Corte europea dei diritti dell’uomo
(Prima Sezione)
22 giugno 2017
AFFAIRE BARTESAGHI GALLO ET
AUTRES c. ITALIE
(Requête nn.
12131/13 et
43390/13)
Cet arrêt deviendra définitif dans
les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme.
En l’affaire Bartesaghi
Gallo et autres c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (première
section), siégeant en une chambre composée de :
Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Kristina Pardalos,
Guido Raimondi,
Ledi
Bianku,
Aleš
Pejchal,
Armen
Harutyunyan,
Pauliine
Koskelo, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25
avril et le 30 mai 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière
date :
PROCÉDURE
1. À l’origine
de l’affaire se trouvent deux requêtes (no 12131/13 et no 43390/13)
dirigées contre la République italienne et dont quarante-deux ressortissants de
différentes nationalités (« les requérants »), dont les noms figurent
à l’annexe I, ont saisi la Cour respectivement le 3 janvier 2013 et le
30 mars 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les
requérants ont été représentés, dans la requête no 12131/13, par Me N. Paoletti,
avocat à Rome, et, dans la requête no 43390/13, par Mes V. Onida et B. Randazzo, avocats à
Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté
par son agente, Mme E. Spatafora. Informés
de leur droit d’intervenir dans la procédure, les gouvernements allemand,
britannique, espagnol, polonais, suédois, suisse et turc n’ont pas usé de leur
droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).
3. Le 10
novembre 2015, les griefs concernant les articles 3 et 13 de la Convention ont
été communiqués au Gouvernement et la requête no 43390/13 a été
déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3
du Règlement de la Cour.
EN
FAIT
I. LES
CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Les faits de
la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants et qu’ils ressortent
des documents pertinents dans les différentes affaires concernées par les faits
à l’origine du présent litige[1],
peuvent se résumer comme suit.
A. Le contexte
général
5. Les 19, 20 et
21 juillet 2001, la ville de Gênes accueillit le vingt-septième sommet des huit
pays les plus industrialisés (G8), sous la présidence du gouvernement italien. De
nombreuses organisations non gouvernementales, rassemblées sous la bannière du
groupe de coordination « Genoa Social Forum –
GSF » (« le GSF »), organisèrent un sommet
« altermondialiste » qui se déroula à la même période. Il a été
estimé que 200 000 personnes (selon le ministère de l’Intérieur) à
300 000 personnes (selon le GSF) participèrent à l’événement.
6. Un vaste
dispositif de sécurité fut mis en place par les autorités italiennes (arrêts Giuliani et Gaggio
c. Italie [GC], no 23458/02, § 12, CEDH
2011, et Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§ 11-12, 23-24, 7 avril 2015). Celles-ci
divisèrent la ville en trois zones concentriques : la « zone
rouge », de surveillance maximale, où le sommet devait se dérouler et où
les délégations devaient loger ; la « zone jaune », une zone
tampon où les manifestations étaient en principe interdites, sauf autorisation
du chef du bureau de la police (questore) ; et la « zone blanche », où les
principales manifestations étaient programmées.
7. Les autorités
attribuèrent une couleur à chaque groupe organisé, à chaque association, à
chaque syndicat et à chaque ONG, en fonction de sa dangerosité
potentielle : le « bloc rose », non dangereux ; le « bloc
jaune » et le « bloc bleu », considérés comme comprenant des
auteurs potentiels d’actes de vandalisme, de blocage de rues et de rails, et
également d’affrontements avec la police ; et enfin, le « bloc
noir », dont faisaient partie plusieurs groupes, anarchistes ou plus
généralement violents, ayant pour but de commettre des saccages systématiques.
8. La journée du
19 juillet se déroula dans une ambiance relativement calme, sans épisodes
particulièrement significatifs. Par contre, les journées des 20 et 21 juillet
furent marquées par des accrochages de plus en plus violents entre les forces
de police et certains manifestants appartenant essentiellement au « bloc
noir ». Au cours de ces incidents, plusieurs centaines de manifestants et
de membres des forces de l’ordre furent blessés ou intoxiqués par du gaz
lacrymogènes. Des quartiers entiers de la ville de Gênes furent dévastés (pour
une analyse plus détaillée, voir Giuliani et Gaggio, précité, §§ 12-30, et Cestaro, précité, §§ 9-17).
B. Les faits
ayant précédé l’irruption dans l’école Diaz-Pertini
9. Le 21
juillet, le chef de la police ordonna au préfet A., chef adjoint de la police
et chargé de l’ordre public pendant le sommet, de confier la responsabilité de
la perquisition de l’école Paul Klee
à F.G., chef du service central opérationnel de la police criminelle (« le
SCO » ; voir l’arrêt no 4252/08 du tribunal de Gênes,
rendu le 13 novembre 2008 et déposé le 11 février 2009, p. 190). À l’issue
de l’intervention, la police procéda à l’arrestation d’une vingtaine de
personnes. Celles-ci furent aussitôt remises en liberté sur ordre du parquet ou
du juge des investigations préliminaires.
10. Le même jour,
le préfet L.B. arriva à Gênes, sur ordre du chef de la police, afin de suivre
les opérations de police. Selon les déclarations du préfet A., confirmées par
le directeur central de la police criminelle A.M., les ordres du chef de la
police s’expliquaient par la volonté de changer de stratégie et de passer à une
approche plus « incisive », dans le but d’effacer l’image d’une
police inerte face aux épisodes de pillage et de dévastation. En ce sens, le
chef de la police donna l’instruction de former des unités spéciales (pattuglioni) –
placées sous la direction du SCO et de fonctionnaires des unités mobiles –,
chargées d’arrêter les membres du « bloc noir ».
11. Toujours le
même jour, en début de soirée, une de ces unités transita par la rue Cesare Battisti, devant les écoles Diaz-Pertini et Pascoli. Ces
deux écoles avaient été mises à la disposition du GSF par la municipalité
de Gênes : la première était utilisée comme lieu d’hébergement et point
d’accès internet, la deuxième abritait la salle de presse et le bureau du
service légal du GSF. Le passage de la patrouille, composée de quatre
véhicules, provoqua une intense réaction verbale de la part des personnes qui
se trouvaient devant les deux écoles. En outre, une bouteille vide fut lancée
en direction des véhicules de police (voir le jugement du tribunal de Gênes,
pp. 244-249, et l’arrêt de la Cour de cassation, p.122).
12. À la suite de
cet épisode, une réunion se tint à la préfecture en présence des plus hauts
fonctionnaires de police présents à Gênes. Après avoir pris contact avec le
membre du GSF en charge de la sécurité de l’école Diaz-Pertini, ils décidèrent
qu’il serait procédé à une perquisition (perquisizione ad iniziativa autonoma)
pour recueillir des éléments de preuve et, le cas échéant, arrêter les membres
du « bloc noir » responsables de dévastations et de saccages. Il fut
décidé de procéder à une première phase de « sécurisation » des lieux
par une unité composée majoritairement d’agents appartenant à une division
spécialisée dans les opérations antiémeutes et ayant suivi une formation ad hoc (le VII Nucleo antisommossa,
constitué au sein de l’unité mobile de Rome). La deuxième phase, correspondant
à la perquisition proprement dite, fut attribuée à une autre unité de la
police. Enfin, une unité de carabinieri fut chargée d’encercler le bâtiment afin
d’empêcher la fuite éventuelle des suspects. Le chef de la police fut informé
de l’opération (jugement du tribunal de Gênes, pp. 226 et 249-252, et
« Rapport
final de l’enquête parlementaire d’information sur les faits survenus lors du
G8 de Gênes », pp. 29-31). D’après l’arrêt de la
Cour de cassation, environ 500 agents furent mobilisés pour cette opération
(arrêt de la Cour de cassation, p. 204).
C. L’irruption
de la police dans l’école Diaz-Pertini
13. Vers minuit,
une fois arrivés à proximité des deux écoles, les membres du VII Nucleo antisommossa, munis de casques, de boucliers et de
matraques de type tonfa,
suivis par d’autres agents équipés à l’identique, commencèrent à avancer au pas
de course. Un journaliste britannique et un conseiller municipal, qui se
trouvaient à l’extérieur des deux écoles, furent frappés par des agents de
police (jugement du tribunal de Gênes, pp. 253-261).
