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Cour europĂ©enne des droits de l’homme

 

Première Section

 

 

AFFAIRE MAESTRI ET AUTRES c. ITALIE

(RequĂŞtes no 20903/15 et 3 autres –

voir liste en annexe)

 

ARRĂŠT

Art 6 (pĂ©nal) • Procès Ă©quitable â€˘ Omission de la cour d’appel d’ordonner une nouvelle audition des inculpĂ©s avant d’infirmer leur acquittement en première instance • Obligation faite au juge d’entendre personnellement l’intĂ©ressĂ© sur des faits et des questions dĂ©cisives pour l’établissement de son Ă©ventuelle culpabilitĂ© • Une renonciation au droit d’être prĂ©sent aux dĂ©bats n’équivaut pas une renonciation de l’accusĂ© au droit d’être entendu par le juge d’appel • PossibilitĂ© de faire des dĂ©clarations spontanĂ©es au cours des dĂ©bats non conforme aux standards de la Cour • Le droit de l’accusĂ© Ă  ĂŞtre le dernier Ă  parler distinct de son droit d’être entendu, pendant les dĂ©bats, par un tribunal

 

STRASBOURG

8 juillet 2021

 

Cet arrĂŞt deviendra dĂ©finitif dans les conditions dĂ©finies Ă  l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.



En l’affaire Maestri et autres c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (première section), siĂ©geant en une Chambre composĂ©e de :

Ksenija Turković, prĂ©sidente,
PĂ©ter Paczolay,
Alena Poláčková,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Renata Degenergreffière de section,

Vu :

les requĂŞtes (nos 20903/1520973/1520980/15 et 24505/15) dirigĂ©es contre la RĂ©publique italienne et dont sept ressortissants de cet État, Mme Cristina Maestri (« la requĂ©rante Â») et MM. Giovanni Robusti, Denis Maero, Francesco Robastro, Antonino Bedino, Celestino Giletta et Gianfranco Taricco (« les requĂ©rants Â») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â») aux dates indiquĂ©es dans le tableau joint en annexe,

la dĂ©cision de porter Ă  la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement Â») les griefs concernant l’équitĂ© de la procĂ©dure pĂ©nale et de dĂ©clarer irrecevables les requĂŞtes pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir dĂ©libĂ©rĂ© en chambre du conseil le 15 juin 2021,

Rend l’arrĂŞt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

INTRODUCTION

1.  Dans ces requĂŞtes, les requĂ©rants reprochent, sous l’angle de l’article 6 Â§ 1 de la Convention, Ă  la juridiction d’appel de ne pas avoir ordonnĂ© de nouvelle audition des tĂ©moins Ă  charge et de ne pas avoir entendu en personne les requĂ©rants et la requĂ©rante avant de renverser le verdict d’acquittement prononcĂ© en première instance Ă  leur Ă©gard.

EN FAIT

2. Les requĂ©rants et la requĂ©rante ont Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©s devant la Cour par Me A. Saccucci. La liste des intĂ©ressĂ©s, comportant aussi des renseignements personnels, figure en annexe.

3.  Le Gouvernement a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agent, M. L. D’Ascia.

4.  Les requĂ©rants et la requĂ©rante furent impliquĂ©s avec d’autres personnes dans une procĂ©dure pĂ©nale relative Ă  un dĂ©tournement du rĂ©gime des quotas laitiers qui avait Ă©tĂ© introduit par le règlement (CEE) no 856/84.

5.  Les requĂ©rants Robusti, Maero, Robastro et Bedino Ă©taient accusĂ©s d’avoir crĂ©Ă© plusieurs sociĂ©tĂ©s coopĂ©ratives de production laitière, nommĂ©es Savoia, dont ils Ă©taient membres des organes de contrĂ´le et d’administration, et de les avoir gĂ©rĂ©es de manière frauduleuse dans le but de permettre aux sociĂ©taires de dĂ©passer les quotas laitiers imposĂ©s par le règlement CEE sans pour autant verser Ă  l’État les contributions dues en cas de dĂ©passement. En outre, Ă  la suite de l’entrĂ©e en vigueur de la loi no 119 de 1993 qui avait modifiĂ© les règles comptables du rĂ©gime des quotas laitiers, lesdits requĂ©rants avaient crĂ©Ă© une sociĂ©tĂ© financière intermĂ©diaire, la « FGR spa Â», poursuivant le mĂŞme but frauduleux. Les requĂ©rants Giletta et Taricco, producteurs de lait et sociĂ©taires des sociĂ©tĂ©s coopĂ©ratives, Ă©taient accusĂ©s d’avoir participĂ© au système frauduleux en tant que membres des conseils d’administration des sociĂ©tĂ©s. La requĂ©rante, Mme Maestri, avait quant Ă  elle exercĂ© les fonctions de comptable pour lesdites sociĂ©tĂ©s.

6.  Les requĂ©rants et la requĂ©rante furent inculpĂ©s des dĂ©lits d’association de malfaiteurs et de fraude aggravĂ©e et furent renvoyĂ©s en jugement devant le tribunal de Saluzzo le 18 mai 2007.

7.  Au cours des dĂ©bats, le tribunal interrogea plusieurs tĂ©moins, parmi lesquels les fonctionnaires des organismes de contrĂ´le du respect du rĂ©gime des quotas laitiers qui avaient enquĂŞtĂ© sur les comptes des sociĂ©tĂ©s, ainsi qu’un marĂ©chal des carabiniers, M., qui avait Ă©tĂ© chargĂ© des investigations dans le cadre de la procĂ©dure pĂ©nale. Les experts dĂ©signĂ©s par le parquet et par les inculpĂ©s, qui avaient dĂ©posĂ© des rapports d’expertise, furent entre autres auditionnĂ©s. Le tribunal entendit Ă©galement les requĂ©rants et la requĂ©rante, ainsi que les autres accusĂ©s.

8.  Par un jugement du 15 juillet 2009, le tribunal acquitta les six requĂ©rants pour le dĂ©lit d’association de malfaiteurs et les condamna pour le dĂ©lit de fraude aggravĂ©e. La requĂ©rante fut, elle, acquittĂ©e pour les deux chefs d’inculpation.

9.  Le tribunal affirma que l’ensemble des Ă©lĂ©ments de preuve recueillis dĂ©montrait que les requĂ©rants avaient Ă  diffĂ©rents titres participĂ© Ă  la mise en Ĺ“uvre d’un système frauduleux complexe visant Ă  contourner la rĂ©glementation des quotas laitiers ainsi que l’obligation de verser Ă  l’État des contributions en cas de dĂ©passement. Il se rĂ©fĂ©ra en particulier aux tĂ©moignages de plusieurs coĂŻnculpĂ©s et Ă  ceux des fonctionnaires de l’autoritĂ© de contrĂ´le du respect du rĂ©gime des quotas laitiers, lesquels avaient rapportĂ© que les organes d’administration des sociĂ©tĂ©s coopĂ©ratives Savoia avaient toujours refusĂ© de fournir des explications sur leur comptabilitĂ©, entravant ainsi toute activitĂ© de contrĂ´le. Quant aux modalitĂ©s opĂ©rationnelles, le tribunal affirma que le rapport dĂ©posĂ© par l’expert dĂ©signĂ© par le parquet, C., avait bien mis en Ă©vidence les dĂ©tails de l’organisation comptable frauduleuse adoptĂ©e par les coopĂ©ratives. Ces modalitĂ©s avaient d’ailleurs Ă©tĂ© confirmĂ©es par les dĂ©clarations dudit expert C. et du marĂ©chal M. Le tribunal affirma que tous les Ă©lĂ©ments constitutifs du dĂ©lit de fraude avaient Ă©tĂ© prouvĂ©s. Quant Ă  l’élĂ©ment moral dudit dĂ©lit, en particulier, le tribunal indiqua qu’il ressortait tout d’abord implicitement des modalitĂ©s comptables artificieuses mises en place et qu’il pouvait Ă©galement ĂŞtre dĂ©duit des dĂ©clarations de Cr. et de T., des producteurs de lait coĂŻnculpĂ©s dans le procès qui avaient dĂ©clarĂ© avoir dĂ©cidĂ© d’adhĂ©rer aux sociĂ©tĂ©s coopĂ©ratives Savoia dans le but d’éviter de s’acquitter des obligations fiscales dĂ©coulant du rĂ©gime des quotas laitiers.

