Cour européenne des droits de l’homme
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE SUCCI ET AUTRES c. ITALIE
(Requêtes nos 55064/11 et 2 autres –
voir liste en annexe)
ARRÊT
Art 6 § 1 (civil)
• Accès à un tribunal • Formalisme et absence de formalisme excessif de la Cour de cassation ayant déclaré irrecevable les pourvois des
requérants au regard des critères
de rédaction des pourvois en cassation
STRASBOURG
28 octobre 2021
Cet arrêt deviendra
définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la
Convention. Il peut subir des
retouches de forme.
En l’affaire Succi et autres c. Italie,
La Cour
européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :
Ksenija Turković, présidente,
Péter Paczolay,
Alena Poláčková,
Gilberto Felici,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato,
Lorraine
Schembri Orland, juges,
et de Renata Degener, greffière de section,
Vu :
les requêtes (nos 55064/11, 37781/13 et 26049/14) dirigées contre la
République italienne et dont huit
ressortissants italiens
(« les requérants »)
(voir liste en annexe) ont saisi la Cour en vertu
de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
(« la Convention ») aux dates indiquées dans le tableau joint en annexe,
la décision de
porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement ») le grief tiré de l’article 6 § 1 de la
Convention,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 octobre 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté
à cette date :
INTRODUCTION
1. Les
requêtes portent sur l’irrecevabilité des pourvois en cassation, que les requérants
jugent entachée de formalisme excessif. Les requérants invoquent l’article 6 § 1 de la
Convention (droit à un tribunal).
2. Les
dates de naissance et les lieux de résidence
des requérants ainsi que les
noms de leurs représentants figurent en annexe.
3. Le Gouvernement a été représenté par son ancien coagent,
Mme M.G. Civinini, et par son agent, M. L.
D’Ascia.
4. En ce qui concerne la requête no 26049/14, l’un des requérants, M. F. Di Dario, est décédé après l’introduction de la requête devant la Cour. Ses héritiers, les autres requérants
de la même requête, ont informé la Cour de leur souhait
de poursuivre la procédure devant la Cour. Le Gouvernement a accepté le locus standi des héritiers dans
la procédure.
- REQUÊTE NO 55064/11
5. Le requérant était gérant d’une entreprise commerciale située
à Catane. Le 19 novembre 2003, la propriétaire
des magasins qu’il louait lui notifia un avis d’expulsion (domanda di sfratto). Le 12 mars 2008, le tribunal de Catane prononça la résolution du contrat de location avec injonction de quitter les lieux.
Le 12 octobre 2009, la cour
d’appel de Catane confirma
le jugement.
6. Le 2 mars
2010, le requérant forma un pourvoi
en cassation (RG no 6688/2010) dont l’exposé des faits
contenait un résumé de l’objet du litige
et le déroulement de la procédure.
Les motifs d’appel et la motivation de l’arrêt attaqué y étaient retranscrits ; les pièces de la procédure
et les documents cités étaient partiellement
retranscrits ou résumés, et portaient la numérotation du dossier de
première instance (fascicolo di parte di primo
grado).
La deuxième partie du pourvoi
(pages 33 à 51) se penchait sur les
moyens de cassation (motivi
di ricorso) de l’arrêt. Chaque
moyen indiquait le cas d’ouverture invoqué, conformément à l’article 360 du code de procédure civile (le « CPC ») :
« Io - Violation ou application erronée des articles
2 de la Constitution, 1175 et 1375 du code civil, 1455 du code civil et du principe général de bonne foi et de l’interdiction de l’abus du droit
(art. 360, alinéa 1er, no 3 du
CPC) – Motivation contradictoire
sur un fait controversé et décisif pour le procès (art. 360,
alinéa 1er, no 5 du
CPC). (...)
IIo - Motivation contradictoire sur un fait controversé et décisif pour le procès (art. 360, alinéa 1er,
no 5 du CPC). (...)
IIIo - Violation ou application erronée de l’article 34 de la loi no 392 de 1978 (art. 360, alinéa
1er, no 3 CPC) – Motivation contradictoire
sur un fait controversé et décisif pour le procès (art. 360,
alinéa 1er, no 5 du
CPC). (...)
IVo - Nullité de l’arrêt ou du procès
(art. 360, alinéa 1er, no 4, du
CPC), au sens de l’article 112 du CPC – Violation ou application erronée des articles
88 et 89 du CPC (art. 360, alinéa
1er, no 3 du CPC). (...)
Vo - Violation
ou application erronée de l’article 91 du CPC (art. 360, alinéa 1er, no 3 du CPC) – Nullité de l’arrêt ou du
procès (art. 360, alinéa 1er,
no 4 du CPC). (...) »
En ce qui concerne les
documents retranscrits ou résumés dans
la deuxième partie, le requérant renvoyait à la motivation de l’arrêt d’appel ou aux
documents de la procédure au fond (notes en défense déposées en appel, procès-verbal d’une
audience, mémoire de la partie
défenderesse). L’arrêt de
la cour d’appel et les pièces du
dossier d’appel étaient annexés au pourvoi.
7. Sur proposition
du juge rapporteur,
la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable (ordonnance no 4977
de 2011). Elle rappela que :
« aux termes de l’article 366, no 4
du CPC, le pourvoi doit contenir les
moyens de cassation, indiquer les normes
sur lesquelles ils se fondent et, conformément à l’article 366, no 6 du
CPC, mentionner expressément
les pièces de la procédure et les documents dont il fait état.
Quant à l’article 366, no 4
du CPC, il convient de rappeler que le demandeur au pourvoi
ne peut invoquer que certains motifs
de cassation (critica vincolata), limités aux cas
d’ouverture prévus à l’article
360 [du CPC], ce qu’implique,
pour chaque moyen, l’indication de l’intitulé du moyen avec
les raisons invoquées, l’exposé des arguments invoqués
contre la décision attaquée
et la présentation détaillée
des critiques justifiant la cassation de la décision.
En ce qui concerne l’article
366, no 6 du CPC, il y
a lieu de rappeler que (...), aux termes du décret
législatif no 40 de 2006, les
pièces sur lesquelles est fondé le pourvoi doivent être expressément
mentionnées ainsi que le stade de la procédure dans lequel celles-ci ont été produites.
La mention expresse d’un document produit pendant la procédure implique (...) en application de l’article 369, deuxième alinéa, no 4 du CPC, que ce document soit produit
aussi devant la Cour de cassation.
En d’autres termes, lorsque le demandeur au pourvoi
se plaint de l’appréciation
erronée d’un document ou de son omission dans la décision au fond, il a
la double obligation de le
verser au dossier et
d’en préciser le contenu.
Il s’acquitte de la première obligation
en indiquant à quelle phase
de la procédure correspond
le document et dans quel
dossier celui-ci se trouve,
et de la deuxième en reproduisant
ou en résumant dans son pourvoi le contenu du document.
(...)
Le pourvoi [du requérant] ne respecte pas les
principes exposés ci-dessus, car les cinq moyens qui y figurent ne mentionnent ni l’intitulé des vices
dénoncés ni les références des documents invoqués au soutien des
arguments développés.
(...) »
- REQUÊTE NO 37781/13
8. À la suite de travaux réalisés devant son domicile, le requérant obtint du tribunal de Naples la nomination d’un expert
qui procéda à une expertise non reproductible
(accertamento tecnico preventivo) attestant la
rupture des puits et l’existence d’une fuite d’eau à l’origine d’un affaissement des fondations de l’immeuble.
9. Le 20 août
2004, le tribunal de Naples
jugea la municipalité de
Frattamaggiore responsable et la condamna
à indemniser le requérant.
10. Le 2 août
2006, la cour d’appel de Naples réforma ce jugement, estimant que le préjudice éventuel n’était pas imputable à la municipalité mais à l’entreprise
privée adjudicatrice de l’appel
d’offre.
11. Le 16 décembre
2006, le requérant forma un pourvoi
en cassation (RG no 652/2007). Le pourvoi du requérant
s’ouvrait par un résumé de
la procédure de première instance
et d’appel (pages 1 à 4), et se poursuivait
par l’exposé des cinq moyens de cassation soulevés (pages 4 à
11). Les quatre premiers dénonçaient la violation ou la mauvaise application de certaines dispositions du code civil, et le dernier critiquait la motivation défaillante ou insuffisante de l’arrêt relativement à un fait controversé et décisif pour le procès. Le requérant contestait plusieurs passages de l’arrêt d’appel en s’appuyant sur des documents de la procédure au fond,
dont certains étaient référencés et dont la plupart étaient résumés dans le texte du pourvoi. Les quatre
moyens critiquant la violation ou la mauvaise application des articles du
code civil se terminaient
par une « question en droit ».
