Corte europea dei diritti dell’uomo
(Grande Camera)
AFFAIRE
Austin et autres c. Rouyame Uni
(Requêtes n. 39692/09,40713/09,41008/09 )
ARRÊT
STRASBOURG
15 mars 2012
Cet arrêt est
définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Austin et autres
c. Royaume-Uni,
Françoise Tulkens, présidente,
Nicolas Bratza,
Jean-Paul Costa,
Josep Casadevall,
Nina Vajić,
Dean Spielmann,
Lech Garlicki,
Ineta Ziemele,
Päivi Hirvelä,
Giorgio Malinverni,
Luis López Guerra,
Ledi Bianku,
Kristina Pardalos,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. de Gaetano,
Angelika Nußberger,
Erik Møse, juges,
ainsi que de Michael O’Boyle, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en
chambre du conseil le 14 septembre 2011 et le 15 février 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté
à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de
l’affaire se trouvent trois requêtes dirigées contre le Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et soumises à
2. La première
requérante a été représentée par Mmes Louise Christian, Katharine
Craig, Heather Williams QC et Philippa Kaufmann. Le deuxième requérant a été
représenté par M. James Welch. Les troisième et quatrième requérants ont été
représentés par MM. Ben Emmerson QC, Michael Fordham QC, Alex Bailin et John
Halford. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») a été
représenté par son agent, M. John Grainger, du ministère des Affaires
étrangères et du Commonwealth.
3. Les requérants
dénonçaient leur confinement, lors d’une manifestation dans le centre de
Londres, à l’intérieur d’un cordon de police (une mesure désignée par le terme
de « kettling » – « enchaudronnement ») pendant une
durée ayant pu aller jusqu’à sept heures ; ils y voyaient une privation de
liberté contraire à l’article 5 § 1 de
4. La requête a été
attribuée à la quatrième section de
5. La composition de
6. Tant les
requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la
recevabilité et le fond des requêtes.
7. Une audience
s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 14
septembre 2011 (article 59 § 3 du règlement).
Ont
comparu :
– pour le
Gouvernement
MM. J. Grainger, agent,
D. Pannick QC,
J. Segan, conseils,
C. Papaleontiou,
Mme M. Purdasy, conseillers ;
– pour
les requérants
M. B. Emmerson QC,
Mmes P. Kaufmann QC,
A. Macdonald,
M. I. Steele, conseils,
Mme K. Craig,
MM. J. Halford,
J. Welch, conseillers,
Mme L.A. Austin,
M. G. Black,
Mme B. Lowenthal, requérants.
EN FAIT
8. La première
requérante est née en 1969 et réside à Basildon ; le deuxième requérant
est né en 1949 et vit à Melbourne ; la troisième requérante est née en
1972 et habite à Londres ; le quatrième requérant est né en 1963 et réside
à Wembley.
9. Les faits de la
cause peuvent se résumer comme suit.
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Les récits
des requérants concernant ce qu’ils ont vécu le 1er mai 2001
10. Le 1er
mai 2001, lors d’une manifestation dans le centre de Londres, les requérants
furent retenus à l’intérieur d’un cordon de police à Oxford Circus (au
croisement de Regent Street et de Oxford Street).
11. La première
requérante, Mme Lois Austin, est membre du parti socialiste. Elle
avait déjà participé à de nombreuses manifestations, notamment à l’occasion de
précédentes fêtes du travail. Le 1er mai 2001, elle laissa sa fille
de 11 ans à la crèche, prévoyant d’aller la rechercher à
16 h 30, et se rendit du comté d’Essex au centre de Londres avec son
partenaire. Tous deux participèrent à un rassemblement antimondialisation
devant le bâtiment de
12. Ce même 1er
mai 2001, entre 14 heures et 14 h 30, le deuxième requérant tenta de
traverser Oxford Circus pour se rendre dans une librairie située dans Oxford
Street. Un policier le prévint qu’il était impossible de descendre Oxford
Street, barrée par une foule de manifestants qui s’approchait, et lui conseilla
de prendre Margaret Street, une rue parallèle au nord. Le requérant suivit ce
conseil mais, entre Margaret Street et Regent Street, il se heurta à un mur de
policiers antiémeutes équipés de boucliers et de casques qui se dirigeaient
vers le sud. Le requérant fut contraint de s’engager dans Oxford Circus vers
14 h 30. Il demanda immédiatement à quitter le cordon et fut informé que
les non-manifestants pouvaient partir par le côté de Oxford Circus qui donnait
sur Bond Street mais, lorsqu’il s’y rendit, on lui dit qu’il n’y avait pas
d’issue. Il ne put sortir du cordon qu’à 21 h 20.
13. La troisième
requérante n’avait aucun rapport avec la manifestation. Elle travaillait non loin
d’Oxford Circus et prenait sa pause-déjeuner lorsque, à 14 h 10, une
rangée de policiers qui barrait la rue l’empêcha de retourner sur son lieu de
travail. Elle fit demi-tour et tenta de prendre une autre direction mais
s’aperçut que cette voie aussi était à présent bloquée par des policiers, qui
commencèrent à avancer dans sa direction. La requérante fut retenue à
l’intérieur du cordon à Oxford Circus jusqu’à 21 h 35. Comme d’autres
personnes, elle demanda à plusieurs reprises à quitter le cordon, mais les
policiers auxquels elle s’adressa lui expliquèrent qu’ils avaient ordre de
n’autoriser personne à passer.
14. Le quatrième
requérant travaillait également près d’Oxford Circus et il fut lui aussi pris
dans le cordon alors qu’il traversait le carrefour pendant sa pause-déjeuner.
Il put partir vers 20 heures.
B. Les
procédures internes
1.
15. A la suite des
événements du 1er mai 2001, quelque 150 personnes qui avaient été
retenues à Oxford Circus prirent contact avec plusieurs cabinets de solicitors
dans l’intention d’engager des procédures. Les divers requérants potentiels,
leurs représentants légaux et les représentants de la police métropolitaine
entrèrent en relation afin de trouver un moyen de traiter les demandes
efficacement. Il fut convenu que la première requérante et M. Geoffrey Saxby,
un passant pris dans le cordon, serviraient de demandeurs
« pilotes ». Tous deux saisirent
a) Les faits
tels qu’établis par le juge Tugendhat
16. Le procès devant
17. Les 18 juin et
30 novembre 1999 ainsi que le 1er mai 2000, Londres avait été le
théâtre de très graves troubles à l’ordre public qui, selon la police, étaient
susceptibles de se reproduire le 1er mai 2001. Les manifestations
organisées à ces trois dates avaient pour thème la contestation du système
capitaliste et de la mondialisation. Les organisateurs de l’événement du
18 juin 1999 avaient refusé de coopérer avec la police et avaient diffusé
des documents similaires à ceux distribués par les organisateurs de la
manifestation du 1er mai 2001. L’après-midi du 18 juin 1999, une
foule de 3 000 à 5 000 personnes, qui portaient des masques, avaient
causé pour deux millions de livres sterling (GPB) de dommages matériels ainsi
que des dommages corporels à des particuliers et des policiers, dont onze
avaient dû être emmenés à l’hôpital. A la même époque, des manifestations sur
les mêmes sujets avaient également donné lieu à de graves atteintes à l’ordre
public dans d’autres pays, notamment à Seattle le 30 novembre 1999 (lors d’une
réunion de l’Organisation mondiale du Commerce), à Washington DC le 16 avril
2000 (à l’occasion d’une réunion du Fonds monétaire international), à Melbourne
du 11 au 13 septembre 2000 (lors d’un sommet Asie-Pacifique du Forum économique
mondial), à Prague le 26 septembre 2000 (à l’occasion d’une autre réunion du
Fonds monétaire international) et à Québec le 22 avril 2001 (lors d’une réunion
du Sommet des Amériques). Au moment de planifier les opérations pour le 1er
mai 2001, il avait été tenu compte des enseignements tirés de ces
manifestations et d’autres manifestations antérieures, organisées notamment à
Londres, et des recommandations qui avaient été formulées à la suite de ces
différents événements.
