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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Seconda Sezione)

 

19 giugno 2012

 

RequĂŞte n. 69907/01

 

 

 

 

AFFAIRE PRENNA ET AUTRES c. ITALIE

 

 

 

 

ARRĂŠT

(Satisfaction Ă©quitable)

 

 

STRASBOURG

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l’affaire Prenna et autres c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (deuxième section), siĂ©geant une chambre composĂ©e de :

Françoise Tulkens, prĂ©sidente, 
 Dragoljub Popović, 
 Isabelle Berro-Lefèvre, 
 András SajĂł, 
 Guido Raimondi, 
 Paulo Pinto de Albuquerque, 
 Helen Keller, juges, 
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 mai 2012,

Rend l’arrĂŞt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requĂŞte (no 69907/01) dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et dont quatre ressortissants de cet Etat, MM. Stefano et Massimo Prenna et Mmes Fernanda Angeletti et Giuseppina Giorgi (« les requĂ©rants Â»), ont saisi la Cour le 23 avril 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des LibertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Par un arrĂŞt du 9 fĂ©vrier 2006 (« l’arrĂŞt au principal Â»), la Cour a jugĂ© que la perte de toute maĂ®trise des terrains en cause, combinĂ©e avec l’impossibilitĂ© de remĂ©dier Ă  la situation incriminĂ©e, avait engendrĂ© des consĂ©quences assez graves pour que les requĂ©rants aient subi une expropriation de fait incompatible avec leur droit au respect de leurs biens ((CEDH Prenna et autres c. Italie, no 69907/01, § 69, 9 fĂ©vrier 2006).

3.  En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, les requĂ©rants rĂ©clamaient une satisfaction Ă©quitable de 134 846,89 EUR, Ă  titre de prĂ©judice matĂ©riel, soit la valeur des terrains litigieux au moment de l’occupation matĂ©rielle, majorĂ©e des intĂ©rĂŞts lĂ©gaux jusqu’à la date du prononcĂ© ainsi qu’une somme Ă  titre de dommage moral et le remboursement des frais et dĂ©pens.

4.  La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en Ă©tat, la Cour l’a rĂ©servĂ©e et a invitĂ© le Gouvernement et les requĂ©rants Ă  lui soumettre par Ă©crit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment Ă  lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, point 4 du dispositif).

5.  Le Gouvernement a dĂ©posĂ© des observations.

6.  A la suite de la modification de la composition des sections de la Cour, la prĂ©sente requĂŞte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă  la deuxième section ainsi remaniĂ©e.

EN DROIT

7.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s’il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

A.  Dommage

8.  Dans leurs observations dĂ©posĂ©es en 2004, les requĂ©rants demandaient une somme de 134 846,89 EUR, Ă  titre de prĂ©judice matĂ©riel, correspondante Ă  la valeur des terrains litigieux au moment de l’occupation du terrain, Ă  rĂ©Ă©valuer et majorer des intĂ©rĂŞts lĂ©gaux jusqu’au jour du prononcĂ©.

9.  Le Gouvernement conteste les prĂ©tentions des requĂ©rants et affirme que la somme Ă  octroyer ne doit pas dĂ©passer le 199 493,97 EUR. De plus, selon lui, si la Cour accordait une somme au titre d’une satisfaction Ă©quitable, les requĂ©rants pourraient ĂŞtre indemnisĂ©s deux fois Ă©tant donnĂ© que la procĂ©dure est encore pendante devant les juridictions internes.

10.  La Cour rĂ©pond d’emblĂ©e Ă  l’argument du Gouvernement. Elle considère improbable que les requĂ©rants reçoivent une double indemnisation, Ă©tant donnĂ© que les juridictions nationales, lorsqu’elles dĂ©cideront de la cause, vont inĂ©vitablement prendre en compte toute somme accordĂ©e aux intĂ©ressĂ©s par cette Cour (Serghides et Christoforou c. Chypre (satisfaction Ă©quitable), no 44730/98, § 29, 12 juin 2003). En outre, vu que la procĂ©dure nationale dure depuis vingt ans il serait dĂ©raisonnable d’en attendre l’issue (Serrilli c. Italie (satisfaction Ă©quitable), no 77822/01, § 17, 17 juillet 2008 ; Mason et autres c. Italie (satisfaction Ă©quitable), n43663/98, § 31, 24 juillet 2007).

