Corte europea dei diritti dell’uomo
(Seconda Sezione)
17 luglio 2012
AFFAIRE SCOPPOLA c. ITALIE (N° 4)
(Requête n.
65050/09)
STRASBOURG
Cet arrêt deviendra
définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la
Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Scoppola c. Italie (no 4),
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une
chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 juin 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine
de l’affaire se trouve une requête (no 65050/09) dirigée contre la
République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Franco Scoppola
(« le requérant »), a saisi la Cour le 10 décembre 2009 en vertu de l’article
34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (« la Convention »).
2. Le
requérant est représenté par Me N. Paoletti, avocat à Rome. Le
gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son
agent, Me E. Spatafora.
3. Le
requérant allègue que sa détention dans le pénitencier de Parme a été
incompatible avec son état de santé.
4. Le 20
septembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article
29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la
chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES
CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le
requérant est né en 1940. Âgé de soixante-douze ans, il souffre de pathologies
cardiaques et du métabolisme, de diabète, d’un affaiblissement de sa masse
musculaire aggravée par une fracture du fémur subie en 2006, d’hypertrophie de
la prostate et de dépression. Il se déplace en fauteuil
roulant depuis 1987.
6. En septembre 1999, à l’issue
d’une dispute avec ses enfants, le requérant tua sa femme et blessa l’un de ses
enfants. En janvier 2002, il fut condamné à la réclusion à perpétuité par la
cour d’assises d’appel de Rome et placé en détention dans la prison de Regina Cœli à Rome.
7. Pendant sa détention, le
requérant fut hospitalisé à plusieurs reprises en raison de son état de santé,
jugé incompatible avec la détention par les autorités nationales compétentes.
Par une ordonnance du 16 juin 2006, le tribunal d’application des peines de
Rome accorda au requérant la détention à domicile afin qu’il puisse recevoir
les soins adéquats. Faute de trouver un domicile adapté, ladite ordonnance fut
révoquée le 8 septembre 2006 et, le 23 septembre 2007, le requérant fut
transféré au pénitentiaire de Parme qui disposait, selon la direction générale
pour les détenus du ministère de la Justice, de structures adaptées aux
exigences des personnes handicapées.
8. Les
conditions de détention du requérant ont fait l’objet de la requête no 50550/06
(Scoppola c. Italie, no 50550/06, 10 juin 2008), dans laquelle la Cour
conclut qu’il y avait eu violation de l’article 3 de la Convention en raison du
maintien en détention du requérant dans le pénitentiaire de Regina Cœli malgré son état de santé. Dans
son arrêt, la Cour releva notamment que :
« 49. La
Cour ne saurait ignorer les efforts déployés par les autorités internes, qui
ont placé le requérant dans un pénitencier disposant d’un centre clinique et de
moyens pour éliminer les obstacles architecturaux, à savoir celui de Parme. Par
ailleurs, à la prison de Rome-Regina Coeli
le requérant a été soumis à des nombreux examens médicaux, visant à traiter ses
pathologies du métabolisme, et a bénéficié de séances de kinésithérapie.
Cependant, l’absence, dans le chef des autorités nationales, d’une volonté d’humilier
ou de rabaisser l’intéressé n’exclut pas définitivement un constat de violation
de l’article 3 ; cette disposition peut aussi bien être enfreinte par une
inaction ou un manque de diligence de la part des autorités publiques.
50. En
l’espèce, l’exigence, soulignée par le tribunal d’application des peines de
Rome, de placer le requérant en dehors du milieu carcéral est restée lettre
morte pour des raisons qui ne sauraient être imputées à l’intéressé. Aux yeux
de la Cour, dans des circonstances telles que celles de la présente affaire,
une fois établi que la tentative de placer le requérant en détention à domicile
ne pouvait aboutir, il appartenait aux autorités de s’activer pour satisfaire à
l’obligation qui est la leur d’assurer des conditions de privation de liberté
conformes à la dignité humaine. En particulier, le requérant ne pouvant pas
être soigné à son domicile et aucune structure d’accueil idoine n’étant
disposée à le prendre en charge, l’État aurait dû soit transférer sans délai l’intéressé
dans une prison mieux équipée afin d’exclure tout risque de traitements
inhumains, soit suspendre l’exécution d’une peine qui s’analysait désormais en
traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Cependant, dans sa
décision révoquant la mesure de détention à domicile du requérant, le tribunal
d’application des peines de Rome n’a pas pris en considération cette dernière
possibilité qui, selon les dispositions internes pertinentes, aurait pu être
examinée même d’office.
