Corte europea dei diritti dell’uomo
(Grande Camera)
22 maggio 2012
AFFAIRE SCOPPOLA c. ITALIE (N° 3)
(Requête n. 126/05)
STRASBOURG
Cet arrêt est
définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Scoppola c. Italie (no 3),
Nicolas Bratza, président,
Jean-Paul Costa,
Josep Casadevall,
Nina Vajić,
Dean Spielmann,
Peer Lorenzen,
Karel Jungwiert,
Lech Garlicki,
David Thór Björgvinsson,
Ineta Ziemele,
Mark Villiger,
George Nicolaou,
Işıl Karakaş,
Mihai Poalelungi,
Guido Raimondi,
Vincent A. de Gaetano,
Helen Keller, juges,
et de Erik Fribergh, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du
conseil les 2 novembre 2011 et 28 mars 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
dernière date :
PROCÉDURE
1. A
l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 126/05)
dirigée contre
2. Devant
3. Dans
sa requête, le requérant alléguait que l’interdiction du droit de vote qui lui
avait été imposée consécutivement à sa condamnation au pénal portait atteinte à
l’article 3 du Protocole no 1.
4. La
requête a été attribuée à la deuxième section de
5. Le
18 janvier 2011, une chambre de la deuxième section, composée des juges
Françoise Tulkens, Ireneu Cabral Barreto, Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė, Dragoljub Popović, András Sajó, Nona
Tsotsoria, ainsi que de Stanley Naismith, greffier de section, a
rendu un arrêt dans lequel elle a conclu, à l’unanimité, qu’il y avait eu
violation de l’article 3 du Protocole no 1 à
6. Le
15 avril 2011, le Gouvernement a demandé le renvoi de l’affaire devant
7. La
composition de
8. Tant
le requérant que le Gouvernement ont déposé des mémoires sur le fond de
l’affaire.
9. Des observations ont également été reçues du
gouvernement du Royaume-Uni, qui avait exercé son droit d’intervenir (articles
36 § 2 de
10. Une
audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à
Ont comparu :
– pour
le gouvernement défendeur
Mme P. ACCARDO,
coagente ;
– pour
le requérant
Me N. PAOLETTI, conseil ;
Me C. SARTORI, conseil ;
– pour
le gouvernement du Royaume-Uni
M. D. WALTON, agent ;
Mme A. SORNARAJAH, agente ;
M. D. GRIEVE, QC, Attorney
General ;
M. J. EADIE, QC, conseil ;
Mme J. HALL, conseillère ;
Mme P. BAKER, conseillère.
EN FAIT
11. Le
requérant est né en 1940. Il est actuellement assigné
à résidence à l’hôpital de San Secondo – Fidenza (Parme).
A. La
procédure pénale diligentée à l’encontre du requérant
12. Le
2 septembre 1999, à l’issue d’une violente altercation familiale, le requérant
tua son épouse et blessa l’un de ses fils. Il fut arrêté le lendemain.
13. Au
terme de l’enquête, le parquet de Rome demanda le renvoi du requérant en
jugement pour meurtre, tentative de meurtre, mauvais traitements infligés aux
membres de sa famille et port d’arme prohibé.
14. Le
24 novembre 2000, à l’issue d’une procédure abrégée dont le requérant avait
demandé l’application, le juge de l’audience préliminaire (giudice
dell’udienza preliminare, ci-après « le GUP ») de
Rome le déclara coupable de tous les chefs d’accusation retenus contre lui et
constata qu’il devait être condamné à la réclusion à perpétuité. Cependant, en
raison de l’adoption de la procédure abrégée, il fixa
la peine à trente ans d’emprisonnement et prononça contre l’intéressé une
interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques en application de l’article
29 du code pénal (« le CP » – paragraphe 36 ci-dessous).
15. Le
juge releva que le requérant avait d’abord tenté d’étrangler sa femme avec le
câble du téléphone qu’elle avait utilisé pour appeler la police puis, alors
qu’elle fuyait de l’appartement avec ses enfants en courant dans les escaliers
de l’immeuble, il avait tiré plusieurs fois sur son épouse à courte distance,
ainsi que sur l’un de ses fils qui était remonté pour porter secours à sa mère
après l’avoir précédée.
16. Pour
fixer la peine, le GUP retint des circonstances aggravantes, relevant à ce
titre que le comportement délictueux du requérant avait visé des membres de sa
famille et qu’il avait été déclenché par un motif futile, à savoir la
conviction de l’intéressé que ses enfants étaient responsables de la panne de
son téléphone portable.
17. Le
GUP ne tint pas compte du fait que le casier judiciaire de l’intéressé était
vierge, élément invoqué par celui-ci à titre de circonstance atténuante. Il
releva que le comportement du requérant, qui niait une partie de faits et
tendait à en attribuer la responsabilité aux membres de sa
famille, à qui il reprochait de s’être rebellés contre son autorité, était de
nature à exclure toute volonté de repentir.
18. Il
constata enfin que, d’après les témoignages recueillis, le requérant s’était
rendu responsable d’autres épisodes de violence – injures, coups, menaces avec
armes – à l’encontre de son épouse et de ses enfants
au cours des vingt années précédentes.
19. Les
recours respectivement formés par le parquet général et le requérant contre ce
jugement furent portés devant la cour d’assises d’appel de Rome qui, par un
arrêt du 10 janvier 2002, condamna l’intéressé à la réclusion à perpétuité. La
cour d’assises confirma les conclusions du GUP quant aux circonstances tant
aggravantes qu’atténuantes à prendre en compte dans l’affaire.
20. Par
un arrêt déposé au greffe le 20 janvier 2003,
21. En
application de l’article 29 du CP, la condamnation du requérant à perpétuité
fut assortie d’une peine accessoire d’interdiction définitive d’exercer des
fonctions publiques, en conséquence de quoi l’intéressé fut privé
définitivement de son droit de vote, conformément à l’article 2 du décret du
Président de
22. Les
arrêts concluant à la condamnation du requérant ne mentionnèrent pas que
celui-ci avait été privé de son droit de vote.
