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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Seconda Sezione)

 

 

 

17 luglio 2012

 

 

 

 

AFFAIRE MATTHIAS c. ITALIE

 

(RequĂŞte n. 35174/03)

 

 

 

 

ARRĂŠT

(Satisfaction Ă©quitable)

 

 

STRASBOURG

 

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Matthias et autres c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (deuxième section), siĂ©geant une chambre composĂ©e de :

          Françoise Tulkens, présidente,
          Dragoljub Popović,
          Isabelle Berro-Lefèvre,
          András Sajó,
          Guido Raimondi,
          Paulo Pinto de Albuquerque,
          Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 juin 2012,

Rend l’arrĂŞt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requĂŞte (no 35174/03) dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et dont six ressortissants de cet État, M. Maurizio Matthias, Mme Germana Matthias, M. Fabrizio Matthias, Mme Maria Serena Buongiorno, Mme Maria Nelly Buongiorno et M. Renato De Cesare (« les requĂ©rants Â»), ont saisi la Cour le 28 octobre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des LibertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»). Le troisième requĂ©rant est dĂ©cĂ©dĂ© le 3 fĂ©vrier 2010. Par une lettre du 20 avril 2010, Lorenzo David Matthias a informĂ© le Greffe de ce qu’il avait hĂ©ritĂ© du troisième requĂ©rant et qu’il souhaitait se constituer dans la procĂ©dure devant la Cour.

2.  Par un arrĂŞt du 2 novembre 2006 (« l’arrĂŞt au principal Â»), la Cour a jugĂ© que la perte de toute disponibilitĂ© du terrain, combinĂ©e avec l’impossibilitĂ© de remĂ©dier Ă  la situation incriminĂ©e, avait engendrĂ© des consĂ©quences assez graves pour que les requĂ©rants aient subi une expropriation de fait, incompatible avec leur droit au respect de leurs biens (Matthias et autres c. Italie, no 35174/03, § 62, 2 novembre 2006).

3.  En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, les requĂ©rants rĂ©clamaient une satisfaction Ă©quitable de 2 302 435,24 EUR, ainsi que de 3 501 456,17 EUR pour la plus-value apportĂ©e au terrain par l’existence de l’ouvrage public, et des indemnitĂ©s d’occupation et de non-jouissance. Ils demandaient 120 000 EUR pour dommage moral et 52 939,50 EUR pour les frais de procĂ©dure.

4.  La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en Ă©tat, la Cour l’avait rĂ©servĂ©e et avait invitĂ© le Gouvernement et les requĂ©rants Ă  lui soumettre par Ă©crit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment Ă  lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, point 3 du dispositif).

5.  Le 9 mars 2007, le prĂ©sident de la chambre a dĂ©cidĂ© de demander aux parties de nommer chacune un expert chargĂ© d’évaluer le prĂ©judice matĂ©riel et de dĂ©poser un rapport d’expertise avant le 12 juin 2007.

6.  Lesdits rapports d’expertise ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s dans le dĂ©lai imparti.

7.  A la suite de la modification de la composition des sections de la Cour, la prĂ©sente requĂŞte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă  la deuxième section ainsi remaniĂ©e.

EN FAIT

8.  Les faits survenus après l’arrĂŞt au principal peuvent se rĂ©sumer comme suit.

9.  Par un arrĂŞt du 19 mai 2010, la Cour de cassation annula l’arrĂŞt de la cour d’appel Ă  la lumière de l’arrĂŞt de la Cour constitutionnelle italienne, qui avait dĂ©clarĂ© l’illĂ©gitimitĂ© constitutionnelle de l’article 5 bis du dĂ©cret-loi no 333 du 11 juillet 1992, tel que modifiĂ© par la loi no 662 de 1996. Elle renvoya l’affaire Ă  la cour d’appel afin d’évaluer le montant de l’indemnisation Ă  allouer aux requĂ©rants.