14. Au même
moment, certains des occupants de l’école Diaz-Pertini qui se trouvaient à
l’extérieur regagnèrent alors le bâtiment et en fermèrent la grille et les
portes d’entrée, essayant de les bloquer avec des bancs et des planches en
bois. La grille fut rapidement forcée à l’aide d’un engin blindé, puis les
agents de police enfoncèrent les portes d’entrée (ibidem).
15. Les agents se
répartirent dans les étages du bâtiment, partiellement plongés dans le noir. La
plupart d’entre eux avaient le visage masqué par un foulard. Ils commencèrent à
frapper les occupants à coups de poing, de pied et de matraque, en criant et en
menaçant les victimes. Des groupes d’agents s’acharnèrent même sur certaines
personnes qui étaient assises ou allongées par terre. Certains des occupants,
réveillés par le bruit de l’assaut, furent frappés alors qu’ils se trouvaient
encore dans leur sac de couchage ; d’autres le furent alors qu’ils se
tenaient les bras levés en signe de capitulation ou qu’ils montraient leurs papiers
d’identité. Certains essayèrent de s’enfuir et de se cacher dans les toilettes
ou dans des débarras du bâtiment, mais ils furent rattrapés, battus, parfois
tirés hors de leurs cachettes par les cheveux (jugement de première instance,
pp. 263-280, et arrêt d’appel, pp. 205-212).
16. Les tribunaux
internes ont établi avec exactitude, au-delà de tout doute raisonnable, les
mauvais traitements dont avaient fait l’objet les personnes présentes à
l’intérieur de l’école Diaz-Pertini. Les témoignages des victimes ont été
confirmés par les dépositions des membres des forces de l’ordre et de
l’administration publique, les reconnaissances partielles des faits par les
accusés, les enregistrements audiovisuels ainsi que par les documents à disposition
des magistrats, notamment les rapports médicaux et les expertises judiciaires.
À partir de cette multitude d’informations, il est possible de décrire les
épisodes de violence dont les requérants firent l’objet :
1. Requête no 12131/13
17. Mme S.
Bartesaghi Gallo fut battue avec une matraque, à la
tête, aux jambes, à l’épaule gauche et au bras gauche. Le rapport médical
indiquait qu’elle présentait un traumatisme crânien avec lacération et une
contusion à la jambe droite.
18. Mme N.A.
Doherty fut rouée de coups de matraque. Le rapport médical faisait état d’un
traumatisme crânien, d’une fracture distale du radius droit, d’un hématome dans
la région fessière, ainsi que de contusions au visage et au bras droit. Il
constatait une incapacité totale de travail de quarante jours.
19. M. J.F.
Galloway fut battu à coups de matraque. Le rapport médical indiquait qu’il
présentait un traumatisme crânien, des contusions multiples, en particulier sur
la partie gauche du thorax, mais également dans la région rétroauriculaire
gauche, sur le dos et dans la région lombaire, et des excoriations au genou
gauche.
20. M. R.R. Moth reçut des coups de matraque et des coups de pied des
agents des forces de l’ordre qui lui causèrent des blessures au cuir chevelu et
à la jambe droite ainsi qu’un traumatisme crânien.
21. M. A. Nathrath subit des contusions au bras droit et à la hanche
droite.
22. Mme A.K.
Zeuner fut battue avec une matraque, ce qui lui causa
des excoriations aux lèvres et des contusions au bras droit.
23. Mme
T. Treiber essaya sans succès, lors de l’irruption de
la police, de s’enfuir par une fenêtre du deuxième étage en montant sur un
échafaudage. Lorsqu’elle fut rentrée dans l’école, les policiers l’obligèrent à
s’asseoir et la rouèrent de coups. Ils la conduisirent ensuite dans le gymnase
de l’école où elle vit de nombreux blessés. Un policier lui ordonna de se
mettre à genoux, de courber la tête et de se taire. Elle allègue souffrir de
séquelles psychologiques en raison de cet épisode et avoir dû entreprendre une
thérapie.
2. Requête no 43390/13
24. M. D.T.
Albrecht se trouvait au premier étage de l’école lorsque la police y fit
irruption. Il fut battu avec une matraque de type tonfa et reçut également des
coups de poing et de pied. Le rapport médical faisait état d’un traumatisme crânien
avec formation d’un hématome épidural, ainsi que de nombreuses blessures,
notamment dans la région pariétale et occipitale gauche, dans la région
coronarienne droite et au thorax. Conduit à l’hôpital San Martino de Gênes, il
subit une opération d’urgence en vue de l’aspiration de l’hématome
intracrânien. Placé en réanimation le dimanche 22 juillet, il fut surveillé par
des agents de police. Il quitta l’hôpital le 1er août.
25. Mme R.
Allueva Fortea fut battue
avec une matraque, et du mobilier fut jeté sur elle. Ces violences lui
causèrent un hématome à la cuisse gauche, une contusion à l’os pyramidal, ainsi
que des blessures à l’épaule gauche, au genou droit et au coude droit.
26. M. A.R. Balbas fut frappé à coups de matraque, à coups de pied et à
coups de poing. Une chaise fut également jetée sur lui. Le rapport médical
mentionnait plusieurs contusions, notamment au bras, à l’épaule, à la cuisse
gauche et à la cheville gauche, ainsi que dans la région dorsale.
27. M. M. Bertola fut roué de coups de matraque qui lui causèrent un
traumatisme crânien, des blessures au cuir chevelu et au front. Le rapport
médical mentionnait également l’existence d’une dorsalgie.
28. Mme
V. Bruschi fut battue avec une matraque dans le
gymnase de l’école, ce qui lui causa des contusions sur tout le corps.
29. M. M. Chmielewski fut battu avec une matraque de type tonfa et reçut
des coups de pied et des coups de poing. Selon le rapport médical, il
présentait un traumatisme crânien, une blessure au pavillon auriculaire gauche
et des contusions sur tout le corps.
30. M. B. Coelle reçut des coups de matraque sur tout le corps qui
lui causèrent une double fracture de la mandibule et du condyle gauches, ainsi
qu’une fracture de la pommette droite. Il fut hospitalisé du 22 au 30 juillet.
Le rapport médical constatait une incapacité totale de travail de quarante
jours et un affaiblissement permanent de l’organe de la mastication.
31. Mme
S. Digenti reçut des coups de matraque sur la tête et
sur le dos. Le rapport médical faisait état d’hématomes au cou, aux épaules,
dans la région dorsale, à la main droite, ainsi que d’excoriations à l’arcade
sourcilière gauche.
32. M. M. Gieser fut frappé à coups de pied et à coups de matraque
qui lui causèrent un traumatisme crânien et de multiples contusions sur tout le
corps, notamment dans la région occipitale.
33. Mme
Y.S. Gol fut rouée de coups de pied et de coups de
matraque à la tête, au dos et aux jambes. D’après le rapport médical, elle
présentait un traumatisme crânien et des contusions sur le côté droit du corps.
34. M. L. Guadagnucci Pancioli fut battu à
coups de matraque. Le rapport médical mentionnait qu’il souffrait d’une
fracture du scaphoïde ainsi que de nombreuses contusions et blessures.
35. M. J. Hermann
fut battu à coups de matraque et à coups de pied, ce qui lui causa un
traumatisme crânien, des blessures et des hématomes, en particulier dans la
région frontale, aux épaules et au thorax. Il souffrit d’une diminution
temporaire de l’ouïe.
36. Mme
L. Jaeger fut battue avec une matraque. Un agent de police l’obligea à
s’accroupir au sol puis lui marcha sur les mains. Le rapport médical
mentionnait la présence de contusions au bras droit et à l’épaule droite.
37. M. H. Kress fut battu à coups de matraque et à coups de pied. Le
rapport médical indiquait qu’il présentait un traumatisme crânien, une blessure
au nez et une à la lèvre supérieure, un traumatisme facial et des contusions
sur tout le corps.
38. Mme
A.J. Kutschkau fut violemment battue à coups de
matraque et à coups de pied. Le rapport médical faisait état d’un traumatisme
crânien, d’une fracture de l’os maxillaire, de la perte de deux dents, de la subluxation de deux autres, ainsi que d’un affaiblissement
permanent de l’organe de la mastication.
39. M. F.J. Madrazo Sanz fut roué de coups de matraque, ce qui lui
causa des contusions et des blessures aux jambes.
40. M. F.P. Marquello fut violemment battu avec une matraque, ce qui
lui causa une blessure au vertex, un traumatisme avec commotion cérébrale ainsi
que la fracture de deux côtes et d’un doigt.
