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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Grande Camera)

 

17 gennaio 2017

 

 

 

AFFAIRE HUTCHINSON c. ROYAUME-UNI

 

(RequĂȘte no 57592/08)

 

 

 

 

 

Cet arrĂȘt est dĂ©finitif. Il peut subir des retouches de forme.

 

 

En l’affaire Hutchinson c. Royaume-Uni,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme, siĂ©geant en une Grande Chambre composĂ©e de :

Andrås Sajó, président,

Işıl Karakaş,

Josep Casadevall,

Luis LĂłpez Guerra,

Mirjana Lazarova Trajkovska,

Angelika Nußberger,

PÀivi HirvelÀ,

Ganna Yudkivska

Paulo Pinto de Albuquerque,

Linos-Alexandre Sicilianos,

Erik MĂžse,

Helena JĂ€derblom

Paul Mahoney,

Faris Vehabović,

Ksenija Turković,

Branko Lubarda,

Yonko Grozev, juges,

et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 octobre 2015 et le 10 octobre 2016,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette derniĂšre date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requĂȘte (no 57592/08) dirigĂ©e contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont un ressortissant de cet État, M. Arthur Hutchinson (« le requĂ©rant »), a saisi la Cour le 10 novembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention »).

2. Le requĂ©rant, qui a Ă©tĂ© admis au bĂ©nĂ©fice de l’assistance judiciaire, a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par le cabinet Kyles Legal Practice, de North Shields. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agent, M. P. McKell, du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres et du Commonwealth.

3. Le requĂ©rant allĂ©guait en particulier que la peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle prononcĂ©e Ă  son Ă©gard Ă©tait incompatible avec l’article 3 de la Convention.

4. La requĂȘte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă  la quatriĂšme section de la Cour (article 52 § 1 du rĂšglement de la Cour – « le rĂšglement »). Le 10 juillet 2013, le grief tirĂ© de l’article 3 a Ă©tĂ© communiquĂ© au Gouvernement et la requĂȘte a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e irrecevable pour le surplus conformĂ©ment Ă  l’article 54 § 3 du rĂšglement. Par un arrĂȘt du 3 fĂ©vrier 2015, une chambre de la quatriĂšme section composĂ©e des juges Raimondi, Nicolaou, Bianku, Tsotsoria, Kalaydjieva, Mahoney et Wojtyczek, ainsi que de F. Aracı, greffiĂšre adjointe de section, a dĂ©clarĂ© recevable, Ă  la majoritĂ©, le grief tirĂ© de l’article 3 et a conclu, par six voix contre une, Ă  la non-violation de cette disposition. À l’arrĂȘt se trouvait joint l’exposĂ© de l’opinion dissidente de la juge Kalaydjieva.

5. Le 1er juin 2015, faisant droit Ă  la demande formĂ©e par le requĂ©rant le 5 mars 2015, le collĂšge de la Grande Chambre a dĂ©cidĂ© de renvoyer l’affaire devant celle-ci en vertu de l’article 43 de la Convention.

6. La composition de la Grande Chambre a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e conformĂ©ment aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du rĂšglement.

7. Tant le requĂ©rant que le Gouvernement ont dĂ©posĂ© des observations Ă©crites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du rĂšglement). Par ailleurs, des observations ont Ă©tĂ© reçues du European Prison Litigation Network (« EPLN »), que le prĂ©sident de la Grande Chambre avait autorisĂ© Ă  intervenir dans la procĂ©dure Ă©crite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du rĂšglement). Le Gouvernement y a rĂ©pondu oralement lors de l’audience (article 44 § 6 du rĂšglement).

8. Une audience s’est dĂ©roulĂ©e en public au Palais des droits de l’homme, Ă  Strasbourg, le 21 octobre 2015 (article 59 § 3 du rĂšglement).

 

Ont comparu :

– pour le Gouvernement

MM.P. MCKELL,agent,

J. WRIGHT, QC, Attorney General,

J. EADIE, QC,conseils ;

MmesA. FOULDS,

C. GASKELL,

M.J. GERARD,

MmeJ. EARL,conseillers ;

– pour le requĂ©rant

M.J. BENNATHAN, QC,

MmeK. THORNE,conseils,

M.J. TURNER, conseiller.

 

La Cour a entendu MM. Wright et Bennathan en leurs déclarations et en leurs réponses à des questions de juges.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9. Le requérant est né en 1941 et est actuellement détenu à la prison de Durham.

10. En octobre 1983, il s’introduisit au domicile d’une famille, tua Ă  coups de poignard le pĂšre de famille, son Ă©pouse et leur fils adulte, et viola Ă  plusieurs reprises leur fille de 18 ans aprĂšs l’avoir traĂźnĂ©e devant le corps de son pĂšre. Il fut arrĂȘtĂ© quelques semaines plus tard et accusĂ© de ces infractions. Au procĂšs, il plaida non coupable, niant les meurtres et affirmant que les rapports sexuels Ă©taient consentis. Le 14 septembre 1984, il fut reconnu coupable de trois chefs de meurtre, de viol et de vol aggravĂ©.

11. Le juge du fond condamna le requĂ©rant Ă  une peine d’emprisonnement Ă  perpĂ©tuitĂ© et, conformĂ©ment aux rĂšgles de fixation des peines qui Ă©taient alors en vigueur, recommanda au ministre de l’IntĂ©rieur d’appliquer une pĂ©riode punitive (tariff) de dix-huit ans. InvitĂ© le 12 janvier 1988 Ă  donner de nouveau son avis, le juge dĂ©clara par Ă©crit qu’« aux fins des impĂ©ratifs de rĂ©tribution et de dissuasion, il s’agi[ssai]t d’un cas oĂč la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle s’impos[ait] ». Le 15 janvier 1988, leLord Chief Justice recommanda que la durĂ©e de la pĂ©riode punitive fĂ»t fixĂ©e pour la vie entiĂšre du requĂ©rant et s’exprima ainsi : « Je ne pense pas que cet homme doive jamais ĂȘtre libĂ©rĂ©, indĂ©pendamment mĂȘme du risque qu’entraĂźnerait pareille mesure ». Le 16 dĂ©cembre 1994, le ministre informa le requĂ©rant qu’il avait dĂ©cidĂ© de lui infliger une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle.

12. À la suite de l’entrĂ©e en vigueur de la loi de 2003 sur la justice pĂ©nale (Criminal Justice Act 2003), le requĂ©rant saisit la High Court d’une demande de rĂ©examen de sa peine, arguant qu’il aurait fallu lui appliquer la pĂ©riode punitive de dix-huit ans recommandĂ©e Ă  son procĂšs. Le 16 mai 2008, la High Court rendit son arrĂȘt dans lequel elle concluait qu’il n’y avait aucune raison d’infirmer la dĂ©cision du ministre. Selon la haute juridiction, la gravitĂ© des infractions Ă©tait telle que la peine de rĂ©fĂ©rence ne pouvait ĂȘtre qu’une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle, et l’affaire prĂ©sentait en outre plusieurs facteurs aggravants trĂšs sĂ©rieux et aucune circonstance attĂ©nuante. Le 6 octobre 2008, la Cour d’appel dĂ©bouta le requĂ©rant.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

13. Le droit et la pratique internes pertinents relatifs Ă  la procĂ©dure de fixation d’une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle en vertu de la loi de 2003 sur la justice pĂ©nale sont exposĂ©s aux paragraphes 12-13 et 35-41 de l’arrĂȘt rendu par la Cour dans l’affaire Vinter et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH 2013 (extraits)). À l’audience tenue en l’espĂšce, le Gouvernement a indiquĂ© que cinquante-six dĂ©tenus purgeaient alors des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle et qu’aucun dĂ©tenu relevant de cette catĂ©gorie n’avait Ă©tĂ© libĂ©rĂ© depuis le prononcĂ© de l’arrĂȘt Vinter.

A. La loi de 1998 sur les droits de l’homme (Human Rights Act 1998)

14. La loi sur les droits de l’homme, en ses passages pertinents, se lit ainsi :

« Article 2 – InterprĂ©tation des droits reconnus par la Convention

1. Les cours et tribunaux appelés à statuer sur une question se rapportant à un droit reconnu par la Convention sont tenus de prendre en compte :

a) les arrĂȘts, dĂ©cisions, dĂ©clarations ou avis consultatifs de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme.

(...)

Article 3 – InterprĂ©tation de la lĂ©gislation

1. Dans toute la mesure du possible, la lĂ©gislation primaire et la lĂ©gislation dĂ©lĂ©guĂ©e doivent ĂȘtre interprĂ©tĂ©es et mises en Ɠuvre d’une maniĂšre compatible avec les droits reconnus par la Convention.

(...)

Article 6 – Actes d’autoritĂ©s publiques

1. Une autoritĂ© publique est dans l’illĂ©galitĂ© lorsqu’elle agit d’une maniĂšre incompatible avec un droit reconnu par la Convention.

2. Le paragraphe 1 du prĂ©sent article ne s’applique pas Ă  un acte

a) si, en raison d’une ou de plusieurs dispositions de la lĂ©gislation primaire, l’autoritĂ© n’aurait pu agir diffĂ©remment ;

b) ou si, compte tenu d’une ou de plusieurs dispositions de la lĂ©gislation primaire qui ne peuvent ĂȘtre interprĂ©tĂ©es ou mises en Ɠuvre d’une maniĂšre compatible avec les droits reconnus par la Convention, l’autoritĂ© a agi de maniĂšre Ă  donner effet ou application Ă  ces dispositions.

3. Aux fins du prĂ©sent article, l’expression « autoritĂ© publique » s’étend :

a) aux cours et tribunaux, et

b) Ă  toute personne dont certaines des fonctions sont publiques par nature,

mais ne s’étend ni au Parlement ni aux personnes exerçant des fonctions liĂ©es Ă  la procĂ©dure parlementaire.

(...)

Article 7 – ProcĂ©dure

1. Toute personne allĂ©guant qu’une autoritĂ© publique a agi (ou se propose d’agir) illĂ©galement au regard de l’article 6 § 1 peut

a) assigner cette autorité en vertu de la présente loi devant la cour ou le tribunal compétent(e), ou

b) invoquer le ou les droits conventionnels en cause dans toute procédure judiciaire,

sous rĂ©serve qu’elle soit victime rĂ©elle ou potentielle de l’acte illĂ©gal.

(...)

Article 8 – Recours juridictionnels

1. Si la juridiction compĂ©tente juge qu’une autoritĂ© publique a agi ou se proposait d’agir illĂ©galement, elle peut ordonner toute mesure de rĂ©paration ou de redressement ou rendre toute dĂ©cision qui lui semble juste et appropriĂ©e, dans la limite de ses compĂ©tences.

(...) »

B. La loi de 1997 sur les peines en matiĂšre criminelle (Crime (Sentences) Act 1997)

15. L’article 30 de cette loi, en ses passages pertinents, est ainsi libellĂ© :

« Le ministre peut, Ă  tout moment, mettre en libertĂ© conditionnelle un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  la rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© s’il est convaincu que des circonstances exceptionnelles justifient pareille mesure pour des motifs d’humanitĂ©. »

C. L’ordonnance no 4700 de l’administration pĂ©nitentiaire (Prison Service Order 4700)

16. La politique du ministre de la Justice relative Ă  l’exercice du pouvoir de libĂ©ration pour motifs d’humanitĂ© est Ă©noncĂ©e au chapitre 12 du manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e (« Lifer Manual »), Ă©dictĂ© par l’ordonnance no 4700 de l’administration pĂ©nitentiaire. Les critĂšres, qui remontent Ă  avril 2010, sont ainsi libellĂ©s :

« Le dĂ©tenu est atteint d’une maladie mortelle et risque de mourir Ă  trĂšs brĂšve Ă©chĂ©ance (cette notion n’est pas autrement dĂ©finie, mais une Ă©chĂ©ance de trois mois paraĂźt raisonnable pour la saisine de la section chargĂ©e de la protection publique – Public Protection Casework Section), il est grabataire ou souffre d’une invaliditĂ© (paralysie ou graves problĂšmes cardiaques, par exemple) ;

et

– le risque de rĂ©cidive (en particulier pour une infraction Ă  caractĂšre sexuel ou violent) est minime ;

et

– le maintien en dĂ©tention rĂ©duirait l’espĂ©rance de vie du dĂ©tenu ;

et

– des dispositions adĂ©quates ont Ă©tĂ© prises pour soigner et traiter le dĂ©tenu hors de la prison ;

et

– une libĂ©ration anticipĂ©e serait grandement dans l’intĂ©rĂȘt du dĂ©tenu ou de sa famille. »

D. La dĂ©cision de la Cour d’appel dans l’affaire R v. Newell ; R v. McLoughlin

17. Les recours formĂ©s dans ces affaires donnĂšrent lieu Ă  la constitution d’une formation spĂ©ciale de la Cour d’appel, comprenant le Lord Chief Justiced’Angleterre et du pays de Galles, le prĂ©sident de la Queen’s Bench Division, le vice-prĂ©sident de la chambre criminelle de la Cour d’appel, un autre juge de la Cour d’appel et un juge expĂ©rimentĂ© de la High Court. La Cour d’appel rendit sa dĂ©cision (« dĂ©cision McLoughlin ») le 18 fĂ©vrier 2014, Ă  la lumiĂšre de l’arrĂȘt rendu par la Cour dans l’affaire Vinter.

18. L’appelant, M. Newell, estimait contraire Ă  l’article 3 de la Convention la peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle qui lui avait Ă©tĂ© infligĂ©e pour un meurtre commis alors qu’il purgeait dĂ©jĂ  une peine de rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© pour un meurtre prĂ©cĂ©dent. Dans l’affaire McLoughlin, c’est l’Attorney General qui avait interjetĂ© appel en vertu de l’article 36 de la loi de 1986 sur la justice pĂ©nale (Criminal Justice Act 1986), soutenant que le juge de premiĂšre instance s’était trompĂ© en estimant que l’arrĂȘt dans l’affaire Vinter interdisait l’imposition d’une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle et en infligeant en lieu et place une peine de rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© assortie d’une pĂ©riode punitive de quarante ans pour un meurtre commis par un homme qui avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© condamnĂ© pour meurtre et homicide involontaire.

19. Dans sa dĂ©cision, la Cour d’appel retraça l’évolution des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle et du rĂ©examen de ce type de peines. Au paragraphe 7 de sa dĂ©cision, elle s’exprima ainsi (citations omises) :

i. Le 7 dĂ©cembre 1994, le ministre de l’IntĂ©rieur d’alors prĂ©senta comme suit sa politique relative aux dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle (...) :

« De plus, j’ai dĂ©cidĂ© que, s’agissant des dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  des peines perpĂ©tuelles pour lesquels il a Ă©tĂ© jugĂ© que les impĂ©ratifs de rĂ©tribution et de dissuasion ne peuvent ĂȘtre satisfaits que si les intĂ©ressĂ©s demeurent en prison pour le restant de leurs jours, il y aura Ă  l’avenir un rĂ©examen ministĂ©riel supplĂ©mentaire Ă  la vingt-cinquiĂšme annĂ©e d’emprisonnement. Ce rĂ©examen aura pour unique objet de dĂ©terminer s’il convient de substituer Ă  la pĂ©riode punitive Ă  perpĂ©tuitĂ© une pĂ©riode punitive de durĂ©e dĂ©terminĂ©e. Il se limitera Ă  des considĂ©rations de rĂ©tribution et de dissuasion. Le cas Ă©chĂ©ant, d’autres rĂ©examens ministĂ©riels auront normalement lieu par la suite tous les cinq ans. Les dĂ©tenus qui relĂšvent actuellement de cette catĂ©gorie et qui ont dĂ©jĂ  purgĂ© vingt-cinq ans d’emprisonnement ou plus ne seront pas dĂ©savantagĂ©s. Leurs cas seront examinĂ©s par les ministres dĂšs que possible, aprĂšs qu’ils auront formulĂ© les observations qu’ils souhaiteraient prĂ©senter. »

ii. Cette politique fut modifiĂ©e par un autre ministre de l’IntĂ©rieur le 10 novembre 1997 (Hansard (House of Commons Debates), 10 novembre 1997, vol. 300, colonnes. 419-420 : rĂ©ponse Ă©crite) :

« Quant Ă  l’éventualitĂ© d’une rĂ©duction de la pĂ©riode punitive, je suis disposĂ© Ă  accepter que, dans des cas exceptionnels, notamment lorsque le dĂ©tenu a accompli des progrĂšs exceptionnels en prison, un rĂ©examen et une rĂ©duction de la pĂ©riode punitive puissent passer pour appropriĂ©s. Je garderai cette possibilitĂ© Ă  l’esprit lorsque je rĂ©examinerai, au terme des vingt-cinq ans d’emprisonnement, les cas de dĂ©tenus purgeant une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle et, Ă  cet Ă©gard, je ne me limiterai pas aux seuls impĂ©ratifs de rĂ©tribution et de dissuasion Ă©voquĂ©s dans la rĂ©ponse Ă©crite du 7 dĂ©cembre 1994. »

iii. À l’occasion de la contestation par Myra Hindley de la pĂ©riode punitive Ă  perpĂ©tuitĂ© qui lui avait Ă©tĂ© infligĂ©e, le Lord Chief Justice Bingham, siĂ©geant au sein de la Divisional Court en l’affaire R v. Home Secretary ex parte Hindley (...) estima que si la politique restrictive fixĂ©e en 1994 Ă©tait illĂ©gitime, cela avait Ă©tĂ© corrigĂ© par la politique de 1997 qui permettait de tenir compte des progrĂšs exceptionnels accomplis par le dĂ©tenu en prison. Dans son recours devant la Chambre des lords, le reprĂ©sentant du ministre de l’IntĂ©rieur indiqua expressĂ©ment que celui-ci Ă©tait disposĂ© Ă  rĂ©examiner toutes les peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle mĂȘme en l’absence de circonstances exceptionnelles (...) Lord Steyn, entĂ©rinant la lĂ©gitimitĂ© de la politique du ministre de l’IntĂ©rieur fixĂ©e en 1997, nota la façon dont cette politique avait Ă©tĂ© clarifiĂ©e (...) :

« (...) le reprĂ©sentant du ministre a dĂ©clarĂ© que la politique consistant Ă  imposer une pĂ©riode punitive Ă  perpĂ©tuitĂ© ne fait qu’exprimer l’avis du ministre Ă  ce moment-lĂ , selon lequel il convient, eu Ă©gard aux impĂ©ratifs de rĂ©tribution et de dissuasion, de ne jamais libĂ©rer le dĂ©tenu concernĂ©. Un rĂ©examen n’est pas exclu pour autant. Le ministre Ă©tudie la possibilitĂ© de libĂ©rer le dĂ©tenu lorsque celui-ci a accompli des progrĂšs exceptionnels en prison ; et mĂȘme en l’absence de tels progrĂšs, le ministre est disposĂ© Ă  rĂ©examiner Ă  intervalles rĂ©guliers toute dĂ©cision d’infliger une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. »

La Cour d’appel rappela ensuite les critĂšres pertinents du manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e (paragraphe 16 ci-dessus), observant qu’ils Ă©taient « extrĂȘmement restrictifs » (paragraphe 11 de la dĂ©cision McLoughlin). Elle souleva la question de la compatibilitĂ© du systĂšme prĂ©vu par la loi avec l’article 3 de la Convention. Dans sa rĂ©ponse, elle formula les considĂ©rations suivantes :

« b) Le rĂ©gime prĂ©voyant la compressibilitĂ© des peines doit-il ĂȘtre en place au moment oĂč la peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle est prononcĂ©e ?

19. Il ressort Ă  l’évidence des observations de la Grande Chambre que, pour elle, le fait qu’un dĂ©tenu demeure en rĂ©alitĂ© en prison pour le restant de ses jours n’emporte pas violation de l’article 3. Il est par exemple des dĂ©linquants qui continuent d’ĂȘtre une menace pendant toute leur vie.

20. Cependant, la Grande Chambre a estimĂ© que la justification de la dĂ©tention pouvait Ă©voluer au cours de l’exĂ©cution de la peine ; elle a expliquĂ© qu’une sanction, bien que juste au dĂ©part, pouvait cesser de l’ĂȘtre aprĂšs l’écoulement de nombreuses annĂ©es. Elle a dit aux paragraphes 110 et 121 de son arrĂȘt que, pour demeurer compatible avec l’article 3, une peine perpĂ©tuelle devait offrir Ă  la fois une chance d’élargissement et une possibilitĂ© de rĂ©examen. Elle a ajoutĂ© ce qui suit au paragraphe 122 :

« Un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle a le droit de savoir, dĂšs le dĂ©but de sa peine, ce qu’il doit faire pour que sa libĂ©ration puisse ĂȘtre envisagĂ©e et ce que sont les conditions applicables. Il a le droit, notamment, de connaĂźtre le moment oĂč le rĂ©examen de sa peine aura lieu ou pourra ĂȘtre sollicitĂ©. DĂšs lors, dans le cas oĂč le droit national ne prĂ©voit aucun mĂ©canisme ni aucune possibilitĂ© de rĂ©examen des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle, l’incompatibilitĂ© avec l’article 3 en rĂ©sultant prend naissance dĂšs la date d’imposition de la peine perpĂ©tuelle et non Ă  un stade ultĂ©rieur de la dĂ©tention. »

21. La Grande Chambre a ensuite prĂ©cisĂ© que cette exigence diffĂ©rait de la tĂąche du juge consistant Ă  fixer la sentence, s’exprimant ainsi au paragraphe 124 :

« Or la nĂ©cessitĂ© de faire statuer par des juges indĂ©pendants sur l’opportunitĂ© d’ordonner la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle est tout Ă  fait distincte de celle de faire rĂ©examiner une telle peine Ă  un stade ultĂ©rieur afin de vĂ©rifier qu’elle demeure justifiĂ©e par des motifs lĂ©gitimes d’ordre pĂ©nologique. De plus, Ă©tant donnĂ© que le but dĂ©clarĂ© de cet amendement lĂ©gislatif Ă©tait d’exclure entiĂšrement l’exĂ©cutif du processus dĂ©cisionnel en matiĂšre de peines perpĂ©tuelles, il eĂ»t Ă©tĂ© plus logique, au lieu de le supprimer complĂštement, de prĂ©voir que le rĂ©examen au bout de vingt-cinq ans serait dĂ©sormais conduit dans un cadre entiĂšrement judiciaire plutĂŽt que, comme auparavant, par l’exĂ©cutif sous le contrĂŽle du juge. »

22. Ainsi, s’il est clair que la Grande Chambre a admis que l’imposition par un juge d’une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle pouvait constituer une juste sanction, elle a conclu qu’un systĂšme lĂ©gal permettant un rĂ©examen au cours de la peine doit ĂȘtre en place Ă  la date du prononcĂ© de celle-ci.

23. Tout en souscrivant Ă  la thĂšse dĂ©fendue au nom de l’Attorney General selon laquelle la Cour de Strasbourg n’a pas dit que l’application d’une pĂ©riode punitive Ă  perpĂ©tuitĂ© emportait en soi violation de l’article 3, nous souhaitons revenir briĂšvement sur les arguments qui ont Ă©tĂ© avancĂ©s Ă  cet Ă©gard. À notre avis, l’article 3 de la loi sur les droits de l’homme ne saurait donner lieu Ă  une interprĂ©tation restrictive de la lĂ©gislation dans le sens d’une interdiction de l’imposition de peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. En effet, l’article 269 § 4 prĂ©voit que si un tribunal est d’avis que la gravitĂ© de l’infraction, en elle-mĂȘme ou combinĂ©e avec d’autres Ă©lĂ©ments, lui interdit d’envisager une libĂ©ration anticipĂ©e du dĂ©tenu, il doit ordonner que ces dispositions ne s’appliquent pas. Cela Ă©tant, l’article 6 § 2 de la loi sur les droits de l’homme permet au tribunal, en tant qu’autoritĂ© publique, de s’exonĂ©rer de son obligation d’agir d’une maniĂšre compatible avec la Convention.

24. Le seul recours disponible devant les juridictions internes dans cette hypothĂšse serait une dĂ©claration d’incompatibilitĂ©, c’est-Ă -dire le recours discrĂ©tionnaire prĂ©vu par l’article 4 de la loi sur les droits de l’homme dans les cas oĂč une lĂ©gislation primaire est jugĂ©e incompatible avec la Convention. Pareil recours n’est pas disponible devant la Crown Court et n’empĂȘcherait pas, quoi qu’il en soit, le systĂšme prĂ©vu par la loi de continuer Ă  opĂ©rer.

c) L’article 30 prĂ©voit-il un rĂ©gime de compressibilitĂ© des peines rĂ©ellement conforme Ă  l’article 3 de la Convention ?

25. DĂšs lors, la question se pose de savoir si les dispositions de l’article 30 prĂ©voient un rĂ©gime compatible avec l’article 3, selon l’interprĂ©tation donnĂ©e par la Grande Chambre et l’hypothĂšse selon laquelle nous devons suivre cette interprĂ©tation lorsqu’il s’agit de nous acquitter de notre obligation en vertu de l’article 2 de la loi sur les droits de l’homme de prendre en compte la dĂ©cision de la Cour de Strasbourg.

26. Le Lord Chief Justice Phillips, en prononçant l’arrĂȘt de notre cour dans l’affaire R. v. Bieber, a conclu que ce rĂ©gime Ă©tait compatible et que les peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle Ă©taient compressibles, eu Ă©gard au pouvoir que l’article 30 de la loi de 1997 confĂšre au ministre. Il s’est exprimĂ© ainsi au paragraphe 48 de l’arrĂȘt :

« Aujourd’hui, le ministre fait usage de ce pouvoir avec parcimonie, par exemple lorsque le dĂ©tenu est atteint d’une maladie en phase terminale, lorsqu’il est grabataire ou lorsqu’il se trouve dans un Ă©tat d’invaliditĂ© comparable. Toutefois, si la situation est telle que le maintien en dĂ©tention d’un dĂ©tenu est assimilable Ă  un traitement inhumain ou dĂ©gradant, aucune raison ne s’oppose selon nous Ă  ce que, compte tenu en particulier de l’obligation de respecter la Convention, le ministre libĂšre l’intĂ©ressĂ© comme la loi lui en donne le pouvoir. »

Ce principe a Ă©tĂ© rĂ©affirmĂ© dans l’arrĂȘt rendu par cette cour en l’affaire R. v. Oakes (§ 15).

27. Tout en admettant que l’interprĂ©tation de l’article 30 de la loi de 1997, telle qu’exposĂ©e dans l’affaire R. v. Bieber, serait, en principe, conforme Ă  l’arrĂȘt Kafkaris, la Grande Chambre s’est dite prĂ©occupĂ©e par le fait que la loi puisse ne pas prĂ©senter une certitude suffisante. Elle a ajoutĂ© aux paragraphes 126–127 de l’arrĂȘt Vinter :

« (...) Or il demeure que, malgrĂ© l’arrĂȘt rendu par la Cour d’appel dans l’affaire Bieber, le ministre n’a pas modifiĂ© la teneur de la politique restrictive expressĂ©ment Ă©noncĂ©e par lui quant aux situations oĂč il entend exercer le pouvoir que lui confĂšre l’article 30. Nonobstant la lecture donnĂ©e de cette disposition par la Cour d’appel, l’ordonnance de l’administration pĂ©nitentiaire reste en vigueur et elle prĂ©voit que l’élargissement ne sera ordonnĂ© que dans certains cas, qui sont Ă©numĂ©rĂ©s de maniĂšre exhaustive et non pas citĂ©s Ă  titre d’exemples (...)

