Cour européenne des droits de l’homme
TROISIÈME SECTION
AFFAIRE J.C. ET AUTRES c. BELGIQUE
(Requête no 11625/17)
ARRÊT
Art 6 § 1 (civil)
• Accès à un tribunal • Rejet par les tribunaux de leur juridiction pour connaître de l’action en responsabilité
civile pour des abus sexuels introduite contre le
Saint-Siège jouissant de l’immunité de juridiction • Décision ni arbitraire, ni manifestement déraisonnable • Restriction conforme aux principes de droit international généralement reconnus et non disproportionnée • Autres recours possibles
STRASBOURG
12 octobre 2021
Cet arrêt deviendra
définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la
Convention. Il peut subir des
retouches de forme.
En l’affaire J.C. et autres c. Belgique,
La Cour
européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre
composée de :
Georgios A. Serghides, président,
Paul Lemmens,
Georges Ravarani,
María Elósegui,
Darian Pavli,
Peeter Roosma,
Andreas Zünd, juges,
et de Milan Blaško, greffier de
section,
Vu :
la requête (no 11625/17) dirigée
contre le Royaume de Belgique
et dont vingt-quatre ressortissants
belges, français et néerlandais (« les
requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 2 février
2017,
la décision de
porter à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement ») les griefs concernant l’article 6 § 1 de la Convention,
la décision de
ne pas dévoiler l’identité des requérants,
la décision de
traiter en priorité la requête (article 41 du règlement de la Cour (« le règlement »),
les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par les requérants,
la décision du gouvernement français et celle du gouvernement néerlandais de ne pas intervenir en tant que tierce partie
(article 36 § 1 de la Convention),
les commentaires reçus de la Conférence épiscopale de Belgique et du Saint-Siège que le président de la section avait autorisés
à se porter tiers intervenants,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 septembre 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté
à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête
concerne l’action en indemnisation engagée par les requérants contre le Saint-Siège,
plusieurs dirigeants de l’Église catholique de Belgique, et
des associations
catholiques à raison des dommages causés par la manière structurellement déficiente avec laquelle l’Église aurait fait face à la problématique des abus sexuels en son sein. Les juridictions
belges se sont notamment déclarées sans juridiction à l’égard du Saint-Siège. Les requérants invoquent une violation du droit d’accès
à un tribunal tel que garanti par l’article 6 § 1
de la Convention.
2. Les
requérants affirment tous être des
victimes d’abus sexuels commis par des prêtres catholiques alors qu’ils étaient encore des enfants. Ils sont représentés par Me W.
Van Steenbrugge, Chr. Mussche et P.B. Lagae, avocats à Gand, et par Me J.
Meese, avocat à Aalter.
3. Le Gouvernement
a été représenté par son
agent, Mme I. Niedlispacher,
du service public fédéral
de la Justice.
- ACTION EN
RESPONSABILITÉ CIVILE
4. Le
12 juillet 2011, quatre demandeurs introduisirent une
action en responsabilité civile devant
le tribunal de première instance
de Gand par un même et unique exploit de citation. Le
premier des demandeurs,
R.V., requérant, déclara
agir en son nom propre et également au nom
et pour le compte de trente-cinq
autres victimes (dont vingt requérants à présent devant la Cour). Cette action civile collective dénonçait la manière structurellement déficiente avec laquelle l’Église avait fait face à la problématique connue d’abus sexuels en son sein. Les demandeurs
considéraient le Pape comme la figure centrale dans l’opération de silence entourant ces abus, mais comme il jouissait d’une immunité personnelle en tant que chef d’État de la Cité du Vatican, ils citaient le Saint-Siège. L’action
était introduite, sur base
de l’article 1382 du code civil, contre le Saint-Siège ainsi que contre un archevêque de l’Église catholique
de Belgique et ses deux prédécesseurs, plusieurs évêques et deux associations d’ordres religieux catholiques. Leur action était basée sur trois causes différentes : premièrement, à l’égard de tous les
défendeurs, y compris le
Saint-Siège, sur des fautes et omissions dans la politique générale relative aux abus sexuels ; deuxièmement, à l’égard de tous les défendeurs
sauf le Saint-Siège, sur des fautes et omissions
dans la gestion des cas individuels
; troisièmement, à l’égard du Saint-Siège, sur l’omission de prendre des mesures contre les évêques. Quant
à cette dernière responsabilité du Saint‑Siège, elle était en ordre subsidiaire basée également sur l’article 1384, alinéa 3, du code civil, et fondée sur la responsabilité indirecte du Saint-Siège en tant que
commettant des évêques et des supérieurs des ordres religieux.
5. Les
demandes visaient à faire dire pour droit, dans une première phase, que les défendeurs
étaient solidairement responsables du préjudice subi par les requérants en raison des abus
sexuels dont ils avaient été victimes
par des prêtres ou des religieux
catholiques, et à condamner solidairement
les défendeurs au paiement d’une indemnité provisionnelle de
10 000 euros (« EUR ») à chacun des requérants
en raison de l’omission coupable et de la politique du silence entretenue
par l’Église catholique au sujet de la problématique des abus sexuels.
Cette première phase n’aborderait pas la question de l’identité des victimes ni des détails de chaque dossier et se basait notamment sur les travaux d’une commission d’enquête parlementaire (paragraphe 30 ci-dessous). Les demandes visaient en outre à faire dire pour droit que, dans
une seconde phase, l’affaire serait
scindée en différentes
affaires, avec des numéros de rôle distincts. Dans cette seconde phase, les demandeurs poursuivraient individuellement leurs demandes de dédommagement sur la base des détails de chaque dossier.
6. Par jugement
du 1er octobre 2013,
le tribunal de première instance
de Gand se déclara sans juridiction à l’égard du Saint-Siège, se limita à examiner la demande du premier demandeur, R.V., déclara la citation nulle dans la mesure où elle émanait de R.V., et suspendit l’examen des 38 autres demandes.
7. Trente-six des trente-neuf demandeurs originaires (dont tous les vingt‑quatre
requérants qui sont à présent devant la Cour) interjetèrent appel. Par un arrêt du 25 février 2016, la cour d’appel de Gand confirma le jugement entrepris, sous réserve d’une modification de la décision sur les frais.
8. En ce qui concerne le Saint-Siège, elle constata qu’elle ne disposait pas d’une juridiction suffisante pour trancher l’action en raison de l’immunité de juridiction dont le
Saint-Siège jouissait. Elle
considéra que la reconnaissance de ce dernier par la Belgique
en tant que souverain étranger qui avait les mêmes
droits et obligations qu’un État, était
établie de manière irréfutable (paragraphe 25
ci-dessous). Cette reconnaissance
résultait d’un ensemble d’éléments
reconnus du droit international coutumier au premier rang desquels figuraient la conclusion de traités et la représentation diplomatique. Le
Saint-Siège jouissait donc de l’immunité diplomatique et de tous les privilèges étatiques existants en droit international en ce compris
l’immunité de juridiction (paragraphes 18 et 21 ci-dessous).
9. Cette immunité de juridiction ratione personae du Saint-Siège répondait en outre, selon la cour d’appel,
aux conditions ratione
materiae de l’immunité de juridiction du fait de la nature de puissance publique des actes
invoqués comme fondement de l’action en responsabilité.
D’une part, s’agissant des manquements politiques reprochés au Saint-Siège sur pied des articles 1382 et 1383 du code civil, ils relevaient, selon la cour d’appel,
de l’exercice de pouvoirs administratifs et de l’autorité publique et devaient donc être considérés
comme des acta iure
imperii et non comme des
actes accomplis en qualité de particulier pour la défense d’intérêts privés. D’autre part, s’agissant de la responsabilité indirecte du Saint-Siège pour les manquements reprochés aux évêques
belges, la cour d’appel considéra, se référant à la note d’un expert en droit canon déposée par le Saint-Siège, que la relation entre le Pape et les évêques était
une relation de droit public, caractérisée
par le pouvoir autonome des
évêques, et non pas une
relation de commettant et préposé
au sens de l’article 1384 alinéa 3 du code civil. Les fautes reprochées
aux évêques étaient des fautes
commises dans l’exercice de fonctions administratives dans leur propre diocèse,
dans lequel ils agissaient de manière autonome. L’évêque était considéré comme le législateur local, ayant un pouvoir de décision propre quant à l’évaluation, le traitement et la répression de délits ecclésiastiques commis dans son diocèse. Cette circonstance impliquait non seulement que les
manquements reprochés aux évêques belges
ne pouvaient être attribués au Pape,
en tant que commettant, mais aussi que ces manquements
concernaient également des actes iure imperii.