10.  Concernant le dĂ©lit d’association de malfaiteurs, le tribunal affirma tout d’abord, pour ce qui Ă©tait de l’élĂ©ment moral du dĂ©lit, que la finalitĂ© de permettre aux sociĂ©taires des coopĂ©ratives de produire des quantitĂ©s de lait excĂ©dant les quotas laitiers ne constituait pas en soi une infraction pĂ©nale et que par consĂ©quent, elle ne pouvait pas reprĂ©senter l’élĂ©ment intentionnel du dĂ©lit. De plus, selon le tribunal, on ne pouvait pas considĂ©rer que les requĂ©rants avaient eu le projet gĂ©nĂ©ral de commettre une pluralitĂ© de dĂ©lits, puisqu’il Ă©tait apparu que la seule finalitĂ© poursuivie par les inculpĂ©s avait Ă©tĂ© celle de se livrer Ă  des fraudes fiscales. Quant Ă  l’élĂ©ment matĂ©riel, le tribunal affirma que le comportement reprochĂ© aux accusĂ©s dans l’acte d’accusation, Ă  savoir la crĂ©ation des sociĂ©tĂ©s, n’impliquait pas en soi la constitution d’une organisation Ă  caractère criminel ayant pour but de commettre plusieurs dĂ©lits.

11.  Enfin, le tribunal examina la position de la requĂ©rante et affirma que celle-ci n’avait pas pris une part active Ă  la gestion des sociĂ©tĂ©s coopĂ©ratives et de la sociĂ©tĂ© financière puisqu’elle avait exercĂ© des fonctions de simple comptable et qu’elle s’était bornĂ©e Ă  s’acquitter de ses obligations contractuelles en tenant la comptabilitĂ© conformĂ©ment aux instructions donnĂ©es par les administrateurs des sociĂ©tĂ©s. Le tribunal estimait qu’elle devait donc ĂŞtre acquittĂ©e pour tous les chefs d’inculpation retenus contre elle.

12.  Les requĂ©rants et la requĂ©rante ainsi que le parquet interjetèrent appel. Ce dernier demanda entre autres que les inculpĂ©s fussent condamnĂ©s Ă©galement pour le dĂ©lit d’association de malfaiteurs. La requĂ©rante assista aux audiences devant la cour d’appel tandis que les requĂ©rants, qui avaient Ă©tĂ© citĂ©s Ă  comparaĂ®tre conformĂ©ment Ă  l’article 601 du code de procĂ©dure pĂ©nale (voir paragraphe 27 ci-dessous), ne s’y prĂ©sentèrent pas et furent dĂ©clarĂ©s contumax. Les avocats des requĂ©rants et de la requĂ©rante furent entendus par la cour d’appel.

13.  Par un arrĂŞt du 30 juin 2011, la cour d’appel de Turin rĂ©forma partiellement le jugement de première instance. Tout en confirmant la condamnation des requĂ©rants pour le dĂ©lit de fraude aggravĂ©e, la cour d’appel fit droit Ă  l’appel du ministère public ; elle affirma que le tribunal avait motivĂ© de manière sommaire et superficielle l’acquittement des inculpĂ©s pour le dĂ©lit d’association de malfaiteurs et ajouta qu’elle estimait que les Ă©lĂ©ments constitutifs du dĂ©lit Ă©taient prouvĂ©s. Elle indiqua tout d’abord que l’acte d’accusation ne reprochait pas seulement aux requĂ©rants d’avoir constituĂ© les sociĂ©tĂ©s coopĂ©ratives Savoia et, ensuite, la sociĂ©tĂ© financière FGR spa â€“ comme le tribunal l’avait selon elle affirmĂ© Ă  tort – mais Ă©galement de les avoir dès le dĂ©part utilisĂ©es pour Ă©chapper aux obligations fiscales dĂ©coulant du rĂ©gime des quotas laitiers. Or, pour la cour d’appel, ce comportement constituait prĂ©cisĂ©ment le cĹ“ur de la fraude reprochĂ©e aux requĂ©rants et devenait aussi l’élĂ©ment clĂ© d’une organisation dont le but Ă©tait celui de commettre, par ce mĂŞme comportement, une sĂ©rie indĂ©finie de fraudes. Ă€ cet Ă©gard, la cour d’appel affirma que le tribunal n’avait pas tenu compte dans son examen de la globalitĂ© des faits et des agissements reprochĂ©s aux accusĂ©s dans l’acte d’accusation, mais seulement d’une partie d’entre eux.

14.  En outre, pour ce qui Ă©tait de l’élĂ©ment moral du dĂ©lit, la cour d’appel se rĂ©fĂ©ra Ă  la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière et affirma que l’intention de commettre une sĂ©rie indĂ©finie de fraudes pouvait constituer l’élĂ©ment intentionnel du dĂ©lit d’association de malfaiteurs. Elle ajouta qu’à cet Ă©gard, le tribunal avait eu tort d’affirmer que seule l’intention de commettre une sĂ©rie de dĂ©lits diffĂ©rents pouvait constituer l’élĂ©ment moral de ladite infraction. Cela Ă©tant, la cour d’appel affirma que les requĂ©rants Robusti, Maero, Robastro et Bedino avaient fait office de promoteurs et d’organisateurs du système des sociĂ©tĂ©s coopĂ©ratives et de la sociĂ©tĂ© financière et qu’ils Ă©taient par consĂ©quent sans aucun doute responsables du dĂ©lit d’association de malfaiteurs. Quant aux requĂ©rants Giletta et Taricco, la cour d’appel a estimĂ© qu’ils avaient participĂ© Ă  l’organisation puisqu’ils avaient fait partie des conseils d’administration des sociĂ©tĂ©s coopĂ©ratives. La cour d’appel fit rĂ©fĂ©rence Ă  ses conclusions concernant l’élĂ©ment moral du dĂ©lit de fraude et ajouta que, bien que n’étant pas juristes, les accusĂ©s ne pouvaient pas ne pas avoir compris que si l’activitĂ© des sociĂ©tĂ©s avait Ă©tĂ© lĂ©gale, la mise en place d’un système comptable complexe et opaque n’aurait pas Ă©tĂ© nĂ©cessaire.

15.  Concernant la position de la requĂ©rante, Mme Maestri, la cour d’appel observa que plusieurs tĂ©moins entendus par le tribunal, notamment le marĂ©chal M. et C., l’expert dĂ©signĂ© par le parquet, avaient dĂ©crit avec prĂ©cision le rĂ´le actif que celle-ci avait jouĂ© dans la gestion des sociĂ©tĂ©s. Il en Ă©tait ressorti que la requĂ©rante s’était directement occupĂ©e de la comptabilitĂ© des sociĂ©tĂ©s coopĂ©ratives et de la sociĂ©tĂ© financière, dès leur crĂ©ation et pendant plusieurs annĂ©es, de manière autonome et dans le cadre d’une relation de confiance avec les promoteurs de ce système illicite. Pour la cour d’appel, il s’ensuivait que la requĂ©rante avait jouĂ© un rĂ´le actif dans l’organisation illicite et qu’elle devait ĂŞtre condamnĂ©e aussi bien pour le dĂ©lit d’association de malfaiteurs que pour celui de fraude.

16.  Les requĂ©rants et la requĂ©rante se pourvurent en cassation. Ils reprochaient entre autres Ă  la cour d’appel d’avoir dĂ©cidĂ© une reformatio in pejus du jugement du tribunal sans ordonner de nouvelle audition des tĂ©moins Ă  charge. Ils allĂ©guaient en outre que cette juridiction d’appel avait omis de les entendre personnellement avant de dĂ©cider de les condamner.

