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Cour europĂ©enne des droits de l’homme

 

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE DI MARTINO ET MOLINARI c. ITALIE

(RequĂȘtes nos 15931/15 et 16459/15)

 

 

ARRÊT

Art 6 § 1 (pĂ©nal) ‱ ProcĂšs Ă©quitable non entravĂ© par la non-audition des tĂ©moins Ă  charge par la juridiction d’appel avant de renverser le verdict d’acquittement prononcĂ© en premiĂšre instance lors d’une procĂ©dure abrĂ©gĂ©e ‱ Demande d’ĂȘtre jugĂ© selon cette procĂ©dure dĂ©terminant la renonciation aux preuves orales pour fonder le procĂšs sur les preuves documentaires issues des investigations prĂ©liminaires â€ą Absence d’audition par la cour d’appel d’un tĂ©moin entendu d’office par le tribunal de premiĂšre instance sans incidence sur les droits de la dĂ©fense

 

STRASBOURG

25 mars 2021

 

 

Cet arrĂȘt deviendra dĂ©finitif dans les conditions dĂ©finies Ă  l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.



En l’affaire Di Martino et Molinari c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (premiĂšre section), siĂ©geant en une Chambre composĂ©e de :

Ksenija Turković, prĂ©sidente,
Krzysztof Wojtyczek,

Linos-Alexandre Sicilianos,
Alena PolĂĄčkovĂĄ,
PĂ©ter Paczolay,
Gilberto Felici,

Raffaele Sabato, juges,
et de Renata DegenergreffiĂšre de section,

Vu les requĂȘtes (nos 15931/15 et 16459/15) dirigĂ©es contre la RĂ©publique italienne et dont deux ressortissants de cet État, M. Leonardo Di Martino (« le requĂ©rant Â») et Mme Anna Maria Molinari (« la requĂ©rante Â»), ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â») le 28 mars 2015 et le 27 mars 2015 respectivement,

Vu la dĂ©cision de porter Ă  la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement Â») le grief concernant l’équitĂ© de la procĂ©dure et de dĂ©clarer irrecevables les requĂȘtes pour le surplus,

Vu les observations des parties,

AprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ© en chambre du conseil le 16 fĂ©vrier 2021,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

INTRODUCTION

1.  Les requĂȘtes concernent, sous l’angle de l’article 6 Â§ 1 de la Convention, l’omission de la juridiction d’appel d’ordonner une nouvelle audition des tĂ©moins Ă  charge avant de renverser le verdict d’acquittement des requĂ©rants prononcĂ© en premiĂšre instance.

EN FAIT

2.  Les requĂ©rants sont nĂ©s en 1958 et en 1965 et rĂ©sident Ă  Lanciano et Ă  Gragnano, respectivement. Ils ont Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©s par Me A. Gaito, avocat.

3.  Le Gouvernement a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agent, M. L. D’Ascia.

4.  Ă€ une date non prĂ©cisĂ©e, les requĂ©rants, mari et femme, furent renvoyĂ©s en jugement avec quinze autres personnes dans le cadre d’une procĂ©dure pĂ©nale visant une association de malfaiteurs de type mafieux. Le requĂ©rant Ă©tait accusĂ© des dĂ©lits d’association de type mafieux, d’association de malfaiteurs visant le trafic de stupĂ©fiants et de culture de chanvre indien, tandis que la requĂ©rante Ă©tait accusĂ©e des deux derniers chefs d’inculpation.

5.  Ă€ l’audience du 7 octobre 2007, devant le juge de l’audience prĂ©liminaire (« le GUP Â») de Naples, les requĂ©rants demandĂšrent l’adoption de la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e (giudizio abbreviato) prĂ©vue aux articles 438 Ă  443 du code de procĂ©dure pĂ©nale (CPP), une dĂ©marche simplifiĂ©e entraĂźnant, en cas de condamnation, une rĂ©duction de peine et caractĂ©risĂ©e par l’absence de dĂ©bats (en effet, dans le cadre de cette procĂ©dure, le juge dĂ©cide lors de l’audience prĂ©liminaire sur la base des piĂšces figurant, le cas Ă©chĂ©ant, dans le dossier constituĂ© Ă  l’issue des investigations prĂ©liminaires ; Ă  titre exceptionnel, de nouvelles preuves peuvent ĂȘtre admises Ă  l’audience dĂšs lors que l’accusĂ© le sollicite dans sa demande et que le juge fait droit Ă  celle‑ci (giudizio abbreviato condizionato), ou bien lorsque le juge estime ne pas pouvoir dĂ©cider en l’état et se procure, mĂȘme d’office, les Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires Ă  sa dĂ©cision (article 441 Â§ 5 du CPP)).

6.  Le GUP de Naples, estimant que les accusations contre les requĂ©rants pouvaient ĂȘtre tranchĂ©es sur la base des actes accomplis au cours des investigations prĂ©liminaires (allo stato degli atti), accepta l’adoption de la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e.

7.  Ă€ l’audience du 21 novembre 2011, faisant droit Ă  une demande du parquet, le GUP ordonna, en application de l’article 441 § 5 du CPP, l’audition de B.S., un ancien membre du clan mafieux ayant entre-temps dĂ©cidĂ© de collaborer avec la justice, dont le tĂ©moignage Ă©tait nĂ©cessaire pour juger du dĂ©lit d’association mafieuse concernant notamment P. C., l’un des coĂŻnculpĂ©s des requĂ©rants.

8.  B.S. fut interrogĂ© Ă  l’audience du 20 dĂ©cembre 2011. ConformĂ©ment Ă  la procĂ©dure, les requĂ©rants purent poser des questions par l’intermĂ©diaire du juge et dĂ©poser leurs conclusions.

9.  Par un jugement du 27 mars 2012, le GUP acquitta la requĂ©rante de tous les chefs d’inculpation retenus contre elle et condamna le requĂ©rant pour le seul dĂ©lit de culture de chanvre. Selon le GUP, les Ă©lĂ©ments de preuve prĂ©sents dans le dossier des investigations prĂ©liminaires, Ă  savoir les dĂ©clarations de plusieurs « repentis Â», les transcriptions d’écoutes tĂ©lĂ©phoniques et de surveillances rĂ©alisĂ©es dans des endroits publics (dites aussi « Ă©coutes environnementales Â») et une note d’information des carabiniers de Naples, qui avaient permis de conclure Ă  la condamnation des coĂŻnculpĂ©s des requĂ©rants, ne permettaient d’affirmer ni que le requĂ©rant Ă©tait membre du clan mafieux ni que la culture de chanvre qu’il pratiquait visait le trafic de stupĂ©fiants. D’aprĂšs le GUP, aucun « repenti Â» n’avait expressĂ©ment mentionnĂ© le requĂ©rant dans ses dĂ©clarations.