Le fait que la politique dite du silence aurait été organisée, comme le soutenaient les requérants, dans le but de préserver la réputation de l’Église ou d’un membre du clergé
n’était pas suffisant, selon la cour d’appel, à les faire échapper
à la qualification d’acte
d’autorité. Les tribunaux belges s’attachaient en effet à la nature
de l’acte et non à sa finalité pour déterminer s’il y avait acte
d’autorité ou acte de gestion.
10. Enfin,
la cour d’appel considéra que le litige n’était pas d’une nature telle qu’il tombait sous
l’une des exceptions au principe de l’immunité de juridiction des États. En particulier, le litige ne répondait pas aux conditions
fixées par les articles 11 de la Convention européenne sur l’immunité des États
et 12 de la Convention des Nations Unies sur les immunités
juridictionnelles des États et de leurs biens, prévoyant des exceptions à l’immunité juridictionnelle des États pour des procédures ayant trait à une réparation pécuniaire en cas d’un « préjudice corporel » ou d’une « atteinte à l’intégrité physique
d’une personne » (paragraphes
22-23 ci-dessous). Selon la cour
d’appel, cette exception ne pouvait s’appliquer à des acta iure
imperii ; en outre, les
fautes reprochées aux évêques belges
ne pouvaient pas être attribuées au Saint-Siège sur base de l’article 1384, alinéa 3, du code civil, le Pape n’étant pas
le commettant des évêques ; enfin, en ce qui
concerne les fautes et omissions directement reprochées au Saint-Siège, c’est-à-dire la politique générale prétendument fondée sur des documents pontificaux et l’omission de prendre des mesures ayant
un impact en Belgique, celles-ci
n’avaient pas été commises sur le territoire belge mais à
Rome ; par ailleurs, ni le Pape
ni le Saint-Siège n’étaient
présents sur le territoire belge quand les
fautes reprochées aux dirigeants de l’Église en Belgique auraient été commises.
11. Examinant la question sous l’angle
du droit d’accès à un tribunal au sens de l’article
6 § 1 de la Convention, la cour d’appel
considéra que la jurisprudence de la Cour reconnaissait l’immunité de juridiction des États comme une limitation implicitement admise du droit
d’accès. Par ailleurs, la Cour n’exigeait pas de faire exception
à l’immunité d’État dans les litiges
civils relatifs à des dommages résultant
d’actes de torture. La cour
d’appel nota ensuite que les requérants
disposaient d’autres voies pour faire valoir leurs droits,
parmi lesquelles une action
en responsabilité contre l’évêque
ou le supérieur concerné,
une demande devant le
centre d’arbitrage en matière
d’abus sexuels établi au sein
de l’Église catholique (paragraphes
31-33 ci‑dessous), ou une plainte
devant un des tribunaux ecclésiastiques constitués au sein
de l’Église catholique belge,
et que les requérants n’avaient pas démontré que
ces autres voies n’étaient pas suffisantes.
12. En ce qui concerne la demande en tant qu’elle était dirigée
contre les autres défendeurs que le Saint-Siège, la cour d’appel constata le défaut de connexité entre les demandes des
différents demandeurs. Elle
limita son examen à la demande
de R.V. Elle conclut à la nullité
de la citation, à défaut de
contenir les mentions prescrites par le code judiciaire à peine de nullité. En particulier, il manquait un exposé des faits
précis et concrets à
l’origine de l’action en responsabilité, tant en ce qui concerne les faits d’abus sexuels
qu’en ce qui concerne les réactions éventuelles des défendeurs à des plaintes éventuelles (paragraphe 29 ci-dessous).
13. La cour d’appel considéra en outre qu’elle ne disposait pas d’une juridiction suffisante pour connaître de l’action en responsabilité
civile de R.V. à l’égard de tous
les défendeurs, en ce compris le Saint-Siège, dès lors que
cette action visait en réalité à obtenir une décision déclarative concernant le caractère fautif de la politique des défendeurs, en général et in abstracto,
indépendamment de tout cas concret. Sa demande ne satisfaisait ainsi pas aux dispositions
procédurales exigeant de démontrer l’existence d’un intérêt personnel résultant d’un dommage personnel (paragraphe 29 ci‑dessous).
En outre, en sollicitant réparation de fautes de politique générale, sans référence à son cas individuel, le demandeur n’avait pas suffisamment
allégué l’existence d’une faute pouvant entraîner
la responsabilité civile des
défendeurs (paragraphes
27-28 ci-dessous).
14. En ce qui concerne les
demandes des 35 autres appelants, la cour d’appel en suspendit l’examen jusqu’à leur mise au rôle individuelle,
après paiement des droits de mise au rôle respectifs.
15. Le 3 août
2016, un avocat à la Cour
de cassation donna aux
parties un avis négatif quant aux chances de succès d’un éventuel pourvoi en cassation. Il estimait que la cour d’appel de Gand avait valablement
conclu que le Saint-Siège bénéficiait de l’immunité de juridiction personae et materiae ainsi qu’à l’absence
de violation de l’article 6
§ 1 de la Convention que ce fût
par rapport à l’immunité de juridiction
ou par rapport aux questions de droit procédural belge.
- AUTRES PROCÉDURES
16. Une enquête pénale fut ouverte
au niveau du parquet fédéral concernant des faits spécifiques d’abus sexuels au
sein de l’Église catholique
et des faits de non-assistance à personne en danger (abstention coupable). Les requérants déposèrent en 2010 une
plainte avec constitution de partie civile en les mains d’un juge d’instruction du tribunal néerlandophone
de première instance de Bruxelles. En 2016, le parquet fédéral déposa un premier réquisitoire après clôture de l’instruction et demanda à la chambre
du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles de constater
l’extinction de l’action publique
pour les faits de mœurs eu égard
à la condamnation de plusieurs
prévenus, au décès de plusieurs autres et à la prescription des autres faits.
Il demanda aussi que la chambre des mises
en accusation déclarât les faits d’abstention
coupable éteints par prescription. L’affaire fut reportée sine die dans
l’attente de l’exécution de
devoirs complémentaires d’instruction. De nouvelles parties civiles
se manifestèrent en 2017 et 2018. En 2019, un nouveau
réquisitoire, identique au premier, fut déposé par le parquet. Celui-ci demanda à la chambre du conseil de ne pas encore statuer sur les nouvelles constitutions de partie civile. En appel, la chambre des mises
en accusation de la cour d’appel de Bruxelles décida le 24
avril 2021 de ne pas
scinder les dossiers. L’affaire est pendante devant cette juridiction.
17. Tous les
requérants, sauf quatre qui ne s’adressèrent pas à cet organe,
purent bénéficier d’un dédommagement par la voie du centre d’arbitrage en matière d’abus sexuels au sein
de l’Église catholique.
- DROIT ET PRATIQUE
INTERNATIONAUX PERTINENTS
18. L’article 2 des Accords de Latran signés en 1929 entre l’Italie et le Saint-Siège est ainsi formulé :
« [l’]Italie reconnaît la souveraineté du Saint-Siège dans le domaine
international comme un attribut
inhérent à sa nature, en conformité
avec sa tradition et avec les exigences
de sa mission dans le monde ».
19. En
tant que souverain, le Saint-Siège est partie à la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques et entretient des relations diplomatiques avec 185 États.
20. Le Saint-Siège
est habilité à signer des traités internationaux.
Il est partie à des traités bilatéraux
concernant tant son statut dans les
ordres juridiques nationaux (les concordats) que des questions politiques,
ainsi qu’à des traités multilatéraux
(outre la Convention de Vienne précitée,
il est également partie, notamment, à la Convention de Montego Bay
de 1982 sur le droit de la mer
et à la Convention des Nations Unies
de 1989 relative aux droits
de l’enfant).
21. Le Saint-Siège
participe à l’activité de nombreuses organisations internationales en tant que membre à part entière ou, comme
c’est le cas au Conseil de l’Europe et aux
Nations Unies, comme observateur permanent.
22. La Convention européenne sur l’immunité des États,
signée à Bâle le
16 mai 1972, dispose notamment comme suit :
Article 11
« Un État contractant
ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant un tribunal d’un autre État contractant
lorsque la procédure a
trait à la réparation d’un préjudice
corporel ou matériel résultant d’un fait survenu sur le territoire de l’État du for et que l’auteur du dommage
y était présent au moment où ce fait est survenu. »
Article 15
« Un État contractant
bénéficie de l’immunité de juridiction devant les tribunaux d’un autre État contractant
si la procédure ne relève pas des
articles 1 à 14 ; le tribunal
ne peut connaître d’une telle procédure même lorsque l’État ne comparaît pas. »
Cette convention est entrée en vigueur
le 11 juin 1976, notamment
à l’égard de la Belgique.