17.  Par un arrĂŞt du 24 octobre 2014, la Cour de cassation rejeta le recours des requĂ©rants. Elle affirma que le juge d’appel Ă©tait tenu d’ordonner une nouvelle audition des tĂ©moins s’il estimait nĂ©cessaire de rĂ©Ă©valuer leur crĂ©dibilitĂ© et de procĂ©der Ă  un nouvel Ă©tablissement des faits. Or en l’espèce, selon la haute juridiction, la cour d’appel de Turin n’avait pas interprĂ©tĂ© diffĂ©remment les dĂ©clarations des tĂ©moins, dont le rĂ©cit des faits n’avait jamais Ă©tĂ© mis en doute. En outre, pour ce qui Ă©tait de l’obligation d’entendre les requĂ©rants en personne, la Cour de cassation affirma que la possibilitĂ© pour l’accusĂ© de faire des dĂ©clarations spontanĂ©es Ă  tout moment au cours des dĂ©bats (article 494 du code de procĂ©dure pĂ©nale – CPP) et le droit d’être le dernier Ă  prendre la parole dans les dĂ©bats (article 523 du CPP) garantissaient de manière suffisante les droits de la dĂ©fense des accusĂ©s.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

18.  Le cadre juridique et la pratique internes en matière de reformatio in pejus des dĂ©cisions d’acquittement prononcĂ©es en première instance sont dĂ©crits dans l’arrĂŞt Lorefice c. Italie, no 63446/13, §§ 26-28, 29 juin 2017.

19.  En particulier, l’arrĂŞt no 27620 de l’AssemblĂ©e plĂ©nière (Sezioni Unite) de la Cour de cassation italienne (« la Cour de cassation), dĂ©posĂ© au greffe le 6 juillet 2016, a Ă©noncĂ© le principe selon lequel le juge d’appel ne pouvait pas infirmer un jugement d’acquittement sans avoir au prĂ©alable ordonnĂ©, mĂŞme d’office, aux termes de l’article 603, alinĂ©a 3, du CPP, l’audition des tĂ©moins dont les dĂ©clarations ont Ă©tĂ© dĂ©cisives (ibidem, § 28). Dans ledit arrĂŞt, la haute juridiction italienne a affirmĂ© que ce principe trouvait Ă  s’appliquer Ă©galement aux tĂ©moins assistĂ©s, aux coaccusĂ©s – dans le mĂŞme procès ou dans une procĂ©dure connexe – et Ă  l’accusĂ© en personne, dont le juge d’appel devait Ă©galement ordonner l’audition dès lors que leurs dĂ©clarations avaient Ă©tĂ© dĂ©cisives pour l’acquittement (point 8.3). Selon cet arrĂŞt, l’éventuel refus de dĂ©poser signifiĂ© par l’accusĂ© Ă©tait sans effet sur la recevabilitĂ© de l’appel.

20.  Par l’arrĂŞt no 46210 du 2 octobre 2019, la Cour de cassation a par ailleurs rappelĂ© le principe selon lequel le juge d’appel qui entendait rĂ©former un verdict d’acquittement et qui ordonnait la rĂ©ouverture de l’instruction en application de l’article 603 du CPP devait Ă©galement ordonner l’audition de l’accusĂ© en personne dès lors que ses dĂ©clarations recueillies en première instance Ă©taient considĂ©rĂ©es comme dĂ©cisives.

21.  L’article 208 du code de procĂ©dure pĂ©nale (CPP) est consacrĂ© Ă  l’audition (esame) des parties. Il dispose que l’accusĂ© dans le procès ne peut ĂŞtre auditionnĂ© par le juge que s’il en fait la demande ou s’il y consent.

22.  Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que l’absence de l’accusĂ© Ă  la première audience ne vaut pas en soi renonciation par l’intĂ©ressĂ© Ă  ĂŞtre auditionnĂ© par le juge d’appel. En effet, la volontĂ© de l’accusĂ© de ne pas ĂŞtre entendu par le juge ne peut ĂŞtre envisageable qu’une fois que l’audition a Ă©tĂ© ordonnĂ©e et elle ne vaut que pour l’audience lors de laquelle celle-ci doit avoir lieu (arrĂŞt no 12544 du 16 fĂ©vrier 2016).

23.  L’article 494 du CPP concerne les dĂ©clarations spontanĂ©es (dichiarazioni spontanee) livrĂ©es par l’accusĂ© lors du procès. Il est ainsi libellĂ© :

« Une fois l’exposĂ© introductif de l’affaire terminĂ©, le prĂ©sident informe l’accusĂ© qu’il a le droit, Ă  tout moment au cours des dĂ©bats, de faire les dĂ©clarations qu’il estime opportunes, Ă  condition qu’elles se rĂ©fèrent Ă  l’objet de l’inculpation et qu’elles n’entravent pas l’instruction Ă  l’audience (istruzione dibattimentale). Â»

24.  La Cour de cassation a affirmĂ© dans son arrĂŞt no 51983 dudĂ©cembre 2016 que le juge d’appel qui entendait rĂ©former un verdict d’acquittement sur la base d’une interprĂ©tation diffĂ©rente des dĂ©clarations spontanĂ©es livrĂ©es par l’inculpĂ© au sens de l’article 494 du CPP n’était pas obligĂ© de renouveler l’audition de l’intĂ©ressĂ© conformĂ©ment Ă  l’article 603, alinĂ©a 3, du CPP. Selon la Cour de cassation, lesdites dĂ©clarations spontanĂ©es, contrairement aux dĂ©positions formulĂ©es par l’accusĂ© au cours de son audition (esame), relèvent en effet du libre choix de l’inculpĂ©, ne constituent pas des moyens de preuve acquis selon le principe du contradictoire – faute de la possibilitĂ© d’adresser des questions Ă  l’intĂ©ressĂ© – et ne sauraient donc ĂŞtre obtenues d’office sans porter atteinte au droit de l’inculpĂ© de se taire ainsi qu’à ses droits de la dĂ©fense.

25.  L’article 523 du CPP dĂ©finit l’ordre de prise de parole des parties Ă  l’audience Ă  la suite de l’admission des preuves, Ă  savoir d’abord le ministère public, ensuite le dĂ©fenseur de la partie civile puis celui de la personne civilement responsable et enfin celui de l’accusĂ©. Les parties peuvent ensuite rĂ©pliquer une seule fois. Selon le dernier alinĂ©a dudit article, « l’accusĂ© et son dĂ©fenseur doivent en tout cas avoir la parole les derniers s’ils en font la demande, sous peine de nullitĂ© Â». ConformĂ©ment Ă  l’article 602 Â§ 4 du CPP, ladite disposition trouve Ă  s’appliquer Ă©galement aux dĂ©bats devant la juridiction d’appel.

26.  L’article 597 § 1 du CPP dĂ©crit l’étendue de la compĂ©tence (cognizione) du juge d’appel :

« 1.  En deuxième instance, le juge n’a le pouvoir de se prononcer [la cognizione del procedimento] que sur [limitatamente] les points de la dĂ©cision auxquels se rĂ©fĂ©rent les moyens d’appel.

2. Lorsque l’appel a été interjeté par le ministère public :

a) si l’appel concerne un jugement de condamnation, le juge d’appel peut, dans les limites de la compĂ©tence du juge de première instance, donner aux faits une qualification juridique plus grave, modifier la nature ou augmenter le quantum de la peine, rĂ©voquer des bĂ©nĂ©fices, appliquer des mesures de sĂ»retĂ© si nĂ©cessaire et adopter toute dĂ©cision imposĂ©e ou prĂ©vue par la loi ;

b) si l’appel concerne un jugement d’acquittement, le juge peut prononcer une condamnation et adopter les dĂ©cisions visĂ©es Ă  la lettre a) ou acquitter l’accusĂ© pour un motif diffĂ©rent de celui invoquĂ© dans le jugement attaquĂ© ;

c) s’il confirme le jugement de première instance, le juge d’appel peut appliquer, modifier ou exclure, dans les cas déterminés par la loi, les peines accessoires et les mesures de sûreté.

