DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE SHARIFI ET AUTRES c. ITALIE ET GRÈCE
(Requête no
16643/09)
ARRÊT
STRASBOURG
21 octobre 2014
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions
définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme.
En l’affaire Sharifi
et autres c. Italie et Grèce,
La Cour européenne
des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 9 septembre 2014 en une
chambre composée de :
Işıl Karakaş, présidente,
Guido Raimondi,
András Sajó,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Robert Spano, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir
délibéré en chambre du conseil le 9 septembre 2014,
Rend l’arrêt que
voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve
une requête (no 16643/09) dirigée contre la République
italienne et dont trente-deux ressortissants afghans,
deux ressortissants soudanais et un ressortissant érythréen (« les
requérants ») ont saisi la Cour le 25 mars 2009 en vertu de
l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les détails concernant les requérants
figurent dans le tableau récapitulatif annexé au présent arrêt. Lors de son introduction, la requête portait la signature
de trois conseils : Me P. Masouridou, avocate à
Athènes, Me A. Ballerini, avocate à Gênes, et Me L. Mandro,
avocat à Venise. Le 19 juin 2009, Me Masouridou a
indiqué qu’elle ne représentait pas les requérants, avec lesquels elle n’était
pas en contact et dont elle s’était limitée à recueillir les procurations en
Grèce. Me Mandro, quant à lui, n’a plus apposé sa signature sur
aucun autre document relatif à la requête par la suite. Il ressort également du
dossier que Me Ballerini a été
assisté dans la préparation de la requête par Mme Alessandra
Sciurba, docteure en droit, et M. Basir Ahang, journaliste de nationalité afghane,
qui ont interviewé les requérants dans le camp de Patras.
Le gouvernement
italien a été représenté par son agent, Mme Ersiliagrazia
Spatafora, et par son ancien coagent, M. Nicola Lettieri. Le gouvernement
grec a été représenté par son agent, M. Alexandro G. Tzeferakos, assisté
de M. Georgios Kannellopoulos, conseiller juridique au Conseil juridique
de l’État, ainsi que de Mme Stavroula Trekli et M. Christos
Poulakos, auditeurs au Conseil juridique de l’État.
3. Les requérants alléguaient, en
particulier, être arrivés clandestinement en Italie en provenance de la Grèce
et avoir été refoulés vers ce pays sur ‑ le ‑ champ,
avec la crainte de subir un refoulement ultérieur vers leurs pays d’origine
respectifs, dans lesquels ils risqueraient la mort, la torture ou des
traitements inhumains et dégradants (articles 2 et 3 de la Convention).
Ils se plaignaient, en outre, de ne pas avoir eu accès à des instances
nationales pour faire valoir ces griefs (article 13 de la Convention) et
d’avoir été maltraités par les polices italienne et grecque, ainsi que par les
équipages des navires à bord desquels ils ont été reconduits en Grèce
(article 3 de la Convention).
À l’égard de la
Grèce, ils se plaignaient également d’avoir été placés en rétention dans de
mauvaises conditions (article 3 de la Convention).
À l’égard de
l’Italie, ils alléguaient avoir été victimes d’expulsions collectives
indiscriminées (article 4 du Protocole no 4) et avoir été
privés du droit de porter leur cause devant la Cour, du fait de l’impossibilité
de contacter un interprète et un avocat (article 34 de la Convention).
4. Le 23 juin 2009, la chambre a décidé
de communiquer la requête aux gouvernements italien et grec et de la traiter en
priorité (article 41 du règlement). En outre, en application de l’article 39 du règlement, la chambre a invité le
gouvernement grec à surseoir à toute expulsion des requérants suivants :
MM. Nima Rezai, Malik Merzai, Mustafa Said Mustafa, Alidad Rahimi, Faroz Ahmadi
et Hasan Najibi[1].
5. Tant les requérants que les
gouvernements défendeurs ont déposé des observations écrites sur la recevabilité
ainsi que sur le fond de l’affaire.
Des observations
écrites ont également été reçues du Haut-Commissariat des Nations unies pour
les réfugiés (HCR), ainsi que du Centre de conseil sur les droits de l’individu
en Europe (le « Centre AIRE ») et d’Amnesty International agissant
conjointement. Le président de la chambre les avait autorisés à intervenir en
vertu de l’article 36 § 2 de la Convention.
EN FAIT
I. LES
CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Les requérants, dont la liste figure
en annexe, sont trente-deux ressortissants afghans, deux ressortissants
soudanais et un ressortissant érythréen.
7. Les faits de la cause
peuvent se résumer comme suit.
A. Les
faits allégués dans la requête
8. Les
requérants affirment avoir, à différentes dates au cours des années 2007
et 2008, gagné le territoire grec en provenance de pays en proie à des conflits
armés affectant les civils (en l’occurrence l’Afghanistan, le Soudan et l’Érythrée).
Après s’être embarqués clandestinement à Patras sur des navires à destination
de l’Italie, ils seraient arrivés entre janvier 2008 et février 2009[2] dans les ports
de Bari, Ancône et Venise, où la police des frontières les aurait interceptés
et refoulés immédiatement. Selon les requérants, cette pratique du refoulement
immédiat était suivie par les autorités italiennes depuis de nombreux mois
déjà.
9. Les
requérants auraient subi des violences de la part des policiers italiens, puis des
équipages des navires et, enfin, de la police grecque. Selon eux, ni l’Italie
ni la Grèce ne leur auraient permis de demander l’asile.
10. En
ce qui concerne l’Italie, les requérants n’auraient pas eu la possibilité
d’entrer en contact avec des avocats et des interprètes. Aucune information sur
leurs droits ne leur aurait été fournie. De même, ils n’auraient reçu aucun
document « officiel, écrit et traduit » relatif à leur refoulement.
Ils allèguent que la police des frontières italienne les a immédiatement
ramenés dans les navires dont ils venaient de débarquer et qu’ils ont été
enfermés dans des cabines ou même dans les toilettes tout au long du voyage de
retour vers la Grèce.
11. À
l’encontre de la Grèce, ils se plaignent d’avoir, dans un premier temps, été
placés dans des centres de rétention, puis d’avoir dû, après leur remise en
liberté, vivre dans des conditions précaires dans le camp de Patras. Ils
soulignent les difficultés rencontrées dans les démarches à accomplir pour
l’obtention de l’asile.
B. La position des gouvernements défendeurs concernant
l’identité des requérants et les faits allégués dans la requête
12. Le gouvernement italien affirme que,
parmi les requérants, seul M. Reza Karimi aurait atteint le territoire
italien. Caché avec dix-sept autres clandestins dans un camion transportant des
légumes, le requérant aurait été découvert par la police dans le port d’Ancône
le 14 janvier 2009 et refoulé vers la Grèce le jour même. Il serait arrivé
à Patras le 15 janvier. L’âge déclaré le 14 janvier par l’intéressé ne
correspondrait toutefois pas à celui indiqué dans la requête. À l’appui de ces
affirmations, le 11 septembre 2009, le Gouvernement a soumis à la Cour copie d’un
formulaire de la police des frontières d’Ancône, daté du 14 janvier 2009,
rempli à la main et signé par M. Reza Karimi, contenant les informations
suivantes : nom, prénom, prénom du père, nom et prénom de la mère, lieu de
naissance, année de naissance, nationalité.
13. De son côté, le gouvernement grec
fait savoir que les registres du service de l’immigration de son ministère de
l’Intérieur ne confirment la présence en Grèce que de dix des requérants
seulement. Il donne à leur sujet les précisions suivantes.
– Nima Rezai[3] : il s’agirait probablement, selon
les déclarations de l’intéressé, de Nema Rezai, ressortissant afghan né
le 1er janvier 1990, arrêté à Patras le 3 décembre 2008
en raison de l’illégalité de son entrée et de son séjour en Grèce. Le 6
décembre 2008, la direction de la police d’Achaia adopta à son encontre un
arrêté d’expulsion (no 2541/08-1A). Un exemplaire de la
brochure d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté
d’expulsion lui aurait été remis. N’ayant pas été considéré comme dangereux
pour l’ordre public ou la sécurité, le requérant fut remis en liberté avec
ordre de regagner son pays dans les 30 jours. Le 30 juin 2009, il fut
de nouveau arrêté à Patras au motif qu’il résidait illégalement en Grèce. Il se
vit remettre une nouvelle brochure d’information et la direction de la police
d’Achaia adopta un deuxième arrêté d’expulsion (no 2541/08-2A)
et lui imposa un placement en rétention. Il fut par la suite transféré au
commissariat de police de Pyrgos en raison de la situation de surpeuplement du
centre de rétention de la direction de la police d’Achaia. Le 16 septembre
2009, le directeur général de la police de la Grèce-Occidentale suspendit
l’exécution de l’expulsion et remit le requérant en liberté, sur le vu de la
traduction fournie par lui de la décision de la Cour en date du 23 juin
invitant le gouvernement grec à surseoir à son expulsion.
– Sarpar
Agha Khan[4] : il s’agirait probablement, selon les
déclarations de l’intéressé, de Sardayasha Khan, ressortissant afghan né le 1er janvier 1982,
arrêté à Patras le 1er octobre 2008 en raison de l’illégalité
de son entrée et de son séjour en Grèce. Parti sur un navire à destination de
l’Italie le 29 octobre 2008, il fut refoulé et fit retour en Grèce le 31
octobre. Le 4 novembre 2008, la direction de la police d’Achaia adopta à son
encontre un arrêté d’expulsion (no 2212/08-1b), notifié le 6
novembre. La brochure d’information sur les droits des personnes visées par un
arrêté d’expulsion avec placement en rétention lui aurait été remise. Le
requérant fut par la suite transféré dans l’établissement spécial de rétention
des étrangers de Kyprinos (Orestiada, département de l’Évros) en raison de la
situation de surpeuplement du centre de rétention de la direction de la police
d’Achaia. Entre temps, le 28 novembre 2008, le requérant introduisit une
demande d’asile politique, laquelle fut rejetée le 14 janvier 2009 par un
arrêté de la direction des étrangers (no 4/886727). Notifiée à
l’intéressé le 22 janvier, la décision ne fit l’objet d’aucune opposition
de sa part. Le 24 juin 2009, le requérant fit retour de Vienne vers la
Grèce en application du règlement no 343/2003 (dit règlement « Dublin II » –
ou, couramment, « règlement Dublin » –, voir paragraphes 54
et suivants ci‑dessous), puis, le 27 juin, le service des étrangers de
l’Attique adopta un nouvel arrêté d’expulsion (no 404983/2-a)
sans placement en rétention, avec fixation d’un délai de 30 jours pour quitter
le territoire grec.
– Reza Karimi[5] : il s’agirait probablement, selon
les déclarations de l’intéressé, de l’individu du même nom, ressortissant
afghan né le 1er janvier 1974, arrêté à Patras le 16
janvier 2008 en raison de l’illégalité de son entrée et de son séjour en Grèce.
Le 16 janvier 2009, la direction de la police d’Achaia adopta à son encontre un
arrêté d’expulsion (no 150/09-14) avec placement en rétention. La brochure d’information sur les
droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion lui aurait été remise. Le
24 janvier, l’exécution de l’expulsion fut suspendue faute de papiers
d’identité pour le voyage de retour ; en conséquence de quoi, le requérant
fut remis en liberté, avec obligation de quitter le territoire grec dans les
30 jours.
– Rahim Raximi[6] : il s’agirait probablement, selon
les déclarations de l’intéressé, de Rahim Rahimi, ressortissant afghan né le 1er
janvier 1990, arrêté à Patras le 14 octobre 2008 pour défaut de permis de
séjour. Parti à destination de l’Italie à bord du navire Sofoklis Venizelos, le
requérant revint en Grèce le 13 octobre 2008 après avoir été refoulé par les
autorités italiennes. Le lendemain, le requérant, auquel la brochure
d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion fut
remise, se vit notifier un arrêté d’expulsion (no 1061/08-1a)
sans placement en rétention, adopté à la même date par la direction de la
police d’Achaia. Il fut remis en liberté, avec obligation de quitter le
territoire grec dans les 30 jours.
– Mohammad Issa
Sayyed Hashemi[7] : il s’agirait probablement, selon les
déclarations de l’intéressé, de Mohamed Issa Hashemi, ressortissant afghan né
le 1er janvier 1985, arrêté à Samos le 17 novembre 2008 car dépourvu
de papiers. Le requérant, auquel la brochure d’information sur les droits des
personnes visées par un arrêté d’expulsion fut remise, se vit notifier à une
date non précisée un arrêté d’expulsion (no 6634/2/2041-10)
sans placement en rétention, adopté le 30 novembre par la direction de la
police de Samos. Il fut ainsi remis en liberté, avec obligation de quitter le
territoire grec dans les 30 jours.
– Gabel Omar[8] : il s’agirait probablement, selon les
déclarations de l’intéressé, de Gabel Ali, ressortissant somalien né le 1er
janvier 1984, arrêté à Samos le 5 décembre 2009 en raison de l’illégalité de
son entrée et de son séjour en Grèce. Après avoir reçu la brochure
d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion, le
requérant se vit notifier à une date non précisée un arrêté d’expulsion (no 6634/2/2063-12)
sans placement en rétention, adopté le 8 décembre par la direction de la police
de Samos. Il fut remis en liberté, avec obligation de quitter le territoire
grec dans les 30 jours.
– Nawid Kabiri[9] : il s’agirait probablement, selon
les déclarations de l’intéressé, de Nawid Kabiru, ressortissant afghan né
le 1er janvier 1992, arrêté à Samos le 17 novembre 2008 car
sans papiers. Parti vers l’Italie le 4 janvier 2009 à bord du
navire Super Fast XII, il fut refoulé par les autorités italiennes le 6 février
2009. Le 7 février, le requérant fut remis à la division de la sécurité de
Patras par l’autorité portuaire centrale de la même ville car il était sans
papiers. Le requérant reçut immédiatement un exemplaire de la brochure
d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion et
se vit notifier un arrêté d’expulsion (no 255/09 ‑ 1a)
sans placement en rétention, adopté le même jour par la direction de la police
d’Achaia. Il fut remis en liberté, avec obligation de quitter le territoire
grec dans les 30 jours.
– Nazar Mohammed Yashidi[10] : il s’agirait probablement, selon
les déclarations de l’intéressé, de Nazari Mohamed, ressortissant afghan né le
1er janvier 1988, arrêté à Samos le 9 juin 2008 car sans papiers. Le
requérant reçut la brochure d’information sur les droits des personnes visées
par un arrêté d’expulsion et se vit notifier à une date non précisée un arrêté
d’expulsion (no 6634/2/1642-e) sans placement en rétention,
adopté le 12 juin par la direction de la police de Samos. Il fut remis en
liberté, avec obligation de quitter le territoire grec dans les 30 jours.
– Rahmat Wahidi[11] : il s’agirait probablement, selon
les déclarations de l’intéressé, de l’individu du même nom, ressortissant
afghan né le 1er janvier 1990, arrêté à Patras le 8
janvier 2009 en raison de l’illégalité de son entrée et de son séjour en Grèce.
Le requérant se vit remettre la brochure d’information sur les droits des
personnes visées par un arrêté d’expulsion avec placement en rétention. Le 11
janvier 2009, la direction de la police d’Achaia adopta à son encontre un
arrêté d’expulsion (no 23/09 ‑ 1b), notifié à
une date non précisée. Le 10 janvier, le requérant fut transféré auprès de
l’établissement spécial de rétention des étrangers de Kyprinos (Orestiada,
département de l’Évros) en raison de la situation de surpeuplement du centre de
rétention de la direction de la police d’Achaia. Le 19 janvier, considérant
que, faute de papiers d’identité, l’expulsion ne pouvait être exécutée, le
directeur général de la police de la Grèce ‑ Occidentale
suspendit l’exécution de l’expulsion et remit le requérant en liberté. Le
requérant était invité à quitter le territoire grec dans les 30 jours.
– Mohamad Anif
Servery[12] : il s’agirait probablement, selon les
déclarations de l’intéressé, de l’individu du même nom, ressortissant afghan né
le 1er janvier 1995, arrêté à Samos le 19 août 2008 en raison de
l’illégalité de son entrée en Grèce. Le requérant reçut la brochure
d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion et
se vit notifier à une date non précisée un arrêté d’expulsion (no 6634/2/1777-B)
sans placement en rétention, adopté le 22 août par la direction de la police de
Samos. Le 2 octobre, sur ordre du parquet près le tribunal de première instance
de Samos, le requérant fut transféré au centre de Theomitor à Agiagos (Lesvos).
C. La
correspondance postérieure à l’introduction de la requête et les contacts entre
les requérants et leur conseil
14. Le
19 mai 2009, Me Ballerini demanda à la Cour d’indiquer au
gouvernement grec, en application de l’article 39 de son règlement, de
surseoir à toute expulsion des requérants afghans vers leur pays. Elle
expliquait que, quelques jours auparavant, plusieurs groupes de demandeurs
d’asile avaient été expulsés du camp de Patras vers la Turquie et, de là, vers
l’Afghanistan. Cependant, elle admettait ne pas savoir, en raison des
difficultés de communication, combien de requérants avaient déjà été expulsés
ni où se trouvaient les autres.
15. Par
une lettre du 20 mai 2009, annoncée par télécopie le 19 mai, Me Ballerini
fut invitée à étayer sa demande, en indiquant le lieu de rétention des
requérants, la date éventuelle de leur expulsion et les risques courus par eux
au cas où ils seraient expulsés vers l’Afghanistan.
Par une télécopie du 20 mai 2009, Me Ballerini précisa
l’emplacement du camp de Patras, en renvoyant pour le reste aux informations
contenues dans le formulaire de requête.
Le 22 mai 2009, la présidente de la section rejeta la demande
d’application d’une mesure provisoire.
16. Par
une lettre du 19 juin 2009, Me Ballerini informa la Cour de ce
que, dans le cadre de plusieurs descentes de la police grecque dans le camp de Patras
et d’opérations similaires menées dans la ville d’Athènes, une centaine de
réfugiés avaient été expulsés vers la Turquie, parmi lesquels un des
requérants, M. Habib Yosufi[13] (mineur). Un
autre requérant (M. Mozamil Azimi)[14] avait déjà été
rapatrié en Afghanistan.
La situation de certains autres requérants était décrite comme
suit : six[15] se trouvaient
dans le camp de Patras, six[16] se trouvaient
à Athènes, quatre[17] se trouvaient
« en Grèce, mais sans qu’on sache où exactement », quatre[18] se trouvaient
« probablement encore en Grèce » et un[19] était
« entre la Grèce et l’Italie ».
Quant aux autres requérants, l’avocate expliquait qu’en raison « du
caractère tragique de la situation et des difficultés objectives pour les
requérants en termes de mouvement et de communication », elle ne savait
pas où ils se trouvaient mais s’efforçait de les joindre.
Sa lettre se concluait comme suit :
« Je vous demande donc de prendre toutes mesures conservatoires [au
sens de l’article 39 du règlement de la Cour] pour éviter le rapatriement
des personnes qui se trouvent maintenant dans le camp de Patras [...]. »
17. Le
23 juin 2009, la Cour, en application de l’article 39 de son règlement,
invita le gouvernement grec à surseoir à l’expulsion des requérants suivants :
MM. Nima Rezai, Malik Merzai, Mustafa Said Mustafa, Alidad Rahimi, Faroz Ahmadi
et Hasan Najibi[20].
18. Par
une lettre télécopiée du 2 juillet 2009, Me Ballerini informa
la Cour du refoulement de M. Faroz Ahmadi[21] vers la Turquie
en dépit de la mesure provisoire susmentionnée (paragraphe 17 ci‑dessus)
ainsi que, sans plus de précisions, du refoulement de M. Habib Yosufi[22]
(paragraphe 16 ci‑dessus). Dans cette lettre, l’avocate faisait état
d’une situation dramatique à Patras, par suite de la fermeture du camp décidée
par les autorités grecques et des arrestations massives de demandeurs d’asile
par la police.
19. Par
une lettre du même jour, envoyée aussi par télécopie, la Cour rappela au
gouvernement grec les obligations découlant pour lui de la mesure adoptée en
application de l’article 39 du règlement et l’invita à communiquer au
greffe dans le plus bref délai toute information utile sur le sort de
M. Faroz Ahmadi.
20. Par
un message télécopié du 14 juillet 2009, Me Ballerini informa
la Cour que la police grecque avait fait évacuer le camp de Patras, en y
détruisant les abris des demandeurs d’asile et en arrêtant certains requérants,
dont elle affirmait toutefois ne pas être à même d’indiquer les noms à cause de
la situation confuse qui régnait.
21. Par
un message télécopié du 16 juillet 2009, Me Ballerini indiqua
que MM. « Mustafa Mustafa Said et Najibi Haidar », présentés comme
étant deux des requérants visés par la mesure adoptée par la Cour en
application de l’article 39, avaient été placés en rétention dans une
prison aux confins de l’Albanie en vue de leur refoulement, en expliquant que
la police grecque niait à ladite mesure tout caractère contraignant.
22. Par
une lettre du 17 juillet 2009, la Cour rappela au gouvernement grec les
obligations découlant pour lui de la mesure adoptée en application de
l’article 39 du règlement, en l’invitant à communiquer au greffe dans le
plus bref délai toute information utile sur le sort des requérants.
23.
Par une lettre du 26 août 2009, Me Ballerini informa la Cour de
ce que M. Nima Rezai[23] se trouvait
incarcéré à la prison de Pyrgos, car les autorités grecques, auxquelles il
avait montré « la mesure provisoire adoptée par la Cour le 23 juin
2009 », l’accusaient de faux. Selon ses dires, lesdites autorités
prétendaient que même les agents du HCR n’avaient pas reconnu l’authenticité du
document présenté par l’intéressé.
24. Par
une télécopie du 28 septembre 2009, Me Ballerini informa la
Cour qu’elle avait adressé à l’antenne du Conseil italien pour les réfugiés
(« CIR ») dans le port d’Ancône la lettre suivante :
« Je vous écris au nom et dans l’intérêt de M. Rezai Nima, mineur
âgé de seize ans et de nationalité afghane, qui est actuellement retenu dans
vos bureaux.
Je vous informe que M. Rezai Nima a introduit par mon intermédiaire
une requête contre l’Italie devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Cette requête s’est vu attribuer le no 16643/09.
La Cour, par une décision du 23 juin 2009, a fait droit à ma demande
d’application de l’article 39 du règlement de la Cour en vue de
l’interdiction du rapatriement, entre autres, de M. Rezai.
Compte tenu de ce qui précède et eu égard au fait que ce mineur est en
droit de demander, par mon intermédiaire, la protection de l’Italie et l’octroi
du statut de réfugié, je vous demande de bien vouloir le relâcher dans les plus
brefs délais afin qu’il puisse me contacter et se rendre à mon cabinet [...].
Je vous rappelle, en outre, que M. Rezai Nima, en tant que mineur
et demandeur d’asile, ne peut être ni expulsé ni refoulé, ainsi qu’il ressort,
au demeurant, de la décision de la Cour [du 23 juin 2009]. »
25. Par une lettre du 5 octobre 2009, la
Cour invita Me Ballerini à indiquer si M. Nima Rezai se
trouvait réellement en Italie alors que, selon les informations précédemment
reçues (paragraphe 23 ci‑dessus), il était retenu en Grèce.
26. Le 14 octobre 2009, Me Ballerini
transmit à la Cour par télécopie le message suivant :
« Je vous
informe que nous n’avons plus de nouvelles de M. Rezai Nima depuis qu’il
est entré en Italie.
