Cour européenne des droits de l’homme
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE FELLONI c. ITALIE
(Requête no 44221/14)
ARRÊT
Art 6
(pénal) • Procès équitable • Procédure devant la Cour de cassation ne garantissant pas un examen effectif
des principaux arguments du requérant
ni une réponse permettant
de comprendre les raisons de leur rejet
Art 7
• Rétroactivité • Nouvelle loi
limitant le pouvoir discrétionnaire du juge dans la reconnaissance
des atténuations de la peine, sans rendre inopérant un critère légal qui aurait été favorable au
requérant • Requérant non pénalisé en raison de l’appréciation, sous l’angle de la nouvelle loi, de faits antérieurs à son entrée en vigueur • Détermination de la peine résultat d’une mise en
balance de l’ensemble des éléments
pertinents
STRASBOURG
6 février 2020
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la
Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Felloni c.
Italie,
La Cour
européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :
Ksenija Turković, présidente,
Aleš Pejchal,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski,
Raffaele Sabato, juges,
et de Abel Campos, greffier de
section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 janvier 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté
à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire
se trouve une requête
(no 44221/14) dirigée contre la République italienne et
dont un ressortissant de cet
État, M. Riccardo Felloni (« le requérant »), a saisi la Cour le 17 juillet 2014 en vertu de l’article 34 de la
Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales
(« la Convention »).
2. Le requérant
a été représenté par
Me G. Carpeggiani, avocat
à Ferrare. Le gouvernement italien
(« le Gouvernement »)
a été représenté par
son ancien agent, Mme E. Spatafora.
3. Le requérant
se plaignait d’une application
rétroactive d’une loi pénale selon lui plus sévère et d’un refus de la Cour de cassation d’examiner son moyen de cassation à cet égard.
4. Le 28 août 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
- LES CIRCONSTANCES
DE L’ESPÈCE
5. Le requérant
est né en 1978. Il réside à Ferrare.
6. Le 29 septembre
2007, il fut arrêté lors d’un contrôle routier et soumis à un alcootest.
7. À la suite de ce contrôle, une procédure pénale fut engagée
contre lui devant le tribunal de Ferrare pour conduite
en état d’ivresse. Pour sa défense, le requérant soutint que les
résultats de l’alcootest avaient été faussés
par la prise d’un médicament
contre l’asthme.
8. Par un jugement
du 14 novembre 2011, le tribunal
de Ferrare reconnut l’intéressé
coupable du délit de conduite en état d’ivresse, le condamna à une peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis ainsi
qu’à une amende de 900 euros (EUR) et ordonna la suspension de son permis de conduire pendant un an.
9. Le requérant
interjeta appel de ce jugement, plaidant son innocence et demandant, à titre subsidiaire, la reconnaissance de circonstances atténuantes au sens de l’article 62 bis du code pénal (CP). À l’appui de sa demande, il allégua que son casier judiciaire était vierge.
10. Par un arrêt du 22 mai 2012, la cour d’appel de Bologne rejeta l’appel du requérant et confirma la condamnation de celui-ci. Elle rejeta la demande du requérant
visant à bénéficier de circonstances atténuantes, au motif que
l’absence d’antécédents judiciaires, seul élément allégué par l’intéressé à l’appui de sa demande, ne constituait plus un critère permettant l’octroi de circonstances atténuantes (non è
più elemento idoneo ad integrarle). Elle ajouta qu’il n’existait d’ailleurs aucun autre paramètre
pouvant jouer en la faveur du requérant,
pas même le comportement affiché par celui-ci pendant le procès, durant lequel il n’avait montré aucun
signe de repentir. Elle indiqua que, en revanche, il y avait lieu
de tenir compte du fait que,
postérieurement à la commission
de l’infraction en cause, le requérant
avait été une nouvelle fois
arrêté à bord de son véhicule en état d’ébriété et qu’il avait avancé, pour sa défense, des arguments
similaires à ceux considérés en l’espèce comme étant non fondés et fallacieux.
11. Le requérant
se pourvut en cassation.
