Corte europea dei
diritti dellâuomo, V sezione
19 settembre 2013
(requĂȘte n. 8772/10)
AFFAIRE VON
HANNOVER c. ALLEMAGNE (No 3)
ARRĂT
STRASBOURG
Cet arrĂȘt deviendra dĂ©finitif dans les conditions dĂ©finies Ă lâarticle 44 §
2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
Â
En
lâaffaire Von Hannover c. Allemagne (no 3),
La
Cour europĂ©enne des droits de lâhomme (cinquiĂšme section), siĂ©geant en une
chambre composée de :
             Mark Villiger, président,
             Angelika NuĂberger,
             Ann Power-Forde,
             Ganna Yudkivska,
             Paul Lemmens,
             Helena JÀderblom,
             Aleƥ Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffiĂšre de section,
AprĂšs
en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 août 2013,
Rend
lâarrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă cette date :
PROCĂDURE
1. à lâorigine de lâaffaire se trouve une
requĂȘte (no 8772/10) dirigĂ©e contre la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale dâAllemagne et dont
une ressortissante monégasque, Caroline von Hannover (« la
requĂ©rante »), a saisi la Cour le 10 fĂ©vrier 2010 en vertu de lâarticle 34 de
la Convention de sauvegarde des droits de lâhomme et des libertĂ©s fondamentales
(« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Mes M. Prinz
et M. Lehr, avocats à Hambourg. Le gouvernement allemand («
le Gouvernement ») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par lâun de ses agents, Mme K. Behr,
du ministÚre fédéral de la Justice.
3. La requérante voit dans le refus des tribunaux
allemands dâinterdire toute nouvelle publication de la photo la montrant avec
son mari une violation de leur droit au respect de sa vie privée garanti par
lâarticle 8 de la Convention.
4. Le 26 avril 2010, la requĂȘte a Ă©tĂ©
communiquée au Gouvernement, sans cependant inviter les parties à présenter des
observations. Le 26 mars 2012, les parties ont été invitées à présenter leurs
observations Ă la lumiĂšre de lâarrĂȘt Von Hannover c. Allemagne (no 2) ([GC],
nos 40660/08 et 60641/08, CEDH 2012).
5.  Informé de son droit de présenter des
observations, le gouvernement monĂ©gasque nâa pas exprimĂ© lâintention de
participer à la procédure.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE LâESPĂCE
A. La genĂšse de lâaffaire
6. La requĂ©rante est nĂ©e en 1957 et rĂ©side Ă
Monaco. Depuis le début des années 90, elle essaie, souvent par voie
judiciaire, de faire interdire la publication dans la presse de photos sur sa
vie privée.
7. Deux séries de photos, publiées
respectivement en 1993 et 1997 dans trois magazines allemands et montrant la
requĂ©rante en compagnie de lâacteur Vincent Lindon ou de son mari, le prince
Ernst August von Hannover, avaient fait lâobjet de trois sĂ©ries de procĂ©dures
devant les juridictions allemandes et, en particulier, dâarrĂȘts de principe de
la Cour fédérale de justice du 19 décembre 1995 et de la Cour constitutionnelle
fédérale du 15 décembre 1999, par lesquels la requérante avait été déboutée de
ses demandes. Ces procĂ©dures ont fait lâobjet de lâarrĂȘt du 24 juin 2004 Von
Hannover c. Allemagne (no 59320/00, CEDH 2004‑VI), dans lequel la Cour a conclu que les
décisions judiciaires avaient porté atteinte au droit de la requérante au
respect de sa vie privĂ©e, droit garanti par lâarticle 8 de la Convention.
8. Par la suite, la requérante et son mari
engagĂšrent plusieurs procĂ©dures devant les juridictions civiles tendant Ă
lâinterdiction de nouvelles photos parues dans des magazines allemands entre
2002 et 2004 en se prĂ©valant de lâarrĂȘt de la Cour rendu en 2004. Par des
arrĂȘts de principe du 6 mars 2007, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice dĂ©bouta la
requĂ©rante (et son mari) partiellement de leurs demandes. Par un arrĂȘt de
principe du 26 février 2008, la Cour constitutionnelle fédérale rejeta les
recours constitutionnels de la requĂ©rante et des maisons dâĂ©dition concernĂ©es.
Dâautres recours constitutionnels furent rejetĂ©s ultĂ©rieurement. Ces procĂ©dures
ont fait lâobjet de lâarrĂȘt Von Hannover c. Allemagne (no 2) ([GC], nos
40660/08 et 60641/08, CEDH 2012), dans lequel la Cour a conclu que les
dĂ©cisions judiciaires nâavaient pas portĂ© atteinte au droit de la requĂ©rante et
de son mari au respect de leur vie privée.
B. La procédure litigieuse
1. La photo litigieuse
9. La photo litigieuse, publiée par la maison
dâĂ©dition Klambt-Verlag GmbH & Cie dans le numĂ©ro 13/02 du 20 mars 2002 du
magazine 7 Tage, montre la requérante et son mari en vacances à un endroit non
identifiable. Elle est assortie dâun commentaire : «
Ambiance de vacances : Caroline avec son mari. » Sur cette page et la page
suivante du magazine sont reproduites plusieurs photos de la villa de vacances
de la famille von Hannover située sur une ßle au Kenya. Les photos sont
accompagnĂ©es dâun article intitulĂ© : « Dormir dans le
lit de la princesse Caroline ? Ce nâest pas un rĂȘve irrĂ©alisable
! Caroline et Ernst August louent leur villa de rĂȘve.
