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Cour europĂ©enne des droits de l’homme

 

 

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE J.C. ET AUTRES c. BELGIQUE

(RequĂȘte no 11625/17)

 

 

 

ARRÊT

Art 6 § 1 (civil) ‱ AccĂšs Ă  un tribunal ‱ Rejet par les tribunaux de leur juridiction pour connaĂźtre de l’action en responsabilitĂ© civile pour des abus sexuels introduite contre le Saint-SiĂšge jouissant de l’immunitĂ© de juridiction ‱ DĂ©cision ni arbitraire, ni manifestement dĂ©raisonnable ‱ Restriction conforme aux principes de droit international gĂ©nĂ©ralement reconnus et non disproportionnĂ©e ‱ Autres recours possibles

 

STRASBOURG

12 octobre 2021

 

 

Cet arrĂȘt deviendra dĂ©finitif dans les conditions dĂ©finies Ă  l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.



En l’affaire J.C. et autres c. Belgique,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (troisiĂšme section), siĂ©geant en une Chambre composĂ©e de :

 Georgios A. Serghides, prĂ©sident,
 Paul Lemmens,
 Georges Ravarani,
 MarĂ­a ElĂłsegui,
 Darian Pavli,
 Peeter Roosma,
 Andreas ZĂŒnd, juges,
et de Milan BlaĆĄkogreffier de section,

Vu :

la requĂȘte (no 11625/17) dirigĂ©e contre le Royaume de Belgique et dont vingt-quatre ressortissants belges, français et nĂ©erlandais (« les requĂ©rants Â») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â») le 2 fĂ©vrier 2017,

la dĂ©cision de porter Ă  la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement Â») les griefs concernant l’article 6 § 1 de la Convention,

la dĂ©cision de ne pas dĂ©voiler l’identitĂ© des requĂ©rants,

la dĂ©cision de traiter en prioritĂ© la requĂȘte (article 41 du rĂšglement de la Cour (« le rĂšglement Â»),

les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par les requérants,

la décision du gouvernement français et celle du gouvernement néerlandais de ne pas intervenir en tant que tierce partie (article 36 § 1 de la Convention),

les commentaires reçus de la Conférence épiscopale de Belgique et du Saint-SiÚge que le président de la section avait autorisés à se porter tiers intervenants,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 septembre 2021,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

INTRODUCTION

1.  La requĂȘte concerne l’action en indemnisation engagĂ©e par les requĂ©rants contre le Saint-SiĂšge, plusieurs dirigeants de l’Église catholique de Belgique, et des associations catholiques Ă  raison des dommages causĂ©s par la maniĂšre structurellement dĂ©ficiente avec laquelle l’Église aurait fait face Ă  la problĂ©matique des abus sexuels en son sein. Les juridictions belges se sont notamment dĂ©clarĂ©es sans juridiction Ă  l’égard du Saint-SiĂšge. Les requĂ©rants invoquent une violation du droit d’accĂšs Ă  un tribunal tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

EN FAIT

2.  Les requĂ©rants affirment tous ĂȘtre des victimes d’abus sexuels commis par des prĂȘtres catholiques alors qu’ils Ă©taient encore des enfants. Ils sont reprĂ©sentĂ©s par Me W. Van Steenbrugge, Chr. Mussche et P.B. Lagae, avocats Ă  Gand, et par Me J. Meese, avocat Ă  Aalter.

3.  Le Gouvernement a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agent, Mme I. Niedlispacher, du service public fĂ©dĂ©ral de la Justice.

  1. ACTION EN RESPONSABILITÉ CIVILE

4.  Le 12 juillet 2011, quatre demandeurs introduisirent une action en responsabilitĂ© civile devant le tribunal de premiĂšre instance de Gand par un mĂȘme et unique exploit de citation. Le premier des demandeurs, R.V., requĂ©rant, dĂ©clara agir en son nom propre et Ă©galement au nom et pour le compte de trente-cinq autres victimes (dont vingt requĂ©rants Ă  prĂ©sent devant la Cour). Cette action civile collective dĂ©nonçait la maniĂšre structurellement dĂ©ficiente avec laquelle l’Église avait fait face Ă  la problĂ©matique connue d’abus sexuels en son sein. Les demandeurs considĂ©raient le Pape comme la figure centrale dans l’opĂ©ration de silence entourant ces abus, mais comme il jouissait d’une immunitĂ© personnelle en tant que chef d’État de la CitĂ© du Vatican, ils citaient le Saint-SiĂšge. L’action Ă©tait introduite, sur base de l’article 1382 du code civil, contre le Saint-SiĂšge ainsi que contre un archevĂȘque de l’Église catholique de Belgique et ses deux prĂ©dĂ©cesseurs, plusieurs Ă©vĂȘques et deux associations d’ordres religieux catholiques. Leur action Ă©tait basĂ©e sur trois causes diffĂ©rentes : premiĂšrement, Ă  l’égard de tous les dĂ©fendeurs, y compris le Saint-SiĂšge, sur des fautes et omissions dans la politique gĂ©nĂ©rale relative aux abus sexuels ; deuxiĂšmement, Ă  l’égard de tous les dĂ©fendeurs sauf le Saint-SiĂšge, sur des fautes et omissions dans la gestion des cas individuels ; troisiĂšmement, Ă  l’égard du Saint-SiĂšge, sur l’omission de prendre des mesures contre les Ă©vĂȘques. Quant Ă  cette derniĂšre responsabilitĂ© du Saint‑SiĂšge, elle Ă©tait en ordre subsidiaire basĂ©e Ă©galement sur l’article 1384, alinĂ©a 3, du code civil, et fondĂ©e sur la responsabilitĂ© indirecte du Saint-SiĂšge en tant que commettant des Ă©vĂȘques et des supĂ©rieurs des ordres religieux.

5.  Les demandes visaient Ă  faire dire pour droit, dans une premiĂšre phase, que les dĂ©fendeurs Ă©taient solidairement responsables du prĂ©judice subi par les requĂ©rants en raison des abus sexuels dont ils avaient Ă©tĂ© victimes par des prĂȘtres ou des religieux catholiques, et Ă  condamner solidairement les dĂ©fendeurs au paiement d’une indemnitĂ© provisionnelle de 10 000 euros (« EUR Â») Ă  chacun des requĂ©rants en raison de l’omission coupable et de la politique du silence entretenue par l’Église catholique au sujet de la problĂ©matique des abus sexuels. Cette premiĂšre phase n’aborderait pas la question de l’identitĂ© des victimes ni des dĂ©tails de chaque dossier et se basait notamment sur les travaux d’une commission d’enquĂȘte parlementaire (paragraphe 30 ci-dessous). Les demandes visaient en outre Ă  faire dire pour droit que, dans une seconde phase, l’affaire serait scindĂ©e en diffĂ©rentes affaires, avec des numĂ©ros de rĂŽle distincts. Dans cette seconde phase, les demandeurs poursuivraient individuellement leurs demandes de dĂ©dommagement sur la base des dĂ©tails de chaque dossier.

6.  Par jugement du 1er octobre 2013, le tribunal de premiĂšre instance de Gand se dĂ©clara sans juridiction Ă  l’égard du Saint-SiĂšge, se limita Ă  examiner la demande du premier demandeur, R.V., dĂ©clara la citation nulle dans la mesure oĂč elle Ă©manait de R.V., et suspendit l’examen des 38 autres demandes.

7.  Trente-six des trente-neuf demandeurs originaires (dont tous les vingt‑quatre requĂ©rants qui sont Ă  prĂ©sent devant la Cour) interjetĂšrent appel. Par un arrĂȘt du 25 fĂ©vrier 2016, la cour d’appel de Gand confirma le jugement entrepris, sous rĂ©serve d’une modification de la dĂ©cision sur les frais.

8.  En ce qui concerne le Saint-SiĂšge, elle constata qu’elle ne disposait pas d’une juridiction suffisante pour trancher l’action en raison de l’immunitĂ© de juridiction dont le Saint-SiĂšge jouissait. Elle considĂ©ra que la reconnaissance de ce dernier par la Belgique en tant que souverain Ă©tranger qui avait les mĂȘmes droits et obligations qu’un État, Ă©tait Ă©tablie de maniĂšre irrĂ©futable (paragraphe 25 ci-dessous). Cette reconnaissance rĂ©sultait d’un ensemble d’élĂ©ments reconnus du droit international coutumier au premier rang desquels figuraient la conclusion de traitĂ©s et la reprĂ©sentation diplomatique. Le Saint-SiĂšge jouissait donc de l’immunitĂ© diplomatique et de tous les privilĂšges Ă©tatiques existants en droit international en ce compris l’immunitĂ© de juridiction (paragraphes 18 et 21 ci-dessous).

9.  Cette immunitĂ© de juridiction ratione personae du Saint-SiĂšge rĂ©pondait en outre, selon la cour d’appel, aux conditions ratione materiae de l’immunitĂ© de juridiction du fait de la nature de puissance publique des actes invoquĂ©s comme fondement de l’action en responsabilitĂ©. D’une part, s’agissant des manquements politiques reprochĂ©s au Saint-SiĂšge sur pied des articles 1382 et 1383 du code civil, ils relevaient, selon la cour d’appel, de l’exercice de pouvoirs administratifs et de l’autoritĂ© publique et devaient donc ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des acta iure imperii et non comme des actes accomplis en qualitĂ© de particulier pour la dĂ©fense d’intĂ©rĂȘts privĂ©s. D’autre part, s’agissant de la responsabilitĂ© indirecte du Saint-SiĂšge pour les manquements reprochĂ©s aux Ă©vĂȘques belges, la cour d’appel considĂ©ra, se rĂ©fĂ©rant Ă  la note d’un expert en droit canon dĂ©posĂ©e par le Saint-SiĂšge, que la relation entre le Pape et les Ă©vĂȘques Ă©tait une relation de droit public, caractĂ©risĂ©e par le pouvoir autonome des Ă©vĂȘques, et non pas une relation de commettant et prĂ©posĂ© au sens de l’article 1384 alinĂ©a 3 du code civil. Les fautes reprochĂ©es aux Ă©vĂȘques Ă©taient des fautes commises dans l’exercice de fonctions administratives dans leur propre diocĂšse, dans lequel ils agissaient de maniĂšre autonome. L’évĂȘque Ă©tait considĂ©rĂ© comme le lĂ©gislateur local, ayant un pouvoir de dĂ©cision propre quant Ă  l’évaluation, le traitement et la rĂ©pression de dĂ©lits ecclĂ©siastiques commis dans son diocĂšse. Cette circonstance impliquait non seulement que les manquements reprochĂ©s aux Ă©vĂȘques belges ne pouvaient ĂȘtre attribuĂ©s au Pape, en tant que commettant, mais aussi que ces manquements concernaient Ă©galement des actes iure imperii. Le fait que la politique dite du silence aurait Ă©tĂ© organisĂ©e, comme le soutenaient les requĂ©rants, dans le but de prĂ©server la rĂ©putation de l’Église ou d’un membre du clergĂ© n’était pas suffisant, selon la cour d’appel, Ă  les faire Ă©chapper Ă  la qualification d’acte d’autoritĂ©. Les tribunaux belges s’attachaient en effet Ă  la nature de l’acte et non Ă  sa finalitĂ© pour dĂ©terminer s’il y avait acte d’autoritĂ© ou acte de gestion.

