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Cour europĂ©enne des droits de l’homme

 

AFFAIRE CITRARO ET MOLINO c. ITALIE

(RequĂȘte no 50988/13)

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

4 juin 2020

 

 

Cet arrĂȘt est dĂ©finitif. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l’affaire Citraro et Molino c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (premiĂšre section), siĂ©geant en un comitĂ© composĂ© de :

Armen Harutyunyan, prĂ©sident,

Pere Pastor Vilanova,

Pauliine Koskelo, juges,

et de Renata DegenergreffiĂšre adjointe de section,

Vu :

la requĂȘte susmentionnĂ©e (no 50988/13) dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et dont deux ressortissants de cet État, M. Santo Citraro et Mme Santa Molino (« les requĂ©rants Â») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â») le 24 juillet 2013,

la dĂ©cision de porter Ă  la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement Â») les griefs concernant l’articles 2 et 3 de la Convention et de dĂ©clarer irrecevable la requĂȘte pour le surplus,

les observations des parties,

notant que le Gouvernement ne s’est pas opposĂ© Ă  l’examen de la requĂȘte par un comitĂ©,

AprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ© en chambre du conseil le 28 avril 2020,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

INTRODUCTION

1.  La requĂȘte concerne le suicide du fils des requĂ©rants, dĂ©tenu en prison au moment des faits, et les obligations positives de l’État au titre de l’article 2 de la Convention. Elle porte Ă©galement, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, sur le maintien en prison du proche des requĂ©rants sans une assistance mĂ©dicale adĂ©quate.

EN FAIT

2.  Les requĂ©rants, M. Santo Citraro et Mme Santa Molino, sont deux ressortissants italiens nĂ©s respectivement en 1934 et en 1938 et rĂ©sidant Ă  Terme Vigliatore. Ils sont les parents de A.C., nĂ© le 6 mars 1970 et dĂ©cĂ©dĂ© le 16 janvier 2001. Ils ont Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©s devant la Cour par Me G. Freni, avocat Ă  Messine.

3.  Le gouvernement italien (« le Gouvernement Â») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son ancien agent, Mme E. Spatafora, et son ancien coagent, Mme M. Aversano.

4.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont Ă©tĂ© exposĂ©s par les requĂ©rants, peuvent se rĂ©sumer comme suit.

  1. LE DÉCÈS DE A.C.

5.  Au moment des faits, le fils des requĂ©rants purgeait une peine d’emprisonnement Ă  Augusta. Il ressort du dossier qu’en 1995 il lui avait Ă©tĂ© diagnostiquĂ© un ensemble de troubles de la personnalitĂ© (dramatic cluster[1]), Ă  savoir des troubles antisocial, « borderline Â», narcissique, histrionique, obsessionnel compulsif et paranoĂŻde. L’existence de ces pathologies n’avait toutefois pas Ă©tĂ© jugĂ©e incompatible avec l’exĂ©cution de la peine. A.C. avait ainsi passĂ© des pĂ©riodes en prison et d’autres en hĂŽpital psychiatrique. En 1999, il avait Ă©tĂ© placĂ© en observation Ă  l’hĂŽpital psychiatrique judiciaire (« l’OPG Â») de Barcellona Pozzo di Gotto, puis il avait Ă©tĂ© remis en prison. En 2000, il avait commis des actes d’automutilation, y compris des tentatives de suicide.

6.  Le 14 septembre 2000, les autoritĂ©s transfĂ©rĂšrent A.C. Ă  la prison de Messine afin de lui permettre de participer aux audiences d’un procĂšs qui se dĂ©roulaient Ă  l’intĂ©rieur de la prison mĂȘme. Il ressort du dossier que, au cours de son incarcĂ©ration dans cet Ă©tablissement, le dĂ©tenu exprima des plaintes et eut un comportement antisocial, ce qui lui valut d’ĂȘtre soumis Ă  des pĂ©riodes d’observation psychiatrique et Ă  des procĂ©dures disciplinaires.

7.  Le 3 janvier 2001, A.C. fut placĂ© dans le quartier pĂ©nitentiaire « sosta Â» car il avait dĂ©clarĂ© aux agents pĂ©nitentiaires qu’il craignait pour sa vie. Le mĂȘme jour, il demanda Ă  ne pas rencontrer d’autres dĂ©tenus et Ă  ĂȘtre transfĂ©rĂ© dans un autre Ă©tablissement. Le 5 janvier 2001, A.C. revint sur ses dĂ©clarations et indiqua qu’il voulait assister aux audiences du procĂšs mais souhaitait rester Ă  l’écart des autres dĂ©tenus. De ce fait, il fut laissĂ© dans le quartier pĂ©nitentiaire « sosta Â».

8.  Ă‰galement le 5 janvier 2001, un agent pĂ©nitentiaire nota que A.C. prĂ©sentait un saignement au niveau de la gorge, et il demanda en consĂ©quence de l’aide aux mĂ©decins de la prison, lesquels constatĂšrent que le dĂ©tenu s’était infligĂ© une coupure au cou.

9.  Le 6 janvier 2001, A.C. commit un autre acte d’automutilation en se blessant Ă  l’avant-bras gauche. Le mĂ©decin de la prison, qui l’examina, suggĂ©ra Ă  la direction de l’établissement pĂ©nitentiaire de placer l’intĂ©ressĂ© dans une cellule dĂ©pourvue d’objets et de le soumettre Ă  une « grande surveillance Â» (grande sorveglianza), c’est-Ă -dire Ă  une surveillance Ă  des intervalles frĂ©quents. Le psychiatre, qui visita lui aussi A.C., prescrivit Ă  ce dernier une thĂ©rapie mĂ©dicamenteuse et suggĂ©ra Ă  la direction pĂ©nitentiaire de placer le dĂ©tenu sous « surveillance Ă  vue Â» (sorveglianza a vista), c’est‑Ă ‑dire sous surveillance ininterrompue. A.C. refusa la thĂ©rapie.

10.  Le mĂȘme jour, la directrice de la prison dĂ©cida de placer A.C. sous « surveillance Ă  vue Â».

11.  Le 8 janvier 2001, le psychiatre examina Ă  nouveau A.C. Ayant constatĂ© la persistance des symptĂŽmes (l’intĂ©ressĂ© se sentait persĂ©cutĂ© et avait une tendance Ă  tout soupçonner) et le refus du dĂ©tenu de suivre la thĂ©rapie, il proposa le placement en urgence de A.C. en OPG pour une pĂ©riode d’observation.

12.  Le mĂ©decin de la prison transmit un rapport Ă  la direction de l’établissement. Il y faisait Ă©tat des actes d’automutilation commis par A.C. les 5 et 6 janvier 2001 et du refus de l’intĂ©ressĂ© de se soumettre Ă  la thĂ©rapie pharmacologique prĂ©conisĂ©e par le psychiatre. Il rappelait en outre la recommandation de transfert en urgence de A.C. en OPG, faite par le mĂȘme psychiatre.

13.  Le 9 janvier 2001, la directrice de la prison demanda au juge d’application des peines (magistrato di sorveglianza) de Messine d’ordonner le transfert du requĂ©rant en OPG.

14.  Le mĂȘme jour, le psychiatre revit A.C. et proposa Ă  la direction de la prison d’abaisser le niveau de surveillance, Ă  savoir de remplacer la « surveillance Ă  vue Â» du dĂ©tenu par une « grande surveillance Â». La directrice de la prison dĂ©cida d’annuler la « surveillance Ă  vue Â» ; toutefois, elle opta pour un niveau de surveillance supĂ©rieur Ă  celui proposĂ© par le psychiatre, Ă  savoir une « trĂšs grande surveillance Â» (grandissima sorveglianza con blindo aperto) sur 24 heures, prĂ©voyant que la porte blindĂ©e (blindo) serait ouverte toute la nuit et la grille fermĂ©e.

15.  Le 11 janvier 2001, A.C. se mit en colĂšre en raison d’une absence de contacts avec sa famille, Ă  la suite de quoi une visite de ses parents fut organisĂ©e le surlendemain.

16.  Le 12 janvier 2001, la directrice de la prison de Messine adressa au ministĂšre de la Justice la demande de placement de A.C. en OPG, accompagnĂ©e de la dĂ©cision du juge d’application des peines de Messine y affĂ©rente, datĂ©e du mĂȘme jour. Dans sa dĂ©cision, le juge avait ordonnĂ© la soumission de A.C. Ă  la pĂ©riode maximale d’observation psychiatrique, Ă  savoir trente jours, Ă  l’endroit que le ministĂšre dĂ©signerait.

17.  Le 13 janvier 2001, A.C. demanda, en vain, Ă  voir son avocat. Il s’emporta, dĂ©truisit les objets Ă©quipant sa cellule et se barricada Ă  l’intĂ©rieur de celle-ci Ă  l’aide de morceaux de bois provenant d’un balai, du cĂąble du tĂ©lĂ©viseur, de lacets de chaussures, de draps et d’autres matĂ©riaux fixĂ©s Ă  la grille de la porte. Un des gardiens du quartier « sosta Â» constata que le fils des requĂ©rants menaçait de se servir du pied de la table se trouvant dans sa cellule, dont il s’était emparĂ©, contre quiconque s’approcherait de celle-ci. L’intĂ©ressĂ© refusa d’ouvrir la porte, affirmant vouloir se protĂ©ger de toute agression venant de l’extĂ©rieur, et il dit Ă  deux gardiens que c’était « [s]a tĂȘte qui lui faisait dire ça Â» (sic). Le chef des agents pĂ©nitentiaires fut informĂ© de ces Ă©vĂ©nements.