Dans son moyen de cassation no 6, il se plaignait
entre autres d’une application rétroactive de la loi no 125 de 2008 à son affaire et alléguait que cette
loi avait modifié l’article 62 bis du CP dans le sens
que des circonstances
atténuantes ne pouvaient
plus être octroyées en cas de casier judiciaire vierge à compter de l’entrée en vigueur de cette loi, le 24 juillet 2008, soit après la date de la commission de l’infraction en
cause.
12. Par un arrêt du 26 février
2014, la Cour de cassation déclara irrecevables tous les moyens
soulevés par le requérant au motif qu’ils
proposaient une version différente des faits et soulevaient des questions de fond auxquelles l’arrêt de la cour d’appel avait fourni
une réponse suffisamment ample et convaincante. Elle conclut que la cour d’appel avait
clairement indiqué les raisons pour lesquelles il y avait lieu de déclarer
la responsabilité du requérant pour l’infraction qui
lui était reprochée.
- LE DROIT ET LA
PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
- Les dispositions du code pénal
13. L’article
62 bis du CP concerne les circonstances atténuantes générales (generiche).
Cet article prévoit que, indépendamment
des circonstances atténuantes spécifiques listées à l’article 62 du CP, le juge peut prendre en considération d’autres circonstances s’il considère que celles-ci
permettent de justifier une
diminution de la peine.
14. L’article
1, alinéa 1 f) du décret-loi no 92 de 2008, converti en loi par la loi no 125 du 24 juillet 2008, a modifié l’article 62 bis du CP, ajoutant un troisième et dernier alinéa, ainsi libellé :
« En tout état de cause, l’absence de précédentes condamnations pour d’autres délits à l’encontre de la personne condamnée ne peut pas, à elle seule, justifier l’octroi desdites circonstances atténuantes. »
Par son arrêt
no 183 de 2011, la Cour Constitutionnelle
déclara inconstitutionnel
l’article 62bis dans
la mesure où il ne permettait pas au juge de considérer
favorablement, aux fins de l’application des circonstances atténuantes générales, le comportement du condamné multirécidiviste (recidivo reiterato)
postérieur à la commission
de l’infraction.
15. Selon
l’article 65 du CP, en cas de reconnaissance d’une circonstance atténuante les peines sont
ainsi réduites :
« La réclusion à perpétuité est substituée par une
peine de réclusion comprise entre vingt et vingt-quatre ans ;
Les autres peines sont réduites
d’une mesure ne dépassant pas le tiers de la peine. »
16. Les
articles 132 et 133 du CP contiennent des dispositions visant à guider le juge du fond dans
l’exercice de son pouvoir
de fixation de la peine. Ils se lisent comme
suit :
Article 132
(Pouvoir discrétionnaire du juge dans la fixation
de la peine : limites)
« Dans les limites fixées
par la loi, le juge fixe la peine de façon discrétionnaire. Il doit indiquer les motifs
propres à justifier l’usage dudit pouvoir
discrétionnaire.
Il peut augmenter ou réduire
la peine établie par la loi sans toutefois pouvoir excéder les limites établies
par elle pour chaque catégorie
de peine, sauf dans les cas
expressément prévus par la loi. »
Article 133
(Gravité de
l’infraction : évaluation des effets de la peine)
« Dans l’exercice du pouvoir
discrétionnaire mentionné à
l’article précédent, le juge doit tenir
compte de la gravité de l’infraction selon :
1) la nature, le type, les moyens,
l’objet, le temps, le lieu et toute autre
modalité de l’acte délictueux ;
2) la gravité
du préjudice ou du danger
causé à la victime de l’infraction ;
3) l’intensité
de l’élément intentionnel ou le degré de culpabilité.
Le juge doit également tenir compte de l’aptitude à commettre un crime (capacità a delinquere)
de l’auteur de l’infraction
eu égard :
1) aux
mobiles de l’infraction (motivi a delinquere)
et à l’intention de l’auteur
de celle-ci (reo) ;
2) aux
antécédents pénaux et judiciaires et, en général, à la conduite et à la vie de l’auteur
de l’infraction avant la commission de celle-ci ;
3) à la conduite
de l’auteur de l’infraction
pendant et après la commission
de celle-ci ;
4) aux
conditions de vie personnelle,
familiale et sociale de l’auteur
de l’infraction. »
- La jurisprudence pertinente de la Cour
de cassation
17. Il ressort
des éléments produits par les parties qu’il existe une jurisprudence divergente de la Cour
de cassation concernant les effets de l’entrée en vigueur de la loi no 125 de
2008 sur le régime des circonstances atténuantes.
