Cour européenne des droits de l’homme
GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE VAVŘIČKA ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE
TCHÈQUE
(Requêtes nos 47621/13 et 5 autres)
ARRÊT
Art 8 • Vie privée • Amende
infligée à un parent et exclusion des enfants d’établissements préscolaires pour
non-respect de l’obligation
légale de vaccination des enfants • Consensus européen général
favorable à l’obtention du niveau de couverture
vaccinale le plus élevé possible
• Solidarité sociale vis-à-vis des
personnes les plus vulnérables appelant le reste de
la population à prendre un risque minime en se faisant vacciner • Stratégie de vaccination obligatoire répondant au besoin
social impérieux de protéger
la santé individuelle et publique contre les maladies bien connues
de la médecine et d’éviter toute tendance à la baisse du taux
de vaccination des enfants
• Politique de vaccination obligatoire compatible avec l’intérêt supérieur des enfants, à considérer à la fois individuellement
et en tant que groupe, et exigeant que tout enfant soit protégé contre les maladies graves au moyen de la vaccination • Régime national permettant l’octroi de dispenses et comportant des garanties procédurales
• Précautions nécessaires mises
en place, notamment le contrôle
de l’innocuité des vaccins employés et la recherche au cas
par cas d’éventuelles contre
indications • Caractère
non excessif de l’amende infligée et absence de conséquences pour l’éducation des enfants d’âge scolaire • Caractère limité dans le temps des effets
subis par les enfants requérants, leur statut vaccinal n’ayant pas eu
d’incidence sur leur admission à l’école élémentaire •
Mesures litigieuses proportionnées aux buts légitimes poursuivis • Ample marge d’appréciation non outrepassée
STRASBOURG
8 avril
2021
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Vavřička et
autres c. République tchèque,
La Cour
européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande
Chambre composée de :
Robert Spano, président,
Jon Fridrik Kjølbro,
Ksenija Turković,
Paul Lemmens,
Síofra O’Leary,
Yonko Grozev,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,
Marko Bošnjak,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski,
Lado Chanturia,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato,
Anja Seibert-Fohr, juges,
et de Johan Callewaert, greffier
adjoint de la Grande Chambre,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er juillet 2020 et le 13 janvier
2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté
à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire
se trouvent six requêtes (nos 47621/13, 3867/14, 73094/14, 19298/15, 19306/15 et 43883/15) dirigées contre la
République tchèque et dont six
ressortissants de cet État, M. Pavel Vavřička,
Mme Markéta Novotná, M. Pavel Hornych,
M. Radomír Dubský,
M. Adam Brožík et M. Prokop Roleček (« les requérants »), ont saisi la Cour à différentes dates entre le 23 juillet 2013 et le 31
août 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les
requérants ont été représentés dans un premier temps par Me D. Záhumenský, puis par Mes Z. Candigliota, J. Švejnoha,
J. Novák et T. Moravec,
avocats exerçant en
République tchèque. Devant
la Grande Chambre, l’ensemble des requérants
ont été représentés
par Me Candigliota. Le gouvernement
tchèque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V.A. Schorm,
du ministère de la Justice.
3. Les
requérants alléguaient en particulier que les diverses conséquences
ayant résulté pour eux du non-respect
de l’obligation légale de vaccination étaient incompatibles avec leur droit au
respect de leur vie privée découlant de l’article 8 de la
Convention.
4. Les
requêtes ont été attribuées à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Les 7 et 9 septembre
2015, la Cour a communiqué au Gouvernement le grief susmentionné ainsi que les
griefs connexes qui
avaient été formulés par M. Vavřička,
Mme Novotná et
M. Hornych sous l’angle de l’article 9 de la
Convention, et par l’ensemble des enfants requérants sur le terrain de
l’article 2 du Protocole no 1.
5. Les organisations non
gouvernementales Společnost pacientů s následky po očkování, z.s. (Association
de patients affectés
par des problèmes de santé causés par des vaccins), Centre européen
pour le droit et la justice
et ROZALIO – Rodiče za lepší informovanost a svobodnou volbu v očkování, z.s. (Collectif
de parents pour une meilleure
information et pour la liberté de choix en matière de vaccination
– « ROZALIO ») ont chacune
présenté des observations écrites, comme le président de la section les y avait
autorisées (articles 36 § 2
de la Convention et 44 § 3 du règlement).
6. Le 17 décembre 2019, une chambre de
la première section, composée
de Ksenija Turković,
présidente, Aleš Pejchal, Armen Harutyunyan, Pere Pastor Vilanova,
Tim Eicke, Jovan Ilievski, Raffaele Sabato, juges,
ainsi que de Abel Campos, greffier de section, s’est dessaisie au profit de la Grande
Chambre, aucune des parties
ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du
règlement).
7. La composition de la Grande Chambre a été
arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la
Convention et 24 du règlement.
8. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur la recevabilité et le fond de
l’affaire.
9. Les gouvernements français, allemand, polonais et slovaque ont présenté des
observations écrites, comme le président les y avait autorisés. L’autorisation d’intervenir dans la procédure a également été accordée au Forum
européen pour la vaccinovigilance. D’autres observations ont été déposées
par ROZALIO, et celles que les autres tiers
intervenants avaient présentées à la chambre ont été conservées
dans le dossier de l’affaire.
10. Une
audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 1er juillet
2020. Les représentants et conseillers des parties étaient présents.
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
MM.V. A. Schorm,agent,
R. Prymula, président de la Société tchèque
de vaccinologie
et agent du
Gouvernement pour la science et la recherche
médicales,
Mmes E. Petrová, bureau de l’agent du Gouvernement, ministère de
la Justice,
K. Radová, bureau de
l’agent du Gouvernement, ministère de
la Justice,
D. Prudíková, ministère de l’Éducation, de la
Jeunesse et
des Sports,
M.T. Suchomel, ministère de la Santé,
MmeH. Cabrnochová, vice-présidente de
la Société tchèque de
vaccinologie et de l’Association des praticiens généralistes
pour les
enfants et les jeunes, conseillers ;
– pour
les requérants
MeZ. Candigliota,conseil,
MM.D. Petrucha,
K. Lach,
D. Dušánek,
MmesP. Janíčková, conseillers,
B. Rolečková, mère d’un requérant.
La Cour a entendu M. Schorm, M. Prymula et Me Candigliota en
leurs déclarations ainsi qu’en leurs
réponses aux questions posées par les juges.
EN FAIT
- LE CONTEXTE DE
L’AFFAIRE
11. En
République tchèque, l’article 46
§§ 1 et 4 de la loi sur la protection de la santé publique (Zákon o ochraně veřejného zdraví) (loi no 258/2000,
Recueil des lois, telle qu’amendée
– la « loi
PSP ») fait obligation
à tous les résidents permanents, ainsi qu’à tous
les étrangers titulaires d’une autorisation de séjour de longue durée dans le pays, de se soumettre à un ensemble de vaccinations
de routine suivant les modalités précises établies dans un texte réglementaire. Pour les enfants de moins
de quinze ans, ce sont les représentants
légaux (zákonný zástupce) qui ont la responsabilité de veiller au respect de cette obligation.
12. Dans
l’ordre constitutionnel tchèque, une obligation ne peut être imposée
que sur le fondement et dans les limites
de la loi (zákon)
et, de même, les restrictions des droits et libertés fondamentaux
ne peuvent être imposées que par la loi, ce terme étant communément compris comme désignant une loi adoptée par le Parlement.
13. La loi PSP relève de cette catégorie. Ses
articles 46 § 6 et 80 § 1 prévoient l’adoption par le ministère
de la Santé (« le ministère ») de textes d’application concernant la vaccination.
14. Le ministère
a pris ces mesures d’application sous la forme d’un arrêté
sur la vaccination contre les
maladies infectieuses (Vyhláška o očkování proti infekčním nemocem)
(l’arrêté no 439/2000 Rec.,
tel que modifié
– « l’arrêté ministériel
de 2000 », qui fut en vigueur
du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2006, et l’arrêté no 537/2006 Rec., tel que modifié –
« l’arrêté ministériel
de 2006 », qui est en vigueur depuis le 1er janvier
2007 ; ci-après, ces deux arrêtés sont
désignés conjointement par
l’expression « l’arrêté
ministériel »).
15. L’article 50
de la loi PSP dispose que les établissements préscolaires tels que ceux en cause dans la présente affaire ne
peuvent accepter que les enfants qui ont reçu les
vaccins requis, ou pour lesquels un certificat atteste qu’ils ont acquis une immunité d’une autre manière ou
que pour des raisons de santé ils ne peuvent pas être vaccinés.
Une disposition similaire
figure à l’article 34 § 5 de la loi sur l’éducation (Zákon o předškolním, základním, středním, vyšším odborném a jiném vzdělávání (školský zákon))
(loi no 561/2004 Rec.,
telle que modifiée).
16. Le coût de la vaccination est pris en charge par l’assurance maladie publique. Les vaccins qui figurent sur la liste de variants de vaccins spécifiques destinés à la vaccination courante, que le ministère publie chaque année,
sont gratuits. D’autres vaccins peuvent être utilisés
à la place de ceux-ci dès lors qu’ils ont
été approuvés par l’autorité compétente, mais leur coût n’est pas couvert par l’État.
17. Selon l’article 29 §§ 1 f) et 2 de la loi sur les infractions mineures (Zákon o přestupcích)
(loi no 200/1990 Rec.,
telle qu’en vigueur à l’époque pertinente – « la loi IM »), une personne qui enfreint une interdiction ou manque à une obligation destinée à prévenir des maladies infectieuses
ou imposée dans ce but commet une infraction mineure passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 couronnes tchèques ((CZK), ce qui
représente actuellement l’équivalent de près de 400 euros (EUR)).
18. En cas
de faute médicale
dans l’administration d’un vaccin obligatoire ayant causé une atteinte à la santé du patient vacciné,
la personne responsable peut être tenue de verser une indemnité pour ce préjudice en application du droit commun
de la responsabilité.
19. Concernant les atteintes à la santé causées par des vaccins obligatoires administrés suivant les règles et procédures applicables (lege artis), jusqu’au 31 décembre 2013 une indemnité pouvait être réclamée
au professionnel de santé qui avait exécuté l’acte de vaccination, sur la base de la responsabilité
objective sans motif d’exonération, en vertu de l’article 421a du code civil tel qu’alors
en vigueur (loi no 40/1964
Rec., telle que modifiée). Dans le cadre de la recodification du droit civil, ce type d’action a été supprimé à compter du 1er janvier 2014. Une nouvelle loi spéciale entrée en vigueur le
8 avril 2020 prévoit toutefois que l’État peut être
tenu pour responsable d’un tel préjudice.
20. En
dehors de la question de l’indemnisation dans de telles circonstances, une personne qui souffre d’effets secondaires du vaccin concerné pourra bénéficier d’un traitement médical couvert par l’assurance maladie publique.
21. Pour plus d’informations sur le droit et la pratique internes pertinents, voir les paragraphes 65 à 93 ci-dessous.
- LA REQUÊTE DE M.
VAVŘIČKA (NO 47621/13)
22. Le requérant est né en 1965 et réside
à Kutná Hora.
23. Le 18
décembre 2003, le centre de prévention
et de contrôle des maladies (hygienická stanice) compétent le déclara coupable d’une infraction visée à l’article 29 § 1 f) de la loi IM,
pour non-respect d’une décision
qui lui avait enjoint de conduire ses deux
enfants, alors âgés de treize et quatorze ans, auprès de l’établissement de santé qui lui avait été indiqué,
afin de les faire vacciner contre la poliomyélite, l’hépatite B et le tétanos. Le requérant fut condamné à payer une amende de 3 000 CZK ainsi
que 500 CZK pour frais
et dépens (la somme totale représentait l’équivalent de
110 EUR à l’époque).
24. Le requérant contesta cette décision au niveau
administratif et devant les tribunaux, y compris en dernier ressort devant la Cour constitutionnelle. Il plaida que les règles en question
étaient contraires à ses droits et libertés fondamentaux, en particulier au droit de refuser
une intervention médicale
(il se référait aux articles 5 et 6 de la Convention sur les
droits de l’homme et la biomédecine, qui fait partie intégrante de l’ordre juridique de la République tchèque et prime toute loi en cas de conflit
(paragraphe 141 ci‑dessous) – la
« Convention d’Oviedo ») et au droit d’avoir des convictions religieuses et philosophiques et
de les manifester. Il indiqua qu’il était opposé à ce qu’il qualifiait d’expérimentation irresponsable sur
la santé humaine et insista
sur les effets secondaires avérés ou potentiels des vaccins. Il argua que le dernier cas de poliomyélite remontait à 1960, que l’hépatite B ne touchait que des
catégories à haut risque et que le tétanos n’était pas transmissible entre les humains,
de sorte selon lui qu’aucun
risque pour la santé publique n’était en jeu dans sa cause.
25. Dans un premier temps, par
un arrêt du 28 février 2006, la Cour administrative suprême (« la
CAS ») rejeta le recours
en cassation qui avait été formé par le requérant. Cet arrêt fut cependant annulé
par un arrêt constitutionnel (nález) que la Cour constitutionnelle rendit le 3 février 2011.
26. La juridiction constitutionnelle jugea que la CAS n’avait pas fourni
une réponse adéquate à la thèse du requérant
selon laquelle la
décision litigieuse était contraire à son droit de manifester librement sa religion ou sa conviction en vertu de l’article 16 de la Charte des droits
et libertés fondamentaux (Listina základních práv a svobod) (loi constitutionnelle no 2/1993 Rec.). Elle observa que l’obligation de vaccination en tant que telle
(imposée au requérant par une décision du 3 juin 2003, rendue en application de l’arrêté ministériel de 2000) n’était pas en jeu en l’espèce dans la mesure où l’intéressé
avait fait porter son recours constitutionnel sur la sanction
qui avait été prononcée contre lui le 18 décembre
2003 en application de la loi
IM, pour manquement à son obligation. La Cour constitutionnelle indiqua donc ne pas pouvoir exercer
sa compétence pour contrôler
la constitutionnalité de l’obligation
de vaccination. Elle déclara
qu’en tout état de cause
elle n’était pas habilitée à substituer son avis à l’appréciation opérée par le pouvoir législatif ou le pouvoir exécutif quant aux maladies
infectieuses appelant une vaccination obligatoire. Elle observa qu’au regard
de l’article 26 de la Convention d’Oviedo c’était au législateur
qu’il appartenait de se livrer à cette appréciation, et que celle-ci avait un caractère politique et spécialisé et
relevait d’une relativement
grande latitude.
27. La Cour constitutionnelle établit une distinction entre le fait d’inscrire l’obligation vaccinale dans le droit et le fait de veiller au respect de celle-ci. Elle déclara que la vaccination obligatoire constituait en principe une restriction
admissible du droit fondamental de manifester librement sa religion ou ses
convictions, exposant qu’il s’agissait de toute évidence d’une mesure nécessaire, dans une société démocratique, à la protection de la sûreté publique, de la santé et des droits et libertés d’autrui. Elle ajouta toutefois que, pour être conforme aux exigences constitutionnelles,
une interprétation de cette
restriction ne devait pas impliquer l’application
inconditionnelle de l’obligation
vaccinale à tout individu,
sans prise en compte des aspects ou
motifs personnels de sa réticence.
28. Plus particulièrement, la Cour constitutionnelle déclara ceci :
« L’autorité publique
qui se prononce sur l’exécution
de l’obligation vaccinale ou sur
la sanction à infliger en cas de manquement à cette obligation doit prendre en compte les motifs
exceptionnels avancés par
le demandeur à l’appui de
son refus de la vaccination.
S’il existe des circonstances qui
appellent de manière
fondamentale à préserver l’autonomie de la personne concernée malgré l’existence d’un intérêt général opposé (...), et donc à renoncer à titre exceptionnel à sanctionner [le manquement à] l’obligation vaccinale, l’autorité publique doit s’abstenir d’imposer une sanction ou de faire exécuter [cette obligation] par d’autres moyens (...)
L’autorité publique, puis le tribunal administratif dans le cadre du recours
de droit administratif, doivent tenir compte
dans leurs décisions de toutes les circonstances pertinentes de l’affaire, notamment
du caractère urgent des motifs
avancés par la personne concernée, de la pertinence de ceux-ci du point de vue constitutionnel, ainsi que du
danger que peut représenter le comportement de la personne en question pour la société. Le caractère cohérent et crédible des allégations de l’intéressé constituera également un aspect important.
Si la personne en question ne communique pas dès le début avec
l’autorité publique compétente et ne justifie sa
position à l’égard de la vaccination
que lors d’une phase ultérieure de la procédure, les conditions concernant la cohérence de sa position et l’urgence
de l’intérêt constitutionnel
à la protection de son autonomie ne sont en règle générale
pas remplies. »
29. La Cour constitutionnelle
estima en outre que si l’on
appliquait ces critères aux circonstances
propres à la cause du requérant, la réalisation de la condition
de cohérence de la position adoptée
apparaissait problématique.
À cet égard, elle releva que l’intéressé
n’avait exposé les motifs de son refus d’autoriser la vaccination de ses enfants qu’à un stade tardif
de la procédure et que, même lors d’une audience qui s’était tenue devant elle, il avait indiqué que
lesdits motifs étaient liés avant
tout à la santé, la vaccination
étant selon lui néfaste pour les enfants, et que toute question
philosophique ou religieuse passait pour lui au second plan. La Cour constitutionnelle ajouta toutefois que l’application
des critères en question revenait au premier chef à la CAS, à laquelle
elle renvoya la cause du requérant pour un nouvel examen.
30. Par
un arrêt du 30 septembre 2011, la CAS débouta le
requérant.
En réaction aux indications
données par la Cour
constitutionnelle, la CAS établit
que ce n’était que lors d’une phase tardive de la procédure que le requérant avait invoqué, sans autre explication, la protection de ses convictions religieuses et philosophiques. Elle indiqua
qu’il avait ensuite expliqué qu’il pensait que
ses convictions lui donnaient le droit de refuser la vaccination obligatoire pour lui-même et pour
ses enfants. Elle précisa
que le requérant n’avait cependant pas avancé d’argument
concret concernant sa religion et l’ampleur de l’atteinte éventuellement portée à celle-ci par la vaccination. Pour la CAS, l’intérêt à protéger la santé publique l’emportait donc sur le droit du requérant
de manifester sa religion ou ses convictions.
31. Dans cette affaire, la décision définitive fut rendue le 24 janvier 2013 par la Cour constitutionnelle, qui rejeta
pour défaut manifeste de fondement le
recours que le requérant avait formé contre l’arrêt du 30 septembre 2011.
- LA REQUÊTE DE MME NOVOTNÁ
(NO 3867/14)
32. La requérante est née le 12 octobre 2002. Elle fut admise dans une école maternelle Montessori en vertu
d’une décision du 4 avril 2006, alors qu’elle avait environ
trois ans et demi.
33. Le
10 avril 2008, la directrice
de l’établissement décida
de rouvrir la procédure d’admission après avoir été informée
par la pédiatre de la requérante
que, contrairement à ce qu’indiquait un certificat médical daté du
15 mars 2006, qui précisait que l’enfant « avait reçu
la vaccination de base », celle-ci n’avait en réalité pas été soumise
à la vaccination ROR (rougeole,
oreillons et rubéole). La procédure ainsi rouverte se solda, le 14 juillet 2008, par une décision
qui annulait la décision
antérieure d’admettre la requérante dans l’établissement, au motif qu’il manquait
à celle‑ci un vaccin obligatoire.
34. Dans
les recours successifs qu’elle forma ensuite en vain, au niveau administratif
et devant les tribunaux, y compris la Cour constitutionnelle, la requérante argua qu’un texte réglementaire, à savoir l’arrêté ministériel de 2006, ne pouvait pas instaurer une exception au droit
protégé par l’article 5 de
la Convention d’Oviedo (énonçant qu’une
intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée
qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé). Elle indiqua également que l’arrêté ne fixait pas d’âge
limite pour la vaccination ROR. Se
fondant sur des « données statistiques »
et sur les « opinions d’experts »,
elle soutint que la vaccination présentait un risque pour la santé et n’était pas nécessaire dans une société démocratique. Elle ajouta que la décision du 14 juillet 2008 était contraire à ses intérêts et à son droit à l’instruction. Elle
se plaignit de ne pas pouvoir poursuivre sa scolarité dans le système éducatif Montessori sans avoir à se soumettre à une intervention médicale à laquelle elle ne consentait pas.
35. Les
arguments exposés par la requérante furent écartés à tous les niveaux. La décision définitive fut rendue le 9 juillet 2013 par la Cour constitutionnelle, dont les conclusions peuvent se résumer comme suit.
36. Pour autant que la requérante contestait le fondement juridique de l’obligation de vaccination, la Cour constitutionnelle déclara que les restrictions
aux garanties découlant des articles 5
et 6 de la Convention d’Oviedo étaient prévues par une loi adoptée par le Parlement (la loi PSP), laquelle énonçait l’obligation de se soumettre à la vaccination de
routine, dont seuls les aspects particuliers tels que les
types de vaccins et les conditions d’administration étaient définis dans l’arrêté ministériel de 2006 pris en application de ladite loi. La Cour constitutionnelle
estima que ce dispositif répondait aux exigences constitutionnelles selon lesquelles les obligations ne peuvent être imposées que
sur le fondement et dans les limites de la loi (article 4 § 1 de la Charte) et les restrictions aux droits et libertés fondamentaux
ne peuvent être établies que par la loi (article 4 § 2 de
la Charte). La haute juridiction
ajouta que les incohérences de la jurisprudence sur ce point avaient
été levées (voir en particulier les paragraphes 85 et suivants ci-dessous).
37. La Cour constitutionnelle rejeta également, pour défaut de fondement, l’objection qu’avait élevée la requérante quant à la nécessité de protéger la santé publique au moyen de la vaccination en question. La haute
juridiction nota que l’intéressée n’avait pas soulevé le moindre argument relatif à des « circonstances [appelant]
de manière fondamentale à préserver
l’autonomie de la personne »,
au sens de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle dans l’affaire Vavřička (paragraphe 28 ci-dessus).
38. À cet égard, la Cour constitutionnelle indiqua en particulier que la protection effective des droits fondamentaux
qui étaient en conflit avec l’intérêt général à protéger la santé pouvait être
assurée au moyen d’une évaluation rigoureuse des circonstances propres à chaque affaire, plutôt que par la mise en cause de la vaccination
en tant que telle. Elle considéra qu’en l’espèce les tribunaux
avaient dument examiné les objections
de la requérante et répondu
à celles-ci. Elle déclara
que l’intéressée n’avait pas prouvé,
en se fondant sur des considérations
factuelles, que l’obligation de subir la vaccination
ROR constituait une ingérence
disproportionnée dans l’exercice par elle de ses droits fondamentaux. Elle ajouta que la requérante
n’avait pas non plus établi l’existence de circonstances qui lui auraient permis, en application de l’article 50 de la loi PSP, d’être admise dans
une école maternelle sans se faire
vacciner.
39. Sans trancher
la question de savoir si la
fréquentation d’une école maternelle
relevait du droit à l’instruction, la Cour constitutionnelle estima néanmoins que, dans une situation où le maintien de la requérante dans l’établissement était susceptible de mettre en péril la santé d’autrui, c’était le droit subjectif des citoyens
à la protection de la santé
qui était prioritaire. Selon la haute juridiction, le refus d’admettre l’intéressée à l’école maternelle
n’avait donc pas été entaché
d’erreur.
40. De plus, pour la Cour constitutionnelle, en refusant de satisfaire à des conditions qui étaient identiques pour tous, la requérante s’était elle‑même privée de
la possibilité de fréquenter
un établissement préscolaire,
et elle n’avait probablement
pas agi de bonne foi en joignant à sa demande initiale d’inscription un certificat médical inexact.
- LA REQUÊTE DE M.
HORNYCH (NO 73094/14)
41. Le requérant
est né le 26 septembre 2008. Lorsqu’il
était en bas âge, il souffrit de divers maux et ne reçut aucun vaccin.
Il affirme qu’en fait ses parents
n’ont jamais refusé qu’il fût
vacciné et que, s’il ne l’a pas été, c’est parce que son pédiatre n’avait pas formulé pour lui de recommandation de vaccination individualisée.
42. Au moment de l’inscription à
l’école maternelle, son pédiatre
attesta dans le formulaire requis que le requérant
n’avait pas été vacciné. Ce formulaire comportait en outre la mention manuscrite suivante : « il ne manque [au requérant] aucun vaccin courant
prévu par la loi ». Les autorités établirent
par la suite que la mention
manuscrite avait été ajoutée par une personne autre que le pédiatre, ce que le requérant ne contesta pas.
43. Par une décision du 27 juin 2011, l’intéressé se vit refuser l’admission
à l’école maternelle en application
de l’article 50 de la loi
PSP, faute d’avoir prouvé qu’il était
vacciné. Son recours administratif fut rejeté, l’autorité
compétente ayant établi lors d’une conversation téléphonique avec le pédiatre que la situation n’avait pas changé de manière
significative depuis le jour
où l’attestation susmentionnée avait été délivrée.
44. Le requérant
poursuivit son affaire en formant
un recours de droit administratif et un recours en cassation. Il avança principalement que, puisqu’il n’avait reçu aucune recommandation
de vaccination individualisée,
on ne pouvait considérer qu’il lui manquât un quelconque vaccin requis par la loi et que, dès lors,
il avait rempli toutes les conditions
légales pour être admis à l’école maternelle. Il
estima que les autorités n’avaient pas pu établir
le contraire et que, lorsqu’elles s’étaient procuré des renseignements
complémentaires en téléphonant
à son pédiatre, elles avaient agi de manière arbitraire et contraire à son droit à la protection des données personnelles.
Il soutint qu’il avait été privé de la possibilité de formuler des commentaires et qu’il apparaissait qu’aucune infraction mineure en rapport avec son statut vaccinal n’avait été commise puisqu’aucune procédure n’avait été engagée
à ce sujet.
45. Ses recours furent rejetés, au motif
notamment que, bien que l’autorité qui
avait traité le recours administratif eût obtenu des
informations auprès du pédiatre par des voies sortant
de l’ordinaire, le requérant
avait eu accès au dossier et que la décision contestée reposait exclusivement sur des faits dont il avait eu connaissance. Un autre motif tenait
au fait que,
selon l’article 50 de
la loi PSP, le critère pertinent pour être admis à l’école maternelle résidait dans le point de savoir si l’obligation vaccinale avait été remplie,
et aucunement dans les raisons d’un éventuel manquement à cette exigence. Enfin, il était reproché au requérant
de pas même avoir avancé l’existence de « circonstances
[appelant] de manière
fondamentale à préserver l’autonomie
de la personne », au sens de la jurisprudence Vavřička (paragraphe
28 ci-dessus), et de n’avoir
pas non plus invoqué l’un
de ses droits fondamentaux.
46. Dans le recours constitutionnel qu’il forma par la suite, le requérant
allégua une violation de ses droits découlant
de l’article 6 § 1 (équité)
et de l’article 8 (respect
de la vie privée et familiale,
notamment du droit à l’épanouissement personnel) de la Convention, en présentant
pour l’essentiel les mêmes moyens que devant les
juridictions inférieures. Il plaida que celles-ci n’avaient pas examiné la nécessité médicale des vaccins qu’on
lui avait demandé de
se faire administrer. De
plus, « à des fins d’exhaustivité », il soutint expressément que ses parents
n’avaient pas refusé de le faire vacciner et que, dès lors, on ne pouvait pas leur
reprocher de ne pas avoir justifié pareil refus en invoquant leurs convictions ou croyances.
47. Le 7 mai 2014, la Cour constitutionnelle estima le recours manifestement mal fondé et le rejeta. Elle releva que les
tribunaux avaient dument examiné tous les éléments
pertinents et qu’elle partageait leurs conclusions.
- LES REQUÊTES DE M. BROŽÍK ET DE M. DUBSKÝ (NOS 19298/15
ET 19306/15)
48. Les
requérants sont nés respectivement le 11 mai 2011
et le 16 mai 2011. Leurs parents
refusèrent de les faire vacciner. Les autorités constatèrent
plus tard qu’à leur demande d’inscription à l’école maternelle ils avaient joint un certificat délivré par leur pédiatre mentionnant
qu’ils n’avaient pas été vaccinés
en raison des convictions et des croyances de leurs parents.
49. Le 2 mai 2014, les requérants se virent refuser l’inscription à l’école maternelle
sur le fondement de la jurisprudence Vavřička (paragraphe 28
ci‑dessus) et au motif que la vaccination
obligatoire était
nécessaire à la protection de la santé
publique et des droits et libertés d’autrui et qu’elle constituait dès lors une restriction
admissible au droit de manifester librement sa religion ou ses convictions.
50. Les
requérants formèrent un recours administratif contre cette décision puis contestèrent le rejet de celui-ci en exerçant un recours de droit administratif.
51. Le 18 juillet 2014, en parallèle à ce recours de droit administratif, les requérants prièrent le tribunal régional
de Hradec Králové d’adopter une mesure provisoire les autorisant à fréquenter une école maternelle donnée à compter du 1er septembre 2014, en attendant l’issue de l’examen au fond du recours. Ils avancèrent que, à défaut, ils risquaient de subir un préjudice grave, à savoir une discrimination, une limitation de
leur épanouissement personnel et une restriction de leur accès à l’éducation préscolaire. Ils assurèrent de plus que leur admission
à l’école ne pouvait représenter
le moindre risque pour les écoliers qui étaient vaccinés, et que beaucoup d’adultes n’étaient pas ou plus immunisés
contre les maladies en question.
52. Le 13
août 2014, le tribunal régional rejeta leur demande de mesure provisoire. Il
nota qu’il
n’existait pas à proprement parler de droit d’être admis
dans un établissement préscolaire et que pareille admission était soumise à des conditions, dont celle prévue par l’article 50 de la loi PSP. Selon le tribunal régional, le refus d’admission était donc envisagé par la loi et n’était pas rare, surtout lorsque les places manquaient. Par conséquent,
pour le tribunal régional, la
décision litigieuse ne pouvait pas avoir
entraîné un préjudice grave
justifiant l’adoption d’une mesure
provisoire.
53. Invoquant l’article 6 de la
Convention, les requérants contestèrent ce jugement en formant un recours constitutionnel. Dans
le même temps, ils demandèrent à la Cour constitutionnelle elle-même d’adopter une mesure provisoire similaire à celle qu’ils avaient sollicitée auprès du tribunal
régional.
54. Le 23 octobre 2014, la Cour constitutionnelle rejeta pour défaut manifeste de fondement le recours constitutionnel des requérants ainsi que leur
demande de mesure provisoire. Soulignant que la procédure sur le fond était encore pendante, elle
estima que le rejet des demandes de mesure provisoire n’entraînait pas de conséquences inacceptables au regard de la Constitution. De plus, la
haute juridiction considéra que les requérants
n’avaient pas démontré la nécessité d’adopter des mesures
provisoires et que le raisonnement du tribunal régional sur ce point était logique, compréhensible et pertinent.
55. Dès lors que l’arrêt
constitutionnel avait réglé la question de la mesure provisoire, il restait à statuer sur le fond du recours
de droit administratif exercé par les requérants. Ceux-ci furent déboutés par un jugement du tribunal
régional du 10 mai 2016. Bien que d’autres
voies de recours fussent disponibles, ils ne poursuivirent pas la procédure.
- LA REQUÊTE DE M.
ROLEČEK (NO 43883/15)
56. Le requérant est né le 9 avril
2008. Ses parents, biologistes, décidèrent de lui établir un plan de vaccination individuel. De ce fait,
il fut vacciné plus tard que ne le prévoyaient
les règles en vigueur et ne reçut pas de vaccin contre la tuberculose, la poliomyélite et
l’hépatite B, ni contre la rougeole,
les oreillons et la rubéole (ROR).
57. Les
22 et 30 avril 2010, les
directeurs de deux écoles maternelles refusèrent d’admettre le requérant en se
fondant sur l’article 50 de la loi PSP.
58. Lors
des recours qu’il forma ensuite en vain, au niveau
administratif et devant les tribunaux, y compris la Cour constitutionnelle, le requérant
se plaignit entre autres d’une violation de son droit au respect
de sa vie privée et familiale, de son droit à l’instruction et de son droit à ne pas subir de discrimination. Il allégua qu’il n’avait été tenu
compte ni des convictions de ses parents, qui avaient selon lui défendu son intérêt supérieur, ni du principe de proportionnalité. Il estimait que l’article 50 de la loi PSP devait être annulé. Il
avança que l’ingérence dans l’exercice de ses droits avait été
disproportionnée et qu’il existait des mesures
moins radicales pour protéger la santé publique. Il ajouta que sa non-admission avait contraint sa mère à rester à la maison pour s’occuper de lui
et avait donc eu des répercussions
sur toute la famille.
59. Les
arguments du requérant furent rejetés pour les motifs qui se trouvent résumés ci-dessous. Les principales décisions dans l’affaire furent rendues par la Cour constitutionnelle le 27 janvier
2015 (concernant la validité
de l’article 50 de la loi
PSP) et le 25 mars 2015 (concernant
le fond de la cause du requérant).
60. La Cour constitutionnelle déclara que l’article 50 de la loi PSP ne méconnaissait aucunement la règle selon laquelle certaines questions ne pouvaient être réglées que par une loi adoptée par le Parlement. Elle exposa que cet article
énonçait une condition pour
l’admission dans une garderie ou un établissement préscolaire en faisant référence à l’article 46 de la loi PSP, et
que celui-ci définissait la portée et la teneur de l’obligation sous-jacente. Elle ajouta que, pour autant que l’on pouvait considérer que le requérant avait voulu contester l’obligation de vaccination en tant que telle,
cette question dépassait le cadre de sa remise
en question de l’article 50
de la loi PSP et aurait dû être soulevée
séparément. Elle estima que,
faute pour le requérant d’avoir agi en ce sens, elle ne pouvait pas dans
cette procédure examiner l’obligation de vaccination. Elle précisa néanmoins que la constitutionnalité de cette obligation avait déjà été examinée
et confirmée dans un autre arrêt, rendu
dans une affaire (no Pl.
ÚS 19/14) sans lien avec celle en
cause et concernant une autre
conséquence (une amende)
d’un manquement à l’obligation
vaccinale (paragraphes 90 et suivants ci‑dessous).
61. La Cour constitutionnelle déclara que le fait de disposer d’un plan de vaccination
individuel ne relevait d’aucun des motifs
de discrimination prévus
par la loi. Elle indiqua que, contrairement à ce qu’avait laissé entendre le requérant, la non-admission dans une école maternelle ne constituait pas une sanction. Concernant la proportionnalité,
elle ajouta que le requérant n’avait pas invoqué de circonstances exceptionnelles qui
l’auraient emporté sur l’intérêt à protéger la santé publique, au sens de la jurisprudence Vavřička (paragraphe 28 ci-dessus).
62. La haute juridiction
précisa que ce que renfermait le droit à l’instruction tel que prévu
par l’article 33 de la Charte
était décrit en détail dans la loi sur l’éducation (paragraphes 80 et suivants
ci‑dessous) pour tous les
types et les niveaux d’enseignement. Elle estima que ce droit comprenait l’éducation préscolaire dès lors que
celle-ci, loin de se borner
à offrir un service de crèche ou
de garderie, impliquait un processus d’acquisition de compétences, d’attitudes et de savoir. Elle considéra
qu’une restriction de ce droit, consistant à exiger le respect de l’obligation de vaccination, n’étouffait pas l’essence même du
droit en cause et poursuivait
manifestement le but légitime qu’est la protection de la santé publique. En outre, la haute juridiction
déclara que les moyens prévus
pour atteindre ce but étaient rationnels et dépourvus d’arbitraire. Elle ajouta que la vaccination représentait un acte de solidarité sociale de la
part d’individus qui acceptaient
de s’exposer à un risque
minime pour protéger la santé
de l’ensemble de la population, et que cela était d’autant plus valable que le nombre d’enfants vaccinés fréquentant un établissement préscolaire augmentait.
63. Enfin,
à propos des éléments exposés au paragraphe précédent
ainsi que dans l’arrêt constitutionnel susmentionné
(affaire no Pl. ÚS 19/14), la Cour constitutionnelle jugea que les conclusions
des juridictions inférieures dans la procédure engagée par le requérant reposaient sur une base
factuelle adéquate
et sur un raisonnement convaincant.
Partant, la haute juridiction
conclut qu’il n’y avait pas
eu violation des droits fondamentaux
du requérant.
64. L’arrêt
du 27 janvier 2015 concernant la validité de l’article 50 de la loi PSP fut adopté à la majorité. À cet arrêt fut annexée
l’opinion dissidente d’une juge qui, notamment, estimait excessive l’étendue de l’obligation vaccinale, qui couvrait
neuf maladies, comme condition d’admission dans le système préscolaire, et considérait que le régime en vigueur portait atteinte aux droits fondamentaux
du requérant. Aux yeux de la juge, l’arrêt de la formation plénière, qui selon elle était en lien avec le débat public
sur les effets potentiellement néfastes de la vaccination, se bornait à des déclarations générales sur la solidarité.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE
PERTINENTS
- LE DROIT ET LA
PRATIQUE INTERNES
- Le droit interne
- La Charte des droits et libertés fondamentaux
(loi constitutionnelle
no 2/1993 Rec.)
