Corte europea dei diritti
dellâuomo
(Grande Camera)
17 gennaio
2017
AFFAIRE
HUTCHINSON c. ROYAUME-UNI
(RequĂȘte
no 57592/08)
Â
Â
Cet arrĂȘt est dĂ©finitif. Il peut subir
des retouches de forme.
En lâaffaire Hutchinson c.
Royaume-Uni,
La Cour européenne des droits de
lâhomme, siĂ©geant en une Grande Chambre composĂ©e de :
AndrĂĄs SajĂł,
président,
Işıl Karakaş,
Josep Casadevall,
Luis LĂłpez Guerra,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Angelika NuĂberger,
PÀivi HirvelÀ,
Ganna Yudkivska
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik MĂžse,
Helena JĂ€derblom
Paul Mahoney,
Faris Vehabović,
Ksenija Turković,
Branko Lubarda,
Yonko Grozev,
juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint
de la Grande Chambre,
AprÚs en avoir délibéré en chambre du
conseil le 21 octobre 2015 et le 10 octobre 2016,
Rend lâarrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă cette
derniĂšre date :
PROCĂDURE
1. Ă lâorigine de lâaffaire se trouve
une requĂȘte (no 57592/08) dirigĂ©e contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
dâIrlande du Nord et dont un ressortissant de cet Ătat, M. Arthur Hutchinson («
le requĂ©rant »), a saisi la Cour le 10 novembre 2008 en vertu de lâarticle 34
de la Convention de sauvegarde des droits de lâhomme et des libertĂ©s
fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au
bĂ©nĂ©fice de lâassistance judiciaire, a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par le cabinet Kyles Legal Practice, de North Shields. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement »)
a été représenté par son agent, M. P. McKell, du
ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres et du Commonwealth.
3. Le requérant alléguait en
particulier que la peine de perpétuité réelle prononcée à son égard était
incompatible avec lâarticle 3 de la Convention.
4. La requĂȘte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă la
quatriĂšme section de la Cour (article 52 § 1 du rĂšglement de la Cour â « le
rĂšglement »). Le 10 juillet 2013, le grief tirĂ© de lâarticle 3 a Ă©tĂ© communiquĂ©
au Gouvernement et la requĂȘte a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e irrecevable pour le surplus
conformĂ©ment Ă lâarticle 54 § 3 du rĂšglement. Par un arrĂȘt du 3 fĂ©vrier 2015,
une chambre de la quatriÚme section composée des juges Raimondi, Nicolaou, Bianku, Tsotsoria, Kalaydjieva, Mahoney et Wojtyczek, ainsi que
de F. Aracı, greffiĂšre adjointe de section, a
dĂ©clarĂ© recevable, Ă la majoritĂ©, le grief tirĂ© de lâarticle 3 et a conclu, par
six voix contre une, Ă la non-violation de cette disposition. Ă lâarrĂȘt se
trouvait joint lâexposĂ© de lâopinion dissidente de la juge Kalaydjieva.
5. Le 1er juin 2015, faisant droit Ă
la demande formée par le requérant le 5 mars 2015, le collÚge de la Grande
Chambre a dĂ©cidĂ© de renvoyer lâaffaire devant celle-ci en vertu de lâarticle 43
de la Convention.
6. La composition de la Grande Chambre
a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e conformĂ©ment aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la
Convention et 24 du rĂšglement.
7. Tant le requérant que le
Gouvernement ont dĂ©posĂ© des observations Ă©crites sur le fond de lâaffaire
(article 59 § 1 du rÚglement). Par ailleurs, des observations ont été reçues du
European Prison Litigation
Network (« EPLN »), que le prĂ©sident de la Grande Chambre avait autorisĂ© Ă
intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3
du rĂšglement). Le Gouvernement y a rĂ©pondu oralement lors de lâaudience
(article 44 § 6 du rÚglement).
8. Une audience sâest dĂ©roulĂ©e en
public au Palais des droits de lâhomme, Ă Strasbourg, le 21 octobre 2015
(article 59 § 3 du rÚglement).
Â
Ont comparu :
â pour le Gouvernement
MM.P. MCKELL,agent,
J.
WRIGHT, QC, Attorney General,
J. EADIE, QC,conseils
;
MmesA. FOULDS,
C.
GASKELL,
M.J.
GERARD,
MmeJ. EARL,conseillers
;
â pour le requĂ©rant
M.J.
BENNATHAN, QC,
MmeK. THORNE,conseils,
M.J. TURNER, conseiller.
Â
La Cour a entendu MM. Wright et Bennathan en leurs déclarations et en leurs réponses à des
questions de juges.
EN FAIT
I. LES
CIRCONSTANCES DE LâESPĂCE
9. Le requérant est né en 1941 et est
actuellement détenu à la prison de Durham.
10. En octobre 1983, il sâintroduisit
au domicile dâune famille, tua Ă coups de poignard le pĂšre de famille, son
Ă©pouse et leur fils adulte, et viola Ă plusieurs reprises leur fille de 18 ans
aprĂšs lâavoir traĂźnĂ©e devant le corps de son pĂšre. Il fut arrĂȘtĂ© quelques
semaines plus tard et accusé de ces infractions. Au procÚs, il plaida non coupable,
niant les meurtres et affirmant que les rapports sexuels Ă©taient consentis. Le
14 septembre 1984, il fut reconnu coupable de trois chefs de meurtre, de viol
et de vol aggravé.
11. Le juge du fond condamna le
requĂ©rant Ă une peine dâemprisonnement Ă perpĂ©tuitĂ© et, conformĂ©ment aux rĂšgles
de fixation des peines qui Ă©taient alors en vigueur, recommanda au ministre de
lâIntĂ©rieur dâappliquer une pĂ©riode punitive (tariff)
de dix-huit ans. Invité le 12 janvier 1988 à donner de nouveau son avis, le
juge déclara par écrit qu⫠aux fins des impératifs de rétribution et de
dissuasion, il sâagi[ssai]t dâun cas oĂč la perpĂ©tuitĂ©
rĂ©elle sâimpos[ait] ». Le 15 janvier 1988, leLord Chief Justice recommanda
que la durée de la période punitive fût fixée pour la vie entiÚre du requérant
et sâexprima ainsi : « Je ne pense pas que cet homme doive jamais ĂȘtre libĂ©rĂ©,
indĂ©pendamment mĂȘme du risque quâentraĂźnerait pareille mesure ». Le 16 dĂ©cembre
1994, le ministre informa le requĂ©rant quâil avait dĂ©cidĂ© de lui infliger une peine
de perpétuité réelle.
12. Ă la suite de lâentrĂ©e en vigueur
de la loi de 2003 sur la justice pénale (Criminal
Justice Act 2003), le requérant saisit la High Court
dâune demande de rĂ©examen de sa peine, arguant quâil aurait fallu lui appliquer
la période punitive de dix-huit ans recommandée à son procÚs. Le 16 mai 2008,
la High Court rendit son arrĂȘt dans lequel elle concluait quâil nây avait
aucune raison dâinfirmer la dĂ©cision du ministre. Selon la haute juridiction,
la gravité des infractions était telle que la peine de référence ne pouvait
ĂȘtre quâune peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle, et lâaffaire prĂ©sentait en outre
plusieurs facteurs aggravants trÚs sérieux et aucune circonstance atténuante.
Le 6 octobre 2008, la Cour dâappel dĂ©bouta le requĂ©rant.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
13. Le droit et la pratique internes
pertinents relatifs Ă la procĂ©dure de fixation dâune peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle
en vertu de la loi de 2003 sur la justice pénale sont exposés aux paragraphes
12-13 et 35-41 de lâarrĂȘt rendu par la Cour dans lâaffaire Vinter
et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH 2013
(extraits)). Ă lâaudience tenue en lâespĂšce, le Gouvernement a indiquĂ© que
cinquante-six détenus purgeaient alors des peines de perpétuité réelle et
quâaucun dĂ©tenu relevant de cette catĂ©gorie nâavait Ă©tĂ© libĂ©rĂ© depuis le
prononcĂ© de lâarrĂȘt Vinter.
A. La loi de 1998 sur les droits de
lâhomme (Human Rights Act 1998)
14. La loi sur les droits de lâhomme,
en ses passages pertinents, se lit ainsi :
« Article 2 â InterprĂ©tation des
droits reconnus par la Convention
1. Les cours et tribunaux appelĂ©s Ă
statuer sur une question se rapportant Ă un droit reconnu par la Convention
sont tenus de prendre en compte :
a) les arrĂȘts, dĂ©cisions, dĂ©clarations
ou avis consultatifs de la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme.
(...)
Article 3 â InterprĂ©tation de la
législation
1. Dans toute la mesure du possible,
la lĂ©gislation primaire et la lĂ©gislation dĂ©lĂ©guĂ©e doivent ĂȘtre interprĂ©tĂ©es et
mises en Ćuvre dâune maniĂšre compatible avec les droits reconnus par la
Convention.
(...)
Article 6 â Actes dâautoritĂ©s
publiques
1. Une autorité publique est dans
lâillĂ©galitĂ© lorsquâelle agit dâune maniĂšre incompatible avec un droit reconnu
par la Convention.
2. Le paragraphe 1 du présent article
ne sâapplique pas Ă un acte
a) si, en raison dâune ou de plusieurs
dispositions de la lĂ©gislation primaire, lâautoritĂ© nâaurait pu agir
différemment ;
b) ou si, compte tenu dâune ou de
plusieurs dispositions de la lĂ©gislation primaire qui ne peuvent ĂȘtre
interprĂ©tĂ©es ou mises en Ćuvre dâune maniĂšre compatible avec les droits
reconnus par la Convention, lâautoritĂ© a agi de maniĂšre Ă donner effet ou
application Ă ces dispositions.
3. Aux fins du présent article,
lâexpression « autoritĂ© publique » sâĂ©tend :
a) aux cours et tribunaux, et
b) Ă toute personne dont certaines des
fonctions sont publiques par nature,
mais ne sâĂ©tend ni au Parlement ni aux
personnes exerçant des fonctions liées à la procédure parlementaire.
(...)
Article 7 â ProcĂ©dure
1. Toute personne allĂ©guant quâune
autoritĂ© publique a agi (ou se propose dâagir) illĂ©galement au regard de
lâarticle 6 § 1 peut
a) assigner cette autorité en vertu de
la présente loi devant la cour ou le tribunal compétent(e), ou
b) invoquer le ou les droits
conventionnels en cause dans toute procédure judiciaire,
sous rĂ©serve quâelle soit victime
rĂ©elle ou potentielle de lâacte illĂ©gal.
(...)
Article 8 â Recours juridictionnels
1. Si la juridiction compĂ©tente juge quâune
autoritĂ© publique a agi ou se proposait dâagir illĂ©galement, elle peut ordonner
toute mesure de réparation ou de redressement ou rendre toute décision qui lui
semble juste et appropriée, dans la limite de ses compétences.
(...) »
B. La loi de 1997 sur les peines en
matiĂšre criminelle (Crime (Sentences) Act 1997)
15. Lâarticle 30 de cette loi, en ses
passages pertinents, est ainsi libellé :
« Le ministre peut, à tout moment,
mettre en liberté conditionnelle un détenu condamné à la réclusion à perpétuité
sâil est convaincu que des circonstances exceptionnelles justifient pareille
mesure pour des motifs dâhumanitĂ©. »
C. Lâordonnance no 4700 de
lâadministration pĂ©nitentiaire (Prison Service Order
4700)
16. La politique du ministre de la
Justice relative Ă lâexercice du pouvoir de libĂ©ration pour motifs dâhumanitĂ©
est énoncée au chapitre 12 du manuel sur les peines de durée indéterminée (« Lifer Manual »), édicté par
lâordonnance no 4700 de lâadministration pĂ©nitentiaire. Les critĂšres, qui
remontent à avril 2010, sont ainsi libellés :
« Le dĂ©tenu est atteint dâune maladie
mortelle et risque de mourir Ă trĂšs brĂšve Ă©chĂ©ance (cette notion nâest pas
autrement définie, mais une échéance de trois mois paraßt raisonnable pour la
saisine de la section chargĂ©e de la protection publique â Public Protection Casework Section), il est grabataire ou souffre dâune
invalidité (paralysie ou graves problÚmes cardiaques, par exemple) ;
et
â le risque de rĂ©cidive (en
particulier pour une infraction Ă caractĂšre sexuel ou violent) est minime ;
et
â le maintien en dĂ©tention rĂ©duirait
lâespĂ©rance de vie du dĂ©tenu ;
et
â des dispositions adĂ©quates ont Ă©tĂ©
prises pour soigner et traiter le détenu hors de la prison ;
et
â une libĂ©ration anticipĂ©e serait
grandement dans lâintĂ©rĂȘt du dĂ©tenu ou de sa famille. »
D. La dĂ©cision de la Cour dâappel dans
lâaffaire R v. Newell ; R v. McLoughlin
17. Les recours formés dans ces
affaires donnĂšrent lieu Ă la constitution dâune formation spĂ©ciale de la Cour
dâappel, comprenant le Lord Chief JusticedâAngleterre
et du pays de Galles, le prĂ©sident de la Queenâs Bench Division, le vice-prĂ©sident de la chambre criminelle
de la Cour dâappel, un autre juge de la Cour dâappel et un juge expĂ©rimentĂ© de
la High Court. La Cour dâappel rendit sa dĂ©cision (« dĂ©cision McLoughlin ») le 18 fĂ©vrier 2014, Ă la lumiĂšre de lâarrĂȘt
rendu par la Cour dans lâaffaire Vinter.
18. Lâappelant, M. Newell,
estimait contraire Ă lâarticle 3 de la Convention la peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle
qui lui avait Ă©tĂ© infligĂ©e pour un meurtre commis alors quâil purgeait dĂ©jĂ une
peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© pour un meurtre prĂ©cĂ©dent. Dans lâaffaire McLoughlin, câest lâAttorney General qui avait interjetĂ©
appel en vertu de lâarticle 36 de la loi de 1986 sur la justice pĂ©nale (Criminal Justice Act 1986),
soutenant que le juge de premiĂšre instance sâĂ©tait trompĂ© en estimant que
lâarrĂȘt dans lâaffaire Vinter interdisait
lâimposition dâune peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle et en infligeant en lieu et place
une peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© assortie dâune pĂ©riode punitive de quarante
ans pour un meurtre commis par un homme qui avait déjà été condamné pour
meurtre et homicide involontaire.
19. Dans sa dĂ©cision, la Cour dâappel
retraça lâĂ©volution des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle et du rĂ©examen de ce type
de peines. Au paragraphe 7 de sa dĂ©cision, elle sâexprima ainsi (citations
omises) :
i. Le 7 décembre 1994, le ministre de
lâIntĂ©rieur dâalors prĂ©senta comme suit sa politique relative aux dĂ©tenus
condamnés à des peines de perpétuité réelle (...) :
« De plus, jâai dĂ©cidĂ© que, sâagissant
des détenus condamnés à des peines perpétuelles pour lesquels il a été jugé que
les impĂ©ratifs de rĂ©tribution et de dissuasion ne peuvent ĂȘtre satisfaits que
si les intéressés demeurent en prison pour le restant de leurs jours, il y aura
Ă lâavenir un rĂ©examen ministĂ©riel supplĂ©mentaire Ă la vingt-cinquiĂšme annĂ©e
dâemprisonnement. Ce rĂ©examen aura pour unique objet de dĂ©terminer sâil
convient de substituer à la période punitive à perpétuité une période punitive
de durée déterminée. Il se limitera à des considérations de rétribution et de
dissuasion. Le cas Ă©chĂ©ant, dâautres rĂ©examens ministĂ©riels auront normalement
lieu par la suite tous les cinq ans. Les détenus qui relÚvent actuellement de
cette catĂ©gorie et qui ont dĂ©jĂ purgĂ© vingt-cinq ans dâemprisonnement ou plus
ne seront pas désavantagés. Leurs cas seront examinés par les ministres dÚs que
possible, aprĂšs quâils auront formulĂ© les observations quâils souhaiteraient
présenter. »
ii. Cette politique fut modifiée par
un autre ministre de lâIntĂ©rieur le 10 novembre 1997 (Hansard
(House of Commons Debates), 10 novembre 1997, vol.
300, colonnes. 419-420 : réponse écrite) :
« Quant Ă lâĂ©ventualitĂ© dâune
réduction de la période punitive, je suis disposé à accepter que, dans des cas
exceptionnels, notamment lorsque le détenu a accompli des progrÚs exceptionnels
en prison, un réexamen et une réduction de la période punitive puissent passer
pour appropriĂ©s. Je garderai cette possibilitĂ© Ă lâesprit lorsque je
rĂ©examinerai, au terme des vingt-cinq ans dâemprisonnement, les cas de dĂ©tenus
purgeant une peine de perpétuité réelle et, à cet égard, je ne me limiterai pas
aux seuls impératifs de rétribution et de dissuasion évoqués dans la réponse
écrite du 7 décembre 1994. »
iii. Ă lâoccasion de la contestation
par Myra Hindley de la période punitive à perpétuité
qui lui avait été infligée, le Lord Chief Justice Bingham, siégeant au sein de la Divisional
Court en lâaffaire R v. Home Secretary ex parte Hindley (...) estima que si la politique restrictive fixĂ©e
en 1994 était illégitime, cela avait été corrigé par la politique de 1997 qui
permettait de tenir compte des progrÚs exceptionnels accomplis par le détenu en
prison. Dans son recours devant la Chambre des lords, le représentant du
ministre de lâIntĂ©rieur indiqua expressĂ©ment que celui-ci Ă©tait disposĂ© Ă
rĂ©examiner toutes les peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle mĂȘme en lâabsence de
circonstances exceptionnelles (...) Lord Steyn,
entĂ©rinant la lĂ©gitimitĂ© de la politique du ministre de lâIntĂ©rieur fixĂ©e en
1997, nota la façon dont cette politique avait été clarifiée (...) :
« (...) le représentant du ministre a
déclaré que la politique consistant à imposer une période punitive à perpétuité
ne fait quâexprimer lâavis du ministre Ă ce moment-lĂ , selon lequel il
convient, eu égard aux impératifs de rétribution et de dissuasion, de ne jamais
libĂ©rer le dĂ©tenu concernĂ©. Un rĂ©examen nâest pas exclu pour autant. Le
ministre étudie la possibilité de libérer le détenu lorsque celui-ci a accompli
des progrĂšs exceptionnels en prison ; et mĂȘme en lâabsence de tels progrĂšs, le
ministre est disposé à réexaminer à intervalles réguliers toute décision
dâinfliger une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. »
La Cour dâappel rappela ensuite les
critÚres pertinents du manuel sur les peines de durée indéterminée (paragraphe
16 ci-dessus), observant quâils Ă©taient « extrĂȘmement restrictifs » (paragraphe
11 de la décision McLoughlin). Elle souleva la
question de la compatibilitĂ© du systĂšme prĂ©vu par la loi avec lâarticle 3 de la
Convention. Dans sa réponse, elle formula les considérations suivantes :
« b) Le régime prévoyant la
compressibilitĂ© des peines doit-il ĂȘtre en place au moment oĂč la peine de
perpétuité réelle est prononcée ?
19. Il ressort Ă lâĂ©vidence des observations
de la Grande Chambre que, pour elle, le fait quâun dĂ©tenu demeure en rĂ©alitĂ© en
prison pour le restant de ses jours nâemporte pas violation de lâarticle 3. Il
est par exemple des dĂ©linquants qui continuent dâĂȘtre une menace pendant toute
leur vie.
20. Cependant, la Grande Chambre a
estimé que la justification de la détention pouvait évoluer au cours de
lâexĂ©cution de la peine ; elle a expliquĂ© quâune sanction, bien que juste au
dĂ©part, pouvait cesser de lâĂȘtre aprĂšs lâĂ©coulement de nombreuses annĂ©es. Elle
a dit aux paragraphes 110 et 121 de son arrĂȘt que, pour demeurer compatible
avec lâarticle 3, une peine perpĂ©tuelle devait offrir Ă la fois une chance
dâĂ©largissement et une possibilitĂ© de rĂ©examen. Elle a ajoutĂ© ce qui suit au
paragraphe 122 :
« Un détenu condamné à la perpétuité
rĂ©elle a le droit de savoir, dĂšs le dĂ©but de sa peine, ce quâil doit faire pour
que sa libĂ©ration puisse ĂȘtre envisagĂ©e et ce que sont les conditions
applicables. Il a le droit, notamment, de connaĂźtre le moment oĂč le rĂ©examen de
sa peine aura lieu ou pourra ĂȘtre sollicitĂ©. DĂšs lors, dans le cas oĂč le droit
national ne prévoit aucun mécanisme ni aucune possibilité de réexamen des
peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle, lâincompatibilitĂ© avec lâarticle 3 en rĂ©sultant
prend naissance dĂšs la date dâimposition de la peine perpĂ©tuelle et non Ă un
stade ultérieur de la détention. »
21. La Grande Chambre a ensuite
précisé que cette exigence différait de la tùche du juge consistant à fixer la
sentence, sâexprimant ainsi au paragraphe 124 :
« Or la nécessité de faire statuer par
des juges indĂ©pendants sur lâopportunitĂ© dâordonner la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle est
tout à fait distincte de celle de faire réexaminer une telle peine à un stade
ultĂ©rieur afin de vĂ©rifier quâelle demeure justifiĂ©e par des motifs lĂ©gitimes
dâordre pĂ©nologique. De plus, Ă©tant donnĂ© que le but
dĂ©clarĂ© de cet amendement lĂ©gislatif Ă©tait dâexclure entiĂšrement lâexĂ©cutif du
processus décisionnel en matiÚre de peines perpétuelles, il eût été plus
logique, au lieu de le supprimer complÚtement, de prévoir que le réexamen au
bout de vingt-cinq ans serait désormais conduit dans un cadre entiÚrement
judiciaire plutĂŽt que, comme auparavant, par lâexĂ©cutif sous le contrĂŽle du
juge. »
22. Ainsi, sâil est clair que la
Grande Chambre a admis que lâimposition par un juge dâune peine de perpĂ©tuitĂ©
rĂ©elle pouvait constituer une juste sanction, elle a conclu quâun systĂšme lĂ©gal
permettant un rĂ©examen au cours de la peine doit ĂȘtre en place Ă la date du
prononcé de celle-ci.
23. Tout en souscrivant Ă la thĂšse
dĂ©fendue au nom de lâAttorney General selon laquelle la Cour de Strasbourg nâa
pas dit que lâapplication dâune pĂ©riode punitive Ă perpĂ©tuitĂ© emportait en soi
violation de lâarticle 3, nous souhaitons revenir briĂšvement sur les arguments
qui ont Ă©tĂ© avancĂ©s Ă cet Ă©gard. Ă notre avis, lâarticle 3 de la loi sur les
droits de lâhomme ne saurait donner lieu Ă une interprĂ©tation restrictive de la
lĂ©gislation dans le sens dâune interdiction de lâimposition de peines de
perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. En effet, lâarticle 269 § 4 prĂ©voit que si un tribunal est
dâavis que la gravitĂ© de lâinfraction, en elle-mĂȘme ou combinĂ©e avec dâautres
Ă©lĂ©ments, lui interdit dâenvisager une libĂ©ration anticipĂ©e du dĂ©tenu, il doit
ordonner que ces dispositions ne sâappliquent pas. Cela Ă©tant, lâarticle 6 § 2
de la loi sur les droits de lâhomme permet au tribunal, en tant quâautoritĂ©
publique, de sâexonĂ©rer de son obligation dâagir dâune maniĂšre compatible avec
la Convention.
24. Le seul recours disponible devant
les juridictions internes dans cette hypothÚse serait une déclaration
dâincompatibilitĂ©, câest-Ă -dire le recours discrĂ©tionnaire prĂ©vu par lâarticle
4 de la loi sur les droits de lâhomme dans les cas oĂč une lĂ©gislation primaire
est jugĂ©e incompatible avec la Convention. Pareil recours nâest pas disponible
devant la Crown Court et nâempĂȘcherait pas, quoi quâil en soit, le systĂšme
prévu par la loi de continuer à opérer.
c) Lâarticle 30 prĂ©voit-il un rĂ©gime
de compressibilitĂ© des peines rĂ©ellement conforme Ă lâarticle 3 de la Convention
?
25. DĂšs lors, la question se pose de
savoir si les dispositions de lâarticle 30 prĂ©voient un rĂ©gime compatible avec
lâarticle 3, selon lâinterprĂ©tation donnĂ©e par la Grande Chambre et lâhypothĂšse
selon laquelle nous devons suivre cette interprĂ©tation lorsquâil sâagit de nous
acquitter de notre obligation en vertu de lâarticle 2 de la loi sur les droits
de lâhomme de prendre en compte la dĂ©cision de la Cour de Strasbourg.
26. Le Lord Chief
Justice Phillips, en prononçant lâarrĂȘt de notre cour dans lâaffaire R. v. Bieber, a conclu que ce rĂ©gime Ă©tait compatible et que les
peines de perpétuité réelle étaient compressibles, eu égard au pouvoir que
lâarticle 30 de la loi de 1997 confĂšre au ministre. Il sâest exprimĂ© ainsi au
paragraphe 48 de lâarrĂȘt :
« Aujourdâhui, le ministre fait usage
de ce pouvoir avec parcimonie, par exemple lorsque le dĂ©tenu est atteint dâune
maladie en phase terminale, lorsquâil est grabataire ou lorsquâil se trouve
dans un Ă©tat dâinvaliditĂ© comparable. Toutefois, si la situation est telle que
le maintien en dĂ©tention dâun dĂ©tenu est assimilable Ă un traitement inhumain
ou dĂ©gradant, aucune raison ne sâoppose selon nous Ă ce que, compte tenu en
particulier de lâobligation de respecter la Convention, le ministre libĂšre
lâintĂ©ressĂ© comme la loi lui en donne le pouvoir. »
Ce principe a été réaffirmé dans
lâarrĂȘt rendu par cette cour en lâaffaire R. v. Oakes
(§ 15).
27. Tout en admettant que
lâinterprĂ©tation de lâarticle 30 de la loi de 1997, telle quâexposĂ©e dans
lâaffaire R. v. Bieber, serait, en principe, conforme
Ă lâarrĂȘt Kafkaris, la Grande Chambre sâest dite
préoccupée par le fait que la loi puisse ne pas présenter une certitude
suffisante. Elle a ajoutĂ© aux paragraphes 126â127 de lâarrĂȘt Vinter :
« (...) Or il demeure que, malgrĂ© lâarrĂȘt
rendu par la Cour dâappel dans lâaffaire Bieber, le
ministre nâa pas modifiĂ© la teneur de la politique restrictive expressĂ©ment
Ă©noncĂ©e par lui quant aux situations oĂč il entend exercer le pouvoir que lui
confĂšre lâarticle 30. Nonobstant la lecture donnĂ©e de cette disposition par la
Cour dâappel, lâordonnance de lâadministration pĂ©nitentiaire reste en vigueur
et elle prĂ©voit que lâĂ©largissement ne sera ordonnĂ© que dans certains cas, qui
sont Ă©numĂ©rĂ©s de maniĂšre exhaustive et non pas citĂ©s Ă titre dâexemples (...)
