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Corte europea dei diritti dell’uomo, V sezione

19 settembre 2013

(requĂȘte n. 8772/10)

 

AFFAIRE VON HANNOVER c. ALLEMAGNE (No 3)

 

ARRÊT

 

STRASBOURG

 

 

 

 

 

Cet arrĂȘt deviendra dĂ©finitif dans les conditions dĂ©finies Ă  l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

 

 

En l’affaire Von Hannover c. Allemagne (no 3),

 

 

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (cinquiĂšme section), siĂ©geant en une chambre composĂ©e de :

 

              Mark Villiger, président,

              Angelika Nußberger,

              Ann Power-Forde,

              Ganna Yudkivska,

              Paul Lemmens,

              Helena JÀderblom,

              Aleƥ Pejchal, juges,

et de Claudia Westerdiek, greffiĂšre de section,

 

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 août 2013,

 

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

 

PROCÉDURE

 

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requĂȘte (no 8772/10) dirigĂ©e contre la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale d’Allemagne et dont une ressortissante monĂ©gasque, Caroline von Hannover (« la requĂ©rante »), a saisi la Cour le 10 fĂ©vrier 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention »).

 

2.  La requĂ©rante a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©e par Mes M. Prinz et M. Lehr, avocats Ă  Hambourg. Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par l’un de ses agents, Mme K. Behr, du ministĂšre fĂ©dĂ©ral de la Justice.

 

3.  La requĂ©rante voit dans le refus des tribunaux allemands d’interdire toute nouvelle publication de la photo la montrant avec son mari une violation de leur droit au respect de sa vie privĂ©e garanti par l’article 8 de la Convention.

 

4.  Le 26 avril 2010, la requĂȘte a Ă©tĂ© communiquĂ©e au Gouvernement, sans cependant inviter les parties Ă  prĂ©senter des observations. Le 26 mars 2012, les parties ont Ă©tĂ© invitĂ©es Ă  prĂ©senter leurs observations Ă  la lumiĂšre de l’arrĂȘt Von Hannover c. Allemagne (no 2) ([GC], nos 40660/08 et 60641/08, CEDH 2012).

 

5.  InformĂ© de son droit de prĂ©senter des observations, le gouvernement monĂ©gasque n’a pas exprimĂ© l’intention de participer Ă  la procĂ©dure.

 

EN FAIT

 

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

 

A.  La genùse de l’affaire

 

6.  La requérante est née en 1957 et réside à Monaco. Depuis le début des années 90, elle essaie, souvent par voie judiciaire, de faire interdire la publication dans la presse de photos sur sa vie privée.

 

7.  Deux sĂ©ries de photos, publiĂ©es respectivement en 1993 et 1997 dans trois magazines allemands et montrant la requĂ©rante en compagnie de l’acteur Vincent Lindon ou de son mari, le prince Ernst August von Hannover, avaient fait l’objet de trois sĂ©ries de procĂ©dures devant les juridictions allemandes et, en particulier, d’arrĂȘts de principe de la Cour fĂ©dĂ©rale de justice du 19 dĂ©cembre 1995 et de la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale du 15 dĂ©cembre 1999, par lesquels la requĂ©rante avait Ă©tĂ© dĂ©boutĂ©e de ses demandes. Ces procĂ©dures ont fait l’objet de l’arrĂȘt du 24 juin 2004 Von Hannover c. Allemagne (no 59320/00, CEDH 2004VI), dans lequel la Cour a conclu que les dĂ©cisions judiciaires avaient portĂ© atteinte au droit de la requĂ©rante au respect de sa vie privĂ©e, droit garanti par l’article 8 de la Convention.

 

8.  Par la suite, la requĂ©rante et son mari engagĂšrent plusieurs procĂ©dures devant les juridictions civiles tendant Ă  l’interdiction de nouvelles photos parues dans des magazines allemands entre 2002 et 2004 en se prĂ©valant de l’arrĂȘt de la Cour rendu en 2004. Par des arrĂȘts de principe du 6 mars 2007, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice dĂ©bouta la requĂ©rante (et son mari) partiellement de leurs demandes. Par un arrĂȘt de principe du 26 fĂ©vrier 2008, la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale rejeta les recours constitutionnels de la requĂ©rante et des maisons d’édition concernĂ©es. D’autres recours constitutionnels furent rejetĂ©s ultĂ©rieurement. Ces procĂ©dures ont fait l’objet de l’arrĂȘt Von Hannover c. Allemagne (no 2) ([GC], nos 40660/08 et 60641/08, CEDH 2012), dans lequel la Cour a conclu que les dĂ©cisions judiciaires n’avaient pas portĂ© atteinte au droit de la requĂ©rante et de son mari au respect de leur vie privĂ©e.