65. En sa partie
pertinente en l’espèce, l’article
4 de la Charte est ainsi libellé :
« 1. Les obligations peuvent être imposées uniquement
sur le fondement et dans les limites de la loi, et dans le respect des droits
et libertés fondamentaux de l’individu.
2. Les
limitations des droits et libertés fondamentaux
ne peuvent être établies que par la loi et suivant les conditions prévues par [la présente Charte]. »
66. L’article 7
§ 1 énonce ce qui suit :
« L’inviolabilité de la personne et de sa vie privée est garantie. Elle ne peut être restreinte que dans les
cas prévus par la loi. »
67. La partie
pertinente de l’article 15 § 1 se lit ainsi :
« La liberté de pensée, de conscience
et de croyance religieuse est
garantie (...) »
68. L’article 16
§ 1 est ainsi libellé :
« Chacun a le droit de manifester librement sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en privé ou en
public, par le culte, l’enseignement, la pratique religieuse ou l’accomplissement de rites. »
69. L’article 31
dispose :
« Chacun a droit à la protection de sa santé. Les citoyens
ont droit, sur la base de l’assurance publique, à des soins de santé
gratuits et à des dispositifs médicaux dans les conditions
prévues par la loi. »
70. Concernant
la deuxième phrase de l’article 31, la Cour constitutionnelle a déclaré (arrêt constitutionnel du 10 juillet 1996, publié dans le Recueil des lois sous le numéro 206/1996) que sa portée se limitait à ce que couvrait l’assurance publique, cette prise en charge étant elle-même fonction des primes
d’assurance collectées.
L’ensemble du chapitre pertinent de la Charte dépend du niveau
économique et social atteint
par l’État et du niveau de vie correspondant.
71. L’article
33 § 1 se lit ainsi :
« Chacun a droit à l’instruction. La durée de la scolarité obligatoire est fixée par la loi. »
72. La partie
pertinente de l’article 41 § 1 dispose :
« Il n’est possible d’invoquer [le droit à l’instruction visé à l’article 33] que dans les limites
des lois d’application de cette disposition. »
- La loi sur la protection de la santé publique (loi no 258/2000 Rec., telle que modifiée)
73. La loi PSP loi établit le cadre général de la vaccination : elle définit son but, son champ d’application personnel, les types de vaccins,
les conditions d’administration de ceux-ci et d’évaluation de l’immunité, et d’autres aspects encore. L’article 46 §§ 1
et 6 de cette loi prévoit l’adoption par le ministère
de la Santé de mesures d’application détaillant
les questions telles que la classification
des vaccins, le calendrier des injections et d’autres conditions liées à l’administration des vaccins, ainsi
que les méthodes
de vérification de l’immunité
(voir ci‑dessous). Par ailleurs, l’article 50 dispose
que les établissements de garderie accueillant des enfants de trois ans et moins
ainsi que les autres types d’établissements préscolaires (c’est-à-dire qui accueillent
des enfants jusqu’à la
rentrée qui suit leur sixième anniversaire) ne
peuvent accepter que les enfants qui ont reçu les
vaccins requis, ou pour lesquels un certificat atteste qu’ils ont acquis
une immunité d’une autre manière ou qu’une
contre-indication permanente empêche
leur vaccination.
- L’arrêté sur la vaccination
contre les maladies infectieuses
74. Comme prévu par la loi PSP,
le ministère a adopté l’arrêté sur la vaccination contre les maladies infectieuses.
Pendant la période considérée
en l’espèce, deux arrêtés furent applicables successivement : l’arrêté no 439/2000 Rec., tel que
modifié, qui fut en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006, puis l’arrêté no 537/2006 Rec., tel que modifié,
qui remplaça le précédent à
partir du 1er janvier
2007. Les dispositions qui sont pertinentes en l’espèce étant pour l’essentiel identiques dans les deux arrêtés, les références à l’arrêté figurant dans la suite du présent arrêt renvoient,
sauf indication contraire, au texte de 2006.
75. Cet
arrêté régit la classification des vaccinations, les conditions d’administration des vaccins et les méthodes d’évaluation de l’immunité (article 1 a)).
76. Il définit la
portée de l’obligation
vaccinale, qui recouvre la vaccination
contre la diphtérie, le tétanos,
la coqueluche, les infections à Haemophilus influenzae
de type b, la poliomyélite,
l’hépatite B, la rougeole, les oreillons et la rubéole et – pour les
enfants présentant des indications spécifiques – les infections à pneumocoque (article 4, 5 et 6).
77. L’arrêté établit également les phases successives
d’administration des vaccins, qui débutent en principe
à la neuvième semaine suivant la naissance, avec un intervalle d’au moins deux
mois entre les deux premières séries de vaccins, la troisième série intervenant entre l’âge de onze mois et l’âge de treize mois
(articles 4 et 5). Il indique
aussi que pour certaines maladies la première administration du vaccin (article 2 § 2 a)) doit être suivie
d’un rappel (article 2 § 2
b)).
- La loi sur les produits et médicaments pharmaceutiques
(loi no 378/2007 Rec.)
78. Les articles 25 à 50 de cette loi régissent l’homologation des produits pharmaceutiques, y compris des vaccins,
par l’Agence nationale de
contrôle des médicaments.
79. L’article 93b
1) dispose que l’ensemble des
médecins, dentistes et autres professionnels de santé sont tenus
de signaler à l’agence susmentionnée tout effet secondaire grave ou non prévisible suspecté en relation avec un produit pharmaceutique, sous peine de se voir infliger, en application de l’article 108 § 7, une amende
pouvant atteindre
300 000 CZK (somme qui équivaut actuellement à environ
11 350 EUR).
- La loi sur l’éducation (loi no 561/2004 Rec., telle que modifiée)
80. L’article 33
de cette loi définit l’éducation préscolaire comme visant à contribuer à l’épanouissement de la personnalité
de l’enfant d’âge préscolaire.
Cette éducation intervient dans le bon développement émotionnel, intellectuel et physique de l’enfant, dans
l’acquisition par celui‑ci
des règles de conduite essentielles et des valeurs fondamentales
de la vie, et dans la construction de ses
relations avec autrui. L’éducation préscolaire offre les conditions de base à la poursuite du parcours
éducatif. Elle contribue
à lisser les différences observables dans le développement des enfants avant l’accès à l’instruction élémentaire et permet d’accorder une attention pédagogique adaptée à ceux qui ont des
besoins spécifiques en matière d’éducation.
81. L’article 34
§ 1 dispose que l’éducation
préscolaire est organisée
pour des enfants qui ont généralement de trois à six ans, en tout cas pas moins
de deux ans. Un enfant de moins de deux ans
ne peut pas être admis dans
une école maternelle. Cette
disposition a fait l’objet d’une modification qui,
entrée en vigueur le 1er septembre
2017, a rendu obligatoire
l’éducation préscolaire à
partir de la rentrée scolaire
qui suit le cinquième anniversaire de l’enfant, et jusqu’au
début de la scolarité obligatoire. Le paragraphe 5 de
l’article 34 mentionne, parmi les conditions
d’admission à l’école, l’obligation
de vaccination visée à l’article 50 de la loi PSP (paragraphe 73 ci-dessus).
82. L’article 36
§ 3 énonce que la scolarité obligatoire débute lors de la rentrée scolaire qui suit le sixième anniversaire de l’enfant,
sauf si celui-ci bénéficie d’un report.
- La loi sur les infractions mineures (loi no 200/1990 Rec., telle que modifiée)
83. À l’époque des
faits, l’article 29 § 1 f)
de la loi IM, relatif aux infractions mineures en matière de santé, disposait que le manquement à une obligation imposée pour prévenir la survenue ou la propagation de maladies infectieuses constituait une infraction
mineure passible d’une amende pouvant aller jusqu’à l’équivalent d’environ 400 EUR
(paragraphe 2).
- La loi sur l’indemnisation pour
atteinte à la santé causée par la vaccination obligatoire (loi no 116/2020
Rec.)
84. Entrée en vigueur
le 8 avril 2020, cette loi prévoit la responsabilité objective de
l’État en cas de dommage à la santé causé par la vaccination obligatoire (article 1). En cas d’atteinte particulièrement grave à la santé
(zvlášť závažné ublížení na zdraví) de la personne qui a été vaccinée, une indemnité peut être accordée au titre de la souffrance, de la perte de revenus, de la diminution de la capacité à apporter une contribution utile à la société (ztížení společenského uplatnění), des frais afférents aux soins médicaux
dispensés à la personne
concernée, ainsi que de l’assistance fournie à celle-ci et aux membres de son foyer (article 2).
La loi pose comme présomption irréfragable l’existence d’un lien de causalité entre la vaccination et les symptômes apparus
postérieurement à celle-ci, pour autant
que ces symptômes
sont reconnus – par un texte réglementaire à adopter – comme des conséquences probables du vaccin
administré (articles 3
et 8).
- La pratique interne
- La jurisprudence de la CAS
85. Dans l’arrêt no 3 Ads 42/2010
du 21 juillet 2010, une chambre ordinaire de la CAS jugea que l’arrêté
ministériel de 2000 dépassait
les limites acceptables en ce qu’il régissait des questions
qui étaient réservées au législateur. Elle ajouta qu’en raison
de la formulation très générale de l’article 46 § 1
de la loi PSP, l’arrêté ministériel traitait de certains droits et obligations cruciaux en excédant les limites
fixées par la loi. En conséquence, la chambre en question annula une décision administrative par laquelle des parents
s’étaient vu infliger une amende pour non-respect de l’obligation vaccinale concernant leurs enfants.
86. Cette position fut toutefois infirmée par une décision qu’une chambre élargie de la CAS rendit le 3 avril 2012 (no 8
As 6/2011) dans la cause de Mme Novotná, requérante dans la présente espèce. La chambre élargie déclara notamment ce qui suit :
« La disposition-cadre
contenue à l’article
46 de la loi [PSP] sur l’obligation
pour les personnes de se soumettre à la vaccination et les précisions ajoutées par l’arrêté [ministériel de 2006] satisfont aux exigences constitutionnelles
suivant lesquelles les obligations peuvent être imposées
uniquement sur le fondement
et dans les limites de la loi (article 4 § 1 de la Charte) et les limitations des droits et libertés fondamentaux ne peuvent être établies que
par la loi (article 4 § 2
de la Charte). »
87. La chambre élargie indiqua qu’une situation dans laquelle des obligations
cruciales sont prévues par une loi (adoptée par le Parlement) et précisées par un texte réglementaire dans les limites fixées
par cette loi était compatible avec l’article 4 § 2 de la Charte. Elle déclara au sujet de l’article 26
§ 1 de la Convention d’Oviedo qu’il s’apparentait aux articles 8 à 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle exposa que, dans la jurisprudence
de la Cour européenne, les termes « prévue(s)
par la loi » employés dans les articles
8 à 11 étaient interprétés au sens matériel,
de manière à viser non seulement une loi adoptée par un parlement, mais aussi toute règle
juridique accessible et prévisible. Elle en déduisit qu’aucune de ces dispositions n’empêchait que les subtilités
de l’obligation vaccinale fussent
régies par un texte d’application, dès lors que l’on procédait
sur le fondement et dans les limites de la loi. Elle expliqua que, dans l’affaire en cause, la loi PSP offrait un cadre suffisamment clair et précis, imposant à certaines catégories de personnes, de manière valable et spécifique, l’obligation de se soumettre à la vaccination après avoir passé
un test d’immunité. Elle ajouta
que, si l’article 46 de la
PSP ne définissait pas les termes « vaccination valable et spécifique », il faisait néanmoins ressortir leur signification fondamentale.
Elle déclara également que l’arrêté ministériel
de 2000 précisait ensuite les types de maladies,
le calendrier de vaccination
et d’autres aspects du processus de vaccination. Elle estima que l’approche législative choisie permettait de réagir avec souplesse à une situation épidémiologique donnée et aux progrès
de la science médicale et de la pharmacologie,
mais que toutefois elle n’empêchait pas dans
telle ou telle affaire de soumettre aux tribunaux, en vue d’une appréciation de la proportionnalité, les restrictions aux droits fondamentaux prévues par l’arrêté ministériel.
88. Dans
l’arrêt no 4 As 2/2011
du 25 avril 2012, la CAS souligna notamment que, contrairement à ce qui valait pour la vaccination ROR,
l’arrêté ministériel de
2006 assortissait de délais
et de limites d’âge juridiquement contraignants l’obligation vaccinale relative à la mise en œuvre des premières séries de vaccins et/ou des rappels
contre la diphtérie, le tétanos,
la coqueluche, l’hépatite
B, les infections à
Haemophilus influenzae de type
b (elle précisa que l’article 4 § 1 prévoyait que la dernière dose du vaccin hexavalent
devait être administrée avant l’âge de dix-huit mois). Elle en conclut qu’il s’agissait d’une norme juridique complète et sans faille
(perfektní právní norma),
ce qui signifiait que sa
non‑observation était
passible d’une sanction au regard de la loi IM.
89. Dans l’arrêt no 8 As 20/2012 du 29 mars 2013, la CAS nota, relativement
aux circonstances exceptionnelles susceptibles de
l’emporter sur la nécessité
de protéger la santé publique, au sens
de la jurisprudence Vavřička (paragraphe 28 ci-dessus),
que le demandeur ne prétendait pas, par exemple, que le fait de se voir administrer la vaccination en
cause était de nature à porter
atteinte à son statut, ou à celui de ses
parents, à supposer qu’ils fussent membres d’une communauté religieuse, ou à les empêcher d’une autre façon de manifester leurs convictions. Elle estima qu’un avis différent des parents du
demandeur ne suffisait pas. Elle exposa que l’obligation vaccinale poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la santé publique, qui avait plus de poids que les
avis différents exprimés par les parents des enfants concernés. Elle ajouta que, si chacun avait le droit d’avoir une opinion et de l’exprimer
librement (articles 15
et 16 de la Charte), cela ne signifiait
pas qu’il était autorisé, dans un État de droit démocratique, de ne pas respecter les
règles en vigueur. Elle déclara que la non-observation de celles-ci entraînait les conséquences prévues par la loi.
- Jurisprudence
de la Cour constitutionnelle
a) Arrêt
no Pl. ÚS 19/14 du 27 janvier 2015
90. Dans le contexte de la procédure relative
au recours constitutionnel no I. ÚS 1253/14 (paragraphe 93 ci-dessous), par
lequel les parents d’un enfant mineur se
plaignaient d’avoir été condamnés à verser chacun une amende de 4 000 CZK pour avoir
refusé que leur enfant fût soumis à la vaccination de
routine, la chambre saisie renvoya à la formation plénière la demande séparée (akcesorický návrh) des auteurs du recours
tendant à l’annulation de l’article 46 de la loi PSP et de l’article 29 § 1 f) de la loi
IM. S’appuyant sur l’arrêt
no 3 Ads 42/2010 de la CAS (paragraphe 85 ci‑dessus),
les parents plaidaient que les dispositions en question étaient contraires à l’article 4 de la Charte. Ils avançaient
de plus que les règles relatives à l’obligation de vaccination étaient contraires aux articles 5, 6 et 26 de
la Convention d’Oviedo, arguant qu’il
ne s’agissait pas d’une mesure nécessaire à la protection
de la santé publique, vu l’absence d’une base objective qu’aurait fournie une analyse exhaustive et indépendante. Invoquant leur droit à la dignité et leur droit au respect
de leur intégrité physique,
ainsi que leur liberté de pensée et de conscience,
ils assuraient avoir refusé la vaccination dans l’intérêt de l’enfant, afin de protéger sa santé. Ils considéraient dès lors qu’ils
pouvaient prétendre à une dérogation au sens
de la jurisprudence Vavřička (paragraphe 28 ci-dessus). Ils relevèrent à cet égard que
l’attitude de chaque individu vis-à-vis de la vaccination
était fondée sur sa
position personnelle et non sur des
données objectives. À leurs yeux, il était donc impensable
qu’une autorité administrative pût se prononcer sur le caractère « correct » ou « justifié » des convictions des parents en la matière. Se référant à l’article 24 de la Convention d’Oviedo, les
auteurs du recours firent observer que l’État n’assumait aucune responsabilité quant aux effets
secondaires ou aux atteintes à la santé causés par la vaccination. Ils estimaient en conséquence qu’il n’y avait
pas de juste équilibre entre les exigences liées
à l’intérêt général et les droits de l’individu.
91. Par l’arrêt
no Pl. ÚS 19/14 du 27 janvier 2015, la formation plénière de la Cour constitutionnelle rejeta la demande séparée mentionnée plus haut.
Elle observa que les règles
relatives à l’obligation
vaccinale relevaient pleinement
de la compétence du législateur national. Concernant
la règle suivant laquelle certaines questions ne peuvent être régies que
par une loi adoptée par le Parlement (article 4 de la Charte), la Cour constitutionnelle approuva les conclusions formulées par la chambre élargie de la CAS dans l’arrêt no 8 As 6/2011 (paragraphe 86 ci-dessus).
Elle estima que les termes de l’article 46 de la loi PSP était suffisamment
clairs et compréhensibles
et qu’ils définissaient convenablement l’ensemble des paramètres nécessaires à l’édiction
d’un règlement sur les
points de détail. Elle indiqua
que ce dispositif permettait de réagir promptement à la situation épidémiologique
et à l’état des connaissances dans les domaines médical
et pharmacologique.
Elle exposa que l’obligation de vaccination constituait une ingérence dans l’exercice par un individu de son droit à l’intégrité physique et,
en conséquence, de son droit
au respect de sa vie privée
ou familiale. Elle ajouta que, en tant que restriction
à ce droit fondamental, l’obligation de vaccination était assortie de garanties visant à limiter autant que possible les
abus éventuels et à empêcher la réalisation de cette intervention médicale lorsque les conditions n’étaient pas remplies
(article 46 §§ 2 et 3). Elle expliqua que la compatibilité de cette restriction avec le droit au respect
de la vie privée devait être établie au
terme d’un contrôle en cinq
étapes. Premièrement, la question débattue devait relever du champ d’application
matériel des droits soumis à restriction, ce qui était indubitable en l’espèce. Deuxièmement, le droit en question devait être mis en cause, ce qui était le cas en l’espèce, sous la
forme d’une atteinte à l’intégrité
physique de la personne vaccinée
ou, dans le cas d’enfants de moins de quinze ans, au
droit pour leurs parents de prendre les décisions concernant
leur santé et leur éducation, ou encore, le cas échéant, au droit
pour chacun de manifester librement sa religion ou ses convictions.
Troisièmement, la restriction
litigieuse devait être conforme à la loi, et en l’espèce elle l’était, le terme de « loi » devant être entendu
dans son sens matériel, c’est-à-dire comme englobant les textes
réglementaires. Quatrièmement,
la restriction devait poursuivre un but légitime, ce qui était le cas dans la
cause, puisqu’il était
question de protection de
la santé. Cinquièmement,
enfin, la restriction devait apparaître nécessaire, ce
qui était le cas en l’espèce, dès lors
qu’il ressortait clairement de données obtenues d’experts nationaux et internationaux
– dont l’évaluation revenait
aux pouvoirs législatif et exécutif, et non à
la Cour constitutionnelle –
que pour les maladies infectieuses visées la stratégie de vaccination générale était à recommander et que l’intérêt à protéger la santé publique l’emportait sur les arguments des
auteurs du recours, qui étaient opposés à la vaccination.
Dans un obiter dictum, la Cour constitutionnelle estima en se référant
à l’article 24 de la Convention d’Oviedo que, si l’État infligeait des sanctions pour non-respect de l’obligation vaccinale, il devait aussi prévoir la situation dans laquelle la vaccination cause une atteinte à
la santé du patient. Elle conclut qu’il incombait au législateur d’envisager des règles
sur la responsabilité de l’État
face à de telles conséquences
et précisa que cela n’était pas rare dans d’autres États.
b) Décision
no III. ÚS 3311/12 du 17 août 2015
92. Par cette
décision, la Cour constitutionnelle écarta un recours formé devant
elle par des parents qui avaient refusé la vaccination de routine pour leur
enfant et qui en conséquence s’étaient
vu infliger une amende à l’issue d’une procédure pour infraction mineure. La haute juridiction observa notamment ce qui suit :
« 29 (...) [L]a présente
espèce n’est pas (...) une
affaire exceptionnelle dans
laquelle des circonstances particulières empêcheraient d’imposer le respect de l’obligation
vaccinale. Dans la cause des auteurs du
recours (...), la Cour constitutionnelle ne décèle pas de raisons exceptionnelles qui justifieraient
de ne pas sanctionner les intéressés pour refus de soumettre leur [enfant] à la vaccination obligatoire au motif qu’une sanction
porterait une atteinte à leur liberté de pensée et de conscience.
La Cour constitutionnelle
ne relève pas de raisons exceptionnelles, ou avancées de manière convaincante et cohérente, qui expliqueraient le refus des auteurs
du recours de faire vacciner leur [enfant] et qui appelleraient
de manière fondamentale à respecter
leur autonomie en dépit de
l’intérêt général considérable et incontesté qui réside dans la vaccination.
30. Les
arguments des intéressés (...) sont restés totalement ancrés dans la généralité ;
les auteurs du recours (...) ont agi sur le fondement d’une conviction générale relative à l’intérêt supérieur de l’enfant. Ils ont refusé
la vaccination à partir d’une opinion qu’ils s’étaient forgée (uniquement) en étudiant des ouvrages
et d’autres sources d’informations.
Une opinion générale ainsi présentée ne saurait être assimilée à des raisons singulières
et constitutionnellement pertinentes
de refuser la vaccination. Les affirmations des auteurs du
recours ne sont pas suffisamment convaincantes. Au fil du temps elles
se sont même avérées incohérentes : en effet, pendant la procédure devant les autorités
administratives les intéressés ont présenté leurs moyens (...) de façon bien plus
pressante que lors de la procédure menée devant les tribunaux
administratifs, au cours de laquelle ils n’ont pas
placé au cœur de leur argumentation
les motifs personnels de leur refus, mais une analyse générale relative à (...) la conformité à
l’ordre constitutionnel de
la législation sur l’obligation
vaccinale. Devant la Cour constitutionnelle, les intéressés se sont derechef concentrés sur les raisons pour lesquelles ils refusaient la vaccination dans leur cas
particulier. Toutefois, ils n’ont pas
avancé de circonstances pertinentes (ils ont indiqué que
leur [enfant] était en
bonne santé et qu’il lui arrivait simplement de contracter, de temps à autre, des maladies
courantes) pour corroborer
[l’existence d’] une ingérence
dans l’exercice des droits et libertés garantis par la Constitution. »
c) L’arrêt no I. ÚS 1253/14 du
22 décembre 2015
93. L’affaire avait
été portée devant la Cour constitutionnelle par des parents qui s’étaient vu infliger une amende pour avoir refusé de soumettre leur enfant à plusieurs vaccinations obligatoires. Dans son arrêt sur leur recours constitutionnel, la haute
juridiction développa et clarifia les conclusions
qu’elle avait formulées dans l’affaire Vavřička (paragraphe 28 ci-dessus). Au sujet
du droit à l’« objection de conscience séculière », elle
se prononça ainsi :
« 42. Concernant la
légitimité de l’objection
de conscience séculière, l’existence de l’arrêt constitutionnel [rendu
dans l’affaire Vavřička]
conduit à poser les critères suivants, qui doivent être satisfaits de
manière cumulative : 1) la pertinence
constitutionnelle des arguments que renferme
l’objection de conscience,
2) le caractère pressant des raisons que
le titulaire de libertés fondamentales
avance à l’appui de son objection,
3) le caractère cohérent et
convaincant des arguments de l’intéressé et 4) les conséquences sociales que l’acceptation d’une objection de conscience séculière pourrait entraîner dans l’affaire en question.
43. [Dans l’arrêt Vavřička,] la Cour
constitutionnelle a jugé que, lorsque toutes
les conditions susmentionnées étaient réunies, la vaccination (obligatoire) de l’intéressé
ne devait pas être exigée ; en d’autres termes, il n’y avait pas
lieu de sanctionner le non-respect de l’obligation vaccinale
ou, dans ce cas, d’imposer la mise en œuvre de celle-ci par d’autres moyens (...)
44. Les
arguments qui sous-tendent
l’objection de conscience séculière à l’obligation
vaccinale ont une dimension
constitutionnelle en raison
du conflit qui
oppose, d’un côté, la protection
de la santé publique et, de
l’autre, la santé de la personne en faveur de laquelle l’objection de conscience est présentée (...) On
ne peut pas non plus négliger l’argument des parents relatif
à une ingérence dans l’exercice de leur droit de prendre soin de leur enfant (...) L’article 15 § 1 [de la Charte] sur
la liberté de conscience ou
de conviction, droit fondamental, est au cœur de l’affaire. On ne peut pas non plus faire fi d’un argument très souvent
avancé selon lequel la vaccination est une atteinte à l’intégrité physique (...)
Par ailleurs, toutes ces affaires touchent à des droits fondamentaux
que l’on peut mettre en balance les uns avec les
autres (en vue de parvenir à un équilibre optimal).
45. Le caractère
pressant des raisons qui sous-tendent l’objection de conscience à la vaccination obligatoire est indéniablement subjectif par
nature. Il s’agit du fameux « ici
et maintenant », qui empêche
[la personne concernée] de
se conformer inconditionnellement
à une prescription légale.
Il est difficile de cerner la variété des éléments constituant une objection ;
nul doute qu’un élément potentiel
est la conviction qu’un dommage irréversible risque d’être causé
à la santé d’un proche. S’il s’agit d’une personne mineure qui est représentée par un représentant légal, il faut prendre en considération les aspects particuliers
de son intérêt à éviter la vaccination.
46. Le caractère
convaincant et cohérent des arguments qui sous-tendent une objection de conscience séculière doit être apprécié ad
personam ; il
ne peut pas être soumis au
critère de la véracité objective. Le contenu de ces arguments ne doit pas être
dépourvu d’une dimension fondée sur des valeurs, ni être en rupture avec le contexte social, mais il doit avant tout convenir pour la personne
qui formule ces arguments
et les proches de celle-ci.
La Cour constitutionnelle a
déjà eu l’occasion [dans l’affaire Vavřička] de demander
à l’auteur de l’objection
de communiquer avec l’autorité publique compétente, c’est-à-dire d’éviter
d’attendre les stades avancés de la procédure pour justifier sa conviction. Cela demeure valable, et il va sans dire que
la manière dont la conscience
de cette personne s’exprime doit être
non équivoque et suffisamment
(adéquatement) compréhensible.
47. Enfin,
avec tout le respect que mérite le caractère
autonome de la manifestation de volonté,
si une objection de conscience
séculière est accueillie, les conséquences sociales qui en découlent ne doivent pas sortir outre mesure de la sphère des buts
légitimes liés au domaine du
droit concerné. Dans le cas présent, cela signifie notamment que le niveau souhaitable
de couverture vaccinale (...) doit
être pris en compte. La dérogation accordée ne doit pas être associée
à des conclusions qui permettraient à une pareille exception de devenir la règle.
(...)
49. Concernant
la relation entre les deux types d’objections
de conscience, celle à caractère
religieux et celle à caractère
séculier, la Cour constitutionnelle conclut qu’au sein d’un État laïque (article
2 § 1 de la Charte) il n’y
a pas lieu de les traiter différemment
(...)
50. (...) [L]e refus de la vaccination obligatoire pour des motifs touchant à la religion et aux convictions, que l’on ne peut pas totalement écarter, suivant les circonstances
propres à l’affaire, doit rester une exception interprétée de manière restrictive – il est déjà arrivé à la Cour constitutionnelle d’accepter pareille exception sur la base de
motifs solides –, mais
ne doit pas devenir une
dispense accordée de manière
automatique à une confession
spécifique ou à un groupe de personnes professant des convictions particulières.
51. Tout ce qui précède s’applique aussi, avec une force égale, aux affaires dans lesquelles une objection de conscience séculière est formulée alors qu’une personne doit recevoir un vaccin obligatoire (...) [U]ne dérogation à l’obligation légale ne peut être envisagée que dans une situation exceptionnelle qui est étroitement
liée à la personne soumise à l’obligation vaccinale,
ou à des individus très proches d’elle (il peut s’agir
par exemple d’une réaction très négative à une vaccination passée qui a concerné
cette personne ou l’enfant de celle-ci.). Une conclusion
différente contredirait le fait que l’obligation
de vaccination sert à protéger la santé publique, le choix [de cette approche] opéré par la loi pour atteindre le but poursuivi ayant été approuvé dans
les arrêts de la Cour constitutionnelle nos Pl. ÚS 19/14 et Pl. ÚS 16/14. »
94. La jurisprudence
constitutionnelle pertinente présentée
ci‑dessous figure dans la base de données CODICES de la Commission de Venise.
- France
95. Dans
l’affaire no 2015-458 QPC, le Conseil constitutionnel français s’est penché sur une question prioritaire de constitutionnalité que la Cour de cassation lui avait soumise relativement
à certaines dispositions du code de la santé publique. Ces dispositions
portaient sur les obligations de vaccination antidiphtérique, antitétanique et
antipoliomyélitique pour les
enfants mineurs, sous la responsabilité de leurs parents. Les requérants dans la procédure initiale soutenaient que ces vaccinations
obligatoires pouvaient faire courir un risque pour la santé contraire à l’exigence constitutionnelle de protection
de la santé.
96. Par une décision du 20 mars 2015, le Conseil constitutionnel déclara les dispositions en question conformes à la Constitution. Il releva que, en imposant ces obligations de vaccination, le législateur avait entendu lutter
contre trois maladies graves et contagieuses ou insusceptibles d’être éradiquées. Il indiqua que, ce faisant, le législateur avait précisé que
chacune de ces obligations de vaccination ne s’imposait que sous
réserve de l’absence d’une
contre-indication médicale reconnue.
97. Le Conseil
constitutionnel estima qu’il
était loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective. La décision précise aussi qu’il n’appartient
pas au Conseil
constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du
Parlement, de remettre en
cause, au regard de l’état des connaissances
scientifiques, les dispositions prises par le législateur ni de rechercher si
l’objectif de protection de
la santé que s’est assigné le législateur aurait pu être
atteint par d’autres voies, dès lors
que les modalités
retenues par la loi ne sont pas manifestement
inappropriées à l’objectif visé.
- Hongrie
98. Par un arrêt constitutionnel rendu le 20 juin 2007 dans l’affaire no 39/2007, la Cour
constitutionnelle hongroise
s’est prononcée sur un recours
formé par un couple marié qui refusait de faire vacciner son enfant et qui contestait la constitutionnalité
de la loi de 1997 sur la santé,
laquelle prévoyait la vaccination obligatoire. Un manquement à l’obligation
vaccinale justifiait l’adoption d’une décision administrative ordonnant la vaccination, et cette décision était directement exécutoire et non susceptible de recours.
99. Dans
son arrêt, la Cour constitutionnelle estima notamment
que la protection de la santé des enfants justifiait de rendre la vaccination obligatoire à certains âges et elle accepta la position du législateur, fondée sur des données scientifiques,
selon laquelle les avantages que
la vaccination présentait
pour l’individu et pour la société
l’emportaient sur tout préjudice
éventuel dû à des effets secondaires.
Elle déclara que le système de vaccination obligatoire ne portait donc pas atteinte
au droit des enfants à l’intégrité
physique. Elle reconnut en même
temps que ce système pouvait entraîner un préjudice plus important pour les parents qui refusent la vaccination pour des raisons liées à leur conscience ou à leurs convictions
religieuses. Elle considéra
toutefois que les dispositions incriminées satisfaisaient aux exigences de neutralité de l’État. Elle ajouta que les
normes juridiques en question, qui s’imposaient à tous et qui protégeaient la santé des enfants concernés, de tous les autres enfants et en fait de la société tout entière, étaient fondées sur les données de la biologie, et non pas sur une idéologie qui serait considérée comme vraie.
100. La Cour
constitutionnelle releva néanmoins l’existence d’une omission législative inconstitutionnelle et exposa à cet égard que
le Parlement n’avait pas prévu de recours
effectif pour les personnes qui se voient refuser une dispense de l’obligation
de vaccination. Plus particulièrement,
elle déclara que la disposition légale permettant l’exécution immédiate d’une décision ordonnant la vaccination, sans possibilité de recours, était inconstitutionnelle, et qu’elle était dès
lors annulée.
- Macédoine du Nord
101. Dans
l’affaire no U.Br. 30/2014, la Cour constitutionnelle de Macédoine du Nord s’est penchée sur la constitutionnalité de certaines dispositions légales relatives à l’obligation
vaccinale pour les enfants et aux
conséquences du non-respect de celle-ci. La loi
pertinente prévoyait la vaccination
obligatoire de tous les individus d’un âge donné contre la tuberculose, la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, la poliomyélite, la rougeole, les oreillons, la rubéole, les infections
à Haemophilus influenzae de type
b et l’hépatite B. Dans son
arrêt du 8 octobre 2014, la Cour constitutionnelle formula notamment
les conclusions qui suivent.
102. Elle jugea que l’on ne pouvait remettre en cause l’obligation
vaccinale ni au regard des dispositions de la Constitution relatives au droit et à l’obligation des citoyens de protéger et de promouvoir leur santé et celle d’autrui, ni au regard des
dispositions concernant le droit et l’obligation pour les parents de prendre soin de leurs enfants et de les élever. Elle estima que, en refusant la vaccination, les parents mettaient
en danger non seulement la santé de leurs enfants mais aussi celle de tiers non vaccinés en raison de contre-indications médicales, et qu’ils privaient ainsi ces personnes
du droit de vivre en bonne santé.
103. La haute juridiction considéra que la santé de l’enfant et le droit de l’enfant à la santé, qui
bénéficiaient d’un niveau
de protection particulier, justifiaient l’atteinte portée à la liberté des parents de refuser la vaccination, au motif que le droit
de l’enfant à la santé l’emportait
sur la liberté de choix des
parents.
104. Elle ajouta
que rien n’empêchait le législateur
de déterminer la politique pénale et de prévoir la sanction d’amende en cas de non-respect de l’obligation de vaccination.
105. Elle déclara
de même que rien ne s’opposait à ce que le législateur subordonnât l’inscription des enfants à l’école primaire à la présentation par les parents d’une preuve que leur
enfant avait été vacciné. À cet égard, elle releva en particulier que le droit pour tous les enfants d’un âge donné à être inscrits
en première année impliquait
l’afflux d’un grand nombre
d’écoliers venant de divers secteurs et milieux, ce qui en soi engendrait un risque de propagation de certaines maladies. Elle ajouta qu’il convenait de rappeler aux parents
hostiles à la vaccination que les autres
parents avaient eux aussi droit
à la protection de leurs
enfants contre les maladies
graves et que les enfants non vaccinés représentaient un risque accru de propagation de maladies, en particulier dans les services de crèche et de garderie, les écoles et autres établissements d’enseignement.
- Italie
a) L’arrêt constitutionnel no 5/2018
106. Dans cet arrêt
rendu le 22 novembre 2017, la Cour
constitutionnelle italienne
s’est penchée sur la validité
au regard de la Constitution d’un décret-loi adopté en tant que mesure d’urgence
pour faire passer de quatre à dix le nombre de vaccins obligatoires. Le décret-loi indiquait que les dix vaccins
en question étaient une condition d’accès aux services éducatifs de la
petite enfance. La sanction
prévue en cas de non-respect de cette obligation était une amende administrative. Ce régime fut contesté
pour plusieurs raisons,
dont l’une consistait à dire qu’il
représentait une atteinte injustifiée à la garantie constitutionnelle de l’autonomie individuelle. Cet argument fut écarté par la Cour constitutionnelle, qui tint le raisonnement exposé ci-dessous.
107. La haute juridiction
souligna le caractère préventif de la vaccination, le niveau critique de la couverture vaccinale existant alors en Italie et les tendances du moment qui laissaient présager une baisse du taux
de vaccination. Elle jugea que les mesures
législatives adoptées relevaient du pouvoir
d’appréciation et de la responsabilité
politique des autorités, auxquelles il appartenait selon elle d’apprécier la nécessité impérieuse d’intervenir de manière
urgente avant l’émergence
de situations de crise, et de le faire
à la lumière des nouvelles informations
et des nouvelles données épidémiologiques. Elle ajouta que les autorités
devaient intervenir conformément
au principe de précaution
et indiqua que ce principe était inhérent à l’approche de la médication préventive et avait une importance fondamentale en matière
de santé publique.
108. Après
avoir déclaré que les tendances
dans l’opinion publique qui
revenaient alors à juger la vaccination
inutile ou dangereuse étaient dénuées de base scientifique, la Cour constitutionnelle nota que, dans la pratique médicale, les recommandations
et les obligations étaient des notions
liées et qu’en conséquence le fait que six vaccins
simplement recommandés deviennent obligatoires ne changeait pas fondamentalement
le statut de ceux-ci. Elle
estima en outre que le fait d’exiger un certificat médical lors de l’inscription à l’école
et le fait d’infliger des amendes représentaient
des mesures raisonnables, notamment
si le législateur avait prévu l’application
de mesures préalables à l’imposition de telles sanctions, à savoir des rencontres individuelles avec les parents et tuteurs pour les informer de l’efficacité de la vaccination.
