CONSULTA ONLINE
Corte europea dei diritti dell’uomo
(Grande Camera)
17 settembre 2009
AFFAIRE SCOPPOLA c. ITALIE (N° 2)
(Requête n. 10249/03)
ARRÊT
STRASBOURG
Cet arrêt est
définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Scoppola c. Italie (no 2),
La
Cour
européenne des droits de l'homme, siégeant en une
Grande Chambre composée de :
Jean-Paul Costa, président,
Nicolas Bratza,
Peer Lorenzen,
Françoise Tulkens,
Josep Casadevall,
Ireneu Cabral Barreto,
Rait Maruste,
Alvina Gyulumyan,
Danutė Jočienė,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Mark Villiger,
Giorgio Malinverni,
George Nicolaou,
András Sajó,
Mirjana Lazarova Trajkovska, juges,
Vitaliano Esposito, juge ad hoc,
et de Michael O'Boyle, greffier adjoint,
Après
en avoir délibéré en chambre du conseil les 7 janvier et
8 juillet 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette
dernière date :
PROCÉDURE
1. A
l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 10249/03)
dirigée contre la
République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M.
Franco Scoppola(« le
requérant »), a saisi la
Cour le 24 mars 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le
requérant est représenté par Mes N. Paoletti, A. Mari et G.
Paoletti, avocats à Rome. Le gouvernement italien (« le
Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme E. Spatafora,
et par son co-agent adjoint, M. N. Lettieri.
3. Le
requérant alléguait en particulier que sa condamnation à la réclusion
criminelle à perpétuité avait enfreint les articles 6 et 7 de la Convention.
4. La
requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52
§ 1 du règlement de la Cour).
Le 13 mai 2008, elle a été déclarée partiellement recevable par une chambre de
ladite section, composée des juges dont le nom suit :
Françoise Tulkens, Antonella Mularoni, Ireneu Cabral Barreto, Danutė
Jočienė, Dragoljub Popović, András Sajó et Vitaliano Esposito,
ainsi que de Sally Dollé, greffière de section. Le 2 septembre 2008, la
chambre s'est dessaisie au profit de la Grande Chambre. Le
requérant ne s'opposa pas au dessaisissement ;
après avoir formulé une telle opposition, le Gouvernement l'a retirée (articles
30 de la Convention
et 72 du règlement).
5. La
composition de la
Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§
2 et 3 de la Convention
et 24 du règlement. A la suite du déport de
Vladimiro Zagrebelsky, juge élu au titre de l'Italie, le Gouvernement a désigné
Vitaliano Esposito pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles
27 § 2 de la Convention
et 29 § 1 du règlement).
6. Tant
le requérant que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur le fond de
l'affaire.
7. Une
audience s'est déroulée en public au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 7 janvier
2009 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
M. N. LETTIERI,
magistrat, co-agent adjoint,
– pour
le requérant
M. N. PAOLETTI,
avocat,
Mme A. MARI, avocate, conseils,
Mme G. PAOLETTI,
avocate, conseillère.
La Cour a entendu MM. Paoletti et Lettieri et Mme Mari
en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses aux questions de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8. Le
requérant, né en 1940, est actuellement détenu au pénitencier de Parme.
9. Le
2 septembre 1999, à l'issue d'une bagarre avec ses deux fils, le requérant tua
sa femme et blessa l'un de ses fils. Il fut arrêté le 3 septembre.
10. A
l'issue de l'enquête, le parquet de Rome demanda le renvoi du requérant en
jugement pour meurtre, tentative de meurtre, mauvais traitements infligés aux
membres de sa famille et port d'arme prohibé.
11. A
l'audience du 18 février 2000 devant le juge de l'audience préliminaire (giudice
dell'udienza preliminare – ci-après « le GUP »)
de Rome, le requérant demanda à être jugé selon la procédure abrégée, une
démarche simplifiée entraînant, en cas de condamnation, une réduction de peine.
Tel qu'en vigueur à cette date, l'article 442 § 2 du code de procédure
pénale (« le CPP ») prévoyait que, si le crime commis par
l'accusé appelait la réclusion criminelle à perpétuité, l'intéressé devait être
condamné à une peine d'emprisonnement de trente ans (paragraphe 29 ci-après).
12. Le
GUP accepta d'appliquer la procédure abrégée. D'autres audiences
eurent lieu les 22 septembre et 24 novembre 2000. Cette dernière audience débuta à 10 h
19.
13. Le
24 novembre 2000, le GUP émit un verdict de culpabilité à l'encontre du
requérant. Il constata que l'intéressé devait être condamné à la réclusion à
perpétuité ; cependant, en raison de l'adoption
de la procédure abrégée, il fixa la peine à trente ans d'emprisonnement.
14. Le
12 janvier 2001, le parquet général près la cour d'appel de Rome se
pourvut en cassation contre le jugement du GUP de Rome du 24 novembre
2000. Il affirma que le GUP aurait dû appliquer
l'article 7 du décret-loi no 341 du 24 novembre 2000,
entré en vigueur le jour même du prononcé du jugement de condamnation. Après
des modifications introduites par le Parlement, ce
décret-loi avait été converti en la loi no 4 du 19 janvier
2001.
15. Le
parquet observa notamment que l'article 7 précité avait modifié l'article 442
du CPP et prévoyait qu'en cas de procédure abrégée la réclusion à
« perpétuité » devait remplacer la réclusion à « perpétuité avec
isolement diurne » lorsqu'il y avait « concours d'infractions »
(concorso di reati) ou « délit continu » (reato continuato
– paragraphe 31 ci-après). La non-application de ce
texte par le GUP s'analysait en « une erreur de droit manifeste » (evidente
errore di diritto).
16. Les 5 et 22 février 2001,
le requérant interjeta appel. A titre principal, il demanda
à être acquitté pour absence d'élément intentionnel dans sa conduite ou pour
défaut de discernement et de volonté (incapacità di intendere e volere)
au moment de la commission des infractions. A titre subsidiaire, il sollicita
une réduction de peine.
17. Comme
il y avait deux recours devant deux juridictions de degré différent, le pourvoi
en cassation du parquet fut transformé en appel et la cour d'assises d'appel de
Rome fut déclarée compétente pour la suite de la procédure (article 580 du
CPP).
18. L'audience
en chambre du conseil devant la cour d'assises d'appel de Rome se tint le 10
janvier 2002. Le requérant n'était pas présent et
fut jugé par contumace. Il allègue que, en raison de ses difficultés à marcher,
il avait demandé à être conduit dans la salle d'audience par une ambulance ou
un autre véhicule adapté ; cette demande ayant été rejetée par la
direction du pénitencier, il aurait été privé de la possibilité de participer
au procès d'appel.
19. Par
un arrêt du 10 janvier 2002, dont le texte fut déposé au greffe le 23 janvier
2002, la cour d'assises d'appel condamna le requérant à la réclusion à
perpétuité.
20. Elle
observa qu'avant l'entrée en vigueur du décret-loi no 341 de 2000, l'article 442 § 2 du
CPP était interprété en ce sens que la réclusion perpétuelle devait être
remplacée par une peine de trente ans de prison, et ce indépendamment de la
possibilité d'appliquer l'isolement diurne en conséquence d'un concours
d'infractions. Suivant cette approche, le GUP avait fixé la
peine par rapport à l'infraction la plus grave, sans se pencher sur la
question de savoir s'il fallait ordonner l'isolement diurne en raison du
constat de culpabilité prononcé pour les autres chefs d'accusation à l'encontre
du requérant.
21. Or
le décret-loi no 341 de 2000 était entré en vigueur le jour
même du prononcé du jugement du GUP. Comme il s'agissait d'une règle de
procédure, elle trouvait à s'appliquer à tout procès en cours, selon le principe tempus regit actum. La cour d'appel
rappela par ailleurs qu'aux termes de l'article 8 dudit décret-loi, le
requérant aurait pu retirer sa demande d'adoption de la
procédure abrégée et se faire juger selon la procédure ordinaire. Le requérant
n'ayant pas fait pareil choix, la décision de première instance aurait dû tenir
compte de la réglementation des peines survenue entre-temps.
22. Le
18 février 2002, le requérant se pourvut en cassation. Il allégua,
en premier lieu, que le procès d'appel devait être déclaré nul et non avenu car
il n'avait pas eu la possibilité de participer, en tant qu'accusé, à l'audience
du 10 janvier 2002. Dans les deuxième et troisième moyens de son pourvoi,
le requérant affirma que les juges du fond n'avaient dûment motivé ni l'existence
du dol s'agissant de l'infraction d'homicide, ni l'existence chez lui de
discernement et de volonté au moment de la commission des faits délictueux.
Enfin, il contesta une circonstance aggravante retenue
à son encontre (avoir agi pour des raisons futiles) et se plaignit du refus de
lui octroyer des circonstances atténuantes.
23. Le
31 juillet 2002, le requérant présenta de nouveaux moyens de pourvoi. Il allégua qu'une nouvelle expertise visant à déterminer son
état psychique au moment de la commission des infractions aurait dû être
effectuée et développa de nouveaux arguments sur la question des circonstances
aggravantes et atténuantes. Il soutint enfin que la peine jugée applicable dans
son cas (réclusion criminelle à perpétuité avec isolement) était excessive.
24. Par
un arrêt déposé au greffe le 20 janvier 2003, la Cour de cassation rejeta le
pourvoi du requérant.
25. Le
18 juillet 2003, le requérant introduisit un recours
extraordinaire pour erreur de fait (article 625 bis du CPP). Il
allégua, en premier lieu, que l'affirmation des juridictions internes selon
laquelle il aurait pu être conduit à l'audience d'appel par un moyen de
transport ordinaire, et ne requérait pas une ambulance, était le résultat d'une
lecture erronée des pièces du dossier. De plus, son absence à
cette audience en qualité d'accusé s'analysait en une violation de l'article 6
de la Convention. Le
requérant allégua également que sa condamnation à la réclusion criminelle à
perpétuité à la suite des modifications introduites par le décret-loi no 341
de 2000, et donc par le jeu d'une disposition pénale rétroactive, s'analysait
en une violation de l'article 7 de la Convention et des
principes du procès équitable. Il estima que la
renonciation aux garanties procédurales qu'il avait faite en demandant la
procédure abrégée n'avait pas été compensée par la réduction de peine promise
par l'Etat au moment de ce choix. Enfin, il considéra que la réclusion
criminelle à perpétuité était une peine inhumaine et dégradante et donc
contraire à l'article 3 de la
Convention.
26. Par
un arrêt du 14 mai 2004, dont le texte fut déposé au greffe le 28 octobre
2004, la Cour de
cassation déclara le recours extraordinaire du requérant irrecevable. Elle
observa que l'intéressé ne dénonçait pas des erreurs de fait commises par les
juridictions internes mais visait, pour l'essentiel, à remettre en question
l'appréciation des points de droit émanant de la Cour de cassation.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La
procédure abrégée
27. La
procédure abrégée est régie par les articles 438 et 441 à 443 du CPP. Elle se
fonde sur l'hypothèse que l'affaire peut être tranchée en l'état (allo stato
degli atti) lors de l'audience préliminaire. La demande peut être
faite, oralement ou par écrit, tant que les conclusions n'ont pas été
présentées à l'audience préliminaire. En cas d'adoption de la procédure abrégée, l'audience a lieu en chambre du
conseil et est consacrée aux plaidoiries des parties. En principe, les parties doivent se baser sur les pièces
figurant dans le dossier du parquet, même si, à titre exceptionnel, des preuves
orales peuvent être admises. Si le juge décide de condamner l'accusé, la peine infligée est réduite d'un
tiers (article 442 § 2). Les dispositions
internes pertinentes sont décrites dans l'arrêt Hermi c. Italie ([GC],
no 18114/02, §§ 27-28, CEDH 2006-...).
28. La Cour a également donné un
aperçu des dispositions régissant la procédure abrégée dans son arrêt Fera
c. Italie (no 45057/98, 21 avril 2005). Al'époque des
faits visés par la requête Fera, la procédure
abrégée n'était pas admise pour les crimes entraînant la réclusion criminelle à
perpétuité. En effet, par l'arrêt no 176 du 23 avril 1991, la Cour constitutionnelle avait
annulé la disposition du CPP prévoyant cette possibilité, car
celle-ci allait au-delà de la délégation de pouvoirs que le Parlement avait
donnée au Gouvernement pour l'adoption du nouveau CPP.
B. Les modifications de l'article 442 du
CPP par la loi no 479 du 16 décembre 1999
29. Par
la loi no 479 du 16 décembre 1999, entrée en vigueur le 2
janvier 2000, le Parlement a réintroduit la possibilité de faire bénéficier de
la procédure abrégée l'accusé encourant une condamnation à perpétuité.
L'article 30 de cette loi est ainsi libellé :
Article 30
« Les modifications suivantes sont
introduites à l'article 442 du CPP :
(...)
b) au
paragraphe 2, après la première phrase est ajoutée la [seconde et dernière
phrase] suivante: « La réclusion à perpétuité est remplacée par un
emprisonnement de trente ans. »
C. Le
décret-loi no 341 du 24 novembre 2000
30. Le
décret-loi no 341 du 24 novembre 2000, entré en vigueur le même
jour et converti en la loi no 4 du 19 janvier 2001, vise à
donner une interprétation authentique de la seconde phrase du paragraphe 2 de
l'article 442 du CPP. Il a également introduit un troisième paragraphe à
cette disposition.
31. Dans
ledit décret-loi figurent, sous le chapitre intitulé « Interprétation
authentique de l'article 442 § 2 du CPP et dispositions en matière de procédure
abrégée dans les procès pour les infractions punies par la réclusion à
perpétuité », les articles 7 et 8, ainsi libellés :
Article 7
« 1. A l'article 442,
paragraphe 2, [seconde et] dernière phrase, du CPP, le membre de phrase
« peine de réclusion à perpétuité » doit être interprété comme
faisant référence à la réclusion à perpétuité sans isolement diurne.
2. A l'article 442, paragraphe 2, du CPP est ajoutée, à la
fin, la phrase suivante : « La peine de réclusion à perpétuité avec
isolement diurne, dans l'hypothèse d'un concours d'infractions ou d'un délit
continu, est remplacée par la réclusion à perpétuité. »
Article 8
« 1. Dans le cadre des procédures pénales
pendantes à la date d'entrée en vigueur du présent décret-loi, lorsqu'il peut
être fait ou qu'il a été fait application de la perpétuité avec isolement
diurne, si la procédure abrégée a été demandée (...),
l'accusé peut retirer sa demande dans un délai de trente jours à compter de la
date d'entrée en vigueur de la loi de conversion du présent décret-loi. Dans
cette hypothèse, les poursuites reprennent selon la
procédure ordinaire en l'état où elles se trouvaient au moment où la demande a
été faite. Les actes d'instruction
éventuellement accomplis peuvent être utilisés dans les limites établies par
l'article 511 du CPP.