18. Pour le 1er
mai 2001, la police avait été avertie que deux événements, à savoir un défilé
organisé par les syndicats pour la fête du travail et une manifestation des
jeunes étudiants socialistes, devaient se dérouler dans plusieurs endroits à
Londres. En outre, les renseignements dont elle disposait indiquaient que des
militants issus d’une large coalition de groupements écologistes, anarchistes
et d’extrême gauche avaient l’intention d’organiser diverses manifestations
dans vingt-quatre endroits de Londres correspondant aux cases du jeu de
Monopoly. La journée devait se clôturer par un rassemblement à Oxford Circus à
16 heures. Les organisateurs de ce « Monopoly de
19. Le plan de la
police pour le jour J prévoyait, outre l’intervention de la police montée, le
déploiement de près de 6 000 policiers à pied portant des gilets de
signalement. C’était pratiquement le plus grand dispositif policier jamais
déployé à Londres jusque-là. Les fonctionnaires de police mobilisés pour
maintenir l’ordre pendant cette journée étaient les plus expérimentés
d’Angleterre. Etant donné que la journée devait s’achever par un rassemblement
à 16 heures à Oxford Circus, un système de haut-parleurs y avait été installé.
L’opération de police avait pour objectifs stratégiques déclarés de rassurer le
public et garantir sa sécurité, permettre et contrôler toute contestation
légitime, prévenir les troubles à l’ordre public et protéger des bâtiments clés
tels que Buckingham Palace et le Parlement, prévenir les infractions et prendre
toutes mesures raisonnables pour appréhender les éventuels délinquants, et, de
manière générale, limiter les perturbations dans toute la mesure du possible.
Toutefois, la police ne savait pas vraiment à quoi s’attendre ni comment réagir
aux éventuels débordements.
20. Le matin du 1er
mai 2001, plusieurs manifestations de taille réduite se déroulèrent à travers
Londres. Vers 13 heures, des manifestants commencèrent à se rassembler devant
les bureaux de
21. Vers 14 heures,
la police décida de mettre en place un cordon pour contenir la foule. La
décision fut prise sur la base des informations disponibles, selon lesquelles
500 à 1 000 individus potentiellement violents devaient prendre part aux
manifestations du 1er mai, et de l’expérience tirée de
manifestations antérieures analogues, et non au vu du comportement de la foule
jusque-là. Elle résultait d’un exercice délibéré des pouvoirs de common law
accordés à la police pour prévenir des troubles à l’ordre public. Une fois la
décision prise, il fallut environ 10 minutes pour mettre en place un
cordon lâche et, après l’arrivée de renforts, 20 à 25 minutes pour établir un
cordon intégral. Il y avait suffisamment d’espace à l’intérieur du cordon pour
que les personnes pussent se déplacer, et il n’y eut pas de bousculades.
Cependant, à mesure que l’après-midi avançait, les conditions devinrent
pénibles. C’était une journée froide et humide. Les personnes enfermées ne
disposaient ni d’eau ni de nourriture, elles n’avaient pas accès à des
toilettes et ne pouvaient s’abriter nulle part.
22. Aucune annonce
n’avait accompagné la mise en place du cordon, les policiers craignant que
celui-ci ne fût pas assez solide pour résister à un effort concerté de la foule
pour forcer le passage. Ce n’est qu’à 16 heures que l’on expliqua par
haut-parleurs aux personnes à l’intérieur du cordon que leur confinement avait
pour but d’éviter des troubles à l’ordre public. Le commandant des forces de
police admit par la suite, lors de sa déposition devant les juridictions
internes, que cette annonce aurait pu avoir lieu plus tôt, peut-être vers
15 h 15 ou 15 h 30.
23. A
14 h 25, cinq minutes après la mise en place du cordon intégral, le Chief
Superintendent (commissaire divisionnaire) qui commandait les opérations
envisagea de débuter au nord de Regent Street une évacuation contrôlée des
personnes à l’intérieur du cordon. Toutefois, la dispersion dut être reportée
lorsque des manifestants à l’intérieur et à l’extérieur du cordon se mirent à
lancer des projectiles et à faire preuve de violence envers la police et que la
foule tenta de forcer le cordon à hauteur de Regent Street. A
14 h 55, une dispersion vers le nord fut de nouveau programmée, puis
suspendue en raison de violences émanant de manifestants de chaque côté du
cordon. A ce moment-là, d’autres personnes commencèrent à se diriger vers
Oxford Circus pour prendre part à l’événement programmé pour 16 heures. Un
état de la situation dressé par la police vers 15 h 40 indiquait que
des policiers étaient pris en sandwich entre plusieurs rassemblements et
devaient faire face à des bousculades et des jets de bouteilles. A
16 h 30, une foule de 400 à 500 personnes qui suivait un groupe de
samba passa à proximité du cordon, rendant ainsi la dispersion vers Oxford
Street difficile. La situation fut réexaminée à 16 h 55, mais une
libération collective fut exclue en raison du risque de violences et de
débordements. A 17 h 15, Oxford Street fut le théâtre de troubles
graves causés par un noyau de 25 manifestants masqués, qui attirèrent une
foule de plusieurs centaines de personnes. A 17 h 20, les personnes à
l’intérieur du cordon étaient calmes mais la police hésita à lancer une
opération d’évacuation collective en raison de la présence dans le voisinage
d’autres regroupements importants et indisciplinés.
24. A
17 h 55, la police décida d’évacuer les personnes à l’intérieur du
cordon. Toutefois, les violences reprirent parmi la foule et, à
18 h 15, l’ordre d’évacuation fut annulé. A 19 heures, l’opération de
dispersion débuta, et des petits groupes et des individus furent conduits sous
escorte loin du cordon. Toutefois, vers 19 h 20, le processus fut
arrêté en raison de difficultés à contrôler les personnes rassemblées en dehors
du cordon, dont certaines lançaient de gros pavés et des projectiles enflammés
sur les policiers, et parce que les manifestants qui étaient sortis du cordon
demeuraient dans le voisinage. A 19 h 30, le processus d’évacuation
collective reprit, après l’arrivée de renforts pour accompagner les personnes
évacuées hors du cordon. Toutefois, la dispersion fut bientôt de nouveau
stoppée lorsqu’il s’avéra que les personnes qui étaient libérées se joignaient
à un autre rassemblement important, qui avait précédemment fait preuve de violence,
vers le nord dans Great Portland Street. A 20 heures, Portland Place était
déserte et la dispersion collective de la foule retenue à Oxford Circus fut
reprise, par groupes de dix personnes. A 21 h 45, l’opération était
pratiquement terminée. Plus d’une centaine de personnes furent arrêtées à
l’issue des troubles à Oxford Circus et dans les alentours. Dans le cadre de la
procédure de libération collective, les personnes libérées, ou tout au moins
certaines d’entre elles, furent fouillées et photographiées, et leurs noms et
adresses enregistrés.