18.  Le 14 janvier 2001, deux autres gardiens de la prison constatĂšrent que A.C. avait mis hors service l’éclairage de la cellule, de sorte qu’il Ă©tait nĂ©cessaire d’utiliser une lampe torche pour voir Ă  l’intĂ©rieur de celle-ci.

19.  Le 15 janvier 2001, des gardiens dĂ©couvrirent que A.C. avait dĂ©tachĂ© les nĂ©ons de sa cellule et fermĂ© les volets de la fenĂȘtre. Ils constatĂšrent ce qui suit : l’intĂ©ressĂ© Ă©tait dans le noir absolu, et, pour vĂ©rifier ce qui se passait, il fallait Ă©clairer la cellule avec des lampes torches ; le sol de la cellule Ă©tait recouvert de liquide ; et le dĂ©tenu lançait des objets et des seaux d’eau Ă  ceux qui voulaient entrer. Le psychiatre examina Ă  nouveau A.C. Ayant constatĂ© son Ă©tat et les conditions rĂ©gnant dans la cellule, il rĂ©itĂ©ra la demande de transfert d’urgence Ă  l’OPG.

La psychologue de la prison tenta, en vain, de parler Ă  A.C. et en informa la directrice. Cette derniĂšre apprit que A.C. s’était barricadĂ© depuis le 13 janvier 2001. Elle dĂ©cida de s’approcher de la cellule de A.C. et de l’autoriser exceptionnellement Ă  s’entretenir avec son avocat en cellule.

AprĂšs avoir conversĂ© avec son client, l’avocat de A.C. informa la direction de la prison que ce dernier Ă©tait en colĂšre et avait causĂ© des dĂ©gĂąts dans la cellule en raison de son absence de transfert Ă  l’hĂŽpital et qu’il refusait les mĂ©dicaments et la nourriture. AprĂšs le dĂ©part de son avocat, A.C. aurait vraisemblablement retirĂ© les obstacles qui entravaient l’entrĂ©e dans sa cellule.

20.  Le mĂȘme jour, et bien qu’aucun Ă©lĂ©ment en ce sens n’eut Ă©tĂ© reportĂ© dans le dossier mĂ©dical de l’intĂ©ressĂ©, ce dernier aurait repris son traitement pharmacologique.

21.  Le 16 janvier 2001, A.C. passa la journĂ©e au calme dans sa cellule. Vers 19 h 15, un gardien le retrouva pendu au moyen du drap du lit Ă  la grille de la cellule. Lorsque le personnel de la prison rĂ©ussit Ă  pĂ©nĂ©trer dans la cellule pour fournir les premiers soins Ă  A.C., celui-ci ne rĂ©agit pas. Le dĂ©tenu fut transportĂ© d’urgence Ă  l’hĂŽpital civil, oĂč son dĂ©cĂšs fut constatĂ© Ă  son arrivĂ©e.

22.  Quelques instants plus tĂŽt, Ă  19 h 05, la prison de Messine avait reçu l’autorisation du ministĂšre de la Justice de transfĂ©rer A.C. Ă  l’OPG de Barcellona Pozzo di Gotto, conformĂ©ment Ă  la dĂ©cision du 12 janvier 2001 du juge d’application des peines de Messine.

  1. LA PROCÉDURE PÉNALE AVEC CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE
    1. L’enquĂȘte pĂ©nale

23.  ImmĂ©diatement aprĂšs le dĂ©cĂšs de A.C., une enquĂȘte fut ouverte par le parquet de Messine et huit personnes furent mises en examen : la directrice de la prison, le psychiatre et six gardiens de l’établissement carcĂ©ral.

24.  De mĂȘme, un expert chargĂ© de procĂ©der Ă  une autopsie du corps de A.C. fut aussitĂŽt dĂ©signĂ© par le ministĂšre public de Messine. Le rĂ©sultat de celle-ci confirma qu’il s’agissait d’un dĂ©cĂšs par pendaison, vraisemblablement d’un suicide, survenu le 16 janvier 2001 dans la cellule no 2 du quartier pĂ©nitentiaire « sosta Â».

25.  En outre, il fut procĂ©dĂ© Ă  l’interrogatoire du chef des agents pĂ©nitentiaires. Celui-ci dĂ©clara que, le 16 janvier 2001, un agent de service avait vu A.C. vers 17 h 50 dans un Ă©tat plutĂŽt calme, qu’il avait ensuite effectuĂ© d’autres contrĂŽles et qu’à 19 h 15 le dĂ©tenu avait Ă©tĂ© retrouvĂ© pendu.

26.  Au cours de l’enquĂȘte, diffĂ©rents actes furent rĂ©alisĂ©s, dont l’audition de plusieurs personnes (en particulier des membres du personnel mĂ©dical et des agents pĂ©nitentiaires ; paragraphes 27 Ă  29 ci-dessous), ce qui ressort d’un rapport d’enquĂȘte Ă©tabli par les carabinieri le 28 fĂ©vrier 2001 (en application de l’article 373 du code de procĂ©dure pĂ©nale).

27.  Ainsi, au cours de son audition, le psychiatre remplaçant, qui avait suivi A.C. en janvier 2001, dĂ©clara avoir vu l’intĂ©ressĂ© le 6 janvier 2001 pour la premiĂšre fois, Ă  la suite des actes d’automutilation commis par ce dernier. Il indiqua ce qui suit : A.C. n’avait pas apprĂ©ciĂ© son placement dans le quartier « sosta Â» car celui‑ci Ă©tait rĂ©putĂ© pour accueillir les personnes qui collaboraient avec la justice (collaboratori di giustizia) – ce que l’intĂ©ressĂ© n’était pas –, et il s’inquiĂ©tait de la rĂ©action des autres dĂ©tenus ; il soupçonnait tout le monde et avait des pulsions auto-agressives ; et il avait refusĂ© de se soumettre Ă  la thĂ©rapie mĂ©dicamenteuse. Le psychiatre poursuivit en prĂ©cisant que, de ce fait, le 8 janvier 2001, il avait adressĂ© Ă  la direction une demande de transfert en urgence du dĂ©tenu Ă  l’OPG, que, le 9 janvier 2001, il avait revu A.C. et l’avait rassurĂ© en lui disant qu’il avait demandĂ© son transfert, et que, voyant que l’intĂ©ressĂ© Ă©tait calme et semblait satisfait, il avait alors proposĂ© d’abaisser le niveau de surveillance. Il ajouta que le 15 janvier 2001, Ă  13 h 25, il avait entendu des cris de A.C., provenant de sa cellule, qu’il s’était alors approchĂ© et avait constatĂ© des dĂ©gĂąts dans celle-ci, que la lumiĂšre Ă©tait Ă©teinte, que les volets de la fenĂȘtre Ă©taient fermĂ©s et que la grille de la porte Ă©tait bloquĂ©e avec la ceinture d’un peignoir.

28.  Pour sa part, le mĂ©decin responsable de la prison dĂ©clara ce qui suit lors de son audition : le 16 janvier 2001, en fin d’aprĂšs-midi, il avait entendu des cris de secours provenant du quartier « sosta Â» ; il s’y Ă©tait immĂ©diatement rendu, accompagnĂ© d’un autre mĂ©decin, et avait constatĂ© que le corps de A.C. gisait sur le sol de la cellule ; son collĂšgue et lui avaient tentĂ© de rĂ©animer le dĂ©tenu, qui, Ă  premiĂšre vue, prĂ©sentait des lĂ©sions typiques d’une pendaison ; Ă  l’examen, A.C. Ă©tait arĂ©flexique, ses pupilles ne rĂ©agissaient pas Ă  la lumiĂšre et son pouls pĂ©riphĂ©rique Ă©tait absent, ce qui laissait Ă  penser que l’intĂ©ressĂ© Ă©tait mort ; cependant, Ă©tant donnĂ© que la tempĂ©rature et la rigiditĂ© du corps Ă©taient normales, il fut dĂ©cidĂ© de transfĂ©rer le dĂ©tenu Ă  l’hĂŽpital. Au cours de son interrogatoire, un autre mĂ©decin dĂ©clara qu’à l’arrivĂ©e des secours la cellule n’était pas assez Ă©clairĂ©e et que, d’aprĂšs ses estimations, les premiers secours avaient Ă©tĂ© portĂ©s dix Ă  quinze minutes aprĂšs le dĂ©but du passage Ă  l’acte suicidaire.

29.  S’agissant des agents pĂ©nitentiaires prĂ©sents au moment des faits, l’un d’entre eux dĂ©clara que les opĂ©rations de secours avaient Ă©tĂ© difficiles Ă  cause du manque de lumiĂšre dans la cellule : selon lui, les nĂ©ons, qui Ă©taient posĂ©s dans un coin de la cellule, avaient auparavant Ă©tĂ© rendus inutilisables par le dĂ©tenu lui-mĂȘme. Un autre agent dĂ©clara que, le 14 janvier 2001, le proche des requĂ©rants s’était dĂ©jĂ  barricadĂ© dans sa cellule et que cette information Ă©tait remontĂ©e jusqu’au responsable de la surveillance.

30.  En sus des actes d’enquĂȘte susmentionnĂ©s, tels que relatĂ©s dans le rapport des carabinieri, les autoritĂ©s rĂ©alisĂšrent d’autres actes, parmi lesquels l’interrogatoire des personnes mises en examen et l’audition des requĂ©rants.