Le Saint-Siège n’est pas partie à cette convention.
23. La Convention des
Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, adoptée
à New York le 2 décembre 2004, dispose notamment comme suit :
Article 5. Immunité des États
« Un État jouit,
pour lui-même et pour ses biens, de l’immunité de juridiction devant les tribunaux d’un autre État, sous
réserve des dispositions de la présente
Convention. »
Article 12. Atteintes à l’intégrité physique d’une personne
ou dommages aux biens
« À moins
que les États
concernés n’en conviennent autrement, un État ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant un tribunal d’un autre État, compétent
en l’espèce, dans une procédure se rapportant à une
action en réparation pécuniaire
en cas de décès ou d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne,
ou en cas de dommage ou de perte
d’un bien corporel, dus à un acte ou
à une omission prétendument
attribuables à l’État, si cet acte ou
cette omission se sont produits, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre État
et si l’auteur de l’acte ou de l’omission était présent sur ce territoire au moment de l’acte ou de l’omission. »
Cette convention a été signée par la Belgique, mais pas ratifiée. Le Saint‑Siège ne l’a pas
signée. La Convention n’est pas
encore entrée en vigueur.
- LE DROIT ET LA
PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
- Relations avec le Saint-Siège
24. En droit belge, la conduite des relations internationales relève en principe du pouvoir exécutif fédéral (article 167, § 1er de
la Constitution).
25. Avec le
Saint-Siège, la Belgique entretient des relations diplomatiques et conventionnelles
depuis 1832. Le Saint-Siège
y est représenté par un nonce
apostolique, représentant diplomatique du Pape qui a le même
statut qu’un ambassadeur.
- Immunité de juridiction des États étrangers
26. Le
principe de droit international coutumier de l’immunité de juridiction des États est reconnu par la Cour de cassation depuis un arrêt du 11 juin 1903 (Pasicrisie, 1903, I, 294). Dans
cet arrêt, la Cour de cassation distingue les actes engageant
la souveraineté de l’État (jure imperii) des actes d’intérêt privé (jure gestionis) que peuvent poser
les États, ne retenant que la première catégorie comme pouvant consacrer une immunité juridictionnelle. Selon la formulation la plus récente, « l’immunité
de juridiction des États est la règle de droit coutumier international qui
interdit aux juridictions d’un État d’exercer leur pouvoir
de juger sur un autre État qui n’y a pas consenti, [mais] cette règle reçoit exception
lorsque l’action dirigée
contre l’État étranger est
relative non à un acte accompli
dans l’exercice de la puissance publique, mais à un acte de gestion » (Cass.,
6 décembre 2019, C.18.0282.F).
- Code civil
27. Les articles 1382 et 1383 du code civil envisagent des cas de responsabilité
civile du fait personnel, en dehors de tout cadre
contractuel, tandis que l’article 1384 envisage des cas
de responsabilité du fait d’autrui, en particulier des maîtres et commettants (alinéa 3).
28. Le droit commun de la responsabilité belge exige la réunion d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité
entre cette faute et le dommage.
- Code judiciaire
29. Les conditions mises à la recevabilité d’une action civile portée
devant les cours et tribunaux figurent notamment dans les dispositions
suivantes du Code judiciaire :
Article 6
« Les juges ne peuvent prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. »
Article 17
« L’action ne peut être admise si
le demandeur n’a pas qualité et intérêt pour la former.
(...) »
Article 18
« L’intérêt doit être né et actuel.
L’action peut être admise lorsqu’elle
a été intentée, même à titre déclaratoire,
en vue de prévenir la violation d’un droit gravement menacé. »
Article 702
« A peine de nullité, l’exploit de citation contient (...) :
(...)
3o l’objet
et l’exposé sommaire des moyens de la demande ;
(...) »
- Le centre d’arbitrage
30. Une commission
d’enquête parlementaire
relative « au traitement d’abus sexuels et de faits de pédophilie dans une relation d’autorité, en particulier au sein de l’Église »,
fut mise en place au sein de la chambre des représentants du Parlement belge.
Elle avait pour mission d’examiner
la manière dont l’appareil judiciaire et l’Église allaient collaborer lors de la découverte de ces faits et les
solutions à apporter aux difficultés de prise en charge par l’appareil judiciaire.
31. Pour faire
suite à une des recommandations formulées par la commission dans son rapport publié en mars 2011, il fut créé au
sein de l’Église catholique
un centre d’arbitrage en matière
d’abus sexuels. Cette instance traita des requêtes
individuelles afin de trouver une solution pour indemniser des victimes qui ne pouvaient pas introduire d’action en justice du fait
de la prescription des faits ou du
décès de l’auteur. Financé sur des fonds publics et sur des contributions l’Église, le centre, créé pour une durée temporaire (des requêtes pouvaient être introduites jusqu’au 31 octobre 2012), comprenait une chambre d’arbitrage permanente, qui contrôlait
la recevabilité des requêtes et avait une fonction de conciliation, et des collèges arbitraux,
qui pouvaient rendre des sentences arbitrales,
tous composés de façon pluridisciplinaire.
32. L’Église en Belgique n’ayant pas de personnalité juridique et les diocèses étant constitués, au plan civil, comme des
associations sans but lucratif, une fondation d’utilité publique habilitée à représenter les autorités de l’Église comme défenderesse
dans les procédures diligentées dans le cadre du
centre d’arbitrage fut instituée (la fondation ‘Dignity’).
33. Le 6 mars
2017, le centre d’arbitrage présenta son rapport final. Il en
résulte que 628 requêtes ont été
introduites. De ces 628
dossiers, 121 ont été clôturés sans aucune compensation financière, 506 l’ont été en prévoyant
une compensation financière,
et dans 1 dossier l’un des demandeurs a bénéficié d’une compensation mais l’autre pas.
- L’OBJET DU LITIGE
DEVANT LA COUR
34. Dans
leur formulaire de requête, les requérants
ont soulevé un grief tiré d’une violation de l’article 6 § 1 de
la Convention (accès à un tribunal)
du fait qu’ils
n’avaient pas pu faire valoir
au civil leurs griefs contre le Saint‑Siège par le jeu de la théorie de
l’immunité des États. Ce grief ainsi formulé a été communiqué au Gouvernement.
35. Dans
leurs observations, les requérants ont émis pour la première fois devant la Cour un certain nombre de considérations supplémentaires. Ils soutenaient que l’atteinte disproportionnée portée à leur droit d’accès
à un tribunal résultait également de l’attitude plus générale des juridictions
belges qui ont eu, selon eux,
une approche exagérément
formaliste des dispositions
de procédure belge et du code civil.
36. Dans
ses observations additionnelles, le Gouvernement invite la Cour à rejeter ces considérations
au motif qu’elles sont tardives
et n’entrent pas dans l’objet du
litige tel qu’il lui a été communiqué.
37. Il appartient
à la Cour de déterminer si
et dans quelle mesure lesdites considérations sont des développements
qui viennent préciser ou étoffer leurs
prétentions initiales ou si elles constituent
des griefs nouveaux invoquant des faits
différents de ceux dénoncés dans la requête initiale (les principes généraux
à cet égard sont énoncés dans Denis
et Irvine c. Belgique [GC], nos 62819/17 et 63921/17, §§ 98-101, 1er juin
2021).
38. Dans
le formulaire de requête, les requérants ont mis en cause la mise en œuvre par les juridictions
belges de la théorie de l’immunité de juridiction à l’égard du Saint-Siège et ses effets
sur leur droit d’accès à un tribunal. Ils n’ont fait
aucune mention dans leurs développements
au titre des griefs, des
autres motifs d’échec de leur action en responsabilité civile qui ont également justifié la limitation de leur droit d’accès à un tribunal.
39. S’il
est vrai qu’il s’agit de différents aspects concernant chacun le droit d’accès à un tribunal, cela ne suffit pas pour dire que les considérations
supplémentaires développées
par les requérants ne touchent que des
aspects particuliers du grief initial.
En ce qu’elles allèguent que la restriction d’accès à un tribunal résulte d’un formalisme excessif dont aurait fait preuve la cour d’appel de Gand, ces considérations
visent, dans l’arrêt de la cour d’appel, une décision entièrement séparée de celle concernant l’immunité de juridiction du Saint-Siège (paragraphes 8-11 et
12-14 ci‑dessus). Elles doivent
donc être considérées comme un grief nouveau (voir Ramos
Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres,
§§ 101-106, 6 novembre 2018).
40. Il s’ensuit
que le nouveau grief, ayant été formulé
le 13 septembre 2018, date des
observations des requérants, n’a pas été invoqué dans
le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention, et est donc
irrecevable pour tardiveté
en application de l’article
35 § 4 de la Convention.
