Corte europea dei diritti dell’uomo
(Seconda Sezione)
16 luglio 2009
AFFAIRE
SULEJMANOVIC c. ITALIE
(Requête no 22635/03)
ARRÊT
STRASBOURG
06/11/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire
Sulejmanovic c. Italie,
La Cour
européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre
composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière
adjointe de section,
Après en
avoir délibéré en chambre du conseil le 16 juin 2009,
Rend l’arrêt
que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire
se trouve une requête (no 22635/03) dirigée contre la République
italienne et dont un ressortissant de la Bosnie-Herzégovine, M. Izet
Sulejmanovic (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 juillet
2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est
représenté par Mes N. Paoletti et A. Mari, avocats à Rome. Le
gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son
agente, Mme E. Spatafora, et par son coagent,
M. F. Crisafulli.
3. Le requérant allègue
que les conditions de sa détention étaient contraires à l’article 3 de la
Convention.
4. Le 5 novembre 2007,
la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au
Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention,
il a en outre été décidé que la chambre
se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de
l’affaire.
EN FAIT
5. Le requérant est né
en 1973. Son lieu de résidence n’est pas connu.
I. LES
CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. L’arrestation
du requérant
6. Il ressort d’une décision
(provvedimento di esecuzione di pene
concorrenti) du 27 mai 2002 du parquet de Cagliari qu’entre 1992 et 1998 le
requérant avait été condamné à plusieurs reprises pour vol aggravé, tentative
de vol, recel et faux en écritures. Il devait purger une peine de deux ans,
cinq mois et cinq jours d’emprisonnement en exécution de ces condamnations. Le
8 mai 2003, le tribunal de Cagliari, agissant en tant que juge de l’exécution,
fixa la peine que le requérant devait purger à un an, neuf mois et cinq jours d’emprisonnement.
7. Le 30 novembre 2002,
le requérant et sa famille se présentèrent au bureau des étrangers de la
préfecture (Questura) de Rome afin d’obtenir
un permis de séjour. Le requérant fut arrêté et incarcéré au pénitencier de Rebibbia,
à Rome.
B. Les
conditions de détention du requérant
8. En juillet 2003,
1 560 personnes étaient détenues dans cet établissement qui, selon le
requérant, était prévu pour en accueillir 1 188. L’intéressé fut placé dans
différentes cellules d’une superficie de 16,20 mètres carrés (m2)
chacune, auxquelles était annexé un local sanitaire de 5,04 m2.
9. Il affirme avoir, jusqu’au
15 avril 2003, partagé sa cellule avec cinq autres personnes, chaque détenu disposant
d’une superficie moyenne de 2,70 m2.
10. Du 15 avril au 20
octobre 2003, il fut placé dans une autre cellule, qu’il partagea avec quatre
autres personnes au maximum, chaque détenu disposant en moyenne d’une surface
de 3,40 m2.
11. Le requérant rapporte
que le déroulement de ses journées en prison était le suivant :
– de
18 heures à 8 h 30 : fermeture de la cellule ;
– 6
h 30 : distribution du petit déjeuner, que les détenus consommaient, comme
tous les autres repas, dans leur cellule, étant donné l’absence d’un local
destiné à la restauration ;
– 8
h 30 : ouverture de la cellule avec possibilité de sortie dans la cour du
pénitencier ;
– 10
heures : distribution du déjeuner ;
– 10
h 30 : fermeture de la cellule ;
– 13
heures : ouverture de la cellule avec possibilité de sortie dans la cour
du pénitencier ;
– 14
h 30 : fermeture de la cellule ;
– 16
heures : ouverture de la cellule avec possibilité de circulation dans le
couloir ;
– 17
h 30 : distribution du repas du soir.
12. Il ressort de ce
planning que le requérant restait enfermé quotidiennement dans sa cellule
pendant dix-huit heures et trente minutes, auxquelles s’ajoutait une heure de
consommation des repas. Il pouvait donc sortir de sa cellule pendant quatre heures
et trente minutes par jour.
13. Le requérant demanda
en vain à deux reprises à travailler en prison. Il fournit des statistiques
officielles datées de décembre 2002, selon lesquelles seuls 24,20 % des
détenus étaient autorisés à travailler en prison.
14. Le 20 octobre 2003,
le requérant, qui avait bénéficié d’une remise de peine, fut libéré.
C. Les
documents produits par le Gouvernement
15. A la demande de la
Cour, le Gouvernement a produit le 4 juillet 2008 une série de documents
relatifs à la vie carcérale au pénitencier de Rebibbia, à Rome.
16. Il ressort d’un ordre
de service no 118 du 4 décembre 2000 que les horaires des sections G9,
G11 et G12, destinées aux détenus ordinaires, parmi lesquels le requérant,
étaient les suivants :
« 7 heures :
ouverture des portes blindées.
8 h 30 – 11 heures :
promenade dans la cour.
Il est possible d’accéder
à la cour jusqu’à 9 h 30.
A 11 heures, tous les
détenus doivent se trouver dans leurs cellules respectives afin de permettre la
fermeture rapide des portes.
11 heures – 13 heures :
déjeuner dans les cellules, portes fermées.
13 heures – 15 heures :
promenade dans la cour.
Il est possible d’accéder
à la cour jusqu’à 13 h 30.
A 15 heures, tous les
détenus doivent se trouver dans leurs cellules respectives afin de permettre la
fermeture rapide des portes.
15 heures – 16 heures :
les détenus restent dans leurs cellules, portes fermées.