B. La
procédure introduite par le requérant en vue de recouvrer son droit de vote
23. Le
2 avril 2003, la commission électorale compétente raya le nom du requérant des
listes électorales, en application de l’article 32 du D.P.R. no 223/1967
(paragraphe 35 ci-dessous).
24. Le
30 juin 2004, l’intéressé introduisit un recours devant la commission
électorale. S’appuyant, entre autres, sur l’arrêt Hirst
c. Royaume-Uni (no 2) (no74025/01, 30
mars 2004), il alléguait que la privation de son droit
de vote était incompatible avec l’article 3 du Protocole no 1.
25. Débouté
de son recours, le requérant saisit la cour d’appel de Rome le 16 juillet 2004,
soutenant que la radiation de son nom des listes électorales qui découlait de
plein droit de sa condamnation à la réclusion à perpétuité et de l’interdiction
définitive d’exercer des fonctions publiques emportait violation de son droit
de vote tel que garanti par l’article 3 du Protocole no 1.
26. Par
un arrêt déposé le 29 novembre 2004, la cour d’appel débouta l’intéressé. Elle
souligna que, en droit italien, la mesure litigieuse n’était appliquée que pour
les délits les plus graves passibles des sanctions les plus lourdes, notamment
la réclusion à perpétuité, tandis que la privation du droit de vote en cause
dans l’affaire Hirst no 2 (précitée) était
applicable à toute personne condamnée à une peine de réclusion et n’impliquait
pas une mise en balance des intérêts concurrents et de la proportionnalité de
l’interdiction. Elle en conclut que l’automaticité de
l’application de l’interdiction incriminée à toute peine de réclusion faisait
défaut dans l’affaire concernant le requérant.
27. Le
requérant se pourvut en cassation, alléguant notamment que la privation du
droit de vote était une conséquence de la peine accessoire d’interdiction
d’exercer des fonctions publiques, qui découlait elle-même de la peine
principale infligée. Selon lui, la privation litigieuse était donc sans rapport
avec le délit commis et l’application de cette mesure
échappait totalement au pouvoir d’appréciation de l’autorité judiciaire.
28. Par
un arrêt déposé le 17 janvier 2006,
C. La
réduction de la peine du requérant consécutive à l’arrêt Scoppola c. Italie (no 2)
29. Le
24 mars 2003, le requérant introduisit une requête devant
30. Par
un arrêt du 17 septembre 2009,
31. Sur
le terrain de l’article 46 de
32. Donnant
suite à cette décision par un arrêt déposé au greffe le 28 avril 2010,
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. L’interdiction
du droit de vote
33. En
droit italien, l’interdiction d’exercer des fonctions publiques (article 28 du
CP), qui emporte déchéance du droit de vote (D.P.R. no 223/1967),
est une peine accessoire qui accompagne les peines – quelle qu’en soit la durée
– infligées pour certaines infractions bien précises, telles que le péculat, la
malversation, la concussion et l’agiotage (délits punis par les articles 314,
316 bis, 317 et 501 du CP respectivement), pour des atteintes à
l’administration de la justice – telles que le faux serment d’une partie, la
fausse expertise, la fausse traduction, l’entrave à la justice et l’assistance
déloyale (délits punis par les articles 371, 373, 377 et 380 du CP
respectivement), et pour des infractions liées à un abus ou à un détournement
de pouvoirs de puissance publique (article 31 du CP).
34. En
outre, toute condamnation pour une infraction punie d’une peine privative de
liberté est assortie de l’interdiction d’exercer des
fonctions publiques. Celle-ci est temporaire lorsque
la peine infligée est d’une durée non inférieure à trois ans, ou définitive
lorsque la peine est d’une durée non inférieure à cinq ans ainsi qu’en cas de
condamnation à la réclusion à perpétuité. Les dispositions
pertinentes du droit interne sont exposées ci-après.
35. Les
passages pertinents du D.P.R. no 223/1967 (portant approbation
du texte unique des lois pour l’organisation de l’électorat actif et pour la
tenue et la révision des listes électorales) se lisent comme suit :
Article 2
« 1. Ne
peuvent voter :
(...)
d) les personnes condamnées à une peine emportant interdiction
définitive d’exercer des fonctions publiques (...).
e) les personnes frappées par une interdiction temporaire
d’exercer des fonctions publiques, pour la durée de celle-ci.
2. Les jugements
au pénal n’emportent perte du droit électoral qu’à partir du moment où ils ont acquis force de chose jugée. »
Article 32
« 1. Aucune
modification ne peut être apportée aux listes électorales (...) sauf dans le
cas [suivants] :
(...).
3) perte du droit électoral en vertu d’un jugement ou d’autres
mesures émanant d’une autorité judiciaire.
(...).
7) Les
décisions de modification des listes électorales sont susceptibles de recours
devant la commission électorale compétente dans un
délai de dix jours. La
commission statue dans un délai de quinze jours (...). »
Article 42
« Les
décisions de la commission électorale (...) sont susceptibles de recours devant
la cour d’appel compétente. »
36. Les
dispositions pertinentes du CP sont ainsi
libellées :
Article 28
(Interdiction
d’exercer des fonctions publiques)
« L’interdiction
d’exercer des fonctions publiques est définitive ou temporaire.
A moins que la
loi n’en dispose autrement, l’interdiction définitive d’exercer des fonctions
publiques entraîne la déchéance, pour la personne condamnée :
1) du droit de vote et d’éligibilité dans tout groupe électoral
(comizio elettorale) ainsi que de tout autre droit politique.