41. Les
requérants allèguent que l’application du principe de l’immunité de juridiction des États au Saint-Siège les a empêchés
de faire valoir au civil
leurs griefs à l’encontre de celui-ci. Ils invoquent une violation de l’article 6
§ 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, (...) des contestations sur ses droits et obligations
de caractère civil
(...) »
- Sur la recevabilité
42. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour
le déclare recevable.
- Sur le fond
- Thèses des parties
43. Les
requérants font valoir que leur situation de victimes, qui résulte d’une faute structurelle des autorités ecclésiastiques
est constitutive de torture ou
de traitements inhumains contraires à l’article 3. Cela a été établi dans
les différents rapports adoptés aux niveaux
national et international, et a été reconnu par les autorités ecclésiastiques dans le cadre de la procédure d’arbitrage.
44. En ce que
leur action en responsabilité
civile devant les juridictions belges visait le Saint-Siège, les requérants soutiennent que la cour d’appel de Gand ne peut être
suivie quand elle considère que le Saint-Siège est un État jouissant de l’immunité de juridiction. Au mieux, il peut être considéré comme un « service public
international » ou une organisation
internationale qui ne jouit
pas de l’immunité de juridiction. En tout état de
cause, les faits à la base
de l’action des requérants
n’étaient pas des actes de puissance
publique mais des actes de gestion privée, en ce que ces actes
étaient destinés à fournir un soutien à l’Église catholique, et non à préserver
les intérêts de la Cité du Vatican. Enfin, les faits
sous-jacents à l’action des
requérants étaient d’une gravité telle qu’ils
constituaient un traitement
inhumain tombant sous l’application de l’article 3 de la Convention. Ils furent suivis d’une opération de dissimulation à
grande échelle. L’octroi de
l’immunité dans de telles circonstances est disproportionnée.
45. Selon
les requérants, l’échec de leur action pour défaut d’avoir démontré quel responsable religieux avait failli et de quelle manière sa responsabilité était engagée, ne saurait entrer dans la balance des intérêts puisque
la procédure qu’ils ont engagée devant
les tribunaux belges visait précisément
la dissimulation structurelle
par l’Église en tant qu’organisation, et par ses dirigeants, des faits d’abus sexuel
et des obstacles mis à leur établissement
et leur reconnaissance.
46. Les
requérants font en outre valoir qu’il n’existe aucune possibilité
alternative de parvenir à un dédommagement
de ce préjudice.
47. La procédure
pénale concerne l’infraction
d’abstention coupable qui
n’est pas assimilable aux agissements ou non-agissements structurels fautifs en cause. De
plus, à supposer que la prescription soit établie sur le plan pénal, cela n’entraînerait par la
prescription des fautes de droit civil qui n’a commencé à courir qu’à partir de 2010 au moment où les
requérants ont su, à la
suite des révélations d’un
ancien évêque confirmées dans le rapport de la commission parlementaire, qui était responsable du dommage qu’ils avaient subi. Enfin,
il est difficile de considérer
que la procédure pénale constitue une voie de recours efficace quand on sait que
l’instruction est toujours
en cours.
48. Quant
à la procédure d’arbitrage,
elle ne portait pas sur la
défaillance structurelle des
autorités ecclésiastiques,
mais visait le préjudice subi à la suite des faits d’abus sexuels
prescrits ou dont l’auteur était décédé.
De plus, elle n’a permis qu’une
indemnisation très limitée en comparaison des montants octroyés
par les juridictions belges en cas d’abus sexuels dans
d’autres situations ou par
la commission de compensation
des victimes des mêmes agissements
aux Pays-Bas.
49. Selon
le Gouvernement, la limitation
à l’accès à la justice qu’ont subie les
requérants n’était pas disproportionnée. Premièrement, la motivation circonstanciée de la cour d’appel de Gand pour considérer que le Saint-Siège bénéficie de l’immunité de juridiction ratione personae est
conforme au droit
international généralement reconnu
et à la pratique belge. Il en est de même de la reconnaissance de l’immunité de juridiction ratione materiae eu égard à la nature des fautes reprochées
au Saint-Siège et, en tout état de cause, à la circonstance que les faits
reprochés aux autres défendeurs n’étaient pas étayés
par les requérants au moyen de faits
précis et concrets.
50. Deuxièmement,
le fait d’octroyer l’immunité de juridiction au Saint-Siège n’a pas privé les requérants
de leur droit d’accès à un tribunal. Ils ont en effet
vu leur cause débattue à deux degrés de juridiction dans le respect du droit
à un procès équitable.
L’action en responsabilité civile à l’encontre du Saint-Siège a été rejetée
pour des difficultés liées à l’application du droit interne et qui résultent des choix
procéduraux faits par les requérants dans la présentation de leur demande, les
mêmes qui ont abouti au rejet
de leur action en ce qu’elle
était tournée vers les défendeurs ne jouissant pas de l’immunité de juridiction.
51. Enfin,
le Gouvernement souligne que les requérants
ont disposé, avec la procédure d’arbitrage, et disposent encore, avec la plainte pénale avec constitution
de partie civile, de voies alternatives de recours pour obtenir la réparation de leur préjudice.
- Thèses des tiers intervenants
52. Le Saint-Siège soutient l’approche des juridictions
et du Gouvernement belges en ce qui concerne la reconnaissance
de l’immunité de juridiction
en sa faveur et les conséquences sur l’issue de la procédure civile en cause. Il attire
l’attention de la Cour sur
l’importance qu’il y a à ne pas indûment
interférer, directement ou par le prisme du contrôle de la procédure judiciaire nationale, dans les relations complexes entre le Pape et les évêques, lesquelles
sont régies par le droit canon et participent du pluralisme dans une société démocratique.
53. La Conférence
épiscopale de Belgique explique que des
initiatives ont été prises de longue date au niveau des
évêques pour écouter les victimes d’abus sexuels au
sein de l’Église, et qu’outre la création du centre d’arbitrage, de nombreux points de contact ont été créés en Belgique
et continuent d’être organisés par les diocèses et les congrégations religieuses afin de recevoir les communications des personnes qui se sentent concernées, de les orienter et, éventuellement, de faciliter les démarches judiciaires
ou de médiation.
- Appréciation de
la Cour
54. La Cour
rappelle les principes généraux relatifs au droit
d’accès à un tribunal en matière civile (Naït‑Liman
c. Suisse [GC], no 51357/07, §§ 112‑116, 15 mars
2018, et Zubac c. Croatie [GC],
no 40160/12, §§ 76‑79, 5 avril
2018), ainsi que ceux concernant l’immunité juridictionnelle d’un État étranger en tant qu’obstacle à l’accès à un tribunal (McElhinney c. Irlande [GC],
no 31253/96, §§ 33-37, CEDH 2001‑XI (extraits), Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC],
no 35763/97, §§ 52-56, CEDH 2001-XI, Fogarty
c. Royaume-Uni [GC], no 37112/97, §§ 32-36, CEDH 2001‑XI (extraits), Cudak
c. Lituanie [GC], no 15869/02, §§ 54-59, CEDH 2010, Sabeh El Leil
c. France [GC], no 34869/05, §§ 46-54, 29 juin 2011,
et Jones et autres c. Royaume-Uni, nos 34356/06 et 40528/06, §§ 186‑198, CEDH 2014).
55. Elle rappelle
également que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours
et tribunaux, qu’il appartient d’interpréter le droit interne. Sauf si l’interprétation retenue est arbitraire ou manifestement
déraisonnable, sa tâche se
limite à déterminer si ses effets sont compatibles
avec la Convention. (Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 149, 19 décembre
2018). Ceci est vrai notamment
s’agissant de l’interprétation
par les tribunaux de règles de nature procédurale (voir, parmi d’autres, Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97 et 9 autres, §
33, CEDH 2000‑I) ou de règles
de droit international général
(Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999‑I, Korbely c. Hongrie [GC],
no 9174/02, § 72, CEDH 2008, et Molla Sali, précité, § 149).
56. La Cour
relève que la présente espèce se distingue des affaires précitées dans lesquelles elle a examiné l’accès à un tribunal sur le terrain de l’immunité des États
en ce qu’elle soulève pour
la première fois la question de l’immunité
du Saint-Siège. La décision qui fait grief figure dans l’arrêt du 25 février 2016 par lequel la cour d’appel de Gand s’est déclarée sans juridiction pour juger de
l’action en responsabilité civile introduite
par les requérants contre
le Saint-Siège notamment en
raison de l’immunité de juridiction dont il jouit. Pour parvenir à cette conclusion, la cour d’appel a constaté que le Saint-Siège se voyait reconnaître sur la scène internationale les attributs communs
d’un souverain étranger disposant des mêmes
droits et obligations qu’un État (paragraphe
8 ci-dessus). Elle a notamment
relevé que le Saint-Siège était partie
à d’importants traités
internationaux, qu’il avait signé des
concordats avec d’autres souverainetés et qu’il entretenait des relations diplomatiques avec environ 185 États dans le monde. La cour d’appel s’est aussi appuyée sur la pratique belge pour constater que la Belgique, qui entretient avec le Saint-Siège des relations diplomatiques depuis 1832, le reconnaît comme un État.