» Lâarticle rapporte une tendance qui a cours dans le milieu des stars
de Hollywood et des membres de la noblesse consistant Ă louer leurs maisons de
vacances. Il décrit ensuite la villa de la famille von Hannover et révÚle des
détails tels le mobilier, le prix de location par jour et les différentes
maniÚres de passer une journée de vacances. Dans un petit encadré au milieu du
texte principal figurent en lettres plus grandes les deux phrases suivantes : « Les gens riches et beaux sont aussi regardants
(sparsam). Beaucoup dâentre eux louent leurs villas Ă des hĂŽtes payants. »
2. Les décisions judiciaires
10. Le 29 novembre 2004, la requérante saisit le tribunal
rĂ©gional de Hambourg dâune action tendant Ă lâinterdiction de toute nouvelle
publication de la photo.
a) Les décisions des juridictions inférieures
11. Par un jugement du 24 juin 2005, le tribunal
régional de Hambourg fit droit à la demande de la requérante.
12. Par un arrĂȘt du 31 janvier 2006, la cour
dâappel de Hambourg annula le jugement au motif que le droit de la requĂ©rante
devait sâeffacer devant les droits fondamentaux de la presse. Elle exposa que
si les reportages poursuivaient en premier lieu un but de divertissement, la
publication des photos Ă©tait nĂ©anmoins licite au regard de lâarrĂȘt de la Cour
constitutionnelle fédérale du 15 décembre 1999 dont les considérants porteurs
(tragende ErwĂ€gungen) liaient la cour dâappel.
b) Le premier arrĂȘt de la Cour fĂ©dĂ©rale de
justice
13. Le 6 mars 2007, la Cour fédérale de justice
accueillit le pourvoi en cassation de la requérante (no VI ZR 52/06) et cassa
lâarrĂȘt de la cour dâappel. Elle estima que lâopinion de la cour dâappel ne
correspondait pas à son concept de protection échelonnée (abgestuftes
Schutzkonzept) et rappela les critĂšres de ce concept (voir Von Hannover (no 2),
précité, §§ 29-35). Puis, appliquant ces critÚres à la présente affaire et en
rĂ©fĂ©rence Ă lâarrĂȘt de la Cour de 2004 Von Hannover (prĂ©citĂ©), elle considĂ©ra
notamment que le reportage nâavait pas trait Ă un Ă©vĂ©nement de lâhistoire
contemporaine ou dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, mĂȘme si on partait dâune interprĂ©tation
ample de ces termes.
c) LâarrĂȘt de la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale
14. Le 26 février 2008, la premiÚre section
(Senat) de la Cour constitutionnelle fédérale admit le recours constitutionnel
de la maison dâĂ©dition (no 1 BvR 1606/07), cassa lâarrĂȘt de la Cour fĂ©dĂ©rale de
justice et renvoya lâaffaire devant celle-ci.
15. Par le mĂȘme arrĂȘt, elle rejeta les recours
constitutionnels de la requĂ©rante (no 1 BvR 1626/07) et de la maison dâĂ©dition
Ehrlich & Sohn GmbH & Co KG (no 1 BvR 1602/07) dirigĂ©es contre un arrĂȘt
de la Cour fédérale de justice du 6 mars 2007 (no VI ZR 51/06) par lequel
celle-ci avait interdit la publication de deux photos parues dans des magazines
allemands entre 2002 et 2004 et avait refusĂ© dâinterdire la publication dâune
troisiÚme photo qui montraient la requérante et son mari (voir Von Hannover (no
2), précité, §§ 15-53).
16. La Cour constitutionnelle fédérale rappela la
jurisprudence de la Cour concernant les articles 8 et 10 de la Convention ainsi
que sa propre jurisprudence relative aux différents droits fondamentaux en jeu
en reprenant les principes dĂ©gagĂ©s dans son arrĂȘt de principe du 15 dĂ©cembre
1999 (voir Von Hannover (no 2), précité, §§ 41-42). Elle précisa que, dans la
mesure oĂč une image nâapportait pas elle-mĂȘme une contribution Ă la formation
de lâopinion publique, sa valeur informative devait ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e dans le
contexte de lâarticle accompagnant la photo. Cependant, dans lâhypothĂšse oĂč cet
article ne serait quâun prĂ©texte pour publier une photo dâune personne connue
du grand public, il nâexistait pas de contribution Ă la formation de lâopinion
publique et il nâĂ©tait dĂšs lors pas opportun de faire prĂ©valoir lâintĂ©rĂȘt de
publier sur la protection de la personnalité. La Cour constitutionnelle
fĂ©dĂ©rale rappela par ailleurs que le fait dâadmettre des photos prises en
dehors du contexte de lâĂ©vĂ©nement qui faisait lâobjet du reportage Ă©crit
pouvait contribuer Ă attĂ©nuer les effets dâharcĂšlement auxquels seraient
exposĂ©s les personnages cĂ©lĂšbres si un article pouvait ĂȘtre assorti uniquement
de photos prises lors de lâĂ©vĂ©nement dont lâarticle rendait compte.
17. La Cour constitutionnelle fédérale poursuivit
en rappelant les critĂšres Ă prendre en compte quant aux circonstances de la
prise des photos et la répartition des obligations procédurales concernant la
présentation des faits et la charge de la preuve (voir Von Hannover (no 2),
précité, §§ 43-44).