11.  La Cour rappelle qu’un arrĂŞt constatant une violation entraĂ®ne pour l’Etat dĂ©fendeur l’obligation de mettre un terme Ă  la violation et d’en effacer les consĂ©quences de manière Ă  rĂ©tablir autant que faire se peut la situation antĂ©rieure Ă  celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction Ă©quitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

12.  Elle rappelle, en outre, que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction Ă©quitable) [GC], nÂş 58858/00, 22 dĂ©cembre 2009), la Grande Chambre a modifiĂ© la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a dĂ©cidĂ© d’écarter les prĂ©tentions des requĂ©rants dans la mesure oĂą elles sont fondĂ©es sur la valeur des terrains Ă  la date de l’arrĂŞt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour Ă©valuer le dommage matĂ©riel, du coĂ»t de construction des immeubles bâtis par l’Etat sur les terrains.

13.  Selon les nouveaux critères fixĂ©s par la Grande Chambre, l’indemnisation doit correspondre Ă  la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriĂ©tĂ©, telle qu’établie par l’expertise ordonnĂ©e par la juridiction compĂ©tente au cours de la procĂ©dure interne. Ensuite, une fois que l’on aura dĂ©duit la somme Ă©ventuellement octroyĂ©e au niveau national, ce montant doit ĂŞtre actualisĂ© pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intĂ©rĂŞts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est Ă©coulĂ© depuis la dĂ©possession des terrains. Ces intĂ©rĂŞts doivent correspondre Ă  l’intĂ©rĂŞt lĂ©gal simple appliquĂ© au capital progressivement rĂ©Ă©valuĂ©.

14.  En l’espèce, les requĂ©rants ont perdu la propriĂ©tĂ© de leur terrain Ă  une date non prĂ©cisĂ©e entre le dĂ©but de 1990 et aoĂ»t 1991. Il ressort de l’expertise effectuĂ©e au cours de la procĂ©dure nationale que la valeur du terrain Ă  la date de l’occupation matĂ©rielle, Ă  savoir en juillet 1988 Ă©tait de 134 846, 89 EUR (paragraphe 15 de l’arrĂŞt au principal).

15.  Compte tenu de ces Ă©lĂ©ments, la Cour estime raisonnable d’accorder 454 000 EUR, plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» Ă  titre d’impĂ´t sur cette somme.

B.  Dommage moral

16.  Les requĂ©rants demandent 20 000 EUR chacun au titre de prĂ©judice moral.

17.  Le Gouvernement fait valoir que celui-ci dĂ©pend de la durĂ©e excessive de la procĂ©dure devant les juridictions nationales. Par consĂ©quent, le Gouvernement soutient que le versement d’une quelconque somme au titre d’indemnisation du dommage moral est subordonnĂ© Ă  l’épuisement du remède Pinto.

18.  La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face Ă  la dĂ©possession illĂ©gale de leurs biens a causĂ© aux requĂ©rants un prĂ©judice moral important, qu’il y a lieu de rĂ©parer de manière adĂ©quate.

19.  Statuant en Ă©quitĂ©, la Cour accorde conjointement aux requĂ©rants 10 000 EUR pour le dommage moral.

C.  Frais et dĂ©pens

20.  Les requĂ©rants rĂ©clament 9 857,09 EUR pour le remboursement des frais encourues devant la cour d’appel d’AncĂ´ne et 13 457,36 EUR pour les frais encourues devant le tribunal de Macerata. Ils demandent 13 358,59 EUR pour le remboursement des frais de la procĂ©dure devant la Cour.

21.  Le Gouvernement s’y oppose.

22.  La Cour rappelle que l’allocation des frais et dĂ©pens au titre de l’article 41 prĂ©suppose que se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ© et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction Ă©quitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure oĂą ils se rapportent Ă  la violation constatĂ©e (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction Ă©quitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).

23.  La Cour ne doute pas de la nĂ©cessitĂ© d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiquĂ©s Ă  ce titre. Elle considère dès lorsqu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer un montant de 15 000 EUR pour les frais exposĂ©s.

D.  IntĂ©rĂŞts moratoires

24.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂŞts moratoires sur le taux d’intĂ©rĂŞt de la facilitĂ© de prĂŞt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit

a)  que l’Etat dĂ©fendeur doit verser aux requĂ©rants conjointement, dans les trois mois Ă  compter du jour oĂą l’arrĂŞt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l’article 44 Â§ 2 de la Convention, les sommes suivantes:

i.  454 000 EUR (quatre cent cinquante quatre mille euros), plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» Ă  titre d’impĂ´t, pour dommage matĂ©riel ;

ii.  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» Ă  titre d’impĂ´t, pour dommage moral ;

iii.  15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» Ă  titre d’impĂ´t aux requĂ©rants, pour frais et dĂ©pens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit dĂ©lai et jusqu’au versement, ces montants seront Ă  majorer d’un intĂ©rĂŞt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂŞt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

2.  Rejette la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 juin 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley Naimith Françoise Tulkens 
 Greffier PrĂ©sidente