10.  Enfin, la cour d’appel considĂ©ra que le litige n’était pas d’une nature telle qu’il tombait sous l’une des exceptions au principe de l’immunitĂ© de juridiction des États. En particulier, le litige ne rĂ©pondait pas aux conditions fixĂ©es par les articles 11 de la Convention europĂ©enne sur l’immunitĂ© des États et 12 de la Convention des Nations Unies sur les immunitĂ©s juridictionnelles des États et de leurs biens, prĂ©voyant des exceptions Ă  l’immunitĂ© juridictionnelle des États pour des procĂ©dures ayant trait Ă  une rĂ©paration pĂ©cuniaire en cas d’un « prĂ©judice corporel Â» ou d’une « atteinte Ă  l’intĂ©gritĂ© physique d’une personne Â» (paragraphes 22-23 ci-dessous). Selon la cour d’appel, cette exception ne pouvait s’appliquer Ă  des acta iure imperii ; en outre, les fautes reprochĂ©es aux Ă©vĂȘques belges ne pouvaient pas ĂȘtre attribuĂ©es au Saint-SiĂšge sur base de l’article 1384, alinĂ©a 3, du code civil, le Pape n’étant pas le commettant des Ă©vĂȘques ; enfin, en ce qui concerne les fautes et omissions directement reprochĂ©es au Saint-SiĂšge, c’est-Ă -dire la politique gĂ©nĂ©rale prĂ©tendument fondĂ©e sur des documents pontificaux et l’omission de prendre des mesures ayant un impact en Belgique, celles-ci n’avaient pas Ă©tĂ© commises sur le territoire belge mais Ă  Rome ; par ailleurs, ni le Pape ni le Saint-SiĂšge n’étaient prĂ©sents sur le territoire belge quand les fautes reprochĂ©es aux dirigeants de l’Église en Belgique auraient Ă©tĂ© commises.

11.  Examinant la question sous l’angle du droit d’accĂšs Ă  un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, la cour d’appel considĂ©ra que la jurisprudence de la Cour reconnaissait l’immunitĂ© de juridiction des États comme une limitation implicitement admise du droit d’accĂšs. Par ailleurs, la Cour n’exigeait pas de faire exception Ă  l’immunitĂ© d’État dans les litiges civils relatifs Ă  des dommages rĂ©sultant d’actes de torture. La cour d’appel nota ensuite que les requĂ©rants disposaient d’autres voies pour faire valoir leurs droits, parmi lesquelles une action en responsabilitĂ© contre l’évĂȘque ou le supĂ©rieur concernĂ©, une demande devant le centre d’arbitrage en matiĂšre d’abus sexuels Ă©tabli au sein de l’Église catholique (paragraphes 31-33 ci‑dessous), ou une plainte devant un des tribunaux ecclĂ©siastiques constituĂ©s au sein de l’Église catholique belge, et que les requĂ©rants n’avaient pas dĂ©montrĂ© que ces autres voies n’étaient pas suffisantes.

12.  En ce qui concerne la demande en tant qu’elle Ă©tait dirigĂ©e contre les autres dĂ©fendeurs que le Saint-SiĂšge, la cour d’appel constata le dĂ©faut de connexitĂ© entre les demandes des diffĂ©rents demandeurs. Elle limita son examen Ă  la demande de R.V. Elle conclut Ă  la nullitĂ© de la citation, Ă  dĂ©faut de contenir les mentions prescrites par le code judiciaire Ă  peine de nullitĂ©En particulier, il manquait un exposĂ© des faits prĂ©cis et concrets Ă  l’origine de l’action en responsabilitĂ©, tant en ce qui concerne les faits d’abus sexuels qu’en ce qui concerne les rĂ©actions Ă©ventuelles des dĂ©fendeurs Ă  des plaintes Ă©ventuelles (paragraphe 29 ci-dessous).

13.  La cour d’appel considĂ©ra en outre qu’elle ne disposait pas d’une juridiction suffisante pour connaĂźtre de l’action en responsabilitĂ© civile de R.V. Ă  l’égard de tous les dĂ©fendeurs, en ce compris le Saint-SiĂšge, dĂšs lors que cette action visait en rĂ©alitĂ© Ă  obtenir une dĂ©cision dĂ©clarative concernant le caractĂšre fautif de la politique des dĂ©fendeurs, en gĂ©nĂ©ral et in abstracto, indĂ©pendamment de tout cas concret. Sa demande ne satisfaisait ainsi pas aux dispositions procĂ©durales exigeant de dĂ©montrer l’existence d’un intĂ©rĂȘt personnel rĂ©sultant d’un dommage personnel (paragraphe 29 ci‑dessous). En outre, en sollicitant rĂ©paration de fautes de politique gĂ©nĂ©rale, sans rĂ©fĂ©rence Ă  son cas individuel, le demandeur n’avait pas suffisamment allĂ©guĂ© l’existence d’une faute pouvant entraĂźner la responsabilitĂ© civile des dĂ©fendeurs (paragraphes 27-28 ci-dessous).

14.  En ce qui concerne les demandes des 35 autres appelants, la cour d’appel en suspendit l’examen jusqu’à leur mise au rĂŽle individuelle, aprĂšs paiement des droits de mise au rĂŽle respectifs.

15.  Le 3 aoĂ»t 2016, un avocat Ă  la Cour de cassation donna aux parties un avis nĂ©gatif quant aux chances de succĂšs d’un Ă©ventuel pourvoi en cassation. Il estimait que la cour d’appel de Gand avait valablement conclu que le Saint-SiĂšge bĂ©nĂ©ficiait de l’immunitĂ© de juridiction personae et materiae ainsi qu’à l’absence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention que ce fĂ»t par rapport Ă  l’immunitĂ© de juridiction ou par rapport aux questions de droit procĂ©dural belge.

  1. AUTRES PROCÉDURES

16.  Une enquĂȘte pĂ©nale fut ouverte au niveau du parquet fĂ©dĂ©ral concernant des faits spĂ©cifiques d’abus sexuels au sein de l’Église catholique et des faits de non-assistance Ă  personne en danger (abstention coupable). Les requĂ©rants dĂ©posĂšrent en 2010 une plainte avec constitution de partie civile en les mains d’un juge d’instruction du tribunal nĂ©erlandophone de premiĂšre instance de Bruxelles. En 2016, le parquet fĂ©dĂ©ral dĂ©posa un premier rĂ©quisitoire aprĂšs clĂŽture de l’instruction et demanda Ă  la chambre du conseil du tribunal de premiĂšre instance de Bruxelles de constater l’extinction de l’action publique pour les faits de mƓurs eu Ă©gard Ă  la condamnation de plusieurs prĂ©venus, au dĂ©cĂšs de plusieurs autres et Ă  la prescription des autres faits. Il demanda aussi que la chambre des mises en accusation dĂ©clarĂąt les faits d’abstention coupable Ă©teints par prescription. L’affaire fut reportĂ©e sine die dans l’attente de l’exĂ©cution de devoirs complĂ©mentaires d’instruction. De nouvelles parties civiles se manifestĂšrent en 2017 et 2018. En 2019, un nouveau rĂ©quisitoire, identique au premier, fut dĂ©posĂ© par le parquet. Celui-ci demanda Ă  la chambre du conseil de ne pas encore statuer sur les nouvelles constitutions de partie civile. En appel, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles dĂ©cida le 24 avril 2021 de ne pas scinder les dossiers. L’affaire est pendante devant cette juridiction.

17.  Tous les requĂ©rants, sauf quatre qui ne s’adressĂšrent pas Ă  cet organe, purent bĂ©nĂ©ficier d’un dĂ©dommagement par la voie du centre d’arbitrage en matiĂšre d’abus sexuels au sein de l’Église catholique.

LE CADRE JURIDIQUE PERTINENT

  1. DROIT ET PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS

18.  L’article 2 des Accords de Latran signĂ©s en 1929 entre l’Italie et le Saint-SiĂšge est ainsi formulĂ© :

« [l’]Italie reconnaĂźt la souverainetĂ© du Saint-SiĂšge dans le domaine international comme un attribut inhĂ©rent Ă  sa nature, en conformitĂ© avec sa tradition et avec les exigences de sa mission dans le monde Â».

19.  En tant que souverain, le Saint-SiĂšge est partie Ă  la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques et entretient des relations diplomatiques avec 185 États.

20.  Le Saint-SiĂšge est habilitĂ© Ă  signer des traitĂ©s internationaux. Il est partie Ă  des traitĂ©s bilatĂ©raux concernant tant son statut dans les ordres juridiques nationaux (les concordats) que des questions politiques, ainsi qu’à des traitĂ©s multilatĂ©raux (outre la Convention de Vienne prĂ©citĂ©e, il est Ă©galement partie, notamment, Ă  la Convention de Montego Bay de 1982 sur le droit de la mer et Ă  la Convention des Nations Unies de 1989 relative aux droits de l’enfant).

21.  Le Saint-SiĂšge participe Ă  l’activitĂ© de nombreuses organisations internationales en tant que membre Ă  part entiĂšre ou, comme c’est le cas au Conseil de l’Europe et aux Nations Unies, comme observateur permanent.