51. En
conséquence de ce qui précède, le requérant a continué à être détenu dans le
pénitencier de Rome. Ce n’est que le 23 septembre 2007, soit plus d’un an après
la date à laquelle le tribunal d’application des peines avait constaté l’impossibilité
de détenir le requérant à domicile, que ce dernier a été transféré dans une
autre prison, celle de Parme, dotée de structures qui, selon le ministère de la
Justice, peuvent faire face aux difficultés de mobilité du condamné. La Cour
estime de ne pas disposer, à présent, d’éléments suffisants pour se prononcer
sur la qualité de ces structures ou, plus en général, sur les conditions de la
détention du requérant à Parme. Elle se borne à observer que la continuation de
son séjour au pénitencier de Regina Coeli dans
les circonstances mentionnées plus haut n’a pu que le placer dans une situation
susceptible de susciter, chez lui, des sentiments constants d’angoisse, d’infériorité
et d’humiliation suffisamment forts pour constituer un « traitement
inhumain ou dégradant », au sens de l’article 3 de la Convention. Les
explications données par le Gouvernement pour justifier le retard dans le
transfert au pénitencier de Parme – à savoir, qu’il n’était pas opportun d’interrompre
les thérapies en cours à la prison de Regina
Coeli –, ne sauraient justifier le maintien d’un détenu dans des
conditions portant atteinte à sa dignité humaine. »
9. La présente
requête concerne les conditions de détention du requérant postérieures à son
transfèrement à la prison de Parme, qui eut lieu le 23 septembre 2007.
10. A une date
qui n’a pas été précisée, le requérant présenta devant le tribunal d’application
des peines (TAP) de Bologne une demande visant la suspension de l’exécution
de sa peine ou, à défaut, le placement à domicile, pour raisons de santé. Il
affirmait que son état de santé s’était ultérieurement dégradé dans la prison
de Parme, où il était contraint de passer ses journées au lit.
11. A l’audience
du 4 août 2009, le tribunal émit une ordonnance provisoire. S’appuyant notamment
sur un rapport médical établi par les médecins de la prison de Parme, selon
lequel le requérant souffrait de graves pathologie dégénératives, le tribunal
soutint que le transfèrement du requérant dans un centre médical externe était
extrêmement urgent et sollicita le Service Sanitaire Nationale, ainsi que
toutes les autorités compétentes, à trouver une solution adaptée à l’état du
requérant.
12. Par la
suite, le TAP reporta l’affaire à trois reprises, les 24 septembre, 17
novembre, et 3 décembre 2009, sollicitant les autorités sanitaires de donner
suite à son ordonnance provisoire du 4 août et de trouver un centre médical spécialisé
au sein duquel placer le requérant.
13. Le 11
décembre 2009, à la demande de l’intéressé, la
présidente de la deuxième section décida d’indiquer au gouvernement
italien, en application de l’article 39 du règlement de la Cour, qu’il était
souhaitable, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure
devant la Cour, de transférer d’urgence le requérant dans une structure
adéquate à son état de santé, afin d’exclure tout risque de traitements
inhumains et dégradants.
14. Le 24
décembre 2009, le magistrat de l’application des peines, relevant que les
conditions du requérant ne permettaient pas d’attendre ultérieurement l’issue
de la procédure devant le TAP, dont l’audience avaient été fixée au 7 janvier
2010, ordonna que l’intéressé fut placé dans l’hôpital civil de Parme en attendant
que le Service Sanitaire trouve un lieu d’accueil disponible répondant aux
critères fixés dans l’ordonnance du 4 août 2009.
15. Le même jour,
M. Scoppola refusa d’être hospitalisé dans l’hôpital civil de Parme, alléguant
que cette structure n’était pas adaptée à son état de santé.