41. M. N. Martensen fut battu à coups de matraque. Un agent de police
lui déversa le contenu d’un extincteur sur le corps. Le rapport médical
mentionnait la présence de contusions au visage, au menton, à l’épaule et à la
jambe droite, ainsi que l’existence d’un traumatisme crânien. Il constatait une
incapacité totale de travail de quarante jours.
42. Mme
A.F. Martinez fut rouée de coups de matraque et un agent de police jeta
volontairement un siège sur elle. Selon le rapport médical, elle présentait une
fracture de la main gauche, de nombreuses contusions et lésions sérieuses, qui
entraînèrent une incapacité totale de travail de quarante jours.
43. M. G.P. Massó fut battu avec une matraque, ce qui lui causa un
traumatisme crânien avec état de choc et une blessure au vertex.
44. M. C. Mirra fut battu avec une matraque, ce qui lui causa un
traumatisme crânien, des contusions et des blessures, notamment au cuir chevelu
et à l’arcade sourcilière droite.
45. M. D. Moret Fernandez subit la fracture d’un doigt de la main
gauche et du condyle du coude droit, ainsi qu’un traumatisme crânien et
plusieurs hématomes. Le rapport médical constatait une incapacité totale de
travail de quarante jours.
46. M. F.C. Nogueras Corral fut battu et une chaise et un banc en bois
furent jetés sur lui. Il subit un traumatisme crânien, de nombreux contusions
et hématomes et une fracture du péroné de la jambe droite. Le rapport médical
constatait une incapacité totale de travail de quarante jours.
47. Mme
K. Ottovay fut battue avec une matraque, ce qui lui
causa des contusions, une myalgie et une fracture du cubitus.
48. M. V. Perrone subit un traumatisme crânien et des contusions à
l’épaule gauche, au thorax et à la main droite.
49. M. R. Pollok fut battu sur tout le corps à coups de matraque, à
coups de poing et à coups de pied. Le rapport médical indiquait qu’il présentait
un traumatisme crânien, une fracture du cubitus droit, une contusion au thorax,
une blessure au cuir chevelu et une blessure à la jambe droite.
50. M. F. Primosig reçut plusieurs coups de matraque aux jambes et à
la tête. D’après le rapport médical, il présentait un traumatisme crânien, une
fracture au doigt et des blessures au cuir chevelu. Il fut hospitalisé du 22
juillet au 1er août 2001.
51. M. B.F.J. Samperiz reçut des coups de matraque qui lui causèrent des
contusions ainsi qu’une blessure au genou gauche.
52. M. S. Sibler fut battu avec une matraque. Il subit un traumatisme
crânien, ainsi que des blessures à la tête et au tibia droit.
53. M. J.L. Sicilia fut frappé à coups de matraque et à coups de pied,
ce qui lui causa un traumatisme crânien, un hématome sous-cutané, plusieurs
contusions et la fracture de deux côtes. Le rapport médical mentionnait une
incapacité totale de travail de quarante jours.
54. M. J. Szabo
s’échappa du périmètre de l’école à l’arrivée de la police pour se cacher dans
un terrain à proximité. Découvert par des agents qui ratissaient les environs, il
reçut des coups de matraque. Le rapport médical constatait la présence de
contusions à l’épaule gauche et au flanc droit, ainsi que d’excoriations dans
la région frontale.
55. Mme
D. Herrero Villamor reçut
deux coups de matraque qui lui causèrent la fracture du cubitus droit. Le
rapport médical faisait également état d’un traumatisme crânien.
56. Mme
G.G. Zapatero fut tabassée avec une matraque, ce qui lui causa une contusion à
l’épaule droite.
57. M. S. Zehatschek fut roué de coups de matraque. Le rapport
médical indiquait qu’il souffrait d’un traumatisme crânien et de contusions
multiples, notamment au thorax.
58. Mme
L. Zuhlke reçut plusieurs coups de matraque à la tête
et aux épaules. Tombée à terre, elle fut rouée de coups sur le dos et sur la
poitrine. Tirée par les cheveux et soulevée, elle reçut encore des coups à
l’entrejambe. Poussée contre un mur, elle fut frappée à la poitrine et au
ventre, puis traînée dans les escaliers où elle fut de nouveau frappée. Elle
fut hospitalisée du 22 au 31 juillet 2001. Selon le rapport médical, elle
présentait un traumatisme au thorax et à l’abdomen, des fractures à l’arc
costal avec pneumothorax et contusion pulmonaire, un traumatisme crânien et de
multiples contusions. Ce rapport faisait également état d’un affaiblissement
permanent du mouvement du bras et du cou, et d’un affaiblissement permanent de
la fonction respiratoire d’environ 30 %, et constatait une incapacité
totale de travail de quarante jours.
D. L’irruption
de la police dans l’école Pascoli
59. Quelque temps
après l’irruption dans l’école Diaz-Pertini, une unité d’agents pénétra dans
l’école Pascoli, qui hébergeait la salle de presse et le bureau des avocats.
Depuis les fenêtres des étages supérieurs, des journalistes filmaient les
événements en train de se dérouler dans l’école Diaz-Pertini et, simultanément,
une station de radio relatait tous ces événements en direct.
60. À l’arrivée
des agents de police, les journalistes furent forcés de mettre fin aux prises
de vue et à l’émission de radio. Les tribunaux internes ont établi que des
cassettes vidéo, contenant les reportages filmés pendant les trois jours du
sommet, avaient été saisies pendant l’opération. Il a également été prouvé que
les disques durs des ordinateurs des avocats du GSF ont été gravement
endommagés (voir, en particulier, le jugement du tribunal de Gênes,
pp. 300‑310).
E. Les
événements qui suivirent l’irruption dans les écoles Diaz-Pertini et Pascoli
61. Une fois
terminée la phase de perquisition de l’école Diaz-Pertini, les forces de
l’ordre réunirent les objets trouvés dans le gymnase, sans chercher à en identifier
les propriétaires ni à informer les personnes présentes de la nature de
l’opération en cours (jugement du tribunal de Gênes, pp. 285-300). La
police procéda à l’arrestation des 93 personnes qui occupaient l’école, pour
association de malfaiteurs visant au saccage et à la dévastation, résistance
aggravée aux forces de l’ordre et port abusif d’armes. Parmi ces personnes, 78
furent secourues par le personnel sanitaire arrivé sur place puis
hospitalisées, tandis que les autres furent transférées dans la caserne de Bolzaneto.
62. Dans la nuit
du 21 au 22 juillet, le chef du service de communication de la police
italienne, interviewé à proximité des écoles, déclara que la police venait de
trouver des vêtements et des cagoules noirs similaires à ceux utilisés par le
« bloc noir ». Il ajouta que les nombreuses taches de sang dans le
bâtiment s’expliquaient par les blessures subies par la plupart des occupants
de l’école Diaz-Pertini au cours de la journée (jugement de première instance,
pp. 170-172).
63. Le 22
juillet, à la préfecture de police de
Gênes, la police montra à la presse les objets saisis lors de la perquisition,
en particulier deux cocktails Molotov et une tenue d’agent de police qui
présentait une déchirure nette pouvant avoir été causée par un coup de couteau
(ibidem).
64. Les
poursuites engagées contre les occupants des chefs d’association de malfaiteurs
visant au saccage et à la dévastation, de résistance aggravée aux forces de
l’ordre et de port abusif d’armes ont abouti à l’acquittement des intéressés.
F. La procédure
pénale engagée contre des membres des forces de l’ordre pour l’irruption dans
les écoles Diaz-Pertini et Pascoli
65. Le parquet de
Gênes ouvrit une enquête en vue d’établir les éléments sur lesquels s’était
fondée la décision de faire irruption dans l’école Diaz‑Pertini,
et d’éclaircir les modalités d’exécution de l’opération, l’agression au couteau
qui aurait été perpétrée contre l’un des agents et la découverte des deux
cocktails Molotov, ainsi que les événements qui avaient eu lieu dans l’école
Pascoli.
66. En décembre
2004, après environ trois ans d’investigations, vingt-huit personnes parmi les
fonctionnaires, cadres et agents des forces de l’ordre furent renvoyées en
jugement. Par la suite, deux autres procédures concernant trois autres agents
furent jointes à la première.