Ainsi, l’agent C – l’un des individus mis en examen – fut entendu Ă  deux reprises, les 13 fĂ©vrier et 30 juillet 2001. Ă€ ces occasions, il dĂ©clara ce qui suit : il avait effectuĂ© un contrĂŽle de la cellule de A.C. vers 16 h 30 et avait vu l’intĂ©ressĂ© allongĂ© sur son lit ; il avait constatĂ© qu’il n’y avait pas de lumiĂšre dans la cellule et que celle-ci prĂ©sentait d’importants dĂ©gĂąts ; Ă  18 heures, A.C. lui ayant demandĂ© un cafĂ©, il s’était absentĂ© une dizaine de minutes pour aller le lui chercher ; vers 19 h 15, il avait entendu un appel au secours provenant de l’agent en service dans le quartier pĂ©nitentiaire « sosta Â» ; il s’était rendu sur place et avait alors constatĂ© que A.C. Ă©tait pendu aux barres supĂ©rieures de la grille de la cellule ; aprĂšs ĂȘtre rentrĂ©s dans la cellule, ses collĂšgues et lui avaient allongĂ© le dĂ©tenu sur le lit ; immĂ©diatement aprĂšs, les mĂ©decins Ă©taient arrivĂ©s et A.C. avait Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© Ă  l’hĂŽpital.

31.  L’agent G, Ă©galement mis en examen, dĂ©clara ce qui suit : le 16 janvier 2001, Ă  14 heures, Ă  la fin de sa permanence, il avait recommandĂ© Ă  son collĂšgue, l’agent C, de veiller tout particuliĂšrement sur A.C. ; vers 17 h 50, l’agent C avait appelĂ© un autre collĂšgue, l’agent L – lui aussi mis en examen –, pour pouvoir faire une pause ; l’agent L Ă©tait restĂ© de 18 h 05 Ă  18 h 15 dans le quartier « sosta Â», et, dans cet intervalle, A.C. avait fumĂ© une cigarette et demandĂ© un cafĂ© ; selon les dĂ©clarations de l’agent L, celui‑ci avait effectuĂ© un autre contrĂŽle Ă  19 heures et Ă  ce moment-lĂ  A.C. Ă©tait en train de fumer une cigarette ; Ă  19 h 15, A.C. fut retrouvĂ© pendu.

32.  Quant aux requĂ©rants, lors de leur audition, en date du 1er fĂ©vrier 2001, ils dĂ©clarĂšrent avoir demandĂ© Ă  l’administration pĂ©nitentiaire, le 13 janvier 2001, le placement de leur fils dans un autre Ă©tablissement car ils craignaient pour sa vie.

33.  En plus de ces interrogatoires, les autoritĂ©s compĂ©tentes rĂ©alisĂšrent d’autres actes d’enquĂȘte.

Ainsi, sur ordre du parquet de Messine, il fut procĂ©dĂ©, le 17 janvier 2001, Ă  l’inspection de la cellule occupĂ©e par A.C. À l’issue de cette mesure, les deux agents pĂ©nitentiaires en charge de celle-ci indiquĂšrent en particulier, dans leur rapport, qu’une partie du mobilier avait Ă©tĂ© dĂ©truite, notamment le lit, le lavabo, la table Ă  manger, le plafonnier, le plateau du tĂ©lĂ©viseur et les vitres de la fenĂȘtre. De mĂȘme, une deuxiĂšme inspection fut conduite, le 26 janvier 2001, par les carabinieri, toujours sur ordre du procureur de la RĂ©publique de Messine.

34.  En outre, les enquĂȘteurs mirent la main sur les enregistrements vidĂ©o des camĂ©ras de surveillance, dont la direction de la prison avait omis de signaler l’existence. AprĂšs une mise sur Ă©coute des agents pĂ©nitentiaires, il s’avĂ©ra que ceux-ci avaient reçu la consigne de la directrice de la prison de ne pas mentionner l’existence de ces cassettes. Par ailleurs, il fut Ă©tabli que quatre minutes d’enregistrement manquaient sur l’une des cassettes.

35.  Enfin, au cours de l’enquĂȘte, le ministĂšre de la Justice ordonna des inspections Ă  la prison de Messine. Une premiĂšre inspection eut lieu en 2001, laquelle ne rĂ©vĂ©la aucun Ă©lĂ©ment particulier. Une deuxiĂšme inspection fut mise en Ɠuvre en 2002, dans le cadre de laquelle une commission fut mandatĂ©e et chargĂ©e de rĂ©diger un rapport sur la prison de Messine.

Dans ce document, la commission ministĂ©rielle formulait des critiques Ă  l’égard de la direction de la prison, en particulier le chef des agents pĂ©nitentiaires, jugĂ© totalement incompĂ©tent par rapport au poste occupĂ©, et la directrice de l’établissement carcĂ©ral, dĂ©crite comme inattentive aux problĂšmes rĂ©els de la prison, et elle proposait le remplacement de ceux-ci.

S’agissant du suicide du fils des requĂ©rants, les rĂ©sultats de l’inspection indiquaient que les antĂ©cĂ©dents de A.C. avaient Ă©tĂ© sous-estimĂ©s et qu’il y avait donc eu une inattention de la part de la direction. En particulier, la commission ministĂ©rielle critiquait la dĂ©cision de remplacer la « surveillance Ă  vue Â», de nature permanente, par une surveillance Ă  intervalles frĂ©quents, tout en prĂ©cisant que ce choix Ă©tait peut-ĂȘtre justifiĂ© par un manque de personnel. De plus, elle considĂ©rait que le fait que le proche des requĂ©rants avait Ă©rigĂ© une barricade dans sa cellule dĂ©montrait la nĂ©cessitĂ© de maintenir la « surveillance Ă  vue Â» et qu’il Ă©tait difficile de comprendre comment se conciliait la demande de transfert « urgent Â» en OPG avec la rĂ©vocation de la « surveillance Ă  vue Â». Elle mentionnait que, s’il Ă©tait vrai que le psychiatre avait proposĂ© d’abaisser le niveau de surveillance, l’avis de ce spĂ©cialiste n’était pas contraignant. En outre, elle estimait que la direction de la prison aurait pu adopter une mesure exceptionnelle, consistant en le retrait des draps. Elle relevait aussi que la directrice de la prison semblait avoir examinĂ© le dossier de A.C. seulement aprĂšs sa mort.

  1. Le renvoi en jugement des personnes mises en examen

36.  Le 21 octobre 2003, le ministĂšre public demanda le renvoi en jugement de la directrice de la prison et des agents pĂ©nitentiaires mis en examen. La directrice et l’agent L Ă©taient soupçonnĂ©s de ne pas avoir empĂȘchĂ© le suicide de A.C. Trois des gardiens – les agents C, G et L – Ă©taient soupçonnĂ©s d’avoir aidĂ© la directrice Ă  dissimuler l’existence des enregistrements vidĂ©o effectuĂ©s dans les couloirs de la prison et Ă  entraver le cours de la justice. L’agent L Ă©tait Ă©galement mis en cause pour ne pas avoir surveillĂ© efficacement A.C.

37.  Les requĂ©rants se constituĂšrent parties civiles dans la procĂ©dure le 8 novembre 2004. Dans le cadre de leur demande, ils mettaient en cause le comportement des autoritĂ©s, leur reprochant de ne pas avoir pris de mesures aptes Ă  prĂ©venir le suicide de leur fils et de l’avoir laissĂ© sans assistance mĂ©dicale en cellule alors que son Ă©tat de santĂ© aurait nĂ©cessitĂ© une hospitalisation d’urgence.

38.  Le 15 fĂ©vrier 2005, le juge des investigations prĂ©liminaires de Messine renvoya les personnes mises en examen en jugement.

39.  Le procĂšs du psychiatre, accusĂ© de ne pas avoir empĂȘchĂ© le suicide de A.C., se dĂ©roula parallĂšlement, dans le cadre d’une procĂ©dure abrĂ©gĂ©e (rito abbreviato).

  1. Les décisions rendues dans la procédure

40.  Par un jugement du 17 octobre 2005, le juge d’instance de Messine acquitta le psychiatre. En particulier, s’agissant de l’accusation portĂ©e contre ce dernier de ne pas avoir pris en compte de maniĂšre adĂ©quate la situation de A.C. et d’avoir ensuite suggĂ©rĂ© une rĂ©duction du niveau de surveillance, le juge estima, aprĂšs avoir analysĂ© le comportement du psychiatre, que l’omission allĂ©guĂ©e n’avait pas de lien de causalitĂ© avec la mort de A.C. Il releva ainsi que le psychiatre avait rencontrĂ© A.C., d’abord le 6 janvier 2001, et suggĂ©rĂ© la « surveillance Ă  vue Â», puis le 9 janvier 2001, et alors apprĂ©ciĂ© l’amĂ©lioration des conditions de A.C. et invitĂ© en consĂ©quence la direction de la prison Ă  rĂ©duire le niveau de surveillance. Le juge conclut que le comportement du psychiatre ne pouvait pas ĂȘtre remis en cause, au motif que, entre sa derniĂšre visite et le suicide, A.C. « aurait dĂ» ĂȘtre surveillĂ© par les gardiens sur la base des instructions que le responsable de la sĂ©curitĂ© personnelle des dĂ©tenus aurait dĂ» donner Ă  [ces agents] Â».

41.  Par un jugement du 13 dĂ©cembre 2007, le juge d’instance de Messine acquitta la directrice de la prison et les autres prĂ©venus.

42.  S’agissant de l’heure de la dĂ©couverte du corps de A.C., le juge la dĂ©duisit Ă  partir de l’enregistrement vidĂ©o effectuĂ© par les camĂ©ras Ă  proximitĂ© de la cellule du dĂ©tenu. Il releva ainsi que les images enregistrĂ©es montraient trois personnes apparaĂźtre Ă  l’écran Ă  19 h 19 et l’une d’entre elles se mettre Ă  courir en direction de la cellule de A.C., cette mĂȘme personne revenir en courant Ă  19 h 23 et, enfin, plusieurs personnes, dont une en blouse blanche, apparaĂźtre Ă  l’écran Ă  19 h 29. Le juge considĂ©ra qu’il Ă©tait donc raisonnable d’estimer que la dĂ©couverte du corps avait eu lieu vers 19 h 19, et il nota que l’autopsie avait confirmĂ© que le dĂ©cĂšs par pendaison Ă©tait survenu vers 19 heures.

