Corte europea dei diritti dell’uomo
(Grande Camera)
19 ottobre 2012
AFFAIRE CATAN ET AUTRES c. MOLDOVA
ET RUSSIE
(Requêtes nn. 43370/04, 8252/05 et 18454/06)
ARRÊT
STRASBOURG
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des
retouches de forme.
En l’affaire Catan et autres c. Moldova et Russie,
La Cour
européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Nicolas Bratza,
président,
Françoise Tulkens,
Josep Casadevall,
Nina Vajić,
Dean Spielmann,
Lech Garlicki,
Karel Jungwiert,
Anatoly Kovler,
Egbert Myjer,
David Thór
Björgvinsson,
Ján Šikuta,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana
Lazarova Trajkovska,
Ledi Bianku,
Mihai Poalelungi,
Helen Keller, juges,
et de Michael O’Boyle, greffier,
Après en avoir
délibéré en chambre du conseil le 25 janvier et le 5 septembre 2012,
Rend l’arrêt
que voici, adopté à cette dernière date :
1. A l’origine de l’affaire
se trouvent trois requêtes (nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06)
dirigées contre la République de Moldova et la Fédération de Russie et dont un
certain nombre de ressortissants moldaves (« les requérants ») ont
saisi la Cour le 25 octobre 2004 en vertu de l’article 34 de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
(« la Convention »).
2. Les requérants, dont l’un
a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, ont été représentés par Mes
Alexandru Postică
et Ion Manole, avocats à Chişinǎu,
ainsi que par M. Padraig Hughes et Mme Helen
Duffy, juristes à Interights, organisation de défense
des droits de l’homme ayant son siège à Londres. Le gouvernement de la
République de Moldova a été représenté par ses agents, MM. Vladimir Grosu et Lilian Apostol, et le
gouvernement de la Fédération de Russie par M. Georgy
Matyushkin, représentant de la Fédération de Russie
auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.
3. Les requérants, des Moldaves
résidant en Transnistrie, étaient au moment de l’introduction de leurs requêtes
élèves ou parents d’élèves (voir liste en annexe) de trois écoles de langue
moldave. Dans leurs requêtes, ils se plaignaient sous l’angle de l’article 2 du
Protocole no 1 à la Convention et de l’article 8 de la
Convention, pris isolément ou combinés avec
l’article 14, de la fermeture de leurs écoles et d’actes de harcèlement de la
part des autorités transnistriennes séparatistes.
4. Les requêtes ont été
attribuées à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du
règlement). Le 15 juin 2010, à la suite d’une audience sur la recevabilité et
le fond (article 54 § 3 du règlement), une chambre de ladite section composée de
N. Bratza, L. Garlicki,
A. Kovler, L. Mijović,
D. Björgvinsson, J. Šikuta,
M. Poalelungi, juges, ainsi que de T.L. Early, greffier de section, les a jointes et les a déclarées
partiellement recevables. Le 14 décembre 2010, la chambre s’est dessaisie au
profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles
30 de la Convention et 72 du règlement).
5. La composition de la
Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la
Convention et 24 du règlement.
6. Les requérants et chacun
des gouvernements défendeurs ont déposé des observations écrites
complémentaires (article 59 § 1 du règlement) sur le fond.
7. Une audience s’est
déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 25 janvier
2012 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le gouvernement de la République de Moldova
MM. V. Grosu, agent,
L. Apostol, conseiller ;
– pour le gouvernement de la Fédération de
Russie
M. G. Matyushkin, agent,
Mmes O. Sirotkina,
I. Korieva,
A. Dzutseva,
M. N. Fomin,
Mmes M. Molodtsova,
V. Utkina,
M. A. Makhnev, conseillers ;
– pour les requérants
M. P. Hughes,
Mme H. Duffy,
conseils,
MM. A. Postica,
I. Manole,
P. Postica, conseillers.
La Cour a
entendu en leurs déclarations MM. Hughes, A. Postica,
Grosu et Matyushkin.
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. Le pays qui allait plus
tard devenir la République de Moldova fut créé le 2 août 1940 sous le nom de
République socialiste soviétique moldave sur une partie de la Bessarabie et une
bande de terre située sur la rive orientale du Dniestr (pour plus de détails,
voir Tănase c. Moldova [GC], no 7/08,
§§ 11-17, CEDH 2010). Cette région orientale, aujourd’hui connue sous le
nom de Transnistrie, faisait partie
depuis 1924 – à l’instar d’un certain nombre de territoires appartenant actuellement
à l’Ukraine – de la République
autonome socialiste soviétique moldave. A l’origine, la population de la
Transnistrie était composée essentiellement d’Ukrainiens et de Moldaves/Roumains,
mais à compter des années 1920 il se produisit une importante immigration de
travailleurs de l’industrie venus d’autres parties de l’Union soviétique,
notamment des Russes et des Ukrainiens. D’après un recensement effectué par l’Union
soviétique en 1989, la Transnistrie avait alors une population de 679 000 habitants,
dont la composition ethnique et linguistique était la suivante : Moldaves
40 %, Ukrainiens 28 %, Russes 24 % et divers 8 %.
9. Dans la
Constitution de la République socialiste soviétique moldave de 1978, deux
langues officielles étaient reconnues : le russe et le « moldavien » (moldave/roumain écrit avec l’alphabet
cyrillique).
10. En
août-septembre 1989, la Moldova réintroduisit l’alphabet latin pour le moldave/roumain
écrit, qui devint la première langue officielle.
11. Le 23
juin 1990, la Moldova proclama sa souveraineté. Le 23 mai 1991, elle devint la
République de Moldova. Le 27 août 1991, le Parlement moldave adopta la
déclaration d’indépendance de la République de Moldova, dont le territoire englobait
la Transnistrie.
B. Le conflit transnistrien
12. Les faits relatifs au conflit
armé de 1991-1992 et à la période allant jusqu’à fin 2003 se trouvent exposés
en détail dans l’arrêt Ilaşcu et autres
c. Moldova et Russie ([GC], no 48787/99, §§
28-183, CEDH 2004‑VII) ; par commodité, seul un résumé des
principaux événements est présenté ci‑après. La
Cour relève que le gouvernement russe soutient dans ses observations que les
faits liés au conflit armé sont étrangers aux questions soulevées en l’espèce.
13. A
partir de 1989, un mouvement de résistance à l’indépendance moldave commença à émerger
en Transnistrie. Le 2 septembre 1990, des séparatistes transnistriens
annoncèrent la création de la « République moldave de Transnistrie »
(la « RMT »). Le 25 août 1991, le « Soviet suprême de la
RMT » adopta la « déclaration d’indépendance » de la
« RMT ». Le 1er décembre 1991, une « élection
présidentielle », déclarée illégale par les autorités moldaves, fut
organisée dans les départements de Transnistrie, et M. Igor Smirnov se proclama élu « président
de la RMT ». La communauté internationale n’a pas, à ce jour, reconnu la
« RMT ».
14. A l’époque
de sa déclaration d’indépendance, la Moldova ne possédait pas d’armée propre.
La 14e armée de l’URSS, dont le quartier général se trouvait à Chişinǎu depuis
1956, resta sur le territoire moldave, bien que l’on eût commencé à assister au
retrait de matériel et d’effectifs à partir de 1990. En 1991, la 14e armée en Moldova se
composait de plusieurs milliers de soldats, d’unités d’infanterie, d’artillerie
(avec notamment un système de missiles antiaériens), de blindés et d’aviation
(y compris des avions et des hélicoptères de combat). Elle était dotée de
plusieurs dépôts de munitions, dont un des plus grands d’Europe situé à Colbaşna, en Transnistrie.
15. Par le décret no
234 du 14 novembre 1991, le président de la Moldova déclara propriété de la
République de Moldova les munitions, armements, moyens de transport militaires,
bases militaires et autres biens appartenant aux unités militaires des forces
armées soviétiques stationnées sur le territoire moldave. Ce décret ne fut pas
appliqué en Transnistrie.
16. Par
un décret du 5 décembre 1991, M. Smirnov décida de placer les unités militaires
de la 14e armée déployées en Transnistrie sous le commandement de la
« Direction nationale de la défense et de la sécurité » de la « RMT ».
M. Smirnov désigna comme chef de cette direction le lieutenant général Iakovlev. En décembre 1991, celui-ci fut arrêté par les
autorités moldaves, qui l’accusaient d’avoir aidé les séparatistes transnistriens à s’armer au moyen de l’arsenal de la 14e
armée. Il fut toutefois relâché à la suite de l’intervention du gouvernement de
la Fédération de Russie.
17. Fin 1991 et début 1992,
de violents affrontements éclatèrent entre les forces séparatistes transnistriennes et les forces de l’ordre moldaves, qui se
soldèrent par la mort de plusieurs centaines de personnes.
18. Dans un appel lancé le 6
décembre 1991 à la communauté internationale et au Conseil de sécurité de l’ONU,
le gouvernement moldave protesta contre l’occupation, le 3 décembre 1991, des villes
moldaves de Grigoriopol, Dubăsari,
Slobozia, Tiraspol et Rîbniţa, situées sur la rive gauche du Dniestr, par
la 14e armée placée sous le commandement du lieutenant général Iakovlev. Le gouvernement moldave reprochait aux autorités soviétiques,
en particulier le ministère de la Défense, d’être à l’origine de ces actes. Les
militaires de la 14e armée étaient accusés d’avoir distribué du
matériel militaire aux séparatistes de Transnistrie et d’avoir organisé ceux-ci
en détachements militaires terrorisant la population civile.
19. En 1991-1992, plusieurs
unités militaires de la 14e armée rejoignirent les rangs des
séparatistes transnistriens. Dans l’arrêt Ilaşcu, la Cour
a jugé établi au-delà de tout doute raisonnable que des séparatistes transnistriens avaient pu s’armer, grâce à l’aide de
militaires de la 14e armée, en puisant dans l’arsenal de cette
armée stationnée en Transnistrie. De plus, de nombreux ressortissants russes
venus d’ailleurs, en particulier des Cosaques, affluèrent en Transnistrie pour se battre aux côtés des séparatistes contre
les forces moldaves. Compte tenu du soutien apporté par les troupes de la 14e armée aux forces
séparatistes et du transfert massif d’armes et de munitions de l’arsenal de la
14e armée aux séparatistes, l’armée moldave se trouva dans une
situation d’infériorité qui l’empêcha de reprendre le contrôle de la
Transnistrie. Le 1er avril 1992, M. Boris Eltsine, président de la
Fédération de Russie, plaça officiellement sous commandement russe la 14e armée,
qui devint ainsi le « Groupement opérationnel des forces russes dans la
région transnistrienne de la Moldova » (ou « GOR
»). Le 2 avril 1992, le général Netkatchev, nouveau
commandant du GOR, ordonna
aux forces moldaves qui avaient encerclé la ville de Tighina (Bender), tenue
par les séparatistes, de se retirer immédiatement, faute de quoi l’armée russe
riposterait. En mai de la même année, le GOR lança des attaques contre les
forces moldaves, qu’il chassa de certains villages de la rive gauche du Dniestr.
En juin, intervenant officiellement en faveur des séparatistes qui perdaient la
ville de Tighina, le GOR en délogea les forces moldaves.
C. L’accord de cessez-le-feu, le mémorandum de
1997 et les engagements d’Istanbul
20. Le 21 juillet
1992, M. Mircea Snegur, président de la
République de Moldova, et M. Eltsine signèrent un accord sur les principes du
règlement amiable du conflit armé dans la région transnistrienne
de la République de Moldova (l’« accord de cessez-le-feu »).
21. Cet accord posait le principe d’une
zone de sécurité, qui devait résulter du retrait des armées des « parties
au conflit » (article 1 § 2). Il prévoyait en son article 2 la création d’une
Commission de contrôle unifiée (la « CCU »), composée de
représentants de la Moldova, de la Fédération de Russie et de la Transnistrie
et siégeant à Tighina. Il prévoyait également la mise en place de forces de
maintien de la paix chargées de veiller au respect du cessez-le-feu et à la
sécurité. Ces forces consistaient en cinq bataillons russes, trois bataillons
moldaves et deux bataillons transnistriens, subordonnés
à un commandement militaire unifié, lui-même placé sous l’autorité de la CCU. En
vertu de l’article 3 de l’accord, la ville de Tighina était déclarée région placée
sous régime de sécurité, et son administration était confiée aux « organes
de l’auto-administration locale [agissant], le cas échéant de concert avec la Commission
de contrôle ». La CCU était chargée d’assurer, conjointement avec la
police, le maintien de l’ordre public à Tighina. L’article 4 prévoyait que les
troupes russes stationnées sur le territoire de la République de Moldova
observeraient rigoureusement la neutralité, tandis que l’article 5 interdisait
l’application de toute sanction ou de tout blocus et fixait comme objectif la
suppression de tous les obstacles à la libre circulation des marchandises, des
services et des personnes. Les mesures prévues dans cet accord étaient définies
comme « une partie très importante du règlement du conflit par des moyens
politiques » (article 7).
22. Le 29 juillet
1994, la Moldova se dota d’une nouvelle Constitution. Celle-ci prévoyait en
particulier la neutralité du pays, l’interdiction pour les troupes appartenant
à d’autres Etats de stationner sur son territoire et la possibilité d’octroyer
une forme d’autonomie, notamment, aux localités se situant sur la rive gauche
du Dniestr. L’article 13 de la Constitution dispose que la langue nationale est
le moldave, écrit avec l’alphabet latin.
23. A plusieurs reprises à partir de
1995, les autorités moldaves se plaignirent que le personnel du GOR et le
contingent russe des forces de maintien de la paix de la CCU eussent enfreint
le principe de neutralité posé par l’accord de cessez-le-feu et que, notamment,
les Transnistriens eussent pu obtenir du matériel
militaire supplémentaire et une assistance auprès du GOR. Ces accusations
furent fermement démenties par les autorités russes. En outre, la délégation
moldave auprès de la CCU allégua que les Transnistriens
avaient créé au sein de la zone de sécurité de nouveaux postes militaires et
postes de contrôle douanier, en violation de l’accord de cessez-le-feu. Dans l’arrêt
Ilaşcu et autres, la Cour a jugé
établi, sur la base des éléments contenus dans les documents officiels de la
CCU, que dans différentes zones de Transnistrie placées sous le contrôle des forces
de maintien de la paix de la Fédération de Russie, par exemple Tighina, les
forces séparatistes transnistriennes avaient agi en
violation de l’accord de cessez-le-feu.
24. Le 8
mai 1997, M. Petru Lucinschi, président de la Moldova,
et M. Smirnov, « président de la RMT », signèrent à Moscou un
mémorandum posant les bases de la normalisation des relations entre la
République de Moldova et la Transnistrie (« le mémorandum de 1997 »). Il prévoyait que les
décisions concernant la Transnistrie devaient être prises d’un commun accord,
les compétences partagées et déléguées et les garanties assurées
réciproquement. La Transnistrie devait pouvoir participer à la conduite de la
politique extérieure de la République de Moldova pour les questions touchant à
ses intérêts propres, la définition de ces questions devant être établie d’un
commun accord. La Transnistrie aurait le droit d’instaurer et d’entretenir
unilatéralement des contacts internationaux dans les domaines économique,
scientifique, technique, culturel et autres à déterminer d’un commun accord.
Les parties s’engageaient à régler les conflits par la négociation, avec l’assistance
le cas échéant de la Fédération de Russie et de l’Ukraine, Etats garants du
respect des accords conclus, ainsi qu’avec l’appui de l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de la Communauté des Etats
indépendants (CEI). Le mémorandum de 1997 fut contresigné par les représentants
des Etats garants, à savoir M. Eltsine pour la Fédération de Russie et M. Leonid
Koutchma pour l’Ukraine, ainsi que par M. Helveg
Petersen, président de l’OSCE.
25. En novembre
1999, l’OSCE tint son sixième sommet à Istanbul. A cette occasion, cinquante-quatre Etats membres de l’Organisation
signèrent la Charte pour la sécurité en Europe et la Déclaration du sommet d’Istanbul,
et trente Etats membres, dont la Moldova et la Russie, signèrent l’Accord d’adaptation
du Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (« Traité FCE
adapté »). Le Traité FCE adapté pose notamment le principe selon lequel aucune
troupe étrangère ne peut stationner sur le territoire de la Moldova sans l’accord
de cet Etat. Le consentement de la Fédération de Russie à se retirer de la
Transnistrie (l’un des « engagements d’Istanbul ») se trouve consigné
dans une annexe à l’Acte final du Traité FCE adapté. Par ailleurs, au paragraphe
19 de la Déclaration du sommet d’Istanbul, il est pris acte, entre autres, de
l’engagement de la Fédération de Russie de retirer ses troupes de
Transnistrie pour la fin de 2002 :
« 19. Rappelant
les décisions des sommets de Budapest et de Lisbonne et de la réunion
ministérielle d’Oslo, nous réitérons que nous nous attendons à un retrait
rapide, en bon ordre et complet des troupes russes de la Moldavie. A ce propos,
nous accueillons avec satisfaction le progrès récemment fait en ce qui concerne
le retrait et la destruction des équipements militaires russes entreposés dans
la région transnistrienne de Moldavie et l’achèvement
de la destruction des munitions non transportables.
Nous nous
félicitons de l’engagement de la Fédération de Russie d’achever d’ici la fin de
2002 le retrait des forces russes du territoire de la Moldavie. Nous nous
réjouissons également de la volonté de la République de Moldavie et de l’OSCE
de faciliter ce processus, dans les limites de leurs capacités respectives, d’ici
la date limite convenue.
Nous rappelons
qu’une mission internationale d’évaluation est prête à partir sans délai pour
examiner le retrait et la destruction des munitions et armements russes. Dans
le but d’assurer le bon déroulement du processus de retrait et de destruction,
nous chargerons le Conseil permanent d’étudier la possibilité d’élargir le
mandat de la mission de l’OSCE en Moldavie afin d’assurer la transparence du
processus et la coordination de l’assistance financière et technique proposée
pour faciliter le retrait et la destruction. De plus, nous convenons d’étudier
la possibilité de créer, pour cette assistance financière internationale
volontaire, un fonds administré par l’OSCE. »
En 2002, lors d’une
conférence ministérielle de l’OSCE à Lisbonne, la Russie se vit accorder une
prolongation d’une année pour le retrait de ses troupes, qui devait désormais
se faire avant la fin de 2003.
26. La Russie manqua à l’engagement
pris par elle au sommet de l’OSCE à Istanbul et au Conseil ministériel de
Lisbonne de retirer ses troupes de Transnistrie avant la fin de 2003. Lors du Conseil
ministériel de l’OSCE tenu en décembre 2003, il s’avéra impossible de parvenir
à une position commune sur la Transnistrie. La déclaration publiée à cette
occasion énonce :
« Les
ministres ont, pour la plupart d’entre eux, pris note des efforts faits par la
Fédération de Russie pour s’acquitter des engagements qu’elle a pris au Sommet
de l’OSCE à Istanbul en 1999 d’achever le retrait de ses troupes du territoire
de la Moldavie. Ils ont noté que des progrès concrets avaient été accomplis en
2003 en ce qui concerne le retrait/l’élimination d’une certaine quantité de
munitions et d’autres équipements militaires appartenant à la Fédération de
Russie. Ils ont accueilli avec satisfaction les efforts consentis par tous les
Etats participants de l’OSCE qui ont contribué au Fonds volontaire établi à cet
effet. Ils se sont toutefois déclarés vivement préoccupés par le fait que le
retrait des forces russes ne sera pas achevé d’ici au 31 décembre 2003.
Ils ont souligné qu’il était indispensable que cet engagement soit exécuté sans
plus tarder. »
Les Etats
membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) refusèrent de
ratifier le Traité FCE adapté tant que la Russie n’aurait pas rempli les engagements
d’Istanbul.
D. Le
« mémorandum de Kosak »
27. En 2001, le Parti
communiste remporta les élections législatives et devint le parti dirigeant de
la Moldova. M. Vladimir Voronine, le nouveau
président de la Moldova, entama des négociations directes avec la Russie au
sujet de l’avenir de la Transnistrie. En novembre 2003, la Fédération de Russie
présenta une proposition de règlement, « le mémorandum sur les principes
fondamentaux de la structure de l’Etat uni » (appelé « mémorandum de Kosak », du nom de l’homme politique russe Dimitry Kosak, cheville ouvrière
de ce plan). Le mémorandum de Kosak proposait de
doter la Moldova d’une nouvelle structure fédérale qui permettrait aux
autorités de la « RMT » de jouir d’une autonomie importante et
garantirait leur représentation au sein du nouveau « parlement
fédéral ». Il comportait des dispositions transitoires prévoyant que,
jusqu’en 2015, les lois organiques fédérales devraient être confirmées par une
majorité des trois quarts des membres d’une seconde chambre législative
nouvellement créée, composée de quatre représentants de la Gagaouzie, neuf de
la Transnistrie et treize de la première chambre du nouveau parlement fédéral.
Ce dispositif aurait donné aux représentants de la « RMT » au sein de
la seconde chambre un droit de veto sur toute législation touchant l’ensemble
de la Moldova, ce jusqu’en 2015. Le 25 novembre 2003, bien qu’il se fût
auparavant déclaré disposé à accepter ces propositions, M. Voronine
décida de ne pas signer le mémorandum de Kosak.
E. Le renforcement des contrôles frontaliers et douaniers
28. En décembre 2005 fut
établie à la frontière entre l’Ukraine et la Moldova une Mission d’assistance
de l’Union européenne, chargée de lutter contre le commerce illicite entre ces
deux pays. En mars 2006, ceux-ci commencèrent à mettre en œuvre un accord
douanier de 2003 en vertu duquel les sociétés transnistriennes
se livrant au commerce transfrontalier devaient se faire enregistrer à Chişinǎu pour obtenir des documents indiquant le pays d’origine des marchandises,
conformément aux protocoles de l’Organisation mondiale du commerce. L’Ukraine s’engagea
à exclure l’entrée sur son territoire des marchandises dépourvues d’un tel
titre d’exportation.
29. Dans ce qui fut perçu
comme une réaction à ces nouvelles mesures douanières, les représentants de la
Transnistrie refusèrent de poursuivre les négociations à « 5+2 ». De
plus, en février et mars 2005, « en réponse à la conduite adoptée par le
gouvernement moldave dans le but d’aggraver la situation concernant la Transnistrie »,
la Douma russe adopta des résolutions invitant le gouvernement russe à
interdire l’importation d’alcool et de tabac de Moldova, à appliquer les tarifs
internationaux aux exportations énergétiques destinées à la Moldova (sauf pour
la Transnistrie) et à exiger des visas de la part des ressortissants moldaves (excepté
ceux résidant en Transnistrie) se rendant en Russie.
30. En avril 2005, les
autorités russes interdirent les importations de viande, fruits et légumes de Moldova
au motif que les normes d’hygiène n’étaient pas respectées dans la production
de ces denrées. De mars 2006 à novembre 2007, une interdiction frappa les
importations de vin moldave. Selon le Fonds monétaire international, ces
mesures eurent sur la croissance de l’économie moldave un effet négatif combiné
de 2 à 3 points de pourcentage annuel en 2006-2007.
31. En janvier 2005, M. Viktor
Iouchtchenko fut élu président de l’Ukraine. En mai
2005, le gouvernement ukrainien présenta une nouvelle proposition en vue de la
résolution du conflit transnistrien : « Vers
un règlement par le biais de la démocratisation » (résumée dans le rapport
de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – paragraphe 64 ci‑dessous). En juillet 2005, se référant au plan
ukrainien, le Parlement moldave adopta une loi « sur les principes
fondamentaux d’un statut juridique spécial pour la Transnistrie ». Des
négociations officielles reprirent en octobre 2005, avec la participation de l’Union
européenne et des Etats-Unis d’Amérique en qualité d’observateurs (« les
négociations à 5+2 »).
F. L’équipement et le personnel militaires russes en
Transnistrie
32. Le 20 mars 1998,
un protocole d’accord relatif aux biens militaires du GOR fut signé à Odessa par M. Viktor Tchernomyrdine, Premier
ministre de la Fédération de Russie, et M. Smirnov, « président de la
RMT ». Selon le calendrier annexé au protocole, le retrait et la mise au
rebut de certains éléments, à éliminer par explosion ou autre procédé
mécanique, devaient être achevés pour le 31 décembre 2001. Le retrait (mise au
rebut ou transfert) des surplus de munitions et autres matériels et effectifs russes
n’appartenant pas aux forces de maintien de la paix devait avoir lieu le 31 décembre
2002 au plus tard. Un certain nombre de trains chargés d’équipements militaires
russes quittèrent la Transnistrie entre 1999 et 2002.