22.  La Convention europĂ©enne sur l’immunitĂ© des États, signĂ©e Ă  BĂąle le 16 mai 1972, dispose notamment comme suit :

Article 11

« Un État contractant ne peut invoquer l’immunitĂ© de juridiction devant un tribunal d’un autre État contractant lorsque la procĂ©dure a trait Ă  la rĂ©paration d’un prĂ©judice corporel ou matĂ©riel rĂ©sultant d’un fait survenu sur le territoire de l’État du for et que l’auteur du dommage y Ă©tait prĂ©sent au moment oĂč ce fait est survenu. Â»

Article 15

« Un État contractant bĂ©nĂ©ficie de l’immunitĂ© de juridiction devant les tribunaux d’un autre État contractant si la procĂ©dure ne relĂšve pas des articles 1 Ă  14 ; le tribunal ne peut connaĂźtre d’une telle procĂ©dure mĂȘme lorsque l’État ne comparaĂźt pas. »

Cette convention est entrĂ©e en vigueur le 11 juin 1976, notamment Ă  l’égard de la Belgique. Le Saint-SiĂšge n’est pas partie Ă  cette convention.

23.  La Convention des Nations Unies sur les immunitĂ©s juridictionnelles des États et de leurs biens, adoptĂ©e Ă  New York le 2 dĂ©cembre 2004, dispose notamment comme suit :

Article 5. ImmunitĂ© des États

« Un État jouit, pour lui-mĂȘme et pour ses biens, de l’immunitĂ© de juridiction devant les tribunaux d’un autre État, sous rĂ©serve des dispositions de la prĂ©sente Convention. Â»

Article 12. Atteintes Ă  l’intĂ©gritĂ© physique d’une personne ou dommages aux biens

« Ă€ moins que les États concernĂ©s n’en conviennent autrement, un État ne peut invoquer l’immunitĂ© de juridiction devant un tribunal d’un autre État, compĂ©tent en l’espĂšce, dans une procĂ©dure se rapportant Ă  une action en rĂ©paration pĂ©cuniaire en cas de dĂ©cĂšs ou d’atteinte Ă  l’intĂ©gritĂ© physique d’une personne, ou en cas de dommage ou de perte d’un bien corporel, dus Ă  un acte ou Ă  une omission prĂ©tendument attribuables Ă  l’État, si cet acte ou cette omission se sont produits, en totalitĂ© ou en partie, sur le territoire de cet autre État et si l’auteur de l’acte ou de l’omission Ă©tait prĂ©sent sur ce territoire au moment de l’acte ou de l’omission. Â»

Cette convention a Ă©tĂ© signĂ©e par la Belgique, mais pas ratifiĂ©e. Le Saint‑SiĂšge ne l’a pas signĂ©e. La Convention n’est pas encore entrĂ©e en vigueur.

  1. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
    1. Relations avec le Saint-SiĂšge

24.  En droit belge, la conduite des relations internationales relĂšve en principe du pouvoir exĂ©cutif fĂ©dĂ©ral (article 167, § 1er de la Constitution).

25.  Avec le Saint-SiĂšge, la Belgique entretient des relations diplomatiques et conventionnelles depuis 1832. Le Saint-SiĂšge y est reprĂ©sentĂ© par un nonce apostolique, reprĂ©sentant diplomatique du Pape qui a le mĂȘme statut qu’un ambassadeur.

  1. ImmunitĂ© de juridiction des États Ă©trangers

26.  Le principe de droit international coutumier de l’immunitĂ© de juridiction des États est reconnu par la Cour de cassation depuis un arrĂȘt du 11 juin 1903 (Pasicrisie, 1903, I, 294). Dans cet arrĂȘt, la Cour de cassation distingue les actes engageant la souverainetĂ© de l’État (jure imperii) des actes d’intĂ©rĂȘt privĂ© (jure gestionis) que peuvent poser les États, ne retenant que la premiĂšre catĂ©gorie comme pouvant consacrer une immunitĂ© juridictionnelle. Selon la formulation la plus rĂ©cente, « l’immunitĂ© de juridiction des États est la rĂšgle de droit coutumier international qui interdit aux juridictions d’un État d’exercer leur pouvoir de juger sur un autre État qui n’y a pas consenti, [mais] cette rĂšgle reçoit exception lorsque l’action dirigĂ©e contre l’État Ă©tranger est relative non Ă  un acte accompli dans l’exercice de la puissance publique, mais Ă  un acte de gestion Â» (Cass., 6 dĂ©cembre 2019, C.18.0282.F).

  1. Code civil

27.  Les articles 1382 et 1383 du code civil envisagent des cas de responsabilitĂ© civile du fait personnel, en dehors de tout cadre contractuel, tandis que l’article 1384 envisage des cas de responsabilitĂ© du fait d’autrui, en particulier des maĂźtres et commettants (alinĂ©a 3).

28.  Le droit commun de la responsabilitĂ© belge exige la rĂ©union d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalitĂ© entre cette faute et le dommage.

  1. Code judiciaire

29.  Les conditions mises Ă  la recevabilitĂ© d’une action civile portĂ©e devant les cours et tribunaux figurent notamment dans les dispositions suivantes du Code judiciaire :

Article 6

« Les juges ne peuvent prononcer par voie de disposition gĂ©nĂ©rale et rĂ©glementaire sur les causes qui leur sont soumises. Â»

Article 17

« L’action ne peut ĂȘtre admise si le demandeur n’a pas qualitĂ© et intĂ©rĂȘt pour la former.

(...) Â»

Article 18

« L’intĂ©rĂȘt doit ĂȘtre nĂ© et actuel.

L’action peut ĂȘtre admise lorsqu’elle a Ă©tĂ© intentĂ©e, mĂȘme Ă  titre dĂ©claratoire, en vue de prĂ©venir la violation d’un droit gravement menacĂ©. Â»

Article 702

« A peine de nullitĂ©, l’exploit de citation contient (...) :

(...)

3o l’objet et l’exposĂ© sommaire des moyens de la demande ;

(...) Â»

  1. Le centre d’arbitrage

30.  Une commission d’enquĂȘte parlementaire relative « au traitement d’abus sexuels et de faits de pĂ©dophilie dans une relation d’autoritĂ©, en particulier au sein de l’Église Â», fut mise en place au sein de la chambre des reprĂ©sentants du Parlement belge. Elle avait pour mission d’examiner la maniĂšre dont l’appareil judiciaire et l’Église allaient collaborer lors de la dĂ©couverte de ces faits et les solutions Ă  apporter aux difficultĂ©s de prise en charge par l’appareil judiciaire.

31.  Pour faire suite Ă  une des recommandations formulĂ©es par la commission dans son rapport publiĂ© en mars 2011, il fut crĂ©Ă© au sein de l’Église catholique un centre d’arbitrage en matiĂšre d’abus sexuels. Cette instance traita des requĂȘtes individuelles afin de trouver une solution pour indemniser des victimes qui ne pouvaient pas introduire d’action en justice du fait de la prescription des faits ou du dĂ©cĂšs de l’auteur. FinancĂ© sur des fonds publics et sur des contributions l’Église, le centre, crĂ©Ă© pour une durĂ©e temporaire (des requĂȘtes pouvaient ĂȘtre introduites jusqu’au 31 octobre 2012), comprenait une chambre d’arbitrage permanente, qui contrĂŽlait la recevabilitĂ© des requĂȘtes et avait une fonction de conciliation, et des collĂšges arbitraux, qui pouvaient rendre des sentences arbitrales, tous composĂ©s de façon pluridisciplinaire.

32.  L’Église en Belgique n’ayant pas de personnalitĂ© juridique et les diocĂšses Ă©tant constituĂ©s, au plan civil, comme des associations sans but lucratif, une fondation d’utilitĂ© publique habilitĂ©e Ă  reprĂ©senter les autoritĂ©s de l’Église comme dĂ©fenderesse dans les procĂ©dures diligentĂ©es dans le cadre du centre d’arbitrage fut instituĂ©e (la fondation ‘Dignity’).

33.  Le 6 mars 2017, le centre d’arbitrage prĂ©senta son rapport final. Il en rĂ©sulte que 628 requĂȘtes ont Ă©tĂ© introduites. De ces 628 dossiers, 121 ont Ă©tĂ© clĂŽturĂ©s sans aucune compensation financiĂšre, 506 l’ont Ă©tĂ© en prĂ©voyant une compensation financiĂšre, et dans 1 dossier l’un des demandeurs a bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une compensation mais l’autre pas.

EN DROIT

  1. L’OBJET DU LITIGE DEVANT LA COUR

34.  Dans leur formulaire de requĂȘte, les requĂ©rants ont soulevĂ© un grief tirĂ© d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention (accĂšs Ă  un tribunal) du fait qu’ils n’avaient pas pu faire valoir au civil leurs griefs contre le Saint‑SiĂšge par le jeu de la thĂ©orie de l’immunitĂ© des États. Ce grief ainsi formulĂ© a Ă©tĂ© communiquĂ© au Gouvernement.

35.  Dans leurs observations, les requĂ©rants ont Ă©mis pour la premiĂšre fois devant la Cour un certain nombre de considĂ©rations supplĂ©mentaires. Ils soutenaient que l’atteinte disproportionnĂ©e portĂ©e Ă  leur droit d’accĂšs Ă  un tribunal rĂ©sultait Ă©galement de l’attitude plus gĂ©nĂ©rale des juridictions belges qui ont eu, selon eux, une approche exagĂ©rĂ©ment formaliste des dispositions de procĂ©dure belge et du code civil.

36.  Dans ses observations additionnelles, le Gouvernement invite la Cour Ă  rejeter ces considĂ©rations au motif qu’elles sont tardives et n’entrent pas dans l’objet du litige tel qu’il lui a Ă©tĂ© communiquĂ©.

37.  Il appartient Ă  la Cour de dĂ©terminer si et dans quelle mesure lesdites considĂ©rations sont des dĂ©veloppements qui viennent prĂ©ciser ou Ă©toffer leurs prĂ©tentions initiales ou si elles constituent des griefs nouveaux invoquant des faits diffĂ©rents de ceux dĂ©noncĂ©s dans la requĂȘte initiale (les principes gĂ©nĂ©raux Ă  cet Ă©gard sont Ă©noncĂ©s dans Denis et Irvine c. Belgique [GC], nos 62819/17 et 63921/17, §§ 98-101, 1er juin 2021).

