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Corte europea dei diritti dell’uomo (Sezione III), 21 giugno 2007

(requĂȘte n. 12106/03)

 

 

AFFAIRE SCM SCANNER DE L'OUEST LYONNAIS ET AUTRES

c. FRANCE

DÉFINITIF

21/09/2007

 

 

Cet arrĂȘt deviendra dĂ©finitif dans les conditions dĂ©finies Ă  l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire SCM Scanner de l'Ouest Lyonnais et autres c. France,

La Cour européenne des droits de l'homme (deuxiÚme section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, prĂ©sident
C. BĂźrsan, 
J.-P. Costa, 
Mmes E. Fura-Sandström, 
A. Gyulumyan, 
M. David ThĂłr Björgvinsson, 
Mme I. Berro-LefĂšvre, juges,

et de M. S. Quesada, greffier de section,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 mai 2007,

Rend l'arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requĂȘte (no 12106/03) dirigĂ©e contre la RĂ©publique française, et dont une sociĂ©tĂ© de droit français, la sociĂ©tĂ© civile de moyen SCM Scanner de l'Ouest Lyonnais, ainsi que ses membres, mĂ©decins dont les noms figurent en annexe (« les requĂ©rants Â»), ont saisi la Cour le 26 mars 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des LibertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Les requĂ©rants sont reprĂ©sentĂ©s par Me Gallat, avocat au barreau de Lyon. Le gouvernement français (« le Gouvernement Â») est reprĂ©sentĂ© par son agent, Mme E. Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres.

3.  Les requĂ©rants allĂ©guaient en particulier une rupture de l'Ă©galitĂ© des armes en raison de l'adoption d'une loi de validation tendant Ă  modifier l'issue d'une procĂ©dure Ă  laquelle l'Etat Ă©tait partie.

4.  Le 5 juillet 2005, la Cour a dĂ©clarĂ© la requĂȘte partiellement irrecevable et a dĂ©cidĂ© de communiquer le grief tirĂ© de l'article 6 § 1 de la Convention au Gouvernement. Se prĂ©valant de l'article 29 Â§ 3, elle a dĂ©cidĂ© que seraient examinĂ©s en mĂȘme temps la recevabilitĂ© et le bien-fondĂ© de l'affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5.  Les requĂ©rants se composent de la SCM Scanner de l'Ouest Lyonnais ayant son siĂšge social Ă  Lyon, et de ses membres, mĂ©decins Ă©lectroradiologistes, rĂ©sidant tous Ă  Lyon.

6.  Ceux-ci exploitaient ensemble un appareil de type scanner, installĂ© sur le site d'une clinique situĂ©e Ă  Lyon.

7.  Les actes de scanographie sont pris en charge par la SĂ©curitĂ© sociale. A cette fin, ils doivent ĂȘtre cotĂ©s, c'est-Ă -dire mentionnĂ©s sur une feuille de soins sous la forme d'une cotation dĂ©finie par la nomenclature gĂ©nĂ©rale des actes professionnels (NGAP). Cette cotation rĂ©sultait, pour la scanographie, d'un arrĂȘtĂ© ministĂ©riel du 16 mars 1978, qui dĂ©finissait un acte cotĂ© « Z 90 Â». La mĂȘme cotation s'est appliquĂ©e pendant plus de douze ans.

8.  Par un arrĂȘtĂ© ministĂ©riel du 11 juillet 1991, le ministre des Affaires sociales et de l'IntĂ©gration abrogea la cotation « Z 90 Â». Une lettre interministĂ©rielle du mĂȘme jour instaura provisoirement en lieu et place une cotation « Z 19 Â» traduisant une rĂ©duction sensible du montant de l'honoraire, complĂ©tĂ©e par la cotation d'un forfait technique destinĂ© Ă  couvrir l'amortissement de l'appareil. Ce systĂšme de double cotation, dont la rĂ©munĂ©ration totale Ă©tait infĂ©rieure de 30 euros Ă  celle correspondant Ă  la cotation « Z 90 Â», fut renouvelĂ©e par les arrĂȘtĂ©s des 1er fĂ©vrier 1993, 14 fĂ©vrier 1994, 22 fĂ©vrier 1995 et 9 avril 1996.

9.  L'ensemble du dispositif fut dĂ©fĂ©rĂ© Ă  la censure du Conseil d'Etat par les requĂ©rants (en ce qui concerne l'arrĂȘtĂ© du 11 juillet 1991) ainsi que par d'autres justiciables (s'agissant de la lettre interministĂ©rielle du 11 juillet 1991).

10.  Par un arrĂȘt du 4 mars 1996, le Conseil d'Etat annula l'arrĂȘtĂ© du 11 juillet 1991 au motif que l'un de ses signataires au moins n'avait pas compĂ©tence pour le prendre. Saisi par d'autres plaignants, il annula Ă©galement, par un arrĂȘt du mĂȘme jour, la lettre prĂ©citĂ©e pour illĂ©galitĂ© au motif que les actes de scanographie couramment pratiquĂ©s ne pouvaient donner lieu Ă  une cotation provisoire. Saisi enfin par les requĂ©rants d'une question prĂ©judicielle dans le cadre d'une procĂ©dure devant les juridictions de l'ordre judiciaire, le Conseil d'Etat annula, dans un arrĂȘt du 20 novembre 2000, les arrĂȘtĂ©s prĂ©citĂ©s de 1993, 1994, 1995 et 1996 renouvelant la cotation litigieuse.