12. Le 14 février
2013 (arrêt no 3652 de 2013), la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable, en application des articles 366, 1er alinéa, no 4, 366 bis et 375, 1er alinéa, no 5 du CPC. Elle
estima que :
« les questions en droit concluant les moyens
ne respectent pas le schéma développé par cette Cour (indication
des faits pertinents et de leur appréciation par la juridiction du fond, indication
de l’autre interprétation (interpretazione
alternativa) proposée par le demandeur
au pourvoi). Il s’ensuit qu’elles sont abstraites et génériques, et qu’elles ne présentent pas de lien avec l’affaire. [Elles ne permettent
pas], à leur seule lecture (arrêts des chambres
réunies nos 2658/2008, 3519/2008, 7433/2009, arrêt no 8463/2009), d’identifier
la solution adoptée dans la décision attaquée et les termes du litige
(arrêts des chambres réunies nos 20360/2007,
11650/2008, 12645/2008), et elles n’offrent pas à [la Cour de cassation] la possibilité de limiter sa décision à l’acceptation ou le rejet [de la question] (...).
(...)
[Le pourvoi ne satisfait pas] non plus aux critères de l’article 366, 1er alinéa, no 6 du CPC en ce que [le demandeur au pourvoi
renvoie] aux documents de la procédure au fond (...) dont [il] dénonce l’appréciation erronée ou l’absence
d’appréciation en se bornant
à les mentionner sans en reproduire les parties pertinentes ou, lorsque ces parties sont reproduites, en omettant de mentionner les références qui permettraient de retrouver les documents en question (arrêt des chambres réunies
no 22726/2011, arrêts nos 29279/2008,
15628/2009 et 20535/2009).
Ainsi les critiques
du requérant ne sont pas formulées
d’une manière qui en permettrait
la compréhension à la seule
lecture du pourvoi, ce qui empêche la Cour de remplir sa fonction consistant à en apprécier le bien-fondé à la lecture des moyens
[de cassation] et qu’il est
impossible de remédier à ces lacunes, [la Cour de légitimité n’ayant pas] accès
aux actes de la procédure au fond.
Les allégations du requérant, formulées
de manière apodictique, ne sont suivies d’aucune démonstration et ne sont pas suffisantes
(...).
Même pour le
vice de motivation, [le pourvoi
ne comporte] pas de « claire indication »
des « raisons »
[art. 366 bis, alinéa 2, du CPC], comme l’exigent le schéma et les principes de [la jurisprudence de] cette Cour, – en [déléguant] de manière inacceptable (inammissibilmente)
cette activité à la Cour (...) ».
- REQUÊTE NO 26049/14
13. Les
requérants sont respectivement le mari, les fils, les
parents et le frère de Mme D.D., décédée le 26 juin 2000 à la suite d’un accident
de la route.
14. Le 23 octobre
2007, le tribunal de Teramo déclara
civilement responsables de
l’accident le chauffeur et
le propriétaire du véhicule et les condamna à indemniser les requérants. Le 19 octobre 2010, la cour d’appel de L’Aquila réforma partiellement le jugement en réduisant le montant du préjudice patrimonial
et des autres sommes accordées au titre des
dommages et intérêts.
15. Le 21 décembre
2011, les requérants se pourvurent en cassation.
16. Long de quatre-vingts
pages, le pourvoi contenait
l’exposé des faits et quatre moyens de cassation de l’arrêt. En particulier, l’exposé (pages 1 à 51) était composé essentiellement d’une retranscription de l’acte d’appel, d’un résumé de l’appel incident (appello
incidentale) des requérants
et de leurs conclusions d’appel, de transcriptions de l’appel de l’un des défendeurs et de la motivation et
du dispositif de l’arrêt de la cour d’appel.
17. Par une ordonnance
no 21232/2013 du 17 septembre
2013, la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable. Elle considéra qu’il ne respectait pas l’exigence énoncée à l’article 366, no 3
du CPC car il reprenait en les recopiant quasi intégralement les actes de la procédure suivie devant les
juges du fond (arrêt no 16628 rendu en 2009 par les chambres réunies). La Haute juridiction rappela ensuite que :
« L’ordonnance no 19255/2010
réitère que l’exigence [prévue à l’article 366, no 3 du CPC] implique une activité de rédaction du défenseur, laquelle, dès lors qu’elle
est qualifiée de « sommaire »
(...), implique un exposé destiné à résumer tant la situation litigieuse que le déroulement de la procédure.
Ce principe a été
confirmé par un arrêt no 5698
rendu en 2012 par les chambres réunies, qui a réaffirmé que la reproduction non critique, intégrale et littérale du contenu des
actes du procès est, d’une part, superflue – puisqu’il
n’est nullement exigé un compte-rendu méticuleux de chaque étape de la procédure – et, d’autre part, incompatible avec l’exigence d’une exposition sommaire des faits
puisqu’elle revient à confier à la Cour [de cassation la tâche de choisir] (...) ce qui est effectivement
important au regard des moyens
de cassation.
En l’espèce, l’exposition sommaire des faits s’étend
sur 51 pages et reproduit intégralement
une série d’actes de procédure en les regroupant (tecnica dell’assemblaggio), sans le moindre effort de synthèse propre à reconstituer la chronologie et le
déroulement de la procédure
dans ses points essentiels.
L’exposé des moyens ne permet pas non plus d’identifier les faits pertinents
pour leur compréhension ».
LE CADRE
JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
- LA LÉGISLATION
INTERNE
- Le code de procédure civile
18. En
vertu de la loi no 80 du 14 mai 2005, le législateur a délégué à l’exécutif la réforme du code de procédure civile (le « CPC »),
en particulier en matière
de procédure de cassation. Parmi les principes
et critères à respecter, la
loi indique que :
« 3. Dans la mise en œuvre de la [loi de] délégation (...), le Gouvernement
respectera les principes et critères suivants :
a) (...) le moyen
du pourvoi [en cassation] devra se conclure, à peine d’irrecevabilité, par la formulation
claire d’une « question en droit » ;
(...) [la Cour de cassation
doit répondre à chaque moyen par] l’énonciation d’un principe de droit ;
(...). »
19. En conséquence,
le Gouvernement a adopté le
décret législatif no 40
de 2006, qui a inséré l’article
366 bis dans le CPC, ajoutant à l’article 366 du CPC une disposition prévoyant « la mention expresse des actes de la procédure, des documents, des contrats ou des
conventions collectives sur lesquels
le pourvoi est fondé »,
et à l’article 369 du même code, l’obligation de déposer avec le pourvoi les actes,
documents, contrats ou conventions collectives qui
s’y trouvent cités.
20. Les articles pertinents du CPC, tels qu’applicables
à l’époque des faits, étaient ainsi libellés :
« Article 360
– Décisions attaquées et cas d’ouverture
Les décisions rendues en appel ou en premier et dernier ressort peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation pour :
1. des motifs de juridiction ;
2. violation des règles de compétence,
lorsque la résolution d’un conflit de compétence (regolamento
di competenza) n’est pas prescrite ;
3. violation ou mauvaise application
de la loi et des
conventions et accords collectifs
nationaux en matière d’emploi ;
4. nullité de
la décision ou de la procédure ;
5. motivation absente, insuffisante ou contradictoire sur un fait controversé et décisif pour le litige (...)
Article 360 bis (Irrecevabilité
du pourvoi)[1]
Le pourvoi est
irrecevable :
1) lorsque la décision attaquée a statué sur des points de droit conformément à la jurisprudence de la Cour et que l’examen des
moyens ne permet pas de confirmer ou de modifier son orientation ;
2) lorsqu’un grief de violation des principes régissant
le procès équitable est manifestement mal fondé.
(...)
Article 366 (Contenu du pourvoi)
Le pourvoi doit contenir, sous peine de non-admission :
1. l’indication
des parties ;
2. l’indication
du jugement ou de la décision faisant l’objet du pourvoi ;
3. un résumé des faits de l’affaire ;
4. les cas d’ouverture invoqués au soutien du
pourvoi en cassation, avec l’indication des normes sur lesquelles ils se fondent (...) ;
(...)
6. la mention expresse des actes
de la procédure, des documents, des contrats ou des
conventions collectives sur lesquels
le pourvoi est fondé (...).
Article 366 bis – (Formulation
des moyens de droit) – Dans les
cas prévus à l’article 360, 1er alinéa,
numéros 1) - 4), l’indication
de chaque moyen doit se conclure, sous peine d’irrecevabilité,
par la formulation d’une question
en droit.
Dans le cas prévu à l’article 360, 1er alinéa, numéro 5), la formulation de chaque moyen doit contenir,
sous peine d’irrecevabilité, l’indication claire du fait
contesté à propos duquel il est allégué
que la motivation est inexistante ou contradictoire, ou les raisons pour lesquelles il est allégué que la motivation est insuffisante et impropre à justifier la décision.
(...)