En effet, il aurait
dû se présenter au CIE (Centre d’identification et d’expulsion) d’Ancône, mais
il n’y est jamais allé. »
27. Par une lettre du 19 octobre 2009, la
Cour demanda au gouvernement italien de préciser si – et dans l’affirmative,
quand – M. Nima Rezai était effectivement arrivé en Italie, et si les
autorités des frontières avaient procédé à son identification.
28. Par une lettre du 2 novembre 2009, le
Gouvernement fit parvenir à la Cour une note du ministère de l’Intérieur
faisant savoir qu’entre la date du 1er janvier 2007 et celle du 30
septembre 2009, aucune mention du nom de M. Rezai Nima ne figurait dans
les registres de la police des frontières du port d’Ancône.
29. Par une télécopie du 1er
décembre 2009, Me Ballerini informa la Cour avoir reçu de
M. Ahang la lettre suivante :
« À l’occasion
de mon dernier voyage en Grèce, en août 2009, j’ai rencontré certains des
requérants qui se trouvent encore en Grèce ; et je souligne “certains”,
car les autres ont été renvoyés en Afghanistan ou se sont rendus dans d’autres
pays européens.
Je me suis entretenu
avec Feroz Ahmadi[24], lequel m’a dit vivre dans un parc d’Athènes
après avoir purgé trois mois de prison pour avoir montré à la police grecque
les documents relatifs à la requête devant la Cour, car leur authenticité n’est
pas reconnue [...].
Malik Merzai[25], par ailleurs, vit dans une forêt près de Patras
à la suite de la destruction du camp des demandeurs d’asile [...].
Je continue à
recevoir des appels téléphoniques des requérants, qui demandent des
informations sur l’état de leur requête devant la Cour et sont très inquiets
[...].
Veuillez trouver ci‑dessous
les numéros de téléphone de Feroz Ahmadi et Malik Merzai, vu qu’ils existent,
et qu’il en est de même des autres requérants, contrairement à ce que le
Gouvernement [italien] affirme. »
30. Par une télécopie du 9 décembre 2009,
Me Ballerini fit parvenir à la Cour une lettre qu’elle
aurait reçue le 6 décembre 2009 de M. Malik Merzai et dans laquelle
celui-ci affirmait se trouver en Grèce et vivre, comme les autres demandeurs
d’asile, dans des conditions extrêmement difficiles.
31. Par une télécopie du 22 décembre
2009, Me Ballerini informa la Cour de la situation de
certains des requérants, en faisant état d’un courriel reçu de M. Ahang le
16 décembre 2009, ainsi libellé en substance :
« 1) Rahim
Rhaimi[26] se trouve actuellement à Patras ; il
m’a contacté et m’a informé que le délai prévu dans l’ordre d’expulsion a
expiré et qu’il risque donc d’être renvoyé en Afghanistan [...] ;
2) Najib Haidari[27] se trouve actuellement à Patras avec Rhaim et sa
situation est similaire à celle de son ami [...] ;
3) Yasir Zaidi[28] se trouve actuellement en Suède et demande votre
aide [...] ;
4) Rahmat Wahidi[29] se trouve actuellement en Suisse [...] ;
5) Mozamil Azimi[30], après avoir été rapatrié en Afghanistan cet été,
a réussi à revenir en Grèce et à se rendre ensuite en Norvège, où il se trouve
actuellement [...] ;
6) Abdul Nabi Ahmad[31] se trouve actuellement en Norvège [...] ;
7) Alireza Ekhlasi[32] se trouve actuellement en Autriche [...] ;
8) Reza Karimi[33] se trouve actuellement en Norvège [...] avec
Mozamil [...] ;
9) Ahsannullah Amar
Khel[34] (dont le nom n’a pas été transcrit
correctement, car son vrai nom est Ehsanullah Amarkhail [...]) se trouve
actuellement en Norvège, où il a obtenu des papiers car il est mineur ;
10) Alisina Sharifi[35] se trouve actuellement en Norvège [...].
Je vous envoie
aussi, en pièce jointe, la photo d’un des requérants, Mohammad Isa Sayeed
Hashemi[36], qui a été hospitalisé à la suite d’une
agression qu’il a subie de la part de la police grecque. Pour l’instant, je
n’ai pas de nouvelles de sa part et je ne sais pas où il se trouve. »
Dans ce document,
les numéros de téléphone de toutes les personnes mentionnées étaient aussi
indiqués, à l’exception de celui de M. Reza Karimi, qui aurait appelé
M. Ahang depuis une cabine téléphonique.
32. Par une télécopie du 15 juin 2010, Me Ballerini
envoya à la Cour un document attestant qu’en mai 2010 l’un des requérants,
M. « Nagib Haidari », avait déposé une demande de protection
internationale à la préfecture de police de Parme (Italie). L’avocate expliquait
que l’intéressé était parvenu à s’échapper de Patras, où il se trouvait
auparavant, et voyait dans ce document la démonstration du caractère purement
spéculatif des doutes émis, par les deux gouvernements défendeurs, quant à
l’existence des requérants.
33. Le 22 juin 2010, le gouvernement
italien répondit à ce sujet. Après avoir tout d’abord observé que le nom en
question (« Nagib Haidari »)
ne figurait pas dans la liste des requérants, mais que celle-ci contenait un
nom voisin (« Najeeb Heideri »[37]), il poursuivait ainsi :
« [...] le 22
décembre 2009, Me Ballerini
a affirmé [...] qu’à cette date M. Najib (et non Nagib) Haidari se trouvait à Patras et qu’il n’était
jamais entré en Italie. Par la suite, dans sa lettre du 15 juin 2010, Me Ballerini affirme que
M. Haidari Nagib [...] a introduit, auprès de la préfecture de police de
Parme, une demande d’asile politique le 17 mai 2010, soit huit mois après les
observations du gouvernement italien [...] affirmant [à juste titre] que
M. Heideri Najeeb n’ [apparaissait] jamais comme étant entré en
Italie ».
34. Par
une lettre du 27 août 2010, Me Ballerini expliqua, en premier
lieu, que l’incohérence relevée entre les nom et prénom figurant dans son
message télécopié du 15 juin 2010 (paragraphe 32 ci‑dessus) et ceux
indiqués dans le formulaire de requête découlait du fait qu’il avait fallu les
transposer phonétiquement en caractères latins depuis la langue persane. En
pièces jointes à cette lettre figurait une déclaration signée par le requérant
en question, écrite en caractères persans puis traduite en italien, dont le
contenu était le suivant :
« Au début mon prénom a été transcrit dans l’alphabet anglais et
écrit “Najeeb”, en Italie en revanche mon nom a été écrit “Nagib”, mais je suis
la même personne. La même chose s’est passée avec mon nom de famille, qui au
début a été écrit “Heideri”, puis en Italie “Haidari” ».
35. Au
sujet de la deuxième singularité supposée, Me Ballerini
rétorqua qu’il n’y avait aucune contradiction entre le fait que le requérant ne
se trouvait pas en Italie en décembre 2009 et le fait que, par la suite, en mai
2010, il avait réussi à s’y rendre et à demander la protection internationale
auprès de la préfecture de police de Parme.
La lettre continuait ainsi :
« Je vous adresse ci‑dessous une liste des requérants et de
leur situation géographique :
1) Sharifi Alisina[38] est en Norvège ;
2) Rezai Nima[39] est en Norvège ;
4) Reza Karimi[40] se trouve en Italie, à
Trente ;
7) Ekhlasi Alireza[41] se trouve en
Autriche ;
9) Ebrahemi Mohammad Harron[42] est en France ;
12) Merzai Malik[43] est en Italie, à
Rome :
13) Mustafa Mustafa Said[44] est en Iran ;
14) Rahimi Alidad[45] est en Norvège ;
15) Rahimi Rahim[46] est en Suede ;
17) Hashemi Mohammad Isa Sayyes[47] se trouve en
Norvège ;
18) Zaidi Yasir[48] est en
Allemagne ;
24) Kabiri Nawid[49] est en France ;
26) Yashidi Nazar Mohammed[50] est en France ;
28) Azimi Mozamil[51] est en Norvège ;
29) Wahidi Rahmat[52] est en Suisse ;
33) Faroz Ahmadi[53] est encore en Grèce, à
Athènes.
Je vous informe aussi que [...] je pourrai vous fournir le numéro de
téléphone de Rahimi Alidad, Ekhlasi Alireza, Kabiri Nawid et Azimi
Mozamil. »
36. Le 6 septembre 2010, la Cour reçut un
message de M. Mozamil Azimi[54], qui demandait des informations sur la
requête et priait la Cour de lui envoyer d’urgence certaines pièces du dossier,
guère mieux identifiées. Le message avait été envoyé par télécopie depuis le
centre d’accueil Heimly mottakssenter
de Finnsnes (Norvège), dont le logo et l’adresse figuraient en en-tête.
37. Par un message télécopié du 6 octobre
2010, Me Ballerini demanda à la Cour de lui envoyer, dans le
plus bref délai, une attestation d’instance d’examen de la requête au nom,
entre autres, de M. Mozamil Azimi, expliquant que celui-ci se trouvait
dans un centre d’accueil en Norvège et avait besoin d’un tel document pour
éviter d’être refoulé.
38. Par
un message télécopié daté du 26 octobre 2010 et reçu par le greffe le 27
octobre 2010, Me Ballerini demanda à la Cour de lui envoyer,
dans le plus bref délai, une attestation d’instance d’examen de la requête au
nom, entre autres, de M. Reza Karimi [55], expliquant
que celui-ci se trouvait dans un centre d’accueil en Italie et que, après avoir
vainement demandé l’asile politique en Norvège, il avait introduit une deuxième
demande à cette fin auprès de la préfecture de police de Bolzano.
39. Par
une lettre du 13 avril 2011, Me Ballerini informa la Cour de la
situation de certains des requérants :
– M. Reza Karimi se trouvait en Afghanistan. Il y était revenu au
terme de l’itinéraire suivant : – après avoir regagné le territoire
italien, il avait introduit auprès de la préfecture de police de Bolzano une
demande visant à l’obtention du statut de réfugié ; dans un premier temps,
il avait été invité à se présenter le 24 août 2010 dans le cadre de
l’instruction de son dossier mais, à la suite d’une décision du ministère de
l’Intérieur du 28 décembre 2010, il avait été renvoyé en Norvège en
vertu des règles de compétence établies par le règlement Dublin II ;
arrivé en Norvège, il avait été refoulé sur-le-champ vers l’Afghanistan ;
– M. Ali Reza Ichlasi[56], alias
Ekhlasi, se trouvait en Autriche (son adresse et son numéro de téléphone
étaient indiqués), où il avait contesté en justice le rejet de sa demande
d’asile ;
– M. Malik Merzai[57] se trouvait en
France (son adresse et son numéro de téléphone étaient indiqués), où il avait
demandé l’asile ;
– M. Mustafa Said Mustafa[58] avait été
rapatrié en Iran (son numéro de téléphone était indiqué) ;
– M. Rahim Rahimi[59] se trouvait en
Allemagne (son adresse et son numéro de téléphone étaient indiqués) ;
– M. Nawid Kabiri[60] se trouvait en
France (son adresse et son numéro de téléphone étaient indiqués) ;
– M. Mozamil Azimi[61] se trouvait en
Norvège, où il avait demandé
l’asile et était pris en charge par le centre d’accueil Heimly mottakssenter de Finnsnes ;
– M. Whaidi Rahmat[62] se trouvait en
Suisse (son adresse et son numéro de téléphone étaient indiqués), où il avait
obtenu un permis de séjour pour raisons humanitaires, valable un an ;
– M. Najeeb Heideri[63] se trouvait en
Italie, auprès d’un centre d’accueil. Il avait introduit une demande d’asile
devant la préfecture de police mais, par une décision du 5 novembre 2010, le
ministère de l’Intérieur avait ordonné son transfèrement en Hongrie, en
application des règles de compétence établies par le règlement Dublin II.
M. Heideri avait attaqué cette décision devant le tribunal administratif
régional (TAR) de Rome, sans toutefois pouvoir obtenir à titre provisoire un
sursis à son exécution ;
– M. Faroz Ahmadi[64] se trouvait
encore en Grèce (son adresse et son numéro de téléphone étaient indiqués).
40. En
revanche, Me Ballerini indiqua ne pas être en mesure de
localiser M. Alidad Rahimi[65], tout en
attirant l’attention de la Cour sur l’existence, dans le réseau social
Facebook, d’un profil au nom de Ali Rahimi, dont la photo correspondait à celle
du requérant lors de son séjour à Patras.
41. Par
une lettre du 6 mai 2011, Me Ballerini fit parvenir à la Cour
copie de la correspondance entretenue avec un avocat du CIR de Gorizia, et qui
contenait des informations sur la situation de M. Reza Karimi[66] en
Afghanistan.
42. Par
une télécopie du 13 mai 2011, Me Ballerini fit parvenir à la
Cour copie de la correspondance entretenue entre M. Yasir Zaidi[67] et Mme Sciurba.
Il ressort de cette correspondance que le requérant se trouvait en Allemagne en
juin 2009 et en Suède en juillet 2009. Son dernier courriel, dans lequel il
demandait des nouvelles de sa requête devant la Cour, datait du 7 mai 2011.
43. Par
une lettre du 17 novembre 2011, Me Ballerini fit parvenir à la
Cour copie de la correspondance entretenue ultérieurement avec le même avocat
du CIR de Gorizia, et qui contenait d’autres informations sur la situation de
M. Reza Karimi[68] en
Afghanistan.
44. Le
6 janvier 2012, la Cour invita Me Ballerini à lui faire
connaître la situation de tous les requérants.
45. Par
une lettre du 30 janvier 2012, Me Ballerini apporta les
réponses partielles suivantes :
– M. Mozamil Azimi[69] se trouvait en rétention en Norvège, où il était représenté par un
autre avocat (les coordonnées de celui-ci étaient indiquées) ;
– M. Ali Reza Ichlasi (alias
Ekhlasi)[70] se trouvait en Autriche (son adresse était indiquée), où il avait contesté
en justice le rejet de sa demande d’asile ;
– M. Nawid Kabiri[71], se trouvait en France (son adresse et son numéro de téléphone portable
étaient indiqués) ;
– M. Rahmat Whaidi[72] vivait en Suisse (son adresse et son numéro de téléphone étaient
indiqués), où il avait obtenu un permis de séjour pour raisons humanitaires,
valable un an ;
– M. Malik Merzai[73] se trouvait en France (son adresse et son numéro de téléphone figuraient
dans la lettre) et attendait la décision des autorités sur sa demande de
protection internationale ;
– M. Najeeb Heideri[74] se trouvait en Italie, dans un centre d’accueil, en attendant la décision
du TAR ;
– M. Reza Karimi[75] avait été rapatrié en Afghanistan ;
– M. Alidad Rhaimi[76] se trouvait encore en Norvège (son numéro de téléphone était
indiqué) ;
– M. Yasir Zaidi[77] se trouvait encore en Grèce (son numéro de téléphone était indiqué).
46. Par
une lettre du 23 mai 2012, Me Ballerini fit parvenir à la Cour
des articles de presse relatant des accrochages s’étant produits près de Patras
(Grèce) entre la police et des militants d’extrême droite opposés à la présence
des demandeurs d’asile. Elle affirmait :
« [La] situation ne cesse de s’aggraver et rend manifestement
impossible de localiser de nouveau les requérants. »
47. Le
3 avril 2013, Me Ballerini informa la Cour, pièces à
l’appui, que M. Najeeb Heideri (alias Najib Haidari)[78] avait obtenu
le statut de réfugié en Italie. Dans le cadre de cette procédure le requérant
avait déclaré notamment avoir essayé à deux reprises de se rendre
clandestinement en Italie depuis la Grèce et avoir fait l’objet dans le port
d’Ancône d’un refoulement informel, sans identification préalable.
48. Le
10 septembre 2013, le gouvernement italien a fait parvenir à la Cour tous les
documents concernant la procédure d’asile de M. Najeeb Heideri (alias
Najib Haidari), en soulignant dans ses commentaires que ce requérant n’avait
jamais été inscrit dans la base de données « Eurodac » comme étant
demandeur d’asile en Grèce.
II. LE
DROIT INTERNATIONAL ET LE DROIT EUROPÉEN PERTINENTS
49. Renvoyant à l’exposé exhaustif du
droit international et européen pertinents figurant dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09,
§§ 54-87, CEDH 2011, la Cour estime opportun de citer certains textes
et dispositions.
A. La
Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés
50. L’Italie et la Grèce ont ratifié la
Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés (« la
Convention de Genève »), qui définit les modalités selon lesquelles un
État doit accorder le statut de réfugié aux personnes qui en font la demande,
ainsi que les droits et les devoirs de ces personnes.
51. L’article 33 § 1 de la
Convention de Genève se lit comme suit :
« 1. Aucun
État contractant n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit,
un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait
menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son
appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. »
52. Dans
sa note sur la protection internationale du 13 septembre 2001 (A/AC.96/951,
§ 16), le HCR, qui a pour mandat de veiller à la manière dont les
États parties appliquent la Convention de Genève, a indiqué que ce principe, dit du
« non-refoulement », était :
« un principe de protection cardinal et ne tolérant aucune réserve.
À bien des égards, ce
principe est le complément logique du droit de chercher asile reconnu dans la
Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce droit en est venu à être
considéré comme une règle de droit international coutumier liant tous les
États. En outre, le droit international des droits de l’homme a établi le
non-refoulement comme un élément fondamental de l’interdiction absolue de la
torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’obligation de ne
pas refouler est également reconnue comme s’appliquant aux réfugiés
indépendamment de leur reconnaissance officielle, ce qui inclut de toute
évidence les demandeurs d’asile dont le statut n’a pas encore été déterminé.
Elle couvre toute mesure attribuable à un État qui pourrait avoir pour effet de
renvoyer un demandeur d’asile ou un réfugié vers les frontières d’un territoire
où sa vie ou sa liberté serait menacée, et où il risquerait une persécution. Cela
inclut le rejet aux frontières, l’interception et le refoulement indirect,
qu’il s’agisse d’un individu en quête d’asile ou d’un afflux massif. »
B. La
recommandation R (84) 1 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative
à la protection des personnes qui ne sont pas formellement reconnues comme
réfugiés
53. Adoptée par le Comité des
Ministres le 25 janvier 1984, lors de la 366e réunion des Délégués
des Ministres, la Recommandation no R (84) 1 du
Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative à la protection des
personnes remplissant les conditions de la Convention de Genève qui ne sont pas
formellement reconnues comme réfugiés est ainsi libellée :
« Le Comité des
Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,
Considérant que le
but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses
membres ;
Vu la Convention
relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 amendée par le Protocole
relatif au statut des réfugiés du 31 janvier 1967, et en particulier
l’article 33 de cette convention ;
Considérant que dans
les États membres du Conseil de l’Europe se trouvent des personnes qui
satisfont aux critères de la définition du terme “réfugié” au sens de l’article
1er de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des
réfugiés amendée par le Protocole du 31 janvier 1967 mais qui, parce qu’elles
n’ont pas demandé le statut de réfugié ou pour d’autres raisons, ne sont pas
formellement reconnues comme réfugiés ;
Rappelant l’attitude
libérale et humanitaire des États membres du Conseil de l’Europe à l’égard des
personnes demandant l’asile et, en particulier, leur engagement en faveur du
principe de non-refoulement comme il ressort de la Résolution (67) 14 sur
l’asile en faveur des personnes menacées de persécution et de la Déclaration
relative à l’asile territorial de 1977 ;
Considérant que le
principe de non-refoulement est reconnu comme un principe général applicable à
toute personne ;
Ayant à l’esprit la
Convention européenne des Droits de l’Homme et en particulier son
article 3 ;
Considérant la
Recommandation 773 (1976) de l’Assemblée Consultative relative à la
situation des réfugiés de facto,
Recommande aux
gouvernements des États membres d’assurer, sans préjudice des exceptions
prévues à l’article 33, paragraphe 2, de la Convention de Genève, que
le principe selon lequel aucune personne ne devrait faire l’objet d’un refus
d’admission à la frontière, d’un refoulement, d’une expulsion ou de toute autre
mesure qui aurait pour effet de l’obliger à retourner ou à demeurer dans un
territoire où elle craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de
sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social
ou de ses opinions politiques, soit appliqué indépendamment du fait que cette
personne ait été ou non reconnue comme réfugié selon la Convention relative au
statut des réfugiés du 28 juillet 1951 et le Protocole du 31 janvier
1967. »
C. Le droit
de l’Union européenne
1. Les
règlements « Dublin » et « Eurodac »
54. Le règlement no 343/2003
du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de
détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile
présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (dit
règlement « Dublin II » – ou simplement « règlement Dublin »)
s’applique aux États membres de l’Union européenne ainsi qu’à la Norvège, à
l’Islande et à la Suisse.
55. Ce règlement remplace les
dispositions de la Convention de Dublin relative à la détermination de l’État
responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États
membres des Communautés européennes (système « Dublin I »), qui avait
été signée le 15 juin 1990.
Il est complété par
un règlement d’application (no 1560/2003, du 2 septembre
2003).
56. Ainsi qu’il ressort du deuxième
considérant de l’exposé des motifs figurant en tête de celui-ci, le règlement « Dublin
II » repose sur la
présomption que les États membres respectent le principe de non-refoulement
prévu par la Convention de Genève et sont considérés comme des pays sûrs.
57. En vertu du règlement, les États
membres sont tenus de déterminer, sur la base de critères objectifs et
hiérarchisés (articles 5 à 14), l’État membre responsable de l’examen
d’une demande d’asile présentée sur leur territoire. Notamment, si le demandeur
d’asile a franchi irrégulièrement la frontière d’un État membre dans lequel il
est entré en venant d’un État tiers, cet État membre reste responsable de
l’examen de la demande d’asile dans les douze mois suivant le franchissement de
sa frontière (article 10 § 1). Ce système vise à éviter le phénomène de
demandes multiples, et en même temps à garantir que le cas de chaque demandeur
d’asile sera traité par un seul État membre.
58. Si l’application des critères mis en
place par le règlement désigne un autre État membre comme responsable, ce
dernier est sollicité pour prendre en charge le demandeur d’asile et, partant,
pour examiner sa demande.
59. Dans l’hypothèse où l’État requis
reconnaît sa responsabilité (ou ne répond pas dans un délai de deux mois à
compter de la réception de la demande), le premier État membre est tenu de
notifier au demandeur une décision motivée l’informant de son obligation de le
transférer. Ce transfert doit avoir lieu au plus tard dans les six mois à
compter de l’acceptation de la demande de prise en charge. Si le transfert
n’est pas exécuté dans les délais, la responsabilité incombe à l’État membre
auprès duquel la demande d’asile a été introduite.
60. Chaque État membre reste libre
d’examiner, par dérogation à la règle générale, une demande d’asile dont
l’examen ne lui échoit pas en vertu des critères fixés dans le règlement
(article 3 § 2). Il s’agit de la clause dite de
« souveraineté ». Dans ce cas, cet État devient l’État membre
responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité.
61. En outre, tout État membre peut, même
si l’application des critères définis par le règlement ne lui en confère pas la
responsabilité, rapprocher des membres d’une même famille, ainsi que d’autres
parents à charge pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des
motifs familiaux ou culturels (article 15 § 1). Il s’agit de la
clause dite « humanitaire ». Dans ce cas, cet État membre examine, à
la demande d’un autre État membre, la demande d’asile de la personne concernée.
Les personnes concernées doivent y consentir.
62. Ce règlement est complété par le règlement no 2725/2000 du
11 décembre 2000 relatif à la création du système Eurodac pour la
comparaison des empreintes digitales. Ce système impose aux États d’enregistrer
les empreintes digitales des demandeurs d’asile. Les données sont transmises à
l’unité centrale d’Eurodac, gérée par la Commission européenne, qui les
enregistre dans la base de données centrale et les compare avec les données qui
y sont déjà stockées.