2. Lorsque,
en raison d'un recours du ministère public, il est possible d'appliquer les
dispositions figurant à l'article 7,
l'accusé peut retirer la demande dont il est question à
l'alinéa 1 dans un délai de trente jours à compter du moment où il a eu
connaissance du recours du ministère public ou, si celui-ci a été fait avant
l'entrée en vigueur de la loi de conversion du présent décret-loi, dans un
délai de trente jours à compter de cette dernière date. Il
est fait application des dispositions des deuxième et troisième phrases de
l'alinéa 1 (...). »
D. L'article
2 du code pénal
32. L'article
2 du code pénal (« le CP ») de 1930, intitulé « Succession des
lois pénales », se lit comme suit :
« 1. Nul ne peut être
puni pour un fait qui, selon la loi en vigueur au moment où il a été commis,
n'était pas constitutif d'une infraction.
2. Nul ne
peut être puni pour un fait qui, selon une loi postérieure, n'est pas
constitutif d'une infraction ; s'il y a eu condamnation, son exécution et
ses effets pénaux cessent.
3. Si la
loi en vigueur au moment où l'infraction a été commise et les [lois]
postérieures sont différentes, on applique celle dont les dispositions sont les
plus favorables à l'accusé, sauf s'il y a eu prononcé d'un jugement définitif.
4. Les
dispositions des [deux] alinéas qui précèdent ne s'appliquent pas lorsqu'il
s'agit de lois exceptionnelles et temporaires.
5. Les
dispositions du présent article s'appliquent également en cas
de déchéance [decadenza] et de non-conversion d'un décret-loi et dans
l'hypothèse d'un décret-loi converti en loi avec modifications. »
E. La
publication au Journal officiel
33. Le
décret royal no 1252 du 7 juin 1923 prévoit que le Journal
officiel (Gazzetta ufficiale) est publié par le ministère de la Justice. L'article
2 de ce texte se lit comme suit :
« La publication aura lieu tous les jours ouvrables
dans le courant de l'après-midi (nelle ore pomeridiane). »
34. Par
l'arrêt no 132 du 19 mai 1976, la Cour constitutionnelle a
précisé que la publication d'une loi au Journal officiel était le « moment
essentiel et décisif » des démarches visant à faire connaître un texte
législatif. Par ailleurs, l'expression « publication au
Journal officiel » présupposait que ce dernier
fut mis en circulation et donc accessible au public. La
Cour
constitutionnelle a notamment estimé que les termes « publication des
lois « au » Journal officiel (...) ne
pouvaient que signifier (...) aussi publication « du » Journal
officiel (...) : à défaut l'on irait à l'encontre de la procédure même de
la publication des actes législatifs qui, aussi d'un point de vue historique, a
pour but de créer une situation objective permettant effectivement à tout un
chacun de connaître les actes en question (situazione oggettiva di effettiva
conoscibilità, da parte di tutti, degli atti medesimi). »
III. TEXTES
ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX
A. Le
Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et
politiques
35. L'article
15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par
l'Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre
1966 et entré en vigueur le 23 mars 1976, est ainsi libellé :
« 1. Nul ne
sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou
international au moment où elles ont été commises. De même, il ne
sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment
où l'infraction a été commise. Si, postérieurement à
cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le
délinquant doit en bénéficier.
2. Rien dans le présent article ne s'oppose au jugement ou à la condamnation de tout
individu en raison d'actes ou omissions qui, au moment où ils ont été commis,
étaient tenus pour criminels, d'après les principes généraux de droit reconnus
par l'ensemble des nations. »
B. La Convention américaine
relative aux droits de l'homme
36. L'article
9 de la Convention
américaine relative aux droits de l'homme, adoptée le
22 novembre 1969 à la
Conférence spécialisée interaméricaine sur les droits de
l'homme et entrée en vigueur le 18 juillet 1978, se lit comme suit :
« Nul ne
peut être condamné pour une action ou omission qui ne constituait pas, au
moment où elle a eu lieu, une infraction d'après le droit applicable. De même,
il ne peut être infligé aucune peine plus forte que
celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Si
postérieurement à la date de l'infraction une peine plus légère est édictée par
la loi, celle-ci rétroagira en faveur du délinquant. »
C. La Charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne et la jurisprudence de la Cour de justice des
Communautés européennes
37. Lors
du Conseil européen de Nice du 7 décembre 2000, la Commission européenne,
le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne ont proclamé la Charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne. L'article 49 de ce
texte, intitulé « Principes de légalité et de proportionnalité des délits
et des peines », est rédigé de la manière suivante :
« 1. Nul ne peut être condamné
pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne
constituait pas une infraction d'après le droit national ou le droit
international. De même, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui
était applicable au moment où l'infraction a été commise. Si,
postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère,
celle-ci doit être appliquée.
2. Le présent article ne
porte pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une
action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle
d'après les principes généraux reconnus par l'ensemble des nations.
3. L'intensité des peines ne
doit pas être disproportionnée par rapport à l'infraction. »
38. Dans
l'affaire Berlusconi et autres, la Cour de justice des Communautés européennes a
estimé que le principe de l'application rétroactive de la peine plus légère
faisait partie des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres
(voir l'arrêt du 3 mai 2005 rendu dans les affaires jointes C-387/02, C-391/02
et C-403/02). Les passages pertinents de cet arrêt (§§ 66-69) se lisent ainsi :
« 66. Abstraction faite de l'applicabilité
de l'article 6 de la première directive sociétés au défaut de publicité des
comptes annuels, il convient d'observer que, en vertu de l'article 2 du code
pénal italien qui édicte le principe de l'application
rétroactive de la peine plus légère, les nouveaux articles 2621 et 2622 du code
civil italien devraient être appliqués même s'ils ne sont entrés en vigueur
qu'après que les actes à l'origine des poursuites engagées dans les affaires au
principal ont été commis.
67. A
cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les
droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont
la Cour assure
le respect. A cet effet, cette dernière s'inspire des traditions
constitutionnelles communes aux Etats membres ainsi que des indications
fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits
de l'homme auxquels les Etats membres ont coopéré ou adhéré (voir, notamment,
arrêts du 12 juin 2003, Schmidberger, C-112/00, Rec. p. I-5659, point 71 et
jurisprudence citée, et du 10 juillet 2003, Booker Aquaculture et Hydro
Seafood, C-20/00 et C-64/00, Rec. p. I-7411, point 65 et jurisprudence citée).
68. Or,
le principe de l'application rétroactive de la peine
plus légère fait partie des traditions constitutionnelles communes aux Etats
membres.
69. Il
en découle que ce principe doit être considéré comme
faisant partie des principes généraux du droit communautaire que le juge
national doit respecter lorsqu'il applique le droit national adopté pour mettre
en œuvre le droit communautaire et, en l'occurrence, plus particulièrement, les
directives sur le droit des sociétés. »
39. Les
principes affirmés par la Cour
de justice ont été repris par un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation française
rendu le 19 septembre 2007 (rejet de pourvoi no 06-85899).
Les passages pertinents de cet arrêt se lisent comme suit :
« (...) alors
(...) et en tout état de cause que les principes généraux du droit
communautaire priment le droit national ; que, dans un arrêt en date du 3 mai
2005, la Cour de
justice des Communautés européennes a rappelé que le principe de l'application
rétroactive de la peine plus légère fait partie des traditions
constitutionnelles communes aux Etats membres et qu'il en découle que ce
principe doit être considéré comme faisant partie des principes généraux du
droit communautaire que le juge national doit respecter lorsqu'il applique le
droit national adopté pour mettre en œuvre le droit communautaire (points 68 et
69 de l'arrêt du 3 mai 2005) ; qu'en l'espèce, par conséquent, c'est en
violation de ce principe supérieur à la loi nationale que la cour de Paris a
prononcé une condamnation à l'encontre de [l'accusé] sur le fondement d'une loi
nationale adoptée pour mettre en œuvre le droit communautaire et ayant
illégalement écarté le principe de la rétroactivité de la loi pénale plus
douce ;
alors (...) que
l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
dispose, sans prévoir aucune exception, que si, postérieurement à la commission
d'une infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le
délinquant doit en bénéficier ; que ce texte prime la loi nationale en vertu de
l'article 55 de la
Constitution du 4 octobre 1958 ; qu'il s'ensuit que la cour
de Paris ne pouvait écarter la loi nouvelle plus douce pour le seul motif que
cette loi avait expressément exclu tout caractère rétroactif en violation du
principe posé par le texte susvisé. (...). »
D. Le
statut de la Cour
pénale internationale
40. Aux
termes de l'article 24 § 2 du statut de la Cour pénale internationale,
« Si le
droit applicable à une affaire est modifié avant le jugement définitif, c'est
le droit le plus favorable à la personne faisant l'objet d'une enquête, de
poursuites ou d'une condamnation qui s'applique. »
E. La
jurisprudence du Tribunal pénal international chargé de poursuivre les
personnes présumées responsables de violations graves du droit international
humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991
(« le TPIY »)
41. Par
un arrêt du 4 février 2005, rendu dans l'affaire Dragan Nikolic (no IT-94-2-A),
la chambre d'appel du TPIY a estimé que le principe de l'applicabilité de la
loi pénale plus douce (lex mitior) trouve à s'appliquer à son statut. Les
parties pertinentes de cet arrêt (§§ 79-86) se lisent comme suit :
« 79. La Chambre de première instance a
d'abord examiné si le principe de la lex mitior était
applicable en ex-Yougoslavie, s'il faisait partie du droit du Tribunal
international et s'il pouvait s'appliquer en l'espèce.
80. Dans
le jugement portant condamnation, le litige porte sur la conclusion
suivante : le principe de la lex mitior ne s'applique
qu'aux affaires dans lesquelles l'infraction a été commise et la peine infligée
dans le cadre d'un même système de droit, et ne s'applique pas au Tribunal
international dans la mesure où il s'inscrit dans un autre système de droit que
celui où le crime a été commis. La
Chambre d'appel fait remarquer que la question de
l'applicabilité de ce principe n'est pas une question de système de droit, mais
elle est liée à celle de savoir si, en matière de
peine, des lois pénales différentes peuvent être appliquées au Tribunal
international.
81. Il
semble que le principe de la lex mitior signifie que si la
règle de droit applicable à l'infraction commise par l'accusé a été révisée,
c'est la loi la plus douce qui s'applique. La règle de
droit applicable doit impérativement avoir force obligatoire ;
c'est là un élément inhérent à ce principe. Les accusés ne peuvent bénéficier
d'une peine plus légère que si la règle de droit a force obligatoire puisqu'ils
n'ont un intérêt juridique protégé que si la
fourchette de peines doit leur être appliquée. Dès lors, le
principe de la lex mitior n'est applicable que si la règle de
droit qui lie le Tribunal international est remplacée ultérieurement par une
autre plus favorable qui a aussi force obligatoire.
82. Le
Tribunal international est manifestement lié par son Statut et son Règlement et
peut donc prononcer une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à
l'emprisonnement à vie, comme il est dit à l'article 101 A) du
Règlement et à l'article 24 1) du Statut. La Chambre d'appel fait
remarquer qu'aucune modification n'a été apportée aux règles gouvernant la
fixation des peines par le Tribunal international.
83. Dans
l'ex-Yougoslavie, l'appelant n'aurait été condamné qu'à une peine
d'emprisonnement d'une durée déterminée. La Chambre d'appel rappelle que depuis la création
du Tribunal international, un accusé traduit devant lui encourt une peine
pouvant aller jusqu'à la réclusion à perpétuité.
84. La Chambre d'appel rappelle
qu'elle a précédemment conclu à la primauté du Tribunal international et estimé
que celui-ci n'était pas lié par les règles de droit ou par la grille des
peines appliquée en ex-Yougoslavie. Il est seulement
tenu de les prendre en compte. Autoriser l'application du principe de la lex
mitior au Tribunal international à la suite d'une révision des lois de
l'ex-Yougoslavie impliquerait que les Etats de l'ex-Yougoslavie pourraient
remettre en cause le pouvoir d'appréciation qui est reconnu aux juges du
Tribunal international en matière de peine. En adoptant une nouvelle loi
nationale réduisant les peines maximales prévues pour les crimes visés aux
articles 2 à 5 du Statut, des Etats pourraient empêcher le Tribunal
d'infliger à leurs ressortissants les peines qui s'imposent, ce qui ne cadrerait pas avec la primauté du Tribunal international
consacrée par l'article 9 2) du Statut et avec la mission générale
qui lui est confiée.
85. En
bref, le principe de la lex mitior, s'il est correctement
interprété, s'applique au Statut du Tribunal international. En conséquence, si
les pouvoirs conférés par le Statut en matière de peine venaient à être
modifiés, le Tribunal international serait alors tenu d'appliquer la peine la moins sévère. En ce qui concerne
l'article 24 1) du Statut qui dispose que « la Chambre de première instance
a recours à la grille générale des peines d'emprisonnement appliquée par les
tribunaux de l'ex-Yougoslavie », il doit être interprété selon les mêmes
principes que le reste du Statut, dont il fait partie intégrante. Ainsi
interprété, cet article renvoie à l'ensemble des lois
applicables en ex-Yougoslavie à l'époque des faits, abstraction faite des
changements intervenus ultérieurement.
86. Par
ces motifs, le cinquième moyen d'appel est
rejeté. »
EN DROIT
I. OBJET DU LITIGE ET
QUESTIONS PRÉLIMINAIRES SOULEVÉES PAR LE GOUVERNEMENT
A. Sur la question de savoir si la Cour
peut examiner l'affaire également sous l'angle de l'article 6 de la Convention
1. La
question soulevée par le Gouvernement
42. A
titre préliminaire, le Gouvernement conteste la décision du 13 mai 2008 par
laquelle la deuxième section de la
Cour a déclaré recevable le grief tiré de l'article 6 de la Convention. Il observe que, précédemment, dans sa décision partielle du 8
septembre 2005, la troisième section de la Cour avait entre autres rejeté un grief similaire
à celui examiné sous l'angle de cette disposition. Dans
ses parties pertinentes, le raisonnement de la troisième section se lit comme suit :
« Le requérant allègue ensuite une double violation de
l'article 6 de la
Convention (...). [Il] plaide que la
procédure a été inéquitable parce qu'il a été condamné selon la procédure
abrégée et par contumace.
En ce qui concerne la première branche
du grief, il note que le choix de la procédure abrégée
avait comporté la renonciation à certains droits garantis par l'article 6. Il ajoute cependant que sa renonciation n'a pas été
volontaire, mais a été la conséquence d'un accord conclu seulement en vue d'une
réduction de la peine. Selon lui, l'Etat défendeur – condamné à plusieurs
reprises par la Cour
européenne pour durée excessive de procédure – aurait instauré un système
visant à récompenser les accusés qui renoncent aux garanties fondamentales
plutôt que de procéder à une réorganisation de la justice.
La
Cour note
que c'est le requérant lui-même qui a demandé l'application de la procédure abrégée. S'il est vrai
que le choix de la procédure abrégée fragilise les garanties procédurales, il
n'en demeure pas moins que le requérant peut renoncer aux garanties de la
procédure ordinaire à condition que sa renonciation soit non équivoque et que
des questions d'intérêt public ne s'opposent pas à pareille renonciation (Kwiatkowska
c. Italie (déc.), no 52868/99, 30 novembre 2000).