16 heures – 18 heures :
ouverture des cellules pour permettre l’accès aux douches, l’échange de
nourriture autorisée pour la préparation du dîner et l’accès à la salle de
tennis de table, où il est possible de rester jusqu’à 18 h 50 (la porte étant fermée
de 18 heures à 18 h 50).
18 h 50 – 20 h 20 :
moments de convivialité dans les cellules avec fermeture des portes pour le
dîner.
20 h 20 : retour
dans les cellules respectives et fermeture des portes.
23 heures :
fermeture des portes blindées. »
17. Il ressort d’un autre
document qu’avant le 5 avril 2003, le requérant avait été assigné à des
cellules différentes, qu’il avait partagées avec une ou deux autres
personnes ; à partir du 17 janvier 2003, il avait été assigné à la cellule
no 11, située au rez-de-chaussée B, et l’avait partagée avec cinq
autres détenus. Entre le 5 avril 2003 et la date de remise en liberté, le
nombre des détenus ayant partagé cette cellule avec l’intéressé a varié comme
suit :
– du 5 avril au 23 mai 2003 : quatre ;
– du 26 mai au 5 juillet 2003 : deux ;
– du 10 juillet au 1er octobre 2003 :
trois ;
– du 9 au 20 octobre 2003 : deux.
18. Entre octobre 2002 et
novembre 2003, le nombre des personnes détenues au pénitencier de Rome-Rebibbia
était compris entre 1 456 et 1 660. Selon un décret du ministre de la
Justice du 6 septembre 1990, ce pénitencier était prévu pour héberger
1 271 prisonniers.
II. LE
DROIT INTERNE PERTINENT
19. L’article 6 de la loi
no 354 du 26 juillet 1975 (dite loi sur l’administration
pénitentiaire), se lit comme suit :
« Les locaux
dans lesquels se déroule la vie des détenus doivent être suffisamment grands, et
éclairés par la lumière naturelle ou artificielle de manière à permettre le
travail et la lecture ; [ils doivent être] aérés, chauffés lorsque les
conditions climatiques l’exigent et équipés de services sanitaires privés,
décents et de type rationnel. [Ils] doivent être maintenus en bon état d’entretien
et de propreté. Les locaux où les prisonniers passent la nuit sont des cellules
individuelles ou collectives.
Un soin particulier doit
présider au choix des personnes qui seront placées dans des cellules
collectives.
Les personnes en
détention provisoire doivent pouvoir bénéficier d’un séjour en cellule
individuelle à moins que la situation particulière du pénitencier ne le
permette pas.
Chaque détenu (...)
dispose du nécessaire pour son lit. »
20. Les articles 6 et 7
du décret présidentiel no 230 du 30 juin 2000 sont ainsi
libellés :
Article 6
« 1. Les
locaux où se déroule la vie des détenus (...) doivent être adéquats du point de
vue de l’hygiène.
2. Les
fenêtres des cellules doivent permettre le passage direct de la lumière et de l’air
naturels. Les écrans empêchant un tel passage sont interdits. Ce n’est que dans
des cas exceptionnels et pour des raisons avérées de sûreté que pourront être
utilisés des écrans qui ne soient pas placés au contact des murs de l’édifice
[et] qui permettent dans tous les cas un passage direct suffisant d’air et de
lumière.
3. Des
interrupteurs pour l’éclairage artificiel des cellules et pour le
fonctionnement des appareils de radio et de télévision doivent être prévus, à l’extérieur,
pour le personnel, à l’intérieur, pour les détenus (...) Le personnel, en
utilisant les interrupteurs extérieurs, peut exclure le fonctionnement des
[interrupteurs] intérieurs, lorsque l’utilisation de ces derniers est
préjudiciable à une vie commune ordonnée des détenus (...)
4. Pour
les contrôles nocturnes du personnel, l’éclairage doit être d’une intensité
réduite.
5. Les
détenus (...) dont la condition physique et psychique le permet se chargent eux-mêmes
du nettoyage de leurs cellules et des sanitaires attenants. A cette fin, des
moyens adéquats sont mis à leur disposition.
6. Pour le
nettoyage des cellules dans lesquelles se trouvent des personnes ne pouvant pas
s’en charger, l’administration fait appel au travail rémunéré d’autres détenus
(...)
7. Des sections
pour fumeurs sont créées lorsque la logistique le permet. »
Article 7
« 1. Les
toilettes sont placées dans un local attenant à la cellule.
2. Les
locaux où sont placées les toilettes sont équipés en eau courante, chaude et
froide, et dotés de lavabos, de douches et, notamment dans les prisons ou
sections pour femmes, de bidets, pour répondre aux exigences en matière d’hygiène
des détenus (...)
3. Des
toilettes, lavabos et douches en nombre adéquat doivent en outre être placés à
proximité des locaux et des lieux où se déroulent les activités
communes. »
III. TEXTES
INTERNATIONAUX PERTINENTS
21. La deuxième partie de la Recommandation Rec(2006)2 du
Comité des Ministres aux Etats membres sur les règles pénitentiaires européennes
(adoptée le 11 janvier 2006, lors de la 952e réunion des Délégués
des Ministres) est dédiée aux conditions de détention. Dans ses passages
pertinents en l’espèce, elle se lit comme suit :
« 18.1 Les
locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des
détenus pendant la nuit, doivent satisfaire aux exigences de respect de la
dignité humaine et, dans la mesure du possible, de la vie privée, et répondre
aux conditions minimales requises en matière de santé et d’hygiène, compte tenu
des conditions climatiques, notamment en ce qui concerne l’espace au sol, le
volume d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aération.