67. Les
requérants se constituèrent parties civiles (au total, les parties civiles
furent au nombre de 119). La procédure pénale relative aux événements survenus
dans les écoles Diaz-Pertini et Pascoli requit l’examen d’un abondant matériel
audiovisuel, deux expertises et l’audition de plus de 300 personnes parmi les
accusés et les témoins (dont beaucoup de ressortissants étrangers).
1. Sur les événements de l’école
Diaz-Pertini
68. Les chefs
d’accusation retenus relativement aux événements de l’école Diaz-Pertini furent
les suivants : faux intellectuel, calomnie simple et aggravée, abus
d’autorité publique (notamment du fait de l’arrestation illégale des
occupants), lésions corporelles simples et aggravées ainsi que port abusif
d’armes de guerre.
a) Le jugement de première instance
69. Le 11 février
2009, par un jugement no 4252/08, le tribunal de Gênes condamna
douze des prévenus à des peines comprises entre deux et quatre ans
d’emprisonnement et, solidairement avec le ministère de l’Intérieur, au
paiement des frais et dépens et au versement de dommages-intérêts aux parties
civiles, auxquelles le tribunal accorda des provisions allant de 2 500 à
50 000 EUR. Un condamné bénéficia de la suspension conditionnelle de
sa peine et de la non-mention dans le casier judiciaire. Par ailleurs, en
application de la loi no 241 du 29 juillet 2006 établissant les
conditions à remplir pour l’octroi d’une remise générale des peines (indulto), dix des condamnés bénéficièrent d’une
remise totale de leur peine principale et l’un d’eux, condamné à quatre ans
d’emprisonnement, bénéficia d’une remise de peine de trois ans (pour une
analyse plus détaillée, voir Cestaro c.
Italie, précité, §§ 49‑58).
70. Dans les
motifs du jugement, le tribunal considéra que les forces de l’ordre pouvaient
croire, compte tenu des événements qui avaient précédé l’irruption (paragraphe 11 ci-dessus), que l’école Diaz-Pertini hébergeait aussi
des membres du « bloc noir ». Il estima cependant que les événements
litigieux constituaient une violation claire à la fois de la loi, « de la
dignité humaine et du respect de la personne » (di ogni principio
di umanità e di rispetto
delle persone). En outre, selon lui, les auteurs
matériels avaient agi avec la conviction que leurs supérieurs toléraient leurs
actes car certains fonctionnaires et cadres de la police, présents sur les
lieux dès le début des opérations, n’avaient pas immédiatement empêché la
poursuite des violences.
b) L’arrêt d’appel
71. Le 31 juillet
2010, la cour d’appel de Gênes, par son arrêt
no 1530/10, réforma partiellement le
jugement entrepris (voir Cestaro,
précité, §§ 59-74).
72. En
particulier, en raison de l’arrivée à échéance du délai de prescription, elle
prononça un non-lieu pour les délits de calomnie aggravée (quatorze accusés),
d’abus d’autorité publique du fait de l’arrestation illégale des occupants de
l’école Diaz-Pertini (douze accusés) et de lésions simples (neuf accusés).
73. Selon la cour
d’appel, plusieurs éléments démontraient que le but principal de toute
l’opération était de procéder à de nombreuses arrestations, même en l’absence
de finalité d’ordre judiciaire, l’essentiel étant que les forces de l’ordre
parviennent à restaurer auprès des médias l’image d’une police perçue comme impuissante.
Les plus hauts fonctionnaires des forces de l’ordre auraient donc rassemblé
autour du VII Nucleo
antisommossa une unité lourdement armée, équipée
de matraques de type tonfa
dont les coups pouvaient être mortels, et lui auraient donné pour unique consigne
de neutraliser les occupants de l’école Diaz-Pertini, en stigmatisant ceux-ci
comme étant de dangereux casseurs, auteurs des saccages des jours précédents.
Ainsi, d’après la cour d’appel, au moins tous les fonctionnaires en chef et les
cadres du VII Nucleo
antisommossa étaient coupables des lésions
infligées aux occupants. Quant aux responsables de la police de rangs plus
élevés, la cour d’appel précisa que la décision de ne pas demander leur renvoi
en jugement empêchait d’apprécier leur responsabilité au pénal.
74. Dans la
détermination des peines à infliger, la cour d’appel, s’appuyant notamment sur
les déclarations recueillies, souligna que les agents des forces de l’ordre
s’étaient transformés en « matraqueurs violents », indifférents à
toute vulnérabilité physique liée au sexe et à l’âge ainsi qu’à tout signe de
capitulation, même de la part de personnes que le bruit de l’assaut venait de
réveiller brusquement. Elle indiqua que, à cela, les agents avaient ajouté
injures et menaces. Ce faisant, ils auraient jeté sur l’Italie le discrédit de
l’opinion publique internationale. De surcroît, une fois les violences
perpétrées, les forces de l’ordre auraient avancé toute une série de
circonstances à la charge des occupants, inventées de toutes pièces.
c) L’arrêt de la Cour de cassation
75. Par un arrêt
no 38085 du 5 juillet 2012, déposé le 2 octobre 2012, la Cour de
cassation confirma pour l’essentiel l’arrêt entrepris, déclarant toutefois
prescrit le délit de lésions aggravées (pour une analyse plus détaillée, voir Cestaro, précité,
§§ 75-80).
76. Elle observa
que – comme les décisions de première et de deuxième instance l’auraient
constaté et comme, d’ailleurs, cela n’aurait jamais été contesté – « les
violences perpétrées par la police au cours de leur irruption dans l’école
Diaz-Pertini [avaient] été d’une gravité inhabituelle » et
« absolue ». Pareille gravité aurait tenu à ce que ces violences
généralisées, commises dans tous les locaux de l’école, s’étaient déchaînées
contre des personnes à l’évidence désarmées, endormies ou assises les mains en
l’air.
77. D’après la
Cour de cassation, ces violences pouvaient relever de la « torture » aux
termes de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants ou bien des « traitements
inhumains ou dégradants » et aux termes de l’article 3 de la Convention.
Toutefois, en
l’absence d’une infraction pénale ad hoc dans
l’ordre juridique italien, les violences en cause avaient été poursuivies au
titre des délits de lésions corporelles simples ou aggravées, lesquels, en
application de l’article 157 du code pénal, avaient fait l’objet d’un non-lieu
pour cause de prescription au cours de la procédure.
2. Sur les événements de l’école Pascoli
78. En ce qui
concerne l’école Pascoli, les chefs d’accusation retenus furent essentiellement les délits de perquisition arbitraire et de
dommages matériels.
79. Par le
jugement no 4252/08, le tribunal de Gênes considéra l’irruption des
forces de l’ordre dans l’école Pascoli comme étant la conséquence d’une erreur
dans l’identification du bâtiment à perquisitionner. Il établit en outre qu’il
n’y avait pas de preuves certaines permettant de conclure que les accusés
avaient effectivement commis dans l’école Pascoli les dégâts dénoncés.
80. Dans son
arrêt no
1530/10, la cour d’appel de Gênes estima, au contraire,
que l’irruption des forces de l’ordre avait été volontaire et qu’elle visait à
supprimer toute preuve filmée de l’irruption en train de se dérouler dans
l’école Diaz-Pertini. Selon la cour d’appel, la destruction des ordinateurs des
avocats avait été également volontaire. La cour d’appel prononça toutefois un
non-lieu à l’égard du fonctionnaire de police accusé de ladite destruction pour
cause de prescription des délits litigieux.
81. Par un arrêt
no 38085/12, la Cour de cassation confirma cette décision. Elle observa que la cour
d’appel avait pleinement motivé ses conclusions en considérant que la police
avait accompli, dans l’école Pascoli, une perquisition arbitraire ayant pour
but la recherche et la destruction de tout document concernant les événements
de l’école Diaz-Pertini.
G. L’enquête
parlementaire d’information
82. Le 2 août
2001, les présidents de la Chambre des députés et du Sénat décidèrent qu’une enquête
d’information (indagine conoscitiva)
sur les faits survenus lors du G8 de Gênes serait menée par les commissions des
Affaires constitutionnelles des deux chambres du Parlement. À cette fin, il fut
créé une commission composée de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs. Le
20 septembre 2001, la commission déposa un rapport contenant les
conclusions de sa majorité, intitulé « Rapport final de l’enquête
parlementaire d’information sur les faits survenus lors du G8 de Gênes ».
D’après ce rapport, la perquisition dans l’école Diaz-Pertini « appar[aissait] comme étant
peut-être l’exemple le plus significatif de carences organisationnelles et de
dysfonctionnements opérationnels ».