Or le requérant était sans doute en
mesure de connaître les conséquences découlant de sa
demande d'application de la procédure abrégée et a renoncé sans équivoque aux
droits garantis par la procédure ordinaire. La possibilité de bénéficier d'une
réduction de peine ne saurait amener la Cour à conclure que le
requérant a été forcé de demander l'application de la procédure abrégée. Au
demeurant, l'article 8 du décret-loi de 2000 lui avait accordé en l'espèce la
possibilité de revenir sur sa décision de renoncer à la
procédure ordinaire. Enfin, aucun motif d'intérêt public ne
s'opposait à pareille renonciation.
La
Cour
arrive donc à la conclusion que cette branche du grief n'est pas fondée. (...). »
43. En
même temps, la troisième section avait décidé de porter le grief tiré de la
condamnation du requérant à perpétuité à la connaissance du Gouvernement, lui
posant une question quant au respect des principes garantis par l'article 7 de la Convention (« Le
requérant s'est-il vu infliger, en violation de l'article 7 de la Convention, une peine
plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été
commise ? »). Le dispositif de la décision partielle du 8 septembre
2005 se lit comme suit :
« Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Ajourne l'examen du grief du requérant
tiré de l'article 7 de la
Convention ;
Déclare la requête
irrecevable pour le surplus ».
44. Cependant,
dans sa décision finale sur la recevabilité du 13 mai 2008, la deuxième section
a précisé :
« La Cour note
tout d'abord que les doléances du requérant ne portent pas exclusivement
sur la violation alléguée du principe nulla poena sine lege, tel
que consacré par l'article 7 de la Convention, mais également sur la question de
savoir si les dispositions introduites par le décret-loi no 341
du 24 novembre 2000 ont porté atteinte aux principes du procès équitable tels
que garantis par l'article 6 § 1 de la Convention. (...)
La
Cour
estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des
parties, que ces griefs posent de sérieuses questions de fait et de droit qui
ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent
un examen au fond ; il s'ensuit que ces griefs ne sauraient être déclarés
manifestement mal fondés, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun
autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé. »
45. Selon
le Gouvernement, les deux décisions précitées sont en contradiction l'une avec
l'autre : le grief tiré de l'article 6 et relatif au fait que le requérant
avait été condamné selon la procédure abrégée a été écarté par une décision ne
pouvant former l'objet d'aucun recours, ce qui se concilie mal avec l'intention
de la Cour de se
pencher « sur la question de savoir si les dispositions introduites par le
décret-loi no 341 du 24 novembre 2000 ont porté atteinte aux
principes du procès équitable ». De plus, avant la déclaration de
recevabilité, aucune question spécifique portant sur le respect de l'article 6
de la Convention
n'avait été posée par le greffe de la
Cour au Gouvernement, ce qui avait
empêché ce dernier de présenter des observations détaillées sur la recevabilité
et le fond du grief en question.
46. A
la lumière de ce qui précède, le Gouvernement estime que le volet relatif à
l'article 6 de la
Convention ne peut pas faire l'objet d'un examen au fond.
2. La
réponse du requérant
47. Le
requérant s'oppose à la thèse du Gouvernement. Il observe
que la Cour est
maîtresse de la qualification juridique des faits et peut décider d'examiner
les doléances qui lui sont soumises sous l'angle de plusieurs dispositions de la Convention.
3. L'appréciation
de la Cour
48. La Grande Chambre
rappelle tout d'abord que l'étendue de sa juridiction dans les affaires
qui lui sont soumises ne se trouve délimitée que par la décision de la chambre
sur la recevabilité de la requête (Perna c. Italie [GC], no 48898/99,
§ 23, CEDH 2003-V, et Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00,
§ 32, CEDH 2004-III). A l'intérieur du cadre ainsi
tracé, la Grande
Chambre peut traiter toute question de fait ou de droit qui
surgit pendant l'instance engagée devant elle (voir, parmi beaucoup d'autres, Philis
c. Grèce (no 1), 27 août 1991, § 56, série A no 209,
et Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44 in
fine, Recueil des arrêts et décisions 1998-I).
49. Or,
dans sa décision partielle du 8 septembre 2005 sur la recevabilité
de la requête, la troisième section de la Cour a déclaré irrecevables trois griefs
tirés de l'article 6 de la
Convention et relatifs notamment à :
a) l'impossibilité pour le
requérant de rencontrer son avocat dans les locaux prévus à cette fin ;
b) la circonstance que le requérant
n'avait pas pu participer à l'audience d'appel ;
c) l'allégation du requérant selon
laquelle son choix de la procédure abrégée, qui
entraînait une renonciation à certains droits procéduraux, n'avait pas été
volontaire.
50. La Grande Chambre
observe qu'aucun de ces griefs n'a été déclaré recevable par la suite et que
les craintes du Gouvernement à cet égard sont dénuées de fondement. Ces aspects
du droit du requérant à un procès équitable ne font
donc pas partie de l'« affaire » qui lui est soumise.
51. Il
convient cependant de noter que la décision partielle du 8 septembre 2005
mentionnait également un quatrième grief tiré de l'article 6, concernant
la condamnation du requérant à la réclusion criminelle à perpétuité. La
troisième section de la Cour
avait estimé que ce grief « se confond[ait] avec celui visant l'article 7
de la Convention
et d[evait] donc être examiné sous l'angle de ce
dernier ».
52. Au
stade de la communication de la requête, les parties ont donc été invitées à
présenter des observations sur la question de savoir si la condamnation du
requérant à perpétuité avait enfreint l'article 7 de la Convention. Or, dans ses
observations en réponse à celles du Gouvernement, le requérant a développé
ultérieurement ses arguments relatifs à la violation des principes du procès
équitable. Il a notamment allégué qu'au moment où il avait
opté pour la procédure abrégée, il avait conclu avec l'Etat un accord par
lequel il renonçait à une partie de ses garanties procédurales en échange, en
cas de condamnation, du remplacement de la peine de perpétuité par une
condamnation à trente ans d'emprisonnement. Le non-respect
par l'Etat de cet accord était selon lui incompatible avec l'article 6
de la Convention.
53. La Cour rappelle qu'aux termes
de l'article 32 de la
Convention, sa compétence « s'étend à toutes les
questions concernant l'interprétation et l'application de la Convention et de ses
Protocoles qui lui seront soumises dans les conditions prévues par
les articles 33, 34 et 47 » et qu'« en cas de contestation sur
le point de savoir si la Cour
est compétente, la Cour
décide ».
54. Maîtresse
de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour ne se considère pas
comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements.
En vertu du principe jura novit curia, elle a par exemple examiné
d'office plus d'un grief sous l'angle d'un article ou
d'un paragraphe que n'avaient pas invoqué les parties, et même
d'une clause que la
Commission avait déclarée irrecevable tout en la retenant sur
le terrain d'une autre. Un
grief se caractérise par les faits qu'il dénonce et non par les simples moyens
ou arguments de droit invoqués (Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21
février 1990, § 29, série A no 172, etGuerra et autres,
précité, § 44).
55. Il
s'ensuit qu'en estimant qu'il était opportun d'examiner si les dispositions
introduites par le décret-loi no 341 du 24 novembre 2000
avaient également « porté atteinte aux principes du procès équitable tels
que garantis par l'article 6 § 1 de la Convention », la deuxième section de la Cour s'est bornée à faire
usage de son droit de qualifier le grief du requérant et de l'examiner sous
l'angle de plusieurs dispositions de la Convention. Une telle requalification, qui a tenu compte, entre autres, des
nouveaux arguments du requérant, ne saurait être considérée comme arbitraire.
De plus, étant donné que le grief tiré de la condamnation du requérant à
perpétuité n'a jamais été écarté, elle ne se heurte pas au principe selon
lequel la décision de déclarer un grief irrecevable est définitive et ne peut
former l'objet d'aucun recours.
56. Pour
ce qui est, enfin, de l'argument du Gouvernement selon lequel il y aurait eu
violation du caractère contradictoire de la procédure devant la Cour (paragraphe 45
ci-dessus), il convient de noter que les observations du requérant et la
décision finale sur la recevabilité ont été communiquées au Gouvernement. Ce
dernier a donc eu, devant la
Grande Chambre, l'opportunité de présenter tout argument
tendant à soutenir que le grief tiré de l'article 6 était irrecevable ou mal
fondé. A cet égard, la Grande Chambre
rappelle que même après la décision de la chambre déclarant un grief
recevable elle peut, le cas échéant, examiner des questions relatives à la
recevabilité de celui-ci, par exemple en vertu de l'article 35 § 4 in fine de
la Convention,
qui habilite la Cour
à « rejet[er] toute requête qu'elle considère comme irrecevable (...) à
tout stade de la procédure », ou lorsque ces
questions ont été jointes au fond ou encore lorsqu'elles présentent un intérêt
au stade de l'examen au fond (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94,
§§ 140-141, CEDH 2001-VII, et Perna, précité, §§ 23-24). Ainsi, même au stade de l'examen au fond, sous réserve de ce
qui est prévu à l'article 55 du règlement de la Cour, la Grande Chambre peut
revenir sur la décision par laquelle la requête a été déclarée recevable
lorsqu'elle constate que celle-ci aurait dû être considérée comme irrecevable
pour l'une des raisons énumérées aux alinéas 1 à 3 de l'article 35 de la Convention (Azinas,
précité, § 32).
57. Il
s'ensuit que rien ne s'oppose à ce que la Grande Chambre
examine l'affaire qui lui est soumise également sous l'angle de l'article 6 de la Convention. Il y a donc lieu d'écarter l'exception soulevée par le
Gouvernement.
B. Sur la question de savoir si la deuxième section de la Cour pouvait se dessaisir au profit de la Grande Chambre
58. Le
Gouvernement considère également que l'intention exprimée le 13 mai 2008 par la
deuxième section de la Cour
de se dessaisir au profit de la Grande Chambre se concilie mal avec l'adoption
d'une décision finale sur la recevabilité. De plus, cette dernière décision
serait en contradiction avec la décision partielle et de nature à
« préjuger l'appréciation que la formation suprême de la Cour [pourrait] porter sur
l'affaire ».
59. La Cour rappelle qu'aux termes
de l'article 30 de la
Convention, « si l'affaire pendante devant une chambre
soulève une question grave relative à l'interprétation de la Convention (...) la
chambre peut, tant qu'elle n'a pas rendu son arrêt, se dessaisir au profit de la Grande Chambre ».
Or, quand elle a exprimé son intention de se dessaisir, la deuxième section de la Cour n'avait pas rendu
d'arrêt dans la présente requête. De plus, il n'appartient pas à la Grande Chambre de
revenir sur la question de savoir si l'affaire
soulevait une « question grave relative à l'interprétation de la Convention ». Au
demeurant, on comprend mal comment la décision de déclarer la requête recevable
pourrait « préjuger l'appréciation » de la Grande Chambre. A
cet égard, il convient de rappeler que, comme souligné plus haut, cette
dernière peut examiner des questions relatives à la recevabilité des griefs qui
lui sont soumis (paragraphe 56 ci-dessus). Enfin, s'il était
d'avis que la proposition de dessaisissement n'était pas correcte, le
Gouvernement aurait pu s'y opposer en vertu de l'article 30 in
fine de la
Convention. Or, après avoir formulé une telle opposition, le
Gouvernement l'a retirée de son plein gré (paragraphe 4 in fine ci-dessus).
60. A
la lumière de ce qui précède, la
Cour estime que les décisions de la deuxième section de
déclarer la requête recevable et de se dessaisir en faveur de la Grande Chambre ont
été adoptées conformément à la
Convention et à son règlement et ne préjugent en rien
l'examen ultérieur de l'affaire.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE
DE L'ARTICLE 7 DE LA
CONVENTION
61. Le
requérant estime que sa condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité a
violé l'article 7 de la
Convention.
Cette disposition se lit ainsi :
« 1. Nul ne peut
être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été
commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou
international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui
était applicable au moment où l'infraction a été commise.
2. Le
présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une
personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été
commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par
les nations civilisées. »
A. L'exception
de non-épuisement des voies de recours internes formulée par le Gouvernement
62. Le Gouvernement réitère l'exception de non-épuisement des
voies de recours internes qu'il avait soulevée devant la chambre. Il allègue que devant la Cour de cassation, le
requérant n'a pas invoqué le principe de non-rétroactivité de la loi pénale,
mais s'est borné à affirmer que la peine applicable aux infractions qui lui
étaient reprochées n'était pas la réclusion criminelle à perpétuité.
1. Décision
de la chambre
63. Dans
sa décision finale du 13 mai 2008 sur la recevabilité de la requête, la
deuxième section de la Cour
a rejeté l'exception préliminaire du Gouvernement, enobservant que dans son pourvoi
en cassation le requérant avait soutenu que la sanction de réclusion criminelle
à perpétuité ne pouvait pas lui être infligée ; de plus, dans son recours
extraordinaire pour erreur de fait, il avait allégué que cette condamnation
violait les articles 6 et 7 de la Convention. A la lumière de ces considérations, la chambre a conclu que
le requérant avait soulevé devant la
Cour de cassation, au moins en substance, les griefs qu'il
entendait formuler par la suite au niveau international, et qu'il avait fait un
usage normal des recours qui lui avaient paru efficaces.
2. Arguments
des parties
a) Le
Gouvernement
64. Le
Gouvernement observe en premier lieu que, dans sa décision partielle du 8
septembre 2005 sur la recevabilité de la requête, la troisième section, en
résumant les arguments du requérant quant à la violation alléguée de l'article
7 de la Convention,
s'était exprimée comme suit :
« Après avoir affirmé qu'en
l'espèce le parquet n'a même pas pu interjeter appel
car l'article 443 du code de procédure pénale ne donne cette possibilité qu'à
la suite d'une condamnation par le juge des investigations préliminaires après
changement du chef d'accusation, le requérant – qui n'a pas présenté de moyen
de cassation sur ce point dans son pourvoi contre l'arrêt de la cour d'assises
d'appel – note qu'il a finalement été condamné à une peine qui n'était pas
prévue au moment où il a accepté d'être jugé selon la procédure abrégée. »
65. De
l'avis du Gouvernement, on voit mal comment le requérant a pu soulever
« au moins en substance » son grief tiré de l'article 7 s'il n'a pas
présenté de moyens de cassation sur la question de l'infliction d'une peine
plus lourde que celle prévue au moment où il avait accepté d'être jugé selon la
procédure abrégée. En écartant l'exception de non-épuisement, la deuxième
section aurait donc contredit la constatation que la troisième section avait
faite dans sa décision partielle.