25. Selon les
estimations de la police, il y avait eu au maximum 2 000 personnes à
l’intérieur du cordon, et 1 000 dans les rassemblements à l’extérieur de
celui-ci. Il se dégageait des documents et films vidéo produits à l’audience
que quelque 392 personnes avaient été libérées individuellement au cours de
l’après-midi du 1er mai 2001. Il fut admis que ce chiffre n’était
probablement pas exact mais, selon les mots du juge Tugenhat, le nombre des
libérations individuelles était vraisemblablement « plus proche de 400 que
de 200 ». La plupart de ces libérations s’effectuèrent par les côtés nord
et sud d’Oxford Circus, très peu de personnes étant évacuées par l’est ou
l’ouest. La plupart des libérations enregistrées eurent lieu avant 16
heures ; 12 se produisirent entre 16 heures et 17 heures, 89 entre 17
heures et 18 heures, 59 entre 18 heures et 19 heures et 12 après 19
heures. Les policiers eurent du mal à déterminer les individus qui ne
représentaient aucune menace de violence et qu’ils pouvaient donc relâcher
individuellement. D’après les rapports de police, certains d’entre eux étaient
de simples passants pris dans la manifestation. D’autres furent décrits comme
étant des personnes en situation de détresse physique, des femmes enceintes,
des personnes âgées ou des enfants.
b) Les
conclusions du juge Tugendhat
26. Le juge conclut
que, eu égard aux violences qui avaient émaillé de précédentes manifestations,
aux informations disponibles, au manque de coopération des organisateurs et au
comportement de certains des manifestants, la police avait eu des motifs
raisonnables de croire à l’existence d’un risque réel qu’il y eût des dommages
matériels et que des personnes fussent gravement blessées ou mêmes tuées. Les
dangers principaux étaient ceux d’éventuels piétinements ou bousculades, mais
il y avait aussi le risque de jets de projectiles. Vu la situation à Oxford
Circus, la police, pour prévenir les violences et les dommages corporels,
n’avait eu d’autre solution à 14 heures que d’imposer un cordon intégral, et ce
choix avait dès lors constitué une réaction proportionnée de la police à la
présence de la foule. La mesure de confinement avait visé principalement à
assurer la sécurité des personnes – y compris de celles qui se trouvaient à
l’intérieur du cordon –, la préservation des biens dans Oxford Street et la
protection d’autres droits des tiers. La police avait également eu l’intention
d’isoler certaines personnes, le cas échéant en les soumettant à un
interrogatoire ou à une fouille.
27. A partir de
14 h 20, personne à l’intérieur du cordon n’avait plus eu la
possibilité de partir sans autorisation. La mesure litigieuse avait ainsi
consisté en un strict confinement, avec une liberté de mouvement minimale dans
le carrefour d’Oxford Circus, et ses conséquences avaient été sérieuses, la
pénibilité de la situation ayant augmenté au fil du temps, mais la police
n’avait jamais imaginé que la mesure durerait aussi longtemps et elle avait en
permanence évalué la possibilité de libérer la foule en toute sécurité.
28. La police
n’avait eu en pratique aucune possibilité de procéder à une dispersion
collective plus tôt qu’elle ne l’avait fait. A certains moments, les issues
d’évacuation s’étaient trouvées bloquées par d’autres rassemblements qui
tentaient d’accéder à Oxford Circus. Il n’aurait pas été raisonnable ou sûr de
permettre à ces groupes de se rassembler en dehors de tout contrôle. En outre,
il y avait eu de longues périodes pendant lesquelles la police n’avait pas disposé
des effectifs nécessaires pour assurer la dispersion de la foule en toute
sécurité, et rien ne donnait à croire que le préfet de police du Grand Londres
(Commissioner of Police of the Metropolis) aurait pu ou dû mettre plus
de policiers dans les rues ce jour-là. L’une des raisons expliquant
l’insuffisance des effectifs avait été le refus d’une part non négligeable de
la foule de coopérer avec les policiers formant le cordon. A tout moment,
environ 40 % des manifestants s’étaient montrés ouvertement hostiles,
provoquant des bousculades, jetant des projectiles ou refusant d’une manière ou
d’une autre de coopérer. Les personnes s’étant abstenues de tels actes ne
s’étaient pas pour autant dissociées de cette minorité active. Le cordon avait
ainsi dû être maintenu par un nombre suffisant de policiers pour pouvoir
résister à une poussée concertée de ces personnes en vue de forcer le passage.
Une foule coopérative aurait pu être contenue avec moins de policiers, ce qui
aurait permis de consacrer une partie des effectifs à l’encadrement de la
dispersion. La seconde raison expliquant l’insuffisance des effectifs avait
tenu au rejet de l’autorité ou des instructions de la police par d’autres
groupes de personnes à l’extérieur du cordon. Les policiers avaient fait de leur
mieux dans des circonstances extrêmement difficiles. Les effectifs qui étaient
indispensables pour procéder à l’évacuation de la foule à Oxford Circus avaient
par nécessité et de façon appropriée été déployés ailleurs. Il n’en résultait
pas que les policiers auraient dû laisser la foule confinée à Oxford Circus se
disperser en l’absence de tout contrôle. Pareille démarche aurait équivalu,
pour la police, à nier son obligation de prévenir les troubles à l’ordre
public, son devoir de diligence ainsi que son obligation positive de protéger
les manifestants et les tiers – y compris les policiers eux-mêmes – d’un risque
de blessures graves, et de préserver les biens d’autrui.
29. Eu égard aux
conditions régnant à Oxford Circus, et en particulier aux difficultés pour la
police de distinguer entre les individus pacifiques et les personnes violentes
ou potentiellement violentes à l’intérieur du cordon, toute politique
d’évacuation autre que celle qui avait été suivie se serait avérée
irréalisable. Une fois le cordon en place, tout processus de dispersion
contrôlée ne pouvait que prendre beaucoup de temps avant l’évacuation complète
de la foule. Il était impossible de dire combien de temps aurait pris
l’opération sans les fouilles ou la collecte d’éléments de preuve, mais dans
tous les cas ce n’était pas une affaire de vingt minutes. Dès lors qu’il avait
été jugé utile d’accompagner le processus d’évacuation de fouilles et d’une
collecte d’éléments de preuve, il était normal que l’opération se fût étendue
sur la durée qui avait été nécessaire à partir de sa reprise à 19 h 30, à
savoir au moins une heure ou deux.
30. Quant à
l’allégation de séquestration, le juge Tugendhat estima que la police avait pu
à bon droit invoquer l’excuse de nécessité.