 

B.  La procédure litigieuse

 

1.  La photo litigieuse

 

9.  La photo litigieuse, publiĂ©e par la maison d’édition Klambt-Verlag GmbH & Cie dans le numĂ©ro 13/02 du 20 mars 2002 du magazine 7 Tage, montre la requĂ©rante et son mari en vacances Ă  un endroit non identifiable. Elle est assortie d’un commentaire : « Ambiance de vacances : Caroline avec son mari. » Sur cette page et la page suivante du magazine sont reproduites plusieurs photos de la villa de vacances de la famille von Hannover situĂ©e sur une Ăźle au Kenya. Les photos sont accompagnĂ©es d’un article intitulĂ© : « Dormir dans le lit de la princesse Caroline ? Ce n’est pas un rĂȘve irrĂ©alisable ! Caroline et Ernst August louent leur villa de rĂȘve. » L’article rapporte une tendance qui a cours dans le milieu des stars de Hollywood et des membres de la noblesse consistant Ă  louer leurs maisons de vacances. Il dĂ©crit ensuite la villa de la famille von Hannover et rĂ©vĂšle des dĂ©tails tels le mobilier, le prix de location par jour et les diffĂ©rentes maniĂšres de passer une journĂ©e de vacances. Dans un petit encadrĂ© au milieu du texte principal figurent en lettres plus grandes les deux phrases suivantes : « Les gens riches et beaux sont aussi regardants (sparsam). Beaucoup d’entre eux louent leurs villas Ă  des hĂŽtes payants. »

 

2.  Les décisions judiciaires

 

10.  Le 29 novembre 2004, la requĂ©rante saisit le tribunal rĂ©gional de Hambourg d’une action tendant Ă  l’interdiction de toute nouvelle publication de la photo.

 

a)  Les décisions des juridictions inférieures

 

11.  Par un jugement du 24 juin 2005, le tribunal régional de Hambourg fit droit à la demande de la requérante.

 

12.  Par un arrĂȘt du 31 janvier 2006, la cour d’appel de Hambourg annula le jugement au motif que le droit de la requĂ©rante devait s’effacer devant les droits fondamentaux de la presse. Elle exposa que si les reportages poursuivaient en premier lieu un but de divertissement, la publication des photos Ă©tait nĂ©anmoins licite au regard de l’arrĂȘt de la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale du 15 dĂ©cembre 1999 dont les considĂ©rants porteurs (tragende ErwĂ€gungen) liaient la cour d’appel.

 

b)  Le premier arrĂȘt de la Cour fĂ©dĂ©rale de justice

 

13.  Le 6 mars 2007, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice accueillit le pourvoi en cassation de la requĂ©rante (no VI ZR 52/06) et cassa l’arrĂȘt de la cour d’appel. Elle estima que l’opinion de la cour d’appel ne correspondait pas Ă  son concept de protection Ă©chelonnĂ©e (abgestuftes Schutzkonzept) et rappela les critĂšres de ce concept (voir Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 29-35). Puis, appliquant ces critĂšres Ă  la prĂ©sente affaire et en rĂ©fĂ©rence Ă  l’arrĂȘt de la Cour de 2004 Von Hannover (prĂ©citĂ©), elle considĂ©ra notamment que le reportage n’avait pas trait Ă  un Ă©vĂ©nement de l’histoire contemporaine ou d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, mĂȘme si on partait d’une interprĂ©tation ample de ces termes.

 

c)  L’arrĂȘt de la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale

 

14.  Le 26 fĂ©vrier 2008, la premiĂšre section (Senat) de la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale admit le recours constitutionnel de la maison d’édition (no 1 BvR 1606/07), cassa l’arrĂȘt de la Cour fĂ©dĂ©rale de justice et renvoya l’affaire devant celle-ci.

 

15.  Par le mĂȘme arrĂȘt, elle rejeta les recours constitutionnels de la requĂ©rante (no 1 BvR 1626/07) et de la maison d’édition Ehrlich & Sohn GmbH & Co KG (no 1 BvR 1602/07) dirigĂ©es contre un arrĂȘt de la Cour fĂ©dĂ©rale de justice du 6 mars 2007 (no VI ZR 51/06) par lequel celle-ci avait interdit la publication de deux photos parues dans des magazines allemands entre 2002 et 2004 et avait refusĂ© d’interdire la publication d’une troisiĂšme photo qui montraient la requĂ©rante et son mari (voir Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 15-53).

 

16.  La Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale rappela la jurisprudence de la Cour concernant les articles 8 et 10 de la Convention ainsi que sa propre jurisprudence relative aux diffĂ©rents droits fondamentaux en jeu en reprenant les principes dĂ©gagĂ©s dans son arrĂȘt de principe du 15 dĂ©cembre 1999 (voir Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 41-42). Elle prĂ©cisa que, dans la mesure oĂč une image n’apportait pas elle-mĂȘme une contribution Ă  la formation de l’opinion publique, sa valeur informative devait ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e dans le contexte de l’article accompagnant la photo. Cependant, dans l’hypothĂšse oĂč cet article ne serait qu’un prĂ©texte pour publier une photo d’une personne connue du grand public, il n’existait pas de contribution Ă  la formation de l’opinion publique et il n’était dĂšs lors pas opportun de faire prĂ©valoir l’intĂ©rĂȘt de publier sur la protection de la personnalitĂ©. La Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale rappela par ailleurs que le fait d’admettre des photos prises en dehors du contexte de l’évĂ©nement qui faisait l’objet du reportage Ă©crit pouvait contribuer Ă  attĂ©nuer les effets d’harcĂšlement auxquels seraient exposĂ©s les personnages cĂ©lĂšbres si un article pouvait ĂȘtre assorti uniquement de photos prises lors de l’évĂ©nement dont l’article rendait compte.

 

17.  La Cour constitutionnelle fédérale poursuivit en rappelant les critÚres à prendre en compte quant aux circonstances de la prise des photos et la répartition des obligations procédurales concernant la présentation des faits et la charge de la preuve (voir Von Hannover (no 2), précité, §§ 43-44).