66. De
plus, les arguments invoqués par le requérant devant la Cour de cassation avaient
trait à la nature des faits qui lui étaient reprochés, aux modalités de
commission des délits, aux circonstances aggravantes ou atténuantes, à son état
de santé physique et psychique. Il s'agissait donc d'éléments totalement
dépourvus de lien avec l'application prétendument « injuste » du
décret-loi no 341 de 2000. Il en va de
même en ce qui concerne le recours extraordinaire pour erreur de fait introduit
par le requérant qui portait, pour l'essentiel, sur la prétendue illégitimité
de la décision le jugeant par contumace en appel. Le requérant a par contre
négligé d'invoquer devant la haute juridiction
italienne l'article 2 § 3 du CP, aux termes duquel, si la loi en vigueur au
moment où l'infraction a été commise et les lois postérieures sont différentes,
on applique celle dont les dispositions sont les plus favorables à l'accusé
(paragraphe 32 ci-dessus).
b) Le
requérant
67. Le
requérant marque son accord avec la décision de la chambre.
3. Appréciation
de la Cour
a) Principes
généraux
68. La Cour rappelle que la règle de
l'épuisement des voies de recours internes vise à ménager aux Etats
contractants l'occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées
contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi
beaucoup d'autres, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil1996-II,
et Selmouni c. France [GC], no 25803/94,
§ 74, CEDH 1999-V). Cette règle se fonde sur l'hypothèse, objet de l'article 13
de la Convention
– et avec lequel elle présente d'étroites affinités –, que l'ordre
interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Kudła
c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH
2000-XI). De la sorte, elle constitue un aspect important du principe voulant
que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un
caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits
de l'homme (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil1996-IV).
69. La règle de l'épuisement des voies de recours internes
doit s'appliquer avec une certaine souplesse et sans
formalisme excessif. En même temps, elle oblige, en principe, à soulever devant
les juridictions nationales appropriées, au moins en substance, dans les formes
et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l'on entend formuler
par la suite au niveau international (voir, parmi beaucoup d'autres, Fressoz
et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH
1999-I, et Azinas, précité, § 38).
70. Cependant, l'obligation découlant de l'article 35 se
limite à celle
de faire un usage normal des recours vraisemblablement effectifs, suffisants et
accessibles (Sofri et autres c. Italie (déc.), no 37235/97,
CEDH 2003-VIII). En particulier, la Convention ne prescrit l'épuisement que des
recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à
un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en
pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues (Dalia
c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil 1998-I). De plus, selon les « principes de droit international
généralement reconnus », certaines circonstances particulières peuvent
dispenser le requérant de l'obligation d'épuiser les voies de recours internes
qui s'offrent à lui (Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, § 52, Recueil 1996-VI).
Toutefois, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de
succès d'un recours donné, qui n'est pas de toute évidence voué à l'échec, ne
constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours
internes (Brusco c. Italie(déc.), no 69789/01, CEDH
2001-IX, et Sardinas Albo c. Italie (déc.), no 56271/00,
CEDH 2004-I).
71. Enfin,
l'article 35 § 1 de la
Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve.
Pour ce qui concerne le Gouvernement, lorsqu'il excipe
du non-épuisement, il doit convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible
tant en théorie qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire qu'il était
accessible, était susceptible d'offrir au requérant le redressement de ses
griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres,
précité, § 68, etSejdovic c. Italie [GC], no 56581/00,
§ 46, CEDH 2006-II).
b) Application
de ces principes au cas d'espèce
72. La Cour
relève tout d'abord que, contrairement à ce que le Gouvernement a soutenu
(paragraphes 64-65 ci-dessus), dans sa décision partielle sur la recevabilité
de la requête, la troisième section n'a pas préjugé la question de savoir s'il
y avait eu épuisement des voies de recours internes. Elle s'est en effet
bornée, dans l'exposé des arguments du requérant sous l'angle de l'article 7 de
la Convention,
à faire une brève remarque relative à l'absence de moyen de pourvoi sur un
point spécifique. Il
convient également de noter qu'elle a en fait décidé de porter ce grief à la connaissance du Gouvernement. Cette
décision se concilie mal avec la thèse du Gouvernement selon laquelle ce grief serait à rejeter pour non-respect des obligations
découlant de l'article 35 § 1 de la Convention.
73. Quant
à la question de savoir s'il y a eu épuisement, la Cour observe que, dans
son appel contre sa condamnation en première instance, le requérant a demandé à
titre principal à être acquitté pour absence d'élément intentionnel dans sa
conduite ou pour défaut de discernement et de volonté au moment de la
commission des infractions. A titre subsidiaire, il a sollicité une réduction
de peine (paragraphe 16 ci-dessus). Dans son pourvoi en cassation, il
s'est plaint d'avoir été condamné par défaut, a réitéré ses arguments
concernant l'absence de dol et son état mental, a
contesté une circonstance aggravante et demandé l'octroi de circonstances
atténuantes (paragraphes 22-23 ci-dessus).
74. Aux
yeux de la Cour,
le requérant a exposé, dans les formes prévues par le droit italien, des moyens
visant à soutenir, entre autres, que la peine qui lui avait été infligée était
excessive. Il n'a par contre pas contesté, dans son appel ou dans son pourvoi
en cassation, l'application prétendument rétroactive du décret-loi no 341
de 2000. Le Gouvernement le souligne à juste titre (paragraphe 66 ci-dessus). Il est vrai que des arguments visant à soutenir que
l'application à son détriment dudit décret-loi violait les articles 6 et 7 de la Convention ont été
présentés par l'intéressé dans le cadre de son recours extraordinaire pour
erreur de fait (paragraphe 25 ci-dessus) ; il n'en demeure pas moins que
ce dernier est une voie de recours visant à obtenir, à titre exceptionnel, la
réouverture d'une procédure terminée par une décision ayant acquis force de
chose jugée en vertu d'une erreur manifeste de fait commise par la Cour de cassation. Il n'était
donc pas de nature à remédier aux griefs du requérant fondés sur
l'incompatibilité entre les dispositions du décret-loi no 341
de 2000 et ses droits conventionnels (voir, mutatis
mutandis, Çinar c. Turquie (déc.), no 28602/95,
13 novembre 2003).
75. Il
reste à vérifier, cependant, si d'éventuels moyens d'appel ou de cassation que
le requérant aurait pu formuler quant à l'application prétendument rétroactive
de la sanction de réclusion criminelle à perpétuité et à ses répercussions
négatives sur l'équité de la procédure avaient des chances d'aboutir. A cet égard, le décret-loi no 341 de 2000
avait force de loi dans le système juridique italien et que les juges d'appel
et de cassation étaient censés l'appliquer aux procédures en cours devant eux. Il faut également rappeler que, dans
ledit système, un individu ne jouit pas d'un
accès direct à la Cour
constitutionnelle pour l'inviter à vérifier la constitutionnalité d'une
loi : seule a la faculté de la saisir, à la demande de l'une des parties ou
d'office, une juridiction qui connaît du fond d'une affaire. Dès lors, pareille
demande ne saurait s'analyser en un recours dont la Convention exige
l'épuisement (Brozicek c. Italie, 19 décembre 1989, § 34, série A no 167,
et C.I.G.L. et Cofferati c. Italie, no 46967/07, §
48, 24 février 2009).
76. La Cour observe que le
Gouvernement soutient que le requérant aurait pu invoquer l'article 2 § 3 du
CP, qui consacre le principe de la rétroactivité de la loi pénale plus favorable
à l'accusé (paragraphes 32 et 66 ci-dessus). Toutefois, à supposer même qu'un
tel principe puisse s'appliquer aux dispositions du CPP, il convient de noter
que l'article 2 précité n'est qu'une disposition d'une loi ordinaire,
contenue dans un code adopté en 1930. En
droit italien, les lois plus récentes peuvent, en
règle générale, déroger aux lois antérieures. Or, le Gouvernement n'a pas
allégué qu'une telle règle ne trouvait pas à s'appliquer en l'espèce et il a
omis d'expliquer pourquoi une nouvelle loi postérieure, tel le décret-loi no 341
de 2000, ne pouvait pas légitimement déroger à l'article 2 du CP. En outre, il
n'a produit aucun exemple d'affaires où cette disposition aurait été invoquée
avec succès dans une situation comparable à celle du requérant. Le Gouvernement
n'a pas non plus établi qu'il était possible d'obtenir
la non-application du décret-loi en question en raison de son éventuelle
incompatibilité avec la
Convention.
77. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le Gouvernement
n'a pas démontré que les recours dont le requérant aurait pu se prévaloir pour
contester l'application du décret-loi no 341 de 2000 avaient
des chances d'aboutir.
78. Il
s'ensuit que l'exception préliminaire de non-épuisement du Gouvernement ne saurait
être accueillie.
B. Le
fond du grief
1. Arguments
des parties
79. Le
requérant allègue que l'article 7 de la Convention a été violé
pour trois raisons différentes, résumées ci-dessous.
a) Application
prétendument rétroactive de la loi pénale
i) Thèse
du requérant
80. Le
requérant note tout d'abord que, selon la jurisprudence interne (voir Cour de
cassation, sections réunies, arrêt du 6 mars 1992 rendu dans l'affaireMerletti),
l'article 442 du CPP, qui indique la peine à infliger en cas d'adoption de la
procédure abrégée est, en dépit de son insertion dans le CPP, une disposition
de droit pénal matériel. En effet, à la différence des normes examinées par la Grande Chambre dans
l'affaire Kafkaris c. Chypre (no 21906/04, 12
février 2008), cette clause ne porterait pas sur la
procédure d'exécution de la peine mais sur la fixation de celle-ci. Elle
devrait donc être considérée comme une « loi pénale » au sens de
l'article 7 de la
Convention.
81. Le
requérant souligne que la dernière audience devant le GUP de Rome a débuté le
24 novembre 2000 à 10 h 19 (paragraphe 12 ci-dessus). Le GUP a
prononcé son jugement immédiatement après l'audience. Le même jour, le
décret-loi no 341 a été publié au Journal officiel et est entré en vigueur. Le Journal officiel est paru dans le courant de l'après-midi (paragraphe 33
ci-dessus). Le requérant en déduit que, lorsque le GUP a prononcé son jugement,
le décret-loi no 341 de 2000 n'était pas encore en vigueur et ne pouvait pas être connu.
82. Le
requérant estime dès lors qu'il a été victime d'une
application rétroactive de la loi pénale, puisqu'il a d'abord été condamné à
trente ans d'emprisonnement puis, en application du décret-loi no 341
de 2000, à la réclusion criminelle à perpétuité.
ii) Arguments
du Gouvernement
83. Le
Gouvernement s'oppose à cette thèse, en rappelant que l'article 7 de la Convention se borne à
interdire toute application rétroactive du droit pénal par rapport « au
moment où l'infraction a été commise ». Il observe que les dispositions du
CP punissant les infractions pour lesquelles le requérant a été condamné n'ont
pas été modifiées après le 2 septembre 1999, date de la commission des crimes. Il note en particulier que ces crimes
étaient punissables de la réclusion criminelle à perpétuité avec isolement
diurne et que la peine imposée par les juridictions nationales n'a pas excédé
cette limite.
84. Quant
aux dispositions du CPP, elles ne devraient pas être comprises dans la notion
de « peine » au sens de l'article 7. En effet, il serait inapproprié
de permettre à un individu d'évaluer les conséquences du crime qu'il pourrait
commettre en calculant aussi les réductions de peine dont il pourrait
bénéficier en fonction de ses choix de procédure. Une telle approche
empêcherait de modifier le CPP. Le principe nullum
crimen sine lege ne concerne que les dispositions de droit pénal
matériel, alors que les dispositions de procédure sont normalement rétroactives
puisqu'elles sont régies par le principe tempus regit actum.
Conclure autrement reviendrait à accorder une réduction de peine à la suite de
chaque abrogation ou modification des dispositions du CPP. Par ailleurs, la
circonstance que, à la différence de l'article 6, qui s'applique à la
« matière pénale », l'article 7 de la Convention se réfère à
« l'infraction », démontrerait que cette dernière disposition
concerne uniquement le droit pénal et non les règles de procédure.
85. En
tout état de cause, il n'y aurait eu en l'espèce aucune application rétroactive
des règles de procédure au détriment du requérant. Le Gouvernement observe à
cet égard qu'au moment où les crimes ont été commis (le 2 septembre 1999), la
loi ne prévoyait pas la possibilité de demander la
procédure abrégée lorsque les faits reprochés étaient punis par la réclusion
criminelle à perpétuité. Cette possibilité n'a été introduite que par la loi no 479
du 16 décembre 1999. La raison d'être du principe consacré par l'article 7
de la Convention
étant de faire connaître au délinquant les actes qui engagent sa responsabilité
pénale et les peines auxquelles il s'expose, il serait inacceptable qu'un
individu puisse prendre des décisions en matière de commission de crimes eu
égard aussi à des développements postérieurs à celui de l'infraction.
b) Violation
alléguée du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce
i) Thèse
du requérant
86. Le
requérant soutient que l'article 7 de la Convention garantit non seulement la
non-rétroactivité de la loi pénale, mais également le principe – prévu de
manière explicite par l'article 15 du Pacte des Nations Unies relatif aux
droits civils et politiques, par l'article 49 de la Charte des droits fondamentaux
de l'Union européenne et par l'article 9 de la Convention américaine
relative aux droits de l'homme (paragraphes 35-37 ci-dessus) – selon lequel, si
la loi en vigueur au moment de la commission de l'infraction et les lois
postérieures sont différentes, il faut appliquer celle qui est la plus
favorable à l'accusé. Dès lors, cette disposition serait violée chaque fois que
les tribunaux appliquent une peine plus lourde que celle qui était prévue par
la loi en vigueur à tout moment compris entre la commission de l'infraction et
le prononcé du jugement. Le requérant se réfère, sur ce point, à l'opinion
dissidente du juge Popović jointe à l'arrêt Achour c. France ([GC],
no 67335/01, CEDH 2006-..).
87. L'intéressé
souligne qu'en l'espèce, le CPP, tel que modifié par la loi no 479
de 1999, prévoyait à partir du 2 janvier 2000 que, lorsque la procédure abrégée
était adoptée pour des infractions punissables de réclusion criminelle à
perpétuité (avec ou sans isolement), cette peine était remplacée par trente ans
d'emprisonnement. Cependant, le décret-loi no 341 de 2000 a introduit une
modification de la sanction, défavorable à l'accusé, imposant l'infliction de
la réclusion criminelle à perpétuité sans isolement. Dès lors, à la suite d'un
pourvoi en cassation du procureur général, la peine prononcée en première
instance a été aggravée et transformée en réclusion
criminelle à perpétuité. Cette sanction n'était pas prévue par la loi en
vigueur au moment où l'accusé a accepté d'être jugé selon la
procédure abrégée.