3. Lorsque l’appel a Ă©tĂ© interjetĂ© par l’accusĂ©, le juge ne peut pas infliger une peine plus sĂ©vère, appliquer une mesure de sĂ»retĂ© nouvelle ou plus lourde, acquitter l’accusĂ© pour un motif moins favorable que celui invoquĂ© en première instance ou rĂ©voquer des bĂ©nĂ©fices ; il est seulement en droit, dans les limites visĂ©es Ă  l’alinĂ©a 1), de donner aux faits une qualification juridique plus grave Ă  condition que les limites de la compĂ©tence du juge de première instance ne soient pas outrepassĂ©es. Â»

27.  En application de l’article 601 du CPP, le prĂ©sident de la cour d’appel ordonne sans retard la citation Ă  comparaĂ®tre de l’accusĂ©, que l’appel soit interjetĂ© par l’accusĂ© ou par le ministère public. L’acte de citation est considĂ©rĂ© comme nul et doit ĂŞtre rĂ©itĂ©rĂ© si l’accusĂ© n’est pas correctement identifiĂ©.

EN DROIT

  1. SUR LA JONCTION DES REQUĂŠTES

28.  Eu Ă©gard Ă  la similaritĂ© de l’objet des requĂŞtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un seul arrĂŞt.

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

29.  Les requĂ©rants et la requĂ©rante reprochent Ă  la cour d’appel de Turin d’avoir prononcĂ© leur condamnation sans les avoir entendus directement et sans avoir examinĂ© les tĂ©moins Ă  charge. Ils y voient une violation de l’article 6 de la Convention.

Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellĂ© :

« Toute personne a droit Ă  ce que sa cause soit entendue Ă©quitablement (...) par un tribunal (...) qui dĂ©cidera (...) du bien-fondĂ© de toute accusation en matière pĂ©nale dirigĂ©e contre elle. Â»

  1. Sur la recevabilité

30.  Constatant que les requĂŞtes ne sont pas manifestement mal fondĂ©es ni irrecevables pour un autre motif visĂ© Ă  l’article 35 de la Convention, la Cour les dĂ©clare recevables.

  1. Sur le fond
    1. Les arguments des parties

31.  Les requĂ©rants et la requĂ©rante affirment que la cour d’appel de Turin les a condamnĂ©s pour le dĂ©lit d’association de malfaiteurs, pour lequel ils avaient Ă©tĂ© acquittĂ©s en première instance, après qu’elle eut donnĂ© une interprĂ©tation diffĂ©rente des dĂ©clarations des tĂ©moins qui avaient Ă©tĂ© entendus par le tribunal. Ils ajoutent que cette juridiction a renversĂ© l’intĂ©gralitĂ© du verdict du tribunal concernant la requĂ©rante, la condamnant pour la première fois non seulement pour le dĂ©lit d’association de malfaiteurs mais Ă©galement pour l’infraction de fraude.

32.  Selon les requĂ©rants et la requĂ©rante, mĂŞme si la crĂ©dibilitĂ© des tĂ©moins Ă  charge n’a pas Ă©tĂ© directement mise en cause dans le procès, la cour d’appel avait l’obligation de les entendre directement avant de donner une nouvelle interprĂ©tation de leurs dĂ©clarations et d’utiliser ces dĂ©clarations pour fonder leur condamnation. Ils avancent que parmi les tĂ©moins Ă  charge figuraient Ă©galement des experts.

33.  Les requĂ©rants et la requĂ©rante soutiennent en outre que la cour d’appel a notamment examinĂ© l’existence de l’élĂ©ment intentionnel de l’infraction d’association de malfaiteurs Ă  la lumière des dĂ©clarations des tĂ©moins et, Ă©galement, de leurs propres tĂ©moignages devant le tribunal. Ils prĂ©cisent que toutefois ni les tĂ©moins ni eux-mĂŞmes n’ont Ă©tĂ© directement interrogĂ©s par la juridiction d’appel. Ils exposent que, contrairement Ă  ce qu’affirme le Gouvernement, l’examen de la cour d’appel s’est fondĂ© sur des Ă©lĂ©ments factuels et qu’il concernait des questions prĂ©sentant une complexitĂ© notable qui aurait appelĂ© une apprĂ©ciation directe des Ă©lĂ©ments Ă  charge.

34.  Concernant l’argument du Gouvernement selon lequel ils auraient renoncĂ© Ă  la possibilitĂ© de demander Ă  ĂŞtre entendus en personne par la cour d’appel, les intĂ©ressĂ©s indiquent que, selon la jurisprudence de la Cour, les États sont tenus en la matière par l’obligation positive d’ordonner d’office la production de preuves orales, mĂŞme en l’absence d’une demande des intĂ©ressĂ©s. En outre, les requĂ©rants estiment que la possibilitĂ© pour un accusĂ© d’être le dernier Ă  prendre la parole, Ă©voquĂ©e dans l’arrĂŞt de la Cour de cassation, n’est pas suffisante pour garantir le respect du droit Ă  un procès Ă©quitable.

35.  Le Gouvernement affirme que les conclusions de la cour d’appel se sont appuyĂ©es sur l’établissement des faits tel qu’il avait Ă©tĂ© dressĂ© par le tribunal Ă  la lumière des dĂ©clarations des tĂ©moins. Il ajoute que la crĂ©dibilitĂ© de ces derniers n’a d’ailleurs Ă  aucun moment Ă©tĂ© mise en doute. Il expose que le tribunal avait condamnĂ© les six requĂ©rants pour l’infraction de fraude car il considĂ©rait que l’ensemble des Ă©lĂ©ments de preuve Ă  sa disposition avait dĂ©montrĂ© que les intĂ©ressĂ©s avaient agi dans le but de dĂ©tourner le rĂ©gime des quotas laitiers et de se soustraire aux obligations fiscales y relatives. Concernant la question de savoir si le système des sociĂ©tĂ©s Savoia et FGR constituait une organisation de type criminel, la seule, selon le Gouvernement, sur laquelle le tribunal et la cour d’appel aient statuĂ© de manière diffĂ©rente, les dĂ©clarations des tĂ©moins Ă©taient selon lui manifestement dĂ©nuĂ©es de pertinence.

36.  En rĂ©ponse aux requĂ©rants qui allèguent ne pas avoir Ă©tĂ© entendus en personne par la cour d’appel, le Gouvernement argue que le procès en appel s’est dĂ©roulĂ© selon une procĂ©dure orale et publique. Il indique que les requĂ©rants auraient par consĂ©quent eu tout le loisir de solliciter auprès de la cour d’appel l’autorisation de s’exprimer et de prĂ©senter leurs arguments en dĂ©fense aux termes de l’article 494 du CPP.

  1. L’appréciation de la Cour

a)      Principes gĂ©nĂ©raux

37.  La Cour rappelle que les modalitĂ©s d’application de l’article 6 de la Convention aux procĂ©dures d’appel dĂ©pendent des caractĂ©ristiques de la procĂ©dure dont il s’agit ; il convient de tenir compte de l’ensemble de la procĂ©dure interne et du rĂ´le dĂ©volu Ă  la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national (Botten c. Norvège, 19 fĂ©vrier 1996, § 39, Recueil des arrĂŞts et dĂ©cisions 1996‑I).

