DEUXIĂME SECTION
AFFAIRE ĂCALAN c.
TURQUIE (No 2)
(RequĂȘtes
nos 24069/03, 197/04, 6201/06 et 10464/07)
ARRĂT
STRASBOURG
18 mars 2014
Cet arrĂȘt deviendra dĂ©finitif dans les conditions
dĂ©finies Ă lâarticle 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme.
En lâaffaire Abdullah Ăcalan c. Turquie (no 2),
La Cour europĂ©enne des droits de lâhomme (deuxiĂšme section), siĂ©geant en une chambre composĂ©e de :
         Guido
Raimondi, président,
         Işıl Karakaş,
         Peer Lorenzen,
         Dragoljub Popović,
         Andrås Sajó,
         Paulo Pinto de Albuquerque,
         Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 février 2014,
Rend lâarrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă cette date :
PROCĂDURE
1. Ă lâorigine de lâaffaire se trouvent quatre requĂȘtes (nos 24069/03, 197/04, 6201/06 et 10464/07) dirigĂ©es contre la RĂ©publique de Turquie et dont un ressortissant de cet Ătat, M. Abdullah Ăcalan (« le requĂ©rant »), a saisi la Cour le 1er aoĂ»t 2003 en vertu de lâarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lâhomme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention »).
2. Le requĂ©rant a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© devant la Cour par Mes T. Otty et M. Muller, avocats Ă Londres (requĂȘtes nos 24069/03 et 197/04) ; Mes A. Tuğluk, D. Erbaş, I. DĂŒndar, H. Kaplan, M. Tepe, F. Köstak, F. Aydınkaya, Ă. GĂŒneş, I. Bilmez, B. Kaya, Ş. Tur et E. Emekçi, avocats Ă Istanbul ; Mes K. Bilgiç et H. Korkut, avocats Ă İzmir ; Mes M. Şakar et R. Yalçındağ, avocats Ă Diyarbakır ; Me N. Bulgan, avocat Ă Gaziantep ; Me A. Oruç, avocat Ă Denizli (requĂȘtes nos 24069/03, 197/04, 6201/06 et 10464/07), et Me R.B. Ahues, avocat Ă Hanovre (requĂȘte no 24069/03). Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agent.
3. Le requĂ©rant se plaint en gĂ©nĂ©ral de ses conditions de dĂ©tention Ă la prison dâİmralı (Mudanya, Bursa, Turquie), des restrictions frappant sa communication avec les membres de sa famille, de sa condamnation Ă la peine perpĂ©tuelle sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle, et dâune tentative dâempoisonnement.
4. Le 3 avril 2007, les requĂȘtes ont Ă©tĂ© jointes et communiquĂ©es au Gouvernement. Comme le permet lâarticle 29 § 1 de la Convention, il a en outre Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que la chambre se prononcerait en mĂȘme temps sur la recevabilitĂ© et le fond.
LâĂ©change des observations entre les parties sâest terminĂ© le 8 mars 2012.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE LâESPĂCE
5. Le requĂ©rant, ressortissant turc nĂ© en 1949, est actuellement dĂ©tenu Ă la prison dâİmralı.
6. Les
faits de la cause survenus jusquâĂ la date du 12 mai 2005 ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s par
la Cour dans lâarrĂȘt Ăcalan c. Turquie
([GC], no 46221/99, CEDH 2005‑IV). Ils peuvent se rĂ©sumer
comme suit.
7. Le 15 fĂ©vrier 1999, le requĂ©rant fut apprĂ©hendĂ© par des agents de sĂ©curitĂ© turcs dans un avion qui se trouvait dans la zone internationale de lâaĂ©roport de Nairobi. RamenĂ© du Kenya en Turquie, le requĂ©rant fut placĂ© en garde Ă vue Ă la prison dâİmralı le 16 fĂ©vrier 1999. Entre-temps, les dĂ©tenus de cette prison avaient Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©s dans dâautres Ă©tablissements.
8. Le
23 février 1999, le requérant comparut devant un juge assesseur de la cour de
sĂ»retĂ© de lâĂtat dâAnkara, qui ordonna sa mise en dĂ©tention provisoire.
A. Le procĂšs
9. Par un arrĂȘt du 29 juin 1999, la cour de sĂ»retĂ© de lâĂtat dâAnkara dĂ©clara le requĂ©rant coupable dâavoir menĂ© des actions visant Ă la sĂ©cession dâune partie du territoire de la Turquie et dâavoir formĂ© et dirigĂ© dans ce but une bande de terroristes armĂ©s, et elle le condamna Ă la peine capitale en application de lâarticle 125 du code pĂ©nal. Elle considĂ©ra que le requĂ©rant Ă©tait le fondateur et le premier responsable de lâorganisation illĂ©gale que constituait le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan â le « PKK »). La cour de sĂ»retĂ© de lâĂtat jugea Ă©tabli quâĂ la suite de dĂ©cisions prises par le requĂ©rant, et sur ses ordres et directives, le PKK avait procĂ©dĂ© Ă plusieurs attaques armĂ©es, attentats Ă la bombe, sabotages et vols Ă main armĂ©e, et que, lors de ces actes de violence, des milliers de civils, de militaires, de policiers, de gardes de village et de fonctionnaires avaient trouvĂ© la mort. Elle rappela entre autres que le requĂ©rant avait reconnu que lâĂ©valuation par les autoritĂ©s turques du nombre de morts (prĂšs de trente mille) et de blessĂ©s imputables aux agissements du PKK Ă©tait proche de la rĂ©alitĂ©, que ce nombre pouvait mĂȘme ĂȘtre plus Ă©levĂ©, et que les attaques avaient Ă©tĂ© perpĂ©trĂ©es sur ses ordres et dans le cadre de la lutte armĂ©e menĂ©e par le PKK. La cour de sĂ»retĂ© de lâĂtat nâadmit pas lâexistence de circonstances attĂ©nuantes permettant de commuer la peine capitale en rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ©, compte tenu notamment du nombre trĂšs Ă©levĂ© et de la gravitĂ© des actes de violence et eu Ă©gard au danger important et imminent que reprĂ©sentaient ces actes pour le pays.
10. Par un arrĂȘt adoptĂ© le 22 novembre 1999 et prononcĂ© le 25, la Cour de cassation confirma lâarrĂȘt du 29 juin 1999 en toutes ses dispositions.
11. En octobre 2001, lâarticle 38 de la Constitution fut modifiĂ© dans le sens que la peine capitale ne pourrait plus ĂȘtre prononcĂ©e ni exĂ©cutĂ©e sauf en temps de guerre ou de danger imminent de guerre, ou en cas dâactes terroristes.
Par la loi no 4771 publiĂ©e le 9 aoĂ»t 2002, la Grande AssemblĂ©e nationale de Turquie dĂ©cida notamment dâabolir la peine de mort en temps de paix (câest-Ă -dire sauf Ă©tat de guerre ou menace de guerre imminente) et dâapporter les modifications nĂ©cessaires aux lois concernĂ©es, y compris au code pĂ©nal. Selon ces modifications, la rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ©, rĂ©sultant de la commutation de la peine capitale dĂ©jĂ prononcĂ©e en raison dâactes de terrorisme, devait ĂȘtre purgĂ©e jusquâĂ la fin des jours du condamnĂ©.
12. Par un arrĂȘt du 3 octobre 2002, la cour de sĂ»retĂ© de lâĂtat dâAnkara commua en rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© la peine capitale prononcĂ©e Ă lâĂ©gard du requĂ©rant.
13. Le 20 fĂ©vrier 2006, la Turquie ratifia le Protocole no 13 relatif Ă lâabolition de la peine de mort en toutes circonstances.
B. Les conditions de détention aprÚs le 12 mai 2005
1. Conditions de dĂ©tention dans lâĂ©tablissement pĂ©nitentiaire dâİmralı
14. Les conditions de la dĂ©tention du requĂ©rant Ă la prison dâİmralı jusquâĂ la date du 12 mai 2005 se trouvent exposĂ©es dans lâarrĂȘt de la mĂȘme date (Ăcalan, prĂ©citĂ©, §§ 192-196).
15. Par ailleurs, le requĂ©rant fut lâunique dĂ©tenu de la prison dâİmralı jusquâau 17 novembre 2009, date Ă laquelle cinq autres personnes y furent transfĂ©rĂ©es ; tous les dĂ©tenus, y compris le requĂ©rant, furent alors installĂ©s dans un nouveau bĂątiment qui venait dâĂȘtre construit.
16. En mai 2007 et en janvier 2010, donc pendant la pĂ©riode postĂ©rieure Ă lâarrĂȘt de la Cour du 12 mai 2005, des dĂ©lĂ©gations du ComitĂ© europĂ©en pour la prĂ©vention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants (« le CPT ») visitĂšrent lâĂ©tablissement pĂ©nitentiaire dâİmralı.
a) Avant le 17 novembre 2009
17. Avant le 17 novembre 2009, la cellule quâoccupait seul le requĂ©rant mesurait 13 mÂČ environ, disposait dâun lit, dâune table, dâun fauteuil et dâune bibliothĂšque. La piĂšce Ă©tait climatisĂ©e et dotĂ©e dâun coin toilette. Elle possĂ©dait une fenĂȘtre donnant sur une cour intĂ©rieure et bĂ©nĂ©ficiait dâun Ă©clairage naturel et artificiel suffisant. En fĂ©vrier 2004, les murs avaient Ă©tĂ© renforcĂ©s par des panneaux en agglomĂ©rĂ© permettant de rĂ©duire lâhumiditĂ©.
18. Le temps accordĂ© au requĂ©rant pour sortir de sa cellule et profiter dâune cour intĂ©rieure (45 mÂČ environ), entourĂ©e de hauts murs et couverte de grillage, Ă©tait limitĂ© Ă une heure par jour (deux fois trente minutes, le matin et lâaprĂšs-midi).
19. Le requĂ©rant ne se trouvait pas en isolement sensoriel ou en isolement cellulaire. Comme il Ă©tait le seul dĂ©tenu prĂ©sent dans cet Ă©tablissement pĂ©nitentiaire, il ne pouvait avoir de contacts quâavec les membres du personnel qui y travaillaient. Ces derniers nâĂ©taient autorisĂ©s Ă communiquer avec lui que sur des sujets relevant de leurs fonctions et relatifs Ă la vie quotidienne Ă la prison.
20. Le requĂ©rant disposait de livres et dâun poste de radio pouvant capter des Ă©missions Ă©tatiques. Il ne lui Ă©tait pas permis dâavoir un poste de tĂ©lĂ©vision dans sa cellule, au motif quâil Ă©tait un dĂ©tenu dangereux, Ă©tait membre dâune organisation illĂ©gale et commettait des infractions disciplinaires rĂ©pĂ©titives. Pour les mĂȘmes raisons, il nâavait pas non plus accĂšs au tĂ©lĂ©phone.
21. Soumis Ă un accĂšs restreint Ă la presse quotidienne et hebdomadaire, le requĂ©rant pouvait disposer dans sa cellule dâun maximum de trois journaux Ă la fois. Ceux-ci dataient souvent de plusieurs jours. En fait, il recevait des journaux une fois par semaine : il sâagissait des numĂ©ros fournis par sa famille ou par ses avocats. En lâabsence de visites de membres de sa famille et de ses avocats (en raison des difficultĂ©s dâaccĂšs Ă lâĂźle), il arrivait au requĂ©rant de rester longtemps sans accĂšs aux numĂ©ros rĂ©cents de la presse Ă©crite. Les journaux qui lui Ă©taient remis Ă©taient largement censurĂ©s.
22. Le requĂ©rant avait le droit de correspondre avec lâextĂ©rieur, sous le contrĂŽle des autoritĂ©s pĂ©nitentiaires. Le courrier reçu par lui Ă©tait vĂ©rifiĂ© et censurĂ©. La correspondance avec lâextĂ©rieur fut interrompue pendant certaines pĂ©riodes.
23. Le requĂ©rant demeura dans la mĂȘme cellule de la date de son transfert Ă lâĂ©tablissement pĂ©nitentiaire dâİmralı â aprĂšs son arrestation le 16 fĂ©vrier 1999 â jusquâĂ la date du 17 novembre 2009, soit durant prĂšs de dix ans et neuf mois.
b) Depuis le 17 novembre 2009
24. Pour se conformer aux demandes formulĂ©es par le CPT afin quâil fĂ»t mis un terme Ă lâisolement social relatif du requĂ©rant, les autoritĂ©s gouvernementales construisirent de nouveaux bĂątiments dans lâenceinte de lâĂ©tablissement pĂ©nitentiaire dâİmralı. Le 17 novembre 2009, lâintĂ©ressĂ© et cinq autres dĂ©tenus transfĂ©rĂ©s dâautres prisons y furent installĂ©s.
25. Depuis cette date, le requĂ©rant occupe seul une cellule ayant une superficie de 9,8 mÂČ (espace de vie) auxquels sâajoutent 2 mÂČ (salle dâeau et toilettes), possĂ©dant un lit, une petite table, deux chaises, une armoire mĂ©tallique et un coin cuisine Ă©quipĂ© dâun lavabo. Le bĂątiment oĂč se trouvent les cellules est bien protĂ©gĂ© contre lâhumiditĂ©. Selon le CPT, la cellule du requĂ©rant, bien que dotĂ©e dâune fenĂȘtre de 1 m x 0,5 m et dâune porte en partie vitrĂ©e, les deux donnant sur une cour intĂ©rieure, ne bĂ©nĂ©ficie pas dâun ensoleillement direct suffisant en raison du mur de 6 m de haut qui entoure cette cour. La proposition du CPT dâabaisser le mur nâa pas Ă©tĂ© acceptĂ©e par le Gouvernement, dont les experts ont certifiĂ© que la cellule recevait assez de lumiĂšre naturelle.
26. La prison est Ă©quipĂ©e dâune salle de sport contenant une table de ping‑pong et de deux autres salles dotĂ©es de chaises et de tables, toutes ces piĂšces recevant une abondante lumiĂšre naturelle. Chaque dĂ©tenu, y compris le requĂ©rant, bĂ©nĂ©ficie de deux heures dâactivitĂ©s quotidiennes en extĂ©rieur, quâil passe seul dans la cour intĂ©rieure rĂ©servĂ©e Ă sa cellule. Par ailleurs, chaque dĂ©tenu peut passer une heure par semaine, seul, dans une salle de loisirs (oĂč aucune activitĂ© spĂ©cifique nâest proposĂ©e) et deux heures par mois, seul, dans la bibliothĂšque de la prison. En outre, chaque dĂ©tenu participe Ă des activitĂ©s collectives, incluant une heure par semaine avec les autres dĂ©tenus pour la conversation.
27. Ă la suite de sa visite de janvier 2010, le CPT fit observer que le rĂ©gime pĂ©nitentiaire appliquĂ© au requĂ©rant nâĂ©tait quâun pas modeste dans le bon sens, surtout en comparaison du rĂ©gime pratiquĂ© dans les autres prisons de type F pour la mĂȘme catĂ©gorie de condamnĂ©s, qui pouvaient se livrer Ă des activitĂ©s en extĂ©rieur tout au long de la journĂ©e et Ă des activitĂ©s collectives non surveillĂ©es avec les autres condamnĂ©s trois Ă sept jours par semaine.
28. Au vu de ces observations, les autoritĂ©s responsables de la prison dâİmralı entreprirent dâassouplir le rĂ©gime en question, si bien que les dĂ©tenus dâİmralı, y compris le requĂ©rant, peuvent dĂ©sormais se livrer seuls Ă des activitĂ©s hors cellule pendant quatre heures par jour, recevoir des journaux deux fois par semaine (au lieu dâune seule fois) et passer trois heures par semaine ensemble pour la conversation (au lieu dâune heure par semaine). Tous les dĂ©tenus dâİmralı peuvent Ă leur demande pratiquer, Ă raison dâune heure par semaine, chacune des activitĂ©s collectives suivantes : peinture et arts plastiques, ping-pong, Ă©checs, volleyball, basketball. Selon les registres de la prison, le requĂ©rant fait en pratique du volleyball et du basketball, mais ne participe pas aux autres activitĂ©s. Les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires informĂšrent Ă©galement le CPT quâelles envisageaient dâoffrir aux dĂ©tenus deux heures par semaine dâactivitĂ©s collectives supplĂ©mentaires (arts plastiques, jeux de sociĂ©tĂ© ou sport). Ainsi, le temps passĂ© par le requĂ©rant hors de sa cellule serait Ă©lĂ©vĂ©, en fonction de ses choix quant aux activitĂ©s communes, jusquâĂ trente-huit heures par semaine au maximum, dont dix heures au maximum en compagnie des autres dĂ©tenus.
29. Des amĂ©nagements techniques ayant Ă©tĂ© opĂ©rĂ©s, depuis le 20 mars 2010 le requĂ©rant dispose, comme les autres dĂ©tenus de la prison dâİmralı, de dix minutes de conversation tĂ©lĂ©phonique avec lâextĂ©rieur tous les quinze jours.
30. Dans
son rapport du 9 juillet 2010, le CPT a recommandĂ© au Gouvernement de veiller Ă
ce que le requérant soit en compagnie des autres détenus lors des activités en
extĂ©rieur, Ă ce que lâintĂ©ressĂ© et les autres dĂ©tenus puissent passer ensemble
une partie raisonnable de la journée (par exemple huit heures) en dehors de
leurs cellules pour se livrer à des activités variées. Le CPT a également
conseillĂ© dâautoriser le requĂ©rant Ă avoir un poste de tĂ©lĂ©vision dans sa
cellule, comme tous les autres détenus des prisons de haute sécurité. Les
autoritĂ©s pĂ©nitentiaires nâont pas donnĂ© suite Ă ces derniĂšres recommandations
au motif que lâintĂ©ressĂ© avait toujours le statut de dĂ©tenu dangereux et ne se
conformait pas au rĂšglement de la prison, notamment lors des visites de ses
avocats. Le 12 janvier 2012, un poste de télévision a été mis à la disposition
du requérant.
2. Restrictions apportées aux visites des avocats et membres de la famille du requérant
a) La fréquences des visites
31. Des membres de la famille et des avocats du requĂ©rant ont rendu visite Ă celui-ci maintes fois, mais ces visites nâont pas Ă©tĂ© aussi frĂ©quentes que lâauraient souhaitĂ© le requĂ©rant et les visiteurs, principalement en raison de « mauvaises conditions mĂ©tĂ©orologiques », de lâ« entretien des bateaux assurant la navette entre lâĂźle et le continent » et de lâ« impossibilitĂ© pour les bateaux navettes de faire face aux mauvaises conditions mĂ©tĂ©orologiques ».
32. En fait, lâancien bateau İmralı 9 demeurait en service mais ne pouvait naviguer que par vent faible. Le grand bateau Tuzla, qui avait Ă©tĂ© promis par le Gouvernement alors que la prĂ©cĂ©dente affaire Ăcalan Ă©tait pendante devant la Grande Chambre de la Cour, a Ă©tĂ© mis en service en 2006. Plus adaptĂ© que lâİmralı 9 aux conditions mĂ©tĂ©orologiques difficiles, le Tuzla assure des navettes Ă une frĂ©quence plus Ă©levĂ©e entre lâĂźle dâİmralı et le continent. Il a de temps en temps des pannes techniques, avec des rĂ©parations qui nĂ©cessitent parfois des travaux de plusieurs semaines.
33. Concernant les visites, pendant la pĂ©riode mars-septembre 2006 par exemple, vingt et une demandes de visite sur trente et une furent rejetĂ©es. Ces dĂ©cisions nĂ©gatives se poursuivirent en octobre 2006, avec cinq refus pour six demandes, et en novembre 2006 avec six refus pour dix demandes. AprĂšs une brĂšve amĂ©lioration en dĂ©cembre 2006 (un refus pour six demandes), en janvier 2007 (deux refus pour six demandes) et en fĂ©vrier 2007 (aucun refus pour les quatre demandes), la frĂ©quence des visites chuta encore en mars 2007 (six refus pour huit demandes) et en avril 2007 (quatre refus pour cinq demandes), pour reprendre un rythme plus Ă©levĂ© en mai 2007 (un refus pour cinq demandes) et en juin 2007 (un refus pour quatre demandes). Le nombre total des visites de la famille sâest Ă©levĂ© Ă quatorze en 2005, Ă treize en 2006 et Ă sept en 2007. En fait, du 16 fĂ©vrier 1999 jusquâen septembre 2007, le requĂ©rant reçut 126 visites de ses frĂšres et sĆurs, et 675 de ses avocats ou conseils.
34. Sur le restant de lâannĂ©e 2007, en 2008, en 2009 et en gĂ©nĂ©ral 2010, la frĂ©quence des visites dâavocats ou de membres de la famille du requĂ©rant augmenta rĂ©guliĂšrement. Courant 2009 par exemple, quarante-deux visites sur cinquante-deux demandĂ©es eurent lieu le jour prĂ©vu ou le lendemain (en raison de conditions mĂ©tĂ©orologiques dĂ©favorables).
35. En 2011 et en 2012, la proportion de refus par rapport aux demandes a augmentĂ© de façon significative. Ă titre dâexemple, en 2011, le requĂ©rant nâa pu recevoir que deux visites de proches sur les six demandĂ©es. Encore en 2011, il nâa pu recevoir que vingt-trois visites de ses avocats sur les soixante-sept demandĂ©es. Trois visites de ses avocats ont eu lieu en janvier, deux en fĂ©vrier, cinq an mars, trois en avril, quatre en mai, quatre en juin et deux en juillet 2011. DâaoĂ»t Ă dĂ©cembre 2011, le requĂ©rant nâa reçu aucune visite, Ă lâexception dâune visite de proches le 12 octobre 2011, pour trente‑trois demandes refusĂ©es. Les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires ont invoquĂ© les mauvaises conditions mĂ©tĂ©orologiques ou une panne de bateau pour justifier leurs refus.
En 2012, le requĂ©rant a reçu quelques visites de son frĂšre. Il nâa reçu aucune visite de ses avocats.
b) Les visites des avocats
36. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, les personnes dĂ©tenues en Turquie peuvent sâentretenir avec leurs avocats les jours ouvrables, et ce pendant les heures de travail, sans restriction de frĂ©quence sur une pĂ©riode dĂ©terminĂ©e. LâaccĂšs Ă lâĂźle dâİmralı nâĂ©tant possible que par la navette maritime mise Ă disposition par lâadministration de la prison dâİmralı, les visites des avocats du requĂ©rant avaient lieu en pratique les mercredis, lorsque le transport Ă©tait assurĂ©.
i. Le déroulement des visites des avocats du requérant
37. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, les dĂ©tenus peuvent communiquer avec leur avocat en toute confidentialitĂ©, en dehors de la prĂ©sence dâun surveillant. Cependant, le 1er juin 2005, la loi no 5275 sur lâexĂ©cution des peines et des mesures prĂ©ventives est entrĂ©e en vigueur, remplaçant la lĂ©gislation prĂ©cĂ©dente en la matiĂšre. En vertu de lâarticle 59 de la nouvelle loi, sâil sâavĂšre, dâaprĂšs des documents ou dâautres Ă©lĂ©ments de preuve, que les visites dâavocats Ă une personne condamnĂ©e pour crime organisĂ© servent de moyen de communication au sein de lâorganisation concernĂ©e, le juge de lâexĂ©cution des peines, sur demande du parquet, peut imposer les mesures suivantes : la prĂ©sence dâun fonctionnaire lorsque le condamnĂ© sâentretient avec ses avocats, le contrĂŽle des documents Ă©changĂ©s entre le condamnĂ© et ses avocats lors de ces visites et/ou la saisie de tout ou partie de ces documents par le juge.
38. Le 1er juin 2005, le requĂ©rant reçut la visite de ses avocats. Juste avant lâentretien, les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires communiquĂšrent Ă lâintĂ©ressĂ© et Ă ses avocats une dĂ©cision du juge de lâexĂ©cution des peines de Bursa, appliquant Ă cette visite lâarticle 59 de la loi no 5275. Un fonctionnaire fut donc prĂ©sent lors de lâentrevue, la conversation entre le requĂ©rant et ses avocats fut enregistrĂ©e sur magnĂ©tophone et les documents apportĂ©s par les avocats furent soumis au juge pour examen.
39. Pour protester contre la nouvelle procĂ©dure, le requĂ©rant interrompit lâentretien au bout de quinze minutes et demanda Ă ses avocats de ne plus venir lui rendre visite tant que ces mesures seraient en vigueur. Il dĂ©clara aux autoritĂ©s pĂ©nitentiaires que la procĂ©dure en cause ne respectait nullement la confidentialitĂ© de lâentretien entre les avocats et leur client et quâune telle pratique « rendait inutiles la visite et lâentretien pour la prĂ©paration de sa dĂ©fense ».
40. Lors des visites ultĂ©rieures, un fonctionnaire assista aux entretiens. Par ailleurs, la conversation entre le requĂ©rant et ses avocats fut Ă nouveau enregistrĂ©e sur magnĂ©tophone et soumise au juge de lâexĂ©cution des peines pour examen.
41. Les avocats du requĂ©rant formĂšrent aussi un recours auprĂšs de la cour dâassises de Bursa contre la dĂ©cision du juge de lâexĂ©cution des peines de Bursa ayant ordonnĂ© la prĂ©sence dâun fonctionnaire lors des entretiens et lâenregistrement des conversations. Par des dĂ©cisions du 27 avril et du 9 juin 2006, la cour dâassises rejeta ce recours, aux motifs que les mesures attaquĂ©es visaient Ă empĂȘcher la transmission dâordres au sein dâune organisation terroriste, quâelles ne concernaient pas les droits de la dĂ©fense du requĂ©rant et que, du reste, la transcription des conversations montrait que celles-ci ne portaient pas sur la dĂ©fense de lâintĂ©ressĂ© dans une quelconque procĂ©dure mais sur le fonctionnement interne du PKK ou la stratĂ©gie Ă suivre par cette organisation illĂ©gale.
42. Lors de la visite des avocats du 29 mars 2006, lâun des fonctionnaires prĂ©sents dans la piĂšce oĂč se dĂ©roulait lâentretien interrompit celui‑ci au motif quâil ne se limitait pas Ă la prĂ©paration de la dĂ©fense du requĂ©rant devant un organe judiciaire. Les avocats de lâintĂ©ressĂ© portĂšrent plainte contre le fonctionnaire en question pour abus de pouvoir et de compĂ©tences. Le 21 avril 2006, le parquet de Bursa rendit une ordonnance de classement sans suite.
ii. Contenu des échanges entre le requérant et ses avocats
43. Il ressort des comptes rendus des visites des avocats que les conversations commencent trĂšs souvent par un exposĂ© des avocats sur les rĂ©cents dĂ©veloppements concernant le PKK. Le requĂ©rant consulte ses avocats sur les changements de personnes aux diffĂ©rents niveaux de structure de lâorganisation, sur les diverses activitĂ©s et rĂ©unions organisĂ©es par les organes du PKK (aux niveaux rĂ©gional ou national, ou encore Ă lâĂ©tranger), sur la ligne politique suivie par les dirigeants du parti, sur la concurrence entre ces derniers ainsi que sur les pertes subies par les militants armĂ©s dans leur lutte contre les forces de sĂ©curitĂ©. Le requĂ©rant, se prĂ©sentant comme « le leader du peuple kurde », commente toutes les rĂ©ponses des avocats et charge ceux-ci de transmettre ses idĂ©es et ses instructions en vue de la rĂ©orientation de la politique menĂ©e par le PKK en Turquie (il dĂ©fend en gĂ©nĂ©ral lâidĂ©e dâune reconnaissance des droits de la minoritĂ© kurde dans une Turquie complĂštement dĂ©mocratique) ou dans dâautres pays. Par ailleurs, il approuve ou rejette les nominations des cadres dans diverses instances du PKK et donne des conseils sur lâorganisation interne du parti. Il prĂŽne aussi lâabandon des armes par le PKK lorsque le Gouvernement aura mis fin aux hostilitĂ©s et que les revendications formulĂ©es par le PKK seront satisfaites.
44. Ă la demande du procureur de la RĂ©publique de Bursa, le juge de lâexĂ©cution des peines de Bursa refusa plusieurs fois de remettre au requĂ©rant et Ă ses avocats une copie de ces comptes rendus, au motif que ceux-ci contenaient des instructions directes ou indirectes du requĂ©rant au PKK, qui les utilisait pour rĂ©orienter sa stratĂ©gie et ses plans dâaction.
45. Depuis mai 2005, le requĂ©rant est restĂ© actif dans sa participation au dĂ©bat politique de la Turquie sur le mouvement armĂ© sĂ©paratiste que constitue le PKK, qui le dĂ©signe comme son principal reprĂ©sentant, et ses instructions transmises par le biais de ses avocats ont Ă©tĂ© suivies attentivement par le public et ont fait lâobjet de diverses rĂ©actions, mĂȘme les plus extrĂȘmes. Une part de la population en Turquie le considĂ©rait comme le terroriste le plus dangereux du pays, toujours actif mĂȘme Ă partir de la prison. Ses partisans le voyaient comme leur leader et le chef ultime du mouvement sĂ©paratiste.
Le requĂ©rant a aussi dĂ©clarĂ© quâil avait participĂ© Ă des pourparlers avec certains responsables de lâĂtat dans le but de rĂ©soudre les problĂšmes posĂ©s par le mouvement sĂ©paratiste armĂ©, mais que la plupart de ses appels Ă la cessation du conflit armĂ© nâavaient Ă©tĂ© entendus ni par le Gouvernement ni par le mouvement armĂ© dont il Ă©tait issu.
iii. Exemples de sanctions disciplinaires infligées au requérant en raison de ses entretiens avec ses avocats
46. Le requĂ©rant sâest vu imposer des sanctions de vingt jours dâisolement cellulaire au motif quâil avait transmis des instructions Ă lâorganisation dont il Ă©tait le chef, lors des visites de ses avocats effectuĂ©es Ă ces dates : le 30 novembre 2005, le 12 juillet et le 27 septembre 2006, le 4 avril, le 4 juillet et 7 novembre 2007, le 9 avril et le 14 mai 2008, le 2 janvier et le 4 novembre 2009.
47. Ainsi, selon lâenregistrement sur magnĂ©tocassette de lâentretien du 30 novembre 2005 entre le requĂ©rant et ses avocats, lâintĂ©ressĂ© indiqua Ă ses dĂ©fenseurs comment il estimait que les membres du PKK pouvaient inviter les citoyens dâorigine kurde Ă manifester pour rĂ©clamer le droit Ă lâinstruction dans la langue kurde.