88. Le
requérant considère que l'application rétroactive d'une disposition prévoyant
une « peine plus forte » ne saurait se justifier par la circonstance
que le législateur italien a qualifié le décret-loi no 341 de
2000 de « loi d'interprétation authentique ». Conclure autrement
serait incompatible avec le principe de la prééminence
du droit. De plus, le décret-loi en question n'aurait fourni aucune
interprétation du CPP, dont les dispositions étaient claires ;
elles étaient interprétées en sorte que les termes « condamnation à
perpétuité » désignent toute peine d'emprisonnement à vie, avec ou sans
isolement diurne. En réalité, le législateur aurait eu recours à un subterfuge
pour modifier les règles régissant la fixation de la peine dans le cadre de la procédure abrégée. Cela serait démontré par les
nombreuses critiques dont le décret-loi no 341 de 2000 a fait l'objet lors de sa conversion en loi.
ii) Arguments
du Gouvernement
89. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse. Il
rappelle que, à la différence de l'article 15 du Pacte des Nations Unies
relatif aux droits civils et politiques, l'article 7 de la Convention n'énonce pas
le droit à une application rétroactive de la loi pénale plus douce.
c) Manque
allégué de clarté de la loi sur la base de laquelle la réclusion criminelle à
perpétuité a été infligée
i) Thèse
du requérant
90. Le
requérant observe que si l'on acceptait la thèse du Gouvernement selon laquelle
l'article 442 du CPP, tel que modifié par la loi no 479 de
1999, était une disposition peu claire nécessitant une interprétation
officielle, on devrait conclure à une violation de la Convention pour défaut
de clarté et de prévisibilité de la loi pénale. Cela serait prouvé par la
circonstance que, dans son cas, le GUP a interprété ce
texte en ce sens que la peine à infliger était de trente ans d'emprisonnement,
alors que la cour d'assises d'appel, grâce à « l'interprétation
authentique » fournie par le Gouvernement, a estimé qu'il fallait
appliquer la réclusion criminelle à perpétuité.
ii) Arguments
du Gouvernement
91. Le
Gouvernement estime que le décret-loi no 341 de 2000 était une
véritable loi d'interprétation, c'est-à-dire un texte visant à trancher une
question controversée en droit interne, sur laquelle les juridictions
nationales avaient statué de manière différente.
2. Appréciation
de la Cour
a) Interprétation
de l'article 7 de la
Convention dans la jurisprudence de la Cour
i) Principe nullum crimen, nulla poena sine lege
92. La
garantie que consacre l'article 7, élément essentiel de la prééminence du
droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme
l'atteste le fait que l'article 15 n'y autorise aucune dérogation en temps de
guerre ou d'autre danger public. Ainsi qu'il découle de son objet et de son but, on doit l'interpréter et l'appliquer de
manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les
condamnations et les sanctions arbitraires (S.W. etC.R.
c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 34 et § 32
respectivement, série A nos 335-B et 335-C, et Kafkaris,
précité, § 137).
93. L'article
7 § 1 de la Convention
ne se borne pas à prohiber l'application rétroactive du droit pénal au
détriment de l'accusé. Il consacre aussi, de manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum
crimen, nulla poena sine lege). S'il interdit en
particulier d'étendre le champ d'application des infractions existantes à des
faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en
outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de
l'accusé, par exemple par analogie (voir, parmi d'autres, Coëme et
autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96,
33209/96 et 33210/96, § 145, CEDH 2000-VII).
94. Il
s'ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et
les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le
justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et,
au besoin, à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux,
quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (Kokkinakis
c. Grèce, 25 mai 1993, § 52, série A no 260-A, Achour,
précité, § 41, et Sud Fondi Srl et autres c. Italie, no 75909/01,
§ 107, 20 janvier 2009).
95. La
tâche qui incombe à la Cour
est donc de s'assurer que, au moment où un accusé a commis l'acte qui a donné
lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale
rendant l'acte punissable et que la peine imposée n'a pas excédé les limites
fixées par cette disposition (Coëme et autres, précité,
§ 145, et Achour, précité, § 43).
ii) Notion
de « peine »
96. La
notion de « peine » contenue dans l'article 7 § 1 de la Convention possède,
comme celles de « droits et obligations de caractère civil » et
d'« accusation en matière pénale » figurant à l'article 6 § 1, une
portée autonome (voir notamment, pour ce qui est des « droits de caractère
civil », X c. France, 31 mars 1992, § 28, série
A no 234-C, et, pour ce qui est des « accusations en
matière pénale », Demicoli c. Malte, 27 août 1991,
§ 31, série A no 210). Pour rendre efficace la protection
offerte par l'article 7, la Cour
doit demeurer libre d'aller au-delà des apparences et
d'apprécier elle-même si une mesure particulière s'analyse au fond en une
« peine » au sens de cette clause (Welch c. Royaume-Uni, 9
février 1995, § 27, série A no 307-A).
97. Le
libellé de l'article 7 § 1, seconde phrase, indique que le point de départ de
toute appréciation de l'existence d'une peine consiste à déterminer si la
mesure en question est imposée à la suite d'une condamnation pour une
« infraction ». D'autres éléments peuvent être jugés pertinents à cet
égard : la nature et le but de la mesure en
cause, sa qualification en droit interne, les procédures associées à son
adoption et à son exécution, ainsi que sa gravité (Welch,
précité, § 28).
98. Dans
leur jurisprudence, la
Commission comme la
Cour ont établi une distinction entre une mesure constituant
en substance une « peine » et une mesure relative à
l'« exécution » ou à l'« application » de la
« peine ». En vertu de cette distinction, une mesure ayant pour but
la remise d'une peine ou un changement dans le système de libération
conditionnelle ne fait pas partie intégrante de la
« peine » au sens de l'article 7 (Kafkaris, précité, § 142).
iii) Prévisibilité de la loi
pénale
99. La
notion de « droit » (« law ») utilisée à l'article 7
correspond à celle de « loi » qui figure dans d'autres articles de la Convention ; elle
englobe le droit d'origine tant législative que jurisprudentielle et implique
des conditions qualitatives, entre autres celles d'accessibilité et de prévisibilité
(Kokkinakis, précité, §§ 40-41, Cantoni c. France,
15 novembre 1996, § 29, Recueil 1996-V, Coëme
et autres, précité, § 145, et E.K. c. Turquie, no 28496/95,
§ 51, 7 février 2002).
100. En
raison même du caractère général des lois, le libellé de celles-ci ne peut pas
présenter une précision absolue. L'une des
techniques-types de réglementation consiste à recourir à des catégories
générales plutôt qu'à des listes exhaustives. Aussi beaucoup
de lois se servent-elles, par la force des choses, de
formules plus ou moins vagues dont l'interprétation et l'application dépendent
de la pratique (Cantoni, précité, § 31, et Kokkinakis,
précité, § 40). Dès lors, dans quelque système juridique que ce
soit, aussi clair que le libellé d'une disposition légale puisse être, y
compris une disposition de droit pénal, il existe inévitablement un élément
d'interprétation judiciaire. Il faudra toujours
élucider les points douteux et s'adapter aux changements de situation. En
outre, la certitude, bien que hautement souhaitable, s'accompagne parfois d'une
rigidité excessive ; or, le droit doit savoir
s'adapter aux changements de situation.
101. La
fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les
doutes qui pourraient subsister quant à l'interprétation des normes (Kafkaris,
précité, § 141). D'ailleurs, il est solidement
établi dans la tradition juridique des Etats parties à la Convention que la
jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à
l'évolution progressive du droit pénal (Kruslin c. France, 24 avril
1990, § 29, série A no 176-A). On ne saurait
interpréter l'article 7 de la
Convention comme proscrivant la clarification graduelle des
règles de la responsabilité pénale par l'interprétation judiciaire d'une
affaire à l'autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance
de l'infraction et raisonnablement prévisible (Streletz, Kessler et Krenz c.
Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98,
§ 50, CEDH 2001-II).
102. La
portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du
texte dont il s'agit, du domaine qu'il couvre ainsi que du nombre et de la
qualité de ses destinataires. La prévisibilité d'une loi ne
s'oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des
conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances
de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé (Achour,
précité, § 54).
103. En
1978, la Commission
européenne des droits de l'homme a estimé que, à la différence de l'article 15
§ 1 in
fine du Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et
politiques, l'article 7 de la Convention ne garantissait pas le droit de
bénéficier de l'application d'une peine plus légère prévue par une loi
postérieure à l'infraction (X c. Allemagne, no 7900/77,
décision de la Commission
du 6 mars 1978, Décisions et Rapports (DR) 13,
pp. 70-72). Dès lors, elle a déclaré manifestement mal fondé le grief d'un
requérant qui alléguait qu'après leur commission, une partie des infractions
mises à sa charge avaient fait l'objet d'une décriminalisation. Cette
jurisprudence a été reprise par la
Cour, qui a rappelé que l'article 7 ne
prévoit pas le droit de se voir appliquer une loi pénale plus favorable (Le
Petit c. Royaume-Uni (déc.), no 35574/97,
5 décembre 2000, et Zaprianov c. Bulgarie (déc.), no 41171/98,
6 mars 2003).
104. Sans
que la Cour soit
formellement tenue de suivre ses décisions antérieures, il est dans l'intérêt
de la sécurité juridique, de la prévisibilité et de l'égalité devant la loi
qu'elle ne s'écarte pas sans motif valable de ses propres précédents (voir, par
exemple, Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95,
§ 70, CEDH 2001-I). Cependant, la Convention étant avant
tout un mécanisme de protection des droits de l'homme, la Cour doit tenir compte de
l'évolution de la situation dans l'Etat défendeur et dans les Etats contractants
en général et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour
quant au niveau de protection à atteindre (voir, parmi d'autres, Cossey c. Royaume-Uni,
27 septembre 1990, § 35, série A no 184, et Stafford
c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, §§ 67-68,
CEDH-2002-IV). Il est d'une
importance cruciale que la
Convention soit interprétée et appliquée d'une manière qui en
rende les garanties concrètes et effectives, et non pas théoriques et
illusoires. Si la Cour n'adoptait pas une approche dynamique et
évolutive, pareille attitude risquerait de faire obstacle à toute réforme ou
amélioration (Stafford, précité, § 68, et Christine Goodwin
c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 74, CEDH
2002-VI).
105. La Cour considère qu'un long
laps de temps s'est écoulé depuis le prononcé de la décision X c.
Allemagne précitée et que pendant ce temps des développements
importants se sont produits au niveau international. En particulier, outre
l'entrée en vigueur de la
Convention américaine relative aux droits de l'homme, dont
l'article 9 garantit la rétroactivité de la loi prévoyant une peine plus légère
édictée après la commission de l'infraction (paragraphe 36 ci-dessus), il
convient de signaler la proclamation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Le libellé de l'article 49 § 1 de ce texte s'écarte –
et cela ne peut être que délibéré (voir, mutatis mutandis, Christine
Goodwin, précité, § 100 in fine) – de celui de l'article 7
de la Convention
en ce qu'il précise que « si, postérieurement à cette infraction, la loi
prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée » (paragraphe
37 ci-dessus). Dans l'affaire Berlusconi et autres, la Cour de justice des
Communautés européennes, dont la jurisprudence a été entérinée par la Cour de cassation française
(paragraphe 39 ci-dessus), a estimé que ce principe
faisait partie des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres
(paragraphe 38 ci-dessus). Enfin, l'applicabilité de la loi pénale plus douce a
été inscrite dans le statut de la
Cour pénale internationale et affirmée dans la jurisprudence
du TPIY (paragraphes 40 et 41 ci-dessus).
106. La Cour en déduit que, depuis la
décision X c. Allemagne, un consensus s'est
progressivement formé aux niveaux européen et international pour considérer que
l'application de la loi pénale prévoyant une peine plus douce, même postérieure
à la commission de l'infraction, est devenue un
principe fondamental du droit pénal. Il est également
significatif que la législation de l'Etat concerné reconnaît ce principe depuis
1930 (voir l'article 2 § 3 du CP, cité au paragraphe 32 ci-dessus).
107. Certes,
l'article 7 de la
Convention ne mentionne pas expressément l'obligation, pour
les Etats contractants, de faire bénéficier le prévenu d'un changement de législation
intervenu après la commission de l'infraction. C'est précisément sur la base de
cet argument, lié au texte de la
Convention, que la Commission a rejeté le grief du requérant dans
l'affaire X c. Allemagne. Cependant,
compte tenu des développements mentionnés ci-dessus, la Cour ne saurait considérer cet argument comme déterminant. Au demeurant, elle observe
qu'en interdisant d'infliger une « peine plus forte que celle qui était
applicable au moment où l'infraction a été commise », le paragraphe 1 in fine de
l'article 7 n'exclut pas qu'une peine plus légère, prévue par une législation
postérieure à l'infraction, puisse bénéficier à l'accusé.
108. Aux
yeux de la Cour,
il est cohérent avec le principe de la prééminence du droit, dont l'article 7
constitue un élément essentiel, de s'attendre à ce que le juge du fond applique
à chaque acte punissable la peine que le législateur estime proportionnée.
Infliger une peine plus forte pour la seule raison qu'elle était prévue au
moment de la commission de l'infraction s'analyserait en une application au
détriment de l'accusé des règles régissant la succession des lois pénales dans
le temps. Cela équivaudrait en outre à ignorer tout changement législatif
favorable à l'accusé intervenu avant le jugement et à continuer à infliger des
peines que l'Etat, et la collectivité qu'il représente, considèrent désormais
comme excessives. La Cour
note que l'obligation d'appliquer, parmi plusieurs lois pénales, celle dont les
dispositions sont les plus favorables à l'accusé s'analyse en une clarification
des règles en matière de succession des lois pénales, ce
qui satisfait à un autre élément essentiel de l'article 7, à savoir celui de la
prévisibilité des sanctions.
109. A
la lumière de ce qui précède, la
Cour estime qu'il s'impose de revenir sur la jurisprudence
établie par la Commission
dans l'affaire X c. Allemagne et de considérer
que l'article 7 § 1 de la
Convention ne garantit pas seulement le principe de
non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, mais aussi, et implicitement,
le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce. Ce principe se
traduit par la règle voulant que, si la loi pénale en
vigueur au moment de la commission de l'infraction et les lois pénales
postérieures adoptées avant le prononcé d'un jugement définitif sont
différentes, le juge doit appliquer celle dont les dispositions sont les plus
favorables au prévenu.
c) Sur
la question de savoir si l'article 442 du CPP contient des dispositions de
droit pénal matériel
110. La Cour rappelle que les règles
sur la rétroactivité contenues dans l'article 7 de la Convention ne
s'appliquent qu'aux dispositions définissant les infractions et les peines qui
les répriment ; en revanche, dans d'autres affaires, la Cour a estimé raisonnable
l'application, par les juridictions internes, du principe tempus regit
actum en ce qui concerne les lois de procédure (voir, à propos d'une
nouvelle règlementation des délais pour l'introduction d'un recours, Mione
c. Italie (déc.), no7856/02, 12 février 2004, et Rasnik
c. Italie (déc.), no 45989/06, 10 juillet 2007 ;
voir également Martelli c. Italie (déc.), no 20402/03,
12 avril 2007, concernant la mise en œuvre d'une loi contenant de
nouvelles règles en matière d'évaluation des preuves, et Coëme et
autres, précité, §§ 147-149, relatif à l'application immédiate aux
procédures en cours des lois modifiant les règles de prescription). Il convient
donc de déterminer si le texte qui a fait en la
présente espèce l'objet des modifications législatives litigieuses, à savoir
l'article 442 § 2 du CPP, contenait des dispositions de droit pénal matériel,
et en particulier des dispositions influant sur la sévérité de la
peine à infliger.