63. Le règlement Dublin II a été refondu
par le règlement no 604/2013 du 26 juin 2013 (dit règlement
« Dublin III »). Entré en vigueur le vingtième jour suivant celui de
sa publication au Journal officiel de l’Union européenne (JO L 180/31 du
29 juin 2013), le règlement Dublin III est applicable aux demandes de
protection internationale introduites à partir du premier jour du sixième mois
suivant son entrée en vigueur (soit le 1er janvier 2014), ainsi
qu’à toute requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de
demandeurs, quelle que soit la date de leur demande.
64. Cette réforme du système de Dublin
vise, notamment, à accroître la protection des demandeurs d’asile dans le
processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de leur
demande. Dans ce but, le nouveau règlement prévoit que :
– le demandeur
d’asile a le droit d’être informé, entre autres :
◦
des
conséquences de la présentation d’une autre demande dans un État membre
différent, ainsi que des conséquences du passage d’un État membre à un autre
pendant les phases au cours desquelles l’État membre responsable en vertu du
présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale
examinée ;
◦
des
critères de détermination de l’État membre responsable, de leur hiérarchie et
de leur durée ;
◦
de la
possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de
demander une suspension du transfert ;
– la Commission rédige,
au moyen d’actes d’exécution, une brochure commune ainsi qu’une brochure
spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les
informations susmentionnées ;
– l’État membre
procédant à la détermination de l’État membre responsable pour examiner la
demande mène, au moyen de personnel qualifié, un entretien individuel et
confidentiel avec le demandeur, dans une langue qu’il comprend ou avec l’aide
d’un interprète ;
– l’intérêt
supérieur de l’enfant est une considération primordiale pour les États membres
dans toutes les procédures prévues par le règlement. Les États membres
veillent, en particulier, à ce que tout mineur non accompagné soit représenté
ou assisté dans toutes les procédures prévues par le règlement.
65. Les droits et garanties prévus par le
nouveau règlement s’appliquent dès qu’une demande de protection internationale
a été introduite, c’est ‑ à ‑ dire à partir du
moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé
par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l’État membre
concerné (articles 2 c), 4 et 20 § 2).
66. Le règlement Eurodac a été également
refondu par le règlement no 603/2013 du 26 juin 2013 (dit
« Eurodac II ») (JO L 180 du 29 juin 2013).
2. Les
directives « Accueil » et « Procédure »
67. La
directive 2003/9 du 27 janvier 2003 relative à des normes
minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (dite
« directive Accueil »), entrée en vigueur le jour de sa publication
au Journal officiel (JO L 31 du 6 février 2003), prévoit que les États doivent
garantir aux demandeurs d’asile :
– certaines conditions d’accueil
matérielles, notamment en ce qui concerne le logement, la nourriture et
l’habillement, qui doivent être fournis en nature ou sous forme d’allocations
financières. Les allocations doivent être suffisantes pour empêcher que le
demandeur ne tombe dans une situation d’indigence ;
– des dispositions appropriées afin de
préserver l’unité familiale ;
– les soins médicaux et
psychologiques ;
– l’accès des mineurs au système éducatif
et aux cours de langues lorsque cela est nécessaire pour leur assurer une
scolarité normale.
68. Dans sa rédaction initiale,
l’article 3 (« Champ d’application ») de ladite directive se lisait comme suit :
« 1. La
présente directive s’applique à tous les ressortissants de pays tiers et
apatrides qui déposent une demande d’asile à la frontière ou sur le territoire
d’un État membre tant qu’ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en
qualité de demandeurs d’asile, ainsi qu’aux membres de leur famille, s’ils sont
couverts par cette demande d’asile conformément au droit national. »
69. La
directive Accueil a fait l’objet d’une refonte par la directive no 2013/33
du 26 juin 2013 (JO L 180/96 du 29 juin 2013), dans le but de garantir un
régime européen commun concernant les conditions matérielles d’accueil et les droits
fondamentaux des demandeurs d’asile, et de faire en sorte que la mise en
rétention des demandeurs d’asile ne soit envisagée que comme mesure de dernier
ressort.
70. Dans
sa nouvelle version, l’article 3
(« Champ d’application ») de
la directive Accueil est ainsi libellé :
« La présente
directive s’applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui
présentent une demande de protection internationale sur le territoire d’un État
membre, y compris à la frontière, dans les eaux territoriales ou les zones de
transit, tant qu’ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de
demandeurs, ainsi qu’aux membres de leur famille, s’ils sont couverts par cette
demande de protection internationale conformément au droit national. »
71. La directive 2005/85 du 1er décembre
2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de
retrait du statut de réfugié dans les États membres (dite « directive
Procédure »), entrée en vigueur le jour de sa publication au Journal
officiel (JO L 326/13 du 13 décembre 2005), garantit, entre autres, les
droits suivants :
– les demandeurs d’asile doivent être
informés de la procédure à suivre, de leurs droits et obligations, et du
résultat de la décision prise par l’autorité responsable de la
détermination des personnes à protéger ;
– les demandeurs d’asile doivent
bénéficier, en tant que de besoin, des services d’un interprète pour présenter
leurs arguments aux autorités compétentes ;
– les demandeurs d’asile doivent
bénéficier de la possibilité de communiquer avec le HCR. Plus généralement, les
États membres doivent permettre au HCR d’accéder aux demandeurs d’asile, y
compris ceux placés dans des lieux de rétention, ainsi qu’aux informations
concernant les demandes et procédures d’asile, et lui permettre de donner son
avis à toute autorité compétente ;
– les demandeurs d’asile doivent avoir la
possibilité effective de consulter, à leurs frais, un conseil juridique.
72. La directive Procédure à fait l’objet
d’une refonte par la directive no 2013/32 du 29 juin 2013
(JO L 180/60 du 29 juin 2013), dans le but d’augmenter l’équité, la
rapidité et la qualité des décisions en matière d’asile en mettant au point des
normes concernant les procédures d’octroi et de retrait de la protection
internationale dans les États membres en vue d’établir une procédure d’asile
commune dans l’Union.
Les principes de la
directive Procédure refondue – tels que résumés dans l’exposé des motifs – sont
notamment les suivants :
– chaque demandeur
doit avoir un accès effectif aux procédures, pouvoir coopérer et communiquer de
façon appropriée avec les autorités compétentes afin de présenter les faits
pertinents le concernant, et disposer de garanties de procédure suffisantes
pour faire valoir ses motifs à tous les stades de la procédure ;
– chaque demandeur
doit, par ailleurs, avoir la possibilité de communiquer avec un représentant du
HCR et avec les organisations qui fournissent aux demandeurs de protection
internationale des conseils ou des orientations ;
– afin de garantir
l’accès effectif à la procédure d’examen des demandes d’asile, les agents qui
entrent en premier en contact avec les personnes demandant une protection
internationale, en particulier les agents chargés de la surveillance des
frontières terrestres ou maritimes ou des contrôles aux frontières, reçoivent
des informations pertinentes et une formation adéquate, de sorte qu’ils soient
en mesure de fournir aux ressortissants de
pays tiers ou aux apatrides qui se trouvent sur le territoire des États
membres, y compris à la frontière, dans les eaux territoriales ou dans les
zones de transit, et qui demandent une protection internationale, les
informations pertinentes leur permettant de savoir où et comment ils peuvent
introduire une demande de protection internationale.
73. Des garanties accrues sont prévues
pour les mineurs non accompagnés. Notamment, certaines limites sont envisagées
en ce qui concerne le traitement de leurs demandes d’asile dans le cadre de
procédures d’examen accélérées ou menées à la frontière.
3. Le
Bureau européen d’appui en matière d’asile
74. Le règlement no 439/2010
du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 (JO L 132/27 du 29 mai
2010) a institué un Bureau européen d’appui en matière d’asile (« le
Bureau d’appui »), afin de contribuer à améliorer la mise en œuvre du
régime d’asile commun, de renforcer la coopération pratique en matière d’asile
entre les États membres et d’apporter un appui opérationnel aux États membres
dont les régimes d’asile et d’accueil sont soumis à des pressions particulières
ou de coordonner la fourniture de cet appui.
75. Le Bureau d’appui coordonne,
notamment, les actions d’appui aux États membres dont les régimes d’asile et
d’accueil sont soumis à des pressions particulières, par exemple en raison de
l’arrivée soudaine d’un grand nombre de ressortissants de pays tiers
susceptibles de nécessiter une protection internationale ou à cause de la
situation géographique ou démographique de l’État membre. Dans ce cadre, le
Bureau assure le déploiement sur le territoire de l’État concerné, pour une
durée limitée, d’une ou plusieurs équipes d’appui asile chargées d’apporter une
assistance technique, en particulier en ce qui concerne les services
d’interprétation, les informations sur les pays d’origine et la maîtrise du
traitement et de la gestion des dossiers d’asile.
76. Le 1er février 2011, le
Bureau d’appui est devenu opérationnel comme agence de l’Union européenne.
4. Le cadre
juridique de Schengen
77. L’Accord de Schengen signé le 14 juin
1985 entre l’Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas
vise à supprimer progressivement les contrôles aux frontières communes aux
États signataires et à instaurer un régime de libre circulation des personnes,
aussi bien pour leurs propres ressortissants que pour ceux des autres États
membres ou de pays tiers.
L’accord est
complété par une convention, qui définit les conditions d’application et les
garanties de mise en œuvre de cette libre circulation. Signée à Schengen le 19
juin 1990 par les cinq mêmes États membres, elle n’est entrée en vigueur qu’en
1995.
78. L’Italie et la Grèce ont signé ces
accords le 27 novembre 1990 et le 6 novembre 1992, respectivement.
79. L’Accord et la Convention de
Schengen, ainsi que les accords connexes, forment ce qu’il est convenu
d’appeler « l’acquis de Schengen ». Depuis 1999, l’acquis de Schengen
est intégré au cadre institutionnel et juridique de l’Union européenne en vertu
d’un protocole annexé aux traités.
80. Le 15 mars 2006, le Parlement
européen et le Conseil ont adopté le règlement (CE) no 562/2006
(JO L 105 du 13 avril 2006), établissant un code communautaire relatif au
régime de franchissement des frontières par les personnes (dit « code
frontières Schengen »). Ce règlement opère une réforme de l’acquis
existant en matière de contrôle frontalier. Il vise à consolider et à
développer le volet législatif de la politique de gestion intégrée des
frontières, en précisant les règles relatives au franchissement des frontières
extérieures – sachant que les contrôles frontaliers entre États membres sont, en
principe, supprimés.
81. Le vingtième considérant du code des
frontières Schengen se lit ainsi :
« Le présent
règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont
reconnus notamment par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Il devrait être mis en œuvre dans le respect des obligations des États membres
en matière de protection internationale et de non-refoulement. »
82. L’article 3 du code des
frontières Schengen est ainsi libellé :
« Le présent
règlement s’applique à toute personne franchissant la frontière intérieure ou
extérieure d’un État membre, sans préjudice :
[...]
b) des droits des
réfugiés et des personnes demandant une protection internationale, notamment en
ce qui concerne le non-refoulement. »
D. L’accord
bilatéral de réadmission de 1999
83. Le 30 mars (ou le 30 avril, selon le
gouvernement italien) 1999, l’Italie et la Grèce ont signé un accord bilatéral
concernant la réadmission des personnes en situation irrégulière
(« l’accord bilatéral de 1999 »). Le texte de cet accord, qui n’a pas
été versé au dossier par les gouvernements défendeurs, a été publié dans le
Journal officiel de la République hellénique du 7 novembre 2000 ; il n’a
pas fait l’objet d’une publication officielle en Italie.
84. L’article 5 de cet accord
prévoit que chacune des Parties contractantes réadmet sur son territoire, à la
demande de l’autre et sans aucune formalité, tout ressortissant d’un pays tiers
qui est entré sur le territoire de la seconde après avoir, dans les douze mois
précédant la demande, transité ou séjourné sur le territoire de la première. La
demande de réadmission doit être introduite dans le délai de trois mois à
compter de la constatation de la présence de l’étranger dans l’État demandeur.
85. L’article 6 exclut du champ
d’application de cette obligation de réadmission :
a) les
ressortissants des États ayant une frontière en commun avec l’État
demandeur ;
b) les
individus bénéficiant d’un titre de séjour dans une des Parties contractantes;
c) les
individus dont le séjour sur le territoire de l’État demandeur s’est prolongé
plus de six mois après la transmission de la demande de réadmission ;
d) les
réfugiés reconnus comme tels par l’État demandeur en application de la
Convention de Genève de 1951, et les apatrides tels que définis par la
Convention de New York de 1954 ;
e) les
individus relevant du champ d’application de la Convention de Dublin ;
f) les
individus qui ont déjà fait l’objet d’un éloignement depuis l’État demandeur
vers leur pays d’origine ou un État tiers ;
g) les individus
possédant un titre de séjour délivré par un des États parties à l’Accord de
Schengen ;
h) les
individus dont le séjour sur le territoire de l’État demandeur a pris fin plus
d’un an avant la demande de réadmission.
86. L’article 7 souligne les efforts
que les Parties contractantes doivent déployer pour que la reconduite des
personnes visées par une demande de réadmission soit assurée de manière
prioritaire.
87. Un protocole sur l’exécution de l’accord
est annexé à celui-ci. L’article 8 de l’accord renvoie notamment audit
protocole pour l’exposé détaillé des conditions d’introduction des demandes de
réadmission, ainsi que pour la question des frais de transfert de la personne
visée par une telle demande. L’article 22 de l’accord renvoie également à
ce protocole pour la liste des autorités habilitées à traiter les demandes de
réadmission.
88. Ainsi, selon le protocole sur
l’exécution, la demande de réadmission doit mentionner, notamment, les données
permettant d’identifier la personne visée, sa nationalité, et être accompagnée
de deux photos. Cette demande, rédigée sur un formulaire comportant
l’indication des autorités demanderesses et des autorités requises, doit être
transmise à ces dernières par télécopie ; elles doivent répondre dans le
plus bref délai et au plus tard 48 heures après la réception de la demande.
89. Enfin, l’article 23 de l’accord
contient une clause de sauvegarde précisant que celui-ci ne fait pas obstacle à
l’application de la Convention de Genève de 1951 ou des autres accords et
conventions par lesquels seraient liées les Parties en matière de protection
des droits de l’homme.
III. LE
DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES GRECS PERTINENTS
90. Le droit et la pratique grecs
pertinents et applicables ratione
temporis sont résumés dans l’arrêt M.S.S.
c. Belgique et Grèce, précité, §§ 88-127.
91. Il ressort du plan d’action soumis au
Comité des Ministres du Conseil de l’Europe dans le cadre de l’exécution de
l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce,
précité, en vue de la réunion DH no 1120 (13 ‑ 14 septembre
2011), que la procédure d’asile en Grèce a été réformée, d’abord, par le décret
présidentiel no 114/2010 (JO A 195/22 novembre 2010) et, ensuite, par les articles 1
à 15 de la loi no 3907/2011 (JO A 26 janvier 2011).
92. Cette réforme vise, notamment, à
constituer un service de premier accueil, chargé de l’organisation et de la
gestion de centres de premier accueil établis localement ainsi que dans des unités
extraordinaires ou mobiles. Ces centres assurent, notamment, l’assistance
d’interprètes dans les langues des pays d’origine des immigrants (art. 9 § 4).
Dans ces centres, les nouveaux venus sont informés de leurs droits et
obligations ; les demandeurs d’asile et ceux qui appartiennent à des
catégories vulnérables (mineurs, femmes enceintes ou en couches, personnes
âgées, familles monoparentales) sont séparés des autres personnes.
93. En vue de la réunion DH no 1144
(4-6 juin 2012), le gouvernement grec a informé le Comité des Ministres des
développements intervenus dans la mise en œuvre de la réforme de la procédure
d’asile, en soulignant notamment la réalisation, en coopération avec le HCR,
d’une brochure d’information pour les demandeurs d’asile dans quatorze langues.
94. Pour
de plus amples informations sur la législation et la pratique pertinentes, voir
aussi les arrêts Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10,
25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11,
2 mai 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août
2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10,
12 décembre 2013), et B.M. c. Grèce (no 53608/11,
19 décembre 2013).
IV. LE
DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ITALIENS PERTINENTS
95. Le droit et la pratique italiens
pertinents et applicables ratione
temporis sont résumés dans la décision Mohammed
Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie, no 27725/10,
§§ 33-41, 2 avril 2013.
96. Le Conseil italien pour les réfugiés
(CIR) est une organisation non gouvernementale italienne qui offre assistance
aux personnes contraintes de fuir leur pays. À l’époque des faits de la cause,
il était chargé du service d’accueil, d’assistance et d’information en matière
d’asile et d’autres formes de protection internationale à l’égard des étrangers
débarqués, notamment, dans les ports d’Ancône, Bari et Venise, sur la base de
conventions avec les préfectures de ces villes.
V. DOCUMENTS INTERNATIONAUX CONCERNANT les conditions D’accueil des demandeurs d’asile AINSI QUE la
procédure d’asile en Grèce
97. Une liste des documents et des
rapports internationaux concernant, notamment, les conditions des demandeurs
d’asile ainsi que la procédure d’asile en Grèce figurent dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité (§§
159 et suivants).
98. Dans les décisions adoptées dans le
cadre de l’exécution de l’arrêt M.S.S. c.
Belgique et Grèce, précité (CM/Del/Dec(2011)1120/2, du
14 septembre 2011 ; CM/Del/Dec(2012)1144/5, du 6 juin 2012 ; CM/Del/Dec(2013)1164/5, du 5
mars 2013), le Comité des ministres a pris note avec intérêt des
mesures présentées par les autorités grecques, et notamment de l’entrée en
vigueur de la loi no 3907/2011 « sur l’établissement d’un
service de l’asile et d’un service de premier accueil », destinée à mettre
les conditions de détention et de vie des demandeurs d’asile comme la procédure
d’asile en conformité avec les conclusions de la Cour dans ledit arrêt.
Toutefois, dans la
décision no 5 du 6 juin 2012, précitée, le Comité des ministres
a invité les autorités grecques à intensifier
leurs efforts pour restaurer un plein accès à la procédure d’octroi d’asile.
Dans la décision no 5 du 7 mars 2013, précitée, le Comité
des ministres a « invité instamment les autorités grecques à intensifier leurs efforts en vue d’accélérer les
réformes retardées (en particulier le fonctionnement du nouveau Service de
l’asile) et de résoudre les problèmes pratiques concernant l’accès à la
procédure d’asile [...] et l’introduction de demandes d’asile en
détention ».
99. Le
rapport du Commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Nils Muižnieks, publié le 16 avril 2013 à la suite de
sa visite en Grèce du 28 janvier au 1er février 2013, se lit comme
suit en ce qui concerne les migrants mineurs et non accompagnés (traduction par
le greffe) :
« 146. [...] Le
Commissaire est particulièrement inquiet au sujet de la situation des migrants
mineurs non accompagnés. Il a rencontré un groupe de jeunes migrants afghans
dans le parc « Pediontou Areos » d’Athènes où ils s’abritent dans des
conditions difficiles en l’absence de toute autre solution d’hébergement.
147. Le Commissaire
s’inquiète de la persistance de la plupart des problèmes déjà signalés en 2009
et 2010 au sujet des migrants mineurs. Il n’y a pas de procédures adéquates
pour identifier les mineurs non accompagnés ou séparés de leurs parents ni de
dispositifs de protection adéquats, y compris la garde du mineur. Ces lacunes
rendent les migrants mineurs très exposés à la traite, à la contrebande et à la
violence raciste. »
100. En ce qui concerne, de manière plus
générale, le sujet du droit et de la pratique grecs en matière d’asile et de
migrations, le rapport susmentionné du Commissaire aux droits de l’homme se
conclut comme suit (traduction par le greffe) :
« 150. Le
Commissaire se félicite des mesures adoptées par les autorités grecques depuis
2011 [voir les paragraphes 91-92 ci‑dessus] afin de mettre en place une
procédure d’asile effective en Grèce. Il recommande vivement aux autorités de
veiller à ce que les nouveaux services d’asile deviennent opérationnels sans
nouveaux délais et d’améliorer de manière substantielle la capacité d’accueil
des demandeurs d’asile. En outre, il faut mettre fin à la pratique
administrative suivie par la direction de la police d’Athènes concernant
l’introduction des demandes d’asile, car cette pratique est dégradante pour les
demandeurs d’asile. En attendant, les États de l’Union européenne doivent se
prévaloir de la “clause de souveraineté” prévue par l’article 3 § 2
du règlement Dublin et ne doivent pas renvoyer les demandeurs d’asile en
Grèce. »
VI. DOCUMENTS INTERNATIONAUX CONCERNANT LES CONDITIONS D’ACCUEIL DES DEMANDEURS D’ASILE et LA PRATIQUE DES
AUTORITÉS FRONTALIÈRES ITALIENNES DANS LES PORTS DE LA MER ADRIATIQUE
101. Plusieurs rapports d’organisations
nationales et internationales ainsi que d’organisations non gouvernementales
relatent des épisodes de refoulement indiscriminé vers la Grèce de la part des
autorités frontalières italiennes dans les ports de la mer Adriatique, parmi
lesquels les ports de Bari, Ancône et
Venise. Il ressort de ces
rapports que ce n’est qu’au bon vouloir de la police des frontières que les
personnes interceptées et dépourvues de papiers seraient mises en contact avec
un interprète et des agents à même de leur fournir les informations minimales
concernant le droit d’asile et la procédure pertinente ; très souvent,
elles ne rencontreraient que des agents de police et seraient confiées immédiatement
aux capitaines de navires de commerce ou de tourisme en vue d’être reconduites
en Grèce. Des défaillances dans l’identification et l’assistance des mineurs
sont également signalées.
102. La liste des principaux rapports
figure ci-après :
– CIR, Rapporto attività 2007, mai 2008 ;
– Progetto Melting Pot Europa, Diritti respinti. Gli atti
dell’assemblea cittadina sul porto di Venezia, 11 décembre 2008 ;
– Integration
Catholic Migration Commission, May Day! Strengthening responses of assistance
and protection to boat people and other migrants arriving in Southern Europe,
septembre 2011 ;
– Pro Asyl –
Greek Council for Refugees, Human Cargo. Arbitrary readmissions from the
Italian sea ports to Greece, juillet 2012 ;
– HCR, Recommendations
on Important Aspects of Refugee Protection in Italy, juillet 2012 ;
– Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Report by Nils Muižnieks,
Commissioner for Human Rights of the Council of Europe following his visit to
Italy from 3 to 6 July 2012, 18 septembre 2012 ;
– European
Network for Technical Cooperation on the Application of Dublin II Regulation, Dublin II Regulation National Report. Italy,
19 décembre 2012 ;
– Human
Rights Watch, Turned Away. Summary Returns of Unaccompanied Migrant Children
and Adult Asylum Seekers from Italy to Greece, janvier 2013 ;
– Conseil des
droits de l’homme des Nations unies, Report by the Special Rapporteur on the
human rights of migrants, François Crépeau. Mission to Italy (29 September – 8
October 2012), 30 avril 2013.