38.  Dans le formulaire de requĂȘte, les requĂ©rants ont mis en cause la mise en Ɠuvre par les juridictions belges de la thĂ©orie de l’immunitĂ© de juridiction Ă  l’égard du Saint-SiĂšge et ses effets sur leur droit d’accĂšs Ă  un tribunal. Ils n’ont fait aucune mention dans leurs dĂ©veloppements au titre des griefs, des autres motifs d’échec de leur action en responsabilitĂ© civile qui ont Ă©galement justifiĂ© la limitation de leur droit d’accĂšs Ă  un tribunal.

39.  S’il est vrai qu’il s’agit de diffĂ©rents aspects concernant chacun le droit d’accĂšs Ă  un tribunal, cela ne suffit pas pour dire que les considĂ©rations supplĂ©mentaires dĂ©veloppĂ©es par les requĂ©rants ne touchent que des aspects particuliers du grief initial. En ce qu’elles allĂšguent que la restriction d’accĂšs Ă  un tribunal rĂ©sulte d’un formalisme excessif dont aurait fait preuve la cour d’appel de Gand, ces considĂ©rations visent, dans l’arrĂȘt de la cour d’appel, une dĂ©cision entiĂšrement sĂ©parĂ©e de celle concernant l’immunitĂ© de juridiction du Saint-SiĂšge (paragraphes 8-11 et 12-14 ci‑dessus). Elles doivent donc ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme un grief nouveau (voir Ramos Nunes de Carvalho e SĂĄ c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, §§ 101-106, 6 novembre 2018).

40.  Il s’ensuit que le nouveau grief, ayant Ă©tĂ© formulĂ© le 13 septembre 2018, date des observations des requĂ©rants, n’a pas Ă©tĂ© invoquĂ© dans le dĂ©lai de six mois prĂ©vu par l’article 35 § 1 de la Convention, et est donc irrecevable pour tardivetĂ© en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

41.  Les requĂ©rants allĂšguent que l’application du principe de l’immunitĂ© de juridiction des États au Saint-SiĂšge les a empĂȘchĂ©s de faire valoir au civil leurs griefs Ă  l’encontre de celui-ci. Ils invoquent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellĂ© :

« Toute personne a droit Ă  ce que sa cause soit entendue Ă©quitablement, publiquement et dans un dĂ©lai raisonnable, par un tribunal indĂ©pendant et impartial, Ă©tabli par la loi, qui dĂ©cidera, (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractĂšre civil (...) Â»

  1. Sur la recevabilité

42.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondĂ© ni irrecevable pour un autre motif visĂ© Ă  l’article 35 de la Convention, la Cour le dĂ©clare recevable.

  1. Sur le fond
    1. ThĂšses des parties

43.  Les requĂ©rants font valoir que leur situation de victimes, qui rĂ©sulte d’une faute structurelle des autoritĂ©s ecclĂ©siastiques est constitutive de torture ou de traitements inhumains contraires Ă  l’article 3. Cela a Ă©tĂ© Ă©tabli dans les diffĂ©rents rapports adoptĂ©s aux niveaux national et international, et a Ă©tĂ© reconnu par les autoritĂ©s ecclĂ©siastiques dans le cadre de la procĂ©dure d’arbitrage.

44.  En ce que leur action en responsabilitĂ© civile devant les juridictions belges visait le Saint-SiĂšge, les requĂ©rants soutiennent que la cour d’appel de Gand ne peut ĂȘtre suivie quand elle considĂšre que le Saint-SiĂšge est un État jouissant de l’immunitĂ© de juridiction. Au mieux, il peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un « service public international Â» ou une organisation internationale qui ne jouit pas de l’immunitĂ© de juridiction. En tout Ă©tat de cause, les faits Ă  la base de l’action des requĂ©rants n’étaient pas des actes de puissance publique mais des actes de gestion privĂ©e, en ce que ces actes Ă©taient destinĂ©s Ă  fournir un soutien Ă  l’Église catholique, et non Ă  prĂ©server les intĂ©rĂȘts de la CitĂ© du Vatican. Enfin, les faits sous-jacents Ă  l’action des requĂ©rants Ă©taient d’une gravitĂ© telle qu’ils constituaient un traitement inhumain tombant sous l’application de l’article 3 de la Convention. Ils furent suivis d’une opĂ©ration de dissimulation Ă  grande Ă©chelle. L’octroi de l’immunitĂ© dans de telles circonstances est disproportionnĂ©e.

45.  Selon les requĂ©rants, l’échec de leur action pour dĂ©faut d’avoir dĂ©montrĂ© quel responsable religieux avait failli et de quelle maniĂšre sa responsabilitĂ© Ă©tait engagĂ©e, ne saurait entrer dans la balance des intĂ©rĂȘts puisque la procĂ©dure qu’ils ont engagĂ©e devant les tribunaux belges visait prĂ©cisĂ©ment la dissimulation structurelle par l’Église en tant qu’organisation, et par ses dirigeants, des faits d’abus sexuel et des obstacles mis Ă  leur Ă©tablissement et leur reconnaissance.

46.  Les requĂ©rants font en outre valoir qu’il n’existe aucune possibilitĂ© alternative de parvenir Ă  un dĂ©dommagement de ce prĂ©judice.

47.  La procĂ©dure pĂ©nale concerne l’infraction d’abstention coupable qui n’est pas assimilable aux agissements ou non-agissements structurels fautifs en cause. De plus, Ă  supposer que la prescription soit Ă©tablie sur le plan pĂ©nal, cela n’entraĂźnerait par la prescription des fautes de droit civil qui n’a commencĂ© Ă  courir qu’à partir de 2010 au moment oĂč les requĂ©rants ont su, Ă  la suite des rĂ©vĂ©lations d’un ancien Ă©vĂȘque confirmĂ©es dans le rapport de la commission parlementaire, qui Ă©tait responsable du dommage qu’ils avaient subi. Enfin, il est difficile de considĂ©rer que la procĂ©dure pĂ©nale constitue une voie de recours efficace quand on sait que l’instruction est toujours en cours.

48.  Quant Ă  la procĂ©dure d’arbitrage, elle ne portait pas sur la dĂ©faillance structurelle des autoritĂ©s ecclĂ©siastiques, mais visait le prĂ©judice subi Ă  la suite des faits d’abus sexuels prescrits ou dont l’auteur Ă©tait dĂ©cĂ©dĂ©. De plus, elle n’a permis qu’une indemnisation trĂšs limitĂ©e en comparaison des montants octroyĂ©s par les juridictions belges en cas d’abus sexuels dans d’autres situations ou par la commission de compensation des victimes des mĂȘmes agissements aux Pays-Bas.

49.  Selon le Gouvernement, la limitation Ă  l’accĂšs Ă  la justice qu’ont subie les requĂ©rants n’était pas disproportionnĂ©e. PremiĂšrement, la motivation circonstanciĂ©e de la cour d’appel de Gand pour considĂ©rer que le Saint-SiĂšge bĂ©nĂ©ficie de l’immunitĂ© de juridiction ratione personae est conforme au droit international gĂ©nĂ©ralement reconnu et Ă  la pratique belge. Il en est de mĂȘme de la reconnaissance de l’immunitĂ© de juridiction ratione materiae eu Ă©gard Ă  la nature des fautes reprochĂ©es au Saint-SiĂšge et, en tout Ă©tat de cause, Ă  la circonstance que les faits reprochĂ©s aux autres dĂ©fendeurs n’étaient pas Ă©tayĂ©s par les requĂ©rants au moyen de faits prĂ©cis et concrets.

50.  DeuxiĂšmement, le fait d’octroyer l’immunitĂ© de juridiction au Saint-SiĂšge n’a pas privĂ© les requĂ©rants de leur droit d’accĂšs Ă  un tribunal. Ils ont en effet vu leur cause dĂ©battue Ă  deux degrĂ©s de juridiction dans le respect du droit Ă  un procĂšs Ă©quitable. L’action en responsabilitĂ© civile Ă  l’encontre du Saint-SiĂšge a Ă©tĂ© rejetĂ©e pour des difficultĂ©s liĂ©es Ă  l’application du droit interne et qui rĂ©sultent des choix procĂ©duraux faits par les requĂ©rants dans la prĂ©sentation de leur demande, les mĂȘmes qui ont abouti au rejet de leur action en ce qu’elle Ă©tait tournĂ©e vers les dĂ©fendeurs ne jouissant pas de l’immunitĂ© de juridiction.

51.  Enfin, le Gouvernement souligne que les requĂ©rants ont disposĂ©, avec la procĂ©dure d’arbitrage, et disposent encore, avec la plainte pĂ©nale avec constitution de partie civile, de voies alternatives de recours pour obtenir la rĂ©paration de leur prĂ©judice.

  1. ThĂšses des tiers intervenants

52.  Le Saint-SiĂšge soutient l’approche des juridictions et du Gouvernement belges en ce qui concerne la reconnaissance de l’immunitĂ© de juridiction en sa faveur et les consĂ©quences sur l’issue de la procĂ©dure civile en cause. Il attire l’attention de la Cour sur l’importance qu’il y a Ă  ne pas indĂ»ment interfĂ©rer, directement ou par le prisme du contrĂŽle de la procĂ©dure judiciaire nationale, dans les relations complexes entre le Pape et les Ă©vĂȘques, lesquelles sont rĂ©gies par le droit canon et participent du pluralisme dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique.

53.  La ConfĂ©rence Ă©piscopale de Belgique explique que des initiatives ont Ă©tĂ© prises de longue date au niveau des Ă©vĂȘques pour Ă©couter les victimes d’abus sexuels au sein de l’Église, et qu’outre la crĂ©ation du centre d’arbitrage, de nombreux points de contact ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s en Belgique et continuent d’ĂȘtre organisĂ©s par les diocĂšses et les congrĂ©gations religieuses afin de recevoir les communications des personnes qui se sentent concernĂ©es, de les orienter et, Ă©ventuellement, de faciliter les dĂ©marches judiciaires ou de mĂ©diation.