38.  Lorsqu’une instance d’appel est amenĂ©e Ă  connaĂ®tre d’une affaire en fait et en droit et Ă  Ă©tudier dans son ensemble la question de la culpabilitĂ© ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équitĂ© du procès, dĂ©cider de ces questions sans apprĂ©ciation directe des moyens de preuve, y compris des tĂ©moignages dĂ©cisifs qu’elle s’apprĂŞte Ă  interprĂ©ter pour la première fois d’une manière dĂ©favorable Ă  l’accusĂ© (Dan c. Moldova, no 8999/07, § 30, 5 juillet 2011, Lazu c. RĂ©publique de Moldova, no 46182/08, § 40, 5 juillet 2016, et Lorefice c. Italie, no 63446/13, § 36, 29 juin 2017)

39.  La Cour a en outre affirmĂ© que mĂŞme dans l’hypothèse d’une cour d’appel dotĂ©e de la plĂ©nitude de juridiction, l’article 6 n’implique pas toujours le droit Ă  une audience publique ni, a fortiori, le droit de comparaĂ®tre en personne. En la matière, il faut prendre en compte, entre autres, les particularitĂ©s de la procĂ©dure en cause et la manière dont les intĂ©rĂŞts de la dĂ©fense ont Ă©tĂ© exposĂ©s et protĂ©gĂ©s devant la juridiction d’appel, eu Ă©gard notamment aux questions qu’elle avait Ă  trancher et Ă  leur importance pour l’appelant (Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 62, CEDH 2006‑XII). Il se peut Ă©galement que l’accusĂ© ait renoncĂ© sans Ă©quivoque Ă  son droit de participer Ă  l’audience d’appel (voir, entre autresKashlev c. Estonie, no 22574/08, Â§Â§ 48 et 51, 26 avril 2016). Il n’en reste pas moins que lorsque la juridiction d’appel doit examiner une affaire en fait et en droit et procĂ©der Ă  une apprĂ©ciation globale de la culpabilitĂ© ou de l’innocence, elle ne peut statuer Ă  ce sujet sans Ă©valuer directement les Ă©lĂ©ments de preuve prĂ©sentĂ©s en personne par l’inculpĂ© qui souhaite prouver qu’il n’a pas commis l’acte constituant prĂ©tendument une infraction pĂ©nale (voir, entre autresEkbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, sĂ©rie A no 134, Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000‑VIII, Dondarini c. Saint-Marin, no 50545/99, Â§ 27, 6 juillet 2004, Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, Â§ 27, 10 mars 2009, Lacadena Calero c. Espagne, no 23002/07, § 38, 22 novembre 2011, et Ghincea c. Roumanie, no 36676/06, Â§Â§ 40-41, 9 janvier 2018). Ă€ cet Ă©gard, il existe un lien Ă©troit avec la jurisprudence Ă©tablie de la Cour qui dispose que toute personne accusĂ©e devrait, en règle gĂ©nĂ©rale, ĂŞtre entendue par le tribunal qui doit statuer sur sa culpabilitĂ© (JĂşlĂ­us Þór Sigurþórsson c. Islandeno 38797/17§ 33, 16 juillet 2019). Compte tenu de l’enjeu pour l’accusĂ©, la question est celle de savoir si la cour d’appel pouvait, aux fins d’un procès Ă©quitable, examiner correctement les questions dont elle Ă©tait saisie sans se livrer Ă  une apprĂ©ciation directe de la preuve fournie par l’accusĂ© ou le tĂ©moin en personne (ibidem, § 35).

40.  En outre, la jurisprudence de la Cour portant sur cette question, considĂ©rĂ©e dans son ensemble et dans son contexte, opère une distinction entre les cas dans lesquels une juridiction d’appel ayant infirmĂ© un acquittement sans entendre directement le tĂ©moignage sur lequel l’acquittement Ă©tait fondĂ© a effectivement procĂ©dĂ© Ă  une nouvelle apprĂ©ciation des faits, et les situations dans lesquelles la juridiction d’appel n’était en dĂ©saccord avec l’instance infĂ©rieure que sur l’interprĂ©tation d’une question de droit et/ou sur son application aux faits dĂ©jĂ  Ă©tablis (voir JĂşlĂ­us Þór SigurþórssonprĂ©citĂ©, §§ 36 et 37 et la jurisprudence citĂ©e).

41.  Dans certaines affaires, la Cour a ainsi conclu Ă  la non-violation de l’article 6 § 1 de la Convention après avoir constatĂ© que la juridiction de recours avait condamnĂ© les requĂ©rants après avoir revu l’interprĂ©tation d’une question purement juridique et sans ĂŞtre revenue sur les faits tels que prouvĂ©s en première instance (Bazo González c. Espagne, no 30643/04, § 36, 16 dĂ©cembre 2008, Keskinen et Veljekset Keskinen Oy c. Finlande, no 34721/09, § 39, 5 juin 2012, Leș c. Roumanie (dĂ©c.), no 28841/09, §§ 18‑22, 13 septembre 2016, et Dumitrascu c. Roumanie, no 29235/14, 15 septembre 2020).

42.  La Cour rappelle en outre que lorsque l’apprĂ©ciation directe du tĂ©moignage de l’accusĂ© est nĂ©cessaire compte tenu des principes prĂ©citĂ©s, la juridiction d’appel est tenue de prendre des mesures positives Ă  cette fin, mĂŞme si le requĂ©rant n’a pas assistĂ© Ă  l’audience, n’a pas sollicitĂ© l’autorisation de prendre la parole devant cette juridiction et ne s’est pas opposĂ©, par l’intermĂ©diaire de son avocat, Ă  ce que cette dernière rende un arrĂŞt au fond (Botten, prĂ©citĂ©, Â§ 53, et JĂşlĂ­us Þór SigurþórssonprĂ©cit駠38).

43.  En revanche, un requĂ©rant ne saurait se plaindre d’une violation de son droit Ă  un procès Ă©quitable s’ilrenoncĂ© expressĂ©ment et de manière non Ă©quivoque Ă  son droit d’être entendu par la cour d’appel, pour autant qu’il a eu la possibilitĂ© de prĂ©senter tous ses arguments en dĂ©fense (Lamatic c. Roumanie, no 55859/15, §§ 48 et 62, 1er dĂ©cembre 2020). La Cour rappelle Ă  cet Ă©gard le principe selon lequel ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empĂŞchent une personne de renoncer de son plein grĂ©, de manière expresse ou tacite, aux garanties d’un procès Ă©quitable (HermiprĂ©citĂ©, § 73, et Murtazaliyeva c. Russie [GC], no 36658/05, §§ 117 et 118, 18 dĂ©cembre 2018).

44.  Enfin, les États contractants jouissent d’une grande libertĂ© dans le choix des moyens propres Ă  permettre Ă  leur système judiciaire de respecter les impĂ©ratifs de l’article 6 de la Convention. La tâche de la Cour consiste Ă  rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige dĂ©terminĂ©, Ă  des rĂ©sultats compatibles avec la Convention, eu Ă©gard Ă©galement aux circonstances spĂ©cifiques de l’affaire, Ă  sa nature et Ă  sa complexitĂ© (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010). La Cour doit rechercher si la procĂ©dure considĂ©rĂ©e dans son ensemble, y compris le mode de prĂ©sentation des moyens de preuve, a revĂŞtu un caractère Ă©quitable (voir, parmi beaucoup d’autresTeixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil 1998‑IV, et Kashlev, prĂ©citĂ©, Â§ 39).

b)     Application de ces principes aux cas d’espèce

  1. Concernant les requĂŞtes nos 20973/15, 20980/15 et 24505/15

45.  La Cour observe pour commencer que le tribunal de Saluzzo a condamnĂ© pour fraude aggravĂ©e les six requĂ©rants des requĂŞtes nos 20973/1520980/15 et 24505/15 après avoir entendu plusieurs tĂ©moins. Selon le juge de première instance, les dĂ©clarations des tĂ©moins et les autres preuves recueillies avaient dĂ©montrĂ© que les intĂ©ressĂ©s avaient crĂ©Ă© les sociĂ©tĂ©s coopĂ©ratives Savoia puis la FGR et/ou y avaient adhĂ©rĂ© dans le but de ne pas verser Ă  l’État les contributions dues en cas de dĂ©passement des quotas laitiers imposĂ©s par le règlement (CEE) no 856/84. En revanche, le tribunal a considĂ©rĂ© que le système de sociĂ©tĂ©s en cause ne constituait pas une association de malfaiteurs punie par le code pĂ©nal et a acquittĂ© les requĂ©rants pour ce chef d’inculpation.