109. La Cour constitutionnelle rappela sa jurisprudence constante selon laquelle, dans le domaine de la vaccination, il convient de ménager un équilibre entre le droit individuel à la santé (y compris la liberté en matière de traitement) et les droits parallèles
et réciproques des autres personnes, les intérêts de la communauté, ainsi que, en cas de vaccination obligatoire, les intérêts des
enfants, qui doivent être protégés même vis-à-vis de parents qui ne remplissent pas leur obligation
de soins.
110. La haute juridiction déclara que la défense des intérêts des
enfants mineurs passait avant tout par l’exercice, par les parents, du
droit et de l’obligation conjoints de prendre des mesures aptes
à protéger la santé de leurs enfants. Elle précisa toutefois que cette
liberté n’allait pas jusqu’à autoriser des choix susceptibles
d’être préjudiciables à la santé d’enfants mineurs.
111. La Cour constitutionnelle estima que dans les conditions
suivantes une loi imposant un traitement en matière de santé n’était pas incompatible
avec la Constitution :
si le traitement en question visait non seulement à améliorer ou protéger la santé du patient,
mais aussi à préserver la santé d’autrui ; s’il n’y avait
pas lieu de penser que ce traitement
pouvait avoir des conséquences négatives pour la santé du patient, à la seule exception des effets habituels, donc tolérables ; et si, en cas
de survenue d’un dommage,
il était prévu de verser une indemnité équitable à la partie lésée, séparément de toute réparation à laquelle elle pouvait avoir droit par ailleurs.
112. La haute juridiction
observa également que la question de la vaccination touchait à de
nombreuses valeurs constitutionnelles, dont la coexistence
laissait au législateur une certaine latitude dans le choix des moyens
de prévenir efficacement les maladies infectieuses.
Elle ajouta que cette latitude devait s’exercer à la lumière de divers paramètres sanitaires et épidémiologiques relevés par les autorités responsables, ainsi que des
progrès constants de la recherche médicale, qui devaient guider le législateur dans ses choix en la matière.
b) Les arrêts constitutionnels nos 307/1990
et 118/1996
113. Dans un arrêt antérieur (no 307/1990)
rendu le 14 juin 1990, la Cour constitutionnelle avait déclaré inconstitutionnelle
une loi qui rendait obligatoire la vaccination antipoliomyélitique, au motif que ce texte ne prévoyait pas d’indemnisation, en l’absence de responsabilité pour faute, pour les personnes ayant
subi une atteinte à leur santé à la suite
d’une telle vaccination.
114. La loi adoptée par la suite (loi no 210
du 25 février 1992) fut examinée par la Cour constitutionnelle, qui rendit à ce sujet l’arrêt no 118/1996 du 18 avril 1996. La haute juridiction évoqua les deux
volets de la santé, du point de vue du droit constitutionnel : l’un,
individuel et subjectif, correspondant à un droit
fondamental de l’individu ;
l’autre, social et objectif,
concernant la santé en tant qu’intérêt de la collectivité. Elle déclara qu’il n’était pas
possible d’exclure totalement le risque d’atteinte à la santé d’un individu et que le législateur avait donc ménagé un équilibre, faisant prévaloir le volet collectif de la santé. Elle ajouta néanmoins que l’on ne pouvait demander à aucun individu de sacrifier sa santé pour préserver celle d’autrui, sans lui concéder de réparation équitable en cas de dommage causé par un traitement médical. Elle jugea que la loi en cause était contraire à la Constitution dès lors qu’elle ne prévoyait pas d’indemnisation pour les personnes ayant subi une atteinte à leur santé causée
par la vaccination obligatoire
avant l’entrée en vigueur
de la loi. Elle observa que pareil dommage
faisait naître un droit à indemnisation au regard de la Constitution elle-même, sans qu’il y ait à tenir
compte de la responsabilité
pour faute.
c) L’arrêt constitutionnel no 268/2018
115. Cet arrêt, rendu le 22 novembre 2017 comme l’arrêt no 5/2018 (paragraphe 106 ci-dessus),
concernait une situation législative
caractérisée par l’absence
d’indemnisation en cas d’atteinte à la santé causée par une vaccination recommandée mais non obligatoire.
La Cour constitutionnelle
estima qu’il n’y avait pas de différence
qualitative entre vaccination
obligatoire et vaccination recommandée et que le point clé était
l’objectif essentiel qui était poursuivi à travers les deux
types de vaccinations, à savoir la prévention des maladies infectieuses.
Elle jugea en conséquence que l’exclusion de toute indemnisation était contraire à la Constitution.
- République de
Moldova
116. Dans l’arrêt no 26 du 30 octobre 2018, la Cour constitutionnelle de la République de Moldova s’est prononcée sur un recours dont l’auteur se plaignait que certaines dispositions
législatives subordonnaient
l’admission des enfants dans les communautés,
les établissements d’enseignement et les centres de
loisirs à leur vaccination
prophylactique systématique,
ce qui selon lui limitait
l’accès des enfants à l’éducation.
117. La Cour
constitutionnelle releva notamment que les
buts légitimes visés par les dispositions
contestées résidaient dans la protection de la santé des enfants ainsi que de la santé publique contre des maladies graves
qui se propageaient davantage
lorsque les taux de vaccination étaient faibles. Elle ajouta que le fait
de limiter l’accès des enfants non vaccinés mais ne présentant pas de contre-indications, pendant une durée limitée, en attendant qu’ils se fissent vacciner, était une mesure qui était moins intrusive pour le droit au respect de la
vie privée et le droit à l’instruction et
qui pouvait permettre d’atteindre efficacement les buts visés.
118. La haute juridiction mit en balance, d’un côté, le principe de protection de la santé et, de l’autre, les principes
d’accès à l’éducation et de
respect de la vie privée. Elle déclara
que le refus de faire vacciner des enfants en l’absence de
contre-indications non seulement
était susceptible d’entraîner leur exclusion en attendant leur vaccination, mais de plus les exposait au
risque de contracter une maladie. Elle ajouta qu’une atteinte à la santé des enfants avait aussi des
effets négatifs sur d’autres droits qui leur étaient reconnus.
119. La Cour
constitutionnelle estima également
que les enfants qui pouvaient être admis malgré des
contre-indications à la vaccination
étaient eux aussi exposés au
risque de contracter une maladie contagieuse auprès d’enfants non vaccinés et
ne présentant pas de contre-indications. Elle exposa que l’on ne pouvait faire fi des conséquences
des actes d’un individu sur ses pairs innocents et que, dans le contexte
en cause, l’individu n’exerçait
pas ses droits
dans le vide mais au sein d’une société organisée.
120. La haute juridiction déclara que les enfants dont les parents ne voulaient pas les
faire vacciner, malgré l’absence de contre-indications, avaient à leur disposition d’autres modes d’apprentissage. Quant aux possibilités de loisirs pour les enfants relevant de cette catégorie, elle ajouta que l’exercice
du droit à la vie privée sociale n’était pas un élément crucial de leur droit au respect
de la vie privée.
121. Enfin,
elle estima objectivement justifiée
et raisonnable la différence
de traitement entre, d’un côté, les enfants vaccinés et, de l’autre, les enfants qui auraient pu être vaccinés
mais qui ne l’étaient pas.
- Serbie
122. Dans
l’affaire no IUz-48/2016, la Cour constitutionnelle serbe a examiné
plusieurs recours qui visaient la constitutionnalité de
certaines dispositions législatives relatives à la vaccination obligatoire ainsi que leur
conformité à certains traités internationaux ratifiés par la Serbie.
123. Pour ce qui est de la nécessité, dans une société démocratique, des mesures imposées
par les dispositions contestées, la Cour constitutionnelle releva que les registres
de vaccination disponibles
pour 2015 affichaient le taux
de vaccination le plus faible
des dix dernières années pour les vaccins inscrits dans le calendrier. Elle indiqua que cette
situation accroissait le risque
d’épidémies de maladies transmissibles, qui selon elle avaient été évitées
depuis des décennies grâce à la vaccination, et elle expliqua à cet égard que
la prévention d’une flambée
épidémique nécessitait un niveau élevé d’immunité collective. Considérant l’ensemble des circonstances, y compris l’obligation faite à chacun de respecter l’intérêt général et de ne pas mettre en péril
la santé d’autrui, elle conclut que le critère de la nécessité était rempli.
124. Concernant
l’argument selon lequel les enfants non vaccinés subiraient une discrimination par rapport aux
enfants vaccinés en ce que les premiers se verraient privés
de leur droit constitutionnel à l’instruction,
la Cour constitutionnelle jugea qu’on ne pouvait interpréter le fait que la vaccination
des enfants conditionnât leur inscription dans un établissement scolaire comme relevant au regard
de la Constitution d’une quelconque
forme de discrimination dans
leur droit à l’instruction. Elle exposa à cet égard que
tous les enfants d’un groupe d’âge donné
étaient soumis à l’obligation vaccinale, excepté ceux qui présentaient une contre-indication médicale, et que, comme cette
obligation s’appliquait
sans distinction à tous les membres du
groupe en question, ceux qui n’y satisfaisaient
pas ne pouvaient pas être considérés
comme étant victimes d’une discrimination par
rapport à ceux qui avaient rempli cette obligation,
dès lors qu’ils n’étaient pas selon elle dans une situation identique ou similaire.
- Slovaquie
125. La jurisprudence
pertinente est évoquée au paragraphe 229 ci‑dessous.
- Slovénie
126. Dans un arrêt rendu le 12 février 2004 dans l’affaire no U-I-127/01,
la Cour constitutionnelle slovène confirma la constitutionnalité d’un régime de
vaccination obligatoire
contre la tuberculose, la diphtérie,
le tétanos, la coqueluche,
la paralysie infantile, la rougeole,
les oreillons, la rubéole et l’hépatite B. Elle releva toutefois des défaillances dans les règles en vigueur
et leur application relativement au dispositif par lequel une personne pouvait demander à être exemptée de l’obligation
vaccinale en raison d’une contre-indication
médicale.
127. Par ailleurs,
elle décela une autre
défaillance dans le fait que la législation ne contenait pas de dispositions sur le droit à réparation pour une atteinte à la
santé causée par les effets secondaires
d’un vaccin. Elle déclara
en particulier qu’au regard du principe de solidarité, qui selon elle était le fondement même de l’obligation vaccinale,
l’État qui prenait une telle mesure pour le profit de tous devait être
tenu d’indemniser les personnes qui subissaient des effets secondaires dommageables.
- Royaume-Uni
128. Dans un arrêt du 22 mai 2020 relatif à une affaire qui concernait
l’administration de vaccins,
malgré l’objection des parents, à un bébé placé sous
la protection d’une autorité
locale (Re H (A Child)(Parental Responsibility: Vaccination), [2020] EWCA Civ 664), la
Cour d’appel a conclu comme suit :
« i) Bien que les vaccinations
ne soient pas obligatoires, les données scientifiques actuelles établissent clairement qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant sur le plan de la santé
d’être vacciné conformément aux indications du Public Health England [organisme anglais de santé publique], sauf en cas de contre-indication particulière pour tel ou tel
individu.
ii) En vertu
[de la disposition légale applicable], l’autorité locale désignée par une ordonnance de prise en charge d’un enfant peut pourvoir et consentir à la vaccination de cet enfant si elle considère que cette mesure
répond à l’intérêt supérieur de celui-ci, nonobstant l’objection des parents.
iii) L’administration
de vaccinations usuelles ou de routine ne saurait passer pour une question « sérieuse » ou « grave ». Sauf lorsque des éléments
importants donnent à penser que, de façon exceptionnelle, il se peut que la vaccination ne réponde pas à l’intérêt supérieur d’un enfant, il
n’est ni nécessaire ni approprié qu’une
autorité locale saisisse
la High Court dans chaque cas où
un parent refuse la vaccination proposée pour son
enfant. Pareille démarche
de la part d’une autorité locale implique
en effet d’utiliser du temps et des
ressources alors que ceux-ci sont
limités, de recueillir des expertises médicales non
nécessaires et de prendre à la High Court du temps qu’il
est préférable de consacrer
à l’une des affaires graves
et urgentes qui se trouvent
en permanence pendantes devant la chambre des affaires familiales.
iv) Il faut
toujours prendre en compte l’avis des
parents concernant la vaccination, mais l’affaire ne doit
pas être tranchée sur cette base, sauf si cet avis
a une réelle incidence sur
le bien-être de l’enfant. »
III. DROIT ET PRATIQUE
INTERNATIONAUX ET EUROPÉENS
A. Le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
129. Ce pacte, qui
fait partie intégrante de l’ordre juridique de la République tchèque
(arrêté du ministère des Affaires étrangères no 120/1976 Rec.,
combiné avec l’article 1 de la loi constitutionnelle no 4/1993 Rec.).
Sa partie pertinente en l’espèce
est ainsi libellée :
Article 12
« 1. Les États parties au présent Pacte reconnaissent
le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur
état de santé physique et
mentale qu’elle soit capable d’atteindre.
2. Les
mesures que les États parties au présent Pacte
prendront en vue d’assurer le plein exercice de ce droit devront comprendre
les mesures nécessaires
pour assurer :
(...)
c) La prophylaxie
et le traitement des maladies épidémiques, endémiques, professionnelles et autres, ainsi que
la lutte contre ces maladies ;
(...) »
130. Dans
l’observation générale no 14
sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, publiée
le 11 août 2000 (E/C.12/2000/4), le Comité des droits
économiques, sociaux et culturels de l’ONU a relevé
notamment ceci :
« [Paragraphe 2 c) de l’article 12. Le droit à la prophylaxie et au traitement des
maladies et à la lutte contre les maladies]
16. (...) La lutte contre les maladies suppose [de] mettre en
place des programmes de vaccination et d’autres stratégies de lutte contre les maladies infectieuses
ou [d’]améliorer
les programmes existants.
(...)
[Obligations juridiques spécifiques]
36. L’obligation
de mettre en œuvre le droit à la santé requiert des États
parties, entre autres, de
lui faire une place suffisante
dans le système politique et juridique national
(de préférence par l’adoption d’un texte législatif) et de se doter d’une politique nationale de la santé comprenant un plan détaillé tendant à lui donner effet. Les
États sont tenus d’assurer la fourniture de soins de santé, dont la mise en œuvre de programmes de vaccination contre les grandes maladies
infectieuses (...)
(...)
[Obligations fondamentales]
44. Le Comité
confirme également que les obligations
ci-après sont tout aussi prioritaires :
(...)
b) Vacciner
la communauté contre les principales maladies infectieuses ;
c) Prendre
des mesures pour prévenir, traiter et maîtriser les maladies
épidémiques et endémiques ; »
131. Dans ses observations finales établies lors de l’examen périodique de tel ou tel État,
le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de
l’ONU a maintes fois souligné
l’obligation de vacciner préventivement le pourcentage le plus
élevé possible de la population (voir, par exemple, les observations
du 7 juin 2010 sur le
Kazakhstan (E/C.12/KAZ/CO/1), § 4). Il lui est également
arrivé de critiquer un taux de vaccination en baisse (voir, par exemple, les observations
du 13 décembre 2013 sur l’Égypte (E/C.12/EGY/CO/2-4), § 21) et d’appeler à une inversion de
la tendance décroissante (voir, par exemple, les observations du 13 juin 2014 sur l’Ukraine
(E/C.12/UKR/CO/6), § 19).
B. La Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant
132. Cette
convention fait elle aussi partie intégrante de l’ordre juridique de la République tchèque (notification du ministère fédéral
des Affaires étrangères no 104/1991
Rec., combinée avec l’article 1 de la loi constitutionnelle no 4/1993
Rec.).
L’article 3
§ 1 de cette convention énonce :
« Dans toutes les décisions
qui concernent les enfants,
qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes
législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération
primordiale. »
En ses parties
pertinentes, l’article 24
se lit ainsi :
« 1. Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état
de santé possible (...) Ils s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir
accès [aux services de santé].
2. Les États parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit
susmentionné et, en particulier,
prennent les mesures appropriées pour :
a) Réduire
la mortalité parmi les nourrissons et les enfants ;
b) Assurer
à tous les enfants l’assistance médicale et les soins de santé
nécessaires, l’accent étant
mis sur le développement des soins de santé
primaires ;
c) Lutter
contre la maladie (...), y compris
dans le cadre de soins de santé primaires (...) ;
(...)
e) Faire
en sorte que tous les groupes de la société, en particulier les parents et les enfants, reçoivent une
information sur la santé (...) de l’enfant, (...) et bénéficient d’une aide leur permettant de mettre à profit cette information ;
f) Développer
les soins de santé préventifs (...) »
133. Selon l’observation générale no 15 du Comité des
droits de l’enfant de l’ONU sur le droit de l’enfant de jouir du meilleur état
de santé possible, publiée le 17 avril 2013
(CRC/C/GC/15), la réalisation de ce droit passe par un accès universel à la vaccination contre
les maladies infantiles courantes.
134. Dans les observations finales qu’il établit
lors de l’examen périodique de tel ou tel État,
il arrive souvent au Comité des
droits de l’enfant de l’ONU de souligner la nécessité de renforcer le dispositif de vaccination des enfants, notamment par une couverture
vaccinale plus large, et de recommander la vaccination complète de tous les enfants. Dans ses observations
du 18 mars 2003, le comité a qualifié d’excellente la couverture
vaccinale en République tchèque (CRC/C/15/Add.201,
§ 3).
- Documents de l’Organisation mondiale de la santé
(OMS)
135. Dans son Plan
d’action mondial pour les vaccins
publié en 2013, l’OMS a recommandé
l’obtention d’un taux de couverture nationale d’au moins 90 % pour tous les vaccins
qui font partie des programmes nationaux de vaccination. Concernant la vaccination en général, le plan contient les observations
suivantes :
« Des preuves irréfutables démontrent les avantages de la vaccination comme l’une des interventions de santé les plus efficaces et rentables connues. Au cours des
dernières décennies, la vaccination a permis beaucoup de choses, y compris l’éradication de la variole, une réalisation considérée comme l’un des plus grands triomphes de l’humanité. Les vaccins ont
sauvé d’innombrables vies, abaissé l’incidence mondiale de la polio de
99 % et réduit les maladies, les infirmités
et la mort liées à la diphtérie, la coqueluche, la rougeole, l’infection par
Haemophilus influenzae de type
b, au tétanos, et aux épidémies de méningites à méningocoques.
(...)
La vaccination
constitue une composante essentielle du droit humain à la santé et une responsabilité individuelle, collective et gouvernementale, et doit être reconnue comme
telle. On estime qu’elle prévient chaque année 2,5 millions de décès. À l’abri des maladies évitables
par la vaccination, les
enfants vaccinés peuvent grandir dans de bonnes conditions et réaliser pleinement leur potentiel. Ces avantages sont
encore majorés par les vaccinations à l’adolescence et à
l’âge adulte. Dans le cadre d’un ensemble complet d’interventions pour prévenir et combattre les maladies,
les vaccins et la vaccination représentent un investissement essentiel pour l’avenir d’un pays et pour celui de la planète.
(...)
À bien des égards, le siècle dernier a été celui des
traitements, avec des réductions considérables de la morbidité et
de la mortalité résultant notamment de la découverte et de
l’utilisation des antibiotiques, principaux moteurs du changement
en matière de santé. Le présent siècle promet d’être celui des
vaccins, avec la possibilité d’éradiquer, d’éliminer ou de juguler un certain nombre de maladies infectieuses graves, potentiellement mortelles ou débilitantes, et la vaccination au cœur des stratégies
préventives. (...) »
136. L’un des
principaux buts de l’initiative de l’OMS « La vaccination dans le monde : vision et stratégie » est de
vacciner « plus de personnes
(...) contre un plus grand nombre de maladies ».
- La Charte sociale européenne
137. La Charte
sociale européenne est entrée en vigueur à l’égard de la République tchèque le
3 décembre 1999 (notification
du ministère des Affaires étrangères no 14/2000, Recueil des traités
internationaux). Elle fait partie intégrante de l’ordre juridique de la République tchèque et prime toute loi en cas de conflit
(article 10 de la Constitution).
La disposition pertinente en l’espèce
de la Charte est ainsi libellée :
Article 11 – Droit à la protection de la santé
« En vue d’assurer
l’exercice effectif du droit à la protection
de la santé, les Parties s’engagent à prendre, soit directement, soit en coopération avec les organisations
publiques et privées, des mesures appropriées tendant notamment :
(...)
3. à prévenir,
dans la mesure du possible, les
maladies épidémiques, endémiques et autres. »
138. Dans
l’affaire Médecins du
Monde – International c. France (réclamation
collective no 67/2011, décision sur
le bien-fondé du
11 septembre 2012), le Comité
européen des droits sociaux a expliqué notamment ce qui suit :
« 160. L’article
11 § 3 exige que les États maintiennent un taux de couverture vaccinale élevé afin non seulement de réduire l’incidence de ces maladies mais aussi pour neutraliser le réservoir de virus et ainsi atteindre les objectifs
fixés par l’[OMS]. Le Comité
souligne que la vaccination de masse est reconnue
comme le moyen le plus
efficace et le plus rentable de lutter
contre les maladies infectieuses et épidémiques (voir Conclusions XV-2, Belgique, Article
11 § 3). Ceci doit concerner la population en général (...) »
139. Lorsqu’il
constate que la couverture
vaccinale est trop faible au sein d’un État membre du
Conseil de l’Europe, le comité
conclut que la situation
n’est pas conforme à l’article
11 § 3 de la Charte (voir,
par exemple, Conclusions
XV-2, Belgique, 31 décembre
2001) ; il peut aussi adresser un avertissement à l’État concerné.
Le comité considère les objectifs de
l’OMS comme étant les critères de référence.
140. Dans ses conclusions du 2 janvier 2010 (XIX-2/def/CZE/11/3/FR) sur son examen relatif à la République tchèque,
le comité, dans l’attente des informations
demandées, a conclu que la situation au sein de cet État,
y compris en matière de vaccination, était conforme à l’article 11 § 3 de la Charte.
- La Convention
pour la protection des
droits de l’homme et
de la dignité de l’être
humain à l’égard des applications de la
biologie et de la médecine : Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (Convention d’Oviedo)
141. La Convention d’Oviedo a
été ouverte à la signature le 4 avril 1997 et
est entrée en vigueur à l’égard
de la République tchèque le 1er octobre 2001 (notification du ministère des
Affaires étrangères no 96/2001, Recueil des traités
internationaux). Elle fait partie intégrante de l’ordre juridique de la République tchèque et prime toute loi en cas de conflit
(article 10 de la Constitution).
En ses parties pertinentes
en l’espèce, elle se lit comme suit :
Article 5 – Règle générale
« Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être
effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé.
Cette personne reçoit préalablement une
information adéquate quant au but et à
la nature de l’intervention ainsi
que quant à ses conséquences et ses risques.
La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. »
Article 6 – Protection des personnes n’ayant pas la capacité
de consentir
« (...)
2. Lorsque,
selon la loi, un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant,
d’une autorité ou d’une personne ou instance
désignée par la loi.
L’avis du mineur
est pris en considération comme un facteur de plus en plus déterminant, en fonction de son âge et de son degré de maturité.
(...) »
Article 24 – Réparation d’un
dommage injustifié
« La personne ayant subi un dommage
injustifié résultant d’une intervention a droit à une réparation équitable dans les conditions
et selon les modalités prévues par la loi. »
Article 26 – Restrictions à l’exercice des droits
« 1. L’exercice des droits et les
dispositions de protection contenus dans la présente Convention ne peuvent faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sûreté publique, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé publique ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
(...) »
- La Recommandation 1317 (1997) de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) sur les
vaccinations en Europe
142. Les passages pertinents de cette recommandation, qui a été adoptée le 19 mars 1997, se lisent ainsi :
« 5. Pour l’Assemblée,
les efforts en vue d’améliorer le niveau d’immunité ne doivent pas concerner exclusivement la situation des pays en voie de transition. Le niveau d’immunité des populations
d’Europe occidentale a constamment décliné au cours
de ces dernières années. Le faible pourcentage de personnes correctement vaccinées, associé à l’apparition de foyers infectieux dans la même zone géographique, fait craindre d’importantes épidémies également en Europe occidentale.
6. L’Assemblée
recommande donc au Comité des
Ministres d’inviter les États membres :
6.1. à élaborer
ou à réactiver des programmes de vaccination de masse de leurs populations qui constituent le moyen le plus efficace et le plus rentable
de lutte contre les maladies infectieuses, et à assurer des systèmes
de surveillance épidémiologique
performants ;
(...)
7. L’Assemblée
invite par ailleurs le Comité des Ministres :
7.1. à définir
une politique paneuropéenne
concertée d’immunisation des populations, en coopération avec tous les partenaires
concernés, tels l’OMS,
l’UNICEF et l’Union européenne, visant à l’élaboration et au respect de critères communs de qualité des vaccins et à assurer leur disponibilité
en quantité suffisante et
à un prix abordable ;
7.2. à engager
les États membres à ratifier la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe, notamment
son article 11 sur le « Droit à la protection de
la santé », et à charger
les organes de contrôle de cette convention de porter une attention appropriée au respect
de cet engagement. »
- La Résolution 1845 (2011) de l’APCE sur les droits fondamentaux et les responsabilités fondamentales
143. Les passages pertinents de cette résolution, qui a été adoptée le 25 novembre
2011, se lisent ainsi :
« 1. Les droits, devoirs et responsabilités ne peuvent pas être dissociés
les uns des
autres. La vie en tant que membre
de la société implique inévitablement des devoirs et des responsabilités tout comme des droits.
(...)
4. Certains
devoirs sont déjà fixés dans
des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et dans les
ordres juridiques nationaux. Ces devoirs révèlent l’existence de responsabilités fondamentales implicites.
5. Les
devoirs imposés par la loi sont soumis
au principe de proportionnalité.
Lorsqu’une charge est imposée à un individu, au nom de l’intérêt
général, il faut établir un juste équilibre entre les divers intérêts
en jeu.
6. De même,
les responsabilités ne doivent jamais être lourdes au
point de compromettre les droits de l’individu chargé de les assumer, notamment ses droits
fondamentaux. Les responsabilités doivent toujours rester raisonnables.
(...)
8. L’Assemblée :
8.1. identifie
l’ensemble des responsabilités
fondamentales suivantes :
8.1.1. tous
les individus ont la responsabilité
fondamentale générale (...) de respecter
les droits des autres tout en exerçant leurs propres droits ;
8.1.2. en outre,
tous les individus ont pour responsabilités fondamentales particulières de respecter et de protéger la vie humaine, (...) de
faire preuve de solidarité, d’agir de manière responsable à l’égard des enfants (...) ;
8.2. souligne
que ces responsabilités
fondamentales ne peuvent jamais être interprétées
comme une entrave, une restriction
ou une dérogation aux droits et libertés énoncés dans la [Convention], la Charte sociale européenne révisée
(...) et d’autres instruments
internationaux et régionaux
en matière de droits de l’homme ;
8.3 appelle les États membres du Conseil
de l’Europe à prendre en compte
de façon proportionnée ces responsabilités fondamentales générales et particulières dans leurs relations avec les individus. »
- Le droit de l’Union européenne
144. Le titre
XIV de la troisième partie du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (version
consolidée) porte sur la santé
publique. En ses parties pertinentes, il se lit comme suit :
Article 168
« 1. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de
toutes les politiques et actions de l’Union.
L’action de l’Union, qui complète les politiques
nationales, porte sur l’amélioration
de la santé publique et la prévention des maladies et des affections humaines et des causes de danger
pour la santé physique (...) Cette
action comprend également
la lutte contre les grands fléaux, (...) leur transmission et leur prévention ainsi que l’information et l’éducation
en matière de santé, ainsi que la surveillance
de menaces transfrontières graves sur la santé, l’alerte en cas de telles menaces
et la lutte contre celles-ci.
(...)
2. L’Union encourage la coopération entre les États
membres dans les domaines visés
au présent article (...) Elle encourage en particulier la coopération entre les États
membres visant à améliorer la complémentarité de leurs services de santé dans les régions
frontalières.
(...)
3. L’Union et les États membres
favorisent la coopération avec les pays
tiers et les organisations internationales compétentes en matière de santé publique.
(...)
5. Le Parlement
européen et le Conseil (...) peuvent
également adopter des mesures d’encouragement
visant à (...) lutter
contre les grands fléaux transfrontières, des mesures concernant
(...) la lutte contre [les menaces transfrontières graves sur la santé] (...) »
145. L’article 35
de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne, qui traite de la protection
de la santé et figure dans
le chapitre IV intitulé
« Solidarité », énonce :
« Toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les
conditions établies par les législations et pratiques nationales. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de
l’Union. »
146. En réponse
à une demande de décision préjudicielle qui avait été soumise par la Cour suprême de Slovaquie et qui tirait son origine d’une procédure
concernant l’obligation
pour les parents de faire vacciner leurs enfants mineurs contre certaines maladies, la Cour de justice de
l’Union européenne a rendu le 17 juillet 2014 une ordonnance dans l’affaire Milica Široká c. Úrad verejného zdravotníctva Slovenskej republiky (affaire
C‑459/13, EU:C:2014:2120, paragraphe 25), dans laquelle elle s’est prononcée ainsi :
« (...) la décision
de renvoi ne contient aucun élément concret
permettant de considérer que l’objet de la procédure au principal,
relatif à la vaccination des enfants mineurs contre certaines maladies, concerne l’interprétation ou l’application d’une règle du droit de l’Union autre que celles
figurant dans la Charte, avec la conséquence que le litige au principal
ne relève pas d’une
situation dans laquelle le droit de l’Union est mis en œuvre, au sens
de l’article 51, paragraphe
1, de la Charte. »
147. En 2005 fut créé le Centre européen de prévention
et de contrôle des maladies. La mission de cet organe consiste à détecter, analyser et faire connaître les menaces
actuelles et émergentes que les maladies
infectieuses font peser sur
la santé humaine.
148. Le 1er décembre 2014, le Conseil de
l’Union européenne a adopté les
« Conclusions du Conseil sur la vaccination, un outil de santé publique performant », qui relèvent notamment ce qui suit :
« (...) [L]es
maladies transmissibles, y compris certaines maladies qui réapparaissent, telles que la tuberculose,
la rougeole, la coqueluche
et la rubéole, constituent toujours une menace pour la santé publique et peuvent causer un grand nombre d’infections et de décès, et (...) l’apparition et les épidémies récentes
de maladies transmissibles,
comme la polio, la grippe aviaire H5N1 et H7N9 (...) et la maladie
à virus Ebola, ont confirmé
qu’il faut également rester très vigilant au
sujet des maladies dont le territoire de
l’Union est actuellement exempt.
(...)
[L]es programmes de vaccination relèvent de la responsabilité de chaque État membre
et (...) il existe au sein de l’UE différents programmes de vaccination (...)
(...)
[D]e nombreux vaccins administrés dans le cadre de campagnes générales de vaccination ont permis d’éviter à des personnes de contracter des maladies et, dans le même temps, d’interrompre
la circulation de pathogènes
grâce au phénomène de l’« immunité
de groupe » (« herd immunity »), ce qui a contribué
à améliorer la santé générale de la population. L’immunité de groupe pourrait dès lors
être considérée comme un objectif des plans de vaccination nationaux. »
149. La Résolution
du Parlement européen du 19 avril 2018 sur la réticence à la vaccination et la baisse des taux
de vaccination en Europe invite
les États membres à veiller à ce que les professionnels
de santé soient suffisamment vaccinés, à prendre des mesures
efficaces pour lutter
contre les informations trompeuses et à mettre en œuvre des mesures
pour améliorer l’accès aux médicaments. Elle invite également la Commission à faciliter l’harmonisation des calendriers vaccinaux au sein
de l’Union européenne.
150. Le 7 décembre
2018, le Conseil de l’Union européenne a adopté la Recommandation relative
au renforcement de la coopération contre les maladies à prévention vaccinale. Il y reconnaît que
la vaccination est l’une des
mesures de santé publique les plus efficaces et les plus rentables qui aient été mises en place au XXe siècle et qu’elle reste le principal outil de prévention primaire des maladies
transmissibles. Par ailleurs,
il y recommande notamment aux États membres :
« 1. d’élaborer et
de mettre en œuvre des plans de vaccination au niveau national et/ou régional, selon
ce qui convient, destinés à
accroître la couverture
vaccinale en vue d’atteindre
les buts et les objectifs du
plan d’action européen pour les vaccins
de l’OMS d’ici 2020. Ces
plans pourraient comprendre,
par exemple, des dispositions relatives à un financement et une offre de vaccins
durables, à une approche de
la vaccination englobant tout
le cycle de la vie, à la capacité
à répondre aux situations
d’urgence et à des activités de communication et de promotion ;
2. de viser
à atteindre d’ici 2020, en particulier pour la rougeole, un taux de couverture vaccinale de
95 %, avec deux doses du vaccin
pour la population infantile ciblée,
et de s’employer à combler les écarts d’immunisation
dans toutes les autres catégories
d’âge en vue d’éradiquer la rougeole dans l’Union européenne ;
3. d’instaurer
des vérifications de
routine du statut vaccinal ainsi que des occasions
régulières de vaccination à
différents stades de la
vie, au moyen de visites de routine dans le cadre du système
de soins de santé primaires et d’autres mesures prises, par exemple, à l’entrée à l’école (maternelle),
sur le lieu de travail ou dans les
structures de soins, en fonction des capacités
nationales (...) »
151. Le rapport de
la Commission européenne de 2018 sur l’état de la confiance dans les vaccins au
sein de l’UE (« State
of vaccine confidence in the EU 2018 ») contient
les observations suivantes [traduction
du greffe] :
« Une grande confiance
dans les programmes de vaccination est essentielle au maintien de taux élevés de couverture vaccinale, spécialement à des niveaux supérieurs à ceux requis pour assurer l’immunité de groupe. Or, dans l’Union
européenne (UE), les retards
et les refus de vaccination contribuent à un déclin des taux
de vaccination dans un certain nombre de pays et entraînent une augmentation des poussées épidémiques. De récentes flambées de rougeole – les plus fortes survenues au sein
de l’UE depuis sept ans – attestent l’effet immédiat d’une diminution de la couverture
vaccinale sur l’apparition de maladies. »
- AVIS SPÉCIALISÉS
INVOQUÉS PAR LE GOUVERNEMENT
152. Le
6 novembre 2015, la Société tchèque de vaccinologie (Česká vakcinologická společnost),
principal organe consultatif de la République tchèque
en matière de politique publique de vaccination, et la
Société tchèque de pédiatrie
(Česká pediatrická společnost) ont publié une déclaration commune pour les besoins de la présente procédure devant la Cour. De même que l’Association
des praticiens généralistes pour les enfants et les jeunes (Sdružení praktických lékařů pro děti a dorost)
et l’Ordre des médecins de la République tchèque
(Česká lékařská komora), les deux sociétés se sont résolument prononcées en faveur du maintien du système de vaccination
obligatoire tel qu’il existe dans
le pays. Dans leur avis, elles
observent notamment que la vaccination est indéniablement l’une des mesures préventives de santé publique les plus efficaces et que, depuis l’instauration
de l’obligation vaccinale, la fréquence
et le nombre des décès causés par des maladies évitables
par la vaccination ont
chuté de manière radicale.
Elles exposent que cette mesure vise
principalement à protéger les enfants atteints
de maladies chroniques graves, pour lesquels
la vaccination est inefficace ou
contre-indiquée, et qu’elle
permet d’obtenir une
importante couverture vaccinale globale et d’éviter des décès
et des pertes économiques.
Les deux sociétés ajoutent que le non-respect du calendrier
vaccinal est dangereux non seulement pour la personne non vaccinée, en ce qu’il accroît selon elles le
risque de dommage pour la santé voire dans les cas
extrêmes de décès causé par une maladie infectieuse évitable, mais également pour l’ensemble de la population,
lorsque le pourcentage
d’enfants non dument vaccinés
augmente. Elles assurent que, en cas de diminution même légère de la couverture vaccinale
et d’accroissement de la proportion
de personnes non immunisées,
on peut assister à la résurgence de poussées épidémiques,
même pour des maladies qui ne sont
plus courantes de nos jours.
153. Le directeur des services sanitaires de
la République tchèque (Hlavní hygienik České republiky) a également rendu un avis dans
le cadre de la présente procédure devant la Cour. Il y évoque la notion d’« immunité
de groupe », phénomène
immunitaire particulier qui
se produit lorsqu’une part
importante de la population a été
vaccinée contre une maladie
donnée, offrant ainsi une certaine protection indirecte aux personnes qui n’ont pas été
vaccinées ou chez qui l’immunité induite par la vaccination ne
s’est pas développée. Il expose qu’en cas
de baisse considérable de cette couverture, par exemple en deçà de 95 % pour
la rougeole, le seuil de l’immunité de groupe ne serait pas atteint,
la transmission des infections
au sein de la population pourrait progresser et le nombre de
nouveaux cas augmenter.
