Cour europĂ©enne des droits de lâhomme
AFFAIRE CITRARO ET MOLINO c. ITALIE
(RequĂȘte no 50988/13)
ARRĂT
STRASBOURG
4 juin 2020
Cet arrĂȘt est dĂ©finitif. Il peut subir des retouches de forme.
En lâaffaire Citraro
et Molino c. Italie,
La Cour
europĂ©enne des droits de lâhomme (premiĂšre section), siĂ©geant en un comitĂ© composĂ© de :
Armen Harutyunyan, président,
Pere Pastor Vilanova,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Renata Degener, greffiĂšre adjointe de
section,
la requĂȘte susmentionnĂ©e (no 50988/13) dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et
dont deux ressortissants de
cet Ătat, M. Santo Citraro et Mme Santa Molino
(« les requérants »)
ont saisi la Cour en vertu de lâarticle 34 de la Convention de sauvegarde
des droits de lâhomme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention ») le 24 juillet 2013,
la décision de
porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement »)
les griefs concernant lâarticles 2 et 3 de
la Convention et de déclarer irrecevable
la requĂȘte pour le surplus,
les observations des parties,
notant que le Gouvernement ne sâest pas opposĂ© Ă lâexamen de la requĂȘte par un comitĂ©,
AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 avril 2020,
Rend lâarrĂȘt que voici, adoptĂ©
Ă cette date :
INTRODUCTION
1. La requĂȘte
concerne le suicide du fils
des requérants, détenu en prison au moment des faits,
et les obligations positives de lâĂtat au titre de lâarticle 2
de la Convention. Elle porte Ă©galement, sous lâangle de lâarticle 3 de la Convention, sur le maintien
en prison du proche des requérants
sans une assistance médicale
adéquate.
EN FAIT
2. Les
requérants, M. Santo Citraro
et Mme Santa Molino, sont
deux ressortissants italiens nés respectivement
en 1934 et en 1938 et résidant à Terme Vigliatore. Ils sont les
parents de A.C., né le 6 mars
1970 et décédé le 16 janvier
2001. Ils ont été représentés devant la Cour par Me G.
Freni, avocat Ă Messine.
3. Le gouvernement
italien (« le Gouvernement »)
a été représenté par son
ancien agent, Mme E. Spatafora, et son ancien coagent, Mme M. Aversano.
4. Les
faits de la cause, tels quâils ont Ă©tĂ©
exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.
- LE DĂCĂS DE A.C.
5. Au moment des faits, le fils
des requĂ©rants purgeait une peine dâemprisonnement Ă Augusta. Il ressort
du dossier quâen 1995 il lui avait
été diagnostiqué un
ensemble de troubles de la personnalité
(dramatic cluster[1]), Ă savoir des troubles
antisocial, « borderline », narcissique, histrionique, obsessionnel compulsif et paranoĂŻde. Lâexistence de ces pathologies nâavait toutefois pas Ă©tĂ© jugĂ©e
incompatible avec lâexĂ©cution de la peine. A.C. avait ainsi passĂ©
des pĂ©riodes en prison et dâautres en hĂŽpital psychiatrique. En 1999,
il avait Ă©tĂ© placĂ© en observation Ă lâhĂŽpital psychiatrique judiciaire (« lâOPG ») de Barcellona Pozzo di
Gotto, puis il avait été remis en prison.
En 2000, il avait commis des
actes dâautomutilation, y compris des tentatives
de suicide.
6. Le 14 septembre
2000, les autorités transférÚrent A.C. à la prison de
Messine afin de lui permettre
de participer aux audiences
dâun procĂšs qui se dĂ©roulaient
Ă lâintĂ©rieur de la prison mĂȘme. Il ressort du dossier que, au cours de son incarcĂ©ration dans cet Ă©tablissement, le dĂ©tenu exprima des plaintes et eut un comportement antisocial, ce qui lui valut dâĂȘtre soumis Ă des
pĂ©riodes dâobservation psychiatrique et Ă des procĂ©dures disciplinaires.
7. Le 3 janvier
2001, A.C. fut placé dans le quartier pénitentiaire
« sosta » car il avait déclaré
aux agents pĂ©nitentiaires quâil craignait pour sa vie. Le mĂȘme jour, il demanda Ă ne pas rencontrer dâautres dĂ©tenus et Ă ĂȘtre transfĂ©rĂ© dans un autre Ă©tablissement. Le 5 janvier 2001, A.C. revint
sur ses dĂ©clarations et indiqua quâil voulait
assister aux audiences du procĂšs mais souhaitait rester Ă lâĂ©cart des autres dĂ©tenus.
De ce fait, il fut laissé dans le quartier pénitentiaire « sosta ».
8. Ăgalement le
5 janvier 2001, un agent pénitentiaire
nota que A.C. présentait un
saignement au niveau de la gorge, et il demanda en conséquence
de lâaide aux mĂ©decins de la prison, lesquels constatĂšrent que le dĂ©tenu sâĂ©tait infligĂ© une coupure au cou.
9. Le 6 janvier
2001, A.C. commit un autre acte dâautomutilation en se blessant Ă lâavant-bras gauche.
Le médecin de la prison,
qui lâexamina, suggĂ©ra Ă la
direction de lâĂ©tablissement
pĂ©nitentiaire de placer lâintĂ©ressĂ© dans une cellule dĂ©pourvue dâobjets et de le soumettre Ă une « grande surveillance »
(grande sorveglianza), câest-Ă -dire Ă une surveillance
à des intervalles fréquents. Le psychiatre, qui
visita lui aussi A.C., prescrivit
à ce dernier une thérapie médicamenteuse
et suggéra à la direction pénitentiaire de placer le détenu sous « surveillance à vue » (sorveglianza
a vista), câest‑Ă ‑dire sous surveillance ininterrompue. A.C. refusa la thĂ©rapie.
10. Le mĂȘme jour,
la directrice de la prison décida de placer A.C. sous « surveillance à vue ».
11. Le 8 janvier
2001, le psychiatre examina
à nouveau A.C. Ayant constaté
la persistance des symptĂŽmes (lâintĂ©ressĂ© se sentait persĂ©cutĂ© et avait une tendance Ă tout soupçonner) et le refus du dĂ©tenu de suivre
la thérapie, il proposa le
placement en urgence de A.C. en OPG pour une pĂ©riode dâobservation.
12. Le médecin de
la prison transmit un
rapport Ă la direction de lâĂ©tablissement.
Il y faisait Ă©tat des actes dâautomutilation
commis par A.C. les 5 et 6 janvier
2001 et du refus de lâintĂ©ressĂ© de se soumettre Ă la thĂ©rapie pharmacologique prĂ©conisĂ©e par le psychiatre. Il rappelait en outre la recommandation de transfert en urgence
de A.C. en OPG, faite par le mĂȘme
psychiatre.
13. Le 9 janvier
2001, la directrice de la prison
demanda au juge dâapplication des peines (magistrato di sorveglianza) de Messine dâordonner le transfert du requĂ©rant en OPG.
14. Le mĂȘme jour,
le psychiatre revit A.C. et
proposa Ă la direction de
la prison dâabaisser le niveau de surveillance, Ă savoir de remplacer la « surveillance Ă vue » du dĂ©tenu par une « grande surveillance ». La directrice
de la prison dĂ©cida dâannuler la « surveillance Ă vue » ; toutefois, elle
opta pour un niveau de surveillance
supérieur à celui proposé par le psychiatre, à savoir une « trÚs grande surveillance » (grandissima sorveglianza con blindo
aperto) sur 24 heures, prévoyant
que la porte blindée (blindo)
serait ouverte toute la nuit et la grille fermée.
15. Le 11 janvier
2001, A.C. se mit en colĂšre
en raison dâune absence de contacts avec sa famille, Ă la suite de quoi une
visite de ses parents fut organisée le surlendemain.
16. Le 12 janvier
2001, la directrice de la prison
de Messine adressa au ministĂšre de la Justice la demande
de placement de A.C. en OPG, accompagnée de la décision du juge
dâapplication des peines de Messine y affĂ©rente, datĂ©e du mĂȘme
jour. Dans sa décision, le juge avait ordonné
la soumission de A.C. à la période
maximale dâobservation psychiatrique, Ă savoir trente jours, Ă lâendroit que le ministĂšre dĂ©signerait.
17. Le 13 janvier
2001, A.C. demanda, en vain, Ă voir
son avocat. Il sâemporta, dĂ©truisit les objets
Ă©quipant sa cellule et se barricada
Ă lâintĂ©rieur de celle-ci Ă lâaide
de morceaux de bois provenant dâun balai, du cĂąble du tĂ©lĂ©viseur,
de lacets de chaussures, de
draps et dâautres matĂ©riaux fixĂ©s Ă la grille de la porte. Un des gardiens du quartier
« sosta » constata que le fils des requérants
menaçait de se servir du pied de la table se trouvant dans sa cellule, dont il
sâĂ©tait emparĂ©, contre quiconque sâapprocherait de celle-ci. LâintĂ©ressĂ©
refusa dâouvrir la porte, affirmant vouloir se protĂ©ger de toute agression venant de lâextĂ©rieur, et il dit Ă deux gardiens que
câĂ©tait « [s]a tĂȘte
qui lui faisait dire ça »
(sic). Le chef des agents pénitentiaires
fut informé de ces événements.
