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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Grande Sezione)

 

21 ottobre 2013

 

 

 

 

AFFAIRE DEL RÍO PRADA c. SPAGNA

 

(RequĂȘte no 42750/09)

 

 

 

 

 

En l’affaire Del Río Prada c. Espagne,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme, siĂ©geant en une Grande Chambre composĂ©e de :

          Dean Spielmann, président,
          Guido Raimondi,
          Ineta Ziemele,
          Mark Villiger,
          Isabelle Berro-LefÚvre,
          Elisabeth Steiner,
          George Nicolaou,
          Luis López Guerra,
          Ledi Bianku,
          Ann Power-Forde,
          Işıl Karakaş,
          Paul Lemmens,
          Paul Mahoney,
          Aleƥ Pejchal,
          Johannes Silvis,
          Valeriu Griţco,
          Faris Vehabović, juges,
et de Michael O’Boyle, greffier adjoint,

AprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ© en chambre du conseil le 20 mars 2013 et le 12 septembre 2013,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette derniĂšre date :

PROCÉDURE

1.  Ă€ l’origine de l’affaire se trouve une requĂȘte (no 42750/09) dirigĂ©e contre le Royaume d’Espagne et dont une ressortissante de cet État, Mme InĂ©s del RĂ­o Prada (« la requĂ©rante Â»), a saisi la Cour le 3 aoĂ»t 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Devant la Cour, la requĂ©rante a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©e par Me S. Swaroop, Me M. Muller, Me M. Ivers, avocats Ă  Londres, ainsi que par Me D. Rouget, avocat Ă  Bayonne, Me A. Izko Aramendia, avocate Ă  Pampelune et Me U. Aiartza Azurtza, avocat Ă  Saint-SĂ©bastien. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement Â») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agent, M. F. Sanz GandĂĄsegui, et son coagent, M. I. Salama Salama, avocats de l’État.

3.  Dans sa requĂȘte, la requĂ©rante allĂ©guait en particulier que, depuis le 3 juillet 2008, elle Ă©tait maintenue en dĂ©tention au mĂ©pris des exigences de « rĂ©gularitĂ© Â» et de respect des « voies lĂ©gales Â» posĂ©es par l’article 5 § 1 de la Convention. Invoquant l’article 7, elle se plaignait en outre de l’application Ă  ses yeux rĂ©troactive d’un revirement de jurisprudence opĂ©rĂ© par le Tribunal suprĂȘme aprĂšs sa condamnation, revirement qui aurait entraĂźnĂ© une prolongation de prĂšs de neuf ans de son incarcĂ©ration.

4.  La requĂȘte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă  la troisiĂšme section de la Cour (article 52 Â§ 1 du rĂšglement de la Cour –« le rĂšglement Â»). Le 19 novembre 2009, le prĂ©sident de la troisiĂšme section a rĂ©solu de communiquer la requĂȘte au Gouvernement. Il a en outre Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que la chambre se prononcerait en mĂȘme temps sur la recevabilitĂ© et le fond de l’affaire (article 29 § 1 de la Convention). Le 10 juillet 2012, une chambre de la troisiĂšme section composĂ©e de Josep Casadevall, prĂ©sident, Corneliu BĂźrsan, Alvina Gyulumyan, Egbert Myjer, JĂĄn Ć ikuta, Luis LĂłpez Guerra et Nona Tsotsoria, juges, ainsi que de Santiago Quesada, greffier de section, a rendu un arrĂȘt. À l’unanimitĂ©, elle a dĂ©clarĂ© recevables les griefs tirĂ©s des articles 7 et 5 § 1 de la Convention et la requĂȘte irrecevable pour le surplus, puis a conclu Ă  la violation des dispositions en question.

5.  Le 4 octobre 2012, la Cour a reçu du Gouvernement une demande de renvoi devant la Grande Chambre. Le 22 octobre 2012, le collĂšge de la Grande Chambre a dĂ©cidĂ© de renvoyer l’affaire devant la Grande Chambre (article 43 de la Convention).

6.  La composition de la Grande Chambre a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e conformĂ©ment aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du rĂšglement.

7.  Tant la requĂ©rante que le Gouvernement ont dĂ©posĂ© des observations Ă©crites complĂ©mentaires sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du rĂšglement).

8.  En outre, des observations ont Ă©tĂ© soumises par Mme RĂłisĂ­n Pillay au nom de la Commission internationale des juristes, que le prĂ©sident de la Grande Chambre avait autorisĂ©e Ă  intervenir dans la procĂ©dure Ă©crite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du rĂšglement).

9.  Une audience s’est dĂ©roulĂ©e en public au Palais des droits de l’homme, Ă  Strasbourg, le 20 mars 2013 (article 59 § 3 du rĂšglement).

 

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement
MM. I. Salama Salama,                                                             coagent,
         F. Sanz Gandåsegui,                                                              agent,
         J. Requena Juliani,
         J. Nistal Buron,                                                             conseillers;

–  pour la requĂ©rante
MM. M. Muller,                                                                                      
         S. Swaroop,                                                                                      
         M. Ivers,                                                                              conseils,
        
D. Rouget,                                                                                        
         A. Izko Aramendia,                                                                        
         U. Aiartza Azurtza,                                                     conseillers.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Muller, M. Swaroop, M. Ivers et M. Salama Salama, ainsi que M. Muller, M. Swaroop, M. Ivers et M. Sanz Gandåsegui en leurs réponses à ses questions.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

10.  La requĂ©rante est nĂ©e en 1958. Elle est incarcĂ©rĂ©e dans un centre pĂ©nitentiaire de la rĂ©gion de Galice.

11.  Ă€ l’issue de huit procĂ©dures pĂ©nales distinctes suivies devant l’Audiencia Nacional[1], l’intĂ©ressĂ©e fut condamnĂ©e :

–  par un arrĂȘt 77/1988 du 18 dĂ©cembre 1988, Ă  une peine de huit ans d’emprisonnement pour appartenance Ă  une organisation terroriste, Ă  une peine de sept ans d’emprisonnement pour possession illicite d’armes, Ă  une peine de huit ans d’emprisonnement pour possession d’explosifs, Ă  une peine de quatre ans d’emprisonnement pour faux, Ă  une peine de six mois d’emprisonnement pour usage de faux document d’identitĂ© ;

–  par un arrĂȘt 8/1989 du 27 janvier 1989, Ă  une peine de seize ans d’emprisonnement pour un dĂ©lit de dĂ©gĂąts en concours avec six dĂ©lits de lĂ©sions graves, un dĂ©lit de lĂ©sions moins graves et neuf contraventions de lĂ©sions ;

–  par un arrĂȘt 43/1989 du 22 avril 1989, Ă  deux peines de vingt-neuf ans d’emprisonnement pour un attentat mortel et un assassinat ;

–  par un arrĂȘt 54/1989 du 7 novembre 1989, Ă  une peine de trente ans d’emprisonnement pour un attentat mortel, Ă  onze peines de vingt-neuf ans d’emprisonnement pour onze assassinats, Ă  soixante-dix-huit peines de vingt-quatre ans d’emprisonnement pour soixante-dix-huit tentatives d’assassinat, Ă  une peine de onze ans d’emprisonnement pour un dĂ©lit de dĂ©gĂąts. L’Audiencia Nacional indiqua qu’en application de l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973, la durĂ©e maximale de la peine d’emprisonnement Ă  purger (condena) serait de trente ans ;

–  par un arrĂȘt 58/1989 du 25 novembre 1989, Ă  trois peines de vingt‑neuf ans d’emprisonnement pour un attentat mortel et deux assassinats. L’Audiencia Nacional prĂ©cisa que, conformĂ©ment Ă  l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973, la durĂ©e maximale de la peine d’emprisonnement Ă  purger (condena) serait de trente ans ;

–  par un arrĂȘt 75/1990 du 10 dĂ©cembre 1990, Ă  une peine de trente ans d’emprisonnement pour un attentat mortel, Ă  quatre peines de trente ans d’emprisonnement pour quatre assassinats, Ă  onze peines de vingt ans d’emprisonnement pour onze tentatives d’assassinat, Ă  une peine de huit ans d’emprisonnement pour terrorisme. L’arrĂȘt indiquait qu’il serait tenu compte de la limite Ă©tablie par l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 aux fins de l’accomplissement des peines privatives de libertĂ© ;

–  par un arrĂȘt 29/1995 du 18 avril 1995, Ă  une peine de vingt-huit ans d’emprisonnement pour un attentat mortel et Ă  une peine de vingt ans et un jour d’emprisonnement pour une tentative d’assassinat. L’arrĂȘt renvoyait Ă©galement aux limites prĂ©vues Ă  l’article 70 du code pĂ©nal ;

–  par un arrĂȘt 24/2000 du 8 mai 2000, Ă  une peine de trente ans d’emprisonnement pour un attentat en concours idĂ©al avec une tentative d’assassinat, Ă  une peine de vingt-neuf ans d’emprisonnement pour un assassinat, Ă  dix-sept peines de vingt-quatre ans d’emprisonnement pour dix-sept tentatives d’assassinat, et Ă  une peine de onze ans d’emprisonnement pour un dĂ©lit de dĂ©gĂąts. Il y Ă©tait indiquĂ© que les peines prononcĂ©es seraient purgĂ©es dans les limites prĂ©vues Ă  l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973. AppelĂ©e Ă  se prononcer sur la question de savoir s’il fallait appliquer le code pĂ©nal de 1973 en vigueur au moment de la commission des faits dĂ©lictueux ou le nouveau code pĂ©nal de 1995, l’Audiencia Nacional considĂ©ra que l’ancien code pĂ©nal de 1973 Ă©tait plus favorable Ă  l’accusĂ©e compte tenu de la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger fixĂ©e par l’article 70.2 de ce texte combinĂ©e avec le dispositif de remises de peine pour travail en dĂ©tention instaurĂ© par son article 100.

12.  La durĂ©e totale des peines prononcĂ©es pour ces infractions commises entre 1982 et 1987 s’élevait Ă  plus de trois mille ans d’emprisonnement.

13.  Maintenue en dĂ©tention provisoire du 6 juillet 1987 au 13 fĂ©vrier 1989, la requĂ©rante commença Ă  purger sa premiĂšre peine d’emprisonnement aprĂšs condamnation le 14 fĂ©vrier 1989.

14.  Par une dĂ©cision du 30 novembre 2000, l’Audiencia Nacional informa la requĂ©rante que la connexitĂ© juridique et chronologique des infractions pour lesquelles elle avait Ă©tĂ© condamnĂ©e permettait le cumul (acumulaciĂłn) des peines prononcĂ©es, conformĂ©ment Ă  l’article 988 de la loi de procĂ©dure pĂ©nale (Ley de Enjuiciamiento Criminal) combinĂ© avec l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 en vigueur Ă  l’époque de la commission des faits. L’Audiencia Nacional fixa Ă  trente ans la durĂ©e maximale d’emprisonnement que la requĂ©rante devrait purger au titre de l’ensemble des peines privatives de libertĂ© prononcĂ©es contre elle.

15.  Par une dĂ©cision du 15 fĂ©vrier 2001, l’Audiencia Nacional fixa au 27 juin 2017 la date Ă  laquelle la requĂ©rante aurait terminĂ© de purger sa peine (liquidaciĂłn de condena).

16.  Le 24 avril 2008, aprĂšs avoir pris en compte les 3 282 jours de remise de peine accordĂ©s Ă  l’intĂ©ressĂ©e pour le travail qu’elle avait effectuĂ© en dĂ©tention depuis 1987, le centre pĂ©nitentiaire de Murcie oĂč celle-ci Ă©tait incarcĂ©rĂ©e proposa Ă  l’Audiencia Nacional de la remettre en libertĂ© le 2 juillet 2008. Il ressort des piĂšces soumises Ă  la Cour par le Gouvernement que la requĂ©rante s’était vu accorder des remises de peine ordinaires et extraordinaires en vertu de dĂ©cisions prises par des juges de l’application des peines (Jueces de Vigilancia Penitenciaria en premiĂšre instance et Audiencias Provinciales en appel) en 1993, 1994, 1997, 2002, 2003 et 2004 pour avoir entretenu le centre pĂ©nitentiaire, sa cellule ainsi que les espaces communs et pour avoir suivi des Ă©tudes universitaires.

17.  Toutefois, le 19 mai 2008, l’Audiencia Nacional rejeta la proposition du 24 avril 2008 et demanda aux autoritĂ©s pĂ©nitentiaires de fixer une autre date de remise en libertĂ© en se fondant sur la nouvelle jurisprudence (dite « doctrine Parot Â») issue de l’arrĂȘt 197/2006 rendu par le Tribunal suprĂȘme le 28 fĂ©vrier 2006. Selon cette nouvelle jurisprudence, les bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires et les remises de peine devaient ĂȘtre imputĂ©s non plus sur la durĂ©e maximale d’emprisonnement de trente ans, mais successivement sur chacune des peines prononcĂ©es (voir « Le droit et la pratique internes pertinents Â», paragraphes 39-42 ci-dessous).

18.  L’Audiencia Nacional prĂ©cisa que cette nouvelle jurisprudence ne s’appliquait qu’aux personnes condamnĂ©es sur le fondement du code pĂ©nal de 1973 et justiciables de l’article 70.2 de ce texte. Relevant que la requĂ©rante se trouvait dans cette situation, elle jugea que la date de remise en libertĂ© de l’intĂ©ressĂ©e devait ĂȘtre modifiĂ©e en consĂ©quence.

19.  La requĂ©rante forma un recours (sĂșplica) contre cette dĂ©cision. Dans son recours, elle soutenait notamment que l’application de l’arrĂȘt prĂ©citĂ© du Tribunal suprĂȘme portait atteinte au principe de non-rĂ©troactivitĂ© des rĂšgles pĂ©nales dĂ©favorables Ă  l’accusĂ© puisque, au lieu d’ĂȘtre imputĂ©es sur la peine Ă  purger dont la durĂ©e maximale Ă©tait de trente ans, les remises de peine pour travail en dĂ©tention devaient dĂ©sormais l’ĂȘtre sur chacune des peines prononcĂ©es. Elle allĂ©guait que la durĂ©e de son incarcĂ©ration s’en trouvait prolongĂ©e de prĂšs de neuf ans. Les suites de ce recours n’ont pas Ă©tĂ© portĂ©es Ă  la connaissance de la Cour.

20.  Par une ordonnance du 23 juin 2008 fondĂ©e sur une nouvelle proposition du centre pĂ©nitentiaire, l’Audiencia Nacional fixa au 27 juin 2017 la date de remise en libertĂ© dĂ©finitive de la requĂ©rante (licenciamiento definitivo).

21.  L’intĂ©ressĂ©e exerça un recours (sĂșplica) contre l’ordonnance du 23 juin 2008. Par une dĂ©cision du 10 juillet 2008, l’Audiencia Nacional rejeta le recours de la requĂ©rante, prĂ©cisant que la question qui se posait ne portait pas sur la durĂ©e maximale des peines d’emprisonnement, mais sur les modalitĂ©s d’imputation des bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires sur les peines en question en vue de la fixation d’une date de remise en libertĂ©. Elle ajouta que les bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires devaient dĂ©sormais ĂȘtre imputĂ©s sur chaque peine prononcĂ©e prise isolĂ©ment. Enfin, elle estima que le principe de non-rĂ©troactivitĂ© n’avait pas Ă©tĂ© enfreint puisqu’on avait appliquĂ© la loi pĂ©nale qui Ă©tait en vigueur au moment de son application.

22.  Invoquant les articles 14 (interdiction de la discrimination), 17 (droit Ă  la libertĂ©), 24 (droit Ă  une protection juridictionnelle effective) et 25 (principe de lĂ©galitĂ©) de la Constitution, la requĂ©rante forma un recours d’amparo auprĂšs du Tribunal constitutionnel. Par une dĂ©cision du 17 fĂ©vrier 2009, la haute juridiction dĂ©clara ce recours irrecevable au motif que la requĂ©rante n’avait pas justifiĂ© la pertinence de ses griefs du point de vue constitutionnel.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La Constitution

23.  Les dispositions pertinentes de la Constitution sont ainsi libellĂ©es :

Article 9

 « (...)

3. La Constitution garantit le principe de lĂ©galitĂ©, la hiĂ©rarchie des normes, la publicitĂ© des normes, la non-rĂ©troactivitĂ© des dispositions rĂ©pressives plus sĂ©vĂšres ou restrictives des droits individuels, la sĂ©curitĂ© juridique, la responsabilitĂ© des pouvoirs publics et l’interdiction de tout acte arbitraire de leur part. Â»

Article 14

« Les Espagnols sont Ă©gaux devant la loi ; ils ne peuvent faire l’objet d’aucune discrimination fondĂ©e sur la naissance, la race, le sexe, la religion, les opinions, ou toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale. »

Article 17

« 1. Toute personne a droit Ă  la libertĂ© et la sĂ»retĂ©. Nul ne peut ĂȘtre privĂ© de sa libertĂ© si ce n’est conformĂ©ment aux dispositions du prĂ©sent article, et seulement dans les cas et les formes prĂ©vus par la loi.

(...) Â»

Article 24

« 1.  Toute personne a droit Ă  la protection effective des juges et des tribunaux dans l’exercice de ses droits et intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes, sans qu’en aucun cas elle puisse ĂȘtre mise dans l’impossibilitĂ© de se dĂ©fendre.

(...) »

Article 25

« 1.  Nul ne peut ĂȘtre condamnĂ© ou sanctionnĂ© pour une action ou une omission qui ne constituait pas un dĂ©lit, une contravention ou une infraction administrative d’aprĂšs la lĂ©gislation en vigueur au moment oĂč elle a Ă©tĂ© commise.

2. Les peines privatives de libertĂ© et les mesures de sĂ»retĂ© visent Ă  la rĂ©Ă©ducation et Ă  la rĂ©insertion sociale ; elles ne peuvent consister en des travaux forcĂ©s. Les condamnĂ©s purgeant une peine d’emprisonnement jouissent des droits fondamentaux Ă©numĂ©rĂ©s dans le prĂ©sent chapitre, Ă  l’exception de ceux qui sont expressĂ©ment limitĂ©s par le jugement de condamnation, le sens de la peine et la loi pĂ©nitentiaire. Ces condamnĂ©s ont droit en toutes circonstances Ă  un travail rĂ©munĂ©rĂ© et aux prestations sociales y affĂ©rentes, ainsi qu’à l’accĂšs Ă  la culture et au plein dĂ©veloppement de leur personnalitĂ©.

(...) Â»

B.  Le droit applicable en vertu du code pĂ©nal de 1973

24.  Les dispositions pertinentes du code pĂ©nal de 1973 en vigueur au moment de la commission des faits dĂ©lictueux se lisaient ainsi :

Article 70

« Lorsque la totalitĂ© ou certaines des peines (penas) (...) ne peuvent ĂȘtre accomplies simultanĂ©ment par le condamnĂ©, il sera fait application des rĂšgles suivantes :

1. Les peines (penas) seront imposĂ©es suivant l’ordre de leur gravitĂ© respective afin que le condamnĂ© les accomplisse les unes aprĂšs les autres, dans la mesure du possible, l’exĂ©cution d’une peine dĂ©butant lorsque la peine prĂ©cĂ©dente a fait l’objet d’une grĂące ou a Ă©tĂ© purgĂ©e (...)

2. Nonobstant la rĂšgle prĂ©cĂ©dente, la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger (condena) par le condamnĂ© ne peut excĂ©der le triple de la durĂ©e de la plus grave des peines (penas) prononcĂ©es, celles-ci devenant caduques pour le surplus dĂšs que cette durĂ©e maximale est atteinte, laquelle ne peut excĂ©der trente ans.

Cette limite maximale s’applique mĂȘme si les peines (penas) ont Ă©tĂ© prononcĂ©es dans le cadre de procĂ©dures distinctes dĂšs lors que les faits dĂ©lictueux auraient pu faire l’objet d’un mĂȘme procĂšs eu Ă©gard Ă  leur connexitĂ©.»

Article 100 (tel que modifié par la loi organique [Ley Orgånica] no 8/1983)

« Tout dĂ©tenu purgeant une peine de rĂ©clusion, d’emprisonnement ou d’arresto mayor[2] pourra se voir accorder, Ă  partir du moment oĂč le jugement de condamnation est devenu dĂ©finitif, des remises de peine (pena) dĂšs lors qu’il aura effectuĂ© un travail au cours de sa dĂ©tention. Aux fins de l’accomplissement de la peine (pena) imposĂ©e, le dĂ©tenu bĂ©nĂ©ficiera, aprĂšs approbation du juge de l’application des peines (Juez de Vigilancia), d’une remise de peine d’un jour pour deux jours de travail effectuĂ© en dĂ©tention, et la durĂ©e des remises accordĂ©es sera aussi prise en compte pour l’octroi de la libĂ©ration conditionnelle. Ce bĂ©nĂ©fice est Ă©galement applicable, aux fins de l’extinction (liquidaciĂłn) de la peine Ă  purger (condena), aux prisonniers ayant fait l’objet d’une dĂ©tention provisoire.

Ne peuvent bĂ©nĂ©ficier d’une remise de peine pour travail en dĂ©tention :

1. Ceux qui se soustraient Ă  l’exĂ©cution de la peine Ă  purger (condena) ou tentent de s’y soustraire, mĂȘme s’ils n’y parviennent pas.

2. Ceux qui font preuve de mauvaise conduite rĂ©pĂ©tĂ©e au cours de l’accomplissement de la peine Ă  purger (condena). Â»

25.  La disposition pertinente de la loi de procĂ©dure pĂ©nale en vigueur au moment des faits Ă©tait ainsi libellĂ©e :

Article 988

« (...)  Lorsqu’une personne reconnue coupable de plusieurs infractions pĂ©nales a Ă©tĂ© condamnĂ©e dans le cadre de procĂ©dures distinctes pour des faits qui auraient pu faire l’objet d’un mĂȘme procĂšs en vertu de l’article 17 de la prĂ©sente loi, le juge ou le tribunal ayant rendu le dernier jugement de condamnation fixera, d’office ou Ă  la demande du ministĂšre public ou du condamnĂ©, la durĂ©e maximale d’accomplissement des peines imposĂ©es conformĂ©ment Ă  l’article 70.2 du code pĂ©nal. (...) Â»

26.  Le droit aux remises de peine pour travail en dĂ©tention Ă©tait prĂ©vu par le rĂšglement relatif Ă  l’administration pĂ©nitentiaire du 2 fĂ©vrier 1956, dont les dispositions pertinentes (articles 65-73) Ă©taient applicables au moment de la commission des faits en vertu de la deuxiĂšme disposition transitoire du rĂšglement pĂ©nitentiaire de 1981. Les dispositions pertinentes du rĂšglement de 1956 se lisaient ainsi :

Article 65

« 1. ConformĂ©ment Ă  l’article 100 du code pĂ©nal, tout dĂ©tenu purgeant une peine de rĂ©clusion, de presidio ou d’emprisonnement peut bĂ©nĂ©ficier, Ă  partir du moment oĂč le jugement de condamnation est devenu dĂ©finitif, d’une remise de peine (pena) pour travail en dĂ©tention.

(...)

3. Ne peuvent bĂ©nĂ©ficier d’une remise de peine pour travail en dĂ©tention les dĂ©tenus :

a) qui se soustraient Ă  l’exĂ©cution de la peine Ă  purger (condena) ou tentent de s’y soustraire, mĂȘme s’ils n’y parviennent pas ;

b) qui font preuve de mauvaise conduite rĂ©pĂ©tĂ©e au cours de l’accomplissement de la peine Ă  purger (condena). Le prĂ©sent alinĂ©a est applicable aux dĂ©tenus qui, n’ayant pas obtenu la rĂ©mission de fautes prĂ©cĂ©demment commises (...), commettent une nouvelle faute grave ou trĂšs grave. Â»

Article 66

« 1. Quel que soit le degrĂ© pĂ©nitentiaire auquel il est soumis, tout dĂ©tenu peut se voir accorder des remises de peine pour travail en dĂ©tention dĂšs lors qu’il satisfait aux conditions lĂ©gales. En pareil cas, le dĂ©tenu concernĂ© bĂ©nĂ©ficie, aux fins de sa libĂ©ration dĂ©finitive, d’une remise de peine d’un jour pour deux jours de travail effectuĂ© en dĂ©tention. La durĂ©e des remises est aussi prise en compte pour l’octroi de la libĂ©ration conditionnelle.

2. La commission du rĂ©gime pĂ©nitentiaire de l’établissement concernĂ© adresse une proposition au patronage de Nuestra Señora de la Merced. AprĂšs approbation de cette proposition, les jours travaillĂ©s seront comptabilisĂ©s en faveur du dĂ©tenu de maniĂšre rĂ©troactive, Ă  partir du jour oĂč il a commencĂ© Ă  travailler.[3] Â»

Article 68

« Qu’il soit rĂ©munĂ©rĂ© ou gratuit, intellectuel ou manuel, accompli dans l’enceinte pĂ©nitentiaire ou hors de celle-ci (...), le travail des dĂ©tenus doit ĂȘtre utile. Â»

Article 71

«  (...)

3. Des remises de peines extraordinaires peuvent ĂȘtre accordĂ©es pour des raisons spĂ©ciales de discipline et de productivitĂ© au travail (...), dans la limite d’un jour pour chaque jour travaillĂ© et de cent soixante-quinze jours par annĂ©e d’accomplissement effectif de la peine (...) Â»

Article 72

« Des remises de peine pour travail intellectuel pourront ĂȘtre accordĂ©es :

1) pour le suivi et la rĂ©ussite d’études religieuses ou culturelles organisĂ©es par le centre de direction ;

2) pour l’affiliation Ă  une association artistique, littĂ©raire ou scientifique instituĂ©e par l’établissement pĂ©nitentiaire ;

3) pour l’exercice d’activitĂ©s intellectuelles ;

4) pour la rĂ©alisation d’Ɠuvres originales Ă  caractĂšre artistique, littĂ©raire ou scientifique.

 (...) Â»

Article 73

« Perdront le bĂ©nĂ©fice des remises de peine pour travail en dĂ©tention :

1) les dĂ©tenus qui se soustrairont ou tenteront de se soustraire Ă  l’exĂ©cution de la peine. Ils seront dĂ©chus pour l’avenir du droit aux remises de peine pour travail en dĂ©tention.

2) les détenus ayant commis deux fautes graves ou trÚs graves. (...)

Les jours de remise de peine dĂ©jĂ  accordĂ©s seront pris en compte pour la rĂ©duction de la peine ou des peines correspondantes. Â»

27.  L’article 98 du code pĂ©nal de 1973, qui rĂ©gissait la libĂ©ration conditionnelle des condamnĂ©s, Ă©tait ainsi libellĂ© :

« Peuvent bĂ©nĂ©ficier de la libĂ©ration conditionnelle les condamnĂ©s Ă  une peine supĂ©rieure Ă  un an :

1) purgeant la derniĂšre pĂ©riode de la peine Ă  purger (condena) ;

2) ayant dĂ©jĂ  purgĂ© les trois quarts de la peine Ă  purger ;

3) mĂ©ritant l’octroi de ce bĂ©nĂ©fice du fait leur conduite irrĂ©prochable ; et

4) prĂ©sentant des garanties de rĂ©insertion dans la sociĂ©tĂ©. Â»

28.  L’article 59 du rĂšglement pĂ©nitentiaire de 1981 (dĂ©cret royal no 1201/1981), qui dĂ©finissait les modalitĂ©s de calcul de la durĂ©e de privation de libertĂ© (Ă  savoir les trois quarts de la peine) ouvrant droit Ă  la libĂ©ration conditionnelle, se lisait ainsi :

Article 59

« Pour le calcul des trois quarts de la peine (pena), il sera fait application des rĂšgles suivantes :

a) aux fins de l’octroi de la libĂ©ration conditionnelle, la partie de la peine Ă  purger (condena) ayant fait l’objet d’une grĂące sera dĂ©duite de la durĂ©e totale de la peine (pena) prononcĂ©e comme si celle-ci Ă©tait remplacĂ©e par une nouvelle peine d’une durĂ©e infĂ©rieure.

b) la rÚgle énoncée ci-dessus est également applicable aux bénéfices pénitentiaires donnant lieu à une réduction de la peine à purger (condena).

c) en cas de condamnation Ă  deux ou plusieurs peines privatives de libertĂ©, celles-ci se cumulent pour ne former qu’une seule peine Ă  purger (condena) aux fins de l’octroi de la libĂ©ration conditionnelle (...) »

C.  Le droit applicable aprĂšs l’entrĂ©e en vigueur du code pĂ©nal de 1995

29.  PromulguĂ© le 23 novembre 1995, le code pĂ©nal de 1995 (loi organique no 10/1995) remplaça le code pĂ©nal de 1973. Il entra en vigueur le 24 mai 1996.

30.  Le dispositif de remises de peine pour travail en dĂ©tention fut supprimĂ© par le nouveau code. Toutefois, les premiĂšre et deuxiĂšme dispositions transitoires de ce texte prĂ©voient que les dĂ©tenus condamnĂ©s sur le fondement de l’ancien code pĂ©nal de 1973 pourront continuer Ă  bĂ©nĂ©ficier de ce dispositif mĂȘme si leur condamnation a Ă©tĂ© prononcĂ©e aprĂšs l’entrĂ©e en vigueur du nouveau code. Les dispositions transitoires en question sont ainsi libellĂ©es :

PremiĂšre disposition transitoire

« Les dĂ©lits et contraventions commis avant l’entrĂ©e en vigueur du prĂ©sent code seront jugĂ©s conformĂ©ment au corpus lĂ©gislatif [le code pĂ©nal de 1973] et aux autres lois pĂ©nales spĂ©ciales abrogĂ©s par le prĂ©sent code. DĂšs que celui-ci sera entrĂ© en vigueur, ses dispositions seront applicables Ă  l’accusĂ© si elles lui sont plus favorables. Â»

DeuxiĂšme disposition transitoire

« Pour dĂ©terminer quelle est la loi la plus favorable, il faut tenir compte de la peine applicable aux faits poursuivis au regard de l’ensemble des dispositions de l’un ou l’autre code. Les dispositions relatives aux remises de peine pour travail en dĂ©tention ne s’appliquent qu’aux personnes condamnĂ©es sur le fondement de l’ancien code. Les personnes justiciables des dispositions du nouveau code ne peuvent en bĂ©nĂ©ficier (...) Â»

31.  En vertu de la premiĂšre disposition transitoire du rĂšglement pĂ©nitentiaire de 1996 (dĂ©cret royal no 190/1996), les articles 65-73 du rĂšglement de 1956 restent applicables Ă  l’exĂ©cution des peines prononcĂ©es sur le fondement du code pĂ©nal de 1973 et Ă  la dĂ©termination de la loi pĂ©nale la plus douce.