Ce sont lĂ  des conditions extrĂȘmement restrictives. À supposer mĂȘme qu’un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle puisse les remplir, la Cour estime que la chambre a eu raison de douter que la mise en libertĂ© pour motifs d’humanitĂ© pouvant ĂȘtre accordĂ©e aux personnes atteintes d’une maladie mortelle en phase terminale ou d’un grave handicap physique puisse ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une vĂ©ritable libĂ©ration si elle se rĂ©sume Ă  permettre Ă  l’intĂ©ressĂ© de mourir chez lui ou dans un hospice plutĂŽt qu’entre les murs d’une prison. De fait, aux yeux de la Cour, pareille mise en libertĂ© pour motifs d’humanitĂ© ne correspond pas Ă  ce que recouvre l’expression « perspective d’élargissement » employĂ©e dans l’arrĂȘt Kafkaris (prĂ©citĂ©). En soi, les dispositions de l’ordonnance en question ne seraient pas conformes Ă  cet arrĂȘt et ne suffiraient donc pas Ă  satisfaire aux exigences de l’article 3.»

28. La Grande Chambre en a dĂ©duit que, eu Ă©gard au manque de clartĂ© du droit national, l’article 30 de la loi de 1997 ne constituait pas une voie de droit appropriĂ©e et adĂ©quate pouvant ĂȘtre exercĂ©e par un dĂ©linquant qui chercherait Ă  dĂ©montrer que son maintien en dĂ©tention ne se justifie plus. Elle est parvenue Ă  la conclusion suivante au paragraphe 129 de l’arrĂȘt Vinter :

« Aujourd’hui, nul ne peut dire si, saisi d’une demande de libĂ©ration formulĂ©e au titre de l’article 30 par un dĂ©tenu purgeant une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle, le ministre suivrait sa politique restrictive actuelle, telle qu’énoncĂ©e dans l’ordonnance de l’administration pĂ©nitentiaire, ou s’il s’affranchirait du libellĂ© apparemment exhaustif de ce texte en appliquant le critĂšre de respect de l’article 3 Ă©noncĂ© dans l’arrĂȘt Bieber. Certes, tout refus de libĂ©ration opposĂ© par le ministre serait attaquable par la voie du contrĂŽle juridictionnel et l’état du droit pourrait trĂšs bien ĂȘtre clarifiĂ© dans le cadre d’une telle procĂ©dure, par exemple par l’abrogation et le remplacement de l’ordonnance par le ministre ou par son annulation par le juge. Toujours est-il que ces Ă©ventualitĂ©s ne suffisent pas Ă  pallier le manque de clartĂ© qui existe actuellement quant Ă  l’état du droit national rĂ©gissant les possibilitĂ©s exceptionnelles d’élargissement des dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. »

29. Nous ne pouvons souscrire Ă  cette conclusion. À notre sens, le droit applicable en Angleterre et au pays de Galles est clair concernant les « possibilitĂ©s exceptionnelles d’élargissement des dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle ». Ainsi qu’il ressort de l’affaire R. v. Bieber, le ministre est tenu d’exercer d’une maniĂšre compatible avec les principes du droit administratif national et avec l’article 3 le pouvoir que l’article 30 de la loi de 1997 lui confĂšre.

30. Il nous semble que la Grande Chambre a attachĂ© une grande importance au fait que la politique exposĂ©e dans le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e n’a pas Ă©tĂ© rĂ©visĂ©e. Or, cela est Ă  notre avis sans consĂ©quence du point de vue du droit. Il convient donc que nous prĂ©cisions quel est l’état du droit positif en Angleterre et au pays de Galles.

31. PremiĂšrement, le pouvoir de rĂ©examen en vertu de l’article 30 entre en jeu en prĂ©sence de circonstances exceptionnelles. Le dĂ©linquant condamnĂ© Ă  une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle doit donc dĂ©montrer au ministre que, si cette peine constituait une juste sanction au moment oĂč elle a Ă©tĂ© infligĂ©e, des circonstances exceptionnelles sont survenues depuis lors. Il n’est pas nĂ©cessaire de prĂ©ciser quelles sont ces circonstances ou les critĂšres spĂ©cifiques ; l’expression « circonstances exceptionnelles » est en soi suffisamment certaine.

32. DeuxiĂšmement, le ministre doit alors examiner si pareilles circonstances exceptionnelles justifient la libĂ©ration du dĂ©tenu pour des motifs d’humanitĂ©. La politique exposĂ©e dans le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e est extrĂȘmement restrictive et elle indique explicitement qu’il s’agit de circonscrire les questions devant ĂȘtre examinĂ©es par le ministre. Or le manuel ne peut restreindre l’obligation pour le ministre de considĂ©rer toutes les circonstances pertinentes pour une libĂ©ration pour motifs humanitaires. Le ministre ne peut limiter son pouvoir discrĂ©tionnaire en prenant en compte seulement les questions exposĂ©es dans le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e. Dans les passages de notre dĂ©cision dans l’affaire Hindley, que nous avons Ă©voquĂ©s au paragraphe 7, l’obligation pour le ministre a Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©e ; de mĂȘme, les dispositions de l’article 30 de la loi de 1997 exigent que le ministre prenne en compte toutes les circonstances exceptionnelles pertinentes pour la libĂ©ration du dĂ©tenu pour motifs d’humanitĂ©.

33. TroisiĂšmement, l’expression « motifs d’humanitĂ© » doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e, ainsi que cette cour l’a prĂ©cisĂ© dans l’affaire R. v. Bieber, d’une maniĂšre compatible avec l’article 3. Ces motifs ne se limitent pas Ă  ceux qui sont exposĂ©s dans le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e. Cette expression a une acception large pouvant ĂȘtre prĂ©cisĂ©e au cas par cas, comme cela se passe dans le cadre de la common law,

34. QuatriĂšmement, la dĂ©cision du ministre doit ĂȘtre motivĂ©e au regard des circonstances de chaque affaire et elle est soumise Ă  un examen par la voie d’un contrĂŽle juridictionnel.

35. À notre sens, le droit anglais et gallois offre donc Ă  tout dĂ©linquant « l’espoir » ou la « possibilitĂ© » d’une libĂ©ration en cas de circonstances exceptionnelles qui enlĂšvent tout caractĂšre justifiable Ă  la juste sanction initialement imposĂ©e.

36. Il est parfaitement conforme Ă  l’état de droit de considĂ©rer pareilles demandes sur une base individuelle Ă  la lumiĂšre du critĂšre selon lequel les circonstances ont Ă©voluĂ© d’une maniĂšre si exceptionnelle que la sanction initiale, qui se justifiait au moment de son infliction, perd toute raison d’ĂȘtre. Il nous paraĂźt difficile de prĂ©ciser Ă  l’avance ce que pareilles circonstances peuvent recouvrir, dĂšs lors que l’atrocitĂ© du crime initial appelait justement une peine d’emprisonnement Ă  vie. Mais les circonstances peuvent Ă©voluer, et elles Ă©voluent, dans des cas exceptionnels. L’interprĂ©tation de l’article 30 que nous avons exposĂ©e prĂ©voit cette possibilitĂ© et donne donc Ă  chaque dĂ©tenu condamnĂ© Ă  la perpĂ©tuitĂ© la possibilitĂ© d’une libĂ©ration exceptionnelle.

Conclusion

37. Les juges doivent donc continuer Ă  appliquer le rĂ©gime prĂ©vu par la loi de 2003 [sur la justice pĂ©nale] et, dans des cas exceptionnels, probablement rares, prononcer des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle conformĂ©ment Ă  l’annexe 21 Ă  cette loi. Bien que Me Eadie QC, le reprĂ©sentant du ministre, nous ait fait observer que de nombreuses annĂ©es pouvaient s’écouler avant qu’il soit possible de soumettre des demandes en vertu de l’article 30 et que les trois requĂ©rants dans l’affaire Vinter (MM. Vinter, Bamber et Moore) n’aient pas soutenu que leur maintien en dĂ©tention ne se justifiait par aucun motif d’ordre pĂ©nologique, nous n’excluons pas la possibilitĂ© que pareilles demandes surviennent bien avant. Elles seront traitĂ©es conformĂ©ment aux principes juridiques que nous avons dĂ©finis. »

III. TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS

20. La Cour renvoie aux Ă©lĂ©ments mentionnĂ©s dans l’arrĂȘt Vinter et autres (prĂ©citĂ©, §§ 59 81), en particulier Ă  l’un des textes du Conseil de l’Europe qui y sont citĂ©s, Ă  savoir la Recommandation Rec(2003)22 du ComitĂ© des Ministres aux États membres concernant la libĂ©ration conditionnelle, dont les passages pertinents se lisent ainsi :

« SystÚme de libération discrétionnaire

16. La pĂ©riode minimale que les dĂ©tenus doivent purger avant de pouvoir prĂ©tendre Ă  la libĂ©ration conditionnelle devrait ĂȘtre dĂ©finie en conformitĂ© avec la loi.

17. Les autoritĂ©s compĂ©tentes devraient engager la procĂ©dure nĂ©cessaire pour que la dĂ©cision concernant la libĂ©ration conditionnelle puisse ĂȘtre rendue dĂšs que le dĂ©tenu a purgĂ© la pĂ©riode minimale requise.

18. Les critĂšres que les dĂ©tenus doivent remplir pour pouvoir bĂ©nĂ©ficier de la libĂ©ration conditionnelle devraient ĂȘtre clairs et explicites. Ils devraient Ă©galement ĂȘtre rĂ©alistes en ce sens qu’ils devraient tenir compte de la personnalitĂ© des dĂ©tenus, de leur situation socio-Ă©conomique et de l’existence de programmes de rĂ©insertion.

(...)

20. Les critĂšres d’octroi de la libĂ©ration conditionnelle devraient ĂȘtre appliquĂ©s de telle sorte que celle-ci puisse ĂȘtre accordĂ©e Ă  tous les dĂ©tenus dont on considĂšre qu’ils remplissent le niveau minimal de garanties pour devenir des citoyens respectueux des lois. Il devrait incomber aux autoritĂ©s de dĂ©montrer qu’un dĂ©tenu n’a pas rempli les critĂšres.

21. Si l’instance de dĂ©cision rend une dĂ©cision nĂ©gative, elle devrait fixer une date en vue du rĂ©examen de la question. En toute hypothĂšse, les dĂ©tenus devraient pouvoir saisir une nouvelle fois l’instance de dĂ©cision dĂšs l’apparition d’une amĂ©lioration notable de leur situation.

(...)

VIII. Garanties procédurales

32. Les dĂ©cisions relatives Ă  l’octroi, au report ou Ă  la rĂ©vocation de la libĂ©ration conditionnelle, ainsi qu’à l’imposition ou la modification des conditions et des mesures qui lui sont associĂ©es, devraient ĂȘtre prises par des autoritĂ©s Ă©tablies par disposition lĂ©gale et selon des procĂ©dures entourĂ©es des garanties suivantes:

a) les condamnĂ©s devraient avoir le droit d’ĂȘtre entendus en personne et de se faire assister comme le prĂ©voit la loi ;

b) l’instance de dĂ©cision devrait accorder une attention soutenue Ă  tout Ă©lĂ©ment, y compris Ă  toute dĂ©claration, prĂ©sentĂ© par les condamnĂ©s Ă  l’appui de leur demande ;

c) les condamnés devraient avoir un accÚs adéquat à leur dossier ;

d) les dĂ©cisions devraient indiquer les motifs qui les sous-tendent et ĂȘtre notifiĂ©es par Ă©crit.

33. Les condamnĂ©s devraient pouvoir introduire un recours auprĂšs d’une instance de dĂ©cision supĂ©rieure indĂ©pendante et impartiale, Ă©tablie par disposition lĂ©gale contre le fond de la dĂ©cision ou le non-respect des garanties procĂ©durales. »

21. La Cour renvoie également aux RÚgles pénitentiaires européennes de 2006, en particulier à la rÚgle 30.3, ainsi libellée :

« Tout dĂ©tenu doit ĂȘtre informĂ© des procĂ©dures judiciaires auxquelles il est partie et, en cas de condamnation, de la durĂ©e de sa peine et de ses possibilitĂ©s de libĂ©ration anticipĂ©e. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

22. Le requĂ©rant allĂšgue que la peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle prononcĂ©e Ă  son Ă©gard est contraire Ă  l’article 3 de la Convention, qui se lit ainsi :

« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă  la torture ni Ă  des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. »

A. L’arrĂȘt de la chambre

23. La chambre a relevĂ© que le Gouvernement avait initialement admis l’applicabilitĂ© en l’espĂšce des principes dĂ©gagĂ©s dans l’arrĂȘt Vinter et en avait dĂ©duit qu’il n’était pas en mesure de soumettre des observations sur le fond de l’affaire. Le Gouvernement a changĂ© de position Ă  la suite de la dĂ©cision McLoughlin, estimant qu’une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle devait Ă  prĂ©sent ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme compressible. AprĂšs examen de cette dĂ©cision McLoughlin, la chambre a rappelĂ© que c’est au premier chef aux autoritĂ©s nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe de rĂ©soudre les problĂšmes d’interprĂ©tation du droit interne. Elle a ensuite observĂ© qu’il est solidement Ă©tabli dans la tradition juridique du Royaume Uni que la jurisprudence, en tant que source de droit, contribue nĂ©cessairement Ă  l’évolution progressive du droit. Selon la chambre, dĂšs lors que la Cour d’appel avait spĂ©cifiquement rĂ©pondu aux doutes, exprimĂ©s dans l’arrĂȘt Vinter, concernant la clartĂ© du droit interne applicable et Ă©noncĂ© sans aucune ambiguĂŻtĂ© quel Ă©tait l’état du droit, cette interprĂ©tation devait ĂȘtre admise par la Cour. La chambre a conclu que le pouvoir de libĂ©ration confĂ©rĂ© par l’article 30 de la loi de 1997, exercĂ© de la maniĂšre dĂ©finie dans la dĂ©cision McLoughlin, suffisait Ă  rĂ©pondre aux exigences de l’article 3.

B. ThĂšses des parties

1. Le Gouvernement

24. Le Gouvernement souscrit Ă  l’arrĂȘt de la chambre. Il soutient que la Cour d’appel a exposĂ© en des termes clairs et dĂ©nuĂ©s d’ambiguĂŻtĂ©, dans un arrĂȘt qui fait autoritĂ©, le fonctionnement du droit interne. Il argue qu’en vertu des articles 3 et 6 de la loi sur les droits de l’homme l’article 30 de la loi de 1997 doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© et appliquĂ© de maniĂšre assez large pour ĂȘtre compatible avec l’article 3 de la Convention dans tous les cas. Il explique que le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e ne restreint pas et ne peut en aucun cas restreindre cette obligation et il en dĂ©duit que, comme la Cour d’appel l’a dit, l’absence de rĂ©vision du manuel n’a aucune consĂ©quence juridique. D’aprĂšs lui, le manuel demeure applicable dans la mesure oĂč il expose l’approche Ă  adopter lorsque la demande de libĂ©ration est motivĂ©e par une maladie en phase terminale ou une invaliditĂ© grave. La Cour d’appel aurait prĂ©cisĂ© dans la dĂ©cision McLoughlin que le ministre Ă©tait tenu en vertu du droit interne d’examiner l’ensemble des circonstances pertinentes de chaque affaire d’une maniĂšre compatible avec l’article 3 – aucun point de la loi ne resterait Ă  Ă©claircir Ă  cet Ă©gard. L’article 30 opĂ©rerait prĂ©cisĂ©ment d’une façon qui, selon l’arrĂȘt Vinter, suffit Ă  rĂ©pondre aux exigences de l’article 3.

25. Quant Ă  la base du rĂ©examen de la peine par le ministre, le Gouvernement juge Ă©vident que l’expression « circonstances exceptionnelles » figurant Ă  l’article 30 s’étend aux progrĂšs exceptionnels accomplis par un dĂ©tenu sur le chemin de l’amendement. Il explique que dans le cadre de ce rĂ©examen, le ministre se fonderait sur le critĂšre Ă©noncĂ© dans l’arrĂȘt Vinter, c’est-Ă -dire qu’il lui faudrait rechercher si, au cours de l’exĂ©cution de sa peine, le dĂ©tenu a tellement Ă©voluĂ© et progressĂ© sur le chemin de l’amendement qu’aucun motif lĂ©gitime d’ordre pĂ©nologique ne permet plus de justifier son maintien en dĂ©tention. Il estime donc que les dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle savent ce qu’ils ont Ă  faire pour avoir une chance d’ĂȘtre libĂ©rĂ©s et quels sont les critĂšres appliquĂ©s au rĂ©examen de ce type de peines. Pour lui, il n’est pas besoin d’aller plus loin dans la prĂ©cision, et il n’est ni nĂ©cessaire ni faisable de chercher Ă  dĂ©crire plus en dĂ©tail ce qu’un dĂ©tenu doit dĂ©montrer pour pouvoir prĂ©tendre Ă  ĂȘtre libĂ©rĂ© ou Ă  obtenir une remise de peine. La Cour europĂ©enne des droits de l’homme elle-mĂȘme n’aurait pas identifiĂ© de critĂšres spĂ©cifiques dans sa jurisprudence relative Ă  l’article 3 mais elle se serait exprimĂ©e en des termes plus gĂ©nĂ©raux. L’ensemble des circonstances pertinentes se rapportant au dĂ©tenu concernĂ© seraient donc prises en compte, ce qui apporterait la flexibilitĂ© nĂ©cessaire au rĂ©examen et permettrait de l’adapter Ă  chaque cas individuel.

26. Le droit interne ne poserait aux dĂ©tenus aucun problĂšme d’accessibilitĂ© ou de prĂ©visibilitĂ©. Il leur suffirait de faire usage de leur possibilitĂ© de demander un avis juridique ou de s’adresser Ă  l’administration pĂ©nitentiaire pour bĂ©nĂ©ficier d’une explication des dispositions juridiques applicables. Pour chaque demande, le ministre serait tenu de donner une rĂ©ponse motivĂ©e et susceptible de contrĂŽle juridictionnel. Ce contrĂŽle ne se rĂ©sumerait pas Ă  une simple rĂ©action aux dĂ©cisions du ministre mais il porterait bien sur le fond de l’affaire. Il serait Ă  mĂȘme de dĂ©finir progressivement dans la pratique les considĂ©rations pertinentes Ă  cet Ă©gard, par exemple ce qui constitue un motif lĂ©gitime d’ordre pĂ©nologique. Par ailleurs, une dĂ©cision favorable au dĂ©tenu Ă  l’issue du contrĂŽle juridictionnel n’entraĂźnerait pas uniquement un renvoi au ministre pour que celui-ci prenne de nouveau la mĂȘme dĂ©cision. Les tribunaux auraient le pouvoir d’ordonner directement la libĂ©ration d’un prisonnier si cela s’avĂ©rait justifiĂ©.

27. Quant au moment du rĂ©examen, le Gouvernement rappelle que, dans l’arrĂȘt Vinter, la Grande Chambre a estimĂ© que cette question relevait de la marge d’apprĂ©ciation des autoritĂ©s nationales, qu’il faudrait selon lui Ă©viter de rĂ©duire Ă  prĂ©sent. Il estime que l’arrĂȘt Vinter ne prescrit pas un rĂ©examen de la peine aprĂšs vingt-cinq ans d’emprisonnement mais qu’il Ă©nonce simplement que les Ă©lĂ©ments de droit comparĂ© et de droit international viennent clairement Ă  l’appui de cette mesure particuliĂšre. Le Gouvernement considĂšre quoi qu’il en soit que la fixation d’un tel dĂ©lai serait plus indiquĂ©e dans un systĂšme ne prĂ©voyant aucun rĂ©examen pendant une trĂšs longue pĂ©riode, ce qui, d’aprĂšs lui, n’est pas le cas du systĂšme britannique. La sĂ©curitĂ© juridique n’appellerait pas la mise en place d’un calendrier spĂ©cifique pour le rĂ©examen de la peine, celui-ci Ă©tant conditionnĂ© par la capacitĂ© du dĂ©tenu concernĂ© de dĂ©montrer que sa dĂ©tention ne se justifie plus. Cette possibilitĂ© serait ouverte aux dĂ©tenus Ă  tout moment et ceux-ci ne seraient pas tenus d’attendre un nombre indĂ©terminĂ© d’annĂ©es. Ces conditions pourraient ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme plus avantageuses pour le dĂ©tenu que l’exigence d’accomplir une longue pĂ©riode minimale d’emprisonnement avant d’ĂȘtre autorisĂ© Ă  demander un rĂ©examen. Quant aux circonstances de l’espĂšce, le requĂ©rant n’aurait Ă  aucun moment avancĂ© qu’il n’existait pas de motifs lĂ©gitimes d’ordre pĂ©nologique justifiant son maintien en dĂ©tention. Rien n’empĂȘcherait l’intĂ©ressĂ© de s’adresser au ministre Ă  n’importe quel moment dans le futur pour lui demander un rĂ©examen de sa peine.

2. Le requérant

28. Le requĂ©rant est en dĂ©saccord avec l’arrĂȘt de la chambre, qu’il estime ĂȘtre en contradiction avec l’arrĂȘt Vinter et avec d’autres arrĂȘts rendus postĂ©rieurement par la Cour. Il considĂšre que la situation en droit interne demeure contraire Ă  l’article 3, la dĂ©cision McLoughlin n’ayant pas remĂ©diĂ©, selon lui, aux lacunes pointĂ©es dans l’arrĂȘt Vinter. Il soutient que la Cour d’appel est partie de l’idĂ©e, fausse d’aprĂšs lui, que la Cour avait mal analysĂ© le droit interne et qu’en consĂ©quence elle s’est uniquement attachĂ©e, dans la dĂ©cision McLoughlin, Ă  corriger cette erreur perçue, sans chercher Ă  toucher Ă  la situation en droit. Il plaide que le rĂ©examen des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle demeure fondĂ© sur un pouvoir discrĂ©tionnaire, mal dĂ©fini selon lui, confĂ©rĂ© Ă  un ministre du gouvernement. Il invite la Cour Ă  dĂ©clarer Ă  prĂ©sent que pareille fonction doit ĂȘtre confiĂ©e aux juges et non plus Ă  des personnalitĂ©s politiques, cette thĂšse trouvant selon lui clairement appui dans les Ă©lĂ©ments de droit comparĂ© et de droit international Ă©voquĂ©s dans l’arrĂȘt Vinter, et transparaissant de maniĂšre implicite dans le raisonnement mĂȘme suivi par la Cour dans cet arrĂȘt. Le requĂ©rant Ă©tablit Ă  cet Ă©gard une analogie avec l’évolution que l’on observerait aussi bien dans la jurisprudence interne que dans celle issue de la Convention, et qui tendrait Ă  la suppression de toute intervention de l’exĂ©cutif dans le processus de fixation des peines. Selon le requĂ©rant, mĂȘme si l’on peut en principe toujours admettre un contrĂŽle par le pouvoir exĂ©cutif, le systĂšme interne n’en est pas moins dĂ©ficient, le contrĂŽle Ă©tant conduit par une personnalitĂ© politique partisane, comme l’illustreraient les observations publiques formulĂ©es par le ministre d’alors Ă  la suite de la dĂ©cision McLoughlin. Le processus n’offrirait donc aucune perspective d’équitĂ©, d’équilibre et de sĂ©curitĂ©.

29. La dĂ©cision McLoughlin indiquerait qu’il convient d’interprĂ©ter de maniĂšre large la terminologie employĂ©e dans la lĂ©gislation mais il ne faudrait pas considĂ©rer que cela suffit pour rĂ©pondre aux exigences de l’article 3, telles qu’exposĂ©es dans l’arrĂȘt Vinter et dans les arrĂȘts postĂ©rieurs de la Cour. La signification Ă  donner aux termes « circonstances exceptionnelles » et « motifs d’humanitĂ© » n’aurait pas Ă©tĂ© clarifiĂ©e. Une plus grande prĂ©cision serait requise aux fins de la sĂ©curitĂ© juridique, sans quoi les dĂ©tenus ne trouveraient plus la motivation nĂ©cessaire pour tenter de s’amender. Le seul document dĂ©taillĂ© auquel les dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle pourraient se rĂ©fĂ©rer serait le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e, dont le libellĂ© restrictif aurait Ă©tĂ© critiquĂ© dans l’arrĂȘtVinter.

30. Quant au moment du rĂ©examen, le requĂ©rant estime que l’insĂ©curitĂ© juridique subsiste Ă  cet Ă©gard. Il indique que cette question n’est traitĂ©e ni dans une disposition lĂ©gale ni dans la dĂ©cision McLoughlin. Selon lui, un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle n’a aucun moyen de savoir quand sa peine pourra ĂȘtre rĂ©examinĂ©e. Le requĂ©rant rappelle qu’avant 2003 pareille peine Ă©tait systĂ©matiquement rĂ©examinĂ©e aprĂšs vingt-cinq ans de dĂ©tention, et qu’une proposition (formulĂ©e par la Commission mixte des droits de l’homme en 2013 et dĂ©battue Ă  la Chambre des lords en 2014) a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e au Parlement en vue de la rĂ©introduction de cette pratique dans la lĂ©gislation. La jurisprudence post-Vinter de la Cour confirmerait la nĂ©cessitĂ© de prĂ©voir un calendrier prĂ©cis dans le droit interne. Pour le requĂ©rant, un constat de non-violation de l’article 3 en l’espĂšce serait source de confusion dans la jurisprudence pertinente de la Convention.

31. Le requĂ©rant estime qu’il n’y a eu aucune amĂ©lioration de facto de la situation depuis l’arrĂȘt Vinter. Il rĂ©prouve le refus du Gouvernement de rĂ©viser le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e malgrĂ© les critiques exprimĂ©es d’abord par la Cour, puis par la Cour d’appel. Il affirme qu’en rĂ©alitĂ©, aucun dĂ©tenu condamnĂ© Ă  une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle n’a jamais Ă©tĂ© libĂ©rĂ© selon les modalitĂ©s Ă©voquĂ©es dans l’arrĂȘt Vinter. Selon lui, le fait de savoir qu’en dĂ©finitive leur sort sera tranchĂ© par une personnalitĂ© politique, et non par un juge indĂ©pendant et impartial, ne peut que dĂ©courager les dĂ©tenus de consentir l’énorme effort requis pour parvenir Ă  s’amender.