(...). »
Article 29
(Cas dans lesquels une condamnation emporte interdiction
d’exercer des fonctions publiques)
« La
condamnation à une peine de réclusion à perpétuité et la condamnation à une
peine de réclusion d’une durée non inférieure à cinq ans emportent, pour la
personne condamnée, interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques ; la condamnation à une peine de réclusion
d’une durée non inférieure à trois ans emporte interdiction d’exercer des
fonctions publiques pour une durée de cinq ans (...). »
B. Dispositions
applicables à la fixation de la peine
37. Les
articles 132 et 133 du CP contiennent des dispositions
visant à guider le juge du fond dans l’exercice de son pouvoir de fixation de
la peine. Ils se lisent comme suit :
Article 132
(Pouvoir
discrétionnaire du juge dans la fixation de la peine: limites)
« Dans les limites fixées par la loi, le juge fixe la peine de
façon discrétionnaire. Il doit indiquer les motifs
propres à justifier l’usage dudit pouvoir discrétionnaire.
Il peut
augmenter ou réduire la peine établie par la loi sans toutefois pouvoir excéder
les limites établies par elle pour chaque catégorie de peine, sauf dans les cas
expressément prévus par la loi. »
Article 133
(Gravité de l’infraction : évaluation des effets de la peine)
« Dans
l’exercice du pouvoir discrétionnaire mentionné à l’article précédent, le juge
doit tenir compte de la gravité de l’infraction selon :
1) la nature, le type, les moyens, l’objet, le temps, le lieu
et toute autre modalité de l’acte délictueux ;
2) la gravité du préjudice ou du danger causé à la victime de
l’infraction ;
3) l’intensité de l’élément intentionnel
ou le degré de culpabilité.
Le juge doit également tenir compte de
l’aptitude à commettre un crime (capacità a delinquere) de l’auteur de
l’infraction eu égard :
1) aux mobiles de l’infraction (motivi
a delinquere) et à l’intention de l’auteur de celle-ci (reo) ;
2) aux antécédents pénaux et judiciaires
et, en général, à la conduite et à la vie de l’auteur
de l’infraction avant la commission de celle-ci ;
3) à la conduite de l’auteur de
l’infraction pendant et après la commission de celle-ci;
4) aux conditions de vie personnelle,
familiale et sociale de l’auteur de l’infraction. »
C. La
réhabilitation du condamné
38. Les
articles 178 et 179 du CP contiennent des dispositions en matière de
réhabilitation de la personne condamnée. Leurs passages pertinents se lisent
comme suit :
Article 178
(La réhabilitation)
« La réhabilitation met fin aux
peines accessoires et à tout autre effet pénal de la condamnation, sauf si la loi en dispose autrement. »
Article 179
(Conditions de la réhabilitation)
« La réhabilitation peut être
accordée trois ans après le jour où la peine principale a été exécutée ou s’est
autrement éteinte et lorsque la personne qui a été condamnée a fait preuve
d’une bonne conduite effective et constante. (...). »
D. La
loi no 354 de 1975
39. La
loi no 354 du 26 juillet 1975 prévoit, entre autres, la
possibilité d’une libération anticipée des condamnés. Dans ses parties
pertinentes, son article 54 § 1 se lit comme suit :
« En vue
d’une meilleure réinsertion dans la société, la personne condamnée à une peine
de réclusion ayant fait preuve de participation au projet de réadaptation peut
bénéficier d’une réduction de peine de quarante-cinq jours pour chaque semestre
de peine purgée (...). »
III. DOCUMENTS
INTERNATIONAUX ET EUROPÉENS PERTINENTS
A. Le
Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (adopté par l’Assemblée Générale des Nations unies le 16 décembre
1966)
40. Les
dispositions pertinentes du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques sont ainsi libellées :
Article 10
« 1. Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de
la dignité inhérente à la personne humaine.
(...)
3. Le
régime pénitentiaire comporte un traitement des
condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement
social. (...). »
Article 25
« Tout
citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à
l’article 2 [race, couleur, sexe, langue, religion, opinion politique ou autre,
origine nationale ou sociale, fortune, naissance ou toute autre situation] et
sans restrictions déraisonnables :
a) de prendre part à la direction des affaires publiques, soit
directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ;
b) de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques,
honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant
l’expression libre de la volonté des électeurs;
c) d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux
fonctions publiques de son pays. »
B. Comité
des droits de l’homme des Nations unies
41. Dans
son observation générale no 25 (1996) sur l’article 25 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, le comité s’est exprimé ainsi :
« 14. Dans
leurs rapports, les Etats parties devraient préciser
les motifs de privation du droit de vote et les expliquer. Ces motifs devraient
être objectifs et raisonnables. Si le fait d’avoir été
condamné pour une infraction est un motif de privation
du droit de vote, la période pendant laquelle l’interdiction s’applique devrait
être en rapport avec l’infraction et la sentence. Les personnes
privées de leur liberté qui n’ont pas été condamnées ne devraient pas être
déchues du droit de vote. »
42. Dans
l’affaire Yevdokimov et Rezanov c. Fédération de Russie (communication
no 1410/2005, du 21 mars 2011), le comité, se référant à l’arrêt
rendu par
« (...)
l’Etat partie, dont la législation prévoit que toute personne condamnée à une
peine d’emprisonnement est automatiquement privée du
droit de vote, n’a avancé aucun argument montrant qu’en l’espèce les
restrictions présentaient le caractère raisonnable qu’exige le Pacte. Compte
tenu des faits de l’espèce, le Comité conclut qu’il y a eu violation de
l’article 25 et du paragraphe 3 de l’article 2 du
Pacte (...) ».
C. Convention
américaine relative aux droits de l’homme du 22 novembre 1969
43. L’article
23 de
« 1.
