Cour europĂ©enne des droits de lâhomme
PREMIĂRE SECTION
AFFAIRE DI MARTINO ET MOLINARI c. ITALIE
(RequĂȘtes nos 15931/15 et 16459/15)
ARRĂT
Art 6 § 1 (pénal)
âą ProcĂšs Ă©quitable non
entravé par la non-audition des témoins à charge par la
juridiction dâappel avant de renverser le verdict dâacquittement prononcĂ© en premiĂšre instance lors dâune procĂ©dure abrĂ©gĂ©e âą Demande dâĂȘtre jugĂ© selon
cette procédure déterminant la renonciation aux preuves orales pour
fonder le procĂšs sur les
preuves documentaires issues des investigations
préliminaires ⹠Absence
dâaudition par la cour dâappel dâun tĂ©moin entendu dâoffice par le tribunal de
premiĂšre instance sans incidence
sur les droits de la défense
STRASBOURG
25 mars 2021
Cet arrĂȘt deviendra dĂ©finitif dans les conditions
dĂ©finies Ă lâarticle 44 § 2
de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme.
En lâaffaire Di
Martino et Molinari c. Italie,
La Cour
europĂ©enne des droits de lâhomme (premiĂšre section), siĂ©geant en une Chambre composĂ©e de :
Ksenija Turković, prĂ©sidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Alena PolĂĄčkovĂĄ,
PĂ©ter Paczolay,
Gilberto Felici,
Raffaele Sabato, juges,
et de Renata Degener, greffiĂšre de section,
Vu les requĂȘtes (nos 15931/15 et 16459/15) dirigĂ©es contre la
RĂ©publique italienne et dont deux
ressortissants de cet Ătat, M. Leonardo Di Martino (« le requĂ©rant »)
et Mme Anna Maria Molinari (« la requĂ©rante »), ont saisi la Cour en vertu de lâarticle 34 de la
Convention de sauvegarde des
droits de lâhomme et des libertĂ©s fondamentales
(« la Convention ») le 28 mars
2015 et le 27 mars 2015 respectivement,
Vu la décision
de porter Ă la connaissance
du gouvernement italien (« le Gouvernement ») le grief concernant lâĂ©quitĂ© de la procĂ©dure et de dĂ©clarer irrecevables les requĂȘtes pour le surplus,
Vu les observations des parties,
AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 février 2021,
Rend lâarrĂȘt que voici, adoptĂ©
Ă cette date :
INTRODUCTION
1. Les
requĂȘtes concernent, sous lâangle de lâarticle 6 § 1 de la Convention, lâomission de la juridiction dâappel dâordonner une nouvelle audition des tĂ©moins
Ă charge avant de renverser le verdict dâacquittement des requĂ©rants prononcĂ© en premiĂšre instance.
2. Les
requérants sont nés en 1958 et en 1965 et résident
à Lanciano et à Gragnano, respectivement. Ils ont été représentés
par Me A. Gaito, avocat.
3. Le Gouvernement a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agent, M. L. DâAscia.
4. Ă
une date non précisée, les requérants, mari et femme, furent
renvoyés en jugement avec quinze autres
personnes dans le cadre dâune procĂ©dure pĂ©nale visant une association de malfaiteurs de type mafieux. Le requĂ©rant Ă©tait accusĂ© des dĂ©lits
dâassociation de type mafieux, dâassociation de malfaiteurs visant le trafic de stupĂ©fiants et de
culture de chanvre indien, tandis que la requérante
était accusée des deux derniers
chefs dâinculpation.
5. Ă lâaudience du 7 octobre 2007, devant le juge de lâaudience prĂ©liminaire (« le GUP ») de Naples,
les requĂ©rants demandĂšrent lâadoption de la procĂ©dure
abrégée (giudizio abbreviato) prévue aux articles
438 à 443 du code de procédure
pĂ©nale (CPP), une dĂ©marche simplifiĂ©e entraĂźnant, en cas de condamnation, une rĂ©duction de peine et caractĂ©risĂ©e par lâabsence de dĂ©bats (en effet, dans le cadre de cette procĂ©dure, le juge dĂ©cide lors
de lâaudience prĂ©liminaire sur la base des piĂšces figurant,
le cas Ă©chĂ©ant, dans le dossier constituĂ© Ă lâissue des investigations
préliminaires ; à titre
exceptionnel, de nouvelles preuves
peuvent ĂȘtre admises Ă lâaudience dĂšs lors que lâaccusĂ©
le sollicite dans sa demande et que le juge fait droit
Ă celle‑ci (giudizio abbreviato condizionato), ou bien lorsque
le juge estime ne pas pouvoir décider
en lâĂ©tat et se procure, mĂȘme
dâoffice, les Ă©lĂ©ments
nécessaires à sa décision (article 441 § 5
du CPP)).
6. Le GUP de Naples, estimant que les accusations
contre les requĂ©rants pouvaient ĂȘtre tranchĂ©es sur la base des actes accomplis au cours des
investigations préliminaires
(allo stato degli atti), accepta
lâadoption de la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e.
7. Ă lâaudience du 21 novembre 2011, faisant droit Ă une demande du parquet, le GUP ordonna, en application de lâarticle 441 § 5 du CPP, lâaudition de B.S., un
ancien membre du clan mafieux ayant entre-temps
décidé de collaborer avec la justice, dont le témoignage était nécessaire pour juger du délit
dâassociation mafieuse concernant notamment P. C.,
lâun des coĂŻnculpĂ©s des requĂ©rants.
8. B.S. fut
interrogĂ© Ă lâaudience du
20 décembre 2011. Conformément
à la procédure, les requérants purent poser des questions
par lâintermĂ©diaire du juge et dĂ©poser leurs conclusions.