18. Ainsi,
selon l’arrêt de la Cour de cassation no 10646
de 2009 – entre autres –, avant l’intervention du législateur, il appartenait au juge de déterminer et d’exposer quels étaient
le ou les éléments susceptibles de justifier une atténuation de la peine, sans limitation autre que celle dérivant de l’obligation de motiver sa décision. Dès lors, l’article
62 bis du CP en vigueur
avant la loi no 125 de
2008 n’empêchait pas le juge de considérer que l’absence d’antécédents judiciaires de la personne condamnée permettait de justifier une atténuation de sa peine dans une affaire donnée. Dans ce cadre, l’arrêt de la Cour de cassation no 7914 de 2015 a affirmé
le principe selon lequel le troisième alinéa de l’article 62 bis du CP, introduit par la loi no 125 de 2008, ne pouvait
pas être appliqué rétroactivement, car il
s’agissait d’une disposition
qui avait pour effet d’aggraver le régime des sanctions (trattamento sanzionatorio)
existant.
19. En revanche, la Cour de cassation a affirmé dans son arrêt no 4033 de 2014 – entre
autres – que, même avant la réforme
de 2008, les circonstances atténuantes ne pouvaient pas être octroyées
sur la seule base d’une absence
de précédentes condamnations
puisque le juge était obligé de prendre en considération
l’ensemble des éléments mentionnés à l’article 133 du CP.
- La révision du procès
20. L’article
630 du code de procédure pénale (CPP) prévoit les cas dans
lesquels une personne condamnée peut demander la révision de son procès. Par son arrêt no 113
du 7 avril 2011, la Cour constitutionnelle a déclaré l’article 630 du CPP inconstitutionnel dans la mesure où il ne prévoyait pas la possibilité de demander la réouverture du procès lorsque
cela était nécessaire, aux termes de l’article 46 de la
Convention, pour se conformer à un arrêt définitif
de la Cour européenne des droits de l’homme. Par l’effet de cet arrêt
(effetto additivo), il est désormais possible d’introduire une demande en révision du procès
au sens de l’article 630 du CPP en se fondant
sur un arrêt de la Cour ayant conclu à un défaut d’équité de la procédure.
EN DROIT
- SUR LA VIOLATION
ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
21. Le requérant
reproche à la Cour de cassation d’avoir manqué à son obligation de motiver ses décisions
découlant de l’article 6 §
1 de la Convention, qui dispose en ses parties pertinentes en l’espèce que :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
22. Il soutient
que la Cour de cassation a ignoré son moyen de cassation tiré d’une application rétroactive de la loi no 125
de 2008 à son cas et considère
que sa cause n’a donc pas été entendue
équitablement. Il estime que, en définitive, ni les juges du
fond ni la Cour de cassation n’ont donné de réponse à une question de droit qu’il considérait comme étant déterminante
pour sa cause.
23. Le Gouvernement
argue que la Cour de cassation a examiné tous les
arguments du requérant, que ceux-ci avaient tous trait à des questions de fait et qu’ils relevaient donc de la compétence des juridictions du fond, raisons
pour lesquelles la Cour de cassation les aurait
à bon droit déclarés irrecevables. Selon le Gouvernement, la Cour de cassation a donc à juste titre confirmé
les conclusions de la cour d’appel concernant
la responsabilité pénale du requérant ainsi
que le quantum de la peine.
24. La Cour
rappelle que, même si les tribunaux
ne sauraient être tenus d’exposer les motifs de rejet
de chaque argument d’une partie (Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §
29, série A no 303‑A), ils
ne sont pour autant pas dispensés d’examiner dûment les principaux moyens que soulève
celle-ci et d’y répondre (voir, Moreira
Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 84, 11 juillet
2017). Si, de surcroît, ces
moyens ont trait aux « droits et
libertés » garantis par la Convention ou ses Protocoles
– tel que le principe de
non-rétroactivité des lois pénales plus sévères – les juridictions
nationales sont astreintes à les examiner avec une rigueur et un soin particuliers (Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg,
no 76240/01, § 96, 28 juin 2007,
et Magnin c. France (déc.),
no 26219/08, 10 mai 2012).