18.2 Dans
tous les bâtiments où des détenus sont appelés à vivre, à travailler ou à se
réunir :
a. les fenêtres doivent être
suffisamment grandes pour que les détenus puissent lire et travailler à la
lumière naturelle dans des conditions normales, et pour permettre l’entrée d’air
frais, sauf s’il existe un système de climatisation approprié ;
b. la lumière artificielle doit
être conforme aux normes techniques reconnues en la matière ; et
c. un système d’alarme doit
permettre aux détenus de contacter le personnel immédiatement.
18.3 Le
droit interne doit définir les conditions minimales requises concernant les
points répertoriés aux paragraphes 1 et 2.
18.4 Le
droit interne doit prévoir des mécanismes garantissant que le respect de ces
conditions minimales ne soit pas atteint à la suite du surpeuplement carcéral.
18.5 Chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans
une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour
lui qu’il cohabite avec d’autres détenus.
18.6 Une
cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif
et doit être occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter.
18.7 Dans
la mesure du possible, les détenus doivent pouvoir choisir avant d’être
contraints de partager une cellule pendant la nuit.
18.8 La
décision de placer un détenu dans une prison ou une partie de prison
particulière doit tenir compte de la nécessité de séparer :
a. les prévenus des détenus
condamnés ;
b. les détenus de sexe masculin
des détenus de sexe féminin ; et
c. les jeunes détenus adultes des
détenus plus âgés.
18.9 Il
peut être dérogé aux dispositions du paragraphe 8 en matière de séparation des
détenus afin de permettre à ces derniers de participer ensemble à des activités
organisées. Cependant les groupes visés doivent toujours être séparés la nuit,
à moins que les intéressés ne consentent à cohabiter et que les autorités
pénitentiaires estiment que cette mesure s’inscrit dans l’intérêt de tous les
détenus concernés.
18.10 Les
conditions de logement des détenus doivent satisfaire aux mesures de sécurité
les moins restrictives possible et compatibles avec le risque que les
intéressés s’évadent, se blessent ou blessent d’autres personnes. »
EN DROIT
I. SUR LA
VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
22. Le
requérant considère que les conditions de sa détention ont été contraires à l’article
3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut
être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants. »
23. Le Gouvernement combat
cette thèse.
A. Sur
la recevabilité
24. La Cour constate que
ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la
Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur
le fond
1. Arguments
des parties
a) Le
requérant
25. Le requérant allègue
que, selon le Comité européen pour la prévention de la torture et des
traitements inhumains et dégradants (CPT), chaque détenu devrait pouvoir passer
au moins huit heures par jour en dehors de sa cellule, et que l’espace
disponible par détenu dans les cellules devrait être de 7 m2,
avec une distance de 2 mètres entre les murs et de 2,50 mètres entre le
sol et le plafond.
26. Il reconnaît que le
CPT a seulement présenté les normes mentionnées ci-dessus comme « souhaitables »,
mais il souligne que la Cour a plus d’une fois fait référence aux paramètres du
CPT dans sa jurisprudence (voir, notamment, Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, CEDH 2002-VI).
27. D’après le requérant, le
Gouvernement lui-même admet que le problème de la surpopulation des prisons,
dénoncé par le CPT en 1992, s’est aggravé. L’intéressé ajoute que si le CPT n’a
plus effectué de visite au pénitencier de Rome-Rebibbia depuis 1992, cela ne
signifie pas que cet établissement ait été évalué de manière positive. Il
affirme également qu’aucun obstacle d’ordre économique ou social ne saurait
justifier une méconnaissance des principes inscrits à l’article 3 de la
Convention.
28. Le requérant soutient
ensuite qu’il a été contraint de partager sa cellule – prévue pour deux détenus
– avec cinq autres personnes pendant dix-neuf heures et demie par jour. Il
précise que sa condition d’homme jeune et en bonne santé ne saurait exclure l’existence
d’une violation de l’article 3.
29. Il soutient en outre
que les souffrances qu’il a subies ont été aggravées par le fait qu’il n’a pas
bénéficié de la possibilité de travailler en prison, ce qui méconnaîtrait les
règles pénitentiaires européennes approuvées par le Conseil de l’Europe, et les
articles 15 et 20 de la loi no 354 de 1975 garantissant le
droit au travail en prison en dehors des cas d’impossibilité objective.
b) Le
Gouvernement
30. Le Gouvernement
observe d’abord que le requérant a été privé de sa liberté pour une période
totale de dix mois et vingt jours et considère qu’il appartient à l’intéressé
de prouver que les traitements dont il se plaint ont atteint le seuil de
gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention.
31. Il relève ensuite que,
pour étayer ses thèses, le requérant s’est appuyé sur les critères dégagés par
le CPT. Or le deuxième rapport de cet organe, daté de 1991, cité par le
requérant, indiquerait pour les dimensions des cellules les paramètres
simplement souhaitables, et non des normes minimales. Pour le Gouvernement, le
non-respect de ces paramètres n’est donc pas, en tant que tel, constitutif d’une
violation de l’article 3 de la Convention.
32. Le Gouvernement
reconnaît que la Cour a souvent utilisé les rapports du CPT comme des indicateurs
utiles, mais il soutient que les critères du CPT sont plus stricts et plus
exigeants que ceux de la Cour. Il en irait de même pour les instruments
internationaux en matière de règles de détention. Par ailleurs, la Cour n’aurait
parfois pas aligné son jugement sur les recommandations du CPT, même lorsque
celles-ci concernaient directement la situation du requérant (voir, par
exemple, Öcalan c. Turquie [GC], no
46221/99, CEDH 2005-IV).
33. En ce qui concerne l’Italie,
le Gouvernement indique que le CPT a effectué, entre 1992 et 2006, six visites.