9. Par un jugement
du 27 mars 2012, le GUP acquitta la requĂ©rante de tous les chefs dâinculpation retenus contre elle
et condamna le requérant
pour le seul délit de
culture de chanvre. Selon
le GUP, les éléments de preuve présents dans le dossier des investigations préliminaires, à savoir les déclarations
de plusieurs « repentis »,
les transcriptions dâĂ©coutes tĂ©lĂ©phoniques et de surveillances rĂ©alisĂ©es dans des endroits
publics (dites aussi « Ă©coutes environnementales ») et une note dâinformation des carabiniers de Naples, qui avaient permis de conclure Ă la condamnation des coĂŻnculpĂ©s des requĂ©rants, ne permettaient dâaffirmer ni que le requĂ©rant Ă©tait membre du clan mafieux ni que la culture de chanvre quâil pratiquait
visait le trafic de stupĂ©fiants. DâaprĂšs le GUP, aucun « repenti » nâavait expressĂ©ment mentionnĂ© le requĂ©rant dans ses dĂ©clarations.
10. Le parquet interjeta appel. Par un arrĂȘt du 14 juin
2013, la cour dâappel de Naples rĂ©forma le jugement de premiĂšre instance et condamna les requĂ©rants
pour lâensemble des dĂ©lits
qui leur étaient reprochés. Pour ce faire, elle considéra que plusieurs
Ă©lĂ©ments de lâenquĂȘte dĂ©montraient que le requĂ©rant Ă©tait membre du clan mafieux dit «
D. A. » et quâil se consacrait
en particulier au trafic de stupéfiants. Elle fit référence notamment
Ă la note dâinformation des carabiniers de Naples concernant entre autres le parcours criminel du requĂ©rant
et ses appartenances successives à différents clans mafieux. En outre, elle nota que les informations des carabiniers avaient été corroborées
par de nombreuses écoutes environnementales et téléphoniques
et par les déclarations des « repentis »
E., P. G. et S. entendus au
cours des investigations préliminaires, lesquels avaient expressément mentionné le requérant en tant que membre du
clan D. A. et avaient fait
rĂ©fĂ©rence Ă lâactivitĂ© de trafic de stupĂ©fiants que celui-ci menait
avec dâautres membres de sa famille. Elle nota Ă©galement que B.S. avait confirmĂ© au cours des
dĂ©bats aussi bien lâappartenance du requĂ©rant au
clan mafieux que son activité de trafiquant de drogue, ce qui venait ainsi corroborer
les autres preuves.
11. Concernant
la requĂ©rante, la cour dâappel indiqua que les Ă©coutes
environnementales effectuées
auprÚs de la prison dans laquelle le requérant avait été détenu avaient
permis dâĂ©tablir que lâintĂ©ressĂ©e jouait un rĂŽle important dans lâactivitĂ© de culture de chanvre et
quâen outre les dĂ©clarations des « repentis »
avaient démontré que celle-ci participait au trafic de drogue
organisé par son époux.
12. Les
requérants se pourvurent en
cassation, se plaignant entre autres que,
en renversant le jugement du tribunal, la cour dâappel eĂ»t
procédé à une reformatio in
pejus sans ordonner une
nouvelle audition des témoins à charge.
13. Par un arrĂȘt du 29 septembre
2014, la Cour de cassation débouta les requérants.
Elle considĂ©ra tout dâabord
que le procĂšs des requĂ©rants sâĂ©tait dĂ©roulĂ©, dĂšs la premiĂšre instance, selon les rĂšgles
de la procédure abrégée, et
donc non pas selon les principes
de lâoralitĂ© et de lâimmĂ©diatetĂ©
mais sur la base des éléments
de preuve versés au dossier du parquet. Elle
estima, en conséquence, que
ni le GUP ni la cour dâappel
nâavaient eu un accĂšs direct aux
témoins à charge, ces juridictions ayant seulement eu un rapport « intermédié »
(intermediato) avec les
déclarations de ces témoins.
14. Quant
à B.S., à savoir le seul témoin entendu directement par le juge de
premiĂšre instance en vertu
de lâexception prĂ©vue par
lâarticle 441 § 5 du CPP,
la Cour de cassation observa que, dans
son arrĂȘt Dan c. Moldova (no 8999/07, 5 juillet 2011), la Cour avait prĂ©cisĂ©
que, avant dâannuler un acquittement, le juge dâappel Ă©tait
tenu dâordonner une
nouvelle audition des témoins à la double condition que les témoignages
en question fussent décisifs et que la réévaluation de la crédibilité des témoins fût
nécessaire. Elle poursuivit son raisonnement
comme suit. En lâoccurrence, les Ă©lĂ©ments Ă la charge des requĂ©rants Ă©taient nombreux et variĂ©s et la condamnation nâavait pas Ă©tĂ©
fondée de maniÚre déterminante sur les déclarations de B.S. De plus, à aucun
moment la crédibilité de ce témoin
nâavait Ă©tĂ© mise en doute. La cour dâappel, tout comme le GUP, ne sâĂ©tait pas penchĂ©e
sur la crédibilité dudit témoin mais avait simplement donné une lecture correcte et logique des éléments
de preuve disponibles, que le GUP avait interprĂ©tĂ©s de maniĂšre erronĂ©e. En effet, celui-ci avait eu tort dâaffirmer
quâaucun collaborateur de justice nâavait fait rĂ©fĂ©rence au requĂ©rant comme
Ă©tant un membre du clan mafieux puisque aussi bien
les « repentis »
entendus au cours des investigations
préliminaires que B.S. avaient plusieurs fois mentionné le requérant dans leurs déclarations.
De plus, de nombreux autres
éléments de preuve avaient corroboré ces témoignages et permis de confirmer la responsabilité des requérants dans les infractions reprochées.
LE CADRE ET LA
PRATIQUE JURIDIQUES PERTINENTS
- LE DROIT INTERNE
PERTINENT
- La reformatio in pejus des verdicts dâacquittement prononcĂ©s en
premiĂšre instance
15. Le
cadre juridique interne
en la matiĂšre est dĂ©crit dans lâarrĂȘt Lorefice c.
Italie (no 63446/13, §§ 26-28, 29 juin
2017).