16. Par une
ordonnance du 7 janvier 2010, le tribunal d’application des peines, faisant application
de l’article 147 § 1 du code pénal, ordonna la suspension de l’exécution de la
peine du requérant pour une période d’un an et son placement à domicile dans
une structure spécialisée. Le tribunal constata que, malgré les nombreuses
sollicitations adressée aux autorités sanitaires compétentes, celles-ci n’avaient
pas encore trouvé de centre médical spécialisé adapté aux exigences du
requérant. Or, les conditions de l’intéressé ne permettaient guère un renvoi
ultérieur de la procédure. Se basant notamment sur un rapport médical établi le
3 novembre 2009 par le service sanitaire de la prison de Parme, le tribunal
affirma que le requérant nécessitait un suivi intensif de kinésithérapie dans
un centre spécialisé extérieur au milieu pénitentiaire, dans le but d’essayer
de réhabiliter un état de santé particulièrement compromis.
17. Le 8
janvier 2010, le procureur de la République de Rome ordonna la mise en liberté
du requérant jusqu’au 9 janvier 2011.
18. Ce même
jour, le requérant fut libéré et transporté aux urgences de l’hôpital civil de
Parme. Après avoir été visité, il fut transporté à la « Casa di Cura
Valparma », un centre de soin conventionné par la sécurité sociale, où, le
19 février 2010, il fut examiné par un médecin orthopédiste. Dans son rapport,
le médecin établit que l’état de santé du requérant ne permettait pas d’envisager
une opération chirurgicale et soutint qu’un renforcement musculaire intensif
des membres inférieurs s’imposait, dans le but d’améliorer la position assise
dans la chaise roulante. L’expert recommanda l’hospitalisation du requérant
dans un centre médical spécialisé pendant huit mois au moins dans le but d’obtenir
un résultat durable.
19. Entre-temps,
le 20 janvier 2010, la présidente de la deuxième section réexamina la requête à
la lumière des développements de la procédure interne et décida de lever la
mesure provisoire qu’elle avait indiquée le 11 décembre 2009.
20. Le 8 avril
2010, le requérant fut transféré à l’hôpital civil « San Secondo », à
Fidenza.
21. Le 13
janvier 2011, le TAP de Bologne prorogea le placement à domicile du requérant,
pour une période d’un an, près de l’hôpital civil « San Secondo ».
Le 22 décembre 2011, le TAP réitéra l’application de la mesure de la
détention domiciliaire pour une période ultérieure d’un an, affirmant qu’il y
avait lieu de confirmer l’incompatibilité entre l’état de santé du requérant et
la détention carcérale.
II. LE
DROIT INTERNE PERTINENT
22. La
suspension de l’exécution de la peine est prévue par l’article 147 §
1 alinéa 2 du code pénal, aux termes duquel
« L’exécution
d’une peine peut être suspendue : (...)
2)
si une peine privative de liberté doit être exécutée à l’encontre d’une
personne se trouvant en condition d’infirmité physique grave (...). »
EN DROIT
I. SUR LA
VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
23. Le
requérant allègue que son maintien en détention à la prison de Parme a
constitué un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de
la Convention, ainsi libellé :
« Nul
ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants. »
24. Le
Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
25. Le
Gouvernement affirme tout d’abord que la Cour devrait s’abstenir de décider la
présente requête. Il considère que dans l’arrêt rendu dans le cadre de l’affaire
no 50550/06 (Scoppola c. Italie, précité, du 10 juin 2008),
la Cour avait renoncé à examiner les conditions de détention du requérant à la prison de
Parme. Par conséquent, dans la mesure où la Cour pourrait parvenir à une solution
conduisant à une contradiction avec sa décision antérieure, elle devrait éviter
de se prononcer dans la présente requête et considérer l’opportunité de se
dessaisir en faveur de la Grande Chambre.
26. En deuxième
lieu, le Gouvernement soutient que le requérant n’a plus la qualité de victime
requise par la Convention. Il estime que les démarches accomplies par les
autorités nationales après l’introduction de la requête devant la Cour ont
permis de parvenir à une solution satisfaisante pour le requérant, dès lors que
rien ne justifie la poursuite de l’examen de l’affaire.
27. Le
requérant n’a pas présenté d’observations sur ces questions.
28. S’agissant
de la première exception soulevée par le Gouvernement, dans la mesure où elle
mettrait en cause la compétence de la Cour à examiner la présente affaire,
celle-ci rappelle tout d’abord qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 32,
« (e)n cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide » (Emre c. Suisse (no 2), no 5056/10, § 39,
11 octobre 2011).