32.  Le code pĂ©nal de 1995 introduisit des nouvelles rĂšgles relatives Ă  la durĂ©e maximale des peines d’emprisonnement et aux bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires pouvant s’y appliquer. Ces rĂšgles furent modifiĂ©es par la loi organique no 7/2003 instituant des mesures de rĂ©forme destinĂ©es Ă  garantir l’exĂ©cution intĂ©grale et effective des peines. Les dispositions modifiĂ©es du code pĂ©nal, pertinentes dans la prĂ©sente affaire, se lisent comme suit :

Article 75

« Lorsque la totalitĂ© ou certaines des peines (penas) sanctionnant diverses infractions ne peuvent ĂȘtre accomplies simultanĂ©ment par le condamnĂ©, celui-ci devra les purger l’une aprĂšs l’autre, dans la mesure du possible, suivant l’ordre de leur gravitĂ© respective. Â»

Article 76

« 1. Nonobstant l’article prĂ©cĂ©dent, la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger (condena) par le condamnĂ© ne peut excĂ©der le triple de la durĂ©e de la plus grave des peines (penas) prononcĂ©es, celles-ci devenant caduques pour le surplus dĂšs que cette durĂ©e maximale est atteinte, laquelle ne peut excĂ©der vingt ans. Par exception, cette durĂ©e maximale est portĂ©e Ă  :

a) Vingt-cinq ans en cas de condamnation pour deux ou plusieurs infractions dont l’une est passible d’une peine d’emprisonnement de vingt ans au plus ;

b) Trente ans en cas de condamnation pour deux ou plusieurs infractions dont l’une est passible d’une peine d’emprisonnement de plus de vingt ans ;

c) Quarante ans en cas de condamnation pour deux ou plusieurs infractions dont au moins deux sont passibles d’une peine d’emprisonnement de plus de vingt ans ;

d) Quarante ans en cas de condamnation pour deux ou plusieurs infractions terroristes (...) dont l’une est passible d’une peine d’emprisonnement de plus de vingt ans.

2. Cette durĂ©e maximale s’applique mĂȘme si les peines (penas) ont Ă©tĂ© prononcĂ©es dans le cadre de procĂ©dures distinctes dĂšs lors que les faits poursuivis auraient pu faire l’objet d’un mĂȘme procĂšs eu Ă©gard Ă  leur connexitĂ© ou au moment de leur commission. Â»

Article 78

« 1. Dans les cas oĂč l’application des limites prĂ©vues Ă  l’article 76 § 1 ramĂšne la peine Ă  purger Ă  une durĂ©e infĂ©rieure Ă  la moitiĂ© de la durĂ©e totale des peines prononcĂ©es, le juge ou la juridiction de jugement peut dĂ©cider qu’il sera tenu compte de la totalitĂ© des peines (penas) prononcĂ©es en ce qui concerne les bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires, les permissions de sortie, le classement au troisiĂšme degrĂ© pĂ©nitentiaire et le calcul de la durĂ©e de privation de libertĂ© ouvrant droit Ă  la libĂ©ration conditionnelle.

2. Lorsque la durĂ©e de la peine Ă  purger est infĂ©rieure Ă  la moitiĂ© de la durĂ©e totale des peines prononcĂ©es, la prise en compte de la totalitĂ© de celles-ci est obligatoire dans les cas prĂ©vus aux alinĂ©as a), b), c) et d) de l’article 76 § 1 du prĂ©sent code.

(...) Â»

33.  Selon l’exposĂ© des motifs de la loi no 7/2003, l’article 78 du code pĂ©nal vise Ă  renforcer l’efficacitĂ© de la rĂ©pression pĂ©nale des crimes les plus graves :

« (...) l’article 78 du code pĂ©nal est modifiĂ© de façon que, pour les crimes les plus graves, il soit toujours tenu compte de la totalitĂ© des peines prononcĂ©es en ce qui concerne les bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires, les permissions de sortie, le classement au troisiĂšme degrĂ© pĂ©nitentiaire et le calcul de la durĂ©e de privation de libertĂ© ouvrant droit Ă  la libĂ©ration conditionnelle.

Cette modification tend Ă  renforcer l’efficacitĂ© du dispositif pĂ©nal Ă  l’encontre des personnes condamnĂ©es pour une multiplicitĂ© de crimes particuliĂšrement graves, c’est-Ă -dire celles qui relĂšvent des limites prĂ©vues Ă  l’article 76 du code pĂ©nal (Ă  savoir vingt-cinq, trente ou quarante ans d’emprisonnement effectif) et dont la peine Ă  purger est infĂ©rieure Ă  la moitiĂ© de la durĂ©e totale des peines prononcĂ©es. Mais dans les cas oĂč ces limites ne trouvent pas Ă  s’appliquer, le juge ou la juridiction de jugement conservent leur plein pouvoir d’apprĂ©ciation.

En application de cette rĂšgle, une personne condamnĂ©e Ă  cent, deux cents ou trois cents ans d’emprisonnement accomplira rĂ©ellement, effectivement et intĂ©gralement la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger (condena). Â»

34.  L’article 90 du code pĂ©nal de 1995 (tel que modifiĂ© par la loi organique no 7/2003) rĂ©git la libĂ©ration conditionnelle. Cette disposition subordonne l’octroi de la libĂ©ration conditionnelle Ă  des conditions similaires Ă  celles prĂ©vues par le code pĂ©nal de 1973 (classement au troisiĂšme degrĂ© pĂ©nitentiaire, accomplissement des trois quarts de la peine, bonne conduite et pronostic favorable de rĂ©insertion sociale), mais exige en outre que le condamnĂ© se soit acquittĂ© des obligations dĂ©coulant de sa responsabilitĂ© civile. Pour pouvoir bĂ©nĂ©ficier d’un pronostic favorable de rĂ©insertion sociale, les personnes condamnĂ©es pour infractions terroristes ou commises en bandes organisĂ©es devront avoir manifestĂ© par des signes non Ă©quivoques leur dĂ©saveu des objectifs et des mĂ©thodes du terrorisme et avoir activement collaborĂ© avec les autoritĂ©s. Pareil comportement pourra se concrĂ©tiser par une dĂ©claration expresse de reniement des actes qu’elles ont commis et de renonciation Ă  la violence, ainsi que par une demande explicite de pardon aux victimes. À la diffĂ©rence des nouvelles rĂšgles relatives Ă  la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger et aux conditions d’application des bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires en cas de condamnations multiples (articles 76 et 78 du code pĂ©nal), l’article 90 du code pĂ©nal s’applique immĂ©diatement sans tenir compte du moment de la commission des faits ou de la date de la condamnation (disposition transitoire unique de la loi no 7/2003).

D.  La jurisprudence du Tribunal suprĂȘme

1.  La jurisprudence antĂ©rieure Ă  la « doctrine Parot Â»

35.  Dans une ordonnance du 25 mai 1990, le Tribunal suprĂȘme dĂ©clara que le cumul des peines prĂ©vu Ă  l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 et l’article 988 de la loi de procĂ©dure pĂ©nale n’était pas une modalitĂ© d’« exĂ©cution Â» de la peine mais une modalitĂ© de dĂ©termination de celle-ci, raison pour laquelle l’application de ce dispositif relevait de la compĂ©tence de la juridiction de jugement et non de celle du juge de l’application des peines (Jueces de Vigilancia Penitenciaria).

36.  Par un arrĂȘt du 8 mars 1994 (529/1994), le Tribunal suprĂȘme jugea que la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger prĂ©vue Ă  l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 (trente ans d’emprisonnement) s’analysait en une « nouvelle peine, rĂ©sultante et autonome, Ă  laquelle se rapportent les bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires prĂ©vus par la loi, tels que la libĂ©ration conditionnelle et les remises de peine Â». Pour se prononcer ainsi, le Tribunal suprĂȘme releva que l’article 59 du rĂšglement pĂ©nitentiaire de 1981 Ă©nonçait que le cumul de deux peines privatives de libertĂ© devait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une nouvelle peine aux fins de l’octroi de la libĂ©ration conditionnelle.

37.  Par un accord adoptĂ© en formation plĂ©niĂšre le 18 juillet 1996 aprĂšs l’entrĂ©e en vigueur du code pĂ©nal de 1995, la chambre criminelle du Tribunal suprĂȘme prĂ©cisa que, aux fins de la dĂ©termination de la loi pĂ©nale la plus douce, il fallait tenir compte du dispositif de remises de peine instituĂ© par l’ancien code pĂ©nal de 1973 pour comparer les peines Ă  purger respectivement fixĂ©es par ce code et par le nouveau code pĂ©nal de 1995. Elle ajouta que, en application de l’article 100 du code pĂ©nal de 1973, un condamnĂ© ayant purgĂ© deux jours de dĂ©tention Ă©tait irrĂ©vocablement rĂ©putĂ© en avoir purgĂ© trois. Selon elle, l’application de cette rĂšgle de calcul crĂ©ait un statut carcĂ©ral acquis pour la personne qui en bĂ©nĂ©ficiait.[4] Les juridictions espagnoles qui eurent Ă  se conformer Ă  ce critĂšre pour comparer les peines Ă  purger respectivement fixĂ©es par le nouveau et par l’ancien code pĂ©nal tinrent compte des remises de peine accordĂ©es en application de ce dernier texte. En consĂ©quence, elles estimĂšrent que, dans les cas oĂč le reliquat de la peine Ă  purger aprĂšs dĂ©duction des remises de peine accordĂ©es avant l’entrĂ©e en vigueur du nouveau code ne dĂ©passait pas la durĂ©e de la peine prĂ©vue par ce texte, celui-ci ne pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme Ă©tant plus favorable que l’ancien code. Cette approche fut confirmĂ©e par des dĂ©cisions du Tribunal suprĂȘme, notamment les arrĂȘts 557/1996 du 18 juillet 1996 et 1323/1997 du 29 octobre 1997.

38.  Le Tribunal suprĂȘme maintint cette ligne jurisprudentielle d’interprĂ©tation de la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger telle que fixĂ©e par l’article 76 du nouveau code pĂ©nal de 1995. Dans un arrĂȘt 1003/2005 rendu le 15 septembre 2005, il dĂ©clara que « cette limite s’analys[ait] en une nouvelle peine, rĂ©sultante et autonome, Ă  laquelle se rapport[ai]ent les bĂ©nĂ©fices prĂ©vus par la loi, tels que la libĂ©ration conditionnelle, les permissions de sortie, et le classement au troisiĂšme degrĂ© pĂ©nitentiaire Â». De la mĂȘme maniĂšre et dans les mĂȘmes termes, il indiqua dans un arrĂȘt 1223/2005 rendu le 14 octobre 2005 que la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger « s’analys[ait] en une nouvelle peine, rĂ©sultante et autonome, Ă  laquelle se rapport[ai]ent les bĂ©nĂ©fices prĂ©vus par la loi, tels que la libĂ©ration conditionnelle, sous rĂ©serve des exceptions prĂ©vues Ă  l’article 78 du code pĂ©nal de 1995 Â».

2.  La « doctrine Parot Â»

39.  Par un arrĂȘt 197/2006 rendu le 28 fĂ©vrier 2006, le Tribunal suprĂȘme Ă©tablit une jurisprudence connue sous le nom de « doctrine Parot Â». Dans cette affaire Ă©tait en cause un terroriste membre de l’ETA (H. Parot) qui avait Ă©tĂ© condamnĂ© sur le fondement du code pĂ©nal de 1973. RĂ©unie en formation plĂ©niĂšre, la chambre criminelle du Tribunal suprĂȘme jugea que les remises de peines accordĂ©es aux dĂ©tenus devaient ĂȘtre imputĂ©es sur chacune des peines prononcĂ©es et non plus sur la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration de trente ans fixĂ©e par l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973. Pour se prononcer ainsi, la haute juridiction s’appuya notamment sur une interprĂ©tation littĂ©rale des articles 70.2 et 100 du code pĂ©nal de 1973 selon laquelle cette durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration ne s’analysait pas en une nouvelle peine distincte des peines prononcĂ©es ni en une peine distincte rĂ©sultant de celles-ci, mais correspondait Ă  la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration d’un condamnĂ© dans un centre pĂ©nitentiaire. Ce raisonnement opĂ©rait une distinction entre la « peine Â» (pena) et la « peine Ă  purger Â» (condena), la premiĂšre de ces expressions dĂ©signant les peines prononcĂ©es considĂ©rĂ©es isolĂ©ment, sur lesquelles devaient ĂȘtre imputĂ©es les remises de peine, la seconde dĂ©signant quant Ă  elle la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration. Le Tribunal suprĂȘme fit Ă©galement valoir un argument tĂ©lĂ©ologique. Les parties pertinentes de son raisonnement se lisent ainsi :

 « (...) l’interprĂ©tation conjointe des deux premiĂšres rĂšgles de l’article 70 du code pĂ©nal de 1973 nous amĂšne Ă  considĂ©rer que la limite de trente ans ne devient pas une nouvelle peine, distincte de celles successivement imposĂ©es au condamnĂ©, ni une autre peine rĂ©sultant des toutes les peines antĂ©rieures, mais que cette limite correspond Ă  la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration (mĂĄximo de cumplimiento) du condamnĂ© dans un centre pĂ©nitentiaire. Les raisons qui nous conduisent Ă  cette interprĂ©tation sont les suivantes : a) premiĂšrement, l’analyse littĂ©rale des dispositions pertinentes nous conduit Ă  conclure que le code pĂ©nal ne considĂšre nullement la durĂ©e maximale de trente ans comme une nouvelle peine sur laquelle les remises de peine accordĂ©es au condamnĂ© doivent ĂȘtre imputĂ©es, pour la simple raison qu’aucune des dispositions en question ne l’énonce ; b) tout au contraire, la peine (pena) et la peine Ă  purger (condena) corrĂ©lative sont deux Ă©lĂ©ments distincts ; la terminologie du code pĂ©nal dĂ©signe la limite rĂ©sultante par l’expression « peine Ă  purger Â»  (condena) et fixe diffĂ©rentes durĂ©es maximales pour la « peine Ă  purger Â» (condena) en fonction des « peines Â» prononcĂ©es. Il s’agit lĂ  de deux modes de calcul distincts qui conduisent, conformĂ©ment Ă  la premiĂšre rĂšgle, Ă  l’exĂ©cution successive des diffĂ©rentes peines suivant l’ordre de leur gravitĂ© respective jusqu’à ce que soit atteinte l’une ou l’autre des limites fixĂ©es par le systĂšme (le triple de la durĂ©e de la plus grave des peines prononcĂ©es ou, en tout Ă©tat de cause, la limite de trente ans Ă©voquĂ©e ci-dessus) ; c) cette interprĂ©tation ressort Ă©galement de la maniĂšre dont le code est formulĂ© puisque, aprĂšs l’exĂ©cution successive des peines dans les conditions susmentionnĂ©es, le condamnĂ© n’aura plus Ă  purger [c’est-Ă -dire Ă  accomplir] les peines suivantes [dans l’ordre prĂ©citĂ©] dĂšs que les peines dĂ©jĂ  imposĂ©es [accomplies] auront atteint cette durĂ©e maximale, laquelle ne peut excĂ©der trente ans  (...) ; e) d’un point de vue tĂ©lĂ©ologique, il serait irrationnel que le cumul des peines conduise Ă  confondre en une nouvelle et unique peine de trente ans une longue sĂ©rie de condamnations, ce qui reviendrait Ă  assimiler indĂ»ment l’auteur d’une infraction isolĂ©e Ă  l’auteur de multiples infractions (tel que celui qui est en cause dans la prĂ©sente affaire). En effet, il ne serait pas logique que cette rĂšgle aboutisse Ă  sanctionner de la mĂȘme maniĂšre la commission d’un assassinat et la commission de deux cents assassinats ; f) si une mesure de grĂące Ă©tait sollicitĂ©e, elle ne pourrait pas s’appliquer Ă  la peine Ă  purger  (condena) totale rĂ©sultante, mais Ă  une, Ă  certaines ou Ă  l’ensemble des diffĂ©rentes peines prononcĂ©es ; en pareil cas, l’instruction de cette demande incomberait Ă  la juridiction de jugement, et non Ă  l’organe judiciaire appelĂ© Ă  fixer la limite (le dernier), ce qui dĂ©montre que les peines ne se confondent pas. Au demeurant, la premiĂšre rĂšgle de l’article 70 du code pĂ©nal de 1973 prĂ©cise la maniĂšre dont doit se dĂ©rouler l’exĂ©cution successive des peines en pareille hypothĂšse, « l’exĂ©cution d’une peine dĂ©butant lorsque la peine prĂ©cĂ©dente a fait l’objet d’une grĂące» ; g) enfin, d’un point de vue procĂ©dural, l’article 988 de la loi de procĂ©dure pĂ©nale Ă©nonce clairement qu’il s’agit lĂ  de fixer une limite d’accomplissement aux peines imposĂ©es (au pluriel, conformĂ©ment au libellĂ© de la loi), « dĂ©terminant la durĂ©e maximale d’accomplissement de celles-ci Â» (selon le libellĂ© trĂšs clair de cette disposition).

C’est pourquoi le terme parfois utilisĂ© de « cumul (refundiciĂłn) de peines Ă  purger (condenas) Â» est trĂšs Ă©quivoque et inappropriĂ©. Il n’y a pas confusion des peines en une peine unique, mais fixation, par un acte juridique, d’une limite Ă  la durĂ©e totale d’accomplissement de plusieurs peines. C’est pourquoi les diffĂ©rentes peines imposĂ©es au condamnĂ© devront ĂȘtre exĂ©cutĂ©es par lui selon les caractĂ©ristiques qui sont les leurs, et compte tenu de tous les bĂ©nĂ©fices auxquels il aura droit. Dans ces conditions, les remises de peine pour travail en dĂ©tention prĂ©vues Ă  l’article 100 du code pĂ©nal de 1973 pourront ĂȘtre prises en compte au titre de l’extinction des peines successivement accomplies par le condamnĂ©.

L’exĂ©cution de la peine totale Ă  purger (condena) se dĂ©roulera de la maniĂšre suivante : elle commencera par les plus graves des peines prononcĂ©es, et les bĂ©nĂ©fices et remises Ă©ventuels s’imputeront sur chacune des peines que le condamnĂ© sera en train de purger. AprĂšs l’extinction de la premiĂšre [peine], le condamnĂ© commencera Ă  purger la suivante, et ainsi de suite jusqu’à ce que soient atteintes les limites prĂ©vues Ă  l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973, moment oĂč la totalitĂ© des peines comprises dans la peine totale Ă  purger (condena) seront Ă©teintes.

Prenons l’exemple d’une personne condamnĂ©e Ă  trois peines d’une durĂ©e respective de trente ans, quinze ans et dix ans. En vertu de la deuxiĂšme rĂšgle de l’article 70 du code pĂ©nal de 1973 (...), selon laquelle la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger ne peut excĂ©der le triple de la durĂ©e de la peine la plus grave ni dĂ©passer trente ans, le condamnĂ© en question devra purger une peine effective de trente ans. Dans ce cas, le condamnĂ© devra accomplir ses peines (la peine totale Ă  purger) en commençant par la premiĂšre, c’est-Ă -dire par la plus grave (Ă  savoir la peine d’emprisonnement de trente ans). S’il bĂ©nĂ©ficie d’une remise (pour quelque motif que ce soit) de dix ans, sa peine se trouvera purgĂ©e – et Ă©teinte – aprĂšs vingt ans d’incarcĂ©ration, Ă  la suite de quoi il devra commencer Ă  purger la peine suivante dans l’ordre de gravitĂ© des peines prononcĂ©es, c’est-Ă -dire la peine de quinze ans. Si cette derniĂšre donne lieu Ă  une remise de cinq ans, elle se trouvera purgĂ©e aprĂšs dix ans. 20 + 10 = 30. Le condamnĂ© n’aura alors plus aucune peine Ă  purger, les peines prononcĂ©es devenant caduques pour le surplus, comme le veut le code pĂ©nal applicable, dĂšs que cette durĂ©e maximale est atteinte, laquelle ne peut excĂ©der trente ans. Â»

40.  Dans l’arrĂȘt prĂ©citĂ©, le Tribunal suprĂȘme dĂ©clara qu’il n’existait pas de principe Ă©tabli dans sa jurisprudence sur la question spĂ©cifique de l’interprĂ©tation de l’article 100 du code pĂ©nal de 1973 combinĂ© avec l’article 70.2 du mĂȘme texte. Il ne cita qu’une seule dĂ©cision, celle du 8 mars 1994, dans laquelle il avait estimĂ© que la durĂ©e maximale prĂ©vue Ă  l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 s’analysait en une « nouvelle peine autonome Â» (voir paragraphe 36 ci-dessus). Toutefois, il Ă©carta la solution Ă  laquelle il Ă©tait parvenu dans cette dĂ©cision, au motif que celle-ci Ă©tait isolĂ©e et ne pouvait donc ĂȘtre invoquĂ©e Ă  titre de prĂ©cĂ©dent car elle n’avait jamais Ă©tĂ© appliquĂ©e de maniĂšre constante.

Il ajouta que, Ă  supposer mĂȘme que sa nouvelle interprĂ©tation de l’article 70 du code pĂ©nal de 1973 pĂ»t ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une remise en cause de la jurisprudence et de la pratique pĂ©nitentiaire antĂ©rieures, le principe d’égalitĂ© devant la loi (article 14 de la Constitution) ne faisait pas obstacle aux revirements jurisprudentiels sous rĂ©serve que ceux-ci fussent suffisamment motivĂ©s. En outre, il jugea que le principe de non-rĂ©troactivitĂ© de la loi pĂ©nale (articles 25 § 1 et 9 § 3 de la Constitution) n’avait pas vocation Ă  s’appliquer Ă  la jurisprudence.

41.  L’arrĂȘt 197/2006 fut adoptĂ© Ă  une majoritĂ© de douze voix contre trois. Les trois magistrats dissidents y joignirent une opinion dissidente dans laquelle ils dĂ©clarĂšrent que les peines imposĂ©es successivement se transformaient ou se confondaient en une autre peine, de mĂȘme nature mais distincte en ce qu’elle absorbait les diffĂ©rentes peines pour en former une seule. Ils indiquĂšrent que cette peine, qu’ils qualifiĂšrent de « peine d’accomplissement Â», Ă©tait celle qui rĂ©sultait de l’application de la limite Ă©tablie Ă  l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 qui, dĂšs lors qu’elle Ă©tait atteinte, entraĂźnait l’extinction des peines excĂ©dentaires. Ils ajoutĂšrent que cette nouvelle « unitĂ© punitive Â» correspondait Ă  la peine Ă  purger par le condamnĂ© et que les remises de peine pour travail en dĂ©tention devaient ĂȘtre imputĂ©es sur celle-ci, prĂ©cisant que les remises en question avaient une incidence sur les peines imposĂ©es mais seulement aprĂšs l’application Ă  ces derniĂšres des rĂšgles relatives Ă  l’exĂ©cution successive des peines « aux fins de leur accomplissement Â». Par ailleurs, les juges dissidents rappelĂšrent que, pour dĂ©terminer la loi pĂ©nale la plus douce aprĂšs l’entrĂ©e en vigueur du code pĂ©nal de 1995, toutes les juridictions espagnoles – y compris le Tribunal suprĂȘme (accords adoptĂ©s par la plĂ©niĂšre de la chambre criminelle le 18 juillet 1996 et le 12 fĂ©vrier 1999) – Ă©taient parties du principe que les remises de peine devaient ĂȘtre imputĂ©es sur la peine dĂ©coulant de l’application de l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 (c’est-Ă -dire sur la limite de trente ans). Ils soulignĂšrent qu’en application de ce principe, pas moins de seize personnes reconnues coupables de terrorisme avaient rĂ©cemment bĂ©nĂ©ficiĂ© de remises de peine pour travail en dĂ©tention bien qu’elles eussent Ă©tĂ© condamnĂ©es Ă  des peines d’emprisonnement d’une durĂ©e totale de plus de cent ans.

42.  Les juges dissidents estimĂšrent en outre que, faute d’avoir Ă©tĂ© prĂ©vue par l’ancien code pĂ©nal de 1973, la mĂ©thode utilisĂ©e par la majoritĂ© s’analysait en une application rĂ©troactive et implicite du nouvel article 78 du code pĂ©nal de 1995, tel que modifiĂ© par la loi organique 7/2003 instituant des mesures de rĂ©forme destinĂ©es Ă  garantir l’exĂ©cution intĂ©grale et effective des peines. Ils jugĂšrent par ailleurs que cette interprĂ©tation contra reum dĂ©coulait d’une politique d’exĂ©cution intĂ©grale des peines qui Ă©tait Ă©trangĂšre au code pĂ©nal de 1973, qui pouvait ĂȘtre source d’inĂ©galitĂ©s et qui allait Ă  l’encontre de la jurisprudence Ă©tablie du Tribunal suprĂȘme (arrĂȘts du 8 mars 1994, du 15 septembre 2005 et du 14 octobre 2005). Enfin, ils dĂ©clarĂšrent qu’aucune considĂ©ration de politique criminelle ne pouvait justifier une telle rupture du principe de lĂ©galitĂ©, mĂȘme dans le cas d’un terroriste sanguinaire et impĂ©nitent tel que celui qui Ă©tait en cause dans l’affaire en question.

3.  L’application de la « doctrine Parot Â»

43.  Le Tribunal suprĂȘme confirma la « doctrine Parot Â» dans des arrĂȘts postĂ©rieurs (voir, par exemple, l’arrĂȘt 898/2008 du 11 dĂ©cembre 2008). Dans un arrĂȘt 343/2011 rendu le 3 mai 2011, il Ă©voqua le revirement de jurisprudence opĂ©rĂ© par l’arrĂȘt 197/2006 dans les termes suivants :

« Dans la prĂ©sente affaire, il Ă©tait initialement prĂ©vu que l’auteur du pourvoi aurait intĂ©gralement purgĂ© la durĂ©e maximale d’accomplissement de sa peine le 17 novembre 2023, et aucun changement n’a Ă©tĂ© apportĂ© Ă  cette situation. Ce sont les modalitĂ©s d’application des bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires qui ont Ă©tĂ© modifiĂ©es. Avant l’adoption de l’arrĂȘt 197/2006 (prĂ©citĂ©), ceux-ci Ă©taient imputĂ©s sur la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration. Il a Ă©tĂ© jugĂ©, dans l’arrĂȘt en question et les suivants, que cette maniĂšre de procĂ©der Ă©tait erronĂ©e et qu’il convenait d’imputer lesdits bĂ©nĂ©fices sur les peines effectivement imposĂ©es qui seraient exĂ©cutĂ©es les unes aprĂšs les autres jusqu’à ce que soit atteinte la limite maximale prĂ©vue par la loi. Â»

44.  Selon les informations fournies par le Gouvernement, la « doctrine Parot Â» a Ă©tĂ© appliquĂ©e Ă  quatre-vingt-treize condamnĂ©s membres de l’ETA et Ă  trente-sept autres auteurs de crimes trĂšs graves (trafic de stupĂ©fiants, viols, assassinats).

E.  La jurisprudence du Tribunal constitutionnel

45.  Dans un arrĂȘt 174/1989 rendu le 30 octobre 1989, le Tribunal constitutionnel releva que les remises de peine pour travail en dĂ©tention prĂ©vues Ă  l’article 100 du code pĂ©nal de 1973 Ă©taient validĂ©es pĂ©riodiquement par les juges de l’application des peines (Jueces de Vigilancia Penitenciaria) sur proposition des centres pĂ©nitentiaires. Il prĂ©cisa que les remises de peine dĂ©jĂ  approuvĂ©es devaient ĂȘtre prises en compte par le juge du fond lorsque celui-ci Ă©tait appelĂ© Ă  se prononcer sur l’extinction (liquidaciĂłn) de la peine Ă  purger (condena), et que le crĂ©dit de remise de peine dĂ©jĂ  accordĂ© en application de la loi ne pouvait faire l’objet d’une rĂ©vocation ultĂ©rieure destinĂ©e Ă  corriger d’éventuelles erreurs ou Ă  permettre l’application d’une nouvelle interprĂ©tation. Il ajouta qu’une dĂ©cision d’un juge de l’application des peines non frappĂ©e de recours devenait ferme et dĂ©finitive, conformĂ©ment au principe de sĂ©curitĂ© juridique et au droit Ă  l’intangibilitĂ© des dĂ©cisions judiciaires dĂ©finitives. Il estima que le droit aux remises de peine pour travail en dĂ©tention ne revĂȘtait pas un caractĂšre conditionnel dans la loi pertinente, en voulant pour preuve que les dĂ©tenus coupables de mauvaise conduite ou de tentative d’évasion n’en Ă©taient dĂ©chus que pour l’avenir et conservaient le bĂ©nĂ©fice de celles dĂ©jĂ  accordĂ©es.