16. En particulier,
lâarrĂȘt no 27620 de lâAssemblĂ©e
pléniÚre (Sezioni Unite) de la Cour de cassation, déposé au greffe
le 6 juillet 2016, a énoncé
le principe selon lequel le
juge dâappel ne peut pas infirmer
un jugement dâacquittement « sans avoir au prĂ©alable ordonnĂ©,
mĂȘme dâoffice, aux termes de lâarticle 603, alinĂ©a 3, du CPP, lâaudition des tĂ©moins
dont les déclarations ont été décisives »
(ibidem, § 28). Dans ledit arrĂȘt, la haute juridiction italienne a affirmĂ© que ce principe trouve Ă sâappliquer Ă©galement aux procĂ©dures abrĂ©gĂ©es, lorsque lâacquittement a Ă©tĂ© fondĂ© sur des tĂ©moignages
qui ont été considérés comme décisifs en premiÚre instance et
dont la portée est mise en doute
par le parquet dans son appel.
Par lâarrĂȘt no 18620
du 19 janvier 2017, lâAssemblĂ©e plĂ©niĂšre de la Cour de cassation a par ailleurs prĂ©cisĂ© que le juge dâappel
doit faire application de lâarticle 603 du CPP et ordonner la rĂ©ouverture de lâinstruction aussi dans les
cas oĂč la premiĂšre instance sâest dĂ©roulĂ©e selon la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e « simple
», à savoir sans admission
de nouvelles preuves au cours des débats.
Selon la haute juridiction,
le choix de lâaccusĂ© de renoncer au principe du contradictoire en premiĂšre instance nâa pas dâincidence sur lâobligation du juge dâappel
qui entend renverser un verdict dâacquittement dâexaminer directement les preuves orales
décisives dont il fournit
une interprétation différente.
Ce principe de jurisprudence
a Ă©tĂ© confirmĂ© par lâAssemblĂ©e plĂ©niĂšre de la Cour de cassation par lâarrĂȘt no 14800 du 3 avril 2018, dans lequel la haute juridiction a affirmĂ© en particulier que « la renonciation
de la personne accusée au respect du
principe du contradictoire dans la formation de la preuve ne saurait avoir de conséquences négatives sur le droit à voir sa culpabilité établie en appel au-delà de tout doute raisonnable ».
- La procédure abrégée
17. Les
dispositions du CPP concernant la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e, telles que modifiĂ©es par la loi n° 479 du 16 dĂ©cembre 1999 et en vigueur Ă
lâĂ©poque des faits, se lisent comme suit
en leurs parties pertinentes
en lâespĂšce :
Article 438
« 1. LâaccusĂ© peut demander que
lâaffaire soit tranchĂ©e Ă
lâaudience prĂ©liminaire en lâĂ©tat
(...).
2. La demande peut ĂȘtre faite,
oralement ou par Ă©crit, tant que
les conclusions nâont pas Ă©tĂ©
présentées aux termes des articles
421 et 422.
3. La volonté
de lâaccusĂ© est exprimĂ©e personnellement ou par lâintermĂ©diaire dâun reprĂ©sentant spĂ©cialement mandatĂ© [per
mezzo di procuratore speciale] et la signature est authentifiĂ©e selon les formalitĂ©s prĂ©vues Ă lâarticle 583 § 3 [par
un notaire, par une autre personne autorisée ou par le défenseur].
4. Le juge se prononce sur la demande dans lâordonnance par laquelle il adopte la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e.
5. LâaccusĂ©
(...) peut subordonner sa demande Ă la production de nouvelles preuves
nécessaires à la décision. Le juge
adopte la procédure abrégée si la production de ces preuves est nécessaire pour
la décision et compatible avec les finalités
dâĂ©conomie propres Ă la procĂ©dure, compte tenu des piĂšces
dĂ©jĂ recueillies et pouvant ĂȘtre utilisĂ©es.
Dans ce cas, le ministĂšre public peut demander lâadmission dâune preuve contraire. (...)
(...) »
Article 441
« 1. La procédure abrégée suit, dans
la mesure oĂč elles peuvent ĂȘtre
appliquées, les dispositions prévues pour
lâaudience prĂ©liminaire, exception
faite de celles énoncées aux articles
422 et 423 [il sâagit de dispositions
rĂ©gissant le pouvoir du juge dâordonner ex officio la
production de preuves décisives
et la possibilité, pour le ministÚre
public, de modifier le chef
dâinculpation].
(...)
3. La procédure
abrégée se déroule en chambre du conseil ; le juge ordonne que
le procÚs se déroule en
audience publique lorsque tous les accusés
le demandent.
(...)
5. Lorsque le juge estime ne pas pouvoir décider
en lâĂ©tat, il se procure [assume], mĂȘme dâoffice, les Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires Ă sa dĂ©cision. Dans un tel cas, lâarticle
423 trouve Ă sâappliquer.
6. Pour la production des preuves [mentionnées]
au paragraphe 5 du présent article
et Ă lâarticle 438 § 5, il est procĂ©dĂ©
selon les modalitĂ©s prĂ©vues Ă lâarticle 422 §§ 2, 3 et 4 [ces derniers paragraphes prĂ©voient la possibilitĂ©, pour les parties, de poser, par lâintermĂ©diaire du juge, des questions
aux tĂ©moins et experts et le droit pour lâaccusĂ© de demander Ă ĂȘtre interrogĂ©].
»
Article 442
« 1. Une fois les débats terminés, le juge décide aux
termes des articles 529 et suivants [il sâagit des dispositions
concernant le prononcĂ© dâun
jugement de non-lieu, dâacquittement ou de condamnation].
1-bis. Pour les
délibérations, le juge utilise les actes
contenus dans le dossier [mentionnĂ©] Ă lâarticle 416 § 2 [il sâagit du dossier du parquet, contenant les actes
accomplis pendant les investigations prĂ©liminaires], les documents [indiquĂ©s] Ă lâarticle 419 § 3 [il
sâagit des actes relatifs aux investigations accomplies aprĂšs la demande de renvoi en jugement], et les preuves produites Ă lâaudience.