Ce sont lĂ des conditions extrĂȘmement
restrictives. Ă supposer mĂȘme quâun dĂ©tenu condamnĂ© Ă la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle
puisse les remplir, la Cour estime que la chambre a eu raison de douter que la
mise en libertĂ© pour motifs dâhumanitĂ© pouvant ĂȘtre accordĂ©e aux personnes
atteintes dâune maladie mortelle en phase terminale ou dâun grave handicap
physique puisse ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une vĂ©ritable libĂ©ration si elle se
rĂ©sume Ă permettre Ă lâintĂ©ressĂ© de mourir chez lui ou dans un hospice plutĂŽt quâentre
les murs dâune prison. De fait, aux yeux de la Cour, pareille mise en libertĂ©
pour motifs dâhumanitĂ© ne correspond pas Ă ce que recouvre lâexpression «
perspective dâĂ©largissement » employĂ©e dans lâarrĂȘt Kafkaris
(prĂ©citĂ©). En soi, les dispositions de lâordonnance en question ne seraient pas
conformes Ă cet arrĂȘt et ne suffiraient donc pas Ă satisfaire aux exigences de
lâarticle 3.»
28. La Grande Chambre en a déduit que,
eu Ă©gard au manque de clartĂ© du droit national, lâarticle 30 de la loi de 1997
ne constituait pas une voie de droit appropriĂ©e et adĂ©quate pouvant ĂȘtre
exercée par un délinquant qui chercherait à démontrer que son maintien en
détention ne se justifie plus. Elle est parvenue à la conclusion suivante au
paragraphe 129 de lâarrĂȘt Vinter :
« Aujourdâhui, nul ne peut dire si,
saisi dâune demande de libĂ©ration formulĂ©e au titre de lâarticle 30 par un
détenu purgeant une peine de perpétuité réelle, le ministre suivrait sa
politique restrictive actuelle, telle quâĂ©noncĂ©e dans lâordonnance de lâadministration
pĂ©nitentiaire, ou sâil sâaffranchirait du libellĂ© apparemment exhaustif de ce
texte en appliquant le critĂšre de respect de lâarticle 3 Ă©noncĂ© dans lâarrĂȘt Bieber. Certes, tout refus de libĂ©ration opposĂ© par le
ministre serait attaquable par la voie du contrĂŽle juridictionnel et lâĂ©tat du
droit pourrait trĂšs bien ĂȘtre clarifiĂ© dans le cadre dâune telle procĂ©dure, par
exemple par lâabrogation et le remplacement de lâordonnance par le ministre ou
par son annulation par le juge. Toujours est-il que ces éventualités ne
suffisent pas Ă pallier le manque de clartĂ© qui existe actuellement quant Ă
lâĂ©tat du droit national rĂ©gissant les possibilitĂ©s exceptionnelles
dâĂ©largissement des dĂ©tenus condamnĂ©s Ă la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. »
29. Nous ne pouvons souscrire Ă cette
conclusion. Ă notre sens, le droit applicable en Angleterre et au pays de
Galles est clair concernant les « possibilitĂ©s exceptionnelles dâĂ©largissement
des dĂ©tenus condamnĂ©s Ă la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle ». Ainsi quâil ressort de
lâaffaire R. v. Bieber, le ministre est tenu
dâexercer dâune maniĂšre compatible avec les principes du droit administratif
national et avec lâarticle 3 le pouvoir que lâarticle 30 de la loi de 1997 lui
confĂšre.
30. Il nous semble que la Grande
Chambre a attaché une grande importance au fait que la politique exposée dans
le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e nâa pas Ă©tĂ© rĂ©visĂ©e. Or, cela
est à notre avis sans conséquence du point de vue du droit. Il convient donc
que nous prĂ©cisions quel est lâĂ©tat du droit positif en Angleterre et au pays
de Galles.
31. PremiĂšrement, le pouvoir de
rĂ©examen en vertu de lâarticle 30 entre en jeu en prĂ©sence de circonstances
exceptionnelles. Le délinquant condamné à une peine de perpétuité réelle doit
donc démontrer au ministre que, si cette peine constituait une juste sanction
au moment oĂč elle a Ă©tĂ© infligĂ©e, des circonstances exceptionnelles sont
survenues depuis lors. Il nâest pas nĂ©cessaire de prĂ©ciser quelles sont ces
circonstances ou les critĂšres spĂ©cifiques ; lâexpression « circonstances
exceptionnelles » est en soi suffisamment certaine.
32. DeuxiĂšmement, le ministre doit
alors examiner si pareilles circonstances exceptionnelles justifient la
libĂ©ration du dĂ©tenu pour des motifs dâhumanitĂ©. La politique exposĂ©e dans le
manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e est extrĂȘmement restrictive et elle
indique explicitement quâil sâagit de circonscrire les questions devant ĂȘtre
examinĂ©es par le ministre. Or le manuel ne peut restreindre lâobligation pour
le ministre de considérer toutes les circonstances pertinentes pour une
libération pour motifs humanitaires. Le ministre ne peut limiter son pouvoir
discrétionnaire en prenant en compte seulement les questions exposées dans le
manuel sur les peines de durée indéterminée. Dans les passages de notre
dĂ©cision dans lâaffaire Hindley, que nous avons
Ă©voquĂ©s au paragraphe 7, lâobligation pour le ministre a Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©e ; de
mĂȘme, les dispositions de lâarticle 30 de la loi de 1997 exigent que le
ministre prenne en compte toutes les circonstances exceptionnelles pertinentes
pour la libĂ©ration du dĂ©tenu pour motifs dâhumanitĂ©.
33. TroisiĂšmement, lâexpression «
motifs dâhumanitĂ© » doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e, ainsi que cette cour lâa prĂ©cisĂ©
dans lâaffaire R. v. Bieber, dâune maniĂšre compatible
avec lâarticle 3. Ces motifs ne se limitent pas Ă ceux qui sont exposĂ©s dans le
manuel sur les peines de durée indéterminée. Cette expression a une acception
large pouvant ĂȘtre prĂ©cisĂ©e au cas par cas, comme cela se passe dans le cadre
de la common law,
34. QuatriÚmement, la décision du
ministre doit ĂȘtre motivĂ©e au regard des circonstances de chaque affaire et
elle est soumise Ă un examen par la voie dâun contrĂŽle juridictionnel.
35. Ă notre sens, le droit anglais et
gallois offre donc Ă tout dĂ©linquant « lâespoir » ou la « possibilitĂ© » dâune
libération en cas de circonstances exceptionnelles qui enlÚvent tout caractÚre
justifiable à la juste sanction initialement imposée.
36. Il est parfaitement conforme Ă
lâĂ©tat de droit de considĂ©rer pareilles demandes sur une base individuelle Ă la
lumiĂšre du critĂšre selon lequel les circonstances ont Ă©voluĂ© dâune maniĂšre si
exceptionnelle que la sanction initiale, qui se justifiait au moment de son
infliction, perd toute raison dâĂȘtre. Il nous paraĂźt difficile de prĂ©ciser Ă
lâavance ce que pareilles circonstances peuvent recouvrir, dĂšs lors que
lâatrocitĂ© du crime initial appelait justement une peine dâemprisonnement Ă
vie. Mais les circonstances peuvent Ă©voluer, et elles Ă©voluent, dans des cas
exceptionnels. LâinterprĂ©tation de lâarticle 30 que nous avons exposĂ©e prĂ©voit
cette possibilité et donne donc à chaque détenu condamné à la perpétuité la
possibilitĂ© dâune libĂ©ration exceptionnelle.
Conclusion
37. Les juges doivent donc continuer Ă
appliquer le régime prévu par la loi de 2003 [sur la justice pénale] et, dans
des cas exceptionnels, probablement rares, prononcer des peines de perpétuité
rĂ©elle conformĂ©ment Ă lâannexe 21 Ă cette loi. Bien que Me Eadie
QC, le représentant du ministre, nous ait fait observer que de nombreuses
annĂ©es pouvaient sâĂ©couler avant quâil soit possible de soumettre des demandes
en vertu de lâarticle 30 et que les trois requĂ©rants dans lâaffaire Vinter (MM. Vinter, Bamber et Moore) nâaient pas soutenu que leur maintien en
dĂ©tention ne se justifiait par aucun motif dâordre pĂ©nologique,
nous nâexcluons pas la possibilitĂ© que pareilles demandes surviennent bien
avant. Elles seront traitées conformément aux principes juridiques que nous
avons définis. »
III.
TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS
20. La Cour renvoie aux éléments
mentionnĂ©s dans lâarrĂȘt Vinter et autres (prĂ©citĂ©, §§
59 81), en particulier Ă lâun des textes du Conseil de lâEurope qui y sont
cités, à savoir la Recommandation Rec(2003)22 du
ComitĂ© des Ministres aux Ătats membres concernant la libĂ©ration conditionnelle,
dont les passages pertinents se lisent ainsi :
« SystÚme de libération
discrétionnaire
16. La période minimale que les
détenus doivent purger avant de pouvoir prétendre à la libération
conditionnelle devrait ĂȘtre dĂ©finie en conformitĂ© avec la loi.
17. Les autorités compétentes
devraient engager la procédure nécessaire pour que la décision concernant la
libĂ©ration conditionnelle puisse ĂȘtre rendue dĂšs que le dĂ©tenu a purgĂ© la
période minimale requise.
18. Les critÚres que les détenus
doivent remplir pour pouvoir bénéficier de la libération conditionnelle
devraient ĂȘtre clairs et explicites. Ils devraient Ă©galement ĂȘtre rĂ©alistes en
ce sens quâils devraient tenir compte de la personnalitĂ© des dĂ©tenus, de leur
situation socio-Ă©conomique et de lâexistence de programmes de rĂ©insertion.
(...)
20. Les critĂšres dâoctroi de la
libĂ©ration conditionnelle devraient ĂȘtre appliquĂ©s de telle sorte que celle-ci
puisse ĂȘtre accordĂ©e Ă tous les dĂ©tenus dont on considĂšre quâils remplissent le
niveau minimal de garanties pour devenir des citoyens respectueux des lois. Il
devrait incomber aux autoritĂ©s de dĂ©montrer quâun dĂ©tenu nâa pas rempli les
critĂšres.
21. Si lâinstance de dĂ©cision rend une
décision négative, elle devrait fixer une date en vue du réexamen de la
question. En toute hypothÚse, les détenus devraient pouvoir saisir une nouvelle
fois lâinstance de dĂ©cision dĂšs lâapparition dâune amĂ©lioration notable de leur
situation.
(...)
VIII. Garanties procédurales
32. Les dĂ©cisions relatives Ă
lâoctroi, au report ou Ă la rĂ©vocation de la libĂ©ration conditionnelle, ainsi
quâĂ lâimposition ou la modification des conditions et des mesures qui lui sont
associĂ©es, devraient ĂȘtre prises par des autoritĂ©s Ă©tablies par disposition lĂ©gale
et selon des procédures entourées des garanties suivantes:
a) les condamnés devraient avoir le
droit dâĂȘtre entendus en personne et de se faire assister comme le prĂ©voit la
loi ;
b) lâinstance de dĂ©cision devrait
accorder une attention soutenue à tout élément, y compris à toute déclaration,
prĂ©sentĂ© par les condamnĂ©s Ă lâappui de leur demande ;
c) les condamnés devraient avoir un
accÚs adéquat à leur dossier ;
d) les décisions devraient indiquer
les motifs qui les sous-tendent et ĂȘtre notifiĂ©es par Ă©crit.
33. Les condamnés devraient pouvoir
introduire un recours auprĂšs dâune instance de dĂ©cision supĂ©rieure indĂ©pendante
et impartiale, établie par disposition légale contre le fond de la décision ou
le non-respect des garanties procédurales. »
21. La Cour renvoie Ă©galement aux
RÚgles pénitentiaires européennes de 2006, en particulier à la rÚgle 30.3,
ainsi libellée :
« Tout dĂ©tenu doit ĂȘtre informĂ© des
procédures judiciaires auxquelles il est partie et, en cas de condamnation, de
la durée de sa peine et de ses possibilités de libération anticipée. »
EN DROIT
I. SUR
LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 3 DE LA CONVENTION
22. Le requérant allÚgue que la peine
de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle prononcĂ©e Ă son Ă©gard est contraire Ă lâarticle 3 de la
Convention, qui se lit ainsi :
« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă la torture
ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. LâarrĂȘt de la chambre
23. La chambre a relevé que le
Gouvernement avait initialement admis lâapplicabilitĂ© en lâespĂšce des principes
dĂ©gagĂ©s dans lâarrĂȘt Vinter et en avait dĂ©duit quâil
nâĂ©tait pas en mesure de soumettre des observations sur le fond de lâaffaire.
Le Gouvernement a changĂ© de position Ă la suite de la dĂ©cision McLoughlin, estimant quâune peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle
devait Ă prĂ©sent ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme compressible. AprĂšs examen de cette
dĂ©cision McLoughlin, la chambre a rappelĂ© que câest
au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux,
quâil incombe de rĂ©soudre les problĂšmes dâinterprĂ©tation du droit interne. Elle
a ensuite observĂ© quâil est solidement Ă©tabli dans la tradition juridique du
Royaume Uni que la jurisprudence, en tant que source de droit, contribue
nĂ©cessairement Ă lâĂ©volution progressive du droit. Selon la chambre, dĂšs lors
que la Cour dâappel avait spĂ©cifiquement rĂ©pondu aux doutes, exprimĂ©s dans
lâarrĂȘt Vinter, concernant la clartĂ© du droit interne
applicable et Ă©noncĂ© sans aucune ambiguĂŻtĂ© quel Ă©tait lâĂ©tat du droit, cette
interprĂ©tation devait ĂȘtre admise par la Cour. La chambre a conclu que le pouvoir
de libĂ©ration confĂ©rĂ© par lâarticle 30 de la loi de 1997, exercĂ© de la maniĂšre
dĂ©finie dans la dĂ©cision McLoughlin, suffisait Ă
rĂ©pondre aux exigences de lâarticle 3.
B. ThĂšses
des parties
1. Le
Gouvernement
24. Le Gouvernement souscrit Ă lâarrĂȘt
de la chambre. Il soutient que la Cour dâappel a exposĂ© en des termes clairs et
dĂ©nuĂ©s dâambiguĂŻtĂ©, dans un arrĂȘt qui fait autoritĂ©, le fonctionnement du droit
interne. Il argue quâen vertu des articles 3 et 6 de la loi sur les droits de
lâhomme lâarticle 30 de la loi de 1997 doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© et appliquĂ© de
maniĂšre assez large pour ĂȘtre compatible avec lâarticle 3 de la Convention dans
tous les cas. Il explique que le manuel sur les peines de durée indéterminée ne
restreint pas et ne peut en aucun cas restreindre cette obligation et il en
dĂ©duit que, comme la Cour dâappel lâa dit, lâabsence de rĂ©vision du manuel nâa
aucune consĂ©quence juridique. DâaprĂšs lui, le manuel demeure applicable dans la
mesure oĂč il expose lâapproche Ă adopter lorsque la demande de libĂ©ration est
motivée par une maladie en phase terminale ou une invalidité grave. La Cour
dâappel aurait prĂ©cisĂ© dans la dĂ©cision McLoughlin
que le ministre Ă©tait tenu en vertu du droit interne dâexaminer lâensemble des
circonstances pertinentes de chaque affaire dâune maniĂšre compatible avec
lâarticle 3 â aucun point de la loi ne resterait Ă Ă©claircir Ă cet Ă©gard.
Lâarticle 30 opĂ©rerait prĂ©cisĂ©ment dâune façon qui, selon lâarrĂȘt Vinter, suffit Ă rĂ©pondre aux exigences de lâarticle 3.
25. Quant à la base du réexamen de la
peine par le ministre, le Gouvernement juge Ă©vident que lâexpression «
circonstances exceptionnelles » figurant Ă lâarticle 30 sâĂ©tend aux progrĂšs
exceptionnels accomplis par un dĂ©tenu sur le chemin de lâamendement. Il
explique que dans le cadre de ce réexamen, le ministre se fonderait sur le
critĂšre Ă©noncĂ© dans lâarrĂȘt Vinter, câest-Ă -dire
quâil lui faudrait rechercher si, au cours de lâexĂ©cution de sa peine, le
dĂ©tenu a tellement Ă©voluĂ© et progressĂ© sur le chemin de lâamendement quâaucun
motif lĂ©gitime dâordre pĂ©nologique ne permet plus de
justifier son maintien en dĂ©tention. Il estime donc que les dĂ©tenus condamnĂ©s Ă
des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle savent ce quâils ont Ă faire pour avoir une
chance dâĂȘtre libĂ©rĂ©s et quels sont les critĂšres appliquĂ©s au rĂ©examen de ce
type de peines. Pour lui, il nâest pas besoin dâaller plus loin dans la
prĂ©cision, et il nâest ni nĂ©cessaire ni faisable de chercher Ă dĂ©crire plus en
dĂ©tail ce quâun dĂ©tenu doit dĂ©montrer pour pouvoir prĂ©tendre Ă ĂȘtre libĂ©rĂ© ou Ă
obtenir une remise de peine. La Cour europĂ©enne des droits de lâhomme elle-mĂȘme
nâaurait pas identifiĂ© de critĂšres spĂ©cifiques dans sa jurisprudence relative Ă
lâarticle 3 mais elle se serait exprimĂ©e en des termes plus gĂ©nĂ©raux.
Lâensemble des circonstances pertinentes se rapportant au dĂ©tenu concernĂ©
seraient donc prises en compte, ce qui apporterait la flexibilité nécessaire au
rĂ©examen et permettrait de lâadapter Ă chaque cas individuel.
26. Le droit interne ne poserait aux
dĂ©tenus aucun problĂšme dâaccessibilitĂ© ou de prĂ©visibilitĂ©. Il leur suffirait
de faire usage de leur possibilité de demander un avis juridique ou de
sâadresser Ă lâadministration pĂ©nitentiaire pour bĂ©nĂ©ficier dâune explication
des dispositions juridiques applicables. Pour chaque demande, le ministre
serait tenu de donner une réponse motivée et susceptible de contrÎle
juridictionnel. Ce contrÎle ne se résumerait pas à une simple réaction aux
dĂ©cisions du ministre mais il porterait bien sur le fond de lâaffaire. Il
serait Ă mĂȘme de dĂ©finir progressivement dans la pratique les considĂ©rations
pertinentes Ă cet Ă©gard, par exemple ce qui constitue un motif lĂ©gitime dâordre
pénologique. Par ailleurs, une décision favorable au
dĂ©tenu Ă lâissue du contrĂŽle juridictionnel nâentraĂźnerait pas uniquement un
renvoi au ministre pour que celui-ci prenne de nouveau la mĂȘme dĂ©cision. Les
tribunaux auraient le pouvoir dâordonner directement la libĂ©ration dâun
prisonnier si cela sâavĂ©rait justifiĂ©.
27. Quant au moment du réexamen, le
Gouvernement rappelle que, dans lâarrĂȘt Vinter, la
Grande Chambre a estimĂ© que cette question relevait de la marge dâapprĂ©ciation
des autoritĂ©s nationales, quâil faudrait selon lui Ă©viter de rĂ©duire Ă prĂ©sent.
Il estime que lâarrĂȘt Vinter ne prescrit pas un
rĂ©examen de la peine aprĂšs vingt-cinq ans dâemprisonnement mais quâil Ă©nonce
simplement que les éléments de droit comparé et de droit international viennent
clairement Ă lâappui de cette mesure particuliĂšre. Le Gouvernement considĂšre
quoi quâil en soit que la fixation dâun tel dĂ©lai serait plus indiquĂ©e dans un
systÚme ne prévoyant aucun réexamen pendant une trÚs longue période, ce qui,
dâaprĂšs lui, nâest pas le cas du systĂšme britannique. La sĂ©curitĂ© juridique
nâappellerait pas la mise en place dâun calendrier spĂ©cifique pour le rĂ©examen
de la peine, celui-ci étant conditionné par la capacité du détenu concerné de
démontrer que sa détention ne se justifie plus. Cette possibilité serait
ouverte aux dĂ©tenus Ă tout moment et ceux-ci ne seraient pas tenus dâattendre
un nombre indĂ©terminĂ© dâannĂ©es. Ces conditions pourraient ĂȘtre considĂ©rĂ©es
comme plus avantageuses pour le dĂ©tenu que lâexigence dâaccomplir une longue
pĂ©riode minimale dâemprisonnement avant dâĂȘtre autorisĂ© Ă demander un rĂ©examen.
Quant aux circonstances de lâespĂšce, le requĂ©rant nâaurait Ă aucun moment
avancĂ© quâil nâexistait pas de motifs lĂ©gitimes dâordre pĂ©nologique
justifiant son maintien en dĂ©tention. Rien nâempĂȘcherait lâintĂ©ressĂ© de
sâadresser au ministre Ă nâimporte quel moment dans le futur pour lui demander
un réexamen de sa peine.
2. Le
requérant
28. Le requérant est en désaccord avec
lâarrĂȘt de la chambre, quâil estime ĂȘtre en contradiction avec lâarrĂȘt Vinter et avec dâautres arrĂȘts rendus postĂ©rieurement par
la Cour. Il considĂšre que la situation en droit interne demeure contraire Ă
lâarticle 3, la dĂ©cision McLoughlin nâayant pas
remĂ©diĂ©, selon lui, aux lacunes pointĂ©es dans lâarrĂȘt Vinter.
Il soutient que la Cour dâappel est partie de lâidĂ©e, fausse dâaprĂšs lui, que
la Cour avait mal analysĂ© le droit interne et quâen consĂ©quence elle sâest
uniquement attachĂ©e, dans la dĂ©cision McLoughlin, Ă
corriger cette erreur perçue, sans chercher à toucher à la situation en droit.
Il plaide que le réexamen des peines de perpétuité réelle demeure fondé sur un
pouvoir discrétionnaire, mal défini selon lui, conféré à un ministre du
gouvernement. Il invite la Cour à déclarer à présent que pareille fonction doit
ĂȘtre confiĂ©e aux juges et non plus Ă des personnalitĂ©s politiques, cette thĂšse
trouvant selon lui clairement appui dans les éléments de droit comparé et de
droit international Ă©voquĂ©s dans lâarrĂȘt Vinter, et
transparaissant de maniĂšre implicite dans le raisonnement mĂȘme suivi par la
Cour dans cet arrĂȘt. Le requĂ©rant Ă©tablit Ă cet Ă©gard une analogie avec
lâĂ©volution que lâon observerait aussi bien dans la jurisprudence interne que
dans celle issue de la Convention, et qui tendrait Ă la suppression de toute
intervention de lâexĂ©cutif dans le processus de fixation des peines. Selon le
requĂ©rant, mĂȘme si lâon peut en principe toujours admettre un contrĂŽle par le
pouvoir exĂ©cutif, le systĂšme interne nâen est pas moins dĂ©ficient, le contrĂŽle
Ă©tant conduit par une personnalitĂ© politique partisane, comme lâillustreraient
les observations publiques formulĂ©es par le ministre dâalors Ă la suite de la
dĂ©cision McLoughlin. Le processus nâoffrirait donc
aucune perspective dâĂ©quitĂ©, dâĂ©quilibre et de sĂ©curitĂ©.
29. La décision McLoughlin
indiquerait quâil convient dâinterprĂ©ter de maniĂšre large la terminologie
employée dans la législation mais il ne faudrait pas considérer que cela suffit
pour rĂ©pondre aux exigences de lâarticle 3, telles quâexposĂ©es dans lâarrĂȘt Vinter et dans les arrĂȘts postĂ©rieurs de la Cour. La
signification à donner aux termes « circonstances exceptionnelles » et « motifs
dâhumanitĂ© » nâaurait pas Ă©tĂ© clarifiĂ©e. Une plus grande prĂ©cision serait
requise aux fins de la sécurité juridique, sans quoi les détenus ne
trouveraient plus la motivation nĂ©cessaire pour tenter de sâamender. Le seul
document détaillé auquel les détenus condamnés à une peine de perpétuité réelle
pourraient se référer serait le manuel sur les peines de durée indéterminée,
dont le libellĂ© restrictif aurait Ă©tĂ© critiquĂ© dans lâarrĂȘtVinter.
30. Quant au moment du réexamen, le
requĂ©rant estime que lâinsĂ©curitĂ© juridique subsiste Ă cet Ă©gard. Il indique
que cette question nâest traitĂ©e ni dans une disposition lĂ©gale ni dans la
dĂ©cision McLoughlin. Selon lui, un dĂ©tenu condamnĂ© Ă
une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle nâa aucun moyen de savoir quand sa peine pourra
ĂȘtre rĂ©examinĂ©e. Le requĂ©rant rappelle quâavant 2003 pareille peine Ă©tait
systĂ©matiquement rĂ©examinĂ©e aprĂšs vingt-cinq ans de dĂ©tention, et quâune
proposition (formulĂ©e par la Commission mixte des droits de lâhomme en 2013 et
débattue à la Chambre des lords en 2014) a été présentée au Parlement en vue de
la réintroduction de cette pratique dans la législation. La jurisprudence post-Vinter de la Cour confirmerait la nécessité de prévoir un
calendrier précis dans le droit interne. Pour le requérant, un constat de
non-violation de lâarticle 3 en lâespĂšce serait source de confusion dans la
jurisprudence pertinente de la Convention.
31. Le requĂ©rant estime quâil nây a eu
aucune amĂ©lioration de facto de la situation depuis lâarrĂȘt Vinter.
Il réprouve le refus du Gouvernement de réviser le manuel sur les peines de
durĂ©e indĂ©terminĂ©e malgrĂ© les critiques exprimĂ©es dâabord par la Cour, puis par
la Cour dâappel. Il affirme quâen rĂ©alitĂ©, aucun dĂ©tenu condamnĂ© Ă une peine de
perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle nâa jamais Ă©tĂ© libĂ©rĂ© selon les modalitĂ©s Ă©voquĂ©es dans
lâarrĂȘt Vinter. Selon lui, le fait de savoir quâen
définitive leur sort sera tranché par une personnalité politique, et non par un
juge indépendant et impartial, ne peut que décourager les détenus de consentir
lâĂ©norme effort requis pour parvenir Ă sâamender.