10.  Le parquet interjeta appel. Par un arrĂȘt du 14 juin 2013, la cour d’appel de Naples rĂ©forma le jugement de premiĂšre instance et condamna les requĂ©rants pour l’ensemble des dĂ©lits qui leur Ă©taient reprochĂ©s. Pour ce faire, elle considĂ©ra que plusieurs Ă©lĂ©ments de l’enquĂȘte dĂ©montraient que le requĂ©rant Ă©tait membre du clan mafieux dit « D. A. » et qu’il se consacrait en particulier au trafic de stupĂ©fiants. Elle fit rĂ©fĂ©rence notamment Ă  la note d’information des carabiniers de Naples concernant entre autres le parcours criminel du requĂ©rant et ses appartenances successives Ă  diffĂ©rents clans mafieux. En outre, elle nota que les informations des carabiniers avaient Ă©tĂ© corroborĂ©es par de nombreuses Ă©coutes environnementales et tĂ©lĂ©phoniques et par les dĂ©clarations des « repentis Â» E., P. G. et S. entendus au cours des investigations prĂ©liminaires, lesquels avaient expressĂ©ment mentionnĂ© le requĂ©rant en tant que membre du clan D. A. et avaient fait rĂ©fĂ©rence Ă  l’activitĂ© de trafic de stupĂ©fiants que celui-ci menait avec d’autres membres de sa famille. Elle nota Ă©galement que B.S. avait confirmĂ© au cours des dĂ©bats aussi bien l’appartenance du requĂ©rant au clan mafieux que son activitĂ© de trafiquant de drogue, ce qui venait ainsi corroborer les autres preuves.

11.  Concernant la requĂ©rante, la cour d’appel indiqua que les Ă©coutes environnementales effectuĂ©es auprĂšs de la prison dans laquelle le requĂ©rant avait Ă©tĂ© dĂ©tenu avaient permis d’établir que l’intĂ©ressĂ©e jouait un rĂŽle important dans l’activitĂ© de culture de chanvre et qu’en outre les dĂ©clarations des « repentis Â» avaient dĂ©montrĂ© que celle-ci participait au trafic de drogue organisĂ© par son Ă©poux.

12.  Les requĂ©rants se pourvurent en cassation, se plaignant entre autres que, en renversant le jugement du tribunal, la cour d’appel eĂ»t procĂ©dĂ© Ă  une reformatio in pejus sans ordonner une nouvelle audition des tĂ©moins Ă  charge.

13.  Par un arrĂȘt du 29 septembre 2014, la Cour de cassation dĂ©bouta les requĂ©rants. Elle considĂ©ra tout d’abord que le procĂšs des requĂ©rants s’était dĂ©roulĂ©, dĂšs la premiĂšre instance, selon les rĂšgles de la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e, et donc non pas selon les principes de l’oralitĂ© et de l’immĂ©diatetĂ© mais sur la base des Ă©lĂ©ments de preuve versĂ©s au dossier du parquet. Elle estima, en consĂ©quence, que ni le GUP ni la cour d’appel n’avaient eu un accĂšs direct aux tĂ©moins Ă  charge, ces juridictions ayant seulement eu un rapport « intermĂ©diĂ© Â» (intermediato) avec les dĂ©clarations de ces tĂ©moins.

14.  Quant Ă  B.S., Ă  savoir le seul tĂ©moin entendu directement par le juge de premiĂšre instance en vertu de l’exception prĂ©vue par l’article 441 § 5 du CPP, la Cour de cassation observa que, dans son arrĂȘt Dan c. Moldova (no 8999/07, 5 juillet 2011), la Cour avait prĂ©cisĂ© que, avant d’annuler un acquittement, le juge d’appel Ă©tait tenu d’ordonner une nouvelle audition des tĂ©moins Ă  la double condition que les tĂ©moignages en question fussent dĂ©cisifs et que la rĂ©Ă©valuation de la crĂ©dibilitĂ© des tĂ©moins fĂ»t nĂ©cessaire. Elle poursuivit son raisonnement comme suit. En l’occurrence, les Ă©lĂ©ments Ă  la charge des requĂ©rants Ă©taient nombreux et variĂ©s et la condamnation n’avait pas Ă©tĂ© fondĂ©e de maniĂšre dĂ©terminante sur les dĂ©clarations de B.S. De plus, Ă  aucun moment la crĂ©dibilitĂ© de ce tĂ©moin n’avait Ă©tĂ© mise en doute. La cour d’appel, tout comme le GUP, ne s’était pas penchĂ©e sur la crĂ©dibilitĂ© dudit tĂ©moin mais avait simplement donnĂ© une lecture correcte et logique des Ă©lĂ©ments de preuve disponibles, que le GUP avait interprĂ©tĂ©s de maniĂšre erronĂ©e. En effet, celui-ci avait eu tort d’affirmer qu’aucun collaborateur de justice n’avait fait rĂ©fĂ©rence au requĂ©rant comme Ă©tant un membre du clan mafieux puisque aussi bien les « repentis Â» entendus au cours des investigations prĂ©liminaires que B.S. avaient plusieurs fois mentionnĂ© le requĂ©rant dans leurs dĂ©clarations. De plus, de nombreux autres Ă©lĂ©ments de preuve avaient corroborĂ© ces tĂ©moignages et permis de confirmer la responsabilitĂ© des requĂ©rants dans les infractions reprochĂ©es.

LE CADRE ET LA PRATIQUE JURIDIQUES PERTINENTS

  1. LE DROIT INTERNE PERTINENT
    1. La reformatio in pejus des verdicts d’acquittement prononcĂ©s en premiĂšre instance

15.  Le cadre juridique interne en la matiĂšre est dĂ©crit dans l’arrĂȘt Lorefice c. Italie (no 63446/13, §§ 26-28, 29 juin 2017).