 

18.  La Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale rappela aussi qu’il appartenait aux juridictions civiles d’appliquer et d’interprĂ©ter les dispositions de droit civil Ă  la lumiĂšre des droits fondamentaux en jeu tout en tenant compte de la Convention. Son propre rĂŽle se limitait Ă  vĂ©rifier si le juge avait suffisamment eu Ă©gard Ă  l’influence des droits fondamentaux lors de l’interprĂ©tation et de l’application de la loi et lors de la mise en balance des droits en conflit. Telle Ă©tait aussi l’étendue du contrĂŽle du juge constitutionnel quant Ă  la question de savoir si les juridictions avaient rempli leur obligation d’intĂ©grer la jurisprudence de la Cour dans le domaine concernĂ© de l’ordre juridique national (Teilrechtsordnung). Que la mise en balance des droits par le juge dans des litiges multipolaires – c’estĂ dire des litiges impliquant des intĂ©rĂȘts divergents – et complexes puisse aussi aboutir Ă  un autre rĂ©sultat n’était pas une raison suffisante pour amener le juge constitutionnel Ă  corriger une dĂ©cision judiciaire. Cependant il y avait violation de la Constitution lorsque le champ de protection (Schutzbereich) ou la portĂ©e d’un droit fondamental en jeu avaient Ă©tĂ© mĂ©connus et que la mise en balance avait Ă©tĂ© de ce fait dĂ©fectueuse, ou lorsque les exigences dĂ©coulant du droit constitutionnel ou de la Convention n’avaient pas Ă©tĂ© dĂ»ment prises en compte.

 

19.  Appliquant ces critĂšres Ă  la photo litigieuse, la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale estima que la Cour fĂ©dĂ©rale de justice, en se rĂ©fĂ©rant Ă  l’arrĂȘt de la Cour Von Hannover de 2004 prĂ©citĂ©, s’était bornĂ©e Ă  dire que la photo litigieuse n’avait pas de valeur informationnelle propre, et que l’article l’accompagnant ne portait pas sur un sujet d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et ne concernait pas un Ă©vĂ©nement de l’histoire contemporaine. Elle n’avait cependant pas indiquĂ© pourquoi le texte de l’article n’avait pas justifiĂ© de l’assortir d’une telle photo alors qu’il ne dĂ©crivait pas une scĂšne de vacances mais informait sur le fait que la requĂ©rante et son mari louaient leur villa de vacances Ă  des tierces personnes. Pour la Cour constitutionnelle, l’article pouvait dĂšs lors donner lieu Ă  des rĂ©flexions sociales des lecteurs. Elle releva en particulier que l’intention principale de l’article Ă©tait rĂ©sumĂ©e dans les deux phrases en lettres plus grandes qui Ă©taient placĂ©es au milieu de la premiĂšre page de l’article (voir paragraphe 9 in fine ci-dessus). Elle conclut que les informations, prĂ©sentĂ©es sous la forme d’un article Ă  visĂ©e divertissante, portaient sur un changement d’attitude de la fine fleur des cĂ©lĂ©britĂ©s aisĂ©es, lesquelles se trouvaient au centre de l’attention du public dans d’autres contextes et Ă©taient investies d’un rĂŽle de modĂšles par une grande partie de la population. Ces informations Ă©taient par consĂ©quent de nature Ă  donner lieu Ă  un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, ce qui justifiait de publier une photo des propriĂ©taires de la villa dont il Ă©tait question dans l’article.

 

20.  D’aprĂšs la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale, la simple affirmation de la Cour fĂ©dĂ©rale de justice, selon laquelle les vacances de personnalitĂ©s connues faisaient partie du domaine clĂ© de leur sphĂšre privĂ©e protĂ©gĂ©e, n’était pas suffisante. La maison d’édition avait utilisĂ© une photo de petit format qui montrait la requĂ©rante et son mari, en tenue de loisirs, dans une ambiance de vacances en compagnie d’autres personnes dans un endroit non prĂ©cisĂ© et non identifiable. Que le clichĂ© eĂ»t Ă©tĂ© pris Ă  l’endroit de leur villa au Kenya ou non n’importait pas, la photo ne permettant pas de dĂ©duire la maniĂšre dont la requĂ©rante passait ses vacances et occupait son temps libre. Elle ne permettait pas non plus d’affirmer que la requĂ©rante (montrĂ©e au milieu d’autres personnes) avait Ă©tĂ© photographiĂ©e dans un moment de dĂ©tente qui eĂ»t justifiĂ© une protection accrue contre la diffusion de l’image dans les mĂ©dias. Le besoin d’une protection accrue ne rĂ©sultait pas du seul fait que la requĂ©rante se trouvait en sĂ©jour de vacances, il devait s’appuyer sur des Ă©lĂ©ments concrets de la situation examinĂ©e. Il appartenait aux tribunaux civils d’exposer les raisons principales qui les avaient conduits Ă  leurs conclusions respectives. Or ni la Cour fĂ©dĂ©rale de justice ni le tribunal rĂ©gional n’avaient satisfait Ă  ces critĂšres. L’interdiction de la publication prononcĂ©e par la Cour fĂ©dĂ©rale de justice devait dĂšs lors faire l’objet d’un nouvel examen sous l’angle de la conformitĂ© aux rĂšgles constitutionnelles exposĂ©es ci-dessus. On ne pouvait pas exclure que le rĂ©examen de la photo litigieuse Ă  la lumiĂšre de ces critĂšres et la prise en compte du texte de l’article l’accompagnant pussent aboutir Ă  un rĂ©sultat diffĂ©rent.

