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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Seconda Sezione)

 

 

17 luglio 2012

 

 

 

 

AFFAIRE SCOPPOLA c. ITALIE (N° 4)

 

(RequĂȘte n. 65050/09)

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

STRASBOURG

 

 

 

Cet arrĂȘt deviendra dĂ©finitif dans les conditions dĂ©finies Ă  l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


 

En l’affaire Scoppola c. Italie (no 4),

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (deuxiĂšme section), siĂ©geant en une chambre composĂ©e de :

          Françoise Tulkens, présidente,
          Dragoljub Popović,
          Isabelle Berro-LefÚvre,
          Andrås Sajó,
          Guido Raimondi,
          Paulo Pinto de Albuquerque,
          Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 juin 2012,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requĂȘte (no 65050/09) dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Franco Scoppola (« le requĂ©rant Â»), a saisi la Cour le 10 dĂ©cembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Le requĂ©rant est reprĂ©sentĂ© par Me N. Paoletti, avocat Ă  Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement Â») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agent, Me E. Spatafora.

3.  Le requĂ©rant allĂšgue que sa dĂ©tention dans le pĂ©nitencier de Parme a Ă©tĂ© incompatible avec son Ă©tat de santĂ©.

4.  Le 20 septembre 2010, la requĂȘte a Ă©tĂ© communiquĂ©e au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que la chambre se prononcerait en mĂȘme temps sur la recevabilitĂ© et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requĂ©rant est nĂ© en 1940. ÂgĂ© de soixante-douze ans, il souffre de pathologies cardiaques et du mĂ©tabolisme, de diabĂšte, d’un affaiblissement de sa masse musculaire aggravĂ©e par une fracture du fĂ©mur subie en 2006, d’hypertrophie de la prostate et de dĂ©pression. Il se dĂ©place en fauteuil roulant depuis 1987.

6.  En septembre 1999, Ă  l’issue d’une dispute avec ses enfants, le requĂ©rant tua sa femme et blessa l’un de ses enfants. En janvier 2002, il fut condamnĂ© Ă  la rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© par la cour d’assises d’appel de Rome et placĂ© en dĂ©tention dans la prison de Regina CƓli Ă  Rome.

7.  Pendant sa dĂ©tention, le requĂ©rant fut hospitalisĂ© Ă  plusieurs reprises en raison de son Ă©tat de santĂ©, jugĂ© incompatible avec la dĂ©tention par les autoritĂ©s nationales compĂ©tentes. Par une ordonnance du 16 juin 2006, le tribunal d’application des peines de Rome accorda au requĂ©rant la dĂ©tention Ă  domicile afin qu’il puisse recevoir les soins adĂ©quats. Faute de trouver un domicile adaptĂ©, ladite ordonnance fut rĂ©voquĂ©e le 8 septembre 2006 et, le 23 septembre 2007, le requĂ©rant fut transfĂ©rĂ© au pĂ©nitentiaire de Parme qui disposait, selon la direction gĂ©nĂ©rale pour les dĂ©tenus du ministĂšre de la Justice, de structures adaptĂ©es aux exigences des personnes handicapĂ©es.

8.  Les conditions de dĂ©tention du requĂ©rant ont fait l’objet de la requĂȘte no 50550/06 (Scoppola c. Italie, no 50550/06, 10 juin 2008), dans laquelle la Cour conclut qu’il y avait eu violation de l’article 3 de la Convention en raison du maintien en dĂ©tention du requĂ©rant dans le pĂ©nitentiaire de Regina CƓli malgrĂ© son Ă©tat de santĂ©. Dans son arrĂȘt, la Cour releva notamment que :

« 49.  La Cour ne saurait ignorer les efforts dĂ©ployĂ©s par les autoritĂ©s internes, qui ont placĂ© le requĂ©rant dans un pĂ©nitencier disposant d’un centre clinique et de moyens pour Ă©liminer les obstacles architecturaux, Ă  savoir celui de Parme. Par ailleurs, Ă  la prison de Rome-Regina Coeli le requĂ©rant a Ă©tĂ© soumis Ă  des nombreux examens mĂ©dicaux, visant Ă  traiter ses pathologies du mĂ©tabolisme, et a bĂ©nĂ©ficiĂ© de sĂ©ances de kinĂ©sithĂ©rapie. Cependant, l’absence, dans le chef des autoritĂ©s nationales, d’une volontĂ© d’humilier ou de rabaisser l’intĂ©ressĂ© n’exclut pas dĂ©finitivement un constat de violation de l’article 3 ; cette disposition peut aussi bien ĂȘtre enfreinte par une inaction ou un manque de diligence de la part des autoritĂ©s publiques.