111. La Cour relève que l'article 442
précité fait partie du CPP, dont les dispositions réglementent normalement la
procédure à suivre pour poursuivre et juger les
infractions. Cependant, la
qualification en droit interne du texte de loi concerné ne
saurait être déterminante. En effet, s'il est vrai que
les articles 438 et 441 à 443 du CPP décrivent le champ d'application et les
étapes procédurales de la procédure abrégée, il n'en demeure pas moins que le
paragraphe 2 de l'article 442 est entièrement consacré à la sévérité de la
peine à infliger lorsque le procès s'est déroulé selon cette procédure
simplifiée. En particulier, à l'époque où le requérant a commis les
infractions, cette disposition prévoyait qu'en cas de condamnation, la peine fixée
par le juge était réduite d'un tiers. La loi no 479
de 1999, entrée en vigueur avant l'audience préliminaire du procès du
requérant, a ensuite précisé que la réclusion à perpétuité était remplacée par
un emprisonnement de trente ans (paragraphe 29 ci-dessus).
112. Il
ne fait aucun doute que les sanctions mentionnées à l'article 442 § 2 du
CPP ont été imposées à la suite d'une condamnation pour une
« infraction » (Welch, précité, § 28), qu'elles étaient
qualifiées de « pénales » en droit interne et qu'elles avaient un but
à la fois répressif et dissuasif. De plus, elles constituaient la
« peine » infligée pour les faits reprochés à l'accusé, et non des
mesures ayant trait à l'« exécution » ou à
l'« application » de celle-ci (Kafkaris, précité, § 142).
113. A
la lumière de ce qui précède, la
Cour estime que l'article 442 § 2 du CPP est une disposition
de droit pénal matériel concernant la sévérité de la peine à infliger en cas de
condamnation selon la procédure abrégée. Elle tombe donc dans le champ d'application
de la dernière phrase de l'article 7 § 1 de la Convention.
d) Sur
la question de savoir si le requérant a bénéficié de l'application de la loi
pénale plus douce
114. Le
requérant ne conteste pas qu'au moment où il a commis les infractions (le 2
septembre 1999), les faits qui lui ont été reprochés étaient passibles de la
réclusion criminelle à perpétuité avec isolement diurne et qu'à la lumière de
l'arrêt de la Cour
constitutionnelle no 176 de 1991 (paragraphe 28 ci-dessus),
cette circonstance empêchait l'adoption de la procédure abrégée.
115. Cependant,
cet obstacle a été éliminé quatre mois plus tard, le 2 janvier 2000, alors
que la procédure pénale dirigée contre le requérant était pendante au stade des
investigations préliminaires, grâce à l'entrée en vigueur de la loi no 479
de 1999. Comme noté plus haut, l'article 30 de celle-ci a modifié
l'article 442 du CPP, pour indiquer qu'en cas de condamnation à l'issue
d'un procès tenu selon la procédure abrégée, « la
réclusion à perpétuité est remplacée par un emprisonnement de trente ans »
(paragraphe 29 ci-dessus). Eu égard au fait que, à la demande du
requérant, le GUP a ensuite accepté d'appliquer la
procédure abrégée (paragraphes 11 et 12 ci-dessus), la Cour estime que l'article 30
de la loi no 479 de 1999 s'analyse en une disposition pénale
postérieure prévoyant une peine plus légère. L'article 7 de la Convention, tel
qu'interprété dans le présent arrêt (paragraphe 109 ci-dessus), imposait donc
d'en faire bénéficier le requérant.
116. Tel
est, par ailleurs, le résultat auquel a abouti le juge de première instance. En
effet, par un jugement du 24 novembre 2000, le GUP de
Rome a condamné le requérant à trente ans d'emprisonnement, en lui appliquant
la réduction de peine prévue par l'article 442 § 2 du CPP tel que modifié par
la loi no 479 de 1999 (paragraphe 13 ci-dessus).
117. Toutefois,
cette application en faveur de l'accusé d'une disposition prévoyant une peine
plus douce, entrée en vigueur après la commission des infractions, a été
infirmée par la cour d'appel de Rome et par la Cour de cassation. Ces deux juridictions ont
estimé qu'il s'imposait d'appliquer le décret-loi no 341 de
2000, qui précisait que, dans l'hypothèse d'un concours d'infractions, s'il y avait lieu – comme dans le cas du requérant –
d'infliger la réclusion à perpétuité avec isolement diurne, celle-ci était
remplacée non par trente ans d'emprisonnement, mais par la réclusion à
perpétuité simple (paragraphes 19-21, 24, 30 et 31 ci-dessus).
118. La Cour ne saurait souscrire à
la thèse du Gouvernement selon laquelle le décret-loi no 341 de
2000 n'était pas un texte contenant une nouvelle réglementation de la peine
applicable dans le cadre de la procédure abrégée, mais une loi d'interprétation
de la législation antérieure (paragraphe 91 ci-dessus). A cet égard, elle
relève que, tel que modifié par la loi no 479
de 1999, l'article
442 § 2 du CPP ne présentait aucune ambiguïté particulière ; il indiquait
clairement que la réclusion à perpétuité était remplacée par trente ans
d'emprisonnement, et ne faisait aucune distinction entre la condamnation à
perpétuité avec ou sans isolement diurne. Par ailleurs, le Gouvernement n'a
produit aucun exemple de conflits jurisprudentiels auxquels l'article 442
précité aurait prétendument donné lieu.
119. Il
s'ensuit que le requérant s'est vu infliger une peine plus forte que celle
prévue par la loi qui, parmi les lois qui ont été en vigueur durant la période
comprise entre la commission de l'infraction et le prononcé du jugement
définitif, lui était la plus favorable.
e) Conclusion
120. A
la lumière de ce qui précède, la
Cour estime que l'Etat défendeur n'a pas satisfait à son
obligation de faire bénéficier le requérant de la disposition prévoyant une
peine plus douce et entrée en vigueur après la commission de l'infraction.
121. Il
s'ensuit qu'il y a eu en l'espèce violation de l'article 7 § 1 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE
DE L'ARTICLE 6 DE LA
CONVENTION
122. La Cour rappelle son constat
selon lequel elle est compétente pour examiner les faits à l'origine du grief
déclaré recevable également sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention (paragraphe
57 ci-dessus).
123. Dans
ses parties pertinentes, cette disposition se lit comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du
bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
124. Le
Gouvernement conteste ce grief.
A. L'exception
de non-épuisement des voies de recours internes formulée par le Gouvernement
125. Le
Gouvernement observe que le requérant ne s'est pas prévalu de la possibilité de
révoquer son choix d'adopter la procédure abrégée. Cette faculté était prévue
par l'article 8 § 2 du décret-loi no 341 de 2000 (paragraphe 31
ci-dessus). Aux termes de ce texte, l'intéressé
bénéficiait d'un délai expirant le 21 février 2001 pour exercer son droit de
révocation, ce qui lui aurait permis de bénéficier d'un procès ordinaire
assorti de toutes les garanties prévues par l'article 6 de la Convention.
126. La Cour considère que le
Gouvernement a soulevé dans son exception des questions étroitement liées à
celles soulevées par le grief tiré par le requérant de l'article 6 de la Convention. Partant, elle décide de joindre l'exception
de non-épuisement des voies de recours internes au fond (voir, mutatis
mutandis et parmi beaucoup d'autres, Isaak
c. Turquie, no 44587/98, § 78, 24 juin 2008).
B. Le
fond du grief
1. Arguments
des parties
a) Le
requérant
127. Le
requérant estime que les circonstances qui ont conduit à la violation de
l'article 7 de la
Convention ont également emporté violation des principes du procès équitable. En février 2000, il avait
opté pour la procédure abrégée, renonçant ainsi à un certain nombre de
garanties procédurales car, sur la base du CPP en vigueur à cette époque, il
savait qu'en cas de condamnation il serait puni de trente ans d'emprisonnement
et non de la réclusion criminelle à perpétuité. Le CPP a cependant été
modifié de manière défavorable et sa renonciation n'a plus été assortie en
contrepartie d'une réduction de peine (le seul avantage étant d'éviter
l'isolement diurne). Or l'adoption de la procédure abrégée s'analyse en la conclusion d'un
« contrat de droit public » entre l'accusé et l'Etat ; une fois
conclu, ce « contrat » ne peut pas être résilié ou modifié de manière
unilatérale.
128. Le
requérant observe qu'au moment de l'entrée en vigueur du décret-loi no 341
de 2000 et de sa conversion en loi, il était détenu dans un pénitencier. Il
n'était donc pas au courant de la faculté de retirer sa demande d'adoption de la procédure abrégée, qui se rapporte à l'exercice d'un
droit personnel de l'accusé. Cette faculté n'était nullement mentionnée dans le
pourvoi en cassation du parquet. N'étant pas rompu aux arcanes des procédures
judiciaires, le requérant n'a pas eu une possibilité réelle de revenir sur ses
choix de procédure. Les affirmations contenues dans l'arrêt Hermi
c. Italie ([GC], no 18114/02, § 92, CEDH
2006-...), selon lesquelles on ne saurait faire peser
sur l'Etat l'obligation de mentionner en détail, dans chaque acte de procédure,
les droits et les facultés de l'accusé, ne seraient pas pertinentes en la
présente espèce, qui concerne l'application rétroactive d'une peine plus forte.
b) Le
Gouvernement
129. Le
Gouvernement reconnaît que, au moment où le requérant a introduit sa demande
d'adoption de la procédure abrégée (le 18 février 2000), l'article 442 § 2
du CPP prévoyait que, si la peine à infliger était la réclusion criminelle à
perpétuité, le juge devait la réduire à trente ans d'emprisonnement. De plus, il est possible qu'au moment du prononcé du jugement de
condamnation de première instance (24 novembre 2000), le requérant n'ait pas
été au courant de l'existence du décret-loi no 341 de 2000,
entré en vigueur le même jour. Cependant, le législateur a songé à cette
éventualité, puisqu'il a prévu la faculté pour
l'accusé de renoncer à la procédure abrégée et de demander à être jugé selon la
procédure ordinaire (voir l'article 8 du décret-loi no 341 de
2000, cité au paragraphe 31 ci-dessus).
130. Cette
faculté devait être exercée dans un délai de trente jours à partir soit de
l'entrée en vigueur de la loi de conversion du décret-loi no 341
de 2000 (c'est-à-dire avant le 21 février 2001), soit de la notification du
pourvoi du parquet. Le requérant a donc disposé de presque trois mois pour
revenir sur sa décision d'être jugé selon la procédure
abrégée, mais il a choisi de ne pas se prévaloir de cette possibilité. S'il l'avait fait, la procédure en serait revenue à la phase
de l'audience préliminaire et le procès se serait déroulé selon les règles
ordinaires.
131. Ayant
été publié au Journal officiel, le décret-loi litigieux devait être considéré
comme étant connu de tous. Comme la Grande Chambre l'a affirmé dans l'affaire Hermi précitée,
l'avocat du requérant avait l'obligation légale et
professionnelle de renseigner son client à ce sujet. Par
ailleurs, le pourvoi du parquet, communiqué tant au requérant qu'à son avocat,
mentionnait la nouvelle législation.
2. Appréciation
de la Cour
132. La Cour rappelle tout d'abord
que, dans le cadre de différends civils, elle a maintes fois affirmé que si, en
principe, le pouvoir législatif n'est pas empêché de réglementer, par de
nouvelles dispositions de portée rétroactive, des droits découlant de lois en
vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès
équitable consacrés par l'article 6 s'opposent, sauf pour d'impérieux
motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans
l'administration de la justice dans le but d'influer sur le dénouement
judiciaire du litige (voir, parmi beaucoup d'autres, Raffineries
grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994,
§ 49, série A no 301-B, National &
Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire
Building Society c. Royaume-Uni, 23 octobre 1997, § 112, Recueil 1997-VII, Zielinski
et Pradal et Gonzalez et autres c. France [GC],
nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 57, CEDH 1999-VII,
et Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97,
§ 126, CEDH 2006-...). La
Cour considère que ces principes,
qui constituent des éléments essentiels des notions de sécurité juridique et de
protection de la confiance légitime des justiciables (Unedic c. France, no 20153/04,
§ 74, 18 décembre 2008), trouvent à s'appliquer, mutatis mutandis,
au procès pénal.
133. En
l'espèce, le requérant se plaint que tout en ayant opté pour une démarche
simplifiée – la procédure abrégée – il a été privé de l'avantage le plus
important qui, selon la loi en vigueur à l'époque où il a fait son choix, y
était rattaché, à savoir le remplacement de la réclusion criminelle à
perpétuité par trente ans d'emprisonnement.
134. La Cour a déjà eu l'occasion de
se pencher sur les particularités de la procédure abrégée prévue par le CPP
italien. Elle a observé que cette démarcheentraînait des avantages indéniables
pour l'accusé : en cas de condamnation, celui-ci
bénéficie d'une importante réduction de peine et le parquet ne peut interjeter
appel des jugements de condamnation qui ne modifient pas la qualification
juridique de l'infraction (Hermi, précité, § 78, et Hany
c. Italie (déc.), no 17543/05, 6 novembre 2007).
Cette démarche est cependant assortie d'un affaiblissement des garanties
de procédure offertes par le droit interne, notamment en ce
qui concerne la publicité des débats, la possibilité de demander la production
d'éléments de preuve et d'obtenir la convocation des témoins (Kwiatkowska c.
Italie (déc.), no 52868/99, 30 novembre 2000). En
effet, dans le cadre de la procédure abrégée, la
production de nouvelles preuves est en principe exclue, la décision devant être
prise, sauf exceptions, sur la base des actes contenus dans le dossier du
parquet (Hermi, précité, § 87 ; voir également le paragraphe
27 ci-dessus).
135. Les
garanties mentionnées ci-dessus constituent des aspects fondamentaux du droit à
un procès équitable consacré par l'article 6 de la Convention. Ni la
lettre ni l'esprit de cette disposition n'empêchent une personne d'y renoncer
de son plein gré de manière expresse ou tacite.
Cependant, pour entrer en ligne de compte sous l'angle
de la Convention,
ladite renonciation doit se trouver établie de manière non équivoque et
s'entourer d'un minimum de garanties correspondant à son importance (Poitrimol
c. France, 23 novembre 1993, § 31, série A n° 277-A, et Hermi,
précité, § 73). De plus, elle ne doit se heurter
à aucun intérêt public important (Håkansson et Sturesson c. Suède,
21 février 1990, § 66, série A no 171-A, et Sejdovic, précité,
§ 86).