II. LE
DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
83. Pour
ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents dans les présentes
affaires ainsi que du droit international, la Cour renvoie à l’arrêt Cestaro
(précité, §§ 87-121).
84. Une
proposition de loi visant à sanctionner la torture et les mauvais traitements a
été votée par le Sénat de la République italienne le 5 mars 2014 puis présentée
à la Chambre des députés le 6 mars 2014. Cette dernière a modifié le texte le 9
avril 2015 et envoyé la nouvelle proposition de loi au Sénat le 13 avril 2015.
Ladite proposition est toujours en cours d’examen.
EN DROIT
I. SUR
LA JONCTION DES REQUÊTES
85. Compte tenu
de la similitude des présentes requêtes quant aux faits et aux questions de
fond qu’elles soulèvent, la Cour juge approprié de les joindre, en application
de l’article 42 de son règlement.
II. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
86. Tous les
requérants se plaignent d’avoir été soumis à des actes de violence qu’ils
qualifient de torture et de traitements inhumains et dégradants. Ils invoquent
l’article 3 de la Convention ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à
des (...) traitements inhumains ou dégradants. »
87. Les
requérants se plaignent également, sur le terrain des articles 3 et 13 de la
Convention, de l’absence d’une enquête effective. En particulier, ils dénoncent le défaut d’identification de la plupart
des agents auteurs de violences, et l’absence, dans le système pénal italien,
d’un délit punissant la torture et les traitements inhumains et dégradants.
88. Le
Gouvernement conteste cette thèse.
89. Eu égard à la formulation des griefs des
requérants, la Cour estime qu’il convient d’examiner la question de l’absence
d’une enquête effective uniquement sous l’angle du volet procédural de
l’article 3 de la Convention (Dembele c. Suisse, no 74010/11, § 33, 24 septembre 2013, et Cestaro, précité, § 129).
90. Enfin, les requérants de la requête no 43390/13
se plaignent en outre : de ne pas avoir reçu
d’informations sur les raisons de leur arrestation, le cas échéant en présence
d’un interprète (article 5 § 2 de la Convention) ; d’avoir subi
des humiliations contraires à la liberté de conscience, d’expression et de
réunion (articles 9, 10 et 11 de la Convention) ; d’avoir été victimes de
discrimination, l’irruption de la police n’étant selon eux qu’une réaction
contre les manifestants et leurs opinions politiques (article 14 de la
Convention combiné avec les articles 3, 9, 10 et 11).
91. Eu égard à la
formulation de ces griefs, la Cour estime qu’ils s’inscrivent dans un cadre
plus général de perpétration d’actes potentiellement contraires à l’article 3
de la Convention et décide de les examiner uniquement sous l’angle de cette
disposition.
A. Sur la
demande de radiation du rôle de la requête no 43390/13 en ce qui
concerne les requérants figurant sous les numéros 8-9, 13, 16, 20, 28-29, 32 et
33 dans la liste de l’annexe I
92. La Cour a
reçu des déclarations de règlement amiable, signées par les parties requérantes
le 27 juillet 2016 et par le Gouvernement le 9 septembre 2016. Ce dernier
s’engage à verser à chaque requérant la somme de 45 000 EUR
(quarante-cinq mille euros) à titre de préjudice matériel et moral et pour les
frais et dépens engagés tant devant la Cour que devant les juridictions
internes, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les intéressés,
lesquels ont renoncé à toute autre prétention à l’encontre de l’Italie au sujet
des faits à l’origine de leurs requêtes.
Cette somme sera versée dans les trois mois suivant
la date de la notification de la décision de la Cour. À défaut de règlement
dans ledit délai, le Gouvernement s’engage à verser, à compter de l’expiration
de celui-ci et jusqu’au règlement effectif de la somme en question, un intérêt
simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque
centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage. Ce versement
vaudra règlement définitif de l’affaire.
93. La Cour prend
acte du règlement amiable auquel les parties sont parvenues. Elle estime que ce
règlement s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent
la Convention et ses Protocoles et ne voit par ailleurs aucun motif justifiant
de poursuivre l’examen de la requête à l’égard des requérants concernés.
94. Partant, il
convient de rayer l’affaire du rôle en ce qui concerne les requérants
susmentionnés. La Cour continue l’examen de la requête no 43390/13
à l’égard des autres requérants.
B. Sur la demande
de radiation du rôle de la requête no 43390/13 en ce qui concerne
les requérants figurant sous les numéros 1, 6, 19 et 21 dans la liste de
l’annexe I
95. Les quatre
requérants informent la Cour de leur souhait de se
désister de la requête no 43390/13 en raison de la réparation reçue
de la part du ministère de l’Intérieur pour les dommages dont ils ont été
victimes.
96. La Cour estime qu’il convient de rayer l’affaire du rôle en
ce qui concerne les requérants susmentionnés, en application de l’article 37 §
1 a) de la Convention.
C. Sur les
requêtes no 12131/13 et no 43390/13 en ce qui
concerne les requérants figurant sous les numéros 2-5, 7, 10-12, 14-15, 17-18,
22‑27, 30-31, 34 et 35 dans la liste de l’annexe I
1. Sur la recevabilité
97. Le
Gouvernement excipe du caractère abusif de la requête no 12131/13,
les requérants concernés ayant déjà introduits deux autres requêtes,
actuellement pendantes devant la Cour (requêtes nos 28923/09 et
67599/10). Il invoque à ce titre l’article 35 §§ 2 b) et 3 a) de la Convention.
98. La Cour
observe d’abord que les deux requêtes mentionnées par le Gouvernement portent
sur des faits différents de ceux évoqués ici par les requérants. En
particulier, elles ont pour objet des allégations de mauvais traitements
infligés à l’intérieur de la caserne de Bolzaneto, à
Gênes. De surcroît, les événements sur lesquels portent ces requêtes sont
chronologiquement postérieurs aux faits litigieux des présentes affaires.
Dès lors, la Cour constate que la requête no 12131/13
n’est pas essentiellement la même que les requêtes nos 28923/09 et
67599/10 et qu’elle ne saurait être rejetée, en application de l’article 35 § 2
b) de la Convention. Ces mêmes
constats permettent de conclure au rejet de l’exception préliminaire tirée du
caractère abusif de la requête précitée.
99. Constatant
que ces requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35
§ 3 a) de la Convention et qu’elles ne se heurtent par ailleurs à aucun autre
motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.
2. Sur le fond
a) Thèses des parties
i. Les
requérants
100. Les requérants
allèguent qu’ils ont subi des mauvais traitements lors de l’irruption des
policiers à l’intérieur de l’école Diaz-Pertini, et qu’ils ont fait l’objet
d’une violence disproportionnée et non justifiée qu’ils qualifient de torture
ou de traitements inhumains et dégradants.
101. Les
requérants se plaignent également de l’issue de la procédure pénale, et ce pour
plusieurs raisons. En particulier, ils contestent le défaut d’identification de
la plupart des auteurs matériels des faits de violence et critiquent les
conséquences de l’absence du délit de torture dans le système pénal national et
surtout celles de l’application de la prescription aux infractions attribuées
aux inculpés, qui auraient empêché les autorités judiciaires de parvenir à la
reconnaissance expresse et substantielle de la violation de l’article 3 de
la Convention.
102. Ils
soutiennent en outre que, nonobstant l’arrêt Cestaro (précité), le législateur italien n’a pas encore adopté le projet
de loi visant à introduire dans l’ordre juridique national les dispositions
punissant ce type d’infractions.
ii. Le
Gouvernement
103. Le
Gouvernement assure qu’il ne sous-estime pas l’importance des faits qui se sont
déroulés dans l’école Diaz-Pertini, et admet que des actes très graves et
déplorables ont été commis par les agents de police au cours de l’opération
litigieuse.
104. Le Gouvernement
déclare que l’État italien reconnaît pleinement la commission des violations et
il indique adhérer au jugement des autorités judiciaires internes qui ont, à
ses yeux, très durement stigmatisé le comportement des agents de police.
105. S’agissant du
volet procédural de l’article 3 de la Convention, le Gouvernement soutient
avoir pleinement rempli son obligation positive. Il considère que l’enquête
officielle menée par les autorités judiciaires a été approfondie, indépendante
et impartiale.
106. Il estime que
ladite enquête a permis d’identifier et de condamner les responsables des actes
dénoncés. Il argue que l’absence, en tant que tel, d’un délit de torture n’a
pas empêché les juges de poursuivre et de punir efficacement les responsables
en appliquant les dispositions législatives en vigueur.
