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Corte europea dei diritti dell’uomo (Camera), 20 ottobre 2009

(requête n. 39128/05)

 

AFFAIRE LOMBARDI VALLAURI c. ITALIE

 

DÉFINITIF

 

20/01/2010

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l’affaire Lombardi Vallauri c. Italie,

 

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,

Ireneu Cabral Barreto,

Vladimiro Zagrebelsky,

Danutė Jočienė,

Dragoljub Popović,

András Sajó,

Işıl Karakaş, juges,

et de Sally Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 septembre 2009,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

 

PROCÉDURE

 

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 39128/05) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Luigi Lombardi Vallauri (« le requérant »), a saisi la Cour le 17 octobre 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes Stefano Grassi et Federico Sorrentino, avocats respectivement à Florence et à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté successivement par ses agents, M. I.M. Braguglia, M. R. Adam et Mme E. Spatafora, ses coagents, MM. V. Esposito et F. Crisafulli, et son coagent adjoint, M. N. Lettieri.

3. Le 7 octobre 2008, la Cour a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs tirés des articles 6 § 1, 10 et 14 de la Convention. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

 

EN FAIT

 

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

 

4. Le requérant est né en 1936 et réside à Florence.

5. A partir de 1976, il fut chargé de l’enseignement de la philosophie du droit au sein de la faculté de droit de l’Université catholique du Sacré-Cœur de Milan (ci-après, « l’Université »), sur la base de contrats renouvelés tous les ans. Il était également chargé de l’enseignement de la philosophie du droit à l’Université de Florence.

6. A la suite de la publication d’un avis de concours pour l’année académique 1998-1999, il se porta candidat.

7. Le 23 octobre 1998, il eut un entretien informel avec un interlocuteur de la Congrégation pour l’éducation catholique (ci-après, « la Congrégation »).

8. Dans une lettre du 26 octobre 1998, la Congrégation, qui est un organisme du Saint-Siège, indiqua au président (Rettore) de l’Université que certaines positions du requérant « s’oppos[ai]ent nettement à la doctrine catholique » et que, « dans le respect de la vérité, du bien des étudiants et de celui de l’Université [même] », l’intéressé devait cesser d’enseigner dans cette université.

9. Par une lettre du 28 octobre 1998, le président de l’Université informa le doyen (Preside) de la faculté de droit de la position de la Congrégation.

10. Le 4 novembre 1998, le Conseil de la faculté de droit de l’Université (ci-après « le Conseil de faculté ») se réunit et, constatant que le Saint-Siège n’avait pas donné son accord pour la nomination du requérant, décida d’écarter sa candidature.

11. Le procès-verbal de cette réunion se lit comme suit :

i. « En ce qui concerne l’enseignement de la philosophie du droit, le doyen (Preside) [de la faculté de droit] annonce que les demandes de candidature des professeurs Luigi Lombardi Vallauri, B.M. et A.T. ont été déposées dans le délai (...) prévu dans l’avis de concours du 29 septembre 1998. Les deux derniers candidats ont expressément demandé que leurs candidatures ne soient prises en compte que dans le cas où le professeur Luigi Lombardi Vallauri ne présenterait pas la sienne ou n’obtiendrait pas l’agrément nécessaire du Saint-Siège.

ii. Le doyen indique ensuite avoir reçu du président de l’Université une lettre datée du 26 octobre 1998 expliquant que la Congrégation pour l’éducation catholique a estimé que, en raison de la teneur de certains écrits du professeur Luigi Lombardi Vallauri et de l’enseignement qu’il dispense dans le cadre de son cours de philosophie du droit, celui-ci ne devait pas continuer à enseigner dans la faculté. Le doyen lit le texte de la lettre :

iii. « Cher doyen, j’ai reçu de la Congrégation pour l’éducation catholique une lettre datée du 26 octobre [1998] par laquelle on m’informe de ce qui suit au sujet du professeur Luigi Lombardi Vallauri et de son cours de philosophie du droit près la faculté de droit.

iv. Après avoir relevé que certaines positions de M. Lombardi Vallauri « s’opposent nettement à la doctrine catholique », la Congrégation écrit : « partant, nous estimons que, dans le respect de la vérité, du bien des étudiants et de celui de l’Université catholique du Sacré-Cœur, le professeur Luigi Lombardi Vallauri ne doit pas continuer à enseigner au sein de cette université ».

v. La Congrégation m’invite à communiquer le contenu de cette lettre au doyen de la faculté de droit et au professeur Luigi Lombardi Vallauri. Je procède par conséquent [à cette communication] et je vous prie de rapporter [le contenu de cette lettre] à la faculté, pour la partie relevant de sa compétence ».

vi. Par conséquent, le Conseil de faculté prend acte, au sens de l’article 10 de l’Accord de révision du Concordat et de l’article 45 du Statut de l’Université, du fait que l’agrément nécessaire du Saint-Siège à l’égard du professeur Luigi Lombardi Vallauri fait maintenant défaut (« è venuto meno »).

vii. Le doyen lit ensuite la lettre du professeur M.R., qui est absent.

viii. Le professeur M.R., prenant acte de la décision de la Congrégation et respectant sa compétence spécifique, exprime sa pleine solidarité au professeur Luigi Lombardi Vallauri ; il regrette profondément que la faculté ne soit plus en mesure de renouveler sa confiance à un enseignant de grande ouverture culturelle et humaine ; il manifeste à son distingué collègue et ami, en qui il voit l’un des enseignants les plus brillants qu’il ait pu côtoyer au cours d’une carrière de plus de trente ans d’enseignement, sa gratitude pour l’engagement et le dévouement déployés pendant les années passées dans notre Université. Le professeur C. et le professeur S. s’associent à cette déclaration.

ix. Les membres de la faculté expriment ensuite à l’unanimité leur regret de ne pas pouvoir prendre en considération la demande du professeur Lombardi Vallauri, et remercient leur collègue pour sa longue et précieuse contribution à l’enseignement dispensé par la faculté dans le domaine de la philosophie du droit.

