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Cour europĂ©enne des droits de l’homme

 

 

 

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SUCCI ET AUTRES c. ITALIE

(RequĂȘtes nos 55064/11 et 2 autres –
voir liste en annexe)

 

 

ARRÊT

 

Art 6 § 1 (civil) ‱ AccĂšs Ă  un tribunal ‱ Formalisme et absence de formalisme excessif de la Cour de cassation ayant dĂ©clarĂ© irrecevable les pourvois des requĂ©rants au regard des critĂšres de rĂ©daction des pourvois en cassation

 

 

STRASBOURG

28 octobre 2021

 

 

Cet arrĂȘt deviendra dĂ©finitif dans les conditions dĂ©finies Ă  l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.



En l’affaire Succi et autres c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (premiĂšre section), siĂ©geant en une Chambre composĂ©e de :

 Ksenija Turković, prĂ©sidente,

 PĂ©ter Paczolay,

 Alena PolĂĄčkovĂĄ,

 Gilberto Felici,

 Erik Wennerström,

 Raffaele Sabato,

 Lorraine Schembri Orland, juges,

et de Renata DegenergreffiĂšre de section,

Vu :

les requĂȘtes (nos 55064/1137781/13 et 26049/14) dirigĂ©es contre la RĂ©publique italienne et dont huit ressortissants italiens (« les requĂ©rants Â») (voir liste en annexe) ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â») aux dates indiquĂ©es dans le tableau joint en annexe,

la dĂ©cision de porter Ă  la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement Â») le grief tirĂ© de l’article 6 § 1 de la Convention,

les observations des parties,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 octobre 2021,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

INTRODUCTION

1.  Les requĂȘtes portent sur l’irrecevabilitĂ© des pourvois en cassation, que les requĂ©rants jugent entachĂ©e de formalisme excessif. Les requĂ©rants invoquent l’article 6 § 1 de la Convention (droit Ă  un tribunal).

EN FAIT

2.  Les dates de naissance et les lieux de rĂ©sidence des requĂ©rants ainsi que les noms de leurs reprĂ©sentants figurent en annexe.

3.  Le Gouvernement a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son ancien coagent, Mme M.G. Civinini, et par son agent, M. L. D’Ascia.

4.  En ce qui concerne la requĂȘte no 26049/14, l’un des requĂ©rants, M. F. Di Dario, est dĂ©cĂ©dĂ© aprĂšs l’introduction de la requĂȘte devant la Cour. Ses hĂ©ritiers, les autres requĂ©rants de la mĂȘme requĂȘte, ont informĂ© la Cour de leur souhait de poursuivre la procĂ©dure devant la Cour. Le Gouvernement a acceptĂ© le locus standi des hĂ©ritiers dans la procĂ©dure.

  1. REQUÊTE NO 55064/11

5.  Le requĂ©rant Ă©tait gĂ©rant d’une entreprise commerciale situĂ©e Ă  Catane. Le 19 novembre 2003, la propriĂ©taire des magasins qu’il louait lui notifia un avis d’expulsion (domanda di sfratto). Le 12 mars 2008, le tribunal de Catane prononça la rĂ©solution du contrat de location avec injonction de quitter les lieux. Le 12 octobre 2009, la cour d’appel de Catane confirma le jugement.

6.  Le 2 mars 2010, le requĂ©rant forma un pourvoi en cassation (RG no 6688/2010) dont l’exposĂ© des faits contenait un rĂ©sumĂ© de l’objet du litige et le dĂ©roulement de la procĂ©dure. Les motifs d’appel et la motivation de l’arrĂȘt attaquĂ© y Ă©taient retranscrits ; les piĂšces de la procĂ©dure et les documents citĂ©s Ă©taient partiellement retranscrits ou rĂ©sumĂ©s, et portaient la numĂ©rotation du dossier de premiĂšre instance (fascicolo di parte di primo grado).

La deuxiĂšme partie du pourvoi (pages 33 Ă  51) se penchait sur les moyens de cassation (motivi di ricorso) de l’arrĂȘt. Chaque moyen indiquait le cas d’ouverture invoquĂ©, conformĂ©ment Ă  l’article 360 du code de procĂ©dure civile (le « CPC Â») :

« Io - Violation ou application erronĂ©e des articles 2 de la Constitution, 1175 et 1375 du code civil, 1455 du code civil et du principe gĂ©nĂ©ral de bonne foi et de l’interdiction de l’abus du droit (art. 360, alinĂ©a 1er, no 3 du CPC) – Motivation contradictoire sur un fait controversĂ© et dĂ©cisif pour le procĂšs (art. 360, alinĂ©a 1er, no 5 du CPC). (...)

IIo - Motivation contradictoire sur un fait controversĂ© et dĂ©cisif pour le procĂšs (art. 360, alinĂ©a 1er, no 5 du CPC). (...)

IIIo - Violation ou application erronĂ©e de l’article 34 de la loi no 392 de 1978 (art. 360, alinĂ©a 1er, no 3 CPC) – Motivation contradictoire sur un fait controversĂ© et dĂ©cisif pour le procĂšs (art. 360, alinĂ©a 1er, no 5 du CPC). (...)

IVo - NullitĂ© de l’arrĂȘt ou du procĂšs (art. 360, alinĂ©a 1er, no 4, du CPC), au sens de l’article 112 du CPC â€“ Violation ou application erronĂ©e des articles 88 et 89 du CPC (art. 360, alinĂ©a 1er, no 3 du CPC). (...)

Vo - Violation ou application erronĂ©e de l’article 91 du CPC (art. 360, alinĂ©a 1er, no 3 du CPC) – NullitĂ© de l’arrĂȘt ou du procĂšs (art. 360, alinĂ©a 1er, no 4 du CPC). (...) Â»

En ce qui concerne les documents retranscrits ou rĂ©sumĂ©s dans la deuxiĂšme partie, le requĂ©rant renvoyait Ă  la motivation de l’arrĂȘt d’appel ou aux documents de la procĂ©dure au fond (notes en dĂ©fense dĂ©posĂ©es en appel, procĂšs-verbal d’une audience, mĂ©moire de la partie dĂ©fenderesse). L’arrĂȘt de la cour d’appel et les piĂšces du dossier d’appel Ă©taient annexĂ©s au pourvoi.

7.  Sur proposition du juge rapporteur, la Cour de cassation dĂ©clara le pourvoi irrecevable (ordonnance no 4977 de 2011). Elle rappela que :

« aux termes de l’article 366, no 4 du CPC, le pourvoi doit contenir les moyens de cassation, indiquer les normes sur lesquelles ils se fondent et, conformĂ©ment Ă  l’article 366, no 6 du CPC, mentionner expressĂ©ment les piĂšces de la procĂ©dure et les documents dont il fait Ă©tat.

Quant Ă  l’article 366, no 4 du CPC, il convient de rappeler que le demandeur au pourvoi ne peut invoquer que certains motifs de cassation (critica vincolata), limitĂ©s aux cas d’ouverture prĂ©vus Ă  l’article 360 [du CPC], ce qu’implique, pour chaque moyen, l’indication de l’intitulĂ© du moyen avec les raisons invoquĂ©es, l’exposĂ© des arguments invoquĂ©s contre la dĂ©cision attaquĂ©e et la prĂ©sentation dĂ©taillĂ©e des critiques justifiant la cassation de la dĂ©cision.

En ce qui concerne l’article 366, no 6 du CPC, il y a lieu de rappeler que (...), aux termes du dĂ©cret lĂ©gislatif no 40 de 2006, les piĂšces sur lesquelles est fondĂ© le pourvoi doivent ĂȘtre expressĂ©ment mentionnĂ©es ainsi que le stade de la procĂ©dure dans lequel celles-ci ont Ă©tĂ© produites. La mention expresse d’un document produit pendant la procĂ©dure implique (...) en application de l’article 369, deuxiĂšme alinĂ©a, no 4 du CPC, que ce document soit produit aussi devant la Cour de cassation.

En d’autres termes, lorsque le demandeur au pourvoi se plaint de l’apprĂ©ciation erronĂ©e d’un document ou de son omission dans la dĂ©cision au fond, il a la double obligation de le verser au dossier et d’en prĂ©ciser le contenu. Il s’acquitte de la premiĂšre obligation en indiquant Ă  quelle phase de la procĂ©dure correspond le document et dans quel dossier celui-ci se trouve, et de la deuxiĂšme en reproduisant ou en rĂ©sumant dans son pourvoi le contenu du document.

(...)

Le pourvoi [du requĂ©rant] ne respecte pas les principes exposĂ©s ci-dessus, car les cinq moyens qui y figurent ne mentionnent ni l’intitulĂ© des vices dĂ©noncĂ©s ni les rĂ©fĂ©rences des documents invoquĂ©s au soutien des arguments dĂ©veloppĂ©s. (...) Â»

  1. REQUÊTE NO 37781/13

8.  Ă€ la suite de travaux rĂ©alisĂ©s devant son domicile, le requĂ©rant obtint du tribunal de Naples la nomination d’un expert qui procĂ©da Ă  une expertise non reproductible (accertamento tecnico preventivo) attestant la rupture des puits et l’existence d’une fuite d’eau Ă  l’origine d’un affaissement des fondations de l’immeuble.

9.  Le 20 aoĂ»t 2004, le tribunal de Naples jugea la municipalitĂ© de Frattamaggiore responsable et la condamna Ă  indemniser le requĂ©rant.

10.  Le 2 aoĂ»t 2006, la cour d’appel de Naples rĂ©forma ce jugement, estimant que le prĂ©judice Ă©ventuel n’était pas imputable Ă  la municipalitĂ© mais Ă  l’entreprise privĂ©e adjudicatrice de l’appel d’offre.

11.  Le 16 dĂ©cembre 2006, le requĂ©rant forma un pourvoi en cassation (RG no 652/2007). Le pourvoi du requĂ©rant s’ouvrait par un rĂ©sumĂ© de la procĂ©dure de premiĂšre instance et d’appel (pages 1 Ă  4), et se poursuivait par l’exposĂ© des cinq moyens de cassation soulevĂ©s (pages 4 Ă  11). Les quatre premiers dĂ©nonçaient la violation ou la mauvaise application de certaines dispositions du code civil, et le dernier critiquait la motivation dĂ©faillante ou insuffisante de l’arrĂȘt relativement Ă  un fait controversĂ© et dĂ©cisif pour le procĂšs. Le requĂ©rant contestait plusieurs passages de l’arrĂȘt d’appel en s’appuyant sur des documents de la procĂ©dure au fond, dont certains Ă©taient rĂ©fĂ©rencĂ©s et dont la plupart Ă©taient rĂ©sumĂ©s dans le texte du pourvoi. Les quatre moyens critiquant la violation ou la mauvaise application des articles du code civil se terminaient par une « question en droit Â».

