Corte europea dei diritti dell’uomo
(Grande Camera)
19 febbraio 2013
AFFAIRE X ET AUTRES c. AUTRICHE
(Requête no 19010/07)
ARRÊT
STRASBOURG
Cet arrêt est définitif. Il peut
subir des retouches de forme.
En l’affaire X et autres c. Autriche,
Dean Spielmann, président,
Josep Casadevall,
Guido Raimondi,
Ineta Ziemele,
Nina Vajić,
Lech Garlicki,
Peer Lorenzen,
Anatoly Kovler,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Egbert Myjer,
Danutė
Jočienė,
Ján Šikuta,
Vincent A. de Gaetano,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
André Potocki, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2012 et le
9 janvier 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine
de l’affaire se trouve une requête (no 19010/07) dirigée contre
2. Devant
3. Dans leur
requête, les requérants se disaient victimes d’une discrimination par rapport
aux couples hétérosexuels, l’adoption coparentale par un couple homosexuel
étant juridiquement impossible en droit autrichien.
4. La requête
a été attribuée à la première section de
5. La
composition de
6. Tant les
requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites
complémentaires sur la recevabilité et le fond de l’affaire.
7. En outre,
des observations ont été soumises par le professeur R. Wintemute au nom
des six organisations non gouvernementales suivantes, que le président de
8. Une
audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à
Strasbourg, le 3 octobre 2012 (article 59 § 3 du règlement).
Ont
comparu :
– pour le Gouvernement
Mme B. Ohms,
chancellerie fédérale, agent adjoint,
M. M. Stormann, ministère
fédéral de la Justice,
Mme A. Jankovic, ministère fédéral des Affaires européennes
et internationales, conseillers ;
– pour les requérants
Me H.
Graupner, conseil.
EN FAIT
I. LES
CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9. Les
première et troisième requérantes sont nées en 1967. Le deuxième requérant est
né en 1995.
10. Les
première et troisième requérantes entretiennent une relation stable. Le
deuxième requérant, né hors mariage, est le fils de la troisième requérante. Il
a été reconnu par son père et placé sous l’autorité parentale exclusive de sa
mère. Les trois requérants vivent au sein du même foyer depuis le cinquième
anniversaire du deuxième requérant, dont les première et troisième requérantes
s’occupent ensemble.
11. Le 17
février 2005, la première requérante et le deuxième requérant, représenté par
sa mère, conclurent une convention prévoyant l’adoption du second par la
première. Cette convention visait à créer, entre la première requérante et le
deuxième requérant, un lien juridique reflétant les rapports qui les unissaient
sans pour autant rompre la relation entre l’enfant et sa mère, la troisième
requérante.
12. Conscients
que le libellé de l’article 182 § 2 du code civil (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch) pouvait être interprété comme
excluant l’adoption par un membre d’un couple homosexuel de l’enfant de son
partenaire sans que le lien de l’enfant avec ce dernier – parent biologique du
même sexe que l’adoptant – ne s’en trouve rompu, les intéressés prièrent
13. Le 14 juin
2005,
14. Le 26
septembre 2005, les requérants invitèrent le tribunal de district compétent à
homologuer la convention d’adoption, aux termes de laquelle le deuxième
requérant devait avoir pour parents les première et troisième requérantes. Dans
leur requête, ils exposaient que la première requérante et l’enfant avaient
noué des liens affectifs étroits, que celui-ci s’épanouissait dans un foyer où
il vivait avec deux adultes soucieux de son bien-être, que leur requête visait
à faire reconnaître juridiquement leur cellule familiale de fait et qu’elle
aurait pour effet de substituer la première requérante au père de l’enfant. Ils
précisaient que le père s’était opposé à cette adoption sans motiver son refus.
Ils alléguaient qu’il manifestait une hostilité extrême envers leur famille et
qu’il y avait donc lieu pour le tribunal de passer outre à ce refus, comme le
permettait l’article 181 § 3 du code civil, l’adoption envisagée étant à leurs
yeux conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant. A leur requête se trouvait
joint un rapport du service de protection de la jeunesse qui confirmait que les
première et troisième requérantes se partageaient les tâches quotidiennes liées
à la garde de l’enfant ainsi que la responsabilité de son éducation et
concluait que l’attribution de l’autorité parentale conjointe était
souhaitable, tout en exprimant des doutes sur la légalité de cette solution.
15. Le 10
octobre 2005, le tribunal de district refusa d’homologuer la convention
d’adoption, estimant que l’article 182 § 2 du code civil ne prévoyait aucune
forme d’adoption propre à produire les effets souhaités par les requérants. Sa
décision était ainsi motivée :
« Mme
[...], la troisième requérante, est titulaire de l’autorité parentale exclusive
sur son fils mineur, [...], né hors mariage. [Elle] vit à (...) avec sa
compagne (...) (la première requérante) et (...) (le deuxième requérant).
La
mère de l’enfant et sa partenaire ont été définitivement déboutées d’une
requête introduite conjointement par elles le 12 octobre 2001, par laquelle
elles demandaient le transfert partiel de l’autorité parentale sur [l’enfant]
au profit de la compagne de la mère de celui-ci de sorte qu’elles pussent
exercer conjointement l’autorité parentale.
Aux
termes de la convention d’adoption du 17 février 2005, dont les intéressés
sollicitent à présent l’homologation, la première requérante marque sa volonté
d’adopter l’enfant en qualité de compagne de la mère [de celui-ci].
La
convention d’adoption que les requérants souhaitent voir homologuer aurait pour
effet de rompre les liens juridiques familiaux existant entre l’enfant et son
père ainsi qu’entre l’enfant et la famille de son père tout en préservant la
relation entre l’enfant et sa mère. Les requérants demandent par ailleurs à la
justice de passer outre au refus du père de l’enfant de consentir à cette
adoption.
La
requête des intéressés, qui vise en fait à permettre au couple homosexuel que
forment la mère biologique et la mère adoptante d’exercer conjointement
l’autorité parentale sur l’enfant, est juridiquement mal fondée.
L’article
179 du code civil énonce que l’adoption peut être le fait d’une seule personne
ou d’un couple marié. L’adoption d’un enfant par une personne mariée agissant
seule est subordonnée à des conditions strictes. Il résulte de la seconde
phrase de l’article 182 § 2 du code civil que si l’enfant n’est adopté que par un homme (ou une femme) les
liens juridiques familiaux – autres que le lien de filiation lui-même – ne sont
rompus qu’à l’égard du père biologique (ou de la mère biologique) et de la
famille de ce dernier (ou de cette dernière). Dans le cas où les liens entre
l’enfant et son autre parent subsistent après l’adoption, le juge les déclare
rompus à l’égard du parent concerné, sous réserve que celui-ci y consente.
L’article
182 du code civil a été modifié pour la dernière fois en 1960 (Journal officiel
no 58/1960). Eu égard au libellé non équivoque de cette
disposition et à la volonté manifeste du législateur de l’époque, il y a lieu
de présumer que l’adoption par une seule personne rompt le lien juridique entre
l’adopté et son parent biologique du même
sexe que son parent adoptif, et qu’elle n’altère pas le lien avec le parent du
sexe opposé (voir aussi Schlemmer in Schwimann, ABGB2 I § 182,
point 3). Ce n’est que dans ce cas de figure que la loi permet au juge de
rompre ce lien, sur lequel l’adoption n’a en elle-même pas d’effet.
Il
s’ensuit que la convention dont les requérants sollicitent l’homologation, qui
conduirait à l’adoption [de l’enfant] par une femme et à la rupture de ses
liens avec son père biologique mais non avec sa mère biologique, est illicite.
L’interprétation conforme à
Il
est exact que selon la jurisprudence constante de
Il
appartient donc aux seuls Etats de décider de l’opportunité d’offrir à deux
personnes du même sexe la possibilité de créer un lien juridique avec un enfant
sur un pied d’égalité, dans les limites fixées par l’article 8 § 2 de
Au
vu de ce qui précède, le tribunal rejette la requête en homologation de la
convention d’adoption présentée par les requérants ».
16. Les
requérants interjetèrent appel de cette décision. Invoquant les articles 8 et
14 de
17. Ils
estimaient que l’instauration d’une différence de traitement entre les couples
hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels était particulièrement
problématique au regard de l’arrêt rendu par
18. Le 21
février 2006, le tribunal régional débouta les requérants de leur appel sans
avoir tenu d’audience. Dans son arrêt, il évoquait des procédures connexes
portant, d’une part, sur le droit de visite et l’obligation d’entretien du père
du deuxième requérant et, d’autre part, sur les démarches infructueuses
entreprises par les première et troisième requérantes pour se voir attribuer
l’autorité parentale conjointe sur le deuxième requérant. Il exprimait des
doutes sur la capacité de la troisième requérante à représenter son fils dans
la procédure, estimant que cette situation pouvait donner lieu à un conflit
d’intérêts. Il poursuivait ainsi :
« Toutefois,
il est en réalité inutile de s’arrêter sur cette question car le tribunal
estime, pour les motifs exposés ci-après, qu’il convient en tout état de cause
de refuser l’homologation de la convention d’adoption litigieuse, comme l’a
d’ailleurs fait le premier juge, sans qu’il soit besoin d’en délibérer plus
avant. Dans ces conditions, la question de savoir si l’enfant est valablement représenté
dans la procédure ne se pose pas.
Dans
leurs décisions sur la demande de transfert partiel de l’autorité parentale
[sur l’enfant] au profit de [la compagne de la mère de celui-ci], les
juridictions compétentes ont indiqué que, si le droit autrichien de la famille
ne définit pas la notion de « parents », il ressort très clairement
de l’ensemble de ses dispositions que, pour le législateur, un couple parental
se compose par principe de deux personnes de sexe opposé, raison pour laquelle
la loi attribue à titre principal l’autorité parentale sur l’enfant à ses deux
parents biologiques – ou à sa mère biologique en cas de naissance hors mariage
– et ne prévoit que l’enfant puisse être placé sous l’autorité d’autres
personnes que dans les cas où il est impossible d’appliquer cette règle. Les
juridictions concernées en ont conclu que, en présence des parents biologiques
(père et mère), il n’y avait pas lieu de placer l’enfant sous l’autorité de
tiers, même si, d’un point de vue purement factuel, ceux-ci pouvaient avoir des
liens étroits avec l’enfant (à comparer avec OGH, 7 Ob 144/02 f).
Elles ont considéré que cette position juridique n’emportait aucune
discrimination à l’égard des couples homosexuels, les règles régissant le droit
de la famille étant fondées, conformément à la réalité biologique, sur le socle
du couple composé de parents de sexe opposé.