32. Par ailleurs, le requĂ©rant soutient que le systĂšme de rĂ©examen des peines ne doit pas ĂȘtre considĂ©rĂ© comme relevant de la marge d’apprĂ©ciation de l’État dĂ©fendeur. Il invoque d’abord Ă  cet Ă©gard le caractĂšre absolu de l’article 3, et plaide ensuite qu’un constat de violation en l’espĂšce n’imposerait aucune solution particuliĂšre au Royaume-Uni. Il indique que le systĂšme interne prĂ©voyait autrefois un rĂ©examen au bout de vingt-cinq ans, qui, selon lui, pourrait tout Ă  fait ĂȘtre rĂ©introduit et confiĂ© Ă  la commission de libĂ©ration conditionnelle. Il n’y aurait lĂ  rien de compliquĂ©, comme le dĂ©montrerait le projet de loi prĂ©sentĂ© au Parlement. Le requĂ©rant estime qu’un constat de violation ne signifierait pas que les condamnations Ă  des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle sont en soi contraires Ă  la Convention, soutenant que, ce qu’il faut, c’est que la peine soit compressible. Il ajoute que pareil constat ne signifierait pas non plus qu’il devrait ĂȘtre libĂ©rĂ© ; il s’agirait lĂ  d’une question tout Ă  fait distincte, Ă  examiner dans un autre cadre et Ă  un autre moment.

3. Le tiers intervenant

33. EPLN soutient que le droit relatif Ă  l’examen des demandes de libĂ©ration prĂ©sentĂ©es par les dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle doit ĂȘtre clair, prĂ©visible et accessible aux personnes concernĂ©es. Il plaide que l’article 3 exige que la peine soit compressible et que l’imposition d’une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle incompressible ne peut donc plus ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme relevant de la marge d’apprĂ©ciation de l’État. Il ajoute que l’État ne peut revendiquer une marge d’apprĂ©ciation que pour fixer certaines modalitĂ©s du mĂ©canisme de rĂ©examen requis, mais que c’est Ă  la Cour qu’il appartient en dĂ©finitive d’apprĂ©cier si ce mĂ©canisme est assorti des garanties procĂ©durales nĂ©cessaires, eu Ă©gard au consensus international dans ce domaine et Ă  l’importance primordiale de l’enjeu pour le dĂ©tenu. EPLN estime que toute marge d’apprĂ©ciation en la matiĂšre doit ĂȘtre Ă©troite.

34. Se rĂ©fĂ©rant aux instruments internationaux pertinents citĂ©s dans l’arrĂȘt Vinter, EPLN soutient qu’un mĂ©canisme de fixation des peines axĂ© uniquement sur le chĂątiment ou la rĂ©pression n’est pas compatible avec les principes en matiĂšre de droits de l’homme. Il est d’avis que la rĂ©insertion doit ĂȘtre au cƓur de la fixation de la peine, ce qui impliquerait que les dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  la perpĂ©tuitĂ© aient une perspective de libĂ©ration. EPLN estime que, pour que cette perspective soit rĂ©aliste, il faut une planification de la peine, une possibilitĂ© pour les dĂ©tenus de progresser au sein du systĂšme pĂ©nitentiaire, et un mĂ©canisme de rĂ©examen structurĂ©. Il indique que les instruments internationaux pertinents fixent certaines normes procĂ©durales fondamentales, exigeant selon lui clartĂ© et prĂ©visibilitĂ© quant au moment et aux critĂšres du rĂ©examen. Il ajoute que ces points ont Ă©tĂ© entĂ©rinĂ©s dans l’arrĂȘt Vinter, et rĂ©affirmĂ©s et dĂ©veloppĂ©s dans la jurisprudence ultĂ©rieure. Pour EPLN, il ne s’agit pas simplement de l’amendement des dĂ©tenus, mais Ă©galement d’une question de sĂ©curitĂ© des personnes. Le tiers intervenant explique qu’un dĂ©tenu qui n’a aucune perspective rĂ©elle d’ĂȘtre libĂ©rĂ© risque d’ĂȘtre dĂ©truit moralement et donc de reprĂ©senter un rĂ©el danger pour lui-mĂȘme et pour ceux qu’il est amenĂ© Ă  cĂŽtoyer dans l’environnement pĂ©nitentiaire. Pour illustrer ce point, EPLN a soumis la dĂ©claration d’un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  la perpĂ©tuitĂ©.

35. Le tiers intervenant considĂšre que l’arrĂȘt Vinter, loin de dĂ©noter une mauvaise comprĂ©hension du systĂšme interne, en recense prĂ©cisĂ©ment les lacunes, Ă  savoir l’absence de calendrier et de critĂšres clairs et accessibles au public. Il ajoute qu’aucune mesure n’a Ă©tĂ© prise au niveau interne pour que le processus ne continue pas de se rĂ©sumer Ă  une mise en libertĂ© fondĂ©e uniquement sur des motifs d’humanitĂ©, dĂ©jĂ  jugĂ©e insuffisante selon lui. Cela serait contradictoire par rapport au droit constitutionnel allemand citĂ© dans l’arrĂȘt Vinter, selon lequel les conditions prĂ©alables Ă  la libĂ©ration et les procĂ©dures Ă  cet Ă©gard devraient ĂȘtre stipulĂ©es par la loi. La Cour d’appel n’aurait ni prĂ©cisĂ© ni intĂ©grĂ© dans le droit interne les exigences procĂ©durales essentielles de l’article 3.

36. De l’avis du tiers intervenant, il ne suffit pas d’invoquer l’obligation lĂ©gale pour le ministre d’agir d’une maniĂšre compatible avec l’article 3, qui concernerait uniquement le moment du rĂ©examen et qui serait indĂ©pendante de l’obligation de mettre en place de maniĂšre prospective des procĂ©dures et des modalitĂ©s. Au niveau interne, il n’y aurait toujours ni critĂšre clair et accessible au public ni calendrier prĂ©cis, au mĂ©pris des principes de prĂ©visibilitĂ© et de sĂ©curitĂ© juridique ainsi que du consensus international Ă©mergent. De mĂȘme, il n’existerait aucune garantie procĂ©durale, telle que la divulgation, le droit de prĂ©senter des observations orales lors d’une audience de rĂ©examen ou le droit de connaĂźtre la motivation d’une dĂ©cision nĂ©gative. Par ailleurs, il n’aurait pas Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que, malgrĂ© ses lacunes, le systĂšme fonctionne dans les faits d’une maniĂšre conforme Ă  la Convention.

C. Appréciation de la Cour

37. Dans leurs observations, les parties se sont concentrĂ©es uniquement sur le point de savoir si, Ă  la lumiĂšre de la dĂ©cision McLoughlin, la situation du requĂ©rant quant Ă  sa peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle rĂ©pondait Ă  prĂ©sent aux exigences de l’article 3 telles qu’exposĂ©es dans l’arrĂȘt Vinter (prĂ©citĂ©, §§ 123–131). À cet Ă©gard, la Cour recherchera tout d’abord si l’imprĂ©cision du droit interne a Ă©tĂ© corrigĂ©e et, dans l’affirmative, si les exigences en question sont maintenant respectĂ©es en l’espĂšce. Elle n’examinera pas sĂ©parĂ©ment la question d’une Ă©ventuelle violation de l’article 3 dans la pĂ©riode de dĂ©tention du requĂ©rant antĂ©rieure Ă  la dĂ©cisionMcLoughlin.

1. Sur la question de savoir si le droit interne a été clarifié

38. Dans l’arrĂȘt Vinter, la Cour a estimĂ© qu’à la lumiĂšre de l’article 6 de la loi sur les droits de l’homme (paragraphe 14 ci-dessus), on pouvait voir dans l’article 30 de la loi de 1997 (paragraphe 15 ci-dessus) une obligation pour le ministre de libĂ©rer tout dĂ©tenu purgeant une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle dont le maintien en dĂ©tention se rĂ©vĂ©lerait incompatible avec l’article 3, par exemple parce qu’aucun motif lĂ©gitime d’ordre pĂ©nologique ne permettrait plus de justifier cette mesure. Elle a relevĂ© que c’était d’ailleurs la lecture de l’article 30 Ă  laquelle la Cour d’appel s’était livrĂ©e dans ses arrĂȘts Bieber et Oakes et qui serait, en principe, conforme aux exigences de l’article 3 telles que prĂ©cisĂ©es dans l’affaire Kafkaris c. Chypre ([GC], no 21906/04, CEDH 2008). Cependant, outre la jurisprudence pertinente, la Cour a Ă©galement eu Ă©gard aux ordonnances publiĂ©es et Ă  l’application pratique de la lĂ©gislation aux dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. Elle a estimĂ© que la politique exposĂ©e par le ministre dans le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e (paragraphe 16 ci-dessus) Ă©tait trop restrictive pour ĂȘtre conforme aux principes dĂ©gagĂ©s dans l’arrĂȘt Kafkaris. Elle a ensuite soulignĂ© que le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e ne donnait aux dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle qu’une vue partielle des conditions dans lesquelles le pouvoir de libĂ©ration pouvait ĂȘtre exercĂ©. Elle a conclu que le contraste entre le libellĂ© de l’article 30, interprĂ©tĂ© par les juridictions internes d’une maniĂšre conforme Ă  la Convention, et les conditions restrictives figurant dans le manuel entraĂźnait un tel manque de clartĂ© du droit que les peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle ne pouvaient pas ĂȘtre qualifiĂ©es de compressibles aux fins de l’article 3 de la Convention.

39. Dans la dĂ©cision McLoughlin, la Cour d’appel a rĂ©pondu explicitement aux critiques exprimĂ©es dans l’arrĂȘt Vinter. Elle a affirmĂ© l’obligation lĂ©gale pour le ministre d’exercer son pouvoir de libĂ©ration d’une maniĂšre compatible avec l’article 3 de la Convention. Quant Ă  la politique publiĂ©e, qu’elle a Ă©galement considĂ©rĂ©e comme extrĂȘmement restrictive (voir les paragraphes 11 et 32 de la dĂ©cision McLoughlin, citĂ©s au paragraphe 19 ci-dessus), la Cour d’appel a prĂ©cisĂ© que le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e ne pouvait restreindre l’obligation pour le ministre d’examiner l’ensemble des circonstances pertinentes pour la libĂ©ration au regard de l’article 30. Elle a ajoutĂ© que la politique publiĂ©e ne pouvait pas limiter le pouvoir discrĂ©tionnaire du ministre en prenant en compte uniquement les considĂ©rations Ă©voquĂ©es dans le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e. Elle a ensuite expliquĂ© que le fait que les autoritĂ©s n’avaient pas rĂ©visĂ© la politique officielle pour l’aligner sur les dispositions lĂ©gales et la jurisprudence pertinentes n’avait aucune consĂ©quence du point de vue du droit interne.

40. La Cour estime que la Cour d’appel a clarifiĂ© le contenu du droit interne pertinent, et a gommĂ© l’incohĂ©rence constatĂ©e dans l’arrĂȘt Vinter. Quant Ă  la possibilitĂ© d’abroger ou d’annuler la politique dans le cadre d’une procĂ©dure de contrĂŽle juridictionnel envisagĂ©e dans l’arrĂȘt Vinter (Vinter et autres, prĂ©citĂ©, § 129), la Cour prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e garde toute sa validitĂ© en cas de libĂ©ration pour des motifs d’humanitĂ© (au sens Ă©troit de ce terme). Ce qui importe, c’est que – comme la Cour d’appel l’a confirmĂ© dans la dĂ©cision McLoughlin – pareille situation soit uniquement l’une des circonstances dans lesquelles la libĂ©ration d’un dĂ©tenu peut, ou plutĂŽt doit, ĂȘtre ordonnĂ©e (voir les paragraphes 32–33 de la dĂ©cisionMcLoughlin, citĂ©s au paragraphe 19 ci-dessus).

41. Estimant que le droit interne applicable a Ă©tĂ© clarifiĂ©, la Cour se propose Ă  prĂ©sent d’en poursuivre l’analyse.

2. Sur la question de savoir si le droit interne rĂ©pond aux exigences de l’article 3

a) Principes généraux dégagés par la Cour dans sa jurisprudence sur les peines perpétuelles

42. Les principes pertinents, et les conclusions Ă  en tirer, sont exposĂ©s en dĂ©tail dans l’arrĂȘt Vinter (prĂ©citĂ©, § 103–122 ; ces principes ont Ă©tĂ© rĂ©cemment rĂ©sumĂ©s dans l’arrĂȘt Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, §§ 99-100, CEDH 2016). La Convention n’interdit pas d’infliger une peine d’emprisonnement Ă  vie Ă  une personne convaincue d’une infraction particuliĂšrement grave, telle le meurtre. Cependant, pour ĂȘtre compatible avec l’article 3, pareille peine doit ĂȘtre compressiblede jure et de facto, c’est-Ă -dire qu’elle doit offrir une perspective d’élargissement et une possibilitĂ© de rĂ©examen. Pareil rĂ©examen doit notamment se fonder sur une Ă©valuation du point de savoir si des motifs lĂ©gitimes d’ordre pĂ©nologique justifient le maintien en dĂ©tention du dĂ©tenu. Les impĂ©ratifs de chĂątiment, de dissuasion, de protection du public et de rĂ©insertion figurent au nombre de ces motifs. L’équilibre entre eux n’est pas forcĂ©ment immuable, et peut Ă©voluer au cours de l’exĂ©cution de la peine, de sorte que ce qui Ă©tait la justification premiĂšre de la dĂ©tention au dĂ©but de la peine ne le sera peut ĂȘtre plus une fois accomplie une bonne partie de celle-ci. La Cour a soulignĂ© l’importance de l’objectif de rĂ©insertion, relevant que c’est sur cet objectif que les politiques pĂ©nales europĂ©ennes mettent dĂ©sormais l’accent, ainsi qu’il ressort de la pratique des États contractants, des normes pertinentes adoptĂ©es par le Conseil de l’Europe et des instruments internationaux applicables (Vinter et autres, prĂ©citĂ©, §§ 59 81).

43. La Cour a rĂ©cemment dĂ©clarĂ©, dans le contexte de l’article 8 de la Convention, que « l’accent mis sur l’amendement et la rĂ©insertion des dĂ©tenus Ă©tait Ă  prĂ©sent un Ă©lĂ©ment que les États membres Ă©taient tenus de prendre en compte dans l’élaboration de leurs politiques pĂ©nales ». (Khoroshenko c. Russie [GC], no41418/04, § 121, CEDH 2015 ; voir Ă©galement les affaires citĂ©es dans l’arrĂȘt Murray, prĂ©citĂ©, § 102). Des considĂ©rations similaires doivent s’appliquer dans le contexte de l’article 3, eu Ă©gard au fait que le respect de la dignitĂ© humaine oblige les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires Ă  Ɠuvrer Ă  la rĂ©insertion des condamnĂ©s Ă  perpĂ©tuitĂ© (Murray, prĂ©citĂ©, §§ 103-104). Il s’ensuit que le rĂ©examen requis doit prendre en compte les progrĂšs du dĂ©tenu sur le chemin de l’amendement et dĂ©terminer si le dĂ©tenu a fait des progrĂšs tels qu’aucun motif lĂ©gitime d’ordre pĂ©nologique ne justifie plus son maintien en dĂ©tention (Vinter et autres, prĂ©citĂ©, §§ 113-116). Partant, un rĂ©examen de la peine limitĂ© Ă  des motifs d’humanitĂ© ne saurait suffire (ibidem, § 127).

44. Les critĂšres et conditions Ă©noncĂ©s dans le droit interne concernant le rĂ©examen doivent avoir un degrĂ© suffisant de clartĂ© et de certitude, et doivent aussi reflĂ©ter la jurisprudence pertinente de la Cour. La certitude en la matiĂšre constitue non seulement une exigence gĂ©nĂ©rale de l’état de droit mais sous tend Ă©galement le processus d’amendement qui risque d’ĂȘtre entravĂ© si les modalitĂ©s de rĂ©examen des peines et les perspectives d’élargissement sont floues ou incertaines. Un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle a donc le droit de savoir, dĂšs le dĂ©but de sa peine, ce qu’il doit faire pour que sa libĂ©ration puisse ĂȘtre envisagĂ©e et ce que sont les conditions applicables. Il a le droit, notamment, de connaĂźtre le moment oĂč le rĂ©examen de sa peine aura lieu ou pourra ĂȘtre sollicitĂ© (Vinter et autres, prĂ©citĂ©, § 122). À cet Ă©gard, la Cour a constatĂ© qu’il se dĂ©gage des Ă©lĂ©ments de droit comparĂ© et de droit international une nette tendance en faveur de l’instauration d’un premier rĂ©examen dans un dĂ©lai de vingt-cinq ans au plus aprĂšs le prononcĂ© de la peine perpĂ©tuelle, puis de rĂ©examens pĂ©riodiques par la suite (ibidem, §§ 68, 118, 119 et 120). Elle a cependant Ă©galement indiquĂ© qu’il s’agit lĂ  d’une question relevant de la marge d’apprĂ©ciation Ă  accorder aux États en matiĂšre de justice criminelle et de dĂ©termination des peines (ibidem, §§ 104, 105 et 120).

45. Quant Ă  la nature du rĂ©examen, la Cour a soulignĂ© qu’elle n’a pas pour tĂąche de dicter la forme (administrative ou judiciaire) qu’il doit prendre, eu Ă©gard Ă  la marge d’apprĂ©ciation qu’il convient d’accorder aux États contractants en la matiĂšre (Vinter et autres, prĂ©citĂ©, § 120). Il appartient donc Ă  chaque État de dĂ©cider si le rĂ©examen des peines doit ĂȘtre conduit par le pouvoir exĂ©cutif ou par le pouvoir judiciaire.

b) Application de ces principes

i. Nature du réexamen

46. En Angleterre et au pays de Galles, le rĂ©examen des peines est confiĂ© au ministre, ce que le requĂ©rant juge par principe injustifiĂ©, arguant que ce rĂ©examen devrait ĂȘtre de nature juridictionnelle. Il ajoute qu’il y a lieu de distinguer les mĂ©canismes de grĂące prĂ©sidentielle du systĂšme interne, les prĂ©sidents pouvant ĂȘtre considĂ©rĂ©s, de par la nature mĂȘme de leurs fonctions, comme des personnalitĂ©s non partisanes dĂ©tachĂ©es du combat politique et donc moins exposĂ©es aux pressions de l’opinion publique. Pour le requĂ©rant, confier le rĂ©examen des peines Ă  un membre du gouvernement ne permet guĂšre d’opĂ©rer une apprĂ©ciation Ă©quitable, approfondie et cohĂ©rente des motifs de libĂ©ration d’un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle.

47. La Cour observe qu’une procĂ©dure judiciaire s’accompagne de garanties importantes : l’indĂ©pendance et l’impartialitĂ© du dĂ©cideur, des garanties procĂ©durales et la protection contre l’arbitraire. Dans deux affaires, la Cour a jugĂ© le droit interne conforme Ă  l’article 3 de la Convention en raison de l’existence d’une procĂ©dure judiciaire de rĂ©examen de la peine (Čačko c. Slovaquie, no 49905/08, 22 juillet 2014 et Bodein c. France, no 40014/10, 13 novembre 2014).

48. Dans l’arrĂȘt Bodein (prĂ©citĂ©, § 59), la Cour a exclu de son examen le pouvoir de grĂące prĂ©sidentielle. De mĂȘme, elle a estimĂ© que des systĂšmes similaires en Hongrie et en Bulgarie ne rĂ©pondaient pas Ă  la norme requise (LĂĄszlĂł Magyar c. Hongrie, no 73593/10, 20 mai 2014, et Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, nos15018/11 et 61199/12, CEDH 2014 (extraits), oĂč il Ă©tait question du systĂšme de grĂące prĂ©sidentielle en vigueur jusqu’en janvier 2012). Cependant, c’est en raison de diverses lacunes dans les procĂ©dures et non en raison de la nature exĂ©cutive du rĂ©examen en tant que tel que les États en question se sont vu reprocher une violation de l’article 3. De plus, dans l’affaire LĂĄszlĂł Magyar, la Cour a formulĂ© des suggestions concernant les mesures Ă  prendre aux fins de l’exĂ©cution de l’arrĂȘt mais n’a pas donnĂ© Ă  entendre qu’un mĂ©canisme judiciaire Ă©tait requis (paragraphe 71 de cet arrĂȘt ; voir, dans le mĂȘme sens, Öcalan c. Turquie (no 2), nos 24069/03,197/04, 6201/06 et 10464/07, § 207, 18 mars 2014).

49. L’apprĂ©ciation par la Cour des systĂšmes chypriote et bulgare montre qu’un rĂ©examen par l’exĂ©cutif peut satisfaire aux exigences de l’article 3. En ce qui concerne la situation Ă  Chypre, le pouvoir du prĂ©sident chypriote a Ă©tĂ© jugĂ© suffisant Ă  la lumiĂšre de la pratique suivie (Kafkaris, prĂ©citĂ©, §§ 102–103). Quant au systĂšme bulgare, la Cour a estimĂ© qu’à la suite d’une rĂ©forme intervenue en 2012 le pouvoir confĂ©rĂ© au prĂ©sident bulgare Ă©tait en conformitĂ© avec l’article 3 (Harakchiev et Tolumov, prĂ©citĂ©, §§ 257–261). La Cour relĂšve Ă  cet Ă©gard que les normes europĂ©ennes pertinentes n’excluent pas un rĂ©examen par l’exĂ©cutif mais indiquent que les dĂ©cisions de libĂ©ration conditionnelle devraient ĂȘtre prises par des « autoritĂ©s Ă©tablies par disposition lĂ©gale » (paragraphe 32 de de la Recommandation Rec(2003)22, citĂ© au paragraphe 20 ci-dessus).

50. Il ressort donc clairement de la jurisprudence que la nature exĂ©cutive d’un rĂ©examen n’est pas en soi contraire aux exigences de l’article 3. La Cour ne voit aucune raison de conclure autrement.

51. Quant aux critiques formulĂ©es par le requĂ©rant Ă  l’égard du systĂšme interne, la Cour estime qu’elles sont neutralisĂ©es par l’effet de la loi sur les droits de l’homme. Comme il a Ă©tĂ© rappelĂ© au paragraphe 29 de la dĂ©cision McLoughlin (paragraphe 19 ci-dessus), le ministre est tenu par l’article 6 de cette loi d’exercer son pouvoir d’élargissement d’une maniĂšre compatible avec les droits reconnus par la Convention. Il doit avoir Ă©gard Ă  la jurisprudence pertinente de la Cour et motiver chacune de ses dĂ©cisions en la matiĂšre. Le pouvoir ou, selon les circonstances, le devoir du ministre de libĂ©rer un dĂ©tenu pour des motifs d’humanitĂ© ne saurait ĂȘtre assimilĂ© aux larges prĂ©rogatives discrĂ©tionnaires confĂ©rĂ©es au chef d’État dans d’autres ordres juridiques et qui a Ă©tĂ© jugĂ© insuffisant aux fins de l’article 3 dans les affaires Ă©voquĂ©es ci-dessus.

52. De plus, les dĂ©cisions du ministre concernant les demandes de libĂ©ration sont soumises au contrĂŽle des juridictions internes, qui sont elles mĂȘmes tenues par la mĂȘme obligation d’agir d’une maniĂšre compatible avec les droits consacrĂ©s par la Convention. La Cour prend note Ă  cet Ă©gard de la dĂ©claration du Gouvernement selon laquelle le contrĂŽle juridictionnel d’un refus du ministre de libĂ©rer un dĂ©tenu ne se limiterait pas Ă  des motifs formels ou procĂ©duraux mais impliquerait Ă©galement un examen au fond. Ainsi, la High Court aurait le pouvoir d’ordonner directement la libĂ©ration du dĂ©tenu si elle le jugeait nĂ©cessaire pour se conformer Ă  l’article 3 (paragraphe 26 ci-dessus).

53. Si la Cour ne dispose d’aucun exemple de contrĂŽle juridictionnel relatif Ă  une dĂ©cision du ministre refusant de libĂ©rer un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  perpĂ©tuitĂ©, elle estime nĂ©anmoins qu’une garantie judiciaire importante a Ă©tĂ© mise en place (E. c. NorvĂšge, 29 aoĂ»t 1990, § 60, sĂ©rie A no 181 A). L’absence de pratique Ă  ce jour, qui n’est pas surprenante eu Ă©gard Ă  la pĂ©riode relativement brĂšve qui s’est Ă©coulĂ©e depuis la dĂ©cision McLoughlin, ne joue pas nĂ©cessairement contre le systĂšme interne, de mĂȘme qu’elle n’a pas jouĂ© contre les systĂšmes slovaque et français, qui ont tous deux Ă©tĂ© jugĂ©s conformes Ă  l’article 3 sans qu’il fĂ»t fait rĂ©fĂ©rence Ă  une quelconque pratique judiciaire (voir, en particulier, Bodein, § 60).

ii. Portée du réexamen

54. Dans la dĂ©cision McLoughlin, la Cour d’appel, Ă  l’instar de la Cour dans son arrĂȘt Vinter, a jugĂ© que la politique Ă©noncĂ©e dans le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e Ă©tait extrĂȘmement restrictive. Elle a rĂ©itĂ©rĂ© la position qu’elle avait exprimĂ©e dans l’arrĂȘt Bieber, Ă  savoir que le ministre devait exercer son pouvoir de libĂ©ration de maniĂšre compatible avec les principes du droit administratif interne et avec l’article 3 de la Convention (voir, respectivement, les paragraphes 32 et 29 de la dĂ©cision McLoughlin, citĂ©s au paragraphe 19 ci-dessus).

55. Ensuite, et surtout, elle a prĂ©cisĂ©, eu Ă©gard Ă  l’arrĂȘt de la Cour dans l’affaire Vinter, que les « circonstances exceptionnelles » visĂ©es Ă  l’article 30 ne pouvaient ĂȘtre juridiquement limitĂ©es aux situations de fin de vie prĂ©vues par le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e (paragraphe 16 ci-dessus), mais qu’elles devaient inclure toutes les circonstances exceptionnelles pertinentes pour une libĂ©ration pour des motifs d’humanitĂ©. Tout en s’abstenant de prĂ©ciser plus avant le sens de l’expression « circonstances exceptionnelles » dans ce contexte, ou de fixer des critĂšres, la Cour d’appel a rappelĂ© la jurisprudence interne antĂ©rieure selon laquelle les progrĂšs exceptionnels accomplis par un dĂ©tenu pendant son sĂ©jour en prison devaient ĂȘtre pris en compte (Lord Chief Justice Bingham en 1998 dans l’affaire R. v. Home Secretary ex parte Hindley ; voir Ă©galement Lord Steyn dans la mĂȘme affaire, lorsque celle-ci a Ă©tĂ© tranchĂ©e par la Chambre des lords en 2001 – paragraphe 19 ci-dessus). La Cour relĂšve Ă©galement que dans l’affaire Bieber, la Cour d’appel, expliquant Ă  quel moment l’infliction de la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle pouvait ĂȘtre contestĂ©e sur le fondement de l’article 3, a Ă©voquĂ© « l’ensemble des circonstances pertinentes, notamment [le] temps passĂ© et [l]es progrĂšs accomplis en prison » (passage reproduit dans l’arrĂȘt Vinter et autres, prĂ©citĂ©, § 49). Eu Ă©gard Ă  l’ensemble de ces dicta, le droit Ă©tabli en Angleterre et au pays de Galles consacre Ă  l’évidence l’idĂ©e que des progrĂšs exceptionnels accomplis par un dĂ©tenu sur le chemin de l’amendement sont couverts par le libellĂ© de la loi et constituent donc un motif de rĂ©examen.