12.  Le 14 fĂ©vrier 2013 (arrĂȘt no 3652 de 2013), la Cour de cassation dĂ©clara le pourvoi irrecevable, en application des articles 366, 1er alinĂ©a, no 4, 366 bis et 375, 1er alinĂ©a, no 5 du CPC. Elle estima que :

« les questions en droit concluant les moyens ne respectent pas le schĂ©ma dĂ©veloppĂ© par cette Cour (indication des faits pertinents et de leur apprĂ©ciation par la juridiction du fond, indication de l’autre interprĂ©tation (interpretazione alternativa) proposĂ©e par le demandeur au pourvoi). Il s’ensuit qu’elles sont abstraites et gĂ©nĂ©riques, et qu’elles ne prĂ©sentent pas de lien avec l’affaire. [Elles ne permettent pas], Ă  leur seule lecture (arrĂȘts des chambres rĂ©unies nos 2658/2008, 3519/2008, 7433/2009, arrĂȘt no 8463/2009), d’identifier la solution adoptĂ©e dans la dĂ©cision attaquĂ©e et les termes du litige (arrĂȘts des chambres rĂ©unies nos 20360/2007, 11650/2008, 12645/2008), et elles n’offrent pas Ă  [la Cour de cassation] la possibilitĂ© de limiter sa dĂ©cision Ă  l’acceptation ou le rejet [de la question] (...).

(...)

[Le pourvoi ne satisfait pas] non plus aux critĂšres de l’article 366, 1er alinĂ©a, no 6 du CPC en ce que [le demandeur au pourvoi renvoie] aux documents de la procĂ©dure au fond (...) dont [il] dĂ©nonce l’apprĂ©ciation erronĂ©e ou l’absence d’apprĂ©ciation en se bornant Ă  les mentionner sans en reproduire les parties pertinentes ou, lorsque ces parties sont reproduites, en omettant de mentionner les rĂ©fĂ©rences qui permettraient de retrouver les documents en question (arrĂȘt des chambres rĂ©unies no 22726/2011, arrĂȘts nos 29279/2008, 15628/2009 et 20535/2009).

Ainsi les critiques du requĂ©rant ne sont pas formulĂ©es d’une maniĂšre qui en permettrait la comprĂ©hension Ă  la seule lecture du pourvoi, ce qui empĂȘche la Cour de remplir sa fonction consistant Ă  en apprĂ©cier le bien-fondĂ© Ă  la lecture des moyens [de cassation] et qu’il est impossible de remĂ©dier Ă  ces lacunes, [la Cour de lĂ©gitimitĂ© n’ayant pas] accĂšs aux actes de la procĂ©dure au fond.

Les allĂ©gations du requĂ©rant, formulĂ©es de maniĂšre apodictique, ne sont suivies d’aucune dĂ©monstration et ne sont pas suffisantes (...).

MĂȘme pour le vice de motivation, [le pourvoi ne comporte] pas de « claire indication Â» des « raisons Â» [art. 366 bis, alinĂ©a 2, du CPC], comme l’exigent le schĂ©ma et les principes de [la jurisprudence de] cette Cour, – en [dĂ©lĂ©guant] de maniĂšre inacceptable (inammissibilmente) cette activitĂ© Ă  la Cour (...) ».

  1. REQUÊTE NO 26049/14

13.  Les requĂ©rants sont respectivement le mari, les fils, les parents et le frĂšre de Mme D.D., dĂ©cĂ©dĂ©e le 26 juin 2000 Ă  la suite d’un accident de la route.

14.  Le 23 octobre 2007, le tribunal de Teramo dĂ©clara civilement responsables de l’accident le chauffeur et le propriĂ©taire du vĂ©hicule et les condamna Ă  indemniser les requĂ©rants. Le 19 octobre 2010, la cour d’appel de L’Aquila rĂ©forma partiellement le jugement en rĂ©duisant le montant du prĂ©judice patrimonial et des autres sommes accordĂ©es au titre des dommages et intĂ©rĂȘts.

15.  Le 21 dĂ©cembre 2011, les requĂ©rants se pourvurent en cassation.

16.  Long de quatre-vingts pages, le pourvoi contenait l’exposĂ© des faits et quatre moyens de cassation de l’arrĂȘt. En particulier, l’exposĂ© (pages 1 Ă  51) Ă©tait composĂ© essentiellement d’une retranscription de l’acte d’appel, d’un rĂ©sumĂ© de l’appel incident (appello incidentale) des requĂ©rants et de leurs conclusions d’appel, de transcriptions de l’appel de l’un des dĂ©fendeurs et de la motivation et du dispositif de l’arrĂȘt de la cour d’appel.

17.  Par une ordonnance no 21232/2013 du 17 septembre 2013, la Cour de cassation dĂ©clara le pourvoi irrecevable. Elle considĂ©ra qu’il ne respectait pas l’exigence Ă©noncĂ©e Ă  l’article 366, no 3 du CPC car il reprenait en les recopiant quasi intĂ©gralement les actes de la procĂ©dure suivie devant les juges du fond (arrĂȘt no 16628 rendu en 2009 par les chambres rĂ©unies). La Haute juridiction rappela ensuite que :

« L’ordonnance no 19255/2010 rĂ©itĂšre que l’exigence [prĂ©vue Ă  l’article 366, no 3 du CPC] implique une activitĂ© de rĂ©daction du dĂ©fenseur, laquelle, dĂšs lors qu’elle est qualifiĂ©e de « sommaire Â» (...), implique un exposĂ© destinĂ© Ă  rĂ©sumer tant la situation litigieuse que le dĂ©roulement de la procĂ©dure.

Ce principe a Ă©tĂ© confirmĂ© par un arrĂȘt no 5698 rendu en 2012 par les chambres rĂ©unies, qui a rĂ©affirmĂ© que la reproduction non critique, intĂ©grale et littĂ©rale du contenu des actes du procĂšs est, d’une part, superflue – puisqu’il n’est nullement exigĂ© un compte-rendu mĂ©ticuleux de chaque Ă©tape de la procĂ©dure – et, d’autre part, incompatible avec l’exigence d’une exposition sommaire des faits puisqu’elle revient Ă  confier Ă  la Cour [de cassation la tĂąche de choisir] (...) ce qui est effectivement important au regard des moyens de cassation.

En l’espĂšce, l’exposition sommaire des faits s’étend sur 51 pages et reproduit intĂ©gralement une sĂ©rie d’actes de procĂ©dure en les regroupant (tecnica dell’assemblaggio), sans le moindre effort de synthĂšse propre Ă  reconstituer la chronologie et le dĂ©roulement de la procĂ©dure dans ses points essentiels.

L’exposĂ© des moyens ne permet pas non plus d’identifier les faits pertinents pour leur comprĂ©hension Â».

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

  1. LA LÉGISLATION INTERNE
    1. Le code de procédure civile

18.  En vertu de la loi no 80 du 14 mai 2005, le lĂ©gislateur a dĂ©lĂ©guĂ© Ă  l’exĂ©cutif la rĂ©forme du code de procĂ©dure civile (le Â« CPC Â»), en particulier en matiĂšre de procĂ©dure de cassation. Parmi les principes et critĂšres Ă  respecter, la loi indique que :

« 3. Dans la mise en Ɠuvre de la [loi de] dĂ©lĂ©gation (...), le Gouvernement respectera les principes et critĂšres suivants :

a) (...) le moyen du pourvoi [en cassation] devra se conclure, Ă  peine d’irrecevabilitĂ©, par la formulation claire d’une « question en droit Â» ; (...) [la Cour de cassation doit rĂ©pondre Ă  chaque moyen par] l’énonciation d’un principe de droit ; (...). Â»

19.  En consĂ©quence, le Gouvernement a adoptĂ© le dĂ©cret lĂ©gislatif no 40 de 2006, qui a insĂ©rĂ© l’article 366 bis dans le CPC, ajoutant Ă  l’article 366 du CPC une disposition prĂ©voyant « la mention expresse des actes de la procĂ©dure, des documents, des contrats ou des conventions collectives sur lesquels le pourvoi est fondĂ© Â», et Ă  l’article 369 du mĂȘme code, l’obligation de dĂ©poser avec le pourvoi les actes, documents, contrats ou conventions collectives qui s’y trouvent citĂ©s.

20.  Les articles pertinents du CPC, tels qu’applicables Ă  l’époque des faits, Ă©taient ainsi libellĂ©s :

« Article 360 – DĂ©cisions attaquĂ©es et cas d’ouverture

Les dĂ©cisions rendues en appel ou en premier et dernier ressort peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation pour :

1. des motifs de juridiction ;

2. violation des rĂšgles de compĂ©tence, lorsque la rĂ©solution d’un conflit de compĂ©tence (regolamento di competenza) n’est pas prescrite ;

3. violation ou mauvaise application de la loi et des conventions et accords collectifs nationaux en matiĂšre d’emploi ;

4. nullitĂ© de la dĂ©cision ou de la procĂ©dure ;

5. motivation absente, insuffisante ou contradictoire sur un fait controversé et décisif pour le litige (...)

Article 360 bis (IrrecevabilitĂ© du pourvoi)[1]

Le pourvoi est irrecevable :

1) lorsque la dĂ©cision attaquĂ©e a statuĂ© sur des points de droit conformĂ©ment Ă  la jurisprudence de la Cour et que l’examen des moyens ne permet pas de confirmer ou de modifier son orientation ;

2) lorsqu’un grief de violation des principes rĂ©gissant le procĂšs Ă©quitable est manifestement mal fondĂ©.

(...)

Article 366 (Contenu du pourvoi)

Le pourvoi doit contenir, sous peine de non-admission :

1. l’indication des parties ;

2. l’indication du jugement ou de la dĂ©cision faisant l’objet du pourvoi ;

3. un rĂ©sumĂ© des faits de l’affaire ;

4. les cas d’ouverture invoquĂ©s au soutien du pourvoi en cassation, avec l’indication des normes sur lesquelles ils se fondent (...) ;

(...)

6. la mention expresse des actes de la procédure, des documents, des contrats ou des conventions collectives sur lesquels le pourvoi est fondé (...).

Article 366 bis â€“ (Formulation des moyens de droit) – Dans les cas prĂ©vus Ă  l’article 360, 1er alinĂ©a, numĂ©ros 1) - 4), l’indication de chaque moyen doit se conclure, sous peine d’irrecevabilitĂ©, par la formulation d’une question en droit.

Dans le cas prĂ©vu Ă  l’article 360, 1er alinĂ©a, numĂ©ro 5), la formulation de chaque moyen doit contenir, sous peine d’irrecevabilitĂ©, l’indication claire du fait contestĂ© Ă  propos duquel il est allĂ©guĂ© que la motivation est inexistante ou contradictoire, ou les raisons pour lesquelles il est allĂ©guĂ© que la motivation est insuffisante et impropre Ă  justifier la dĂ©cision.

(...)