2. En cas de condamnation, la peine que le juge inflige
en tenant compte de toutes les circonstances
est rĂ©duite dâun tiers. La condamnation Ă perpĂ©tuitĂ© est remplacĂ©e par une condamnation Ă trente ans dâemprisonnement.
La peine perpĂ©tuelle avec isolement (...) est remplacĂ©e par une peine perpĂ©tuelle dâemprisonnement.
3. Le jugement
est notifiĂ© Ă lâaccusĂ© qui
nâa pas comparu.
(...) »
Article 443
« 1. LâaccusĂ© et le ministĂšre public ne peuvent pas interjeter appel de jugements dâacquittement lorsque lâappel a pour but dâobtenir une forme [dâacquittement]
différente.
(...)
3. Le ministĂšre
public ne peut pas interjeter appel de jugements de condamnation, sauf sâil sâagit
dâun jugement qui modifie
la qualification juridique
de lâinfraction [il titolo del reato].
4. Le procĂšs dâappel se dĂ©roule selon les modalitĂ©s
prĂ©vues Ă lâarticle 599. »
18. La Recommandation
n° Rec (87) 18 du
ComitĂ© des Ministres aux Ătats
membres concerne la simplification
de la justice pénale. Cette recommandation, qui porte
sur les procédures simplifiées et les procédures sommaires, a été adoptée par le Comité des Ministres
du Conseil de lâEurope le
17 septembre 1987. Ses passages pertinents en lâespĂšce se lisent ainsi :
« Eu Ă©gard Ă lâaugmentation des cas soumis Ă la justice pĂ©nale, notamment ceux dont lâauteur est passible dâune peine lĂ©gĂšre, et aux problĂšmes posĂ©s
par la durée de la procédure
pénale ;
Considérant que le retard pris par les décisions
pénales jette le discrédit sur le droit pénal et porte atteinte à une
bonne administration de la justice ;
ConsidĂ©rant quâil pourrait
ĂȘtre remĂ©diĂ© aux lenteurs de la justice pĂ©nale, non seulement par les ressources qui lui sont attribuĂ©es et par la façon dont ces
ressources sont utilisées, mais aussi par une meilleure définition des priorités dans
la conduite de la politique
criminelle, tant en ce qui
concerne la forme que le fond,
par :
- le recours,
pour traiter les infractions mineures et les contentieux de masse :
- à des procédures dites sommaires,
- à des transactions par les autorités compétentes en matiÚre pénale et autres autorités intervenant, comme substitut à des poursuites,
- à des procédures dites simplifiées ;
(âŠ)
â la simplification
de la procédure juridictionnelle
ordinaire
;
(...).
III. Simplification
de la procédure juridictionnelle
ordinaire
a. Instruction
avant et pendant lâaudience
4. Sâil y a
une instruction préalable,
celle-ci devrait ĂȘtre effectuĂ©e selon une procĂ©dure excluant toutes formalitĂ©s inutiles et Ă©vitant notamment la nĂ©cessitĂ© dâune audition formelle des tĂ©moins lorsque les faits ne sont
pas contestés par le suspect. »
Le rapport final
dâactivitĂ© concernant ladite recommandation, dans sa partie relative aux commentaires du groupe de travail
sur les recommandations en matiĂšre de simplification de la procĂ©dure juridictionnelle ordinaire dans la phase dâinstruction « avant et pendant
lâaudience » (partie B, III, a.5), se lit ainsi :
« Dans les cas oĂč
il est nĂ©cessaire dâadministrer des
preuves devant une juridiction de jugement, une procĂ©dure par laquelle le ministĂšre public et lâinculpĂ© concluent un arrangement pour produire les preuves
Ă lâavance et/ou conviennent
de limiter le nombre dâexperts ou dâautres
témoins à faire entendre par le tribunal peut permettre de gagner beaucoup de temps. Le juge peut considérer comme établis des
faits non contestés dont les piÚces du
dossier dĂ©montrent quâils ont Ă©tĂ© prouvĂ©s
de façon formelle, par exemple des
dĂ©positions recueillies antĂ©rieurement par une autoritĂ© judiciaire ou dâautres moyens dĂ©jĂ
consignés par écrit. Une
double administration des preuves gaspille le temps du juge,
dont il est souvent déraisonnable
dâattendre quâil reconstitue la totalitĂ© du dossier. »
EN DROIT
- SUR LA JONCTION
DES REQUĂTES
19. Compte
tenu de la similitude des requĂȘtes quant
Ă leur objet, la Cour juge opportun
de les examiner ensemble dans un seul arrĂȘt.
20. Les
requĂ©rants reprochent Ă la cour dâappel de Naples dâavoir prononcĂ© leur condamnation
sans avoir entendu directement les tĂ©moins Ă charge. Ils se plaignent Ă cet Ă©gard dâune violation de lâarticle 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, qui
est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement
(...) par un tribunal (...) qui décidera
(...) du bien-fondé de toute accusation en matiÚre pénale dirigée contre elle.
3. Tout accusé a droit notamment à :
(...) ;
d) interroger ou faire interroger
les tĂ©moins Ă charge et obtenir la convocation et lâinterrogation des tĂ©moins Ă dĂ©charge
dans les mĂȘmes conditions que les tĂ©moins
Ă charge ;
(...). »
- Sur la recevabilité
21. Constatant que les requĂȘtes ne sont pas manifestement
mal fondées ni irrecevables
pour un autre motif visĂ© Ă lâarticle 35 de la
Convention, la Cour les déclare recevables.
- Sur le fond
- Les arguments des parties
22. Les
requĂ©rants allĂšguent que lâomission de la part de la cour dâappel dâauditionner les tĂ©moins dont les dĂ©clarations ont Ă©tĂ© dĂ©terminantes pour leur condamnation les a privĂ©s de la possibilitĂ© de
prĂ©senter leurs arguments et a entraĂźnĂ© une violation de leurs droits de la dĂ©fense. DâaprĂšs eux, la cour
dâappel aurait dĂ» procĂ©der aussi
bien Ă lâaudition de B.S.,
qui avait Ă©tĂ© entendu par le juge de premiĂšre instance, quâĂ celle des autres tĂ©moins
Ă charge, dont les dĂ©clarations avaient servi Ă corroborer lâaccusation.
