Cour européenne des droits de l’homme
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE TERNA c. ITALIE
(Requête no 21052/18)
ARRÊT
Art 8
• Vie familiale • Placement en institut de la petite-fille rom de la requérante disposant de sa garde depuis sa naissance • Relation familiale entre la grand-mère et la fillette • Requérante n’ayant cessé de tenter de reprendre des contacts
avec l’enfant sans avoir pu exercer son droit de visite malgré les décisions du
tribunal • Absence d’efforts adéquats et suffisants déployés par les autorités nationales
pour faire respecter le droit de visite de la requérante
• Problème systémique
Art
14+8 • Discrimination • Aucune
motivation liée à l’origine
ethnique de l’enfant et de sa famille
invoquée par les juridictions internes pour justifier le placement de la fillette
• Expertises constatant l’incapacité
de la requérante à exercer
son rôle parental et les difficultés de l’enfant grandissant
dans un environnement criminel
et présentant des troubles de l’attachement • Intérêt supérieur de l’enfant
STRASBOURG
14 janvier
2021
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions
définies à l’article 44 § 2
de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme.
En l’affaire Terna c. Italie,
La Cour
européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :
Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Gilberto Felici,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
la requête
(no 21052/18) dirigée contre la République italienne et
dont une ressortissante de cet
État, Mme Emilia Terna
(« la requérante »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la
Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales
(« la Convention ») le 7 mai 2018,
la décision de
porter la requête à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement »),
les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par la requérante,
les commentaires reçus du Centre européen des droits des
Roms, que la présidente de la section a autorisé à se porter tiers intervenant,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté
à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête
concerne la violation alléguée
du droit au respect de la
vie familiale de la requérante
à raison de l’éloignement
et de la prise en charge
par les services sociaux de
sa petite-fille (appartenant
à la communauté rom), dont elle avait
la garde depuis sa naissance. La requérante se plaint également que le traitement litigieux subi à partir de mars 2016 est dû à la stigmatisation de la famille de l’enfant
liée à l’appartenance de
celle-ci à l’ethnie rom.
2. La requérante
est née en 1966 et réside à
Milan. Elle a été représentée
par Me G. Perin, avocate.
3. Le Gouvernement
a été représenté par son
agent, M. L. D’Ascia.
- LES ANTECEDENTS
CRIMINELS DE LA REQUERANTE
4. La requérante
est une ressortissante italienne.
En 2001, elle épousa S.T., appartenant
à l’ethnie rom.
5. Le 24 septembre
2008, la requérante fut arrêtée, avec son mari, dans le cadre d’une enquête concernant un trafic de stupéfiants et fut condamnée à deux ans et dix mois d’emprisonnement.
6. Le 8 février
2011, dans le cadre d’une autre affaire, le juge de
l’audience préliminaire de Trente
condamna la requérante à quatre ans de réclusion
pour trafic de drogue.
7. Le 23 novembre 2011, la requérante fit l’objet d’une mesure de mise à l’épreuve auprès
des sociaux, à laquelle elle fut soumise jusqu’au 22 juin 2012.
8. En 2013, elle fut condamnée pour résistance à un officier public dans le cadre d’un litige avec sa fille aînée.
9. En 2014, la requérante fut condamnée pour trafic d’êtres humains, de même que son mari, pour avoir transporté dans son véhicule des immigrés de l’Allemagne vers l’Italie. En avril 2014, elle fut placée en détention
en Allemagne et libérée à
une date non précisée au cours de l’été 2014.
- LE CONTEXTE
FAMILIAL ET LE PLACEMENT DE I.
10. Le 12 novembre 2010, une des deux filles
de S.T accoucha d’une fille,
I. Ne pouvant pas prendre soin de l’enfant, les parents de I. demandèrent à la requérante et à son mari de s’occuper d’elle.
Devant la Cour, la requérante allègue que son mari et elle-même se virent confier l’enfant dans le cadre d’une procédure officielle de prise en charge conformément à l’article 9, alinéa 4 de la loi no 183 de
1984. Le dossier ne comporte
aucune preuve d’une décision des autorités
en ce sens.
11. Le 13 mars
2014, la requérante sollicita
l’aide des services sociaux de Milan en vue de l’inscription de la mineure à
l’école, car celle-ci n’avait aucun
papier d’identité.
12. Selon
le rapport des services sociaux
envoyé au tribunal pour enfants de Milan (« le
tribunal »), il convenait
de mettre en place un programme
d’aide sociale et de maintenir
le placement de l’enfant chez ses
grands‑parents. Selon
ce même document, la mineure était bien
insérée dans la famille de la requérante.
13. Suite à l’arrestation de la requérante en avril 2014 et pendant sa détention,
l’enfant fut confiée à la sœur de l’intéressée.
14. Par une décision du 10 juillet 2014, le tribunal observa que l’enfant n’avait pas de papiers d’identité et que ses grands-parents avaient des antécédents
criminels. En outre, il souligna que l’enfant avait un retard de langage et un problème podologique qui nécessitaient un suivi médical. Compte tenu de ce que l’enfant semblait être bien
insérée dans la famille de la requérante, le tribunal confia sa garde à la commune de Milan avec placement chez l’intéressée ; il ordonna également l’inscription de l’enfant à la crèche
et une évaluation psychosociale
de celle‑ci et de la requérante.
15. Le 20 juillet
2015, les services sociaux informèrent le tribunal que l’enfant fréquentait la crèche et que l’évaluation psychosociale de la requérante était en cours. Ils demandèrent
au tribunal de confirmer le placement de l’enfant chez
la requérante.
16. Le 2 septembre
2015, une équipe de neuropsychiatrie de l’enfance (UNOPIA) chargée d’effectuer une expertise de la mineure
envoya au tribunal un rapport qui faisait état d’un lien très fort entre celle-ci et la requérante, laquelle était perçue par l’enfant comme une « mère » et répondait aux besoins primaires
de la fillette. Le rapport soulignait
également que l’enfant avait un trouble du comportement.
17. Par un autre rapport du 23 février 2016, une psychologue de
l’Agence pour la protection
de la santé de Milan, chargée
d’effectuer une évaluation
de la requérante, souligna que cette dernière
était en mesure de s’occuper de l’enfant et qu’un éloignement de la mineure n’était pas envisageable.
Selon ce rapport, la fillette
avait établi une bonne
relation avec la requérante,
qu’elle considérait comme une « mère
» et de laquelle elle recevait
les soins à même de répondre à ses besoins.
18. Par une décision du 4 mars
2016, le tribunal confia la
garde de l’enfant à la commune
de Milan et confirma son placement chez la requérante, déclara les parents
de la mineure déchus de leur autorité parentale et renvoya le dossier au juge des tutelles
aux fins du suivi de la situation de la famille.