Article 369 – DĂ©pĂŽt du pourvoi en cassation

Le pourvoi doit ĂȘtre dĂ©posĂ© au greffe de la Cour de cassation, Ă  peine d’irrecevabilitĂ©, dans les vingt jours suivant sa notification aux parties dĂ©fenderesses au pourvoi.

Avec le pourvoi, les documents suivants doivent ĂȘtre dĂ©posĂ©s Ă  peine d’irrecevabilitĂ© :

(...)

4) les actes du procÚs, les documents, les contrats ou les conventions collectives sur lesquels le pourvoi est fondé.

Le demandeur au pourvoi doit solliciter auprĂšs du greffe de la juridiction qui a rendu la dĂ©cision attaquĂ©e ou dont la compĂ©tence est contestĂ©e l’envoi du dossier au greffe de la Cour de cassation ; cette demande est visĂ©e par le greffe et renvoyĂ©e au requĂ©rant, puis dĂ©posĂ©e avec le pourvoi. Â»

  1. Le code du procĂšs administratif

21.  L’article 3 du code de procĂ©dure administrative (approuvĂ© par le dĂ©cret lĂ©gislatif no 104 du 2 juillet 2010), intitulĂ© « devoir de motivation et de synthĂšse des actes Â», dispose que le juge et les parties au procĂšs doivent rĂ©diger les actes de la procĂ©dure de maniĂšre claire et concise.

22.  Cette disposition a Ă©tĂ© mise en Ɠuvre par des arrĂȘtĂ©s successifs du prĂ©sident du Conseil d’État (arrĂȘtĂ©s no 40 de 2015, no 167 de 2016 et no 127 de 2017), qui ont fixĂ© des critĂšres de rĂ©daction et des limites Ă  la longueur des recours administratifs.

  1. Le protocole conclu entre la Cour de cassation et le Conseil national des barreaux le 17 décembre 2015

23.  Le protocole conclu entre la Cour de cassation et le Conseil national des barreaux (« le CNF Â») fixe des critĂšres rĂ©dactionnels du pourvoi en cassation en matiĂšre civile et fiscale. Dans ses parties pertinentes, il est ainsi rĂ©digĂ© :

« La Cour de cassation (...) et le Conseil national des barreaux (le « CNF Â») (...) convaincus que le temps est venu de prendre acte ensemble :

1) des difficultĂ©s liĂ©es au traitement des recours devant la Cour de cassation : a) Ă  cause de la multiplication de ceux-ci (...), b) Ă  cause de la difficultĂ© constatĂ©e de dĂ©finir de maniĂšre claire et dĂ©finitive le sens et les limites du « principe d’autonomie du pourvoi en cassation Â» Ă©laborĂ© par la jurisprudence (...) ;

2) de la longueur excessive des actes (...) qui peut faire obstacle Ă  la comprĂ©hension concrĂšte de leur contenu (...) ;

3) du fait que cette longueur excessive peut en partie s’expliquer par un souci lĂ©gitime des avocats d’éviter l’irrecevabilitĂ© du pourvoi pour non-respect du principe d’autonomie (...) ;

4) du fait que l’adoption d’un modĂšle de formulaire de pourvoi pourrait aboutir Ă  une simplification significative (...) ;

(...)

Le principe d’autonomie

Le respect du principe d’autonomie ne comporte pas une obligation de transcription intĂ©grale, dans le pourvoi ou dans le mĂ©moire, des documents mentionnĂ©s. Ledit principe est respectĂ© (...) :

1. lorsque chaque moyen (...) rĂ©pond aux critĂšres de spĂ©cificitĂ© prĂ©vus par le code de procĂ©dure [civile] ;

2. lorsque chaque moyen indique, le cas Ă©chĂ©ant, l’acte, le document, le contrat ou la convention collective sur lesquels il s’appuie (article 366, premier paragraphe, no 6 du CPC) ainsi que les pages, paragraphes, lignes [des passages citĂ©s] (...) ;

3. lorsque chaque moyen indique le stade (tempo) (acte introductif, recours, acte de constitution, note en dĂ©fense, etc...) du procĂšs de premiĂšre instance ou d’appel oĂč chaque document est produit ;

4. lorsque sont joints au pourvoi, dans un dossier prĂ©vu Ă  cet effet [il fascicoletto] qui s’ajoute au dossier de la partie constituĂ© au cours des prĂ©cĂ©dentes instance, au sens de l’article 369, deuxiĂšme paragraphe, no 4 du CPC, les actes, documents, contrats et conventions collectives mentionnĂ©s dans le pourvoi ou dans l’acte en dĂ©fense. Â»

  1. Le Plan national de reprise et de rĂ©silience (« le PNRR Â»)

24.  Dans son Plan national de reprise et de rĂ©silience (le « PNRR Â») adoptĂ© en 2021, le Gouvernement vise Ă  rendre effectif le principe du caractĂšre synthĂ©tique des actes et celui de collaboration loyale entre le juge et les parties. En particulier, il prĂ©voit d’étoffer, pour la procĂ©dure devant la Cour de cassation, les principes d’autonomie et de synthĂšse des actes, d’adopter des modalitĂ©s pratiques uniformes de dĂ©roulement de la procĂ©dure et, enfin, d’élargir la procĂ©dure en chambre de conseil pour simplifier la prise de dĂ©cision.

  1. LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION
    1. Le principe d’autonomie du pourvoi en cassation

25.  La Cour de cassation a mentionnĂ© pour la premiĂšre fois le principe d’autonomie du pourvoi dans son arrĂȘt no 5656 de 1986 (voir aussi les arrĂȘts nos 4277/1981, 5530/1983 et 2992/1984), affirmant que le « contrĂŽle de lĂ©gitimitĂ© Â» doit avoir lieu uniquement sur la base des arguments contenus dans le pourvoi et que les lacunes de celui-ci ne peuvent ĂȘtre comblĂ©es par la juridiction. La jurisprudence ultĂ©rieure a imposĂ© une obligation de spĂ©cification des faits et des circonstances mentionnĂ©s dans le pourvoi (arrĂȘt no 9712/2003), posant le principe selon lequel le juge de lĂ©gitimitĂ© doit ĂȘtre en mesure de comprendre la portĂ©e de la censure et de statuer sur celle-ci sans examiner d’autres sources Ă©crites (arrĂȘt no 6225/2005).

26.  Dans un premier temps, la Cour de cassation a appliquĂ© le principe uniquement aux moyens critiquant un vice de motivation de la dĂ©cision attaquĂ©e. Par la suite, elle a Ă©largi son application aux moyens relatifs Ă  la mauvaise interprĂ©tation de la loi ou Ă  la nullitĂ© de la dĂ©cision et de la procĂ©dure (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrĂȘts nos 8013/1998, 4717/2000, 6502/2001, 3158/2002, 9734/2004, 6225/2005 et 2560/2007).

27.  En ce qui concerne les modalitĂ©s de prĂ©sentation des documents dans le pourvoi (obbligo di riproduzione), la Cour de cassation a dit que le justiciable devait les retranscrire intĂ©gralement (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrĂȘts nos 1865/2000, 17424/2005, 20392/2007 et 21994/2008) ou en identifier et en exposer les passages pertinents et essentiels (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrĂȘts nos 7851/1997, 1988/1998, 10493/2001, 8388/2002, 3158/2003, 24461/2005). En particulier, dans son arrĂȘt no 18661 de 2006, elle a interprĂ©tĂ© cette obligation comme un devoir de « transcription intĂ©grale Â» de chaque document dans le pourvoi chaque fois que son rĂ©sumĂ© ne permet pas de prĂ©senter Ă  la Cour de cassation tous les Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires aux fins de trancher la question objet du moyen.

28.  Ă€ la suite de la rĂ©forme de 2006 (paragraphe 19 ci-dessus), la Cour de cassation a affirmĂ© que, aux termes de l’article 366, no 6 du CPC, le principe d’autonomie du pourvoi en cassation impose au demandeur au pourvoi l’obligation d’indiquer les documents pertinents, soit en en rĂ©sumant le contenu, soit en en reproduisant les passages essentiels, ou mĂȘme l’intĂ©gralitĂ©, Ă  chaque fois que cela est nĂ©cessaire Ă  la comprĂ©hension d’un moyen (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrĂȘts nos 19766/2008, 22302/2008, 28547/2008, 18421/2009, 6397/2010 et 20028/2011). Elle a aussi dit que le principe de l’autonomie n’est pas respectĂ© lorsque le justiciable reproduit l’intĂ©gralitĂ© d’un ou de plusieurs documents en laissant Ă  la Cour de cassation la tĂąche de sĂ©lectionner les passages pertinents (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrĂȘts nos 4823/2009, 16628/2009 et 1716/2012).

29.  En ce qui concerne l’article 369, alinĂ©a 2, no 4, du CPC, elle a affirmĂ© que chaque document citĂ© doit ĂȘtre accompagnĂ© d’une rĂ©fĂ©rence permettant d’identifier le stade de la procĂ©dure oĂč il a Ă©tĂ© produit (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrĂȘts nos 29729/2008, 15628/2009, 20535/2009, 19069/2011 et l’arrĂȘt des chambres rĂ©unies no 22726/2011).

30.  Dans l’arrĂȘt des chambres rĂ©unies no 5698 de 2012, la Cour de cassation s’est penchĂ©e sur la question de la reproduction intĂ©grale des actes (voir aussi, l’arrĂȘt des chambres rĂ©unies no 19255/2010). Elle a rappelĂ© que le principe de l’exposition sommaire des faits impliquait une activitĂ© rĂ©dactionnelle de synthĂšse de la part du dĂ©fenseur (voir les ordonnances nos 19100/2006 et 19237/2003). Elle a affirmĂ© notamment que :

« la transcription, partielle ou intĂ©grale, satisfait au principe d’autonomie du pourvoi chaque fois que le justiciable affirme que la dĂ©cision censurĂ©e n’a pas tenu compte d’un Ă©lĂ©ment et que la solution aurait Ă©tĂ© diffĂ©rente.

(...)