32. Par ailleurs, le requérant
soutient que le systĂšme de rĂ©examen des peines ne doit pas ĂȘtre considĂ©rĂ© comme
relevant de la marge dâapprĂ©ciation de lâĂtat dĂ©fendeur. Il invoque dâabord Ă
cet Ă©gard le caractĂšre absolu de lâarticle 3, et plaide ensuite quâun constat
de violation en lâespĂšce nâimposerait aucune solution particuliĂšre au
Royaume-Uni. Il indique que le systÚme interne prévoyait autrefois un réexamen
au bout de vingt-cinq ans, qui, selon lui, pourrait tout Ă fait ĂȘtre
rĂ©introduit et confiĂ© Ă la commission de libĂ©ration conditionnelle. Il nây
aurait là rien de compliqué, comme le démontrerait le projet de loi présenté au
Parlement. Le requĂ©rant estime quâun constat de violation ne signifierait pas
que les condamnations à des peines de perpétuité réelle sont en soi contraires
Ă la Convention, soutenant que, ce quâil faut, câest que la peine soit
compressible. Il ajoute que pareil constat ne signifierait pas non plus quâil
devrait ĂȘtre libĂ©rĂ© ; il sâagirait lĂ dâune question tout Ă fait distincte, Ă
examiner dans un autre cadre et Ă un autre moment.
3. Le
tiers intervenant
33. EPLN soutient que le droit relatif
Ă lâexamen des demandes de libĂ©ration prĂ©sentĂ©es par les dĂ©tenus condamnĂ©s Ă
des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle doit ĂȘtre clair, prĂ©visible et accessible aux
personnes concernĂ©es. Il plaide que lâarticle 3 exige que la peine soit
compressible et que lâimposition dâune peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle
incompressible ne peut donc plus ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme relevant de la marge
dâapprĂ©ciation de lâĂtat. Il ajoute que lâĂtat ne peut revendiquer une marge
dâapprĂ©ciation que pour fixer certaines modalitĂ©s du mĂ©canisme de rĂ©examen
requis, mais que câest Ă la Cour quâil appartient en dĂ©finitive dâapprĂ©cier si
ce mécanisme est assorti des garanties procédurales nécessaires, eu égard au
consensus international dans ce domaine et Ă lâimportance primordiale de
lâenjeu pour le dĂ©tenu. EPLN estime que toute marge dâapprĂ©ciation en la
matiĂšre doit ĂȘtre Ă©troite.
34. Se référant aux instruments
internationaux pertinents citĂ©s dans lâarrĂȘt Vinter,
EPLN soutient quâun mĂ©canisme de fixation des peines axĂ© uniquement sur le
chĂątiment ou la rĂ©pression nâest pas compatible avec les principes en matiĂšre
de droits de lâhomme. Il est dâavis que la rĂ©insertion doit ĂȘtre au cĆur de la
fixation de la peine, ce qui impliquerait que les détenus condamnés à la
perpétuité aient une perspective de libération. EPLN estime que, pour que cette
perspective soit réaliste, il faut une planification de la peine, une
possibilité pour les détenus de progresser au sein du systÚme pénitentiaire, et
un mécanisme de réexamen structuré. Il indique que les instruments
internationaux pertinents fixent certaines normes procédurales fondamentales,
exigeant selon lui clarté et prévisibilité quant au moment et aux critÚres du
rĂ©examen. Il ajoute que ces points ont Ă©tĂ© entĂ©rinĂ©s dans lâarrĂȘt Vinter, et rĂ©affirmĂ©s et dĂ©veloppĂ©s dans la jurisprudence
ultĂ©rieure. Pour EPLN, il ne sâagit pas simplement de lâamendement des dĂ©tenus,
mais Ă©galement dâune question de sĂ©curitĂ© des personnes. Le tiers intervenant
explique quâun dĂ©tenu qui nâa aucune perspective rĂ©elle dâĂȘtre libĂ©rĂ© risque
dâĂȘtre dĂ©truit moralement et donc de reprĂ©senter un rĂ©el danger pour lui-mĂȘme
et pour ceux quâil est amenĂ© Ă cĂŽtoyer dans lâenvironnement pĂ©nitentiaire. Pour
illustrer ce point, EPLN a soumis la dĂ©claration dâun dĂ©tenu condamnĂ© Ă la
perpétuité.
35. Le tiers intervenant considĂšre que
lâarrĂȘt Vinter, loin de dĂ©noter une mauvaise
compréhension du systÚme interne, en recense précisément les lacunes, à savoir
lâabsence de calendrier et de critĂšres clairs et accessibles au public. Il
ajoute quâaucune mesure nâa Ă©tĂ© prise au niveau interne pour que le processus
ne continue pas de se résumer à une mise en liberté fondée uniquement sur des
motifs dâhumanitĂ©, dĂ©jĂ jugĂ©e insuffisante selon lui. Cela serait
contradictoire par rapport au droit constitutionnel allemand citĂ© dans lâarrĂȘt Vinter, selon lequel les conditions prĂ©alables Ă la
libĂ©ration et les procĂ©dures Ă cet Ă©gard devraient ĂȘtre stipulĂ©es par la loi.
La Cour dâappel nâaurait ni prĂ©cisĂ© ni intĂ©grĂ© dans le droit interne les
exigences procĂ©durales essentielles de lâarticle 3.
36. De lâavis du tiers intervenant, il
ne suffit pas dâinvoquer lâobligation lĂ©gale pour le ministre dâagir dâune
maniĂšre compatible avec lâarticle 3, qui concernerait uniquement le moment du
rĂ©examen et qui serait indĂ©pendante de lâobligation de mettre en place de
maniĂšre prospective des procĂ©dures et des modalitĂ©s. Au niveau interne, il nây
aurait toujours ni critÚre clair et accessible au public ni calendrier précis,
au mépris des principes de prévisibilité et de sécurité juridique ainsi que du
consensus international Ă©mergent. De mĂȘme, il nâexisterait aucune garantie
procédurale, telle que la divulgation, le droit de présenter des observations
orales lors dâune audience de rĂ©examen ou le droit de connaĂźtre la motivation
dâune dĂ©cision nĂ©gative. Par ailleurs, il nâaurait pas Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que, malgrĂ©
ses lacunes, le systĂšme fonctionne dans les faits dâune maniĂšre conforme Ă la
Convention.
C. Appréciation
de la Cour
37. Dans leurs observations, les
parties se sont concentrées uniquement sur le point de savoir si, à la lumiÚre
de la décision McLoughlin, la situation du requérant
quant à sa peine de perpétuité réelle répondait à présent aux exigences de
lâarticle 3 telles quâexposĂ©es dans lâarrĂȘt Vinter
(prĂ©citĂ©, §§ 123â131). Ă cet Ă©gard, la Cour recherchera tout dâabord si
lâimprĂ©cision du droit interne a Ă©tĂ© corrigĂ©e et, dans lâaffirmative, si les
exigences en question sont maintenant respectĂ©es en lâespĂšce. Elle nâexaminera
pas sĂ©parĂ©ment la question dâune Ă©ventuelle violation de lâarticle 3 dans la
période de détention du requérant antérieure à la décisionMcLoughlin.
1. Sur la question de savoir si le
droit interne a été clarifié
38. Dans lâarrĂȘt Vinter,
la Cour a estimĂ© quâĂ la lumiĂšre de lâarticle 6 de la loi sur les droits de
lâhomme (paragraphe 14 ci-dessus), on pouvait voir dans lâarticle 30 de la loi
de 1997 (paragraphe 15 ci-dessus) une obligation pour le ministre de libérer
tout détenu purgeant une peine de perpétuité réelle dont le maintien en
dĂ©tention se rĂ©vĂ©lerait incompatible avec lâarticle 3, par exemple parce
quâaucun motif lĂ©gitime dâordre pĂ©nologique ne
permettrait plus de justifier cette mesure. Elle a relevĂ© que câĂ©tait
dâailleurs la lecture de lâarticle 30 Ă laquelle la Cour dâappel sâĂ©tait livrĂ©e
dans ses arrĂȘts Bieber et Oakes
et qui serait, en principe, conforme aux exigences de lâarticle 3 telles que
prĂ©cisĂ©es dans lâaffaire Kafkaris c. Chypre ([GC], no
21906/04, CEDH 2008). Cependant, outre la jurisprudence pertinente, la Cour a
Ă©galement eu Ă©gard aux ordonnances publiĂ©es et Ă lâapplication pratique de la
législation aux détenus condamnés à la perpétuité réelle. Elle a estimé que la
politique exposée par le ministre dans le manuel sur les peines de durée
indĂ©terminĂ©e (paragraphe 16 ci-dessus) Ă©tait trop restrictive pour ĂȘtre
conforme aux principes dĂ©gagĂ©s dans lâarrĂȘt Kafkaris.
Elle a ensuite souligné que le manuel sur les peines de durée indéterminée ne
donnait aux dĂ©tenus condamnĂ©s Ă la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle quâune vue partielle des
conditions dans lesquelles le pouvoir de libĂ©ration pouvait ĂȘtre exercĂ©. Elle a
conclu que le contraste entre le libellĂ© de lâarticle 30, interprĂ©tĂ© par les
juridictions internes dâune maniĂšre conforme Ă la Convention, et les conditions
restrictives figurant dans le manuel entraßnait un tel manque de clarté du
droit que les peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle ne pouvaient pas ĂȘtre qualifiĂ©es de
compressibles aux fins de lâarticle 3 de la Convention.
39. Dans la dĂ©cision McLoughlin, la Cour dâappel a rĂ©pondu explicitement aux
critiques exprimĂ©es dans lâarrĂȘt Vinter. Elle a
affirmĂ© lâobligation lĂ©gale pour le ministre dâexercer son pouvoir de
libĂ©ration dâune maniĂšre compatible avec lâarticle 3 de la Convention. Quant Ă
la politique publiĂ©e, quâelle a Ă©galement considĂ©rĂ©e comme extrĂȘmement
restrictive (voir les paragraphes 11 et 32 de la décision McLoughlin,
citĂ©s au paragraphe 19 ci-dessus), la Cour dâappel a prĂ©cisĂ© que le manuel sur
les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e ne pouvait restreindre lâobligation pour le
ministre dâexaminer lâensemble des circonstances pertinentes pour la libĂ©ration
au regard de lâarticle 30. Elle a ajoutĂ© que la politique publiĂ©e ne pouvait
pas limiter le pouvoir discrétionnaire du ministre en prenant en compte
uniquement les considérations évoquées dans le manuel sur les peines de durée
indĂ©terminĂ©e. Elle a ensuite expliquĂ© que le fait que les autoritĂ©s nâavaient
pas rĂ©visĂ© la politique officielle pour lâaligner sur les dispositions lĂ©gales
et la jurisprudence pertinentes nâavait aucune consĂ©quence du point de vue du
droit interne.
40. La Cour estime que la Cour dâappel
a clarifiĂ© le contenu du droit interne pertinent, et a gommĂ© lâincohĂ©rence
constatĂ©e dans lâarrĂȘt Vinter. Quant Ă la possibilitĂ©
dâabroger ou dâannuler la politique dans le cadre dâune procĂ©dure de contrĂŽle
juridictionnel envisagĂ©e dans lâarrĂȘt Vinter (Vinter et autres, prĂ©citĂ©, § 129), la Cour prend note de
lâargument du Gouvernement selon lequel le manuel sur les peines de durĂ©e
indéterminée garde toute sa validité en cas de libération pour des motifs
dâhumanitĂ© (au sens Ă©troit de ce terme). Ce qui importe, câest que â comme la
Cour dâappel lâa confirmĂ© dans la dĂ©cision McLoughlin
â pareille situation soit uniquement lâune des circonstances dans lesquelles la
libĂ©ration dâun dĂ©tenu peut, ou plutĂŽt doit, ĂȘtre ordonnĂ©e (voir les
paragraphes 32â33 de la dĂ©cisionMcLoughlin, citĂ©s au
paragraphe 19 ci-dessus).
41. Estimant que le droit interne
applicable a Ă©tĂ© clarifiĂ©, la Cour se propose Ă prĂ©sent dâen poursuivre
lâanalyse.
2. Sur la question de savoir si le
droit interne rĂ©pond aux exigences de lâarticle 3
a) Principes généraux dégagés par la
Cour dans sa jurisprudence sur les peines perpétuelles
42. Les principes pertinents, et les
conclusions Ă en tirer, sont exposĂ©s en dĂ©tail dans lâarrĂȘt Vinter
(prĂ©citĂ©, § 103â122 ; ces principes ont Ă©tĂ© rĂ©cemment rĂ©sumĂ©s dans lâarrĂȘt
Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, §§ 99-100, CEDH 2016). La Convention
nâinterdit pas dâinfliger une peine dâemprisonnement Ă vie Ă une personne
convaincue dâune infraction particuliĂšrement grave, telle le meurtre.
Cependant, pour ĂȘtre compatible avec lâarticle 3, pareille peine doit ĂȘtre compressiblede jure et de facto, câest-Ă -dire quâelle doit
offrir une perspective dâĂ©largissement et une possibilitĂ© de rĂ©examen. Pareil
réexamen doit notamment se fonder sur une évaluation du point de savoir si des
motifs lĂ©gitimes dâordre pĂ©nologique justifient le
maintien en détention du détenu. Les impératifs de chùtiment, de dissuasion, de
protection du public et de réinsertion figurent au nombre de ces motifs.
LâĂ©quilibre entre eux nâest pas forcĂ©ment immuable, et peut Ă©voluer au cours de
lâexĂ©cution de la peine, de sorte que ce qui Ă©tait la justification premiĂšre de
la dĂ©tention au dĂ©but de la peine ne le sera peut ĂȘtre plus une fois accomplie
une bonne partie de celle-ci. La Cour a soulignĂ© lâimportance de lâobjectif de
rĂ©insertion, relevant que câest sur cet objectif que les politiques pĂ©nales
europĂ©ennes mettent dĂ©sormais lâaccent, ainsi quâil ressort de la pratique des
Ătats contractants, des normes pertinentes adoptĂ©es par le Conseil de lâEurope
et des instruments internationaux applicables (Vinter
et autres, précité, §§ 59 81).
43. La Cour a récemment déclaré, dans
le contexte de lâarticle 8 de la Convention, que « lâaccent mis sur
lâamendement et la rĂ©insertion des dĂ©tenus Ă©tait Ă prĂ©sent un Ă©lĂ©ment que les
Ătats membres Ă©taient tenus de prendre en compte dans lâĂ©laboration de leurs
politiques pénales ». (Khoroshenko c. Russie [GC],
no41418/04, § 121, CEDH 2015 ; voir Ă©galement les affaires citĂ©es dans lâarrĂȘt
Murray, prĂ©citĂ©, § 102). Des considĂ©rations similaires doivent sâappliquer dans
le contexte de lâarticle 3, eu Ă©gard au fait que le respect de la dignitĂ©
humaine oblige les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires Ă Ćuvrer Ă la rĂ©insertion des
condamnĂ©s Ă perpĂ©tuitĂ© (Murray, prĂ©citĂ©, §§ 103-104). Il sâensuit que le
réexamen requis doit prendre en compte les progrÚs du détenu sur le chemin de
lâamendement et dĂ©terminer si le dĂ©tenu a fait des progrĂšs tels quâaucun motif
lĂ©gitime dâordre pĂ©nologique ne justifie plus son
maintien en détention (Vinter et autres, précité, §§
113-116). Partant, un rĂ©examen de la peine limitĂ© Ă des motifs dâhumanitĂ© ne
saurait suffire (ibidem, § 127).
44. Les critÚres et conditions énoncés
dans le droit interne concernant le réexamen doivent avoir un degré suffisant
de clarté et de certitude, et doivent aussi refléter la jurisprudence pertinente
de la Cour. La certitude en la matiĂšre constitue non seulement une exigence
gĂ©nĂ©rale de lâĂ©tat de droit mais sous tend Ă©galement le processus dâamendement
qui risque dâĂȘtre entravĂ© si les modalitĂ©s de rĂ©examen des peines et les
perspectives dâĂ©largissement sont floues ou incertaines. Un dĂ©tenu condamnĂ© Ă
la perpétuité réelle a donc le droit de savoir, dÚs le début de sa peine, ce
quâil doit faire pour que sa libĂ©ration puisse ĂȘtre envisagĂ©e et ce que sont
les conditions applicables. Il a le droit, notamment, de connaĂźtre le moment oĂč
le rĂ©examen de sa peine aura lieu ou pourra ĂȘtre sollicitĂ© (Vinter
et autres, prĂ©citĂ©, § 122). Ă cet Ă©gard, la Cour a constatĂ© quâil se dĂ©gage des
éléments de droit comparé et de droit international une nette tendance en
faveur de lâinstauration dâun premier rĂ©examen dans un dĂ©lai de vingt-cinq ans
au plus aprÚs le prononcé de la peine perpétuelle, puis de réexamens
périodiques par la suite (ibidem, §§ 68, 118, 119 et 120). Elle a cependant
Ă©galement indiquĂ© quâil sâagit lĂ dâune question relevant de la marge
dâapprĂ©ciation Ă accorder aux Ătats en matiĂšre de justice criminelle et de
détermination des peines (ibidem, §§ 104, 105 et 120).
45. Quant à la nature du réexamen, la
Cour a soulignĂ© quâelle nâa pas pour tĂąche de dicter la forme (administrative
ou judiciaire) quâil doit prendre, eu Ă©gard Ă la marge dâapprĂ©ciation quâil
convient dâaccorder aux Ătats contractants en la matiĂšre (Vinter
et autres, prĂ©citĂ©, § 120). Il appartient donc Ă chaque Ătat de dĂ©cider si le
rĂ©examen des peines doit ĂȘtre conduit par le pouvoir exĂ©cutif ou par le pouvoir
judiciaire.
b) Application de ces principes
i. Nature du réexamen
46. En Angleterre et au pays de
Galles, le réexamen des peines est confié au ministre, ce que le requérant juge
par principe injustifiĂ©, arguant que ce rĂ©examen devrait ĂȘtre de nature
juridictionnelle. Il ajoute quâil y a lieu de distinguer les mĂ©canismes de
grĂące prĂ©sidentielle du systĂšme interne, les prĂ©sidents pouvant ĂȘtre
considĂ©rĂ©s, de par la nature mĂȘme de leurs fonctions, comme des personnalitĂ©s
non partisanes détachées du combat politique et donc moins exposées aux
pressions de lâopinion publique. Pour le requĂ©rant, confier le rĂ©examen des
peines Ă un membre du gouvernement ne permet guĂšre dâopĂ©rer une apprĂ©ciation
Ă©quitable, approfondie et cohĂ©rente des motifs de libĂ©ration dâun dĂ©tenu
condamné à la perpétuité réelle.
47. La Cour observe quâune procĂ©dure
judiciaire sâaccompagne de garanties importantes : lâindĂ©pendance et
lâimpartialitĂ© du dĂ©cideur, des garanties procĂ©durales et la protection contre
lâarbitraire. Dans deux affaires, la Cour a jugĂ© le droit interne conforme Ă
lâarticle 3 de la Convention en raison de lâexistence dâune procĂ©dure
judiciaire de rĂ©examen de la peine (Čačko
c. Slovaquie, no 49905/08, 22 juillet 2014 et Bodein
c. France, no 40014/10, 13 novembre 2014).
48. Dans lâarrĂȘt Bodein
(précité, § 59), la Cour a exclu de son examen le pouvoir de grùce
prĂ©sidentielle. De mĂȘme, elle a estimĂ© que des systĂšmes similaires en Hongrie
et en Bulgarie ne répondaient pas à la norme requise (Låszló Magyar c. Hongrie,
no 73593/10, 20 mai 2014, et Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, nos15018/11 et 61199/12, CEDH 2014
(extraits), oĂč il Ă©tait question du systĂšme de grĂące prĂ©sidentielle en vigueur
jusquâen janvier 2012). Cependant, câest en raison de diverses lacunes dans les
procédures et non en raison de la nature exécutive du réexamen en tant que tel
que les Ătats en question se sont vu reprocher une violation de lâarticle 3. De
plus, dans lâaffaire LĂĄszlĂł Magyar, la Cour a formulĂ© des suggestions
concernant les mesures Ă prendre aux fins de lâexĂ©cution de lâarrĂȘt mais nâa
pas donnĂ© Ă entendre quâun mĂ©canisme judiciaire Ă©tait requis (paragraphe 71 de
cet arrĂȘt ; voir, dans le mĂȘme sens, Ăcalan c.
Turquie (no 2), nos 24069/03,197/04, 6201/06 et 10464/07, § 207, 18 mars 2014).
49. LâapprĂ©ciation par la Cour des
systĂšmes chypriote et bulgare montre quâun rĂ©examen par lâexĂ©cutif peut
satisfaire aux exigences de lâarticle 3. En ce qui concerne la situation Ă
Chypre, le pouvoir du président chypriote a été jugé suffisant à la lumiÚre de
la pratique suivie (Kafkaris, prĂ©citĂ©, §§ 102â103).
Quant au systĂšme bulgare, la Cour a estimĂ© quâĂ la suite dâune rĂ©forme
intervenue en 2012 le pouvoir conféré au président bulgare était en conformité
avec lâarticle 3 (Harakchiev et Tolumov,
prĂ©citĂ©, §§ 257â261). La Cour relĂšve Ă cet Ă©gard que les normes europĂ©ennes
pertinentes nâexcluent pas un rĂ©examen par lâexĂ©cutif mais indiquent que les
dĂ©cisions de libĂ©ration conditionnelle devraient ĂȘtre prises par des «
autorités établies par disposition légale » (paragraphe 32 de de la Recommandation Rec(2003)22,
cité au paragraphe 20 ci-dessus).
50. Il ressort donc clairement de la
jurisprudence que la nature exĂ©cutive dâun rĂ©examen nâest pas en soi contraire
aux exigences de lâarticle 3. La Cour ne voit aucune raison de conclure
autrement.
51. Quant aux critiques formulées par
le requĂ©rant Ă lâĂ©gard du systĂšme interne, la Cour estime quâelles sont
neutralisĂ©es par lâeffet de la loi sur les droits de lâhomme. Comme il a Ă©tĂ©
rappelé au paragraphe 29 de la décision McLoughlin
(paragraphe 19 ci-dessus), le ministre est tenu par lâarticle 6 de cette loi
dâexercer son pouvoir dâĂ©largissement dâune maniĂšre compatible avec les droits
reconnus par la Convention. Il doit avoir Ă©gard Ă la jurisprudence pertinente
de la Cour et motiver chacune de ses décisions en la matiÚre. Le pouvoir ou,
selon les circonstances, le devoir du ministre de libérer un détenu pour des
motifs dâhumanitĂ© ne saurait ĂȘtre assimilĂ© aux larges prĂ©rogatives
discrĂ©tionnaires confĂ©rĂ©es au chef dâĂtat dans dâautres ordres juridiques et
qui a Ă©tĂ© jugĂ© insuffisant aux fins de lâarticle 3 dans les affaires Ă©voquĂ©es
ci-dessus.
52. De plus, les décisions du ministre
concernant les demandes de libération sont soumises au contrÎle des
juridictions internes, qui sont elles mĂȘmes tenues par la mĂȘme obligation
dâagir dâune maniĂšre compatible avec les droits consacrĂ©s par la Convention. La
Cour prend note à cet égard de la déclaration du Gouvernement selon laquelle le
contrĂŽle juridictionnel dâun refus du ministre de libĂ©rer un dĂ©tenu ne se
limiterait pas à des motifs formels ou procéduraux mais impliquerait également
un examen au fond. Ainsi, la High Court aurait le pouvoir dâordonner
directement la libération du détenu si elle le jugeait nécessaire pour se
conformer Ă lâarticle 3 (paragraphe 26 ci-dessus).
53. Si la Cour ne dispose dâaucun
exemple de contrÎle juridictionnel relatif à une décision du ministre refusant
de libĂ©rer un dĂ©tenu condamnĂ© Ă perpĂ©tuitĂ©, elle estime nĂ©anmoins quâune
garantie judiciaire importante a été mise en place (E. c. NorvÚge, 29 août
1990, § 60, sĂ©rie A no 181 A). Lâabsence de pratique Ă ce jour, qui nâest pas
surprenante eu Ă©gard Ă la pĂ©riode relativement brĂšve qui sâest Ă©coulĂ©e depuis
la décision McLoughlin, ne joue pas nécessairement
contre le systĂšme interne, de mĂȘme quâelle nâa pas jouĂ© contre les systĂšmes
slovaque et français, qui ont tous deux Ă©tĂ© jugĂ©s conformes Ă lâarticle 3 sans
quâil fĂ»t fait rĂ©fĂ©rence Ă une quelconque pratique judiciaire (voir, en
particulier, Bodein, § 60).
ii. Portée du réexamen
54. Dans la dĂ©cision McLoughlin, la Cour dâappel, Ă lâinstar de la Cour dans son
arrĂȘt Vinter, a jugĂ© que la politique Ă©noncĂ©e dans le
manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e Ă©tait extrĂȘmement restrictive. Elle
a rĂ©itĂ©rĂ© la position quâelle avait exprimĂ©e dans lâarrĂȘt Bieber,
à savoir que le ministre devait exercer son pouvoir de libération de maniÚre
compatible avec les principes du droit administratif interne et avec lâarticle
3 de la Convention (voir, respectivement, les paragraphes 32 et 29 de la
décision McLoughlin, cités au paragraphe 19
ci-dessus).
55. Ensuite, et surtout, elle a
prĂ©cisĂ©, eu Ă©gard Ă lâarrĂȘt de la Cour dans lâaffaire Vinter,
que les « circonstances exceptionnelles » visĂ©es Ă lâarticle 30 ne pouvaient
ĂȘtre juridiquement limitĂ©es aux situations de fin de vie prĂ©vues par le manuel
sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e (paragraphe 16 ci-dessus), mais quâelles
devaient inclure toutes les circonstances exceptionnelles pertinentes pour une
libĂ©ration pour des motifs dâhumanitĂ©. Tout en sâabstenant de prĂ©ciser plus
avant le sens de lâexpression « circonstances exceptionnelles » dans ce
contexte, ou de fixer des critĂšres, la Cour dâappel a rappelĂ© la jurisprudence
interne antérieure selon laquelle les progrÚs exceptionnels accomplis par un
dĂ©tenu pendant son sĂ©jour en prison devaient ĂȘtre pris en compte (Lord Chief Justice Bingham en 1998
dans lâaffaire R. v. Home Secretary ex parte Hindley ; voir Ă©galement Lord Steyn
dans la mĂȘme affaire, lorsque celle-ci a Ă©tĂ© tranchĂ©e par la Chambre des lords
en 2001 â paragraphe 19 ci-dessus). La Cour relĂšve Ă©galement que dans lâaffaire
Bieber, la Cour dâappel, expliquant Ă quel moment
lâinfliction de la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle pouvait ĂȘtre contestĂ©e sur le fondement de
lâarticle 3, a Ă©voquĂ© « lâensemble des circonstances pertinentes, notamment
[le] temps passé et [l]es progrÚs accomplis en prison » (passage reproduit dans
lâarrĂȘt Vinter et autres, prĂ©citĂ©, § 49). Eu Ă©gard Ă
lâensemble de ces dicta, le droit Ă©tabli en Angleterre et au pays de Galles
consacre Ă lâĂ©vidence lâidĂ©e que des progrĂšs exceptionnels accomplis par un
dĂ©tenu sur le chemin de lâamendement sont couverts par le libellĂ© de la loi et
constituent donc un motif de réexamen.