25. La Cour
a de plus déjà eu l’occasion de souligner que la motivation a notamment pour finalité de démontrer aux parties qu’elles ont été
entendues et, ainsi, de contribuer à une meilleure acceptation de la décision (voir, mutatis mutandis, Taxquet c.
Belgique [GC], no 926/05, CEDH 2010, 16 novembre 2010, § 91).
26. Aussi,
en rejetant un recours, la juridiction d’appel peut, en principe, se borner à faire siens les
motifs de la décision
entreprise (García Ruiz c. Espagne [GC],
no 30544/96, § 26, CEDH 1999‑I). Cependant,
la notion de procès équitable requiert qu’une juridiction qui n’a que brièvement motivé sa décision, que ce soit en incorporant les motifs fournis par une juridiction inférieure ou autrement, ait
réellement examiné les questions essentielles
qui lui ont été soumises (Helle c.
Finlande, 19 décembre 1997,
§ 60, Recueil des
arrêts et décisions 1997‑VIII,
et Boldea c. Roumanie, no 19997/02, § 30, 15 février
2007).
27. En l’espèce,
force est de constater que
la Cour de cassation n’a nullement répondu au moyen de cassation
du requérant tiré de l’application prétendument rétroactive de la loi no 125 de 2008 à son cas
et au refus des juges du
fond de le faire bénéficier de circonstances atténuantes.
28. La Cour
observe que la haute juridiction s’est bornée à déclarer irrecevables tous les moyens
de cassation soulevés par
le requérant au motif qu’ils visaient
à remettre en question la version des faits
retenue par les juges du fond.
Or la Cour n’est pas persuadée que la question soulevée par le requérant dans son moyen de cassation no 6 (paragraphe 11 ci-dessus) concernait une question de fait échappant à la compétence de la haute juridiction.
De plus, elle note que la décision
de la Cour de cassation ne contient aucune mention relative à la peine infligée au requérant
ni, en particulier, à la loi
applicable dans le domaine des circonstances
atténuantes, qui aurait permis de répondre, ne serait-ce que de manière indirecte, aux griefs de l’intéressé à propos de la gravité de la sanction.
29. Enfin,
la question litigieuse ayant été soulevée
pour la première fois devant la haute juridiction, on ne saurait considérer qu’en l’occurrence cette dernière a incorporé les motifs fournis
par la juridiction inférieure
pour fonder sa décision de manière
compatible avec les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, a contrario, Helle,
précité, § 56, et Dobrescu c. Roumanie (déc.),
no 10520/09, § 51, 31 août 2010).
30. La Cour
considère que la question de l’application prétendument rétroactive de la législation en matière de circonstances atténuantes figurait parmi les moyens principaux
soulevés par le requérant,
de sorte qu’elle exigeait
une réponse spécifique et explicite.
31. En conclusion,
la Cour considère que le requérant n’a pas bénéficié d’une procédure lui garantissant un examen effectif de ses arguments ni d’une réponse permettant de comprendre les raisons de leur rejet. Il en résulte que la Cour de cassation a manqué à son obligation de motiver ses décisions découlant
de l’article 6 § 1 de la Convention. Partant, il y a eu violation de cette disposition.
- SUR LA VIOLATION
ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION
32. Le requérant
se plaint que la peine qui lui a été infligée ait été
fixée sur la base d’une loi
pénale qu’il dit plus sévère et qui aurait été appliquée
rétroactivement à son cas.
Il invoque l’article 7 § 1
de la Convention, ainsi libellé
en sa partie pertinente en l’espèce :
« 1. Nul ne peut être condamné
pour une action ou une omission
qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il
n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.
(...) »
- Sur la recevabilité
33. Constatant
que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens
de l’article 35 § 3 a) de la
Convention et qu’elle ne se heurte
par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité,
la Cour la déclare recevable.