x. Le professeur D.M. propose que la faculté invite le président de l’Université à demander à la Congrégation d’indiquer les raisons de la mesure prise à l’encontre du professeur Lombardi Vallauri. Il indique que cette demande se justifie par l’intérêt, pour les enseignants de la faculté, de recevoir des indications concernant les aspects des études et des enseignements du professeur Lombardi Vallauri qui ont été jugés incompatibles avec l’inspiration catholique de la faculté. Les professeurs C., Co. et D. s’associent à cette proposition.

xi. Le professeur S. observe que la faculté n’est pas autorisée à demander les raisons fondant la décision [, qui] est un acte d’un ordre [juridique] externe à celui de la faculté, laquelle a pour rôle d’évaluer l’aptitude scientifique et pédagogique des enseignants ayant obtenu l’approbation de l’autorité religieuse. Le professeur V. relève qu’une telle demande porterait atteinte au droit à la confidentialité du professeur Lombardi Vallauri. Le professeur B. estime que tout enseignant pourrait avoir intérêt à connaître les raisons de la mesure litigieuse afin de savoir quelle conduite tenir, mais que [cet intérêt] ne relève pas de la compétence d’un organisme collégial tel que le Conseil de faculté.

xii. A l’issue de la discussion, la proposition du professeur D.M. fait l’objet d’un vote, dont les résultats sont les suivants :

Pour : dix

Contre : douze

Abstenu : un. »

12. Le 25 janvier 1999, le requérant introduisit devant le tribunal administratif régional (« T.A.R. ») de la Lombardie un recours visant à obtenir, notamment, l’annulation de la décision écartant sa candidature adoptée par le Conseil de faculté le 4 novembre 1998 et de l’acte par lequel l’autorité ecclésiale avait refusé de donner son agrément quant à sa nomination. Il soutenait que les décisions attaquées étaient inconstitutionnelles en ce qu’elles violaient son droit à l’égalité, sa liberté d’enseignement et sa liberté religieuse.

13. Par un jugement du 26 octobre 2001, le T.A.R. rejeta la demande du requérant.

14. Il releva d’abord que le Conseil de faculté avait dûment motivé sa décision de ne pas prendre en considération la candidature de l’intéressé, le président de l’Université ayant communiqué la lettre par laquelle la Congrégation signalait le refus de l’autorité ecclésiale de renouveler son agrément. Il observa également que l’Accord de révision du Concordat conclu entre le Saint-Siège et la République italienne (ci-après « l’Accord ») ne prévoyait aucune obligation de mentionner les motifs religieux justifiant le refus d’agrément.

15. Le T.A.R. considéra ensuite que ni lui ni le Conseil de faculté n’étaient compétents pour examiner la légitimité de la décision du Saint-Siège, cet acte émanant d’un Etat étranger.

16. Enfin, il estima que, les enseignants ayant le choix d’adhérer ou non aux principes de la religion catholique, l’article 10 de l’Accord n’entraînait aucune violation du droit à l’égalité, de la liberté d’enseignement et de la liberté religieuse garantis respectivement par les articles 3, 19 et 33 de la Constitution. A la lumière notamment de l’arrêt no 195 de la Cour constitutionnelle en date du 14 décembre 1972 (voir le paragraphe 21 ci-dessous), il rejeta les arguments avancés par le requérant quant à la légitimité constitutionnelle des décisions litigieuses.

17. Le 9 décembre 2002, le requérant contesta devant le Conseil d’Etat la décision du T.A.R., réitérant ses arguments relatifs au défaut de motivation de la décision du Conseil de faculté. Il soutint que le juge administratif était bel et bien compétent en la matière et que l’absence de communication des raisons ayant motivé la décision de la Congrégation avait porté atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense garantis notamment par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

18. Par un arrêt déposé le 18 juin 2005, le Conseil d’Etat rejeta le recours du requérant. Il considéra que « les autorités administratives et juridictionnelles de la République ne [pouvaient] s’écarter de l’arrêt no 195 de la Cour constitutionnelle en date du 14 décembre 1972 dans l’application de l’article 10 de l’Accord et de son Protocole additionnel ». Il estima également qu’« aucune autorité de la République ne [pouvait] juger les évaluations de l’autorité ecclésiale », compte tenu notamment de ce que l’agrément de la Congrégation, émanant du Vatican, se situait hors du champ de compétence des autorités nationales. Enfin, il conclut que c’était à bon droit que le Conseil de faculté s’était borné à prendre acte du fait qu’en l’absence de l’agrément requis, la candidature du requérant ne pouvait tout simplement pas être examinée.

 

II. LE DROIT INTERNE ET COMMUNAUTAIRE PERTINENT ET LA RECOMMANDATION DE L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE

 

19. La loi no 121 du 25 mars 1985

L’article 10 § 3 de l’Accord de révision du Concordat conclu entre le Saint-Siège et la République italienne, qui a été signé le 18 février 1984 et ratifié par la loi no 121 du 25 mars 1985, dispose :

« Les nominations des professeurs de l’Université catholique du Sacré-Cœur (...) sont subordonnées à l’agrément (gradimento) religieux de l’autorité ecclésiastique compétente. »

20. Le Protocole additionnel à la loi no 121 du 25 mars 1985

L’article 6 de ce Protocole est ainsi libellé :

« Dans son interprétation de l’article 10 § 3 de la loi no 121 du 25 mars 1985, par lequel l’article 38 du Concordat du 1er février 1929 ne se trouve pas modifié, la République tiendra compte de l’arrêt no 195 rendu par la Cour constitutionnelle relativement à cette disposition le 14 décembre 1972 ».

21. L’arrêt no 195 de la Cour constitutionnelle en date du 14 décembre 1972

Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle s’est exprimée sur la question de savoir si la subordination à l’agrément du Saint-Siège de la nomination des professeurs de l’Université catholique était compatible avec les articles 33 et 19 de la Constitution (qui garantissent respectivement la liberté d’enseignement et la liberté religieuse). Les parties pertinentes de cet arrêt se lisent ainsi :

« La création d’universités libres, de type confessionnel ou se réclamant d’une idéologie donnée, n’est pas en contradiction avec l’article 33 de la Constitution. Il s’ensuit que la liberté d’enseigner des professeurs (pleinement garantie dans les universités étatiques) est soumise, dans les universités privées, à des limitations nécessaires à la réalisation des finalités de celles-ci. En effet, la liberté des universités se trouverait violée si elles ne pouvaient plus choisir leurs professeurs intuitu personae ou si elles ne pouvaient pas résilier un contrat lorsque les positions religieuses ou idéologiques de l’un d’eux contredisent celles qu’elles-mêmes professent.