46.  La Cour observe ensuite que la cour d’appel de Turin avait la possibilitĂ©, en tant qu’instance d’appel, de rendre un nouveau jugement sur le fond, ce qu’elle a fait le 30 juin 2011. Cette juridiction pouvait dĂ©cider soit de confirmer soit d’infirmer le verdict du tribunal, après s’être livrĂ©e Ă  une apprĂ©ciation de la responsabilitĂ© des intĂ©ressĂ©s. Pour ce faire, elle avait la possibilitĂ© d’ordonner la rĂ©ouverture de l’instruction au sens de l’article 603 du CPP.

47.  La Cour note que la cour d’appel, tout en confirmant la condamnation des requĂ©rants pour l’infraction de fraude aggravĂ©e, a Ă©galement constatĂ© leur culpabilitĂ© pour le dĂ©lit d’association de malfaiteurs, infirmant ainsi le jugement de première instance sur ce point. La cour d’appel s’est rĂ©fĂ©rĂ©e Ă  la jurisprudence de la Cour de cassation et a affirmĂ© que l’élĂ©ment moral de cette dernière infraction n’était pas seulement l’intention de commettre une sĂ©rie de dĂ©lits de divers types – comme le tribunal l’avait affirmĂ© selon elle Ă  tort – mais aussi l’intention de commettre une pluralitĂ© d’infractions du mĂŞme type, Ă  savoir en l’espèce une sĂ©rie indĂ©finie de fraudes. En outre, l’élĂ©ment matĂ©riel du dĂ©lit d’association de malfaiteurs Ă©tait, selon la cour d’appel, foncièrement liĂ© Ă  celui sanctionnĂ© par le tribunal sous la qualification de fraude, Ă  savoir la constitution des sociĂ©tĂ©s Savoia et FGR et leur utilisation Ă  des fins de fraude fiscale. Ă€ cet Ă©gard, la cour d’appel a pointĂ© du doigt une lecture incomplète de l’acte d’accusation de la part du tribunal (paragraphe 13 ci-dessus).

48.  La Cour estime que pour condamner pour la première fois les requĂ©rants pour le dĂ©lit d’association de malfaiteurs, la cour d’appel n’a ni procĂ©dĂ© Ă  un nouvel Ă©tablissement des faits ni donnĂ© une nouvelle interprĂ©tation des dĂ©clarations des tĂ©moins, mais qu’elle a effectuĂ© une apprĂ©ciation diffĂ©rente des Ă©lĂ©ments constitutifs de l’infraction. La Cour observe que l’existence des faits reprochĂ©s aux requĂ©rants a Ă©tĂ© Ă©tablie par le tribunal sur la base des pièces Ă©crites du dossier et des dĂ©clarations des tĂ©moins – dont la crĂ©dibilitĂ© n’a pas Ă©tĂ© contestĂ©e par les parties – et qu’elle a entraĂ®nĂ© dès la première instance la condamnation des intĂ©ressĂ©s pour le dĂ©lit de fraude. Le fait que la cour d’appel ait donnĂ© une nouvelle qualification juridique aux faits dĂ©jĂ  Ă©tablis par le tribunal de première instance et qu’elle soit arrivĂ©e Ă  une conclusion diffĂ©rente quant Ă  l’existence des Ă©lĂ©ments constitutifs de l’infraction d’association de malfaiteurs, en plus de celle de fraude, ne saurait infirmer en soi cette conclusion (Dumitrascu, prĂ©citĂ©, § 36).

49.  Selon la Cour, on ne saurait dès lors considĂ©rer qu’en ne procĂ©dant pas Ă  une nouvelle audition des tĂ©moins Ă  charge la cour d’appel ait restreint les droits de la dĂ©fense des requĂ©rants en l’espèce. D’ailleurs, les intĂ©ressĂ©s n’ont pas apportĂ© d’élĂ©ments de nature Ă  laisser penser qu’une nouvelle audition desdits tĂ©moins aurait Ă©tĂ© utile dans l’apprĂ©ciation des points en question.

50.  La Cour doit maintenant dĂ©terminer si les questions dont la cour d’appel se trouvait saisie pouvaient effectivement se rĂ©soudre, aux fins d’un procès Ă©quitable, sans une apprĂ©ciation directe des tĂ©moignages livrĂ©s en personne par les requĂ©rants.

51.  Concernant tout d’abord le rĂ´le de la cour d’appel et la nature des questions dont elle avait Ă  connaĂ®tre, la Cour note d’emblĂ©e qu’en vertu de l’article 597 du CPP cette juridiction est compĂ©tente pour rendre un nouveau jugement sur le fond après avoir examinĂ© l’affaire en fait et en droit et avoir procĂ©dĂ© Ă  une apprĂ©ciation globale de la culpabilitĂ© ou de l’innocence des intĂ©ressĂ©s. Dans les limites des moyens d’appel prĂ©sentĂ©s par les parties, elle peut dĂ©cider soit de confirmer soit d’infirmer le verdict du tribunal, en administrant le cas Ă©chĂ©ant de nouveaux moyens de preuve en vertu de l’article 603 du CPP. En outre, elle peut modifier la qualification juridique des faits et alourdir la mesure ou le type de la peine infligĂ©e. La procĂ©dure ordinaire devant la cour d’appel est dès lors une procĂ©dure rĂ©gie par les mĂŞmes règles qu’un procès sur le fond et elle est menĂ©e par une juridiction dotĂ©e de la plĂ©nitude de juridiction.

52.  La Cour observe ensuite qu’en rĂ©formant le verdict du tribunal et en statuant sur la question de la culpabilitĂ© des requĂ©rants pour le dĂ©lit d’association de malfaiteurs, la cour d’appel a Ă©galement examinĂ© les intentions des intĂ©ressĂ©s et s’est prononcĂ©e pour la première fois sur des circonstances subjectives les concernant, affirmant notamment que ceux-ci ne pouvaient pas ignorer, malgrĂ© leur mĂ©connaissance des questions juridiques, que l’activitĂ© des sociĂ©tĂ©s Savoia et FGR Ă©tait illĂ©gale (paragraphe 13 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, un tel examen implique, de par ses caractĂ©ristiques, une prise de position sur des faits dĂ©cisifs pour la dĂ©termination de la culpabilitĂ© des requĂ©rants (Igual Coll prĂ©citĂ©, § 35, et Popa et Tănăsescu c. Roumanie, no 19946/04, § 52, 10 avril 2012). La Cour rappelle que lorsque l’infĂ©rence d’un tribunal a trait Ă  des Ă©lĂ©ments subjectifs, il n’est pas possible de procĂ©der Ă  l’apprĂ©ciation juridique du comportement de l’accusĂ© sans avoir au prĂ©alable essayĂ© de prouver la rĂ©alitĂ© de ce comportement, ce qui implique nĂ©cessairement la vĂ©rification de l’intention de l’accusĂ© par rapport aux faits qui lui sont imputĂ©s (Lacadena Calero, prĂ©citĂ©, § 47).

53.  Compte tenu de l’étendue de l’examen effectuĂ© par la cour d’appel et de l’enjeu pour les requĂ©rants, la Cour estime que les questions devant ĂŞtre examinĂ©es par la cour d’appel appelaient une apprĂ©ciation directe des dĂ©clarations des accusĂ©s (voira contrarioKamasinski, §§ 107-108, et Hermi, prĂ©citĂ©, § 86).