18. Le 14 janvier
2001, deux autres gardiens de la prison constatĂšrent que A.C. avait mis hors service lâĂ©clairage de la cellule, de sorte quâil
Ă©tait nĂ©cessaire dâutiliser
une lampe torche pour voir
Ă lâintĂ©rieur de celle-ci.
19. Le 15 janvier
2001, des gardiens découvrirent que A.C. avait détaché les
néons de sa cellule et fermé
les volets de la fenĂȘtre. Ils constatĂšrent
ce qui suit : lâintĂ©ressĂ©
était dans le noir absolu, et, pour vérifier ce qui
se passait, il fallait Ă©clairer la cellule avec des lampes torches ;
le sol de la cellule Ă©tait recouvert
de liquide ; et le détenu lançait
des objets et des seaux dâeau Ă ceux qui voulaient entrer. Le psychiatre examina Ă nouveau A.C. Ayant constatĂ© son Ă©tat et les conditions rĂ©gnant dans la cellule, il rĂ©itĂ©ra la demande de transfert
dâurgence Ă lâOPG.
La psychologue
de la prison tenta, en vain,
de parler Ă A.C. et en informa la directrice.
Cette derniĂšre apprit que A.C. sâĂ©tait barricadĂ© depuis le 13 janvier 2001.
Elle dĂ©cida de sâapprocher
de la cellule de A.C. et de lâautoriser exceptionnellement Ă sâentretenir
avec son avocat en cellule.
AprÚs avoir conversé
avec son client, lâavocat
de A.C. informa la direction de la prison que ce dernier était en colÚre et avait causé des
dégùts dans la cellule en raison de son absence de
transfert Ă lâhĂŽpital et quâil
refusait les mĂ©dicaments et la nourriture. AprĂšs le dĂ©part de son avocat, A.C. aurait vraisemblablement retirĂ© les obstacles qui entravaient lâentrĂ©e dans sa
cellule.
20. Le mĂȘme jour,
et bien quâaucun Ă©lĂ©ment en ce sens nâeut Ă©tĂ© reportĂ©
dans le dossier médical de
lâintĂ©ressĂ©, ce dernier aurait
repris son traitement pharmacologique.
21. Le 16 janvier 2001,
A.C. passa la journée au calme dans
sa cellule. Vers 19 h 15, un gardien le retrouva pendu au moyen
du drap du lit à la grille de la cellule. Lorsque le personnel de la prison réussit à pénétrer dans la cellule pour fournir les premiers soins à A.C., celui-ci ne réagit pas. Le détenu fut transporté
dâurgence Ă lâhĂŽpital civil, oĂč son dĂ©cĂšs
fut constaté à son arrivée.
22. Quelques
instants plus tĂŽt, Ă 19 h 05, la prison de Messine avait reçu lâautorisation du ministĂšre de la Justice de transfĂ©rer A.C. Ă lâOPG de Barcellona Pozzo di Gotto, conformĂ©ment Ă la dĂ©cision du 12 janvier 2001 du juge dâapplication
des peines de Messine.
- LA PROCĂDURE
PĂNALE AVEC CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE
- LâenquĂȘte pĂ©nale
23. Immédiatement
aprÚs le décÚs de A.C., une
enquĂȘte fut ouverte par le parquet de Messine et huit
personnes furent mises en examen : la directrice de la prison, le psychiatre et six gardiens de lâĂ©tablissement carcĂ©ral.
24. De mĂȘme,
un expert chargé de procéder à une autopsie du corps de A.C. fut aussitÎt désigné par le ministÚre public de Messine. Le résultat
de celle-ci confirma quâil
sâagissait dâun dĂ©cĂšs par pendaison, vraisemblablement dâun
suicide, survenu le 16 janvier
2001 dans la cellule no 2 du
quartier pénitentiaire « sosta ».
25. En outre,
il fut procĂ©dĂ© Ă lâinterrogatoire du chef des agents pĂ©nitentiaires. Celui-ci dĂ©clara que, le 16 janvier 2001, un agent
de service avait vu A.C. vers
17 h 50 dans un Ă©tat
plutĂŽt calme, quâil avait ensuite effectuĂ©
dâautres contrĂŽles et quâĂ 19 h 15 le dĂ©tenu avait Ă©tĂ© retrouvĂ©
pendu.
26. Au cours de lâenquĂȘte, diffĂ©rents actes furent rĂ©alisĂ©s, dont lâaudition de plusieurs personnes (en particulier des membres du
personnel mĂ©dical et des agents pĂ©nitentiaires ; paragraphes 27 Ă 29 ci-dessous), ce qui ressort dâun rapport dâenquĂȘte Ă©tabli par les carabinieri le
28 fĂ©vrier 2001 (en application de lâarticle 373
du code de procédure pénale).
27. Ainsi,
au cours de son audition, le psychiatre remplaçant, qui avait suivi A.C. en janvier 2001, dĂ©clara avoir vu lâintĂ©ressĂ© le 6 janvier 2001
pour la premiĂšre fois, Ă la suite des actes dâautomutilation commis par
ce dernier. Il indiqua ce qui suit :
A.C. nâavait pas apprĂ©ciĂ© son placement dans le
quartier « sosta » car celui‑ci Ă©tait rĂ©putĂ© pour accueillir les personnes qui collaboraient avec la justice (collaboratori
di giustizia) â ce que lâintĂ©ressĂ©
nâĂ©tait pas â, et il sâinquiĂ©tait de la rĂ©action des autres dĂ©tenus ;
il soupçonnait tout le monde et avait
des pulsions auto-agressives ; et il avait refusé de se soumettre à la thérapie médicamenteuse. Le psychiatre poursuivit en précisant que, de ce fait, le 8 janvier 2001, il avait adressé à la direction une demande de
transfert en urgence du dĂ©tenu Ă lâOPG, que, le 9 janvier 2001, il avait revu A.C. et lâavait rassurĂ© en lui disant quâil avait demandĂ©
son transfert, et que, voyant
que lâintĂ©ressĂ© Ă©tait calme et semblait satisfait, il avait alors proposĂ© dâabaisser le niveau de surveillance. Il ajouta que le 15 janvier 2001,
Ă 13 h 25, il avait entendu
des cris de A.C., provenant de sa cellule, quâil sâĂ©tait alors approchĂ©
et avait constaté des dégùts dans
celle-ci, que la lumiĂšre Ă©tait
Ă©teinte, que les volets de la fenĂȘtre Ă©taient fermĂ©s et que la grille de la porte Ă©tait bloquĂ©e avec la ceinture dâun peignoir.
28. Pour sa part, le médecin responsable de la prison déclara ce qui suit lors de son audition : le 16 janvier
2001, en fin dâaprĂšs-midi, il avait
entendu des cris de secours provenant du quartier
« sosta » ; il sây Ă©tait immĂ©diatement rendu, accompagnĂ© dâun autre mĂ©decin, et avait constatĂ© que le corps de A.C. gisait sur le sol
de la cellule ; son collĂšgue et lui avaient tentĂ© de rĂ©animer le dĂ©tenu, qui, Ă
premiÚre vue, présentait des lésions typiques
dâune pendaison ; Ă lâexamen,
A.C. était aréflexique, ses pupilles ne réagissaient pas à la lumiÚre et
son pouls pĂ©riphĂ©rique Ă©tait absent, ce qui laissait Ă penser que lâintĂ©ressĂ© Ă©tait mort ; cependant, Ă©tant donnĂ© que la tempĂ©rature
et la rigidité du corps étaient normales,
il fut dĂ©cidĂ© de transfĂ©rer le dĂ©tenu Ă lâhĂŽpital. Au cours
de son interrogatoire, un autre
mĂ©decin dĂ©clara quâĂ lâarrivĂ©e des secours la cellule nâĂ©tait pas assez
Ă©clairĂ©e et que, dâaprĂšs ses estimations,
les premiers secours avaient été portés
dix Ă quinze minutes aprĂšs
le dĂ©but du passage Ă lâacte suicidaire.
29. Sâagissant des agents pĂ©nitentiaires prĂ©sents au moment des faits, lâun dâentre eux dĂ©clara
que les opérations
de secours avaient été difficiles à cause du manque de lumiÚre dans la
cellule : selon lui, les
néons, qui étaient posés dans un coin
de la cellule, avaient auparavant
Ă©tĂ© rendus inutilisables par le dĂ©tenu lui-mĂȘme. Un autre agent dĂ©clara que, le 14 janvier 2001, le proche des requĂ©rants sâĂ©tait dĂ©jĂ barricadĂ©
dans sa cellule et que cette information Ă©tait remontĂ©e jusquâau responsable de la surveillance.
30. En sus
des actes dâenquĂȘte susmentionnĂ©s, tels que relatĂ©s
dans le rapport des carabinieri,
les autoritĂ©s rĂ©alisĂšrent dâautres actes, parmi lesquels
lâinterrogatoire des personnes mises en examen et lâaudition des requĂ©rants.