19. Par une décision du 31 mars 2016, le juge des tutelles nomma
un expert en vue de la réalisation d’une évaluation de
la situation de la famille, car, à
son avis, les conclusions fournies par les services sociaux étaient incomplètes et la vérification des activités de la requérante, de
son niveau d’instruction, de
ses antécédents criminels ainsi que de ceux de son mari s’avérait nécessaire.
20. La tutrice de l’enfant, Mme C., fut nommée le 5 avril 2016.
21. Selon
la requérante, à sa première
visite à son domicile, la tutrice lui demanda si elle
appartenait à l’ethnie rom.
22. Le 20 juillet
2016, après trois mois d’enquête et à l’issue de plusieurs entretiens, l’expert déposa son rapport. Il y observait que la requérante devait faire face à des défis difficiles pour gérer l’évolution de la mineure, celle-ci présentant des retards de langage et un trouble de l’attachement. Il mentionnait que la requérante était dénuée de capacités parentales. Il ajoutait que, n’ayant pas d’emploi,
elle se trouvait dans une
situation économique très
difficile. Il indiquait aussi
que l’enfant grandissait au sein d’une famille
dont plusieurs membres avaient des antécédents
criminels. L’expert estimait que le placement de
l’enfant dans une famille
d’accueil et/ou dans un institut avec le maintien de contacts avec la requérante était une solution envisageable. Il observait que la tutrice de l’enfant avait exprimé des doutes
sur un tel maintien de contacts, motivés par l’éventualité d’un enlèvement de la
mineure par sa famille rom,
et qu’elle préconisait une rupture du lien entre l’enfant et la requérante.
Il concluait qu’en cas de rupture du lien il y aurait
un traumatisme très important pour la mineure et qu’il fallait prévoir
une prise en charge psychothérapeutique.
23. Par une décision
du 27 septembre 2016, après avoir analysé
le milieu familial dans lequel la mineure avait évolué, le juge des tutelles, se
basant sur les conclusions de l’expert et de la
tutrice et considérant qu’il
fallait éloigner la fillette d’un milieu dans lequel celle-ci était déjà pénalisée sous différents angles (économique, éducatif, affectif et relationnel (en raison des antécédents criminels des membres
de la famille)), disposa l’éloignement
de l’enfant et son placement en institut.
24. Le 28 septembre
2016, une procédure fut ouverte devant le tribunal en vue de la vérification de l’état d’abandon de l’enfant et de l’ouverture d’une procédure d’adoption.
25. Le 7 octobre
2016, le tribunal, se prononçant
à la lumière de la décision du
juge des tutelles et des rapports des services sociaux qui relataient une amélioration de l’état de l’enfant (laquelle avait commencé à fréquenter l’école et à rattraper
le retard de langage qu’elle
présentait), rendit une décision par laquelle il ordonna le placement de la mineure
dans un institut et chargea
les services sociaux de gérer les contacts
entre la requérante et
l’enfant en s’assurant du suivi d’une thérapie psychologique par cette dernière.
26. Le 2 novembre 2016, la mineure fut placée
dans un institut.
27. Le 7 novembre 2016, la
tutrice de l’enfant saisit le juge
des tutelles d’une demande tendant à la suspension des rencontres ordonnées par le tribunal. Selon la tutrice, il y avait une forte probabilité que la famille rom de l’enfant pût soustraire de force la fillette
si elle découvrait où
celle-ci était placée. Toujours selon elle, par le passé, il y avait
eu des cas
où des familles
d’enfants roms avaient suivi ces derniers
après la tenue de rencontres
en milieu protégé afin de découvrir le lieu où ces mineurs
étaient placés.
Sa demande se lisait ainsi :
« (...) Je pense qu’il y a de grandes chances que la famille rom de l’enfant puisse soustraire de force la mineure si elle découvre le lieu de son placement. Face à ce risque, je propose la suspension des rencontres avec la requérante.
Je signale également le comportement inapproprié de l’assistante
sociale Mme P., qui a appelé
le foyer
d’accueil au moins une dizaine de fois pour précipiter et forcer le début des visites. (...)
Au sein du
même foyer d’accueil, il y a déjà eu
des cas d’enfants enlevés par des [familles] roms, après le déroulement des rencontres en milieu protégé (...)
Je demande
La suspension
de toute visite et de tout contact
avec la requérante., car il
est très probable que l’enfant communiquera [le nom de] la ville où elle vit et le nom de la famille d’accueil, [d’où] le risque d’un enlèvement de l’enfant par la communauté
rom. »
28. Par une décision
du 8 novembre 2016, six
jours après le placement en
institut, le juge des tutelles invita les services sociaux à suspendre les rencontres et demanda au tribunal de prévoir les rencontres
en milieu protégé en la présence
de membres de la police, si
cela correspondait à l’intérêt
de l’enfant, afin de pouvoir
garantir l’anonymat du lieu de placement de celle-ci.
29. Le 16 novembre 2016,
l’équipe de prise en charge
psychologique qui s’occupait
du suivi de la mineure et de la requérante déposa le rapport demandé par le tribunal. Dans ce document, les experts concluaient
que le meilleur choix était de poursuivre le placement de l’enfant chez
la requérante, précisant que cette dernière
n’avait pas montré de signes en faveur d’un enlèvement de la mineure tel que
mis en évidence par la
tutrice. Ils confirmaient que la requérante bénéficiait toujours d’un soutien psychologique afin de se voir fournir les outils
nécessaires pour gérer la séparation
d’avec la mineure.
30. Par une décision
du 6 décembre 2016, le tribunal confirma sa précédente décision et chargea les services sociaux d’organiser les rencontres avec la requérante tout en prenant soin de préserver l’anonymat du lieu de placement de l’enfant.
31. À une date non précisée, le dossier fut transféré aux services sociaux du lieu
de résidence de la tutrice de l’enfant. Aucune rencontre ne fut organisée nonobstant
les demandes de respect de la décision du tribunal formulées
par la requérante auprès des services sociaux.
32. À une date non précisée, le tribunal demanda une
nouvelle expertise. Le même expert
fut mandaté par le tribunal. Il demanda la suspension
des rencontres pendant le temps nécessaire à la préparation
de l’expertise. Le 8 février 2017, le tribunal fit droit
à sa demande et les rencontres, qui n’avaient d’ailleurs jamais eu lieu, furent
suspendues jusqu’à la finalisation de l’expertise.
33. Le 29 mai 2017, la psychologue de Milan, qui suivait
l’enfant depuis plusieurs années, rendit un rapport qui faisait état d’un mal-être de la mineure à raison de la longue interruption des contacts avec
la requérante. Selon elle,
il était dans l’intérêt de l’enfant et de son bien-être
psychologique que les rencontres fussent organisées.