136. La Cour estime qu'en demandant
l'adoption de la procédure abrégée, le requérant – qui était assisté d'un
avocat de son choix, et donc en mesure de connaître les conséquences découlant
de sa demande – a renoncé sans équivoque à ses droits à une audience publique,
à obtenir la convocation des témoins en justice, la production des nouvelles
preuves et l'interrogation des témoins à charge. Il n'apparaît pas davantage
que le différend ait soulevé des questions d'intérêt public s'opposant à une
telle renonciation (voir, mutatis mutandis, Kwiatkowska,
décision précitée).
137. Cependant,
comme souligné plus haut, cette renonciation a eu lieu en échange d'un certain
nombre d'avantages, parmi lesquels figurait la non-infliction de la réclusion
criminelle à perpétuité. En effet, il ressortait clairement du texte de
l'article 442 du CPP, tel que modifié par la loi no 479
de 1999, qu'en cas de condamnation selon la procédure abrégée, la peine à
infliger était réduite d'un tiers et la réclusion à perpétuité était remplacée
par un emprisonnement de trente ans. Sur la base de ce cadre légal, en vigueur
au moment où il a demandé l'adoption de la démarche simplifiée, le requérant
pouvait légitimement s'attendre à ce que, grâce à son choix de procédure, la
peine maximale qu'il encourrait serait la réclusion criminelle d'une durée non
supérieure à trente ans.
138. Cette
attente légitime du requérant a toutefois été déçue par le décret-loi no 341
de 2000, qui a précisé que, lorsque le juge estimait que la peine à infliger
était la prison à vie avec isolement diurne, il s'imposait d'appliquer la
réclusion à perpétuité sans isolement. A partir de l'entrée en vigueur de ce texte (le 24 novembre 2000), il a été clair que cette
peine pouvait être encourue même par les accusés jugés selon la procédure
abrégée. Ce changement des règles de fixation de la peine a pourtant été
appliqué non seulement aux nouveaux demandeurs de la
procédure abrégée, mais également aux personnes qui, à l'instar du requérant,
avaient formulé la demande d'adoption de la démarche simplifiée et avaient été
jugées en première instance avant la publication au Journal officiel du
décret-loi no 341 de 2000.
139. La Cour estime qu'un accusé doit
pouvoir s'attendre à ce que l'Etat agisse de bonne foi et tienne dûment compte
des choix de procédure opérés par la défense, en utilisant les possibilités qui
lui sont offertes par la loi. Il est contraire au
principe de la sécurité juridique et à la protection de la confiance légitime
des justiciables qu'un Etat puisse, de manière unilatérale, réduire les
avantages découlant de la renonciation à certains droits inhérents à la notion
de procès équitable. Cette renonciation étant faite en échange desdits
avantages, on ne saurait considérer comme équitable
que, une fois que les autorités internes compétentes ont accepté d'adopter une
démarche simplifiée, un élément primordial de l'accord entre l'Etat et l'accusé
soit modifié au détriment de ce dernier sans son consentement. A cet
égard, la Cour
note que, s'il est vrai que les Etats contractants ne sont pas contraints par la Convention de prévoir
des procédures simplifiées (Hany, décision précitée), il n'en demeure
pas moins que, lorsque de telles procédures existent et sont adoptées, les
principes du procès équitable commandent de ne pas priver arbitrairement un
prévenu des avantages qui s'y rattachent.
140. En
l'espèce, l'application des dispositions du décret-loi no 341
de 2000 après la fin du procès de première instance a privé le requérant d'un
bénéfice essentiel garanti par la loi et qui était à l'origine de son choix
d'être jugé selon la procédure abrégée. Or cela est incompatible aves les
principes découlant de l'article 6 de la Convention.
141. Il
reste à déterminer si la faculté, reconnue au requérant par l'article 8 du
décret-loi no 341 de 2000, de retirer sa demande d'adoption de
la procédure abrégée était de nature à remédier au préjudice qu'il a subi.
142. La Cour note tout d'abord
qu'elle ne saurait souscrire à la thèse de l'intéressé selon laquelle, faute
pour les autorités de l'avoir informé à cet égard, il n'avait eu aucune
possibilité réelle de se prévaloir de la faculté en question. Elle rappelle
qu'on ne saurait faire peser sur l'Etat l'obligation
de mentionner en détail, dans chaque acte de procédure, les droits et les
facultés de l'accusé, et qu'il appartient au conseil d'un prévenu de renseigner
son client quant à la suite de la procédure à son encontre et aux démarches à
entamer pour faire valoir ses droits (Hermi, précité, § 92). Or, bien
que privé de liberté, le requérant était, à l'époque de la publication du
décret-loi no 341 de 2000 et du
pourvoi en cassation du parquet, assisté de deux conseils de son choix qui, le
5 février 2001, avaient par ailleurs interjeté appel du jugement de première
instance (paragraphe 16 ci-dessus). Comme le Gouvernement le souligne à juste
titre, ces conseils avaient reçu une copie du pourvoi du parquet où le décret-loi
litigieux était expressément mentionné. Ils ont dès lors eu l'opportunité
d'informer leur client à cet égard et de discuter avec lui de la stratégie la plus adaptée pour répondre aux demandes du
parquet. Ils disposaient en outre d'un laps de temps suffisant (trente jours à
partir de l'entrée en vigueur de la loi de conversion ou de la notification du
pourvoi du parquet) pour étudier la question.
143. Toutefois,
il convient d'observer que, s'il avait retiré sa demande d'adoption de la
procédure abrégée, le requérant aurait obtenu la reprise des poursuites selon
la procédure ordinaire et le redémarrage du procès au stade de l'audience
préliminaire. Il aurait ainsi pu bénéficier des droits
auxquels il avait renoncé en conséquence de l'adoption de la procédure abrégée.
Il ne lui était cependant pas loisible de contraindre
l'Etat à respecter l'accord précédemment conclu, qui impliquait un échange
entre renonciation aux garanties procédurales et réduction de peine.
144. Aux
yeux de la Cour,
il serait excessif d'exiger d'un accusé qu'il renonce à une procédure
simplifiée acceptée par les autorités et ayant conduit, en première instance, à
l'obtention des bénéfices souhaités. A cet égard, la Cour rappelle que, pendant
plus de neuf mois (du 18 février au 24 novembre 2000), le requérant a
légitimement cru que, grâce à l'adoption de la
procédure abrégée, la peine maximale qu'il encourrait était trente ans
d'emprisonnement, et que cette attente légitime a été déçue par des facteurs
échappant à son contrôle, comme la durée de la procédure interne et l'adoption
du décret-loi no 341 de 2000.
145. Il
s'ensuit que l'exception préliminaire de non-épuisement du Gouvernement
(paragraphes 125-126 ci-dessus) ne saurait être accueillie et qu'il y a eu
violation de l'article 6 de la
Convention.
IV. SUR
LES ARTICLES 46 ET 41 DE LA
CONVENTION
A. Sur l'article 46 de la Convention
146. Aux
termes de cette disposition :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se
conformer aux arrêts définitifs de la
Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L'arrêt
définitif de la Cour
est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution. »
147. En
vertu de l'article 46 de la
Convention, les Hautes Parties contractantes s'engagent à se
conformer aux arrêts définitifs rendus par la Cour dans les litiges auxquels elles sont
parties, le Comité des Ministres étant chargé de surveiller l'exécution de ces
arrêts. Il en découle notamment que, lorsque la Cour constate une violation, l'Etat défendeur a
l'obligation juridique non seulement de verser aux intéressés les sommes
allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l'article 41, mais aussi
d'adopter les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles
nécessaires. Les arrêts de la
Cour ayant une nature essentiellement déclaratoire, l'Etat
défendeur demeure libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir
les moyens de s'acquitter de son obligation juridique au regard de l'article 46
de la Convention,
pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues
dans l'arrêt de la Cour
(Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos39221/98 et
41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII, Sejdovic, précité, § 119, et Aleksanyan
c. Russie, no 46468/06, § 238, 22 décembre 2008).
148. Toutefois,
exceptionnellement, pour aider l'Etat défendeur à remplir ses obligations au
titre de l'article 46, la Cour
a cherché à indiquer le type de mesures qui pourraient être prises pour mettre
un terme à la situation qu'elle avait constatée (voir, par exemple, Broniowski
c. Pologne [GC], no 31443/96, § 194, CEDH
2004-V). Dans d'autres cas exceptionnels, lorsque la
nature même de la violation constatée n'offre pas réellement de choix parmi
différentes sortes de mesures susceptibles d'y remédier, la Cour peut décider d'indiquer
une seule mesure individuelle (Aleksanyan, précité,
§ 239, et Abbasov c. Azerbaïdjan, no 24271/05, §
37, 17 janvier 2008).
149. En
la présente espèce, la Cour
n'estime pas nécessaire d'indiquer des mesures générales qui s'imposeraient au
niveau national dans le cadre de l'exécution du présent arrêt.
150. Pour
ce qui est des mesures individuelles, il convient de rappeler que, dans de
nombreuses affaires où elle avait conclu à la violation de l'article 6 de la Convention à cause d'un
manque d'indépendance et d'impartialité du tribunal (voir, parmi d'autres, Gençel
c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003, etTahir
Duran c. Turquie, no 40997/98, § 23, 29 janvier 2004),
d'une atteinte au droit de participer au procès (Somogyi c. Italie, no 67972/01,
§ 86, CEDH 2004-IV, et R.R. c. Italie, no 42191/02,
§ 76, 9 juin 2005) ou au droit d'interroger les témoins à charge (Bracci c. Italie,
no 36822/02, § 75, 13 octobre 2005), la Cour a indiqué dans des
arrêts de chambre qu'en principe le redressement le plus approprié consisterait
à faire rejuger le requérant à la demande de celui-ci et en temps utile. La Grande Chambre a
fait sienne l'approche générale adoptée dans la jurisprudence citée ci-dessus (Öcalan
c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH
2005-IV, et Sejdovic, précité, §§ 126-127).
151. Il
n'en demeure pas moins que les mesures individuelles doivent viser à placer le
requérant, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans
laquelle il se trouverait s'il n'y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention (Piersack
c. Belgique (article 50), 26 octobre 1984, § 12, série A no 85).
Un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation
juridique au regard de l'article 46 de la Convention de mettre un
terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir
autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Menteş et
autres c. Turquie (satisfaction équitable), 24 juillet 1998, §
24, Recueil 1998-IV, Scozzari et Giunta, précité,
§ 249, Maestri c. Italie [GC], no 39748/98, §
47, CEDH 2004-I, et Assanidzé c. Géorgie [GC], no71503/01,
§ 198, CEDH 2004-II).
152. L'Etat
garde un pouvoir d'appréciation quant aux modalités d'exécution de l'arrêt, à
condition qu'il satisfasse à l'obligation primordiale qui lui est imposée par la Convention : assurer le
respect des droits et libertés qu'elle garantit (Assanidzé, précité, §
202). En même temps, puisqu'en ratifiant la Convention les Etats
contractants s'engagent à faire en sorte que leur droit interne soit compatible
avec celle-ci, il appartient à l'Etat défendeur
d'éliminer, dans son ordre juridique interne, tout obstacle éventuel à un
redressement adéquat de la situation du requérant (Maestri,
précité, § 47, et Assanidzé, précité, § 198).
153. Or
la Cour a conclu
en la présente espèce que l'application rétroactive, au détriment du requérant,
des dispositions du décret-loi no 341 de 2000 a violé les droits
garantis par les articles 6 et 7 de la Convention. En
particulier, à l'issue d'un procès jugé inéquitable par la Cour (paragraphe 145
ci-dessus), le requérant s'est vu imposer une peine (la réclusion criminelle à perpétuité)
plus forte que la peine maximale qu'il risquait d'encourir au moment où il a
demandé et obtenu d'être jugé selon la procédure
abrégée (trente ans d'emprisonnement).
154. Eu
égard aux circonstances particulières de l'affaire et au besoin urgent de
mettre fin à la violation des articles 6 et 7 de la Convention, la Cour estime donc qu'il
incombe à l'Etat défendeur d'assurer que la réclusion criminelle à perpétuité
infligée au requérant soit remplacée par une peine conforme aux principes
énoncés dans le présent arrêt, à savoir une peine n'excédant pas trente ans
d'emprisonnement.
B. Sur l'article 41 de la Convention
155. Aux
termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu
violation de la Convention
ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie
contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette
violation, la Cour
accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
156. Le
requérant réclame 250 000 euros (EUR) pour dommage moral. Il observe qu'en l'espèce sa condamnation à trente ans
d'emprisonnement a été remplacée par sa condamnation à la réclusion criminelle
à perpétuité. Cette dernière peine équivaudrait à une « déclaration de
mort morale » qui, de plus, a été prononcée à son encontre alors qu'il est gravement malade.
157. Le
Gouvernement n'a pas soumis de commentaires sur ce
point.
158. La Cour estime que le requérant
a subi un tort moral certain. Statuant en équité et sur la base des critères
définis dans sa jurisprudence, comme le veut l'article 41 de la Convention, elle lui
octroie 10 000 EUR à ce titre.
2. Frais
et dépens
159. S'appuyant
sur une note de frais de son avocat, le requérant sollicite 15 623,50 EUR pour les frais et dépens exposés devant la Cour.
160. Le
Gouvernement n'a pas soumis de commentaires sur ce
point.
161. Selon
la jurisprudence constante de la
Cour, l'allocation des frais et
dépens exposés par le requérant ne peut intervenir que dans la mesure où se
trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de
leur taux (Belziuk c. Pologne, 25 mars 1998, § 49, Recueil 1998-II).
162. La Cour juge excessif le montant
sollicité pour les frais et dépens afférents à la
procédure devant elle et décide d'octroyer 10 000 EUR de ce chef.
3. Intérêts
moratoires
163. La Cour juge approprié de
calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de
prêt marginal de la Banque
centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, à l'unanimité, qu'elle est compétente
pour examiner l'affaire qui lui est soumise également sous l'angle de l'article
6 de la Convention :
2. Rejette, à l'unanimité, l'exception préliminaire de
non-épuisement des voies de recours internes tirée par le Gouvernement du fait
que le requérant n'a pas soulevé devant les juridictions nationales ses griefs
au titre de l'article 7 de la
Convention ;
3. Dit,
par onze voix contre six, qu'il y a eu violation de l'article 7 de la Convention ;
4. Joint
au fond, à l'unanimité, l'exception préliminaire de non-épuisement des
voies de recours internes tirée par le Gouvernement du fait que le requérant ne
s'est pas prévalu de la possibilité de révoquer son choix d'adopter la
procédure abrégée et la rejette ;
5. Dit,
à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 6 de la Convention ;
6. Dit,
a) à l'unanimité, qu'il
incombe à l'Etat défendeur d'assurer que la réclusion criminelle à perpétuité
infligée au requérant soit remplacée par une peine conforme aux principes
énoncés dans le présent arrêt (paragraphe 154 ci-dessus) ;
b) par
seize voix contre une, que l'Etat
défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 10 000 EUR
(dix milles euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour
dommage moral ;
c) à
l'unanimité, que l'Etat défendeur
doit verser au requérant, dans les trois mois, 10 000 EUR (dix milles
euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par le requérant,
pour frais et dépens ;
d) à
l'unanimité, qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement,
ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la
facilité de prêt marginal de la
Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction
équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé
en audience publique au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 17 septembre 2009.