154. En
2010, la Commission nationale de vaccination
(Národní imunizační komise – « la CNV ») fut mise en place en tant qu’organe consultatif du ministère et se vit confier pour principales missions d’identifier
les maladies infectieuses pour lesquelles la vaccination pourrait influer sur le taux d’incidence, de définir la meilleure stratégie pour la politique de vaccination de la
République tchèque, d’établir
les priorités de l’État en matière de vaccination et d’examiner les propositions de modification de la stratégie
vaccinale. La CNV se compose de représentants du ministère et d’un certain nombre de sociétés savantes ayant les compétences
requises. Elle peut solliciter la coopération d’experts externes. Les comptes rendus
de ses réunions sont publiés sur le site du ministère.
155. Dans un numéro spécial de sa lettre d’information
paru en 2015, l’Agence nationale de contrôle des médicaments (paragraphe 78 ci‑dessus)
s’est penchée sur la question
des effets indésirables des vaccins qui avaient été signalés en 2014. Elle y a indiqué que la grande majorité de ces effets étaient en réalité des réactions
prévisibles déjà décrites dans le résumé des caractéristiques
du produit concerné.
156. En juin 2015,
le ministère a constitué
une Commission de travail pour la vaccination
(Pracovní komise pro problematiku očkování).
Destinée à constituer une
vaste tribune de débat entre
les experts et le public
sur la stratégie vaccinale de la République tchèque, cette commission compte parmi ses membres
la Ligue tchèque des droits de l’homme et ROZALIO, tiers intervenant devant la Cour dans la présente
procédure.
157. En 2012, la Nouvelle initiative européenne intégrée de
collaboration dans le domaine de la vaccination (VENICE
– Vaccine European New Integrated
Collaboration Effort), un réseau d’experts nationaux de tous les États membres de l’Union européenne, d’Islande
et de Norvège qui travaillent
dans le domaine de la vaccination, a publié une étude sur la vaccination obligatoire ou recommandée au sein de l’UE, en Islande et en Norvège (« Mandatory and recommended vaccination in the EU, Iceland and Norway: results of the
VENICE 2010 survey on the ways of implementing national
vaccination programmes »).
Cette étude fournit notamment un aperçu de la situation relative à la vaccination
obligatoire dans les pays concernés.
Un autre tour d’horizon de cette situation a été effectué par l’Institut parlementaire
tchèque dans un rapport de juin 2014. Selon ces sources, quinze pays n’imposent pas de vaccinations obligatoires tandis que quatorze pays
exigent une ou plusieurs vaccinations ; dans huit
pays appartenant à ce
second groupe, la vaccination
est obligatoire contre le même
nombre de maladies qu’en République tchèque ou un nombre supérieur.
Si dans certains États la vaccination des enfants n’est pas obligatoire en général, elle peut être imposée
dans des cas particuliers, soit de manière collective en réponse à une urgence soit dans
d’autres circonstances. En
ce qui concerne la législation relative à la responsabilité objective en cas d’atteinte à la santé causée par la vaccination, il ressort d’une étude de l’OMS publiée en 2011 que seuls dix-neuf
pays dans le monde possèdent des dispositifs
spéciaux d’indemnisation,
dont treize sont des États membres du Conseil
de l’Europe.
EN DROIT
- REMARQUE
PRÉLIMINAIRE
158. La Cour
souligne d’emblée que la présente espèce porte sur la vaccination usuelle et de routine
des enfants contre des maladies qui sont bien connues de la médecine. Comme indiqué ci-dessus, ces six requêtes
ont été introduites
entre 2013 et 2015 et concernent
la politique de l’État défendeur prévoyant le caractère obligatoire de
l’ensemble des vaccins en question.
- SUR LA JONCTION
DES REQUÊTES
159. Compte
tenu de la similitude des requêtes quant
à leur objet, la Cour estime approprié
d’examiner celles-ci conjointement dans un seul arrêt (article
42 § 1 du règlement).
- SUR LA VIOLATION
ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
160. Les
requérants estiment qu’il était arbitraire
d’infliger une amende à
M. Vavřička et de refuser l’admission des enfants requérants à l’école maternelle au motif
que les parents
de ces derniers n’avaient pas satisfait
à l’obligation légale de les faire vacciner
conformément au calendrier vaccinal établi. Ils invoquent
l’article 8 de la Convention, dont la partie pertinente se lit ainsi :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...)
2. Il ne peut
y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette
ingérence est prévue par la
loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien-être
économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
- Sur la recevabilité
- La requête de M. Vavřička
161. Le Gouvernement
considère que le montant de l’amende qui a été infligée au
requérant est plutôt négligeable (l’équivalent de
110 EUR à l’époque des faits) et que celui-ci
n’a donc pas subi de préjudice important au sens
de l’article 35 § 3 b) de la Convention. De plus, à son avis, les
autres conditions requises pour l’application de cette disposition sont également réunies, ce qui selon lui rend la requête irrecevable dans son ensemble.
162. Le requérant
avance qu’à l’époque des faits il était sans emploi, ne percevait aucun revenu et était en pleine procédure de divorce, et que le montant de l’amende représentait plus de la moitié du salaire
minimum légal mensuel. Au-delà du poids
financier que l’amende aurait fait
peser sur lui, le requérant
aurait été angoissé par l’incertitude
relative à d’autres mesures
que les autorités
allaient prendre du fait qu’il
n’avait pas respecté le calendrier vaccinal pour ses enfants.
163. La Cour
se penchera ici sur l’exception du Gouvernement
pour autant qu’elle
concerne le grief du requérant fondé sur l’article 8. Elle estime que cette exception
ne saurait être accueillie. Si la requête de
M. Vavřička, avec
les autres requêtes, est à présent examinée par la Grande Chambre de la Cour,
c’est parce qu’il a été considéré qu’elle soulevait des questions
graves relatives à l’interprétation de la Convention ou
de ses protocoles et qu’en conséquence elle a fait l’objet d’un dessaisissement conformément à l’article 30 de la Convention, aucune
des deux parties ne s’étant prévalue de la possibilité d’y objecter. De
plus, la requête de M. Vavřička présente un aspect singulier, lui seul s’étant vu infliger une amende pour non-respect de l’obligation de vaccination. La Cour estime donc
que les conditions
énoncées à l’article 35 § 3
b) ne sont pas réunies, car en tout état de
cause le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses
protocoles exige un examen au fond
de cette partie de la requête de M. Vavřička.
164. L’exception
formulée par le Gouvernement
au titre de l’article 35 § 3 b) de la Convention, pour autant qu’elle concerne le grief de M. Vavřička fondé sur l’article 8, doit donc être
rejetée.
- Les requêtes de MM. Brožík et Dubský
165. Concernant les requêtes de MM. Brožík et Dubský prises dans leur
ensemble, le Gouvernement soulève
une exception de non-épuisement
des voies de recours internes et indique que l’affaire a été tranchée au
fond par le jugement du tribunal régional de Hradec Králové du 10 mai 2016 (paragraphe 55 ci-dessus) et que les requérants auraient pu et dû poursuivre leur
affaire en formant un recours
en cassation et un recours constitutionnel.
166. Les requérants rétorquent que leurs requêtes
concernent la demande de mesure provisoire qu’ils ont soumise
au tribunal régional le 18 juillet
2014, ainsi que
l’issue de cette procédure. Ils précisent à cet égard que c’est la Cour constitutionnelle qui, le 23
octobre 2014, a rendu la décision interne définitive (paragraphe 54 ci-dessus).
Ils font remarquer que cette décision
était non susceptible d’appel et estiment en conséquence que l’obligation d’épuiser les voies de recours
internes a incontestablement
été remplie.
167. La Cour commencera par examiner l’exception soulevée par le Gouvernement pour
autant qu’elle concerne les griefs des
requérants fondés sur l’article 8. Pour mettre en perspective l’exception du Gouvernement et la réponse des requérants,
elle relève que, dans leurs formulaires
de requête, les intéressés ont invoqué l’article 6 § 1 de
la Convention et fait porter
leurs griefs sur le rejet opposé à leur demande de mesure provisoire lors de la procédure au fond. Prévoyant
que ladite procédure durerait au-delà de leur âge préscolaire et que son issue ne pourrait alors plus remédier au fait
qu’ils avaient été empêchés de fréquenter une école maternelle, les requérants ont argué qu’en ne leur accordant
pas la mesure provisoire les juridictions internes leur avaient en réalité refusé un recours effectif, au sens de l’article 13,
relativement à ce qu’ils tenaient pour une violation de leurs droits découlant
des articles 8 et 14 de la
Convention et 2 du Protocole
no 1.
168. La Cour a déjà qualifié ces
griefs comme relevant notamment de l’article 8 de la Convention. C’est sur ce fondement que les deux requêtes ont été communiquées
et les parties n’ont pas élevé d’objection
à ce sujet.
169. La Cour rappelle qu’elle
est maîtresse de la qualification juridique
des faits de la cause et qu’elle n’est pas liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements
(voir, par exemple, Molla Sali c. Grèce [GC],
no 20452/14, § 85, 19 décembre 2018,
et Radomilja et autres c. Croatie [GC],
nos 37685/10 et 22768/12, §§ 123-126, 20 mars
2018). Compte tenu de son interprétation de l’objet
de l’ensemble des griefs que les requérants
fondent sur l’article 8
– qui seront traités
plus en détail ci‑dessous –, la Cour considère que l’exception de non-épuisement des voies de recours internes formulée par
le Gouvernement quant aux requêtes de MM. Brožík et Dubský soulève des questions
qui sont étroitement liées au fond
du grief tiré par les intéressés
de la disposition en question.
170. En conséquence, pour autant qu’elle concerne cet aspect des deux
requêtes, l’exception du Gouvernement doit être jointe
à l’examen au fond du grief
formulé sous l’angle de l’article 8.
- Conclusion
relative à l’ensemble des
requêtes
171. Constatant
que les griefs
soulevés par les requérants au titre
de l’article 8 ne sont
pas manifestement mal fondés au sens
de l’article 35 § 3 a) de la
Convention et qu’ils ne se heurtent
par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité,
la Cour les déclare recevables.
- Sur le fond
- Les thèses des parties
a) Les
requérants
172. M. Vavřička estime qu’il était arbitraire
de lui infliger une amende
pour n’avoir pas fait vacciner ses
enfants conformément au calendrier vaccinal en vigueur. Les enfants requérants considèrent qu’il était arbitraire
de refuser leur admission à l’école maternelle en
raison du manquement de leurs parents respectifs à la même obligation.
173. Au
sujet de l’applicabilité de
l’article 8, les requérants invoquent leur droit à l’autonomie
personnelle s’agissant des décisions liées
à leur santé et, pour ce
qui concerne M. Vavřička, à la santé de ses enfants. Les enfants requérants se fondent également sur leur droit au
développement personnel par
la fréquentation d’une école maternelle.
Par ailleurs, les requérants évoquent un droit pour les parents de s’occuper de leurs enfants suivant leurs opinions, leurs convictions et leur conscience, et dans le respect de l’intérêt supérieur des enfants. À cet égard, ils
considèrent que c’est principalement aux parents qu’il revient
d’évaluer et de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, et
qu’une intervention de l’État n’est permise qu’en dernier ressort, dans les
cas les plus extrêmes.
174. Ils
déclarent en outre que les modalités
précises de l’obligation de
vaccination ne sont énoncées que dans
un texte réglementaire (l’arrêté ministériel) et qu’en conséquence cette obligation ne peut être tenue pour « prévue par la loi » au sens
de l’article 8 de la Convention.
175. De plus, ils estiment que l’établissement du calendrier vaccinal est un processus non transparent, qui ne donne lieu ni à une analyse appropriée ni à un débat public et qui pâtit de la
situation de conflit d’intérêts
dans laquelle se trouvent, selon eux, certains membres des organes
officiels concernés. S’appuyant en particulier sur la
lettre du 7 février
2020 par laquelle le ministère
a répondu à leur demande de renseignements, les requérants allèguent que les
autorités ne leur ont pas fourni
des informations suffisantes propres à montrer que les
vaccinations actuellement obligatoires sont en fait nécessaires et justifiées. Ils ajoutent qu’en
définissant la politique de
vaccination le ministère a exercé un pouvoir discrétionnaire illimité.
176. Les
requérants affirment aussi qu’un régime
d’obligation vaccinale incite
les personnes à donner de fausses informations quant à leur statut vaccinal. Ils estiment
que ce problème ne se pose pas dans les
systèmes fondés sur la vaccination volontaire, qui pour cette raison produiraient
des données statistiques plus fiables sur la couverture vaccinale. Ils considèrent que ces données pourraient
servir à façonner un système
plus adapté et plus efficace.
177. Le Gouvernement
s’appuyant sur l’autorité
de l’OMS ou des sociétés savantes tchèques spécialisées en vaccinologie (paragraphes 152 et
suivants ci‑dessus), les requérants soutiennent que ces entités sont
largement parrainées par des entreprises pharmaceutiques.
Plus particulièrement, ils marquent leur désaccord
sur des questions telles que l’efficacité
de la vaccination pour faire
baisser la mortalité, la sensibilité des nourrissons aux infections, les effets négatifs de la non-vaccination et l’efficacité de certains des vaccins
requis. De plus, ils abordent divers aspects du fonctionnement
et de l’évolution du système de vaccination, par exemple l’interprétation faite en République tchèque du critère de contre‑indication permanente à la vaccination.
En outre, ils considèrent que, pour autant que les
effets secondaires potentiels entrent dans l’évaluation du caractère nécessaire et justifié des vaccins
obligatoires, il faut prendre en compte non seulement les effets
immédiats mais aussi ceux qui à long terme se traduisent
par un affaiblissement général
de l’immunité du patient vacciné à l’égard de diverses maladies.
178. Aux yeux des enfants requérants, il n’était pas justifié de leur refuser l’accès à l’école maternelle à titre de sanction du fait qu’ils n’étaient pas vaccinés.
La non-admission à l’école maternelle
aurait contraint les familles à assurer par leurs propres moyens la garde des enfants requérants, ce qui aurait eu des répercussions
à la fois financières et sociales sur les foyers concernés. Le fait d’avoir été privés d’éducation préscolaire aurait considérablement pénalisé les enfants requérants dans la suite de leur scolarité ; cela vaudrait tout particulièrement pour Mme Novotná, qui selon ses dires souhaitait
poursuivre sa scolarité dans un cadre éducatif
particulier.
179. Les
requérants plaident que la dérogation à l’obligation vaccinale issue de la jurisprudence Vavřička (paragraphes 28 et 93 ci-dessus) n’a pratiquement jamais été accordée
s’agissant d’admission à
l’école maternelle. M. Vavřička déclare par ailleurs que dans sa cause cette dérogation a été définie par la Cour constitutionnelle de manière rétroactive. À cet égard, il dit
qu’à l’époque considérée la
loi présentait une qualité déficiente et qu’il n’aurait pas pu en faire
un bon usage.
180. Concernant
la cohérence de sa position sur la vaccination, M. Vavřička,
qui avait fait vacciner ses enfants contre toutes les maladies
excepté la poliomyélite, l’hépatite B et le tétanos, a déclaré par le biais de son avocat qu’il avait
le droit de changer de conviction au fil du temps. Il a ajouté que, comme
l’avait reconnu la Cour constitutionnelle, l’important était de savoir si la conviction demeurait constante tout au long
de la procédure concernée,
et que tel avait été le cas
dans sa cause.
181. En outre,
les requérants indiquent qu’un éventuel contrôle juridictionnel ne peut qu’être purement formel et dépourvu d’un véritable examen au fond quant
à la rationalité et à la proportionnalité de l’obligation
de vaccination.
182. De surcroît,
à l’époque des faits la loi n’aurait prévu aucun
moyen de demander réparation pour une atteinte
à la santé causée par un vaccin en l’absence
de faute. Dans le cadre du dispositif
d’indemnisation qui a été mis en place par la suite, l’obtention
d’une indemnité ne serait possible qu’en cas d’« atteinte
particulièrement grave à la santé »,
ce qui constituerait un seuil
prohibitif (paragraphe 84 ci-dessus).
183. Alors que pour les enfants requérants la vaccination aurait constitué une condition préalable à l’admission à l’école maternelle, le
personnel de ce type d’établissements ne serait
pas soumis à pareille condition pour être embauché. Certaines des vaccinations
prévues par la loi concerneraient des maladies non transmissibles, du moins à l’école maternelle.
184. De l’avis
des requérants, le but qu’est la protection
de la santé des autres enfants pourrait être atteint par des moyens moins
intrusifs, consistant par exemple à exclure les enfants non vaccinés des établissements d’enseignement uniquement en cas de menace, ou de flambée effective,
liée à l’une des maladies en question.
185. Les
requérants reconnaissent que la vaccination met en jeu des questions d’intérêt général, de solidarité sociale et
de partage des responsabilités. À leur avis, le problème réside dans la proportionnalité. Un modèle de vaccination volontaire reposerait sur une motivation
positive et offrirait donc
à la fois une plus grande efficacité
globale et une plus grande proportionnalité que le modèle obligatoire
existant en République tchèque,
fondé sur la contrainte, inacceptable aux yeux des requérants.
186. En conséquence,
les requérants estiment que l’ingérence dans l’exercice de leurs droits découlant de l’article 8 n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
b) Le Gouvernement
187. Le Gouvernement
soutient qu’il importe de préciser qui est le requérant – un enfant ou un parent – dans chaque affaire pour pouvoir déterminer si et dans quelle mesure les questions litigieuses
relèvent de la compétence ratione personae de la Cour.
188. Il considère
que la question de l’intérêt supérieur de l’enfant,
qui selon lui est en jeu dans
les affaires telles que les présentes
requêtes, trouve son expression dans le droit de l’enfant de jouir du meilleur état
de santé possible, au sens de l’article
24 de la Convention relative aux droits
de l’enfant. Il estime que,
dans une affaire donnée, il
convient d’évaluer cet intérêt supérieur
en tenant compte de toute objection éventuelle des parents, à examiner dans le cadre d’une procédure adéquate offrant en fin de compte un contrôle juridictionnel.
189. Le Gouvernement
avance qu’il n’est donc pas possible a priori de
présumer que les intérêts des
parents sont identiques à ceux des enfants et qu’il existe, au moins
potentiellement, une divergence
d’intérêts entre parents et enfants.
190. Répondant
à l’argument avancé par
M. Roleček, qui a affirmé
que sa non-admission
à l’école maternelle avait obligé sa mère à rester à
la maison avec lui et que leur vie de famille en avait été perturbée,
le Gouvernement observe que se retrouver ainsi contraint de profiter de la compagnie des autres membres du foyer ne peut constituer une ingérence dans l’exercice du droit au
respect de la vie familiale.
191. Par ailleurs,
le Gouvernement considère que les paramètres
des présentes requêtes se limitent aux faits concernant
directement les requérants et qu’ils excluent d’autres aspects du système
tchèque de vaccination tel qu’il a évolué
au fil du temps.
192. Toutefois,
il ne conteste pas que les faits à l’origine des six requêtes
relèvent du champ d’application du droit au
respect de la vie privée et,
s’agissant de M. Vavřička,
il reconnaît que l’amende litigieuse a constitué une ingérence dans l’exercice de ce droit.
193. Pour ce qui est des enfants requérants, le Gouvernement estime que, quelles que
soient les petites différences dans la façon dont leurs griefs fondés
sur l’article 8 ont été formulés devant
la Cour, ils sont en fait tous
dans la même situation compte tenu de la conséquence pratique subie par eux, à savoir la non-admission à l’école
maternelle. Le Gouvernement
considère qu’en soi l’existence du cadre légal
applicable ne s’analyse pas en une ingérence dans l’exercice des droits des
intéressés découlant de l’article 8. À cet égard, il s’emploie à établir une distinction entre les causes
des enfants requérants et
d’autres affaires telles que, par exemple, Dudgeon
c. Royaume-Uni (22 octobre
1981, § 41, série A n° 45), Norris
c. Irlande (26 octobre
1988, § 38, série A no 142) et Modinos c. Chypre (22 avril 1993, § 29, série A no 259),
en avançant que les restrictions imposées par la législation aux enfants requérants n’étaient pas absolues
mais susceptibles de dérogation
et ne s’appliquaient que
pour une durée limitée (jusqu’à l’âge de la scolarité obligatoire – paragraphe 82 ci-dessus).
194. Le Gouvernement
ajoute que la non-admission des enfants requérants à l’école maternelle
est résultée du manquement de leurs parents à une obligation légale, manquement que ceux-ci auraient
justifié par des considérations subjectives. Il se
demande s’il était dans l’intérêt
supérieur des requérants d’être empêchés par leurs parents de fréquenter l’école maternelle et de passer du temps avec
des enfants du même âge. Il expose
que, contrairement aux requérants dans l’affaire Boffa et autres
c. Saint‑Marin (no 26536/95, décision de la
Commission du 15 janvier
1998, Décisions et rapports (DR) 92-A, p. 27), les présents requérants
étaient des enfants et qu’au cœur de leur
cause se trouvait leur non-admission dans un établissement préscolaire, et non
l’imposition d’une amende ou d’une autre forme de sanction. En outre, selon le Gouvernement, fréquenter une école maternelle
est une activité de nature publique
qui, dès lors, n’entre pas dans
le champ d’application de
l’article 8 de la Convention. Le Gouvernement
estime de surcroît qu’il existe d’autres moyens de développer sa propre personnalité et que l’impossibilité faite aux enfants requérants de fréquenter une école maternelle
n’a pas représenté une ingérence fondamentale dans l’exercice par eux de leur droit à l’épanouissement et à l’instruction.
Partant, pour le Gouvernement,
il n’y a pas eu ingérence dans
l’exercice des droits des enfants requérants découlant de l’article 8.
195. Dans
l’hypothèse où la Cour conclurait néanmoins à l’existence d’une ingérence, le Gouvernement soutient que celle-ci était dument « prévue par la loi ».
Il expose que le cadre juridique interne est constitué par les règles relatives à l’obligation vaccinale, combinées avec les règles
sur la responsabilité en cas
de commission de l’infraction
mineure de manquement à ladite obligation, ainsi qu’avec les
règles d’admission dans les établissements
accueillant des enfants. Aux yeux du
Gouvernement, ces règles possèdent la qualité de « loi »
au sens que
la jurisprudence de la Cour
donne à cette notion et, dans la mesure où elles proviennent
de textes réglementaires, elles sont susceptibles
de contrôle juridictionnel.
De plus, la constitutionnalité du
dispositif législatif en question aurait été plusieurs fois examinée et confirmée tant par la CAS que par la Cour constitutionnelle.
196. Le Gouvernement
ajoute qu’il n’y pas vraiment
de litige quant à la légitimité du but
poursuivi par l’ingérence litigieuse, à savoir selon lui servir l’intérêt général de la société à protéger la santé publique ainsi que les droits et libertés d’autrui. Plus
concrètement, la vaccination
protégerait les personnes vaccinées mais aussi les autres,
en particulier les personnes vulnérables qui ne peuvent pas elles-mêmes
se faire vacciner ou pour lesquelles l’immunisation s’est avérée
inefficace. Pour le Gouvernement, si
la vaccination est volontaire
dans certains pays et obligatoire dans d’autres, le but sous-jacent est le même dans les
deux cas et, pour atteindre celui-ci, la vaccination est le moyen le plus sûr et celui qui présente le rapport coût‑efficacité le plus favorable.
197. Concernant
la nécessité d’une ingérence in
abstracto, le Gouvernement
évoque les obligations positives qui lui incombent, au titre de
la Convention, de prendre des
mesures dans le domaine de la protection de la vie ; il fait aussi référence à ses obligations de même type qui découlent
d’autres instruments juridiques internationaux. Il indique plus précisément que les États
sont tenus à une obligation positive de mettre en
place une politique de santé
publique efficace permettant
de lutter contre les maladies graves et contagieuses et de protéger la vie et l’intégrité physique des personnes relevant
de leur juridiction. À cet égard, il y
aurait lieu de noter que les
maladies pour lesquelles la
vaccination est obligatoire
sont toutes graves et, pour la plupart, très contagieuses. Le risque de propagation de ces maladies serait
amplifié par le niveau actuellement élevé des migrations. Ces maladies feraient
aujourd’hui l’objet d’un contrôle efficace et, en conséquence,
l’attention du public et des médias se serait
détournée de la prévention des maladies pour se porter sur l’innocuité des vaccins. Cette
situation risquerait de déformer
la perception de la réalité
et d’engendrer une désinformation
sur les vaccins et, de là, d’entraîner une baisse des taux
de vaccination et un éventuel
retour des maladies à prévention vaccinale
qui avaient été jugulées. La réticence à
se faire vacciner serait reconnue comme un grave problème mondial. Instaurer l’obligation vaccinale serait une réponse normale, en ce
qu’il serait démontré qu’elle entraîne une amélioration de la couverture vaccinale. D’autres États européens auraient opté pour cette stratégie.
198. Le Gouvernement
indique qu’en République tchèque les vaccins
sont fournis gratuitement par l’État. Il ajoute que l’obligation
de vaccination vise principalement les enfants, considérés comme les personnes les
plus vulnérables. Dans un cadre préscolaire, les enfants sont d’après lui inévitablement exposés à un risque accru de contamination. La mise
en œuvre de la vaccination chez les enfants en bas âge favoriserait
donc la réalisation des objectifs généraux
de la politique de vaccination.
À cet égard, le Gouvernement reconnaît que tous les
vaccins qui sont obligatoires en République tchèque
ne visent pas à l’obtention de l’immunité de groupe et il expose que le seuil de cette immunité varie en fonction de la maladie concernée.
199. Le Gouvernement
ajoute que l’obligation de vaccination n’est pas directement exécutoire, que toute sanction pour non-respect de cette obligation est simplement de
nature administrative et qu’une
amende ne peut être infligée qu’en
dernier ressort et une seule
fois.
200. Il indique que l’étendue de l’obligation vaccinale est définie
par le ministère, sur recommandation
de sa commission consultative composée
d’épidémiologistes et, depuis
2010, de la CNV (paragraphe 154 ci-dessus). Au début
de chaque réunion de la
CNV, chacun de ses membres serait tenu de déclarer tout conflit d’intérêts pouvant le concerner en lien avec
un point de l’ordre du
jour, conformément aux prescriptions du code sur la publication (Disclosure Code) de la Fédération européenne des industries et associations pharmaceutiques et à celles de
l’OMS. Quant à la composition
de la CNV, le fait qu’elle
se limite à des fonctionnaires
et à des experts serait conforme à la pratique courante au sein
des États européens.
201. Le Gouvernement
rejette la critique des requérants selon laquelle le système de vaccination tchèque ne repose pas sur une analyse scientifique adéquate. Il indique en particulier que des études
sérologiques accessibles au public sont réalisées depuis 1960. Il avance que l’étendue et les paramètres du système
en question font l’objet
d’un contrôle constant et qu’il existe un mécanisme complet de suivi des effets
indésirables des
produits pharmaceutiques,
dont les vaccins.
202. Le Gouvernement
expose qu’un vaccin ne peut être administré qu’après vérification que le patient est apte à le recevoir,
et que la législation de même que la jurisprudence
prévoient des dérogations. Il indique que celles-ci ont été définies
par la Cour constitutionnelle
dans l’affaire Vavřička (paragraphe 28 ci-dessus)
et qu’elles n’exigent pas de mesure législative.
Il admet que l’on ne peut présenter d’exemples concrets d’application en rapport avec l’admission dans une école maternelle, de l’objection de conscience issue de la jurisprudence, mais il soutient que la dérogation est applicable dans ce contexte, en particulier si la vaccination a produit des effets néfastes
pour la santé dans la famille de l’enfant concerné.
203. Il ajoute que la législation laisse une certaine latitude aux parents,
leur permettant de choisir les vaccins
à employer et les dates de vaccination dans une période prédéfinie. Il estime aussi que l’expérience
a montré que la politique de vaccination en place
est en fait un succès et que toutes les
sociétés savantes tchèques compétentes sont clairement favorables à son maintien (paragraphes 152 et suivants
ci-dessus). Il déclare que toute amende
ou non-admission à l’école maternelle liée à un manquement à l’obligation
vaccinale doit reposer
sur une décision motivée
et susceptible d’un contrôle
juridictionnel exercé à plusieurs degrés de juridiction. De l’avis du Gouvernement, un consensus sur
la question de l’obligation
vaccinale fait manifestement
défaut à l’échelle
européenne et, en conséquence, les
États jouissent d’une ample marge d’appréciation
en la matière. Une autre raison de leur laisser une grande latitude tiendrait au fait
que la question requiert l’analyse de données spécialisées et scientifiques par les autorités nationales.
204. Concernant les six requêtes in concreto,
le Gouvernement soutient que dans les
faits il n’y a pas eu de vaccination
contre la volonté des parents et qu’il n’y a donc pas
eu d’atteinte à l’intégrité physique de qui que ce fût. Selon le Gouvernement,
aucun des requérants n’a établi au niveau interne l’existence de l’un des critères qui auraient justifié une exemption de l’obligation vaccinale pour des considérations de religion, de conscience ou autres.
Les requérants se seraient plutôt contentés d’adopter une attitude globalement dédaigneuse à l’égard de la vaccination. Plus particulièrement,
dans les procédures engagées par Mme Novotná, M. Hornych et M. Roleček,
la CAS aurait spécifiquement
relevé que ceux-ci n’avaient aucunement invoqué les droits et libertés fondamentaux ni fait valoir de circonstances exceptionnelles.
205. Le Gouvernement
admet qu’aucune condition spécifique de vaccination ne s’applique à l’embauche
du personnel des écoles maternelles, mais il indique que ces
employés sont soumis à l’obligation générale de vaccination qui est applicable à toute personne résidant sur le territoire de la République tchèque.
Il en conclut qu’il est très peu probable
que les membres
de ce personnel n’aient pas reçu les
premières séries de vaccins
ou les rappels
concernés, conformément à cette obligation.
206. Au
sujet de la possibilité de demander réparation pour une atteinte à la santé causée par une vaccination administrée suivant les règles et les
normes applicables, le Gouvernement confirme que, pour un préjudice de ce type survenu après
le 31 décembre 2013, la législation
ne prévoyait pas l’octroi d’une indemnité. Il ajoute toutefois qu’un préjudice causé avant cette
date était couvert par un régime législatif antérieur, qui prévoyait une indemnisation. Il précise qu’une nouvelle loi adoptée en 2020 a rétabli ce type d’indemnisation (paragraphe 84 ci-dessus).
Il explique que cette évolution de la législation est due au fait que, dans
le cadre du régime initial, c’était le professionnel de santé ayant administré
le vaccin qui pouvait voir engager sa responsabilité objective en cas d’atteinte à la santé du patient.
Il estime toutefois que cette responsabilité
a trait surtout à l’intérêt
général et qu’en conséquence elle doit revenir à l’État.
207. Il indique que le coût du
traitement à administrer
pour d’éventuels effets secondaires dommageables de la vaccination sont couverts par l’assurance maladie publique. Il ajoute toutefois que les effets
secondaires graves
– c’est-à-dire impliquant des
séquelles à vie – sont
rares et que l’on ne dénombre pas plus de six cas de ce type
par an, pour 100 000 nouveau‑nés vaccinés.
208. Le Gouvernement
déclare que, si la dérogation jurisprudentielle à l’obligation
vaccinale fondée sur le droit
à la liberté de religion ou
de conviction a été établie pour la première fois par la Cour
constitutionnelle dans
l’affaire Vavřička, cette dérogation n’a pas eu pour effet
de rendre arbitraire l’interprétation et l’application
par les juridictions nationales de la législation en vigueur. Concernant Mme Novotná, le fait que la décision
de non-admission à l’école maternelle
ait été prise
dans le cadre d’une procédure rouverte après que la requérante
eut été admise
dans un premier temps et qu’elle eut effectivement
fréquenté l’école pendant deux
ans doit selon le Gouvernement être considéré à la lumière de la
circonstance que, selon lui, l’admission initiale a été accordée sur la base d’informations
incorrectes fournies par l’intéressée. Pour le Gouvernement,
en produisant ces informations, la requérante a pris le risque de voir réviser la décision d’admission une fois que cela aurait été découvert. Pour ce qui est de
M. Hornych, une anomalie du
même type aurait figuré dans
les informations fournies par ses parents lors du
dépôt de la demande d’inscription à l’école maternelle.
Enfin, le Gouvernement argue au sujet
de Mme Novotná que la fréquentation d’un type particulier d’école maternelle ne constitue pas en fait une condition préalable à l’inscription dans une école primaire utilisant les mêmes méthodes
d’enseignement. Il avance qu’en tout état de cause la non‑admission des enfants requérants à l’école maternelle
n’a empêché aucun d’eux de nouer des
relations sociales dans d’autres environnements et d’autres contextes.
209. Invoquant la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, il déclare
pour conclure que, en tant que méthode d’immunisation permettant de prévenir certaines maladies, la vaccination en général constitue un bienfait social qui appelle un partage des responsabilités
entre les membres de la société ainsi que la solidarité
sociale de tous les individus, chacun prenant un risque minime afin de protéger la santé publique.
a) Le gouvernement
français
210. Le gouvernement
français souligne l’importance, pour les États, de pouvoir mettre en place une politique de santé publique efficace, permettant de lutter contre les maladies graves
et/ou contagieuses, ce que la pandémie de COVID-19 aurait clairement démontré.
211. Il indique qu’en France la loi du 30 décembre 2017 a rendu onze vaccinations obligatoires pour les enfants âgés de zéro à vingt-quatre mois, alors qu’auparavant seuls trois de ces vaccins étaient
imposés et que les huit autres
étaient simplement recommandés. Il relève que, à une exception près, la liste des
maladies concernées est identique à celle établie en
République tchèque. Il expose
que la législation française prévoit une dispense de
vaccination en cas de
contre‑indication médicale.
Il déclare que la loi du 30 décembre 2017 a fait passer de six mois
d’emprisonnement et 3 750 EUR d’amende à deux ans
d’emprisonnement et 30 000 EUR d’amende la peine maximale encourue par les parents qui ne respectent pas l’obligation vaccinale concernant leur enfant. Il ajoute que les vaccinations
obligatoires sont exigibles pour l’admission en collectivité, c’est-à-dire dans les structures et services accueillant des enfants ainsi que dans
le système éducatif. Il précise que lorsqu’une
vaccination obligatoire fait défaut, l’enfant peut être admis
provisoirement à condition que toutes les
vaccinations requises soient effectuées dans un délai de trois mois, et que le maintien de l’enfant dans la collectivité est subordonné à la présentation, chaque année, d’une preuve que l’obligation
vaccinale a été respectée.
212. Admettant
que la vaccination obligatoire constitue une ingérence dans l’exercice du droit
au respect de la vie privée, le gouvernement français soutient qu’elle poursuit toutefois le but légitime consistant à protéger la santé. Il estime que la nécessité
de l’ingérence doit être appréciée au regard des
obligations positives qui pèsent sur les États de protéger la vie et l’intégrité physique des personnes relevant
de leur juridiction.
Il rappelle que l’importance de ces obligations a récemment été soulignée par la Secrétaire
Générale du Conseil de
l’Europe dans un document intitulé « Respecter
la démocratie, l’état de droit et les droits
de l’homme dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19 – Une boîte
à outils pour les États membres ». Estimant que des
droits concurrents sont en jeu et qu’il n’existe pas de consensus européen
sur la vaccination obligatoire,
le gouvernement français invite la Cour à indiquer qu’en matière de politique de santé publique et de prévention de la propagation de maladies graves et/ou contagieuses, les États bénéficient
d’une ample marge d’appréciation en ce qu’ils sont les mieux
placés pour apprécier, au regard de la situation sanitaire sur leur territoire et des moyens à leur disposition,
les mesures nécessaires
pour protéger la santé publique.
213. Le gouvernement
français argue que l’obligation vaccinale est
justifiée par la gravité des effets néfastes
qu’engendre un faible taux de couverture vaccinale sur
la santé publique. Il expose qu’il est important de protéger l’enfant dès son plus jeune âge et avant l’entrée dans une période à risque, et que, pour préserver efficacement la collectivité, une politique
vaccinale doit toucher le
plus grand nombre. Il ajoute
qu’un taux élevé de vaccination est particulièrement important pour protéger les personnes
qui ne peuvent être vaccinées.
214. Il estime
évident que si la vaccination était purement volontaire, certaines personnes chercheraient à bénéficier de l’immunité collective sans se soumettre à l’aléa résiduel qui est lié à l’acte de vaccination. Il considère que la généralisation d’une telle attitude conduirait inévitablement à une diminution de la couverture
vaccinale et, à terme, à la réapparition
de pathologies que l’on croyait en recul.