18. La Cour constitutionnelle fédérale rappela
aussi quâil appartenait aux juridictions civiles dâappliquer et dâinterprĂ©ter
les dispositions de droit civil Ă la lumiĂšre des droits fondamentaux en jeu
tout en tenant compte de la Convention. Son propre rÎle se limitait à vérifier
si le juge avait suffisamment eu Ă©gard Ă lâinfluence des droits fondamentaux
lors de lâinterprĂ©tation et de lâapplication de la loi et lors de la mise en
balance des droits en conflit. Telle Ă©tait aussi lâĂ©tendue du contrĂŽle du juge
constitutionnel quant Ă la question de savoir si les juridictions avaient
rempli leur obligation dâintĂ©grer la jurisprudence de la Cour dans le domaine
concernĂ© de lâordre juridique national (Teilrechtsordnung). Que la mise en
balance des droits par le juge dans des litiges multipolaires â câest‑Ă ‑dire des litiges
impliquant des intĂ©rĂȘts divergents â et complexes puisse aussi aboutir Ă un
autre rĂ©sultat nâĂ©tait pas une raison suffisante pour amener le juge
constitutionnel à corriger une décision judiciaire. Cependant il y avait
violation de la Constitution lorsque le champ de protection (Schutzbereich) ou
la portĂ©e dâun droit fondamental en jeu avaient Ă©tĂ© mĂ©connus et que la mise en
balance avait été de ce fait défectueuse, ou lorsque les exigences découlant du
droit constitutionnel ou de la Convention nâavaient pas Ă©tĂ© dĂ»ment prises en
compte.
19. Appliquant ces critÚres à la photo
litigieuse, la Cour constitutionnelle fédérale estima que la Cour fédérale de
justice, en se rĂ©fĂ©rant Ă lâarrĂȘt de la Cour Von Hannover de 2004 prĂ©citĂ©,
sâĂ©tait bornĂ©e Ă dire que la photo litigieuse nâavait pas de valeur
informationnelle propre, et que lâarticle lâaccompagnant ne portait pas sur un
sujet dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et ne concernait pas un Ă©vĂ©nement de lâhistoire
contemporaine. Elle nâavait cependant pas indiquĂ© pourquoi le texte de
lâarticle nâavait pas justifiĂ© de lâassortir dâune telle photo alors quâil ne
décrivait pas une scÚne de vacances mais informait sur le fait que la
requérante et son mari louaient leur villa de vacances à des tierces personnes.
Pour la Cour constitutionnelle, lâarticle pouvait dĂšs lors donner lieu Ă des
rĂ©flexions sociales des lecteurs. Elle releva en particulier que lâintention
principale de lâarticle Ă©tait rĂ©sumĂ©e dans les deux phrases en lettres plus
grandes qui Ă©taient placĂ©es au milieu de la premiĂšre page de lâarticle (voir
paragraphe 9 in fine ci-dessus). Elle conclut que les informations, présentées
sous la forme dâun article Ă visĂ©e divertissante, portaient sur un changement
dâattitude de la fine fleur des cĂ©lĂ©britĂ©s aisĂ©es, lesquelles se trouvaient au
centre de lâattention du public dans dâautres contextes et Ă©taient investies
dâun rĂŽle de modĂšles par une grande partie de la population. Ces informations
Ă©taient par consĂ©quent de nature Ă donner lieu Ă un dĂ©bat dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, ce
qui justifiait de publier une photo des propriétaires de la villa dont il était
question dans lâarticle.
20. DâaprĂšs la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale,
la simple affirmation de la Cour fédérale de justice, selon laquelle les
vacances de personnalités connues faisaient partie du domaine clé de leur
sphĂšre privĂ©e protĂ©gĂ©e, nâĂ©tait pas suffisante. La maison dâĂ©dition avait
utilisé une photo de petit format qui montrait la requérante et son mari, en
tenue de loisirs, dans une ambiance de vacances en compagnie dâautres personnes
dans un endroit non prĂ©cisĂ© et non identifiable. Que le clichĂ© eĂ»t Ă©tĂ© pris Ă
lâendroit de leur villa au Kenya ou non nâimportait pas, la photo ne permettant
pas de déduire la maniÚre dont la requérante passait ses vacances et occupait
son temps libre. Elle ne permettait pas non plus dâaffirmer que la requĂ©rante
(montrĂ©e au milieu dâautres personnes) avait Ă©tĂ© photographiĂ©e dans un moment
de détente qui eût justifié une protection accrue contre la diffusion de
lâimage dans les mĂ©dias. Le besoin dâune protection accrue ne rĂ©sultait pas du
seul fait que la requérante se trouvait en séjour de vacances, il devait
sâappuyer sur des Ă©lĂ©ments concrets de la situation examinĂ©e. Il appartenait
aux tribunaux civils dâexposer les raisons principales qui les avaient conduits
à leurs conclusions respectives. Or ni la Cour fédérale de justice ni le
tribunal rĂ©gional nâavaient satisfait Ă ces critĂšres. Lâinterdiction de la
publication prononcée par la Cour fédérale de justice devait dÚs lors faire
lâobjet dâun nouvel examen sous lâangle de la conformitĂ© aux rĂšgles
constitutionnelles exposées ci-dessus. On ne pouvait pas exclure que le
réexamen de la photo litigieuse à la lumiÚre de ces critÚres et la prise en
compte du texte de lâarticle lâaccompagnant pussent aboutir Ă un rĂ©sultat
différent.
d) Le deuxiĂšme arrĂȘt de la Cour fĂ©dĂ©rale de
justice
21. Le 1er juillet 2008, la Cour fédérale de justice
rejeta le pourvoi en cassation de la requérante (no VI ZR 67/08). AprÚs avoir
rappelé les critÚres pertinents résultant de son concept de protection
échelonnée (voir Von Hannover (no 2), précité, §§ 29-35), elle précisa que la
valeur informationnelle dâune image devait ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e dans le contexte du
reportage écrit accompagnant la photo. Les images pouvaient compléter un
article et renforcer le contenu de celui-ci en soulignant par exemple son
authenticitĂ©. Elles pouvaient de mĂȘme servir Ă susciter lâintĂ©rĂȘt du lecteur
pour le reportage écrit. Toutefois, si un article se contentait de créer une
occasion de publier une photo dâune personnalitĂ© connue sans contribuer Ă la
formation de lâopinion publique, lâintĂ©rĂȘt de diffusion ne pouvait lâemporter
sur la protection de la personnalité.