Ainsi, lâagent C â lâun des individus mis
en examen â fut entendu Ă deux reprises, les 13 fĂ©vrier et 30 juillet 2001. Ă ces occasions, il dĂ©clara ce qui suit : il avait effectuĂ© un contrĂŽle de la
cellule de A.C. vers 16 h 30 et avait vu lâintĂ©ressĂ© allongĂ© sur son lit ; il avait constatĂ© quâil nây avait
pas de lumiĂšre dans la cellule
et que celle-ci présentait
dâimportants dĂ©gĂąts ;
Ă 18 heures, A.C. lui ayant
demandĂ© un cafĂ©, il sâĂ©tait absentĂ© une dizaine de minutes pour aller le
lui chercher ; vers
19 h 15, il avait entendu
un appel au secours provenant de lâagent en service dans le
quartier pénitentiaire « sosta » ; il
sâĂ©tait rendu sur place et avait alors constatĂ©
que A.C. Ă©tait pendu aux barres
supérieures de la grille de
la cellule ; aprĂšs ĂȘtre
rentrés dans la cellule, ses collÚgues et lui avaient allongé le détenu sur le lit ; immédiatement aprÚs, les médecins étaient
arrivĂ©s et A.C. avait Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© Ă lâhĂŽpital.
31. Lâagent
G, également mis en examen, déclara ce qui suit : le 16 janvier
2001, Ă 14 heures, Ă la fin de sa permanence, il avait recommandĂ© Ă son collĂšgue, lâagent C, de veiller tout particuliĂšrement sur A.C. ; vers
17 h 50, lâagent C avait
appelĂ© un autre collĂšgue, lâagent L â lui aussi mis en examen
â, pour pouvoir faire une
pause ; lâagent L Ă©tait
resté de 18 h 05 à 18 h 15 dans le quartier « sosta », et, dans cet intervalle,
A.C. avait fumé une cigarette
et demandé un café ; selon les déclarations
de lâagent L, celui‑ci
avait effectué un autre contrÎle à 19 heures et à ce moment-là A.C. était
en train de fumer une cigarette ; à 19 h 15, A.C. fut retrouvé pendu.
32. Quant
aux requérants, lors de leur audition,
en date du 1er février
2001, ils dĂ©clarĂšrent avoir demandĂ© Ă lâadministration pĂ©nitentiaire,
le 13 janvier 2001, le placement de leur fils dans
un autre Ă©tablissement car ils craignaient pour sa vie.
33. En plus de ces
interrogatoires, les autoritĂ©s compĂ©tentes rĂ©alisĂšrent dâautres actes dâenquĂȘte.
Ainsi, sur ordre du parquet de Messine, il fut procĂ©dĂ©, le 17 janvier 2001, Ă lâinspection de la cellule occupĂ©e
par A.C. Ă lâissue de cette
mesure, les deux agents pénitentiaires en charge de celle-ci indiquÚrent en
particulier, dans leur rapport, quâune partie du mobilier avait Ă©tĂ© dĂ©truite,
notamment le lit, le
lavabo, la table Ă manger,
le plafonnier, le plateau du
tĂ©lĂ©viseur et les vitres de la fenĂȘtre. De mĂȘme, une deuxiĂšme inspection fut conduite, le 26 janvier
2001, par les carabinieri, toujours sur ordre du procureur de la RĂ©publique de
Messine.
34. En outre, les enquĂȘteurs mirent la main sur les enregistrements vidĂ©o des camĂ©ras
de surveillance, dont la direction
de la prison avait omis de signaler lâexistence. AprĂšs une mise sur Ă©coute des agents pĂ©nitentiaires, il sâavĂ©ra que ceux-ci avaient
reçu la consigne de la directrice de la prison de ne pas mentionner lâexistence de ces cassettes. Par ailleurs, il fut Ă©tabli que
quatre minutes dâenregistrement
manquaient sur lâune des cassettes.
35. Enfin, au cours de lâenquĂȘte,
le ministĂšre de la Justice ordonna
des inspections Ă la prison de Messine. Une premiĂšre inspection
eut lieu en 2001, laquelle ne révéla aucun élément particulier.
Une deuxiĂšme inspection fut mise en Ćuvre en 2002, dans le cadre de laquelle une commission fut mandatĂ©e et chargĂ©e de rĂ©diger un rapport sur
la prison de Messine.
Dans ce document, la commission ministérielle formulait des critiques
Ă lâĂ©gard de la direction
de la prison, en particulier
le chef des agents pénitentiaires,
jugĂ© totalement incompĂ©tent par rapport au poste occupĂ©, et la directrice de lâĂ©tablissement carcĂ©ral, dĂ©crite comme inattentive
aux problÚmes réels de la prison, et elle proposait le remplacement de ceux-ci.
Sâagissant du suicide du fils
des requĂ©rants, les rĂ©sultats de lâinspection indiquaient que les antĂ©cĂ©dents
de A.C. avaient Ă©tĂ© sous-estimĂ©s et quâil y avait donc eu
une inattention de la part de la direction.
En particulier, la commission
ministérielle critiquait la
décision de remplacer la
« surveillance à vue »,
de nature permanente, par une surveillance Ă intervalles frĂ©quents, tout en prĂ©cisant que ce choix Ă©tait peut-ĂȘtre
justifié par un manque de personnel.
De plus, elle considérait que
le fait que le proche des requérants
avait érigé une barricade dans sa cellule démontrait la nécessité de maintenir la « surveillance
Ă vue » et quâil Ă©tait difficile de comprendre comment se conciliait la demande de transfert « urgent »
en OPG avec la révocation
de la « surveillance à vue ».
Elle mentionnait que, sâil Ă©tait vrai
que le psychiatre avait proposĂ© dâabaisser le niveau de surveillance, lâavis de ce spĂ©cialiste nâĂ©tait pas contraignant. En outre, elle estimait que la direction de la prison aurait pu
adopter une mesure exceptionnelle, consistant en le retrait des draps.
Elle relevait aussi que la directrice de la prison semblait avoir examiné le dossier de A.C. seulement aprÚs sa mort.
- Le renvoi en jugement des personnes mises en examen
36. Le 21 octobre
2003, le ministĂšre public demanda le renvoi en jugement de la directrice de la prison et des agents pĂ©nitentiaires mis en examen. La directrice et lâagent L Ă©taient soupçonnĂ©s de ne pas avoir empĂȘchĂ©
le suicide de A.C. Trois des
gardiens â les agents C, G
et L â Ă©taient soupçonnĂ©s
dâavoir aidĂ© la directrice Ă dissimuler lâexistence des enregistrements
vidéo effectués dans les couloirs
de la prison et Ă entraver
le cours de la justice. Lâagent L Ă©tait Ă©galement mis en cause pour ne pas avoir surveillĂ©
efficacement A.C.
37. Les requérants se constituÚrent
parties civiles dans la procédure le 8 novembre 2004. Dans
le cadre de leur demande, ils mettaient
en cause le comportement des
autorités, leur reprochant de ne pas avoir pris de mesures
aptes à prévenir le suicide
de leur fils et de lâavoir laissĂ© sans assistance mĂ©dicale en cellule alors que son Ă©tat
de santĂ© aurait nĂ©cessitĂ© une hospitalisation dâurgence.
38. Le 15 février
2005, le juge des investigations préliminaires de
Messine renvoya les personnes mises en examen en jugement.
39. Le procĂšs
du psychiatre, accusĂ© de ne pas avoir empĂȘchĂ© le suicide de A.C.,
se dĂ©roula parallĂšlement, dans le cadre dâune procĂ©dure abrĂ©gĂ©e (rito
abbreviato).
- Les décisions rendues dans la procédure
40. Par un jugement
du 17 octobre 2005, le juge dâinstance de Messine acquitta le psychiatre. En particulier, sâagissant de lâaccusation portĂ©e contre ce dernier de ne pas avoir pris en compte
de maniÚre adéquate la
situation de A.C. et dâavoir ensuite
suggéré une réduction du niveau de surveillance,
le juge estima, aprĂšs avoir analysĂ© le comportement du psychiatre, que lâomission allĂ©guĂ©e nâavait pas de lien de causalitĂ© avec la mort de A.C. Il releva ainsi que le psychiatre
avait rencontrĂ© A.C., dâabord le 6 janvier 2001, et suggĂ©rĂ© la « surveillance Ă vue », puis le 9 janvier 2001, et alors apprĂ©ciĂ© lâamĂ©lioration des conditions de A.C. et invitĂ© en consĂ©quence la direction de la prison Ă rĂ©duire le niveau de surveillance. Le juge conclut que le comportement du psychiatre ne pouvait pas ĂȘtre remis
en cause, au motif que, entre sa derniĂšre
visite et le suicide, A.C. « aurait dĂ» ĂȘtre surveillĂ©
par les gardiens sur la
base des instructions que le responsable de la sécurité personnelle des détenus aurait
dû donner à [ces agents] ».
41. Par un jugement du 13 dĂ©cembre 2007, le juge dâinstance de Messine acquitta la directrice de la prison et les autres prĂ©venus.
42. Sâagissant
de lâheure de la dĂ©couverte
du corps de A.C., le juge la dĂ©duisit Ă partir de lâenregistrement vidĂ©o effectuĂ© par les camĂ©ras Ă proximitĂ© de la cellule
du détenu. Il releva ainsi que
les images enregistrĂ©es montraient trois personnes apparaĂźtre Ă lâĂ©cran Ă 19 h 19 et lâune dâentre
elles se mettre Ă courir en direction de la cellule
de A.C., cette mĂȘme personne revenir en courant Ă 19 h 23 et, enfin,
plusieurs personnes, dont
une en blouse blanche, apparaĂźtre
Ă lâĂ©cran Ă 19 h 29. Le juge
considĂ©ra quâil Ă©tait donc raisonnable
dâestimer que la dĂ©couverte du corps
avait eu lieu vers 19 h 19, et
il nota que lâautopsie avait confirmĂ© que le dĂ©cĂšs par pendaison Ă©tait survenu vers 19 heures.