Tous les citoyens doivent jouir des droits et facultés ci-après énumérés :
a. de
participer à la direction des affaires publiques, directement ou par
l’intermédiaire de représentants librement élus;
b. d’élire
et d’être élus dans le cadre de consultations périodiques authentiques, tenues
au suffrage universel et égal, et par scrutin secret garantissant la libre
expression de la volonté des électeurs, et
c. d’accéder,
à égalité de conditions générales, aux fonctions publiques de leur pays.
2. La loi peut
réglementer l’exercice des droits et facultés
mentionnés au paragraphe précédent, et ce exclusivement pour des motifs d’âge,
de nationalité, de résidence, de langue, de capacité de lire et d’écrire, de
capacité civile ou mentale, ou dans le cas d’une condamnation au criminel
prononcée par un juge compétent. »
D. Code de bonne conduite en
matière électorale (Commission de Venise)
44. Ce
document, adopté par
« i. une exclusion du droit de vote et de
l’éligibilité peut être prévue, mais elle est soumise aux conditions
cumulatives suivantes :
ii. elle doit être prévue
par la loi ;
iii. elle doit
respecter le principe de la proportionnalité ; l’exclusion de
l’éligibilité peut être soumise à des conditions moins sévères que celle du
droit de vote ;
iv. elle doit être motivée par une interdiction pour
motifs liés à la santé mentale ou des condamnations pénales pour des délits
graves ;
v. en outre, l’exclusion des droits politiques ou
l’interdiction pour motifs liés à la santé mentale doivent être prononcées par
un tribunal dans une décision spécifique. »
IV. ÉLÉMENTS
DE DROIT COMPARÉ
A. Le
cadre législatif dans les Etats contractants
45. Sur
les quarante-trois Etats contractants ayant fait l’objet d’une étude de droit
comparé, dix-neuf n’appliquent aucune restriction au droit de vote des détenus
(Albanie, Azerbaïdjan, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, Irlande, Lettonie,
Lituanie, ex-République yougoslave
46. Sept
Etats prévoient la suppression automatique du droit de vote pour tous les
détenus condamnés qui purgent une peine de prison (Arménie, Bulgarie, Estonie,
Géorgie, Hongrie, Royaume-Uni et Russie).
47. Les
seize Etats restants (Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine,
France, Grèce, Luxembourg, Malte, Monaco, Pays-Bas, Pologne, Portugal,
Roumanie, Saint-Marin, Slovaquie et Turquie) forment une catégorie
intermédiaire dans laquelle la privation du droit de vote est appliquée en
fonction du type d’infraction et/ou à partir d’un certain seuil de gravité de
la peine privative de liberté (lié à sa durée). La législation italienne en la matière se rapproche des
systèmes de ce groupe de pays.
48. Dans
certains Etats appartenant à cette dernière catégorie (Allemagne, Autriche,
Belgique, France, Grèce, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie et
Saint-Marin), l’application de l’interdiction du droit de vote au condamné
relève du pouvoir d’appréciation du juge pénal. En Grèce et au
B. Autres
éléments jurisprudentiels pertinents
1.
49. En 1992,
« 1.
« 3. Tout citoyen canadien a le droit de vote et est
éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales. »
50. Selon
la juge en chef Beverley McLachlin, qui s’exprimait au nom de la majorité, le
droit de vote est un droit fondamental pour la démocratie canadienne et la
prééminence du droit, et il ne peut être écarté à la légère. Les
restrictions à ce droit exigent non pas une retenue
judiciaire, mais un examen approfondi. La majorité a estimé que le gouvernement
n’avait pas réussi à cerner les problèmes spécifiques nécessitant la privation
du droit de vote et que cette mesure ne répondait pas au critère de la proportionnalité,
en particulier parce que le gouvernement n’était pas parvenu à établir un lien
rationnel entre la privation du droit de vote et les objectifs poursuivis par
la mesure, à savoir, accroître le sens civique et le respect de l’Etat de droit
et infliger une sanction appropriée.
51. Selon
l’opinion de la minorité, exprimée par le juge Gonthier, les objectifs de la
mesure étaient urgents et réels et se fondaient sur une philosophie sociale ou
politique à la fois raisonnable et rationnelle (pour plus de détails sur ces
opinions, notamment en ce qui concerne les objectifs poursuivis par la mesure
litigieuse, voirHirst (no 2) [GC]
précité, §§ 36-37).
2. Afrique
du Sud
a) L’affaire August
and Another v. Electoral Commission and Others (CCT8/99:1999 (3) SA 1)
52. Le
1er avril 1999,
« L’universalité
du droit de vote est importante non pas seulement pour
la nation et la démocratie. Le fait que tous les citoyens sans exception
jouissent du droit de vote est une marque de reconnaissance
de la dignité et de l’importance de la personne. Au sens
littéral, cela signifie que chacun compte. »
53.
54. La
question de savoir si la législation frappant les détenus d’interdiction était
justifiée au regard de
b) L’affaire Minister
of Home Affairs v. National Institute for Crime Prevention and the
Reintegration of Offenders (NICRO) (no 3/04 du 3 mars
2004)
55.
56. Par
neuf voix contre deux,
57. L’un
des juges majoritaires, le juge Chaskalson, a estimé que dans des affaires de
ce genre, où était en cause une interdiction de voter dont l’objectif n’allait
pas de soi et qui était imposée par le gouvernement à un groupe de citoyens, il
était nécessaire de fournir à
58. L’un
des juges minoritaires, le juge Madala, a considéré que la déchéance temporaire
du droit de vote et le rétablissement de celui-ci après la remise en liberté
répondaient à l’objectif du gouvernement de ménager un juste équilibre entre la
jouissance des droits individuels et le respect des valeurs primordiales de la
société, tout particulièrement dans un pays au taux de criminalité très élevé
tel que l’Afrique du Sud (points nos 116 et 117 de l’arrêt).