48. Le 12 dĂ©cembre 2005, la commission disciplinaire de la prison dâİmralı, considĂ©rant que les paroles du requĂ©rant correspondaient à « des activitĂ©s de formation et de propagande au sein dâune organisation criminelle », condamna le requĂ©rant Ă vingt jours dâisolement cellulaire. En application de cette sanction, lâadministration pĂ©nitentiaire retira au requĂ©rant livres et journaux pendant vingt jours.
49. Le recours du requĂ©rant contre cette mesure disciplinaire fut rejetĂ© le 22 dĂ©cembre 2005 par le juge de lâexĂ©cution des peines de Bursa, au motif que lâintĂ©ressĂ© avait incitĂ© des femmes et des enfants Ă organiser des manifestations illĂ©gales, se livrant ainsi Ă ce que lâon pouvait qualifier de formation et de propagande au sein dâune organisation criminelle.
50. Le 7 fĂ©vrier 2006, la cour dâassises de Bursa rejeta le recours formĂ© par les conseils du requĂ©rant contre la dĂ©cision du 22 dĂ©cembre 2005. La cour dâassises considĂ©ra, notamment, que la dĂ©cision attaquĂ©e Ă©tait conforme Ă la loi.
51. Le requĂ©rant se vit infliger une autre sanction de vingt jours dâisolement cellulaire en raison dâun entretien avec ses avocats ayant eu lieu le 12 juillet 2006. Ses recours ayant Ă©tĂ© rejetĂ©s, il purgea cette peine du 18 aoĂ»t au 7 septembre 2006. Les avocats du requĂ©rant nâeurent connaissance de cette sanction que le 23 aoĂ»t 2006, lors du rejet dâune demande de visite au requĂ©rant.
c) Les visites des membres de la famille
52. Les visites des proches du requĂ©rant (frĂšres et sĆurs en lâoccurrence) sont limitĂ©es Ă une heure tous les quinze jours. Au dĂ©but, ces visites se dĂ©roulaient dans un parloir comportant un dispositif de sĂ©paration, les parloirs oĂč dĂ©tenu et visiteurs se mettent autour dâune table Ă©tant rĂ©servĂ©s aux parents du premier degrĂ© selon lâarticle 14 du rĂšglement sur les visites aux condamnĂ©s et aux dĂ©tenus. Le 2 dĂ©cembre 2009, le Conseil dâĂtat annula cette disposition. Le conseil dâadministration de la prison dâİmralı, sans attendre que cette dĂ©cision fĂ»t devenue dĂ©finitive, accorda au requĂ©rant le droit de voir ses frĂšres et sĆurs sans dispositif de sĂ©paration. Câest ainsi que, le 26 juillet 2010, le requĂ©rant a pu pour la premiĂšre fois accueillir son frĂšre « autour dâune table ».
53. En cas dâannulation dâune visite en raison des conditions mĂ©tĂ©orologiques, les autoritĂ©s ont la possibilitĂ© dâorganiser, Ă la demande des membres de la famille, une autre visite dans les jours suivants. En pratique, les visites non effectuĂ©es le mercredi ne sont pas remplacĂ©es en lâabsence de demande de la part des visiteurs.
54. Par ailleurs, les visites de membres de la famille nâont pas Ă©tĂ© aussi frĂ©quentes que lâauraient souhaitĂ© le requĂ©rant ou ses proches, et ce en raison de lâinsuffisance de moyens de transport face Ă des conditions mĂ©tĂ©orologiques dĂ©favorables. PrĂšs de la moitiĂ© des visites demandĂ©es ont Ă©tĂ© refusĂ©es, au motif que la navette Ă©tait en panne ou que les conditions mĂ©tĂ©orologiques Ă©taient mauvaises.
3. Procédures engagées contre certains avocats du requérant
a) Interdiction faite à certains avocats de représenter le requérant
55. Le nouveau texte du code de procĂ©dure pĂ©nale, entrĂ© en vigueur le 1er juin 2005, prĂ©voit Ă lâarticle 151/3-4 que les avocats ayant fait lâobjet de poursuites pĂ©nales pour des crimes liĂ©s au terrorisme peuvent ĂȘtre frappĂ©s de lâinterdiction de reprĂ©senter des personnes condamnĂ©es pour des activitĂ©s terroristes. Cette disposition vise Ă empĂȘcher que les chefs dâorganisations terroristes, une fois condamnĂ©s, continuent Ă diriger leur organisation Ă partir de leur lieu de dĂ©tention par le biais de leurs avocats.
56. Par un acte du 6 juin 2005, le parquet dâIstanbul invita la cour dâassises dâIstanbul Ă appliquer cette mesure Ă certains avocats du requĂ©rant.
57. Par une dĂ©cision du 7 juin 2005, la 9e cour dâassises dĂ©cida de priver douze avocats de leur qualitĂ© de conseil du requĂ©rant, et ce pour une pĂ©riode dâun an.
58. Le 20 juin 2005, la 10e cour dâassises dâIstanbul rejeta le recours formĂ© par le requĂ©rant contre cette dĂ©cision.
b) Poursuites pénales déclenchées contre certains avocats du requérant pour avoir servi de messagers entre celui-ci et son ex-organisation armée
59. Le 23 novembre 2011, sur ordre du parquet dâIstanbul, les forces de lâordre arrĂȘtĂšrent et placĂšrent en garde Ă vue trente-six avocats reprĂ©sentant le requĂ©rant dans seize dĂ©partements de la Turquie (y compris six avocats reprĂ©sentant lâintĂ©ressĂ© devant la Cour), perquisitionnĂšrent leurs bureaux et saisirent tous les documents concernant le requĂ©rant. Le parquet soupçonnait les avocats en question dâavoir servi de messagers entre le requĂ©rant et les autres dirigeants du PKK.
4. AllĂ©gation dâintoxication du requĂ©rant
60. Par une lettre du 7 mars 2007, les reprĂ©sentants du requĂ©rant informĂšrent la Cour quâils avaient demandĂ© Ă un laboratoire mĂ©dical de Strasbourg dâanalyser six cheveux quâils considĂ©raient comme ayant appartenu Ă lâintĂ©ressĂ©, et que les analyses effectuĂ©es le 5 fĂ©vrier 2007 montraient la prĂ©sence de doses anormales de chrome et de strontium.
61. Des analyses Ă partir dâĂ©chantillons prĂ©levĂ©s directement sur le requĂ©rant Ă la prison ne rĂ©vĂ©lĂšrent en revanche aucune trace dâĂ©lĂ©ments toxiques ou nocifs pour la santĂ©.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
62. Lâarticle 125 de lâancien code pĂ©nal issu de la loi no 765 disposait :
« Quiconque commet un acte tendant Ă soumettre tout ou partie du territoire de lâĂtat Ă la domination dâun Ătat Ă©tranger, Ă amoindrir son indĂ©pendance, Ă altĂ©rer son unitĂ© ou Ă soustraire une partie du territoire Ă lâadministration de lâĂtat, est passible de la peine capitale. »
63. Le code pénal turc
prohibe lâapplication rĂ©troactive du droit pĂ©nal lorsquâelle sâopĂšre au
dĂ©triment de lâaccusĂ©, et garantit
lâapplication rĂ©troactive de la loi pĂ©nale plus favorable au condamnĂ© ainsi
quâĂ lâaccusĂ©.
64. Lâarticle 1/A de la loi no 4771 portant rĂ©forme de diverses lois, adoptĂ©e le 3 aoĂ»t 2002, prĂ©voit notamment la commutation de la peine de mort inscrite Ă lâarticle 450 du code pĂ©nal en une peine de rĂ©clusion criminelle Ă perpĂ©tuitĂ©.
65. Lâarticle 1/A de la loi no 5218 du 14 juillet 2004, publiĂ©e au Journal officiel le 21 juillet 2004, modifia notamment les articles 13 et 125 de la loi no 765. Cet article dispose :
« (...) 3. Le premier paragraphe et la premiĂšre phrase du second paragraphe de lâarticle 13 sont modifiĂ©s comme suit :
La peine de réclusion lourde est la réclusion aggravée, la réclusion ou la réclusion à temps (muvakkat).
La peine de rĂ©clusion lourde Ă perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e et la peine de rĂ©clusion lourde Ă perpĂ©tuitĂ© courent jusquâau dĂ©cĂšs du condamnĂ©.
(...)
24. Lâexpression « peine capitale » employĂ©e Ă lâarticle 125 est remplacĂ©e par « peine de rĂ©clusion lourde Ă perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e ».
66. La loi no 5237, adoptĂ©e le 26 septembre 2004 et publiĂ©e au Journal officiel le 12 octobre 2004, a refondu la lĂ©gislation pĂ©nale. Les dispositions du nouveau code pĂ©nal sont entrĂ©es en vigueur le 1er juin 2005. Lâarticle 47 de cette loi dispose :
« La rĂ©clusion criminelle est lâemprisonnement Ă perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e, lâemprisonnement Ă perpĂ©tuitĂ© ou lâemprisonnement Ă temps.
La peine dâemprisonnement Ă perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e court jusquâau dĂ©cĂšs du condamnĂ©. Elle est exĂ©cutĂ©e en vertu du rĂ©gime de sĂ©curitĂ© prĂ©vu par les lois et les rĂšglements ».
67. Lâarticle 25 de la loi no 5275 sur lâexĂ©cution des peines et des mesures prĂ©ventives du 13 dĂ©cembre 2004, publiĂ©e au Journal officiel le 29 dĂ©cembre 2004, est ainsi libellĂ© :
« Les principes du rĂ©gime dâapplication de la peine de rĂ©clusion criminelle Ă perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e sont Ă©noncĂ©s ci-dessous :
a) le condamné est détenu dans une cellule individuelle ;
b) le condamnĂ© bĂ©nĂ©ficie dâune heure de sortie en plein air et de sport [par jour] ;
c) le condamnĂ© peut bĂ©nĂ©ficier dâun allongement du temps accordĂ© pour sortir en plein air et faire du sport et peut ĂȘtre autorisĂ© Ă avoir des contacts limitĂ©s avec les condamnĂ©s sĂ©journant dans la mĂȘme unitĂ©, [sâil fait preuve] de bonne conduite eu Ă©gard aux impĂ©ratifs de sĂ©curitĂ© (...) et [sâil fait] des efforts dans le cadre de sa rĂ©habilitation et de sa formation ;
d) le condamnĂ© peut se livrer Ă une activitĂ© artistique ou professionnelle approuvĂ©e par le conseil dâadministration, en fonction des possibilitĂ©s offertes par lâĂ©tablissement oĂč il se trouve ;
e) dans les cas que le conseil dâadministration de lâĂ©tablissement juge appropriĂ©s, le condamnĂ© peut tĂ©lĂ©phoner aux personnes visĂ©es Ă lâalinĂ©a f) une fois tous les quinze jours, Ă raison de dix minutes ;
f) le condamnĂ© peut recevoir la visite de son conjoint, de ses ascendants, de ses descendants, de ses frĂšres et sĆurs et de son tuteur au jour, Ă lâheure et aux conditions fixĂ©s, et ce tous les quinze jours pour une durĂ©e ne pouvant excĂ©der une heure ;
g) le condamnĂ© ne peut en aucun cas travailler en dehors de lâĂ©tablissement pĂ©nitentiaire ni bĂ©nĂ©ficier dâune autorisation de congĂ© ;
h) le condamnĂ© ne peut participer Ă aucune activitĂ© sportive ou de rĂ©habilitation autre que celles dĂ©finies dans le rĂšglement intĂ©rieur de lâĂ©tablissement ;
i) lâexĂ©cution de la peine ne peut en aucun cas ĂȘtre interrompue. Tous les traitements mĂ©dicaux que le condamnĂ© doit recevoir, sauf exigences mĂ©dicales (...), doivent ĂȘtre administrĂ©s dans un Ă©tablissement pĂ©nitentiaire ou, si cela sâavĂšre impossible, dans un hĂŽpital dâĂtat ou un hĂŽpital universitaire pleinement habilitĂ©, dans une cellule individuelle ou dans une cellule de haute sĂ©curitĂ©.
(...) »
68. Lâarticle 107 de la loi no 5275 sur lâexĂ©cution des peines et des mesures de sĂ©curitĂ© prĂ©voit la possibilitĂ© de mise en libertĂ© conditionnelle, sous rĂ©serve de bonne conduite, des personnes condamnĂ©es Ă la peine de rĂ©clusion [lourde] Ă perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e aprĂšs une pĂ©riode minimale de dĂ©tention de trente ans, des condamnĂ©s Ă la peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© (ordinaire) aprĂšs une pĂ©riode minimale de dĂ©tention de vingt-quatre ans et des autres condamnĂ©s une fois purgĂ©e la pĂ©riode correspondant aux deux tiers de leur peine dâemprisonnement.
Cependant, toujours selon la mĂȘme disposition, les condamnĂ©s Ă la peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e pour des crimes contre la sĂ©curitĂ© de lâĂtat, contre lâordre constitutionnel et contre la dĂ©fense nationale (code pĂ©nal, 2Ăšme livre, 4Ăšme chapitre, sous chapitres 4, 5 et 6) commis en bande organisĂ©e Ă lâĂ©tranger ne peuvent ĂȘtre admis au bĂ©nĂ©fice de la mise en libertĂ© conditionnelle.
69. Selon lâarticle 68 du code pĂ©nal, les peines dâemprisonnement se prescrivent dans les dĂ©lais suivants, qui commencent Ă courir Ă partir de la date de la condamnation dĂ©finitive ou de la date de lâinterruption de lâexĂ©cution de la peine (le restant de la peine entrant alors en ligne de compte) : quarante ans pour la peine perpĂ©tuelle aggravĂ©e ; trente ans pour la peine perpĂ©tuelle, vingt-quatre ans pour les peines dâemprisonnement de plus de vingt ans, vingt ans pour les peines dâemprisonnement de plus de cinq ans et dix ans pour les peines dâemprisonnement de moins de cinq ans ainsi que pour les amendes. Cependant, la prescription des peines ne sâappliquent pas Ă la peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e, Ă la peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© ordinaire et aux peines de plus de dix ans infligĂ©es pour des crimes contre lâĂtat et la Nation commis en bande organisĂ©e Ă lâĂ©tranger (code pĂ©nal, 2Ăšme livre, 4Ăšme chapitre).
70. En cas de maladie ou de vieillesse dâun condamnĂ© Ă perpĂ©tuitĂ©, le prĂ©sident de la RĂ©publique peut ordonner sa libĂ©ration immĂ©diate ou diffĂ©rĂ©e.
71. Ă des intervalles plus ou moins rĂ©guliers, le lĂ©gislateur turc adopte une loi dâamnistie gĂ©nĂ©rale ou partielle (dans ce dernier cas, la libĂ©ration conditionnelle est accordĂ©e aprĂšs une pĂ©riode de sĂ»retĂ©) afin de faciliter la rĂ©solution des grands problĂšmes sociaux.
III. SOURCES INTERNATIONALES
72. Les rĂ©centes visites que le ComitĂ© europĂ©en pour la prĂ©vention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants (CPT) a effectuĂ©es Ă la prison fermĂ©e de haute sĂ©curitĂ© de type F de lâĂźle dâİmralı afin dâexaminer les conditions de dĂ©tention du requĂ©rant ont eu lieu du 20 au 22 mai 2007, les 26 et 27 janvier 2010 et du 21 au 28 juin 2012.
Le CPT a publiĂ© des rapports Ă lâissue des visites de 2007 et de 2010 (CPT/Inf (2008) 13 pour la visite de mai 2007 et CPT/Inf (2010) 20 pour celle de janvier 2010) et le Gouvernement y a rĂ©pondu (CPT/Inf (2008) 14 pour la visite de mai 2007 et CPT/Inf (2010) 21 pour celle de janvier 2010).
73. Les conclusions et recommandations du CPT formulées dans son rapport portant sur sa visite de mai 2007 se lisent comme suit :
« F. Conclusions and
recommendations
31. Abdullah Ăcalan est incarcĂ©rĂ©, seul et unique dĂ©tenu dans la prison fermĂ©e de haute sĂ©curitĂ© dâİmralı â une Ăźle difficile dâaccĂšs â depuis prĂšs de huit ans et demi. Bien que la situation dâisolement caractĂ©risĂ© auquel lâintĂ©ressĂ© est astreint depuis le 16 fĂ©vrier 1999 ait eu, au cours des annĂ©es, des effets dĂ©lĂ©tĂšres, les visites prĂ©cĂ©dentes du CPT nâavaient pas mis en Ă©vidence, du moins jusquâĂ prĂ©sent, des consĂ©quences nĂ©fastes significatives sur son Ă©tat physique et psychique[1]. Cette Ă©valuation doit maintenant ĂȘtre revue, Ă la lumiĂšre de lâĂ©volution de lâĂ©tat physique et mental dâAbdullah Ăcalan.
32. Les autoritĂ©s turques sont maintenant Ă la croisĂ©e des chemins : ou elles ne modifient en rien la situation de lâintĂ©ressĂ© (câest le choix quâelles ont dĂ©libĂ©rĂ©ment suivi, en toute connaissance de cause, depuis 1999, avec les consĂ©quences susmentionnĂ©es), ou elles prennent la dĂ©cision de revoir la situation dâAbdullah Ăcalan, en assurant notamment Ă ce dernier la possibilitĂ© dâentretenir des liens socio-affectifs minimum. A cet Ă©gard, il convient de rappeler que dĂšs 2001, le CPT avait clairement indiquĂ© aux autoritĂ©s turques quâAbdullah Ăcalan « devrait, Ă la premiĂšre occasion, ĂȘtre intĂ©grĂ© dans un cadre lui permettant dâavoir des contacts avec dâautres dĂ©tenus et un plus large Ă©ventail dâactivitĂ©s. Si les autoritĂ©s turques (...) sont parvenues Ă la conclusion que son transfert dans un autre Ă©tablissement pĂ©nitentiaire nâest pas possible pour lâinstant, elles devraient prendre les mesures nĂ©cessaires pour crĂ©er Ă la Prison fermĂ©e dâImrali le cadre qui vient dâĂȘtre Ă©voquĂ© ».[2]
 La mĂȘme ligne de pensĂ©e transparaĂźt dans lâarrĂȘt de la Cour europĂ©enne des Droits de lâHomme du 12 mai 2005[3], lorsque celle-ci indique : « Tout en estimant, conformĂ©ment aux propositions du CPT, que les effets Ă long terme de lâisolement social relatif imposĂ© au requĂ©rant devraient ĂȘtre attĂ©nuĂ©s par son accĂšs aux mĂȘmes commoditĂ©s que les autres dĂ©tenus dans les prisons de haute sĂ©curitĂ© en Turquie, notamment Ă la tĂ©lĂ©vision et aux communications tĂ©lĂ©phoniques avec sa famille, la Grande Chambre, Ă lâinstar de la Chambre, estime que les conditions gĂ©nĂ©rales de la dĂ©tention du requĂ©rant Ă la prison dâİmralı nâont pas atteint, pour le moment, le seuil minimum de gravitĂ© requis pour constituer un traitement inhumain ou dĂ©gradant au sens de lâarticle 3 de la Convention ».
33. Le CPT est fermement convaincu que maintenir
un dĂ©tenu dans de telles conditions dâisolement, huit annĂ©es et demi durant, ne
peut plus trouver aucune justification, quelles que soient les circonstances.
Il en appelle aux autoritĂ©s turques afin quâelles revoient complĂštement la
situation du dĂ©tenu Abdullah Ăcalan, en vue de lâintĂ©grer dans un environnement oĂč les contacts
avec dâautres dĂ©tenus et une plus grande variĂ©tĂ© dâactivitĂ©s sont possibles.
De plus, le CPT recommande que des mesures soient prises par les autorités turques afin :
sâagissant du domaine mĂ©dical :
- de soumettre immédiatement le détenu à un examen ORL complet (en ce compris un   examen endoscopique spécialisé et, si nécessaire, un scanner), et de pratiquer, le cas échéant, une intervention chirurgicale palliative/réparatrice ;
- de faire procéder immédiatement à un examen radiographique du thorax du détenu ;
- de faire bĂ©nĂ©ficier le dĂ©tenu des consultations psychiatriques que nĂ©cessite lâĂ©volution de son Ă©tat mental ;
- que les contrĂŽles mĂ©dicaux journaliers imposĂ©s au dĂ©tenu soient remplacĂ©s par des examens mĂ©dicaux moins frĂ©quents, effectuĂ©s par le mĂȘme mĂ©decin. Les interventions des mĂ©decins spĂ©cialistes devraient ĂȘtre coordonnĂ©es par ce mĂȘme mĂ©decin. La nature et les raisons motivant cette nouvelle approche devraient ĂȘtre expliquĂ©es en dĂ©tail au dĂ©tenu, Ă lâavance, par le mĂ©decin qui sera chargĂ© de lâexaminer ;
- quâau service mĂ©dical, le laryngoscope soit en Ă©tat de fonctionner et que les mĂ©decins de permanence disposent de la formation nĂ©cessaire pour utiliser tant le laryngoscope que le dĂ©fibrillateur ;
sâagissant des conditions matĂ©rielles et du rĂ©gime de dĂ©tention :
- que lâintĂ©ressĂ© soit autorisĂ© Ă circuler librement durant la journĂ©e entre sa cellule et le local attenant ;
- quâil bĂ©nĂ©ficie dâun accĂšs â mĂȘme occasionnel â Ă une aire de promenade plus vaste et dotĂ©e dâun minimum dâĂ©quipement (protection contre les intempĂ©ries, banc, Ă©quipements sportifs,...) ;
- quâil puisse bĂ©nĂ©ficier dâun poste de tĂ©lĂ©vision (louĂ© ou achetĂ©) dans sa cellule, ainsi que dâun minimum dâactivitĂ©s de nature variĂ©e ;
sâagissant des contacts avec le monde extĂ©rieur :
- que lâintĂ©ressĂ© puisse bĂ©nĂ©ficier, une fois par mois, de « visites Ă table » de membres de sa famille, en amendant, si nĂ©cessaire, les textes applicables, et quâune certaine souplesse soit de mise concernant la possibilitĂ© dâaccumuler des temps de visite inutilisĂ©s (en raison des difficultĂ©s particuliĂšres dâaccĂšs Ă lâĂźle dâİmralı) ;
- que lâintĂ©ressĂ© puisse tĂ©lĂ©phoner aux membres de sa famille (les communications pouvant ĂȘtre soumises Ă contrĂŽle et ĂȘtre interrompues, si nĂ©cessaire). »
74. ParallĂšlement, en mars 2008, vu lâabsence dâavancĂ©es rĂ©elles de la part du Gouvernement sur les points indiquĂ©s dans le rapport sur la visite de mai 2007, le CPT a lancĂ© la procĂ©dure visant Ă la formulation dâune dĂ©claration publique, telle que prĂ©vue Ă lâarticle 10 § 2 de la Convention europĂ©enne pour la prĂ©vention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants.
75. Les conclusions du CPT formulées dans son rapport, adopté en mars 2010, portant principalement sur sa visite de janvier 2010, se lisent comme suit :
« E. Conclusions
36. Sur la base des constats de la
délégation et des renseignements complémentaires donnés par les autorités
turques dans leur lettre du 24 février 2010, le CPT a conclu que les conditions de détention
dâAbdullah Ăcalan sâĂ©taient nettement amĂ©liorĂ©es par rapport Ă la situation
observĂ©e lors de la visite de 2007. LâintĂ©gration dâun dĂ©tenu dans « un
environnement oĂč les contacts avec dâautres dĂ©tenus et une plus grande variĂ©tĂ©
dâactivitĂ©s sont possibles » est maintenant en cours (voir paragraphe 3).
De plus, le ComitĂ© a notĂ© que lâaccĂšs Ă lâĂźle pour les avocats dâAbdullah Ăcalan
et les membres de sa famille sâĂ©tait nettement amĂ©liorĂ© au cours de lâannĂ©e
écoulée.
En consĂ©quence, le CPT a dĂ©cidĂ© de clore la procĂ©dure prĂ©vue Ă lâarticle 10, paragraphe 2, de la Convention, qui avait Ă©tĂ© engagĂ©e en mars 2008. Il continuera toutefois Ă suivre de prĂšs la situation dâAbdullah Ăcalan (et des autres dĂ©tenus de la prison dâİmralı) et nâhĂ©sitera pas Ă rouvrir cette procĂ©dure sâil sâavĂšre que les amĂ©liorations susmentionnĂ©es ne sont pas maintenues. »
76. Le 11 juillet 2002, le Comité des Ministres du Conseil de
lâEurope a adoptĂ© les lignes directrices sur les droits de lâhomme et la lutte
contre le terrorisme, dont les extraits pertinents pour la
prĂ©sente affaire figurent au paragraphe 84 de lâarrĂȘt Ramirez Sanchez c. France ([GC], no 59450/00, CEDH 2006‑IX).
77. Le
11 janvier 2006, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation Rec(2006)2
aux Ătats membres sur les rĂšgles pĂ©nitentiaires europĂ©ennes, dont les extraits
pertinents pour la prĂ©sente affaire sont prĂ©sentĂ©s au paragraphe 85 de lâarrĂȘt
Ramirez Sanchez précité.
78. Dans le cadre des
Nations Unies, le rapporteur spĂ©cial du Conseil des droits de lâhomme sur la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a
estimĂ©, dans son rapport intĂ©rimaire prĂ©sentĂ© Ă lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale le 5 aoĂ»t
2011, ce qui suit (pour lâaccĂšs Ă lâensemble du rapport, voir :
http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N11/445/7 :
« Conclusions
79. Le
Rapporteur spĂ©cial souligne que lâisolement cellulaire est une mesure excessive
qui peut avoir de graves conséquences psychologiques et physiologiques pour les
personnes, quelle que soit leur condition. Il estime que lâisolement cellulaire
est contraire Ă lâun des objectifs essentiels du systĂšme pĂ©nitentiaire qui est
de réhabiliter les délinquants et de faciliter leur réinsertion dans la
sociĂ©tĂ©. Le Rapporteur spĂ©cial considĂšre que tout isolement cellulaire dâune
durée de plus de 15 jours est un isolement cellulaire prolongé.
80. En
fonction du motif de son application, des conditions dans lesquelles il est
appliquĂ©, de sa durĂ©e, de ses effets et dâautres circonstances, lâisolement
cellulaire peut constituer une violation de lâarticle 7 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques et lâun des actes dĂ©finis Ă lâarticle
premier ou Ă lâarticle 16 de la Convention contre la torture. En outre, le placement
en isolement cellulaire accroĂźt le risque de voir des actes de torture et
autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants passer inaperçus
et demeurer impunis.
81. Ătant
donné la douleur ou les souffrances psychiques et physiques graves que peut
occasionner lâisolement cellulaire lorsquâil est utilisĂ© comme punition ou
durant la détention provisoire, est appliqué de maniÚre prolongée ou indéfinie,
est imposĂ© Ă des mineurs ou Ă des handicapĂ©s mentaux, lâisolement cellulaire
peut constituer une torture ou une peine ou traitement cruel, inhumain ou
dégradant. Le Rapporteur spécial estime que lorsque les conditions matérielles
et le rĂ©gime de lâisolement cellulaire ne respectent pas la dignitĂ© inhĂ©rente Ă
la personne humaine et occasionnent une douleur ou des souffrances psychiques
et physiques graves, lâisolement cellulaire constitue une peine ou traitement
cruel, inhumain et dégradant. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 3 DE LA CONVENTION EN RAISON DES CONDITIONS DE DĂTENTION
79. Le requĂ©rant affirme que ses conditions de dĂ©tention sur lâĂźle dâİmralı sont inhumaines et ont excĂ©dĂ© le seuil de gravitĂ© dĂ©coulant de lâarticle 3 de la Convention. Il allĂšgue Ă©galement la violation des articles 5, 6, 8, 13 et 14 de la Convention en se basant notamment sur lâisolement social qui lui serait imposĂ© pendant sa dĂ©tention Ă la prison dâİmralı. La Cour examine ces griefs en premier lieu sous lâangle de lâarticle 3 de la Convention, qui est ainsi libellĂ© :
Article 3
« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă la torture ni Ă des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. »
A. Sur la recevabilité
80. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondĂ©s au sens de lâarticle 35 § 3 a) de la Convention. Constatant par ailleurs quâils ne se heurtent Ă aucun autre motif dâirrecevabilitĂ©, elle les dĂ©clare recevables.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a. Le requérant
81. Le requĂ©rant fait observer quâil a Ă©tĂ© le seul dĂ©tenu de la prison dâİmralı pendant dix ans et dix mois, jusquâau 17 novembre 2009, date Ă laquelle cinq autres dĂ©tenus y ont Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©s. AprĂšs ce transfert, sa situation ne se serait pas beaucoup amĂ©liorĂ©e : le temps accordĂ© aux dĂ©tenus pour les activitĂ©s communes serait extrĂȘmement limitĂ©, notamment par comparaison avec le rĂ©gime normalement appliquĂ© dans les autres prisons de haute sĂ©curitĂ©. Lâisolement social du requĂ©rant aurait Ă©tĂ© encore aggravĂ© par plusieurs interdictions qui ne seraient pas appliquĂ©es aux autres personnes condamnĂ©es en Turquie, Ă savoir la privation de poste de tĂ©lĂ©vision et de toute communication tĂ©lĂ©phonique, une grande censure frappant sa correspondance avec lâextĂ©rieur, et les restrictions Ă lâaccĂšs aux sorties en plein air. Par ailleurs, lâabsence dâamĂ©lioration des conditions de transport maritime constituerait un obstacle pratique aux visites de ses avocats et des membres de sa famille, ainsi quâĂ son accĂšs Ă la presse quotidienne ou aux livres.
82. Le requĂ©rant estime en outre que son Ă©tat de santĂ© se dĂ©grade rapidement (difficultĂ©s respiratoires, gĂȘne permanente au niveau des voies respiratoires supĂ©rieures, allergie cutanĂ©e non identifiĂ©e, etc.) et affirme se sentir humiliĂ© et dĂ©gradĂ© par lâensemble de ses conditions de dĂ©tention.