103. Le rapport du rapporteur spécial du
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe se lit
ainsi (traduction par le greffe) :
« Le
Commissaire prend note du grand arrêt Hirsi
Jamaa [et autres c. Italie [GC],
no 27765/09, CEDH 2012]
concernant le renvoi en Libye de migrants interceptés, et se félicite des
déclarations des plus hauts représentants politiques selon lesquelles, eu égard
à cet arrêt, l’Italie ne poursuivra pas cette politique. Il estime que la
renégociation de l’accord bilatéral avec la Libye doit inclure des garanties du
respect des droits de l’homme afin d’empêcher que des violations similaires [à
celles constatées dans l’affaire Hirsi
Jamaa, précitée] puissent se produire en cas d’expulsion, d’interception ou
de renvoi. Il exprime son inquiétude à propos des rapports selon lesquels des
problèmes similaires sont entraînés par l’application d’autres accords
bilatéraux, comme l’accord de réadmission avec l’Égypte et la Tunisie, et des
renvois automatiques en Grèce. Le Commissaire recommande vivement aux autorités
italiennes de veiller à ce que tous les migrants, y compris ceux qui sont
interceptés, aient pleinement accès à la procédure d’asile et, dans ce but, de
prévoir la formation continue des agents impliqués, comme les agents de la
police des frontières. »
104. Le rapport du rapporteur spécial du
Conseil des droits de l’homme des Nations unies se lit ainsi (traduction
par le greffe) :
« [...] on
constate une augmentation de l’arrivée [en Italie] de migrants irréguliers
depuis la Grèce. À cet égard, il y a lieu de mentionner l’accord de réadmission
Grèce ‑ Italie de 1999, aux termes duquel les deux Parties
acceptent le renvoi des migrants sans papiers qui sont entrés irrégulièrement
dans l’un de ces deux pays en provenance de l’autre. En fait, le nombre des
renvois en Grèce sur la base de cette procédure n’apparaît pas très élevé.
Toutefois, le
Rapporteur spécial s’inquiète beaucoup d’une autre pratique, à savoir le renvoi
non enregistré d’immigrants irréguliers interceptés comme passagers clandestins des ferry-boats
arrivés dans les ports italiens de la mer Adriatique. Ces ferry-boats, souvent
en provenance de Patras et Igoumenitsa en Grèce, arrivent dans les ports
italiens d’Ancône, Bari, Brindisi et Venise. Selon les témoignages reçus par le
Rapporteur spécial, les immigrants interceptés dans les ferry-boats sont remis
aux mains du capitaine du navire et ne sont même pas autorisés à débarquer [...].
Ils sont renvoyés en Grèce par le même navire [...].
Le Rapporteur
spécial note que ces refoulements semblent avoir lieu sans garanties
procédurales propres à permettre de vérifier de manière adéquate les éventuels
besoins de protection, notamment les demandes d’asile, bien que la loi
italienne reconnaisse le droit de demander l’asile ainsi que de recevoir les
informations et l’assistance nécessaires à cet égard [...]. En outre, bien que
les autorités desdits ports aient signé des accords avec des ONG pour assister
les immigrants, ces mêmes ONG allèguent avoir un accès réduit et limité aux
personnes concernées. En particulier, il a été dit au Rapporteur que la police
des frontières n’informe pas régulièrement ces ONG de l’interception des
personnes arrivées irrégulièrement et certaines de ces ONG ont signalé qu’elles
n’ont pas accès à la “zone stérile”, c’est-à-dire à la zone du port où ces
personnes sont gardées avant d’être refoulées. L’accès aux procédures d’asile
semble dépendre de la décision de la police des frontières dans les ports, dont
les agents ont souvent une connaissance limitée du droit international
concernant la protection des demandeurs d’asile [...].
Une autre grave
préoccupation tient au fait que, dans le cadre de ces refoulements, des mineurs
non accompagnés ont été renvoyés en Grèce. Le renvoi de mineurs non accompagnés
constitue une violation directe du droit international et italien [...].
Le Rapporteur
spécial a appris par les autorités italiennes que ces renvois sont considérés
comme justifiés sur la base de l’accord de réadmission de 1999 entre l’Italie
et la Grèce. L’application de cet accord de réadmission dans ce contexte
apparaît cependant discutable [...]. [Il] apparaît que ces personnes sont
renvoyées sans aucune procédure de réadmission ou de demande d’autorisation
vers la Grèce, ce qui doit être considéré comme [en contradiction avec les
stipulations] dudit accord de réadmission. On cite aussi les règles de Schengen
comme base légale fondamentale de ces renvois, en affirmant qu’ils sont bien
justifiés dans l’espace Schengen. Pourtant le Rapporteur spécial note que le
code des frontières de Schengen prévoit clairement qu’il sera appliqué dans le
respect des droits fondamentaux et conformément aux obligations internationales
des États en matière de protection internationale et de non ‑ refoulement
[...].
Eu égard à l’arrêt M.S.S., [précité], l’Italie devrait
prohiber formellement la pratique des refoulements automatiques et informels
vers la Grèce. En outre, des procédures officielles de contrôle et de triage
devraient être mises en place, au cours desquelles tout immigrant intercepté
par les autorités portuaires devrait avoir la possibilité de faire valoir ses
besoins de protection et de demander l’asile. Toutes les autorités portuaires
devraient recevoir officiellement une formation en droit international des
droits de l’homme, y compris le droit de demander l’asile et les droits des
mineurs ; de même, elles devraient être sensibilisées au fait que les
avocats ainsi que les représentants d’ONG et d’organisations internationales
doivent avoir pleinement et librement accès au port et à toute autre zone ou
pourraient se trouver des immigrants. »
VII. DOCUMENTS
INTERNATIONAUX DÉCRIVANT LA SITUATION EN AFGHANISTAN
105. Depuis 2007, le HCR publie des
« Lignes directrices sur l’appréciation des besoins de protection
internationale des demandeurs d’asile en provenance d’Afghanistan », qui
sont mises à jour périodiquement. Les éléments pertinents de la version de
juillet 2009 (dont un aperçu plus détaillé figure dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§
197-202) peuvent se résumer comme suit.
106. Sur la base des informations
recueillies entre novembre 2007 et mars 2009, l’Afghanistan est décrit comme le
théâtre d’un conflit armé en cours d’intensification, qui oppose le
gouvernement et ses alliés internationaux à plusieurs groupes d’insurgés, dont
les talibans, le Hezb-e Islami et Al-Qaïda, et dans le cadre duquel une nébuleuse
complexe de groupes armés légaux et illégaux et de groupements criminels
organisés joue également un rôle important.
107. Dans ce contexte, l’évaluation du
besoin de protection internationale des demandeurs d’asile provenant d’Afghanistan
doit avoir lieu, selon le HCR, sur une base individuelle, en considérant de
manière favorable ceux qui appartiennent à certaines catégories ou proviennent
de certaines zones du pays.
108. Le HCR relève, notamment, les éléments
suivants :
a) les
personnes appartenant à l’ethnie hazâra continuent de faire l’objet des
discriminations sociales dont elles sont traditionnellement victimes de la part
des personnes appartenant à l’ethnie pachtoune, et peuvent être menacées par la
croissance du pouvoir des « seigneurs de la guerre », même si ces
risques n’ont pas la même envergure dans tout le pays ;
b) le
conflit armé s’est exacerbé dans certaines provinces situées dans le centre du
pays, comme celle de Ghazni, où des exécutions sommaires et des meurtres de
civils sont signalés ; les ONG font état de sérieuses difficultés d’accès
à cette province ;
c) les
mineurs non accompagnés ou séparés de leurs parents constituent l’une des
catégories les plus vulnérables en Afghanistan ; le nombre de mineurs qui
font l’objet de meurtres, d’exploitation, ou de violences en tout genre ne
cesse d’augmenter, ainsi que leur recrutement forcé dans les milices des divers
groupes combattants.
109. La possibilité de réinstallation
interne est considérée comme exceptionnelle.
EN DROIT
I. QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
A. Sur la
recevabilité ratione personae et le caractère abusif de la requête
1. Thèse
des parties
110. Le gouvernement italien souligne que,
exception faite de M. Reza Karimi, aucun des requérants ne figure dans les
documents ou bases de données officiels des autorités nationales. Les personnes
ayant signé les procurations pour introduire la requête devant la Cour
auraient, vraisemblablement, donné de fausses identités à leurs avocats.
111. En ce qui concerne M. Reza
Karimi, en s’appuyant sur une note de la police des frontières, le gouvernement
italien indique qu’une personne avec les même nom et prénom a été effectivement
identifiée le 14 janvier 2009 au port d’Ancône, mais il souligne que
l’année de naissance déclarée par celle-ci aux autorités (1973) ne correspond
pas à l’année de naissance mentionnée sur le formulaire de requête (1974).
112. Dès
lors, s’appuyant sur l’arrêt Hussun et autres c. Italie (radiation), nos 10171/05,
10601/05, 11593/05 et 17165/05, 19 janvier 2010, le gouvernement italien invite la Cour à
déclarer la requête irrecevable comme étant abusive ou incompatible ratione personae avec la Convention.
113. Le gouvernement grec, de son côté,
expose que malgré les investigations approfondies auxquelles il a été procédé,
il apparaît qu’à l’exception de dix d’entre eux (mentionnés au paragraphe 13
ci‑dessus), les requérants sont inconnus des autorités.
114. Il explique que l’impossibilité de
retrouver une trace de la plupart des requérants en tant que personnes ayant traversé
le pays n’est pas liée à une faiblesse du système Eurodac (paragraphe 62
ci‑dessus) ou à sa mauvaise mise en œuvre en Grèce, mais est imputable
exclusivement au fait que les immigrants irréguliers, généralement sans
papiers, donnent très souvent aux autorités des identités fausses ou
incomplètes ; en outre, il arrive aussi que plusieurs immigrants déclarent
aux autorités le même nom.
115. En conséquence, le gouvernement grec
invite la Cour à déclarer la requête irrecevable comme étant incompatible ratione personae avec la Convention à
l’égard des requérants qui n’ont pas été identifiés[79].
116. La
représentante des requérants estime que l’existence de ces derniers ne
saurait être mise en discussion, sauf à vouloir douter de l’authenticité des
procurations, ce qui reviendrait à accuser trois avocats de faux. Au contraire,
continue Me Ballerini,
« les
requérants ont raconté leur histoire personnelle, ont accepté d’être
interviewés et photographiés, ont montré les quelques papiers qu’ils
possédaient et ont signé les procurations en présence de leur défenseur grec et
d’un interprète tous deux dignes de confiance, en déclinant leur identité. Il
s’agit de faits incontestables, pouvant être prouvés à travers des documents
inattaquables et que les témoignages des agents humanitaires présents à Patras
[...] ainsi que de leur avocate grecque, Me Masouridou, pourraient
ultérieurement confirmer. »
117. En tout état de cause, la difficulté
d’obtenir des informations plus précises et détaillées à propos des requérants
procéderait de l’absence de coopération des gouvernements défendeurs avec la
Cour, au mépris de l’article 38, paragraphe 1 a) de la Convention,
ainsi que de la pratique des pays défendeurs en matière de gestion de flux
migratoires – pratique dont ferait partie, pour ce qui est de l’Italie, le
refoulement expéditif vers la Grèce des personnes dépourvues de visa qui sont
interceptées dans les ports italiens de la mer Adriatique.
2. Appréciation
de la Cour
118. La Cour relève, d’abord, que le
dossier de l’affaire contient des preuves des contacts réguliers avec certains
requérants visés par les exceptions des gouvernements défendeurs, ainsi que des
informations circonstanciées et détaillées à leur sujet. Parmi les documents en
ce sens peuvent être cités, à titre d’exemple : a) la lettre du centre
d’accueil norvégien relative à M. Mozamil Azimi[80] (paragraphe 37 ci‑dessus) ;
b) la correspondance entre Me Ballerini, d’une part, et le
centre d’accueil norvégien et le CIR de Gorizia, d’autre part, au sujet de
M. Reza Karimi[81] (paragraphes 39, 41 et 43 ci‑dessus) ;
c) les lettres de M. Yasir Zaidi [82], qui constituent autant de témoignages de
son intérêt pour la requête (paragraphes 42 et 45 ci‑dessus). Il
s’agit de lettres ou de courriels dont l’authenticité n’a pas été mise en cause
par les gouvernements défendeurs.
119. Par ailleurs, il ressort du dossier
qu’en mai 2010 M. Najeeb Heideri, autre requérant visé par les exceptions
des gouvernements défendeurs[83], a demandé l’asile en Italie et que, le 7
février 2013, il y a obtenu le statut de réfugié, en étant représenté tout au
long de cette dernière procédure par Me Ballerini
(paragraphes 32, 39 et 47 ci‑dessus).
120. Enfin, contrairement à ce que la Cour
a relevé dans l’arrêt Hussun et autres,
précité, §§ 43-46, il n’apparaît pas, dans la présente affaire, que les
procurations jointes au formulaire de requête aient pour la plupart d’entre
elles été signées par la même personne.
121. Dans ces circonstances, il n’y a pas
lieu pour la Cour de douter de l’authenticité des procurations, de l’identité
des requérants ou de l’ensemble des allégations contenues dans la requête. Dès
lors, il convient de rejeter les exceptions des gouvernements défendeurs à cet
égard.
B. Sur
l’épuisement des voies de recours internes
122. Le gouvernement grec estime que la
requête est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, les
requérants ayant omis de saisir les instances nationales en vue d’obtenir la
reconnaissance et le redressement des violations alléguées de la Convention.
123. La Cour relève que les requérants se
plaignent également de ne pas avoir disposé en Grèce d’un recours répondant aux
exigences de l’article 13 de la Convention. Considérant qu’il existe un
lien étroit entre la thèse du Gouvernement sur ce point et le bien-fondé des
griefs formulés par les requérants sur le terrain de cette disposition, la Cour
estime qu’il y a lieu de joindre cette exception au fond.
C. Sur la
poursuite de l’examen de la requête
1. Principes
généraux
124. La Cour rappelle que le représentant
d’un requérant doit non seulement produire une procuration ou un pouvoir écrit
(article 45 § 3 du règlement), mais également garder des contacts avec
l’intéressé tout au long de la procédure.
De tels contacts sont essentiels à la fois pour approfondir la
connaissance d’éléments factuels concernant la situation particulière du
requérant et pour confirmer la persistance de l’intérêt du requérant à la
continuation de l’examen de sa requête (voir, mutatis mutandis,
Ali c. Suisse, 5 août 1998, § 32, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V et Hussun et autres, précité, §§ 48-49). En
effet, l’article 37 de la Convention prévoit que « [à] tout moment de
la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les
circonstances permettent de conclure [...] que le requérant n’entend plus la
maintenir ». La capacité et la
volonté des requérants à maintenir et étayer les requêtes prétendument
introduites en leur nom sont donc essentielles, eu égard par ailleurs à
l’article 34 de la Convention qui, entendant exclure toute actio
popularis, subordonne le droit de recours individuel à la condition que la
personne physique, l’organisation non gouvernementale ou le groupe de
particuliers qui s’en prévaut puisse se prétendre « victime » d’une
violation des droits reconnus dans la Convention (Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 33, CEDH
2008).
2. Application
en l’espèce
125. La Cour estime nécessaire d’examiner
cette question en procédant par groupes de requérants. Sous l’angle des
contacts des intéressés avec leur représentante et de leur intérêt à la
poursuite de l’examen de la requête, quatre groupes de requérants peuvent ainsi
être distingués.
a) Premier
groupe
126. Un premier groupe de requérants est
formé par MM. Sardar Agha Khan, Habib Yusufi, Shirshah Sherdil Aghsheern,
Moqaddas Raheimi, Bilal Mohamed Taha, Salahuddin Chaqar, Mohamad Anif Servery
et Abdul Hakim Hasani[84].
Ces requérants ont en
commun de n’avoir jamais été mentionnés par leur représentante dans sa
correspondance avec la Cour après l’introduction de la requête. Du reste, déjà,
dans sa lettre du 19 juin 2009, Me Ballerini ne donnait pas
d’informations à propos de ces requérants, et reconnaissait ne pas savoir où
ils se trouvaient (paragraphe 16 ci‑dessus). Il ne ressort pas non
plus du dossier que ces requérants aient essayé de contacter leur représentante
ou qu’ils aient manifesté de quelque manière que ce soit leur intérêt à la
continuation de l’examen de la requête.
b) Deuxième
groupe
127. D’autres requérants, initialement
mentionnés par leur représentante dans sa correspondance avec la Cour, ont
cessé de l’être par la suite, à savoir après juin 2009 (pour MM. Abas Rezai,
Ajabdin Akhonzada, Mohamad Sedeq Acheqzai, Ahmad Mohamad Amna, Gaber Ali Omar,
Abdul Rahim Faqiri, Zamarak Amarkhel et Hasan Najibi[85]), décembre 2009 (pour MM. Abdul Nabi,
Ahsanhullah Amar Khel, Rahim Rahimi[86]) ou bien août 2010 (pour MM. Alisina
Sharifi, Nima Rezai, Mohammad Haroon Ebrahemi, Mohammad Isa Sayyed Hashemi,
Nazar Mohammed Yashidi[87]).
128. Au demeurant, même pour ce qui est de
la période antérieure au mois d’août 2010, la Cour se doit de souligner le caractère
vague et superficiel des informations au sujet des intéressés, qui semble
montrer l’absence de tout contact effectif avec leur représentante déjà à cette
époque. Ainsi, pour prendre l’exemple de M. Mohammad Isa Sayyed Hashemi[88], on pouvait lire dans la lettre du 22
décembre 2009 que celui-ci était hospitalisé dans un endroit inconnu et que sa
représentante n’avait pas de nouvelles de sa part (paragraphe 31 ci‑dessus),
tandis que la lettre du 27 août 2010 se borne à indiquer que l’intéressé se
trouve en Norvège, dans un endroit inconnu (paragraphe 35 ci‑dessus).
De façon générale, la lettre du 27 août 2010 donnait pour seule
information quant aux requérants y mentionnés l’indication des États dans
lesquels ils étaient supposés se trouver, Me Ballerini ne se
disant à même de fournir le numéro de téléphone que de quatre requérants, non
compris dans le présent groupe (paragraphe 35 ci‑dessus). Enfin,
pour ce qui est de M. Nima Rezai[89], il suffit de renvoyer aux informations
contradictoires contenues dans la correspondance résumée aux
paragraphes 23-28 ci‑dessus.
c) Troisième
groupe
129. Ces requérants sont mentionnés tout
au long de la correspondance postérieure à l’introduction de la requête, leur
adresse et leurs coordonnées étant indiquées dans les lettres du 13 avril 2011
et du 31 janvier 2012. Toutefois, la Cour se doit de noter ce qui suit :
i. pour ce qui est de M. Malik Merzai[90], Me Ballerini affirmait
dans sa lettre du 13 avril 2011 que celui-ci se trouvait en France dans l’attente
d’y obtenir une réponse à sa demande d’asile, mais étaye cette affirmation par
la lettre du 6 décembre 2009 dans laquelle ce requérant se plaignait de ses
conditions de vie en Grèce (paragraphes 30 et 39 ci‑dessus) ;
dans sa lettre du 30 janvier 2012, elle affirme à nouveau que l’intéressé se
trouve en attente d’asile en France (paragraphe 45 ci‑dessus) ;
cependant, aucune pièce ou document concernant ladite procédure d’asile n’est
joint à ces lettres ;
ii. pour ce qui est de M. Alireza Ekhlasi[91], les lettres du 13 avril 2011 et du 30
janvier 2012 réaffirment qu’il se trouverait en Autriche, où il aurait contesté
le rejet de sa demande d’asile (paragraphes 39 et 45 ci‑dessus) ;
cependant, aucune pièce ou document concernant cette procédure d’asile n’est
joint à ces deux courriers ;
iii. pour ce qui est de M. Mustafa Said Mustafa[92], le dernier contact qu’il aurait
entretenu, au moins indirectement, avec sa représentante serait constitué par
une lettre prétendument envoyée d’Iran à M. Ahang
(le correspondant de Me Ballerini) en décembre 2009, soit dix mois après l’introduction de la
requête (paragraphe 39 ci‑dessus) ; cependant, aucun cachet
postal ou numéro de télécopie ne confirme la provenance et la date de cette
lettre ; aucune prise de contact ou manifestation ultérieure d’intérêt
pour la requête n’a été signalée depuis lors ;
iv. pour ce qui est de M. Alidad Rahimi[93], alors qu’en juin 2009 Me Ballerini
précisait que son client se trouvait dans le camp de Patras et risquait d’être
refoulé vers l’Afghanistan par les autorités grecques (paragraphe 16 ci‑dessus),
dans sa lettre du 27 août 2010 elle indiquait la Norvège comme pays de séjour,
un numéro de téléphone portable (paragraphe 35 ci‑dessus) ; le
11 avril 2011, elle affirmait,
néanmoins, avoir perdu tout contact avec lui, exception faite de la référence à
un profil « Facebook » qui pouvait sembler « appartenir »
au requérant (paragraphe 39 ci-dessus) ; le 30 janvier 2012, enfin, elle
indiquait de nouveau le pays de séjour et le numéro de téléphone portable du
requérant (paragraphe 45 ci ‑ dessus) ; aucune
information ni aucun éclaircissement n’ont été donnés pour expliquer quand et
comment le requérant se serait rendu en Norvège ou bien comment sa
représentante aurait réussi à reprendre contact avec lui ;
v. pour ce qui est de M. Nawid Kabiri[94], rien dans le dossier n’explique comment
il se serait rendu en France, et rien ne permet de savoir si et comment il
aurait gardé le contact avec sa représentante ni s’il se trouvait effectivement
à l’adresse indiquée (paragraphes 39 et 45 ci‑dessus) ;
vi. pour ce qui est de M. Rahmat Wahidi[95], les lettres du 13 avril 2011 et du 30
janvier 2012 réaffirmaient qu’il se trouvait en Suisse au bénéfice d’un titre
de séjour pour raisons humanitaires valable un an (paragraphes 39 et 45 ci‑dessus) ;
toutefois, ce document n’a jamais été soumis à la Cour ;
vii. pour ce qui est, enfin, de M. Faroz Ahmadi[96], celui-ci aurait été en contact avec
M. Ahang tout au long de son séjour en Grèce ; toutefois, il y a lieu
de noter que la seule preuve de ces contacts serait le courriel du
7 janvier 2010 (paragraphe 39 ci‑dessus) dans lequel
M. Ahang relate qu’il aurait rencontré le requérant, que celui-ci vivait
en Grèce et que l’été précédent (2009) il aurait été détenu pendant trois mois
au motif qu’il était dépourvu de documents et de titre de séjour ;
cependant, le 2 juillet 2009, Me Ballerini avait indiqué que le
requérant avait été expulsé vers la Turquie au mépris des mesures rendues par
la Cour aux termes de l’article 39 du règlement (paragraphe 18 ci‑dessus) ;
aucune information ni aucun éclaircissement n’ont été donnés pour expliquer ces
contradictions ; en outre, la lettre du requérant soumise à la Cour le 13
avril 2011 (paragraphe 39 ci‑dessus), dans laquelle il invoque
l’aide de sa représentante, n’est pas datée et ne contient aucun élément
permettant de déterminer sa provenance et son destinataire.
d) Quatrième
groupe
130. Enfin, pour quatre requérants, les
pièces du dossier montrent que ceux-ci ont maintenu au moins indirectement des
contacts réguliers avec leur représentante, ce qui démontre leur intérêt pour
l’examen de la requête. En particulier :
i. M. Reza Karimi[97] a entretenu des contacts par
l’intermédiaire des centres d’accueil et du CIR tout au long de ses
déplacements entre l’Italie, la Norvège et l’Afghanistan (paragraphes 38,
39, 41 et 43 ci‑dessus) ;
ii. M. Yasir Zaidi[98] s’est adressé plusieurs fois à Me Ballerini
par l’intermédiaire de Mme Sciurba, manifestant clairement son
intérêt pour l’examen de sa requête par la Cour (paragraphes 42 et 45 ci‑dessus) ;
iii. M. Mozamil Azimi[99] s’est adressé à la Cour, d’abord
directement puis par l’intermédiaire de Me Ballerini, pour
obtenir des informations concernant sa requête (paragraphe 36, 37 et
39 ci‑dessus) ;
iv. M. Najeeb Heideri (alias Nagib Haidari)[100] a été représenté par Me Ballerini
tout au long de la procédure d’asile en Italie, qui s’est achevée en 2013
(paragraphes 34, 39, 45 et 47 ci‑dessus).
e) Conclusion
131. La Cour ne saurait certes ignorer que
les conditions généralement précaires des demandeurs d’asile ainsi que les
événements s’étant produits en Grèce et relatés par Me Ballerini
peuvent avoir empêché temporairement les communications entre elle et les
requérants ; sa lettre du 19 juin 2009 (paragraphe 16 ci‑dessus),
par exemple, peut s’expliquer à la lumière de ces considérations. De même, la
Cour peut accepter, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire,
que les contacts entre les requérants et leur représentante aient eu lieu par
l’intermédiaire de tiers.
