cĂ©dent, qui ont Ă©tĂ© versĂ©es Ă  l'OAED (...), jusqu'Ă  la publication de la prĂ©sente loi, ne peuvent pas ĂȘtre revendiquĂ©es, toute prĂ©tention y relative est prescrite et toute procĂ©dure judiciaire pendante devant toute juridiction que ce soit afin de revendiquer ces cotisations est annulĂ©e.

(...) Â»

Le rapport explicatif Ă  cette disposition prĂ©cisait que celle-ci avait pour but de lever la contestation existante sur le point de savoir si les cotisations au profit de l'OAED (en particulier celles versĂ©es au titre des allocations pour enfants Ă  charge) constituaient un « prĂ©lĂšvement social Â», c'est-Ă -dire une cotisation qui s'imposait Ă  ceux qui en Ă©taient redevables mĂȘme au cas oĂč le risque couvert par l'assurance ne devait jamais se rĂ©aliser.

D. La jurisprudence de la Cour de cassation

26.  Par deux arrĂȘts des 30 juin 1988 (n° 1288/1988) et 17 dĂ©cembre 1990 (n° 1989/1990) – Ă  l'occasion des deux litiges opposant respectivement les Postes hellĂ©niques (« l'ELTA Â») et l'Organisme des chemins de fer de GrĂšce (« l'OSE Â») Ă  leurs salariĂ©s –, la Cour de cassation a clarifiĂ© le sens de l'article 20 de la loi n° 1483/1984 et notamment des termes « continuent Ă  ĂȘtre versĂ©es» qui figurent au paragraphe 1 de cet article. Par lĂ  mĂȘme, elle a confirmĂ© les dĂ©cisions des juridictions du fond qui condamnaient l'OSE et l'ELTA Ă  accorder Ă  certains de leurs salariĂ©s une indemnitĂ© pour avoir retenu une partie des salaires de ceux-ci au profit de l'OAED.

Plus particuliĂšrement, dans l'arrĂȘt du 30 juin 1988, la Cour de cassation s'exprima ainsi :

«  (...)

Il ressort des dispositions susmentionnĂ©es et compte tenu du fait que le personnel de l'ELTA bĂ©nĂ©ficie d'une retraite et d'une couverture mĂ©dicale par l’Etat (...), que l'assurance complĂ©mentaire de ce personnel Ă  l'OAED pour le chĂŽmage et pour l'attribution d'une allocation familiale n'est ni concevable ni voulue par le lĂ©gislateur (...). Avant l'adoption de la loi n° 1483/1984, et comme la formation plĂ©niĂšre de la Cour de cassation a jugĂ© dans son arrĂȘt n° 403/1981, les salariĂ©s de l'ELTA n'avaient pas l'obligation, par la loi, de cotiser Ă  l'OAED ; l'article 20 de la loi prĂ©citĂ©e, et ainsi qu'il en rĂ©sulte des termes « continuent Ă  ĂȘtre versĂ©es Â», n'impose pas une telle obligation aux travailleurs. Par consĂ©quent, cet article ne s'applique pas lorsqu'il n'existe pas d'obligation de cotiser, comme c'est le cas du personnel de l'ELTA (...) Â»

Dans l'arrĂȘt du 12 dĂ©cembre 1990, la Cour de cassation souligna qu'aucune obligation de cotiser n'a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e Ă  partir de l'entrĂ©e en vigueur de l'article 20 de la loi n° 1483/1984. En effet, ledit article prĂ©cisait que les cotisations continuaient Ă  ĂȘtre versĂ©es, ce qui signifiait que s'il n'y avait pas jusqu'alors de versement, la loi prĂ©citĂ©e n'introduisait pas une telle obligation.

PROCĂ©DURE DEVANT LA COMMISSION

27.  M. Papageorgiou a saisi la Commission le 24 mai 1994. Il soutenait que l'adoption et l'application Ă  son encontre de la loi n° 2020/1992, alors que les procĂ©dures judiciaires qu'il avait engagĂ©es Ă©taient encore pendantes, enfreignaient les articles 6 § 1, 13 et 14 de la Convention, ainsi que l'article 1 du Protocole n° 1.