50.  En l’espĂšce, l’exigence, soulignĂ©e par le tribunal d’application des peines de Rome, de placer le requĂ©rant en dehors du milieu carcĂ©ral est restĂ©e lettre morte pour des raisons qui ne sauraient ĂȘtre imputĂ©es Ă  l’intĂ©ressĂ©. Aux yeux de la Cour, dans des circonstances telles que celles de la prĂ©sente affaire, une fois Ă©tabli que la tentative de placer le requĂ©rant en dĂ©tention Ă  domicile ne pouvait aboutir, il appartenait aux autoritĂ©s de s’activer pour satisfaire Ă  l’obligation qui est la leur d’assurer des conditions de privation de libertĂ© conformes Ă  la dignitĂ© humaine. En particulier, le requĂ©rant ne pouvant pas ĂȘtre soignĂ© Ă  son domicile et aucune structure d’accueil idoine n’étant disposĂ©e Ă  le prendre en charge, l’État aurait dĂ» soit transfĂ©rer sans dĂ©lai l’intĂ©ressĂ© dans une prison mieux Ă©quipĂ©e afin d’exclure tout risque de traitements inhumains, soit suspendre l’exĂ©cution d’une peine qui s’analysait dĂ©sormais en traitement contraire Ă  l’article 3 de la Convention. Cependant, dans sa dĂ©cision rĂ©voquant la mesure de dĂ©tention Ă  domicile du requĂ©rant, le tribunal d’application des peines de Rome n’a pas pris en considĂ©ration cette derniĂšre possibilitĂ© qui, selon les dispositions internes pertinentes, aurait pu ĂȘtre examinĂ©e mĂȘme d’office.

51.  En consĂ©quence de ce qui prĂ©cĂšde, le requĂ©rant a continuĂ© Ă  ĂȘtre dĂ©tenu dans le pĂ©nitencier de Rome. Ce n’est que le 23 septembre 2007, soit plus d’un an aprĂšs la date Ă  laquelle le tribunal d’application des peines avait constatĂ© l’impossibilitĂ© de dĂ©tenir le requĂ©rant Ă  domicile, que ce dernier a Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© dans une autre prison, celle de Parme, dotĂ©e de structures qui, selon le ministĂšre de la Justice, peuvent faire face aux difficultĂ©s de mobilitĂ© du condamnĂ©. La Cour estime de ne pas disposer, Ă  prĂ©sent, d’élĂ©ments suffisants pour se prononcer sur la qualitĂ© de ces structures ou, plus en gĂ©nĂ©ral, sur les conditions de la dĂ©tention du requĂ©rant Ă  Parme. Elle se borne Ă  observer que la continuation de son sĂ©jour au pĂ©nitencier de Regina Coeli dans les circonstances mentionnĂ©es plus haut n’a pu que le placer dans une situation susceptible de susciter, chez lui, des sentiments constants d’angoisse, d’infĂ©rioritĂ© et d’humiliation suffisamment forts pour constituer un « traitement inhumain ou dĂ©gradant Â», au sens de l’article 3 de la Convention. Les explications donnĂ©es par le Gouvernement pour justifier le retard dans le transfert au pĂ©nitencier de Parme – Ă  savoir, qu’il n’était pas opportun d’interrompre les thĂ©rapies en cours Ă  la prison de Regina Coeli –, ne sauraient justifier le maintien d’un dĂ©tenu dans des conditions portant atteinte Ă  sa dignitĂ© humaine. Â»

9.  La prĂ©sente requĂȘte concerne les conditions de dĂ©tention du requĂ©rant postĂ©rieures Ă  son transfĂšrement Ă  la prison de Parme, qui eut lieu le 23 septembre 2007.

10.  A une date qui n’a pas Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©e, le requĂ©rant prĂ©senta devant le tribunal d’application des peines (TAP) de Bologne une demande visant la suspension de l’exĂ©cution de sa peine ou, Ă  dĂ©faut, le placement Ă  domicile, pour raisons de santĂ©. Il affirmait que son Ă©tat de santĂ© s’était ultĂ©rieurement dĂ©gradĂ© dans la prison de Parme, oĂč il Ă©tait contraint de passer ses journĂ©es au lit.

11.  A l’audience du 4 aoĂ»t 2009, le tribunal Ă©mit une ordonnance provisoire. S’appuyant notamment sur un rapport mĂ©dical Ă©tabli par les mĂ©decins de la prison de Parme, selon lequel le requĂ©rant souffrait de graves pathologie dĂ©gĂ©nĂ©ratives, le tribunal soutint que le transfĂšrement du requĂ©rant dans un centre mĂ©dical externe Ă©tait extrĂȘmement urgent et sollicita le Service Sanitaire Nationale, ainsi que toutes les autoritĂ©s compĂ©tentes, Ă  trouver une solution adaptĂ©e Ă  l’état du requĂ©rant.

12.  Par la suite, le TAP reporta l’affaire Ă  trois reprises, les 24 septembre, 17 novembre, et 3 dĂ©cembre 2009, sollicitant les autoritĂ©s sanitaires de donner suite Ă  son ordonnance provisoire du 4 aoĂ»t et de trouver un centre mĂ©dical spĂ©cialisĂ© au sein duquel placer le requĂ©rant.

13.  Le 11 dĂ©cembre 2009, Ă  la demande de l’intĂ©ressĂ©, la prĂ©sidente de la deuxiĂšme section dĂ©cida d’indiquer au gouvernement italien, en application de l’article 39 du rĂšglement de la Cour, qu’il Ă©tait souhaitable, dans l’intĂ©rĂȘt des parties et du bon dĂ©roulement de la procĂ©dure devant la Cour, de transfĂ©rer d’urgence le requĂ©rant dans une structure adĂ©quate Ă  son Ă©tat de santĂ©, afin d’exclure tout risque de traitements inhumains et dĂ©gradants.