31. Concernant les
griefs tirés de l’article 5, le juge conclut que le confinement à l’intérieur
du cordon s’analysait en une privation de liberté au sens de l’article 5 § 1.
Tout en estimant que l’intention n’avait jamais été d’attraire devant un
magistrat toutes les personnes enfermées à l’intérieur du cordon à Oxford
Circus, il jugea que la mesure avait eu pour but de maîtriser la foule de sorte
que la police pût appréhender et traduire en justice toutes les personnes dont
on pouvait raisonnablement considérer qu’elles avaient commis des infractions
et celles dont l’arrestation s’était avérée nécessaire pour les empêcher de
commettre des infractions ; à son sens, cela suffisait à répondre aux
exigences de l’article 5 § 1 c).
32. De plus, le juge
Tugendhat estima qu’eu égard aux circonstances inhabituelles de l’affaire, il
n’y avait pas eu d’atteinte aux droits à la liberté d’expression et à la
liberté de réunion. Il constata qu’aucun des témoins n’avait pu expliquer quel
était le but du défilé vers Oxford Circus ou ce qui aurait dû se produire
là-bas, ou ailleurs, si le cordon policier n’avait pas été mis en place. Il
considéra que les documents diffusés à l’avance par les organisateurs avaient
visé à encourager au moins une minorité importante des personnes présentes à se
livrer d’une manière ou d’une autre à des débordements et activités
répréhensibles, dont probablement des infractions à l’ordre public telles que
provocations de rixes, atteintes aux biens et vols. Il conclut que sans le
cordon il aurait été en pratique impossible à quiconque, dans ce contexte
perturbé, de manifester en toute légalité. Il estima en outre que rien ne
démontrait qu’il se fût trouvé à Oxford Circus des personnes qui auraient eu
l’intention d’exercer leur droit à la liberté d’expression et qui se seraient
heurtées à l’impossibilité de le faire en pratique. Le juge Tugendhat conclut
donc que l’affaire concernait non pas la liberté d’expression ou la liberté de
réunion, mais l’ordre public et le droit à la liberté, et il rejeta l’ensemble
des griefs des demandeurs.
c)
33. Le juge
Tugendhat autorisa Mme Austin et M. Saxby à interjeter appel contre
ses conclusions relatives à l’allégation de séquestration et au grief tiré de
l’article 5 § 1. Par un arrêt qu’elle rendit le 15 octobre 2007 ([2007] EWCA
Civ. 989),
34. Concernant
l’allégation de séquestration,
35. Quant au grief
fondé sur l’article 5,
« 102. (...)
[I]l faut tout d’abord déterminer si les appelants ont dès le départ subi une
privation de liberté. Pour nous, il est évident que non. La situation à ce
moment-là ne se distinguait pas radicalement, en termes de détention, de
plusieurs autres situations d’enfermement ou d’emprisonnement évoquées par le
juge de première instance qui ne seraient pas considérées comme des privations
de liberté au sens de l’article 5 § 1. Un match de football fournit peut-être
un bon exemple. Il est en effet courant que les spectateurs soient retenus
pendant un intervalle de temps qui peut se prolonger, en partie pour leur
propre protection, en partie (dans certains cas) pour éviter des actes de
violence, par exemple des affrontements entre supporters de camps opposés (...)
On peut citer d’autres exemples (...) notamment des situations où des
automobilistes se retrouvent dans l’impossibilité, quelquefois pendant
plusieurs heures, de quitter une autoroute en conséquence d’une intervention de
la police à la suite d’un accident de la circulation. En pareil cas, il peut
être nécessaire que la police oblige des particuliers à rester dans certains
endroits pendant une période plus longue que ce qui était prévu au départ.
103. A
notre avis, il s’agissait clairement en l’espèce d’une situation de ce type.
D’après les constatations factuelles du juge de première instance, la police
n’avait pas d’autre choix que de mettre en place le cordon, ce qu’elle a fait.
Elle avait prévu une dispersion organisée sur deux ou trois heures afin
d’éviter les violences. Le juge a exposé les divers objectifs de la mesure, qui
comprenaient la sécurité et la prévention d’infractions pénales par certains
manifestants, dont beaucoup ne purent être identifiés. Dans ces conditions,
nous estimons que la mise en place initiale du cordon ne peut raisonnablement
passer pour avoir constitué une détention arbitraire que les autorités de
Strasbourg qualifieraient de privation de liberté au sens de l’article 5 § 1.
Pour ces raisons, nous estimons que le juge a commis une erreur de principe
lorsqu’il a conclu que les appelants avaient été détenus irrégulièrement à
partir de 14 h 20.
104. Cela
posé, il nous incombe d’examiner à nouveau la question qui reste à
trancher : celle de savoir si les intéressés ont été irrégulièrement
détenus par la suite. Pour nous, la réponse à cette question est
« non ». Ainsi, par exemple, (...) à plusieurs reprises dans
l’après-midi, la police donna l’ordre de commencer une évacuation contrôlée,
pour estimer ensuite que le processus ne pouvait être mené à bien. (...) Par
trois fois, la décision de disperser la foule vers le nord dut être réexaminée
ou suspendue en raison du comportement de manifestants à l’intérieur ou à
l’extérieur de la zone de rétention, ce qui explique que la phase finale de
l’évacuation ne put commencer qu’à 20 h 02 (...) Pendant toute cette
période, les violences furent très nombreuses, même si, il faut le souligner,
les appelants n’y étaient pour rien (...) Comme l’a conclu le juge de première
instance (...) il ne s’agissait pas juste d’une foule statique de manifestants
à Oxford Circus encadrée par la police et retenue sur place pendant sept
heures. Il y avait une situation dynamique, chaotique et confuse, qui
impliquait également, aux alentours du cordon, un grand nombre d’autres
contestataires qui posaient de graves menaces à l’ordre public et
représentaient un risque pour les policiers qui formaient le cordon et ceux qui
se trouvaient à l’intérieur.
105. Dans
ces conditions, on ne saurait raisonnablement considérer qu’une situation qui,
à l’origine, n’avait pas les caractéristiques d’une privation de liberté s’est
à un certain point transformée en une privation de liberté au sens de l’article
5 § 1 de
d)
36. Mme Austin,
comme M. Saxby, fut autorisée à saisir
37. Lord Hope of
Craighead, avec lequel l’ensemble des autres Lords marquèrent leur accord,
précisa comme suit son interprétation de la notion de « privation de
liberté » :
« 23. L’application
de l’article 5 § 1 aux mesures de contrôle des foules est une question sur
laquelle, semble-t-il,
24. On
peut estimer que, comparativement aux exemples que je viens de mentionner, les
restrictions étant résultées du cordon de police imposé en l’espèce étaient
d’un degré et d’une intensité supérieurs. Mais Lord Pannick QC a soutenu au nom
de la défense que l’on ne pouvait raisonnablement ignorer le but de la mesure
restrictive ou les circonstances dans lesquelles elle avait été prise. Selon
lui, l’idée même de détention n’avait effleuré personne, et on n’aurait jamais
parlé de privation de liberté si le cordon n’était resté en place qu’une
vingtaine de minutes. Le fait que ce cordon eût été maintenu pendant un
intervalle beaucoup plus long ne devrait à son sens faire aucune différence,
l’impossibilité de libérer quiconque du cordon plus tôt ayant tenu à des
circonstances indépendantes de la volonté de la police. Pour déterminer si en
l’espèce la mesure prise tombait sous l’empire de l’article 5 § 1, il faudrait
se livrer à un exercice de mise en balance entre les droits de l’individu et
les intérêts de la société. Il conviendrait certes de tenir pleinement compte
du fait que l’article 5 consacre un droit fondamental d’importance cruciale,
mais l’impossibilité de justifier une atteinte à ce droit en dehors des cas
énumérés aux alinéas a) à f) ne ferait que souligner la nécessité de définir
soigneusement les limites de son champ d’application.