- Sur le fond
- Thèses des parties
34. Le requérant
reproche au tribunal et à la cour d’appel d’avoir fait une application rétroactive de la loi no 125 de 2008 pour refuser
de lui accorder le bénéfice
de circonstances atténuantes
et, donc, une diminution de
sa peine.
35. Il expose
que, si les juridictions n’avaient pas appliqué la loi no 125 de 2008 – qui aurait
modifié plus sévèrement les critères d’octroi de circonstances atténuantes –, son casier judiciaire
vierge aurait constitué un élément suffisant pour obtenir une atténuation de sa peine.
36. Il se réfère
à ce propos à des arrêts de la Cour de cassation qui auraient jugé que la loi
de 2008 avait introduit une
aggravation des peines et qu’elle n’était donc pas
applicable rétroactivement
(arrêts no 10646 de 2009 et no 7914 de
2015).
37. Il indique
en outre que les articles 62 bis et
133 du CP concernent deux domaines différents,
à savoir la fixation de la peine principale pour le deuxième
et l’application d’une réduction
de ladite peine par l’effet des circonstances
atténuantes pour le premier. Ainsi,
selon le requérant, bien que le tribunal
et la cour d’appel aient fixé la peine
principale en vertu de leur
pouvoir discrétionnaire et
en prenant en considération
toutes les circonstances de l’affaire comme
le veut l’article 133 du CP, ils auraient
dû au préalable
prendre une décision dûment motivée quant à l’octroi ou non de circonstances atténuantes.
38. Le Gouvernement
rétorque que le requérant soutient à tort que la loi
no 125 de 2008 a modifié in pejus l’article 62 bis du CP. Il estime qu’avant l’entrée en vigueur de cette loi le juge
était tenu de prendre en considération
l’ensemble des éléments indiqués à l’article 133 CP et qu’une personne ayant un casier judiciaire vierge n’avait donc aucune certitude
d’obtenir automatiquement
la reconnaissance de circonstances
atténuantes. La décision d’octroyer une réduction de peine aurait relevé
– avant comme après la réforme de 2008 – du pouvoir discrétionnaire
du juge, lequel aurait seulement
été tenu de motiver sa décision. Le Gouvernement se réfère à ce propos à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière (arrêts no 31440 du 25 juin 2008 et no 4033 du 29 janvier 2014).
39. Il expose
que, pour rejeter la demande de réduction de peine formée par le requérant, la cour d’appel de Bologne a effectué une
évaluation globale des critères mentionnés à l’article 133 CP. Selon lui, le refus du juge
d’accorder les circonstances atténuantes au requérant résulte
de l’évaluation de la conduite
de celui-ci pendant le procès
et du comportement postérieur à la commission de l’infraction, et non seulement de considérations concernant le
casier judiciaire du requérant. La Cour d’appel a dûment motivé son refus en estimant qu’il n’existait pas d’éléments favorables au requérant, pas
même le comportement de l’intéressé pendant le procès, et
en tenant compte en
revanche de la réitération par celui-ci
de la même infraction après les faits
litigieux. Le Gouvernement considère que, dès lors, la référence
faite par la cour d’appel à la réforme de l’article 62 bis du
CP n’a eu aucune incidence sur la détermination de
la peine du requérant.
40. Le Gouvernement
soutient enfin que la réforme de 2008 visait à limiter la tendance de certains juges à adopter des pratiques généreuses
en matière de circonstances
atténuantes, sans pour autant
réformer in pejus le
système préexistant. Il estime que la loi
de 2008 ne constituait donc
en aucun cas une loi pénale plus sévère, dont il indique qu’une application rétroactive serait d’ailleurs interdite par le droit
national.
- Appréciation de
la Cour
41. La Cour
rappelle que la garantie que consacre
l’article 7 de la Convention, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place
primordiale dans le système
de protection de la Convention, comme
l’atteste le fait que l’article 15 n’y autorise aucune
dérogation même en temps de guerre ou d’autre danger public. Ainsi qu’il découle
de son objet et de son but,
on doit l’interpréter et l’appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et les sanctions arbitraires
(Del Río Prada c. Espagne [GC],
no 42750/09, § 77 ; CEDH 2013, Vasiliauskas c. Lituanie [GC],
no 35343/05, § 153, CEDH 2015, et Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, § 202, 4 décembre 2018).