3. Australie
59. La High
Court d’Australie a annulé par quatre voix contre deux l’interdiction
générale du droit de vote qui avait remplacé l’interdiction prévue par la
législation antérieure, laquelle ne s’appliquait qu’aux condamnations d’une
durée égale ou supérieure à trois ans (voir Roach v. Electoral
Commissioner [2007] HCA 43 (26 septembre 2007)).
60. Pour
se prononcer ainsi, la High Court a relevé notamment que
l’ancienne législation tenait compte de la gravité de l’infraction commise en
tant qu’indice de la culpabilité et de l’incapacité temporaire de la personne
condamnée à participer au processus électoral, au-delà du simple fait de son
emprisonnement (point no 98 de l’arrêt).
EN DROIT
SUR
61. Le
requérant se plaint d’avoir été déchu de son droit de vote consécutivement à sa condamnation au pénal.
Il invoque l’article 3 du Protocole no 1,
ainsi libellé :
« Les
Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles
raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui
assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps
législatif. »
A. L’arrêt
de la chambre
62. La
chambre a estimé que l’interdiction du droit de vote frappant le requérant
présentait les caractères d’automaticité, de généralité et d’application
indifférenciée relevés dans l’arrêt Hirst no 2 ([GC],
précité), raison pour laquelle elle a conclu à la violation de l’article 3 du
Protocole no 1. Elle s’est exprimée ainsi :
« 48. En l’occurrence, l’interdiction perpétuelle du
droit de vote touchant le requérant était une conséquence de l’application de
la peine accessoire de l’interdiction d’exercer des fonctions publiques. Cette dernière dérivait automatiquement
de l’application de la peine principale consistant en la condamnation du
requérant à la réclusion perpétuelle. Force est de constater donc que
l’application de la mesure litigieuse était de nature automatique. A cet égard,
il y a lieu de remarquer, à l’instar du requérant,
qu’aucune mention de cette mesure n’est faite dans les décisions judiciaires
concluant à la condamnation du requérant.
49. Quant
aux caractères de généralité et d’application indifférenciée,
B. Arguments
des parties
1. Le
Gouvernement
63. Le
Gouvernement renvoie pour l’essentiel à ses observations devant la chambre (Scoppola c. Italie (no 3), no 126/05, §§ 29-33,
18 janvier 2011, ci-après « l’arrêt de chambre »).
64. Il
rappelle qu’en matière de droit de vote, les Etats contractants jouissent d’une
ample marge d’appréciation (Hirst (no 2) [GC],
précité, §§ 61-62) et soutient que, comme la chambre l’aurait admis
implicitement au paragraphe 45 de son arrêt, l’interdiction du droit de vote
imposée au requérant visait un but légitime, à savoir la prévention du crime et
le respect de l’Etat de droit.
65. Selon
lui, cette mesure répondait aussi à l’exigence de proportionnalité. D’ailleurs,
66. En
outre, à la différence des dispositions du système britannique critiquées dans
l’affaire Hirst no 2, la déchéance du droit de vote
prévue par le droit italien ne découlerait pas d’une condition subjective telle
que la détention, mais de l’acquisition de la force de la chose jugée par des
jugements rendus au pénal.
67. De
surcroît, l’application de l’interdiction d’exercer des fonctions publiques
emportant déchéance du droit de vote serait soumise à l’appréciation du juge du
fond qui, se basant sur la peine établie par la loi (pena edittale),
fixerait celle applicable au cas d’espèce conformément aux articles 132 et 133
du CP (paragraphe 37 ci-dessus), en tenant compte des circonstances tant
aggravantes qu’atténuantes.
68. Au
vu de ce qui précède, on ne saurait affirmer que l’interdiction du droit de
vote est appliquée de manière automatique.
69. Par
ailleurs, il conviendrait de relever que, aux termes des articles 178 et
179 du CP (paragraphe 38 ci-dessus), la réhabilitation peut être demandée trois
ans après le jour où la peine principale a été purgée et que, lorsqu’il est
fait droit à pareille demande, les peines accessoires cessent de s’appliquer.
En outre, les personnes condamnées bénéficiant de la libération anticipée (en
vertu de l’article 54 de la loi no 354
de 1975 – paragraphe 39 ci-dessus) pourraient voir leur peine réduite de
quarante-cinq jours par semestre de peine purgée.
70. Enfin,
le système juridique italien viserait à éviter les discriminations pouvant
découler de décisions prises par le juge au cas par
cas, dans un domaine sensible tel que celui des droits politiques.
2. Le
requérant
71. Le
requérant renvoie lui aussi aux observations qu’il a déposées devant la chambre
(voir les paragraphes 34-36 de l’arrêt de chambre).
72. Il soutient en outre que, en tant que
peine accessoire, l’interdiction du droit de vote devrait tendre à la
réadaptation du condamné. Or en l’espèce, elle ne serait que l’expression d’un
jugement d’indignité morale et de réprobation sociale
se heurtant au principe, généralement reconnu, du respect de la dignité
humaine.
73. Appliquée
de façon automatique et généralisée à toute personne condamnée à une peine de
réclusion non inférieure à cinq ans, la déchéance du droit de vote incriminée
serait sans lien direct avec le type de crime commis par le requérant et les
circonstances particulières de l’espèce. Dès lors, elle serait dépourvue de
toute finalité préventive et dissuasive. Echappant au pouvoir d’appréciation du juge, elle ne répondrait pas
non plus au critère de la proportionnalité.
74. Enfin,
la situation de l’intéressé ne saurait être considérée comme s’apparentant à
celle qui était en cause dans l’affaire M.D.U. (décision
précitée). Dans ce dernier cas, l’interdiction du droit de vote
aurait découlé de l’application de l’article 6 de la loi no 516
de 1982, disposition portant interdiction à toute personne condamnée pour
certaines infractions fiscales d’exercer des fonctions publiques pour une durée
de trois mois à deux ans. Dans ces conditions, la durée de l’interdiction
aurait été fixée par le juge à la lumière des circonstances de l’espèce.