25. Me
Williams QC a au contraire soutenu pour le compte de l’appelante que le but de
la mesure est sans pertinence. Selon elle, le caractère nécessaire et proportionné
de la réponse est certes une condition préalable pour établir la légalité de la
mesure aux fins des alinéas a) à f) de l’article 5 § 1, mais cela n’irait pas
plus loin. Il n’y aurait aucune mise en balance à faire s’agissant d’examiner
la question initiale de l’applicabilité de l’article 5 § 1 aux mesures adoptées
par la police. Le but de la mesure et l’exercice de mise en balance seraient
des questions à rattacher à l’examen des cas énumérés aux alinéas a) à f).
Le but doit-il
être pris en compte ?
26. Bien
entendu, dans chaque espèce la décision sur la question de savoir s’il y a eu
privation de liberté dépend grandement des faits de la cause. Les décisions sur
l’application de l’article 5 entièrement dictées par les faits ne sont pas d’une
grande utilité. Celles, en revanche, qui peuvent passer pour illustrer des
questions de principe présentent un intérêt. En l’espèce, on peut tirer des
enseignements de certaines de ces décisions pour déterminer dans quelle mesure
il convient de prendre en compte le but ou l’objectif de la mesure en question
lorsqu’on examine si celle-ci tombe ou non sous l’empire de l’article 5 § 1.
27. Si
le but est un élément à prendre en compte, ce doit être pour permettre la mise
en balance de ce que la mesure cherche à atteindre et des intérêts de la
personne concernée. L’idée qu’une mise en balance devrait intervenir au stade
initial, lorsque l’applicabilité de l’article 5 § 1 est examinée, ne ressort en
aucune façon des affaires Engel c. Pays-Bas (no 1) ([1976] 1
EHRR 647) ou Guzzardi c. Italie ([1980] 3 EHRR
333) et elle ne peut aucunement être fondée sur le libellé de la disposition
elle-même. Mais je pense qu’il existe par ailleurs dans la jurisprudence de
Lord Hope passa ensuite en
revue un certain nombre d’arrêts et de décisions de
« 34. J’estime
donc qu’il y a place, même dans le cas de droits fondamentaux pour l’application
desquels aucune restriction ou limitation n’est autorisée par
Lord Neuberger of Abbotsbury
estima également qu’il n’y avait pas eu privation de liberté. Il s’exprima
comme suit :
« 58. La
police a l’obligation de maintenir l’ordre en cas de risque d’émeutes et de
prendre des mesures raisonnables pour prévenir des troubles graves à l’ordre
public, en particulier lorsqu’il y a des risques de violence à l’égard des
personnes et des biens. Dans certaines circonstances, une personne sensée
vivant dans une démocratie moderne doit raisonnablement s’attendre à être
retenue, ou au moins admettre qu’il était légitime pour la police de la retenir
dans un espace limité. Ainsi, si une personne à l’esprit dérangé ou en état
d’ivresse errait, un revolver à la main, dans un immeuble, il serait légitime
et même souhaitable que la police prenne des mesures pour que les personnes
dans le voisinage restent confinées à l’endroit où elles se trouvent,
éventuellement pendant plusieurs heures, quand bien même elles devraient se
retrouver à plusieurs dans une pièce exiguë. De manière analogue, face à des
groupes de supporters d’équipes adverses lors d’un match de football, la police
veille généralement, et à l’évidence à bon droit, à maintenir les deux groupes
séparés afin d’éviter des violences et des débordements. Cela implique souvent
d’enfermer l’un des groupes ou les deux dans un espace relativement étroit pour
une période non négligeable. De même, en cas d’accident sur une autoroute, il
est monnaie courante, et là encore tout à fait normal, que la police oblige les
conducteurs et passagers à demeurer dans leur véhicule à l’arrêt, souvent
pendant plus d’une heure ou deux. Dans toutes ces situations, les mesures de
confinement prises par la police visent à assurer la protection des individus
qu’elles concernent et à prévenir les atteintes aux personnes et aux biens.
59. Je
pense donc que dans le cas d’une manifestation aussi, particulièrement
lorsqu’il y a des raisons de croire qu’elle donnera lieu à des troubles et des
violences, on peut s’attendre, de la part de la police, et même quelquefois
exiger d’elle, qu’elle prenne des mesures pour garantir que de tels troubles ou
violences soient évités ou, du moins, réduits au minimum. Pareilles mesures
peuvent souvent impliquer des restrictions à la liberté de mouvement de
manifestants, et quelquefois de passants qui se retrouvent pris par hasard dans
la manifestation. Dans certains cas, cela peut contraindre des personnes à
demeurer confinées pendant quelque temps dans un espace relativement étroit.
60. En
pareilles circonstances, il me semble irréaliste de prétendre que l’article 5 peut
entrer en jeu, sous réserve – et c’est une réserve importante – que les actions
de la police soient proportionnées et raisonnables, et que le niveau
d’inconfort et la durée de la mesure de confinement soient limités au minimum
nécessaire par rapport à l’objectif à atteindre, à savoir la prévention de
violences et de troubles graves à l’ordre public.
61. L’avocate
de l’appelante a défendu l’idée que, au moins pour certains des exemples
susmentionnés, le consentement des personnes concernées à la mesure d’enfermement
peut être présumé. Je ne suis pas certain que cette analyse soit satisfaisante,
ne serait-ce que parce qu’elle ne peut s’appliquer aux cas de personnes qui
informeraient la police qu’elles refusent d’être enfermées, à moins qu’il ne
faille considérer que le consentement est involontaire ou tombe sous le coup
d’une présomption irréfragable. Toutefois, si la présomption de consentement
constitue une base appropriée pour justifier une mesure d’enfermement aux fins
de l’article 5, alors il me semble que l’on pourrait justifier la mesure prise
en l’espèce en disant que quiconque descend dans la rue, particulièrement
lorsqu’il s’agit d’une manifestation impliquant un risque avéré de violences
graves, doit passer pour avoir consenti à la possibilité d’être retenu par la
police, si la mesure de rétention est un moyen raisonnable et proportionné de
prévenir des troubles sérieux à l’ordre public et des violences graves.