33. En
octobre 2001, la Fédération de Russie et la « RMT » signèrent un
nouvel accord relatif au retrait des forces russes. Celui-ci accordait à la
« RMT », en compensation du retrait d’une partie de l’équipement
militaire russe stationné en Transnistrie, une réduction de cent millions de
dollars américains (USD) sur la dette contractée pour le gaz importé de la
Fédération de Russie ainsi que la cession par l’armée russe d’une partie de son équipement se prêtant à un usage civil.
34. Ainsi
qu’il ressort d’un communiqué de presse de l’OSCE, le 24 décembre 2002 les
autorités russes évacuèrent de Colbaşna 29 wagons
transportant du matériel de construction de ponts et des cuisines de campagne.
Le même communiqué de presse reprenait aussi la déclaration du commandant du
GOR, le général Boris Sergueïev, selon laquelle les
derniers retraits avaient été possibles grâce à un accord, conclu avec les Transnistriens, prévoyant que la « RMT »
recevrait la moitié de l’équipement et des fournitures non militaires retirés.
Le général Sergueïev donna pour exemple le retrait le
16 décembre 2002 de 77 camions, qui avait été suivi par le transfert de 77
autres camions militaires russes au profit des Transnistriens.
35. Selon
les témoignages recueillis par la Cour dans l’affaire Ilaşcu et autres, il demeurait encore en Transnistrie en 2003 au moins
200 000 tonnes d’armes et de munitions russes, principalement au dépôt de Colbaşna, ainsi
que 106 chars de combat, 42 véhicules blindés de combat, 109 véhicules
blindés de transport de troupes, 54 véhicules blindés de reconnaissance, 123 canons et
mortiers, 206 armes antichars, 226 armes antiaériennes, 9 hélicoptères et
1 648 véhicules divers (Ilaşcu et autres,
précité, § 131). En
2003, l’OSCE observa et contrôla le retrait de Transnistrie de 11 trains d’équipements
militaires russes et de 31 trains chargés de plus de 15 000 tonnes de
munitions. L’année suivante, l’OSCE signala en revanche qu’un seul train,
contenant environ 1 000 tonnes de munitions, avait quitté la Transnistrie.
36. Depuis 2004, il n’y a
pas eu de retraits contrôlés d’armes ou d’équipements russes hors de
Transnistrie. Dans l’arrêt Ilaşcu et autres, la Cour a constaté que fin 2004 il
restait approximativement 21 000 tonnes de munitions, plus de 40 000
armes légères et de petit calibre, et environ dix trains chargés d’équipements
militaires divers. En novembre 2006, une délégation de l’OSCE, qui avait été autorisée
à voir les dépôts de munitions, rapporta que plus de 21 000 tonnes de
munitions restaient entreposées dans la région (paragraphe 68 ci-dessous). En
mai 2005, le commandant du GOR signala que des stocks excédentaires de
40 000 armes légères et de petit calibre avaient été détruits, mais aucun
observateur indépendant ne fut autorisé à se rendre sur place pour vérifier ces
dires. Dans ses observations livrées en l’espèce, le gouvernement russe soutient
que la plupart des armes, munitions et biens militaires ont été retirés entre
1991 et 2003 et que seuls demeurent dans les entrepôts des obus, des grenades à
main, des mortiers et des munitions de petit calibre.
37. Les parties à la
présente cause s’accordent à dire qu’environ un millier de militaires russes sont
basés en Transnistrie, avec pour mission de surveiller le dépôt d’armes, et que
quelque 1 125 soldats russes appartenant à la force de maintien de la paix négociée au plan international sont
stationnés dans la zone de sécurité, qui s’étend sur 225 km de long et 12 à 20
km de large.
G. L’allégation relative au soutien économique et politique apporté à la
« RMT » par la Fédération de Russie
38. Il
convient là encore de relever que selon le gouvernement russe les faits
survenus en Transnistrie avant la crise des écoles sont étrangers aux questions
soulevées par la présente affaire.
39. Dans l’arrêt Ilaşcu et autres, la Cour a estimé
qu’il n’était pas contesté que l’industrie de l’armement, qui représentait l’un
des piliers de l’économie transnistrienne, était
directement soutenue par des entreprises russes, notamment Rosvooroujenïe
(Росвооружение)
et Elektrommash. Elle a relevé que l’entreprise russe Iterra avait acheté l’usine de métallurgie de Râbniţa, la plus grande entreprise de Transnistrie,
malgré l’opposition des autorités moldaves à cette opération. De plus, l’armée russe
était en Transnistrie un important pourvoyeur d’emplois et acheteur de
fournitures.
40. Selon
les requérants en l’espèce, 18 % des exportations de la « RMT »
sont destinées à la Russie, et 43,7 % de ses importations, principalement les
ressources énergétiques, proviennent de ce pays. La « RMT » aurait
payé moins de 5 % du gaz consommé par elle. En 2011, par exemple, la Transnistrie
aurait consommé pour 505 millions d’USD de gaz, mais n’aurait payé que 4 %
de ce montant (soit 20 millions d’USD). Le gouvernement russe soutient que la « RMT » ne peut avoir de
dettes souveraines parce qu’elle n’est pas reconnue comme une entité distincte
en droit international, et que la Russie ne livre pas de gaz séparément à la
Moldova et à la Transnistrie. La facture pour le gaz fourni à la Transnistrie serait
donc à la charge de la Moldova. L’approvisionnement de la région en gaz serait
organisé par l’intermédiaire de l’entreprise publique russe Gazprom et de la
société par actions Moldovagaz, qui appartiendrait
conjointement à la Moldova et à la « RMT ». La dette de Moldovagaz à l’égard de la Russie dépasserait 1,8 milliard
d’USD, dont 1,5 milliard pour le gaz consommé en Transnistrie. Gazprom ne
pourrait pas simplement refuser de fournir du gaz à la région, car elle aurait
besoin des pipelines traversant la Moldova pour approvisionner les Etats des
Balkans.
41. Selon
les requérants, la Russie apporte en outre une aide humanitaire directe à la
Transnistrie, principalement sous forme de contributions aux pensions de
retraite. Ils ajoutent que, selon des sources russes officielles, l’aide
financière totale fournie à la Transnistrie s’est élevée à 55 millions d’USD
pour la période 2007-2010. Le gouvernement moldave soutient qu’en 2011 la
« RMT » a reçu de la Russie une aide financière d’un montant total de
20,64 millions d’USD. D’après le gouvernement russe, le montant de l’aide fournie
à des fins humanitaires (versement de pensions et soutien à la
restauration en milieu scolaire, carcéral ou hospitalier) aux
ressortissants russes vivant dans la région est parfaitement transparent et
comparable à l’aide humanitaire dispensée par l’Union européenne. La Russie
fournirait une assistance non seulement à la population de Transnistrie, mais
également aux habitants d’autres régions de la Moldova.
42. Les
requérants affirment par ailleurs que quelque 120 000 personnes résidant
en Transnistrie ont obtenu la nationalité russe, notamment de nombreux
dirigeants de la « RMT ». Pour la Cour, cette information est à mettre
en rapport avec les résultats d’un recensement effectué en 2004 par le
« gouvernement de la RMT », selon lesquels la zone contrôlée par
celui-ci comptait 555 347 habitants, dont environ 32 % appartenaient
à la communauté moldave, 30 % étaient russes, 29 % ukrainiens, et de faibles
pourcentages faisaient partie d’autres groupes nationaux ou ethniques.
H. La crise des écoles et les faits relatifs aux causes des requérants
43. L’article 12 de la
« Constitution » de la « RMT » dispose que les langues officielles
de la « RMT » sont le « moldavien »,
le russe et l’ukrainien. Selon l’article 6 de la « loi de la RMT sur les
langues » (adoptée le 8 septembre 1992), le « moldavien » doit dans tous les cas s’écrire avec l’alphabet
cyrillique. Cette « loi » indique également que l’utilisation de l’alphabet
latin peut constituer une infraction, et l’article 200-3 du « code des
infractions administratives de la RMT » (adopté le 19 juillet 2002)
énonce :
« Tout
manquement à la législation de la RMT relative à l’utilisation des langues sur
le territoire de la RMT par une personne occupant un poste dans la fonction
publique ou travaillant pour l’exécutif ou l’administration publique, une
association publique ou une autre organisation, indépendamment de son statut juridique
et de la détention de son capital, ou une autre entité, se trouvant sur le
territoire de la RMT (...) est passible d’une amende pouvant atteindre l’équivalent
de 50 (cinquante) fois le salaire minimum. »
44. Le 18 août 1994, les
autorités de la « RMT » interdirent l’utilisation de l’alphabet latin
à l’école. Le 21 mai 1999, la « RMT » décida que tout établissement
scolaire appartenant à un « Etat étranger » et fonctionnant sur
« son » territoire devait se faire enregistrer auprès des autorités
de la « RMT », faute de quoi il ne serait pas reconnu et serait déchu
de ses droits.
45. Le 14 juillet 2004, les
autorités de la « RMT » commencèrent à prendre des mesures en vue de
la fermeture de toute école employant l’alphabet latin. A la date de l’adoption
de la décision sur la recevabilité dans la présente affaire, seules six écoles
de Transnistrie utilisaient encore la langue moldave/roumaine et l’alphabet
latin.
1. Catan et autres (requête no 43370/04)
46. Les requérants sont dix-huit
enfants qui fréquentaient l’établissement scolaire Evrica
à Rîbniţa pendant la période considérée, et treize parents d’élèves (voir
l’annexe au présent arrêt).
47. Depuis 1997, l’école Evrica était abritée dans des locaux situés rue Gagarine, qui
avaient été construits à l’aide de fonds publics moldaves. Elle était
enregistrée auprès du ministère moldave de l’Education, utilisait l’alphabet
latin et suivait un programme approuvé par ce ministère.
48. A la suite de la
« décision de la RMT » du 21 mai 1999 (paragraphe 44 ci-dessus), l’école
Evrica refusa de se faire enregistrer au motif que
cela l’aurait ensuite contrainte à employer l’alphabet cyrillique et à suivre
le programme conçu par le régime de la « RMT ». Le 26 février 2004,
les autorités de la « RMT » attribuèrent le bâtiment occupé par l’école
à la « Direction de l’éducation de Rîbniţa ». En juillet 2004, après
la fermeture d’un certain nombre d’écoles de la « RMT » qui
utilisaient l’alphabet latin, les élèves, parents d’élèves et enseignants de l’école
Evrica prirent l’initiative de garder l’établissement
jour et nuit. Le 29 juillet 2004, la police transnistrienne
prit d’assaut l’école et expulsa les femmes et les enfants qui s’y trouvaient. Au
cours des jours suivants, la police locale ainsi que des responsables de la
« Direction de l’éducation de Rîbniţa » rendirent visite aux
parents des élèves inscrits à l’école, leur demandant de retirer leurs enfants
de cet établissement et de les inscrire dans une école enregistrée auprès des
autorités de la « RMT ». Les parents se seraient entendu dire que s’ils
n’obtempéraient pas ils seraient renvoyés de leur travail et même déchus de
leurs droits parentaux. Consécutivement à ces pressions, de nombreux parents
retirèrent leurs enfants de l’école en
question pour les inscrire ailleurs.
49. Le 29 septembre 2004, à
la suite de l’intervention de la mission de l’OSCE en Moldova, l’école put se
faire enregistrer auprès de la « chambre d’enregistrement de
Tiraspol » en tant qu’établissement scolaire privé étranger ; elle ne
put cependant reprendre ses activités, faute de locaux. Le 2 octobre 2004,
le régime de la « RMT » autorisa la réouverture de l’école dans un
bâtiment qui avait auparavant abrité une maternelle. Ce bâtiment est loué
auprès de la « RMT » et sa rénovation a été financée par l’Etat
moldave. Les demandes répétées que l’établissement forma en vue de sa réintégration
dans les locaux plus vastes et mieux adaptés de la rue Gagarine furent rejetées
au motif qu’ils étaient désormais utilisés par une autre école. Selon les
requérants, le bâtiment loué est inadéquat pour un établissement d’enseignement
secondaire, en ce que l’éclairage, les couloirs et les salles de classe ne sont
pas tout à fait adaptés et qu’il n’y a ni laboratoires ni installations
sportives. L’école est gérée par le ministère moldave de l’Education, qui paye
les salaires des enseignants et fournit le matériel scolaire. Il utilise l’alphabet
latin et suit un programme moldave.
50. Les requérants
déposèrent un certain nombre de demandes et de plaintes auprès des autorités de
la Fédération de Russie. Le ministère des Affaires étrangères de la Fédération
de Russie répondit par des déclarations publiques de portée générale sur l’escalade
du conflit relatif aux écoles de langue moldave/roumaine en Transnistrie.
Affirmant que le problème fondamental était le conflit en cours entre la
Moldova et la « RMT », le ministère en question attirait l’attention
de la Moldova et de la « RMT » sur le fait que le recours à la force
pour résoudre le différend risquait de mettre en péril la sécurité dans la
région, et les engageait à recourir à divers types de négociations pour
parvenir à un règlement. Les requérants se plaignirent aussi de leur situation
auprès des autorités moldaves.
51. L’établissement scolaire
devint la cible d’une campagne systématique de vandalisme, notamment de bris de
fenêtres. Celle-ci débuta en 2004 selon les requérants, à l’automne 2007 d’après
le gouvernement moldave. Le 10 avril 2008, le ministère moldave de la
Réintégration pria le représentant spécial du Secrétaire général du Conseil de
l’Europe d’intervenir pour tenter de faire cesser les attaques. Les requérants
allèguent par ailleurs que les enfants étaient la cible d’actes d’intimidation
de la part de la population russophone locale et avaient peur de parler moldave
en dehors de l’école.
52. Le 16 juillet 2008, le
ministère moldave de la Réintégration sollicita l’aide de la mission de l’OSCE
en Moldova pour le transport et le passage de la « frontière » avec
la « RMT » de matériel scolaire, de matériaux de construction et des
fonds destinés au paiement des salaires des enseignants.
53. Pendant l’année scolaire
2002-2003, l’établissement comptait 683 élèves ; en 2008-2009, les
effectifs étaient tombés à 345.
2. Caldare et autres (requête no 8252/05)
54. Les requérants sont vingt-six
enfants qui fréquentaient l’établissement scolaire Alexandru
cel Bun à Tighina (Bender) pendant la période
considérée, et dix‑sept parents d’élèves (voir l’annexe).
L’école était abritée dans des locaux situés rue Kosmodemianskaia,
qui avaient été construits à l’aide de fonds publics moldaves et qui étaient loués
auprès des autorités moldaves. Elle était enregistrée auprès du ministère
moldave de l’Education, utilisait l’alphabet latin et suivait un programme
approuvé par ce ministère.
55. Le 4 juin 2004, le
« ministère de l’Education de la RMT » avertit l’école qu’elle serait
fermée si elle ne se faisait pas enregistrer auprès de ses services, et que le
chef d’établissement ferait l’objet de mesures disciplinaires. Le 18 juillet
2004, le raccordement de l’école à l’eau et à l’électricité fut coupé et, le 19
juillet 2004, l’administration scolaire fut informée qu’elle ne pourrait plus
utiliser les locaux de la rue Kosmodemianskaia. Enseignants,
élèves et parents d’élèves occupèrent cependant le bâtiment et refusèrent de le
quitter. La police transnistrienne essaya en vain de
reprendre possession des locaux ; elle finit par y renoncer et se retira
le 28 juillet 2004. Le 20 septembre 2004, à l’issue de diverses négociations
avec des observateurs internationaux, notamment des représentants du Conseil de
l’Europe, le raccordement à l’eau et à l’électricité fut rétabli.
56. Le régime de la
« RMT » autorisa la réouverture de l’école en septembre 2004, mais
dans d’autres locaux, loués auprès des autorités de la « RMT ». A l’heure
actuelle, l’établissement utilise trois bâtiments, situés dans des quartiers
distincts de la ville. Le bâtiment principal ne comporte ni cantine ni salles
de sciences ou aménagements sportifs, et il n’est pas desservi par les
transports publics. Le gouvernement moldave a fourni à l’école un bus et des
ordinateurs ; par ailleurs, il a financé la rénovation des installations
sanitaires de l’un des bâtiments.
57. Les requérants ont
déposé un certain nombre de demandes et de plaintes auprès des autorités russes
et moldaves.
58. En 2002-2003, l’établissement
comptait 1 751 élèves ; en 2008‑2009, ils étaient au nombre de
901.
3. Cercavschi et autres (requête no 18454/06)
59. Les requérants sont quarante-six
enfants qui fréquentaient l’établissement scolaire Ştefan cel Mare à Grigoriopol pendant la période considérée, et cinquante
parents d’élèves (voir l’annexe).
60. En 1996, à la demande
des parents et de leurs enfants, l’école, qui suivait un programme utilisant l’alphabet
cyrillique, effectua un certain nombre de démarches auprès des autorités de la
« RMT » afin d’être autorisée à employer l’alphabet latin. A la suite
de cela, la « RMT » orchestra entre 1996 et 2002 une campagne faite d’articles
de presse hostiles, d’intimidations et de menaces proférées par les forces de l’ordre.
Ces mesures atteignirent leur paroxysme le 22 août 2002, lorsque la police transnistrienne prit d’assaut l’école et expulsa les
enseignants, les élèves et les parents d’élèves qui s’y trouvaient. Le 28 août
2002, le président du comité des élèves fut arrêté ; il fut condamné à une
peine de quinze jours de détention administrative.
Après ces incidents, 300 élèves quittèrent l’école.
61. En réaction à l’occupation
du bâtiment par le régime de la « RMT », le ministère moldave de l’Education
décida de transférer provisoirement l’école dans un bâtiment de Doroţcaia, village situé à environ vingt kilomètres de
Grigoriopol et contrôlé par la Moldova. Tous les jours,
les élèves et les enseignants étaient conduits à Doroţcaia
dans des autocars fournis par le gouvernement moldave. Ils étaient soumis à la
fouille des sacs et à des contrôles d’identité par des fonctionnaires de la
« RMT » ; à leurs dires, ils subissaient en outre des actes de
harcèlement tels que des crachats et des injures.
62. Les représentants de l’école
ont accompli un certain nombre de démarches et ont dénoncé la situation auprès
de l’OSCE, de l’Organisation des Nations unies et des autorités russes et
moldaves. En réponse, les autorités russes ont engagé tant la Moldova que la
« RMT » à recourir à divers types de négociations pour résoudre le
conflit. Quant aux autorités moldaves, elles ont déclaré aux requérants qu’elles
ne pouvaient rien faire d’autre pour les aider.
63. En 2000-2001, l’école
comptait 709 élèves ; en 2008-2009, ils étaient au nombre de 169.
II. RAPPORTS D’ORGANISATIONS INTERGOUVERNEMENTALES ET NON GOUVERNEMENTALES
A. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
64. Le 16 septembre 2005, la
Commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du
Conseil de l’Europe (Commission de suivi) de l’Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe (APCE) rendit un
rapport sur le « fonctionnement
des institutions démocratiques en Moldova ». La partie consacrée à la
Transnistrie se lit ainsi :
« 31. Pendant
les derniers mois se sont produits de nouveaux développements très importants
que l’Assemblée devrait suivre de très près et accompagner du mieux possible.
32. A
la suite des intenses négociations diplomatiques entre la Moldova et l’Ukraine,
le président ukrainien, M. Iouchtchenko a annoncé,
lors du Sommet du GUAM à Chisinau le 22 avril, une initiative en 7 points pour
résoudre le conflit en Transnistrie. Ce nouveau plan cherche principalement à
établir un règlement durable au moyen de la démocratisation de la Transnistrie.
Ceci nécessitera en particulier :
– la
création des conditions nécessaires au développement de la démocratie, de la
société civile et d’un système multipartiste en Transnistrie ;
– la
tenue d’élections libres et démocratiques au Soviet suprême de Transnistrie
sous la supervision de l’Union européenne, de l’OSCE, du Conseil de l’Europe,
de la Russie, des Etats-Unis et d’autres pays démocratiques dont l’Ukraine ;
– la
transformation des modalités actuelles de l’opération de maintien de la paix en
une mission internationale composée d’observateurs militaires et civils et
placée sous l’égide de l’OSCE, et l’augmentation du nombre d’observateurs
militaires ukrainiens dans la région ;
– l’accueil
par les autorités transnistriennes d’une mission
internationale de contrôle, avec la participation d’experts ukrainiens, dans
les entreprises militaro‑industrielles de la
zone transnistrienne ;
– l’organisation
d’une mission à court terme de l’OSCE en Ukraine afin de contrôler la
circulation des biens et des personnes à la frontière entre l’Ukraine et la
Moldova.
33. Le
texte complet du plan ukrainien a été présenté les 16 et 17 mai lors d’une
réunion des représentants des médiateurs de la Moldova et de la Transnistrie,
qui a eu lieu à Vinnitsa (Ukraine), après que le Secrétaire ukrainien du
Conseil de sécurité, M. Pyotr Poroshenko, et le représentant du président moldove, M.
Mark Tkachuk, eurent fait la « navette
diplomatique » pendant près d’un mois.
34. Ce
plan a suscité des réactions diverses mais prudemment positives.
35. Le
10 juin, le parlement moldove a adopté une déclaration sur l’initiative de l’Ukraine
dans le problème du règlement du conflit en Transnistrie, ainsi que deux
appels, l’un sur la démilitarisation et l’autre sur la promotion des critères
de démocratisation de la zone transnistrienne de la
République de Moldova (...).
36. La
déclaration salue l’initiative du président Iouchtchenko,
en espérant qu’elle devienne « un pas essentiel sur la voie de la
consolidation de l’unité territoriale de notre Etat ». Le parlement,
cependant, regrette que l’initiative ukrainienne ne tienne pas compte de
certains principes de règlement importants, en premier lieu l’évacuation des
troupes russes, mais aussi la démilitarisation, les principes et conditions de
démocratisation de la région et l’institution d’un contrôle transparent et
légal du segment transnistrien de la frontière
moldo-ukrainienne. Il appelle la communauté internationale et l’Ukraine à
engager des efforts supplémentaires à cet égard.
37. Le
parlement critique aussi un certain nombre de dispositions qui risquent, à son
avis, de « porter atteinte à la souveraineté de la République de
Moldova », notamment l’idée de participation de la Transnistrie à la
conduite de la politique étrangère de la République de Moldova et la
proposition de créer un « comité de conciliation ». Le parlement
insiste sur la résolution du conflit dans le cadre de la constitution moldove,
au moyen d’un dialogue avec les nouveaux dirigeants démocratiquement élus de la
Transnistrie. Il y a donc certaines divergences entre l’initiative ukrainienne
et l’approche choisie par la Moldova pour mettre le plan en œuvre.
38. Les
médiateurs du conflit transnistrien (l’OSCE, la
Russie et l’Ukraine) ont déclaré que le plan représente un pas en avant concret
sur la voie d’un règlement. Lors de leur dernière réunion, ils ont appelé à la
reprise d’un dialogue direct et continu pour la résolution du conflit.
39. La
position de la Russie, cependant, est plus complexe. Il est clair en effet que
ce pays, en raison de sa présence économique et militaire et de ses liens
culturels et linguistiques étroits avec la Transnistrie et sa population,
souhaite conserver une forte influence sur le territoire. La presse a rapporté
récemment l’existence d’un « plan d’action pour le maintien de l’influence
russe en République de Moldova », dont les détails sont restés secrets. La
Russie est encore fortement attachée au « Mémorandum de Kozak » de 2003, qui proposait à la Moldova d’adopter
une solution fédérale. La Moldova, qui avait pratiquement accepté ce
mémorandum, a refusé de le signer au dernier moment, sous l’influence des pays
occidentaux.
40. Plusieurs
signes de tension sont apparus au cours des derniers mois. Le 18 février,
par exemple, la Douma d’Etat de la Fédération de Russie a adopté à une forte
majorité une résolution demandant au gouvernement russe de mettre en place un
certain nombre de sanctions économiques ou autres contre la Moldova, à l’exclusion
de la Transnistrie, si les autorités moldoves
maintiennent le « blocus économique de la Transnistrie ». Les sanctions
en question comprenaient l’interdiction des importations d’alcool et de tabac moldoves, le relèvement au prix du marché mondial des
exportations de gaz naturel russe vers la Moldova et l’imposition de visas aux
nationaux moldoves entrant en Russie.