L’obligation de sĂ©lectionner ce qui est pertinent en fonction de sa transcription et de veiller Ă  exposer sommairement les faits (...) doit ĂȘtre respectĂ©e par le dĂ©fenseur. Ainsi, le [dĂ©fenseur] qui retranscrit les faits tels que prĂ©sentĂ©s dans la dĂ©cision attaquĂ©e risque de voir son pourvoi dĂ©clarĂ© irrecevable. La duplication (riproduzione) totale ou partielle de la dĂ©cision attaquĂ©e n’est compatible avec l’article 366, no 3 du CPC que si elle permet d’exposer de maniĂšre synthĂ©tique les faits nĂ©cessaires Ă  la comprĂ©hension des moyens (voir aussi l’arrĂȘt no 5836/2011). Â»

31.  Par la suite, dans son arrĂȘt des chambres rĂ©unies no 8077 de 2012, la Cour de cassation a affirmĂ© que :

« (...) le juge de lĂ©gitimitĂ© (...) est investi du pouvoir d’examiner directement les actes et documents qui sont Ă  la base du pourvoi. [Cela] Ă  condition que la plainte ait Ă©tĂ© exposĂ©e par le demandeur dans le respect des rĂšgles Ă©tablies Ă  cet Ă©gard (...) en particulier, dans le respect des prescriptions dictĂ©es par l’art. 366, premier alinĂ©a, no 6, et 369, deuxiĂšme alinĂ©a, no 4 du CPC. (...) Â»

  1. La jurisprudence relative Ă  l’article 366 bis du code de procĂ©dure civile

32.  En matiĂšre d’article 366 bis du CPC, la Cour renvoie Ă  la jurisprudence citĂ©e dans l’arrĂȘt Trevisanato c. Italie (no 32610/07, §§ 21-23, 15 septembre 2016). En particulier, selon les arrĂȘts des chambres rĂ©unies de la Cour de cassation nos 14385/2007, 22640/2007 et 3519/2008, et l’ordonnance no 2658 de 2008, la lecture de la question en droit doit permettre au juge de lĂ©gitimitĂ© de comprendre l’erreur de droit que la partie dĂ©nonce et la solution avancĂ©e par celle-ci. Selon cette jurisprudence, la question en droit constitue le point de jonction entre la solution du cas d’espĂšce et l’énonciation d’un principe de droit applicable ultĂ©rieurement Ă  des affaires similaires.

EN DROIT

  1. OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

33.  Le Gouvernement avance que les pouvoirs affĂ©rents Ă  la requĂȘte no 26049/14, Ă  l’exception de celui signĂ© par le premier requĂ©rant, M. S. Di Romano, ne sont pas valablement remplis et signĂ©s et ne rĂ©pondent pas aux exigences de l’article 47 du rĂšglement de la Cour. Il invite la Cour, au cas oĂč elle constaterait la rĂ©alitĂ© de l’irrĂ©gularitĂ© signalĂ©e, Ă  prendre des mesures afin de rĂ©gulariser les procurations.

34.  Les requĂ©rants soutiennent avoir respectĂ© les instructions pratiques fournies par la Cour et disponibles Ă  l’époque de l’introduction de la requĂȘte. En outre, ils maintiennent qu’au stade la communication de l’affaire, ils ont tous signĂ©s de nouvelles procurations Ă  Mes Formisani et Mascia. Ils demandent Ă  la Cour de rejeter les arguments du Gouvernement

35.  La Cour rĂ©affirme que l’application de l’article 47 de son rĂšglement relĂšve de sa compĂ©tence exclusive concernant l’administration des procĂ©dures devant elle, les États contractants ne pouvant y puiser des motifs d’irrecevabilitĂ© pour en exciper sur le terrain de l’article 35 de la Convention (voir, entre autresGözĂŒm c. Turquie, no 4789/10, § 31, 20 janvier 2015, Aydoğdu c. Turquie, no 40448/06, § 53, 30 aoĂ»t 2016, et MĂŒftĂŒoğlu et autres c. Turquie, nos 34520/10 et 2 autres, § 42, 28 fĂ©vrier 2017). En l’occurrence, elle observe que les requĂ©rants, en application de l’article 36, deuxiĂšme paragraphe, du rĂšglement de la Cour, sont tous valablement reprĂ©sentĂ©s par Mes E. Formisani et A. Mascia.

36.  Par consĂ©quent, la Cour estime que les pouvoirs des requĂ©rants de la requĂȘte no 26049/14 sont dĂ»ment remplis et signĂ©s.

  1. JONCTION DES REQUÊTES

37.  Eu Ă©gard Ă  la similaritĂ© de l’objet des requĂȘtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrĂȘt unique.

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

38.  Les requĂ©rants se plaignent du rejet de leurs pourvois par la Cour de cassation, dĂ» selon eux Ă  une application excessivement formaliste des critĂšres de rĂ©daction des pourvois en cassation. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellĂ© :

« 1.  Toute personne a droit Ă  ce que sa cause soit entendue Ă©quitablement (...) par un tribunal (...). Â»

  1. Sur la recevabilité

39.  Constatant que les requĂȘtes ne sont pas manifestement mal fondĂ©es ni irrecevables pour un autre motif visĂ© Ă  l’article 35 de la Convention, la Cour les dĂ©clare recevables.

  1. Sur le fond
    1. Les requérants

a)     RequĂȘte no 55064/11

40.  Le requĂ©rant affirme que l’interprĂ©tation excessivement formaliste adoptĂ©e par la Cour de cassation a empĂȘchĂ© l’examen de son pourvoi. Il allĂšgue en particulier que le principe d’autonomie du pourvoi en cassation (principio d’autosufficienza), tel qu’appliquĂ© Ă  l’époque des faits, n’était pas suffisamment prĂ©visible, clair et cohĂ©rent.

41.  Il soutient que le Gouvernement a admis dans ses observations l’origine jurisprudentielle de ce principe (paragraphe 69 ci-dessus). Selon lui, la Cour de cassation a dĂ» clarifier l’application de ce principe par des arrĂȘts des chambres rĂ©unies, en particulier l’arrĂȘt no 8077/2012 (paragraphe 31 ci-dessus). Cette mĂȘme exigence de clarification serait Ă  l’origine du protocole de 2015 (paragraphe 23 ci-dessus), dont la signature par le CNF aurait visĂ© Ă  endiguer l’approche excessivement formaliste de la Cour de cassation. En tout Ă©tat de cause l’évolution ici dĂ©crite serait postĂ©rieure au rejet du pourvoi intervenu en 2011.

42.  Le requĂ©rant estime que le rejet de son pourvoi revĂȘt un caractĂšre disproportionnĂ© (paragraphe 7 ci-dessus). Il avance que le principe de l’autonomie vise Ă  permettre Ă  la Cour de cassation de comprendre le contexte de l’affaire et les demandes des intĂ©ressĂ©s sans avoir Ă  se rĂ©fĂ©rer Ă  d’autres sources Ă©crites, et que son pourvoi rĂ©pondait Ă  ces exigences. Il soutient avoir indiquĂ©, pour chacun des moyens invoquĂ©s, le cas d’ouverture pertinent tel qu’énoncĂ© Ă  l’article 360 du CPC (paragraphe 20 ci-dessus) et les dispositions invoquĂ©es, et avoir reproduit les documents citĂ©s, parfois de maniĂšre dĂ©taillĂ©e, parfois en rĂ©sumĂ©e, accompagnĂ©s de l’indication du stade de la procĂ©dure dans lequel ils avaient Ă©tĂ© produits. En ce qui concerne les documents invoquĂ©s Ă  l’appui du pourvoi, il avance que le dossier de premiĂšre instance Ă©tait en tout point identique Ă  celui de la procĂ©dure d’appel.

43.  Quant aux statistiques fournies par le Gouvernement dans ses observations (paragraphe 67 ci-dessous), le requĂ©rant avance, d’une part, que ces Ă©lĂ©ments sont Ă©trangers aux faits de l’espĂšce et, d’autre part, qu’ils prouvent bien que les autoritĂ©s judiciaires ont toujours eu pour objectif rĂ©el d’interprĂ©ter le principe d’autonomie du pourvoi comme un outil de limitation de l’accĂšs Ă  la Cour de cassation et de rĂ©duction de son arriĂ©rĂ©.

b)    RequĂȘte no 37781/13

44.  Le requĂ©rant dĂ©nonce l’approche Ă  ses yeux excessivement formaliste de la Cour de cassation, qui a retenu deux motifs d’irrecevabilitĂ© du pourvoi.

45.  En ce qui concerne la « question en droit Â» (quesito di diritto), le requĂ©rant s’appuie sur les rapports du service de documentation et d’études (ufficio del massimario e del ruolo, nos 25 et 89 de 2008), sur plusieurs arrĂȘts des chambres rĂ©unies de la Cour de cassation (arrĂȘts nos 16002/2007, 3519/2008, 4309/2008, 6420/2008, 8897/2008, 4556/2009 et 21672/2013) ainsi que sur les critiques formulĂ©es par la doctrine et le CNF au sujet du formalisme de la Cour de cassation. Il se plaint notamment de l’obligation imposĂ©e au demandeur au pourvoi de dĂ©montrer le lien de pertinence entre la question en droit et le cas d’espĂšce, de l’obligation qui lui est faite d’indiquer la rĂšgle juridique qu’il estime ĂȘtre applicable et de l’obligation, Ă©dictĂ©e par la jurisprudence, de conclure les moyens critiquant un vice de motivation par un paragraphe de synthĂšse Ă©quivalant Ă  une question en droit.

46.  En l’espĂšce, le requĂ©rant soutient que la formulation des questions en droit Ă©tait synthĂ©tique et que la Cour de cassation avait tous les Ă©lĂ©ments pour comprendre ses griefs. À cet Ă©gard, il affirme que la prĂ©sente affaire se distingue de l’affaire Trevisanato c. Italie (arrĂȘt no 32610/07, 15 septembre 2016), oĂč la Cour avait sanctionnĂ© l’absence de questions en droit, et que, contrairement au pourvoi en cause dans l’affaire Trevisanato, son pourvoi avait Ă©tĂ© dĂ©posĂ© Ă  peine neuf mois aprĂšs l’introduction de la nouvelle disposition, Ă  une Ă©poque oĂč il n’y avait donc pas de jurisprudence sur la maniĂšre de formuler la question en droit, raison pour laquelle son avocat n’avait pas pu prĂ©alablement Ă©valuer les chances de recevabilitĂ© de son pourvoi. En tout Ă©tat de cause, il soutient qu’à supposer mĂȘme qu’il eĂ»t Ă©tĂ© possible en dĂ©cembre 2006 de prĂ©voir la teneur de la question en droit exigĂ©e par la Cour de cassation, l’interprĂ©tation dĂ©noncĂ©e n’en serait pas moins contraire Ă  la Convention.

47.  Quant au principe d’autonomie du pourvoi, le requĂ©rant avance d’abord que les exemples de jurisprudence fournis par le Gouvernement dans ses observations ne concernent que les vices de motivation. Il estime aussi que l’aperçu de droit comparĂ© sur les procĂ©dures de filtrage existantes Ă©laborĂ© par le Gouvernement (paragraphe 65 ci-dessous) est dĂ©pourvu de toute pertinence dĂšs lors qu’il s’agit de systĂšmes servant Ă  vĂ©rifier si le pourvoi porte, alternativement ou de maniĂšre cumulative, sur : a) une question juridique d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ; b) la protection d’un droit fondamental ; c) l’existence d’un conflit de jurisprudence ; d) un litige d’une valeur significative.

48.  Par ailleurs, le requĂ©rant allĂšgue que le but poursuivi par la Cour de cassation consiste Ă  utiliser le principe d’autonomie comme un moyen de filtrage des pourvois en cassation.