57. La Cour
n’aperçoit rien de déraisonnable ni d’arbitraire dans la motivation circonstanciée qui a mené la cour d’appel à cette conclusion. Elle rappelle en effet qu’elle a déjà elle-même caractérisé des accords conclus
par le Saint-Siège avec des États tiers
comme des traités internationaux (Fernández
Martínez c. Espagne [GC],
no 56030/07, § 118, CEDH 2014 (extraits),
et Travaš c. Croatie,
no 75581/13, § 79, 4 octobre
2016). Cela revient à reconnaître
que le Saint-Siège a des caractéristiques comparables
à ceux d’un État. La Cour estime que
la cour d’appel pouvait déduire de ces caractéristiques que le Saint-Siège était un souverain étranger, avec les mêmes droits
et obligations qu’un État.
58. La cour
d’appel de Gand en a ensuite déduit que le Saint-Siège jouissait en principe de l’immunité
juridictionnelle, consacrée
par le droit coutumier
international et codifiée dans
l’article 5 de la Convention des
Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens et l’article 15 de la Convention européenne sur l’immunité des États.
Le Gouvernement ne conteste pas
que les requérants
ont subi de ce fait une limitation de leur droit d’accès
à un tribunal.
59. La Cour
rappelle que l’octroi de l’immunité ne doit pas être
considéré comme un tempérament à un droit matériel, mais comme un obstacle procédural à la compétence des cours et tribunaux nationaux pour statuer sur ce droit (voir, mutatis mutandis, McElhinney, précité,
§ 25, Al‑Adsani, précité, § 48, et Fogarty, précité,
§ 26). Dans les cas où, comme
en l’espèce, l’application du principe de l’immunité juridictionnelle de l’État
entrave l’exercice du droit d’accès à un tribunal, la Cour doit rechercher si les circonstances de la cause justifiaient cette entrave (Cudak, précité, § 59, et Sabeh
El Leil, précité,
§ 51).
60. Appliquant
les principes généraux rappelés ci-dessus, la Cour doit d’abord rechercher
si la limitation poursuivait un but légitime. Elle rappelle à cet égard que
l’immunité des États est un concept de droit
international, issu du
principe par in parem non habet
imperium, en vertu duquel
un État ne peut être soumis à la juridiction d’un autre État (McElhinney, précité, § 35, Al-Adsani,
précité, § 54, Fogarty, précité, § 34, Cudak,
précité, § 60, Sabeh
El Leil, précité, § 52,
et Jones et autres, précité,
§ 188). La Cour a admis que l’octroi de l’immunité d’État dans une procédure civile poursuivait le but légitime d’observer le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre États par le respect de la souveraineté d’un autre État (McElhinney,
précité, § 35, Al-Adsani,
précité, § 54, Fogarty, précité, § 34, Cudak,
précité, § 60, Sabeh
El Leil, précité,
§ 52, et Jones et autres, précité, § 188).
61. En ce qui concerne le caractère proportionné de la limitation subie par les requérants de leur droit d’accès
à un tribunal, « la nécessité
d’interpréter la Convention de la manière
la plus harmonieuse possible
avec les autres règles du
droit international, dont elle fait
partie intégrante, y compris celles régissant l’octroi de l’immunité aux États, a conduit la Cour à
conclure que des mesures prises
par un État qui reflètent des principes de droit international généralement reconnus en matière d’immunité des États ne sauraient en
principe passer pour imposer
une restriction disproportionnée
au droit d’accès à un tribunal tel que garanti par l’article 6 § 1. Elle a expliqué que, de même que
le droit d’accès à un tribunal est inhérent à la garantie d’un procès équitable accordée par cet article, de même certaines restrictions à l’accès doivent être tenues
pour lui être inhérentes ;
on en trouve un exemple dans les limitations
généralement admises
par la communauté des
nations comme relevant du principe de
l’immunité des États » (Jones et autres,
précité, § 189 ; dans
le même sens, notamment, McElhinney,
précité, §§ 36-37, Al-Adsani,
précité, §§ 55‑56, Fogarty, précité, §§ 35-36, Kalogeropoulou
et autres c. Grèce et Allemagne (déc.), no 59021/00, CEDH 2002‑X, Cudak,
précité, §§ 56-57, et Sabeh El Leil, précité, §§ 48-49).
62. Les
requérants reprochent à la cour d’appel de Gand d’avoir qualifié
les actes et omissions litigieux invoqués comme fondement de leur action en responsabilité d’actes de puissance publique (acta jure imperii), et d’avoir appliqué à ce titre l’immunité de juridiction ratione
materiae. Ils insistent
sur le fait que la politique du Saint-Siège qu’ils ont
mis en cause était destinée à fournir un soutien à la seule Église catholique, une organisation
religieuse, et non à préserver
les intérêts de l’entité publique qu’est la Cité du Vatican. Ils allèguent en outre que les faits
sous-jacents à leurs
actions tombaient sous l’application de l’article 3 de
la Convention. Le Gouvernement soutient
que c’est à bon droit que la cour d’appel
s’est attachée à la nature des
actes et non à leur finalité (la protection des intérêts de l’Église catholique). Il n’y a pas davantage de raison, selon le Gouvernement, de remettre en
cause la motivation de la cour
d’appel quand elle conclut à l’absence d’exception à l’immunité d’État dans les
procédures civiles en cas d’allégations de torture.
63. La
Cour constate qu’aux
termes d’une analyse des principes de droit international public, du droit canon et de la pratique belge, la cour d’appel a estimé que les
fautes et omissions reprochées, directement ou indirectement au Saint-Siège se situaient dans l’exercice de pouvoirs administratifs et de l’autorité publique, et qu’elles concernaient donc des « acta iure
imperii ». La cour d’appel
en a conclu que l’immunité de juridiction s’appliquait ratione materiae à l’ensemble
de ces actes et omissions. La Cour constate que l’approche de la cour d’appel correspond
à la pratique internationale
en la matière. En effet, selon la Cour internationale
de justice, l’immunité de juridiction ratione materiae s’applique dans le cas d’actes jure imperii (Allemagne
c. Italie ; Grèce (intervenant)) du 3 février 2012, Recueil 2012,
§ 61). En outre, la cour
d’appel a répondu à tous les arguments
invoqués devant elle par les requérants pour contester, dans son principe, l’octroi de l’immunité de juridiction au Saint-Siège. La Cour ne relève rien d’arbitraire
ni de déraisonnable dans l’interprétation donnée par la cour d’appel aux
principes de droit applicables ni dans la manière dont elle les appliqués au cas
d’espèce, compte tenu des causes
de l’action engagée par les
requérants.
64. Dans
la mesure où les requérants allèguent que l’immunité de juridiction des États ne peut
être maintenue dans des cas
où sont en jeu des traitements inhumains ou dégradants,
la Cour rappelle qu’elle a déjà examiné à plusieurs reprises des arguments similaires.
Elle a toutefois conclu chaque fois que dans l’état du
droit international, il n’était
pas permis de dire que les États
ne jouissaient plus de l’immunité
juridictionnelle dans des affaires se rapportant à des violations graves du droit
des droits de l’homme ou du
droit international humanitaire,
ou à des violations d’une règle de jus cogens. Elle a conclu
dans ce sens au sujet des
actes allégués de torture (Al-Adsani, précité,
§§ 57-66, et Jones et autres, précité, §§ 196-198), de crimes contre l’humanité (Kalogeropoulou
et autres, décision précitée), et de génocide (Stichting Mothers of
Srebrenica et autres c. Pays-Bas (déc.), no 65542/12, §§ 156-160, 11 juin
2013, cette dernière décision concernant certes l’immunité juridictionnelle d’une organisation
internationale, à savoir les Nations Unies). Dans l’affaire Jones et autres,
la Cour s’est référée à l’arrêt de la Cour internationale de justice dans l’affaire Allemagne
c. Italie, qui avait « clairement » établi qu’au mois de février
2012 « aucune exception
tirée du jus cogens à l’immunité
de l’État ne s’était encore
cristallisée » (Jones et autres,
précité, § 198, se référant
à Immunités juridictionnelles
de l’État (Allemagne c.