14.  Le 24 dĂ©cembre 2009, le magistrat de l’application des peines, relevant que les conditions du requĂ©rant ne permettaient pas d’attendre ultĂ©rieurement l’issue de la procĂ©dure devant le TAP, dont l’audience avaient Ă©tĂ© fixĂ©e au 7 janvier 2010, ordonna que l’intĂ©ressĂ© fut placĂ© dans l’hĂŽpital civil de Parme en attendant que le Service Sanitaire trouve un lieu d’accueil disponible rĂ©pondant aux critĂšres fixĂ©s dans l’ordonnance du 4 aoĂ»t 2009.

15.  Le mĂȘme jour, M. Scoppola refusa d’ĂȘtre hospitalisĂ© dans l’hĂŽpital civil de Parme, allĂ©guant que cette structure n’était pas adaptĂ©e Ă  son Ă©tat de santĂ©.

16.  Par une ordonnance du 7 janvier 2010, le tribunal d’application des peines, faisant application de l’article 147 § 1 du code pĂ©nal, ordonna la suspension de l’exĂ©cution de la peine du requĂ©rant pour une pĂ©riode d’un an et son placement Ă  domicile dans une structure spĂ©cialisĂ©e. Le tribunal constata que, malgrĂ© les nombreuses sollicitations adressĂ©e aux autoritĂ©s sanitaires compĂ©tentes, celles-ci n’avaient pas encore trouvĂ© de centre mĂ©dical spĂ©cialisĂ© adaptĂ© aux exigences du requĂ©rant. Or, les conditions de l’intĂ©ressĂ© ne permettaient guĂšre un renvoi ultĂ©rieur de la procĂ©dure. Se basant notamment sur un rapport mĂ©dical Ă©tabli le 3 novembre 2009 par le service sanitaire de la prison de Parme, le tribunal affirma que le requĂ©rant nĂ©cessitait un suivi intensif de kinĂ©sithĂ©rapie dans un centre spĂ©cialisĂ© extĂ©rieur au milieu pĂ©nitentiaire, dans le but d’essayer de rĂ©habiliter un Ă©tat de santĂ© particuliĂšrement compromis.

17.  Le 8 janvier 2010, le procureur de la RĂ©publique de Rome ordonna la mise en libertĂ© du requĂ©rant jusqu’au 9 janvier 2011.

18.  Ce mĂȘme jour, le requĂ©rant fut libĂ©rĂ© et transportĂ© aux urgences de l’hĂŽpital civil de Parme. AprĂšs avoir Ă©tĂ© visitĂ©, il fut transportĂ© Ă  la « Casa di Cura Valparma Â», un centre de soin conventionnĂ© par la sĂ©curitĂ© sociale, oĂč, le 19 fĂ©vrier 2010, il fut examinĂ© par un mĂ©decin orthopĂ©diste. Dans son rapport, le mĂ©decin Ă©tablit que l’état de santĂ© du requĂ©rant ne permettait pas d’envisager une opĂ©ration chirurgicale et soutint qu’un renforcement musculaire intensif des membres infĂ©rieurs s’imposait, dans le but d’amĂ©liorer la position assise dans la chaise roulante. L’expert recommanda l’hospitalisation du requĂ©rant dans un centre mĂ©dical spĂ©cialisĂ© pendant huit mois au moins dans le but d’obtenir un rĂ©sultat durable.

19.  Entre-temps, le 20 janvier 2010, la prĂ©sidente de la deuxiĂšme section rĂ©examina la requĂȘte Ă  la lumiĂšre des dĂ©veloppements de la procĂ©dure interne et dĂ©cida de lever la mesure provisoire qu’elle avait indiquĂ©e le 11 dĂ©cembre 2009.

20.  Le 8 avril 2010, le requĂ©rant fut transfĂ©rĂ© Ă  l’hĂŽpital civil « San Secondo Â», Ă  Fidenza.

21.  Le 13 janvier 2011, le TAP de Bologne prorogea le placement Ă  domicile du requĂ©rant, pour une pĂ©riode d’un an, prĂšs de l’hĂŽpital civil « San Secondo Â».

Le 22 dĂ©cembre 2011, le TAP rĂ©itĂ©ra l’application de la mesure de la dĂ©tention domiciliaire pour une pĂ©riode ultĂ©rieure d’un an, affirmant qu’il y avait lieu de confirmer l’incompatibilitĂ© entre l’état de santĂ© du requĂ©rant et la dĂ©tention carcĂ©rale.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

22.  La suspension de l’exĂ©cution de la peine est prĂ©vue par l’article 147 Â§ 1 alinĂ©a 2 du code pĂ©nal, aux termes duquel

« L’exĂ©cution d’une peine peut ĂȘtre suspendue : (...)