Seule la première aurait concerné le pénitencier de Rebibbia à Rome et elle n’aurait
débouché que sur des remarques et recommandations marginales, l’ensemble des
conditions de détention ayant été jugées acceptables. Aucune visite de suivi n’aurait
été estimée utile.
34. Certes, la
surpopulation carcérale dont le CPT avait fait le constat se serait accentuée,
mais sans pour autant atteindre le niveau critique requis pour faire entrer en
jeu l’article 3. De plus, les autorités auraient déployé des efforts pour
remédier au problème, par exemple en adoptant les lois sur la remise de
certaines peines, dont le requérant aurait d’ailleurs bénéficié.
35. Le Gouvernement note en
outre que le requérant, un homme jeune et en bonne santé, aurait passé en
prison une période relativement courte. Il ne se plaindrait pas d’avoir été
isolé ni d’avoir été soumis à des coups ni d’avoir subi des entraves à sa
correspondance, aux visites des membres de sa famille ou à l’accès aux soins
médicaux. Il ne prétendrait pas non plus que les mauvais traitements qu’il
allègue aient provoqué des conséquences durables.
36. Afin de satisfaire la
demande du requérant portant sur la possibilité de travailler en prison, les
autorités auraient été contraintes de prendre des mesures d’organisation ;
cependant, la brièveté séjour de l’intéressé au pénitencier de Rome n’aurait
pas permis de trouver une solution adéquate.
37. Le Gouvernement affirme
de surcroît que, si l’on compare les circonstances de la présente espèce avec d’autres
affaires similaires (Mathew c. Pays-Bas,
no 24919/03, 29 septembre 2005 ; Poltoratski c. Ukraine, no
38812/97, CEDH 2003-V ; Kalachnikov, précité ; Papon c. France (déc.), no 64666/01,
CEDH 2001-VI ; Peers
c. Grèce, no 28524/95,
CEDH 2001-III, et Dougoz c. Grèce, no
40907/98, CEDH 2001-II), on ne peut que parvenir à la conclusion selon laquelle,
même cumulés entre eux, les désagréments dénoncés n’ont pas constitué un
traitement inhumain ou dégradant.
38. Il
ajoute enfin que la Cour a par ailleurs reconnu la compatibilité avec l’article
3 de la Convention du régime spécial de détention prévu par l’article 41bis de la loi sur l’administration
pénitentiaire, qui impose des conditions carcérales bien plus sévères que
celles dénoncées par le requérant (voir, notamment, Gallico c. Italie, no 53723/00, 28 juin 2005, et Viola c. Italie, no 8316/02,
29 juin 2006, deux affaires dans lesquelles le régime spécial avait été
appliqué respectivement pendant plus de douze ans et treize ans).
2. Appréciation
de la Cour
a) Principes
généraux
39. La Cour rappelle que
l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs fondamentales des
sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les peines
ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les agissements de la
personne concernée (Saadi c. Italie
[GC], no 37201/06, § 127, 28 février 2008, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119,
CEDH 2000-IV). Il impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu
dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine,
que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une
détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de
souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de
l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de
manière adéquate (Kudła c. Pologne
[GC], no 30210/96, § 92-94, CEDH 2000-XI).
40. La Cour rappelle
également que le CPT a fixé à 7 m2 par personne la surface minimum
souhaitable pour une cellule de détention (voir le deuxième rapport général –
CPT/Inf (92) 3, § 43) et qu’une surpopulation carcérale grave pose en soi un
problème sous l’angle de l’article 3 de la Convention (Kalachnikov, précité, § 97). Cependant, la Cour
ne saurait donner la mesure, de manière précise et définitive, de l’espace
personnel qui doit être octroyé à chaque détenu aux termes de la Convention, cette
question pouvant dépendre de nombreux facteurs, tels que la durée de la
privation de liberté, les possibilités d’accès à la promenade en plein air ou
la condition mentale et physique du prisonnier (Trepachkine
c. Russie, no 36898/03,
§ 92, 19 juillet 2007).
41. Il n’en
demeure pas moins que dans certains cas le manque d’espace personnel pour les
détenus était tellement flagrant qu’il justifiait, à lui seul, le constat de
violation de l’article 3. Dans ces cas, en principe, les requérants disposaient
individuellement de moins de 3 m² (Aleksandr Makarov c. Russie, no 15217/07, §
93, 12 mars 2009 ; voir également Lind
c. Russie, no 25664/05, § 59, 6 décembre
2007 ; Kantyrev c. Russie,
no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007 ; Andreï Frolov c. Russie, no 205/02,
§§ 47-49, 29 mars 2007 ; Labzov
c. Russie, no 62208/00, § 44, 16 juin 2005,
et Mayzit c. Russie, no 63378/00,
§ 40, 20 janvier 2005).
42. En
revanche, dans des affaires où la surpopulation n’était pas importante au point
de soulever à elle seule un problème sous l’angle de l’article 3, la Cour a
noté que d’autres aspects des conditions de détention étaient à prendre en
compte dans l’examen du respect de cette disposition. Parmi ces éléments
figurent la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération
disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage
et le respect des exigences sanitaires de base (voir également les éléments
ressortant des règles pénitentiaires européennes adoptées par le Comité des
Ministres, citées au paragraphe 21 ci-dessus). Aussi, même dans des affaires où
chaque détenu disposait de 3 à 4 m², la Cour a conclu à la violation de l’article 3
dès lors que le manque d’espace s’accompagnait d’un manque de ventilation et de
lumière (Moisseiev c. Russie, no 62936/00, 9 octobre
2008 ; voir également Vlassov
c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008 ; Babouchkine c. Russie, no 67253/01,
§ 44, 18 octobre 2007 ; Trepachkine,
précité, et Peers, précité, §§ 70-72).