 

d)  Le deuxiĂšme arrĂȘt de la Cour fĂ©dĂ©rale de justice

 

21.  Le 1er juillet 2008, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice rejeta le pourvoi en cassation de la requĂ©rante (no VI ZR 67/08). AprĂšs avoir rappelĂ© les critĂšres pertinents rĂ©sultant de son concept de protection Ă©chelonnĂ©e (voir Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 29-35), elle prĂ©cisa que la valeur informationnelle d’une image devait ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e dans le contexte du reportage Ă©crit accompagnant la photo. Les images pouvaient complĂ©ter un article et renforcer le contenu de celui-ci en soulignant par exemple son authenticitĂ©. Elles pouvaient de mĂȘme servir Ă  susciter l’intĂ©rĂȘt du lecteur pour le reportage Ă©crit. Toutefois, si un article se contentait de crĂ©er une occasion de publier une photo d’une personnalitĂ© connue sans contribuer Ă  la formation de l’opinion publique, l’intĂ©rĂȘt de diffusion ne pouvait l’emporter sur la protection de la personnalitĂ©.

 

22.  Elle ajouta que lors de la mise en balance des intĂ©rĂȘts en jeu, il fallait examiner, d’une part, l’occasion et les circonstances dans lesquelles une photo avait Ă©tĂ© prise, en particulier si celle-ci avait Ă©tĂ© prise clandestinement ou dans un climat de poursuite permanente, et, d’autre part, la question de savoir comment et dans quelle situation la personne concernĂ©e Ă©tait reprĂ©sentĂ©e sur la photo. D’aprĂšs la Cour fĂ©dĂ©rale de justice, l’ingĂ©rence dans le droit de la personnalitĂ© Ă©tait plus grave lorsque la photo montrait des dĂ©tails de la vie privĂ©e de la personne visĂ©e qui ne faisaient en rĂšgle gĂ©nĂ©rale pas l’objet de dĂ©bats publics ou lorsque l’intĂ©ressĂ© avait une espĂ©rance lĂ©gitime de ne pas figurer sur des photos publiĂ©es dans les mĂ©dias. Dans le cas de la requĂ©rante, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice estima que celle-ci Ă©tait un personnage public, comme l’avait relevĂ© la Cour dans ses arrĂȘts Sciacca c. Italie (no 50774/99, 11 janvier 2005, §§ 27 et s.) et GourguĂ©nidzĂ© c. GĂ©orgie (no 71678/01, § 55, 17 octobre 2006). Les mĂ©dias pouvaient par consĂ©quent diffuser des informations plus amples concernant de tels personnages publics que s’il s’agissait d’une personne privĂ©e, Ă  condition que ces informations eussent une valeur informative suffisante pour un dĂ©bat portant sur des faits intĂ©ressant le public et que le rĂ©sultat de la mise en balance ne commandĂąt pas d’interdire la publication de la photo en raison de l’existence d’intĂ©rĂȘts importants de la personne visĂ©e.

 

23.  Appliquant ces critĂšres au cas qui lui Ă©tait soumis, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice releva que la photo avait Ă©tĂ© prise sans le consentement de la requĂ©rante. MĂȘme si la photo ne concernait pas un sujet d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, la libertĂ© d’expression de la maison d’édition ne devait pas pour autant cĂ©der devant le droit de la requĂ©rante Ă  la vie privĂ©e. Reprenant le raisonnement de la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale (voir paragraphes 19-20 ci-dessus), la Cour fĂ©dĂ©rale de justice exposa en dĂ©tail pourquoi le reportage Ă©crit Ă©tait Ă  mĂȘme de susciter un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt public et qu’il pouvait de ce fait ĂȘtre assorti de cette (seule) image de la requĂ©rante.

 

24.  Elle estima aussi que la photo en tant que telle n’avait pas d’effet de violation propre (eigenstĂ€ndiger Verletzungseffekt). La requĂ©rante n’avait par ailleurs pas soutenu que cette photo avait Ă©tĂ© prise clandestinement ou d’une maniĂšre importune et n’avait pas non plus avancĂ© d’autres arguments qui, d’aprĂšs le concept de protection Ă©chelonnĂ©e, s’opposaient Ă  la publication, mĂȘme en l’absence de son consentement. D’aprĂšs la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale, cela valait Ă©galement lorsque la photo avait Ă©tĂ© prise lors d’une autre occasion.

 

e)  La (deuxiÚme) décision de la Cour constitutionnelle fédérale

 

25.  Le 20 septembre 2008, la requĂ©rante saisit la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale d’un recours constitutionnel contre l’arrĂȘt de la Cour fĂ©dĂ©rale de justice.

 

26.  Le 24 septembre 2009, une chambre de trois juges de la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale n’admit pas le recours constitutionnel (no 1 BvR 2678/08). Elle prĂ©cisa qu’elle s’abstenait Ă  motiver sa dĂ©cision.

 

3.  D’autres procĂ©dures

 

27. Dans une procĂ©dure parallĂšle, le mari de la requĂ©rante engagea Ă©galement une action contre la maison d’édition concernant la mĂȘme photo. Le tribunal rĂ©gional de Hambourg fit droit Ă  cette demande, la cour d’appel de Hambourg annula le jugement et rejeta la demande. Par un arrĂȘt du 6 mars 2007, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice cassa l’arrĂȘt de la cour d’appel et interdit toute nouvelle publication de la photo litigieuse (no VI ZR 53/06). Le 16 juin 2008, en rĂ©fĂ©rence Ă  son arrĂȘt du 26 fĂ©vrier 2008, la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale, siĂ©geant en une chambre de trois juges, admit le recours constitutionnel de la maison d’édition, cassa l’arrĂȘt de la Cour fĂ©dĂ©rale de justice et renvoya l’affaire devant celle-ci (no 1 BvR 17/08). Par une dĂ©cision du 14 avril 2010, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice, sur demande du mari de la requĂ©rante, suspendit la procĂ©dure jusqu’à une dĂ©cision de la Cour dans la prĂ©sente affaire (no VI ZR 67/08).