132. Il n’en reste pas moins, en ce qui
concerne les deux premiers groupes de requérants, qu’entre 2009 et 2013 la
situation en Grèce n’a pas empêché les intéressés de reprendre contact avec
leur représentante (voir, a contrario,
Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC],
no 27765/09, §§ 50 et 54,
CEDH 2012). En tout état de cause, selon les indications de Me Ballerini,
plusieurs de ces requérants auraient quitté la Grèce quelques mois après
l’introduction de la requête, ce qui rend dépourvu de toute pertinence à leur
égard l’argument tiré des conditions de séjour dans le camp de Patras ou de sa
destruction.
133. Pour ce qui est du troisième groupe
de requérants, les informations fournies à leur égard apparaissant
insuffisantes, contradictoires et non étayées ; elles dénotent en réalité
la perte du contact entre eux et leur représentante (voir Hussun et autres, précité, §§ 47-50, et, a contrario, Hirsi Jamaa et
autres, précité, § 54).
134. La Cour
relève, par ailleurs, que les
griefs initialement soulevés par les requérants de ces trois groupes sont les
mêmes que ceux énoncés par le quatrième groupe de requérants. Dès lors, elle
n’aperçoit aucun motif tenant au respect des droits de l’homme garantis par la
Convention et ses Protocoles qui exigerait, conformément à l’article 37 §
1 in fine, la poursuite
de l’examen de la requête à l’égard des trois premiers groupes de requérants.
En conclusion, la Cour estime qu’il y a lieu de rayer la requête du rôle pour
autant qu’elle concerne les trois premiers groupes de requérants[101] (article 37 § 1 c) de la Convention) et, en
conséquence, de mettre fin à l’application de l’article 39 du règlement (paragraphe 4 et
17 ci ‑ dessus). Elle juge ainsi de ne poursuivre l’examen de la requête que pour
MM. Reza Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil Azimi et Najeeb Heideri (alias Nagib
Haidari)[102].
II. SUR
LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 2, 3 ET 13 DE LA CONVENTION PAR LA GRèCE
135. Les requérants allèguent que leur
rapatriement en Afghanistan les exposerait à un risque pour leur vie et au
risque de subir des tortures ou des traitements inhumains et dégradants. Ils se
plaignent de ce qu’en raison des conditions d’accueil et de séjour en Grèce et
de l’impossibilité d’être assistés par un interprète et de contacter un avocat,
ils n’ont pas eu accès à la procédure d’asile, ni à une quelconque autre
procédure devant une instance nationale apte à connaître de leurs griefs. Ils
allèguent, en outre, avoir été maltraités par la police grecque ou par les
équipages des navires les ayant ramenés en Grèce depuis l’Italie, et avoir été
placés en rétention dans de mauvaises conditions.
136. Les requérants invoquent les
articles 2, 3, et 13 de la Convention, ainsi libellés :
Article 2
« 1. Le
droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée
à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale
prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la
loi.
(...) »
Article 3
« Nul ne peut
être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants. »
Article 13
« Toute
personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été
violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale,
alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans
l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. L’objet
du litige
137. La Cour constate que les griefs des
requérants contre la Grèce, tel qu’abordés dans le formulaire de requête puis
développés dans les observations écrites, se rapportent principalement :
a) à
leurs craintes d’être victimes d’une violation des articles 2 et 3 de la
Convention en cas de retour en Afghanistan ;
b) à
l’absence d’accès effectif à toute instance nationale pour faire valoir ces
craintes.
138. Dans l’arrêt Singh et autres c. Belgique (no 33210/11, § 55, 2 octobre 2012), affaire dans laquelle le requérant se
plaignait sur le terrain de l’article 3 de la Convention du rejet de sa
demande d’asile par les autorités belges, la Cour a affirmé :
« [...] il
n’appartient pas à la Cour de se prononcer à nouveau sur la demande d’asile des
requérants ni de déterminer leur nationalité. C’est en effet aux autorités
nationales, responsables en matière d’asile, d’examiner les craintes des
requérants et les documents produits par eux, et d’évaluer les risques qu’ils
encourent en cas de renvoi dans leur pays d’origine ou vers un pays
intermédiaire au regard de l’article 3 (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09,
§ 299, CEDH 2011). Cela résulte du principe de subsidiarité qui est à la
base du système de la Convention (Kudła
c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000‑XI),
ainsi que du fait que ni la Convention ni aucun de ses Protocoles ne garantit
le droit à l’asile politique (Hirsi Jamaa
et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 113, CEDH 2012).
Toutefois, et c’est
là que réside l’objet du litige dont elle est saisie, il appartient à la Cour
d’examiner si les requérants avaient des griefs défendables de [risque de]
subir des traitements contraires à l’article 3 et, dans l’affirmative, s’ils
ont bénéficié de garanties effectives, au sens de l’article 13, leur
permettant de faire valoir ces griefs et les protégeant contre un refoulement
arbitraire vers le pays qu’ils avaient fui (voir, mutatis mutandis, M.S.S.,
précité, §§ 294 et s., Diallo c.
République tchèque, no 20493/07,
23 juin 2011). Partant, dans les
circonstances de l’espèce, la Cour, [...] maîtresse de la
qualification juridique des faits de la cause (voir, parmi d’autres, Guerra
et autres c. Italie,
19 février 1998, § 44, Recueil 1998‑I, p. 223), estime
qu’il y a lieu d’examiner la requête sous l’angle de l’article 13 combiné
avec l’article 3 de la Convention. »
139. La Cour estime que la même approche
doit être adoptée, mutatis mutandis,
dans la présente affaire, où aucun des requérants n’a introduit de demande
d’asile en Grèce.
D’un côté, certes,
le fait que la Cour a été saisie directement, sous l’angle des articles 2
et 3 de la Convention, des craintes des requérants liées à leur refoulement
(direct ou indirect) vers l’Afghanistan, pourrait être regardé comme contraire
à la règle de l’épuisement des voies de recours internes posée par
l’article 35 § 1 de la Convention.
De l’autre,
toutefois, l’absence alléguée d’accès à la procédure d’asile pourrait avoir
privé les requérants, en pratique, de toute protection au niveau national
contre un refoulement arbitraire, au mépris de l’article 13.
Comme dans
l’affaire Singh et autres, précitée,
ces deux volets du principe de subsidiarité, qui s’exprime dans les
articles 13 et 35 § 1 de la Convention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152,
CEDH 2000‑XI), entrent autant l’un que l’autre en ligne de compte.
140. Dès lors, les griefs relatifs au
refoulement des requérants vers l’Afghanistan et à l’absence d’accès à la
procédure d’asile en pratique ont lieu d’être examinés sous l’angle de
l’article 13, combiné avec l’article 3 de la Convention.
Vu les
circonstances de l’affaire, il n’y aura pas lieu pour la Cour de se placer
aussi sur le terrain de l’article 13, combiné avec l’article 2 de la
Convention (mutatis mutandis, M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], précité,
§§ 321 et 322).
Les griefs tirés de
l’article 3 de la Convention, pris isolément, au sujet des mauvaises
conditions de détention ainsi que des mauvais traitements prétendument infligés
par la police grecque et les équipages des navires, seront examinés séparément.
B. Sur la
violation de l’article 13, combiné avec l’article 3 de la Convention,
à raison de l’absence d’accès à la procédure d’asile
1. Thèse
des parties
a) Le
Gouvernement
141. Le gouvernement grec (« le
Gouvernement », dans les paragraphes suivants) rappelle, tout d’abord, que
l’État a le droit de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers sur son
territoire (Mehemi c. France (no 2), no 53470/99, § 35, CEDH
2003‑IV), en vérifiant l’identité et les intentions des personnes qui s’y
sont introduites ou maintenues illégalement, et ce en vue de protéger sa
population nationale et ses frontières. S’appuyant sur l’arrêt Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni (30
octobre 1991, série A no 215), il souligne que la Convention ne
garantit pas le droit d’asile.
142. De façon générale, se référant à
titre d’exemple à la période allant de juillet à septembre 2008, le
Gouvernement attire l’attention sur le nombre très élevé d’immigrants entrés de
manière irrégulière en Grèce et arrêtés pour cette raison, ainsi que sur les
efforts des autorités pour faire face à ce phénomène en adoptant des mesures
pleinement conformes, selon lui, à la réglementation communautaire comme au
droit international et à la Convention.
Il s’appuie, à cet
égard, sur la décision K.R.S. c.
Royaume-Uni (no 32733/08, 2 décembre 2008) ainsi que sur le
fait que, dans d’autres affaires similaires à la présente (notamment Kheder et Ismael c. Pays-Bas, no 57097/09 ;
Al Saidi c. Pays-Bas, no 60085/09 ;
et Karim c. Finlande, no 60254/09),
la Cour a rejeté des demandes de mesures provisoires dans le cadre de
l’article 39 du règlement qui visaient précisément à obtenir une
interdiction d’expulsion vers la Grèce par crainte d’un refoulement ultérieur
vers des pays tiers.
Le rejet d’un grand
nombre de demandes d’asile de la part des autorités helléniques s’expliquerait
par des raisons tout à fait objectives : dans la plupart des cas,
explique-t-il, soit les demandeurs d’asile sont dépourvus de tout document
attestant leur pays d’origine ainsi que de tout élément de preuve concernant
les risques dénoncés, soit ils fondent leur demande sur de simples raisons
économiques.
143. En ce qui concerne plus directement
la présente affaire, le Gouvernement fait savoir, à titre liminaire, qu’il lui
est impossible de fournir quelque observation ou renseignement que ce soit à
l’égard des requérants dont
les autorités n’ont pas été en mesure de reconnaître l’identité comme étant
celle de personnes ayant transité en Grèce (paragraphe 13 ci‑dessus),
notamment MM. Yasir Zaidi, Mozamil Asimi et Nejeeb Heideri[103].
144. Pour ce qui est des requérants dont
l’identité a pu être reconnue (parmi lesquels M. Reza Karimi[104]), le Gouvernement indique qu’ils ont tous
reçu une « brochure d’information concernant les droits des étrangers
arrêtés en vue de leur expulsion ». Rédigée avec la collaboration du
HCR, cette brochure existe en six langues (anglais, arabe, français, grec,
persan, turc) et a, selon lui, été donnée aux requérants dans sa version arabe.
Elle indique expressément le droit de se plaindre auprès du chef de la police,
le droit de soulever des objections avant que la décision d’expulsion ne soit
rendue, le droit d’attaquer en justice cette décision tout comme de contester
la décision de placement en rétention. En outre, cette brochure mentionne
expressément le droit à l’assistance juridique et diplomatique ainsi que celui
de contacter une personne de confiance.
145. Le Gouvernement fait remarquer que
malgré les informations ainsi reçues dans une langue qu’ils étaient
vraisemblablement à même de comprendre, et malgré le fait qu’ils ont toujours
pu rencontrer des avocats, aucun des requérants n’a attaqué les décisions
d’expulsion ni ne s’est prévalu des autres droits susmentionnés. En effet, à
l’instar selon lui de la grande majorité des étrangers, qui soit ne font que
transiter par la Grèce pour aller demander l’asile dans d’autres pays de l’Union
européenne soit ne sont que de simples « migrants économiques », les
requérants n’ont aucunement manifesté auprès des autorités du pays un
quelconque souhait d’y bénéficier de l’asile. Partant, leurs arguments sur les
prétendues défaillances de la procédure grecque en matière d’asile n’auraient,
selon lui, guère de pertinence en l’espèce.
146. Dans ces conditions, le Gouvernement
estime que les requérants n’ont pas donné aux autorités grecques la possibilité
de connaître et de redresser les violations aujourd’hui dénoncées devant la
Cour, au mépris du principe de subsidiarité. Dès lors, leurs griefs devraient
être déclarés irrecevables pour non-épuisement des voies de recours internes.
147. Quant à la situation des requérants
et aux risques courus par eux en cas de refoulement vers l’Afghanistan, le
Gouvernement ajoute, de façon générale, que la Grèce partage activement
l’effort de la communauté internationale contre le régime des talibans, en
participant à la mission de l’OTAN dans le but de réduire les zones de combats
et de soutenir les autorités afghanes dans la reconstruction de leur pays.
Grâce à ces efforts, il y aurait en Afghanistan plusieurs zones pacifiées et
sous le contrôle de la communauté internationale, où les requérants pourraient
s’installer sans crainte de subir des traitements contraires à l’article 3
de la Convention.
148. Au reste, d’après le Gouvernement,
les requérants n’apportent aucune preuve quelconque des risques auxquels chacun
d’eux serait exposé en cas de refoulement vers son pays d’origine.
149. Enfin, le Gouvernement fait savoir
qu’eu égard à la pratique des autorités grecques, les requérants ne seraient
pas réellement exposés à un risque d’expulsion. En effet, bien que les
décisions d’expulsion d’immigrés en situation irrégulière impartissent aux
intéressés un délai pour quitter le territoire grec, il se trouve qu’elles ne
sont presque jamais exécutées après l’échéance de celui-ci, explique-t-il, car
en général ces immigrés n’ont pas de documents de voyage.
b) Les
requérants
150. Les requérants allèguent être des
ressortissants afghans d’ethnie hazâra[105] ou tadjike[106]. Ils affirment avoir dû quitter leur pays,
théâtre d’une guerre cruelle et fratricide, parce qu’ils y seraient exposés à
des risques continus de trouver la mort ou de subir des traitements inhumains
et dégradants.
151. À l’appui de l’existence de tels
risques, ils mettent en avant, alternativement ou cumulativement :
a) le
contexte général d’insécurité dans leur pays, qui serait particulièrement grave
dans leur région de provenance (MM. Karimi Reza et Mozamil Azimi[107], en particulier, allèguent être
originaires de la province de Ghazni) ;
b) le
traitement réservé aux groupes ethniques auxquels ils disent appartenir ;
c) la
polarisation de la population afghane entre alliés et ennemis des talibans, de
sorte que la population civile est sans cesse exposée au risque, soit d’enrôlement
forcé dans les milices talibanes et de représailles de la part des autorités
gouvernementales, soit de représailles de la part des talibans en cas de
collaboration avec les autorités gouvernementales ou de toute autre puissance
étrangère ;
d) leur
vulnérabilité accrue découlant de leur condition de mineurs (en particulier M.
Najeeb Heideri)[108].
152. Après avoir été refoulés d’Italie,
les requérants affirment s’être abrités dans le camp de fortune de Patras, qui
n’offrait ni hébergement digne de ce nom, ni toilettes, ni nourriture, ni
assistance médicale. Ils y seraient restés jusqu’à leur dispersion à la suite
de la descente de police de juillet 2009 (paragraphe 20 ci‑dessus).
153. Les requérants estiment que la
procédure d’asile en Grèce n’est guère conforme au droit communautaire et aux
obligations découlant de la Convention. Ils déplorent l’attitude des autorités
grecques à l’égard des demandeurs d’asile, qui serait démontrée par la
référence, contenue dans les observations du gouvernement grec, au nombre très
élevé d’immigrants transitant irrégulièrement par la Grèce et par le fait que
moins de un pour cent des personnes qui entrent en Grèce y obtiennent le statut
de réfugié ou une autre forme de protection internationale.
154. Ils considèrent que les observations
du gouvernement grec concernant les droits des immigrés en situation
irrégulière et les informations dont ils sont destinataires sont excessivement
vagues et générales, faute de se référer de manière suffisante à leur situation
personnelle.
155. Ils imputent l’absence de toute
réponse du Gouvernement à propos de certains d’entre eux à la destruction du
camp de Patras et à la politique d’éloignements forcés vers l’Irak et
l’Afghanistan ainsi qu’aux procédures de « réadmission » des migrants
vers la Turquie.
156. En ce qui concerne ceux d’entre eux
qui ont été « reconnus » par le Gouvernement, les requérants notent
que ce dernier n’affirme jamais qu’ils aient été informés de leur droit de
demander l’asile. Aucune référence précise n’aurait été faite non plus au droit
à l’assistance juridique et à un interprète.
157. En outre, rien dans les observations
du Gouvernement ne montre, selon eux, que leur situation et leur histoire
personnelles aient été prises en compte. Le Gouvernement se bornerait à
affirmer que certaines zones de l’Afghanistan sont relativement sûres, pour en
tirer la conséquence que leur refoulement ne posait pas de problèmes sur le
terrain des articles 2 et 3 de la Convention. Ses allégations seraient, au
demeurant, démenties par de récents documents de l’ONU et par la jurisprudence
européenne concernant les demandeurs d’asile en provenance de ce pays.
c) Les
tiers intervenants
158. Le HCR, le Centre AIRE et Amnesty
International estiment que la législation et la pratique en Grèce en matière
d’asile ne sont pas conformes aux règles internationales et européennes de
protection des droits de l’homme. Ils dénoncent, notamment, l’absence
d’information adéquate, voire la désinformation, sur la procédure d’asile, et
l’insuffisance en termes d’effectifs et de formation du personnel chargé de
recueillir et de traiter les demandes d’asile.
159. D’après le HCR, malgré le fait que la
législation grecque ne prévoit pas que les demandeurs d’asile potentiels entrés
irrégulièrement dans le pays soient placés en rétention, ceux-ci le sont
systématiquement, avec les autres migrants irréguliers. Aucune alternative à la
rétention n’est considérée et aucune évaluation individuelle de la nécessité de
la rétention du demandeur d’asile n’a lieu. La rétention des demandeurs d’asile
est souvent prolongée. La menace de prolongation de la rétention, combinée avec
les conditions régnant dans certains centres de rétention, semble décourager la
présentation de demandes d’asile. Le Centre AIRE et Amnesty International expriment des avis similaires.
160. Le HCR estime que, hormis quelques
exceptions, les personnes placées en rétention n’ont pas accès aux informations
pertinentes, ni à un avocat et à un interprète. Dès lors, aucun accès à la
procédure d’asile n’existe réellement pour ces personnes en Grèce, alors même
que parmi elles pourraient se trouver des demandeurs d’asile potentiels.
161. En ce qui concerne les demandeurs
d’asile laissés en liberté, le HCR souligne que la plupart d’entre eux n’ont pas
d’abri et vivent dans des conditions de pauvreté extrême, sans bénéficier
d’aucune aide sociale de la part de l’État.
162. Selon le Centre AIRE et Amnesty
International, même ceux qui arrivent à introduire une demande d’asile n’ont
pas accès à l’assistance d’un interprète ou aux informations qui leur seraient
nécessaires pour l’étayer comme il se doit et invoquer la protection du droit
européen et international pertinent. C’est pourquoi il serait pratiquement
impossible d’obtenir l’asile ou toute autre forme de protection internationale
en Grèce. Dans ces circonstances, la Grèce ne respecterait pas les garanties
procédurales prévues en matière d’asile par le droit communautaire et la
Convention.
163. Le HCR se dit très préoccupé par le
fait que les enfants non accompagnés reçoivent le même traitement que les
adultes en matière de séjour irrégulier dans le pays. De surcroît, la
détermination de l’âge ne serait pas faite dans le cadre d’une procédure assortie
de garanties adéquates.
164. Le HCR, le Centre AIRE et Amnesty
International dénoncent les refoulements collectifs ou individuels de la Grèce
vers la Turquie. Les cas qu’ils ont recensés concernaient tant des
primo-arrivants que des personnes qui étaient enregistrées comme demandeurs
d’asile. Ils rapportent que dans plusieurs cas ces personnes ont été
ultérieurement refoulées vers des pays tiers, comme l’Afghanistan.
2. Appréciation
de la Cour
a) Sur la
recevabilité
165. La Cour rappelle avoir joint à l’examen du
bien-fondé des griefs tirés de l’article 13 l’exception de non-épuisement
des voies de recours internes soulevée par le gouvernement grec
(paragraphe 122 ci‑dessus). Par ailleurs, elle considère que cette
partie de la requête pose des questions de droit et de fait complexes qui ne
peuvent être tranchées qu’après un examen au fond ; il s’ensuit que
celle-ci n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article
35 § 3 a) de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité
n’étant à relever, il y a lieu de la déclarer recevable.
b) Sur le fond
i. Principes généraux
166. La Cour rappelle sa jurisprudence
bien établie en matière d’application de l’article 13, combiné avec
l’article 3 de la Convention, aux cas d’expulsion d’étrangers, et
notamment de demandeurs d’asile (voir, parmi beaucoup d’autres, M.S.S.
c. Belgique et Grèce,
précité, 286-293, Hirsi Jamaa et autres, précité, §§ 197-200 ; I.M. c. France, no 9152/09, §§ 127-134, 2 février 2012 ; et M.E. c. France, no 50094/10, §§ 62-64, 6 juin 2013).
167. L’effectivité du recours voulu par
l’article 13 s’entend d’un niveau suffisant d’accessibilité et de réalité
de celui-ci : « pour être effectif, le recours exigé par
l’article 13 doit être disponible en droit comme en pratique, en ce sens
particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière
injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’État défendeur »
(I.M. c. France, précité, § 130, et
les références qui y figurent). Au sujet des recours ouverts aux demandeurs
d’asile en Grèce, la Cour a également réaffirmé que l’accessibilité « en
pratique » d’un recours est déterminante pour évaluer son effectivité (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §
318).
168. La Convention ayant pour but de
protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et
effectifs, dans le chef de toute personne relevant de la juridiction des Hautes
Parties contractantes, la Cour ne saurait procéder à l’évaluation de
l’accessibilité pratique d’un recours en faisant abstraction des obstacles
linguistiques, de la possibilité d’accès aux informations nécessaires et à des
conseils éclairés, des conditions matérielles auxquelles peut se heurter
l’intéressé et de toute autre circonstance concrète de l’affaire (I.M. c. France, précité, §§
145-148 ; M.S.S. c. Belgique et
Grèce, précité, §§ 301-318 ; et Rahimi
c. Grèce, no 8687/08, §
79, 5 avril 2011).
169. Il n’est pas dépourvu d’intérêt, du
reste, que, d’une part, la directive Procédure, telle qu’applicable ratione temporis, imposait déjà aux
États membres de l’Union européenne de veiller, notamment, à ce que les
personnes aient un accès effectif à la procédure d’asile (paragraphe 71 ci‑dessus),
et que, d’autre part, les obligations découlant de la directive Accueil
s’appliquent à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides à la seule
condition qu’ils déposent une demande d’asile à la frontière ou sur le
territoire d’un État membre (paragraphes 67-68 ci‑dessus). La
récente refonte du droit de l’Union européenne en la matière (paragraphes
63-65, 69-70 et 72-73 ci‑dessus) renforce ces principes : tous les
droits procéduraux et matériels reconnus aux demandeurs d’asile supposant
l’introduction d’une demande d’asile, plusieurs dispositions du règlement
Dublin III et de la directive Procédure refondue visent à assurer un accès
effectif à cette procédure, accès dont une information exhaustive et
compréhensible des intéressés constitue le préalable indispensable.