34. Le 11 juin
2017, l’expert déposa son
rapport. À son avis la requérante
était dénuée de capacités parentales et la
relation requérante‑enfant aurait
pu être interrompue
sans que la mineure, qui était déjà bien
insérée dans sa nouvelle famille, eût à pâtir de préjudices psychologiques autres que ceux déjà
observés.
35. Les
11 juillet et 16 novembre 2017, la requérante demanda au tribunal de révoquer la décision par laquelle les contacts avaient
été suspendus dans l’attente de la finalisation de l’expertise.
36. Par un arrêt du 12 avril
2018, notifié à la requérante
le 17 mai 2018, le tribunal déclara
l’enfant adoptable. Pour se prononcer
ainsi, le tribunal observa d’abord que les parents
naturels de l’enfant avaient
été déchus de leur autorité parentale et que la requérante était la seule qui s’était opposée à la déclaration d’adoptabilité, le
grand-père de la mineure étant en prison. Il estima que l’enfant se trouvait dans une situation d’abandon
moral et matériel. S’agissant
de la requérante, il considéra
que cette dernière ne pouvait pas exercer des
fonctions parentales permettant d’assurer un développement sain et équilibré de l’enfant pour plusieurs
motifs : tout d’abord,
la fillette avait évolué dans un environnement criminel, également marqué par les différentes condamnations de la requérante et par le fait que celle-ci avait continué à voir son mari en prison sans prendre de distances avec l’activité criminelle de ce
dernier ; ensuite, la requérante
avait caché pendant plusieurs années l’existence de l’enfant aux autorités et elle n’avait jamais informé la mineure de la vérité sur ses parents ; de plus,
l’expertise avait souligné des carences cognitives
et affectives ainsi que l’incapacité de la requérante à placer les besoins de l’enfant devant les siens.
37. La requérante
fit appel le 13 juin 2018. En particulier, se
fondant sur les conclusions
de tous les psychologues jusqu’au mois de mars 2016, elle demanda à
la cour d’appel de ne pas déclarer l’adoptabilité de l’enfant et, à titre
subsidiaire, de l’autoriser
à rencontrer sa petite-fille
selon des modalités fixées par ladite cour. Les
parents de l’enfant firent également appel. Le curateur de la mineure, qui avait été entre-temps
désigné, demanda à la cour d’appel de permettre à la requérante de rencontrer la mineure de manière à maintenir un lien entre elles.
38. Le 21 novembre 2018, la cour d’appel ordonna
une nouvelle expertise afin d’évaluer
le lien entre I. et la requérante.
Le 6 décembre 2018, elle demanda à l’expert :
« de décrire la situation psycho-émotionnelle actuelle de
la mineure et d’exprimer
[son avis] à ce sujet (...) ;
de fournir toutes les informations
utiles et les évaluations sur la qualité de l’insertion de l’enfant dans la famille où la mineure
avait été placée ;
d’indiquer
quel rôle jouait, dans l’imaginaire de la mineure, la figure de la requérante ;
de fournir, dans le cas où
il serait établi que la requérante serait en mesure de jouer un rôle positif pour la mineure, des informations sur l’opportunité
pour I., pour son bien‑être psychophysique, d’entretenir des relations avec la
requérante et d’indiquer, le
cas échéant, quelles seraient les procédures et les précautions à prendre. »
39. L’expert
déposa son rapport le 16 juillet 2019. Il y indiquait qu’il n’y avait pas de raisons de
se prononcer en faveur de l’éloignement de
l’enfant, la requérante remplissant son rôle de manière adéquate.
Il précisait que
l’interruption de tout contact était dépourvue d’une quelconque justification.
Il ajoutait que, lors de l’expertise, la nouvelle assistante sociale, Mme G.,
avait
confirmé qu’il n’y avait pas de raisons concrètes de supposer un risque réel d’enlèvement.
Il indiquait, en outre,
que la rupture soudaine de la relation avec sa grand-mère avait déterminé « dans l’esprit de l’enfant un scénario très chaotique et précaire (scenario
molto accidentato e precario), dont les effets dramatiques s’étaient
greffés sur le terrain déjà fragile de la douloureuse histoire familiale ».
Il estimait que la reprise de contacts avec la requérante était dans l’intérêt de l’enfant.
40. Il ressort
des dernières informations fournies par les parties que l’affaire est pendante devant la cour d’appel de Milan.
LE CADRE
JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
41. Le
droit interne pertinent
en l’espèce est décrit dans l’arrêt R.V. et
autres c. Italie (no 37748/13, §§ 65-69
18 juillet 2019).
42. La requérante
se plaint de la violation de son droit au respect de la
vie familiale à raison de
la non-exécution de son droit
de visite reconnu en 2016. Elle invoque
l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de
sa correspondance.
2. Il ne peut
y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette
ingérence est prévue par la
loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien‑être
économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
- Sur la recevabilité
43. Le Gouvernement excipe du non-épuisement
des voies de recours internes au motif qu’au
moment de l’introduction de la requête
la procédure concernant l’adoptabilité de l’enfant était
encore pendante et qu’elle n’est toujours pas conclue
aujourd’hui. Selon lui, la requérante demande à la Cour de se substituer aux juridictions internes.
44. La requérante
argue que son grief ne porte pas sur l’adoptabilité de l’enfant mais qu’il
a pour objet l’éloignement
de la mineure et l’interruption
de tout contact avec elle.
Elle dit s’être adressée à plusieurs reprises aux services sociaux pour demander l’exécution de la décision du tribunal
du 11 octobre 2016,
mais s’être heurtée à l’absence d’organisation de rencontres. Elle indique aussi avoir déposé,
après la finalisation de
l’expertise, deux demandes devant le tribunal, respectivement le 11 juillet
2017 et le 16 novembre 2017, sans succès. Elle estime avoir épuisé
les voies de recours conformément au droit interne.
45. La Cour
note, tout d’abord, que le grief de la requérante porte sur
la question de la mise en œuvre
du droit de visite selon les modalités
fixées par le tribunal. Elle
rappelle avoir déjà affirmé dans
ses précédents arrêts contre l’Italie
(Lombardo c. Italie, no 25704/11, § 63, 29 janvier 2013,
et Nicolò Santilli c. Italie, no 51930/10, § 45, 17 décembre 2013) que les décisions
du tribunal pour enfants portant notamment sur le droit de visite ne revêtaient pas un caractère définitif et qu’elles pouvaient dès lors
être modifiées à tout
moment en fonction des événements liés à la situation litigieuse. Ainsi, l’évolution de la procédure interne
est la conséquence du caractère non définitif des décisions du
tribunal pour enfants portant
sur le droit de visite. Par ailleurs,
la Cour note en l’espèce que la requérante n’a pas été en mesure
d’exercer pleinement son droit de visite depuis 2016 et que l’intéressée a introduit sa requête devant elle le 7 mai 2018 après avoir saisi à deux
reprises le tribunal qui s’était
prononcé sur son droit.