41. Les
deux appels adoptés par le parlement moldove demandent l’appui du Conseil de l’Europe
et, en particulier, sa participation active au processus de démocratisation de
la Transnistrie. Lors de notre visite à Chisinau, nos interlocuteurs ont
souligné de manière répétée l’importance qu’ils attachent à l’expertise et à l’expérience
de notre Organisation à cet égard. Les documents adoptés par le parlement
moldove ont été officiellement soumis par son président à la commission de
suivi « pour examen dans le cadre de l’exercice de suivi concernant la
Moldova » et pour « analyse, commentaires et recommandations et afin
de recueillir les idées de l’Assemblée parlementaire en vue de la
démocratisation de la zone transnistrienne et du
règlement final du conflit ».
42. A
première vue, le plan ukrainien devrait être suivi de très près par le Conseil
de l’Europe, en tant qu’organisation principale dans le domaine de la
démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit. C’est pourquoi la
commission nous a demandé de nous rendre à Kiev, Moscou, Bucarest et Bruxelles
afin de rencontrer les personnalités compétentes en charge du plan ukrainien et
de nous informer de ses détails. Ces informations nous permettront ensuite de
proposer des mesures spécifiques en vue d’une participation efficace de l’Assemblée
à l’évolution de ce dossier.
43. Il
y a plusieurs points d’interrogation sur les modalités de mise en œuvre du plan
ukrainien et des conditions posées par le parlement moldove. Toutefois, compte
tenu de l’échec de toutes les tentatives diplomatiques antérieures, ce plan
présente un avantage important. Il combine en effet des efforts diplomatiques
et des mesures spécifiques de démocratisation en Transnistrie mais aussi en
Moldova, qui doit donner l’exemple. Cette initiative intervient aussi au bon
moment car elle coïncide avec un mouvement puissant en faveur de la
démocratisation et de l’intégration européenne dans l’ensemble de la région.
44. La
Moldova amputée dans son intégrité territoriale et sa souveraineté – mais aussi
l’Europe dans son ensemble – ne peut plus se permettre de laisser subsister ce
« trou noir » sur son espace. La Transnistrie est le centre de toutes
sortes de trafics illégaux, en premier lieu le trafic d’armes et de toutes
activités de contrebande. La police secrète continue à exercer un contrôle
dominant sur la vie politique ; les libertés et droits fondamentaux sont
soumis à des restrictions.
45. L’un
des problèmes les plus difficiles concerne la possibilité d’organiser des
élections démocratiques en Transnistrie. Pour cela, la région a besoin de
partis politiques, de médias et d’une société civile fonctionnant en toute
liberté. Les élections locales du 27 mars en Transnistrie (élections des
conseils de village, de localité, de ville et de district, ainsi que des
présidents des conseils de village et de localité) ont montré qu’il n’existe
toujours pas d’opposition forte et véritable en Transnistrie. Ces élections
étaient d’ailleurs considérées comme un test en vue de l’élection des membres
du Soviet suprême de Transnistrie, prévue en décembre 2005.
46. Certains
développements intéressants doivent être notés cependant, en particulier ceux
qui ont été initiés par un groupe de membres du Soviet suprême dirigés par le
président adjoint du Soviet, M. Evgeny Shevchuk[[1]].
Le 29 avril, ce groupe a pris l’initiative de plusieurs projets ambitieux d’amendement
de la « constitution » transnistrienne
visant à renforcer le rôle du « parlement » à l’égard du
« président » et de l’exécutif, par exemple en lui reconnaissant le
droit de refuser la confiance aux « ministres » ou à d’autres
officiels nommés par le « président » et le droit de contrôler le
travail et les dépenses de l’exécutif. Quelques changements de portée plus
modeste, ainsi que le projet de loi sur l’administration locale stipulant que
les présidents des « raïons » [districts] et des conseils municipaux doivent
être élus par les conseils à bulletin secret, ont été adoptés en première
lecture le 18 mai. M. Shevchuk soutient aussi
une initiative législative visant à transformer la chaîne officielle de
télévision de la région (« TV PM. ») en un établissement public de
radiodiffusion.
47. Le
22 juin, le Soviet suprême a recommandé le renvoi du « ministre » de
la justice, M. Victor Balala, par le « président »,
M. Smirnov. M. Balala, qui est l’un des plus proches
alliés du « président », a récemment décidé de transférer les
fonctions d’accréditation de son « ministère » à une « chambre d’experts »
présentant un caractère quasiment lucratif.
48. Le
22 juillet, le parlement moldove a approuvé en seconde lecture la loi relative
aux principales dispositions du statut juridique spécial des localités situées
sur la rive gauche de la Dniestr (Transnistrie). Cette loi crée une unité
territoriale autonome faisant partie inséparable de la Moldova et pouvant
décider des questions placées sous sa juridiction, en vertu des pouvoirs qui
lui sont reconnus par la constitution et la législation moldoves.
Elle stipule également que des référendums locaux seront organisés, dans le
respect de la législation moldove, pour permettre aux localités situées sur la
rive gauche de la Dniestr de décider si elles souhaitent faire partie ou non de
l’unité autonome de Transnistrie. »
65. Sur la base de ce rapport,
l’APCE adopta une résolution dans laquelle elle déclarait notamment :
« 10. L’Assemblée
salue la reprise des négociations à la suite de l’initiative optimiste de l’Ukraine
visant à régler le conflit transnistrien en priorité
par la démocratisation. Elle souhaite que le format actuel à cinq (impliquant
la Moldova, la région de Transnistrie, la Fédération de Russie, l’Ukraine et l’OSCE
(...)) soit élargi également au Conseil de l’Europe. Elle insiste sur la
nécessité d’un contrôle efficace de la frontière entre la Moldova et l’Ukraine,
des stocks d’armes et de la production des usines d’armement. L’Assemblée
souhaite que ses rapporteurs, compte tenu de leur expertise, soient associés à
toutes ces démarches.
11. Le
règlement du conflit transnistrien doit partir du
principe intangible du plein respect de l’intégrité territoriale et de la
souveraineté de la République de Moldova. Dans un Etat de droit, toute solution
passe par la volonté exprimée par le peuple à l’occasion d’élections
véritablement libres et démocratiques, dont la mise en œuvre appartient aux
autorités internationalement reconnues. »
B. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en
Europe (OSCE)
66. Dans son rapport annuel
de 2004, l’OSCE évoquait comme suit les événements survenus en
Transnistrie :
« (...) L’événement
le plus déstabilisateur a cependant été constitué par la décision prise à la
mi-juillet par la Transnistrie de fermer les écoles moldaves situées sur son
territoire qui enseignent en alphabet latin. En réponse, la partie moldave a
suspendu sa participation aux négociations pentapartites pour un règlement
politique.
Conjointement
avec les comédiateurs de la Fédération de Russie et
de l’Ukraine, la Mission a déployé beaucoup d’efforts depuis la mi-juillet
jusque bien avant dans l’automne pour remédier à la crise scolaire et pour
trouver une solution et l’appliquer. Elle s’est également efforcée de dissiper
les tensions entre les parties au sujet de la liberté de mouvement, des terres
agricoles et des chemins de fer (...) »
Toujours en
2004, l’OSCE observait également :
« Un seul
train contenant environ 1 000 tonnes de munitions a quitté les dépôts du Groupe
opérationnel des forces russes en Transnistrie en 2004. Il reste encore environ
21 000 tonnes de munitions à enlever, ainsi que plus de 40 000 armes
légères et de petit calibre et environ 10 trains d’équipements militaires
divers. La Mission a continué à coordonner l’assistance technique et financière
fournie à la Fédération de Russie pour ces activités. »
67. Dans son rapport annuel
de 2005, l’OSCE déclarait :
« La
Mission a axé ses efforts sur la relance des négociations pour un règlement
politique, qui étaient dans l’impasse depuis l’été 2004. Les médiateurs de la
Fédération de Russie, de l’Ukraine et de l’OSCE ont tenu des consultations avec
les représentants de Chisinau et de Tiraspol en janvier, en mai et en
septembre. A la réunion de mai, l’Ukraine a présenté le plan de règlement du
Président Viktor Youchtchenko intitulé Vers un règlement par le biais de la
démocratisation. Cette initiative prévoit une démocratisation de la région transnistrienne grâce à des élections à l’organe législatif
régional sous le contrôle de la communauté internationale en même temps que des
mesures propres à favoriser la démilitarisation, la transparence et le
renforcement de la confiance.
En juillet, le
Parlement moldave, citant le plan ukrainien, a adopté une loi sur les principes fondamentaux d’un statut
juridique spécial de la Transnistrie. Au cours des consultations tenues en
septembre à Odessa, Chisinau et Tiraspol sont convenus d’inviter l’Union
européenne et les Etats-Unis à participer aux négociations en qualité d’observateurs.
Les négociations formelles ont repris dans un cadre élargi en octobre après une
interruption de 15 mois. Une autre série de négociations était prévue en
décembre, à la suite de la réunion du Conseil ministériel de l’OSCE à
Ljubljana. Le 15 décembre, les Présidents de l’Ukraine et de la Fédération de
Russie, Viktor Youchtchenko et Vladimir Poutine, ont
publié une déclaration commune dans laquelle ils se sont félicités de la
reprise des négociations pour un règlement du conflit transnistrien.
En septembre,
les Présidents Voronine et Youchtchenko
ont demandé conjointement au Président en exercice de l’OSCE d’envisager d’envoyer
une mission internationale d’évaluation pour analyser les conditions
démocratiques en Transnistrie et les mesures nécessaires pour tenir des
élections démocratiques dans la région. Parallèlement, la mission de l’OSCE a
procédé à des consultations et à des analyses techniques sur les conditions
fondamentales à réunir pour des élections démocratiques dans la région transnistrienne, conformément à ce qui était proposé dans
le plan Youchtchenko. Lors de la série de
négociations d’octobre, il a été demandé à la présidence de l’OSCE de
poursuivre les consultations au sujet de la possibilité d’envoyer une mission
internationale d’évaluation dans la région transnistrienne.
De concert avec
des experts militaires de la Fédération de Russie et de l’Ukraine, la mission
de l’OSCE a achevé de mettre au point un ensemble de mesures de confiance et de
sécurité qui a été présenté aux trois médiateurs en juillet. La Mission a
ensuite engagé des consultations sur cet ensemble de mesures avec des
représentants de Chisinau et de Tiraspol. Lors des négociations d’octobre, on s’est
félicité de la possibilité qu’offrirait l’échange mutuel de données militaires,
envisagé dans certains éléments de cet ensemble, de progresser dans le
renforcement de la transparence. »
Sur la question
du retrait militaire russe, l’OSCE observait :
« Il n’y a
eu aucun retrait d’armements et d’équipements russes de la région transnistrienne en 2005. Environ 20 000 tonnes de
munitions doivent encore être retirées. Le commandant du Groupe opérationnel
des forces russes a signalé en mai que des stocks excédentaires de 40 000
armes légères et de petit calibre entreposées par les forces russes dans la
région transnistrienne avaient été détruits. L’OSCE n’a
pas été autorisée à vérifier ces dires. »
68. En 2006, l’OSCE rapporta
ce qui suit :
« Le
référendum du 17 septembre sur « l’indépendance » et les
« élections présidentielles » du 10 décembre en Transnistrie – qui n’ont
été ni reconnus ni observés par l’OSCE – ont déterminé le cadre politique de
ces travaux (...)
Afin de
stimuler les négociations en vue d’un règlement, la Mission a élaboré, au début
de 2006, des documents dans lesquels elle suggérait : une délimitation possible
des compétences entre autorités centrales et régionales ; un mécanisme d’observation
des entreprises du complexe militaro-industriel transnistrien
; un plan pour l’échange de données militaires ; ainsi qu’une mission pour
évaluer les conditions et formuler des recommandations en vue de la tenue d’élections
démocratiques en Transnistrie. Toutefois, la partie transnistrienne
a refusé de poursuivre les négociations après l’introduction, en mars, de
nouvelles dispositions douanières pour les exportations transnistriennes
et aucun progrès n’a donc pu être accompli en ce qui concerne, notamment, ces
projets. Les tentatives de sortir de cette impasse par des consultations entre
les médiateurs (OSCE, Fédération de Russie et Ukraine) et les observateurs
(Union européenne et Etats-Unis d’Amérique) en avril, mai et novembre, ainsi
que les consultations menées par les médiateurs et les observateurs avec
chacune des parties séparément en octobre, sont restées vaines (...)
Le 13 novembre,
un groupe de 30 chefs de délégation de l’OSCE et de membres de la Mission de l’OSCE
ont pu accéder, pour la première fois depuis mars 2004, au dépôt de munitions
de la Fédération de Russie situé à Colbasna, près de
la frontière entre la Moldavie et l’Ukraine en Transnistrie septentrionale. Il
n’y a toutefois pas eu de retraits de munitions ou d’équipements russes de
Transnistrie en 2006 et plus de 21 000 tonnes de munitions restent
entreposées dans la région (...) »
69. Le rapport annuel de
2007 relevait ceci :
« Les
médiateurs du processus de règlement du conflit transnistrien,
à savoir la Fédération de Russie, l’Ukraine et l’OSCE, ainsi que les
observateurs, à savoir l’Union européenne et les Etats-Unis, se sont réunis à
quatre reprises. Les médiateurs et les observateurs se sont réunis de façon
informelle avec les parties moldave et transnistrienne
une fois en octobre. Toutes ces réunions visaient essentiellement à trouver des
moyens de relancer les négociations officielles en vue d’un règlement, qui n’ont
cependant pas repris (...)
La Mission a
constaté qu’il n’y a pas eu de retraits de munitions ou d’équipements russes en
2007. Le Fonds volontaire dispose de ressources suffisantes pour achever les
tâches de retrait. »
70. Le rapport de 2008
comportait le passage suivant :
« Le Président
moldave, Vladimir Voronine, et le dirigeant transnistrien, Igor Smirnov, se sont rencontrés en avril
pour la première fois depuis sept ans, puis à nouveau le 24 décembre. Les
médiateurs (OSCE, Fédération de Russie et Ukraine) et les observateurs (Union
européenne et Etats-Unis) se sont rencontrés cinq fois. Les parties, les
médiateurs et les observateurs ont tenu cinq réunions informelles. Malgré cette
activité diplomatique menée notamment par la Mission, les négociations
officielles à « 5+2 » n’ont pas repris (...)
Il n’a été
effectué, en 2008, aucun retrait de munitions ou de matériels russes de
Transnistrie. Le Fonds volontaire dispose de moyens suffisants pour mener à
bien ce retrait. »
C. Les organisations internationales non gouvernementales
71. Dans son rapport du 17
juin 2004 intitulé « Moldavie : tensions régionales autour de la
Transnistrie » (Europe rapport no 157), l’organisation non
gouvernementale International Crisis Group (ICG) relevait
(extrait du résumé) :
« Le
soutien russe à la République Moldave de Transnistrie (RMT), autoproclamée et
officiellement non reconnue, a empêché toute résolution du conflit et inhibé
les avancées de la Moldavie en faveur d’une intégration plus large aux
structures économiques et politiques européennes. Lors de ses récentes
tentatives, largement unilatérales, l’action de la Russie en vue de résoudre le
conflit avait presque des relents de « Guerre Froide ». En dépit d’un
discours rassurant sur les relations Russie‑UE
et la coopération américano-russe en matière de résolution de conflit et de
maintien de la paix dans le cadre des Nouveaux Etats Indépendants de l’ex-Union
Soviétique (NIS), les vieilles habitudes ne se perdent pas facilement. La
Russie voit d’un mauvais œil un rôle actif de l’UE, des Etats-Unis ou de l’Organisation
de Sécurité et de Coopération Européenne (OSCE) en matière de résolution de conflit
dans la mesure où nombreux sont ceux à Moscou qui perçoivent encore la Moldavie
comme appartenant à la sphère géopolitique d’influence russe.
La Russie n’a
pas eu beaucoup de difficultés à exploiter l’instabilité politique et
économique de la Moldavie à son profit. Bien qu’ayant accepté des dates limites
concrètes pour le retrait de ses troupes, la Russie n’a pas cessé de
rétropédaler tout en essayant d’imposer un règlement politique qui lui aurait
permis, à travers des dispositions constitutionnelles partiales, de maintenir
son influence dans l’élaboration des politiques moldaves et de prolonger sa
présence militaire en guise de force de maintien de la paix. Jusqu’ici, elle a
refusé d’user de son influence auprès des dirigeants de la RMT en faveur d’une
approche de résolution de conflit capable de prendre en compte les intérêts
légitimes de toutes les parties.
Les milieux d’affaires
ukrainiens et moldaves sont devenus des adeptes d’un usage de l’économie
parallèle en RMT à des fins personnelles, en prenant part régulièrement aux
exportations illégales et autres pratiques illicites. Certains ont usé de leur
influence politique pour empêcher, retarder et faire obstruction aux décisions
susceptibles de forcer les dirigeants de la RMT à transiger en faveur d’une
suppression des taxes et régulations douanières favorables aux exportations
illégales, de la mise en place de frontières et de contrôles douaniers
efficaces, et de la collecte de droits et taxes au niveau des
« frontières » intérieures.
Fort du soutien
des élites économiques russes, ukrainiennes et moldaves, les autorités de la
RMT sont devenues plus péremptoires. Conscientes qu’une reconnaissance
internationale n’est pas pour demain, elles se sont consacrées à préserver une
indépendance de facto à travers une confédération vague avec la Moldavie.
Malheureusement, les dirigeants de la RMT (profitant des contradictions
existant entre les systèmes fiscaux et douaniers de la Moldavie et de la RMT)
continuent de tirer profit des activités économiques légales et illégales,
notamment des exportations illégales, de la contrebande et de la fabrication d’armes.
La RMT est
devenue un acteur averti avec ses propres intérêts et stratégies, possédant une
marge de manœuvre politique indépendante limitée mais disposant d’un important
carnet de contacts sur le plan économique et d’autres liens à travers la
Russie, la Moldavie et l’Ukraine. Toutefois, elle demeure largement dépendante
du soutien politique et économique russe et n’aime guère se retrouver en
porte-à-faux vis-à-vis de la politique russe. Les intérêts russes et [de la RMT]
sont souvent imbriqués, quoique dans certaines circonstances les dirigeants de
la [RMT] ont su concevoir et appliquer des stratégies afin d’éviter la pression
russe, retarder des négociations, saper certaines initiatives et politiques
russes en jouant sur les désaccords existant entre les co-médiateurs
ainsi qu’en misant sur des sources alternatives de soutien extérieur.
La dernière
tentative russe de résolution en date (le Memorandum Kozak d’octobre-novembre 2003) a montré que son influence,
certes prépondérante, connaît ses limites. La Russie n’est pas en mesure d’avancer
un règlement sans le soutien de la Moldavie et de la communauté internationale,
notamment sans celui des acteurs clés tels que l’OSCE, l’UE et les Etats-Unis.
Un règlement politique global exige une approche capable d’aplanir les
divergences entre la Russie et les autres acteurs principaux, tout en prenant
en compte équitablement les intérêts du gouvernement moldave et de la RMT.
Sans chercher à
contrarier la Russie, l’attraction gravitationnelle qu’exerce l’intégration
européenne est forte en Moldavie. Même ses dirigeants communistes ont récemment
souligné la nécessité de faire davantage pour atteindre cet objectif. Le pays a
généralement été absent des écrans de radar occidentaux au cours de cette
dernière décennie, pourtant le soutien américain et européen devra se faire
plus démonstratif pour résister aux obstructions de la Transnistrie au
processus de négociations ainsi qu’au soutien politique et matériel que la
Russie apporte à la RMT. Les acteurs internationaux doivent également aider la
Moldavie à protéger ses propres frontières des activités économiques illicites
qui maintiennent à flot la Transnistrie et affectent aussi ses voisins
européens.
Le conflit ne
peut être résolu que dans la mesure où la communauté internationale joue de son
influence sur la Russie en bilatéral ainsi qu’au sein de l’OSCE. Seulement
alors, la Moldavie pourra réaliser ses aspirations européennes à condition
cependant qu’elle démontre un engagement plus substantiel en faveur d’une
réforme politique, économique et administrative. L’élaboration d’une stratégie
globale à l’égard de la Moldavie, de l’Ukraine et de la Russie, dans le cadre de
la politique européenne de l’UE élargie serait une première étape
indispensable. »
72. Dans son rapport du 17
août 2006 intitulé « L’avenir incertain de la Moldova » (Europe
rapport no 175), l’ICG observait (extrait du résumé) :
[Traduction du greffe]
« Avec l’entrée
de la Roumanie dans l’Union européenne, prévue pour 2007, l’UE aura une
frontière commune avec la Moldova, Etat faible divisé par un conflit et rongé
par la corruption et le crime organisé. Les dirigeants de la Moldova ont
exprimé le souhait d’adhérer à l’UE, mais leur attachement aux valeurs
européennes est suspect et les efforts déployés pour régler le conflit avec la
région sécessionniste de Transnistrie n’ont pas permis de sortir de la
dommageable impasse qui perdure depuis quinze ans. Les jeunes n’ont guère
confiance en l’avenir du pays, qu’ils quittent dans une proportion alarmante.
Pour que la Moldova puisse devenir un élément stable du voisinage de l’UE, il
faudrait un engagement international bien plus fort non seulement pour résoudre
le conflit, mais aussi pour encourager des réformes nationales aptes à rendre
le pays plus attrayant pour ses citoyens.
Deux
initiatives récentes de l’UE et de l’Ukraine ont fait naître l’espoir d’un
changement tangible dans l’équilibre des forces en jeu dans le conflit séparatiste.
Une Mission d’assistance à la frontière de l’UE (EUBAM) lancée fin 2005 a
contribué à diminuer la contrebande le long du segment transnistrien
de la frontière entre la Moldova et l’Ukraine, pratique qui constitue une source
essentielle de recettes pour les autorités de Tiraspol, capitale de la
Transnistrie. En parallèle, la mise en application par Kiev d’un régime
douanier historique devant aider la Moldova à réguler ses exportations transnistriennes a affaibli la capacité des entreprises de
la région sécessionniste à opérer en dehors de tout contrôle moldave, ce qui a
porté un coup psychologique crucial.
Cependant, l’optimisme
né de l’idée que ces mesures finiraient par contraindre la Transnistrie à faire
des concessions diplomatiques était semble-t-il infondé. Bien que l’EUBAM ait
obtenu des résultats non négligeables, eu égard en particulier à la modestie de
ses effectifs et de son budget, la contrebande à grande échelle sévit toujours.
Le régime douanier ukrainien n’a pas non plus eu un effet déterminant sur les
entreprises de Transnistrie, qui demeurent capables, comme par le passé, de se
livrer de façon licite à un commerce lucratif. De plus, l’incertitude politique
au niveau national pose la question de savoir si Kiev continuera à faire
appliquer la nouvelle réglementation.
La Russie a
renforcé son soutien en faveur de la Transnistrie en fournissant à celle‑ci une aide économique et en adoptant des
mesures de rétorsion contre la Moldova, notamment un embargo sur les
exportations de vin, l’une des principales sources de revenus du pays. Moscou
refuse de retirer ses troupes stationnées en Transnistrie depuis l’époque
soviétique, dont la présence permet de maintenir le statu quo. Fort du soutien de la Russie, M. Igor Smirnov, le dirigeant
de la Transnistrie, n’est guère incité au compromis dans son aspiration à l’indépendance.
Les négociations entre les deux parties avec médiation internationale ne mènent
à rien, malgré la présence depuis 2005 de l’UE et des Etats-Unis en tant qu’observateurs.
Alors que l’on était parvenu à un certain accord quant au niveau d’autonomie à
prévoir dans le cadre d’un règlement, la Moldova a durci sa position pour faire
face à l’intransigeance de la Transnistrie. »
73. Dans son rapport « Freedom in the World 2009 », l’organisation Freedom House faisait notamment les commentaires suivants :
[Traduction
du greffe]
« En
novembre 2003, la Moldova a rejeté, après qu’il eut suscité des protestations
publiques, un plan de fédéralisation soutenu par la Russie. La dernière session
de discussions multilatérales officielles a échoué début 2006, et au référendum
sur la Transnistrie tenu en septembre 2006 les électeurs se sont massivement
prononcés en faveur d’une évolution vers l’indépendance avec pour but ultime le
rattachement à la Russie, mais la légitimité du scrutin n’a pas été reconnue
par la Moldova et la communauté internationale.