Le
tribunal estime que les considérations exposées ci-dessus trouvent également à
s’appliquer à la question en débat, à savoir celle de l’opportunité d’homologuer
l’adoption d’un enfant mineur par le partenaire homosexuel de l’un de ses
parents. Dans ce cas aussi, vu la présence de ses deux parents de sexe opposé,
il serait inutile d’adjoindre à l’enfant un « parent légal »
supplémentaire. Il ne s’agit nullement d’opérer une discrimination à l’égard du
partenaire homosexuel de la mère de l’enfant, mais simplement de constater que,
en présence des deux parents de sexe opposé, il n’y a tout simplement pas lieu
de prévoir une disposition qui autoriserait le partenaire homosexuel de l’un
d’entre eux à se substituer à l’autre.
L’adoption
d’un mineur vise essentiellement à créer un lien analogue à celui qui existe
entre les enfants et leurs parents biologiques. Il ressort du dossier de
l’affaire que le père biologique de l’enfant a des contacts réguliers avec
celui-ci. L’enfant entretient donc des liens solides avec ses deux parents de
sexe opposé. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de substituer à l’un ou
l’autre des parents biologiques le partenaire homosexuel de l’un d’entre eux en
autorisant l’adoption de l’enfant.
La
jurisprudence sur le droit de visite et d’hébergement des parents reconnaît
également, de manière générale et certaine, que des études psychologiques et
sociologiques démontrent qu’il est particulièrement important pour
l’épanouissement de l’enfant que celui-ci maintienne des relations personnelles
avec le parent avec lequel il ne vit pas (voir, notamment, EFSlg 100.205).
C’est la raison pour laquelle la législation va jusqu’à conférer à l’enfant le
droit d’avoir des contacts personnels avec le parent avec lequel il ne cohabite
pas (voir, notamment, OGH, 3 Ob 254/03 z). De la même manière, il ne
fait aucun doute que, pour le bon développement d’un enfant mineur, il est
hautement souhaitable que celui-ci puisse entretenir des contacts personnels
avec ses deux parents de sexe opposé, c’est-à-dire avec une femme (sa mère) et
un homme (son père) responsables de son éducation, et qu’aucun effort ne doit
être épargné à cette fin (comparer, notamment, avec EFSlg 89.668). Dans ces
conditions, le maintien de relations personnelles, au moins minimales, entre
l’enfant et ses deux parents est fortement recommandé et généralement exigé
dans l’intérêt de l’épanouissement de l’enfant (comparer avec OGH, 7 Ob 234/99 h).
Ces mêmes considérations s’opposent clairement à l’adoption d’un enfant par le
partenaire homosexuel de l’un de ses parents lorsque cette mesure aurait pour
effet de rompre les liens familiaux de l’enfant avec son autre parent.
Comme
indiqué ci-dessus, cette position juridique ne saurait passer pour une
discrimination à l’encontre des couples homosexuels. A cet égard, la motivation
de la décision attaquée renvoie – à juste titre – à la jurisprudence constante
de
Les
appelants n’ont avancé aucun argument convaincant à l’appui de leur thèse selon
laquelle les dispositions en vigueur opèrent une discrimination contre les
couples homosexuels. Même dans le cas d’un couple hétérosexuel, le seul lien
juridique pouvant être rompu en cas d’adoption d’un enfant de l’un des membres
du couple est celui qui existe entre l’enfant et le parent du même sexe que le
parent adoptif. En pareille hypothèse, l’enfant demeure sous la responsabilité
de deux parents de sexe opposé. Cette circonstance, importante pour le
développement de l’enfant, ne se retrouve pas en cas d’adoption de celui-ci par
le partenaire homosexuel de l’un de ses parents. Dans ces conditions, il n’est
pas établi que pareille situation soit constitutive d’une différence de
traitement injustifiée. En outre,
Cela
étant, la thèse des appelants ne trouve aucun appui dans l’arrêt en question.
En
conséquence, au vu de l’ensemble de ces considérations, le présent appel doit
être rejeté.
La
recevabilité d’un pourvoi en cassation est régie par les articles 59 §§ 1 et 2
et 62 § 1 de la loi sur la procédure gracieuse. S’il est exact que
19. Les
requérants se pourvurent en cassation devant
20. Le 27
septembre 2006,
« [Le
mineur] est l’enfant biologique de la troisième demanderesse, Mme (...),
et de M. (...) ; il est né le (...). Il est placé sous l’autorité
parentale exclusive de sa mère. Celle-ci vit à (...) avec sa compagne (la
première demanderesse) et [l’enfant]. Les demandeurs ont sollicité
l’homologation judiciaire d’une convention d’adoption conclue le 17 février
2005 entre la première demanderesse et l’enfant, représenté par sa mère, et
dans laquelle la première demanderesse marquait sa volonté d’adopter l’enfant.
Toutefois, cette convention prévoyait que la première demanderesse se
substituerait au père biologique de l’enfant, et non à la mère de celui-ci. Les
demandeurs souhaitaient que l’homologation judiciaire de leur convention eût
pour effet de rompre les liens juridiques familiaux existant entre l’enfant et
son père biologique ainsi qu’entre l’enfant et la famille de son père
biologique tout en préservant l’ensemble des liens entre l’enfant et sa mère
biologique. Par ailleurs, ils ont invité les tribunaux à passer outre au refus
du père de l’enfant de consentir à cette mesure.
La
juridiction de première instance a refusé d’homologuer la convention, estimant
qu’il ressortait de l’article 182 du code civil que le législateur avait
clairement prévu que l’adoption monoparentale rompait le lien juridique entre
l’adopté et son parent du même sexe que son parent adoptif mais préservait le
lien juridique avec son parent [biologique] du sexe opposé [à celui de son
parent adoptif]. Elle a précisé que la loi ne permettait au juge de constater
la rupture de ce dernier lien, non affecté par l’adoption en elle-même, que
dans cette hypothèse. Elle a conclu à l’illicéité de la convention dont les
demandeurs sollicitaient l’homologation, qui aurait conduit à l’adoption [de
l’enfant] par une femme et à la rupture de ses liens avec son père biologique
mais non avec sa mère biologique, ajoutant que cette conclusion était conforme
à
La
juridiction d’appel a confirmé la décision rendue en première instance,
estimant que la loi reposait manifestement sur le postulat voulant que le terme
« parents » désigne nécessairement deux personnes de sexe opposé, ce
que confirmerait selon elle la priorité accordée par principe aux parents
biologiques sur d’autres personnes en matière d’autorité parentale. Elle a considéré
qu’il en allait de même dans le domaine du droit de l’adoption, dont les règles
lui paraissaient également fondées, conformément à la réalité biologique, sur
le socle du couple composé de parents de sexe opposé. Elle a estimé que, en
présence des deux parents de sexe opposé, il n’y avait pas lieu de prévoir une
disposition autorisant le partenaire homosexuel de l’un d’entre eux à se
substituer à l’autre, et qu’il n’y avait là nulle volonté de discrimination à
l’encontre des couples homosexuels. Elle a ajouté que, en matière de droit de
visite et d’hébergement également, il ne faisait aucun doute que les contacts
personnels du mineur avec ses deux parents de sexe opposé, c’est-à-dire avec
une femme (sa mère) et un homme (son père) responsables de lui, étaient hautement
souhaitables pour son bon développement, le maintien de relations personnelles,
au moins minimales, entre l’enfant et ses deux parents (biologiques) étant
fortement recommandé et généralement exigé dans l’intérêt de l’épanouissement
de l’enfant. Elle a jugé que ces considérations valaient aussi en matière
d’adoption. Par ailleurs, elle a conclu, comme le premier juge, à l’absence de
discrimination à l’égard des couples homosexuels au sens de la jurisprudence de
Ayant
constaté qu’il n’existait pas de jurisprudence sur la question de la licéité de
l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents biologiques,
la juridiction d’appel a estimé qu’il convenait d’autoriser les appelants à se
pourvoir en cassation.
Le
pourvoi des intéressés est recevable pour les motifs exposés par la cour
d’appel, mais dépourvu de fondement.
L’article
179 § 2 du code civil énonce que nul ne peut être adopté par plusieurs
personnes si ce n’est par deux époux. La doctrine a interprété cette
disposition comme interdisant l’adoption – simultanée ou successive – par
plusieurs personnes du même sexe (voir Schwimann in Schwimann, code civil § 179, point 6, et Hopf in Koziol/Bydlinksi/Bollenberger, § 179,
point 2, cités dans un arrêt du tribunal régional de Vienne du 27 août 2001 –
EFSlg 96.699).
La
deuxième phrase de l’article 182 § 2 du code civil régit les effets de
l’adoption monoparentale. Si l’enfant n’est adopté que par un adoptant (ou une
adoptante), seuls les liens familiaux qui l’unissent à son père biologique (ou
à sa mère biologique) et aux parents de celui-ci (ou de celle-ci) sont rompus.
Il ressort clairement de la jurisprudence (ErlBem RV 107 BlgNR IX. GP, 21) que
cette disposition doit être interprétée comme signifiant que les liens
juridiques non patrimoniaux ne sont rompus qu’à l’égard du parent biologique
auquel se substitue un parent adoptif du même sexe que lui. Concrètement, cela
signifie notamment que l’adoption d’un enfant par une femme ne peut priver
celui-ci de son père biologique (voir aussi : Schwimann in Schwimann,
op. cit., § 182, alinéa 3 ; Stabentheiner in Rummel I § 182, alinéa
2).
Cette
disposition ne peut recevoir l’interprétation extensive préconisée par les
demandeurs au pourvoi, et il n’existe pas de lacune législative fortuite à
laquelle il conviendrait de remédier par analogie. Selon la jurisprudence
(op.cit., 11), l’adoption vise au premier chef à garantir le bien-être de
l’enfant mineur (principe de protection). L’adoption doit être comprise comme
un moyen approprié de confier à des individus aptes et responsables la garde et
l’éducation d’enfants privés de parents, d’enfants issus de familles désunies,
ou d’enfants qui, pour quelque raison que ce soit, ne peuvent recevoir une
éducation correcte de leurs parents ou sont rejetés par eux. Cet objectif ne
peut toutefois être atteint que si l’adoption permet de recréer autant que
possible la situation que l’on retrouve dans une famille biologique.
Il
ressort tout aussi clairement de la jurisprudence (6 Ob 179/05z) que le lien
entre l’enfant et son parent adoptif doit être assimilé, du point de vue social
et psychologique, à celui qui existe entre les parents biologiques et leurs
enfants. Le modèle des rapports entre parents et enfants qui a cours en matière
d’adoption de mineurs s’inspire des liens sociaux et psychologiques
particuliers qui existent entre des parents et des jeunes gens proches de l’âge
adulte. Ces rapports associent aux liens sociaux classiques de proximité
physique et relationnelle (cohabitation, prise en charge des besoins physiques
et psychologiques de l’enfant par les parents) des relations affectives
analogues à l’amour que se portent mutuellement les parents et leurs enfants et
confèrent aux premiers un rôle spécifique de mentors et de référents.