b) Application de ces principes à la
présente espèce
43. En l’espèce,
le requérant affirme avoir été détenu, du 30 novembre 2002 à avril 2003, dans
une cellule de 16,20 m² partagée avec cinq autres personnes. Selon les
documents produits par le Gouvernement (paragraphe 17 ci-dessus), la
cellule assignée au requérant n’avait été occupée par six prisonniers qu’à
partir du 17 janvier 2003. La Cour observe que, même à supposer que tel eût été
le cas, il n’en demeure pas moins que pendant une période de plus de deux mois
et demi chaque détenu ne disposait que de 2,70 m² en moyenne. Elle estime qu’une
telle situation n’a pu que provoquer des désagréments et des inconvénients
quotidiens pour le requérant, obligé de vivre dans un espace très exigu, bien
inférieur à la surface minimum estimée souhaitable par le CPT. Aux yeux de la
Cour, le manque flagrant d’espace personnel dont le requérant a souffert est,
en soi, constitutif d’un traitement inhumain ou dégradant.
44. Il s’ensuit
qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions dans
lesquelles le requérant a été détenu jusqu’en avril 2003.
45. Il en
va autrement pour la période ultérieure. En effet, selon les documents fournis
par le Gouvernement, et non contestés par le requérant, à partir d’avril 2003 l’intéressé
a été transféré dans une autre cellule, qu’il a d’abord partagé avec quatre
autres personnes, puis, à partir du 26 mai 2003, avec trois autres ou deux
autres détenus. Il s’ensuit que jusqu’à sa remise en liberté le requérant a disposé,
respectivement, de 3,24 m2, 4,05 m2 et 5,40 m².
Sa situation a donc connu une nette amélioration.
46. La
Cour ne sous-estime pas les répercussions graves que la surpopulation carcérale
peut avoir sur les droits des détenus, y compris le droit à ne pas être soumis
à des traitements inhumains et dégradants. Elle note qu’un problème de
surpopulation subsistait sans doute dans le pénitencier de Rome-Rebibbia à l’époque
de la privation de liberté du requérant. En effet, entre octobre 2002 et
novembre 2003, cet établissement, qui, selon les documents officiels produits
par le Gouvernement, était prévu pour héberger 1 271 prisonniers – et non
1 188, comme l’a affirmé le requérant –, a abrité un nombre de détenus
compris entre 1 456 et 1 660. Cette situation est certes fort
regrettable ; il n’en demeure pas moins que la capacité d’accueil maximale
n’a été dépassée, dans la période incriminée, que de 14,50 % à 30 %,
ce qui semble indiquer que le problème de la surpopulation n’avait pas, à l’époque
en cause, atteint des proportions dramatiques.
47. La
Cour note également que le requérant n’a dénoncé aucun problème relatif au
chauffage ou à l’accès et à la qualité des services sanitaires, et qu’un local sanitaire
d’environ 5 m² était attenant à sa cellule. L’intéressé n’a pas non plus indiqué
avec précision les répercussions que les conditions auxquelles il a été soumis ont
eues sur son état de santé physique, se bornant, dans ses demandes de
satisfaction équitable (paragraphe 54 ci-après), à affirmer avoir été « gravement atteint
dans son intégrité physique et psychique ».
48. Pour
ce qui est de la possibilité de se promener en plein air, il ressort de l’ordre
de service no 118 du 4 décembre 2000 que, dans le pénitencier de
Rome-Rebibbia, les détenus avaient la possibilité de se rendre dans la cour de
promenade de 8 h 30 à 11 heures et de 13 heures à 15 heures, c’est-à-dire
pendant quatre heures et trente minutes par jour. De plus, de 16 heures à 18 heures,
ils étaient autorisés à sortir de leurs cellules pour accéder aux douches et à
la salle de tennis de table et pour acheter de la nourriture. Ils pouvaient se
tenir dans la salle de tennis de table jusqu’à 18 h 50, et entre 18 h
50 et 20 h 20 ils avaient la possibilité de consommer leur dîner dans des
cellules autres que la leur. Au total, le temps qu’un détenu pouvait passer en
dehors de sa cellule était donc de huit heures et cinquante minutes.
49. Par
conséquent, la Cour considère que le requérant a bénéficié d’un accès suffisant
à la lumière et l’air naturels et à des moments de loisirs et de convivialité avec
des détenus autres que ceux qui se trouvaient dans sa cellule.
50. Enfin,
il est certes regrettable que le requérant n’ait pas pu être autorisé à
travailler en prison ; cependant, cette circonstance à elle seule ne
saurait constituer un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.
51. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime
que, pour la période où
le requérant disposait de plus de 3 m² d’espace personnel – et où la
surpopulation carcérale n’était donc pas importante au point de soulever à elle
seule un problème sous l’angle de l’article 3 –, le traitement dont l’intéressé a fait l’objet n’a pas atteint le niveau minimum de
gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention.
52. Dès lors, les
conditions de détention du requérant après avril 2003 n’ont pas entraîné de violation de cette
disposition.
II. SUR L’APPLICATION
DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
53. Aux termes de l’article
41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il
y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne
de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les
conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a
lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
54. Alléguant avoir été
« gravement atteint dans son intégrité physique et psychique » à
raison des conditions de sa détention, le requérant réclame pour préjudice
moral une somme d’un montant au moins égal à 15 000 euros (EUR).
55. Le Gouvernement considère
cette somme comme étant « manifestement exorbitante ». Il souligne
que l’intéressé a été libéré avant d’avoir purgé entièrement sa peine en vertu
d’une loi visant à pallier le surpeuplement carcéral et prie la Cour de dire
que le simple constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable
suffisante. A titre subsidiaire, il considère que la somme à octroyer au
requérant ne devrait pas dépasser 3 000 EUR.