23. Les
requérants affirment que leur demande
visant Ă ĂȘtre jugĂ©s selon la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e ne les a pas privĂ©s du droit Ă un procĂšs
Ă©quitable garanti par lâarticle
6 de la Convention. Ils se prévalent
de la jurisprudence de la Cour
selon laquelle toute renonciation de la part
dâun justiciable aux garanties du procĂšs
Ă©quitable doit ĂȘtre effectuĂ©e de maniĂšre volontaire, consciente et Ă©clairĂ©e.
24. Ils
plaident que le fait que le GUP a ordonnĂ© lâaudition de B.S. malgrĂ© lâadoption de la procĂ©dure
abrégée démontre que celui-ci était
un témoin clé et que son témoignage a été décisif. Selon
eux, dans ces conditions, afin dâĂ©valuer si oui ou non les
tĂ©moignages Ă charge constituaient des preuves graves, prĂ©cises et concordantes de leur responsabilitĂ© pĂ©nale, la cour dâappel aurait dĂ» rouvrir lâinstruction
en application de lâarticle
603 du CPP et entendre directement tous les témoins à charge.
25. Le Gouvernement
indique dâemblĂ©e que les requĂ©rants ont Ă©tĂ© jugĂ©s
selon la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e, Ă savoir une procĂ©dure simplifiĂ©e engendrant une limitation de certaines garanties procĂ©durales, telles que la facultĂ© dâobtenir lâaudition de tĂ©moins et la production de nouvelles preuves.
Il se réfÚre aux nombreuses affaires tranchées par
la Cour en la matiÚre (voir, entre autres, Kwiatkowska c. Italie (déc.), n° 52868/99, 30 novembre 2000, Hermi
c. Italie [GC], n° 18114/02, CEDH 2006‑XII, Panarisi c. Italie,
n° 46794/99, § 110, 10 avril 2007,
et Fornataro c. Italie (déc.), n° 37978/13, 26 septembre 2017) et estime que les
requérants ne peuvent se plaindre du fait
que les juges
se sont prononcés sur leur affaire sur la base des preuves versées au dossier du parquet.
26. Le Gouvernement
dit par ailleurs que, selon la jurisprudence
de la Cour, lâobligation
pour une juridiction dâappel
dâentendre directement les tĂ©moins nâest pas une obligation absolue, dont le non-respect rendrait un procĂšs automatiquement inĂ©quitable. Selon lui, il sâagit de considĂ©rer lâensemble des garanties mises en Ćuvre au cours
du procĂšs.
27. Le Gouvernement
argue que, dans la prĂ©sente affaire, la condamnation des requĂ©rants a Ă©tĂ© fondĂ©e sur plusieurs Ă©lĂ©ments de preuve, parmi lesquels le tĂ©moignage de B.S. Cet Ă©lĂ©ment nâaurait Ă©tĂ© ni exclusif ni dĂ©terminant. En outre, la crĂ©dibilitĂ© de B.S. nâaurait jamais Ă©tĂ© sujette
Ă discussion. La cour dâappel se serait consacrĂ©e Ă un examen critique et approfondi de la motivation
du jugement du GUP et aurait corrigĂ© par son arrĂȘt les erreurs logiques
et factuelles commises par
le juge de premiĂšre instance.
Ce dernier aurait en effet manifestement ignoré une multitude de preuves à la charge des requérants,
dont le tĂ©moignage de B.S., qui nâaurait
Ă©tĂ© quâun Ă©lĂ©ment parmi dâautres.
- Appréciation de
la Cour
a) Principes généraux
28. La Cour
rappelle que, lorsquâune instance dâappel est amenĂ©e Ă connaĂźtre dâune affaire en fait
et en droit et Ă Ă©tudier dans son ensemble la question de
la culpabilitĂ© ou de lâinnocence, elle ne peut, pour des motifs dâĂ©quitĂ©
de la procédure, décider de
ces questions sans apprĂ©ciation directe des tĂ©moignages prĂ©sentĂ©s en personne soit par lâaccusĂ© qui soutient quâil nâa pas commis lâacte tenu pour une infraction pĂ©nale (voir, entre
autres, Ekbatani c.
SuÚde, 26 mai 1988, § 32, série
A n° 134, Constantinescu c. Roumanie, n° 28871/95, § 55, CEDH 2000 VIII, Dondarini c. Saint-Marin,
n° 50545/99, § 27, 6 juillet 2004,
et Igual Coll
c. Espagne, n° 37496/04, § 27, 10 mars
2009) soit par les témoins ayant déposé
pendant la procédure et aux
déclarations desquels elle souhaite donner une nouvelle interprétation (voir, par exemple, Lorefice, précité,
§§ 36). La Cour rappelle que ceux qui ont
la responsabilité de décider
de la culpabilitĂ© ou de lâinnocence de lâaccusĂ© doivent, en principe, entendre les tĂ©moins en personne et Ă©valuer leur crĂ©dibilitĂ©. LâĂ©valuation de la crĂ©dibilitĂ© dâun
tĂ©moin est une tĂąche complexe, qui, normalement, ne peut pas ĂȘtre
accomplie par le biais
dâune simple lecture du contenu des
déclarations de celui-ci, telles que consacrées
dans les procÚs-verbaux des auditions (Dan, précité, §
33, et Lorefice, précité, § 43).