L’article
182 § 2 du code civil interdit de manière générale (et pas seulement aux
couples homosexuels) tant l’adoption par un homme aussi longtemps que subsiste
le lien de filiation entre l’enfant à adopter et le père biologique de celui-ci
que l’adoption d’un enfant par une femme aussi longtemps que subsiste le lien
de filiation entre celui-ci et sa mère biologique. Il résulte donc de l’article
182 § 2 que la personne qui adopte seule un enfant ne se substitue pas
indifféremment à l’un ou à l’autre des parents, mais seulement au parent du
même sexe qu’elle. Il s’ensuit que l’adoption d’un enfant par la compagne de sa
mère biologique est juridiquement impossible.
Contrairement
à ce que soutiennent les demandeurs, cette disposition satisfait aussi au
critère de conformité avec
Les
demandeurs n’ont pas établi que les dispositions de l’article 182 § 2 du code
civil autrichien outrepassent la marge d’appréciation reconnue par
L’adoption
voulue par les demandeurs étant juridiquement impossible, il n’apparaît pas
nécessaire de rechercher si les conditions dans lesquelles il peut être passé
outre à l’absence de consentement du père, mesure exceptionnelle prévue par
l’article 181 § 3 du code civil, sont réunies. »
L’arrêt de
II. LE
DROIT ET
A. Dispositions concernant l’adoption
21. Le code
civil (Allgemeines Bürgerliches
Gesetzbuch) comporte des dispositions qui définissent les termes
« mère » et « père ».
L’article 137b se lit ainsi :
« La
mère d’un enfant est la femme qui lui a donné naissance. »
L’article 138 énonce :
« 1) Le
père d’un enfant est
1. l’homme qui était marié avec la mère de l’enfant au moment de
la naissance ou l’était lorsqu’il est décédé, à condition que son décès soit
intervenu 300 jours au plus avant la naissance, ou
2. l’homme qui a reconnu sa paternité, ou
3. l’homme dont la paternité a été établie en justice. »
22. Les
dispositions suivantes du code civil relatives à l’adoption sont pertinentes en
l’espèce.
L’article 179, en ses passages pertinents, se lit ainsi :
« 1) Les
personnes ayant l’âge requis et la pleine capacité juridique (...) peuvent
adopter. L’adoption a pour effet de créer un lien de filiation adoptive entre
l’enfant adopté et le parent adoptif.
2) L’adoption
d’un enfant par plus d’une personne, qu’elle soit simultanée ou successive,
étant entendu que, dans ce dernier cas, le premier lien d’adoption subsiste,
n’est autorisée que si les parents adoptifs forment un couple marié. En
principe, l’adoption par un couple marié doit être conjointe. Par exception, un
époux peut procéder seul à une adoption si l’enfant à adopter est l’enfant
biologique de son conjoint, si son conjoint n’a pas l’âge requis ou la
différence d’âge requise avec l’adopté, si le lieu de résidence de son conjoint
est inconnu depuis au moins un an, s’il n’y a plus de communauté de vie entre
les époux depuis au moins trois ans, ou si des motifs analogues et
particulièrement importants justifient l’adoption par un seul des époux. »
23. Selon
l’article 179a du code civil, l’adoption requiert une convention écrite entre
l’adoptant et l’adopté (qui doit être représenté par son représentant légal
s’il est mineur) et l’homologation de cette convention par le tribunal
compétent.
24. Le tribunal
homologue la convention après avoir vérifié qu’elle répond à l’intérêt
supérieur de l’enfant et qu’il existe entre les personnes qui y sont parties un
lien équivalent à celui qui unit un parent à son enfant biologique ou que les
parties entendent créer un tel lien (article 180a du code civil).
25. Les
dispositions pertinentes de l’article 181 du code civil, tel qu’en vigueur à
l’époque des faits, étaient ainsi libellées :
« 1) L’homologation
de la convention d’adoption ne peut être accordée que si les personnes
suivantes y consentent :
1. les parents de l’enfant mineur à adopter ;
2. le conjoint de l’adoptant ;
3. le conjoint de la personne à adopter ;
4. l’enfant à adopter dès lors qu’il est âgé d’au moins quatorze ans.
(...)
3) Si
l’une des parties le lui demande, le juge passe outre au refus de l’une des
personnes visées aux alinéas 1 à 3 du premier paragraphe du présent article dès
lors que ce refus n’est pas justifié par des motifs légitimes. »
26. Selon la
jurisprudence des juridictions autrichiennes, la mesure prévue par l’article
181 § 3 du code civil, qui permet au juge de passer outre au refus d’une partie
de consentir à l’adoption, revêt un caractère exceptionnel et ne peut être
prise que dans le cas où l’intérêt de l’enfant à être adopté prévaut clairement
sur les intérêts de celui de ses parents biologiques qui est opposé à
l’adoption, notamment son intérêt à entretenir des relations avec l’enfant.
Elle peut aussi être envisagée lorsque le refus n’est pas justifié sur le plan
moral. Tel est notamment le cas lorsque le parent opposé à l’adoption manifeste
une vive hostilité à l’égard de la famille adoptante ou lorsque ses manquements
flagrants à ses obligations légales envers l’enfant compromettent durablement
le développement de celui-ci ou l’auraient durablement compromis si un tiers
n’était pas intervenu.
27. L’article
182 du code civil, qui régit les effets de l’adoption, se lit comme suit :
« 1) L’adoption
créé les mêmes droits que ceux découlant de la filiation légitime entre, d’une
part, l’adoptant et ses descendants, et, d’autre part, l’adopté et ceux de ses
descendants qui sont mineurs au moment où l’adoption prend effet.
2) En
cas d’adoption d’un enfant par un couple marié, les liens juridiques familiaux
– autres que le lien de filiation lui-même (article 40) – existant entre, d’une
part, les parents biologiques et les membres de leur famille, et, d’autre part,
l’enfant adopté et ceux de ses descendants qui sont mineurs au moment où l’adoption
prend effet, sont rompus à ce moment, sous réserve des exceptions prévues à
l’article 182a. Dans le cas où l’enfant n’est adopté que par un père adoptif
(ou une mère adoptive), seuls ses liens familiaux avec son père biologique (ou
sa mère biologique) et la famille de celui-ci (ou de celle-ci) sont rompus.
Dans le cas où les liens avec l’autre parent subsistent après l’adoption, le
juge les déclare rompus si le parent concerné y consent. La rupture des liens
intervient à la date où la déclaration de consentement est formulée, sans
pouvoir être antérieure à la date de prise d’effet de l’adoption. »
Il ressort de l’arrêt rendu par
28. L’adoption
a pour effet de rompre tous les liens familiaux, excepté celui de filiation,
entre l’enfant adopté et son ou ses parents biologiques. Il en résulte
notamment que ces derniers perdent tous leurs droits parentaux, notamment le
droit de garde, le droit de visite et le droit d’être consultés et informés
(voir ci-dessous).
29. Toutefois,
le ou les parents biologiques de l’enfant adopté demeurent débiteurs d’une
obligation subsidiaire d’entretien à l’égard de celui-ci (article 182a du code
civil). Par ailleurs, l’article 182b prévoit le maintien d’un lien en matière
successorale : l’adopté conserve des droits successoraux à l’égard de son
ou ses parents biologiques, et ceux-ci, ainsi que leurs descendants, viennent à
la succession de l’adopté à titre subsidiaire, les droits successoraux des
parents adoptifs et de leurs descendants prévalant.
30. Il ressort
des dispositions du code civil exposées ci-dessus que l’adoption peut revêtir
deux formes en droit autrichien : celle de l’adoption conjointe par un
couple, réservée aux couples mariés, et celle de l’adoption monoparentale.
Cette dernière forme d’adoption est ouverte aux hétérosexuels comme aux
homosexuels, qu’ils vivent, dans le cas des premiers, dans le cadre d’un couple
marié (mais alors les possibilités qui leur sont offertes d’adopter seuls un
enfant sont fortement restreintes), en union libre ou en célibataires, ou dans le
cas des seconds, dans le cadre d’un partenariat enregistré, en union libre ou
comme célibataires.
31. L’adoption
coparentale, c’est-à-dire l’adoption par une personne de l’enfant biologique de
son partenaire, est ouverte aux couples hétérosexuels (mariés ou non), mais non
aux couples homosexuels.
32. Un projet de loi
modifiant les dispositions du code civil qui régissent les rapports entre
parents et enfants ainsi que le droit au nom et remaniant certains autres
textes (Kindschaftsrechts- und
Namensrechtsänderungs-gesetz) est actuellement à l’examen. Ce projet ne
comporte aucune proposition d’amendement des dispositions dont il est question
en l’espèce, notamment des articles 179 à 182 du code civil. Les amendements
proposés impliquent qu’elles soient renumérotées, mais leur libellé demeurera
inchangé.
B. Dispositions concernant les couples homosexuels
33. Il ressort
de l’article 44 du code civil que les couples homosexuels n’ont pas accès au
mariage (voir, sur ce point, Schalk et Kopf c. Autriche, no 30141/04,
CEDH 2010). La disposition en question est ainsi libellée :
« Le
contrat de mariage constitue la base des relations familiales. En vertu de
pareil contrat, deux personnes de sexe opposé déclarent leur intention légitime
de vivre ensemble et d’être unies par les liens indissolubles du mariage, de
procréer et d’élever des enfants et de se porter aide et assistance mutuelles. »
34. Entrée en
vigueur le 1er janvier 2010, la loi sur le partenariat enregistré
offre aux couples homosexuels la possibilité de conclure un partenariat
enregistré.
35. L’article 2
de cette loi se lit ainsi :
« Un
partenariat enregistré ne peut être conclu que par deux personnes du même sexe
(partenaires enregistrés). Ces personnes s’engagent ainsi à nouer une relation
durable comportant des droits et obligations mutuels. »
36. Les règles
relatives à la conclusion d’un partenariat enregistré, à ses effets et à sa
dissolution sont proches de celles qui régissent le mariage (pour plus de
détails, voir Schalk et Kopf, précité, §§ 16-23). A
l’instar des couples mariés, les partenaires enregistrés doivent à tous égards
vivre comme des époux, partager un domicile commun et se respecter et
s’assister mutuellement (article 8 §§ 2 et 3). Ils ont les mêmes obligations
alimentaires que les époux (article 12). La loi sur le partenariat enregistré
apporte aussi à la législation en vigueur toute une série de modifications
destinées à conférer aux partenaires enregistrés le même statut que les époux
dans diverses autres branches du droit telles que le droit des successions, le
droit du travail, le droit social et de la sécurité sociale, le droit fiscal,
le droit sur la protection des données et le service public, les questions de
passeport et de déclaration domiciliaire ainsi que le droit des étrangers.
37. Toutefois, il subsiste certaines différences entre le
mariage et le partenariat enregistré, la plus importante ayant trait aux droits
parentaux. Par exemple, l’assistance médicale à la procréation n’est ouverte
qu’aux couples hétérosexuels, mariés ou non (article 2 § 1 de la loi sur la
procréation artificielle – Fortpflanzungsmedizingesetz).
38. En outre, les partenaires enregistrés ne sont pas autorisés
à procéder à une adoption conjointe ou à une adoption coparentale.