Certes, ces pouvoirs entraînent indirectement la limitation de la liberté personnelle du professeur. Toutefois, elles n’en constituent pas une violation, car celui-ci reste libre d’adhérer aux finalités particulières de l’université et de démissionner lorsqu’il n’y souscrit plus.

Pour les mêmes raisons, le grief formulé sous l’angle de l’article 19 de la Constitution est manifestement mal fondé. En effet, l’existence d’universités libres, dont le but est de transmettre une foi religieuse, est sans conteste un instrument de liberté. Si les universités étaient juridiquement tenues de nommer des enseignants professant une foi différente de celle à laquelle elles adhèrent, leur liberté religieuse s’en trouverait violée (...). La liberté des catholiques serait fortement compromise si l’Université catholique ne pouvait pas résilier un contrat de travail avec un enseignant qui ne souscrit plus aux finalités fondamentales qui la caractérisent. »

22. Le statut de l’Université catholique du Sacré-Cœur (D.R. du 24 octobre 1996)

Article 1

« (...) L’Université catholique du Sacré-Cœur (...) est une personne morale de droit public (...).

L’Université catholique est une communauté académique qui contribue au développement des études et de la recherche scientifique et à la préparation des jeunes à la recherche, à l’enseignement, aux postes publics et privés et aux professions libérales (...) conformément aux principes de la doctrine catholique, à la nature universelle du catholicisme et aux hautes et spécifiques exigences de la liberté.

L’Université catholique (...) poursuit l’objectif d’assurer dans le monde universitaire et culturel la présence de personnes engagées à faire face aux problèmes de la société et de la culture et à les résoudre à la lumière du message chrétien et de ses principes moraux. (...) »

Article 44

« (...) L’activité d’enseignement au sein de l’Université catholique suppose le respect des principes fondateurs de l’Université. »

Article 45

« Les nominations des enseignants titulaires à l’Université catholique sont subordonnées à l’agrément religieux de l’autorité ecclésiastique compétente. Celui-ci est délivré sur la base de l’article 10 § 3 de l’Accord de révision du Concordat entre le Saint-Siège et la République italienne signé le 18 février 1984 et ratifié par la loi no 121 du 25 mars 1985.

Dans l’application de l’article 10 § 3 de l’Accord de révision du Concordat entre le Saint-Siège et la République italienne, l’Université catholique se conforme, comme le prévoit le Protocole additionnel au même accord, à l’arrêt no 195 rendu par la Cour constitutionnelle relativement à cette disposition le 14 décembre 1972. »

23. La directive 2000/78/CE

Article 4

« (...) les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur [la religion ou les convictions] ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée.

(...) Les États membres peuvent maintenir dans leur législation nationale en vigueur à la date d’adoption de la présente directive ou prévoir dans une législation future reprenant des pratiques nationales existant à la date d’adoption de la présente directive des dispositions en vertu desquelles, dans le cas des activités professionnelles d’églises et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions d’une personne ne constitue pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation. (...) »

24. La Recommandation no 1762(2006) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe : « Liberté académique et autonomie des universités »

« (...)

4. Conformément à la Magna Charta Universitatum, l’Assemblée réaffirme le droit des universités à la liberté académique et à l’autonomie, droit qui recouvre les principes suivants :

4.1. la liberté académique, dans la recherche comme dans l’enseignement, devrait garantir la liberté d’expression et d’action, la liberté de communiquer des informations de même que celle de rechercher et de diffuser sans restriction le savoir et la vérité ;

4.2. l’autonomie institutionnelle des universités devrait recouvrir un engagement indépendant envers leur mission culturelle et sociale traditionnelle, toujours essentielle aujourd’hui, à travers une politique d’enrichissement des savoirs, une bonne gouvernance et une gestion efficace ;

4.3. l’Histoire a montré que les atteintes à la liberté académique et à l’autonomie des universités ont toujours entraîné un recul sur le plan intellectuel, et donc une stagnation économique et sociale ;

(...)

6. Avec l’avènement de la société du savoir, il est aujourd’hui évident que, pour répondre aux nouvelles évolutions, un nouveau contrat entre université et société est nécessaire. Les libertés universitaires doivent être considérées comme s’accompagnant d’une contrepartie inévitable: la responsabilité sociale et culturelle des universités, et leur obligation de rendre des comptes au public et de faire état de leur propre mission. »

 

EN DROIT

 

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

 

25. Le requérant soutient que la décision de l’Université catholique du Sacré-Cœur est dépourvue de motivation et qu’elle a été prise en l’absence d’un réel débat contradictoire, de sorte qu’elle a emporté violation dans son chef de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention. En ses passages pertinents, cet article est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de (...) communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...)

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines (...) conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à la protection (...) des droits d’autrui (...). »

 

A. Sur la recevabilité

 

26. Le Gouvernement argue tout d’abord que l’Université du Sacré-Cœur « est une institution privée, qui relève de l’ordre juridique public d’un Etat étranger », à savoir le Saint-Siège.

27. Il observe ensuite que le préjudice lié à la non-reconduction du contrat de travail du requérant tient à l’intérêt pour celui-ci d’accéder à un emploi, intérêt qui se situerait hors du champ d’application de la Convention. Se référant à la jurisprudence de la Cour (Glasenapp c. Allemagne, 28 août 1986, série A no 104, § 50, et Kosiek c. Allemagne, 28 août 1986, série A no 105, § 36), il soutient que cette partie de la requête doit être rejetée pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention.

28. Le requérant conteste cette thèse.

29. D’emblée, la Cour observe qu’en vertu de l’article 1 de son Statut, « [l]’Université catholique du Sacré-Cœur (...) est une personne morale de droit public ». Elle considère de plus que la compétence des juridictions administratives internes (tribunal administratif régional et Conseil d’Etat) pour trancher la question litigieuse élimine toute incertitude quant à la nature publique de l’institution en cause (voir, mutatis mutandis, la décision Rommelfanger c. République Fédérale d’Allemagne du 6 septembre 1989, requête no 12242/86).