83. Selon le requĂ©rant, le Gouvernement nâaurait pas accueilli favorablement la majoritĂ© des propositions que le CPT et la Commission des droits de lâhomme de lâAssemblĂ©e nationale de Turquie avaient prĂ©sentĂ©es afin de rĂ©duire les effets nĂ©gatifs de son isolement social.
b. Le Gouvernement
84. Le Gouvernement sâoppose Ă cette thĂšse. Il observe dâemblĂ©e que le requĂ©rant nâa formulĂ© aucune allĂ©gation de mauvais traitements de la part des membres du personnel de la prison.
85. Le Gouvernement se rĂ©fĂšre aux conclusions prĂ©sentĂ©es par le CPT Ă lâissue de sa visite de janvier 2010, Ă savoir que les conditions matĂ©rielles propres Ă la cellule et au bĂątiment oĂč sĂ©journe le requĂ©rant sont en conformitĂ© avec les normes internationales les plus Ă©levĂ©es en matiĂšre de dĂ©tention. Il prĂ©cise quâaprĂšs les remarques du CPT sur la quantitĂ© de lumiĂšre naturelle que la cellule du requĂ©rant recevait, une Ă©quipe composĂ©e dâarchitectes et dâun ophtalmologue a visitĂ© les locaux et constatĂ© que la cellule Ă©tait suffisamment exposĂ©e Ă la lumiĂšre du jour, si bien quâil Ă©tait possible de lire ou de travailler sans aucune gĂȘne dans la journĂ©e sans recourir Ă la lumiĂšre artificielle.
86. Par ailleurs, le Gouvernement soutient que le requĂ©rant, lorsquâil nâest pas sous le coup dâune sanction disciplinaire, bĂ©nĂ©ficie de plus de trente‑six heures et demie par semaine dâactivitĂ©s Ă lâextĂ©rieur de sa cellule, dont huit heures et demie en compagnie des autres dĂ©tenus. Lorsquâil purge une sanction disciplinaire â qui consiste Ă ĂȘtre confinĂ© dans la cellule â le requĂ©rant peut bĂ©nĂ©ficier de deux heures dâactivitĂ©s par jour Ă lâextĂ©rieur de sa cellule.
87. Le Gouvernement fait également observer que le suivi de la santé du requérant a été complÚtement réorganisé, conformément aux recommandations du CPT.
88. Le Gouvernement affirme que le refus dâaccorder au requĂ©rant la possibilitĂ© de disposer dâun poste de tĂ©lĂ©vision dans sa cellule et de passer des appels tĂ©lĂ©phoniques sâexplique par les infractions disciplinaires rĂ©pĂ©titives quâil a commises et les sanctions qui en ont dĂ©coulĂ©, ainsi que par sa dangerositĂ© ; il se rĂ©fĂšre Ă cet Ă©gard Ă lâarticle 4 de la loi no 5275 sur lâexĂ©cution des peines et des mesures prĂ©ventives.
89. Le Gouvernement attire lâattention sur le fait que ni le requĂ©rant ni ses conseils nâont formĂ© de recours contre les sanctions disciplinaires infligĂ©es. Il soutient que les autoritĂ©s nationales se sont montrĂ©es fort sensibles aux indications du CPT et ont fait tout le nĂ©cessaire afin dâappliquer les normes internationales de dĂ©tention les plus favorables au dĂ©tenu. Le transfert de cinq autres dĂ©tenus Ă İmralı, la possibilitĂ© de mener des activitĂ©s communes, la mise en place des visites « autour dâune table », le remplacement des visites annulĂ©es pour mauvaises conditions mĂ©tĂ©orologiques ou encore la possibilitĂ© de recevoir deux fois par semaine les journaux arrivĂ©s tout au long de la semaine en seraient des exemples.
90. Le Gouvernement affirme que la loi permet aux autoritĂ©s pĂ©nitentiaires dâempĂȘcher les dĂ©tenus dâenvoyer ou de recevoir du courrier mettant en pĂ©ril lâordre et la sĂ©curitĂ© de la prison et facilitant la communication avec les autres membres dâune organisation terroriste.
91. Le Gouvernement rappelle sur ce point que le requĂ©rant a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă une peine dâemprisonnement Ă perpĂ©tuitĂ© pour avoir dirigĂ© une organisation dont les attaques ont fait des milliers de morts et de blessĂ©s et ont portĂ© atteinte Ă la paix et Ă la sĂ©curitĂ© de la sociĂ©tĂ©. Il fait observer quâaprĂšs lâincarcĂ©ration du requĂ©rant, le PKK a poursuivi ses attaques armĂ©es et ses activitĂ©s terroristes. Des Ă©lĂ©ments probants montreraient que le requĂ©rant transmettait des instructions aux membres de son organisation, qui le considĂ©reraient dâailleurs toujours comme leur chef, par le biais des conseils qui lui rendaient visite chaque semaine pour les besoins de ses requĂȘtes auprĂšs de la Cour. Pour ces actes, le requĂ©rant aurait fait lâobjet de poursuites disciplinaires, se serait vu infliger des sanctions disciplinaires qui lâauraient empĂȘchĂ© de disposer dâun poste de tĂ©lĂ©vision ou de passer des appels tĂ©lĂ©phoniques ; cependant, ces sanctions ne sembleraient pas avoir Ă©tĂ© dissuasives et lâintĂ©ressĂ© aurait persistĂ© dans ce comportement. Le Gouvernement affirme que lorsque certains avocats se sont vu interdire les visites au requĂ©rant parce quâil y avait eu transmission de messages au PKK, certains des nouveaux avocats ayant remplacĂ© les anciens auraient continuĂ© Ă servir de messagers entre lâintĂ©ressĂ© et son organisation armĂ©e. Le Gouvernement soutient que si le requĂ©rant se comportait conformĂ©ment aux rĂšgles de lâĂ©tablissement, il nây aurait plus de sanctions disciplinaires contre lui et il bĂ©nĂ©ficierait des facilitĂ©s de communication avec lâextĂ©rieur autorisĂ©es par la lĂ©gislation.
92. Le Gouvernement affirme que depuis le 20 mars 2010 les communications tĂ©lĂ©phoniques sont techniquement possibles pour les dĂ©tenus dâİmralı et que le requĂ©rant peut bĂ©nĂ©ficier de dix minutes dâappel tous les quinze jours.
2. Appréciation de la Cour
a) Période de détention à prendre en considération
93. La Cour doit tout dâabord dĂ©terminer quelle est la pĂ©riode de dĂ©tention Ă prendre en considĂ©ration pour apprĂ©cier la conformitĂ© des conditions de dĂ©tention aux exigences de lâarticle 3.
94. Elle rappelle en premier lieu quâĂ lâintĂ©rieur du cadre tracĂ© par la dĂ©cision de recevabilitĂ© de la requĂȘte, la Cour peut traiter toute question de fait ou de droit qui surgit pendant lâinstance engagĂ©e devant elle (voir, parmi beaucoup dâautres, Guerra et autres c. Italie, 19 fĂ©vrier 1998, § 44, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1998-I, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 86, Recueil 1996-V, et Ahmed c. Autriche, 17 dĂ©cembre 1996, § 43, Recueil 1996-VI).
95. La Cour rappelle en deuxiĂšme lieu quâelle a examinĂ© la conformitĂ© Ă lâarticle 3 des conditions de dĂ©tention du requĂ©rant du dĂ©but jusquâĂ la date du 12 mai 2005, dans son arrĂȘt de la mĂȘme date (Ăcalan, prĂ©citĂ©, §§ 192‑196). Elle y est parvenue Ă la conclusion suivante :
« Tout en estimant, conformĂ©ment aux propositions du CPT, que les effets Ă long terme de lâisolement social relatif imposĂ© au requĂ©rant devraient ĂȘtre attĂ©nuĂ©s par son accĂšs aux mĂȘmes commoditĂ©s que les autres dĂ©tenus dans les prisons de haute sĂ©curitĂ© en Turquie, notamment Ă la tĂ©lĂ©vision et aux communications tĂ©lĂ©phoniques avec sa famille, la Grande Chambre, Ă lâinstar de la chambre, estime que les conditions gĂ©nĂ©rales de la dĂ©tention du requĂ©rant Ă la prison dâİmralı nâont pas atteint, pour le moment, le seuil minimum de gravitĂ© requis pour constituer un traitement inhumain ou dĂ©gradant au sens de lâarticle 3 de la Convention. En consĂ©quence, il nây a pas eu violation de cette disposition de ce chef. »
96. Dans le prĂ©sent arrĂȘt, la Cour ne peut connaĂźtre que des faits qui se sont produits postĂ©rieurement Ă son arrĂȘt du 12 mai 2005 (requĂȘte no 46221/99) et jusquâĂ la date du 8 mars 2012 (date des derniĂšres observations reçues). Elle tiendra compte cependant de la situation dans laquelle se trouvait le requĂ©rant Ă la date du 12 mai 2005, notamment pour ce qui est des effets Ă long terme de ses conditions de dĂ©tention spĂ©cifiques.
b) Principes généraux
97. La
Cour rappelle que lâarticle 3 de la Convention consacre lâune des valeurs
fondamentales des sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques. MĂȘme dans les circonstances les plus
difficiles, telle la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, et quels
que soient les agissements de la personne concernée, la Convention prohibe en
termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants
(El Masri c. « lâex-RĂ©publique
yougoslave de Macédoine » [GC], no 39630/09, § 195, CEDH
2012, Ramirez Sanchez, précité, § 115, et Chahal, précité,
§ 79).
98. Les
difficultĂ©s que rencontrent les Ătats Ă notre Ă©poque pour protĂ©ger leurs
populations de la violence terroriste sont rĂ©elles. Cependant, lâarticle 3
ne prévoit pas de restrictions, ce en quoi il contraste avec la majorité des
clauses normatives de la Convention et, conformĂ©ment Ă lâarticle 15 § 2, il ne
souffre nulle dĂ©rogation, mĂȘme en cas de danger public menaçant la vie de la
nation (Labita c. Italie [GC], no
26772/95, § 119, CEDH 2000‑IV, Selmouni
c. France [GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999-V, et Assenov et autres c. Bulgarie, 28
octobre 1998, § 93, Recueil
1998-VIII). La nature de lâinfraction reprochĂ©e au requĂ©rant est donc dĂ©pourvue
de pertinence pour lâexamen sous lâangle de lâarticle 3 (Ramirez Sanchez, prĂ©citĂ©, § 116, et Indelicato c. Italie, no 31143/96,
§ 30, 18 octobre 2001).
99. Pour tomber sous le coup de lâarticle 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravitĂ© dont lâapprĂ©ciation dĂ©pend de lâensemble des donnĂ©es de la cause, notamment de la durĂ©e du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de lâĂąge, de lâĂ©tat de santĂ© de la victime, etc. (voir, par exemple, Irlande c. Royaume‑Uni, 18 janvier 1978, § 162, sĂ©rie A no 25). De plus, la Cour, afin dâapprĂ©cier la valeur des Ă©lĂ©ments de preuve devant elle dans lâĂ©tablissement des traitements contraires Ă lâarticle 3, se sert du critĂšre de la preuve « au-delĂ de tout doute raisonnable ». Une telle preuve peut cependant rĂ©sulter dâun faisceau dâindices, ou de prĂ©somptions non rĂ©futĂ©es, suffisamment graves, prĂ©cis et concordants. Le comportement des parties lors de la recherche des preuves entre en ligne de compte dans ce contexte (ibidem, § 161).
100. La
Cour a jugĂ© un traitement « inhumain » au motif notamment quâil avait
Ă©tĂ© appliquĂ© avec prĂ©mĂ©ditation durant des heures et quâil avait causĂ© soit des
lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales. Elle a par
ailleurs considĂ©rĂ© quâun traitement Ă©tait « dĂ©gradant » en ce quâil
Ă©tait de nature Ă inspirer Ă ses victimes des sentiments de peur, dâangoisse et
dâinfĂ©rioritĂ© propres Ă les humilier et Ă les avilir (voir, par exemple, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000-XI).
En recherchant si une forme particuliĂšre de traitement est
« dĂ©gradante » au sens de lâarticle 3, la Cour examinera si le but
Ă©tait dâhumilier et de rabaisser lâintĂ©ressĂ© et si, considĂ©rĂ©e dans ses effets,
la mesure a, ou non, atteint la personnalitĂ© de celui-ci dâune maniĂšre
incompatible avec lâarticle 3 (voir, par exemple, Raninen c. Finlande, 16 dĂ©cembre 1997, § 55, Recueil 1997‑VIII).
Toutefois, lâabsence dâun tel but ne saurait exclure de façon dĂ©finitive le
constat de violation de lâarticle 3 (V.
c. Royaume‑Uni [GC], no 24888/94, § 71, CEDH 1999-IX,
et Van der Ven c. Pays‑Bas, no 50901/99,
§ 48, CEDH 2003‑II).
101. Pour
quâune peine ou le traitement dont elle sâaccompagne soient
« inhumains » ou « dégradants », la souffrance ou
lâhumiliation doivent en tout cas aller au-delĂ de celles que comporte
inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitime (voir, par
exemple, les arrĂȘts V. c. Royaume-Uni,
prĂ©citĂ©, § 71, Indelicato, prĂ©citĂ©, § 32, Ilaşcu et autres
c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 428, CEDH 2004-VII, et Lorsé et autres c. Pays-Bas, no 52750/99, § 62, 4
février 2003).
102. Ă
ce propos, il y a lieu dâobserver que les mesures privatives de libertĂ©
sâaccompagnent ordinairement de pareilles souffrance et humiliation. NĂ©anmoins,
lâarticle 3 impose Ă lâĂtat de sâassurer que tout prisonnier est dĂ©tenu dans
des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que
les modalitĂ©s dâexĂ©cution de la mesure ne soumettent pas lâintĂ©ressĂ© Ă une
dĂ©tresse ou Ă une Ă©preuve dâune intensitĂ© qui excĂšde le niveau inĂ©vitable de
souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de
lâemprisonnement, la santĂ© et le bien-ĂȘtre du prisonnier sont assurĂ©s de
maniĂšre adĂ©quate (Kudła,
précité, §§ 92-94, et Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH
2002-VI). La Cour ajoute que les mesures prises doivent en
outre ĂȘtre nĂ©cessaires pour parvenir au but lĂ©gitime poursuivi (Ramirez Sanchez, prĂ©citĂ©, § 119).
103. Par
ailleurs, lorsquâon Ă©value les conditions de dĂ©tention, il y a lieu de prendre
en compte leurs effets cumulatifs ainsi que les allégations spécifiques du
requérant (Dougoz c. GrÚce, no
40907/98, § 46, CEDH 2001‑II).
104. La prolongation dans le temps de son isolement social relatif constitue lâun des Ă©lĂ©ments essentiels des allĂ©gations du requĂ©rant dans la prĂ©sente affaire. Sur ce point spĂ©cifique, la Cour rappelle que lâexclusion dâun dĂ©tenu de la collectivitĂ© carcĂ©rale ne constitue pas en elle-mĂȘme une forme de traitement inhumain. Dans de nombreux Ătats parties Ă la Convention existent des rĂ©gimes de plus grande sĂ©curitĂ© Ă lâĂ©gard des dĂ©tenus dangereux. DestinĂ©s Ă prĂ©venir les risques dâĂ©vasion, dâagression, de perturbation de la collectivitĂ© des dĂ©tenus ou de contact avec les milieux du crime organisĂ©, ces rĂ©gimes ont comme base la mise Ă lâĂ©cart de la communautĂ© pĂ©nitentiaire accompagnĂ©e dâun renforcement des contrĂŽles (Ramirez Sanchez, prĂ©citĂ©, § 138).
105. Il demeure que les dĂ©cisions de prolongation dâun isolement qui dure devraient ĂȘtre motivĂ©es de maniĂšre substantielle afin dâĂ©viter tout risque dâarbitraire. Les dĂ©cisions devraient ainsi permettre dâĂ©tablir que les autoritĂ©s ont procĂ©dĂ© Ă un examen Ă©volutif des circonstances, de la situation et de la conduite du dĂ©tenu. Cette motivation devrait ĂȘtre, au fil du temps, de plus en plus approfondie et convaincante.
106. Il conviendrait par ailleurs de ne recourir Ă cette mesure, qui reprĂ©sente une sorte dâ« emprisonnement dans la prison », quâexceptionnellement et avec beaucoup de prĂ©cautions, comme cela a Ă©tĂ© prĂ©cisĂ© au point 53.1 des rĂšgles pĂ©nitentiaires adoptĂ©es par le ComitĂ© des Ministres le 11 janvier 2006. Un contrĂŽle rĂ©gulier de lâĂ©tat de santĂ© physique et psychique du dĂ©tenu, permettant de sâassurer de sa compatibilitĂ© avec le maintien Ă lâisolement, devrait Ă©galement ĂȘtre instaurĂ© (Ramirez Sanchez, prĂ©citĂ©, § 139).
107. La Cour a dĂ©jĂ Ă©tabli quelles Ă©taient les conditions dans lesquelles lâisolement dâun dĂ©tenu â fĂ»t-il considĂ©rĂ© comme dangereux â constituait un traitement inhumain ou dĂ©gradant (voire dans certaines circonstances une torture). Elle a ainsi rappelĂ© ce qui suit :
« Lâisolement sensoriel complet combinĂ© Ă un isolement social total peut dĂ©truire la personnalitĂ© et constitue une forme de traitement inhumain qui ne saurait se justifier par les exigences de la sĂ©curitĂ© ou toute autre raison. En revanche, lâinterdiction de contacts avec dâautres dĂ©tenus pour des raisons de sĂ©curitĂ©, de discipline et de protection ne constitue pas en elle-mĂȘme une forme de peine ou traitement inhumains. »
(voir, entre autres, Messina c. Italie (no 2)
(dĂ©c.), no 25498/94, CEDH 1999‑V, et Ăcalan, prĂ©citĂ©, § 191, les deux affaires dans lesquelles la Cour a
conclu Ă lâabsence de traitements contraires Ă lâarticle 3).
De mĂȘme, la Cour a constatĂ© la violation de lâarticle 3 de la Convention dans les conditions de dĂ©tention suivantes :
« En ce qui concerne les conditions de dĂ©tention du requĂ©rant dans le couloir de la mort, la Cour note que M. Ilaşcu a Ă©tĂ© dĂ©tenu pendant huit ans, depuis 1993 et jusquâĂ sa libĂ©ration en mai 2001, en rĂ©gime dâisolement sĂ©vĂšre : sans contact avec dâautres dĂ©tenus, sans aucune nouvelle de lâextĂ©rieur, puisquâil nâavait pas la permission dâenvoyer ou de recevoir du courrier, et privĂ© du droit de prendre contact avec son avocat ou de recevoir rĂ©guliĂšrement la visite de sa famille ; sa cellule non chauffĂ©e, mĂȘme dans les rudes conditions dâhiver, Ă©tait dĂ©pourvue dâĂ©clairage naturel et dâaĂ©ration. Il ressort du dossier que M. Ilaşcu a aussi Ă©tĂ© privĂ© de nourriture en guise de punition et quâen tout Ă©tat de cause, compte tenu des restrictions Ă la rĂ©ception de colis, mĂȘme la nourriture quâil recevait de lâextĂ©rieur Ă©tait souvent impropre Ă la consommation. Le requĂ©rant ne pouvait prendre une douche que trĂšs rarement, parfois Ă plusieurs mois dâintervalle. A ce sujet, la Cour renvoie aux conclusions figurant dans le rapport rĂ©digĂ© par le CPT Ă la suite de sa visite en Transnistrie en 2000 (...), qualifiant dâindĂ©fendable un isolement prolongĂ© pendant de nombreuses annĂ©es.
Les conditions de dĂ©tention du requĂ©rant ont eu des effets prĂ©judiciables sur sa santĂ©, qui sâest dĂ©tĂ©riorĂ©e tout au long de ces nombreuses annĂ©es de dĂ©tention. Ainsi, le requĂ©rant nâa pas Ă©tĂ© correctement soignĂ©, en lâabsence de visites et de traitements mĂ©dicaux rĂ©guliers (...) et de repas diĂ©tĂ©tiques. Par ailleurs, compte tenu des restrictions imposĂ©es Ă la rĂ©ception de colis, il nâa pas pu recevoir des mĂ©dicaments et de la nourriture bĂ©nĂ©fiques pour sa santĂ©. »
(Ilaşcu et autres, prĂ©citĂ©, § 438 ; voir, pour une conclusion de non violation de lâarticle 3 pour des conditions de dĂ©tention diffĂ©rentes, Rohde c. Danemark, no 69332/01, § 97, 21 juillet 2005).
c) Application de ces principes au cas dâespĂšce
i. La spĂ©cificitĂ© de lâaffaire
108. Pour ce qui est de la prĂ©sente affaire, la Cour rappelle quâelle a constatĂ©, dans son arrĂȘt du 12 mai 2005, que la dĂ©tention du requĂ©rant posait dâextraordinaires difficultĂ©s aux autoritĂ©s turques. Chef dâun mouvement armĂ© sĂ©paratiste de grande ampleur, lâintĂ©ressĂ© Ă©tait considĂ©rĂ© par une large part de la population en Turquie comme le terroriste le plus dangereux du pays. Sâajoutaient Ă cela les divergences qui sâĂ©taient faites jour au sein de sa propre organisation. Ces faits dĂ©montraient quâil existait des risques rĂ©els pour sa vie. On pouvait aussi raisonnablement prĂ©voir que ses partisans ne manqueraient pas de tenter de le faire Ă©vader de son lieu de dĂ©tention.
109. La Cour observe que ces conditions nâont pas radicalement changĂ© depuis mai 2005 : le requĂ©rant est restĂ© actif dans sa participation au dĂ©bat politique en Turquie concernant le mouvement armĂ© sĂ©paratiste que reprĂ©sente le PKK, et ses instructions transmises par le biais de ses avocats (voir supra § 43) ont Ă©tĂ© suivies par le public et ont fait lâobjet de diverses rĂ©actions, mĂȘme les plus extrĂȘmes (voir supra § 45). La Cour comprend donc que les autoritĂ©s turques aient estimĂ© nĂ©cessaire de prendre des mesures de sĂ©curitĂ© extraordinaires dans le cadre de la dĂ©tention du requĂ©rant.
ii. Les conditions matérielles de détention
110. Les conditions matĂ©rielles de dĂ©tention du requĂ©rant doivent ĂȘtre prises en compte dans lâexamen de la nature et de la durĂ©e de lâisolement.
111. La Cour observe quâavant le 17 novembre 2009 la cellule quâoccupait seul le requĂ©rant mesurait 13 mÂČ environ, disposait dâun lit, dâune table, dâun fauteuil et dâune bibliothĂšque. Elle Ă©tait climatisĂ©e et dotĂ©e dâun coin toilette. Elle possĂ©dait une fenĂȘtre qui donnait sur une cour intĂ©rieure et bĂ©nĂ©ficiait dâun Ă©clairage naturel et artificiel suffisant. En fĂ©vrier 2004, les murs avaient Ă©tĂ© renforcĂ©s par des panneaux en agglomĂ©rĂ© permettant de rĂ©duire lâhumiditĂ©.
112. La Cour observe aussi que, depuis le 17 novembre 2009, le requĂ©rant occupe seul une cellule dans le nouveau bĂątiment de la prison dâİmralı qui a Ă©tĂ© construit pour accueillir Ă©galement dâautres dĂ©tenus. Sa nouvelle cellule a une superficie de 9,8 mÂČ (espace de vie) auxquels sâajoutent 2 mÂČ (salle dâeau et toilettes), et possĂšde un lit, une petite table, deux chaises, une armoire mĂ©tallique et un coin cuisine dotĂ© dâun lavabo. Le bĂątiment oĂč se trouvent les cellules est bien protĂ©gĂ© contre lâhumiditĂ©. La cellule du requĂ©rant dispose dâune fenĂȘtre de 1 m x 0,5 m et dâune porte en partie vitrĂ©e, les deux donnant sur une cour intĂ©rieure. Selon le CPT, la cellule est privĂ©e dâun ensoleillement direct suffisant par le mur de 6 m de haut qui entoure cette cour. Le Gouvernement, sur la base dâune expertise indiquant que la cellule recevait assez de soleil, et par crainte pour la sĂ©curitĂ© du requĂ©rant, nâaurait pas acceptĂ© la proposition du CPT tendant Ă lâabaissement du mur en question.
113. Dans le nouveau bĂątiment ont Ă©tĂ© mises Ă la disposition du requĂ©rant et des autres dĂ©tenus une salle de sport Ă©quipĂ©e dâune table de ping-pong et deux autres salles dotĂ©es de chaises et de tables, piĂšces recevant toutes une abondante lumiĂšre naturelle. JusquâĂ la fin de 2009 et au dĂ©but de 2010, le requĂ©rant bĂ©nĂ©ficiait, dans le nouveau bĂątiment, de deux heures dâactivitĂ©s en plein air par jour, en restant seul dans la cour intĂ©rieure rĂ©servĂ©e Ă sa cellule. En outre, il pouvait passer une heure par semaine, seul, dans la salle de loisirs (oĂč aucune activitĂ© spĂ©cifique nâĂ©tait proposĂ©e) et deux heures par mois, seul, dans la bibliothĂšque de la prison (paragraphe 26 ci‑dessus).
114. Donnant suite aux observations formulĂ©es par le CPT aprĂšs sa visite de janvier 2010, les autoritĂ©s responsables de la prison dâİmralı ont assoupli le rĂ©gime en question. Le requĂ©rant a ainsi Ă©tĂ© autorisĂ© Ă mener, seul, des activitĂ©s Ă lâextĂ©rieur de sa cellule Ă raison de quatre heures par jour.
115. La Cour constate que les conditions de dĂ©tention matĂ©rielles du requĂ©rant sont conformes aux rĂšgles pĂ©nitentiaires europĂ©ennes qui ont Ă©tĂ© adoptĂ©es le 11 janvier 2006 par le ComitĂ© des Ministres. Elles ont par ailleurs Ă©tĂ© considĂ©rĂ©es comme « globalement acceptables » par le CPT. DĂšs lors, aucune atteinte Ă lâarticle 3 ne saurait ĂȘtre relevĂ©e de ce chef.
iii. La nature de lâisolement du requĂ©rant
â LâaccĂšs Ă lâinformation
116. Avant le 17 novembre 2009, le requĂ©rant disposait dans sa cellule de livres et dâun poste de radio pouvant capter uniquement des Ă©missions Ă©tatiques. Il nâĂ©tait pas autorisĂ© Ă avoir un poste de tĂ©lĂ©vision dans sa cellule, au motif quâil Ă©tait un dĂ©tenu dangereux et Ă©tait membre dâune organisation illĂ©gale. Pour les mĂȘmes raisons, il nâavait pas non plus accĂšs au tĂ©lĂ©phone. Ces restrictions contribuaient Ă lâisolement social relatif de lâintĂ©ressĂ©.
117. Pendant la mĂȘme pĂ©riode, le requĂ©rant Ă©tait soumis Ă un accĂšs restreint Ă la presse quotidienne et hebdomadaire. En fait, il recevait des journaux une fois par semaine, les numĂ©ros fournis par sa famille ou par ses avocats. En lâabsence de visites de membres de sa famille et de ses avocats, il lui arrivait de rester des semaines sans accĂšs Ă la presse. Les journaux remis Ă lâintĂ©ressĂ© Ă©taient largement censurĂ©s.
118. AprĂšs le 17 novembre 2009, ces conditions ont Ă©tĂ© marquĂ©es par quelques amĂ©liorations. A partir de 2010, le requĂ©rant, comme les autres dĂ©tenus de la prison dâİmralı, a pu recevoir des journaux deux fois par semaine au lieu dâune seule fois. Depuis mars 2010, il dispose aussi de dix minutes de conversation tĂ©lĂ©phonique avec lâextĂ©rieur tous les quinze jours.
119. Dans lâensemble, la Cour observe que le requĂ©rant a bĂ©nĂ©ficiĂ© dâun accĂšs modĂ©rĂ© Ă lâinformation, ne disposant pas Ă tout moment de tous les moyens de communication. La censure des quotidiens remis Ă lâintĂ©ressĂ© semble compensĂ©e par un accĂšs non censurĂ© aux livres. LâaccĂšs aux moyens audiovisuels (tĂ©lĂ©vision) restant un moyen de rĂ©duire les effets nĂ©fastes de lâisolement social, et les dĂ©tenus dans les autres prisons de haute sĂ©curitĂ© bĂ©nĂ©ficiant sans restrictions importantes de cette possibilitĂ©, la Cour estime que la limitation imposĂ©e jusquâĂ rĂ©cemment au requĂ©rant sur ce point sans justification convaincante pouvait contribuer Ă long terme Ă son isolement social relatif.
â La communication avec le personnel de la prison
120. Ă la lumiĂšre des rapports que le CPT a prĂ©parĂ©s Ă lâissue de ses visites de 2007 et de 2010 (voir les links au paragraphe 72 ci‑dessus, (CPT/Inf (2008)13 pour la visite de mai 2007, §§ 25-30, et CPT/Inf (2010) 20 pour celle de janvier 2010, §§ 30-35), la Cour observe que le requĂ©rant a reçu, pendant pratiquement les onze premiĂšres annĂ©es de sa dĂ©tention, la visite quotidienne de mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes. Ces mĂ©decins changeaient Ă chaque fois, ce qui selon le CPT rendait impossible toute relation constructive entre le mĂ©decin et le patient.
121. Ă partir de mai 2010, Ă la suite des recommandations du CPT, le requĂ©rant a bĂ©nĂ©ficiĂ© de visites mĂ©dicales soit rĂ©guliĂšrement et mensuellement, soit Ă sa demande ou en cas de nĂ©cessitĂ©. Un mĂ©decin spĂ©cifique a Ă©tĂ© chargĂ© de recueillir toutes les donnĂ©es mĂ©dicales sur la santĂ© de lâintĂ©ressĂ©, de les Ă©valuer et de leur appliquer le secret mĂ©dical.