28.  Le 24 octobre 1995, la Commission (premiĂšre chambre) a retenu la requĂȘte (n° 24628/94) quant aux articles 6 § 1, 13 et 14 de la Convention ; elle l'a dĂ©clarĂ©e irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 15 mai 1996 (article 31), elle conclut Ă  l'unanimitĂ© qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le caractĂšre Ă©quitable et la durĂ©e de la procĂ©dure et qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle des articles 6 § 1, combinĂ© avec l'article 14, et 13 de la Convention4.

CONCLUSIONS PRĂ©SENTĂ©ES Ă  LA COUR

29.  Dans son mĂ©moire, le Gouvernement invite la Cour « Ă  rejeter la requĂȘte de M. Christos Papageorgiou dans son ensemble Â».

30.  De son cĂŽtĂ©, le requĂ©rant prie la Cour de dĂ©clarer que la RĂ©publique hellĂ©nique a

« 1. transgressĂ© le principe de la prĂ©Ă©minence du droit ;

2. transgressĂ© l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le droit Ă  un procĂšs Ă©quitable et, plus particuliĂšrement, a) le droit Ă  ne pas ĂȘtre soustrait aux juges que la loi a assignĂ©s, b) la rĂšgle imposant l'Ă©galitĂ© des armes des justiciables devant la justice, c) le principe de l'impartialitĂ© fonctionnelle de la justice et d) l'obligation de motivation complĂšte et explicite des arrĂȘts ;

3. transgressĂ© l'article 6 § 1 en ce qui concerne le droit Ă  une protection judiciaire dans un dĂ©lai raisonnable (...) Â»

EN DROIT

I. SUR L'EXCEPTION PRĂ©LIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

31.  En premier lieu, le Gouvernement plaide, comme dĂ©jĂ  devant la Commission, l'irrecevabilitĂ© de la requĂȘte pour non-respect du dĂ©lai de six mois. La date de l'introduction d'une requĂȘte ne saurait produire aucun effet juridique tant que la Commission n'a pas vĂ©rifiĂ© le respect des exigences de l'article 44 de son rĂšglement intĂ©rieur, opĂ©ration nĂ©cessaire aux fins de l'enregistrement. Or la requĂȘte litigieuse fut enregistrĂ©e le 18 juillet 1994, donc plus de six mois aprĂšs l'arrĂȘt de la Cour de cassation du 23 novembre 1993 (paragraphe 19 ci-dessus).

A supposer mĂȘme – comme le fait la Commission – que le point d'arrivĂ©e dudit dĂ©lai se place dĂšs la date de l'introduction de la requĂȘte, Ă  savoir le 24 mai 1994, la condition posĂ©e par l'article 26 de la Convention ne serait pas non plus observĂ©e par le requĂ©rant en l'espĂšce : en fait, si celui-ci n'a pris connaissance de l'arrĂȘt de la Cour de cassation, comme il le prĂ©tend, que le 22 dĂ©cembre 1993, cela serait dĂ» Ă  sa propre nĂ©gligence car il lui incombait de s'informer, auprĂšs du greffe de la Cour de cassation, de la date du prononcĂ© de l'arrĂȘt.

32.  La Cour ne peut suivre le Gouvernement sur ce terrain. En effet, l'article 44 § 3 du rĂšglement intĂ©rieur de la Commission n'implique pas, comme prĂ©alable Ă  l'enregistrement de la requĂȘte, la preuve que le requĂ©rant remplit l'exigence du respect de six mois. La date de l'introduction de la requĂȘte est celle de la premiĂšre lettre du requĂ©rant Ă  condition que celui-ci indique de maniĂšre suffisante l'objet de sa requĂȘte. L'enregistrement, dont la date est celle Ă  laquelle le secrĂ©taire de la Commission reçoit le dossier complet relatif Ă  la requĂȘte, entraĂźne seulement une consĂ©quence pratique ; il dĂ©termine l'ordre dans lequel les requĂȘtes seront examinĂ©es par la Commission.