43.  Le juge constata que la directrice de la prison n’avait pas mentionnĂ© l’existence du systĂšme de vidĂ©osurveillance et que quatre minutes (entre 18 h 34 et 18 h 38) de l’enregistrement vidĂ©o effectuĂ© par les camĂ©ras dans le couloir prĂšs de la cellule de A.C. manquaient. Il nota qu’il fallait toutefois prendre en compte le fait qu’aucune camĂ©ra de surveillance ne filmait l’intĂ©rieur des cellules et que les images concernaient uniquement le couloir extĂ©rieur Ă  la cellule. Par consĂ©quent, il estima que, Ă  supposer que le film eĂ»t Ă©tĂ© complet, le moment du passage Ă  l’acte suicidaire n’aurait de toute façon pas pu ĂȘtre enregistrĂ©. Il releva que, mĂȘme si la directrice de la prison n’avait pas eu une conduite irrĂ©prochable et mĂȘme si elle n’avait pas pleinement collaborĂ© avec les enquĂȘteurs, elle n’avait commis aucune infraction pĂ©nale puisqu’elle avait remis les cassettes aux autoritĂ©s judiciaires Ă  leur demande et que rien ne prouvait que les quatre minutes litigieuses avaient Ă©tĂ© effacĂ©es. Il indiqua de plus que les minutes manquantes n’étaient pas importantes car le fils des requĂ©rants avait Ă©tĂ© vu encore en vie vers 19 heures, soit aprĂšs la coupure du film, par un agent pĂ©nitentiaire.

44.  Ensuite, le juge considĂ©ra que le suicide de A.C. n’était pas prĂ©visible pour les motifs suivants : la directrice de la prison avait ordonnĂ© la levĂ©e de la « surveillance Ă  vue Â» sur la base de l’avis du psychiatre, aussi cette dĂ©cision ne pouvait-elle lui ĂȘtre reprochĂ©e ; il ne pouvait pas non plus lui ĂȘtre reprochĂ© de ne pas avoir ordonnĂ© le placement du dĂ©tenu dans une cellule dĂ©pourvue d’objets, car les draps auraient vraisemblablement Ă©tĂ© laissĂ©s en place ; la directrice de la prison ne pouvait pas non plus ĂȘtre critiquĂ©e pour sa dĂ©cision de ne pas intervenir par la force pour enlever la barricade que A.C. avait Ă©rigĂ©e Ă  l’intĂ©rieur de sa cellule, car cette dĂ©cision n’était pas en rapport avec le dĂ©cĂšs du jeune homme. À ce sujet, le juge nota que, Ă©tant donnĂ© l’impossibilitĂ© d’appliquer la contention physique en prison, le fils des requĂ©rants n’aurait pas pu ĂȘtre attachĂ© mĂȘme si le personnel pĂ©nitentiaire avait pu s’approcher de lui une fois la barricade dĂ©montĂ©e. Il nota aussi que, en tout Ă©tat de cause, aprĂšs avoir reçu la visite de son avocat le 15 janvier 2001, le dĂ©tenu avait lui-mĂȘme retirĂ© les obstacles qui entravaient l’entrĂ©e dans la cellule et que, le lendemain, les agents pĂ©nitentiaires avaient pu librement pĂ©nĂ©trer dans la cellule jusqu’à peu de temps avant le suicide.

45.  Quant Ă  la question de savoir si la « surveillance Ă  vue Â» aurait empĂȘchĂ© le suicide, le juge constata que cette mesure Ă©tait rĂ©servĂ©e aux personnes ayant des tendances suicidaires et que, en l’occurrence, A.C. n’avait commis que « quelques actes d’automutilation Â». En outre, il rappela que, dans le cadre de la « trĂšs grande surveillance Â», il Ă©tait prĂ©vu une observation poussĂ©e du dĂ©tenu concernĂ© tant par le personnel de sĂ©curitĂ© que par l’équipe sanitaire, qui devait visiter frĂ©quemment l’intĂ©ressĂ© et avoir avec celui-ci un contact direct afin de dĂ©terminer son Ă©tat et les conditions rĂ©gnant dans la cellule.

46.  Le juge estima que la « trĂšs grande surveillance Â» Ă  laquelle A.C. avait Ă©tĂ© soumis Ă  compter du 9 janvier 2001 convenait parfaitement Ă  la situation en cause. Il considĂ©ra que la frĂ©quence des contrĂŽles, de mĂȘme que le suivi assurĂ© par le psychiatre, qui au demeurant aurait dĂ» ĂȘtre quotidien, Ă©tait apte Ă  empĂȘcher le suicide du dĂ©tenu. À cet Ă©gard, il nota que les actes d’automutilation litigieux n’étaient pas trĂšs importants et ne laissaient pas prĂ©sager un danger de suicide concret et imminent, et que les 15 et 16 janvier 2001 A.C. semblait ĂȘtre coopĂ©ratif et aurait pris ses mĂ©dicaments.

47.  S’agissant des dĂ©faillances dans la surveillance du dĂ©tenu qui Ă©taient reprochĂ©es Ă  l’agent L, le juge reconnut celui-ci non coupable au motif qu’aucune nĂ©gligence n’avait Ă©tĂ© constatĂ©e. Pour se prononcer ainsi, il tint le raisonnement suivant. D’une part, la mesure de la « trĂšs grande surveillance Â» que l’agent L devait appliquer ne prĂ©voyait pas l’obligation d’ĂȘtre en permanence Ă  proximitĂ© de la cellule du dĂ©tenu, et la frĂ©quence des contrĂŽles n’était pas spĂ©cifiĂ©e. D’autre part, l’assertion selon laquelle il n’y avait pas eu de contrĂŽle dans la demi-heure qui avait prĂ©cĂ©dĂ© le suicide du dĂ©tenu n’était pas vĂ©rifiable Ă  l’aide des enregistrements vidĂ©o des camĂ©ras de surveillance. En effet, les images avaient cessĂ© d’ĂȘtre filmĂ©es dans cette partie de la prison Ă  18 h 47 et les enregistrements n’avaient repris qu’à 19 h 15, soit aprĂšs le suicide.

48.  Ă€ la suite de l’acquittement, par le juge d’instance de Messine, de la directrice de la prison et des autres personnes mises en examen, la procĂ©dure disciplinaire qui avait Ă©tĂ© ouverte aprĂšs le renvoi en jugement fut Ă©galement clĂŽturĂ©e.

49.  Les requĂ©rants interjetĂšrent appel du jugement susmentionnĂ©. Dans leur recours, ils allĂ©guaient que le juge unique n’avait pas statuĂ© sur les questions civiles, relatives aux prĂ©judices matĂ©riel et moral subis en raison du dĂ©cĂšs de leur fils. Le ministĂšre public ne fit pas appel.

50.  Par un arrĂȘt du 15 novembre 2010, la cour d’appel de Messine rejeta l’appel des requĂ©rants.

51.  Les requĂ©rants se pourvurent en cassation.

52.  Par un arrĂȘt du 10 mai 2012, dĂ©posĂ© au greffe le 11 fĂ©vrier 2013, la Cour de cassation dĂ©bouta les requĂ©rants de leur pourvoi.

LE CADRE JURIDIQUE PERTINENT

  1. LE DROIT INTERNE

53.  Selon les dispositions internes applicables en la matiĂšre, les soins psychiatriques peuvent ĂȘtre dispensĂ©s par du personnel spĂ©cialisĂ© appartenant au service de santĂ© de la prison (article 17 du dĂ©cret du prĂ©sident de la RĂ©publique (DPR) no 230 du 30 juin 2000) ou par des mĂ©decins extĂ©rieurs Ă  l’établissement carcĂ©ral (article 80 de la loi sur l’administration pĂ©nitentiaire).

L’article 112 du DPR no 230/2000 prĂ©voit que le juge peut, d’office ou sur signalement du directeur de la prison, demander le dĂ©pistage d’une infirmitĂ© psychique chez un dĂ©tenu. Si l’examen doit ĂȘtre effectuĂ© dans un Ă©tablissement externe, la pĂ©riode d’observation ne peut pas dĂ©passer trente jours.

54.  Les hĂŽpitaux psychiatriques judiciaires (« les OPG Â») ont Ă©tĂ© fermĂ©s dĂ©finitivement le 31 mars 2015, en application des lois no 9 du 17 fĂ©vrier 2012 et no 81 du 30 mai 2014.

  1. LES TEXTES DU CONSEIL DE L’EUROPE
    1. Le Comité des Ministres

55.  Le 12 fĂ©vrier 1987, le ComitĂ© des Ministres a adoptĂ© la Recommandation (87) 3 sur les RĂšgles pĂ©nitentiaires europĂ©ennes[2], en vigueur au moment des faits. Les RĂšgles pĂ©nitentiaires europĂ©ennes font Ă©tat des recommandations du ComitĂ© des Ministres aux États membres du Conseil de l’Europe quant aux normes minimales Ă  appliquer dans les prisons. Les États sont encouragĂ©s Ă  s’inspirer de ces rĂšgles dans l’élaboration de leurs lĂ©gislations et de leurs politiques et Ă  en assurer une large diffusion auprĂšs de leurs autoritĂ©s judiciaires, ainsi qu’auprĂšs du personnel pĂ©nitentiaire et des dĂ©tenus. En particulier, les rĂšgles pertinentes en l’espĂšce Ă©taient ainsi libellĂ©es :

« 30. 1. Le mĂ©decin est chargĂ© de surveiller la santĂ© physique et mentale des dĂ©tenus. Il doit voir, dans les conditions et suivant la frĂ©quence qu’imposent les normes hospitaliĂšres, tous les dĂ©tenus malades, tous ceux qui signalent ĂȘtre malades, blessĂ©s, et tous ceux sur lesquels son attention est particuliĂšrement attirĂ©e.