39. En effet, d’après l’article 8 § 4 de la loi sur le
partenariat enregistré,
« Un
partenaire enregistré ne peut adopter un enfant conjointement avec son
partenaire ni adopter l’enfant de celui-ci. »
40. En revanche, un partenaire enregistré peut adopter seul un
enfant. Une modification apportée à l’article 181 § 1 alinéa 2 du code civil au
moment de l’adoption de la loi sur le partenariat enregistré énonce qu’un
partenaire enregistré désireux d’adopter un enfant doit y être autorisé par son
partenaire.
41. Dans sa partie générale, le rapport explicatif sur le projet de loi (Erläuterungen zur Regierungsvorlage, annexe no 485 aux actes du Conseil national, XXIV GP) souligne que
la loi sur le partenariat enregistré vise à offrir aux couples homosexuels un
mécanisme officiel reconnaissant leur relation et donnant à celle-ci un effet
juridique, ce notamment pour tenir compte des évolutions intervenues dans
d’autres Etats européens. Il en ressort toutefois que le législateur n’a pas
voulu introduire de nouvelles dispositions concernant les enfants ou modifier
la législation applicable en la matière. A cet égard, le rapport précise que
l’adoption conjointe d’un enfant par des partenaires enregistrés est exclue, de
même que l’adoption par un partenaire enregistré de l’enfant de l’autre.
42. Le
commentaire relatif à l’article 8 § 4 de la loi sur le partenariat enregistré
indique que l’interdiction de l’adoption dans le cas prévu par cette disposition
avait été demandée à plusieurs reprises lors de la procédure de consultation.
En outre, ce commentaire souligne que les arrêts rendus par
43. Le
commentaire relatif à l’amendement apporté à l’article 181 § 1, alinéa 2, du
code civil se borne à énoncer que l’absence dans le projet de loi d’une
quelconque proposition d’amendement à cette disposition résulte d’une omission
à laquelle il a été ultérieurement remédié.
C. Dispositions concernant les enfants nés hors mariage
44. En
application de l’article 166 du code civil, un enfant né hors mariage est placé
sous l’autorité parentale exclusive de sa mère (ce qui signifie qu’elle en a la
garde, qu’elle doit veiller à son bien-être et à son éducation, qu’elle en est
la représentante légale et qu’elle administre ses biens).
45. En vertu de
l’article 167 du même code, lorsque les parents d’un enfant né hors mariage
cohabitent, ils peuvent décider d’exercer conjointement l’autorité parentale
sur leur enfant. Un amendement entré en vigueur le 1er juillet
46. Les deux
parents sont tenus de pourvoir à l’entretien de l’enfant (article 140 § 1
du code civil). L’obligation d’entretien s’exécute en principe en nature.
Toutefois, le parent qui ne cohabite pas avec l’enfant doit exécuter son
obligation d’entretien sous la forme d’une pension alimentaire.
47. L’article 148
§ 1 du code civil attribue un droit de visite et d’hébergement au parent qui ne
cohabite pas avec l’enfant. Depuis le 1er juillet 2001, cette
prérogative n’appartient plus au seul parent, mais aussi à l’enfant lui-même.
Il incombe au parent et à l’enfant de convenir des modalités d’exercice du
droit de visite et d’hébergement. S’ils ne parviennent pas à s’accorder sur ce
point, il reviendra au juge, à la demande de l’une des personnes concernées,
d’aménager le droit de visite et d’hébergement en fonction des besoins et des
souhaits de l’enfant, conformément à l’intérêt supérieur de celui-ci.
48. En outre,
aux termes de l’article 178 § 1 du code civil, le parent qui n’a pas l’autorité
parentale a le droit d’être informé relativement à différentes questions
importantes concernant l’enfant, certaines décisions touchant à ces questions
ne pouvant d’ailleurs être prises sans son approbation.
III. conventions internationales et documents
du Conseil de l’Europe
A.
49. Adoptée par
l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989 et entrée en vigueur
le 2 septembre 1990,
Article 3
« 1. Dans
toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des
institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités
administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant
doit être une considération primordiale.
2. Les
Etats parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins
nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses
parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui,
et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives
appropriées.
3. Les
Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et
établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit
conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans
le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la
compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle
approprié. »
Article 21
« Les
Etats parties qui admettent et/ou autorisent l’adoption s’assurent que
l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la matière,
et :
a) Veillent à ce que l’adoption d’un enfant ne soit autorisée
que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux
procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables
relatifs au cas considéré, que l’adoption peut avoir lieu eu égard à la
situation de l’enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants
légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur
consentement à l’adoption en connaissance de cause, après s’être entourées des
avis nécessaires ;
(...) »
B.
50. Ouverte à
la signature le 27 novembre 2008,
51. Il ressort
du préambule de cet instrument que certaines dispositions de
Article 4 – Prononcé de l’adoption
« 1. L’autorité
compétente ne prononce l’adoption que si elle a acquis la conviction que
l’adoption est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.
2. Dans
chaque cas, l’autorité compétente attache une importance particulière à ce que
l’adoption apporte à l’enfant un foyer stable et harmonieux. »
Article 7 – Conditions de l’adoption
« 1. La
législation permet l’adoption d’un enfant :
a. par deux personnes
de sexe différent
i. qui sont mariées ensemble ou,
ii. lorsqu’une telle institution existe, qui ont contracté un
partenariat enregistré ;
b. par une seule
personne.
2. Les
Etats ont la possibilité d’étendre la portée de la présente Convention aux
couples homosexuels mariés ou qui ont contracté un partenariat enregistré
ensemble. Ils ont également la possibilité d’étendre la portée de la présente
Convention aux couples hétérosexuels et homosexuels qui vivent ensemble dans le
cadre d’une relation stable. »
Article 11 – Effets de l’adoption
« 1. Lors
de l’adoption, l’enfant devient membre à part entière de la famille de
l’adoptant ou des adoptants et a, à l’égard de l’adoptant ou des adoptants et à
l’égard de sa ou de leur famille, les mêmes droits et obligations que ceux d’un
enfant de l’adoptant ou des adoptants dont la filiation est légalement établie.
L’adoptant ou les adoptants assument la responsabilité parentale vis-à-vis de
l’enfant. L’adoption met fin au lien juridique existant entre l’enfant et ses
père, mère et famille d’origine.
2. Néanmoins,
le conjoint, le partenaire enregistré ou le concubin de l’adoptant conserve ses
droits et obligations envers l’enfant adopté si celui ci est son enfant, à
moins que la législation n’y déroge.
(...) »
52. Sous la
rubrique « Considérations générales », le rapport explicatif à
« 14. D’un
certain point de vue, la bonne pratique de l’adoption ne comporte qu’un seul
principe essentiel, à savoir que l’adoption doit avoir pour but l’intérêt
supérieur de l’enfant, comme le stipule le paragraphe 1 de l’article 4 de
53. Les
passages pertinents en l’espèce des observations de ce rapport figurant sous la
rubrique « article 7 – Conditions de l’adoption » se lisent
ainsi :
« 42. Le
présent article prévoit l’adoption soit par un couple, soit par une seule personne.
43. Alors
que le champ d’application de
(...)
45. Concernant
le paragraphe 2, il a été relevé que deux Etats parties (
46. Dans
ces conditions, le paragraphe 2 permet aux Etats qui le souhaitent d’étendre la
portée de
47. Les
Etats ont également toute latitude pour étendre la portée de
C. Recommandation du Comité des Ministres
54. Adoptée le
31 mars 2010,
« 23. Lorsque
la législation nationale confère des droits et des obligations aux couples non
mariés, les Etats membres devraient garantir son application sans aucune
discrimination à la fois aux couples de même sexe et à ceux de sexes
différents, y compris en ce qui concerne les prestations de pension de retraite
du survivant et les droits locatifs.
24. Lorsque
la législation nationale reconnaît les partenariats enregistrés entre personnes
de même sexe, les Etats membres devraient viser à ce que leur statut juridique,
ainsi que leurs droits et obligations soient équivalents à ceux des couples
hétérosexuels dans une situation comparable.
25. Lorsque
la législation nationale ne reconnaît ni confère de droit ou d’obligation aux
partenariats enregistrés entre personnes de même sexe et aux couples non
mariés, les Etats membres sont invités à considérer la possibilité de fournir,
sans aucune discrimination, y compris vis-à-vis de couples de sexes différents,
aux couples de même sexe des moyens juridiques ou autres pour répondre aux
problèmes pratiques liés à la réalité sociale dans laquelle ils vivent.
(...)
27. Tenant
compte du fait que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être la
considération première dans les décisions en matière d’adoption d’un enfant,
les Etats membres dont la législation nationale permet à des personnes
célibataires d’adopter des enfants devraient garantir son application sans
discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. »
IV. Droit comparé
A. L’étude du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe
55. Une étude
récente du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe intitulée
« La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de
genre en Europe » (éditions du Conseil de l’Europe, juin 2011) comporte
notamment les passages suivants :
« Trois
possibilités s’offrent aux personnes LGBT [lesbiennes, gays, bisexuelles ou
transgenres] qui veulent adopter un enfant. Tout d’abord, une femme lesbienne
ou un homme gay célibataire peut déposer une demande pour devenir parent
adoptif (adoption par une personne célibataire). Autre possibilité, une
personne peut adopter les enfants biologiques ou adoptés de son/sa partenaire
de même sexe, sans que le premier parent ne perde ses droits légaux. Cette
procédure, appelée « adoption par le second parent », donne à
l’enfant deux représentants légaux. L’adoption par le second parent protège
aussi les parents en leur donnant, à eux deux, le statut de parent reconnu par
la loi. En cas de non-adoption par le second parent, l’enfant et le parent non
biologique sont privés de certains droits si le parent biologique décède ou en
cas de divorce, de séparation ou d’autres circonstances empêchant le parent
d’exercer ses responsabilités parentales. L’enfant n’a pas non plus le droit
d’hériter du parent non biologique. En outre, sur un plan pratique, le droit au
congé parental est exclu en cas de non-adoption par le second parent, ce qui
peut constituer un préjudice financier pour les familles LGBT. La troisième
procédure est l’adoption conjointe d’un enfant par un couple de même sexe.
Dix
Etats membres autorisent l’adoption par le second parent pour les couples de
même sexe (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Islande, Norvège,
Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède). A l’exception de l’Allemagne et de
B. Autres éléments de droit comparé
56. Les données
dont
57. La majorité
(vingt-quatre) des trente-neuf Etats membres du Conseil de l’Europe étudiés
réservent l’adoption coparentale aux couples mariés. Dix Etats membres –
Les autres Etats étudiés ont apporté différentes réponses à la question de
l’adoption coparentale, telle celle qui consiste à ouvrir cette possibilité aux
couples mariés ainsi qu’aux partenaires enregistrés (solution retenue notamment
par l’Allemagne et
EN DROIT
I. SUR
58. Invoquant
l’article 14 de
L’article 8 de
« 1. Toute
personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et
de sa correspondance.