3. Le
gouvernement du Royaume-Uni, tiers intervenant (ci-après, « le tiers
intervenant »)
75. Se
référant à l’arrêt Hirst no 2 ([GC], précité,
§ 61), à l’opinion dissidente commune aux juges Wildhaber, Costa, Lorenzen,
Kovler et Jebens jointe à l’arrêt en question ainsi qu’à l’arrêt Greens
et M.T. c. Royaume-Uni (nos 60041/08 et 60054/08,
§ 113-114, 23 novembre 2010), le tiers intervenant souligne d’abord
que les Etats contractants jouissent d’une ample marge d’appréciation en
matière de droit de vote. Chaque Etat devrait donc pouvoir adopter le système
juridique qui lui est propre selon sa politique sociale (social policy)
et choisir librement le pouvoir – législatif, exécutif ou judiciaire – jugé par
lui compétent pour se prononcer sur le droit de vote des détenus.
76. En
effet, un système prévoyant l’interdiction du droit de vote des détenus
condamnés pour la durée au cours de laquelle ils purgent leur peine ne saurait
passer pour un instrument sans nuances (Hirst (no 2) [GC]
précité, § 82). En premier lieu, l’interdiction litigieuse
poursuivrait un but légitime en ce qu’elle viserait à
renforcer le sens civique ainsi que le respect de l’Etat de droit et tendrait à
inciter à un comportement citoyen (ibidem, § 74). En second lieu, le lien entre l’infraction commise et
le but poursuivi par l’interdiction serait établi puisque celle-ci ne
frapperait que les auteurs d’infractions d’une gravité suffisante pour mériter
une peine d’emprisonnement.
77. Dans
ces conditions, le système britannique interdisant l’exercice du droit de vote
à un groupe de personnes, à savoir les détenus condamnés,
répondrait à la marge d’appréciation accordée aux Etats membres en la
matière. L’interdiction en cause ne saurait donc
être qualifiée de manifestement arbitraire.
78. En
conséquence, les conclusions auxquelles
79. A
cet égard, il conviendrait de signaler que la question de la compatibilité de
la législation du Royaume-Uni avec les lignes directrices établies dans cette
affaire a été discutée le 10 février 2011 au sein de la chambre basse du
Parlement (House of Commons). Par 234 voix contre 22, celle-ci se serait opposée à ce que la portée de l’article 3 de la loi de 1983 (Representation
of the People Act 1983) soit restreinte.
80. Enfin,
l’article 3 du Protocole no 1 n’exigerait pas que
l’interdiction du droit de vote soit imposée au cas par cas par une décision
judiciaire. Dans l’arrêtFrodl c. Autriche (no 20201/04,
8 avril 2010),
C. Appréciation
de
1.
81.
82. Elle
relève aussi que les droits protégés par cet article
sont cruciaux pour l’établissement et le maintien des fondements d’une
véritable démocratie régie par l’Etat de droit (Hirst (no 2) [GC]
précité, § 58). En outre, le droit de vote ne constitue pas un
privilège. Au XXIe siècle, dans un
Etat démocratique, la présomption doit jouer en faveur de l’octroi de ce droit
au plus grand nombre et le suffrage universel est désormais le principe de
référence (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 51 et Hirst
(no 2) [GC] précité, § 59). Elle observe
que les droits en cause figurent aussi dans l’article 25 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (paragraphe 40
ci-dessus).
83. Néanmoins,
les droits consacrés par l’article 3 du Protocole no 1 ne sont
pas absolus : il y a place pour des limitations
implicites et les Etats contractants doivent se voir accorder une marge
d’appréciation en la matière.
84. Cependant,
il appartient à
85.
86. Après
avoir examiné les circonstances particulières de l’affaire Hirst (no 2),
elle a considéré que la législation du Royaume-Uni privant tout détenu condamné
du droit de vote pendant sa détention (article 3 de la loi de 1983) était
« un instrument sans nuances, qui dépouill[ait]
du droit de vote, garanti par
87.
2. Application
de ces principes au cas d’espèce
88. En
l’espèce,
a) Sur
l’existence d’une ingérence
89.
b) Sur
la légitimé du but poursuivi
90.
91. Elle
a constaté aussi qu’en droit italien, la déchéance du droit de vote imposée à
une personne condamnée à la peine accessoire d’interdiction d’exercer des
fonctions publiques poursuivait l’objectif légitime du bon fonctionnement et du
maintien de la démocratie (M.D.U., décision précitée).
92. Elle
ne voit pas de raison en l’espèce de s’écarter de ces conclusions, et admet
donc que l’interdiction du droit de vote dont le requérant a fait l’objet
poursuivait les objectifs légitimes que sont le renforcement du sens civique et
du respect de l’Etat de droit ainsi que le bon fonctionnement et le maintien de
la démocratie.
c) Sur
la proportionnalité de l’ingérence
i. Sur la question de savoir s’il y a lieu de
confirmer les principes affirmés dans l’arrêt Hirst
93. Dans
ses observations, le tiers intervenant soutient que les conclusions de
94.
95. Or,
il n’apparaît pas que, depuis l’arrêt rendu
dans l’affaire Hirst (no 2), il se serait
produit, au niveau européen et dans le système de
96. Compte
tenu de ce qui précède,
ii. Sur la
question de savoir si l’interdiction du droit de vote imposée aux personnes
condamnées doit être prononcée par un juge
97.