49.  S’agissant de l’exigence de prĂ©visibilitĂ© des critĂšres rĂ©dactionnels dĂ©coulant de ce principe, le requĂ©rant affirme que ceux-ci ont Ă©tĂ© frĂ©quemment appliquĂ©s de deux maniĂšres. Le juge de lĂ©gitimitĂ© les aurait parfois interprĂ©tĂ©s de maniĂšre Â« souple Â» en se bornant Ă  demander Ă  la partie de prĂ©senter tous les Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires Ă  la comprĂ©hension de ses allĂ©gations (arrĂȘts nos 24461/2005, 18661/2006 et 2560/2007), d’indiquer le stade du procĂšs oĂč le vice s’était produit (arrĂȘt no 4741/2005), ou encore la rĂ©fĂ©rence des documents produits Ă  l’appui des moyens (arrĂȘts nos 317/2002 et 12239/2007). Mais il en aurait donnĂ© en d’autres occasions une « lecture plus stricte Â», en imposant une obligation supplĂ©mentaire de retranscription de chaque document citĂ© dans le pourvoi sous peine d’irrecevabilitĂ©, nonobstant le dĂ©pĂŽt des documents de la procĂ©dure au fond (arrĂȘts nos 17424/2005, 20392/2007 et 21994/2008).

50.  Le requĂ©rant soutient que cette jurisprudence contradictoire a conduit le lĂ©gislateur Ă  intervenir, avec la rĂ©forme de 2006, pour tenter de prĂ©ciser le contenu du principe de l’autonomie et d’écarter ainsi l’obligation de retranscription. En vain selon le requĂ©rant, car une partie de la jurisprudence aurait continuĂ© Ă  exiger la retranscription des actes citĂ©s (arrĂȘts nos 1952/2009, 6397/2010, 10605/2010, 24548/2010 et 20028/2011), mĂȘme aprĂšs l’arrĂȘt no 8077 de 2012 de la Cour de cassation (paragraphe 31 ci-dessus) et le protocole de 2015 (paragraphe 23 ci-dessus) (arrĂȘts nos 15634/2013, 7362/2015 et 18316/2018). ConfrontĂ©s Ă  cette jurisprudence, les avocats auraient tendance Ă  reproduire intĂ©gralement les documents, mais cette pratique serait jugĂ©e contraire aux principes de l’exposition sommaire des faits et de l’autonomie du pourvoi (arrĂȘts nos 15180/2010, 11044/2012 et 8245/2018).

51.  Quant aux caractĂ©ristiques de son pourvoi, le requĂ©rant affirme que celui-ci contenait un rĂ©sumĂ© exhaustif des faits de la cause, de la procĂ©dure au fond et, en particulier, de l’arrĂȘt attaquĂ© (paragraphes 11 ci-dessus). Ses quatre premiers moyens auraient portĂ© sur la mauvaise application d’articles du code civil correctement citĂ©s et accompagnĂ©s de rĂ©fĂ©rences dĂ©taillĂ©es aux documents mentionnĂ©s. En outre, l’arrĂȘt attaquĂ© aurait Ă©tĂ© joint au pourvoi, en sus du dossier de la procĂ©dure. Dans ces conditions, le rejet de son pourvoi aurait Ă©tĂ© disproportionnĂ©, car l’obligation de reproduire le contenu d’un document dĂ©jĂ  versĂ© au dossier joint au pourvoi et visĂ© par le demandeur au pourvoi ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme nĂ©cessaire Ă  la bonne administration de la justice et Ă  la sĂ©curitĂ© juridique.

52.  En conclusion, le requĂ©rant estime que la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme excessif et qu’il a Ă©tĂ© victime d’une entrave excessive et disproportionnĂ©e Ă  son droit d’accĂšs Ă  un tribunal.

c)     RequĂȘte no 26049/14

53.  Les requĂ©rants affirment que la restriction litigeuse n’était pas proportionnĂ©e.

54.  S’appuyant sur les principes dĂ©veloppĂ©s par cette Cour, ils avancent qu’en ce qui concerne les restrictions lĂ©gales Ă  l’accĂšs aux juridictions supĂ©rieures, la Cour a pris en considĂ©ration, Ă  diffĂ©rents degrĂ©s, certains Ă©lĂ©ments tels que la prĂ©visibilitĂ© de la restriction litigieuse et la question de savoir si celle-ci Ă©tait entachĂ©e de « formalisme excessif Â».

55.  Ils soutiennent que la Cour de cassation s’est appuyĂ©e sur une jurisprudence postĂ©rieure Ă  l’introduction de leur pourvoi (paragraphe 17 ci-dessus) et que, mĂȘme aprĂšs cela, elle est restĂ©e en dĂ©faut d’éclaircir les exigences du principe de l’autonomie du point de vue du principe de l’exposition sommaire des faits et de l’obligation de retranscription des documents citĂ©s dans les moyens.

56.  Dans ces conditions, ils considĂšrent que la restriction litigeuse Ă©tait incertaine et imprĂ©visible, et donc contraire au principe de la prĂ©Ă©minence du droit.

57.  Quant Ă  la lĂ©gitimitĂ© du but poursuivi par la restriction, les requĂ©rants affirment que celle-ci visait uniquement Ă  limiter l’accĂšs Ă  la juridiction supĂ©rieure. Ils soutiennent que le Gouvernement l’a confirmĂ© en indiquant dans ses observations que le lĂ©gislateur et la jurisprudence de la Cour de cassation « [avaient] renforcĂ© les mĂ©canismes existants de limitation procĂ©durale de l’accĂšs en cassation Â». Selon les requĂ©rants, l’objectif consistant Ă  garantir une durĂ©e raisonnable des procĂ©dures civiles ne saurait entraĂźner une entrave Ă  l’accĂšs au tribunal et une limitation du droit Ă  un procĂšs Ă©quitable.

58.  En conclusion, les requĂ©rants estiment que la violation du droit d’accĂšs Ă  la Cour de cassation rĂ©sulte du fait que l’obligation d’établir un rĂ©sumĂ© des faits – imposĂ©e par l’article 366, § 1, no 3 du CPC – constitue un filtrage et une barriĂšre procĂ©durale dont le contenu est fixĂ© par une jurisprudence incertaine, contradictoire et formaliste.

  1. Le Gouvernement

59.  Le Gouvernement rappelle tout d’abord les principes dĂ©veloppĂ©s par la Cour europĂ©enne en matiĂšre d’accĂšs aux juridictions supĂ©rieures, en particulier les arrĂȘts Zubac c. Croatie ([GC], no 40160/12, 5 avril 2018), Golder c. Royaume-Uni (21 fĂ©vrier 1975, sĂ©rie A no 18), Levages Prestations Services c. France (23 octobre 1996, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1996‑V) et Kemp et autres c. Luxembourg (no 17140/05, 24 avril 2008), ainsi que la dĂ©cision rendue dans l’affaire Valchev et autres c. Bulgarie, ((dĂ©c.), no 47450/11, 21 janvier 2014).

60.  Le Gouvernement affirme que les limitations, de nature procĂ©durale, appliquĂ©es aux pourvois des requĂ©rants relĂšvent de la marge d’apprĂ©ciation de l’État et sont compatibles avec la Convention. Selon lui, l’indication claire des faits procĂ©duraux pertinents, des documents citĂ©s et du lien de causalitĂ© entre la dĂ©cision attaquĂ©e, les vices dĂ©noncĂ©s et les dispositions applicables est une condition prĂ©alable pour permettre Ă  la Cour de cassation de s’acquitter de sa mission.

61.  En ce qui concerne la requĂȘte no 55064/11, le Gouvernement avance que la Cour de cassation a prononcĂ© le rejet du pourvoi du requĂ©rant au motif que les cas d’ouverture spĂ©cifiquement prĂ©vus Ă  l’article 360 du CPC n’y Ă©taient pas indiquĂ©s et que les documents invoquĂ©s Ă  l’appui de l’argumentation du requĂ©rant n’y Ă©taient pas mentionnĂ©s.

62.  Quant Ă  la requĂȘte no 37781/13, il affirme que les questions en droit n’étaient pas correctement formulĂ©es, en violation de l’article 366 bis du CPC, et qu’en raison des Ă©lĂ©ments qui manquaient au pourvoi, il Ă©tait impossible, premiĂšrement, de comprendre l’objet de la contestation, deuxiĂšmement, d’identifier la disposition ou le document qui aurait dĂ» permettre au juge d’appel de parvenir Ă  une conclusion diffĂ©rente et, troisiĂšmement, de retrouver dans le dossier les documents citĂ©s.

63.  Pour ce qui est de la requĂȘte no 26049/14, le Gouvernement avance que la Cour de cassation a relevĂ© que l’exposĂ© des faits s’articulait sur 51 pages, qu’il reproduisait en les regroupant (tecnica dell’assemblaggio) les piĂšces de la procĂ©dure et qu’il ne comportait aucune indication des Ă©tapes essentielles de la procĂ©dure pertinentes au regard des moyens du pourvoi. La Cour de cassation aurait Ă©galement affirmĂ© que l’exposĂ© des moyens ne permettait pas d’identifier les faits pertinents.

64.  Le Gouvernement soutient que les limitations appliquĂ©es aux pourvois poursuivent un but lĂ©gitime. En particulier, l’application du principe d’autonomie du pourvoi viserait Ă  garantir une bonne administration de la justice, le respect de dĂ©lais raisonnables, l’accĂ©lĂ©ration et la simplification de l’examen des affaires pendantes, la consolidation du principe de sĂ©curitĂ© juridique, permettant ainsi Ă  la Haute juridiction de renforcer son rĂŽle de garante de l’uniformitĂ© du droit interne.

65.  Le Gouvernement affirme ensuite que l’application du principe d’autonomie Ă©tait Ă  l’époque prĂ©visible, et que tout avocat pouvait connaĂźtre ses obligations en la matiĂšre, si besoin Ă  l’aide de l’interprĂ©tation judiciaire, qui prĂ©sentait une clartĂ© et une cohĂ©rence suffisantes. Il avance que, contrairement Ă  d’autres pays europĂ©ens qui limitent l’accĂšs Ă  la cour suprĂȘme par des dispositions qui laissent un large pouvoir discrĂ©tionnaire au juge, l’Italie dispose d’un code de procĂ©dure civile fixant des critĂšres prĂ©cis appliquĂ©s selon une Ă©valuation au cas par cas.

66.  Enfin, il soutient que l’application de ce principe a maintenu un rapport raisonnable de proportionnalitĂ© sans tomber dans un formalisme excessif. Il rappelle la fonction de la Haute juridiction et le dĂ©roulement de la procĂ©dure, qui a connu, dans chaque affaire, un double examen au fond, et avance que la Cour de cassation a conclu, au terme d’un raisonnement logique, complet et bien motivĂ©, que les conditions fixĂ©es par le code de procĂ©dure civile n’avaient pas Ă©tĂ© respectĂ©es dans les trois affaires.