56. Quant Ă  l’autre expression utilisĂ©e Ă  l’article 30, « motifs d’humanitĂ© », l’arrĂȘt de la Cour d’appel, qui prĂ©cisait qu’elle ne se limitait pas aux motifs humanitaires mais avait une acception large (paragraphe 33 de la dĂ©cision McLoughlin, repris au paragraphe 19 ci-dessus), a lĂ  aussi corrigĂ© l’interprĂ©tation Ă©troite donnĂ©e Ă  cette expression dans le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e pour la mettre en conformitĂ© avec l’article 3 (paragraphe 33 de la dĂ©cision McLoughlin, repris au paragraphe 19 ci dessus). À cet Ă©gard Ă©galement, la loi sur les droits de l’homme joue un rĂŽle important, son article 3 exigeant que la lĂ©gislation soit interprĂ©tĂ©e et mise en Ɠuvre par l’ensemble des autoritĂ©s publiques d’une maniĂšre compatible avec la Convention.

57. Ces prĂ©cisions suffisent Ă  la Cour pour conclure Ă  l’existence d’un rĂ©examen par une autoritĂ© qui a non seulement le pouvoir mais Ă©galement l’obligation de considĂ©rer si, Ă  la lumiĂšre d’un changement significatif chez un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle et de l’accomplissement par celui ci de progrĂšs sur le chemin de l’amendement, des motifs lĂ©gitimes d’ordre pĂ©nologique permettent toujours de justifier son maintien en dĂ©tention (Vinter et autres, prĂ©citĂ©, § 125).

iii. CritÚres et modalités du réexamen

58. La Cour doit ensuite examiner les critĂšres et les modalitĂ©s du rĂ©examen des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. Dans la dĂ©cision McLoughlin, la Cour d’appel n’a pas prĂ©cisĂ© la signification de l’expression « circonstances exceptionnelles », jugeant la notion suffisamment certaine en soi. Le requĂ©rant est critique Ă  ce propos, allĂ©guant qu’il reste de ce fait dans l’incertitude. Le Gouvernement estime que les choses sont suffisamment claires, et qu’il n’était ni possible ni rĂ©alisable d’apporter davantage de prĂ©cision. Comme la Cour l’a dĂ©jĂ  relevĂ© ci-dessus, l’expression « circonstances exceptionnelles » s’étend aux progrĂšs accomplis par le dĂ©tenu concernĂ© au cours de sa peine (paragraphe 55 ci-dessus). La question qui se pose en l’espĂšce est celle de savoir si un dĂ©tenu purgeant une peine perpĂ©tuelle dans le systĂšme national sait ce qu’il doit faire pour que sa libĂ©ration puisse ĂȘtre envisagĂ©e et Ă  quelles conditions il peut obtenir un rĂ©examen de sa peine (Vinter et autres, prĂ©citĂ©, § 122 ; voir Ă©galement le paragraphe 18 de la Recommandation Rec(2003)22 et la rĂšgle 30.3 des RĂšgles pĂ©nitentiaires europĂ©ennes, citĂ©s aux paragraphes 20 et 21 ci dessus).

59. Les deux parties ont invoquĂ© des affaires examinĂ©es par des chambres de la Cour postĂ©rieurement Ă  l’arrĂȘt Vinter. Ces arrĂȘts sont effectivement pertinents en l’espĂšce, en ce qu’ils illustrent l’application par la Cour de la jurisprudence Vinter. Dans l’affaire LĂĄslĂł Magyar, c’est le manque d’indications prĂ©cises quant aux critĂšres et modalitĂ©s de collecte et d’évaluation des « renseignements personnels » du dĂ©tenu que la Cour a critiquĂ©. Elle a estimĂ© dans cette affaire que, le pouvoir exĂ©cutif n’ayant aucune obligation de motiver ses dĂ©cisions, il en dĂ©coulait que les dĂ©tenus ne savaient pas ce que l’on attendait d’eux pour que leur libĂ©ration pĂ»t ĂȘtre envisagĂ©e (LĂĄslĂł Magyar, prĂ©citĂ©, §§ 57–58). Dans le cadre de l’article 46, elle a appelĂ© les autoritĂ©s nationales Ă  procĂ©der Ă  une rĂ©forme prĂ©voyant le rĂ©examen requis et assurant que les dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  perpĂ©tuitĂ© sachent « avec un certain degrĂ© de prĂ©cision » ce qu’ils doivent faire (LĂĄslĂł Magyar, prĂ©citĂ©, § 71). Dans l’affaire Harakchiev et Tolumov, la Cour a critiquĂ© le systĂšme tel qu’il se prĂ©sentait avant 2012 en raison de son opacitĂ©, de l’absence de dĂ©clarations politiques accessibles au public, du dĂ©faut de motivation des dĂ©cisions de grĂące individuelles ainsi que du dĂ©faut total de garanties formelles et informelles (Harakchiev et Tolumov, prĂ©citĂ©, § 262). Dans une autre affaire (Trabelsi c. Belgique, no 140/10, CEDH 2014 (extraits)), la chambre a fondĂ© son constat de violation de l’article 3 sur l’absence de mĂ©canisme de rĂ©examen des peines opĂ©rant sur la base de « critĂšres objectifs et prĂ©Ă©tablis dont le dĂ©tenu aurait eu connaissance avec certitude au moment de l’imposition de la peine perpĂ©tuelle » (§ 137). Le requĂ©rant en l’espĂšce a tout particuliĂšrement tirĂ© argument de ce constat. La Cour observe que si les formulations employĂ©es dans ces arrĂȘts varient quelque peu, on retrouve dans chacun d’eux le mĂȘme point essentiel, Ă  savoir que les critĂšres et modalitĂ©s du systĂšme de rĂ©examen des peines doivent prĂ©senter un certain degrĂ© de spĂ©cificitĂ© ou de prĂ©cision, en conformitĂ© avec l’impĂ©ratif gĂ©nĂ©ral de sĂ©curitĂ© juridique.

60. Il convient Ă©galement d’avoir Ă©gard aux affaires post-Vinter dans lesquelles la Cour a conclu que le systĂšme interne rĂ©pondait aux exigences de l’article 3 quant Ă  la compressibilitĂ© des peines perpĂ©tuelles. Ces arrĂȘts, au nombre de trois, dĂ©montrent qu’un degrĂ© Ă©levĂ© de prĂ©cision n’est pas requis pour que le systĂšme concernĂ© soit jugĂ© conforme Ă  la Convention.

61. Dans la premiĂšre de ces affaires, Harakchiev et Tolumov, la Cour a estimĂ© qu’à compter de 2012 les modalitĂ©s d’exercice du droit de grĂące prĂ©sidentielle Ă©taient suffisamment claires. Bien que, en raison de sa nature mĂȘme, la procĂ©dure ne fĂ»t pas assortie de critĂšres lĂ©gaux, la Cour constitutionnelle a tirĂ© des principes directeurs des valeurs constitutionnelles, Ă  savoir « l’équitĂ©, l’humanitĂ©, la compassion, la pitiĂ©, ainsi que l’état de santĂ© et la situation familiale du condamnĂ©, et tous les changements positifs de sa personnalitĂ© » (Harakchiev et Tolumov, prĂ©citĂ©, § 258). Seul ce dernier Ă©lĂ©ment a trait aux progrĂšs accomplis par le dĂ©tenu. La Cour a relevĂ© que si la procĂ©dure ne prĂ©voyait pas la motivation des dĂ©cisions dans les cas individuels, la transparence Ă©tait nĂ©anmoins assurĂ©e par d’autres moyens. Elle a notĂ© que la commission de grĂące, instaurĂ©e pour Ă©mettre des recommandations sur les demandes de grĂące, fonctionnait conformĂ©ment Ă  des rĂšgles de procĂ©dure publiĂ©es, lesquelles exigeaient la prise en compte de la jurisprudence pertinente des juridictions internationales sur l’interprĂ©tation et l’application des instruments internationaux de protection des droits de l’homme applicables. Elle a ajoutĂ© que la commission Ă©tait tenue en vertu de ses rĂšgles de procĂ©dure de publier des rapports d’activitĂ©, ce qu’elle faisait sur une base mensuelle et annuelle, dans lesquels elle donnait des prĂ©cisions sur les critĂšres qui la guidaient dans l’examen des demandes de grĂące, les motifs des recommandations adressĂ©es par elle au vice-prĂ©sident et les dĂ©cisions de celui-ci sur ces demandes (ibidem, §§ 90-107). Elle a estimĂ© que ces mesures avaient accru la transparence de la procĂ©dure de grĂące et constituaient une autre garantie d’un exercice cohĂ©rent et transparent des pouvoirs prĂ©sidentiels Ă  cet Ă©gard (ibidem, § 259).

62. Dans l’affaire Čačko, la Cour a relevĂ© que, pour prĂ©tendre Ă  une libĂ©ration anticipĂ©e, le dĂ©tenu devait « avoir dĂ©montrĂ©, par l’accomplissement de ses obligations et par son bon comportement, qu’il s’était amendĂ© » et que « l’on [pouvait] attendre de lui qu’il se conduis[Ăźt] bien Ă  l’avenir » (Čačko, prĂ©citĂ©, § 43). Dans l’affaire Bodein, elle a notĂ© que le rĂ©examen en droit français se fondait sur la dangerositĂ© du dĂ©tenu et sur l’évolution de sa personnalitĂ© au cours de l’exĂ©cution de sa peine (Bodein, prĂ©citĂ©, § 60).

63. En l’espĂšce, sur ce point prĂ©cis, la Cour n’estime pas le systĂšme national dĂ©faillant, et ce pour deux raisons Ă©troitement liĂ©es. PremiĂšrement, il dĂ©coule clairement de la dĂ©cision McLoughlin et des dispositions de la loi sur les droits de l’homme que l’exercice du pouvoir confĂ©rĂ© par l’article 30 doit ĂȘtre guidĂ© par l’ensemble de la jurisprudence pertinente de la Cour en son Ă©tat actuel et telle qu’elle sera dĂ©veloppĂ©e ou prĂ©cisĂ©e Ă  l’avenir. En rappelant ci-dessus sa jurisprudence pertinente, la Cour entend aider le ministre et les juridictions nationales Ă  s’acquitter de leur obligation lĂ©gale d’agir d’une maniĂšre compatible avec la Convention dans ce domaine.

64. DeuxiĂšmement, ainsi que la Cour d’appel l’a dĂ©clarĂ© et que la chambre l’a admis, on peut s’attendre Ă  ce que la pratique permette de prĂ©ciser encore la signification concrĂšte du libellĂ© de l’article 30. L’obligation pour le ministre de motiver chacune de ses dĂ©cisions, sous le contrĂŽle des juridictions nationales, revĂȘt de l’importance Ă  cet Ă©gard, et permet de garantir un exercice cohĂ©rent et transparent du pouvoir d’élargissement.

65. La Cour juge cependant opportun d’ajouter qu’il serait souhaitable de rĂ©viser le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e (ainsi que d’autres sources d’information officielles) pour mettre ces textes en adĂ©quation avec le droit tel qu’il a Ă©tĂ© clarifiĂ© par la Cour d’appel et avec la jurisprudence pertinente relative Ă  l’article 3 de la Convention, de maniĂšre Ă  ce que les rĂšgles applicables en la matiĂšre soient immĂ©diatement accessibles. La Cour renvoie de nouveau aux normes pertinentes dĂ©finies par le Conseil de l’Europe (paragraphe 18 de la Recommandation Rec(2003)22, citĂ© au paragraphe 20 ci-dessus).

iv. Moment du réexamen

66. Le moment du rĂ©examen de la peine constitue un aspect particulier de la sĂ©curitĂ© juridique, la Cour ayant dĂ©clarĂ© dans l’arrĂȘt Vinter qu’un dĂ©tenu ne doit pas ĂȘtre obligĂ© d’attendre d’avoir passĂ© un nombre indĂ©terminĂ© d’annĂ©es en prison avant de pouvoir se plaindre d’un dĂ©faut de conformitĂ© avec l’article 3 de la Convention (paragraphe 44 ci-dessus).

67. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, l’existence d’un rĂ©examen automatique de la peine aprĂšs une pĂ©riode minimale dĂ©finie reprĂ©sente pour le dĂ©tenu une garantie importante contre le risque d’une dĂ©tention contraire Ă  l’article 3. La Cour renvoie Ă  cet Ă©gard Ă  l’affaire Öcalan (no 2), dans laquelle elle a estimĂ© qu’à l’évidence le droit interne n’offrait au requĂ©rant aucune possibilitĂ© de demander Ă  quelque moment que ce fĂ»t le rĂ©examen de sa peine de rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e pour des motifs lĂ©gitimes d’ordre pĂ©nologique. Elle a donc appelĂ© les autoritĂ©s turques Ă  mettre en place une procĂ©dure permettant de vĂ©rifier si le maintien en dĂ©tention du requĂ©rant se justifierait toujours aprĂšs un dĂ©lai minimum de dĂ©tention (Öcalan (no 2), prĂ©citĂ©, §§ 204 et 207). En l’espĂšce, le systĂšme interne est diffĂ©rent, en ce que le processus de rĂ©examen peut ĂȘtre initiĂ© par le dĂ©tenu Ă  tout moment. La Cour rappelle qu’elle a examinĂ© un mĂ©canisme similaire Ă  Chypre, oĂč les dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  perpĂ©tuitĂ© pouvaient obtenir le bĂ©nĂ©fice des dispositions pertinentes Ă  tout moment sans avoir Ă  purger une pĂ©riode de sĂ»retĂ© (Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 103). Cela peut ĂȘtre vu comme Ă©tant dans l’intĂ©rĂȘt des dĂ©tenus, puisqu’ils n’ont pas Ă  attendre pendant un nombre dĂ©terminĂ© d’annĂ©es pour bĂ©nĂ©ficier d’un premier rĂ©examen ou de rĂ©examens ultĂ©rieurs. Eu Ă©gard Ă  l’extrĂȘme gravitĂ© des crimes commis par les personnes relevant de cette catĂ©gorie, il y a cependant lieu de s’attendre Ă  ce qu’elles purgent une longue pĂ©riode de dĂ©tention.

68. Dans deux des affaires postĂ©rieures Ă  l’arrĂȘt Vinter qui ont fait l’objet d’un arrĂȘt de la Cour, le systĂšme national prĂ©voyait un rĂ©examen de la peine aprĂšs une pĂ©riode dĂ©terminĂ©e – vingt-cinq ans dans l’affaire Čačko et trente dans l’affaire Bodein (vingt-six ans en rĂ©alitĂ© dans le cas du requĂ©rant). Cependant, dans l’affaireHarakchiev et Tolumov, le systĂšme interne tel qu’il se prĂ©sentait postĂ©rieurement aux rĂ©formes de 2012 ne prĂ©voyait pas un dĂ©lai prĂ©cis pour le rĂ©examen des peines. Par ailleurs, dans l’affaire LĂĄszlĂł Magyar, la Cour a conclu Ă  la violation de l’article 3 et a donnĂ© des indications en vertu de l’article 46 quant aux mesures nĂ©cessaires, sans aborder la question du moment du rĂ©examen sous l’angle de l’une ou l’autre de ces dispositions.

69. Quant aux faits de la prĂ©sente affaire, la Cour estime qu’on ne saurait dire que les prĂ©occupations exprimĂ©es dans l’arrĂȘt Vinter tenant Ă  l’absence de calendrier et Ă  ses consĂ©quences pour un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle (Vinter et autres, prĂ©citĂ©, § 122) valent Ă©galement pour le requĂ©rant en l’espĂšce. Aux termes de l’article 30 de la loi de 1997, le ministre peut ordonner sa libĂ©ration « Ă  tout moment ». Partant, ainsi que le Gouvernement l’a confirmĂ©, il est loisible au requĂ©rant de demander Ă  tout moment un rĂ©examen de sa peine par le ministre. Il n’appartient pas Ă  la Cour de spĂ©culer sur le degrĂ© d’efficacitĂ© gĂ©nĂ©ralement atteint en pratique par un tel systĂšme, rĂ©glementĂ© a minima. C’est la situation particuliĂšre du requĂ©rant qui est en jeu en l’espĂšce, et celui-ci n’a en rien insinuĂ© qu’on l’avait empĂȘchĂ© ou dissuadĂ© de demander Ă  tout moment au ministre d’envisager sa libĂ©ration. Avant de conclure, la Cour renvoie cependant de nouveau, comme elle l’a fait dans l’affaire Vinter, aux Ă©lĂ©ments pertinents de droit comparĂ© et de droit international d’oĂč se dĂ©gage « une nette tendance en faveur de l’instauration d’un mĂ©canisme spĂ©cial garantissant un premier rĂ©examen dans un dĂ©lai de vingt-cinq ans au plus aprĂšs l’imposition de la peine perpĂ©tuelle, puis des rĂ©examens pĂ©riodiques par la suite » (Vinter et autres, prĂ©citĂ©, § 120 ; voir, plus rĂ©cemment et dans le mĂȘme sens, Murray, prĂ©citĂ©, § 99).

v. Conclusion

70. La Cour estime que la dĂ©cision McLoughlin a permis de remĂ©dier au manque de clartĂ© du droit interne constatĂ© dans l’arrĂȘt Vinter, qui dĂ©coulait de l’incohĂ©rence dans le systĂšme national entre le droit applicable et la politique officielle publiĂ©e. De plus, la Cour d’appel a donnĂ© des prĂ©cisions quant Ă  la portĂ©e, aux critĂšres et aux modalitĂ©s du rĂ©examen par le ministre, ainsi qu’à l’obligation pour celui-ci de libĂ©rer un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle dont le maintien en dĂ©tention ne peut plus se justifier par des motifs lĂ©gitimes d’ordre pĂ©nologique. De ce fait, le systĂšme interne, fondĂ© sur des textes lĂ©gislatifs (la loi de 1997 et la loi sur les droits de l’homme), la jurisprudence (des juridictions internes et de la Cour) et la politique officielle publiĂ©e (le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e), ne prĂ©sente plus le contraste que la Cour avait relevĂ© dans l’arrĂȘt Vinter et autres (prĂ©citĂ©, § 130). La pratique interne pourra dĂ©finir de maniĂšre plus prĂ©cise les circonstances dans lesquelles un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle peut demander sa libĂ©ration, sur la base de motifs lĂ©gitimes d’ordre pĂ©nologique justifiant la dĂ©tention. L’obligation lĂ©gale pour les juridictions nationales de prendre en compte la jurisprudence relative Ă  l’article 3 de la Convention, telle qu’elle pourrait se dĂ©velopper Ă  l’avenir, reprĂ©sente une garantie additionnelle importante.

71. Comme la Cour l’a souvent dit, ce sont les autoritĂ©s nationales qui sont responsables au premier chef de la protection des droits reconnus par la Convention (voir, par exemple, O.H. c. Allemagne, no 4646/08, § 118, 24 novembre 2011). Pour la Cour, la Cour d’appel a tirĂ© les conclusions nĂ©cessaires de l’arrĂȘt Vinter et, en clarifiant le droit interne, a remĂ©diĂ© Ă  la cause de la violation de la Convention (voir Ă©galement Kronfeldner c. Allemagne, no 21906/09, § 59, 19 janvier 2012).

72. La Cour conclut que la peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle peut Ă  prĂ©sent ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme compressible, en conformitĂ© avec l’article 3 de la Convention.

73. Ainsi qu’elle l’a indiquĂ© d’emblĂ©e (paragraphe 37 ci-dessus), eu Ă©gard au fait que les observations des parties se sont limitĂ©es Ă  l’état actuel du droit interne, la Cour juge inutile d’examiner sĂ©parĂ©ment si la situation du requĂ©rant dans la pĂ©riode antĂ©rieure Ă  la dĂ©cision Loughlin rĂ©pondait aux exigences de l’article 3 relativement aux peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elles, telles qu’exposĂ©es dans l’arrĂȘt Vinter. Elle observe nĂ©anmoins que, comme le Gouvernement l’avait en fait lui-mĂȘme reconnu avant que la Cour d’appel ne rendĂźt sa dĂ©cision dans l’affaire McLoughlin, les circonstances matĂ©rielles entourant la peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle infligĂ©e au requĂ©rant en l’espĂšce Ă©taient alors identiques Ă  celles des requĂ©rants en l’affaire Vinter (paragraphe 23 ci-dessus).

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

Dit, par quatorze voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.

Fait en français et en anglais, puis prononcĂ© en audience publique au Palais des droits de l’homme, Ă  Strasbourg, le 17 janvier 2017.

              Johan CallewaertAndrås Sajó

Adjoint au GreffierPrésident

Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rĂšglement, l’exposĂ© des opinions sĂ©parĂ©es suivantes :

– opinion dissidente du juge López Guerra ;

– opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque ;

– opinion sĂ©parĂ©e du juge SajĂł.

A.S.

J.C.

 

OPINION DISSIDENTE DU JUGE LÓPEZ GUERRA

(Traduction)

 

Mon dĂ©saccord tient Ă  la dĂ©claration finale dans l’arrĂȘt de la Grande Chambre (paragraphe 73) par laquelle la majoritĂ© refuse d’examiner la situation du requĂ©rant antĂ©rieurement Ă  la dĂ©cision interne R. v. McLoughlin. Pour moi, cette situation (qui a dĂ©butĂ©, contrairement Ă  ce qu’estime la Grande Chambre, avec le prononcĂ© de la peine du requĂ©rant en 1984, s’étendant ainsi sur un intervalle de trente ans) a emportĂ© violation de l’article 3 de la Convention, Ă©tant donnĂ© que le requĂ©rant avait Ă©tĂ© privĂ© de tout espoir d’ĂȘtre libĂ©rĂ© dans le futur (aussi Ă©loignĂ© fĂ»t-il) et, au contraire, s’était vu imposer la certitude qu’il resterait en prison jusqu’à la fin de ses jours.

Le requĂ©rant fut condamnĂ© en 1984 Ă  une peine d’emprisonnement. Ainsi qu’il ressort des faits exposĂ©s dans l’arrĂȘt de la Grande Chambre, le juge du fond estima en 1988 qu’il s’agissait d’un cas « oĂč la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle s’imposait » et le Lord Chief Justice recommanda que l’intĂ©ressĂ© ne fĂ»t jamais libĂ©rĂ©. En 1994, le ministre informa le requĂ©rant qu’il avait dĂ©cidĂ© de lui infliger une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. En 2008, la High Court estima qu’il n’y avait aucune raison de revenir sur la dĂ©cision du ministre. Cette conclusion fut confirmĂ©e par la Cour d’appel. La mĂȘme annĂ©e, le requĂ©rant saisit la Cour. Cinq ans plus tard, en 2013, alors que la prĂ©sente requĂȘte Ă©tait toujours pendante, la Cour rendit son arrĂȘt en l’affaire Vinter et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH 2013 (extraits)), qui portait sur la compatibilitĂ© des conditions de la rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© au Royaume-Uni avec l’article 3 de la Convention. Dans cet arrĂȘt, la Cour, interprĂ©tant l’article 3, Ă©tablit que la Convention n’interdit pas l’imposition d’une peine perpĂ©tuelle ; cependant, pour ĂȘtre compatible avec l’article 3, pareille peine doit ĂȘtre compressible de jure et de facto, c’est Ă  dire qu’elle doit offrir Ă  la fois une chance d’élargissement et une possibilitĂ© de rĂ©examen (Vinter et autres, prĂ©citĂ©, § 42). Cette interprĂ©tation a Ă©tĂ© rĂ©itĂ©rĂ©e tout rĂ©cemment dans l’arrĂȘt Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, CEDH 2016). Elle constitue donc l’interprĂ©tation Ă©tablie (pour l’instant) que fait la Cour de l’article 3 de la Convention, une interprĂ©tation qui n’est pas contestĂ©e par le requĂ©rant et qui n’est donc pas l’objet de son affaire, ni celle de sa demande.

Le fondement de la prĂ©sente requĂȘte, introduite, comme rappelĂ© ci-dessus, en 2008, Ă©tait l’allĂ©gation selon laquelle que l’ordonnance de rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© Ă©tait contraire Ă  l’article 3. Devant la Grande Chambre, le requĂ©rant soutenait que mĂȘme aprĂšs la dĂ©cision McLoughlin, l’ordre juridique du Royaume-Uni, s’agissant de la rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ©, continuait d’ĂȘtre contraire Ă  cette disposition et ne rĂ©pondait pas aux exigences Ă©tablies par la Cour dans l’arrĂȘt Vinter et autres.

Dans le prĂ©sent arrĂȘt, la Grande Chambre estime que la situation actuelle dĂ©coule Ă  cet Ă©gard des orientations dĂ©finies par la jurisprudence des tribunaux britanniques, notamment par la dĂ©cision de la Cour d’appel dans l’affaire McLoughlin. Elle admet que les principes Ă©tablis dans cette dĂ©cision rendue en 2014 suppriment les carences, identifiĂ©es dans l’arrĂȘt Vinter et autres, de l’ordre juridique britannique en ce qui concerne la rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ© et sa compatibilitĂ© avec l’article 3, c’est-Ă -dire concernant la possibilitĂ© d’un rĂ©examen des conditions d’une peine d’emprisonnement Ă  vie, la portĂ©e d’un tel rĂ©examen, les critĂšres et les modalitĂ©s applicables ainsi que le calendrier du rĂ©examen. Elle conclut ainsi que, Ă  l’heure actuelle et en consĂ©quence de la dĂ©cision McLoughlin, la peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle imposĂ©e au requĂ©rant peut Ă  prĂ©sent ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme compressible, en conformitĂ© avec l’article 3 de la Convention. La Grande Chambre ne constate donc aujourd’hui aucune violation de cette disposition. MalgrĂ© les observations du requĂ©rant, je ne vois aucune raison de m’écarter du raisonnement dĂ©taillĂ© de la Grande Chambre sur ce point.

Mais bien entendu, cette conclusion (et l’emploi du terme « Ă  prĂ©sent » au paragraphe 72 de l’arrĂȘt est rĂ©vĂ©lateur) renvoie Ă  la situation telle qu’elle se prĂ©sente aujourd’hui (en 2016) en consĂ©quence de la dĂ©cision McLoughlin rendue en 2014.

À supposer que, comme l’estime la Grande Chambre, il n’y ait plus Ă  l’heure actuelle de violation de l’article 3 dans le chef du requĂ©rant en consĂ©quence de la dĂ©cision susmentionnĂ©e, une question se pose toujours concernant sa situation entre le moment oĂč l’intĂ©ressĂ© a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle et la date Ă  laquelle la dĂ©cision McLoughlin a Ă©tĂ© prononcĂ©e, transposant ainsi dans l’ordre juridique britannique les principes exposĂ©s par la Cour dans l’arrĂȘt Vinter et autres.

Dans ce dernier arrĂȘt, la Cour avait estimĂ© que la situation au Royaume Uni concernant les peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle ne respectait pas les normes posĂ©es par l’article 3. Ainsi qu’il ressort des considĂ©rations dĂ©veloppĂ©es en l’espĂšce par la Grande Chambre, pareille situation a persistĂ© jusqu’au 2014, date de la dĂ©cisionMcLoughlin. Ainsi, le requĂ©rant a Ă©tĂ© soumis depuis sa condamnation Ă  une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle jusqu’à cette date (c’est-Ă -dire pendant trente ans) Ă  une situation qui, en soi, emportait violation de l’article 3.