Par ailleurs, la Cour observe qu’aucune résolution, même intermédiaire, n’a
été adoptée par le Comité des Ministres dans le cadre de l’exécution dans l’affaire
no 50550/06. Elle rappelle avoir déjà dit par le passé qu’elle n’empiète
pas sur les compétences que le Comité des Ministres tire de l’article 46 lorsqu’elle
connaît de faits nouveaux dans le cadre d’une nouvelle requête (Verein gegen
Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, §§ 66 et suiv, CEDH 2009 ; Emre c. Suisse,
précité, § 39).
29. En l’espèce,
afin de déterminer si l’on est en présence d’une nouvelle requête qui se
distingue essentiellement, au sens de la jurisprudence précitée, de la
première, il importe de souligner que l’arrêt de la Cour du 10 juin 2008
concernait les conditions de détention du requérant à la prison de Regina Cœli à Rome, à la lumière des
informations qui lui étaient disponibles au moment de la décision et sur la
base des allégations soulevées par le requérant. Dans son arrêt de 2008, la
Cour releva « ne pas disposer, [à l’époque], d’éléments suffisants pour se
prononcer (...), sur les conditions de la détention du requérant à Parme »
(voir paragraphe 51 de l’arrêt du 10 juin 2008). Cette constatation ne saurait
être assimilée, comme l’affirme le Gouvernement, à une renonciation de la Cour
à examiner la suite de la détention du requérant.
30. A la suite
de cet arrêt, le requérant saisit le tribunal d’application des peines de
Bologne, compétent ratione loci, afin
de se plaindre de sa détention à la prison de Parme, où il affirmait que son
état s’était ultérieurement dégradé faute d’un suivi approprié à ses
pathologies. Dans le cadre de cette nouvelle procédure, le tribunal se prononça
à plusieurs reprises et accueillit le recours du requérant s’appuyant sur les rapports
médicaux établis par les médecins de la prison en question.
31. Les
considérations qui précèdent permettent à la Cour de conclure que les faits
objet de la présente requête constituent des faits nouveaux susceptibles de
donner lieu à une nouvelle atteinte de l’article 3, pour l’examen de laquelle
la Cour est compétente. Il s’ensuit que la première exception du Gouvernement
ne saurait être retenue.
32. S’agissant de
l’exception concernant le défaut de la qualité de victime du requérant, la
Cour estime que la question soulevée est étroitement liée à celles qu’elle
devra aborder lors de l’examen du bien-fondé de la requête. Il convient dès
lors de joindre cette question à l’examen du fond.
33. La Cour
constate que la requête n’est pas
manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La
Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
34. Le
requérant soutient que le caractère inhumain et dégradant de sa détention dans
la prison de Parme a été constaté par les juges de l’application des peine de
Bologne. Par les ordonnances des 4 août, 24 septembre, 17 novembre, 3
décembre, 24 décembre 2009 et 7 janvier 2010, les magistrats d’application
des peines n’ont pas cessé d’affirmer l’incompatibilité de son état de santé
avec la détention dans un établissement pénitentiaire et de recommander son
placement dans une structure extérieure au milieu carcéral.
35. Par
ailleurs, les juridictions nationales étaient déjà parvenues à cette conclusion
quelques années auparavant, lorsque, le 21 juin 2006, le TAP de Rome avait ordonné
son placement à domicile en raison de son état de santé, jugé incompatible avec
la détention en milieu pénitentiaire. Cette circonstance, examinée par la Cour
dans le cadre de la requête no 50550/06, ne fait que rendre
encore plus lourd le bilan de sa détention.
Or, en dépit de ces multiples rappels des autorités judiciaires, réitérés
au fil des années, il n’a pu quitter le milieu pénitentiaire que le 7 janvier 2010.
36. Le
requérant affirme avoir été obligé de passer toutes ses journées au lit,
incapable d’accomplir le moindre geste et de gérer ses exigences physiologiques
de façon autonome. Son état de santé, nécessitant une assistance médicale
spécialisée continue, n’est compatible avec la détention en aucun établissement
pénitentiaire, y compris celui de Parme.
En
outre, le requérant affirme avoir refusé l’hospitalisation dans l’hôpital civil
de cette même ville, le 24 décembre 2009, puisque les services fournis par un
hôpital civil ordinaire ne sont pas non plus en mesure de prendre en charge une
situation telle que la sienne. De plus, cette hospitalisation avait été
envisagée par le magistrat de l’application des peines seulement comme une
mesure temporaire, afin de pallier à l’inertie de l’administration.