43. Le juge
constata que la directrice
de la prison nâavait pas mentionnĂ© lâexistence du systĂšme
de vidéosurveillance et que
quatre minutes (entre
18 h 34 et 18 h 38) de lâenregistrement
vidéo effectué par les caméras dans
le couloir prĂšs de la
cellule de A.C. manquaient. Il nota quâil fallait toutefois
prendre en compte le fait quâaucune camĂ©ra de surveillance ne filmait lâintĂ©rieur des cellules et que les images concernaient uniquement le couloir extĂ©rieur Ă la cellule.
Par conséquent, il estima que,
à supposer que le film eût été complet,
le moment du passage Ă lâacte suicidaire nâaurait de toute façon pas pu ĂȘtre
enregistrĂ©. Il releva que, mĂȘme si
la directrice de la prison
nâavait pas eu une conduite irrĂ©prochable et mĂȘme si elle nâavait pas pleinement
collaborĂ© avec les enquĂȘteurs, elle nâavait commis aucune infraction pĂ©nale puisquâelle avait remis les cassettes
aux autorités judiciaires à leur demande et que rien ne prouvait que les quatre
minutes litigieuses avaient
Ă©tĂ© effacĂ©es. Il indiqua de plus que les minutes manquantes nâĂ©taient pas importantes
car le fils des requérants avait été vu encore en vie vers 19 heures, soit aprÚs
la coupure du film, par un
agent pénitentiaire.
44. Ensuite,
le juge considĂ©ra que le suicide de A.C. nâĂ©tait pas prĂ©visible pour les motifs suivants :
la directrice de la prison avait ordonnĂ© la levĂ©e de la « surveillance Ă
vue » sur la base de lâavis
du psychiatre, aussi cette décision
ne pouvait-elle lui ĂȘtre reprochĂ©e ; il ne pouvait pas non plus lui ĂȘtre reprochĂ© de ne pas avoir ordonnĂ© le placement du dĂ©tenu dans
une cellule dĂ©pourvue dâobjets,
car les draps auraient vraisemblablement Ă©tĂ© laissĂ©s en place ; la directrice de la prison ne pouvait pas non plus ĂȘtre critiquĂ©e pour sa dĂ©cision de ne pas intervenir par
la force pour enlever la barricade
que A.C. avait Ă©rigĂ©e Ă lâintĂ©rieur de sa
cellule, car cette décision
nâĂ©tait pas en rapport avec le dĂ©cĂšs du
jeune homme. à ce sujet, le juge nota que, étant donné
lâimpossibilitĂ© dâappliquer
la contention physique en prison,
le fils des requĂ©rants nâaurait pas pu ĂȘtre
attachĂ© mĂȘme si le personnel pĂ©nitentiaire avait pu sâapprocher
de lui une fois la barricade démontée.
Il nota aussi que, en tout Ă©tat de cause, aprĂšs avoir reçu la visite de son avocat le 15 janvier 2001, le dĂ©tenu avait lui-mĂȘme retirĂ© les
obstacles qui entravaient
lâentrĂ©e dans la cellule et que,
le lendemain, les agents pénitentiaires avaient pu librement pénétrer
dans la cellule jusquâĂ peu de temps avant
le suicide.
45. Quant
Ă la question de savoir si
la « surveillance à vue »
aurait empĂȘchĂ© le suicide,
le juge constata que cette mesure Ă©tait
réservée aux personnes ayant des tendances suicidaires
et que, en lâoccurrence,
A.C. nâavait commis que
« quelques actes dâautomutilation ». En outre,
il rappela que, dans le cadre de la « trÚs grande surveillance »,
il Ă©tait prĂ©vu une observation poussĂ©e du dĂ©tenu concernĂ© tant par le personnel de sĂ©curitĂ© que par lâĂ©quipe sanitaire, qui devait visiter frĂ©quemment lâintĂ©ressĂ© et avoir avec celui-ci un contact direct
afin de déterminer son état et les conditions
régnant dans la cellule.
46. Le juge
estima que la « trÚs
grande surveillance » à laquelle
A.C. avait été soumis à compter du 9 janvier 2001 convenait parfaitement à la
situation en cause. Il considéra que
la frĂ©quence des contrĂŽles, de mĂȘme que le suivi assurĂ©
par le psychiatre, qui au demeurant aurait dĂ» ĂȘtre quotidien,
Ă©tait apte Ă empĂȘcher le suicide du dĂ©tenu. Ă cet Ă©gard,
il nota que les actes dâautomutilation litigieux nâĂ©taient pas trĂšs importants
et ne laissaient pas prĂ©sager un danger de suicide concret et imminent, et que les 15 et 16 janvier 2001 A.C. semblait ĂȘtre coopĂ©ratif et aurait pris ses
médicaments.
47. Sâagissant des dĂ©faillances dans la surveillance du dĂ©tenu qui Ă©taient reprochĂ©es Ă lâagent L, le juge reconnut celui-ci
non coupable au motif quâaucune nĂ©gligence nâavait Ă©tĂ© constatĂ©e. Pour se prononcer ainsi, il tint le raisonnement suivant. Dâune part, la mesure de
la « trÚs grande surveillance »
que lâagent L devait appliquer ne prĂ©voyait pas lâobligation dâĂȘtre en permanence Ă proximitĂ© de la
cellule du détenu, et la fréquence des contrÎles
nâĂ©tait pas spĂ©cifiĂ©e. Dâautre part, lâassertion selon laquelle il nây avait pas eu
de contrĂŽle dans la demi-heure qui avait prĂ©cĂ©dĂ© le suicide du dĂ©tenu nâĂ©tait pas vĂ©rifiable Ă lâaide des enregistrements
vidĂ©o des camĂ©ras de surveillance. En effet, les images avaient cessĂ© dâĂȘtre filmĂ©es dans
cette partie de la prison Ă 18 h 47 et les
enregistrements nâavaient repris quâĂ 19 h 15, soit aprĂšs le suicide.
48. Ă la suite de lâacquittement,
par le juge dâinstance de
Messine, de la directrice de la prison
et des autres personnes mises en examen, la procédure disciplinaire qui avait été ouverte aprÚs
le renvoi en jugement fut également clÎturée.
49. Les
requérants interjetÚrent appel du jugement
susmentionné. Dans leur recours, ils
allĂ©guaient que le juge unique nâavait
pas statué sur les questions civiles,
relatives aux préjudices matériel et moral subis en raison du décÚs de leur
fils. Le ministĂšre public
ne fit pas appel.
50. Par un arrĂȘt du 15 novembre 2010, la cour dâappel de Messine rejeta lâappel des requĂ©rants.
51. Les
requérants se pourvurent en
cassation.
52. Par un arrĂȘt du 10 mai 2012, dĂ©posĂ© au greffe
le 11 février 2013, la Cour
de cassation débouta les requérants de leur pourvoi.
LE CADRE JURIDIQUE PERTINENT
- LE DROIT INTERNE
53. Selon
les dispositions internes applicables en la matiĂšre, les soins
psychiatriques peuvent ĂȘtre dispensĂ©s par du personnel spĂ©cialisĂ©
appartenant au service de santé de la prison (article 17 du décret
du président de la
République (DPR) no 230 du 30 juin 2000) ou par des médecins extérieurs
Ă lâĂ©tablissement carcĂ©ral
(article 80 de la loi sur lâadministration pĂ©nitentiaire).
Lâarticle 112 du DPR no 230/2000 prĂ©voit que le juge peut,
dâoffice ou sur signalement
du directeur de la prison, demander le dépistage
dâune infirmitĂ© psychique chez un dĂ©tenu. Si lâexamen doit ĂȘtre
effectuĂ© dans un Ă©tablissement externe, la pĂ©riode dâobservation ne peut pas dĂ©passer
trente jours.
54. Les
hÎpitaux psychiatriques judiciaires (« les
OPG ») ont été fermés définitivement le 31 mars 2015, en application des lois no 9 du 17 février 2012 et no 81 du 30 mai 2014.
- LES TEXTES DU
CONSEIL DE LâEUROPE
- Le Comité des Ministres
55. Le 12 février
1987, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation (87) 3 sur les
RÚgles pénitentiaires
européennes[2], en vigueur au moment des faits.
Les RÚgles pénitentiaires européennes font état
des recommandations du Comité des
Ministres aux Ătats membres du
Conseil de lâEurope quant aux normes minimales
Ă appliquer dans les prisons. Les
Ătats sont encouragĂ©s Ă sâinspirer de ces rĂšgles dans
lâĂ©laboration de leurs lĂ©gislations et de leurs politiques et Ă en assurer une
large diffusion auprĂšs de leurs autoritĂ©s judiciaires, ainsi quâauprĂšs du personnel
pénitentiaire et des détenus. En particulier, les rÚgles pertinentes
en lâespĂšce Ă©taient ainsi libellĂ©es :
« 30. 1. Le médecin
est chargé de surveiller la
santé physique et mentale des
détenus. Il doit voir, dans les
conditions et suivant la frĂ©quence quâimposent les normes hospitaliĂšres,
tous les détenus malades, tous ceux qui signalent
ĂȘtre malades, blessĂ©s, et tous ceux sur lesquels son attention est particuliĂšrement attirĂ©e.
