Cour européenne des droits de
l’homme
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE G.L.
c. ITALIE
(Requête no 59751/15)
ARRÊT
Art 14
(+ Art 2 P1) • Discrimination • Droit à l’instruction • Impossibilité pour une
enfant autiste de bénéficier d’un soutien scolaire spécialisé, prévu par la
loi, pendant ses deux premières années d’école primaire • Droit interne
prévoyant l’éducation inclusive des enfants handicapés au sein des écoles
ordinaires avec le soutien de professionnels spécialisés • Loi interne
prévoyant de façon abstraite la mise en place d’« aménagements » raisonnables
mais absence de précision sur leur mise en œuvre concrète • Art 14 interprété à
la lumière de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes
handicapées et de textes européens • Différence de traitement due au handicap
de la requérante • Invocation d’un manque de ressources budgétaires • Absence
de détermination par les autorités nationales des véritables besoins de la
requérante et des solutions susceptibles d’y répondre afin de lui permettre de
fréquenter l’école primaire dans des conditions équivalentes dans la mesure du
possible à celles bénéficiant aux autres enfants, sans pour autant imposer à
l’administration une charge disproportionnée ou indue • Discrimination grave vu
l’importance de l’enseignement primaire • Absence de diligence requise de la
part les autorités nationales
STRASBOURG
10 septembre 2020
Cet arrêt est devenu définitif en
vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de
forme.
En l’affaire G.L. c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme
(première section), siégeant en une Chambre composée de :
Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Aleš Pejchal,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski,
Raffaele Sabato, juges,
et de Abel Campos, greffier de
section,
Vu la
requête susmentionnée (no 59751/15) dirigée contre la République italienne et dont
une ressortissante de cet État, Mlle G.L. (« la requérante »), a
saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »)
le 24 novembre 2015,
Vu la décision de la présidente de la
section de ne pas dévoiler l’identité de la requérante (article 47 § 4 du
Règlement de la Cour),
Notant que le 16 mars 2017 la
requête a été communiquée au Gouvernement,
Après en avoir délibéré en chambre du
conseil le 7 juillet 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. L’affaire concerne
l’impossibilité pour la requérante, une jeune fille autiste
non verbale aujourd’hui âgée de treize ans, de bénéficier d’un
soutien scolaire spécialisé pendant ses deux premières années d’école primaire
(2010/2011 et 2011/2012).
EN FAIT
2. La requérante est née en
2004 et réside à Eboli. Elle a été représentée devant la Cour par
M. A.L. (son père) et par Me M.E. D’Amico, avocat à Milan.
3. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son
ancien agent, Mme E. Spatafora, et son ancien coagent,
Mme P. Accardo.
4. La requérante a été
diagnostiquée autiste non verbale.
5. À partir de son entrée à l’école maternelle en 2007, elle bénéficia en raison de
son handicap, conformément à l’article 13 de la loi no 104 de 1992,
d’un accompagnement de vingt-quatre heures par semaine fourni par un enseignant
de soutien, et d’une assistance spécialisée.
6. Le
service d’assistance spécialisée a pour but d’aider les enfants
handicapés à développer leur autonomie et leurs facultés de communication
personnelle et d’améliorer leur apprentissage, leur vie relationnelle et leur
intégration scolaire, afin d’éviter qu’ils ne soient marginalisés. Ainsi,
l’assistant spécialisé était chargé d’améliorer l’inclusion et la socialisation
de la requérante à l’école et dans la classe, ainsi que son autonomie (voir
paragraphe 18 ci-dessous).
7. Pendant sa première année
d’école primaire (2010-2011), la requérante ne bénéficia plus de cette
assistance spécialisée. À l’issue de l’année scolaire, il fut décidé qu’elle
redoublerait le cours préparatoire (« CP »).
8. Le 10 août 2011, dans
la perspective de la rentrée scolaire, les parents de la requérante demandèrent
à la mairie d’Eboli de faire en sorte que leur fille bénéficie de
l’assistance spécialisée prévue par l’article 13 de la loi no 104 de
1992. En l’absence de réponse des autorités municipales, ils réitérèrent leur
demande le 30 janvier 2012.
9. Le 21 février 2012,
compte tenu du silence de l’administration, les parents de la requérante
demandèrent l’accès au dossier de leur fille.
10. À partir de janvier 2012,
ils payèrent une assistance spécialisée privée pour que leur fille puisse
bénéficier d’un accompagnement scolaire malgré tout.
11. Le 19 mars 2012,
l’administration leur fit savoir qu’il serait difficile de remettre en place
une assistance spécialisée publique, celle-ci n’ayant été prévue que jusqu’à la
fin de l’année 2011, mais que l’on pouvait cependant espérer que la requérante
en bénéficierait à un bref délai – ce qui n’advint pas.
12. Le Gouvernement affirme
que la requérante a reçu un soutien pris en charge par l’école. À cet égard, il
produit un document signé par le directeur de l’établissement, où il est indiqué que, la requérante n’ayant pas pu bénéficier
de services éducatifs spécialisés pendant les années 2010-2011 et 2011-2012,
l’école lui a fourni une assistance de base et une aide physique, et a chargé
certains de ses employés d’apporter une aide matérielle aux enseignants. À
l’appui de ses dires, le Gouvernement joint une facture de
476,56 euros (EUR).
13. La requérante estime
que les documents communiqués par le Gouvernement ne permettent pas
d’établir la véracité de ces allégations. Elle observe d’abord que ces
documents ne précisent pas quel type d’assistance a été fournie, quelles
activités ont été réalisées, ni si les personnes concernées étaient compétentes
et qualifiées pour s’occuper d’un enfant autiste. Ensuite, elle considère que
le montant des dépenses attestées (476,56 EUR pour six employés, soit un
coût moyen de 80 EUR par employé et par an) démontre que le soutien en
question ne peut assurément pas être considéré comme permanent.
14. Le 15 mai
2012, les parents de la requérante, agissant en son nom et pour son
compte, saisirent le tribunal administratif de la région de Campanie (« le TAR »). Se plaignant de l’impossibilité pour
leur fille de bénéficier de l’assistance spécialisée à laquelle elle avait
droit en vertu de l’article 13 de la loi no 104 de 1992, ils priaient
le tribunal de constater le non-respect de ce droit et de condamner
l’administration à indemniser leur fille.
15. Par un jugement du
27 novembre 2012, le TAR rejeta ce recours. Il estima que la municipalité
avait engagé les démarches nécessaires à temps et tint compte de ce que la
région avait dû faire face à une réduction des
ressources allouées par l’État.
16. Les parents de la
requérante contestèrent ce jugement devant le Conseil d’État. Par un arrêt
déposé au greffe le 26 mai 2015, celui-ci rejeta leur recours. Il estima
que la demande d’indemnisation était vague et ne faisait pas apparaître de lien
de causalité entre l’absence d’assistance spécialisée et le dommage allégué. Il
jugea également que la responsabilité de la région ne pouvait être engagée,
celle-ci ayant dû faire face à une réduction des
ressources allouées par l’État. Il considéra qu’il n’y avait pas lieu
d’accorder aux parents de la requérante le remboursement des frais qu’ils
avaient dû engager pour payer une assistance spécialisée privée, aucune faute
n’étant imputable à l’administration. Enfin, pour ce qui était de la demande de
condamnation de la commune d’Eboli à fournir l’assistance prévue par la
loi, il rappela que le juge ne pouvait adresser à l’administration une
injonction de faire que lorsque l’affaire relevait de la
compétence exclusive de la juridiction administrative, ce qui n’était pas
le cas en l’espèce.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE
PERTINENTE
- LE DROIT ET LA
PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
- Le régime juridique interne
17. L’article 38
de la Constitution énonce que les personnes handicapées ont droit à l’éducation
et à la formation professionnelle.
18. La loi-cadre no 104 du
5 février 1992 pour l’assistance aux personnes handicapées, leur
intégration sociale et la protection de leurs droits (« la
loi no 104 de 1992 ») renferme les dispositions suivantes :
Article 3 – Titulaires du droit
« 1. Par personne handicapée, on entend
toute personne présentant une déficience physique, psychique ou sensorielle,
stabilisée ou progressive, qui cause des difficultés dans l’apprentissage, les
relations avec autrui ou l’intégration professionnelle, et qui conduit à un désavantage social ou à une marginalisation.
(...) »
Article 8 – Intégration et
insertion sociale
« L’intégration et l’insertion sociale de la personne handicapée
sont assurées par :
(...)
d) des mesures rendant
effectifs le droit à l’information et le droit à l’éducation de la personne
handicapée, notamment en ce qui concerne les équipements pédagogiques et techniques,
les programmes, les langues de spécialité, les tests d’évaluation et la
disponibilité de personnel spécialement qualifié, tant enseignant que non
enseignant.
(...) »
Article 12 – Droit à l’éducation
et à l’instruction
« (...)
2. Le droit des personnes
handicapées à l’éducation et à l’instruction est garanti dans toutes les
sections de l’école maternelle, dans les classes ordinaires des établissements
scolaires de tous les niveaux et dans les établissements universitaires.
3. L’intégration scolaire a
pour objectif le développement du potentiel de la personne handicapée dans les
domaines de l’apprentissage, de la communication, des relations avec autrui et
de la socialisation.
4. L’exercice du droit à
l’éducation et à l’instruction ne doit pas être entravé par des difficultés
d’apprentissage ou d’autres difficultés résultant d’un trouble lié au handicap.