11.  PostĂ©rieurement aux arrĂȘts du Conseil d'Etat du 4 mars 1996, les requĂ©rants saisirent les caisses d'assurance maladie de demandes tendant au paiement d'un complĂ©ment de rĂ©munĂ©ration, dĂ©coulant du rĂ©tablissement de la cotation Z 90, sur une pĂ©riode comprise entre le 6 septembre 1991 – date de prise d'effet de la substitution illĂ©gale de cotation – et le 28 fĂ©vrier 
1997 – date d'entrĂ©e en vigueur d'un nouveau rĂ©gime d'assurance maladie, soit une somme Ă©valuĂ©e au total de 6 815 157 FRF (soit environ 1 038 895 EUR). 
En octobre 1996, suite aux rĂ©ponses nĂ©gatives des caisses d'assurance maladie, les requĂ©rants saisirent les commissions de recours amiable concernĂ©es, lesquelles confirmĂšrent les dĂ©cisions de refus, soit implicitement, soit expressĂ©ment en affirmant qu'il convenait de surseoir Ă  statuer au paiement dans l'attente du dispositif de rĂ©gularisation sur le point d'ĂȘtre mis en place par la caisse nationale d'assurance maladie.

12.  ParallĂšlement, Ă  l'initiative du Gouvernement, fut introduit dans la loi no 97-1164 du 19 dĂ©cembre 1997 portant loi de financement de la SĂ©curitĂ© sociale pour l'annĂ©e 1998, un article 27, lequel validait les actes pris sur le fondement de l'arrĂȘtĂ© du 11 juillet 1991, de la lettre interministĂ©rielle du 11 juillet 1991 ainsi que des arrĂȘtĂ©s subsĂ©quents, sous rĂ©serve des dĂ©cisions de justice passĂ©es en force de chose jugĂ©e. Cette disposition avait Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e conforme Ă  la Constitution par une dĂ©cision du Conseil constitutionnel no 97-393 DC du 18 dĂ©cembre 1997.

13.  Les requĂ©rants reprirent alors leurs demandes de remboursement et saisirent le tribunal des affaires de sĂ©curitĂ© sociale de Lyon de plusieurs recours. Par des jugements rendu le 18 novembre 1998, le tribunal dĂ©bouta les requĂ©rants de leurs demandes ; ces jugements furent tous confirmĂ©s par des arrĂȘts de la cour d'appel de Lyon datĂ©s du 25 janvier 2000, au motif que la mesure de validation lĂ©gislative les privait de tout droit Ă  remboursement. Parmi les nombreuses dĂ©cisions rendues en appel, figure celle de la cour d'appel de Lyon du 25 janvier 2000 (arrĂȘt no 199901695) ; dans un litige opposant les requĂ©rants Ă  la Mutuelle gĂ©nĂ©rale de l'Ă©ducation nationale de Villeurbanne (MGEN), la cour d'appel de Lyon les dĂ©bouta de leurs demandes de remboursement dans les termes suivants :

« Sur l'application de l'article 27 de la loi du 19 dĂ©cembre 1997

(...) Attendu qu'il n'appartient Ă©videmment pas aux tribunaux de l'ordre judiciaire d'Ă©carter l'application des actes administratifs postĂ©rieurs au 11 juillet 1991 au seul motif qu'ils seraient entachĂ©s du mĂȘme vice, Ă  savoir que les actes de scanographie ne relevaient plus du champ d'application des cotations provisoires, une telle dĂ©cision n'entrant pas dans leur compĂ©tence. (...).

Attendu que cette validation réserve expressément les décisions de justice passées en force de chose jugée, et qu'il est constant qu'aucune décision judiciaire n'était intervenue entre les parties en cause lors de la promulgation de la loi.

Qu'en outre, il n'y a pas lieu pour le juge judiciaire d'effectuer un contrĂŽle de lĂ©galitĂ© interne sur le texte lĂ©gislatif pour savoir si, comme l'affirment les appelants, le lĂ©gislateur a outrepassĂ© ses pouvoirs en validant des actes privĂ©s, Ă©tant observĂ© d'une part que le Conseil constitutionnel aprĂšs une analyse de fond des divers arguments soulevĂ©s devant lui, a dĂ©clarĂ© l'article 27 prĂ©citĂ© non contraire Ă  la constitution par dĂ©cision du 18 dĂ©cembre 1997, et d'autre part que les dispositions en cause, de portĂ©e gĂ©nĂ©rale, ont pour objet de valider les effets des actes administratifs annulĂ©s ou susceptibles de l'ĂȘtre, le parlement dĂ©cidant ainsi de couvrir l'illĂ©galitĂ© des textes administratifs, avec toutes les consĂ©quences en dĂ©coulant.

Qu'enfin la validation lĂ©gislative des actes pris au titre de la pĂ©riode en cause, leur confĂšre un caractĂšre dĂ©finitif qui interdit de remettre en cause les facturations et paiements effectuĂ©s et qui met ainsi obstacle Ă  toute rĂ©clamation et Ă  tout versement d'une somme supplĂ©mentaire quelconque de mĂȘme qu'Ă  toute rĂ©pĂ©tition de la part des caisses. Que sauf Ă  en dĂ©naturer l'esprit et la lettre, l'article 27 de la loi produit donc un effet libĂ©ratoire Ă  l'Ă©gard des caisses qui s'oppose Ă  toute rĂ©clamation des appelants.

Sur la compatibilité de la loi à la Convention européenne des droits de l'homme et aux engagements internationaux

Attendu que l'application de l'article 27 de la loi du 19 dĂ©cembre 1997 ne peut ĂȘtre Ă©cartĂ©e que dans la mesure oĂč ses dispositions contreviennent Ă  des dispositions normatives bĂ©nĂ©ficiant d'une autoritĂ© supra lĂ©gislative.

Qu'en outre, il convient de rappeler que les droits reconnus par la CEDH sont susceptibles de supporter certaines limitations dÚs lors que ces restrictions tendent à un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

Attendu que le principe de non rĂ©troactivitĂ© ne s'impose qu'en matiĂšre pĂ©nale et que le lĂ©gislateur peut, pour des raisons d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, modifier rĂ©troactivement les textes applicables dans le domaine de la sĂ©curitĂ© sociale et de la santĂ© publique, sous rĂ©serve de ne pas porter atteinte au principe de l'autoritĂ© de la chose jugĂ©e.