2. Le médecin doit présenter un rapport au directeur chaque
fois quâil estime que la santĂ© physique ou mentale a Ă©tĂ© ou sera dĂ©favorablement affectĂ©e par la prolongation ou par une modalitĂ© quelconque de la dĂ©tention.
31. (...) 2. Le directeur
doit prendre en considération les rapports et conseils du médecin
visĂ©s aux rĂšgles 30, paragraphe 2, et 31, paragraphe 1, et, en cas dâaccord, prendre immĂ©diatement les mesures voulues pour que ces recommandations
soient suivies; en cas de désaccord ou si la matiÚre
nâest pas de sa compĂ©tence,
il transmettra immédiatement
ses propres commentaires et le rapport médical
Ă lâautoritĂ© supĂ©rieure.
32. Les
services mĂ©dicaux de lâĂ©tablissement
doivent sâefforcer de dĂ©pister et de traiter toutes les maladies
physiques ou mentales, ou de corriger les défauts susceptibles
de compromettre la réinsertion
du détenu aprÚs sa libération.
Ă cette fin,
il doit ĂȘtre fourni au dĂ©tenu
tous les soins médicaux, chirurgicaux et psychiatriques
nécessaires, y compris ceux
qui sont dispensĂ©s Ă lâextĂ©rieur.
(...) »
56. Le 8 avril
1998, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation R (98) 7 relative aux aspects éthiques
et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire. Le chapitre D du titre III est dédié aux symptÎmes
psychiatriques, troubles mentaux et troubles graves de la personnalitĂ© ainsi quâau risque
de suicide. En particulier, il prévoit
que :
« 55. Les
dĂ©tenus souffrant de troubles mentaux graves devraient pouvoir ĂȘtre placĂ©s
et soignĂ©s dans un service hospitalier dotĂ© de lâĂ©quipement adĂ©quat et disposant dâun personnel qualifiĂ©. La dĂ©cision dâadmettre un dĂ©tenu dans un hĂŽpital public devrait ĂȘtre prise
par un mĂ©decin psychiatre sous rĂ©serve de lâautorisation des autoritĂ©s compĂ©tentes.
56. Dans les cas oĂč
lâisolement cellulaire des malades mentaux
ne peut ĂȘtre Ă©vitĂ©, celui-ci devrait ĂȘtre rĂ©duit
à une durée minimale et remplacé
dĂšs que possible
par une surveillance infirmiĂšre
permanente et personnelle.
57. Dans des situations exceptionnelles,
sâagissant de malades souffrant de troubles mentaux graves, le recours Ă des mesures
de contrainte physique peut
ĂȘtre envisagĂ© pendant une durĂ©e minimale correspondant au temps nĂ©cessaire pour quâune thĂ©rapie mĂ©dicamenteuse dĂ©ploie lâeffet de sĂ©dation attendu.
58. Les risques de suicide devraient ĂȘtre apprĂ©ciĂ©s en permanence par le personnel mĂ©dical et pĂ©nitentiaire. Suivant le cas, si des mesures de contrainte physique conçues pour empĂȘcher les dĂ©tenus
malades de se porter prĂ©judice Ă eux-mĂȘmes ont Ă©tĂ© utilisĂ©es,
une surveillance Ă©troite et
permanente et un soutien relationnel
devraient ĂȘtre utilisĂ©s pendant les pĂ©riodes de crise »
- Le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)
57. En juin
1993, le CPT a publiĂ© son 3e Rapport gĂ©nĂ©ral, intitulĂ© «Les services mĂ©dicaux en prison», oĂč il prĂ©conise en particulier ce qui suit :
« 43. Un détenu
malade mental doit ĂȘtre pris
en charge et traitĂ© dans un milieu hospitalier Ă©quipĂ© de maniĂšre adĂ©quate et dotĂ© dâun personnel qualifiĂ©. Cette structure pourrait ĂȘtre soit
un hÎpital psychiatrique civil, soit une unité psychiatrique spécialement équipée, établie au sein
du systÚme pénitentiaire.
(...)
Quelle que soit lâoption prise, la capacitĂ© dâaccueil de lâunitĂ© psychiatrique doit ĂȘtre suffisante.
Il existe trop souvent un dĂ©lai dâattente prolongĂ© lorsquâun transfert est devenu nĂ©cessaire. Le transfert de la personne
en question dans une unitĂ© psychiatrique doit ĂȘtre considĂ©rĂ©
comme une question hautement prioritaire. ».
EN DROIT
58. Sur le terrain de lâarticle 2 de la
Convention, les requérants
se plaignent que les autorités nationales
nâaient pas pris les mesures
suffisantes pour prévenir
le suicide de leur fils. Toujours sur le terrain du mĂȘme article,
ils critiquent lâenquĂȘte menĂ©e sur les circonstances de la mort de leur fils
et les responsabilitĂ©s dans ce dĂ©cĂšs en ce quâelle nâaurait pas Ă©tĂ© conforme aux obligations de nature procĂ©durale de cette disposition, qui est ainsi libellĂ©e en ses parties pertinentes :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par
la loi. (...) »
59. Le Gouvernement
conteste cette thĂšse.
- Sur la recevabilité
60. Le Gouvernement
excipe dâun dĂ©faut
manifeste de fondement de la requĂȘte.
Les arguments quâil formule Ă ce sujet se confondent avec ses observations sur le fond.
61. Aussi
la Cour examinera-t-elle la
globalité des observations du gouvernement défendeur dans son analyse sur le fond.
62. Constatant
que ce grief nâest pas manifestement mal fondĂ© ni irrecevable pour un autre motif visĂ©
Ă lâarticle 35 de la Convention, la Cour le dĂ©clare recevable.
- Sur le fond
- Sur lâobligation de protĂ©ger la
vie du proche des requérants
a) ThĂšse
des parties
63. Les
requérants soutiennent que les autorités
internes ont failli, par manque de précautions
et par négligence, à adopter
les mesures nĂ©cessaires et adĂ©quates propres Ă empĂȘcher le suicide de leur fils. Ils renvoient,
entre autres, au rapport dâinspection de la commission du ministĂšre
de la Justice de 2002 (paragraphe 35 ci-dessous),
dont il résulte, selon eux, que le geste
fatal de leur proche aurait pu
ĂȘtre Ă©vitĂ©. Ils affirment que
les troubles psychiques de leur fils Ă©taient bien
connus des différents acteurs concernés, ce qui, à leur avis, aurait dû
inciter la direction de la prison Ă adopter des mesures raisonnables
et appropriées à la situation. En particulier,
les requérants reprochent aux autorités de ne pas avoir adapté le niveau de surveillance aux circonstances.
64. Le Gouvernement
réplique que le grief est manifestement mal fondé. Il expose que les autorités
ont pris toutes les mesures
envisageables pour prévenir
le risque de suicide.
65. Tout dâabord, il indique que les autoritĂ©s
Ă©taient conscientes des troubles de la personnalitĂ© de A.C. et quâune prise en charge avait Ă©tĂ© assurĂ©e.
PrĂ©cisant que lâĂ©tat de santĂ© du
proche des requérants avait été jugé compatible
avec la détention, il estime que les
autorités pénitentiaires ont agi avec diligence et répondu de maniÚre adéquate aux signaux
de détresse de A.C. Ainsi, les séances avec
le psychiatre, lâadoption des
différentes mesures de surveillance, le choix de ne pas forcer la barricade
Ă©rigĂ©e par lâintĂ©ressĂ©, de mĂȘme que la cĂ©lĂ©ritĂ©
â allĂ©guĂ©e par le gouvernement
dĂ©fendeur â dans le traitement de la demande de
transfert vers lâOPG, prouveraient
lâattention portĂ©e Ă la
situation litigieuse ainsi que le respect des obligations dĂ©coulant de lâarticle 2 de la
Convention.
66. Par ailleurs,
le Gouvernement met en avant le fait que
les tribunaux internes ont acquitté
les prévenus, en particulier la directrice de la prison. Il expose ce qui suit : les juridictions nationales ont estimé que
le comportement de lâintĂ©ressĂ©e
ne dénotait pas un manque
de diligence de sa part au regard
de la situation ; les tribunaux
ont en effet relevé que la directrice
de la prison avait prescrit un suivi psychiatrique et thérapeutique de
A.C., que lorsque celui-ci sâĂ©tait retranchĂ© Ă lâintĂ©rieur de sa
cellule elle avait refusé
dâordonner aux agents pĂ©nitentiaires dâen forcer
lâentrĂ©e afin dâĂ©viter des rĂ©actions impulsives
de ce dernier, et quâelle avait
ensuite dĂ©cidĂ© dâabaisser le niveau de surveillance en se fondant sur lâavis
du psychiatre, qui attestait une diminution des signes dâagitation
du détenu.
67. En ce qui concerne les autres aspects
contestĂ©s, le Gouvernement indique que la demande dâhospitalisation a Ă©tĂ© traitĂ©e en urgence et il rĂ©fute la thĂšse de lâexistence dâun lien de
causalité entre le défaut de transfert de A.C. dans
une autre cellule et son suicide. Il soutient quâun Ă©ventuel transfert nâaurait pu empĂȘcher le passage Ă lâacte.