29. La Cour
a nĂ©anmoins soulignĂ© que, bien quâil
soit nécessaire pour la juridiction
qui condamne pour la premiĂšre fois un inculpĂ© dâapprĂ©cier directement les preuves sur lesquelles elle fonde
sa dĂ©cision, il ne sâagit pas lĂ dâune rĂšgle automatique qui rendrait un procĂšs inĂ©quitable pour la seule raison que
la juridiction en cause nâa pas
entendu tous les témoins mentionnés
dans son arrĂȘt et dont elle
a dû apprécier la crédibilité. En effet, il convient également de prendre en compte la valeur probante des témoignages en cause (Chiper
c. Roumanie, n° 22036/10, § 63, 27 juin
2017). La Cour rappelle Ă cet Ă©gard sa jurisprudence
selon laquelle, lorsque les déclarations
dâun tĂ©moin qui nâa pas comparu et nâa pas Ă©tĂ© interrogĂ© pendant le procĂšs sont utilisĂ©es
Ă titre de preuve, il importe de rechercher sâil existait un motif sĂ©rieux justifiant
la non-comparution du témoin, si la déposition
du tĂ©moin absent a constituĂ© le fondement unique ou dĂ©terminant de la condamnation, et sâil existait des Ă©lĂ©ments
compensateurs, notamment des garanties procédurales
solides, suffisants pour contrebalancer les difficultĂ©s causĂ©es Ă la dĂ©fense en consĂ©quence de lâadmission dâune telle preuve et pour assurer lâĂ©quitĂ© de la procĂ©dure dans son ensemble (Al‑Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC],
nos 26766/05 et 22228/06, § 131, CEDH 2011, Schatschaschwili c.
Allemagne [GC], no 9154/10, § 123, CEDH 2015, et Dadayan c.
Arménie, no 14078/12, §§ 39-43, 6 septembre
2018).
30. La Cour
rappelle en outre que les modalités
dâapplication de lâarticle 6
de la Convention aux procédures
dâappel dĂ©pendent des caractĂ©ristiques de la procĂ©dure dont il sâagit :
il faut prendre en compte lâensemble du procĂšs menĂ© dans
lâordre juridique interne
et le rĂŽle quây a jouĂ© la juridiction dâappel (Botten c.
NorvÚge, 19 février
1996, § 39, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1996-I,
et Hermi, précité,
§ 60). Enfin, les Ătats contractants jouissent dâune grande libertĂ© dans
le choix des moyens propres à permettre à leur systÚme judiciaire de respecter les impératifs
de lâarticle 6 de la Convention. La tĂąche de la Cour consiste Ă rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige dĂ©terminĂ©, Ă des rĂ©sultats compatibles
avec la Convention, eu Ă©gard Ă©galement aux circonstances spĂ©cifiques de lâaffaire, Ă sa nature et Ă sa complexitĂ© (Taxquet c.
Belgique [GC], n° 926/05, § 84, CEDH 2010). La Cour
doit examiner si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve,
a revĂȘtu un caractĂšre Ă©quitable (voir, parmi beaucoup dâautres, Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil 1998‑IV,
et Kashlev c. Estonie, n° 22574/08, § 39, 26 avril
2016).
b) Application
de ces principes à la présente espÚce
31. La Cour
note que les requérants ont été jugés selon
la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e, Ă savoir une procĂ©dure simplifiĂ©e, dont ils ont demandĂ© lâadoption en vue dâobtenir une rĂ©duction de peine. Le GUP a accueilli la demande des requĂ©rants, estimant que lâaffaire pouvait ĂȘtre tranchĂ©e
sur la base des éléments du dossier constitué par le
parquet au cours des investigations préliminaires, parmi lesquels figuraient les transcriptions des déclarations de plusieurs « repentis ».
Par la suite, se prĂ©valant de la possibilitĂ© prĂ©vue par lâarticle 441 § 5 du CPP, le GUP a ordonnĂ© lâaudition de B.S., un
ancien mafieux, devenu entre-temps collaborateur de justice.
32. La Cour
observe ensuite que le GUP a acquittĂ© la requĂ©rante de tous les chefs dâinculpation retenus contre elle et a partiellement
acquitté le requérant qui a
été condamné pour le seul délit de culture de chanvre. Le GUP a estimé que les éléments
de preuve recueillis ne prouvaient pas leur responsabilitĂ© pĂ©nale. La cour dâappel, quant Ă elle, a infirmĂ© le jugement rendu en premiĂšre instance et a dĂ©clarĂ© les requĂ©rants
coupables aprĂšs avoir donnĂ© une nouvelle interprĂ©tation de lâensemble des Ă©lĂ©ments de preuve, y compris les dĂ©clarations
de tous les témoins, et les avoir jugés suffisants
pour fonder la condamnation.
- Sur lâabsence dâaudition des tĂ©moins E., P.G. et S.
33. La Cour
rappelle dâemblĂ©e quâelle a
dĂ©jĂ eu lâoccasion de se pencher sur les particularitĂ©s de la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e prĂ©vue par le CPP italien. Elle a
constaté que celle-ci entraßne des avantages
indĂ©niables pour lâaccusĂ© : en cas de condamnation, celui-ci bĂ©nĂ©ficie dâune importante rĂ©duction
de peine et le parquet ne peut
interjeter appel des jugements de condamnation qui ne modifient pas la qualification juridique de lâinfraction. En
revanche, la procédure abrégée
est assortie dâun affaiblissement
des garanties de procédure offertes par le droit interne, notamment en ce
qui concerne la publicité des
dĂ©bats, la possibilitĂ© de demander la production dâĂ©lĂ©ments
de preuve non contenus dans le dossier du parquet et
celle dâobtenir la convocation
des témoins (Kwiatkowska, décision précitée, Hermi, précité, § 78, Hany c. Italie (déc.), n° 17543/05, 6 novembre 2007, et Scoppola
c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, 17 septembre
2009). Lesdites garanties constituent des principes fondamentaux du droit Ă un procĂšs
Ă©quitable, consacrĂ© par lâarticle 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention. La Cour rappelle que
ni la lettre ni lâesprit de lâarticle 6 de la
Convention nâempĂȘchent une personne
de renoncer de son plein gré
de maniĂšre expresse ou tacite aux garanties
dâun procĂšs Ă©quitable. Toutefois, pour entrer en ligne de compte sous lâangle de la Convention, pareille renonciation doit se trouver Ă©tablie de maniĂšre non Ă©quivoque et doit ĂȘtre entourĂ©e dâun minimum de garanties correspondant Ă sa gravitĂ©. De plus, cette renonciation ne doit se heurter Ă aucun intĂ©rĂȘt public important (Kwiatkowska, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, Hermi, prĂ©citĂ©, § 73, et Murtazaliyeva c.