30. Quant à l’applicabilité de l’article 10, la Cour rappelle que dans les affaires Glasenapp c. Allemagne (précitée, § 50) et Kosiek c. Allemagne (précitée, § 36), elle a jugé que l’article 10 de la Convention « entr[ait] certes en ligne de compte » dans les faits de l’espèce avant de conclure à l’absence d’ingérence dans l’exercice du droit garanti par le paragraphe 1 de l’article 10. La protection de l’article 10 de la Convention s’étend donc à la sphère professionnelle des enseignants. Par ailleurs, le non-renouvellement du contrat du requérant était dû à « certaines positions s’opposant nettement à la doctrine catholique » (paragraphe 8 ci-dessus), qui relevaient de toute évidence de l’exercice de la liberté d’expression de l’intéressé. Partant, l’exception soulevée par le Gouvernement pour incompatibilité ratione materiae du grief avec les dispositions de la Convention doit être rejetée.

31. La Cour constate donc que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

 

B. Sur le fond

 

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

32. Le Gouvernement conteste l’existence d’une ingérence dans la liberté d’expression du requérant. Il relève que celui-ci n’était pas « titulaire » d’un poste au sein de l’Université catholique, mais avait signé des contrats annuels, renouvelés chaque année à l’issue d’une sélection effectuée parmi plusieurs candidats. La situation se rapprocherait de celles des affaires Glasenapp c. Allemagne et Kosiek c. Allemagne (précitées), où la Cour aurait estimé, relativement au refus des autorités d’admettre les intéressés dans la fonction publique faute d’une des qualifications requises (à savoir la défense du régime libéral et démocratique), que c’était l’accès à l’emploi qui se trouvait au centre du problème (voir Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, série A no 323, § 44). Dans ces affaires, la Cour a conclu à l’absence d’ingérence dans le droit des requérants protégé par l’article 10 de la Convention.

33. De l’avis du Gouvernement, même à supposer qu’il y ait eu ingérence en l’espèce, celle-ci aurait été prévue par la loi, elle aurait poursuivi un but légitime (la protection du droit de l’Université d’offrir aux étudiants un enseignement inspiré de la doctrine catholique), et elle aurait été proportionnée à cet objectif, compte tenu notamment de ce que le requérant a continué à exercer son activité d’enseignement au sein de l’Université de Florence.

b) Le requérant

34. Le requérant ne conteste pas qu’en vertu de la loi italienne, les nominations des enseignants de l’Université catholique du Sacré-Cœur sont subordonnées à l’agrément religieux de l’autorité ecclésiastique compétente, ni que cette mesure poursuit un objectif légitime.

35. En revanche, il estime que la décision de ne pas renouveler son contrat prise par le Conseil de faculté trouve son origine dans une procédure menée, devant la Congrégation, en l’absence de débat contradictoire ; il fait grief au Conseil de ne pas avoir indiqué dans ladite décision quels aspects de ses opinions auraient été en contradiction avec la doctrine catholique ; et il se plaint que la mesure en vertu de laquelle il n’a pas été reconduit dans ses fonctions ait été totalement soustraite au contrôle des juges nationaux.

c) La tierce partie intervenante

36. L’Université catholique du Sacré-Cœur, intervenue en tant que tierce partie dans la procédure, affirme que le requérant a eu connaissance des motivations religieuses à l’origine de son renvoi lors de l’entretien qu’il a eu avec un interlocuteur de la Congrégation le 23 octobre 1998, et que, à cette occasion, il a exercé son droit au contradictoire.

37. La tierce partie se rallie aux observations du Gouvernement quant à la proportionnalité de la mesure litigieuse.

 

2. Appréciation de la Cour

 

a) Sur l’existence d’une ingérence

38. La Cour observe tout d’abord que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, les circonstances de la présente espèce ne sont pas comparables à celles rencontrées dans les affaires Glasenapp c. Allemagne et Kosiek c. Allemagne (précitées). En effet, s’il est vrai que le requérant a toujours exercé sur la base de contrats temporaires, le fait que ceux-ci aient été renouvelés pendant plus de vingt ans et la reconnaissance par ses collègues de ses qualités scientifiques témoignent de la solidité de sa situation professionnelle (voir la citation au paragraphe 11, points i, viii et ix, ci-dessus). De l’avis de la Cour, les faits de la cause s’apparentent plutôt à ceux décrits dans l’arrêt Vogt c. Allemagne (précité, § 44). Dans cet arrêt, elle a conclu à l’existence d’une ingérence de l’Etat dans la liberté d’expression de la requérante compte tenu du fait que, contrairement aux requérants des affaires Glasenapp c. Allemagne et Kosiek c. Allemagne (précitées, voir le paragraphe 32 ci-dessus), Mme Vogt était fonctionnaire titulaire de son poste d’enseignante depuis plusieurs années. Partant, les considérations du Gouvernement tendant à écarter l’existence d’une ingérence dans le droit du requérant garanti par l’article 10 de la Convention ne peuvent être accueillies.

39. La Cour considère donc que la décision d’écarter la candidature du requérant prise par le Conseil de faculté a bien constitué une ingérence dans le droit de l’intéressé garanti par l’article 10 de la Convention.

 

b) Sur la justification de l’ingérence

 

i) « Prévue par la loi » et inspirée par un « but légitime »

40. L’ingérence litigieuse était « prévue par la loi » (l’article 10 § 3 de la loi no 121 du 25 mars 1985) au sens du deuxième alinéa de l’article 10 de la Convention.