En l’absence de
négociations actives à « 5+2 », M. Voronine
a mené des discussions bilatérales avec la Russie et pris un certain nombre de
mesures pour mettre la politique étrangère de la Moldova en phase avec celle du
Kremlin. Pendant une grande partie de l’année 2008, il a pressé la Russie d’accepter
une proposition selon laquelle la Transnistrie se verrait conférer une
importante autonomie au sein de la Moldova, une présence solide et unitaire au
Parlement moldave, ainsi que le droit de faire sécession si la Moldova venait à
s’unir à la Roumanie ; les droits
de propriété russes seraient respectés, et les troupes russes seraient
remplacées par des observateurs civils. M. Voronine a
défendu ses « consultations » séparées avec la Russie en déclarant
que tout règlement serait parachevé à « 5+2 ».
L’urgence de la
question transnistrienne est montée d’un cran en août
2008, après que la Russie eut connu un bref conflit avec la Géorgie et reconnu
l’indépendance de deux régions sécessionnistes de ce pays. Des dirigeants
russes ont déclaré qu’ils n’avaient pas l’intention de reconnaître la RMT, mais
ont conseillé à la Moldova de ne pas adopter l’attitude agressive de la
Géorgie. Pour sa part, le gouvernement moldave a écarté toute comparaison et
réitéré son engagement à mener des négociations pacifiques. Certains experts se
sont inquiétés de ce que la Russie pourrait imposer à la Moldova un règlement
rigoureux dans le cadre des discussions bilatérales, puis reconnaître la RMT en
cas de rejet du plan.
Les relations
entre M. Igor Smirnov, président de la Transnistrie, et M. Voronine
sont restées tendues tout au long de l’année, le dirigeant moldave ayant en
fait négocié dans le dos de M. Smirnov et clairement exprimé sa frustration au
sujet des autorités de la RMT. Les deux hommes se sont rencontrés en avril pour
la première fois depuis 2001, puis à nouveau en décembre. Quelques jours après
la rencontre d’avril, M. Traian Basescu, président de la Roumanie, a indirectement évoqué
la perspective d’une partition dans le cadre de laquelle l’Ukraine absorberait
la Transnistrie et la Roumanie annexerait la Moldova proprement dite, ce qui a
poussé M. Voronine à l’accuser de saboter les
négociations. Entre-temps, M. Dmitri Medvedev,
président de la Fédération de Russie, a rencontré M. Voronine
et M. Smirnov séparément au cours de l’année.
(...)
Droits politiques et libertés civiles
Les habitants
de la Transnistrie ne peuvent élire leurs dirigeants démocratiquement et ne
peuvent participer librement aux élections moldaves (...)
La corruption
et le crime organisé sont de graves problèmes en Transnistrie (...)
Le secteur des
médias n’est pas libre (...)
La liberté de
religion est limitée (...)
Plusieurs
milliers d’élèves étudient certes le moldave en utilisant l’alphabet latin, mais
cette pratique est toutefois restreinte. La langue moldave et l’alphabet latin
sont associés au soutien en faveur de l’unité de la Moldova, tandis que le
russe et l’alphabet cyrillique sont assimilés à des visées séparatistes. Les
parents qui envoient leurs enfants dans des établissements scolaires utilisant
l’alphabet latin, ainsi que les établissements eux-mêmes, sont systématiquement
confrontés à des actes de harcèlement de la part des forces de l’ordre.
Les autorités appliquent
des restrictions sévères à la liberté de réunion et délivrent rarement les
autorisations requises pour les manifestations publiques (...)
L’ordre
judiciaire est asservi à l’exécutif et accomplit généralement la volonté des
autorités (...)
Les autorités
font subir une discrimination aux personnes d’origine moldave, qui constituent
environ 40 % de la population. On estime que, pris ensemble, les Russes et
les Ukrainiens de souche représentent une faible majorité ; par ailleurs,
pas moins d’un tiers des habitants de la région seraient titulaires d’un
passeport russe. »
III. LE DROIT
INTERNATIONAL PERTINENT
A. Textes juridiques internationaux concernant la
responsabilité de l’Etat pour fait illicite
1. Le
projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité
de l’Etat pour fait internationalement illicite
74. En août 2001, la
Commission du droit international a adopté le projet d’articles sur la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite (le
« projet d’articles »). Les articles 6 et 8 du chapitre II de ce
texte énoncent :
Article
6 – Comportement d’un organe mis à la disposition de l’Etat par un autre Etat
« Le
comportement d’un organe mis à la disposition de l’Etat par un autre Etat, pour
autant que cet organe agisse dans l’exercice de prérogatives de puissance
publique de l’Etat à la disposition duquel il se trouve, est considéré comme un
fait du premier Etat d’après le droit international. »
Article 8 – Comportement
sous la direction ou le contrôle de l’Etat
« Le
comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes est considéré comme un
fait de l’Etat d’après le droit international si cette personne ou ce groupe de
personnes, en adoptant ce comportement, agit en fait sur les instructions ou
les directives ou sous le contrôle de cet Etat. »
2. Jurisprudence
de la Cour internationale de justice (CIJ)
75. Dans son avis
consultatif sur les « Conséquences
juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en
Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution
276 (1970) du Conseil de sécurité », la CIJ a déclaré ce qui suit au
sujet de l’obligation que le droit international fait à un Etat responsable d’une
situation irrégulière d’y mettre fin :
« 117. Etant
parvenue à ces conclusions, la Cour en vient maintenant aux conséquences
juridiques pour les Etats de la présence continue de 1’Afrique du Sud en
Namibie, nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité. Quand un
organe compétent des Nations Unies constate d’une manière obligatoire qu’une
situation est illégale, cette constatation ne peut rester sans conséquence.
Placée en face d’une telle situation, la Cour ne s’acquitterait pas de ses fonctions
judiciaires si elle ne déclarait pas qu’il existe une obligation, pour les
Membres des Nations Unies en particulier, de mettre fin à cette situation. A
propos d’une de ses décisions, par laquelle elle avait déclaré qu’une situation
était contraire à une règle de droit international, la Cour a dit : « Cette
décision entraîne une conséquence juridique, celle de mettre fin à une situation
irrégulière » (CIJ Recueil 1951,
p. 82).
118. L’Afrique
du Sud, à laquelle incombe la responsabilité d’avoir créé et prolongé une
situation qui, selon la Cour, a été valablement déclarée illégale, est tenue d’y
mettre fin. Elle a donc l’obligation de retirer son administration du
territoire de la Namibie. Tant qu’elle laisse subsister cette situation
illégale et occupe le territoire sans titre, l’Afrique du Sud encourt des
responsabilités internationales pour violation persistante d’une obligation
internationale. Elle demeure aussi responsable de toute violation de ses
obligations internationales ou des droits du peuple namibien. Le fait que l’Afrique
du Sud n’a plus aucun titre juridique l’habilitant à administrer le territoire
ne la libère pas des obligations et responsabilités que le droit international
lui impose envers d’autres Etats et qui sont liées à l’exercice de ses pouvoirs
dans ce territoire. C’est l’autorité effective sur un territoire, et non la
souveraineté ou la légitimité du titre, qui constitue le fondement de la
responsabilité de 1’Etat en raison d’actes concernant d’autres Etats.
76. Dans l’affaire relative à l’Application de la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt du 26 février
2007, la CIJ s’est prononcée comme suit sur la question de la responsabilité de
l’Etat :
« 391. La
première question que soulève une telle argumentation est de savoir si un Etat
peut, en principe, se voir attribuer les comportements de personnes – ou de
groupes de personnes – qui, sans avoir le statut légal d’organes de cet Etat,
agissent en fait sous un contrôle tellement étroit de ce dernier qu’ils
devraient être assimilés à des organes de celui-ci aux fins de l’attribution
nécessaire à l’engagement de la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement
illicite. En vérité, la Cour a déjà abordé cette question, et lui a donné une
réponse de principe, dans son arrêt du 27 juin 1986 en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui‑ci (Nicaragua c.
Etats-Unis d’Amérique) (fond, arrêt, CIJ Recueil 1986, p. 62‑64). Au paragraphe 109 de cet
arrêt, la Cour a indiqué qu’il lui appartenait de
« déterminer si
les liens entre les contras et le
Gouvernement des Etats-Unis étaient à tel point marqués par la dépendance d’une
part et l’autorité de l’autre qu’il serait juridiquement fondé d’assimiler les contras à un organe du Gouvernement des
Etats-Unis ou de les considérer comme agissant au nom de ce gouvernement »
(p. 62).
Puis, examinant
les faits à la lumière des informations dont elle disposait, la Cour a relevé
qu’« il n’[était] pas clairement établi que [les Etats-Unis] exer[çai]ent
en fait sur les contras dans toutes
leurs activités une autorité telle qu’on [pût] considérer les contras comme agissant en leur
nom » (par. 109), avant de conclure que « les éléments dont [elle]
dispos[ait] (...) ne suffis[ai]ent pas à démontrer
[la] totale dépendance [des contras]
par rapport à l’aide des Etats-Unis », si bien qu’« il lui [était]
(...) impossible d’assimiler, juridiquement parlant, la force contra aux forces des Etats-Unis »
(p. 63, par. 110).
392. Il
résulte des passages précités que, selon la jurisprudence de la Cour, une
personne, un groupe de personnes ou une entité quelconque peuvent être
assimilés – aux fins de la mise en œuvre de la responsabilité
internationale – à un organe de l’Etat même si une telle qualification ne
résulte pas du droit interne, lorsque cette personne, ce groupe ou cette entité
agit en fait sous la « totale dépendance » de l’Etat, dont il n’est,
en somme, qu’un simple instrument. En pareil cas, il convient d’aller au‑delà du seul statut juridique, pour appréhender la
réalité des rapports entre la personne qui agit et l’Etat auquel elle se
rattache si étroitement qu’elle en apparaît comme le simple agent : toute
autre solution permettrait aux Etats d’échapper à leur responsabilité
internationale en choisissant d’agir par le truchement de personnes ou d’entités
dont l’autonomie à leur égard serait une pure fiction.
393. Cependant,
une telle assimilation aux organes de l’Etat de personnes ou d’entités
auxquelles le droit interne ne confère pas ce statut ne peut que rester
exceptionnelle ; elle suppose, en effet, que soit établi un degré
particulièrement élevé de contrôle de l’Etat sur les personnes ou entités en
cause, que l’arrêt précité de la Cour a caractérisé précisément comme une
« totale dépendance » (...) »
Tout en
précisant que la Serbie n’était pas directement responsable du génocide survenu
pendant la guerre de Bosnie de 1992-1995, la CIJ a néanmoins conclu que la
Serbie avait manqué à son obligation positive de prévenir le génocide, en vertu
de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, en
ce qu’elle n’avait pas pris toutes les mesures qui étaient en son pouvoir pour empêcher
le génocide commis à Srebrenica en juillet 1995 et n’avait pas transféré Ratko Mladić, accusé de génocide et de complicité de
génocide, au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie afin qu’il fût
jugé.
B. Dispositions conventionnelles concernant le droit à l’éducation
1. La
Déclaration universelle des droits de l’homme (1948)
77. L’article 26 de la
Déclaration universelle des droits de l’homme énonce :
« 1. Toute
personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce
qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement
élémentaire est obligatoire. L’enseignement technique et professionnel doit
être généralisé ; l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine
égalité à tous en fonction de leur mérite.
2. L’éducation
doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au
renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les
nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement
des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
3. Les
parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à
leurs enfants. »
2. La
Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement
(1960)
78. Adoptée par l’Organisation
des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture lors de sa 11e
session (octobre-décembre 1960), cette Convention dispose en ses articles 1, 3
et 5 :
Article premier
« 1. Aux
fins de la présente Convention, le terme « discrimination » comprend toute
distinction, exclusion, limitation ou préférence qui, fondée sur la race, la
couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre
opinion, l’origine nationale ou sociale, la condition économique ou la
naissance, a pour objet ou pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de
traitement en matière d’enseignement et, notamment :
a) d’écarter une
personne ou un groupe de l’accès aux divers types ou degrés d’enseignement ;
b) de limiter à un
niveau inférieur l’éducation d’une personne ou d’un groupe ;
c) sous réserve de ce
qui est dit à l’article 2 de la présente Convention, d’instituer ou de
maintenir des systèmes ou des établissements d’enseignement séparés pour des
personnes ou des groupes ; ou
d) de placer une
personne ou un groupe dans une situation incompatible avec la dignité de l’homme.
2. Aux
fins de la présente Convention, le mot « enseignement » vise les divers types
et les différents degrés de l’enseignement et recouvre l’accès à l’enseignement,
son niveau et sa qualité, de même que les conditions dans lesquelles il est
dispensé. »
Article 3
« Aux fins
d’éliminer et de prévenir toute discrimination au sens de la présente
Convention, les Etats qui y sont parties s’engagent à :
a) abroger toutes
dispositions législatives et administratives et à faire cesser toutes pratiques
administratives qui comporteraient une discrimination dans le domaine de l’enseignement ;
(...) »
Article 5
« 1. Les
Etats parties à la présente Convention conviennent :
a) que l’éducation
doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au
renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et
qu’elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes
les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le
développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix ; »
3. Le
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966)
79. L’article 13 du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est ainsi
libellé :
« 1. Les
Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l’éducation.
Ils conviennent que l’éducation doit viser au plein épanouissement de la
personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des
droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l’éducation
doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société
libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les
nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le
développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
2. Les
Etats parties au présent Pacte reconnaissent qu’en vue d’assurer le plein
exercice de ce droit :
a) l’enseignement
primaire doit être obligatoire et accessible gratuitement à tous ;
b) l’enseignement
secondaire, sous ses différentes formes, y compris l’enseignement secondaire
technique et professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par
tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la
gratuité ;
c) l’enseignement
supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des
capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration
progressive de la gratuité ;
d) l’éducation
de base doit être encouragée ou intensifiée, dans toute la mesure possible,
pour les personnes qui n’ont pas reçu d’instruction primaire ou qui ne l’ont
pas reçue jusqu’à son terme ;
e) il faut
poursuivre activement le développement d’un réseau scolaire à tous les
échelons, établir un système adéquat de bourses et améliorer de façon continue
les conditions matérielles du personnel enseignant.
3. Les
Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents
et, le cas échéant, des tuteurs légaux, de choisir pour leurs enfants des
établissements autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes
minimales qui peuvent être prescrites ou approuvées par l’Etat en matière d’éducation,
et de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants,
conformément à leurs propres convictions.
4. Aucune
disposition du présent article ne doit être interprétée comme portant atteinte
à la liberté des individus et des personnes morales de créer et de diriger des
établissements d’enseignement, sous réserve que les principes énoncés au
paragraphe 1 du présent article soient observés et que l’éducation donnée dans
ces établissements soit conforme aux normes minimales qui peuvent être
prescrites par l’Etat. »
4. La
Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (1966)
80. L’article 5 de cette
Convention des Nations unies dispose, en ses parties pertinentes en l’espèce :
« Conformément
aux obligations fondamentales énoncées à l’article 2 de la présente Convention,
les Etats parties s’engagent à interdire et à éliminer la discrimination
raciale sous toutes ses formes et à garantir le droit de chacun à l’égalité
devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou
ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants :
(...)
e) droits
économiques, sociaux et culturels, notamment :
(...)
v. droit à
l’éducation et à la formation professionnelle ; »
5. La Convention relative
aux droits de l’enfant (1989)
81. Les
articles 28 et 29 de cette Convention des Nations unies énoncent :
Article 28
« 1. Les
Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en
particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la
base de l’égalité des chances :
a) ils
rendent l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous ;
b) ils
encouragent l’organisation de différentes formes d’enseignement secondaire,
tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout
enfant, et prennent des mesures appropriées, telles que l’instauration de la
gratuité de l’enseignement et l’offre d’une aide financière en cas de
besoin ;
c) ils
assurent à tous l’accès à l’enseignement supérieur, en fonction des capacités
de chacun, par tous les moyens appropriés ;
d) ils
rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l’information et l’orientation scolaires
et professionnelles ;
e) ils
prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire
et la réduction des taux d’abandon scolaire.
2. Les
Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la
discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de
l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention.
3. Les
Etats parties favorisent et encouragent la coopération internationale dans le
domaine de l’éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer l’ignorance
et l’analphabétisme dans le monde et de faciliter l’accès aux connaissances
scientifiques et techniques et aux méthodes d’enseignement modernes. A cet
égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en
développement. »
Article 29
« 1. Les
Etats parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à :
a) favoriser
l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons
et des ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs
potentialités ;
b) inculquer
à l’enfant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et
des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies ;
c) inculquer
à l’enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses
valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans
lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations
différentes de la sienne ;
d) préparer
l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans
un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et
d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux,
et avec les personnes d’origine autochtone ;
e) inculquer
à l’enfant le respect du milieu naturel.
2. Aucune
disposition du présent article ou de l’article 28 ne sera interprétée d’une
manière qui porte atteinte à la liberté des personnes physiques ou morales de
créer et de diriger des établissements d’enseignement, à condition que les
principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient respectés et que l’éducation
dispensée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales que l’Etat
aura prescrites. »
82. Les requérants se
plaignent de la fermeture forcée de leurs écoles par les autorités de la
« RMT » et des mesures de harcèlement et d’intimidation qu’ils
accusent les autorités d’avoir prises contre eux parce qu’ils avaient choisi de
continuer à s’instruire, ou à faire instruire leurs enfants, dans des
établissements scolaires dispensant un enseignement en moldave/roumain. La Cour
doit tout d’abord déterminer si, concernant les faits incriminés, les requérants
relèvent de la juridiction de l’un des Etats défendeurs, ou des deux, au sens
de l’article 1 de la Convention.
1. Les
requérants
a) La juridiction
de la République de Moldova
83. Pour les requérants, même
si la Moldova n’exerce pas un contrôle effectif sur la Transnistrie, cette
région n’en demeure pas moins une partie du territoire national et la
protection des droits de l’homme continue à y relever de la responsabilité de
cet Etat.
84. Les obligations
positives de la Moldova à leur égard se situeraient à plusieurs niveaux liés
entre eux. Il lui incomberait de prendre toutes les mesures possibles pour
rétablir l’état de droit ainsi que son autorité souveraine en Transnistrie. La
Moldova aurait également l’obligation positive de prendre toutes les mesures réalisables
pour redresser la situation des requérants et défendre leur liberté d’étudier
et de faire étudier leurs enfants dans des écoles utilisant la langue nationale
moldave. Bien que n’exerçant pas un contrôle global sur la Transnistrie, la
Moldova disposerait, dans les domaines politique et économique, de moyens
considérables propres à influer sur ses relations actuelles avec les autorités
de la « RMT ».
b) La juridiction
de la Fédération de Russie
85. Les requérants observent
que la fermeture des écoles s’est produite en 2004, peu après le prononcé par
la Cour de l’arrêt Ilaşcu et autres (précité). Selon eux, les
constatations de fait ayant amené la Cour à conclure dans l’affaire Ilaşcu que
la Russie exerçait une influence décisive sur la « RMT » sont
également valables dans la présente affaire.
86. Depuis
2004, aucun retrait contrôlé d’armes ou d’équipements russes n’aurait eu lieu.
La Russie aurait passé avec les dirigeants de la « RMT » des accords
secrets concernant la gestion du dépôt d’armes. Il ressortirait des données fournies
par le gouvernement russe lui-même qu’en 2003 2 200 militaires russes
étaient basés dans la région ; or rien ne montrerait que ce chiffre ait
connu une baisse sensible. La Russie aurait justifié cette présence comme étant
nécessaire à la surveillance du dépôt d’armes. D’après les requérants, la
présence des armes aussi bien que des militaires est contraire aux engagements
internationaux pris par la Russie. Aucun élément n’attesterait une volonté
claire de procéder au retrait des troupes et des armes ; au contraire, des
déclarations officielles de source russe porteraient à croire que le retrait
est subordonné à un règlement politique. Le maintien de la présence militaire
russe représenterait une menace latente d’intervention militaire, qui aurait un
effet intimidant sur le gouvernement moldave et les opposants au régime
séparatiste de Transnistrie.
87. La
Transnistrie serait dépendante des importations énergétiques de Russie ainsi
que des investissements, de l’assistance et du commerce russes. Dix-huit pour
cent des exportations de la « RMT » seraient destinées à la Russie, et
43,7 % de ses importations, principalement les ressources énergétiques,
proviendraient de ce pays. La « RMT » aurait payé moins de 5 %
du gaz consommé par elle, mais la Russie n’aurait pris aucune mesure aux fins
de recouvrer sa créance. De plus, la Russie fournirait une aide humanitaire
directe à la Transnistrie, essentiellement sous forme de contributions aux pensions
de retraite, en violation de la législation de la Moldova. Selon des sources officielles
russes, l’aide financière totale fournie à la Transnistrie se serait élevée à
55 millions d’USD pendant la période allant de 2007 à 2010.
88. Les
instances politiques russes considéreraient la Transnistrie comme un
avant-poste de la Russie. Les requérants fournissent des exemples de
déclarations de membres de la Douma favorables à l’indépendance de la « RMT »
à l’égard de la Moldova et évoquent des appels lancés par Igor Smirnov
– le président de la « RMT » jusqu’en janvier 2012 – pour
le rattachement de la Transnistrie à la Fédération de Russie. De plus, quelque
120 000 personnes résidant en Transnistrie auraient obtenu la nationalité
russe. En février et mars 2005, « en réponse aux mesures prises par le
gouvernement moldave dans le but d’aggraver la situation concernant la
Transnistrie », la Douma aurait adopté des résolutions invitant le
gouvernement russe à interdire l’importation d’alcool et de tabac de Moldova, à
appliquer les tarifs internationaux aux exportations énergétiques destinées à
la Moldova (sauf pour la Transnistrie) et à exiger des visas de la part des
ressortissants moldaves (excepté
ceux résidant en Transnistrie) se rendant en Russie. Les requérants citent
les conclusions du Fonds monétaire international selon lesquelles ces mesures
auraient eu sur la croissance de l’économie moldave un effet négatif combiné de
2 à 3 points de pourcentage annuel en 2006-2007.
2. Le
gouvernement moldave
a) La juridiction
de la République de Moldova
89. Le gouvernement moldave
soutient que, d’après le raisonnement suivi dans l’arrêt Ilaşcu et autres (précité), les requérants relèvent de la juridiction de
la Moldova dès lors que, en revendiquant le territoire et en s’efforçant de
faire respecter les droits des intéressés, les autorités moldaves assument à
leur égard des obligations positives. Le gouvernement moldave n’exercerait
toujours pas sa juridiction – au sens de son autorité et de son contrôle – sur
le territoire transnistrien, mais il continuerait
néanmoins à remplir les obligations positives établies par l’arrêt Ilaşcu et autres. La principale question au
sujet de la Moldova serait celle de savoir dans quelle mesure pareille
obligation positive pourrait faire entrer en jeu la juridiction d’un Etat. Le
gouvernement moldave renvoie à cet égard à l’opinion partiellement dissidente émise
par le juge Bratza dans l’affaire Ilaşcu et à laquelle s’étaient
ralliés les juges Rozakis, Hedigan,
Thomassen et Panţîru (opinion annexée à l’arrêt Ilaşcu et autres, précité).
b) La juridiction
de la Fédération de Russie
90. Le gouvernement moldave
considère, à la lumière des principes exposés dans l’affaire Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni ([GC], no 55721/07,
CEDH 2011), que les
faits de l’espèce relèvent de la juridiction de la Russie en raison de la
présence militaire continue de celle‑ci, qui aurait
empêché le règlement du conflit.
91. Le gouvernement moldave
n’aurait pas accès au dépôt d’armes de Colbaşna
et ignorerait donc la quantité réelle d’armes conservée par la Fédération de
Russie en Transnistrie. De plus, il serait difficile de distinguer clairement
les militaires russes qui composent la force de maintien de la paix établie par
l’accord de cessez-le-feu des soldats russes du Groupement opérationnel des
forces russes (« GOR »), basés en Transnistrie pour garder le dépôt d’armes.