37. Le
requérant considère que la seule raison ayant empêché son prompt transfèrement dans
une structure adéquate est la lenteur de l’administration, aucune
responsabilité ne pouvant être imputé à son propre comportement.
38. En
conclusion, le requérant estime avoir été victime d’un traitement contraire à l’article
3 de la Convention.
39. Le
Gouvernement fait valoir tout d’abord que l’état de santé du requérant ne lui a
pas empêché, en 1999, alors qu’il était déjà âgé de soixante ans, de commettre
des délits extrêmement graves et d’infliger de mauvais traitements aux membres
de sa famille.
40. Quoi qu’il
en soit, il considère que les autorités compétentes ont mis en œuvre toutes les
mesures possibles et nécessaires pour garantir au requérant des conditions de
vie compatibles avec l’article 3 de la Convention et pour lui prodiguer les
soins dont il avait besoin. En effet, il fut d’abord transféré dans un
établissement pénitentiaire hautement spécialisé, à savoir la prison de Parme,
puis obtint la suspension de l’exécution de sa peine.
41. Le
Gouvernement fait valoir que le pénitencier de Parme est la meilleure structure
dans son genre existant en Italie, dotée d’un centre clinique en mesure d’administrer
des soins spécialisés de haut niveau. Il affirme que de fortes sommes ont été
dépensées pour faire fonctionner ce centre, qui accueille de nombreux détenus souffrants
de pathologies diverses.
42. Concernant
en particulier le traitement réservé au requérant au cours du second semestre
2009, le Gouvernement soutient que celui-ci, placé au sein de la section pour
paraplégiques, bénéficia de plusieurs visites médicales spécialisées, ainsi que
de séances régulières de physiothérapies, et fut hospitalisé deux fois dans le
but d’effectuer des examens. En outre, un codétenu fut recruté par l’administration
pénitentiaire pour aider le requérant dans l’exercice de ses activités.
43. Certes, dans
un deuxième temps cette structure fut considérée comme n’étant pas complètement
adaptée aux conditions du requérant, si bien que des soins prodigués dans une
structure extérieure auraient été probablement plus efficaces. Cependant, ce
constat ne saurait impliquer que la détention à Parme a été contraire à l’article
3 de la Convention et que le requérant a fait l’objet de traitements inhumains
ou dégradants.
44. En outre,
le Gouvernement est d’avis que le comportement du requérant a sérieusement
entravé les efforts des autorités de trouver une solution adéquate. A ce
propos, il attire l’attention de la Cour sur le refus opposé par celui-ci, le
24 décembre 2009, à son hospitalisation dans l’hôpital civil de Parme. Si ce
refus n’explique pas entièrement les difficultés rencontrées par les autorités
compétentes pour transférer le requérant dans un centre médical spécialisé, il
démontre néanmoins l’attitude négative et peu collaborative de l’intéressé.
45. Ainsi, le
Gouvernement fait valoir que le retard mis par les autorités pour trouver un
centre d’accueil pour le requérant a été dû à différents facteurs : la
difficulté de repérer un lieu où le requérant puisse bénéficier de soins d’un
niveau supérieur à ceux prodigués à Parme ; la complexité des pathologies
à traiter ; l’absence de collaboration de l’intéressé.
2. Appréciation de la Cour
(a) Principes
généraux
46. Pour qu’une
peine et le traitement dont elle s’accompagne puissent être qualifiés d’« inhumains »
ou de « dégradants », la souffrance ou l’humiliation doivent en tout
cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de
traitement ou de peine légitimes (Jalloh c.
Allemagne [GC], no 54810/00, § 68, 11 juillet
2006).
47. S’agissant
en particulier de personnes privées de liberté, l’article 3 impose à l’Etat
l’obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des
conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités
d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une
épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent
à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la
santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment
par l’administration des soins médicaux requis (Kudła
c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI,
et Riviere c. France, no
33834/03, § 62, 11 juillet 2006). Ainsi, le manque de soins médicaux
appropriés, et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des
conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3
(voir, par exemple, İlhan c. Turquie
[GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII). Outre la santé du
prisonnier, c’est son bien-être qui doit être assuré d’une manière adéquate (Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002‑IX).
48. Les
conditions de détention d’une personne malade doivent garantir la protection de
sa santé, eu égard aux contingences ordinaires et raisonnables de l’emprisonnement.
Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de remettre en liberté ou bien
de transférer dans un hôpital civil un détenu, même si ce dernier souffre d’une
maladie particulièrement difficile à soigner (Mouisel, précité, § 40), l’article
3 de la Convention impose en tout cas à l’État de protéger l’intégrité physique
des personnes privées de liberté. La Cour ne saurait exclure que, dans des
conditions particulièrement graves, l’on puisse se trouver en présence de
situations où une bonne administration de la justice pénale exige que des
mesures de nature humanitaire soient prises pour y parer (Matencio c. France, no 58749/00,
§ 76,15 janvier 2004, et Sakkopoulos c.
Grèce, no 61828/00, § 38, 15 janvier 2004).
49. En
appliquant les principes susmentionnés, la Cour a déjà conclu que le maintien
en détention pour une période prolongée d’une personne d’un âge avancé, et de
surcroît malade, peut entrer dans le champ de protection de l’article 3 (Papon c. France (no 1) (déc.),
no 64666/01, CEDH 2001-VI ; Sawoniuk
c. Royaume-Uni (déc.), no 63716/00, CEDH 2001-VI, et Priebke c. Italie (déc.), no
48799/99, 5 avril 2001). De plus, la Cour a jugé que maintenir en détention une
personne tétraplégique, dans des conditions inadaptées à son état de santé,
était constitutif d’un traitement dégradant (Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 30, CEDH 2001‑VII). Elle a aussi
considéré que certains traitements peuvent enfreindre l’article 3 du fait qu’ils
sont infligés à une personne souffrant de troubles mentaux (Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, §§ 111-115, CEDH
2001-III). Cela étant, la Cour doit tenir compte, notamment, de trois éléments
afin d’examiner la compatibilité d’un état de santé préoccupant avec le
maintien en détention du requérant, à savoir : a) la condition du
détenu, b) la qualité des soins dispensés et c) l’opportunité de maintenir la
détention au vu de l’état de santé du requérant (Sakkopoulos, précité, § 39).
(b) Application
de ces principes au cas d’espèce
50. La Cour observe
que la prison de Parme est dotée d’un centre clinique et d’une section pour
handicapés, ce qui fait d’elle une structure pénitentiaire adaptée aux
exigences des détenus atteints de pathologies dégénératives. Dans son arrêt du 10
juin 2008, la Cour avait salué le choix des autorités nationales de transférer
le requérant dans cet établissement, compte tenu de l’impossibilité de le placer
en détention à domicile (voir arrêt Scoppola,
précité, § 49).
51. Cependant,
force est de constater que cette structure s’est rapidement relevée inadaptée
pour prendre en charge de façon adéquate le requérant, dont l’état de santé est
particulièrement grave. La Cour rappelle que le requérant, qui n’a plus marché
depuis 1987 et a subi, en avril 2006, une fracture du fémur, ne peut se
déplacer qu’en fauteuil roulant. Il manque de toute autonomie et est contraint
de passer toutes ses journées au lit. Âgé de 72 ans, il souffre de pathologies
cardiaques et du métabolisme, de diabète, d’un affaiblissement de sa masse
musculaire empêchant la position assise, d’hypertrophie de la prostate et de
dépression.
52. Ainsi, l’incompatibilité
de la détention du requérant dans la prison de Parme avec son état de santé a
été affirmée à plusieurs reprises par les juges de l’application des peines,
lesquels se sont appuyés sur les conclusions des médecins de la prison.
53. Le 4 août
2009, le TAP de Bologne ordonna le placement du requérant dans un milieu
extérieur à la prison. Selon la Cour, c’est à compter de cette date au moins
que les autorités compétentes auraient dû tout mettre en œuvre pour garantir au
requérant le placement dans un environnement idoine garantissant un suivi
médical approprié. Or, malgré plusieurs sollicitations du tribunal (voir
paragraphes 11-14 ci-dessus), et en dépit de l’indication d’une mesure
provisoire de la part de la Cour (voir paragraphe 13 ci-dessus), celles-ci n’ont
pas été en mesure de trouver un lieu d’accueil qui garantisse la santé et le
bien-être du requérant. Ce n’est que le 7 janvier 2010 que le requérant quitta
le milieu pénitentiaire, le TAP ayant décidé en dernier ressort d’ordonner la
suspension de l’exécution de la peine du requérant afin de permettre son placement
à domicile dans un environnement hospitalier spécialisé.