2. Il
ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit
que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue
une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la
défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection
de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés
d’autrui. »
L’article 14 de
« La
jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être
assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la
couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres
opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité
nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
A. Sur la recevabilité
59. Le
Gouvernement soutient qu’aucune question de discrimination ne se pose en
l’espèce et que la requête doit donc être déclarée irrecevable pour défaut
manifeste de fondement. A cet égard, il fait valoir que les juridictions internes
ont refusé d’autoriser l’adoption du deuxième requérant aux motifs que le père
de celui-ci s’y opposait et qu’elle n’était pas dans l’intérêt de l’enfant. Par
conséquent, le fait que l’adoption par un homosexuel de l’enfant de son
partenaire soit juridiquement impossible au regard de l’article 182 § 2 du code
civil ne serait pas entré en ligne de compte. Ce serait donc un contrôle
abstrait de cette disposition que les requérants inviteraient
60. Il apparaît
ainsi que le Gouvernement plaide que les intéressés ne peuvent se prétendre
victimes de la violation alléguée, au sens de l’article 34 de
61.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Les
requérants
62. Les
requérants soutiennent que leur situation est comparable à celle d’un couple
hétérosexuel élevant des enfants. Ils s’appuient sur de nombreuses études
scientifiques aboutissant à la conclusion que les enfants s’épanouissent tout
aussi bien dans des familles homoparentales que dans des familles
hétéroparentales.
63. En droit
autrichien, l’adoption coparentale serait ouverte aux couples mariés, mais les
couples homosexuels n’auraient pas accès au mariage et, même en cas de
conclusion d’un partenariat enregistré, cette forme d’adoption leur serait
expressément interdite par l’article 8 § 4 de la loi sur le partenariat
enregistré. Cela étant, les requérants soulignent qu’ils ne revendiquent pas un
droit qui serait réservé aux familles fondées sur le mariage.
64. Le problème
fondamental en l’espèce serait celui de l’inégalité de traitement entre les
couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels non mariés. Le
droit autrichien ouvrirait l’adoption coparentale aux couples hétérosexuels non
mariés, mais il l’interdirait aux couples homosexuels non mariés. Il y aurait
là une différence cruciale avec l’affaire Gas
et Dubois c. France (no 25951/07, 15 mars 2012), le droit français réservant
l’adoption coparentale aux couples mariés. La question soulevée par la présente
affaire serait donc analogue à celle qui se posait dans l’affaire Karner c. Autriche (no
40016/98, CEDH 2003-IX) où la législation autrichienne déniait aux couples homosexuels
un droit reconnu aux couples hétérosexuels non mariés. En outre, seuls quatre
Etats membres du Conseil de l’Europe auraient comme l’Autriche adopté la
position consistant à ouvrir l’adoption coparentale aux couples hétérosexuels
non mariés tout en l’interdisant aux couples homosexuels. La grande majorité
des Etats membres réserveraient cette forme d’adoption aux couples mariés ou
l’étendraient aux couples non mariés quelle que soit leur orientation sexuelle.
65. Les requérants
considèrent qu’ils ont incontestablement fait l’objet d’une différence de
traitement dans la procédure critiquée. Devant les juridictions internes, ils
auraient soutenu que le refus du père du deuxième requérant de consentir à
l’adoption était injustifié parce que contraire à l’intérêt de l’enfant, que
l’intérêt de ce dernier à être adopté devait prévaloir sur celui de son père à
s’y opposer et que, dès lors, le tribunal de district aurait dû passer outre à
cette opposition comme le permettait l’article 181 § 3 du code civil.
D’après les requérants, si le tribunal de district avait été saisi d’une
demande identique par un couple hétérosexuel, il l’aurait examinée au fond et
aurait dû rendre une décision distincte concernant le refus du père de l’enfant.
Or cette juridiction aurait opposé une fin de non-recevoir à la demande des
intéressés au motif que l’adoption envisagée était en tout état de cause
impossible au regard du droit autrichien.
66. Les
requérants soulignent que c’est l’impossibilité absolue dans leur cas de
procéder à une adoption qui se trouve au cœur de leur grief. La présente espèce
s’apparenterait à l’affaire E.B.
c. France ([GC], no 43546/02,
22 janvier 2008) en ce que les première et troisième requérantes seraient,
du fait de leur orientation sexuelle, privées de toute possibilité effective
d’adopter.
67. Suivant la
thèse des requérants, dès lors que le Gouvernement soutient que le droit
autrichien de l’adoption vise à protéger l’intérêt de l’enfant, il lui incombe,
d’après la jurisprudence de
68. Quant à
l’argument du Gouvernement selon lequel le droit autrichien tend à empêcher qu’un
enfant ait, du point de vue juridique, deux pères ou deux mères, force serait
pour les requérants de constater que, bien que formant depuis longtemps une
famille de fait, ils ne peuvent toujours pas obtenir la reconnaissance
juridique de leur vie familiale. En outre, il ne serait pas rare qu’un enfant
adopté ait deux pères ou deux mères au regard du droit autrichien. En vertu de
l’article 182 § 2 du code civil, l’adoption romprait les liens familiaux
existant entre l’enfant adopté et son ou ses parents biologiques, mais elle
laisserait subsister entre eux des obligations d’entretien et des droits
successoraux réciproques, quoique subsidiaires par rapport à ceux des parents
adoptifs.
69. Il
ressortirait de
b) Le
Gouvernement
70. Le
Gouvernement ne conteste pas que l’article 14 combiné avec l’article 8 trouve à
s’appliquer en l’espèce, et il admet que les relations unissant les trois
requérants relèvent de la notion de vie familiale. Toutefois, il estime que les
faits de l’espèce diffèrent de ceux qui étaient à l’origine de l’affaire Gas et Dubois (précitée) en ce que le
deuxième requérant aurait un père avec qui il entretiendrait aussi des rapports
familiaux.
71. Considérant
par ailleurs que la situation des requérants n’était pas comparable à celle
d’un couple marié dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de
l’autre, le Gouvernement invite
72. Il
reconnaît en revanche que les première et troisième requérantes se trouvent
dans une situation comparable à celle d’un couple hétérosexuel non marié, concédant
que, en termes de personnes, les couples homosexuels et les couples
hétérosexuels sont en théorie tout aussi aptes ou inaptes les uns que les
autres à l’adoption en général et à l’adoption coparentale en particulier. Il
admet de surcroît que les deux situations sont comparables en ce que toute
adoption exige le consentement des deux parents biologiques.
73. S’appuyant
sur les arrêts Emonet et autres c. Suisse
(no 39051/03, 13 décembre 2007) et Eski c. Autriche (no 21949/03, 25 janvier 2007), le Gouvernement
ajoute que la rupture du lien de filiation consécutive à l’adoption d’un mineur
a été jugée compatible avec l’article 8 et que les Etats disposent d’une ample
marge d’appréciation dans le domaine du droit de l’adoption. Il précise que le
droit autrichien en la matière donne la priorité aux parents biologiques en ce
qui concerne l’autorité parentale et que l’adoption ne doit être autorisée que
lorsqu’elle sert manifestement l’intérêt de l’enfant. L’adoption entraînerait
en effet la perte des droits parentaux pour le parent biologique concerné, et
le consentement de celui‑ci, dont les liens avec l’enfant seraient
également protégés par l’article 8, serait une condition préalable à
l’adoption. Le droit autrichien ménagerait ainsi un équilibre raisonnable entre
tous les intérêts en présence.
74. Aucune
question de discrimination ne se poserait en l’espèce car les première et
troisième requérantes n’auraient pas été traitées autrement qu’un couple
hétérosexuel non marié. Après avoir examiné attentivement la question de
l’intérêt du deuxième requérant à être adopté, les juridictions nationales,
notamment le tribunal régional, auraient constaté que l’enfant avait des liens
avec son père, et elles auraient conclu pour cette raison qu’il n’y avait pas
lieu de substituer un parent adoptif à ce dernier. Le consentement préalable
des deux parents biologiques serait une condition essentielle à toute adoption.
Le Gouvernement fait valoir que, compte tenu de l’opposition du père du
deuxième requérant, les tribunaux internes n’auraient pas davantage pu
homologuer la convention d’adoption si la demande avait émané d’un partenaire
de sexe opposé à celui de la troisième requérante et non marié avec elle. Il
estime par ailleurs que les intéressés ont échoué à démontrer qu’il existait
des motifs de passer outre au refus par le père de l’enfant de consentir à
l’adoption et ajoute qu’ils n’ont pas demandé aux tribunaux de statuer
expressément sur ce point.
75. Le
Gouvernement affirme de surcroît que le code civil ne poursuit pas un objectif
d’exclusion des couples homosexuels. Selon lui, l’impossibilité pour une femme
d’adopter l’enfant d’une autre femme ferait également échec au projet d’une tante
d’adopter son neveu tant que subsisteraient des liens entre celui-ci et sa
mère. L’interdiction expresse de l’adoption coparentale frappant les couples
homosexuels n’aurait été introduite qu’en 2010 par la loi sur le partenariat
enregistré, laquelle n’aurait pas encore été en vigueur au moment où les
juridictions internes ont statué sur la présente affaire et ne serait donc pas
pertinente en l’espèce.
76. Pour le cas
où
77. Enfin, le
Gouvernement considère que les Etats devraient bénéficier d’une ample marge
d’appréciation en matière d’adoption coparentale par les couples homosexuels.
Selon ses informations, seuls dix Etats membres du Conseil de l’Europe
autoriseraient cette forme d’adoption. Dans ces conditions, il n’y aurait pas
de standard européen, ni même une quelconque tendance ou orientation, en la
matière.
c) Les
parties intervenantes
i.
78. Dans leurs
observations communes, ces six organisations non gouvernementales avancent que,
comme l’affaire Karner (précitée), le
cas d’espèce révèle une différence de traitement en ce qu’un droit reconnu aux
couples hétérosexuels non mariés a été dénié à un couple homosexuel non marié.
En conséquence, il conviendrait d’appliquer en l’espèce les critères dégagés
dans l’arrêt Karner. En outre, dans
les arrêts Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal (no 33290/96, CEDH 1999‑IX) et E.B. c. France (précité),
79. Par
ailleurs, en ce qui concerne la question du consensus européen, il conviendrait
de relever que la majorité des quarante-sept Etats membres du Conseil de l’Europe
réservent l’adoption coparentale aux couples hétérosexuels mariés. Les seuls
Etats susceptibles de servir de point de comparaison en l’espèce seraient ceux
qui ouvrent l’adoption coparentale à d’autres couples, notamment aux couples
homosexuels (mariés, partenaires enregistrés ou vivant ensemble) ou aux couples
hétérosexuels non mariés. Parmi ce groupe d’Etats, quatorze auraient étendu
l’adoption coparentale aux couples homosexuels ou envisageraient de le faire et
cinq seulement (dont l’Autriche) ouvriraient cette forme d’adoption aux couples
hétérosexuels non mariés tout en l’interdisant aux couples homosexuels.