16.  En particulier, l’arrĂȘt no 27620 de l’AssemblĂ©e plĂ©niĂšre (Sezioni Unite) de la Cour de cassation, dĂ©posĂ© au greffe le 6 juillet 2016, a Ă©noncĂ© le principe selon lequel le juge d’appel ne peut pas infirmer un jugement d’acquittement « sans avoir au prĂ©alable ordonnĂ©, mĂȘme d’office, aux termes de l’article 603, alinĂ©a 3, du CPP, l’audition des tĂ©moins dont les dĂ©clarations ont Ă©tĂ© dĂ©cisives Â» (ibidem, § 28). Dans ledit arrĂȘt, la haute juridiction italienne a affirmĂ© que ce principe trouve Ă  s’appliquer Ă©galement aux procĂ©dures abrĂ©gĂ©es, lorsque l’acquittement a Ă©tĂ© fondĂ© sur des tĂ©moignages qui ont Ă©tĂ© considĂ©rĂ©s comme dĂ©cisifs en premiĂšre instance et dont la portĂ©e est mise en doute par le parquet dans son appel.

Par l’arrĂȘt no 18620 du 19 janvier 2017, l’AssemblĂ©e plĂ©niĂšre de la Cour de cassation a par ailleurs prĂ©cisĂ© que le juge d’appel doit faire application de l’article 603 du CPP et ordonner la rĂ©ouverture de l’instruction aussi dans les cas oĂč la premiĂšre instance s’est dĂ©roulĂ©e selon la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e « simple », Ă  savoir sans admission de nouvelles preuves au cours des dĂ©bats. Selon la haute juridiction, le choix de l’accusĂ© de renoncer au principe du contradictoire en premiĂšre instance n’a pas d’incidence sur l’obligation du juge d’appel qui entend renverser un verdict d’acquittement d’examiner directement les preuves orales dĂ©cisives dont il fournit une interprĂ©tation diffĂ©rente.

Ce principe de jurisprudence a Ă©tĂ© confirmĂ© par l’AssemblĂ©e plĂ©niĂšre de la Cour de cassation par l’arrĂȘt no 14800 du 3 avril 2018, dans lequel la haute juridiction a affirmĂ© en particulier que « la renonciation de la personne accusĂ©e au respect du principe du contradictoire dans la formation de la preuve ne saurait avoir de consĂ©quences nĂ©gatives sur le droit Ă  voir sa culpabilitĂ© Ă©tablie en appel au-delĂ  de tout doute raisonnable Â».

  1. La procédure abrégée

17.  Les dispositions du CPP concernant la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e, telles que modifiĂ©es par la loi n° 479 du 16 dĂ©cembre 1999 et en vigueur Ă  l’époque des faits, se lisent comme suit en leurs parties pertinentes en l’espĂšce :

Article 438

« 1. L’accusĂ© peut demander que l’affaire soit tranchĂ©e Ă  l’audience prĂ©liminaire en l’état (...).

2. La demande peut ĂȘtre faite, oralement ou par Ă©crit, tant que les conclusions n’ont pas Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es aux termes des articles 421 et 422.

3. La volontĂ© de l’accusĂ© est exprimĂ©e personnellement ou par l’intermĂ©diaire d’un reprĂ©sentant spĂ©cialement mandatĂ© [per mezzo di procuratore speciale] et la signature est authentifiĂ©e selon les formalitĂ©s prĂ©vues Ă  l’article 583 § 3 [par un notaire, par une autre personne autorisĂ©e ou par le dĂ©fenseur].

4. Le juge se prononce sur la demande dans l’ordonnance par laquelle il adopte la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e.

5. L’accusĂ© (...) peut subordonner sa demande Ă  la production de nouvelles preuves nĂ©cessaires Ă  la dĂ©cision. Le juge adopte la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e si la production de ces preuves est nĂ©cessaire pour la dĂ©cision et compatible avec les finalitĂ©s d’économie propres Ă  la procĂ©dure, compte tenu des piĂšces dĂ©jĂ  recueillies et pouvant ĂȘtre utilisĂ©es. Dans ce cas, le ministĂšre public peut demander l’admission d’une preuve contraire. (...)

(...) »

Article 441

« 1. La procĂ©dure abrĂ©gĂ©e suit, dans la mesure oĂč elles peuvent ĂȘtre appliquĂ©es, les dispositions prĂ©vues pour l’audience prĂ©liminaire, exception faite de celles Ă©noncĂ©es aux articles 422 et 423 [il s’agit de dispositions rĂ©gissant le pouvoir du juge d’ordonner ex officio la production de preuves dĂ©cisives et la possibilitĂ©, pour le ministĂšre public, de modifier le chef d’inculpation].

(...)

3. La procédure abrégée se déroule en chambre du conseil ; le juge ordonne que le procÚs se déroule en audience publique lorsque tous les accusés le demandent.

(...)

5. Lorsque le juge estime ne pas pouvoir dĂ©cider en l’état, il se procure [assume], mĂȘme d’office, les Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires Ă  sa dĂ©cision. Dans un tel cas, l’article 423 trouve Ă  s’appliquer.

6. Pour la production des preuves [mentionnĂ©es] au paragraphe 5 du prĂ©sent article et Ă  l’article 438 § 5, il est procĂ©dĂ© selon les modalitĂ©s prĂ©vues Ă  l’article 422 §§ 2, 3 et 4 [ces derniers paragraphes prĂ©voient la possibilitĂ©, pour les parties, de poser, par l’intermĂ©diaire du juge, des questions aux tĂ©moins et experts et le droit pour l’accusĂ© de demander Ă  ĂȘtre interrogĂ©]. »

Article 442

« 1. Une fois les dĂ©bats terminĂ©s, le juge dĂ©cide aux termes des articles 529 et suivants [il s’agit des dispositions concernant le prononcĂ© d’un jugement de non-lieu, d’acquittement ou de condamnation].

1-bis. Pour les dĂ©libĂ©rations, le juge utilise les actes contenus dans le dossier [mentionnĂ©] Ă  l’article 416 § 2 [il s’agit du dossier du parquet, contenant les actes accomplis pendant les investigations prĂ©liminaires], les documents [indiquĂ©s] Ă  l’article 419 § 3 [il s’agit des actes relatifs aux investigations accomplies aprĂšs la demande de renvoi en jugement], et les preuves produites Ă  l’audience.