Attendu que la loi en cause tendait à valider les effets d'une réglementation antérieure, qu'elle n'avait pas pour objet ou pour effet de remettre en cause une situation individuelle judiciairement consacrée.

Qu'elle avait pour but de supplĂ©er Ă  la disparition d'un arrĂȘtĂ© et d'une circulaire connexe fixant les modalitĂ©s de cotation des actes de scanographie et de rĂ©gler ainsi les situations nĂ©es au cours de la pĂ©riode litigieuse.

(...) Attendu qu'Ă  dĂ©faut d'adoption des dispositions de l'article 27 l'annulation de plusieurs actes administratifs aurait entraĂźnĂ© la remise en cause d'un nombre important de rĂšglements affĂ©rents Ă  une pĂ©riode pour laquelle les organismes de sĂ©curitĂ© sociale ne dĂ©tenaient plus les dossiers, aurait gĂ©nĂ©rĂ© le dĂ©veloppement d'actions contentieuses et, compte tenu des sommes en jeu, aurait Ă©tĂ© susceptible d'induire des consĂ©quences prĂ©judiciables Ă  l'Ă©quilibre gĂ©nĂ©ral des rĂ©gimes de protection sociale dont se prĂ©occupait le lĂ©gislateur dans le cadre de la loi du 19 dĂ©cembre 1997.

Qu'ainsi la mesure revĂȘtait incontestablement un caractĂšre d'utilitĂ© publique. Que par ailleurs la preuve n'est pas rapportĂ©e de l'existence d'une disproportion entre la rĂ©duction de financement imposĂ©e aux appelants et l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral que reprĂ©sente l'Ă©quilibre financier de l'ensemble des rĂ©gimes de protection sociale (...) Â»

14.  Par un arrĂȘt (no 2826) du 26 septembre 2002, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requĂ©rants formĂ© contre l'arrĂȘt d'appel susmentionnĂ© :

« Mais attendu que l'article 27 de la loi [prĂ©citĂ©e] a validĂ©, sous rĂ©serve des dĂ©cisions de justice passĂ©es en force de chose jugĂ©e, les dĂ©cisions de refus de remboursement prises sur le fondement de l'arrĂȘtĂ© du 11 juillet 1991, annulĂ© par le Conseil d'Etat, qui a abrogĂ© l'arrĂȘtĂ© du 16 mars 1978, fixant Ă  titre provisoire Ă  Z 90 la cotation des actes de scanographie ; que ce texte, de nature lĂ©gislative, adoptĂ© antĂ©rieurement Ă  l'introduction du recours de la SCM et des mĂ©decins membres de la sociĂ©tĂ© civile, qui ne constitue pas une intervention de l'Etat dans une procĂ©dure l'opposant Ă  des parties, qui ne remet pas en cause des dĂ©cisions de justice irrĂ©vocables et qui ne porte atteinte ni au droit au respect des biens, ni au droit de propriĂ©tĂ©, n'est contraire ni aux dispositions des articles 6-1 et 13 de la Convention, ni Ă  celles de l'article 1er du protocole additionnel ; qu'ainsi la cotation Z 90 n'Ă©tait plus applicable aprĂšs le 1er aoĂ»t 1991 ; qu'il rĂ©sulte par ailleurs de l'annulation par le Conseil d'Etat des arrĂȘtĂ©s des 1er fĂ©vrier 1993, 14 fĂ©vrier 1994, 22 fĂ©vrier 1995 et 9 avril 1996, portant cotation Ă  titre provisoire, pour une durĂ©e d'un an, des actes de scanographie, que le remboursement de ces actes, par application de la cotation Z 19 dĂ©terminĂ©e par ces arrĂȘtĂ©s, n'Ă©tait pas autorisĂ© ;

D'oĂč il suit qu'abstraction faite des motifs inopĂ©rants critiquĂ©s par les moyens la dĂ©cision attaquĂ©e se trouve lĂ©galement justifiĂ©e par ces motifs de pur droit ; .(...) »

15.  Saisie de multiples pourvois formĂ©s Ă  l'encontre de des dĂ©cisions de rejet prĂ©citĂ©es, la Cour de cassation a rendu, le 26 septembre 2002, vingt-huit autres arrĂȘts formulĂ©s de maniĂšre identique.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

16.  L'article 27 de la loi no 97-1164 du 19 dĂ©cembre 1997 de financement de la sĂ©curitĂ© sociale pour 1998 est ainsi rĂ©digĂ© :

« Sont validĂ©s, sous rĂ©serve de dĂ©cisions de justice passĂ©es en force de chose jugĂ©e, les actes pris sur le fondement :

- de l'arrĂȘtĂ© du 11 juillet 1991 modifiant la Nomenclature gĂ©nĂ©rale des actes professionnels et portant abrogation des dispositions de l'arrĂȘtĂ© du 16 mars 1978 complĂ©tant la Nomenclature gĂ©nĂ©rale des actes professionnels des mĂ©decins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et auxiliaires mĂ©dicaux ;

- de la lettre interministérielle en date du 11 juillet 1991 portant cotation provisoire des actes de scanographie ;

- de la circulaire interministérielle en date du 30 mars 1992 portant cotation provisoire des actes de scanographie ;

- de l'arrĂȘtĂ© du 1er fĂ©vrier 1993 modifiĂ©, modifiant la Nomenclature gĂ©nĂ©rale des actes professionnels des mĂ©decins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et auxiliaires mĂ©dicaux et portant cotation provisoire des actes de scanographie ;