Quant Ă  la prĂ©tendue nĂ©gligence du requĂ©rant, la Cour considĂšre que l’on ne peut exiger du justiciable qu’il vienne s’informer jour aprĂšs jour de l’existence d’un arrĂȘt qui ne lui a jamais Ă©tĂ© notifiĂ©.

A l'instar de la Commission, elle estime donc qu'il Ă©chet de rejeter l'exception dont il s'agit.

II. SUR LA VIOLATION ALLĂ©guĂ©e DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

33.  Le requĂ©rant allĂšgue une double violation de l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellĂ© :

« Toute personne a droit Ă  ce que sa cause soit entendue Ă©quitablement (...) et dans un dĂ©lai raisonnable, par un tribunal (...) qui dĂ©cidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractĂšre civil (...) Â»

D'abord, l'adoption de l'article 26 de la loi n° 2020/1992 et son application dans son cas par la Cour de cassation l'aurait privĂ© d'un procĂšs Ă©quitable. Ensuite, la durĂ©e de la procĂ©dure qu'il avait engagĂ©e, afin d'obtenir le remboursement de la somme que son employeur, la DEI, avait retenu sur son salaire, aurait dĂ©passĂ© le « dĂ©lai raisonnable Â».

A. ProcĂšs Ă©quitable

34.  Le requĂ©rant dĂ©nonce une immixtion du pouvoir lĂ©gislatif dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire, en ce qui concerne tant la dĂ©termination de l'ordre des juridictions saisies que le fond mĂȘme du litige. En qualifiant, dans l'article 26, les cotisations versĂ©es Ă  l'OAED, de « prĂ©lĂšvement social Â», le pouvoir politique tentait de soustraire les litiges en cours et Ă  venir Ă  la compĂ©tence des juridictions civiles et de les soumettre Ă  celle des juridictions administratives ; il attribuait ainsi Ă  ces litiges un caractĂšre de droit public auquel il ajoutait un effet rĂ©troactif car le rapport explicatif prĂ©cisait que ledit article visait Ă  clarifier le sens de certains termes « mal compris Â» de la loi n° 1483/1984 (paragraphe 25 ci-dessus). En outre, par son arrĂȘt n° 1120/1993, la Cour de cassation, se fondant sur ce mĂȘme article, se bornait Ă  dĂ©clarer la procĂ©dure abrogĂ©e, sans motiver sa dĂ©cision et sans se soucier d'examiner la constitutionnalitĂ© des dispositions de celui-ci.

35.  La Commission estime aussi que l’Etat a mĂ©connu l'article 6 de la Convention, en ce qui concerne le caractĂšre Ă©quitable de la procĂ©dure, car il a « jugĂ© par voie lĂ©gislative une affaire Ă  laquelle il Ă©tait partie Â».

36.  Selon le Gouvernement, l'article 26 de la loi n° 2020/1992 n'a pas Ă©tĂ© adoptĂ© afin de rĂ©soudre le litige qui opposait le requĂ©rant Ă  la DEI devant les tribunaux. FormulĂ© en des termes objectifs et impersonnels, cet article rĂ©glemente toute affaire tombant sous le coup de celui-ci, et son application au cas du requĂ©rant serait accidentelle et fortuite. Le fait que les tribunaux ont appliquĂ© en l'espĂšce un texte qui ne favorisait pas M. Papageorgiou ne saurait passer pour contraire Ă  l'article 6 de la Convention, sans quoi on devrait conclure Ă  la violation de cet article chaque fois qu'une rĂ©forme lĂ©gislative modifie la situation lĂ©gale existante de façon Ă  avantager l'une des parties au procĂšs. Enfin, le Gouvernement souligne la nĂ©cessitĂ© d'adopter une disposition interprĂ©tative de l'article 20 de la loi n° 1483/1984 (paragraphe 24 ci-dessus), telle que l'article 26, afin de consolider en GrĂšce le dĂ©veloppement de l’Etat social : cet article tendrait Ă  octroyer une aide aux chĂŽmeurs et des allocations familiales Ă  ceux des salariĂ©s qui n'en recevaient pas d'une autre source.

37.  La Cour convient avec le Gouvernement qu'en principe le pouvoir lĂ©gislatif n'est pas empĂȘchĂ© de rĂ©glementer, par de nouvelles dispositions, des droits dĂ©coulant de lois antĂ©rieurement en vigueur.