10.  Il ressort du dossier que la procĂ©dure est encore pendante devant la cour d’appel de Rome.

EN DROIT

11.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s’il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

A.  Dommage matĂ©riel

12.  Les requĂ©rants rĂ©clament 8 669 558,13 EUR plus intĂ©rĂŞts et rĂ©Ă©valuation Ă  la date du prononcĂ©. Ils rĂ©clament en outre 594 591,55 EUR somme correspondante Ă  la diffĂ©rence entre l’indemnitĂ© d’occupation qu’ils auraient obtenue sur la base de la valeur vĂ©nale du terrain au moment de l’expropriation et l’indemnitĂ© liquidĂ©e par les juridictions nationales.

13.  Le Gouvernement s’oppose aux prĂ©tentions des requĂ©rants et affirme que la somme due aux requĂ©rants ne doit pas dĂ©passer les 1 815 833 EUR. De plus, selon lui, si la Cour accordait une somme au titre d’une satisfaction Ă©quitable, les requĂ©rants pourraient ĂŞtre indemnisĂ©s deux fois Ă©tant donnĂ© que la procĂ©dure est encore pendante devant les juridictions internes.

14.  La Cour rĂ©pond d’emblĂ©e Ă  l’argument du Gouvernement. Elle considère improbable que les requĂ©rants reçoivent une double indemnisation, Ă©tant donnĂ© que les juridictions nationales, lorsqu’elles dĂ©cideront de la cause, vont inĂ©vitablement prendre en compte toute somme accordĂ©e aux intĂ©ressĂ©s par cette Cour (Serghides et Christoforou c. Chypre (satisfaction Ă©quitable), no 44730/98, § 29, 12 juin 2003). En outre, vu que la procĂ©dure nationale dure depuis vingt quatre ans il serait dĂ©raisonnable d’en attendre l’issue (Serrilli c. Italie (satisfaction Ă©quitable), no 77822/01, § 17, 17 juillet 2008 ; Mason et autres c. Italie (satisfaction Ă©quitable), no 43663/98, § 31, 24 juillet 2007).

15.  La Cour rappelle qu’un arrĂŞt constatant une violation entraĂ®ne pour l’État dĂ©fendeur l’obligation de mettre un terme Ă  la violation et d’en effacer les consĂ©quences de manière Ă  rĂ©tablir autant que faire se peut la situation antĂ©rieure Ă  celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction Ă©quitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

16.  Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction Ă©quitable) [GC], no 58858/00, 22 dĂ©cembre 2009), la Grande Chambre a modifiĂ© la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a dĂ©cidĂ© d’écarter les prĂ©tentions des requĂ©rantes dans la mesure oĂą elles sont fondĂ©es sur la valeur des terrains Ă  la date de l’arrĂŞt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour Ă©valuer le dommage matĂ©riel, du coĂ»t de construction des immeubles bâtis par l’Etat sur les terrains.

17.  Selon les nouveaux critères fixĂ©s par la Grande Chambre, l’indemnisation doit correspondre Ă  la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriĂ©tĂ©, telle qu’établie par l’expertise ordonnĂ©e par la juridiction compĂ©tente au cours de la procĂ©dure interne. Ensuite, une fois que l’on aura dĂ©duit la somme Ă©ventuellement octroyĂ©e au niveau national, ce montant doit ĂŞtre actualisĂ© pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intĂ©rĂŞts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est Ă©coulĂ© depuis la dĂ©possession des terrains. Ces intĂ©rĂŞts doivent correspondre Ă  l’intĂ©rĂŞt lĂ©gal simple appliquĂ© au capital progressivement rĂ©Ă©valuĂ©.

18.  En l’espèce, les requĂ©rants ont perdu la propriĂ©tĂ© du leur terrain en mars 1989. Il ressort de l’expertise effectuĂ©e au cours de la procĂ©dure nationale que la valeur du terrain Ă  cette date, Ă©tait de 2 572 020 000 ITL (1 328 337 EUR) (paragraphe 23 de l’arrĂŞt au principal).

19.  Compte tenu de ces Ă©lĂ©ments et statuant en Ă©quitĂ©, la Cour estime raisonnable d’accorder conjointement aux requĂ©rants 2 125 000 EUR pour la perte du terrain, plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» Ă  titre d’impĂ´t sur cette somme.