41. Quant à l’objectif poursuivi, la Cour observe qu’il s’agissait de la réalisation des finalités propres à l’Université, inspirées de la doctrine catholique, et que la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 14 décembre 1972, a estimé que la subordination de la nomination des professeurs de l’Université catholique à l’agrément du Saint-Siège était compatible avec les articles 33 et 19 de la Constitution (voir le paragraphe 21 ci-dessus). Elle note aussi que, dans certains établissements, la religion peut constituer une exigence professionnelle, eu égard à l’éthique de l’organisation (voir, au paragraphe 23, l’article 4 de la directive communautaire 2000/78/CE). Dans ces conditions, la Cour estime que la décision du Conseil de faculté pouvait être considérée comme inspirée par le but légitime de protéger un « droit d’autrui », en l’occurrence l’intérêt qu’avait l’Université à ce que son enseignement s’inspire de la doctrine catholique.

ii) « Nécessaire dans une société démocratique »

α) Principes généraux

42. La Cour rappelle que, dans son arrêt Vogt c. Allemagne (précité, § 52, voir aussi Sunday Times c. Royaume-Uni (no 2), 26 novembre 1991, série A no 217, § 50, et Perna c. Italie [GC], no 48898/99, CEDH 2003-V, § 39), elle a résumé ainsi les principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l’article 10 de la Convention :

« i. La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». Telle que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante.

ii. L’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10 § 2, implique un « besoin social impérieux ». Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais elle se double d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10.

iii. La Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’Etat défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents. »

β) Application de ces principes au cas d’espèce

43. La Cour relève d’emblée l’importance accordée dans sa jurisprudence et, à un niveau plus général, dans les travaux de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à la liberté académique, qui doit garantir la liberté d’expression et d’action, la liberté de communiquer des informations, ainsi que celle de « rechercher et de diffuser sans restriction le savoir et la vérité » (Sorguç c. Turquie, no 17089/03, 23 juin 2009, § 35, voir également la recommandation 1762(2006) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe au paragraphe 24 ci-dessus).

44. Pour apprécier si, en l’espèce, la mesure litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique », la Cour devra mettre en balance le droit du requérant à la liberté d’expression, y compris le droit de transmettre des connaissances sans restriction, et l’intérêt qu’a l’Université à dispenser un enseignement suivant des convictions religieuses qui lui sont propres. Ainsi le veut le principe du pluralisme « sans lequel il n’est pas de société démocratique » (Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, série A no 24, § 49).

45. La Cour rappelle que, dans le domaine de la liberté d’expression, la marge d’appréciation dont jouissent les Etats contractants va de pair avec un contrôle européen qui, en raison de l’importance de cette liberté, maintes fois soulignée par la Cour, doit être strict. Le besoin d’une éventuelle restriction doit donc se trouver établi de manière convaincante (voir Radio ABC c. Autriche, 20 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, § 30, et Informationsverein Lentia et autres c. Autriche, 24 novembre 1993, série A no 276, § 35).

46. Pour rechercher si ce besoin était présent en l’occurrence, il faut déterminer si le requérant a joui de garanties procédurales adéquates, notamment quant à la possibilité de connaître et de contester les raisons de la limite apportée à son droit à la liberté d’expression. Ces garanties concernent non seulement la phase administrative devant le Conseil de faculté, mais aussi celle, ultérieure, du contrôle juridictionnel de la procédure administrative, et en particulier l’efficacité de ce contrôle. A cet égard, il est utile de rappeler que la Cour a déjà conclu à la violation de l’article 10 de la Convention sous son volet procédural lorsque la portée d’une mesure limitant la liberté d’expression était vague ou qu’une telle mesure était motivée par un raisonnement insuffisamment détaillé et que son application n’avait pas fait l’objet d’un contrôle juridictionnel adéquat (voir, mutatis mutandis, Association Ekin c. France, no 39288/98, CEDH 2001-VIII, § 58, et Saygılı et Seyman c. Turquie, no 51041/99, 27 juin 2006, §§ 24-25).

47. En ce qui concerne le premier aspect, la Cour relève d’abord que lorsqu’il a décidé d’écarter la candidature du requérant, le Conseil de faculté n’a pas indiqué à l’intéressé, ni même évalué, dans quelle mesure les opinions prétendument hétérodoxes qui lui étaient reprochées se reflétaient dans son activité d’enseignement et comment, de ce fait, elles étaient susceptibles de porter atteinte à l’intérêt de l’Université consistant à dispenser un enseignement inspiré de ses convictions religieuses propres.

48. Ensuite, d’une manière plus générale, la Cour remarque que la teneur même de ces « positions » est restée totalement inconnue. La seule mention à cet égard figure dans la lettre de la Congrégation (dont la partie pertinente est citée dans la lettre envoyée par le président de l’Université au doyen de la faculté de droit), et vise certaines positions de M. Lombardi Vallauri qui « s’opposent nettement à la doctrine catholique » (voir le paragraphe 11, point iv, ci-dessus).

49. La Cour ne peut manquer de relever le caractère vague et incertain d’une telle indication et de constater que la décision du Conseil de faculté n’est étayée par aucune autre motivation que la simple référence au refus d’agrément du Saint-Siège, refus dont le contenu est resté secret. Ce constat n’est en rien diminué par l’entretien entre le requérant et un interlocuteur de la Congrégation, cet entretien ayant eu lieu de façon informelle, sans qu’aucun compte-rendu officiel ne soit dressé.

50. En ce qui concerne le second aspect, à savoir l’efficacité du contrôle juridictionnel de la procédure administrative, la Cour rappelle d’emblée que l’appréciation par les Etats de la légitimité des convictions religieuses ou des modalités d’expression de telles convictions doit en principe être exclue (voir, mutatis mutandis, Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova, no 45701/99, CEDH 2001-XII, § 117). Dans le cas présent, la Cour estime qu’il n’appartenait pas aux autorités nationales d’examiner la substance de la décision émanant de la Congrégation.

51. Toutefois, elle relève que les juridictions administratives internes ont limité leur examen de la légitimité de la décision litigieuse au fait que le Conseil de faculté avait constaté l’existence du refus d’agrément.

52. Ainsi, les juges nationaux ont refusé d’examiner le fait que le Conseil de faculté n’avait pas indiqué au requérant quelles étaient les opinions qui lui étaient reprochées. Or la communication de ces éléments n’aurait nullement impliqué un jugement de la part des autorités judiciaires quant à la compatibilité entre les positions du requérant et la doctrine catholique. En revanche, elle aurait permis à l’intéressé de connaître et, dès lors, de pouvoir contester l’incompatibilité alléguée entre lesdites opinions et son activité d’enseignant à l’Université catholique.