67.  Sur un plan plus gĂ©nĂ©ral, le Gouvernement rappelle le rĂŽle de la Cour de cassation et la finalitĂ© du pourvoi en cassation et souligne que, dans le systĂšme italien, l’accĂšs au juge de lĂ©gitimitĂ© est direct. Il avance qu’il ressort des chiffres officiels (pour la pĂ©riode 2008-2018) que le nombre d’avocats habilitĂ©s Ă  plaider devant les juridictions supĂ©rieures dĂ©passerait actuellement le 40 000 unitĂ©s, alors que la Cour de cassation ne compte que 300 juges environ composant la Cour de cassation, dont prĂšs de la moitiĂ© siĂšgent dans les chambres civiles. Il expose aussi que la Cour de cassation reçoit environ 30 000 pourvois chaque annĂ©e et rend en moyenne entre 220 et 240 arrĂȘts, tandis que les ordonnances de rejet reprĂ©sentent en moyenne 14% de l’ensemble des dĂ©cisions adoptĂ©es annuellement. Enfin, l’arriĂ©rĂ© dĂ©passerait 100 000 affaires.

68.  Selon le Gouvernement, c’est dans ce contexte que le lĂ©gislateur, notamment en 2006, et la jurisprudence de lĂ©gitimitĂ© ont renforcĂ© les mĂ©canismes procĂ©duraux existants afin de limiter l’accĂšs Ă  la Cour de cassation.

69.  Quant au principe d’autonomie, le Gouvernement reconnait ĂȘtre d’origine prĂ©torienne (l’arrĂȘt no 5656/1986) et expose qu’il a Ă©tĂ© « codifiĂ© Â» par le dĂ©cret lĂ©gislatif no 40 de 2006, qui a ajoutĂ© Ă  l’article 366 du CPC l’obligation d’indiquer « les actes de la procĂ©dure, les documents, les contrats ou conventions collectives sur lesquels le pourvoi est fondĂ© Â». Il maintient que, pour satisfaire aux exigences formelles du pourvoi, il suffit que le moyen soit spĂ©cifique et que les documents citĂ©s soient prĂ©cisĂ©ment indiquĂ©s, avec leurs rĂ©fĂ©rences, afin de faciliter leur identification dans la procĂ©dure au fond.

70.  En rappelant un passage de la Recommandation R(95)5 dufĂ©vrier 1995 du ComitĂ© des ministres du Conseil de l’Europe, le Gouvernement soutient enfin qu’au niveau europĂ©en, la plupart des cours suprĂȘmes ont adoptĂ© ou renforcĂ©, au cours des derniĂšres annĂ©es, un mĂ©canisme de « filtrage Â» des recours. Il avance que le souci d’éviter qu’un nombre excessif de requĂȘtes puisse faire obstacle Ă  l’activitĂ© institutionnelle d’un tribunal est partagĂ© par les cours internationales, et notamment par la Cour europĂ©enne (voir l’article 47 du rĂšglement de la Cour et les critĂšres de recevabilitĂ©), le tribunal et la Cour de Justice de l’Union europĂ©enne, ainsi que la Cour interamĂ©ricaine de droits de l’homme qui, selon lui, ont tous introduit des mĂ©canismes de limitation de l’accĂšs.

  1. Appréciation de la Cour

a)     Principes gĂ©nĂ©raux

71.  La Cour renvoie aux principes applicables aux limitations du droit d’accĂšs Ă  une juridiction supĂ©rieure (voir, parmi beaucoupZubac, prĂ©citĂ©, §§ 76-82), rappelant en particulier que la maniĂšre dont l’article 6 Â§ 1 s’applique aux cours d’appel ou de cassation dĂ©pend des particularitĂ©s de la procĂ©dure en cause. En ce qui concerne les formalitĂ©s Ă  respecter pour un pourvoi en cassation, la Cour renvoie, entre autres, aux arrĂȘts Sturm c. Luxembourg (no 55291/15, §§ 39-42, 27 juin 2017), Miessen c. Belgique ( no 31517/12, §§ 64-66, 18 octobre 2016), Trevisanato c. Italie (no 32610/07, §§ 33-34, 15 septembre 2016), Papaioannou c. GrĂšce (no 18880/15, §§ 46-51, 2 juin 2016), et BěleĆĄ et autres c. RĂ©publique tchĂšque (no 47273/99, § 62, CEDH 2002‑IX).

72.  Elle rappelle que dans ce type d’affaires, sa tĂąche consiste Ă  vĂ©rifier si le rejet pour irrecevabilitĂ© d’un pourvoi en cassation n’a pas portĂ© atteinte Ă  la substance mĂȘme du « droit » du requĂ©rant « Ă  un tribunal ». Pour ce faire, elle recherchera d’abord si les conditions imposĂ©es pour la rĂ©daction du pourvoi en cassation poursuivaient en l’espĂšce un but lĂ©gitime, et se penchera ensuite sur la proportionnalitĂ© des limitations imposĂ©es (ZubacprĂ©citĂ©, Â§Â§ 96-99, Trevisanato, prĂ©citĂ©, § 35, avec la jurisprudence citĂ©e).

b)    Application en l’espĂšce

  1. Le but légitime

73.  La Cour note que l’apprĂ©ciation de la lĂ©gitimitĂ© du but poursuivi par l’application du principe d’autonomie du pourvoi en cassation se prĂȘte Ă  un traitement unique pour les trois affaires.

74.  ContestĂ© par les requĂ©rants (paragraphes 43, 48 et 57 ci-dessus), le but poursuivi viserait, selon le Gouvernement (paragraphe 64 ci-dessus) et selon ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation (paragraphe 25 ci-dessus), Ă  faciliter la comprĂ©hension de l’affaire et des questions soulevĂ©es dans le pourvoi et Ă  permettre Ă  la Cour de cassation de statuer sans devoir s’appuyer sur d’autres documents, afin qu’elle puisse prĂ©server son rĂŽle et sa fonction qui consistent Ă  garantir en dernier ressort l’application uniforme et l’interprĂ©tation correcte du droit interne (nomofilachia).

75.  Au vu de ces Ă©lĂ©ments, la Cour estime que ce principe vise Ă  simplifier l’activitĂ© de la Cour de cassation et Ă  assurer en mĂȘme temps la sĂ©curitĂ© juridique et la bonne administration de la justice.

76.  Quant Ă  la « question en droit Â» en cause dans la requĂȘte no 37781/13, la Cour renvoie Ă  l’arrĂȘt Trevisanato (prĂ©citĂ©, §§ 36-37), oĂč elle a conclu que celle-ci satisfaisait tout Ă  la fois aux exigences de la sĂ©curitĂ© juridique et de la bonne administration de la justice.

77.  Il reste donc Ă  dĂ©terminer si les consĂ©quences des restrictions Ă  l’accĂšs Ă  la Cour de cassation ont Ă©tĂ© proportionnĂ©es.

  1. La proportionnalité de la restriction

78.  La Cour note que le principe d’autonomie permet Ă  la Cour de cassation de cerner la teneur des griefs formulĂ©s et la portĂ©e de l’apprĂ©ciation qui lui est demandĂ©e Ă  la seule lecture du pourvoi, et qu’il garantit un usage adaptĂ© et plus efficace des ressources disponibles.

79.  La Cour estime que cette approche tient Ă  la nature mĂȘme du pourvoi en cassation qui protĂšge, d’une part, l’intĂ©rĂȘt du justiciable Ă  voir accueillir ses critiques contre la dĂ©cision attaquĂ©e et, d’autre part, l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral Ă  la cassation d’une dĂ©cision qui risquerait de porter atteinte Ă  la correcte interprĂ©tation du droit. Aussi la Cour admet-elle que les conditions de recevabilitĂ© d’un pourvoi en cassation peuvent ĂȘtre plus rigoureuses que pour un appel (Levages Prestations Services, prĂ©citĂ©, § 45, Brualla GĂłmez de la Torre c. Espagne, 19 dĂ©cembre 1997, § 37, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997‑VIII, et Kozlica c. Croatie, no 29182/03, § 32, 2 novembre 2006 ; voir aussi Shamoyan c. ArmĂ©nie, no 18499/08, § 29, 7 juillet 2015).

80.  La Cour rappelle aussi les considĂ©rations formulĂ©es par le Gouvernement (paragraphe 67 ci-dessus) quant Ă  l’arriĂ©rĂ© important et Ă  l’afflux considĂ©rable des recours prĂ©sentĂ©s chaque annĂ©e devant la Haute juridiction. Cet aspect est d’ailleurs l’une des raisons Ă  l’origine du protocole signĂ© entre la Cour de cassation et le CNF en 2015 (paragraphe 23 ci-dessus).

81.  Si la charge de travail de la Cour de cassation dĂ©crite par le Gouvernement est susceptible de causer des difficultĂ©s au fonctionnement ordinaire de traitement des recours, il n’en demeure pas moins que les limitations Ă  l’accĂšs aux cours de cassation ne sauraient restreindre, par une interprĂ©tation trop formaliste, le droit d’accĂšs Ă  un tribunal d’une maniĂšre ou Ă  un point tels que ce droit s’en trouve atteint dans sa substance mĂȘme (Zubac, prĂ©citĂ©, § 98, Vermeersch c. Belgique, no 49652/10, § 79, 16 fĂ©vrier 2021, Efstratiou et autres c. GrĂšce, no 53221/14, § 43, 19 novembre 2020, Trevisanato, prĂ©citĂ©, § 38).

82.  En particulier, la Cour relĂšve qu’il rĂ©sulte de la jurisprudence fournie par les parties (paragraphes 41-49-50 et 56 ci-dessus) (voira contrarioEfstratiou et autres, prĂ©citĂ©, § 26) que l’application par la Cour de cassation du principe ici en cause, tout au moins jusqu’aux arrĂȘts nos 5698 et 8077 de 2012 (paragraphes 30 et 31 ci-dessus), rĂ©vĂšle une tendance de la Haute juridiction Ă  mettre l’accent sur des aspects formels qui ne semblent pas rĂ©pondre au but lĂ©gitime identifiĂ© (paragraphe 75 ci-dessus), en particulier en ce qui concerne l’obligation de retranscription intĂ©grale des documents repris dans les moyens, et Ă  l’exigence de prĂ©visibilitĂ© de la restriction.