68. Enfin,
le Gouvernement invite la Cour Ă ne pas prendre
en compte le rapport dâinspection
de la commission ministérielle
de 2002, au motif quâil avait trait Ă une inspection gĂ©nĂ©rale de la prison, et non pas au suicide de A.C.
b) Appréciation
de la Cour
69. La Cour
rappelle que la prĂ©sente affaire engage la responsabilitĂ© de lâĂtat sur le terrain de lâarticle 2 de la
Convention dans la mesure oĂč cette disposition
astreint lâĂtat non seulement Ă sâabstenir de provoquer la mort de maniĂšre volontaire et irrĂ©guliĂšre, mais aussi Ă prendre les mesures
nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant
de sa juridiction (Keenan
c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 89, CEDH 2001‑III).
70. Elle rappelle
aussi, comme elle lâa fait dans le rĂ©cent
arrĂȘt rendu en
lâaffaire Fernandes de Oliveira c. Portugal [GC]
(no 78103/14, §§ 110 et suiv., 31 janvier 2019), que lâobligation qui pĂšse sur les autoritĂ©s de protĂ©ger la vie dâune personne
privée de liberté est établie dÚs
lors que celles-ci savaient ou auraient dĂ»
savoir quâil y avait un risque rĂ©el et immĂ©diat de voir la personne concernĂ©e attenter Ă ses jours. Pour caractĂ©riser un manquement Ă cette obligation, il faut ensuite dĂ©montrer que les autoritĂ©s
ont omis de prendre, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures
qui, dâun point de vue raisonnable,
auraient sans doute parĂ© Ă
ce risque.
71. Quant
Ă lâĂ©tablissement des faits entourant la question de savoir si les autoritĂ©s Ă©taient
au courant de lâexistence dâun risque rĂ©el et immĂ©diat pour la vie de
lâindividu concernĂ© ou auraient dĂ» lâĂȘtre,
la Cour devra prendre en compte un certain nombre de facteurs (Fernandes de Oliveira, précité, § 115), en particulier
les antĂ©cĂ©dents de troubles mentaux et la gravitĂ© de la maladie affectant lâintĂ©ressĂ©, la commission dâactes dâautomutilation et de tentatives
de suicide, les gestes et
pensées suicidaires ou les signes de détresse
physique ou mentale.
72. En lâoccurrence,
la Cour note, Ă titre prĂ©liminaire, quâen raison de sa privation de libertĂ©
et de ses troubles mentaux A.C. était particuliÚrement vulnérable (De
Donder et De Clippel c. Belgique, no 8595/06, § 75, 6 décembre
2011, et Renolde c. France,
no 5608/05, § 84, CEDH 2008 (extraits)).
73. Ensuite,
la Cour observe quâavant son arrivĂ©e Ă la prison de Messine A.C. avait Ă©tĂ© placĂ© Ă plusieurs
reprises en OPG pour des périodes
dâobservation. Le proche des requĂ©rants avait Ă©tĂ© diagnostiquĂ©
comme souffrant dâun
ensemble de troubles de la personnalité
qualifié de « dramatic
cluster », caractérisé entre
autres par un comportement
« borderline ». Toujours avant son arrivée à la prison de Messine, A.C. avait
commis des tentatives de
suicide et des actes dâautomutilation (paragraphe 5 ci-dessus). Son dossier mĂ©dical faisait ainsi Ă©tat
de ses troubles mentaux et de sa vulnérabilité (voir, a contrario, Isenc
c. France, no 58828/13, § 38, 4 février
2016, § 39).
74. La Cour
relĂšve dâailleurs que le gouvernement dĂ©fendeur, dans ses observations (paragraphe 65 ci-dessus), indique expressĂ©ment que les autoritĂ©s
italiennes Ă©taient au courant de lâĂ©tat de santĂ© du
fils des requĂ©rants et quâĂ partir de son arrivĂ©e Ă la prison de Messine elles ont mis
en place une prise en charge
spécifique.
75. La Cour
estime que le risque de suicide de A.C., en plus dâĂȘtre
réel, était aussi immédiat. Il suffit, en effet, de se référer à la dégradation
progressive de lâĂ©tat mental
de A.C. à partir de son arrivée à la prison de Messine, notamment à compter du 3 janvier
2001 et jusquâau jour de son dĂ©cĂšs,
treize jours plus tard (paragraphes 7 et suivants
ci-dessus) (voir, mutatis mutandis, Keenan, précité, § 96,
et Ketreb c. France, no 38447/09, § 83, 19 juillet 2012).
76. En conclusion,
la Cour est convaincue que les autorités
avaient connaissance quâil y avait un risque rĂ©el et immĂ©diat que A.C. pĂ»t commettre des
actes dâauto-agression et attenter fatalement Ă ses jours.
77. Reste à savoir si les autorités
ont fait tout ce que lâon pouvait raisonnablement attendre dâelles pour prĂ©venir le risque de suicide, Ă©tant entendu quâil convient
dâinterprĂ©ter cette obligation de maniĂšre Ă ne pas imposer aux
autorités un fardeau insupportable ou excessif, et que, toute menace présumée
contre la vie nâoblige pas les autoritĂ©s,
au regard de la Convention,
à prendre des mesures concrÚtes pour en prévenir la réalisation (voir, parmi beaucoup
dâautres, Fernandes de Oliveira, prĂ©citĂ©, § 111).
78. ConcrĂštement,
il suffit que le requérant démontre que les autorités
nâont pas fait tout ce que lâon pouvait raisonnablement attendre dâelles dans les circonstances
de la cause pour empĂȘcher la matĂ©rialisation
dâun risque certain et immĂ©diat pour la vie dont elles avaient ou auraient
dû avoir connaissance (Isenc, précité, § 38, avec la jurisprudence citée).
79. Sâagissant
des mesures adoptées par les autorités dans la présente affaire, la Cour ne
saurait nier que ces derniĂšres
ont mené certaines actions pour assurer la
protection de la vie de A.C.
80. En effet,
on peut noter que, le 3 janvier 2001, lâadministration carcĂ©rale a rĂ©pondu Ă la demande de transfert
de A.C. lorsque celui-ci a affirmĂ© craindre pour sa vie dans la cellule oĂč il se trouvait. LâintĂ©ressĂ© a alors Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©
sans délai dans une cellule
individuelle dans le
quartier pénitentiaire « sosta » (paragraphe 7 ci-dessus).
81. Ensuite,
lorsque les premiers Ă©pisodes dâauto-agression ont Ă©tĂ© observĂ©s,
respectivement le 5 janvier
2001 (paragraphe 8 ci-dessus)
et le 6 janvier 2001 (paragraphe 9 ci-dessus), A.C. a Ă©tĂ© examinĂ© par le psychiatre de la prison, qui lui a prescrit une thĂ©rapie mĂ©dicamenteuse. Ce spĂ©cialiste a aussi suggĂ©rĂ© la mise en place dâun contrĂŽle
plus poussĂ© du dĂ©tenu, Ă savoir la « surveillance Ă vue », le niveau maximal de surveillance. Le mĂȘme jour, la direction de la prison a entĂ©rinĂ© lâavis du psychiatre et appliquĂ© ladite mesure (paragraphe 10 ci-dessus).
82. Cela Ă©tant,
la Cour remarque lâexistence de plusieurs Ă©lĂ©ments tĂ©moignant dâun dĂ©faut de diligence de la part des
autorités.
83. Tout dâabord, elle relĂšve que douze jours se sont Ă©coulĂ©s entre
les Ă©pisodes dâauto-agression et lâautorisation du transfert de A.C. vers un OPG
(paragraphe 12 ci-dessus).
Elle estime quâun tel dĂ©lai ne saurait
passer pour compatible avec le caractĂšre urgent du transfert en OPG, dont
le rapport du médecin faisait état.
84. Un autre
Ă©lĂ©ment quâil y a lieu de mettre en Ă©vidence concerne la dĂ©cision, prise le 9 janvier 2001 par la direction de la prison, dâabaisser le niveau de surveillance (de « surveillance
à vue » à « trÚs
haute surveillance »), le jour mĂȘme oĂč la demande
de transfert était adressée
au juge dâapplication
des peines. Au-delĂ de la contradiction entre les deux
dĂ©cisions, prises le mĂȘme jour, la Cour observe que par la suite, nonobstant une succession dâĂ©pisodes tĂ©moignant de la dĂ©gradation manifeste de lâĂ©tat
de santé de A.C., les autorités ne sont jamais revenues sur la décision
relative au niveau de surveillance et nâont jamais revu Ă la hausse celui-ci.
85. Or il convient
de rappeler que A.C. refusait, depuis le 6 janvier 2001, de suivre le traitement pharmacologique prescrit. Il semble, en effet, que câest seulement Ă la veille de son
suicide, le 15 janvier 2001 au
soir, que A.C. aurait accepté de prendre ses médicaments,
circonstance qui toutefois
nâa pas Ă©tĂ© reportĂ©e dans son dossier mĂ©dical (paragraphe 20 ci-dessus). Ă cet Ă©gard, la Cour relĂšve Ă©galement quâaucun Ă©lĂ©ment ne permet de dĂ©terminer si le personnel mĂ©dical exerçait un contrĂŽle sur la rĂ©alitĂ© de la prise des mĂ©dicaments
par A.C. et sur la maniÚre dont celle-ci se déroulait.