98. Dans
ce dernier arrêt,
99. Ce
raisonnement reflète une conception large des principes
établis dans l’arrêt Hirst, que
100. Certes,
dans sa réponse à certains arguments du gouvernement britannique,
101. Par
ailleurs, il ressort des éléments de droit comparé
dont
102. Ces
éléments confortent le principe selon lequel chaque Etat demeure libre d’adopter
sa législation en la matière selon « l’évolution historique, la diversité
culturelle et la pensée politique qu’[il lui] incombe d’incorporer dans sa
propre vision de la démocratie » (Hirst (no 2) [GC]
précité, § 61). En particulier, en vue de garantir les droits énoncés par
l’article 3 du Protocole no 1 (Hirst
(no 2) [GC] précité, § 84, et Greens et
M.T. précité, § 113), les Etats contractants peuvent décider de
confier au juge le soin d’apprécier la proportionnalité d’une mesure
restrictive du droit de vote des détenus condamnés ou d’incorporer dans la loi
des dispositions définissant les circonstances dans lesquelles une telle mesure
trouve à s’appliquer. Dans cette seconde hypothèse, c’est le législateur
lui-même qui met en balance les intérêts concurrents afin d’éviter toute
interdiction générale, automatique et d’application indifférenciée. Il appartiendra ensuite à
iii. Sur le respect en l’espèce du droit garanti par l’article 3 du
Protocole no 1
103. En
l’espèce,
104. Cependant,
comme
105. Quant
au cadre juridique dans laquelle s’inscrit la mesure incriminée, il convient de
noter que, dans le système italien, celle-ci s’applique aux personnes
condamnées pour certaines infractions bien déterminées (par exemple, les
infractions touchant les intérêts de l’administration publique –
voir le paragraphe 33 ci-dessus) – quelle que soit la durée de la peine
appliquée – ou à une peine privative de liberté dont la durée est supérieure à
un seuil fixée par la loi. Dans cette dernière hypothèse, l’interdiction revêt
un caractère temporaire et s’applique pour une durée de cinq ans si la peine infligée par le juge du fond n’est pas
inférieure à trois ans d’emprisonnement. Elle est en revanche définitive si la peine n’est pas inférieure à cinq ans et en cas de
réclusion à perpétuité (paragraphes 34 et 36 ci-dessus).
106. De
l’avis de
107. En
l’espèce, le requérant a été condamné pour meurtre, tentative de meurtre,
mauvais traitements infligés aux membres de sa famille
et port d’arme prohibé (paragraphes 13-14 ci-dessus). Il s’agissait là de délits graves, qui
ont conduit la cour d’appel de Rome à prononcer une condamnation à la réclusion
à perpétuité (paragraphe 19 ci-dessus), peine qui a ensuite été ramenée à trente
ans d’emprisonnement (paragraphe 32 ci-dessus).
108. Dans
ces circonstances,
109. En
outre,
3. Conclusion
110. Au
vu de ce qui précède,
Partant, il n’y a pas eu violation de
l’article 3 du Protocole no 1.
PAR CES MOTIFS,
Dit, par seize voix contre une, qu’il n’y a
pas eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 à
Fait en français et en anglais, puis prononcé
en audience publique au Palais des droits de l’homme, à
Erik Fribergh Nicolas
Bratza
Greffier Président
Au
présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de
N.B.
E.F.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE DAVID
THOR BJÖRGVINSSON
(Traduction)
J’approuve le constat de violation par la chambre dans son arrêt du
18 janvier 2011, qui à mon sens constitue une
suite prudente et logique de l’arrêt rendu par
Je tiens à faire des observations suivantes à l’appui de mon opinion.
Dans le contexte de la présente affaire, l’article 3 du Protocole no 1
comporte deux volets importants. L’un porte sur
l’organisation du système électoral dans un pays donné, c’est-à-dire le mode de
scrutin, le découpage électoral, le nombre de représentants pour chaque
circonscription, etc. L’autre point porte sur
le droit de chacun de participer aux élections législatives. S’agissant du
premier volet, les Etats contractants jouissent, comme il se doit, d’un pouvoir
discrétionnaire – ou d’une marge d’appréciation – étendu(e)
dans le choix du mode de scrutin et l’agencement du système électoral en
général. Toutefois, s’agissant du second volet, qui
touche directement au droit pour chacun de participer au processus électoral,
la marge de l’Etat est bien plus étroite. Aussi la nécessité de toute
restriction au droit des citoyens d’une société démocratique de voter pour
élire le législateur doit-elle être soumise au contrôle strict de
Au paragraphe 90 de l’arrêt ci-dessus, il est indiqué que l’interdiction
du droit de vote imposée à une personne condamnée purgeant une peine
d’emprisonnement peut passer pour viser les buts légitimes que sont la
prévention du crime et le renforcement du sens civique et du respect de l’Etat
de droit. De plus, il est précisé au paragraphe
suivant que pareille interdiction poursuit l’objectif légitime du bon
fonctionnement et du maintien de la démocratie.
Concernant le premier de ces buts, l’interdiction du droit de vote
pour un condamné peut se justifier en un certain sens
en tant que mesure pénale concomitante à certaines infractions bien précises
et, en principe, au même titre que toute autre peine, elle peut avoir une fin
préventive. On peut y voir un but légitime. Cependant,
si l’interdiction doit être entendue comme une forme de peine, il faut alors
que soient respectées certaines conditions tenant à la solidité et à la clarté
de la base juridique sur laquelle la mesure se fonde et que le juge statue dans
chaque cas d’espèce, comme lorsqu’il applique tout autre forme de sanction
pénale. Sous cet angle pénal, il faut éviter tout type
d’interdiction automatique du droit de vote du fait d’une condamnation pénale
sans le moindre examen du cas individuel.
Le second but évoqué, à savoir que les restrictions peuvent contribuer
au bon fonctionnement et au maintien de la démocratie,
est bien plus problématique à mes yeux. Bien sûr, ce but est en lui-même
légitime. Mais je ne pense pas que priver du droit de vote une partie entière
de la population – ce qui est la conséquence manifeste
de la législation italienne litigieuse – contribue au bon fonctionnement et au
maintien de la démocratie. À mon
sens, il est tout aussi probable que ladite législation a exactement l’effet
inverse. Si je reconnais que le bon fonctionnement et
le maintien de la démocratie est à l’évidence un but légitime, je ne vois pas
comment cette législation y contribue. En revanche, faire voter des détenus et mieux faire accepter leur droit de vote est bien plus
susceptible d’accomplir ce but important.