(...) »
Article 13 – Intégration
scolaire
« 1. L’intégration scolaire des personnes
handicapées dans les sections [des écoles maternelles] et les classes
ordinaires des établissements scolaires de tous les niveaux ainsi que dans les
établissements universitaires est notamment assurée, sans préjudice des
dispositions des lois no 360 du 11 mai 1976 et no 517 du
4 août 1977 et de leurs modifications ultérieures, par les moyens
suivants.
a) Coordination entre les
services scolaires, les services sanitaires, sociaux, culturels, récréatifs et
sportifs et les autres services territoriaux administrés par des organismes
publics ou privés. À cette fin, les collectivités locales, les organes
scolaires et les unités sanitaires locales concluent, dans le cadre de leurs
compétences respectives, les accords de programme visés à l’article 27 de
la loi no 142 du 8 juin 1990. Ces accords, dont la conclusion relève
de lignes directrices fixées dans un délai de trois mois à compter de l’entrée
en vigueur de la présente loi par un arrêté pris par le ministre de l’Éducation
nationale en accord avec le ministre des Affaires sociales et le ministre de la
Santé, ont pour finalités l’élaboration, la mise en œuvre et la vérification
conjointe de projets individualisés d’éducation, de réadaptation et de
socialisation, ainsi que l’intégration entre les activités scolaires et les
activités extrascolaires. Ils prévoient également les conditions auxquelles
doivent répondre les organismes publics et privés pour participer à des
activités de collaboration coordonnées.
b) Fourniture aux écoles et
aux universités d’équipements techniques, de matériel pédagogique et de toute
forme d’assistance technique, indépendamment de toute assistance générale et
fonctionnelle éventuellement garantie au niveau individuel aux fins de
l’exercice effectif du droit à l’éducation, notamment dans le cadre d’accords
passés avec des centres spécialisés aux fins de la fourniture par ceux-ci de
conseils pédagogiques et de matériel pédagogique spécial produit ou adapté par
leurs soins.
(...)
2. Aux fins visées au
paragraphe 1, les collectivités et les unités sanitaires locales peuvent
également décider d’adapter l’organisation et le fonctionnement des crèches aux
besoins des enfants handicapés, afin d’engager de manière précoce le processus
de réadaptation, de socialisation et d’intégration, et y affecter du personnel
enseignant, des opérateurs et des assistants spécialisés.
3. Sans préjudice de
l’obligation pour les collectivités locales, en vertu du décret présidentiel
no 616 du 24 juillet 1977 et de ses modifications ultérieures, de
fournir aux élèves en situation de handicap physique ou sensoriel une
assistance à l’autonomie et à la communication personnelle[1], l’accès de
ces élèves aux activités de soutien est garanti dans les écoles de tous les
niveaux par l’affectation d’enseignants spécialisés.
4. Les postes d’enseignants
de soutien dans l’enseignement secondaire sont répartis au sein du personnel en
service à la date d’entrée en vigueur de la présente
loi de manière à assurer un ratio au moins égal à celui prévu pour les autres
niveaux d’enseignement, dans la limite de la disponibilité des ressources
financières visées à l’article 42, paragraphe 6, lettre h.
(...)
6. L’enseignant de soutien[2] partage avec l’enseignant de la section ou de la
classe dans laquelle il opère la responsabilité des élèves et
à ce titre, il participe à la conception des activités éducatives et
pédagogiques ainsi qu’à l’élaboration et à la vérification des activités
relevant de la compétence des conseils interclasses, des conseils de classe et
des équipes pédagogiques.
(...) »
- La
jurisprudence pertinente de la Cour de cassation
19. La Cour de cassation, siégeant en
chambres réunies, a rendu en la matière les arrêts suivants, dont les extraits
pertinents sont reproduits.
Arrêt no 25011 du 25 novembre 2014 :
«En ce qui concerne le soutien aux
élèves en situation de handicap, le plan éducatif
individualisé défini conformément à l’article 12 de la loi no 104 du
5 février 1992 oblige l’administration scolaire à garantir la fourniture
du nombre d’heures de soutien programmé, il ne lui laisse pas le pouvoir
discrétionnaire d’appliquer la mesure de manière réduite pour cause de
ressources insuffisantes, pas même dans les écoles maternelles bien qu’elles ne
relèvent pas de l’enseignement obligatoire. Ainsi, le fait pour
l’administration de ne pas assurer la fourniture du soutien prévu dans le plan
restreint le droit de la personne handicapée à l’égalité des chances dans le
bénéfice du service scolaire et, si elle ne s’accompagne pas d’une réduction
correspondante de l’offre éducative destinée aux élèves non handicapés, cette
restriction est constitutive d’une discrimination indirecte, dont la répression
relève de la compétence des juridictions civiles »
Arrêt no 25101 du 8 octobre 2019 :
« Lorsque, avec l’aide des enseignants de l’école d’accueil
et des agents de santé publique, on a élaboré un plan éducatif individualisé
fixant le nombre d’heures de soutien scolaire nécessaires pour l’élève qui se
trouve dans une situation de handicap particulièrement grave, l’administration
scolaire n’a pas le pouvoir discrétionnaire de remodeler ou de sacrifier
unilatéralement, pour cause d’insuffisance de ressources, les mesures de
soutien supplémentaire déterminées dans ce plan. Elle est donc tenue d’affecter
au soutien de l’élève concerné du personnel enseignant spécialisé, en recourant
si nécessaire à la création d’un poste de soutien par dérogation au ratio
élèves-enseignant. S’il est établi qu’elle a manqué, totalement ou
partiellement, à fournir les prestations nécessaires, le droit fondamental de
la personne handicapée se trouve restreint et, si l’offre de formation destinée
aux élèves [non handicapés] n’est pas réduite de manière équivalente, la
situation est constitutive d’une discrimination indirecte, prohibée par
l’article 2 de la loi no 67 de 2006. En effet, la discrimination
indirecte peut aussi découler d’une omission de l’administration publique responsable
de l’organisation du service scolaire, qui désavantage l’élève handicapé par
rapport aux autres élèves. La compétence en la matière appartient donc au juge
civil, et le demandeur n’a pas à plaider expressément dans sa demande de
protection l’existence d’un comportement discriminatoire de la part de
l’administration concernée »
Arrêt no 9966 du 20 avril 2017, où
la Cour de cassation a réaffirmé la conclusion de l’arrêt no 25011 du
25 novembre 2014 et précisé ceci :
« (...) l’école privée est tenue de fournir aux élèves
handicapés de manière égale les mêmes services de soutien que ceux fournis par
l’école publique. Les subventions allouées par l’État ne couvrent que
partiellement le coût de ces services. Ainsi, la discrimination indirecte,
imputable à l’administration de l’État, consiste en non-respect de l’obligation
de fournir les subventions susmentionnés entraînant une réduction du service
éducatif et social offert par l’école privée, et non pas en refus d’assumer la
totalité de la charge de ce service, ce à quoi l’administration n’est pas tenue. »
- LE DROIT ET LA
PRATIQUE INTERNATIONAUX
20. Les textes internationaux
pertinents en l’espèce sont décrits dans l’arrêt Çam c. Turquie (no 51500/08, §§ 37‑38,
23 février 2016 ; voir aussi, à titre
complémentaire, Zehnalová et Zehnal c. République
tchèque (déc.), no 38621/97, CEDH 2002‑V, Mółka c. Pologne (déc.),
no 56550/00, CEDH 2006‑IV, et Farcaş c. Roumanie (déc.),
no 32596/04, §§ 68‑70, 14 septembre 2010).
- Le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
21. L’article 13 du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dispose que :
« Les Etats parties au présent Pacte
reconnaissent le droit de toute personne à l’éducation. Ils conviennent que
l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du
sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l’homme et des
libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l’éducation doit mettre
toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre,
favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations
et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le
développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
Il est également prévu à l’article 2 § 2 :
« (...) les droits énoncés dans cet instrument seront
exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la
langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine
nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».
22. Dans son Observation
générale no 5 : Personnes souffrant d’un handicap,
E/1995/22, du 9 décembre 1994, le Comité des droits économiques, sociaux
et culturels des Nations unies a expressément déclaré :
« III. Obligation d’éliminer la
discrimination pour raison d’invalidité
15. Aussi bien de jure que de facto, les
personnes souffrant d’un handicap font depuis toujours l’objet d’une
discrimination qui se manifeste sous diverses formes – qu’il s’agisse des
tentatives de discrimination odieuse, telles que le déni aux enfants souffrant
de handicap de la possibilité de suivre un enseignement, ou des formes plus
subtiles de discrimination que constituent la ségrégation et l’isolement
imposés matériellement ou socialement. Aux fins du Pacte, la «
discrimination fondée sur l’invalidité » s’entend de toute distinction,
exclusion, restriction ou préférence motivée par une invalidité, ou la
privation d’aménagements adéquats ayant pour effet de réduire à néant ou de
restreindre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits
économiques, sociaux ou culturels. Ce sont aussi bien la négligence,
l’ignorance, les préjugés et les idées fausses que l’exclusion, la
différenciation ou la ségrégation pures et simples, qui bien souvent empêchent
les personnes souffrant d’un handicap de jouir de leurs droits économiques, sociaux
ou culturels sur un pied d’égalité avec le reste des êtres humains. C’est dans
les domaines de l’éducation, de l’emploi, du logement, des transports, de la
vie culturelle et en ce qui concerne l’accessibilité des lieux et services
publics que les effets de cette discrimination se font particulièrement sentir. »
23. Le Comité des droits
économiques, sociaux et culturels des Nations unies a réaffirmé son Observation
générale no 5 dans son Observation générale no 20 : La
non-discrimination dans l’exercice des droits économiques, sociaux et
culturels, E/C.12/GC/20, du 2 juillet 2009, dans les termes suivants :
« B. Toute autre situation
24. La discrimination varie
selon les contextes et les époques. La catégorie « toute
autre situation » doit donc être appréhendée de façon souple afin de rendre
compte d’autres formes de traitement différencié qui n’ont pas de justification
raisonnable et objective et sont comparables aux motifs que le paragraphe 2 de
l’article 2 cite expressément. Ces motifs supplémentaires sont généralement
connus lorsqu’ils reflètent l’expérience de groupes sociaux vulnérables qui ont
été marginalisés ou continuent de subir une marginalisation. (...)