86. De surcroĂźt,
la Cour note que, aprÚs le 9 janvier 2001, A.C. a détruit une partie du mobilier de sa cellule, dont le lit,
quâil sâest retranchĂ© Ă lâintĂ©rieur de celle-ci et quâil a Ă©galement endommagĂ© lâĂ©clairage et fermĂ© les volets de sa cellule (paragraphe 17 ci-dessus),
en restant ainsi dans lâobscuritĂ© totale pendant les jours prĂ©cĂ©dant son acte fatal.
87. Lâabsence
de lumiĂšre dans la cellule de A.C. est un aspect que la Cour
entend souligner, Ă la fois
pour les difficultés que celle-ci a engendrées pour les agents pénitentiaires pendant la surveillance
de lâintĂ©ressĂ© et lors de
lâentrĂ©e dans la cellule aprĂšs
le suicide de ce dernier (paragraphe 29 ci‑dessus), mais aussi pour lâeffet quâelle a pu avoir sur lâĂ©tat mental fragile du dĂ©tenu.
88. Aux
yeux de la Cour, les dĂ©gradations de la cellule signalaient un Ă©tat de souffrance et dâagitation particuliĂšrement Ă©levĂ©. En outre, dâaprĂšs les tĂ©moignages des agents pĂ©nitentiaires, A.C. tenait des propos
délirants et paranoïaques (paragraphe 17 ci-dessus).
89. La Cour
prend note de la position du
gouvernement défendeur, qui
avance que la direction de
la prison a suivi lâavis du psychiatre,
lorsquâelle a dĂ©cidĂ© dâabaisser le niveau de surveillance, et quâelle a choisi de ne pas agir pour dĂ©gager de force lâentrĂ©e de la cellule, et ce afin dâĂ©viter de voir la situation empirer (paragraphe 66 ci-dessus).
90. La Cour
remarque toutefois que lâavis du
psychiatre nâĂ©tait pas contraignant et que, selon son propre tĂ©moignage, ce mĂ©decin, qui remplaçait le psychiatre titulaire, avait vu A.C. pour la premiĂšre fois le 6 janvier 2001. Ă cet Ă©gard, elle renvoie aux principes de la Recommandation R (98) 7 du
Comité des Ministres du Conseil
de lâEurope (paragraphe 56 ci-dessus), qui prĂ©conisent que les risques
de suicide soient appréciés
en permanence par le personnel
médical et pénitentiaire.
En lâoccurrence, elle observe
que, au cours
de la période comprise entre le 10 et le 14 janvier
2001, A.C. nâa pas Ă©tĂ© vu
par le psychiatre, nonobstant
son état trÚs agité et les dégradations
manifestes de sa cellule, et ce alors
que des consultations
psychiatriques quotidiennes
auraient dĂ» ĂȘtre prĂ©vues (paragraphe 46 ci-dessus).
91. La Cour
note que, certes, la direction de la prison a permis Ă lâavocat de A.C. de rendre visite Ă ce dernier directement
dans sa cellule (paragraphe 19 ci-dessus). Toutefois, cet Ă©lĂ©ment ne saurait venir compenser le fait quâaucune autre dĂ©cision ou mesure raisonnable
nâa Ă©tĂ© prise par les autoritĂ©s pour rĂ©duire le risque de suicide, comme le transfert dans une autre cellule dotĂ©e dâun Ă©clairage fonctionnel, le nettoyage des lieux
ou la mise en place de consultations
frĂ©quentes avec le psychiatre (Ăoşelav
c. Turquie, no 1413/07, § 62, 9 octobre 2012).
92. Ă titre
surabondant, la Cour remarque que, sâagissant du rĂ©gime
de « trÚs haute surveillance »
â dans le cadre duquel la porte blindĂ©e devait rester ouverte
et la frĂ©quence des contrĂŽles ĂȘtre consĂ©quente â, aucun Ă©lĂ©ment du dossier ne permet de savoir en quoi, plus prĂ©cisĂ©ment, ce rĂ©gime consistait. Il ressort du dossier quâaucune instruction concrĂšte (ordine di servizio) nâa Ă©tĂ© donnĂ©e par la directrice de la prison ou le chef des agents pĂ©nitentiaires aux gardiens quant Ă la frĂ©quence des contrĂŽles.
Ă ce propos, la Cour observe que, dans
la dĂ©cision dâacquittement du psychiatre, le juge dâinstance de Messine a estimĂ© que celui-ci
ne pouvait pas ĂȘtre tenu pour pĂ©nalement responsable, au motif que
le suicide avait eu lieu alors que
A.C. Ă©tait soumis Ă une
« trÚs haute surveillance »
et quâil aurait dĂ», dans ce cadre,
ĂȘtre surveillĂ© par les gardiens sur la base des instructions que le responsable de la sĂ©curitĂ© personnelle des dĂ©tenus aurait
dĂ» transmettre Ă ces agents (paragraphe 40 ci-dessus). La Cour renvoie aussi au
rapport dâinspection Ă©tabli
par la commission du ministĂšre de la Justice, qui contenait
des critiques spĂ©cifiques Ă propos de la gestion de la situation de A.C. DâaprĂšs
ce rapport, les autorités impliquées avaient sous-estimé les antécédents du proche des requérants
et nâavaient pas prĂ©vu un niveau de surveillance adaptĂ© Ă son Ă©tat (paragraphe 35 ci-dessus).
93. Compte
tenu de tous ces éléments, la Cour est convaincue que les autorités
nâont pas pris les mesures
raisonnables qui sâimposaient
pour assurer lâintĂ©gritĂ© de
A.C. Les considérations qui
précÚdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que les autorités
ont manqué à leur obligation positive de protéger le droit à la vie de
A.C.
94. Partant, il y
a eu violation de lâarticle 2 de la Convention sous
son volet matériel.
- Sur lâobligation procĂ©durale de mener une enquĂȘte effective
a) ThĂšses
des parties
95. Les
requĂ©rants allĂšguent que lâenquĂȘte ayant
été menée sur les causes de la mort de leur fils
et ayant pour but lâidentification des Ă©ventuels responsables de son dĂ©cĂšs nâa pas Ă©tĂ©
effective.
96. Le gouvernement
défendeur réplique que les assertions
formulĂ©es par les requĂ©rants sont sommaires, ceux-ci sâĂ©tant selon lui bornĂ©s Ă mentionner la jurisprudence pertinente en la matiĂšre
de la Cour.
97. En particulier,
il soutient que les autorités compétentes
ont ouvert lâenquĂȘte de maniĂšre rapide et
diligente. Il plaide ensuite
que lâenquĂȘte a Ă©tĂ© adĂ©quate et effective, prĂ©cisant Ă cet Ă©gard que
le respect du principe du contradictoire a Ă©tĂ© garanti et quâil a Ă©tĂ© procĂ©dĂ© Ă un examen rigoureux des faits de lâespĂšce sur trois degrĂ©s de juridiction. Il avance aussi que, parallĂšlement
à la procédure pénale, une procédure disciplinaire a été menée par les
autoritĂ©s, avant dâĂȘtre clĂŽturĂ©e Ă la suite de lâacquittement des personnes mises en examen.
b) Appréciation
de la Cour
98. La Cour
rappelle que les faits de la prĂ©sente affaire font naĂźtre une obligation de nature procĂ©durale envers lâĂtat quant
Ă la nĂ©cessitĂ© dâĂ©tablir les causes de la mort de A.C. et dâexaminer, une
fois le suicide Ă©tabli, si les
autoritĂ©s impliquĂ©es Ă©taient dâune quelconque maniĂšre responsables dâun Ă©chec Ă lâempĂȘcher. Les principes applicables
Ă lâenquĂȘte ont Ă©tĂ© Ă©noncĂ©s dans
lâarrĂȘt Mustafa Tunç
et Fecire Tunç (c.
Turquie [GC], no 24014/05, §§ 169-182, 14 avril 2015).
99. En particulier, pour
ĂȘtre qualifiĂ©e dâ« effective », lâenquĂȘte doit ĂȘtre adĂ©quate
(Ramsahai et autres
c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, § 324, CEDH 2007‑II, et Giuliani
et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 301, CEDH 2011 (extraits))
et indépendante (Mustafa Tunç
et Fecire Tunç, prĂ©citĂ©, §§ 222-224), ĂȘtre menĂ©e avec cĂ©lĂ©ritĂ©
et avec une diligence raisonnable
(Fountas c. GrÚce, no 50283/13, § 72, 3 octobre 2019)
et, enfin, ĂȘtre accessible Ă la famille de la victime (De Donder et De Clippel, prĂ©citĂ©, § 86).
Lâexigence dâun contrĂŽle
public est Ă©galement pertinente dans
ce contexte (Troubnikov
c. Russie, no 49790/99, § 88, 5 juillet 2005).
100. En lâespĂšce,
la Cour note que lâenquĂȘte sur le suicide de A.C. a Ă©tĂ©
conduite par le procureur
de la RĂ©publique de Messine. Dans les
premiers jours ayant suivi
le décÚs de A.C., il a été ordonné une autopsie du corps du détenu,
laquelle a été réalisée par un médecin tiers désigné par le parquet. Cet examen a confirmé
les causes du décÚs par pendaison
et suffocation subséquente.