2) si une peine privative de libertĂ© doit ĂȘtre exĂ©cutĂ©e Ă  l’encontre d’une personne se trouvant en condition d’infirmitĂ© physique grave (...). Â»

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

23.  Le requĂ©rant allĂšgue que son maintien en dĂ©tention Ă  la prison de Parme a constituĂ© un traitement inhumain et dĂ©gradant contraire Ă  l’article 3 de la Convention, ainsi libellĂ© :

« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă  la torture ni Ă  des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. Â»

24.  Le Gouvernement s’oppose Ă  cette thĂšse.

A.  Sur la recevabilitĂ©

25.  Le Gouvernement affirme tout d’abord que la Cour devrait s’abstenir de dĂ©cider la prĂ©sente requĂȘte. Il considĂšre que dans l’arrĂȘt rendu dans le cadre de l’affaire no 50550/06 (Scoppola c. Italie, prĂ©citĂ©, du 10 juin 2008), la Cour avait renoncĂ© Ă  examiner les conditions de dĂ©tention du requĂ©rant Ă  la prison de Parme. Par consĂ©quent, dans la mesure oĂč la Cour pourrait parvenir Ă  une solution conduisant Ă  une contradiction avec sa dĂ©cision antĂ©rieure, elle devrait Ă©viter de se prononcer dans la prĂ©sente requĂȘte et considĂ©rer l’opportunitĂ© de se dessaisir en faveur de la Grande Chambre.

26.  En deuxiĂšme lieu, le Gouvernement soutient que le requĂ©rant n’a plus la qualitĂ© de victime requise par la Convention. Il estime que les dĂ©marches accomplies par les autoritĂ©s nationales aprĂšs l’introduction de la requĂȘte devant la Cour ont permis de parvenir Ă  une solution satisfaisante pour le requĂ©rant, dĂšs lors que rien ne justifie la poursuite de l’examen de l’affaire.

27.  Le requĂ©rant n’a pas prĂ©sentĂ© d’observations sur ces questions.

28.  S’agissant de la premiĂšre exception soulevĂ©e par le Gouvernement, dans la mesure oĂč elle mettrait en cause la compĂ©tence de la Cour Ă  examiner la prĂ©sente affaire, celle-ci rappelle tout d’abord qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 32, « (e)n cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compĂ©tente, la Cour dĂ©cide Â» (Emre c. Suisse (n2), no 5056/10, § 39, 11 octobre 2011).

Par ailleurs, la Cour observe qu’aucune rĂ©solution, mĂȘme intermĂ©diaire, n’a Ă©tĂ© adoptĂ©e par le ComitĂ© des Ministres dans le cadre de l’exĂ©cution dans l’affaire no 50550/06. Elle rappelle avoir dĂ©jĂ  dit par le passĂ© qu’elle n’empiĂšte pas sur les compĂ©tences que le ComitĂ© des Ministres tire de l’article 46 lorsqu’elle connaĂźt de faits nouveaux dans le cadre d’une nouvelle requĂȘte (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (n2) [GC], no 32772/02, §§ 66 et suiv, CEDH 2009 ; Emre c. Suisse, prĂ©citĂ©, § 39).

29.  En l’espĂšce, afin de dĂ©terminer si l’on est en prĂ©sence d’une nouvelle requĂȘte qui se distingue essentiellement, au sens de la jurisprudence prĂ©citĂ©e, de la premiĂšre, il importe de souligner que l’arrĂȘt de la Cour du 10 juin 2008 concernait les conditions de dĂ©tention du requĂ©rant Ă  la prison de Regina CƓli Ă  Rome, Ă  la lumiĂšre des informations qui lui Ă©taient disponibles au moment de la dĂ©cision et sur la base des allĂ©gations soulevĂ©es par le requĂ©rant. Dans son arrĂȘt de 2008, la Cour releva « ne pas disposer, [Ă  l’époque], d’élĂ©ments suffisants pour se prononcer (...), sur les conditions de la dĂ©tention du requĂ©rant Ă  Parme Â» (voir paragraphe 51 de l’arrĂȘt du 10 juin 2008). Cette constatation ne saurait ĂȘtre assimilĂ©e, comme l’affirme le Gouvernement, Ă  une renonciation de la Cour Ă  examiner la suite de la dĂ©tention du requĂ©rant.

30.  A la suite de cet arrĂȘt, le requĂ©rant saisit le tribunal d’application des peines de Bologne, compĂ©tent ratione loci, afin de se plaindre de sa dĂ©tention Ă  la prison de Parme, oĂč il affirmait que son Ă©tat s’était ultĂ©rieurement dĂ©gradĂ© faute d’un suivi appropriĂ© Ă  ses pathologies. Dans le cadre de cette nouvelle procĂ©dure, le tribunal se prononça Ă  plusieurs reprises et accueillit le recours du requĂ©rant s’appuyant sur les rapports mĂ©dicaux Ă©tablis par les mĂ©decins de la prison en question.

31.  Les considĂ©rations qui prĂ©cĂšdent permettent Ă  la Cour de conclure que les faits objet de la prĂ©sente requĂȘte constituent des faits nouveaux susceptibles de donner lieu Ă  une nouvelle atteinte de l’article 3, pour l’examen de laquelle la Cour est compĂ©tente. Il s’ensuit que la premiĂšre exception du Gouvernement ne saurait ĂȘtre retenue.