20.  La Cour estime en outre, que l’indemnitĂ© d’occupation adĂ©quate, en l’espèce, aurait dĂ» ĂŞtre calculĂ©e sur la base de la valeur marchande du bien au moment de la privation de celui-ci et non sur le montant de l’indemnitĂ© d’expropriation. Se rĂ©fĂ©rant aux critères exprimĂ©s dans l’arrĂŞt Luigi Serino c. Italie (no 3), (no 21978/02, § 47, 12 octobre 2010), la Cour estime raisonnable d’accorder aux requĂ©rants la somme de 346 000 EUR, plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» Ă  titre d’impĂ´t sur cette somme.

21.  Reste Ă  Ă©valuer la perte de chances subie Ă  la suite de l’expropriation litigieuse (Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction Ă©quitable) [GC] prĂ©citĂ©, § 107). La Cour juge qu’il y a lieu de prendre en considĂ©ration le prĂ©judice dĂ©coulant de l’indisponibilitĂ© du terrain pendant la pĂ©riode allant du dĂ©but de l’occupation lĂ©gitime (mars 1983) jusqu’au moment de la perte de propriĂ©tĂ© (mars 1989). Du montant ainsi calculĂ© sera dĂ©duit la somme dĂ©jĂ  obtenue par les requĂ©rants au niveau interne Ă  titre d’indemnitĂ© d’occupation. Statuant en Ă©quitĂ©, la Cour alloue conjointement aux requĂ©rants 174 000 EUR.

B.  Dommage moral

22.  Les requĂ©rants demandent 120 000 EUR au titre de prĂ©judice moral.

23.  Le Gouvernement fait valoir qu’un tel dommage dĂ©pend de la durĂ©e excessive de la procĂ©dure devant les juridictions nationales. Par consĂ©quent, il soutient que le versement d’une quelconque somme Ă  titre d’indemnisation du dommage moral est subordonnĂ© Ă  l’épuisement du remède Pinto. En tout Ă©tat de cause, il estime que la somme rĂ©clamĂ©e par les requĂ©rants est excessive.

24.  La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face Ă  la dĂ©possession illĂ©gale de leurs biens a causĂ© aux requĂ©rants un prĂ©judice moral important, qu’il y a lieu de rĂ©parer de manière adĂ©quate.

25.  Statuant en Ă©quitĂ©, la Cour accorde conjointement aux requĂ©rants 20 000 EUR pour le dommage moral.

C.  Frais et dĂ©pens

26.  Justificatifs Ă  l’appui, les requĂ©rants demandent 52 939,50 EUR pour les frais de procĂ©dure devant la Cour.

27.  Le Gouvernement s’y oppose.

28.  La Cour rappelle que l’allocation des frais et dĂ©pens au titre de l’article 41 prĂ©suppose que se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ© et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction Ă©quitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure oĂą ils se rapportent Ă  la violation constatĂ©e (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction Ă©quitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).

29.  La Cour ne doute pas de la nĂ©cessitĂ© d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiquĂ©s Ă  ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer un montant de 15 000 EUR pour l’ensemble des frais exposĂ©s.

D.  IntĂ©rĂŞts moratoires

30.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂŞts moratoires sur le taux d’intĂ©rĂŞt de la facilitĂ© de prĂŞt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit

a)  que l’Etat dĂ©fendeur doit verser aux requĂ©rants conjointement, dans les trois mois Ă  compter du jour oĂą l’arrĂŞt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l’article 44 Â§ 2 de la Convention, les sommes suivantes:

i.  2 645 000 EUR (deux millions six cent quarante cinq mille euros), plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» Ă  titre d’impĂ´t, pour dommage matĂ©riel ;

ii.  20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» Ă  titre d’impĂ´t, pour dommage moral ;

iii.  15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» Ă  titre d’impĂ´t aux requĂ©rants, pour frais et dĂ©pens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit dĂ©lai et jusqu’au versement, ces montants seront Ă  majorer d’un intĂ©rĂŞt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂŞt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

 

2.  Rejette la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 juillet 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

        Stanley Naismith                                                            Françoise Tulkens
               Greffier                                                                         Présidente