  1. Appréciation de la Cour

54.  La Cour rappelle les principes gĂ©nĂ©raux relatifs au droit d’accĂšs Ă  un tribunal en matiĂšre civile (NaĂŻt‑Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, §§ 112‑116, 15 mars 2018, et Zubac c. Croatie [GC], no 40160/12, §§ 76‑79, 5 avril 2018), ainsi que ceux concernant l’immunitĂ© juridictionnelle d’un État Ă©tranger en tant qu’obstacle Ă  l’accĂšs Ă  un tribunal (McElhinney c. Irlande [GC], no 31253/96, §§ 33-37, CEDH 2001‑XI (extraits), Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, §§ 52-56, CEDH 2001-XI, Fogarty c. Royaume-Uni [GC], no 37112/97, §§ 32-36, CEDH 2001‑XI (extraits), Cudak c. Lituanie [GC], no 15869/02, §§ 54-59, CEDH 2010, Sabeh El Leil c. France [GC], no 34869/05, §§ 46-54, 29 juin 2011, et Jones et autres c. Royaume-Uni, nos 34356/06 et 40528/06, §§ 186‑198, CEDH 2014).

55.  Elle rappelle Ă©galement que c’est au premier chef aux autoritĂ©s nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il appartient d’interprĂ©ter le droit interne. Sauf si l’interprĂ©tation retenue est arbitraire ou manifestement dĂ©raisonnable, sa tĂąche se limite Ă  dĂ©terminer si ses effets sont compatibles avec la Convention. (Molla Sali c. GrĂšce [GC], no 20452/14, § 149, 19 dĂ©cembre 2018). Ceci est vrai notamment s’agissant de l’interprĂ©tation par les tribunaux de rĂšgles de nature procĂ©durale (voir, parmi d’autresMiragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97 et 9 autres, § 33, CEDH 2000‑I) ou de rĂšgles de droit international gĂ©nĂ©ral (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999‑I, Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, § 72, CEDH 2008, et Molla Sali, prĂ©citĂ©, § 149).

56.  La Cour relĂšve que la prĂ©sente espĂšce se distingue des affaires prĂ©citĂ©es dans lesquelles elle a examinĂ© l’accĂšs Ă  un tribunal sur le terrain de l’immunitĂ© des États en ce qu’elle soulĂšve pour la premiĂšre fois la question de l’immunitĂ© du Saint-SiĂšge. La dĂ©cision qui fait grief figure dans l’arrĂȘt du 25 fĂ©vrier 2016 par lequel la cour d’appel de Gand s’est dĂ©clarĂ©e sans juridiction pour juger de l’action en responsabilitĂ© civile introduite par les requĂ©rants contre le Saint-SiĂšge notamment en raison de l’immunitĂ© de juridiction dont il jouit. Pour parvenir Ă  cette conclusion, la cour d’appel a constatĂ© que le Saint-SiĂšge se voyait reconnaĂźtre sur la scĂšne internationale les attributs communs d’un souverain Ă©tranger disposant des mĂȘmes droits et obligations qu’un État (paragraphe 8 ci-dessus). Elle a notamment relevĂ© que le Saint-SiĂšge Ă©tait partie à d’importants traitĂ©s internationaux, qu’il avait signĂ© des concordats avec d’autres souverainetĂ©s et qu’il entretenait des relations diplomatiques avec environ 185 États dans le monde. La cour d’appel s’est aussi appuyĂ©e sur la pratique belge pour constater que la Belgique, qui entretient avec le Saint-SiĂšge des relations diplomatiques depuis 1832, le reconnaĂźt comme un État.

57.  La Cour n’aperçoit rien de dĂ©raisonnable ni d’arbitraire dans la motivation circonstanciĂ©e qui a menĂ© la cour d’appel Ă  cette conclusion. Elle rappelle en effet qu’elle a dĂ©jĂ  elle-mĂȘme caractĂ©risĂ© des accords conclus par le Saint-SiĂšge avec des États tiers comme des traitĂ©s internationaux (FernĂĄndez MartĂ­nez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 118, CEDH 2014 (extraits), et TravaĆĄ c. Croatie, no 75581/13, § 79, 4 octobre 2016). Cela revient Ă  reconnaĂźtre que le Saint-SiĂšge a des caractĂ©ristiques comparables Ă  ceux d’un État. La Cour estime que la cour d’appel pouvait dĂ©duire de ces caractĂ©ristiques que le Saint-SiĂšge Ă©tait un souverain Ă©tranger, avec les mĂȘmes droits et obligations qu’un État.

58.  La cour d’appel de Gand en a ensuite dĂ©duit que le Saint-SiĂšge jouissait en principe de l’immunitĂ© juridictionnelle, consacrĂ©e par le droit coutumier international et codifiĂ©e dans l’article 5 de la Convention des Nations Unies sur les immunitĂ©s juridictionnelles des États et de leurs biens et l’article 15 de la Convention europĂ©enne sur l’immunitĂ© des États. Le Gouvernement ne conteste pas que les requĂ©rants ont subi de ce fait une limitation de leur droit d’accĂšs Ă  un tribunal.

59.  La Cour rappelle que l’octroi de l’immunitĂ© ne doit pas ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un tempĂ©rament Ă  un droit matĂ©riel, mais comme un obstacle procĂ©dural Ă  la compĂ©tence des cours et tribunaux nationaux pour statuer sur ce droit (voirmutatis mutandisMcElhinney, prĂ©citĂ©, § 25, Al‑Adsani, prĂ©citĂ©, § 48, et Fogarty, prĂ©citĂ©, § 26). Dans les cas oĂč, comme en l’espĂšce, l’application du principe de l’immunitĂ© juridictionnelle de l’État entrave l’exercice du droit d’accĂšs Ă  un tribunal, la Cour doit rechercher si les circonstances de la cause justifiaient cette entrave (Cudak, prĂ©citĂ©, § 59, et Sabeh El Leil, prĂ©citĂ©, § 51).

60.  Appliquant les principes gĂ©nĂ©raux rappelĂ©s ci-dessus, la Cour doit d’abord rechercher si la limitation poursuivait un but lĂ©gitime. Elle rappelle Ă  cet Ă©gard que l’immunitĂ© des États est un concept de droit international, issu du principe par in parem non habet imperium, en vertu duquel un État ne peut ĂȘtre soumis Ă  la juridiction d’un autre État (McElhinney, prĂ©citĂ©, § 35, Al-Adsani, prĂ©citĂ©, § 54, Fogarty, prĂ©citĂ©, § 34, Cudak, prĂ©citĂ©, § 60, Sabeh El Leil, prĂ©citĂ©, § 52, et Jones et autres, prĂ©citĂ©, § 188). La Cour a admis que l’octroi de l’immunitĂ© d’État dans une procĂ©dure civile poursuivait le but lĂ©gitime d’observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre États par le respect de la souverainetĂ© d’un autre État (McElhinney, prĂ©citĂ©, § 35, Al-Adsani, prĂ©citĂ©, § 54, Fogarty, prĂ©citĂ©, § 34, Cudak, prĂ©citĂ©, § 60, Sabeh El Leil, prĂ©citĂ©, § 52, et Jones et autres, prĂ©citĂ©, § 188).

61.  En ce qui concerne le caractĂšre proportionnĂ© de la limitation subie par les requĂ©rants de leur droit d’accĂšs Ă  un tribunal, « la nĂ©cessitĂ© d’interprĂ©ter la Convention de la maniĂšre la plus harmonieuse possible avec les autres rĂšgles du droit international, dont elle fait partie intĂ©grante, y compris celles rĂ©gissant l’octroi de l’immunitĂ© aux Ă‰tats, a conduit la Cour Ă  conclure que des mesures prises par un Ă‰tat qui reflĂštent des principes de droit international gĂ©nĂ©ralement reconnus en matiĂšre d’immunitĂ© des Ă‰tats ne sauraient en principe passer pour imposer une restriction disproportionnĂ©e au droit d’accĂšs Ă  un tribunal tel que garanti par l’article 6 § 1. Elle a expliquĂ© que, de mĂȘme que le droit d’accĂšs Ă  un tribunal est inhĂ©rent Ă  la garantie d’un procĂšs Ă©quitable accordĂ©e par cet article, de mĂȘme certaines restrictions Ă  l’accĂšs doivent ĂȘtre tenues pour lui ĂȘtre inhĂ©rentes ; on en trouve un exemple dans les limitations gĂ©nĂ©ralement admises par la communautĂ© des nations comme relevant du principe de l’immunitĂ© des Ă‰tats Â» (Jones et autres, prĂ©citĂ©, § 189 ; dans le mĂȘme sens, notammentMcElhinney, prĂ©citĂ©, §§ 36-37, Al-Adsani, prĂ©citĂ©, §§ 55‑56, Fogarty, prĂ©citĂ©, §§ 35-36, Kalogeropoulou et autres c. GrĂšce et Allemagne (dĂ©c.), no 59021/00, CEDH 2002‑X, Cudak, prĂ©citĂ©, §§ 56-57, et Sabeh El Leil, prĂ©citĂ©, §§ 48-49).

62.  Les requĂ©rants reprochent Ă  la cour d’appel de Gand d’avoir qualifiĂ© les actes et omissions litigieux invoquĂ©s comme fondement de leur action en responsabilitĂ© d’actes de puissance publique (acta jure imperii), et d’avoir appliquĂ© Ă  ce titre l’immunitĂ© de juridiction ratione materiae. Ils insistent sur le fait que la politique du Saint-SiĂšge qu’ils ont mis en cause Ă©tait destinĂ©e Ă  fournir un soutien Ă  la seule Église catholique, une organisation religieuse, et non Ă  prĂ©server les intĂ©rĂȘts de l’entitĂ© publique qu’est la CitĂ© du Vatican. Ils allĂšguent en outre que les faits sous-jacents Ă  leurs actions tombaient sous l’application de l’article 3 de la Convention. Le Gouvernement soutient que c’est Ă  bon droit que la cour d’appel s’est attachĂ©e Ă  la nature des actes et non Ă  leur finalitĂ© (la protection des intĂ©rĂȘts de l’Église catholique). Il n’y a pas davantage de raison, selon le Gouvernement, de remettre en cause la motivation de la cour d’appel quand elle conclut Ă  l’absence d’exception Ă  l’immunitĂ© d’État dans les procĂ©dures civiles en cas d’allĂ©gations de torture.