56. Quant Ă lâautre expression
utilisĂ©e Ă lâarticle 30, « motifs dâhumanitĂ© », lâarrĂȘt de la Cour dâappel, qui
prĂ©cisait quâelle ne se limitait pas aux motifs humanitaires mais avait une
acception large (paragraphe 33 de la décision McLoughlin,
repris au paragraphe 19 ci-dessus), a lĂ aussi corrigĂ© lâinterprĂ©tation Ă©troite
donnée à cette expression dans le manuel sur les peines de durée indéterminée
pour la mettre en conformitĂ© avec lâarticle 3 (paragraphe 33 de la dĂ©cision McLoughlin, repris au paragraphe 19 ci dessus). Ă cet Ă©gard
Ă©galement, la loi sur les droits de lâhomme joue un rĂŽle important, son article
3 exigeant que la lĂ©gislation soit interprĂ©tĂ©e et mise en Ćuvre par lâensemble
des autoritĂ©s publiques dâune maniĂšre compatible avec la Convention.
57. Ces précisions suffisent à la Cour
pour conclure Ă lâexistence dâun rĂ©examen par une autoritĂ© qui a non seulement
le pouvoir mais Ă©galement lâobligation de considĂ©rer si, Ă la lumiĂšre dâun
changement significatif chez un détenu condamné à la perpétuité réelle et de
lâaccomplissement par celui ci de progrĂšs sur le chemin de lâamendement, des
motifs lĂ©gitimes dâordre pĂ©nologique permettent
toujours de justifier son maintien en détention (Vinter
et autres, précité, § 125).
iii. CritÚres et modalités du réexamen
58. La Cour doit ensuite examiner les
critÚres et les modalités du réexamen des peines de perpétuité réelle. Dans la
dĂ©cision McLoughlin, la Cour dâappel nâa pas prĂ©cisĂ©
la signification de lâexpression « circonstances exceptionnelles », jugeant la
notion suffisamment certaine en soi. Le requérant est critique à ce propos,
allĂ©guant quâil reste de ce fait dans lâincertitude. Le Gouvernement estime que
les choses sont suffisamment claires, et quâil nâĂ©tait ni possible ni
rĂ©alisable dâapporter davantage de prĂ©cision. Comme la Cour lâa dĂ©jĂ relevĂ©
ci-dessus, lâexpression « circonstances exceptionnelles » sâĂ©tend aux progrĂšs
accomplis par le détenu concerné au cours de sa peine (paragraphe 55
ci-dessus). La question qui se pose en lâespĂšce est celle de savoir si un
dĂ©tenu purgeant une peine perpĂ©tuelle dans le systĂšme national sait ce quâil
doit faire pour que sa libĂ©ration puisse ĂȘtre envisagĂ©e et Ă quelles conditions
il peut obtenir un réexamen de sa peine (Vinter et
autres, précité, § 122 ; voir également le paragraphe 18 de la Recommandation Rec(2003)22 et la rÚgle 30.3 des RÚgles pénitentiaires
européennes, cités aux paragraphes 20 et 21 ci dessus).
59. Les deux parties ont invoqué des
affaires examinĂ©es par des chambres de la Cour postĂ©rieurement Ă lâarrĂȘt Vinter. Ces arrĂȘts sont effectivement pertinents en
lâespĂšce, en ce quâils illustrent lâapplication par la Cour de la jurisprudence
Vinter. Dans lâaffaire LĂĄslĂł
Magyar, câest le manque dâindications prĂ©cises quant aux critĂšres et modalitĂ©s
de collecte et dâĂ©valuation des « renseignements personnels » du dĂ©tenu que la
Cour a critiqué. Elle a estimé dans cette affaire que, le pouvoir exécutif
nâayant aucune obligation de motiver ses dĂ©cisions, il en dĂ©coulait que les
dĂ©tenus ne savaient pas ce que lâon attendait dâeux pour que leur libĂ©ration
pĂ»t ĂȘtre envisagĂ©e (LĂĄslĂł Magyar, prĂ©citĂ©, §§ 57â58).
Dans le cadre de lâarticle 46, elle a appelĂ© les autoritĂ©s nationales Ă
procéder à une réforme prévoyant le réexamen requis et assurant que les détenus
condamnĂ©s Ă perpĂ©tuitĂ© sachent « avec un certain degrĂ© de prĂ©cision » ce quâils
doivent faire (Låsló Magyar, précité, § 71). Dans
lâaffaire Harakchiev et Tolumov,
la Cour a critiquĂ© le systĂšme tel quâil se prĂ©sentait avant 2012 en raison de
son opacitĂ©, de lâabsence de dĂ©clarations politiques accessibles au public, du
défaut de motivation des décisions de grùce individuelles ainsi que du défaut
total de garanties formelles et informelles (Harakchiev
et Tolumov, précité, § 262). Dans une autre affaire (Trabelsi c. Belgique, no 140/10, CEDH 2014 (extraits)), la
chambre a fondĂ© son constat de violation de lâarticle 3 sur lâabsence de
mécanisme de réexamen des peines opérant sur la base de « critÚres objectifs et
préétablis dont le détenu aurait eu connaissance avec certitude au moment de
lâimposition de la peine perpĂ©tuelle » (§ 137). Le requĂ©rant en lâespĂšce a tout
particuliÚrement tiré argument de ce constat. La Cour observe que si les
formulations employĂ©es dans ces arrĂȘts varient quelque peu, on retrouve dans chacun
dâeux le mĂȘme point essentiel, Ă savoir que les critĂšres et modalitĂ©s du
systÚme de réexamen des peines doivent présenter un certain degré de
spĂ©cificitĂ© ou de prĂ©cision, en conformitĂ© avec lâimpĂ©ratif gĂ©nĂ©ral de sĂ©curitĂ©
juridique.
60. Il convient Ă©galement dâavoir
Ă©gard aux affaires post-Vinter dans lesquelles la
Cour a conclu que le systĂšme interne rĂ©pondait aux exigences de lâarticle 3
quant Ă la compressibilitĂ© des peines perpĂ©tuelles. Ces arrĂȘts, au nombre de
trois, dĂ©montrent quâun degrĂ© Ă©levĂ© de prĂ©cision nâest pas requis pour que le
systÚme concerné soit jugé conforme à la Convention.
61. Dans la premiĂšre de ces affaires, Harakchiev et Tolumov, la Cour a
estimĂ© quâĂ compter de 2012 les modalitĂ©s dâexercice du droit de grĂące
présidentielle étaient suffisamment claires. Bien que, en raison de sa nature
mĂȘme, la procĂ©dure ne fĂ»t pas assortie de critĂšres lĂ©gaux, la Cour
constitutionnelle a tiré des principes directeurs des valeurs
constitutionnelles, Ă savoir « lâĂ©quitĂ©, lâhumanitĂ©, la compassion, la pitiĂ©,
ainsi que lâĂ©tat de santĂ© et la situation familiale du condamnĂ©, et tous les
changements positifs de sa personnalité » (Harakchiev
et Tolumov, précité, § 258). Seul ce dernier élément
a trait aux progrÚs accomplis par le détenu. La Cour a relevé que si la
procédure ne prévoyait pas la motivation des décisions dans les cas
individuels, la transparence Ă©tait nĂ©anmoins assurĂ©e par dâautres moyens. Elle
a noté que la commission de grùce, instaurée pour émettre des recommandations
sur les demandes de grùce, fonctionnait conformément à des rÚgles de procédure
publiées, lesquelles exigeaient la prise en compte de la jurisprudence
pertinente des juridictions internationales sur lâinterprĂ©tation et
lâapplication des instruments internationaux de protection des droits de
lâhomme applicables. Elle a ajoutĂ© que la commission Ă©tait tenue en vertu de
ses rĂšgles de procĂ©dure de publier des rapports dâactivitĂ©, ce quâelle faisait
sur une base mensuelle et annuelle, dans lesquels elle donnait des précisions
sur les critĂšres qui la guidaient dans lâexamen des demandes de grĂące, les
motifs des recommandations adressées par elle au vice-président et les
décisions de celui-ci sur ces demandes (ibidem, §§ 90-107). Elle a estimé que
ces mesures avaient accru la transparence de la procédure de grùce et
constituaient une autre garantie dâun exercice cohĂ©rent et transparent des
pouvoirs présidentiels à cet égard (ibidem, § 259).
62. Dans lâaffaire Čačko,
la Cour a relevé que, pour prétendre à une libération anticipée, le détenu
devait « avoir dĂ©montrĂ©, par lâaccomplissement de ses obligations et par son
bon comportement, quâil sâĂ©tait amendĂ© » et que « lâon [pouvait] attendre de
lui quâil se conduis[Ăźt] bien Ă lâavenir » (Čačko, prĂ©citĂ©, § 43). Dans lâaffaire Bodein, elle a notĂ© que le rĂ©examen en droit français se
fondait sur la dangerositĂ© du dĂ©tenu et sur lâĂ©volution de sa personnalitĂ© au
cours de lâexĂ©cution de sa peine (Bodein, prĂ©citĂ©, §
60).
63. En lâespĂšce, sur ce point prĂ©cis,
la Cour nâestime pas le systĂšme national dĂ©faillant, et ce pour deux raisons
étroitement liées. PremiÚrement, il découle clairement de la décision McLoughlin et des dispositions de la loi sur les droits de
lâhomme que lâexercice du pouvoir confĂ©rĂ© par lâarticle 30 doit ĂȘtre guidĂ© par
lâensemble de la jurisprudence pertinente de la Cour en son Ă©tat actuel et
telle quâelle sera dĂ©veloppĂ©e ou prĂ©cisĂ©e Ă lâavenir. En rappelant ci-dessus sa
jurisprudence pertinente, la Cour entend aider le ministre et les juridictions
nationales Ă sâacquitter de leur obligation lĂ©gale dâagir dâune maniĂšre
compatible avec la Convention dans ce domaine.
64. DeuxiĂšmement, ainsi que la Cour
dâappel lâa dĂ©clarĂ© et que la chambre lâa admis, on peut sâattendre Ă ce que la
pratique permette de préciser encore la signification concrÚte du libellé de
lâarticle 30. Lâobligation pour le ministre de motiver chacune de ses
dĂ©cisions, sous le contrĂŽle des juridictions nationales, revĂȘt de lâimportance
à cet égard, et permet de garantir un exercice cohérent et transparent du
pouvoir dâĂ©largissement.
65. La Cour juge cependant opportun
dâajouter quâil serait souhaitable de rĂ©viser le manuel sur les peines de durĂ©e
indĂ©terminĂ©e (ainsi que dâautres sources dâinformation officielles) pour mettre
ces textes en adĂ©quation avec le droit tel quâil a Ă©tĂ© clarifiĂ© par la Cour
dâappel et avec la jurisprudence pertinente relative Ă lâarticle 3 de la
Convention, de maniĂšre Ă ce que les rĂšgles applicables en la matiĂšre soient
immédiatement accessibles. La Cour renvoie de nouveau aux normes pertinentes définies
par le Conseil de lâEurope (paragraphe 18 de la Recommandation Rec(2003)22, citĂ© au paragraphe 20 ci-dessus).
iv. Moment du réexamen
66. Le moment du réexamen de la peine
constitue un aspect particulier de la sécurité juridique, la Cour ayant déclaré
dans lâarrĂȘt Vinter quâun dĂ©tenu ne doit pas ĂȘtre
obligĂ© dâattendre dâavoir passĂ© un nombre indĂ©terminĂ© dâannĂ©es en prison avant
de pouvoir se plaindre dâun dĂ©faut de conformitĂ© avec lâarticle 3 de la
Convention (paragraphe 44 ci-dessus).
67. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, lâexistence
dâun rĂ©examen automatique de la peine aprĂšs une pĂ©riode minimale dĂ©finie
reprĂ©sente pour le dĂ©tenu une garantie importante contre le risque dâune
dĂ©tention contraire Ă lâarticle 3. La Cour renvoie Ă cet Ă©gard Ă lâaffaire Ăcalan (no 2), dans laquelle elle a estimĂ© quâĂ lâĂ©vidence
le droit interne nâoffrait au requĂ©rant aucune possibilitĂ© de demander Ă
quelque moment que ce fût le réexamen de sa peine de réclusion à perpétuité
aggravĂ©e pour des motifs lĂ©gitimes dâordre pĂ©nologique.
Elle a donc appelé les autorités turques à mettre en place une procédure
permettant de vérifier si le maintien en détention du requérant se justifierait
toujours aprĂšs un dĂ©lai minimum de dĂ©tention (Ăcalan
(no 2), prĂ©citĂ©, §§ 204 et 207). En lâespĂšce, le systĂšme interne est diffĂ©rent,
en ce que le processus de rĂ©examen peut ĂȘtre initiĂ© par le dĂ©tenu Ă tout
moment. La Cour rappelle quâelle a examinĂ© un mĂ©canisme similaire Ă Chypre, oĂč
les détenus condamnés à perpétuité pouvaient obtenir le bénéfice des
dispositions pertinentes à tout moment sans avoir à purger une période de
sĂ»retĂ© (Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 103). Cela peut ĂȘtre vu
comme Ă©tant dans lâintĂ©rĂȘt des dĂ©tenus, puisquâils nâont pas Ă attendre pendant
un nombre dĂ©terminĂ© dâannĂ©es pour bĂ©nĂ©ficier dâun premier rĂ©examen ou de
rĂ©examens ultĂ©rieurs. Eu Ă©gard Ă lâextrĂȘme gravitĂ© des crimes commis par les
personnes relevant de cette catĂ©gorie, il y a cependant lieu de sâattendre Ă ce
quâelles purgent une longue pĂ©riode de dĂ©tention.
68. Dans deux des affaires
postĂ©rieures Ă lâarrĂȘt Vinter qui ont fait lâobjet
dâun arrĂȘt de la Cour, le systĂšme national prĂ©voyait un rĂ©examen de la peine
aprĂšs une pĂ©riode dĂ©terminĂ©e â vingt-cinq ans dans lâaffaire Čačko et trente dans lâaffaire Bodein (vingt-six ans en rĂ©alitĂ© dans le cas du requĂ©rant).
Cependant, dans lâaffaireHarakchiev et Tolumov, le systĂšme interne tel quâil se prĂ©sentait
postérieurement aux réformes de 2012 ne prévoyait pas un délai précis pour le
rĂ©examen des peines. Par ailleurs, dans lâaffaire LĂĄszlĂł Magyar, la Cour a
conclu Ă la violation de lâarticle 3 et a donnĂ© des indications en vertu de
lâarticle 46 quant aux mesures nĂ©cessaires, sans aborder la question du moment
du rĂ©examen sous lâangle de lâune ou lâautre de ces dispositions.
69. Quant aux faits de la présente
affaire, la Cour estime quâon ne saurait dire que les prĂ©occupations exprimĂ©es
dans lâarrĂȘt Vinter tenant Ă lâabsence de calendrier
et à ses conséquences pour un détenu condamné à une peine de perpétuité réelle
(Vinter et autres, précité, § 122) valent également
pour le requĂ©rant en lâespĂšce. Aux termes de lâarticle 30 de la loi de 1997, le
ministre peut ordonner sa libération « à tout moment ». Partant, ainsi que le
Gouvernement lâa confirmĂ©, il est loisible au requĂ©rant de demander Ă tout
moment un rĂ©examen de sa peine par le ministre. Il nâappartient pas Ă la Cour
de spĂ©culer sur le degrĂ© dâefficacitĂ© gĂ©nĂ©ralement atteint en pratique par un
tel systĂšme, rĂ©glementĂ© a minima. Câest la situation particuliĂšre du requĂ©rant
qui est en jeu en lâespĂšce, et celui-ci nâa en rien insinuĂ© quâon lâavait
empĂȘchĂ© ou dissuadĂ© de demander Ă tout moment au ministre dâenvisager sa
libération. Avant de conclure, la Cour renvoie cependant de nouveau, comme elle
lâa fait dans lâaffaire Vinter, aux Ă©lĂ©ments pertinents
de droit comparĂ© et de droit international dâoĂč se dĂ©gage « une nette tendance
en faveur de lâinstauration dâun mĂ©canisme spĂ©cial garantissant un premier
rĂ©examen dans un dĂ©lai de vingt-cinq ans au plus aprĂšs lâimposition de la peine
perpétuelle, puis des réexamens périodiques par la suite » (Vinter
et autres, prĂ©citĂ©, § 120 ; voir, plus rĂ©cemment et dans le mĂȘme sens, Murray,
précité, § 99).
v. Conclusion
70. La Cour estime que la décision McLoughlin a permis de remédier au manque de clarté du
droit interne constatĂ© dans lâarrĂȘt Vinter, qui
dĂ©coulait de lâincohĂ©rence dans le systĂšme national entre le droit applicable
et la politique officielle publiĂ©e. De plus, la Cour dâappel a donnĂ© des
précisions quant à la portée, aux critÚres et aux modalités du réexamen par le
ministre, ainsi quâĂ lâobligation pour celui-ci de libĂ©rer un dĂ©tenu condamnĂ© Ă
une peine de perpétuité réelle dont le maintien en détention ne peut plus se
justifier par des motifs lĂ©gitimes dâordre pĂ©nologique.
De ce fait, le systÚme interne, fondé sur des textes législatifs (la loi de
1997 et la loi sur les droits de lâhomme), la jurisprudence (des juridictions
internes et de la Cour) et la politique officielle publiée (le manuel sur les
peines de durée indéterminée), ne présente plus le contraste que la Cour avait
relevĂ© dans lâarrĂȘt Vinter et autres (prĂ©citĂ©, §
130). La pratique interne pourra définir de maniÚre plus précise les
circonstances dans lesquelles un détenu condamné à une peine de perpétuité
rĂ©elle peut demander sa libĂ©ration, sur la base de motifs lĂ©gitimes dâordre pĂ©nologique justifiant la dĂ©tention. Lâobligation lĂ©gale
pour les juridictions nationales de prendre en compte la jurisprudence relative
Ă lâarticle 3 de la Convention, telle quâelle pourrait se dĂ©velopper Ă lâavenir,
représente une garantie additionnelle importante.
71. Comme la Cour lâa souvent dit, ce
sont les autorités nationales qui sont responsables au premier chef de la
protection des droits reconnus par la Convention (voir, par exemple, O.H. c.
Allemagne, no 4646/08, § 118, 24 novembre 2011). Pour la Cour, la Cour dâappel
a tirĂ© les conclusions nĂ©cessaires de lâarrĂȘt Vinter
et, en clarifiant le droit interne, a remédié à la cause de la violation de la
Convention (voir Ă©galement Kronfeldner c. Allemagne,
no 21906/09, § 59, 19 janvier 2012).
72. La Cour conclut que la peine de
perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle peut Ă prĂ©sent ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme compressible, en
conformitĂ© avec lâarticle 3 de la Convention.
73. Ainsi quâelle lâa indiquĂ© dâemblĂ©e
(paragraphe 37 ci-dessus), eu Ă©gard au fait que les observations des parties se
sont limitĂ©es Ă lâĂ©tat actuel du droit interne, la Cour juge inutile dâexaminer
séparément si la situation du requérant dans la période antérieure à la
décision Loughlin répondait aux exigences de
lâarticle 3 relativement aux peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elles, telles quâexposĂ©es
dans lâarrĂȘt Vinter. Elle observe nĂ©anmoins que,
comme le Gouvernement lâavait en fait lui-mĂȘme reconnu avant que la Cour
dâappel ne rendĂźt sa dĂ©cision dans lâaffaire McLoughlin,
les circonstances matérielles entourant la peine de perpétuité réelle infligée
au requĂ©rant en lâespĂšce Ă©taient alors identiques Ă celles des requĂ©rants en
lâaffaire Vinter (paragraphe 23 ci-dessus).
PAR CES
MOTIFS, LA COUR,
Dit, par quatorze voix contre trois, quâil
nây a pas eu violation de lâarticle 3 de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis
prononcĂ© en audience publique au Palais des droits de lâhomme, Ă Strasbourg, le
17 janvier 2017.
             Johan CallewaertAndrås
SajĂł
Adjoint au GreffierPrésident
Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint,
conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rÚglement,
lâexposĂ© des opinions sĂ©parĂ©es suivantes :
â opinion dissidente du juge LĂłpez Guerra ;
â opinion dissidente du juge Pinto de
Albuquerque ;
â opinion sĂ©parĂ©e du juge SajĂł.
A.S.
J.C.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE LĂPEZ
GUERRA
(Traduction)
Â
Mon désaccord tient à la déclaration
finale dans lâarrĂȘt de la Grande Chambre (paragraphe 73) par laquelle la
majoritĂ© refuse dâexaminer la situation du requĂ©rant antĂ©rieurement Ă la
décision interne R. v. McLoughlin. Pour moi, cette
situation (qui a dĂ©butĂ©, contrairement Ă ce quâestime la Grande Chambre, avec
le prononcĂ© de la peine du requĂ©rant en 1984, sâĂ©tendant ainsi sur un
intervalle de trente ans) a emportĂ© violation de lâarticle 3 de la Convention,
Ă©tant donnĂ© que le requĂ©rant avait Ă©tĂ© privĂ© de tout espoir dâĂȘtre libĂ©rĂ© dans
le futur (aussi Ă©loignĂ© fĂ»t-il) et, au contraire, sâĂ©tait vu imposer la
certitude quâil resterait en prison jusquâĂ la fin de ses jours.
Le requĂ©rant fut condamnĂ© en 1984 Ă
une peine dâemprisonnement. Ainsi quâil ressort des faits exposĂ©s dans lâarrĂȘt
de la Grande Chambre, le juge du fond estima en 1988 quâil sâagissait dâun cas
« oĂč la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle sâimposait » et le Lord Chief
Justice recommanda que lâintĂ©ressĂ© ne fĂ»t jamais libĂ©rĂ©. En 1994, le ministre
informa le requĂ©rant quâil avait dĂ©cidĂ© de lui infliger une peine de perpĂ©tuitĂ©
rĂ©elle. En 2008, la High Court estima quâil nây avait aucune raison de revenir
sur la décision du ministre. Cette conclusion fut confirmée par la Cour
dâappel. La mĂȘme annĂ©e, le requĂ©rant saisit la Cour. Cinq ans plus tard, en
2013, alors que la prĂ©sente requĂȘte Ă©tait toujours pendante, la Cour rendit son
arrĂȘt en lâaffaire Vinter et autres c. Royaume-Uni
([GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH 2013 (extraits)), qui portait sur
la compatibilité des conditions de la réclusion à perpétuité au Royaume-Uni
avec lâarticle 3 de la Convention. Dans cet arrĂȘt, la Cour, interprĂ©tant
lâarticle 3, Ă©tablit que la Convention nâinterdit pas lâimposition dâune peine
perpĂ©tuelle ; cependant, pour ĂȘtre compatible avec lâarticle 3, pareille peine
doit ĂȘtre compressible de jure et de facto, câest Ă dire quâelle doit offrir Ă
la fois une chance dâĂ©largissement et une possibilitĂ© de rĂ©examen (Vinter et autres, prĂ©citĂ©, § 42). Cette interprĂ©tation a
Ă©tĂ© rĂ©itĂ©rĂ©e tout rĂ©cemment dans lâarrĂȘt Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10,
CEDH 2016). Elle constitue donc lâinterprĂ©tation Ă©tablie (pour lâinstant) que
fait la Cour de lâarticle 3 de la Convention, une interprĂ©tation qui nâest pas
contestĂ©e par le requĂ©rant et qui nâest donc pas lâobjet de son affaire, ni
celle de sa demande.
Le fondement de la prĂ©sente requĂȘte,
introduite, comme rappelĂ© ci-dessus, en 2008, Ă©tait lâallĂ©gation selon laquelle
que lâordonnance de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© Ă©tait contraire Ă lâarticle 3.
Devant la Grande Chambre, le requĂ©rant soutenait que mĂȘme aprĂšs la dĂ©cision McLoughlin, lâordre juridique du Royaume-Uni, sâagissant de
la rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ©, continuait dâĂȘtre contraire Ă cette disposition et
ne rĂ©pondait pas aux exigences Ă©tablies par la Cour dans lâarrĂȘt Vinter et autres.
Dans le prĂ©sent arrĂȘt, la Grande
Chambre estime que la situation actuelle découle à cet égard des orientations définies
par la jurisprudence des tribunaux britanniques, notamment par la décision de
la Cour dâappel dans lâaffaire McLoughlin. Elle admet
que les principes établis dans cette décision rendue en 2014 suppriment les
carences, identifiĂ©es dans lâarrĂȘt Vinter et autres,
de lâordre juridique britannique en ce qui concerne la rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ©
et sa compatibilitĂ© avec lâarticle 3, câest-Ă -dire concernant la possibilitĂ©
dâun rĂ©examen des conditions dâune peine dâemprisonnement Ă vie, la portĂ©e dâun
tel réexamen, les critÚres et les modalités applicables ainsi que le calendrier
du rĂ©examen. Elle conclut ainsi que, Ă lâheure actuelle et en consĂ©quence de la
décision McLoughlin, la peine de perpétuité réelle
imposĂ©e au requĂ©rant peut Ă prĂ©sent ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme compressible, en
conformitĂ© avec lâarticle 3 de la Convention. La Grande Chambre ne constate
donc aujourdâhui aucune violation de cette disposition. MalgrĂ© les observations
du requĂ©rant, je ne vois aucune raison de mâĂ©carter du raisonnement dĂ©taillĂ© de
la Grande Chambre sur ce point.
Mais bien entendu, cette conclusion
(et lâemploi du terme « Ă prĂ©sent » au paragraphe 72 de lâarrĂȘt est rĂ©vĂ©lateur)
renvoie Ă la situation telle quâelle se prĂ©sente aujourdâhui (en 2016) en
conséquence de la décision McLoughlin rendue en 2014.
Ă supposer que, comme lâestime la
Grande Chambre, il nây ait plus Ă lâheure actuelle de violation de lâarticle 3
dans le chef du requérant en conséquence de la décision susmentionnée, une
question se pose toujours concernant sa situation entre le moment oĂč
lâintĂ©ressĂ© a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle et la date Ă
laquelle la décision McLoughlin a été prononcée,
transposant ainsi dans lâordre juridique britannique les principes exposĂ©s par
la Cour dans lâarrĂȘt Vinter et autres.
Dans ce dernier arrĂȘt, la Cour avait
estimé que la situation au Royaume Uni concernant les peines de perpétuité
rĂ©elle ne respectait pas les normes posĂ©es par lâarticle 3. Ainsi quâil ressort
des considĂ©rations dĂ©veloppĂ©es en lâespĂšce par la Grande Chambre, pareille
situation a persistĂ© jusquâau 2014, date de la dĂ©cisionMcLoughlin.