170. La Cour doit donc vérifier si les requérants avaient des griefs
défendables quant au risque de subir des traitements contraires à
l’article 3 en cas de refoulement vers l’Afghanistan et, dans
l’affirmative, s’ils ont eu une possibilité concrète d’accès à la procédure
d’asile ou à une autre procédure nationale répondant aux exigences de
l’article 13 de la Convention. Pour ce faire, il y a lieu de se placer au
moment où les requérants ont séjourné en Grèce et y auraient été exposés au
risque d’un rapatriement, d’où serait né leur intérêt à pouvoir disposer d’un
recours effectif tel qu’exigé par l’article 13 (voir, mutatis mutandis, Singh et
autres, précité, § 80). Le moment en question se situe entre 2008 et 2009.
171. Pour ce qui est de l’établissement
des faits pertinents aux fins de cette évaluation, la Cour renvoie aux
principes généraux sur la charge de la preuve et l’appréciation des éléments de
preuve, en particulier dans les affaires de ce type, principes qui sont résumés
dans l’arrêt Rahimi, précité, §§
64-65.
172. Elle rappelle, en outre, qu’en principe
c’est au requérant qu’il appartient de fournir à la Cour des pièces et des
éléments de preuve suffisants pour démontrer l’existence de raisons objectives
pour lui de craindre d’être soumis à des traitements contraires à
l’article 3 en cas de refoulement ou d’expulsion. À cet égard, elle
reconnaît que, compte tenu de la vulnérabilité particulière des demandeurs
d’asile, il est souvent nécessaire de leur accorder le bénéfice du doute pour
l’appréciation de leurs allégations et des éléments de preuve qu’ils produisent
à l’appui de celles-ci. Cependant, lorsque les pièces du dossier offrent des
raisons sérieuses de douter de la véridicité des allégations d’un demandeur
d’asile, c’est à lui de fournir des justifications satisfaisantes des
contradictions apparentes. L’évaluation du
risque pour le requérant sur le terrain de l’article 3 doit être faite en
ayant égard à la fois à la situation générale dans le pays de destination et
aux circonstances propres au cas du requérant. Dans ce cadre, la Cour doit vérifier
s’il y a une situation de violence généralisée dans le pays de destination.
Toutefois, c’est seulement dans les cas les plus extrêmes qu’une situation de
violence généralisée suffit, à elle seule, pour conclure à l’existence d’un
risque de mauvais traitements aux termes de l’article 3 en cas d’expulsion
(K.A.B. c. Suède, no 886/11, §§
70, 73 et 76, 5 septembre 2013).
ii. Application
au cas d’espèce
173. Eu égard aux principes posés dans
l’affaire Catan et autres
c. République de Moldova et Russie [GC], nos 43370/04,
8252/05 et 18454/06, §§ 111-112,
CEDH 2012, la Cour ne voit aucune raison de s’écarter des constats
de la Grande Chambre (M.S.S.
c. Belgique et Grèce, précité, § 296) à propos de la situation
d’insécurité généralisée qui caractérisait l’Afghanistan lorsque les requérants
ont été exposés au risque d’un refoulement vers ce pays. Or, s’il peut être
discuté de la question de savoir si en raison de cette situation générale ce
refoulement aurait entraîné en soi une violation de l’article 3 (comparer N. c. Suède, no 23505/09, § 52, 20 juillet 2010 avec Sufi et Elmi c.
Royaume-Uni, nos 8319/07 et 11449/07, §§ 241-250, 28 juin 2011, et
K.A.B. c. Suède, précité, §§ 86-97),
il est en tous cas plus aisé de considérer que cette situation suffit à rendre les griefs des requérants sur le terrain de
l’article 3 au moins « défendables ». Au demeurant, ainsi qu’il ressort du paragraphe 296 de l’arrêt M.S.S.,
précité, la politique du Gouvernement grec à l’époque des faits «consistait à
ne pas renvoyer de force des demandeurs d’asile vers [l’Afghanistan],
précisément en raison de la situation à risque qui y régnait. »
174. Partant, il y a lieu de considérer
que les griefs des requérants sur le terrain de l’article 3 auraient été
dignes d’un examen au fond devant une instance nationale dans le cadre d’une
procédure conforme aux exigences découlant de l’article 13. Dès lors,
cette disposition est applicable.
175. Quant à la question de savoir si
l’article 13 a été respecté, la Cour note, d’abord, que les défaillances
de la procédure d’asile en Grèce relevées dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité (§§ 299-320) concernaient notamment :
– l’accès à la
procédure d’examen des demandes d’asile ;
– l’information des
demandeurs d’asile sur les procédures à suivre ;
– l’accès aux
bâtiments de la préfecture de police de l’Attique ;
– l’absence de
système de communication fiable entre les autorités et les intéressés ;
– la pénurie d’interprètes
et le manque d’expertise du personnel pour mener les entretiens
individuels ;
– le défaut d’aide
juridique, de nature à empêcher en pratique les demandeurs d’asile d’être
accompagnés d’un avocat ;
– la durée
excessive des délais d’obtention d’une décision.
176. Ces carences s’inscrivent,
assurément, dans le cadre plus général des difficultés (qui apparemment
perdurent encore à présent : voir les paragraphes 98-100 ci‑dessus)
que peut rencontrer un État situé aux frontières extérieures de l’Union
européenne dans la gestion du flux des migrants et demandeurs d’asile, à plus
forte raison dans le contexte de la crise économique qui frappe
particulièrement la Grèce (M.S.S. c.
Belgique et Grèce, précité, § 223 ; et mutatis mutandis, Hirsi Jamaa et autres, précité, § 122).
La création, en 2010, d’un Bureau européen d’appui en matière d’asile, dont
l’activité est ciblée surtout sur les États membres soumis à des pressions
particulières pouvant résulter, notamment, de leur situation géographique
(paragraphes 74-76 ci‑dessus), en constitue une confirmation
indirecte.
177. En l’espèce, la Cour relève que,
d’après les observations du gouvernement grec, la « brochure d’information
concernant les droits des étrangers arrêtés en vue de leur expulsion »
(paragraphe 143 ci‑dessus) n’indique pas expressément le droit de
demander l’asile. De surcroît, le Gouvernement indique que cette brochure – qui
contenait les informations essentielles pour contester la décision d’expulsion
– aurait été donnée aux requérants en arabe, alors que les requérants
« identifiés » qui auraient reçu cette brochure étaient de
nationalité afghane et ne comprenaient pas nécessairement cette langue. À cet
égard n’est pas dépourvu d’intérêt le fait qu’en 2012, dans le cadre de
l’exécution de l’arrêt M.S.S. c. Belgique
et Grèce, précité, les autorités grecques ont indiqué que la brochure
d’information pour les demandeurs d’asile était désormais traduite en quatorze
langues (paragraphe 93 ci‑dessus), afin qu’elle soit compréhensible
pour un plus vaste public de demandeurs d’asile.
178. La Cour a déjà constaté, par
ailleurs, la situation de précarité et le dénuement le plus total des
demandeurs d’asile en Grèce (M.S.S.
c. Belgique et Grèce, précité, §§ 254-255), circonstances confirmées
dans la présente affaire par les tiers intervenants. Il convient de noter, en
particulier, que le camp de Patras, où les requérants se seraient abrités dans
un premier temps, ne constituait pas un centre d’accueil géré par les
autorités, mais un simple camp de fortune, qui n’offrait pas un hébergement
digne de ce nom, était nettement surpeuplé et était dépourvu de tout service
essentiel. Ces circonstances ne peuvent pas être négligées dans l’appréciation
de la possibilité concrète, pour les requérants, d’obtenir les informations et
l’assistance nécessaires afin d’avoir accès à la procédure d’asile ou,
éventuellement, de contester les décisions adoptées à leur égard.
179. D’après le gouvernement grec, si les
requérants n’ont pas introduit de demande d’asile, c’est tout simplement parce
qu’ils n’avaient pas l’intention de le faire : il s’agirait de migrants
économiques qui envisageaient de continuer leur voyage pour s’installer
ailleurs.
180. La Cour ne saurait spéculer sur les
vraies intentions des requérants. Elle note qu’ils avaient déjà été frappés par
des mesures d’expulsion[109] ou qu’ils étaient à tout le moins exposés
au risque d’être refoulés directement ou indirectement vers l’Afghanistan
(voir, à ce dernier propos, les observations des tiers intervenants résumées au
paragraphe 164 ci‑dessus). Ils avaient donc un intérêt concret à
pouvoir disposer d’une voie de recours au sens de l’article 13.
181. La Cour conclut qu’il y a eu
violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 à l’égard de
MM. Reza Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil Azimi et Najeeb Heideri (alias Nagib
Haidari)[110]. Il s’ensuit qu’il ne saurait être
reproché aux requérants de ne pas avoir épuisé les voies de recours internes,
de sorte que l’exception préliminaire du gouvernement grec sur ce terrain doit
être rejetée.
C. Autres
griefs
182. Sur le terrain de l’article 3,
les requérants exposent avoir été maltraités par les équipages des navires les
ayant ramenés d’Italie en Grèce, ainsi que par la police lors de leur retour
sur le territoire grec puis dans le camp de Patras.
Ils rappellent également
le devoir de l’État défendeur de coopérer avec la Cour dans l’établissement des
faits, en vertu de l’article 38, paragraphe 1 a) de la Convention et
de la Résolution no 1571 de l’Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe. Estimant que le gouvernement grec n’a pas répondu aux
questions de la Cour et s’est borné à formuler des allégations générales et
évasives, ils dénoncent une méconnaissance de ce devoir de sa part. Dès lors,
ils estiment qu’ils devraient bénéficier d’une présomption de véracité de leurs
dires ou d’une inversion de la charge de la preuve.
183. De son côté, le Gouvernement rappelle
tout d’abord qu’en principe, l’article 3 ne trouve à s’appliquer qu’à la
condition qu’un degré minimal de gravité ait été atteint.
Il objecte par
ailleurs que les allégations des requérants concernant les mauvais traitements
prétendument subis sont vagues, peu circonstanciées, et ne sont pas étayées.
Comme, de surcroît, aucun des requérants ne s’est plaint de ces mauvais traitements
devant les instances nationales, il se déclare dans l’incapacité de formuler
quelque observation que ce soit concernant le présent grief.
184. La Cour relève que les requérants
n’ont pas donné le moindre détail concernant les mauvais traitements allégués
(par exemple, la nature de ces mauvais traitements, les lieux où ils leur
auraient été infligés, leurs auteurs, les séquelles qu’ils en auraient
gardées). Elle ne dispose pas non plus d’indices permettant d’établir les faits
dénoncés. En bref, les requérants n’ont aucunement étayé leur grief.
185. Dès lors, compte tenu de sa
jurisprudence au sujet de l’administration de la preuve en matière de mauvais
traitements au sens de l’article 3 (voir, parmi beaucoup d’autres, Salman
c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000‑VII ;
Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05,
§ 92, CEDH 2010), elle estime que ce grief est manifestement mal fondé et doit
être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
186. MM. Mozamil Azimi et Najeeb
Heideri (alias Nagib Haidari)[111] allèguent avoir été retenus dans un
conteneur à la porte no 6 du port de Patras ; M. Reza
Karimi[112] allègue avoir été retenu au même endroit dans
un premier temps puis dans un commissariat de police. Ils estiment que leurs
conditions de rétention ont méconnu l’article 3. À cet égard, ils
soulignent que la dégradation des conditions régnant dans les centres de
rétention pour immigrés en situation irrégulière est évidente et incontestable,
comme le prouveraient les « rapports internationaux » et les
dénonciations du HCR et de Human Rights Watch.
187. Le Gouvernement reconnaît, de manière
générale, que le surpeuplement des centres de rétention des migrants en
situation irrégulière constitue un problème réel, découlant du grand nombre de
personnes transitant par la Grèce sans documents de voyage. Toutefois, les
autorités ont selon lui bien déployé tous les efforts possibles pour améliorer
cette situation, en créant de nouveaux centres de rétention ou d’accueil ou
bien en réaménageant les centres existants et en assurant un équilibre dans la
répartition des intéressés entre les diverses structures.
Par ailleurs, le
Gouvernement renouvelle sa critique du caractère selon lui vague et peu
circonstancié des allégations des requérants, qui l’empêcherait de formuler
toute observation pertinente.
188. La Cour note que, selon les tiers
intervenants, la pratique des autorités grecques consistait à l’époque des
faits de la présente affaire à placer les demandeurs d’asile potentiels et
toute autre personne entrée irrégulièrement dans le pays dans des centres de
rétention dont la description figurant dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité (§§ 161-163), suscite une
certaine inquiétude.
Il convient de
rappeler que, si les États sont autorisés à placer des immigrés en rétention en
vertu de leur droit indéniable de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers
sur leur territoire, ce droit doit s’exercer en conformité avec les
dispositions de la Convention. La Cour doit avoir égard à la situation
particulière des personnes concernées lorsqu’elle est amenée à contrôler les
modalités d’exécution d’une telle mesure à la lumière des dispositions
conventionnelles (Riad et Idiab c.
Belgique, nos 29787/03
et 29810/03, § 100, 24 janvier 2008). Pour tomber sous le coup de
l’interdiction énoncée par l’article 3, le traitement critiqué doit
présenter un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est
relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de
la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que,
parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, notamment,
Gäfgen, précité, § 88).
189. En l’espèce, la Cour se doit de
relever l’absence de toute précision concernant les centres de rétention dans
lesquels les requérants auraient concrètement été internés, la durée et les
conditions de leur internement (voir, a
contrario, Riad et Idiab,
précité, §§ 101-106 ; S.D. c. Grèce,
no 53541/07, §§ 49-51, 11 juin 2009 ; Rahimi,
précité, §§ 81-86 ; et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 227-231). Dans ces
circonstances, il lui est impossible de porter une appréciation à l’aune de
l’article 3 sur les conditions de l’internement dont les requérants
auraient fait l’objet.
Il s’ensuit que le
présent grief est manifestement mal fondé et doit également être rejeté en
application de l’article 35 §§ 3 a) et 4.
190. Les requérants estiment que
leur refoulement vers la Grèce, qui aurait eu lieu entre novembre et décembre
2008, s’analyse en un refoulement indirect vers l’Afghanistan, où ils
risquaient selon leurs dires de connaître la mort ou de subir des tortures ou
des traitements inhumains et dégradants. Affirmant avoir été dans
l’impossibilité de contester leur refoulement devant les autorités italiennes,
ils estiment que celui-ci a revêtu le caractère d’une expulsion collective. De
même, ils allèguent avoir été privés de
facto de la possibilité d’exercer leur droit de recours individuel devant la
Cour. Ils dénoncent également des mauvais traitements de la part de la police
italienne.
191. Les requérants invoquent les
articles 2, 3 et 13 précités, ainsi que l’article 34 de la Convention
et l’article 4 du Protocole no 4. Ces deux derniers sont
ainsi libellés :
Article 34
« La Cour peut être saisie d’une requête par
toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe
de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes
Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles.
Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure
l’exercice efficace de ce droit. »
Article 4 du Protocole no 4
« Les expulsions collectives
d’étrangers sont interdites. »
192. La Cour estime devoir
examiner, tout d’abord, le grief tiré de l’article 4 du Protocole no 4.
A. Sur la violation de l’article 4
du Protocole no 4 à raison des expulsions collectives vers la Grèce
dont auraient été victimes les requérants
1. Thèse des parties
a) Le Gouvernement
193. Le gouvernement italien
(« le Gouvernement », dans les paragraphes suivants) excipe tout
d’abord de l’inapplicabilité de l’article 4 du Protocole no 4.
Considérant que le but de l’interdiction prévue par cette disposition serait de
conjurer l’horreur historique des pogroms, il estime que celle-ci ne concerne
pas les refoulements ou les refus d’admission sur le territoire des États
parties à la Convention. Une interprétation contraire, explique-t-il,
contraindrait lesdits Etats à devoir subir des invasions massives d’immigrants
irréguliers. Se référant à l’arrêt Sultani
c. France (no 45223/05, § 81, CEDH 2007‑IV), le
Gouvernement considère que l’article 4 du Protocole no 4
ne peut s’appliquer qu’aux personnes dont le séjour sur le territoire de l’État
avait suivi des voies régulières.
194. Sur le fond, le Gouvernement
affirme que, compte tenu des procédures suivies par la police des frontières,
en principe aucun des requérants n’a pu faire l’objet d’un refoulement
indiscriminé qui pourrait ressembler à une expulsion collective.
En effet, explique-t-il, comme le montreraient les
documents joints à ses observations, dans tous les ports de la mer Adriatique
l’identification par la police des personnes sans papiers d’identité ou dont
les papiers sont faux se fait en collaboration avec le CIR : si, au cours
de cette démarche, les personnes identifiées demandent l’asile ou une autre
forme de protection internationale, elles sont mises en contact avec le CIR et
interrogées ultérieurement dans une langue qu’elles comprennent.
Ceux qui ont introduit une demande de protection
internationale se voient appliquer le système de Dublin ; en conséquence
de quoi, indique le Gouvernement, l’unité « Dublin » du ministère de
l’Intérieur rend, le cas échéant, une « décision formelle » de renvoi
vers la Grèce, en tant que pays compétent pour se prononcer sur cette demande.
Quant à ceux qui ne demandent pas l’asile ou une autre forme de protection
internationale, ils feraient l’objet d’une « réadmission » en
direction de la Grèce, sur la base de l’accord bilatéral de 1999.
195. En l’espèce, selon le
Gouvernement, seul M. Reza Karimi[113]
figure dans les registres des services de l’immigration. À l’instar des
dix-sept autres personnes avec lesquelles il a été intercepté dans le port
d’Ancône, il a été mis en contact avec les agents du CIR et, comme il n’avait
pas exprimé la volonté de demander l’asile, il a fait l’objet d’une réadmission
en vertu dudit accord.
196. À titre subsidiaire, dans le
cas où l’article 4 du Protocole no 4 serait interprété
comme applicable aux refoulements, le Gouvernement soutient que les
circonstances du refoulement des requérants du territoire italien ne sauraient
en aucune façon en constituer une violation.
À l’appui de cette thèse, il expose en substance :
– qu’une expulsion collective ne constitue pas une
telle violation dans le cas où la mesure d’éloignement est prise à l’issue d’un
examen raisonnable et objectif de la situation de chacun des étrangers qui
forment le groupe ;
– qu’ainsi, le fait que plusieurs étrangers
fassent l’objet de décisions semblables ne permet pas en soi de conclure à
l’existence d’une expulsion collective lorsque chaque intéressé a pu
individuellement faire valoir devant les autorités compétentes les arguments
qui s’opposaient à son expulsion ;
– qu’en l’espèce, les autorités italiennes ne
pouvaient pas être saisies de demandes d’asile de la part des requérants, étant
donné que la compétence en matière d’examen individuel de la situation de
chaque requérant appartenait à la Grèce en vertu du règlement Dublin II ;
– et que, par conséquent, d’éventuelles demandes
d’asile des requérants n’auraient pas pu faire l’objet d’un examen et d’une
décision de la part des autorités italiennes, mais seulement des autorités
grecques, raison pour laquelle la seule option possible était le refoulement
vers ce pays.
b) Les requérants
197. En ce qui concerne
l’applicabilité de l’article 4 du Protocole no 4, les
requérants exposent qu’il n’y a pas de différences substantielles entre
expulsion, refoulement et refus d’admission sur le territoire d’un pays.
Les organisations internationales et les ONG emploieraient ces trois
expressions de manière synonyme pour désigner des mesures d’éloignement
collectif et indiscriminé. Il serait donc vain, à leurs yeux, de chercher à
soustraire la pratique de la police des frontières italienne au champ
d’application de l’article 4 du Protocole no 4 en
qualifiant de « refoulement » ou de « refus d’admission sur le
territoire », plutôt que d’ « expulsion », les mesures
adoptées à leur égard.
198. Sur le fond, les requérants,
invoquant de nouveau l’article 38, paragraphe 1 a) de la Convention
et la Résolution no 1571 de l’Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe, rappellent le devoir de l’État défendeur de coopérer avec
la Cour dans l’établissement des faits. Ils considèrent que si, comme ils
estiment l’avoir fait dans la présente procédure, les requérants ont réussi à
donner une apparence de véridicité à leurs allégations, la violation du devoir de
coopération de l’État peut faire naître une présomption de véridicité en faveur
de leurs dires ou entraîner une inversion de la charge de la preuve.
199. Ils considèrent que le
gouvernement italien n’a pas répondu aux questions de la Cour, en ce qu’il se
serait borné à formuler des allégations générales et évasives et se serait
abstenu de produire copie des registres dont pourrait ressortir la
reconnaissance ou la non-reconnaissance de leur identité.
200. De surcroît, ils rappellent
que d’après le gouvernement grec (paragraphe 13 ci‑dessus), trois
requérants, qui selon les dires du gouvernement italien n’apparaissent sur
aucun document officiel des services d’immigration, se seraient embarqués vers
l’Italie, auraient été refoulés immédiatement par les autorités italiennes et
auraient ainsi fait retour en Grèce en octobre 2008[114] ou
en février 2009[115].
Cette contradiction entre les observations des deux gouvernements défendeurs
apporterait la preuve, selon eux, de la pratique par les autorités italiennes
du refoulement collectif et indiscriminé : un nombre très important de
personnes provenant de Grèce seraient refoulées de l’Italie sans avoir été
identifiées ou, du moins, sans avoir pu rencontrer les agents du CIR ou du HCR
ni avoir eu la possibilité de demander l’asile.
201. Cette conclusion serait
confirmée, tout d’abord, par les modalités de la « réadmission » de
M. Reza Karimi, lequel, d’après le récit même du gouvernement italien
(paragraphes 12 et 195 ci‑dessus), aurait été reconduit à bord du
navire à destination de la Grèce seulement quelques heures après son
débarquement en Italie.
202. Ensuite, les observations du
Gouvernement et les documents y annexés montrent que la pratique de la police
des frontières s’inspire moins du droit international et européen en matière
d’immigration que de l’accord bilatéral de 1999, dont les procédures et les
garanties n’auraient, au demeurant, pas été respectées non plus. À ce propos,
étant donné que, aux termes dudit accord, les demandeurs d’asile sont exclus du
champ d’application des « réadmissions », les requérants estiment
qu’il n’est pas raisonnable de croire que des personnes qui s’étaient enfuies
de Grèce n’aient pas essayé de demander l’asile une fois arrivées en Italie.
203. En somme, le comportement des
autorités italiennes, tel qu’il ressort, notamment, des observations du
Gouvernement et, dans un autre contexte, des refoulements collectifs de
personnes provenant de la Libye (Hirsi
Jamaa et autres, précité, § 181), serait nettement contraire aux droits des
personnes qui essaient de fuir la guerre ou la persécution dans leur pays
d’origine.
c) Les tiers intervenants
204. Renvoyant à sa note sur la
protection internationale du 13 septembre 2001 (paragraphe 52 ci‑dessus),
le HCR entend rappeler que, eu égard à l’article 33 de la Convention de
Genève et au droit européen des droits de l’homme, le principe du
« non-refoulement » interdit de refouler toute personne exposée, dans
un pays donné, à un risque d’atteinte à la vie, de torture, ou de traitements
inhumains et dégradants. Ce principe s’applique à tout réfugié indépendamment
de sa situation administrative, donc même aux demandeurs d’asile dont la
demande reste en instance. Le principe du non-refoulement s’oppose à toute
mesure par laquelle l’État entendrait renvoyer une personne vers un territoire
où sa vie ou sa liberté seraient menacées ; il concerne le rejet aux frontières,
l’interception et le refoulement indirect.