- de l'arrĂȘtĂ© du 14 fĂ©vrier 1994 modifiĂ©, modifiant la Nomenclature gĂ©nĂ©rale des actes professionnels des mĂ©decins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et auxiliaires mĂ©dicaux et portant cotation provisoire des actes de scanographie ;

- de l'arrĂȘtĂ© du 22 fĂ©vrier 1995 modifiĂ©, modifiant la Nomenclature gĂ©nĂ©rale des actes professionnels des mĂ©decins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et auxiliaires mĂ©dicaux et portant cotation provisoire des actes de scanographie,

en tant que leur lĂ©galitĂ© serait contestĂ©e pour un motif tirĂ© de l'incompĂ©tence des auteurs de ces arrĂȘtĂ©s et circulaires ministĂ©rielles. Â»

17.  Le Conseil Constitutionnel, au sujet de la loi de financement de la sĂ©curitĂ© sociale pour 1998, rendit une dĂ©cision no 97-393 DC du 18 dĂ©cembre 1997, qui se lit comme suit :

« 45. ConsidĂ©rant que cet article valide, sous rĂ©serve des dĂ©cisions passĂ©es en force de chose jugĂ©e, les actes pris sur le fondement de dĂ©cisions administratives relatives Ă  la cotation des actes de scanographie, en tant que leur lĂ©galitĂ© serait contestĂ©e pour un motif tirĂ© de l'incompĂ©tence de leurs auteurs ;

46. ConsidĂ©rant que, par arrĂȘt du 4 mars 1996, le Conseil d'Etat a annulĂ©, comme entachĂ© d'incompĂ©tence, l'arrĂȘtĂ© du 11 juillet 1991, modifiant la nomenclature gĂ©nĂ©rale des actes professionnels ; que, par dĂ©cision du mĂȘme jour, il a annulĂ© la circulaire du 11 juillet 1991, portant cotation provisoire des actes de scanographie, au motif qu'Ă  la date de sa publication, ces actes ne pouvaient plus ĂȘtre regardĂ©s comme relevant du champ d'application des cotations provisoires, cette technique Ă©tant devenue de pratique courante ; que les autres actes administratifs mentionnĂ©s par l'article 27 sont entachĂ©s de l'une des incompĂ©tences ainsi censurĂ©es par le Conseil d'Etat ;

47. ConsidĂ©rant que les dĂ©putĂ©s requĂ©rants soutiennent que la mesure de validation figurant Ă  l'article 27 n'a pas sa place dans une loi de financement de la sĂ©curitĂ© sociale et qu'elle est, en outre, par son contenu, inconstitutionnelle ;

48. ConsidĂ©rant, en premier lieu, que les professionnels intĂ©ressĂ©s pourraient, en excipant des incompĂ©tences relevĂ©es par le Conseil d'Etat dans ses dĂ©cisions prĂ©citĂ©es, rĂ©clamer le paiement de la diffĂ©rence entre l'ancienne cotation et celle rĂ©sultant des actes partiellement validĂ©s ; qu'eu Ă©gard Ă  l'incidence financiĂšre de ce paiement, la mesure de validation critiquĂ©e concourt de façon significative Ă  l'Ă©quilibre financier des rĂ©gimes obligatoires de la sĂ©curitĂ© sociale ; que, dĂšs lors, elle est au nombre de celles qui, en vertu des dispositions du III de l'article L.O. 111-3 du code de la sĂ©curitĂ© sociale, peuvent figurer dans une loi de financement de la sĂ©curitĂ© sociale ;

49. ConsidĂ©rant, en second lieu, que, si le lĂ©gislateur peut, comme lui seul est habilitĂ© Ă  le faire, valider un acte administratif dans un but d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ou liĂ© Ă  une exigence de valeur constitutionnelle, c'est sous rĂ©serve du respect des dĂ©cisions de justice ayant force de chose jugĂ©e et du principe de non-rĂ©troactivitĂ© des peines et des sanctions ; qu'en outre, l'acte validĂ© ne doit contrevenir Ă  aucune rĂšgle, ni Ă  aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf Ă  ce que le lĂ©gislateur, le cas Ă©chĂ©ant sous le contrĂŽle du Conseil constitutionnel, concilie entre elles les diffĂ©rentes exigences constitutionnelles en cause ;

50. ConsidĂ©rant, en l'espĂšce, que le lĂ©gislateur a entendu prĂ©venir le dĂ©veloppement de nombreuses contestations dont l'aboutissement aurait sensiblement aggravĂ© le dĂ©sĂ©quilibre de la branche santĂ© des rĂ©gimes obligatoires de sĂ©curitĂ© sociale ; que, par ailleurs, la validation ne concerne pas des actes contraires Ă  une rĂšgle ou Ă  un principe de valeur constitutionnelle et ne porte atteinte ni au respect des dĂ©cisions de justice passĂ©es en force de chose jugĂ©e, ni au principe de non rĂ©troactivitĂ© des peines et des sanctions ; que, par suite, le lĂ©gislateur pouvait prendre la mesure de validation critiquĂ©e ; (...) »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

18.  Les requĂ©rants estiment que l'adoption par le lĂ©gislateur de l'article 27 de la loi du 19 dĂ©cembre 1997 est contraire au principe de la prĂ©Ă©minence du droit et au droit Ă  un procĂšs Ă©quitable garantis par l'article 6 Â§ 1 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

« Toute personne a droit Ă  ce que sa cause soit entendue Ă©quitablement (...) par un tribunal (...), qui dĂ©cidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractĂšre civil (...) Â»

19.  Le Gouvernement s'oppose Ă  cette thĂšse.

A.  Sur la recevabilitĂ©

20.  La Cour constate que la requĂȘte n'est pas manifestement mal fondĂ©e au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relĂšve par ailleurs que celle-ci ne se heurte Ă  aucun autre motif d'irrecevabilitĂ©. Il convient donc de la dĂ©clarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  ThĂšses des parties