62. Ainsi,
en accord avec
63. Comme
indiqué ci-dessus, il me semble que l’intention de la police doit être prise en
compte, particulièrement dans les affaires atypiques, telles que celle ici
examinée, et lorsque cette intention ressort manifestement des circonstances
extérieures. S’il apparaissait, par exemple, que la police avait maintenu le
cordon, au-delà du temps nécessaire pour maîtriser la foule, en vue de
sanctionner les manifestants à l’intérieur du cordon ou de leur « donner
une leçon », cela donnerait lieu, à mon sens, à des considérations très
différentes. Il y aurait alors selon moi une base solide pour analyser le
maintien du cordon en une détention au sens de l’article 5. Cependant, ainsi
qu’il ressort des constatations claires et minutieuses du juge de première
instance, lesquelles, à juste titre, n’ont pas été contestées en appel, rien de
tel ne peut être affirmé en l’espèce.
64. En
outre, il convient de garder à l’esprit que – à mon avis du moins – s’il
fallait voir dans la mesure prise en l’espèce une détention au sens de
l’article 5, la police ne pourrait pas, eu égard au raisonnement développé par
Lord Carswell
fit siennes les observations de Lord Hope, et Lord Scott of Foscote souscrivit
à celles de Lord Hope et Lord Neuberger, soulignant que « le but de la
mesure de confinement ou de restriction de mouvement et les intentions des
personnes responsables de son imposition figur[ai]ent en très bonne place dans
les circonstances à prendre en compte pour parvenir à la décision » sur la
question de savoir s’il y avait eu ou non privation de liberté.
Lord Walker of Gestinghope
souscrivit à l’avis de Lord Hope, mais ajouta dans une « note » les
considérations suivantes :
« 43. Aux
paragraphes 26 et suivants de son avis, Lord Hope pose la question :
« Le but doit-il être pris en compte ? ». Sa conclusion est formulée
avec beaucoup de circonspection : il explique (au paragraphe 34) qu’il y a
place, même dans le cas de droits fondamentaux, pour une approche pragmatique
prenant pleinement en compte l’ensemble des circonstances. Je pense qu’il a
raison de rester mesuré sur ce point.
44. Le
but d’une mesure de confinement qui peut, de manière défendable, s’analyser en
une privation de liberté est en général un élément pertinent, non pas pour
déterminer si le seuil a été atteint, mais pour apprécier si le confinement
peut se justifier au regard des alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 (voir, par
exemple, en ce qui concerne l’article 5 § 1 e), les affaires suivantes : Nielsen
c. Danemark ([1988] 11 EHRR 175) ; Litwa c. Pologne ([2001] 33
EHRR 1267) ; Wall c. Suède, (10 décembre 2002) décision sur la
recevabilité, no 41403/98 ; H.M. c. Suisse
(précitée) ; H.L. c. Royaume-Uni ([2005] 40 EHRR 32) ; Enhorn
c. Suède ([2005] 41 EHRR 633) ; et Storck c. Allemagne ([2006]
43 EHRR 96). Dans le cas d’une mesure de confinement valant privation de
liberté et atteinte à la sûreté de la personne, les bonnes intentions ne
sauraient compenser le manque de justification de la mesure au regard de l’une
ou l’autre des exceptions énumérées à l’article 5 § 1, alinéas a) à f), qui
doivent être interprétées strictement.
45. Beaucoup
de ces affaires mettant en jeu l’article 5 § 1 e) soulèvent également des
questions relatives au consentement exprès ou implicite (à l’admission dans un
établissement psychiatrique ou dans un foyer pour personnes âgées). Il semble
que l’on pourrait aujourd’hui remettre en cause certaines décisions anciennes,
dans la mesure où elles mettent en avant les « droits parentaux » (en
particulier l’arrêt Nielsen, où
46. Je
ressens également un certain malaise devant la décision sur la recevabilité de
l’affaire X c. Allemagne rendue le 19 mars 1981 (requête no
8119/79) : les commissariats de police peuvent être des endroits
intimidants pour n’importe qui, en particulier pour les enfants, et il semble
assez artificieux de dire que
« (...)
en la présente espèce [l’action de la police] ne visait pas à incarcérer les
enfants mais simplement à s’informer sur la manière dont ils s’étaient
approprié les objets trouvés en leur possession et sur les vols survenus
précédemment dans l’établissement scolaire. »
47. Cela
étant, je conclus cependant que la question essentielle à se poser en l’espèce
est celle-ci : que faisaient les policiers à Oxford Circus le 1er
mai 2001 ? De quoi s’agissait-il ? La réponse est, ainsi que Lord
Hope l’a expliqué dans son résumé exhaustif des conclusions incontestées du
juge de première instance, que la police se livrait à un exercice
inhabituellement difficile de contrôle d’une foule, en vue d’éviter des
atteintes aux personnes et aux biens. Les policiers expérimentés qui menaient
les opérations étaient déterminés à éviter une catastrophe analogue à celle qui
s’était produite à Red Lion Square le 15 juin 1974. Leur but était de disperser
la foule, et le fait que la réalisation de ce but ait pris beaucoup plus de
temps que ce qu’ils pensaient a tenu à des circonstances indépendantes de leur
volonté. »
EN DROIT
I. SUR
38. Les requérants
se plaignent d’avoir été privés de leur liberté en violation de l’article 5 § 1
de
« 1. Toute
personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa
liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il
est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
b) s’il
a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour
insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou
en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;
c) s’il
a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire
compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis
une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de
l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement
de celle-ci ;
d) s’il
s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation
surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité
compétente ;
e) s’il
s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une
maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un
vagabond ;
f) s’il
s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour
l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle
une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »
39. Le Gouvernement
soutient qu’il n’y a pas eu privation de liberté et que l’article 5 § 1 ne
trouve donc pas à s’appliquer. A titre subsidiaire, il affirme que si privation
de liberté il y a eu elle était conforme aux alinéas b) et/ou c) de cette
disposition.
A. Thèse des
comparants
1. Le
Gouvernement
40. Le Gouvernement
estime que la police n’a pas privé les requérants de leur liberté au sens de
l’article 5 § 1. Il souligne que l’un des principes fondamentaux inhérents à
41. Les principes
applicables pour déterminer s’il y a eu privation de liberté auraient été dégagés
par
42.
43. Ce serait à
juste titre que
44. A titre
subsidiaire, le Gouvernement soutient que si privation de liberté il y a eu
elle se justifiait au regard de l’article 5 § 1 b) pour garantir l’exécution
d’une obligation prescrite par la loi, à savoir l’obligation d’aider les agents
de police à faire face à un trouble à l’ordre public. Plus subsidiairement
encore, il plaide que la privation de liberté, à la supposer établie, relevait
également de l’exception prévue par l’article 5 § 1 c), en ce que le
confinement de chacun des requérants était nécessaire afin de permettre à la
police de prévenir les troubles à l’ordre public qu’elle redoutait.
2. Les
requérants
45. Les requérants
soutiennent que pour déterminer si une personne a été privée de sa liberté, il
faut apprécier sa situation concrète de manière objective, en examinant en
particulier s’il y a eu « [confinement] dans un certain espace restreint
pendant un laps de temps non négligeable » et si la personne concernée a
ou non « valablement consenti » à la mesure (Storck c. Allemagne,
no 61603/00, § 74, CEDH 2005-V). Ils ajoutent que lorsque la mesure
employée n’implique pas une détention au sens classique d’un emprisonnement
elle doit s’apprécier au regard de la nature et du degré du confinement, des
modalités de sa mise en œuvre, de sa durée et de ses effets sur l’individu
concerné. Par exemple, plus le degré des mesures de confinement et de
coercition imposées par les autorités serait important, et plus la durée
requise pour qu’une privation de liberté soit constatée serait brève.