2. En cas de condamnation, la peine que le juge inflige en tenant compte de toutes les circonstances est rĂ©duite d’un tiers. La condamnation Ă  perpĂ©tuitĂ© est remplacĂ©e par une condamnation Ă  trente ans d’emprisonnement. La peine perpĂ©tuelle avec isolement (...) est remplacĂ©e par une peine perpĂ©tuelle d’emprisonnement.

3. Le jugement est notifiĂ© Ă  l’accusĂ© qui n’a pas comparu.

(...) »

Article 443

« 1. L’accusĂ© et le ministĂšre public ne peuvent pas interjeter appel de jugements d’acquittement lorsque l’appel a pour but d’obtenir une forme [d’acquittement] diffĂ©rente.

(...)

3. Le ministĂšre public ne peut pas interjeter appel de jugements de condamnation, sauf s’il s’agit d’un jugement qui modifie la qualification juridique de l’infraction [il titolo del reato].

4. Le procĂšs d’appel se dĂ©roule selon les modalitĂ©s prĂ©vues Ă  l’article 599. »

  1. LES TEXTES DU CONSEIL DE L’EUROPE

18.  La Recommandation n° Rec (87) 18 du ComitĂ© des Ministres aux États membres concerne la simplification de la justice pĂ©nale. Cette recommandation, qui porte sur les procĂ©dures simplifiĂ©es et les procĂ©dures sommaires, a Ă©tĂ© adoptĂ©e par le ComitĂ© des Ministres du Conseil de l’Europe le 17 septembre 1987. Ses passages pertinents en l’espĂšce se lisent ainsi :

« Eu Ă©gard Ă  l’augmentation des cas soumis Ă  la justice pĂ©nale, notamment ceux dont l’auteur est passible d’une peine lĂ©gĂšre, et aux problĂšmes posĂ©s par la durĂ©e de la procĂ©dure pĂ©nale ;

Considérant que le retard pris par les décisions pénales jette le discrédit sur le droit pénal et porte atteinte à une bonne administration de la justice ;

ConsidĂ©rant qu’il pourrait ĂȘtre remĂ©diĂ© aux lenteurs de la justice pĂ©nale, non seulement par les ressources qui lui sont attribuĂ©es et par la façon dont ces ressources sont utilisĂ©es, mais aussi par une meilleure dĂ©finition des prioritĂ©s dans la conduite de la politique criminelle, tant en ce qui concerne la forme que le fond, par :

- le recours, pour traiter les infractions mineures et les contentieux de masse :

- à des procédures dites sommaires,

- à des transactions par les autorités compétentes en matiÚre pénale et autres autorités intervenant, comme substitut à des poursuites,

- Ă  des procĂ©dures dites simplifiĂ©es ;

(
)

– la simplification de la procĂ©dure juridictionnelle ordinaire ;

(...).

III. Simplification de la procédure juridictionnelle ordinaire

a. Instruction avant et pendant l’audience

4. S’il y a une instruction prĂ©alable, celle-ci devrait ĂȘtre effectuĂ©e selon une procĂ©dure excluant toutes formalitĂ©s inutiles et Ă©vitant notamment la nĂ©cessitĂ© d’une audition formelle des tĂ©moins lorsque les faits ne sont pas contestĂ©s par le suspect. Â»

Le rapport final d’activitĂ© concernant ladite recommandation, dans sa partie relative aux commentaires du groupe de travail sur les recommandations en matiĂšre de simplification de la procĂ©dure juridictionnelle ordinaire dans la phase d’instruction « avant et pendant l’audience Â» (partie B, III, a.5), se lit ainsi :

« Dans les cas oĂč il est nĂ©cessaire d’administrer des preuves devant une juridiction de jugement, une procĂ©dure par laquelle le ministĂšre public et l’inculpĂ© concluent un arrangement pour produire les preuves Ă  l’avance et/ou conviennent de limiter le nombre d’experts ou d’autres tĂ©moins Ă  faire entendre par le tribunal peut permettre de gagner beaucoup de temps. Le juge peut considĂ©rer comme Ă©tablis des faits non contestĂ©s dont les piĂšces du dossier dĂ©montrent qu’ils ont Ă©tĂ© prouvĂ©s de façon formelle, par exemple des dĂ©positions recueillies antĂ©rieurement par une autoritĂ© judiciaire ou d’autres moyens dĂ©jĂ  consignĂ©s par Ă©crit. Une double administration des preuves gaspille le temps du juge, dont il est souvent dĂ©raisonnable d’attendre qu’il reconstitue la totalitĂ© du dossier. Â»

EN DROIT

  1. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

19.  Compte tenu de la similitude des requĂȘtes quant Ă  leur objet, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un seul arrĂȘt.

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 Â§ 1 DE LA CONVENTION

20.  Les requĂ©rants reprochent Ă  la cour d’appel de Naples d’avoir prononcĂ© leur condamnation sans avoir entendu directement les tĂ©moins Ă  charge. Ils se plaignent Ă  cet Ă©gard d’une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, qui est ainsi libellĂ© :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matiÚre pénale dirigée contre elle.

3. Tout accusĂ© a droit notamment Ă  :

(...) ;

d) interroger ou faire interroger les tĂ©moins Ă  charge et obtenir la convocation et l’interrogation des tĂ©moins Ă  dĂ©charge dans les mĂȘmes conditions que les tĂ©moins Ă  charge ;

(...). »

  1. Sur la recevabilité

21.  Constatant que les requĂȘtes ne sont pas manifestement mal fondĂ©es ni irrecevables pour un autre motif visĂ© Ă  l’article 35 de la Convention, la Cour les dĂ©clare recevables.

  1. Sur le fond
    1. Les arguments des parties

22.  Les requĂ©rants allĂšguent que l’omission de la part de la cour d’appel d’auditionner les tĂ©moins dont les dĂ©clarations ont Ă©tĂ© dĂ©terminantes pour leur condamnation les a privĂ©s de la possibilitĂ© de prĂ©senter leurs arguments et a entraĂźnĂ© une violation de leurs droits de la dĂ©fense. D’aprĂšs eux, la cour d’appel aurait dĂ» procĂ©der aussi bien Ă  l’audition de B.S., qui avait Ă©tĂ© entendu par le juge de premiĂšre instance, qu’à celle des autres tĂ©moins Ă  charge, dont les dĂ©clarations avaient servi Ă  corroborer l’accusation.