53. Au demeurant, la Cour observe que, même si l’article 10 de l’Accord et l’article 45 du Statut n’imposaient aucune obligation d’indiquer les raisons pour lesquelles la candidature du requérant était écartée, l’opportunité d’une telle information a cependant été envisagée à l’époque des faits : lors de la réunion du Conseil de faculté, l’un des professeurs, appuyé par trois autres, a proposé au Conseil de « demander à la Congrégation d’indiquer les raisons de la mesure prise à l’encontre du professeur Lombardi Vallauri », estimant que « cette demande se justifi[ait] par l’intérêt, pour les enseignants de la faculté, de recevoir des indications concernant les aspects des études et des enseignements du professeur Lombardi Vallauri qui [avaient] été jugés incompatibles avec l’inspiration catholique de la faculté ». Cette proposition a été mise aux voix et rejetée par une courte majorité : douze voix contre dix, avec une abstention (voir le paragraphe 11, points x, xi et xii, ci-dessus).

54. De plus, la Cour relève que l’impossibilité pour le requérant de connaître les raisons précises de la perte de son agrément l’a définitivement empêché de se défendre dans le cadre d’un débat contradictoire ; or ce point n’a pas non plus fait l’objet d’un examen de la part des tribunaux internes. De l’avis de la Cour, le contrôle juridictionnel de l’application de la mesure litigieuse n’a donc pas été pas adéquat en l’espèce.

55. La Cour considère que poids accordé à l’intérêt de l’Université consistant à dispenser un enseignement inspiré de la doctrine catholique ne pouvait pas aller jusqu’à atteindre la substance même des garanties procédurales dont devait bénéficier le requérant en vertu de l’article 10 de la Convention.

56. Elle conclut donc que, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’atteinte portée au droit du requérant à la liberté d’expression n’était pas « nécessaire dans une société démocratique », de sorte qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

 

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

 

57. Le requérant soutient encore que la décision de l’Université catholique du Sacré-Cœur, dépourvue de motivation et prise en l’absence d’un réel débat contradictoire, a violé sa liberté de pensée, de conscience et de religion protégée par l’article 9 de la Convention. En ses parties pertinentes, cet article est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique (...) à la protection des droits et libertés d’autrui. »

58. La Cour juge le grief recevable. Cependant, il ne se pose sous l’angle de l’article 9 de la Convention aucune question qui n’ait pas déjà été traitée sur le terrain de l’article 10. En conséquence, il n’y a pas lieu d’examiner ce grief séparément.

 

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

 

59. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, sous l’angle de l’équité de la procédure et du droit d’accès à un tribunal, le requérant se plaint, premièrement, que les tribunaux internes aient omis de statuer sur le défaut de motivation de la décision du Conseil de faculté, limitant ainsi sa possibilité d’attaquer cette décision et de se défendre dans le cadre d’un débat contradictoire, et deuxièmement, que le Conseil de faculté se soit borné à prendre acte de la décision de la Congrégation, elle-même adoptée en l’absence de tout contradictoire.

En ses parties pertinentes, l’article 6 § 1 est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

 

A. Sur la recevabilité

 

60. Le Gouvernement conteste d’emblée l’existence d’un « droit », au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, dans la mesure où la revendication du requérant porte sur le renouvellement d’un contrat venu à échéance. Il argue ensuite que, la Congrégation n’étant pas un organe juridictionnel, les principes du « procès équitable » n’étaient pas applicables aux décisions qu’elle prenait, et les juridictions nationales n’étaient pas tenues d’en vérifier le respect. Il soutient de surcroît qu’il n’y avait pas en l’espèce de « contestation » sur un droit de caractère civil. L’article 6 § 1 ne serait donc pas applicable dans le cas présent.

61. Le requérant conteste la thèse du Gouvernement. Il soutient que son droit de participer à un concours organisé par une personne morale de droit public est un « droit de caractère civil » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

62. La Cour note qu’il ne prête pas à controverse que le droit interne reconnaissait au requérant un « droit » de participer au concours en question. Le troisième alinéa de l’article 97 de la Constitution prévoit en effet qu’« on accède par concours aux emplois dans les administrations publiques ». De plus, on ne saurait affirmer que les contestations du requérant, qui sont par ailleurs réelles et sérieuses, ne portaient pas sur ce droit (voir Silva Neves c. Portugal, 27 avril 1989, série A no 153-A, § 37). En outre, les juridictions administratives internes n’ont pas exclu l’examen de l’affaire introduite par le requérant, ce qui implique l’applicabilité de l’article 6 (voir, mutatis mutandis, Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, CEDH 2007-IV, § 62). L’article 6 de la Convention trouve donc à s’appliquer en l’espèce. De surcroît, le requérant bénéficiait d’un droit reconnu par la Convention, à savoir le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 (voir les paragraphes 30 et 39 ci-dessus).

63. La Cour constate donc que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

 

B. Sur le fond

 

1. Thèses des parties

64. Le Gouvernement argue que le droit d’accès à un tribunal peut subir des limitations, notamment en ce qui concerne le défaut de compétence des juridictions nationales pour statuer sur les actes d’un Etat étranger.

65. Le requérant se plaint de ne pas avoir pu demander à un juge de vérifier la légitimité de la décision l’écartant de l’Université pour des motifs de nature religieuse.

2. Appréciation de la Cour

66. La Cour rappelle les principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence en matière de droit d’accès à un tribunal (voir Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, et Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, série A nos 18 et 93, §§ 36 et 57 respectivement). Elle examinera la présente affaire à la lumière de ces principes.

67. En ce qui concerne l’étendue de l’examen du grief considéré, la Cour relève d’abord que, dans la mesure où un acte émanant d’un Etat non partie à la Convention a produit des effets juridiques dans le cadre de la décision du Conseil de faculté, qui, elle, relève de la compétence des autorités judiciaires internes, il lui incombe de vérifier si les décisions desdites autorités ont respecté les droits du requérant garantis par l’article 6 § 1 de la Convention.