Hormis les membres du haut commandement, probablement recrutés directement en
Russie, nombre de soldats ordinaires au sein des deux forces seraient des
ressortissants russes de Transnistrie favorables au régime séparatiste. Enfin,
l’aéroport militaire de Tiraspol serait sous contrôle russe et les autorités de
la « RMT » en jouiraient librement.
92. La présence de militaires et d’armes russes
en Transnistrie entraverait les efforts visant à résoudre le conflit et
contribuerait à maintenir le régime séparatiste au pouvoir. Le gouvernement
moldave serait désavantagé et dans l’incapacité de négocier librement sans être
confronté à la menace d’une suspension du retrait militaire russe, suivant le
scénario qui s’est produit lors du rejet du « mémorandum de Kosak » par la Moldova (paragraphe 27 ci-dessus). L’opposition
de la « RMT » au retrait des armes ne constituerait pas une excuse valable
justifiant un refus de la Russie de retirer ou de détruire les armes, et le
gouvernement russe serait infondé à l’accepter ou à l’invoquer. Le gouvernement
moldave serait prêt à toute coopération, pourvu qu’elle n’implique
pas des conditions exorbitantes comme celles prévues par le « mémorandum
de Kosak ».
Par ailleurs, la participation active des autres partenaires internationaux au
processus de négociation devrait contribuer à alléger toute charge excessive
que les modalités pratiques de la destruction du dépôt d’armes pourraient faire
peser sur la Russie.
93. L’économie
de la « RMT » serait orientée vers l’exportation de marchandises à
destination de la Russie et de l’Ukraine, et il n’y aurait pas de véritables
liens commerciaux entre la « RMT » et la Moldova proprement dite. Or,
environ 20 % de la population seulement serait économiquement active, et
la région survivrait grâce au soutien financier de la Russie, qui prendrait la
forme d’un effacement des dettes contractées pour le gaz et de dons. C’est
ainsi qu’en 2011 la « RMT » aurait reçu de la Russie une aide
financière d’un montant total de 20,64 millions d’USD. En 2011, la Transnistrie
aurait consommé pour 505 millions d’USD de gaz, mais n’aurait payé que 4 %
de ce montant (soit 20 millions d’USD).
94. Enfin,
la politique de la « RMT » serait entièrement tournée vers la Russie
et éloignée de la Moldova. Il y aurait de nombreuses visites de haut niveau
entre la Russie et la Transnistrie, ainsi que des déclarations de soutien
émanant de personnalités politiques russes. Toutefois, la situation politique
évoluant en permanence, il serait difficile de livrer un état des lieux complet.
3. Le
gouvernement russe
a) La juridiction
de la République de Moldova
95. Le gouvernement russe n’a
pas formulé d’observations sur la juridiction de la République de Moldova en l’espèce.
b) La juridiction
de la Fédération de Russie
96. Le gouvernement russe critique
la façon dont la Cour a envisagé la juridiction dans les arrêts Ilaşcu et autres et Al-Skeini et
autres (tous deux précités). La volonté des Etats contractants, telle qu’exprimée
dans le libellé de l’article 1 de la Convention, aurait été qu’en l’absence d’une
déclaration expresse fondée sur l’article 56 la juridiction de chaque Etat se
limite à ses frontières territoriales. Subsidiairement, l’approche suivie par
la Cour dans l’affaire Banković et autres c. Belgique et 16 autres Etats
contractants ((déc.) [GC], no 52207/99, CEDH 2001‑XII)
constituerait une interprétation plus correcte en ce qu’elle reconnaîtrait qu’il
ne peut y avoir exercice extraterritorial de la juridiction que dans des circonstances
exceptionnelles. Pour le gouvernement russe, la juridiction peut
exceptionnellement s’étendre hors du territoire lorsqu’un Etat contractant
exerce sur un autre territoire un contrôle effectif, équivalent au niveau de
contrôle exercé sur son propre territoire en temps de paix. Cette situation pourrait
englober les cas où l’Etat partie est soumis à une occupation longue et stable
ou les cas où un territoire est contrôlé de manière effective par un
gouvernement légitimement considéré comme un organe de l’Etat partie concerné,
conformément au critère appliqué par la Cour internationale de justice dans l’affaire relative à l’Application de la Convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)
(paragraphe 76 ci-dessus). Selon le gouvernement russe, on ne peut affirmer que
la Fédération de Russie exerce sa juridiction dans le cas présent, le
territoire étant contrôlé par un gouvernement de facto qui n’est ni un organe ni un instrument de la Fédération
de Russie.
97. Plus subsidiairement
encore, le gouvernement russe
estime qu’il faut distinguer l’espèce des affaires antérieures, rien ne montrant
selon lui qu’il y ait eu un quelconque acte extraterritorial des autorités
russes. A l’inverse, dans l’affaire Al-Skeini et autres, par exemple, la Cour aurait jugé que
les proches des requérants relevaient de la juridiction du Royaume-Uni parce qu’ils
avaient été tués par des militaires britanniques. Même dans l’arrêt Ilaşcu et autres, la Cour se serait appuyée sur
deux arguments pour conclure que les faits relevaient de la juridiction de la
Fédération de Russie : elle aurait déclaré, premièrement, que la
« RMT » se trouvait sous l’influence dominante de la Fédération de
Russie et, deuxièmement, que les requérants avaient été arrêtés, puis remis à
la « RMT », par des soldats russes. Dans Ilaşcu et
autres, la Cour aurait fondé sa décision sur le fait que la Fédération de
Russie avait été directement impliquée dans l’arrestation des intéressés et, après
la ratification de la Convention, n’avait pas déployé des efforts suffisants pour
assurer leur remise en liberté. En l’espèce, il n’y aurait pas de lien de
causalité entre la présence des forces russes en Transnistrie et le traitement
réservé aux écoles des requérants. Au contraire, le gouvernement russe aurait tenté
de résoudre la crise des écoles en intervenant en qualité de médiateur. De
plus, rien ne prouverait que la Fédération de Russie exerce un contrôle
militaire ou politique effectif en Transnistrie. Pour le gouvernement russe, si
la Cour devait conclure en l’espèce à l’exercice de sa juridiction par la
Fédération de Russie, cela signifierait dans la pratique que la responsabilité
de cet Etat se trouverait engagée au regard de la Convention pour toute
violation qui se produirait en Transnistrie, ce malgré le caractère
insignifiant de la présence militaire russe dans cette région. La Cour devrait dès
lors conclure que les faits incriminés ne relèvent pas de la juridiction de la
Fédération de Russie au sens de l’article 1 de la Convention.
98. Le gouvernement russe ne fournit pas de chiffres concernant la
quantité d’armes toujours stockées à Colbaşna, en Transnistrie. Il soutient toutefois que la
plupart des armes, munitions et équipements militaires ont été retirés de 1991 à
2003. En 2003, après le refus du gouvernement moldave de signer le mémorandum
sur la création d’un Etat moldave uni (« le mémorandum de Kosak »), la « RMT » aurait bloqué tout
autre retrait. Le gouvernement russe aurait également besoin de la coopération des
autorités moldaves, qui auraient bloqué la ligne de chemin de fer reliant la
Transnistrie au territoire contrôlé par la Moldova. A l’heure actuelle, seuls
des obus, des grenades, des mortiers et des munitions de petit calibre seraient
stockés dans les entrepôts. Plus de 60 % de ce matériel devrait être
détruit au terme de sa période de garantie ; le gouvernement russe n’indique
toutefois aucune époque précise à cet égard. De plus, la destruction ne serait possible
qu’à condition que l’on parvienne à un accord sur la sécurité environnementale.
Le gouvernement russe expose que d’un côté il a l’obligation de protéger le
dépôt d’armes et de le défendre contre les vols, mais que de l’autre on le
presse de retirer le millier de militaires stationnés en Transnistrie pour surveiller
ce stock. Outre ce petit contingent, environ 1 125 soldats russes appartenant
à la force de maintien de la paix négociée
au plan international seraient basés dans la zone de sécurité, qui s’étendrait
sur 225 km de long et 12 à 20 km de large. Pour le gouvernement russe, la
présence de quelques centaines de soldats russes chargés de garder les
entrepôts militaires et de veiller au maintien de la paix ne peut manifestement
pas être l’instrument d’un contrôle global effectif en Transnistrie.
99. Le
gouvernement russe se défend de fournir un quelconque soutien économique à la « RMT ».
Concernant l’approvisionnement en gaz, il soutient que la « RMT » ne
peut avoir de dettes souveraines, parce qu’elle n’est pas reconnue comme une
entité distincte en droit international, et que la Russie ne livre pas du gaz
séparément à la Moldova et à la Transnistrie. La facture pour le gaz fourni à
la Transnistrie serait donc à la charge de la Moldova. L’approvisionnement de
la région en gaz serait organisé par l’intermédiaire de l’entreprise publique
russe Gazprom et de la société par actions Moldovagaz,
qui appartiendrait conjointement à la Moldova et à la « RMT ». La
dette de Moldovagaz à l’égard de la Russie
dépasserait 1,8 milliard d’USD, dont 1,5 milliard pour le gaz consommé en
Transnistrie. Gazprom ne pourrait pas simplement refuser de fournir du gaz à la
région, car elle aurait besoin des pipelines traversant la Moldova pour
approvisionner les Etats des Balkans. Des négociations complexes sur le
remboursement de la dette se poursuivraient entre Gazprom et Moldovagaz. En 2003-2004, une solution aurait été proposée :
la « RMT » permettrait à la Russie de procéder au retrait de matériel
militaire d’une valeur de 100 millions d’USD, en échange de quoi la Russie
effacerait le montant correspondant de la dette du gaz. Cependant, ce plan n’aurait
jamais été mis en œuvre car à partir de ce moment-là les relations se seraient
dégradées entre la Moldova et la « RMT » et aucune des deux parties ne
se serait montrée disposée à marquer son accord. Le gouvernement russe nie l’existence
de contrats distincts pour l’approvisionnement en gaz de la Moldova et de la
Transnistrie et, selon lui, Gazprom n’a pas la possibilité de fixer des tarifs
différents pour les consommateurs de chaque région du pays. Depuis 2008, la
Moldova serait tenue de payer le gaz aux tarifs européens et ne bénéficierait
plus de tarifs internes préférentiels.
100. Concernant
l’aide financière, le montant alloué à des fins humanitaires (versement de
pensions et soutien à la restauration en milieu scolaire, carcéral ou
hospitalier) aux ressortissants russes vivant dans la région serait
parfaitement transparent et comparable à l’aide humanitaire dispensée par l’Union
européenne. La Russie fournirait une assistance non seulement à la population
de Transnistrie, mais également aux habitants d’autres régions de la Moldova.
En outre, le gouvernement russe dément avoir jamais imposé des sanctions
économiques à la Moldova à raison de sa position vis-à-vis de la
« RMT » et argue que ce sont le président et le gouvernement qui sont
responsables de la politique économique, et non la Douma. Les restrictions à l’importation
de vin de Moldova appliquées en mars 2006 auraient été décidées après la
découverte d’infractions aux normes sanitaires. Les importations de vin moldave
auraient repris le 1er novembre 2007, à la suite d’une
expertise. Les autorités de la Fédération de Russie considéreraient la
République de Moldova comme un Etat unique et elles n’auraient pas d’arrangements
commerciaux et économiques séparés avec la Transnistrie.
101. Sur
la question du soutien politique, le gouvernement russe plaide qu’au regard du
droit international, même si l’on pouvait démontrer que la Russie a apporté un appui
politique significatif aux autorités de la « RMT », cela n’établirait
pas la responsabilité de la Russie pour les violations des droits de l’homme
commises par lesdites autorités. Il serait absurde de dire, en présence d’une administration
locale investie d’un mandat démocratique, que tout pouvoir extérieur qui la
soutient est responsable des violations des droits de l’homme commises par
elle.
1. Principes
généraux relatifs à la juridiction au sens de l’article 1 de la Convention
102. L’article 1 de la
Convention est ainsi libellé :
« Les
Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur
juridiction les droits et libertés définis au titre I de la (...)
Convention. »
103. La Cour a établi un
certain nombre de principes clairs dans sa jurisprudence relative à l’article
1. Ainsi, aux termes de cette disposition, l’engagement des Etats contractants
se borne à « reconnaître » (en anglais « to secure ») aux personnes relevant
de leur « juridiction » les droits et libertés énumérés (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989,
§ 86, série A no 161 ; Banković et autres, décision précitée, § 66). La « juridiction »
au sens de l’article 1 est une condition sine
qua non. Elle doit avoir été exercée pour qu’un Etat contractant puisse
être tenu pour responsable des actes ou omissions à lui imputables qui sont à l’origine
d’une allégation de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention
(Ilaşcu et autres, précité § 311 ; Al-Skeini et
autres, précité, § 130).
104. La
juridiction d’un Etat, au sens de l’article 1, est principalement territoriale
(Soering,
précité, § 86 ; Banković et autres, décision précitée,
§§ 61 et 67 ; Ilaşcu et autres, précité, § 312 ; Al-Skeini et
autres, précité, § 131). Elle est présumée s’exercer normalement sur l’ensemble
du territoire de l’Etat (Ilaşcu et autres, précité, § 312, et Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01,
§ 139, CEDH 2004-II). A l’inverse, les actes des Etats contractants accomplis
ou produisant des effets en dehors de leur territoire ne peuvent que dans des
circonstances exceptionnelles s’analyser en l’exercice par eux de leur
juridiction au sens de l’article 1 (Banković et
autres, décision précitée, § 67, et Al-Skeini et autres, précité, § 131).
105. A ce
jour, la Cour a reconnu un certain nombre de circonstances exceptionnelles
susceptibles d’emporter exercice par l’Etat contractant de sa juridiction à l’extérieur
de ses propres frontières. Dans chaque cas, c’est au regard des faits particuliers
de la cause qu’il faut apprécier l’existence de pareilles circonstances
exigeant et justifiant que la Cour conclue à un exercice extraterritorial de sa
juridiction par l’Etat (Al-Skeini et autres, précité, § 132).
106. Le
principe voulant que la juridiction de l’Etat contractant au sens de l’article
1 soit limitée à son propre territoire connaît une exception lorsque, par suite
d’une action militaire – légale ou non –, l’Etat exerce un contrôle effectif
sur une zone située en dehors de son territoire. L’obligation d’assurer dans
une telle zone le respect des droits et libertés garantis par la Convention
découle du fait de ce contrôle, qu’il s’exerce directement, par l’intermédiaire
des forces armées de l’Etat ou par le biais d’une administration locale
subordonnée (Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires),
23 mars 1995, § 62, série A no 310 ; Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, § 76, CEDH
2001-IV ; Banković et autres, décision précitée, § 70 ;
Ilaşcu et autres, précité, §§ 314-316 ; Loizidou c. Turquie (fond), 18 décembre
1996, § 52, Recueil des arrêts et
décisions 1996‑VI, et Al‑Skeini et autres, précité, § 138). Dès lors qu’une
telle mainmise sur un territoire est établie, il n’est pas nécessaire de
déterminer si l’Etat contractant qui la détient exerce un contrôle précis sur
les politiques et actions de l’administration locale qui lui est subordonnée.
Du fait qu’il assure la survie de cette administration grâce à son soutien
militaire et autre, cet Etat engage sa responsabilité à raison des politiques
et actions entreprises par elle. L’article 1 lui fait obligation de reconnaître
sur le territoire en question la totalité des droits matériels énoncés dans la
Convention et dans les Protocoles additionnels qu’il a ratifiés, et les
violations de ces droits lui sont imputables (Chypre c. Turquie, précité, §§ 76-77 ; Al-Skeini et
autres, précité, § 138).
107. La
question de savoir si un Etat contractant exerce ou non un contrôle effectif
sur un territoire hors de ses frontières est une question de fait. Pour se
prononcer, la Cour se réfère principalement au nombre de soldats déployés par l’Etat
sur le territoire en cause (Loizidou (fond), précité, §§ 16 et 56, et Ilaşcu et autres, précité, § 387). D’autres
éléments peuvent aussi entrer en ligne de compte, par exemple la mesure dans
laquelle le soutien militaire, économique et politique apporté par l’Etat à l’administration
locale subordonnée assure à celui-ci une influence et un contrôle dans la région
(Ilaşcu et autres, précité, §§ 388-394 ; Al-Skeini et autres, précité, § 139).
2. Application de ces principes aux faits de la cause
108. Il
convient à ce stade de rappeler les principaux faits de la cause. Les
requérants sont des enfants et des parents appartenant à la communauté moldave
de Transnistrie qui se plaignent des effets produits sur leur éducation et leur
vie familiale par la politique linguistique des autorités séparatistes. L’essentiel
de leurs griefs porte sur les mesures prises par les autorités de la
« RMT » en 2002 et en 2004 aux fins de la mise en œuvre de décisions
adoptées quelques années plus tôt qui interdisaient l’usage de l’alphabet latin
dans les établissements scolaires et imposaient à l’ensemble de ceux-ci l’obligation
de se faire enregistrer, de suivre un programme approuvé par la
« RMT » et d’utiliser l’alphabet cyrillique. Ainsi, le 22 août 2002,
la police de la « RMT » expulsa de force les élèves et les
enseignants de l’établissement
scolaire Ştefan cel
Mare à Grigoriopol. L’école, qui ne fut pas autorisée
à rouvrir dans le même bâtiment, fut par la suite transférée à une vingtaine de
kilomètres de là, sur le territoire contrôlé par la Moldova. En juillet 2004,
les élèves et le personnel de l’école Evrica à Rîbniţa furent expulsés de l’établissement.
Au cours du même mois, l’école Alexandru cel Bun à Tighina fut menacée de fermeture et se vit couper
ses raccordements à l’eau et à l’électricité. Au début de l’année scolaire
suivante, les deux écoles durent s’installer dans des locaux moins adaptés et
moins bien équipés situés dans leurs villes d’origine.
a) La
République de Moldova
109. La
Cour doit tout d’abord déterminer si l’affaire relève de la juridiction de la
République de Moldova. Elle observe à cet égard que les trois établissements scolaires
concernés ont toujours été situés sur le territoire moldave. Il est vrai – comme
l’admettent l’ensemble des parties – que la Moldova n’exerce aucune autorité sur la portion de son
territoire située à l’est du Dniestr, qui est contrôlée par la
« RMT ». Néanmoins, dans l’arrêt Ilaşcu et autres, précité, la Cour
a dit que des individus détenus en Transnistrie relevaient de la juridiction de
la Moldova du fait que la Moldova était l’Etat territorial même si elle n’exerçait
pas un contrôle effectif sur la région transnistrienne.
L’obligation incombant à la Moldova, en vertu de l’article 1 de la Convention,
de « reconna[ître] à
toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et
libertés [garantis par la Convention] » se limitait toutefois, dans
les circonstances de l’affaire, à l’obligation positive de prendre les mesures
qui étaient en son pouvoir et en conformité avec le droit international, qu’elles
fussent d’ordre diplomatique, économique, judiciaire ou autre (Ilaşcu et autres, précité, § 331). La Cour est
parvenue à une conclusion similaire dans l’arrêt Ivanţoc et autres c. Moldova et Russie (no 23687/05,
§§ 105-111, 15 novembre 2011).
110. La Cour ne voit aucune raison de distinguer la présente espèce
des autres affaires. Bien que la Moldova n’exerce pas un contrôle effectif sur
les actes de la « RMT » en Transnistrie, le fait qu’au regard du droit international public la région est
reconnue comme faisant partie du territoire de la Moldova engendre pour
celle-ci une obligation, fondée sur l’article 1 de la Convention, d’user de
tous les moyens légaux et diplomatiques dont elle dispose pour continuer à
garantir aux personnes qui vivent dans la région la jouissance des droits et libertés
énoncés dans la Convention (Ilaşcu et autres,
précité, § 333). La Cour recherchera ci-après
si la Moldova a satisfait à cette obligation positive.
b) La
Fédération de Russie
111. La
Cour doit ensuite déterminer si les requérants relèvent également de la juridiction
de la Fédération de Russie. Elle prend pour point de départ le fait que les
événements clés de l’affaire, à savoir les épisodes d’expulsion forcée des
écoles, se sont déroulés entre août 2002 et juillet 2004. Ces deux années entrent
dans la période examinée par la Cour dans l’arrêt Ilaşcu et autres (précité), rendu en juillet 2004. Il est vrai que dans
cette affaire la Cour avait jugé pertinent, pour rechercher si la juridiction
de la Fédération de Russie était en cause, le fait qu’en 1992 MM. Ilaşcu, Leşco,
Ivanţoc et Petrov-Popa
avaient été arrêtés, détenus et soumis à des mauvais traitements par des
soldats de la 14e armée, qui les avaient ensuite remis à la « RMT ».
La Cour avait considéré que ces actes, bien qu’antérieurs à la date de la ratification
de la Convention par la Russie (5 mai 1998), s’inscrivaient dans une chaîne continue
et ininterrompue de responsabilité de la part de la Fédération de Russie quant
au sort des détenus. La Cour avait ajouté que, dans le cadre de cette chaîne de
responsabilité, les autorités de la Fédération de Russie avaient, lors du
soulèvement survenu en Transnistrie en 1991‑1992, contribué, tant
militairement que politiquement, à la création d’un régime séparatiste (Ilaşcu et autres, précité, § 382). En
outre, elle avait estimé que, pendant la période comprise entre mai 1998, époque
de la ratification de la Convention par la Russie, et mai 2004, époque de l’adoption
de l’arrêt par la Cour, la « RMT » avait survécu grâce au soutien
militaire, économique, financier et politique fourni par la Fédération de
Russie, et avait continué à se trouver sous l’autorité effective, ou tout au
moins sous l’influence décisive, de la Russie (ibidem, § 392). La Cour en avait conclu que les requérants
relevaient de la « juridiction » de la Fédération de Russie aux fins
de l’article 1 de la Convention (ibidem,
§§ 393-394).
112. Dès lors qu’elle
a déjà eu l’occasion de conclure que certains faits survenus en Transnistrie
pendant la période en question relevaient de la juridiction de la Fédération de
Russie, la Cour considère qu’il appartient à présent au gouvernement russe d’établir
que la Russie n’exerçait pas sa juridiction en Transnistrie à l’époque des événements
incriminés par les requérants en l’espèce.
113. Le
gouvernement russe conteste que la Russie exerçât sa juridiction en Transnistrie
pendant la période pertinente. Il estime tout d’abord que le cas d’espèce se
distingue clairement de l’affaire Ilaşcu et autres,
précitée, dans laquelle la Cour aurait conclu que c’étaient des soldats russes qui
avaient procédé à l’arrestation initiale et à la mise en détention des requérants,
ainsi que de l’affaire Al-Skeini et autres, également précitée, dans laquelle elle
aurait jugé que la juridiction du Royaume-Uni était en cause relativement aux civils
irakiens tués lors d’opérations de sécurité menées par des soldats britanniques.
114. La
Cour rappelle qu’elle a déclaré qu’un Etat peut, dans certaines circonstances
exceptionnelles, exercer une juridiction extraterritoriale par l’affirmation,
au travers de ses agents, de son autorité et de son contrôle sur un individu ou
des individus, comme cela s’est produit par exemple dans l’affaire Al-Skeini et
autres (arrêt précité, § 149). Elle a toutefois également dit qu’il peut y
avoir exercice extraterritorial de sa juridiction par un Etat lorsque, par
suite d’une action militaire – légale ou non –, cet Etat exerce un contrôle
effectif sur une zone située en dehors de son territoire (paragraphe 106
ci-dessus). La Cour admet que rien n’indique que des agents russes aient été
directement impliqués dans les mesures prises contre les écoles des requérants.
Dès lors toutefois que les requérants soutiennent que la Russie exerçait un
contrôle effectif sur la « RMT » pendant la période pertinente, elle
doit rechercher si tel était ou non le cas.