Le handicap
25. Dans son Observation
générale no 5, le Comité a défini la discrimination à l’égard des personnes
handicapées comme « toute distinction, exclusion,
restriction ou préférence motivée par une invalidité ou la privation
d’aménagements adéquats ayant pour effet de réduire à néant ou de restreindre
la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits économiques, sociaux
ou culturels ». La privation d’aménagements raisonnables devrait être insérée
dans la législation nationale en tant que forme interdite de discrimination
fondée sur le handicap. Les États parties doivent remédier à la discrimination
qui se manifeste par exemple par des interdictions de l’exercice du droit à
l’éducation, ou par l’absence d’aménagements raisonnables dans les lieux
publics tels que les établissements publics de santé et sur le lieu de travail
ainsi que dans les lieux privés ; en effet, si la conception et l’aménagement
du lieu de travail ne permettent pas l’accès des personnes en fauteuil roulant,
celles-ci ne peuvent exercer dans les faits leur droit au travail. »
- La Convention
des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées
26. Il convient de rappeler les passages
suivants de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (« CRDPH »), adoptée le 13 décembre 2006 par
l’Assemblée générale des Nations unies (Recueil des Traités des Nations unies,
vol. 2515, p. 3), signée le 30 mars 2007, puis ratifiée par
l’Italie le 15 mai 2009.
Article 2 – Définitions
« Aux fins de la présente Convention :
On entend par « communication »,
entre autres, les langues, l’affichage de texte, le braille, la communication
tactile, les gros caractères, les supports multimédias accessibles ainsi que
les modes, moyens et formes de communication améliorée et alternative à base de
supports écrits, supports audio, langue simplifiée et lecteur humain, y compris
les technologies de l’information et de la communication accessibles ;
On entend par « langue »,
entre autres, les langues parlées et les langues des signes et autres formes de
langue non parlée ;
On entend par « discrimination
fondée sur le handicap » toute distinction, exclusion ou restriction
fondée sur le handicap qui a pour objet ou pour effet de compromettre ou
réduire à néant la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, sur la base de
l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les
libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social,
culturel, civil ou autres. La discrimination fondée sur le handicap comprend
toutes les formes de discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable ;
On entend par « aménagement
raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés
n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des
besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la
jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les
droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ;
(...) »
Article 3 – Principes généraux
« Les principes de la présente Convention sont :
a) Le respect de la dignité intrinsèque,
de l’autonomie individuelle, y compris la liberté de faire ses propres choix,
et de l’indépendance des personnes ;
(...) »
Article 24 – Éducation
« 1. Les États parties reconnaissent le
droit des personnes handicapées à l’éducation. En vue d’assurer l’exercice de
ce droit sans discrimination et sur la base de l’égalité des chances, les États
parties font en sorte que le système éducatif pourvoie à l’insertion scolaire à
tous les niveaux et offre, tout au long de la vie, des possibilités d’éducation
qui visent :
a) le plein épanouissement du
potentiel humain et du sentiment de dignité et d’estime de soi, ainsi que le
renforcement du respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de
la diversité humaine ;
b) l’épanouissement de la
personnalité des personnes handicapées, de leurs talents et de leur créativité
ainsi que de leurs aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de
leurs potentialités ;
c) la participation effective
des personnes handicapées à une société libre.
2. Aux fins de l’exercice de
ce droit, les États parties veillent à ce que :
a) les personnes handicapées
ne soient pas exclues, sur le fondement de leur handicap, du système
d’enseignement général et à ce que les enfants handicapés ne soient pas exclus,
sur le fondement de leur handicap, de l’enseignement primaire gratuit et
obligatoire ou de l’enseignement secondaire ;
b) les personnes handicapées
puissent, sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les
communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et
gratuit, et à l’enseignement secondaire ;
c) il soit procédé à des
aménagements raisonnables en fonction des besoins de chacun ;
d) les personnes handicapées
bénéficient, au sein du système d’enseignement général, de l’accompagnement
nécessaire pour faciliter leur éducation effective ;
e) des mesures
d’accompagnement individualisé efficaces soient prises dans des environnements
qui optimisent le progrès scolaire et la socialisation, conformément à
l’objectif de pleine intégration.
3. Les États parties donnent
aux personnes handicapées la possibilité d’acquérir les compétences pratiques
et sociales nécessaires de façon à faciliter leur pleine et égale participation
au système d’enseignement et à la vie de la
communauté. À cette fin, les États parties prennent des mesures
appropriées, notamment :
a) facilitent l’apprentissage
du braille, de l’écriture adaptée et des modes, moyens et formes de
communication améliorée et alternative, le développement des capacités
d’orientation et de la mobilité, ainsi que le soutien par les pairs et le mentorat ;
(...) »
- Le Conseil
de l’Europe
27. La Charte sociale européenne révisée
(STE no 163), ouverte à la signature le 3 mai 1996 et ratifiée par
l’Italie le 5 juillet 1999, énonce notamment ceci :
Article 15 – Droit des personnes
handicapées à l’autonomie,
à l’intégration sociale et à la participation à la
vie de la communauté
« En vue de garantir aux personnes handicapées, quel que
soit leur âge, la nature et l’origine de leur handicap, l’exercice effectif du
droit à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de
la communauté, les Parties s’engagent notamment :
1. à prendre les mesures
nécessaires pour fournir aux personnes handicapées une orientation, une
éducation et une formation professionnelle dans le cadre du droit commun chaque
fois que possible ou, si tel n’est pas le cas, par le biais d’institutions
spécialisées publiques ou privées ;
(...)
3. à favoriser leur pleine
intégration et participation à la vie sociale, notamment par des mesures, y
compris des aides techniques, visant à surmonter des obstacles à la
communication et à la mobilité et à leur permettre d’accéder aux transports, au
logement, aux activités culturelles et aux loisirs. »
Partie V
Article E – Non-discrimination
« La jouissance des droits reconnus dans la présente
charte doit être assurée sans distinction aucune fondée notamment sur la race,
la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes
autres opinions, l’ascendance nationale ou l’origine sociale, la santé,
l’appartenance à une minorité nationale, la naissance ou toute autre
situation. »
28. La Recommandation
no R (92) 6 du Comité des Ministres relative à une politique cohérente
pour les personnes handicapées, adoptée le 9 avril 1992, invite les États
membres à « garantir le droit de la personne
handicapée à une vie autonome et à l’intégration dans la société » et à
« reconnaître le devoir de la société d’assurer ce droit », en vue
d’assurer aux personnes handicapées une réelle « égalité des
chances » par rapport aux autres personnes. L’action des pouvoirs publics
doit viser entre autres à faire en sorte que les personnes handicapées puissent
« jouir d’une mobilité aussi étendue que
possible, leur permettant notamment d’accéder aux bâtiments et aux moyens de
transport », « jouer dans la société un rôle à part entière » et
« participer aux activités économiques, sociales, de
loisirs, récréationnelles et culturelles ».
29. La Recommandation Rec(2006)5
du Comité des Ministres aux États membres sur le Plan d’action du
Conseil de l’Europe pour la promotion des droits et de la pleine participation
des personnes handicapées à la société : améliorer la qualité de vie des
personnes handicapées en Europe 2006-2015, adoptée le 5 avril 2006,
prévoit plusieurs lignes d’action, dont la quatrième se lit
ainsi :
Ligne d’action no 4 : Éducation
« 3.4.1. Introduction
L’éducation est un facteur essentiel
d’intégration sociale et d’indépendance pour tous les individus, y compris les
personnes handicapées. Les influences sociales comme celles de la famille et
des amis y contribuent aussi mais, aux fins de la présente ligne d’action,
l’éducation couvre toutes les étapes de la vie et
comprend l’enseignement préscolaire, primaire, secondaire, supérieur et
professionnel ainsi que l’apprentissage tout au long de la vie. Donner aux
personnes handicapées la possibilité de participer aux structures
d’enseignement ordinaires est important non seulement pour elles, mais aussi
pour les personnes non handicapées qui prendront ainsi conscience du handicap
en tant qu’élément de la diversité humaine. La plupart des systèmes éducatifs
prévoient l’accès des personnes handicapées au cursus ordinaire et, le cas échéant,
à des dispositifs spécialisés. Les structures de l’enseignement ordinaire et
les dispositifs spécialisés devraient être encouragés à travailler ensemble
pour soutenir les personnes handicapées dans leur milieu local, sans pour
autant perdre de vue l’objectif de pleine inclusion.