Je suis quelque peu troublĂ© par le fait que la Grande Chambre considĂšre que les griefs du requĂ©rant se limitent « Ă  l’état actuel du droit interne » (paragraphe 73 de l’arrĂȘt), eu Ă©gard au fait qu’il a introduit sa requĂȘte en 2008 et seulement aprĂšs avoir tentĂ© en vain pendant de nombreuses annĂ©es de faire redresser la violation, Ă  maintes reprises, devant les autoritĂ©s britanniques. Pendant cette pĂ©riode, le requĂ©rant, condamnĂ© Ă  une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle, a Ă©tĂ© privĂ© de toute perspective de rĂ©examen ou d’attĂ©nuation de sa peine. Il a donc Ă©tĂ© soumis Ă  ce que la Cour a dĂ©fini dans son arrĂȘt Vinter et autres comme un traitement inhumain, et j’estime que la Grande Chambre, dans le prĂ©sent arrĂȘt, aurait dĂ» reconnaĂźtre ce fait et conclure en consĂ©quence Ă  la violation de l’article 3.

 

 

OPINION DISSIDENTE DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

 

Table des matiĂšres

I.  Introduction (§ 1)

PremiÚre partie (§§ 2-25)

II.  Le droit issu de la Convention en matiÚre de libération conditionnelle (§§ 2-10)

A.  La reconnaissance du droit Ă  la libĂ©ration conditionnelle dans l’arrĂȘt Vinter et autres (§§ 2-6)

B.  L’exposition des « principes pertinents » sur la libĂ©ration conditionnelle dans l’arrĂȘt Murray (§§ 7-10)

III.  Le cadre juridique au Royaume-Uni en matiÚre de libération conditionnelle pour les détenus condamnés à des peines de perpétuité réelle (§§ 11-26)

A.  La rĂ©action de la Cour d’appel Ă  l’arrĂȘt Vinter (§§ 11-18)

B.  L’obligation de prendre en compte la Convention (§§ 19-25)

DeuxiÚme partie (§§ 26-47)

IV.  Les obligations de l’État dans la prĂ©sente affaire (§§ 26-34)

A.  La position du gouvernement défendeur (§§ 26-29)

B.  La position de la Grande Chambre (§§ 30-34)

V.  Quel avenir pour le systÚme de la Convention ? (§§ 35-47)

A.  Les consĂ©quences sismiques du prĂ©sent arrĂȘt pour l’Europe (§§ 35-40)

B.  Argentoratum locutum, iudicium finitum (§§ 41-47)

Conclusion (§§ 48-50)

I. Introduction (§ 1)

1. Je suis au regret de ne pas souscrire Ă  cet arrĂȘt. J’estime en effet que la dĂ©cision McLoughlin[1] ne devrait pas ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme respectant les exigences de l’article 3 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme (« la Convention ») telles qu’exposĂ©es dans l’arrĂȘt Vinter et autres[2]. Les efforts ingĂ©nieux de la majoritĂ© pour concilier la lettre et l’esprit de l’arrĂȘt Vinter et autres avec la dĂ©cision McLoughlin non seulement soulĂšvent des questions de prĂ©cision linguistique, de cohĂ©rence logique et de sĂ©curitĂ© juridique qui Ă©taient restĂ©es sans rĂ©ponse dans l’arrĂȘt Vinter, mais en outre touchent au problĂšme fondamental de la compatibilitĂ© avec la Convention de l’article 2 de la loi sur les droits de l’homme (« la loi »), tel qu’appliquĂ© en l’espĂšce par la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles (« la Cour d’appel »). La prĂ©sente opinion dissidente a pour objectif de rĂ©pondre Ă  ces questions.

PremiÚre partie (§§ 2-25)

II.  Le droit issu de la Convention en matiÚre de libération conditionnelle (§§ 2-10)

A.  La reconnaissance du droit Ă  la libĂ©ration conditionnelle dans l’arrĂȘt Vinter et autres (§§ 2-6)

2. Le 9 juillet 2013, la Cour europĂ©enne des droits de l’homme (« la Cour ») a estimĂ©, dans l’arrĂȘt Vinter et autres, que les peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle emportaient violation de l’article 3 de la Convention. La critique de la Cour portait sur deux questions Ă©troitement liĂ©es : le manque de clartĂ© du droit au moment des faits concernant la perspective de libĂ©ration pour les dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  des peines perpĂ©tuelles, eu Ă©gard Ă  l’écart entre diverses sources[3], ainsi que l’absence de tout mĂ©canisme spĂ©cifique de libĂ©ration conditionnelle pour les dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  de telles peines[4]. ConsidĂ©rant ces lacunes dans le droit interne, la Cour a estimĂ© que la peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle infligĂ©e au requĂ©rant ne pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme compressible aux fins de l’article 3 de la Convention.

3. Pour la Cour, vu l’écart entre la jurisprudence interne telle qu’exposĂ©e dans l’arrĂȘt Bieber[5] et la politique officielle exposĂ©e dans le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e (« Lifer Manual »)[6], nul ne pouvait savoir « aujourd’hui » si « le ministre suivrait sa politique restrictive actuelle, telle qu’énoncĂ©e dans l’ordonnance de l’administration pĂ©nitentiaire, ou s’il s’affranchirait du libellĂ© apparemment exhaustif de ce texte en appliquant le critĂšre de respect de l’article 3 Ă©noncĂ© dans l’arrĂȘt Bieber »[7]. La Cour a estimĂ© que la possibilitĂ© d’attaquer par la voie du contrĂŽle juridictionnel tout refus par le ministre de libĂ©rer un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  la rĂ©clusion Ă  perpĂ©tuitĂ©, tout en permettant de clarifier le cadre juridique, ne suffisait pas Ă  pallier le manque de clartĂ© qui existait au moment des faits (« actuellement ») quant Ă  l’état du droit national applicable[8].

4. La Cour a ajoutĂ© que, pour qu’une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle fĂ»t compatible avec l’article 3, un mĂ©canisme de libĂ©ration conditionnelle devait ĂȘtre en place au moment oĂč la peine Ă©tait prononcĂ©e. Le rĂ©examen en vue de la libĂ©ration conditionnelle devait avoir lieu selon un calendrier prĂ©dĂ©terminĂ© et raisonnable, sans que cela empĂȘchĂąt le dĂ©tenu concernĂ© de demander un tel rĂ©examen Ă  son initiative Ă  tout moment aprĂšs le prononcĂ© de la peine[9].

5. Les critĂšres et modalitĂ©s, y compris le calendrier, s’agissant d’évaluer le caractĂšre appropriĂ© de la libĂ©ration conditionnelle doivent ĂȘtre Ă©tablis par la loi de maniĂšre claire et prĂ©visible, sur la base en premier lieu de considĂ©rations de rĂ©insertion (c’est-Ă -dire de prĂ©vention spĂ©ciale) et en deuxiĂšme lieu de considĂ©rations de dissuasion (c’est-Ă -dire de prĂ©vention gĂ©nĂ©rale). Les critĂšres ne doivent pas se limiter Ă  une infirmitĂ© mentale ou physique du dĂ©tenu ou au fait que celui-ci soit Ă  l’article de la mort. Pareils « motifs d’humanitĂ© » sont manifestement trop restrictifs. Selon la Cour, tel Ă©tait le cas de l’article 30 de la loi de 1997 sur les peines en matiĂšre criminelle et du manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e.

6. Il dĂ©coule logiquement de ce qui prĂ©cĂšde que, si les individus condamnĂ©s pour les crimes les plus atroces doivent disposer d’un mĂ©canisme de libĂ©ration conditionnelle, a fortiori les autres dĂ©tenus doivent en disposer Ă©galement. La justice serait clairement bafouĂ©e si des dĂ©linquants condamnĂ©s pour des infractions moins graves ne pouvaient obtenir une libĂ©ration conditionnelle dĂšs qu’ils sont aptes Ă  rĂ©intĂ©grer la sociĂ©tĂ©, alors qu’une telle possibilitĂ© serait offerte Ă  des dĂ©linquants condamnĂ©s pour des infractions plus graves. En d’autres termes, la Convention garantit un droit Ă  la libĂ©ration conditionnelle si et lorsque les conditions juridiques requises pour la libĂ©ration sont rĂ©unies. De plus, la libĂ©ration conditionnelle n’est pas une libĂ©ration de la peine mais une forme modifiĂ©e de l’ingĂ©rence de l’État dans la libertĂ© de la personne condamnĂ©e, au moyen d’un contrĂŽle exercĂ© sur sa vie en gĂ©nĂ©ral, ce contrĂŽle pouvant prendre une forme trĂšs stricte, avec des conditions strictes, selon les besoins de chaque personne libĂ©rĂ©e sous conditions.

B.  L’exposition des « principes pertinents » sur la libĂ©ration conditionnelle dans l’arrĂȘt Murray (§§ 7-10)

7. Dans l’arrĂȘt Murray, la Cour a Ă©tĂ© encore plus explicite[10]. Selon les paragraphes 99 et 100 de cet arrĂȘt, le mĂ©canisme de libĂ©ration conditionnelle doit respecter les cinq « principes pertinents » contraignants suivants :

1) Le principe de légalité (« rÚgles ayant un degré suffisant de clarté et de certitude », « conditions définies dans le droit interne ») ;

2) Le principe de l’évaluation des motifs d’ordre pĂ©nologique justifiant le maintien en dĂ©tention, sur la base de « critĂšres objectifs et dĂ©finis Ă  l’avance », qui incluent la resocialisation (prĂ©vention spĂ©ciale), la dissuasion (prĂ©vention gĂ©nĂ©rale) et la rĂ©tribution ;

3) Le principe de l’évaluation selon un calendrier prĂ©dĂ©fini et, dans le cas des dĂ©tenus Ă  vie, « dans un dĂ©lai de vingt-cinq ans au plus aprĂšs l’imposition de la peine, puis [au moyen de] rĂ©examens pĂ©riodiques par la suite » ;

4) Le principe de garanties procĂ©durales Ă©quitables, au nombre desquelles doit figurer Ă  tout le moins l’obligation de motiver les dĂ©cisions de refus d’octroi de la libĂ©ration ou de rĂ©vocation de celle-ci ;

5) Le principe d’un contrîle juridictionnel.

8. Dans l’arrĂȘt Murray, la Cour a rĂ©affirmĂ© que, en principe, les critĂšres sur lesquels doit se fonder toute dĂ©cision d’accorder ou non une libĂ©ration conditionnelle doivent ĂȘtre Ă©tablis par la loi d’une maniĂšre claire et prĂ©visible. Outre l’arrĂȘt Vinter et autres, les prĂ©cĂ©dents entĂ©rinĂ©s par la Grande Chambre sont les arrĂȘtsTrabelsi[11], LĂĄszlĂł Magyar[12] et Harakchiev et Tolumov[13]. Cette position se retrouve Ă©galement dans le paragraphe 10 de la RĂ©solution 76(2) du ComitĂ© des Ministres, dans les paragraphes 3, 4 et 20 de la Recommandation Rec(2003)22 du ComitĂ© des Ministres et dans le paragraphe 34 de la Recommandation Rec(2003)23 du ComitĂ© des Ministres et, Ă  l’échelle internationale, dans l’article 110 du Statut de 1998 de la Cour pĂ©nale internationale (statut de Rome) et dans la RĂšgle 223 (CritĂšres pour l’examen de la question de la rĂ©duction de la peine) de son RĂšglement de procĂ©dure et de preuve. Ainsi, selon la Grande Chambre, les critĂšres d’apprĂ©ciation de la libertĂ© conditionnelle ne sont pas laissĂ©s Ă  la discrĂ©tion des États membres. Le mĂ©canisme de rĂ©examen en vue de la libĂ©ration conditionnelle doit se fonder sur « des critĂšres objectifs et dĂ©finis Ă  l’avance », c’est-Ă -dire ces « motifs lĂ©gitimes d’ordre pĂ©nologique » explicitement Ă©tablis au paragraphe 100 de l’arrĂȘt Murray. Surtout, la Cour a rĂ©affirmĂ© que les motifs d’ordre pĂ©nologique ne devaient pas ĂȘtre assimilĂ©s Ă  ni confondus avec « des motifs d’humanitĂ© tenant Ă  un mauvais Ă©tat de santĂ©, Ă  une invaliditĂ© physique ou Ă  un Ăąge avancĂ© »[14].

9. Selon l’arrĂȘt Murray, le rĂ©examen en vue d’une libĂ©ration conditionnelle doit avoir lieu dans un dĂ©lai raisonnable et dĂ©fini Ă  l’avance. Le prĂ©cĂ©dent invoquĂ© par la Cour Ă  cet Ă©gard Ă©tait l’arrĂȘt Bodein c. France[15]. Cette position est conforme au paragraphe 9 de la RĂ©solution (76)2 et au paragraphe 5 de la Recommandation Rec(2003)22 du ComitĂ© des Ministres et aussi, au niveau gĂ©nĂ©ral, Ă  l’article 110 §§ 3 et 5 du Statut de Rome. Dans les cas oĂč la question de la libĂ©ration conditionnelle n’est pas tranchĂ©e au moment du rĂ©examen initial, la situation du dĂ©tenu devrait ĂȘtre rĂ©examinĂ©e Ă  des intervalles raisonnables, et pas trop espacĂ©s, comme indiquĂ© au paragraphe 12 de la RĂ©solution (76)2 du ComitĂ© des Ministres et au paragraphe 21 de la Recommandation Rec(2003)22 du ComitĂ© des Ministres.

10. Enfin, toujours Ă  la lumiĂšre des « principes pertinents » dĂ©gagĂ©s dans l’arrĂȘt Murray, la dĂ©cision de libĂ©ration conditionnelle doit ĂȘtre prise dans le cadre d’une procĂ©dure Ă©quitable et contradictoire, doit ĂȘtre motivĂ©e et doit ĂȘtre susceptible d’un contrĂŽle juridictionnel[16]. Cela est Ă©galement prĂ©vu par le paragraphe 32 de la Recommandation Rec(2003)22 du Conseil des Ministres, l’article 110 § 2 du Statut de Rome et la rĂšgle 224 de son RĂšglement de procĂ©dure et de preuve[17].

En rĂ©sumĂ©, aprĂšs avoir Ă©tabli les « principes pertinents » susmentionnĂ©s, on aurait pu s’attendre Ă  ce que la Cour ait atteint dans l’arrĂȘt Murray un point de non-retour dans sa fonction normative en matiĂšre de protection des droits de l’homme des dĂ©tenus. Malheureusement, cette attente s’est avĂ©rĂ©e vaine en l’espĂšce.

III. Le cadre juridique au Royaume-Uni en matiÚre de libération conditionnelle pour les détenus condamnés à des peines de perpétuité réelle (§§ 11-26)

A. La rĂ©action de la Cour d’appel Ă  l’arrĂȘt Vinter (§§ 11-18)

11. Dans l’affaire McLoughlin, la Cour d’appel a Ă©tĂ© spĂ©cifiquement constituĂ©e pour examiner la question de la compatibilitĂ© d’une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle avec la Convention. Elle a estimĂ© que l’arrĂȘt Vinter et autres n’empĂȘchait pas l’imposition de peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle pour des « crimes atroces » dĂšs lors que le droit d’Angleterre et du pays de Galles prĂ©voyait bien la compressibilitĂ© de ces peines, les conditions exposĂ©es dans le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e, bien qu’exceptionnelles, n’étant pas trop restrictives et ayant en rĂ©alitĂ© « une acception large pouvant ĂȘtre prĂ©cisĂ©e au cas par cas, comme cela se passe dans le cadre de la common law ». En d’autres termes, la Cour d’appel a estimĂ© que la Grande Chambre avait mal interprĂ©tĂ© l’article 30 de la loi de 1997 sur les peines en matiĂšre criminelle et le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e[18].

12. La Cour d’appel a rĂ©pondu Ă  la critique de l’arrĂȘt Vinter et autres dans les termes suivants : « Il nous semble que la Grande Chambre a attachĂ© une grande importance au fait que la politique exposĂ©e dans le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e n’a pas Ă©tĂ© rĂ©visĂ©e. Or, cela est Ă  notre avis sans consĂ©quence du point de vue du droit »[19]. Ainsi, la Cour d’appel, dans un raisonnement artificiel, Ă©nonce implicitement que le ministre se mettrait dans l’illĂ©galitĂ© en suivant sa propre politique publiĂ©e, qu’elle a par ailleurs jugĂ©e « extrĂȘmement restrictive »[20]. Pour la haute juridiction britannique, dĂšs lors qu’un dĂ©linquant condamnĂ© Ă  une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle peut Ă©tablir que des « circonstances exceptionnelles » sont survenues aprĂšs l’imposition de sa peine, le ministre doit examiner toutes les circonstances pertinentes d’une maniĂšre compatible avec l’article 3. Toute dĂ©cision du ministre doit ĂȘtre motivĂ©e par rĂ©fĂ©rence aux circonstances de chaque affaire et est susceptible d’un contrĂŽle juridictionnel permettant d’expliciter la signification des termes « circonstances exceptionnelles » et « motifs d’humanitĂ© », selon le processus habituel en common law[21].

13. Le fait que la juridiction nationale rĂ©ponde spĂ©cifiquement Ă  la premiĂšre critique exprimĂ©e par la Grande Chambre dans l’arrĂȘt Vinter et autres quant Ă  la clartĂ© et la sĂ©curitĂ© de l’état du droit interne ne met pas fin au dĂ©bat. L’interprĂ©tation par la juridiction interne du droit national soulĂšve des questions assez sĂ©rieuses sur les plans linguistique, logique et juridique, ainsi que le soutient le requĂ©rant. En ce qui concerne la prĂ©cision linguistique, la question Ă©pineuse qui se pose est la suivante : qu’est-ce que l’« humanitĂ© » a Ă  voir avec « des motifs d’ordre pĂ©nologique »[22] justifiant le maintien en dĂ©tention ? Il est Ă©vident que l’interprĂ©tation par la Cour d’appel du libellĂ© de l’article 30 de la loi de 1997 sur les peines en matiĂšre criminelle et les circonstances Ă©numĂ©rĂ©es de maniĂšre exhaustive, et non simplement Ă  titre d’exemple, du chapitre 12 de l’ordonnance no 4700 de l’administration pĂ©nitentiaire ne cadre tout simplement pas avec le sens donnĂ© Ă  la notion d’« humanitĂ© » dans la culture occidentale[23]. L’« acception large » de l’expression « motifs d’humanitĂ© » est-elle large au point de n’avoir aucun lien avec le sens donnĂ© par le dictionnaire au mot « humanitĂ© » ? À cet Ă©gard, il faudrait garder Ă  l’esprit le jugement du juge Atkin dans l’affaire Liversidge v Anderson :

« Je vois avec apprĂ©hension l’attitude des juges qui, sur une simple question d’interprĂ©tation, lorsqu’ils sont face Ă  des demandes impliquant la libertĂ© du sujet, s’avĂšrent ĂȘtre plus bureaucratiques que le pouvoir exĂ©cutif. Leur fonction est de donner aux mots leur sens naturel, sans peut-ĂȘtre, en temps de guerre, tendre vers la libertĂ©, mais en suivant l’obiter dictum de C.B. Pollock dans l’affaire Bowditch v Balchin (1850, 5 Ex. 378), citĂ© avec l’approbation de mon noble et avisĂ© ami le juge Wright dans l’affaire Barnard v Gorman (1941, 3 All E.R., p. 55) : « dans une affaire qui met en jeu la libertĂ© du sujet, nous « ne pouvons pas aller au-delĂ  de l’interprĂ©tation naturelle de la loi. » »[24]

14. En termes de cohĂ©rence logique, la question inĂ©vitable est la suivante : comment peut-on soutenir logiquement qu’une disposition « extrĂȘmement restrictive »[25] telle que le chapitre 12 de l’ordonnance no 4700 de l’administration pĂ©nitentiaire puisse ĂȘtre interprĂ©tĂ©e dans une « acception large » ? Comment une rĂšgle « extrĂȘmement restrictive » relative Ă  des « conditions exceptionnelles »[26] de nature Ă  conduire Ă  l’exercice par le ministre du pouvoir que lui confĂšre l’article 30 peut-elle ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de maniĂšre extensive ? La rĂšgle d’or de l’interprĂ©tation est que les rĂšgles restrictives, formulĂ©es en termes exhaustifs, doivent donner lieu Ă  une interprĂ©tation Ă©troite[27]. Et ce pour une raison de base, qui apparaĂźt dĂ©jĂ  dans le dialogue entre Alice et Humpty Dumpty : « Lorsque j’utilise un mot », dĂ©clare Humpty Dumpty, « il signifie exactement ce que j’ai dĂ©cidĂ© qu’il signifierait – ni plus ni moins ». « Mais le problĂšme » dit Alice, « c’est de savoir si tu peux faire en sorte que les mots signifient des choses diffĂ©rentes ». « Le problĂšme », rĂ©pond Humpty Dumpty, « est de savoir qui commande, c’est tout ! ». MĂ©taphoriquement, celui qui commande, en l’occurrence le ministre, peut avoir une idĂ©e de ce que sont des « circonstances exceptionnelles » lorsqu’il y est confrontĂ©, mais les dĂ©tenus, les avocats et mĂȘme les juges auront du mal Ă  anticiper ce jugement.

15. La fragilitĂ© linguistique et logique de l’argumentation de la Cour d’appel a nĂ©cessairement une influence sur sa force juridique. En termes purement juridiques, la question cruciale est celle-ci : qu’est-ce qui peut ĂȘtre plus flou, incertain et donc imprĂ©visible qu’un pouvoir discrĂ©tionnaire de libĂ©ration dans des « circonstances exceptionnelles », qui se transforme en une obligation de libĂ©ration ayant une « acception large » conformĂ©ment aux principes exposĂ©s dans la jurisprudence de la Cour sur l’article 3 de la Convention ? Qu’est-ce qui peut ĂȘtre plus flou, incertain et donc imprĂ©visible que des « circonstances exceptionnelles » ayant une « acception large » ? Comment des juges et des juristes, mĂȘme expĂ©rimentĂ©s, peuvent-ils appliquer un systĂšme aussi imprĂ©visible et comment les dĂ©tenus peuvent-ils se fonder lĂ -dessus ? Aucune rĂ©ponse Ă  ces questions ne peut ĂȘtre trouvĂ©e dans l’arrĂȘt rendu en l’espĂšce par la majoritĂ©.

16. À premiĂšre vue, il est Ă©vident que le mĂ©canisme de rĂ©examen prĂ©vu par l’article 30 de la loi de 1997 sur les peines en matiĂšre criminelle et dans le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e, mĂȘme si on lit ces instruments Ă  la lumiĂšre de l’interprĂ©tation de la Cour d’appel, ne prĂ©voit pas « un rĂ©examen permettant aux autoritĂ©s nationales de rechercher si, au cours de l’exĂ©cution de sa peine, le dĂ©tenu a tellement Ă©voluĂ© et progressĂ© sur le chemin de l’amendement qu’aucun motif lĂ©gitime d’ordre pĂ©nologique ne permet plus de justifier son maintien en dĂ©tention »[28]. Comme indiquĂ© ci dessus, la violation constatĂ©e dans l’arrĂȘt Vinterrepose sur deux motifs, le premier Ă©tant le dĂ©faut de sĂ©curitĂ© juridique et le deuxiĂšme Ă©tant l’absence de mĂ©canisme spĂ©cifique de rĂ©examen de la peine. Ces deux motifs restent inchangĂ©s[29].

17. PremiĂšrement, la dĂ©cision McLoughlin n’a pas remĂ©diĂ© au dĂ©faut de clartĂ© et de sĂ©curitĂ© du cadre juridique. La Cour d’appel n’a pas Ă©noncĂ© clairement ce que sont les « circonstances exceptionnelles » qui sont de nature Ă  mettre en branle le mĂ©canisme de rĂ©examen, ou les motifs pour lesquels ce rĂ©examen peut ĂȘtre demandĂ©. Au contraire, elle a estimĂ© que « l’expression « circonstances exceptionnelles » [Ă©tait] en soi suffisamment certaine »[30]. Bien que la disposition pertinente du manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e soit toujours intitulĂ©e « Élargissement Ă  titre d’humanitĂ© pour des raisons mĂ©dicales », ce qui montre de maniĂšre Ă©vidente quel Ă©tait le but de l’article 30, la Cour d’appel a soutenu que l’« acception large » des « motifs d’humanitĂ© » englobait « les motifs lĂ©gitimes d’ordre pĂ©nologique ». L’affirmation n’est pas nouvelle. Elle a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© avancĂ©e par le Gouvernement et explicitement rejetĂ©e par la Grande Chambre au paragraphe 129 de l’arrĂȘt Vinter[31]. Si l’on continue ainsi, le dialogue entre les juridictions risque de prendre la forme de deux monologues parallĂšles jusqu’à ce que l’une d’elles abandonne.

18. DeuxiĂšmement, la Cour d’appel n’a pas donnĂ© la moindre indication sur les caractĂ©ristiques du processus spĂ©cifique de libĂ©ration conditionnelle par lequel un dĂ©tenu sera ou non Ă©ligible Ă  un rĂ©examen de sa peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle, notamment sur le moment auquel il ou elle peut s’attendre Ă  ĂȘtre en mesure de prĂ©senter une telle demande de rĂ©examen, sur l’instance qui devrait conduire ce rĂ©examen et sur la pĂ©riodicitĂ© des rĂ©examens ultĂ©rieurs[32].

B.  L’obligation de prendre en compte la Convention (§§ 19-25)

19. La Cour d’appel a soutenu que, en vertu des articles 3 et 6 de la loi sur les droits de l’homme, l’article 30 de la loi de 1997 devait ĂȘtre interprĂ©tĂ© et appliquĂ© de maniĂšre suffisamment large pour respecter l’article 3 de la Convention dans chaque affaire. Elle a ajoutĂ© que le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e ne restreignait pas et ne pouvait pas restreindre ou entraver de quelque maniĂšre que ce fĂ»t cette obligation. C’est lĂ  que se trouve le cƓur de l’affaire. Cet argument soulĂšve une question gĂ©nĂ©rale et fondamentale : celle de la compatibilitĂ© de l’article 2 de la loi sur les droits de l’homme, tel qu’appliquĂ© en l’espĂšce par la Cour d’appel, avec les obligations qui incombent au Royaume-Uni en vertu de la Convention[33].

20. La loi impose une obligation gĂ©nĂ©rale Ă  toutes les autoritĂ©s publiques de respecter les droits au titre de la Convention (article 6), ajoutant ainsi Ă  leur obligation gĂ©nĂ©rale d’agir conformĂ©ment aux principes du droit administratif[34]. Ces droits sont des droits internes et leur source formelle est la loi[35]. Cette obligation s’applique tant aux juridictions internes qu’au ministre, qui sont tous des autoritĂ©s publiques. Le non-respect des droits et libertĂ©s consacrĂ©s par la Convention est un acte illĂ©gal, qui donne lieu Ă  une rĂ©paration judiciaire appropriĂ©e (articles 6 et 8). La loi impose aux juridictions internes une obligation de « prendre en compte » la jurisprudence de la Cour (article 2). L’article 3 de la loi est une disposition cruciale, qui Ă©nonce l’obligation d’interprĂ©ter et de mettre en Ɠuvre la lĂ©gislation primaire et la lĂ©gislation dĂ©lĂ©guĂ©e d’une maniĂšre compatible avec les droits reconnus par la Convention, dans toute la mesure du possible. L’article 3 n’affecte pas la validitĂ© de toute lĂ©gislation primaire incompatible ou de toute lĂ©gislation dĂ©lĂ©guĂ©e si, dans ce dernier cas, la lĂ©gislation primaire empĂȘche la suppression de l’incompatibilitĂ© (sauf possibilitĂ© de rĂ©vocation). L’objectif sous-jacent de la loi est de dĂ©lĂ©guer aux juridictions l’essentiel du travail consistant Ă  assurer l’application conforme Ă  la Convention du droit interne. En bref, les dĂ©clarations d’incompatibilitĂ© doivent ĂȘtre le dernier ressort.