215. Le gouvernement
français invoque la Recommandation no 1317 (1997) de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe intitulée « Vaccinations en
Europe », l’article 11 de la Charte
sociale européenne (révisée) et la Recommandation du Conseil de l’Union européenne relative au
renforcement de la coopération
contre les maladies à prévention vaccinale (2018/C466/01) (paragraphes 137, 142 et 150 ci-dessus). Il note que toutes les
maladies en cause sont graves et, pour la plupart, très contagieuses, et que l’efficacité des vaccins obligatoires
est reconnue, leurs effets indésirables limités et les contre-indications prises en compte. Il conclut que l’ingérence que représente le système de vaccination
obligatoire dans l’exercice du droit
au respect de la vie privée est proportionnée au but consistant à favoriser l’obtention de la couverture
vaccinale qui permet d’atteindre
le seuil nécessaire à une immunité
collective au bénéfice de l’ensemble de la population.
b) Le gouvernement
allemand
216. Le gouvernement
allemand précise que la vaccination obligatoire renvoie au devoir de se faire vacciner dans certaines situations définies, et non à l’administration
forcée d’un vaccin. Il décrit le contexte dans lequel une loi nationale prévoyant
la vaccination obligatoire
contre la rougeole a été adoptée (pour entrer en vigueur le 1er mars 2020), après un vaste débat
au sein de la société et du Parlement.
Il explique que certaines catégories de personnes doivent fournir la preuve de leur vaccination, de leur immunité ou
d’une contre-indication médicale
à la vaccination avant de recevoir des soins
ou d’être embauchées dans des types de structures
précis, y compris les écoles et autres établissements éducatifs. Il indique que l’on recourt en Allemagne à une méthode indirecte,
la menace d’une amende pouvant aller jusqu’à
2 500 EUR, renouvelable dans
certaines circonstances, et
d’une exclusion des établissements éducatifs, pour faire respecter l’obligation de vaccination. Il ajoute que ces
établissements sont tenus de signaler les enfants non vaccinés aux autorités de santé publique. Il précise qu’il n’est pas possible de contraindre une personne à se faire vacciner et que le consentement est toujours requis. Les enfants de moins d’un an seraient dispensés. D’autres dispenses seraient accordées pour des raisons purement
médicales ou lorsqu’un vaccin n’est pas disponible. Il n’y aurait pas
de possibilité de dérogation
fondée sur la religion ou sur les convictions.
Une indemnisation serait possible en cas d’effets indésirables, même si le vaccin
a été administré conformément aux règles applicables.
217. Le gouvernement
allemand observe que la vaccination obligatoire vise à protéger non seulement les personnes vaccinées
mais aussi l’ensemble de la population,
et plus particulièrement les
personnes vulnérables qui
ne peuvent être vaccinées elles-mêmes en raison de leur âge ou de leur
état de santé. Il expose que, si
le taux de vaccination est suffisamment élevé (pour la rougeole, le seuil est fixé à 95 % de la population),
une maladie peut
être éradiquée. Il ajoute qu’en dépit
des efforts de sensibilisation déployés le taux de vaccination volontaire atteint en Allemagne n’a jamais dépassé 93 %. Ce serait à ce
problème que le législateur aurait cherché à s’attaquer par
l’adoption de la loi en question.
218. Selon le gouvernement intervenant, si l’on veut atteindre le seuil de 95 %,
il faut appliquer la vaccination obligatoire aux enfants dès leur plus jeune âge. Les jeunes
enfants seraient du reste particulièrement vulnérables à la
rougeole, compte tenu de l’immaturité de leur système immunitaire.
À cet égard, le gouvernement allemand renvoie à la recommandation formulée par la commission compétente de l’Institut Robert Koch, la principale
institution scientifique du
pays en matière de biomédecine, indiquant que les enfants doivent être vaccinés
deux fois contre la rougeole
avant l’âge de deux ans. Par ailleurs,
il considère que la gestion du programme
de vaccination obligatoire
est plus efficace lorsqu’elle s’inscrit
dans le cadre d’établissements accueillant les enfants sur une longue durée,
comme les écoles maternelles et les services de garde, d’autant plus que le nombre d’enfants fréquentant ces structures est selon lui en augmentation.
219. Comme
l’aurait établi la jurisprudence pertinente fondée
sur la Convention, la vaccination obligatoire
constituerait une atteinte au droit au
respect de la vie privée,
dont la compatibilité avec
l’article 8 dépendrait principalement du respect du principe de proportionnalité.
220. Une sanction
pour non-respect de l’obligation
de vaccination et l’exclusion
consécutive d’un établissement
éducatif constitueraient
une atteinte réelle mais simplement indirecte à l’intégrité personnelle. L’intérêt à protéger la santé publique et, surtout, la santé des personnes qui ne peuvent pas se faire vacciner, revêtirait une importance
fondamentale. À cet égard, des obligations positives incomberaient à l’État au titre
de l’article 2 de la Convention. La personne vaccinée porterait non seulement la charge de la vaccination, mais bénéficierait également de la protection ainsi procurée. Le taux de vaccination de 93 % susmentionné
aurait été atteint sur la base du volontariat, ce qui montrerait que la vaccination est largement acceptée par la population. Si certains parents ne font pas vacciner leurs enfants, ce serait principalement par commodité ou par insouciance. Une obligation légale de vaccination serait propre à résoudre facilement ces cas et n’occasionnerait
pas d’atteinte majeure aux droits
individuels, mais simplement
un petit sacrifice personnel.
Seule une petite partie de
la population s’opposerait
par principe à la vaccination. Le gouvernement
allemand estime que, une fois le seuil de 95 % atteint, la maladie serait éradiquée, il ne serait plus nécessaire de vacciner
la population contre cette
pathologie et l’obligation
de vaccination deviendrait alors superflue.
221. Le gouvernement
intervenant considère qu’en tout état de cause les Parties contractantes bénéficient d’une ample marge d’appréciation en ce qui
concerne leurs systèmes et politiques de santé.
c) Le gouvernement
polonais
222. Le gouvernement
polonais estime que les systèmes
de vaccination obligatoire
n’emportent pas violation de la Convention et que
les sanctions applicables dans ce contexte sont compatibles
avec les seconds paragraphes des articles 8 et 9.
223. Il soutient que le consentement au traitement médical
joue un rôle essentiel dans les principes d’autodétermination et d’autonomie personnelle.
À ses yeux, un traitement médical non consenti constitue une atteinte à l’intégrité physique et morale. Selon
lui, les épidémies de maladies infectieuses peuvent entraîner des crises sanitaires,
sociales et économiques et les Parties contractantes sont tenues de lutter contre ces maladies chez l’homme. La vaccination serait une mesure préventive optimale qui permettrait non seulement de réduire le nombre de personnes infectées mais aussi d’éradiquer la maladie en question. En favorisant l’« immunité
de groupe », elle protégerait
les personnes vaccinées et également celles qui ne peuvent pas l’être. D’après
le gouvernement polonais,
plus le nombre de personnes
vaccinées est élevé, plus
la population est résistante.
La vaccination s’adresserait
donc principalement à la jeune génération. Selon l’état actuel
des connaissances médicales, il n’existerait pas de meilleure prophylaxie. Le Centre européen de prévention
et de contrôle des maladies préconiserait lui aussi une vaccination généralisée (paragraphe 147 ci‑dessus).
224. Selon
le gouvernement polonais,
la vaccination joue un rôle important dans l’élaboration de la santé publique. À son avis, elle atténue les conséquences sociales des complications
médicales liées aux maladies infectieuses,
notamment celles qui tiennent au coût
du traitement nécessaire.
Le système de vaccination obligatoire permettrait donc de prévenir efficacement la propagation de maladies infectieuses dangereuses, en ménageant un équilibre entre, d’une part, l’obligation que l’État est tenu d’honorer envers les citoyens – c’est-à-dire assurer au plus grand nombre le niveau le plus élevé possible de santé publique – et, d’autre part, l’obligation
vaccinale que les citoyens se doivent de respecter envers l’État. Le rapport coût-efficacité de la vaccination
constituerait également un facteur à prendre en compte.
225. En Pologne,
l’obligation vaccinale existerait
depuis près de soixante ans sous
une forme administrative. Elle serait
actuellement énoncée par
une loi de 2008, relayée
par un arrêté adopté en
2011 par le ministre de la Santé sur le fondement de ladite loi. En outre, l’inspecteur général de la santé publique publierait chaque année des programmes
de vaccination préventive
s’adressant aux professionnels de santé qui mettent en œuvre le système de vaccination obligatoire. La vaccination
contre onze maladies actuellement
présentes sur le territoire
européen serait obligatoire
pour toute personne résidant en République de Pologne.
L’inspection sanitaire publique serait tenue de faire respecter l’obligation de vaccination des enfants en recourant à des pouvoirs de nature administrative, et la réglementation
correspondante ainsi que son application n’auraient jamais été remises en question. L’État serait responsable de la sécurité des procédures
de vaccination et supporterait
le coût de la vaccination ainsi que du
traitement d’éventuels effets secondaires. Il serait également possible d’opter pour des vaccins disponibles
dans le commerce, dont le coût ne serait pas pris en charge
par l’État.
226. Le gouvernement
polonais estime qu’en raison de la diversité des systèmes
juridiques et de santé, il est inévitable que les Parties contractantes aient recours à des solutions
variées pour parvenir à un niveau de vaccination suffisant et que cette variété reflète les différences sociales, économiques et culturelles entre ces pays, ainsi
que les conditions,
habitudes et attentes locales et les possibilités économiques de chacun d’entre eux. Il ajoute qu’en l’absence d’un consensus paneuropéen les Parties contractantes disposent d’une ample marge d’appréciation
lorsqu’il s’agit de prendre des dispositions
en fonction de l’état de leurs connaissances et de leurs possibilités. Selon le gouvernement polonais, l’évaluation du système de sanction
propre à chaque Partie contractante ne devrait pas conduire
à affaiblir le système de vaccination obligatoire en général. À son avis, la proportionnalité des solutions adoptées devrait plutôt être évaluée au
cas par cas.
d) Le gouvernement
slovaque
227. Le gouvernement
slovaque observe que les présentes
affaires ne concernent pas
l’obligation de vaccination
en tant que telle, mais plutôt les conséquences du non-respect de cette obligation, distinction qui est selon lui
pertinente pour l’examen sous
l’angle de l’article 8 de
la Convention.
228. Constatant qu’il n’existe pas d’approche commune aux États
membres du Conseil de l’Europe, le gouvernement
intervenant fait référence au dispositif
en place en Slovaquie. Il précise
que dans ce pays l’obligation de vaccination est définie par la législation, à savoir une
loi votée par le Parlement et un décret d’application pris par l’exécutif. Il indique que l’obligation s’applique à tous, sauf en cas
de contre-indication médicale.
Il ajoute qu’il n’existe pas de mécanisme
permettant de contraindre physiquement au respect de cette obligation. Il expose que le médecin traitant est toutefois tenu d’expliquer au patient ou
à ses représentants légaux tous les
aspects et effets pertinents de la vaccination à administrer, et que si le vaccin n’est toujours pas accepté,
le médecin doit signaler le cas aux autorités de santé publique compétentes, qui convoqueront la personne concernée pour un entretien. Selon le gouvernement slovaque, un refus persistant d’obtempérer peut alors être considéré
comme une infraction mineure passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 331 EUR. La législation en vigueur ne prévoirait pas l’exclusion des enfants non vaccinés des établissements
préscolaires.
229. Le gouvernement
slovaque mentionne un arrêt du 10 décembre 2014 (affaire n° PL. US 10/2013), dans lequel la Cour constitutionnelle slovaque a déclaré que l’obligation de vaccination était conforme à la Constitution. La haute juridiction
a considéré que l’État avait l’obligation
positive d’assurer la protection
de la santé publique. Elle
a estimé que la décision du législateur
de se conformer à cette obligation en rendant la vaccination obligatoire était principalement de nature politique et scientifique et qu’elle relevait d’une ample marge d’appréciation.
Elle a indiqué que la vaccination pouvait être contraire au droit individuel
à la protection de la santé
si elle était administrée
en dépit de contre-indications
médicales ou si des effets indésirables généraux du vaccin
étaient démontrés. Or, tel n’était pas
le cas selon elle. Elle a expliqué que l’obligation de vaccination mettait en opposition deux principes constitutionnels, la protection
de la santé publique et le respect de la vie privée, et que pour elle il n’était pas possible de concilier ces deux
principes sans restreindre fondamentalement l’un d’entre eux. Elle a ajouté que la dispense spécifiquement prévue en cas de contre-indication allait de pair avec une obligation pour les médecins traitants
de s’enquérir de l’existence
d’éventuelles contre-indications
avant d’administrer un vaccin. Elle a déclaré que, comme pour tout médicament, la qualité et l’innocuité des vaccins
étaient vérifiées par l’Agence nationale de contrôle des médicaments
et que non seulement les professionnels de santé étaient tenus
de signaler tout effet secondaire grave ou non prévisible suspecté en relation avec un vaccin, mais que de plus tout patient – ou ses parents
s’il s’agissait d’un
enfant – pouvait en faire
de même. En outre, la Cour constitutionnelle a indiqué que le cadre législatif prévoyait une indemnisation pour atteinte à la santé résultant d’une vaccination administrée en violation des règles applicables.
Selon la haute juridiction,
compte tenu de l’état des connaissances
médicales, il n’existait aucun autre moyen
efficace de faire reculer ou d’éradiquer les maladies infectieuses.
Pour elle, l’ingérence que
la vaccination obligatoire représentait pour le droit au respect de la
vie privée d’un individu était
donc justifiée par l’intérêt qu’elle servait, celui de la protection de la santé publique. Tout en admettant que certains pays
prévoyaient également une indemnisation pour les atteintes à la santé résultant d’une vaccination administrée de façon conforme aux
règles applicables, la Cour constitutionnelle a estimé que l’absence
d’un tel régime en Slovaquie n’avait pas d’incidence sur la conclusion susmentionnée.
230. Concernant spécifiquement des enfants, le gouvernement slovaque ajoute que c’est l’intérêt supérieur de ceux-ci qui constitue le critère principal et qu’il convient pour l’établir de rechercher s’il existe ou
non une contre-indication médicale
à la vaccination. Il indique
que, en l’absence de
contre-indication, le refus
de faire vacciner un enfant
peut être considéré comme contraire à l’intérêt supérieur de celui-ci. Pour le gouvernement intervenant, il est donc nécessaire de faire respecter les règles applicables
par le biais de sanctions
et il est important de protéger
les enfants dès leur plus jeune âge, surtout ceux
qui ne peuvent être vaccinés en raison de contre-indications.
e) Společnost pacientů s následky po očkování, z.s. (Association de patients affectés par des problèmes de santé causés par des vaccins)
231. L’association
intervenante représente des patients qui sont affectés par des problèmes de santé survenus à la suite d’une vaccination. Partant de cette position, elle décrit la
situation d’enfants qui n’ont pas
été vaccinés du tout ou qui ne sont pas entièrement
à jour au regard du calendrier vaccinal
en vigueur. Selon elle, dans ces situations, le plus souvent, les enfants ne sont pas admis
à l’école maternelle, la mère
perd son emploi pour n’avoir pas eu
d’autre choix que de rester à la maison avec son enfant et la
famille se retrouve privée
d’une source de revenus. L’association
indique que ces familles préfèrent
malgré tout modifier leur train de vie plutôt que d’exposer
leurs enfants aux risques inhérents à la vaccination obligatoire.
232. Elle estime
que le système en place ignore les besoins
individuels découlant par exemple d’effets indésirables qui auraient déjà touché l’enfant concerné ou ses proches. Elle explique en partie cette situation par un niveau insuffisant de connaissance indépendante des risques et des effets néfastes de la vaccination parmi les pédiatres, dont la formation continue serait souvent soutenue par l’industrie pharmaceutique. Elle déplore en outre un défaut de transparence quant aux critères
et à la méthode de définition du calendrier
de vaccination obligatoire
par les experts. Cela ménagerait un espace pour l’exercice de l’arbitraire de la
part de l’exécutif et susciterait
méfiance et résistance du côté de la population.
Selon l’association, cette situation a conduit les défenseurs de la vaccination à prendre des contre-mesures qui ont globalement eu pour effet de polariser la société et de stigmatiser les opposants à la vaccination. L’association affirme que ces
contre-mesures consistent
en i) une imposition aux pédiatres de l’obligation de vacciner, ii) des campagnes médiatiques de grande ampleur encourageant la vaccination et financées selon elle par l’industrie pharmaceutique, iii) un exercice du pouvoir judiciaire,
notamment par la Cour constitutionnelle, allant dans un sens favorable
à l’obligation vaccinale, et iv) une campagne de désinformation menée par des organismes publics faisant la promotion de
la vaccination.
233. L’association
argue que, dans les faits,
le nombre des vaccins obligatoires et le calendrier vaccinal serré ne laissent aucune place à l’évaluation des besoins individuels.
Selon elle, pour des raisons similaires, il arrive aussi que
des vaccins soient administrés dans des situations où le patient n’est pas en assez bonne santé pour le recevoir. En outre, eu égard
à l’interprétation donnée
en pratique au terme de « contre-indication
permanente », l’association estime qu’il n’est pas possible de satisfaire à ce critère pour obtenir une exemption de
l’obligation de vaccination.
234. Ces
caractéristiques du système en place auraient un
impact considérable sur les
enfants concernés et sur leurs
familles. Il existerait en
Europe divers autres dispositifs étonnamment différents, y compris dans des pays
voisins présentant une
situation épidémiologique proche
de celle de la République tchèque, État dans lequel
le système de vaccination serait le plus strict. L’association assure que, si la Cour
devait juger le système tchèque non contraire aux exigences
de la Convention, la situation pourrait même s’aggraver et cette tendance pourrait gagner d’autres pays. Elle ajoute que, si
la Cour devait conclure dans le sens opposé, il
y aurait lieu pour
l’État défendeur de limiter le pouvoir de l’exécutif concernant la définition et l’application des critères et de la méthode d’établissement du calendrier vaccinal
et d’ouvrir cette question à un débat public et politique plus large.
f) Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ)
235. Pour autant
que sa contribution
concerne l’article 8, le tiers
intervenant soutient que cette affaire est importante
en ce qu’elle porte selon
lui sur le respect de l’intégrité
physique et morale des personnes,
garantie par le principe de la primauté
de l’être humain sur le seul intérêt de la société ou de la science et par celui du consentement
libre et éclairé de la personne
avant toute intervention dans le domaine de la santé, principes énoncés aux articles 2 et 5 de la
Convention d’Oviedo. Il souligne la nécessité d’encadrer ces questions, surtout au vu de l’expérience de plusieurs pays qui au XXe siècle
auraient mené diverses politiques eugénistes et hygiénistes, et il estime que l’on pourrait pour ce faire mettre à profit les principes jurisprudentiels issus des affaires de stérilisation forcée sur lesquelles la Cour a statué. Il note que les présentes
affaires ont trait à une situation dans laquelle des
personnes sont fortement incitées à se soumettre à l’obligation de vaccination au moyen de la menace d’une sanction. Observant que dans les
présentes espèces personne n’a été forcé à subir une vaccination, il
considère que la principale
question ne porte pas tant sur la légitimité de la vaccination obligatoire que sur celle de la sanction infligée aux requérants
pour ne pas s’y être soumis.
236. Le tiers
intervenant soutient que l’intégrité physique d’une personne relève de la notion de « vie privée »
protégée par l’article 8 de
la Convention et que la vaccination
obligatoire en tant qu’intervention médicale non volontaire constitue une ingérence dans l’exercice de ce droit. Selon lui, la question essentielle porte sur la nécessité
des mesures prises par les autorités à l’égard des requérants au soutien de cette
politique.
237. À cet
égard, le tiers intervenant estime que l’approche adéquate consiste à tenter de concilier les droits
et intérêts concurrents, et
non pas simplement à les opposer. Pour lui, la conciliation suppose de rechercher
un compromis et d’appliquer
les principes de pluralisme et de tolérance.
238. Le tiers
intervenant relève que des pays
comme l’Allemagne, l’Autriche, Chypre, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, l’Irlande, la Lituanie, le
Luxembourg, la Norvège, les
Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni
et la Suède n’ont aucune obligation vaccinale, tandis que d’autres
pays imposent entre un (Belgique) et douze (Lettonie) vaccins. Il note que l’utilité et la nécessité du caractère
obligatoire de la vaccination
ne sont pas établies.
239. Le tiers
intervenant considère que mettre l’accent
sur la pédagogie et la recommandation,
combinées avec des procédures plus souples, constitue une autre option que la contrainte et qu’une telle démarche est plus respectueuse de l’intégrité
morale et physique des personnes,
garantie notamment par l’article 8 de la Convention.
g) ROZALIO – Rodiče za lepší informovanost a svobodnou volbu v očkování, z.s.
240. Ce tiers
intervenant présente les informations qui suivent, basées sur son expérience. Selon lui, en
République tchèque, un nombre
croissant de parents souhaitent
être informés sur les questions relatives
à la vaccination, s’interrogent
sur sa nécessité et son calendrier
et connaissent leur droit inaliénable de prendre des décisions
éclairées sur tous les sujets concernant
leurs enfants. Pour le tiers
intervenant, la majorité de
ces parents ne s’opposent pas à la vaccination de leurs enfants en
bloc, mais aimeraient plutôt
une approche individualisée.
À son avis, ils ne savent pas comment
communiquer sur ces aspects avec les
médecins et les autorités, et l’État ne leur offre pas de sources d’informations adéquates et pertinentes.
241. Selon
ce tiers intervenant, les outils répressifs
visant à améliorer le taux de vaccination suscitent de la méfiance et sont donc inappropriés.
Des données vérifiables auraient montré qu’une augmentation
du niveau de répression s’accompagnait d’une baisse du taux
de vaccination. Une meilleure
approche consisterait à promouvoir le dialogue avec les parents,
sur un pied d’égalité.
242. Le cœur
du problème tiendrait à ce que la loi PSP prévoit des sanctions à l’égard des parents
qui ne font pas vacciner leurs enfants et exclut ces derniers des
établissements préscolaires,
publics et privés, ainsi que d’autres activités
telles que les voyages et les séjours scolaires.
243. Au
sujet des sanctions infligées aux parents, le tiers intervenant renvoie à l’objection de conscience séculière telle que définie
par la Cour constitutionnelle
dans l’affaire Vavřička puis développée par la haute juridiction dans un arrêt du 22 décembre
2015 relatif à une autre
affaire (paragraphes 28 et 93 ci-dessus). À cet égard, il observe qu’après 2011 les parents qui n’avaient pas fait vacciner
leurs enfants ont cessé de faire l’objet de procédures pour infraction mineure mais que depuis 2018 de telles procédures sont à nouveau engagées. Il indique toutefois que, dans les
affaires individuelles, les
organes administratifs prenant part à ces procédures n’accordent pas la dérogation prévue par la jurisprudence constitutionnelle et qu’aucune
dispense de ce type n’est consentie
en ce qui concerne l’admission à l’école maternelle d’enfants auxquels il
manque un vaccin requis. Il
ajoute que la dérogation légale à l’obligation vaccinale pour raisons
de santé nécessite une
contre-indication permanente et que
les médecins interprètent généralement cette catégorie de motifs de manière restrictive.
244. Le tiers
intervenant indique que la menace de sanction s’applique également aux établissements préscolaires qui admettent un
enfant non vacciné et que,
face à l’impossibilité de faire
inscrire leurs enfants dans un tel établissement,
les parents doivent soit rester à la maison pour s’en
occuper soit supporter le coût d’un autre mode de garde. Selon le tiers intervenant, les parents concernés
s’organisent parfois pour faire garder leurs
enfants dans le cadre de collectifs informels. Tout cela aurait cependant des conséquences financières et professionnelles.
245. Le tiers intervenant décrit ensuite le régime juridique applicable aux vaccinations, son fonctionnement dans un contexte plus large, sa réforme ainsi que les
conséquences de l’obligation
vaccinale pour diverses catégories
d’acteurs. Il explique qu’en 2017-2018 l’école maternelle
est devenue obligatoire
pour les enfants âgés de cinq ans (paragraphe 81 ci‑dessus). Depuis, ceux-ci ne seraient plus obligés d’être vaccinés. Or ce changement n’aurait pas eu
d’effets notables sur la santé publique, bien que ces
enfants côtoient généralement
des enfants plus jeunes
qui sont toujours soumis à l’obligation de vaccination. Les processus de consultation existant au niveau
ministériel au sujet de l’établissement du calendrier vaccinal
laisseraient à désirer : la commission de travail spécialisée créée en 2015 (paragraphe 156 ci‑dessus) ne se serait réunie que cinq
fois, n’aurait rendu aucune conclusion et serait inactive depuis 2018.
h) Le Forum européen pour la vaccinovigilance
246. Ce tiers
intervenant expose que si, dans d’autres domaines revêtant une importance sociétale dans une société démocratique, les points de vue opposés sont représentés
au niveau institutionnel, dans la sphère de la santé publique, en revanche, il n’y a pas de syndicats de telle ou telle
profession pour défendre les choix d’un individu en matière de santé. Selon lui, tandis que dans
le milieu de la justice il y
a des règles adoptées par le législateur et réajustées par le juge, rien d’équivalent n’existe dans le domaine de la santé. Le tiers intervenant observe que si l’on trouve traditionnellement un ordre des médecins
et un organe administratif chargé des questions
de santé, il n’y a en général pas d’institution pour représenter le patient. Il note que ce besoin de représentation du patient face aux autorités de santé s’est traduit en France par la création
d’un doctorat universitaire
spécifique pour les « patients-experts ».
247. Le tiers
intervenant expose qu’en France les experts assermentés du domaine de la santé sont désignés
par un tribunal et travaillent
dans le cadre d’un régime critiquable, eu égard notamment
à leur champ de spécialisation et d’expertise. Il ajoute
que pour diverses raisons la recherche
fondamentale, pré-clinique et clinique
sur les vaccins présente un potentiel limité.
248. Par ailleurs,
le tiers intervenant critique l’utilisation de composés à base d’aluminium dans la production de vaccins et explique cette pratique par des considérations économiques de la
part du secteur pharmaceutique.
249. En outre,
il décrit en détail divers aspects physiologiques de l’immunité et commente un cas clinique particulier illustrant l’existence d’effets indésirables de la vaccination sur la santé.
250. Selon
le tiers intervenant, les déclarations publiques des autorités
sanitaires concernant les effets secondaires
des vaccins sont généralement biaisées et les études officielles dans le domaine de la vaccination passent habituellement sous silence leurs auteurs
et leurs sources. Pourtant,
des questions telles que l’efficacité
de la vaccination de rappel
des adultes et des vaccins administrés
par voie sous-cutanée en général prêteraient à débat.
251. Aux
yeux du tiers
intervenant, de la même
façon que le principe in dubio pro reo existe
pour les questions de responsabilité, les doutes en matière de vaccination devraient être interprétés dans un sens favorable
à la liberté de choix de l’individu,
suivant les principes primum
non nocere et in dubiis abstine.
252. Selon
le tiers intervenant, le
monde médical confond souvent « consentement éclairé »
et « permission accordée
par le patient pour procéder
à une intervention spécifique ».
À son avis, la raison en
est peut‑être que les médecins, malgré
de longues études, ne sont pas formés
à transmettre des informations scientifiques et médicales dans un langage intelligible pour les patients. Rien
ne permettrait de dire si
l’état de la science concernant
les approches thérapeutiques tient compte des réponses
physiologiques d’un individu.
253. Alors
que la vaccination serait un procédé intrusif au regard
de la loi, et donc normalement soumis au consentement éclairé, en France elle serait ordonnée administrativement, sans
faire l’objet d’un
consentement libre et éclairé
de l’intéressé.
254. De nombreux
cas de pathologies graves auraient été rapportés à la suite de vaccinations, comme des syndromes autistiques,
des scléroses en plaques, des syndromes
de Guillain-Barré, ou
encore des myofasciites à
macrophages. Certaines auraient été démontrées
devant les tribunaux dans des procédures individuelles contre des
entreprises pharmaceutiques. Il serait nécessaire et relèverait
de la responsabilité scientifique
et médicale, dans une société démocratique, d’exclure les risques
potentiels en établissant
l’absence de lien de causalité
entre l’administration du vaccin et les
pathologies observées après celle-ci. Pour le tiers intervenant, on ne peut justifier l’absence d’une telle démarche en avançant des considérations
économiques.
255. Aujourd’hui,
la compréhension de la physiologie
serait toujours balbutiante et la vaccination telle qu’elle est pratiquée serait un procédé archaïque mis en place par les laboratoires et les institutions au-dessus de ceux-ci.
256. Nombre
de pathologies contre lesquelles
la vaccination est obligatoire
ne produiraient pas de conséquences graves et la vaccination contre ces maladies aurait pour effet de les faire
muter et de les rendre plus pernicieuses.
257. Enfin,
de nombreux gouvernements prôneraient actuellement une large
couverture vaccinale par le biais
d’une politique de vaccination
offensive, alors qu’aucune étude scientifique n’aurait prouvé l’efficacité de cette approche. D’autres pays européens, en revanche, laisseraient
à l’individu la liberté de choix
en la matière. Le tiers intervenant estime que la première mesure impérative consisterait à veiller à ce que les personnes concernées
soient amplement informées sur tous les aspects pertinents
de la vaccination et il se demande
si les médecins sont capables de le faire. En second lieu, le tiers intervenant considère que l’individu devrait être libre de choisir entre consentement éclairé et refus.
- L’appréciation de la Cour
a) Sur l’objet
des requêtes
258. La Cour observe que les
requérants ont formulé leurs griefs
fondés sur l’article 8 en faisant référence principalement à l’amende infligée à M. Vavřička et à la non-admission des enfants requérants à l’école maternelle. En d’autres termes, ils se plaignent des conséquences
du manquement à l’obligation de vaccination.
259. Pour la Cour, cependant, les conséquences subies par les requérants ne peuvent pas réellement être dissociées de l’obligation sous-jacente. Au contraire, ces
conséquences ont été le résultat direct et immédiat de l’attitude des requérants
vis-à-vis de cette obligation
et elles sont donc intrinsèquement liées à celle-ci.
260. Dès lors, la Cour
estime que l’objet des griefs
des requérants réside dans l’obligation
vaccinale et dans les conséquences du manquement à celle-ci que les requérants ont eues à subir.
b) Sur la portée
261. Il ne prête pas à controverse entre les parties que le grief formulé
sur le terrain de l’article
8 de la Convention concerne le droit des requérants au respect de leur
vie privée. La Cour souscrit
à cette analyse, car il est
de jurisprudence constante que l’intégrité physique d’une personne relève de sa « vie
privée » au sens de cette disposition de la
Convention, qui recouvre aussi,
à un certain degré, le droit, pour l’individu, de nouer et développer des relations avec ses semblables (Paradiso et
Campanelli c. Italie [GC], no 25358/12, § 159, 24 janvier 2017,
avec d’autres références ; sur la vaccination
en particulier, voir aussi Boffa et autres, décision précitée, et Baytüre et autres
c. Turquie (déc.),
no 3270/09, 12 mars 2013).
262. Si certains des requérants invoquent également le droit au respect
de la vie familiale, la Cour estime qu’il
n’y a pas lieu d’examiner sous cet angle complémentaire leurs griefs tirés de l’article 8.
c) Sur l’existence
d’une ingérence
263. Selon
la jurisprudence de la Cour,
la vaccination obligatoire,
en tant qu’intervention médicale non volontaire, constitue une ingérence dans l’exercice du droit au
respect de la vie privée au
sens de l’article 8 de la
Convention (Solomakhin c. Ukraine,
no 24429/03, § 33, 15 mars
2012, avec d’autres références). Concernant les requérants dans la présente affaire, il est vrai, comme
le Gouvernement l’a souligné,
qu’aucune des vaccinations contestées n’a été effectuée. Cependant, eu égard
à l’objet de cette affaire tel qu’établi ci-dessus (paragraphe 260) et au fait que,
de par leur non‑admission
à l’école maternelle, les
enfants requérants ont subi les conséquences
directes du non‑respect de l’obligation
vaccinale, la Cour constate qu’il
y a eu dans leur chef une ingérence dans l’exercice du droit au
respect de la vie privée.
264. S’agissant
de M. Vavřička, bien
que ce soit la vaccination de ses enfants qui soit en cause, la Cour considère que ce facteur n’amène pas à conclure différemment. Elle observe qu’au regard du
droit interne M. Vavřička était personnellement soumis à l’obligation de faire vacciner ses enfants et que les conséquences du manquement à cette obligation, c’est‑à-dire
l’imposition d’une amende, ont été subies
par l’intéressé directement,
en sa qualité de personne légalement responsable du bien-être de ses enfants. Comme indiqué ci-dessus, lorsqu’il s’est opposé à leur vaccination il a expliqué que
sa motivation était liée principalement à leur intégrité physique, car il craignait que la vaccination pût causer une atteinte grave à leur santé. Dès
lors, la Cour estime que les
circonstances de la cause de
M. Vavřička peuvent
également être considérées comme révélant une ingérence dans l’exercice du droit au
respect de la vie privée, comme
l’a du reste admis le Gouvernement (Boffa et autres,
décision précitée, p. 34).
d) Sur la justification
de l’ingérence
265. Pour déterminer
si cette ingérence a emporté violation de l’article 8 de la Convention, la Cour
doit rechercher si elle était justifiée au regard du
second paragraphe de cet article, c’est-à-dire si elle était « prévue
par la loi », si elle poursuivait
l’un ou plusieurs des buts légitimes
énumérés dans cette disposition, et si elle était à cet effet
« nécessaire dans une société
démocratique ».
- « Prévue par la loi »
266. La Cour
rappelle que toute atteinte à un droit garanti par la Convention doit
avoir une base en droit
interne. En outre, la « loi »
doit être suffisamment accessible et énoncée avec assez
de précision pour permettre
aux personnes auxquelles elle s’applique de régler
leur conduite : en s’entourant au besoin
de conseils éclairés, elles doivent être
à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances
de la cause, les conséquences
de nature à dériver d’un acte
déterminé (voir, par exemple, Dubská et Krejzová c. République tchèque [GC],
nos 28859/11 et 28473/12, § 167, 15 novembre 2016, avec
une autre référence).
267. La Cour note que l’obligation de vaccination repose expressément sur l’article 46 §§
1 et 4 de la loi PSP, appliqué
en combinaison avec l’arrêté pris par le ministère en vertu du pouvoir que
lui conféraient à cet effet les articles
46 § 6 et 80 § 1 de la loi PSP (paragraphes 11, 13 et 74 ci‑dessus). Les conséquences
du non-respect de l’obligation vaccinale ont découlé pour M. Vavřička de
l’application de l’article
29 §§ 1 f) et 2 de la loi IM (paragraphes 17 et 83 ci-dessus) et, pour les enfants requérants, de l’application de
l’article 34 § 5 de la loi
sur l’éducation, combiné avec l’article 50 de la loi PSP (paragraphes 15, 73 et 81 ci-dessus). L’accessibilité et la prévisibilité de ces dispositions n’ont pas été contestées
par les requérants.
268. En fait,
l’objection spécifique des requérants quant à la légalité de l’ingérence litigieuse repose principalement sur leur argument, formulé au regard
des dispositions de l’article 4 de la Charte des droits et libertés fondamentaux (paragraphe 65 ci-dessus), selon lequel, dans le contexte en question, le terme
« loi » doit être interprété comme visant exclusivement
une loi adoptée par le Parlement, ce qui correspond à la
façon dont la notion de « loi »
(zákon) est généralement
entendue au niveau national. Ils critiquent le fait que le régime tchèque
de vaccination soit fondé sur une combinaison entre textes législatifs
et textes réglementaires.
269. La Cour
rappelle que le terme « loi », dans l’expression « prévue par la loi » qui
figure aux articles 8 à 11
de la Convention, doit être
entendu dans son acception « matérielle »
et non « formelle ». Il inclut donc, notamment, le « droit écrit »,
lequel ne se limite pas aux textes législatifs
mais englobe aussi les actes et instruments
juridiques de rang inférieur. En résumé, la « loi » est le texte en vigueur tel que
les juridictions compétentes l’ont interprété (voir, par exemple, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC],
no 38224/03, § 83, 14 septembre
2010, avec une autre référence).
270. De plus, la Cour observe que
la constitutionnalité du dispositif législatif en question a été examinée in extenso et
confirmée à la fois par la
CAS et par la Cour constitutionnelle
(paragraphes 36, 60, 86 et 91 ci‑dessus).
271. Partant,
la Cour constate que l’ingérence litigieuse était prévue par la loi au sens
du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention.
- Sur l’existence d’un but légitime
272. Concernant les buts poursuivis par l’obligation vaccinale, comme le soutient le Gouvernement et comme l’ont reconnu
les juridictions nationales, l’objectif de la législation pertinente est la protection
contre des maladies susceptibles de faire peser un risque grave sur la santé. Sont concernées
aussi bien les personnes qui reçoivent les vaccins
en question que celles qui ne peuvent pas se faire vacciner
et qui se trouvent donc dans une situation de vulnérabilité,
dépendant d’un taux élevé de vaccination qui serait atteint parmi l’ensemble de la population
pour être protégées contre les maladies contagieuses
en cause. Cet objectif correspond aux buts que sont
la protection de la santé
et la protection des droits d’autrui, visés à l’article 8 de la
Convention.
Eu égard à ce
qui précède, il n’y a pas lieu de déterminer
si d’autres buts reconnus comme légitimes par l’article 8
§ 2, à savoir les intérêts que constituent
la sûreté publique, le bien-être économique du pays ou
encore la défense de l’ordre,
peuvent entrer en ligne de compte lorsqu’un État prend des mesures
pour empêcher qu’une maladie grave ne cause des perturbations majeures à la société.