23.  Les requĂ©rants affirment que leur demande visant Ă  ĂȘtre jugĂ©s selon la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e ne les a pas privĂ©s du droit Ă  un procĂšs Ă©quitable garanti par l’article 6 de la Convention. Ils se prĂ©valent de la jurisprudence de la Cour selon laquelle toute renonciation de la part d’un justiciable aux garanties du procĂšs Ă©quitable doit ĂȘtre effectuĂ©e de maniĂšre volontaire, consciente et Ă©clairĂ©e.

24.  Ils plaident que le fait que le GUP a ordonnĂ© l’audition de B.S. malgrĂ© l’adoption de la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e dĂ©montre que celui-ci Ă©tait un tĂ©moin clĂ© et que son tĂ©moignage a Ă©tĂ© dĂ©cisif. Selon eux, dans ces conditions, afin d’évaluer si oui ou non les tĂ©moignages Ă  charge constituaient des preuves graves, prĂ©cises et concordantes de leur responsabilitĂ© pĂ©nale, la cour d’appel aurait dĂ» rouvrir l’instruction en application de l’article 603 du CPP et entendre directement tous les tĂ©moins Ă  charge.

25.  Le Gouvernement indique d’emblĂ©e que les requĂ©rants ont Ă©tĂ© jugĂ©s selon la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e, Ă  savoir une procĂ©dure simplifiĂ©e engendrant une limitation de certaines garanties procĂ©durales, telles que la facultĂ© d’obtenir l’audition de tĂ©moins et la production de nouvelles preuves. Il se rĂ©fĂšre aux nombreuses affaires tranchĂ©es par la Cour en la matiĂšre (voir, entre autresKwiatkowska c. Italie (dĂ©c.), n° 52868/99, 30 novembre 2000, Hermi c. Italie [GC], n° 18114/02, CEDH 2006‑XII, Panarisi c. Italie, n° 46794/99, § 110, 10 avril 2007, et Fornataro c. Italie (dĂ©c.), n° 37978/13, 26 septembre 2017) et estime que les requĂ©rants ne peuvent se plaindre du fait que les juges se sont prononcĂ©s sur leur affaire sur la base des preuves versĂ©es au dossier du parquet.

26.  Le Gouvernement dit par ailleurs que, selon la jurisprudence de la Cour, l’obligation pour une juridiction d’appel d’entendre directement les tĂ©moins n’est pas une obligation absolue, dont le non-respect rendrait un procĂšs automatiquement inĂ©quitable. Selon lui, il s’agit de considĂ©rer l’ensemble des garanties mises en Ɠuvre au cours du procĂšs.

27.  Le Gouvernement argue que, dans la prĂ©sente affaire, la condamnation des requĂ©rants a Ă©tĂ© fondĂ©e sur plusieurs Ă©lĂ©ments de preuve, parmi lesquels le tĂ©moignage de B.S. Cet Ă©lĂ©ment n’aurait Ă©tĂ© ni exclusif ni dĂ©terminant. En outre, la crĂ©dibilitĂ© de B.S. n’aurait jamais Ă©tĂ© sujette Ă  discussion. La cour d’appel se serait consacrĂ©e Ă  un examen critique et approfondi de la motivation du jugement du GUP et aurait corrigĂ© par son arrĂȘt les erreurs logiques et factuelles commises par le juge de premiĂšre instance. Ce dernier aurait en effet manifestement ignorĂ© une multitude de preuves Ă  la charge des requĂ©rants, dont le tĂ©moignage de B.S., qui n’aurait Ă©tĂ© qu’un Ă©lĂ©ment parmi d’autres.

  1. Appréciation de la Cour

a)      Principes gĂ©nĂ©raux

28.  La Cour rappelle que, lorsqu’une instance d’appel est amenĂ©e Ă  connaĂźtre d’une affaire en fait et en droit et Ă  Ă©tudier dans son ensemble la question de la culpabilitĂ© ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équitĂ© de la procĂ©dure, dĂ©cider de ces questions sans apprĂ©ciation directe des tĂ©moignages prĂ©sentĂ©s en personne soit par l’accusĂ© qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte tenu pour une infraction pĂ©nale (voir, entre autresEkbatani c. SuĂšde, 26 mai 1988, § 32, sĂ©rie A n° 134, Constantinescu c. Roumanie, n° 28871/95, § 55, CEDH 2000 VIII, Dondarini c. Saint-Marin, n° 50545/99, § 27, 6 juillet 2004, et Igual Coll c. Espagne, n° 37496/04, § 27, 10 mars 2009) soit par les tĂ©moins ayant dĂ©posĂ© pendant la procĂ©dure et aux dĂ©clarations desquels elle souhaite donner une nouvelle interprĂ©tation (voir, par exempleLorefice, prĂ©citĂ©, §§ 36). La Cour rappelle que ceux qui ont la responsabilitĂ© de dĂ©cider de la culpabilitĂ© ou de l’innocence de l’accusĂ© doivent, en principe, entendre les tĂ©moins en personne et Ă©valuer leur crĂ©dibilitĂ©. L’évaluation de la crĂ©dibilitĂ© d’un tĂ©moin est une tĂąche complexe, qui, normalement, ne peut pas ĂȘtre accomplie par le biais d’une simple lecture du contenu des dĂ©clarations de celui-ci, telles que consacrĂ©es dans les procĂšs-verbaux des auditions (Dan, prĂ©citĂ©, § 33, et Lorefice, prĂ©citĂ©, § 43).