205. Eu égard au principe du
non-refoulement, le HCR exprime sa préoccupation au sujet des pratiques de refus
d’admission sur le territoire et de refoulement immédiat suivies par les
autorités italiennes dans les ports de la mer Adriatique à l’égard des
personnes en provenance de la Grèce. En effet, d’après les renseignements
recueillis directement par le HCR ou émanant de sources jugées par lui
« crédibles », entre mars 2007 et juin 2009 des demandeurs
d’asile ainsi que d’autres personnes, parmi lesquelles des mineurs, qui avaient
besoin d’une protection internationale ont été renvoyés en Grèce sans avoir été
informés de manière adéquate de leur droit de demander l’asile en Italie et
sans avoir eu concrètement la possibilité d’introduire une demande d’asile.
206. En outre, selon le HCR, la
police des frontières italienne s’estime en droit de procéder à des
refoulements informels sur la base de l’accord bilatéral de 1999, jugeant que
l’article 2 § 3 du règlement Dublin II lui confère le droit de renvoyer
n’importe qui dans un autre pays du système de Dublin.
207. En pratique, pour procéder
aux renvois prétendument mis en œuvre dans le cadre dudit accord, la police des
frontières se contenterait de confier les personnes concernées, mineurs inclus,
au capitaine du navire chargé du retour. Le capitaine signerait des formulaires
avec le nom, la nationalité et, parfois, l’âge de la personne, sans même suivre
les quelques démarches prévues par ledit accord et en l’absence de toute
garantie ou voie de recours. Ces formulaires ne contiendraient par ailleurs
aucune référence au fait que la personne objet de la « réadmission »
ait éventuellement demandé l’asile en Grèce, et la procédure d’identification
serait peu professionnelle. Qui plus est, dans le cadre de cette procédure, la
personne concernée ne pourrait pas s’adresser aux ONG fournissant des services
d’assistance et d’information en matière d’asile dans les ports italiens de la
mer Adriatique.
208. Ce comportement ferait
obstacle à la détermination de l’État responsable de la demande d’asile en
vertu du règlement Dublin II et méconnaîtrait l’obligation d’évaluer le besoin
de protection internationale du demandeur d’asile.
209. Le Centre AIRE et Amnesty
International expriment des avis similaires. Ces deux organisations estiment,
en particulier, que ledit accord bilatéral entre l’Italie et la Grèce prive, en
substance, les personnes faisant l’objet d’une « réadmission
informelle » des garanties procédurales prévues par le règlement Dublin II
à la lumière du principe du non-refoulement.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur la recevabilité
210. En ce qui concerne
l’exception d’incompatibilité ratione
materiae avec la Convention, soulevée en substance par le Gouvernement du
fait de l’inapplicabilité, selon lui, de l’article 4 du Protocole no 4
aux refoulements litigieux, la Cour renvoie à l’analyse contenue dans l’arrêt Hirsi Jamaa et autres, précité (§§
166-180) et aux autres références qui y figurent. Dans cet arrêt la Grande
Chambre a notamment relevé que d’après la
jurisprudence bien établie de la Commission européenne des droits de l’homme et
de la Cour, le but de l’article 4 est d’éviter que les États puissent
éloigner un certain nombre d’étrangers sans examiner leur situation personnelle
et, par conséquent, sans leur permettre d’exposer leurs arguments s’opposant à
la mesure prise par l’autorité compétente. Cette considération l’a conduite à
juger que l’article 4 était applicable aux interceptions de migrants en
haute mer, en considérant qu’une solution contraire aboutirait à priver cette
disposition d’effet utile, en ce que les personnes interceptées en haute mer
seraient empêchées d’obtenir un examen de leur situation personnelle avant d’être
expulsées.
211. Aux yeux de la Cour, les
rapports entre l’interprétation du champ d’application de l’article 4 du
Protocole no 4 retenue par la Grande Chambre et l’étendue du
principe du non-refoulement, telle que présentée par le HCR (paragraphe 52
ci‑dessus), ne sont pas non plus dépourvus d’intérêt.
212. Aussi, la Cour ne juge pas
nécessaire d’établir, dans la présente affaire, si les requérants ont été
expulsés après être entrés sur le territoire italien ou s’ils ont été refoulés
avant d’avoir pu le faire. Compte tenu de ce que même les interceptions en
haute mer tombent sous l’empire de l’article 4, il ne peut qu’en aller de
même pour le refus d’admission sur le territoire national dont, selon la thèse
du gouvernement italien, feraient légalement l’objet les personnes arrivées
clandestinement en Italie.
213. Dès lors, l’exception
d’incompatibilité ratione materiae avec la
Convention soulevée par le gouvernement italien doit être rejetée. Par
ailleurs, la Cour considère que cette partie de la requête pose des questions
de droit et de fait complexes qui ne peuvent être tranchées qu’après un examen
au fond ; il s’ensuit que celle-ci n’est pas manifestement mal fondée au
sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Aucun autre motif
d’irrecevabilité n’étant à relever, il y a lieu de la déclarer recevable.
b) Sur le fond
214. Eu égard à l’objet et au but
de l’article 4 du Protocole no 4 ainsi qu’à la règle de
l’effet utile, la Cour doit vérifier l’existence, en l’espèce, de garanties
suffisantes attestant une prise en compte réelle et différenciée de la
situation individuelle de chacune des personnes concernées par les mesures
litigieuses (Hirsi Jamaa et autres,
précité, §§ 183-185).
215. Elle prend note des
conclusions concordantes des tiers intervenants selon lesquelles les
« réadmissions » mises en œuvre par les autorités italiennes dans les
ports de la mer Adriatique, parmi lesquels le port d’Ancône, privent les
personnes concernées de toute possibilité effective d’introduire une demande
d’asile et, finalement, de tout droit procédural et matériel. D’autres sources
internationales (paragraphes 101-104 ci‑dessus) vont dans le même
sens : c’est seulement au bon vouloir de la police des frontières que les
personnes sans papiers interceptées dans ces ports seraient mises en contact
avec un interprète et des agents à même de leur fournir les informations
minimales concernant le droit d’asile et la procédure pertinente ; le plus
souvent, elles seraient confiées immédiatement aux capitaines des ferry-boats
en vue d’être reconduites en Grèce.
216. Ces conclusions contredisent
les dires du Gouvernement selon lesquels la procédure d’identification des
personnes sans papiers dans les ports italiens de l’Adriatique, gérée par des
agents de police en collaboration avec des agents du CIR, offrirait des
garanties suffisantes de prise en compte réelle et individualisée de la
situation de chacune d’elles au sens de l’article 4 du Protocole no 4.
217. À cet égard, la Cour note
que, si l’on suit les conséquences logiques de la thèse du Gouvernement, a contrario l’absence d’informations essentielles
dans une langue compréhensible lors de l’identification dans le port d’Ancône
priverait les immigrants interceptés de toute possibilité de demander l’asile
en Italie. En effet, il résulte des observations du Gouvernement que, pour que
leur cas fasse l’objet d’un examen et d’une décision de la part de l’unité
Dublin du ministère de l’Intérieur, les intéressés doivent avoir exprimé au
cours de l’identification le souhait de bénéficier de l’asile ou d’une autre
forme de protection internationale. La participation des agents du CIR et d’un
interprète lors de l’identification est donc cruciale.
218. Or, même à propos de
M. Reza Karimi[116],
seul requérant dont le nom apparaît sur les registres des services de
l’immigration italiens, aucune pièce du dossier ne confirme les dires du
gouvernement italien quant à l’implication du CIR lors de la procédure
d’identification. Le seul document concernant ce requérant est, en effet, un
formulaire de la police des frontières d’Ancône, rempli à la main et signé par
le requérant (paragraphe 12 ci‑dessus), et qui ne fait aucune
mention de la présence d’un interprète ou d’un agent du CIR au cours de la
procédure d’identification.
219. En tout état de cause, compte
tenu des procédures prévues par l’accord bilatéral de 1999
(paragraphes 84-88 ci‑dessus), l’absence de tout document ultérieur
concernant M. Reza Karimi semble même inconciliable avec la thèse du
gouvernement italien selon laquelle ce requérant aurait fait l’objet d’une
réadmission sur la base de cet accord, laquelle aurait donné lieu à une
certaine forme d’examen individuel de la situation de ce requérant et de ses
besoins de protection : aucune demande de réadmission envoyée aux
autorités grecques en application de l’article 5 de l’accord bilatéral de
1999 et de son protocole sur l’exécution ne ressort du dossier. Ce constat
semble corroborer les craintes du rapporteur spécial du Conseil des droits de
l’homme des Nations unies selon lesquelles la pratique des réadmissions vers la
Grèce suivie dans les ports italiens de la mer Adriatique méconnaîtrait souvent
le champ d’application et les procédures prévues par l’accord bilatéral de 1999
(paragraphe 104 ci‑dessus). Dans le même sens, on ne saurait
négliger l’inquiétude exprimée par le Commissaire aux droits de l’homme du
Conseil de l’Europe à l’égard de ce qu’il qualifie de « renvois
automatiques » de l’Italie vers la Grèce (paragraphe 102 ci‑dessus).
Serait en somme confirmée la circonstance, dénoncée par les documents
internationaux susmentionnés (paragraphes 101-102), que dans les ports de la
mer Adriatique la police des frontières procédait à des refoulements immédiats
et sans aucune garantie pour les intéressés.
220. En outre, la Cour se doit de
relever que l’affirmation du gouvernement italien selon laquelle seul
M. Reza Karimi aurait atteint le territoire italien (paragraphe 12 ci‑dessus)
est contredite par les observations du gouvernement grec (paragraphe 13 ci‑dessus),
selon lesquelles trois autres requérants se seraient embarqués vers l’Italie et
auraient été refoulés par les autorités italiennes avant de faire retour en
Grèce en octobre 2008[117] ou
en février 2009[118].
221. Au demeurant, d’autres
affirmations du gouvernement italien achèvent de conforter les craintes de la
Cour sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 4.
222. La Cour se réfère ici, d’une
part, à l’argument avancé par lui selon lequel interpréter l’article 4 du
Protocole no 4 dans le sens de son applicabilité au refoulement
ou au refus d’admission sur le territoire national exposerait les États parties
à la Convention à devoir subir des invasions massives de migrants
irréguliers ; et, d’autre part, à son argument subsidiaire tiré de
l’articulation à opérer, selon lui, entre ledit article 4 et le système de
Dublin (paragraphe 202 ci‑dessus).
223. À ce dernier propos, le
gouvernement italien explique que, dans le système de Dublin, seule la Grèce
était compétente pour statuer sur les éventuelles demandes d’asile des
requérants, et donc pour procéder à l’évaluation des situations particulières
de chacun d’entre eux, telle que requise, justement, par l’article 4 du
Protocole no 4. Il estime qu’appliquer l’article 4 du
Protocole no 4 au refoulement collectif des requérants de
l’Italie vers la Grèce présentement contesté reviendrait à méconnaître cette
circonstance particulière de l’espèce.
En ce qui concerne l’application des règles de compétence
établies par le règlement Dublin II (paragraphes 57-58 ci‑dessus),
la Cour considère au contraire que, pour établir si la Grèce était
effectivement compétente pour se prononcer sur les éventuelles demandes d’asile
des requérants, les autorités italiennes auraient dû procéder à une analyse
individualisée de la situation de chacun d’entre eux plutôt que les expulser en
bloc. Aucune forme d’éloignement collectif et indiscriminé ne saurait être
justifiée par référence au système de Dublin, dont l’application doit, dans
tous les cas, se faire d’une manière compatible avec la Convention (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§
338-340).
224. Sans remettre en cause ni
le droit dont disposent les États d’établir souverainement leur politique en
matière d’immigration, éventuellement dans le cadre de la coopération
bilatérale, ni les obligations découlant de leur appartenance à l’Union
européenne, la Cour entend souligner que les difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans la gestion
des flux migratoires ou dans l’accueil des demandeurs d’asile ne sauraient
justifier le recours à des pratiques incompatibles avec la Convention ou ses
Protocoles (Hirsi Jamaa, précité, §
179).
225. Dans ces circonstances, la Cour estime que
les mesures dont ont fait l’objet MM. Reza Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil
Azimi et Najeeb Heideri (alias Nagib Haidari)[119] dans
le port d’Ancône s’analysent en des expulsions collectives et
indiscriminées.
Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 4 du
Protocole no 4.
B. Sur la violation alléguée des
articles 2 et 3 de la Convention à raison du risque pour les requérants
d’être rapatriés arbitrairement en Afghanistan
1. Thèse des parties
226. Sur le terrain des
articles 2 et 3 de la Convention, précités, les requérants font grief à
l’Italie d’avoir, en les refoulant vers la Grèce, fait peser sur eux le risque
d’un refoulement indirect vers l’Afghanistan, où ils auraient selon leurs dires
été en danger de mort ou exposés à la possibilité de subir des tortures ou des
traitements inhumains et dégradants. À leurs yeux, c’est en pleine connaissance
de cause que l’Italie les a exposés à ces risques, étant donné que les
défaillances de la procédure d’asile en Grèce étaient selon eux bien connues
des autorités italiennes.
227. Le Gouvernement conteste
cette thèse.
Insistant une nouvelle fois sur le fait que seul
M. Reza Karimi[120]
aurait débarqué en Italie à l’époque, il rétorque que le renvoi de l’intéressé
vers la Grèce était pour les autorités italiennes une obligation en vertu du
règlement Dublin II.
En qui concerne les risques de refoulement
arbitraire vers l’Afghanistan, il invoque la décision K.R.S. c. Royaume-Uni, précitée.
228. À titre subsidiaire, le
Gouvernement fait valoir, à l’instar du gouvernement grec (paragraphe 147
ci‑dessus), qu’il contribue activement à l’effort de la communauté
internationale contre le régime des talibans, en participant à la mission de
l’OTAN dans le but de réduire les zones de combats et de soutenir les autorités
afghanes dans la reconstruction de leur pays. Grâce à ces efforts, il y aurait
en Afghanistan plusieurs zones pacifiées et sous le contrôle de la communauté
internationale dans lesquelles les requérants pourraient s’installer sans
crainte de subir des traitements contraires à l’article 3 de la
Convention.
229. Les tiers intervenants
réitèrent à titre liminaire leurs observations (résumées aux
paragraphes 158-164 ci‑dessus) déjà formulées à propos des
défaillances de la procédure d’asile en Grèce et de la pratique par les autorités grecques du
refoulement, collectif ou individuel, des demandeurs d’asile vers la Turquie.
Compte tenu de cette situation en Grèce, les tiers
intervenants considèrent que la pratique des autorités frontalières italiennes,
notamment dans le port d’Ancône, est contraire au principe du non-refoulement
et expose ces personnes au risque de subir des persécutions ou des mauvais
traitements ; ils estiment, en effet, que cette pratique empêche l’examen
des besoins de protection individuelle des personnes sans papiers interceptées.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur la recevabilité
230. La Cour considère
que cette partie de la requête pose des questions de droit et de fait complexes
qui ne peuvent être tranchées qu’après un examen au fond ; il s’ensuit que
celle-ci n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a)
de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’étant à relever, il y a
lieu de la déclarer recevable.
b) Sur le fond
231. En ce qui concerne l’argument
du gouvernement italien selon lequel seul M. Reza Karimi[121] aurait débarqué en Italie à l’époque des faits de l’affaire, la Cour
renvoie au raisonnement développé sur le terrain de l’article 4 du
Protocole no 4 (paragraphes 220-230 ci‑dessus), qui
l’a conduite à tenir pour établi que MM. Yasir Zaidi, Mozamil Azimi et
Najeeb Heideri (alias Nagib Haidari)[122] sont
eux aussi arrivés dans le port d’Ancône.
232. Ensuite, elle rappelle les
principes exposés, en matière de refoulement indirect, dans les arrêts M.S.S. c. Belgique et Grèce et Hirsi Jamaa et autres, précités
(respectivement §§ 338-343 et §§ 146-148) : il appartient à l’État qui procède au refoulement de s’assurer,
même dans le cadre du système de Dublin, que le pays de destination offre des
garanties suffisantes permettant d’éviter que la personne concernée ne soit
expulsée vers son pays d’origine sans une évaluation des risques qu’elle court.
233. Dans la présente affaire, la
Cour a déjà constaté une violation par la Grèce de l’article 13 de la
Convention, combiné avec l’article 3 de la Convention, à raison de l’absence d’accès à la procédure d’asile et du risque
d’expulsion des requérants vers l’Afghanistan, où ils étaient susceptibles de
subir des traitements inhumains et dégradants.
234. Quant à la responsabilité de
l’Italie découlant du refoulement des requérants vers la Grèce, la Cour ne voit
pas de raisons valables de s’écarter des conclusions auxquelles elle est
parvenue dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique
et Grèce, précité (§§ 344-359) à l’égard de la Belgique. De surcroît, alors
que dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et
Grèce (ibidem) la Cour avait tout
de même constaté que le requérant avait pu bénéficier de diverses formes
d’examen individuel de sa situation par les autorités belges et de suivi de
celle-ci après son refoulement vers la Grèce, rien de similaire ne se trouve
établi dans la présente affaire, où les requérants ont été victimes
d’expulsions collectives.
235. Dès lors,
il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard de MM. Reza
Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil Azimi et Najeeb Heideri (alias Nagib Haidari)[123]. Compte tenu de cette conclusion et eu
égard aux circonstances de l’affaire, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu
d’examiner les griefs des requérants sous l’angle de l’article 2.
C. Sur la violation de
l’article 13 de la Convention, combiné avec les articles 2 et 3 de la
Convention et 4 du Protocole no 4, du fait de l’absence d’accès
à la procédure d’asile ou à toute autre voie de recours dans le port d’Ancône
1. Thèse des parties
236. Les requérants se plaignent également de ne
pas avoir eu accès à un recours effectif pour formuler leurs griefs tirés à la
fois des articles 2 et 3 de la Convention, du fait des risques courus en
cas de refoulement (direct ou indirect) vers l’Afghanistan, ainsi que de
l’article 4 du Protocole no 4. Ils invoquent
l’article 13 de la Convention, dénonçant l’absence de contacts avec un
avocat et un interprète à l’occasion de leur identification et de leur
expulsion d’Italie.
237. Le Gouvernement conteste
cette thèse. Il soutient qu’en principe, la Convention n’oblige pas les États à
mettre les personnes entrées irrégulièrement sur leur territoire en contact
avec des avocats ou des interprètes. Il précise néanmoins qu’en pratique, les
personnes faisant l’objet d’une procédure d’identification de la part de la
police des frontières sont mises régulièrement en contact avec les agents du
CIR qui, d’après lui, sont à même de leur fournir information et assistance au
sujet de la procédure d’asile.
238. Les tiers intervenants
réitèrent les observations formulées sur le terrain de l’article 4 du
Protocole no 4. Ils estiment, en particulier, que les
refoulements qui ont lieu dans les ports italiens de la mer Adriatique
empêchent les personnes en provenance de la Grèce de recevoir des informations
adéquates, ce qui les priverait de la possibilité effective de demander l’asile
et, donc, de tout droit procédural et matériel.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur la recevabilité
239. La Cour considère
que cette partie de la requête pose des questions de droit et de fait complexes
qui ne peuvent être tranchées qu’après un examen au fond ; il s’ensuit que
celle-ci n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a)
de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’étant à relever, il y a
lieu de la déclarer recevable.
b) Sur le fond
240. La Cour a déjà estimé plus haut que les
craintes des requérants sur le terrain de l’article 3, en cas de
refoulement direct ou indirect vers l’Afghanistan, n’étaient pas dépourvues de
tout fondement (paragraphe 180 ci‑dessus).
En outre, elle vient de conclure que le refoulement
collectif dont les requérants ont fait l’objet dans le port d’Ancône
constituait une violation de l’article 4 du Protocole no 4.
Les griefs soulevés par les requérants sur ces
points étaient dès lors « défendables » aux fins de l’article 13
de la Convention.
241. Quant aux exigences découlant de cette
disposition, la Cour renvoie à l’analyse exposée plus haut en ce qui concerne
les conditions d’une accessibilité concrète et effective à la procédure d’asile
(paragraphes 183 et 184 ci‑dessus).
242. En outre, la Cour a déjà relevé plus haut,
sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 4 que,
contrairement aux dires du Gouvernement, dans le port d’Ancône les requérants
ont été remis sur-le-champ par les autorités des frontières aux capitaines des
ferry-boats et n’ont pas eu accès à un interprète ni à des agents pouvant leur
fournir les informations minimales nécessaires à propos du droit d’asile et de
la procédure pertinente. Il y a, en l’espèce, un lien évident entre les
expulsions collectives dont les requérants ont fait l’objet dans le port
d’Ancône et le fait qu’ils ont été concrètement empêchés de demander
l’asile ou d’avoir accès à une quelconque autre procédure nationale satisfaisant
aux exigences de l’article 13.
243. Dès lors, la Cour estime qu’il y a eu
également violation de l’article 13, combiné avec l’article 3 de la
Convention et l’article 4 du Protocole no 4. Compte
tenu de cette conclusion et eu égard aux circonstances de l’affaire, la Cour
estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs des requérants sous l’angle
de l’article 13 combiné avec l’article 2.
D. Autres griefs
244. Sur le terrain de
l’article 34, les requérants dénoncent l’absence de contacts avec un
avocat et un interprète à l’occasion de leur identification et de leur
expulsion d’Italie, en ce qu’elle les aurait privés de facto de la possibilité de porter et défendre leur cause devant
la Cour.
245. Le Gouvernement conteste
cette thèse.
246. La Cour constatant que ce
grief ne se heurte à aucun des motifs d’irrecevabilité inscrits à l’article 35
§ 3 de la Convention, le déclare-t-elle recevable.
Cependant, compte tenu des conclusions auxquelles
elle est parvenue sur le terrain de l’article 13, combiné avec
l’article 3 de la Convention, et de l’article 4 du Protocole no 4,
ainsi que des motifs qui les sous-tendent, elle estime qu’en l’espèce il n’y a
pas lieu d’examiner séparément les griefs des requérants sur le terrain de
l’article 34 de la Convention.
247. Invoquant également
l’article 3 de la Convention, les requérants affirment avoir fait l’objet
de mauvais traitements de la part de la police italienne et des équipages des
navires qui les ont ramenés vers la Grèce.
248. Le Gouvernement conteste
cette thèse, soulignant que les requérants n’ont pas soumis à la Cour le
moindre élément de preuve des mauvais traitements allégués. La documentation
photographique disponible, par exemple, n’aurait aucun lien avec les mauvais
traitements qu’ils dénoncent.
249. La Cour relève que, comme c’était le
cas pour ceux qu’ils reprochaient aux autorités grecques
(paragraphes 188-191 ci‑dessus), les requérants ne donnent pas le
moindre détail ou la moindre précision concernant les mauvais traitements
présentement imputés à l’Italie. Elle ne dispose pas non plus de preuves
permettant d’établir les faits dénoncés. En bref, le grief n’est aucunement
étayé.
Dès lors, le présent grief est manifestement mal
fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de
la Convention.
IV. SUR
L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
250. Aux termes de l’article 41 de la
Convention,
« Si la Cour déclare
qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit
interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement
les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. À
l’égard de l’Italie
251. Les requérants n’ont pas présenté
leur demande de satisfaction équitable à l’égard de l’Italie dans le délai qui
leur avait été imparti, qui expirait le 26 octobre 2009 ; et cela bien
que, par une lettre adressée à leur conseil le 15 septembre 2009, leur
attention eût été attirée sur l’article 60 du règlement de la Cour, qui
dispose que toute demande de satisfaction équitable au titre de
l’article 41 de la Convention doit être exposée dans le délai imparti pour
la présentation des observations écrites sur le fond, conjointement ou dans un
document séparé.