Elle observe que la requérante a en effet saisi le tribunal pour enfants les 11 juillet et
16 novembre 2017 pour demander la reprise des contacts (Lombardo, précité, § 63, Nicolò Santilli, précité, § 46, et Strumia
c. Italie, no 53377/13, §§ 90-92, 23 juin
2016), la procédure portant
sur le droit de visite étant
indépendante de la procédure
concernant l’adoptabilité
de l’enfant.
46. Compte
tenu de ces éléments, la Cour estime que la requérante
a épuisé les voies de recours disponibles et qu’il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.
47. Constatant
que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé
à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
- Sur le fond
- Thèses des parties
a) La requérante
48. La requérante
indique qu’elle ne voit plus sa petite-fille depuis plus de trois ans, et ce en dépit de la reconnaissance par toutes les autorités, dès le début des
procédures judiciaires, de
l’existence d’un lien très fort l’unissant à l’enfant.
49. Se référant
à la jurisprudence de la Cour,
la requérante argue que l’intérêt de l’enfant et le sien à maintenir des liens coïncident.
L’extrême gravité de l’état psychologique de la mineure à raison de la rupture de tout contact entre la fillette et elle-même a été constatée
dans le dernier rapport
d’expertise déposé devant
la cour d’appel.
50. La requérante
indique que, depuis l’assignation de la tutelle à Mme C., sa
situation et celle de l’enfant ont radicalement changé. Elle soutient que, lors
de sa première et unique visite à
son domicile, la tutrice, après
avoir obtenu confirmation de l’origine rom de l’enfant, a affirmé que cette
dernière devrait être éloignée. Ce comportement de la tutrice – que
l’intéressée qualifie de préjugés envers les Roms – ressort
du rapport envoyé par Mme C. au juge des tutelles.
51. La requérante
insiste sur le changement d’attitude
dont elle aurait fait l’objet. Selon elle, après avoir été
considérée pendant deux ans par tous comme
une « bonne grand-mère
» elle s’est vue, du jour au lendemain, être
perçue comme une personne qui ne méritait plus de revoir sa petite-fille, et ce malgré les progrès
constants constatés par les services sociaux concernant aussi bien la mineure qu’elle-même.
52. Quant
à la question des antécédents criminels, la requérante plaide que, en l’espèce, les juridictions en avaient connaissance depuis le début. Elle argue aussi qu’en
droit italien, en l’absence de preuve démontrant que le comportement délictueux ait affecté le mineur, les antécédents
criminels ne sont pas en soi une raison valable pour séparer un enfant de sa famille.
Elle ajoute que les personnes enfreignant
la loi pénale doivent être soumises
aux sanctions déterminées par le code pénal et que ce dernier ne prévoit pas la sanction accessoire de la perte de tout contact avec les
proches. Elle précise que l’évaluation opérée à cet égard
doit être faite en considérant uniquement les liens affectifs de l’enfant.
53. S’agissant
de la condamnation pour « trafic d’êtres humains », la requérante soutient avoir été condamnée à raison de son statut de propriétaire de la voiture qui, selon elle, avait été empruntée par son mari et un homme étranger pour accompagner des proches sans permis de séjour en Allemagne. L’on ne se trouverait donc pas devant un crime violent où la
vie de personnes aurait
été mise en danger, car la criminalisation du comportement reproché aurait pour but principal la défense des frontières de l’État.
b) Le Gouvernement
54. Le Gouvernement
considère que l’ingérence en cause est expressément
prévue par la loi
no 184 de 1983 et expose qu’elle
a pour finalité la protection
de l’enfant concerné : selon
lui, il s’agit d’assurer que le mineur puisse
grandir dans un
environnement non pas compromis
par de fortes connotations délinquantes, mais caractérisé
par une figure de référence stable,
capable d’exercer les délicates fonctions
et responsabilités parentales.
Aux yeux du Gouvernement, cette ingérence répond au critère
de la « nécessité dans une société démocratique ».
55. Le Gouvernement
fait valoir que la requérante n’avait jamais communiqué
ses véritables origines à la mineure jusqu’en 2014, et que cette dernière a grandi sans aucun papier et sans avoir vu de pédiatre alors qu’elle souffrait d’un trouble de la parole et d’un problème podologique. De plus, il
expose que l’enfant se trouvait élevée dans un environnement à forte connotation
criminelle, la requérante ayant été condamnée
pour possession et trafic
de drogue ainsi que pour trafic d’êtres humains.
56. Le Gouvernement
indique que les autorités ont
pris en compte les conditions de vie offertes à la mineure, qui auraient été insatisfaisantes
et marquées par des privations matérielles, ainsi que d’autres
éléments tels que les conditions
psychiques de la requérante
et de son mari et leur capacité
émotionnelle, éducative et pédagogique, qu’il qualifie d’inexistante.
57. Il indique,
en outre, que, dans le cadre de la procédure devant la cour d’appel, une troisième expertise a été ordonnée afin de déterminer la situation psychologique
de la mineure et la possibilité
de réactiver les rencontres.
58. Le Gouvernement
estime que, en favorisant les rencontres, il y avait un risque élevé de compromettre définitivement l’équilibre de la mineure et la validité du parcours entrepris,
dans l’hypothèse probable d’un enlèvement de
l’enfant par la requérante ou
par les membres de la famille de son mari en raison du casier judiciaire spécifique de ces personnes.
59. Le Gouvernement
admet qu’il y a eu une ingérence des autorités dans
la vie familiale de la requérante, mais ce, à ses dires, sans violation des obligations positives de l’État et en présence de la nécessité de protéger l’intérêt supérieur de la mineure à être soustraite d’un
environnement délétère à forte connotation
criminelle.
- Appréciation de
la Cour
a) Principes
généraux
60. Comme
elle l’a fait à maintes
reprises, la Cour rappelle que, si l’article 8 de la
Convention a essentiellement pour objet
de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics,
il ne se contente pas de commander
à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée
ou familiale. Celles-ci peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect
de la vie familiale jusque dans les relations des individus entre
eux, dont la mise en place d’un arsenal
juridique adéquat et suffisant pour assurer les droits légitimes
des intéressés ainsi que le respect
des décisions judiciaires, ou la mise en œuvre de mesures spécifiques appropriées (voir Zawadka
c. Pologne, nº 48542/99, § 53, 23 juin
2005). Cet arsenal doit permettre à l’État d’adopter des mesures propres
à réunir le parent et son
enfant, y compris en cas de
conflit opposant les deux parents
(voir Ignaccolo-Zenide
c. Roumanie, nº 31679/96, § 108, CEDH 2000‑I, Sylvester
c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, § 68, 24 avril
2003, Zavřel c. République tchèque, nº 14044/05, § 47, 18 janvier 2007,
et Mihailova c. Bulgarie, no 35978/02, § 80, 12 janvier
2006). La Cour rappelle aussi que les
obligations positives ne se
limitent pas à veiller à ce que l’enfant puisse rejoindre son parent ou avoir
un contact avec lui, mais qu’elles englobent également l’ensemble des mesures préparatoires permettant de parvenir à ce résultat (voir Kosmopoulou c. Grèce, nº 60457/00, § 45, 5 février
2004, Amanalachioai c. Roumanie, nº 4023/04, § 95, 26 mai 2009, Ignaccolo‑Zenide,
précité, §§ 105 et 112, et Sylvester,
précité, § 70).