46. Les observations
du Gouvernement se fonderaient sur l’hypothèse nouvelle et controversée qu’une
mesure de confinement nécessaire à la réalisation d’un but légitime ou
d’intérêt général ne s’analyserait pas en une privation de liberté, du moins en
dehors de la situation classique d’un emprisonnement. Cette thèse serait
infondée : dès lors qu’il y aurait recours à une mesure dans des
circonstances qui sinon caractériseraient une privation de liberté, l’intention
ou le but sous-jacents à la mesure n’auraient pas à être pris en compte pour
apprécier s’il y a eu ou non privation de liberté. Le but à l’origine d’une
mesure ne serait pertinent que pour répondre à la question de savoir, dans le
cas d’une privation de liberté établie, si la mesure était justifiée au regard
de l’un ou l’autre des six buts précisés aux alinéas a) à f) de l’article 5 §
1, qu’il conviendrait, en tout état de cause, d’interpréter strictement. Il
serait impossible d’interpréter la notion de privation de liberté de manière
différente selon que la mesure est imposée pour des motifs d’ordre public ou
qu’elle l’est pour tout autre but légitime ou d’intérêt général.
47. Ce serait à tort
que le Gouvernement invoquerait à l’appui de son raisonnement la recherche d’un
juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et la nécessité de
protéger les droits des individus. Ce juste équilibre serait déjà intégré dans
la formulation même des divers droits protégés par
48. Les requérants
ne soutiennent pas qu’il y a eu privation de liberté dès la mise en place du
cordon. Eu égard toutefois à la nature de la mesure, à la manière coercitive dont
elle a été imposée, à sa durée et à ses effets sur eux, ils estiment que leur
confinement à l’intérieur du cordon de police a manifestement constitué pour
eux une privation de liberté. La circonstance que les tribunaux internes
auraient jugé qu’il s’agissait d’une mesure nécessaire d’ordre public serait
dépourvue de pertinence à cet égard.
49. Les requérants
considèrent que la privation de liberté ne se justifiait au regard d’aucun des
alinéas de l’article 5 § 1. En particulier, ils n’auraient pas été détenus en
vue de « garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la
loi », au sens de l’article 5 § 1 b), cette forme de justification ne
pouvant selon eux être admise que dans les cas où une obligation particulière
et concrète pèse sur l’individu et où la privation de liberté est liée au
respect de cette obligation. L’« obligation » en question ne pourrait
consister à se soumettre à la privation de liberté elle-même. En outre, la
détention d’une personne en vertu de l’article 5 § 1 c) « lorsqu’il y a
des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une
infraction » exigerait à la fois que la privation vise à empêcher
l’individu en question de commettre une infraction particulière et que les
autorités aient l’intention, au moment de la privation de liberté, de conduire
l’intéressé devant l’autorité judiciaire compétente dans le cadre d’une
procédure pénale. Or aucune de ces conditions ne serait satisfaite en l’espèce.
B. Appréciation
de
1. Recevabilité
50.
51.
2. Fond
a) Principes
généraux
52. Ainsi que les
parties le soulignent, c’est la première fois que
53. Tout d’abord,
ainsi que
54. Ensuite,
55. Eu égard au
contexte dans lequel la mesure de confinement ici en cause a été prise,
56. Ainsi que
57.
58. Ainsi que Lord
Walker le souligne (paragraphe 37 ci-dessus), le but de la mesure n’est pas
mentionné dans les arrêts précités comme un élément à prendre en compte pour
l’appréciation du point de savoir s’il y a eu privation de liberté. En réalité,
il ressort clairement de la jurisprudence de
59. Cependant,
60. L’article 5
consacre un droit fondamental de l’homme, à savoir la protection de l’individu
contre les atteintes arbitraires de l’Etat à son droit à la liberté. Les
alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 énumèrent limitativement les motifs
autorisant la privation de liberté. Pareille mesure n’est pas conforme à
l’article 5 § 1 si elle ne relève pas de l’un de ces motifs (voir, parmi
beaucoup d’autres, Al-Jedda c. Royaume-Uni [GC], no 27021/08,
§ 99, 7 juillet 2011). On ne saurait exclure que le recours à des
techniques de contention et de contrôle des foules puissent, dans des
circonstances particulières, donner lieu à une privation de liberté contraire à
l’article 5 § 1. Dans chaque cas particulier, l’article 5 § 1 doit
s’interpréter d’une manière qui tienne compte du contexte spécifique dans
lequel les techniques en cause sont utilisées et de l’obligation d’assurer le
maintien de l’ordre et la protection du public que tant le droit national que le
droit conventionnel font peser sur la police.
b) Application
de ces principes aux faits de l’espèce
61. La question de
savoir dans un cas donné s’il y a eu privation de liberté est donc fonction des
faits particuliers de l’espèce. A cet égard,
62. Le juge
Tugendhat, statuant en première instance, rendit son jugement à l’issue d’un
procès de trois semaines, pendant lequel il examina un nombre considérable
d’éléments de preuve concernant les événements qui s’étaient déroulés à Oxford
Circus le 1er mai 2001, notamment des dépositions orales, des
documents, des films vidéo et des photographies (paragraphe 16 ci-dessus). Il
établit notamment les faits suivants. Selon les informations recueillies au
préalable par la police, la manifestation devait attirer un « noyau
dur » de 500 à 1 000 manifestants violents et il y avait un risque
réel de dommages corporels graves, voire de décès, et d’atteintes aux biens si
la police ne parvenait pas à contrôler efficacement la foule. Préparés à l’idée
qu’un rassemblement se formerait à Oxford Circus vers 16 heures, les policiers
furent pris au dépourvu lorsqu’ils constatèrent que plus de 1 500
personnes s’y pressaient déjà deux heures avant. Compte tenu des informations
dont elle disposait et du comportement qu’avaient eu les foules lors de
manifestations antérieures sur des thèmes similaires, la police décida à
14 heures que pour prévenir les violences et le risque d’atteintes aux
personnes et aux biens il fallait imposer un cordon absolu. A partir de
14 h 20, lorsque ce cordon intégral fut en place, personne à
l’intérieur n’eut plus la possibilité de partir sans autorisation. Il y avait
suffisamment d’espace au sein du cordon pour que les personnes pussent se
déplacer, et il n’y eut pas de bousculades, mais les conditions étaient
inconfortables, car les personnes enfermées ne pouvaient s’abriter nulle part,
ne disposaient ni d’eau ni de nourriture et n’avaient pas accès à des
toilettes. Tout au long de l’après-midi et de la soirée, la police tenta à
plusieurs reprises de débuter un processus de libération collective, mais le
comportement violent et peu coopératif d’une minorité importante aussi bien à
l’intérieur du cordon qu’aux alentours de celui-ci l’amena à suspendre à chaque
fois l’opération. En conséquence, le processus de dispersion ne fut totalement
achevé qu’à 21 h 30. Cependant, environ 400 personnes qui,
visiblement, n’avaient rien à voir avec la manifestation ou subissaient de
graves conséquences du fait de leur confinement furent autorisées à partir
(paragraphes 17–25 ci-dessus). Ces constatations n’ont pas été remises en cause
par les parties à la présente procédure, et
63.