32.  S’agissant de l’exception concernant le dĂ©faut de la qualitĂ© de victime du requĂ©rant, la Cour estime que la question soulevĂ©e est Ă©troitement liĂ©e Ă  celles qu’elle devra aborder lors de l’examen du bien-fondĂ© de la requĂȘte. Il convient dĂšs lors de joindre cette question Ă  l’examen du fond.

33.  La Cour constate que la requĂȘte n’est pas manifestement mal fondĂ©e au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relĂšve par ailleurs qu’elle ne se heurte Ă  aucun autre motif d’irrecevabilitĂ©. Il convient donc de la dĂ©clarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Arguments des parties

34.  Le requĂ©rant soutient que le caractĂšre inhumain et dĂ©gradant de sa dĂ©tention dans la prison de Parme a Ă©tĂ© constatĂ© par les juges de l’application des peine de Bologne. Par les ordonnances des 4 aoĂ»t, 24 septembre, 17 novembre, 3 dĂ©cembre, 24 dĂ©cembre 2009 et 7 janvier 2010, les magistrats d’application des peines n’ont pas cessĂ© d’affirmer l’incompatibilitĂ© de son Ă©tat de santĂ© avec la dĂ©tention dans un Ă©tablissement pĂ©nitentiaire et de recommander son placement dans une structure extĂ©rieure au milieu carcĂ©ral.

35.  Par ailleurs, les juridictions nationales Ă©taient dĂ©jĂ  parvenues Ă  cette conclusion quelques annĂ©es auparavant, lorsque, le 21 juin 2006, le TAP de Rome avait ordonnĂ© son placement Ă  domicile en raison de son Ă©tat de santĂ©, jugĂ© incompatible avec la dĂ©tention en milieu pĂ©nitentiaire. Cette circonstance, examinĂ©e par la Cour dans le cadre de la requĂȘte n50550/06, ne fait que rendre encore plus lourd le bilan de sa dĂ©tention.

Or, en dĂ©pit de ces multiples rappels des autoritĂ©s judiciaires, rĂ©itĂ©rĂ©s au fil des annĂ©es, il n’a pu quitter le milieu pĂ©nitentiaire que le 7 janvier 2010.

36.  Le requĂ©rant affirme avoir Ă©tĂ© obligĂ© de passer toutes ses journĂ©es au lit, incapable d’accomplir le moindre geste et de gĂ©rer ses exigences physiologiques de façon autonome. Son Ă©tat de santĂ©, nĂ©cessitant une assistance mĂ©dicale spĂ©cialisĂ©e continue, n’est compatible avec la dĂ©tention en aucun Ă©tablissement pĂ©nitentiaire, y compris celui de Parme.

En outre, le requĂ©rant affirme avoir refusĂ© l’hospitalisation dans l’hĂŽpital civil de cette mĂȘme ville, le 24 dĂ©cembre 2009, puisque les services fournis par un hĂŽpital civil ordinaire ne sont pas non plus en mesure de prendre en charge une situation telle que la sienne. De plus, cette hospitalisation avait Ă©tĂ© envisagĂ©e par le magistrat de l’application des peines seulement comme une mesure temporaire, afin de pallier Ă  l’inertie de l’administration.

37.  Le requĂ©rant considĂšre que la seule raison ayant empĂȘchĂ© son prompt transfĂšrement dans une structure adĂ©quate est la lenteur de l’administration, aucune responsabilitĂ© ne pouvant ĂȘtre imputĂ© Ă  son propre comportement.

38.  En conclusion, le requĂ©rant estime avoir Ă©tĂ© victime d’un traitement contraire Ă  l’article 3 de la Convention.

39.  Le Gouvernement fait valoir tout d’abord que l’état de santĂ© du requĂ©rant ne lui a pas empĂȘchĂ©, en 1999, alors qu’il Ă©tait dĂ©jĂ  ĂągĂ© de soixante ans, de commettre des dĂ©lits extrĂȘmement graves et d’infliger de mauvais traitements aux membres de sa famille.

40.  Quoi qu’il en soit, il considĂšre que les autoritĂ©s compĂ©tentes ont mis en Ɠuvre toutes les mesures possibles et nĂ©cessaires pour garantir au requĂ©rant des conditions de vie compatibles avec l’article 3 de la Convention et pour lui prodiguer les soins dont il avait besoin. En effet, il fut d’abord transfĂ©rĂ© dans un Ă©tablissement pĂ©nitentiaire hautement spĂ©cialisĂ©, Ă  savoir la prison de Parme, puis obtint la suspension de l’exĂ©cution de sa peine.

41.  Le Gouvernement fait valoir que le pĂ©nitencier de Parme est la meilleure structure dans son genre existant en Italie, dotĂ©e d’un centre clinique en mesure d’administrer des soins spĂ©cialisĂ©s de haut niveau. Il affirme que de fortes sommes ont Ă©tĂ© dĂ©pensĂ©es pour faire fonctionner ce centre, qui accueille de nombreux dĂ©tenus souffrants de pathologies diverses.