61. La Cour
rappelle également que le fait que
les efforts des autorités ont
été vains ne mène pas automatiquement
à la conclusion que l’État a manqué aux
obligations positives qui découlent pour lui de l’article 8
de la Convention (Nicolò Santilli, précité, §
67). En effet, l’obligation
pour les autorités nationales de prendre des mesures afin
de réunir l’enfant et le parent
avec lequel il ne vit pas n’est pas
absolue, et la compréhension
et la coopération de l’ensemble des
personnes concernées constituent toujours un facteur important. Si les autorités nationales
doivent s’efforcer de faciliter pareille collaboration, une obligation
pour elles de recourir à la
coercition en la matière ne
saurait être que limitée : il leur faut tenir
compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et notamment des intérêts
supérieurs de l’enfant et des
droits que confère l’article 8 de la
Convention à celui-ci (Voleský
c. République tchèque, no 63267/00, § 118, 29 juin
2004).
62. En
ce qui concerne le droit au respect de la
vie familiale des mineurs, la Cour rappelle qu’il existe actuellement un large
consensus – y compris en droit
international – autour de l’idée
que, dans toutes les décisions
concernant des enfants, leur intérêt supérieur
doit primer (voir, entre autres, Neulinger et Shuruk
c. Suisse [GC], no 41615/07, § 135, CEDH 2010). Elle souligne d’ailleurs que, dans les
affaires dans lesquelles sont en jeu des questions de placement d’enfants et de restrictions
du droit de visite, l’intérêt de l’enfant doit passer avant toute
autre considération (Strand Lobben et autres c. Norvège [GC],
no 37283/13, § 204, 10 septembre 2019). La plus grande prudence
s’impose lorsqu’il s’agit
de recourir à la coercition
en ce domaine délicat (Mitrova et Savik c.
l’ex-République yougoslave de Macédoine,
no 42534/09, § 77, 11 février 2016,
et Reigado Ramos c. Portugal,
no 73229/01, § 53, 22 novembre 2005). Le
point décisif consiste donc
à savoir si, concrètement, les autorités nationales
ont pris, pour faciliter les visites
entre le parent et
l’enfant, toutes les mesures nécessaires que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles (Nuutinen c. Finlande,
no 32842/96, § 128, CEDH 2000‑VIII).
b) Application de ces
principes à la présente espèce
63. Se tournant vers les faits
de la présente cause, la Cour
note d’emblée qu’il n’est pas
contesté en l’espèce que le lien entre la requérante et la mineure relève de la vie familiale au sens de l’article
8 de la Convention (Scozzari et Giunta
c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 221, CEDH 2000‑VIII, et Manuello
et Nevi c. Italie, no 107/10, §§ 50-53, 20 janvier
2015).
64. La Cour
note tout d’abord que dans le cas d’espèce
la requérante est la grand-mère
de l’enfant. Elle rappelle que
dans certaines affaires la Cour a considéré que les relations entre grands-parents et
petits-enfants et celles entre
parents et enfants étaient
d’une nature et d’une intensité différentes
et que, de par leur nature même, les premières appelaient en principe un degré
de protection moindre (Kruškić c. Croatie (déc.), no10140/13, 25 novembre 2014 §§ 108-110, et Mitovi c. l’ex-République yougoslave
de Macédoine, no 53565/13, § 58, 16 avril 2015). Dans d’autres affaires, en
revanche, la Cour a considéré
que la protection accordée aux grands
parents ne se trouvait pas diminuée en raison de la présence des parents exerçant
l’autorité parentale (Nistor
c. Roumanie, no 14565/05, § 71, 2 novembre 2010, et Manuello
et Nevi, précité, §§ 50-53). Or, tout
en relevant que dans le cas d’espèce
les parents de l’enfant ont été déchus
de leur autorité parentale,
et même en l’absence d’une procédure officielle de prise en charge de l’enfant par
la requérante, la Cour note
que cette dernière s’est occupée d’elle depuis sa naissance, qu’un lien interpersonnel étroit s’était développé et que la requérante s’est comportée à tous égards comme
sa mère (Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg,
no 76240/01, § 117, 28 juin
2007 ; pour le lien entre la famille
d’accueil et les
enfants voir Moretti et Benedetti c.
Italie, no 16318/07, §§ 49-50, 27 avril
2010, Kopf et Liberda c. Autriche, no 1598/06, § 37, 17 janvier
2012 ; Antkowiak c. Pologne (dec.), n 27025/17, 22 mai 2018, et V.D. et autres c. Russie, no 72931/10, §§ 90-93, 9 avril
2019). Par conséquent la Cour
estime que, dans le cas d’espèce,
les relations entre la requérante et sa petite-fille sont en principe de même nature que les autres
relations familiales protégées
par l’article 8 de la Convention.
65. En outre,
elle estime que, devant les circonstances
qui lui sont soumises, sa tâche consiste à vérifier si les autorités nationales
ont pris toutes les mesures
que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour maintenir les liens entre
la requérante et la mineure
(Bondavalli c. Italie, no 35532/12, § 75, 17 novembre 2015) et à examiner la manière dont elles sont intervenues
pour faciliter l’exercice du droit de visite de l’intéressée tel que défini par les décisions de justice (Hokkanen c. Finlande, 23 septembre
1994, § 58, série A no 299‑A,
et Kuppinger c. Allemagne,
no 62198/11, § 105, 15 janvier 2015).
De plus, elle rappelle que,
dans une affaire de ce type,
le caractère adéquat d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre (Piazzi
c. Italie, no 36168/09, § 58, 2 novembre 2010) pour éviter que l’écoulement
du temps puisse avoir, à lui seul, des conséquences
sur la relation d’un parent avec
son enfant.
66. La Cour relève que, à
partir de 2016, au moment où
l’enfant a été placée dans un institut, la requérante
n’a cessé de demander au tribunal l’organisation
de rencontres, mais qu’elle
n’a pas pu exercer son droit de visite nonobstant les décisions rendues par cette juridiction (paragraphes 25 et 30 ci-dessus).