Toutefois, dans l'affaire Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. GrĂšce (arrĂȘt du 9 dĂ©cembre 1994, sĂ©rie A n° 301-B), la Cour a jugĂ© que le principe de la prĂ©Ă©minence du droit et la notion de procĂšs Ă©quitable consacrĂ©s par l'article 6 s'opposaient Ă  l’ingĂ©rence du pouvoir lĂ©gislatif grec dans l'administration de la justice dans le but d'influer sur le dĂ©nouement judiciaire du litige. Elle a conclu que l’Etat avait portĂ© atteinte aux droits des requĂ©rants, garantis par l'article 6, en intervenant d'une maniĂšre dĂ©cisive pour orienter en sa faveur l'issue imminente de l'instance Ă  laquelle il Ă©tait partie (ibidem, p. 82, §§ 49–50)

38.  Or, en l'espĂšce, comme dans l'affaire susmentionnĂ©e, la Cour ne peut pas perdre de vue l'effet produit par le contenu de l'article 26 de la loi n° 2020/1992 combinĂ© avec la mĂ©thode et le moment de son adoption.

D'abord, si le premier paragraphe de l'article 26 clarifiait le sens de l'article 20 de la loi n° 1483/1984, le second dĂ©clarait prescrite toute prĂ©tention relative aux cotisations dĂ©jĂ  versĂ©es Ă  l'OAED et annulait toute procĂ©dure y affĂ©rente Ă©ventuellement pendante devant toute juridiction que ce soit (paragraphe 25 ci-dessus).

Ensuite, l'article 26 Ă©tait inclus dans une loi dont l'intitulĂ© (« rĂ©glementation de l'impĂŽt spĂ©cial unique de consommation de produits pĂ©troliers et autres dispositions Â») n'avait aucun rapport avec celui-ci, ce qui, et le requĂ©rant le souligne, est interdit par l'article 74 § 5 de la Constitution grecque (paragraphe 21 ci-dessus).

Enfin et surtout, l'article 26 fut adoptĂ© aprĂšs l'introduction du pourvoi formĂ© par la DEI, avec l'intervention de l'OAED, contre l'arrĂȘt du tribunal de grande instance d'AthĂšnes, statuant en appel, et avant la tenue de l'audience devant la Cour de cassation, fixĂ©e initialement au 29 septembre 1992 (paragraphe 17 ci-dessus) ; Ă  ce moment-lĂ  il Ă©tait certainement prĂ©visible que celle-ci suivrait sa jurisprudence rĂ©cente (paragraphe 26 ci-dessus) qui clarifiait dĂ©jĂ  le sens de l'article 20 de la loi n° 1483/1984 et qui Ă©tait favorable au requĂ©rant.

Dans les circonstances de l'espĂšce, l'adoption de l'article 26 Ă  un moment si crucial de la procĂ©dure devant la Cour de cassation rĂ©glait en rĂ©alitĂ© le fond du litige et rendait vaine la continuation de celle-ci.

39.  Quant Ă  l'argument du Gouvernement selon lequel il ne s'agissait pas d'un litige opposant M. Papageorgiou Ă  l’Etat, la DEI Ă©tant une personne morale de droit privĂ© et non de droit public, la Cour note que les sommes retenues par la DEI sur les salaires de ses employĂ©s Ă©taient versĂ©es Ă  l'OAED, organisme public de sĂ©curitĂ© sociale. Or, si la Cour de cassation donnait gain de cause Ă  l'intĂ©ressĂ©, c'est l’Etat grec qui serait tenu de le rembourser.

40.  Par consĂ©quent, il y a eu violation de l'article 6 § 1 en ce qui concerne le droit Ă  un procĂšs Ă©quitable.

B.  DurĂ©e de la procĂ©dure

41.  Reste Ă  savoir s'il y a eu dĂ©passement du « dĂ©lai raisonnable Â» comme le prĂ©tend le requĂ©rant.

42.  La Commission conclut qu’il y a eu violation, tandis que le Gouvernement conteste celle-ci.

1. PĂ©riode Ă  prendre en considĂ©ration

43.  La procĂ©dure litigieuse a dĂ©butĂ© le 23 dĂ©cembre 1987, avec la saisine par les cent-dix employĂ©s de la DEI – dont le requĂ©rant – du juge de paix d'AthĂšnes (paragraphe 6 ci-dessus), et s'est terminĂ©e le 23 novembre 1993, avec le prononcĂ© de l'arrĂȘt de la Cour de cassation (paragraphe 19 ci-dessus).