Russie [GC], no 36658/05, §§ 117 et 118, 18 décembre
2018).
34. La Cour
observe par ailleurs que lâintroduction de la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e par le lĂ©gislateur italien vise Ă simplifier, et donc Ă accĂ©lĂ©rer, les procĂ©dures pĂ©nales (Hermi, prĂ©citĂ©, § 80). Elle observe Ă cet Ă©gard que
la Recommandation n° Rec (87) 18
du Comité des Ministres concernant
la simplification de la justice
pĂ©nale prĂ©conise aux Ătats membres,
dans le respect des principes constitutionnels
et des traditions juridiques propres Ă chaque Ătat, la mise en place de procĂ©dures simplifiĂ©es et de procĂ©dures sommaires (ces derniĂšres Ă©tant
également désignées par les expressions « transactions pénales » ou « plea bargaining »), dans le but notamment de faire face aux problÚmes posés par la durée de la procédure pénale (paragraphe 18 ci-dessus).
35. Ainsi,
en matiĂšre de transactions pĂ©nales, la Cour a dĂ©jĂ eu lâoccasion
dâobserver que la possibilitĂ© pour un accusĂ© dâobtenir une attĂ©nuation des charges ou
une rĂ©duction de peine Ă condition quâil reconnaisse sa culpabilitĂ©, ou quâil renonce
avant le procĂšs Ă contester les faits
ou encore quâil coopĂšre pleinement avec les autoritĂ©s
dâenquĂȘte, est chose courante dans les
systĂšmes de justice pĂ©nale des Ătats
europĂ©ens (voir lâĂ©tude de droit comparĂ© dans
lâaffaire Natsvlishvili et Togonidze c. GĂ©orgie,
no 9043/05, §§ 62-75 et, CEDH 2014 (extraits)).
Le fait de transiger sur un
chef dâaccusation ou sur
une peine nâa rien de rĂ©prĂ©hensible en soi (ibidem,
§§ 90-91), tout comme le fait
de renoncer au droit dâappel (Litwin c. Allemagne,
no 29090/06, § 47, 3 novembre 2011).
36. Se tournant
vers les faits de lâespĂšce, la Cour considĂšre que, en sollicitant lâadoption de
la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e, les requĂ©rants, qui Ă©taient assistĂ©s dâavocats, ont acceptĂ©
de baser leur défense sur les piÚces recueillies pendant les investigations préliminaires, dont ils avaient pris connaissance,
et ont ainsi renoncé sans équivoque à leur droit à obtenir
la convocation et lâaudition
de témoins au procÚs. Rien ne permet de douter que la renonciation des requérants à leur droit était
consciente et éclairée. Les intéressés ont en outre accepté
que les juges
en charge de leur affaire utilisent, pour statuer sur le bien-fondé des accusations portées contre eux, les transcriptions
des dépositions des « repentis »
E., P. G. et S. versées au
dossier du parquet. De plus, les
requérants savaient ou auraient dû
savoir quâen cas dâacquittement en premiĂšre instance la cour dâappel avait la facultĂ© de rejuger lâaffaire sur
la base de ces mĂȘmes Ă©lĂ©ments de preuve.
37. La Cour
en déduit que la demande des requérants
dâĂȘtre jugĂ©s selon la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e a dĂ©terminĂ© la renonciation aux preuves orales et a eu pour consĂ©quence que leur procĂšs
soit fondé sur les preuves documentaires
versées au dossier. DÚs lors, les
présentes affaires se distinguent
des celles que la Cour a précédemment
examinĂ©es dans lesquelles la juridiction de recours nâavait pas satisfait Ă lâobligation dâinterroger directement des tĂ©moins qui avaient Ă©tĂ© auditionnĂ©s par le juge de premiĂšre instance et dont
elle sâapprĂȘtait Ă interprĂ©ter
les dĂ©clarations dâune maniĂšre dĂ©favorable Ă lâaccusĂ© et radicalement diffĂ©rente pour condamner
celui-ci pour la premiĂšre fois (voir,
parmi dâautres, Dan, prĂ©citĂ©, Găitănaru c.
Roumanie, n° 26082/05, 26 juin
2012, Lazu c. RĂ©publique de
Moldova, n° 46182/08, 5 juillet
2016, Lorefice, précité, §
45, et Tondo c. Italie [comité],
no 75037/14, 22 octobre 2020).
38. La Cour
rappelle avoir notĂ© dans lâaffaire Scoppola (prĂ©citĂ©e, § 139) que, sâil est vrai que
les Ătats contractants ne sont pas contraints par la Convention
de prĂ©voir des procĂ©dures simplifiĂ©es, il nâen demeure pas moins
que, lorsque de telles procédures existent et sont adoptées, les principes
du procĂšs Ă©quitable commandent de ne pas priver arbitrairement
un prĂ©venu des avantages qui sây rattachent. Il est contraire au principe de la sĂ©curitĂ© juridique et Ă la protection de
la confiance lĂ©gitime des justiciables quâun Ătat puisse,
de maniÚre unilatérale, réduire les avantages
découlant de la renonciation
à certains droits inhérents à la notion de procÚs équitable. Aux yeux de la Cour, rien de semblable
ne sâest produit en la prĂ©sente
affaire, oĂč les requĂ©rants ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de la rĂ©duction de peine dĂ©coulant de lâadoption de
la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e. Il nâapparaĂźt pas davantage
que lâaffaire ait soulevĂ© des questions
dâintĂ©rĂȘt public sâopposant
à une telle renonciation (Kwiatkowska, décision
précitée).