Italie ; Grèce (intervenant)),
précité, §§ 81-97). Alors
que dans ce domaine un développement du droit international coutumier ou conventionnel
dans le futur n’est pas exclu (voir, mutatis mutandis, Kalogeropoulou et autres,
décision précitée, Manoilescu et Dobrescu
c. Roumanie et Russie (déc.), no 60861/00, § 81, CEDH 2005‑VI, Grosz
c. France (déc.), no 14717/06, 16 juin 2009,
et Jones et autres, précité,
§ 215), les requérants
n’ont pas apporté des éléments
permettant de conclure que l’état du
droit international ait développé depuis 2012 à un point tel que les
constats de la Cour dans les affaires précitées ne seraient plus valables.
65. En tout état de cause, ce que les requérants reprochent au Saint-Siège, ce ne sont pas des actes
de torture mais une omission de prendre
des mesures pour prévenir ou réparer
des actes constituant des traitements qu’ils caractérisent comme des traitements inhumains. La Cour estime qu’il faudrait
un pas additionnel pour conclure que l’immunité juridictionnelle des États ne s’applique plus à de
telles omissions. Or, elle
ne voit pas de développements dans la pratique des États
qui permettent, à l’heure actuelle, de considérer que ce pas a été
franchi.
66. La Cour
relève ensuite que la question de savoir si l’affaire pouvait tomber sous le
coup d’une des exceptions
à l’application de l’immunité
juridictionnelle des États consacrées par la
Convention européenne sur l’immunité des États et la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles
des États et de leurs biens, précitées,
a également été discutée devant la cour d’appel de Gand.
67. La Cour
rappelle qu’elle a tenu compte de l’existence de telles exceptions en examinant si le droit d’accès
à un tribunal avait été respecté (voir,
par exemple, Cudak,
précité, §§ 65 et 69-75, Guadagnino c. Italie
et France, no 2555/03, §§ 69-74, 18 janvier
2011, Sabeh El Leil,
précité, §§ 53 et 55-68, Oleynikov c. Russie, no 36703/04, §§ 61 et 62-73, 14 mars
2013, Wallishauser c. Autriche (no 2), no 14497/06, §§ 65 et 68-73, 20 juin
2013, Radunović et autres c. Monténégro, nos 45197/13 et 2 autres, §§ 68
et 70-82, 25 octobre 2016, et Naku c. Lituanie et Suède, no 26126/07, §§ 89-96, 8 novembre 2016).
68. En l’espèce,
l’exception au
principe de l’immunité juridictionnelle
des États évoquée par les requérants devant la cour d’appel était
celle s’appliquant aux procédures se rapportant à une
« action en réparation pécuniaire
en cas de décès ou d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne,
ou en cas de dommage ou de perte
d’un bien corporel » (article 12 de la Convention des
Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens; dans
le même sens, l’article 15 de la Convention européenne sur l’immunité des États).
Cette exception ne
s’applique toutefois que si
l’acte ou l’omission prétendument attribuable à l’État étranger « se sont produits, en totalité ou en partie, sur le territoire de [l’État du for] et si l’auteur de l’acte ou de l’omission était présent sur ce territoire au moment de l’acte ou de l’omission »
(article 12 précité).
69. La
cour d’appel
a rejeté l’applicabilité de
cette exception au motif notamment
que les fautes
reprochées aux évêques belges ne pouvaient être attribuées au Saint-Siège, le Pape n’étant pas le commettant
des évêques ; qu’en ce qui concerne les fautes reprochées directement au Saint-Siège, celles-ci n’avaient pas été
commises sur le territoire belge mais à Rome ; et que
ni le Pape ni le Saint-Siège
n’étaient présents sur le territoire belge quand les fautes
reprochées aux dirigeants de l’Église en Belgique auraient été commises. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation à celle des juridictions nationales, leur appréciation sur ce point n’étant pas arbitraire
ou manifestement déraisonnable.
70. Les
requérants soutiennent enfin que l’immunité
de juridiction du Saint-Siège a pour effet que les victimes
d’abus sexuels dans l’Église catholique sont totalement privées d’accès à la justice. Selon eux, il n’y
a pas de possibilité d’obtenir réparation du Saint-Siège devant une instance de la Cité du Vatican.
71. La Cour
rappelle à cet égard que la compatibilité
de l’octroi de l’immunité
de juridiction à un État avec l’article 6 § 1
de la Convention ne dépend pas
de l’existence d’alternatives
raisonnables pour la résolution
du litige (Ndayegamiye-Mporamazina c. Suisse, no 16874/12, § 64, 5 février
2019, avec référence
à Immunités juridictionnelles
de l’État (Allemagne c. Italie ;
Grèce (intervenant)), précité, § 101). Toutefois,
elle a également conscience
du fait que
les intérêts en jeu pour les requérants sont très sérieux
et concernent de façon sous-jacente
des agissements graves d’abus sexuel
relevant de l’article 3 de
la Convention (voir, mutatis
mutandis, O’Keeffe
c. Irlande [GC], no 35810/09, §§ 144-146, CEDH 2014 (extraits))
et que l’existence d’une
alternative est pour le moins souhaitable.
Or, à cet égard et à titre surabondant, la Cour note que les
requérants ne se sont pas trouvés dans
une situation d’absence de tout recours.
72. Les
parties ont développé dans leurs observations
des thèses opposées sur l’efficacité des autres voies
de recours dont les requérants ont disposé pour protéger leurs droits garantis
par la Convention, en particulier la plainte avec constitution
de partie civile déposée
par les requérants à propos de délits sexuels et d’abstention coupable (paragraphe 16 ci-dessus). La Cour note que cette plainte,
déposée en 2010, est toujours
au stade de l’instruction. Elle n’a, au stade actuel de la procédure, pas pu conduire à une réparation du dommage
prétendument souffert par les requérants à cause d’omissions « structurelles »
au sein de l’Église catholique.
73. La Cour
relève en outre que la procédure introduite par les requérants devant le tribunal de première instance de Gand n’était pas
seulement dirigée contre le
Saint-Siège, mais également
contre des responsables de
l’Église catholique de Belgique
que les requérants
avaient identifiés (paragraphe 4 ci‑dessus).
74. Or, force est de constater que si
la demande des requérants sur ce dernier terrain
n’a pas prospéré, ce n’est pas en raison de l’octroi de l’immunité de juridiction au Saint-Siège, mais du manquement par les requérants à des règles procédurales fixées par le code judiciaire et
à des règles matérielles concernant la responsabilité civile dans la citation des autres
défendeurs (paragraphes
12-14 ci-dessus). De plus, à supposer
que leur action eût été recevable
de ce point de vue, la Cour
n’aperçoit pas pour quelle raison les juridictions
belges n’auraient pas pu examiner
le bien‑fondé de la demande
des requérants, dans la mesure où elle était dirigée
contre des responsables de
l’Église catholique belge.
Il apparaît donc à la Cour que l’échec
total de l’action des requérants résulte en réalité de choix procéduraux qu’ils n’ont pas fait
évoluer en cours d’instance pour préciser et individualiser les faits à l’appui de leurs actions.
75. Eu égard
à l’ensemble des éléments
qui précèdent, la Cour estime que le rejet
par les tribunaux belges de leur juridiction pour connaître de
l’action en responsabilité civile introduite
par les requérants contre
le Saint-Siège ne s’est pas
écarté des principes de droit international généralement reconnus en matière d’immunité des États
et que l’on ne saurait dès lors considérer
la restriction au droit d’accès à un tribunal comme disproportionnée par rapport aux buts légitimes poursuivis.
76. Partant,
il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à cet
égard.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
- Déclare, à l’unanimité, le grief concernant l’article 6 § 1
(accès à un tribunal) recevable et le surplus de la requête
irrecevable ;
- Dit, par six voix contre une, qu’il n’y pas a eu violation
de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 octobre 2021, en application de l’article 77 §§ 2
et 3 du règlement.
Milan Blaško Georgios
A. Serghides
Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Pavli.
G.A.S.
M.B.
DISSENTING OPINION OF JUDGE PAVLI
1. This
is a troubling case brought by applicants who claim to have been sexually abused
as children by Catholic priests in Belgium. In seeking redress before the domestic courts, the applicants raised three claims that
were based on various theories of personal liability of the Pope, the Belgian bishops and the superiors of religious orders, under Article 1382 of the
Belgian Civil Code (see paragraph 4 of the judgment). In addition, the applicants raised one claim against the Holy See based on a theory of vicarious liability under Article
1384 of the Civil Code. Under this
head, the applicants argued
that the Holy See was liable
as a principal with respect to the actions and omissions
of those bishops and superiors and that it could therefore
be found indirectly liable for the torts allegedly committed by them (ibid.). All claims were dismissed
in the domestic proceedings.