3.4.2. Objectifs
i. Veiller à ce que toutes
les personnes, indépendamment de la nature et du degré de leur handicap,
puissent bénéficier d’une égalité d’accès à l’éducation et épanouissent au
maximum leur personnalité, leurs talents, leur créativité et leurs aptitudes
intellectuelles et physiques ;
ii. veiller à ce que
les personnes handicapées puissent suivre une scolarité ordinaire, en
encourageant les autorités compétentes à mettre en place des dispositifs
éducatifs répondant aux besoins de leur population handicapée ;
iii. soutenir et promouvoir
l’apprentissage tout au long de la vie pour les personnes handicapées de tous
âges, et faciliter la transition efficace et effectué entre les différentes
phases du cursus éducatif ainsi qu’entre l’éducation et l’emploi ;
iv. développer à tous les
niveaux du système éducatif, y compris chez les enfants dès le plus jeune âge,
une attitude de respect à l’égard des droits des personnes handicapées.
3.4.3. Actions spécifiques
à entreprendre par les États membres
i. Promouvoir les
législations, les politiques et les programmes d’action visant à empêcher toute
discrimination à l’égard des enfants, des jeunes et des adultes handicapés dans
l’accès à toutes les phases de l’éducation. Pour ce faire, il conviendra de
consulter les usagers handicapés, leurs parents, les personnes assurant les
services de soins, les organisations bénévoles et les autres organismes
professionnels pertinents, s’il y a lieu ;
ii. encourager et soutenir la
mise en place d’un système éducatif unifié, associant les enseignements
ordinaire et spécialisé, qui favorise la mise en commun des compétences et
améliore l’intégration des enfants, des jeunes et des adultes handicapés dans
la société ;
iii. faciliter l’évaluation
précoce des besoins éducatifs spéciaux des enfants, des jeunes et des adultes
handicapés pour pouvoir adapter les programmes éducatifs et leur enseignement ;
iv. contrôler la mise en
œuvre de programmes éducatifs personnalisés et faciliter une approche
coordonnée de la formation menant à l’emploi et en cours d’emploi ;
v. veiller à ce que les
personnes handicapées, y compris les enfants, reçoivent le soutien nécessaire,
dans le cadre du système éducatif ordinaire, pour faciliter leur éducation effective.
Dans des situations exceptionnelles, lorsque le système éducatif ordinaire ne
répond pas à leurs besoins éducatifs spéciaux tels qu’évalués par des
professionnels, les États membres veilleront à ce qu’ils bénéficient de mesures
de soutien alternatives efficaces, sans perdre de vue l’objectif de pleine
inclusion. Toute disposition, qu’elle soit spécialisée ou qu’elle s’inscrive
dans le système ordinaire, devrait encourager le passage vers l’enseignement
ordinaire et répondre aux mêmes objectifs et normes que ce dernier ;
vi. encourager, dans le cadre
de la formation initiale et en cours d’emploi de tous les professionnels et
personnels exerçant à tous les niveaux du système éducatif, le développement de
la sensibilisation au handicap et de l’apprentissage de l’utilisation des
techniques et du matériel pédagogique permettant de soutenir, s’il y a lieu,
les élèves et les étudiants handicapés ;
vii. veiller à ce que la
totalité des programmes et matériels pédagogiques disponibles dans le système
éducatif général soient accessibles aux personnes handicapées ;
viii. inclure dans les
programmes scolaires d’éducation civique des thèmes relatifs à l’égalité des
droits entre les personnes handicapées et les autres citoyens ;
ix. veiller à ce que la
sensibilisation au handicap ait une place importante dans les programmes
d’éducation des écoles et institutions ordinaires ;
x. prendre des mesures pour
rendre les lieux d’éducation et de formation accessibles aux personnes
handicapées, y compris par la mise à disposition d’un soutien individuel et par
des aménagements (incluant des équipements) raisonnables répondant à leurs besoins ;
xi. veiller à ce que les
parents d’enfants handicapés soient des partenaires actifs dans le processus
d’élaboration des programmes d’éducation spécialisés destinés à leurs enfants ;
xii. assurer aux jeunes
handicapés l’accès à l’éducation non formelle pour qu’ils puissent acquérir des
compétences utiles que ne peut procurer l’éducation formelle ;
(...) »
30. L’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe a, quant à elle, abordé ces questions dans sa
Recommandation 1185 (1992) relative aux politiques de réadaptation pour
les personnes ayant un handicap, adoptée le 7 mai 1992. Ce texte souligne
notamment que « nos sociétés ont le devoir
d’adapter leurs normes aux besoins spécifiques des personnes handicapées pour
leur garantir une vie autonome ». À cette fin, les gouvernements et les
autorités compétentes sont appelés à « rechercher
et encourager une participation effective et active des personnes handicapées à
la vie (...) communautaire et sociale » et, dans ce but, à assurer
« la suppression des frontières architecturales ».
31. Le 30 janvier 2015, l’Assemblée a
adopté la Recommandation 2064 (2015), intitulée « Égalité
et insertion des personnes handicapées », qui renferme les passages
suivants :
« 1. L’Assemblée parlementaire se réfère à
sa Résolution 2039 (2015) « Égalité
et insertion des personnes handicapées ».
2. L’Assemblée parlementaire
salue la contribution du Plan d’action du Conseil de l’Europe « pour la promotion des droits et de la pleine
participation des personnes handicapées à la société : améliorer la qualité
de vie des personnes handicapées en Europe 2006-2015 » au développement de
politiques nationales prenant en compte les droits des personnes handicapées. Le plan d’action a également contribué à changer la
perception du handicap en une question relevant des droits humains.
3. L’Assemblée note toutefois
que la pleine jouissance des droits des personnes handicapées est loin d’être
réalisée dans les États membres du Conseil de l’Europe. Un écart important
persiste entre les principes contenus dans les instruments internationaux et la
réalité vécue au quotidien par les personnes handicapées. Une action résolue du
Conseil de l’Europe et des États membres dans le domaine du handicap demeure
ainsi nécessaire.
4. En conséquence,
l’Assemblée recommande au Comité des Ministres :
4.1. d’évaluer la mise en
œuvre du plan d’action pour les personnes handicapées 2006-2015 et de tirer des
leçons des dix années de sa mise en œuvre dans les États membres ;
4.2. de définir sur cette
base une nouvelle feuille de route pour la période 2016‑2020, en étroite
consultation avec les organisations représentatives de personnes handicapées ;
4.3. de concentrer cette
nouvelle feuille de route sur des questions prioritaires, telles que la
capacité juridique des personnes handicapées et les mesures visant à garantir
leur dignité et leur pleine inclusion dans la société ;
4.4. d’inviter la Banque de
développement du Conseil de l’Europe à insister sur le respect des exigences
d’accessibilité lorsqu’elle accorde des prêts pour des projets de construction
et de réhabilitation, et à ne pas financer la construction de grands
établissements destinés au placement de personnes handicapées ;
4.5. de veiller à ce que le
handicap soit pris en compte dans les diverses activités sectorielles menées
par le Conseil de l’Europe, en particulier les activités et les campagnes du
Conseil de l’Europe contre la violence et le discours de haine. »
EN DROIT
- SUR LA VIOLATION
ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC
L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE NO 1
32. La requérante se plaint
d’une atteinte à son droit à l’instruction. À cet égard, elle indique que,
pendant deux années scolaires, elle n’a pas pu bénéficier de l’assistance
spécialisée prévue par la loi. Elle estime également que l’État a manqué à son obligation
positive de garantie de l’égalité des chances aux personnes en situation de
handicap. Elle invoque l’article 2 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :
« Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction.
L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de
l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer
cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions
religieuses et philosophiques. »
33. La requérante se plaint
également d’avoir subi un traitement discriminatoire en raison de son handicap,
en violation de l’article 14 de la Convention. Cette disposition est ainsi
libellée :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la
(...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment
sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions
politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale,
l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute
autre situation. »
- L’objet du litige
34. La Cour estime que le
cœur du grief de la requérante réside dans l’allégation selon laquelle celle-ci
a subi un traitement discriminatoire. Elle considère
donc qu’il y a lieu d’examiner l’affaire tout d’abord sous l’angle de
l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 2 du Protocole
no 1 (voir, pour une approche similaire, Oršuš et autres
c. Croatie [GC], no 15766/03, §§ 143‑145, CEDH 2010, et Ponomaryovi c. Bulgarie,
no 5335/05, § 45, CEDH 2011 ; voir aussi Enver Şahin c. Turquie, no 23065/12, § 32, 30 janvier 2018), étant entendu
que le champ d’application de l’article 14 de la Convention englobe non
seulement l’interdiction de la discrimination fondée sur le handicap (voir, par
exemple, Glor c. Suisse, no 13444/04, § 80, CEDH 2009), mais aussi
l’obligation pour les États d’assurer « des aménagements
raisonnables » à même de corriger les inégalités factuelles qui, ne
pouvant être justifiées, constitueraient une discrimination.
- Sur
la recevabilité
35. Le Gouvernement excipe de
la tardiveté de la requête. Il argue notamment que la décision interne définitive
date du 25 mai 2015 et que la date du cachet figurant sur le formulaire de
requête est le 30 novembre 2015.