Ainsi, le requérant a été soumis depuis sa condamnation à une peine de
perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle jusquâĂ cette date (câest-Ă -dire pendant trente ans) Ă une
situation qui, en soi, emportait violation de lâarticle 3.
Je suis quelque peu troublé par le
fait que la Grande Chambre considÚre que les griefs du requérant se limitent «
Ă lâĂ©tat actuel du droit interne » (paragraphe 73 de lâarrĂȘt), eu Ă©gard au fait
quâil a introduit sa requĂȘte en 2008 et seulement aprĂšs avoir tentĂ© en vain
pendant de nombreuses années de faire redresser la violation, à maintes
reprises, devant les autorités britanniques. Pendant cette période, le
requérant, condamné à une peine de perpétuité réelle, a été privé de toute
perspective de rĂ©examen ou dâattĂ©nuation de sa peine. Il a donc Ă©tĂ© soumis Ă ce
que la Cour a dĂ©fini dans son arrĂȘt Vinter et autres
comme un traitement inhumain, et jâestime que la Grande Chambre, dans le
prĂ©sent arrĂȘt, aurait dĂ» reconnaĂźtre ce fait et conclure en consĂ©quence Ă la
violation de lâarticle 3.
OPINION DISSIDENTE DU JUGE PINTO DE
ALBUQUERQUE
(Traduction)
Â
Table des matiĂšres
I.Â
Introduction (§ 1)
PremiÚre partie (§§ 2-25)
II.Â
Le droit issu de la Convention en matiÚre de libération conditionnelle
(§§ 2-10)
A.Â
La reconnaissance du droit Ă la libĂ©ration conditionnelle dans lâarrĂȘt Vinter et autres (§§ 2-6)
B.Â
Lâexposition des « principes pertinents » sur la libĂ©ration
conditionnelle dans lâarrĂȘt Murray (§§ 7-10)
III.Â
Le cadre juridique au Royaume-Uni en matiÚre de libération
conditionnelle pour les détenus condamnés à des peines de perpétuité réelle (§§
11-26)
A.Â
La rĂ©action de la Cour dâappel Ă lâarrĂȘt Vinter
(§§ 11-18)
B.Â
Lâobligation de prendre en compte la Convention (§§ 19-25)
DeuxiÚme partie (§§ 26-47)
IV.Â
Les obligations de lâĂtat dans la prĂ©sente affaire (§§ 26-34)
A.Â
La position du gouvernement défendeur (§§ 26-29)
B.Â
La position de la Grande Chambre (§§ 30-34)
V.Â
Quel avenir pour le systÚme de la Convention ? (§§ 35-47)
A.Â
Les consĂ©quences sismiques du prĂ©sent arrĂȘt pour lâEurope (§§ 35-40)
B. Argentoratum locutum, iudicium finitum (§§ 41-47)
Conclusion (§§ 48-50)
I. Introduction (§ 1)
1. Je suis au regret de ne pas souscrire
Ă cet arrĂȘt. Jâestime en effet que la dĂ©cision McLoughlin[1]
ne devrait pas ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme respectant les exigences de lâarticle 3 de
la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme (« la Convention ») telles
quâexposĂ©es dans lâarrĂȘt Vinter et autres[2]. Les
efforts ingĂ©nieux de la majoritĂ© pour concilier la lettre et lâesprit de
lâarrĂȘt Vinter et autres avec la dĂ©cision McLoughlin non seulement soulĂšvent des questions de
précision linguistique, de cohérence logique et de sécurité juridique qui
Ă©taient restĂ©es sans rĂ©ponse dans lâarrĂȘt Vinter,
mais en outre touchent au problÚme fondamental de la compatibilité avec la
Convention de lâarticle 2 de la loi sur les droits de lâhomme (« la loi »), tel
quâappliquĂ© en lâespĂšce par la Cour dâappel dâAngleterre et du pays de Galles
(« la Cour dâappel »). La prĂ©sente opinion dissidente a pour objectif de
répondre à ces questions.
PremiÚre partie (§§ 2-25)
II.Â
Le droit issu de la Convention en matiÚre de libération conditionnelle
(§§ 2-10)
A.Â
La reconnaissance du droit Ă la libĂ©ration conditionnelle dans lâarrĂȘt Vinter et autres (§§ 2-6)
2. Le 9 juillet 2013, la Cour
europĂ©enne des droits de lâhomme (« la Cour ») a estimĂ©, dans lâarrĂȘt Vinter et autres, que les peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle
emportaient violation de lâarticle 3 de la Convention. La critique de la Cour
portait sur deux questions étroitement liées : le manque de clarté du droit au
moment des faits concernant la perspective de libération pour les détenus
condamnĂ©s Ă des peines perpĂ©tuelles, eu Ă©gard Ă lâĂ©cart entre diverses
sources[3], ainsi que lâabsence de tout mĂ©canisme spĂ©cifique de libĂ©ration
conditionnelle pour les détenus condamnés à de telles peines[4]. Considérant
ces lacunes dans le droit interne, la Cour a estimé que la peine de perpétuité
rĂ©elle infligĂ©e au requĂ©rant ne pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme compressible aux
fins de lâarticle 3 de la Convention.
3. Pour la Cour, vu lâĂ©cart entre la
jurisprudence interne telle quâexposĂ©e dans lâarrĂȘt Bieber[5]
et la politique officielle exposée dans le manuel sur les peines de durée
indéterminée (« Lifer Manual
»)[6], nul ne pouvait savoir « aujourdâhui » si « le ministre suivrait sa
politique restrictive actuelle, telle quâĂ©noncĂ©e dans lâordonnance de
lâadministration pĂ©nitentiaire, ou sâil sâaffranchirait du libellĂ© apparemment
exhaustif de ce texte en appliquant le critĂšre de respect de lâarticle 3 Ă©noncĂ©
dans lâarrĂȘt Bieber »[7]. La Cour a estimĂ© que la
possibilitĂ© dâattaquer par la voie du contrĂŽle juridictionnel tout refus par le
ministre de libérer un détenu condamné à la réclusion à perpétuité, tout en
permettant de clarifier le cadre juridique, ne suffisait pas Ă pallier le
manque de clartĂ© qui existait au moment des faits (« actuellement ») quant Ă
lâĂ©tat du droit national applicable[8].
4. La Cour a ajoutĂ© que, pour quâune
peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle fĂ»t compatible avec lâarticle 3, un mĂ©canisme de
libĂ©ration conditionnelle devait ĂȘtre en place au moment oĂč la peine Ă©tait
prononcée. Le réexamen en vue de la libération conditionnelle devait avoir lieu
selon un calendrier prĂ©dĂ©terminĂ© et raisonnable, sans que cela empĂȘchĂąt le
détenu concerné de demander un tel réexamen à son initiative à tout moment
aprÚs le prononcé de la peine[9].
5. Les critÚres et modalités, y
compris le calendrier, sâagissant dâĂ©valuer le caractĂšre appropriĂ© de la
libĂ©ration conditionnelle doivent ĂȘtre Ă©tablis par la loi de maniĂšre claire et
prévisible, sur la base en premier lieu de considérations de réinsertion
(câest-Ă -dire de prĂ©vention spĂ©ciale) et en deuxiĂšme lieu de considĂ©rations de
dissuasion (câest-Ă -dire de prĂ©vention gĂ©nĂ©rale). Les critĂšres ne doivent pas
se limiter à une infirmité mentale ou physique du détenu ou au fait que
celui-ci soit Ă lâarticle de la mort. Pareils « motifs dâhumanitĂ© » sont
manifestement trop restrictifs. Selon la Cour, tel Ă©tait le cas de lâarticle 30
de la loi de 1997 sur les peines en matiĂšre criminelle et du manuel sur les
peines de durée indéterminée.
6. Il découle logiquement de ce qui
précÚde que, si les individus condamnés pour les crimes les plus atroces
doivent disposer dâun mĂ©canisme de libĂ©ration conditionnelle, a fortiori les
autres détenus doivent en disposer également. La justice serait clairement
bafouée si des délinquants condamnés pour des infractions moins graves ne pouvaient
obtenir une libĂ©ration conditionnelle dĂšs quâils sont aptes Ă rĂ©intĂ©grer la
sociĂ©tĂ©, alors quâune telle possibilitĂ© serait offerte Ă des dĂ©linquants
condamnĂ©s pour des infractions plus graves. En dâautres termes, la Convention
garantit un droit à la libération conditionnelle si et lorsque les conditions
juridiques requises pour la libération sont réunies. De plus, la libération
conditionnelle nâest pas une libĂ©ration de la peine mais une forme modifiĂ©e de
lâingĂ©rence de lâĂtat dans la libertĂ© de la personne condamnĂ©e, au moyen dâun
contrÎle exercé sur sa vie en général, ce contrÎle pouvant prendre une forme
trĂšs stricte, avec des conditions strictes, selon les besoins de chaque
personne libérée sous conditions.
B.Â
Lâexposition des « principes pertinents » sur la libĂ©ration
conditionnelle dans lâarrĂȘt Murray (§§ 7-10)
7. Dans lâarrĂȘt Murray, la Cour a Ă©tĂ©
encore plus explicite[10]. Selon les paragraphes 99 et 100 de cet arrĂȘt, le
mécanisme de libération conditionnelle doit respecter les cinq « principes
pertinents » contraignants suivants :
1) Le principe de légalité (« rÚgles
ayant un degré suffisant de clarté et de certitude », « conditions définies
dans le droit interne ») ;
2) Le principe de lâĂ©valuation des
motifs dâordre pĂ©nologique justifiant le maintien en
dĂ©tention, sur la base de « critĂšres objectifs et dĂ©finis Ă lâavance », qui
incluent la resocialisation (prévention spéciale), la dissuasion (prévention
générale) et la rétribution ;
3) Le principe de lâĂ©valuation selon
un calendrier prédéfini et, dans le cas des détenus à vie, « dans un délai de
vingt-cinq ans au plus aprĂšs lâimposition de la peine, puis [au moyen de]
réexamens périodiques par la suite » ;
4) Le principe de garanties
procédurales équitables, au nombre desquelles doit figurer à tout le moins
lâobligation de motiver les dĂ©cisions de refus dâoctroi de la libĂ©ration ou de
révocation de celle-ci ;
5) Le principe dâun contrĂŽle
juridictionnel.
8. Dans lâarrĂȘt Murray, la Cour a
réaffirmé que, en principe, les critÚres sur lesquels doit se fonder toute
dĂ©cision dâaccorder ou non une libĂ©ration conditionnelle doivent ĂȘtre Ă©tablis
par la loi dâune maniĂšre claire et prĂ©visible. Outre lâarrĂȘt Vinter et autres, les prĂ©cĂ©dents entĂ©rinĂ©s par la Grande
Chambre sont les arrĂȘtsTrabelsi[11], LĂĄszlĂł Magyar[12]
et Harakchiev et Tolumov[13].
Cette position se retrouve Ă©galement dans le paragraphe 10 de la RĂ©solution
76(2) du Comité des Ministres, dans les paragraphes 3, 4 et 20 de la
Recommandation Rec(2003)22 du Comité des Ministres et
dans le paragraphe 34 de la Recommandation Rec(2003)23
du ComitĂ© des Ministres et, Ă lâĂ©chelle internationale, dans lâarticle 110 du
Statut de 1998 de la Cour pénale internationale (statut de Rome) et dans la
RĂšgle 223 (CritĂšres pour lâexamen de la question de la rĂ©duction de la peine)
de son RÚglement de procédure et de preuve. Ainsi, selon la Grande Chambre, les
critĂšres dâapprĂ©ciation de la libertĂ© conditionnelle ne sont pas laissĂ©s Ă la
discrĂ©tion des Ătats membres. Le mĂ©canisme de rĂ©examen en vue de la libĂ©ration
conditionnelle doit se fonder sur « des critĂšres objectifs et dĂ©finis Ă
lâavance », câest-Ă -dire ces « motifs lĂ©gitimes dâordre pĂ©nologique
» explicitement Ă©tablis au paragraphe 100 de lâarrĂȘt Murray. Surtout, la Cour a
rĂ©affirmĂ© que les motifs dâordre pĂ©nologique ne
devaient pas ĂȘtre assimilĂ©s Ă ni confondus avec « des motifs dâhumanitĂ© tenant
à un mauvais état de santé, à une invalidité physique ou à un ùge avancé »[14].
9. Selon lâarrĂȘt Murray, le rĂ©examen
en vue dâune libĂ©ration conditionnelle doit avoir lieu dans un dĂ©lai
raisonnable et dĂ©fini Ă lâavance. Le prĂ©cĂ©dent invoquĂ© par la Cour Ă cet Ă©gard
Ă©tait lâarrĂȘt Bodein c. France[15]. Cette position
est conforme au paragraphe 9 de la RĂ©solution (76)2 et au paragraphe 5 de la
Recommandation Rec(2003)22 du Comité des Ministres et
aussi, au niveau gĂ©nĂ©ral, Ă lâarticle 110 §§ 3 et 5 du Statut de Rome. Dans les
cas oĂč la question de la libĂ©ration conditionnelle nâest pas tranchĂ©e au moment
du rĂ©examen initial, la situation du dĂ©tenu devrait ĂȘtre rĂ©examinĂ©e Ă des intervalles
raisonnables, et pas trop espacés, comme indiqué au paragraphe 12 de la
Résolution (76)2 du Comité des Ministres et au paragraphe 21 de la
Recommandation Rec(2003)22 du Comité des Ministres.
10. Enfin, toujours à la lumiÚre des «
principes pertinents » dĂ©gagĂ©s dans lâarrĂȘt Murray, la dĂ©cision de libĂ©ration
conditionnelle doit ĂȘtre prise dans le cadre dâune procĂ©dure Ă©quitable et
contradictoire, doit ĂȘtre motivĂ©e et doit ĂȘtre susceptible dâun contrĂŽle
juridictionnel[16]. Cela est également prévu par le paragraphe 32 de la
Recommandation Rec(2003)22 du Conseil des Ministres,
lâarticle 110 § 2 du Statut de Rome et la rĂšgle 224 de son RĂšglement de
procédure et de preuve[17].
En résumé, aprÚs avoir établi les «
principes pertinents » susmentionnĂ©s, on aurait pu sâattendre Ă ce que la Cour
ait atteint dans lâarrĂȘt Murray un point de non-retour dans sa fonction
normative en matiĂšre de protection des droits de lâhomme des dĂ©tenus.
Malheureusement, cette attente sâest avĂ©rĂ©e vaine en lâespĂšce.
III. Le cadre juridique au Royaume-Uni
en matiÚre de libération conditionnelle pour les détenus condamnés à des peines
de perpétuité réelle (§§ 11-26)
A. La rĂ©action de la Cour dâappel Ă
lâarrĂȘt Vinter (§§ 11-18)
11. Dans lâaffaire McLoughlin,
la Cour dâappel a Ă©tĂ© spĂ©cifiquement constituĂ©e pour examiner la question de la
compatibilitĂ© dâune peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle avec la Convention. Elle a
estimĂ© que lâarrĂȘt Vinter et autres nâempĂȘchait pas
lâimposition de peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle pour des « crimes atroces » dĂšs
lors que le droit dâAngleterre et du pays de Galles prĂ©voyait bien la
compressibilité de ces peines, les conditions exposées dans le manuel sur les
peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e, bien quâexceptionnelles, nâĂ©tant pas trop
restrictives et ayant en rĂ©alitĂ© « une acception large pouvant ĂȘtre prĂ©cisĂ©e au
cas par cas, comme cela se passe dans le cadre de la common
law ». En dâautres termes, la Cour dâappel a estimĂ©
que la Grande Chambre avait mal interprĂ©tĂ© lâarticle 30 de la loi de 1997 sur
les peines en matiÚre criminelle et le manuel sur les peines de durée
indéterminée[18].
12. La Cour dâappel a rĂ©pondu Ă la
critique de lâarrĂȘt Vinter et autres dans les termes
suivants : « Il nous semble que la Grande Chambre a attaché une grande
importance au fait que la politique exposée dans le manuel sur les peines de
durĂ©e indĂ©terminĂ©e nâa pas Ă©tĂ© rĂ©visĂ©e. Or, cela est Ă notre avis sans
consĂ©quence du point de vue du droit »[19]. Ainsi, la Cour dâappel, dans un
raisonnement artificiel, Ă©nonce implicitement que le ministre se mettrait dans
lâillĂ©galitĂ© en suivant sa propre politique publiĂ©e, quâelle a par ailleurs
jugĂ©e « extrĂȘmement restrictive »[20]. Pour la haute juridiction britannique,
dĂšs lors quâun dĂ©linquant condamnĂ© Ă une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle peut
établir que des « circonstances exceptionnelles » sont survenues aprÚs
lâimposition de sa peine, le ministre doit examiner toutes les circonstances
pertinentes dâune maniĂšre compatible avec lâarticle 3. Toute dĂ©cision du
ministre doit ĂȘtre motivĂ©e par rĂ©fĂ©rence aux circonstances de chaque affaire et
est susceptible dâun contrĂŽle juridictionnel permettant dâexpliciter la
signification des termes « circonstances exceptionnelles » et « motifs
dâhumanitĂ© », selon le processus habituel en common law[21].
13. Le fait que la juridiction
nationale réponde spécifiquement à la premiÚre critique exprimée par la Grande
Chambre dans lâarrĂȘt Vinter et autres quant Ă la
clartĂ© et la sĂ©curitĂ© de lâĂ©tat du droit interne ne met pas fin au dĂ©bat.
LâinterprĂ©tation par la juridiction interne du droit national soulĂšve des
questions assez sérieuses sur les plans linguistique, logique et juridique,
ainsi que le soutient le requérant. En ce qui concerne la précision
linguistique, la question Ă©pineuse qui se pose est la suivante : quâest-ce que lâ«
humanitĂ© » a Ă voir avec « des motifs dâordre pĂ©nologique
»[22] justifiant le maintien en dĂ©tention ? Il est Ă©vident que lâinterprĂ©tation
par la Cour dâappel du libellĂ© de lâarticle 30 de la loi de 1997 sur les peines
en matiÚre criminelle et les circonstances énumérées de maniÚre exhaustive, et
non simplement Ă titre dâexemple, du chapitre 12 de lâordonnance no 4700 de
lâadministration pĂ©nitentiaire ne cadre tout simplement pas avec le sens donnĂ©
Ă la notion dâ« humanitĂ© » dans la culture occidentale[23]. Lâ« acception large
» de lâexpression « motifs dâhumanitĂ© » est-elle large au point de nâavoir
aucun lien avec le sens donné par le dictionnaire au mot « humanité » ? à cet
Ă©gard, il faudrait garder Ă lâesprit le jugement du juge Atkin
dans lâaffaire Liversidge v Anderson :
« Je vois avec apprĂ©hension lâattitude
des juges qui, sur une simple question dâinterprĂ©tation, lorsquâils sont face Ă
des demandes impliquant la libertĂ© du sujet, sâavĂšrent ĂȘtre plus bureaucratiques
que le pouvoir exécutif. Leur fonction est de donner aux mots leur sens
naturel, sans peut-ĂȘtre, en temps de guerre, tendre vers la libertĂ©, mais en
suivant lâobiter dictum de
C.B. Pollock dans lâaffaire Bowditch v Balchin (1850,
5 Ex. 378), citĂ© avec lâapprobation de mon noble et avisĂ© ami le juge Wright
dans lâaffaire Barnard v Gorman (1941, 3 All E.R., p.
55) : « dans une affaire qui met en jeu la liberté du sujet, nous « ne pouvons
pas aller au-delĂ de lâinterprĂ©tation naturelle de la loi. » »[24]
14. En termes de cohérence logique, la
question inévitable est la suivante : comment peut-on soutenir logiquement
quâune disposition « extrĂȘmement restrictive »[25] telle que le chapitre 12 de
lâordonnance no 4700 de lâadministration pĂ©nitentiaire puisse ĂȘtre interprĂ©tĂ©e
dans une « acception large » ? Comment une rĂšgle « extrĂȘmement restrictive »
relative Ă des « conditions exceptionnelles »[26] de nature Ă conduire Ă
lâexercice par le ministre du pouvoir que lui confĂšre lâarticle 30 peut-elle ĂȘtre
interprĂ©tĂ©e de maniĂšre extensive ? La rĂšgle dâor de lâinterprĂ©tation est que
les rĂšgles restrictives, formulĂ©es en termes exhaustifs, doivent donner lieu Ă
une interprétation étroite[27]. Et ce pour une raison de base, qui apparaßt
dĂ©jĂ dans le dialogue entre Alice et Humpty Dumpty : « Lorsque jâutilise un mot », dĂ©clare Humpty Dumpty, « il signifie
exactement ce que jâai dĂ©cidĂ© quâil signifierait â ni plus ni moins ». « Mais
le problĂšme » dit Alice, « câest de savoir si tu peux faire en sorte que les mots
signifient des choses différentes ». « Le problÚme », répond Humpty Dumpty, « est de savoir
qui commande, câest tout ! ». MĂ©taphoriquement, celui qui commande, en
lâoccurrence le ministre, peut avoir une idĂ©e de ce que sont des «
circonstances exceptionnelles » lorsquâil y est confrontĂ©, mais les dĂ©tenus,
les avocats et mĂȘme les juges auront du mal Ă anticiper ce jugement.
15. La fragilité linguistique et
logique de lâargumentation de la Cour dâappel a nĂ©cessairement une influence
sur sa force juridique. En termes purement juridiques, la question cruciale est
celle-ci : quâest-ce qui peut ĂȘtre plus flou, incertain et donc imprĂ©visible
quâun pouvoir discrĂ©tionnaire de libĂ©ration dans des « circonstances
exceptionnelles », qui se transforme en une obligation de libération ayant une
« acception large » conformément aux principes exposés dans la jurisprudence de
la Cour sur lâarticle 3 de la Convention ? Quâest-ce qui peut ĂȘtre plus flou,
incertain et donc imprévisible que des « circonstances exceptionnelles » ayant
une « acception large » ? Comment des juges et des juristes, mĂȘme expĂ©rimentĂ©s,
peuvent-ils appliquer un systÚme aussi imprévisible et comment les détenus
peuvent-ils se fonder lĂ -dessus ? Aucune rĂ©ponse Ă ces questions ne peut ĂȘtre
trouvĂ©e dans lâarrĂȘt rendu en lâespĂšce par la majoritĂ©.
16. Ă premiĂšre vue, il est Ă©vident que
le mĂ©canisme de rĂ©examen prĂ©vu par lâarticle 30 de la loi de 1997 sur les
peines en matiÚre criminelle et dans le manuel sur les peines de durée
indĂ©terminĂ©e, mĂȘme si on lit ces instruments Ă la lumiĂšre de lâinterprĂ©tation
de la Cour dâappel, ne prĂ©voit pas « un rĂ©examen permettant aux autoritĂ©s
nationales de rechercher si, au cours de lâexĂ©cution de sa peine, le dĂ©tenu a
tellement Ă©voluĂ© et progressĂ© sur le chemin de lâamendement quâaucun motif
lĂ©gitime dâordre pĂ©nologique ne permet plus de
justifier son maintien en détention »[28]. Comme indiqué ci dessus, la
violation constatĂ©e dans lâarrĂȘt Vinterrepose sur
deux motifs, le premier étant le défaut de sécurité juridique et le deuxiÚme
Ă©tant lâabsence de mĂ©canisme spĂ©cifique de rĂ©examen de la peine. Ces deux
motifs restent inchangés[29].
17. PremiĂšrement, la dĂ©cision McLoughlin nâa pas remĂ©diĂ© au dĂ©faut de clartĂ© et de
sĂ©curitĂ© du cadre juridique. La Cour dâappel nâa pas Ă©noncĂ© clairement ce que
sont les « circonstances exceptionnelles » qui sont de nature à mettre en
branle le mécanisme de réexamen, ou les motifs pour lesquels ce réexamen peut
ĂȘtre demandĂ©. Au contraire, elle a estimĂ© que « lâexpression « circonstances
exceptionnelles » [était] en soi suffisamment certaine »[30]. Bien que la
disposition pertinente du manuel sur les peines de durée indéterminée soit
toujours intitulĂ©e « Ălargissement Ă titre dâhumanitĂ© pour des raisons
mĂ©dicales », ce qui montre de maniĂšre Ă©vidente quel Ă©tait le but de lâarticle
30, la Cour dâappel a soutenu que lâ« acception large » des « motifs dâhumanitĂ©
» englobait « les motifs lĂ©gitimes dâordre pĂ©nologique
». Lâaffirmation nâest pas nouvelle. Elle a dĂ©jĂ Ă©tĂ© avancĂ©e par le
Gouvernement et explicitement rejetée par la Grande Chambre au paragraphe 129
de lâarrĂȘt Vinter[31]. Si lâon continue ainsi, le
dialogue entre les juridictions risque de prendre la forme de deux monologues
parallĂšles jusquâĂ ce que lâune dâelles abandonne.
18. DeuxiĂšmement, la Cour dâappel nâa
pas donné la moindre indication sur les caractéristiques du processus
spécifique de libération conditionnelle par lequel un détenu sera ou non
éligible à un réexamen de sa peine de perpétuité réelle, notamment sur le
moment auquel il ou elle peut sâattendre Ă ĂȘtre en mesure de prĂ©senter une
telle demande de rĂ©examen, sur lâinstance qui devrait conduire ce rĂ©examen et
sur la périodicité des réexamens ultérieurs[32].
B.Â
Lâobligation de prendre en compte la Convention (§§ 19-25)
19. La Cour dâappel a soutenu que, en
vertu des articles 3 et 6 de la loi sur les droits de lâhomme, lâarticle 30 de
la loi de 1997 devait ĂȘtre interprĂ©tĂ© et appliquĂ© de maniĂšre suffisamment large
pour respecter lâarticle 3 de la Convention dans chaque affaire. Elle a ajoutĂ©
que le manuel sur les peines de durée indéterminée ne restreignait pas et ne
pouvait pas restreindre ou entraver de quelque maniÚre que ce fût cette
obligation. Câest lĂ que se trouve le cĆur de lâaffaire. Cet argument soulĂšve
une question gĂ©nĂ©rale et fondamentale : celle de la compatibilitĂ© de lâarticle
2 de la loi sur les droits de lâhomme, tel quâappliquĂ© en lâespĂšce par la Cour
dâappel, avec les obligations qui incombent au Royaume-Uni en vertu de la
Convention[33].
20. La loi impose une obligation
générale à toutes les autorités publiques de respecter les droits au titre de
la Convention (article 6), ajoutant ainsi Ă leur obligation gĂ©nĂ©rale dâagir
conformément aux principes du droit administratif[34]. Ces droits sont des
droits internes et leur source formelle est la loi[35]. Cette obligation
sâapplique tant aux juridictions internes quâau ministre, qui sont tous des
autorités publiques. Le non-respect des droits et libertés consacrés par la
Convention est un acte illégal, qui donne lieu à une réparation judiciaire
appropriée (articles 6 et 8). La loi impose aux juridictions internes une
obligation de « prendre en compte » la jurisprudence de la Cour (article 2).