29.  La Cour a nĂ©anmoins soulignĂ© que, bien qu’il soit nĂ©cessaire pour la juridiction qui condamne pour la premiĂšre fois un inculpĂ© d’apprĂ©cier directement les preuves sur lesquelles elle fonde sa dĂ©cision, il ne s’agit pas lĂ  d’une rĂšgle automatique qui rendrait un procĂšs inĂ©quitable pour la seule raison que la juridiction en cause n’a pas entendu tous les tĂ©moins mentionnĂ©s dans son arrĂȘt et dont elle a dĂ» apprĂ©cier la crĂ©dibilitĂ©. En effet, il convient Ă©galement de prendre en compte la valeur probante des tĂ©moignages en cause (Chiper c. Roumanie, n° 22036/10, § 63, 27 juin 2017). La Cour rappelle Ă  cet Ă©gard sa jurisprudence selon laquelle, lorsque les dĂ©clarations d’un tĂ©moin qui n’a pas comparu et n’a pas Ă©tĂ© interrogĂ© pendant le procĂšs sont utilisĂ©es Ă  titre de preuve, il importe de rechercher s’il existait un motif sĂ©rieux justifiant la non-comparution du tĂ©moin, si la dĂ©position du tĂ©moin absent a constituĂ© le fondement unique ou dĂ©terminant de la condamnation, et s’il existait des Ă©lĂ©ments compensateurs, notamment des garanties procĂ©durales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultĂ©s causĂ©es Ă  la dĂ©fense en consĂ©quence de l’admission d’une telle preuve et pour assurer l’équitĂ© de la procĂ©dure dans son ensemble (Al‑Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 131, CEDH 2011, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 123, CEDH 2015, et Dadayan c. ArmĂ©nie, no 14078/12, Â§Â§ 39-43, 6 septembre 2018).

30.  La Cour rappelle en outre que les modalitĂ©s d’application de l’article 6 de la Convention aux procĂ©dures d’appel dĂ©pendent des caractĂ©ristiques de la procĂ©dure dont il s’agit : il faut prendre en compte l’ensemble du procĂšs menĂ© dans l’ordre juridique interne et le rĂŽle qu’y a jouĂ© la juridiction d’appel (Botten c. NorvĂšge, 19 fĂ©vrier 1996, § 39, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1996-I, et Hermi, prĂ©citĂ©, § 60). Enfin, les États contractants jouissent d’une grande libertĂ© dans le choix des moyens propres Ă  permettre Ă  leur systĂšme judiciaire de respecter les impĂ©ratifs de l’article 6 de la Convention. La tĂąche de la Cour consiste Ă  rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige dĂ©terminĂ©, Ă  des rĂ©sultats compatibles avec la Convention, eu Ă©gard Ă©galement aux circonstances spĂ©cifiques de l’affaire, Ă  sa nature et Ă  sa complexitĂ© (Taxquet c. Belgique [GC], n° 926/05, § 84, CEDH 2010). La Cour doit examiner si la procĂ©dure considĂ©rĂ©e dans son ensemble, y compris le mode de prĂ©sentation des moyens de preuve, a revĂȘtu un caractĂšre Ă©quitable (voir, parmi beaucoup d’autresTeixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, § 34, Recueil 1998‑IV, et Kashlev c. Estonie, n° 22574/08, Â§ 39, 26 avril 2016).

b)      Application de ces principes Ă  la prĂ©sente espĂšce

31.  La Cour note que les requĂ©rants ont Ă©tĂ© jugĂ©s selon la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e, Ă  savoir une procĂ©dure simplifiĂ©e, dont ils ont demandĂ© l’adoption en vue d’obtenir une rĂ©duction de peine. Le GUP a accueilli la demande des requĂ©rants, estimant que l’affaire pouvait ĂȘtre tranchĂ©e sur la base des Ă©lĂ©ments du dossier constituĂ© par le parquet au cours des investigations prĂ©liminaires, parmi lesquels figuraient les transcriptions des dĂ©clarations de plusieurs « repentis Â». Par la suite, se prĂ©valant de la possibilitĂ© prĂ©vue par l’article 441 § 5 du CPP, le GUP a ordonnĂ© l’audition de B.S., un ancien mafieux, devenu entre-temps collaborateur de justice.

32.  La Cour observe ensuite que le GUP a acquittĂ© la requĂ©rante de tous les chefs d’inculpation retenus contre elle et a partiellement acquittĂ© le requĂ©rant qui a Ă©tĂ© condamnĂ© pour le seul dĂ©lit de culture de chanvre. Le GUP a estimĂ© que les Ă©lĂ©ments de preuve recueillis ne prouvaient pas leur responsabilitĂ© pĂ©nale. La cour d’appel, quant Ă  elle, a infirmĂ© le jugement rendu en premiĂšre instance et a dĂ©clarĂ© les requĂ©rants coupables aprĂšs avoir donnĂ© une nouvelle interprĂ©tation de l’ensemble des Ă©lĂ©ments de preuve, y compris les dĂ©clarations de tous les tĂ©moins, et les avoir jugĂ©s suffisants pour fonder la condamnation.

  1. Sur l’absence d’audition des tĂ©moins E., P.G. et S.

33.  La Cour rappelle d’emblĂ©e qu’elle a dĂ©jĂ  eu l’occasion de se pencher sur les particularitĂ©s de la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e prĂ©vue par le CPP italien. Elle a constatĂ© que celle-ci entraĂźne des avantages indĂ©niables pour l’accusĂ© : en cas de condamnation, celui-ci bĂ©nĂ©ficie d’une importante rĂ©duction de peine et le parquet ne peut interjeter appel des jugements de condamnation qui ne modifient pas la qualification juridique de l’infraction. En revanche, la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e est assortie d’un affaiblissement des garanties de procĂ©dure offertes par le droit interne, notamment en ce qui concerne la publicitĂ© des dĂ©bats, la possibilitĂ© de demander la production d’élĂ©ments de preuve non contenus dans le dossier du parquet et celle d’obtenir la convocation des tĂ©moins (KwiatkowskadĂ©cision prĂ©citĂ©eHermi, prĂ©citĂ©, § 78, Hany c. Italie (dĂ©c.), n° 17543/05, 6 novembre 2007, et Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, 17 septembre 2009). Lesdites garanties constituent des principes fondamentaux du droit Ă  un procĂšs Ă©quitable, consacrĂ© par l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention. La Cour rappelle que ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empĂȘchent une personne de renoncer de son plein grĂ© de maniĂšre expresse ou tacite aux garanties d’un procĂšs Ă©quitable. Toutefois, pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention, pareille renonciation doit se trouver Ă©tablie de maniĂšre non Ă©quivoque et doit ĂȘtre entourĂ©e d’un minimum de garanties correspondant Ă  sa gravitĂ©. De plus, cette renonciation ne doit se heurter Ă  aucun intĂ©rĂȘt public important (Kwiatkowska, dĂ©cision prĂ©citĂ©eHermi, prĂ©citĂ©, § 73, et Murtazaliyeva c. Russie [GC], no 36658/05, §§ 117 et 118, 18 dĂ©cembre 2018).