36. La requérante conteste
cette thèse. Elle soutient qu’elle a envoyé sa requête le 24 novembre
2015, et que c’est donc à cette date qu’elle a saisi la Cour. Elle fournit à
l’appui de ses dires une copie de documents attestant que la requête a été
expédiée le 24 novembre et, selon l’avis de réception de l’envoi recommandé,
reçue au greffe de la Cour le 27 novembre.
37. La Cour rappelle que la
date à partir de laquelle le délai de six mois prévu à l’article 35
§ 1 de la Convention commence à courir (dies a quo) est celle à
laquelle le requérant prend connaissance de la décision interne définitive
(voir, parmi beaucoup d’autres, Sabri Güneş c. Turquie [GC],
no 27396/06, § 60, 29 juin 2012), et que, en vertu
de l’article 47 § 6 a) de son règlement, la date d’introduction
de la requête aux fins du calcul du délai de six mois (dies ad quem) est
celle de l’expédition du formulaire, le cachet de la poste faisant foi, et non
celle du cachet de réception de la requête au greffe (Vasiliauskas c. Lituanie [GC],
no 35343/05, § 117, CEDH 2015).
38. En l’espèce, la Cour
observe que la décision interne définitive est l’arrêt du Conseil d’État. Elle
note par ailleurs que l’enveloppe contenant la requête a été expédiée le 24 novembre
2015, date du cachet de la poste italienne. La Cour
conclut donc que la requête a bien été introduite dans les six mois à compter
de la décision interne définitive et qu’elle n’est dès lors pas tardive.
39. Partant, elle rejette
l’exception du Gouvernement.
40. Constatant que la requête
n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à
l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
- Sur le fond
- Thèses des
parties
a) La requérante
41. La requérante avance que,
pendant deux années scolaires, elle n’a pas bénéficié de l’assistance
spécialisée prévue par la loi no 104 de 1992, malgré les nombreuses
demandes de ses parents. Elle ajoute que cette période, qu’elle estime
particulièrement longue, a coïncidé avec son entrée à
l’école primaire, et qu’ainsi ses chances d’évolution et d’intégration dans le
système scolaire ont été compromises.
42. Elle argue par ailleurs
que les coûts liés à la fourniture des services éducatifs spécialisés dont elle
avait besoin n’auraient affecté le budget du conseil municipal que de manière
très minime. Elle allègue qu’en n’allouant pas de ressources au financement de
mesures éducatives spécialisées, les collectivités locales ont choisi de ne pas
fournir d’assistance scolaire aux enfants handicapés.
43. S’appuyant sur la
jurisprudence de la Cour (Velyo Velev c. Bulgarie, no 16032/07, CEDH 2014, et Glor, précité),
elle soutient que le droit à l’éducation ne peut être entravé ou diminué dans
ses garanties pour des raisons budgétaires. Elle ajoute que dans le cas
présent, le conseil municipal disposait de ressources suffisantes pour mettre
en place les mesures auxquelles elle avait droit. Elle argue également qu’il
ressort de la jurisprudence de la Cour que la marge d’appréciation dont
jouissent les États contractants pour équilibrer le droit à l’éducation avec
d’autres intérêts, notamment financiers, est particulièrement restreinte, a
fortiori dans le cas des personnes handicapées (Glor, précité,
§ 84).
44. Enfin, elle soutient que
des considérations budgétaires ne peuvent justifier une violation du droit
fondamental à l’éducation et que, dès lors, le Gouvernement n’a avancé aucun
argument valable à l’appui du manquement des autorités à lui fournir
l’assistance à laquelle elle avait droit en vertu de la loi, de la Constitution
italienne et de la Convention européenne.
45. En conclusion, la
requérante estime que la présente affaire se caractérise essentiellement par la
violation systématique à son égard du droit à l’éducation.
b) Le Gouvernement
46. Le Gouvernement explique que la
raison pour laquelle la requérante n’a pas pu bénéficier en 2010/2011 et en
2011/2012 de toutes les interventions de soutien prévues par l’article 13
de la loi no 104 de 1992 réside dans les restrictions budgétaires
prévues par la loi de finances 2011 (loi no 220 du 13 décembre
2010), qui réservait expressément une certaine somme au financement de l’apport
d’une assistance domiciliaire aux personnes atteintes de sclérose latérale
amyotrophique (« SLA »). Il précise que
le montant alloué à la région de Campanie (9 070 000 EUR) s’est
révélé insuffisant pour couvrir toutes les mesures de soutien scolaire une fois
déduite la part réservée aux personnes atteintes de SLA., pathologie qui par
ailleurs est selon le Gouvernement bien plus grave que celle de la requérante.
47. Dans ces conditions, le
Gouvernement estime que les mesures prises au niveau local ont été conformes à
ce qu’on pouvait raisonnablement exiger des autorités, compte tenu des
ressources limitées dont elles disposaient. Il fait valoir que l’on a pris
plusieurs mesures pour aider la requérante à surmonter les difficultés liées à
son handicap et pour faciliter son intégration scolaire, et il argue que le
fait qu’un manque de ressources au niveau régional ait conduit à la suspension
pendant deux années scolaires d’une seule de ces mesures n’est pas suffisamment
grave pour constituer une atteinte sérieuse au droit de l’intéressée à un
soutien scolaire. Soulignant, en particulier, que l’école fréquentée par la
requérante a prélevé une partie de ses propres ressources pour lui offrir une
assistance, il soutient que compte tenu de la nécessité de donner la priorité
aux besoins des personnes atteintes de SLA, la situation n’a pas emporté
violation de l’article 14 combiné avec l’article 2 du Protocole
no 1 ni, a fortiori, de l’article 8 de la Convention.
48. Enfin, le Gouvernement
argue que la Cour a certes conclu à maintes reprises à la violation de la
Convention en raison d’une mauvaise gestion des fonds ou d’un retard dans leur
attribution, mais jamais en l’absence de fonds. Il ajoute que bien que la
région ait été confrontée à un manque de ressources pendant deux années
scolaires, l’école a su faire face à la situation et est parvenue, en utilisant
ses propres ressources, à assurer un soutien à la requérante, et celle-ci a toujours bénéficié des vingt-quatre heures de soutien par
semaine prévus pour elle.
- Appréciation de
la Cour
a) Principes généraux
49. La Cour rappelle
qu’elle a déjà eu l’occasion de souligner que dans une société
démocratique, le droit à l’instruction est indispensable à la
réalisation des droits de l’homme et occupe une place fondamentale (Velyo Velev,
précité, § 33), et que l’enseignement est l’un des services publics
les plus importants dans un État moderne. Cependant, elle reconnaît aussi qu’il
s’agit d’un service complexe à organiser et onéreux à gérer, et que les
ressources que les autorités peuvent y consacrer sont nécessairement limitées. Il est vrai également que lorsqu’il décide de la manière de
réglementer l’accès à l’instruction, l’État doit ménager un équilibre entre,
d’une part, les besoins éducatifs des personnes relevant de sa juridiction et,
d’autre part, sa capacité limitée à y répondre. Cependant, la Cour ne peut
faire abstraction du fait que, à la différence de certaines autres prestations
assurées par les services publics, l’instruction est un droit directement
protégé par la Convention (ibidem).
50. La Cour réaffirme que,
dans l’interprétation et l’application de l’article 2 du Protocole
no 1, il lui faut garder à l’esprit que la Convention doit se lire comme
un tout et s’interpréter de manière à promouvoir sa cohérence interne et
l’harmonie entre ses diverses dispositions (Stec et autres c.
Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 48, CEDH 2005‑X, et Austin
et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 39692/09 et 2 autres, § 54, CEDH 2012).
Aussi l’article 2 du Protocole no 1 doit-il être interprété à la
lumière, notamment, de l’article 8 de la Convention, qui énonce le droit
de toute personne « au respect de sa vie privée » (Catan et
autres c. République de Moldova et Russie [GC], nos 43370/04 et 2 autres, §§ 136 et
143, CEDH 2012).
51. La Cour rappelle que dans
l’interprétation et l’application de l’article 2 du Protocole no 1,
il faut tenir compte de toute règle et de tout principe de droit international
applicables aux relations entre les parties contractantes, et que la Convention
doit autant que faire se peut s’interpréter de manière à se concilier avec les
autres règles du droit international, dont elle fait partie intégrante (ibidem,
§ 136). Il faut donc tenir compte en l’espèce des dispositions relatives
au droit à l’éducation énoncées dans les instruments tels que la Charte sociale
européenne révisée ou la Convention des Nations unies relative aux droits des
personnes handicapées (Timichev c. Russie, nos 55762/00 et 55974/00, § 64, CEDH 2005‑XII, Catan et
autres, précité, § 136, et Çam, précité, § 53).
52. En ce qui concerne
l’interdiction énoncée à l’article 14 de la Convention, la Cour rappelle
que la discrimination consiste à traiter de manière différente sans
justification objective et raisonnable des personnes placées dans des
situations comparables et qu’un traitement différencié est dépourvu de
« justification objective et raisonnable » lorsqu’il ne poursuit pas un
« but légitime » ou qu’il n’existe pas « un rapport raisonnable
de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (Biao c. Danemark [GC],
no 38590/10, § 90 et § 93, 24 mai 2016, Molla Sali
c. Grèce [GC], no 20452/14, §§ 135-136, 19 décembre 2018 et, Çam, précité,
§ 54). Toutefois, l’article 14 n’interdit pas à un État
membre de traiter des groupes de manière différenciée pour corriger des
« inégalités factuelles » entre eux ; de fait, dans certaines
circonstances, c’est l’absence d’un traitement différencié pour corriger une
inégalité qui peut, si elle ne repose pas sur une justification objective et
raisonnable, emporter violation de cette disposition (voir, entre autres
arrêts, Guberina c. Croatie, no 23682/13, § 72, 22 mars 2016), Par ailleurs, les États
contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si
et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres
égards analogues justifient des distinctions de traitement (Vallianatos et
autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 76, CEDH 2013).