2. Le mĂ©decin doit prĂ©senter un rapport au directeur chaque fois qu’il estime que la santĂ© physique ou mentale a Ă©tĂ© ou sera dĂ©favorablement affectĂ©e par la prolongation ou par une modalitĂ© quelconque de la dĂ©tention.

31. (...) 2. Le directeur doit prendre en considĂ©ration les rapports et conseils du mĂ©decin visĂ©s aux rĂšgles 30, paragraphe 2, et 31, paragraphe 1, et, en cas d’accord, prendre immĂ©diatement les mesures voulues pour que ces recommandations soient suivies; en cas de dĂ©saccord ou si la matiĂšre n’est pas de sa compĂ©tence, il transmettra immĂ©diatement ses propres commentaires et le rapport mĂ©dical Ă  l’autoritĂ© supĂ©rieure.

32. Les services mĂ©dicaux de l’établissement doivent s’efforcer de dĂ©pister et de traiter toutes les maladies physiques ou mentales, ou de corriger les dĂ©fauts susceptibles de compromettre la rĂ©insertion du dĂ©tenu aprĂšs sa libĂ©ration.

À cette fin, il doit ĂȘtre fourni au dĂ©tenu tous les soins mĂ©dicaux, chirurgicaux et psychiatriques nĂ©cessaires, y compris ceux qui sont dispensĂ©s Ă  l’extĂ©rieur.

(...) Â»

56.  Le 8 avril 1998, le ComitĂ© des Ministres a adoptĂ© la Recommandation R (98) 7 relative aux aspects Ă©thiques et organisationnels des soins de santĂ© en milieu pĂ©nitentiaire. Le chapitre D du titre III est dĂ©diĂ© aux symptĂŽmes psychiatriques, troubles mentaux et troubles graves de la personnalitĂ© ainsi qu’au risque de suicide. En particulier, il prĂ©voit que :

« 55. Les dĂ©tenus souffrant de troubles mentaux graves devraient pouvoir ĂȘtre placĂ©s et soignĂ©s dans un service hospitalier dotĂ© de l’équipement adĂ©quat et disposant d’un personnel qualifiĂ©. La dĂ©cision d’admettre un dĂ©tenu dans un hĂŽpital public devrait ĂȘtre prise par un mĂ©decin psychiatre sous rĂ©serve de l’autorisation des autoritĂ©s compĂ©tentes.

56. Dans les cas oĂč l’isolement cellulaire des malades mentaux ne peut ĂȘtre Ă©vitĂ©, celui-ci devrait ĂȘtre rĂ©duit Ă  une durĂ©e minimale et remplacĂ© dĂšs que possible par une surveillance infirmiĂšre permanente et personnelle.

57. Dans des situations exceptionnelles, s’agissant de malades souffrant de troubles mentaux graves, le recours Ă  des mesures de contrainte physique peut ĂȘtre envisagĂ© pendant une durĂ©e minimale correspondant au temps nĂ©cessaire pour qu’une thĂ©rapie mĂ©dicamenteuse dĂ©ploie l’effet de sĂ©dation attendu.

58. Les risques de suicide devraient ĂȘtre apprĂ©ciĂ©s en permanence par le personnel mĂ©dical et pĂ©nitentiaire. Suivant le cas, si des mesures de contrainte physique conçues pour empĂȘcher les dĂ©tenus malades de se porter prĂ©judice Ă  eux-mĂȘmes ont Ă©tĂ© utilisĂ©es, une surveillance Ă©troite et permanente et un soutien relationnel devraient ĂȘtre utilisĂ©s pendant les pĂ©riodes de crise Â»

  1. Le ComitĂ© europĂ©en pour la prĂ©vention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants (CPT)

57.  En juin 1993, le CPT a publiĂ© son 3e Rapport gĂ©nĂ©ral, intitulĂ© «Les services mĂ©dicaux en prison», oĂč il prĂ©conise en particulier ce qui suit :

« 43. Un dĂ©tenu malade mental doit ĂȘtre pris en charge et traitĂ© dans un milieu hospitalier Ă©quipĂ© de maniĂšre adĂ©quate et dotĂ© d’un personnel qualifiĂ©. Cette structure pourrait ĂȘtre soit un hĂŽpital psychiatrique civil, soit une unitĂ© psychiatrique spĂ©cialement Ă©quipĂ©e, Ă©tablie au sein du systĂšme pĂ©nitentiaire.

(...)

Quelle que soit l’option prise, la capacitĂ© d’accueil de l’unitĂ© psychiatrique doit ĂȘtre suffisante. Il existe trop souvent un dĂ©lai d’attente prolongĂ© lorsqu’un transfert est devenu nĂ©cessaire. Le transfert de la personne en question dans une unitĂ© psychiatrique doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une question hautement prioritaire. Â».

EN DROIT

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

58.  Sur le terrain de l’article 2 de la Convention, les requĂ©rants se plaignent que les autoritĂ©s nationales n’aient pas pris les mesures suffisantes pour prĂ©venir le suicide de leur fils. Toujours sur le terrain du mĂȘme article, ils critiquent l’enquĂȘte menĂ©e sur les circonstances de la mort de leur fils et les responsabilitĂ©s dans ce dĂ©cĂšs en ce qu’elle n’aurait pas Ă©tĂ© conforme aux obligations de nature procĂ©durale de cette disposition, qui est ainsi libellĂ©e en ses parties pertinentes :

« 1.  Le droit de toute personne Ă  la vie est protĂ©gĂ© par la loi. (...) Â»

59.  Le Gouvernement conteste cette thĂšse.

  1. Sur la recevabilité

60.  Le Gouvernement excipe d’un dĂ©faut manifeste de fondement de la requĂȘte. Les arguments qu’il formule Ă  ce sujet se confondent avec ses observations sur le fond.

61.  Aussi la Cour examinera-t-elle la globalitĂ© des observations du gouvernement dĂ©fendeur dans son analyse sur le fond.

62.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondĂ© ni irrecevable pour un autre motif visĂ© Ă  l’article 35 de la Convention, la Cour le dĂ©clare recevable.

  1. Sur le fond
    1. Sur l’obligation de protĂ©ger la vie du proche des requĂ©rants

a)      ThĂšse des parties

63.  Les requĂ©rants soutiennent que les autoritĂ©s internes ont failli, par manque de prĂ©cautions et par nĂ©gligence, Ă  adopter les mesures nĂ©cessaires et adĂ©quates propres Ă  empĂȘcher le suicide de leur fils. Ils renvoient, entre autres, au rapport d’inspection de la commission du ministĂšre de la Justice de 2002 (paragraphe 35 ci-dessous), dont il rĂ©sulte, selon eux, que le geste fatal de leur proche aurait pu ĂȘtre Ă©vitĂ©. Ils affirment que les troubles psychiques de leur fils Ă©taient bien connus des diffĂ©rents acteurs concernĂ©s, ce qui, Ă  leur avis, aurait dĂ» inciter la direction de la prison Ă  adopter des mesures raisonnables et appropriĂ©es Ă  la situation. En particulier, les requĂ©rants reprochent aux autoritĂ©s de ne pas avoir adaptĂ© le niveau de surveillance aux circonstances.

64.  Le Gouvernement rĂ©plique que le grief est manifestement mal fondĂ©. Il expose que les autoritĂ©s ont pris toutes les mesures envisageables pour prĂ©venir le risque de suicide.

65.  Tout d’abord, il indique que les autoritĂ©s Ă©taient conscientes des troubles de la personnalitĂ© de A.C. et qu’une prise en charge avait Ă©tĂ© assurĂ©e. PrĂ©cisant que l’état de santĂ© du proche des requĂ©rants avait Ă©tĂ© jugĂ© compatible avec la dĂ©tention, il estime que les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires ont agi avec diligence et rĂ©pondu de maniĂšre adĂ©quate aux signaux de dĂ©tresse de A.C. Ainsi, les sĂ©ances avec le psychiatre, l’adoption des diffĂ©rentes mesures de surveillance, le choix de ne pas forcer la barricade Ă©rigĂ©e par l’intĂ©ressĂ©, de mĂȘme que la cĂ©lĂ©ritĂ© – allĂ©guĂ©e par le gouvernement dĂ©fendeur – dans le traitement de la demande de transfert vers l’OPG, prouveraient l’attention portĂ©e Ă  la situation litigieuse ainsi que le respect des obligations dĂ©coulant de l’article 2 de la Convention.

66.  Par ailleurs, le Gouvernement met en avant le fait que les tribunaux internes ont acquittĂ© les prĂ©venus, en particulier la directrice de la prison. Il expose ce qui suit : les juridictions nationales ont estimĂ© que le comportement de l’intĂ©ressĂ©e ne dĂ©notait pas un manque de diligence de sa part au regard de la situation ; les tribunaux ont en effet relevĂ© que la directrice de la prison avait prescrit un suivi psychiatrique et thĂ©rapeutique de A.C., que lorsque celui-ci s’était retranchĂ© Ă  l’intĂ©rieur de sa cellule elle avait refusĂ© d’ordonner aux agents pĂ©nitentiaires d’en forcer l’entrĂ©e afin d’éviter des rĂ©actions impulsives de ce dernier, et qu’elle avait ensuite dĂ©cidĂ© d’abaisser le niveau de surveillance en se fondant sur l’avis du psychiatre, qui attestait une diminution des signes d’agitation du dĂ©tenu.