46.  Dans un arrĂȘt 72/1994 rendu le 3 mars 1994, le Tribunal constitutionnel prĂ©cisa que les remises de peine pour travail en dĂ©tention prĂ©vues Ă  l’article 100 du code pĂ©nal de 1973 reflĂ©taient le principe consacrĂ© par l’article 25 § 2 de la Constitution selon lequel les peines privatives de libertĂ© devaient viser Ă  la rĂ©Ă©ducation et la rĂ©insertion sociale des condamnĂ©s.

47.  Des personnes ayant subi les effets de la « doctrine Parot Â» introduisirent des recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Le ministĂšre public prit fait et cause pour certains justiciables qui, dans ces recours, dĂ©nonçaient la violation des principes de lĂ©galitĂ© et de non-rĂ©troactivitĂ© des interprĂ©tations de la loi dĂ©favorables aux condamnĂ©s. Dans ses conclusions, il soutenait que le principe de lĂ©galitĂ© – et le principe de non-rĂ©troactivitĂ© qui en dĂ©coulait – devait s’appliquer Ă  l’exĂ©cution des peines. Dans une sĂ©rie d’arrĂȘts du 29 mars 2012, la formation plĂ©niĂšre du Tribunal constitutionnel se prononça sur le bien-fondĂ© de ces recours.

48.  Dans deux de ces arrĂȘts (39/2012 et 57/2012), le Tribunal constitutionnel accorda l’amparo pour violation du droit Ă  une protection juridictionnelle effective (article 24 Â§ 1 de la Constitution) et du droit Ă  la libertĂ© (article 17 § 1 de la Constitution). Il considĂ©ra que les nouvelles modalitĂ©s d’imputation des remises de peine rĂ©sultant du revirement jurisprudentiel opĂ©rĂ© par le Tribunal suprĂȘme en 2006 avaient remis en cause des dĂ©cisions judiciaires dĂ©finitives rendues Ă  l’égard des intĂ©ressĂ©s. Il releva que l’Audiencia Nacional qui avait adoptĂ© les dĂ©cisions en question avait estimĂ© que le code pĂ©nal de 1973 (qui prĂ©voyait une durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration de trente ans) Ă©tait plus favorable pour les intĂ©ressĂ©s que le code pĂ©nal de 1995 (oĂč cette limite est fixĂ©e Ă  vingt-cinq ans) au motif que ceux-ci auraient perdu leur droit aux remises de peine Ă  partir de l’entrĂ©e en vigueur du code pĂ©nal de 1995 si celui-ci leur avait Ă©tĂ© appliquĂ©. Observant que l’Audiencia Nacional Ă©tait partie du principe selon lequel les remises de peine prĂ©vues par l’ancien code devaient venir en dĂ©duction de la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration (Ă  savoir trente ans), il jugea que ces dĂ©cisions judiciaires dĂ©finitives ne pouvaient pas ĂȘtre modifiĂ©es par une nouvelle dĂ©cision judiciaire appliquant une autre mĂ©thode d’imputation. Il en conclut qu’il y avait eu violation du droit Ă  la protection juridictionnelle effective, et plus prĂ©cisĂ©ment du droit Ă  ce que les dĂ©cisions judiciaires dĂ©finitives ne soient pas remises en cause (« droit Ă  l’intangibilitĂ© des dĂ©cisions judiciaires dĂ©finitives Â» ou principe de la force de la chose jugĂ©e). S’agissant du droit Ă  la libertĂ©, il estima que, au regard du code pĂ©nal de 1973 et des modalitĂ©s d’imputation des remises de peine appliquĂ©es dans les dĂ©cisions judiciaires prĂ©citĂ©es, les intĂ©ressĂ©s avaient purgĂ© leur peine, raison pour laquelle leur maintien en dĂ©tention aprĂšs la date de libĂ©ration proposĂ©e par le centre pĂ©nitentiaire (conformĂ©ment aux rĂšgles anciennement applicables) Ă©tait dĂ©pourvu de base lĂ©gale. Dans ces deux dĂ©cisions, il renvoya Ă  l’arrĂȘt rendu par la Cour dans l’affaire Grava c. Italie (no 43522/98, §§ 44-45, 10 juillet 2003).

49.  Dans une troisiĂšme affaire (arrĂȘt 62/2012), le Tribunal constitutionnel accorda l’amparo pour violation du droit Ă  une protection juridictionnelle effective (article 24 § 1 de la Constitution) au motif que, en modifiant la date de libĂ©ration dĂ©finitive d’un dĂ©tenu, l’Audiencia Nacional avait remis en cause une dĂ©cision judiciaire ferme et dĂ©finitive qu’elle avait elle-mĂȘme rendue quelques jours auparavant.

50.  Le Tribunal constitutionnel refusa l’amparo dans vingt-cinq affaires (arrĂȘts 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 59, 61, 64, 65, 66, 67, 68 et 69/2012), au motif que les dĂ©cisions par lesquelles les juridictions ordinaires avaient fixĂ© la date de libĂ©ration dĂ©finitive des intĂ©ressĂ©s en se fondant sur le revirement jurisprudentiel opĂ©rĂ© en 2006 n’avaient pas remis en cause les dĂ©cisions dĂ©finitives antĂ©rieures dont ils avaient fait l’objet. Celles-ci ne s’étaient pas prononcĂ©es explicitement sur la question des modalitĂ©s d’imputation des remises de peine pour travail en dĂ©tention, et cet Ă©lĂ©ment n’avait Ă©tĂ© dĂ©terminant quant au choix du code pĂ©nal applicable.

51.  Tant dans ses arrĂȘts rendus en faveur des demandeurs que dans ses arrĂȘts qui leur Ă©taient dĂ©favorables, le Tribunal constitutionnel rejeta le grief tirĂ© de l’article 25 de la Constitution (principe de lĂ©galitĂ©) au motif que la question de l’imputation des remises de peine pour travail en dĂ©tention relevait de l’exĂ©cution de la peine et n’emportait en aucun cas application d’une peine plus lourde que celle prĂ©vue par la loi pĂ©nale applicable ou dĂ©passement de la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration. La haute juridiction renvoya Ă  la jurisprudence de la Cour Ă©tablissant une distinction entre les mesures constituant une « peine Â» et les mesures relatives Ă  l’ « exĂ©cution Â» d’une peine aux fins de l’article 7 de la Convention (Hogben c. Royaume-Uni, no 11653/85, dĂ©cision de la Commission du 3 mars 1986, DĂ©cisions et rapports (DR) 46, p. 231, Grava, prĂ©citĂ©, § 51, et Gurguchiani c. Espagne, no 16012/06, § 31, 15 dĂ©cembre 2009).

52.  Par exemple, dans les passages de son arrĂȘt 39/2012 consacrĂ©s au principe de lĂ©galitĂ©, le Tribunal constitutionnel s’exprima ainsi :

« 3. (...) Il convient d’emblĂ©e d’observer que la question sous examen ne relĂšve pas du domaine du droit fondamental consacrĂ© par l’article 25 § 1 de la Constitution – celui de l’interprĂ©tation et de l’application des incriminations, de la qualification des faits Ă©tablis au regard de ces incriminations et de l’imposition des peines qui s’y attachent (...) – mais du domaine de l’exĂ©cution d’une peine privative de libertĂ© puisque cette question porte sur l’imputation des remises de peine pour travail en dĂ©tention et que l’interprĂ©tation que nous sommes appelĂ©s Ă  examiner ne peut aboutir Ă  l’accomplissement de peines plus lourdes que celles prĂ©vues par les incriminations pĂ©nales appliquĂ©es ou au dĂ©passement de la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration dĂ©finie par la loi. Dans le mĂȘme sens, et contrairement Ă  ce que soutient le ministĂšre public, la Cour europĂ©enne des droits de l’homme estime elle aussi que, mĂȘme lorsqu’elles ont une incidence sur le droit Ă  la libertĂ©, les mesures portant sur l’exĂ©cution de la peine – et non sur la peine elle-mĂȘme – ne relĂšvent pas du droit Ă  la lĂ©galitĂ© pĂ©nale consacrĂ© par l’article 7 § 1 de la Convention dĂšs lors qu’elles n’ont pas pour effet d’alourdir la peine infligĂ©e par rapport Ă  celle prĂ©vue par la loi. Par un arrĂȘt Grava c. Italie (§ 51) rendu le 10 juillet 2003, la Cour europĂ©enne des droits de l’homme s’est prononcĂ©e en ce sens dans une affaire oĂč Ă©tait en cause une remise de peine en citant mutatis mutandis Hogben c. Royaume-Uni (no 11653/85, dĂ©cision de la Commission du 3 mars 1986, DĂ©cisions et rapports (DR) 46, pp. 231, 242, en matiĂšre de libĂ©ration conditionnelle). Plus rĂ©cemment, dans l’arrĂȘt qu’elle a rendu le 15 dĂ©cembre 2009 en l’affaire Gurguchiani c. Espagne (§ 31), la Cour s’est exprimĂ©e ainsi : « la Commission comme la Cour ont Ă©tabli dans leur jurisprudence une distinction entre une mesure constituant en substance une « peine Â» et une mesure relative Ă  l’«exĂ©cution » ou Ă  l’«application » de la « peine ». En consĂ©quence, lorsque la nature et le but d’une mesure concernent la remise d’une peine ou un changement dans le systĂšme de libĂ©ration conditionnelle, cette mesure ne fait pas partie intĂ©grante de la «peine » au sens de l’article 7 Â».

Il convient Ă©galement de rejeter le grief de violation du droit Ă  la lĂ©galitĂ© pĂ©nale (article 25 § 1 de la Constitution) dĂ©coulant – selon le requĂ©rant – de l’application rĂ©troactive de l’article 78 du code pĂ©nal de 1995 (dans son libellĂ© initial et dans celui rĂ©sultant de la loi organique 7/2003), disposition par laquelle le lĂ©gislateur a autorisĂ© le juge ou le tribunal auteur de la condamnation Ă  « dĂ©cider que les bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires, les permissions de sortie, le classement au troisiĂšme degrĂ© pĂ©nitentiaire et le calcul du temps pour l’obtention de la libĂ©ration conditionnelle s’appliquer[aient] Ă  la totalitĂ© des peines imposĂ©es Â» dans certaines situations de cumul de peines (article 78 § 1 du code pĂ©nal). Le lĂ©gislateur a imposĂ© la prise en compte de la totalitĂ© des peines infligĂ©es dans des situations de cumul de peines particuliĂšrement lourdes. Cette obligation connaĂźt cependant certaines exceptions (article 78 §§ 2 et 3 du code pĂ©nal actuellement en vigueur). Cela Ă©tant, les dĂ©cisions critiquĂ©es et la jurisprudence du Tribunal suprĂȘme qui s’y trouve invoquĂ©e n’ont pas fait une application rĂ©troactive de cette rĂšgle (laquelle n’est d’ailleurs pas applicable aux remises de peine pour travail en dĂ©tention, puisque celles-ci ont Ă©tĂ© supprimĂ©es par le code pĂ©nal de 1995). Elles ont bien appliquĂ© les dispositions qui Ă©taient en vigueur au moment de la commission des faits pour lesquels le requĂ©rant a Ă©tĂ© condamnĂ© (articles 70.2 et 100 du code pĂ©nal de 1973), mais en leur donnant une nouvelle interprĂ©tation qui, bien que fondĂ©e sur la mĂ©thode de calcul expressĂ©ment consacrĂ©e par l’article 78 du code pĂ©nal de 1995, Ă©tait selon elles possible au regard du libellĂ© des articles 70.2 et 100 du code pĂ©nal de 1973. Dans ces conditions, si l’on s’en tient au raisonnement suivi par les organes juridictionnels et aux rĂšgles applicables, le grief du requĂ©rant manque de fondement factuel puisqu’il faut qu’une rĂšgle de droit pĂ©nal ait Ă©tĂ© appliquĂ©e rĂ©troactivement Ă  des faits commis avant son entrĂ©e en vigueur pour tomber sous le coup de l’interdiction de la rĂ©troactivitĂ© de la loi pĂ©nale plus sĂ©vĂšre posĂ©e par l’article 25 § 1 de la Constitution (...) Â»

À propos du droit Ă  la libertĂ©, le Tribunal constitutionnel dĂ©clara notamment ce qui suit :

« 4. (...) Il ressort de notre jurisprudence que les remises de peine pour travail en dĂ©tention ont une incidence directe sur le droit fondamental Ă  la libertĂ© garanti par l’article 17 Â§ 1 de la Constitution, puisque la durĂ©e de la privation de libertĂ© dĂ©pend notamment de leur application au regard de l’article 100 du code pĂ©nal de 1973 (...) Cette disposition prĂ©voit que « le dĂ©tenu bĂ©nĂ©ficiera, aux fins de l’accomplissement de la peine qui lui a Ă©tĂ© infligĂ©e et aprĂšs approbation du juge de l’application des peines, d’une remise de peine d’un jour pour deux jours de travail effectuĂ© Â» selon un dĂ©compte pĂ©riodique pratiquĂ© par les juges d’application des peines sur proposition des centres pĂ©nitentiaires, les remises de peine Ă©tant par la suite prises en compte, aux fins de la purge de la peine, par la juridiction ayant prononcĂ© la condamnation (...)

Nous avons en outre dĂ©clarĂ© que les remises de peine pour travail en dĂ©tention s’inscrivaient dans la ligne de l’article 25 § 2 de la Constitution et qu’elles se rattachaient Ă  la finalitĂ© rĂ©Ă©ducative de la peine privative de libertĂ© (...) Et s’il est constant que l’article 25 § 2 ne consacre aucun droit fondamental susceptible d’amparo, cette disposition Ă©dicte cependant une rĂšgle d’orientation de la politique pĂ©nale et pĂ©nitentiaire Ă  l’intention du lĂ©gislateur ainsi qu’un principe d’interprĂ©tation des rĂšgles relatives au prononcĂ© et Ă  l’exĂ©cution des peines privatives de libertĂ©, rĂšgle et principe qui sont consacrĂ©s par la Constitution (...)

Par ailleurs, aprĂšs avoir relevĂ© que le droit garanti par l’article 17 § 1 de la Constitution n’autorise la privation de libertĂ© que « dans les cas et les formes prĂ©vus par la loi Â», nous avons conclu que l’on ne pouvait exclure que les modalitĂ©s d’accomplissement de la peine relatives au calcul de la durĂ©e de l’incarcĂ©ration puissent porter atteinte Ă  ce droit en cas de non-respect des dispositions lĂ©gales relatives Ă  l’accomplissement successif ou simultanĂ© de diffĂ©rentes peines qui auraient pu donner lieu Ă  une rĂ©duction de la durĂ©e de la dĂ©tention du condamnĂ©, dĂšs lors que le non-respect de ces rĂšgles conduit Ă  une prolongation irrĂ©guliĂšre de la dĂ©tention et, par consĂ©quent, de la privation de libertĂ© (...) Dans le mĂȘme sens, la Cour europĂ©enne des droits de l’homme a elle aussi conclu Ă  la violation du droit Ă  la libertĂ© garanti par l’article 5 de la Convention dans une affaire oĂč Ă©tait en cause l’accomplissement d’une peine d’emprisonnement d’une durĂ©e supĂ©rieure « Ă  celle qui Ă©tait la sanction [que le condamnĂ©] aurait dĂ» subir selon le systĂšme juridique national et compte tenu des bĂ©nĂ©fices auxquels il avait droit. Son surplus d’emprisonnement ne saurait partant s’analyser en une dĂ©tention rĂ©guliĂšre aux sens de la Convention Â» (Grava c. Italie, CEDH 10 juillet 2003, § 45). Â»

AprĂšs avoir conclu Ă  la violation du droit Ă  une protection juridictionnelle effective, le Tribunal constitutionnel s’exprima dans les termes suivants concernant les consĂ©quences de cette violation sous l’angle du droit Ă  la libertĂ© :

« 8. Toutefois, nous ne pouvons nous arrĂȘter au seul constat de violation [de l’article 24 § 1 de la Constitution] opĂ©rĂ© ci-dessus. Nous devons en outre tenir compte des consĂ©quences de cette violation sous l’angle du droit Ă  la libertĂ© (article 17 § 1 de la Constitution).

En effet, compte tenu de l’autoritĂ© de la chose jugĂ©e qui s’attache Ă  l’ordonnance du 28 mai 1997 adoptĂ©e par l’organe juridictionnel responsable de l’application des peines (dont le rĂŽle consistait Ă  dĂ©terminer comment et quand la peine devait s’accomplir et s’éteindre) et de la situation juridique Ă©tablie par la dĂ©cision prĂ©citĂ©e en ce qui concerne le dĂ©compte des remises de peine pour travail en dĂ©tention, la peine a Ă©tĂ© accomplie pendant des annĂ©es selon les modalitĂ©s prĂ©vues par l’ordonnance en question : application de l’ancien code pĂ©nal et des rĂšgles rĂ©gissant les remises de peine pour travail en dĂ©tention, selon lesquelles le condamnĂ© devait bĂ©nĂ©ficier d’un jour de remise pour deux jours travaillĂ©s, et prise en compte des jours de remise de peine Ă  titre de pĂ©riode d’accomplissement effectif de la peine devant ĂȘtre imputĂ©e sur la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration de trente ans rĂ©sultant du cumul des peines. Cela s’est concrĂ©tisĂ© par des actes non Ă©quivoques de l’administration pĂ©nitentiaire, Ă  savoir l’établissement de tableaux de calculs oĂč figurent les dĂ©comptes provisoires des peines – dĂ©comptes retenant les remises de peine pour travail en dĂ©tention et effectuĂ©s pĂ©riodiquement par le juge d’application des peines sur proposition du centre pĂ©nitentiaire, et en particulier un tableau du 25 janvier 2006 qui a servi de base Ă  la proposition de remise en libertĂ© dĂ©finitive du condamnĂ© Ă  la date du 29 mars 2006 adressĂ©e Ă  l’organe juridictionnel par le directeur du centre pĂ©nitentiaire.

Il s’ensuit que, en application de la lĂ©gislation en vigueur Ă  l’époque de la commission du fait dĂ©lictueux et selon le dĂ©compte des remises de peine pour travail en dĂ©tention effectuĂ© conformĂ©ment au critĂšre ferme et intangible Ă©tabli par l’organe juridictionnel responsable de l’application des peines, le requĂ©rant avait dĂ©jĂ  purgĂ© la peine qui lui avait Ă©tĂ© infligĂ©e. Partant, et bien que l’intĂ©ressĂ© ait Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement privĂ© de libertĂ©, il a subi une privation de libertĂ© en dehors des cas prĂ©vus par la loi aprĂšs avoir purgĂ© sa peine dans les conditions exposĂ©es ci-dessus, car la base lĂ©gale qui la justifiait avait disparu. Il s’ensuit que le surplus d’emprisonnement subi par le requĂ©rant s’analyse en une privation de libertĂ© dĂ©pourvue de base lĂ©gale et attentatoire au droit fondamental Ă  la libertĂ© garanti par l’article 17 § 1 de la Constitution (CEDH 10 juillet 2003, Grava c. Italie, §§ 44 et 45).

Dans un État de droit, il n’est pas admissible de prolonger la privation de libertĂ© d’une personne qui a dĂ©jĂ  purgĂ© sa peine. En consĂ©quence, il incombe aux organes juridictionnels ordinaires de prendre dans les plus brefs dĂ©lais les mesures qui s’imposent pour mettre un terme Ă  la violation du droit fondamental Ă  la libertĂ© et procĂ©der Ă  la libĂ©ration immĂ©diate du requĂ©rant. Â»

53.  Les arrĂȘts du Tribunal constitutionnel donnĂšrent lieu Ă  des opinions sĂ©parĂ©es – concordantes ou dissidentes – de certains juges. Dans l’opinion dissidente qu’elle joignit Ă  l’arrĂȘt 40/2012, la juge A. Asua Batarrita dĂ©clara que l’application de la nouvelle interprĂ©tation de la rĂšgle de calcul de la durĂ©e de la peine Ă  purger pendant la phase d’exĂ©cution de celle-ci remettait en cause une situation juridique acquise et dĂ©jouait les prĂ©visions fondĂ©es sur l’interprĂ©tation constante des rĂšgles applicables. Elle rappela les caractĂ©ristiques du dispositif des remises de peine instituĂ© par le code pĂ©nal de 1973 et la distinction traditionnellement opĂ©rĂ©e entre la « durĂ©e nominale Â» et la « durĂ©e rĂ©elle Â» de la peine, distinction prise en compte par le juge lors de la fixation de la peine. Elle indiqua que les remises de peine pour travail en dĂ©tention se distinguaient des autres « bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires Â» tels que la libĂ©ration conditionnelle. En plus, l’octroi de ces remises ne relevait pas du pouvoir discrĂ©tionnaire du juge car celui-ci n’était pas tenu par des critĂšres tels que l’amĂ©lioration du comportement du condamnĂ© ou l’apprĂ©ciation de sa dangerositĂ©. Elle en conclut que les remises de peine pour travail en dĂ©tention Ă©taient d’application obligatoire selon la loi. Elle dĂ©clara que, au regard du code pĂ©nal de 1973, le principe de lĂ©galitĂ© devait s’appliquer non seulement aux dĂ©lits mais aussi aux consĂ©quences rĂ©pressives dĂ©coulant de leur commission, c’est-Ă -dire Ă  la limite nominale des peines Ă  purger et Ă  leur limite effective aprĂšs dĂ©duction des remises de peine pour travail en dĂ©tention prĂ©vues Ă  l’article 100 du code pĂ©nal de 1973. Relevant que les limites Ă©tablies Ă  l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 combinĂ©es avec les remises de peine pour travail en dĂ©tention avaient pour effet de ramener la durĂ©e maximale nominale de la peine (trente ans) Ă  une durĂ©e d’accomplissement effectif plus courte (vingt ans), sauf en cas de mauvaise conduite ou de tentative d’évasion, elle jugea que la « doctrine Parot Â» avait Ă©tabli une distinction artificielle entre « peine Â» (pena) et « peine Ă  purger Â» (condena) qui n’avait aucune base dans le code pĂ©nal, et qu’elle avait subordonnĂ© l’application de la limite de trente ans Ă  une nouvelle condition non prĂ©vue par l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973, selon laquelle l’accomplissement de la peine pendant cette pĂ©riode devait se faire « dans un Ă©tablissement pĂ©nitentiaire Â», Ă©cartant ainsi l’application des rĂšgles sur les remises de peine pour travail en dĂ©tention. Elle estima que cela revenait Ă  infliger une peine nominale Ă  purger de quarante-cinq ans (c’est-Ă -dire trente ans d’emprisonnement effectif plus quinze ans correspondant au travail effectuĂ© en dĂ©tention).

Elle considĂ©ra que ni les arguments tĂ©lĂ©ologiques ni les considĂ©rations de politique criminelle Ă  l’origine de la « doctrine Parot Â» ne pouvaient justifier un tel revirement de jurisprudence sur l’interprĂ©tation d’une loi – le code pĂ©nal de 1973 – abrogĂ©e depuis plus de dix ans. Au vu de l’ensemble de ces considĂ©rations, elle conclut que l’interprĂ©tation Ă  laquelle le Tribunal suprĂȘme s’était livrĂ© dans son arrĂȘt de 2006 Ă©tait imprĂ©visible et qu’il y avait eu violation des articles 25 § 1 (principe de lĂ©galitĂ©), 17 § 1 (droit Ă  la libertĂ©) et 24 § 1 (droit Ă  une protection juridictionnelle effective) de la Constitution.

54.  Dans l’opinion concordante qu’il joignit Ă  l’arrĂȘt 39/2012, le juge P. PĂ©rez Tremps se rĂ©fĂ©ra Ă  la jurisprudence de la Cour relative Ă  l’article 5 de la Convention et en particulier Ă  l’exigence de prĂ©visibilitĂ© de la loi (M. c. Allemagne, no 19359/04, § 90, CEDH 2009). Il prĂ©cisa que cette exigence devait s’appliquer Ă  la durĂ©e rĂ©elle et effective de la privation de libertĂ©. Ayant relevĂ© que la lĂ©gislation interprĂ©tĂ©e par le Tribunal suprĂȘme – le code pĂ©nal de 1973 – n’était plus en vigueur en 2006 et qu’elle ne pouvait dĂ©ployer ses effets que dans la mesure oĂč elle bĂ©nĂ©ficiait aux personnes condamnĂ©es, il en conclut qu’un revirement jurisprudentiel inopinĂ© et imprĂ©visible ne pouvait se concilier avec le droit Ă  la libertĂ©. Par ailleurs, il dĂ©clara douter que des dispositions lĂ©gislatives qui ne prĂ©voyaient pas explicitement le mode de calcul des remises de peines et faisaient l’objet de deux interprĂ©tations diamĂ©tralement opposĂ©es satisfassent Ă  l’exigence de qualitĂ© de la loi.

55.  Dans l’opinion dissidente qu’il joignit Ă  l’arrĂȘt 41/2012, le juge E. Gay Montalvo dĂ©clara que l’application des articles 70.2 et 100 du code pĂ©nal de 1973 conformĂ©ment Ă  la « doctrine Parot Â» avait conduit Ă  l’imposition d’une peine dĂ©passant la limite maximale de trente ans, les jours de privation effective de libertĂ© s’ajoutant Ă  ceux que la loi rĂ©putait purgĂ©s pour d’autres motifs. Il en conclut qu’il y avait eu violation du principe de la lĂ©galitĂ© pĂ©nale d’une part et, d’autre part, du droit Ă  la libertĂ© en raison de la prolongation non prĂ©vue par la loi de la dĂ©tention de l’intĂ©ressĂ©.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION

56.  La requĂ©rante allĂšgue que l’application Ă  ses yeux rĂ©troactive d’un revirement de jurisprudence opĂ©rĂ© par le Tribunal suprĂȘme aprĂšs sa condamnation a prolongĂ© sa dĂ©tention de prĂšs de neuf ans, au mĂ©pris de l’article 7 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellĂ©e :

« 1.  Nul ne peut ĂȘtre condamnĂ© pour une action ou une omission qui, au moment oĂč elle a Ă©tĂ© commise, ne constituait pas une infraction d’aprĂšs le droit national ou international. De mĂȘme il n’est infligĂ© aucune peine plus forte que celle qui Ă©tait applicable au moment oĂč l’infraction a Ă©tĂ© commise.

2.  Le prĂ©sent article ne portera pas atteinte au jugement et Ă  la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment oĂč elle a Ă©tĂ© commise, Ă©tait criminelle d’aprĂšs les principes gĂ©nĂ©raux de droit reconnus par les nations civilisĂ©es. Â»

A.  ArrĂȘt de la chambre

57.  Dans son arrĂȘt du 10 juillet 2012, la chambre a conclu Ă  la violation de l’article 7 de la Convention.

58.  Elle s’est prononcĂ©e ainsi aprĂšs avoir relevĂ©, en premier lieu, que si les dispositions du code pĂ©nal de 1973 applicables aux remises de peine et Ă  la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger – fixĂ©e par l’article 70 de ce texte Ă  trente ans d’emprisonnement – prĂ©sentaient une certaine ambigĂŒitĂ©, les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires et les tribunaux espagnols avaient pour pratique de considĂ©rer cette durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration comme une nouvelle peine autonome sur laquelle devaient ĂȘtre imputĂ©s les bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires tels que les remises de peine pour travail en dĂ©tention. Elle en a conclu que, aux moments de la commission des faits poursuivis et de l’adoption de la dĂ©cision de cumul et plafonnement des peines prononcĂ©es contre la requĂ©rante (Ă  savoir le 30 novembre 2000), le droit espagnol pertinent, y compris jurisprudentiel, Ă©tait dans son ensemble assez prĂ©cis pour raisonnablement permettre Ă  l’intĂ©ressĂ©e de prĂ©voir la portĂ©e de la peine qui lui avait Ă©tĂ© infligĂ©e et les modalitĂ©s de son exĂ©cution (paragraphe 55 de l’arrĂȘt de la chambre, avec rĂ©fĂ©rence a contrario Ă  l’arrĂȘt Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 150, CEDH 2008).

59.  La chambre a observĂ©, en deuxiĂšme lieu, que dans le cas de la requĂ©rante, la nouvelle interprĂ©tation que le Tribunal suprĂȘme avait donnĂ©e en 2006 des modalitĂ©s d’imputation des remises de peine avait abouti Ă  prolonger rĂ©troactivement de prĂšs de neuf ans la peine Ă  purger par l’intĂ©ressĂ©e, les remises de peine pour travail en dĂ©tention dont elle aurait pu bĂ©nĂ©ficier Ă©tant devenues inopĂ©rantes. Dans ces conditions, elle a jugĂ© que cette mesure ne concernait pas seulement l’exĂ©cution de la peine infligĂ©e Ă  la requĂ©rante, mais qu’elle avait aussi un impact dĂ©cisif sur la portĂ©e de la « peine » au sens de l’article 7 (paragraphe 59 de l’arrĂȘt de la chambre).

60.  La chambre a notĂ©, en troisiĂšme lieu, que le revirement jurisprudentiel opĂ©rĂ© par le Tribunal suprĂȘme ne dĂ©coulait pas d’une jurisprudence antĂ©rieure, et que le Gouvernement avait lui-mĂȘme admis que la pratique pĂ©nitentiaire et judiciaire prĂ©existante allait dans le sens le plus favorable Ă  la requĂ©rante. Elle a prĂ©cisĂ© que ce revirement Ă©tait intervenu aprĂšs l’entrĂ©e en vigueur du nouveau code pĂ©nal de 1995, qui avait supprimĂ© le dispositif des remises de peine pour travail en dĂ©tention et Ă©tabli de nouvelles rĂšgles – plus rigoureuses – pour l’application des bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires s’agissant des dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  plusieurs peines d’emprisonnement de longue durĂ©e. À cet Ă©gard, elle a soulignĂ© que les juridictions internes ne pouvaient appliquer rĂ©troactivement et au dĂ©triment des personnes concernĂ©es la politique criminelle des changements lĂ©gislatifs intervenus aprĂšs la commission de l’infraction (paragraphe 62 de l’arrĂȘt de la chambre). Elle en a conclu que, Ă  l’époque des faits et au moment de l’adoption de la dĂ©cision portant cumul et plafonnement de toutes les peines prononcĂ©es Ă  l’encontre de l’intĂ©ressĂ©e, il Ă©tait difficile – voire impossible – pour celle-ci de prĂ©voir que les modalitĂ©s d’imputation des remises de peine feraient l’objet en 2006 d’un revirement de jurisprudence opĂ©rĂ© par le Tribunal suprĂȘme, que ce revirement lui serait appliquĂ©, et que la durĂ©e de son incarcĂ©ration s’en trouverait notablement prolongĂ©e (paragraphe 63 de l’arrĂȘt de la chambre).