63.  La Cour constate qu’aux termes d’une analyse des principes de droit international public, du droit canon et de la pratique belge, la cour d’appel a estimĂ© que les fautes et omissions reprochĂ©es, directement ou indirectement au Saint-SiĂšge se situaient dans l’exercice de pouvoirs administratifs et de l’autoritĂ© publique, et qu’elles concernaient donc des « acta iure imperii Â». La cour d’appel en a conclu que l’immunitĂ© de juridiction s’appliquait ratione materiae Ă  l’ensemble de ces actes et omissions. La Cour constate que l’approche de la cour d’appel correspond Ă  la pratique internationale en la matiĂšre. En effet, selon la Cour internationale de justice, l’immunitĂ© de juridiction ratione materiae s’applique dans le cas d’actes jure imperii (Allemagne c. Italie ; GrĂšce (intervenant)) du 3 fĂ©vrier 2012, Recueil 2012, § 61). En outre, la cour d’appel a rĂ©pondu Ă  tous les arguments invoquĂ©s devant elle par les requĂ©rants pour contester, dans son principe, l’octroi de l’immunitĂ© de juridiction au Saint-SiĂšge. La Cour ne relĂšve rien d’arbitraire ni de dĂ©raisonnable dans l’interprĂ©tation donnĂ©e par la cour d’appel aux principes de droit applicables ni dans la maniĂšre dont elle les appliquĂ©s au cas d’espĂšce, compte tenu des causes de l’action engagĂ©e par les requĂ©rants.

64.  Dans la mesure oĂč les requĂ©rants allĂšguent que l’immunitĂ© de juridiction des États ne peut ĂȘtre maintenue dans des cas oĂč sont en jeu des traitements inhumains ou dĂ©gradants, la Cour rappelle qu’elle a dĂ©jĂ  examinĂ© Ă  plusieurs reprises des arguments similaires. Elle a toutefois conclu chaque fois que dans l’état du droit international, il n’était pas permis de dire que les États ne jouissaient plus de l’immunitĂ© juridictionnelle dans des affaires se rapportant Ă  des violations graves du droit des droits de l’homme ou du droit international humanitaire, ou Ă  des violations d’une rĂšgle de jus cogens. Elle a conclu dans ce sens au sujet des actes allĂ©guĂ©s de torture (Al-Adsani, prĂ©citĂ©, §§ 57-66, et Jones et autres, prĂ©citĂ©, §§ 196-198), de crimes contre l’humanitĂ© (Kalogeropoulou et autres, dĂ©cision prĂ©citĂ©e), et de gĂ©nocide (Stichting Mothers of Srebrenica et autres c. Pays-Bas (déc.), no 65542/12, §§ 156-160, 11 juin 2013, cette derniĂšre dĂ©cision concernant certes l’immunitĂ© juridictionnelle d’une organisation internationale, Ă  savoir les Nations Unies). Dans l’affaire Jones et autres, la Cour s’est rĂ©fĂ©rĂ©e Ă  l’arrĂȘt de la Cour internationale de justice dans l’affaire Allemagne c. Italie, qui avait « clairement Â» Ă©tabli qu’au mois de fĂ©vrier 2012 « aucune exception tirĂ©e du jus cogens Ă  l’immunitĂ© de l’État ne s’était encore cristallisĂ©e Â» (Jones et autres, prĂ©citĂ©, § 198, se rĂ©fĂ©rant Ă  ImmunitĂ©s juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; GrĂšce (intervenant)), prĂ©citĂ©, §§ 81-97). Alors que dans ce domaine un dĂ©veloppement du droit international coutumier ou conventionnel dans le futur n’est pas exclu (voirmutatis mutandisKalogeropoulou et autres, dĂ©cision prĂ©citĂ©eManoilescu et Dobrescu c. Roumanie et Russie (dĂ©c.), no 60861/00, § 81, CEDH 2005‑VI, Grosz c. France (dĂ©c.), no 14717/06, 16 juin 2009, et Jones et autres, prĂ©citĂ©, § 215), les requĂ©rants n’ont pas apportĂ© des Ă©lĂ©ments permettant de conclure que l’état du droit international ait dĂ©veloppĂ© depuis 2012 Ă  un point tel que les constats de la Cour dans les affaires prĂ©citĂ©es ne seraient plus valables.

65.  En tout Ă©tat de cause, ce que les requĂ©rants reprochent au Saint-SiĂšge, ce ne sont pas des actes de torture mais une omission de prendre des mesures pour prĂ©venir ou rĂ©parer des actes constituant des traitements qu’ils caractĂ©risent comme des traitements inhumains. La Cour estime qu’il faudrait un pas additionnel pour conclure que l’immunitĂ© juridictionnelle des États ne s’applique plus Ă  de telles omissions. Or, elle ne voit pas de dĂ©veloppements dans la pratique des États qui permettent, Ă  l’heure actuelle, de considĂ©rer que ce pas a Ă©tĂ© franchi.

66.  La Cour relĂšve ensuite que la question de savoir si l’affaire pouvait tomber sous le coup d’une des exceptions Ă  l’application de l’immunitĂ© juridictionnelle des États consacrĂ©es par la Convention europĂ©enne sur l’immunitĂ© des États et la Convention des Nations Unies sur les immunitĂ©s juridictionnelles des États et de leurs biens, prĂ©citĂ©es, a Ă©galement Ă©tĂ© discutĂ©e devant la cour d’appel de Gand.

67.  La Cour rappelle qu’elle a tenu compte de l’existence de telles exceptions en examinant si le droit d’accĂšs Ă  un tribunal avait Ă©tĂ© respectĂ© (voir, par exempleCudak, prĂ©citĂ©, §§ 65 et 69-75, Guadagnino c. Italie et France, no 2555/03, §§ 69-74, 18 janvier 2011, Sabeh El Leil, prĂ©citĂ©, §§ 53 et 55-68, Oleynikov c. Russie, no 36703/04, §§ 61 et 62-73, 14 mars 2013, Wallishauser c. Autriche (no 2), no 14497/06, §§ 65 et 68-73, 20 juin 2013, Radunović et autres c. MontĂ©nĂ©gro, nos 45197/13 et 2 autres, §§ 68 et 70-82, 25 octobre 2016, et Naku c. Lituanie et SuĂšde, no 26126/07, §§ 89-96, 8 novembre 2016).

68.  En l’espĂšce, l’exception au principe de l’immunitĂ© juridictionnelle des États Ă©voquĂ©e par les requĂ©rants devant la cour d’appel Ă©tait celle s’appliquant aux procĂ©dures se rapportant Ă  une « action en rĂ©paration pĂ©cuniaire en cas de dĂ©cĂšs ou d’atteinte Ă  l’intĂ©gritĂ© physique d’une personne, ou en cas de dommage ou de perte d’un bien corporel Â» (article 12 de la Convention des Nations Unies sur les immunitĂ©s juridictionnelles des États et de leurs biens; dans le mĂȘme sens, l’article 15 de la Convention europĂ©enne sur l’immunitĂ© des États). Cette exception ne s’applique toutefois que si l’acte ou l’omission prĂ©tendument attribuable Ă  l’État Ă©tranger « se sont produits, en totalitĂ© ou en partie, sur le territoire de [l’État du for] et si l’auteur de l’acte ou de l’omission Ă©tait prĂ©sent sur ce territoire au moment de l’acte ou de l’omission Â» (article 12 prĂ©citĂ©).

69.  La cour d’appel a rejetĂ© l’applicabilitĂ© de cette exception au motif notamment que les fautes reprochĂ©es aux Ă©vĂȘques belges ne pouvaient ĂȘtre attribuĂ©es au Saint-SiĂšge, le Pape n’étant pas le commettant des Ă©vĂȘques ; qu’en ce qui concerne les fautes reprochĂ©es directement au Saint-SiĂšge, celles-ci n’avaient pas Ă©tĂ© commises sur le territoire belge mais Ă  Rome ; et que ni le Pape ni le Saint-SiĂšge n’étaient prĂ©sents sur le territoire belge quand les fautes reprochĂ©es aux dirigeants de l’Église en Belgique auraient Ă©tĂ© commises. Il n’appartient pas Ă  la Cour de substituer son apprĂ©ciation Ă  celle des juridictions nationales, leur apprĂ©ciation sur ce point n’étant pas arbitraire ou manifestement dĂ©raisonnable.

70.  Les requĂ©rants soutiennent enfin que l’immunitĂ© de juridiction du Saint-SiĂšge a pour effet que les victimes d’abus sexuels dans l’Église catholique sont totalement privĂ©es d’accĂšs Ă  la justice. Selon eux, il n’y a pas de possibilitĂ© d’obtenir rĂ©paration du Saint-SiĂšge devant une instance de la CitĂ© du Vatican.

71.  La Cour rappelle Ă  cet Ă©gard que la compatibilitĂ© de l’octroi de l’immunitĂ© de juridiction Ă  un État avec l’article 6 Â§ 1 de la Convention ne dĂ©pend pas de l’existence d’alternatives raisonnables pour la rĂ©solution du litige (Ndayegamiye-Mporamazina c. Suisse, no 16874/12, § 64, 5 fĂ©vrier 2019, avec rĂ©fĂ©rence Ă  ImmunitĂ©s juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; GrĂšce (intervenant)), prĂ©citĂ©, § 101). Toutefois, elle a Ă©galement conscience du fait que les intĂ©rĂȘts en jeu pour les requĂ©rants sont trĂšs sĂ©rieux et concernent de façon sous-jacente des agissements graves d’abus sexuel relevant de l’article 3 de la Convention (voirmutatis mutandisO’Keeffe c. Irlande [GC], no 35810/09, §§ 144-146, CEDH 2014 (extraits)) et que l’existence d’une alternative est pour le moins souhaitable. Or, Ă  cet Ă©gard et Ă  titre surabondant, la Cour note que les requĂ©rants ne se sont pas trouvĂ©s dans une situation d’absence de tout recours.