67.  En ce qui concerne les autres aspects contestĂ©s, le Gouvernement indique que la demande d’hospitalisation a Ă©tĂ© traitĂ©e en urgence et il rĂ©fute la thĂšse de l’existence d’un lien de causalitĂ© entre le dĂ©faut de transfert de A.C. dans une autre cellule et son suicide. Il soutient qu’un Ă©ventuel transfert n’aurait pu empĂȘcher le passage Ă  l’acte.

68.  Enfin, le Gouvernement invite la Cour Ă  ne pas prendre en compte le rapport d’inspection de la commission ministĂ©rielle de 2002, au motif qu’il avait trait Ă  une inspection gĂ©nĂ©rale de la prison, et non pas au suicide de A.C.

b)     ApprĂ©ciation de la Cour

69.  La Cour rappelle que la prĂ©sente affaire engage la responsabilitĂ© de l’État sur le terrain de l’article 2 de la Convention dans la mesure oĂč cette disposition astreint l’État non seulement Ă  s’abstenir de provoquer la mort de maniĂšre volontaire et irrĂ©guliĂšre, mais aussi Ă  prendre les mesures nĂ©cessaires Ă  la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 89, CEDH 2001‑III).

70.  Elle rappelle aussi, comme elle l’a fait dans le rĂ©cent arrĂȘt rendu en l’affaire Fernandes de Oliveira c. Portugal [GC] (no 78103/14, §§ 110 et suiv., 31 janvier 2019), que l’obligation qui pĂšse sur les autoritĂ©s de protĂ©ger la vie d’une personne privĂ©e de libertĂ© est Ă©tablie dĂšs lors que celles-ci savaient ou auraient dĂ» savoir qu’il y avait un risque rĂ©el et immĂ©diat de voir la personne concernĂ©e attenter Ă  ses jours. Pour caractĂ©riser un manquement Ă  cette obligation, il faut ensuite dĂ©montrer que les autoritĂ©s ont omis de prendre, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient sans doute parĂ© Ă  ce risque.

71.  Quant Ă  l’établissement des faits entourant la question de savoir si les autoritĂ©s Ă©taient au courant de l’existence d’un risque rĂ©el et immĂ©diat pour la vie de l’individu concernĂ© ou auraient dĂ» l’ĂȘtre, la Cour devra prendre en compte un certain nombre de facteurs (Fernandes de Oliveira, prĂ©citĂ©, § 115), en particulier les antĂ©cĂ©dents de troubles mentaux et la gravitĂ© de la maladie affectant l’intĂ©ressĂ©, la commission d’actes d’automutilation et de tentatives de suicide, les gestes et pensĂ©es suicidaires ou les signes de dĂ©tresse physique ou mentale.

72.  En l’occurrence, la Cour note, Ă  titre prĂ©liminairequ’en raison de sa privation de libertĂ© et de ses troubles mentaux A.C. Ă©tait particuliĂšrement vulnĂ©rable (De Donder et De Clippel c. Belgique, no 8595/06, § 75, 6 dĂ©cembre 2011, et Renolde c. France, no 5608/05, § 84, CEDH 2008 (extraits)).

73.  Ensuite, la Cour observe qu’avant son arrivĂ©e Ă  la prison de Messine A.C. avait Ă©tĂ© placĂ© Ă  plusieurs reprises en OPG pour des pĂ©riodes d’observation. Le proche des requĂ©rants avait Ă©tĂ© diagnostiquĂ© comme souffrant d’un ensemble de troubles de la personnalitĂ© qualifiĂ© de « dramatic cluster Â», caractĂ©risĂ© entre autres par un comportement « borderline Â». Toujours avant son arrivĂ©e Ă  la prison de Messine, A.C. avait commis des tentatives de suicide et des actes d’automutilation (paragraphe 5 ci-dessus). Son dossier mĂ©dical faisait ainsi Ă©tat de ses troubles mentaux et de sa vulnĂ©rabilitĂ© (voira contrarioIsenc c. France, no 58828/13, § 38, 4 fĂ©vrier 2016, § 39).

74.  La Cour relĂšve d’ailleurs que le gouvernement dĂ©fendeur, dans ses observations (paragraphe 65 ci-dessus), indique expressĂ©ment que les autoritĂ©s italiennes Ă©taient au courant de l’état de santĂ© du fils des requĂ©rants et qu’à partir de son arrivĂ©e Ă  la prison de Messine elles ont mis en place une prise en charge spĂ©cifique.

75.  La Cour estime que le risque de suicide de A.C., en plus d’ĂȘtre rĂ©el, Ă©tait aussi immĂ©diat. Il suffit, en effet, de se rĂ©fĂ©rer Ă  la dĂ©gradation progressive de l’état mental de A.C. Ă  partir de son arrivĂ©e Ă  la prison de Messine, notamment Ă  compter du 3 janvier 2001 et jusqu’au jour de son dĂ©cĂšs, treize jours plus tard (paragraphes 7 et suivants ci-dessus) (voirmutatis mutandisKeenan, prĂ©citĂ©, § 96, et Ketreb c. France, no 38447/09, § 83, 19 juillet 2012).

76.  En conclusion, la Cour est convaincue que les autoritĂ©s avaient connaissance qu’il y avait un risque rĂ©el et immĂ©diat que A.C. pĂ»t commettre des actes d’auto-agression et attenter fatalement Ă  ses jours.

77.  Reste Ă  savoir si les autoritĂ©s ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour prĂ©venir le risque de suicide, Ă©tant entendu qu’il convient d’interprĂ©ter cette obligation de maniĂšre Ă  ne pas imposer aux autoritĂ©s un fardeau insupportable ou excessif, et que, toute menace prĂ©sumĂ©e contre la vie n’oblige pas les autoritĂ©s, au regard de la Convention, Ă  prendre des mesures concrĂštes pour en prĂ©venir la rĂ©alisation (voir, parmi beaucoup d’autresFernandes de Oliveira, prĂ©citĂ©, § 111).

78.  ConcrĂštement, il suffit que le requĂ©rant dĂ©montre que les autoritĂ©s n’ont pas fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles dans les circonstances de la cause pour empĂȘcher la matĂ©rialisation d’un risque certain et immĂ©diat pour la vie dont elles avaient ou auraient dĂ» avoir connaissance (Isenc, prĂ©citĂ©, § 38, avec la jurisprudence citĂ©e).

79.  S’agissant des mesures adoptĂ©es par les autoritĂ©s dans la prĂ©sente affaire, la Cour ne saurait nier que ces derniĂšres ont menĂ© certaines actions pour assurer la protection de la vie de A.C.

80.  En effet, on peut noter que, le 3 janvier 2001, l’administration carcĂ©rale a rĂ©pondu Ă  la demande de transfert de A.C. lorsque celui-ci a affirmĂ© craindre pour sa vie dans la cellule oĂč il se trouvait. L’intĂ©ressĂ© a alors Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© sans dĂ©lai dans une cellule individuelle dans le quartier pĂ©nitentiaire « sosta Â» (paragraphe 7 ci-dessus).

81.  Ensuite, lorsque les premiers Ă©pisodes d’auto-agression ont Ă©tĂ© observĂ©s, respectivement le 5 janvier 2001 (paragraphe 8 ci-dessus) et le 6 janvier 2001 (paragraphe 9 ci-dessus), A.C. a Ă©tĂ© examinĂ© par le psychiatre de la prison, qui lui a prescrit une thĂ©rapie mĂ©dicamenteuse. Ce spĂ©cialiste a aussi suggĂ©rĂ© la mise en place d’un contrĂŽle plus poussĂ© du dĂ©tenu, Ă  savoir la « surveillance Ă  vue Â», le niveau maximal de surveillance. Le mĂȘme jour, la direction de la prison a entĂ©rinĂ© l’avis du psychiatre et appliquĂ© ladite mesure (paragraphe 10 ci-dessus).

82.  Cela Ă©tant, la Cour remarque l’existence de plusieurs Ă©lĂ©ments tĂ©moignant d’un dĂ©faut de diligence de la part des autoritĂ©s.

83.  Tout d’abord, elle relĂšve que douze jours se sont Ă©coulĂ©s entre les Ă©pisodes d’auto-agression et l’autorisation du transfert de A.C. vers un OPG (paragraphe 12 ci-dessus). Elle estime qu’un tel dĂ©lai ne saurait passer pour compatible avec le caractĂšre urgent du transfert en OPG, dont le rapport du mĂ©decin faisait Ă©tat.

84.  Un autre Ă©lĂ©ment qu’il y a lieu de mettre en Ă©vidence concerne la dĂ©cision, prise le 9 janvier 2001 par la direction de la prison, d’abaisser le niveau de surveillance (de « surveillance Ă  vue Â» Ă  « trĂšs haute surveillance Â»), le jour mĂȘme oĂč la demande de transfert Ă©tait adressĂ©e au juge d’application des peines. Au-delĂ  de la contradiction entre les deux dĂ©cisions, prises le mĂȘme jour, la Cour observe que par la suite, nonobstant une succession d’épisodes tĂ©moignant de la dĂ©gradation manifeste de l’état de santĂ© de A.C., les autoritĂ©s ne sont jamais revenues sur la dĂ©cision relative au niveau de surveillance et n’ont jamais revu Ă  la hausse celui-ci.