Article 369 – Dépôt du pourvoi en cassation
Le pourvoi doit être déposé
au greffe de la Cour de cassation, à peine d’irrecevabilité, dans les vingt
jours suivant sa notification
aux parties défenderesses au pourvoi.
Avec le pourvoi, les documents suivants
doivent être déposés à peine d’irrecevabilité :
(...)
4) les actes du procès,
les documents, les contrats ou
les conventions collectives
sur lesquels le pourvoi est
fondé.
Le demandeur au pourvoi doit
solliciter auprès du greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée ou dont la compétence est contestée l’envoi du dossier au greffe
de la Cour de cassation ; cette demande
est visée par le greffe et renvoyée au requérant,
puis déposée avec le pourvoi. »
- Le code du procès administratif
21. L’article 3 du code de procédure administrative (approuvé par le décret législatif no 104 du 2 juillet 2010), intitulé « devoir
de motivation et de synthèse
des actes », dispose que le juge et les parties au procès doivent rédiger les actes
de la procédure de manière claire et concise.
22. Cette disposition a été mise en œuvre par des arrêtés
successifs du président du Conseil
d’État (arrêtés no 40
de 2015, no 167 de 2016 et no 127 de 2017), qui ont
fixé des critères de rédaction et des limites à la longueur des recours
administratifs.
- Le protocole conclu entre la Cour de cassation et le Conseil
national des barreaux
le 17 décembre 2015
23. Le protocole conclu entre la Cour de cassation et le Conseil national des barreaux (« le CNF ») fixe des critères
rédactionnels du pourvoi en cassation en matière civile et fiscale. Dans ses parties pertinentes, il est ainsi rédigé :
« La Cour de cassation (...) et le Conseil
national des barreaux (le
« CNF ») (...) convaincus que le temps est venu de prendre acte ensemble :
1) des difficultés liées au traitement des
recours devant la Cour de cassation : a) à cause de la multiplication
de ceux-ci (...), b) à cause de la difficulté constatée de définir de manière claire et définitive le sens et les limites
du « principe d’autonomie du
pourvoi en cassation »
élaboré par la jurisprudence
(...) ;
2) de la longueur
excessive des actes (...) qui peut faire obstacle à la compréhension concrète de leur contenu (...) ;
3) du fait que cette
longueur excessive peut en partie s’expliquer par un souci légitime des avocats
d’éviter l’irrecevabilité du pourvoi pour non-respect du principe d’autonomie (...) ;
4) du fait que l’adoption d’un modèle de formulaire de pourvoi pourrait aboutir à une simplification
significative (...) ;
(...)
Le principe d’autonomie
Le respect du principe d’autonomie ne comporte
pas une obligation de transcription intégrale, dans le pourvoi ou dans le mémoire,
des documents mentionnés. Ledit principe est respecté (...) :
1. lorsque chaque moyen (...) répond aux critères
de spécificité prévus par
le code de procédure [civile] ;
2. lorsque chaque moyen indique,
le cas échéant, l’acte, le document, le contrat ou la convention collective sur lesquels il s’appuie (article 366, premier paragraphe, no 6 du CPC) ainsi que les
pages, paragraphes, lignes
[des passages cités] (...) ;
3. lorsque chaque moyen indique
le stade (tempo) (acte
introductif, recours, acte de constitution, note en défense, etc...) du procès de première instance ou d’appel
où chaque document est produit ;
4. lorsque sont joints au pourvoi, dans un dossier prévu à cet effet
[il fascicoletto] qui s’ajoute au dossier de la partie constitué au cours
des précédentes instance, au sens
de l’article 369, deuxième paragraphe, no 4 du CPC, les actes, documents,
contrats et conventions collectives
mentionnés dans le pourvoi ou dans
l’acte en défense. »
- Le Plan
national de reprise et de résilience (« le PNRR »)
24. Dans son Plan
national de reprise et de résilience (le « PNRR ») adopté en
2021, le Gouvernement vise
à rendre effectif le
principe du caractère synthétique des actes et celui de collaboration loyale entre le juge et les parties. En particulier, il prévoit d’étoffer, pour la procédure devant la Cour de cassation, les principes d’autonomie et de synthèse des actes,
d’adopter des modalités pratiques uniformes de déroulement de la procédure et, enfin, d’élargir la procédure en chambre de conseil pour simplifier la prise de décision.
- LA JURISPRUDENCE
DE LA COUR DE CASSATION
- Le principe
d’autonomie du pourvoi
en cassation
25. La Cour de cassation a mentionné pour la
première fois le principe d’autonomie du pourvoi dans son arrêt no 5656 de 1986 (voir aussi les arrêts nos 4277/1981,
5530/1983 et 2992/1984), affirmant que le « contrôle
de légitimité » doit avoir lieu uniquement
sur la base des arguments contenus dans le pourvoi et que les lacunes de celui-ci ne peuvent être comblées par la juridiction. La jurisprudence ultérieure a imposé une obligation de spécification des faits et des
circonstances mentionnés dans le pourvoi (arrêt no 9712/2003), posant le principe selon lequel le juge de légitimité doit être en mesure de comprendre la portée de la
censure et de statuer sur celle-ci sans examiner d’autres sources écrites (arrêt no 6225/2005).
26. Dans
un premier temps, la Cour de
cassation a appliqué le principe uniquement aux moyens critiquant
un vice de motivation de la décision
attaquée. Par la suite, elle a élargi
son application aux moyens relatifs à la mauvaise interprétation de la loi ou à la nullité
de la décision et de la procédure
(voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts nos 8013/1998,
4717/2000, 6502/2001, 3158/2002, 9734/2004, 6225/2005 et 2560/2007).
27. En ce qui concerne les
modalités de présentation des documents dans
le pourvoi (obbligo di riproduzione), la Cour de cassation a dit que le justiciable
devait les retranscrire intégralement (voir, parmi beaucoup
d’autres, les arrêts nos 1865/2000, 17424/2005, 20392/2007 et
21994/2008) ou en identifier
et en exposer les passages pertinents et essentiels (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts
nos 7851/1997, 1988/1998, 10493/2001, 8388/2002, 3158/2003, 24461/2005).
En particulier, dans son arrêt no 18661 de 2006, elle a interprété
cette obligation comme un devoir de « transcription intégrale » de chaque document dans le pourvoi chaque fois que son résumé ne permet pas de présenter
à la Cour de cassation tous les éléments
nécessaires aux fins de trancher la question objet du moyen.
28. À la suite de la réforme
de 2006 (paragraphe 19 ci-dessus),
la Cour de cassation a affirmé que, aux
termes de l’article 366, no 6
du CPC, le principe d’autonomie du
pourvoi en cassation impose
au demandeur au pourvoi l’obligation
d’indiquer les documents pertinents, soit en en résumant
le contenu, soit en en reproduisant les passages essentiels,
ou même l’intégralité, à chaque fois que cela est nécessaire à la compréhension
d’un moyen (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts
nos 19766/2008, 22302/2008, 28547/2008, 18421/2009, 6397/2010 et
20028/2011). Elle a aussi dit
que le principe de l’autonomie n’est pas respecté lorsque le justiciable reproduit l’intégralité d’un ou de plusieurs documents en laissant à la Cour de cassation la tâche de sélectionner les passages pertinents (voir, parmi beaucoup
d’autres, les arrêts nos 4823/2009, 16628/2009 et 1716/2012).
29. En ce qui concerne l’article 369, alinéa 2, no 4,
du CPC, elle a affirmé que chaque document
cité doit être accompagné d’une référence permettant d’identifier le stade de la procédure où il
a été produit (voir, parmi beaucoup
d’autres, les arrêts nos 29729/2008, 15628/2009, 20535/2009,
19069/2011 et l’arrêt des chambres réunies no 22726/2011).
30. Dans l’arrêt des chambres
réunies no 5698 de 2012, la Cour
de cassation s’est penchée
sur la question de la reproduction
intégrale des actes (voir aussi,
l’arrêt des chambres réunies no 19255/2010).
Elle a rappelé que le principe de l’exposition sommaire des faits
impliquait une activité rédactionnelle de synthèse de la
part du défenseur (voir les ordonnances
nos 19100/2006 et 19237/2003). Elle a affirmé notamment que :
« la transcription, partielle ou intégrale, satisfait
au principe d’autonomie du pourvoi chaque fois que le justiciable affirme que la décision censurée n’a pas tenu compte d’un élément et que la solution aurait été différente.
(...)