B.  ThĂšses des parties devant la Grande Chambre

1.  ThĂšse de la requĂ©rante

61.  La requĂ©rante soutient que la durĂ©e maximale de son incarcĂ©ration – Ă  savoir trente ans â€“ telle que fixĂ©e par la dĂ©cision de cumul et plafonnement des peines adoptĂ©e le 30 novembre 2000 s’analysait en une nouvelle peine rĂ©sultant du cumul de celles-ci et/ou en la fixation finale de sa peine. Elle dĂ©clare souscrire Ă  la conclusion de la chambre selon laquelle, pendant qu’elle purgeait sa peine d’emprisonnement, elle pouvait lĂ©gitimement espĂ©rer, au regard de la pratique existante, que les remises de peine accordĂ©es en contrepartie du travail qu’elle effectuait en dĂ©tention depuis 1987 seraient dĂ©duites de la durĂ©e maximale de trente ans d’incarcĂ©ration.

62.  Dans ces conditions, la requĂ©rante estime que l’application dans son affaire du revirement de jurisprudence opĂ©rĂ© par l’arrĂȘt 197/2006 du Tribunal suprĂȘme Ă©quivaut Ă  l’imposition rĂ©troactive d’une peine supplĂ©mentaire qui ne saurait s’analyser en une simple mesure d’exĂ©cution de la peine. Elle considĂšre que, par l’effet de ce revirement, la peine de trente ans fixĂ©e par la dĂ©cision du 30 novembre 2000 qui lui a Ă©tĂ© notifiĂ©e le mĂȘme jour a cessĂ© d’ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une nouvelle peine autonome et/ou comme la peine dĂ©finitive et que les diverses peines qu’elle s’était vu infliger entre 1988 et 2000 (d’une durĂ©e totale de plus de trois mille ans d’emprisonnement) Ă  l’issue des huit procĂšs dirigĂ©s contre elle ont Ă©tĂ© d’une certaine maniĂšre rĂ©tablies. Elle allĂšgue que, en imputant les remises de peine sur chacune des peines prononcĂ©es prise isolĂ©ment, les tribunaux espagnols l’ont privĂ©e du bĂ©nĂ©fice des remises de peine accordĂ©es et ont prolongĂ© de neuf ans la durĂ©e de son incarcĂ©ration. Ce faisant, les juridictions en question n’auraient pas simplement altĂ©rĂ© les rĂšgles applicables aux remises de peine, mais auraient de surcroĂźt redĂ©fini et/ou modifiĂ© notablement la « peine Â» qui lui avait Ă©tĂ© notifiĂ©e.

63.  Le revirement de jurisprudence opĂ©rĂ© par le Tribunal suprĂȘme dans son arrĂȘt 197/2006 n’aurait pas Ă©tĂ© raisonnablement prĂ©visible au regard de la pratique et de la jurisprudence antĂ©rieures, et aurait privĂ© les remises de peine pour travail en dĂ©tention prĂ©vues par l’ancien code pĂ©nal de 1973 de tout effet utile pour les personnes se trouvant dans une situation analogue Ă  celle de la requĂ©rante. L’arrĂȘt en question aurait conduit Ă  appliquer Ă  l’intĂ©ressĂ©e la politique criminelle ayant inspirĂ© le nouveau code pĂ©nal de 1995 en dĂ©pit de la volontĂ© des auteurs de ce texte de maintenir le dispositif de remises de peine instaurĂ© par le code pĂ©nal 1973 au profit des personnes condamnĂ©es sur le fondement de celui-ci .

64.  Ă€ titre subsidiaire, force serait de constater qu’à l’époque de la commission des faits poursuivis, le droit espagnol n’était pas formulĂ© avec suffisamment de prĂ©cision pour raisonnablement permettre Ă  la requĂ©rante de discerner la portĂ©e de la peine infligĂ©e et les modalitĂ©s d’exĂ©cution de celle-ci (Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 150). En effet, le code pĂ©nal de 1973 aurait Ă©tĂ© ambigu en ce qu’il ne prĂ©cisait pas si la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration de trente ans constituait une nouvelle peine autonome, si les peines prononcĂ©es subsistaient aprĂšs leur cumul, et sur quelle peine devaient ĂȘtre imputĂ©es les remises de peine accordĂ©es. L’arrĂȘt 197/2006 n’aurait pas conduit Ă  Ă©claircir la question de la fixation de la peine, le Tribunal suprĂȘme n’ayant pas expressĂ©ment infirmĂ© son ordonnance du 25 mai 1990 d’aprĂšs laquelle le cumul des peines prĂ©vu par l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 constituait une modalitĂ© de dĂ©termination de la peine.

Du reste, si l’ordonnance en question Ă©tait demeurĂ©e en vigueur, l’Audiencia Nacional aurait dĂ» choisir entre plusieurs peines potentiellement applicables aux fins de l’imputation des remises de peine, Ă  savoir la peine de trente ans ou les peines prononcĂ©es prises isolĂ©ment. ConformĂ©ment Ă  la jurisprudence Scoppola c. Italie (no 2) ([GC], no 10249/03, 17 septembre 2009), l’Audiencia Nacional aurait Ă©tĂ© tenue d’appliquer la loi pĂ©nale la plus douce au regard des circonstances particuliĂšres de l’affaire.

65.  Par ailleurs, la distinction entre la peine et l’exĂ©cution de celle-ci ne serait pas toujours nette en pratique. Il incomberait au gouvernement qui s’en prĂ©vaut de dĂ©montrer qu’elle trouve Ă  s’appliquer dans telle ou telle affaire, notamment lorsque le manque de nettetĂ© de cette distinction rĂ©sulte de la maniĂšre dont l’État a rĂ©digĂ© ou appliquĂ© ses lois. Il conviendrait de distinguer la prĂ©sente affaire d’autres affaires portant sur des mesures discrĂ©tionnaires de libĂ©ration anticipĂ©e ou des mesures qui n’emportent pas une redĂ©finition de la peine (Hogben [c. Royaume-Uni, no 11653/85, dĂ©cision de la Commission du 3 mars 1986, DĂ©cisions et rapports 46, p. 231], Hosein c. Royaume-Uni, no 26293/95, dĂ©cision de la Commission du 28 fĂ©vrier 1996, non publiĂ©e, Grava [c. Italie, no 43522/98, 10 juillet 2003], Uttley c. Royaume-Uni, (dĂ©c.), no 36946/03, 29 novembre 2005). Subsidiairement, du point de vue de la qualitĂ© de la loi, la prĂ©sente affaire se rapprocherait de l’affaire Kafkaris en ce qu’elle ferait apparaĂźtre une incertitude quant Ă  la portĂ©e et Ă  la teneur de la peine, incertitude due en partie Ă  la maniĂšre dont les rĂšgles relatives aux remises de peine ont Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©es et appliquĂ©es. En tout Ă©tat de cause, il ressortirait de l’arrĂȘt Kafkaris que l’exigence de qualitĂ© de la loi s’applique tant Ă  la portĂ©e de la peine qu’aux modalitĂ©s de son exĂ©cution, notamment lorsque la substance et l’exĂ©cution de la peine sont Ă©troitement liĂ©es.

66.  Enfin, quant Ă  la valeur de la jurisprudence en matiĂšre pĂ©nale, Ă  supposer mĂȘme qu’il soit lĂ©gitime de modifier la jurisprudence des tribunaux pour rĂ©pondre aux Ă©volutions sociales, le Gouvernement n’aurait pas justifiĂ© des raisons pour lesquelles le revirement litigieux devait s’appliquer rĂ©troactivement. En tout Ă©tat de cause, ni le Gouvernement ni les tribunaux n’auraient dĂ©clarĂ© que l’application du revirement jurisprudentiel de 2006 Ă  la requĂ©rante rĂ©pondait aux « nouvelles rĂ©alitĂ©s sociales Â».

2.  ThĂšse du Gouvernement

67.  Le Gouvernement rappelle que la requĂ©rante appartient Ă  l’organisation criminelle ETA et qu’elle a participĂ© Ă  de nombreux attentats terroristes de 1982 jusqu’à sa dĂ©tention en 1987. Il ajoute que, pour ces crimes, l’intĂ©ressĂ©e a Ă©tĂ© condamnĂ©e entre 1988 et 2000 Ă  des peines d’une durĂ©e totale de plus de trois mille ans d’emprisonnement pour vingt-trois assassinats, cinquante-sept tentatives d’assassinat et d’autres infractions. Il avance que les divers jugements de condamnation dont la requĂ©rante a fait l’objet ont Ă©tĂ© prononcĂ©s sur le fondement du code pĂ©nal de 1973 en vigueur Ă  l’époque de la commission des faits dĂ©lictueux, qui dĂ©finissait trĂšs clairement les infractions et les peines dont elles Ă©taient passibles. Il prĂ©cise que cinq de ces jugements de condamnation et la dĂ©cision de cumul et plafonnement des peines adoptĂ©e le 30 novembre 2000 avaient fait expressĂ©ment savoir Ă  la requĂ©rante que, en application de l’article 70.2 du code pĂ©nal, la durĂ©e totale de la peine d’emprisonnement qu’elle devrait purger serait de trente ans. Par ailleurs, il fait observer que, au 15 fĂ©vrier 2001, date de la dĂ©cision de l’Audiencia Nacional fixant au 27 juin 2017 le terme de la peine Ă  purger par la requĂ©rante, celle-ci avait dĂ©jĂ  obtenu des remises de peine de plus de quatre ans en contrepartie du travail effectuĂ© en dĂ©tention. L’intĂ©ressĂ©e aurait acquiescĂ© Ă  la date de libĂ©ration fixĂ©e par l’Audiencia Nacional faute d’avoir fait appel de cette dĂ©cision.

68.  Il ressortirait de maniĂšre parfaitement claire du code pĂ©nal de 1973 que la durĂ©e maximale d’accomplissement de trente ans ne s’analysait pas en une nouvelle peine mais en une mesure de plafonnement des peines prononcĂ©es s’exĂ©cutant successivement suivant l’ordre de leur gravitĂ© respective, celles-ci devenant caduques pour le surplus. L’opĂ©ration de cumul et de plafonnement des peines aurait eu pour seul but de fixer un terme Ă  la durĂ©e d’exĂ©cution des diffĂ©rentes peines prononcĂ©es Ă  l’issue des diverses procĂ©dures. Par ailleurs, pour ce qui est des remises de peine pour travail en dĂ©tention, l’article 100 du code pĂ©nal de 1973 indiquerait tout aussi clairement qu’elles devaient ĂȘtre imputĂ©es sur la « peine imposĂ©e Â», c’est-Ă -dire sur chacune des peines imposĂ©es jusqu’à ce que soit atteinte la limite maximale d’accomplissement.

69.  S’il est constant que, avant l’adoption de l’arrĂȘt 197/2006 du Tribunal suprĂȘme, les centres pĂ©nitentiaires et les tribunaux espagnols avaient pour pratique d’imputer les remises de peines pour travail en dĂ©tention sur la limite maximale de trente ans, cette pratique se rapporterait non pas Ă  la dĂ©termination de la peine, mais Ă  son exĂ©cution. Par ailleurs, cette pratique ne trouverait aucun appui dans la jurisprudence du Tribunal suprĂȘme en l’absence de principe Ă©tabli sur la question des modalitĂ©s d’imputation des remises de peine pour travail en dĂ©tention. L’arrĂȘt isolĂ© rendu par la haute juridiction en 1994 sur ce point ne suffirait pas Ă  faire jurisprudence d’aprĂšs le droit espagnol. Le Tribunal suprĂȘme n’aurait fixĂ© sa jurisprudence en la matiĂšre qu’à partir de l’arrĂȘt 197/2006 adoptĂ© par sa chambre criminelle. En outre, cette jurisprudence aurait Ă©tĂ© approuvĂ©e par la formation plĂ©niĂšre du Tribunal constitutionnel dans plusieurs arrĂȘts rendus le 29 mars 2012 comportant de nombreuses rĂ©fĂ©rences Ă  la jurisprudence de la Cour relative Ă  la distinction entre « peine Â» et « exĂ©cution Â» de la peine.

70.  La chambre aurait considĂ©rĂ© Ă  tort que l’application de la « doctrine Parot Â» privait les remises de peine pour travail en dĂ©tention accordĂ©es aux personnes condamnĂ©es sur le fondement de l’ancien code pĂ©nal de 1973 de tout effet utile. Les remises de peine continueraient Ă  ĂȘtre imputĂ©es sur chaque peine prononcĂ©e prise isolĂ©ment jusqu’à ce que soit atteinte la durĂ©e maximale d’accomplissement. La limite de trente ans ne serait atteinte avant que les remises de peine pour travail en dĂ©tention accordĂ©es aient une incidence sur une fraction importante des peines prononcĂ©es que dans le cas des crimes les plus graves, parmi lesquels figurent ceux commis par la requĂ©rante. De la mĂȘme maniĂšre, la chambre aurait jugĂ© Ă  tort que le Tribunal suprĂȘme avait appliquĂ© rĂ©troactivement la politique ayant inspirĂ© les rĂ©formes lĂ©gislatives intervenues en 1995 et 2003. À cet Ă©gard, force serait de constater que les rĂ©formes en question ne font aucunement Ă©tat des modalitĂ©s d’imputation des remises de peine pour travail en dĂ©tention, supprimĂ©es par le code pĂ©nal de 1995. Si la politique pĂ©nale Ă  l’origine de la loi de 2003 avait Ă©tĂ© appliquĂ©e rĂ©troactivement, la durĂ©e maximale d’emprisonnement Ă  purger par la requĂ©rante aurait Ă©tĂ© de quarante ans.

71.  Dans son arrĂȘt, la chambre se serait Ă©cartĂ©e de la jurisprudence de la Cour portant sur la distinction Ă  opĂ©rer entre les mesures constituant une « peine Â» et les mesures relatives Ă  l’« exĂ©cution Â» d’une peine. ConformĂ©ment Ă  cette jurisprudence, une mesure ayant pour but la remise d’une peine ou un changement dans le systĂšme de libĂ©ration conditionnelle ne ferait pas partie intĂ©grante de la « peine Â» au sens de l’article 7 (Grava, prĂ©citĂ©, § 51, Uttley, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, et Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 142 ; voir Ă©galement Hogben, dĂ©cision prĂ©citĂ©e). Dans l’affaire Kafkaris, la Cour aurait admis qu’une rĂ©forme de la lĂ©gislation pĂ©nitentiaire appliquĂ©e rĂ©troactivement et excluant les condamnĂ©s Ă  la rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© du bĂ©nĂ©fice Ă©ventuel des remises de peine pour travail en dĂ©tention concernait l’exĂ©cution de la peine et non la peine imposĂ©e (§ 151). Dans la prĂ©sente affaire, le droit pĂ©nitentiaire n’aurait pas Ă©tĂ© modifiĂ©. L’arrĂȘt 197/2006 du Tribunal suprĂȘme relatif aux modalitĂ©s d’imputation des remises de peine pour travail en dĂ©tention aurait eu pour seul effet d’empĂȘcher que la date de libĂ©ration de la requĂ©rante ne soit avancĂ©e de neuf ans, non de prolonger la peine prononcĂ©e contre celle-ci.

72. La prĂ©sente affaire se distinguerait de celles se rapportant manifestement Ă  la peine et non Ă  l’exĂ©cution de celle-ci (Scoppola, prĂ©citĂ©, Gurguchiani [c. Espagne, no 16012/06, 15 dĂ©cembre 2009, et M. c. Allemagne [no 19359/04, CEDH 2009]). La mesure litigieuse aurait trait aux remises de peine ou au « rĂ©gime de libĂ©ration anticipĂ©e Â», non Ă  la durĂ©e maximale d’accomplissement des peines prononcĂ©es, qui n’aurait pas Ă©tĂ© modifiĂ©e. Les remises de peine pour travail en dĂ©tention ne poursuivraient pas les objectifs caractĂ©risant la sanction pĂ©nale, mais feraient partie des mesures d’accomplissement de celle-ci en ce qu’elles autoriseraient la libĂ©ration anticipĂ©e du dĂ©tenu concernĂ© avant qu’il ait purgĂ© les peines prononcĂ©es contre lui pour autant qu’il ait fait preuve de sa volontĂ© de rĂ©insertion sociale par le travail ou l’accomplissement d’autres activitĂ©s rĂ©munĂ©rĂ©es. Dans ces conditions, les remises de peine pour travail en dĂ©tention ne sauraient passer pour des mesures imposĂ©es Ă  la suite d’une condamnation pour une « infraction pĂ©nale Â», car elles seraient plutĂŽt des mesures se rapportant au comportement du dĂ©tenu au cours de l’exĂ©cution de sa peine. Par ailleurs, elles ne prĂ©senteraient aucune « sĂ©vĂ©ritĂ© Â» car elles opĂ©reraient toujours en faveur du dĂ©tenu concernĂ©, leur application ne pouvant conduire qu’à avancer la date de remise en libertĂ© de celui-ci.

73.  L’arrĂȘt de la chambre irait Ă  l’encontre de la jurisprudence de la Cour relative Ă  la question de savoir dans quelle mesure un dĂ©linquant doit pouvoir prĂ©voir, au moment de la commission des faits, la durĂ©e exacte de son emprisonnement. Les remises de peine pour travail en dĂ©tention Ă©tant de nature purement pĂ©nitentiaire, on ne saurait reprocher au Tribunal suprĂȘme de s’ĂȘtre Ă©cartĂ© de la pratique antĂ©rieurement suivie en matiĂšre d’imputation des remises de peine, le revirement opĂ©rĂ© par la haute juridiction n’ayant eu aucune incidence sur les droits garantis par l’article 7. La Cour n’aurait jamais dĂ©clarĂ© que l’exigence de prĂ©visibilitĂ© s’étendait Ă  la durĂ©e exacte de la peine Ă  purger aprĂšs dĂ©compte des bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires, des remises de peine, des Ă©ventuelles grĂąces ou de tout autre Ă©lĂ©ment se rattachant Ă  l’exĂ©cution de la peine. Ces Ă©lĂ©ments seraient impossibles Ă  prĂ©voir et Ă  calculer ex ante.

74.  Enfin, les implications de l’arrĂȘt de la chambre seraient contestables en ce qu’elles remettraient en cause la valeur et la fonction que la Cour aurait elle-mĂȘme attribuĂ©es Ă  la jurisprudence en matiĂšre pĂ©nale et pĂ©nitentiaire (Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 50, CEDH 2001‑II). La chambre aurait considĂ©rĂ© qu’un arrĂȘt isolĂ© rendu en 1994, erronĂ© bien que consacrĂ© par une pratique administrative, devait prĂ©valoir sur une jurisprudence Ă©tablie par le Tribunal suprĂȘme puis confirmĂ©e par le Tribunal constitutionnel, alors pourtant que celle-ci serait plus respectueuse du texte de la loi en vigueur au moment des faits. Or une interprĂ©tation judiciaire plus respectueuse de la lettre de la loi applicable ne saurait par principe ĂȘtre qualifiĂ©e d’imprĂ©visible.

C.  Observations du tiers intervenant

75.  La Commission internationale de juristes rappelle que le principe de lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines consacrĂ© par l’article 7 de la Convention ainsi que par d’autres instruments internationaux est un Ă©lĂ©ment essentiel de la prĂ©Ă©minence du droit. Elle avance que, conformĂ©ment Ă  ce principe, ainsi qu’à l’objet et au but de l’article 7 qui interdisent tout arbitraire dans l’application du droit, les notions autonomes de « loi Â» et de « peine Â» doivent recevoir une interprĂ©tation suffisamment large pour faire Ă©chec Ă  l’application rĂ©troactive dĂ©guisĂ©e d’une loi pĂ©nale ou d’une peine au dĂ©triment d’un condamnĂ©. Elle soutient que lorsque des modifications apportĂ©es Ă  la loi ou Ă  l’interprĂ©tation de celle-ci entraĂźnent la remise en cause d’une peine ou d’une remise de peine impliquant une rĂ©Ă©valuation importante de la peine dans un sens qui n’était pas prĂ©visible au moment du prononcĂ© de la peine initiale et qui est prĂ©judiciable au condamnĂ© et Ă  ses droits conventionnels, ces modifications portent par nature sur le contenu de la peine et non sur la procĂ©dure ou les modalitĂ©s d’exĂ©cution de celle-ci, de sorte qu’elles tombent sous le coup de l’interdiction de la rĂ©troactivitĂ©. La Commission internationale de juristes plaide que certaines normes qualifiĂ©es dans les ordres juridiques internes de rĂšgles de procĂ©dure pĂ©nale ou de rĂšgles d’exĂ©cution des peines ont des incidences importantes, imprĂ©visibles et prĂ©judiciables aux droits individuels et que, eu Ă©gard Ă  leur nature, elles sont assimilables ou Ă©quivalentes Ă  une loi pĂ©nale ou Ă  une peine Ă  effet rĂ©troactif. Pour cette raison, l’interdiction de la rĂ©troactivitĂ© devrait s’appliquer Ă  de telles normes.

76.  Ă€ l’appui de sa thĂšse selon laquelle le principe de non-rĂ©troactivitĂ© doit s’appliquer aux rĂšgles procĂ©durales ou d’exĂ©cution des peines affectant de maniĂšre importante les droits de l’accusĂ© ou du condamnĂ©, la Commission internationale de juristes fait Ă©tat de plusieurs Ă©lĂ©ments de droit international et de droit comparĂ© (statuts et rĂšglements de procĂ©dure des cours pĂ©nales internationales, lĂ©gislation et jurisprudence portugaises, françaises et nĂ©erlandaises).

D.  ApprĂ©ciation de la Cour

1.  Principes se dĂ©gageant de la jurisprudence de la Cour

a)  Nullum crimen, nulla poena sine lege

77.  La garantie que consacre l’article 7, Ă©lĂ©ment essentiel de la prĂ©Ă©minence du droit, occupe une place primordiale dans le systĂšme de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que l’article 15 n’y autorise aucune dĂ©rogation mĂȘme en temps de guerre ou autre danger public menaçant la vie de la nation. Ainsi qu’il dĂ©coule de son objet et de son but, on doit l’interprĂ©ter et l’appliquer de maniĂšre Ă  assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et les sanctions arbitraires (S.W. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 34, sĂ©rie A no 335-B, et C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 32, sĂ©rie A no 335-C, et Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 137).

78.  L’article 7 de la Convention ne se borne pas Ă  prohiber l’application rĂ©troactive du droit pĂ©nal au dĂ©savantage de l’accusĂ© (voir, en ce qui concerne l’application rĂ©troactive d’une peine, Welch c. Royaume-Uni, 9 fĂ©vrier 1995, § 36, sĂ©rie A no 307‑A, Jamil c. France, 8 juin 1995, § 35, sĂ©rie A no 317‑B, Ecer et Zeyrek c. Turquie, nos 29295/95 et 29363/95, § 36, CEDH 2001‑II, et Mihai Toma c. Roumanie, no 1051/06, §§ 26-31, 24 janvier 2012). Il consacre aussi, de maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, le principe de la lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines – « nullum crimen, nulla poena sine lege Â» – (Kokkinakis c. GrĂšce, 25 mai 1993, § 52, sĂ©rie A no 260-A). S’il interdit en particulier d’étendre le champ d’application des infractions existantes Ă  des faits qui, antĂ©rieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pĂ©nale de maniĂšre extensive au dĂ©triment de l’accusĂ©, par exemple par analogie (CoĂ«me et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 145, CEDH 2000-VII ; pour un exemple d’application par analogie d’une peine, voir l’arrĂȘt Başkaya et Okçuoğlu c. Turquie [GC], nos 23536/94 et 24408/94, §§ 42-43, CEDH 1999‑IV).

79.  Il s’ensuit que la loi doit dĂ©finir clairement les infractions et les peines qui les rĂ©priment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, Ă  partir du libellĂ© de la disposition pertinente, au besoin Ă  l’aide de l’interprĂ©tation qui en est donnĂ©e par les tribunaux et le cas Ă©chĂ©ant aprĂšs avoir recouru Ă  des conseils Ă©clairĂ©s, quels actes et omissions engagent sa responsabilitĂ© pĂ©nale et quelle peine il encourt de ce chef (Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 29, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1996‑V, et Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 140).

80.  La tĂąche qui incombe Ă  la Cour est donc, notamment, de s’assurer que, au moment oĂč un accusĂ© a commis l’acte qui a donnĂ© lieu aux poursuites et Ă  la condamnation, il existait une disposition lĂ©gale rendant l’acte punissable et que la peine imposĂ©e n’a pas excĂ©dĂ© les limites fixĂ©es par cette disposition (CoĂ«me et autres, prĂ©citĂ©, § 145, et Achour c. France [GC], no 67335/01, § 43, CEDH 2006‑IV).

b)  Notion de « peine Â» et portĂ©e de la peine

81.  La notion de « peine Â» contenue dans l’article 7 § 1 de la Convention possĂšde, comme celles de « droits et obligations de caractĂšre civil Â» et d’« accusation en matiĂšre pĂ©nale Â» figurant Ă  l’article 6 § 1, une portĂ©e autonome. Pour rendre effective la protection offerte par l’article 7, la Cour doit demeurer libre d’aller au-delĂ  des apparences et d’apprĂ©cier elle-mĂȘme si une mesure particuliĂšre s’analyse au fond en une « peine Â» au sens de cette clause (Welch, prĂ©citĂ©, § 27, et Jamil, prĂ©citĂ©, § 30).

82.  Le libellĂ© de l’article 7 Â§ 1, seconde phrase, indique que le point de dĂ©part de toute apprĂ©ciation de l’existence d’une « peine Â» consiste Ă  dĂ©terminer si la mesure en question a Ă©tĂ© imposĂ©e Ă  la suite d’une condamnation pour une infraction pĂ©nale. D’autres Ă©lĂ©ments peuvent ĂȘtre jugĂ©s pertinents Ă  cet Ă©gard : la nature et le but de la mesure en cause, sa qualification en droit interne, les procĂ©dures associĂ©es Ă  son adoption et Ă  son exĂ©cution, ainsi que sa gravitĂ© (Welch, § 28, Jamil, § 31, Kafkaris, § 142, et M. c. Allemagne, § 120, tous prĂ©citĂ©s). La gravitĂ© de la mesure n’est toutefois pas dĂ©cisive en soi, puisque de nombreuses mesures non pĂ©nales de nature prĂ©ventive peuvent avoir un impact substantiel sur la personne concernĂ©e (Welch, prĂ©citĂ©, § 32, et Van der Velden c. Pays-Bas (dĂ©c.), no 29514/05, CEDH 2006‑XV).

83.  Dans leur jurisprudence, la Commission europĂ©enne des droits de l’homme comme la Cour ont Ă©tabli une distinction entre une mesure constituant en substance une « peine Â» et une mesure relative Ă  l’« exĂ©cution Â» ou Ă  l’« application Â» de la peine. Il rĂ©sulte de cette jurisprudence que, lorsque la nature et le but d’une mesure concernent la remise d’une peine ou un changement dans le systĂšme de libĂ©ration conditionnelle, cette mesure ne fait pas partie intĂ©grante de la « peine Â» au sens de l’article 7 (voir, entre autres, Hogben, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, Hosein, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, L.-G.R. c. SuĂšde, no 27032/95, dĂ©cision de la Commission du 15 janvier 1997, non publiĂ©e, Grava, prĂ©citĂ©, § 51, Uttley, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 142, Monne c. France (dĂ©c.), no 39420/06, 1er avril 2008, M. c. Allemagne, prĂ©citĂ©, § 121, Giza c. Pologne (dĂ©c.), no 1997/11, § 31, 23 octobre 2012). Ainsi la Cour a-t-elle considĂ©rĂ©, dans l’affaire Uttley, que des modifications apportĂ©es au rĂ©gime de la libĂ©ration conditionnelle aprĂšs la condamnation du requĂ©rant n’avaient pas Ă©tĂ©  « infligĂ©es Â» Ă  celui-ci, mais faisaient partie du rĂ©gime gĂ©nĂ©ral applicable aux dĂ©tenus, ajoutant que, loin d’ĂȘtre rĂ©pressive, la « mesure Â» litigieuse visait par sa nature et sa finalitĂ© Ă  permettre la libĂ©ration anticipĂ©e, raison pour laquelle elle ne pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme Ă©tant en soi « sĂ©vĂšre Â». La Cour a donc estimĂ© que l’application au requĂ©rant des modifications apportĂ©es au rĂ©gime de la libĂ©ration conditionnelle ne faisait pas partie de la « peine Â» infligĂ©e Ă  l’intĂ©ressĂ©.

84.  Dans l’affaire Kafkaris, oĂč des modifications apportĂ©es Ă  la lĂ©gislation pĂ©nitentiaire avaient exclu du bĂ©nĂ©fice des remises de peine tous les condamnĂ©s Ă  la rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© – parmi lesquels figurait le requĂ©rant, la Cour a estimĂ© que ces modifications portaient sur l’exĂ©cution de la peine et non sur la peine imposĂ©e Ă  l’intĂ©ressĂ©, laquelle demeurait celle de l’emprisonnement Ă  vie. Elle a prĂ©cisĂ© que, mĂȘme si le changement apportĂ© Ă  la lĂ©gislation pĂ©nitentiaire et aux conditions de libĂ©ration avait pu rendre l’emprisonnement du requĂ©rant plus rigoureux, il ne pouvait passer pour une mesure imposant une « peine Â» plus forte que celle infligĂ©e par la juridiction de jugement. Elle a rappelĂ© Ă  ce propos que les questions relatives Ă  l’existence, aux modalitĂ©s d’exĂ©cution ainsi qu’aux justifications d’un rĂ©gime de libĂ©ration relevaient du pouvoir reconnu aux États parties Ă  la Convention de dĂ©cider de leur politique criminelle (Achour, prĂ©citĂ©, § 44, et Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 151).