 

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

 

28.  Le droit et la pratique interne pertinente sont reproduits dans l’arrĂȘt Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 69-72.

 

EN DROIT

 

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

 

29.  La requĂ©rante allĂšgue que le refus des juridictions civiles allemandes d’interdire toute nouvelle publication de la photo litigeuse parue dans le magazine 7 Tage no 13/02 du 20 mars 2002 Ă©tait contraire Ă  l’article 8 de la Convention, dont la partie pertinente en l’espĂšce est ainsi libellĂ©e :

 

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

 

2.  Il ne peut y avoir ingĂ©rence d’une autoritĂ© publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingĂ©rence est prĂ©vue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, est nĂ©cessaire (...) Ă  la protection des droits et libertĂ©s d’autrui. »

 

30.  Le Gouvernement s’oppose à cette thùse.

 

A.  Sur la recevabilité

 

31.  La Cour constate que la requĂȘte n’est pas manifestement mal fondĂ©e au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relĂšve par ailleurs qu’elle ne se heurte Ă  aucun autre motif d’irrecevabilitĂ©. Il convient donc de la dĂ©clarer recevable.

 

B.  Sur le fond

 

1.  Les arguments des parties

 

a)  Le Gouvernement

 

32.  Le Gouvernement rappelle qu’à la suite de l’arrĂȘt Von Hannover de la Cour de 2004, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice et la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale ont modifiĂ© leur jurisprudence en mettant, lors de la mise en balance des intĂ©rĂȘts en jeu, davantage l’accent sur la question de savoir si la publication litigieuse contribue Ă  un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ou si son contenu ne sert qu’à des fins de divertissement sans aucune portĂ©e sociale.

 

33.  Le Gouvernement soutient que la Cour fĂ©dĂ©rale de justice et la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale auraient pris en compte les critĂšres pertinents pour la mise en balance des intĂ©rĂȘts en jeu tout en se limitant Ă  examiner ceux qui Ă©taient importants dans le cas d’espĂšce, et seraient parvenues Ă  des conclusions comprĂ©hensibles qui ne prĂȘteraient pas Ă  la critique. Le Gouvernement souscrit en particulier Ă  leurs conclusions d’aprĂšs lesquelles le reportage que la photo litigieuse accompagnait, portait sur un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et que, dĂšs lors, la photo litigieuse revĂȘtait une certaine valeur informative. Il prĂ©cise que mĂȘme si l’objet du prĂ©sent reportage ne concernait certes pas un domaine essentiel pour la formation de l’opinion du public, la libertĂ© de la presse ne se limiterait pas Ă  rendre uniquement compte de thĂšmes importants.

 

34.  Le Gouvernement expose en outre qu’à l’instar de la Cour dans son arrĂȘt Von Hannover (no 2) (§ 120), les juridictions allemandes ont relevĂ© que la requĂ©rante Ă©tait une personne connue du public et que la photo litigieuse, montrant la requĂ©rante et son mari dans un endroit non identifiable parmi d’autres gens, n’avait pas Ă©tĂ© prise dans des circonstances dĂ©favorables Ă  la requĂ©rante et n’était pas non plus en elle-mĂȘme offensante.

 

35.  Le Gouvernement rappelle enfin que lorsque la mise en balance par les autoritĂ©s nationales s’est faite dans le respect des critĂšres Ă©tablis par la Cour, il faut des raisons sĂ©rieuses pour que celle-ci puisse substituer son avis Ă  celui des juridictions internes.

 

b)  La requérante

 

36.  La requĂ©rante dĂ©nonce que les juridictions allemandes n’ont pas appliquĂ© les critĂšres que la Cour a Ă©tablis ; leur mise en balance des intĂ©rĂȘts en jeu aurait dĂšs lors Ă©tĂ© incomplĂšte et dĂ©fectueuse.

 

37.  La requĂ©rante soutient que la photo litigieuse ne contribuait en aucune maniĂšre Ă  un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Elle montrait la requĂ©rante et son mari en vacances, tout comme les photos parues dans d’autres magazines dont la nouvelle publication avait Ă©tĂ© interdite par la Cour fĂ©dĂ©rale de justice (voir Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 36-37). Puis, Ă  la diffĂ©rence du reportage ayant fait l’objet de cet arrĂȘt, l’article dans la prĂ©sente affaire n’aurait aucune portĂ©e sociale et servirait uniquement Ă  satisfaire la curiositĂ© des lecteurs du magazine. La requĂ©rante prĂ©cise Ă  cet Ă©gard que la famille de son mari possĂ©derait la maison de vacances depuis des dĂ©cennies et la louerait depuis aussi longtemps. La Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale aurait dĂšs lors Ă  tort assumĂ© qu’il s’agissait d’une tendance nouvelle des personnes cĂ©lĂšbres de louer leurs maisons secondaires. La requĂ©rante souligne que les juges des juridictions civiles et en particulier ceux de la Cour fĂ©dĂ©rale de justice, Ă©taient aussi de cet avis avant que la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale n’ait contredit cette conclusion. Elle voit le risque qu’en baissant tant l’exigence quant Ă  l’existence d’un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, les juridictions allemandes ouvriraient la porte Ă  des abus et n’assureraient plus une protection effective du droit de la personnalitĂ©. Par ailleurs, il y aurait un manque de prĂ©visibilitĂ© et de sĂ©curitĂ© juridique si onze juges professionnels saisis d’une affaire nient l’existence d’un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, mais si finalement l’existence d’un tel dĂ©bat est acceptĂ©e.