67. La Cour
constate en effet que la requérante n’a pas réussi à rencontrer l’enfant, ni dans un premier temps – le juge des tutelles
ayant prononcé, par sa décision du 8 novembre 2016,
la suspension des rencontres en se fondant sur l’existence
d’un risque d’enlèvement de
l’enfant – ni dans
un deuxième temps – nonobstant une deuxième décision du tribunal,
en date du 6 décembre
2016, ordonnant l’organisation
des rencontres face à l’inaction des services sociaux à cet égard.
68. La Cour
note que, d’une part, dans
l’intervalle, l’équipe de prise
en charge psychologique qui
suivait l’enfant a souligné
qu’il n’y avait pas de signes en faveur d’un éventuel enlèvement de celle-ci tel que mis
en évidence par la tutrice et que,
d’autre part, la psychologue
assurant le suivi de la mineure depuis plusieurs années a rendu un rapport qui faisait état d’un mal‑être de cette dernière à raison de la longue interruption des contacts avec
la requérante et qui préconisait
l’organisation des rencontres dans l’intérêt de l’enfant et de son bien-être
psychologique.
69. La Cour
note que, même si les rencontres n’avaient jamais eu lieu, le 8 février 2017, le tribunal a fait droit à la demande de la tutrice d’en suspendre
l’organisation jusqu’à la finalisation de l’expertise, qui a pris
fin en juin 2017, et que,
par après, la requérante a déposé deux demandes
devant le tribunal, respectivement les 11 juillet et 16 novembre 2017, sans succès.
70. La
Cour observe que, par la suite, l’enfant a été
déclarée adoptable et le droit de visite de la requérante
a été suspendu.
71. La Cour
rappelle qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à
celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures
qui auraient dû être prises, car ces autorités sont
en principe mieux placées
pour procéder à une telle évaluation, en particulier parce qu’elles sont en contact direct avec le contexte de l’affaire et les parties impliquées (Reigado Ramos, précité,
§ 53). Pour autant, elle ne peut
en l’espèce ignorer les faits précédemment
exposés (paragraphes 66-70 ci-dessus). En particulier, elle
note que la requérante n’a cessé de tenter de reprendre des contacts
avec l’enfant depuis le
placement de cette dernière
en institut et que, malgré les différentes décisions du tribunal,
elle n’a pas pu exercer son droit de visite.
72. Certes,
la Cour reconnaît que les autorités
étaient confrontées en l’espèce à une situation très
difficile qui découlait notamment
du risque d’enlèvement allégué, en particulier par la tutrice, et de ses
implications pour les modalités de déroulement des rencontres. Toutefois, elle note qu’à cet égard, à deux
reprises, le tribunal a demandé
aux services sociaux d’organiser les rencontres
selon des modalités visant à garantir l’anonymat du lieu
de placement de l’enfant, mais que les services sociaux n’ont jamais donné
suite à ses injonctions (Jansen
c. Norvège, no 2822/16, § 102, 6 septembre
2018).
73. La Cour
estime que les autorités n’ont pas fait
preuve de la diligence qui s’imposait
en l’espèce et qu’elles sont restées en deçà de ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles. Elle estime, en particulier, que les services sociaux n’ont pas
pris les mesures appropriées pour créer les conditions
nécessaires à la pleine réalisation
du droit de visite de la requérante (Bondavalli, précité,
§ 81, Macready c. République tchèque, nos 4824/06 et 15512/08, § 66, 22 avril
2010, Piazzi, précité, § 61, et Strumia, précité).
74. La Cour
note que les juridictions internes n’ont pas pris
rapidement des mesures concrètes et utiles visant à l’instauration de contacts effectifs entre la requérante et l’enfant et qu’elles
ont ensuite « toléré », pendant un certain temps, que l’intéressée ne puisse pas voir
la mineure. Elle constate en particulier
que le tribunal a décidé de suspendre le droit de visite de la requérante dans l’attente du dépôt du
rapport d’expertise alors qu’aucune
visite n’avait jamais été organisée.
75. Or, bien
que l’arsenal juridique prévu par le droit italien semble
suffisant, aux yeux de la Cour, pour permettre à l’État défendeur d’assurer le respect des obligations
positives qui découlent
pour lui de l’article 8 de la Convention, force est
de constater que les autorités ont
laissé se consolider,
pendant un certain temps,
une situation de fait mise en place au mépris des
décisions judiciaires, sans
prendre en compte les effets à long terme susceptibles d’être engendrés par une séparation
permanente entre l’enfant concerné et la personne chargée de s’en occuper, en l’occurrence la requérante.
76. Eu égard à ce
qui précède et nonobstant
la marge d’appréciation de
l’État défendeur en la matière, la Cour considère que les
autorités nationales n’ont pas déployé
les efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de visite de la requérante
et qu’elles ont méconnu le droit de l’intéressée au respect
de sa vie familiale.
77. Partant, il y a eu violation
de l’article 8 de la Convention.
- SUR LA
VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC
L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
78. La
requérante se plaint que le traitement litigieux subi à partir de mars 2016, qu’elle qualifie d’illégal, est dû à la stigmatisation de la famille rom de l’enfant.
Elle invoque
l’article 14 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la
langue, la religion, les
opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine
nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance
ou toute autre situation. »
- Sur la recevabilité
79. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour
le déclare recevable.
- Sur le fond
- Thèses des parties et observations
du tiers intervenant
a) La requérante
80. La requérante
soutient que l’on se trouve face à une « discrimination ouverte et avouée ». Elle expose que l’établissement de la preuve de l’existence d’une discrimination est toujours très difficile, puisque le discriminant veillerait à éviter de faire référence à la vraie motivation de l’action discriminatoire
et que la discrimination revêtirait systématiquement des formes subtiles
et insidieuses.
81. La requérante
affirme qu’à partir de mars 2016 le « virus des préjugés raciaux »
s’est engouffré dans une procédure qui, d’après elle, pouvait jusqu’alors être considérée comme un exemple très positif d’action publique de soutien à une famille en difficulté.
82. Elle assure
qu’il n’y avait aucun motif
réel ou soupçon
raisonnable de craindre l’enlèvement de la mineure : selon elle, c’est la perception subjective discriminatoire de la tutrice qui a été
déterminante à cet égard. Il serait question, en l’espèce, de « profilage racial
». Ce « virus des préjugés raciaux » aurait rendu possible
l’éloignement de l’enfant de l’intéressée
et l’interdiction de tout contact
entre elles alors que les
rapports des services sociaux
et des psychologues auraient tous été
favorables. À cet égard, la requérante précise que l’assistante
sociale qui avait jusqu’alors
suivi la famille a été déchargée de sa mission en raison de son insistance concernant la réalisation des visites entre
elle et l’enfant.