- Sur la nécessité dans une société démocratique
1) Les principes généraux
et la marge d’appréciation
273. Les
principes applicables peuvent se résumer comme suit (voir,
en particulier, Dubská et Krejzová, précité,
§§ 174-178, avec d’autres
références) :
– Une ingérence est considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre
un but légitime si elle répond à un « besoin social impérieux » et, en particulier,
si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants »
et si elle est proportionnée au
but légitime poursuivi.
– Le mécanisme
de contrôle institué par la
Convention a un rôle fondamentalement
subsidiaire. Les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratique directe en ce qui
concerne la protection des droits de l’homme et, grâce à leurs contacts
directs et constants avec les forces
vives de leur pays, elles se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour évaluer les besoins et le contexte locaux.
– En conséquence,
c’est au premier chef aux autorités nationales qu’il revient de se prononcer sur le point de savoir où se situe le juste équilibre à ménager lorsqu’elles apprécient la nécessité, au regard d’un intérêt général, d’une ingérence dans les droits des
individus protégés par l’article 8 de la Convention. Il s’ensuit
que, lorsqu’ils adoptent des lois
visant à concilier des intérêts concurrents,
les États doivent en principe pouvoir choisir les moyens
qu’ils estiment les plus adaptés au but de la conciliation
ainsi recherchée.
– Cette évaluation par les autorités nationales demeure soumise au contrôle de la Cour, à laquelle il revient de trancher en définitive la question de savoir si, dans telle ou telle
affaire, l’ingérence était « nécessaire » au sens que l’article
8 de la Convention attribue à ce terme.
– Les autorités nationales jouissent en principe d’une certaine
marge d’appréciation à cet égard. L’ampleur
de cette marge dépend d’un certain nombre d’éléments déterminés par les circonstances de la cause. Cette marge est d’autant plus étroite que le droit en cause est important pour garantir à l’individu la jouissance effective des droits
fondamentaux ou d’ordre intime qui lui sont reconnus. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est également restreinte. Lorsque, parmi les Parties contractantes à la Convention, il n’y
a de consensus ni sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ni sur les meilleurs moyens de le protéger, la marge d’appréciation est plus large, surtout
lorsque sont en jeu des questions morales
ou éthiques délicates.
274. La Cour a jugé que les
questions de santé publique relèvent en principe de
la marge d’appréciation des autorités nationales,
qui sont les mieux placées pour apprécier les priorités,
l’utilisation des ressources disponibles et les besoins de la société (Hristozov et
autres c. Bulgarie,
nos 47039/11 et 358/12, § 119, CEDH 2012 (extraits),
avec d’autres références).
275. Enfin,
la Cour rappelle que la marge d’appréciation dont dispose l’État défendeur est de façon générale ample lorsqu’il doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou différents droits
protégés par la Convention (voir,
par exemple, Evans c. Royaume-Uni [GC],
no 6339/05, § 77, CEDH 2007‑I, avec
d’autres références).
2) La
marge d’appréciation en l’espèce
276. La
présente espèce concernant une intervention médicale obligatoire, l’obligation vaccinale peut être considérée comme étant liée
à la jouissance effective
par l’individu de ses droits d’ordre intime (Solomakhin, précité,
§ 33). Le poids de cette
considération se trouve toutefois atténué par le fait qu’aucune vaccination n’a été ni n’aurait pu être
administrée contre la volonté
des requérants, car le droit interne pertinent ne permet pas de faire
respecter par la force l’obligation en cause.
277. Sur l’existence d’un consensus, la Cour
distingue deux aspects. En
premier lieu, il y a parmi les Parties contractantes un consensus général,
fermement soutenu par les organismes internationaux spécialisés,
revenant à considérer que
la vaccination est l’une des
interventions médicales qui
présentent le plus d’efficacité
et le rapport coût-efficacité le plus favorable et que chaque État doit
s’employer à atteindre le taux de vaccination le plus élevé possible parmi sa population (paragraphe 135 ci-dessus).
Partant, l’importance relative
de l’intérêt en jeu ne fait
pas de doute.
278. En second lieu, pour ce qui concerne le meilleur
moyen de protéger les intérêts en jeu, la Cour constate l’absence de
consensus quant à un modèle
unique. En fait, il existe parmi les
Parties contractantes à la Convention tout un éventail de politiques relatives à la vaccination des enfants, qui va du modèle reposant entièrement sur les recommandations aux modèles qui érigent en obligation légale le fait de veiller à la vaccination complète des enfants, en passant par ceux
qui imposent une ou plusieurs vaccinations obligatoires. La position que la
République tchèque occupe
sur cet éventail est la
plus prescriptive et elle est approuvée
et partagée avec ce pays par trois des gouvernements intervenant dans la présente affaire (voir les observations des autorités françaises,
polonaises et slovaques présentées
aux paragraphes 211, 225 et 228 ci‑dessus). La Cour observe par ailleurs que plusieurs autres
Parties contractantes ont récemment donné un tour plus prescriptif à leur politique, à la suite d’une baisse
de la vaccination volontaire
et de la diminution consécutive
de l’immunité collective (voir les observations
des gouvernements français et allemand, aux paragraphes 211 et 216 ci-dessus, et l’arrêt rendu en 2018 par la Cour constitutionnelle italienne, résumé aux paragraphes 106-112 ci‑dessus).
279. Si la vaccination des enfants, aspect fondamental de la politique actuelle de santé publique, ne soulève pas en elle-même de questions sensibles sur le plan moral ou éthique, la Cour admet toutefois que le fait d’ériger
la vaccination en obligation
légale peut être perçu comme
posant pareilles questions ;
en attestent les exemples tirés de la jurisprudence constitutionnelle
qui sont présentés ci-dessus (paragraphes 95-127).
La Cour observe à cet égard que
le changement récemment intervenu dans la politique de l’Allemagne a été précédé par un vaste débat sur le sujet au sein
de la société et du Parlement. Elle estime toutefois que le caractère sensible reconnu à ce problème ne se
limite pas au point de vue des personnes
hostiles à l’obligation
vaccinale. Comme le soutient
le gouvernement défendeur,
il doit également être considéré sous l’angle de l’importance que revêt la solidarité sociale, l’objet de l’obligation en cause étant de protéger la santé de tous les
membres de la société, en particulier des personnes qui sont particulièrement vulnérables face
à certaines maladies et
pour lesquelles le reste de la population
est invité à prendre un risque minime en se faisant vacciner (voir, à cet égard, la Résolution
1845 (2011) de l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe, citée au paragraphe 143 ci-dessus). La Cour reviendra plus bas sur ce point.
280. Comme
elle l’a rappelé ci-dessus
(paragraphe 274), la Cour
a déjà eu l’occasion de juger que les questions
de santé publique relèvent de la marge d’appréciation des autorités nationales. Eu égard aux considérations
qui précèdent, et appliquant
les principes qui ressortent de sa jurisprudence
constante, elle estime que dans la présente espèce, qui porte spécifiquement
sur le caractère obligatoire
de la vaccination des
enfants, cette marge doit être ample.
3) Besoin social impérieux
281. L’importance
de la vaccination des
enfants étant reconnue de manière générale comme une mesure clé de la politique de santé publique, il convient ensuite de rechercher si le choix qu’a fait
le législateur tchèque de rendre obligatoire cette vaccination peut être considéré
comme répondant à un besoin social impérieux.
282. Il y a lieu à cet égard
de rappeler que les dispositions pertinentes de la Convention, notamment
les articles 2 et 8, font peser sur les États
contractants une obligation
positive de prendre les mesures nécessaires à la protection
de la vie et de la santé des personnes relevant
de leur juridiction (L.C.B.
c. Royaume-Uni, 9 juin
1998, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1998‑III, Boudaïeva et autres
c. Russie, nos 15339/02 et 4 autres,
§§ 128‑130, CEDH 2008 (extraits), Furdík c. Slovaquie (déc.), no 42994/05, 2 décembre 2008, avec d’autres références, Hristozov et autres (précité) §§ 106 et 116, İbrahim Keskin c. Turquie, no 10491/12, § 62, 27 mars
2018, et Kotilainen et autres c. Finlande, no 62439/12, §§ 78 et suivants,
17 septembre 2020). Des
obligations similaires découlent d’autres instruments internationaux largement acceptés en matière de droits de l’homme, et sont développées plus avant par la pratique des organes
de surveillance compétents (concernant le Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, voir les paragraphes 129-131 ci-dessus ; pour la Convention relative aux droits de l’enfant, voir les paragraphes 132‑134 ci-dessus ; concernant enfin la Charte sociale
européenne, voir les paragraphes 137-140 ci‑dessus).
283. La Cour
prend note des avis spécialisés présentés par le gouvernement défendeur, qui traduisent la ferme conviction des autorités médicales
compétentes de la République tchèque
que la vaccination des enfants doit continuer à relever d’une obligation légale dans ce pays, et qui soulignent le risque que ferait peser
sur la santé individuelle
et publique une éventuelle baisse du taux
de vaccination si cet acte devenait une procédure simplement recommandée (paragraphes 152-153 ci-dessus). Des préoccupations
concernant les risques associés à une baisse de la couverture vaccinale
ont également été exprimées par les gouvernements intervenants, qui ont insisté sur
l’importance de veiller à
ce que les enfants soient vaccinés dès leur plus jeune
âge contre les maladies en cause (voir aussi l’arrêt de la Cour constitutionnelle italienne, au paragraphe 107 ci-dessus). Des inquiétudes
similaires ont aussi été formulées
aux niveaux européen et
international (paragraphes 131, 134, 142, 149 et 151 ci-dessus).
284. À la lumière de ces arguments ainsi
que de la position clairement
adoptée par les organes spécialisés en la matière, on peut considérer qu’en République tchèque l’obligation vaccinale constitue la réponse des autorités nationales
au besoin social impérieux de protéger la santé individuelle et publique contre les maladies en question et d’éviter toute tendance à la baisse du taux de vaccination
des enfants.
4) Motifs pertinents et suffisants
285. Concernant
les motifs avancés pour justifier le caractère obligatoire de la vaccination en République tchèque,
la Cour a déjà reconnu les solides
raisons de santé publique qui sous-tendent ce choix politique, notamment au regard
de l’efficacité et de l’innocuité
de la vaccination infantile. De même,
elle a reconnu l’existence
d’un consensus général favorable
à l’objectif, pour chaque État, d’atteindre le niveau de couverture vaccinale le
plus élevé possible. Si les requérants soutiennent que les autorités n’ont pas établi
que l’obligation d’accepter les vaccinations
requises était nécessaire
et justifiée (paragraphe 175 ci-dessus), la Cour considère que le Gouvernement a clairement exposé les motifs
de ce choix. De plus, elle prend note de la conclusion formulée par la Cour constitutionnelle tchèque selon laquelle les données pertinentes
obtenues d’experts nationaux et internationaux en la
matière justifient la poursuite de cette politique (paragraphe 91 ci-dessus). Bien que
le régime de vaccination obligatoire ne soit ni le modèle unique ni le modèle le plus répandu parmi les États
européens, la Cour rappelle
que, pour les questions de santé publique, ce sont les autorités nationales
qui sont les mieux placées pour apprécier les priorités,
l’utilisation des ressources disponibles et les besoins de la société. Tous ces aspects sont pertinents
dans le présent contexte et relèvent de l’ample marge d’appréciation
que la Cour doit accorder à l’État défendeur.
286. En outre,
l’objet de la présente
affaire soulève nécessairement
la question de l’intérêt supérieur des enfants. À cet égard, les
requérants soutiennent que ce doit être
principalement aux parents de déterminer comment servir et protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, et
que l’intervention de l’État n’est acceptable qu’en dernier ressort, dans des cas
extrêmes. Le Gouvernement considère que, en matière de santé, l’intérêt supérieur de l’enfant est de jouir
du meilleur état de santé possible.
287. Selon
la jurisprudence constante de la Cour,
l’intérêt supérieur des enfants doit primer dans toutes les
décisions qui les concernent. Cette idée reflète le large consensus
qui existe en la matière et
que traduit notamment l’article 3 de la
Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant (voir, par exemple, Avis consultatif
relatif à la reconnaissance
en droit interne d’un lien de filiation
entre un enfant né d’une gestation
pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention [GC], demande
no P16‑2018‑001, Cour de cassation française, § 38,
10 avril 2019, avec d’autres références, et Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC],
no 41615/07, § 135, CEDH 2010).
288. Il s’ensuit
qu’il existe pour les États une obligation
de placer l’intérêt supérieur de l’enfant, et également
des enfants en tant que groupe, au
centre de toutes les décisions touchant à leur santé et à leur développement. Concernant la vaccination, l’objectif doit être
de veiller à ce que tout
enfant soit protégé contre les maladies graves (paragraphe 133 ci‑dessus).
Dans la grande majorité des cas, cet
objectif est atteint par l’administration aux enfants, dès leur plus jeune
âge, de tous les vaccins prévus
dans le programme vaccinal. Ceux qui ne peuvent pas recevoir
ce traitement sont protégés indirectement contre les maladies contagieuses
tant que, au sein de leur
communauté, la couverture
vaccinale est maintenue au niveau requis ; autrement dit, leur protection
réside dans l’immunité de groupe. Ainsi, lorsqu’il apparaît qu’une politique de vaccination volontaire est insuffisante pour
l’obtention et la préservation
de l’immunité de groupe, ou que l’immunité
de groupe n’est pas
pertinente compte tenu de
la nature de la maladie (s’il
s’agit par exemple du tétanos), les
autorités nationales peuvent raisonnablement mettre en place une politique de vaccination obligatoire afin d’atteindre un niveau approprié de protection contre les maladies graves. Pour la Cour, la politique de santé de l’État défendeur repose sur de telles considérations, raison pour laquelle elle peut être tenue pour compatible avec l’intérêt supérieur des enfants, qui est au centre de l’attention de cette politique (voir l’observation générale no 15 du Comité des
droits de l’enfant de l’ONU, paragraphe 133 ci-dessus ;
voir aussi, à ce sujet, les conclusions
de la Cour constitutionnelle
italienne et l’arrêt de la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles, paragraphes 109 et 128 ci‑dessus).
289. La Cour
admet dès lors que le choix
du législateur tchèque d’opter pour une stratégie de vaccination obligatoire est étayé par des motifs pertinents
et suffisants. Ce constat
s’étend aux ingérences particulières dont se plaignent les requérants,
car la sanction administrative
infligée à M. Vavřička et
la non-admission des
enfants requérants à l’école maternelle
ont découlé directement de l’application du cadre légal.
5) Proportionnalité
290. La Cour doit pour finir apprécier la proportionnalité des ingérences litigieuses à la
lumière du but poursuivi.
291. Elle examinera
tout d’abord les caractéristiques pertinentes du régime national. L’obligation vaccinale concerne neuf
maladies contre lesquelles
la vaccination est estimée sûre et efficace par la communauté
scientifique, qui porte le même
jugement sur la dixième vaccination, administrée aux enfants présentant des indications médicales spécifiques (paragraphe 76 ci-dessus).
Le modèle tchèque a certes adopté l’obligation vaccinale, mais il ne s’agit
pas d’une obligation absolue. Une dispense est accordée
notamment aux enfants qui présentent une contre-indication
permanente à la vaccination. Les
requérants ainsi que deux des
tiers intervenants ont exprimé des
critiques quant à la manière dont le corps médical interprète et applique ce
motif en République tchèque.
La Cour note toutefois qu’aucun des requérants,
pendant les procédures nationales ou devant
la Cour, n’a invoqué l’existence d’une contre-indication
à l’une ou l’autre des vaccinations contre lesquelles ils s’élèvent. La question de savoir comment l’exemption est appliquée en pratique n’est donc pas particulièrement pertinente relativement à leurs griefs. La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de contrôler dans l’abstrait une législation ou une pratique contestée. Sans oublier le contexte général, elle doit autant que
possible se limiter à traiter les questions
soulevées par le cas concret dont elle se trouve saisie (voir, parmi
bien d’autres, Paradiso
et Campanelli, précité, § 180). Elle ne saurait dès lors
accorder d’importance aux critiques aujourd’hui
formulées à l’encontre de
l’exemption légale à l’obligation vaccinale.
292. Au
sein de l’État défendeur, une dispense peut aussi être accordée
sur le fondement de la jurisprudence Vavřička de la Cour
constitutionnelle (paragraphe 28 ci‑dessus), qui a par la suite donné
lieu à un droit à l’« objection de conscience séculière » (paragraphe 93 ci-dessus).
Selon le droit interne, cette dispense concerne les deux formes d’ingérences
en cause dans la présente espèce et, comme l’a confirmé le Gouvernement, elle peut être invoquée
directement pour contester
une amende ou un refus d’admission d’un enfant à l’école maternelle. Les requérants affirment que cette
dispense n’est pratiquement jamais
octroyée dans les faits, en particulier
lorsqu’il s’agit d’admission dans un établissement préscolaire. Là
encore, la Cour ne peut que constater que
les enfants requérants n’ont pas cherché
à se prévaloir d’un telle exemption pendant les procédures nationales. Les critiques émises
à ce sujet par M. Vavřička seront traitées par la Cour dans le cadre
de l’examen du grief que l’intéressé
a formulé sous l’angle de l’article 9 (paragraphe 335 ci‑dessous).
293. Si
dans l’État défendeur la vaccination est une obligation légale, la Cour rappelle qu’il
n’est pas possible d’en imposer directement l’observation, aucune disposition ne permettant d’administrer un vaccin par la force. Comme dans les dispositifs
adoptés au sein des États
intervenants, l’application
de sanctions est employée comme méthode indirecte
pour faire respecter cette obligation. En République tchèque, la sanction peut être tenue pour relativement modérée puisqu’elle consiste en une amende
administrative qui ne peut être infligée qu’une
seule fois. Dans le cas de M. Vavřička, bien que celui-ci ait
déclaré que l’amende était d’un montant élevé pour lui compte tenu du
contexte (paragraphe 162 ci-dessus), la Cour note que ce montant se situait vers la
limite inférieure du
barème pertinent et elle estime que l’amende
ne saurait être considérée comme ayant été excessivement lourde ou sévère.
294. Concernant les enfants requérants, la Cour voit leur non-admission
à l’école maternelle comme
une « ingérence » au sens de l’article 8
§ 2 de la Convention. Les requérants
la perçoivent comme une
forme de sanction ou de peine qu’on leur
aurait infligée. La Cour considère cependant que la
conséquence – qui était
clairement prévue par les textes législatifs –
du manquement à l’obligation légale générale en question, qui visait en particulier à préserver la santé des jeunes enfants, était de nature essentiellement protectrice, et non punitive (voir
aussi le paragraphe 61 ci‑dessus). Elle se penchera sur la portée de la non-admission des enfants requérants à l’école maternelle lorsqu’elle évaluera l’ampleur de l’ingérence dans l’exercice de leur droit au respect
de la vie privée (paragraphes 306 et 307 ci-dessous).
295. La Cour
prend note des garanties procédurales prévues par le droit national. Comme le montre le déroulement des procédures internes engagées par les requérants, ceux-ci ont eu la possibilité
de former des recours administratifs mais aussi d’introduire des actions devant les juridictions administratives et, en fin de compte,
devant la Cour constitutionnelle. Il leur a donc été loisible
de contester les conséquences ayant découlé de leur non-respect de l’obligation
vaccinale. Alors que les requérants critiquent les voies de recours en question, la Cour observe qu’il serait
injuste de dire, de la jurisprudence
de la Cour constitutionnelle
en particulier, qu’elle est
purement formelle ou qu’elle évite tout contrôle sur le fond de l’obligation vaccinale du point de vue des droits
fondamentaux. C’est certes lors d’une procédure distincte et ultérieure que la Cour constitutionnelle
s’est penchée directement
sur la compatibilité de l’obligation
vaccinale avec la Constitution
(paragraphe 93 ci-dessus),
et qu’elle a estimé que l’intérêt général
en jeu primait les objections des auteurs du recours ;
mais le raisonnement que la
haute juridiction a tenu dans la procédure engagée par M. Vavřička,
dans lequel elle a reconnu l’existence d’une dérogation constitutionnelle à l’obligation générale, doit toutefois être considéré comme une garantie pertinente. De
même, dans la procédure intentée par Mme Novotná, la Cour constitutionnelle a déclaré que pour protéger de manière effective les droits
fondamentaux qui étaient en
conflit avec l’intérêt général, il convenait d’évaluer rigoureusement les circonstances propres à chaque affaire. Le fait qu’aucun de ces deux requérants n’ait obtenu gain de cause à l’issue de son recours constitutionnel ne remet pas en cause l’importance de cette garantie jurisprudentielle des droits fondamentaux.
296. En ce qui concerne l’opposition des requérants à la politique de vaccination obligatoire des enfants, la Cour observe que le grief des intéressés
recèle une double objection.
Tout d’abord, les requérants critiquent le dispositif institutionnel qui est
en place en République tchèque dans
ce domaine, soutenant que la latitude accordée aux autorités
de santé est excessive et qu’il existe des
conflits d’intérêts et un défaut de transparence et de débat public. La Cour n’est pas convaincue par ces critiques. Pour ce qui est de
la latitude laissée
au pouvoir exécutif pour concevoir et
appliquer la politique de santé, la Cour a déjà constaté qu’aucune
question ne se pose relativement
à la qualité de la loi (paragraphes 267 et suivants
ci-dessus). De plus, la Cour
estime pertinente l’observation
de la CAS selon laquelle l’approche législative choisie permet aux autorités de réagir avec souplesse à la
situation épidémiologique et aux
progrès de la science médicale
et de la pharmacologie (paragraphe 87 ci‑dessus ;
voir aussi les remarques de la Cour constitutionnelle italienne paragraphe 107 ci-dessus). En outre, comme il a été
noté ci-dessus,
le régime national comporte
d’importantes garanties procédurales.
297. Pour ce qui est de l’intégrité du processus d’élaboration des politiques, la Cour note qu’en réponse à l’argument des requérants
relatif à l’existence de conflits d’intérêts, le Gouvernement a expliqué la procédure que suit
la CNV, conformément aux normes européennes et internationales
pertinentes (paragraphe 200 ci-dessus). À la lumière des éléments dont elle
dispose, la Cour estime que les requérants
n’ont suffisamment étayé ni leurs allégations selon lesquelles le système national
est grevé de conflits d’intérêts, ni leur observation selon laquelle la position sur la vaccination
adoptée par les organes tchèques spécialisés ou par l’OMS
est entachée par le soutien
financier d’entreprises pharmaceutiques.
298. Concernant
la transparence du régime national et le point de savoir
dans quelle mesure les autorités encouragent
le débat public, la Cour observe que la publication des comptes rendus des réunions de la CNV sur le
site du ministère de la Santé ménage à cet égard une certaine transparence (paragraphe 154 ci-dessus). S’agissant de la participation des citoyens, le Gouvernement a exposé que le fait
que la CNV fût constituée uniquement d’experts était conforme à la pratique de nombreux États européens. La Cour prend note de l’initiative lancée en 2015 pour constituer
une tribune de débat public sur la politique de vaccination mettant en contact des experts médicaux et des membres de la société civile (paragraphe 156 ci-dessus), bien que
les requérants et le tiers intervenant ROZALIO aient indiqué que
les réunions de cette commission étaient rares et qu’il n’y en avait
plus eu depuis 2018. On ne saurait affirmer que le dispositif en vigueur, dans le cadre duquel la politique à mener est
confiée à un organe spécialisé fonctionnant sous l’égide du
ministère de la Santé conformément au modèle choisi par le législateur, auquel il doit en définitive rendre des comptes,
pâtit d’un important défaut de transparence propre à remettre en question la validité de la politique de vaccination suivie par la République tchèque.
299. En dehors de leurs observations sur les aspects institutionnels
du système national, les requérants contestent également l’efficacité et l’innocuité des vaccins et expriment de vives préoccupations au sujet de potentiels effets néfastes sur la santé, y compris à long terme. La
Cour prend note tout d’abord des explications
du Gouvernement selon lesquelles le régime national laisse une certaine latitude dans le choix du
vaccin, bien que seuls les
vaccins usuels soient gratuits, le coût des autres
produits étant à la charge des parents.
Une certaine latitude est également ménagée en ce qui
concerne le calendrier vaccinal,
tant que l’enfant a reçu tous les
vaccins à l’âge défini (paragraphes 76 et 203 ci-dessus).
300. Pour ce qui est de l’efficacité de la vaccination, la Cour renvoie là encore au consensus général existant au sujet
de l’importance vitale de ce moyen
de protéger la population
contre des maladies susceptibles d’avoir de lourdes conséquences pour la santé de l’individu et, en cas de graves poussées épidémiques, de perturber la
société (paragraphe 135 ci-dessus).
301. En ce qui concerne l’innocuité, il n’est pas contesté que les
vaccins, bien que totalement sûrs pour la grande majorité des patients, puissent
dans de rares cas s’avérer néfastes
pour un individu et causer
à celui-ci des dommages graves et durables pour sa santé. Il est déjà arrivé que
des griefs relatifs à de telles situations fassent l’objet de procédures fondées sur la
Convention (voir, en particulier, Association
of Parents c. Royaume-Uni,
no 7154/75, décision de la
Commission du 12 juillet
1978, DR 14, p. 31, et Baytüre et
autres, décision précitée, § 28). Lors de
l’audience qui s’est tenue dans la présente affaire, le Gouvernement
a indiqué que, sur environ 100 000 enfants vaccinés
chaque année en République tchèque (soit 300 000 vaccinations), on dénombre cinq ou six
cas de dommages graves et potentiellement permanents pour la santé. Compte tenu de ce risque très rare mais indéniablement très sérieux pour la santé d’un individu, les organes
de la Convention ont souligné
qu’il est important de prendre les précautions
qui s’imposent avant la vaccination (Solomakhin, précité, § 36, Baytüre et
autres, décision précitée, § 29, et Association of Parents, décision précitée, pp. 37-38). Il s’agit évidemment de rechercher au cas par cas
d’éventuelles contre-indications.
Il s’agit également de contrôler l’innocuité des vaccins utilisés.
Pour la Cour, il n’y a lieu sur aucun de ces aspects de remettre en question le caractère adéquat du régime national. Les professionnels de santé ne réalisent une vaccination qu’en l’absence de contre-indication, ce
point étant vérifié en amont dans le cadre
d’un protocole de routine. Les
vaccins doivent être homologués par l’Agence nationale de contrôle des médicaments et
tous les professionnels de santé concernés sont tenus à une obligation spécifique de signaler tout effet secondaire grave ou non prévisible suspecté (paragraphes 78 et 79 ci-dessus). Il s’ensuit que l’innocuité des vaccins employés
est soumise à un contrôle permanent des autorités
compétentes.
302. Concernant
la possibilité d’obtenir réparation sur le fondement de la
responsabilité sans faute, ou responsabilité objective, pour une atteinte à la
santé causée par la vaccination – point également
soulevé par les requérants –, la Cour rappelle avoir déjà examiné une affaire qui posait la question de l’indemnisation pour une atteinte
de ce type, bien que le vaccin en cause fût recommandé mais non obligatoire dans le pays qui était concerné (Baytüre et autres,
décision précitée,
§§ 28-30). La Cour observe
de façon générale que la possibilité d’obtenir réparation en cas d’atteinte à la santé présente de fait un intérêt pour l’évaluation globale
d’un régime de vaccination obligatoire, et elle renvoie à cet égard à l’obiter
dictum de la Cour constitutionnelle tchèque (paragraphe 90 ci-dessus).
Cette question a aussi été
soulevée par d’autres cours constitutionnelles (voir par exemple la jurisprudence italienne
pertinente, présentée aux paragraphes 111, 113, 114 et 115 ci‑dessus, ainsi que
la jurisprudence slovène, exposée au paragraphe 127 ci‑dessus). Toutefois, dans le cadre des
présentes requêtes, on ne saurait accorder une importance déterminante à ce
point. Comme la Cour l’a relevé ci-dessus, aucun vaccin n’a été administré à aucun des requérants
contre sa volonté ou ses souhaits. Pour la plupart des intéressés,
les faits se sont produits à une époque où il était possible
d’obtenir réparation en vertu du code civil
de 1964 (c’est-à-dire avant le 31 décembre 2013). De plus, dans aucune des procédures
nationales engagées par les divers requérants,
la question de l’indemnisation
n’a été spécifiquement soulevée. La Cour constitutionnelle a exprimé
son obiter dictum lors d’une procédure intentée par d’autres parties,
qui dans leur recours avaient expressément mentionné la réparation. La Cour en déduit qu’en fait
cette question est sans
lien avec le refus
que les présents
requérants ont opposé à l’obligation vaccinale,
qui est plutôt résulté des préoccupations relevées ci‑dessus.
303. La Cour
est par ailleurs appelée à
se pencher sur l’ampleur des ingérences litigieuses dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect
de la vie privée.
304. Concernant
le premier requérant, la Cour
a déjà constaté que l’amende administrative
qui lui avait été infligée n’était pas excessive au
vu du contexte (paragraphe 293 ci-dessus).
Elle note qu’il n’y a pas eu de conséquences
pour l’éducation des
enfants de M. Vavřička, qui étaient déjà des
adolescents lorsque la sanction a été appliquée à celui-ci.
305. S’agissant
des autres requérants, leur inscription à l’école maternelle
a été soit refusée soit annulée
faute pour eux d’avoir reçu les
vaccins exigés. Si les requérants et certaines des associations
intervenantes se plaignent des effets que
ces mesures ont produits sur l’organisation de la vie des familles, notamment
aux niveaux financier et professionnel, la Cour rappelle que
le champ d’application personnel de l’affaire, examiné sous l’angle du
volet de l’article 8 relatif à la vie privée, se borne
aux requérants eux-mêmes et aux répercussions qui ont découlé pour eux des mesures litigieuses.
306. La Cour admet que l’exclusion
des requérants de l’école maternelle a impliqué pour ces jeunes enfants la perte d’une occasion cruciale de développer leur personnalité et de débuter l’acquisition d’importantes aptitudes relationnelles et facultés d’apprentissage dans un environnement formateur et
pédagogique. Cette perte a toutefois été la conséquence directe du choix
fait par leurs parents respectifs de refuser de se conformer à une obligation légale visant à protéger la santé, en particulier celle des enfants de cette tranche d’âge. Comme l’ont déclaré
le gouvernement défendeur ainsi que certains
des gouvernements intervenants, lesquels s’appuient sur d’abondants éléments scientifiques (paragraphes 213, 218 et 223 ci-dessus), la petite enfance est la
période optimale pour la vaccination. De plus, la possibilité
de fréquenter l’école maternelle
pour les enfants qui pour des
raisons médicales ne peuvent pas être
vaccinés dépend de l’existence parmi les autres enfants d’un taux très élevé
de vaccination contre les maladies contagieuses. Pour la Cour, on ne saurait estimer disproportionné le fait qu’un État
exige, de la part de ceux
pour qui la vaccination représente
un risque lointain pour la santé, d’accepter cette mesure de protection universellement appliquée, dans le cadre d’une obligation légale et au nom
de la solidarité sociale, pour le bien
du petit nombre d’enfants vulnérables qui ne peuvent pas bénéficier de la vaccination. Aux yeux de la Cour, il était valablement et légitimement loisible au législateur tchèque d’opérer ce choix, qui est pleinement compatible avec les raisons qui sous-tendent la protection de la santé de la population. L’existence théorique de
moyens moins intrusifs qui, selon les requérants, permettent d’atteindre cet objectif ne change rien à cette
conclusion.
307. Par ailleurs,
sans minimiser la perte
d’une chance éducative par les
requérants, la Cour observe que ceux-ci
n’ont pas été privés de toute possibilité de développement personnel, social et intellectuel,
même si leurs parents ont dû
consentir des efforts
et des frais supplémentaires, voire considérables. De plus, les effets subis par les enfants requérants ont été limités
dans le temps. Lorsqu’ils ont atteint l’âge du
début de la scolarité obligatoire, leur statut vaccinal n’a pas eu d’incidence
sur leur admission à
l’école élémentaire (paragraphe 82 ci‑dessus). En ce qui concerne le souhait
particulier que nourrissait Mme Novotná de recevoir un enseignement conforme à une philosophie pédagogique particulière, la requérante n’a pas contredit la déclaration du Gouvernement selon laquelle elle aurait eu la possibilité d’accéder à une telle scolarité même sans avoir fréquenté une école maternelle appliquant la pédagogie en question.
308. Enfin,
les requérants plaident que le système était incohérent en ce que les jeunes enfants devaient être vaccinés alors que cette exigence
ne s’appliquait pas
au personnel des écoles maternelles. La
Cour prend toutefois note de la réponse du Gouvernement selon laquelle l’obligation vaccinale générale,
qui consiste en l’administration de premières séries de vaccins puis de rappels, s’applique
à toute personne qui réside en République tchèque à titre permanent ou pour une longue durée (paragraphes 11 et 77 ci-dessus), de sorte que les membres du
personnel concerné avaient
en principe reçu tous les vaccins requis
par la loi à l’époque pertinente.
309. Pour ces
raisons, la Cour considère que les
mesures dont se plaignent les requérants, évaluées dans le contexte du régime
national, se situent dans
un rapport de proportionnalité raisonnable
avec les buts légitimes poursuivis par l’État défendeur à travers l’obligation vaccinale.
6) Conclusion
310. La Cour
tient à préciser qu’en fin de compte la question à trancher n’est pas de savoir si une autre politique, moins prescriptive, aurait pu être
adoptée, comme dans d’autres États
européens. Il s’agit plutôt
de déterminer si, en mettant
en balance comme elles l’ont fait les
intérêts en jeu, les autorités tchèques sont restées dans
les limites de l’ample marge d’appréciation
dont elles jouissaient en
la matière. La Cour parvient à la conclusion qu’elles n’ont pas excédé leur
marge d’appréciation et que dès lors
on peut considérer que les mesures
litigieuses étaient « nécessaires dans une société démocratique ».
311. Partant,
il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
312. Eu égard
à cette conclusion, il n’y a pas lieu
d’examiner l’exception de
non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement relativement aux griefs que
MM. Brožík et Dubský ont formulés sous
l’angle de l’article 8 (paragraphes 169 et 170 ci-dessus).
- SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
313. M. Vavřička, Mme Novotná et M. Hornych allèguent par ailleurs que l’amende qui a été infligée au
premier d’entre eux et la
non-admission à l’école maternelle
de la deuxième et du troisième d’entre eux ont porté
atteinte à leurs droits découlant de l’article 9 de la Convention, qui énonce :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de
pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en
privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions
ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
- Thèses des parties
- Le Gouvernement
314. Le Gouvernement
considère que les griefs formulés
sous l’angle de l’article 9 correspondent pour l’essentiel à une reformulation de ceux présentés sur le terrain de l’article 8 et qu’ils ne doivent être examinés qu’au
regard de cette dernière disposition. Concernant les griefs fondés sur l’article 9, il soutient principalement qu’ils sont incompatibles ratione materiae avec cette disposition,
ou en tout cas manifestement dénués de fondement, eu égard
selon lui à l’absence d’ingérence dans l’exercice par les requérants de leurs droits découlant de l’article 9.
315. Le Gouvernement
avance que des opinions personnelles sur la vaccination obligatoire fondées sur des hypothèses totalement subjectives quant à sa nécessité et à l’opportunité de s’y soumettre ne représentent pas une « conviction » au sens de l’article
9 de la Convention. Il ajoute que
cette disposition vise essentiellement à protéger les religions
ou les théories
sur des valeurs universelles philosophiques ou idéologiques. Il est d’avis qu’en
l’absence de précisions et
de justifications suffisantes,
les opinions professées par
les requérants ne constituent pas une vision cohérente d’un problème fondamental, et donc une manifestation de convictions personnelles au sens de l’article
9.
316. Le Gouvernement
estime qu’il n’existe pas, dans
la jurisprudence actuelle,
de ligne claire concernant les convictions qui sont ou non considérées comme une « religion
ou [des] convictions » au sens de l’article 9
§ 2. Selon lui, même
si cette disposition devait en principe s’appliquer à
une situation telle que
celle ici en question, au vu des faits
précis de la cause il n’y a pas eu
d’ingérence dans l’exercice par les requérants des droits protégés par elle. En effet, comme les
juridictions internes l’auraient établi, les requérants n’auraient pas étayé
leur objection à la vaccination par des raisons pertinentes et suffisantes. De plus, les
opinions de M. Vavřička et de Mme Novotná auraient manqué de cohérence et se seraient donc avérées non convaincantes. M. Vavřička aurait accepté de faire vacciner ses enfants contre certaines maladies ;
de même, Mme Novotná n’aurait reçu que certains
vaccins.
317. Le Gouvernement
dit en outre que M. Hornych avance devant la Cour que dans son affaire une contre-indication médicale à la vaccination était en jeu, tandis que dans
la formulation de ses griefs il a invoqué
les convictions philosophiques de ses parents. Il ajoute qu’au niveau interne M. Hornych avait exposé une argumentation spécifiquement liée à des questions de santé. Pour le Gouvernement, le grief de M. Hornych devant la Cour est donc irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes ou, le cas échéant, pour défaut manifeste de fondement.