22. Elle ajouta que lors de la mise en balance
des intĂ©rĂȘts en jeu, il fallait examiner, dâune part, lâoccasion et les
circonstances dans lesquelles une photo avait été prise, en particulier si
celle-ci avait été prise clandestinement ou dans un climat de poursuite
permanente, et, dâautre part, la question de savoir comment et dans quelle
situation la personne concernĂ©e Ă©tait reprĂ©sentĂ©e sur la photo. DâaprĂšs la Cour
fĂ©dĂ©rale de justice, lâingĂ©rence dans le droit de la personnalitĂ© Ă©tait plus
grave lorsque la photo montrait des détails de la vie privée de la personne
visĂ©e qui ne faisaient en rĂšgle gĂ©nĂ©rale pas lâobjet de dĂ©bats publics ou
lorsque lâintĂ©ressĂ© avait une espĂ©rance lĂ©gitime de ne pas figurer sur des photos
publiées dans les médias. Dans le cas de la requérante, la Cour fédérale de
justice estima que celle-ci Ă©tait un personnage public, comme lâavait relevĂ© la
Cour dans ses arrĂȘts Sciacca c. Italie (no 50774/99, 11 janvier 2005, §§ 27 et
s.) et Gourguénidzé c. Géorgie (no 71678/01, § 55, 17 octobre 2006). Les médias
pouvaient par conséquent diffuser des informations plus amples concernant de
tels personnages publics que sâil sâagissait dâune personne privĂ©e, Ă condition
que ces informations eussent une valeur informative suffisante pour un débat
portant sur des faits intéressant le public et que le résultat de la mise en
balance ne commandĂąt pas dâinterdire la publication de la photo en raison de
lâexistence dâintĂ©rĂȘts importants de la personne visĂ©e.
23. Appliquant ces critÚres au cas qui lui était
soumis, la Cour fédérale de justice releva que la photo avait été prise sans le
consentement de la requĂ©rante. MĂȘme si la photo ne concernait pas un sujet
dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, la libertĂ© dâexpression de la maison dâĂ©dition ne devait pas
pour autant céder devant le droit de la requérante à la vie privée. Reprenant
le raisonnement de la Cour constitutionnelle fédérale (voir paragraphes 19-20
ci-dessus), la Cour fédérale de justice exposa en détail pourquoi le reportage
Ă©crit Ă©tait Ă mĂȘme de susciter un dĂ©bat dâintĂ©rĂȘt public et quâil pouvait de ce
fait ĂȘtre assorti de cette (seule) image de la requĂ©rante.
24. Elle estima aussi que la photo en tant que
telle nâavait pas dâeffet de violation propre (eigenstĂ€ndiger Verletzungseffekt).
La requĂ©rante nâavait par ailleurs pas soutenu que cette photo avait Ă©tĂ© prise
clandestinement ou dâune maniĂšre importune et nâavait pas non plus avancĂ©
dâautres arguments qui, dâaprĂšs le concept de protection Ă©chelonnĂ©e,
sâopposaient Ă la publication, mĂȘme en lâabsence de son consentement. DâaprĂšs
la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale, cela valait également
lorsque la photo avait Ă©tĂ© prise lors dâune autre occasion.
e) La (deuxiÚme) décision de la Cour
constitutionnelle fédérale
25. Le 20 septembre 2008, la requérante saisit la
Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale dâun recours constitutionnel contre lâarrĂȘt de
la Cour fédérale de justice.
26. Le 24 septembre 2009, une chambre de trois
juges de la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale nâadmit pas le recours
constitutionnel (no 1 BvR 2678/08). Elle prĂ©cisa quâelle sâabstenait Ă motiver
sa décision.
3. Dâautres procĂ©dures
27.
Dans une procédure parallÚle, le mari de la requérante engagea également une
action contre la maison dâĂ©dition concernant la mĂȘme photo. Le tribunal
rĂ©gional de Hambourg fit droit Ă cette demande, la cour dâappel de Hambourg
annula le jugement et rejeta la demande. Par un arrĂȘt du 6 mars 2007, la Cour
fĂ©dĂ©rale de justice cassa lâarrĂȘt de la cour dâappel et interdit toute nouvelle
publication de la photo litigieuse (no VI ZR 53/06). Le 16 juin 2008, en
rĂ©fĂ©rence Ă son arrĂȘt du 26 fĂ©vrier 2008, la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale,
siégeant en une chambre de trois juges, admit le recours constitutionnel de la
maison dâĂ©dition, cassa lâarrĂȘt de la Cour fĂ©dĂ©rale de justice et renvoya
lâaffaire devant celle-ci (no 1 BvR 17/08). Par une dĂ©cision du 14 avril 2010,
la Cour fédérale de justice, sur demande du mari de la requérante, suspendit la
procĂ©dure jusquâĂ une dĂ©cision de la Cour dans la prĂ©sente affaire (no VI ZR
67/08).