83. La requérante
plaide que la demande de la tutrice (paragraphe 27
ci‑dessus), où le mot « rom » serait
explicitement lié au risque d’enlèvement,
constitue la preuve documentaire de l’existence d’une
discrimination fondée sur
l’origine ethnique. En l’espèce,
il n’y aurait pas eu de raisons
spécifiques pour considérer
le risque d’enlèvement ;
en particulier, lors de son
entretien avec le dernier expert mandaté, l’assistante sociale chargée de
l’affaire depuis l’éloignement
de la fillette aurait admis l’absence de raisons de craindre l’enlèvement de l’enfant.
84. La requérante
indique qu’il appartenait à l’État de renverser la présomption de discrimination, mais que la preuve en question n’a pas été fournie
par le Gouvernement : selon elle, ce dernier
s’est borné à se référer à des antécédents criminels, alors que le tribunal avait autorisé les visites tout en ayant conscience de ces antécédents. La seule raison pour l’ingérence contestée de l’État dans la
vie familiale de l’intéressée
reposerait sur la discrimination
pour des raisons ethniques.
85. La requérante
se réfère à l’arrêt Jansen,
précité pour affirmer
que sa séparation d’avec la mineure a aussi eu
comme conséquence d’éloigner l’enfant de son identité
rom.
86. La requérante
considère que le comportement adopté par les autorités à son endroit a eu pour effet de porter atteinte à sa dignité et de créer un environnement intimidant,
hostile, dégradant et humiliant pour elle, ce qui représenterait
un cas typique de harcèlement.
b) Le Gouvernement
87. Le Gouvernement
indique que le système juridique italien inclut le
principe de non-discrimination parmi les principes
généraux concernant
l’adoption. Il précise qu’il
s’agit d’un aspect spécifique du principe fondamental d’égalité de l’article
3 de la Constitution.
88. Ensuite,
le Gouvernement soutient que l’allégation de la requérante quant à l’existence d’une discrimination
n’est pas fondée. À cet égard, il dit
que le mot « discrimination » signifie « distinction faite à la suite d’un jugement ou d’une classification » et
que, en l’espèce, la requérante se plaint effectivement de l’absence d’une justification « objective et
raisonnable » et impute
les décisions prises par les autorités à l’origine ethnique de
son mari. Or, selon lui, les
décisions en cause ont un fondement différent et une justification solide qui n’est pas
liée à l’origine ethnique du mari de la requérante et de sa
famille.
Toutes les décisions
concernant la mineure auraient été prises
sur la base des expertises menées
sur l’enfant et la requérante.
89. Le Gouvernement
argue que l’évaluation négative de l’impact des rencontres entre la requérante et l’enfant
sur la croissance harmonieuse
de cette dernière a été forgée sur la base de
l’environnement criminel faisant
office de cadre de vie pour la mineure
et de la pathologie développée
par celle-ci (trouble de l’attachement
d’ordre émotionnel) compte tenu de sa relation « dysfonctionnelle » avec sa grand‑mère.
c) Le tiers intervenant
90. Le Centre européen des droits des
Roms mentionne l’existence d’une situation générale
de racisme institutionnel contre la minorité rom et affirme qu’un « antitsiganisme » institutionnel
prévaut dans le système social italien, consistant à permettre le
placement d’enfants roms en foyer suivi
de la déclaration de ces mineurs comme étant
en état d’abandon et adoptables en Italie. Il insiste sur l’existence
de stéréotypes raciaux persistants en Europe à propos des Roms, décrits
comme enlevant des enfants. Il invite la Cour à utiliser le terme « antitsiganisme » pour évoquer les formes
de discrimination visant les Roms. Il poursuit
en exposant ce qui suit :
il ressort d’une enquête menée en 2011 sur les discriminations dans les foyers pour enfants dans différents pays d’Europe qu’en Italie, où les Roms représentent
0,23 % de la population, 10,4 % des enfants placés en foyer sont des enfants roms ; concernant l’Italie, cette enquête a révélé l’existence de comportements discriminatoires au sein du système,
y compris d’idées reçues parmi les
assistants sociaux italiens qui seraient responsables du placement
d’enfants en foyer au motif
d’une incapacité de leurs familles à les élever et à les éduquer correctement ; le
rapport rendu à l’issue de cette enquête a mis en lumière le fait que les tribunaux
et les acteurs impliqués dans le système de placement d’enfants roms
en foyer ont concouru à l’existence de ce stéréotype inopportun, contribuant ainsi à ce que de nombreux mineurs d’origine rom soient enlevés à leurs familles et placés en foyer d’adoption.
- Appréciation de
la Cour
a) Principes
généraux
91. La Cour
rappelle que la discrimination consiste à traiter
de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées
dans des situations
comparables (voir Willis c. Royaume-Uni, no 36042/97, § 48, CEDH 2002-IV). La discrimination
fondée, entre autres, sur l’origine ethnique
d’une personne est une forme de discrimination
raciale (D.H. et autres c. République tchèque [GC],
no 57325/00, § 176 CEDH 2007‑IV.) La discrimination raciale est une
forme de discrimination particulièrement
odieuse et, et, compte tenu de ses conséquences
dangereuses, elle exige une
vigilance spéciale et une réaction vigoureuse de la part des autorités. C’est pourquoi celles-ci doivent recourir à tous les moyens
dont elles disposent pour combattre le racisme, en renforçant ainsi la conception que la démocratie a de la société, y percevant la diversité non pas comme une menace
mais comme une richesse (Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 145, CEDH 2005‑VII; et Timichev c. Russie, no 55762/00 et 55974/00, § 56, CEDH 2005).
92. La Cour
a également jugé qu’aucune différence de traitement fondée exclusivement ou dans une mesure déterminante sur l’origine ethnique
d’un individu ne peut passer pour justifiée dans une société démocratique contemporaine (D.H.
et autres, précité § 176 ; Timichev, précité, § 58).
93. En
ce qui concerne la charge de la preuve en la matière, la Cour a déjà jugé
que, quand un requérant a établi l’existence d’une différence de traitement, il incombe au Gouvernement de démontrer que cette différence
de traitement était justifiée (D.H. et autres,
précité, § 177).