De plus, deux inspections
de la cellule ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es, toujours sur ordre du parquet : dâabord par les agents pĂ©nitentiaires, le lendemain du dĂ©cĂšs, puis
par les carabinieri, quelques
jours plus tard (paragraphe 33 ci-dessus).
101. La Cour
note aussi que le parquet a
auditionné les personnes mises en examen, le chef des agents pénitentiaires, le médecin responsable de la prison et les requérants, et que les enregistrements
de la vidéosurveillance externe
à la cellule ont été saisis et analysés.
102. Elle note également que le 21 octobre 2003 le parquet a demandé
le renvoi en jugement des personnes mises
en examen, que les requérants ont pu se constituer
parties civiles (paragraphe 37 ci-dessus) et que le 15 février 2005 le juge des investigations préliminaires a renvoyé les personnes mises
en examen en jugement (voir, a contrario, Patsaki
et autres c. GrĂšce,
no 20444/14, § 75, 7 février 2019).
103. La Cour
constate que les requĂ©rants nâont pas mis en doute
lâindĂ©pendance des enquĂȘteurs. En tout Ă©tat de
cause, elle estime que les personnes chargées
de lâenquĂȘte, Ă savoir les membres du
parquet de Messine et les carabinieri, sont indépendantes des personnes impliquées
dans le décÚs (Malik Babayev c. Azerbaïdjan,
no 30500/11, § 81, 1er juin
2017).
104. La Cour
observe en outre que le parquet a procédé aux mesures raisonnables
Ă mĂȘme dâassurer la collecte des Ă©lĂ©ments
de preuve concernant les faits litigieux,
y compris, notamment, Ă lâaudition des tĂ©moins
et des personnes mises en examen, Ă lâĂ©tude des enregistrements
de vidĂ©osurveillance et Ă lâautopsie
du corps de A.C. Ce dernier
examen a permis dâobtenir un compte rendu complet sur les blessures subies
par le détenu et une analyse
objective des causes du décÚs.
La Cour observe aussi quâune procĂ©dure
disciplinaire a Ă©tĂ© menĂ©e, parallĂšlement Ă la procĂ©dure pĂ©nale, dĂšs le renvoi en jugement, et quâelle a par la
suite Ă©tĂ© clĂŽturĂ©e aprĂšs le jugement du tribunal de premiĂšre instance (paragraphe 48 ci-dessus). Qui plus est, les requĂ©rants ont Ă©tĂ© associĂ©s Ă la procĂ©dure, dĂšs lors quâils ont
été entendus par le
parquet, dâabord au cours des premiĂšres phases de lâenquĂȘte, puis en leur qualitĂ©
de parties civiles au cours du procĂšs,
dans le cadre duquel ils ont
pu dénoncer des négligences dans la prise en charge de leur fils (De Donder et De Clippel, précité, § 86).
105. Concernant
la cĂ©lĂ©ritĂ© de lâenquĂȘte,
et compte tenu du volume des éléments
de preuve recueillis, la Cour considĂšre que la durĂ©e de la procĂ©dure ne permet pas de douter de lâeffectivitĂ© de lâenquĂȘte. En effet, lâenquĂȘte proprement dite sâest Ă©talĂ©e sur
une durée de deux ans et neuf mois
(paragraphe 36 ci-dessus).
De plus, à la différence de ce qui a été observé dans
les affaires Fernandes de Oliveira (précité, § 139), et Patsaki
et autres (précité,
§§ 74 et 75), aucun défaut
de lâenquĂȘte ne peut ĂȘtre Ă©tabli en lâespĂšce.
106. La Cour
estime ainsi que les autorités
ont soumis le cas de A.C. Ă un examen scrupuleux et quâelles ont donc menĂ©
une enquĂȘte effective sur les circonstances ayant entourĂ© son dĂ©cĂšs (Erikan Bulut c. Turquie, no 51480/99, § 45, 2 mars 2006). Par
consĂ©quent, il nây a pas eu violation
du volet procĂ©dural de lâarticle 2 de la
Convention.
- SUR LA VIOLATION
ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 3 DE LA CONVENTION
107. Les
requĂ©rants se plaignent que le maintien en prison de leur fils, sans assistance mĂ©dicale adĂ©quate, ait constituĂ© un traitement contraire Ă lâarticle 3 de la Convention, ainsi
libellé :
« Nul ne peut ĂȘtre soumis
Ă la torture ni Ă des peines
ou traitements inhumains ou dégradants. »
108. Le Gouvernement
conteste cette thĂšse.
109. La Cour
constate que ce grief est lié à celui examiné
ci-dessus et quâil doit ĂȘtre dĂ©clarĂ©
recevable.
110. Eu Ă©gard
Ă la conclusion Ă laquelle
elle est parvenue sur le terrain
de lâarticle 2 de la Convention (paragraphe 94 ci-dessus), la Cour estime quâil est inutile dâexaminer la question de savoir si, en lâespĂšce, il y a eu violation de lâarticle 3 (voir, parmi dâautres prĂ©cĂ©dents, De Donder et
De Clippel, précité, §
91).
- SUR LâAPPLICATION
DE LâARTICLE 41 DE LA CONVENTION
111. Aux
termes de lâarticle 41 de
la Convention :
« Si la Cour
dĂ©clare quâil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles,
et si le droit interne de
la Haute Partie contractante
ne permet dâeffacer quâimparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă la partie lĂ©sĂ©e, sâil y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. »
- Dommage
112. Les
requérants demandent
8 108,35 euros (EUR) au
titre du dommage matĂ©riel quâils indiquent avoir subi, pour les frais engagĂ©s
pour les funérailles de leur fils, et 333 683,93 EUR
au titre du dommage moral quâils disent avoir
subi.
113. Le Gouvernement
considÚre que les prétentions des requérants sont dépourvues de lien de causalité avec les préjudices allégués et, en tout état de
cause, manifestement excessives.
114. La Cour
ne discerne aucun lien de causalitĂ© suffisant entre la violation constatĂ©e et le dommage matĂ©riel allĂ©guĂ©. Elle rejette donc la demande formulĂ©e Ă ce titre. Elle estime en revanche quâil y a lieu dâoctroyer aux requĂ©rants,
conjointement, la somme de 32 000 EUR pour dommage moral.
- Frais et dépens
115. Les
requérants réclament
10 927,44 EUR au titre
des frais et dépens engagés par eux dans le cadre
de la procédure menée devant les juridictions
internes, et ils sâen remettent Ă la sagesse de la Cour quant aux
frais et dépens afférents à la procédure menée devant celle-ci.
116. Le Gouvernement
conteste le montant réclamé
par les requĂ©rants, auxquels il reproche de nâavoir fourni aucun
document Ă lâappui de leur demande.
117. Selon
la jurisprudence de la Cour,
un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens
que dans la mesure oĂč se trouvent
établis leur réalité, leur nécessité
et le caractĂšre raisonnable
de leur taux. En lâespĂšce, compte tenu des critĂšres
susmentionnés et des documents soumis par les requérants, la Cour juge raisonnable
dâallouer Ă ceux-ci, conjointement, la somme de 900 EUR pour une partie des frais
et dépens afférents à la procédure interne, et elle rejette,
en lâabsence de piĂšces justificatives, le restant de la demande prĂ©sentĂ©e au titre des
frais et dépens relatifs à cette procédure et à la procédure menée devant elle.
- IntĂ©rĂȘts moratoires
118. La Cour
juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires
sur le taux dâintĂ©rĂȘt de la
facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, Ă
LâUNANIMITĂ,
- DĂ©clare la requĂȘte recevable ;
- Dit quâil y a eu violation de lâarticle 2 de
la Convention en son volet matériel ;
- Dit quâil nây a pas eu violation
de lâarticle 2 de la Convention en son volet procĂ©dural ;
- Dit quâil nây a pas lieu dâexaminer le grief formulĂ© sur le terrain de lâarticle 3 de la Convention ;
- Dit,
a) que lâĂtat dĂ©fendeur
doit verser conjointement aux requérants, dans un délai de trois mois, les sommes
suivantes :
- 32 000 EUR (trente-deux mille euros),
plus tout montant pouvant
ĂȘtre dĂ» sur cette somme Ă titre dâimpĂŽt, pour dommage moral,
- 900 EUR (neuf cents euros), plus tout
montant pouvant ĂȘtre dĂ» sur cette somme par les requĂ©rants Ă titre dâimpĂŽt, pour frais et dĂ©pens,
b) quâĂ compter de lâexpiration dudit dĂ©lai et jusquâau versement, ces montants seront Ă majorer dâun intĂ©rĂȘt simple Ă un taux Ă©gal Ă celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette
période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6.Rejette le surplus de la demande
de satisfaction Ă©quitable.
Renata Degener                                                        Armen Harutyunyan
GreffiÚre adjointe                                                     Président
[1]. Selon la dĂ©finition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux â DSM-5, de
lâAssociation amĂ©ricaine de psychiatrie.
[2] Le
11 janvier 2006, le Comité des Ministres a révisé ce texte en adoptant la
Recommandation (2006) 2 sur les RÚgles pénitentiaires
européennes.