2. It
is in relation to the national courts’
dismissal of this final cause of action that I must
respectfully disagree with
the majority. My dissent here stems from the lack of proper reasoning and certain questionable interpretations of
international law in the domestic
courts’ responses to the applicants’ arguments, particularly vis-à-vis the applicants’ claims regarding the territorial tort exception to State immunity. Domestic courts have an obligation to adequately set out
the factual and legal reasons for their decision. In my view, the Belgian courts failed to do so in
relation to the claim of vicarious liability, and I would therefore have found a violation
of Article 6 of the Convention in this
case.
3. It
is well established
in our case-law that the Court should not substitute its own assessment
for that of the domestic courts. Rather, the Court’s sole duty is to ensure the observance of the
engagements undertaken by the Contracting
Parties to the Convention. The Court must therefore respect the autonomy of those legal systems and must not generally deal
with errors of fact or law allegedly committed
by a national court. If it were otherwise, the Court would be acting as a court of third or fourth instance in disregard of the limits imposed on its action (see Lupeni Greek Catholic Parish and Others v. Romania [GC], no. 76943/11, § 190, 29 November 2016; Avotiņš
v. Latvia [GC], no. 17502/07, § 99, 23 May 2016;
and García Ruiz v. Spain [GC],
no. 30544/96, § 28, ECHR 1999-I).
4. However,
the Court may be called upon to consider the decisions of national courts in
so far as any shortcomings therein infringe rights and freedoms protected by the Convention,
including the right of
access to a court. The Court may, and should, consider whether the domestic courts adequately stated the reasons on which their decisions
were based, including as to whether they provided
a specific and express reply
to those submissions by
parties that are decisive for the outcome
of the proceedings in question
(see Ramos Nunes de Carvalho e Sá v. Portugal [GC], nos. 55391/13 and 2 others,
§ 185, 6 November 2018). The Court may also call into question the findings of the domestic authorities on alleged errors of law if such
findings are “arbitrary or manifestly unreasonable” (see Naït‑Liman
v. Switzerland [GC], no. 51357/07, § 116, 15 March 2018). The Court’s
role is to ascertain whether the effects of such interpretations are compatible
with the Convention, regarding both
provisions of domestic law and provisions of general
international law or international agreements (see Markovic and Others v. Italy [GC],
no. 1398/03, §§ 107-108, ECHR 2006 XIV; Prince
Hans-Adam II of Liechtenstein v. Germany [GC], no. 42527/98, §§ 49-50, ECHR 2001 VIII; and Waite and Kennedy v. Germany [GC],
no. 26083/94, § 54, ECHR 1999-I).
5. In the light of these general principles of
review, I consider that there are three key areas in which the Belgian courts failed to adequately address the arguments set forth by the applicants, all concerning the application of the territorial tort exception to State immunity.
- The domestic courts’ conclusion regarding
the iure imperii carve-out from the territorial
tort exception to
State immunity
6. The territorial
tort exception to State immunity is codified
in Article 12 of the 2004 United Nations
Convention on Jurisdictional Immunities
of States and Their Property
(the 2004 Convention)[1]. The Court has indicated that
the 2004 Convention reflects customary
international law and applies
even to States that have not ratified
it, provided that the State has not opposed it
either (see, among other authorities, Oleynikov v. Russia, no. 36703/04, § 66, 14 March 2013).
7. The Belgian
courts did not dispute the general applicability
of the principles and rules of the 2004 Convention to
the Holy See. However, they concluded
that there was a supposed iure
imperii carve-out from the territorial tort exception that precluded its application
in the present case. Addressing
the issue in a single sentence, the Ghent Court of
Appeal summarily stated that “the ‘territorial unlawful act exception’ ... ha[d]
by no means acquired the
status of international customary law,
at least not in relation to acta iure imperii” (section 3.10). In support of this
assertion, the Court of Appeal cited
three cases, without further analysis: McElhinney
v. Ireland [GC], no. 31253/96, ECHR 2001 XI (extracts); Jones
and Others v. the United Kingdom, nos. 34356/06 and 40528/06, ECHR 2014; and the International Court of Justice
judgment in Jurisdictional
Immunities of the State (Germany v. Italy: Greece intervening,
judgment of 3 February
2012).
8. This
seems a rather facile conclusion, considering that the three cases cited by the national court
can be reasonably differentiated
from the applicants’ claims
against the Holy See. Both McElhinney and Jurisdictional
Immunities concerned
the actions of military personnel
or otherwise implicated armed conflict[2]. There is a consensus in the
literature that, under such
circumstances, the territorial
tort immunity exception does not apply[3]. However, in the instant case, the Holy
See and Belgium were not engaged
in armed conflict, and the perpetrators of the alleged
crimes were not military personnel.
9. Similarly,
the judgment in Jones can be distinguished on the basis that that case concerned torture allegedly perpetrated outside the jurisdiction of the forum State, whereas the crimes complained of here allegedly took place within Belgian territory. In Jones,
the domestic courts had dismissed the applicant’s civil claim against the Kingdom of Saudi
Arabia on the basis of a municipal
law that granted immunity to States unless the damage was caused within
the United Kingdom (see Jones and Others,
cited above, § 191; see also Al-Adsani v. the United Kingdom [GC], no. 35763/97, § 66, 21 November 2001, where the Court found that it had
not been established that there was acceptance
in international law of the proposition
that States were not entitled to immunity in respect of civil claims for damages concerning alleged torture committed
outside the forum State; and the finding that Mr
Jones’s claim was “identical in material facts” to the complaint made
in Al-Adsani (see Jones
and Others, cited above,
§ 196)). Therefore, the decisive question
in Jones was whether
a jus cogens exception to State immunity – as an alternative exception based on the nature of the injury, rather than and irrespective of its location – had emerged at the material time with respect to
torture committed outside
the territory of the forum State. As
a result, I can find nothing in Jones to support the finding of the Belgian courts that the Holy See enjoyed
immunity in relation to injuries
that allegedly occurred within Belgium.
10. In the same vein, the national courts appear to have ignored significant
evidence that Article 12 of the 2004 Convention covers acts iure
imperii in addition to acts iure gestionis. The International Law
Commission (ILC)’s commentary on the Convention[4] notes as follows:
“The basis for
the assumption and exercise
of jurisdiction in cases covered by this exception is territoriality.
The locus delicti commissi offers a substantial territorial connection regardless
of the motivation of the act or omission,
whether intentional or even malicious, or whether accidental, negligent, inadvertent, reckless or careless, and indeed irrespective of the nature
of the activities involved, whether jure imperi or jure
gestionis ...”
The domestic courts also overlooked
more recent analysis by
international law scholars
on the same topic[5], as well
as comparisons to other similar international law instruments[6].
11. In all,
the national courts’ examination
of this issue was unjustifiably cursory, particularly given the complex questions of international law raised and the importance of these arguments for the applicants. The legal reasoning presented here does not
meet the minimum level of exposition required by Article 6 of the Convention (see Ramos
Nunes de Carvalho e Sá, cited
above, § 185).
- The domestic courts’ consideration of the alleged
principal/agent relationship
between the Holy See and the bishops
12. In order to address the issue of the Holy See’s liability in the light
of Article 12 of the 2004 Convention, the domestic courts should have followed
a two-step approach: first, they
should have determined the meaning of the phase “attributable to the State”
in this context; and
second, they should have examined whether
the actions of the Belgian bishops
could be “attributed” to
the Holy See under the various possible interpretations of that phrase.
13. The Belgian
courts, like the majority
in the Chamber (see paragraphs 68-69
of the judgment), appear to
presume that the term “attributable to the State” as used in Article 12 of the 2004
Convention mandatorily carries
a traditional public international law (PIL) meaning. However, this may
not have been an appropriate assumption. Indeed, an analysis of the drafting history of Article 12
indicates that the term may have
been meant to reference the traditional tort law concept of vicarious liability as understood in municipal law[7], an
alternative that the domestic
courts do not appear to have expressly considered. The issue here is
not the fact that the Belgian courts applied a PIL understanding to the phrase in question – an option that was arguably also
open to them. Rather, the problem in terms of Article 6 is that
the national courts did not explain why they chose this approach
and why it was the appropriate one, particularly
as compared to other viable interpretations
that might have produced an outcome favourable to the applicants.