34.  La Cour observe par ailleurs que l’introduction de la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e par le lĂ©gislateur italien vise Ă  simplifier, et donc Ă  accĂ©lĂ©rer, les procĂ©dures pĂ©nales (Hermi, prĂ©citĂ©, § 80). Elle observe Ă  cet Ă©gard que la Recommandation n° Rec (87) 18 du ComitĂ© des Ministres concernant la simplification de la justice pĂ©nale prĂ©conise aux États membres, dans le respect des principes constitutionnels et des traditions juridiques propres Ă  chaque État, la mise en place de procĂ©dures simplifiĂ©es et de procĂ©dures sommaires (ces derniĂšres Ă©tant Ă©galement dĂ©signĂ©es par les expressions « transactions pĂ©nales Â» ou « plea bargaining Â»), dans le but notamment de faire face aux problĂšmes posĂ©s par la durĂ©e de la procĂ©dure pĂ©nale (paragraphe 18 ci-dessus).

35.  Ainsi, en matiĂšre de transactions pĂ©nales, la Cour a dĂ©jĂ  eu l’occasion d’observer que la possibilitĂ© pour un accusĂ© d’obtenir une attĂ©nuation des charges ou une rĂ©duction de peine Ă  condition qu’il reconnaisse sa culpabilitĂ©, ou qu’il renonce avant le procĂšs Ă  contester les faits ou encore qu’il coopĂšre pleinement avec les autoritĂ©s d’enquĂȘte, est chose courante dans les systĂšmes de justice pĂ©nale des États europĂ©ens (voir l’étude de droit comparĂ© dans l’affaire Natsvlishvili et Togonidze c. GĂ©orgie, no 9043/05, §§ 62-75 et, CEDH 2014 (extraits)). Le fait de transiger sur un chef d’accusation ou sur une peine n’a rien de rĂ©prĂ©hensible en soi (ibidem, §§ 90-91), tout comme le fait de renoncer au droit d’appel (Litwin c. Allemagne, no 29090/06, § 47, 3 novembre 2011).

36.  Se tournant vers les faits de l’espĂšce, la Cour considĂšre que, en sollicitant l’adoption de la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e, les requĂ©rants, qui Ă©taient assistĂ©s d’avocats, ont acceptĂ© de baser leur dĂ©fense sur les piĂšces recueillies pendant les investigations prĂ©liminaires, dont ils avaient pris connaissance, et ont ainsi renoncĂ© sans Ă©quivoque Ă  leur droit Ă  obtenir la convocation et l’audition de tĂ©moins au procĂšs. Rien ne permet de douter que la renonciation des requĂ©rants Ă  leur droit Ă©tait consciente et Ă©clairĂ©e. Les intĂ©ressĂ©s ont en outre acceptĂ© que les juges en charge de leur affaire utilisent, pour statuer sur le bien-fondĂ© des accusations portĂ©es contre eux, les transcriptions des dĂ©positions des « repentis Â» E., P. G. et S. versĂ©es au dossier du parquet. De plus, les requĂ©rants savaient ou auraient dĂ» savoir qu’en cas d’acquittement en premiĂšre instance la cour d’appel avait la facultĂ© de rejuger l’affaire sur la base de ces mĂȘmes Ă©lĂ©ments de preuve.

37.  La Cour en dĂ©duit que la demande des requĂ©rants d’ĂȘtre jugĂ©s selon la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e a dĂ©terminĂ© la renonciation aux preuves orales et a eu pour consĂ©quence que leur procĂšs soit fondĂ© sur les preuves documentaires versĂ©es au dossier. DĂšs lors, les prĂ©sentes affaires se distinguent des celles que la Cour a prĂ©cĂ©demment examinĂ©es dans lesquelles la juridiction de recours n’avait pas satisfait Ă  l’obligation d’interroger directement des tĂ©moins qui avaient Ă©tĂ© auditionnĂ©s par le juge de premiĂšre instance et dont elle s’apprĂȘtait Ă  interprĂ©ter les dĂ©clarations d’une maniĂšre dĂ©favorable Ă  l’accusĂ© et radicalement diffĂ©rente pour condamner celui-ci pour la premiĂšre fois (voir, parmi d’autres, Dan, prĂ©citĂ©, Găitănaru c. Roumanien° 26082/0526 juin 2012, Lazu c. RĂ©publique de Moldova, n° 46182/08juillet 2016, Lorefice, prĂ©citĂ©, § 45, et Tondo c. Italie [comitĂ©], no 75037/14, 22 octobre 2020).

38.  La Cour rappelle avoir notĂ© dans l’affaire Scoppola (prĂ©citĂ©e, § 139) que, s’il est vrai que les États contractants ne sont pas contraints par la Convention de prĂ©voir des procĂ©dures simplifiĂ©es, il n’en demeure pas moins que, lorsque de telles procĂ©dures existent et sont adoptĂ©es, les principes du procĂšs Ă©quitable commandent de ne pas priver arbitrairement un prĂ©venu des avantages qui s’y rattachent. Il est contraire au principe de la sĂ©curitĂ© juridique et Ă  la protection de la confiance lĂ©gitime des justiciables qu’un État puisse, de maniĂšre unilatĂ©rale, rĂ©duire les avantages dĂ©coulant de la renonciation Ă  certains droits inhĂ©rents Ă  la notion de procĂšs Ă©quitable. Aux yeux de la Cour, rien de semblable ne s’est produit en la prĂ©sente affaire, oĂč les requĂ©rants ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de la rĂ©duction de peine dĂ©coulant de l’adoption de la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e. Il n’apparaĂźt pas davantage que l’affaire ait soulevĂ© des questions d’intĂ©rĂȘt public s’opposant Ă  une telle renonciation (KwiatkowskadĂ©cision prĂ©citĂ©e).