L’obligation
de sélectionner ce qui est pertinent
en fonction de sa transcription
et de veiller à exposer sommairement les faits (...) doit être respectée par le défenseur. Ainsi, le [défenseur] qui retranscrit les faits tels
que présentés dans la décision attaquée risque de voir son pourvoi déclaré irrecevable. La duplication (riproduzione) totale ou partielle de la décision attaquée n’est compatible avec l’article 366, no 3 du CPC que si elle permet d’exposer de manière synthétique les faits nécessaires à la compréhension
des moyens (voir aussi l’arrêt
no 5836/2011). »
31. Par la suite, dans
son arrêt des chambres réunies no 8077 de
2012, la Cour de cassation
a affirmé que :
« (...) le juge de légitimité (...) est investi du pouvoir d’examiner directement les actes et documents qui sont à la base du pourvoi. [Cela] à condition que la plainte ait été exposée
par le demandeur dans le respect des règles
établies à cet égard (...) en particulier, dans le respect des prescriptions dictées par l’art. 366, premier alinéa,
no 6, et 369, deuxième alinéa,
no 4 du CPC. (...) »
- La jurisprudence relative à l’article
366 bis du code de procédure civile
32. En matière
d’article 366 bis du CPC, la Cour renvoie à la jurisprudence citée dans l’arrêt Trevisanato
c. Italie (no 32610/07, §§ 21-23, 15 septembre
2016). En particulier, selon
les arrêts des chambres réunies
de la Cour de cassation nos 14385/2007,
22640/2007 et 3519/2008, et l’ordonnance no 2658
de 2008, la lecture de la question
en droit doit permettre au juge
de légitimité de comprendre
l’erreur de droit que la partie dénonce
et la solution avancée par
celle-ci. Selon cette jurisprudence, la question en droit constitue le point de jonction entre la solution du cas
d’espèce et l’énonciation
d’un principe de droit applicable
ultérieurement à des
affaires similaires.
- OBSERVATIONS
PRÉLIMINAIRES
33. Le Gouvernement
avance que les pouvoirs afférents à la requête no 26049/14, à l’exception de celui signé par le premier requérant, M. S. Di Romano, ne sont pas valablement
remplis et signés et ne répondent pas aux
exigences de l’article 47 du règlement de la Cour. Il invite la Cour, au cas
où elle constaterait la réalité de l’irrégularité signalée, à prendre des mesures afin
de régulariser les procurations.
34. Les
requérants soutiennent avoir respecté les instructions pratiques fournies par la Cour et disponibles à l’époque de
l’introduction de la requête.
En outre, ils maintiennent qu’au stade la communication de
l’affaire, ils ont tous signés de nouvelles procurations à Mes Formisani
et Mascia. Ils demandent à
la Cour de rejeter les arguments du
Gouvernement
35. La Cour
réaffirme que l’application de l’article 47 de
son règlement relève de sa compétence exclusive concernant l’administration des procédures devant elle, les États contractants ne pouvant y puiser des motifs d’irrecevabilité
pour en exciper sur le terrain
de l’article 35 de la Convention (voir,
entre autres, Gözüm c. Turquie, no 4789/10, § 31, 20 janvier
2015, Aydoğdu c. Turquie, no 40448/06, § 53, 30 août 2016,
et Müftüoğlu et autres c. Turquie, nos 34520/10 et 2 autres, § 42,
28 février 2017). En l’occurrence,
elle observe que les requérants, en application de l’article 36, deuxième paragraphe, du règlement de la Cour, sont tous
valablement représentés par
Mes E. Formisani et A. Mascia.
36. Par conséquent,
la Cour estime que les pouvoirs
des requérants de la requête no 26049/14 sont dûment remplis et signés.
- JONCTION DES
REQUÊTES
37. Eu égard
à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun
de les examiner ensemble dans un arrêt unique.
38. Les
requérants se plaignent du rejet de leurs pourvois par la Cour de cassation, dû selon eux
à une application excessivement
formaliste des critères de rédaction des pourvois
en cassation. Ils
invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi
libellé :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement
(...) par un tribunal (...). »
- Sur la recevabilité
39. Constatant que les requêtes ne sont pas manifestement
mal fondées ni irrecevables
pour un autre motif visé à l’article 35 de la
Convention, la Cour les déclare recevables.
- Sur le fond
- Les requérants
a) Requête
no 55064/11
40. Le
requérant affirme que l’interprétation excessivement formaliste adoptée
par la Cour de cassation a empêché l’examen de son pourvoi. Il allègue en particulier que le principe d’autonomie du pourvoi en cassation (principio
d’autosufficienza), tel qu’appliqué
à l’époque des faits, n’était pas suffisamment
prévisible, clair et cohérent.
41. Il soutient que le Gouvernement a admis dans ses
observations l’origine jurisprudentielle
de ce principe (paragraphe 69 ci-dessus).
Selon lui, la Cour de cassation a dû clarifier l’application de ce
principe par des arrêts des chambres réunies,
en particulier l’arrêt no 8077/2012
(paragraphe 31 ci-dessus). Cette même exigence
de clarification serait à
l’origine du protocole de
2015 (paragraphe 23 ci-dessus),
dont la signature par le CNF aurait visé à endiguer l’approche excessivement formaliste
de la Cour de cassation. En
tout état de cause l’évolution
ici décrite serait postérieure au rejet du
pourvoi intervenu en 2011.
42. Le requérant
estime que le rejet de son pourvoi revêt un caractère disproportionné (paragraphe 7 ci-dessus). Il avance que le principe de l’autonomie vise à permettre à la Cour de cassation de comprendre le contexte de
l’affaire et les demandes des intéressés sans avoir à se référer à d’autres sources écrites, et que son pourvoi répondait à ces exigences. Il soutient avoir indiqué, pour chacun des moyens
invoqués, le cas
d’ouverture pertinent tel qu’énoncé à l’article 360 du CPC (paragraphe 20 ci-dessus) et les dispositions invoquées, et avoir reproduit les documents cités,
parfois de manière détaillée, parfois en résumée, accompagnés de l’indication du stade
de la procédure dans lequel ils avaient
été produits. En ce qui
concerne les documents invoqués à l’appui du pourvoi, il
avance que le dossier de première instance était en tout point identique à celui de la procédure d’appel.
43. Quant aux statistiques fournies par le Gouvernement dans ses observations
(paragraphe 67 ci-dessous), le requérant
avance, d’une part, que ces
éléments sont étrangers aux faits
de l’espèce et, d’autre
part, qu’ils prouvent bien que les
autorités judiciaires ont toujours eu
pour objectif réel d’interpréter le principe
d’autonomie du pourvoi comme un outil de limitation de l’accès à la Cour de cassation et de réduction de son arriéré.
b) Requête no 37781/13
44. Le requérant
dénonce l’approche à ses yeux excessivement
formaliste de la Cour de cassation,
qui a retenu deux motifs d’irrecevabilité du pourvoi.
45. En ce qui concerne la « question en droit » (quesito di diritto), le requérant s’appuie sur les rapports du service de documentation et d’études (ufficio
del massimario e del ruolo, nos 25 et 89 de 2008), sur plusieurs arrêts des chambres réunies
de la Cour de cassation (arrêts nos 16002/2007, 3519/2008, 4309/2008,
6420/2008, 8897/2008, 4556/2009 et 21672/2013) ainsi que sur les critiques
formulées par la doctrine
et le CNF au sujet du formalisme de la Cour de cassation. Il se plaint notamment de l’obligation imposée au demandeur au
pourvoi de démontrer le
lien de pertinence entre la
question en droit et le cas d’espèce, de l’obligation qui lui est faite d’indiquer la règle juridique qu’il estime être applicable
et de l’obligation, édictée
par la jurisprudence, de conclure
les moyens critiquant un vice de motivation
par un paragraphe de synthèse
équivalant à une question
en droit.
46. En l’espèce,
le requérant soutient que la formulation des questions en droit était synthétique
et que la Cour de cassation avait tous les éléments
pour comprendre ses griefs. À cet égard,
il affirme que la présente affaire se distingue de l’affaire Trevisanato
c. Italie (arrêt no 32610/07, 15 septembre
2016), où la Cour avait sanctionné l’absence de questions en droit, et que, contrairement au pourvoi en cause dans
l’affaire Trevisanato, son pourvoi avait été déposé
à peine neuf mois après l’introduction
de la nouvelle disposition, à une époque où il n’y avait
donc pas de jurisprudence sur la manière de formuler la question en droit, raison pour laquelle son avocat n’avait pas pu
préalablement évaluer les chances de recevabilité de
son pourvoi. En tout état
de cause, il soutient qu’à supposer même qu’il eût été
possible en décembre 2006
de prévoir la teneur de la question en droit exigée par la Cour de cassation, l’interprétation dénoncée n’en serait pas moins contraire
à la Convention.
47. Quant au principe d’autonomie du pourvoi, le requérant avance d’abord que les
exemples de jurisprudence fournis par le Gouvernement dans ses observations
ne concernent que les vices de motivation.
Il estime aussi que l’aperçu de droit comparé
sur les procédures de filtrage existantes élaboré par le Gouvernement (paragraphe 65 ci-dessous) est dépourvu
de toute pertinence dès lors qu’il
s’agit de systèmes servant à vérifier si le pourvoi porte, alternativement ou de manière cumulative, sur : a)
une question juridique d’intérêt général ; b) la protection d’un droit fondamental ; c) l’existence
d’un conflit de jurisprudence ;
d) un litige d’une valeur
significative.