107. Il maintient
également qu’il n’est pas possible de donner une définition univoque du terme
« torture » et que, en tout état de cause, le code pénal italien
contient plusieurs normes punissant les délits contre la personne, y compris
les actes les plus graves.
108. En outre, il
indique qu’une proposition de loi visant à introduire le délit de torture dans
l’ordre juridique interne est actuellement en phase de discussion devant le
Sénat de la République, après avoir été modifiée par la Chambre des députés.
109. Quant aux mesures
prises à l’encontre des fonctionnaires, le Gouvernement informe la Cour, sans
plus de précisions, que tout le personnel impliqué a été soumis à des
procédures disciplinaires conduisant à une suspension de service pour des
périodes déterminées, combinées avec des sanctions pécuniaires proportionnées
au salaire individuel. Il ajoute que, dans certains cas, les agents de police
concernés ont été sanctionnés par la cessation de leurs fonctions ou par le
blocage de leur progression de carrière pour ancienneté.
110. Enfin, le
Gouvernement, sans donner plus de détails, attire l’attention de la Cour sur
les indemnités provisionnelles reçues par les requérants, dont le montant
varierait entre 10 000 et 30 000 EUR. Il ajoute que, dans certains
cas, les tribunaux nationaux auraient reconnu aux victimes des indemnités
provisionnelles s’élevant à 210 000 EUR, sans pour autant indiquer si les
requérants ont été concernés.
b) Appréciation de la Cour
i. Sur le
volet substantiel de l’article 3 de la Convention
α) Principes généraux
111. L’article 3
de la Convention consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés
démocratiques (voir, notamment, Selmouni
c. France [GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999‑V, Labita c. Italie
[GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000‑IV, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05,
§ 87, CEDH 2010, El-Masri c. l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC],
no 39630/09, § 195,
CEDH 2012, et Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09,
45886/07 et 32431/08, § 315, CEDH (extraits)) et un droit
absolu et inaliénable étroitement lié au respect de la dignité humaine (Aleksandr Novoselov c. Russie, no 33954/05, § 54, 28 novembre 2013, Bouyid c. Belgique [GC],
no 23380/09, § 81, CEDH 2015), qui ne prévoit pas de
restrictions et, d’après l’article 15 § 2, ne souffre nulle
dérogation (Gäfgen,
précité, § 87).
112. La Cour
renvoie aux principes généraux relatifs à la qualification juridique de mauvais
traitement (Irlande c. Royaume-Uni,
18 janvier 1978, § 162, série A no 25 et Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00,
§ 67, CEDH 2006‑IX ; pour les facteurs à considérer, voir,
parmi beaucoup d’autres, Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996,
§ 64, Recueil 1996‑VI, Egmez c. Chypre, no 30873/96,
§ 78, CEDH 2000‑XII, Krastanov
c. Bulgarie, no 50222/99, § 53, 30 septembre
2004, El Masri,
précité, § 196, et Al Nashiri c. Pologne, no 28761/11, § 508, 24
juillet 2014 ; pour le contexte, telle une atmosphère de vive
tension et à forte charge émotionnelle, voir, entre autres, Selmouni, précité, § 104, et Egmez, précité, § 78 ; pour l’usage de la
force physique de la part des forces de l’ordre, voir, parmi beaucoup d’autres,
Ribitsch c. Autriche, 4 décembre 1995,
§ 38, série A no 336, Mete et autres c. Turquie, no 294/08,
§ 106, 4 octobre 2011, El-Masri, précité, § 207, et Bouyid, § 101, précité). Plus précisément, en ce
qui concerne la qualification juridique de torture, la Cour renvoie aux
principes dégagés dans son arrêt Cestaro (précité,
§§ 171-176).
113. Quant à
l’appréciation des preuves, si la Cour a toujours souligné son devoir de se
livrer à un examen particulièrement approfondi en cas d’allégations sur le
terrain des articles 2 et 3 de la Convention (Matko
c. Slovénie, no 43393/98,
§ 100, 2 novembre 2006, et Vladimir
Romanov c. Russie, no 41461/02,
§ 59, 24 juillet 2008), elle a également affirmé que, soucieuse de
respecter la nature subsidiaire de son rôle, elle n’a pas pour tâche de
substituer sa propre vision des choses à celle des cours et tribunaux
nationaux, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies
par eux (Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993,
§ 29, série A no 269, Jasar c. l’ex‑République yougoslave de
Macédoine, no 69908/01, § 49, 15 février 2007, et
Eski c. Turquie, no 8354/04,
§ 28, 5 juin 2012). Même si les constatations
des tribunaux internes ne lient pas la Cour, il lui faut néanmoins d’habitude
des éléments convaincants pour pouvoir s’écarter des constatations auxquelles
ils sont parvenus (Gäfgen,
précité, § 93).
β) Application de ces
principes aux circonstances des présentes espèces
114. La Cour note
d’emblée que les tribunaux internes ont établi les faits de manière détaillée
et approfondie (paragraphes 69-77 ci-dessus), ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par
le Gouvernement. En particulier, les juges nationaux ont constaté ce qui
suit :
– la décision de procéder à l’irruption
à l’intérieur des écoles Diaz-Pertini et Pascoli a été prise par les hauts fonctionnaires
de police présents à Gênes (paragraphe 12 ci-dessus). Cette opération de perquisition (perquisizione ad iniziativa autonoma) visant à la recherche d’armes, bien que
pleinement légitime (paragraphe 70 ci-dessus), devait en même temps permettre des
arrestations « médiatisées » afin d’effacer l’image d’une police
inerte face aux très graves épisodes de dévastation et de pillage survenus les
20 et 21 juillet (paragraphe 73 ci-dessus) ;
– au cours de l’irruption dans l’école
Diaz-Pertini, les agents ont frappé la quasi-totalité des occupants à coups de
poing, à coups de pied et à coups de matraque, en proférant des insultes et des
menaces ;
– à l’issue de l’opération, les 93
occupants ont été arrêtés, 78 d’entre eux ont été hospitalisés en raison des
blessures subies (paragraphe 61 ci-dessus) ;
– les violences commises, multiples et
répétées, ont atteint un niveau de gravité absolue car commises dans tous les
locaux de l’école et à l’égard de personnes à l’évidence désarmées, endormies
ou assises les mains en l’air (paragraphe 76 ci-dessus) ;
– lesdites violences étaient
injustifiées et ont été exercées dans un but punitif et de représailles, visant
à provoquer l’humiliation et la souffrance physique et morale des victimes.
D’après la Cour de cassation, ces actes pouvaient relever de la
« torture » aux termes de la Convention contre la torture des Nations
unies et aux termes de l’article 3 de la Convention (paragraphe 77 ci-dessus).
115. En tenant
compte de ces éléments comme toile de fond, la Cour observe que la
planification de l’opération de police s’est bornée à prévoir de manière
générale la séquence des phases opérationnelles (« sécurisation » et
perquisition proprement dite) sans pour autant préciser en détail les modalités
d’engagement et d’utilisation éventuelle de la force (paragraphe 12 ci-dessus). Elle rappelle également que la tâche
d’intervenir en premier, afin de contrer toute hypothétique forme de résistance
et de violence de la part des occupants de l’école, a été attribuée au VII Nucleo antisommossa. En particulier, elle note que les agents
de cette unité sont arrivés sur les lieux au pas de course et en tenue
antiémeute, munis de casques, de boucliers et de matraques de type tonfa. La police a fait irruption dans
l’enceinte de l’école en enfonçant la grille d’entrée à l’aide d’un engin
blindé. Les portes d’entrée ont été rapidement forcées et, une fois à
l’intérieur, les agents ont fait un usage indiscriminé, systématique et disproportionné
de la force (paragraphe 15 ci-dessus).
116. La Cour
estime que ces éléments montrent les défaillances de la planification de
l’opération de police. Les forces de l’ordre ne se trouvaient pas face à une
situation d’urgence, à une menace immédiate empêchant de prévoir une
intervention adéquate, adaptée au contexte et proportionnée aux menaces
potentielles. La Cour considère que les hauts responsables avaient la
possibilité de planifier l’intervention de la police, d’analyser l’ensemble des
informations disponibles et de tenir compte de la situation de tension et de
stress à laquelle les agents de police avaient été soumis depuis quarante-huit
heures (voir, mutatis mutandis, Egmez, § 78, précité). La Cour souligne
en particulier le fait que, malgré la présence à Gênes de fonctionnaires expérimentés
faisant partie de la haute hiérarchie policière, aucune directive spécifique
sur l’utilisation de la force n’a été émise et qu’aucune consigne n’a été
donnée aux agents sur cet aspect décisif (voir, pour le même constat, Cestaro,
§ 182, précité).