42. L’article 7
de la Convention ne se borne pas
à prohiber l’application rétroactive du droit pénal au
désavantage de l’accusé :
il consacre aussi, d’une manière plus générale, le
principe de la légalité des
délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et celui
qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment
de l’accusé, notamment par
analogie (Del Río Prada, précité, § 78, Vasiliauskas, précité, § 154, et Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 52, série A
no 260‑A).
43. En l’espèce,
la Cour observe tout d’abord qu’il n’est pas contesté entre
les parties que la cour d’appel de Bologne a apprécié l’affaire du requérant sous l’angle du nouveau texte de l’article 62 bis du
CP, tel que modifié par la loi no 125 de
2008, qui est entrée en vigueur après
la commission des faits.
44. Il convient
donc d’examiner si l’application faite de cette disposition a emporté rétroactivité d’une peine plus forte que celle prévue par la loi pénale en vigueur à l’époque de
la commission des faits, comme le soutient le requérant.
45. La Cour
rappelle à cet égard qu’elle n’a pas pour tâche de trancher la question de la nature
de la loi litigieuse nationale et de son impact sur l’ordre
juridique interne existant.
Aussi, elle ne doit pas examiner in abstracto la question de
savoir si l’application rétroactive de la loi no 125
de 2008 est, en soi, incompatible
avec l’article 7 de la
Convention. Cette question doit être examinée
au cas par cas en tenant compte
des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, du point de savoir si les juridictions
internes ont appliqué la loi dont les dispositions étaient les plus favorables à l’accusé (voir Gabarri Moreno
c. Espagne, no 68066/01, §§ 32-33, 22 juillet
2003, Scoppola, précité, § 109, et Maktouf et Damjanović c.
Bosnie-Herzégovine [GC], nos 2312/08 et 34179/08, § 65, CEDH 2013 (extraits)).
46. La Cour
observe d’emblée que la
loi pénale en vigueur à l’époque des faits ne prévoyait pas de reconnaissance automatique de circonstances atténuantes en cas de casier judiciaire vierge de la personne condamnée, cet élément ne constituant selon le droit pénal que
l’un des critères pouvant entrer en ligne de compte dans l’évaluation discrétionnaire faite par le juge sur le fondement de l’article 133 du CP (paragraphe 16 ci-dessus).
47. En effet,
bien que ladite loi no 125 de 2008 ait modifié l’article
62bis du CP en limitant
le pouvoir discrétionnaire du juge dans
la reconnaissance des atténuations de la peine, elle
n’a pas pour autant réformé le système des circonstances atténuantes en rendant inopérant un critère légal qui aurait été en l’espèce favorable au requérant.
48. La Cour
observe que la cour d’appel de Bologne rejeta la demande de circonstances atténuantes du requérant après
avoir procédé à un examen global des paramètres indiqués par l’article 133 du CP et en ayant mené une évaluation approfondie du comportement de l’intéressé. Ainsi, elle précisa qu’aucune circonstance ne se prêtait à justifier l’octroi d’une réduction de peine au requérant, y compris son comportement pendant
le procès, et que pas même la conduite
de celui-ci après la commission de l’infraction ne pouvait être considérée
favorablement (paragraphe
10 ci-dessus). Elle souligna
que le requérant n’avait montré aucun
signe de repentir au cours du
procès et que, en revanche,
avait réitéré la même infraction alors que la procédure
pénale litigieuse était pendante.
49. Aux
yeux de la Cour, la détermination de la peine du requérant a été le résultat d’une mise en
balance de l’ensemble des éléments
pertinents. Dans ce contexte, rien n’indique que la cour d’appel aurait
octroyé au requérant des circonstances
atténuantes si elle n’avait
pas jugé l’affaire sous l’angle de la nouvelle loi no 125 de 2008 et pris
en compte l’absence d’antécédents pénaux.
50. Au
vu de ce qui précède, la Cour
estime que le requérant n’a pas été pénalisé en raison de l’appréciation, sous l’angle de la nouvelle loi, de faits antérieurs
à l’entrée en vigueur de celle-ci (Rohlena c. République tchèque [GC],
no 59552/08, § 67, CEDH 2015 et, a contrario, Maktouf et Damjanović,
précité, § 70).