48. Par ailleurs,
le requérant allègue que le but poursuivi
par la Cour de cassation
consiste à utiliser le principe
d’autonomie comme un moyen
de filtrage des pourvois en cassation.
49. S’agissant de
l’exigence de prévisibilité
des critères rédactionnels découlant de ce
principe, le requérant affirme
que ceux-ci ont été fréquemment
appliqués de deux manières. Le juge de légitimité les aurait parfois interprétés de manière « souple » en se bornant à demander à la partie de présenter tous les éléments
nécessaires à la compréhension de ses
allégations (arrêts nos 24461/2005,
18661/2006 et 2560/2007), d’indiquer le stade du procès
où le vice s’était produit (arrêt no 4741/2005),
ou encore la référence des documents produits
à l’appui des moyens (arrêts nos 317/2002
et 12239/2007). Mais il en aurait donné
en d’autres occasions une « lecture plus stricte », en imposant une obligation supplémentaire de retranscription de chaque document cité dans
le pourvoi sous peine d’irrecevabilité, nonobstant le dépôt des documents de la procédure au fond
(arrêts nos 17424/2005, 20392/2007 et 21994/2008).
50. Le requérant soutient que cette
jurisprudence contradictoire
a conduit le législateur à intervenir, avec la réforme de 2006, pour tenter de préciser le contenu du principe de l’autonomie et d’écarter ainsi l’obligation de retranscription. En vain selon le requérant, car une partie de la jurisprudence aurait continué à exiger la retranscription des actes cités
(arrêts nos 1952/2009, 6397/2010, 10605/2010,
24548/2010 et 20028/2011), même après
l’arrêt no 8077 de 2012 de la Cour de cassation (paragraphe 31 ci-dessus) et le protocole de 2015 (paragraphe 23
ci-dessus) (arrêts nos 15634/2013,
7362/2015 et 18316/2018). Confrontés à cette jurisprudence, les avocats auraient
tendance à reproduire intégralement les documents, mais cette pratique serait jugée contraire aux principes de l’exposition sommaire des faits et de l’autonomie du pourvoi (arrêts nos 15180/2010,
11044/2012 et 8245/2018).
51. Quant
aux caractéristiques de son
pourvoi, le requérant affirme que celui-ci
contenait un résumé exhaustif des faits
de la cause, de la procédure
au fond et, en particulier, de l’arrêt attaqué (paragraphes 11 ci-dessus). Ses quatre
premiers moyens auraient porté sur la mauvaise application d’articles du code civil correctement
cités et accompagnés de références détaillées aux documents mentionnés.
En outre, l’arrêt attaqué aurait été joint au pourvoi,
en sus du dossier de la procédure. Dans ces conditions, le rejet de son pourvoi aurait été disproportionné,
car l’obligation de reproduire
le contenu d’un document déjà versé au
dossier joint au pourvoi et
visé par le demandeur au pourvoi ne saurait
être considérée comme nécessaire à la bonne administration
de la justice et à la sécurité juridique.
52. En conclusion,
le requérant estime que la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme excessif et qu’il a été victime d’une entrave excessive et disproportionnée à
son droit d’accès à un tribunal.
c) Requête
no 26049/14
53. Les
requérants affirment que la restriction litigeuse n’était pas proportionnée.
54. S’appuyant
sur les principes développés par cette Cour, ils avancent
qu’en ce qui concerne les restrictions légales à l’accès aux juridictions
supérieures, la Cour a pris en considération, à différents degrés, certains éléments tels que la prévisibilité
de la restriction litigieuse
et la question de savoir si
celle-ci était entachée de « formalisme excessif ».
55. Ils
soutiennent que la Cour de cassation s’est appuyée sur une jurisprudence postérieure à l’introduction de leur pourvoi (paragraphe
17 ci-dessus) et que, même après cela, elle est restée en défaut d’éclaircir les exigences
du principe de l’autonomie du point de vue du principe de l’exposition sommaire des faits
et de l’obligation de retranscription
des documents cités dans les
moyens.
56. Dans ces conditions, ils considèrent que la restriction litigeuse était incertaine et imprévisible, et donc contraire au principe de la prééminence du droit.
57. Quant à la légitimité du but
poursuivi par la restriction,
les requérants affirment que celle-ci visait uniquement à limiter l’accès à la juridiction supérieure. Ils soutiennent que le Gouvernement l’a confirmé en indiquant dans ses observations
que le législateur et la jurisprudence de la Cour de cassation « [avaient] renforcé les mécanismes existants de limitation procédurale de l’accès en cassation ». Selon les requérants, l’objectif consistant à garantir
une durée raisonnable des procédures civiles ne saurait entraîner une entrave à l’accès au tribunal et une limitation du droit
à un procès équitable.
58. En conclusion,
les requérants estiment que la violation du droit
d’accès à la Cour de cassation résulte du fait que
l’obligation d’établir un résumé des faits
– imposée par l’article
366, § 1, no 3 du CPC – constitue
un filtrage et une barrière
procédurale dont le contenu
est fixé par une jurisprudence
incertaine, contradictoire
et formaliste.
- Le Gouvernement
59. Le Gouvernement
rappelle tout d’abord les principes développés
par la Cour européenne en matière
d’accès aux juridictions supérieures, en particulier les arrêts Zubac c. Croatie ([GC], no 40160/12, 5 avril 2018), Golder c. Royaume-Uni (21
février 1975, série A no 18), Levages Prestations
Services c. France (23 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V)
et Kemp et autres c. Luxembourg (no 17140/05, 24 avril 2008), ainsi que la décision
rendue dans l’affaire Valchev et autres c. Bulgarie, ((déc.), no 47450/11, 21 janvier 2014).
60. Le Gouvernement
affirme que les limitations, de nature procédurale, appliquées aux pourvois des
requérants relèvent de la marge d’appréciation de l’État et sont compatibles
avec la Convention. Selon
lui, l’indication claire des faits procéduraux
pertinents, des documents cités et du lien de causalité entre la décision attaquée, les vices
dénoncés et les dispositions applicables est une condition préalable pour permettre à la Cour de cassation de s’acquitter de sa
mission.
61. En ce qui concerne la requête no 55064/11, le Gouvernement avance que la Cour de cassation a prononcé le rejet du pourvoi
du requérant au motif que
les cas d’ouverture spécifiquement prévus à l’article 360 du CPC n’y étaient pas
indiqués et que les documents invoqués
à l’appui de l’argumentation
du requérant n’y étaient pas
mentionnés.
62. Quant
à la requête no 37781/13, il affirme que les questions
en droit n’étaient pas correctement formulées, en violation de l’article 366 bis du
CPC, et qu’en raison des éléments qui manquaient au pourvoi,
il était impossible, premièrement, de comprendre l’objet de la contestation, deuxièmement, d’identifier la disposition ou le document qui aurait dû permettre au
juge d’appel de parvenir à une conclusion différente et, troisièmement, de retrouver dans le dossier les documents cités.
63. Pour ce qui est de la requête no 26049/14, le Gouvernement avance que la Cour de cassation a relevé que l’exposé des
faits s’articulait sur
51 pages, qu’il reproduisait
en les regroupant (tecnica
dell’assemblaggio) les pièces
de la procédure et qu’il ne
comportait aucune indication des étapes essentielles de la procédure pertinentes au regard des
moyens du pourvoi. La Cour de cassation aurait également affirmé que l’exposé des
moyens ne permettait pas d’identifier les faits pertinents.
64. Le Gouvernement
soutient que les limitations appliquées aux pourvois poursuivent un but légitime. En particulier, l’application du principe d’autonomie du pourvoi viserait à garantir une
bonne administration de la justice,
le respect de délais raisonnables, l’accélération et
la simplification de l’examen
des affaires pendantes, la consolidation du principe de sécurité juridique, permettant ainsi à la Haute juridiction de renforcer son rôle de garante de l’uniformité du droit interne.
65. Le Gouvernement
affirme ensuite que l’application du principe d’autonomie était à
l’époque prévisible, et que
tout avocat pouvait connaître ses obligations
en la matière, si besoin à l’aide de l’interprétation judiciaire, qui présentait une clarté et une cohérence suffisantes. Il avance que, contrairement à d’autres pays européens qui limitent l’accès à la cour suprême par des dispositions qui laissent un
large pouvoir discrétionnaire
au juge, l’Italie dispose d’un code de procédure
civile fixant des critères précis appliqués selon une évaluation au cas
par cas.
66. Enfin,
il soutient que l’application de ce principe a maintenu
un rapport raisonnable de proportionnalité
sans tomber dans un formalisme excessif. Il rappelle la fonction de la Haute juridiction et le déroulement de
la procédure, qui a connu, dans chaque affaire, un double examen au fond,
et avance que la Cour de cassation a conclu, au terme d’un raisonnement logique, complet et bien motivé, que
les conditions fixées par le code de procédure
civile n’avaient pas été respectées dans les trois
affaires.