117. En ce qui
concerne les actes de violence subis par les requérants, la Cour tient à
souligner que les agressions infligées à chaque individu l’ont été dans un
contexte général d’emploi excessif, indiscriminé et manifestement
disproportionnée de la force. En effet, les requérants ont été à la fois
victimes et témoins d’une utilisation incontrôlée de la violence par la police,
les agents passant à tabac de manière systématique chacun des occupants, y
compris ceux allongés par terre ou assis mains en l’air (paragraphe 15 ci-dessus). La Cour rappelle à cet égard que les
occupants de l’école n’ont commis aucun acte de violence ni de résistance à
l’encontre des forces de l’ordre.
118. S’agissant
des récits individuels, la Cour ne peut que constater la gravité des faits
décrits par les requérants et confirmés par les tribunaux nationaux. Chaque
requérant a été frappé de manière violente, la plupart a reçu des coups de
matraque, des coups de pied et des coups de poing et, dans certains cas, du
mobilier a été jeté sur eux. Les coups reçus ont provoqué des hématomes, des blessures
et, dans certains cas, des fractures sérieuses laissant des séquelles physiques
permanentes (paragraphes 17 à 58 ci-dessus).
119. Eu égard à
l’ensemble des éléments exposés ci-dessus, la Cour est convaincue que les actes
de violence commis à l’encontre des requérants ont provoqué des souffrances
physiques et psychologiques « aiguës », et qu’ils revêtaient un
caractère particulièrement grave et cruel (Cestaro, précité, §§ 177‑190).
120. Dès lors, la
Cour conclut que les traitements subis par les requérants à l’intérieur de
l’école Diaz-Pertini doivent être regardés comme des actes de torture. Partant,
il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet matériel.
ii. Sur le
volet procédural de l’article 3 de la Convention
121. La Cour
observe que la même procédure interne est à l’origine du constat de violation
du volet procédural de l’article 3 de la Convention dans l’affaire Cestaro (précité §§
204-236). Dès lors, elle ne voit pas de motif de s’écarter des conclusions
auxquelles elle est parvenue dans ladite affaire, y compris pour ce qui est de
l’insuffisance de l’ordre juridique italien concernant la répression de la
torture, et conclut à la violation de l’article 3 de la Convention sous son
volet procédural.
III. SUR
L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
122. Aux termes de
l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de
la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie
contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette
violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction
équitable. »
A. Dommage
123. Les
requérants de la requête no 12131/13 réclament chacun
150 000 EUR pour préjudice moral tandis que les requérants de la
requête no 43390/13 (notamment les requérants figurant sous les
numéros 2-5, 7, 10-12, 14-15, 17-18, 22-27, 30-31, 34-35 dans la liste de
l’annexe I) s’en remettent à l’appréciation de la Cour.
124. Le
Gouvernement conteste ces prétentions et invite la Cour à tenir compte des
sommes provisionnelles déjà versées aux requérants en tant que parties civiles
à la procédure pénale.
125. La Cour prend
note que, au niveau national, chaque requérant a obtenu le versement d’une
somme provisionnelle indemnisant partiellement le préjudice moral. C’est
pourquoi elle tiendra compte de ces provisions dans le calcul de la somme à
accorder aux termes de l’article 41 de la Convention (Cestaro, précité, § 251).
126. Au vu de la
gravité des circonstances des présentes espèces et eu égard à sa conclusion de violation
de l’article 3 de la Convention, tant sous son volet matériel que sous son
volet procédural, à laquelle elle est parvenue, la Cour considère qu’il y a
lieu d’accorder en équité à chaque requérant la somme de 45 000 EUR
(quarante-cinq mille euros) à titre de dommage moral, à l’exception de deux
requérantes, Mmes A.J.
Kutschkau et L. Zuhlke.
À ces dernières, en raison de la gravité des séquelles physiques dont elles ont
été victimes, la Cour décide d’accorder en équité à chacune la somme de
55 000 EUR (cinquante-cinq mille euros) à titre de dommage moral (Batı
et autres c. Turquie, nos 33097/96
et 57834/00, § 168, CEDH 2004‑IV (extraits).
B. Frais et
dépens
127. Les
requérants de la requête no 12131/13 n’ont formulé aucune demande
de remboursement des frais et dépens engagés pour la procédure devant la Cour.
La Cour estime dès lors qu’il n’y a pas lieu de leur accorder une somme à ce
titre.
128. En ce qui
concerne la requête no 43930/13, les requérants sollicitent
95 808,69 EUR en remboursement des frais et dépens engagés devant la
Cour. Ils produisent des notes d’honoraires des différents avocats les ayant
assistés. En particulier, ils distinguent les frais et dépens de Mes V. Onida et B. Randazzo, se
rapportant au travail de rédaction de la requête introduite pour tous les
requérants, de ceux relatifs au travail de collecte d’informations effectué par
les autres avocats ayant assisté un ou plusieurs requérants.
129. Le Gouvernement
ne conteste pas ces prétentions.
130. Selon la
jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses
frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur
nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999‑II).
131. Dans les
présentes causes, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence,
la Cour estime en principe raisonnable la somme demandée pour la procédure
devant elle. Elle constate cependant que certains des requérants ont accepté la
proposition de règlement amiable présentée par le Gouvernement défendeur
(paragraphe 94 ci-dessus). Le texte de la déclaration, formulée de
manière identique pour chaque requérant concerné, est ainsi libellé en sa
partie ici pertinente :
« Le Gouvernement a proposé au requérant la
somme de 45 000 EUR (quarante-cinq mille euros) à titre de préjudice
matériel et moral ainsi que pour les frais et dépens, plus tout montant pouvant
être dû à titre d’impôt par l’intéressé, lequel a renoncé à toute autre
prétention à l’encontre de l’Italie à propos des faits à l’origine de sa
requête. »
132. Dès lors, en
acceptant la proposition de règlement amiable, ces requérants ont renoncé à
toute prétention relative aux frais et dépens. Par conséquent, la Cour décide
qu’il y a lieu de déduire du montant global demandé la somme correspondante aux
requérants ayant accepté ladite proposition de règlement amiable. Cette somme
est obtenue en multipliant le prorata dû à chaque requérant par le nombre de
requérants concernés.
133. La même
solution s’impose en ce qui concerne les quatre requérants qui ont informé la
Cour de leur volonté de se désister de la requête no 43390/13
(paragraphe 96 ci-dessus).
134. En
conclusion, la Cour accorde aux requérants figurant sous les numéros 2-5, 7, 10-12,
14-15, 17-18, 22-27, 30-31, 34 et 35 dans la liste de l’annexe I, la somme
globale de 59 750 EUR (cinquante-neuf mille sept cent cinquante euros) en
remboursement des frais et dépens engagés devant elle (voir l’annexe II pour
les sommes accordées en détail aux requérants).
C. Intérêts
moratoires
135. La Cour juge
approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de
la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES
MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Décide de rayer la requête du rôle, en
ce qui concerne les requérants dans la requête no 43390/13 qui figurent
en annexe I sous les numéros 1, 6, 8, 9, 13, 16, 19-21, 28-29, 32 et 33 ;
3. Déclare les requêtes recevables à
l’égard des autres requérants ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article
3 de la Convention sous son volet matériel ;
5. Dit qu’il y a eu violation de l’article
3 de la Convention sous son volet procédural ;
6. Dit
a) que l’État défendeur doit verser aux
requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu
définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les
sommes suivantes, au taux applicable à la date du règlement :
i. 55 000 EUR (cinquante-cinq mille
euros) à Mmes A.J.
Kutschkau et L. Zuhlke,
plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 45 000 EUR (quarante-cinq mille
euros) aux requérants de la requête no 12131/13 et aux requérants de
la requête no 43390/13 figurant sous les numéros 2-5,
7, 10-12, 14, 17-18, 22-27, 30-31 et 34 dans la liste de l’annexe I,
plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
iii. 59 750 EUR (cinquante-neuf
mille sept cent cinquante euros), plus tout montant
pouvant être dû par les requérants de la requête no 43390/13,
figurant sous les numéros 2-5, 7,
10-12, 14-15, 17-18, 22‑27, 30-31, 34 et 35 dans la liste de l’annexe I,
à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit
délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple
à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de
pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction
équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 22 juin 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de
la Cour.