53. Lorsqu’elle examine une affaire sous
l’angle de l’article 14 de la Convention, la Cour doit tenir compte
de l’évolution du droit international et européen et réagir, par exemple, au
consensus susceptible de se faire jour à ces niveaux quant aux normes à
atteindre (voir, mutatis mutandis, Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 126, CEDH 2012, et Fabris c. France [GC],
no 16574/08, § 56, CEDH 2013). Elle note en ce
sens l’importance dans l’exercice du droit à l’instruction des
principes fondamentaux d’universalité et de non-discrimination, qui ont
été consacrés à maintes reprises dans des textes internationaux (voir
le droit international pertinent, aux paragraphes 20 ‑31 ci-dessus). Elle
souligne en outre qu’il est reconnu dans ces instruments que le moyen le plus
approprié pour garantir ces principes fondamentaux est l’éducation inclusive,
qui vise à promouvoir l’égalité des chances de chacun et notamment des
personnes en situation de handicap (Çam, précité, § 64, avec les
références qui s’y trouvent citées). L’éducation inclusive est donc sans
conteste une composante de la responsabilité internationale des États dans ce
domaine (Enver Şahin c. Turquie no 23065/12, § 62, 30 janvier
2018).
54. La Cour rappelle également
que lorsqu’une restriction des droits fondamentaux s’applique à une catégorie
de population particulièrement vulnérable qui a dans le passé subi
d’importantes discriminations, la marge d’appréciation dont l’État dispose se
trouve alors nettement réduite et seules des considérations très fortes doivent
amener celui-ci à appliquer la restriction en
question. La Cour a déjà identifié un certain nombre de ces catégories
vulnérables, victimes de différences de traitement en raison de leurs
caractéristiques ou de leur situation, notamment de leur handicap (Glor,
précité, § 84, Alajos Kiss c. Hongrie, no 38832/06, § 42, 20 mai 2010, Kiyutin c. Russie,
no 2700/10, § 63, CEDH 2011 ; Guberina, précité
§ 73). De plus, toutes les actions relatives aux enfants handicapés
doivent poursuivre en priorité l’intérêt supérieur de l’enfant (paragraphe 34
ci‑dessus, article 7 § 2 de la CDPH). Cependant, en tout état de cause,
indépendamment de la marge d’appréciation dévolue à l’État, il appartient à la
Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la
Convention (voir, entre autres, Konstantin Markin c. Russie [GC],
no 30078/06, § 126, CEDH 2012).
b) Application de ces principes au cas
d’espèce
- Délimitation du
cadre de l’examen
55. La Cour observe à titre
liminaire que le système juridique italien garantit le droit à l’instruction
des enfants en situation de handicap sous la forme
d’une éducation inclusive au sein des écoles ordinaires. En Italie, tous les
enfants sont scolarisés dans un seul type d’établissement pendant toute la
durée de l’enseignement obligatoire : les enfants
handicapés sont intégrés dans les classes ordinaires de l’école publique, et
l’État a créé des services psycho-pédagogiques qui doivent assurer la
présence dans ces classes d’un enseignant dit « de
soutien », qui coordonne l’action des assistants et qui collabore avec
l’enseignant chargé de la classe et en partage avec lui la
responsabilité. Dans le cas où la situation de l’élève le nécessite,
d’autres professionnels sont prévus comme les assistants à l’autonomie et à la
communication qui ont pour mission « d’éliminer
les barrières perceptives et sensorielles » et les assistants éducatifs
qui accompagnent l’élève afin de favoriser l’autonomie et la socialisation
(voir paragraphe 18 ci-dessus).
56. Dans la présente affaire,
la requérante, un enfant autiste non verbale, a allégué ne pas avoir pu
bénéficier de l’assistance spécialisée prévue par la loi.
57. La tâche de la Cour est
donc celle de vérifier si les autorités nationales se sont effectivement
acquitté des obligations qui leur incombaient en vertu de l’article 14 de la
Convention, combiné avec l’article 2 du Protocole no 1 à la
Convention, dans le chef de la requérante dans les limites de leur marge
d’appréciation et si elles ont mis en œuvre des aménagements raisonnables afin
de lui assurer la jouissance de ses droits garantis par l’article 2 du
Protocole no1 combiné avec l’article 14.
58. La Cour doit donc
apprécier la diligence avec laquelle les autorités ont réagi face à la
situation portée à leur attention.
- Le refus de
fournir l’assistance spécialisée à la requérante
59. Dans le cas d’espèce, la
requérante soutient que le fait qu’elle n’ait pas pu bénéficier d’une
assistance spécialisée pendant ses deux premières années d’école primaire
constitue un traitement discriminatoire à son égard. Sur ce point, la Cour
observe qu’au moment des faits, différentes dispositions législatives
consacraient le droit des enfants en situation de handicap à l’éducation et
leur protection contre la discrimination (voir le droit interne pertinent, aux
paragraphes 17‑18 ci-dessus).
60. La Cour souligne
qu’en prévoyant l’inclusion des enfants handicapés dans les établissements
d’enseignement ordinaires, le législateur national a fait un choix dans le
cadre de sa marge d’appréciation. Elle observe qu’en l’espèce, il ressort des
pièces du dossier que même si la loi prévoyait de façon abstraite la mise
en place d’« aménagements » raisonnables sans laisser à cet égard la
moindre marge de manœuvre à l’administration, les instances nationales compétentes n’ont
pas précisé concrètement comment ces aménagements devraient être mis en œuvre
de 2010 à 2012, et qu’ainsi la requérante n’a pas bénéficié pendant cette
période d’une assistance spécialisée correspondant à ses besoins pédagogiques
spécifiques.
61. Réitérant que la
Convention vise à garantir des droits concrets et effectifs, la Cour
rappelle que, dans le contexte du cas présent, elle doit tenir compte de
l’évolution du droit international et européen et réagir, par exemple, au
consensus susceptible de se faire jour à ces niveaux quant aux normes à
atteindre dans le domaine en jeu en l’espèce
(paragraphes 51 et 53 ci-dessus).
62. La Cour considère ainsi
que l’article 14 de la Convention doit être interprété à la lumière des
exigences énoncées dans les textes susmentionnés, et notamment de la CRDPH
(voir le paragraphe 26 ci-dessus). Selon cet instrument, les
« aménagements raisonnables » que les personnes en situation de
handicap sont en droit d’attendre sont « les modifications et ajustements nécessaires
et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue »
apportés « en fonction des besoins dans une situation donnée » pour
assurer à ces personnes « la jouissance ou l’exercice, sur la base de
l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les
libertés fondamentales » (article 2,
paragraphe 26 ci-dessus), et la discrimination fondée sur le handicap
« comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus
d’aménagement raisonnable ». En effet, les mesures d’aménagement
raisonnable ont pour but de corriger des inégalités
factuelles (paragraphe 26 ci-dessus, voir aussi, mutatis
mutandis, Çam, précité, §§ 65 et 67, et Şanlısoy c. Turquie (déc.),
no 77023/12, § 60, 8 novembre 2016).
63. Certes, il n’appartient
pas à la Cour de définir les « aménagements
raisonnables » – qui peuvent prendre différentes formes, aussi bien
matérielles qu’immatérielles – à mettre en œuvre dans le domaine de
l’enseignement pour répondre aux besoins éducatifs des personnes en situation
de handicap, les autorités nationales se trouvent mieux placées qu’elle pour ce
faire (voir, par exemple, Çam, précité, § 66). Il importe
cependant que les États soient particulièrement attentifs à leurs choix dans ce
domaine compte tenu de l’impact de ces derniers sur les enfants en situation de
handicap, dont la vulnérabilité particulière ne peut être ignorée (voir
paragraphe 54 ci-dessus).
64. En l’espèce, la Cour doit
donc vérifier, compte tenu du fait que l’État avait prévu d’offrir une
éducation inclusive aux enfants handicapés, si l’administration avait des
raisons valables de priver la requérante de l’accès à l’assistance spécialisée
(voir paragraphe 34 ci-dessus).
65. Le Gouvernement a fondé
sa thèse principalement sur l’argument qu’en raison de l’affectation des seuls
fonds disponibles aux besoins des personnes atteintes de SLA, les autorités ne
disposaient pas de ressources financières susceptibles d’être rapidement
allouées au soutien scolaire. Il affirme par ailleurs que de toute manière,
l’administration scolaire a mis en place, à ses frais, une assistance
spécialisée assurée par des employés de l’école. Il ne fournit toutefois aucune
information sur les compétences spécifiques de ces personnes ou sur l’aide
fournie, ni aucune précision sur les périodes et les heures concernées. La Cour
observe en outre à cet égard que selon les éléments qui lui ont été
communiqués, l’école a dépensé 476,56 EUR pour les services fournis par
six personnes pendant une année scolaire.