318. Par ailleurs,
pour autant que Mme Novotná invoque les opinions et convictions de ses parents à l’appui de son grief fondé sur l’article 9, le Gouvernement considère que ce grief est incompatible ratione personae avec cette disposition.
D’autre part, il estime que, compte tenu
de l’âge et de la maturité
de Mme Novotná et
de M. Hornych à
l’époque des faits, aucun des deux
n’aurait pu avoir sur le sujet une opinion
qui eût un degré suffisant de force, de sérieux,
de cohérence et d’importance
pour relever de l’article 9.
319. Le Gouvernement
soutient que les mesures litigieuses
sont résultées de
la mise en œuvre d’une législation
générale à la formulation
neutre qui s’appliquait à toute
personne indépendamment de
son opinion, de sa conscience ou
de sa religion. Il indique que, selon la jurisprudence
fondée sur la Convention, pareille
législation ne peut en
principe porter atteinte aux droits protégés
par l’article 9.
320. En outre,
il est précisé que l’exception soulevée par le Gouvernement au titre de l’article 35
§ 3 b) de la Convention relativement à la requête de M. Vavřička (paragraphe 161 ci-dessus)
concerne aussi le grief de
ce requérant fondé sur l’article 9.
- Les requérants
321. M. Vavřička indique que sa principale motivation était de protéger la santé de ses enfants. Il déclare qu’il était
convaincu que la vaccination était néfaste pour la santé et que sa conscience lui interdisait donc de les faire vacciner.
322. Mme Novotná et M. Hornych invoquent un droit à obtenir de ses parents une protection qui cadre avec leur
conscience. Sur ce fondement,
ils exposent qu’eux-mêmes, compte tenu de leur âge,
ne pouvaient pas avoir à l’époque de position au sujet de la vaccination et que ce sont donc
leurs parents qui nourrissaient en leur nom certaines opinions, protégées par l’article 9 de la
Convention.
323. Concernant
la cohérence des opinions formulées sur le terrain de l’article 9, les requérants plaident que, selon la jurisprudence
de la Cour constitutionnelle
l’essentiel est que les opinions restent constantes pendant toute la procédure en question. Ils ajoutent toutefois
que si elles évoluent avant ou après la procédure
cela ne fait pas obstacle à l’applicabilité de l’« objection de conscience séculière », ainsi que la Cour
constitutionnelle l’aurait indiqué.
324. Enfin,
il est précisé que la réponse de
M. Vavřička à l’exception soulevée par le Gouvernement au titre de l’article 35
§ 3 b) de la Convention concerne aussi le grief de ce requérant fondé sur l’article 9 (paragraphe 162 ci-dessus).
- Observations des tiers intervenants
- Le gouvernement français
325. Le gouvernement
français invite la Cour à confirmer la jurisprudence existante selon laquelle une obligation légale neutre applicable à toute personne indépendamment de son
opinion, de sa conscience ou
de sa religion ne peut
pas en principe constituer
une ingérence dans l’exercice des droits
protégés par l’article 9.
Il estime toutefois que, même si l’obligation en question devait être considérée
comme une ingérence, elle devrait être jugée
compatible avec les exigences de l’article 9, pour les raisons qui ont déjà été exposées
plus haut.
- Le gouvernement allemand
326. Pour le gouvernement allemand, il est permis de douter que la vaccination
obligatoire ou les mesures d’application
de celle-ci s’analysent en une ingérence
dans l’exercice des droits protégés
par l’article 9. À son avis,
toutes les opinions ou croyances ne constituent pas des convictions protégées par cet article, et la position de la personne
hostile à la vaccination n’atteint généralement pas le degré de force, de sérieux, de cohérence et d’importance requis
pour rendre cette disposition applicable.
- Le Centre
européen pour le droit et la justice
327. Ce tiers
intervenant conteste le principe
adopté par la Commission dans
la décision Boffa et autres (précitée), concernant l’applicabilité de l’article 9
de la Convention à la raison qui pousse
un individu à s’opposer à
une obligation légale
neutre applicable à tous,
et il propose une approche différente.
De l’avis de l’ECLJ, il y a lieu d’examiner la qualité de la conviction invoquée ainsi que de l’objection qui repose sur cette conviction pour déterminer quelles objections méritent d’être respectées dans une société démocratique et quelles objections ne relèvent que d’une simple considération de convenance personnelle qui entrerait plutôt dans le champ d’application
de l’article 8 de la Convention. Selon
le tiers intervenant, pour déterminer la qualité de la conviction, les questions à poser sont les suivantes : est-elle
« sincère » ou, selon les choix
terminologiques, correspond-elle
à des « convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre » ?
Le contenu de la conviction
peut-il être identifié et est-il substantiel ? Lorsque la conviction est de nature religieuse,
est-elle liée à une religion
connue ?
Si la conviction n’est pas
de nature religieuse, mérite-t-elle
le respect dans une société démocratique et ne heurte-t-elle pas la dignité humaine ? Au sujet
de la qualité de l’objection,
le tiers intervenant avance
que l’objection doit elle-même constituer une conviction atteignant un degré suffisant de force, de sérieux,
de cohérence et d’importance
pour entraîner l’application
des garanties de l’article 9. De l’avis du tiers intervenant,
une objection qui ne serait
qu’intermittente ou
opportuniste ne mériterait pas
la protection de cet article. Selon lui, la personne doit être
cohérente et l’objection doit résulter d’un conflit grave et insurmontable entre l’obligation contestée et la conscience ou les convictions
de la personne et ne pas reposer sur un intérêt personnel ou une convenance personnelle, mais sur des convictions religieuses sincères.
Quant aux convictions morales, qui seraient à distinguer des
convictions religieuses, le
tiers intervenant ajoute que le respect
qu’elles méritent dépend plus directement de la
nature de la conviction concernée
et il explique à cet égard que les
objections fondées sur une conviction morale mettent en cause
la justice même de l’ordre auquel il
est objecté, tandis que les objections
fondées sur une conviction religieuse ne mettent en cause que la tolérance de la société. Il expose que les objections
fondées sur une conviction
morale doivent être examinées avec grand soin en ce que, lorsqu’elles sont acceptées par la société, elles garantissent à l’objecteur une immunité à la fois contre l’obligation réprouvée et contre les sanctions encourues pour manquement à cette obligation. Il indique que la société n’a reconnu la légitimité de telles objections morales que dans
très peu de cas, en général dans des situations dans lesquelles elle tolère un mal qu’elle estime nécessaire ou inévitable, tel que la guerre, l’avortement ou la prostitution.
328. Le tiers
intervenant avance que pour
déterminer si une objection
de conscience de nature morale repose véritablement sur des convictions morales, et donc sur une exigence de justice, il faut appliquer quatre critères : l’objection doit tendre au
respect du juste et du bien ;
la règle contestée doit déroger à un droit ou à un principe fondamental ; il doit être possible de généraliser l’objection comme étant applicable
à tous ; enfin, l’objection doit porter sur une question sensible du point de vue éthique.
329. Le tiers
intervenant estime que dès lors
que le refus en cause est motivé par une véritable conviction au sens
de l’article 9, qui mérite
à ce titre le respect de la
société mais n’est pas pour
autant reconnue comme une exigence de justice, l’existence d’une sanction n’est pas en soi suffisante pour emporter violation de l’article 9. Selon lui, il convient alors de faire porter l’examen sur la nécessité de la sanction infligée dans l’affaire en question, et cet examen ne diffère
pas de celui réalisé dans le cadre de l’article 8. Le tiers intervenant pense que la différence
entre les deux dispositions réside dans le fait que l’article 9
protège la conscience personnelle, liée à la perception du juste
et du bien, tandis que l’article 8
ne protège que « l’autonomie individuelle » qui en est indépendante.
- L’appréciation de la Cour
330. Les trois requérants concernés ont cherché
à invoquer la protection de
l’article 9 pour leur
position critique à l’égard
de la vaccination. Aucun d’eux ne laisse entendre
que sa position sur la question
a une inspiration religieuse.
Ce n’est donc pas leur liberté de religion qui est potentiellement en jeu, mais leur
liberté de pensée et de conscience.
331. L’applicabilité
de l’article 9 à cette conviction particulière n’a jamais été examinée
par la Cour. En revanche, elle a été
brièvement abordée par
la Commission dans l’affaire Boffa et autres (décision précitée). Dans le passage pertinent de sa décision, la Commission a déclaré
que, en protégeant le domaine des convictions
personnelles, l’article 9
ne garantissait pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public de la manière que dictait de telles convictions, et elle a relevé que le terme « pratiques » ne désignait pas n’importe quel acte motivé ou inspiré
par une conviction. Elle a ajouté
que l’obligation de se faire vacciner, telle que prévue
par la législation en cause dans
l’affaire, s’appliquait à toute
personne quelle que fût sa religion ou conviction personnelle.
En conséquence, elle a estimé
qu’il n’y avait pas eu
d’ingérence dans l’exercice de la liberté garantie
par l’article 9 de la Convention.
332. La Cour
estime pertinent de renvoyer au raisonnement
qu’elle a tenu dans l’affaire Bayatyan c.
Arménie ([GC], no 23459/03, § 110, CEDH 2011, avec
d’autres références), dans laquelle elle s’est penchée sur l’applicabilité de l’article 9 à l’objection de conscience au service militaire que le requérant avait formulée pour des motifs religieux. Elle a considéré que « l’opposition au service militaire, lorsqu’elle est motivée par un conflit grave et insurmontable entre l’obligation de servir dans l’armée et la conscience d’une personne ou ses
convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre, constitue
une conviction atteignant
un degré suffisant de
force, de sérieux, de cohérence
et d’importance pour entraîner
l’application des garanties de l’article 9 ».
Elle a ajouté que la question de savoir si et dans quelle mesure cette objection
relevait de l’article 9 devait être tranchée
en fonction des circonstances propres à chaque affaire (ibidem).
333. La Cour
rappelle également le raisonnement suivi par elle dans l’affaire Pretty c. Royaume-Uni (no 2346/02, §§ 82-83, CEDH 2002‑III), dans laquelle elle a déclaré ne pas douter de la fermeté des convictions de la requérante concernant le suicide
assisté, mais a observé que
tous les avis ou convictions
n’entraient pas dans le champ d’application
de l’article 9.
334. Concernant M. Vavřička,
la Cour relève que, dans le premier arrêt qu’elle a rendu dans la
cause de l’intéressé, la Cour
constitutionnelle a considéré
qu’il devait y avoir une possibilité de renonciation exceptionnelle à l’application d’une sanction pour
manquement à l’obligation
vaccinale lorsque les
circonstances appelaient de
manière fondamentale à préserver
l’autonomie de la personne concernée. La haute juridiction a
souligné l’importance de la
cohérence et de la crédibilité
des arguments de l’intéressé à cet égard et elle a fait observer que M. Vavřička avait manqué de constance dans la procédure jusqu’à ce stade, en ce qu’il avait indiqué
à cette juridiction que son objection à la vaccination reposait avant tout sur des motifs liés à la santé et que toute
question philosophique ou religieuse passait
pour lui au second plan (paragraphe 29 ci-dessus). Dans la suite de la procédure, la CAS a estimé que M. Vavřička n’avait avancé qu’à
un stade tardif ses motifs liés
à sa conscience et qu’il n’avait pas soumis
d’arguments concrets concernant ses convictions et l’ampleur de l’atteinte causée à celles-ci par la vaccination.
335. Le requérant allègue que sa position fondée sur sa conscience a fait l’objet d’une appréciation négative suivant des critères qui
n’ont été exposés qu’à un stade tardif de la procédure nationale. La Cour estime au contraire
que l’approche adoptée par les juridictions nationales a été raisonnable et en fait conforme à sa propre interprétation de l’article 9, exposée ci-dessus. Eu égard aux conclusions formulées par les juridictions nationales à ce sujet, et considérant que dans la présente
procédure le requérant n’a pas précisé ou
étayé plus avant son grief fondé sur l’article 9, la Cour juge que l’avis
critique de l’intéressé sur
la vaccination n’est pas de
nature à constituer une conviction
atteignant un degré suffisant de force, de sérieux,
de cohérence et d’importance
pour entraîner l’application
des garanties de l’article 9.
336. Il en va de même, a fortiori, pour les
griefs de Mme Novotná et de M. Hornych,
ces deux requérants n’ayant pas même présenté
de tels arguments dans le cadre des
procédures internes (paragraphes 37, 45 et 46 ci-dessus).
337. Dès
lors, la Cour considère que ces
griefs sont incompatibles ratione materiae avec l’article 9 au sens de l’article 35
§ 3 a) et qu’ils doivent
être rejetés en application de l’article 35 § 4.
338. Eu égard
à cette conclusion, il n’y a pas lieu
d’examiner les autres exceptions d’irrecevabilité qui ont été soulevées par le Gouvernement.
- SUR LA VIOLATION
ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE N° 1
- Thèses des parties
339. Les
enfants requérants allèguent
en outre que leur non-admission à l’école maternelle a porté atteinte à leurs droits découlant de l’article 2 du Protocole
no 1.
340. Le Gouvernement
estime que ces griefs doivent
être examinés sur le terrain de la première phrase de
l’article invoqué. Il avance que, pour autant que les
requérants se plaignent de conséquences qu’auraient subies leurs parents,
ces griefs sont incompatibles ratione personae avec cette disposition.
Il considère par ailleurs qu’en tout état de cause ces griefs sont
incompatibles ratione materiae avec l’article 2 du Protocole
no 1 dans la mesure où, selon lui, cette disposition ne s’applique pas à l’éducation préscolaire. En outre, il est précisé, relativement au grief qui a été formulé par MM. Brožík et Dubský, que celui-ci
est également visé par l’exception de non-épuisement des voies de recours
internes soulevée par le Gouvernement (paragraphe 165 ci-dessus).
341. MM. Brožík et Dubský ont répondu à cette
exception comme indiqué ci-dessus (paragraphe 166). Du reste, tous les requérants se bornent à répéter leurs griefs
et se réfèrent en particulier
à l’arrêt constitutionnel du 27 janvier 2015, qui a reconnu que le droit à l’instruction, au sens de l’article 33
de la Charte des droits et libertés fondamentaux, concernait tous les types et tous
les niveaux d’enseignement, y compris l’éducation préscolaire (paragraphe 62 ci-dessus).
- Observations des tiers intervenants
342. Le gouvernement
allemand note que le fait d’exclure les enfants non vaccinés des écoles maternelles peut s’analyser en une ingérence dans l’exercice de leur droit à l’instruction, bien que la jurisprudence
pertinente n’indique pas clairement si ce niveau d’enseignement relève de l’article 2 du Protocole
no 1. Il déclare que même si cette disposition
était jugée applicable, il faudrait pour apprécier la proportionnalité de
la restriction tenir compte du niveau
(préscolaire) de l’enseignement
concerné.
343. Le gouvernement
slovaque soutient que le droit à l’instruction n’est pas absolu et il argue que la jurisprudence existante relative à la Convention ne reconnaît
pas spécifiquement l’applicabilité de ce droit aux établissements préscolaires tels que les jardins
d’enfants.
344. Le Gouvernement
français considère que le refus d’admettre un enfant non vacciné à
l’école s’analyse en une restriction
justifiée du droit à l’instruction.
- L’appréciation de la Cour
345. Eu égard
à la portée de son examen
et à ses conclusions quant aux griefs
des enfants requérants fondés sur l’article 8 de la
Convention, la Cour estime qu’il n’y a pas
lieu d’examiner séparément leurs requêtes sous l’angle
de l’article 2 du Protocole no 1.
346. Enfin,
certains des requérants allèguent une violation des articles 2,
6, 13 et 14 de la Convention.
347. Toutefois, eu égard à l’ensemble des éléments en sa possession, et pour autant que les faits
dont se plaignent les requérants relèvent
de sa compétence, la Cour estime qu’ils ne révèlent aucune apparence de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention et ses protocoles.
Il s’ensuit que pour le surplus les requêtes sont manifestement
mal fondées et doivent être rejetées en application de l’article 35 §§ 3
a) et 4 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
- Décide de joindre les requêtes ;
- Décide, à l’unanimité, de joindre à
l’examen au fond des griefs formulés par
MM. Brožík et Dubský sous l’angle de l’article 8 de la Convention l’exception
de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement relativement à ces griefs ;
- Déclare recevables, à l’unanimité, les griefs fondés sur l’article 8
de Convention ;
- Déclare irrecevables, à la majorité, les griefs fondés sur l’article 9 de la
Convention ;
- Déclare irrecevables, à l’unanimité, les griefs fondés sur les articles 2, 6, 13 et 14 de la Convention ;
- Dit, par seize voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation
de l’article 8 de la Convention et, partant, conclut que l’exception de non‑épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement relativement aux griefs de MM. Brožík et Dubský fondés sur cette disposition est désormais
sans objet et dès lors n’appelle pas d’examen ;
- Dit, par seize voix contre une, qu’il n’y a pas lieu d’examiner les requêtes des enfants requérants séparément sous l’angle de l’article 2 du Protocole no 1.
Fait en français et en anglais, puis prononcé
en audience publique au
Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 8 avril
2021.
{signature_p_1} {signature_p_2}
Johan Callewaert Robert Spano
Adjoint
au greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion en partie concordante et en partie
dissidente du juge Lemmens ;
– opinion dissidente du juge Wojtyczek.
R.S.
J.C.
OPINION EN PARTIE CONCORDANTE ET EN
PARTIE DISSIDENTE DU JUGE LEMMENS
(Traduction)
1. Je partage
pleinement les décisions adoptées par la
Cour, excepté pour ce qui
concerne le grief fondé sur
l’article 2 du Protocole no 1.
Dans cette opinion séparée, j’aimerais brièvement mettre en exergue un aspect de l’arrêt auquel je souscris, et par ailleurs expliquer pourquoi, avec tout le respect que je dois à mes
collègues, je me dissocie
sur le point susmentionné.
- SOLIDARITÉ SOCIALE
2. Concernant
la principale question soulevée
par cette affaire, c’est‑à‑dire le point
de savoir si l’obligation
de vaccination est compatible
avec l’article 8 de la
Convention, j’aimerais souligner
l’importance de la référence que fait la Cour à la valeur de la solidarité sociale (paragraphe 279
de l’arrêt ; voir aussi le paragraphe
306).
Si dans une société donnée toute personne jouit de droits fondamentaux, fait que l’État est tenu de respecter, les individus ne vivent pas isolés
les uns des
autres. Par la force des choses, ils
appartiennent à la société
en question. La vie en société
(le « vivre
ensemble ») exige de chaque
membre de la société qu’il respecte certaines exigences minimales (S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, § 121, CEDH 2014 (extraits)).
L’une de ces exigences est le respect des droits humains
des autres membres de la société.
Comme l’indique l’arrêt, l’obligation de vaccination est un moyen par lequel les autorités
choisissent de satisfaire à
leur obligation positive de
protéger le droit à la santé. Si le droit à la santé n’est pas protégé en tant que tel par la Convention, il s’agit néanmoins d’un droit fondamental.
La Cour a depuis longtemps reconnu que, dans
une société démocratique,
il peut se révéler
nécessaire d’assortir la liberté d’un individu de limitations propres à concilier les intérêts
des divers individus et groupes et à assurer le respect des droits de chacun
(pour paraphraser Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 33, série
A no 260‑A). Il ne s’agit pas de restrictions imposées pour le plaisir de la chose, mais pour que les droits de chacun
soient respectés. Le présent arrêt concorde avec cette position :
une restriction, prenant la
forme d’une obligation de vaccination,
peut être apportée au droit
des requérants à l’intégrité physique, dans le but de « protéger la santé de tous les
membres de la société, en particulier des personnes qui sont particulièrement vulnérables face
à certaines maladies » (paragraphe 279 de l’arrêt).
À cet égard, l’arrêt véhicule le message selon lequel il existe non seulement des droits fondamentaux,
mais aussi des obligations et des responsabilités fondamentales (voir la Résolution 1845 (2011) de
l’Assemblée parlementaire du 25 novembre 2011 sur les droits fondamentaux et les responsabilités fondamentales, citée au paragraphe 143 de l’arrêt).
- EXCLUSION DES
ENFANTS NON VACCINÉS DE L’ÉDUCATION PRÉSCOLAIRE
3. Je regrette
que la majorité n’ait pas estimé
nécessaire d’examiner le grief
formulé sous l’angle de l’article 2 du Protocole no 1 (paragraphe 345 de l’arrêt). Ce grief pose plusieurs questions.
Une question préliminaire est de savoir si l’article 2 du Protocole
no 1 est applicable à l’éducation
préscolaire (paragraphes
340, 342 et 343 de l’arrêt).
Une autre question, qui semble être la principale, est abordée
par la Cour dans le cadre de son examen du grief fondé
sur l’article 8. La Cour y admet que « l’exclusion des [enfants] requérants de l’école maternelle
a impliqué pour ces jeunes enfants la perte d’une occasion cruciale de développer leur personnalité et de débuter l’acquisition d’importantes aptitudes relationnelles et facultés d’apprentissage dans un
environnement formateur et pédagogique » (paragraphe
306 de l’arrêt). La Cour poursuit en soulignant que ces enfants « n’ont pas
été privés de toute possibilité de développement personnel, social et intellectuel,
même si leurs parents ont dû
consentir des efforts
et des frais supplémentaires, voire considérables », et elle ajoute que « les effets subis
par les enfants requérants ont été limités
dans le temps » (paragraphe 307 de l’arrêt). Si ces dernières déclarations
peuvent donner à penser que le grief
formulé sous l’angle de l’article 2 du Protocole no 1 est voué à l’échec, pareille conclusion n’est pas certaine si elle n’est pas tirée de manière
explicite.
Enfin, une autre question pouvant se poser sur le terrain de cette disposition consiste à se demander dans
quelle mesure les enfants doivent subir les conséquences du refus de leurs parents de les faire vacciner.
J’aurais préféré que toutes ces
questions fussent examinées dument et séparément.
OPINION DISSIDENTE DU
JUGE WOJTYCZEK
(Traduction)
1. Je souscris
au point de vue général selon lequel la Convention n’exclut
pas l’instauration d’une obligation de vaccination contre certaines maladies, associée à des dérogations fondées sur l’objection de conscience. Objectivement, des arguments de poids plaident en faveur d’un tel système et peuvent justifier l’ingérence en cause, même au regard des
critères de contrôle très stricts qui sont énoncés à l’article 8. J’estime toutefois insuffisants les arguments spécifiques
qui ont été avancés par le gouvernement défendeur et sur lesquels la majorité s’appuie en l’espèce pour justifier la compatibilité avec la Convention
de l’obligation vaccinale en général
et de l’ingérence dans l’exercice des droits
des requérants en particulier. Par ailleurs, l’arrêt soulève d’importantes questions de justice procédurale.
- QUESTIONS DE PROCÉDURE
- Remarques préliminaires
2. Une procédure
équitable appelle des règles juridiques définies avec une précision suffisante pour permettre aux parties de choisir leur stratégie argumentative. Si les parties à une procédure doivent faire preuve
de diligence et de prudence procédurale, elles ne peuvent pas se laisser guider par un principe
qui leur prescrirait
de prévoir et d’anticiper les décisions procédurales
les moins favorables (« toujours
s’attendre au pire »).
Dans la présente espèce, trois problèmes
au moins se posent à cet égard.
Le premier est lié à l’objet de
la procédure et au rôle de la Cour. Le second concerne la charge
et la norme de la preuve et de l’argumentation. Le troisième a
trait à l’établissement des
faits fondé sur la reconnaissance tacite de ceux-ci
par les parties.
- Le rôle de la Cour
3. La première et la plus
fondamentale des questions relatives à toute procédure judiciaire porte sur
son objet et sur le rôle de
l’organe judiciaire
concerné. La procédure devant
la Cour doit-elle reposer sur les principes de la vérité matérielle (substantielle) et de la possibilité pour le juge
d’agir d’office, ou doit-elle
être fondée sur les principes de la vérité formelle et de l’activité des seules
parties ? Ou bien doit-elle combiner des éléments de ces deux systèmes ? (Pour un examen
approfondi de cette question,
voir K. Wojtyczek, « La procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme – principaux dilemmes » in O.
Dubos (dir. de publ.), Mélanges
en l’honneur de Bernard Pacteau,
Cinquante ans de contentieux publics, s.l., Mare
et Martin 2018.)
L’article 38
de la Convention ne fournit pas
de réponse claire à cette question mais habilite la Cour, « s’il y a lieu », à « proc[éder]
à une enquête ». La Cour
peut donc, dans certaines circonstances, agir d’office en effectuant
une « enquête » afin d’établir les faits pertinents.
Bien entendu, elle doit chercher à établir la vérité matérielle. La jurisprudence
existante ne nous éclaire
guère sur la signification
précise de l’article 38 quant au rôle
de la Cour. Dans de nombreuses affaires, le raisonnement de la
Cour indique que celle-ci peut s’appuyer sur des éléments de preuve recueillis d’office et donne à entendre que son rôle est d’établir la vérité matérielle (voir, par exemple, Irlande c. Royaume-Uni,
18 janvier 1978, § 160, série
A no 25, McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre
1995, § 173, série A no 324, Andronicou et Constantinou c.
Chypre, 9 octobre
1997, § 174, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VI, Osman
c. Royaume-Uni, 28 octobre
1998, § 114, Recueil 1998‑VIII, Tahsin Acar c. Turquie [GC],
no 26307/95, § 210, CEDH 2004‑III, N. c. Finlande, no 38885/02, § 160, 26 juillet
2005, Catan et autres c. République de Moldova et Russie [GC], nos 43370/04 et 2 autres, §
116, CEDH 2012 (extraits), Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC],
no 27765/09, § 116, CEDH 2012, J.K. et autres c. Suède, no 59166/12, § 90, 4 juin 2015,
et Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande [GC],
no 26374/18, § 257, 1er décembre
2020). Suivant pareille approche, le dénouement de
l’affaire ne doit pas dépendre de la qualité de l’argumentation des parties.
Dans d’autres affaires, la Cour s’appuie sur les observations des parties uniquement et, ce faisant, laisse entendre qu’elle s’abstient d’agir d’office (voir,
par exemple, Turek
c. Slovaquie, no 57986/00, § 99, CEDH 2006‑II (extraits), Peev c. Bulgarie,
no 64209/01, § 62, 26 juillet
2007, Starokadomski c. Russie,
no 42239/02, § 83, 31 juillet
2008, Goubkine c. Russie, no 36941/02, § 155, 23 avril
2009, Oliari et autres c. Italie,
nos 18766/11 et 36030/11, § 185, 21 juillet 2015, Ibrahimov et autres
c. Azerbaïdjan, nos 69234/11 et 2 autres, § 80,
11 février 2016, Mozer c. République
de Moldova et Russie [GC], no 11138/10, §§ 193-199, 23 février
2016, Biržietis c. Lituanie, no 49304/09, § 58, 14 juin 2016, Kryževičius c. Lituanie, no 67816/14, §§ 67-70, 11 décembre
2018, P.T. c. République de Moldova, no 1122/12, §§ 29-33, 26 mai 2020, et Yunusova et Yunusov c.
Azerbaïdjan (no 2), no 68817/14, §§ 152-159, 16 juillet
2020). Selon cette approche, le dénouement d’une
affaire peut dépendre de
la qualité de l’argumentation
des parties (voir mon opinion séparée annexée à l’arrêt Biržietis, précité,
en particulier le paragraphe
2).
Le vaste système de présomptions qui ressort de
la jurisprudence de la Cour semble indiquer que celle-ci s’appuie sur la vérité formelle et l’activité
des seules parties. De même, le fait que
la Cour admette habituellement comme des points établis les allégations factuelles formulées par une
partie et non réfutées par
la partie adverse plaide dans le sens de cette conclusion
(concernant des allégations factuelles non contestées par le gouvernement, voir par exemple : Kudła c. Pologne [GC],
no 30210/96, §§ 95-97, CEDH 2000‑XI, Scozzari et Giunta c. Italie [GC],
nos 39221/98 et 41963/98, § 235, CEDH 2000‑VIII, Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 82, CEDH 2006‑XII, Catan et autres,
précité, § 142, Mozer,
précité, §§ 193-199, Cirino et Renne
c. Italie, nos 2539/13 et 4705/13, §§ 72, 75-77, 26 octobre
2017, et Černius et Rinkevičius c. Lituanie,
nos 73579/17 et 14620/18, § 70, 18 février
2020 ; pour des allégations
factuelles non contestées
par les requérants, voir, par exemple : Dimitras c. Grèce, no 11946/11, § 46, 19 avril
2018, Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, § 91, 4 décembre
2018, N.D. et N.T. c. Espagne [GC],
nos 8675/15 et 8697/15, §§ 225, 228, 13 février
2020, Bahaettin Uzan c. Turquie, no 30836/07, §§ 53-55, 24 novembre 2020, et L.B.
c. Hongrie, no 36345/16, § 57, 12 janvier
2021).
Il arrive dans telle ou
telle affaire que certains éléments relevant de l’un et l’autre des deux systèmes
classiques coexistent, sans
que leur articulation soit expliquée (voir, par exemple, Ilaşcu et
autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, CEDH 2004‑VII, §§ 13 et 18 pour une approche et §§ 142 et 145 pour l’autre).
La jurisprudence
et la pratique judiciaire actuelles sont très incertaines et ambiguës quant au rôle de la Cour
et à l’objet de la procédure
(établir la vérité matérielle ou la vérité formelle). S’il est vrai que la réponse à cette question peut dans certains cas être dénuée d’incidence sur la manière
dont les parties plaident ou sur le dénouement de
l’affaire, dans de nombreux
autres cas elle peut en revanche être cruciale
pour les stratégies argumentatives des parties et décisive pour le dénouement de
l’affaire. Il y a donc une nécessité urgente à clarifier ce
point pour garantir l’équité procédurale.
Le choix entre les options existantes n’est cependant pas facile, car des arguments solides
plaident pour et contre chacune
d’elles. Une solution éventuelle pourrait résider dans un système basé sur la vérité formelle et l’activité
des seules parties comme règle générale, avec certaines exceptions qui permettraient à la Cour
d’agir d’office aux fins
de l’établissement de la vérité
matérielle. Ces exceptions éventuelles devraient être limitées par des principes clairement définis. Quoi qu’il
en soit, les règles du jeu doivent
être claires et être connues par avance des parties.
En l’espèce, les éléments de preuve qui, à mon sens, seraient nécessaires pour montrer que l’ingérence
litigieuse était compatible avec la
Convention existent objectivement,
mais ils n’ont été ni produits par les parties ni recueillis d’office par
la Cour. Or je ne peux
pas m’appuyer sur ma propre connaissance de la question et sur les données scientifiques réunies par mes propres moyens pour combler les lacunes
dans le dossier constitué par la Cour (comparer avec Mehmet Ulusoy et autres c. Turquie, no 54969/09, §§ 109-110, 25 juin
2019). Les parties doivent avoir la possibilité d’exprimer leur avis
sur tous les éléments de preuve, qu’ils aient été
fournis par la partie adverse ou qu’ils
aient été recueillis d’office. Étant
donné que la présente espèce concerne une
question générale qui
est importante pour l’ensemble des quarante-sept Hautes Parties contractantes, sa résolution ne doit pas dépendre
de la qualité de l’argumentation
des parties. Dans une
affaire comme celle-ci, il existe
des raisons sérieuses de s’appuyer sur le principe de vérité matérielle et sur la faculté pour la Cour
d’agir d’office et, en particulier, de désigner des experts
indépendants. À défaut de telles mesures, l’option restante
– qui est très insatisfaisante –
consiste à appliquer le principe
de vérité formelle et à trancher
l’affaire sur la base des observations
et éléments produits par les parties.
4. La Cour
a établi l’exigence procédurale suivante en tant qu’élément essentiel du procès
équitable (Čepek c.
République tchèque, no 9815/10, § 48, 5 septembre
2013, puis Alexe
c. Roumanie, no 66522/09, § 37, 3 mai 2016) :
« Une diligence particulière
s’impose au tribunal lorsque le litige prend une tournure inattendue, d’autant plus s’il s’agit d’une question laissée à la discrétion du tribunal.
Le principe du contradictoire
commande que les tribunaux ne se fondent pas dans
leurs décisions sur des éléments de fait ou de droit
qui n’ont pas été discutés durant
la procédure et qui donnent
au litige une tournure que même
une partie diligente n’aurait
pas été en mesure d’anticiper ».
L’équité procédurale dépend de principes clairs concernant la charge et le niveau de la preuve et de l’argumentation. Ces principes sont intrinsèquement liés aux critères de contrôle appliqués dans chaque procédure. La prévisibilité dans ce domaine est essentielle, car les principes qui consacrent les critères de contrôle et attribuent
la charge et la norme
de la preuve et de l’argumentation
guideront les parties dans l’élaboration de leur stratégie en la matière. Si cette question est importante dans toute procédure, elle a une incidence particulière dans les procédures
fondées sur les principes de la vérité formelle
et de l’activité des seules parties.
La jurisprudence
actuelle établit clairement que dans les litiges
relatifs à la compatibilité
avec la Convention d’une ingérence
dans l’exercice de droits découlant de l’article 8, la charge de la preuve et de l’argumentation pèse sur le gouvernement. Selon cette jurisprudence,
le gouvernement doit justifier l’ingérence litigieuse en présentant des motifs pertinents
et suffisants (voir, par
exemple, K. et T. c. Finlande [GC],
no 25702/94, § 154, CEDH 2001‑VII, Kutzner c. Allemagne,
no 46544/99, § 65, CEDH 2002‑I, P., C. et S.
c. Royaume-Uni, no 56547/00, § 114, CEDH 2002‑VI, S. et Marper c. Royaume-Uni [GC],
nos 30562/04 et 30566/04, § 101, CEDH 2008, S.H. et autres c. Autriche [GC],
no 57813/00, § 91, CEDH 2011, Piechowicz c. Pologne, no 20071/07, § 212, 17 avril 2012, Hanzelkovi c. République tchèque, no 43643/10, § 72, 11 décembre 2014, Parrillo c. Italie [GC],
no 46470/11, § 168, CEDH 2015, Zaieţ c.
Roumanie, no 44958/05, § 50, 24 mars 2015, Medžlis Islamske Zajednice Brčko et
autres c. Bosnie-Herzégovine [GC], no 17224/11, §§ 89, 121, 27 juin
2017, et Pavel Shishkov c. Russie,
no 78754/13, §§ 95-97, 2 mars
2021). Cette jurisprudence engendre pour les parties une espérance légitime d’ordre procédural. Les requérants qui soumettent des
affaires sur le terrain de l’article 8 espèrent fortement et légitimement que la Cour va continuer à faire peser sur le gouvernement défendeur la charge de justifier l’ingérence en
cause. À partir de là, ils peuvent de bonne foi décider de s’abstenir
de contester la rationalité de
l’ingérence litigieuse. En
l’espèce, c’est au Gouvernement qu’il appartient d’établir l’existence d’un besoin social impérieux et de présenter des motifs pertinents
et suffisants qui justifient
l’obligation vaccinale à l’égard
de chacune des maladies en question.
Par ailleurs,
la jurisprudence existante semble indiquer que toute atteinte à
la liberté de ne pas se soumettre
à une intervention médicale
non consentie requiert
une justification solide et que
la marge d’appréciation laissée aux États
parties est étroite (voir
le paragraphe 7 ci-dessous). Les
requérants en l’espèce pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que la Cour continuât d’appliquer ce critère dans les affaires concernant l’intégrité
physique. Prenant en considération
i) le seuil relativement élevé qui s’applique à la justification
d’une atteinte à la liberté de disposer de son propre corps et ii) la nature des arguments avancés par le Gouvernement, les requérants ont pu considérer qu’il
n’y avait pas lieu de répondre
et de défendre leur thèse de manière plus poussée.
Or la Cour
a établi un niveau
de contrôle fondé sur
une ample marge d’appréciation (voir en particulier les paragraphes 284, 285 et 310 de l’arrêt), justifiée par des arguments discutables
et combinée à une déférence
marquée à l’égard des choix effectués par les autorités nationales (voir en particulier les paragraphes 285, 288,
289 et 306 de l’arrêt). Le niveau de contrôle qui
est en fait appliqué
est encore plus bas que
celui annoncé. À mon sens, cette
approche s’analyse en
une évolution jurisprudentielle inattendue, qui a un impact sur le litige.
Quoi qu’il en soit, à supposer même que le niveau de contrôle applicable soit matière à débat, il aurait fallu informer
au préalable les parties du critère de contrôle envisagé et solliciter leur avis sur cette
question, afin de leur permettre – au cas où
elles l’auraient estimé nécessaire – de fournir
des observations complémentaires sur le fond au regard d’un niveau de contrôle plus précisément défini.
- Fondement et justification des constats factuels
5. Comme
indiqué ci-dessus (paragraphe 4), il ressort de la jurisprudence constante de la Cour
que celle-ci considère généralement comme établis les faits
qui sont allégués par une partie et qui ne sont pas contestés par la partie adverse, même si les allégations
factuelles en question ne sont pas justifiées
ou corroborées par des éléments de preuve. Les parties pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que ce même principe s’appliquât dans la présente affaire,
et donc adapter leur argumentation en conséquence.