La raison principale pour laquelle je m’écarte de la majorité est tout
simplement que, à mes yeux, la position adoptée par elle dans son arrêt est
incompatible avec les conclusions de
Je soulignerais tout d’abord que la situation concrète des requérants
dans l’affaire Hirst et en l’espèce est exactement la même : les deux purgent des peines d’emprisonnement très
longues, l’un pour homicide et l’autre pour meurtre. Bien que les textes de loi
sur la base desquels ils ont été privés de leur droit
de vote diffèrent à certains égards, les effets pour chacun d’eux sont les
mêmes, en ce que leur condamnation à la réclusion à perpétuité leur a fait
perdre automatiquement ce droit. Pour cette raison, des arguments
particulièrement solides doivent être avancés pour expliquer pourquoi l’un a
été jugé victime d’une violation de l’article 3 du Protocole no 1
à raison d’une telle privation mais pas l’autre.
Voici les principaux éléments sur lesquels se fonde le constat de
violation dans l’arrêt Hirst :
- Lorsqu’elles ont condamné le requérant, les juridictions pénales
d’Angleterre et du Pays de Galles n’ont nullement mentionné la privation du
droit de vote et il n’apparaissait pas, au-delà du fait qu’un tribunal avait
jugé approprié d’infliger une peine privative de liberté, qu’il existât un lien
direct entre les actes commis par un individu et le retrait du droit de vote
frappant celui-ci (Hirst, § 77).
- Il a été jugé que la législation britannique pertinente était un
instrument sans nuances, qui dépouillait du droit de vote, garanti par
- Rien ne montrait que le Parlement britannique eût jamais cherché à
peser les divers intérêts en présence ou à apprécier la proportionnalité d’une
interdiction totale de voter visant les détenus condamnés (Hirst, § 79).
Le juge n’avait pas non
plus entrepris d’apprécier la proportionnalité de la mesure elle-même (Hirst,
§ 80).
Tous ces éléments, avec quelques petites réserves explicitées
ci-dessous, sont tout autant valables en l’espèce et
devraient conduire au même constat de violation.
Pour ce qui est du premier élément, le paragraphe 100 du présent arrêt
le balaie en y voyant une considération d’ordre général qui ne concerne
pas la situation particulière du requérant et précise, pour étayer cette
conclusion, que cet élément n’a pas été repris au paragraphe 82 de l’arrêt Hirst,
où sont récapitulés les critères principaux.
Voilà un raisonnement très peu convaincant et satisfaisant puisque les
autres éléments déterminants énumérés ci-dessus sur lesquels se fonde le
constat de violation dans l’arrêt Hirst ne se rattachent pas
non plus à la situation du requérant, mais tiennent à la généralité de la
législation elle-même et à son effet automatique global sur un grand nombre de
personnes, dont le requérant dans cette affaire-là, plutôt qu’à son effet
concret sur ce dernier. Le fait que, dans le récapitulatif des arguments au
paragraphe 82 de l’arrêt Hirst,
Pour ce qui est du deuxième élément, la législation italienne, tout
comme celle du Royaume-Uni, est un instrument sans nuances, qui dépouille du
droit de vote, garanti par
La différence principale
entre les deux législations est que celle de l’Italie ne
prive du droit de vote que les personnes condamnées à au moins trois ans
d’emprisonnement, tandis que celle du Royaume-Uni en prive toute personne
condamnée à une peine d’emprisonnement pendant la durée de son séjour en
prison. Si, pour cette raison, elle peut paraître plus
clémente que la législation britannique, la législation italienne est plus
stricte en ce qu’elle prive les détenus de leur droit de vote au-delà de la
durée de leur peine d’emprisonnement et, pour un grand nombre de détenus,
définitivement. Voilà pourquoi j’estime, à l’inverse
de la majorité, que ces différences ne suffisent pas à justifier une conclusion
différente. En réalité, la législation italienne est aussi peu nuancée que la
législation britannique, quoique pour des raisons quelque peu différentes. La possibilité pour un ancien détenu, offerte par les
articles 178 et 179 du code pénal italien, de demander sa réhabilitation trois
ans après le jour où la peine principale a été exécutée n’y change rien. De
plus, il est indifférent selon moi que, en droit italien, la privation du droit
de vote soit consécutive à une interdiction d’exercer une fonction publique. Le résultat reste le même : la perte automatique du droit de vote du fait d’une
condamnation à une peine d’emprisonnement. Par ailleurs, il n’y a pas nécessairement de lien entre le droit pour une
personne d’exercer une fonction publique et son droit de voter aux élections
législatives.
Quant au troisième élément, il est tout aussi
valable en l’espèce. Ni le législateur ni le juge ne se sont livrés en l’espèce
à un examen suffisant, sous l’angle de la proportionnalité, de la
justification de la privation du droit de vote pour tous les détenus en Italie
au-delà de la durée de leur peine d’emprisonnement, définitivement pour un
grand nombre d’entre eux, à la suite d’une interdiction d’exercer des fonctions
publiques.
En somme, j’estime que la distinction opérée
dans le présent arrêt entre ces deux affaires pour justifier des conclusions
différentes n’est pas satisfaisante. L’arrêt se livre à une interprétation très
restrictive de l’arrêt Hirst et, en
réalité, il s’écarte du raisonnement principal tenu dans ce dernier. Malheureusement,
il a désormais retiré à l’arrêt Hirst toute
sa portée en tant que jurisprudence de principe protégeant le droit de vote des
détenus en