14. Furthermore,
whatever the approach chosen
in rejecting the applicants’
claims under Article 1384
of the Civil Code, the domestic
courts still had to respond to their argument that the actions of the bishops could be attributed to the Holy See as
seen through either a PIL lens or municipal notions of vicarious liability. It is undisputed by the parties that the Pope has significant authority over bishops
and other senior Catholic clergy, including the authority
to appoint and remove such individuals. More specifically, the applicants submitted evidence purportedly showing that the Holy See
had sent a letter to all Catholic
bishops worldwide in 1962 that mandated a “code of silence” regarding cases of sexual abuse within the Church, on pain of excommunication[8]; and that this
direction on handling cases internally, without notifying law enforcement or other civilian authorities, was reaffirmed in a letter sent by the Holy See in 2001[9]. Pope
Francis himself has in recent years acknowledged
a “culture of abuse and cover-up” within
the Catholic Church[10].
15. None of these arguments by the applicants were addressed by the Belgian courts. They appear
to have accepted wholesale the contention of the Holy See’s expert
that – despite the Pope’s apical position within the Catholic Church hierarchy and the indications of specific directions issued by the Holy See to Belgian bishops on the matter, subject to very serious sanctions – there was no principal/agent
relationship between the Holy See and the bishops[11]. Thus the Ghent Court of Appeal emphasised that “[t]he diocesan bishop [was] the local legislator and, as the head of the local Church,
ha[d] his own decision-making power in respect
of considering, dealing
with and punishing ecclesiastical
offences committed within his diocese”,
and concluded that “the
actions of the diocesan bishops
[could] not be attributed to the Pope as a ‘principal’”[12]. This was, however,
an abstraction that was disconnected from the circumstances of the case and the applicants’
specific claims. By contrast, there is no mention in the domestic judgments of the arguments to the contrary made by
the applicants’ expert witness.
16. At the very least, the national courts’ summary approach stands at odds with the requirement under Article 6 that the applicants be given a sufficiently “specific and
express reply” (see Ramos
Nunes de Carvalho e Sá, cited
above, § 185). In the face of what
appears to be important evidence that was
ignored or not addressed, such a decision may also
border on the arbitrary and
unreasonable (see Naït-Liman v. Switzerland,
cited above, § 116).
- The domestic courts’ conclusions regarding the “territorial” requirement of
the territorial tort exception
17. Finally,
in the event that an agent-principal
relationship and the possibility
of vicarious liability could
not be ruled out, had the issue been
properly considered, the question would remain whether the other conditions for the applicability of the territorial exception were met. As the ILC noted in its commentary
on Article 12, a cause of action under the territorial exception must relate
to the occurrence or infliction
of physical damage occurring in the forum State[13]. The harm invoked in the instant case
– namely the abuse of hundreds of children over the span of multiple decades, allegedly facilitated by the Holy See’s failure
to intervene and various
cover-up efforts – had occurred on Belgian territory[14]. There is therefore
a compelling argument that this requirement
was met, an argument that the national courts, having ruled out any vicarious
liability under Article 1384 of the Civil Code, did not address in any meaningful way.
18. Furthermore,
according to the ILC commentary,
the reference in Article 12
to the “author” of the act or omission
is to the individual representative of the State who actually does or does not do the relevant thing, as distinct from “the State itself as a legal
person”[15]. Under this analysis, the Holy See’s hierarchy
did not need
to be present in Belgium
for this requirement to be fulfilled. It was
sufficient for “agents” of that State, or individuals whose acts or omissions could be “attributed” to that entity as
a matter of vicarious
liability under Belgian law,
to be present in and to operate on Belgian territory. The domestic courts should have considered
the key question whether
the individuals on Belgian soil – the bishops and priests who committed
the abuse and who allegedly followed orders issued directly
from the Holy See on the handling of such abuse – could trigger the Holy See’s tort
liability under the circumstances.
19. In conclusion,
under Article 6 of the Convention, domestic courts have an obligation to adequately set out the factual
and legal reasons for their decisions. In the case before us, the Belgian courts dismissed the applicants’ arguments, in my view, in an exceedingly summary fashion. The assertion that the territorial tort exception does not apply
to acts iure imperii is a dubious conclusion at best; the national courts failed to clearly explain the legal framework they followed in determining whether the actions
of the Belgian bishops could be attributed to the Holy See; and in finding that there
was, in fact, no vicarious liability of the Holy See they adopted
rather formalistic and
abstract reasoning, failing
to respond to the applicants’
serious allegations of direct and significant Holy See involvement
in the handling of sexual abuse by priests within the Belgian Church. Finally, having ruled out the possibility of vicarious liability under Article
1384 of the Civil Code, the domestic
courts did not seek to establish
whether the two territorial requirements of the territorial tort exception were met.
20. The applicants
were entitled to have their arguments
duly examined by the courts – a right that they were
denied in this case. I am therefore unable
to conclude that the restriction
of the applicants’ right of
access to a court was proportionate
to any legitimate aims pursued or otherwise in compliance with Article
6 § 1 of the Convention.
[1] The
full text of Article 12 reads:
“Unless otherwise agreed between the States concerned, a State cannot invoke immunity from jurisdiction before a court of another State which is otherwise competent
in a proceeding which relates to pecuniary compensation for death or injury to the person, or damage to or loss of tangible property, caused by an act or omission which is alleged
to be attributable to the State, if
the act or omission occurred
in whole or in part in the territory
of that other State and if the author of the act or omission was present
in that territory at the time of the act or omission.”
[2] In McElhinney, the applicant lodged an action in the Irish High Court against an individual soldier and the British Secretary
of State for Northern Ireland (see McElhinney, cited above, § 10). The Jurisdictional
Immunities case arose
after Italy allowed individuals to file civil claims against Germany on the basis of violations of
international humanitarian law
by the German Reich during
World War II (see ICJ, Jurisdictional
Immunities of the State, cited
above, §§ 27-29).
[3] See, for example, Hazel Fox and
Philippa Webb, The Law of State Immunity, p. 464 (Third Edition, Oxford International Law Library, 2013).
[4] ILC commentary, draft art. 12, para. 8,
https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/english/ commentaries/4_1_1991.pdf.
[5] See, e.g., Joanne Foakes and
Roger O’Keefe, Article 12,
in The United Nations Convention on Jurisdictional
Immunities of States and Their
Property, pp. 218-219 (Roger O’Keefe
& Christian J. Tams (eds),
Oxford University Press 2013); Hazel Fox and Philippa Webb, The Law of State Immunity, page
464 (Third Edition, Oxford International Law Library,
2013); and State Practice Regarding
State Immunities, p. 101 (Council
of Europe, Gerald Hafner, Marcelo G. Kohen &
Susan Breau (eds), Martinus Nijhoff Publishers
2006).
[6] The
European Convention on State Immunity
(1972), Art. 11; The Basel Resolution on
State Immunity of the Institut de Droit
International (1991); The ILA Draft Convention on State Immunity (1994); see also Hafner, Kohen and Breau, cited above
(n. 1), pp. 98-100.
[7] Joanne
Foakes and Roger O’Keefe, Article 12, in The United Nations Convention on Jurisdictional Immunities of
States and Their Property,
at pp. 209 and 220, fn. 70
(Roger O’Keefe & Christian J. Tams,
eds., Oxford University Press 2013).
[8] 1962
Letter from the Holy
Office, http://image.guardian.co.uk/sys-files/Observer/documents/2003/08/16/Criminales.pdf.
[9] 2001
Letter from the Congregation
on the Doctrine of the Faith, https://www.bishop-accountability.org/resources/resource-files/churchdocs/SacramentorumAndNormaeEnglish.
htm.
[10] Nicole
Winfield and Eva Vergara, Never
Again: Pope Denounces
“Culture of Abuse, Cover-Up”, AP News, 31 May 2018.
[11] See Ghent Court of Appeal, p. 29,
citing a memorandum from canon-law
expert Jean‑Pierre Schouppe.
[12] Ibid.
[13] ILC
commentary, draft art. 12, para. 9, https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/ english/commentaries/4_1_1991.pdf
[14] Notably, whether this failure to intervene was intentional
or merely negligent is irrelevant for the purposes of Article 12 (ibid., para.
3). Article 12 is designed to provide relief for individuals who suffer, among
other things, personal injury or death caused by an act or omission either intentionally caused by, or due to the negligence
of, a foreign State (ibid).
[15] Also potentially relevant is the ILC’s commentary on the reason the drafters inserted this second condition: it was
meant to “ensure the exclusion from the application of
this article of cases of transboundary injuries or trans-frontier torts or damage, such as export of explosives, fireworks or dangerous substances which could explode
or cause damage through negligence, inadvertence or accident” (ibid., para. 7). This requirement also excludes “cases of shooting or firing across a boundary or of spill-over across the border of shelling as a result
of an armed conflict”
(ibid.).