21. Ainsi, la Convention s’est vu confĂ©rer un effet juridique en droit interne par la loi sur les droits de l’homme et un statut constitutionnel par la lĂ©gislation Ă©tablissant la dĂ©volution du pouvoir lĂ©gislatif en Écosse, en Irlande du Nord et au pays de Galles[36]. Elle ne se substitue pas Ă  la protection en matiĂšre de droits de l’homme offerte par la common law ou par la loi, ni ne crĂ©e discrĂštement un corpus de droit fondĂ© sur les arrĂȘts de la Cour[37]. MalgrĂ© les critiques selon laquelle la loi « donnerait le champ libre aux fous, empoisonnerait les juges et enrichirait les avocats »[38], les juridictions internes ont tentĂ©, dans leur interprĂ©tation et leur application de la Convention, d’assumer une plus grande part de responsabilitĂ© pour la mise en Ɠuvre des droits et libertĂ©s consacrĂ©es par la Convention. Ils l’ont fait en croyant que le Parlement ne pouvait pas avoir eu pour intention que les droits et libertĂ©s au titre de la Convention reconnus par la loi sur les droits de l’homme demeurent gravĂ©s dans le marbre, tel qu’ils Ă©taient lorsque la loi a Ă©tĂ© adoptĂ©e[39].

22. Dans l’affaire Ullah, le juge Bingham a Ă©noncĂ© le « principe du miroir », dĂ©clarant que les juridictions nationales devaient « demeurer en phase avec la jurisprudence de Strasbourg Ă  mesure qu’elle Ă©volue au fil du temps : pas plus, mais certainement pas moins »[40]. Dans l’affaire McCaughey, la juge Hale a souscrit Ă  la mĂȘme idĂ©e, dĂ©clarant que :

« Si l’interprĂ©tation Ă©volutive des droits au titre de la Convention entraĂźne que ceux ci ont Ă  prĂ©sent un sens diffĂ©rent de celui qu’ils avaient Ă  l’adoption de la loi de 1998, alors nous avons l’obligation de donner effet Ă  son acception actuelle, plutĂŽt qu’à celle qu’ils avaient auparavant »[41].

De plus, lorsqu’il n’existe aucune jurisprudence spĂ©cifique concernant l’État dĂ©fendeur, les juridictions internes sont censĂ©es, en vertu de la loi sur les droits de l’homme, prendre en compte les dĂ©cisions de la Cour concernant des problĂšmes juridiques similaires et « tenter d’extraire des principes spĂ©cifiques de ces dĂ©cisions, puis les appliquer aux faits des affaires dont nous sommes saisis » [42], ou, en d’autres termes, respecter l’effet res interpretata des dĂ©cisions de la Cour pour l’ensemble des Parties contractantes.

23. Il convient de noter que les juridictions internes sont disposĂ©es Ă  mettre tout en Ɠuvre et Ă  adopter des interprĂ©tations trĂšs extensives des termes lĂ©gislatifs afin de se conformer Ă  la prescription lĂ©gale de permettre la compatibilitĂ© avec la Convention. Dans l’affaire de principe Ghaidan v Godin-Mendoza[43], la Chambre des lords a estimĂ©, dans un revirement de jurisprudence, que l’expression « une personne avec laquelle le locataire initial rĂ©side comme mari et femme doit ĂȘtre traitĂ©e comme le conjoint du locataire initial » devait ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme incluant les partenaires de mĂȘme sexe. Le juge Nicholls s’exprima ainsi :

« Le simple fait que le libellĂ© en cause soit incompatible avec une signification conforme Ă  la Convention ne rend pas en soi impossible une interprĂ©tation respectant la Convention en vertu de l’article 3. L’article 3 permet au libellĂ© en cause d’ĂȘtre interprĂ©tĂ© de maniĂšre large ou Ă©troite. Mais il va plus loin : il peut Ă©galement imposer Ă  un tribunal d’y lire des termes qui changent la signification de la lĂ©gislation adoptĂ©e, de maniĂšre Ă  la rendre conforme Ă  la Convention. En d’autres termes, le Parlement, lorsqu’il a adoptĂ© l’article 3, souhaitait que, seulement dans les limites de ce qui est « possible », un tribunal puisse modifier le sens, et donc l’effet, de la lĂ©gislation primaire et dĂ©rivĂ©e. »[44]

Ainsi, le rĂŽle des juridictions au Royaume-Uni n’est pas, comme dans l’interprĂ©tation traditionnelle de la loi, de trouver la vĂ©ritable signification de la disposition, mais de trouver, si possible, le sens qui s’accorde le mieux avec les droits et libertĂ©s consacrĂ©es par la Convention. En consĂ©quence, mĂȘme lorsque le libellĂ© d’une loi adoptĂ©e par le Parlement est, si on l’aborde de maniĂšre littĂ©rale, clair et dĂ©nuĂ© d’ambiguĂŻtĂ©, les juges peuvent toujours s’en Ă©carter, ajouter Ă  son libellĂ© ou l’ignorer en vertu de l’article 3 de la loi sur les droits de l’homme si cela est nĂ©cessaire aux fins de la compatibilitĂ© avec un droit consacrĂ© par la Convention[45].

24. Cependant, dans certaines affaires, les juridictions internes ont prĂ©fĂ©rĂ© dire que la poutre se trouvait dans l’Ɠil du voisin[46]. Soulignant une jurisprudence peu claire et incohĂ©rente de la Cour, le juge Slynn a donnĂ© le ton pour l’avenir dĂšs l’affaire R (Alconbury Developments Ltd) v Secretary of State for the Environment, Transport and the Regions :

« En l’absence de circonstances spĂ©ciales, il me semble que cette juridiction devrait suivre toute jurisprudence claire et constante de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme »[47].

Dans l’affaire R v Horncastle, le juge Phillips est allĂ© encore plus loin :

« Cependant, il y aura de rares occasions oĂč le juge national aura des prĂ©occupations quant Ă  savoir si une dĂ©cision de la Cour de Strasbourg apprĂ©hende suffisamment ou se concilie avec des aspects particuliers de notre procĂ©dure interne. En pareil cas, il est loisible au juge national de refuser de suivre la dĂ©cision de Strasbourg, en motivant sa dĂ©cision de refus »[48].

L’annĂ©e suivante, le juge Neuberger a rĂ©sumĂ© dans l’affaire Manchester City Council v Pinnock ce point de vue apparemment Ă©tabli, dans les termes suivants :

« Notre Cour n’est pas tenue de suivre toutes les dĂ©cisions de la Cour europĂ©enne. Non seulement il serait irrĂ©aliste de le faire, mais cela serait quelquefois inappropriĂ© car cela dĂ©truirait les capacitĂ©s de notre Cour de s’engager dans un dialogue constructif avec la Cour europĂ©enne, dialogue qui apporte une valeur ajoutĂ©e pour le dĂ©veloppement du droit de la Convention (voir, par exemple, R v Horncastle [2010] 2 AC 373). Bien entendu, nous devrions habituellement suivre une jurisprudence claire et constante de la Cour europĂ©enne (R (Ullah) v Special Adjudicator [2004] 2 AC 323). Mais nous ne sommes en rĂ©alitĂ© pas tenus de le faire ou (en thĂ©orie du moins) de suivre une dĂ©cision de la Grande Chambre. Ainsi que le juge Mance l’a soulignĂ© dans l’affaire Doherty v Birmingham City Council ([2009] AC 367, § 126), l’article 2 de la loi de 1998 exige que nos tribunaux « prennent en compte » les dĂ©cisions de la Cour europĂ©enne, mais pas nĂ©cessairement qu’ils les suivent. Cependant, lorsqu’il y a une jurisprudence claire et constante dont l’effet n’est pas incompatible avec un aspect fondamental, matĂ©riel ou procĂ©dural, de notre droit, et dont le raisonnement n’apparaĂźt pas ignorer ou mal comprendre un argument ou un point de principe, nous estimons que notre Cour aurait tort de ne pas suivre cette jurisprudence. »[49]

25. Il y a des limites Ă  ce processus, ainsi que le juge Mance (rejoint par les juges Hope, Hugues et Kerr) l’a clairement admis dans l’affaire Chester[50], « particuliĂšrement lorsque la question a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© soumise Ă  une Grande Chambre une fois ou, a fortiori, deux fois comme en l’espĂšce », se rĂ©fĂ©rant Ă  deux arrĂȘts de Grande Chambre dans les affaires Hirst[51] et Scoppola (no 3)[52]. Le juge Mance a ajoutĂ© :

« Il faudrait alors qu’un principe vĂ©ritablement fondamental de notre droit, ou une omission ou un malentendu flagrant, soit impliquĂ©, pour qu’il puisse ĂȘtre jugĂ© appropriĂ© par notre Cour d’envisager de refuser purement et simplement de suivre un arrĂȘt rendu par la Cour de Strasbourg au niveau de la Grande Chambre ».

Le juge Sumption a exprimĂ© plus ou moins la mĂȘme idĂ©e :

« Dans un sens ordinaire, l’expression « prendre en compte » une dĂ©cision de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme ne signifie rien d’autre que de la considĂ©rer, ce qui peut impliquer de la rejeter comme erronĂ©e. Cependant, ce n’est pas une approche qu’un tribunal du Royaume-Uni peut adopter, sauf dans des cas tout Ă  fait exceptionnels (...) Une dĂ©cision de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme est plus qu’un avis sur la signification Ă  donner Ă  la Convention. C’est une dĂ©cision d’une juridiction qui devrait, selon ce que le Royaume-Uni a consenti par traitĂ©, rĂ©gler dĂ©finitivement la question. Les tribunaux sont donc tenus de traiter pareilles dĂ©cisions comme des exposĂ©s faisant autoritĂ© de la Convention comme celle-ci l’a voulu, sauf s’il apparaĂźt que ces dĂ©cisions ont mal compris ou ignorĂ© tel ou tel aspect important du droit ou de la pratique anglais qui pourrait, s’il Ă©tait convenablement expliquĂ©, conduire Ă  une rĂ©vision de sa dĂ©cision par la Cour de Strasbourg. »[53]

En d’autres termes, le critĂšre dĂ©cisif des autoritĂ©s internes pour accepter de suivre les arrĂȘts de la Cour semble ĂȘtre dĂ©terminĂ© par une logique apparemment stricte de norme/exception, selon laquelle ce n’est que dans des « cas rares » ou des « cas exceptionnels », lorsque des aspects particuliĂšrement importants de l’ordre juridique interne sont ignorĂ©s ou mal compris, que les autoritĂ©s s’aventureront Ă  dire que les arrĂȘts de la Cour ne doivent pas ĂȘtre suivis[54]. Tel Ă©tait prĂ©cisĂ©ment raisonnement qui Ă©tait sous jacent Ă  l’arrĂȘt de la Cour d’appel[55].

DeuxiÚme partie (§§ 26-47)

IV. Les obligations de l’État dans la prĂ©sente affaire (§§ 26-34)

A. La position du gouvernement défendeur (§§ 26-29)

26. Le Gouvernement soutient que l’argument du requĂ©rant concernant la dĂ©finition donnĂ©e dans le dictionnaire du terme « humanitĂ© » est hors de propos. Dans son contexte lĂ©gal, le terme « motif d’humanitĂ© » devrait Ă  prĂ©sent ĂȘtre compris Ă  la lumiĂšre des exigences de l’article 3 Ă  cet Ă©gard. À supposer mĂȘme, pour les besoins de la discussion, que cela devrait ĂȘtre le cas au regard de la loi sur les droits de l’homme, il reste que la Cour d’appel a refusĂ© de donner une signification prĂ©cise et concrĂšte Ă  l’expression « circonstances exceptionnelles », estimant qu’elle Ă©tait en soi suffisamment certaine. Alors que l’arrĂȘt Vinter et autres invoque le principe de sĂ©curitĂ© juridique, la Cour d’appel juge « parfaitement conforme Ă  l’état de droit » de considĂ©rer les demandes des dĂ©tenus sur une base individuelle Ă  la lumiĂšre du critĂšre d’un changement exceptionnel de circonstances. Il convient de rappeler que dans son arrĂȘt Bieber, qui fait toujours partie du droit positif, la Cour d’appel a Ă©voquĂ© « l’ensemble des circonstances matĂ©rielles, y compris la pĂ©riode (...) dĂ©jĂ  purgĂ©e et les progrĂšs effectuĂ©s en prison ». Il semble que la jurisprudence interne ne donne aucune indication spĂ©cifique concernant les critĂšres Ă  prendre en compte dans l’examen de peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. Au lieu de la spĂ©cificitĂ© requise par le principe de lĂ©galitĂ©, on trouve de la latitude.

27. La norme de la Cour quant Ă  la dĂ©finition des motifs pertinents de libĂ©ration conditionnelle est beaucoup plus exigeante. Dans l’affaire Harakchiev et Tolumov, la Cour a soulignĂ© l’importance des dĂ©clarations officielles de politique gĂ©nĂ©rale et des critĂšres gĂ©nĂ©raux guidant les autoritĂ©s dans l’exercice du pouvoir de grĂące. Elle a soulignĂ© l’importance de la transparence de la procĂ©dure[56]. Dans l’affaire LĂĄszlĂł Magyar qui a suivi l’arrĂȘt Vinter, la chambre a sanctionnĂ© le dĂ©faut d’orientation spĂ©cifique concernant les critĂšres directeurs et les conditions applicables pour l’exercice du droit de grĂące prĂ©sidentiel (le recueil et l’organisation des donnĂ©es personnelles et l’apprĂ©ciation de la demande). La solution suggĂ©rĂ©e, dans la partie de cet arrĂȘt sur l’article 46, Ă©tait d’introduire une lĂ©gislation permettant aux dĂ©tenus « de prĂ©voir, avec quelque degrĂ© de prĂ©cision, ce qu’ils doivent faire pour prĂ©senter une demande de libĂ©ration et dans quelles conditions ». Cette question a Ă©tĂ© encore prĂ©cisĂ©e dans l’arrĂȘt Trabelsi, dans lequel la chambre s’est rĂ©fĂ©rĂ©e Ă  des « critĂšres objectifs et prĂ©Ă©tablis dont le dĂ©tenu aurait eu connaissance avec certitude au moment de l’imposition de la peine perpĂ©tuelle » et permettant de dĂ©terminer « si, au cours de l’exĂ©cution de sa peine, l’intĂ©ressĂ© a tellement Ă©voluĂ© et progressĂ© qu’aucun motif lĂ©gitime d’ordre pĂ©nologique ne justifie plus son maintien en dĂ©tention »[57].

28. Le Gouvernement ne souscrit pas Ă  la dĂ©claration dans l’arrĂȘt Trabelsi selon laquelle le rĂ©examen de la peine nĂ©cessite des critĂšres prĂ©Ă©tablis[58]. Il n’estime ni nĂ©cessaire ni faisable de dĂ©crire ce qu’un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  une peine perpĂ©tuelle doit faire, par exemple en ce qui concerne les progrĂšs vers sa rĂ©insertion. Pour lui, il faut plutĂŽt prendre en compte l’ensemble des circonstances pertinentes. La position du Gouvernement n’est pas en phase avec la Recommandation Rec (2003) 22, dans laquelle il est soulignĂ© que les critĂšres que les dĂ©tenus doivent remplir pour ĂȘtre libĂ©rĂ©s sous conditions doivent ĂȘtre clairs et explicites, ni avec l’article 30.3 des RĂšgles pĂ©nitentiaires europĂ©ennes[59], qui prĂ©voit que les dĂ©tenus condamnĂ©s doivent ĂȘtre informĂ©s de la pĂ©riode devant ĂȘtre purgĂ©e et des possibilitĂ©s de libĂ©ration anticipĂ©e. De mĂȘme, l’article 100 § 4 du Statut de Rome dispose que la Cour pĂ©nale internationale peut rĂ©duire la peine si elle constate l’existence de facteurs attestant d’un changement de circonstances manifeste aux consĂ©quences apprĂ©ciables de nature Ă  justifier la rĂ©duction de la peine[60]. Ces Ă©lĂ©ments sont repris et dĂ©veloppĂ©s dans les articles 223 et 224 du RĂšglement de procĂ©dure et de preuve, dans lesquelles les exemples suivants sont donnĂ©s : le fait que le comportement de la personne condamnĂ©e en dĂ©tention montre que l’intĂ©ressĂ©e dĂ©savoue son crime ; les possibilitĂ©s de resocialisation et de rĂ©insertion rĂ©ussie de la personne condamnĂ©e ; la perspective que la libĂ©ration anticipĂ©e de la personne condamnĂ©e ne risque pas d’ĂȘtre une cause d’instabilitĂ© sociale significative ; toute action significative entreprise par la personne condamnĂ©e en faveur des victimes et les rĂ©percussions que la libĂ©ration anticipĂ©e peut avoir sur les victimes et les membres de leur famille ; la situation personnelle de la personne condamnĂ©e, notamment l’aggravation de son Ă©tat de santĂ© physique ou mentale ou son Ăąge avancĂ©.

29. DĂ©jĂ  au paragraphe 128 de l’arrĂȘt Vinter et autres, la Cour a observĂ© que ceux qui Ă©taient directement concernĂ©s ne disposaient que d’une image partielle des conditions exceptionnelles susceptibles de conduire Ă  l’exercice du pouvoir du ministre en vertu de l’article 30. Comme le dit le requĂ©rant, le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e est toujours le seul texte qui est accessible aux dĂ©tenus condamnĂ©s Ă  perpĂ©tuitĂ© quant Ă  leurs possibilitĂ©s de libĂ©ration. Il n’existe toujours aucun critĂšre publiĂ©. Pourtant, la jurisprudence de la Cour fournit des exemples de facteurs pertinents pour dĂ©terminer si une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle devrait ĂȘtre rĂ©examinĂ©e. Dans l’arrĂȘt Harakchiev et Tolumov, il Ă©tait relevĂ© que dans le systĂšme bulgare, les circonstances prises en considĂ©ration comprenaient l’équitĂ©, l’humanitĂ©, la compassion, la pitiĂ©, l’état de santĂ© et la situation familiale du condamnĂ©, ainsi que tous les changements positifs de sa personnalitĂ©[61]. Dans l’arrĂȘt Čačko, il est dit que la base du rĂ©examen en droit interne est le point de savoir si le dĂ©tenu « a dĂ©montrĂ© qu’il s’était amĂ©liorĂ© par le respect de ses obligations et par sa bonne conduite, et si l’on peut s’attendre Ă  ce que la personne concernĂ©e se comporte de maniĂšre appropriĂ©e Ă  l’avenir »[62]. Dans l’arrĂȘt Bodein[63], la Cour a estimĂ© que la demande de libĂ©ration du dĂ©tenu serait Ă©valuĂ©e au regard de sa dangerositĂ©, de son comportement et de l’évolution de sa personnalitĂ©. Elle a jugĂ© ces Ă©lĂ©ments suffisants pour rĂ©pondre aux exigences de l’article 3 de la Convention.

B. La position de la Grande Chambre (§§ 30-34)

30. Il est vrai que dans le prĂ©sent arrĂȘt la Grande Chambre a confirmĂ© le rĂŽle prĂ©dominant du principe de lĂ©galitĂ© dans le droit pĂ©nitentiaire, particuliĂšrement en matiĂšre de libĂ©ration conditionnelle[64], ainsi que l’obligation des autoritĂ©s pĂ©nitentiaires de s’efforcer d’obtenir la rĂ©insertion du dĂ©tenu condamnĂ© Ă  une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle[65]. Il est Ă©galement vrai que la Grande Chambre a ajoutĂ© que le ministre doit motiver sa dĂ©cision de libĂ©rer ou ne pas libĂ©rer le dĂ©tenu d’une maniĂšre conforme Ă  la Convention, que ces dĂ©cisions doivent ĂȘtre susceptible de recours devant un juge et que ce contrĂŽle juridictionnel doit comporter un « examen au fond » des besoins pĂ©nologiques du dĂ©tenu concernĂ©[66]. Enfin, il est vrai que la Grande Chambre a redit qu’il faudrait un rĂ©examen automatique de la peine aprĂšs une pĂ©riode minimale dĂ©finie, en principe vingt-cinq ans aprĂšs le prononcĂ© de la peine, sans prĂ©judice de la possibilitĂ© pour le dĂ©tenu de demander un rĂ©examen de sa peine Ă  tout moment[67]. La bonne nouvelle est que la majoritĂ© n’est pas disposĂ©e Ă  laisser aux autoritĂ©s internes le soin de rĂ©gler les dĂ©tails de telles questions. Mais ce n’est qu’une facette de cette dĂ©cision.

31. L’autre facette, moins positive, est que la Grande Chambre se satisfait de la vague rĂ©fĂ©rence par la Cour d’appel aux « circonstances exceptionnelles »[68]. La Cour d’appel n’a donnĂ© aucune indication quant aux critĂšres, au poids respectif et Ă  la procĂ©dure aux fins d’apprĂ©cier les besoins pĂ©nologiques du maintien en dĂ©tention d’un dĂ©tenu condamnĂ© Ă  la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. La Cour d’appel a dĂ©clarĂ© que le pouvoir confĂ©rĂ© par l’article 30 devait ĂȘtre interprĂ©tĂ© et serait interprĂ©tĂ© en conformitĂ© avec la Convention et la jurisprudence de la Cour. Cependant, la Cour d’appel n’a pas prĂ©cisĂ© ce que serait cette interprĂ©tation. En fait, elle a donnĂ© un chĂšque en blanc au ministre, et la Cour n’y trouve rien Ă  redire dans le prĂ©sent arrĂȘt. À l’instar du juge Atkin dans son opinion dissidente jointe Ă  l’arrĂȘt Liversidge v Anderson, je conteste l’interprĂ©tation mise en Ɠuvre par la Cour d’appel et la majoritĂ© de la Cour, qui a pour effet concret de donner Ă  un ministre un pouvoir sans limite sur la libertĂ© des femmes et des hommes.

32. Cette complaisance est Ă©galement illustrĂ©e par le dĂ©faut d’application au niveau interne de l’interprĂ©tation actuelle de la Cour d’appel ; le Gouvernement n’a pas pu fournir un seul exemple depuis l’entrĂ©e en vigueur de l’article 30 de la loi de 1997 sur les peines en matiĂšre criminelle, ou au moins depuis l’arrĂȘt Bieber, oĂč un individu condamnĂ© Ă  une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle aurait Ă©tĂ© libĂ©rĂ© sur la base de motifs d’ordre pĂ©nologique. Le Gouvernement n’a pas davantage citĂ© une pratique dĂ©montrant que, malgrĂ© ces lacunes, le systĂšme opĂšre bien en fait d’une maniĂšre conforme Ă  la Convention, en ce qui concerne les garanties procĂ©durales, telles que la divulgation, le droit de plaidoirie lors d’une audience sur le rĂ©examen de la peine et le droit d’avoir une motivation pour une dĂ©cision nĂ©gative. Le dĂ©faut de toute affaire oĂč l’interprĂ©tation susmentionnĂ©e a Ă©tĂ© appliquĂ©e ne fait que dĂ©montrer que cette interprĂ©tation Ă©tait, et est toujours, purement virtuelle. En rĂ©alitĂ©, l’interprĂ©tation de la Cour d’appel contredit mĂȘme la politique du Gouvernement telle qu’elle est exposĂ©e noir sur blanc, urbi et orbi, sur les pages web du gouvernement britannique (« la personne n’est pas susceptible d’ĂȘtre libĂ©rĂ©e »)[69] et du Conseil de dĂ©termination des peines (Sentencing Council), qui est un organe public dĂ©pendant du ministĂšre de la Justice (« il [le dĂ©linquant] ne sortira jamais de prison »)[70]. En rĂ©alitĂ©, la pratique des tribunaux demeure fidĂšle Ă  la politique strictement punitive du Gouvernement et de son Conseil de dĂ©termination des peines, et n’a tenu aucun compte de l’interprĂ©tation de la Cour d’appel, ainsi qu’il ressort des observations de Sir John Griffiths Williams sur la peine, dans l’arrĂȘt R v Christopher Halliwell (Crown Court de Bristol, 23 septembre 2016) :

« J’estime que votre degrĂ© d’infraction est exceptionnellement Ă©levĂ© et remplit les critĂšres pour une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle, et que les dispositions transitoires n’exigent pas de moi de vous imposer une peine minimale. Si je devais vous imposer une peine minimale, elle serait d’une telle durĂ©e que, selon toute probabilitĂ©, vous ne seriez jamais libĂ©rĂ©. Je vous condamne Ă  l’emprisonnement Ă  vie et ordonne que ce soit une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. »

Ainsi que dans les observations du juge Wilkie sur la peine, dans l’arrĂȘt R v Thomas Mair (Central Criminal Court, 23 novembre 2016) :

« J’ai examinĂ© cette affaire avec minutie mais j’ai conclu que cette infraction, comme je l’ai dĂ©crite, prĂ©sente un tel degrĂ© de gravitĂ© exceptionnelle qu’elle ne peut ĂȘtre sanctionnĂ©e convenablement que par une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. C’est la peine que je vous inflige. DĂšs lors, vous ne serez libĂ©rĂ©, si jamais vous l’ĂȘtes, que par le ministre qui exercera sa grĂące exĂ©cutive pour des motifs humanitaires pour vous permettre de mourir chez vous. La dĂ©cision de savoir si cela se passera ou non appartiendra Ă  celui qui exercera ses fonctions le moment venu. »

Et aussi dans les observations du juge Openshaw sur la peine, dans l’arrĂȘt R v Stephen Port (Central Criminal Court, 25 novembre 2016) :

« Partant, la peine correspondant aux chefs de meurtre est une peine de réclusion à perpétuité ; je refuse de fixer une peine minimale, ce qui entraßne une peine de perpétuité réelle et signifie que le défendeur mourra en prison. »

33. Il convient de mentionner Ă  ce stade que la Grande Chambre elle mĂȘme a admis au paragraphe 65 du prĂ©sent arrĂȘt que l’interprĂ©tation de la Cour d’appel n’était pas accessible, dans ce qui est manifestement un euphĂ©misme complaisant par rapport Ă  la rĂ©alitĂ©[71]. Cette complaisance va de pair avec le rĂŽle rĂ©duit assignĂ© Ă  la Cour par le paragraphe 63, central, de l’arrĂȘt. Dans ce paragraphe, la majoritĂ© est censĂ©e fournir la justification ultime pour parvenir Ă  un constat de non-violation. Le paragraphe déçoit le lecteur. Le dĂ©faut actuel de clartĂ© et de sĂ©curitĂ© dans le cadre juridique interne est sauvĂ© par l’hypothĂšse gĂ©nĂ©reuse de la Cour selon laquelle le ministre, en exerçant les pouvoirs que lui confĂšre l’article 30, suivra une politique diffĂ©rente de celle qu’il a dĂ©libĂ©rĂ©ment maintenue en vigueur depuis l’arrĂȘt Vinter et autres.