85.  Or il convient de rappeler que A.C. refusait, depuis le 6 janvier 2001, de suivre le traitement pharmacologique prescrit. Il semble, en effet, que c’est seulement Ă  la veille de son suicide, le 15 janvier 2001 au soir, que A.C. aurait acceptĂ© de prendre ses mĂ©dicaments, circonstance qui toutefois n’a pas Ă©tĂ© reportĂ©e dans son dossier mĂ©dical (paragraphe 20 ci-dessus). À cet Ă©gard, la Cour relĂšve Ă©galement qu’aucun Ă©lĂ©ment ne permet de dĂ©terminer si le personnel mĂ©dical exerçait un contrĂŽle sur la rĂ©alitĂ© de la prise des mĂ©dicaments par A.C. et sur la maniĂšre dont celle-ci se dĂ©roulait.

86.  De surcroĂźt, la Cour note que, aprĂšs le 9 janvier 2001, A.C. a dĂ©truit une partie du mobilier de sa cellule, dont le lit, qu’il s’est retranchĂ© Ă  l’intĂ©rieur de celle-ci et qu’il a Ă©galement endommagĂ© l’éclairage et fermĂ© les volets de sa cellule (paragraphe 17 ci-dessus), en restant ainsi dans l’obscuritĂ© totale pendant les jours prĂ©cĂ©dant son acte fatal.

87.  L’absence de lumiĂšre dans la cellule de A.C. est un aspect que la Cour entend souligner, Ă  la fois pour les difficultĂ©s que celle-ci a engendrĂ©es pour les agents pĂ©nitentiaires pendant la surveillance de l’intĂ©ressĂ© et lors de l’entrĂ©e dans la cellule aprĂšs le suicide de ce dernier (paragraphe 29 ci‑dessus), mais aussi pour l’effet qu’elle a pu avoir sur l’état mental fragile du dĂ©tenu.

88.  Aux yeux de la Cour, les dĂ©gradations de la cellule signalaient un Ă©tat de souffrance et d’agitation particuliĂšrement Ă©levĂ©. En outre, d’aprĂšs les tĂ©moignages des agents pĂ©nitentiaires, A.C. tenait des propos dĂ©lirants et paranoĂŻaques (paragraphe 17 ci-dessus).

89.  La Cour prend note de la position du gouvernement dĂ©fendeur, qui avance que la direction de la prison a suivi l’avis du psychiatre, lorsqu’elle a dĂ©cidĂ© d’abaisser le niveau de surveillance, et qu’elle a choisi de ne pas agir pour dĂ©gager de force l’entrĂ©e de la cellule, et ce afin d’éviter de voir la situation empirer (paragraphe 66 ci-dessus).

90.  La Cour remarque toutefois que l’avis du psychiatre n’était pas contraignant et que, selon son propre tĂ©moignage, ce mĂ©decin, qui remplaçait le psychiatre titulaire, avait vu A.C. pour la premiĂšre fois le 6 janvier 2001. À cet Ă©gard, elle renvoie aux principes de la Recommandation R (98) 7 du ComitĂ© des Ministres du Conseil de l’Europe (paragraphe 56 ci-dessus), qui prĂ©conisent que les risques de suicide soient apprĂ©ciĂ©s en permanence par le personnel mĂ©dical et pĂ©nitentiaire. En l’occurrence, elle observe que, au cours de la pĂ©riode comprise entre le 10 et le 14 janvier 2001, A.C. n’a pas Ă©tĂ© vu par le psychiatre, nonobstant son Ă©tat trĂšs agitĂ© et les dĂ©gradations manifestes de sa cellule, et ce alors que des consultations psychiatriques quotidiennes auraient dĂ» ĂȘtre prĂ©vues (paragraphe 46 ci-dessus).

91.  La Cour note que, certes, la direction de la prison a permis Ă  l’avocat de A.C. de rendre visite Ă  ce dernier directement dans sa cellule (paragraphe 19 ci-dessus). Toutefois, cet Ă©lĂ©ment ne saurait venir compenser le fait qu’aucune autre dĂ©cision ou mesure raisonnable n’a Ă©tĂ© prise par les autoritĂ©s pour rĂ©duire le risque de suicide, comme le transfert dans une autre cellule dotĂ©e d’un Ă©clairage fonctionnel, le nettoyage des lieux ou la mise en place de consultations frĂ©quentes avec le psychiatre (Çoşelav c. Turquie, no 1413/07, § 62, 9 octobre 2012).

92.  Ă€ titre surabondant, la Cour remarque que, s’agissant du rĂ©gime de « trĂšs haute surveillance Â» – dans le cadre duquel la porte blindĂ©e devait rester ouverte et la frĂ©quence des contrĂŽles ĂȘtre consĂ©quente –, aucun Ă©lĂ©ment du dossier ne permet de savoir en quoi, plus prĂ©cisĂ©ment, ce rĂ©gime consistait. Il ressort du dossier qu’aucune instruction concrĂšte (ordine di servizio) n’a Ă©tĂ© donnĂ©e par la directrice de la prison ou le chef des agents pĂ©nitentiaires aux gardiens quant Ă  la frĂ©quence des contrĂŽles. À ce propos, la Cour observe que, dans la dĂ©cision d’acquittement du psychiatre, le juge d’instance de Messine a estimĂ© que celui-ci ne pouvait pas ĂȘtre tenu pour pĂ©nalement responsable, au motif que le suicide avait eu lieu alors que A.C. Ă©tait soumis Ă  une « trĂšs haute surveillance Â» et qu’il aurait dĂ», dans ce cadre, ĂȘtre surveillĂ© par les gardiens sur la base des instructions que le responsable de la sĂ©curitĂ© personnelle des dĂ©tenus aurait dĂ» transmettre Ă  ces agents (paragraphe 40 ci-dessus). La Cour renvoie aussi au rapport d’inspection Ă©tabli par la commission du ministĂšre de la Justice, qui contenait des critiques spĂ©cifiques Ă  propos de la gestion de la situation de A.C. D’aprĂšs ce rapport, les autoritĂ©s impliquĂ©es avaient sous-estimĂ© les antĂ©cĂ©dents du proche des requĂ©rants et n’avaient pas prĂ©vu un niveau de surveillance adaptĂ© Ă  son Ă©tat (paragraphe 35 ci-dessus).

93.  Compte tenu de tous ces Ă©lĂ©ments, la Cour est convaincue que les autoritĂ©s n’ont pas pris les mesures raisonnables qui s’imposaient pour assurer l’intĂ©gritĂ© de A.C. Les considĂ©rations qui prĂ©cĂšdent sont suffisantes pour permettre Ă  la Cour de conclure que les autoritĂ©s ont manquĂ© Ă  leur obligation positive de protĂ©ger le droit Ă  la vie de A.C.

94.  Partant, il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matĂ©riel.

  1. Sur l’obligation procĂ©durale de mener une enquĂȘte effective

a)      ThĂšses des parties

95.  Les requĂ©rants allĂšguent que l’enquĂȘte ayant Ă©tĂ© menĂ©e sur les causes de la mort de leur fils et ayant pour but l’identification des Ă©ventuels responsables de son dĂ©cĂšs n’a pas Ă©tĂ© effective.

96.  Le gouvernement dĂ©fendeur rĂ©plique que les assertions formulĂ©es par les requĂ©rants sont sommaires, ceux-ci s’étant selon lui bornĂ©s Ă  mentionner la jurisprudence pertinente en la matiĂšre de la Cour.

97.  En particulier, il soutient que les autoritĂ©s compĂ©tentes ont ouvert l’enquĂȘte de maniĂšre rapide et diligente. Il plaide ensuite que l’enquĂȘte a Ă©tĂ© adĂ©quate et effective, prĂ©cisant Ă  cet Ă©gard que le respect du principe du contradictoire a Ă©tĂ© garanti et qu’il a Ă©tĂ© procĂ©dĂ© Ă  un examen rigoureux des faits de l’espĂšce sur trois degrĂ©s de juridiction. Il avance aussi que, parallĂšlement Ă  la procĂ©dure pĂ©nale, une procĂ©dure disciplinaire a Ă©tĂ© menĂ©e par les autoritĂ©s, avant d’ĂȘtre clĂŽturĂ©e Ă  la suite de l’acquittement des personnes mises en examen.

b)     ApprĂ©ciation de la Cour

98.  La Cour rappelle que les faits de la prĂ©sente affaire font naĂźtre une obligation de nature procĂ©durale envers l’État quant Ă  la nĂ©cessitĂ© d’établir les causes de la mort de A.C. et d’examiner, une fois le suicide Ă©tabli, si les autoritĂ©s impliquĂ©es Ă©taient d’une quelconque maniĂšre responsables d’un Ă©chec Ă  l’empĂȘcher. Les principes applicables Ă  l’enquĂȘte ont Ă©tĂ© Ă©noncĂ©s dans l’arrĂȘt Mustafa Tunç et Fecire Tunç (c. Turquie [GC], no 24014/05, §§ 169-182, 14 avril 2015).

99.  En particulier, pour ĂȘtre qualifiĂ©e d’« effective Â», l’enquĂȘte doit ĂȘtre adĂ©quate (Ramsahai et autres c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, § 324, CEDH 2007‑II, et Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 301, CEDH 2011 (extraits)) et indĂ©pendante (Mustafa Tunç et Fecire Tunç, prĂ©citĂ©, §§ 222-224), ĂȘtre menĂ©e avec cĂ©lĂ©ritĂ© et avec une diligence raisonnable (Fountas c. GrĂšceno 50283/13, § 72, 3 octobre 2019) et, enfin, ĂȘtre accessible Ă  la famille de la victime (De Donder et De Clippel, prĂ©citĂ©, § 86). L’exigence d’un contrĂŽle public est Ă©galement pertinente dans ce contexte (Troubnikov c. Russie, no 49790/99, § 88, 5 juillet 2005).