72.  Les parties ont dĂ©veloppĂ© dans leurs observations des thĂšses opposĂ©es sur l’efficacitĂ© des autres voies de recours dont les requĂ©rants ont disposĂ© pour protĂ©ger leurs droits garantis par la Convention, en particulier la plainte avec constitution de partie civile dĂ©posĂ©e par les requĂ©rants Ă  propos de dĂ©lits sexuels et d’abstention coupable (paragraphe 16 ci-dessus). La Cour note que cette plainte, dĂ©posĂ©e en 2010, est toujours au stade de l’instruction. Elle n’a, au stade actuel de la procĂ©dure, pas pu conduire Ă  une rĂ©paration du dommage prĂ©tendument souffert par les requĂ©rants Ă  cause d’omissions « structurelles Â» au sein de l’Église catholique.

73.  La Cour relĂšve en outre que la procĂ©dure introduite par les requĂ©rants devant le tribunal de premiĂšre instance de Gand n’était pas seulement dirigĂ©e contre le Saint-SiĂšge, mais Ă©galement contre des responsables de l’Église catholique de Belgique que les requĂ©rants avaient identifiĂ©s (paragraphe 4 ci‑dessus).

74.  Or, force est de constater que si la demande des requĂ©rants sur ce dernier terrain n’a pas prospĂ©rĂ©, ce n’est pas en raison de l’octroi de l’immunitĂ© de juridiction au Saint-SiĂšge, mais du manquement par les requĂ©rants Ă  des rĂšgles procĂ©durales fixĂ©es par le code judiciaire et Ă  des rĂšgles matĂ©rielles concernant la responsabilitĂ© civile dans la citation des autres dĂ©fendeurs (paragraphes 12-14 ci-dessus). De plus, Ă  supposer que leur action eĂ»t Ă©tĂ© recevable de ce point de vue, la Cour n’aperçoit pas pour quelle raison les juridictions belges n’auraient pas pu examiner le bien‑fondĂ© de la demande des requĂ©rants, dans la mesure oĂč elle Ă©tait dirigĂ©e contre des responsables de l’Église catholique belge. Il apparaĂźt donc Ă  la Cour que l’échec total de l’action des requĂ©rants rĂ©sulte en rĂ©alitĂ© de choix procĂ©duraux qu’ils n’ont pas fait Ă©voluer en cours d’instance pour prĂ©ciser et individualiser les faits Ă  l’appui de leurs actions.

75.  Eu Ă©gard Ă  l’ensemble des Ă©lĂ©ments qui prĂ©cĂšdent, la Cour estime que le rejet par les tribunaux belges de leur juridiction pour connaĂźtre de l’action en responsabilitĂ© civile introduite par les requĂ©rants contre le Saint-SiĂšge ne s’est pas Ă©cartĂ© des principes de droit international gĂ©nĂ©ralement reconnus en matiĂšre d’immunitĂ© des États et que l’on ne saurait dĂšs lors considĂ©rer la restriction au droit d’accĂšs Ă  un tribunal comme disproportionnĂ©e par rapport aux buts lĂ©gitimes poursuivis.

76.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention Ă  cet Ă©gard.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

  1. DĂ©clare, Ă  l’unanimitĂ©, le grief concernant l’article 6 Â§ 1 (accĂšs Ă  un tribunal) recevable et le surplus de la requĂȘte irrecevable ;
  2. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y pas a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 12 octobre 2021, en application de l’article 77 Â§Â§ 2 et 3 du rĂšglement.

Milan BlaĆĄko                            Georgios A. Serghides
Greffier Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â  PrĂ©sident

 

 

 

Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rĂšglement, l’exposĂ© de l’opinion sĂ©parĂ©e du juge Pavli.

G.A.S.
M.B.
 



DISSENTING OPINION OF JUDGE PAVLI

1.  This is a troubling case brought by applicants who claim to have been sexually abused as children by Catholic priests in Belgium. In seeking redress before the domestic courts, the applicants raised three claims that were based on various theories of personal liability of the Pope, the Belgian bishops and the superiors of religious orders, under Article 1382 of the Belgian Civil Code (see paragraph 4 of the judgment). In addition, the applicants raised one claim against the Holy See based on a theory of vicarious liability under Article 1384 of the Civil Code. Under this head, the applicants argued that the Holy See was liable as a principal with respect to the actions and omissions of those bishops and superiors and that it could therefore be found indirectly liable for the torts allegedly committed by them (ibid.). All claims were dismissed in the domestic proceedings.

2.  It is in relation to the national courts’ dismissal of this final cause of action that I must respectfully disagree with the majority. My dissent here stems from the lack of proper reasoning and certain questionable interpretations of international law in the domestic courts’ responses to the applicants’ arguments, particularly vis-Ă -vis the applicants’ claims regarding the territorial tort exception to State immunity. Domestic courts have an obligation to adequately set out the factual and legal reasons for their decision. In my view, the Belgian courts failed to do so in relation to the claim of vicarious liability, and I would therefore have found a violation of Article 6 of the Convention in this case.

3.  It is well established in our case-law that the Court should not substitute its own assessment for that of the domestic courts. Rather, the Court’s sole duty is to ensure the observance of the engagements undertaken by the Contracting Parties to the Convention. The Court must therefore respect the autonomy of those legal systems and must not generally deal with errors of fact or law allegedly committed by a national court. If it were otherwise, the Court would be acting as a court of third or fourth instance in disregard of the limits imposed on its action (see Lupeni Greek Catholic Parish and Others v. Romania [GC], no. 76943/11, § 190, 29 November 2016; AvotiņĆĄ v. Latvia [GC], no. 17502/07, § 99, 23 May 2016; and GarcĂ­a Ruiz v. Spain [GC], no. 30544/96, § 28, ECHR 1999-I).

4.  However, the Court may be called upon to consider the decisions of national courts in so far as any shortcomings therein infringe rights and freedoms protected by the Convention, including the right of access to a court. The Court may, and should, consider whether the domestic courts adequately stated the reasons on which their decisions were based, including as to whether they provided a specific and express reply to those submissions by parties that are decisive for the outcome of the proceedings in question (see Ramos Nunes de Carvalho e SĂĄ v. Portugal [GC], nos. 55391/13 and 2 others, § 185, 6 November 2018). The Court may also call into question the findings of the domestic authorities on alleged errors of law if such findings are “arbitrary or manifestly unreasonable” (see NaĂŻt‑Liman v. Switzerland [GC], no. 51357/07, § 116, 15 March 2018). The Court’s role is to ascertain whether the effects of such interpretations are compatible with the Convention, regarding both provisions of domestic law and provisions of general international law or international agreements (see Markovic and Others v. Italy [GC], no. 1398/03, §§ 107-108, ECHR 2006 XIV; Prince Hans-Adam II of Liechtenstein v. Germany [GC], no. 42527/98, §§ 49-50, ECHR 2001 VIII; and Waite and Kennedy v. Germany [GC], no. 26083/94, § 54, ECHR 1999-I).

5.  In the light of these general principles of review, I consider that there are three key areas in which the Belgian courts failed to adequately address the arguments set forth by the applicants, all concerning the application of the territorial tort exception to State immunity.

  1. The domestic courts’ conclusion regarding the iure imperii carve-out from the territorial tort exception to State immunity

6.  The territorial tort exception to State immunity is codified in Article 12 of the 2004 United Nations Convention on Jurisdictional Immunities of States and Their Property (the 2004 Convention)[1]. The Court has indicated that the 2004 Convention reflects customary international law and applies even to States that have not ratified it, provided that the State has not opposed it either (see, among other authoritiesOleynikov v. Russia, no. 36703/04, § 66, 14 March 2013).

7.  The Belgian courts did not dispute the general applicability of the principles and rules of the 2004 Convention to the Holy See. However, they concluded that there was a supposed iure imperii carve-out from the territorial tort exception that precluded its application in the present case. Addressing the issue in a single sentence, the Ghent Court of Appeal summarily stated that “the ‘territorial unlawful act exception’ ... ha[d] by no means acquired the status of international customary law, at least not in relation to acta iure imperii” (section 3.10). In support of this assertion, the Court of Appeal cited three cases, without further analysisMcElhinney v. Ireland [GC], no. 31253/96, ECHR 2001 XI (extracts); Jones and Others v. the United Kingdom, nos. 34356/06 and 40528/06, ECHR 2014; and the International Court of Justice judgment in Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy: Greece intervening, judgment of 3 February 2012).

8.  This seems a rather facile conclusion, considering that the three cases cited by the national court can be reasonably differentiated from the applicants’ claims against the Holy See. Both McElhinney and Jurisdictional Immunities concerned the actions of military personnel or otherwise implicated armed conflict[2]. There is a consensus in the literature that, under such circumstances, the territorial tort immunity exception does not apply[3]. However, in the instant case, the Holy See and Belgium were not engaged in armed conflict, and the perpetrators of the alleged crimes were not military personnel.

9.  Similarly, the judgment in Jones can be distinguished on the basis that that case concerned torture allegedly perpetrated outside the jurisdiction of the forum State, whereas the crimes complained of here allegedly took place within Belgian territory. In Jones, the domestic courts had dismissed the applicant’s civil claim against the Kingdom of Saudi Arabia on the basis of a municipal law that granted immunity to States unless the damage was caused within the United Kingdom (see Jones and Others, cited above, § 191; see also Al-Adsani v. the United Kingdom [GC], no. 35763/97, § 66, 21 November 2001, where the Court found that it had not been established that there was acceptance in international law of the proposition that States were not entitled to immunity in respect of civil claims for damages concerning alleged torture committed outside the forum State; and the finding that Mr Jones’s claim was “identical in material facts” to the complaint made in Al-Adsani (see Jones and Others, cited above, § 196)). Therefore, the decisive question in Jones was whetherjus cogens exception to State immunity – as an alternative exception based on the nature of the injury, rather than and irrespective of its location – had emerged at the material time with respect to torture committed outside the territory of the forum State. As a result, I can find nothing in Jones to support the finding of the Belgian courts that the Holy See enjoyed immunity in relation to injuries that allegedly occurred within Belgium.

10.  In the same vein, the national courts appear to have ignored significant evidence that Article 12 of the 2004 Convention covers acts iure imperii in addition to acts iure gestionis. The International Law Commission (ILC)’s commentary on the Convention[4] notes as follows:

“The basis for the assumption and exercise of jurisdiction in cases covered by this exception is territoriality. The locus delicti commissi offers a substantial territorial connection regardless of the motivation of the act or omission, whether intentional or even malicious, or whether accidental, negligent, inadvertent, reckless or careless, and indeed irrespective of the nature of the activities involved, whether jure imperi or jure gestionis ...”