II. LE DROIT ET LA
PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
28. Le droit et la pratique interne pertinente
sont reproduits dans lâarrĂȘt Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 69-72.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 8 DE
LA CONVENTION
29. La requérante allÚgue que le refus des
juridictions civiles allemandes dâinterdire toute nouvelle publication de la
photo litigeuse parue dans le magazine 7 Tage no 13/02 du 20 mars 2002 Ă©tait
contraire Ă lâarticle 8 de la Convention, dont la partie pertinente en lâespĂšce
est ainsi libellée :
«
1. Toute personne a droit au respect de
sa vie privée et familiale (...)
2. Il ne peut y avoir ingĂ©rence dâune autoritĂ©
publique dans lâexercice de ce droit que pour autant que cette ingĂ©rence est
prĂ©vue par la loi et quâelle constitue une mesure qui, dans une sociĂ©tĂ©
démocratique, est nécessaire (...) à la protection des droits et libertés
dâautrui. »
30. Le Gouvernement sâoppose Ă cette thĂšse.
A. Sur la recevabilité
31. La Cour constate que la requĂȘte nâest pas
manifestement mal fondĂ©e au sens de lâarticle 35 § 3 (a) de la Convention. La
Cour relĂšve par ailleurs quâelle ne se heurte Ă aucun autre motif
dâirrecevabilitĂ©. Il convient donc de la dĂ©clarer recevable.
B. Sur le fond
1. Les arguments des parties
a)Â Le Gouvernement
32. Le Gouvernement rappelle quâĂ la suite de
lâarrĂȘt Von Hannover de la Cour de 2004, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice et la Cour
constitutionnelle fédérale ont modifié leur jurisprudence en mettant, lors de
la mise en balance des intĂ©rĂȘts en jeu, davantage lâaccent sur la question de
savoir si la publication litigieuse contribue Ă un dĂ©bat dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ou
si son contenu ne sert quâĂ des fins de divertissement sans aucune portĂ©e
sociale.
33. Le Gouvernement soutient que la Cour fédérale
de justice et la Cour constitutionnelle fédérale auraient pris en compte les
critĂšres pertinents pour la mise en balance des intĂ©rĂȘts en jeu tout en se
limitant Ă examiner ceux qui Ă©taient importants dans le cas dâespĂšce, et
seraient parvenues Ă des conclusions comprĂ©hensibles qui ne prĂȘteraient pas Ă
la critique. Le Gouvernement souscrit en particulier Ă leurs conclusions
dâaprĂšs lesquelles le reportage que la photo litigieuse accompagnait, portait
sur un dĂ©bat dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et que, dĂšs lors, la photo litigieuse revĂȘtait
une certaine valeur informative. Il prĂ©cise que mĂȘme si lâobjet du prĂ©sent
reportage ne concernait certes pas un domaine essentiel pour la formation de
lâopinion du public, la libertĂ© de la presse ne se limiterait pas Ă rendre
uniquement compte de thĂšmes importants.
34. Le Gouvernement expose en outre quâĂ lâinstar
de la Cour dans son arrĂȘt Von Hannover (no 2) (§ 120), les juridictions
allemandes ont relevé que la requérante était une personne connue du public et
que la photo litigieuse, montrant la requérante et son mari dans un endroit non
identifiable parmi dâautres gens, nâavait pas Ă©tĂ© prise dans des circonstances
dĂ©favorables Ă la requĂ©rante et nâĂ©tait pas non plus en elle-mĂȘme offensante.
35. Le Gouvernement rappelle enfin que lorsque la
mise en balance par les autoritĂ©s nationales sâest faite dans le respect des
critÚres établis par la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que celle-ci
puisse substituer son avis Ă celui des juridictions internes.
b) La requérante
36. La requérante dénonce que les juridictions
allemandes nâont pas appliquĂ© les critĂšres que la Cour a Ă©tablis
; leur mise en balance des intĂ©rĂȘts en jeu aurait dĂšs lors Ă©tĂ© incomplĂšte
et défectueuse.
37. La requérante soutient que la photo
litigieuse ne contribuait en aucune maniĂšre Ă un dĂ©bat dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Elle
montrait la requérante et son mari en vacances, tout comme les photos parues
dans dâautres magazines dont la nouvelle publication avait Ă©tĂ© interdite par la
Cour fĂ©dĂ©rale de justice (voir Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 36-37). Puis, Ă
la diffĂ©rence du reportage ayant fait lâobjet de cet arrĂȘt, lâarticle dans la
prĂ©sente affaire nâaurait aucune portĂ©e sociale et servirait uniquement Ă
satisfaire la curiosité des lecteurs du magazine. La requérante précise à cet
égard que la famille de son mari posséderait la maison de vacances depuis des
décennies et la louerait depuis aussi longtemps. La Cour constitutionnelle fédérale
aurait dĂšs lors Ă tort assumĂ© quâil sâagissait dâune tendance nouvelle des
personnes célÚbres de louer leurs maisons secondaires. La requérante souligne
que les juges des juridictions civiles et en particulier ceux de la Cour
fédérale de justice, étaient aussi de cet avis avant que la Cour
constitutionnelle fĂ©dĂ©rale nâait contredit cette conclusion. Elle voit le
risque quâen baissant tant lâexigence quant Ă lâexistence dâun dĂ©bat dâintĂ©rĂȘt
général, les juridictions allemandes ouvriraient la porte à des abus et
nâassureraient plus une protection effective du droit de la personnalitĂ©. Par
ailleurs, il y aurait un manque de prévisibilité et de sécurité juridique si
onze juges professionnels saisis dâune affaire nient lâexistence dâun dĂ©bat
dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, mais si finalement lâexistence dâun tel dĂ©bat est acceptĂ©e.