67. Sur un plan plus général,
le Gouvernement rappelle le
rôle de la Cour de cassation et la finalité du pourvoi en cassation
et souligne que, dans le système italien, l’accès au juge de légitimité
est direct. Il avance qu’il ressort des
chiffres officiels (pour la
période 2008-2018) que le nombre d’avocats habilités à plaider devant les juridictions
supérieures dépasserait actuellement le 40 000 unités,
alors que la Cour de cassation ne compte que 300 juges environ composant
la Cour de cassation, dont près de la moitié siègent dans les
chambres civiles. Il expose aussi que
la Cour de cassation reçoit environ 30 000 pourvois chaque année et rend en moyenne entre 220 et 240 arrêts, tandis que les ordonnances
de rejet représentent en moyenne 14% de l’ensemble des décisions adoptées annuellement. Enfin, l’arriéré dépasserait 100 000
affaires.
68. Selon le Gouvernement, c’est dans ce contexte que le législateur, notamment en 2006,
et la jurisprudence de légitimité
ont renforcé les mécanismes procéduraux existants afin de limiter l’accès à la Cour de cassation.
69. Quant au principe d’autonomie, le Gouvernement
reconnait être d’origine prétorienne (l’arrêt no 5656/1986)
et expose qu’il a été « codifié »
par le décret législatif no 40
de 2006, qui a ajouté à l’article
366 du CPC l’obligation d’indiquer « les actes de la procédure, les documents, les contrats ou
conventions collectives sur lesquels
le pourvoi est fondé ».
Il maintient que, pour satisfaire aux exigences formelles du pourvoi, il suffit que le moyen
soit spécifique et que les documents
cités soient précisément indiqués, avec leurs références,
afin de faciliter leur identification dans la procédure au fond.
70. En rappelant
un passage de la Recommandation
R(95)5 du 7 février 1995 du Comité des ministres
du Conseil de l’Europe, le Gouvernement soutient enfin qu’au niveau
européen, la plupart des cours suprêmes ont adopté ou
renforcé, au cours des dernières
années, un mécanisme de
« filtrage » des recours. Il avance que le souci d’éviter qu’un nombre
excessif de requêtes puisse faire obstacle
à l’activité institutionnelle
d’un tribunal est partagé
par les cours internationales, et notamment par
la Cour européenne (voir l’article 47 du règlement
de la Cour et les critères de recevabilité), le tribunal et la Cour de Justice de
l’Union européenne, ainsi que
la Cour interaméricaine de droits de l’homme qui, selon lui, ont tous introduit des mécanismes de limitation de l’accès.
- Appréciation de
la Cour
a) Principes
généraux
71. La Cour renvoie aux principes
applicables aux limitations du droit d’accès à une juridiction supérieure (voir, parmi beaucoup, Zubac, précité, §§ 76-82),
rappelant en particulier que la manière dont l’article 6 § 1 s’applique aux
cours d’appel ou de cassation dépend des particularités
de la procédure en cause. En ce qui concerne les formalités à respecter pour un pourvoi en cassation, la Cour renvoie, entre autres, aux arrêts Sturm
c. Luxembourg (no 55291/15, §§ 39-42, 27 juin
2017), Miessen c. Belgique ( no 31517/12, §§ 64-66, 18 octobre
2016), Trevisanato c. Italie (no 32610/07, §§ 33-34, 15 septembre
2016), Papaioannou c. Grèce (no 18880/15, §§ 46-51, 2 juin 2016),
et Běleš et autres
c. République tchèque (no 47273/99, § 62, CEDH 2002‑IX).
72. Elle rappelle
que dans ce type d’affaires, sa tâche
consiste à vérifier si le rejet pour irrecevabilité d’un pourvoi en cassation n’a pas porté atteinte
à la substance même du « droit
» du requérant « à un tribunal ». Pour ce faire, elle recherchera d’abord si les conditions imposées pour la rédaction du pourvoi en cassation
poursuivaient en l’espèce
un but légitime, et se penchera ensuite sur la proportionnalité des limitations imposées (Zubac, précité, §§
96-99, Trevisanato, précité, § 35, avec la jurisprudence citée).
b) Application en l’espèce
- Le but légitime
73. La Cour
note que l’appréciation de
la légitimité du but poursuivi par l’application du principe
d’autonomie du pourvoi en cassation se prête à un traitement unique pour les trois affaires.
74. Contesté
par les requérants (paragraphes 43, 48 et 57 ci-dessus),
le but poursuivi viserait, selon le Gouvernement (paragraphe 64 ci-dessus) et selon ce qui ressort de la jurisprudence de la
Cour de cassation (paragraphe 25 ci-dessus), à faciliter la compréhension de
l’affaire et des questions soulevées dans le pourvoi et à permettre à la Cour de cassation de statuer sans devoir s’appuyer sur d’autres documents, afin qu’elle puisse préserver son rôle et sa fonction qui consistent à
garantir en dernier ressort l’application
uniforme et l’interprétation correcte
du droit interne (nomofilachia).
75. Au vu de ces éléments, la Cour estime que
ce principe vise à simplifier
l’activité de la Cour de cassation et à assurer en même temps la sécurité
juridique et la bonne administration
de la justice.
76. Quant
à la « question en droit »
en cause dans la requête no 37781/13, la Cour renvoie à l’arrêt Trevisanato (précité, §§ 36-37), où elle
a conclu que celle-ci satisfaisait tout à la fois aux exigences de la sécurité juridique et de la bonne administration
de la justice.
77. Il
reste donc à déterminer
si les conséquences des restrictions à l’accès à la Cour de cassation ont été
proportionnées.
- La proportionnalité de la restriction
78. La Cour
note que le principe
d’autonomie permet à la Cour
de cassation de cerner la teneur
des griefs formulés et la portée de l’appréciation qui lui est demandée
à la seule lecture du pourvoi, et qu’il garantit un usage adapté et plus efficace des ressources disponibles.
79. La Cour
estime que cette approche tient à la nature même du pourvoi en cassation
qui protège, d’une part, l’intérêt
du justiciable à voir accueillir ses critiques contre la décision attaquée et, d’autre part, l’intérêt général à la cassation d’une décision qui risquerait de porter atteinte à la correcte interprétation du droit. Aussi
la Cour admet-elle que les conditions
de recevabilité d’un pourvoi
en cassation peuvent être plus rigoureuses que pour un appel (Levages Prestations Services,
précité, § 45, Brualla
Gómez de la Torre c. Espagne,
19 décembre 1997, § 37, Recueil
des arrêts et décisions 1997‑VIII, et Kozlica c. Croatie,
no 29182/03, § 32, 2 novembre 2006 ; voir
aussi Shamoyan
c. Arménie, no 18499/08, § 29, 7 juillet 2015).
80. La Cour
rappelle aussi les considérations formulées par le Gouvernement (paragraphe 67 ci-dessus) quant à l’arriéré important et à l’afflux considérable des recours présentés chaque année devant
la Haute juridiction. Cet aspect est d’ailleurs l’une des raisons à l’origine du protocole signé
entre la Cour de cassation et le CNF en 2015 (paragraphe
23 ci-dessus).
81. Si la charge
de travail de la Cour de cassation décrite par le Gouvernement est susceptible de causer des difficultés
au fonctionnement ordinaire de traitement des recours, il n’en demeure pas moins
que les limitations
à l’accès aux cours de cassation ne sauraient restreindre, par une interprétation trop formaliste,
le droit d’accès à un tribunal d’une manière ou à un point tels que ce droit s’en trouve atteint dans sa substance même (Zubac, précité, § 98, Vermeersch
c. Belgique, no 49652/10, § 79, 16 février
2021, Efstratiou et autres c. Grèce, no 53221/14, § 43, 19 novembre 2020, Trevisanato, précité, § 38).
82. En particulier,
la Cour relève qu’il résulte de la jurisprudence fournie par les parties (paragraphes 41-49-50
et 56 ci-dessus) (voir, a
contrario, Efstratiou et autres, précité, § 26) que l’application par la Cour de cassation du principe ici en cause, tout au moins jusqu’aux
arrêts nos 5698 et 8077 de 2012 (paragraphes 30 et 31 ci-dessus), révèle une tendance de la Haute juridiction à mettre l’accent sur des aspects formels qui ne semblent pas répondre
au but légitime
identifié (paragraphe 75
ci-dessus), en particulier
en ce qui concerne l’obligation de retranscription intégrale des documents repris
dans les moyens, et à l’exigence de prévisibilité de la restriction.