21.  Le Gouvernement rappelle tout d'abord les grandes lignes qui se dĂ©gagent selon lui de la jurisprudence de la Cour en matiĂšre de validation lĂ©gislative, citant les affaires Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. GrĂšce (arrĂȘt du 9 dĂ©cembre 1994), Papageorgiou c. GrĂšce (arrĂȘt du 22 octobre 1997, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997-VI), National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni (arrĂȘt du 23 octobre 1997), Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c. France ([GC], arrĂȘt du 28 octobre 1999) et Forrer-Niedenthal c. Allemagne (arrĂȘt du 20 fĂ©vrier 2003), pour considĂ©rer que la Cour prend en compte dans son apprĂ©ciation tant l'effet de la validation lĂ©gislative que la mĂ©thode et le moment de son adoption. A la lumiĂšre de ces affaires, il estime que l'adoption de l'article 27 de la loi du 19 dĂ©cembre 1997 n'a pas portĂ© atteinte Ă  l'Ă©quitĂ© du procĂšs au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

22.  Il est d'avis que l'ingĂ©rence du lĂ©gislateur dans l'administration de la justice Ă©tait justifiĂ©e par « d'impĂ©rieux motifs d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral Â». Contrairement Ă  ce que soutiennent les requĂ©rants, il considĂšre que l'objectif pour le lĂ©gislateur n'Ă©tait pas de faire Ă©chec aux procĂ©dures en cours mais d'intervenir pour ne pas aggraver le dĂ©sĂ©quilibre financier de la branche santĂ© des rĂ©gimes obligatoires de sĂ©curitĂ© sociale, et souligne que ce motif a Ă©tĂ© clairement rappelĂ© par le Conseil constitutionnel dans sa dĂ©cision du 18 dĂ©cembre 1997. Il estime qu'un tel objectif constitue, en l'espĂšce, un « impĂ©rieux motif d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral Â», au motif qu'en l'absence d'intervention de la loi de validation litigieuse, l'annulation par le Conseil d'Etat des actes administratifs relatifs Ă  la nouvelle cotation des actes de scanographie aurait gĂ©nĂ©rĂ© de nombreuses actions contentieuses afin de verser un complĂ©ment de rĂ©munĂ©ration pour la pĂ©riode comprise entre le 6 septembre 1991, date de la prise d'effet de la substitution illĂ©gale de cotation, et le 28 fĂ©vrier 1997, date d'entrĂ©e en vigueur d'un nouveau rĂ©gime d'assurance maladie. Le Gouvernement soutient que le risque financier Ă©tait Ă  la fois rĂ©el et consĂ©quent. Il souligne que les seuls requĂ©rants ont rĂ©clamĂ© le versement d'une somme de 6 815 157 FRF, et qu'Ă  l'Ă©chelle nationale, l'incidence du surcoĂ»t sur l'Ă©quilibre financier de la sĂ©curitĂ© sociale avait Ă©tĂ© Ă©valuĂ© Ă  660 000 000 FRF (soit environ 100 609 756 EUR) dans l'exposĂ© des motifs de l'article 27 de la loi du 19 dĂ©cembre 1997. En outre, il rappelle que le contexte financier actuel de la branche santĂ© des rĂ©gimes obligatoires de sĂ©curitĂ© sociale français est extrĂȘmement dĂ©gradĂ©, Ă  tel point que de profondes rĂ©formes ont dĂ» ĂȘtre engagĂ©es depuis plusieurs annĂ©es, le retour Ă  l'Ă©quilibre financier Ă©tant devenu une prioritĂ©, et que dans ces conditions, l'intervention du lĂ©gislateur consistait Ă  prĂ©server la bonne organisation du systĂšme de santĂ© français et donc la protection sociale des populations.

23.  Par ailleurs, le Gouvernement observe que la loi litigieuse a Ă©tĂ© adoptĂ©e alors qu'aucune dĂ©cision judiciaire n'Ă©tait intervenue et avant mĂȘme la tenue d'une audience contradictoire. Or, la Cour, dans sa jurisprudence, tient compte dans son apprĂ©ciation du moment oĂč intervient la loi de validation (Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres prĂ©citĂ©).

24.  Enfin, le Gouvernement considĂšre que l'article 27 de la loi en cause respecte le principe de proportionnalitĂ© devant exister entre les moyens employĂ©s et le but visĂ©, soulignant le caractĂšre limitĂ© du champ d'application de la loi de validation en raison, d'une part, de l'exclusion des dĂ©cisions de justice passĂ©es en force de chose jugĂ©e et, d'autre part, de ce que les actes pris sur le fondement des dĂ©cisions administratives relatives Ă  la cotation des actes de scanographie ne sont rĂ©putĂ©s rĂ©guliers qu'en tant que leur lĂ©galitĂ© serait contestĂ©e pour un motif tirĂ© de l'incompĂ©tence de leurs auteurs.

25.  Les requĂ©rants, sur l'ingĂ©rence du pouvoir lĂ©gislatif dans l'administration de la justice, estiment tout d'abord que l'adoption de l'article litigieux caractĂ©rise une immixtion du pouvoir lĂ©gislatif dans la bonne administration de la justice dans le but d'influer sur le dĂ©nouement judiciaire d'un litige.