68. La Cour observe ensuite que tant le tribunal administratif régional que le Conseil d’Etat ont limité leur examen de la légitimité de la décision litigieuse au fait que le Conseil de faculté avait pris acte de la décision de la Congrégation. En d’autres termes, les juridictions internes ont estimé ne pas pouvoir statuer sur la légitimité de la décision administrative du Conseil de faculté dès lors qu’il y était fait mention de la décision du Saint-Siège.

69. De l’avis de la Cour, elles ont ainsi limité le droit du requérant d’accéder effectivement à un tribunal. Cette limitation est admise par l’article 6 de la Convention pourvu qu’elle tende à un but légitime et y soit proportionnée, mais elle ne saurait en tout état de cause aboutir à l’anéantissement du droit en question.

70. Quant à la proportionnalité, la Cour doit examiner la limitation litigieuse à la lumière des circonstances particulières de l’espèce (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, CEDH 1999-I, § 64). Elle rappelle à cet égard qu’il lui incombe non pas d’examiner in abstracto la législation et la pratique pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont touché le requérant a enfreint la Convention. En particulier, elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, entre autres, Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, § 43). Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, 15 juillet 2003, § 51).

71. Dans ce contexte, la Cour rappelle les considérations exposées quant au fond du grief soulevé sous l’angle de l’article 10 de la Convention (paragraphes 50-54 ci-dessus). Les juges nationaux ont refusé d’examiner le fait que le Conseil de faculté n’avait indiqué au requérant ni en quoi les opinions qu’il exprimait avaient été jugées hétérodoxes ni quel était le lien entre ces opinions et son activité d’enseignement. De plus, l’impossibilité pour l’intéressé de connaître les raisons précises de la perte de son agrément l’a définitivement empêché de se défendre dans le cadre d’un débat contradictoire ; or ce point n’a pas non plus fait l’objet d’un examen de la part des tribunaux internes. De l’avis de la Cour, le contrôle juridictionnel de l’application de la mesure litigieuse n’a donc pas été adéquat en l’espèce (voir, mutatis mutandis, Pellegrini c. Italie, no 30882/96, CEDH 2001-VIII).

72. Au vu de ces considérations, la Cour estime que le requérant n’a pas bénéficié d’un droit d’accès effectif à un tribunal. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

 

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

 

73. Sous l’angle de l’article 13 de la Convention, le requérant dénonce une violation de son droit à un recours effectif, estimant ne pas avoir pu se plaindre devant une instance nationale des violations de la Convention qu’il allègue. L’article 13 est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

74. Cette partie de la requête doit également être déclarée recevable. Toutefois, la Cour rappelle que lorsque le droit revendiqué est un droit de caractère civil, l’article 6 § 1 de la Convention constitue une lex specialis par rapport à l’article 13, dont les garanties se trouvent absorbées par celle-ci (voir, mutatis mutandis, les arrêts Brualla Gómez de la Torre c. Espagne du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, § 41, et Vasilescu c. Roumanie du 22 mai 1998, Recueil 1998-III, § 43).

75. La Cour ayant déjà conclu à la violation de l’article 6 § 1, elle ne juge pas nécessaire de se prononcer séparément sur le grief du requérant tiré de l’article 13 de la Convention.

 

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

 

76. Invoquant l’article 14 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir subi une discrimination fondée sur la religion dans la mesure où, en tant que professeur d’une université libre, il a été soumis à des règles différentes de celles applicables aux professeurs des universités laïques. Il se plaint notamment de ne pas avoir eu connaissance des motivations religieuses à l’origine de la perte de son agrément, en violation de son droit de la défense et du principe du contradictoire. L’article 14 est ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

77. Pour ce qui est de la partie du grief dans laquelle le requérant se plaint d’avoir été soumis à des règles spéciales, la Cour relève que, dans ses observations relatives à la violation alléguée de l’art 10 de la Convention, l’intéressé indique lui-même qu’il ne conteste pas l’existence en droit interne d’un tel corpus de règles visant à garantir la protection du droit de l’Université d’offrir aux étudiants un enseignement inspiré de la doctrine catholique (paragraphe 34 ci-dessus).

78. La Cour souscrit aux considérations exposées dans l’arrêt no 195 de la Cour constitutionnelle en date du 14 décembre 1972 (paragraphe 21 ci-dessus) et dans l’article 4 de la directive communautaire (paragraphe 23 ci-dessus). Elle estime donc que cette partie du grief est dépourvue de fondement et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

79. En revanche, pour ce qui est du volet procédural (défaut d’explication des motivations religieuses à l’origine de la non-reconduction du contrat du requérant, atteinte aux droits de la défense et non-respect du principe du contradictoire), la Cour juge le grief recevable. Toutefois, au vu du constat de violation de la liberté d’expression du requérant et de son droit d’accès à un tribunal (paragraphes 56 et 72 ci-dessus), il n’y a pas lieu de l’examiner séparément.

 

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

 

80. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

81. Le requérant estime avoir subi un préjudice moral et s’en remet à la Cour pour qu’elle en établisse le montant.

82. Le Gouvernement s’oppose à cette prétention.

83. La Cour, statuant en équité, considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

84. Le requérant demande également 30 000 EUR pour les frais et dépens engagés aux fins de la procédure devant la Cour, sans toutefois produire de facture à l’appui de cette prétention.

85. Le Gouvernement conteste cette demande, et observe notamment que le requérant ne l’a pas justifiée.

86. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu de ces critères et du fait que le requérant n’a produit aucune facture, la Cour rejette la demande présentée par l’intéressé au titre des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

87. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

 

PAR CES MOTIFS, LA COUR

 

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 § 1, 9, 10, 13 et 14 (volet procédural) de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

3. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention

4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs tirés des articles 9, 13 et 14 (volet procédural) de la Convention ;

5. Dit, par six voix contre une,

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 octobre 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Sally Dollé Françoise Tulkens

Greffière Présidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente du juge Cabral Barreto.

F.T.

S.D.

 

OPINION DISSIDENTE DU JUGE CABRAL BARRETO

Je regrette de ne pas pouvoir suivre la majorité quand elle conclut à la violation des articles 10 et 6 de la Convention dans cette affaire, et ce pour les raisons exposées ci-dessous.