85.  Toutefois, la Cour a aussi reconnu que la distinction entre une mesure constituant une « peine Â» et une mesure relative Ă  l’ Â« exĂ©cution Â» d’une peine n’était pas toujours nette en pratique (Kafkaris, § 142, Gurguchiani, § 31, et M. c. Allemagne, § 121, tous prĂ©citĂ©s). Dans l’affaire Kafkaris, elle a admis que la maniĂšre dont le rĂšglement pĂ©nitentiaire concernant les modalitĂ©s d’exĂ©cution des peines avait Ă©tĂ© compris et appliquĂ© par rapport Ă  la peine perpĂ©tuelle que le requĂ©rant purgeait allait au-delĂ  de la simple exĂ©cution. En effet, alors que la juridiction de jugement avait condamnĂ© le requĂ©rant Ă  la rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© pour le reste de sa vie, le rĂšglement pĂ©nitentiaire prĂ©cisait que cette peine s’entendait d’un emprisonnement pour une durĂ©e de vingt ans, les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires envisageant d’ailleurs la remise de la peine perpĂ©tuelle sur cette base. La Cour a estimĂ© que « la distinction entre la portĂ©e d’une peine perpĂ©tuelle et les modalitĂ©s de son exĂ©cution n’apparaissait donc pas d’emblĂ©e Â» (§ 148).

86.  Dans l’affaire Gurguchiani, la Cour a estimĂ© que le remplacement d’une peine d’emprisonnement – pendant la procĂ©dure d’exĂ©cution de celle‑ci – par une expulsion assortie d’une interdiction du territoire pour une durĂ©e de dix ans constituait une peine au mĂȘme titre que celle fixĂ©e lors de la condamnation de l’intĂ©ressĂ©.

87.  Dans l’affaire M. c. Allemagne, la Cour a considĂ©rĂ© que la prolongation de la dĂ©tention de sĂ»retĂ© du requĂ©rant par les tribunaux de l’exĂ©cution des peines, en vertu d’une loi entrĂ©e en vigueur aprĂšs que le requĂ©rant eut commis l’infraction, devait s’analyser en une peine supplĂ©mentaire prononcĂ©e contre lui rĂ©troactivement.

88.  La Cour tient Ă  souligner que le terme « infligĂ© Â» figurant Ă  la seconde phrase de l’article 7 § 1 ne saurait ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme excluant du champ d’application de cette disposition toutes les mesures pouvant intervenir aprĂšs le prononcĂ© de la peine. Elle rappelle Ă  cet Ă©gard qu’il est d’une importance cruciale que la Convention soit interprĂ©tĂ©e et appliquĂ©e d’une maniĂšre qui en rende les garanties concrĂštes et effectives, et non pas thĂ©oriques et illusoires (Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 175, CEDH 2012, et Scoppola, prĂ©citĂ©, § 104).

89.  Au vu de ce qui prĂ©cĂšde, la Cour n’exclut pas que des mesures prises par le lĂ©gislateur, des autoritĂ©s administratives ou des juridictions aprĂšs le prononcĂ© d’une peine dĂ©finitive ou pendant l’exĂ©cution de celle-ci puissent conduire Ă  une redĂ©finition ou Ă  une modification de la portĂ©e de la « peine Â» infligĂ©e par le juge qui l’a prononcĂ©e. En pareil cas, la Cour estime que les mesures en question doivent tomber sous le coup de l’interdiction de la rĂ©troactivitĂ© des peines consacrĂ©e par l’article 7 Â§ 1 in fine de la Convention. S’il en allait diffĂ©remment, les États seraient libres d’adopter – par exemple en modifiant la loi ou en rĂ©interprĂ©tant des rĂšgles Ă©tablies – des mesures qui redĂ©finiraient rĂ©troactivement et au dĂ©triment du condamnĂ© la portĂ©e de la peine infligĂ©e, alors mĂȘme que celui-ci ne pouvait le prĂ©voir au moment de la commission de l’infraction ou du prononcĂ© de la peine. Dans de telles conditions, l’article 7 Â§ 1 se verrait privĂ© d’effet utile pour les condamnĂ©s dont la portĂ©e de la peine aurait Ă©tĂ© modifiĂ©e a posteriori, et Ă  leur dĂ©triment. La Cour prĂ©cise que pareilles modifications doivent ĂȘtre distinguĂ©es de celles qui peuvent ĂȘtre apportĂ©es aux modalitĂ©s d’exĂ©cution de la peine, lesquelles ne relĂšvent pas du champ d’application de l’article 7 § 1 in fine.

90.  Pour se prononcer sur la question de savoir si une mesure prise pendant l’exĂ©cution d’une peine porte uniquement sur les modalitĂ©s d’exĂ©cution de celle-ci ou en affecte au contraire la portĂ©e, la Cour doit rechercher au cas par cas ce que la « peine Â» infligĂ©e impliquait rĂ©ellement en droit interne Ă  l’époque considĂ©rĂ©e ou, en d’autres termes, quelle en Ă©tait la nature intrinsĂšque. Ce faisant, elle doit notamment avoir Ă©gard au droit interne dans son ensemble et Ă  la maniĂšre dont il Ă©tait appliquĂ© Ă  cette Ă©poque (Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 145).

c)  PrĂ©visibilitĂ© de la loi pĂ©nale

91. La notion de « droit Â» (« law Â») utilisĂ©e Ă  l’article 7 correspond Ă  celle de « loi Â» qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle englobe le droit d’origine tant lĂ©gislative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles d’accessibilitĂ© et de prĂ©visibilitĂ© (Kokkinakis, prĂ©citĂ©, §§ 40-41, Cantoni, prĂ©citĂ©, § 29, CoĂ«me et autres, prĂ©citĂ©, § 145, et E.K. c. Turquie, no 28496/95, § 51, 7 fĂ©vrier 2002). Ces conditions qualitatives doivent ĂȘtre remplies tant pour la dĂ©finition d’une infraction que pour la peine que celle-ci implique.

92.  En raison mĂȘme du caractĂšre gĂ©nĂ©ral des lois, le libellĂ© de celles-ci ne peut pas prĂ©senter une prĂ©cision absolue. L’une des techniques-types de rĂ©glementation consiste Ă  recourir Ă  des catĂ©gories gĂ©nĂ©rales plutĂŽt qu’à des listes exhaustives. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprĂ©tation et l’application dĂ©pendent de la pratique (Kokkinakis, prĂ©citĂ©, § 40, et Cantoni, prĂ©citĂ©, § 31). DĂšs lors, dans quelque systĂšme juridique que ce soit, aussi clair que le libellĂ© d’une disposition lĂ©gale puisse ĂȘtre, y compris une disposition de droit pĂ©nal, il existe inĂ©vitablement un Ă©lĂ©ment d’interprĂ©tation judiciaire. Il faudra toujours Ă©lucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation. En outre, la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigiditĂ© excessive ; or, le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation (Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 141).

93.  La fonction de dĂ©cision confiĂ©e aux juridictions sert prĂ©cisĂ©ment Ă  dissiper les doutes qui pourraient subsister quant Ă  l’interprĂ©tation des normes (ibidem). D’ailleurs, il est solidement Ă©tabli dans la tradition juridique des États parties Ă  la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nĂ©cessairement Ă  l’évolution progressive du droit pĂ©nal (Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 29, sĂ©rie A no 176‑A). On ne saurait interprĂ©ter l’article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des rĂšgles de la responsabilitĂ© pĂ©nale par l’interprĂ©tation judiciaire d’une affaire Ă  l’autre, Ă  condition que le rĂ©sultat soit cohĂ©rent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prĂ©visible (S.W. c. Royaume-Uni, prĂ©citĂ©, § 36, et C.R. c. Royaume-Uni, prĂ©citĂ©, § 34, Streletz, Kessler et Krenz, prĂ©citĂ©, § 50, K.-H.W. c. Allemagne [GC], no 37201/97, § 85, 22 mars 2001, Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, § 71, CEDH 2008, et Kononov c. Lettonie [GC], no 36376/04, § 185, CEDH 2010). L’absence d’une interprĂ©tation jurisprudentielle accessible et raisonnablement prĂ©visible peut mĂȘme conduire Ă  un constat de violation de l’article 7 Ă  l’égard d’un accusĂ© (voir, pour ce qui est des Ă©lĂ©ments constitutifs de l’infraction, Pessino c. France, no 40403/02, §§ 35-36, 10 octobre 2006, et Dragotoniu et Militaru-Pidhorni c. Roumanie, nos 77193/01 et 77196/01, §§ 43-44, 24 mai 2007 ; voir, pour ce qui est de la peine, Alimuçaj c. Albanie, no 20134/05, §§ 154-162, 7 fĂ©vrier 2012). S’il en allait autrement, l’objet et le but de cette disposition – qui veut que nul ne soit soumis Ă  des poursuites, condamnations ou sanctions arbitraires – seraient mĂ©connus.

2.  Application des principes prĂ©citĂ©s en l’espĂšce

94.  La Cour relĂšve d’emblĂ©e que la reconnaissance de la culpabilitĂ© de la requĂ©rante pour les infractions pĂ©nales commises par celle-ci et les diverses peines d’emprisonnement auxquelles elle a Ă©tĂ© condamnĂ©e avaient pour base lĂ©gale le code pĂ©nal de 1973, loi pĂ©nale applicable Ă  l’époque de la commission des faits dĂ©lictueux (1982-1987), ce que l’intĂ©ressĂ©e n’a pas contestĂ©.

95.  La Cour observe que l’argumentation des parties porte essentiellement sur le calcul de la durĂ©e totale de la peine Ă  purger par la requĂ©rante en application, d’une part, des rĂšgles de cumul et plafonnement des peines, et d’autre part, du dispositif des remises de peine pour travail en dĂ©tention prĂ©vus par le code pĂ©nal de 1973. La Cour note Ă  cet Ă©gard que, par une dĂ©cision adoptĂ©e le 30 novembre 2000 sur le fondement de l’article 988 de la loi de procĂ©dure pĂ©nale et de l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973, l’Audiencia Nacional a fixĂ© Ă  trente ans la durĂ©e maximale d’emprisonnement que la requĂ©rante devrait purger au titre de l’ensemble des peines privatives de libertĂ© prononcĂ©es contre elle (paragraphe 14 ci-dessus). Elle relĂšve en outre que, aprĂšs avoir dĂ©duit de la durĂ©e maximale d’emprisonnement de trente ans les remises de peine accordĂ©es Ă  la requĂ©rante en contrepartie du travail effectuĂ© en dĂ©tention, le centre pĂ©nitentiaire de Murcie a proposĂ© le 24 avril 2008 Ă  l’Audiencia Nacional de remettre l’intĂ©ressĂ©e en libertĂ© de maniĂšre dĂ©finitive le 2 juillet 2008 (paragraphe 16 ci-dessus). Elle constate aussi que, le 19 mai 2008, l’Audiencia Nacional a demandĂ© aux autoritĂ©s pĂ©nitentiaires de modifier la date prĂ©vue pour la remise en libertĂ© de la requĂ©rante en procĂ©dant Ă  un nouveau calcul fondĂ© sur la nouvelle jurisprudence – la « doctrine Parot Â» – issue de l’arrĂȘt 197/2006 adoptĂ© par le Tribunal suprĂȘme le 28 fĂ©vrier 2006, selon laquelle les bĂ©nĂ©fices et remises de peine applicables doivent ĂȘtre imputĂ©s successivement sur chacune des peines prononcĂ©es, jusqu’à ce que le dĂ©tenu concernĂ© ait purgĂ© la peine maximale de trente ans (paragraphes 17-18 ci-dessus). Elle observe enfin que, en application de cette nouvelle jurisprudence, l’Audiencia Nacional a fixĂ© au 27 juin 2017 la date de libĂ©ration dĂ©finitive de la requĂ©rante (paragraphe 20 ci-dessus).

a)  Sur la portĂ©e de la peine infligĂ©e

96.  En l’espĂšce, la Cour est appelĂ©e Ă  rechercher ce que la « peine Â» infligĂ©e Ă  la requĂ©rante impliquait en droit interne, en particulier sur la base du texte de la loi combinĂ© avec la jurisprudence interprĂ©tative dont il s’accompagnait. Ce faisant, elle doit avoir Ă©gard aussi au droit interne dans son ensemble et Ă  la maniĂšre dont il Ă©tait appliquĂ© Ă  cette Ă©poque (Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 145).

97.  Il est constant que, selon l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 applicable Ă  l’époque de la commission des faits dĂ©lictueux, la durĂ©e maximale de trente ans d’emprisonnement correspondait Ă  la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger (condena) applicable en cas d’infractions connexes (paragraphe 24 ci-dessus). La notion de « peine Ă  purger Â» (condena) semblait donc se distinguer de la notion de « peines Â» (penas) prononcĂ©es ou imposĂ©es dans les diffĂ©rents jugements de condamnation. Par ailleurs, l’article 100 du code pĂ©nal de 1973 relatif aux remises de peine pour travail en dĂ©tention disposait que, aux fins de l’accomplissement de la « peine imposĂ©e Â», les dĂ©tenus pourraient bĂ©nĂ©ficier d’une remise de peine d’un jour pour deux jours de travail effectuĂ© (paragraphe 24 ci-dessus). Cet article ne comportait toutefois aucune rĂšgle spĂ©cifique d’imputation des remises de peine en cas d’application de la rĂšgle de cumul et de plafonnement des peines prononcĂ©es prĂ©vue par l’article 70.2 du code pĂ©nal, situation oĂč se trouvait la requĂ©rante dont les trois mille ans d’emprisonnement avaient Ă©tĂ© ramenĂ©s Ă  trente ans en application de ce texte. La Cour observe que ce n’est que lors de l’élaboration de l’article 78 du nouveau code pĂ©nal de 1995 que le lĂ©gislateur a expressĂ©ment prĂ©vu, en ce qui concerne l’application des bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires, qu’il pourrait ĂȘtre tenu compte, dans des cas exceptionnels, de la durĂ©e totale des peines imposĂ©es et non de la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger fixĂ©e par la loi (paragraphe 32 ci-dessus).

98.  La Cour doit aussi avoir Ă©gard Ă  la jurisprudence et Ă  la pratique interprĂ©tative auxquelles ont donnĂ© lieu les dispositions pertinentes du code pĂ©nal de 1973. Elle constate, comme l’admet le Gouvernement, qu’avant l’arrĂȘt 197/2006 du Tribunal suprĂȘme, lorsqu’une personne Ă©tait condamnĂ©e Ă  plusieurs peines d’emprisonnement ayant fait l’objet d’une dĂ©cision de cumul et plafonnement, les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires et les tribunaux espagnols imputaient les remises de peine pour travail en dĂ©tention sur la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger Ă©tablie Ă  l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973. Les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires et judiciaires tenaient donc compte de la peine maximale de trente ans d’emprisonnement en ce qui concerne les remises de peine pour travail en dĂ©tention. Pour sa part, le Tribunal suprĂȘme, par un arrĂȘt adoptĂ© le 8 mars 1994 (paragraphe 36 ci-dessus) – le premier rendu sur cette question –, a qualifiĂ© la peine de trente ans, en tant que peine maximale Ă  purger, de « peine nouvelle et autonome Â» sur laquelle devaient ĂȘtre imputĂ©s les bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires prĂ©vus par la loi, tels que la libĂ©ration conditionnelle et les remises de peine. Les juridictions espagnoles, y compris le Tribunal suprĂȘme, ont suivi la mĂȘme approche pour comparer les peines Ă  purger respectivement prĂ©vues par le code pĂ©nal de 1995 et l’ancien code pĂ©nal, en tenant compte des remises de peine dĂ©jĂ  accordĂ©es en vertu de ce dernier texte, aux fins de la dĂ©termination de la loi pĂ©nale la plus douce (paragraphes 37, 41 et 48 ci-dessus). Enfin, jusqu’à l’adoption de l’arrĂȘt 197/2006 par le Tribunal suprĂȘme, cette pratique a bĂ©nĂ©ficiĂ© Ă  de nombreuses personnes condamnĂ©es sur le fondement du code pĂ©nal de 1973, dont les remises de peine pour travail en dĂ©tention ont Ă©tĂ© imputĂ©es sur la durĂ©e maximale de trente ans (paragraphe 41 ci-dessus).

99.  Ă€ l’instar de la chambre, la Grande Chambre estime qu’en dĂ©pit des ambiguĂŻtĂ©s des dispositions pertinentes du code pĂ©nal de 1973 et du fait que le Tribunal suprĂȘme n’ait commencĂ© Ă  les dissiper qu’en 1994, il est constant que les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires et judiciaires espagnoles avaient pour pratique de considĂ©rer la peine Ă  purger (condena) rĂ©sultant de la durĂ©e maximale de trente ans d’emprisonnement Ă©tablie Ă  l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 comme une peine nouvelle et autonome sur laquelle devaient ĂȘtre imputĂ©s certains bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires tels que les remises de peine pour travail en dĂ©tention.

100.  Au regard de cette pratique, la requĂ©rante a pu croire, pendant qu’elle purgeait sa peine d’emprisonnement – et en particulier aprĂšs la dĂ©cision de cumul et plafonnement des peines prise le 30 novembre 2000 par l’Audiencia Nacional –, que la peine infligĂ©e Ă©tait celle rĂ©sultant de la durĂ©e maximale de trente ans dont il fallait encore dĂ©duire les remises de peine Ă  accorder pour travail en dĂ©tention. D’ailleurs, dans le dernier jugement de condamnation – en date du 8 mai 2000 – qu’elle a prononcĂ© avant l’adoption de la dĂ©cision de cumul, l’Audiencia Nacional avait tenu compte de la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger prĂ©vue par le code pĂ©nal de 1973, combinĂ©e avec le dispositif de remises de peine pour travail en dĂ©tention instaurĂ© par l’article 100 du mĂȘme code, pour dĂ©terminer lequel de celui-ci (en vigueur Ă  l’époque des faits) ou du code pĂ©nal de 1995 Ă©tait le plus favorable Ă  la requĂ©rante (paragraphe 11 ci-dessus). Dans ces circonstances, contrairement Ă  ce que soutient le Gouvernement, le fait que la requĂ©rante n’ait pas attaquĂ© la dĂ©cision du 15 fĂ©vrier 2001 par laquelle l’Audiencia Nacional avait fixĂ© au 27 juin 2017 le terme de la peine qu’elle devrait purger (liquidaciĂłn de condena), ne saurait ĂȘtre dĂ©terminant, car cette dĂ©cision ne prenait pas en compte les remises de peine dĂ©jĂ  accordĂ©es et n’avait donc pas pour objet de statuer sur la mĂ©thode d’imputation de celles-ci par rapport Ă  la peine Ă  purger.

101.  La Cour relĂšve en outre que les remises de peine pour travail en dĂ©tention Ă©taient expressĂ©ment prĂ©vues par une disposition lĂ©gale (l’article 100 du code pĂ©nal de 1973), et non par des normes de nature rĂ©glementaire (comparer avec Kafkaris, prĂ©citĂ©). Qui plus est, c’est dans le mĂȘme code que le lĂ©gislateur avait Ă©dictĂ© les peines et prĂ©vu des remises de peine. La Cour observe par ailleurs que ces remises de peine donnaient lieu Ă  une importante rĂ©duction de la durĂ©e de la peine Ă  purger – pouvant reprĂ©senter jusqu’à un tiers de la durĂ©e totale de celle-ci – et non, contrairement Ă  la libĂ©ration conditionnelle, Ă  un simple allĂ©gement ou amĂ©nagement de ses conditions d’exĂ©cution (voir, par exemple, Hogben, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, Uttley, dĂ©cision prĂ©citĂ©e ; voir, dans ce sens, l’opinion dissidente de la juge A. Asua Batarrita jointe Ă  l’arrĂȘt 40/2012 du Tribunal constitutionnel, paragraphe 53 ci-dessus). AprĂšs dĂ©duction des remises de peine pour travail en dĂ©tention pĂ©riodiquement validĂ©es par le juge de l’application des peines (Juez de Vigilancia Penitenciaria), la peine Ă©tait totalement et dĂ©finitivement purgĂ©e Ă  la date de remise en libertĂ© approuvĂ©e par la juridiction ayant prononcĂ© la condamnation. Par ailleurs, contrairement Ă  d’autres bĂ©nĂ©fices ayant une incidence sur l’exĂ©cution de la peine, le droit aux remises de peine pour travail en dĂ©tention n’était pas subordonnĂ© Ă  une apprĂ©ciation discrĂ©tionnaire du juge de l’application des peines : celui-ci fixait les remises de peine en se bornant Ă  appliquer la loi, sur la base de propositions faites par les centres pĂ©nitentiaires, sans ĂȘtre tenu par des critĂšres tels que la dangerositĂ© du dĂ©tenu ou les perspectives de rĂ©insertion de celui-ci (paragraphe 53 ci-dessus ; comparer avec Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, §§ 98-99, CEDH 2012, et Macedo da Costa c. Luxembourg (dĂ©c.), no 26619/07, 5 juin 2012). À cet Ă©gard, il convient de noter que l’article 100 du code pĂ©nal de 1973 prĂ©voyait une rĂ©duction automatique et obligatoire de la durĂ©e de la peine en contrepartie du travail effectuĂ© en dĂ©tention, sauf dans deux hypothĂšses bien prĂ©cises : lorsque la personne condamnĂ©e se soustrayait ou tentait de se soustraire Ă  l’exĂ©cution de la peine, ou en cas de mauvaise conduite (caractĂ©risĂ©e, selon l’article 65 du rĂšglement relatif Ă  l’administration pĂ©nitentiaire de 1956, par la commission de deux ou plusieurs fautes disciplinaires graves ou trĂšs graves, paragraphe 26 ci-dessus). MĂȘme dans ces deux hypothĂšses, le crĂ©dit des remises de peine dĂ©jĂ  accordĂ©es par le juge ne pouvait ĂȘtre rĂ©troactivement rĂ©voquĂ©, car les jours de remise de peine dĂ©jĂ  octroyĂ©s Ă©taient rĂ©putĂ©s purgĂ©s et faisaient partie de la situation juridique acquise du dĂ©tenu (paragraphes 26 et 45 ci-dessus). Il convient Ă  cet Ă©gard de distinguer la prĂ©sente espĂšce de l’affaire Kafkaris, oĂč Ă©tait en cause un dispositif de remises de peine dans lequel la remise ordinaire de cinq ans obtenue par les condamnĂ©s Ă  perpĂ©tuitĂ© au dĂ©but de leur incarcĂ©ration Ă©tait conditionnelle en ce qu’elle pouvait toujours ĂȘtre rĂ©duite en cas de mauvaise conduite (Kafkaris, prĂ©citĂ©, §§ 16 et 65).

102.  La Cour juge aussi significatif que, tout en supprimant le dispositif de remises de peine pour travail en dĂ©tention pour les futurs condamnĂ©s, le code pĂ©nal de 1995 ait autorisĂ© par ses dispositions transitoires les personnes condamnĂ©es sur le fondement de l’ancien code pĂ©nal de 1973 – telles que la requĂ©rante – Ă  continuer Ă  bĂ©nĂ©ficier de ce rĂ©gime dans la mesure oĂč il leur Ă©tait favorable (paragraphe 30 ci-dessus). En revanche, elle note que la loi no 7/2003 a durci les conditions d’octroi de la libĂ©ration conditionnelle, y compris pour les personnes dĂ©jĂ  condamnĂ©es avant son entrĂ©e en vigueur (paragraphe 34 ci-dessus). La Cour en dĂ©duit que, en choisissant de maintenir les effets des rĂšgles relatives aux remises de peine pour travail en dĂ©tention Ă  titre transitoire et aux fins de la dĂ©termination de la loi pĂ©nale la plus douce, le lĂ©gislateur espagnol a considĂ©rĂ© que ces rĂšgles faisaient partie des dispositions de droit pĂ©nal matĂ©riel, c’est-Ă -dire de celles qui ont une incidence sur la fixation de la peine elle-mĂȘme et non pas uniquement sur son exĂ©cution.

103.  Au vu de ce qui prĂ©cĂšde, la Grande Chambre estime, Ă  l’instar de la chambre, qu’à l’époque oĂč la requĂ©rante a commis les infractions poursuivies et au moment de l’adoption de la dĂ©cision de cumul et plafonnement, le droit espagnol pertinent pris dans son ensemble – y compris le droit jurisprudentiel – Ă©tait formulĂ© avec suffisamment de prĂ©cision pour permettre Ă  la requĂ©rante de discerner, Ă  un degrĂ© raisonnable dans les circonstances de la cause, la portĂ©e de la peine infligĂ©e au regard de la durĂ©e maximale de trente ans rĂ©sultant de l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 et du dispositif de remises de peine pour travail en dĂ©tention prĂ©vu par l’article 100 du mĂȘme texte (voir a contrario, Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 150). La peine infligĂ©e Ă  la requĂ©rante Ă©quivalait donc Ă  une durĂ©e maximale de trente ans d’emprisonnement, Ă©tant entendu que les remises de peine pour travail en dĂ©tention devaient ĂȘtre imputĂ©es sur cette peine.

b)  Sur la question de savoir si l’application de la « doctrine Parot Â» Ă  la requĂ©rante a modifiĂ© les seules modalitĂ©s d’exĂ©cution de la peine ou si elle a modifiĂ© la portĂ©e de celle-ci

104.  La Cour doit maintenant rechercher si l’application de la « doctrine Parot Â» Ă  la requĂ©rante portait uniquement sur les modalitĂ©s d’exĂ©cution de la peine infligĂ©e ou si elle en a au contraire affectĂ© la portĂ©e. Elle note que, par ses dĂ©cisions des 19 mai et 23 juin 2008, le tribunal ayant condamnĂ© la requĂ©rante – c’est-Ă -dire l’Audiencia Nacional – a rejetĂ© la proposition de fixer au 2 juillet 2008 la date de remise en libertĂ© dĂ©finitive de la requĂ©rante que lui avait faite le centre pĂ©nitentiaire aprĂšs avoir appliquĂ© l’ancienne mĂ©thode d’imputation des remises de peine (paragraphes 17-18 et 20 ci‑dessus). S’appuyant sur la « doctrine Parot Â» issue de l’arrĂȘt 197/2006 rendu par le Tribunal suprĂȘme le 28 fĂ©vrier 2006 – soit bien aprĂšs la commission des faits poursuivis et l’adoption de la dĂ©cision de cumul et plafonnement des peines –, l’Audiencia Nacional a reportĂ© cette date au 27 juin 2017 (paragraphe 20 ci-dessus). La Cour note que, dans son arrĂȘt 197/2006, le Tribunal suprĂȘme s’est Ă©cartĂ© de l’interprĂ©tation qu’il avait adoptĂ©e dans un prĂ©cĂ©dent arrĂȘt de 1994 (paragraphe 40 ci-dessus). À cet Ă©gard, elle relĂšve que la majoritĂ© du Tribunal suprĂȘme a considĂ©rĂ© que la nouvelle rĂšgle consistant Ă  imputer les remises de peine pour travail en dĂ©tention sur chacune des peines prononcĂ©es – et non plus sur la peine maximale Ă  purger de trente ans – Ă©tait plus conforme au libellĂ© mĂȘme des dispositions du code pĂ©nal de 1973, qui faisaient une distinction entre « peine Â» (pena ) et « peine Ă  purger Â» (condena).

105.  Si la Cour admet aisĂ©ment que les juridictions internes sont mieux placĂ©es qu’elle pour interprĂ©ter et appliquer le droit national, elle rappelle que leur interprĂ©tation doit nĂ©anmoins ĂȘtre conforme au principe de la lĂ©galitĂ© des dĂ©lits et des peines consacrĂ© par l’article 7 de la Convention.

106.  La Cour relĂšve par ailleurs que le calcul des remises de peine pour travail en dĂ©tention octroyĂ©es Ă  la requĂ©rante – c’est-Ă -dire le nombre de jours travaillĂ©s en dĂ©tention et le nombre de jours dĂ©ductibles – n’a jamais fait dĂ©bat. FixĂ©e par l’administration pĂ©nitentiaire, la durĂ©e de ces remises de peine – 3 282 jours au total – a Ă©tĂ© acceptĂ©e par toutes les juridictions ayant connu de l’affaire. Ainsi, dans sa dĂ©cision par laquelle elle a fait application de la « doctrine Parot Â» Ă©tablie par le Tribunal suprĂȘme, l’Audiencia Nacional n’a pas modifiĂ© le quantum des remises de peine pour travail en dĂ©tention accordĂ©es Ă  la requĂ©rante. Cette dĂ©cision ne portait donc pas sur la question de savoir si la requĂ©rante mĂ©ritait des remises de peine pour travail en dĂ©tention, eu Ă©gard par exemple Ă  son comportement ou Ă  des circonstances liĂ©es Ă  l’exĂ©cution de la peine. L’objet de la dĂ©cision Ă©tait de dĂ©terminer l’élĂ©ment de la sanction sur lequel ces remises devaient ĂȘtre imputĂ©es.