51. Il s’ensuit
qu’il n’y a pas eu violation
de l’article 7 de la Convention.
- SUR L’APPLICATION
DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
52. Aux
termes de l’article 41
de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles,
et si le droit interne de
la Haute Partie contractante
ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
- Dommage
53. Le requérant
réclame 25 000 euros (EUR) au
titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi.
Il sollicite par ailleurs
la réouverture de son procès
et, par la même occasion,
la reconnaissance de la prescription
des infractions reprochées.
54. Le Gouvernement
s’y oppose et considère que
le préjudice subi par l’intéressé est minime eu égard à la modicité, selon lui, de la peine encourue.
55. La Cour
estime que le requérant a dû éprouver un préjudice moral certain, auquel le constat de violation figurant dans le présent arrêt ne suffise pas à remédier.
Elle note par ailleurs que,
par l’effet de l’arrêt
no 113 du 7 avril 2011
rendu par la Cour constitutionnelle italienne, l’article 630 du CPP a été modifié de manière à permettre à un requérant d’introduire une demande en révision de son procès en se fondant sur un arrêt
de la Cour constatant une violation de la Convention (paragraphe
19 ci-dessus, et Drassich c.
Italie (no 2), no 65173/09, § 35, 22 février
2018). Elle considère donc que l’intéressé dispose effectivement de la possibilité
de demander à ce que sa cause soit réexaminée.
56. Eu égard
à cette possibilité, la Cour estime qu’il
y a lieu d’octroyer au requérant 2 500 EUR pour préjudice moral.
- Intérêts moratoires
57. La Cour
juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires
sur le taux d’intérêt de la
facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
- Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;
- Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
- Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention ;
- Dit, par six voix contre
une,
a) que l’État défendeur
doit verser au requérant, dans
les trois mois à compter du jour où l’arrêt
sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2
de la Convention, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) plus tout montant pouvant être dû à titre
d’impôt sur cette somme,
pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à
majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette
période, augmenté de trois points de pourcentage ;
- Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 février 2020, en application de l’article 77 §§ 2
et 3 du règlement.
Abel Campos Ksenija Turković
Greffier Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et
74 § 2 du règlement,
l’exposé de l’opinion séparée
de la juge Turković.
K.T.U.
A.C.
CONCURRING OPINION OF JUDGE
TURKOVIĆ
In the present
case, the lack of a criminal
record was identified as the only mitigating
circumstance for the applicant.
Thus, seen in concreto,
the old law, which allowed a lack of criminal history to be taken into account in determining the sentence even when that
was the only mitigating factor, as opposed to the new law under which this was no longer
possible, was a more favourable law for the applicant. Consequently, the old law, as
opposed to the new law, should have been
applied in the present case
(see paragraph 43 of the judgment). In spite of that I voted for a finding of no violation of Article 7.
At the outset,
it is important
to emphasise that
under the old law domestic courts had discretion to take or not take into consideration
a clean criminal record as a mitigating factor depending upon all the circumstances
of the case (see paragraphs
16 and 46 of the judgment).
Since, in applying the new law, the domestic courts provided sufficient explanation as to why, even
if they could
have taken into consideration the clean criminal history, they would not
have done so (they listed a number
of aggravating circumstances,
among which of particular importance was the fact that
during the criminal proceedings the applicant committed additional crimes of
the same kind, see paragraph 48 of the judgment), it is
clear that in the present
case the end result of applying
the old law would not have
been different from the result reached by applying the new law. Thus, the fact that the courts erroneously declared that they could
no longer apply the old law (see
paragraph 10 of the judgment),
whereas in fact they should have
applied it as the more lenient legislation for the applicant, did not operate to the additional disadvantage of the applicant in the present case as regards his
sentence (see paragraph 50 of the judgment). Therefore, I was able to vote for a finding of no violation of Article 7 in the present case.
Nevertheless, the correct application of the law for the domestic courts in the present case would have been to apply
the old law, as the more lenient legislation for the applicant,
and to have explained, taking all the circumstances into consideration, why they considered that the clean record in the present case could not have mitigated
the punishment.