83. Par ailleurs,
la Cour estime que la raison de cette tendance réside, entre autres,
dans la nature du principe
d’autonomie, qui prévoit que
le justiciable doit présenter tous les éléments de fait et de droit pour chaque moyen afin
que la Cour de cassation puisse se prononcer sur la base du pourvoi uniquement. C’est pourquoi la Cour considère que l’analyse comparée du Gouvernement relative aux « systèmes
de filtrage » mis en
place dans d’autres pays européens (paragraphes 65 et
70 ci-dessus) ne saurait être pertinente en l’occurrence.
En effet, comme le remarque à juste titre le requérant de la requête no 37781/13 (paragraphe 47 ci-dessus), la recevabilité du pourvoi en cassation
dépend dans ces systèmes de la question de savoir si le recours porte sur une question juridique d’intérêt général ou sur la protection d’un droit fondamental, s’il soulève un conflit de jurisprudence ou, enfin, si
le litige a une valeur
significative. Aux yeux de
la Cour, les « systèmes de filtrage » cités par le Gouvernement s’apparentent plutôt aux dispositions
prévues à l’article
360 bis du CPC (paragraphe
20 ci-dessus).
84. Les
critères relatifs à la rédaction du pourvoi
ne sauraient non plus être comparés, comme le voudrait le Gouvernement (paragraphe 70
ci-dessus), au système de filtrage et aux conditions de recevabilité de la requête devant la Cour. En effet, l’article 47 du règlement de la Cour prévoit que
toute requête déposée en vertu de l’article 34 de la Convention doit être présentée dans le formulaire fourni par le greffe, dans le respect de critères formels clairs, prévisibles et exposés dans des
documents consultables par
tout requérant. Quant aux critères de recevabilité, la Cour estime que
ceux-ci pourraient éventuellement être en partie comparables au mécanisme prévu par l’article 360 bis du
CPC déjà mentionné.
85. Soucieuse
d’examiner les faits des présentes
affaires en s’inspirant du
principe de subsidiarité et de sa jurisprudence
en matière de mécanismes de
filtrage relatifs aux voies de recours
devant les juridictions suprêmes (Papaioannou, précité, § 42),
la Cour procédera à l’appréciation de l’application du principe d’autonomie dans chaque affaire.
α) Requête
no 55064/11
86. La Cour
observe que le pourvoi du requérant
a été en premier lieu rejeté car il ne respectait pas l’obligation d’indiquer, pour chaque moyen, les cas
d’ouverture à cassation de l’arrêt
de la cour d’appel (paragraphe 7
ci-dessus). Or, selon l’article 360, nos 1 à 5 du
CPC, les possibilités de demander la cassation d’une décision sont limitées
à cinq cas d’ouverture (paragraphe 20 ci-dessus).
87. En l’espèce,
chaque moyen du pourvoi du
requérant (paragraphe 6 ci-dessus) dénonçant soit une error in
iudicando, soit une error
in procedendo, s’ouvrait avec
l’indication des articles ou des
principes de droit dont la violation était alléguée et renvoyait aux numéros 3 ou
4 de l’article 360 du
CPC, deux des cas d’ouverture de cassation pouvant être invoqués
par les justiciables.
88. De même,
dans sa critique de l’arrêt de la cour d’appel sur le terrain du vice de motivation, le requérant faisait référence au cas
d’ouverture prévu au numéro 5 de l’article 360 du CPC.
89. Dans
ces conditions, la Cour estime que
l’obligation de préciser le
type de critique formulée par référence aux hypothèses législativement limitées des cas d’ouverture prévus à l’article 360 du CPC a été suffisamment
respectée en l’espèce. La Cour de cassation pouvait, à la lecture de chaque intitulé, savoir quel était le type de cas d’ouverture développé dans le moyen et quelles dispositions, le cas échéant, étaient invoquées.
90. En deuxième
lieu, la Cour de cassation a jugé que le pourvoi du requérant omettait
de mentionner les indications nécessaires à l’identification
des documents mentionnés à l’appui des critiques que
celui-ci avait développées dans ses moyens (paragraphe
7 ci-dessus).
91. La lecture
des moyens du pourvoi démontre
en revanche que lorsque celui-ci faisait référence aux points critiqués de l’arrêt de la cour d’appel, il renvoyait à la motivation de l’arrêt reproduite dans l’exposé des
faits, où les passages pertinents
étaient repris. En outre, lorsqu’il citait des documents
de la procédure au fond pour développer son raisonnement, le requérant retranscrivait les courts passages pertinents et renvoyait au document original,
permettant ainsi de l’identifier parmi les documents déposés
avec le pourvoi.
92. Dans
ces conditions, même à supposer que l’arrêt de la Cour de cassation se réfère correctement au pourvoi du
requérant, en jugeant que les précisions
fournies n’étaient pas suffisantes, la Haute juridiction a fait preuve d’un formalisme excessif qui ne saurait se justifier au regard
de la finalité propre du principe d’autonomie du pourvoi en cassation (paragraphe 75 ci-dessus) et donc du but
poursuivi, à savoir la garantie de la sécurité juridique et la bonne administration
de la justice.
93. La Cour
considère que la lecture du pourvoi
du requérant permettait de comprendre l’objet et le déroulement du litige devant
les juridictions du fond, ainsi
que la portée des moyens, tant
dans leur fondement juridique (le type de critique au regard des
cas prévus à l’article 360 du CPC) que dans leur
contenu, à l’aide des renvois aux
passages de l’arrêt de la cour d’appel et aux documents pertinents
cités dans le pourvoi.
94. En conclusion,
la Cour estime qu’en l’espèce le rejet du pourvoi
du requérant a porté atteinte à la substance de son droit à un tribunal.
95. Dès
lors, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
β) Requête
no 37781/13
96. La Cour
note que le pourvoi du requérant a été introduit en décembre 2006 (paragraphe 11 ci-dessus). À l’époque, les dispositions applicables prévoyaient, outre le respect du principe d’autonomie du pourvoi, l’obligation
soit de conclure les moyens par une question en droit soit d’indiquer clairement les faits contestés pour le moyen tiré du
vice de motivation (paragraphe
20 ci-dessus).
97. En ce qui concerne les questions en droit, la Cour de cassation a jugé que le pourvoi du requérant n’était pas recevable
car celles-ci étaient génériques et abstraites. En ce
qui concerne le dernier moyen,
il n’indiquait pas clairement le fait contesté par rapport au vice de motivation invoqué.
98. La Cour
rappelle son arrêt Trevisanato (précité, § 42), où elle a constaté que le fait de demander au requérant de conclure son moyen de cassation par un paragraphe de synthèse résumant le raisonnement suivi et explicitant le principe de droit dont il alléguait la violation n’aurait requis aucun effort
particulier ultérieur de sa
part.
99. En l’espèce,
s’il est vrai que la jurisprudence citée dans l’arrêt
de la Cour de cassation est
postérieure à la date d’introduction du pourvoi du requérant
(paragraphe
46 ci-dessus),
il n’en demeure pas moins que l’article 366 bis du CPC était entré
en vigueur neuf mois avant l’introduction
du pourvoi et que le requérant était assisté par un avocat rompu aux procédures
judiciaires et habilité à plaider devant les juridictions supérieures (Trevisanato, précité,
§ 45). En outre, la Cour
observe que la loi de délégation de 2005 (paragraphe 18 ci-dessus), par laquelle le législateur a fixé les principes
généraux encadrant les pouvoirs de l’exécutif aux fins
de l’élaboration de la réforme
du code de procédure civile
de 2006, prévoyait, entre autres, que chaque
moyen devait se conclure avec une question en droit et que la Cour de cassation devait énoncer, toujours pour chaque moyen, un principe de droit susceptible, de par sa
nature, de répondre aux critiques formulées dans le cas d’espèce
mais aussi, en tant que principe général, de s’appliquer à d’autres affaires similaires.
100. Quant
aux exigences prévues pour la formulation du moyen tiré
du vice de motivation de l’arrêt attaqué, la Cour note qu’effectivement, comme l’a remarqué la Cour de cassation, le requérant n’a pas clairement indiqué le fait contesté ni les raisons pour lesquelles la motivation de l’arrêt était selon
lui insuffisante. En effet,
faute d’un clair exposé des faits
censés justifier la sanction du défaut
de motivation par la Cour
de cassation, son moyen se limitait à une critique de l’appréciation des faits par la cour d’appel, qui ne pouvait être censurée par la cassation.
101. En ce qui concerne la partie de la décision de la Haute
juridiction relative à la violation
du principe d’autonomie du pourvoi en cassation, la Cour de cassation a indiqué que le requérant s’était limité à mentionner, dans ses moyens,
les documents de la procédure au fond
sans en présenter les
parties pertinentes et sans indiquer
les références nécessaires
pour les retrouver dans le dossier joint au pourvoi (paragraphe 12 ci-dessus).