Lâarticle 3 de la loi est une disposition cruciale, qui Ă©nonce lâobligation
dâinterprĂ©ter et de mettre en Ćuvre la lĂ©gislation primaire et la lĂ©gislation
dĂ©lĂ©guĂ©e dâune maniĂšre compatible avec les droits reconnus par la Convention,
dans toute la mesure du possible. Lâarticle 3 nâaffecte pas la validitĂ© de
toute législation primaire incompatible ou de toute législation déléguée si,
dans ce dernier cas, la lĂ©gislation primaire empĂȘche la suppression de
lâincompatibilitĂ© (sauf possibilitĂ© de rĂ©vocation). Lâobjectif sous-jacent de
la loi est de dĂ©lĂ©guer aux juridictions lâessentiel du travail consistant Ă
assurer lâapplication conforme Ă la Convention du droit interne. En bref, les
dĂ©clarations dâincompatibilitĂ© doivent ĂȘtre le dernier ressort.
21. Ainsi, la Convention sâest vu
conférer un effet juridique en droit interne par la loi sur les droits de
lâhomme et un statut constitutionnel par la lĂ©gislation Ă©tablissant la
dĂ©volution du pouvoir lĂ©gislatif en Ăcosse, en Irlande du Nord et au pays de
Galles[36]. Elle ne se substitue pas Ă la protection en matiĂšre de droits de
lâhomme offerte par la common law
ou par la loi, ni ne crĂ©e discrĂštement un corpus de droit fondĂ© sur les arrĂȘts
de la Cour[37]. Malgré les critiques selon laquelle la loi « donnerait le champ
libre aux fous, empoisonnerait les juges et enrichirait les avocats »[38], les
juridictions internes ont tenté, dans leur interprétation et leur application
de la Convention, dâassumer une plus grande part de responsabilitĂ© pour la mise
en Ćuvre des droits et libertĂ©s consacrĂ©es par la Convention. Ils lâont fait en
croyant que le Parlement ne pouvait pas avoir eu pour intention que les droits
et libertés au titre de la Convention reconnus par la loi sur les droits de
lâhomme demeurent gravĂ©s dans le marbre, tel quâils Ă©taient lorsque la loi a
été adoptée[39].
22. Dans lâaffaire Ullah,
le juge Bingham a énoncé le « principe du miroir »,
déclarant que les juridictions nationales devaient « demeurer en phase avec la
jurisprudence de Strasbourg Ă mesure quâelle Ă©volue au fil du temps : pas plus,
mais certainement pas moins »[40]. Dans lâaffaire McCaughey,
la juge Hale a souscrit Ă la mĂȘme idĂ©e, dĂ©clarant que :
« Si lâinterprĂ©tation Ă©volutive des
droits au titre de la Convention entraßne que ceux ci ont à présent un sens
diffĂ©rent de celui quâils avaient Ă lâadoption de la loi de 1998, alors nous
avons lâobligation de donner effet Ă son acception actuelle, plutĂŽt quâĂ celle
quâils avaient auparavant »[41].
De plus, lorsquâil nâexiste aucune
jurisprudence spĂ©cifique concernant lâĂtat dĂ©fendeur, les juridictions internes
sont censĂ©es, en vertu de la loi sur les droits de lâhomme, prendre en compte
les décisions de la Cour concernant des problÚmes juridiques similaires et «
tenter dâextraire des principes spĂ©cifiques de ces dĂ©cisions, puis les
appliquer aux faits des affaires dont nous sommes saisis » [42], ou, en
dâautres termes, respecter lâeffet res interpretata des dĂ©cisions de la Cour pour lâensemble des
Parties contractantes.
23. Il convient de noter que les
juridictions internes sont disposĂ©es Ă mettre tout en Ćuvre et Ă adopter des
interprĂ©tations trĂšs extensives des termes lĂ©gislatifs afin de se conformer Ă
la prescription légale de permettre la compatibilité avec la Convention. Dans
lâaffaire de principe Ghaidan v Godin-Mendoza[43], la
Chambre des lords a estimé, dans un revirement de jurisprudence, que
lâexpression « une personne avec laquelle le locataire initial rĂ©side comme
mari et femme doit ĂȘtre traitĂ©e comme le conjoint du locataire initial » devait
ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme incluant les partenaires de mĂȘme sexe. Le juge Nicholls sâexprima ainsi :
« Le simple fait que le libellé en
cause soit incompatible avec une signification conforme Ă la Convention ne rend
pas en soi impossible une interprétation respectant la Convention en vertu de
lâarticle 3. Lâarticle 3 permet au libellĂ© en cause dâĂȘtre interprĂ©tĂ© de
maniĂšre large ou Ă©troite. Mais il va plus loin : il peut Ă©galement imposer Ă un
tribunal dây lire des termes qui changent la signification de la lĂ©gislation
adoptĂ©e, de maniĂšre Ă la rendre conforme Ă la Convention. En dâautres termes,
le Parlement, lorsquâil a adoptĂ© lâarticle 3, souhaitait que, seulement dans
les limites de ce qui est « possible », un tribunal puisse modifier le sens, et
donc lâeffet, de la lĂ©gislation primaire et dĂ©rivĂ©e. »[44]
Ainsi, le rĂŽle des juridictions au
Royaume-Uni nâest pas, comme dans lâinterprĂ©tation traditionnelle de la loi, de
trouver la véritable signification de la disposition, mais de trouver, si
possible, le sens qui sâaccorde le mieux avec les droits et libertĂ©s consacrĂ©es
par la Convention. En consĂ©quence, mĂȘme lorsque le libellĂ© dâune loi adoptĂ©e
par le Parlement est, si on lâaborde de maniĂšre littĂ©rale, clair et dĂ©nuĂ©
dâambiguĂŻtĂ©, les juges peuvent toujours sâen Ă©carter, ajouter Ă son libellĂ© ou
lâignorer en vertu de lâarticle 3 de la loi sur les droits de lâhomme si cela
est nécessaire aux fins de la compatibilité avec un droit consacré par la
Convention[45].
24. Cependant, dans certaines
affaires, les juridictions internes ont préféré dire que la poutre se trouvait
dans lâĆil du voisin[46]. Soulignant une jurisprudence peu claire et
incohérente de la Cour, le juge Slynn a donné le ton
pour lâavenir dĂšs lâaffaire R (Alconbury Developments Ltd) v Secretary of
State for the Environment, Transport and the Regions :
« En lâabsence de circonstances
spéciales, il me semble que cette juridiction devrait suivre toute
jurisprudence claire et constante de la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme
»[47].
Dans lâaffaire R v Horncastle,
le juge Phillips est allé encore plus loin :
« Cependant, il y aura de rares
occasions oĂč le juge national aura des prĂ©occupations quant Ă savoir si une
décision de la Cour de Strasbourg appréhende suffisamment ou se concilie avec
des aspects particuliers de notre procédure interne. En pareil cas, il est
loisible au juge national de refuser de suivre la décision de Strasbourg, en
motivant sa décision de refus »[48].
LâannĂ©e suivante, le juge Neuberger a rĂ©sumĂ© dans lâaffaire Manchester City Council v
Pinnock ce point de vue apparemment Ă©tabli, dans les
termes suivants :
« Notre Cour nâest pas tenue de suivre
toutes les décisions de la Cour européenne. Non seulement il serait irréaliste
de le faire, mais cela serait quelquefois inapproprié car cela détruirait les
capacitĂ©s de notre Cour de sâengager dans un dialogue constructif avec la Cour europĂ©enne,
dialogue qui apporte une valeur ajoutée pour le développement du droit de la
Convention (voir, par exemple, R v Horncastle [2010]
2 AC 373). Bien entendu, nous devrions habituellement suivre une jurisprudence
claire et constante de la Cour européenne (R (Ullah)
v Special Adjudicator
[2004] 2 AC 323). Mais nous ne sommes en réalité pas tenus de le faire ou (en
théorie du moins) de suivre une décision de la Grande Chambre. Ainsi que le
juge Mance lâa soulignĂ© dans lâaffaire Doherty v Birmingham City Council
([2009] AC 367, § 126), lâarticle 2 de la loi de 1998 exige que nos tribunaux «
prennent en compte » les décisions de la Cour européenne, mais pas
nĂ©cessairement quâils les suivent. Cependant, lorsquâil y a une jurisprudence
claire et constante dont lâeffet nâest pas incompatible avec un aspect
fondamental, matériel ou procédural, de notre droit, et dont le raisonnement
nâapparaĂźt pas ignorer ou mal comprendre un argument ou un point de principe,
nous estimons que notre Cour aurait tort de ne pas suivre cette jurisprudence.
»[49]
25. Il y a des limites Ă ce processus,
ainsi que le juge Mance (rejoint par les juges Hope, Hugues et Kerr) lâa
clairement admis dans lâaffaire Chester[50], « particuliĂšrement lorsque la
question a déjà été soumise à une Grande Chambre une fois ou, a fortiori, deux
fois comme en lâespĂšce », se rĂ©fĂ©rant Ă deux arrĂȘts de Grande Chambre dans les
affaires Hirst[51] et Scoppola (no 3)[52]. Le juge
Mance a ajouté :
« Il faudrait alors quâun principe
véritablement fondamental de notre droit, ou une omission ou un malentendu
flagrant, soit impliquĂ©, pour quâil puisse ĂȘtre jugĂ© appropriĂ© par notre Cour
dâenvisager de refuser purement et simplement de suivre un arrĂȘt rendu par la
Cour de Strasbourg au niveau de la Grande Chambre ».
Le juge Sumption
a exprimĂ© plus ou moins la mĂȘme idĂ©e :
« Dans un sens ordinaire, lâexpression
« prendre en compte » une dĂ©cision de la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme
ne signifie rien dâautre que de la considĂ©rer, ce qui peut impliquer de la
rejeter comme erronĂ©e. Cependant, ce nâest pas une approche quâun tribunal du
Royaume-Uni peut adopter, sauf dans des cas tout Ă fait exceptionnels (...) Une
dĂ©cision de la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme est plus quâun avis sur la
signification Ă donner Ă la Convention. Câest une dĂ©cision dâune juridiction
qui devrait, selon ce que le Royaume-Uni a consenti par traité, régler
définitivement la question. Les tribunaux sont donc tenus de traiter pareilles
décisions comme des exposés faisant autorité de la Convention comme celle-ci
lâa voulu, sauf sâil apparaĂźt que ces dĂ©cisions ont mal compris ou ignorĂ© tel
ou tel aspect important du droit ou de la pratique anglais qui pourrait, sâil
était convenablement expliqué, conduire à une révision de sa décision par la Cour
de Strasbourg. »[53]
En dâautres termes, le critĂšre dĂ©cisif
des autoritĂ©s internes pour accepter de suivre les arrĂȘts de la Cour semble
ĂȘtre dĂ©terminĂ© par une logique apparemment stricte de norme/exception, selon
laquelle ce nâest que dans des « cas rares » ou des « cas exceptionnels »,
lorsque des aspects particuliĂšrement importants de lâordre juridique interne
sont ignorĂ©s ou mal compris, que les autoritĂ©s sâaventureront Ă dire que les
arrĂȘts de la Cour ne doivent pas ĂȘtre suivis[54]. Tel Ă©tait prĂ©cisĂ©ment
raisonnement qui Ă©tait sous jacent Ă lâarrĂȘt de la Cour dâappel[55].
DeuxiÚme partie (§§ 26-47)
IV. Les obligations de lâĂtat dans la
présente affaire (§§ 26-34)
A. La position du gouvernement
défendeur (§§ 26-29)
26. Le Gouvernement soutient que lâargument
du requérant concernant la définition donnée dans le dictionnaire du terme «
humanité » est hors de propos. Dans son contexte légal, le terme « motif
dâhumanitĂ© » devrait Ă prĂ©sent ĂȘtre compris Ă la lumiĂšre des exigences de
lâarticle 3 Ă cet Ă©gard. Ă supposer mĂȘme, pour les besoins de la discussion,
que cela devrait ĂȘtre le cas au regard de la loi sur les droits de lâhomme, il
reste que la Cour dâappel a refusĂ© de donner une signification prĂ©cise et
concrĂšte Ă lâexpression « circonstances exceptionnelles », estimant quâelle
Ă©tait en soi suffisamment certaine. Alors que lâarrĂȘt Vinter
et autres invoque le principe de sĂ©curitĂ© juridique, la Cour dâappel juge «
parfaitement conforme Ă lâĂ©tat de droit » de considĂ©rer les demandes des
dĂ©tenus sur une base individuelle Ă la lumiĂšre du critĂšre dâun changement
exceptionnel de circonstances. Il convient de rappeler que dans son arrĂȘt Bieber, qui fait toujours partie du droit positif, la Cour
dâappel a Ă©voquĂ© « lâensemble des circonstances matĂ©rielles, y compris la
période (...) déjà purgée et les progrÚs effectués en prison ». Il semble que
la jurisprudence interne ne donne aucune indication spécifique concernant les
critĂšres Ă prendre en compte dans lâexamen de peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. Au
lieu de la spécificité requise par le principe de légalité, on trouve de la
latitude.
27. La norme de la Cour quant Ă la
définition des motifs pertinents de libération conditionnelle est beaucoup plus
exigeante. Dans lâaffaire Harakchiev et Tolumov, la Cour a soulignĂ© lâimportance des dĂ©clarations
officielles de politique générale et des critÚres généraux guidant les
autoritĂ©s dans lâexercice du pouvoir de grĂące. Elle a soulignĂ© lâimportance de
la transparence de la procĂ©dure[56]. Dans lâaffaire LĂĄszlĂł Magyar qui a suivi
lâarrĂȘt Vinter, la chambre a sanctionnĂ© le dĂ©faut
dâorientation spĂ©cifique concernant les critĂšres directeurs et les conditions
applicables pour lâexercice du droit de grĂące prĂ©sidentiel (le recueil et
lâorganisation des donnĂ©es personnelles et lâapprĂ©ciation de la demande). La
solution suggĂ©rĂ©e, dans la partie de cet arrĂȘt sur lâarticle 46, Ă©tait
dâintroduire une lĂ©gislation permettant aux dĂ©tenus « de prĂ©voir, avec quelque
degrĂ© de prĂ©cision, ce quâils doivent faire pour prĂ©senter une demande de
libération et dans quelles conditions ». Cette question a été encore précisée
dans lâarrĂȘt Trabelsi, dans lequel la chambre sâest
référée à des « critÚres objectifs et préétablis dont le détenu aurait eu
connaissance avec certitude au moment de lâimposition de la peine perpĂ©tuelle »
et permettant de dĂ©terminer « si, au cours de lâexĂ©cution de sa peine,
lâintĂ©ressĂ© a tellement Ă©voluĂ© et progressĂ© quâaucun motif lĂ©gitime dâordre pĂ©nologique ne justifie plus son maintien en dĂ©tention
»[57].
28. Le Gouvernement ne souscrit pas Ă
la dĂ©claration dans lâarrĂȘt Trabelsi selon laquelle
le rĂ©examen de la peine nĂ©cessite des critĂšres prĂ©Ă©tablis[58]. Il nâestime ni
nĂ©cessaire ni faisable de dĂ©crire ce quâun dĂ©tenu condamnĂ© Ă une peine
perpétuelle doit faire, par exemple en ce qui concerne les progrÚs vers sa
rĂ©insertion. Pour lui, il faut plutĂŽt prendre en compte lâensemble des
circonstances pertinentes. La position du Gouvernement nâest pas en phase avec
la Recommandation Rec (2003) 22, dans laquelle il est
soulignĂ© que les critĂšres que les dĂ©tenus doivent remplir pour ĂȘtre libĂ©rĂ©s
sous conditions doivent ĂȘtre clairs et explicites, ni avec lâarticle 30.3 des
RÚgles pénitentiaires européennes[59], qui prévoit que les détenus condamnés
doivent ĂȘtre informĂ©s de la pĂ©riode devant ĂȘtre purgĂ©e et des possibilitĂ©s de
libĂ©ration anticipĂ©e. De mĂȘme, lâarticle 100 § 4 du Statut de Rome dispose que
la Cour pénale internationale peut réduire la peine si elle constate
lâexistence de facteurs attestant dâun changement de circonstances manifeste
aux conséquences appréciables de nature à justifier la réduction de la
peine[60]. Ces éléments sont repris et développés dans les articles 223 et 224
du RÚglement de procédure et de preuve, dans lesquelles les exemples suivants
sont donnés : le fait que le comportement de la personne condamnée en détention
montre que lâintĂ©ressĂ©e dĂ©savoue son crime ; les possibilitĂ©s de
resocialisation et de réinsertion réussie de la personne condamnée ; la
perspective que la libération anticipée de la personne condamnée ne risque pas
dâĂȘtre une cause dâinstabilitĂ© sociale significative ; toute action
significative entreprise par la personne condamnée en faveur des victimes et
les répercussions que la libération anticipée peut avoir sur les victimes et
les membres de leur famille ; la situation personnelle de la personne
condamnĂ©e, notamment lâaggravation de son Ă©tat de santĂ© physique ou mentale ou
son ùge avancé.
29. DĂ©jĂ au paragraphe 128 de lâarrĂȘt Vinter et autres, la Cour a observĂ© que ceux qui Ă©taient
directement concernĂ©s ne disposaient que dâune image partielle des conditions
exceptionnelles susceptibles de conduire Ă lâexercice du pouvoir du ministre en
vertu de lâarticle 30. Comme le dit le requĂ©rant, le manuel sur les peines de
durée indéterminée est toujours le seul texte qui est accessible aux détenus
condamnĂ©s Ă perpĂ©tuitĂ© quant Ă leurs possibilitĂ©s de libĂ©ration. Il nâexiste
toujours aucun critÚre publié. Pourtant, la jurisprudence de la Cour fournit
des exemples de facteurs pertinents pour déterminer si une peine de perpétuité
rĂ©elle devrait ĂȘtre rĂ©examinĂ©e. Dans lâarrĂȘt Harakchiev
et Tolumov, il était relevé que dans le systÚme
bulgare, les circonstances prises en considĂ©ration comprenaient lâĂ©quitĂ©,
lâhumanitĂ©, la compassion, la pitiĂ©, lâĂ©tat de santĂ© et la situation familiale
du condamné, ainsi que tous les changements positifs de sa personnalité[61].
Dans lâarrĂȘt Čačko, il est dit que la base
du réexamen en droit interne est le point de savoir si le détenu « a démontré
quâil sâĂ©tait amĂ©liorĂ© par le respect de ses obligations et par sa bonne
conduite, et si lâon peut sâattendre Ă ce que la personne concernĂ©e se comporte
de maniĂšre appropriĂ©e Ă lâavenir »[62]. Dans lâarrĂȘt Bodein[63],
la Cour a estimé que la demande de libération du détenu serait évaluée au regard
de sa dangerositĂ©, de son comportement et de lâĂ©volution de sa personnalitĂ©.
Elle a jugĂ© ces Ă©lĂ©ments suffisants pour rĂ©pondre aux exigences de lâarticle 3
de la Convention.
B. La position de la Grande Chambre
(§§ 30-34)
30. Il est vrai que dans le présent
arrĂȘt la Grande Chambre a confirmĂ© le rĂŽle prĂ©dominant du principe de lĂ©galitĂ©
dans le droit pénitentiaire, particuliÚrement en matiÚre de libération
conditionnelle[64], ainsi que lâobligation des autoritĂ©s pĂ©nitentiaires de
sâefforcer dâobtenir la rĂ©insertion du dĂ©tenu condamnĂ© Ă une peine de
perpétuité réelle[65]. Il est également vrai que la Grande Chambre a ajouté que
le ministre doit motiver sa décision de libérer ou ne pas libérer le détenu
dâune maniĂšre conforme Ă la Convention, que ces dĂ©cisions doivent ĂȘtre
susceptible de recours devant un juge et que ce contrĂŽle juridictionnel doit
comporter un « examen au fond » des besoins pénologiques
du dĂ©tenu concernĂ©[66]. Enfin, il est vrai que la Grande Chambre a redit quâil
faudrait un réexamen automatique de la peine aprÚs une période minimale
définie, en principe vingt-cinq ans aprÚs le prononcé de la peine, sans
préjudice de la possibilité pour le détenu de demander un réexamen de sa peine
Ă tout moment[67]. La bonne nouvelle est que la majoritĂ© nâest pas disposĂ©e Ă
laisser aux autorités internes le soin de régler les détails de telles
questions. Mais ce nâest quâune facette de cette dĂ©cision.
31. Lâautre facette, moins positive,
est que la Grande Chambre se satisfait de la vague rĂ©fĂ©rence par la Cour dâappel
aux « circonstances exceptionnelles »[68]. La Cour dâappel nâa donnĂ© aucune
indication quant aux critÚres, au poids respectif et à la procédure aux fins
dâapprĂ©cier les besoins pĂ©nologiques du maintien en
dĂ©tention dâun dĂ©tenu condamnĂ© Ă la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. La Cour dâappel a
dĂ©clarĂ© que le pouvoir confĂ©rĂ© par lâarticle 30 devait ĂȘtre interprĂ©tĂ© et
serait interprété en conformité avec la Convention et la jurisprudence de la
Cour. Cependant, la Cour dâappel nâa pas prĂ©cisĂ© ce que serait cette interprĂ©tation.
En fait, elle a donnĂ© un chĂšque en blanc au ministre, et la Cour nây trouve
rien Ă redire dans le prĂ©sent arrĂȘt. Ă lâinstar du juge Atkin
dans son opinion dissidente jointe Ă lâarrĂȘt Liversidge
v Anderson, je conteste lâinterprĂ©tation mise en Ćuvre par la Cour dâappel et
la majorité de la Cour, qui a pour effet concret de donner à un ministre un
pouvoir sans limite sur la liberté des femmes et des hommes.
32. Cette complaisance est Ă©galement
illustrĂ©e par le dĂ©faut dâapplication au niveau interne de lâinterprĂ©tation
actuelle de la Cour dâappel ; le Gouvernement nâa pas pu fournir un seul
exemple depuis lâentrĂ©e en vigueur de lâarticle 30 de la loi de 1997 sur les
peines en matiĂšre criminelle, ou au moins depuis lâarrĂȘt Bieber,
oĂč un individu condamnĂ© Ă une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle aurait Ă©tĂ© libĂ©rĂ© sur
la base de motifs dâordre pĂ©nologique. Le
Gouvernement nâa pas davantage citĂ© une pratique dĂ©montrant que, malgrĂ© ces
lacunes, le systĂšme opĂšre bien en fait dâune maniĂšre conforme Ă la Convention,
en ce qui concerne les garanties procédurales, telles que la divulgation, le
droit de plaidoirie lors dâune audience sur le rĂ©examen de la peine et le droit
dâavoir une motivation pour une dĂ©cision nĂ©gative. Le dĂ©faut de toute affaire
oĂč lâinterprĂ©tation susmentionnĂ©e a Ă©tĂ© appliquĂ©e ne fait que dĂ©montrer que
cette interprétation était, et est toujours, purement virtuelle. En réalité,
lâinterprĂ©tation de la Cour dâappel contredit mĂȘme la politique du Gouvernement
telle quâelle est exposĂ©e noir sur blanc, urbi et orbi, sur les pages web du
gouvernement britannique (« la personne nâest pas susceptible dâĂȘtre libĂ©rĂ©e
»)[69] et du Conseil de détermination des peines (Sentencing
Council), qui est un organe public dépendant du ministÚre de la Justice (« il
[le délinquant] ne sortira jamais de prison »)[70]. En réalité, la pratique des
tribunaux demeure fidĂšle Ă la politique strictement punitive du Gouvernement et
de son Conseil de dĂ©termination des peines, et nâa tenu aucun compte de
lâinterprĂ©tation de la Cour dâappel, ainsi quâil ressort des observations de
Sir John Griffiths Williams sur la peine, dans lâarrĂȘt R v Christopher Halliwell (Crown Court de Bristol, 23 septembre 2016) :
« Jâestime que votre degrĂ©
dâinfraction est exceptionnellement Ă©levĂ© et remplit les critĂšres pour une
peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle, et que les dispositions transitoires nâexigent pas
de moi de vous imposer une peine minimale. Si je devais vous imposer une peine
minimale, elle serait dâune telle durĂ©e que, selon toute probabilitĂ©, vous ne seriez
jamais libĂ©rĂ©. Je vous condamne Ă lâemprisonnement Ă vie et ordonne que ce soit
une peine de perpétuité réelle. »
Ainsi que dans les observations du
juge Wilkie sur la peine, dans lâarrĂȘt R v Thomas
Mair (Central Criminal Court, 23 novembre 2016) :
« Jâai examinĂ© cette affaire avec
minutie mais jâai conclu que cette infraction, comme je lâai dĂ©crite, prĂ©sente
un tel degrĂ© de gravitĂ© exceptionnelle quâelle ne peut ĂȘtre sanctionnĂ©e
convenablement que par une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. Câest la peine que je
vous inflige. DĂšs lors, vous ne serez libĂ©rĂ©, si jamais vous lâĂȘtes, que par le
ministre qui exercera sa grùce exécutive pour des motifs humanitaires pour vous
permettre de mourir chez vous. La décision de savoir si cela se passera ou non
appartiendra à celui qui exercera ses fonctions le moment venu. »
Et aussi dans les observations du juge
Openshaw sur la peine, dans lâarrĂȘt R v Stephen Port
(Central Criminal Court, 25 novembre 2016) :
« Partant, la peine correspondant aux
chefs de meurtre est une peine de réclusion à perpétuité ; je refuse de fixer
une peine minimale, ce qui entraßne une peine de perpétuité réelle et signifie
que le défendeur mourra en prison. »
33. Il convient de mentionner Ă ce
stade que la Grande Chambre elle mĂȘme a admis au paragraphe 65 du prĂ©sent arrĂȘt
que lâinterprĂ©tation de la Cour dâappel nâĂ©tait pas accessible, dans ce qui est
manifestement un euphémisme complaisant par rapport à la réalité[71]. Cette
complaisance va de pair avec le rÎle réduit assigné à la Cour par le paragraphe
63, central, de lâarrĂȘt. Dans ce paragraphe, la majoritĂ© est censĂ©e fournir la
justification ultime pour parvenir Ă un constat de non-violation. Le paragraphe
déçoit le lecteur. Le défaut actuel de clarté et de sécurité dans le cadre
juridique interne est sauvĂ© par lâhypothĂšse gĂ©nĂ©reuse de la Cour selon laquelle
le ministre, en exerçant les pouvoirs que lui confĂšre lâarticle 30, suivra une
politique diffĂ©rente de celle quâil a dĂ©libĂ©rĂ©ment maintenue en vigueur depuis
lâarrĂȘt Vinter et autres.