115. Le
gouvernement russe soutient que la Cour ne peut conclure à l’exercice par la
Russie d’un contrôle effectif que si elle estime que le « gouvernement »
de la « RMT » peut passer pour un organe de l’Etat russe, suivant l’approche
adoptée par la Cour internationale de justice dans l’affaire
relative à l’Application de la Convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)
(paragraphe 76 ci-dessus). La Cour rappelle que dans celle-ci la Cour internationale
de justice devait
déterminer à quel moment un Etat pouvait se voir attribuer le comportement d’une
personne ou d’un groupe de personnes, de sorte qu’il pût être tenu pour
responsable au regard du droit international du comportement en cause. Or en l’espèce
la Cour est appelée à connaître d’une question différente, celle de savoir si des
faits incriminés par un requérant relevaient de la juridiction d’un Etat
défendeur au sens de l’article 1 de la Convention. Comme le montre le bref exposé de la jurisprudence de la Cour
livré ci-dessus, les critères permettant d’établir l’existence de la « juridiction »
au sens de l’article 1 de la Convention n’ont jamais été assimilés aux critères
permettant d’établir la responsabilité d’un Etat concernant un fait
internationalement illicite au regard du droit international.
116. Dans les circonstances
de l’espèce, la Cour doit déterminer si, en fait, la Russie exerçait un
contrôle effectif sur la « RMT » pendant la période allant d’août
2002 à juillet 2004. Elle s’appuiera pour ce faire sur l’ensemble des éléments qui
lui ont été fournis ou, au besoin, sur des éléments recueillis d’office (voir, mutatis
mutandis, Saadi c. Italie [GC], no 37201/06,
§ 128, CEDH 2008).
117. Le
gouvernement russe soutient que sa présence militaire en Transnistrie pendant
la période pertinente était insignifiante : elle se serait limitée à quelque
1 000 soldats du GOR chargés de surveiller le dépôt d’armes de Colbaşna, plus 1 125 militaires stationnés à l’intérieur
de la zone de sécurité dans le cadre de la force de maintien de la paix négociée
au plan international. Dans l’arrêt Ilaşcu et autres (précité,
§ 131), la Cour avait constaté qu’en 2002 on comptait environ 1 500 membres
du GOR chargés de garder le dépôt d’armes. Le nombre de soldats russes n’est
pas contesté par les autres parties à l’affaire (paragraphe 37 ci-dessus). Quant
au dépôt d’armes de Colbaşna, il est impossible de déterminer
précisément quels étaient sa taille et son contenu pendant la période allant de
2002 à 2004, le gouvernement russe n’ayant pas fourni à la Cour les
informations détaillées sollicitées par elle et aucun observateur indépendant n’ayant
été autorisé à se rendre sur place. Cependant, dans l’arrêt précité (ibidem), la Cour s’était référée à des éléments
selon lesquels le GOR disposait en 2003 d’au moins 200 000 tonnes d’équipement
militaire et de munitions en Transnistrie, ainsi que de 106 chars de combat, 42
véhicules blindés de combat, 109 véhicules blindés de transport de troupes, 54
véhicules blindés de reconnaissance, 123 canons et mortiers, 206 armes
antichars, 226 armes antiaériennes, 9 hélicoptères et 1 648 véhicules
divers.
118. La Cour
admet qu’en 2002-2004 l’effectif militaire russe basé en Transnistrie avait déjà
beaucoup diminué (Ilaşcu et autres, précité, § 387) et
était modeste au regard de la superficie du territoire. Cependant, ainsi qu’elle
l’a constaté dans l’arrêt Ilaşcu et autres
(ibidem), l’importance militaire de l’armée russe dans
la région et son rôle dissuasif subsistaient, compte tenu du
poids de l’arsenal de Colbaşna. De plus, concernant à la fois le dépôt d’armes et les
troupes, la Cour considère qu’il existe un lien important entre le contexte
historique et la situation qui prévalait pendant la période examinée en l’espèce.
On ne saurait oublier que dans l’arrêt Ilaşcu et autres
la Cour a dit que les séparatistes n’avaient pu arriver au pouvoir en 1992 que grâce
à l’appui de l’armée russe. Le dépôt d’armes de Colbaşna
appartenait au départ à la 14e armée de l’URSS, et la Cour a estimé
établi au-delà de tout doute raisonnable que pendant le conflit armé les
séparatistes avaient pu, avec le soutien du personnel de la 14e
armée, s’équiper grâce à ce dépôt. La Cour a par ailleurs jugé que le transfert
massif, en faveur des séparatistes, d’armes et de munitions de l’arsenal de la
14e armée avait joué un rôle crucial et empêché l’armée moldave de
reprendre le contrôle de la Transnistrie. De plus, la Cour a constaté que
depuis le début du conflit de nombreux ressortissants russes venus d’ailleurs,
en particulier des Cosaques, avaient afflué en Transnistrie pour se battre aux
côtés des séparatistes contre les forces moldaves. Enfin, elle a considéré qu’en
avril 1992 l’armée russe basée en Transnistrie (GOR) était intervenue dans le
conflit en permettant aux séparatistes de reprendre Tighina.
119. Le
gouvernement russe n’a fourni à la Cour aucun élément dont il ressortirait que ces
constats formulés dans l’arrêt Ilaşcu et autres
ne sont pas fiables. Dès lors qu’elle a jugé que le régime séparatiste n’avait
été établi à l’origine que grâce au soutien militaire russe, la Cour estime qu’en
maintenant sur le territoire moldave le dépôt d’armes – ce dans le plus grand
secret et en violation de ses obligations internationales – ainsi qu’un millier
d’hommes chargés de le défendre, la Russie a clairement signalé qu’elle
continuait à fournir son appui au régime de la « RMT ».
120. Cela
a été dit ci-dessus, la Cour a également considéré dans l’arrêt Ilaşcu et autres que la « RMT » n’avait
survécu pendant la période en question que grâce au soutien, économique notamment,
de la Russie (paragraphe 111 ci-dessus). Elle estime que le gouvernement russe
n’a pas réussi à démontrer, comme cela lui incombait, que ce constat était
erroné. En particulier, il ne nie pas que l’entreprise publique russe Gazprom
fournissait du gaz à la région et que la « RMT » ne payait qu’une petite
partie du gaz consommé, que ce fût par chaque foyer ou par les grands complexes
industriels implantés en Transnistrie, dont la Cour a constaté que beaucoup appartenaient
à la Russie (paragraphes 39-40 ci-dessus). Le gouvernement russe reconnaît qu’il
dépense chaque année des millions de dollars américains en aide humanitaire destinée
à la population de Transnistrie, notamment par le versement de pensions de retraite
et un soutien financier aux écoles, aux hôpitaux et aux prisons. L’information
– fournie par le gouvernement moldave et non contestée par le gouvernement
russe – selon laquelle seule une proportion de 20 % environ de la
population de la « RMT » est économiquement active permet de mieux se
rendre compte de l’importance des pensions russes et d’autres types d’aide pour
l’économie locale. Enfin, la Cour observe que le gouvernement russe ne conteste
pas l’exactitude des chiffres soumis par les requérants au sujet de la
nationalité, dont il ressort que près d’un cinquième des habitants de la région
contrôlée par la « RMT » ont obtenu la nationalité russe (paragraphes
41-42 ci-dessus).
121. Il s’ensuit,
en résumé, que le gouvernement russe n’a pas convaincu la Cour que les
conclusions auxquelles elle était parvenue en 2004 dans l’arrêt Ilaşcu et autres (précité) étaient erronées. La
« RMT » avait été établie grâce au soutien militaire russe. Le
maintien de la présence de militaires et d’armes russes dans la région indiquait
clairement aux dirigeants de la « RMT », au gouvernement moldave et
aux observateurs internationaux que la Russie continuait à fournir un soutien militaire
aux séparatistes. De surcroît, la population était tributaire d’un approvisionnement
gratuit ou fortement subventionné en gaz, du versement de pensions et d’autres
types d’aide financière de la part de la Russie.
122. La
Cour confirme donc les conclusions formulées par elle dans son arrêt Ilaşcu et autres (précité) et selon lesquelles
de 2002 à 2004 la « RMT » n’avait pu continuer à exister – en
résistant aux efforts déployés par la Moldova et les acteurs internationaux pour
régler le conflit et rétablir la démocratie et la primauté du droit dans la
région – que grâce à l’appui militaire, économique et politique de la
Russie. Dès lors, le degré élevé de dépendance de la « RMT » à l’égard
du soutien russe constitue un élément solide permettant de considérer que la
Russie exerçait un contrôle effectif et une influence décisive sur l’administration
de la « RMT » à l’époque de la crise des écoles.
123. Il s’ensuit
que les requérants en l’espèce relevaient de la juridiction de la Russie au
sens de l’article 1 de la Convention. La Cour doit à présent déterminer s’ils
ont eu à subir une violation de leurs droits protégés par la Convention de
nature à engager la responsabilité des Etats défendeurs.
II. SUR LA VIOLATION
ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
124. L’article 2 du Protocole
no 1 à la Convention dispose :
« Nul ne peut se
voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il
assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le
droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à
leurs convictions religieuses et philosophiques. »
125. Les requérants estiment
que la Cour devrait saisir l’occasion qui se présente à elle pour développer sa
jurisprudence relative à l’article 2 du Protocole no 1 en tenant
compte des normes internationales sur le droit à l’éducation, par exemple de l’article
26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de l’article 13 § 1 du
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de l’article
29 § l a) de la Convention relative aux droits de l’enfant, qui énoncent tous
que l’éducation doit viser au « plein épanouissement de la personnalité
humaine ». Renvoyant à l’arrêt Timichev c. Russie
(nos 55762/00 et 55974/00, § 64, CEDH 2005-XII), ils soutiennent que
la Cour s’est déjà appuyée sur lesdits instruments pour reconnaître l’importance
de l’éducation pour le développement de l’enfant. L’éducation aurait également
pour objet de permettre à l’individu de fonctionner dans la société et d’y
participer, d’abord en tant qu’enfant puis, plus tard, en tant qu’adulte. Une
éducation qui n’atteindrait pas ces objectifs risquerait d’entraver l’accès de
l’enfant aux possibilités existantes ainsi que sa capacité à échapper à la
pauvreté et à jouir d’autres droits fondamentaux. L’usage de la langue serait intrinsèquement
lié à ces priorités éducatives.
126. Les
principaux incidents évoqués par les requérants auraient eu lieu entre 2002 et 2004,
à une époque où les établissements scolaires auraient été contraints de fermer
leurs portes puis de reprendre leurs activités dans d’autres locaux. Les
requérants ont soumis des déclarations écrites sous serment exposant les
répercussions qu’auraient eues sur chacun d’eux les mesures prises par la « RMT »
contre les écoles. Pendant l’été 2004, les écoles auraient été fermées,
occupées, puis prises d’assaut par la police de la « RMT ». Des enseignants
auraient été arrêtés et détenus, le matériel pédagogique utilisant l’alphabet
latin aurait été saisi et détruit. Certains parents auraient perdu leur emploi pour
avoir décidé d’envoyer leurs enfants dans des écoles enseignant en langue
moldave.
127. La
situation des requérants n’aurait pas beaucoup évolué depuis lors. La loi
interdisant l’usage de l’alphabet latin serait toujours en vigueur, et une
personne enseignant en moldave/roumain s’exposerait à des actes de harcèlement
et à des poursuites pénales. A la suite des incidents de 2002 et de 2004, de
nombreux parents auraient abandonné la lutte menée par eux en faveur de l’instruction
de leurs enfants en moldave/roumain. Les parents persévérants auraient été
contraints d’accepter que la qualité de l’enseignement soit amoindrie par l’absence
de locaux adéquats, la longueur des trajets scolaires, la pénurie de matériel,
le défaut d’accès aux activités parascolaires, des actes persistants de
harcèlement, de vandalisme contre les locaux scolaires et d’intimidation, ainsi
que des injures. La solution de remplacement offerte par les autorités de la « RMT »
aux élèves parlant moldave/roumain aurait été de suivre un enseignement en
« moldavien »
(moldave/roumain écrit avec l’alphabet cyrillique). Or, cette langue n’étant reconnue
nulle part ailleurs qu’en Transnistrie et n’étant pas même employée par l’administration
de la « RMT », le matériel pédagogique existant daterait de l’époque
soviétique, et les possibilités de suivre des études supérieures ou de trouver
un emploi en seraient diminuées.
128. Le refus
des autorités de la « RMT » de maintenir un enseignement dans la
langue dominante et officielle de l’Etat territorial toucherait de toute
évidence à la substance même du droit à l’instruction. Par ailleurs, la « RMT »
n’aurait pas cherché à tenir compte de la population de souche moldave en
permettant le libre accès à des écoles privées où les enfants auraient pu recevoir
un enseignement dans leur propre langue. Les requérants comparent leur
situation à celle de la population grecque enclavée dont il était question dans
l’affaire Chypre c. Turquie (arrêt [GC],
précité, § 278). En outre, les parents requérants se plaignent d’une
atteinte à leur droit au respect de leurs convictions philosophiques, eu égard
à la manière dont l’Etat assure l’enseignement ; ils mentionnent en particulier
leur conviction que l’intérêt supérieur de leurs enfants est de recevoir une
instruction dans la langue moldave.
129. Pour
les requérants, la Moldova avait l’obligation positive de prendre toutes les
mesures raisonnables et appropriées qui s’imposaient pour maintenir et préserver
l’enseignement en langue moldave sur l’ensemble de son territoire. En ce qui concerne
le respect par la Moldova de cette obligation positive, le sort des écoles
utilisant l’alphabet latin n’aurait pas figuré au nombre des conditions du règlement
du conflit lors des négociations multilatérales et ne semblerait pas avoir fait
partie des doléances adressées aux autorités de la « RMT » et au
gouvernement russe. De plus, les responsables de la « RMT » pourraient
librement traverser la Moldova alors que l’UE aurait interdit son territoire aux
membres haut placés du pouvoir de la « RMT », ce expressément en
raison notamment du sort réservé aux écoles employant l’alphabet latin. En
outre, le gouvernement moldave n’aurait pas déployé suffisamment d’efforts pour
permettre aux enfants de retrouver des locaux scolaires adéquats et pour les protéger
contre le harcèlement.
130. Les
violations commises en l’espèce auraient un lien direct et ininterrompu avec la
mise en place de l’administration de la « RMT » par la Fédération de
Russie et le soutien constant que celle-ci lui apporte. Rien n’indiquerait que la
Russie ait pris des mesures pour prévenir les violations ou s’élever contre elles.
Au contraire, elle soutiendrait la politique éducative de la « RMT »
en fournissant du matériel pédagogique aux écoles russophones de la région, en
reconnaissant les diplômes délivrés par les écoles russophones de la « RMT »
et en ouvrant en Transnistrie des établissements d’enseignement supérieur, sans
consulter le gouvernement moldave.
131. Le
gouvernement moldave déclare ne pas disposer d’informations précises sur l’évolution
de la situation des requérants. Il confirme toutefois que, même si la phase
initiale de la crise semble révolue et si les choses se sont « normalisées »,
les effectifs de chacun des trois établissements scolaires concernés ont
continué de baisser. Ainsi, le nombre d’élèves des écoles Alexandru
cel Bun et Evrica aurait
quasiment diminué de moitié de 2007 à 2011, tandis que les effectifs de l’établissement Ştefan cel Mare seraient demeurés
relativement stables. Globalement, le nombre d’élèves étudiant en langue
moldave/roumaine en Transnistrie serait passé de 2 545 en 2009 à 1 908
en 2011.
132. Le
gouvernement moldave affirme avoir pris toutes les mesures raisonnables pour
améliorer la situation, tant en ce qui concerne le conflit transnistrien
en général qu’en ce qui concerne son appui aux établissements scolaires en
particulier. La Moldova n’aurait jamais ni soutenu ni conforté le régime
séparatiste transnistrien. Le seul but du
gouvernement moldave serait de régler le conflit, de rétablir son contrôle sur
le territoire et d’y restaurer l’état de droit et le respect des droits de l’homme.
133. En ce
qui concerne les écoles elles-mêmes, le gouvernement moldave aurait payé le
loyer et la rénovation des locaux, les salaires des enseignants, le matériel éducatif,
les autocars et les ordinateurs. Conformément au droit moldave, les requérants
en l’espèce, comme tous les diplômés d’écoles transnistriennes,
bénéficieraient d’avantages particuliers lorsqu’ils demandent à intégrer une université
ou un établissement d’enseignement supérieur moldave. Par ailleurs, le
gouvernement moldave aurait soulevé la question des écoles transnistriennes
au niveau international et aurait sollicité une aide et une médiation
internationales, par exemple lors de la conférence tenue en Allemagne en 2001
sous les auspices de l’UE et de l’OSCE. Arguant qu’il n’exerce ni une autorité
ni un contrôle effectifs sur le territoire en question, il estime que l’on ne peut
lui demander d’en faire davantage pour remplir son obligation positive à l’égard
des requérants.
134. Le
gouvernement moldave admet que les initiatives prises par la Moldova pour améliorer
la situation des requérants peuvent passer pour une reconnaissance implicite d’un
manquement aux droits des intéressés. Il ne défend donc pas la thèse de la non-violation
du droit à l’instruction en l’espèce, mais prie la Cour d’apprécier
soigneusement la responsabilité de chacun des Etats défendeurs à cet égard.
135. Le
gouvernement russe, qui nie toute responsabilité relativement aux actes de la « RMT »,
n’a soumis que des observations limitées sur le fond de l’affaire. Il estime
toutefois que la Russie ne peut être tenue pour responsable des actes commis
par la police de la « RMT » lors de la prise d’assaut des locaux scolaires,
ou de la coupure du raccordement de l’un des établissements à l’eau et à l’électricité
décidée par les autorités locales de la « RMT ». Dans la crise des
écoles, la Russie n’aurait joué que le rôle de médiateur. Avec les médiateurs ukrainiens
et de l’OSCE, elle aurait tenté d’aider les parties à résoudre le conflit. De
plus, à partir de septembre-octobre 2004, grâce à la médiation internationale,
les problèmes auraient été réglés et les élèves des trois écoles auraient pu
reprendre les cours.
136. En interprétant et en
appliquant l’article 2 du Protocole no 1, la Cour doit garder à
l’esprit que le contexte de cet article réside dans un traité pour la
protection effective des droits individuels de l’homme et que la Convention
doit se lire comme un tout et s’interpréter de manière à promouvoir sa
cohérence interne et l’harmonie entre ses diverses dispositions (Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos
65731/01 et 65900/01, § 48, CEDH 2005‑X ; Austin et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 39692/09,
40713/09 et 41008/09, § 54, 15 mars 2012). Dès lors, il faut lire les deux phrases
de l’article 2 du Protocole no 1 à la lumière non seulement l’une
de l’autre, mais aussi, notamment, des articles 8, 9 et 10 de la Convention qui
proclament le droit de toute personne, y compris les parents et les enfants, « au
respect de sa vie privée et familiale », à « la liberté de pensée, de
conscience et de religion » et à « la liberté de recevoir ou de
communiquer des informations ou des idées » (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, § 52,
série A no 23 ; Folgerø et autres c. Norvège [GC], no
15472/02, § 84, CEDH 2007‑III ; Lautsi et autres c.
Italie [GC], no 30814/06, § 60, CEDH 2011 ; voir également Chypre c. Turquie, précité, § 278). Dans l’interprétation et l’application
de l’article en question, il faut aussi tenir compte de toute règle et de tout
principe de droit international applicables aux relations entre les parties
contractantes, et la Convention doit autant que faire se peut s’interpréter de
manière à se concilier avec les autres règles du droit international, dont elle
fait partie intégrante (Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, §
55, CEDH 2001‑XI ; Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, § 67,
CEDH 2008 ; Saadi c. Royaume-Uni
[GC], no 13229/03, § 62, CEDH 2008 ; Rantsev c. Chypre et Russie, no 25965/04, §§ 273-274, CEDH
2010). Les dispositions relatives au droit à l’éducation énoncées dans la Déclaration
universelle des droits de l’homme, la Convention concernant la lutte contre la
discrimination dans le domaine de l’enseignement, le Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
et la Convention relative aux droits de l’enfant sont donc à prendre en
considération (paragraphes 77-81 ci-dessus ; voir aussi Timichev, précité,
§ 64). Enfin, la Cour souligne que l’objet et le but de la Convention, instrument
de protection des êtres humains, appellent à comprendre et appliquer ses
dispositions d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (voir
notamment Soering,
précité, § 87, et Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33,
série A no 37).
137. En s’engageant,
par la première phrase de l’article 2 du Protocole no 1, à ne
pas « refuser le droit à l’instruction », les Etats contractants
garantissent à quiconque relève de leur juridiction un droit d’accès aux
établissements scolaires existant à un moment donné (Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement
en Belgique » c. Belgique (fond), 23 juillet 1968, §§ 3 et 4,
série A no 6). Ce droit d’accès ne forme qu’une partie du droit à l’instruction
énoncé dans la première phrase. Pour qu’il produise des effets utiles, il faut
encore, notamment, que l’individu qui en est titulaire ait la possibilité de
tirer un bénéfice de l’enseignement suivi, c’est-à-dire le droit d’obtenir,
conformément aux règles en vigueur dans chaque Etat et sous une forme ou une
autre, la reconnaissance officielle des études accomplies (ibidem, § 4). De plus, bien que les termes de l’article 2 du Protocole no 1
ne spécifient pas la langue dans laquelle l’enseignement doit être
dispensé, le droit à l’instruction serait vide de sens s’il n’impliquait pas,
pour ses titulaires, le droit de recevoir un enseignement dans la
langue nationale ou dans une des langues nationales, selon le cas (ibidem, § 3).
138. Sur
le droit fondamental à l’instruction consacré par la première phrase se greffe
le droit énoncé par la seconde phrase de l’article. C’est aux parents qu’il
incombe en priorité d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants ;
en conséquence, les parents peuvent exiger de l’Etat le respect de leurs
convictions religieuses et philosophiques (ibidem,
§§ 3-5, et Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, § 52). La seconde phrase
vise à sauvegarder la possibilité d’un pluralisme éducatif, essentielle à la
préservation de la « société démocratique » telle que la conçoit la
Convention. Cette phrase implique que l’Etat, en s’acquittant des fonctions
assumées par lui en matière d’éducation et d’enseignement, veille à ce que les
informations ou connaissances figurant au programme soient diffusées de manière
objective, critique et pluraliste. Elle lui interdit de poursuivre un but d’endoctrinement
qui puisse être considéré comme ne respectant pas les convictions religieuses
et philosophiques des parents (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, §§ 50 et 53 ; Folgerø et autres, précité, § 84 ; Lautsi et autres, précité, § 62).
139. Les
droits énoncés à l’article 2 du Protocole no 1 s’appliquent aux
établissements publics comme privés (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, § 50). De plus, la Cour a
déclaré que cette disposition vaut pour les niveaux primaire, secondaire et
supérieur de l’enseignement (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no
44774/98, §§ 134 et 136, CEDH 2005‑XI).
140. La
Cour reconnaît toutefois que, pour important qu’il soit, le droit à l’instruction
n’est pas absolu mais peut donner lieu à des limitations. Celles‑ci
sont implicitement admises tant qu’il n’y a pas d’atteinte à la substance du
droit ; en effet, le droit d’accès « appelle de par sa nature même
une réglementation par l’Etat » (Affaire
« relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en
Belgique », arrêt précité, § 3). Afin de s’assurer que les limitations mises en œuvre ne réduisent pas le
droit dont il s’agit au point de l’atteindre dans sa substance même et de le
priver de son effectivité, la Cour doit se convaincre que celles-ci sont
prévisibles pour le justiciable et tendent à un but légitime. Toutefois, à la
différence des articles 8 à 11 de la Convention, l’article 2 du Protocole no 1
ne lie pas la Cour par une énumération exhaustive des « buts légitimes »
(voir, mutatis mutandis, Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99,
§ 36, CEDH 2002-II). En outre, une limitation ne se concilie avec ladite clause
que s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens
employés et le but visé (Leyla Şahin,
précité, § 154). S’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le
respect des exigences de la Convention, les Etats contractants jouissent d’une
certaine marge d’appréciation dans le domaine de l’instruction. Cette marge s’accroît
à mesure que l’on s’élève dans le niveau d’enseignement, et ce de manière
inversement proportionnelle à l’importance que revêt cet enseignement pour l’individu
et pour la société dans son ensemble (Ponomaryovi c. Bulgarie, no 5335/05,
§ 56, CEDH 2011).