102. La Cour
renvoie à ses considérations formulées précédemment (paragraphe 82 ci-dessus) en ce qui concerne l’obligation
de présentation (obbligo di riproduzione) interprétée comme une obligation de retranscription de
l’intégralité des documents. Cela dit, elle relève qu’en l’espèce, le pourvoi du requérant omettait
également, en plusieurs occasions, d’indiquer les références des sources écrites invoquées ou des
passages de l’arrêt de la cour d’appel cités,
en méconnaissance de la jurisprudence
de la Cour de cassation sur
ce point (paragraphes 28-29 ci-dessus).
103. La Cour
rappelle que d’après la jurisprudence interne
non controversée sur ce point, les
moyens de cassation qui renvoient à des actes ou des
documents de la procédure au fond doivent
indiquer à la fois les parties du texte critiqué que le justiciable estime pertinentes et les références aux documents originaux versés aux dossiers déposés, afin de permettre au juge
de légitimité d’en vérifier
promptement la portée et le
contenu en ménageant les ressources disponibles.
104. Par conséquent,
l’indication des documents de la procédure au fond était
irrégulière car il manquait,
pour chaque passage cité, la référence aux documents originaux
exigée par la jurisprudence
interne (Dos Santos Calado
et autres c. Portugal, nos 55997/14 et 3 autres, § 115,
31 mars 2020, Efstratiou,
précité, § 49).
105. Compte
tenu de la particularité de
la procédure de cassation,
de l’ensemble du procès mené et du rôle
qu’y a joué la Cour de cassation (Zubac, précité, 82), ainsi que du
contenu de l’obligation spécifique que le défenseur du requérant
était tenu de respecter en l’espèce (en particulier indiquer, pour chaque citation d’une autre source écrite, la référence au document
déposé avec le pourvoi), la Cour estime que la décision
d’irrecevabilité de la Cour
de cassation dans la présente affaire ne saurait passer pour une interprétation trop formaliste qui aurait empêché l’examen du pourvoi de l’intéressé
106. Partant,
il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
γ) Requête
no 26049/14
107. La Cour
observe que l’exposé des faits
figurant dans le pourvoi des requérants
offrait une reconstitution méticuleuse de la procédure au fond et des
décisions rendues par le tribunal et la cour d’appel (paragraphe 16 ci-dessus).
108. En l’espèce,
la Cour de cassation a interprété l’obligation d’exposer les faits
sur le fondement de deux arrêts des chambres
réunies (paragraphe 17
ci-dessus) qui rappellent que la présentation des faits de l’affaire implique une activité du défenseur, qui est tenu de sélectionner les faits pertinents
au regard des critiques qu’il
entend formuler par la
suite dans ses moyens. Le conseil doit en pratique permettre l’identification du thema decidendum de ce qu’il demande à la Cour de cassation, tâche qui passe nécessairement, d’après la jurisprudence interne, par un effort
de synthèse des aspects pertinents de la procédure au fond
(paragraphe 30 ci-dessus).
109. D’ailleurs,
cette exigence de synthèse se trouve également exprimée de manière très claire
dans le code de procédure administrative (paragraphe 21 ci-dessus), qui prévoit que les actes
du juge et ceux des parties doivent être rédigés
de manière claire et synthétique. La Cour note en particulier que la mise en œuvre de cette disposition s’est traduite par la
fixation de critères de rédaction et même de limites à la longueur des recours administratifs
(paragraphe 22 ci-dessus). Dans le même sens,
le Gouvernement a récemment
évoqué, dans son plan de relance et de résilience (paragraphe 24 ci-dessus), la nécessité de réformer la procédure civile, et plus particulièrement
celle suivie devant la Cour de cassation, en développant les principes d’autonomie et de synthèse
des actes de la procédure, y compris du pourvoi.
110. La Cour
estime que l’interprétation donnée à l’exposition sommaire des faits est d’ailleurs compatible avec l’application du principe d’autonomie du pourvoi qui, comme elle l’a déjà rappelé plus haut (paragraphe 75 ci-dessus), postule que la Cour de cassation, à la lecture globale du pourvoi, puisse
comprendre l’objet du litige ainsi
que le contenu des critiques censées
justifier la cassation de
la décision attaquée et être en mesure de statuer.
111. La Cour
observe qu’au moment où le pourvoi des
requérants a été introduit, la jurisprudence de la
Cour de cassation prévoyait des modalités
claires et définies (paragraphes 17 et 30 ci-dessus)
de rédaction de l’exposition
des faits pertinents (Zubac, précité, § 88).
112. La Cour
relève que le défenseur des requérants
s’est borné à retranscrire
une large partie de l’exposé
des faits de l’arrêt de la cour d’appel, les conclusions
en appel des requérants, une partie de l’appel d’une partie défenderesse ainsi que la motivation et le dispositif de l’arrêt de la cour d’appel (paragraphe
16 ci-dessus) (ibidem, §§ 90 et 121).
113. À cet
égard, la Cour relève que la procédure
devant la Cour de cassation prévoit l’assistance obligatoire d’un avocat qui doit être inscrit sur une liste spéciale, sur la base de certaines
compétences requises, garantissant la qualité du pourvoi et le respect de l’ensemble des conditions de forme et de fond exigées. Le conseil des requérants était donc en mesure
de connaître ses obligations en la matière, en s’appuyant sur le libellé de l’article 366 du CPC et à l’aide de l’interprétation de la Cour de cassation, laquelle présentait une clarté et une cohérence suffisantes (Trevisanato, précité,
§ 45).
114. Eu regard
à ce qui précède, la Cour estime que la décision
rendue par la Cour de cassation n’a pas porté atteinte à la substance du droit
des requérants à un tribunal.
115. Dès
lors, il n’y a pas eu violation
de l’article 6 § 1 de la Convention.
- SUR L’APPLICATION
DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
116. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il
y a eu violation de la
Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il
y a lieu, une satisfaction équitable. »
- Dommage
117. Le requérant
de la requête no 55064/11 demande 26 000 euros (EUR) au titre du dommage
matériel et un montant égal à au moins
un tiers de cette somme au titre du
dommage moral qu’il estime avoir subi.
118. Le Gouvernement
considère que cette demande revêt
un caractère disproportionné
et exorbitant, et critique les paramètres retenus par le requérant, qu’il estime arbitraires.
119. La Cour
ne distingue aucun lien de causalité
entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. En effet, il n’appartient pas à la Cour de spéculer sur l’issue qui aurait été celle de la procédure en absence de la violation constatée. Elle rejette donc la demande formulée à ce titre. En revanche, elle octroie au requérant 9 600 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû
sur cette somme à titre d’impôt.
- Frais et dépens
120. Le requérant
réclame 20 EUR pour frais de correspondance
et s’en remet à la Cour
pour l’appréciation des autres frais et dépens engagés devant elle et devant les juridictions internes.
121. Le Gouvernement
conteste cette réclamation.
122. Selon
la jurisprudence de la Cour,
un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens
que dans la mesure où se trouvent
établis leur réalité, leur nécessité
et le caractère raisonnable
de leur taux. En l’espèce, compte tenu de l’absence de documents en sa possession et des critères susmentionnés,
la Cour rejette la demande présentée au titre des
frais et dépens par le requérant.
- Intérêts moratoires
123. La Cour
juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires
sur le taux d’intérêt de la
facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À
L’UNANIMITÉ,
- Décide de joindre les requêtes ;
- Déclare les requêtes recevables ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1
de la Convention en ce qui concerne la requête no 55064/11 ;
- Dit qu’il n’y a pas eu violation
de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui
concerne les requêtes
nos 37781/13 et 26049/14 ;
- Dit,
a) que
l’État défendeur doit verser au
requérant de la requête no 55064/11, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2
de la Convention, 9 600 EUR (neuf mille six cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette
somme à titre d’impôt, pour
dommage moral ;
b) qu’à
compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui
de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette
période, augmenté de trois points de pourcentage ;
- Rejette le
surplus de la demande de satisfaction
équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 octobre 2021, en application de l’article 77 §§ 2
et 3 du règlement.
Renata Degener Ksenija Turković
Greffière Présidente
Requête No |
Nom de l’affaire |
Introduite le |
Requérant |
Représenté par |
|
1. |
Succi c. Italie |
13/08/2011 |
L. SUCCI |
P. Calabretta |
|
2. |
Pezzullo c. Italie |
28/05/2013 |
L. PEZZULLO |
D. Fimmano’ |
|
3. |
Di Romano et autres
c. Italie |
15/03/2014 |
S. DI ROMANO A. PIERMARINI |
E. Formisano – A. Mascia |
[1] Article introduit par la loi n° 69 du 18 juin 2009, en vigueur à partir du 4 juillet 2009.
[2] M
F Di Dario est décédé le 20 avril
2014, après l’introduction
de la requête. Ses héritiers, les autres requérants de la même requête, ont informé la Cour de leur souhait de poursuivre la procédure devant la Cour.