80. Enfin,
l’article 7 de
ii. Le
Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ)
81. L’ECLJ
estime qu’il n’y a pas eu d’ingérence dans la vie familiale de facto des requérants et que l’article
8 n’est donc pas applicable en l’espèce. Il soutient en outre qu’il n’existe
pas un droit à l’adoption, ni un droit à être adopté. Selon lui, les intéressés
revendiquent en substance un droit à la reconnaissance de leur vie familiale.
Or, comme le droit de se marier, le droit de fonder une famille consacré par
l’article 12 de
82. Pour le cas
où l’affaire serait examinée sous l’angle de l’article 8, l’ECLJ soutient qu’à
supposer même qu’il y ait eu ingérence dans l’exercice par les requérants de
leur droit au respect de leur vie familiale, force est de constater que cette
ingérence était prévue par la loi, plus précisément par l’article 182 § 2 du code
civil, et qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir la protection des
relations entre le deuxième requérant et son père, lequel était opposé à
l’adoption envisagée. Le refus des juridictions internes d’autoriser l’adoption
voulue par les intéressés viserait également, et légitimement, à préserver la
famille naturelle et à garantir la sécurité juridique aux enfants. La réalité
biologique serait un élément objectif, et elle constituerait à ce titre une
justification raisonnable.
83. Sur le
terrain de l’article 14 combiné avec l’article 8, l’ECLJ expose que les
première et troisième requérantes n’ont pas la capacité biologique de fonder
une famille et que leur situation n’est donc pas comparable à celle d’un couple
hétérosexuel. L’article 182 § 2 du code civil s’appliquant à tous les couples,
qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, aucune différence de traitement
n’aurait été opérée en l’espèce. Le fait que cette disposition produise des
effets différents selon qu’elle s’applique à un couple homosexuel ou à un
couple hétérosexuel ne s’analyserait pas en une discrimination.
iii. Le
procureur général de l’Irlande du Nord
84. Le
procureur général de l’Irlande du Nord considère que
85. Il indique
que la compatibilité avec
86. Relevant
que
iv. Amnesty
International
87. Les
observations d’Amnesty International fournissent un aperçu des clauses de
non-discrimination figurant dans les traités régionaux et internationaux de
protection des droits de l’homme ainsi que de la jurisprudence pertinente de
88. Amnesty
International considère que toute différence de traitement fondée sur
l’orientation sexuelle doit être justifiée par des raisons particulièrement
solides et convaincantes. Elle renvoie à cet égard à un arrêt récent de
89. Amnesty
International fait par ailleurs observer que, selon l’article 3 de
v. Alliance
Defending Freedom
90. Alliance
Defending Freedom observe que ni
91. Par
ailleurs, la thèse répandue de « l’indifférenciation », c’est-à-dire
l’idée, émise dans diverses études, selon laquelle les enfants qui grandissent
dans des familles homoparentales ne se trouvent pas dans une situation de net
désavantage par rapport aux enfants élevés par des familles hétéroparentales,
aurait été remise en question par des travaux sociologiques récents menés
notamment aux Etats-Unis. Compte tenu du caractère peu concluant des résultats
des études scientifiques réalisées en la matière et de l’ample marge
d’appréciation dont les Etats bénéficieraient dans le domaine du droit de la
famille, l’intérêt de l’enfant justifierait de réserver l’adoption, y compris
l’adoption coparentale, aux couples hétérosexuels.
2. Appréciation de
a) Applicabilité
de l’article 14 de
92.
93. En
l’espèce, les requérants invoquent l’article 14 combiné avec l’article 8 et
soutiennent qu’ils vivent ensemble une vie familiale. Le Gouvernement ne
conteste pas que l’article 14 combiné avec l’article 8 soit applicable en l’espèce.
94. Selon la
jurisprudence constante de
95.
96. En l’espèce, les première et troisième requérantes forment
un couple homosexuel stable menant une vie commune depuis de nombreuses années.
Le deuxième requérant, dont elles s’occupent toutes les deux, vit avec elles.
Dans ces conditions,
97. En conséquence,
b) Observation
de l’article 14 combiné avec l’article 8
i. Les
principes se dégageant de la jurisprudence de
98. Selon la jurisprudence constante de
99. L’orientation sexuelle relève du champ d’application de
l’article 14.
100. Avant d’en venir à l’examen du grief des requérants,
101. Jusqu’à présent,
102. Dans l’affaire Fretté
c. France, les autorités françaises avaient rejeté la demande d’agrément
d’un postulant à l’adoption au motif que les « choix de vie »
(autrement dit l’homosexualité) de l’intéressé ne présentaient pas des
garanties suffisantes pour l’adoption d’un enfant. Se plaçant sur le terrain de
l’article 14 de
103. Dans
l’arrêt de Grande Chambre qu’elle a rendu dans l’affaire E.B. c. France (précitée), elle aussi examinée sur le terrain de
l’article 14 combiné avec l’article 8,
104. L’affaire Gas et Dubois (précitée) concernait deux
femmes vivant en couple sous le régime du PACS de droit français. L’une des
deux requérantes était la mère d’un enfant conçu par procréation médicalement
assistée. Au regard du droit français, elle en était la seule parente. Les
intéressées se plaignaient, sur le terrain de l’article 14 de
ii. Application
en l’espèce des principes susmentionnés
α) Comparaison
de la situation des requérants avec
105. La première
question qui se pose à
106.
107. Or le droit
autrichien de l’adoption prévoit un régime spécifique pour les couples mariés.
L’article 179 § 2 du code civil énonce en effet que l’adoption conjointe leur
est réservée et qu’elle est en principe la seule forme d’adoption qui leur soit
ouverte. Par exception à ce principe, la même disposition autorise un époux à
adopter l’enfant de son conjoint (adoption coparentale).
108. S’appuyant
sur l’arrêt Gas et Dubois, le
Gouvernement avance que la situation des première et troisième requérantes
n’est pas comparable à celle d’un couple marié. Pour leur part, les requérantes
soulignent qu’elles n’entendent pas revendiquer un droit qui serait réservé aux
couples mariés.
109. Au vu de ce
qui précède,
110. En
conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 14 de
ß) Comparaison
de la situation des requérants avec celle d’un couple hétérosexuel non marié
dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre
111.
Situation
comparable
112.
Différence
de traitement
113.
114. Le droit
autrichien ouvre l’adoption coparentale aux couples hétérosexuels non mariés.
L’article 179 du code civil autorise de manière générale l’adoption
monoparentale, et aucune disposition de l’article 182 § 2 du même
code, qui régit les effets de l’adoption, ne s’oppose à ce que l’un des membres
d’un couple hétérosexuel non marié adopte l’enfant de l’autre sans qu’il y ait
rupture des liens entre ce dernier et son enfant. En revanche, il est
juridiquement impossible à un couple homosexuel de procéder à une adoption
coparentale car ce même article 182 § 2 énonce que l’adoptant se substitue
au parent biologique du même sexe que lui. En l’espèce, la première requérante
étant une femme, en cas d’adoption par elle du deuxième requérant, seuls les
liens entre celui-ci et sa mère, compagne de la première requérante, pourraient
être rompus. Les intéressés ne peuvent donc pas recourir à l’adoption en vue de
créer, entre la première requérante et le deuxième requérant, un lien de
filiation qui s’ajouterait à celui qui existe entre le deuxième requérant et sa
mère. Quoique neutre de prime abord, l’article 182 § 2 exclut les couples
homosexuels de l’adoption coparentale.
115. Dans un
souci d’exhaustivité,
116. Cela étant,
il ne fait aucun doute que la législation applicable opère une distinction
entre les couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels en
matière d’adoption coparentale. En l’état actuel du droit autrichien,
l’adoption coparentale est inaccessible aux requérants, et il en serait ainsi
même si le père biologique du deuxième requérant était décédé ou inconnu, ou
s’il existait des motifs de passer outre à son refus de consentir à l’adoption.
Le Gouvernement ne le conteste pas.
117. Toutefois,
il soutient que les faits de la cause ne révèlent aucune forme de
discrimination. A cet égard, il assure que la demande d’homologation de la
convention d’adoption présentée par les intéressés a été rejetée pour des
motifs étrangers à l’orientation sexuelle des première et troisième
requérantes. Il précise d’abord que les tribunaux, et en particulier le
tribunal régional, se sont opposés à l’adoption envisagée parce qu’elle ne
servait pas l’intérêt de l’enfant. Il fait ensuite valoir que toute adoption
requiert le consentement des parents biologiques de l’enfant à adopter.
Observant que le père du deuxième requérant n’avait pas donné son consentement,
le Gouvernement avance que les tribunaux n’avaient d’autre choix que de rejeter
la demande d’adoption litigieuse et qu’ils auraient dû se prononcer exactement
de la même façon si la première requérante avait été le compagnon et non la
compagne de la troisième requérante. Autrement dit, la distinction juridique
opérée par l’article 182 § 2 du code civil ne serait pas entrée en ligne de
compte dans la présente affaire. Ce serait ainsi à un contrôle abstrait de la
législation applicable que les requérants inviteraient
118. Au vu des
décisions rendues par les juridictions internes (paragraphes 15, 18 et 20
ci-dessus),
119. C’est sur
ce seul motif que le tribunal de district a fondé sa décision. Il ne s’est pas
arrêté sur les circonstances particulières de l’affaire, n’abordant à aucun
moment la question de savoir si le père du deuxième requérant consentait ou non
à l’adoption ou s’il existait des raisons de passer outre à son opposition
comme le prétendaient les intéressés.
120. Le tribunal
régional a lui aussi conclu que l’adoption souhaitée par les requérants était
juridiquement impossible, mais il a évoqué d’autres aspects de l’affaire. Il a
exprimé des doutes sur la capacité de la troisième requérante à représenter son
fils dans la procédure d’adoption, estimant que cette situation pouvait donner
lieu à un conflit d’intérêts. Il a toutefois jugé inutile de statuer sur cette
question au motif que le tribunal de district avait à juste titre opposé une fin
de non-recevoir à la demande d’adoption. D’après les informations dont
121. Il importe
également de tenir compte de ce que le tribunal régional a conclu à
l’admissibilité d’un pourvoi en cassation devant
122. Pour sa
part,
123. Au vu de ce
qui précède,
124. C’est en
effet cet obstacle juridique qui a empêché les juridictions internes de
rechercher concrètement, en application de l’article 180a du code civil, si
l’adoption envisagée était dans l’intérêt du deuxième requérant. Elles n’ont
ainsi pas examiné dans le détail les circonstances de la cause. Elles n’ont pas
davantage vérifié s’il y avait des raisons de passer outre au refus du père de
l’enfant de consentir à l’adoption, comme le leur permettait l’article 181 § 3
du code civil. Le Gouvernement soutient que les intéressés n’ont pas
suffisamment étayé leur thèse selon laquelle il existait de telles raisons et
qu’ils n’ont pas demandé aux tribunaux de statuer expressément sur ce point.