Contrairement au Gouvernement qui soutient que l'intervention du lĂ©gislateur n'avait pas eu pour but de s'immiscer dans des relations contractuelles prĂ©existantes ni dans l'administration de la justice, ils rappellent que c'est en vertu de leurs relations contractuelles avec les organismes d'assurance maladie que les requĂ©rants ont sollicitĂ© le paiement d'un complĂ©ment de rĂ©munĂ©ration des actes mĂ©dicaux qu'ils avaient rĂ©alisĂ©s. Ils soulignent que, dans la mesure oĂč la disposition lĂ©gislative en cause Ă©tait destinĂ©e Ă  prĂ©venir les contentieux portant sur le mĂȘme objet du litige auquel les requĂ©rants Ă©taient parties, il ne saurait ĂȘtre soutenu que l'intervention du lĂ©gislateur n'avait pas pour but d'influer sur l'issue des procĂ©dures contentieuses. S'agissant de l'avancement des procĂ©dures et du moment oĂč est intervenue la loi de validation, les requĂ©rants font valoir, en premier lieu, que l'ingĂ©rence en cours de procĂ©dure est avĂ©rĂ©e dĂšs lors que celle-ci est engagĂ©e ; or, la phase prĂ©contentieuse de la procĂ©dure, qui constituait en l'espĂšce une condition sine qua non pour dĂ©clencher la phase judiciaire, Ă©tait nĂ©e lorsque la loi du 19 dĂ©cembre 1997 a Ă©tĂ© adoptĂ©e. En second lieu, les requĂ©rants considĂšrent qu'il n'Ă©tait pas nĂ©cessaire que des dĂ©cisions de justice interviennent pour savoir que l'annulation d'une cotation illĂ©gale faisait revivre la prĂ©cĂ©dente cotation et engendrait dĂšs lors un droit Ă  rĂ©cupĂ©ration, puisque sans la loi litigieuse l'obligation de paiement ne faisait aucun doute, le rĂ©sultat Ă©tant Ă©minemment prĂ©visible.

26.  Sur l'existence d'impĂ©rieux motifs d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, les requĂ©rants estiment que si le souci de ne pas aggraver de maniĂšre sensible le dĂ©sĂ©quilibre financier du rĂ©gime obligatoire de l'assurance maladie puisse constituer un motif impĂ©rieux d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, encore faut-il que la lĂ©gislation en cause soit Ă  la fois adaptĂ©e et proportionnĂ©e Ă  l'objectif poursuivi. Or, ils observent qu'en 1998, selon le rapport annuel de la Cour des comptes au Parlement sur la sĂ©curitĂ© sociale de septembre 1999, les dĂ©penses de santĂ© du rĂ©gime sus-Ă©noncĂ© se sont Ă©levĂ©es Ă  742,7 milliards de francs (soit 113 216 463 414 euros), et que le solde de l'exercice en encaissement-dĂ©caissement (correspondant Ă  la variation du fonds de roulement) fait apparaĂźtre pour cette mĂȘme annĂ©e un dĂ©ficit de 15,9 milliards de francs (2 423 780 487 euros) selon le rapport de la commission des comptes de la sĂ©curitĂ© sociale de mai 2000. Au regard de ces chiffres l'impact des demandes de complĂ©ment de rĂ©munĂ©ration empĂȘchĂ©es par la validation lĂ©gislative sur le budget de l'assurance maladie apparaissait donc nĂ©gligeable. Sur ce point, mĂȘme Ă  supposer exacte la somme de 660 millions de francs correspondant Ă  l'incidence sur l'Ă©quilibre financier de la sĂ©curitĂ© sociale Ă©valuĂ© par le Gouvernement, les requĂ©rant soulignent que ce chiffre aurait reprĂ©sentĂ© une augmentation infĂ©rieure Ă  0,09 % des dĂ©penses d'assurance maladie sur l'annĂ©e 1998, augmentant le dĂ©ficit de 4,1 %.

27.  En outre, les requĂ©rants soutiennent que la disposition lĂ©gislative en cause ne respecte pas le principe de proportionnalitĂ©, dans la mesure oĂč, Ă  la date de sa parution, elle n'avait pas exclu de son champ d'application les cas ayant donnĂ© lieu Ă  l'engagement de contentieux, comme en l'espĂšce. Or, dĂšs 1991, les requĂ©rants avaient formĂ© une requĂȘte en annulation ayant fait l'objet en 1996 de l'arrĂȘt du Conseil d'Etat et qu'ils ne l'avaient fait que dans le seul but de pouvoir ensuite demander un complĂ©ment de rĂ©munĂ©ration. Ils soutiennent enfin que lorsque la loi de validation a Ă©tĂ© publiĂ©e, ils Ă©taient Ă  l'Ă©vidence les seuls Ă  avoir engagĂ© des procĂ©dures en paiement, et en dĂ©duisent que le montant rĂ©clamĂ© de 6 815 157 francs ne reprĂ©sentait que 1,03 % des 660 millions de francs de risque de pertes allĂ©guĂ©es par le Gouvernement.

2.  ApprĂ©ciation de la Cour

28.  La Cour rĂ©affirme que si, en principe, le pouvoir lĂ©gislatif n'est pas empĂȘchĂ© de rĂ©glementer en matiĂšre civile, par de nouvelles dispositions Ă  portĂ©e rĂ©troactive, des droits dĂ©coulant de lois en vigueur, le principe de la prĂ©Ă©minence du droit et la notion de procĂšs Ă©quitable consacrĂ©s par l'article 6 s'opposent, sauf pour d'impĂ©rieux motifs d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, Ă  l'ingĂ©rence du pouvoir lĂ©gislatif dans l'administration de la justice dans le but d'influer sur le dĂ©nouement judiciaire du litige (arrĂȘts Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis prĂ©citĂ©, sĂ©rie A no 301-B, § 49 ; Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres prĂ©citĂ©, CEDH 1999-VII, § 57). La Cour rappelle en outre que l'exigence de l'Ă©galitĂ© des armes implique l'obligation d'offrir Ă  chaque partie une possibilitĂ© raisonnable de prĂ©senter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net dĂ©savantage par rapport Ă  son adversaire (voir notamment les arrĂȘts Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas du 27 octobre 1993, sĂ©rie A no 274, § 33, et Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis, prĂ©citĂ©, § 46).