38. La
requĂ©rante ajoute que, contrairement au reportage ayant fait lâobjet de lâarrĂȘt
Von Hannover (no2), il nây aurait eu en lâoccurrence aucun lien entre la photo
et le texte. En ce qui concerne sa notoriété, elle souligne que le reportage
litigieux ne concernait que son mari et que la conclusion de la Cour dans son
arrĂȘt Von Hannover (no 2), (§ 120) ne signifierait pas quâelle ne bĂ©nĂ©ficie
plus dâaucune protection de sa vie privĂ©e.
39. La requérante met en avant que la mise en
balance des juridictions allemandes Ă©tait dĂ©fectueuse car celles-ci nâont
aucunement tenu compte du fait quâĂ la diffĂ©rence de certaines cĂ©lĂ©britĂ©s
hollywoodiennes mentionnĂ©es dans lâarticle, elle nâaurait jamais cherchĂ© Ă
Ă©taler sa vie privĂ©e dans les mĂ©dias, mais quâelle aurait essayĂ© de se protĂ©ger
depuis des dĂ©cennies contre lâintrusion dans sa vie privĂ©e. Elle conteste en
outre la conclusion de la Cour constitutionnelle fédérale concernant la taille
de la photo litigieuse. DâaprĂšs elle, il sâagirait dâune taille plus grande que
la moyenne et, de toute façon, ce ne serait pas la taille dâune photo mais son
contenu serait décisif dans ce contexte.
40. La requĂ©rante souligne enfin quâelle nâa pas
consenti à la prise de la photo et à sa publication. La photo aurait certes été
prise en pleine rue, mais elle-mĂȘme se serait trouvĂ©e en vacances, câest-Ă -dire
lors dâun moment de dĂ©tente qui devait ĂȘtre particuliĂšrement protĂ©gĂ© contre
lâintrusion des photographes. Ă dĂ©faut, des personnes connues ne joueraient
dâaucune protection sur des places publiques et on reviendrait alors Ă lâidĂ©e
que pour ĂȘtre protĂ©gĂ© contre les photographes, une personne doit se trouver
dans un endroit Ă lâabri dâisolement spatial, idĂ©e que la Cour aurait pourtant
critiquĂ©e dans son arrĂȘt Von Hannover de 2004 (§ 75). La requĂ©rante ajoute que
le juge allemand nâaurait pas pris en compte le fait que la photo avait Ă©tĂ©
prise clandestinement et quâelle se trouvait dans une situation permanente
dâobservation et de persĂ©cution par des paparazzis.
2. Appréciation de la Cour
41. La Cour rappelle que la notion de « vie privĂ©e » est une notion large, non susceptible dâune
dĂ©finition exhaustive, qui recouvre lâintĂ©gritĂ© physique et morale de la
personne et peut donc englober de multiples aspects de lâidentitĂ© dâun
individu, tels le nom ou des Ă©lĂ©ments se rapportant au droit Ă lâimage (Von
Hannover (no 2), précité, §§ 95-96). Cette notion comprend les informations
personnelles dont un individu peut lĂ©gitimement attendre quâelles ne soient pas
publiées sans son consentement (FlinkkilÀ et autres c. Finlande, no 25576/04, §
75, 6 avril 2010, Saaristo et autres c. Finlande, no 184/06, § 61, 12 octobre
2010). La publication dâune photo interfĂšre dĂšs lors avec la vie privĂ©e dâune
personne, mĂȘme si cette personne est une personne publique (SchĂŒssel c.
Autriche (déc.), no 42409/98, 21 février 2002 ; Von
Hannover (no 2), précité, § 95).
42. La prĂ©sente requĂȘte appelle un examen du
juste équilibre à ménager entre le droit de la requérante au respect de sa vie
privĂ©e, garanti par lâarticle 8 de la Convention, et le droit de la maison
dâĂ©dition Ă la libertĂ© dâexpression garanti par lâarticle 10 de la Convention.
Lors de cet examen, la Cour doit notamment avoir Ă©gard aux obligations
positives qui incombent Ă lâEtat au regard de lâarticle 8 de la Convention et
aux principes quâelle a dĂ©gagĂ©s dans sa jurisprudence constante quant au rĂŽle
essentiel que joue la presse dans une société démocratique. Elle rappelle en
particulier que si la presse ne doit pas franchir certaines limites, concernant
notamment la protection de la rĂ©putation et des droits dâautrui, il lui incombe
néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses
responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions
dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et de publier des photos. Ă cette fonction sâajoute le droit,
pour le public, dâen recevoir (Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 98 et 101-103).
43. Le choix des mesures propres à garantir
lâobservation de lâarticle 8 de la Convention dans les rapports
interindividuels relĂšve en principe de la marge dâapprĂ©ciation des Etats
contractants, que les obligations Ă la charge de lâEtat soient positives ou
négatives. La Cour rappelle à ce sujet avoir récemment précisé que cette marge
dâapprĂ©ciation est en principe la mĂȘme que celle dont les Etats disposent sur
le terrain de lâarticle 10 de la Convention pour juger de la nĂ©cessitĂ© et de
lâampleur dâune ingĂ©rence dans la libertĂ© dâexpression protĂ©gĂ©e par cet article
(Von Hannover (no 2), précité, § 106, et Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no
39954/08, § 87, 7 février 2012).