125. Si la
demande d’adoption introduite par les première et troisième requérantes avait
été présentée par un couple hétérosexuel non marié, les tribunaux n’auraient
pas pu lui opposer une fin de non-recevoir. Ils auraient au contraire été tenus
de vérifier, conformément à l’article 180a du code civil, si cette adoption
répondait à l’intérêt du deuxième requérant. Et si le père de l’enfant avait
refusé de consentir à l’adoption, ils auraient dû rechercher s’il existait des
circonstances exceptionnelles justifiant qu’ils passent outre à ce refus comme
le leur permettait l’article 181 § 3 du code civil (pour un exemple
d’application de cette procédure, voir l’arrêt Eski, précité, §§ 39‑42, rendu dans une affaire où était
en cause une adoption coparentale par un couple hétérosexuel marié et dans
laquelle les juridictions autrichiennes avaient longuement analysé cette
question en mettant en balance les intérêts de toutes les personnes concernées
– ceux du couple, ceux de l’enfant et ceux de son père biologique – après avoir
dûment entendu chacune d’elles et établi les faits pertinents).
126. En
conséquence,
127. De plus, s’il peut de prime abord sembler que la différence
de traitement litigieuse concerne surtout la première requérante, qui n’a pas
été traitée de la même manière que l’aurait été un membre d’un couple
hétérosexuel non marié désireux d’adopter l’enfant de l’autre,
128. Le
Gouvernement avance enfin que l’obstacle juridique s’opposant à la demande
d’adoption présentée par les intéressés n’était pas fondé sur l’orientation
sexuelle des première et troisième requérantes et qu’il n’était donc pas
discriminatoire. Il fait valoir que l’article 182 § 2 du code civil, qui
interdit à une femme d’adopter un enfant tant qu’il subsiste des liens de droit
entre celui-ci et sa mère, est une disposition d’application générale qui
ferait aussi échec au projet d’une tante d’adopter son neveu tant que
subsisteraient des liens entre celui-ci et sa mère.
129. Cet
argument ne convainc pas
130. Eu égard à
l’ensemble des considérations qui précèdent,
131. Il convient
donc de distinguer la présente espèce de l’affaire Gas et Dubois (précitée, § 69), dans laquelle
But
légitime et proportionnalité
132.
133. Ce qui est
en débat devant
134. Bien que la
présente affaire puisse être considérée dans le cadre de la problématique plus
large des droits parentaux des couples homosexuels,
135.
136. Se tournant
vers la présente espèce,
137. Il ressort
des décisions rendues par les juridictions internes et des observations du
Gouvernement que le droit autrichien de l’adoption vise à recréer la situation
que l’on trouve dans une famille biologique. Dans son arrêt du 21 février 2006,
le tribunal régional a précisé que les dispositions litigieuses visaient à
préserver la « famille traditionnelle » et que le droit autrichien
reposait sur le principe selon lequel un enfant mineur devait avoir pour
parents deux personnes de sexe opposé, conformément à la réalité biologique. Il
a jugé que la décision du législateur de ne pas prévoir l’adoption d’un enfant
par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents, opération qui romprait le
lien de l’enfant avec son parent du sexe opposé, poursuivait un but légitime.
De la même manière,
138.
139.
140. Lorsque la
marge d’appréciation laissée aux Etats est étroite, dans le cas par exemple
d’une différence de traitement fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle,
non seulement le principe de proportionnalité exige que la mesure retenue soit
normalement de nature à permettre la réalisation du but recherché, mais il
oblige aussi à démontrer qu’il était nécessaire, pour atteindre ce but,
d’exclure certaines personnes – en l’espèce les individus vivant une relation
homosexuelle – du champ d’application de la mesure dont il s’agit (Karner, précité, § 41, et Kozak, précité, § 99).
141. En vertu de
la jurisprudence précitée, la charge de cette preuve incombe au gouvernement
défendeur. C’est donc au gouvernement autrichien qu’il revient en l’espèce de démontrer
que la préservation de la famille traditionnelle, et plus précisément la
protection de l’intérêt de l’enfant, commande d’interdire aux couples
homosexuels l’adoption coparentale ouverte aux couples hétérosexuels non
mariés.
142.
143.
144. En outre,
le droit autrichien paraît manquer de cohérence. Il autorise l’adoption par une
seule personne, même homosexuelle. Si celle-ci vit avec un partenaire
enregistré, le consentement de celui-ci est requis en vertu de l’alinéa 2 de
l’article 181 § 1 du code civil, tel que modifié par la loi sur le partenariat
enregistré (paragraphe 40 ci-dessus). Par conséquent, le législateur admet
qu’un enfant peut grandir au sein d’une famille fondée sur un couple
homosexuel, reconnaissant ainsi que cette situation n’est pas préjudiciable à
l’enfant. Néanmoins, le droit autrichien prévoit explicitement qu’un enfant ne
doit pas avoir deux mères ou deux pères (voir, mutatis mutandis, Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 78, CEDH 2002‑VI,
où
145.
146. L’ensemble des considérations exposées ci-dessus –
l’existence de la famille de fait formée par les intéressés, l’importance qu’il
y a pour eux à en obtenir la reconnaissance juridique, l’incapacité du
Gouvernement à établir qu’il serait préjudiciable pour un enfant d’être élevé
par un couple homosexuel ou d’avoir légalement deux mères ou deux pères, et surtout
le fait que le Gouvernement reconnaît que les couples homosexuels sont tout
aussi aptes que les couples hétérosexuels à l’adoption coparentale – suscitent
de sérieux doutes quant à la proportionnalité de l’interdiction absolue de
l’adoption coparentale qui résulte pour les couples homosexuels de l’article
182 § 2 du code civil. En l’absence d’autres raisons particulièrement solides
et convaincantes militant en faveur d’une telle interdiction absolue, les
considérations exposées jusqu’ici donnent au contraire à penser que les
tribunaux devraient pouvoir examiner chaque situation au cas par cas. Cette
façon de procéder paraît aussi plus conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant,
notion clé des instruments internationaux pertinents (voir, en particulier, le
paragraphe 49 ci-dessus et l’arrêt E.B.
c. France, précité, § 95).
147. Pour justifier la différence de traitement litigieuse, le
Gouvernement avance un autre argument. S’appuyant sur l’article 8 de
148.
149. En outre, et dans le seul but de répondre à l’affirmation
du Gouvernement selon laquelle il n’existe pas de consensus européen en la
matière, il convient de garder à l’esprit que
150.
151.
152.
153. En conclusion, il y a eu violation de l’article 14 de
II. SUR
L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE
154. Aux
termes de l’article 41 de
« Si
A. Dommage
155. Les
requérants réclament chacun 50 000 euros (EUR) pour le préjudice moral
qu’ils disent avoir subi.
156. Le Gouvernement soutient qu’il ne se
justifie pas d’accorder aux intéressés une indemnité pour préjudice moral,
notamment parce qu’ils n’ont pas été empêchés de vivre comme ils l’entendaient.
En tout état de cause, les sommes réclamées par les requérants ne
correspondraient pas à celles allouées dans des affaires analogues.
157.
B. Frais et dépens
158. Les
requérants réclament 49 680,94 EUR au total en remboursement de leurs
frais et dépens, soit 6 156,59 EUR pour ceux engagés devant les
juridictions internes et 43 524,35 EUR pour ceux exposés devant
159. Ils
précisent que les frais et dépens encourus dans le cadre de la procédure suivie
devant
160. Ils
indiquent que les frais et dépens encourus pour les besoins de la procédure
suivie devant
161. Le
Gouvernement estime que les frais et dépens exposés pour les besoins de la
procédure suivie devant
162. En ce qui
concerne la procédure suivie à Strasbourg, le Gouvernement trouve que les frais
dont le remboursement est réclamé sont globalement excessifs. Il considère par
ailleurs que les requérants ont pu s’inspirer dans une large mesure des moyens
qu’ils avaient déjà soulevés dans le cadre de la procédure interne et, devant
163. Selon la
jurisprudence de
C. Intérêts moratoires
164.
PAR CES MOTIFS,
1. Déclare, à
l’unanimité, la requête recevable ;
2. Dit, à l’unanimité,
qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de
3. Dit, par dix voix
contre sept, qu’il y a eu violation de l’article 14 de
4. Dit, par onze voix
contre six,
a) que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois, les
sommes suivantes :
i) 10 000 EUR (dix mille euros)
conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt
ou de taxe, pour dommage moral ;
ii) 28 420,88 EUR (vingt-huit
mille quatre cent vingt euros et quatre-vingt-huit centimes) aux requérants,
plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt ou de taxe, pour
frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au
versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à
celui de la facilité de prêt marginal de
5. Rejette, à
l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au
Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 19 février 2013, en application
de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Johan
Callewaert Dean
Spielmann
Adjoint
au Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de
– opinion concordante du juge Spielmann ;
– opinion partiellement dissidente commune aux juges Casadevall,
Ziemele, Kovler, Jočienė, Šikuta, de Gaetano et Sicilianos.
D.S.
J.C.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE
SPIELMANN
1. Concernant le point 2 du dispositif de l’arrêt, je suis
d’avis que la situation des requérants – les première et troisième requérantes,
qui forment un couple homosexuel, et le fils de cette dernière – était
comparable à celle d’un couple hétérosexuel marié dont l’un des membres aurait
souhaité adopter l’enfant de l’autre.
2. Sur ce point, je réitère mon opinion concordante jointe à
l’arrêt Gas et Dubois c. France du 15
mars 2012, à laquelle s’est ralliée ma collègue Isabelle Berro-Lefèvre. Comme
dans l’affaire Gas et Dubois, l’on
est en présence d’un couple homosexuel stable. Pour ce qui est de la question
examinée par
3. La raison pour laquelle je n’ai pas voté en faveur d’un
constat de violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 tient à ce qu’il
n’était à mon avis pas nécessaire d’examiner cette question. D’ailleurs, les
requérants ont eux-mêmes souligné qu’ils n’entendaient pas revendiquer un droit
réservé aux couples mariés. Même si leur position sur cette question n’était
pas dénuée d’une certaine ambiguïté, ils ont principalement soutenu qu’aucun
motif objectif et raisonnable ne justifiait que la première requérante se soit
vu refuser le droit d’adopter l’enfant de sa partenaire alors qu’un tel droit
aurait été accordé à un membre d’un couple hétérosexuel non marié. Certes, dans
l’exposé initial de leur grief, les intéressés avaient comparé leur situation
avec celle d’un couple marié. Mais dans leurs observations du 31 juillet 2012,
reçues au greffe le 1er août 2012, ils se sont exprimés comme
suit :
« 34. La
question dont
35. L’Autriche
accorde également aux couples non mariés l’accès à l’adoption par le
second parent.
36. Mais
alors que les couples hétérosexuels non mariés peuvent pleinement bénéficier de
cette possibilité, les couples homosexuels non mariés et leurs beaux-enfants en
sont exclus. Cette situation est identique à celle qui caractérisait l’affaire Karner (Karner c. Autriche 2003, Kozak
c. Pologne 2010, P.B. et J.S. c.