64. Eu égard aux
critères énoncés dans l’affaire Engel et autres,
65. Elle doit
toutefois également prendre en compte le « genre » et les
« modalités d’exécution » de la mesure en question. Comme elle l’a
dit ci-dessus, le contexte dans lequel celle-ci s’insère a son importance.
66. Il convient donc de
noter que la mesure a été imposée dans un but d’isolement et de confinement
d’une foule nombreuse, dans des conditions instables et dangereuses. Comme le
souligne le Gouvernement (paragraphe 42 ci-dessus), la police décida
d’avoir recours pour contrôler la foule à une mesure de confinement plutôt qu’à
des méthodes plus radicales qui auraient pu donner lieu à un risque supérieur
d’atteintes aux personnes. Le juge de première instance conclut que, eu égard à
la situation à Oxford Circus, la police n’avait pas eu d’autre choix, pour
parer à un risque réel de dommages corporels et matériels graves, que d’imposer
un cordon absolu (paragraphe 26 ci-dessus).
67. Par ailleurs,
sur la base là encore des faits établis par le juge de première instance,
68.
69. En conclusion,
l’article 5 ne trouvant pas à s’appliquer, il n’a pas été violé en l’espèce.
PAR CES MOTIFS,
1. Déclare,
à l’unanimité, les requêtes recevables ;
2. Dit,
par quatorze voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de
l’article 5 de
Fait en
français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits
de l’homme, à Strasbourg le 15 mars 2012, en application de l’article 77
§§ 2 et 3 du règlement de
Michael O’Boyle Françoise
Tulkens
Greffier Présidente
Au
présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de
F.T.
M.O.B
OPINION
DISSIDENTE COMMUNE DES JUGES TULKENS, SPIELMANN ET GARLICKI
1. Nous ne
partageons pas le constat de la majorité selon lequel il n’y a pas eu privation
de liberté, ce qui l’amène à conclure que, l’article 5 de
2. L’arrêt explique
sa position par « les circonstances exceptionnelles et spécifiques de
cette affaire » mais il souligne aussi que « [s]i la mise en
place et le maintien du cordon par la police n’avaient pas été nécessaires pour
prévenir des atteintes graves aux personnes ou aux biens, la mesure aurait été
d’un « genre » différent et sa nature coercitive et restrictive
aurait pu suffire à la faire tomber dans le champ de l’article 5 »
(paragraphe 68).
3. Au niveau des
principes gouvernant l’application de l’article 5 de
4. Tout d’abord,
5. Ensuite, eu égard
à la structure et au libellé de l’article 5 § 1 de
6. C’est cette
approche qui fonde l’analyse de
7. A cet égard, la
suggestion de la majorité qui figure malencontreusement dans la partie
consacrée aux principes généraux nous paraît problématique. « On ne
saurait exclure que le recours à des techniques de contention et de contrôle
des foules puissent, dans des circonstances particulières, donner lieu à une
privation de liberté contraire à l’article 5 § 1. Dans chaque cas particulier,
l’article 5 § 1 doit s’interpréter d’une manière qui tienne pleinement compte
du contexte spécifique dans lequel les techniques en cause sont utilisées et de
l’obligation d’assurer le maintien de l’ordre et la protection du public que
tant le droit national que le droit conventionnel font peser sur la
police » (paragraphe 60 de l’arrêt). Sous cette forme, ce texte nous
paraît dangereux en ce qu’il contient en germe un blanc-seing et donne un
mauvais message aux autorités policières.
8. La majorité
rappelle que « dans certaines circonstances bien définies, les articles 2
et 3 peuvent faire peser sur les autorités l’obligation positive de prendre
préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger un individu dont la
vie est menacée » (paragraphe 55 de l’arrêt). Certes, mais il n’est pas
établi en l’espèce qu’il y avait un danger imminent et certain pour la vie ou
l’intégrité physique des personnes. Toutefois, il ne s’agit pas en réalité d’un
problème nouveau. L’interaction entre la protection offerte par l’article 5 § 1
de
9. Dans la présente
affaire, le paradoxe réside dans le fait constaté à juste titre par Lord Hope
et Lord Neuberger que, s’il y avait eu privation de liberté, il aurait été
impossible pour la police de la justifier en vertu des exceptions prévues à
l’article 5 § 1, alinéas b) et c).
10. Nous sommes bien
conscients que le maintien de l’ordre est une mission difficile, même si, en
l’espèce, il n’est pas contesté que les 6 000 policiers étaient les plus
expérimentés d’Angleterre. Comme il ressort de l’analyse effectuée par les
juridictions internes, il semble que les forces de l’ordre ont, en l’espèce,
donné priorité à l’efficacité de leur intervention et ont opté pour la solution
la plus pratique pour gérer la situation en gardant tout le monde à
l’intérieur du cordon. Cette mesure a ainsi été appliquée de manière
indiscriminée et a été imposée aussi aux personnes qui ne participaient en
aucune manière à la manifestation. A cet égard, on aurait pu attendre de la
police qu’elle ait recours à des moyens moins intrusifs. De fait, il apparaît
que l’ensemble des personnes qui sont passées par Oxford Circus vers 14 heures
ce jour-là ont été traitées comme des objets et obligées de rester là où elles
se trouvaient jusqu’à ce que la police parvienne à régler d’autres problèmes
dans la ville.
11. La majorité
relève des différences dans la situation des requérants : la première
s’était rendue à Oxford Circus dans l’intention de manifester tandis que les
trois autres requérants étaient de simples passants. Elle estime néanmoins que
ces différences sont sans incidence sur la question de savoir s’il y a
eu ou non privation de liberté (paragraphe 63 de l’arrêt). Avec tout le respect
que nous lui devons, nous ne pouvons souscrire à ce point de vue. Certes, on
peut accepter qu’un participant actif dans une manifestation qui n’est pas
entièrement pacifique doit prévoir que sa liberté de mouvement pourrait être
restreinte pour la nécessité de mesures policières, encore que, dans le cas
d’espère, ce ne soit pas le cas. En effet,
12.
13. Enfin,
14. En l’espèce, les
intéressés ont été confinés à l’intérieur d’une zone relativement petite, en
même temps que quelque 3 000 autres personnes, avec une liberté de
mouvement très réduite ; ils ne pouvaient que se tenir debout ou s’asseoir
sur le sol ; ils n’avaient aucun accès à des toilettes, ni à de la
nourriture ou de l’eau. Le cordon a été maintenu par la présence de centaines
de policiers antiémeutes et les requérants dépendaient entièrement de la
décision des policiers quant au moment où ils allaient pouvoir partir. En
outre, ces policiers pouvaient faire usage de la force pour maintenir le cordon
en place et le refus de se conformer aux instructions et restrictions imposées
constituait une infraction passible de prison et pouvait donner lieu à une
arrestation. Tous les requérants ont été ainsi enfermés pendant six à sept
heures.
15. En conclusion,
nous estimons qu’il y a eu privation de liberté au sens de l’article 5 de