44. Cette marge va toutefois de pair avec un
contrÎle européen portant à la fois sur la loi et les décisions qui
lâappliquent, mĂȘme quand elles Ă©manent dâune juridiction indĂ©pendante. Dans
lâexercice de son pouvoir de contrĂŽle, la Cour nâa pas pour tĂąche de se
substituer aux juridictions nationales, mais il lui incombe de vérifier, à la
lumiĂšre de lâensemble de lâaffaire, si les dĂ©cisions quâelles ont rendues en
vertu de leur pouvoir dâapprĂ©ciation se concilient avec les dispositions
invoquĂ©es de la Convention. Il ne lui appartient en outre pas, ni dâailleurs
aux juridictions internes, de se substituer Ă la presse dans le choix du mode
de compte rendu à adopter dans un cas donnée (Von Hannover (no 2) précité, §§
105 et 102, Axel Springer AG, précité, §§ 86 et 81).
45. La Cour rappelle que si la mise en balance
par les autoritĂ©s nationales sâest faite dans le respect des critĂšres Ă©tablis
par sa jurisprudence, il faut des raisons sĂ©rieuses pour quâelle substitue son
avis Ă celui des juridictions internes (MGN Limited c. Royaume-Uni, no
39401/04, §§ 150 et 155, 18 janvier 2011, Palomo Sånchez et autres c. Espagne
[GC], nos 28955/06, 28957/06, 28959/06 et 28964/06, § 57, CEDH 2011, von
Hannover (no 2), précité, § 107, Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04,
§§ 66 et 67, 15 mars 2012, et aussi Mouvement raëlien c. Suisse [GC], no
16354/06, § 66, 13 juillet 2012).
46. Dans ses arrĂȘts prĂ©citĂ©s Axel Springer AG et
Von Hannover (no 2), la Cour a résumé les critÚres pertinents pour la mise en
balance du droit au respect de la vie privée et du droit à la liberté
dâexpression : la contribution Ă un dĂ©bat dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, la notoriĂ©tĂ© de la
personne visĂ©e et lâobjet du reportage, le comportement antĂ©rieur de la
personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication
et, en ce qui concerne des photos, les circonstances de leur prise (Von
Hannover (no 2), précité, §§ 108-113, Axel Springer AG, précité, §§ 89-95 ;
voir Ă©galement Tănăsoaica c. Roumanie, no 3490/03, § 41, 19 juin
2012).
47. La Cour rappelle dâabord quâĂ la suite de
lâarrĂȘt Von Hannover de 2004, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice a apportĂ© des
modifications Ă sa jurisprudence antĂ©rieure en mettant lâaccent sur la question
de savoir si le reportage litigieux contribuait à un débat factuel et si son
contenu allait au‑delĂ dâune simple volontĂ© de satisfaire la curiositĂ©
du public, et que la Cour constitutionnelle fédérale a confirmé cette approche
(voir Von Hannover (no 2), précité, §§ 114-116).
48. En ce qui concerne lâexistence dâun dĂ©bat
dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, la Cour note que la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale a estimĂ©
que si la photo litigieuse ne contenait pas dâinformations liĂ©es Ă un Ă©vĂ©nement
de lâhistoire contemporaine et, de ce fait, ne contribuait pas Ă un dĂ©bat
dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, il en allait autrement de lâarticle qui rendait compte dâune
nouvelle tendance parmi des célébrités de mettre leurs résidences de vacances
en location. La Cour rappelle Ă cet Ă©gard que le fait dâapprĂ©cier la valeur
informative dâune photo Ă la lumiĂšre de lâarticle que celle-ci accompagne et
illustre, ne prĂȘte pas Ă la critique au regard de la Convention (Von Hannover
(no 2), précité, § 118).
49. Dans la mesure oĂč la requĂ©rante dĂ©nonce le
risque que les médias contournent les conditions fixées par le juge allemand en
utilisant nâimporte quel Ă©vĂ©nement de lâhistoire contemporaine comme prĂ©texte
pour justifier la publication de photos la montrant, la Cour estime quâil
incombe en premier lieu au juge allemand dâapprĂ©cier cette question dans chaque
cas précis. Elle note à cet égard que la Cour constitutionnelle fédérale et la
Cour fĂ©dĂ©rale de justice ont prĂ©cisĂ© que, dans lâhypothĂšse oĂč un article ne
serait quâun prĂ©texte pour publier la photo dâune personne connue du grand
public, il nâexisterait pas de contribution Ă la formation de lâopinion
publique et il nây aurait dĂšs lors pas lieu de faire prĂ©valoir lâintĂ©rĂȘt de
publier sur la protection de la personnalité.
50. La Cour estime que, compte tenu de sa tùche
de contrÎle européen (voir paragraphe 44 ci-dessus), seules des raisons
sĂ©rieuses sauraient lâamener Ă substituer son avis Ă celui du juge national
dans ce contexte, par exemple, lorsque le lien entre la photo litigieuse et le
texte lâaccompagnant sâavĂšre purement artificiel et arbitraire.