39.  La Cour observe au passage que la Cour de cassation italienne a rĂ©cemment interprĂ©tĂ© extensivement l’article 603 du CPP, faisant obligation aux juridictions d’appel d’ordonner mĂȘme d’office l’audition de tĂ©moins dĂ©cisifs pour la condamnation, aussi bien dans les procĂ©dures pĂ©nales ordinaires que dans les cas oĂč la premiĂšre instance s’est dĂ©roulĂ©e selon la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e (paragraphe 16 ci-dessus). Elle souligne Ă  cet Ă©gard que la Convention ne fait pas obstacle Ă  ce que les États parties accordent aux droits et libertĂ©s qu’elle garantit une protection juridique plus Ă©tendue que celle qu’elle met en Ɠuvre, que ce soit par le biais du droit interne, d’autres traitĂ©s internationaux ou du droit de l’Union europĂ©enne. Comme elle a dĂ©jĂ  eu l’occasion de le souligner, par son systĂšme de garantie collective des droits qu’elle consacre, la Convention vient renforcer, conformĂ©ment au principe de subsidiaritĂ©, la protection qui en est offerte au niveau national. Rien n’interdit aux États contractants d’adopter une interprĂ©tation plus large garantissant une protection renforcĂ©e des droits et libertĂ©s en question dans leurs ordres juridiques internes respectifs (article 53 de la Convention) (voirmutatis mutandisParti communiste unifiĂ© de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 28, Recueil 1998‑I, ChamaĂŻev et autres c. GĂ©orgie et Russie, n° 36378/02, Â§ 500, CEDH 2005‑III, Krombach c. France (dĂ©c.), n° 67521/14, § 39, 20 fĂ©vrier 2018 et Gestur JĂłnsson et Ragnar HalldĂłr Hall c. Islande [GC], nos 68273/14 et 68271/14, § 93, 22 dĂ©cembre 2020).

40.  En conclusion, compte tenu de ce qui prĂ©cĂšde, les requĂ©rants ne sauraient se plaindre d’une entrave Ă  leur droit Ă  un procĂšs Ă©quitable dĂ©rivant de la non-audition par la cour d’appel des tĂ©moins E., P. G. et S.

  1. Sur l’absence d’audition de B.S.

41.  La Cour doit maintenant dĂ©terminer si la non-audition de B.S. a enfreint le droit des requĂ©rants Ă  bĂ©nĂ©ficier d’un procĂšs Ă©quitable. Elle observe que ce tĂ©moin a Ă©tĂ© convoquĂ© d’office par le GUP, et a donc Ă©tĂ© interrogĂ© en audience par celui-ci, contrairement aux autres tĂ©moins Ă  charge.

42.  La Cour note d’emblĂ©e que la possibilitĂ© que le juge dĂ©roge aux conditions ordinaires de la procĂ©dure abrĂ©gĂ©e et se procure, mĂȘme d’office, des Ă©lĂ©ments de preuve nĂ©cessaires Ă  sa dĂ©cision est expressĂ©ment prĂ©vue par l’article 441 § 5 du CPP et ne saurait constituer en soi une atteinte aux principes du procĂšs Ă©quitable (Campisi c. Italie (dĂ©c.), n° 10948/05, § 25, 12 fĂ©vrier 2013). Il n’en reste pas moins qu’elle doit examiner si la maniĂšre dont cette exception a Ă©tĂ© appliquĂ©e en l’espĂšce a constituĂ© une atteinte aux principes du procĂšs Ă©quitable.

43.  La Cour observe que la condamnation des requĂ©rants a Ă©tĂ© fondĂ©e sur plusieurs Ă©lĂ©ments de preuve, parmi lesquels la note d’information des carabiniers de Naples, Ă  laquelle la cour d’appel a accordĂ© une importance dĂ©terminante (paragraphe 9 ci-dessus). Cet Ă©lĂ©ment concernait notamment les activitĂ©s criminelles du requĂ©rant et des membres de sa famille ainsi que son affiliation au clan mafieux D. A. S’y ajoutaient les dĂ©clarations de E., P. G. et S., d’anciens membres du clan « repentis Â», et les rĂ©sultats de plusieurs Ă©coutes tĂ©lĂ©phoniques et environnementales.

44.  La Cour relĂšve que, dans ce contexte, le tĂ©moignage de B.S. n’a fait que confirmer les dĂ©clarations des autres tĂ©moins et corroborer l’ensemble des preuves Ă  charge. En effet, ni le GUP ni la cour d’appel n’ont accordĂ© un poids dĂ©terminant Ă  ce tĂ©moignage, dans un sens ou dans un autre, dans leurs dĂ©cisions relatives Ă  la responsabilitĂ© pĂ©nale des requĂ©rants (voira contrarioDan, prĂ©citĂ©, § 31, Lorefice, prĂ©citĂ©, § 37, et Tondo, prĂ©citĂ©, § 42). La Cour observe de plus que le GUP avait ordonnĂ© la convocation de B.S. estimant que son audition Ă©tait dĂ©terminante pour juger de la position de P. C., l’un des coĂŻnculpĂ©s des requĂ©rants.

45.  Eu Ă©gard Ă  ce qui prĂ©cĂšde, et notamment Ă  la valeur probante du tĂ©moignage en question, et rappelant qu’il revient en principe aux juridictions nationales d’apprĂ©cier les Ă©lĂ©ments rassemblĂ©s par elles (Vidal c. Belgique, 22 avril 1992, § 33, sĂ©rie A n° 235‑B), la Cour estime que l’on ne saurait considĂ©rer qu’en ne procĂ©dant pas Ă  une nouvelle audition de B.S. la cour d’appel a restreint les droits de la dĂ©fense des requĂ©rants.

  1. Conclusion

46.  Les considĂ©rations qui prĂ©cĂšdent sont suffisantes pour permettre Ă  la Cour de conclure que la procĂ©dure pĂ©nale visant les requĂ©rants, prise dans son ensemble, a Ă©tĂ© Ă©quitable.

47.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, Ă€ L’UNANIMITÉ,

  1. DĂ©cide de joindre les requĂȘtes ;
  2. DĂ©clare les requĂȘtes recevables ;
  3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 25 mars 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement de la Cour.

 

RenataDegener                                                 Ksenija Turković
GreffiÚre                                                          Présidente

 



 

 

ANNEXE


 

 

No

RequĂȘte No

Nom de l’affaire

Introduite le

Requérant

Année de naissance

Lieu de résidence

Nationalité

Représenté par

  1.  

15931/15

Di Martino c. Italie

28/03/2015

Leonardo DI MARTINO

1958

Lanciano (Ch)

italienne

Alfredo GAITO

  1.  

16459/15

Molinari c. Italie

27/03/2015

Anna Maria MOLINARI

1965

Gragnano (Na)

italienne

Alfredo GAITO