94. Quant
aux moyens de preuve susceptibles de constituer un tel commencement de preuve et, partant, de transférer la charge de la preuve à l’Etat défendeur, la Cour a relevé (Natchova et autres,
précité, § 147) que, dans le cadre de la procédure devant elle, il n’existait aucun obstacle procédural à la recevabilité d’éléments de preuve ni de formules prédéfinies applicables à leur appréciation. En effet, la Cour adopte les conclusions
qui, à son avis, se trouvent étayées par une évaluation indépendante de
l’ensemble des éléments de preuve, y compris les déductions qu’elle peut tirer
des faits et des observations des parties. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour,
la preuve peut ainsi résulter d’un faisceau d’indices ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. En outre, le degré de conviction nécessaire
pour parvenir à une conclusion
particulière et, à cet égard, la répartition de la charge de la preuve sont intrinsèquement liés à la spécificité des faits, à la nature de l’allégation formulée et au droit conventionnel
en jeu (D.H. et autres, précité §178).
b) Application de ces
principes au cas d’espèce
95. La Cour
note en l’espèce que les juridictions internes ont procédé
au placement de la petite-fille
de la requérante en se basant
sur les expertises qui avaient
constaté l’incapacité de cette dernière à exercer son rôle parental et les difficultés de l’enfant qui grandissait dans un environnement
criminel (paragraphes 23 et
34 ci-dessus) et présentait
des troubles de l’attachement. À la suite du
placement de la mineure en institut, le tribunal a ordonné à deux reprises le maintien des contacts entre
la requérante et l’enfant.
96. La Cour
observe également que la tutrice de l’enfant avait demandé au juge
des tutelles la suspension des contacts en raison d’un risque d’enlèvement de l’enfant
par la communauté rom, sa communauté
d’appartenance. Si dans un
premier temps le juge des tutelles, agissant
à titre provisoire, a fait droit à la demande de la tutrice en ordonnant
la suspension des rencontres et en prévoyant des mesures provisoires
de nature à prévenir un enlèvement
de la mineure, le tribunal,
dans l’examen du fond de l’affaire, a modifié sa décision et a ordonné aux autorités
compétentes de s’assurer que les rencontres
avec l’enfant pussent se dérouler en veillant à la préservation de l’anonymat du lieu de placement de cette dernière (voir a contrario Jansen, précité, § 102).
97. Quant
au fait que
les contacts, même si ordonnés par le tribunal, n’ont pas eu lieu,
la Cour note qu’il s’agit d’un défaut d’organisation des visites par les services sociaux et rappelle avoir conclu à un constat de violation de l’article 8 de la Convention à raison
de l’absence d’efforts adéquats et suffisants déployés par les autorités nationales pour faire respecter le droit de visite de la requérante
(paragraphes 76-77 ci-dessus).
La Cour relève également que ces
retards, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence (Piazzi, précité, Lombardo,
précité, Nicolò Santilli, précité, Bondavalli, précité,
§ 90, Strumia, précité, Solarino
c. Italie, no 76171/13, 9 février
2017, Endrizzi c. Italie, no 71660/14, 23 mars 2017) montrent l’existence d’un problème systémique en Italie.
98. Dans
la mesure où la tierce partie s’est référé à une enquête de 2011 (paragraphe 90 ci-dessus) qui montrerait un nombre élevé d’enfants rom placés en
Italie, la Cour ne peut perdre de vue que
son seul souci est de déterminer si, en l’espèce, le
placement de l’enfant et la non-exécution du droit de visite de la requérante ont été motivés par l’origine ethnique de l’enfant et sa famille
(voir Mižigárová
c. Slovaquie, no 74832/01, § 117, 14 décembre
2010 et Natchova, précité, § 155). La Cour
note que le placement a été motivé en raison
de l’intérêt supérieur de
la fillette d’être éloignée d’un milieu où elle était fortement pénalisée sous différents points de vue et également en raison de l’incapacité de la requérante à exercer un rôle parental (paragraphes 23 et 36 ci-dessus). Aucune motivation liée à l’origine ethnique de
l’enfant et de sa famille n’a été
invoquée par les juridictions internes pour justifier son placement.
99. Quant
au rôle de la tutrice, si
la Cour estime que ses considérations
sont le reflet de préjugés et ne peuvent passer pour une formulation malheureuse appelant des critiques sérieuses,
elles sont en soi une base insuffisante pour conclure que les
décisions de juridictions étaient motivées par l’origine ethnique de l’enfant et de sa famille.
A cet égard la Cour réitère que
même si le juge des tutelles
a fait provisoirement droit à la demande de la tutrice
en ordonnant la suspension des rencontres et en prévoyant des mesures
provisoires de nature à prévenir
un enlèvement de la mineure,
cette décision a été par la suite modifiée par le tribunal (paragraphe 96 ci-dessus).
100. Partant,
la Cour estime qu’il n’y a pas
eu violation de l’article 14 de la Convention combiné
avec l’article 8 de la
Convention.
- SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
101. La requérante
se plaint de ne pas disposer d’un recours effectif qui lui permettrait de faire valoir son grief fondé sur l’article 8. Elle invoque l’article 13 de la Convention, ainsi
libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit
à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que
la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
102. Compte
tenu de la conclusion à laquelle elle est parvenue au sujet de l’article
8 de la Convention (paragraphes 76-77 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y
a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 13.
- SUR L’APPLICATION
DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
103. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il
y a eu violation de la
Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il
y a lieu, une satisfaction équitable. »
- Dommage moral
104. La requérante
sollicite 50 000 euros
(EUR) pour le dommage moral qu’elle
dit avoir subi à raison de l’interruption de contacts avec la mineure.
105. Le Gouvernement
s’oppose à cette prétention, dont il demande le rejet.
106. Tenant
compte des circonstances de l’espèce, la Cour considère que l’intéressée a subi un préjudice moral qui ne saurait être réparé
par le seul constat de violation de l’article 8 de la
Convention. Elle estime toutefois
que la somme réclamée à ce titre est exagérée. Eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose,
et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle alloue
à l’intéressée la somme de
4 000 EUR pour préjudice moral.
- Frais et dépens
107. Justificatifs
à l’appui, la requérante
réclame 17 091 EUR au titre
des frais et dépens engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour.
108. Le Gouvernement s’oppose
à cette prétention.
109. Selon
la jurisprudence de la Cour,
un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens
que dans la mesure où se trouvent
établis leur réalité, leur nécessité
et le caractère raisonnable
de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents
dont elle dispose et des critères
susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante la somme de 10 000 EUR au
titre des frais et dépens engagés aux fins
de la procédure menée devant elle.
- Intérêts moratoires
110. La Cour
juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires
sur le taux d’intérêt de la
facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À
L’UNANIMITÉ,
- Déclare la requête recevable ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de
la Convention ;
- Dit qu’il n’y a pas eu violation
de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 de la Convention ;
- Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief formulé sur le terrain de l’article 13 de la Convention ;
- Dit,
a) que l’État défendeur
doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2
de la Convention, les sommes
suivantes :
- 4 000 EUR (quatre mille euros), plus
tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral,
- 10 000 EUR
(dix mille euros), plus tout montant
pouvant être dû sur cette somme par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette
période, augmenté de trois points de pourcentage ;
- Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 janvier 2021, en
application de l’article 77 §§ 2
et 3 du règlement.
Abel Campos KsenijaTurković
Greffier Présidente