Elle a donc duré cinq ans et onze mois.

2. CaractĂšre raisonnable de la durĂ©e de la procĂ©dure

44.  Le caractĂšre raisonnable de la durĂ©e d'une procĂ©dure s'apprĂ©cie Ă  l'aide des critĂšres qui se dĂ©gagent de la jurisprudence de la Cour et suivant les circonstances de la cause.

45.  D'aprĂšs le Gouvernement, la durĂ©e de la procĂ©dure litigieuse est due, d'une part, au comportement des parties au procĂšs – et notamment Ă  celui du requĂ©rant – et, d'autre part, Ă  la grĂšve des avocats du barreau d'AthĂšnes, Ă©vĂ©nement qui Ă©chappe au contrĂŽle des tribunaux. Plus particuliĂšrement, il souligne le caractĂšre contradictoire de la procĂ©dure civile qu'a engagĂ©e le requĂ©rant et suivant laquelle l'assignation de la partie adverse, la fixation des audiences, la signification des arrĂȘts et le respect des dĂ©lais pour l'exercice des voies de recours relĂšvent de la responsabilitĂ© des parties au procĂšs ; il appartient donc Ă  celles-ci de veiller Ă  assurer un examen rapide de leur cause.

46.  La Cour rappelle que seules les lenteurs imputables Ă  l’Etat peuvent amener Ă  constater un dĂ©passement du dĂ©lai raisonnable (voir, parmi beaucoup d'autres, l'arrĂȘt Monnet c. France du 27 octobre 1993, sĂ©rie A n° 273-A, p. 12, § 30).

Elle note, en premier lieu, que la durĂ©e de la procĂ©dure devant le juge de paix d'AthĂšnes (seize mois) et devant le tribunal de grande instance d'AthĂšnes statuant en appel (dix-sept mois) n'est pas excessive. Certaines lenteurs Ă©taient dues soit Ă  des exigences de procĂ©dure, soit au comportement des parties. Plus particuliĂšrement, l'audience devant le juge de paix d'AthĂšnes fut reportĂ©e Ă  deux reprises (paragraphes 8 et 11 ci-dessus) pour les besoins de la jonction des causes, Ă  la suite de la demande de la DEI en intervention forcĂ©e de l'OAED ; elle fut aussi une fois annulĂ©e en raison de la non-comparution des avocats des parties (paragraphe 8 ci-dessus) ; enfin, le requĂ©rant attendit prĂšs de sept mois, du 16 mars au 26 octobre 1988, pour demander la fixation d'une nouvelle audience (paragraphe 9 ci-dessus). Quant aux dĂ©bats devant le tribunal de grande instance d'AthĂšnes, ils furent ajournĂ©s, le 12 janvier 1990, dans la mesure oĂč ils concernaient le requĂ©rant, car celui-ci avait omis de citer la DEI (paragraphe 14 ci-dessus).

En revanche, les audiences ont été à chaque fois fixées à des dates rapprochées et les jugements ont été rendus sans retard.

47.  Reste la procĂ©dure devant la Cour de cassation, qui s'Ă©tala du 20 fĂ©vrier 1991 jusqu'au 23 novembre 1993, soit deux ans et huit mois. Il s'agit assurĂ©ment d'une pĂ©riode assez longue.

La Cour relĂšve que l'audience, fixĂ©e Ă  l'origine au 29 septembre 1992, fut ajournĂ©e en raison de la grĂšve des avocats du barreau d'AthĂšnes, qui commença en septembre 1992 et se termina en avril 1993 (paragraphe 17 ci-dessus).