Michael
O'Boyle Jean-Paul Costa
Greffier adjoint Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du
règlement, l'exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion
concordante du juge Malinverni à laquelle se rallient les juges Cabral Barreto
et Šikuta ;
– opinion
en partie dissidente du juge Nicolaou à laquelle se rallient les juges Bratza,
Lorenzen, Jočiené, Villiger et Sajó.
J.-P.C.
M.O.B.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE MALINVERNI
A LAQUELLE SE RALLIENT
LES JUGES CABRAL BARRETO ET ŠIKUTA
Je me rallie à
tous les arguments qui ont conduit la Grande Chambre à conclure à une violation de
l'article 7 de la
Convention. Je regrette cependant que l'arrêt ne se soit pas penché sur ce qui constitue à mon avis la particularité
de cette affaire, à savoir les circonstances qui ont entouré le pourvoi en
cassation du ministère public.
Ces circonstances sont les suivantes : le jugement de première instance a été prononcé le
24 novembre 2000, à savoir le jour-même où est entré en vigueur le décret–loi no 341
(paragraphe 13 de l'arrêt). Selon les affirmations du
requérant, non contestées par le Gouvernement, l'audience devant le GUP de Rome
a débuté à 10 h 19. Comme
le jugement a été prononcé immédiatement après l'audience (paragraphe 81), il est très vraisemblable que la décision du GUP ait été
rendue dans le courant de la matinée du 24 novembre 2000.
Le décret–loi no 341 a
quant à lui été publié au Journal officiel le même jour, mais dans le courant
de l'après-midi (paragraphe 33). Il s'ensuit qu'au moment du prononcé du
jugement de première instance, le décret en question ne
pouvait être connu de personne, et il est bien connu qu'un texte législatif ne
saurait déployer d'effets avant sa publication au Journal officiel (paragraphe 34).
Dans son pourvoi en cassation du 12
janvier 2001, le parquet près la Cour d'appel de Rome a
soutenu que le GUP aurait dû appliquer l'article 7 du décret–loi no341
et que cette omission devait être considérée comme une « erreur de droit
manifeste ». Il a en conséquence demandé le remplacement de la peine
infligée au requérant, soit 30 ans d'emprisonnement, par la réclusion à
perpétuité (paragraphes 14 et 15). Cette demande,
comme on le sait, a par la suite été accueillie par la Cour d'assises d'appel de
Rome.
A mon avis, les principes de la sécurité
juridique, de la prééminence du droit et de la non-rétroactivité de la loi
pénale plus sévère imposent aux autorités de ne pas
appliquer, au détriment d'un accusé, une loi qui ne pouvait pas être connue au
moment du prononcé du jugement.
Lorsqu'il a demandé l'adoption de la procédure abrégée et jusqu'à la fin du procès en première
instance, le requérant ne pouvait pas prévoir les conséquences de l'application
du décret no 341. Dès lors, dans les circonstances
particulières décrites ci-dessus, la sanction infligée par la juridiction
d'appel à la demande du parquet se révèle être dépourvue de toute base légale et est donc, pour cette raison aussi, contraire à l'article
7 de la Convention.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE NICOLAOU, À LAQUELLE SE RALLIENT LES
JUGES BRATZA, LORENZEN, JOČIENE, VILLIGER ET SAJÓ
(Traduction)
La Grande Chambre a conclu à l'unanimité qu'il y
avait eu en l'espèce violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Le
raisonnement exposé dans la partie de l'arrêt consacrée à l'article 6 § 1, que
nous approuvons sans réserve, doit à notre avis être lu également à la lumière des principes déjà reconnus par la Cour et examinés par la
majorité sous l'angle de l'article 7 § 1. C'est en effet en la situant
dans un contexte plus général que la question de l'équité soulevée sous l'angle de l'article 6 § 1 acquiert sa pleine dimension.
A l'époque où les infractions ont été
commises, la peine encourue était la réclusion criminelle à perpétuité avec
isolement diurne. Pour les infractions passibles de cette peine, la
procédure abrégée comportant une réduction de peine n'était alors pas
applicable, mais elle le devint par la suite. Le 19 février 2000, le requérant fit le choix de cette
procédure et, avec l'accord des autorités de poursuite, le
tribunal pénal décida de l'appliquer. Après deux reports d'audience, l'affaire ne fut examinée que le 24 novembre 2000, soit au bout de
plus de huit mois, alors que le procès et le prononcé de la peine ne nécessitaient
pas une audience de plus d'une matinée. Le décret-loi prévoyant une peine plus
lourde, qui fut publié à la fin de cette même journée, visait à défaire ce qui
avait déjà été fait. Ayant été agréé par les autorités judiciaires, il entraîna une augmentation de la peine infligée au
requérant. Telles sont les circonstances qui nous ont conduits à conclure à un
manque d'équité.
Toutefois, alors que
l'article 6 § 1 répond parfaitement aux besoins de la
présence affaire, la majorité ne s'est pas satisfaite de cette
situation. Elle a estimé que l'affaire devait être examinée principalement sous
l'angle de l'article 7 § 1, considérant non seulement
que cette disposition englobe le principe de la loi la plus favorable – lex
mitior – mais aussi que l'espèce appelait un revirement total de la
jurisprudence de la Cour
par le biais d'une nouvelle interprétation de l'article 7 § 1 plus conforme à
l'esprit du temps. Or, selon nous, l'article 7 § 1 ne
se prête pas à une telle interprétation.
Bien qu'il
existe en apparence un lien thématique entre le principe de légalité
contenu à l'article 7 § 1 et le principe de la loi la plus favorable, lien
peut-être encore renforcé par le fait que les instruments ultérieurs de
protection des droits de l'homme traitent ces deux principes ensemble, il
existe entre eux une différence cruciale. En effet, le premier principe
fonctionne à un niveau plus élevé que le second et fait
partie intégrante de l'état de droit. Nullum crimen nulla poena
sine praevia lege poenali : nul ne doit être
condamné ou puni sans l'existence d'une loi pénale antérieure. Rien n'est plus
fondamental que ce principe, à la fois absolu et
incontournable, qui constitue une condition indispensable à la liberté. C'est
pourquoi l'article 15 n'autorise aucune exception à l'article 7 § 1. Le principe de la loi la plus favorable ne fait pas partie
de cette exigence de l'état de droit et ne peut pas non plus en être considéré
comme le prolongement ou le corollaire. Il s'agit d'une autre forme de norme,
qui exprime un choix reflétant l'évolution d'un processus social à l'œuvre dans
le droit pénal. Il limite la
portée du droit pénal en protégeant les avantages dont bénéficient les
justiciables en cas d'adoption de lois sur le fond après la commission de
l'infraction et applicables tant que l'affaire est pendante. En l'absence de disposition spécifique,
ce principe relève de la politique ou du choix que peut exercer l'Etat en
matière pénale dans le cadre de sa compétence
discrétionnaire.
Il est certain que, lorsque l'article 7 § 1 a été adopté, le principe de
la loi la plus favorable n'en faisait pas partie ; nul n'a laissé entendre
qu'on ait pu penser à l'époque qu'il était englobé dans le principe nullum
crimen nulla poena sine lege, souvent cité sous cette forme abrégée. L'article
7 § 1 de la Convention,
adopté en 1950, a
été rédigé sur le modèle de l'article 11 § 2 de la Déclaration
universelle des droits de l'homme, adopté par l'Assemblée générale des Nations
unies en 1948, article qu'il reprend presque mot pour mot. Les travaux
préparatoires à l'article 7 § 1 montrent (page 7, point 5))
que la possibilité d'y ajouter le principe de la loi la plus favorable a été
envisagée puis abandonnée. Il est significatif que,
lors de la préparation de la disposition équivalente du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, le projet de texte ne contenait
initialement que le principe nullum crimen nulla poena sine lege,
celui même qui est garanti par l'article 7 § 1 de la Convention. La
proposition d'y inclure le principe de la loi la plus
favorable n'est intervenue que plus tard, ce pourquoi une troisième phrase a
été ajoutée :
« Si,
postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine
plus légère, le délinquant doit en bénéficier. »
L'opportunité de procéder à cet ajout a
suscité des divergences. L'ouvrage de Marc Bossuyt intitulé « A
Guide to the 'Travaux préparatoires' of the International
Covenant on Civil and Political Rights » contient un compte rendu
intéressant des diverses considérations en jeu :
« Comité des droits de l'homme, 5e session
(1949), 6e session (1950), 8e session (1952)
A/2929, chap. VI, § 95 :
il a été avancé que la troisième phrase du paragraphe 1 était en contradiction
avec l'hypothèse sous-jacente à la seconde phrase, à savoir qu'une peine doit
être celle qui est autorisée par la loi en vigueur à l'époque où elle est infligée
[E/ CN.4/SR.159, §§ 46-48 (USA) ; E/CN.4/SR.324, p. 4 & p. 7
& p. 15 (GB), p. 5 (USA), p. 9 (IND)]. Il a aussi été dit que, quelle
que soit la valeur de l'objectif visé par la troisième phrase, il n'était pas
approprié de l'inclure dans le Pacte car cela semblerait vouloir dire que les
personnes condamnées seraient habilitées de droit à exiger de bénéficier de
toute modification apportée à la loi après leur condamnation [E/CN.4/SR.112, p.
3 (GB), p. 5 (GCA) ; E/CN.4/SR.324, p. 5 (USA)]. Il a
été affirmé que les exécutifs des Etats parties au Pacte devaient conserver une
totale latitude pour appliquer les avantages des lois ultérieures à de telles
personnes [E/CN.4/SR. 159, §§ 61-62 (USA), § 65 (GB), § 72 (RCH) ; E/CN.4/SR.324, p. 16 (GB)]. Contrairement à ces
avis, il a été dit que la tendance en droit pénal moderne était de permettre à
une personne de bénéficier des peines plus légères prévues par des lois
postérieures à l'infraction dont elle était accusée [E/CN.4/SR.112, p. 4 (USA),
p. 6 (RCH) p. 7 (SU) ; E/CN.4SR.159, § 83 (ET),
§ 86 (U), § 88 (F) ; E/CN.4/SR.199, § 151 (GB), § 153 (F), § 156 (ET)
; E/CN.4/SR.324, pp. 4-5 & p. 8 (SU), p. 5(B), p. 9 (YU), p. 11 (RCH) &
(F), p. 12 (PL), p. 14 (IL)] ; les lois prévoyant de nouvelles peines plus
légères étaient souvent l'expression concrète d'une évolution de l'attitude de
la société envers l'infraction en question [E/CN.4/SR.112, p. 8 (F) ;
E/CN.4/SR.324, p. 7 (RCH)]. »
L'argument selon lequel l'article 7 § 1
de la Convention
doit être interprété comme englobant le principe de la
loi la plus favorable a été examiné et rejeté par la Commission dans
l'affaire X. c. République fédérale d'Allemagne (no 7900/77,
décision de la Commission
du 6 mars 1978, Décisions et rapports no 13, pp. 70-72). Le
requérant, qui avait été condamné à une amende pour infraction au code des
impôts, fit opposition. L'amende fut confirmée après l'abrogation de la
disposition concernée du code des impôts. Le requérant faisait valoir qu'il aurait dû bénéficier de cet amendement et alléguait une
violation de l'article 7 de la
Convention en invoquant à l'appui l'article 15 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques. Il peut être utile de
noter à cet égard que la
Convention américaine relative aux droits de l'homme, adoptée
dès 1969 mais entrée en vigueur le 18 juillet 1978, soit quelques mois après la
décision précitée, renferme aussi une phrase consacrant le
principe de la loi la plus favorable. Dans une courte décision, la Commission a exprimé
l'évidence en ces termes :
« Toutefois, l'article 7 de la Convention ne contient aucune disposition semblable à l'article 15,
paragraphe 1 in
fine du Pacte des Nations Unies, qui vise d'ailleurs une hypothèse
différente en garantissant au délinquant le droit de bénéficier de l'application
d'une peine plus légère prévue par une loi postérieure à l'infraction.
En l'espèce, une partie des faits mis à
charge du requérant ont fait, en quelque sorte, l'objet d'une
décriminalisation. Il n'en reste pas moins qu'au moment où elle a été commise,
l'action du requérant constituait une infraction d'après le droit national au
sens de l'article 7, paragraphe 1, en sorte que le grief est (aussi)
manifestement mal fondé (...). »
La décision adoptée dans l'affaire X.
c. République fédérale d'Allemagne a été suivie par la Cour, à une date assez
récente, dans les affaires Ian Le Petit c. Royaume-Uni (déc.),
no 35574/97, 5 décembre 2000, et Zaprianov
c. Bulgarie (déc.), no 41171/98, 6 mars 2003, où
elle a affirmé catégoriquement :
« L'article 7 ne
garantit pas le droit de voir appliquer à une infraction un amendement
législatif plus favorable adopté ultérieurement. »
La divergence d'opinion qui se fait jour
en l'espèce ne provient pas d'une différence
d'interprétation de l'article 7 § 1 de la Convention. Nous
respectons tous les règles internationales en la matière consacrées par les
articles 31 et 32 de la Convention de Vienne
sur le droit des traités (1969), et le point de vue que nous exprimons au sujet
de l'article 7 § 1, en tant que minorité, ne remet pas en cause la
jurisprudence de la Cour
– à laquelle la majorité se réfère brièvement – relative à l'annulation de
décisions antérieures, si nécessaire, ou à la nécessité de s'adapter aux
changements et de réagir à l'émergence d'un consensus au sujet de nouvelles
normes car, comme cela est souvent souligné, la Convention est un
instrument vivant qui appelle une approche dynamique et évolutive afin de
rendre les droits pratiques et effectifs et non pas simplement théoriques et
illusoires. Toutefois, aucune interprétation
judiciaire, aussi créative soit-elle, n'est totalement exempte de contraintes. Ce
qui importe avant tout est de ne pas outrepasser les
bornes fixées par les dispositions de la Convention. Comme
la Cour l'a
indiqué dans l'affaireJohnston et autres c. Irlande (18 décembre
1986, § 53, série A no 112) :
« La Convention et ses Protocoles doivent s'interpréter à la lumière des
conditions d'aujourd'hui (voir, entre autres, l'arrêt Marckx précité,
série A no 31, p. 26, § 58), mais la Cour ne saurait en dégager,
au moyen d'une interprétation évolutive, un droit qui n'y a pas été inséré au
départ. Il
en va
particulièrement ainsi quand il s'agit, comme ici, d'une omission
délibérée. »
Il s'agit d'une question sur laquelle la Cour devrait se montrer
particulièrement sensible. Or, et bien que la présente cause
ne l'exige pas, la majorité a procédé à l'examen de l'affaire sous l'angle de
l'article 7 § 1 et, pour appliquer celui-ci, l'a réécrit afin de le rendre
conforme à ce qu'elle estime qu'il aurait dû dire. Nous nous permettons de dire
que cela dépasse les bornes.