100.  En l’espĂšce, la Cour note que l’enquĂȘte sur le suicide de A.C. a Ă©tĂ© conduite par le procureur de la RĂ©publique de Messine. Dans les premiers jours ayant suivi le dĂ©cĂšs de A.C., il a Ă©tĂ© ordonnĂ© une autopsie du corps du dĂ©tenu, laquelle a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e par un mĂ©decin tiers dĂ©signĂ© par le parquet. Cet examen a confirmĂ© les causes du dĂ©cĂšs par pendaison et suffocation subsĂ©quente. De plus, deux inspections de la cellule ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es, toujours sur ordre du parquet : d’abord par les agents pĂ©nitentiaires, le lendemain du dĂ©cĂšs, puis par les carabinieri, quelques jours plus tard (paragraphe 33 ci-dessus).

101.  La Cour note aussi que le parquet a auditionnĂ© les personnes mises en examen, le chef des agents pĂ©nitentiaires, le mĂ©decin responsable de la prison et les requĂ©rants, et que les enregistrements de la vidĂ©osurveillance externe Ă  la cellule ont Ă©tĂ© saisis et analysĂ©s.

102.  Elle note Ă©galement que le 21 octobre 2003 le parquet a demandĂ© le renvoi en jugement des personnes mises en examen, que les requĂ©rants ont pu se constituer parties civiles (paragraphe 37 ci-dessus) et que le 15 fĂ©vrier 2005 le juge des investigations prĂ©liminaires a renvoyĂ© les personnes mises en examen en jugement (voira contrarioPatsaki et autres c. GrĂšce, no 20444/14, § 75, 7 fĂ©vrier 2019).

103.  La Cour constate que les requĂ©rants n’ont pas mis en doute l’indĂ©pendance des enquĂȘteurs. En tout Ă©tat de cause, elle estime que les personnes chargĂ©es de l’enquĂȘte, Ă  savoir les membres du parquet de Messine et les carabinieri, sont indĂ©pendantes des personnes impliquĂ©es dans le dĂ©cĂšs (Malik Babayev c. AzerbaĂŻdjan, no 30500/11, § 81, 1er juin 2017).

104.  La Cour observe en outre que le parquet a procĂ©dĂ© aux mesures raisonnables Ă  mĂȘme d’assurer la collecte des Ă©lĂ©ments de preuve concernant les faits litigieux, y compris, notamment, Ă  l’audition des tĂ©moins et des personnes mises en examen, Ă  l’étude des enregistrements de vidĂ©osurveillance et Ă  l’autopsie du corps de A.C. Ce dernier examen a permis d’obtenir un compte rendu complet sur les blessures subies par le dĂ©tenu et une analyse objective des causes du dĂ©cĂšs. La Cour observe aussi qu’une procĂ©dure disciplinaire a Ă©tĂ© menĂ©e, parallĂšlement Ă  la procĂ©dure pĂ©nale, dĂšs le renvoi en jugement, et qu’elle a par la suite Ă©tĂ© clĂŽturĂ©e aprĂšs le jugement du tribunal de premiĂšre instance (paragraphe 48 ci-dessus). Qui plus est, les requĂ©rants ont Ă©tĂ© associĂ©s Ă  la procĂ©dure, dĂšs lors qu’ils ont Ă©tĂ© entendus par le parquet, d’abord au cours des premiĂšres phases de l’enquĂȘte, puis en leur qualitĂ© de parties civiles au cours du procĂšs, dans le cadre duquel ils ont pu dĂ©noncer des nĂ©gligences dans la prise en charge de leur fils (De Donder et De Clippel, prĂ©citĂ©, § 86).

105.  Concernant la cĂ©lĂ©ritĂ© de l’enquĂȘte, et compte tenu du volume des Ă©lĂ©ments de preuve recueillis, la Cour considĂšre que la durĂ©e de la procĂ©dure ne permet pas de douter de l’effectivitĂ© de l’enquĂȘte. En effet, l’enquĂȘte proprement dite s’est Ă©talĂ©e sur une durĂ©e de deux ans et neuf mois (paragraphe 36 ci-dessus). De plus, Ă  la diffĂ©rence de ce qui a Ă©tĂ© observĂ© dans les affaires Fernandes de Oliveira (prĂ©citĂ©, § 139), et Patsaki et autres (prĂ©citĂ©, §§ 74 et 75), aucun dĂ©faut de l’enquĂȘte ne peut ĂȘtre Ă©tabli en l’espĂšce.

106.  La Cour estime ainsi que les autoritĂ©s ont soumis le cas de A.C. Ă  un examen scrupuleux et qu’elles ont donc menĂ© une enquĂȘte effective sur les circonstances ayant entourĂ© son dĂ©cĂšs (Erikan Bulut c. Turquie, no 51480/99, § 45, 2 mars 2006). Par consĂ©quent, il n’y a pas eu violation du volet procĂ©dural de l’article 2 de la Convention.

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

107.  Les requĂ©rants se plaignent que le maintien en prison de leur fils, sans assistance mĂ©dicale adĂ©quate, ait constituĂ© un traitement contraire Ă  l’article 3 de la Convention, ainsi libellĂ© :

« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă  la torture ni Ă  des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. Â»

108.  Le Gouvernement conteste cette thĂšse.

109.  La Cour constate que ce grief est liĂ© Ă  celui examinĂ© ci-dessus et qu’il doit ĂȘtre dĂ©clarĂ© recevable.

110.  Eu Ă©gard Ă  la conclusion Ă  laquelle elle est parvenue sur le terrain de l’article 2 de la Convention (paragraphe 94 ci-dessus), la Cour estime qu’il est inutile d’examiner la question de savoir si, en l’espĂšce, il y a eu violation de l’article 3 (voir, parmi d’autres prĂ©cĂ©dentsDe Donder et De Clippel, prĂ©citĂ©, § 91).

  1. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

111.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour dĂ©clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s’il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

  1. Dommage

112.  Les requĂ©rants demandent 8 108,35 euros (EUR) au titre du dommage matĂ©riel qu’ils indiquent avoir subi, pour les frais engagĂ©s pour les funĂ©railles de leur fils, et 333 683,93 EUR au titre du dommage moral qu’ils disent avoir subi.

113.  Le Gouvernement considĂšre que les prĂ©tentions des requĂ©rants sont dĂ©pourvues de lien de causalitĂ© avec les prĂ©judices allĂ©guĂ©s et, en tout Ă©tat de cause, manifestement excessives.

114.  La Cour ne discerne aucun lien de causalitĂ© suffisant entre la violation constatĂ©e et le dommage matĂ©riel allĂ©guĂ©. Elle rejette donc la demande formulĂ©e Ă  ce titre. Elle estime en revanche qu’il y a lieu d’octroyer aux requĂ©rants, conjointement, la somme de 32 000 EUR pour dommage moral.

  1. Frais et dépens

115.  Les requĂ©rants rĂ©clament 10 927,44 EUR au titre des frais et dĂ©pens engagĂ©s par eux dans le cadre de la procĂ©dure menĂ©e devant les juridictions internes, et ils s’en remettent Ă  la sagesse de la Cour quant aux frais et dĂ©pens affĂ©rents Ă  la procĂ©dure menĂ©e devant celle-ci.

116.  Le Gouvernement conteste le montant rĂ©clamĂ© par les requĂ©rants, auxquels il reproche de n’avoir fourni aucun document Ă  l’appui de leur demande.

117.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requĂ©rant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dĂ©pens que dans la mesure oĂč se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ© et le caractĂšre raisonnable de leur taux. En l’espĂšce, compte tenu des critĂšres susmentionnĂ©s et des documents soumis par les requĂ©rants, la Cour juge raisonnable d’allouer Ă  ceux-ci, conjointement, la somme de 900 EUR pour une partie des frais et dĂ©pens affĂ©rents Ă  la procĂ©dure interne, et elle rejette, en l’absence de piĂšces justificatives, le restant de la demande prĂ©sentĂ©e au titre des frais et dĂ©pens relatifs Ă  cette procĂ©dure et Ă  la procĂ©dure menĂ©e devant elle.

  1. IntĂ©rĂȘts moratoires

118.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d’intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, Ă€ L’UNANIMITÉ,

  1. DĂ©clare la requĂȘte recevable ;
  2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention en son volet matĂ©riel ;
  3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention en son volet procĂ©dural ;
  4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief formulĂ© sur le terrain de l’article 3 de la Convention ;
  5. Dit,

a)    que l’État dĂ©fendeur doit verser conjointement aux requĂ©rants, dans un dĂ©lai de trois mois, les sommes suivantes :

  1. 32 000 EUR (trente-deux mille euros), plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» sur cette somme Ă  titre d’impĂŽt, pour dommage moral,
  2. 900 EUR (neuf cents euros), plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» sur cette somme par les requĂ©rants Ă  titre d’impĂŽt, pour frais et dĂ©pens,

b)    qu’à compter de l’expiration dudit dĂ©lai et jusqu’au versement, ces montants seront Ă  majorer d’un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

6.Rejette le surplus de la demande de satisfaction Ă©quitable.

 

Renata Degener                                                         Armen Harutyunyan

GreffiÚre adjointe                                                      Président

 


[1].  Selon la dĂ©finition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux – DSM-5, de l’Association amĂ©ricaine de psychiatrie.

[2] Le 11 janvier 2006, le ComitĂ© des MinistresrĂ©visĂ© ce texte en adoptant la Recommandation (2006) 2 sur les RĂšgles pĂ©nitentiaires europĂ©ennes.