A n'en pas douter, pareil Ă©vĂ©nement Ă  lui seul ne saurait engager la responsabilitĂ© d'un Etat contractant au regard de l'exigence du dĂ©lai raisonnable ; toutefois, les efforts dĂ©ployĂ©s par celui-ci pour rĂ©sorber tout retard qui en serait rĂ©sultĂ© entrent en ligne de compte aux fins du contrĂŽle du respect de cette exigence.

48.  Le 21 octobre 1992, alors que la Cour de cassation n'Ă©tait raisonnablement pas en mesure de prĂ©voir la fin de la grĂšve – qui aurait pu ĂȘtre imminente –, elle fixa une nouvelle audience au 19 octobre 1993, c'est-Ă -dire douze mois plus tard et treize mois aprĂšs la date retenue initialement (paragraphe 18 ci-dessus).

La Cour n'ignore pas les complications qu'une grĂšve aussi persistante que celle de l'espĂšce risque de provoquer quant Ă  l'encombrement du rĂŽle d'une juridiction comme la Cour de cassation. Il n'en demeure pas moins qu'aux termes de l'article 6 § 1 les causes doivent ĂȘtre entendues « dans un dĂ©lai raisonnable Â».

Or un tel retard dans une affaire qui se trouvait pendante devant la Cour de cassation depuis le 13 mars 1991 se concilie mal avec l'efficacitĂ© et la crĂ©dibilitĂ© de la justice, exigĂ©es par la Convention (arrĂȘt H. c. France du 24 octobre 1989, sĂ©rie A n° 162-A, p. 23, § 58).

49.  La Cour conclut qu'il y a eu dĂ©passement du dĂ©lai raisonnable, donc violation de l'article 6 § 1 quant Ă  la durĂ©e de la procĂ©dure.

III. SUR LA VIOLATION ALLĂ©GUĂ©E DE  L'ARTICLE 6 § 1, COMBINĂ© AVEC L'ARTICLE 14, ET DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

50.  Le requĂ©rant se plaint aussi d'une violation de l'article  6 § 1, combinĂ© avec l'article 14, et de l'article 13 de la Convention. Les articles 13 et 14 sont ainsi libellĂ©s :

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertĂ©s reconnus dans la (
) Convention ont Ă©tĂ© violĂ©s, a droit Ă  l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors mĂȘme que la violation aurait Ă©tĂ© commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. Â»

Article 14

« La jouissance des droits et libertĂ©s reconnus dans la (
) Convention doit ĂȘtre assurĂ©e, sans distinction aucune, fondĂ©e notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance Ă  une minoritĂ© nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. Â»

Plus particuliĂšrement, il dĂ©nonce l'absence, en droit grec, d'un recours effectif pour contester l'adoption de la loi n° 2020/1992 et l'application de celle-ci Ă  son encontre, ainsi que le traitement discriminatoire dont il aurait fait l'objet.

51.  Eu Ă©gard aux constats figurant aux paragraphes 40 et 49 ci-dessus, la Cour estime qu'il ne s'impose pas de statuer sur les griefs en question.

IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 DE LA CONVENTION

52.  Aux termes de l'article 50 de la Convention,

« Si la dĂ©cision de la Cour dĂ©clare qu'une dĂ©cision prise ou une mesure ordonnĂ©e par une autoritĂ© judiciaire ou toute autre autoritĂ© d'une Partie Contractante se trouve entiĂšrement ou partiellement en opposition avec  des  obligations  dĂ©coulant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les consĂ©quences de cette dĂ©cision ou de cette mesure, la dĂ©cision de la Cour accorde, s'il y a lieu, Ă  la partie lĂ©sĂ©e une satisfaction Ă©quitable. Â»

A. PrĂ©judice

53.  Le requĂ©rant sollicite la rĂ©paration du dommage moral qu'il aurait subi, mais laisse Ă  la Cour le soin d'en dĂ©terminer le montant.

54.  D'aprĂšs le Gouvernement, le requĂ©rant aurait seulement droit au montant de 117 213 GRD qui correspond Ă  la somme que la DEI avait retenue sur son salaire.

55.  Selon le dĂ©lĂ©guĂ© de la Commission, la Cour devrait accorder Ă  l'intĂ©ressĂ© une somme raisonnable pour prĂ©judice moral, si elle constate notamment une violation du droit Ă  un procĂšs Ă©quitable.