66. Compte tenu des
explications données par le Gouvernement, la Cour estime qu’il ne fait aucun
doute que la requérante n’a pas pu continuer à fréquenter l’école
primaire dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficiaient les
élèves non handicapés, et que cette différence de traitement était due à son handicap. Elle ne peut que constater que pendant deux
années scolaires, hormis une assistance privée payée par les parents de la
requérante et quelques interventions d’employés de l’école, sur lesquelles le
Gouvernement n’a fourni aucune précision, la requérante n’a pas reçu
l’assistance spécialisée à laquelle elle avait pourtant droit et qui devait lui
permettre de bénéficier du service éducatif et social offert par l’école
dans des conditions d’égalité avec les autres élèves.
- La procédure
devant les juridictions administratives
67. Saisies par la
requérante, les juridictions administratives l’ont déboutée de ses prétentions.
Elles ont considéré que le manque de ressources financières justifiait le fait
qu’il ne lui ait pas été fourni d’assistance spécialisée, sans
rechercher si les autorités avaient ménagé un juste équilibre
entre ses besoins éducatifs et la capacité restreinte de l’administration
à y répondre ni si ses allégations de discrimination étaient fondées.
Notamment, elles n’ont pas vérifié si les restrictions budgétaires invoquées
par l’administration avaient eu le même impact sur l’offre de formation pour
les enfants non handicapés et pour les enfants handicapés.
68. La Cour note qu’à aucun
moment les instances nationales n’ont envisagé l’éventualité que le
manque de ressources ou la nécessité extraordinaire de fournir des soins en
priorité aux personnes atteintes d’une pathologie grave puissent être compensés
non par une modification des aménagements raisonnables permettant de garantir
aux enfants handicapés l’égalité des chances, mais par une réduction de l’offre
éducative répartie équitablement entre les élèves non handicapés et les élèves
handicapés, et ce alors que la Cour de cassation avait déjà souligné cet aspect
dans ses arrêts (paragraphe 19 ci-dessus). Elle estime à cet égard
que, compte tenu d’une part du modèle d’inclusion scolaire adopté en Italie, où
tous les élèves sont accueillis dans la même filière, et d’autre part de la
jurisprudence de la Cour de cassation, les éventuelles restrictions budgétaires
doivent impacter l’offre de formation de manière équivalente pour les élèves
handicapés et pour les élèves non handicapés.
69. La Cour rappelle à cet
égard que, selon l’article 15 de la Charte sociale européenne révisée
(paragraphe 27 ci-dessus), les États doivent « favoriser
la pleine intégration et participation à la vie sociale [des personnes
handicapées], notamment par des mesures, y compris des aides techniques, visant
à surmonter des obstacles à la communication et à la mobilité » (voir
également, au paragraphe 26 ci-dessus, les
articles 24 § 2 c) et d) et 24 § 3 a) de la CRDPH). En
l’espèce, la requérante aurait dû bénéficier d’une assistance spécialisée
visant à promouvoir son autonomie et sa communication personnelle et à
améliorer son apprentissage, sa vie relationnelle et son intégration scolaire,
afin d’écarter le risque de marginalisation. La Cour rappelle que dans sa Recommandation
Rec(2006)5 (paragraphe 29 ci-dessus), le
Comité des Ministres a souligné que « [d]onner aux personnes
handicapées la possibilité de participer aux structures d’enseignement
ordinaires est important non seulement pour elles, mais aussi pour les
personnes non handicapées qui prendront ainsi conscience du handicap en tant
qu’élément de la diversité humaine ».
- Conclusions de
la Cour
70. Au
vu de tous les éléments qui précèdent, la Cour conclut qu’en l’espèce, les
autorités n’ont pas cherché à déterminer les véritables besoins de la
requérante et les solutions susceptibles d’y répondre afin de lui permettre de
fréquenter l’école primaire dans des conditions équivalentes dans la mesure du
possible à celles dont bénéficiaient les autres enfants sans pour autant
imposer à l’administration une charge disproportionnée ou indue (voir, a
contrario, Sanlisoy précité où la Cour a jugé que le refus
d’une école privée de procéder à la scolarisation du requérant, âgé de 7
ans et autiste ne constituait pas une négation systémique de son droit à
l’instruction en raison de son autisme ; ni un manquement de l’État à ses
obligations au titre de l’article 2 du Protocole no 1 combiné avec
l’article 14 de la Convention : et également Stoian c.
Roumanie [comité], no 289/14, 25 juin 2019, où la Cour a estimé que les
autorités nationales avaient affecté des ressources aux écoles du requérant, un
enfant handicapé, de manière à répondre à ses besoins spéciaux) .
71. La Cour estime en outre
que la discrimination subie par la requérante est d’autant plus grave qu’elle a
eu lieu dans le cadre de l’enseignement primaire, qui apporte les bases de l’instruction
et de l’intégration sociale et les premières expériences de vivre ensemble – et
qui est obligatoire dans la plupart des pays (voir, mutatis mutandis, Ponomaryovi,
précité, §§ 56‑57).
72. Au
vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour conclut qu’en l’espèce, le
Gouvernement n’a pas démontré que les autorités nationales aient réagi avec la
diligence requise pour garantir à la requérante la
jouissance de son droit à l’éducation sur un pied d’égalité avec les autres
élèves, de manière à ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents
en jeu.
Partant, il y a
eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec
l’article 2 du Protocole no 1.
73. Eu
égard à cette conclusion, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner
séparément le grief tiré de l’article 2 du Protocole no 1
(voir, mutatis mutandis, Darby c. Suède,
23 octobre 1990, § 35, série A no 187, Pla
et Puncernau c. Andorre, no 69498/01, § 64, CEDH 2004‑VIII, Oršuš et
autres, précité, § 186, et Çam, précité,
§ 70).
- SUR LA VIOLATION
ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC
L’ARTICLE 14
74. La requérante estime
également avoir subi une atteinte, selon elle discriminatoire, à son droit au respect de sa vie privée. Elle considère que
le fait de ne pas avoir bénéficié de services d’éducation spécialisée a nui à
son développement personnel et intellectuel et grevé ses chances présentes et
futures de mener une vie digne en tant que membre à part entière de la
communauté.
75. Le Gouvernement affirme
de son côté que les autorités ont pris des mesures de soutien appropriées pour
assurer l’éducation de la requérante, sa formation, sa socialisation et son
intégration scolaire.
76. La Cour estime que ce
grief est étroitement lié à celui qu’elle vient d’examiner, et qu’il doit donc
être déclaré recevable aussi. Toutefois, eu égard aux observations faites aux
paragraphes 70 à 72 ci-dessus ainsi qu’au constat auquel
elle est parvenue au paragraphe 73, elle considère qu’il n’y a pas lieu de
l’examiner séparément.
- SUR L’APPLICATION
DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
77. Aux termes de
l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la
Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie
contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette
violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction
équitable. »
- Dommage matériel
78. La requérante sollicite
2 520 euros (EUR) au titre du dommage matériel, exposant que cette somme
représente le coût de l’assistance spécialisée privée prise en charge par ses
parents pour l’année scolaire 2011/2012.
79. Elle demande également à
la Cour de lui accorder pour dommage moral une somme équitable. Elle estime
que, compte tenu de ce que l’impossibilité dans laquelle elle s’est trouvée de
bénéficier d’une assistance adéquate a entravé son épanouissement et son
développement et porté atteinte à son droit à l’éducation et
à son droit au respect de sa vie privée, une somme de
10 000 EUR pourrait être considérée comme équitable. Elle s’en remet
toutefois à la sagesse de la Cour.
80. Le Gouvernement soutient
que les prétentions de la requérante n’ont aucune base légale et que les
parents de l’intéressée ont choisi librement de recourir à une assistance
spécialisée privée.
81. La Cour constate qu’il y
a un lien de causalité direct entre la violation constatée et le dommage
matériel allégué, à savoir les frais engagés par les parents de la requérante
pour permettre à leur fille de bénéficier d’une assistance spécialisée privée
pendant l’année scolaire 2011/2012. Compte tenu des documents en sa possession,
elle juge raisonnable d’octroyer à la requérante la somme
de 2 520 EUR à ce titre.
82. Considérant par ailleurs
que le fait d’avoir été privée pendant deux années scolaires d’une assistance
spécialisée a fait subir à la requérante un préjudice
moral, la Cour juge opportun de lui octroyer à ce titre la somme demandée de
10 000 EUR.
- Frais
et dépens
83 Justificatifs à l’appui, la requérante réclame
4 175 EUR au titre des frais et dépens engagés dans le cadre de la
procédure menée devant les juridictions internes, et 8 000 EUR au
titre des frais et dépens engagés aux fins de la procédure menée devant la
Cour, cette somme étant calculée sur la base du barème national.
84. Le Gouvernement estime
que la demande de remboursement des frais engagés dans le cadre de la procédure
interne est dépourvue de base légale.
85. Selon la jurisprudence de
la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens
que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le
caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en
sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer
à la requérante la somme de 4 175 EUR au
titre des frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure interne, cette
somme correspondant aux frais payés aux fins de la procédure menée devant les
juridictions administratives. Elle rejette en revanche la demande relative aux
frais engagés aux fins de la procédure menée devant elle, la requérante n’ayant
produit aucun justificatif à cet égard.