56. La Cour estime que le
requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article
41 de la Convention, elle lui octroie 1 000 EUR au titre du dommage
moral.
B. Frais
et dépens
57. Le requérant demande
également 4 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
58. Le Gouvernement observe
que le requérant n’a fourni aucune pièce justificative et qu’il n’a nullement
étayé sa demande, et suggère le rejet de celle-ci.
59. Selon la
jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses
frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur
nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, le requérant n’a
produit aucune pièce justificative à l’appui de sa demande de remboursement. La
Cour décide par conséquent de la rejeter.
C. Intérêts
moratoires
60. La Cour juge
approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de
la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à la majorité, la requête
recevable ;
2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y
a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des
conditions de détention du requérant jusqu’en avril 2003 ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu
violation de l’article 3 de la Convention au regard des conditions de
détention du requérant après avril 2003 ;
4. Dit, par cinq voix contre deux,
a) que
l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du
jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2
de la Convention, 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être
dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à
compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront
à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette, à l’unanimité, la demande de
satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en
français, puis communiqué par écrit le 16 juillet 2009, en application de
l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Françoise
Tulkens
Greffière adjointe Présidente
Au
présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention
et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion
concordante du juge Sajó ;
– opinion
dissidente du juge Zagrebelsky, à laquelle se rallie la juge Jočienė.
F.T.
F.E.P.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE SAJÓ
(Traduction)
Je souscris
à la conclusion de la Cour selon laquelle il y a eu en l’espèce violation de l’article
3, mais j’estime qu’il y a lieu d’expliquer pourquoi le « manque flagrant
d’espace personnel dont le requérant a souffert » constitue un traitement
inhumain. Le requérant a été maintenu dans des conditions extrêmement pénibles
pendant une période relativement longue en raison de la surpopulation carcérale
soudaine. Dans la présente affaire, ce n’est pas le manque d’espace dans la
cellule qui constitue en soi un traitement inhumain ou dégradant. Les
conditions n’étaient pas de nature à entraîner immanquablement ou probablement
un dommage pour la santé mentale et physique du requérant ou pour son
intégrité, mais elles étaient manifestement très en-deçà des normes
recommandées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des
peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) en ce qui concerne l’espace
disponible par détenu. Dans les circonstances particulières de l’espèce, l’inhumanité
de la situation réside dans le fait que l’Etat n’a pas montré qu’il avait
adopté des mesures compensatoires supplémentaires pour atténuer les conditions
extrêmement éprouvantes résultant de la surpopulation carcérale. Il aurait pu prêter
une attention particulière à la situation, par exemple en accordant aux détenus
d’autres avantages, ce qui leur aurait fait passer le message que l’Etat, bien
que confronté à une crise carcérale soudaine, n’était pas indifférent au sort
des détenus et entendait créer des conditions de détention qui, en somme, ne
donnaient pas à penser qu’un détenu était simplement un corps qu’il fallait
bien mettre quelque part. En l’espèce, l’absence de préoccupation de l’Etat
ajoute une touche d’indifférence à la vive souffrance provoquée par le
châtiment, souffrance qui allait déjà quasiment au-delà de l’inévitable (Kudła c. Pologne [GC], no
30210/96, § 92, CEDH 2000‑XI).
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZAGREBELSKY,
À LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE JOČIENĖ
Je regrette
ne pas pouvoir partager l’avis de la majorité, qui a conclu à la violation de l’article
3 de la Convention dans la présente affaire. Voici les raisons de ma prise de position.
Je rappelle
tout d’abord la jurisprudence bien établie de la Cour, selon laquelle, d’une
part, les conditions de détention ne doivent pas soumettre l’intéressé à une
détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de
souffrance inhérent à la détention (Kudła
c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI) et, d’autre
part, un mauvais traitement, pour tomber sous le coup de l’article 3 de la
Convention, doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum
est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause,
notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi
que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir,
entre autres, Price c. Royaume-Uni, no 33394/96,
§ 24, CEDH 2001-VII, Mouisel c.
France, no 67263/01, § 37, CEDH 2002-IX, et Gennadi Naoumenko c. Ukraine, no
42023/98, § 108, 10 février 2004).
J’observe
ensuite que le problème de la surpopulation carcérale auquel renvoie la
présente affaire est un problème grave qui touche plusieurs Etats du Conseil de
l’Europe, y compris l’Italie dont les autorités internes ont elles-mêmes admis l’existence
à plusieurs occasions publiques. J’ajoute que le rapport (2005) du Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe en a traité. Cette opinion
dissidente ne signifie donc pas que je sous-estime la gravité du problème en
Italie. Elle traite du « minimum de gravité » dans l’application de l’article
3 de la Convention et par là-même d’une question d’ordre général, et a pour but
de montrer en quoi, de mon point de vue, les conditions de détention du
requérant n’ont pas atteint le « minimum » requis.
L’intéressé
a été détenu pendant deux ou cinq mois (sur ce point, les informations fournies
par le Gouvernement et celles fournies par le requérant diffèrent) avec cinq
autres prisonniers dans une cellule de 16,20 m2. Par la suite,
il a été, pendant six mois, détenu dans une cellule différente, successivement
avec quatre, deux, trois et deux autres personnes (paragraphes 17 et 43 de l’arrêt).
La majorité a estimé que le minimum de gravité requis au regard de l’article 3 avait
été atteint seulement pendant la première période.