Abel Campos Linos-Alexandre Sicilianos
Greffier Président
AnnExe I
No |
Numéro
de la requête Date
d’introduction Griefs
soulevés |
Nom du requérant Date de naissance – Nationalité Lieu de résidence |
1. |
Numéro de requête : 12131/13 Introduite
le 03/01/2013 Art. 3 : torture et
traitements inhumains et dégradants ; Arts 3 et 13 :
absence d’une enquête effective. |
1. Sara BARTESAGHI
GALLO 07/05/1980 – Italienne Paris (France) 2. Nicola Anne
DOHERTY 24/07/1974
– Britannique Londres
(Royaume Uni) 3. Jan Farrel
GALLOWAY 21/03/1975
– Américaine Philadelphie
(États Unis) 4. Richard Robert MOTH 09/11/1968
– Britannique Londres
(Royaume Uni) 5. Achim NATHRATH 31/12/1969
– Allemande Munich
(Allemagne) 6. Theresa TREIBER 09/08/1967
– Allemande Munich
(Allemagne) 7. Anna Katharina ZEUNER 04/09/1978 – Allemande Berlin
(Allemagne) |
2. |
Numéro de requête: 43390/13 Introduite le 30/03/2013 Art. 3 : torture et
traitements inhumains et dégradants ; Art. 3 : défaut
d’identification des auteurs des vexations ; Arts 3 et 13 :
absence d’une enquête effective ; Art. 5 § 2 :
absence d’informations sur les raisons de l’arrestation ; Arts 9, 10 et 11 :
violation de la liberté d’avoir des convictions, de la liberté d’expression
et de la liberté de réunion ; Article
14 combiné avec les articles 3, 9, 10, 11 : victimes de violences en
raison de leurs opinions politiques. |
1. Daniel Thomas ALBRECHT 09/11/1979
– Allemande Berlin
(Allemagne) 2. Aitor Ruiz BALBAS 09/10/1970 – Espagnole Pamplona (Espagne) 3. Matteo BERTOLA 04/07/1977 – Italienne Lecco (Italie) 4. Valeria BRUSCHI 26/02/1975 – Italienne Berlin
(Allemagne) 5. Michal CHMIELEWSKI 25/10/1975
– Polonaise Dublin
(Irlande) 6. Benjamin COELLE 03/02/1980
– Allemande Stuttgart
(Allemagne) 7. Simona DIGENTI 09/03/1980 – Suisse Rumlang (Suisse) 8. Rosana ALLUEVA FORTEA 16/09/1980 – Espagnole Monreal Del Campo (Espagne) 9. Michael GIESER 12/11/1965
– Suédoise Mondorf-Les-Bains (Luxembourg) 10. Yasar Suna GOL 16/05/1965
– Turque Hoelstein (Suisse) 11. Lorenzo
GUADAGNUCCI PANCIOLI 03/12/1963 – Italienne Florence (Italie) 12. Jens HERMANN 13/10/1972
– Allemande Berlin
(Allemagne) 13. Laura JAEGER 15/02/1981
– Allemande Barcelona
(Espagne) 14. Holger KRESS 25/07/1979
– Vénézuélienne Teubingen (Allemagne) 15. Anna Julia KUTSCHKAU 23/06/1980
– Allemande Berlin
(Allemagne) 16. Francisco
Javier MADRAZO SANZ 03/12/1973 – Espagnole Saragosse (Espagne) 17. Felix Pablo
MARQUELLO 05/11/1965 – Espagnole Saragosse (Espagne) 18. Niels MARTENSEN 08/01/1977
– Allemagne Hambourg
(Allemagne) 19. Ana MARTINEZ FERRER 20/10/1975 – Espagnole Tarazona (Espagne) 20. Guillermo Paz MASSÓ 28/09/1976 – Espagnole Saragosse (Espagne) 21. Christian MIRRA 14/06/1977
– Italienne Santander
(Espagne) 22. David MORET FERNANDEZ 07/11/1971
– Espagnole Lleida (Espagne) 23. Francho Chavier NOGUERAS CORRAL 14/02/1965 – Espagnole Saragosse (Espagne) 24. Kathrin OTTOVAY 09/11/1978 – Allemande Berlin (Allemagne) 25. Vito PERRONE 20/12/1977 – Italienne Foggia (Italie) 26. Rafael POLLOK 03/01/1976
– Polonaise Bremenn (Allemagne) 27. Federico
PRIMOSIG 28/12/1978 – Italienne Rome (Italie) 28. Benito
Francisco Javier SAMPERIZ 14/05/1976 – Espagnole Saragosse (Allemagne) 29. Steffen SIBLER 31/01/1978
– Allemande Berlin
(Allemagne) 30. Jose Luis
SICILIA 17/11/1959 – Argentine Saragosse (Espagne) 31. Jonas SZABO 24/09/1980
– Allemande Berlin
(Allemagne) 32. Dolores HERRERO VILLAMOR 31/01/1937
– Espagnole Bremen (Allemagne) 33. Guillermina GARCIA ZAPATERO 09/03/1974 – Espagnole Madrid (Espagne) 34. Sebastian
ZEHATSCHEK 23/01/1981
– Allemande Neu-Ulm (Allemagne) 35. Lena ZUHLKE 14/02/1977
– Allemande Hambourg
(Allemagne) |
Annexe II
Avocats
représentants |
Requérants
représentés |
Montant
total à payer[2] |
Me V.
ONIDA Me B.
RANDAZZO |
Tous les requérants de la requête no
43390/13 |
12 100
EUR |
Mes A. GALASSO Me P.
PALMIERI Me L.
D’AMICO |
Lorenzo
GUADAGNUCCI PANCIOLI Vito
PERRONE |
5 830
EUR |
Me F. TADDEI |
Michal
CHMIELEWSKI Benjamin
COELLE Christian
MIRRA Rafael
POLLOK Steffen
SIBLER |
5 500 EUR |
Me C. NOVARO |
Laura
JAEGER |
0 EUR |
Me L. TARTARINI |
Daniel
Thomas ALBRECHT Jens
HERMANN Niels MARTENSEN Katrin OTTOVAY Jonas SZABO Guillermina GARCIA ZAPATERO |
10 150
EUR |
Me E. TAMBUSCIO |
Rosana ALLUEVA FORTEA Aitor Ruiz BALBAS Valeria BRUSCHI Simona DIGENTI Francisco
Javier MADRAZO SANZ Felix
Pablo MARQUELLO Guillermo
PAZ MASSÓ David
MORET FERNANDEZ Francho
Chavier NOGUERAS CORRAL Federico
PRIMOSIG Benito
Francisco Javier SAMPERIZ José
Luis SICILIA |
12 000
EUR |
Me M. PASTORE |
Michael
GIESER Yasar
Suna GOL |
2 530
EUR |
Me F. GUIGLIA |
Holger
KRESS Dolores
HERRERO VILLAMOR Sebastian
ZEHATSCHEK Lena
ZUHLKE |
7 610
EUR |
Me R. PASSEGGI |
Anna
Julia KUTSCHKAU |
1 500 EUR |
Me P.
ANTIMIANI Me A.
MARINI Me M. MAZZALI |
Matteo BERTOLA |
2 530
EUR |
1. Arrêt Giuliani et Gaggio
c. Italie [GC], no 23458/02, CEDH 2011 ; arrêt Cestaro c. Italie, no 6884/11,
7 avril 2015 ; voir également
« Rapport final de l’enquête parlementaire d’information
sur les faits survenus lors du G8 de Gênes » du 20 septembre
2001 ; jugement no 4252/08 du tribunal de Gênes, rendu le
13 novembre 2008 et déposé le 11 février 2009 ; arrêt no
1530/10 de la cour d’appel de Gênes, rendu le 18 mai 2010 et déposé le 31
juillet 2010, ; arrêt no 38085/12 de la Cour de
cassation, rendu le 5 juillet 2012 et déposé le 2 octobre 2012.
[2] Certains requérants ont accepté la proposition de règlement amiable ou se
sont désistés en renonçant à toute prétention relative aux frais et dépens
engagés (paragraphe 131 ci-dessus).