42.  Concernant en particulier le traitement rĂ©servĂ© au requĂ©rant au cours du second semestre 2009, le Gouvernement soutient que celui-ci, placĂ© au sein de la section pour paraplĂ©giques, bĂ©nĂ©ficia de plusieurs visites mĂ©dicales spĂ©cialisĂ©es, ainsi que de sĂ©ances rĂ©guliĂšres de physiothĂ©rapies, et fut hospitalisĂ© deux fois dans le but d’effectuer des examens. En outre, un codĂ©tenu fut recrutĂ© par l’administration pĂ©nitentiaire pour aider le requĂ©rant dans l’exercice de ses activitĂ©s.

43.  Certes, dans un deuxiĂšme temps cette structure fut considĂ©rĂ©e comme n’étant pas complĂštement adaptĂ©e aux conditions du requĂ©rant, si bien que des soins prodiguĂ©s dans une structure extĂ©rieure auraient Ă©tĂ© probablement plus efficaces. Cependant, ce constat ne saurait impliquer que la dĂ©tention Ă  Parme a Ă©tĂ© contraire Ă  l’article 3 de la Convention et que le requĂ©rant a fait l’objet de traitements inhumains ou dĂ©gradants.

44.  En outre, le Gouvernement est d’avis que le comportement du requĂ©rant a sĂ©rieusement entravĂ© les efforts des autoritĂ©s de trouver une solution adĂ©quate. A ce propos, il attire l’attention de la Cour sur le refus opposĂ© par celui-ci, le 24 dĂ©cembre 2009, Ă  son hospitalisation dans l’hĂŽpital civil de Parme. Si ce refus n’explique pas entiĂšrement les difficultĂ©s rencontrĂ©es par les autoritĂ©s compĂ©tentes pour transfĂ©rer le requĂ©rant dans un centre mĂ©dical spĂ©cialisĂ©, il dĂ©montre nĂ©anmoins l’attitude nĂ©gative et peu collaborative de l’intĂ©ressĂ©.

45.  Ainsi, le Gouvernement fait valoir que le retard mis par les autoritĂ©s pour trouver un centre d’accueil pour le requĂ©rant a Ă©tĂ© dĂ» Ă  diffĂ©rents facteurs : la difficultĂ© de repĂ©rer un lieu oĂč le requĂ©rant puisse bĂ©nĂ©ficier de soins d’un niveau supĂ©rieur Ă  ceux prodiguĂ©s Ă  Parme ; la complexitĂ© des pathologies Ă  traiter ; l’absence de collaboration de l’intĂ©ressĂ©.

2.  ApprĂ©ciation de la Cour

(a)  Principes gĂ©nĂ©raux

46.  Pour qu’une peine et le traitement dont elle s’accompagne puissent ĂȘtre qualifiĂ©s d’« inhumains Â» ou de « dĂ©gradants Â», la souffrance ou l’humiliation doivent en tout cas aller au-delĂ  de celles que comporte inĂ©vitablement une forme donnĂ©e de traitement ou de peine lĂ©gitimes (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 68, 11 juillet 2006).

47.  S’agissant en particulier de personnes privĂ©es de libertĂ©, l’article 3 impose Ă  l’Etat l’obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est dĂ©tenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignitĂ© humaine, que les modalitĂ©s d’exĂ©cution de la mesure ne soumettent pas l’intĂ©ressĂ© Ă  une dĂ©tresse ou une Ă©preuve d’une intensitĂ© qui excĂšde le niveau inĂ©vitable de souffrance inhĂ©rent Ă  la dĂ©tention et que, eu Ă©gard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santĂ© et le bien-ĂȘtre du prisonnier sont assurĂ©s de maniĂšre adĂ©quate, notamment par l’administration des soins mĂ©dicaux requis (Kudła c. Pologne [GC], n30210/96, § 94, CEDH 2000-XI, et Riviere c. France, no 33834/03, Â§ 62, 11 juillet 2006). Ainsi, le manque de soins mĂ©dicaux appropriĂ©s, et, plus gĂ©nĂ©ralement, la dĂ©tention d’une personne malade dans des conditions inadĂ©quates, peut en principe constituer un traitement contraire Ă  l’article 3 (voir, par exemple, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII). Outre la santĂ© du prisonnier, c’est son bien-ĂȘtre qui doit ĂȘtre assurĂ© d’une maniĂšre adĂ©quate (Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002‑IX).

48.  Les conditions de dĂ©tention d’une personne malade doivent garantir la protection de sa santĂ©, eu Ă©gard aux contingences ordinaires et raisonnables de l’emprisonnement. Si l’on ne peut en dĂ©duire une obligation gĂ©nĂ©rale de remettre en libertĂ© ou bien de transfĂ©rer dans un hĂŽpital civil un dĂ©tenu, mĂȘme si ce dernier souffre d’une maladie particuliĂšrement difficile Ă  soigner (Mouisel, prĂ©citĂ©, § 40), l’article 3 de la Convention impose en tout cas Ă  l’État de protĂ©ger l’intĂ©gritĂ© physique des personnes privĂ©es de libertĂ©. La Cour ne saurait exclure que, dans des conditions particuliĂšrement graves, l’on puisse se trouver en prĂ©sence de situations oĂč une bonne administration de la justice pĂ©nale exige que des mesures de nature humanitaire soient prises pour y parer (Matencio c. France, no 58749/00, § 76,15 janvier 2004, et Sakkopoulos c. GrĂšce, no 61828/00, § 38, 15 janvier 2004).