141. La Cour relève que ni l’un
ni l’autre des gouvernements défendeurs ne contestent les allégations des
requérants relatives à la fermeture des établissements scolaires. D’ailleurs,
les principaux événements survenus en 2002 et en 2004 ont été observés et
attestés par un certain nombre d’organisations internationales, notamment l’OSCE
(paragraphe 66 ci‑dessus). Même si les écoles ont
par la suite été autorisées à rouvrir leurs portes, les requérants se plaignent
aussi de ce que les autorités de la « RMT » aient réquisitionné les bâtiments
des établissements en question, qui ont dû s’installer dans d’autres locaux,
moins bien équipés et moins bien situés. Les requérants affirment avoir été la
cible d’une campagne systématique de harcèlement et d’intimidation menée par
des représentants du régime de la « RMT » et par des
particuliers. Les enfants auraient été insultés sur le chemin de l’école et
arrêtés et fouillés par la police de la « RMT » et les
garde-frontières, qui auraient confisqué les manuels en alphabet latin trouvés
par eux. De plus, les deux écoles situées sur le territoire contrôlé par la « RMT »
auraient été la cible d’actes répétés de vandalisme. L’alternative, pour les
parents et les enfants appartenant à la communauté moldave, aurait consisté soit
à subir ce harcèlement soit à opter pour un établissement scolaire où l’enseignement
était dispensé en russe, en ukrainien ou en « moldavien »,
c’est-à-dire en moldave/roumain écrit avec l’alphabet cyrillique. Le « moldavien » ne serait ni utilisé ni reconnu ailleurs
dans le monde, bien qu’il eût été l’une des langues officielles de la Moldova à
l’époque soviétique. De ce fait, le seul matériel pédagogique à la disposition
des écoles de langue « moldavienne », dans la Transnistrie
actuelle, daterait de l’ère soviétique. Compte tenu de l’absence d’instituts ou
d’universités de langue « moldavienne »,
les enfants issus de telles écoles et désireux de faire des études supérieures seraient
contraints d’apprendre un nouvel alphabet ou une nouvelle langue.
142. Si la Cour a du mal à établir
précisément ce que les requérants ont vécu après la réouverture des écoles, elle
relève toutefois ce qui suit. Premièrement, l’article 6 de la « loi de la
RMT sur les langues » était en vigueur et l’usage de l’alphabet latin constituait
une infraction au sein de la « RMT » (paragraphe 43 ci-dessus).
Deuxièmement, il est clair que les établissements en question ont dû déménager dans
de nouveaux bâtiments : ainsi, les locaux de l’école Alexandru
cel Bun ont été répartis sur trois sites et les
élèves de l’établissement Ştefan cel Mare se sont trouvés contraints de parcourir chaque
jour quarante kilomètres. Troisièmement, selon des chiffres fournis par le
gouvernement moldave, entre 2007 et 2011 les effectifs des deux écoles demeurées
sur le territoire contrôlé par la « RMT » ont diminué de moitié
environ et le nombre d’élèves étudiant en moldave/roumain dans l’ensemble de la
Transnistrie a lui aussi considérablement chuté. Même s’il semble que la
population de Transnistrie soit vieillissante et que les Moldaves, en
particulier, aient tendance à émigrer (paragraphes 8 et 42 ci-dessus), la Cour
estime que la baisse de fréquentation de 50 % accusée par les écoles Evrica et Alexandru cel Bun est trop forte pour s’expliquer uniquement par des
facteurs démographiques. Pour la Cour, ces éléments incontestés viennent
corroborer l’essentiel des allégations formulées dans les quatre-vingt-une
déclarations sous serment dans lesquelles les parents et élèves requérants relatent
le harcèlement constant subi par eux.
143. De tout temps, les
écoles en question ont été enregistrées auprès du ministère moldave de l’Education,
ont suivi un programme établi par celui‑ci et
dispensé un enseignement dans la première langue officielle de la Moldova. C’est
pourquoi la Cour considère que la fermeture forcée des écoles, sur le fondement
de « loi de la RMT sur les langues » (paragraphes 43-44 ci-dessus), et
les mesures de harcèlement consécutives ont porté atteinte au droit d’accès
des élèves requérants aux
établissements scolaires qui existaient à un moment donné, ainsi qu’à leur droit de recevoir
un enseignement dans leur langue nationale
(paragraphe 137
ci-dessus). De plus, la Cour estime que les mesures en question s’analysent en
une atteinte au droit des parents requérants d’assurer à leurs enfants une
éducation et un enseignement conformes à leurs convictions philosophiques.
Comme indiqué ci-dessus, l’article 2 du Protocole no 1 doit
être lu à la lumière de l’article 8 de la Convention, qui protège le droit au
respect de la vie privée et familiale, notamment. Les parents requérants en l’espèce
souhaitaient que leurs enfants reçoivent un enseignement dans la langue
officielle de leur pays, qui était aussi leur propre langue maternelle. Au lieu
de cela, ils ont été placés dans la situation ingrate d’avoir à choisir entre,
d’une part, envoyer leurs enfants dans des écoles où ils seraient désavantagés
par le fait de devoir accomplir toute leur scolarité secondaire dans une combinaison
langue/alphabet que les parents requérants jugent artificielle, qui n’est reconnue
nulle part ailleurs dans le monde et qui implique l’utilisation d’un matériel
pédagogique conçu à l’époque soviétique et, d’autre part, obliger leurs enfants
à effectuer de longs trajets ou à aller dans des locaux ne répondant pas aux
normes, et à subir des actes de harcèlement et d’intimidation.
144. Rien dans le dossier ne
donne à penser que les mesures prises par les autorités de la « RMT »
contre ces établissements scolaires poursuivaient un but légitime. Il apparaît en
effet que la politique linguistique de la « RMT », telle qu’appliquée
à ces écoles, avait pour but la russification de la langue et de la culture de
la communauté moldave de Transnistrie, conformément aux objectifs politiques généraux
poursuivis par la « RMT », à savoir le rattachement à la Russie et la
sécession d’avec la Moldova. Compte tenu de l’importance fondamentale que revêt
l’enseignement primaire et secondaire pour l’épanouissement personnel et la
réussite future de tout enfant, il était inadmissible d’interrompre la
scolarité des élèves concernés et de forcer ceux-ci et leurs parents à faire des
choix si difficiles à la seule fin d’enraciner l’idéologie séparatiste.
3. La
responsabilité des Etats défendeurs
a) La
République de Moldova
145. La Cour doit ensuite
déterminer si la République de Moldova a satisfait à son obligation de prendre des
mesures appropriées et suffisantes pour garantir aux requérants les droits découlant
de l’article 2 du Protocole no 1 (paragraphe 110 ci-dessus). Dans l’arrêt Ilaşcu et autres (précité, §§ 339-340),
elle avait dit que les obligations positives incombant à la Moldova
concernaient tant les mesures nécessaires pour rétablir son contrôle sur le
territoire transnistrien, en tant qu’expression de sa
juridiction, que les mesures destinées à assurer le respect des droits des
requérants individuels. L’obligation relative au rétablissement du contrôle sur
la Transnistrie supposait, d’une part, que la Moldova s’abstînt de soutenir le
régime séparatiste et, d’autre part, qu’elle agît et prît toutes les mesures politiques,
juridiques ou autres à sa disposition pour rétablir son contrôle sur ce
territoire.
146. Concernant
l’exécution de ces obligations positives, la Cour avait jugé dans l’arrêt Ilaşcu et autres que, du début des
hostilités en 1991-1992 au prononcé de l’arrêt (juillet 2004), la Moldova avait
pris toutes les mesures qui étaient en son pouvoir pour rétablir son contrôle
sur le territoire transnistrien (ibidem, §§ 341-345). Or rien n’indique que la Cour doive conclure
différemment en l’espèce.
147. La
Cour avait dit par ailleurs que, dans la mesure où elle n’avait pas pris toutes
les mesures qui étaient à sa disposition lors des négociations avec les
autorités de la « RMT » et de la Russie pour faire cesser la violation des
droits des requérants à cet égard, la Moldova n’avait pas satisfait pleinement à
son obligation positive (ibidem, §§ 348-352).
En l’espèce, elle estime en revanche que le gouvernement moldave a déployé des
efforts considérables pour soutenir les requérants. Ainsi, après la réquisition
par la « RMT » des anciens bâtiments des écoles concernées, le
gouvernement moldave a payé le loyer et la rénovation de nouveaux locaux, de
même que l’ensemble de l’équipement, les salaires du personnel et les frais de
transport, ce qui a ainsi permis aux écoles de continuer à fonctionner et aux
enfants de poursuivre leur apprentissage en langue moldave, même si les
conditions étaient loin d’être idéales (paragraphes 49-53, 56 et 61-63 ci-dessus).
148. A la
lumière de ce qui précède, la Cour juge que la République de Moldova a
satisfait à ses obligations positives à l’égard des requérants en l’espèce. Dès
lors, elle estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no
1 par cet Etat.
b) La
Fédération de Russie
149. La Cour observe qu’il n’y
a aucune preuve d’une participation directe d’agents russes aux mesures prises
contre les requérants. De même, rien n’indique que la Fédération de Russie soit
intervenue dans la politique linguistique de la « RMT » en général ou
qu’elle l’ait approuvée. De fait, c’est grâce aux efforts de médiateurs russes,
agissant de concert avec des médiateurs ukrainiens et de l’OSCE, que les
autorités de la « RMT » ont autorisé les écoles à rouvrir en tant qu’« établissements
scolaires privés étrangers » (paragraphes 49, 56 et 66 ci-dessus).
150. Cela étant, la Cour a établi
que la Russie exerçait un contrôle effectif sur la « RMT » pendant la
période en question. Eu égard à cette conclusion, et conformément à la
jurisprudence de la Cour, il n’y a pas lieu de déterminer si la Russie exerçait
un contrôle précis sur les politiques et les actes de l’administration locale
subordonnée (paragraphe 106 ci-dessus). Du fait de son soutien militaire,
économique et politique continu à la « RMT », laquelle n’aurait pu
survivre autrement, la responsabilité de la Russie se trouve engagée au regard
de la Convention à raison de l’atteinte au droit des requérants à l’instruction.
Dès lors, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 2 du Protocole no
1 à la Convention par la Fédération de Russie.
III. SUR LA VIOLATION
ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
151. L’article 8 de la
Convention est ainsi libellé :
« 1. Toute
personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et
de sa correspondance.
2. Il
ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit
que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue
une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense
de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la
santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
152. Pour les requérants, le
droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 englobe un
droit à la reconnaissance de la langue en tant qu’élément de l’identité
ethnique ou culturelle. La langue serait un moyen essentiel d’interaction
sociale et de développement de l’identité personnelle. Tel serait
particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, la langue est la
caractéristique qui définit et distingue un groupe ethnique ou culturel
spécifique. Dans la présente affaire, le fait d’avoir empêché les élèves
requérants d’étudier avec l’alphabet correspondant à leur propre langue, aspect
essentiel de leur identité linguistique et culturelle, aurait constitué une
atteinte directe à leurs droits résultant de l’article 8. Cette atteinte serait
particulièrement grave car l’imposition de l’alphabet étranger aurait
délibérément visé à anéantir le patrimoine linguistique de la population
moldave sur le territoire de la « RMT » et à forcer cette population à
adopter une nouvelle identité, « russophile ». De plus, les actes de
harcèlement et d’intimidation subis par les élèves parce qu’ils fréquentaient
les écoles de leur choix auraient engendré chez eux des sentiments d’humiliation
et de peur qui auraient eu sur leur vie privée ainsi que sur leur vie familiale
des répercussions importantes dues aux pressions extrêmes exercées sur eux.
153. Pour le gouvernement
moldave, la langue est un aspect de l’identité ethnique et culturelle, laquelle
fait partie de la vie privée au sens de l’article 8. Les autorités de la
« RMT » auraient porté atteinte aux droits des requérants découlant
de l’article 8, mais la Moldova aurait rempli son obligation positive à cet
égard.
154. Le gouvernement russe
soutient que les requérants ne relevaient pas de la juridiction de la Russie et
que, dès lors, la question de savoir s’il y a eu atteinte à leurs droits résultant
de l’article 8 ne concerne pas cet Etat.
155. A la lumière de ses
conclusions sur le terrain de l’article
2 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner
séparément le grief tiré de l’article 8.
156. L’article 14 de la
Convention énonce :
« La jouissance des
droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans
distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la
langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine
nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la
naissance ou toute autre situation. »
157. Les requérants se
plaignent d’avoir subi une discrimination fondée sur leur appartenance ethnique
et leur langue. Ils soutiennent que l’obligation faite aux Moldaves d’étudier dans
une langue artificielle, non reconnue en dehors de la Transnistrie, leur a causé
dans leur scolarité et dans leur vie privée et familiale des difficultés que ne
connaissent pas les membres des autres grandes communautés de Transnistrie, à
savoir les Russes et les Ukrainiens.
158. Le gouvernement moldave
n’a pas pris position sur le point de savoir si les requérants ont ou non subi
une discrimination, réitérant simplement son avis selon lequel la Moldova a
satisfait à ses obligations positives découlant de la Convention.
159. Comme pour l’article 8,
le gouvernement russe s’est refusé à tout commentaire sur les questions soulevées
au regard de l’article 14.
160. A la lumière de ses conclusions
sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour estime qu’il
n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 14.
V. SUR L’APPLICATION
DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
161. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la
Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement
les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
162. Les requérants réclament des
sommes pour préjudice moral ainsi que pour frais et dépens.
163. Les requérants demandent
réparation pour la dépression, l’anxiété, l’humiliation et l’état de stress
post-traumatique dont ils auraient souffert en conséquence directe de la
violation de leurs droits découlant de la Convention. A leurs yeux, un tel préjudice
moral ne peut être réparé par un simple constat de violation. Dans l’affaire Sampanis et autres c. Grèce (no 32526/05,
5 juin 2008), la Cour aurait alloué 6 000 EUR à chaque requérant ayant connu
anxiété, humiliation et
dépression du fait que l’inscription de son enfant à l’école avait été refusée pour
des motifs d’appartenance ethnique. Sur cette base, chacun des requérants en l’espèce
pourrait prétendre à une somme minimum de 6 000 EUR pour le préjudice directement
résulté de l’impossibilité qui lui aurait été faite, à raison de son
appartenance ethnique et de sa langue, d’accéder à une éducation appropriée. Les
requérants estiment par ailleurs que pour l’examen des demandes de réparation
émanant de victimes nombreuses, la Cour devrait adopter une approche semblable
à celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, laquelle s’appuierait
sur une estimation approximative des dommages subis fondée sur la configuration
des faits spécifique à chaque type de requérant (voir, par exemple, l’affaire González et autres (« Champ de coton »)
c. Mexique, arrêt du 16 novembre 2009). Ainsi, en l’espèce, chaque
requérant qui était mineur à l’époque des violations aurait droit à un montant supplémentaire
de 3 000 EUR pour préjudice moral. Les parents requérants qui ont fait l’objet
d’une arrestation, d’actes d’intimidation ou de menaces de licenciement ou de
déchéance de leurs droits parentaux sollicitent chacun une somme supplémentaire
de 5 000 EUR. Tous les requérants pour lesquels a été enregistré un
résultat supérieur au seuil défini par la liste de contrôle des symptômes de
Hopkins (Hopkins Symptom
Checklist-25) pour anxiété et dépression sévères demandent
un supplément de 5 000 EUR chacun.
164. Selon le gouvernement russe,
les prétentions des requérants sont infondées et non étayées. Il y aurait lieu
pour la Cour de s’inspirer de sa propre jurisprudence, et non de l’approche
suivie par la Cour interaméricaine. Les faits litigieux se seraient produits
pour la plupart en 2002 et en 2004, et ils auraient ensuite été réglés. Quoi qu’il
en soit, les requérants n’auraient fourni aucune preuve écrite à l’appui de
leurs allégations selon lesquelles certains d’entre eux avaient perdu leur emploi,
avaient été arrêtés et interrogés, avaient été victimes de violences physiques
et avaient reçu des avertissements et des menaces. La liste de contrôle des
symptômes de Hopkins, instrument de mesure des symptômes d’anxiété et de
dépression, serait conçue pour être utilisée par des professionnels de la santé
sous la supervision d’un psychiatre ou d’un médecin. Autoadministré
comme il l’aurait été en l’espèce
par les requérants, le test en question serait dépourvu de fiabilité et ne
prouverait pas grand-chose. Enfin, la présente espèce ne serait pas comparable
à l’affaire Sampanis,
précitée, qui porterait sur une discrimination subie par des citoyens grecs qui
vivaient en Grèce. La Fédération de Russie aurait constamment exprimé l’opinion que les requérants résidant en
Transnistrie ne relèvent pas de sa juridiction. Dans l’hypothèse où la Cour
parviendrait à une conclusion opposée, un constat de violation constituerait
une satisfaction équitable suffisante.
165. La Cour rappelle qu’elle
n’a pas estimé nécessaire, ni même possible, en l’espèce d’examiner séparément
les griefs de chacun des requérants concernant les actes de harcèlement qu’ils
auraient subis de la part des autorités de la « RMT ». De plus, la
chambre a déclaré irrecevables le 15 juin 2010 les griefs des intéressés tirés
de l’article 3 de la Convention. Ayant observé que les requérants n’avaient « [pas
soumis] d’éléments médicaux objectifs », la chambre a considéré que
« les tests [de la liste de contrôle des symptômes de Hopkins] autoadministrés ne sauraient remplacer l’examen et l’appréciation
d’un professionnel de la santé mentale » et a conclu que les éléments dont
elle disposait ne corroboraient pas le point de vue selon lequel le seuil élevé
de gravité requis pour l’appréciation de l’article 3 avait été atteint (Catan et autres c. Moldova et Russie (déc.), nos
43370/04, 8252/05 et 18454/06, § 108, 15 juin 2010).
166. Il est clair cependant
que les requérants – parents et enfants – ont subi, en conséquence de la
politique linguistique de la « RMT », un préjudice moral auquel un
constat de violation de la Convention n’apporterait pas un redressement
suffisant. Les montants sollicités par les requérants sont néanmoins excessifs.
Statuant en équité, la Cour évalue à 6 000 EUR le préjudice moral souffert
par chacun des requérants.
167. Les requérants n’ont pas
soumis de demande distincte pour les frais et dépens relatifs à la procédure
devant la Grande Chambre. Le 20 septembre 2010, ils avaient en revanche
déposé une demande de remboursement des frais et dépens liés à la procédure
devant la chambre, notamment de ceux entraînés par la participation à l’audience
sur la recevabilité. Dans ce document, ils soutenaient que la complexité de l’affaire
justifiait leur représentation par deux avocats et un conseiller. Leurs
représentants auraient consacré 879 heures de travail aux trois affaires, pour
l’ensemble des 170 requérants, ce qui correspondrait à une somme totale de
105 480 EUR.
168. Le gouvernement moldave
n’a pas fait de commentaires sur le montant sollicité pour frais et dépens.
169. Le gouvernement russe
considère que dès lors que les requérants n’ont pas soumis de demande pour les frais
et dépens exposés devant la Grande Chambre, il n’y a pas lieu de leur allouer
une somme à ce titre. Concernant les prétentions en date du 20 septembre 2010,
il n’y avait selon lui nul besoin de faire appel à autant de représentants et il
conviendrait de revoir à la baisse les montants sollicités, de manière à prendre
en considération le fait que les trois requêtes soulèvent des questions de
droit identiques.
170. Compte tenu de l’ensemble
des facteurs pertinents et de l’article 60 § 2 de son règlement, la Cour alloue
conjointement à l’ensemble des requérants 50 000 EUR pour frais et dépens.
171. La Cour juge approprié
de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité
de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de
pourcentage.
1. Dit, à l’unanimité, que les faits incriminés
par les requérants relèvent de la juridiction de la République de Moldova ;
2. Dit, par seize voix contre une, que les
faits incriminés par les requérants relèvent de la juridiction de la Fédération
de Russie, et rejette l’exception
préliminaire soulevée par la Fédération de Russie ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu
violation de l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention par la République de
Moldova ;
4. Dit, par seize voix contre une, qu’il y
a eu violation de l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention par la Fédération de
Russie ;
5. Dit, par douze voix contre cinq, qu’il n’y
a pas lieu d’examiner séparément les griefs des requérants fondés sur l’article
8 de la Convention ;
6. Dit, par onze voix contre six,
qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs des requérants
fondés sur l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 2 du Protocole
no 1 ou avec
l’article 8 ;
7. Dit, par seize voix contre une,
a) que
la Fédération de Russie doit verser, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i. 6 000
EUR (six mille euros) à chacun des requérants nommés dans l’annexe au présent
arrêt pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur
cette somme ;
ii. 50 000
EUR (cinquante mille euros) conjointement à l’ensemble des requérants pour
frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette
somme par les requérants ;
b) qu’à
compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront
à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
8. Rejette, à l’unanimité, la demande de
satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français
et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme,
à Strasbourg, le 19 octobre 2012.
Michael O’Boyle Nicolas
Bratza
Greffier Président
Au présent
arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74
§ 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion
en partie dissidente commune aux juges Tulkens, Vajić, Berro-Lefèvre, Bianku, Poalelungi et Keller ;
– opinion
en partie dissidente du juge Kovler.
N.B.
M.O.B.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
COMMUNE AUX JUGES TULKENS, VAJIĆ, BERRO-LEFÈVRE, BIANKU, POALELUNGI ET
KELLER
1. A
la lumière des conclusions sur le terrain de l’article 2 du Protocole no
1, la majorité estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré
de l’article 8 de la Convention ni celui tiré de l’article 14. Nous comprenons
certainement que dans certaines affaires, soit lorsque l’arrêt a traité la
question juridique principale, soit lorsque les griefs se confondent ou se
recoupent les uns les autres, la Cour utilise cette formule que l’on pourrait
qualifier d’économie procédurale. Mais, en l’espèce, elle nous semble trop
réductrice, ne permettant pas d’appréhender la situation dans son ensemble,
avec les conséquences qui en découlent.
Article 8
2. Il
nous semble important de souligner que le droit au respect de la vie privée et
familiale garanti par l’article 8 de la Convention, sous son double aspect
individuel et social, contient un droit à la reconnaissance de la langue en
tant qu’élément de l’identité culturelle. La langue est un vecteur essentiel à
la fois de développement personnel et d’interaction sociale.
3. La
Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant de 1989 dispose
expressément que l’éducation doit être dirigée vers le respect de l’identité,
de la langue et des valeurs du pays dans lequel l’enfant vit ou dont il est
originaire (article 29 § 1 c)).
4. Au
regard de la vie privée et familiale, l’argument des requérants selon lequel l’imposition
d’un alphabet étranger aurait visé à porter atteinte, voire à anéantir, le
patrimoine linguistique de la population moldave et à la forcer en quelque
sorte à adopter une nouvelle « identité » n’est certainement pas sans
force et aurait mérité un examen séparé. D’autant plus que se trouve en jeu la
question du développement intellectuel des enfants – qui relève évidemment de
la vie privée – dans une société qui parle
la même langue mais qui l’écrit dans
un alphabet différent. Un risque d’appauvrissement de cette identité
linguistique et culturelle n’est pas à exclure.
5. A cela s’ajoute
encore une autre considération, davantage liée à la vie des familles et aux
échanges au sein de celles-ci dans la langue commune. Pensons, par exemple, à
une lettre, un courriel ou un SMS écrit par les parents en roumain avec des
lettres latines adressées à leurs enfants qui étudient le roumain avec des
lettres cyrilliques : l’obligation d’écrire dans un autre alphabet la même
langue pourrait peut-être, dans certaines situations, poser un problème de
communication.
6. Dans
le cas d’espèce, on ne peut négliger les répercussions, tant sur la vie privée
que sur la vie familiale des requérants, des actes d’intimidation et de harcèlement
que les élèves et leurs parents ont subis. Le dossier établit clairement que
les autorités de la « République moldave de Transnistrie » ont créé
un tel climat d’intimidation qu’il a eu un « chilling effect » sur les élèves non
seulement par exemple dans l’utilisation des manuels scolaires écrits en
alphabet latin mais aussi plus largement dans l’utilisation de leur langue à l’intérieur
et à l’extérieur de l’école.
7. Ainsi,
le 29 juillet 2004, la police transnistrienne est
intervenue et a envahi l’école Evrica à Rîbniţa
pour faire sortir les femmes et les enfants qui s’y trouvaient. Au cours des
jours suivants, la police et des responsables de la Direction de l’éducation de
Rîbniţa se sont rendus chez les parents pour les menacer de la perte
de leur emploi s’ils ne changeaient pas leurs enfants d’école (paragraphe 48).