122. La Cour note Ă©galement quâaucun des certificats mĂ©dicaux Ă©tablis par les mĂ©decins du ministĂšre de la SantĂ© ni aucun des rapports sur les visites du CPT nâont indiquĂ© que lâisolement social relatif pourrait avoir des consĂ©quences nĂ©fastes permanentes et importantes pour la santĂ© du requĂ©rant. Il est vrai quâĂ lâissue de leur visite de 2007 les dĂ©lĂ©guĂ©s du CPT ont signalĂ© une dĂ©tĂ©rioration de lâĂ©tat psychique de lâintĂ©ressĂ© par rapport aux annĂ©es 2001 et 2003. Selon les dĂ©lĂ©guĂ©s du CPT, cette dĂ©gradation rĂ©sultait dâun Ă©tat de stress chronique et dâun isolement social et Ă©motionnel, combinĂ©s Ă un sentiment dâabandon et de dĂ©ception, sans oublier un problĂšme ORL durable. A la suite de leur visite Ă İmralı en 2010, aprĂšs la construction dâun nouveau bĂątiment et le transfert dâautres dĂ©tenus dans lâĂ©tablissement, les dĂ©lĂ©guĂ©s du CPT ont pu constater que lâĂ©tat psychique du requĂ©rant sâĂ©tait nettement amĂ©liorĂ©, mĂȘme sâil restait une lĂ©gĂšre vulnĂ©rabilitĂ©, qui Ă©tait Ă surveiller.
123. La Cour observe en outre que les membres du personnel de la prison sont autorisĂ©s Ă communiquer avec le requĂ©rant mais quâils doivent limiter leur conversation au strict minimum exigĂ© par leur travail. Un tel contact nâest pas susceptible en soi dâamoindrir lâisolement social dâun dĂ©tenu.
â La communication avec les autres dĂ©tenus
124. Avant le 17 novembre 2009, le requĂ©rant, qui Ă©tait le seul dĂ©tenu de lâĂ©tablissement pĂ©nitentiaire dâİmralı, ne pouvait avoir de contacts quâavec les membres du personnel qui y travaillaient, et ce dans les limites strictes de leurs fonctions.
125. AprĂšs le 17 novembre 2009, date Ă laquelle le requĂ©rant et cinq autres dĂ©tenus venus dâautres prisons et transfĂ©rĂ©s Ă İmralı ont Ă©tĂ© installĂ©s dans le bĂątiment nouvellement construit, lâintĂ©ressĂ© a Ă©tĂ© autorisĂ© Ă passer une heure par semaine avec les autres dĂ©tenus pour la conversation.
126. En rĂ©ponse aux observations formulĂ©es par le CPT Ă la suite de sa visite de janvier 2010, les autoritĂ©s responsables de la prison dâİmralı ont assoupli les possibilitĂ©s de communication entre le requĂ©rant et les autres dĂ©tenus. Depuis, lâintĂ©ressĂ© peut passer trois heures â et non plus une heure â par semaine avec les autres dĂ©tenus pour la conversation. Par ailleurs, comme tous les dĂ©tenus dâİmralı, il peut pratiquer, Ă sa demande, les cinq activitĂ©s collectives suivantes, Ă raison dâune heure par semaine pour chacune : peinture et arts plastiques, ping-pong, Ă©checs, volleyball et basketball. Au total, il peut ainsi disposer de cinq heures hebdomadaires dâactivitĂ©s collectives. Lâexamen des registres de la prison montre quâen pratique le requĂ©rant fait uniquement du volleyball et du basketball. En 2010, il Ă©tait envisagĂ© dâoffrir au requĂ©rant et aux autres dĂ©tenus deux heures hebdomadaires supplĂ©mentaires par semaine pour pratiquer dâautres activitĂ©s collectives.
â La communication avec les membres de la famille
127. La Cour observe que le requĂ©rant a reçu la visite des membres de sa famille, notamment de ses sĆurs et de son frĂšre.
128. MĂȘme si le rĂšglement de la prison autorise une heure de visite des proches (frĂšres et sĆurs dans le cas du requĂ©rant) tous les quinze jours, ces visites nâont pu avoir lieu suivant la frĂ©quence souhaitĂ©e par le requĂ©rant et sa famille. Le fait que lâintĂ©ressĂ© soit dĂ©tenu dans une prison situĂ©e sur une Ăźle lointaine a inĂ©vitablement entraĂźnĂ© dâimportantes difficultĂ©s dâaccĂšs Ă lâĂ©tablissement pour les membres de la famille, par comparaison avec les centres pĂ©nitentiaires de haute sĂ©curitĂ© qui se trouvent sur le continent. Les raisons principalement invoquĂ©es par les autoritĂ©s gouvernementales pour justifier les frĂ©quentes interruptions des services de navettes entre la prison et la cĂŽte la plus proche en tĂ©moignent : les « mauvaises conditions mĂ©tĂ©orologiques », lâ« entretien des bateaux assurant la navette entre lâĂźle et le continent » et lâ« impossibilitĂ© pour les bateaux navettes de faire face aux mauvaises conditions mĂ©tĂ©orologiques ».
129. Lâexamen des dates et de la frĂ©quence des visites rendues par des proches et de celles refusĂ©es montre quâen 2006 et dĂ©but 2007 il y a eu plus de visites refusĂ©es quâeffectuĂ©es. En revanche, fin 2007, ainsi quâen 2008, en 2009 et en 2010, la frĂ©quence des visites sâest accrue. Par contre, en 2011 et en 2012, le requĂ©rant nâa pu recevoir que quelques visites des membres de sa famille. A cet Ă©gard, la Cour note avec prĂ©occupation quâun grand nombre de visites ont Ă©tĂ© rendues impossibles en raison de mauvaises conditions mĂ©tĂ©orologiques et de pannes techniques des bateaux nĂ©cessitant parfois des travaux de plusieurs semaines, malgrĂ© le fait que le Gouvernement avait plaidĂ© devant la Cour, dans le cadre de lâaffaire Ăcalan c. Turquie aboutissant Ă lâarrĂȘt de la Grande Chambre du 12 mai 2005, que de telles difficultĂ©s allaient ĂȘtre supprimĂ©es avec la mise en service des moyens de transport plus appropriĂ©s (Ăcalan prĂ©citĂ©, § 194).
130. Quant aux conditions dans lesquelles se dĂ©roulent ces visites, la Cour observe quâavant 2010, le requĂ©rant ne pouvait communiquer avec ses sĆurs ou son frĂšre que dans des parloirs dotĂ©s dâun dispositif de sĂ©paration (vitres et combinĂ©s tĂ©lĂ©phoniques), car le rĂšglement de la prison rĂ©servait les parloirs sans sĂ©paration aux visites des proches du premier degrĂ©. Cette partie du rĂšglement ayant Ă©tĂ© invalidĂ©e par les juridictions administratives en dĂ©cembre 2009, le requĂ©rant et les membres de sa famille qui lui rendent visite peuvent depuis 2010 sâinstaller autour dâune table.
â La communication avec les avocats ou dâautres personnes
131. La Cour observe que le requĂ©rant a reçu la visite de ses avocats, parfois Ă intervalles rĂ©guliers, parfois de façon rare et occasionnelle. Alors que lâintĂ©ressĂ© avait le droit de voir ses avocats une fois par semaine (le mercredi Ă©tant le jour des visites), il sâest vu priver de la plupart de ces visites. Les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires ont motivĂ© le rejet des demandes de visite en invoquant les mauvaises conditions mĂ©tĂ©orologiques ou une panne de bateau.
132. La Cour note Ă cet Ă©gard que les pĂ©riodes durant lesquelles les visites dâavocats ont Ă©tĂ© refusĂ©es au requĂ©rant ont prĂ©cĂ©dĂ© le dĂ©clenchement de procĂ©dures contre certains conseils de lâintĂ©ressĂ©, auxquels il Ă©tait reprochĂ© dâavoir servi de messagers entre lui et le PKK. Elle constate que les interruptions des visites ont davantage Ă©tĂ© dues au souci des autoritĂ©s nationales dâempĂȘcher la communication entre le requĂ©rant et son ex‑organisation armĂ©e quâaux conditions mĂ©tĂ©orologiques ou aux pannes de bateau.
133. La Cour observe en outre que le requĂ©rant avait le droit de correspondre avec lâextĂ©rieur, sous le contrĂŽle des autoritĂ©s pĂ©nitentiaires, et que le courrier reçu par lui Ă©tait contrĂŽlĂ© et censurĂ©.
134. Elle note aussi que le requĂ©rant nâa pas Ă©tĂ© autorisĂ© Ă avoir des entretiens confidentiels avec ses avocats. Les comptes rendus de ces entretiens Ă©taient en effet soumis au contrĂŽle du juge de lâexĂ©cution des peines.
135. La
Cour constate sur ces points que la communication entre le requérant et ses
avocats et la correspondance de lâintĂ©ressĂ©, dĂ©tenu pour activitĂ©s terroristes,
ont fait lâobjet de restrictions plus importantes que celles touchant les
dĂ©tenus dâautres prisons. NĂ©anmoins, alors que les personnes privĂ©es de leur
libertĂ© pour activitĂ©s terroristes ne sauraient ĂȘtre soustraites au champ des
dispositions de la Convention et quâon ne peut porter atteinte Ă la substance
de leurs droits et libertés ainsi reconnus, les autorités nationales peuvent
leur imposer des « restrictions lĂ©gitimes » dans la mesure oĂč ces restrictions
sont strictement nécessaires pour protéger la société contre la violence.
â Conclusion quant Ă la nature de lâisolement imposĂ© au requĂ©rant
136. La Cour en conclut que, pour la pĂ©riode antĂ©rieure Ă la date du 17 novembre 2009, on ne saurait estimer que le requĂ©rant a Ă©tĂ© dĂ©tenu dans un isolement sensoriel ou social total. Son isolement social Ă cette Ă©poque Ă©tait partiel et relatif. Depuis cette date (pour le restant de la pĂ©riode examinĂ©e, voir supra § 96), lâintĂ©ressĂ© ne saurait pas non plus ĂȘtre considĂ©rĂ© comme ayant Ă©tĂ© maintenu dans un isolement social grave, en dĂ©pit des importantes restrictions de facto appliquĂ©es Ă sa communication avec ses avocats.
iv. La durée du maintien en isolement social du requérant
137. La Cour constate que le requĂ©rant a Ă©tĂ© maintenu dans un isolement social relatif entre le 12 mai 2005 et le 17 novembre 2009, soit pendant quatre ans et six mois environ. Il est Ă rappeler que le 12 mai 2005, date Ă laquelle la Cour a rendu son arrĂȘt dans la prĂ©cĂ©dente requĂȘte introduite par le requĂ©rant, ce dernier, apprĂ©hendĂ© le 15 fĂ©vrier 1999, Ă©tait dĂ©jĂ dĂ©tenu dans un isolement social relatif depuis six ans et trois mois environ. La durĂ©e totale de la dĂ©tention en isolĂ©ment social relatif sâest donc Ă©levĂ©e Ă dix ans et neuf mois.
138. La longueur de cette pĂ©riode appelle de la part de la Cour un examen rigoureux en ce qui concerne sa justification, la nĂ©cessitĂ© des mesures prises et leur proportionnalitĂ© par rapport aux autres restrictions possibles, les garanties offertes au requĂ©rant pour Ă©viter lâarbitraire et les mesures prises par les autoritĂ©s pour sâassurer que lâĂ©tat physique et psychologique du requĂ©rant permettait son maintien Ă lâisolement (Ramirez Sanchez, prĂ©citĂ©, § 136).
139. Pour la pĂ©riode antĂ©rieure au 17 novembre 2009, on peut comparer les restrictions subies par le requĂ©rant Ă celles imposĂ©es Ă Ramirez Sanchez, dont lâaffaire a fait lâobjet dâun arrĂȘt de la Grande Chambre ayant conclu Ă la non-violation de lâarticle 3 de la Convention (Ramirez Sanchez, prĂ©citĂ©, voir, notamment, §§ 125-150). Alors que Ramirez Sanchez fut placĂ© pour un certain temps dans un quartier de la prison dont les occupants nâavaient aucune possibilitĂ© de se croiser ou dâĂȘtre regroupĂ©s en un mĂȘme lieu, le requĂ©rant Ă©tait lâunique dĂ©tenu de la prison et de ce fait il ne pouvait au quotidien cĂŽtoyer que les mĂ©decins et les membres du personnel. Il recevait les visites des membres de sa famille et de ses avocats lorsque les conditions de transport maritime le permettaient.
140. La Cour admet que le placement et le maintien du requĂ©rant dans de telles conditions de dĂ©tention Ă©taient motivĂ©s par le risque dâĂ©vasion hors dâune prison normale, le souci de protĂ©ger la vie de lâintĂ©ressĂ© contre ceux qui le jugent responsable de la mort dâun grand nombre de personnes, et la volontĂ© de lâempĂȘcher de transmettre des instructions Ă son organisation armĂ©e, le PKK, qui le considĂ©rait toujours comme son chef.
141. Cependant, la Cour a dĂ©jĂ estimĂ© dans lâarrĂȘt Ramirez Sanchez quâil serait souhaitable que des solutions autres que la mise Ă lâisolement soient recherchĂ©es pour les individus tenus pour dangereux et pour lesquels la dĂ©tention dans une prison ordinaire et dans des conditions normales est jugĂ©e inappropriĂ©e (Ramirez Sanchez, prĂ©citĂ©, § 146).
142. La
Cour observe que, dans son rapport sur sa visite effectuée du 19 au 22 mai
2007, le CPT a exprimé des préoccupations semblables sur les effets néfastes du
prolongement de conditions se résumant à un isolement social relatif. Finalement,
en mars 2008, en lâabsence dâavancĂ©es rĂ©elles de la part du Gouvernement sur ce
point, le CPT a mis en route la procĂ©dure visant Ă la formulation dâune
dĂ©claration publique, telle que prĂ©vue Ă lâarticle 10 § 2 de la Convention europĂ©enne pour la prĂ©vention de la
torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants.
143. La Cour relĂšve avec intĂ©rĂȘt la rĂ©action positive du Gouvernement. En effet, ce dernier a dĂ©cidĂ© en juin 2008 de construire un nouveau bĂątiment dans lâenceinte de la prison dâİmralı afin de se conformer aux normes exigĂ©es par le CPT relativement Ă la dĂ©tention du requĂ©rant et a menĂ© en octobre 2008 des nĂ©gociations de haut niveau sur ce point avec les reprĂ©sentants du CPT. La construction a Ă©tĂ© achevĂ©e en Ă©tĂ© 2009 et, en novembre 2009, le requĂ©rant ainsi que dâautres dĂ©tenus transfĂ©rĂ©s dâautres Ă©tablissements pĂ©nitentiaires y ont Ă©tĂ© installĂ©s.
144. La Cour constate que le rĂ©gime appliquĂ© au requĂ©rant Ă partir de novembre 2009 sâest peu Ă peu Ă©loignĂ© de lâisolement social. TrĂšs limitĂ©e au dĂ©but, sa communication avec les autres dĂ©tenus a progressĂ© dans la mesure oĂč le Gouvernement a accueilli favorablement la plupart des indications du CPT en la matiĂšre. Face Ă ces dĂ©veloppements, le CPT a mis fin en mars 2010 Ă la procĂ©dure quâil avait dĂ©cidĂ© de lancer deux ans auparavant en vertu de lâarticle 10 § 2 de la Convention pour la prĂ©vention de la torture.
145. La Cour note les inquiĂ©tudes du CPT concernant les Ă©ventuels effets Ă long terme de lâabsence prolongĂ©e de tĂ©lĂ©viseur dans la cellule du requĂ©rant (jusquâĂ la date du 12 janvier 2012) et des frĂ©quentes interruptions de sa communication avec ses avocats et les membres de sa famille. Tous ces moyens permettent dâĂ©viter lâisolement social dâun dĂ©tenu, donc du requĂ©rant. Le manque Ă long terme de ces moyens, combinĂ© avec le facteur « temps », soit plus de treize ans de dĂ©tention dans le cas du requĂ©rant si lâon part du dĂ©but de sa captivitĂ©, risque de provoquer chez lui un sentiment justifiĂ© dâisolement social.
En particulier, la Cour estime que mĂȘme si le choix dâune ile isolĂ©e comme lieu de dĂ©tention du requĂ©rant incombe au Gouvernement, il est de devoir de ce dernier de doter, dans ce cas, lâĂ©tablissement pĂ©nitencier en question des moyens de transport appropriĂ©s afin de permettre le dĂ©roulement normal du rĂ©gime sur les visites des dĂ©tenues.
v. Conclusions
- Avant le 17 novembre 2009
146. La Cour rappelle avoir pris note, dans son arrĂȘt du 12 mai 2005, des recommandations du CPT selon lesquelles lâisolement social relatif du requĂ©rant ne devait pas durer trop longtemps et les effets de cet isolement devaient ĂȘtre attĂ©nuĂ©s par lâaccĂšs de lâintĂ©ressĂ© Ă la tĂ©lĂ©vision et aux communications tĂ©lĂ©phoniques avec ses avocats et ses proches parents (Ăcalan precitĂ©, § 195). Elle rappelle aussi avoir estimĂ© dans le mĂȘme arrĂȘt que les conditions gĂ©nĂ©rales de la dĂ©tention du requĂ©rant Ă la prison dâİmralı nâavaient pas atteint le seuil minimum de gravitĂ© requis pour constituer un traitement inhumain ou dĂ©gradant au sens de lâarticle 3 de la Convention « pour le moment » (Ăcalan precitĂ©, § 196). Or la Cour constate Ă prĂ©sent que lâisolement social du requĂ©rant a continuĂ©, jusquâau 17 novembre 2009, dans des conditions plus ou moins identiques Ă celles observĂ©es dans son arrĂȘt du 12 mai 2005.
Dans son apprĂ©ciation quant Ă la dĂ©tention du requĂ©rant antĂ©rieure au 17 novembre 2009, la Cour tient compte des conclusions formulĂ©es par le CPT dans son rapport sur sa visite de mai 2007 (voir supra § 72) ainsi que de ses propres constats, notamment du prolongement Ă dix ans et neuf mois de la pĂ©riode pendant laquelle le requĂ©rant a Ă©tĂ© le seul dĂ©tenu de lâĂ©tablissement pĂ©nitentiaire (voir supra § 137), de lâabsence de moyens de communication permettant dâĂ©viter lâisolement social du requĂ©rant (absence prolongĂ©e de tĂ©lĂ©viseur dans la cellule et dâappels tĂ©lĂ©phoniques, voir supra § 116 et § 119), des limitations excessives de lâaccĂšs Ă lâinformation (voir supra §§ 116, 117 et 119), de la persistance des importantes difficultĂ©s dâaccĂšs Ă lâĂ©tablissement pĂ©nitentiaire pour les visiteurs (membres de la famille ou avocats) et de lâinsuffisance des moyens de transport maritimes face aux conditions mĂ©tĂ©orologiques (voir supra § 129), de la limitation de la communication du personnel avec le requĂ©rant au strict minimum exigĂ© par le travail (voir supra § 123 et 124), de lâabsence de relation constructive entre le mĂ©decin et le requĂ©rant patient (voir supra § 120), de la dĂ©tĂ©rioration de lâĂ©tat psychique de lâintĂ©ressĂ© en 2007 rĂ©sultant dâun Ă©tat de stress chronique et dâun isolement social et Ă©motionnel, combinĂ©s Ă un sentiment dâabandon et de dĂ©ception (voir supra § 122), ainsi que de lâabsence de recherche de solutions autres que la mise Ă lâisolĂ©ment du requĂ©rant, jusquâen juin 2008, en dĂ©pit du fait que le CPT avait signalĂ© dans son rapport sur sa visite de mai 2007 les effets nĂ©fastes du prolongement de conditions se rĂ©sumant Ă un isolement social (voir supra § 122). La Cour en conclut que les conditions de dĂ©tention imposĂ©es au requĂ©rant pendant cette pĂ©riode ont atteint le seuil minimum de gravitĂ© requis pour constituer un traitement inhumain au sens de lâarticle 3 de la Convention.
147. Partant, il y a eu violation de lâarticle 3 de la Convention quant aux conditions de dĂ©tention du requĂ©rant qui se sont prolongĂ©es jusquâĂ la date du 17 novembre 2009.
- AprĂšs le 17 novembre 2009
148. Dans son apprĂ©ciation quant Ă la pĂ©riode postĂ©rieure au 17 novembre 2009, la Cour tient compte principalement des conditions matĂ©rielles de dĂ©tention du requĂ©rant, de la rĂ©action positive du Gouvernement face Ă la procĂ©dure lancĂ©e par le CPT en vertu de lâarticle 10 § 2 de la Convention pour la prĂ©vention de la torture et ayant abouti Ă lâinstallation dâautres dĂ©tenus Ă la prison dâImrali (voir supra § 143), de lâamĂ©lioration de lâaccĂšs du requĂ©rant Ă lâinformation pendant cette pĂ©riode (voir supra § 118), de lâimportant renforcement de la communication et des activitĂ©s communes du requĂ©rant avec les autres dĂ©tenus en rĂ©ponse aux observations du CPT formulĂ©es Ă la suite de sa visite de janvier 2010 (voir supra § 126), de lâaugmentation des frĂ©quences des visites autorisĂ©es et de la qualitĂ© des entretiens du requĂ©rant avec sa famille sans dispositif de sĂ©paration (voir supra §§ 129 et 130) et de la mise Ă disposition de moyens attĂ©nuant les effets de lâisolement social relatif (contacts tĂ©lĂ©phoniques depuis mars 2010, tĂ©lĂ©viseur dans sa cellule depuis janvier 2012). La Cour en conclut que les conditions de dĂ©tention imposĂ©es au requĂ©rant pendant cette pĂ©riode nâont pas atteint le seuil minimum de gravitĂ© requis pour constituer un traitement inhumain au sens de lâarticle 3 de la Convention.
149. Partant, il nây a pas eu violation de lâarticle 3 de la Convention en raison des conditions de dĂ©tention imposĂ©es au requĂ©rant pendant la pĂ©riode postĂ©rieure Ă la date du 17 novembre 2009.
La Cour tient Ă souligner que le constat de non-violation de lâarticle 3 de la Convention ne saurait sâinterprĂ©ter comme une excuse pour les autoritĂ©s nationales pour ne pas fournir au requĂ©rant plus de facilitĂ©s de communication avec lâextĂ©rieur ou allĂ©ger ses conditions de dĂ©tention, puisquâavec la prolongation de la durĂ©e passĂ©e par celui-ci en dĂ©tention, lui accorder de telles facilitĂ©s peut ĂȘtre nĂ©cessaire pour que ses conditions de dĂ©tention restent en conformitĂ© avec les exigences de lâarticle 3 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 8 DE LA CONVENTION SâAGISSANT DES RESTRICTIONS APPORTĂES AUX VISITES ET Ă LA COMMUNICATION AVEC LES MEMBRES DE LA FAMILLE
150. Le requĂ©rant allĂšgue la violation de son droit au respect de sa vie familiale en se fondant sur une partie des faits quâil prĂ©sente sous lâangle de lâarticle 3 de la Convention, Ă savoir les restrictions imposĂ©es Ă ses contacts avec les membres de sa famille, Ă ses communications tĂ©lĂ©phoniques, Ă sa correspondance et aux visites.
151. Lâarticle 8 de la Convention dispose :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingĂ©rence dâune autoritĂ© publique dans lâexercice de ce droit que pour autant que cette ingĂ©rence est prĂ©vue par la loi et quâelle constitue une mesure qui, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, est nĂ©cessaire Ă la sĂ©curitĂ© nationale, Ă la sĂ»retĂ© publique, au bien-ĂȘtre Ă©conomique du pays, Ă la dĂ©fense de lâordre et Ă la prĂ©vention des infractions pĂ©nales, Ă la protection de la santĂ© ou de la morale, ou Ă la protection des droits et libertĂ©s dâautrui. »
152. Le Gouvernement conteste cette thĂšse et rĂ©itĂšre de maniĂšre gĂ©nĂ©rale les observations prĂ©sentĂ©es sur le terrain de lâarticle 3 de la Convention au sujet de la communication entre le requĂ©rant et les membres de sa famille. Il fait observer que lâintĂ©ressĂ© peut communiquer avec ses proches sous rĂ©serve des restrictions imposĂ©es par la lĂ©gislation concernant les prisons de haute sĂ©curitĂ© et lâexĂ©cution des peines (la rĂ©clusion criminelle Ă perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e en lâespĂšce). Il ajoute que lorsque le requĂ©rant purge une sanction disciplinaire parce quâil ne sâest pas conformĂ© Ă lâinterdiction dâadresser des messages Ă son ex-organisation armĂ©e, cela a une incidence sur lâexercice du droit de recevoir des visites.
A. Sur la recevabilité
153. La Cour relĂšve que ce grief est liĂ© Ă celui quâelle a examinĂ© ci‑dessus et quâil convient donc Ă©galement de le dĂ©clarer recevable.
B. Sur le fond
154. Elle
rappelle que toute dĂ©tention rĂ©guliĂšre au regard de lâarticle 5 de la
Convention entraßne par nature une restriction à la vie privée et familiale de
lâintĂ©ressĂ©. Il est cependant essentiel au respect de la vie familiale que
lâadministration pĂ©nitentiaire aide le dĂ©tenu Ă maintenir un contact avec sa
famille proche (Messina c. Italie (no
2), précité, § 61).
155. En lâespĂšce, la Cour souligne que le requĂ©rant, condamnĂ© Ă lâemprisonnement Ă perpĂ©tuitĂ© dans une prison de haute sĂ©curitĂ©, est soumis Ă un rĂ©gime spĂ©cial de dĂ©tention, qui a impliquĂ© la limitation du nombre de visites de la famille (une fois par semaine, sur demande) et imposĂ© jusquâen 2010 des mesures de surveillance de ces rencontres (le dĂ©tenu Ă©tait sĂ©parĂ© des visiteurs par une paroi vitrĂ©e).
156. La Cour estime que ces restrictions constituent sans nul doute une ingĂ©rence dans lâexercice par le requĂ©rant de son droit au respect de sa vie familiale, garanti par lâarticle 8 § 1 de la Convention (X c. Royaume‑Uni, no 8065/77, dĂ©cision de la Commission du 3 mai 1978, DĂ©cisions et rapports 14, p. 246).
157. Pareille ingĂ©rence nâenfreint pas la Convention si elle est « prĂ©vue par la loi », vise un ou des buts lĂ©gitimes au regard du paragraphe 2 de lâarticle 8 et peut passer pour une mesure nĂ©cessaire « dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique ».
158. La Cour note que les mesures de sĂ©curitĂ© ont Ă©tĂ© ordonnĂ©es Ă lâencontre du requĂ©rant conformĂ©ment aux dispositions de la lĂ©gislation sur le rĂ©gime des dĂ©tenus considĂ©rĂ©s comme dangereux, notamment par la loi no 5275 sur lâexĂ©cution des peines et des mesures prĂ©ventives, et quâelles Ă©taient dĂšs lors « prĂ©vues par la loi ». Elle considĂšre en outre que les mesures en question poursuivaient des buts lĂ©gitimes au regard du paragraphe 2 de lâarticle 8 de la Convention, Ă savoir la dĂ©fense de lâordre et de la sĂ»retĂ© publics, ainsi que la prĂ©vention des infractions pĂ©nales.
159. Quant Ă la nĂ©cessitĂ© de lâingĂ©rence, la Cour rappelle que pour revĂȘtir un caractĂšre nĂ©cessaire « dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique », une ingĂ©rence doit se fonder sur un besoin social impĂ©rieux, et notamment demeurer proportionnĂ©e au but lĂ©gitime recherchĂ© (voir, entre autres, lâarrĂȘt McLeod c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 52, Recueil 1998-VII).
160. Or,
la Cour relÚve que le régime des contacts avec la famille prévu pour les
condamnés à perpétuité détenus dans une prison de haute sécurité tend à limiter
les liens existant entre les personnes concernées et leur milieu criminel
dâorigine, afin de minimiser le risque quâelles ne maintiennent des contacts
personnels avec les structures des organisations criminelles. En effet, la Cour
rappelle que, dans son arrĂȘt du 12 mai 2005 (Ăcalan, prĂ©citĂ©, § 192) ainsi quâau paragraphe
132 ci-dessus, elle a considéré comme étant fondées les préoccupations du
Gouvernement, qui craignait que le requérant puisse utiliser les communications
avec lâextĂ©rieur pour reprendre contact avec des membres du mouvement armĂ©
séparatiste dont il était le chef. Elle ne saurait estimer que les
circonstances de la détention du requérant avaient radicalement changé depuis
2005 jusquâau moment de ces restrictions de communication.
161. La Cour rappelle aussi que, dans de nombreux Ătats parties Ă la Convention, il existe des rĂ©gimes de sĂ©curitĂ© renforcĂ©e pour les dĂ©tenus dangereux. Ces rĂ©gimes se basent sur le renforcement des contrĂŽles de la communication avec lâextĂ©rieur pour les dĂ©tenus prĂ©sentant un risque particulier pour lâordre dans la prison et lâordre public.
162. Ă la lumiĂšre de ces arguments, la Cour ne saurait douter de la nĂ©cessitĂ© dâappliquer au requĂ©rant un rĂ©gime spĂ©cial de dĂ©tention.
163. Quant
Ă la mise en balance entre lâintĂ©rĂȘt individuel du requĂ©rant Ă communiquer avec
sa famille et lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral Ă restreindre ses contacts avec lâextĂ©rieur, la
Cour note que les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires ont cherchĂ© Ă aider lâintĂ©ressĂ© Ă
maintenir, dans la mesure du possible, le contact avec sa famille proche :
les visites étaient autorisées une fois par semaine, sans limitation du nombre
de visiteurs. Par ailleurs, à partir de 2010, les autorités pénitentiaires,
donnant suite aux recommandations du CPT, ont permis au requérant de recevoir
ses visiteurs autour dâune table (voir, a
contrario, Trosin c. Ukraine, no
39758/05, §§ 43-47, 23 février 2012). Il ressort
Ă©galement du dossier que les communications tĂ©lĂ©phoniques sont autorisĂ©es Ă
raison de dix minutes toutes les deux semaines. La correspondance entre
lâintĂ©ressĂ© et les membres de sa famille, si lâon met de cĂŽtĂ© le contrĂŽle et la
censure visant à éviter les échanges portant sur les activités du PKK,
fonctionne normalement.
164. Ă la lumiĂšre de ces considĂ©rations, la Cour estime que les restrictions au droit du requĂ©rant au respect de sa vie familiale nâont pas excĂ©dĂ© ce qui, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, est nĂ©cessaire Ă la dĂ©fense de lâordre et de la sĂ»retĂ© publics et Ă la prĂ©vention des infractions pĂ©nales, au sens de lâarticle 8 § 2 de la Convention.
Il nây a donc pas eu violation de lâarticle 8 de la Convention sur ce point.
III. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 7 DE LA CONVENTION
165. Le requĂ©rant allĂšgue par ailleurs la violation de lâarticle 7 de la Convention, qui est ainsi libellĂ© :
« 1. Nul ne peut ĂȘtre condamnĂ© pour une action ou une omission qui, au moment oĂč elle a Ă©tĂ© commise, ne constituait pas une infraction dâaprĂšs le droit national ou international. De mĂȘme il nâest infligĂ© aucune peine plus forte que celle qui Ă©tait applicable au moment oĂč lâinfraction a Ă©tĂ© commise.
2. Le prĂ©sent article ne portera pas atteinte au jugement et Ă la punition dâune personne coupable dâune action ou dâune omission qui, au moment oĂč elle a Ă©tĂ© commise, Ă©tait criminelle dâaprĂšs les principes gĂ©nĂ©raux de droit reconnus par les nations civilisĂ©es. »
A. Les parties
166. Le requĂ©rant soutient que la commutation de sa peine capitale en emprisonnement Ă vie sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle enfreint lâarticle 7 de la Convention, cette commutation ayant fait suite Ă une modification de la lĂ©gislation intervenue aprĂšs sa condamnation (loi no 4771, entrĂ©e en vigueur le 9 aoĂ»t 2002). Avant cette modification de la loi, les personnes condamnĂ©es Ă la peine capitale dont lâexĂ©cution nâĂ©tait pas approuvĂ©e par lâAssemblĂ©e nationale restaient en dĂ©tention pour une durĂ©e maximale de trente-six ans.
En particulier, le requĂ©rant semble en fait avancer deux thĂšses distinctes : premiĂšrement, il soutient que, Ă lâĂ©poque oĂč il a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă la peine capitale, celle-ci Ă©quivalait, dĂšs le dĂ©but, Ă un emprisonnement dâune durĂ©e maximale de trente-six ans, puisquâen 1984 la Turquie a dĂ©crĂ©tĂ© un moratoire sur lâexĂ©cution de la peine de mort ; deuxiĂšmement, le requĂ©rant semble affirmer que la peine de mort prononcĂ©e Ă son encontre, suite Ă lâabolition de cette peine, a Ă©tĂ© commuĂ©e, dâabord, en une rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© ordinaire (avec possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle Ă lâissue dâune pĂ©riode de sĂ»retĂ©) et, bien plus tard, en une rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e (sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle jusquâĂ la fin de la vie).
167. Le requĂ©rant estime Ă©galement que lâisolement social qui lui a Ă©tĂ© imposĂ© nâĂ©tait prĂ©vu par aucune disposition de la lĂ©gislation et constitue une atteinte Ă ses droits protĂ©gĂ©s par les articles 6 et 7 de la Convention.
168. Le Gouvernement conteste cette thĂšse. Il affirme dâemblĂ©e que, selon la lĂ©gislation telle quâelle Ă©tait en vigueur avant la condamnation du requĂ©rant, les personnes condamnĂ©es Ă la peine capitale, sous rĂ©serve que lâexĂ©cution de la peine eĂ»t Ă©tĂ© formellement refusĂ©e par le Parlement, pouvaient bĂ©nĂ©ficier dâune libĂ©ration conditionnelle au terme dâune pĂ©riode de trente-six ans. Or le Parlement nâaurait jamais pris de dĂ©cision rejetant lâexĂ©cution de la peine de mort prononcĂ©e contre le requĂ©rant. Le Parlement, par la loi no 4771 du 9 aoĂ»t 2002, aurait aboli la peine capitale et remplacĂ© celle-ci par la peine Ă perpĂ©tuitĂ© renforcĂ©e, câest-Ă -dire une peine perpĂ©tuelle pour le reste de la vie, sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle. Ce principe aurait Ă©tĂ© suivi par toutes les lois ensuite promulguĂ©es et Ă©tablissant les peines imposĂ©es pour les crimes de terrorisme (notamment la loi no 5218, qui a aboli la peine de mort et emportĂ© modification dâun certain nombre de lois, la nouvelle loi no 5275 sur lâexĂ©cution des peines et des mesures prĂ©ventives ou la loi no 5532 modifiant certaines dispositions de la loi antiterroriste). Selon le Gouvernement, il Ă©tait clair pour le requĂ©rant, Ă tous les stades de la procĂ©dure, que sa condamnation fondĂ©e sur lâarticle 125 du code pĂ©nal impliquait au dĂ©but la peine capitale et, plus tard, aprĂšs lâabolition de ce chĂątiment, la peine perpĂ©tuelle sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle.
169. Le Gouvernement fait observer que le rĂ©gime de dĂ©tention appliquĂ© au requĂ©rant Ă©tait prĂ©vu, en gĂ©nĂ©ral, par la loi no 5275 sur lâexĂ©cution des peines et des mesures prĂ©ventives (notamment par ses dispositions relatives aux dĂ©tenus tenus pour dangereux), par les rĂšglements promulguĂ©s par le Conseil des ministres et touchant Ă divers aspects de la vie carcĂ©rale, ainsi que par la lĂ©gislation sur la formation dâune cellule de crise interministĂ©rielle en cas de risques exceptionnels pour la sĂ©curitĂ© publique.
B. LâapprĂ©ciation de la Cour
1. Sur la recevabilité
170. La Cour relĂšve que ce grief ne se heurte Ă aucun motif dâirrecevabilitĂ© et quâil convient donc de le dĂ©clarer recevable.
2. Sur le fond
a) Principes généraux
171. La
garantie que consacre lâarticle 7, Ă©lĂ©ment essentiel de la prĂ©Ă©minence du
droit, occupe une place primordiale dans le systĂšme de protection de la
Convention, comme lâatteste le fait que lâarticle 15 nây autorise aucune
dĂ©rogation en temps de guerre ou dâautre danger public. Ainsi quâil dĂ©coule de
son objet et de son but, on doit lâinterprĂ©ter et lâappliquer de maniĂšre Ă
assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et
les sanctions arbitraires (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 92, 17 septembre 2009, S.W. c. Royaume‑Uni,
22 novembre 1995, § 34, sĂ©rie A no 335‑B, et C.R. c. Royaume‑Uni,
22 novembre 1995, § 32, sĂ©rie A no 335‑C).
172. Lâarticle
7 § 1 de la Convention ne se borne pas Ă prohiber lâapplication rĂ©troactive du
droit pĂ©nal au dĂ©triment de lâaccusĂ©. Il consacre aussi, de maniĂšre plus
générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege).
Sâil interdit, en particulier, dâĂ©tendre le champ dâapplication des infractions
existantes à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des
infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de maniÚre
extensive au dĂ©triment de lâaccusĂ©, par exemple par analogie (voir, parmi
dâautres, Kafkaris
c. Chypre [GC], no 21906/04, § 138, CEDH 2008, et Coëme et autres
c. Belgique, nos 32492/96,
32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 145, CEDH 2000‑VII).
173. Il
sâensuit que la loi doit dĂ©finir clairement les infractions et les peines qui les
rĂ©priment. La tĂąche qui incombe Ă la Cour est donc de sâassurer que, au moment
oĂč un accusĂ© a commis lâacte qui a donnĂ© lieu aux poursuites et Ă la
condamnation, il existait une disposition lĂ©gale rendant lâacte punissable et
que la peine imposĂ©e nâa pas excĂ©dĂ© les limites fixĂ©es par cette disposition (Scoppola
(no 2), précité, § 95, Coëme et autres, précité, § 145, et Achour c. France [GC], no
67335/01, § 43, CEDH 2006‑IV).
174. La
notion de « droit » (« law »)
au sens de lâarticle 7 implique des conditions qualitatives, entre autres
celles dâaccessibilitĂ© et de prĂ©visibilitĂ© (Kafkaris,
précité, § 140, et E.K. c. Turquie, no 28496/95, § 51,
7 fĂ©vrier 2002). Ces conditions qualitatives doivent ĂȘtre remplies tant
pour la dĂ©finition dâune infraction que pour la peine que celle-ci implique (Achour, prĂ©citĂ©, § 41). Le justiciable
doit pouvoir savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au
besoin, Ă lâaide de son interprĂ©tation par les tribunaux, quels actes et
omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine sera prononcée pour
lâacte commis et/ou lâomission (voir, parmi dâautres, Scoppola (no 2), prĂ©citĂ©, § 94, Kokkinakis c. GrĂšce, 25 mai 1993, § 52, sĂ©rie A no 260-A, et Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 29, Recueil 1996‑V). De surcroĂźt, la prĂ©visibilitĂ© de la loi ne sâoppose pas Ă ce que la
personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer,
à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences
pouvant rĂ©sulter dâun acte dĂ©terminĂ© (voir, notamment, Cantoni, prĂ©citĂ©,
§ 35, et Achour, précité, § 54).
175. La
Cour relÚve que le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce,
considĂ©rĂ© par la Cour dans lâarrĂȘt Scoppola
(no 2) comme Ă©tant garanti par lâarticle 7, se traduit par la
rÚgle voulant que, si la loi pénale en vigueur au moment de la commission de
lâinfraction et les lois pĂ©nales postĂ©rieures adoptĂ©es avant le prononcĂ© dâun
jugement définitif sont différentes, le juge doit appliquer celle dont les
dispositions sont les plus favorables au prévenu (Scoppola (no 2), précité, § 109).
176. Dans
sa dĂ©cision rendue dans lâaffaire Hummatov c. AzerbaĂŻdjan ((dĂ©c.), nos 9852/03 et 13413/04, 18 mai 2006), la Cour a approuvĂ© lâavis commun aux parties selon lequel la
rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© nâĂ©tait pas une peine plus lourde que la peine capitale.
b) Application de ces principes en lâespĂšce
177. La Cour relĂšve que les parties sâaccordent Ă dire quâĂ la date de leur commission, les crimes reprochĂ©s au requĂ©rant Ă©taient passibles de la peine de mort en vertu de lâarticle 125 du code pĂ©nal, peine Ă laquelle le requĂ©rant a dâailleurs Ă©tĂ© condamnĂ©. La reconnaissance de la culpabilitĂ© de lâintĂ©ressĂ© et la peine infligĂ©e avaient donc pour base lĂ©gale le droit pĂ©nal applicable Ă lâĂ©poque des faits, et la peine correspondait Ă celle que prĂ©voyaient les dispositions pertinentes du code pĂ©nal (voir, dans le mĂȘme sens, Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 143). La Cour constate Ă©galement quâil nây a pas de dĂ©saccord entre les parties sur le fait que la rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© est une peine plus douce que la peine capitale (voir, dans le mĂȘme sens, Hummatov, dĂ©cision prĂ©citĂ©e).
178. Lâargumentation des parties porte pour lâessentiel dâune part, sur les modalitĂ©s de lâexĂ©cution de la peine capitale avant lâabolition de celle-ci, dâautre part, sur ce qui sâest passĂ© une fois la peine capitale du requĂ©rant commuĂ©e Ă la « rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© » et sur le sens Ă donner Ă cette rĂ©clusion.
179. La Cour examine en premier lieu la question de savoir si la peine capitale prononcĂ©e contre le requĂ©rant Ă©quivalait dĂšs le dĂ©but Ă une peine privative de libertĂ© dâune durĂ©e maximale de trente-six ans, du fait du moratoire sur lâexĂ©cution de la peine de mort maintenu en Turquie depuis 1984.
180. Elle rappelle Ă cet Ă©gard avoir dĂ©jĂ constatĂ© que, compte tenu du fait que le requĂ©rant avait Ă©tĂ© condamnĂ© pour les crimes les plus graves rĂ©primĂ©s par le code pĂ©nal turc, et vu la controverse politique gĂ©nĂ©rale en Turquie â ayant prĂ©cĂ©dĂ© la dĂ©cision dâabolir la peine de mort â sur la question de savoir sâil fallait lâexĂ©cuter, on ne pouvait exclure que le risque dâapplication de la sentence fĂ»t rĂ©el. En fait, le risque dâexĂ©cution a existĂ© jusquâĂ lâarrĂȘt du 3 octobre 2002, rendu par la cour de sĂ»retĂ© de lâĂtat dâAnkara, ayant commuĂ© la peine capitale prononcĂ©e contre lâintĂ©ressĂ© en rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© (Ăcalan, prĂ©citĂ©, § 172).
181. Par ailleurs, la Cour observe, Ă lâinstar du Gouvernement, que selon la lĂ©gislation en vigueur avant lâabolition de la peine capitale en Turquie, les personnes condamnĂ©es Ă cette peine ne pouvaient bĂ©nĂ©ficier dâune libĂ©ration conditionnelle au terme dâune pĂ©riode de trente-six ans que si lâexĂ©cution de ladite peine avait Ă©tĂ© formellement refusĂ©e par le Parlement. Or, la condamnation Ă la peine capitale prononcĂ©e contre le requĂ©rant nâa jamais Ă©tĂ© soumise pour approbation au Parlement et nâa jamais fait lâobjet dâune dĂ©cision formelle de rejet de la part de celui-ci.
Il sâensuit que la Cour ne peut retenir lâargument du requĂ©rant selon lequel la peine prononcĂ©e Ă son encontre sâest rĂ©sumĂ©e dĂšs le dĂ©but Ă une peine de trente-six ans dâemprisonnement.
182. La Cour examine en deuxiĂšme lieu la thĂšse selon laquelle la peine capitale prononcĂ©e contre le requĂ©rant, a Ă©tĂ© commuĂ©e, suite Ă lâabolition de cette peine, dâabord en rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© « ordinaire » et, bien plus tard et contrairement Ă lâarticle 7 de la Convention, en rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© « aggravĂ©e » sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle.
183. Sur ce point, elle relĂšve dâemblĂ©e que le code pĂ©nal turc prĂ©voit clairement lâinterdiction de lâapplication rĂ©troactive dâune disposition prĂ©voyant une « peine plus forte », ainsi que le principe de rĂ©troactivitĂ© de la « peine plus douce ».
184. La Cour examine ensuite la question de savoir si les rĂ©formes successives dont a fait lâobjet la lĂ©gislation pĂ©nale turque dans le processus dâabolition de la peine de mort ont ouvert la voie Ă une possibilitĂ© de libĂ©ration du requĂ©rant Ă lâissue dâune certaine pĂ©riode dâemprisonnement.
185. Elle relĂšve, en particulier, que la loi no 4771 du 9 aoĂ»t 2002, qui a Ă©noncĂ© pour la premiĂšre fois lâabolition de la peine capitale et remplacĂ© celle-ci par la peine Ă perpĂ©tuitĂ©, indique clairement que cette derniĂšre peine est exĂ©cutĂ©e en dĂ©tention effective pour le reste de la vie du condamnĂ©, sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle. La Cour note aussi que la loi no 5218 du 21 juillet 2004 sur lâabolition de la peine capitale confirme les dispositions de la loi no 4771, tout en prĂ©cisant que la possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle, prĂ©vue par la lĂ©gislation relative Ă lâexĂ©cution des peines, ne sâapplique notamment pas aux peines perpĂ©tuelles infligĂ©es aux personnes initialement condamnĂ©es Ă la peine capitale pour actes de terrorisme, et que ces personnes purgent leur peine dâemprisonnement jusquâĂ la fin de leur vie. Les lois modifiant le code pĂ©nal et la loi sur lâexĂ©cution des peines nâont fait quâentĂ©riner ce principe.
186. Il sâensuit quâaucun texte lĂ©gislatif nâa ouvert au requĂ©rant, au moment de lâabolition de la peine capitale, la possibilitĂ© dâune libĂ©ration conditionnelle Ă lâissue dâune pĂ©riode minimum de dĂ©tention. Le fait que des termes diffĂ©rents (rĂ©clusion lourde, rĂ©clusion aggravĂ©e) aient Ă©tĂ© utilisĂ©s dans les divers textes lĂ©gislatifs rĂ©gissant la matiĂšre ne change rien Ă ce constat.
187. La Cour examine en outre le grief du requĂ©rant relatif Ă lâabsence de lĂ©gislation prĂ©voyant lâisolement social qui lui a Ă©tĂ© imposĂ© jusquâen 2009. Elle rappelle que lâisolement social en question ne dĂ©coulait pas dâune dĂ©cision des autoritĂ©s dâisoler lâintĂ©ressĂ© dans une cellule dâune prison ordinaire, mais rĂ©sultait dâune situation pratique, Ă savoir le fait que le requĂ©rant Ă©tait le seul dĂ©tenu de la prison. Cette mesure hautement exceptionnelle, consistant Ă rĂ©server une prison toute entiĂšre Ă un seul dĂ©tenu, ne faisait pas partie dâun rĂ©gime carcĂ©ral visant Ă punir plus sĂ©vĂšrement lâintĂ©ressĂ©. Elle Ă©tait motivĂ©e notamment par le souci de protĂ©ger la vie du requĂ©rant et par le risque dâune Ă©vasion liĂ© aux conditions dâune prison ordinaire, y compris dâun Ă©tablissement de haute sĂ©curitĂ©. Selon la Cour, il sâagit dâune mesure tellement extraordinaire que lâon ne saurait raisonnablement attendre dâun Ătat que dans sa lĂ©gislation il prĂ©voie en dĂ©tail le rĂ©gime Ă appliquer Ă une telle mesure.
188. Par ailleurs, le requĂ©rant, qui avait Ă©tĂ© recherchĂ© pour des actes graves passibles de la peine capitale, ne prĂ©tend pas devant la Cour quâil ne pouvait prĂ©voir quâil serait dĂ©tenu dans des conditions exceptionnelles en cas dâarrestation.
189. En conclusion, la Cour estime quâil nây a pas eu en lâespĂšce violation de lâarticle 7 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 3 DE LA CONVENTION QUANT Ă LA CONDAMNATION DU REQUĂRANT Ă LA PEINE PERPĂTUELLE SANS POSSIBILITĂ DE LIBĂRATION CONDITIONNELLE
190. Le requĂ©rant soutient que sa condamnation Ă perpĂ©tuitĂ© sans possibilitĂ© de libĂ©ration, combinĂ©e avec lâisolement social qui lui est imposĂ©, constitue une violation de lâarticle 3 ou de lâarticle 8 de la Convention. Il estime aussi quâune condamnation Ă perpĂ©tuitĂ© qui ne prend pas en compte lâĂ©ventuelle bonne conduite ou la rĂ©habilitation dâun dĂ©tenu, associĂ©e Ă un rĂ©gime de dĂ©tention strict, atteint le seuil de gravitĂ© exigĂ© par lâarticle 3 de la Convention pour constituer une peine inhumaine.
191. Le Gouvernement conteste cette thĂšse. Il se rĂ©fĂšre Ă la nature des crimes Ă lâorigine de la condamnation du requĂ©rant et souligne la responsabilitĂ© prĂ©pondĂ©rante de lâintĂ©ressĂ© dans la campagne de violence que son ex-organisation a menĂ©e et qui a coĂ»tĂ© la vie Ă des milliers de personnes, dont de nombreuses victimes civiles innocentes. Il rappelle que le requĂ©rant a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă la peine capitale, que le lĂ©gislateur turc a par la suite commuĂ©e en rĂ©clusion criminelle Ă perpĂ©tuitĂ© sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle. Quant Ă lâallĂ©gation portant sur lâisolement social, le Gouvernement affirme que lâintĂ©ressĂ© reçoit des visites et a des activitĂ©s communes avec les autres dĂ©tenus dans les limites permises par la lĂ©gislation applicable Ă cette catĂ©gorie de dĂ©tenus (le fait quâil ait Ă©tĂ© au dĂ©part le seul dĂ©tenu de la prison dâİmralı nâaurait pas rĂ©sultĂ© dâune dĂ©cision de lâisoler, mais aurait uniquement visĂ© Ă protĂ©ger sa vie). DâaprĂšs le Gouvernement, le requĂ©rant purge ses condamnations disciplinaires â pour transmission de messages Ă une organisation terroriste ou pour tout autre acte dâindiscipline â exactement de la mĂȘme maniĂšre que les autres dĂ©tenus.
A. Sur la recevabilité
192. La Cour relĂšve que ce grief ne se heurte Ă aucun motif dâirrecevabilitĂ© et le dĂ©clare donc recevable. Elle lâexaminera ci-aprĂšs sous lâangle de lâarticle 3 de la Convention.
B. Sur le fond
193. La Cour rappelle que le prononcĂ© dâune peine dâemprisonnement Ă perpĂ©tuitĂ© Ă lâencontre dâun dĂ©linquant adulte nâest pas en soi prohibĂ© par lâarticle 3 ou toute autre disposition de la Convention et ne se heurte pas Ă celle‑ci (Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, § 106, CEDH 2013 (extraits), et Kafkaris, prĂ©citĂ©, § 97).
194. ParallĂšlement, le fait dâinfliger Ă un adulte une peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© incompressible peut soulever une question sous lâangle de lâarticle 3 (Vinter et autres [GC] prĂ©citĂ©, § 107, Nivette c. France (dĂ©c.), no 44190/98, CEDH 2001‑VII, Stanford c. Royaume-Uni (dĂ©c.), no 73299/01, 12 dĂ©cembre 2002, et Wynne c. Royaume-Uni (dĂ©c.), no 67385/01, 22 mai 2003).
195. Cependant,
le simple fait quâune peine de rĂ©clusion Ă vie puisse en pratique ĂȘtre purgĂ©e
dans son intĂ©gralitĂ© ne la rend pas incompressible. Comme la Cour lâa soulignĂ©
dans son arrĂȘt Vinter et autres (§
108),
« (...) aucune question ne se pose sous lâangle de lâarticle 3 si, par exemple, un condamnĂ© Ă perpĂ©tuitĂ© qui, en vertu de la lĂ©gislation nationale, peut thĂ©oriquement obtenir un Ă©largissement demande Ă ĂȘtre libĂ©rĂ©, mais se voit dĂ©boutĂ© au motif quâil constitue toujours un danger pour la sociĂ©tĂ©. En effet, la Convention impose aux Ătats contractants de prendre des mesures visant Ă protĂ©ger le public des crimes violents et elle ne leur interdit pas dâinfliger Ă une personne convaincue dâune infraction grave une peine de durĂ©e indĂ©terminĂ©e permettant de la maintenir en dĂ©tention lorsque la protection du public lâexige (voir, mutatis mutandis, T. c. Royaume-Uni, § 97, et V. c. Royaume-Uni, § 98, prĂ©citĂ©s). Dâailleurs, empĂȘcher un dĂ©linquant de rĂ©cidiver est lâune des « fonctions essentielles » dâune peine dâemprisonnement (Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, § 72, CEDH 2002‑VIII ; Maiorano et autres c. Italie, no 28634/06, § 108, 15 dĂ©cembre 2009, et, mutatis mutandis, Choreftakis et Choreftaki c. GrĂšce, no 46846/08, § 45, 17 janvier 2012). Il en est particuliĂšrement ainsi dans le cas des dĂ©tenus reconnus coupables de meurtre ou dâautres infractions graves contre la personne. Le simple fait quâils sont peut-ĂȘtre dĂ©jĂ restĂ©s longtemps en prison nâattĂ©nue en rien lâobligation positive de protĂ©ger le public qui incombe Ă lâĂtat : celui-ci peut sâen acquitter en maintenant en dĂ©tention les condamnĂ©s Ă perpĂ©tuitĂ© aussi longtemps quâils demeurent dangereux (voir, par exemple, lâarrĂȘt prĂ©citĂ© Maiorano et autres). »
196. En fait, pour dĂ©terminer si, dans un cas donnĂ©, une peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© peut passer pour incompressible, la Cour recherche si lâon peut considĂ©rer quâun dĂ©tenu condamnĂ© Ă perpĂ©tuitĂ© a des chances dâĂȘtre libĂ©rĂ©. Lâanalyse de la jurisprudence de la Cour sur ce point rĂ©vĂšle que lĂ oĂč le droit national offre la possibilitĂ© de revoir la peine perpĂ©tuelle dans le but de la commuer, de la suspendre ou dây mettre fin ou encore de libĂ©rer le dĂ©tenu sous condition, il est satisfait aux exigences de lâarticle 3 (Vinter et autres [GC] prĂ©citĂ©, § 108 et 109).
197. Dans son arrĂȘt de Grande Chambre en lâaffaire Vinter et autres, la Cour a exposĂ© les principales raisons justifiant que, pour demeurer compatible avec lâarticle 3, une peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© doit offrir Ă la fois une chance dâĂ©largissement et une possibilitĂ© de rĂ©examen :
« ...111. Il va de soi que nul ne peut
ĂȘtre dĂ©tenu si aucun motif lĂ©gitime dâordre pĂ©nologique ne le justifie. Comme
lâont dit la Cour dâappel dans son arrĂȘt Bieber
et la chambre dans son arrĂȘt rendu en lâespĂšce, les impĂ©ratifs de chĂątiment, de
dissuasion, de protection du public et de réinsertion figurent au nombre des
motifs propres à justifier une détention. En matiÚre de perpétuité, un grand
nombre dâentre eux seront rĂ©unis au moment oĂč la peine est prononcĂ©e.
Cependant, lâĂ©quilibre entre eux nâest pas forcĂ©ment immuable, il pourra
Ă©voluer au cours de lâexĂ©cution de la peine. Ce qui Ă©tait la justification
premiĂšre de la dĂ©tention au dĂ©but de la peine ne le sera peut‑ĂȘtre plus
une fois accomplie une bonne partie de celle-ci. Câest seulement par un
réexamen de la justification du maintien en détention à un stade approprié de
lâexĂ©cution de la peine que ces facteurs ou Ă©volutions peuvent ĂȘtre
correctement appréciées.
112. De
plus, une personne mise en détention à vie sans aucune perspective
dâĂ©largissement ni possibilitĂ© de faire rĂ©examiner sa peine perpĂ©tuelle risque
de ne jamais pouvoir se racheter : quoi quâelle fasse en prison, aussi
exceptionnels que puissent ĂȘtre ses progrĂšs sur la voie de lâamendement, son
chĂątiment demeure immuable et insusceptible de contrĂŽle. Le chĂątiment,
dâailleurs, risque de sâalourdir encore davantage avec le temps : plus
longtemps le dĂ©tenu vivra, plus longue sera sa peine. Ainsi, mĂȘme lorsque la perpĂ©tuitĂ©
est un chĂątiment mĂ©ritĂ© Ă la date de son imposition, avec lâĂ©coulement du
temps, elle ne garantit plus guÚre une sanction juste et proportionnée, pour
reprendre les termes utilisés par le Lord
Justice Laws dans lâarrĂȘt Wellington
(...).
113. En
outre, comme la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale allemande lâa reconnu dans
lâaffaire relative Ă la prison Ă vie (...), il serait incompatible avec la
disposition de la Loi fondamentale consacrant la dignité humaine que, par la
contrainte, lâĂtat prive une personne de sa libertĂ© sans lui donner au moins une chance de
recouvrer un jour celle-ci. Câest ce constat qui a conduit la haute juridiction
Ă conclure que les autoritĂ©s carcĂ©rales avaient le devoir dâĆuvrer Ă la
réinsertion des condamnés à perpétuité et que celle-ci était un impératif
constitutionnel pour toute société faisant de la dignité humaine son pilier.
Elle a dâailleurs prĂ©cisĂ© ultĂ©rieurement, dans une affaire relative Ă un
criminel de guerre, que ce principe sâappliquait Ă tous les condamnĂ©s Ă perpĂ©tuitĂ©,
quelle que soit la nature de leurs crimes, et que prĂ©voir la possibilitĂ© dâun
Ă©largissement pour les seules personnes infirmes ou mourantes ne suffisait pas
(...).
Des
considĂ©rations similaires doivent sâappliquer dans le cadre du systĂšme de la Convention,
dont lâessence mĂȘme, la Cour lâa souvent dit, est le respect de la dignitĂ©
humaine (voir, entre autres, Pretty c.
Royaume-Uni, no 2346/02, § 65, CEDH 2002‑III, et V.C. c. Slovaquie, no
18968/07, § 105, CEDH 2011). »
198. Dans
le mĂȘme arrĂȘt Vinter et autres, la
Cour, aprÚs avoir examiné les éléments de droit européen et de droit
international confortant aujourdâhui
le principe selon lequel tous les détenus, y compris les condamnés à vie, se
voient offrir la possibilitĂ© de sâamender et la perspective dâĂȘtre mis en
libertĂ© sâils y parviennent, a tirĂ© des conclusions spĂ©cifiques sous lâangle de
lâarticle 3 quant aux peines perpĂ©tuelles :
« 119. (...) la Cour considĂšre quâen ce qui concerne les peines perpĂ©tuelles lâarticle 3 doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme exigeant quâelles soient compressibles, câest-Ă -dire soumises Ă un rĂ©examen permettant aux autoritĂ©s nationales de rechercher si, au cours de lâexĂ©cution de sa peine, le dĂ©tenu a tellement Ă©voluĂ© et progressĂ© sur le chemin de lâamendement quâaucun motif lĂ©gitime dâordre pĂ©nologique ne permet plus de justifier son maintien en dĂ©tention.
120. La Cour tient toutefois Ă souligner que, compte tenu de la marge dâapprĂ©ciation quâil faut accorder aux Ătats contractants en matiĂšre de justice criminelle et de dĂ©termination des peines (...), elle nâa pas pour tĂąche de dicter la forme (administrative ou judiciaire) que doit prendre un tel rĂ©examen. Pour la mĂȘme raison, elle nâa pas Ă dire Ă quel moment ce rĂ©examen doit intervenir. Cela Ă©tant, elle constate aussi quâil se dĂ©gage des Ă©lĂ©ments de droit comparĂ© et de droit international produits devant elle une nette tendance en faveur de lâinstauration dâun mĂ©canisme spĂ©cial garantissant un premier rĂ©examen dans un dĂ©lai de vingt-cinq ans au plus aprĂšs lâimposition de la peine perpĂ©tuelle, puis des rĂ©examens pĂ©riodiques par la suite (...).
121. Il sâensuit que, lĂ oĂč le droit national ne prĂ©voit pas la possibilitĂ© dâun tel rĂ©examen, une peine de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle mĂ©connaĂźt les exigences dĂ©coulant de lâarticle 3 de la Convention.