107.  La Cour constate que l’application de la « doctrine Parot Â» Ă  la situation de la requĂ©rante a privĂ© de tout effet utile les remises de peine pour travail en dĂ©tention auxquelles celle-ci avait droit en application de la loi et de dĂ©cisions dĂ©finitives rendues par des juges de l’application des peines. En d’autres termes, la requĂ©rante ayant Ă©tĂ© condamnĂ©e initialement Ă  de multiples et longues peines, la peine qu’elle doit purger est devenue une peine de trente ans d’emprisonnement effectif sur laquelle les remises de peine auxquelles elle Ă©tait censĂ©e avoir droit n’ont eu aucune incidence. Il est significatif de noter que le Gouvernement n’a pas Ă©tĂ© en mesure de prĂ©ciser si les remises de peine pour travail en dĂ©tention accordĂ©es Ă  la requĂ©rante ont eu – ou auront – un quelconque effet sur la durĂ©e de sa peine.

108.  Dans ces conditions, bien que la Cour souscrive Ă  la thĂšse du Gouvernement selon laquelle les modalitĂ©s d’octroi des bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires en tant que telles ne relĂšvent pas du champ d’application de l’article 7, elle estime que la maniĂšre dont les dispositions du code pĂ©nal de 1973 ont Ă©tĂ© appliquĂ©es en l’espĂšce allait au-delĂ  de la simple politique pĂ©nitentiaire.

109.  Eu Ă©gard Ă  ce qui prĂ©cĂšde et Ă  la lumiĂšre du droit espagnol pris dans son ensemble, la Cour considĂšre que l’application en l’espĂšce des nouvelles modalitĂ©s d’imputation des remises de peine pour travail en dĂ©tention issues de la « doctrine Parot Â» ne saurait passer pour une mesure se rattachant exclusivement Ă  l’exĂ©cution de la peine infligĂ©e Ă  la requĂ©rante – comme le soutient le Gouvernement. En effet, cette mesure prise par le juge ayant condamnĂ© l’intĂ©ressĂ©e a aussi conduit Ă  une redĂ©finition de la portĂ©e de la « peine Â» imposĂ©e. Par l’effet de la « doctrine Parot Â», la peine maximale de trente ans d’emprisonnement a perdu son caractĂšre de peine autonome sur laquelle devaient ĂȘtre imputĂ©es les remises de peine pour travail en dĂ©tention et s’est muĂ©e en une peine de trente ans d’emprisonnement qui, en rĂ©alitĂ©, n’était plus susceptible d’aucune remise de peine de ce type.

110.  La mesure litigieuse tombe donc dans le champ d’application de la derniĂšre phrase de l’article 7 § 1 de la Convention.

c)  Sur la question de savoir si la « doctrine Parot Â» Ă©tait raisonnablement prĂ©visible

111.  La Cour relĂšve que l’Audiencia Nacional a appliquĂ© la nouvelle rĂšgle d’imputation des remises de peine pour travail en dĂ©tention issue de la « doctrine Parot Â» en lieu et place de celle qui Ă©tait en vigueur au moment de la commission des infractions et de la condamnation, opĂ©ration qui a provoquĂ© la perte pour la requĂ©rante de toute possibilitĂ© rĂ©elle de bĂ©nĂ©ficier des remises de peine auxquelles elle avait pourtant droit en application de la loi.

112.  Cette modification du systĂšme d’imputation des remises de peine est le rĂ©sultat d’un revirement de jurisprudence opĂ©rĂ© par le Tribunal suprĂȘme, et non pas d’une modification de la loi par le lĂ©gislateur. Dans ces conditions, il reste Ă  dĂ©terminer si la nouvelle interprĂ©tation des dispositions pertinentes du code pĂ©nal de 1973, adoptĂ©e bien aprĂšs la commission des faits poursuivis et les condamnations – et mĂȘme aprĂšs la dĂ©cision de cumul et plafonnement des peines prise le 30 novembre 2000 – Ă©tait raisonnablement prĂ©visible par l’intĂ©ressĂ©e, c’est-Ă -dire si elle pouvait passer pour poursuivre une tendance perceptible dans l’évolution de la jurisprudence (S.W. c. Royaume-Uni, prĂ©citĂ©, § 43, et C.R. c. Royaume-Uni, prĂ©citĂ©, § 41). Pour cela, la Cour doit rechercher si la requĂ©rante pouvait s’attendre, au moment oĂč ont Ă©tĂ© prononcĂ©es ses condamnations et encore au moment oĂč elle a reçu notification de la dĂ©cision de cumul et plafonnement des peines, au besoin aprĂšs avoir recouru Ă  des conseils Ă©clairĂ©s, Ă  ce que la peine infligĂ©e puisse se transformer en une peine de trente ans d’emprisonnement effectif, sans dĂ©duction des remises de peine pour travail en dĂ©tention prĂ©vues par l’article 100 du code pĂ©nal de 1973.

Ce faisant, la Cour doit avoir Ă©gard au droit applicable Ă  cette Ă©poque, notamment Ă  la pratique jurisprudentielle et administrative antĂ©rieure Ă  la « doctrine Parot Â» issue de l’arrĂȘt rendu par le Tribunal suprĂȘme le 28 fĂ©vrier 2006. À cet Ă©gard, la Cour observe que le seul prĂ©cĂ©dent pertinent citĂ© dans cet arrĂȘt Ă©tait un arrĂȘt du 8 mars 1994, dans lequel le Tribunal suprĂȘme avait suivi l’approche inverse fondĂ©e sur le postulat selon lequel la peine maximale Ă  purger de trente ans Ă©tait une « peine nouvelle et autonome Â» sur laquelle devaient ĂȘtre imputĂ©es toutes les remises de peine prĂ©vues par la loi (paragraphe 36 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, le fait qu’un arrĂȘt isolĂ© ne fasse pas jurisprudence au regard du droit espagnol (paragraphe 40 ci-dessus) ne saurait ĂȘtre dĂ©terminant. Par ailleurs, ainsi que l’ont fait observer les juges dissidents dans l’arrĂȘt du 28 fĂ©vrier 2006, un accord adoptĂ© par la formation plĂ©niĂšre de la chambre criminelle du Tribunal suprĂȘme le 18 juillet 1996 avait Ă©tabli que les remises de peine accordĂ©es en vertu du code pĂ©nal de 1973 devraient ĂȘtre prises en compte aux fins de la comparaison des peines Ă  purger respectivement prĂ©vues par l’ancien et le nouveau code pĂ©nal (paragraphes 37 et 41 ci-dessus). AprĂšs l’entrĂ©e en vigueur du code pĂ©nal de 1995, les juridictions espagnoles ont Ă©tĂ© appelĂ©es Ă  dĂ©terminer au cas par cas, sur la base de ce critĂšre, quel Ă©tait le code pĂ©nal le plus clĂ©ment compte tenu notamment des incidences du dispositif de remises de peine pour travail en dĂ©tention sur la fixation de la peine.

113.  En outre, le Gouvernement admet lui-mĂȘme que, selon la pratique pĂ©nitentiaire et judiciaire antĂ©rieure Ă  la « doctrine Parot Â», les remises de peine pour travail en dĂ©tention Ă©taient imputĂ©es sur la durĂ©e maximale de trente ans d’emprisonnement, et cela bien que la premiĂšre dĂ©cision du Tribunal suprĂȘme sur cette question n’ait Ă©tĂ© rendue qu’en 1994.

114.  Par ailleurs, la Cour attache de l’importance au fait que le Tribunal suprĂȘme n’ait opĂ©rĂ© le revirement de jurisprudence litigieux qu’en 2006, dix ans aprĂšs l’abrogation de la loi sur laquelle celui-ci portait. Ce faisant, le Tribunal suprĂȘme a donnĂ© une nouvelle interprĂ©tation aux dispositions d’une loi qui n’était en soi plus en vigueur, Ă  savoir le code pĂ©nal de 1973, abrogĂ© par le code pĂ©nal de 1995. De plus, comme indiquĂ© ci-dessus (paragraphe 102), en adoptant les dispositions transitoires du code pĂ©nal de 1995, le lĂ©gislateur visait Ă  maintenir les effets du dispositif des remises de peine pour travail en dĂ©tention instaurĂ© par le code pĂ©nal de 1973 Ă  l’égard des personnes condamnĂ©es sur le fondement de ce texte – comme l’a Ă©tĂ© la requĂ©rante – prĂ©cisĂ©ment pour se conformer aux rĂšgles interdisant la rĂ©troactivitĂ© de la loi plus sĂ©vĂšre en matiĂšre pĂ©nale. Or, la nouvelle interprĂ©tation du Tribunal suprĂȘme, qui a privĂ© de tout effet utile le bĂ©nĂ©fice des remises de peine dĂ©jĂ  accordĂ©es, a abouti en pratique Ă  annuler les effets de ce dispositif au dĂ©triment de la requĂ©rante et d’autres personnes se trouvant dans une situation comparable.

115.  Au demeurant, la Cour ne saurait souscrire Ă  la thĂšse du Gouvernement selon laquelle l’interprĂ©tation du Tribunal suprĂȘme Ă©tait prĂ©visible en ce qu’elle Ă©tait plus conforme Ă  la lettre des dispositions du code pĂ©nal de 1973. La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tĂąche de dĂ©terminer quelle est l’interprĂ©tation correcte de ces dispositions en droit interne, mais d’établir si la nouvelle interprĂ©tation qui en a Ă©tĂ© donnĂ©e Ă©tait raisonnablement prĂ©visible par la requĂ©rante au regard du « droit Â» applicable Ă  l’époque pertinente. Ce « droit», au sens matĂ©riel que revĂȘt ce terme dans la Convention et qui inclut aussi le droit non Ă©crit ou jurisprudentiel, avait Ă©tĂ© appliquĂ© de maniĂšre constante par les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires et judiciaires pendant de nombreuses annĂ©es, jusqu’au revirement jurisprudentiel opĂ©rĂ© par la « doctrine Parot Â». À la diffĂ©rence des interprĂ©tations judiciaires qui Ă©taient en cause dans les affaires S.W c. Royaume-Uni et C.R. c. Royaume-Uni, prĂ©citĂ©es, le revirement litigieux ne s’analyse pas en une interprĂ©tation de la loi pĂ©nale se bornant Ă  poursuivre une tendance perceptible dans l’évolution de la jurisprudence.

116.  La Cour estime enfin que les considĂ©rations de politique criminelle sur lesquelles s’est appuyĂ© le Tribunal suprĂȘme ne sauraient suffire Ă  justifier un tel revirement de jurisprudence. Si la Cour reconnaĂźt que le Tribunal suprĂȘme n’a pas fait une application rĂ©troactive de la loi no 7/2003 portant modification du code pĂ©nal de 1995, il n’en demeure pas moins que les motifs de l’arrĂȘt du Tribunal suprĂȘme font apparaĂźtre un objectif qui Ă©tait le mĂȘme que celui de la loi prĂ©citĂ©e. La Cour rappelle que cette loi visait Ă  garantir l’exĂ©cution intĂ©grale et effective de la peine maximale Ă  purger par les personnes condamnĂ©es Ă  de longues peines d’emprisonnement (paragraphe 33 ci-dessus). À cet Ă©gard, si la Cour admet que les États sont libres de modifier leur politique criminelle, notamment en renforçant la rĂ©pression des crimes et dĂ©lits (Achour, prĂ©citĂ©, § 44), il n’en reste pas moins qu’ils doivent respecter ce faisant les rĂšgles Ă©noncĂ©es Ă  l’article 7 (Maktouf et Damjanović c. Bosnie-HerzĂ©govine [GC], nos 2312/08 et 34179/08, § 75, CEDH 2013). Sur ce point, la Cour rappelle que l’article 7 de la Convention prohibe de maniĂšre absolue l’application rĂ©troactive du droit pĂ©nal lorsqu’elle s’opĂšre au dĂ©triment de l’intĂ©ressĂ©.

117 Ă€ la lumiĂšre de tout ce qui prĂ©cĂšde, la Cour estime qu’au moment oĂč ont Ă©tĂ© prononcĂ©es les condamnations de la requĂ©rante et oĂč celle-ci a reçu notification de la dĂ©cision de cumul et plafonnement des peines, rien n’indiquait l’existence d’une tendance perceptible dans l’évolution de la jurisprudence allant dans le sens de l’arrĂȘt du Tribunal suprĂȘme du 28 fĂ©vrier 2006. La requĂ©rante ne pouvait donc pas s’attendre au revirement opĂ©rĂ© par le Tribunal suprĂȘme ni, en consĂ©quence, Ă  ce que l’Audiencia Nacional impute les remises de peine accordĂ©es non sur la peine maximale de trente ans, mais successivement sur chacune des peines prononcĂ©es. Comme la Cour l’a constatĂ© ci-dessus (paragraphes 109 et 111), ce revirement de jurisprudence a eu pour effet de modifier au dĂ©triment de la requĂ©rante la portĂ©e de la peine infligĂ©e.

118.  Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 Â§ 1 DE LA CONVENTION

119.  La requĂ©rante allĂšgue que, depuis le 3 juillet 2008, elle est maintenue en dĂ©tention au mĂ©pris des exigences de « rĂ©gularitĂ© Â» et de respect des « voies lĂ©gales Â». Elle invoque l’article 5 de la Convention, dont les passages pertinents sont ainsi libellĂ©s :

« 1.  Toute personne a droit Ă  la libertĂ© et Ă  la sĂ»retĂ©. Nul ne peut ĂȘtre privĂ© de sa libertĂ©, sauf dans les cas suivants et selon les voies lĂ©gales :

a)  s’il est dĂ©tenu rĂ©guliĂšrement aprĂšs condamnation par un tribunal compĂ©tent ;

(...) Â»

A.  ArrĂȘt de la chambre

120.  Dans son arrĂȘt, la chambre a estimĂ©, eu Ă©gard aux considĂ©rations l’ayant conduite Ă  conclure Ă  la violation de l’article 7 de la Convention, que la requĂ©rante n’avait pu raisonnablement prĂ©voir Ă  l’époque des faits que la durĂ©e effective de sa privation de libertĂ© serait prolongĂ©e de prĂšs de neuf ans et que les modalitĂ©s d’imputation des remises de peine feraient l’objet d’un revirement jurisprudentiel qui lui serait appliquĂ© de façon rĂ©troactive. La chambre en a dĂ©duit que, depuis le 3 juillet 2008, le maintien en dĂ©tention de l’intĂ©ressĂ©e n’était pas « rĂ©gulier Â» et contrevenait donc Ă  l’article 5 § 1 de la Convention (paragraphe 75 de l’arrĂȘt).

B.  ThĂšses des parties devant la Grande Chambre

1.  ThĂšse de la requĂ©rante

121.  La requĂ©rante soutient que l’article 5 § 1 de la Convention pose lui aussi des exigences de qualitĂ© de la loi et que celles-ci commandent qu’une loi nationale autorisant une privation de libertĂ© soit suffisamment prĂ©cise et prĂ©visible dans son application. Par ailleurs, elle avance que l’article 5 s’applique au droit pour un condamnĂ© de bĂ©nĂ©ficier d’une remise en libertĂ© anticipĂ©e dĂšs lors que les dispositions instituant ce droit ne le subordonnent pas Ă  une apprĂ©ciation discrĂ©tionnaire mais s’appliquent Ă  toute personne remplissant les conditions fixĂ©es par la loi pour en bĂ©nĂ©ficier (Grava, prĂ©citĂ©, §§ 31-46), indĂ©pendamment de la question de savoir si cette mesure relĂšve de la peine ou de l’exĂ©cution de la peine au regard de l’article 7. Elle plaide que la prolongation de la peine et/ou de la durĂ©e effective de la peine n’était pas raisonnablement prĂ©visible et, Ă  titre subsidiaire, que la substance de la peine infligĂ©e et/ou les modalitĂ©s d’exĂ©cution de celle-ci et/ou sa durĂ©e effective ne l’étaient pas davantage.

2.  ThĂšse du Gouvernement

122.  Le Gouvernement estime que l’arrĂȘt de la chambre s’écarte de la jurisprudence de la Cour relative Ă  l’article 5 de la Convention, en particulier des arrĂȘts Kafkaris et M. c. Allemagne, prĂ©citĂ©s. Selon lui, il existe dans la prĂ©sente affaire un lien de causalitĂ© parfait entre les peines infligĂ©es pour les crimes graves et nombreux commis par la requĂ©rante et la durĂ©e pendant laquelle elle a Ă©tĂ© privĂ©e de libertĂ©. Les jugements de condamnation eux-mĂȘmes auraient prĂ©cisĂ© que l’intĂ©ressĂ©e allait devoir purger trente ans d’emprisonnement, de mĂȘme que la dĂ©cision de cumul et plafonnement des peines prise en 2000 et la dĂ©cision de 2001 ayant fixĂ© au 27 juin 2017 la date de remise en libertĂ© de la requĂ©rante.

C.  ApprĂ©ciation de la Cour

1.  Principes se dĂ©gageant de la jurisprudence de la Cour

123.  Les alinĂ©as a) Ă  f) de l’article 5 § 1 de la Convention renferment une liste exhaustive des motifs autorisant la privation de libertĂ© ; une privation de libertĂ© n’est donc pas rĂ©guliĂšre si elle ne relĂšve pas de l’un de ces motifs (M. c. Allemagne, prĂ©citĂ©, § 86). L’article 5 §1 a) permet de dĂ©tenir quelqu’un « rĂ©guliĂšrement aprĂšs condamnation par un tribunal compĂ©tent Â». Par « condamnation Â» au sens de l’article 5 § 1 a), il faut entendre, eu Ă©gard au texte français, Ă  la fois une dĂ©claration de culpabilitĂ©, consĂ©cutive Ă  l’établissement lĂ©gal d’une infraction (Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 100, sĂ©rie A no 39), et l’infliction d’une peine ou autre mesure privative de libertĂ© (Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, § 35, sĂ©rie A no 50).

124.  Par ailleurs, le mot « aprĂšs Â» figurant Ă  l’alinĂ©a a) n’implique pas un simple ordre chronologique de succession entre « condamnation Â» et « dĂ©tention Â» : la seconde doit en outre rĂ©sulter de la premiĂšre, se produire « Ă  la suite et par suite Â» – ou « en vertu Â» – de celle-ci. En bref, il doit exister entre elles un lien de causalitĂ© suffisant (Weeks c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 42, sĂ©rie A no 114, Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 64, CEDH 2002‑IV, Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 117, et M. c. Allemagne, prĂ©citĂ©, § 88). Toutefois, le lien entre la condamnation initiale et la prolongation de la privation de libertĂ© se distend peu Ă  peu avec l’écoulement du temps (Van Droogenbroeck, prĂ©citĂ©, § 40). Le lien de causalitĂ© exigĂ© par l’alinĂ©a a) pourrait finir par se rompre au cas oĂč une dĂ©cision de ne pas libĂ©rer ou de rĂ©incarcĂ©rer se fonderait sur des motifs incompatibles avec les objectifs visĂ©s par la dĂ©cision initiale de la juridiction de jugement ou sur une apprĂ©ciation non raisonnable eu Ă©gard Ă  ces objectifs. En pareil cas, un internement rĂ©gulier Ă  l’origine se muerait en une privation de libertĂ© arbitraire et, dĂšs lors, incompatible avec l’article 5 (Weeks, prĂ©citĂ©, § 49, Grosskopf c. Allemagne, no 24478/03, § 44, 21 octobre 2010).

125.  Il est bien Ă©tabli dans la jurisprudence de la Cour relative Ă  l’article 5 § 1 que toute privation de libertĂ© doit non seulement relever de l’une des exceptions Ă©noncĂ©es aux alinĂ©as a) Ă  f) mais aussi ĂȘtre « rĂ©guliĂšre Â». En matiĂšre de « rĂ©gularitĂ© Â» d’une dĂ©tention, y compris l’observation des « voies lĂ©gales Â», la Convention renvoie pour l’essentiel Ă  la lĂ©gislation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procĂ©dure. Ce terme impose, en premier lieu, que toute arrestation ou dĂ©tention ait une base lĂ©gale en droit interne, mais concerne aussi la qualitĂ© de la loi ; il la veut compatible avec la prĂ©Ă©minence du droit, notion inhĂ©rente Ă  l’ensemble des articles de la Convention (Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 116, M. c. Allemagne, prĂ©citĂ©, § 90). La « qualitĂ© de la loi Â» implique qu’une loi nationale autorisant une privation de libertĂ© soit suffisamment accessible, prĂ©cise et prĂ©visible dans son application afin d’éviter tout danger d’arbitraire (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996‑III). Le critĂšre de « lĂ©galitĂ© Â» fixĂ© par la Convention exige donc que toute loi soit suffisamment prĂ©cise pour permettre au citoyen – en s’entourant au besoin de conseils Ă©clairĂ©s – de prĂ©voir, Ă  un degrĂ© raisonnable dans les circonstances de la cause, les consĂ©quences de nature Ă  dĂ©river d’un acte dĂ©terminĂ© (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 52, CEDH 2000‑III, M. c. Allemagne, prĂ©citĂ©, § 90, et Oshurko c. Ukraine, no 33108/05, § 98, 8 septembre 2011). Lorsqu’il s’agit d’une privation de libertĂ©, il est essentiel que le droit interne dĂ©finisse clairement les conditions de dĂ©tention (Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 101, 23 fĂ©vrier 2012).

126.  La Cour rappelle enfin que mĂȘme si l’article 5 § 1 a) de la Convention ne garantit pas, en soi, le droit pour un condamnĂ© de bĂ©nĂ©ficier de façon anticipĂ©e d’une remise en libertĂ© conditionnelle ou dĂ©finitive (Kalan c. Turquie (dĂ©c.), no 73561/01, 2 octobre 2001, et Çelikkaya c. Turquie (dĂ©c.), no 34026/03, 1er juin 2010), il peut en aller autrement lorsque les autoritĂ©s compĂ©tentes ne disposent d’aucun pouvoir discrĂ©tionnaire et sont tenues d’appliquer une telle mesure Ă  toute personne remplissant les conditions fixĂ©es par la loi pour en bĂ©nĂ©ficier (Grava, prĂ©citĂ©, § 43, Pilla c. Italie, no 64088/00, § 41, 2 mars 2006, et Şahin Karataş c. Turquie, no 16110/03, § 37, 17 juin 2008).

2.  Application des principes prĂ©citĂ©s en l’espĂšce

127.  La Cour observe Ă  titre prĂ©liminaire que, comme la requĂ©rante le souligne Ă  juste titre, la distinction opĂ©rĂ©e sur le terrain de l’article 7 de la Convention entre la « peine Â» et l’« exĂ©cution Â» de la peine n’est pas dĂ©terminante dans le contexte de l’article 5 § 1 a). Des mesures relatives Ă  l’exĂ©cution de la peine ou aux bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires peuvent avoir une incidence sur le droit Ă  la libertĂ© garanti par l’article 5 § 1, puisque la durĂ©e effective de la privation de libertĂ© d’un condamnĂ© dĂ©pend notamment de leur application (voir, par exemple, Grava, prĂ©citĂ©, §§ 45 et 51, et, en ce qui concerne le transfĂšrement de condamnĂ©s entre États, SzabĂł c. SuĂšde (dĂ©c.), no 28578/03, 27 juin 2006). Si l’article 7 s’applique Ă  la « peine Â» telle qu’elle est infligĂ©e par le juge prononçant la condamnation, l’article 5 s’applique Ă  la dĂ©tention qui en rĂ©sulte.

128.  En l’espĂšce, la Cour ne doute nullement que la requĂ©rante ait Ă©tĂ© condamnĂ©e, au terme d’une procĂ©dure prĂ©vue par la loi, par un tribunal compĂ©tent au sens de l’article 5 § 1 a) de la Convention. D’ailleurs, l’intĂ©ressĂ©e ne nie pas que sa dĂ©tention ait Ă©tĂ© lĂ©gale jusqu’au 2 juillet 2008, date initialement proposĂ©e par le centre pĂ©nitentiaire pour sa remise en libertĂ© dĂ©finitive. Il s’agit donc de savoir si le maintien en dĂ©tention de la requĂ©rante aprĂšs cette date est « rĂ©gulier Â» au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

129.  La Cour relĂšve que, Ă  l’issue de huit procĂšs distincts, l’Audiencia Nacional a reconnu la requĂ©rante coupable de plusieurs infractions liĂ©es Ă  des attentats terroristes. Pour ces faits, en application du code pĂ©nal en vigueur Ă  l’époque de leur commission, l’intĂ©ressĂ©e a Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă  des peines privatives de libertĂ© d’une durĂ©e totale de plus de trois mille ans (paragraphes 11-12 ci-dessus). Or, dans la plupart des jugements de condamnation prononcĂ©s par l’Audiencia Nacional ainsi que dans sa dĂ©cision de cumul et plafonnement des peines en date du 30 novembre 2000, il est indiquĂ© que la requĂ©rante devrait purger une peine d’emprisonnement d’une durĂ©e maximale de trente ans en application de l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 (paragraphes 11 et 14 ci-dessus). La Cour constate que la dĂ©tention de la requĂ©rante n’a pas encore atteint cette durĂ©e maximale. En soi, il existe un lien de causalitĂ© entre les condamnations prononcĂ©es contre la requĂ©rante et le maintien en dĂ©tention de celle-ci aprĂšs le 2 juillet 2008, qui rĂ©sultent des verdicts de culpabilitĂ© et de la peine maximale Ă  purger de trente ans d’emprisonnement fixĂ©e le 30 novembre 2000 (voir, mutatis mutandis, Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 120).

130.  La Cour doit toutefois se pencher sur la question de savoir si la « loi Â» autorisant la privation de libertĂ© de la requĂ©rante au-delĂ  du 2 juillet 2008 Ă©tait suffisamment prĂ©visible dans son application. L’exigence de prĂ©visibilitĂ© doit ĂȘtre examinĂ©e au regard de la « loi Â» en vigueur au moment de la condamnation initiale et pendant toute la durĂ©e de la dĂ©tention aprĂšs condamnation. À la lumiĂšre des considĂ©rations qui l’ont conduite Ă  conclure Ă  la violation de l’article 7 de la Convention, la Cour estime que, aux moments oĂč ont Ă©tĂ© prononcĂ©es les condamnations de la requĂ©rante, oĂč elle a travaillĂ© en dĂ©tention et oĂč elle a reçu notification de la dĂ©cision de cumul et plafonnement des peines, elle ne pouvait raisonnablement prĂ©voir que les modalitĂ©s d’imputation des remises de peine pour travail en dĂ©tention feraient l’objet d’un revirement jurisprudentiel opĂ©rĂ© par le Tribunal suprĂȘme en 2006 et que ce revirement lui serait appliquĂ©.

131.  La Cour constate que l’application de ce revirement jurisprudentiel Ă  la situation de la requĂ©rante a conduit Ă  un report de prĂšs de neuf ans de la date de remise en libertĂ© de l’intĂ©ressĂ©e. Celle-ci a donc purgĂ© une peine d’emprisonnement d’une durĂ©e supĂ©rieure Ă  celle qui Ă©tait la sanction qu’elle aurait dĂ» subir selon le systĂšme juridique national en vigueur lors de sa condamnation, compte tenu des remises de peine qui lui avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© accordĂ©es conformĂ©ment Ă  la loi (voir, mutatis mutandis, Grava, prĂ©citĂ©, § 45).

132.  La Cour conclut que, depuis le 3 juillet 2008, la requĂ©rante fait l’objet d’une dĂ©tention non « rĂ©guliĂšre Â», en violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

III.  SUR L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION

133.  Les passages pertinents de l’article 46 de la Convention se lisent ainsi :

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent Ă  se conformer aux arrĂȘts dĂ©finitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrĂȘt dĂ©finitif de la Cour est transmis au ComitĂ© des Ministres qui en surveille l’exĂ©cution.

(...) Â»

A.  ArrĂȘt de la chambre

134.  La chambre a estimĂ©, eu Ă©gard aux circonstances particuliĂšres de l’affaire et au besoin urgent de mettre fin Ă  la violation des articles 7 et 5 § 1 de la Convention, qu’il incombait Ă  l’État dĂ©fendeur d’assurer la remise en libertĂ© de la requĂ©rante dans les plus brefs dĂ©lais (paragraphe 83 de l’arrĂȘt).

B.  ThĂšses des parties devant la Grande Chambre

1.  ThĂšse de la requĂ©rante

135.  La requĂ©rante soutient que le fait que la Cour n’ait jamais usĂ© dans une affaire similaire de la facultĂ© qu’elle se reconnaĂźt Ă  titre exceptionnel d’indiquer des mesures individuelles n’est pas pertinent. L’intĂ©ressĂ©e avance que la Cour est habilitĂ©e Ă  indiquer les mesures Ă  prendre et qu’elle peut dĂ©cider, lorsque la nature mĂȘme de la violation « n’offre pas rĂ©ellement de choix parmi diffĂ©rentes sortes de mesures susceptibles d’y remĂ©dier Â», de n’indiquer qu’une seule mesure individuelle. Elle reproche aussi au Gouvernement de ne pas avoir indiquĂ© quels remĂšdes autres que la remise en libertĂ© seraient disponibles si la Cour devait conclure Ă  la violation des articles 5 et 7 de la Convention.

2.  ThĂšse du Gouvernement

136.  Le Gouvernement soutient que dans des affaires similaires oĂč Ă©tait en cause l’application rĂ©troactive de changements lĂ©gislatifs impliquant une prolongation de la dĂ©tention d’une personne condamnĂ©e, la Cour n’a jamais fait usage de la facultĂ© qu’elle se reconnaĂźt Ă  titre exceptionnel d’indiquer des mesures individuelles d’exĂ©cution de l’arrĂȘt rendu par elle (M. c. Allemagne, prĂ©citĂ©). À cet Ă©gard, il fait observer que, bien qu’elle ait conclu dans l’arrĂȘt Kafkaris (prĂ©citĂ©) Ă  la violation de l’article 7 faute pour la lĂ©gislation de satisfaire aux exigences voulues, la Cour n’a donnĂ© aucune indication concernant la remise en libertĂ© du requĂ©rant, qui Ă©tait incarcĂ©rĂ© au moment du prononcĂ© de l’arrĂȘt (Kafkaris c. Chypre (dĂ©c.), no 9644/09, 21 juin 2011).