49.  En appliquant les principes susmentionnĂ©s, la Cour a dĂ©jĂ  conclu que le maintien en dĂ©tention pour une pĂ©riode prolongĂ©e d’une personne d’un Ăąge avancĂ©, et de surcroĂźt malade, peut entrer dans le champ de protection de l’article 3 (Papon c. France (no 1) (dĂ©c.), no 64666/01, CEDH 2001-VI ; Sawoniuk c. Royaume-Uni (dĂ©c.), no 63716/00, CEDH 2001-VI, et Priebke c. Italie (dĂ©c.), no 48799/99, 5 avril 2001). De plus, la Cour a jugĂ© que maintenir en dĂ©tention une personne tĂ©traplĂ©gique, dans des conditions inadaptĂ©es Ă  son Ă©tat de santĂ©, Ă©tait constitutif d’un traitement dĂ©gradant (Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 30, CEDH 2001‑VII). Elle a aussi considĂ©rĂ© que certains traitements peuvent enfreindre l’article 3 du fait qu’ils sont infligĂ©s Ă  une personne souffrant de troubles mentaux (Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, §§ 111-115, CEDH 2001-III). Cela Ă©tant, la Cour doit tenir compte, notamment, de trois Ă©lĂ©ments afin d’examiner la compatibilitĂ© d’un Ă©tat de santĂ© prĂ©occupant avec le maintien en dĂ©tention du requĂ©rant, Ă  savoir : a) la condition du dĂ©tenu, b) la qualitĂ© des soins dispensĂ©s et c) l’opportunitĂ© de maintenir la dĂ©tention au vu de l’état de santĂ© du requĂ©rant (Sakkopoulos, prĂ©citĂ©, § 39).

(b)  Application de ces principes au cas d’espĂšce

50.  La Cour observe que la prison de Parme est dotĂ©e d’un centre clinique et d’une section pour handicapĂ©s, ce qui fait d’elle une structure pĂ©nitentiaire adaptĂ©e aux exigences des dĂ©tenus atteints de pathologies dĂ©gĂ©nĂ©ratives. Dans son arrĂȘt du 10 juin 2008, la Cour avait saluĂ© le choix des autoritĂ©s nationales de transfĂ©rer le requĂ©rant dans cet Ă©tablissement, compte tenu de l’impossibilitĂ© de le placer en dĂ©tention Ă  domicile (voir arrĂȘt Scoppola, prĂ©citĂ©, § 49).

51.  Cependant, force est de constater que cette structure s’est rapidement relevĂ©e inadaptĂ©e pour prendre en charge de façon adĂ©quate le requĂ©rant, dont l’état de santĂ© est particuliĂšrement grave. La Cour rappelle que le requĂ©rant, qui n’a plus marchĂ© depuis 1987 et a subi, en avril 2006, une fracture du fĂ©mur, ne peut se dĂ©placer qu’en fauteuil roulant. Il manque de toute autonomie et est contraint de passer toutes ses journĂ©es au lit. ÂgĂ© de 72 ans, il souffre de pathologies cardiaques et du mĂ©tabolisme, de diabĂšte, d’un affaiblissement de sa masse musculaire empĂȘchant la position assise, d’hypertrophie de la prostate et de dĂ©pression.

52.  Ainsi, l’incompatibilitĂ© de la dĂ©tention du requĂ©rant dans la prison de Parme avec son Ă©tat de santĂ© a Ă©tĂ© affirmĂ©e Ă  plusieurs reprises par les juges de l’application des peines, lesquels se sont appuyĂ©s sur les conclusions des mĂ©decins de la prison.

53.  Le 4 aoĂ»t 2009, le TAP de Bologne ordonna le placement du requĂ©rant dans un milieu extĂ©rieur Ă  la prison. Selon la Cour, c’est Ă  compter de cette date au moins que les autoritĂ©s compĂ©tentes auraient dĂ» tout mettre en Ɠuvre pour garantir au requĂ©rant le placement dans un environnement idoine garantissant un suivi mĂ©dical appropriĂ©. Or, malgrĂ© plusieurs sollicitations du tribunal (voir paragraphes 11-14 ci-dessus), et en dĂ©pit de l’indication d’une mesure provisoire de la part de la Cour (voir paragraphe 13 ci-dessus), celles-ci n’ont pas Ă©tĂ© en mesure de trouver un lieu d’accueil qui garantisse la santĂ© et le bien-ĂȘtre du requĂ©rant. Ce n’est que le 7 janvier 2010 que le requĂ©rant quitta le milieu pĂ©nitentiaire, le TAP ayant dĂ©cidĂ© en dernier ressort d’ordonner la suspension de l’exĂ©cution de la peine du requĂ©rant afin de permettre son placement Ă  domicile dans un environnement hospitalier spĂ©cialisĂ©.