34. Il est Ă©trange que la majoritĂ© prĂ©tende qu’une clarification future du droit sera de nature Ă  remĂ©dier au prĂ©sent manque de clartĂ© et de sĂ©curitĂ©, et donc Ă  la violation qui existe aujourd’hui, mais il est encore plus Ă©trange de prĂ©sumer que cette clarification rĂ©sultera de l’adhĂ©sion du ministre Ă  la politique souhaitĂ©e par la Cour[72]. Quoi qu’il en soit, Ă  l’instar de ce que la juge Kalaydjieva a dit dans son opinion jointe Ă  l’arrĂȘt de la chambre, je ne vois pas quelle influence le dĂ©veloppement progressif du droit depuis l’arrĂȘt Bieber en 2009 pouvait avoir sur la situation du requĂ©rant un an auparavant, en 2008, lorsqu’il a soumis ses griefs Ă  la Cour, ou au moment de leur examen par la chambre en 2015 et par la Grande Chambre en 2016.

V. Quel avenir pour le systÚme de la Convention ? (§§ 35-47)

A. Les consĂ©quences sismiques du prĂ©sent arrĂȘt pour l’Europe (§§ 35-40)

35. La Cour d’appel a dĂ©clarĂ© qu’elle avait raison dans l’arrĂȘt Bieber et que la Cour avait tort dans l’arrĂȘt Vinter et autres. À prĂ©sent, la Grande Chambre revient sur son arrĂȘt Vinter et autres, admettant que la Cour d’appel avait raison et que le droit anglais avait dĂ©jĂ , depuis la dĂ©cision Bieber au moins, un mĂ©canisme de libĂ©ration conditionnelle pour les personnes condamnĂ©es Ă  perpĂ©tuitĂ© compatible avec la Convention. Ce n’est pas un Ă©vĂ©nement isolĂ©. Dans l’arrĂȘt Al-Khawaja et Tahery[73], la Grande Chambre a admis le principe dĂ©gagĂ© dans l’arrĂȘt Horncastle de la Cour suprĂȘme, et dans l’arrĂȘt Horncastle c. Royaume-Uni [74], la chambre a conclu Ă  la non-violation de l’article 6 malgrĂ© l’utilisation de tĂ©moignages par ouĂŻ dire ayant conduit Ă  la condamnation du requĂ©rant. AprĂšs le recul dans l’arrĂȘt Al-Khawaja et Tahery quant Ă  la question de la condamnation fondĂ©e uniquement ou de maniĂšre dĂ©terminante sur un tĂ©moignage par ouĂŻ-dire[75], la rĂ©gression dans l’arrĂȘt RMT sur le rĂŽle d’autres sources internationales de droits dans l’interprĂ©tation des droits du travail protĂ©gĂ© par la Convention[76], le renversement de jurisprudence dans l’arrĂȘt Animal Defenders sur la question de l’interdiction des publicitĂ©s politiques[77], et la saga Hirst toujours en cours sur les droits de vote des dĂ©tenus[78], la Cour est en pleine crise existentielle. Le scĂ©nario prĂ©-catastrophe s’aggrave encore Ă  prĂ©sent par le regrettable effet de contagion de l’arrĂȘt Hirst sur les juridictions russes[79].

36. Point n’est besoin d’un grand effort pour identifier la source de la crise. Elle tient Ă  la force d’attraction de l’argument des « rares occasions » dĂ©veloppĂ© dans l’arrĂȘt Horncastle. Le problĂšme c’est que les « rares occasions » tendent Ă  prolifĂ©rer et Ă  devenir un exemple Ă  suivre pour d’autres. Les autoritĂ©s nationales de tous les États membres seront tentĂ©es de choisir leurs propres « rares occasions » lorsqu’elles ne seront pas satisfaites par un certain arrĂȘt ou une certaine dĂ©cision de la Cour afin de s’exonĂ©rer de leurs obligations internationales de le ou la mettre en Ɠuvre, particuliĂšrement s’agissant de la protection de minoritĂ©s, telles que les dĂ©tenus, les personnes LGBT, les demandeurs d’asile, les migrants, les Ă©trangers, les Roms et d’autres groupes non-Ă©tatiques qui rĂ©sident dans les Parties contractantes (comme par exemple le peuple kurde), pour n’en mentionner que quelques-unes. Il y a toujours une minoritĂ© que la majoritĂ© est prompte Ă  traiter comme un bouc Ă©missaire pour tous les maux de la sociĂ©tĂ©, en lui imposant des restrictions et limitations contestables sur l’exercice des droits et libertĂ©s consacrĂ©s par la Convention[80].

37. Le risque de manipulation par les autoritĂ©s nationales dans leurs propres intĂ©rĂȘts devient intolĂ©rablement Ă©levĂ© lorsqu’elles prĂ©tendent n’ĂȘtre liĂ©es que par une jurisprudence « claire et constante » de la Cour de Strasbourg, contestant ainsi l’effet res interpretata des arrĂȘts de chambre, voir des arrĂȘts de Grande Chambre, « incongrus », « insolites », ou « trop gĂ©nĂ©raux ». Le critĂšre des autoritĂ©s internes pour accepter l’autoritĂ© des arrĂȘts de la Cour devient alors beaucoup plus discrĂ©tionnaire, fondĂ© sur une frontiĂšre Ă  l’évidence trĂšs fluide entre la jurisprudence claire/pas claire, constante/non constante, permettant ainsi le rejet de la force contraignante et interprĂ©tative de tout arrĂȘt de la Cour sur des questions nouvelles ou polĂ©miques[81]. Comme si le systĂšme de la Convention n’avait pas ses propres mĂ©canismes internes pour garantir la cohĂ©rence, y compris, notamment, le renvoi Ă  la Grande Chambre et la fonction de Jurisconsulte. Comme si toute tentative par la Cour de naviguer dans des eaux inconnues ou de changer de route devait se voir accorder un ex post fiat par les autoritĂ©s internes. Comme si, en dĂ©finitive, le pouvoir confĂ©rĂ© par l’article 19 de la Convention appartenait aux autoritĂ©s nationales et non Ă  la Cour.

38. Dans ce contexte, le prĂ©sent arrĂȘt peut entraĂźner un sĂ©isme pour le systĂšme europĂ©en de protection des droits de l’homme. La dĂ©cision de la majoritĂ© reprĂ©sente un pic dans une tendance grandissante vers une rĂ©duction du rĂŽle de la Cour par rapport Ă  certaines juridictions nationales, avec le risque sĂ©rieux d’une application Ă  deux vitesses de la Convention[82]. Si la Cour continue dans cette voie, elle finira par ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une commission non judiciaire de quarante-sept experts hautement qualifiĂ©s et politiquement lĂ©gitimĂ©s, qui prononcera non pas des arrĂȘts contraignants, du moins en ce qui concerne certaines Parties contractantes, mais de simples recommandations sur « ce qui serait souhaitable » que les autoritĂ©s internes fassent, et qui agira en qualitĂ© de simple auxiliaire, afin de les « aider » Ă  remplir leurs obligations lĂ©gales et internationales[83]. La probabilitĂ© de consĂ©quences dĂ©lĂ©tĂšres pour tout le systĂšme europĂ©en de protection des droits de l’homme est renforcĂ©e par l’environnement politique actuel, qui dĂ©note une hostilitĂ© grandissante envers la Cour. Ainsi qu’un commentateur l’a dit :

« Dans ses cinquante annĂ©es d’existence, la Cour n’a jamais Ă©tĂ© soumise Ă  un tel barrage de critiques hostiles tels que celui en provenance du Royaume-Uni en 2011. Au fil des ans, certains gouvernements ont dĂ©couvert qu’il Ă©tait Ă©lectoralement populaire de critiquer les juridictions internationales telles que la Cour de Strasbourg : celles-ci sont des cibles faciles, particuliĂšrement parce qu’elles ont tendance, comme toutes les juridictions, Ă  ne pas rĂ©pliquer. »[84]

Le juge Mance a confirmé cette appréciation :

« J’ai entendu dire que, lorsque la Cour de Strasbourg n’est pas d’accord avec une dĂ©cision prise contre la France, le reproche en France est dirigĂ© contre l’instance française qui a pris la dĂ©cision, alors que, au Royaume-Uni, elle serait dirigĂ©e contre la Cour de Strasbourg. »[85]

Le juge Moses est du mĂȘme avis :

« Les critiques de nos juges ont Ă©tĂ© dirigĂ©s sur des juges Ă©trangers d’une juridiction internationale (...) On espĂ©rait qu’en augmentant le pouvoir des juges d’interprĂ©ter et d’appliquer la Convention pour rĂ©soudre les contestations internes des actions des autoritĂ©s publiques, le pouvoir des juges Ă  Strasbourg en serait rĂ©duit. Quel paradoxe de voir que les tentatives de diminuer la force de l’influence de Strasbourg n’ont fait que renforcer les vocifĂ©rations quant Ă  l’invasion de ce qui est condamnĂ© comme Ă©tant de la jurisprudence Ă©trangĂšre ! »[86]

Pour le juge Neuberger, cette campagne Ă©tait « exagĂ©rĂ©e » et « biaisĂ©e »[87]. En fait, la rhĂ©torique du scepticisme vis-Ă -vis de Strasbourg n’est pas vraiment nouvelle[88]. Le scepticisme facile et superficiel dans lequel tombent les cyniques et les mĂ©prisants, les critiques inconsĂ©quentes rĂ©pandues par les moqueurs ont toujours existĂ©. Cela reflĂšte une attitude profondĂ©ment ancrĂ©e vis-Ă -vis du droit international et des juridictions internationales, qui conteste l’universalitĂ© des droits de l’homme.

39. Le fait est que certaines autoritĂ©s nationales ont toujours rĂ©pugnĂ© Ă  apprendre de la Cour, considĂ©rant les droits de l’homme seulement comme quelque chose pouvant s’exporter et non s’importer. Pour le dire avec les mots du juge Hoffmann :

« [L]orsque nous avons adhĂ©rĂ©, en rĂ©alitĂ© pris les commandes des nĂ©gociations concernant la Convention europĂ©enne, ce n’était pas parce que nous pensions que cela affecterait notre propre droit, mais parce que nous pensions que ce serait bien de constituer un exemple pour d’autres et pour aider Ă  garantir que tous les États membres respectent ces droits fondamentaux de base qui n’était pas culturellement dĂ©finis mais qui reflĂ©taient notre humanitĂ© commune. »[89]

Dans sa ConfĂ©rence annuelle de 2009 devant le Conseil des Ă©tudes judiciaires, le juge Hoffmann a prĂ©cisĂ© sa pensĂ©e, s’élevant contre une application uniforme des « droits abstraits » garantis par la Convention et attaquant en des termes sĂ©vĂšres « la lacune fondamentale dans le concept consistant Ă  avoir une juridiction internationale des droits de l’homme qui s’occuperait de l’application concrĂšte de ces droits dans diffĂ©rents pays ».[90] Le but avouĂ© consistait Ă  mettre en question l’autoritĂ© de la Cour pour fixer des normes en matiĂšre de droits de l’homme dans toute l’Europe. Cette approche cadre parfaitement avec une certaineWeltanschauung qui a Ă©tĂ© exprimĂ©e par Milton dans son ouvrage intitulĂ© The Doctrine and Discipline of Divorce dans les termes suivants : « Ne laissons pas l’Angleterre oublier qu’elle est en premiĂšre ligne s’agissant d’apprendre aux nations comment vivre ».[91]

40. De ce point de vue, la relation entre le droit national et la Convention est singuliĂšrement dĂ©sĂ©quilibrĂ©e : l’impact du droit national sur la Convention devrait ĂȘtre maximisĂ© alors que l’impact de la Convention sur le droit interne devrait ĂȘtre minimisĂ©, sinon carrĂ©ment rejetĂ©, s’accompagnant quelquefois mĂȘme d’un appel explicite pour des solutions qui sont censĂ©ment « faites maison » et conformes Ă  l’hĂ©ritage juridique de la Grande-Bretagne, et qui permettraient aux personnes d’avoir le sentiment d’ĂȘtre propriĂ©taires de leurs droits. Dans ce contexte, l’argument tenant Ă  la « diversitĂ© des droits de l’homme » montre son vrai visage de carte souverainiste, politiquement unidirectionnelle, jouĂ©e dans le cadre de l’importation des droits de l’homme et justifiant le refus de normes « Ă©trangĂšres », c’est-Ă -dire les normes de la Convention imposĂ©e par une juridiction internationale. En mĂȘme temps, la carte « diversitĂ© en matiĂšre de droits de l’homme » est sciemment minimisĂ©e dans le cadre de l’exportation des droits de l’homme et l’imposition, au moyen d’une juridiction internationale, de valeurs et politiques internes aux autres Parties contractantes. Bien entendu, cela implique Ă©galement une comprĂ©hension partiale du revers logique de la doctrine de la « diversitĂ© des droits de l’homme », c’est-Ă -dire la doctrine de la marge d’apprĂ©ciation[92] : la marge devrait ĂȘtre plus large pour les États qui sont censĂ©s « constituer un exemple pour les autres » et plus Ă©troite pour les États qui sont censĂ©s apprendre de l’exemple. Cela ouvre de toute Ă©vidence la porte Ă  certains gouvernements pour satisfaire leur base Ă©lectorale et protĂ©ger leurs intĂ©rĂȘts favoris. À mon humble avis, lĂ  n’est pas l’objet et le but de la Convention.

B. Argentoratum locutum, iudicium finitum (§§ 41-47)

41. Deux situations diffĂ©rentes doivent ĂȘtre distinguĂ©es. Lorsque le niveau de protection des droits de l’homme au niveau national est plus Ă©levĂ© que celui offert par la Convention, on peut arguer de maniĂšre convaincante que les normes europĂ©ennes fixĂ©es par la Cour sont superfĂ©tatoires. La Convention elle-mĂȘme le permet (article 53). Rien n’empĂȘche les autoritĂ©s internes d’aller au-delĂ  de la norme fixĂ©e par Strasbourg en matiĂšre de protection des droits de l’homme, et pas seulement pour des questions que la Cour a dĂ©clarĂ©es relever de la marge nationale d’apprĂ©ciation[93]. Le « plus grand danger », perçu par le juge Brown, « selon lequel le tribunal national interprĂ©terait la Convention trop gĂ©nĂ©reusement en faveur du requĂ©rant plutĂŽt que de l’interprĂ©ter de maniĂšre trop Ă©troite »[94], a mal compris cette question : du point de vue de Strasbourg, il n’y a jamais d’interprĂ©tation interne erronĂ©e « trop gĂ©nĂ©reuse » de la Convention, simplement parce que les juridictions internes peuvent se tromper par excĂšs de prudence, mais certainement pas par excĂšs de progrĂšs. Lorsque les autoritĂ©s nationales, y compris les tribunaux, choisissent la voie d’une interprĂ©tation de la Convention qui est davantage pro persona, cette interprĂ©tation est garantie par l’article 53.

42. Également d’un point de vue britannique, les rĂ©ticences de type Ullah[95], selon lesquelles les juridictions nationales ne devraient pas aller lĂ  oĂč Strasbourg n’est pas encore allĂ©, ou, pour reprendre les mots du juge Brown, devrait faire « pas moins mais certainement pas plus »[96], semblent infondĂ©es, et ce pour diverses raisons[97]. PremiĂšrement, dans l’arrĂȘt Ullah, le juge Bingham n’était pas concernĂ© par la situation pour laquelle la Cour de Strasbourg ne s’était pas encore prononcĂ©e[98]. DeuxiĂšmement, le manque ou l’insuffisance de jurisprudence de la Cour de Strasbourg ne devrait pas ĂȘtre utilisĂ©e pour dissuader les juridictions nationales de donner plein effet aux droits consacrĂ©s par la Convention. Pareille position agnostique et passive permettrait aux Parties contractantes de contourner leurs obligations en tant que premiers gestionnaires de la Convention. La loi sur les droits de l’homme elle-mĂȘme a Ă©tĂ© conçue pour permettre aux juges britanniques de « contribuer Ă  cette interprĂ©tation dynamique et Ă©volutive de la Convention »[99], en d’autres termes, au dĂ©veloppement du droit issu de la Convention sur les droits de l’homme dans de nouvelles directions. Il est donc parfaitement juste de prĂ©tendre dans ce contexte que Strasbourg n’est pas « la source inĂ©vitable et ultime de toute sagesse »[100]. On pourrait dire, en modifiant le jugement dĂ©jĂ  modifiĂ© du juge Kerr, « Argentoratum non locutum, nunc est nobis loquendum – Strasbourg n’a pas parlĂ©, Ă  nous de parler maintenant »[101].

43. Mais lorsque le niveau interne de la protection des droits de l’homme est infĂ©rieur Ă  celui offert par la Cour, lorsque l’interprĂ©tation nationale des droits consacrĂ©s par la Convention est plus Ă©triquĂ©e que celle de Strasbourg, les autoritĂ©s internes, y compris les tribunaux, doivent agir en tant que serviteurs fidĂšles des valeurs de la Convention et reconnaĂźtre la prĂ©pondĂ©rance Ă  l’interprĂ©tation ultime et faisant autoritĂ© de la Cour (article 19 de la Convention), en rĂ©alitĂ© mĂȘme au-dessus du parlement, des diffĂ©rents organes exĂ©cutifs et de l’ordre judiciaire du Royaume-Uni. Il ne s’agit pas d’une simple obligation de moyens de trouver autant que faire se peut la meilleure solution possible pour harmoniser le droit interne et les normes europĂ©ennes, ou de rechercher une interprĂ©tation conforme Ă  la Convention du droit interne lorsqu’une telle interprĂ©tation apparaĂźt tenable au vu des mĂ©thodes traditionnellement reconnues de l’interprĂ©tation lĂ©gale et constitutionnelle. C’est beaucoup plus que cela[102]. C’est une obligation de rĂ©sultat, de mettre en Ɠuvre pleinement et de bonne foi les arrĂȘts et dĂ©cisions de la Cour ainsi que les principes qui y sont exposĂ©s[103]. MĂȘme si nous traitons de droits au titre d’une loi britannique, en rĂ©alitĂ© les autoritĂ©s nationales n’ont pas le choix, ainsi que le juge Rodger l’a si brillamment exprimĂ© : « Argentoratum locutum, iudicium finitum – Strasbourg a parlĂ©, l’affaire est close ».[104]

44. Telle est Ă©galement la comprĂ©hension entĂ©rinĂ©e au plus haut niveau politique par les reprĂ©sentants des Parties contractantes dans la dĂ©claration de Brighton : « Toutes les lois et politiques devraient ĂȘtre conçues et tous les agents publics devraient exercer leurs responsabilitĂ©s d’une maniĂšre qui donne plein effet Ă  la Convention »[105]. Ou pour reprendre les termes empreints de sagesse du juge Neuberger lorsqu’il Ă©voquait la regrettable saga Hirst : « Nous pouvons penser qu’il est inopportun que Strasbourg mette son nez dans les questions du droit de vote des dĂ©tenus au motif que la dĂ©cision en la matiĂšre devrait ĂȘtre laissĂ©e Ă  notre parlement ». Mais il a Ă©galement ajoutĂ© : « on peut penser que cela est un prix modeste Ă  payer pour une Europe civilisĂ©e que d’ĂȘtre quelquefois obligĂ©s d’adapter un peu nos lois ».[106] Et cela correspond certainement Ă  la meilleure tradition du droit international du Royaume-Uni, synthĂ©tisĂ©e par les termes de la confĂ©rence de Grotius en 1949 du professeur Lauterpacht, lorsque celui-ci affirmait :

« La portĂ©e indĂ©niablement large du transfert de souverainetĂ© impliquĂ©e par la Cour et la Commission europĂ©ennes des droits de l’homme qui sont envisagĂ©es (...). Car ces propositions impliquent non seulement le pouvoir, dont seront investies des instances internationales, d’examiner et de contrĂŽler des dĂ©cisions judiciaires des plus hautes juridictions nationales, mais aussi l’autoritĂ© de contrĂŽler des actes lĂ©gislatifs de parlements souverains. »

Il a poursuivi en indiquant une longue liste de « questions pouvant ĂȘtre soulevĂ©es en Grande-Bretagne », notamment l’emprisonnement arbitraire. Il a encore prĂ©cisĂ© plus explicitement les choses en admettant que:

« Ces possibilitĂ©s doivent ĂȘtre clairement gardĂ©es en mĂ©moire et pleinement rendues publiques au point d’admettre que, dans un sens distinct, une part de la souverainetĂ© nationale sera transfĂ©rĂ©e aux sept personnes composant la Cour europĂ©enne des droits de l’homme. AprĂšs avoir fait cela – mais seulement aprĂšs – nous pourrons ĂȘtre libres de dire qu’un tel achĂšvement est inĂ©vitable si la proclamation de l’allĂ©geance aux droits de l’homme ne doit pas rester lettre morte. »[107].

À la mĂȘme occasion, M. Barrington, qui s’était trouvĂ© avec Sir David Maxwell Fyfe dans les rĂ©unions du mouvement europĂ©en et dans la rĂ©daction de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, exprima la position de principe visionnaire de la dĂ©lĂ©gation britannique :

« Je pense que les gouvernements rĂ©pugneront Ă  accepter quoi que ce soit impliquant une renonciation Ă  leur souverainetĂ©, mais il vous appartient de briser leur rĂ©pugnance. Toute personne pouvant soutenir les efforts faits Ă  Strasbourg pour porter cette Convention apportera une contribution importante Ă  la cause mondiale des droits de l’homme. »[108]

45. En consĂ©quence, les autoritĂ©s nationales, y compris les tribunaux, doivent agir d’une façon qui s’accorde avec le principe « pacta sunt servanda » et se conformer Ă  la lettre et aux principes des arrĂȘts et dĂ©cisions de la Cour, y compris ceux qui sont rendus contre d’autres Parties contractantes. En tant que premiers gestionnaires de la Convention, les autoritĂ©s nationales doivent donc se conformer au dernier mot de la Cour, Ă  qui est confiĂ© le maintien uniforme de « l’instrument constitutionnel de l’ordre public europĂ©en »[109], dĂšs lors que le niveau interne de protection des droits de l’homme est infĂ©rieur Ă  celui de la Cour.

46. Ainsi que la juge Hale l’a Ă©crit, « il n’y a aucune raison pour qu’un État, une fois qu’il s’est engagĂ© Ă  respecter certaines normes minimales, ne puisse s’en dĂ©gager en dĂ©finissant les termes utilisĂ©s de sa propre maniĂšre »[110]. Ni la suprĂ©matie du Parlement ni l’indĂ©pendance de l’ordre judiciaire ne peuvent ĂȘtre invoquĂ©es pour s’exonĂ©rer de l’obligation prĂ©vue dans la Convention de mise en Ɠuvre des arrĂȘts et dĂ©cisions de la Cour (article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s). La Convention « ne fait aucune distinction quant au type de rĂšgles ou de mesures concernĂ©es et n’exclut aucune partie de la « juridiction » des États membres du contrĂŽle en vertu de la Convention. »[111]

47. En droit constitutionnel, pas mĂȘme le cƓur de la Constitution nationale, qui implique des enjeux politiques plus Ă©levĂ©s (tel que les dispositions sur la composition des plus hautes instances politiques et judiciaires de l’État), ne peut ĂȘtre dĂ©terminant en cas de conflit avec des obligations internationales dĂ©coulant de la Convention et de ses protocoles[112]. Toute autre approche approuvant du bout des lĂšvres les arrĂȘts et dĂ©cisions de la Cour mais rejetant finalement leur force contraignante de chose jugĂ©e pour les parties et de res interpretata pour l’ensemble des Parties contractantes violerait le principe « pacta sunt servanda » et le prĂ©cepte instrumental de bonne foi (article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s). En tant que premier prĂ©sident de la Cour, le juge McNair l’a dit : « La mise en Ɠuvre des traitĂ©s est soumise Ă  une obligation primordiale de bonne foi mutuelle »[113]. Soit la Convention et les arrĂȘts et dĂ©cisions de la Cour sont pleinement et fidĂšlement honorĂ©s, soit des frictions entre Strasbourg et les autoritĂ©s nationales deviendront la norme plutĂŽt que l’exception. Cela se produirait de toute Ă©vidence au dĂ©triment des personnes physiques et morales qui viennent Ă  Strasbourg demander justice et, finalement, dĂ©terminerait le sort du systĂšme lui-mĂȘme. Le choix entre deux voies opposĂ©es est Ă  prĂ©sent clair pour les gouvernements de toute l’Europe. Entre la tentation isolationniste et souverainiste et le vĂ©ritable engagement en faveur d’une « union plus Ă©troite » entre les États europĂ©ens poursuivant le « dĂ©veloppement des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales »[114], on attend que les pĂšres fondateurs du systĂšme ne soient pas les architectes de sa chute et que prĂ©valent le respect de l’hĂ©ritage inspirant de Sir Hersch Lauterpacht et le travail accompli de Sir David Maxwell Fyfe.

Conclusion (§§ 48-50)

48. Les « grands bĂ©nĂ©fices apportĂ©s au droit et Ă  un grand nombre de personnes » par la loi sur les droits de l’homme sont contestables[115]. Autant que les dĂ©veloppements substantiels que la Cour a initiĂ©s dans un pays dans lequel « l’idĂ©e qu’un citoyen soit titulaire de droits qu’il puisse revendiquer contre l’État lui-mĂȘme nous Ă©tait inconnue ».[116] Mais l’arrĂȘt McLoughlin illustre la faiblesse potentielle du modĂšle de la loi sur les droits de l’homme, lorsqu’une juridiction interne ne prend pas pleinement en compte la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. La Cour d’appel n’a pas remĂ©diĂ© aux lacunes du droit interne Ă  la suite de l’arrĂȘt Vinter et autres.

49. Si l’arrĂȘt McLoughlin reprĂ©sente tout ce qui peut ĂȘtre accompli judiciairement pour rĂ©pondre Ă  l’arrĂȘt Vinter et autres, alors, comme l’a dĂ©jĂ  admis la Commission mixte des droits de l’homme du parlement britannique, un changement de lĂ©gislation est nĂ©cessaire. Comme le juge Nicholls l’a dĂ©clarĂ© Ă  une occasion, « le Parlement ne peut pas avoir eu l’intention de dire que l’article 3 allait exiger des tribunaux de prendre des dĂ©cisions pour lesquelles ils ne sont pas Ă©quipĂ©s. Il peut y avoir plusieurs façons de se conformer Ă  la Convention, et ce choix peut impliquer des questions appelant une dĂ©libĂ©ration lĂ©gislative. »[117]

50. Quoiqu’il en soit, en l’espĂšce, la violation de l’article 3 s’est cristallisĂ©e le 6 octobre 2008, date Ă  laquelle la Cour d’appel a dĂ©boutĂ© le requĂ©rant, confirmant la conclusion de la High Court selon laquelle il n’y avait pas de raison de s’écarter de la dĂ©cision du ministre d’imposer Ă  l’intĂ©ressĂ© une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. Au moins depuis cette date, le requĂ©rant a Ă©tĂ© privĂ© du droit Ă  la libertĂ© conditionnelle que lui confĂšre l’article 3.