34. Il est étrange que la majorité
prĂ©tende quâune clarification future du droit sera de nature Ă remĂ©dier au
présent manque de clarté et de sécurité, et donc à la violation qui existe
aujourdâhui, mais il est encore plus Ă©trange de prĂ©sumer que cette clarification
rĂ©sultera de lâadhĂ©sion du ministre Ă la politique souhaitĂ©e par la Cour[72].
Quoi quâil en soit, Ă lâinstar de ce que la juge Kalaydjieva
a dit dans son opinion jointe Ă lâarrĂȘt de la chambre, je ne vois pas quelle
influence le dĂ©veloppement progressif du droit depuis lâarrĂȘt Bieber en 2009 pouvait avoir sur la situation du requĂ©rant
un an auparavant, en 2008, lorsquâil a soumis ses griefs Ă la Cour, ou au
moment de leur examen par la chambre en 2015 et par la Grande Chambre en 2016.
V. Quel avenir pour le systĂšme de la
Convention ? (§§ 35-47)
A. Les conséquences sismiques du
prĂ©sent arrĂȘt pour lâEurope (§§ 35-40)
35. La Cour dâappel a dĂ©clarĂ© quâelle
avait raison dans lâarrĂȘt Bieber et que la Cour avait
tort dans lâarrĂȘt Vinter et autres. Ă prĂ©sent, la Grande
Chambre revient sur son arrĂȘt Vinter et autres,
admettant que la Cour dâappel avait raison et que le droit anglais avait dĂ©jĂ ,
depuis la décision Bieber au moins, un mécanisme de
libération conditionnelle pour les personnes condamnées à perpétuité compatible
avec la Convention. Ce nâest pas un Ă©vĂ©nement isolĂ©. Dans lâarrĂȘt Al-Khawaja et Tahery[73], la Grande
Chambre a admis le principe dĂ©gagĂ© dans lâarrĂȘt Horncastle
de la Cour suprĂȘme, et dans lâarrĂȘt Horncastle c.
Royaume-Uni [74], la chambre a conclu Ă la non-violation de lâarticle 6 malgrĂ©
lâutilisation de tĂ©moignages par ouĂŻ dire ayant conduit Ă la condamnation du
requĂ©rant. AprĂšs le recul dans lâarrĂȘt Al-Khawaja et Tahery quant Ă la question de la condamnation fondĂ©e
uniquement ou de maniÚre déterminante sur un témoignage par ouï-dire[75], la
rĂ©gression dans lâarrĂȘt RMT sur le rĂŽle dâautres sources internationales de
droits dans lâinterprĂ©tation des droits du travail protĂ©gĂ© par la
Convention[76], le renversement de jurisprudence dans lâarrĂȘt Animal Defenders
sur la question de lâinterdiction des publicitĂ©s politiques[77], et la saga
Hirst toujours en cours sur les droits de vote des détenus[78], la Cour est en
pleine crise existentielle. Le scĂ©nario prĂ©-catastrophe sâaggrave encore Ă
prĂ©sent par le regrettable effet de contagion de lâarrĂȘt Hirst sur les
juridictions russes[79].
36. Point nâest besoin dâun grand
effort pour identifier la source de la crise. Elle tient Ă la force
dâattraction de lâargument des « rares occasions » dĂ©veloppĂ© dans lâarrĂȘt Horncastle. Le problĂšme câest que les « rares occasions »
tendent Ă prolifĂ©rer et Ă devenir un exemple Ă suivre pour dâautres. Les
autoritĂ©s nationales de tous les Ătats membres seront tentĂ©es de choisir leurs
propres « rares occasions » lorsquâelles ne seront pas satisfaites par un
certain arrĂȘt ou une certaine dĂ©cision de la Cour afin de sâexonĂ©rer de leurs
obligations internationales de le ou la mettre en Ćuvre, particuliĂšrement
sâagissant de la protection de minoritĂ©s, telles que les dĂ©tenus, les personnes
LGBT, les demandeurs dâasile, les migrants, les Ă©trangers, les Roms et dâautres groupes non-Ă©tatiques qui rĂ©sident dans
les Parties contractantes (comme par exemple le peuple kurde), pour nâen
mentionner que quelques-unes. Il y a toujours une minorité que la majorité est
prompte à traiter comme un bouc émissaire pour tous les maux de la société, en
lui imposant des restrictions et limitations contestables sur lâexercice des
droits et libertés consacrés par la Convention[80].
37. Le risque de manipulation par les
autoritĂ©s nationales dans leurs propres intĂ©rĂȘts devient intolĂ©rablement Ă©levĂ©
lorsquâelles prĂ©tendent nâĂȘtre liĂ©es que par une jurisprudence « claire et
constante » de la Cour de Strasbourg, contestant ainsi lâeffet res interpretata des arrĂȘts de
chambre, voir des arrĂȘts de Grande Chambre, « incongrus », « insolites », ou «
trop gĂ©nĂ©raux ». Le critĂšre des autoritĂ©s internes pour accepter lâautoritĂ© des
arrĂȘts de la Cour devient alors beaucoup plus discrĂ©tionnaire, fondĂ© sur une
frontiĂšre Ă lâĂ©vidence trĂšs fluide entre la jurisprudence claire/pas claire,
constante/non constante, permettant ainsi le rejet de la force contraignante et
interprĂ©tative de tout arrĂȘt de la Cour sur des questions nouvelles ou
polĂ©miques[81]. Comme si le systĂšme de la Convention nâavait pas ses propres
mécanismes internes pour garantir la cohérence, y compris, notamment, le renvoi
Ă la Grande Chambre et la fonction de Jurisconsulte. Comme si toute tentative
par la Cour de naviguer dans des eaux inconnues ou de changer de route devait
se voir accorder un ex post fiat par les autorités internes. Comme si, en
dĂ©finitive, le pouvoir confĂ©rĂ© par lâarticle 19 de la Convention appartenait
aux autorités nationales et non à la Cour.
38. Dans ce contexte, le prĂ©sent arrĂȘt
peut entraßner un séisme pour le systÚme européen de protection des droits de
lâhomme. La dĂ©cision de la majoritĂ© reprĂ©sente un pic dans une tendance
grandissante vers une réduction du rÎle de la Cour par rapport à certaines
juridictions nationales, avec le risque sĂ©rieux dâune application Ă deux
vitesses de la Convention[82]. Si la Cour continue dans cette voie, elle finira
par ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une commission non judiciaire de quarante-sept
experts hautement qualifiés et politiquement légitimés, qui prononcera non pas
des arrĂȘts contraignants, du moins en ce qui concerne certaines Parties
contractantes, mais de simples recommandations sur « ce qui serait souhaitable
» que les autorités internes fassent, et qui agira en qualité de simple
auxiliaire, afin de les « aider » à remplir leurs obligations légales et
internationales[83]. La probabilité de conséquences délétÚres pour tout le
systĂšme europĂ©en de protection des droits de lâhomme est renforcĂ©e par
lâenvironnement politique actuel, qui dĂ©note une hostilitĂ© grandissante envers
la Cour. Ainsi quâun commentateur lâa dit :
« Dans ses cinquante années
dâexistence, la Cour nâa jamais Ă©tĂ© soumise Ă un tel barrage de critiques
hostiles tels que celui en provenance du Royaume-Uni en 2011. Au fil des ans,
certains gouvernements ont dĂ©couvert quâil Ă©tait Ă©lectoralement populaire de
critiquer les juridictions internationales telles que la Cour de Strasbourg :
celles-ci sont des cibles faciles, particuliĂšrement parce quâelles ont
tendance, comme toutes les juridictions, à ne pas répliquer. »[84]
Le juge Mance a confirmé cette
appréciation :
« Jâai entendu dire que, lorsque la
Cour de Strasbourg nâest pas dâaccord avec une dĂ©cision prise contre la France,
le reproche en France est dirigĂ© contre lâinstance française qui a pris la
décision, alors que, au Royaume-Uni, elle serait dirigée contre la Cour de
Strasbourg. »[85]
Le juge Moses est du mĂȘme avis :
« Les critiques de nos juges ont été
dirigĂ©s sur des juges Ă©trangers dâune juridiction internationale (...) On
espĂ©rait quâen augmentant le pouvoir des juges dâinterprĂ©ter et dâappliquer la
Convention pour résoudre les contestations internes des actions des autorités
publiques, le pouvoir des juges à Strasbourg en serait réduit. Quel paradoxe de
voir que les tentatives de diminuer la force de lâinfluence de Strasbourg nâont
fait que renforcer les vocifĂ©rations quant Ă lâinvasion de ce qui est condamnĂ©
comme étant de la jurisprudence étrangÚre ! »[86]
Pour le juge Neuberger,
cette campagne était « exagérée » et « biaisée »[87]. En fait, la rhétorique du
scepticisme vis-Ă -vis de Strasbourg nâest pas vraiment nouvelle[88]. Le
scepticisme facile et superficiel dans lequel tombent les cyniques et les
méprisants, les critiques inconséquentes répandues par les moqueurs ont
toujours existé. Cela reflÚte une attitude profondément ancrée vis-à -vis du
droit international et des juridictions internationales, qui conteste
lâuniversalitĂ© des droits de lâhomme.
39. Le fait est que certaines autorités
nationales ont toujours répugné à apprendre de la Cour, considérant les droits
de lâhomme seulement comme quelque chose pouvant sâexporter et non sâimporter.
Pour le dire avec les mots du juge Hoffmann :
« [L]orsque
nous avons adhéré, en réalité pris les commandes des négociations concernant la
Convention europĂ©enne, ce nâĂ©tait pas parce que nous pensions que cela
affecterait notre propre droit, mais parce que nous pensions que ce serait bien
de constituer un exemple pour dâautres et pour aider Ă garantir que tous les
Ătats membres respectent ces droits fondamentaux de base qui nâĂ©tait pas
culturellement définis mais qui reflétaient notre humanité commune. »[89]
Dans sa Conférence annuelle de 2009
devant le Conseil des études judiciaires, le juge Hoffmann a précisé sa pensée,
sâĂ©levant contre une application uniforme des « droits abstraits » garantis par
la Convention et attaquant en des termes sévÚres « la lacune fondamentale dans
le concept consistant Ă avoir une juridiction internationale des droits de
lâhomme qui sâoccuperait de lâapplication concrĂšte de ces droits dans
diffĂ©rents pays ».[90] Le but avouĂ© consistait Ă mettre en question lâautoritĂ©
de la Cour pour fixer des normes en matiĂšre de droits de lâhomme dans toute
lâEurope. Cette approche cadre parfaitement avec une certaineWeltanschauung
qui a été exprimée par Milton dans son ouvrage intitulé The Doctrine and
Discipline of Divorce dans les termes suivants : « Ne laissons pas lâAngleterre
oublier quâelle est en premiĂšre ligne sâagissant dâapprendre aux nations
comment vivre ».[91]
40. De ce point de vue, la relation
entre le droit national et la Convention est singuliÚrement déséquilibrée :
lâimpact du droit national sur la Convention devrait ĂȘtre maximisĂ© alors que
lâimpact de la Convention sur le droit interne devrait ĂȘtre minimisĂ©, sinon
carrĂ©ment rejetĂ©, sâaccompagnant quelquefois mĂȘme dâun appel explicite pour des
solutions qui sont censĂ©ment « faites maison » et conformes Ă lâhĂ©ritage
juridique de la Grande-Bretagne, et qui permettraient aux personnes dâavoir le
sentiment dâĂȘtre propriĂ©taires de leurs droits. Dans ce contexte, lâargument
tenant Ă la « diversitĂ© des droits de lâhomme » montre son vrai visage de carte
souverainiste, politiquement unidirectionnelle, jouĂ©e dans le cadre de lâimportation
des droits de lâhomme et justifiant le refus de normes « Ă©trangĂšres »,
câest-Ă -dire les normes de la Convention imposĂ©e par une juridiction
internationale. En mĂȘme temps, la carte « diversitĂ© en matiĂšre de droits de
lâhomme » est sciemment minimisĂ©e dans le cadre de lâexportation des droits de
lâhomme et lâimposition, au moyen dâune juridiction internationale, de valeurs
et politiques internes aux autres Parties contractantes. Bien entendu, cela
implique également une compréhension partiale du revers logique de la doctrine
de la « diversitĂ© des droits de lâhomme », câest-Ă -dire la doctrine de la marge
dâapprĂ©ciation[92] : la marge devrait ĂȘtre plus large pour les Ătats qui sont
censĂ©s « constituer un exemple pour les autres » et plus Ă©troite pour les Ătats
qui sont censĂ©s apprendre de lâexemple. Cela ouvre de toute Ă©vidence la porte Ă
certains gouvernements pour satisfaire leur base électorale et protéger leurs
intĂ©rĂȘts favoris. Ă mon humble avis, lĂ nâest pas lâobjet et le but de la
Convention.
B. Argentoratum locutum, iudicium finitum (§§ 41-47)
41. Deux situations différentes
doivent ĂȘtre distinguĂ©es. Lorsque le niveau de protection des droits de lâhomme
au niveau national est plus élevé que celui offert par la Convention, on peut
arguer de maniÚre convaincante que les normes européennes fixées par la Cour
sont superfĂ©tatoires. La Convention elle-mĂȘme le permet (article 53). Rien
nâempĂȘche les autoritĂ©s internes dâaller au-delĂ de la norme fixĂ©e par
Strasbourg en matiĂšre de protection des droits de lâhomme, et pas seulement
pour des questions que la Cour a déclarées relever de la marge nationale
dâapprĂ©ciation[93]. Le « plus grand danger », perçu par le juge Brown, « selon
lequel le tribunal national interpréterait la Convention trop généreusement en
faveur du requĂ©rant plutĂŽt que de lâinterprĂ©ter de maniĂšre trop Ă©troite »[94],
a mal compris cette question : du point de vue de Strasbourg, il nây a jamais
dâinterprĂ©tation interne erronĂ©e « trop gĂ©nĂ©reuse » de la Convention,
simplement parce que les juridictions internes peuvent se tromper par excĂšs de
prudence, mais certainement pas par excÚs de progrÚs. Lorsque les autorités
nationales, y compris les tribunaux, choisissent la voie dâune interprĂ©tation
de la Convention qui est davantage pro persona, cette interprétation est
garantie par lâarticle 53.
42. Ăgalement dâun point de vue
britannique, les réticences de type Ullah[95], selon
lesquelles les juridictions nationales ne devraient pas aller lĂ oĂč Strasbourg
nâest pas encore allĂ©, ou, pour reprendre les mots du juge Brown, devrait faire
« pas moins mais certainement pas plus »[96], semblent infondées, et ce pour
diverses raisons[97]. PremiĂšrement, dans lâarrĂȘt Ullah,
le juge Bingham nâĂ©tait pas concernĂ© par la situation
pour laquelle la Cour de Strasbourg ne sâĂ©tait pas encore prononcĂ©e[98].
DeuxiĂšmement, le manque ou lâinsuffisance de jurisprudence de la Cour de
Strasbourg ne devrait pas ĂȘtre utilisĂ©e pour dissuader les juridictions
nationales de donner plein effet aux droits consacrés par la Convention.
Pareille position agnostique et passive permettrait aux Parties contractantes
de contourner leurs obligations en tant que premiers gestionnaires de la
Convention. La loi sur les droits de lâhomme elle-mĂȘme a Ă©tĂ© conçue pour
permettre aux juges britanniques de « contribuer à cette interprétation
dynamique et Ă©volutive de la Convention »[99], en dâautres termes, au
dĂ©veloppement du droit issu de la Convention sur les droits de lâhomme dans de
nouvelles directions. Il est donc parfaitement juste de prétendre dans ce
contexte que Strasbourg nâest pas « la source inĂ©vitable et ultime de toute
sagesse »[100]. On pourrait dire, en modifiant le jugement déjà modifié du juge
Kerr, « Argentoratum non locutum,
nunc est nobis loquendum â
Strasbourg nâa pas parlĂ©, Ă nous de parler maintenant »[101].
43. Mais lorsque le niveau interne de
la protection des droits de lâhomme est infĂ©rieur Ă celui offert par la Cour,
lorsque lâinterprĂ©tation nationale des droits consacrĂ©s par la Convention est
plus étriquée que celle de Strasbourg, les autorités internes, y compris les
tribunaux, doivent agir en tant que serviteurs fidĂšles des valeurs de la
Convention et reconnaĂźtre la prĂ©pondĂ©rance Ă lâinterprĂ©tation ultime et faisant
autoritĂ© de la Cour (article 19 de la Convention), en rĂ©alitĂ© mĂȘme au-dessus du
parlement, des diffĂ©rents organes exĂ©cutifs et de lâordre judiciaire du
Royaume-Uni. Il ne sâagit pas dâune simple obligation de moyens de trouver
autant que faire se peut la meilleure solution possible pour harmoniser le droit
interne et les normes européennes, ou de rechercher une interprétation conforme
Ă la Convention du droit interne lorsquâune telle interprĂ©tation apparaĂźt
tenable au vu des mĂ©thodes traditionnellement reconnues de lâinterprĂ©tation
lĂ©gale et constitutionnelle. Câest beaucoup plus que cela[102]. Câest une
obligation de rĂ©sultat, de mettre en Ćuvre pleinement et de bonne foi les
arrĂȘts et dĂ©cisions de la Cour ainsi que les principes qui y sont exposĂ©s[103].
MĂȘme si nous traitons de droits au titre dâune loi britannique, en rĂ©alitĂ© les
autoritĂ©s nationales nâont pas le choix, ainsi que le juge Rodger
lâa si brillamment exprimĂ© : « Argentoratum locutum, iudicium finitum â Strasbourg a parlĂ©, lâaffaire est close ».[104]
44. Telle est Ă©galement la
compréhension entérinée au plus haut niveau politique par les représentants des
Parties contractantes dans la déclaration de Brighton : « Toutes les lois et
politiques devraient ĂȘtre conçues et tous les agents publics devraient exercer
leurs responsabilitĂ©s dâune maniĂšre qui donne plein effet Ă la Convention
»[105]. Ou pour reprendre les termes empreints de sagesse du juge Neuberger lorsquâil Ă©voquait la regrettable saga Hirst : «
Nous pouvons penser quâil est inopportun que Strasbourg mette son nez dans les
questions du droit de vote des détenus au motif que la décision en la matiÚre
devrait ĂȘtre laissĂ©e Ă notre parlement ». Mais il a Ă©galement ajoutĂ© : « on
peut penser que cela est un prix modeste à payer pour une Europe civilisée que
dâĂȘtre quelquefois obligĂ©s dâadapter un peu nos lois ».[106] Et cela correspond
certainement Ă la meilleure tradition du droit international du Royaume-Uni,
synthétisée par les termes de la conférence de Grotius en 1949 du professeur Lauterpacht, lorsque celui-ci affirmait :
« La portée indéniablement large du
transfert de souveraineté impliquée par la Cour et la Commission européennes
des droits de lâhomme qui sont envisagĂ©es (...). Car ces propositions
impliquent non seulement le pouvoir, dont seront investies des instances
internationales, dâexaminer et de contrĂŽler des dĂ©cisions judiciaires des plus
hautes juridictions nationales, mais aussi lâautoritĂ© de contrĂŽler des actes
législatifs de parlements souverains. »
Il a poursuivi en indiquant une longue
liste de « questions pouvant ĂȘtre soulevĂ©es en Grande-Bretagne », notamment
lâemprisonnement arbitraire. Il a encore prĂ©cisĂ© plus explicitement les choses
en admettant que:
« Ces possibilitĂ©s doivent ĂȘtre
clairement gardées en mémoire et pleinement rendues publiques au point
dâadmettre que, dans un sens distinct, une part de la souverainetĂ© nationale
sera transférée aux sept personnes composant la Cour européenne des droits de
lâhomme. AprĂšs avoir fait cela â mais seulement aprĂšs â nous pourrons ĂȘtre
libres de dire quâun tel achĂšvement est inĂ©vitable si la proclamation de
lâallĂ©geance aux droits de lâhomme ne doit pas rester lettre morte. »[107].
Ă la mĂȘme occasion, M. Barrington, qui
sâĂ©tait trouvĂ© avec Sir David Maxwell Fyfe dans les
réunions du mouvement européen et dans la rédaction de la Convention européenne
des droits de lâhomme, exprima la position de principe visionnaire de la
délégation britannique :
« Je pense que les gouvernements
répugneront à accepter quoi que ce soit impliquant une renonciation à leur
souveraineté, mais il vous appartient de briser leur répugnance. Toute personne
pouvant soutenir les efforts faits Ă Strasbourg pour porter cette Convention
apportera une contribution importante Ă la cause mondiale des droits de
lâhomme. »[108]
45. En conséquence, les autorités
nationales, y compris les tribunaux, doivent agir dâune façon qui sâaccorde
avec le principe « pacta sunt
servanda » et se conformer à la lettre et aux
principes des arrĂȘts et dĂ©cisions de la Cour, y compris ceux qui sont rendus
contre dâautres Parties contractantes. En tant que premiers gestionnaires de la
Convention, les autorités nationales doivent donc se conformer au dernier mot
de la Cour, Ă qui est confiĂ© le maintien uniforme de « lâinstrument
constitutionnel de lâordre public europĂ©en »[109], dĂšs lors que le niveau
interne de protection des droits de lâhomme est infĂ©rieur Ă celui de la Cour.
46. Ainsi que la juge Hale lâa Ă©crit,
« il nây a aucune raison pour quâun Ătat, une fois quâil sâest engagĂ© Ă
respecter certaines normes minimales, ne puisse sâen dĂ©gager en dĂ©finissant les
termes utilisés de sa propre maniÚre »[110]. Ni la suprématie du Parlement ni
lâindĂ©pendance de lâordre judiciaire ne peuvent ĂȘtre invoquĂ©es pour sâexonĂ©rer
de lâobligation prĂ©vue dans la Convention de mise en Ćuvre des arrĂȘts et dĂ©cisions
de la Cour (article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités). La
Convention « ne fait aucune distinction quant au type de rÚgles ou de mesures
concernĂ©es et nâexclut aucune partie de la « juridiction » des Ătats membres du
contrÎle en vertu de la Convention. »[111]
47. En droit constitutionnel, pas mĂȘme
le cĆur de la Constitution nationale, qui implique des enjeux politiques plus
élevés (tel que les dispositions sur la composition des plus hautes instances
politiques et judiciaires de lâĂtat), ne peut ĂȘtre dĂ©terminant en cas de
conflit avec des obligations internationales découlant de la Convention et de
ses protocoles[112]. Toute autre approche approuvant du bout des lĂšvres les
arrĂȘts et dĂ©cisions de la Cour mais rejetant finalement leur force
contraignante de chose jugée pour les parties et de res
interpretata pour lâensemble des Parties
contractantes violerait le principe « pacta sunt servanda » et le précepte
instrumental de bonne foi (article 26 de la Convention de Vienne sur le droit
des traitĂ©s). En tant que premier prĂ©sident de la Cour, le juge McNair lâa dit : « La mise en Ćuvre des traitĂ©s est soumise
à une obligation primordiale de bonne foi mutuelle »[113]. Soit la Convention
et les arrĂȘts et dĂ©cisions de la Cour sont pleinement et fidĂšlement honorĂ©s,
soit des frictions entre Strasbourg et les autorités nationales deviendront la
norme plutĂŽt que lâexception. Cela se produirait de toute Ă©vidence au dĂ©triment
des personnes physiques et morales qui viennent Ă Strasbourg demander justice
et, finalement, dĂ©terminerait le sort du systĂšme lui-mĂȘme. Le choix entre deux
voies opposĂ©es est Ă prĂ©sent clair pour les gouvernements de toute lâEurope.
Entre la tentation isolationniste et souverainiste et le véritable engagement
en faveur dâune « union plus Ă©troite » entre les Ătats europĂ©ens poursuivant le
« dĂ©veloppement des droits de lâhomme et des libertĂ©s fondamentales »[114], on
attend que les pĂšres fondateurs du systĂšme ne soient pas les architectes de sa
chute et que prĂ©valent le respect de lâhĂ©ritage inspirant de Sir Hersch Lauterpacht et le travail
accompli de Sir David Maxwell Fyfe.
Conclusion (§§ 48-50)
48. Les « grands bénéfices apportés au
droit et Ă un grand nombre de personnes » par la loi sur les droits de lâhomme
sont contestables[115]. Autant que les développements substantiels que la Cour
a initiĂ©s dans un pays dans lequel « lâidĂ©e quâun citoyen soit titulaire de
droits quâil puisse revendiquer contre lâĂtat lui-mĂȘme nous Ă©tait inconnue
».[116] Mais lâarrĂȘt McLoughlin illustre la faiblesse
potentielle du modĂšle de la loi sur les droits de lâhomme, lorsquâune
juridiction interne ne prend pas pleinement en compte la jurisprudence de la
Cour de Strasbourg. La Cour dâappel nâa pas remĂ©diĂ© aux lacunes du droit
interne Ă la suite de lâarrĂȘt Vinter et autres.
49. Si lâarrĂȘt McLoughlin
reprĂ©sente tout ce qui peut ĂȘtre accompli judiciairement pour rĂ©pondre Ă
lâarrĂȘt Vinter et autres, alors, comme lâa dĂ©jĂ admis
la Commission mixte des droits de lâhomme du parlement britannique, un changement
de législation est nécessaire. Comme le juge Nicholls
lâa dĂ©clarĂ© Ă une occasion, « le Parlement ne peut pas avoir eu lâintention de
dire que lâarticle 3 allait exiger des tribunaux de prendre des dĂ©cisions pour
lesquelles ils ne sont pas équipés. Il peut y avoir plusieurs façons de se
conformer Ă la Convention, et ce choix peut impliquer des questions appelant
une délibération législative. »[117]
50. Quoiquâil en soit, en lâespĂšce, la
violation de lâarticle 3 sâest cristallisĂ©e le 6 octobre 2008, date Ă laquelle
la Cour dâappel a dĂ©boutĂ© le requĂ©rant, confirmant la conclusion de la High
Court selon laquelle il nây avait pas de raison de sâĂ©carter de la dĂ©cision du
ministre dâimposer Ă lâintĂ©ressĂ© une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. Au moins
depuis cette date, le requérant a été privé du droit à la liberté
conditionnelle que lui confĂšre lâarticle 3.
Â
Â
OPINION SĂPARĂE DU JUGE SAJĂ
(Traduction)
Ă mon grand regret, je nâai pas pu
suivre lâavis de la majoritĂ©, pour les raisons exposĂ©es par le juge Pinto de Albuquerque
dans son opinion sĂ©parĂ©e. Ă supposer mĂȘme que la notion de « motifs dâhumanitĂ©
» puisse avoir une signification raisonnable pour un juge au Royaume-Uni, cela
ne peut certainement pas offrir à un détenu les indications précises stipulées
dans lâarrĂȘt Murray c. Pays-Bas ([GC], no 10511/10, § 100, CEDH 2016).
________________________________________
[1].