51. Dans la mesure oĂč la requĂ©rante dĂ©nonce le
risque que le juge allemand ne serait pas suffisamment exigeant quant Ă
lâexistence dâun dĂ©bat dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, comme ce serait le cas dans la
présente affaire, la Cour note que la Cour constitutionnelle fédérale et, à sa
suite, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice, ont relevĂ© que lâintention du reportage
Ă©tait de rendre compte dâune tendance parmi les personnes cĂ©lĂšbres de mettre
leurs résidences de vacances en location et que ce comportement pouvait donner
lieu à des réflexions de la part des lecteurs et, dÚs lors, contribuer à un
dĂ©bat dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. La Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale a soulignĂ© que les
deux phrases Ă©crites en lettres plus grandes au centre de la page confirmaient
ce constat. La Cour note de plus que le texte ne donne pratiquement pas
dâĂ©lĂ©ments appartenant Ă la vie privĂ©e de la requĂ©rante ou de son mari, mais se
consacre pour lâessentiel aux aspects pratiques concernant la villa et sa
location.
52. De lâavis de la Cour, on ne saurait dĂšs lors
soutenir que lâarticle nâĂ©tait quâun prĂ©texte afin de pouvoir publier la photo
litigieuse et quâil y avait un lien purement artificiel entre les deux. La
qualification, par la Cour constitutionnelle fédérale, puis par la Cour
fĂ©dĂ©rale de justice, de lâobjet de lâarticle dâĂ©vĂ©nement dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ne
saurait passer pour déraisonnable. La Cour peut donc accepter que la photo
litigieuse, considĂ©rĂ©e dans le contexte avec lâarticle, a apportĂ©, au moins
dans une certaine mesure, une contribution Ă un dĂ©bat dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral (cf., mutatis mutandis, Karhuvaara et Iltalehti c. Finlande,
no 53678/00, § 45, CEDH 2004‑X ; Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, § 118).
53. Pour ce qui est de la notoriété de la
requérante, la Cour relÚve que les juridictions allemandes ont considéré que la
requĂ©rante Ă©tait un personnage public. Elle rappelle quâelle a dĂ©jĂ estimĂ© Ă
plusieurs reprises que la requĂ©rante et son mari devaient ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme
des personnes publiques (voir les références jurisprudentielles dans Von
Hannover (no2), précité », § 120) qui ne peuvent pas
prĂ©tendre de la mĂȘme maniĂšre Ă une protection de leur droit Ă la vie privĂ©e que
des personnes privées inconnues du public (Von Hannover (no 2), précité, §
110).
54. Pour ce qui est de lâobjet du reportage, la
Cour renvoie Ă ses conclusions ci-dessus (paragraphe 51).
55. En ce qui concerne le comportement antérieur de
la requérante, la Cour constate que la requérante a montré, notamment par
lâintroduction dâactions judiciaires (voir, par exemple, les paragraphes 6-8
ci-dessus), quâelle ne souhaitait pas que des photos sur sa vie privĂ©e
apparaissent dans la presse. Elle relĂšve en lâespĂšce que les juridictions
allemandes ne se sont pas explicitement penchées sur ce point. Il ressort
cependant des conclusions notamment de la Cour fédérale de justice que celle-ci
a tenu compte de cette circonstance en substance lors de lâapprĂ©ciation du
degré de notoriété de la requérante et des circonstances de la prise de photo
(voir, mutatis mutandis, KĂŒchl c. Autriche, no 51151/06, § 80, 4 dĂ©cembre 2012 ; Verlagsgruppe News GmbH et Bobi c. Autriche, no
59631/09, § 83, 4 décembre 2012). La Cour en conclut que cet élément a dÚs lors
Ă©tĂ© suffisamment pris en considĂ©ration lors de la mise en balance des intĂ©rĂȘts
divergents en jeu.
56. La Cour note aussi que la Cour
constitutionnelle fédérale a qualifiée la photo litigieuse de petit format. La
Cour fédérale de justice quant à elle a estimé que la photo en tant que telle
nâavait pas dâeffet de violation propre. En ce qui concerne enfin les
circonstances de sa prise, la Cour observe que la Cour fédérale de justice,
dans son deuxiĂšme arrĂȘt, a constatĂ© que la requĂ©rante nâavait pas soutenu que
la photo avait Ă©tĂ© prise clandestinement ou Ă lâaide de moyens Ă©quivalents et
nâavait pas non plus avancĂ© dâautres arguments qui, dâaprĂšs le concept de
protection Ă©chelonnĂ©e, rendraient la publication illicite en lâabsence dâun
consentement de la requérante. La Cour en conclut que ces éléments ne
commandaient pas un examen plus approfondi, faute dâindications pertinentes de
la part de la requĂ©rante et en lâabsence de circonstances particuliĂšres de
nature Ă justifier lâinterdiction de la publication de la photo (voir Von
Hannover (no2), précité, § 123).
57. La Cour constate que les juridictions
nationales ont pris en considération les critÚres essentiels pour la mise en
balance des diffĂ©rents intĂ©rĂȘts en jeu, ainsi que la jurisprudence de la Cour.
58. Dans ces conditions, et eu égard à la marge
dâapprĂ©ciation dont les juridictions nationales disposent en la matiĂšre
lorsquâelles mettent en balance des intĂ©rĂȘts divergents (Von Hannover (no 2),
prĂ©citĂ©, § 126), la Cour conclut que les juridictions nationales nâont pas
manquĂ© Ă leurs obligations positives Ă lâĂ©gard de la requĂ©rante au titre de
lâarticle 8 de la Convention. Partant, il nây a pas eu violation de cette
disposition.
PAR CES MOTIFS, LA
COUR, Ă LâUNANIMITĂ,
1. DĂ©clare la requĂȘte recevable
;
2. Dit quâil nây a pas eu violation de lâarticle
8 de la Convention.
Fait
en français, puis communiqué par écrit le 19 septembre 2013, en application de
lâarticle 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.
             Claudia Westerdiek             Mark Villiger
             GreffiÚre                                Président