C.  ApprĂ©ciation de la Cour

137.  En vertu de l’article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes s’engagent Ă  se conformer aux arrĂȘts dĂ©finitifs rendus par la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le ComitĂ© des Ministres Ă©tant chargĂ© de surveiller l’exĂ©cution de ces arrĂȘts. Il en dĂ©coule notamment que, lorsque la Cour constate une violation, l’État dĂ©fendeur a l’obligation juridique non seulement de verser aux intĂ©ressĂ©s les sommes allouĂ©es au titre de la satisfaction Ă©quitable prĂ©vue par l’article 41, mais aussi de prendre des mesures individuelles et/ou, le cas Ă©chĂ©ant, gĂ©nĂ©rales dans son ordre juridique interne, afin de mettre un terme Ă  la violation constatĂ©e par la Cour et d’en effacer les consĂ©quences, l’objectif Ă©tant de placer le requĂ©rant, autant que possible, dans une situation Ă©quivalente Ă  celle dans laquelle il se serait trouvĂ© s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000‑VIII, Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 85, CEDH 2009, et Scoppola, prĂ©citĂ©, § 147).

138.  Certes, l’État dĂ©fendeur reste libre en principe, sous le contrĂŽle du ComitĂ© des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 46 § 1 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrĂȘt de la Cour (Scozzari et Giunta, prĂ©citĂ©, § 249). Toutefois, dans certaines situations particuliĂšres, pour aider l’État dĂ©fendeur Ă  remplir ses obligations au titre de l’article 46, la Cour peut chercher Ă  indiquer le type de mesures, individuelles et/ou gĂ©nĂ©rales, qui pourraient ĂȘtre prises pour mettre un terme Ă  la situation ayant donnĂ© lieu Ă  un constat de violation (Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 194, CEDH 2004‑V, et Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, §§ 255-258, CEDH 2012). Parfois mĂȘme, lorsque la nature de la violation constatĂ©e n’offre pas rĂ©ellement de choix parmi diffĂ©rentes sortes de mesures susceptibles d’y remĂ©dier, la Cour peut dĂ©cider d’indiquer une seule mesure individuelle (AssanidzĂ© c. GĂ©orgie [GC], no 71503/01, §§ 202-203, CEDH 2004‑II, Alexanian c. Russie, no 46468/06, §§ 239-240, 22 dĂ©cembre 2008, et Fatullayev c. AzerbaĂŻdjan, no 40984/07, §§ 176-177, 22 avril 2010).

139.  La Grande Chambre souscrit Ă  la conclusion de la chambre et estime que la prĂ©sente espĂšce appartient Ă  cette derniĂšre catĂ©gorie d’affaires. Eu Ă©gard aux circonstances particuliĂšres de l’espĂšce et au besoin urgent de mettre fin aux violations constatĂ©es de la Convention, elle estime qu’il incombe Ă  l’État dĂ©fendeur d’assurer la remise en libertĂ© de la requĂ©rante dans les plus brefs dĂ©lais.

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

140.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour dĂ©clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s’il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. »

141.  La requĂ©rante sollicite une indemnitĂ© pour le dommage moral dont elle se dit victime ainsi que le remboursement des frais et dĂ©pens exposĂ©s. Le Gouvernement conteste la demande formulĂ©e au titre du dommage moral.

A.  ArrĂȘt de la chambre

142.  Dans son arrĂȘt, la chambre a octroyĂ© Ă  la requĂ©rante 30 000 euros (EUR) pour prĂ©judice moral. Elle lui a accordĂ© 1 500 EUR au titre des frais et dĂ©pens exposĂ©s pour les besoins de la procĂ©dure suivie devant elle.

B.  ThĂšses des parties devant la Grande Chambre

1.  ThĂšse de la requĂ©rante

143.  La requĂ©rante rĂ©clame 60 000 EUR au titre du prĂ©judice moral qu’elle dit avoir subi, ainsi que le remboursement des frais et dĂ©pens exposĂ©s pour les besoins de la procĂ©dure suivie devant la Grande Chambre, en sus de ceux dĂ©jĂ  accordĂ©s par la chambre. Elle ne prĂ©sente aucun justificatif pour les frais et dĂ©pens affĂ©rents Ă  la procĂ©dure devant la Grande Chambre.

2.  ThĂšse du Gouvernement

144.  Le Gouvernement estime que l’on ne comprendrait guĂšre que la Cour alloue une rĂ©paration Ă  une personne condamnĂ©e pour des faits aussi meurtriers que ceux commis par la requĂ©rante, qui a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e coupable Ă  l’issue de procĂ©dures judiciaires rĂ©pondant Ă  toutes les exigences d’un procĂšs Ă©quitable. À cet Ă©gard, il fait valoir que, dans l’arrĂȘt Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, CEDH 2008, la Cour a considĂ©rĂ© que le constat de violation de l’article 7 reprĂ©sentait en soi une satisfaction Ă©quitable suffisante pour le dommage moral subi, « eu Ă©gard Ă  l’ensemble des circonstances Â».

C.  ApprĂ©ciation de la Cour

1.  Dommage moral

145. La Cour admet avoir considĂ©rĂ©, dans l’arrĂȘt Kafkaris, que le constat de violation reprĂ©sentait en soi une satisfaction Ă©quitable suffisante pour le dommage moral subi. Cela Ă©tant, elle rappelle avoir jugĂ©, dans l’arrĂȘt en question, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 5 § 1, et que son constat de violation de l’article 7 se rapportait uniquement Ă  la qualitĂ© de la loi. Il en va autrement en l’espĂšce, oĂč la Cour vient de conclure que le maintien en dĂ©tention de la requĂ©rante aprĂšs le 2 juillet 2008 constitue une violation de l’article 5 Â§ 1, et que l’intĂ©ressĂ©e doit subir une peine plus forte que celle qui lui a Ă©tĂ© infligĂ©e, au mĂ©pris de l’article 7 de la Convention (voir, mutatis mutandis, M. c. Allemagne, no 19359/07, § 141, CEDH 2009). Cette situation n’a pu manquer de causer Ă  la requĂ©rante un dommage moral que ne sauraient rĂ©parer ces seuls constats de violation.

146.  Eu Ă©gard Ă  l’ensemble des circonstances de la cause et statuant en Ă©quitĂ©, la Cour alloue Ă  la requĂ©rante 30 000 EUR de ce chef.

2.  Frais et dĂ©pens

147.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requĂ©rant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dĂ©pens que dans la mesure oĂč se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ© et, de plus, le caractĂšre raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Iatridis c. GrĂšce (satisfaction Ă©quitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000‑XI).

148.  La Grande Chambre rappelle que la requĂ©rante s’est vu accorder 1 500 EUR pour les frais et dĂ©pens affĂ©rents Ă  la procĂ©dure suivie devant la chambre. L’intĂ©ressĂ©e n’ayant pas prĂ©sentĂ© de justificatifs des frais et dĂ©pens exposĂ©s pour les besoins de la procĂ©dure suivie devant la Grande Chambre (comparer avec Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 193, CEDH 2010), il convient de lui allouer 1 500 EUR pour l’ensemble des frais et dĂ©pens.

3.  IntĂ©rĂȘts moratoires

149.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d’intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Dit, par quinze voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Convention ;

 

2.  Dit, Ă  l’unanimitĂ©, que, depuis le 3 juillet 2008, la requĂ©rante fait l’objet d’une dĂ©tention non « rĂ©guliĂšre Â» en violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

 

3.  Dit, par seize voix contre une, qu’il incombe Ă  l’État dĂ©fendeur d’assurer la remise en libertĂ© de la requĂ©rante dans les plus brefs dĂ©lais ;

 

4.  Dit, par dix voix contre sept, que l’État dĂ©fendeur doit verser Ă  la requĂ©rante, dans les trois mois, 30 000 EUR (trente mille euros), plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt, pour dommage moral ;

 

5.  Dit, Ă  l’unanimitĂ©, que l’État dĂ©fendeur doit verser Ă  la requĂ©rante, dans les trois mois, 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt par la requĂ©rante, pour frais et dĂ©pens ;

 

6.  Dit, Ă  l’unanimitĂ©, qu’à compter de l’expiration dudit dĂ©lai de trois mois et jusqu’au versement, les montants indiquĂ©s aux points 4 et 5 ci-dessus seront Ă  majorer d’un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

 

7.  Rejette, Ă  l’unanimitĂ©, la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcĂ© en audience publique au Palais des droits de l’homme, Ă  Strasbourg, le 21 octobre 2013.

Michael O’Boyle                                                                  Dean Spielmann
  Greffier adjoint                                                                        Président

Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rĂšglement, l’exposĂ© des opinions sĂ©parĂ©es suivantes :

–  opinion concordante du juge Nicolaou ;

–  opinion partiellement dissidente commune aux juges Villiger, Steiner,

Power‑Forde, Lemmens et Griţco ;

–  opinion partiellement dissidente commune aux juges Mahoney et Vehabović;

–  opinion partiellement dissidente du juge Mahoney.

D.S.
M.O.’B.

 


OPINION CONCORDANTE DU JUGE NICOLAOU

(Traduction)

1.  J’ai votĂ© avec la majoritĂ© sur toutes les questions que pose la prĂ©sente affaire. Toutefois, si je conclus – comme la majoritĂ© – Ă  la violation de l’article 7 de la Convention, je me fonde pour cela sur un raisonnement partiellement diffĂ©rent de celui de la majoritĂ©. Cette diffĂ©rence d’analyse n’est pas sans incidences sur les motifs qui m’ont conduit Ă  la conclusion Ă  laquelle je suis parvenu sur le grief tirĂ© de l’article 5 § 1.

2.  Les principaux Ă©lĂ©ments entrant selon moi en ligne de compte pour l’apprĂ©ciation du grief tirĂ© de l’article 7 peuvent ĂȘtre briĂšvement exposĂ©s. À l’issue de huit procĂšs distincts, dont le premier s’est conclu le 18 dĂ©cembre 1988 et le dernier le 8 mai 1990, la requĂ©rante a Ă©tĂ© reconnue coupable de nombreux crimes, extrĂȘmement graves pour certains, commis Ă  l’occasion d’activitĂ©s terroristes menĂ©es pendant les annĂ©es 1982 – 1987. Pour ces faits, l’intĂ©ressĂ©e a Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă  de multiples peines d’emprisonnement, se voyant notamment infliger de trĂšs nombreuses peines de trente ans pour meurtre. Si elle avait dĂ» exĂ©cuter successivement chacune de ces peines, elle aurait dĂ» ĂȘtre maintenue en dĂ©tention plus de trois mille ans.

3.  Chaque ordre juridique national rĂ©glemente Ă  sa maniĂšre la question que pose l’exĂ©cution des peines multiples qui peuvent ĂȘtre prononcĂ©es Ă  l’issue d’un mĂȘme procĂšs ou de procĂšs distincts. Il est Ă©videmment nĂ©cessaire de dĂ©terminer comment ces peines doivent ĂȘtre exĂ©cutĂ©es. Doivent-elles ĂȘtre purgĂ©es successivement, ou simultanĂ©ment, faut-il prĂ©voir un plafonnement de leur durĂ©e ? Les rĂšgles d’exĂ©cution des peines doivent prendre en compte les objectifs d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral que poursuit l’application de la loi pĂ©nale – notamment la protection de la vie – tout en laissant place Ă  la justice et Ă  l’humanitĂ©. Et lorsque la rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© est prĂ©vue par la loi, des rĂšgles mĂ©nageant un Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts en jeu doivent ĂȘtre instaurĂ©es.

4.  Quel que soit le rĂ©gime mis en place par l’ordre juridique interne considĂ©rĂ©, les principes et la jurisprudence de la Cour exigent qu’il soit mĂ©nagĂ© une distinction entre, d’une part, les dispositions relatives aux peines prĂ©vues par la loi en vigueur au moment de la commission des infractions – dispositions qui doivent toujours ĂȘtre lues Ă  la lumiĂšre d’une Ă©ventuelle loi pĂ©nale plus douce ultĂ©rieure puisque l’article 7 interdit que la peine effective dĂ©passe la peine maximale telle que fixĂ©e par cette derniĂšre loi (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, 17 septembre 2009) – et, d’autre part, les dispositions qui rĂ©gissent les modalitĂ©s d’application ou d’exĂ©cution des peines aprĂšs condamnation, principalement celles qui gouvernent les remises de peine. Mais l’on sait que la distinction entre deux notions n’est pas toujours nette (Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 142, CEDH 2008). En pareil cas, il est d’autant plus nĂ©cessaire de dĂ©terminer oĂč il convient de tracer la frontiĂšre entre l’une et l’autre notion, et d’en expliquer les raisons. Il faudra Ă©galement Ă©tablir une autre distinction, sur laquelle je reviendrai plus tard.

5.  Ă€ l’époque de la commission des crimes ici en cause, les faits relevaient du code pĂ©nal de 1973, notamment de son article 70.2. Les tribunaux interprĂ©taient l’article en question comme disposant en premier lieu que, quelle que fĂ»t leur durĂ©e totale, les annĂ©es d’emprisonnement imposĂ©es devaient ĂȘtre converties en une durĂ©e maximale d’emprisonnement Ă  purger de trente ans et, en second lieu, que cette durĂ©e maximale constituait la seule base pertinente aux fins de l’application du dispositif de remises de peine. Selon l’article 100 du mĂȘme code (tel que modifiĂ© par la loi no 8/1983), les dĂ©tenus avaient droit Ă  un jour de remise de peine pour deux jours travaillĂ©s en dĂ©tention. Ce droit Ă©tait certes subordonnĂ© Ă  l’approbation du juge de l’application des peines, mais celle-ci Ă©tait acquise aux dĂ©tenus dĂšs lors qu’ils n’avaient pas commis de faute. En l’espĂšce, lors des cinq derniers procĂšs dirigĂ©s contre la requĂ©rante, la juridiction de jugement – l’Audiencia Nacional en l’occurrence – s’était posĂ© la question de savoir comment les diverses peines prononcĂ©es devaient ĂȘtre envisagĂ©es. S’appuyant sur la pratique judicaire Ă©tablie, elle avait conclu que l’intĂ©ressĂ©e devrait en dĂ©finitive purger une peine d’emprisonnement de trente ans. À l’issue des huit procĂšs dirigĂ©s contre la requĂ©rante, et en vertu du pouvoir que lui confĂ©rait l’article 988 de la loi de procĂ©dure pĂ©nale, l’Audiencia Nacional avait cherchĂ© Ă  dĂ©terminer la peine que la requĂ©rante devrait finalement purger – au regard de l’article 70. 2 du code pĂ©nal de 1973 – au titre de l’ensemble des peines prononcĂ©es contre elle. Par une dĂ©cision du 30 novembre 2000, elle avait fixĂ© Ă  trente ans la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration que la requĂ©rante devrait subir, durĂ©e Ă  laquelle devait s’appliquer, entre autres, le rĂ©gime des remises de peine pour travail en dĂ©tention.

6.  Il importe de relever que, dans une ordonnance du 25 mai 1990 antĂ©rieure Ă  la fixation dĂ©finitive de la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration Ă  purger par la requĂ©rante, le Tribunal suprĂȘme avait lui-mĂȘme dĂ©clarĂ© que, conformĂ©ment Ă  l’article 988 de la loi de procĂ©dure pĂ©nale, l’application de l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973 relevait de la compĂ©tence de la juridiction de jugement (l’Audiencia Nacional). Pour se prononcer ainsi, il avait considĂ©rĂ© que cette question se rapportait Ă  la fixation de la peine, non Ă  l’exĂ©cution de celle-ci, la question de l’exĂ©cution relevant elle-mĂȘme de la compĂ©tence spĂ©cialement attribuĂ©e Ă  un autre juge. Allant jusqu’au bout de cette logique, le Tribunal suprĂȘme valida dans un arrĂȘt rendu le 8 mars 1994 la pratique judiciaire Ă©tablie. AprĂšs une analyse approfondie de cette question, le Tribunal suprĂȘme dĂ©clara dans cet arrĂȘt que la durĂ©e maximale de la peine Ă  purger prĂ©vue Ă  l’article 70.2 du code pĂ©nal Ă©tait «une nouvelle peine, rĂ©sultante et autonome, Ă  laquelle se rapport[ai]ent les bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires (beneficios) prĂ©vus par la loi, tels que la libĂ©ration conditionnelle et les remises de peine Â» et souligna que cette interprĂ©tation se dĂ©duisait aussi de l’article 59 du rĂšglement pĂ©nitentiaire de 1981. Il ressort de maniĂšre Ă©vidente de cette interprĂ©tation jurisprudentielle, selon laquelle tous les bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires (beneficios) devaient ĂȘtre imputĂ©s sur la « nouvelle peine Â», que la peine maximale Ă  purger par un condamnĂ© Ă©tait un emprisonnement d’une durĂ©e de trente ans, de laquelle il fallait dĂ©duire les remises de peine Ă©ventuellement accordĂ©es. Par la suite, dans deux arrĂȘts rendus les 15 septembre et 14 octobre 2005 oĂč il ne revint pas spĂ©cifiquement sur cette question, le Tribunal suprĂȘme rappela en des termes quasi identiques que la durĂ©e d’incarcĂ©ration calculĂ©e aprĂšs conversion des peines initialement imposĂ©es s’analysait en une peine nouvelle et autonome rĂ©sultant des peines en question et que les bĂ©nĂ©fices pĂ©nitentiaires (beneficios) prĂ©vus par la loi s’appliquaient Ă  cette peine nouvelle, non aux peines initialement prononcĂ©es.

7.  Les questions qui se posent en l’espĂšce n’appellent pas d’observations sur la portĂ©e ou le caractĂšre adĂ©quat des dispositions lĂ©gales pertinentes, ni mĂȘme sur l’interprĂ©tation qui en a Ă©tĂ© faite par les autoritĂ©s judiciaires. Il importe seulement de constater que, pour les personnes relevant de la juridiction de l’État dĂ©fendeur, la loi pĂ©nale a fait l’objet d’une interprĂ©tation judiciaire authentique dont les effets dans le temps remontent Ă  l’entrĂ©e en vigueur de l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973. L’arrĂȘt adoptĂ© par le Tribunal suprĂȘme le 8 mars 1994 a validĂ© l’interprĂ©tation qui avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© donnĂ©e de cette disposition ainsi que la pratique judiciaire claire et constante qui en dĂ©coulait et qui prĂ©existait Ă  la commission des crimes ici en cause. Il n’y a jamais eu la moindre incertitude Ă  ce sujet. Quels que fussent le nombre d’infractions, la gravitĂ© de celles-ci et les peines prĂ©vues pour chacune d’elles, la peine d’emprisonnement effectivement encourue ne pouvait en aucun cas dĂ©passer une durĂ©e maximale de trente ans, durĂ©e qui constituait la limite absolue de la peine dĂ©finitive, nouvelle et autonome Ă  laquelle devait s’appliquer, aux fins de l’exĂ©cution de cette peine, le rĂ©gime de remises de peine qui devait lui-mĂȘme conduire Ă  une rĂ©duction de cette durĂ©e. C’était lĂ  le point crucial dans la prĂ©sente affaire. Aucune modification ultĂ©rieurement apportĂ©e par la loi ou la jurisprudence Ă  ce dispositif et ayant pour effet d’instaurer rĂ©troactivement une peine plus lourde ne pouvait manquer de tomber sous le coup de la garantie accordĂ©e par l’article 7 de la Convention.

8.  Force est de constater en l’espĂšce que les autoritĂ©s avaient crĂ©ditĂ© la requĂ©rante d’un volume de travail qui lui aurait valu d’ĂȘtre libĂ©rĂ©e bien avant l’écoulement de cette pĂ©riode de trente ans si la loi n’avait pas changĂ©. Mais le droit avait Ă©voluĂ© entre-temps. Une nouvelle loi durcissant la rĂ©pression des crimes les plus graves fut adoptĂ©e, puis survint le revirement de jurisprudence exposĂ© ci-dessus. EntrĂ© en vigueur en 1996, le nouveau code pĂ©nal de 1995 introduisit de nouvelles rĂšgles, plus rigoureuses, relatives Ă  la durĂ©e maximale des peines d’emprisonnement et supprima les remises de peine pour travail en dĂ©tention. Toutefois, il contenait aussi des dispositions transitoires appliquant la loi pĂ©nale plus douce aux personnes dĂ©jĂ  condamnĂ©es sur le fondement du code pĂ©nal de 1973. Par la suite, des normes plus rigoureuses destinĂ©es Ă  garantir, pour les crimes les plus graves, l’exĂ©cution intĂ©grale de la durĂ©e de l’emprisonnement rĂ©sultant de la conversion des peines initialement fixĂ©es furent introduites par la loi no 7/2003. AppelĂ© peu aprĂšs Ă  se prononcer sur les dispositions encore applicables du code pĂ©nal de 1973 relatives au droit aux remises de peine, le Tribunal suprĂȘme modifia l’interprĂ©tation qu’il avait donnĂ©e jusqu’alors du sens et du but de la peine rĂ©sultant de la conversion. Par un arrĂȘt adoptĂ© le 28 fĂ©vrier 2006, il revint sur sa jurisprudence antĂ©rieure relative Ă  l’interprĂ©tation de l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973, estimant que « la limite de trente ans ne dev[enait] pas une nouvelle peine, distincte de celles successivement imposĂ©es au condamnĂ©, ni une autre peine rĂ©sultant de toutes les peines antĂ©rieures, mais que cette limite correspond[ait] Ă  la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration (mĂĄximo de cumplimiento) du condamnĂ© dans un centre pĂ©nitentiaire ».

9.  Dans cet arrĂȘt, le Tribunal suprĂȘme reconsidĂ©ra les diverses peines initialement prononcĂ©es contre le demandeur au recours, dĂ©clarant qu’elles n’avaient rien perdu de leur portĂ©e. Il en conclut que la peine prĂ©vue par l’article 70.2 ne pouvait plus ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme Ă©tant la peine maximale effective rĂ©primant la totalitĂ© des crimes commis par l’intĂ©ressĂ©, et qu’elle correspondait seulement Ă  la durĂ©e maximale d’incarcĂ©ration effective Ă  purger par lui dĂ©duction faite des remises de peine successivement appliquĂ©es – en tant que modalitĂ©s d’exĂ©cution de la peine – aux peines initialement prononcĂ©es contre lui. Le Tribunal suprĂȘme opĂ©ra ce revirement de jurisprudence – connu sous le nom de « doctrine Parot Â» – sans se sentir liĂ© par la jurisprudence antĂ©rieure et motiva sa nouvelle interprĂ©tation de maniĂšre dĂ©taillĂ©e. S’appuyant notamment sur le libellĂ© des dispositions pertinentes du code pĂ©nal de 1973, il attacha une attention particuliĂšre aux termes pena (peine prononcĂ©e) et condena (peine Ă  purger) et tira des conclusions de la diffĂ©rence entre ces deux termes. Comme je l’ai dĂ©jĂ  indiquĂ©, la Cour doit se garder d’exprimer une quelconque forme de prise de position entre des interprĂ©tations de droit interne. D’ailleurs, il importe peu que l’interprĂ©tation du Tribunal suprĂȘme ici en cause soit ou non valable, ou mĂȘme justifiĂ©e. Il n’est pas davantage pertinent de rechercher s’il Ă©tait exact que le Tribunal suprĂȘme Ă©tait libre de s’écarter de son arrĂȘt antĂ©rieur du 8 mars 1994 et fondĂ© Ă  le faire.

10. J’estime pour ma part que se posent en l’espĂšce deux questions pertinentes du point de vue du droit de la Convention. La premiĂšre est celle de savoir s’il existait, au moment de la commission des crimes ici en cause, une politique judiciaire d’oĂč rĂ©sultait une pratique ferme et constante donnant Ă  des dispositions lĂ©gales un sens concret et certain. Force est de rĂ©pondre Ă  cette question par l’affirmative, surtout lorsqu’elle est envisagĂ©e sous l’angle de l’interprĂ©tation confirmĂ©e Ă  un moment donnĂ© par le Tribunal suprĂȘme dans son arrĂȘt du 8 mars 1994. De toute Ă©vidence, la nouvelle interprĂ©tation issue de l’arrĂȘt rendu par le Tribunal suprĂȘme le 28 fĂ©vrier 2006 ne rĂ©sultait pas d’une clarification graduelle et prĂ©visible de la jurisprudence au sens donnĂ© Ă  cette expression par les arrĂȘts S.W. c. Royaume-Uni et C.R. c. Royaume-Uni (22 novembre 1995, sĂ©rie A nos 335-B et 335-C respectivement) et la jurisprudence postĂ©rieure (citĂ©e au paragraphe 93 du prĂ©sent arrĂȘt). La seconde question est celle de savoir s’il Ă©tait en tout Ă©tat de cause possible d’apporter une modification rĂ©troactive Ă  l’interprĂ©tation des dispositions lĂ©gales pertinentes. Si rien ne s’opposait Ă  une modification de l’interprĂ©tation antĂ©rieurement donnĂ©e Ă  la loi, la rĂ©troactivitĂ© des effets d’un arrĂȘt – que l’on retrouve dans d’autres États – est incompatible avec l’article 7 de la Convention, tout comme l’est la rĂ©troactivitĂ© d’une loi (en cause dans l’arrĂȘt Welch c. Royaume-Uni, 9 fĂ©vrier 1995, sĂ©rie A no 307-A).

11.  Mes dĂ©veloppements prĂ©cĂ©dents concernaient la question posĂ©e sur le terrain de l’article 7. Selon moi, cette question portait exclusivement sur le point de savoir quelle Ă©tait la peine maximale encourue par la requĂ©rante au moment de la commission de ses crimes. Je me suis efforcĂ© d’expliquer les raisons pour lesquelles la peine « imposĂ©e Â» en l’espĂšce devait ĂȘtre identifiĂ©e, aux fins de l’article 7 § 1, Ă  la peine maximale aprĂšs conversion telle que dĂ©finie par l’article 70.2 du code pĂ©nal de 1973. La maniĂšre dont cette peine Ă©tait dĂ©finie constitue l’axe de mon analyse de cette question. Bien que la recherche de cette dĂ©finition eĂ»t pour objectif de dĂ©terminer les effets que celle-ci aurait sur les modalitĂ©s d’application du dispositif de remises de peine pertinent, ce dispositif n’avait en soi aucune importance sur le terrain de l’article 7. Toutefois, il ne faudrait pas en dĂ©duire que le revirement de jurisprudence litigieux n’a eu aucune consĂ©quence sur les droits de la requĂ©rante. Il a au contraire eu de rĂ©els effets sur les droits de l’intĂ©ressĂ©e, mais seulement sur ceux qu’elle tirait de l’article 5 § 1.

12.  C’est Ă  ce stade qu’une nouvelle distinction doit entrer en ligne de compte. Les dispositions rĂ©gissant les modalitĂ©s d’application ou d’exĂ©cution des peines sont en effet Ă  distinguer non seulement des dispositions relevant de l’article 7, mais aussi de celles entrant dans le champ d’application de l’article 5 § 1. Il est possible que des modifications apportĂ©es au rĂ©gime pĂ©nitentiaire gĂ©nĂ©ral ayant des consĂ©quences sur la maniĂšre dont la condamnation est exĂ©cutĂ©e puissent nuire Ă  un dĂ©tenu – comme dans les affaires Hogben c. Royaume-Uni, (no 11653/85, dĂ©cision de la Commission du 3 mars 1986, DĂ©cisions et rapports 46, p. 231) et Uttley c. Royaume-Uni ((dĂ©c.), no 36946/03, 29 novembre 2005) – sans pour autant porter atteinte Ă  l’article 7 ou Ă  l’article 5 § 1. Toutefois, d’autres changements peuvent excĂ©der ce cadre. En pareil cas, un problĂšme se posera au regard de l’une ou l’autre de ces dispositions, ou sur le terrain de ces deux articles. Si une modification apportĂ©e au rĂ©gime pĂ©nitentiaire gĂ©nĂ©ral aprĂšs le prononcĂ© d’une condamnation dĂ©finitive et rĂ©guliĂšre – c’est-Ă -dire la peine ayant effectivement Ă©tĂ© imposĂ©e – ne me semble pas pouvoir poser problĂšme au regard de l’article 7, elle peut en revanche soulever la question de la rĂ©gularitĂ© d’une partie de la dĂ©tention sur le terrain de l’article 5 § 1.

13.  Pour les raisons exposĂ©es ci-dessus, la modification rĂ©troactivement apportĂ©e aux modalitĂ©s d’application du dispositif de remises de peine pertinent n’est pas en soi contraire Ă  l’article 7. En revanche, cette modification est incompatible avec l’article 5 § 1 en ce qu’elle a privĂ© la requĂ©rante d’un droit acquis Ă  une libĂ©ration anticipĂ©e. En l’espĂšce, la majoritĂ© a attachĂ© de l’importance au manque de prĂ©visibilitĂ© de la loi au moment oĂč la requĂ©rante a Ă©tĂ© condamnĂ©e et au moment oĂč elle a Ă©tĂ© informĂ©e de la modification litigieuse (paragraphes 112 et 117 de l’arrĂȘt). La majoritĂ© a fait de ce manque de prĂ©visibilitĂ© une partie intĂ©grante du raisonnement qui l’a conduite Ă  conclure Ă  la violation de l’article 7. Je ne puis souscrire Ă  ce raisonnement. Avec tout le respect dĂ» Ă  la majoritĂ©, la modification apportĂ©e aux modalitĂ©s d’application du dispositif de remises de peine aprĂšs que la peine eut Ă©tĂ© fixĂ©e conformĂ©ment Ă  l’article 70.2 ne pose problĂšme qu’au regard de l’article 5 § 1. Au regard de l’article 7, seules importent les modifications apportĂ©es – sous rĂ©serve de l’application de la loi pĂ©nale plus douce – Ă  la peine maximale effective telle qu’elle Ă©tait dĂ©finie au moment de la commission de l’infraction. Pour le reste, je souscris bien volontiers au raisonnement suivi par la majoritĂ© en ce qui concerne l’article 5 § 1.


OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES VILLIGER, STEINER, POWER-FORDE, LEMMENS ET GRIŢCO

(Traduction)

Nous avons votĂ© contre la majoritĂ© en ce qui concerne les dommages et intĂ©rĂȘts allouĂ©s Ă  la requĂ©rante au titre du prĂ©judice moral. Nous sommes conscients que la Cour a pour pratique habituelle d’accorder une rĂ©paration pĂ©cuniaire en cas de constat de violation des droits de l’homme, particuliĂšrement lorsque la violation constatĂ©e par elle porte sur le droit Ă  la libertĂ© (A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 253, CEDH 2009).

Toutefois, la prĂ©sente affaire est Ă  distinguer de l’affaire A. et autres c. Royaume-Uni, oĂč la Cour a jugĂ© que la participation ou la tentative de participation de l’un quelconque des intĂ©ressĂ©s Ă  des actes de violence terroriste n’avait pas Ă©tĂ© Ă©tablie. En effet, la requĂ©rante en l’espĂšce a au contraire Ă©tĂ© reconnue coupable d’avoir perpĂ©trĂ© des crimes terroristes  – meurtres, tentatives de meurtre et lĂ©sions corporelles graves –ayant causĂ© de nombreuses victimes. Compte tenu de ce contexte, nous prĂ©fĂ©rerons nous en tenir ici Ă  l’approche suivie par la Cour dans l’arrĂȘt McCann et autres c. Royaume-Uni (27 septembre 1995, § 219, sĂ©rie A no 324). Par consĂ©quent, eu Ă©gard aux particularitĂ©s du contexte dans lequel l’affaire s’inscrit, nous considĂ©rons qu’il n’y a pas lieu d’accorder Ă  l’intĂ©ressĂ©e une somme au titre du prĂ©judice moral allĂ©guĂ©. Nous estimons que les constats de violation auxquels la Cour est parvenue, combinĂ©s avec la mesure qu’elle a indiquĂ©e au gouvernement dĂ©fendeur sur le fondement de l’article 46, constituent en soi une satisfaction Ă©quitable suffisante Ă  cet Ă©gard.


OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES MAHONEY ET VEHABOVIĆ

(Traduction)

Sur l’article 7

Nous ne partageons pas l’avis de la majoritĂ© de la Grande Chambre selon lequel les faits dont la requĂ©rante se plaint emportent violation de l’article 7 Â§ 1, ainsi libellĂ© :

« Nul ne peut ĂȘtre condamnĂ© pour une action ou une omission qui, au moment oĂč elle a Ă©tĂ© commise, ne constituait pas une infraction d’aprĂšs le droit national ou international. De mĂȘme il n’est infligĂ© aucune peine plus forte que celle qui Ă©tait applicable au moment oĂč l’infraction a Ă©tĂ© commise.»

La prĂ©sente affaire soulĂšve un question prĂ©cise, celle de savoir si la deuxiĂšme clause de cette disposition a Ă©tĂ© violĂ©e du fait de l’application Ă  la requĂ©rante, plusieurs annĂ©es aprĂšs sa condamnation pour diffĂ©rents crimes violents extrĂȘmement graves, d’une nouvelle jurisprudence – la « doctrine Parot Â» – modifiant la mĂ©thode d’imputation des remises de peine pour travail ou Ă©tudes en dĂ©tention utilisĂ©e jusqu’alors et ayant pour effet concret de priver l’intĂ©ressĂ©e de l’espĂ©rance d’une libĂ©ration anticipĂ©e fondĂ©e sur les remises de peine obtenues par elle. Notre dĂ©saccord avec la majoritĂ© porte sur un point prĂ©cis, celui de savoir si la mesure dont se plaint la requĂ©rante a entraĂźnĂ© une modification de sa « peine Â» – au sens de l’article 7 § 1 – susceptible de relever de la garantie consacrĂ©e par cette disposition.

Au paragraphe 83 du prĂ©sent arrĂȘt, il est rappelĂ© que la jurisprudence de la Convention a toujours distinguĂ© entre, d’une part, les mesures constituant en substance une « peine Â» et, d’autre part, les mesures relatives Ă  l’« exĂ©cution Â» ou Ă  l’« application Â» de la peine.

Dans une dĂ©cision d’irrecevabilitĂ© ancienne rendue en l’affaire Hogben c. Royaume-Uni, (no 11653/85, dĂ©cision de la Commission du 3 mars 1986, DĂ©cisions et rapports 46, p. 231), oĂč un requĂ©rant dĂ©tenu dĂ©nonçait la prolongation de la durĂ©e initiale de son incarcĂ©ration par suite d’un changement intervenu dans la politique des libĂ©rations conditionnelles de l’État dĂ©fendeur, la Commission europĂ©enne des droits de l’homme s’est exprimĂ©e ainsi :

« La Commission rappelle que le requĂ©rant a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  la rĂ©clusion Ă  vie en 1969 pour un meurtre commis au cours d’un vol Ă  main armĂ©e. Il est clair que la peine prĂ©vue pour cette infraction au moment oĂč elle a Ă©tĂ© commise Ă©tait la prison Ă  perpĂ©tuitĂ© et qu’il ne se pose dĂšs lors Ă  cet Ă©gard aucun problĂšme sur le terrain de l’article 7.

De plus, selon la Commission, la « peine Â» au sens de l’article 7 Â§ 1 doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme Ă©tant celle de la rĂ©clusion Ă  vie. Il est nĂ©anmoins exact que, par suite du changement intervenu dans la politique des libĂ©rations conditionnelles, le requĂ©rant ne remplira les conditions voulues pour cette libĂ©ration qu’aprĂšs avoir purgĂ© 20 ans de prison. Certes, il peut se faire que sa dĂ©tention sera alors effectivement plus rigoureuse que s’il avait rempli plus tĂŽt les conditions d’une libĂ©ration conditionnelle, mais ce genre de question concerne l’exĂ©cution de la peine et non la « peine Â» elle-mĂȘme, qui demeure celle de la rĂ©clusion Ă  vie. En consĂ©quence, on ne saurait dire que la « peine Â» infligĂ©e soit plus lourde que celle qui avait Ă©tĂ© prĂ©vue par le juge au fond. Â»

On n’aperçoit guĂšre de diffĂ©rence de nature entre les caractĂ©ristiques de l’affaire prĂ©citĂ©e et celles de la prĂ©sente affaire, oĂč la peine Ă  purger en dĂ©finitive par la requĂ©rante pour une sĂ©rie de crimes commis en Espagne – trente ans d’emprisonnement – est demeurĂ©e la mĂȘme, bien que la date Ă  laquelle l’intĂ©ressĂ©e aurait pu prĂ©tendre Ă  une libĂ©ration anticipĂ©e eĂ»t Ă©tĂ© modifiĂ©e par la suite, Ă  son dĂ©triment.

De mĂȘme, dans l’affaire Uttley c. Royaume-Uni ((dĂ©c.), no 36946/03, 29 novembre 2005), le requĂ©rant se plaignait en substance de ce qu’une modification apportĂ©e au rĂ©gime de la libĂ©ration anticipĂ©e par une loi adoptĂ©e en 1991 avait eu pour effet d’ajouter Ă  la condamnation prononcĂ©e contre lui en 1995 une peine complĂ©mentaire ou additionnelle excĂ©dant la peine applicable Ă  l’époque de la commission des faits – antĂ©rieure Ă  1983 – pour lesquels il avait Ă©tĂ© condamnĂ©. Renvoyant aux affaires Hogben (prĂ©citĂ©e) et Grava c. Italie (no 43522/98, §§ 44-45, 10 juillet 2003), la Cour s’est exprimĂ©e ainsi :

 « Si (...) les conditions assortissant la remise en libertĂ© obtenue par le requĂ©rant Ă  l’issue de huit ans de dĂ©tention peuvent passer pour « rigoureuses Â» en ce qu’elles restreignent inĂ©vitablement sa libertĂ© d’action, elles ne s’analysent pas en un Ă©lĂ©ment de la « peine Â» au sens de l’article 7, mais en un Ă©lĂ©ment du rĂ©gime de remise en libertĂ© dont les dĂ©tenus peuvent bĂ©nĂ©ficier avant d’avoir purgĂ© la totalitĂ© de leur condamnation.

En consĂ©quence, l’application Ă  l’intĂ©ressĂ© du rĂ©gime de libĂ©ration anticipĂ©e instituĂ© par la loi de 1991 ne fait pas partie de la « peine Â» prononcĂ©e contre lui, raison pour laquelle il n’y a pas lieu de comparer le rĂ©gime de libĂ©ration anticipĂ©e applicable avant 1983 avec celui entrĂ© en vigueur aprĂšs 1991. Â»

La Grande Chambre a confirmĂ© le raisonnement exposĂ© ci-dessus dans l’affaire Kafkaris c. Chypre ([GC], no 21906/04, CEDH 2008) oĂč, comme il est rappelĂ© au paragraphe 84 du prĂ©sent arrĂȘt, des modifications apportĂ©es au droit pĂ©nitentiaire avaient privĂ©  les dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  la rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© – au nombre desquels figurait le requĂ©rant – du droit aux remises de peine. Au paragraphe 151 de l’arrĂȘt adoptĂ© dans cette affaire, elle s’est exprimĂ©e ainsi :

« (...) [P]our ce qui est du fait que, le droit pĂ©nitentiaire ayant Ă©tĂ© modifiĂ© (...), le requĂ©rant, condamnĂ© Ă  la rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ©, ne peut plus prĂ©tendre Ă  une remise de peine, la Cour relĂšve que cette question se rapporte Ă  l’exĂ©cution de la peine et non Ă  la « peine » imposĂ©e Ă  l’intĂ©ressĂ©, laquelle demeure celle de l’emprisonnement Ă  vie. MĂȘme si le changement apportĂ© Ă  la lĂ©gislation pĂ©nitentiaire et aux conditions de libĂ©ration ont pu rendre l’emprisonnement du requĂ©rant en effet plus rigoureux, on ne peut y voir une mesure imposant une « peine » plus forte que celle infligĂ©e par la juridiction de jugement (...). La Cour rappelle Ă  ce propos que les questions relatives Ă  l’existence, aux modalitĂ©s d’exĂ©cution ainsi qu’aux justifications d’un rĂ©gime de libĂ©ration relĂšvent du pouvoir qu’ont les États membres de dĂ©cider de leur politique criminelle (...). Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention Ă  cet Ă©gard (...). Â»

Nous ne voyons ici aucune raison de nous Ă©carter de ce raisonnement en l’espĂšce, d’autant que, dans les affaires Kafkaris et Uttley, le « droit Â» au bĂ©nĂ©fice des remises de peine avait Ă©tĂ© totalement supprimĂ©. En ce qui concerne l’applicabilitĂ© de l’article 7 Ă  la prĂ©sente affaire, il importe peu selon nous que la suppression du « droit Â» au bĂ©nĂ©fice des remises de peine rĂ©sulte d’une nouvelle interprĂ©tation jurisprudentielle des dispositions pertinentes de la lĂ©gislation espagnole plutĂŽt que d’une modification apportĂ©e Ă  la loi elle-mĂȘme, comme c’était le cas dans les affaires Kafkaris et Uttley.

Nous reconnaissons volontiers que la Cour doit demeurer libre d’aller au-delĂ  des apparences et d’apprĂ©cier elle-mĂȘme si telle ou telle mesure s’analyse au fond en une « peine Â» (paragraphe 81 du prĂ©sent arrĂȘt), et que le terme « infligĂ© Â» figurant Ă  la seconde clause de l’article 7 § 1 ne saurait ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme excluant du champ d’application de cette disposition les mesures adoptĂ©es Ă  l’égard des dĂ©tenus aprĂšs le prononcĂ© de leur peine (paragraphe 88 de l’arrĂȘt).

De mĂȘme, nous comprenons fort bien les considĂ©rations humanitaires sous-tendant le raisonnement suivi par la majoritĂ©, et avons bien conscience que les faits de la cause revĂȘtent un caractĂšre exceptionnel et prĂ©occupant du point de vue de l’équitĂ© du traitement des dĂ©tenus, surtout ceux ayant pour perspective de passer une grande partie de leur vie en dĂ©tention.

Cela Ă©tant, et en dĂ©pit du caractĂšre exceptionnel des faits de la cause, nous ne partageons pas l’avis de la majoritĂ© selon lequel la frontiĂšre entre la « peine Â» infligĂ©e Ă  la requĂ©rante pour ses crimes (Ă  laquelle l’article 7 de la Convention est applicable) et les mesures ultĂ©rieures prises pour l’exĂ©cution de cette peine (auxquelles la garantie accordĂ©e par l’article 7 de la Convention ne s’applique pas) a Ă©tĂ© franchie du fait de l’application de la « doctrine Parot Â» au calcul de la date de remise en libertĂ© de l’intĂ©ressĂ©e. S’il est parfois malaisĂ© de dĂ©terminer la frontiĂšre entre ces deux notions (la notion de peine et la notion de mesure gouvernant l’exĂ©cution de la peine), il n’en est pas pour autant justifiĂ© d’estomper cette frontiĂšre au point de l’effacer, mĂȘme lorsqu’un rĂ©gime d’exĂ©cution des peines pose – comme en l’espĂšce – de sĂ©rieux problĂšmes du point de vue de la sĂ©curitĂ© juridique et du respect des espĂ©rances lĂ©gitimes. Notre divergence de vues avec la majoritĂ© porte sur la question de savoir de quel cĂŽtĂ© de la frontiĂšre se situe la mesure contestĂ©e par la requĂ©rante.

Pour conclure Ă  l’applicabilitĂ© de la seconde clause de l’article 7 § 1 Ă  la mesure litigieuse, la majoritĂ© se fonde sur la distinction entre la « portĂ©e de la peine Â» et les « modalitĂ©s de son exĂ©cution Â» que la Cour avait Ă©tablie dans l’arrĂȘt Kafkaris, dans le cadre du constat d’un manque de prĂ©cision de la loi chypriote applicable au moment de la commission du dĂ©lit (paragraphes 81 et suivants du prĂ©sent arrĂȘt).

Sur le plan des principes, le prĂ©sent arrĂȘt semble faire d’une modification ultĂ©rieurement intervenue dans la « portĂ©e de la peine Â» au dĂ©triment du condamnĂ© un critĂšre dĂ©terminant de l’applicabilitĂ© de l’article 7. En l’espĂšce, il a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© que la « portĂ©e de la peine Â» prononcĂ©e contre la requĂ©rante avait Ă©tĂ© modifiĂ©e, au dĂ©triment de celle-ci, par une nouvelle interprĂ©tation jurisprudentielle de la disposition lĂ©gale rĂ©gissant la rĂ©duction de la durĂ©e de la peine pour travail en dĂ©tention (paragraphes 109, 111 et 117 de l’arrĂȘt).

MĂȘme Ă  accepter le recours Ă  la notion de « portĂ©e de la peine Â» – qu’il faut vraisemblablement comprendre comme Ă©tant plus large que la notion de « peine Â» –, nous ne sommes pas convaincus par les raisons pour lesquelles la majoritĂ© croit devoir distinguer les circonstances de l’espĂšce de celles des affaires prĂ©cĂ©dentes et traiter la prĂ©sente affaire selon une logique et un raisonnement qui ne sont pas ceux employĂ©s dans la jurisprudence constante de la Cour.

Pour nous, le prĂ©sent arrĂȘt ne signifie pas que la simple prolongation – par une modification apportĂ©e Ă  un rĂ©gime de remises de peine ou de libĂ©ration conditionnelle – de la durĂ©e d’incarcĂ©ration qu’un dĂ©tenu pouvait prĂ©voir de purger au moment de sa condamnation est le facteur dĂ©terminant l’applicabilitĂ© de l’article 7. Il ne s’agit pas ici de la prolongation de la « peine Â» en ce sens. Pareille lecture de l’arrĂȘt impliquerait que toute modification imprĂ©visible d’un rĂ©gime de remises de peine ou de libĂ©ration conditionnelle – qu’elle rĂ©sulte d’un texte lĂ©gislatif ou rĂ©glementaire, ou d’une pratique administrative ou encore du dĂ©veloppement de la jurisprudence – soit tenue pour attentatoire Ă  l’article 7 dĂšs lors que la durĂ©e rĂ©elle de la dĂ©tention se trouve prolongĂ©e par rapport Ă  la durĂ©e prĂ©visible de celle-ci.

Toutefois, la majoritĂ© relĂšve que « la requĂ©rante a pu croire, pendant qu’elle purgeait sa peine d’emprisonnement – et en particulier aprĂšs la dĂ©cision de cumul et plafonnement des peines prise le 30 novembre 2000 par l’Audiencia Nacional –, que la peine infligĂ©e Ă©tait celle rĂ©sultant de la durĂ©e maximale de trente ans dont il fallait encore dĂ©duire les remises de peine Ă  accorder pour travail en dĂ©tention Â», et que « [l]a requĂ©rante ne pouvait donc pas s’attendre (...) Ă  ce que l’Audiencia Nacional impute les remises de peine accordĂ©es non sur la peine maximale de trente ans, mais successivement sur chacune des peines prononcĂ©es » (paragraphes 100 et 117 de l’arrĂȘt). Selon le raisonnement suivi par la majoritĂ©, la modification â€“ jurisprudentielle – du rĂ©gime de libĂ©ration anticipĂ©e (due en l’occurrence Ă  l’adoption d’une nouvelle mĂ©thode d’imputation des remises de peine pour travail en dĂ©tention) a eu pour effet d’« alourdir Â» la « peine Â» infligĂ©e Ă  la requĂ©rante. Or comme semble le suggĂ©rer le paragraphe 103 in fine de l’arrĂȘt, ce raisonnement Ă©quivaut Ă  intĂ©grer dans la dĂ©finition de la « peine Â» l’existence et les modalitĂ©s du rĂ©gime de remises de peine en vigueur au moment du prononcĂ© de la condamnation en tant qu’élĂ©ments dĂ©terminant la durĂ©e potentielle de la peine.

Il est vrai que les personnes reconnues coupables d’infractions et condamnĂ©es Ă  l’emprisonnement envisagent leur peine et le rĂ©gime de remises de peine ou de libĂ©ration conditionnelle applicable comme formant un tout dĂšs qu’elles commencent Ă  purger leur peine en ce sens qu’elles Ă©valuent leurs chances d’ĂȘtre remises en libertĂ©, les moyens d’obtenir leur libĂ©ration ainsi que la date prĂ©visible de celle-ci et prĂ©voient d’adopter un certain comportement en dĂ©tention Ă  cet effet. Dans le langage courant, l’on dirait que ces personnes considĂšrent leur peine et les possibilitĂ©s de remises de peine, de libĂ©ration conditionnelle ou anticipĂ©e et le rĂ©gime auquel celles-ci sont soumises comme un « package Â».

Toutefois, il ressort trĂšs clairement de la jurisprudence constante de la Cour que les États contractants peuvent, aprĂšs la commission de l’infraction et mĂȘme aprĂšs le prononcĂ© de la condamnation, apporter des modifications Ă  leur rĂ©gime pĂ©nitentiaire – pour autant que celles-ci portent sur les modalitĂ©s d’exĂ©cution des peines – ayant des effets nĂ©gatifs sur la libĂ©ration anticipĂ©e de dĂ©tenus, donc sur la durĂ©e de leur dĂ©tention, sans que ces mesures ne relĂšvent de la garantie spĂ©cifique prĂ©vue par l’article 7 de la Convention. Comme le montre l’arrĂȘt Kafkaris, pareils changements peuvent aller jusqu’à priver totalement, par la voie d’une modification lĂ©gislative, une catĂ©gorie entiĂšre de dĂ©tenus de tout « droit Â» au bĂ©nĂ©fice des remises de peine. L’application Ă  la requĂ©rante de la « doctrine Parot Â» a eu pour elle le mĂȘme effet en pratique. Pourtant, le prĂ©sent arrĂȘt n’indique nulle part qu’il constitue un revirement de jurisprudence ou qu’il entend s’écarter de la jurisprudence existante.

En outre, bien que cette considĂ©ration ait aussi Ă©tĂ© prise en compte par la majoritĂ© (paragraphe 101 de l’arrĂȘt), nous ne sommes pas certains que la diffĂ©rence entre un droit aux remises de peine prĂ©vu par la loi et automatiquement accordĂ© – comme en l’espĂšce – Ă  tout dĂ©tenu satisfaisant Ă  certaines conditions (de travail en dĂ©tention, par exemple) et l’octroi discrĂ©tionnaire d’une libĂ©ration conditionnelle pour bonne conduite soit en elle-mĂȘme dĂ©terminante. Les États contractants disposent d’une marge d’apprĂ©ciation en matiĂšre d’établissement de leur rĂ©gime pĂ©nitentiaire, notamment en ce qui concerne l’exĂ©cution des peines. Ils peuvent choisir des mesures destinĂ©es Ă  rĂ©compenser la bonne conduite des dĂ©tenus, mettre en place des dispositifs tendant Ă  faciliter leur rĂ©insertion dans la sociĂ©tĂ© ou des mĂ©canismes octroyant des crĂ©dits automatiques en vue d’une libĂ©ration conditionnelle, etc. Il appartient aux États contractants de dĂ©cider si les mesures qu’ils ont choisies doivent revĂȘtir un caractĂšre automatique ou discrĂ©tionnaire et ĂȘtre soumises Ă  un rĂ©gime administratif, judiciaire ou mixte. Nous ne comprenons pas comment le fait de dĂ©finir une condition d’octroi d’une libĂ©ration anticipĂ©e comme Ă©tant la consĂ©quence automatique d’un Ă©vĂ©nement dĂ©terminĂ© plutĂŽt que comme une facultĂ© discrĂ©tionnaire ou subordonnĂ©e Ă  l’apprĂ©ciation du comportement d’un dĂ©tenu ou de la dangerositĂ© de celui-ci puisse constituer en lui-mĂȘme un facteur dĂ©terminant l’applicabilitĂ© de l’article 7.

Selon notre analyse, fondĂ©e sur la jurisprudence actuelle de la Cour, la dĂ©cision critiquĂ©e en l’espĂšce est une mesure relative Ă  l’exĂ©cution de la peine qui rĂ©git les modalitĂ©s et la date d’octroi d’une libĂ©ration anticipĂ©e, non une « peine Â» en tant que telle. Par consĂ©quent, bien que des questions puissent se poser sur le terrain de l’équitĂ© du traitement des dĂ©tenus, notamment du point de vue de la sĂ©curitĂ© juridique et du respect des espĂ©rances lĂ©gitimes, l’article 7 et la garantie trĂšs spĂ©cifique qu’il institue ne sont pas en cause.

Il est vrai que la Cour suprĂȘme a imposĂ© une nouvelle mĂ©thode de calcul de rĂ©duction de la durĂ©e des peines en adoptant la « doctrine Parot Â» au prix du revirement d’une jurisprudence constante, et qu’il en est rĂ©sultĂ© en dĂ©finitive pour la requĂ©rante une prolongation considĂ©rable de la durĂ©e de sa dĂ©tention. Toutefois, cette consĂ©quence nĂ©gative ne figure pas au nombre des anomalies que l’article 7 vise Ă  prĂ©venir. Si la dĂ©tention de l’intĂ©ressĂ©e s’en trouve « effectivement plus rigoureuse Â» (pour reprendre l’expression employĂ©e dans la dĂ©cision Hogben) que si elle avait bĂ©nĂ©ficiĂ© de l’interprĂ©tation jurisprudentielle et de la politique antĂ©rieures d’application des dispositions pertinentes de la loi de 1973, les consĂ©quences nĂ©gatives qui en dĂ©coulent pour elle ont trait Ă  l’exĂ©cution de sa condamnation, non Ă  sa « peine Â», qui demeure celle de l’emprisonnement pour une durĂ©e de trente ans. En consĂ©quence, on ne saurait dire que la « peine Â» en question a Ă©tĂ© alourdie par rapport Ă  la peine initialement prononcĂ©e. La dĂ©cision critiquĂ©e porte exclusivement sur les modalitĂ©s d’exĂ©cution de la peine et ne soulĂšve pas de question sous l’angle du principe nulla poena sine lege, le principe fondamental qui se trouve au cƓur de l’article 7. La loi pĂ©nale applicable est demeurĂ©e la mĂȘme, tout comme la peine d’emprisonnement infligĂ©e Ă  l’intĂ©ressĂ©e, mĂȘme si, aprĂšs rectification par les juridictions espagnoles d’une interprĂ©tation jugĂ©e erronĂ©e de la loi en question qui a conduit Ă  une fausse application de celle-ci des annĂ©es durant, la requĂ©rante s’est vu appliquer une nouvelle mĂ©thode de calcul de la rĂ©duction de la durĂ©e de son incarcĂ©ration. C’est sur ce point crucial que les circonstances de l’espĂšce se distinguent nettement d’autres affaires relevant selon la Cour du champ d’application de l’article 7.

En rĂ©sumĂ©, nous ne pensons pas que la « peine Â» – au sens de l’article 7 – infligĂ©e Ă  la requĂ©rante ait Ă©tĂ© alourdie par la dĂ©cision dont elle se plaint, mĂȘme si cette dĂ©cision a eu un effet considĂ©rable sur la durĂ©e pendant laquelle elle devra rester incarcĂ©rĂ©e avant de parvenir au terme de sa condamnation. La seconde clause de l’article 7 § 1 ne s’applique pas aux mesures relatives Ă  l’exĂ©cution de la peine et aux modalitĂ©s de calcul et d’octroi des jours de remise de peine. Nous sommes prĂ©occupĂ©s par le fait que la majoritĂ© semble avoir Ă©tendu la notion de « peine Â», mĂȘme entendue comme Ă©tant « la portĂ©e de la peine Â», au-delĂ  de sa signification naturelle et lĂ©gitime dans le but d’intĂ©grer dans le champ d’application de l’article 7 ce qu’elle perçoit comme Ă©tant une injustice faite Ă  des dĂ©tenus.

Sur l’article 5

Tout autre est la question de savoir si les faits dĂ©noncĂ©s relĂšvent du champ d’application de l’article 5 et, dans l’affirmative, s’il a Ă©tĂ© satisfait aux exigences posĂ©es par cette disposition. Nous souscrivons sur ce point au raisonnement exposĂ© dans le prĂ©sent arrĂȘt.

Sur l’article 41

Sur la question de savoir si, dans les circonstances particuliĂšres de l’espĂšce, « il y a lieu Â» – puisque telle est la condition Ă  laquelle l’article 41 de la Convention subordonne l’octroi d’une satisfaction Ă©quitable – d’accorder Ă  la requĂ©rante une somme Ă  titre de satisfaction Ă©quitable en rĂ©paration des violations de la Convention constatĂ©es par la Cour, nous souscrivons pleinement aux conclusions et au raisonnement exposĂ©s dans l’opinion sĂ©parĂ©e que les juges Villiger, Steiner, Power-Forde, Lemmens et Griţco ont jointe au prĂ©sent arrĂȘt.


OPINION partiellement dissidente
DU JUGE
MAHONEY

(Traduction)

Ayant votĂ© contre le constat de violation de l’article 7 opĂ©rĂ© par la majoritĂ©, je crois aussi devoir voter contre le troisiĂšme point du dispositif enjoignant Ă  l’État dĂ©fendeur d’assurer la remise en libertĂ© de la requĂ©rante dans les plus brefs dĂ©lais. J’estime en effet que le seul constat d’une violation de l’article 5 § 1 de la Convention dĂ©coulant de la « qualitĂ© Â» insuffisante de la loi espagnole pertinente ne peut justifier pareille injonction.

En tout Ă©tat de cause, la prĂ©sente affaire n’est en rien comparable Ă  certaines affaires dont la Cour a eu Ă  connaĂźtre auparavant – notamment les affaires AssanidzĂ© c. GĂ©orgie ([GC], no 71503/01, §§ 202-203, CEDH 2004-II) et Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie ([GC], no 48787/99, §§ 488-490, CEDH 2004-VII), dans lesquelles elle a constatĂ© que les privations de libertĂ© litigieuses Ă©taient non seulement incompatibles avec les garanties procĂ©durales prĂ©vues par la Convention mais aussi consĂ©cutives Ă  des dĂ©nis de justice flagrants, totalement arbitraires et attentatoires Ă  l’État de droit. Je ne pense pas non plus que le troisiĂšme point du dispositif puisse trouver un quelconque appui dans les arrĂȘts Alexanian c. Russie (no 46468/06, §§ 239-240, 22 dĂ©cembre 2008) et Fatullayev c. AzerbaĂŻdjan (no 40984/07, §§ 175-177, 22 avril 2000) citĂ©s dans le prĂ©sent arrĂȘt (au paragraphe 138, in fine), dans lesquels la Cour a qualifiĂ© les dĂ©tentions litigieuses d’« inacceptables Â», l’une parce qu’elle « ne poursuivait aucun des objectifs autorisĂ©s par l’article 5 Â», l’autre parce qu’elle rĂ©sultait de condamnations pĂ©nales « ne justifiant pas le prononcĂ© de peines d’emprisonnement Â».

 



[1].  Juridiction siĂ©geant Ă  Madrid compĂ©tente notamment en matiĂšre de terrorisme.

[2] Peine d’emprisonnement d’une durĂ©e d’un mois et un jour Ă  six mois.

[3] Par une disposition transitoire du rĂšglement pĂ©nitentiaire de 1981 la compĂ©tence attribuĂ©e au patronage de Nuestra Señora de la Merced a Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©e aux juges de l’application des peines (Jueces de Vigilancia Penitenciaria).

[4] InterprĂ©tation de la deuxiĂšme disposition transitoire du code pĂ©nal de 1995. Voir Ă©galement l’accord adoptĂ© par la chambre criminelle du Tribunal suprĂȘme en formation plĂ©niĂšre le 12 fĂ©vrier 1999, concernant l’application de la nouvelle limite de la peine Ă  purger telle que fixĂ©e par l’article 76 du nouveau code pĂ©nal de 1995.