La majorité
a fait référence aux indications provenant du Comité européen pour la
prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants (CPT). Je
note que ce comité, lorsqu’il indique un niveau
souhaitable – plutôt qu’une norme minimale – d’environ 7 m² avec 2 m
ou plus entre les murs et 2,50 m entre le sol et le plafond, traite des cellules individuelles de police, et non
pas des cellules destinées à l’emprisonnement,
logeant normalement plus d’une personne. C’est bien en se référant à cette
seconde catégorie que le CPT prend en compte la question du surpeuplement et de
ses conséquences générales, qu’il énumère et considère d’une façon très
raisonnable en excluant tout automatisme quant à la dimension des cellules et
au nombre des détenus. En effet, il considère
que « l’objectif devrait être d’assurer que les détenus dans les
établissements de détention provisoire soient en mesure de passer une partie
raisonnable de la journée (huit heures ou plus) hors de leur cellule, occupés à
des activités motivantes de nature variée. Dans les établissements pour prisonniers
condamnés, évidemment, les régimes devraient être d’un niveau encore plus
élevé ». Il ajoute que « les prisonniers doivent être autorisés
chaque jour à au moins une heure d’exercice en plein air » et que « l’accès,
au moment voulu, à des toilettes convenables et le maintien de bonnes
conditions d’hygiène sont des éléments essentiels d’un environnement
humain ».
Cela étant
dit, je note que le requérant avait pendant la journée accès à la promenade de
8 h 30 à 11 heures et de 13 à 15 heures. De 16 heures à 18 h 50, il
avait accès aux douches et à la salle de tennis de table et pouvait s’occuper
de la préparation du dîner. De plus, entre 18 h 50 et 20 h 20, il pouvait
apparemment se tenir dans des cellules autres que la sienne pour des
« moments de convivialité » (paragraphe 16 de l’arrêt). Il est donc
évident que le requérant avait la possibilité de sortir de sa cellule pour des
durées bien plus longues que celles que le CPT considère comme étant souhaitables.
Si l’on
examine les affaires dans lesquelles la Cour a conclu à la violation de l’article
3 à raison du nombre excessif de prisonniers par rapport aux dimensions de leur
cellule, on note que l’exiguïté de l’espace à la disposition d’un détenu n’a
pas constitué un critère exclusif. La Cour a pris en compte des facteurs supplémentaires
tels qu’un accès insuffisant à la lumière et à l’air naturels, des conditions d’hygiène
défaillantes, une chaleur excessive associée à un manque de ventilation, un
risque concret de propagation de maladies, l’absence d’eau potable ou courante,
le partage des lits entre prisonniers, une très courte durée de la promenade –
une ou deux heures par jour –, la circonstance que les services sanitaires se
trouvaient dans la cellule et étaient visibles, et l’absence de traitement
adéquat pour les pathologies d’un requérant (voir, notamment, les arrêts Aleksandr Makarov c. Russie, no 15217/07,
§§ 94-100, 12 mars 2009 ; Gagiu c. Roumanie, no 63258/00, §§ 76-82, 24 février 2009 ; Moisseiev c. Russie, no
62936/00, §§ 121-127, 9 octobre 2008 ; Lind c. Russie, no 25664/05, §§ 58-63, 6 décembre
2007 ; Grichine c. Russie,
no 30983/02, §§ 85-97, 15 novembre 2007 ; Babouchkine c. Russie, no 67253/01, §§ 40-51,
18 octobre 2007 ; Trepachkine
c. Russie, no 36898/03, §§ 84-95, 19 juillet 2007 ; Andreï Frolov c. Russie, no 205/02,
§§ 43-51, 29 mars 2007 ; Kantyrev
c. Russie, no 37213/02, §§ 46-54, 21 juin
2007 ; Mamedova c. Russie,
no 7064/05, §§ 61-67, 1er juin 2006 ; Kadiķis c. Lettonie (no
2), no 62393/00, §§ 51-56, 4 mai 2006 ; Khoudoïorov c. Russie, no
6847/02, §§ 104-109, CEDH 2005‑X ; Novosselov c. Russie, no 66460/01, §§ 40-46, 2 juin
2005 ; Mayzit c. Russie, no
63378/00, §§ 39-43, 20 janvier 2005 ; Poltoratskiy
c. Ukraine, no 38812/97, §§ 134-149, CEDH 2003-V ;
Kalachnikov c. Russie, no 47095/99,
§§ 96-103, CEDH 2002-VI ; Peers
c. Grèce, no 28524/95, §§ 69-75, CEDH 2001-III, et Dougoz c. Grèce, no 40907/98,
§§ 45-49, CEDH 2001-II).
Cela étant,
il est vrai qu’on trouve dans la jurisprudence de la Cour l’affirmation selon
laquelle l’exiguïté de l’espace personnel à la disposition d’un détenu peut, à
elle seule, justifier un constat de violation de l’article 3 de la Convention,
notamment lorsque le requérant dispose de moins de 3 m² (voir, parmi les arrêts
les plus récents, Aleksandr Makarov,
précité, § 93). Ce principe est, cependant, démenti par l’application pratique
que la Cour en a fait. Par exemple, dans l’affaire Valašinas c. Lituanie (no 44558/98, §§ 107-112, 24 juillet
2001), elle a conclu à la non-violation de l’article 3 alors que l’espace
personnel était compris entre 2,70 et 3,20 m² ; dans l’affaire Labzov c. Russie (no
62208/00, § 44, 15 juin 2005), elle a affirmé que, pour déterminer si les
conditions de la privation de liberté en cause étaient
« dégradantes », le manque flagrant d’espace (il s’agissait, en l’espèce,
de moins d’1 m² par détenu) était un facteur qui « pesait lourd »,
sans pour autant dire qu’il était, à lui seul, suffisant ; enfin, dans l’arrêt
Trepachkine (précité, § 92), il est
dit que la Cour ne saurait donner la mesure, de manière précise et définitive,
de l’espace personnel qui doit être octroyé à chaque détenu aux termes de la
Convention, cette question pouvant dépendre de nombreux facteurs, tels que la
durée de la privation de liberté, les conditions d’accès à la promenade ou l’état
de santé physique et mentale du prisonnier.