Autriche 2010, J.M. c. Royaume-Uni
2010). »
4. C’est
ainsi que le débat devant
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
COMMUNE AUX JUGES CASADEVALL, ZIEMELE, KOVLER, JOCIENE, SIKUTA, DE GAETANO ET
SICILIANOS
1. Avec tout le respect dû à l’approche suivie par la majorité,
nous ne sommes pas en mesure de souscrire au point 3 du dispositif, lequel
constate une violation de l’article 14 de
I. Les spécificités de l’affaire et le droit autrichien
Les circonstances de l’espèce
2. Elles différaient de celles qui étaient en cause dans de précédentes
affaires portant sur des questions d’adoption dont notre Cour a eu à connaître.
En effet, quatre personnes étaient concernées en l’espèce : une mère
biologique, un père biologique, la compagne de la mère et l’enfant à adopter
(fils des deux premiers). La compagne de la mère, en accord avec celle-ci,
souhaitait adopter l’enfant. Bien que l’enfant se trouvât sous l’autorité
parentale de sa mère, il avait gardé des liens affectifs solides avec son père,
qu’il voyait régulièrement et qui lui versait une pension alimentaire, tout
aussi régulièrement d’après le dossier. Le père avait légitimement refusé de
consentir à l’adoption. Il n’était pas contesté que l’enfant recevait une
éducation correcte au sein du foyer familial composé de sa mère et de la compagne
de celle-ci. Nous souscrivons sans aucune difficulté à l’idée selon laquelle la
relation entre les trois requérants relevait de la notion de « vie
familiale » au sens de l’article 8 de
3. Sachant que l’article 8 de
La législation litigieuse
4. Contrairement à l’avis de la majorité (paragraphe 126 de
l’arrêt), nous estimons que
5. Suivant la même ligne de raisonnement que celle du tribunal
de district et du tribunal régional,
– si l’enfant n’était adopté que par un adoptant (ou une adoptante) seuls
les liens familiaux qui l’unissaient à son père biologique (ou sa mère
biologique) et aux parents de celui-ci (ou de celle-ci) étaient rompus ;
– cela signifiait notamment que l’adoption d’un enfant par une femme ne
pouvait priver celui-ci de son père biologique ;
– l’article 182 § 2 du code civil interdisait de manière générale (et pas
seulement aux couples homosexuels) tant l’adoption d’un enfant par un homme,
aussi longtemps que subsistait le lien de filiation entre l’enfant à adopter et
son père biologique, que l’adoption d’un enfant par une femme, aussi longtemps
que subsistait le lien de filiation entre celui-ci et sa mère biologique ;
– il résultait donc de l’article 182 § 2 que la personne qui adoptait seule
un enfant ne se substituait pas indifféremment à l’un ou à l’autre des parents,
mais seulement au parent du même sexe qu’elle.
6. L’article 182 § 2 est une disposition de caractère général,
absolument neutre, applicable dans toutes les situations et sans aucune
distinction fondée sur l’orientation sexuelle des adoptants. Il arrive qu’une
même disposition législative produise des effets différents selon les
situations auxquelles elle s’applique. « La simple différence des effets
ne constitue pas et n’implique pas une différence de traitement, dès lors
qu’une seule et même règle produit des effets différents » (observations
du tiers intervenant ECLJ). On retrouve dans la législation de beaucoup
d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe (voir, entre autres, les articles
360 et suivants du code civil français) les effets résultant de l’application
des dispositions pertinentes du droit autrichien (rupture du lien de filiation
entre l’enfant adopté et son père ou sa mère biologique), effets qui sont la conséquence
juridique et logique du fait de l’adoption. Notre Cour a déjà reconnu «...que
la logique de la conception de l’adoption litigieuse, qui entraîn[ait] la
rupture du lien de filiation antérieur entre la personne adoptée et son parent
naturel [était] valable pour les personnes mineures » et que « (...)
compte tenu du fondement et de l’objet de l’article 365 du code civil
[français] (...) l’on ne [pouvait], en se fondant sur la remise en cause de
l’application de cette seule disposition, légitimer la mise en place d’un
double lien de filiation » (Gas et
Dubois c. France, no 25951/07, § 72, 15
mars 2012). Cela est valable, mutatis mutandis,
dans le cas d’espèce. Le changement des acteurs est sans incidence sur les effets
produits, qui resteront toujours les mêmes : l’enfant ne pourra pas être
adopté sans le consentement exprès du père ou de la mère avec lequel il garde
un lien de filiation. Partant, que l’adoptant soit un homme ou une femme, qu’il
soit hétérosexuel ou homosexuel, l’adoption est par principe impossible dans
tous les cas.
La position du père de l’enfant
7. Les requérantes alléguaient à juste titre que l’homologation
de l’adoption aurait conduit à la rupture du lien entre la mère et son fils en
application de la disposition légale pertinente, tout en revendiquant la
rupture judiciaire des liens unissant l’enfant et son père (c’est-à-dire la
substitution de la compagne de la mère au père biologique). Ce faisant, elles
oubliaient le droit légitime du père au respect de sa vie privée et familiale,
également protégé par l’article 8. En dépit de la position de la majorité sur
ce point (paragraphes 120 et 124 de l’arrêt), nous estimons que la faculté
reconnue au juge par le code civil de passer outre à la volonté du père
constitue une mesure exceptionnelle qui ne saurait être imposée que dans des
situations graves et avérées de manquement flagrant aux obligations parentales,
ce qui ne semblait pas être le cas en l’espèce. Un père n’a pas à se justifier
de vouloir rester le père de son fils et encore moins lorsque, comme en
l’espèce, il assume pleinement ses responsabilités parentales.
L’intérêt supérieur de l’enfant
8. Il reste à examiner l’élément qui est au cœur de toute
procédure d’adoption : l’intérêt supérieur de l’enfant (le
grand oublié de ce dossier). Abstraction faite d’un éventuel conflit d’intérêts
entre la mère représentante et son fils (question soulevée mais non tranchée
par les autorités internes, paragraphe 18 de l’arrêt), il aurait fallu rechercher
quelle était la position de l’enfant. Il avait entre onze et douze ans au
moment de la procédure interne. Aujourd’hui, il approche de la majorité. Il a
une mère et un père : au nom de quel intérêt supérieur la substitution de
son père par la compagne de sa mère aurait-elle été justifiée ? Unies par
des liens affectifs, les deux requérantes ont marqué leur intérêt pour
l’adoption, mais rien ne démontrait l’existence d’un « intérêt
supérieur » pour l’enfant. L’adoption consiste à « donner une famille
à un enfant et non un enfant à une famille » (Fretté c. France, § 42, CEDH 2002-I). Or force est de constater que
le deuxième requérant a toujours eu une famille. L’arrêt est muet sur ce point
essentiel.
L’adoption coparentale par des couples de même sexe
9. Après avoir rappelé que la présente affaire ne portait pas
sur la question de savoir si, eu égard aux circonstances, la demande d’adoption
des requérants aurait dû ou non être accueillie (paragraphes 132 et 152 de
l’arrêt), la majorité a précisé à deux reprises que « (...)
10. Enfin, nous ne comprenons guère pourquoi la majorité a
reproché au Gouvernement de ne pas avoir présenté d’arguments précis, d’études
scientifiques ou d’autres éléments de preuve susceptibles de démontrer que les
familles homoparentales ne pouvaient s’occuper convenablement d’un enfant
(paragraphes 142 et 146 de l’arrêt). Pourquoi le Gouvernement aurait-il dû
présenter pareils éléments ? La question ne se posait pas dans les
circonstances spécifiques de cette affaire. Elle était hors sujet. Le fait que
le deuxième requérant semblait recevoir une éducation correcte de sa mère et de
la compagne de celle-ci ne prêtait pas à controverse.
11. A notre avis, et avec tout le respect dû à la majorité,
celle-ci en a dit trop ou trop peu sur cette question de l’adoption coparentale
par des couples du même sexe.
II. Le droit comparé et le droit international
Le droit comparé et la question du « consensus »
12. Dans le paragraphe 149 de l’arrêt, et en réponse à
l’affirmation du Gouvernement selon laquelle il n’existait pas de consensus
européen en la matière,
13. Cette manière de voir soulève avant tout une question
d’ordre méthodologique, à savoir celle de l’« échantillon » des Etats
membres à prendre en considération. Fallait-il se limiter aux seuls Etats dont
l’ordre juridique se prêtait à une comparaison quasi-automatique avec celui de
l’Etat défendeur ou bien fallait-il aussi prendre en compte les législations
qui s’inscrivaient dans le contexte plus large de l’affaire ? Si l’on retient
la première solution, la majorité a eu raison de ne tenir compte que des
législations des dix Etats parties qui ouvrent l’adoption coparentale aux
couples non mariés.
14. Mais, à supposer que cette solution soit effectivement la
bonne, la conclusion que
15. En effet, la méthode en question conduit inexorablement à
faire abstraction d’une tendance claire, selon laquelle la grande majorité des
Etats parties refusent pour l’instant l’adoption coparentale aux couples non
mariés en général, et a fortiori aux
couples non mariés de même sexe. Dire que cela n’est aucunement pertinent aux
fins de la présente affaire procède à notre sens d’une vision trop technique –
et par conséquent réductrice – des réalités qui prévalent sur le plan
paneuropéen. Si
Le droit international et la tendance au « laissez-faire »
16. On constate que l’absence d’un quelconque
« consensus » et la diversité des approches en matière d’adoption
coparentale par des couples non mariés se reflètent clairement dans l’article 7
§ 2 de
17.
18. Or, le paragraphe 150 de l’arrêt semble se distancier
soudainement de cette pratique. Dans un premier temps, il paraît vouloir
écarter d’emblée
19. Pourtant, aussitôt après avoir tenté d’écarter
« 45. Concernant
le paragraphe 2 [de l’article 7], il a été relevé que deux Etats Parties (
46. Dans
ces conditions, le paragraphe 2 permet aux Etats qui le souhaitent d’étendre la
portée de
47. Les
Etats ont également toute latitude pour étendre la portée de
20. Force est de constater que les passages précités soulignent
tout d’abord les différences d’approches des Etats européens en matière
d’adoption par des couples de même sexe, qu’ils mettent ensuite en exergue le
caractère « novateur » de l’article 7 § 2, et qu’ils insistent enfin
sur le fait qu’en vertu de cette disposition les Etats ont « également toute latitude pour étendre la
portée de
21. Des remarques analogues pourraient être faites au sujet de
22. Le paragraphe 150 de l’arrêt contient un dernier argument,
suivant lequel « (...) quand bien même l’article 7 § 2 de
Les limites de l’interprétation évolutive : les « conditions de
vie actuelles » ou celles de demain ?
23. Les développements précédents nous conduisent à conclure par
quelques brèves considérations sur la méthode d’interprétation dite évolutive.
On sait, en effet, que depuis l’arrêt Tyrer
c. Royaume-Uni,