 

38. La requĂ©rante ajoute que, contrairement au reportage ayant fait l’objet de l’arrĂȘt Von Hannover (no2), il n’y aurait eu en l’occurrence aucun lien entre la photo et le texte. En ce qui concerne sa notoriĂ©tĂ©, elle souligne que le reportage litigieux ne concernait que son mari et que la conclusion de la Cour dans son arrĂȘt Von Hannover (no 2), (§ 120) ne signifierait pas qu’elle ne bĂ©nĂ©ficie plus d’aucune protection de sa vie privĂ©e.

 

39.  La requĂ©rante met en avant que la mise en balance des juridictions allemandes Ă©tait dĂ©fectueuse car celles-ci n’ont aucunement tenu compte du fait qu’à la diffĂ©rence de certaines cĂ©lĂ©britĂ©s hollywoodiennes mentionnĂ©es dans l’article, elle n’aurait jamais cherchĂ© Ă  Ă©taler sa vie privĂ©e dans les mĂ©dias, mais qu’elle aurait essayĂ© de se protĂ©ger depuis des dĂ©cennies contre l’intrusion dans sa vie privĂ©e. Elle conteste en outre la conclusion de la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale concernant la taille de la photo litigieuse. D’aprĂšs elle, il s’agirait d’une taille plus grande que la moyenne et, de toute façon, ce ne serait pas la taille d’une photo mais son contenu serait dĂ©cisif dans ce contexte.

 

40.  La requĂ©rante souligne enfin qu’elle n’a pas consenti Ă  la prise de la photo et Ă  sa publication. La photo aurait certes Ă©tĂ© prise en pleine rue, mais elle-mĂȘme se serait trouvĂ©e en vacances, c’est-Ă -dire lors d’un moment de dĂ©tente qui devait ĂȘtre particuliĂšrement protĂ©gĂ© contre l’intrusion des photographes. À dĂ©faut, des personnes connues ne joueraient d’aucune protection sur des places publiques et on reviendrait alors Ă  l’idĂ©e que pour ĂȘtre protĂ©gĂ© contre les photographes, une personne doit se trouver dans un endroit Ă  l’abri d’isolement spatial, idĂ©e que la Cour aurait pourtant critiquĂ©e dans son arrĂȘt Von Hannover de 2004 (§ 75). La requĂ©rante ajoute que le juge allemand n’aurait pas pris en compte le fait que la photo avait Ă©tĂ© prise clandestinement et qu’elle se trouvait dans une situation permanente d’observation et de persĂ©cution par des paparazzis.

 

2.  Appréciation de la Cour

 

41.  La Cour rappelle que la notion de « vie privĂ©e » est une notion large, non susceptible d’une dĂ©finition exhaustive, qui recouvre l’intĂ©gritĂ© physique et morale de la personne et peut donc englober de multiples aspects de l’identitĂ© d’un individu, tels le nom ou des Ă©lĂ©ments se rapportant au droit Ă  l’image (Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 95-96). Cette notion comprend les informations personnelles dont un individu peut lĂ©gitimement attendre qu’elles ne soient pas publiĂ©es sans son consentement (FlinkkilĂ€ et autres c. Finlande, no 25576/04, § 75, 6 avril 2010, Saaristo et autres c. Finlande, no 184/06, § 61, 12 octobre 2010). La publication d’une photo interfĂšre dĂšs lors avec la vie privĂ©e d’une personne, mĂȘme si cette personne est une personne publique (SchĂŒssel c. Autriche (dĂ©c.), no 42409/98, 21 fĂ©vrier 2002 ; Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, § 95).

 

42.  La prĂ©sente requĂȘte appelle un examen du juste Ă©quilibre Ă  mĂ©nager entre le droit de la requĂ©rante au respect de sa vie privĂ©e, garanti par l’article 8 de la Convention, et le droit de la maison d’édition Ă  la libertĂ© d’expression garanti par l’article 10 de la Convention. Lors de cet examen, la Cour doit notamment avoir Ă©gard aux obligations positives qui incombent Ă  l’Etat au regard de l’article 8 de la Convention et aux principes qu’elle a dĂ©gagĂ©s dans sa jurisprudence constante quant au rĂŽle essentiel que joue la presse dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique. Elle rappelle en particulier que si la presse ne doit pas franchir certaines limites, concernant notamment la protection de la rĂ©putation et des droits d’autrui, il lui incombe nĂ©anmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilitĂ©s, des informations et des idĂ©es sur toutes les questions d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et de publier des photos. À cette fonction s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir (Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 98 et 101-103).

 

43.  Le choix des mesures propres Ă  garantir l’observation de l’article 8 de la Convention dans les rapports interindividuels relĂšve en principe de la marge d’apprĂ©ciation des Etats contractants, que les obligations Ă  la charge de l’Etat soient positives ou nĂ©gatives. La Cour rappelle Ă  ce sujet avoir rĂ©cemment prĂ©cisĂ© que cette marge d’apprĂ©ciation est en principe la mĂȘme que celle dont les Etats disposent sur le terrain de l’article 10 de la Convention pour juger de la nĂ©cessitĂ© et de l’ampleur d’une ingĂ©rence dans la libertĂ© d’expression protĂ©gĂ©e par cet article (Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, § 106, et Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no 39954/08, § 87, 7 fĂ©vrier 2012).