Dans la
présente affaire, aucun élément autre (manque de lumière, d’air, d’hygiène,
etc.) que l’insuffisance d’espace disponible pour le requérant quand il restait
enfermé dans la cellule n’est dénoncé. En outre, l’intéressé a bénéficié de
périodes d’activité en dehors de la cellule plus importantes que celles
préconisées par le CPT. J’en conclus que – dans le cas spécifique du requérant,
en tenant compte également de son âge et de la période relativement brève de sa
détention – le « minimum de gravité » n’a pas été atteint.
J’ajoute
une considération d’ordre général qui porte sur une tendance que j’entrevois
dans la jurisprudence de la Cour.
L’article 3
prévoit une interdiction absolue de la torture et des traitements inhumains ou
dégradants. Même le droit à la vie (article 2) n’est pas aussi absolu. Je crois
que la raison de la nature absolue de l’interdiction des traitements prohibés
par l’article 3 réside dans le fait que, dans la conscience et la sensibilité
des Européens, de tels traitements apparaissent comme intolérables en soi, en
toute occasion et dans toute situation. Or, entre ce que l’on considère dans le
cadre de l’article 3 comme étant intolérable et ce que l’on peut considérer comme
étant souhaitable, il y a, à mes yeux, la même différence que celle qui a cours
entre le rôle de la Cour et les rôles du CPT, du Conseil de l’Europe, des
organisations non gouvernementales et des Parlements nationaux.
La tendance
que cet arrêt semble mettre en lumière, à savoir que la Cour place son examen dans
le cadre de ce qui est « souhaitable », devrait avoir pour effet d’accroître
la protection contre les traitements prohibés par l’article 3. Or, même si
cette tendance se nourrit de générosité, elle favorise en réalité une dérive
dangereuse vers la relativisation de l’interdiction, puisque plus l’on abaisse
le seuil « minimum de gravité », plus on est contraint de tenir
compte des raisons et circonstances (ou bien de réduire à néant la satisfaction
équitable).
On peut
trouver quelques exemples de ce risque dans des arguments de la nature
suivante : « La Cour admet que l’application prolongée des
restrictions peut placer un détenu dans une situation qui pourrait constituer
un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 3. Cependant, (...)
elle se doit de contrôler si, dans un cas donné, la prolongation des sanctions
se justifiait ou si, au contraire, elle constituait la réitération de
restrictions ne se justifiant plus. (...) la Cour note que les arguments
invoqués pour justifier le maintien des limitations n’étaient pas
disproportionnés par rapport aux faits précédemment reprochés au requérant, qui
avait été condamné à de lourdes peines pour des faits très graves. De ce fait
la souffrance ou l’humiliation que le requérant a pu ressentir ne sont pas
allées au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de
traitement – en l’espèce prolongé – ou de peine légitime » (Gallico
c. Italie, no 53723/00, §§
21-22, 28 juin 2005).
Et encore :
« En ce qui concerne le degré de nécessité de l’intervention médicale de
force pour l’obtention des éléments de preuve, la Cour relève que le trafic de
stupéfiants est une infraction grave. Elle a une conscience aiguë des problèmes
que rencontrent les Etats contractants dans leur lutte pour protéger leurs
sociétés des maux que provoque l’afflux de drogue (voir, en particulier, D. c. Royaume-Uni, arrêt du 2 mai 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, pp. 791-792, § 46).
Toutefois, en l’espèce, il était clair avant que la mesure litigieuse n’ait été
ordonnée et mise en œuvre que le trafiquant de rue auquel elle était appliquée
conservait les stupéfiants dans la bouche et ne procédait donc pas à la vente
en grandes quantités, comme en témoigne d’ailleurs la peine infligée (six mois
d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve), la plus légère des peines
encourues. La Cour reconnaît qu’il était essentiel que les enquêteurs fussent
en mesure de déterminer la quantité et la qualité exactes des stupéfiants
offerts à la vente. Cela dit, elle n’est pas convaincue que l’administration de
force d’un émétique était indispensable en l’espèce pour obtenir les preuves.
Les autorités de poursuite auraient pu simplement attendre l’élimination de la
drogue par les voies naturelles (....) » (Jalloh c. Allemagne, no 54810/00, §§ 77,
11 juillet 2006, qui a suscité la critique ponctuelle du juge Bratza dans
son opinion séparée).
Même s’il
est techniquement différent, je vois un autre exemple dans l’arrêt par lequel
la Cour a récemment rayé du rôle une requête qui soulevait un problème sur le
terrain de l’article 3. Dans cette affaire, la Cour a en effet considéré que le
requérant avait perdu la qualité de victime à raison du fait que l’administration
pénitentiaire – après trois ans et quatre mois – avait remédié à la situation
dénoncée par le détenu dans sa requête, que la Cour n’avait pourtant pas
considérée comme étant dépourvue de tout fondement (Stojanović c. Serbie, no 34425/04,
§ 80, 19 mai 2009, avec mon opinion dissidente annexée).
C’est pour
toutes ces raisons que je pense que cette affaire aurait dû trouver une
conclusion différente et que le problème qu’elle pose va bien au-delà du seul
cas d’espèce.