122. MĂȘme si le rĂ©examen requis est un Ă©vĂ©nement qui par dĂ©finition ne peut avoir lieu que postĂ©rieurement au prononcĂ© de la peine, un dĂ©tenu condamnĂ© Ă la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle ne doit pas ĂȘtre obligĂ© dâattendre dâavoir passĂ© un nombre indĂ©terminĂ© dâannĂ©es en prison avant de pouvoir se plaindre dâun dĂ©faut de conformitĂ© des conditions lĂ©gales attachĂ©es Ă sa peine avec les exigences de lâarticle 3 en la matiĂšre. Cela serait contraire non seulement au principe de la sĂ©curitĂ© juridique mais aussi aux principes gĂ©nĂ©raux relatifs Ă la qualitĂ© de victime, au sens de ce terme tirĂ© de lâarticle 34 de la Convention. De plus, dans le cas oĂč la peine est incompressible en vertu du droit national Ă la date de son prononcĂ©, il serait inconsĂ©quent dâattendre du dĂ©tenu quâil Ćuvre Ă sa propre rĂ©insertion alors quâil ne sait pas si, Ă une date future inconnue, un mĂ©canisme permettant dâenvisager son Ă©largissement eu Ă©gard Ă ses efforts de rĂ©insertion sera ou non instaurĂ©. Un dĂ©tenu condamnĂ© Ă la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle a le droit de savoir, dĂšs le dĂ©but de sa peine, ce quâil doit faire pour que sa libĂ©ration soit envisagĂ©e et ce que sont les conditions applicables. Il a le droit, notamment, de connaĂźtre le moment oĂč le rĂ©examen de sa peine aura lieu ou pourra ĂȘtre sollicitĂ©. DĂšs lors, dans le cas oĂč le droit national ne prĂ©voit aucun mĂ©canisme ni aucune possibilitĂ© de rĂ©examen des peines de perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle, lâincompatibilitĂ© avec lâarticle 3 en rĂ©sultant prend naissance dĂšs la date dâimposition de la peine perpĂ©tuelle et non Ă un stade ultĂ©rieur de la dĂ©tention. »
199. En lâespĂšce, la Cour
rappelle en premier lieu son constat ci‑dessus selon lequel lâisolement social
relatif du requĂ©rant â peu Ă peu rĂ©duit grĂące aux amĂ©liorations apportĂ©es par
le Gouvernement conformĂ©ment aux recommandations du CPT â nâatteint pas depuis
le 17 novembre 2009 un seuil de gravitĂ© qui emporterait violation lâarticle 3
de la Convention.
200. Il reste à déterminer
si, à la lumiÚre des éléments ci-dessus, la peine de réclusion à perpétuité
sans possibilité de libération conditionnelle qui a été infligée au requérant
pourrait ĂȘtre qualifiĂ©e dâincompressible aux fins de lâarticle 3 de la
Convention.
201. La Cour rappelle que le requĂ©rant a initialement Ă©tĂ© condamnĂ© Ă la peine capitale, et ce pour des crimes particuliĂšrement graves, Ă savoir pour avoir organisĂ© et dirigĂ© une campagne armĂ©e illĂ©gale qui a causĂ© de nombreux dĂ©cĂšs. A la suite de la promulgation dâune loi ayant abrogĂ© la peine capitale et remplacĂ© les sentences de ce type dĂ©jĂ prononcĂ©es par des peines de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e, la peine du requĂ©rant a Ă©tĂ© commuĂ©e, par dĂ©cision de la cour dâassises appliquant les nouvelles dispositions lĂ©gales, Ă la peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e. Pareille peine signifie que lâintĂ©ressĂ© restera en prison pour le reste de sa vie, indĂ©pendamment de toute considĂ©ration se rapportant Ă sa dangerositĂ© et sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle mĂȘme aprĂšs une certaine pĂ©riode de dĂ©tention (voir ci-dessus, au paragraphe 182, les constats de la Cour quant aux griefs tirĂ©s de lâarticle 7 de la Convention).
202. La Cour relĂšve Ă cet
Ă©gard que lâarticle 107 de la loi no 5275 sur lâexĂ©cution des peines et
des mesures de sécurité exclut clairement le cas du requérant du champ
dâapplication de la libĂ©ration conditionnelle, le requĂ©rant ayant Ă©tĂ© condamnĂ©
pour des crimes contre lâĂtat en vertu dâune disposition du code pĂ©nal (2Ăšme
livre, 4Ăšme chapitre, 4Ăšme sous-chapitre). Elle note
Ă©galement que, selon lâarticle 68 du code pĂ©nal, la peine prononcĂ©e contre le
requĂ©rant fait partie des exceptions qui ne peuvent ĂȘtre prescrites. Il en
ressort que la législation en vigueur en Turquie interdit clairement au
requĂ©rant, en raison de sa qualitĂ© de condamnĂ© Ă la peine de rĂ©clusion Ă
perpĂ©tuitĂ© aggravĂ©e pour un crime contre la sĂ©curitĂ© de lâĂtat, de demander, Ă un moment donnĂ© au
cours de lâaccomplissement de sa peine, son Ă©largissement pour des motifs
lĂ©gitimes dâordre pĂ©nologique.
203. Par ailleurs, il est
vrai que, selon le droit turc, en cas de maladie ou de vieillesse dâun condamnĂ©
à perpétuité, le président de la République peut ordonner sa libération
immédiate ou différée. Cependant, la Cour estime que la libération pour motif
humanitaire ne correspond pas à la notion de « perspective
dâĂ©largissement » pour des motifs lĂ©gitimes dâordre pĂ©nologique (voir,
dans le mĂȘme sens, Vinter et autres, § 129).
204. Il est Ă©galement vrai
quâĂ des intervalles plus ou moins rĂ©guliers, le lĂ©gislateur turc adopte une
loi dâamnistie gĂ©nĂ©rale ou partielle (dans ce dernier cas, la libĂ©ration conditionnelle
est accordée aprÚs une période de sûreté) afin de faciliter la résolution des
grands problĂšmes sociaux. Toutefois, il nâa pas Ă©tĂ© soutenu ni dĂ©montrĂ© devant
la Cour quâun tel projet gouvernemental Ă©tait en prĂ©paration et ouvrait au
requĂ©rant une perspective dâĂ©largissement. La Cour doit sâattacher Ă la
lĂ©gislation telle quâelle est appliquĂ©e en pratique aux dĂ©tenus condamnĂ©s Ă la
peine de réclusion à perpétuité aggravée. Cette législation se caractérise par
lâabsence de tout mĂ©canisme permettant de rĂ©examiner, aprĂšs une certaine
période minimale de détention, la peine de réclusion à perpétuité infligée pour
les crimes tels que ceux commis par le requérant dans la perspective de
contrÎler si des motifs légitimes justifient toujours son maintien en
détention.
205. Quant Ă lâargument selon
lequel le requĂ©rant sâest vu infliger une peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© sans
possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle en raison du fait quâil Ă©tait lâauteur
de crimes terroristes particuliĂšrement graves, la Cour rappelle que les
dispositions de lâarticle 3 de la Convention ne souffrent nulle dĂ©rogation et
prohibent en termes absolus les peines inhumaines ou dégradantes (paragraphes
97-98 ci-dessus).
206. Ă la lumiĂšre de ces constats, la Cour
considĂšre que la peine perpĂ©tuelle infligĂ©e au requĂ©rant ne peut ĂȘtre qualifiĂ©e
de compressible aux fins de lâarticle 3 de la Convention. Elle conclut que les
exigences de cette disposition en la matiĂšre nâont pas Ă©tĂ© respectĂ©es Ă lâĂ©gard
du requérant.
207. Partant,
il y a eu, sur ce point, violation de lâarticle 3 de la Convention.
Cela Ă©tant, la
Cour estime que ce constat de violation ne saurait ĂȘtre compris comme donnant au
requĂ©rant une perspective dâĂ©largissement imminent. Il incombe aux autoritĂ©s
nationales de vĂ©rifier, dans le cadre dâune procĂ©dure Ă Ă©tablir par lâadoption
dâinstruments lĂ©gislatifs et en conformitĂ© avec les principes exposĂ©s par la
Cour dans les paragraphes 111‑113 de son arrĂȘt de Grande Chambre en
lâaffaire Vinter et autres (repris au
paragraphe 194 du prĂ©sent arrĂȘt), si le maintien en dĂ©tention du requĂ©rant se
justifiera toujours aprÚs un délai minimum de détention, soit parce que les
impératifs de répression et de dissuasion ne seront pas encore entiÚrement
satisfaits, soit parce que le maintien en dĂ©tention de lâintĂ©ressĂ© sera
justifié par des raisons de dangerosité.
V. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 2 DE LA CONVENTION EN RAISON DâUNE TENTATIVE DâEMPOISONNEMENT
208. Par une lettre du 7 mars 2007, les reprĂ©sentants du requĂ©rant ont allĂ©guĂ©, sur la base dâune analyse mĂ©dicale signalant la prĂ©sence de doses anormales de chrome et de strontium dans des cheveux qui auraient appartenu Ă lâintĂ©ressĂ©, que ce dernier Ă©tait victime dâun empoisonnement progressif en prison. Ils invoquent Ă cet Ă©gard les articles 2, 3 et 8 de la Convention.
209. Le Gouvernement a fourni les rĂ©sultats dâanalyses mĂ©dicales attestant lâabsence totale de ces mĂ©taux ainsi que de tout autre mĂ©tal lourd dans le corps du requĂ©rant.
210. Au vu de lâensemble des Ă©lĂ©ments en sa possession, la Cour ne constate aucune apparence de violation des dispositions de la Convention.
211. Il sâensuit que ce volet de la requĂȘte doit ĂȘtre rejetĂ© pour dĂ©faut manifeste de fondement, en application de lâarticle 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
VI. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DES ARTICLES 5, 6, 13 ET 14 DE LA CONVENTION
212. Sur la base des mĂȘmes faits, le requĂ©rant allĂšgue Ă©galement la violation des articles 5, 6, 13 et 14 de la Convention. Il se plaint notamment de lâisolement social quâil aurait subi pendant sa dĂ©tention et de lâabsence dâun contrĂŽle effectif de cette mesure, et se plaint dâune discrimination sur ces points.
213. La Cour relĂšve que ces griefs sont liĂ©s Ă ceux Ă©tudiĂ©s sur le terrain de lâarticle 3 et de lâarticle 8 de la Convention et quâil convient donc Ă©galement de les dĂ©clarer recevables. Cependant elle estime quâil nây a pas lieu de statuer sĂ©parĂ©ment sur le bien-fondĂ© de ceux-ci.
VII. ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
214. Aux termes de lâarticle 41 de la Convention,
« Si la Cour dĂ©clare quâil y a eu violation de la
Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie
contractante ne permet dâeffacer quâimparfaitement les consĂ©quences de cette
violation, la Cour accorde Ă la partie lĂ©sĂ©e, sâil y a lieu, une satisfaction
équitable. »
A. Dommage
215. La Cour relĂšve que le requĂ©rant nâa prĂ©sentĂ©
aucune demande concernant le dommage tant matériel que moral. Elle estime que
tout prĂ©judice Ă©ventuellement subi par lâintĂ©ressĂ© se trouve suffisamment
compensĂ© par son constat de violation de lâarticle 3 du fait de lâimposition
dâune peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© sans possibilitĂ© de libĂ©ration
conditionnelle.
B. Frais et dépens
216. Le requĂ©rant rĂ©clame une indemnitĂ© de 55 975 livres sterling pour les frais et dĂ©pens quâil avait engagĂ©s pour ses sept avocats en dehors de la Turquie ainsi quâune indemnitĂ© de 237 000 EUR pour ses sept avocats en Turquie. Ces sommes couvriraient les honoraires des avocats et de leurs assistants ainsi que des dĂ©penses diverses, telles que des frais de traduction et de voyage.
217. Le Gouvernement juge ces prĂ©tentions manifestement excessives. Il relĂšve que les quatorze avocats reprĂ©sentent un seul requĂ©rant, mais quâils ont facturĂ© des honoraires comme sâil sâagissait de quatorze cas diffĂ©rents. Il fait observer que le dossier ne contient aucune note dâhonoraires et trĂšs peu de justificatifs quant aux autres frais.
218. Selon la jurisprudence constante de la Cour, lâallocation de frais et dĂ©pens au titre de lâarticle 41 prĂ©suppose que se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ© et, de plus, le caractĂšre raisonnable de leur taux (Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1) (article 50), arrĂȘt du 6 novembre 1980, sĂ©rie A no 38, p. 13, § 23). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure oĂč ils se rapportent Ă la violation constatĂ©e (Beyeler c. Italie (satisfaction Ă©quitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002).
219. Dans la prĂ©sente affaire, la Cour doit tenir compte du fait que nâa Ă©tĂ© accueillie quâune petite partie des griefs fondĂ©s par lâintĂ©ressĂ© sur la Convention. Elle considĂšre quâil nây a lieu de rembourser quâen partie les frais exposĂ©s par le requĂ©rant devant elle. En lâespĂšce, compte tenu des piĂšces en sa possession et des critĂšres rappelĂ©s ci-dessus, la Cour juge raisonnable dâallouer au requĂ©rant une somme de 25 000 EUR quant aux griefs prĂ©sentĂ©s par lâensemble de ses avocats. Cette somme sera versĂ©e sur le compte bancaire dont les coordonnĂ©es seront indiquĂ©es par les reprĂ©sentants de lâintĂ©ressĂ© en Turquie et au Royaume-Uni respectivement.
C. IntĂ©rĂȘts moratoires
220. La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts
moratoires sur le taux dâintĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque
centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. DĂ©clare, Ă lâunanimitĂ©, les requĂȘtes irrecevables quant au grief tirĂ© dâune tentative dâempoisonnement et recevables pour le surplus ;
2. Dit, par quatre voix contre trois, quâil y a eu violation de lâarticle 3 de la Convention quant aux griefs tirĂ©s des conditions de dĂ©tention se prolongeant jusquâĂ la date du 17 novembre 2009 ;
3. Dit, par six voix contre une, quâil nây a pas eu violation de lâarticle 3 de la Convention quant aux griefs tirĂ©s des conditions de dĂ©tention postĂ©rieures Ă la date du 17 novembre 2009 ;
4. Dit, par quatre voix contre trois, quâil nây a pas eu violation de lâarticle 8 de la Convention quant aux griefs tirĂ©s des restrictions apportĂ©es aux visites des membres de la famille et Ă la communication avec ceux-ci ;
5. Dit, Ă lâunanimitĂ©, quâil nây a pas eu violation de lâarticle 7 de la Convention ;
6. Dit, Ă lâunanimitĂ©, quâil y a eu violation de lâarticle 3 de la Convention quant aux griefs tirĂ©s de lâimposition dâune peine perpĂ©tuelle sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle ;
7. Dit, Ă lâunanimitĂ©, quâil nây a pas lieu de statuer sur le bien-fondĂ© des griefs tirĂ©s des articles 5, 6, 13 et 14 de la Convention ;
8. Dit, Ă lâunanimitĂ©,
a) que lâĂtat dĂ©fendeur doit verser au requĂ©rant, selon les modalitĂ©s dĂ©finies au paragraphe 219 du prĂ©sent arrĂȘt, dans les trois mois Ă compter du jour oĂč lâarrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă lâarticle 44 § 2 de la Convention, pour frais et dĂ©pens, 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros), plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» par le requĂ©rant au titre de la taxe sur la valeur ajoutĂ©e ;
b) que ce montant sera Ă majorer dâun intĂ©rĂȘt simple Ă un taux Ă©gal Ă celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne augmentĂ© de trois points de pourcentage Ă compter de lâexpiration dudit dĂ©lai et jusquâau versement ;
9. Rejette, Ă lâunanimitĂ©, la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 18 mars 2014, en application de lâarticle 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.
Stanley Naismith                                                                Guido
Raimondi
       Greffier                                                                              Président
Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rĂšglement, lâexposĂ© des opinions sĂ©parĂ©es suivantes :
â opinion en partie dissidente commune aux juges Raimondi, Karakaş et Lorenzen ;
â opinion partiellement dissidente des juges SajĂł et Keller ;
â opinion partiellement dissidente du juge Pinto de Albuquerque.
G.R.A.
S.H.N.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES RAIMONDI, KARAKAŞ et LORENZEN
(Traduction)
Nous avons votĂ© avec la majoritĂ© sur tous les points mais nous ne pouvons souscrire Ă la conclusion consistant Ă dire que les conditions de dĂ©tention du requĂ©rant jusquâau 17 novembre 2009 ont emportĂ© violation de lâarticle 3 de la Convention.
Dans lâarrĂȘt du 12 mai 2005, la Grande Chambre de la Cour a conclu â Ă lâunanimitĂ© â que les conditions gĂ©nĂ©rales dans lesquelles le requĂ©rant Ă©tait dĂ©tenu nâavaient pas, au moment de lâarrĂȘt, atteint le seuil de gravitĂ© requis pour constituer un traitement inhumain ou dĂ©gradant au sens de lâarticle 3 de la Convention, et que par consĂ©quent il nây avait pas violation de cette disposition. Elle a jugĂ© Ă©tabli que la dĂ©tention du requĂ©rant posait dâextraordinaires difficultĂ©s aux autoritĂ©s turques et quâil Ă©tait comprĂ©hensible que celles-ci aient jugĂ© nĂ©cessaire de prendre des mesures de sĂ©curitĂ© extraordinaires Ă cet Ă©gard. Elle a tenu compte par ailleurs de ce que la cellule du requĂ©rant Ă©tait sans conteste dotĂ©e dâĂ©quipements qui ne souffraient aucune critique et de ce que lâon ne pouvait pas considĂ©rer quâil Ă©tait dĂ©tenu en isolement sensoriel ou en isolement cellulaire. Elle a certes estimĂ©, comme le CPT dans ses recommandations, quâil fallait attĂ©nuer les effets Ă long terme de lâisolement social relatif imposĂ© au requĂ©rant en lui donnant accĂšs aux mĂȘmes commoditĂ©s que celles dont disposaient les autres personnes dĂ©tenues dans les prisons de haute sĂ©curitĂ© en Turquie, notamment la tĂ©lĂ©vision et des communications tĂ©lĂ©phoniques avec sa famille, mais elle nâa pas dit quâil Ă©tait nĂ©cessaire de prendre ces mesures Ă bref dĂ©lai pour ne pas violer lâarticle 3.
Jusquâau 17 novembre 2009, les conditions dans lesquelles le requĂ©rant a vĂ©cu Ă la prison sont demeurĂ©es les mĂȘmes, notamment quant Ă lâaccĂšs Ă la tĂ©lĂ©vision et aux communications tĂ©lĂ©phoniques. Les recommandations du CPT nâont Ă©tĂ© suivies que plus tard. Nous considĂ©rons toutefois que, dans les circonstances particuliĂšres de la prĂ©sente affaire, le fait que la dĂ©tention se soit prolongĂ©e dans les mĂȘmes conditions pendant environ quatre ans et demi ne peut justifier une apprĂ©ciation diffĂ©rente de celle faite par la Grande Chambre dans lâaffaire prĂ©cĂ©dente. Nous observons que le Gouvernement a â certes avec un certain retard â respectĂ© les recommandations du CPT et quâĂ partir de juin 2008 le requĂ©rant devait savoir que les conditions de sa dĂ©tention allaient considĂ©rablement changer avec la construction dâun nouveau bĂątiment. Nous attachons aussi de lâimportance au fait quâil nây a pas de preuve que les conditions de dĂ©tention du requĂ©rant aient gravement nui Ă sa santĂ©.
Pour ces raisons, nous considĂ©rons que ces conditions nâont pas emportĂ© violation de lâarticle 3 de la Convention.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DES JUGES SAJĂ ET KELLER
1. Avec tout le respect dĂ» Ă nos collĂšgues, nous ne pouvons souscrire Ă la position de la majoritĂ© selon laquelle il nây a pas eu en lâespĂšce violation de lâarticle 8 de la Convention. Ă notre avis, les restrictions qui ont Ă©tĂ© apportĂ©es aux visites familiales ne sont pas conformes Ă la loi.
2. Alors
que toute dĂ©tention rĂ©guliĂšre au regard de lâarticle 5 de la Convention
entraßne par nature une restriction à la vie privée et familiale de
lâintĂ©ressĂ©, il est essentiel au respect de la vie familiale que
lâadministration pĂ©nitentiaire aide le dĂ©tenu Ă maintenir un contact avec sa
famille proche (Messina c. Italie
(no 2), no 25498/94, § 61, CEDH 2000-X ; Ouinas c. France, no
13756/88, décision de la Commission du 12 mars 1990, Décisions et rapports (DR)
65, p. 265). Cela vaut Ă©galement dans le contexte dâun dĂ©tenu dangereux soumis
Ă un rĂ©gime spĂ©cial de dĂ©tention, oĂč la Cour a relevĂ© Ă plusieurs reprises que
des limitations du nombre de visites familiales constituent une ingérence dans
lâexercice par lâintĂ©ressĂ© du droit au respect de sa vie familiale et que
pareille ingĂ©rence doit ĂȘtre « prĂ©vue par la loi », viser un ou des buts
lĂ©gitimes au regard du paragraphe 2 de lâarticle 8 et passer pour une
mesure « nécessaire, dans une société démocratique » (Messina c. Italie (no 2), précité, § 63 ; Schiavone c. Italie (déc.), no 65039/01, 13 novembre
2007 ; X c. Royaume-Uni, no 8065/77,
décision de la Commission du 3 mai 1978, DR 14, p. 246).
3. Selon
lâarticle 25 de la loi no 5275 sur lâexĂ©cution des peines et des mesures
prĂ©ventives du 13 dĂ©cembre 2004 (citĂ© au paragraphe 67 de lâarrĂȘt), le
requérant peut recevoir des visites familiales tous les quinze jours pour une
durée ne pouvant excéder une heure. De cette base légale découle que le
requĂ©rant a le droit de voir les membres de sa famille environ vingt‑cinq
fois par an.
4. Le
nombre total des visites de proches sâest Ă©levĂ© Ă quatorze en 2005, treize en
2006, sept en 2007 et enfin deux entre janvier et octobre 2011
(paragraphes 33 et 35 de lâarrĂȘt). Du 16 fĂ©vrier 1999 jusquâĂ septembre
2007, le requérant avait droit à environ 190 visites. Or le nombre de visites
qui ont effectivement eu lieu est bien inférieur. Bien que le requérant ait
reçu 126 visites familiales entre le 16 février 1999 et le mois de septembre 2007,
il y a eu de longues pĂ©riodes pendant lesquelles il nâa pu voir ses proches.
5. Nous
ne sommes pas convaincus que les raisons invoquées par le Gouvernement (les
mauvaises conditions mĂ©tĂ©orologiques, lâentretien des bateaux assurant la
navette entre lâĂźle et le continent, et lâimpossibilitĂ© pour les bateaux
navettes de faire face aux mauvaises conditions météorologiques
â paragraphe 31 de lâarrĂȘt) puissent expliquer les nombreux refus
dâautoriser les visites. En effet, prĂšs de la moitiĂ© des visites demandĂ©es ont
été refusées, au motif que la navette était en panne ou que les conditions
mĂ©tĂ©orologiques Ă©taient mauvaises (paragraphe 54 de lâarrĂȘt).
6. Ă notre avis,
lâĂ©cart important entre le nombre de visites prĂ©vues par le droit national et
le nombre de visites effectuĂ©es nâest pas justifiĂ©. Câest la raison pour
laquelle nous estimons quâil y a eu en lâespĂšce violation de lâarticle 8
de la Convention.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
(Traduction)
1. Dans lâaffaire Ăcalan, la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme (« la Cour ») est Ă nouveau confrontĂ©e Ă la question de principe de la compatibilitĂ© avec la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme (« la Convention ») dâune peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle infligĂ©e Ă une personne saine dâesprit[4]. Il y a en lâespĂšce deux Ă©lĂ©ments nouveaux par rapport Ă lâarrĂȘt Vinter[5]. Ici, la question se pose Ă lâĂ©gard dâune peine infligĂ©e au chef condamnĂ© dâune organisation terroriste et le champ de lâaffaire englobe aussi le rĂ©gime carcĂ©ral trĂšs strict appliquĂ© au requĂ©rant, en particulier les restrictions Ă lâaccĂšs aux membres de sa famille et Ă ses conseils juridiques, ainsi que lâabsence de soins mĂ©dicaux adĂ©quats. Les discussions sur le problĂšme fondamental de la peine de perpĂ©tuitĂ© bĂ©nĂ©ficient, en lâespĂšce, de ce que lâon sait des modalitĂ©s particuliĂšres du rĂ©gime carcĂ©ral appliquĂ© au requĂ©rant de juin 1999 Ă mars 2012[6]. Ces deux raisons auraient suffi Ă justifier mon opinion sĂ©parĂ©e. Mais il y a une troisiĂšme raison. Au vu des rĂ©actions Ă lâarrĂȘt Vinter, la Cour aurait pu et dĂ» en profiter pour prĂ©ciser le sens de ses standards en la matiĂšre. Tel est aussi le but de cette opinion.
LâincompatibilitĂ©
avec le droit international dâune peine Ă perpĂ©tuitĂ©
2. Le requĂ©rant fut reconnu coupable et condamnĂ© Ă la peine de mort en 1999 Ă lâissue dâun procĂšs inĂ©quitable, comme lâa dit la Grande Chambre dans son arrĂȘt de 2005[7]. Alors que cette derniĂšre avait clairement indiquĂ© que le requĂ©rant devait ĂȘtre rejugĂ© et que celui-ci en avait fait ultĂ©rieurement la demande, aucun nouveau procĂšs nâeut lieu. Ni le ComitĂ© des Ministres ni la Cour nâabordĂšrent la question de lâinexĂ©cution de lâarrĂȘt de 2005[8]. ConcrĂštement, les conclusions de la Grande Chambre constatant lâiniquitĂ© de la condamnation du requĂ©rant sont restĂ©es sans le moindre effet parce que la Cour comme le ComitĂ© des Ministres sâĂ©taient abstenus dâexercer leurs pouvoirs[9]. La condamnation Ă mort fut par la suite commuĂ©e en rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle.
3. La sanction pĂ©nale des auteurs dâinfractions sains dâesprit peut poursuivre lâune ou plusieurs des cinq finalitĂ©s suivantes : 1) prĂ©vention spĂ©ciale positive (rĂ©insertion sociale de lâauteur), câest-Ă -dire prĂ©parer celui-ci Ă mener une vie dans le respect de la loi au sein de la sociĂ©tĂ© une fois libĂ©rĂ© ; 2) prĂ©vention spĂ©ciale nĂ©gative (neutralisation de lâauteur), câest-Ă -dire prĂ©venir les violations futures de la loi par la personne condamnĂ©e en la gardant Ă lâĂ©cart de la sociĂ©tĂ© ; 3) prĂ©vention gĂ©nĂ©rale positive (renforcement de la rĂšgle violĂ©e), câest-Ă -dire affermir lâacceptation et le respect par la sociĂ©tĂ© de la rĂšgle violĂ©e ; 4) prĂ©vention gĂ©nĂ©rale nĂ©gative (dissuader les auteurs dâinfractions potentiels), câest-Ă -dire prĂ©venir les violations futures de cette rĂšgle par les autres membres de la sociĂ©tĂ© ; et 5) chĂątiment, câest-Ă -dire lâexpiation de lâauteur pour le fait coupable commis par lui.
4. Dans lâarrĂȘt Vinter, la Grande Chambre a jugĂ© que la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle (« whole life order »), câest-Ă -dire une peine Ă vie incompressible, est irrĂ©mĂ©diablement contraire Ă lâarticle 3 de la Convention parce quâelle contrevient Ă lâobjectif de rĂ©insertion sociale[10]. Cette peine est dâailleurs incompatible en elle-mĂȘme avec le droit international en ce quâelle mĂ©connaĂźt lâinterdiction claire formulĂ©e Ă lâarticle 37 a) la Convention des Nations unies relative aux droits de lâenfant et Ă lâarticle 9 de la Convention interamĂ©ricaine sur lâextradition, ainsi que lâobligation internationale de rĂ©insertion sociale des dĂ©linquants condamnĂ©s Ă des peines dâemprisonnement, Ă©noncĂ©e Ă lâarticle 10 § 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Ă lâarticle 5 § 3 de la Convention amĂ©ricaine relative aux droits de lâhomme et Ă lâarticle 40 § 1 de la Convention des Nations unies relative aux droits de lâenfant[11]. Comme lâa dit la Cour suprĂȘme des Ătats-Unis, « [u]ne peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle ne saurait toutefois se justifier par lâobjectif de rĂ©insertion sociale. Elle dĂ©savoue purement et simplement lâidĂ©al de rĂ©insertion sociale. En refusant Ă lâaccusĂ© le droit de rĂ©intĂ©grer la sociĂ©tĂ©, lâĂtat prononce un jugement irrĂ©vocable sur la valeur et la place dâune personne au sein de la sociĂ©tĂ© »[12]. Dit plus simplement, la peine de rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© sâapparente Ă un traitement inhumain en raison des effets dĂ©socialisants et donc dĂ©shumanisants de lâemprisonnement de longue durĂ©e. Il en va dâailleurs de mĂȘme aussi pour toute sorte de peine indĂ©finie, Ă durĂ©e indĂ©terminĂ©e ou Ă durĂ©e dĂ©terminĂ©e mais excĂ©dant lâespĂ©rance de vie normale ou extrĂȘmement longue. De telles formes de chĂątiments sont incompatibles avec la dignitĂ© humaine. Un accĂšs restreint Ă des mĂ©dicaments ou Ă des programmes de formation ou dâenseignement, voire un refus de ceux-ci, ne fait quâaggraver le caractĂšre intrinsĂšquement inhumain de la peine.