54.  La Cour doit donc Ă©tablir si les intĂ©ressĂ©s ont eu en l’espèce une possibilitĂ© adĂ©quate d’être entendus et d’exposer en personne leurs propres arguments en dĂ©fense devant la cour d’appel.

55.  Elle note tout d’abord que les requĂ©rants, qui avaient participĂ© aux dĂ©bats en première instance et qui Ă©taient reprĂ©sentĂ©s par les avocats de leur choix, ont dĂ©cidĂ© de ne pas se prĂ©senter aux audiences devant la cour d’appel bien qu’ils fussent citĂ©s Ă  comparaĂ®tre en leur qualitĂ© d’accusĂ©s conformĂ©ment aux règles de procĂ©dure du droit italien (paragraphes 12 et 27 ci-dessus). Il s’ensuit que les intĂ©ressĂ©s ont renoncĂ© de manière non Ă©quivoque Ă  leur droit de prendre part aux audiences devant la cour d’appel (voirmutatis mutandis, Hermi, prĂ©citĂ©, § 98).

56.  S’agissant de la question de savoir si l’absence des intĂ©ressĂ©s aux audiences, en plus de constituer une renonciation au droit d’assister aux dĂ©bats, constituait Ă©galement une renonciation de leur part au droit d’être entendus par la juridiction d’appel, la Cour a rĂ©cemment affirmĂ© que le fait qu’un accusĂ© ait renoncĂ© Ă  son droit de participer Ă  l’audience n’exempte pas en soi la juridiction d’appel qui procède Ă  une apprĂ©ciation globale de la culpabilitĂ© ou de l’innocence, de l’obligation qui est la sienne d’évaluer directement les Ă©lĂ©ments de preuve prĂ©sentĂ©s en personne par l’inculpĂ© qui proclame son innocence et qui n’a pas explicitement renoncĂ© Ă  prendre la parole (JĂşlĂ­us Þór SigurþórssonprĂ©cité§ 33, et voira contrario, Lamatic, prĂ©citĂ©, § 45). Dans ces circonstances, il appartient aux autoritĂ©s judiciaires d’adopter toutes les mesures positives propres Ă  garantir l’audition de l’intĂ©ressĂ©, mĂŞme si celui-ci n’a pas assistĂ© Ă  l’audience, n’a pas sollicitĂ© l’autorisation de prendre la parole devant la juridiction d’appel et ne s’est pas opposĂ©, par l’intermĂ©diaire de son avocat, Ă  ce que cette dernière rende un arrĂŞt au fond (voir, parmi d’autresBotten, prĂ©citĂ©, Â§ 53, GhinceaprĂ©citĂ©, Â§ 48, et JĂşlĂ­us Þór SigurþórssonprĂ©cité§ 38).

57.  Ă€ cet Ă©gard, la Cour note avec intĂ©rĂŞt que la Cour de cassation italienne s’est exprimĂ©e d’une manière conforme aux principes susmentionnĂ©s lorsqu’elle a affirmĂ© que le fait d’être contumax Ă  l’audience ne pouvait pas ĂŞtre interprĂ©tĂ© comme une renonciation de l’accusĂ© au droit d’être entendu par le juge d’appel pour autant que le juge n’avait pas ordonnĂ© d’audition et qu’une audience Ă  cet effet n’avait pas Ă©tĂ© fixĂ©e (paragraphe 21 ci-dessus). En effet, en droit italien, la citation Ă  comparaĂ®tre Ă  la première audience ordonnĂ©e aux sens de l’article 601 du CPP ne correspond pas Ă  une convocation du juge en vue d’être entendu. A cet Ă©gard, la Cour ne peut que constater que la requĂ©rante de la requĂŞte no 20903/15, bien que prĂ©sente Ă  l’audience, ne fut pas pour autant auditionnĂ©e par la cour d’appel (voir paragraphe 12 ci-dessus).

58.  Il s’ensuit qu’on ne saurait affirmer que les requĂ©rants ont explicitement renoncĂ© en l’espèce Ă  leur droit d’être entendus par la cour d’appel, Ă©tant donnĂ© que, mĂŞme selon le droit interne, une telle renonciation aurait Ă©tĂ© possible uniquement si une audition avait Ă©tĂ© ordonnĂ©e et seulement si les intĂ©ressĂ©s n’y avaient pas consenti ou s’ils ne s’étaient pas prĂ©sentĂ©s Ă  l’audience fixĂ©e pour l’audition.

59.  Par ailleurs, il ressort des observations du Gouvernement qu’aurait Ă©tĂ© ouverte aux requĂ©rants le loisir de se prĂ©valoir de l’article 494 du CPP, dĂ©crite comme une possibilitĂ© adĂ©quate pour les accusĂ©s prĂ©sents Ă  l’audience d’être entendus par la cour d’appel. A cet Ă©gard, la Cour observe que les dĂ©clarations spontanĂ©es rĂ©gies par ladite disposition relèvent du libre choix de l’inculpĂ©, lequel a la possibilitĂ© de s’exprimer librement Ă  tout moment sans que ni le juge ni les autres parties au procès puissent lui poser de questions, en vertu du droit de l’accusĂ© de se taire et de ne pas contribuer Ă  sa propre incrimination (paragraphes 22 et 23 ci-dessus). Or la Cour n’est pas convaincue que la possibilitĂ© pour l’accusĂ© de faire de telles dĂ©clarations puisse satisfaire l’obligation faite au juge d’entendre personnellement l’intĂ©ressĂ© sur des faits et des questions dĂ©cisives pour l’établissement de son Ă©ventuelle culpabilitĂ©. Elle considère qu’il est dĂ©raisonnable d’avancer que pour assurer sa dĂ©fense un accusĂ© prendra la parole de sa propre initiative et choisira de s’exprimer sur des faits pour lesquels il a Ă©tĂ© acquittĂ© en première instance. La Cour a dĂ©jĂ  eu l’occasion d’observer qu’un accusĂ© n’a aucun intĂ©rĂŞt Ă  demander que les Ă©lĂ©ments de preuve relatifs Ă  des faits pour lesquels il a Ă©tĂ© acquittĂ© en première instance soient rĂ©Ă©valuĂ©s par le juge d’appel (Cipleu c. Roumanie, no 36470/08, § 39, 14 janvier 2014, et Ghincea, prĂ©citĂ©, § 41). Elle rappelle encore une fois qu’il appartient Ă  la juridiction d’appel de prendre des mesures positives Ă  ces fins (paragraphe 56 ci-dessus).

60.  Sur ce dernier point, la Cour observe que la Cour de cassation a affirmĂ© que le juge d’appel qui s’apprĂŞte Ă  infirmer un jugement d’acquittement et qui, pour ce faire, ordonne la rĂ©ouverture de l’instruction en application de l’article 603 du CPP ainsi que l’audition des tĂ©moins (dans la procĂ©dure de l’« esame Â») est Ă©galement tenu d’ordonner l’audition de l’accusĂ© en personne dès lors que les dĂ©clarations de celui-ci sont dĂ©cisives (paragraphes 19 et 20 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, la cour d’appel avait tout le loisir de rouvrir l’instruction et d’ordonner l’audition des requĂ©rants afin de leur offrir une possibilitĂ© adĂ©quate de s’exprimer Ă  propos notamment de l’élĂ©ment intentionnel du dĂ©lit d’association de malfaiteurs, question qui revĂŞtait une importance cruciale pour l’établissement de leur Ă©ventuelle culpabilitĂ© pour ladite infraction.

61.  En revanche, pour ce qui est de l’argument avancĂ© par la Cour de cassation consistant Ă  dire que le fait que l’accusĂ© soit le dernier Ă  prendre la parole suffirait (paragraphe 17 ci-dessus), la Cour a dĂ©jĂ  affirmĂ© Ă  maintes reprises que, si le droit de l’accusĂ© Ă  ĂŞtre le dernier Ă  parler revĂŞt une importance certaine, il ne saurait se confondre avec son droit d’être entendu, pendant les dĂ©bats, par un tribunal (Constantinescu, prĂ©citĂ©, § 58, et SpĂ®nu c. Roumanie, no 32030/02, § 58, 29 avril 2008).