54.  La Cour ne sous-estime pas les difficultĂ©s liĂ©es Ă  la prise en charge de dĂ©tenus atteints de pathologies telles que celles souffertes par le requĂ©rant. NĂ©anmoins, elle considĂšre que les raisons avancĂ©es par le Gouvernement pour justifier le maintien du requĂ©rant dans la prison de Parme dans des conditions portant atteinte Ă  sa dignitĂ© humaine pendant plusieurs mois en dĂ©pit des avis contraires des experts et des juges de l’application des peines, ne sauraient ni dispenser l’Italie de ses obligations face aux dĂ©tenus malades ni ĂȘtre imputĂ©es au comportement de l’intĂ©ressĂ©.

55.  A ce dernier Ă©gard, concernant notamment le refus du requĂ©rant d’ĂȘtre transfĂ©rĂ© a l’hĂŽpital civil de Parme, il est difficile pour la Cour de concevoir que ce refus ait Ă©tĂ© en mesure, en lui-mĂȘme, d’entraver les efforts des autoritĂ©s de trouver une structure adĂ©quate. Il suffit Ă  ce propos d’observer que ladite hospitalisation avait Ă©tĂ© envisagĂ©e par le TAP Ă  titre provisoire, dans l’attente que le service sanitaire national trouve une solution dĂ©finitive convenable, et dans le but de sortir d’une impasse installĂ©e depuis plusieurs mois.

56.  En l’espĂšce, rien ne prouve l’existence d’une intention d’humilier ou de rabaisser le requĂ©rant. Cependant, s’agissant de l’obligation positive de l’État de protĂ©ger la santĂ© des prisonniers de maniĂšre adĂ©quate, qui comporte Ă©galement une obligation de cĂ©lĂ©ritĂ©, l’intentionnalitĂ© du comportement reprochĂ© Ă  l’État dĂ©fendeur ne saurait constituer un Ă©lĂ©ment dĂ©cisif. Ainsi, s’il convient de prendre en compte la question de savoir si le but du traitement Ă©tait d’humilier ou de rabaisser la victime, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon dĂ©finitive le constat de violation de l’article 3 (voir, parmi d’autres, Peers c. GrĂšce, no 28524/95, § 74, CEDH 2001‑III).

57.  La Cour estime que la continuation du sĂ©jour du requĂ©rant au pĂ©nitencier de Parme dans les circonstances mentionnĂ©es plus haut n’a pu que le placer dans une situation susceptible de susciter, chez lui, des sentiments constants d’angoisse suffisamment forts pour constituer un « traitement inhumain ou dĂ©gradant Â», au sens de l’article 3 de la Convention. De surcroĂźt, bien que la Cour soit appelĂ©e dans le cadre de la prĂ©sente requĂȘte Ă  se prononcer exclusivement sur la dĂ©tention du requĂ©rant Ă  Parme, elle ne saurait ignorer le fait que le requĂ©rant avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dĂ©tenu dans des conditions jugĂ©es incompatibles avec la Convention. Cette circonstance n’a pu qu’aggraver ultĂ©rieurement le sentiment d’angoisse Ă©prouvĂ© par le requĂ©rant.

58.  Compte tenu des Ă©lĂ©ments ci-dessus, la Cour estime que l’exception du Gouvernement tirĂ©e du dĂ©faut de la qualitĂ© de victime du requĂ©rant doit ĂȘtre rejetĂ©e et conclut qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en raison du traitement inhumain et dĂ©gradant subi par le requĂ©rant.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

59.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s’il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

A.  Dommage

60.  Il rĂ©clame 9 333 euros (EUR) au titre du prĂ©judice moral qu’il aurait subi du fait d’avoir Ă©tĂ© dĂ©tenu dans des mauvaises conditions de dĂ©tention Ă  la prison de Parme.

61.  Le Gouvernement s’y oppose.

62.  La Cour considĂšre le requĂ©rant a subi un tort moral certain. Statuant en Ă©quitĂ©, elle dĂ©cide d’octroyer au requĂ©rant la somme rĂ©clamĂ©e Ă  ce titre.

B.  Frais et dĂ©pens

63.  Justificatif Ă  l’appui, le requĂ©rant demande Ă©galement 9 988 EUR pour l’ensemble des frais et dĂ©pens engagĂ©s devant les juridictions internes et devant la Cour.

64.  Le Gouvernement n’a pas prĂ©sentĂ© d’observations sur ce point.

65.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requĂ©rant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dĂ©pens que dans la mesure oĂč se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ© et le caractĂšre raisonnable de leur taux. En l’espĂšce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 6 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requĂ©rant.

C.  IntĂ©rĂȘts moratoires

66.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d’intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Joint au fond l’exception prĂ©liminaire du Gouvernement concernant le dĂ©faut de la qualitĂ© de victime du requĂ©rant et la rejette ;

 

2.  DĂ©clare la requĂȘte recevable ;

 

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

 

4.  Dit

a)  que l’État dĂ©fendeur doit verser au requĂ©rant, dans les trois mois Ă  compter du jour oĂč l’arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l’article 44 Â§ 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i)  9 333 EUR (neuf mille trois cent trente-trois euros), plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt, pour dommage moral ;

ii) 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt par le requĂ©rant, pour frais et dĂ©pens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit dĂ©lai et jusqu’au versement, ces montants seront Ă  majorer d’un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

 

5.  Rejette la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 17 juillet 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.

Stanley Naismith                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       Françoise Tulkens
        Greffier                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             Présidente