 

 

 

 

OPINION SÉPARÉE DU JUGE SAJÓ

(Traduction)

 

À mon grand regret, je n’ai pas pu suivre l’avis de la majoritĂ©, pour les raisons exposĂ©es par le juge Pinto de Albuquerque dans son opinion sĂ©parĂ©e. À supposer mĂȘme que la notion de « motifs d’humanitĂ© » puisse avoir une signification raisonnable pour un juge au Royaume-Uni, cela ne peut certainement pas offrir Ă  un dĂ©tenu les indications prĂ©cises stipulĂ©es dans l’arrĂȘt Murray c. Pays-Bas ([GC], no 10511/10, § 100, CEDH 2016).

________________________________________

[1]. R v McLoughlin, R v Newell, Court of Appeal, Criminal Division, 18 février 2014 [2014] EWCA Crim 188.

[2]. Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH 2013 (extraits).

[3]. Ibidem, §§ 124, 129 et 130.

[4]. Ibidem, §§ 122, 129 et 130. Dans un souci de clartĂ© terminologique, j’ai utilisĂ© le terme anglais « parole » dans le sens oĂč le Conseil de l’Europe l’emploie, c’est-Ă -dire dans l’acception de libĂ©ration conditionnelle ou anticipĂ©e de dĂ©tenus condamnĂ©s en vertu de modalitĂ©s post-libĂ©ration individualisĂ©es ; les mesures d’amnistie et de grĂące ne sont pas comprises dans cette dĂ©finition, comme le ComitĂ© des Ministres l’admet dans sa Recommandation Rec(2003)22.

[5]. R. v Bieber (2009), Weekly Law Reports, vol. 1, p. 223, §§ 48 et 49.

[6]. Le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e figure au chapitre 12 de l’ordonnance n° 4700 de l’administration pĂ©nitentiaire. La politique officielle est demeurĂ©e inchangĂ©e malgrĂ© l’arrĂȘt rendu dans l’affaire Bieber.

[7]. Vinter et autres, précité, § 129.

[8]. Ibidem, § 129.

[9]. Vinter et autres, prĂ©citĂ©, § 122 : « le moment oĂč le rĂ©examen de sa peine (
) pourra ĂȘtre sollicitĂ©. ».

[10]. Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, 26 avril 2016.

[11]. Trabelsi c. Belgique, no 140/10, § 137, CEDH 2014 (extraits)

[12]. Låszló Magyar c. Hongrie, no 73593/10, § 57, 20 mai 2014.

[13]. Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, nos 15018/11 et 61199/12, §§ 255, 257 et 262, CEDH 2014 (extraits).

[14]. Murray, précité, § 100.

[15]. Bodein c. France, no 40014/10, § 61, 13 novembre 2014.

[16]. Curieusement, le paragraphe 45 du prĂ©sent arrĂȘt se rĂ©fĂšre au paragraphe 120 de l’arrĂȘt Vinter et autres, mais n’évoque pas le paragraphe 100 de l’arrĂȘt Murray.

[17]. Murray, précité, § 100.

[18]. McLoughlin, précité, § 29.

[19]. Ibidem, § 30.

[20]. Ibidem, § 11.

[21]. Paragraphe 23 de l’arrĂȘt de la chambre en relation avec les paragraphes 25-36 de la dĂ©cision McLoughlin.

[22]. Il s’agit d’une expression utilisĂ©e dans McLoughlin, prĂ©citĂ©, § 37.

[23]. Voir, dans le dictionnaire Oxford, la dĂ©finition de la compassion comme Ă©tant un « sentiment de pitiĂ© empathique et de sollicitude pour les souffrances ou les malheurs d’autrui », dĂ©rivĂ© du latincompassio (souffrir ensemble).

[24]. Liversidge v Anderson [1941] UKHL 1.

[25]. Vinter et autres, précité, § 126.

[26]. Vinter et autres, précité, § 128.

[27]. Voir, parmi beaucoup d’autres, Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 58, sĂ©rie A no 22, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 42, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1996 III, et AssanidzĂ© c. GĂ©orgie[GC], no 71503/01, § 139, CEDH 2004 II.

[28]. Vinter et autres, précité, § 119.

[29]. En pratique, rien n’a changĂ© aprĂšs l’arrĂȘt Vinter, ce que confirment les Ă©tudes de terrain (Van Zyl Smit et Appleton, « The Paradox of Reform: Life Imprisonment in England and Wales », dans : Van Zyl Smit and Appleton (Ă©d.), Life Imprisonment and Human Rights, Oxford, 2016, p. 228).

[30]. Décision McLoughlin, précitée, § 31.

[31]. Les conditions exhaustives exposĂ©es dans l’ordonnance de l’administration pĂ©nitentiaire elle-mĂȘme ne seraient pas suffisantes aux fins de l’article 3 (Vinter et autres, prĂ©citĂ©, §§ 126, 127, 129).

[32]. Comme cela a Ă©tĂ© expressĂ©ment reconnu par la Commission mixte des droits de l’homme du Parlement britannique, dans sa proposition sur cette question, aux points 1.21 1.26.

[33]. Décision McLoughlin, précitée, §§ 23 à 25.

[34]. Ibidem, § 29.

[35]. Voir le juge Hoffmann dans l’affaire R v Lyons [2002] UKHL 44, § 27 ; les juges Nicholls et Hoffmann dans l’affaire In re McKerr [2004] UKHL 12, §§ 25 et 62-65 ; le juge Bingham dans l’affaire R (Al-Skeini and others) v Secretary of State of Defence (2007) UKHL 26, § 10 ; le juge Hoffman dans l’affaire Re G (Adoption: Unmarried Couple) (2008) UKHL 38, §§ 33-35 ; et le juge Neuberger dans l’affaire R (on the application of Nicklinson and another) v Ministry of Justice (2014) UKSC 38, § 74.

[36]. Il est admis que la loi sur les droits de l’homme n’a pas modifiĂ© l’équilibre constitutionnel entre le parlement, le pouvoir exĂ©cutif et l’ordre judiciaire (voir le juge Dyson, “What is wrong with human rights?”, ConfĂ©rence Ă  l’UniversitĂ© du Hertfordshire, 3 novembre 2011, citant le rapport de 2006 du service des Affaires constitutionnelles).

[37]. Voir le juge Reed dans l’affaire R (Osborn) v Parole Board (2013) UKSC 61, § 57, et le juge Toulson dans Kennedy v Charity Commission (Secretary of State for Justice and Others Intervening)(2014) UKSC 20, § 133.

[38]. Voir le juge McCluskey, Scotland on Sunday, 6 février 2000.

[39]. Voir le juge Dyson, “Are judges too powerful?”, Bentham Association Presidential Address 2014, 13 March 2014: « Il est tout Ă  fait irrĂ©aliste de supposer que le Parlement pensait que la Convention allait demeurer immuable, telle qu’elle Ă©tait en 1998. »

[40]. R (Ullah) v Special Adjudicator (2004) UKHL 26, § 20

[41]. McCaughey and Another [2011] UKSC 20, § 91. Voir Ă©galement la juge Hale, « Beanstalk or Living Instrument? How tall can the European Convention on Human Rights grow? », Gray’s Inn Reading 2011, 16 juin 2011.

[42]. Voir le juge Neuberger dans P and Q v. Surrey County Council (2014) UKSC 19, § 62.

[43]. Ghaidan v. Godin-Mendoza [2004] UKHL 30.

[44]. Voir le juge Nicholls dans l’affaire Ghaidan, prĂ©citĂ©e, § 32.

[45]. Voir la juge Hale, « What’s the point of human rights?” » Warwick Law Lecture 2013, 28 novembre 2013: « Mais dans leurs interventions, les juges Nicholls, Steyn et Roger ont Ă©galement donnĂ© une signification trĂšs large Ă  ce qui Ă©tait « possible » – dĂšs lors qu’une interprĂ©tation n’était pas contraire au systĂšme ou aux principes essentiels d’interprĂ©tation, les mots pouvaient ĂȘtre interprĂ©tĂ©s de maniĂšre Ă©troite ou large, ou leur signification pouvait ĂȘtre extrapolĂ©e, pour assurer la compatibilitĂ© avec les droits consacrĂ©s par la Convention et aller dans le sens de la lĂ©gislation, mĂȘme si le rĂ©sultat n’était pas ce qui Ă©tait voulu Ă  l’époque. »

[46]. Voir le juge Kerr, « The UK Supreme Court: The Modest Underworker of Strasbourg? », Clifford Chance Lecture 2012, 25 janvier 2012 : « MĂȘme si l’on peut nous reprocher d’avoir Ă©tĂ© par le passĂ© excessivement rĂ©vĂ©rencieux envers la Cour de Strasbourg, des signaux clairs et vigoureux ont Ă©tĂ© envoyĂ©s rĂ©cemment pour dire que nous ne le sommes plus. »

[47]. Voir le juge Slynn dans l’affaire R (Alconbury Developments Ltd) v. Secretary of State for the Environment, Transport and the Regions UKHL 23, § 26. Cet extrait a Ă©tĂ© repris par le juge Bingham au fameux paragraphe 20 de l’affaire Ullah.

[48]. Voir le juge Philips dans l’affaire R v Horncastle and others (Appellants) (on appeal from the Court of Appeal Criminal Division) [2009] UKSC 14, § 11.

[49]. Voir le juge Neuberger dans l’affaire Manchester City Council v Pinnock [2010] UKSC 45, § 48.

[50]. R (on the Application of Chester) v Secretary of State for Justice (2013) UKSC 63, § 27.

[51]. Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, CEDH 2005 IX.

[52]. Scoppola c. Italie (no 3) [GC], no 126/05, 22 mai 2012.

[53]. R (on the Application of Chester) v Secretary of State for Justice (2013) UKSC 63, § 121.

[54]. Pour une rĂ©fĂ©rence Ă  la notion de « circonstances exceptionnelles » quant Ă  un refus de suivre une jurisprudence claire de la Cour, voir Ă©galement Lord Dyson, ConfĂ©rence Ă  l’UniversitĂ© du Hertfordshire, prĂ©citĂ©e.

[55]. DĂ©cision McLoughlin, prĂ©citĂ©e, § 30, oĂč est soulignĂ©e la prĂ©tendue mauvaise comprĂ©hension par la Cour d’un aspect important du droit national.

[56]. Harakchiev et Tolumov, précité, §§ 258 et 259.

[57]. Trabelsi, précité, § 137

[58]. Le Gouvernement renvoie Ă  une dĂ©cision rĂ©cente de la High Court dans laquelle celle-ci a refusĂ© de suivre l’arrĂȘt Trabelsi – R (Harkins) v. Secretary of State for the Home Department [2015] 1 WLR 2975.

[59]. Recommandation Rec(2006)2 du ComitĂ© des Ministres aux États membres sur les RĂšgles pĂ©nitentiaires europĂ©ennes.

[60]. Il est particuliĂšrement important de garder Ă  l’esprit le Statut de Rome parce que le Royaume-Uni en est une Partie contractante et en a donc acceptĂ© les normes.

[61]. Harakchiev et Tolumov, précité, § 258.

[62]. Čačko v. Slovakia, no 49905/08, § 43, 22 July 2014.

[63]. Bodein, précité, § 60.

[64]. Paragraphe 44 de l’arrĂȘt.

[65]. Paragraphe 43 de l’arrĂȘt.

[66]. Paragraphes 51 et 52 de l’arrĂȘt.

[67]. Paragraphes 67 et 69 de l’arrĂȘt.

[68]. Paragraphe 55 de l’arrĂȘt.

[69]. « Types de peines d’emprisonnement (
) Peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. Une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle signifie qu’il n’y a pas de durĂ©e minimale fixĂ©e par le juge, et que la personne n’est pas susceptible d’ĂȘtre libĂ©rĂ©e. » (https://www.gov.uk/types-of-prison-sentence/life-sentences, DerniĂšre mise Ă  jour: 23 septembre 2016). J’ai consultĂ© le site le 24 novembre 2016.

[70]. « Peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle : Pour les cas les plus graves, un dĂ©linquant peut ĂȘtre condamnĂ© Ă  l’emprisonnement Ă  vie au moyen en lui infligeant une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. Cela signifie que le crime du dĂ©linquant Ă©tait tellement grave qu’il ne sortira jamais de prison » (https://www.sentencingcouncil.org.uk/about-sentencing/types-of-sentence/life-sentences/ Au 30 juin 2016, 59 dĂ©linquants purgeaient une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. J’ai consultĂ© le site le 24 novembre 2016.

[71]. Alors qu’il lui avait Ă©tĂ© spĂ©cifiquement demandĂ© pourquoi, si l’intention Ă©tait de suivre Vinter et autres, le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e n’avait pas Ă©tĂ© modifiĂ©, le gouvernement dĂ©fendeur n’a donnĂ© aucune rĂ©ponse.

[72]. Au paragraphe 63 de l’arrĂȘt, il est dit : « (
) l’exercice du pouvoir confĂ©rĂ© par l’article 30 doit ĂȘtre guidĂ© par l’ensemble de la jurisprudence pertinente de la Cour (
) ».

[73]. Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 147, CEDH 2011.

[74]. Horncastle et autres c. Royaume-Uni, no 4184/10, 16 décembre 2014.

[75]. Voir l’opinion en partie dissidente et en partie concordante des juges SajĂł et Karakaş dans l’arrĂȘt Al-Khawaja et Tahery, prĂ©citĂ©.

[76]. Comparer National Union of Rail, Maritime et Transport Workers c. Royaume-Uni (no 31045/10, CEDH 2014) avec Demir et Baykara ([GC], no 34503/97, CEDH 2008).

[77]. Comparer Animal Defenders International c. Royaume-Uni ([GC], no 48876/08, CEDH 2013 (extraits)) avec VgT Verein gegen Tierfabriken c. Suisse (no 24699/94, CEDH 2001 VI).

[78]. Voir la juste apprĂ©ciation de la situation par le Commissaire des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Memorandum to the Joint Committee on the Draft Voting Eligibility (Prisoners) Bill, CommDH (2013)23, 17 octobre 2013.

[79]. Voir l’arrĂȘt de la chambre de juillet 2013 dans l’affaire Anchugov et Gladkov (dans laquelle la Cour a estimĂ© que l’article 32 § 3 de la Constitution russe relative au droit de vote des dĂ©tenus Ă©tait incompatible avec les normes europĂ©ennes telles qu’énoncĂ©es dans l’arrĂȘt Hirst), l’arrĂȘt rendu en juillet 2015 par la Cour constitutionnelle russe concernant la loi fĂ©dĂ©rale sur l’accession de la FĂ©dĂ©ration de Russie Ă  la CEDH, la loi russe de dĂ©cembre 2015 sur le pouvoir de la Cour constitutionnelle de dĂ©clarer inexĂ©cutables les dĂ©cisions d’instances internationales (y compris en ce qui concerne l’indemnisation) si elles contredisent la Constitution russe et, enfin, la premiĂšre application en avril 2016 de cette loi dans un arrĂȘt de la Cour constitutionnelle, rendu prĂ©cisĂ©ment dans l’affaire Anchugov et Gladkov.

[80]. Voir le commentaire du Commissaire des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, La non-exĂ©cution des arrĂȘts de la Cour : une responsabilitĂ© partagĂ©e, 23 aoĂ»t 2016 : « Certains arrĂȘts peuvent ĂȘtre difficiles Ă  exĂ©cuter pour des raisons techniques ou parce qu’ils touchent des questions extrĂȘmement sensibles et complexes pour le pays, ou vont Ă  l’encontre de l’avis de la majoritĂ© de la population. Pourtant, le systĂšme de la Convention se dĂ©lite lorsqu’un État membre, puis un deuxiĂšme, puis un troisiĂšme, dĂ©cident de choisir, parmi les arrĂȘts rendus, ceux qu’ils vont mettre en Ɠuvre. La non-exĂ©cution est aussi une responsabilitĂ© partagĂ©e et nous ne pouvons plus fermer les yeux sur ce problĂšme. »

[81]. Cela est bien illustrĂ© par la divergence de vues dans l’affaire Ambrose entre la majoritĂ©, qui a estimĂ© que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg n’énonçait aucune rĂšgle claire selon laquelle l’interrogatoire par la police d’un suspect, sans que celui-ci ne bĂ©nĂ©ficie de conseils juridiques serait inĂ©quitable sauf s’il est en garde Ă  vue, et le juge Kerr, selon lequel la jurisprudence de la Cour de Strasbourg Ă©tait suffisamment claire pour que le principe suivant soit reconnu : lorsqu’une personne devient suspecte, les questions qui lui sont ensuite posĂ©es et qui sont de nature Ă  produire des Ă©lĂ©ments Ă  charge doivent ĂȘtre prĂ©cĂ©dĂ©es par une information sur ses droits Ă  ĂȘtre reprĂ©sentĂ©e par un avocat, et toute question posĂ©e Ă  un suspect, qu’il soit ou non en garde Ă  vue, doit l’ĂȘtre, si l’intĂ©ressĂ© le souhaite, en prĂ©sence d’un avocat.

[82]. Voir l’opinion dissidente commune aux juges Ziemele, SajĂł, Kalaydjieva, Vučinić et De Gaetano, jointe Ă  l’arrĂȘt Animal Defenders International, prĂ©citĂ© ; voir Ă©galement l’interview du prĂ©sident Costa (2007), 5 Droits de l’Homme, pp. 77 et 78, oĂč celui-ci met en garde contre des normes Ă  deux, voire trois, vitesses, et l’article du prĂ©sident Spielmann, « Allowing the right margin: the European Court of Human Rights and the national margin of appreciation doctrine: Waiver or Subsidiarity of European Review? », (2011) 14 Cambridge Yearbook of European Legal Studies, p. 381. Voir Ă©galement mon discours Ă  l’universitĂ© de Paris-Sorbonne-Assas, le 20 novembre 2015 : « RĂ©flexions sur le renforcement de l’obligation des arrĂȘts de la Cour », publiĂ© dans SĂ©bastien Touze (Ă©d.), La Cour EuropĂ©enne des Droits de l’Homme, Une confiance nĂ©cessaire pour une autoritĂ© renforcĂ©e, Paris, Pedone, pp. 217-226.

[83]. Paragraphes 63 et 65 de l’arrĂȘt.

[84]. Michael O’Boyle, ancien greffier adjoint de la Cour « The Future of the European Court of Human Rights », dans German Law Journal, 12 (2011), 10: 1862-77.

[85]. Voir le juge Mance, « Destruction or metamorphosis of the legal order? », World Policy Conference, Monaco, 14 décembre 2013.

[86]. Voir le juge Moses, « Hitting the Balls out of the Court: are Judges Stepping Over the Line? », Creaney Memorial Lecture, 26 février 2014.

[87]. Voir The Guardian, 5 mars 2013 : « Senior judge warns over deportation of terror suspects to torture states ».

[88]. Pour appuyer cet argument, un exemple suffit. À la suite de l’arrĂȘt McCann c. Royaume-Uni, les mĂ©dias se sont exprimĂ©s ainsi : « Les ministres affirment qu’ils vont ignorer cet arrĂȘt et n’excluent pas la sanction ultime consistant Ă  se retirer du systĂšme de la Convention. Selon une source proche du pouvoir, « toutes les options restent ouvertes, y compris le retrait ». D’aprĂšs Downing Street, l’arrĂȘt rendu dans l’affaire dite « de la mort sur le Rocher » « dĂ©fie tout sens commun ». Le Vice-premier Ministre Michael Heseltine l’a qualifiĂ©e de grotesque » (Daily Mail, 28 septembre 1995).

[89]. Voir le juge Hoffmann, « Human Rights and the House of Lords », (1999) MLR 159, p. 166.

[90]. Voir le juge Hoffmann, « The Universality of Human Rights », Conférence annuelle devant le Conseil des études judiciaires, 19 mars 2009.

[91]. John Milton, Selected Prose, nouvelle edition révisée, éd. Patrides, Columbia, 1985, p. 120.

[92]. Voir, parmi d’autres, associant les deux doctrines, Bernhardt, « Thoughts on the interpretation of Human-Rights Treaties », dans Matscher et Petzhold (Ă©ds.), Protecting Human Rights: the European Dimension. Études en l’hommeur de GĂ©rard Wiarda, Carl Heymanns, 1988, p. 71.

[93]. Voir le juge Hoffmann dans l’affaire Re G (Adoption: Unmarried Couple) 2008 UKHL 38, § 31 ; le juge Brown dans l’affaire Rabone and Another v. Pennine Care NHS Trust (2012) UKSC 2, §§ 111 et 112 ; et le juge Hodge dans l’affaire Moohan and Another v. The Lord Advocate (2014) UKSC 67, § 13.

[94]. Voir le juge Brown dans l’affaire R (Al-Skeini and others) v. Secretary of State of Defence, prĂ©citĂ©, § 107.

[95]. Expression employĂ©e par le juge Kerr, juge dissident dans l’affaire Ambrose v. Harris (Procurator Fiscal, Oban) (2011) UKSC 43, § 126 ; mais voir le juge Hope, § 20 : « Il n’appartient pas Ă  cette Cour d’étendre la portĂ©e des droits issus de la Convention au-delĂ  de ce qui est justifiĂ© par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. » Le juge Irvine a approuvĂ© cet avis dans sa confĂ©rence intitulĂ©e «A British Interpretation of Convention Rights », Ă  l’Institut judiciaire de l’UCL, 14 dĂ©cembre 2011. Pour une rĂ©ponse, voir le juge Sales, « Strasbourg Jurisprudence and the Human Rights Act: A Response to Lord Irvine », dans Public Law, Issue, 2, 2012, pp. 253-267.

[96]. Voir le juge Brown dans l’affaire R (Al-Skeini and others) v. Secretary of State of Defence, prĂ©citĂ©e, § 106.

[97]. Dans la mĂȘme veine, voir Ă©galement la juge Hale, Warwick Law Lecture 2013, prĂ©citĂ©e, et Sir Nicholas Bratza, « The relationship between the UK courts and Strasbourg », (2011) EHRR 505, p. 512.

[98]. Voir le juge Kerr, Clifford Chance Lecture, précitée.

[99]. The White Paper, Rights Brought Home: The Human Rights Bill, 1997, Cm 3782, § 2.5.

[100]. Pour reprendre les termes employés par le juge Kerr, Clifford Chance Lecture, précitée.

[101]. Pour reprendre la formulation du juge Kerr, Clifford Chance Lecture, précitée.

[102]. Le juge Sumption (avec lequel le juge Hughes est d’accord) a clairement dit dans R (on the Application of Chester), prĂ©citĂ©, § 120, que « L’obligation de droit international du Royaume-Uni en vertu de l’article 46.1 de la Convention va plus loin que l’article 2 § 1 de la loi, mais ce n’est pas l’une des dispositions Ă  laquelle la loi donne effet. »

[103]. Sur la mise en Ɠuvre des principes exposĂ©s dans les arrĂȘts, voir les commentaires du juge Bingham dans Secretary of State for the Home Department v. JJ (2007) UKHL 45, § 19 ; du juge Mance dans Kennedy v. Charity Commission, prĂ©citĂ©, § 60 ; et de la juge Hale dans Moohan and Another, prĂ©citĂ©, § 53.

[104]. Le juge Rodger fait Ă  cet Ă©gard une synthĂšse parfaite dans l’affaire AF v. Secretary of State for Home Department and Another (2009) UKHL 28, § 98 ; voir Ă©galement le juge Hoffmann, § 70 : « Mais le Royaume-Uni est tenu par la Convention, en vertu des rĂšgles de droit international, d’accepter les dĂ©cisions de la CEDH sur son interprĂ©tation. Rejeter une telle dĂ©cision reviendrait presque certainement, pour ce pays, Ă  enfreindre une obligation qu’il a acceptĂ© en adhĂ©rant Ă  la Convention. Je ne vois aucun avantage pour mes estimĂ©s collĂšgues juges de faire cela. » Le point de vue du juge Hoffmann est particuliĂšrement important parce qu’il pensait que « la dĂ©cision de la CEDH est erronĂ©e et pourrait tout Ă  fait dĂ©truire le systĂšme d’ordonnances de contrĂŽle, qui reprĂ©sente une partie importante des dĂ©fenses de ce pays contre le terrorisme. NĂ©anmoins, je pense que mes estimĂ©s collĂšgues juges n’ont d’autre choix que de se soumettre. »

[105]. ConfĂ©rence sur l’avenir de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme, DĂ©claration de Brighton, paragraphes 7, 9 c) iv et 12b.

[106]. Voir le juge Neuberger, « Who are the Masters now? », Second Lord Alexander of Weedon Lecture, 6 avril 2011, § 64.

[107]. Lauterpacht, « The proposed European Court of Human Rights », dans The Grotius Society, Partie II, Textes lus devant la Société Grotius en 1949, pp. 37 et 39.

[108]. Ibidem, p. 43. Renvoyant Ă  Sir Lauterpacht, M. Barrington a admis que « nous avons sans vergogne empruntĂ© de nombreuses idĂ©es Ă  son projet de Convention sur les droits de l’homme Ă©laborĂ© pour l’Association de droit international en 1948. »

[109]. Loizidou c. Turquie (exceptions prĂ©liminaires), 23 mars 1995, § 75, sĂ©rie A no 310 ; voir Ă©galement l’avis de la Cour sur la rĂ©forme du systĂšme de contrĂŽle de la Convention, 4 septembre 1992, para. I (5). Voir mon opinion dans Fabris c. France [GC], no 16574/08, CEDH 2013 (extraits), et l’opinion des juges Pinto de Albuquerque et Dedov dans Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, CEDH 2016.

[110]. Voir la juge Hale, « Common law and Interpretation: the limits of interpretation », 2011 EHRLR, p. 538.

[111]. Parmi beaucoup d’autres prĂ©cĂ©dents, Parti communiste unifiĂ© de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 29, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1998 I, et, plus rĂ©cemment, Anchugov et Gladkov c. Russie, nos 11157/04 et 15162/05, § 50, 4 juillet 2013.

[112]. Sejdić et Finci c. Bosnie-HerzĂ©govine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, CEDH 2009; il s’agissait dans cette affaire d’un conflit entre les dispositions constitutionnelles relatives Ă  la composition des plus hauts instances politiques de l’État et les normes europĂ©ennes; voir aussi , plus rĂ©cemment, Baka c. Hongrie [GC], prĂ©citĂ©, qui portait sur un conflit entre les dispositions constitutionnelles relatives Ă  la composition de la Cour suprĂȘme de Hongrie et la Convention.

[113]. McNair, The Law of Treaties, 2e Ă©dition, Oxford, 1961, p. 465.

[114]. Il s’agit des termes apparaissant dans le PrĂ©ambule Ă  la Convention.

[115]. Voir la juge Hale dans The Guardian, 14 mars 2013, « Les juges regretteront l’abrogation de la loi sur les droits de l’homme, prĂ©vient la juge Hale ».

[116]. Voir la juge Hale, Warwick Law Lecture 2013, précitée.

[117]. Voir le juge Nicholls dans Ghaidan, prĂ©citĂ©, § 33. Le juge Neuberger a Ă©tĂ© encore plus incisif : « Il reste que lorsque Strasbourg parle, c’est en dĂ©finitive au Parlement d’examiner quelle action il convient de prendre » (« Who are the Masters now? », prĂ©citĂ©, § 67).