29.  En l'espĂšce, si l'article 27 de la loi no 97-1164 du 19 dĂ©cembre 1997 portant loi de financement de la sĂ©curitĂ© sociale pour l'annĂ©e 1998 excluait expressĂ©ment de son champ d'application les dĂ©cisions de justice passĂ©es en force de chose jugĂ©e, il fixait dĂ©finitivement les termes du dĂ©bat et ce, de maniĂšre rĂ©troactive s'agissant des recours pendants devant les juridictions compĂ©tentes au moment de l'entrĂ©e en vigueur de la disposition litigieuse. A cet Ă©gard, la Cour relĂšve que, conformĂ©ment au droit national, les requĂ©rants avaient engagĂ© une phase prĂ©contentieuse, dite administrative, devant plusieurs commissions de recours amiable dĂšs octobre 1996 ; or, cette rĂ©clamation prĂ©alable et obligatoire auprĂšs de l'administration est une phase indispensable en ce qui concerne le contentieux gĂ©nĂ©ral de la sĂ©curitĂ© sociale. En consĂ©quence, dĂšs lors que cette phase administrative a constituĂ© une condition sine qua non pour dĂ©clencher la phase judiciaire proprement dite, la Cour considĂšre, contrairement Ă  ce qu'a retenu la Cour de cassation dans ses arrĂȘts du 26 septembre 2002, que la procĂ©dure Ă©tait dĂ©jĂ  nĂ©e lorsque la loi du 19 dĂ©cembre 1997 fut adoptĂ©e, et que le litige portait prĂ©cisĂ©ment sur le droit au paiement d'un complĂ©ment de rĂ©munĂ©ration, objet de la contestation (voir OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France, nos 42219/98 et 54563/00, § 62, 27 mai 2004, voir Ă©galement, mutatis mutandis, Duclos c. France, arrĂȘt du 17 dĂ©cembre 1996, Recueil 1996-VI, § 54, et Kadri c. France (dĂ©c.), no 41715/98, 26 septembre 2000).

30.  En dĂ©finitive, l'article 27 de la loi du 19 dĂ©cembre 1997 a donc permis d'entĂ©riner la position adoptĂ©e par l'Etat dans le cadre de procĂ©dures pendantes, en rĂ©glant le fond du litige et rendant vaine toute continuation des procĂ©dures. Le Gouvernement, sur ce point, ne conteste d'ailleurs pas l'existence d'une ingĂ©rence dans le droit des requĂ©rants Ă  un procĂšs Ă©quitable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention. Dans ces conditions, la Cour estime que l'on ne saurait parler d'Ă©galitĂ© des armes entre les deux parties.

31.  Quant aux « impĂ©rieux motifs d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral Â», Ă©voquĂ©s par le Gouvernement, ils rĂ©sulteraient uniquement de la nĂ©cessitĂ© de sauvegarder l'Ă©quilibre financier de la branche santĂ© des rĂ©gimes obligatoires de sĂ©curitĂ© sociale. La Cour note que le Gouvernement avance, outre des arguments gĂ©nĂ©raux relatifs aux difficultĂ©s financiĂšres rencontrĂ©es par le systĂšme de sĂ©curitĂ© sociale français, le chiffre de six cent soixante millions d'euros correspondant, selon lui, aux Ă©conomies rĂ©alisĂ©es grĂące Ă  l'adoption de la validation lĂ©gislative litigieuse. Or, la Cour rappelle qu'en principe un motif financier ne permet pas Ă  lui seul de justifier une telle intervention lĂ©gislative (voir, notamment, Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres, prĂ©citĂ©, § 59). Elle relĂšve surtout que la corrĂ©lation entre le risque financier invoquĂ© et les procĂ©dures pendantes dont l'issue a Ă©tĂ© dĂ©terminĂ©e par la loi de validation n'est nullement Ă©tabli. En effet, le Gouvernement ne fournit aucun renseignement de quelque nature que ce soit quant au nombre de recours en annulation pendants devant la juridiction administrative, ni aucune Ă©valuation concrĂšte, et partant crĂ©dible, du coĂ»t virtuel de l'issue favorable de ces procĂ©dures.

32.  La Cour observe enfin que l'exclusion des procĂ©dures pendantes du champ d'application de l'article 27 de la loi du 19 dĂ©cembre 1997 n'aurait pas empĂȘchĂ© d'atteindre l'objectif poursuivi, Ă  savoir sĂ©curiser pour l'avenir la lĂ©galitĂ© des arrĂȘtĂ©s ministĂ©riels en cause, tout en respectant l'Ă©galitĂ© des armes pour les instances en cours (voir, sur ce point, Chiesi SA c. France, no 954/05, § 40, 16 janvier 2007).

33.  Aucun des arguments prĂ©sentĂ©s par le Gouvernement ne convainc donc la Cour de la lĂ©gitimitĂ© et de la proportionnalitĂ© de l'ingĂ©rence. Compte tenu de ce qui prĂ©cĂšde, l'intervention lĂ©gislative litigieuse, qui rĂ©glait dĂ©finitivement, de maniĂšre rĂ©troactive, le fond du litige opposant les requĂ©rants Ă  l'Etat devant les juridictions internes, n'Ă©tait pas justifiĂ©e par d'impĂ©rieux motifs d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral.