83.  Par ailleurs, la Cour estime que la raison de cette tendance rĂ©side, entre autres, dans la nature du principe d’autonomie, qui prĂ©voit que le justiciable doit prĂ©senter tous les Ă©lĂ©ments de fait et de droit pour chaque moyen afin que la Cour de cassation puisse se prononcer sur la base du pourvoi uniquement. C’est pourquoi la Cour considĂšre que l’analyse comparĂ©e du Gouvernement relative aux « systĂšmes de filtrage Â» mis en place dans d’autres pays europĂ©ens (paragraphes 65 et 70 ci-dessus) ne saurait ĂȘtre pertinente en l’occurrence. En effet, comme le remarque Ă  juste titre le requĂ©rant de la requĂȘte no 37781/13 (paragraphe 47 ci-dessus), la recevabilitĂ© du pourvoi en cassation dĂ©pend dans ces systĂšmes de la question de savoir si le recours porte sur une question juridique d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ou sur la protection d’un droit fondamental, s’il soulĂšve un conflit de jurisprudence ou, enfin, si le litige a une valeur significative. Aux yeux de la Cour, les « systĂšmes de filtrage Â» citĂ©s par le Gouvernement s’apparentent plutĂŽt aux dispositions prĂ©vues Ă  l’article 360 bis du CPC (paragraphe 20 ci-dessus).

84.  Les critĂšres relatifs Ă  la rĂ©daction du pourvoi ne sauraient non plus ĂȘtre comparĂ©s, comme le voudrait le Gouvernement (paragraphe 70
ci-dessus), au systĂšme de filtrage et aux conditions de recevabilitĂ© de la requĂȘte devant la Cour. En effet, l’article 47 du rĂšglement de la Cour prĂ©voit que toute requĂȘte dĂ©posĂ©e en vertu de l’article 34 de la Convention doit ĂȘtre prĂ©sentĂ©e dans le formulaire fourni par le greffe, dans le respect de critĂšres formels clairs, prĂ©visibles et exposĂ©s dans des documents consultables par tout requĂ©rant. Quant aux critĂšres de recevabilitĂ©, la Cour estime que
ceux-ci pourraient Ă©ventuellement ĂȘtre en partie comparables au mĂ©canisme prĂ©vu par l’article 360 bis du CPC dĂ©jĂ  mentionnĂ©.

85.  Soucieuse d’examiner les faits des prĂ©sentes affaires en s’inspirant du principe de subsidiaritĂ© et de sa jurisprudence en matiĂšre de mĂ©canismes de filtrage relatifs aux voies de recours devant les juridictions suprĂȘmes (Papaioannou, prĂ©citĂ©, Â§ 42), la Cour procĂ©dera Ă  l’apprĂ©ciation de l’application du principe d’autonomie dans chaque affaire.

α)       RequĂȘte no 55064/11

86.  La Cour observe que le pourvoi du requĂ©rant a Ă©tĂ© en premier lieu rejetĂ© car il ne respectait pas l’obligation d’indiquer, pour chaque moyen, les cas d’ouverture Ă  cassation de l’arrĂȘt de la cour d’appel (paragraphe 7
ci-dessus). Or, selon l’article 360, nos 1 Ă  5 du CPC, les possibilitĂ©s de demander la cassation d’une dĂ©cision sont limitĂ©es Ă  cinq cas d’ouverture (paragraphe 20 ci-dessus).

87.  En l’espĂšce, chaque moyen du pourvoi du requĂ©rant (paragraphe 6 ci-dessus) dĂ©nonçant soit une error in iudicando, soit une error in procedendo, s’ouvrait avec l’indication des articles ou des principes de droit dont la violation Ă©tait allĂ©guĂ©e et renvoyait aux numĂ©ros 3 ou 4 de l’article 360 du CPC, deux des cas d’ouverture de cassation pouvant ĂȘtre invoquĂ©s par les justiciables.

88.  De mĂȘme, dans sa critique de l’arrĂȘt de la cour d’appel sur le terrain du vice de motivation, le requĂ©rant faisait rĂ©fĂ©rence au cas d’ouverture prĂ©vu au numĂ©ro 5 de l’article 360 du CPC.

89.  Dans ces conditions, la Cour estime que l’obligation de prĂ©ciser le type de critique formulĂ©e par rĂ©fĂ©rence aux hypothĂšses lĂ©gislativement limitĂ©es des cas d’ouverture prĂ©vus Ă  l’article 360 du CPC a Ă©tĂ© suffisamment respectĂ©e en l’espĂšce. La Cour de cassation pouvait, Ă  la lecture de chaque intitulĂ©, savoir quel Ă©tait le type de cas d’ouverture dĂ©veloppĂ© dans le moyen et quelles dispositions, le cas Ă©chĂ©ant, Ă©taient invoquĂ©es.

90.  En deuxiĂšme lieu, la Cour de cassation a jugĂ© que le pourvoi du requĂ©rant omettait de mentionner les indications nĂ©cessaires Ă  l’identification des documents mentionnĂ©s Ă  l’appui des critiques que celui-ci avait dĂ©veloppĂ©es dans ses moyens (paragraphe 7 ci-dessus).

91.  La lecture des moyens du pourvoi dĂ©montre en revanche que lorsque celui-ci faisait rĂ©fĂ©rence aux points critiquĂ©s de l’arrĂȘt de la cour d’appel, il renvoyait Ă  la motivation de l’arrĂȘt reproduite dans l’exposĂ© des faits, oĂč les passages pertinents Ă©taient repris. En outre, lorsqu’il citait des documents de la procĂ©dure au fond pour dĂ©velopper son raisonnement, le requĂ©rant retranscrivait les courts passages pertinents et renvoyait au document original, permettant ainsi de l’identifier parmi les documents dĂ©posĂ©s avec le pourvoi.

92.  Dans ces conditions, mĂȘme Ă  supposer que l’arrĂȘt de la Cour de cassation se rĂ©fĂšre correctement au pourvoi du requĂ©rant, en jugeant que les prĂ©cisions fournies n’étaient pas suffisantes, la Haute juridiction a fait preuve d’un formalisme excessif qui ne saurait se justifier au regard de la finalitĂ© propre du principe d’autonomie du pourvoi en cassation (paragraphe 75 ci-dessus) et donc du but poursuivi, Ă  savoir la garantie de la sĂ©curitĂ© juridique et la bonne administration de la justice.

93.  La Cour considĂšre que la lecture du pourvoi du requĂ©rant permettait de comprendre l’objet et le dĂ©roulement du litige devant les juridictions du fond, ainsi que la portĂ©e des moyens, tant dans leur fondement juridique (le type de critique au regard des cas prĂ©vus Ă  l’article 360 du CPC) que dans leur contenu, Ă  l’aide des renvois aux passages de l’arrĂȘt de la cour d’appel et aux documents pertinents citĂ©s dans le pourvoi.

94.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espĂšce le rejet du pourvoi du requĂ©rant a portĂ© atteinte Ă  la substance de son droit Ă  un tribunal.

95.  DĂšs lors, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

β)       RequĂȘte no 37781/13

96.  La Cour note que le pourvoi du requĂ©rant a Ă©tĂ© introduit en dĂ©cembre 2006 (paragraphe 11 ci-dessus). À l’époque, les dispositions applicables prĂ©voyaient, outre le respect du principe d’autonomie du pourvoi, l’obligation soit de conclure les moyens par une question en droit soit d’indiquer clairement les faits contestĂ©s pour le moyen tirĂ© du vice de motivation (paragraphe 20 ci-dessus).

97.  En ce qui concerne les questions en droit, la Cour de cassation a jugĂ© que le pourvoi du requĂ©rant n’était pas recevable car celles-ci Ă©taient gĂ©nĂ©riques et abstraites. En ce qui concerne le dernier moyen, il n’indiquait pas clairement le fait contestĂ© par rapport au vice de motivation invoquĂ©.

98.  La Cour rappelle son arrĂȘt Trevisanato (prĂ©citĂ©, § 42), oĂč elle a constatĂ© que le fait de demander au requĂ©rant de conclure son moyen de cassation par un paragraphe de synthĂšse rĂ©sumant le raisonnement suivi et explicitant le principe de droit dont il allĂ©guait la violation n’aurait requis aucun effort particulier ultĂ©rieur de sa part.

99.  En l’espĂšce, s’il est vrai que la jurisprudence citĂ©e dans l’arrĂȘt de la Cour de cassation est postĂ©rieure Ă  la date d’introduction du pourvoi du requĂ©rant (paragraphe

46 ci-dessus), il n’en demeure pas moins que l’article 366 bis du CPC Ă©tait entrĂ© en vigueur neuf mois avant l’introduction du pourvoi et que le requĂ©rant Ă©tait assistĂ© par un avocat rompu aux procĂ©dures judiciaires et habilitĂ© Ă  plaider devant les juridictions supĂ©rieures (Trevisanato, prĂ©citĂ©, § 45). En outre, la Cour observe que la loi de dĂ©lĂ©gation de 2005 (paragraphe 18 ci-dessus), par laquelle le lĂ©gislateur a fixĂ© les principes gĂ©nĂ©raux encadrant les pouvoirs de l’exĂ©cutif aux fins de l’élaboration de la rĂ©forme du code de procĂ©dure civile de 2006, prĂ©voyait, entre autres, que chaque moyen devait se conclure avec une question en droit et que la Cour de cassation devait Ă©noncer, toujours pour chaque moyen, un principe de droit susceptible, de par sa nature, de rĂ©pondre aux critiques formulĂ©es dans le cas d’espĂšce mais aussi, en tant que principe gĂ©nĂ©ral, de s’appliquer Ă  d’autres affaires similaires.

100.  Quant aux exigences prĂ©vues pour la formulation du moyen tirĂ© du vice de motivation de l’arrĂȘt attaquĂ©, la Cour note qu’effectivement, comme l’a remarquĂ© la Cour de cassation, le requĂ©rant n’a pas clairement indiquĂ© le fait contestĂ© ni les raisons pour lesquelles la motivation de l’arrĂȘt Ă©tait selon lui insuffisante. En effet, faute d’un clair exposĂ© des faits censĂ©s justifier la sanction du dĂ©faut de motivation par la Cour de cassation, son moyen se limitait Ă  une critique de l’apprĂ©ciation des faits par la cour d’appel, qui ne pouvait ĂȘtre censurĂ©e par la cassation.

101.  En ce qui concerne la partie de la dĂ©cision de la Haute juridiction relative Ă  la violation du principe d’autonomie du pourvoi en cassation, la Cour de cassation a indiquĂ© que le requĂ©rant s’était limitĂ© Ă  mentionner, dans ses moyens, les documents de la procĂ©dure au fond sans en prĂ©senter les parties pertinentes et sans indiquer les rĂ©fĂ©rences nĂ©cessaires pour les retrouver dans le dossier joint au pourvoi (paragraphe 12 ci-dessus).

102.  La Cour renvoie Ă  ses considĂ©rations formulĂ©es prĂ©cĂ©demment (paragraphe 82 ci-dessus) en ce qui concerne l’obligation de prĂ©sentation (obbligo di riproduzione) interprĂ©tĂ©e comme une obligation de retranscription de l’intĂ©gralitĂ© des documents. Cela dit, elle relĂšve qu’en l’espĂšce, le pourvoi du requĂ©rant omettait Ă©galement, en plusieurs occasions, d’indiquer les rĂ©fĂ©rences des sources Ă©crites invoquĂ©es ou des passages de l’arrĂȘt de la cour d’appel citĂ©s, en mĂ©connaissance de la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce point (paragraphes 28-29 ci-dessus).