Partant, la Cour
estime qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme au titre de
l’article 41 à la charge de l’Italie (Willekens
c. Belgique, no 50859/99, § 27, 24 avril 2003 ; Ouzounoglou c. Grèce, no 32730/03,
§ 45, 24 novembre 2005 ; et Alexandre c. Portugal, no 33197/09,
§ 63, 20 novembre 2012).
B. À
l’égard de la Grèce
1. Dommage
252. Les requérants n’ont présenté à
l’égard de la Grèce aucune demande au titre d’un éventuel préjudice moral ou
matériel, se limitant à réitérer, à l’occasion de la transmission de leurs
observations sur le fond de l’affaire à l’égard de ce pays, les prétentions
tardivement formulées à l’égard de l’Italie.
Dès lors, la Cour
considère qu’il n’y a pas lieu de leur accorder une somme à ce titre à la charge
de la Grèce.
2. Frais et
dépens
253. Les requérants demandent le
remboursement des frais exposés devant la Cour, pour un montant de
15 352,93 EUR.
254. Le gouvernement défendeur n’a pas
formulé d’observations à cet égard.
255. Selon la jurisprudence de la Cour, un
requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la
mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère
raisonnable de leur taux.
En outre, la Cour
ne peut accueillir les demandes pour frais et dépens que si elles se rapportent
aux violations constatées par elle : elle doit les écarter si elles
concernent des griefs qui n’ont pas débouché sur le constat d’une violation, ou
des griefs déclarés irrecevables (voir l’article 60 du règlement et les
instructions pratiques concernant l’introduction de la demande de satisfaction
équitable).
256. En l’espèce, compte tenu des documents
en sa possession et des conclusions auxquelles elle est parvenue à l’égard de
la Grèce, la Cour estime raisonnable une somme de 5 000 EUR pour la
procédure devant la Cour et l’accorde conjointement aux requérants.
3. Intérêts
moratoires
257. La Cour juge approprié de calquer le
taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de
pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA
COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de rayer la requête du rôle à
l’égard de MM. Alisina Sharifi, Nima Rezai, Sardar Agha Khan, Abdul Nabi, Habib
Yosufi, Alireza Ekhlasi, Abas Rezai, Mohammad Haroon Ebrahemi, Ajabdin
Akhonzada, Ahsanhullah Amar Khel, Malik Merzai, Mustafa Said Mustafa, Alidad
Rahimi, Rahim Rahimi, Shirshah Sherdil Aghsheern, Mohammad Isa Sayyed Hashemi,
Mohamad Sedeq Acheqzai, Moqaddas Raheimi, Ahmad Mohamad Amna, Gaber Ali Omar,
Bilal Mohamed Taha, Nawid Kabiri, Abdul Rahim Faqiri, Nazar Mohammed Yashidi,
Salahuddin Chaqar, Rahmat Wahidi, Mohamad Anif Servery, Zamarak Amarkhel, Abdul
Hakim Hasani, Faroz Ahmadi et Hasan Najibi[124];
2. Joint
au fond l’exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours
internes soulevée par le gouvernement grec et la rejette ;
3. Déclare
recevable le grief de MM. Reza Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil Azimi
et Najeeb Heideri (alias Nagib Haidari)[125] tiré de l’article 13 combiné avec
l’article 3 de la Convention à l’encontre de la Grèce ;
4. Dit qu’il y a eu violation par la Grèce de
l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention à l’égard de MM. Reza Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil
Azimi et Najeeb Heideri, alias Nagib Haidari[126] ;
5. Déclare le restant
de la requête irrecevable à l’égard
de la Grèce ;
6. Déclare
recevable le grief de MM. Reza Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil Azimi
et Najeeb Heideri (alias Nagib Haidari)[127] tiré de l’article 4 du Protocole no 4
à
l’encontre de l’Italie ;
7. Dit qu’il y a eu violation par l’Italie de l’article 4 du Protocole no 4
à l’égard de MM. Reza Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil Azimi et Najeeb
Heideri, alias Nagib Haidari[128] ;
8. Déclare
recevable les griefs de MM. Reza Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil Azimi
et Najeeb Heideri (alias Nagib Haidari)[129] tirés des articles 2 et 3 de la
Convention à l’encontre de l’Italie à raison de leur renvoi vers la Grèce en dépit des
défaillances de la procédure d’asile dans cet État ;
9. Dit qu’il y a eu violation par l’Italie de l’article 3 de la Convention à
l’égard de MM. Reza
Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil Azimi et Najeeb Heideri (alias Nagib Haidari)[130] à raison du fait qu’en les renvoyant en Grèce, les
autorités italiennes ont exposé les requérants aux risques résultant des
défaillances de la procédure d’asile dans cet État ;
10. Déclare recevable le grief de MM. Reza
Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil Azimi et Najeeb Heideri (alias Nagib Haidari)[131] tiré, à l’encontre de l’Italie, de
l’article 13 combiné avec les articles 2 et 3 de la Convention et 4
du Protocole no 4 du fait de l’absence d’accès à la procédure
d’asile ou à une quelconque autre voie de recours dans le port d’Ancône ;
11. Dit, qu’il y a eu
violation par l’Italie de l’article 13 combiné avec les articles 3 de
la Convention et 4 du Protocole no 4 à l’égard de MM. Reza Karimi, Yasir Zaidi,
Mozamil Azimi et Najeeb Heideri, alias Nagib Haidari[132] ;
12. Déclare recevable le grief de
MM. Reza Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil Azimi et Najeeb Heideri (alias Nagib
Haidari)[133] tiré, à l’encontre de l’Italie, de
l’article 34 de la Convention (paragraphe 251 ci-dessus) ;
13. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les
griefs de MM. Reza Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil Azimi et Najeeb Heideri
(alias Nagib Haidari)[134] sous l’angle de l’article 2 de la
Convention, seul et combiné avec l’article 13 de la Convention, ou de
l’article 34 de la Convention ;
14. Déclare le restant de la requête irrecevable à l’égard de l’Italie ;
15. Dit
a) que
la Grèce doit verser à MM. Reza Karimi, Yasir Zaidi, Mozamil Azimi et
Najeeb Heideri (alias Nagib Haidari)[135] conjointement, dans les trois mois à compter
du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de
l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR
(cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les
requérants, pour frais et dépens ;
b) qu’à
compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à
majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
16. Rejette la demande de satisfaction
équitable pour le surplus.
Fait en
français, puis communiqué par écrit le 21 octobre 2014, en application de
l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Işıl
Karakaş
Greffier Présidente
Au présent arrêt
se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du
règlement, l’exposé de l’opinion concordante du Juge Lemmens.
A.I.K.
S.H.N.
OPINION
CONCORDANTE DU JUGE LEMMENS
1. Je
suis d’accord avec mes collègues sur tous les points du dispositif. À mon regret toutefois, je ne peux souscrire au
raisonnement conduisant à l’adoption du point 2 du dispositif, qui concerne
l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le
gouvernement grec.
J’ai bien
conscience que mon désaccord avec la majorité concerne un aspect purement
technique de l’arrêt. Comme la question surgit, sous l’une ou l’autre forme,
dans de nombreuses affaires, j’estime néanmoins utile d’y consacrer une opinion
séparée.
2. Dans
ses observations du 29 septembre 2009, le gouvernement grec a soulevé une
exception d’irrecevabilité de la requête, tirée du fait qu’aucun des requérants
n’avait soumis les griefs invoqués devant la Cour à l’appréciation d’une
quelconque instance nationale (paragraphe 121 de l’arrêt).
Même si le
gouvernement grec n’indiquait pas explicitement sur quels griefs portait
l’exception, il résulte des développements concernant celle-ci dans les
observations précitées qu’elle avait trait aux allégations de mauvais
traitement par les autorités grecques. L’exception concernait donc les griefs
fondés sur les articles 2 et 3 de la
Convention.
3. Comme
les requérants se plaignent également d’une violation de l’article 13 de la
Convention combiné avec les articles 2 et 3, la Cour considère à l’unanimité
qu’il existe un lien étroit entre la thèse du Gouvernement sur l’exception
tirée du non-épuisement des voies de recours internes (article 35 § 1 de la
Convention) et le bien-fondé des griefs formulés par les requérants sur le
terrain de l’article 13. C’est pour cette raison que « la Cour estime
qu’il y a lieu de joindre cette exception au fond » (paragraphe 123 de
l’arrêt).
À mon avis, il eût
été préférable de préciser la portée de cette dernière expression. Je la comprends
comme voulant dire que l’exception concernant les griefs fondés sur les articles 2 et 3 est jointe à
l’examen du bien-fondé des griefs fondés sur l’article 13 de la Convention, combiné avec les articles 2 et 3 (comparer,
dans le même sens, M.S.S. c. Belgique et
Grèce [GC], no 30696/09, § 336, CEDH 2011).
4. Après
avoir joint l’exception d’irrecevabilité à l’examen du fond, la Cour procède à
une qualification juridique des faits sous-jacents aux griefs dirigés contre la
Grèce. En ce qui concerne les griefs relatifs au refoulement des requérants
vers l’Afghanistan et l’absence d’accès à la procédure d’asile en pratique,
elle décide d’examiner ces griefs sous l’angle du seul article 13 combiné avec
l’article 3 (paragraphe 140 de l’arrêt). Elle n’examine donc pas ces griefs
sous l’angle des articles 2 et 3.
La Cour ajoute
qu’il n’y a pas lieu non plus de se placer sur le terrain de l’article 13
combiné avec l’article 2 (ibidem).
5. Cette
qualification des faits et des griefs m’amène à constater qu’en ce qui concerne
les griefs précités, l’exception relative aux griefs fondés sur les articles 2 et 3 de la Convention, est devenue sans
objet.
Cette constatation
doit alors nécessairement conduire au rejet de cette exception. C’est sur cette
base que je me suis fondé pour voter en faveur de la seconde partie du point 2
du dispositif (rejet de l’exception).
6. La
majorité ne suit pas la même logique.
Tout en ayant
décidé, du moins implicitement, qu’il n’y a pas lieu de se placer sur le
terrain des articles 2 et 3 de la
Convention, elle estime nécessaire de se prononcer encore sur le bien-fondé de
l’exception y relative. En effet, après avoir conclu à une violation de
l’article 13 combiné avec l’article 3, elle considère qu’ « il
s’ensuit qu’il ne saurait être reproché aux requérants de ne pas avoir épuisé
les voies de recours internes, de sorte que l’exception préliminaire du
gouvernement grec sur ce terrain doit être rejetée » (paragraphe 181 de
l’arrêt). À mon humble avis, ce raisonnement est contradictoire.
La majorité
souhaite-t-elle dire que l’exception préliminaire concerne (également) les
griefs fondés sur l’article 13 combiné
avec l’article 3, c’est-à-dire les griefs que la Cour déclare fondés ?
Si tel était le cas, je me permets de me demander quelle pourrait être la
portée d’une telle exception. Comment le gouvernement grec pourrait-il soutenir
que les requérants auraient dû se plaindre auprès des autorités nationales
qu’ils n’avaient aucune voie de recours interne à leur disposition, c’est-à-dire
qu’ils auraient dû épuiser des voies de recours internes pour se plaindre de
l’impossibilité d’avoir accès à de telles voies de recours ?
Je ne comprends pas
la logique de la majorité.
7. Le
problème que j’ai décrit tient à la façon dont la Cour traite les exceptions de
non-épuisement des voies de recours internes. Il me semble que sur ce point nos
arrêts manquent parfois d’une certaine rigueur. Une exception est
nécessairement liée à un ou plusieurs griefs (voire à l’ensemble des griefs,
donc à la requête entière). À mon avis, il serait utile de préciser chaque fois
la portée de l’exception.
Si la Cour décide
de joindre l’exception de non-épuisement des voies de recours internes à
l’examen du bien-fondé du grief fondé sur la violation de l’article 13, elle
devrait d’abord examiner ce grief (et non pas les griefs fondés sur la
violation d’autres articles de la Convention), puis en tirer les conclusions
relatives à l’exception d’irrecevabilité concernant les autres griefs. Enfin,
si elle rejette l’exception, elle peut alors poursuivre avec l’examen du
bien-fondé de ces autres griefs.
ANNEXE
No |
Nom |
Prénom |
Nationalité |
1 |
SHARIFI |
Alisina |
afghane |
2 |
REZAI |
Nima |
afghane |
3 |
KHAN |
Sardar Agha |
afghane |
4 |
KARIMI |
Reza |
afghane |
5 |
NABI |
Abdul |
afghane |
6 |
YOSUFI |
Habib |
afghane |
7 |
EKHLASI |
Alireza |
afghane |
8 |
REZAI |
Abas |
afghane |
9 |
EBRAHEMI |
Mohammad Haroon |
afghane |
10 |
AKHONZADA |
Ajabdin |
afghane |
11 |
AMAR KHEL |
Ahsanhullah |
afghane |
12 |
MERZAI |
Malik |
afghane |
13 |
MUSTAFA |
Mustafa Said |
afghane |
14 |
RAHIMI |
Alidad |
afghane |
15 |
RAHIMI |
Rahim |
afghane |
16 |
SHERDIL AGHSHEERN |
Shirshah |
afghane |
17 |
HASHEMI |
Mohammad Isa Sayyed |
afghane |
18 |
ZAIDI |
Yasir |
afghane |
19 |
ACHEQZAI |
Mohamad Sedeq |
afghane |
20 |
RAHEIMI |
Moqaddas |
afghane |
21 |
AMNA |
Ahmad Mohamad |
soudanaise |
22 |
OMAR |
Gabel Ali |
érythréenne |
23 |
TAHA |
Bilala Mohamed |
soudanaise |
24 |
KABIRI |
Nawid |
afghane |
25 |
FAQIRI |
Abdul Rahim |
afghane |
26 |
YASHIDI |
Nazar Mohammed |
afghane |
27 |
CHAQAR |
Salahuddin |
afghane |
28 |
AZIMI |
Mozamil |
afghane |
29 |
WAHIDI |
Rahmat |
afghane |
30 |
SERVERY |
Mohamad Anif |
afghane |
31 |
AMARKHEL |
Zamarak |
afghane |
32 |
HASANI |
Abdul Hakim |
afghane |
33 |
HEIDERI |
Najeeb |
afghane |
34 |
AHMADI |
Faroz |
afghane |
35 |
NAJIBI |
Hasan |
afghane |
[1]. Les requérants indiqués aux nos 2,
12, 13, 14, 34 et 35 de la liste figurant en annexe.
[2]. Exception faite du requérant indiqué au no
15 de la liste figurant en annexe, qui affirme être arrivé en Italie en octobre
2004, et des requérants indiqués aux nos 20 et 35 de la liste
figurant en annexe, pour lesquels aucune date n’est précisée.
[3]. Le requérant indiqué au no 2 de
la liste figurant en annexe.
[4]. Vraisemblablement le requérant indiqué au
no 3 de la liste figurant en annexe.
[5]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[6]. Vraisemblablement le requérant indiqué au
no 15 de la liste figurant en annexe.
[7]. Le requérant indiqué au no 17
de la liste figurant en annexe.
[8]. Le requérant indiqué au no 22
de la liste figurant en annexe.
[9]. Le requérant indiqué au no 24 de
la liste figurant en annexe.
[10]. Le requérant indiqué au no 26
de la liste figurant en annexe.
[11]. Le requérant indiqué au no 29
de la liste figurant en annexe.
[12]. Le requérant indiqué au no 30
de la liste figurant en annexe.
[13]. Le requérant indiqué au no
6 de la liste figurant en annexe.
[14]. Le requérant indiqué au no
28 de la liste figurant en annexe.
[15]. Les requérants indiqués aux nos
2, 12, 13, 14, 34 et 35 de la liste figurant en annexe.
[16]. Les requérants indiqués aux nos 1,
15, 17, 18, 19 et 29 de la liste figurant en annexe.
[17]. Les requérants indiqués aux nos
8, 11, 25 et 31 de la liste figurant en annexe.
[18]. Les requérants indiqués aux nos
10, 21, 22 et 23 de la liste figurant en annexe.
[19]. Les requérants indiqués au no 3
de la liste figurant en annexe.
[20]. Les requérants indiqués aux nos 2,
12, 13, 14, 34 et 35 de la liste figurant en annexe.
[21]. Le requérant indiqué au no 34
de la liste figurant en annexe.
[22]. Le requérant indiqué au no 6 de
la liste figurant en annexe.
[23]. Le requérant indiqué au no 2 de
la liste figurant en annexe.
[24]. Le requérant indiqué au no 34
de la liste figurant en annexe.
[25]. Le requérant indiqué au no 12
de la liste figurant en annexe.
[26]. Le requérant indiqué au no 15
de la liste figurant en annexe.
[27]. Le requérant indiqué au no 33
de la liste figurant en annexe.
[28]. Le requérant indiqué au no 18
de la liste figurant en annexe.
[29]. Le requérant indiqué au no 29
de la liste figurant en annexe.
[30]. Le requérant indiqué au no 28 de
la liste figurant en annexe.
[31]. Vraisemblablement le requérant indiqué au
no 5 de la liste figurant en annexe.
[32]. Le requérant indiqué au no 7 de
la liste figurant en annexe.
[33]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[34]. Le requérant indiqué au no 11
de la liste figurant en annexe.
[35]. Le requérant indiqué au no 1 de
la liste figurant en annexe.
[36]. Le requérant indiqué au no 17
de la liste figurant en annexe.
[37]. Le requérant indiqué au no 33
de la liste figurant en annexe.
[38]. Le requérant indiqué au no 1 de
la liste figurant en annexe.
[39]. Le requérant indiqué au no 2 de
la liste figurant en annexe.
[40]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[41]. Le requérant indiqué au no 7 de
la liste figurant en annexe.
[42]. Le requérant indiqué au no 9 de
la liste figurant en annexe.
[43]. Le requérant indiqué au no 12
de la liste figurant en annexe.
[44]. Le requérant indiqué au no 13
de la liste figurant en annexe.
[45]. Le requérant indiqué au no 14
de la liste figurant en annexe.
[46]. Le requérant indiqué au no 15
de la liste figurant en annexe.
[47]. Le requérant indiqué au no 17
de la liste figurant en annexe.
[48]. Le requérant indiqué au no 18
de la liste figurant en annexe.
[49]. Le requérant indiqué au no 24 de
la liste figurant en annexe.
[50]. Le requérant indiqué au no 26
de la liste figurant en annexe.
[51]. Le requérant indiqué au no 28
de la liste figurant en annexe.
[52]. Le requérant indiqué au no 29
de la liste figurant en annexe.
[53]. Le requérant indiqué au no 34
de la liste figurant en annexe.
[54]. Le requérant indiqué au no 28
de la liste figurant en annexe.
[55]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[56]. Le requérant indiqué au no 7 de
la liste figurant en annexe.
[57]. Le requérant indiqué au no 12
de la liste figurant en annexe.
[58]. Le requérant indiqué au no 13
de la liste figurant en annexe.
[59]. Le
requérant indiqué au no 15 de la liste figurant en annexe.
[60]. Le requérant indiqué au no 24
de la liste figurant en annexe.
[61]. Le requérant indiqué au no 28
de la liste figurant en annexe.
[62]. Le requérant indiqué au no 29
de la liste figurant en annexe.
[63]. Le requérant indiqué au no 33
de la liste figurant en annexe.
[64]. Le requérant indiqué au no 34
de la liste figurant en annexe.
[65]. Le requérant indiqué au no 14
de la liste figurant en annexe.
[66]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[67]. Le requérant indiqué au no 18
de la liste figurant en annexe.
[68]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[69]. Le requérant indiqué au no 28
de la liste figurant en annexe.
[70]. Le requérant indiqué au no 7 de
la liste figurant en annexe.
[71]. Le requérant indiqué au no 24
de la liste figurant en annexe.
[72]. Le requérant indiqué au no 29
de la liste figurant en annexe.
[73]. Le requérant indiqué au no 12
de la liste figurant en annexe.
[74]. Le requérant indiqué au no 33
de la liste figurant en annexe.
[75]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[76]. Le requérant indiqué au no 14
de la liste figurant en annexe.
[77]. Le requérant indiqué au no 18
de la liste figurant en annexe.
[78]. Le requérant indiqué au no 33
de la liste figurant en annexe.
[79]. Les requérants indiqués aux nos
1, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 16, 18, 19, 20, 21, 23, 25, 27, 28, 31,
32, 33, 34 et 35 de la liste figurant en annexe.
[80]. Le requérant indiqué au no 28
de la liste figurant en annexe.
[81]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[82]. Le requérant indiqué au no 18
de la liste figurant en annexe.
[83]. Le requérant indiqué au no 33
de la liste figurant en annexe.
[84]. Les requérants indiqués aux nos 3,
6, 16, 20, 23, 27, 30 et 32 de la liste figurant en annexe.
[85]. Les requérants indiqués aux nos 8,
10, 19, 21, 22, 25, 31 et 35 de la liste figurant en annexe.
[86]. Les requérants indiqués aux nos 5,
11 et 15 de la liste figurant en annexe.
[87]. Les requérants indiqués aux nos 1,
2, 9, 17 et 26 de la liste figurant en annexe.
[88]. Le requérant indiqué au no 17
de la liste figurant en annexe.
[89]. Le requérant indiqué au no 2 de
la liste figurant en annexe.
[90]. Le requérant indiqué au no 12
de la liste figurant en annexe.
[91]. Le requérant indiqué au no 7 de
la liste figurant en annexe.
[92]. Le requérant indiqué au no 13
de la liste figurant en annexe.
[93]. Le requérant indiqué au no 14
de la liste figurant en annexe.
[94]. Le requérant indiqué au no 24
de la liste figurant en annexe.
[95]. Le requérant indiqué au no 29
de la liste figurant en annexe.
[96]. Le requérant indiqué au no 34
de la liste figurant en annexe.
[97]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[98]. Le requérant indiqué au no 18
de la liste figurant en annexe.
[99]. Le requérant indiqué au no 28
de la liste figurant en annexe.
[100]. Le requérant indiqué au no 33
de la liste figurant en annexe.
[101]. À savoir, les requérants indiqués aux nos
1, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 19, 20, 21, 22,
23, 24, 25, 26, 27, 29, 30, 31, 32, 34 et 35 de la liste figurant en annexe.
[102]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[103]. Les requérants indiqués aux nos
18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[104]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[105]. En particulier, les requérants indiqués
aux nos 4, 18 et 33 de la liste figurant en annexe.
[106]. En particulier, le requérant indiqué au no
28 de la liste figurant en annexe.
[107]. Les requérants indiqués aux nos
4 et 28 de la liste figurant en annexe.
[108]. Le requérant indiqué au no 33
de la liste figurant en annexe.
[109]. En particulier le requérant indiqué au no
4 de la liste figurant en annexe.
[110]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[111]. Les requérants indiqués aux nos 28
et 33 de la liste figurant en annexe.
[112]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[113]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[114]. Les requérants indiqués aux nos 3
et 15 de la liste figurant en annexe.
[115]. Le requérant indiqué au no 24
de la liste figurant en annexe.
[116]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[117]. Pour les requérants indiqués aux nos
3 et 15 de la liste figurant en annexe.
[118]. Pour le requérant indiqué au no
24 de la liste figurant en annexe.
[119]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[120]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[121]. Le requérant indiqué au no 4 de
la liste figurant en annexe.
[122]. Les requérants indiqués aux nos
18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[123]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[124]. Les requérants indiqués aux nos
1, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 19, 20, 21, 22, 23, 24,
25, 26, 27, 29, 30, 31, 32, 34 et 35 de la liste figurant en annexe.
[125]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[126]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[127]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[128]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[129]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[130]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[131]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[132]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[133]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[134]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.
[135]. Les requérants indiqués aux nos
4, 18, 28 et 33 de la liste figurant en annexe.