Je note à cet égard que les
requérants ont formulé un grand nombre d’allégations factuelles qui sont pertinentes en l’espèce et qui n’ont pas été contestées
par le Gouvernement. Ils invoquent, par exemple : l’existence d’un pouvoir discrétionnaire illimité du ministre de la Santé pour déterminer la portée de l’obligation vaccinale (observations
des requérants, pp.
5-6) ; l’absence d’analyses
sur la nécessité médicale de
l’obligation vaccinale pour chacune
des maladies en question (ibidem, pp. 4-5) ; la circonstance que divers documents demandés par les citoyens n’auraient pas été fournis
par le Gouvernement (ibidem, pp. 7-8) ; certains faits spécifiques qui attesteraient
l’existence de conflits d’intérêts au sein
de l’OMS et de certains organismes
spécialisés (par exemple, certains experts toucheraient des revenus de la part d’entreprises pharmaceutiques
– ibidem, pp. 4, 8-11 et annexes nos 7
et 8) ; des informations
détaillées concernant l’efficacité de certains vaccins (annexe no 9).
Les parties auraient pu s’attendre à ce que ces allégations
non contestées fussent
considérées par la Cour comme des points établis. Or, elles ne font pas partie des constats factuels opérés en l’espèce. Certaines allégations relatives à l’intégrité du processus
décisionnel ont été écartées pour défaut de fondement (paragraphe 279 de l’arrêt), d’autres ont été purement et simplement ignorées. On pourrait soutenir que la Cour a estimé ces allégations dénuées de pertinence ; cependant, je ne suis pas convaincu
par cet éventuel argument s’agissant de certaines de ces allégations.
Dans ce contexte, la Cour devrait clarifier la question de la reconnaissance tacite des faits. Il est nécessaire, en particulier, d’expliquer précisément dans quelles conditions la Cour considère comme des points établis les allégations
formulées par une partie et
non contestées par l’autre. En
la matière, la clarté est
essentielle pour les
parties.
- QUESTIONS DE
FOND CONCERNANT LA JUSTIFICATION DE L’INGÉRENCE
- Remarques préliminaires
6. Pour déterminer si une ingérence dans l’exercice de droits est compatible avec la Convention, il faut en
particulier définir les critères de contrôle applicables et les circonstances factuelles pertinentes et mettre en balance les valeurs concurrentes. Mes objections portent notamment sur :
i) le niveau de contrôle établi par la majorité, ii) la
base factuelle de l’arrêt,
iii) la manière dont le conflit
de valeurs a été abordé, et iv) l’appréciation
du processus décisionnel au niveau national.
La question à laquelle il convient
de répondre n’est pas
de savoir si les campagnes de vaccination servent les intérêts de la santé publique, mais s’il est acceptable au regard
de la Convention d’infliger des
sanctions pour non‑respect
de l’obligation légale de
se soumettre à la vaccination. Plus
précisément, il s’agit de déterminer si le bénéfice rapporté par l’obligation justifie la restriction de la liberté de choix.
À cette fin, il est
nécessaire de démontrer que
les valeurs protégées dans un tel système l’emportent sur les valeurs auxquelles il est porté atteinte. Il faut montrer, en particulier, que les bénéfices
pour l’ensemble de la société et pour
les membres de
celle-ci l’emportent sur les coûts individuels
et sociaux et qu’ils justifient de prendre le risque de subir les effets secondaires d’une vaccination. Compte tenu du poids des valeurs en jeu, pareille appréciation exige des données
scientifiques extrêmement précises et complètes sur
les maladies et les vaccins concernés. En l’absence de pareilles données, c’est
tout l’exercice d’appréciation qui est
irrationnel.
- Le niveau de contrôle
7. Dans
sa jurisprudence antérieure,
la Cour a exprimé les positions suivantes (Solomakhin c. Ukraine, no 24429/03, § 33, 15 mars 2012) :
« La Cour rappelle
que, selon sa jurisprudence, l’intégrité
physique d’une personne relève
de la notion de « vie privée » protégée par l’article 8 de la
Convention (X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 22, série A no 91). La
Cour a souligné que l’intégrité physique d’une personne concerne les aspects les plus intimes de sa vie privée, et qu’une
intervention médicale forcée, même mineure,
constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée (Y.F.
c. Turquie, no 24209/94, § 33, CEDH 2003‑IX, avec d’autres références). La
vaccination obligatoire, en
tant qu’intervention médicale non volontaire, constitue une ingérence dans l’exercice du droit au
respect de la vie privée, qui englobe
l’intégrité physique et psychologique
de la personne, garantie
par l’article 8 § 1 (Salvetti c. Italie (déc.), no 42197/98, 9 juillet 2002,
et Matter c. Slovaquie,
no 31534/96, § 64, 5 juillet
1999). »
Dans d’autres affaires, la Cour a également déclaré ce qui suit (ci‑dessous,
extrait de Parrillo, précité,
§§ 168-169 ; voir aussi Paradiso et Campanelli c. Italie [GC],
no 25358/12, §§ 179-184, 24 janvier
2017) :
« 168. La Cour rappelle que pour apprécier la « nécessité »
d’une mesure litigieuse
« dans une société démocratique » il lui faut examiner, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués
pour justifier la mesure en
question sont pertinents et suffisants aux fins de l’article 8
§ 2 (voir, parmi beaucoup d’autres, S.H.
et autres c. Autriche [GC],
no 57813/00, § 91, CEDH 2011, Olsson c. Suède (no 1), 24 mars
1988, § 68, série A no 130, K. et T.
c. Finlande [GC], no 25702/94, § 154, CEDH 2001‑VII, Kutzner c. Allemagne,
no 46544/99, § 65, CEDH 2002-I, et P.,
C. et S. c. Royaume‑Uni, no 56547/00, § 114, CEDH 2002-VI).
169. En outre,
pour se prononcer sur l’ampleur
de la marge d’appréciation
à accorder à l’État dans une affaire soulevant des questions au
regard de l’article 8, il y a lieu de prendre
en compte un certain nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est d’ordinaire restreinte (Evans,
précité, § 77, avec les références qui s’y trouvent citées, et Dickson c. Royaume-Uni [GC],
no 44362/04, § 78, CEDH 2007‑V). En revanche, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États
membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de
l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens
de le protéger, en particulier
lorsque l’affaire soulève des questions morales
ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est plus large (S.H. et autres
c. Autriche, précité,
§ 94, Evans, précité, § 77, X,
Y et Z c. Royaume‑Uni, 22 avril 1997, § 44, Recueil
des arrêts et décisions 1997‑II, Fretté
c. France, no 36515/97, § 41, CEDH 2002-I, Christine Goodwin
c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 85, CEDH 2002‑VI, et A, B et
C c. Irlande,
précité, § 232). »
De plus, selon
la jurisprudence existante,
la liberté de disposer de son propre
corps est une valeur
fondamentale protégée par la Convention (voir, par exemple, Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 66, CEDH 2002‑III, et K.A. et A.D.
c. Belgique, nos 42758/98 et 45558/99, § 83, 17 février
2005). La Cour a par ailleurs
souligné que « le corps d’une personne représente l’aspect le plus intime de la vie privée » (Y.F. c. Turquie, no 24209/94, § 33, CEDH 2003‑IX). « La notion d’autonomie personnelle reflète un principe important qui
sous-tend l’interprétation des garanties de l’article 8 » (A.P., Garçon
et Nicot c. France, nos 79885/12 et 2 autres,
§ 123, 6 avril 2017), principe qui est invoqué pour restreindre la marge d’appréciation même en l’absence de
consensus européen (ibidem, §§ 121‑123). « Cette marge est d’autant plus étroite que le droit en cause est important pour garantir à l’individu
la jouissance effective des droits fondamentaux
ou d’ordre intime qui lui sont reconnus » (Dubská et Krejzová c.
République tchèque [GC], nos 28859/11 et 28473/12, § 178, 15 novembre 2016 ; voir aussi, par exemple, A.D.T. c. Royaume-Uni,
no 35765/97, § 37, CEDH 2000‑IX, et Hämäläinen c. Finlande [GC],
no 37359/09, §§ 68-69, CEDH 2014).
Ajoutons que, dans
un contexte totalement différent, la Cour a jugé qu’une restriction
générale, automatique et indifférenciée à un droit consacré par la Convention et revêtant
une importance cruciale outrepasse
une marge d’appréciation acceptable, aussi large soit-elle (Hirst c. Royaume-Uni
(no 2) [GC], no 74025/01, § 82, CEDH 2005‑IX).
8. La majorité
en l’espèce définit comme suit le critère
applicable :
« 280. Comme elle l’a rappelé ci-dessus (paragraphe 274), la Cour a déjà eu l’occasion
de juger que les questions de santé publique relèvent de la marge d’appréciation des autorités nationales. Eu égard aux considérations
qui précèdent, et appliquant
les principes qui ressortent de sa jurisprudence
constante, elle estime que dans la présente espèce, qui porte spécifiquement
sur le caractère obligatoire
de la vaccination des
enfants, cette marge doit être ample. »
Cette approche est difficile à accepter. Selon sa jurisprudence constante, la Cour considère dans la définition de la marge d’appréciation que les facteurs suivants
peuvent plaider pour
l’élargissement de celle-ci, sans toutefois préjuger
de sa portée précise :
i) l’absence
de consensus au sein des États membres
du Conseil de l’Europe sur
l’importance relative de l’intérêt
en jeu ;
ii) l’absence
de consensus au sein des États membres
du Conseil de l’Europe sur les meilleurs moyens
de protéger cet intérêt ;
iii) le fait
que des questions
morales ou éthiques délicates sont en jeu dans l’affaire examinée.
Dans ce contexte, il convient d’observer qu’il existe au
sein des États membres du
Conseil de l’Europe un vaste consensus selon lequel :
i) l’intégrité
physique doit être protégée contre tout traitement médical non volontaire ;
ii) le meilleur
moyen de protéger celle-ci
consiste à soumettre de telles interventions au consentement de la personne concernée.
Il y a lieu à cet égard de rappeler
que la Convention d’Oviedo contient
la disposition suivante :
Article 5 – Règle générale
« Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être
effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé.
Cette personne reçoit préalablement une
information adéquate quant au but et à
la nature de l’intervention ainsi
que quant à ses conséquences et ses risques.
La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. »
Il est bien évident
que certaines exceptions au libre consentement peuvent être justifiées, mais elles requièrent toutefois une justification particulièrement solide.
Comme la majorité l’indique au paragraphe 279,
« la vaccination des enfants, aspect fondamental de la politique actuelle de santé publique, ne soulève pas en elle-même de questions sensibles sur le plan
moral ou éthique ».
De plus, il n’y
a pas de consensus selon lequel l’ingérence en cause, à savoir l’obligation de vaccination, serait nécessaire
pour protéger la santé publique (paragraphe 14
ci-dessous). Selon la majorité
elle-même, c’est le fait d’ériger la vaccination
en obligation légale qui peut être perçu
comme soulevant des questions sensibles sur le plan moral ou éthique (paragraphe 279
de l’arrêt).
En outre, la marge d’appréciation en matière de politique de santé a été soulignée
– à juste titre –
dans le cadre de griefs concernant l’accès à certains traitements médicaux (voir, par exemple, Hristozov et
autres c. Bulgarie,
nos 47039/11 et 358/12, CEDH 2012 (extraits), arrêt évoqué au
paragraphe 274). La présente
espèce ne porte ni sur l’accès
aux services de santé
ni sur la manière dont ils sont organisés (droits positifs), mais sur
la liberté de disposer de son propre corps et sur le droit de ne pas se soumettre à une intervention
médicale non consentie (droits négatifs).
La question en
jeu est cruciale pour la jouissance effective par l’individu de ses droits les
plus intimes, dans un contexte où il n’y a pas de conflit
direct entre deux ou plusieurs
droits et où le titulaire de droits fait valoir sa liberté de vivre sans subir d’ingérence et
ne revendique pas
de droits positifs. Les restrictions à la liberté de faire des choix
concernant son propre corps, imposées en dehors du contexte d’un conflit direct entre deux ou
plusieurs droits, appellent de solides justifications. Dans ce domaine, la marge d’appréciation doit être étroite et le seuil applicable à la justification de l’ingérence très élevé. L’approche qui a été adoptée risque de donner l’impression que si le niveau
de contrôle n’avait pas été bas,
le constat de non-violation
n’aurait pas été possible.
- La base factuelle de l’arrêt
9. En République tchèque, la liste des vaccinations obligatoires porte sur neuf
maladies. Celles-ci sont très diverses. Pour apprécier de façon
rationnelle si l’obligation vaccinale est compatible avec la
Convention, il faut que
l’affaire donne lieu à un examen séparé pour chaque maladie, au cas
par cas. Ainsi, pour chacune d’elles il faut établir :
– le mode et la vitesse
de transmission ;
– les risques auxquels les personnes infectées sont exposées ;
– le coût moyen afférent au traitement d’un individu contre la maladie en question s’il n’est pas vacciné, et les chances de succès d’un
tel traitement ;
– l’efficacité
précise des vaccins disponibles ;
– le coût moyen d’une vaccination ;
– les risques liés aux effets secondaires
de la vaccination ;
– le coût moyen que représente
le traitement des effets indésirables de la vaccination ;
– le pourcentage
minimum de personnes vaccinées
qui permettrait d’empêcher
la propagation de la maladie
(le cas échéant) et les chances d’atteindre un tel objectif.
10. L’approche globale de
la majorité se trouve résumée dans cette
phrase (paragraphe 300
de l’arrêt): « Pour
ce qui est de l’efficacité de la vaccination,
la Cour renvoie là encore au consensus général existant au sujet
de l’importance vitale de ce moyen
de protéger la population
contre des maladies susceptibles d’avoir de lourdes conséquences pour la santé de l’individu et, en cas de graves poussées épidémiques, de perturber la société (paragraphe 135 ci-dessus). »
Le gouvernement
défendeur et la majorité semblent considérer que la réponse est si évidente qu’il est inutile de faire appel à des
éléments d’appréciation
plus détaillés pour justifier
l’ingérence. Je ne partage pas ce point de vue. Pour apprécier la légitimité de l’ingérence en l’espèce, il faut des connaissances
médicales spécialisées.
Certes, les éléments
qui ont été soumis à la Cour et qui sont résumés dans
l’arrêt (plus précisément aux paragraphes 152-157) comprennent des avis spécialisés complets, mais pas les informations cruciales énumérées ci‑dessus. Il n’est donc pas vrai que
d’abondants éléments scientifiques ont été recueillis dans la présente affaire (paragraphe 306 de l’arrêt). Plus particulièrement, il ne suffit pas d’établir que
le risque spécifique que la vaccination présente pour la santé d’un individu est « très
rare » (comme indiqué au paragraphe 301 de l’arrêt). Il faut calculer avec la plus grande précision le risque lié à chaque maladie
séparément, sur la base de données
complètes et fiables, recueillies non seulement en République
tchèque mais aussi dans d’autres pays.
L’éventuel contre-argument selon lequel les
vaccins ont été testés, estimés
sûrs et approuvés par
les organismes publics compétents ne suffit pas à justifier
l’obligation de vaccination.
À mes yeux, dès lors
que les éléments
soumis par les parties sont insuffisants pour que l’on puisse trancher les questions
générales soulevées par
l’affaire et que le processus
décisionnel national n’était
pas entièrement satisfaisant (paragraphe 16
ci-dessous), la Cour aurait
dû désigner des experts indépendants
pour pouvoir disposer d’une
base suffisante permettant
d’évaluer convenablement les risques potentiels
et d’adopter en l’espèce
une décision judiciaire rationnelle.
11. Il est
important dans ce contexte de délimiter le
mandat de tels experts. À cette fin, il convient de faire la distinction entre raison théorique et raison pratique. La raison théorique formule des propositions sur les faits et en démontre la vérité, en recourant dans la mesure du possible
à des connaissances et méthodes scientifiques. La raison pratique identifie et met en balance les valeurs et les intérêts concurrents
qui sont en jeu et prend des décisions, en choisissant parmi les compromis possibles.
Le rôle des experts se limite à des questions de raison théorique, c’est-à-dire à présenter
et à expliquer des éléments factuels. L’adoption de décisions relève de la raison pratique et, à ce titre, appartient
aux autorités politiques, qui agissent sous la surveillance des juridictions nationales et internationales. Comme tous les
citoyens, les experts peuvent bien sûr formuler des jugements de valeur – lesquels, selon la Cour, ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude mais doivent reposer sur une base factuelle suffisante (voir, par exemple, Morice c.
France [GC], no 29369/10, § 126, 23 avril
2015) – mais, même s’ils
maîtrisent la base factuelle
mieux que quiconque, les experts ne disposent pas d’une compétence, ou d’un autre titre particulier, justifiant l’expression de la raison pratique. Le fait qu’un individu soit un expert médical n’a pas pour effet de le doter de connaissances spécialisées lui permettant de trancher des conflits de valeurs et d’intérêts. Ainsi, les experts
peuvent calculer un
risque mais ils ne peuvent pas en établir le prix du point de vue axiologique.
J’observe à cet égard
que la majorité se montre réticente à s’appuyer sur des données scientifiques concrètes. Elle préfère se fier à des jugements
de valeur et à des
recommandations de politique
générale formulées par
des experts, comme s’ils avaient le même poids que des déclarations d’experts concernant des faits.
- La manière d’aborder le conflit de valeurs
12. J’aimerais tout
d’abord souligner cette spécificité de l’ingérence en cause : l’obligation de vaccination
concerne les enfants et constitue
une ingérence de l’État dans l’intégrité physique
de ceux-ci. C’est là un argument important qui plaide pour l’application
de critères de contrôle
encore plus stricts à la justification de l’ingérence.
D’ordinaire, les jeunes enfants opposent une résistance à
la vaccination. Il est faux
de dire qu’« aucune disposition ne perme[t] d’administrer un vaccin par la
force » (paragraphe 293 de l’arrêt).
Il est vrai que dans ce domaine l’État ne peut pas
directement appliquer la contrainte aux enfants, mais tout
le système repose sur le
principe suivant : des sanctions
sont infligées aux parents afin
qu’ils convainquent ou, si nécessaire, contraignent leurs propres enfants de se soumettre à la vaccination.
13. La majorité
se penche dans ce contexte sur la question de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Elle exprime notamment ce
point de vue (paragraphe 288
de l’arrêt) :
« Il s’ensuit qu’il existe pour les États une obligation
de placer l’intérêt supérieur de l’enfant, et également
des enfants en tant que groupe, au
centre de toutes les décisions touchant à leur santé et à leur développement (...) Pour la Cour, la politique de santé de l’État défendeur repose sur de telles considérations, raison pour laquelle elle peut être tenue pour compatible avec l’intérêt supérieur des enfants, qui est au centre de l’attention de cette politique (...) »
Cette approche appelle les remarques
qui suivent. C’est aux parents, et non à l’État, qu’il appartient de prendre des décisions
concernant les enfants, de déterminer quel est leur intérêt supérieur et de les guider dans
l’exercice de leurs droits (comparer avec M.A.K. et R.K. c. Royaume-Uni,
nos 45901/05 et 40146/06, §§ 75-79, 23 mars
2010). Les droits parentaux ne peuvent être restreints que dans des
circonstances exceptionnelles
(Strand Lobben et autres
c. Norvège [GC], no 37283/13, 10 septembre 2019)
et, en principe, l’intérêt supérieur
d’un enfant ne peut être invoqué contre les parents que lorsqu’il
y a eu restriction ou déchéance des
droits de ces derniers.
En l’espèce,
la question centrale concernant l’intérêt supérieur des enfants n’est pas de savoir si la politique générale de santé de l’État défendeur favorise l’intérêt supérieur des enfants en tant que groupe,
mais comment apprécier,
pour chaque enfant des requérants, avec l’état de santé qui lui est propre, si les divers bénéfices de la vaccination seront bel et bien supérieurs au risque particulier
qui est inhérent à cette intervention. Les parents – parfois à juste raison, parfois
à tort, mais de bonne foi –
peuvent déceler certains facteurs de risque très personnels
qui échappent à l’attention
de tierces personnes.
14. Les
requérants se fondent
sur l’argument selon lequel il existe des solutions moins restrictives, exposant à cet égard qu’il est possible d’atteindre les mêmes objectifs
sans imposer l’obligation
vaccinale. Ils s’appuient à
cette fin sur le droit comparé, lequel indique que de nombreux États considèrent que l’on peut atteindre les objectifs de santé publique sans rendre la vaccination obligatoire. Cet argument n’a pas été réfuté de manière
convaincante par le Gouvernement,
qui a simplement évoqué, de
manière très générale, le risque que ferait naître
« une éventuelle baisse du taux
de vaccination si cet acte devenait une procédure simplement recommandée » (paragraphe
283 de l’arrêt). Or l’argument
des requérants mérite un examen très minutieux et sa réfutation requiert des éléments convaincants.
J’observe à cet égard
que la Cour s’est précédemment exprimée ainsi sur ces questions :
« 65. S’agissant de l’argument du Tribunal
fédéral selon lequel la question de savoir s’il existait
d’autres possibilités, en
dehors de la dissolution de l’association,
importait peu en l’occurrence (considérant 4.3 de l’arrêt, paragraphe 23 ci-dessus), la Cour rappelle qu’elle a statué dans un autre contexte que, pour qu’une mesure puisse être considérée comme proportionnée et nécessaire
dans une société démocratique, l’existence d’une mesure portant moins gravement atteinte au droit
fondamental en cause et permettant
d’arriver au même but doit
être exclue (Glor c. Suisse, no 13444/04, § 94, 30 avril 2009).
De l’avis de la Cour, pour satisfaire pleinement au principe de proportionnalité, les autorités auraient
dû démontrer l’absence de telles mesures. » (Association Rhino et autres c. Suisse, no 48848/07, § 65, 11 octobre
2011)
et
« (...) pour qu’une mesure puisse être
considérée comme proportionnée et nécessaire dans
une société démocratique,
l’existence d’une mesure portant moins gravement
atteinte au droit fondamental en cause et permettant d’arriver au même but
doit être exclue. De l’avis de la Cour, pour satisfaire à l’exigence de proportionnalité, les autorités doivent
démontrer l’absence de telles mesures (Association Rhino et autres, précité, § 65). » (Centre biblique de la république de Tchouvachie c. Russie,
no 33203/08, § 58, 12 juin 2014).
Pour d’autres exemples, voir également : Ürper et
autres c. Turquie,
nos 14526/07 et 8 autres, § 43,
20 octobre 2009, Nada c. Suisse [GC],
no 10593/08, § 183, CEDH 2012, Stanev
c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 242, CEDH 2012, Piechowicz, précité,
§ 220, P. et S. c. Pologne, no 57375/08, § 148, 30 octobre 2012, Saint-Paul
Luxembourg S.A. c. Luxembourg, no 26419/10, § 44, 18 avril
2013, R.M.S. c. Espagne, no 28775/12, § 86, 18 juin
2013, Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 146, CEDH 2014 (extraits),
et Ivinović c. Croatie, no 13006/13, § 44, 18 septembre 2014).
La Cour a aussi quelquefois exprimé l’avis contraire (Animal Defenders
International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 110, CEDH 2013 (extraits) :
« Enfin, contrairement à ce que soutient la requérante, la question centrale s’agissant de telles mesures n’est pas de savoir s’il
aurait fallu adopter des règles
moins restrictives, ni même de savoir si l’État peut prouver
que sans l’interdiction l’objectif légitime visé ne pourrait être atteint. Il s’agit plutôt de déterminer si, lorsqu’il a adopté la mesure générale litigieuse et arbitré entre les
intérêts en présence, le législateur a agi dans le cadre de sa marge d’appréciation (James et autres,
§ 51, Mellacher et autres, § 53, Evans [GC], § 91, précités). »
Il est malaisé de déterminer pourquoi dans certaines cas la Cour se penche sur l’existence de
solutions moins restrictives, tandis que dans la plupart
des affaires elle passe la question
sous silence et dans d’autres encore elle rejette expressément le critère précité. Cette question est importante
pour l’élaboration des stratégies argumentatives.
Si les requérants avaient su que le critère de la « solution moins restrictive » serait rejeté, ils auraient
probablement plaidé leur cause différemment. À mon sens, il est
nécessaire de clarifier la question du champ d’application du critère de la « solution moins restrictive », afin que les
parties puissent dans
de futures affaires s’appuyer sur des principes plus précis.
Je note également
qu’il n’a été soumis à la Cour aucun élément propre
à montrer que les États ayant mis en place l’obligation vaccinale obtiennent
de meilleurs résultats en matière de santé publique que les États qui n’ont pas instauré cette obligation. Dans ce second groupe, aucune diminution du taux de vaccination en
deçà des objectifs recommandés n’a été établie devant la Cour. Le fait que dans
de nombreux États les objectifs de la politique de santé puissent apparemment être atteints sans mise en place d’une
obligation vaccinale constitue
un très solide argument
montrant que des moyens moins
restrictifs existent en
effet et que l’ingérence litigieuse n’est pas nécessaire dans une société démocratique. Le fait que la majorité
écarte expressément
le critère de la « solution moins restrictive », sans plus d’explication, donne
l’impression que si ledit critère avait
été appliqué l’argument des requérants
à ce sujet aurait été retenu.
15. La majorité
s’appuie sur un certain nombre d’arguments spécifiques mais discutables.
Au paragraphe 272 de
l’arrêt, elle déclare ce
qui suit :
« Concernant les buts poursuivis
par l’obligation vaccinale, comme
le soutient le Gouvernement
et comme l’ont reconnu les juridictions
nationales, l’objectif de
la législation pertinente est la protection
contre des maladies susceptibles de faire peser un risque grave sur la santé. Sont concernées
aussi bien les personnes qui reçoivent les vaccins
en question que celles qui ne peuvent pas se faire vacciner
et qui se trouvent donc dans une situation de vulnérabilité,
dépendant d’un taux
élevé de vaccination qui serait atteint parmi l’ensemble de la population
pour être protégées contre les maladies contagieuses
en cause. »
Au paragraphe 306, elle ajoute ceci :
« Pour la Cour, on ne saurait estimer disproportionné le fait qu’un État exige,
de la part de ceux pour qui la vaccination
représente un risque lointain pour la santé, d’accepter cette mesure de protection universellement appliquée, dans le cadre d’une obligation légale et au nom de la solidarité
sociale, pour le bien du
petit nombre d’enfants vulnérables
qui ne peuvent pas bénéficier de la vaccination. »
Le problème est que cet argument n’est valable que pour certaines maladies. Il ne vaut pas pour une maladie telle que
le tétanos, qui n’est pas
contagieux (OMS, Tetanus, https://www.who.int/immunization/monitoring_surveillance/burden/vpd/surveillance_type/passive/tetanus/en/), et
il est problématique pour la coqueluche
eu égard à la spécificité de la protection
vaccinale (Note de synthèse : Position
de l’OMS concernant les vaccins anticoquelucheux – août 2015, Relevé épidémiologique hebdomadaire, no 35,
2015, 90, 433‑460, https://www.who.int/wer/2015/wer9035.pdf?ua=1).
Au paragraphe 288, la majorité présente cet argument :
« Ceux qui ne peuvent pas recevoir
ce traitement sont protégés indirectement contre les maladies contagieuses
tant que, au sein de leur
communauté, la couverture
vaccinale est maintenue au niveau requis ; autrement dit, leur protection réside dans l’immunité
de groupe. Ainsi, lorsqu’il apparaît qu’une politique de vaccination volontaire est insuffisante pour l’obtention et
la préservation de l’immunité
de groupe, ou que l’immunité de groupe n’est pas pertinente compte tenu de la nature de la maladie (s’il s’agit par exemple du tétanos), les
autorités nationales peuvent raisonnablement mettre en place une politique de vaccination obligatoire afin d’atteindre un niveau approprié de protection contre les maladies graves. »
Je ne vois pas de rapport logique entre la première et la deuxième phrase :
c’est un non sequitur. De plus, le fait que « l’immunité de groupe [ne soit] pas pertinente compte tenu de la nature de la maladie (s’il s’agit par exemple du tétanos) » ne suffit pas à justifier
le pouvoir des autorités nationales de « mettre en place une politique de vaccination obligatoire afin d’atteindre un niveau approprié de protection contre les maladies graves. »
Au paragraphe 308,
l’argument suivant est avancé :
« Enfin, les requérants plaident que le système était incohérent en ce que les jeunes enfants devaient être vaccinés alors que cette exigence
ne s’appliquait pas
au personnel des écoles maternelles. La
Cour prend toutefois note de la réponse du Gouvernement selon laquelle l’obligation vaccinale générale,
qui consiste en l’administration de premières séries de vaccins puis de rappels, s’applique
à toute personne qui réside en République tchèque à titre permanent ou pour une longue durée (paragraphes 11 et 77 ci-dessus),
de sorte que les membres du personnel
concerné avaient en principe reçu
tous les vaccins requis par la loi à l’époque pertinente. »
Le problème est que l’obligation de vaccination contre certaines maladies a été mise en place après que les plus âgés des employés étaient devenus adultes, de sorte que ceux-ci n’ont pas reçu
à l’époque pertinente l’ensemble des vaccins qui sont requis à l’heure actuelle. Ainsi, le vaccin contre la rubéole n’est
devenu disponible qu’à la fin des années 1960 et les vaccins contre l’hépatite B
et les infections à
Haemophilus influenzae de type
b dans les années 1980. Par ailleurs,
un employé qui aurait passé son enfance à l’étranger n’aurait pas nécessairement reçu tous les
vaccins actuellement prescrits en République tchèque.
Aux paragraphes 279 et
306, la majorité évoque
la « solidarité
sociale » (« social solidarity »). On
ne voit pas bien ce que cette notion (qui rappelle les travaux d’Émile Durkheim) signifie
ici. Le New Oxford Dictionary of English (Oxford
1998, p.
1772), propose cette définition en anglais du terme « solidarity » tout court :
« unity or agreement of feeling or
action, especially among individuals with a common interest;
mutual support within a
group ». Le Dictionnaire
Larousse 2019 (Paris 2018,
p. 1081) donne les significations
suivantes du mot « solidarité » : « 1)
Dépendance mutuelle entre des personnes liées
par des intérêts communs ; esprit de corps ;
2) Sentiment qui pousse les
hommes à s’accorder une aide mutuelle » (les acceptions juridiques du terme ont ici été
omises ; voir aussi E. Littré, Dictionnaire de la langue française (Paris,
Hachette 1874, t. 4, p. 1968). Bien que le terme « solidarité » puisse aussi avoir un sens différent (« le
fait de faire contribuer certains membres d’une collectivité nationale à l’assistance (financière, matérielle) d’autres personnes » (Le
Petit Robert, Paris, Le Robert 2013, p. 2390)), l’idée même de solidarité, tel qu’entendue au départ dans
la langue courante (provenant
du langage juridique), présuppose une auto-organisation spontanée et non des sacrifices imposés par le pouvoir étatique. Les deux
notions sous-jacentes à l’organisation sociale sont bien différentes, la seconde approche (fondée sur des obligations juridiques) compensant les lacunes de la première.
- La qualité du processus décisionnel au niveau national
16. Pour apprécier
la proportionnalité de mesures qui
restreignent des droits découlant de la
Convention, il arrive à la Cour
de prendre en compte la qualité du processus
décisionnel national (Animal Defenders,
précité, §§ 113-116 ; voir
également Boudaïeva et
autres c. Russie, nos 15339/02 et 4 autres, §
136, CEDH 2008 (extraits), Brincat et
autres c. Malte, nos 60908/11 et 4 autres, §
101, 24 juillet 2014, Parrillo, précité, § 170, CEDH 2015, Garib c.
Pays-Bas [GC], no 43494/09, § 138, 6 novembre 2017, et Lekić c. Slovénie [GC],
no 36480/07, §§ 109, 117-118, 11 décembre
2018). Les requérants épinglent de nombreux vices dans le processus décisionnel au niveau national. Ils reprennent à leur compte des
allégations factuelles très précises qui ont été formulées
dans la presse tchèque. Ils évoquent
en particulier l’existence
de conflits d’intérêts parmi les acteurs
du processus décisionnel et indiquent que certains documents
ayant servi de base à l’évaluation
des risques liés aux divers
vaccins n’ont pas été rendus
publics.
La majorité répond à cet argument
au paragraphe 297 de l’arrêt :
« Pour ce qui est de l’intégrité
du processus d’élaboration des politiques, la Cour note qu’en réponse à l’argument des requérants
relatif à l’existence de conflits d’intérêts, le Gouvernement a expliqué la procédure que suit
la CNV, conformément aux normes européennes et internationales
pertinentes (paragraphe 200
ci-dessus). »
Avec tout le respect que je dois à la majorité, j’estime que le système de déclarations décrit au paragraphe 200, qui apparemment ne prévoit pas de sanctions en cas de fausse déclaration,
est manifestement insuffisant.
Dans le même paragraphe, la majorité ajoute ceci :
« À la lumière des éléments dont elle dispose, la Cour
estime que les requérants n’ont suffisamment étayé ni leurs allégations selon lesquelles le système national
est grevé de conflits d’intérêts, ni leur observation selon laquelle la position sur la vaccination
adoptée par les organes tchèques spécialisés ou par l’OMS est entachée par le soutien financier d’entreprises pharmaceutiques. »
C’est précisément
là que réside le problème : de nombreux citoyens n’ont plus confiance dans les institutions publiques. Il ne suffit pas que les
processus décisionnels soient équitables : ils doivent aussi être perçus
comme tels, et il faut donc des
dispositifs juridiques d’ampleur pour protéger l’intégrité du processus
et améliorer la confiance des citoyens. L’attitude pro-choix en matière vaccinale reflète un problème plus général de défiance, parmi les citoyens, à l’égard des institutions démocratiques.
J’observe par ailleurs qu’aucun document national contenant une évaluation précise de l’efficacité des différents vaccins et des risques liés à ceux-ci n’a été soumis à la Cour, comme si aucune évaluation de ce type n’avait jamais été réalisée au sein de l’État défendeur ou n’avait jamais fait l’objet d’un débat public. Les questions fondamentales
énumérées ci-dessus (paragraphe 6 de la présente opinion
séparée) ne semblent pas avoir été traitées dans des documents accessibles au public concernant le processus décisionnel national. Les personnes concernées par l’obligation vaccinale ont le droit de connaître non seulement les risques
précis liés à chaque maladie, mais aussi le mode de calcul et
d’appréciation de ces risques par ceux qui ont décidé d’instaurer ladite obligation. Or ces personnes n’ont pas reçu de réponse
satisfaisante à leurs questions légitimes en la matière.
- Article
9 de la Convention
17. Concernant
le grief fondé sur l’article 9 de la Convention, je considère
que les requérants
ont fourni un commencement de preuve suffisant de ce que la législation en question a porté atteinte à leurs droits protégés par
cette disposition. Le
point de savoir si un risque
inhérent à une intervention
médicale mérite d’être pris est peut-être une
question relevant de
la conviction personnelle, qui
est protégée par cette
disposition. Par ailleurs,
il est problématique de faire référence à une évolution de la jurisprudence nationale qui est postérieure aux circonstances de l’affaire et
de reprocher aux requérants, rétrospectivement,
de ne pas avoir exploré les voies offertes par cette jurisprudence ultérieure
et de ne pas avoir fait valoir certains droits qui auparavant n’étaient pas protégés (paragraphes
292 et 335 de l’arrêt). Quoi
qu’il en soit, la reconnaissance juridique de
dérogations à l’obligation
vaccinale fondées sur l’objection
de conscience représente un
argument de taille en
faveur de la compatibilité
de l’obligation en question
avec la Convention.
- Conclusion
18. Le présent
arrêt comporte un
certain nombre de vices de procédure. De plus, certains éléments factuels essentiels n’ont pas été
établis. La majorité exprime de forts jugements de valeur sans disposer d’une base factuelle suffisante.
À mon sens, il existe des arguments objectifs
solides en faveur d’un constat de non-violation des droits découlant
de la Convention. Ces arguments
éventuels l’emporteraient
– du moins pour la plupart des maladies
en question – sur d’éventuels
contre-arguments, même si
l’on appliquait un niveau
de contrôle très élevé et si l’on accordait
foi à un certain nombre d’allégations factuelles formulées par les requérants. Sans entrer dans les
détails, il suffit ici de relever que la vaccination permet non seulement de sauver de nombreuses vies et d’éviter des dommages considérables
pour la santé, mais aussi de
dégager d’énormes
ressources financières et sociales en abaissant les coûts supportés
par le système de protection
de la santé. Ces ressources peuvent alors être employées pour sauver
des vies menacées par d’autres maladies.
Or les éléments factuels précis qui constituent le fondement de ces arguments et de bien d’autres arguments possibles en faveur d’un constat de non-violation
font défaut parmi les éléments qui ont été fournis à la
Cour. Dans ces conditions particulières, et sans préjudice
des affaires qui pourraient
être soumises à
l’avenir sur des questions similaires, je n’ai pas d’autre choix
que de m’appuyer sur le principe de vérité
formelle et de conclure que
le gouvernement défendeur
n’a pas présenté de motifs suffisants propres à justifier l’ingérence dont les requérants se plaignent dans la présente espèce.