Ces interventions nous paraissent disproportionnées et constituent des menaces
sur les familles non seulement à l’école mais aussi à la maison.
8. A
cela s’ajoute un ensemble d’autres actes purement vexatoires tels que les
coupures d’eau et d’électricité à l’école Alexandru cel Bun à Tighina (paragraphe 55), l’absence de protection
de l’école Evrica à Rîbniţa contre une campagne
systématique de vandalisme (paragraphe 51), ou encore le transfert de l’école Ştefan cel Mare (Grigoriopol) vingt kilomètres plus loin, dans un
village sous contrôle moldave, et l’obligation pour les élèves de s’y rendre en
autocar avec, tous les jours, des contrôles systématiques à la frontière,
accompagnés parfois d’insultes.
9. En
ce qui concerne de manière plus spécifique la question des contrôles et des
fouilles, l’arrêt Gillan et Quinton c.
Royaume-Uni (CEDH 2010) montre très clairement, quoique dans un autre
contexte, le danger d’arbitraire en ce domaine et l’impérieuse nécessité de
prévoir des mesures de sauvegarde (paragraphes 85 et 86 de l’arrêt en
question).
10. Il
est donc évident à nos yeux que cette atmosphère d’intimidation a affecté la
vie quotidienne des familles vivant en permanence dans un environnement
hostile.
11. Telles
sont les raisons pour lesquelles nous pensons qu’il y a eu, en l’espèce,
violation de l’article 8 de la Convention.
12. En
outre, toutes ces mesures ont été utilisées systématiquement contre la
communauté moldave qui utilise l’alphabet latin, ce qui nous amène à l’article
14 de la Convention.
Article 14
13. Les
requérants se plaignent d’avoir subi une discrimination fondée sur leur langue.
Plus précisément, ils soutiennent que l’obligation d’étudier dans une langue artificielle
pour eux leur a causé dans leur vie privée et familiale, et notamment dans leur
scolarité, des difficultés que ne connaissent pas les membres des autres
communautés en Transnistrie, à savoir les Ukrainiens et les Russes. Ici aussi,
cet argument méritait à notre avis un examen distinct.
14. Nous
savons tous, en effet, que le langage est le support essentiel de l’éducation,
celle-ci étant la voie d’accès à la socialisation. La Convention des Nations
Unies de 1960 concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement
le rappelle à juste titre, de même que la Convention internationale sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965 (article 5
e) v.). Inversement, la barrière de la langue risque de placer les élèves dans
une situation d’infériorité et, partant, dans certains cas, d’exclusion. Le
rapport du Conseil de l’Europe de 1982 intitulé « Prévention de la
délinquance juvénile : le rôle des institutions de socialisation dans une
société en évolution »[2],
montre de manière éclairante le rôle fondamental de l’école tout à la fois
facteur d’intégration mais aussi de désintégration.
15. Dans
le contexte social et politique de cette affaire, nous estimons donc que la
différence de traitement à laquelle les élèves ont été soumis, avec les
conséquences qui peuvent en découler, n’a pas de justification objective et
raisonnable au sens de la jurisprudence de notre Cour. Ceci nous amène à
conclure à la violation de l’article 14 de la Convention.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DU JUGE KOVLER
Je ne puis, à
regret, partager les conclusions de la majorité sur plusieurs points, comme ce
fut précédemment le cas dans les affaires Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie ([GC], no
48787/99, CEDH 2004‑VII) et Ivanţoc et autres c. Moldova et Russie (no
23687/05, 15 novembre 2011). Dans ces affaires, j’avais exprimé mon désaccord
concernant la méthodologie de l’analyse (fausses ressemblances avec la
situation chypriote), la présentation (assez sélective) des faits, l’analyse
(contestable et contestée par plusieurs spécialistes[3])
des notions de « juridiction » et de « responsabilité », ce
qui me dispense de le faire une nouvelle fois, la présente espèce s’inscrivant
dans la série des affaires liées à la Transnistrie. Je me concentrerai donc sur
les aspects propres à l’espèce.
Le souci de la
Cour était à mon avis d’éviter à tout prix « un vide juridique » dans
l’application territoriale de la Convention. La Cour devrait donc avant tout
établir quelles sont les circonstances exceptionnelles susceptibles d’emporter
exercice par l’Etat contractant (en l’occurrence la Russie) de sa juridiction à
l’extérieur de ses propres frontières. Tel est le sens de l’appréciation des
principes généraux relatifs à la juridiction, au sens de l’article 1 de la
Convention, exprimé par la Cour dans les paragraphes 104 et 105 de l’arrêt,
avec à l’appui une citation abondante de sa propre jurisprudence, y compris sa
jurisprudence toute récente. Elle donne l’espoir d’une solution en laissant entendre
au paragraphe 114 qu’il peut s’agir d’une action directe d’un Etat au travers
de ses agents ou de son autorité, mais conclut tout de suite après, dans le
même paragraphe : « La Cour admet que rien n’indique que des agents
russes aient été directement impliqués dans les mesures prises contre les
écoles des requérants ». Que reste-t-il alors comme circonstances
exceptionnelles ? C’est « le contrôle effectif sur la
« RMT » pendant la période pertinente » (paragraphes 114 et 116
de l’arrêt), auquel s’ajoutent les conclusions à forte empreinte politique
(paragraphes 117-121). Est-ce suffisant ?
Certains
observateurs évoquent « l’imprévisibilité » de la jurisprudence de la
Cour dans certains domaines, notamment en matière de droit humanitaire (Kononov c. Lettonie [GC], no
36376/04, CEDH 2010)[4].
Par contraste, l’issue de la présente affaire était trop prévisible, compte
tenu du fait que les arrêts Ilaşcu et autres et Ivanţoc et
autres font déjà – à tort ou à raison – jurisprudence. Mais ce qui est
« imprévisible » dans cet arrêt, c’est une interprétation
controversée du contenu et de la portée du droit à l’instruction énoncé à l’article
2 du Protocole no 1. Dans la très classique Affaire linguistique belge, l’interprétation
retenue par la Cour de la seconde phrase dudit article levait toute
ambiguïté : « Cette disposition n’impose pas aux Etats le respect
dans le domaine de l’éduction ou de l’enseignement, des préférences
linguistiques des parents, mais uniquement celui de leurs convictions religieuses
et philosophiques. Interpréter les termes « religieuses » et
« philosophiques » comme couvrant les préférences linguistiques
équivaudrait à en détourner le sens ordinaire et habituel et à faire dire à la
Convention ce qu’elle ne dit pas » (Affaire
« relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en
Belgique » c. Belgique (fond), 23 juillet 1968, § 6, Série A no
6). Certes, le même arrêt indique que le droit à l’instruction serait vide de
sens s’il n’impliquait pas, pour ses titulaires, le droit de recevoir un
enseignement dans la langue nationale ou dans une des langues nationales selon
le cas. La Cour aurait donc pu se concentrer sur l’exercice de ce droit
« linguistique » qui, dans la présente affaire, se heurtait au
problème de l’utilisation de tel ou tel alphabet.
Dans sa
décision sur la recevabilité, la Cour a repris la position du gouvernement
moldave à ce sujet : « Selon les informations dont dispose le
gouvernement moldave, l’instruction dans les trois écoles qui sont au cœur des
présentes requêtes serait actuellement assurée dans la langue officielle
moldave, avec l’alphabet latin, et reposerait sur des programmes approuvés par
le ministère moldave de l’Education et de la Jeunesse (MEJ). Les requérants n’auraient
pas démontré que les autorités de la « RMT » soient parvenues à
imposer l’alphabet cyrillique et un programme « RMT » (...) Ainsi,
malgré les tentatives des autorités de la « RMT », les enfants
recevraient un enseignement dispensé dans leur propre langue et de manière
conforme aux convictions de leurs parents » (Catan et autres c. Moldova et Russie (déc.), nos 43370/04,
8252/05 et 18454/06, § 117, 15 juin 2010).
A mon avis, le
problème de l’enseignement proprement dit et de son volet
linguistico-alphabétique s’arrête là. Bien sûr, il y a l’article 32 de la
Convention, et il y a aussi la conception de la Convention selon laquelle
celle-ci est un instrument vivant ; mais il ne faut pas oublier que la
Convention est un traité international auquel s’applique la Convention de
Vienne sur le droit des traités : « Un traité doit être interprété de
bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur
contexte et à la lumière de son objet et de son but » (article 31
« Règle générale d’interprétation »). A mes yeux, la Cour ne devait
pas examiner au fond le grief tiré de l’article 2 du Protocole no 1,
car ce grief dépasse largement le sens ordinaire donné au droit à l’instruction.
Mais la Cour
suit une pente glissante proposée par les requérants : « l’éducation
doit viser au « plein épanouissement de la personnalité humaine »
(paragraphe 125 de l’arrêt). Saisie de cette demande, la Cour cherche à
développer sa jurisprudence relative à l’article 2 du Protocole no 1...
tout en renonçant, à la majorité, à replacer le problème dans le cadre des
dispositions de l’article 8. La baguette magique de la doctrine de « l’interprétation
évolutive » de la Convention ne touche que l’article 2 du Protocole no
1 en lui donnant un sens jamais vu... La tâche annoncée par la Cour au début de
son analyse du contexte de cet article (paragraphe 136 de l’arrêt) entre en
conflit avec le critère ratione materiae. Je crains que, par cette
approche, la Cour fournisse un mauvais exemple de ce que l’on appelle
« activisme judiciaire » : à mon avis, l’affaire est trop
sensible pour être choisie comme champ d’essai de l’activisme judiciaire.
Cet activisme
se manifeste aussi, hélas, dans l’application de l’article 41 de la Convention.
Ce qui me choque avant tout, c’est l’approche « égalitariste » :
les enfants de six ans au moment des faits (nés en 1997 ou en 1998) sont mis
sur un pied d’égalité avec des élèves du secondaire, les parents d’élèves avec
les parents qui n’ont pas inclus leurs enfants dans les requêtes. Dans l’arrêt
assez récent Ponomaryovi c. Bulgarie (no
5335/05, § 56, CEDH 2011), la Cour a alloué à chacun des deux requérants 2 000 EUR en
raison de la violation de l’article 14 combiné avec l’article 2 du Protocole no
1 ; dans Oršuš et autres c. Croatie ([GC], no
15766/03, CEDH 2010),
qui concerne l’instruction des enfants roms, elle a
octroyé pour plusieurs violations, notamment de l’article 2 du Protocole no 1,
4 500 EUR à chaque requérant, et dans Sampanis et autres c. Grèce (no 32526/05, 5 juin
2008) la somme de 6 000 EUR a été allouée à chacun des requérants compte
tenu de la gravité plus grande de la violation (article 13 et article 14
combiné avec l’article 2 du Protocole no 1). Or, dans le cas d’espèce
une seule violation est indemnisée beaucoup plus généreusement. Cette
observation concerne aussi les frais et dépens : 10 000 EUR dans
Oršuš et
50 000 EUR en l’espèce, alors qu’il s’agit de deux affaires de Grande
Chambre... Le principe « ce n’est pas mon argent » ne joue pas, car
il s’agit de l’argent des contribuables d’un Etat membre du Conseil de l’Europe.
Toutes ces
considérations m’ont contraint à ne pas me rallier à la majorité sur certains
points que j’estime être de première importance.
ANNEXE
LISTE DES REQUÉRANTS
1. Catan et autres (requête no 43370/04)
No |
Requérant(e) |
Date |
1.
|
BULGAC Elena |
29/01/1968 |
2.
|
BULGAC Cristina |
18/04/1988 |
3.
|
BULGAC Diana |
29/05/1990 |
|
||
4.
|
CACEROVSCHI Lilia |
14/10/1969 |
5.
|
CACEROVSCHI Andrei |
07/01/1990 |
6.
|
CACEROVSCHI Tatiana |
31/08/1995 |
|
||
7.
|
CATAN Alexei |
02/06/1962 |
8.
|
CATAN Elena |
09/10/1988 |
|
||
9.
|
CRIJANOVSCHI Anastasia |
11/11/1969 |
10.
|
CRIJANOVSCHI Olesea |
20/11/1994 |
11.
|
CRIJANOVSCHI Oxana |
24/11/1990 |
|
||
12.
|
DUBCEAC Teodora |
12/11/1957 |
13.
|
DUBCEAC Vladimir |
22/07/1993 |
|
||
14.
|
PETELIN Tatiana |
13/06/1969 |
15.
|
PETELIN Daniel |
15/06/1994 |
|
||
16.
|
PRIMAC Maria |
04/05/1961 |
17.
|
PRIMAC Ana |
18/06/1991 |
|
||
18.
|
SAFONOVA Lidia |
26/12/1967 |
19.
|
SAFONOVA Alisa |
18/06/1995 |
20.
|
SAFONOVA Olesea |
14/04/1990 |
|
||
21.
|
SALEBA Tatiana |
24/05/1969 |
22.
|
SALEBA Iana |
26/09/1989 |
|
||
23.
|
SARACUŢA Victor |
20/08/1967 |
24.
|
SARACUŢA Doina |
14/10/1990 |
25.
|
SARACUŢA Tatiana |
16/05/1996 |
|
||
26.
|
SCRIPNIC Tatiana |
29/08/1961 |
27.
|
SCRIPNIC Corneliu |
25/04/1989 |
|
||
28.
|
TIHOVSCHI Andrei |
09/12/1958 |
2. Caldare et autres (requête no 8252/05)
No |
Requérant(e) |
Date |
29.
|
BEIU Elena |
06/07/1970 |
30.
|
BEIU Vladimir |
28/05/1991 |
|
||
31.
|
BURAC Tamara |
31/08/1965 |
32.
|
BURAC Dorin |
14/07/1994 |
33.
|
BURAC Irina |
04/04/1986 |
|
||
34.
|
CALDARE Elena |
15/08/1969 |
35.
|
CALDARE Ruxanda |
02/02/1992 |
|
||
36.
|
CALMÎC Ecaterina |
05/07/1971 |
37.
|
CALMÎC Vadim |
10/12/1992 |
|
||
38.
|
CARACACI Claudia |
05/06/1959 |
39.
|
CARACACI Ala |
04/02/1987 |
40.
|
CARACACI Oxana |
04/03/1988 |
|
||
41.
|
CÎRLAN Valentina |
01/04/1969 |
42.
|
CÎRLAN Artiom |
08/07/1991 |
43.
|
CÎRLAN Sergiu |
28/05/1995 |
|
||
44.
|
DOCHIN Elena |
29/09/1965 |
45.
|
DOCHIN Cristina |
08/08/1989 |
|
46.
|
GĂINĂ Maria |
17/11/1967 |
47.
|
GĂINĂ Alina |
15/12/1992 |
48.
|
GĂINĂ Victoria |
02/04/1989 |
|
||
49.
|
LIULICA Victoria |
28/04/1963 |
50.
|
LIULICA Elena |
10/05/1990 |
51.
|
LIULICA Maxim |
26/05/1987 |
|
||
52.
|
MUNTEANU Raisa |
04/08/1958 |
53.
|
MUNTEANU Iulia |
21/02/1994 |
54.
|
MUNTEANU Veronica |
24/09/1987 |
|
||
55.
|
PĂDURARU Constantin |
02/06/1967 |
56.
|
PĂDURARU Elena |
08/06/1995 |
|
||
57.
|
RÎJALO Larisa |
01/04/1966 |
58.
|
RÎJALO Rodica |
07/10/1989 |
|
||
59.
|
SAVA Maria |
18/10/1960 |
60.
|
SAVA Roman |
22/12/1990 |
61.
|
SAVA Ştefan |
22/12/1990 |
|
||
62.
|
SIMONOV Aurelia |
18/09/1970 |
63.
|
GRIŢCAN Natalia |
04/09/1994 |
64.
|
GRIŢCAN Olga |
31/07/1996 |
|
||
65.
|
TELIPIS Olga |
24/10/1955 |
66.
|
TELIPIS Alexandra |
26/05/1990 |
67.
|
TELIPIS Cristina |
26/05/1990 |
|
||
68.
|
ŢOPA Maria |
30/06/1955 |
69.
|
ŢOPA Ana |
30/01/1987 |
|
||
70.
|
ŢURCANU Tamara |
06/10/1963 |
71.
|
ŢURCANU Andrei |
29/09/1987 |
3. Cercavschi et autres (requête no 18454/06)
No |
Requérant(e) |
Date |
72.
|
ARCAN Liuba |
10/02/1977 |
73.
|
ARCAN Irina |
08/10/1994 |
|
||
74.
|
BACIOI Anatoli |
29/08/1960 |
75.
|
BACIOI Nina |
18/08/1962 |
76.
|
BACIOI Irina |
24/05/1989 |
77.
|
BACIOI Mariana |
24/05/1989 |
|
||
78.
|
BALTAG Tamara |
13/09/1961 |
79.
|
BALTAG Igor |
16/12/1994 |
80.
|
BALTAG Liuba |
18/11/1998 |
|
||
81.
|
BODAC Ion |
02/06/1962 |
82.
|
BODAC Tatiana |
24/07/1994 |
|
||
83.
|
BOVAR Natalia |
15/07/1971 |
84.
|
BOVAR Alexandru |
12/08/1992 |
85.
|
BOVAR Ana |
14/12/1998 |
|
||
86.
|
BOZU Nicolae |
11/10/1964 |
87.
|
BOZU Nina |
18/07/1966 |
88.
|
BOZU Sergiu |
20/11/1988 |
|
||
89.
|
BRIGALDA Serghei |
08/10/1967 |
90.
|
BRIGALDA Svetlana |
02/09/1971 |
|
||
91.
|
CALANDEA Galina |
18/01/1974 |
92.
|
CALANDEA Iurie |
30/10/1967 |
|
||
93.
|
CERCAVSCHI Eleonora |
11/09/1960 |
94.
|
JMACOVA Nadejda |
05/04/1989 |
|
||
95.
|
CHIRICOI Natalia |
27/02/1964 |
96.
|
CHIRICOI Dumitru |
06/08/1992 |
97.
|
CHIRICOI Liuba |
16/04/1960 |
|
||
98.
|
CHIRILIUC Natalia |
24/05/1966 |
99.
|
CHIRILIUC Mihail |
08/06/1997 |
100.
|
CHIRILIUC Tatiana |
26/04/1991 |
|
||
101.
|
CHIŞCARI Ghenadie |
19/12/1961 |
102.
|
CHIŞCARI Egor |
23/03/1989 |
|
||
103.
|
COJOCARU Mariana |
16/10/1974 |
104.
|
COJOCARU Andrei |
03/06/1998 |
105.
|
COJOCARU Corina |
11/09/1996 |
106.
|
COJOCARU Doina |
06/11/1994 |
107.
|
COJOCARU Elena |
03/06/1998 |
|
||
108.
|
FRANŢUJAN Tatiana |
22/03/1968 |
109.
|
FRANŢUJAN Elena |
23/05/1990 |
110.
|
FRANŢUJAN Victoria |
31/10/1988 |
|
||
111.
|
FRANŢUJAN Tatiana |
01/02/1971 |
|
||
112.
|
GAVRILAŞENCO Maria |
04/02/1964 |
113.
|
GAVRILAŞENCO Olga |
08/10/1998 |
|
||
114.
|
GAZ Diana |
21/05/1987 |
|
||
115.
|
GAZUL Svetlana |
23/02/1967 |
116.
|
GAZUL Constantin |
26/11/1992 |
117.
|
GAZUL Victor |
05/08/1989 |
|
||
118.
|
GOGOI Svetlana |
14/08/1977 |
119.
|
GOGOI Nicolae |
20/05/1998 |
|
||
120.
|
GOLOVCO Irina |
05/05/1960 |
121.
|
GOLOVCO Elena |
14/06/1987 |
|
122.
|
GORAŞ Angela |
30/07/1970 |
||
123.
|
GORAŞ Vladimir |
31/07/1967 |
||
124.
|
GORAŞ Valeriu |
29/06/1994 |
||
|
||||
125. |
IVANOV Lidia |
31/03/1967 |
||
126. |
IVANOV Cristina |
30/09/1989 |
||
|
||||
127.
|
JITARIUC Svetlana |
31/03/1960 |
||
128.
|
JITARIUC Laura |
01/10/1994 |
||
|
||||
129.
|
MASLENCO Boris |
07/07/1966 |
||
130.
|
MASLENCO Valentina |
02/02/1966 |
||
131.
|
MASLENCO Ion |
25/05/1992 |
||
132.
|
MASLENCO Tatiana |
20/05/1989 |
||
|
||||
133.
|
MONOLATI Svetlana |
16/08/1975 |
||
|
||||
134.
|
MUNTEAN Ion |
03/03/1958 |
||
135.
|
MUNTEAN Dumitru |
17/09/1991 |
||
|
||||
136.
|
NAZARET Natalia |
13/11/1958 |
||
137.
|
NAZARET Gheorghe |
04/08/1958 |
||
138.
|
NAZARET Elena |
14/04/1989 |
||
|
||||
139. |
PALADI Natalia |
24/05/1979 |
||
|
||||
140.
|
PARVAN Elena |
22/10/1973 |
||
141.
|
PARVAN Natalia |
26/09/1993 |
||
142.
|
PARVAN Vitalie |
29/06/1998 |
||
|
||||
143.
|
PAVALUC Nadejda |
08/05/1969 |
||
144.
|
PAVALUC Andrei |
19/03/1991 |
||
145.
|
PAVALUC Ion |
11/01/1994 |
||
|
||||
146.
|
PLOTEAN Viorelia |
25/08/1968 |
||
147.
|
PLOTEAN Cristina |
03/07/1990 |
||
148.
|
PLOTEAN Victoria |
13/02/1992 |
||
149.
|
POGREBAN Ludmila |
07/07/1968 |
||
|
||||
150. |
RACILA Zinaida |
10/04/1965 |
||
151. |
RACILA Ecaterina |
01/02/1991 |
||
152. |
RACILA Ludmila |
03/01/1989 |
||
|
||||
153.
|
ROŞCA Nicolae |
17/12/1957 |
||
154.
|
ROŞCA Victoria |
09/04/1990 |
||
|
||||
155.
|
ROTARU Emilia |
17/08/1968 |
||
156.
|
ROTARU Ion |
30/08/1989 |
||
157.
|
ROTARU Mihai |
16/08/1994 |
||
|
||||
158.
|
SANDUL Serghei |
07/07/1970 |
||
159.
|
SANDUL Liubovi |
15/08/1998 |
||
|
||||
160.
|
STANILA Raisa |
18/02/1961 |
||
161.
|
STANILA Svetlana |
20/12/1988 |
||
|
||||
162.
|
TARAN Igor |
30/01/1969 |
||
163.
|
TARAN Olga |
03/03/1998 |
||
|
||||
164.
|
TIRON Valentina |
01/07/1955 |
||
165.
|
TIRON Ana |
19/06/1987 |
||
|
||||
166.
|
TRANDAFIR Galina |
26/08/1964 |
||
|
||||
167.
|
TRANDAFIR Natalia |
24/11/1987 |
||
|
||||
168.
|
TULCII Igor |
07/07/1963 |
||
169.
|
TULCII Olga |
01/10/1987 |
||
|
||||
170.
|
ZEABENŢEV Andrei |
28/12/1997 |
||
[1]. Note du greffe : M. Shevchuk a été élu « président » de la « RMT » en décembre 2011.
[2]. Comité européen pour les problèmes
criminels, Prévention de la délinquance juvénile : le rôle des
institutions de socialisation dans une société en évolution, Strasbourg,
Conseil de l’Europe, 1982.
[3]. Evoquant la conclusion de la Cour,
dans l’arrêt Ilaşcu et autres, sur « l’autorité
effective » et « l’influence décisive » de la Russie dans la
région, G. Cohen-Jonathan observe : « Voilà qui rappelle les termes
et la solution analysée dans l’arrêt Chypre
c. Turquie : ce qui compte au titre de l’article 1er est de
savoir quel Etat exerce le contrôle effectif (ou l’influence
« décisive ») à défaut d’un contrôle global » – G.
Cohen-Jonathan. « Quelques observations sur les notions de
« juridiction » et d’ « injonction » », Revue trimestrielle des droits de l’homme,
no 2005/64, p. 772.
[4]. E. Decaux. « De
l’imprévisibilité de la jurisprudence européenne en matière de droit
humanitaire », Revue trimestrielle
des droits de l’homme, no 2011/86, pp. 343-357.