5. La prĂ©vention gĂ©nĂ©rale des infractions pĂ©nales ne justifie pas la perpĂ©tuitĂ©. Quand bien mĂȘme il existerait une corrĂ©lation prouvĂ©e entre cette peine et une baisse du taux de dĂ©linquance, ou au moins du taux de meurtres et dâautres crimes violents, punir lâauteur de lâinfraction afin de dissuader autrui dâadopter le mĂȘme comportement et de renforcer lâautoritĂ© sociale de la rĂšgle de droit reviendrait Ă rĂ©duire cette personne Ă un instrument de stratĂ©gie des pouvoirs publics. Or une telle corrĂ©lation nâexiste pas. Au contraire, non seulement les pays qui connaissent depuis longtemps la rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ©, par exemple les Ătats-Unis et la Russie, ont un taux de criminalitĂ© Ă©levĂ© â et surtout un taux Ă©levĂ© de meurtres et de crimes violents â mais aussi les pays qui ne connaissent pas cette peine ont bel et bien un faible taux de criminalitĂ©. Le meilleur exemple est le Portugal. Ce dernier avait tout dâabord aboli la rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© Ă lâoccasion de la rĂ©forme carcĂ©rale de 1884[13]. Cette tradition de longue date a Ă©tĂ© consacrĂ©e Ă lâarticle 30 de la Constitution portugaise elle-mĂȘme, qui interdit la rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© ou toute autre forme de peine dâemprisonnement Ă durĂ©e indĂ©terminĂ©e. Or le taux de meurtres et de crimes violents au Portugal est depuis longtemps parmi les plus bas au monde[14]. Le fait que dâautres pays europĂ©ens comme Andorre (articles 35 et 58 du code pĂ©nal), la Bosnie-HerzĂ©govine (article 42 du code pĂ©nal), la Croatie (articles 44 et 51 du nouveau code pĂ©nal), le MontĂ©nĂ©gro (article 33 du code pĂ©nal), Saint-Marin (article 81), la Serbie (article 45 du code pĂ©nal) et lâEspagne (articles 36 et 76 du code pĂ©nal)[15], et des pays non europĂ©ens comme lâAngola (article 66 de la Constitution), le BrĂ©sil (article 5, XVVII, de la Constitution), la Bolivie (article 27 du code pĂ©nal), le Cap-Vert (article 32 de la Constitution), la Chine (article 41 du code pĂ©nal de la rĂ©gion autonome de Macao), la Colombie (article 34 de la Constitution), le Costa Rica (article 51 du code pĂ©nal), la RĂ©publique dominicaine (article 7 du code pĂ©nal), le Timor-Oriental (article 32 de la Constitution), lâĂquateur (article 51 et 53 du code pĂ©nal), El Salvador (article 45 du code pĂ©nal), le Guatemala (article 44 du code pĂ©nal), le Honduras (article 39 du code pĂ©nal), le Mexique (article 25 du code pĂ©nal fĂ©dĂ©ral), le Mozambique (article 61 de la Constitution), le Nicaragua (article 52 du code pĂ©nal), le Panama (article 52 du code pĂ©nal), le Paraguay (article 38 du code pĂ©nal), Sao TomĂ©‑et‑Principe (article 37 de la Constitution) et lâUruguay (article 68 du code pĂ©nal), en ont fait de mĂȘme montre que des sociĂ©tĂ©s de continents et de cultures diffĂ©rents peuvent prospĂ©rer sans rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ©. VoilĂ des preuves claires, abondantes et incontestĂ©es quâil existe en la matiĂšre une tendance internationale continue et quâaucune sociĂ©tĂ© ne sâest jamais effondrĂ©e si elle ne connaĂźt pas cette peine[16].
6. Lâemprisonnement Ă vie peut viser, et mĂȘme parvenir, Ă la neutralisation Ă long terme de lâauteur de lâinfraction (prĂ©vention spĂ©ciale nĂ©gative), le postulat Ă©tant que la dangerositĂ© particuliĂšre de cette personne exige sa mise Ă lâĂ©cart de la sociĂ©tĂ© le plus longtemps possible, câest-Ă -dire pour le restant de ses jours. Or ce postulat repose sur la croyance en un barĂšme de prĂ©dictions Ă©minemment problĂ©matique qui tient davantage dâune forme dâanticipation divinatoire de lâavenir que dâune dĂ©marche scientifique, comme lâont montrĂ© de nombreux « faux cas positifs ». De plus, lâeffet dâ« Ă©largissement du filet » (net-widening effect) de la notion de dangerositĂ© de lâauteur de lâinfraction, qui va jusquâĂ inclure les « troubles de la personnalitĂ© » (personality disorder), les « anomalies mentales » (mental abnormality) ou la « personnalitĂ© instable » (unstable character), brouille la frontiĂšre entre dĂ©linquants sains dâesprit responsables et dĂ©linquants aliĂ©nĂ©s irresponsables, ce qui entraĂźne un sĂ©rieux risque de fausse classification des auteurs dâinfractions[17]. Pire encore, ce postulat est Ă la limite de lâarbitraire lorsquâil sâagit de peines automatiques ou obligatoires, par exemple lorsquâest automatiquement infligĂ©e la perpĂ©tuitĂ© pour certains types dâinfractions, quelle que soit la situation particuliĂšre de leurs auteurs, ou pour certains types de rĂ©cidivistes, quelle que soit la gravitĂ© particuliĂšre des infractions commises. Lâobjectif consistant Ă Ă©liminer tout arbitraire et toute discrimination dans lâapplication de la loi pĂ©nale ne pourra jamais ĂȘtre rĂ©alisĂ© sans garantir lâĂ©lĂ©ment fondamental de lâĂ©quitĂ© quâest lâindividualisation de la peine. Or une peine automatique ou obligatoire est Ă lâopposĂ© dâune rĂ©ponse individualisĂ©e Ă lâinfraction.
7. Si la rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© va Ă lâencontre de lâobjectif de rĂ©insertion sociale de lâauteur de lâinfraction et du principe fondamental de lâindividualisation de la peine, la question qui se pose ensuite est celle de savoir si la neutralisation pure et simple de cette personne peut ĂȘtre tolĂ©rĂ©e dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique. Cette question ne relĂšve pas de la rhĂ©torique. La rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© peut servir, et a dâailleurs servi par le passĂ©, dâinstrument privilĂ©giĂ© dâatteinte aux libertĂ©s civiles. Montesquieu a fort justement dĂ©montrĂ© que la durĂ©e des peines dâemprisonnement est en corrĂ©lation directe avec le caractĂšre plus ou moins libĂ©ral de lâĂtat : « [i]l serait aisĂ© de prouver que, dans tous ou presque tous les Ătats dâEurope, les peines ont diminuĂ© ou augmentĂ© Ă mesure quâon sâest plus approchĂ© ou plus Ă©loignĂ© de la libertĂ© ». Qualifier ses adversaires politiques dâ« ennemis publics » et les condamner Ă lâemprisonnement Ă vie a Ă©tĂ© dans le passĂ©, et est encore aujourdâhui, une tentation indĂ©niable dans de nombreux pays. Lâhistoire rĂ©cente nous donne deux bons exemples. La « dĂ©tention de suretĂ© » (Sicherungsverwahrung), qui permet le prolongement dâune peine dâemprisonnement infligĂ©e Ă lâauteur sain dâesprit dâune infraction en raison de sa dangerositĂ©, fut introduite en droit allemand par le rĂ©gime nazi et fit lâobjet dâun usage abusif afin de cibler toutes les personnes opposĂ©es au rĂ©gime ou ne correspondant tout simplement pas au modĂšle nazi du bon citoyen. Lâautre exemple mondialement connu est lâancien prĂ©sident Nelson Mandela, reconnu coupable en 1962 de conspiration en vue de renverser le rĂ©gime et condamnĂ© Ă la rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© au cours du procĂšs de Rivonia. Mais les adversaires politiques ne sont pas les seules cibles de la politique pĂ©nale visant Ă incarcĂ©rer durablement les personnes considĂ©rĂ©es comme « extrĂȘmement dangereuses pour la sociĂ©tĂ© ». Lâhistoire nous a aussi appris que bien dâautres groupes sociaux, comme les membres de minoritĂ©s raciales, ethniques et religieuses, ont subi en particulier les consĂ©quences prĂ©judiciables de politiques rĂ©pressives axĂ©es sur lâemprisonnement Ă vie. La surreprĂ©sentation de ces groupes parmi les dĂ©tenus condamnĂ©s Ă la perpĂ©tuitĂ© est un signe clair dâune rĂ©action disproportionnĂ©e de lâĂtat face Ă la criminalitĂ©. Et cette tentation nâest pas lâapanage des rĂ©gimes totalitaires. Des dĂ©mocraties ont elles aussi Ă©tĂ© envoĂ»tĂ©es par le discours populiste faisant de la prison Ă vie le seul moyen efficace de lutter contre « les pires des pires »[18].
8. Enfin, le chĂątiment pur et simple est prĂ©sentĂ© comme la finalitĂ© ultime de lâemprisonnement Ă vie. En supposant que le crime est si odieux que jamais son auteur ne pourra lâexpier, le seul moyen de punir celui-ci est de le priver de sa libertĂ© pendant le restant de ses jours[19]. Le caractĂšre odieux du crime appelle un chĂątiment Ă vie. La sociĂ©tĂ© cĂšde Ă sa soif de vengeance en infligeant une peine comparable Ă la mort elle-mĂȘme, voire pire que celle‑ci[20]. LâĂtat se refuse Ă reconnaĂźtre tout intĂ©rĂȘt dans la vie humaine autre que la seule survie physique du dĂ©tenu. ConsidĂ©rĂ© comme une « bĂȘte », un « prĂ©dateur » ou un « monstre » qui devrait « pourrir en prison », le dĂ©tenu est comparĂ©, inconsciemment et parfois explicitement, Ă un animal, un ĂȘtre pour qui le rachat est impossible. LâĂ©ternitĂ© nâest pas une durĂ©e dâemprisonnement assez longue pour lui. Lâimpulsion qui conduit Ă prononcer la peine de perpĂ©tuitĂ© se rapproche, en son punitivisme aveugle, Ă celle qui conduit Ă prononcer la peine de mort. Dit crĂ»ment, le dĂ©tenu Ă perpĂ©tuitĂ© connaĂźt une « mort civile » (civil death)[21]. Lâemprisonnement Ă vie se justifie par la logique de la « peine de mort diffĂ©rĂ©e », rĂ©duisant le dĂ©tenu Ă simple objet entre les mains du pouvoir exĂ©cutif[22].
9. Pareil raisonnement nâest pas tolĂ©rable dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique. Ni la « dangerositĂ© exceptionnellement Ă©levĂ©e » du criminel ni le « caractĂšre odieux du crime » ne permet de justifier lĂ©gitimement lâemprisonnement Ă vie. Toute ingĂ©rence de lâĂtat dans la libertĂ© des citoyens doit ĂȘtre bornĂ©e par les principes de la proportionnalitĂ© et de la nĂ©cessitĂ©, dont le principe de lâingĂ©rence la moins intrusive est lâun des corollaires[23]. La prison est prĂ©cisĂ©ment lâinstrument de dernier ressort dâingĂ©rence par lâĂtat dans la libertĂ© des citoyens. Il ne faut recourir Ă cette peine que lorsquâil nây a aucune autre mesure adĂ©quate pour lâĂtat, en limitant autant que possible sa durĂ©e et sa sĂ©vĂ©ritĂ©, et en la proportionnant Ă la gravitĂ© du fait commis et Ă la culpabilitĂ© de lâauteur[24]. La gravitĂ© du comportement objectif de lâauteur de lâinfraction et son degrĂ© de culpabilitĂ© personnelle sont les limites absolues dâune peine proportionnĂ©e, qui doit ĂȘtre bornĂ©e par celles-ci. Si cette forme modĂ©rĂ©e de punitivisme reste digne dâune sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, tel nâest pas le cas de lâemprisonnement Ă vie car il sâagit dâune rĂ©action sans retenue, inutile et disproportionnĂ©e de lâĂtat Ă la criminalitĂ©. La conclusion nâest pas diffĂ©rente pour une peine de perpĂ©tuitĂ© compressible dans la mesure oĂč celle-ci ne prend fin quâau dĂ©cĂšs de lâintĂ©ressĂ© et oĂč celui-ci peut ĂȘtre rappelĂ© en prison de nombreuses dĂ©cennies aprĂšs sa libĂ©ration.
10. Une interdiction catĂ©gorique de lâemprisonnement Ă vie sâimpose, comme en attestent le consensus qui se fait jour en la matiĂšre et la reconnaissance universelle du principe de la rĂ©insertion sociale des dĂ©linquants condamnĂ©s Ă une peine dâemprisonnement. Non seulement elle permettrait dâĂ©viter les consĂ©quences nĂ©fastes avĂ©rĂ©es de lâemprisonnement Ă vie mais aussi elle contraindrait les Ătats Ă prendre au sĂ©rieux leur obligation internationale de donner aux dĂ©tenus la possibilitĂ© de purger leur peine dâemprisonnement de maniĂšre constructive, en vue dâune rĂ©insertion sociale, et donc de garantir les moyens financiers et humains nĂ©cessaires Ă cette fin[25]. Une interdiction aussi catĂ©gorique, tout en reflĂ©tant la dignitĂ© intrinsĂšque Ă tout ĂȘtre humain et les « standards de dĂ©cence jalonnant les progrĂšs dâune sociĂ©tĂ© qui mĂ»rit »[26], confirmerait la supĂ©rioritĂ© morale de la sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique sur tous ceux et toutes celles qui ne respectent pas ses principes fondamentaux, prĂ©cisĂ©ment lĂ oĂč le besoin dâune telle supĂ©rioritĂ© morale se fait le plus sentir, câest-Ă -dire face aux actes les plus abjects dont lâhomme est capable. Comme lâa dit le juge de la Cour suprĂȘme des Ătats-Unis Stevens dans lâexposĂ© de son opinion concordante joint Ă lâarrĂȘt Graham, « un chĂątiment qui ne paraĂźt pas cruel et inhabituel un jour peut, grĂące aux enseignements de la raison et de lâexpĂ©rience, se rĂ©vĂ©ler lâĂȘtre Ă un moment ultĂ©rieur »[27]. Ce moment est venu pour la rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ©.
La
reconnaissance en droit international du droit à la libération conditionnelle (parole)
11. Ă la lumiĂšre de lâarrĂȘt Vinter, lâĂtat doit mettre en place un mĂ©canisme de rĂ©examen des motifs justifiant le maintien en dĂ©tention Ă lâaune des besoins dâordre pĂ©nologique de tout dĂ©tenu condamnĂ© Ă la « perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle ». Si les personnes condamnĂ©es pour les crimes les plus odieux doivent bĂ©nĂ©ficier dâun systĂšme de libĂ©ration conditionnelle, il en va de mĂȘme a fortiori pour les autres dĂ©tenus. Autrement dit, la Convention garantit un droit Ă la libĂ©ration conditionnelle, y compris pour ceux convaincus des crimes les plus graves[28]. Cela signifie non pas que tout dĂ©tenu doive forcĂ©ment se voir accorder de cette mesure mais quâil jouit dâun droit acquis et opposable Ă la libĂ©ration conditionnelle dans lâhypothĂšse oĂč les conditions lĂ©gales Ă lâoctroi de cette mesure seraient rĂ©unies. De plus, la libĂ©ration conditionnelle est non pas une forme de dispense de peine mais un changement dans les modalitĂ©s de lâingĂ©rence de lâĂtat dans la libertĂ© du condamnĂ©, par la surveillance opĂ©rĂ©e sur sa vie en sociĂ©tĂ©. Et cette surveillance peut sâexercer de maniĂšre trĂšs Ă©troite, en vertu de conditions rigoureuses, selon les besoins de chaque personne en libertĂ© conditionnelle.
12. Si les Ătats parties Ă la Convention jouissent dâun certain pouvoir discrĂ©tionnaire lorsquâils rĂ©glementent le rĂ©gime de libĂ©ration conditionnelle, leur marge dâapprĂ©ciation demeure manifestement sous le contrĂŽle de la Cour. Sinon, un pouvoir totalement discrĂ©tionnaire leur permettrait concrĂštement dâanĂ©antir leur obligation internationale de garantir la possibilitĂ© dâune libĂ©ration conditionnelle. Il y a donc trois conditions fondamentales Ă la protection effective du droit du dĂ©tenu Ă la libĂ©ration conditionnelle sur le terrain de la Convention. PremiĂšrement, le mĂ©canisme de libĂ©ration conditionnelle doit se trouver sous lâautoritĂ© dâun tribunal ou au moins permettre un contrĂŽle judiciaire des Ă©lĂ©ments tant factuels que juridiques de la dĂ©cision. Un mĂ©canisme qui rĂ©serverait Ă une autoritĂ© gouvernementale ou administrative le dernier mot dans le rĂ©examen dâune peine mettrait la libertĂ© du dĂ©tenu entre les mains de lâexĂ©cutif et soustrairait au pouvoir judiciaire sa responsabilitĂ© ultime, confĂ©rant ainsi des prĂ©rogatives judiciaires Ă lâexĂ©cutif en violation du principe de la sĂ©paration des pouvoirs. Ce serait antinomique Ă un systĂšme dĂ©mocratique oĂč la privation de la libertĂ© est la tĂąche la plus importante du juge, et non de lâexĂ©cutif. Par consĂ©quent, un rĂ©examen par un ministre ou par tout agent subordonnĂ© de lâadministration ne serait pas suffisamment indĂ©pendant pour ĂȘtre conforme aux standards tant universels quâeuropĂ©ens de protection des droits de lâhomme[29]. De plus, une dĂ©cision ordonnant le maintien ou le rappel en prison dâun condamnĂ© doit ĂȘtre entourĂ©e de toutes les garanties procĂ©durales : elle ne peut pas par exemple ĂȘtre prise sans accorder Ă lâintĂ©ressĂ© une audience et un accĂšs adĂ©quat Ă son dossier[30].
13. DeuxiĂšmement, la question de la libĂ©ration conditionnelle doit ĂȘtre examinĂ©e selon un Ă©chĂ©ancier raisonnable prĂ©dĂ©terminĂ©[31]. Le rĂ©gime lĂ©gal de compressibilitĂ© de la peine doit avoir Ă©tĂ© fixĂ© avant la date de lâimposition de la peine dâemprisonnement. Si la loi ne prĂ©voit aucune « pĂ©riode minimale de dĂ©tention » ou « pĂ©riode punitive » (tariff) qui devra ĂȘtre purgĂ©e avant que cette question puisse ĂȘtre examinĂ©e, la juridiction de jugement est tenue dâen fixer une, mais cette pĂ©riode ne doit pas ĂȘtre dâune durĂ©e qui reviendrait Ă empĂȘcher de facto le rĂ©examen de la peine infligĂ©e au dĂ©tenu pendant le restant de ses jours. Ni la loi ni le juge ne peuvent Ă©tablir une pĂ©riode minimale de dĂ©tention Ă purger qui ferait dâune peine compressible une forme dĂ©guisĂ©e de perpĂ©tuitĂ© incompressible, par exemple une pĂ©riode punitive Ă perpĂ©tuitĂ© (whole life tariff). Au cas oĂč la question de la libĂ©ration conditionnelle ne serait pas tranchĂ©e au stade du rĂ©examen initial, la situation du dĂ©tenu devrait ĂȘtre rĂ©examinĂ©e Ă des intervalles raisonnables, pas trop espacĂ©s dans le temps[32]. Pour la mĂȘme raison, les dĂ©tenus rappelĂ©s en prison devraient eux aussi bĂ©nĂ©ficier du mĂȘme rĂ©examen Ă des intervalles rĂ©guliers[33].
14. TroisiĂšmement, les critĂšres dâapprĂ©ciation de la libĂ©ration conditionnelle doivent ĂȘtre Ă©tablis par la loi de maniĂšre claire et prĂ©visible et ĂȘtre fondĂ©s principalement sur des considĂ©rations de prĂ©vention spĂ©ciales et subsidiairement sur des considĂ©rations de prĂ©vention gĂ©nĂ©rales[34]. Les considĂ©rations de prĂ©vention gĂ©nĂ©rales ne devraient pas Ă elles seules justifier un refus de libĂ©ration conditionnelle ou un retour en prison. Les critĂšres ne devraient pas se limiter Ă lâinvaliditĂ© mentale ou physique du dĂ©tenu ni Ă sa proximitĂ© de la mort. Pareils « motifs humanitaires » (compassionate grounds) sont Ă lâĂ©vidence trop restrictifs[35]. Tel Ă©tait le cas des motifs prĂ©vus par lâarticle 30 de la loi britannique de 1997 sur les peines en matiĂšre criminelle (Crime (Sentences) Act 1997) et du manuel sur les personnes condamnĂ©es Ă perpĂ©tuitĂ© (lifer manual). RĂ©cemment, la Cour dâappel dâAngleterre et du pays de Galles a jugĂ© que la Cour nâavait pas interdit lâimposition de la perpĂ©tuitĂ© rĂ©elle pour des « crimes odieux » (heinous crimes) Ă©tant donnĂ© que la loi anglo-galloise prĂ©voyait bel et bien la compressibilitĂ© car, bien quâ« exceptionnelles », les conditions posĂ©es dans ce manuel ne sont pas trop restrictives et doivent dâailleurs ĂȘtre entendues dans « un sens large qui peut ĂȘtre Ă©lucidĂ© au cas par cas, tout comme se dĂ©veloppe la common law ». En dâautres termes, elle a dit que la Grande Chambre avait mal interprĂ©tĂ© lâarticle 30 de la loi de 1997 et le manuel[36]. Cette conclusion soulĂšve des questions assez graves dâordre linguistique, logique et juridique : quâest-ce que la « compassion » a Ă voir avec lâ« apprĂ©ciation des risques », les « perspectives de rĂ©insertion sociale de lâauteur de lâinfraction » ou « lâabsence de motifs dâordre pĂ©nologique justifiant le maintien en dĂ©tention » ? Est-ce que le « sens large » (wide meaning) dans lequel il faut entendre la notion de « compassionate ground » serait large au point de ne plus avoir de rapport avec le sens ordinaire du mot « compassion » ? Quâest-ce qui pourrait ĂȘtre plus imprĂ©visible que la conversion en obligation dâĂ©largissement au « sens large » dâune disposition lĂ©gislative discrĂ©tionnaire permettant la libĂ©ration dans des circonstances exceptionnelles ? Quâest-ce qui pourrait ĂȘtre plus imprĂ©cis que des « motifs exceptionnels » (exceptional grounds) Ă entendre au « sens large » (wide meaning) ? Il est Ă©vident que, selon lâinterprĂ©tation donnĂ©e par la Cour dâappel, le mĂ©canisme de rĂ©examen prĂ©vu par lâarticle 30 de la loi de 1997 et par le manuel sur les personnes condamnĂ©es Ă perpĂ©tuitĂ© nâest pas un « rĂ©examen permettant aux autoritĂ©s nationales de rechercher si, au cours de lâexĂ©cution de sa peine, le dĂ©tenu a tellement Ă©voluĂ© et progressĂ© sur le chemin de lâamendement quâaucun motif lĂ©gitime dâordre pĂ©nologique ne permet plus de justifier son maintien en dĂ©tention »[37]. Lâexistence dâun rĂ©gime lĂ©gal clair et prĂ©visible consacrant le droit Ă la libĂ©ration conditionnelle pour tous les dĂ©tenus, y compris ceux ayant commis les pires « crimes odieux », est une obligation internationale pesant sur les Ătats membres, et le respect des rĂšgles internationales en matiĂšre de protection des droits de lâhomme ne dĂ©pend pas des circonstances factuelles plus ou moins choquantes de chaque cas dâespĂšce. Câest pourquoi la phrase de conclusion dans lâarrĂȘt de la Cour dâappel, selon laquelle « [n]otre dĂ©cision dans chaque cas repose sur les faits particuliers de lâespĂšce et il ne saurait en ĂȘtre tirĂ© le moindre enseignement dans toute affaire similaire », ne dispense pas lâĂtat de son obligation internationale de respecter les arrĂȘts de la Cour. Penser le contraire aurait des rĂ©percussions sismiques. La Convention nâest pas un engagement Ă la carte et le systĂšme europĂ©en de protection des droits de lâhomme sâeffondrerait si on commençait Ă la considĂ©rer ainsi.
Lâemprisonnement
à vie du requérant
15. Le requĂ©rant a passĂ© dix annĂ©es dans le plus strict isolement, de fĂ©vrier 1999 Ă novembre 2009[38]. Son rĂ©gime carcĂ©ral prĂ©voyait son isolement absolu de ses codĂ©tenus[39], lâabsence dâactivitĂ©s de travail, dâinstruction ou de loisir prĂ©cises, une interdiction de correspondance, de conversations tĂ©lĂ©phoniques et de tĂ©lĂ©vision, une censure concernant les livres et journaux, une interdiction des journaux kurdes, une interdiction des visites autres que celles des membres de sa famille et de ses avocats et une interdiction dâemployer la langue kurde au cours des visites. Lorsquâil purgeait des sanctions disciplinaires successives dâisolement cellulaire, il nâavait pas droit aux visites[40]. Dans son rapport de 2008, aprĂšs avoir dĂ©crit les consĂ©quences dramatiques de ce traitement sur lâĂ©tat psychologique du dĂ©tenu, le CPT a conclu que « garder en dĂ©tention une personne dans ces conditions pendant huit ans et demi nâa pas la moindre justification »[41]. Dans son rapport de 2010, il a reconnu que la situation Ă©tait meilleure mais que les nouvelles conditions Ă©taient un « pas trĂšs modeste dans la bonne direction », et critiquĂ© surtout lâinterdiction de tout contact avec les codĂ©tenus au cours des promenades en plein air, lâinterdiction de recevoir des visites « autour dâune table » de membres de sa famille, lâinterdiction de cumuler des pĂ©riodes de visite inutilisĂ©es et lâinterdiction de tout contact tĂ©lĂ©phonique avec ses proches[42]. Il a relevĂ© que le rĂ©gime carcĂ©ral du requĂ©rant Ă©tait bien plus sĂ©vĂšre que celui appliquĂ© aux autres dĂ©tenus de mĂȘme catĂ©gorie incarcĂ©rĂ©s dans les prisons de type F. Ce rĂ©gime discriminatoire Ă©tait aggravĂ© par le rejet de la plupart des visites demandĂ©es par les proches et les avocats de lâintĂ©ressĂ©.
16. Sur la question prĂ©cise des soins mĂ©dicaux, le CPT a notĂ© que « diverses recommandations prĂ©cises formulĂ©es Ă maintes reprises par le ComitĂ© [Ă©taient] restĂ©es sans suite »[43]. PremiĂšrement, le requĂ©rant faisait chaque jour lâobjet dâun contrĂŽle mĂ©dical superficiel « non seulement inutile mais aussi potentiellement contre-productif ». DeuxiĂšmement, la mise en place dâune relation mĂ©decin-patient digne de ce nom restait impossible parce que les mĂ©decins qui venaient ne cessaient de changer. En pratique, les gĂ©nĂ©ralistes changeaient chaque semaine et nâĂ©taient jamais les mĂȘmes. De plus, pendant une pĂ©riode de neuf mois ayant prĂ©cĂ©dĂ© la visite du CPT, il y avait eu douze consultations psychiatriques par cinq diffĂ©rents psychiatres et onze visites par onze gĂ©nĂ©ralistes diffĂ©rents, ainsi que plusieurs visites supplĂ©mentaires par diffĂ©rents autres spĂ©cialistes. Ainsi, le requĂ©rant a peut-ĂȘtre vu prĂšs de 90 mĂ©decins diffĂ©rents en une annĂ©e. TroisiĂšmement, il Ă©tait particuliĂšrement prĂ©occupant que les mĂ©decins qui venaient ne communiquaient pas entre eux et quâil nây avait pas la moindre coordination entre les consultations mĂ©dicales. Dâordinaire, un mĂ©decin rĂ©digeait Ă lâissue de chaque visite un compte rendu qui Ă©tait ensuite simplement communiquĂ© au directeur de la prison. Le CPT y a vu aussi une « violation de la confidentialitĂ© mĂ©dicale ».
17. LâĂtat dĂ©fendeur a effectivement fait un effort pour attĂ©nuer certaines des critiques du CPT, surtout concernant les conditions matĂ©rielles dans la prison. Cela dit, il nâa pas encore Ă©tĂ© remĂ©diĂ© au mauvais accĂšs Ă la lumiĂšre naturelle dans lâensemble des cellules, dĂ©noncĂ© dans le rapport du CPT de 2010[44].
18. Sur la base de ces constats de fait, je conclus que, pendant lâensemble de la pĂ©riode considĂ©rĂ©e, le rĂ©gime carcĂ©ral dâisolement du requĂ©rant, ainsi que ses contacts extrĂȘmement limitĂ©s avec le monde extĂ©rieur â en particulier ses contacts trĂšs limitĂ©s avec ses proches â et ses soins mĂ©dicaux dĂ©ficients, ont atteint le degrĂ© de gravitĂ© permettant un constat de violation des articles 3 et 8[45].
LâaccĂšs
du requérant à des avocats
19. Toute personne en dĂ©tention provisoire ou purgeant une peine dâemprisonnement jouit dĂšs le dĂ©but de son incarcĂ©ration dâune trinitĂ© de droits fondamentaux : le droit dâaccĂšs Ă un avocat, le droit dâaccĂšs Ă un mĂ©decin et le droit dâinformer de sa dĂ©tention un proche ou un autre tiers de son choix. Le droit dâaccĂšs Ă un avocat doit inclure le droit de sâentretenir avec lui en privĂ©, mĂȘme sâil ne fait pas obstacle au remplacement dâun avocat se comportant de maniĂšre dĂ©lictueuse, participant Ă une infraction pĂ©nale ou empĂȘchant la bonne conduite de la procĂ©dure. De la mĂȘme maniĂšre, il doit sâappliquer quelle que soit la « gravitĂ© » de lâinfraction dont le dĂ©tenu est soupçonnĂ©. En effet, les personnes soupçonnĂ©es dâinfractions particuliĂšrement graves sont parmi celles les plus exposĂ©es Ă des mauvais traitements et ont donc le plus besoin dâun avocat. Par consĂ©quent, la question de la justification dâune restriction au droit dâaccĂšs Ă un avocat sâapprĂ©cie au cas par cas et non selon la catĂ©gorie de lâinfraction en cause[46]. Si les avocats sont essentiels au cours de lâenquĂȘte et du procĂšs, ils le sont encore davantage lors de lâexĂ©cution de la peine. LâaccĂšs Ă un avocat est crucial lorsquâest purgĂ©e une peine dâemprisonnement car il peut offrir un contrĂŽle indĂ©pendant du rĂ©gime carcĂ©ral appliquĂ©, des sanctions disciplinaires imposĂ©es et des mesures spĂ©ciales de contrainte et de sĂ©curitĂ© adoptĂ©es ainsi que de toute la panoplie des interdictions, restrictions et obligations attachĂ©es Ă la condition de dĂ©tenu, et prendre le cas Ă©chĂ©ant des mesures pour rĂ©tablir ce dernier dans ses droits fondamentaux. Lâavocat est un garant indispensable du respect des droits de lâhomme dans lâexĂ©cution dâune peine dâemprisonnement.