 

44.  Cette marge va toutefois de pair avec un contrĂŽle europĂ©en portant Ă  la fois sur la loi et les dĂ©cisions qui l’appliquent, mĂȘme quand elles Ă©manent d’une juridiction indĂ©pendante. Dans l’exercice de son pouvoir de contrĂŽle, la Cour n’a pas pour tĂąche de se substituer aux juridictions nationales, mais il lui incombe de vĂ©rifier, Ă  la lumiĂšre de l’ensemble de l’affaire, si les dĂ©cisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’apprĂ©ciation se concilient avec les dispositions invoquĂ©es de la Convention. Il ne lui appartient en outre pas, ni d’ailleurs aux juridictions internes, de se substituer Ă  la presse dans le choix du mode de compte rendu Ă  adopter dans un cas donnĂ©e (Von Hannover (no 2) prĂ©citĂ©, §§ 105 et 102, Axel Springer AG, prĂ©citĂ©, §§ 86 et 81).

 

45.  La Cour rappelle que si la mise en balance par les autoritĂ©s nationales s’est faite dans le respect des critĂšres Ă©tablis par sa jurisprudence, il faut des raisons sĂ©rieuses pour qu’elle substitue son avis Ă  celui des juridictions internes (MGN Limited c. Royaume-Uni, no 39401/04, §§ 150 et 155, 18 janvier 2011, Palomo SĂĄnchez et autres c. Espagne [GC], nos 28955/06, 28957/06, 28959/06 et 28964/06, § 57, CEDH 2011, von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, § 107, Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, §§ 66 et 67, 15 mars 2012, et aussi Mouvement raĂ«lien c. Suisse [GC], no 16354/06, § 66, 13 juillet 2012).

 

46.  Dans ses arrĂȘts prĂ©citĂ©s Axel Springer AG et Von Hannover (no 2), la Cour a rĂ©sumĂ© les critĂšres pertinents pour la mise en balance du droit au respect de la vie privĂ©e et du droit Ă  la libertĂ© d’expression : la contribution Ă  un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, la notoriĂ©tĂ© de la personne visĂ©e et l’objet du reportage, le comportement antĂ©rieur de la personne concernĂ©e, le contenu, la forme et les rĂ©percussions de la publication et, en ce qui concerne des photos, les circonstances de leur prise (Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 108-113, Axel Springer AG, prĂ©citĂ©, §§ 89-95 ; voir Ă©galement Tănăsoaica c. Roumanie, no 3490/03, § 41, 19 juin 2012).

 

47.  La Cour rappelle d’abord qu’à la suite de l’arrĂȘt Von Hannover de 2004, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice a apportĂ© des modifications Ă  sa jurisprudence antĂ©rieure en mettant l’accent sur la question de savoir si le reportage litigieux contribuait Ă  un dĂ©bat factuel et si son contenu allait audelĂ  d’une simple volontĂ© de satisfaire la curiositĂ© du public, et que la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale a confirmĂ© cette approche (voir Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 114-116).

 

48.  En ce qui concerne l’existence d’un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, la Cour note que la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale a estimĂ© que si la photo litigieuse ne contenait pas d’informations liĂ©es Ă  un Ă©vĂ©nement de l’histoire contemporaine et, de ce fait, ne contribuait pas Ă  un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, il en allait autrement de l’article qui rendait compte d’une nouvelle tendance parmi des cĂ©lĂ©britĂ©s de mettre leurs rĂ©sidences de vacances en location. La Cour rappelle Ă  cet Ă©gard que le fait d’apprĂ©cier la valeur informative d’une photo Ă  la lumiĂšre de l’article que celle-ci accompagne et illustre, ne prĂȘte pas Ă  la critique au regard de la Convention (Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, § 118).

 

49.  Dans la mesure oĂč la requĂ©rante dĂ©nonce le risque que les mĂ©dias contournent les conditions fixĂ©es par le juge allemand en utilisant n’importe quel Ă©vĂ©nement de l’histoire contemporaine comme prĂ©texte pour justifier la publication de photos la montrant, la Cour estime qu’il incombe en premier lieu au juge allemand d’apprĂ©cier cette question dans chaque cas prĂ©cis. Elle note Ă  cet Ă©gard que la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale et la Cour fĂ©dĂ©rale de justice ont prĂ©cisĂ© que, dans l’hypothĂšse oĂč un article ne serait qu’un prĂ©texte pour publier la photo d’une personne connue du grand public, il n’existerait pas de contribution Ă  la formation de l’opinion publique et il n’y aurait dĂšs lors pas lieu de faire prĂ©valoir l’intĂ©rĂȘt de publier sur la protection de la personnalitĂ©.

 

50.  La Cour estime que, compte tenu de sa tĂąche de contrĂŽle europĂ©en (voir paragraphe 44 ci-dessus), seules des raisons sĂ©rieuses sauraient l’amener Ă  substituer son avis Ă  celui du juge national dans ce contexte, par exemple, lorsque le lien entre la photo litigieuse et le texte l’accompagnant s’avĂšre purement artificiel et arbitraire.