39. La Cour
observe au passage que la Cour de cassation italienne a rĂ©cemment interprĂ©tĂ© extensivement lâarticle 603 du CPP, faisant obligation aux juridictions dâappel dâordonner mĂȘme dâoffice lâaudition de tĂ©moins dĂ©cisifs pour la condamnation, aussi bien dans les
procédures pénales ordinaires que dans les cas
oĂč la premiĂšre instance
sâest dĂ©roulĂ©e selon la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e (paragraphe 16 ci-dessus). Elle souligne Ă cet Ă©gard que la Convention ne fait pas obstacle
Ă ce que les Ătats parties accordent aux droits et libertĂ©s quâelle garantit une protection juridique plus Ă©tendue que celle quâelle met en Ćuvre, que ce soit
par le biais du droit interne, dâautres traitĂ©s internationaux ou du droit
de lâUnion europĂ©enne. Comme elle a dĂ©jĂ eu lâoccasion
de le souligner, par son systĂšme
de garantie collective des droits quâelle
consacre, la Convention vient
renforcer, conformĂ©ment au principe de subsidiaritĂ©, la protection qui en est offerte au niveau national. Rien nâinterdit aux Ătats
contractants dâadopter une interprĂ©tation plus large garantissant
une protection renforcée des droits et libertés en question dans leurs
ordres juridiques internes respectifs (article 53 de la Convention) (voir, mutatis mutandis, Parti
communiste unifié de Turquie
et autres c. Turquie,
30 janvier 1998, § 28, Recueil 1998‑I, ChamaĂŻev et autres c. GĂ©orgie et Russie, n° 36378/02, § 500, CEDH 2005‑III, Krombach c. France (dĂ©c.), n° 67521/14, § 39, 20 fĂ©vrier 2018
et Gestur JĂłnsson et
Ragnar HalldĂłr Hall c. Islande [GC],
nos 68273/14 et 68271/14, § 93, 22 décembre
2020).
40. En conclusion,
compte tenu de ce qui précÚde, les requérants
ne sauraient se plaindre
dâune entrave Ă leur droit
à un procÚs équitable dérivant de la non-audition par
la cour dâappel des tĂ©moins E., P. G. et S.
- Sur lâabsence dâaudition de B.S.
41. La Cour
doit maintenant déterminer si la non-audition de B.S. a enfreint le droit des requérants
Ă bĂ©nĂ©ficier dâun procĂšs Ă©quitable. Elle observe que ce tĂ©moin a Ă©tĂ© convoquĂ© dâoffice par le GUP,
et a donc été interrogé en audience par celui-ci,
contrairement aux autres témoins à charge.
42. La Cour
note dâemblĂ©e que la possibilitĂ©
que le juge déroge aux conditions
ordinaires de la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e et se procure, mĂȘme
dâoffice, des Ă©lĂ©ments de preuve nĂ©cessaires Ă sa dĂ©cision
est expressément prévue par
lâarticle 441 § 5 du CPP et
ne saurait constituer en soi une atteinte aux principes du
procĂšs Ă©quitable (Campisi c.
Italie (déc.), n° 10948/05, § 25, 12 février
2013). Il nâen reste pas moins
quâelle doit examiner si la maniĂšre dont cette exception a Ă©tĂ© appliquĂ©e en lâespĂšce a constituĂ© une atteinte aux principes du
procĂšs Ă©quitable.
43. La Cour
observe que la condamnation des requérants a été fondée sur plusieurs éléments de preuve, parmi lesquels la
note dâinformation des carabiniers
de Naples, Ă laquelle la cour dâappel a accordĂ© une importance dĂ©terminante (paragraphe 9 ci-dessus). Cet Ă©lĂ©ment
concernait notamment les activités criminelles
du requérant et des membres de sa famille ainsi que
son affiliation au clan mafieux D. A. Sây ajoutaient
les déclarations de E.,
P. G. et S., dâanciens membres
du clan « repentis »,
et les résultats de plusieurs écoutes téléphoniques et environnementales.
44. La Cour
relĂšve que, dans ce contexte, le tĂ©moignage de B.S. nâa fait que confirmer les
dĂ©clarations des autres tĂ©moins et corroborer lâensemble des preuves Ă charge. En effet, ni le GUP ni la cour dâappel nâont accordĂ©
un poids déterminant à ce témoignage, dans un sens ou dans
un autre, dans leurs décisions relatives à la responsabilité pénale des requérants
(voir, a contrario, Dan,
précité, § 31, Lorefice, précité, § 37, et Tondo, précité,
§ 42). La Cour observe
de plus que le GUP avait ordonné la convocation de B.S. estimant que son audition était déterminante pour juger de la
position de P. C., lâun des coĂŻnculpĂ©s
des requérants.
45. Eu Ă©gard
à ce qui précÚde, et notamment
Ă la valeur probante du tĂ©moignage en question, et rappelant quâil revient en principe aux juridictions nationales dâapprĂ©cier les Ă©lĂ©ments
rassemblés par elles (Vidal
c. Belgique, 22 avril
1992, § 33, sĂ©rie A n° 235‑B), la Cour estime que
lâon ne saurait considĂ©rer quâen ne procĂ©dant pas Ă une nouvelle audition de
B.S. la cour dâappel a restreint les droits
de la défense des requérants.
- Conclusion
46. Les considérations qui
précÚdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que la procédure pénale visant les
requérants, prise dans son ensemble, a été équitable.
47. Partant, il nây a pas eu violation
de lâarticle 6 § 1 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, Ă
LâUNANIMITĂ,
- DĂ©cide de joindre les requĂȘtes ;
- DĂ©clare les requĂȘtes recevables ;
- Dit quâil nây a pas eu violation
de lâarticle 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 25 mars 2021, en application de lâarticle 77
§§ 2 et 3 du rÚglement
de la Cour.
RenataDegener                                               Ksenija Turković
GreffiÚre                                                         Présidente
ANNEXE
No |
RequĂȘte No |
Nom de lâaffaire |
Introduite le |
Requérant Année de naissance Lieu de résidence Nationalité |
Représenté par |
|
Di Martino c. Italie |
28/03/2015 |
Leonardo DI MARTINO 1958 Lanciano (Ch) italienne |
Alfredo GAITO |
|
|
Molinari c. Italie |
27/03/2015 |
Anna Maria MOLINARI 1965 Gragnano (Na) italienne |