- Intérêts moratoires
86. La Cour juge approprié de
calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de
prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de
pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
- Déclare la requête recevable ;
- Dit qu’il y a eu violation de
l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 2 du
Protocole no 1 ;
- Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner
séparément le fond des griefs formulés sur le terrain de l’article 2
du Protocole no 1 ;
- Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner
séparément le fond des griefs formulés sur le terrain de l’article 8
de la Convention combiné avec son article 14 ;
- Dit
a) que l’État
défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois à compter de
la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à
l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
- 2 520 EUR
(deux mille cinq cent vingt euros), plus tout montant pouvant être dû sur
cette somme à titre d’impôt, pour dommage matériel,
- 10 000 EUR
(dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à
titre d’impôt, pour dommage moral,
- 4 175 EUR
(quatre mille cent soixante-quinze euros), plus tout montant pouvant être
dû sur cette somme à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter
de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à
majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
- Rejette le surplus de la demande de satisfaction
équitable.
Abel Campos Ksenija Turković
Greffier Présidente
Au présent arrêt se trouve joint,
conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement,
l’exposé de l’opinion séparée du juge Wojtyczek.
K.T.U.
A.C.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE WOJTYCZEK
1. La motivation du présent
arrêt suscite au moins quatre réserves.
2. Le principe de
non-discrimination laisse un pouvoir discrétionnaire très large au juge (voir
l’opinion dissidente des juges Pejchal et Wojtyczek jointe à
l’arrêt J.D. et A c. Royaume-Uni, nos 32949/17 et 34614/17, 24 octobre 2019). Dans ces conditions, il est nécessaire d’établir dans la jurisprudence des
standards plus précis qui concrétisent le principe de non-discrimination et
guident l’action des autorités nationales.
Or le raisonnement suivi dans le présent
arrêt semble hésitant quant au contenu précis du standard qui doit être
appliqué. Au paragraphe 62, il pose le principe suivant comme fondement légal :
« La Cour considère ainsi que l’article 14 de la
Convention doit être interprété à la lumière des exigences énoncées dans les
textes susmentionnés, et notamment de la CRDPH (voir les paragraphes 20-21
ci-dessus). Selon cet instrument, les « aménagements
raisonnables » que les personnes en situation de handicap sont en droit
d’attendre sont « les modifications et ajustements nécessaires et
appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue » apportés
« en fonction des besoins dans une situation donnée » pour
assurer à ces personnes « la jouissance ou l’exercice, sur la base de
l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les
libertés fondamentales » (article 2, paragraphe 26 ci-dessus),
et la discrimination fondée sur le handicap « comprend toutes les formes
de discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable. » (gras
ajouté)
À mon avis, cette formule repose sur une
interprétation correcte de l’article 14. Dans les affaires relatives au
traitement des personnes handicapés, les principes d’égalité et de
non-discrimination commandent aux États de procéder aux aménagements
raisonnables que les personnes en situation de handicap sont en droit d’attendre ; en d’autres termes, ces principes exigent
des modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de
charge disproportionnée ou indue, apportés en fonction des besoins dans une
situation donnée. J’estime que dans le présent arrêt, ce standard aurait dû
être invoqué puis utilisé de manière cohérente tout au long du raisonnement.
Toutefois, la motivation de l’arrêt
renvoie à plusieurs reprises à des standards formulés différemment. Au
paragraphe 66, il est question de « fréquenter
l’école primaire dans des conditions équivalentes à celles dont bénéfici[ent]
les élèves non handicapés. » Cette approche est plus exigeante que celle
qui impose l’obligation d’introduire des aménagements raisonnables. Pour un
grand nombre de handicaps, il est impossible, même au
prix d’efforts financiers très importants, d’assurer aux enfants concernés des
conditions équivalentes à celles dont bénéficient les élèves non handicapés.
Au paragraphe 70, le standard des
conditions équivalentes est formulé avec certaines qualifications
et réserves : « permettre de fréquenter l’école
primaire dans des conditions équivalentes dans la mesure du possible à celles
dont bénéfici[ent] les autres enfants sans pour autant imposer à
l’administration une charge disproportionnée ou indue. »
Le paragraphe 69 énonce un autre
standard encore : « En l’espèce, la
requérante aurait dû bénéficier d’une assistance spécialisée visant à
promouvoir son autonomie et sa communication personnelle et à améliorer son
apprentissage, sa vie relationnelle et son intégration scolaire, afin d’écarter
le risque de marginalisation. » Le but n’est plus d’assurer
des conditions équivalentes mais, plus modestement, d’écarter le risque de
marginalisation, sans plus.
3. La motivation de l’arrêt
met en exergue les droits qui sont garantis aux enfants handicapés en Italie et
il insiste sur le fait que la législation italienne n’a pas été appliquée en
espèce. Une telle approche est controversée car elle semble lier la violation
de la Convention qui a été constatée au fait que la législation nationale n’ait
pas été respectée. Or la question du respect de l’article 14 et celle du
respect de la législation nationale sont deux questions distinctes. Il peut y
avoir violation de l’article 14 en l’absence de violation de la législation
nationale. Inversement, des mesures peuvent être jugées conformes à l’article
14 alors qu’elles sont insuffisantes du point de vue du droit national.
4. Au paragraphe 68, la Cour
prend position sur des questions de justice distributive et formule l’opinion
suivante concernant la répartition des ressources disponibles :
« La Cour note qu’à aucun moment
les instances nationales n’ont envisagé l’éventualité que le manque de
ressources ou la nécessité extraordinaire de fournir des soins en priorité aux
personnes atteintes d’une pathologie grave puissent être compensés non par une
modification des aménagements raisonnables permettant de garantir aux enfants
handicapés l’égalité des chances, mais par une réduction de l’offre éducative
répartie équitablement entre les élèves non handicapés et les élèves handicapés,
et ce alors que la Cour de cassation avait déjà souligné cet aspect dans ses
arrêts (paragraphe 19 ci-dessus). Elle estime à cet égard que, compte tenu
d’une part du modèle d’inclusion scolaire adopté en Italie, où tous les élèves
sont accueillis dans la même filière, et d’autre part de la jurisprudence de la
Cour de cassation, les éventuelles restrictions budgétaires doivent impacter
l’offre de formation de manière équivalente pour les élèves handicapés et pour
les élèves non handicapés. »
Ces propos me semblent problématiques
car ils relèvent du domaine de la gestion des ressources budgétaires et
contiennent des recommandations précises quant à la manière dont il
conviendrait de répartir les ressources disponibles. Je pense qu’il serait
préférable de ne pas formuler de recommandations dans ce domaine et de laisser
aux États la liberté de choisir les méthodes financières qu’ils estiment les
plus adaptées pour garantir la bonne exécution des obligations qui découlent de
la Convention. Je rappelle dans ce contexte que dans l’arrêt Çam c. Turquie (no 51500/08, § 66, 23 février 2016), la
Cour a souligné « qu’il ne lui appartient aucunement de définir les moyens
à mettre en œuvre pour répondre aux besoins éducatifs des enfants en situation
de handicap » (comparer aussi avec l’arrêt rendu dans l’affaire Stoian c. Roumanie,
no 289/14, § 109, 25 juin 2019).
5. La Cour prend aussi
position sur la manière dont il convient d’organiser l’éducation pour les
enfants handicapés lorsqu’elle exprime l’opinion suivante :
« Elle [La Cour] souligne en outre qu’il est reconnu dans
ces instruments que le moyen le plus approprié pour garantir ces principes
fondamentaux est l’éducation inclusive, qui vise à promouvoir l’égalité des
chances de chacun et notamment des personnes en situation de handicap (Çam,
précité, § 64, avec les références qui s’y trouvent citées). L’éducation
inclusive est donc sans conteste une composante de la responsabilité
internationale des États dans ce domaine (Enver Şahin c.
Turquie no 23065/12, § 62, 30 janvier 2018). »
L’éducation inclusive est indéniablement
la meilleure solution pour beaucoup de handicaps. Toutefois, elle ne permet pas
toujours de tenir compte des besoins spécifiques d’enfants atteints de certains
types de handicaps (voir, en particulier, Dupin c. France, no 2282/17, 24 janvier 2019). Certains enfants autistes
notamment ont un besoin particulier de sécurité, de tranquillité et
d’acceptation. Des études scientifiques montrent que chez ces enfants,
l’éducation inclusive peut susciter de fortes souffrances et nuire à leur
épanouissement, tandis que des écoles spécialisées donnent de biens meilleurs
résultats et permettent de réduire leurs souffrances. Par conséquent, le fait
de préconiser l’éducation inclusive en présentant cette solution comme le moyen
le plus adapté de manière générale soulève des interrogations et suscite des
réserves.
[1] Les
assistants à l’autonomie et à la communication, prévus par l’article 13, alinéa
3, de la loi n° 104 de 1992, ont pour mission, selon la
réglementation applicable « d’éliminer les barrières perceptives et
sensorielles» alors que les assistants éducatifs accompagnent l’élève afin de
favoriser l’autonomie et la socialisation dans le milieu scolaire, en plus de
l’enseignant de soutien Leurs objectifs sont d’aider les élèves dans les
activités scolaires et récréatives Ils les aident à la cantine et dans les
soins d’hygiène personnelle Ils peuvent les accompagner lors des sorties
culturelles et des voyages éducatifs Ils se voient confier la tâche
désignée sous le nom d’« assistance de base » des élèves en situation de
handicap.
[2] L’enseignant
de soutien est un enseignant avec une formation spécifique dans toutes les
formes de handicap.