The domestic courts also overlooked more recent analysis by international law scholars on the same topic[5], as well as comparisons to other similar international law instruments[6].

11.  In all, the national courts’ examination of this issue was unjustifiably cursory, particularly given the complex questions of international law raised and the importance of these arguments for the applicants. The legal reasoning presented here does not meet the minimum level of exposition required by Article 6 of the Convention (see Ramos Nunes de Carvalho e SĂĄ, cited above, § 185).

  1. The domestic courts’ consideration of the alleged principal/agent relationship between the Holy See and the bishops

12.  In order to address the issue of the Holy See’s liability in the light of Article 12 of the 2004 Convention, the domestic courts should have followed a two-step approach: first, they should have determined the meaning of the phase “attributable to the State” in this context; and second, they should have examined whether the actions of the Belgian bishops could be “attributed” to the Holy See under the various possible interpretations of that phrase.

13.  The Belgian courts, like the majority in the Chamber (see paragraphs 68-69 of the judgment), appear to presume that the term “attributable to the State” as used in Article 12 of the 2004 Convention mandatorily carries a traditional public international law (PIL) meaning. However, this may not have been an appropriate assumption. Indeed, an analysis of the drafting history of Article 12 indicates that the term may have been meant to reference the traditional tort law concept of vicarious liability as understood in municipal law[7], an alternative that the domestic courts do not appear to have expressly considered. The issue here is not the fact that the Belgian courts applied a PIL understanding to the phrase in question – an option that was arguably also open to them. Rather, the problem in terms of Article 6 is that the national courts did not explain why they chose this approach and why it was the appropriate one, particularly as compared to other viable interpretations that might have produced an outcome favourable to the applicants.

14.  Furthermore, whatever the approach chosen in rejecting the applicants’ claims under Article 1384 of the Civil Code, the domestic courts still had to respond to their argument that the actions of the bishops could be attributed to the Holy See as seen through either a PIL lens or municipal notions of vicarious liability. It is undisputed by the parties that the Pope has significant authority over bishops and other senior Catholic clergy, including the authority to appoint and remove such individuals. More specifically, the applicants submitted evidence purportedly showing that the Holy See had sent a letter to all Catholic bishops worldwide in 1962 that mandated a “code of silence” regarding cases of sexual abuse within the Church, on pain of excommunication[8]; and that this direction on handling cases internally, without notifying law enforcement or other civilian authorities, was reaffirmed in a letter sent by the Holy See in 2001[9]. Pope Francis himself has in recent years acknowledged a “culture of abuse and cover-up” within the Catholic Church[10].

15.  None of these arguments by the applicants were addressed by the Belgian courts. They appear to have accepted wholesale the contention of the Holy See’s expert that – despite the Pope’s apical position within the Catholic Church hierarchy and the indications of specific directions issued by the Holy See to Belgian bishops on the matter, subject to very serious sanctions – there was no principal/agent relationship between the Holy See and the bishops[11]. Thus the Ghent Court of Appeal emphasised that “[t]he diocesan bishop [was] the local legislator and, as the head of the local Church, ha[d] his own decision-making power in respect of considering, dealing with and punishing ecclesiastical offences committed within his diocese”, and concluded that “the actions of the diocesan bishops [could] not be attributed to the Pope as a ‘principal’”[12]. This was, however, an abstraction that was disconnected from the circumstances of the case and the applicants’ specific claims. By contrast, there is no mention in the domestic judgments of the arguments to the contrary made by the applicants’ expert witness.

16.  At the very least, the national courts’ summary approach stands at odds with the requirement under Article 6 that the applicants be given a sufficiently “specific and express reply” (see Ramos Nunes de Carvalho e SĂĄ, cited above, § 185). In the face of what appears to be important evidence that was ignored or not addressed, such a decision may also border on the arbitrary and unreasonable (see NaĂŻt-Liman v. Switzerland, cited above, § 116).

  1. The domestic courts’ conclusions regarding the “territorial” requirement of the territorial tort exception

17.  Finally, in the event that an agent-principal relationship and the possibility of vicarious liability could not be ruled out, had the issue been properly considered, the question would remain whether the other conditions for the applicability of the territorial exception were met. As the ILC noted in its commentary on Article 12, a cause of action under the territorial exception must relate to the occurrence or infliction of physical damage occurring in the forum State[13]. The harm invoked in the instant case – namely the abuse of hundreds of children over the span of multiple decades, allegedly facilitated by the Holy See’s failure to intervene and various cover-up efforts – had occurred on Belgian territory[14]. There is therefore a compelling argument that this requirement was met, an argument that the national courts, having ruled out any vicarious liability under Article 1384 of the Civil Code, did not address in any meaningful way.

18.  Furthermore, according to the ILC commentary, the reference in Article 12 to the “author” of the act or omission is to the individual representative of the State who actually does or does not do the relevant thing, as distinct from “the State itself as a legal person”[15]. Under this analysis, the Holy See’s hierarchy did not need to be present in Belgium for this requirement to be fulfilled. It was sufficient for “agents” of that State, or individuals whose acts or omissions could be “attributed” to that entity as a matter of vicarious liability under Belgian law, to be present in and to operate on Belgian territory. The domestic courts should have considered the key question whether the individuals on Belgian soil – the bishops and priests who committed the abuse and who allegedly followed orders issued directly from the Holy See on the handling of such abuse – could trigger the Holy See’s tort liability under the circumstances.

19.  In conclusion, under Article 6 of the Convention, domestic courts have an obligation to adequately set out the factual and legal reasons for their decisions. In the case before us, the Belgian courts dismissed the applicants’ arguments, in my view, in an exceedingly summary fashion. The assertion that the territorial tort exception does not apply to acts iure imperii is a dubious conclusion at best; the national courts failed to clearly explain the legal framework they followed in determining whether the actions of the Belgian bishops could be attributed to the Holy See; and in finding that there was, in fact, no vicarious liability of the Holy See they adopted rather formalistic and abstract reasoning, failing to respond to the applicants’ serious allegations of direct and significant Holy See involvement in the handling of sexual abuse by priests within the Belgian Church. Finally, having ruled out the possibility of vicarious liability under Article 1384 of the Civil Code, the domestic courts did not seek to establish whether the two territorial requirements of the territorial tort exception were met.

20.  The applicants were entitled to have their arguments duly examined by the courts – a right that they were denied in this case. I am therefore unable to conclude that the restriction of the applicants’ right of access to a court was proportionate to any legitimate aims pursued or otherwise in compliance with Article 6 § 1 of the Convention.


[1] The full text of Article 12 reads: “Unless otherwise agreed between the States concerned, a State cannot invoke immunity from jurisdiction before a court of another State which is otherwise competent in a proceeding which relates to pecuniary compensation for death or injury to the person, or damage to or loss of tangible property, caused by an act or omission which is alleged to be attributable to the State, if the act or omission occurred in whole or in part in the territory of that other State and if the author of the act or omission was present in that territory at the time of the act or omission.”

[2] In McElhinney, the applicant lodged an action in the Irish High Court against an individual soldier and the British Secretary of State for Northern Ireland (see McElhinney, cited above, § 10). The Jurisdictional Immunities case arose after Italy allowed individuals to file civil claims against Germany on the basis of violations of international humanitarian law by the German Reich during World War II (see ICJ, Jurisdictional Immunities of the State, cited above, §§ 27-29).

[3] See, for example, Hazel Fox and Philippa Webb, The Law of State Immunity, p. 464 (Third Edition, Oxford International Law Library, 2013).

[4] ILC commentary, draft art. 12, para. 8, https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/english/ commentaries/4_1_1991.pdf.

[5] See, e.g., Joanne Foakes and Roger O’Keefe, Article 12, in The United Nations Convention on Jurisdictional Immunities of States and Their Property, pp. 218-219 (Roger O’Keefe & Christian J. Tams (eds), Oxford University Press 2013); Hazel Fox and Philippa Webb, The Law of State Immunity, page 464 (Third Edition, Oxford International Law Library, 2013); and State Practice Regarding State Immunities, p. 101 (Council of Europe, Gerald Hafner, Marcelo G. Kohen & Susan Breau (eds), Martinus Nijhoff Publishers 2006).

[6] The European Convention on State Immunity (1972), Art. 11; The Basel Resolution on State Immunity of the Institut de Droit International (1991)The ILA Draft Convention on State Immunity (1994); see also Hafner, Kohen and Breau, cited above (n. 1), pp. 98-100.

[7] Joanne Foakes and Roger O’Keefe, Article 12, in The United Nations Convention on Jurisdictional Immunities of States and Their Property, at pp. 209 and 220, fn. 70 (Roger O’Keefe & Christian J. Tams, eds., Oxford University Press 2013).

[8] 1962 Letter from the Holy Office, http://image.guardian.co.uk/sys-files/Observer/documents/2003/08/16/Criminales.pdf.

[9] 2001 Letter from the Congregation on the Doctrine of the Faith, https://www.bishop-accountability.org/resources/resource-files/churchdocs/SacramentorumAndNormaeEnglish. htm.

[10] Nicole Winfield and Eva Vergara, Never Again: Pope Denounces “Culture of Abuse, Cover-Up”, AP News, 31 May 2018.

[11] See Ghent Court of Appeal, p. 29, citing a memorandum from canon-law expert Jean‑Pierre Schouppe.

[12] Ibid.

[13] ILC commentary, draft art. 12, para. 9, https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/ english/commentaries/4_1_1991.pdf

[14] Notably, whether this failure to intervene was intentional or merely negligent is irrelevant for the purposes of Article 12 (ibid., para. 3). Article 12 is designed to provide relief for individuals who suffer, among other things, personal injury or death caused by an act or omission either intentionally caused by, or due to the negligence of, a foreign State (ibid).

[15] Also potentially relevant is the ILC’s commentary on the reason the drafters inserted this second condition: it was meant to “ensure the exclusion from the application of this article of cases of transboundary injuries or trans-frontier torts or damage, such as export of explosives, fireworks or dangerous substances which could explode or cause damage through negligence, inadvertence or accident” (ibid., para. 7). This requirement also excludes “cases of shooting or firing across a boundary or of spill-over across the border of shelling as a result of an armed conflict” (ibid.).