I

Article 10

1. En ce qui concerne l’existence d’une ingérence, la majorité considère que la situation du requérant est plus proche de celle examinée dans l’arrêt Vogt que de celles rencontrées dans les affaires Glasenapp et Kosiek, invoquées par le Gouvernement (paragraphe 38 de l’arrêt).

J’ai du mal à suivre cette approche.

Même si je reconnais que le contrat du requérant a été renouvelé pendant vingt ans, le fait est que son lien avec l’Université catholique du Sacré-Cœur de Milan était précaire, assujetti à une évaluation annuelle, et donc très loin de la situation stable et permanente que connaissent les fonctionnaires, telle Mme Vogt, qui était titulaire de son poste d’enseignante depuis plusieurs années.

Malgré tout, le requérant était engagé chaque année, suivant une procédure prescrite soit pour ceux qui étaient engagés pour la première fois soit pour ceux qui renouvelaient leur contrat.

Le fait qu’il ait enseigné pendant vingt ans ne lui conférait aucun droit d’une nature différente de ceux des nouveaux arrivés puisque, compte tenu du fait que les idées peuvent évoluer, l’examen des qualités requises des candidats pour enseigner à l’Université doit se faire à la lumière de leur mode de pensée au moment du recrutement.

Il va de soi qu’un professeur qui a enseigné pendant des années parce qu’il avait les qualités requises doit néanmoins se voir refuser le maintien dans ses fonctions s’il a entre-temps perdu ces qualités.

Pour rester dans le cadre du cas d’espèce, imaginons un professeur fidèle à l’Eglise catholique pendant un certain temps mais qui, à un moment donné, change sa façon de voir, sa doctrine et ses dogmes : il me paraît clair dans cette hypothèse que, malgré toutes les années qu’il a consacrées à l’Université catholique, celle-ci peut estimer qu’il ne doit pas continuer à y enseigner.

Si la majorité semble être d’accord avec ce raisonnement – qui n’est d’ailleurs contesté par personne – elle aurait dû en tirer les conclusions adéquates.

2. Il est vrai que les arrêts Glasenapp et Kosiek sont anciens, et il se peut que la considération selon laquelle l’article 10 ne s’applique pas à la procédure d’« engagement des fonctionnaires » ne soit plus valable à la lumière des conditions de vie actuelles.

Ainsi, pour les besoins de mon raisonnement et pour pouvoir suivre jusqu’au bout celui de la majorité, je pars du principe que l’article 10 s’applique à la situation du requérant, même si j’aurais aimé que la chambre consacre quelques réflexions au rapport entre la nature juridique du lien entre le requérant et l’Université et celle du lien qui unit un professeur et une université d’Etat.

En effet, il me semble qu’un tel exercice aurait eu l’avantage de montrer clairement que la liberté académique proclamée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (paragraphes 24 et 43 de l’arrêt) trouve sa limite dans l’intérêt de l’Université catholique consistant à dispenser un enseignement inspiré des convictions religieuses qui lui sont propres (paragraphe 47 de l’arrêt).

3. Pour en venir à l’essentiel, j’observe que la majorité critique le fait que, lorsqu’elle a refusé de donner son agrément, condition sine qua non pour le renouvellement du contrat du requérant, la Congrégation pour l’éducation catholique n’a pas donné les raisons de son refus, ce qui a empêché l’ouverture d’un débat contradictoire sur ce point au niveau des tribunaux internes.

Si j’ai bien compris la position de la majorité, les tribunaux ne pouvaient examiner la pertinence des opinions du requérant ayant donné lieu au refus d’agrément ; leur examen se limitait au lien de causalité entre les opinions en question et l’activité d’enseignant (paragraphe 52 de l’arrêt).

Je trouve tout à fait irréaliste la position de la majorité lorsqu’elle demande aux parties d’apporter des preuves qui sont impossibles à obtenir et aux tribunaux d’adopter des décisions qui relèvent en fait d’une sorte d’utopie. Pour le montrer, je partirai de l’hypothèse que le refus de l’agrément est dû à la récusation d’un dogme par un candidat.

En ce cas, si l’on suit le raisonnement de la majorité, la Congrégation devrait motiver son refus en soutenant que, dans un écrit, le candidat a nié l’un des dogmes de l’Eglise catholique et que pour elle, cette position est incompatible avec l’enseignement dans une Université catholique.

Dans un tel scénario, on voit mal comment un débat contradictoire de nature juridique pourrait avoir lieu et comment la décision de justice requise par la majorité pourrait être prise dans le cadre d’une procédure se voulant équitable.

Même si l’on fait appel aux règles de l’expérience que l’on trouve dans la théorie de la causalité adéquate, il sera difficile voire impossible de déceler le lien de causalité entre les positions du candidat et son enseignement, puisque cet exercice requiert un pronostic quant au comportement d’une personne et une évaluation de ses qualités.

La Cour a toujours soutenu que l’évaluation « des connaissances et de l’expérience nécessaires pour exercer une certaine profession sous un certain titre s’apparente à un examen de type scolaire ou universitaire et s’éloigne tant de la tâche normale du juge que les garanties de l’article 6 ne sauraient viser des différends sur pareille matière » (Van Marle et autres c. Pays-Bas, 26 juin 1986, série A nº 101, § 36 ; voir aussi, entre autres, San Juan c. France (déc.), no 43956/98, CEDH 2002-III et, mutatis mutandis, Chevrol c. France, no 49636/99, CEDH 2003-III, § 50).

La majorité ayant conclu à la violation de l’article 10 pour non-respect des garanties procédurales (paragraphe 55 de l’arrêt), les considérations formulées par la Cour quant aux limitations des tâches des juges sous l’angle de l’article 6 sont directement transposables à l’examen du grief tiré de l’article 10, ce qui me permet de conclure que le requérant a bénéficié d’une procédure aussi contradictoire que possible dans les circonstances de l’espèce.

II

Article 6

Au vu de ce qui précède, il me semble aussi que la procédure interne a été équitable, les tribunaux ayant examiné la « contestation » dans toute la mesure des limites admissibles.

Ce qui ne relève pas de la tâche du juge, à savoir l’évaluation des qualités professionnelles nécessaires pour exercer une certaine profession sous un certain titre, ne peut être analysé sous l’angle de l’article 6.