R v McLoughlin, R v Newell, Court of Appeal, Criminal
Division, 18 février 2014 [2014] EWCA Crim 188.
[2]. Vinter
et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH 2013
(extraits).
[3]. Ibidem, §§ 124, 129 et 130.
[4]. Ibidem, §§ 122, 129 et 130. Dans
un souci de clartĂ© terminologique, jâai utilisĂ© le terme anglais « parole »
dans le sens oĂč le Conseil de lâEurope lâemploie, câest-Ă -dire dans lâacception
de libération conditionnelle ou anticipée de détenus condamnés en vertu de
modalitĂ©s post-libĂ©ration individualisĂ©es ; les mesures dâamnistie et de grĂące
ne sont pas comprises dans cette dĂ©finition, comme le ComitĂ© des Ministres lâadmet
dans sa Recommandation Rec(2003)22.
[5].
R. v Bieber (2009), Weekly Law Reports, vol. 1, p.
223, §§ 48 et 49.
[6]. Le manuel sur les peines de durée
indĂ©terminĂ©e figure au chapitre 12 de lâordonnance n° 4700 de lâadministration
pĂ©nitentiaire. La politique officielle est demeurĂ©e inchangĂ©e malgrĂ© lâarrĂȘt
rendu dans lâaffaire Bieber.
[7]. Vinter
et autres, précité, § 129.
[8]. Ibidem, § 129.
[9]. Vinter
et autres, prĂ©citĂ©, § 122 : « le moment oĂč le rĂ©examen de sa peine (âŠ) pourra
ĂȘtre sollicitĂ©. ».
[10]. Murray c. Pays-Bas [GC], no
10511/10, 26 avril 2016.
[11]. Trabelsi
c. Belgique, no 140/10, § 137, CEDH 2014 (extraits)
[12]. LĂĄszlĂł Magyar
c. Hongrie, no 73593/10, § 57, 20 mai 2014.
[13]. Harakchiev
et Tolumov c. Bulgarie, nos 15018/11 et 61199/12, §§ 255,
257 et 262, CEDH 2014 (extraits).
[14]. Murray, précité, § 100.
[15]. Bodein
c. France, no 40014/10, § 61, 13 novembre 2014.
[16]. Curieusement, le paragraphe 45
du prĂ©sent arrĂȘt se rĂ©fĂšre au paragraphe 120 de lâarrĂȘt Vinter
et autres, mais nâĂ©voque pas le paragraphe 100 de lâarrĂȘt Murray.
[17]. Murray, précité, § 100.
[18]. McLoughlin,
précité, § 29.
[19]. Ibidem, § 30.
[20]. Ibidem, § 11.
[21]. Paragraphe 23 de lâarrĂȘt de la
chambre en relation avec les paragraphes 25-36 de la décision McLoughlin.
[22]. Il sâagit dâune expression
utilisée dans McLoughlin, précité, § 37.
[23]. Voir, dans le dictionnaire
Oxford, la définition de la compassion comme étant un « sentiment de pitié empathique
et de sollicitude pour les souffrances ou les malheurs dâautrui », dĂ©rivĂ© du latincompassio (souffrir ensemble).
[24]. Liversidge
v Anderson [1941] UKHL 1.
[25]. Vinter
et autres, précité, § 126.
[26]. Vinter
et autres, précité, § 128.
[27]. Voir, parmi beaucoup dâautres,
Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 58, sĂ©rie A no 22, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 42, Recueil des arrĂȘts et
décisions 1996 III, et Assanidzé c. Géorgie[GC], no
71503/01, § 139, CEDH 2004 II.
[28]. Vinter
et autres, précité, § 119.
[29]. En pratique, rien nâa changĂ©
aprĂšs lâarrĂȘt Vinter, ce que confirment les Ă©tudes de
terrain (Van Zyl Smit et Appleton, « The Paradox of Reform: Life Imprisonment in England and Wales
», dans : Van Zyl Smit and Appleton (éd.), Life Imprisonment and Human Rights, Oxford, 2016, p. 228).
[30]. DĂ©cision McLoughlin,
précitée, § 31.
[31]. Les conditions exhaustives
exposĂ©es dans lâordonnance de lâadministration pĂ©nitentiaire elle-mĂȘme ne
seraient pas suffisantes aux fins de lâarticle 3 (Vinter
et autres, précité, §§ 126, 127, 129).
[32]. Comme cela a été expressément
reconnu par la Commission mixte des droits de lâhomme du Parlement britannique,
dans sa proposition sur cette question, aux points 1.21 1.26.
[33]. DĂ©cision McLoughlin,
précitée, §§ 23 à 25.
[34]. Ibidem, § 29.
[35]. Voir le juge Hoffmann dans
lâaffaire R v Lyons [2002] UKHL 44, § 27 ; les juges Nicholls
et Hoffmann dans lâaffaire In re McKerr
[2004] UKHL 12, §§ 25 et 62-65 ; le juge Bingham dans
lâaffaire R (Al-Skeini and others)
v Secretary of State of Defence
(2007) UKHL 26, § 10 ; le juge Hoffman dans lâaffaire Re
G (Adoption: Unmarried Couple) (2008) UKHL 38, §§
33-35 ; et le juge Neuberger dans lâaffaire R (on the
application of Nicklinson and another)
v Ministry of Justice (2014) UKSC 38, § 74.
[36]. Il est admis que la loi sur les
droits de lâhomme nâa pas modifiĂ© lâĂ©quilibre constitutionnel entre le
parlement, le pouvoir exĂ©cutif et lâordre judiciaire (voir le juge Dyson, âWhat is wrong
with human rights?â, ConfĂ©rence Ă lâUniversitĂ© du Hertfordshire, 3
novembre 2011, citant le rapport de 2006 du service des Affaires
constitutionnelles).
[37].
Voir le juge Reed dans lâaffaire R (Osborn) v
Parole Board (2013) UKSC 61, § 57, et le juge Toulson dans Kennedy v Charity
Commission (Secretary of State for Justice and Others Intervening)(2014) UKSC
20, § 133.
[38]. Voir le juge McCluskey,
Scotland on Sunday, 6 février 2000.
[39]. Voir le juge Dyson, âAre judges too powerful?â,
Bentham Association Presidential Address
2014, 13 March 2014: « Il est tout à fait irréaliste de supposer que le
Parlement pensait que la Convention allait demeurer immuable, telle quâelle
était en 1998. »
[40].
R (Ullah) v Special Adjudicator (2004) UKHL 26, § 20
[41].
McCaughey and Another [2011] UKSC 20, § 91. Voir également la juge Hale, «
Beanstalk or Living Instrument? How tall can the European Convention on Human
Rights grow? », Grayâs Inn Reading 2011, 16 juin
2011.
[42].
Voir le juge Neuberger dans P and Q v. Surrey County Council (2014) UKSC 19, § 62.
[43].
Ghaidan v. Godin-Mendoza
[2004] UKHL 30.
[44]. Voir le juge Nicholls
dans lâaffaire Ghaidan, prĂ©citĂ©e, § 32.
[45].
Voir la juge Hale, « Whatâs
the point of human rights?â »
Warwick Law Lecture 2013, 28 novembre 2013: « Mais dans leurs interventions,
les juges Nicholls, Steyn
et Roger ont également donné une signification trÚs large à ce qui était «
possible » â dĂšs lors quâune interprĂ©tation nâĂ©tait pas contraire au systĂšme ou
aux principes essentiels dâinterprĂ©tation, les mots pouvaient ĂȘtre interprĂ©tĂ©s
de maniĂšre Ă©troite ou large, ou leur signification pouvait ĂȘtre extrapolĂ©e,
pour assurer la compatibilité avec les droits consacrés par la Convention et
aller dans le sens de la lĂ©gislation, mĂȘme si le rĂ©sultat nâĂ©tait pas ce qui
Ă©tait voulu Ă lâĂ©poque. »
[46]. Voir le juge Kerr, « The UK Supreme Court: The Modest Underworker
of Strasbourg? », Clifford Chance Lecture 2012, 25 janvier 2012 : « MĂȘme si
lâon peut nous reprocher dâavoir Ă©tĂ© par le passĂ© excessivement rĂ©vĂ©rencieux
envers la Cour de Strasbourg, des signaux clairs et vigoureux ont été envoyés
récemment pour dire que nous ne le sommes plus. »
[47].
Voir le juge Slynn dans lâaffaire
R (Alconbury Developments Ltd) v. Secretary of State
for the Environment, Transport and the Regions UKHL 23, § 26. Cet extrait a Ă©tĂ© repris par le juge Bingham au fameux paragraphe 20 de lâaffaire Ullah.
[48].
Voir le juge Philips dans lâaffaire R v Horncastle and others (Appellants) (on appeal from the
Court of Appeal Criminal Division) [2009] UKSC 14, § 11.
[49]. Voir le juge Neuberger
dans lâaffaire Manchester City Council v Pinnock
[2010] UKSC 45, § 48.
[50].
R (on the Application of Chester) v Secretary of State for Justice (2013) UKSC
63, § 27.
[51]. Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, CEDH 2005 IX.
[52]. Scoppola c. Italie (no 3)
[GC], no 126/05, 22 mai 2012.
[53].
R (on the Application of Chester) v Secretary of State for Justice (2013) UKSC
63, § 121.
[54]. Pour une référence à la notion
de « circonstances exceptionnelles » quant à un refus de suivre une
jurisprudence claire de la Cour, voir Ă©galement Lord Dyson, ConfĂ©rence Ă
lâUniversitĂ© du Hertfordshire, prĂ©citĂ©e.
[55]. DĂ©cision McLoughlin,
prĂ©citĂ©e, § 30, oĂč est soulignĂ©e la prĂ©tendue mauvaise comprĂ©hension par la
Cour dâun aspect important du droit national.
[56]. Harakchiev
et Tolumov, précité, §§ 258 et 259.
[57]. Trabelsi,
précité, § 137
[58]. Le Gouvernement renvoie Ă une
décision récente de la High Court dans laquelle celle-ci a refusé de suivre
lâarrĂȘt Trabelsi â R (Harkins)
v. Secretary of State for the Home Department [2015] 1 WLR 2975.
[59]. Recommandation Rec(2006)2 du ComitĂ© des Ministres aux Ătats membres sur
les RÚgles pénitentiaires européennes.
[60]. Il est particuliĂšrement
important de garder Ă lâesprit le Statut de Rome parce que le Royaume-Uni en
est une Partie contractante et en a donc accepté les normes.
[61]. Harakchiev
et Tolumov, précité, § 258.
[62]. Čačko
v. Slovakia, no 49905/08, § 43, 22 July 2014.
[63]. Bodein,
précité, § 60.
[64]. Paragraphe 44 de lâarrĂȘt.
[65]. Paragraphe 43 de lâarrĂȘt.
[66]. Paragraphes 51 et 52 de lâarrĂȘt.
[67]. Paragraphes 67 et 69 de lâarrĂȘt.
[68]. Paragraphe 55 de lâarrĂȘt.
[69]. « Types de peines
dâemprisonnement (âŠ) Peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. Une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle
signifie quâil nây a pas de durĂ©e minimale fixĂ©e par le juge, et que la
personne nâest pas susceptible dâĂȘtre libĂ©rĂ©e. »
(https://www.gov.uk/types-of-prison-sentence/life-sentences, DerniĂšre mise Ă
jour: 23 septembre 2016). Jâai consultĂ© le site le 24 novembre 2016.
[70]. « Peine de perpétuité réelle :
Pour les cas les plus graves, un dĂ©linquant peut ĂȘtre condamnĂ© Ă
lâemprisonnement Ă vie au moyen en lui infligeant une peine de perpĂ©tuitĂ©
rĂ©elle. Cela signifie que le crime du dĂ©linquant Ă©tait tellement grave quâil ne
sortira jamais de prison »
(https://www.sentencingcouncil.org.uk/about-sentencing/types-of-sentence/life-sentences/
Au 30 juin 2016, 59 dĂ©linquants purgeaient une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle. Jâai
consulté le site le 24 novembre 2016.
[71]. Alors quâil lui avait Ă©tĂ© spĂ©cifiquement
demandĂ© pourquoi, si lâintention Ă©tait de suivre Vinter
et autres, le manuel sur les peines de durĂ©e indĂ©terminĂ©e nâavait pas Ă©tĂ©
modifiĂ©, le gouvernement dĂ©fendeur nâa donnĂ© aucune rĂ©ponse.
[72]. Au paragraphe 63 de lâarrĂȘt, il
est dit : « (âŠ) lâexercice du pouvoir confĂ©rĂ© par lâarticle 30 doit ĂȘtre guidĂ©
par lâensemble de la jurisprudence pertinente de la Cour (âŠ) ».
[73]. Al-Khawaja
et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et
22228/06, § 147, CEDH 2011.
[74]. Horncastle
et autres c. Royaume-Uni, no 4184/10, 16 décembre 2014.
[75]. Voir lâopinion en partie
dissidente et en partie concordante des juges SajĂł et
Karakaş dans lâarrĂȘt Al-Khawaja
et Tahery, précité.
[76]. Comparer National Union of Rail,
Maritime et Transport Workers c. Royaume-Uni (no
31045/10, CEDH 2014) avec Demir et Baykara ([GC], no 34503/97, CEDH 2008).
[77]. Comparer Animal Defenders
International c. Royaume-Uni ([GC], no 48876/08, CEDH 2013 (extraits)) avec VgT Verein gegen
Tierfabriken c. Suisse (no 24699/94, CEDH 2001 VI).
[78]. Voir la juste appréciation de la
situation par le Commissaire des droits de lâhomme du Conseil de lâEurope, Memorandum to the Joint Committee
on the Draft Voting Eligibility (Prisoners) Bill, CommDH (2013)23, 17 octobre 2013.
[79]. Voir lâarrĂȘt de la chambre de
juillet 2013 dans lâaffaire Anchugov et Gladkov (dans
laquelle la Cour a estimĂ© que lâarticle 32 § 3 de la Constitution russe
relative au droit de vote des détenus était incompatible avec les normes
europĂ©ennes telles quâĂ©noncĂ©es dans lâarrĂȘt Hirst), lâarrĂȘt rendu en juillet
2015 par la Cour constitutionnelle russe concernant la loi fédérale sur
lâaccession de la FĂ©dĂ©ration de Russie Ă la CEDH, la loi russe de dĂ©cembre 2015
sur le pouvoir de la Cour constitutionnelle de déclarer inexécutables les
dĂ©cisions dâinstances internationales (y compris en ce qui concerne
lâindemnisation) si elles contredisent la Constitution russe et, enfin, la
premiĂšre application en avril 2016 de cette loi dans un arrĂȘt de la Cour
constitutionnelle, rendu prĂ©cisĂ©ment dans lâaffaire Anchugov
et Gladkov.
[80]. Voir le commentaire du
Commissaire des droits de lâhomme du Conseil de lâEurope, La non-exĂ©cution des
arrĂȘts de la Cour : une responsabilitĂ© partagĂ©e, 23 aoĂ»t 2016 : « Certains
arrĂȘts peuvent ĂȘtre difficiles Ă exĂ©cuter pour des raisons techniques ou parce
quâils touchent des questions extrĂȘmement sensibles et complexes pour le pays,
ou vont Ă lâencontre de lâavis de la majoritĂ© de la population. Pourtant, le
systĂšme de la Convention se dĂ©lite lorsquâun Ătat membre, puis un deuxiĂšme,
puis un troisiĂšme, dĂ©cident de choisir, parmi les arrĂȘts rendus, ceux quâils
vont mettre en Ćuvre. La non-exĂ©cution est aussi une responsabilitĂ© partagĂ©e et
nous ne pouvons plus fermer les yeux sur ce problÚme. »
[81]. Cela est bien illustré par la
divergence de vues dans lâaffaire Ambrose entre la majoritĂ©, qui a estimĂ© que
la jurisprudence de la Cour de Strasbourg nâĂ©nonçait aucune rĂšgle claire selon
laquelle lâinterrogatoire par la police dâun suspect, sans que celui-ci ne
bĂ©nĂ©ficie de conseils juridiques serait inĂ©quitable sauf sâil est en garde Ă
vue, et le juge Kerr, selon lequel la jurisprudence de la Cour de Strasbourg
Ă©tait suffisamment claire pour que le principe suivant soit reconnu :
lorsquâune personne devient suspecte, les questions qui lui sont ensuite posĂ©es
et qui sont de nature Ă produire des Ă©lĂ©ments Ă charge doivent ĂȘtre prĂ©cĂ©dĂ©es
par une information sur ses droits Ă ĂȘtre reprĂ©sentĂ©e par un avocat, et toute
question posĂ©e Ă un suspect, quâil soit ou non en garde Ă vue, doit lâĂȘtre, si
lâintĂ©ressĂ© le souhaite, en prĂ©sence dâun avocat.
[82]. Voir lâopinion dissidente
commune aux juges Ziemele, SajĂł,
Kalaydjieva, Vučinić
et De Gaetano, jointe Ă lâarrĂȘt Animal Defenders International, prĂ©citĂ© ; voir
Ă©galement lâinterview du prĂ©sident Costa (2007), 5 Droits de lâHomme, pp. 77 et
78, oĂč celui-ci met en garde contre des normes Ă deux, voire trois, vitesses,
et lâarticle du prĂ©sident Spielmann, « Allowing the right margin: the European Court of Human Rights and the national margin of
appreciation doctrine: Waiver
or Subsidiarity of European
Review? », (2011) 14 Cambridge Yearbook
of European Legal Studies, p. 381. Voir Ă©galement mon discours Ă lâuniversitĂ©
de Paris-Sorbonne-Assas, le 20 novembre 2015 : « Réflexions sur le renforcement
de lâobligation des arrĂȘts de la Cour », publiĂ© dans SĂ©bastien Touze (Ă©d.), La
Cour EuropĂ©enne des Droits de lâHomme, Une confiance nĂ©cessaire pour une
autorité renforcée, Paris, Pedone, pp. 217-226.
[83]. Paragraphes 63 et 65 de lâarrĂȘt.
[84]. Michael OâBoyle,
ancien greffier adjoint de la Cour « The Future of the European
Court of Human Rights »,
dans German Law Journal, 12 (2011), 10: 1862-77.
[85].
Voir le juge Mance, « Destruction or metamorphosis of the legal order?
», World Policy Conference, Monaco, 14 décembre 2013.
[86].
Voir le juge Moses, «
Hitting the Balls out of the Court: are Judges Stepping Over the Line? », Creaney Memorial Lecture, 26 février
2014.
[87].
Voir The Guardian, 5 mars 2013 : « Senior judge warns
over deportation of terror suspects to torture states ».
[88]. Pour appuyer cet argument, un
exemple suffit. Ă la suite de lâarrĂȘt McCann c.
Royaume-Uni, les médias se sont exprimés ainsi : « Les ministres affirment
quâils vont ignorer cet arrĂȘt et nâexcluent pas la sanction ultime consistant Ă
se retirer du systÚme de la Convention. Selon une source proche du pouvoir, «
toutes les options restent ouvertes, y compris le retrait ». DâaprĂšs Downing Street, lâarrĂȘt rendu dans lâaffaire dite « de la
mort sur le Rocher » « défie tout sens commun ». Le Vice-premier Ministre
Michael Heseltine lâa qualifiĂ©e de grotesque » (Daily
Mail, 28 septembre 1995).
[89].
Voir le juge Hoffmann, «
Human Rights and the House of Lords », (1999) MLR 159, p. 166.
[90]. Voir le juge Hoffmann, « The Universality of Human Rights », Conférence annuelle devant le Conseil des études
judiciaires, 19 mars 2009.
[91]. John Milton, Selected
Prose, nouvelle edition révisée, éd. Patrides, Columbia, 1985, p. 120.
[92].
Voir, parmi dâautres, associant les deux doctrines, Bernhardt, « Thoughts on the interpretation
of Human-Rights Treaties », dans Matscher
et Petzhold (Ă©ds.),
Protecting Human Rights: the European Dimension. Ătudes
en lâhommeur de GĂ©rard Wiarda, Carl Heymanns, 1988, p.
71.
[93].
Voir le juge Hoffmann dans lâaffaire Re G (Adoption:
Unmarried Couple) 2008 UKHL 38, § 31 ; le juge Brown dans lâaffaire Rabone and Another v. Pennine
Care NHS Trust (2012) UKSC 2, §§ 111 et 112 ; et le juge
Hodge dans lâaffaire Moohan and Another v. The Lord Advocate (2014) UKSC 67, §
13.
[94].
Voir le juge Brown dans lâaffaire R (Al-Skeini and others) v. Secretary of State of Defence, prĂ©citĂ©, § 107.
[95]. Expression employée par le juge
Kerr, juge dissident dans lâaffaire Ambrose v. Harris (Procurator
Fiscal, Oban) (2011) UKSC 43, § 126 ; mais voir le
juge Hope, § 20 : « Il nâappartient pas Ă cette Cour dâĂ©tendre la portĂ©e des
droits issus de la Convention au-delà de ce qui est justifié par la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg. » Le juge Irvine a approuvé cet avis
dans sa conférence intitulée «A British Interpretation
of Convention Rights », Ă lâInstitut judiciaire de
lâUCL, 14 dĂ©cembre 2011. Pour une rĂ©ponse, voir le juge Sales, « Strasbourg
Jurisprudence and the Human Rights
Act: A Response to Lord
Irvine », dans Public Law, Issue, 2, 2012, pp. 253-267.
[96].
Voir le juge Brown dans lâaffaire R (Al-Skeini and others) v. Secretary of State of Defence, prĂ©citĂ©e, § 106.
[97].
Dans la mĂȘme veine, voir Ă©galement
la juge Hale, Warwick Law Lecture 2013, précitée, et Sir Nicholas Bratza,
« The relationship between the UK courts and Strasbourg », (2011) EHRR 505, p.
512.
[98]. Voir le juge Kerr, Clifford
Chance Lecture, précitée.
[99].
The White Paper, Rights Brought Home: The Human Rights Bill, 1997, Cm 3782, §
2.5.
[100]. Pour reprendre les termes
employés par le juge Kerr, Clifford Chance Lecture, précitée.
[101]. Pour reprendre la formulation
du juge Kerr, Clifford Chance Lecture, précitée.
[102]. Le juge Sumption
(avec lequel le juge Hughes est dâaccord) a clairement dit dans R (on the
Application of Chester), prĂ©citĂ©, § 120, que « Lâobligation de droit
international du Royaume-Uni en vertu de lâarticle 46.1 de la Convention va
plus loin que lâarticle 2 § 1 de la loi, mais ce nâest pas lâune des
dispositions à laquelle la loi donne effet. »
[103]. Sur la mise en Ćuvre des
principes exposĂ©s dans les arrĂȘts, voir les commentaires du juge Bingham dans Secretary of State
for the Home Department v. JJ (2007) UKHL 45, § 19 ;
du juge Mance dans Kennedy v. Charity Commission,
précité, § 60 ; et de la juge Hale dans Moohan and Another, précité, § 53.
[104]. Le juge Rodger
fait Ă cet Ă©gard une synthĂšse parfaite dans lâaffaire AF v. Secretary
of State for Home Department and Another
(2009) UKHL 28, § 98 ; voir également le juge Hoffmann, § 70 : « Mais le
Royaume-Uni est tenu par la Convention, en vertu des rĂšgles de droit
international, dâaccepter les dĂ©cisions de la CEDH sur son interprĂ©tation.
Rejeter une telle dĂ©cision reviendrait presque certainement, pour ce pays, Ă
enfreindre une obligation quâil a acceptĂ© en adhĂ©rant Ă la Convention. Je ne
vois aucun avantage pour mes estimés collÚgues juges de faire cela. » Le point
de vue du juge Hoffmann est particuliĂšrement important parce quâil pensait que
« la décision de la CEDH est erronée et pourrait tout à fait détruire le
systĂšme dâordonnances de contrĂŽle, qui reprĂ©sente une partie importante des
défenses de ce pays contre le terrorisme. Néanmoins, je pense que mes estimés
collĂšgues juges nâont dâautre choix que de se soumettre. »
[105]. ConfĂ©rence sur lâavenir de la
Cour europĂ©enne des droits de lâhomme, DĂ©claration de Brighton, paragraphes 7,
9 c) iv et 12b.
[106].
Voir le juge Neuberger, «
Who are the Masters now? », Second Lord Alexander of Weedon
Lecture, 6 avril 2011, § 64.
[107].
Lauterpacht, « The proposed European Court of Human
Rights », dans The Grotius Society, Partie II, Textes lus devant la Société
Grotius en 1949, pp. 37 et 39.
[108]. Ibidem, p. 43. Renvoyant à Sir Lauterpacht, M. Barrington a admis que « nous avons sans
vergogne emprunté de nombreuses idées à son projet de Convention sur les droits
de lâhomme Ă©laborĂ© pour lâAssociation de droit international en 1948. »
[109]. Loizidou
c. Turquie (exceptions préliminaires), 23 mars 1995, § 75, série A no 310 ;
voir Ă©galement lâavis de la Cour sur la rĂ©forme du systĂšme de contrĂŽle de la
Convention, 4 septembre 1992, para. I (5). Voir mon opinion dans Fabris c. France [GC], no 16574/08, CEDH 2013 (extraits),
et lâopinion des juges Pinto de Albuquerque et Dedov
dans Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, CEDH 2016.
[110]. Voir la juge Hale, « Common law and Interpretation: the limits of interpretation », 2011
EHRLR, p. 538.
[111]. Parmi beaucoup dâautres
précédents, Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier
1998, § 29, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1998 I, et, plus rĂ©cemment, Anchugov et Gladkov c. Russie, nos 11157/04 et 15162/05, §
50, 4 juillet 2013.
[112]. Sejdić
et Finci c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 et
34836/06, CEDH 2009; il sâagissait dans cette affaire dâun conflit entre les
dispositions constitutionnelles relatives Ă la composition des plus hauts
instances politiques de lâĂtat et les normes europĂ©ennes; voir aussi , plus
récemment, Baka c. Hongrie [GC], précité, qui portait
sur un conflit entre les dispositions constitutionnelles relatives Ă la
composition de la Cour suprĂȘme de Hongrie et la Convention.
[113].
McNair, The Law of Treaties, 2e Ă©dition, Oxford,
1961, p. 465.
[114]. Il sâagit des termes
apparaissant dans le Préambule à la Convention.
[115]. Voir la juge Hale dans The
Guardian, 14 mars 2013, « Les juges regretteront lâabrogation de la loi sur les
droits de lâhomme, prĂ©vient la juge Hale ».
[116]. Voir la juge Hale, Warwick Law
Lecture 2013, précitée.
[117]. Voir le juge Nicholls dans Ghaidan, précité, §
33. Le juge Neuberger a été encore plus incisif : «
Il reste que lorsque Strasbourg parle, câest en dĂ©finitive au Parlement
dâexaminer quelle action il convient de prendre » (« Who
are the Masters now? », précité, § 67).