103.  La Cour rappelle que d’aprĂšs la jurisprudence interne non controversĂ©e sur ce point, les moyens de cassation qui renvoient Ă  des actes ou des documents de la procĂ©dure au fond doivent indiquer Ă  la fois les parties du texte critiquĂ© que le justiciable estime pertinentes et les rĂ©fĂ©rences aux documents originaux versĂ©s aux dossiers dĂ©posĂ©s, afin de permettre au juge de lĂ©gitimitĂ© d’en vĂ©rifier promptement la portĂ©e et le contenu en mĂ©nageant les ressources disponibles.

104.  Par consĂ©quent, l’indication des documents de la procĂ©dure au fond Ă©tait irrĂ©guliĂšre car il manquait, pour chaque passage citĂ©, la rĂ©fĂ©rence aux documents originaux exigĂ©e par la jurisprudence interne (Dos Santos Calado et autres c. Portugal, nos 55997/14 et 3 autres, § 115, 31 mars 2020, Efstratiou, prĂ©citĂ©, § 49).

105.  Compte tenu de la particularitĂ© de la procĂ©dure de cassation, de l’ensemble du procĂšs menĂ© et du rĂŽle qu’y a jouĂ© la Cour de cassation (Zubac, prĂ©citĂ©, 82), ainsi que du contenu de l’obligation spĂ©cifique que le dĂ©fenseur du requĂ©rant Ă©tait tenu de respecter en l’espĂšce (en particulier indiquer, pour chaque citation d’une autre source Ă©crite, la rĂ©fĂ©rence au document dĂ©posĂ© avec le pourvoi), la Cour estime que la dĂ©cision d’irrecevabilitĂ© de la Cour de cassation dans la prĂ©sente affaire ne saurait passer pour une interprĂ©tation trop formaliste qui aurait empĂȘchĂ© l’examen du pourvoi de l’intĂ©ressĂ©

106.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

γ)       RequĂȘte no 26049/14

107.  La Cour observe que l’exposĂ© des faits figurant dans le pourvoi des requĂ©rants offrait une reconstitution mĂ©ticuleuse de la procĂ©dure au fond et des dĂ©cisions rendues par le tribunal et la cour d’appel (paragraphe 16 ci-dessus).

108.  En l’espĂšce, la Cour de cassation a interprĂ©tĂ© l’obligation d’exposer les faits sur le fondement de deux arrĂȘts des chambres rĂ©unies (paragraphe 17 ci-dessus) qui rappellent que la prĂ©sentation des faits de l’affaire implique une activitĂ© du dĂ©fenseur, qui est tenu de sĂ©lectionner les faits pertinents au regard des critiques qu’il entend formuler par la suite dans ses moyens. Le conseil doit en pratique permettre l’identification du thema decidendum de ce qu’il demande Ă  la Cour de cassation, tĂąche qui passe nĂ©cessairement, d’aprĂšs la jurisprudence interne, par un effort de synthĂšse des aspects pertinents de la procĂ©dure au fond (paragraphe 30 ci-dessus).

109.  D’ailleurs, cette exigence de synthĂšse se trouve Ă©galement exprimĂ©e de maniĂšre trĂšs claire dans le code de procĂ©dure administrative (paragraphe 21 ci-dessus), qui prĂ©voit que les actes du juge et ceux des parties doivent ĂȘtre rĂ©digĂ©s de maniĂšre claire et synthĂ©tique. La Cour note en particulier que la mise en Ɠuvre de cette disposition s’est traduite par la fixation de critĂšres de rĂ©daction et mĂȘme de limites Ă  la longueur des recours administratifs (paragraphe 22 ci-dessus). Dans le mĂȘme sens, le Gouvernement a rĂ©cemment Ă©voquĂ©, dans son plan de relance et de rĂ©silience (paragraphe 24 ci-dessus), la nĂ©cessitĂ© de rĂ©former la procĂ©dure civile, et plus particuliĂšrement celle suivie devant la Cour de cassation, en dĂ©veloppant les principes d’autonomie et de synthĂšse des actes de la procĂ©dure, y compris du pourvoi.

110.  La Cour estime que l’interprĂ©tation donnĂ©e Ă  l’exposition sommaire des faits est d’ailleurs compatible avec l’application du principe d’autonomie du pourvoi qui, comme elle l’a dĂ©jĂ  rappelĂ© plus haut (paragraphe 75 ci-dessus), postule que la Cour de cassation, Ă  la lecture globale du pourvoi, puisse comprendre l’objet du litige ainsi que le contenu des critiques censĂ©es justifier la cassation de la dĂ©cision attaquĂ©e et ĂȘtre en mesure de statuer.

111.  La Cour observe qu’au moment oĂč le pourvoi des requĂ©rants a Ă©tĂ© introduit, la jurisprudence de la Cour de cassation prĂ©voyait des modalitĂ©s claires et dĂ©finies (paragraphes 17 et 30 ci-dessus) de rĂ©daction de l’exposition des faits pertinents (Zubac, prĂ©citĂ©, § 88).

112.  La Cour relĂšve que le dĂ©fenseur des requĂ©rants s’est bornĂ© Ă  retranscrire une large partie de l’exposĂ© des faits de l’arrĂȘt de la cour d’appel, les conclusions en appel des requĂ©rants, une partie de l’appel d’une partie dĂ©fenderesse ainsi que la motivation et le dispositif de l’arrĂȘt de la cour d’appel (paragraphe 16 ci-dessus) (ibidem, §§ 90 et 121).

113.  Ă€ cet Ă©gard, la Cour relĂšve que la procĂ©dure devant la Cour de cassation prĂ©voit l’assistance obligatoire d’un avocat qui doit ĂȘtre inscrit sur une liste spĂ©ciale, sur la base de certaines compĂ©tences requises, garantissant la qualitĂ© du pourvoi et le respect de l’ensemble des conditions de forme et de fond exigĂ©es. Le conseil des requĂ©rants Ă©tait donc en mesure de connaĂźtre ses obligations en la matiĂšre, en s’appuyant sur le libellĂ© de l’article 366 du CPC et Ă  l’aide de l’interprĂ©tation de la Cour de cassation, laquelle prĂ©sentait une clartĂ© et une cohĂ©rence suffisantes (Trevisanato, prĂ©citĂ©, § 45).

114.  Eu regard Ă  ce qui prĂ©cĂšde, la Cour estime que la dĂ©cision rendue par la Cour de cassation n’a pas portĂ© atteinte Ă  la substance du droit des requĂ©rants Ă  un tribunal.

115.  DĂšs lors, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

  1. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

116.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour dĂ©clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s’il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

  1. Dommage

117.  Le requĂ©rant de la requĂȘte no 55064/11 demande 26 000 euros (EUR) au titre du dommage matĂ©riel et un montant Ă©gal Ă  au moins un tiers de cette somme au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.

118.  Le Gouvernement considĂšre que cette demande revĂȘt un caractĂšre disproportionnĂ© et exorbitant, et critique les paramĂštres retenus par le requĂ©rant, qu’il estime arbitraires.

119.  La Cour ne distingue aucun lien de causalitĂ© entre la violation constatĂ©e et le dommage matĂ©riel allĂ©guĂ©. En effet, il n’appartient pas Ă  la Cour de spĂ©culer sur l’issue qui aurait Ă©tĂ© celle de la procĂ©dure en absence de la violation constatĂ©e. Elle rejette donc la demande formulĂ©e Ă  ce titre. En revanche, elle octroie au requĂ©rant 9 600 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» sur cette somme Ă  titre d’impĂŽt.

  1. Frais et dépens

120.  Le requĂ©rant rĂ©clame 20 EUR pour frais de correspondance et s’en remet Ă  la Cour pour l’apprĂ©ciation des autres frais et dĂ©pens engagĂ©s devant elle et devant les juridictions internes.

121.  Le Gouvernement conteste cette rĂ©clamation.

122.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requĂ©rant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dĂ©pens que dans la mesure oĂč se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ© et le caractĂšre raisonnable de leur taux. En l’espĂšce, compte tenu de l’absence de documents en sa possession et des critĂšres susmentionnĂ©s, la Cour rejette la demande prĂ©sentĂ©e au titre des frais et dĂ©pens par le requĂ©rant.

  1. IntĂ©rĂȘts moratoires

123.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d’intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, Ă€ L’UNANIMITÉ,

  1. DĂ©cide de joindre les requĂȘtes ;
  2. DĂ©clare les requĂȘtes recevables ;
  3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la requĂȘte no 55064/11 ;
  4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne les requĂȘtes nos 37781/13 et 26049/14 ;
  5. Dit,

a)   que l’État dĂ©fendeur doit verser au requĂ©rant de la requĂȘte no 55064/11, dans un dĂ©lai de trois mois Ă  compter de la date Ă  laquelle l’arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l’article 44 Â§ 2 de la Convention, 9 600 EUR (neuf mille six cents euros), plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» sur cette somme Ă  titre d’impĂŽt, pour dommage moral ;

b)   qu’à compter de l’expiration dudit dĂ©lai et jusqu’au versement, ce montant sera Ă  majorer d’un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

  1. Rejette le surplus de la demande de satisfaction Ă©quitable.

Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 28 octobre 2021, en application de l’article 77 Â§Â§ 2 et 3 du rĂšglement.

Renata Degener Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â  Ksenija Turković
 Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â  GreffiĂšre Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â  PrĂ©sidente

 



ANNEXE

No

RequĂȘte No

Nom de l’affaire

Introduite le

Requérant
Année de naissance
Lieu de résidence

Représenté par

1.

55064/11

Succi c. Italie

13/08/2011

L. SUCCI
1949
Catane

P. Calabretta

2.

37781/13

Pezzullo c. Italie

28/05/2013

L. PEZZULLO
1951
Frattamaggiore

D. Fimmano’

3.

26049/14

Di Romano et autres c. Italie

15/03/2014

S. DI ROMANO
1959
Teramo

M. DI ROMANO
1990
Teramo

S. DI ROMANO
1989
Teramo

D. DI DARIO
1957
Teramo

F. DI DARIO[2]
1930
Teramo
(décédé le 20/04/2014)

 

A. PIERMARINI
1935
Teramo

E. Formisano –

A. Mascia

 


[1] Article introduit par la loi n° 69 du 18 juin 2009, en vigueur Ă  partir du 4 juillet 2009.

[2] M F Di Dario est dĂ©cĂ©dĂ© le 20 avril 2014, aprĂšs l’introduction de la requĂȘte. Ses hĂ©ritiers, les autres requĂ©rants de la mĂȘme requĂȘteont informĂ© la Cour de leur souhait de poursuivre la procĂ©dure devant la Cour.