20. Ă lâinstar des demandes de visites par la famille, la majoritĂ© des demandes de visites par les avocats du requĂ©rant ont Ă©tĂ© rejetĂ©es : soit parce que le temps Ă©tait mauvais soit parce quâaucun bateau ne desservait lâĂźle. Il y avait aussi un autre motif de refus des demandes de visite des avocats du requĂ©rant : des soupçons de complicitĂ© de terrorisme pesant sur eux[47]. Les visites des avocats ont souvent Ă©tĂ© interrompues et leurs conversations avec le requĂ©rant ont Ă©tĂ© enregistrĂ©es. Des documents ou dâautres piĂšces Ă©changĂ©s entre lui et ses avocats ont Ă©tĂ© contrĂŽlĂ©s et les notes de ces derniers confisquĂ©es. Des courriers entre lâaccusĂ© et ses avocats ont Ă©tĂ© censurĂ©s. Ces derniers se sont vu refuser lâaccĂšs aux procĂ©dures disciplinaires dirigĂ©es contre leur client et aux dossiers en la matiĂšre. Enfin, il leur a Ă©tĂ© interdit pendant longtemps de reprĂ©senter le requĂ©rant, certains ont mĂȘme Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ©s et dâautres ont vu leurs bureaux perquisitionnĂ©s et leurs dossiers professionnels saisis[48].
21. Aux termes de lâarticle 59 de la loi no 5275, en combinaison avec lâarticle 84 du dĂ©cret y relatif du 6 avril 2006, lâexamen des documents, dossiers, notes ou archives des avocats se fait en vertu dâune dĂ©cision, susceptible de recours, dâun juge. Aucune disposition expresse ne permet lâenregistrement des conversations entre un avocat et le dĂ©tenu[49]. Lâarticle 151 du code de procĂ©dure pĂ©nale, tel que modifiĂ© par la loi no 5353 de 2005, permet dâinterdire de reprĂ©sentation un avocat pendant un an voire deux et son remplacement par un autre avocat dĂ©signĂ© par le barreau. Le libellĂ© approximatif et vague de cette disposition est problĂ©matique mais, mĂȘme sâil fallait lâaccepter Ă titre dâhypothĂšse, aucun document produit devant la Cour ne permet de prouver que les avocats du requĂ©rant eussent Ă©tĂ© impliquĂ©s dans une quelconque activitĂ© criminelle dâune nature qui aurait justifiĂ© pareille interdiction, et encore moins leur condamnation pour ce motif. Pour ce qui est des dossiers en matiĂšre disciplinaire et plus prĂ©cisĂ©ment des conclusions Ă©crites en dĂ©fense du dĂ©tenu pendant les procĂ©dures de recours, les autoritĂ©s judiciaires compĂ©tentes ont rejetĂ© les demandes dâaccĂšs Ă ces piĂšces en se fondant sur lâarticle 153 no 2 du code de procĂ©dure pĂ©nale, qui dispose que lâaccĂšs au dossier et la possibilitĂ© dâen recevoir copie peuvent ĂȘtre restreints si lâaccorder nuit Ă lâenquĂȘte en cours. Cette rĂšgle de procĂ©dure pĂ©nale vise Ă protĂ©ger les intĂ©rĂȘts dâune enquĂȘte pĂ©nale et son utilisation en matiĂšre disciplinaire est inacceptable.
22. Enfin, en ce qui concerne les difficultĂ©s dâaccĂšs Ă lâĂźle, le Gouvernement a deux choix : sâil veut garder le requĂ©rant sur une Ăźle, il doit fournir les moyens de transport nĂ©cessaires, par exemple en prĂ©voyant plus de bateaux lorsque ceux existants ne sont pas disponibles ou un hĂ©licoptĂšre lorsque la mer est mauvaise[50]; sâil ne peut pas ou ne veut pas fournir ces moyens supplĂ©mentaires, il doit alors transfĂ©rer le requĂ©rant sur le continent. Ce quâil ne peut pas faire, câest le garder sur une Ăźle sans fournir les moyens dây accĂ©der.
23. Bref, la violation susmentionnĂ©e de lâarticle 3 est aggravĂ©e par lâinterdiction faite aux avocats du requĂ©rant dâagir en son nom et de le contacter, par lâinterdiction systĂ©matique des entretiens confidentiels avec eux, par lâenregistrement systĂ©matique de toutes les conversations entre le requĂ©rant et ses avocats en lâabsence de base lĂ©gale claire, par lâinterdiction systĂ©matique pour les avocats dâaccĂ©der aux procĂ©dures et dossiers disciplinaires, et par la confiscation des notes rĂ©digĂ©es par les avocats du requĂ©rant retraçant leurs entretiens avec ce dernier[51].
Conclusion
24. Les prisons ne devraient pas ĂȘtre comme les portes de lâenfer, oĂč se rĂ©aliseraient les mots de Dante : Lasciate ogne speranza, voi châintrate (« vous qui entrez ici, laissez toute espĂ©rance »). La Convention exige, en matiĂšre de rĂ©insertion sociale et de libĂ©ration conditionnelle, une approche fondĂ©e sur les droits du dĂ©tenu, allant de pair avec lâobligation pour les Ătats parties de viser la premiĂšre et de garantir la seconde. Le requĂ©rant purge une peine dâemprisonnement sans possibilitĂ© de libĂ©ration conditionnelle depuis 1999. Au cours de la pĂ©riode considĂ©rĂ©e dans le prĂ©sent arrĂȘt (de mai 2005 Ă mars 2012), cette peine a Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e avec une extrĂȘme sĂ©vĂ©ritĂ©, en violation des droits garantis au requĂ©rant par les articles 3 et 8. Pour remĂ©dier Ă ces violations de la Convention, lâĂtat dĂ©fendeur doit non seulement amĂ©liorer le rĂ©gime carcĂ©ral du requĂ©rant, faciliter lâaccĂšs aux membres de sa famille et Ă ses avocats et lui prodiguer des soins mĂ©dicaux adĂ©quats conformĂ©ment aux recommandations du CPT, mais aussi instaurer un mĂ©canisme lĂ©gal de libĂ©ration conditionnelle pour les dĂ©tenus dans la mĂȘme situation que lui, permettant un rĂ©examen rĂ©gulier par le juge de leur dĂ©tention en fonction de leurs besoins dâordre pĂ©nologique. Mais la Turquie pourrait faire encore un pas en avant en se joignant aux pays qui depuis longtemps se sont passĂ©s de la rĂ©clusion Ă perpĂ©tuitĂ© pour les auteurs dâinfractions sains dâesprit. Ainsi, elle donnerait un exemple fort Ă toute lâhumanitĂ©.
1. Ă
lâexception des premiĂšres semaines de dĂ©tention, oĂč le CPT avait manifestĂ© son inquiĂ©tude
quant aux effets immĂ©diats de son incarcĂ©ration sur lâĂ©tat psychologique de
lâintĂ©ressĂ©, et les consĂ©quences malencontreuses qui pouvaient en rĂ©sulter (cf.
CPT (2000) 17, paragraphe 39, 3e alinéa).
3. Cf.
Affaire Abdullah Ăcalan c. Turquie, requĂȘte n° 46221/99, paragraphe 196 (soulignement par le CPT).
1. Ainsi,
la prĂ©sente opinion nâaborde pas la question de lâinternement Ă perpĂ©tuitĂ© â
sous quelque forme que ce soit â des auteurs dâinfractions non responsables,
câest-Ă -dire des personnes « aliĂ©nĂ©es » ou ne jouissant pas de leur
capacité mentale.
3. Je
regrette que les quatre requĂȘtes dont le requĂ©rant a saisi la Cour en 2003,
2004, 2006 et 2007 aient Ă©tĂ© jointes et quâil ait fallu Ă la Cour plus de
dix ans pour les traiter. Lâinaction de la Cour sâajoutant Ă sa dĂ©cision de
joindre les requĂȘtes ont non seulement rendu extrĂȘmement difficile lâapprĂ©ciation
de faits survenus il y a longtemps mais elles ont mĂȘme permis Ă de graves
violations continues de perdurer, alors quâil aurait Ă©tĂ© possible de les faire
cesser. ConsidĂ©rant que la majoritĂ© a estimĂ© que la pĂ©riode soumise Ă lâanalyse
de la Cour avait commencĂ© Ă la date du prononcĂ© de lâarrĂȘt concernant la requĂȘte n° 46221/99 et
nâavait pris fin quâavec les derniĂšres observations communiquĂ©es Ă elle dans la
prĂ©sente affaire jointe, la Cour sâest trouvĂ©e chargĂ©e de la tĂąche herculĂ©enne
dâapprĂ©cier la maniĂšre dont les autoritĂ©s carcĂ©rales et les juridictions
dâappel compĂ©tentes de lâĂtat dĂ©fendeur se sont occupĂ©es du requĂ©rant pendant
sept annĂ©es, de 2 mai 2005 Ă mars 2012 (paragraphe 96 de lâarrĂȘt).
5. Dans
sa dĂ©cision dâirrecevabilitĂ© du 6 juillet 2010 concernant la requĂȘte n°
5980/07, la Cour sâest estimĂ©e incompĂ©tente. Auparavant, le ComitĂ© des
Ministres avait déjà prononcé la clÎture de son examen opéré en vertu de
lâarticle 46 § 2, bien quâil ait dit quâen en aucun cas sa dĂ©cision ne
prĂ©jugeait lâexamen par la Cour de nouvelles requĂȘtes (rĂ©solution
CM/ResDH(2007)1).
6. Sur
la responsabilité partagée de la Cour et du Comité des Ministres quant au
contrĂŽle de lâexĂ©cution des arrĂȘts de la Cour, voir lâexposĂ© de mon opinion
sĂ©parĂ©e joint Ă lâarrĂȘt Fabris c. France
[GC], no 16574/08, CEDH
2013 (extraits).
7. La
Grande Chambre a expressément fait sien le raisonnement de la Cour
constitutionnelle fédérale allemande voyant dans la réinsertion sociale une
condition sine qua non Ă
lâemprisonnement, y compris lorsque la perpĂ©tuitĂ© est infligĂ©e (Vinter, prĂ©citĂ©, §§ 113‑118 ;
voir lâarrĂȘt rendu par la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale le 21 juin 1977 et,
dans le mĂȘme ordre dâidĂ©es, lâarrĂȘt rendu par la Cour constitutionnelle
italienne le 27 septembre 1987 (n° 274) et la décision n° 93-334 du
20 janvier 1994 du Conseil constitutionnel français.
8. Par consĂ©quent, les Ătats
parties ont lâobligation positive, fondĂ©e sur lâarticle 3 de la Convention, de
prĂ©voir un plan individuel dâexĂ©cution de la peine, comprenant une Ă©valuation
globale et actualisĂ©e des risques et des besoins, pour les dĂ©tenus condamnĂ©s Ă
des peines de perpĂ©tuitĂ© ou de longue durĂ©e, câest-Ă -dire une ou plusieurs
peines dâemprisonnement dâau moins cinq ans au total (voir lâexposĂ© de mon
opinion sĂ©parĂ©e jointe Ă lâarrĂȘt Taukus
c. Lituanie, n° 29474/09, 27 novembre 2012).
9. Graham v. Florida, 560 U.S. 48 (2010). Bien quâavancĂ© dans le cas de mineurs, lâargument
a exactement la mĂȘme force juridique et morale appliquĂ© aux dĂ©linquants majeurs
responsables.
10. Sur lâhistoire de la
rĂ©forme carcĂ©rale au Portugal par rapport Ă dâautres pays europĂ©ens, voir mon
ouvrage intitulé « Droit carcéral portugais et européen » (en langue
portugaise), Coimbra, 2006, 434 pages, et en particulier les pages 82 Ă 90
consacrées à la réforme de 1884. Le Portugal fut présenté au monde comme un
modÚle par le réformateur des prisons britanniques et secrétaire de la Howard
Association, William Tallack, dans son ouvrage visionnaire intitulé « Penological and preventive principles »,
1889, p. 162 et 163. Dans son commentaire sur la deuxiĂšme Ă©dition de cet
ouvrage, lâAmerican Journal of Sociology,
volume I, 1895, page 791, a estimĂ© que « [l]âauteur [Ă©tait] le mieux
placĂ© pour saisir le meilleur de la pensĂ©e de lâĂ©poque ».
12. La
NorvÚge ne peut figurer parmi ces pays. La réclusion à perpétuité en temps de
paix y a Ă©tĂ© abolie en 1981 et remplacĂ©e par une peine dâemprisonnement dâune
durĂ©e maximale de 21 ans. De plus, certains dĂ©linquants dangereux peuvent ĂȘtre
sanctionnés par une période de sûreté, qui ne peut excéder 21 ans (article 39
e) du code pénal civil). Toutefois, le juge peut prolonger cette peine par
pĂ©riodes dâune durĂ©e pouvant aller jusquâĂ cinq ans si le condamnĂ© est encore
considĂ©rĂ© comme dangereux, ce qui veut dire quâil peut y avoir dĂ©tention Ă vie
si une prolongation de cinq ans est prononcée encore et encore.
13. Dans
son arrĂȘt Christine Goodwin c.
Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 85, CEDH 2002‑VI, la Cour
a dit attacher « moins dâimportance Ă lâabsence dâĂ©lĂ©ments indiquant un
consensus européen relativement à la maniÚre de résoudre les problÚmes
juridiques et pratiques quâĂ lâexistence dâĂ©lĂ©ments clairs et incontestĂ©s
montrant une tendance internationale continue », citant lâĂ©tat du droit
dans des pays non européens.
14. Comme
lâa dit un jour le juge de la Cour suprĂȘme des Ătats-Unis H. Blackmun, il nâexiste pas de juste systĂšme permettant de
bien voir qui sont les pires des pires (Callins
v. Collins, 510 US 1141 (1994). Ce quâil a dit concernait les
personnes mĂ©ritant la peine capitale mais on pourrait en dire de mĂȘme des
personnes condamnées à la perpétuité. En fait, cette remarquable opinion du
juge Blackmun pourrait sâappliquer dans son intĂ©gralitĂ© Ă la rĂ©clusion Ă
perpétuité.
15. Voir,
une nouvelle fois, lâargumentation remarquable du juge Blackmun dans lâexposĂ©
de son opinion dissidente joint Ă lâarrĂȘt Callins
v. Collins, 510 US 1141 (1994), oĂč il estime « entachĂ©e de prĂ©jugĂ©s
raciaux » la politique disproportionnée en matiÚre de peine capitale. Les
juges Potter Stewart, Byron White et William O. Douglas avaient déjà souligné
ce mĂȘme point dans lâarrĂȘt Furman v.
Georgia, 408 U.S. 238 (1972). Le juge Stewart avait mĂȘme parlĂ© de
« systĂšmes de droit qui permettent Ă cette peine unique dâĂȘtre si
arbitrairement et si anormalement infligée ». Ces propos forts contre la
peine de mort peuvent aussi ĂȘtre dirigĂ©s contre lâemprisonnement Ă vie.
16. Câest
prĂ©cisĂ©ment le raisonnement suivi par la Cour dâappel dâAngleterre et du pays
de Galles dans son arrĂȘt du 14 fĂ©vrier 2014 (§§ 49-50) : « [l]e juge
ne doit imposer la perpétuité réelle que si la gravité du crime est exceptionnellement
Ă©levĂ©e et si les impĂ©ratifs de juste chĂątiment et de rĂ©tribution font quâil
sâagit de la juste peine ».
17. Cette
maniĂšre de raisonner est vieille comme le monde : « [c]elui qui a pitiĂ© des gens cruels finira par ĂȘtre cruel Ă l'Ă©gard des gens
misĂ©ricordieux ». Solon a observĂ© quâil nây a pas de vĂ©ritable justice
tant que ceux qui nâont pas Ă©tĂ© victimes dâun crime ne se sentiront pas aussi
indignés que ceux qui en ont été victimes. Cette maniÚre de voir les choses
mĂ©connaĂźt que la prison nâest pas un lieu oĂč les gens doivent ĂȘtre traitĂ©s de
façon indigne et cruelle. Et, en ce quâelle est axĂ©e sur le besoin de vengeance
et de rĂ©volte, elle occulte lâobligation quâĂ lâĂtat dâoffrir aux victimes de
crimes les moyens adéquats de se remettre de leur perte.
18. En
voici deux exemples : la loi new-yorkaise prévoit que « [t]oute personne
condamnée à la réclusion à perpétuité est civilement morte » (code de New
York, § 79-a) et la loi de Rhode Island que « [t]oute personne emprisonnée
Ă vie dans un Ă©tablissement carcĂ©ral pour majeurs est rĂ©putĂ©e, Ă lâĂ©gard de
lâensemble des droits de propriĂ©tĂ©, des liens conjugaux et des droits civils et
des relations de quelque nature que ce soit, morte Ă tout point de vue, comme
si elle était décédée de causes naturelles à la date de sa condamnation »
(lois générales de Rhode Island, § 13-6-1 (2002)).
19. Comme
Beccaria lâa autrefois dit, la perpĂ©tuitĂ© est une peine pire que la mort
elle-mĂȘme : « [o]n dira peut-ĂȘtre que lâesclavage perpĂ©tuel est une
peine aussi rigoureuse ; et par conséquent aussi cruelle que la mort. Je
rĂ©pondrai quâen rassemblant en un point tous les moments malheureux de la vie
dâun esclave, sa vie serait peut-ĂȘtre plus horrible que les supplices les plus
affreux » (Des délits et des peines,
1764). Lâargument fut repris par John Stuart Mill, dans son malheureux discours
en faveur de la peine capitale (21 avril 1868). Il faut ajouter que la pensée
de Mill Ă©volua et quâil rejeta finalement tant lâemprisonnement Ă vie que la
peine capitale.
21. « Toute
peine qui, par sa durée ou par sa sévérité excessive, est fortement
disproportionnée aux infractions en question » est interdite (Weems v. United States, 217 U.S. 371,
349 (1909)). Ou, comme lâa prĂ©cisĂ© la Cour constitutionnelle sud-africaine dans
son arrĂȘt S. v. Dodo, 2001 (3) SA 382 (CC) 303 (S. Afr.),
« [l]orsque la durée de la peine, qui a été infligée en raison de son effet
généralement dissuasif sur autrui, est sans rapport avec la gravité de
lâinfraction, lâauteur de celle-ci sert essentiellement de moyen visant Ă une
autre fin et il sâen trouve atteint dans sa dignitĂ©. Il en va de mĂȘme lorsque
la finalitĂ© rĂ©formatrice de la peine prĂ©domine et que lâauteur dâune infraction
est condamnĂ© Ă une peine dâemprisonnement de longue durĂ©e principalement parce
quâil ne peut se racheter pendant une durĂ©e plus brĂšve, mais que cette durĂ©e
nâa aucun rapport avec ce que mĂ©rite lâinfraction commise ».
22. Dans
son Observation gĂ©nĂ©rale n° 21 (1992), par. 10, le ComitĂ© des droits de lâhomme
a dit ceci : « [a]ucun systĂšme pĂ©nitentiaire ne saurait ĂȘtre
uniquement distributif ; il devrait essentiellement viser le redressement
et la réadaptation sociale du prisonnier » ; voir aussi les rÚgles
57, 60, 61 et 65 de lâEnsemble de
rÚgles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (1957, modifié
en 1977), le principe n° 10 des Principes
fondamentaux relatifs au traitement des détenus (1990) et le principe n° 6 de
la recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres. Ajoutons que,
aujourdâhui, la rĂ©insertion sociale est entendue, Ă lâinstar de lâanalogie
médicale classique, non pas comme un « traitement » ou un
« remÚde » pour le prisonnier en vue de son amendement mais comme une
tĂąche qui, si elle est moins ambitieuse, nâen demeure pas moins plus
réaliste : le préparer à mener sa vie dans le respect de la loi aprÚs la
prison. Il y a trois raisons à cela : premiÚrement, il est problématique
que lâĂtat ait le pouvoir constitutionnel dâ« amender » la
personnalitĂ© dâune personne majeure ; deuxiĂšmement, il est douteux quâun
tel amendement soit réalisable ; et, troisiÚmement, il est encore plus
incertain que son existence puisse ĂȘtre Ă©tablie.
23. Cette expression heureuse
vient du prĂ©sident de la Cour suprĂȘme des Ătats-Unis E. Warren dans lâarrĂȘt rĂ©digĂ© par lui au nom de la
majoritĂ© en lâaffaire Trop v. Dulles,
356 U.S. 86 (1958) et elle a notamment été reprise par le juge Thurgood Marshal
dans lâarrĂȘt rĂ©digĂ© par lui au nom de la majoritĂ© de la Cour suprĂȘme en lâaffaire Estelle v. Gamble, 429 U. S. 97, 102 (1976).
24. Graham v. Florida, 560 U.S. 48 (2010). Voir, dans le mĂȘme ordre dâidĂ©es progressiste,
lâexposĂ© de lâopinion du prĂ©sident Costa joint Ă lâarrĂȘt LĂ©ger c. France, n° 19324/02, 11 avril 2006, celui de
lâopinion du prĂ©sident Bratza joint Ă lâarrĂȘt Kafkaris c. Chypre [GC], n° 21906/04, 12 fĂ©vrier 2008, et
celui de lâopinion du prĂ©sident Spielmann joint Ă lâarrĂȘt LĂ©ger c. France [GC], n° 19324/02, 30 mars 2009.
25. Câest
exactement le sens du principe 4.a de la recommandation Rec 2003(22) du Comité
des Ministres, adoptĂ©e le 24 septembre 2003. Autrement dit, lâarrĂȘt Vinter a infirmĂ© la jurisprudence
antérieure de la Cour selon laquelle la Convention ne confÚre aucun droit à la
libération conditionnelle (Szabo c. SuÚde
(déc.), n° 28578/03, CEDH 2006-VIII, et Macedo
da Costa c. Luxembourg (déc.), n° 26619/07, § 22, 5 juin 2012.
26. Au niveau européen, voir Weeks c. Royaume-Uni, n° 9787/82, §§ 58
et 69, 2 mars 1987, et T. c. Royaume-Uni,
n° 24724/94, § 121, 16 décembre 1999 ; le rapport du Comité pour la
prévention de la torture (« le CPT ») n° 55 de 2007, publié le 27
juin 2007 ; et lâarrĂȘt rendu par la Cour constitutionnelle italienne le 27
juin 1974 (n° 204/1974). Au niveau universel, voir lâarticle 110 §§ 4 et 5 du
Statut de Rome et les articles 223 et 224 du RÚglement de procédure de preuve
de la Cour pénale internationale.
27. Par. 32 de la
recommandation Rec 2003(22) du Comité des Ministres, adoptée le
24 septembre 2003, et Osborn v
Parole Board [2013] UKSC 61.
28. Par. 9 de la résolution Res
76(2) du Comité des Ministres, adoptée le 17 février 1976, et par. 5 de la
recommandation Rec 2003(22) du Comité des Ministres, adoptée le 24 septembre
2003.
29. Weeks, précité, § 58, résolution Res 76(2) du Comité des Ministres,
adoptée le 17 février 1976, par. 12 ; recommandation Rec 2003(22) du
Comité des Ministres, adoptée le 24 septembre 2003, par. 21 ; rapport
du CPT sur la Hongrie, février 2007, par. 33 ; « Prison à vie »,
rapport du Programme des Nations Unies en matiÚre de prévention du crime
et de justice pénale (1994), document ONU ST/CSDHA/24, par. 49, et Observation
gĂ©nĂ©rale n° 10 du ComitĂ© sur les droits de lâenfant, par. 77.
31. RĂ©solution Res 76(2) du
Comité des Ministres, adoptée le 17 février 1976, par. 10 ;
recommandation Rec 2003(22) du Comité des Ministres, adoptée le 24 septembre
2003, par. 3, 4 et 20, et recommandation Rec 2003(23) du Comité des
Ministres, adoptée le 9 octobre 2003, par. 34.
33. Par. 29 de lâarrĂȘt rendu
par la Cour dâappel le 14 fĂ©vrier 2014. Dit plus clairement, la Cour dâappel a
dit quâelle avait raison dans son arrĂȘt Bieber
et que la Cour avait tort dans lâarrĂȘt Vinter.
34. Par. 119 de lâarrĂȘt de
Grande Chambre Vinter. En fait la
disposition pertinente sâintitule « Ă©largissement Ă titre dâhumanitĂ© pour
des raisons médicales » (compassionate
release on medical grounds), ce qui montre clairement la finalité de
lâarticle 30. Son interprĂ©tation par la Cour dâappel ne cadre tout simplement
pas avec le sens de la notion de compassion
dans la culture occidentale (voir la définition que donne le dictionnaire
Oxford du mot compassion :
« le sentiment bienveillant de misĂ©ricorde et de sollicitude Ă lâĂ©gard des
souffrances ou malheurs dâautrui », le mot venant du latin compati, « partager la souffrance
dâautrui »). Dâailleurs, la
thĂšse dĂ©fendue par la Cour dâappel selon laquelle les motifs dâhumanitĂ©, au
« sens large », englobent les « motifs lĂ©gitimes dâordre
pénologique » avait déjà été exposée devant la Cour par le Gouvernement et
expressĂ©ment rejetĂ©e par la Grande Chambre au paragraphe 129 de son arrĂȘt Vinter.
35. Lâabsence dâinformations complĂštes et
fiables sur le régime carcéral appliqué au requérant rend trÚs compliqué
lâexamen consciencieux par le juge de la rĂ©alitĂ© de la situation sur le
terrain. Dâailleurs, le raisonnement de la majoritĂ© est truffĂ© de suppositions
et de présomptions fondées sur de maigres preuves documentaires produites par
le gouvernement dĂ©fendeur. Aucun exposĂ© clair et exact nâa Ă©tĂ© donnĂ© Ă la Cour
du nombre dâheures effectivement passĂ©es par le requĂ©rant avec ses codĂ©tenus, ni
de ses activités de loisirs et de sport, du nombre des visites de membres de sa
famille, dâavocats et de mĂ©decins qui ont Ă©tĂ© demandĂ©es, effectuĂ©es et
refusĂ©es, des modalitĂ©s de ces visites, du nombre de fois oĂč les conversations
entre le requĂ©rant et ses avocats ont Ă©tĂ© interrompues et oĂč ceux-ci ont Ă©tĂ©
empĂȘchĂ©s dâĂ©changer des documents ou des notes avec leurs clients, du nombre
dâavocats Ă qui il a Ă©tĂ© interdit dâagir pour le compte du requĂ©rant et de
contacter celui-ci et des motifs de cette interdiction, du nombre de
conversations tĂ©lĂ©phoniques entre le requĂ©rant et les personnes extĂ©rieures Ă
la prison qui ont Ă©tĂ© demandĂ©es, effectuĂ©es et refusĂ©es, du nombre de fois oĂč
la correspondance du requérant a été censurée voire interrompue, ou du nombre
de sanctions disciplinaires et de mesures de sécurité qui ont été imposées,
attaquées, confirmées, annulées et appliquées. En tout état de cause, la Cour
disposait bel et bien de preuves fiables. Le requérant ayant à maintes reprises
contestĂ© les actes des autoritĂ©s carcĂ©rales, jâestime que les seuls Ă©lĂ©ments de
preuve fiables versés au dossier sont ceux produits par le CPT et ceux produits
par le Gouvernement lorsque les rapports du CPT les confirmaient.
36. En fait, le requérant était
la seule personne sĂ©journant dans la prison dâImrali jusquâen novembre 2009,
lorsque cinq autres détenus y entrÚrent. Le requérant pouvait discuter une
heure par semaine avec ses codĂ©tenus. UltĂ©rieurement, ce laps de temps passa Ă
trois heures par semaine.
37. Le
Gouvernement admet quâil nây a aucune diffĂ©rence entre lâisolement cellulaire
et lâisolement ordinaire, si ce nâest lâinterdiction des visites par les
proches.
39. Rapport
du CPT de 2010, par. 19, 21, 25 et 28. La plupart de ces faits avaient déjà été
évoqués dans les rapports du CPT de 2008 et 2003.
40. Rapport
du CPT de 2010, par. 33. Dans son rapport de 2007 (par. 33), le CPT avait dĂ©jĂ
critiqué les soins médicaux dispensés au requérant.
41. Rapport
du CPT de 2010, par. 10. On peut trouver Ă ce sujet dâautres remarques dans le
rapport de 2006 du CPT, par. 48-51, et dans le rapport du CPT de 2008, par.
11-12.
42. Le
paragraphe 149 de la motivation de la majorité reconnaßt explicitement
lâinsuffisance du rĂ©gime carcĂ©ral et des contacts avec le monde extĂ©rieur aprĂšs
le 17 novembre 2009 mais nây voit aucune violation de lâarticle 3. Pire encore,
le constat par la majoritĂ© de non-violation de lâarticle 8 et son raisonnement
au paragraphe 163 contredisent sa conclusion au paragraphe 146,
lorsquâelle tient compte prĂ©cisĂ©ment des restrictions « importantes »
Ă lâaccĂšs des proches du requĂ©rant comme motif de violation de lâarticle 3.
43. Voir
le 21Úme rapport général (CPT/Inf (2011) 28, par. 18-25, et la
recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres, par. 23.4 et 23.5.
44. La
majoritĂ© nâa pas abordĂ© plusieurs questions dĂ©licates expressĂ©ment posĂ©es par
le requérant et communiquées par la Cour au Gouvernement, par exemple
lâinterdiction, dont les avocats du requĂ©rant auraient Ă©tĂ© frappĂ©s, dâagir en
son nom et de le contacter.
46. La
thĂšse du Gouvernement, qui estime que lâarticle 59, n° 4, de la loi n° 5275,
tel que modifiĂ©e en 2005, le permet, nâest pas convaincante Ă la lecture du
libellé clair de la loi.
47. Il
y a un hĂ©licoptĂšre pour accĂ©der Ă lâĂźle mais il est rĂ©servĂ© aux agents de
lâĂtat, pas aux avocats.
48. Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie, nos
11082/06 et 13772/05, § 630-649, 25 juillet 2013. Si lâon compare les
restrictions imposĂ©es par lâĂtat turc Ă la relation entre le requĂ©rant Ăcalan
et ses avocats Ă celles imposĂ©es par lâĂtat russe Ă la relation entre les
requérants Khodorkovskiy et Lebedev et leurs avocats, force est de conclure que
les premiĂšres sont bien plus lourdes que les secondes.