56.  La Cour considĂšre qu'il y a lieu d'octroyer au requĂ©rant une rĂ©paration pour le dommage moral  rĂ©sultant de l’absence d'un procĂšs Ă©quitable : elle lui accorde 2 500 000 GRD de ce chef. Elle estime en revanche que le constat de la violation de l'article 6 Â§ 1 suffit Ă  rĂ©parer le tort moral Ă©ventuellement causĂ© par la durĂ©e de la procĂ©dure.

B.   Frais et dĂ©pens

57.  M. Papageorgiou rĂ©clame en outre le remboursement des frais qu'il a exposĂ©s devant les juridictions grecques, puis les organes de la Convention, tout en prĂ©cisant que ceux-ci ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© pris en charge par le syndicat de la DEI dont il Ă©tait le prĂ©sident.

58.  Le Gouvernement se dĂ©clare prĂȘt Ă  verser les frais et dĂ©pens engagĂ©s devant les juridictions grecques et les organes de Strasbourg, Ă  condition qu'ils s'avĂšrent nĂ©cessaires, rĂ©els et raisonnables.

59.  Selon le dĂ©lĂ©guĂ© de la Commission, le requĂ©rant sollicite Ă  juste titre les frais de la procĂ©dure devant les juridictions nationales. N'ayant pas bĂ©nĂ©ficiĂ© de l'assistance judiciaire devant la Commission et la Cour, il aurait en outre droit au remboursement des frais encourus devant celles-ci.

60.  Compte tenu de ce que M. Papageorgiou n'indique aucun montant, la Cour Ă©carte la demande relative Ă  ses frais et dĂ©pens.

C.  IntĂ©rĂȘts moratoires

61.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux lĂ©gal applicable en GrĂšce Ă  la date de l'adoption du prĂ©sent arrĂȘt Ă©tait de 6 % l'an.

PAR CES MOTIFS LA COUR, Ă  L'UNANIMITĂ©,

1. Rejette l'exception prĂ©liminaire du Gouvernement ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le droit Ă  un procĂšs Ă©quitable ;

3. Dit qu'il y a eu violation du mĂȘme article quant au droit Ă  un procĂšs dans un « dĂ©lai raisonnable Â» ;

4. Dit qu'il ne s'impose pas de statuer sur les griefs tirĂ©s de l'article 6 § 1, combinĂ© avec l'article 14, et de l'article 13 de la Convention ;

5. Dit

a) que l’Etat dĂ©fendeur doit verser, dans les trois mois, 2 500 000 (deux millions cinq cent mille) drachmes au requĂ©rant pour le dommage moral subi en raison du caractĂšre inĂ©quitable de la procĂ©dure ;

b) que ce montant est Ă  majorer d'un intĂ©rĂȘt simple de 6 % l'an Ă  compter de l'expiration dudit dĂ©lai et jusqu'au versement ;

6. Dit que le prĂ©sent arrĂȘt constitue par lui-mĂȘme une satisfaction Ă©quitable suffisante quant au dommage moral allĂ©guĂ© pour la durĂ©e de la procĂ©dure ;

7. Rejette la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 22 octobre 1997.

SignĂ© : Rudolf Bernardt

Président

SignĂ© : Herbert Petzold

Greffier

1.  RĂ©digĂ© par le greffe, il ne lie pas la Cour.

 

Notes du greffier

2.  L'affaire porte le n° 97/1996/716/913. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'annĂ©e d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requĂȘtes initiales (Ă  la Commission) correspondantes.

 

3.  Le rĂšglement A s'applique Ă  toutes les affaires dĂ©fĂ©rĂ©es Ă  la Cour avant l'entrĂ©e en vigueur du Protocole n° 9 (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liĂ©s par ledit Protocole. Il correspond au rĂšglement entrĂ© en vigueur le 1er janvier 1983 et amendĂ© Ă  plusieurs reprises depuis lors.

 

4.  Note du greffier : pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'Ă©dition imprimĂ©e (Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997), mais chacun peut se le procurer auprĂšs du greffe.