 

51.  Dans la mesure oĂč la requĂ©rante dĂ©nonce le risque que le juge allemand ne serait pas suffisamment exigeant quant Ă  l’existence d’un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, comme ce serait le cas dans la prĂ©sente affaire, la Cour note que la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale et, Ă  sa suite, la Cour fĂ©dĂ©rale de justice, ont relevĂ© que l’intention du reportage Ă©tait de rendre compte d’une tendance parmi les personnes cĂ©lĂšbres de mettre leurs rĂ©sidences de vacances en location et que ce comportement pouvait donner lieu Ă  des rĂ©flexions de la part des lecteurs et, dĂšs lors, contribuer Ă  un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. La Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale a soulignĂ© que les deux phrases Ă©crites en lettres plus grandes au centre de la page confirmaient ce constat. La Cour note de plus que le texte ne donne pratiquement pas d’élĂ©ments appartenant Ă  la vie privĂ©e de la requĂ©rante ou de son mari, mais se consacre pour l’essentiel aux aspects pratiques concernant la villa et sa location.

 

52.  De l’avis de la Cour, on ne saurait dĂšs lors soutenir que l’article n’était qu’un prĂ©texte afin de pouvoir publier la photo litigieuse et qu’il y avait un lien purement artificiel entre les deux. La qualification, par la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale, puis par la Cour fĂ©dĂ©rale de justice, de l’objet de l’article d’évĂ©nement d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ne saurait passer pour dĂ©raisonnable. La Cour peut donc accepter que la photo litigieuse, considĂ©rĂ©e dans le contexte avec l’article, a apportĂ©, au moins dans une certaine mesure, une contribution Ă  un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral (cf., mutatis mutandis, Karhuvaara et Iltalehti c. Finlande, no 53678/00, § 45, CEDH 2004X ; Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, § 118).

 

53.  Pour ce qui est de la notoriĂ©tĂ© de la requĂ©rante, la Cour relĂšve que les juridictions allemandes ont considĂ©rĂ© que la requĂ©rante Ă©tait un personnage public. Elle rappelle qu’elle a dĂ©jĂ  estimĂ© Ă  plusieurs reprises que la requĂ©rante et son mari devaient ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des personnes publiques (voir les rĂ©fĂ©rences jurisprudentielles dans Von Hannover (no2), prĂ©citĂ© », § 120) qui ne peuvent pas prĂ©tendre de la mĂȘme maniĂšre Ă  une protection de leur droit Ă  la vie privĂ©e que des personnes privĂ©es inconnues du public (Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, § 110).

 

54.  Pour ce qui est de l’objet du reportage, la Cour renvoie à ses conclusions ci-dessus (paragraphe 51).

 

55.  En ce qui concerne le comportement antĂ©rieur de la requĂ©rante, la Cour constate que la requĂ©rante a montrĂ©, notamment par l’introduction d’actions judiciaires (voir, par exemple, les paragraphes 6-8 ci-dessus), qu’elle ne souhaitait pas que des photos sur sa vie privĂ©e apparaissent dans la presse. Elle relĂšve en l’espĂšce que les juridictions allemandes ne se sont pas explicitement penchĂ©es sur ce point. Il ressort cependant des conclusions notamment de la Cour fĂ©dĂ©rale de justice que celle-ci a tenu compte de cette circonstance en substance lors de l’apprĂ©ciation du degrĂ© de notoriĂ©tĂ© de la requĂ©rante et des circonstances de la prise de photo (voir, mutatis mutandis, KĂŒchl c. Autriche, no 51151/06, § 80, 4 dĂ©cembre 2012 ; Verlagsgruppe News GmbH et Bobi c. Autriche, no 59631/09, § 83, 4 dĂ©cembre 2012). La Cour en conclut que cet Ă©lĂ©ment a dĂšs lors Ă©tĂ© suffisamment pris en considĂ©ration lors de la mise en balance des intĂ©rĂȘts divergents en jeu.

 

56.  La Cour note aussi que la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale a qualifiĂ©e la photo litigieuse de petit format. La Cour fĂ©dĂ©rale de justice quant Ă  elle a estimĂ© que la photo en tant que telle n’avait pas d’effet de violation propre. En ce qui concerne enfin les circonstances de sa prise, la Cour observe que la Cour fĂ©dĂ©rale de justice, dans son deuxiĂšme arrĂȘt, a constatĂ© que la requĂ©rante n’avait pas soutenu que la photo avait Ă©tĂ© prise clandestinement ou Ă  l’aide de moyens Ă©quivalents et n’avait pas non plus avancĂ© d’autres arguments qui, d’aprĂšs le concept de protection Ă©chelonnĂ©e, rendraient la publication illicite en l’absence d’un consentement de la requĂ©rante. La Cour en conclut que ces Ă©lĂ©ments ne commandaient pas un examen plus approfondi, faute d’indications pertinentes de la part de la requĂ©rante et en l’absence de circonstances particuliĂšres de nature Ă  justifier l’interdiction de la publication de la photo (voir Von Hannover (no2), prĂ©citĂ©, § 123).

 

57.  La Cour constate que les juridictions nationales ont pris en considĂ©ration les critĂšres essentiels pour la mise en balance des diffĂ©rents intĂ©rĂȘts en jeu, ainsi que la jurisprudence de la Cour.

 

58.  Dans ces conditions, et eu Ă©gard Ă  la marge d’apprĂ©ciation dont les juridictions nationales disposent en la matiĂšre lorsqu’elles mettent en balance des intĂ©rĂȘts divergents (Von Hannover (no 2), prĂ©citĂ©, § 126), la Cour conclut que les juridictions nationales n’ont pas manquĂ© Ă  leurs obligations positives Ă  l’égard de la requĂ©rante au titre de l’article 8 de la Convention. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

 

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

 

1.  DĂ©clare la requĂȘte recevable ;

 

2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

 

Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 19 septembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.

 

              Claudia Westerdiek              Mark Villiger

              GreffiÚre                                  Président