62.  Vu l’ensemble de la procĂ©dure suivie, le rĂ´le de la cour d’appel et la nature des questions Ă  trancher, la Cour conclut que le fait que la condamnation pour le dĂ©lit d’association de malfaiteurs soit intervenue sans que les requĂ©rants aient pu exposer lors d’une audition (esame) devant la cour d’appel leurs arguments concernant des faits dĂ©terminants pour l’établissement de leur Ă©ventuelle culpabilitĂ© n’est pas, sauf renonciation de leur part, compatible avec le principe du procès Ă©quitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

  1. Concernant la requĂŞte no 20903/15

63.  La Cour observe que, contrairement aux requĂ©rants des requĂŞtes nos 20973/1520980/15 et 24505/15, Mme Maestri a Ă©tĂ© acquittĂ©e en première instance pour tous les chefs d’inculpation retenus contre elle. Le tribunal a considĂ©rĂ© que les dĂ©clarations des tĂ©moins et les autres pièces du dossier avaient dĂ©montrĂ© que la requĂ©rante s’était contentĂ©e de tenir la comptabilitĂ© des sociĂ©tĂ©s en suivant les directives des administrateurs et qu’elle n’avait donc pas jouĂ© de rĂ´le actif dans l’activitĂ© des sociĂ©tĂ©s Savoia et FGR.

64.  La Cour note Ă©galement que la cour d’appel a infirmĂ© le jugement rendu en première instance et qu’elle s’est Ă©cartĂ©e de l’avis du tribunal au sujet de l’interprĂ©tation de ces mĂŞmes dĂ©clarations. La cour d’appel a prononcĂ© la culpabilitĂ© de la requĂ©rante après s’être convaincue que les tĂ©moignages de M. et de C., en particulierlesquels avaient dĂ©crit dans le dĂ©tail les tâches qu’accomplissait l’intĂ©ressĂ©eavaient permis de dĂ©montrer que celle-ci avait jouĂ© un rĂ´le proactif dans la gestion des sociĂ©tĂ©s (paragraphe 14 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, il ne fait aucun doute que les questions que la cour d’appel de Turin avait Ă  trancher avant de dĂ©cider d’infirmer le verdict d’acquittement et de condamner l’intĂ©ressĂ©e ne pouvaient, aux fins d’un procès Ă©quitable, ĂŞtre examinĂ©es de manière appropriĂ©e sans apprĂ©ciation directe des tĂ©moignages Ă  charge de M. et C., compte tenu notamment de la valeur probante de ceux-ci.

65.  Elle observe par ailleurs que la requĂ©rante, bien que prĂ©sente aux audiences, n’a pas Ă©tĂ© auditionnĂ©e par la cour d’appel et qu’elle a donc Ă©tĂ© privĂ©e, Ă  l’instar des requĂ©rants, de la possibilitĂ© d’exposer ses propres arguments sur des questions de faits dĂ©terminants pour l’apprĂ©ciation de sa culpabilitĂ© (voir paragraphes 59-62 ci-dessus).

66.  La Cour considère dès lors qu’en ne procĂ©dant pas Ă  une nouvelle audition des tĂ©moins Ă  charge et de la requĂ©rante en personne avant d’infirmer le verdict d’acquittement dont celle-ci avait bĂ©nĂ©ficiĂ© en première instance, la cour d’appel a sensiblement restreint les droits de la dĂ©fense de l’intĂ©ressĂ©e.

67.  Les considĂ©rations qui prĂ©cèdent sont suffisantes pour permettre Ă  la Cour de conclure que, considĂ©rĂ©e dans son ensemble, la procĂ©dure pĂ©nale visant la requĂ©rante a Ă©tĂ© inĂ©quitable.

  1. Conclusion

68.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans les prĂ©sentes requĂŞtes.

  1. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

69.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour dĂ©clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s’il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

  1. Dommage

70.  Les requĂ©rants rĂ©clament la somme de 50 000 euros (EUR) chacun pour dommage moral. Ils demandent Ă©galement que leur condamnation pour le dĂ©lit d’association de malfaiteurs soit annulĂ©e, considĂ©rant que seule l’annulation constituerait une rĂ©paration adĂ©quate de la violation de la Convention.

71.  Le Gouvernement s’y oppose.

72.  En ce qui concerne la mesure gĂ©nĂ©rale spĂ©cifique demandĂ©e par les requĂ©rants, la Cour rappelle qu’il appartient en premier lieu Ă  l’État en cause, sous le contrĂ´le du ComitĂ© des Ministres, de choisir les moyens Ă  mettre en Ĺ“uvre dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention Ă  la lumière des circonstances particulières de la cause (voir, entre autresĂ–calan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV). Dans ce contexte, la Cour rappelle avoir nĂ©anmoins dĂ©jĂ  affirmĂ© que lorsqu’un particulier a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  l’issue d’un procès qui n’a pas satisfait aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une rĂ©ouverture de la procĂ©dure, Ă  la demande de l’intĂ©ressĂ©, reprĂ©sente en principe un moyen appropriĂ© de redresser la violation constatĂ©e.

73.  Par ailleurs, la Cour octroie Ă  chaque requĂ©rant 6 500 EUR pour dommage moral.

  1. Frais et dépens

74.  Les requĂ©rants rĂ©clament des sommes calculĂ©es sur la base du barème national pour le remboursement des frais et dĂ©pens qu’ils disent avoir engagĂ©s dans le cadre de la procĂ©dure menĂ©e devant la Cour.

75.  Le Gouvernement s’y oppose.

76.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requĂ©rant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dĂ©pens que dans la mesure oĂą se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ© et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, les requĂ©rants n’ayant produit aucune facture ni note d’honoraires, la Cour rejette la demande formulĂ©e par eux Ă  ce titre.

  1. Intérêts moratoires

77.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂŞts moratoires sur le taux d’intĂ©rĂŞt de la facilitĂ© de prĂŞt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, Ă€ L’UNANIMITÉ,

  1. DĂ©cide de joindre les requĂŞtes ;
  2. DĂ©clare les requĂŞtes recevables ;
  3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
  4. Dit

a)    que l’État dĂ©fendeur doit verser Ă  chaque requĂ©rant, dans un dĂ©lai de trois mois Ă  compter de la date Ă  laquelle l’arrĂŞt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l’article 44 § 2 de la Convention, 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» sur cette somme Ă  titre d’impĂ´t, pour dommage moral ;

b)    qu’à compter de l’expiration dudit dĂ©lai et jusqu’au versement, ces montants seront Ă  majorer d’un intĂ©rĂŞt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂŞt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

  1. Rejette la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 8 juillet 2021, en application de l’article 77 Â§Â§ 2 et 3 du règlement.

 

Renata Degener                                 Ksenija Turković
Greffière                                            Présidente

 


ANNEXE


Liste des affaires

 

No

RequĂŞte No

Nom de l’affaire

Introduite le

Requérant

Année de naissance

Lieu de résidence

 

Représenté par

1.  

20903/15

Maestri c. Italie

24/04/2015

Cristina MAESTRI

1962

Viadana

Me Andrea SACCUCCI

2.  

20973/15

Bedino et autres

c. Italie

24/04/2015

Antonino BEDINO

1966

Scarnafigi

 

Celestino GILETTA

1951

Cavallerleone

 

Francesco ROBASTO

1946

Moretta

 

Gianfranco TARICCO

1956

Fossano

Me Andrea SACCUCCI

3.  

20980/15

Robusti c. Italie

24/04/2015

Giovanni ROBUSTI

1951

Torre de’ Picenardi

Me Andrea SACCUCCI

4.  

24505/15

Maero c. Italie

14/04/2015

Denis MAERO

1972

Saluces

Me Andrea SACCUCCI