34.  Partant, la Cour conclut Ă  la violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

35.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s'il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

A.  Dommage

36.  Les requĂ©rants rĂ©clament 1 038 969,99 EUR au titre du prĂ©judice matĂ©riel subi. Ils considĂšrent qu'il est certain que la validation lĂ©gislative en cause les a privĂ©s, conformĂ©ment Ă  son objectif, de la possibilitĂ© d'obtenir le paiement d'un complĂ©ment de rĂ©munĂ©ration dont le montant s'Ă©lĂšve Ă  1 038 969,99 EUR. A l'appui de leur prĂ©tention, ils fournissent un tableau rĂ©capitulatif comprenant le nombre d'actes de scanographie rĂ©alisĂ©s par annĂ©e, du 5 septembre 1991 au 28 fĂ©vrier 1997, ainsi que la diffĂ©rence de remboursement pour l'ensemble desdits actes entre l'ancienne cotation Z 90 et la nouvelle cotation Z 19, dont le montant Ă©quivaut Ă  la somme rĂ©clamĂ©e. Ils expliquent que la demande de satisfaction Ă©quitable tend Ă  voir compenser le prĂ©judice matĂ©riel rĂ©sultant de l'impossibilitĂ© dans laquelle ils se sont trouvĂ©s d'obtenir des juridictions nationales une condamnation des organismes d'assurance maladie au paiement de cette somme.

37.  Le Gouvernement considĂšre cette demande excessive et non fondĂ©e. Il soutient que les requĂ©rants ne justifient pas du montant du prĂ©judice matĂ©riel invoquĂ© en se bornant Ă  exposer une simple estimation, non accompagnĂ©e de piĂšces justificative et dĂ©pourvue de toute explication. En outre, il fait valoir que rien ne permet d'affirmer qu'ils auraient obtenu la somme demandĂ©e devant les juridictions nationales, si la loi de validation n'Ă©tait pas intervenue. Il estime, en tout Ă©tat de cause, que le constat de violation de cette disposition constituerait une satisfaction Ă©quitable adĂ©quate au titre des prĂ©judices matĂ©riel et moral.

38.  La Cour relĂšve que la seule base Ă  retenir pour l'octroi d'une satisfaction Ă©quitable rĂ©side en l'espĂšce dans le fait que les requĂ©rants n'ont pu jouir des garanties de l'article 6 § 1 de la Convention. A cet Ă©gard, la Cour rappelle qu'elle ne saurait spĂ©culer sur ce qu'eĂ»t Ă©tĂ© l'issue du procĂšs dans le cas contraire, qui plus est lorsque, comme en l'espĂšce, les requĂ©rants n'ont bĂ©nĂ©ficiĂ© d'aucune dĂ©cision interne rendue en leur faveur (voir, a contrario, Arnolin et autres c. France, nos 20127/03, 31795/03, 35937/03, 2185/04, 4208/04, 12654/04, 15466/04, 15612/04, 27549/04, 27552/04, 27554/04, 27560/04, 27566/04, 27572/04, 27586/04, 27588/04, 27593/04, 27599/04, 27602/04, 27605/04, 27611/04, 27615/04, 27632/04, 34409/04 et 12176/05, § 87, 9 janvier 2007). Cependant, elle n'estime pas dĂ©raisonnable de penser que les intĂ©ressĂ©s ont nĂ©anmoins subi une perte de chances rĂ©elles (voir Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres prĂ©citĂ©, § 79 ; voir aussi Cabourdin c. France, no 60796/00, § 45, 11 avril 2006). A cela s'ajoute un prĂ©judice moral auquel le constat de violation figurant dans le prĂ©sent arrĂȘt ne suffit pas Ă  remĂ©dier. Statuant en Ă©quitĂ©, comme le veut l'article 41, elle alloue 7 000 EUR aux requĂ©rants conjointement, toutes causes de prĂ©judice confondues.

B.  Frais et dĂ©pens

39.  Les requĂ©rants demandent Ă©galement 10 000 EUR pour les frais et dĂ©pens encourus devant la Cour. Ils ne produisent cependant qu'une facture, Ă©tabli par leur conseil et datĂ©e du 27 mars 2003, relative Ă  la saisine de la Cour, d'un montant de 5 980 EUR.

40.  Le Gouvernement, au vu de l'unique facture produite, propose d'allouer aux requĂ©rants conjointement la somme de 5 980 EUR.

41.  La Cour rappelle qu'un requĂ©rant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dĂ©pens encourus devant elle que dans la mesure oĂč se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ© et le caractĂšre raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Kress c. France [GC], no 39594/98, § 102, CEDH 2001). En l'espĂšce, la Cour constate que la somme rĂ©clamĂ©e par les requĂ©rants au titre des dĂ©pens encourus devant la Cour n'est justifiĂ©e qu'au regard de l'unique facture produite susmentionnĂ©e. Dans ces conditions, la Cour, statuant en Ă©quitĂ© comme le veut l'article 41, dĂ©cide d'accorder Ă  ce titre aux requĂ©rants conjointement la somme de 5 980 EUR.

C.  IntĂ©rĂȘts moratoires

42.  La Cour juge appropriĂ© de baser le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d'intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  DĂ©clare le restant de la requĂȘte recevable ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3.  Dit

a)  que l'Etat dĂ©fendeur doit verser aux requĂ©rants conjointement, dans les trois mois Ă  compter du jour oĂč l'arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l'article 44 Â§ 2 de la Convention, 7 000 EUR (sept mille euros) au titre du dommage matĂ©riel et moral, ainsi que 5 980 EUR (cinq mille neuf cent quatre-vingts euros) pour les frais et dĂ©pens, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d'impĂŽt ;

b)  qu'Ă  compter de l'expiration dudit dĂ©lai et jusqu'au versement, ce montant sera Ă  majorer d'un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 juin 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du rÚglement.

Santiago Quesada BoĆĄtjan M. Zupančič 
 Greffier PrĂ©sident

 

ANNEXE

Liste des requérants :

Pierre BAILLY

Yves BASCOULERGUES

Richard BONNEVIE

François BROUILLET

Pierre CELLARD

Didier GONNON

Jean-GĂ©rald INGELS

Guy JEANNOT

Gaston LAMBERT

Bruno MARTIN

GĂ©rard DE RYCKE

Thierry TAVERNIER

Jean-GĂ©rald VULLIEZ