54. La Cour ne sous-estime
pas les difficultés liées à la prise en charge de détenus atteints de
pathologies telles que celles souffertes par le requérant. Néanmoins, elle
considère que les raisons avancées par le Gouvernement pour justifier le
maintien du requérant dans la prison de Parme dans des conditions portant
atteinte à sa dignité humaine pendant plusieurs mois en dépit des avis
contraires des experts et des juges de l’application des peines, ne sauraient
ni dispenser l’Italie de ses obligations face aux détenus malades ni être
imputées au comportement de l’intéressé.
55. A ce
dernier égard, concernant notamment le refus du requérant d’être transféré a l’hôpital
civil de Parme, il est difficile pour la Cour de concevoir que ce refus ait été
en mesure, en lui-même, d’entraver les efforts des autorités de trouver une
structure adéquate. Il suffit à ce propos d’observer que ladite hospitalisation
avait été envisagée par le TAP à titre provisoire, dans l’attente que le
service sanitaire national trouve une solution définitive convenable, et dans
le but de sortir d’une impasse installée depuis plusieurs mois.
56. En l’espèce,
rien ne prouve l’existence d’une intention d’humilier ou de rabaisser le
requérant. Cependant, s’agissant de l’obligation positive de l’État de protéger
la santé des prisonniers de manière adéquate, qui comporte également une
obligation de célérité, l’intentionnalité du comportement reproché à l’État
défendeur ne saurait constituer un élément décisif. Ainsi, s’il convient de prendre en compte la question de savoir si le
but du traitement était d’humilier ou de rabaisser la victime, l’absence d’un
tel but ne saurait exclure de façon définitive le constat de violation de l’article
3 (voir, parmi d’autres, Peers c. Grèce, no 28524/95, §
74, CEDH 2001‑III).
57. La Cour
estime que la continuation du séjour du requérant au pénitencier de Parme dans les circonstances mentionnées plus
haut n’a pu que le placer dans une situation susceptible de susciter, chez lui,
des sentiments constants d’angoisse suffisamment forts pour constituer un
« traitement inhumain ou dégradant », au sens de l’article 3 de la
Convention. De surcroît, bien que la Cour soit appelée dans le cadre de la
présente requête à se prononcer exclusivement sur la détention du requérant à
Parme, elle ne saurait ignorer le fait que le requérant avait déjà été détenu
dans des conditions jugées incompatibles avec la Convention. Cette circonstance
n’a pu qu’aggraver ultérieurement le sentiment d’angoisse éprouvé par le
requérant.
58. Compte tenu
des éléments ci-dessus, la Cour estime que l’exception du Gouvernement tirée du
défaut de la qualité de victime du requérant doit être rejetée et conclut qu’il
y a eu violation de l’article 3 de la Convention en raison du traitement
inhumain et dégradant subi par le requérant.
II. SUR L’APPLICATION
DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
59. Aux
termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la
Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement
les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
60. Il réclame 9 333
euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi du fait d’avoir été
détenu dans des mauvaises conditions de détention à la prison de Parme.
61. Le
Gouvernement s’y oppose.
62. La Cour
considère le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle
décide d’octroyer au requérant la somme réclamée à ce titre.
B. Frais et dépens
63. Justificatif
à l’appui, le requérant demande également 9 988 EUR pour l’ensemble
des frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.
64. Le
Gouvernement n’a pas présenté d’observations sur ce point.
65. Selon la
jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses
frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur
nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu
des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime
raisonnable la somme de 6 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au
requérant.
C. Intérêts moratoires
66. La Cour
juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt
de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de
trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Joint au fond l’exception
préliminaire du Gouvernement concernant le défaut de la qualité de victime du
requérant et la rejette ;
2. Déclare la requête
recevable ;
3. Dit qu’il y a eu
violation de l’article 3 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois
mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2
de la Convention, les sommes suivantes :
i) 9 333 EUR (neuf
mille trois cent trente-trois euros), plus tout montant pouvant être dû à titre
d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 6 000 EUR (six mille
euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant,
pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au
versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à
celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne
applicable pendant cette période, augmenté de trois points de
pourcentage ;
5. Rejette la demande
de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 juillet 2012, en
application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley
Naismith
Françoise
Tulkens
Greffier
Présidente